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UNIVERSITÉ DE FRANCE -
DE
ACAOÉ.MJE D'AIX
LA
LOI CINCIA
EN DROl'r ROMAIN
DE
LA
RÈGLE :
DONNER ET RETENIR NE VAUT
DAN S NO TR E ANCIE NNE JURI SPRUDE NCE
E T
SO U S
LE
CODE
CIVIL
PRÉSENTÉE ET SOUTENUE
Par Jos eph DE TE RR IS
Avocat près la Cour d'Appel d'Aix
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Dl P RDIERIE J.
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LOUYRE
�A LA l\fg~JOIRE VI~Nl~RÉ E DE MO:\' PERE
A MA MÈRE
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�l)Rürr
l)O~lAIN
Généralités sur la Loi Cincia
La loi Cincia, appelée aussi /ex de donis et mtmeribus
par Cicéron et Tite-Live el lcx 11uineralis par Festus, est
un plébiscile qui fut porlé au mili eu du VI" siècle <le la fonda lion <le Hom e. Présentée par le tribun Ciacius Alimentus, elle fut énergiquement soutenue par Q. Fabius Maximns el Caton le censeur ( 1). Oo ignore encore de nos jours
sa date précise et exacte. On sail seulement par un passage de Ti le-Live (2) qu'elle existait déjà en l'an 555 de la
fond ation de Rome. Tout fait présumer qn'ell e fut votée
v~rs \'ao 5 50 sous le con$n lat de M. Cornelius Cethegus et
de P. Sempronius Tuditan us.
L'obscurité qui règne aujourd'hui encore sur l'origi1rn
de ce lle loi s'étendait autrefois à ses dispositions ellesmêmcs. Cc qu 'on en con naissait se bornait à bien peu <le
choses. Les juri co n ulte romains cependant en avaient
( 1) Cicér o11, dP .Srnertulr. i.
('i) T itc- Li vr. li\'. \ n l Y, )( i .
�-6fait l'objet cle leur. étude cl y avaient co11sacré plusieurs
commentaires. On pense généralement qu' Olpien y faisait
allusion dans les premiers mots qui nous sont parvenus
des Fragments connus sous le nom de : Tit uli !!X Cmpore
V/piani. Paul avait même composé un traité spécial :
Liber singularis acl l ege m Cincinm, mais ce traité qui eût
étè de nature à. nou ' fo urni r de' inJicalions bien précises n'a
malhenreusement point été retrouvé. Quan t aux textes du
Digeste, ils avaient été, pour la plupart . altères so us l'em pe·
reur Justinien qui arnit vou lu les faire cad rer avec sa théorie ùe l'in$inuation ; ceux qu i arn ien t été épargnés ne fai aient que mentionner en matière de donation entre-vifs
une limite fixée par une loi do11t le nom n'était prononcé
qu'une fois. C'était là avec quelques constitutions du Code
Théodosien et du Code de Justinien. quelques passages de,
historiens et des auteurs de l'ancienne Rome, tout ce que
les anc;iens interprètes du droit romain connaissaient sur la
loi Cincia. La découverte des Fragmen ts du Vatican en ·J 82 1
par l\l . Ange!o .Maï est venue étendre le champ Je nos
connaissances. Nous y trouvons, en effet, un certain nombre de paragraphes C§ 26G à 5 16) qni traitent: de Donatiunibus c'd Legtm Ci11cia111 . Sans doule, cer tains détails
sonl encore ignorés de nos jonrs , certain po ints sont c11core restés dans l'ombre, mais du moins pouvons-nous.
avec les documents qoe nom, possédon, , nous fa ire u11e
iciée exacte et complète de la loi, en saisir le but et co nnaître les moyens de li né. à fa faire observer.
Elle avai t deux objets. Elle défend ait e 11 premier lieu
les dons ou présents fai ts par les clients aux al'ocats chargés de défendre leur cau se. Dans 11n second chef. beau-
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coup plus important , elle prohibait les donations en tre-vifs
au delà d'un Laux déterm iné, saof celles qui étaienl adressées à certaines personn es appelées 71l'1'sonœ exceptœ et qui
étaient va lables in i11/initurn.
On pourrait peut- être, au premier abord. 'étonner Je
l'oir rcuni es dans une même loi des décisioos aussi dillcrentes pa1· leur objet. Il est cependant probable qu'il
existait un lien entre les deu'\ dispositions de la loi Cincia.
L'explication donnée par M. Accarias ( 1) sur ce point
nous parait même assez . atisfai an te. A l'origine et jnsque
sous les Antonins, les honoraire d e~ avocats furent con idérés légalement comme perçus à titre gratuit et coostitu:iient non point une rémunératior1 des serv ices rendus,
mais une réritable libéral ité faite par le client à son
défenseur . Voici donc qn elle aurait ét~ l'économie de la )(Ji
Cio cia. Ell e distinguait trois sortes de donations : 1° les
donations faites aux avocats qui étaient absolument interdite ; 2° cell es qui dépassaient le taux fixé par la loi cl qu i
n'étai ent pa ad res·ées à des pcrso11œ exceptœ, donl laperfecti on était ·uburd on née à l'accomplissement J e nouvelles
fo rmalités ; j• cell es LJUi n'exci•cla ient pas le modus ou qui
étaient faites :t une personr.c cxceplée, et qui écluppant à
l'application de la loi demeuraient régies par le droil antérieur .
( t) Droit roma111 , l.
1,
p. 70 , oo lci.
�-8
PREMIÈRE PARTIE
Êtnclc dn 1•rcmle1• chef de ln Lol Cineln
Sous les rois et dans les premiers temps de la république il n'y avait pas d'avocats à Rome. Le patricien était Je
protecteur légal de son client el ùevait prendre en main
ses intérêts. Possédant seul le dépôt des coutumes et les
formules de la procédure il pouvait seul remplir les fonctions de juge et d'avocat. La défeu~e eo justice était
uo de ses privilèges ou plutôt une de ses obligations. Mais
son ministère était nécessairement gratuit. Il ne pou vait
évidemment rien ex iger de ceux que ses devoirs de patronage le forçaient à secourir quand ils se trouvaient dans la
détresse et les honoraires qu'il pouvait percevoir étaient
regardés comme des dons volontaires que lui faisaient ses
clients.
Les divulgations de Cneius FlaYi us ( 450) en enlevant
aux patriciens les secrets de la procédure, aITranchirent Je
plébéien de la tutelle du patron de\'ant les tribunaux et le
laissèrent désormais libre de choisir à son gré le défenseur
qni lui plaisait. De ce jour-là, date à Rome l'origine du
barreau ; l'avocat prend la place du patron et l'assistance
judiciaire devient une véritable carri ère accessible à tous
les citoyens. Il n'est plus rare, à partir de celle époq ue, de
voir des hommes de la plèbe arri ver au premier rang par
leur travail et leur éloq•Jence el compter à leur tour
parm i leurs clients leurs an~i ens patrons. TouLefo is la défense en justice reste, ce qu'elle avait été à l'origine, c'est-
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à-dire entièrement gratuite. En échange des services rendus les orateurs obtenaient l'influence el la réputation et
regardaient • l'estime de la postérité comme le pins
digne salaire de lenr êloqu ence • ( 1). La profession d'avocat permettait à ceux qui l'embrassaien t de se signaler,
d'arriver rapidement aux honneurs et aux dignités et le
barreau ne tarda pa:; à devenir le stage obligé d~ Lous ceux.
qui se destinaient aux fonctions publiques. " C'estait, dit
Laroche-Flavio , le principal moyen de l'état populaire de
romains de pan·enir aux grandes choses que d'estre bon
avocat » (2).
En fait cepenàan t l'usage de ces dons vol1mtaire· qu e
les clients faisaient à leurs défenseurs, un e fois le procès
terminé, était entré dans les mœurs. Le. avoca ts s'étaient
habitu és à ex iger des honoraires qui , modiqu es à l'origine,
devinrent pins tard exagérés. Le patriciens su rtout qui
avaient eu pendant longtemp · le mon opole exclusif de la
défense en justice et dans les rangs desquels se recru lail
encore la plus grande partie des orateur en étaitlnt v enu ~
à commettre tonLe sortes ù'exactions el à prélever de véritabl es impôts sur la plèbe dont l'influence sans cesse
grandi ssante leur portait ombrage. C'est pour mettre un
terme à c.es a.bus que le tribun Cinciu présen ta un plébi cite dont le but éminemment politique était d'affranchir
le peu~le ùe la dépendance ruin euse da ns laquelle le plaçait l'usage des don \ Olontaires coYers le grands. Ceux-ci
firent d'abord peu <lû cas <le celle proposition el Cicéron
( 1) Ta cilo ( Annafrs, li,·. :1.1 . :1. )
.
(:t) On sa it qull Cicéron ne fuL cousu! , c't·~l-à-d 1 rc le pr emier homm\'
d e l' um vcr s 001HJ11 que pour 11\'0tr ~ t ê 91•ora1. \' olld1re. (/J1cl1011nu1n
philosopltique, )
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nous a co 11scr\'é la répon"e llèn' t' t énergiqu e que Ill Cincius au patricien Caiu$ Centn qui llli demandai! dédaigneusement cc qu'il proposait : Q11icl /i•rs Cinciole ?
Ul e111as, i11q11it. si 11/i ne/is ( 1 ).
La loi fut cependant votée trompant ainsi l';\ltenle ùcs
orateur. don t elle chcrch:i il il. réprimer le honteux lrafic.
El le leur ordonnait de ne rien dem;1ntl cr ou rcceYoir de
leurs cli ents pour leurs plaidoirie. : Ne qtti.s, ob causarn
m·M1d11111, 7>er·1t11inm rlonnmre acriperl'l (2). ~l a is elle
n'atteign it p:i$ le résul tat qu'elle 'était proposée car ell e
était ~1 la foi~ lro p rigoureu:rn et tro p inwmplètc ; trop rigooreu. e : pourqu oi en efîet c!Cfcndre d'une fo ço11 <t bsolu e
aux avocats de toucher des honnr:i ires ? Le sy·tème légi·latif des Romains de plus en pins co mpliqué ex igeait qu e
des hommes spéciaux se consacrassent ex closirnrnent :1
l'étude et à la prat iq ue du droit. L'état c1·a,·oca t vent so n
hommr. tout enlier, disait Loysel. L'arocat est souvent
obligé de négliger ses propres affaire. ponr s'occ uper de
celles qui lui sont confiée ·. Il faut dilue 1 ~1 i perrnellre de
LrOU\'Cr ùan l'exercice dr, ~a profession des rémunérations
pécuniaires el le moyen de mener t1ue vie honor:i blc el in·
dépendante. La loi Cinria était en même temps incompl èle,
car elle ne prnnoncail :i ncune. ancLinn et ne frappail d'aucune pein e ceux qui violaient ses di. po. itions . Au s:i ne
tard a-t-ell e pas à tomber en dés uétud e et ne fut-ell e re ' pec lée que par qu elque· orateurs d'un e honnêlelé éprouvée. Si le:; historiens niius montre11l en effet Asinins,
Messala, ArunLius el Eserninu s pél rvcnus au fait e des hou-
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neurs par une vie san reproche et une éloquence désin·
térnssae, il nous rapportent également que Clodius et Curion mettaient leur talent à un prix. excessif, que Marcellus
Eprius et Vibius Crispu s acquirent en peu de temps nne
fortune de trois cent mill ions de sesterces ( 55 ,07 9. 679 fr. ) .
Sous Augu te on es aya de remettre en vigueur le premier
chef de la loi Cin cia et un séoatu con ulle condamna l'avocat qui aurait reçu des honoraires, a une re titution du
quad ruple ( 1). Mais celle nouvell e prohibition fnL égalemen t impoi sante à fa ire cesser les abus qu'elle \'Oulait em pêcher et Tacite ponvait sans être taxé d'exagération éGrire
l{U e : « Nulle marchandise publiqoement étalée n'était
plu a vendre que la perfidie des avocats (2) . •
Un grand scandale qui se produi ·iL ous le règne de
Claude éreil la de nouveau su r ce [)Oin t l'allenlion du léaisl':>
latcur. Un chevalier romain , Samiu , après avoir donné
quatre cent mille sesterces i1 un arocat clu 110 111 de Sui li u
reconnut que cel ui-ci le trahissa it et e perça de so u épée
dan la mai ·on cl e on défen eur infidèle. Emu par un
pareil fait le consul Siliu porta au sé11at la question du
rélauli sdmen l de la loi Cincia. Celle prnpo ilion donna
lieu :l de long· débat· dont le Annal e, de Tacite nou on t
~o nsen' é le souvenir (5). Le· partisans du projet .ou lenaicn l que si la plaidoirie n'enrichis ait per onne il y
aurait moins de procès, que les iuimitiés, les accusations,
les haines , les injusLices étaient t)ncouragées par le avocats
qui trournien t dan Gelle plaie du barreau , commt' les
(1 ) Dion Cass i u~ (liv. iv. l i!).
Cl) Cicér on (de Oral. 11 , il 1.
(i) Tacit e (A nnnlr.~ " · :;).
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(~l Tuc1te ( llmalcs ~1 . 5).
P) Tai:ilc ( !n11ales '11, 6 ('li).
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m~deci us ùan, les maladies. nne ~onrce Je for tune. A cela
uiliu el ~ amis rèpondaienl que l'av oca t n'est pas
toojours . ûr ùe pa er à la po lérité ; pourq11oi dès lors
•es services si nécessaires ne seraient-ils pas rémunérés?
L'éloquence est un appui ménagé à la faiblesse pour
qu'elle ne soit pas à la men;i <le la force ; c'en est fait des
talents .i on ::.opprime les récompenses. En pré ence de
deux opinions au i ex trèmes, Claude n'osa point, dans
b craint e ùe mécontenter quelques-uns de .es uj ets
prendre une détermination ferme et énergique el rendit
une décision telle qu'on devait l'attendre d'un prince faible et irrésolu comme l'était cel empereur . li lim ita les
honoraires des avocat· à. un maximum rie ui x mille sesterces (e1wiron 1. 950 francs) an delà desqu els on ne pourrait rien ex iger sons peine J 'être déclaré co upable de con -
modifient. C'e t le juge qui fixera désormais les honorai res e:rlra ol'di11em , d'après l'importance de l'a!Taire le
'
talent el l'éloquence de l'orateu1· les usages recus ( 1) .
Ces honoraires ne pourront jarnai excéder cent sous
d'or. !I est de plu s défendu au défcn,eur rle s'associer à
l'avance avec so n client pour recevoir une part de la
somme qu i fa it l'objer du procè_. Constantin (L. 5 C. c1,,
P(lslul.) et aprè lui Valenlin ien et Valen (L. 6 § 2 c.
(/,e Postul.) prnhib01·enl tout pacte :-.ur les honorai res.
· Toutes ces me ures et toute_ ces decisioo, euren t pour
effet de rendre la profc:sion cl'a\ ocal plus honorée et de
lui fai re recouvrer le pre~tigc que la licence et Jïntlélicale~ e de ses premiers membres lui a\aien l fait perdre.
Presqu e seul de Loules les in. litu lions et do Lous les coq•s
de l'Etat, le barreau , eml>le avoir résisté au déborJement
de toutes les corru ptions qui envahi rent au Bas-Empire la
$Ociété romaine. el le;s constitutions yui nous son t parren11es nous atteslent la eonsidération et le respect dont les
arocals fu rent en tourés à celle époq ue. C'est ainsi qu'une
dispo ition enj oignait de choisir dans leurs rang' les ponLifes de provinces. Une au Lre LléclaraiL que ceux qui
0taien t arri \'és aux dign ités ne dérogeaiell t pas en fa i'an t la
fo nction d'avor.at. parce que, di 'ail-elle, il étai t tou t aussi
honorable d'êl r~ debout ponr pl:lider qu'as. is pour
juger ( 1) . Enfin , dans uneconslitution célèbre. la loi 14
C. de A duocali~ diversol'wn judiciurwn , le empereurs
Léon et Anthemi us déclarent que les arncats ont tout
aussi nécessaires à un pays que le soluat. qui le défen-
cus ion.
Ce sénatusconsulle fut renouvelé sous Nëron qu i permit
aux plaideurs • de payer nn s:tlairc équitable et modér é à
leurs défen. eurs ( 1). ,, So us Trajan. Pline-l e-Jeun e n ou ~
rapporte qu'un préteur Nepos po1ta uu édit aux termes
duquel • il était ordonn é à tous ceu x qui a,·aient un
procès. de quelque nalure qu'il fûl , J e fa ire serment avan t qu e de plaid er, qu'ils n'avaient rien donné.
rien promi , ri e11 fait promettre à celui qui s'élait chargé
de leur cau:-:e (2J .• On leur permettait cependant, une
fois le proces lerminé, de don11er à leur avot:at une certaine somme, pour\'U qu'elle ne fût pas snpérieu re à
ùix mill e esterœs. Sous les Antonins, les principes se
( l l ..;uetone ( l'tr âe Néro11. 1?) •
( i) Pli ne le J ('U O<' (T.rttrrs, }Î\',
'.
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(1) lllpièn ( L. 10 ;\ 1.1 tle t'.clrwm/. <:ot, 111 /1.
\':!) Hou c· lier d'Argi• (rh. :1, I'· 3'!).
le/I re 1 ad nurum).
•
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dent au pé1·il de leur vie sur un champ de bataille : Advorati, qiti diriunmt ambigua /'atri 1·n11sarnm. suœque de(ensionis t'iribus in rebus swpe publicis ac privatis lapsa
eriymtt, fatigata reparant. Mn min11s 71rovidenl h11111a110
generi quam si prœliis alqu c u1tl11eribus palriam parenlesque saluare11t. N1~c e11im solos twstro im11erio militare
credimus illos qui gladiis, clypeis. ~t t/lomribits riituntur.
se<l clittm a<lL>o~atos , mililalLL 11amq11c cirnsarwn palroni,
q1û gloriosœ vocis co11fisi 111unimi11e, laborantiwn s-pem,
vitam et posteras dcfe11 d1w1 .
Tel fut donc la destinée du premier chef de la loi Cincia . • Il n'ent sa complète application que pendant les
dernières années de la républiqu e et lec premières de
l'empire ; mais l'espri t de l'antique prohibition laissa dans
les mœurs des véritables jurisco nsultes un principe d'honneur et de désintéressemenL digue d'être recueill i par les
âges postérieurs ( 1) . •
DEUXIÈME PARTIE
Etude do ~econd clu-f dt• la f,ol f'lucla
Droit antérieur à la loi Cincia.
Avant d'aborder l'étude du second chef de la loi
Cincia, il ne sera pas inutile de jeter un coup d'œil sur
les formes auxquelles étaient assujetties les donations
l i ) Laft>nic r e ( lfisloire du Droit, l. 1, ir 471.).
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I ~
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entre-vifs Jaus l'ancien droit romain . Cc rapide aperçu
aura une double utilité. Il nous pcrmcllra tout d'aLord de
nous rendre un compte plu exact des modifications inlroduites eu cette matière par le tribun Cincius. Il nous
fera ensuite connaitre dan s son en. emble la législation
concernant le libéralités entre-v ifs dan le droit cla sique, car, ainsi que nous le 1·errons , un certa in nombre
de ces libéralités échappèrent à rapplication de la loi Cincia
et co ntinuèrent à être rég ie· par· le droit antérieur .
Les f~s Litut es (L. JI . tit. Vff, pr. de Donat. ) rangent
la ùonat1ou parmi les modes d'acq uisition. C'est là une
erreur commise par Ju tinien . La donation , en effet, 11 ·a
p:.is revêtu à Rome de forme propre; on ne peu t pa dire
q.u'el.le soit un con trat spécial ui nu mode d'acquérir particu lier. Pour qu'elle devînt obligatoire ou translalirn
dl} propriété, il falla it qu 'à la conventiou Je donner, incapable par elle-même de créer un droit, vint se joi ndre
l'emploi de certain es formalité déterminées. La donation
ùevait empronter oi t la forme d'un mode d'ac4uérir, soit
celle J'un co ntrat, soit celle d'un mode <l'extinction des
~l~li~a tions. On disait alors, suiYant les cas. qu'elle se
lê~1sa1t dando , obliy a11do t•el libera11clu. Ces principes su.
b1rent cependant avec Je Lem ps J'importantes rnoditications.
Antonin-le-Pieux décida ( L. 4. C. Tu. de Donat. VIII , J ~
- Fray. Va t. ~ ~49 et 3 l 4. - Paul. Senl. ff. t ,
~ ~ 1), que le simple pacte <le donation. pounu qu'il eût
ete con Laté pa1· écrit Cl que l'écrit eùt été remis au donataire. serait obligatoire eutl'e ascenùauls et descendaots.
Ju l> tinien généralisa •;elle règle ot posa en princi pe que la
ciinvention de Jo1111er, écl'ite ou non écr·ite. erai l en tre
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16 -
toute· personnes une caose suffi ante <l'obligation (§ 2
b-i:;t. - L 35 , § 5, C. de Donat . Vlll , 54) ( l ). Mais là
s'arrètèrent les innovations cles empereurs, et, jamais en
droit romain, la doPation ne tra11sféra par ell e-même la
propriété. La règle existe enco re dans le droil Je Justinien
qui se contente de faire produire à la convention des parties une créance et d'accorder au donataire un e action personnelle pour obtenir l'exécution de la libéralité qui lui a
été faite.
Si donc. à l'origine, la conventior. de donner était impuissante à engendrer un e action et à créer un droit,
comment p:irvenait-on à lui donner celte force juridique
dont elle était dëponnue par elle-même' Antérieurement
à la loi Cincia. on pP.ut poser en principe que la donation
derient parfaite, dès qu'une action ou un moyen de défense
quelconque sont acquis au donataire, à l'effet d'en obtenir
ou d'en conserver le bénéfice (2) . On pouvait arriver à ce
résollat :
l. />ar· voie de Dation. Ce devait même être
là si ·l'on s'en rapporte à l'étymologie du mot donatiori
(dono da1·c) le procédé le plus employé à l'origine pour
fa ire un e libéralité. On pouvait transférer par ce moyen
soit un droit de propriété quiritaire ou boni taire, soit un
droit réel quelconqne civil ou prétorien, à l'exception cependant du droit d'hypothèque qni , n'étant qu'un acces( 1) T~utefo i s , lorsq ue les purUes s'élai ent proposé de faire un écrit,
la don3t10~ , en vc_rtu des pr1nc1pes adm is da os le droit ùe ce lle époqu e,
ne devenait parfaite que par 1!1 rédaction Je l'ins/rmnentmn et sa perfoction.
(z ) Accarias, t. 1, p. 706.
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17 -
soire de la créanr,e dont il vient garantir le paiement et
n'enrichi sant en aucune façon le donataire, ne pouvait
faire l'objet d'une donation . Cette translation pouvait
s'opérer soit par la réunion d'une mancipation et d'une
tradition ou par nne inju1·cccssio, s'il s'agissait de rcsma11cipi, soit par ut1e inj 1trc cessio ou une tradition , s'il s'agissait de res tiec mancipi. Toutefois, on n'avait pas sonvent
recours en pratique à l'in jure ccssio. Gaius (II.§ 125)
nous apprend en efTet qn'en ce qui concerne les res man·
cipi, on employait de préférence la mancipation qui n'exigeait pas que les parties se rendissen t auprès du préteur
ou du président de la province, tandis que, par rapport
aux res nec manc1)Ji, on n'usait guère que de la tradition
dont les formes étaient beaucoup plus simples.
La simple mancipation ou tradition d'une res mancipi
suffisaient également pour rendre la donation parfaite. La
mancipation investissai t le donataire des droits qui appartenaient au donateur et lui permettait d'exer(:er la revendication relativement à l'objet donné. Quant à la tradition,
elle faisait entrer cet objet dan le patrimoine du donataire qui arait désormais sur lui un droit de propriété bonitaire et qui pouvait soit l'epousser par l'exceptio rci do natœ et tradicœ l'action intentée par le donateur, soit même
agir par l'action pub:iciennc, s'il venait à perdre la possession.
IL Par voie et' Obligation. - Le simple pacte de dona1ion, étant par lui-même ans valeur juridique et
n'aboutissant qu'à nne manifestation impuissante d'un
désir de libéralité, il fallait, poul' lui donner effet, le re-
�-
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rëtir des formes d'une stipnlation ou de celles d'un contrat
/itteri.s. Dans les ùeu x ca ·, c'~ Klil une conllictio ou une
action ex stipulatti qu i était acco rdée au ùonataire. La stipulalion devait être encore le procédé le plllS usité. ca r
l'expcns1:latio ne s'appliquait qu'aux donati ons aya nt pour
objel une somtUe d'argent .
Ill. Par voiG de Remise de Dette. - Le créancier qui
voulait faire à son débiteur abanùon gratuit de sa
créance a\'ait deux moyens :1 sa disposi tion. li pou,·ait
consentir un pacte cle non 1Jl'lendo qui laissant subsister la
delle selon le droit ci,•il l'éteignait exceptionis ope. ~ Il
pouvait également recourir i1 l'acceptil alion qui était encore
préférable en ce sens qu'elle libérait ùe plein droit le donatlire et condamnait la demande dn donateur à échouer in fai ll iblement.
TV. Par voie de Dèlt!gation. - La donation par voie
ùe délégation pouvait s'accompli r de plusieu rs manières
dilTérentes. li serait trop long d'énu mérer ici le di verses
hypothèses qui pouvaient se présenter. Bornons-nous seulement à en indiquer trois prévues par les tex tes du Digeste P.t sur lesquelles nous serons appelé à. revenir plus
tard : 1• Le donateur s'oblige sur l'ordre de son donataire
envers la personne que celoi-ci vent gratifier (L, 2 § 2 de
Donat. - - L. 55 § 5 eocl . tit .) ; la délégation servait alors
à réaliser deux libéralités; 2° il li bère le donatai re d'une
dette dont celui-ci était tenn en s'engageant envers soo créancier ( L. 5 § 5 de Dol. Mal . et /lli:t. Exccpt. ); 3° il ùonnc à
son déhit en r mandat dr s'engager en,·rrs Ir rlnna tfl ire qui
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an lieu de se troU\'er libéré comme ti ans la seconde hypothèse devient lui -même créancier (L. 2 1 § l de Donat.) .
Dans ces tro is cas, la donation deven:iit parfaite aussitôt
que ces diverses obligations avaient été contractées par un
moyen de droit civil.
Quelques interprètes estimen t enfin que l'on pouvait recourir h une ce ion de créance pour rendre la libéralité
immédiatement parfaite. Nous ne partageons pas leur manière de voir, suivant en cela l'opinion de M. Accarias ( 1).
La donation ne devenait, en elTet, dans ce cas, pendant
toute !'~poqu e cla iqu e, irl'évoca.ble que lorsque le donataire constitu é prowrator in rem suam avait reçu le payement ou \or que la poorsuite intentée contre le débiteur
céJé avait abou ti ~\ la titis co11teslatio. Si Je donataire venait
à mourir avant celte époque, la 1n·owratio qui n'était qu' une
sorte de mandat s'évanouissait et ne passait pas à ses héritiers. C'e t ce qui résul te de la loi 55 (C. de Donat. ) où
Justinien rappelle ces principes pour les modifier. (2)
Tels étaient donc à l'origine les dirers moyens employés
pour fa ire une donation. Dès que œs formalités que nous
venons d'indiquer étaient observée , b libéralité devenait
parfaite et irrévocable quelles que soient ùu reste son importance et son étendue. Au cune loi n'était ïeoue interdire les libéral ités dépassant une certaine limite. L'utilité
d'une pareille loi ne se fais:iit du reste pas sentir. Rome
était encore enfermée dans d'étroi tes li mi tes ; elle n'avait
pas, pir l'effet de ses conquêtes, ëtendu au loin son em( 1) Droit rom a il1, tome t y. 706, not~ 3..
, . , . ,
(2) La procuralio devena1l ou C'ootra1ro _1,r n\".'ocnble. qu!lno lis Di!ISSfül
1
d' une cession à t1 l rc onéreux , por ln s1gnrhC'nllon au <k bll eur C'M~.
�-
20 -
-
pire cl sa ctomination : les for tunes de chacnn étaient modiqu es et Je pen d'importance; les citoyen soucieux de
transmettre tout leur patrimoine :1 leurs descendants, afin
de leur permettre de ~o utenir l'éclat et la gloire de leur
nom, devaient rarement le dim inuer par des largesses immodérées. Du reste les Romains étaient peu portés par
nature à se dépouiller de leurs biens, :iinsi qu e nous l'apprend Polybe. qui , fai sant l'éloge de ~ cipi on 1' Mrica in pouvait dire que sa générosité qui eût étë remarquée partout
ailleurs, derait l'être urtout à Rome, où ce n'était point
une Yertu commone ( 1). Plus tard cependant il en fut autrement; celle liberté ill imitée laissée au donateur présenta
de sérieux dangers. Il fall ut dans son intérêt et dans celui
de 5a famill e y apporter certaines restrictions. r.·est le but
que se proposa le tribun Ciocius en portan t le plébiscite
dont nous alIons étudier la second e disposiLion.
i:·conomle do ""coud
(')l('f
cl<' ln J,ol Chacln
L'économie du second chef de la loi Cincia était assez
sim ple. 11 iixai t un taux (modtts Legis nu tcr1itimas) qu e les
libéralités ne devaient pas dépasser et diYisait pou r ai nsi
dire les donations en deux catégories. Celles qui n'excédaient pas le modus ou qui étaient fai tes ~1 ùes perso11œ
exc<!'fJtœ restaient soumises pour lenr· valiclilé et leu r perfection aux règles que nous venons <l'indiquer. Cell es au
( 1l Pol ybe (lli.~t . Ji,•. XXXlf , 9.)
21 -
contraire qui étaient supérieu res au taux tixé ou qui s'adressaien t à des personn es non ex1..eptées tombaient sous
le coup de la loi Cincia et ét<1ien t prohibées par ell e. Toutefois. par une bizarrerie qu'on a de la peine à s'ex pliquer,
la loi Cinr,ia 11e prononçait pas la nu llité de r,es dernières
dispositions et n'anéantissait pas l'opération juridique intervenue; c'était clone. ainsi qu'Ulpien le fait remarquer
avec beaucoup de raison, uue loi imparfaite. De celte im.
perfection découlait comme conséquence naturelle que le
donateur n'avait aucnne action pour reprendre ce qu'il
a\'ait donné en violation des dispositions légales. Le plébiscite loi accordait seulement certains moyens de défense
qui lui permettaient de se son traire aux conséquences régulières d'un acte qui eût suffi antérieurement pour le dépoui ll er d'une façon irrérncable. Si le donataire avait be·
soin d'intenter une action pour faire produire à la libéralité
tous ses elîets, le donateur avait à sa disposition une exception fond ée sur la prohibilion de la loi. grâce à laquelle
il pouvait repousser les demandes formées contre lui. Si
au contraire Je donataire n'aYai t pas besoin d'agir, s'il se
trouvait en possession de l'objel donné, le donateur pouvait
faire valoi r tous les moyens empruntés au drnit ciril qui
étaient restés entre e main et qui , inutiles autrefois,
clevenaien t erfic<1ce. gràcc h une re11lica1io legis Ci nciœ .
Prenons par exemple ce qui avait li eu dans le ca où
la donatio11 arnit. pour objet u11 fonds italique. Quand
le donate111· s'était borné il manciper la chose, l'e.i: ce11tio /e_q1:s Cinciœ paraiysait la rercndication du don a·
taire ; quand il s'était conten té de la li l'rer, il pouvait
revendiquer . puisqn'il avait ~ ncore le domi11ium e.1· jure
�-
22 -
-
~5
..
Q1tfritimn, et à l'exception rei donatw et tradilce qu e lui
opposait le donataire, il répondait victorieusement par la
replicatio Legis Cincice. Mais si la mancipation se trouvait
jointe à la tradition , le donateur n'avait plus aucune ressource: Omnisvia agendi pere1wpt.a est(L. 2 C, de Acceplil.);
la donation était parfaite et c'est alol's véritablement que la
loi Cincia manquait son but en ne lo i donnant aucune
action. Les libéralités supérieures au modus pouvaient
ùonc dernnir inauaquables, quand elles avaicnl été eu lourées de formalités telle que le don:lteur n'avait plus aucun
moyen de faire usage de l'exception. C'est en ce sens,
croyons-nous, qu'on peut être amené à Jire avec certains
au teurs que la perfection ùes dooations était plu difficil e
à obtenir sous l'empire de la loi Cinria, el qu'il fallait des
for mali tés spéciales pour les l'endre irrévocables.
Nous diviserons en deux chapitres l'étride dn second
chef de la loi Cincia : nous i11d iquerons d'a bord quell es
étaient les donations qui tombaient sous so n app lication :
nous verrons ensu ite quelles innovations elle avait introduites et comment ell e ètai t venue au secou rs du donateur dans chacune des hypothèses qLH:: nous avons pi·écéùemrneot examinées.
CHAPITRE I•'
Détermination des Donations sonm1ses
à la: Loi Cincia:
Pour :lrriver à connaitre exaclemenl quelles élaient les
d•mations qui tombaient . ous le coup de la loi Cincia , il
non paraîl néce saire de poser deux règles dont nous
allons étudier en détai l toutes le conséquences.
Premièni Règle : Les donation entre-vifs seules étaient
•oumises à la loi Ciocia.
DeiHième RP.gle : Certaines li bérali tés entre-..-ifs échap-
paient à l'application tle la loi Cincia .
•
�-
24 -
-
SECTION I••
LES DONATION"
ENTRE-YTFS
Loi
EULES
'ONT SOUl\JISES
A LA
Ct:-iCIA
Celte premiè1·e règle a pour rés ultat de laisser en
dehors du plébiscite du tribun Cincius toutes les donations
mortis causa .
Le droit romain reconnaissai t à côté des libéralilés entre-vifs , des legs et des fideicommis un autre mode de
disposer à titre gratuit, les donations a cause de mort. La
donation à cause de mort peut être définie : une libéralité
faite en vue de la mort par une personne qui est ou non
sur le point ùe courir un danger, naturellement révocable
au gré du donateur, essentiellement cadu1Jue par le prédécès du donataire. Ces donations étaient certainement
conm10s et usitées au V(• siècle de la fondation de Rome.
C'est une question controYersée entre les interprêtes que
celle de savoir si elles tombèrent sous l'appli cation de la loi
Ciocia.
La discussion paraît tout d'abord dén uée d'intérêt pratique. Il semble, eo elTet, que l'exceplio legis Cin ciœ ne
pouvait dans ce cas être d'aucune utilité pour ceux auxquels le législateur accordait ordinairement le droit de
l'invoquer. Ell e était inutile au donateur qni avait un
pouvoir de révocation absolu sur la lihéral ité qu'il venait
de faire. D'autre part, pour qu e les héri tiers ruissent s'en
prévaloir, il était nécessa ire qu e leur auteur ait persé véré
25
jusqu'à son décès da os son intention libérale ; or. cette circonstance avait pour elTet, en vertu de la règle morte Cincia removelur que aous étudierons plus Join , de rendre la
Jibéralilé inattaquable.
On peut cependant imaginer deux hypothèses dans lesquelles la question présente un réel intérêt, si l'on suppose que le donateur a renoncé à son droit de révocation
et que la. règle morte Cincia removetur n'a pas été acceptée dès l'origine. Dans ces deux cas. le plébiscite pouvait
servir au disposant ou à ses héritiers et leur permettre de
faire rentrer la chose donnée daas leur patrimoine ou de
l'empêcher d'en sortir .
Nous n'hésitons pas à nous ranger du côté des auteurs
qui repoussent en ce qui concern e les donations mortis
causa l'application de la loi Cincia. Ni dans le Code Tbéodosieo, ni dans le Dig1::ste, ai dans le Code de Justinien.
ni surtout dans le Fragments du Vatican nous ne trouvons
rien qui nous permette de dér,ider que ces dispositions
tombaient sous le coup de la loi Cincia ; tous ces textes ne
se réfèrent qu'aux donations entre-vifs. Le tribun Cincius
s'étant surtout préoccupé cle venir au secours du disposant
et de Je protéger contre des entrainements aveugles , oo
comprend qu'il n'ait pa che1·ché à prohiber des dispositions sur lesquelles celu i-ci était toujour le maîlre de
revenir sauf dans l'hypothèse. bien rar e d'ailleurs . où il
'étai t interdit la faculté d'exercer son droit de révocation .
Il est ùonc perm is de conclure ùe là que ces li béralités
échappaient aux prohibitions du plébi cite, et c'est peutêtre même, ainsi que l'indique M. Glas on, par exlen:; io11
de ce qui avait lieu pour le donatious :i cau.c ùe mort.
�::Hi qu "oo en vinl a refuser :wx héritier le l>énéfice de l'e xception legi:s Cinriœ, quand leur auteur était mort sans
avoir mauifesté l'intention de révoquer la libéralité qu'il
avait faite . ( 1)
SECTlON II
CERTAINES LlBÉRALl'l'ÉS ENTRE·\'JF
.\ LA
NE
'OXT PA
SOU;\H SES
101 C1 '('J \
a \'a pplication
Les donations entre-vifs qni échappaient
de la loi Cincia étaient :
1° Les donation, qui n'excédaient pas le modtts lr:1ilimus ;
2° Les donations même iLltra modwn faites aux per:so11œ exceptœ ;
3° Certaines donations particultèrcs.
.: 1. -
Des Donations faites i11/1·a modun1.
Le 111odus fixé par la loi Ciucia e t encore ioconnu de
nos jours, malgré la découverte des Fragmenta Vaticaria.
La plupart des juri consul les pensr nt ~n e c'était une somme
fixe P,t invariable la même pour L(J us les patrim oines.
0
Î
~ l )_ Glas,,011 , flevue crilique T . ;J\ , p 50 1 ; \ cc~rias T, (. p. 7!2, 11ote;
11
o!a'.' ~· Il. fl. 565 . - En sens contrai re, ni' Savl ~nv. n roil to111oi11 ·
1
\ ~ 114: Maubold , Opusr. 1. 14 ~ .
·
·
-
't.7 -
Cujas es limr qu'il devait être de deux cents solide~ . chiffre
que Justinien prit d'abord pour base, en ce qui concerne
la nécessité de l'insinuation. D'après MM . de Savigny et
G. Hugo, la loi Cincia avait apporté aux donations la même
restriction que la loi Cornelia apporta un siècle après aux
cau tionnements, et au rait par conséquent défendu de donner pour une valeur supérieure à vingt mille sesterces.
M. Laferrière croit enfin que Cincius Alimentas fit adopter
la limitation de mille a· que la loi Furia testamentaria
fixa , vingt ans plus tard , pour la valeur des legs.
D'autres jurisconsultes supposent, au contraire, que l'on
avait suivi pour la fixation du taux légal un procédé analogue à celui de la loi Falcidia, et que le modus était une
lJUOte-part du patrimoine. M. Demaogeat estime q1Je le
taux , au lieu d'être uniforme, variait suivant l'importance
des patrimoines.
Nous n'osons, quant à nous, prendre parti entre au cun
de ces systèmes qui reposenl tous sur ries conj ectures plu ·
ou moins hypothétiques. A noire avi cependant le modu
devait êlre peu élevé. Au VI• siècle de la fonda tion de
Rome, en elTet. les fortun es privées étaient encore peu
considérables, les ressources de chacun modestes. el telle
somme, modique en réalité, pouvait cependant paraîlre
exagérée. Comment dn reste comprendre ans cela • la
rè~le ob ervée à l'occasion des meubles pour lesquels la
réunion d'u ne mancipation et d'une tradilioo était imparfai te à parfaire la donation, règle qui parait bien s'appliquer dans tous les cas, sans qu'on ait à s'inquiéter Je
œtte circon tance qu'à côté de la donation rle, meubles il
�-
28 -
-
y aurait eu en même Lemps donation d'immeubles ( 1). •
Le taux servaiL à délerminer quelles dlaienl les llbéralités qui tombaient sous le coup de la loi Cincia . Les donations intra modum restèrent soumises aux principes de
l'ancien droit; celles an contraire qui étaient supérieures au
modus forent probibees par le plébiscite. Quelques jurisconsultes r,erendaol ont émi , une opinion différente . D'après eux l'observation des formai ité, nouvelles était toujours nécessa ire el ne devenait inutile que lorsque la
libéralité s'adressait à une yJersona excepta . En résumé, la
loi Ciocia avai L établi tout à. la fois un maximum et un e
forme particulière : la donation demeurait inefficace soit
que le maximum eût été dépassé, oil que !a forme eû t
été omise. A l'appui de ce système on in voqu e le
paragraphe 511. Ce tex te décide qu e la simple mancipation et la seule promesse ne suffisent point pour rendre
la donation parfaite, quand cell e-ci es t faite à une 7Jerso'11l1 non exce71ta sans distinguer suivant qu'elle excède
ou non le taux légal. Les paragraphes 515 et 2 6 6 ne
distinguent pas davantage. ND lle part les Fragments
du Vatican el les tex tes du Oigesle ne nous disent
. que la donation u.llt'a modum éLait seule oumi e à la loi
Cincia el • l'impression générale qui en résnlte serait
plutôt que les formes spéciales ava ien t été prescrites pour
toules les donations même les petites (2) . • Toutes ces
raisons ne sauraient nous convaincre et no us n'h1U tons
pas à rejeter cette opinion . En effet, si la loi Cincia eil t
( .1) Mac~1ch~rd (Obs. su~ la. loi Çmcia n· ô) .
> (2) OP Sav1;:(ny (Ver~n1schlc Sch rirlcn. t.
l 11cll1a (Cttl'.ms der msl1l ulio11en. 1. 11, r. MG).
1.
11 . l'!). \" . t.l!rn lernenl
"
29 -
été applicable ind islinctement ~. toutes les donations, Pau I
clans le paragraphe :104 ne se serail pa~ conten té de Jirc
qu e le tuteur pouvait donner in i11 (i11ilum . il aurait également ajouté qu'il était dispensé d'observer les conditions
de formes exigées par la loi . D'autres textes impliquent
nécessairement que l'imperfection de la donation était attachée exclusivement à la donation dépassant le mod11 8
lt:gilimus ( 1) . Quant au silence des Fragments du Yatic:rn
il s'explique très-bien selon nou_, car le compilateurdeces
Fragments n'a pas voulu faire un traité complet de la matière ; il s'est plutôt proposé d'indiquer et de recueillir
ce1·taines hypothèses où la loi Cincia recevait son applicati on .
~
If. -
Des Donations m ême ultm moJ11m rattes aux
pers1111œ e.ue71tœ
La prohibition portée par la loi Cincia n'était pas absol1!e et ne s'arpliqua1t pas indilTéremment à tous donataires.
Tl y avait au contraire une certaine catégorie de personnes,
assez vaste d'ailleu rs, auxquelles il était permis de recevoir
in in finilu.m , sans que l'on ai t cherc:hë., en ce qui les con cerne. à en lraver les sentiments de libéralité dont le disposa nt étai t an ~mé à leur égarJ . Ces personnes étaient appelées 1)ersonœ exœptœ. C'étaient les proches paren ts et Je_
alliés du disposant. ou bien encore des personnes auxquelles cel ui-ei était uni par des liens d'une natu re toute
. péciale qn i j m;tifiaient complètement la libéralité dont ell es
étaien t l'objet. L'énumération des 71ersonœ exceptœ nous est
(1) L.
~I. ~
1. llP nonnt . -
r.. ; ,
~~ et
3. de /loi. J/<l l . el lM. l!.'.rctiit.
�-
30 -
1lu reste donnée d'une façon limilalive par plusieurs textes
(Frag. Vat. § 298 à 309 .- Paul ent. V. t. 11§5). Elle
comprend : 1• certains coguals uu donateur ; 2° certain, de
ses alliés; 5° le pupille par rapport an tuteur; 4° le patron,
s'il receva11 de se:>- a!Tranchis; 5° la femme par rapport à
tous ses cognalS eo cas de donation dotis causa ; 6° celui
qui avait sauvé la vie du donateur. Nous allons parcouri r
rapidement ces six catégories de personnes.
1. Certains Cog11ats dt' donatciir. - Tous le cognats jusqu'au cinquième degré ioclu ivement et au sixième le cousin
i su de germain (sobrill.11s et sobrina) étaient rangés par les
Frag. Vat, (§298el299 ) parmiles71ersonœexceptœ. Quù1que igitur grndus pieni excepti sunt , et ex sexto mia 11ersona ,
sobrim1s et sobrina , dit Paul ( § 299 ). Il est bon de
•
remarquer que la loi Cincia ne lenait pas compte de laparenté civile mais simplement de la parenté nalurelle. ce
qui étendait dans une large mesure la portée de l'exception. C'est ainsi , que l'on pouvait très valablement donner
in i11finitum au fils de sa sœnr , quoiqu'on ne soit pas uni
avec lui par les liens de !'agnation. Notons du reste que les
agnat . étant en même temps les cognats du disposan t.
pouvaient à ce titre recevoir des libéralités ultra modum de
celui-ci. Si nous supposons par exemple une libéralité faite
à l'adopté par un de ses nouveaux agnats en supposant que
œt agnat rentre dans l'énumération des paragraphes § 298
et 2 99, cette libéralité sera toujours valable quelles qne
soient du reste son importance et son étendue. A l'inverse,
la donation qui lui serait faite par un des cognats de son
père adoptir devrait être entourée des formalités exigées par
31
la loi Cincia, car !'adopté ne devient pas le cognat des
simples cognats de l'acl oplanl, mais seulemeril de ::es
agnats. ( L. 7 de Î'n j11s vucat .)
Le paragraphe 500 exceptait également les personnes qui
élaienL sous la puissance des cc;gnals énumérés dans les deux
paragraphes précéùer. ts, cl celles sous la puissance desquelles
ces cognats se lrou,·aieul. Excipiurilttr et ii , qui in poteslote
conwi vel manu rnanci.piuve, item qiiormn i11 potestate.
manu ma11cipiove eru11t. Dans ces deux cas la libéralité
était répulée faite aux cogrtats eux-mêmes. Par application
de celle règle le paragraphe 301 fa il remarquer avec juste
raison que la loi Cincia ne prohiberait pas une donation
ultm rnodwn faite à un cognat dn septième degré , si ce co gnat se trouvait ous la puissance d'un liOgnat plus rapproché, d'un cou.;in issu àe germain par exemple. Il en serait
de même si nous supposions une femme in mantJ dont le
mari est encore in potestate patriu; le pate1·/'amilias pourrait recevoir in in/initum des cognat: de la femme.
La loi Cincia . e montrait moins large dans . on exception que la loi Faria testamentaria qui avait dispensé de
l'ob en'ation des règles qu'elle consacrail les cognats du
testateur j1~3q u 'au eptièrne degré (Frag . Vat .§ 501 ) .
Les cognat jusqu'au sixième degré et au septième lei;oûri110 on sobrina nati écùappaicnt <'gaiement aux déché:.rnces établies par les lois caducaires ( Frag. Vot. .~ 21 6
et 2 17). A l'inve1· e, certai nes lois ava ienl adopté les mê_
tnes limites. C'e t ain i que la Loi 1,(§ t deleg. Ju /. repet. )
rangeaiL les cognats jusqu'au sixième degré parmi les personnes dont un magistral pouvai t recevoir des pl'ésents
~:ins ètre arcnst' 1lp concuss inn .
�-
32 -
II Ce-i·tains Alliés - Exr.ipiuntur 1?l aclp-11 iiim personœ, ul ( 1) privignus pril'Ï<)lta. 11ouerca vitricus, soce,.
sor.rus , gener nm·us, vir et uxor, sponsus sponsa (§ 302 ,
Frng. Fat. ). Toutes ces personnes peuvent réciproquement
se donner et recevoir in infinitum, mais à' une condition,
c'est que l'alliance existe encore au moment de la donation .
(§ :->05). Si le mariage qui l'a produite vient à être dissous soit par la mort de l'un Lies époux, soit par le diYorce. l'exception établie par la loi Cincia cesse en même
temps. Tonie autre avail été la règle admise sous l'empire
des lois caducaires, s'il faut en croire les paragraphes 218
et 2 19 (Frag. Vat .) Tous ceux qui étaient ou avaient
été les alliés du testateur à un certain degré étaient rel evés
des peines et des incapacités prononcées contre Je cœlebs
el
l'orbus .
On pourrait peut-être s'étonner de voir figurer le mari et
la femme (vir et uxor) dan s l'énumération du paragraphe
~02 . Ce ne sont point en effet à proprement parler des
alliés; le lien qui se forme entre eux à la suite du mariage
est un lien d'une nature toute sréciale et assez difficile à
définir. Cependant, d'autres textes. notamment le para·
graphe 218 (Frag . Vat.) les qualifient d'alliés. A un autre
point de vue , on pourrait considérer l'exception introduite
en leur faveur par le paragraphe 502 comme inutile,
puisque les donations entre époux étaient interdites à
Rome. Il est probable toutefois. que cette prohibition fut
postérieure à la loi Cincia. Elle fut l'œuvre des Prudents
(IJ ~e mot ut doi t être pris ici comme synonymè de sciticet. L'énumération do~o~c P.a r le paragraphe 30! est en effet trop compl ète pour
ne pas être l1m1tal1ve.
35
et ne ful sanction née définitivemen t que sous le règne
d'Augusle (1). Ou reste. l'exception du paragraphe 502,
aurai t toujour s eu sa raison d'être, ca r certaines douations particulières furent , à raison même du motif qui
les inspirait, toujours permises entre époux . Tdles forent
celles que la femme faisait à son mari honoris causa ( L.
40 el 4·2. de Do11 . int . Vi1·. et Ux.) pour lui permettre
ù'obtenir la <ligoilé de chevalier ou le droit de porter le
laticlave. Il était juste que ces libéralités fussent dispensées
de l'observation des règle:; posées par la loi Cincia et autorisées d'une façon absolue sans aucune limitation de taux.
Le paragraphe 502 considère également comme affines.
le sponsus el la sponsa , quoique il n'existe cependant
entre eux aucune espèce de lien. C'était sans doute
pour encourager le mariage projeté qu'on leur permettait de se faire réciproquement des libéralités même
iûtra rnodum . Constatons du reste qu'un autre texte (L. 8
de Gond. causa) les regarde également comme alliés.
Les justes noces prouuisaient Ca(fini.tas entre les parents de l'uu des époux et les parents de l'autre. Ces personnes n'étaient point cependant rangées parmi les per$Omc exceptœ et ne pouvaient <lès lors se donner réciproquement que dans les limites tracées par la loi Cincia
III. Le Pttpille par rapport à so1i Ttdeur. - Le tuteur,
pouvait donner in i11finitmn ~i son pupille, parce que la
(1) Certain auteurs ont cepenJont soutenu le contraire et pensent
qu e la disposiLion de la loi C:incia ne s'appliquoiL qu'au cas où les donol\oos entre époux étaien t par exceµtion permises. Mais d'uoe part la
généra lité des termes du § ~oi et de l'autre Io considération que les
exceptions nu principe de la prohibition ont été édictées pour la plupart par les constitulioos !mpèriales doivent nous faire rejeter cette
opimon.
�-
34 -
loi Je reganlait comme le père de cèlui-ci (§ 5ùl~ ) . Mais
·celle exception, ain i que P,wl prend soin de nuns le
dire, ne s'appl iqu e qu'au Lulenr qui gère elfoctirnment.
On ne pourrait donc l'étendre ni au curaleur. ni au tuteur honoraire, ni au tutenr .orLi d'exercice. Qu()n l au
pupille. il ne pouvaiL fa ire à son tuteur aucune donation
même i11tra mod11111. li élaiL en effet incapa ble de faire sa
condition pi re el par C<' n équ enl de disposer 1i Litre
gratuit d'une somme qu elco nqu e. La dispositi on finale du
paragra phe 50 1- était donc à ce poinl de vue complèLPmenL
inuti le.
IY. Le Patron, .s'il recevait ilr i;es A/li·mnhi.s (~ ;)Oï ).
- Le patron 1~ LaiL considéré comme 1u•r.so1111 c.ccepla par
rapport à son affrauchi . Par celle ex pressi(Jn d'an'ra11chi,
nous dit le paragrap he 307 , il fall t entendre aussi bien
l'esclave une fois libéré, 411e l'homm e li bre qui l1ona /ide
sen•iil. On s'êtail demandé si à l ' inre r~e l'affrant;hi pouvait
recevoir in in fin il•iin de son patro n. Paul qui men tionn e
la contrn verse (§ 309) nou - apprend qu e la négati rn
avai t prérnlu , sans doute parce que l'én umérati on des
personœ exceplœ donnée par la loi ava it paru limitati\·e.
Une autre controverse 'était également élevée sur le poin t
de savoir si l'on ùevait étendre aux de.ccnrlan ls du patron l'excepti on rclati rn à celui -ci (§ 508) . Les jurisconsultes qui aùmettaient une pareill e extension se fon daient sur 11n argument d'analogie tiré de la loi des Douze
Tabl es qui désignait sous l'cxpl'cssion genérale de 11alron tts,
le patron e~ ses d e~ccndant:' .
- -:55 V. La Fem111r•, par ra11J>0rt ri tous se::; Cogaats,
r111anct la do11atio11 était f'<tilc clotis r,r.tusa. --. Le paragraphe 50 !j étendait l'exception contenue dans les paragraphes 29 H et 500, cl décidait qn c les donations fa ites à
la femme par n'im por te leqnel de ses cognats étaient valables in in(i.nitwn , poun•u qu'ell es aient été fa ites dotis
causa . Le motif qui avait inspiré la libéralité suffisait aux
yeux clu législateur tout disposé à fa\•oriser les mariages
pour ex pliquer son étendue. Il importait peu, du reste.
que la dot eût été constituée avant ou après le mariage
(mulieri virginive); le texte préroyait les deux hypo·
thèses et donnait dans les deux ca la même solution.
La loi Cincia ne pal'lait qu e du cognat. Le paragraphe
506 mentionne à ce ujet une ùiscu. sion qui s'était engagée entre les jurisconsulte rnmél ins pou r sarnir si l'on
devait assimiler la cogn?la au coqnatus. Labéoo, interprète rigoureux de la loi. se prononçait pour la négative.
Paul , au contraire. e fondant ' Ur nn motif d'équité
(1·atio rcquitatis) . étendait à la cognata 1:1 disposilion ùe
fayeur établie par la loi pour le cognat.
Yl. Celtti
'/Il i avait sauvé la 1Jic an Do1wleur . -
Cette except ion est ainsi formulée par Paul ( Pnt.
§ 6) :
Y,
t. 11 ,
Ei qui aliq 11eui a latnmculis vel hoslibus eripuit,
in i11finilum clonare non 7n·ohibemur, si tamen clon atio et
non me1·ces eximii labori.s appellanda est ; q1âa contemplationem salutis certo moclo œstimari non placuit. Le service
rendu dans cc cas était si grand qu'il étai t juste de dispenser de toute resl1'ictio11 la libéralité qui deYait en être
�-
36 -
la ré.~ompense. Qnelqnes auteurs ( 1) egLimenL qu e l'on
doit étendre, par analogie de motifs. cette dispo ili on à
tClules les donations rémunératoires et qu e Paul 11'a entendu statuer qu'e.t cmpli yratia . Ce 11'cst pas notre avis.
L'énumération des pc1·so11 11· l!xce1Jtœ e t trop complète
pour ne pas être rigomeusement limitative; on doit donc
interpréter d'une façon re tri ctirn tons les textes qui y
sont relatifs . Du reste, ainsi que le remarqu e avec juste
r:iison M. de Savigny (2). le fait de sau\'er la vie du Jonateur es t tellemenl spécial. que les motifs qui on t di cté
la solntion du juriscousulle pourraient ne pas se retrouver
Jans un autre cas.
Telles étaient les personœ exceplœ. Les libéralités qni
leur étaient fa ites êchappaient compl ètement à l'application de la loi Cincia et restaient soumises aux form es
exigées par le droit antéri eur même quand elles excédaient le modtM legitinws. C'est ce qui résulte des paragraphes 5 10 et 504, fï' rug . Vat. Le premi er de ces tex tes
déclare que la donation sera parfa iLe à l'égarJ des per. onnes exceptées svla 111a11cipatio11e vcl 7Jro111 issione, san,
distinguer si cette donation dépasse ou non le taux léga l.
Dans le second. Pan l décide que le tuteur pourra donner
à son pupille ill i11(inil u.m el ne le soumet pas à l'obliaa0
Lion d'accomp:ir les nouvelles forma lités requises par le
plébiscite. Les personnes exceptées , du reste, étaien t
celles pour lesquelles le donalenl' avait le plus d'affection.
Les donations qui leur étaient ad ressées ne ponvaient do nc
( 1) )lu lilrnbruch ~ 'o'i :i
(t) ll ro1I rom ai11 ,' 11 , p. 9H l'i Dll.
-
57 -
éveiller aucun goupçon m prêter à aucune critique. Elles
s'ex pliquaient et se justifiaient très bien par l'a!Teclion naturelle que le donateur avait pour le donataire. Pourquoi ,
dès lors, exiger des formes spéciales qui n'avaient pour
bul qu e de protéger Je di posant contre des entrainements
irréfléchis qni n'étaient pas ~1 redouter dans '.:e cas?
~ Ill. -
De quel q u es Do n ations pa r Uculières
La donation pouvait
quelquefois comprendre à côté de la chose donnée des valeurs accessoires d'nne certaine importance, telles que
des frui ts , des revenus et fermages, le croît des animaux.
Ces l'aleurs n'entraient pas en li gne do compte quand il
s'aoissait
de voir si le modus lcg is avait été ou non déo
passé. Le tau x de la donation s'appréciait uniquement
d'après le capital donné. C'est ce qui résnlle avec la dernière évidenœ d'un Lexte de Gaius la loi 11 de .Doriat :
Qtrnm de modo donaliouis quœritw·, neque partus nomine,
neque fi·uclmw1, ncquc pensionmn. m•que mercedum ulla
1. Des Don ations <l'interét . --
donatio {acla esse vicletur.
~l ais l,l règle éLaiL di!Térent e lorsq ue la libéralité por tai t
uniqu ement ur des revenu . Il fallait alors faire une distin ction peu ra Liùn nelle, i1 est vrai, mais commandée par
les tex tes. Si la li bér~ili té avai t pour objet de· fr uits. elle
tombait sous l'appli cation de la loi Cincia (L. 9. § 1. de
Donat. ). Elle était au contraire ,·;ilablc in i11fi11i1t111H1nand
�-
38 -
elle portail ur des intérêts. Modestin (L. 25. pr. de Douat .)
pré"oyant en effet le cas où on créancier fait à son déùiLeur
remise de certains intérêts décide qu e l'importan ce de
cette donation ne saurait a1·oir ur sa validité aucnne in'
flu ence : Illodestiri us respondil,
credùorem (ut ur i te111p01·is
ttsuras el rcmillere cl 111i1werc pacto passe : 11 ec lit ea clo11atione ex smnma quantilalis aliq1tid vilii inct1rrere.
Il . Des Do11atio11s /(1ites à wu: Cité. - La prohibition de
la loi était égalemen t étrangère aux libéralités fo ites par les
particuliers aux 'illes ou aux municipes. Ces dona lio11s
dcrenaien t parfaites par la ·impie pollicitalion, quand un
motif raisonnable et légitime les a1·ai t in piréPs: Si quidam
ob houorcm promisei·it decretum sibi vel <lcce1"1w11rlmJl.
vel ob aliam j 11stam cnusain, teuebitm· e.r; 71ollicitatio1le ;
sin vero sine causa promiscrit, 1wn erit obligatus. ( L. l ,
§ 1, de Po/lie. - L. 19, de Donat.)
Il est facile d'expliquer la raisori qu i ava it fait éldmell rc
celte exception. De pareilles donation ne ùev"ieul pas
èLre bien fréquentes en pratiquC:J el il 11'y ava it pas d'ailleu rs à redouter qu'un e personne vint s'a ppa111Tir inconsidérément en faveur ù'unc ci té ou d'un municipe. Le législateur pouvait donc sans crainte dans œ ca~ se départir
de sa rigueur.
Les développements que no us avun~ cousacrés jusqu'ici à l'élude d11 seco nd cir er de la loi C:incia nous per1~ette~l ~aintenant d'en délcr111i11er exat:le n1 cnl le clramp
d appltca two . Elle en rb ra~~ail eu principe ua 11 ~ ~a pndri-
-
59 -
bition toutes le:. donations entre-vi fs qui étaient à la fois
supérieures au mod11.s et ad ressées ades personœ non excep·
1œ . Nous arnns indiqué d'nne fa\·on générale le .ystème
iinaginé par le tribun Cin ciu el donn é une idée ùes moùifi cntions qu ' il apporLa clans la matière des libéralités entrevil's. JI nous res te à compléter ces ùonnëe~ eu étndian l :
1• le fonctionnement ùc la loi Cincia dans chacune ùcs
hypothèse que nous avons déjà parcourues au début ùe
notre seconde partie ; 2° la nal urc et les caractères des
di 1·crs moyens de défense accorùés au ùunateor.
CIIAPITHE li
Fonctioxmement de la Loi Cmcia
( De l'exce ption ler1•s <.:111c1œ)
' ECTIU:\ Ir•
FO:'\CT JONNEl\!ENT
DE L .\
LOI C l~CJ.\
Pour faire une li béralité. avons-nous m. on peu l recou·
rir soit à. une dation , soit à une pro1oesse. soit à une remise de dette, oit enfin :i une stipulation. Reprenons succes. ivernent chacune de ce hypothè·es.
~
I. _
Don~tion
p a r voie d e Dation
Il nous faut encorn dislin gne1· sui vant que la donation
porte StJI' nn fo nds italique, :.U r llll fo11ds prorincia\ OU sur
un meuble.
�-
40 -
1. Donation d' u11 Fonds italique. -- Antêri euremenl
au rJ• siècle, ]a mancipation, la tradition Oll J'i11 jure ccssio
suffisaient pour rendre parfait<~ la donation d'un
immeuble italique cl investir Io donataire d'nn droit
qu'il pouvait faire valoir soit au moyen de la revendication
s'il était resté dominus ex jure Q11irilimn soit par l'action
publicienaeou l'exceptio rei clonata: et tradilœ dans le cas
contraire. Il n'en est plus de même sous l'empire de la loi
Cincia. li faut que le donateur e dépouille et de la pro priété et de la possession . sinon il reste toujour libre de
revenir sur ce qu 'il a fait. S'est-il content é ùu manciper
l'immeuble, il écartera par l'c:cccptio legis Cinciœ la revendication du donataire. Y a-t-il eu au contraire simplement
tradition , le donateur restant armé de la reYendication
pourra repousser l'e:rceptio rei donatw et traditce qui 1u
sera opposée grâce a une replicatio fondée sur la prohii.Jition de la loi. La dooatioo ue devenait donc parfaite que
lorsque l'immeullle avait élë mancipé cl lil'ré. Donatio
prœdii, quoJ, mancipi est, intel' non exceptas 7)erso11as 1raditione atque ma11 cipatione perficit11r . (§ 3 15, Fray. Vat .)
Il ne faudrait cependant pas cfJu clurc de là qu e la simple mancipation ou la simpl e tradition d'un fo nds itali que
fussent. même sous l'empire de la loi Cincia, dénu ées Je
tout eITet juridique. Sans doute le do.nalaire auquel le fond!>
n_'~vait pas été livré ne retirait aucun al'antage de l'acqu is1t1on de la propriété résultant d'un e mancipati on et son
action en rerendication était in fa illiblement paraly. ée
par l'exception lcgis Cinciœ. Mais s'il pan·enait à se
mellre en possession de l' immeuble et i cette mise Cil
possession n'avait lieu net v:, nec rta1n , nec prccario ,
-
4t -
la donation quoique incomplète échappait cependant aux
atteintes du donateur . Celui-ci, en elTet, ne pouvait
pas revendiquer puisqu 'il avait perdu la propriété pal'
la mancipation. Il ne pouvait pas espérer faire usage de
l'exception contre une action que le donataire désormais
nanti n'avait plus intérêt à intenter. Il ne pou v!lit pas davantage songer à engager un débat sm· la possession ; l'interdit uli possidetis. le eul dont il pût user. aurait en elTet
assuré le triomphe du donataire qui possédait au m0ment
de l'érni sion de l ' inlerdi ~ et dont la possession était
exempte de tous vices. Il était donc complètement désarmé
et ne trouvait dans la loi aucun moyen de protection.
Toutefois le donataire n'était point dans une situation aussi
bonne que si on lui avait fait la tradition. Si le donateur
recourrait la possession , ara nt qu e l'usucapion fût accom·
plie, il recouvrait en rnème temps le droit de se prévaloir
de l'exception /egis Cinciœ ; la donation redernnait imparfaite et révocable, ain i que le prouve la Loi 5, § 2. de Dol.
A/al. et Met. ucept. On peut donc dire avec M. Machelard ( t) qu e dan l'hypothèse oü un fonds italique arai t
été simpl ement mancipé, le , ort Je la donation dépendai t
clu point de savoir entre !es mains de qui étai t la posse, ion. Pa1· conséquent , le donateur qni dans ce cas voul ait
se réserrer la faculté de revenir sur ce qu'il avait fait , de"ai l co nserver et garder aYCC soin la pos ession de l'objet
donné. La moindre négligence ùe sa part pouYa il arnir
pour lui les co nséqu ences les plus func tes et entraîner irrérocablcmcnl la perle de tous es droit:>.
( 1) Obs. [,Ur ln L. Cinci:i, no lï.
�-
- . 42 -La simple lraditiou n'ûlait P~ ' non plu:> complètemen t
inefficace. Elle permettait au donataire ùont la possession
~e prolongeait pend:rnt un temps <létcrrniné d'usucaper les
objets don nés. La donation contraire à la loi Cincia était
<lonc une justn ca11sa wwca1Jie11di. C'est c.e qui résulte de
plu ieurs tex tes de Fragmenta \laliccma. Ainsi. da ns
le paragraphe 2:59 le juri ·consulte. h l't;gard <l es res 11ec
111ancipi qui a'·aient fait l'objet d'une donation relève celle
circonstance de fait qu e l'usucapion n'était pas encore act:omplie au moment dn décès de la donatrice. ce qui inùi que bi en que l'nsucapion trouvait ic,i son application. Dans
le par<lgraphe 295 il e. t question de choses mancipi donnée' con~rairement aux prohi bitions ùe la loi et qni cepc11danL ne peuvent pas èLre re'·endiqn ée parce qu'elles so nt
usucapées. Sans doute. ces texte ne prcivoient qu e le c:1s
d'un e donati on d'effets mobiliers. Mais nous ne voyons
aucun motif de 11e pa. les appliquer en matière immobilière. 11 n'y ava it d'ai llenrs aucun danger à admettre
le jeu de l'usucapion. Le donat eur se trouYait suffisamment
protégé puisqu 'il conservait pendant un an pour les meubles et deux ans pour les immeubles la facullé de se rèLracter. Le silence prolongé qu'il gardait pendant ce Jap.
de ternp~ ne pouvait laisser aucun ùou le sur sa volonlé Je
donner et témoignait de !:.On intention bien arrètée de graLifier le dona tai re.
Ce genre
ile libéralités resta co mplètemen t <' n dehors des préviion de la loi Cincia. La trad iti ou fut toujours rnffisan te pour parfaire la donati on d'un imrne11 ble 11er mancii1i .
If . Do11atio11 d'un Fo11ds 7Jrovi11cia/ .
-
45 -
Donatio prœdii quod nec man cipi est lraditione aola perficit11r (§ 5 15). Il n'y avait à tenir compte ni de l'importance
de la libéralité, ni de la quali té de la personne à. laquelle elle
était adressée. In donatione rei tributoriœ ci,.ca exceplam et
non exceptam personam Legis Cinciœ m tlln differentia est
(§ 293). Toute la protection du législateur s'était concentrée sur les immeubles italiques qui étaient considérés
co mme ayan t le plus de valeur vénale. On n'avait au contrai re attacbé qn'une importance bien secondaire aux fonds
provi nciaux dont la propriété était du reste susceptible de
révocation dans l'intérêt de l'Etat. C'est ce qu i explique
pourquoi le tribun Cincius ne crut pas devoir les soumettre
à l'application ùe son plébiscite. li y avai t également une
autre raison pour laqu elle la loi Cincia était inapplicable
aux don ations <le fon rls provinciaux, c'est qu'en ce qui concerne ces libéralités, il était impos ible d'exiger l'emploi
d'une nouvell e formalité indépendamment de la tradition.
La mancipation, mode du droit civil . ne pouvait pas être
employée pour l'aliénation d'une res 11ec mat1cipi et quand
à l'in juro cessio elle n'aurait rien t1jou té aux elTet. déjà produ it par la tradition.
Quand il
lll . Donation d'un Objet mobilier
s'ag it ùe meuble, 111ancipi , le ~ oloti ons sont identiqu es a celles qne noo avons donoées pour la donation
immobilière, si le donateul' en a seulemeot transmis la propriété l U donataire par la mancipation ou 'il le lui a sirnplern coL livr6s. Dans le premie1· ca . il oppo. e :1 ln r~vrncli ca 11o n
l'excep tion lcgis Cinciœ ; dans le second cas, c'e~ L lui qui re·
Ycnd ique. tant que l' U$UCapion n'e, Lpas accomplie, el qu i
�""' repousse par la repliwlio Legis Ci111;iœ, l'exc;eptioo rei donotœ
-
du donataire. Mais il en était autrement si la
tradition se trouvait uuie à la mancipation pour un meuble
mancipi, ou i le donateur avait li vré une chose mobilière
t1cc maucipi. Dans ces deux hypothèses, s' il s'agissait d'immeubles, la donation serait irrévocable, parce que le donateur n'aurait pins aucun moyen de faire valoir son exception . Mais ici. le· principes se modifient; la donation ne peut
pas devenir parfaite d'une façon actuelle. Le. règles spéciales aux interd its permettent au donateur de reprendre les
objets qu'il a donnés . Il a en elTet le droit d'in tenter l'interdit utrubi tant que le donataire ne peut pa se prévaloir
d'une possession plus longne que la sienn e dans l'année qui
précède l'émission de l'interdit. Ce droit lui appartient
égalemen t dans le cas où il s'agit d'une chose mobilière
mancipi simplement livrée. li a alors le choix entre l'interdit et la revendication. ln rebus mobilibus , etiamsi
et trndilo·
traditœ sil , l'xigiltLr ut el i·nlerdicto utnibi superior sit is
cui donala est, sivc mancipi inancipaL<L sil. swe nec ma11 cipi
tradila . (§ 295 ). Si donc nou' . nppo on qu'au jour où il
a fait la trad ilion. le donateur avait unr. possession de
six. moi , il pourra pendant six mois rentrer en possession de la chose donnée, et une fois nanti, invoqu er les
moyens de défense que la loi Cincia metlait à sa ùi po ilion. ( 1)
La perfei;lion d' une dooalio11 mobilière était donc plus
difficile Î\ réaliser ciue ccllr. d'une donation imm obilière.
( 1) l.,e .tlon ~lni re ncvra évilli'mm cnt nvoi r pusstldl· par lui- mèmc s;in~
pou,01 r 111voqucr comm e cl'ordina1rc l'occessin pnsseM1onw11 cr .1oind 1c . 1
.;a po-;~ess1on c,•li!' du clonatPu r ( na1us 11, !\ \ ~,, ).
-
45 -
C'était fa, il faut le reconoaîLre. nn ingulier résultat. A
notre avis, cette anomalie ne doit point êtra attribuée au
tnbuo Cincius. La loi Cincia n'arnit iruposé des conditions
ùe perfection particulières 4u'aux donations de res mancipi
c'est-a-dire de re15 prcliosiore~. Elle ex igeait alors qu'il y e1H
réunion de la mancipation et de la tradit ion sans distinguer
certainement entre les meubles et les immenbles. Si J'u ue
de 1;es deux formalités avai t éLé omise, elle permettait au
donateur de revenir sur ce qu'il avait fait. La re\•endicaLion
restait possible, en cas de simple tradition. tant que l'usucapion n'était point accomplie. Daos l'hypothèse où il y aYait
eu seulement mancipation. l'exception Legis Cin ciœ paralysait la demande du donataire. Mais ces protections accordées au disposant paruren t insuffisantes aux jurisconsultes.
Peu disposés à encourager les li béralités, ils cherchèrent à
multiplier les entraves que l'on avait apportées à leur réalisation. lis s'emparèrent des règles relatives à la posse ion des meubles et en firent une application véritablement injustifiable dans celle matière. L'interùit ulrubi, dont
ils permirent au donateur d'user. ne pouvaiL. en e!Tet, en
vertu des principes mêmes du droit. être invoqué que pa r
cel ui qui n'avait pas volontairement tra11smis la po e s10n
de sa ehose à. une autre personne. L'accorder au contraire
à celui qui s'en était depouillé de son plein gré, i;'était,
ainsi que Je dit avecju te raison M. Machelard , rendre impossible « toute trad ition sérieuse ponr les meubles. Un
vendeur , p:ir exemple, qui après avo ir exécuté le con trat
tent erait d'user de l'interdit utrubi pour dépouiller l'acheteur. échouerait incontestablement , par l'emploi de l'exCèpli on <le d0l, qui serait ici J'exccptiou rei vemlitœ et Ira-
�-
li-6 -
ditœ . • ( 1) L'application de l'interdit utrubi aux Jonations
mobilières ne saurait donc se ju. Lifier. On ne peut la comprendre qu'à l'occasion des meubles 111a11ci!1i qui avaient
fait l'objet d'un e impie tradition. On devait so uvent dans
ceue hypothèse recourir à l'interdit plus com mode qu~. 1~
rernudication parce qu'il dispensait ùe prouver la propr1PLe
el c'e, t ce qui expliqne que les textes le mentionnent ici.
Peu à peu on finit par l'étendre dans les autres cas de donations mobilières et par accorder à. tout donateur qui
avait perdu la posses ion de sa chose le Jroit de l'invoquer .
~
JI -
Donation par vole d e Promess e
Celui qui voulait s'engager donationis causa P,nvers une
autre personne, pouvait. avons-nou déjà dit, recourir soit à
une stipulation soit à une expensilatio . Dans les deu x cas il
se trot1vait protégé par l'exception legis Ciuciœ, tant qu'il
n'avait pas exécuté sa promesse. Mais. une fois le paiement effectué, quell e était sa situation? Avait-11 une action
pour reprendre ce qu'il arnit payé ou au contraire la donation était-elle parfaite et irrévocabl e ~ Une distinction est
ici nécessaire. Si le donateur avait volon tairement exécuté
son obligation. sachant qu'il pouvait se refuser à le faire,
il se trouvait complètement désarmé. Si au contraire le
paiement avait été fai t par erreur, il pouvait exercer la
condictio indebiti (§ 266 Prag . Vat. ).
-
OIJ ~ .
sur la lui Cincia, n• :16,
-
Une discuss ion , 'est élevée parmi les interprètes sor le
poin t de savoir qo elle était la nature de l'action qui étai t
ainsi accordée ao do11atcur . D'après M. de Savigny ( t ), ce
ne serait pas n ne condictio indeln'ti mais bien one conclitio <'.:c
inju.sta causa fondée sur la violati on de la loi. L'inlérêt de
la di cussion est facil e à ~aisir . S'il s'agit dans le paragraphe
266 d'une condiclio ex injw1ta causa , il n'im porte qu'il y
ait eu erreur de la part du donateur ou qu'au contraire il
ait sciemment livré la chose promise, il y aura dans les
deux cas Yi olatiou de la loi et partant ouverture à la con<lictio. Bien plus, l'action compètera au donateur non seulemen t lorsqu 'il aura fa it trad ition d'un e chose en exécu tion
d'une promes.e antérieure, mais encore !or.qu'il aura,
. ans s'y être précédemment obligé, fait une dation ou.consenti un e acceptilatiou, car ùans ces deux hypothèses les
di ·positions de la loi serai ent égalemen t r iolées.
Nous croyons. pour notre part, qutJ c'est bien à une conrlictio indebiti qu'Ulpi en a entendu fa ire allusion dans le pa.
rJgraphe .2 66. En vain dira-t-on que le texte ne mentionne
pa~ la nécessité d'un paiement par erreur. li est facile de
répondre que le juri:;cousulte ne c propose pas de fai re une
théorie con1plète de l'indebitum et d'indiquer quelles sont
les conditions requises pour l'exercice de la cmulictio; il
se borne à rechercher si dans l'espèce il y a bien paiemen t
de l'indu . et il conclut affirmati vement, parce qu e, dit-il .
il n'y a pas .eulement indebitiim , quand il n'y a pas de
ùette, mais encore quand on c trouve en présence d'une
delle paralysée par un e exception perpétu elle. lndebitum
( 1) Droil Romnin . T. IV , p.
( 1)
!~7
:! O ~ .
�-
•
1.8 -
soluL".m accii>itluts ri o11 sol ton si omni110 non deûcbatttr, sed
Pl si 11cr <iliq1ta11t exccptionem 7wti non poteral , id est, per1wtua111 c.1.:ceptio?Je111 ; quan: hoc quoque repeti polerit. si qitis
tutus solucrit. Unde si 'JIÛS contra le11erpetua exceptionc
gem C inciarn obligal us ·non excepta soluerit , debuit clict
repetere eum posse. t 1)
11 résulte de là : t 0 que l'exception de la loi Cincia
ne laissait même pas subsister à la charge de celui qui
l'invoquai! une obligation naturelle, car l'existence d'une
pareille obligation suffisait pour valider le payement et
enlever au1débiteur le droit de répéter ce qu'il avait livré;
2° Que le paiement ne ponvail être attaq ué qu e s'il avait
ëté déterminé par une erreur . C'était. dans ce cas. au donateur , en vertu de la règle actori incmnbit 71robatio, à
prouver l'ex istence de l'erreur . En principe, celle de fait
était seule admissibl e. Les jurisconsultes romains, en eJTet,
avaient une certaine tendance à ne pas tenir compte de
l'erreur de droit et l'erreur reposant sur l'ignorance des
dispositions de la loi Cincia était d'aill eurs trnp grossière
pour pouvo ir être prise en considération. La condictio indeûiti pouvait être valablement intentée au contraire,
quand le donateur s'était trompé sur la valeur de l'objet
donné ou sur lê. qualité du donataire qu'il considérait à tor t
comme une persona excepta. L'erreur pouvait également
porter sur le modus legis, si l'on suppose que ce taux au
lieu d'être uniforme variait suivant l'importance du patrimoine. Mais c'étaient là. des hypothèses qui devaient se présenter bien rarement. Il est donc probable que la coriclictio
( 1) Acca 1·ias, T. 1, p. 709 , nolc 3.
fi,9 -
indeuiti ne de\•ait pas être fréquemment employée et qu'elle
ne pouvait être ntilè au donateur que dans un petit nombre de cas fort restreint d'ailleurs.
La conclusion ùe tout ceci est que le donateur f(lli
:l\·ait livré ulle chose en exécution d'une promesse antérieure se trouvait protégé J' une façon plus efficace que celoi qui aYait grati ué une personne sans s'y P.tre précédemment obligé. Le premier avait toujonrs la ressource de la
cunclictio indebiti. en cas ù'erreur. Le second. au con traire,
se trouvait irré,•ocablemenl dépouill é par la simple tradition s'il s'agissait d'une res nec mancipi, par la réunion
ù'nne mancipation et d'une traù itiun 'il s'agissait d'une res
rnancipi sauf dans le cas de tlonation mobilière où l'interdit atrnbi lui laissai t pentlant un certain laps de temp la
faculté de se rétracter. Cette circonstance que la datio avait
été précédée d'une sti pulation tournait donc au détriment
du donataire. Nouvelle inconséquence de la loi Cincia qu'il
faut . d'après nous, attribuer ~' ce qu'elle était une loi imparfaite et n'avait pas o é ann uler les libéralités qu'ell e prohi bait.
.\ III. -
Don ation par voie de Délégation
Il y a délégation toute les fois qu'une personne donne
mandat à une autre de fourni r une prestation quelconque
à. une troisième personne. Ainsi que l'indique M. Accarias, ( 1 ) la délégation pouvait servir ou à éteindre
des obligations ou it contracter <les prèls ou à parfaire des
(1) T .
n. p. 100.
�:w donations. Pour cxpliqncr les rés ultats qu'elle produisait
dans ces trois cas les juri~co ns ulte$ romains avaient eu recours à uue fiction. lls supposaien t rëalisés lroi · ùéplacements de fond;:; qui n'avaient cepcnùant pas été faits. Le délégué était censé avoir réellement compté nn e certaine
somme au délégan t, le délégant l'avoir remise au délégataire et celui-ci avoir remis au délégué ce qu'il venait de
rece\'oir.
Nous avons indiqué au début ùe la second e partie de
celte élude dans quel· cas principaux la don ati on pouvai t
s'opérer par voie de déléga tion. Elle pouvait arnir li eu de
troi manières. soit que Je donateur s'engageàt directement en\'ers la personne que Je donataire voulait gratifier.
soit qu'il s'engageât enver le créancier de celui- ci, soit
enfin qu'il fît engager son débiteur e1H'ers le donataire lu imême. Dans 1:es trois hypothèses . la donation était parfai te
à l'origine dès qu e la promesse éta it intervenue.
Ces principes furent-ils modifiés par la loi Cincia? La
négati ve est incontestable el résu lte de ùeux tex tes. l'un
d'Ulpieri contenu pans Il loi 2. paragraphe 2 clc Donat. , et
l'autre d'Hermogén ien (L. 33 , § 3, cod. tit.). Les deux jurisconsultes prévoien t la même e~ pèce. Prirnu vent me
faire une donation el de mon ~ô lé je me propose ùe faire
une libéralité à Secundus dans la même mesure. Afin d'é\·iler une double slipulation el un double paiement , Primus
s'oblige directement envers Se'=-undus sur mon ord re el lu i
promet la soinme ùont il voula it me gratifier. Quelle sera la
valeur de cet c:ngage•ncnt et de l'opèration juridique ainsi
intervenu e? Les deux.jurisconsultes font à i;etle qu esti on la
mr·mp n'• pon;;e et dérlarent q11e la rl nnation es t dèsn rm;ri.;;
-
;)I -
parfaite. lntN 011incs donatio perf'ceta est (L. 2 ~ 2) .....
Per(icitur donalio (L. ;)3 § 5). Il nous faut préciser maintenan t le sens de ces deux formnles et rechercher quelle
est la portée exacte de la doctrine professée par Ulç..ien et
par Hermogéo ien.
Si nous nous plaçons tout d'abord dans les rapports du
délégué el du délégataire, la solution que nous donnent la
loi 2 paragrapbe 2 et la loi 35 paragraphe 5 est parfaitemen t jurid ique et rationnelle. Primus est lié d'une façon irrévocable et ne peut pas se refuser à remplir l'engagement qu'il a pris, en invoquant l 'excep~ion de la loi Ciocia .
Ce n'est pa lui , en effet, qui gratifie Secundus; en s'obligeant enver celui-ci, il n'a fait qu'exécuter l'ordre que je
lui avais donné. Par 1·apport au dèlégalaire il n'est qu'un
débiteur ordinaire. C'est ce qu'exprime très bien Hermogénien : quia ni/dl Primi's Secundo donavit. La conséquence qu'il en tire c'es t que Primus ne pourra pas opposer le bénéfice ùe com pétence qu i n'est accordé qu'au seul
dona teur. Cette solution est entièrement r,onforrne aux principe admis en matière de délégation et contenus dans la
loi 19 de Aoval. qui décide que le tlélégné ne pourra pas
opposer au délégataire les exceptions rlont il aurait pu se
pr6valoir à l'encontre du délégan t.
l\fais si Primus e l obligé de payer le délégataire, n'aura-Li! pas du moins un recours con tre le délégant? Pour le lni
refuser nous ne pouvons plus iO\'Oquer le motif que nou,
. donnions tout à l'heure. En réaliLé Primus m'a fait une
donation. Quoique aucune valeur nouvell e ne soit entrée
dans mon patrimoine. j'ai pu cependant , gràce à l'engagement qu'il a pris envers ecundus. faire à ce dernier la libé-
�-· 52
ralité que jû iui ùeslir1':.\i ·. Nous n'hésilo11s pcs cepenrlanl ;1
déclarer qne Prim us n'aura pas le droit ùe se faire indemni·
ser pat· le dèléganl. Les termes ùo la loi 2 paragraphe 2
sonl formels : htler omues 11er/'ecta est clonatio, dit Ulpien.
La don alion est parfai te :1 l'éga rd de tou tes les personnes
qui y ont pri part. C' est la un e solutiou qni concorde abso lum en t arec les princi pes 4ue nous aYons rappelés plus
haut. Le donateur , dans l'e pèce. e t cen é avoir remis la
somme qui fait l'objet de la donation à so n donataire qui à
son tour est censé l'avoir donnée à l:i pt.!rsonne qu'il vonlait
gratifier. Or, de même que la donation serait parfaite . i la
somme donnée avait réellement passé des mains du délégué
dans cell es du délégant et de celui-ci au délégataire. de même
doit-ell e être parfaite qu and la double numéra tion an lieu
d'être réelle est purement fictive. D'aill eurs si l'on donna it
un recours au délégué con tre celui qui lui a donné mandat
de s'engager, on devrait nécessairemen t au torise1· ce dernier a recourir contre le délégataire et on arriverait par ce
circuit d'actions an même résu ltat que si on eût permis
au délégué d'opposer l'exception leyis Ci11riœ à la demande
formée i;ontre lui.
Ainsi donc, dès qu~ la ùélégation est accomplie. la do·
nati on devient parfaite et lie irrévocablement le donateur.
C'esl ce qui résulle des deux tex tes qne nous Yenons d'él11 dîer et dont il faut généraliser les décisions en les appli.
quanl dans toutes les hypothèses oü la donation a lieu par
voie de délégation,
Toutefois. à côté ùe ces deux clécL ions qni ne peuvent
raire l'objet d'aocune difficulté, nous trouvons dan le Digeste deux antres te-.: tc-:,; trrs emharra~sa n ts et qui nul
donné lieu à de granJc controverses entre les interprètes. Cc sont les lois 5, paragraphe :;, de Dol. Mal. et
Jllrt. Except. et 2 1 , paragraphe 1 , de Donat.
La loi !5, paragraphe ;j, prévoit le cas où une
per.onne, voulant L1ire une libérali té qui cxcède le
modas leyiti11rns, s'engage envers le créancier de œlui
qu'elle veut gratifier. Le donateur, une fois obligé ,
ne pourra opposer, dit le jurisconsulte Paul. aucunP.
exception au créancier. car celui-ci ne fait que ré·
clamer ce qui lui e' l légi timement dû. Mais il pourra
agir par une coMlÙ'tio contre le donataire, afin que
celui-ci Je libère de son ohliga1ion ou l'indemnise s'il
a déja payé. Si wm qui volebal mihi dotiare supra
legitiiruwi modum. cfolegavcro creditori meo ; no1i poleril
adversus petentem u.ti e.cceptione : quo11iam creditor stmm
71ctit .... l taqlle conclictione t,cnetw· debitor qui clelegavit, ut
vcl liberet clebitorem. vel si solvil 1~l pewnia ei recldatur.
li e t impossible en présence d'un texte aussi formel de
soutenir que Paul n'accordait pas dans ce cas particulier
un moyen direct de f,1ire tomber b ùonalion intervenue.
Cela d'ailleurs n'a pas été conte té. Les controverses qu i
ùivi:;ent le interprète portent uniquement snr le point ùe
savoir qu elle action le jurisc.on olte donnait au dispo ant.
~I . Accarias pense que c'était une co11dictio indebiti el
explique par conseq uent la loi 3, paragraphe 5, comme le paragraphe '2üG Fray. \lat. • Les juri'consultes
romains, dit-il , avaient l'habitude de comparer la
délégation à un double paiement Dan J'e ·pèce donc,
les chose. e pas ·cnt :l l'égard ùu donataire comme "i\ eû l èté Gréancicr llu \\on:item et que celui-
�55 ci l'eût payé. Or, tle même qu'un payeme11t véritable
fait par erreur autoriserait la condiclio indebiti , de
même sera-t-elle possible ici en supposant que le Jonateur, au moment où il fai ·ait la promc se, a cru rester
en ùeça du taux de la loi . » ( 1) Nous ne saurions
admettre l'opinion ùu savant prof€ senr. JI considère. en
effet, l'erreu r comme essen tielle pour l'exercice tic la
condictio qui apparti ent an ùonateur. La loi 5, parngrapbe
5, ne fait cependant aucune allusion i1 une pareille
condition . C'est en vain que l'on cherche à ex pliquer
le silence du texte par un e interpolation ùc Ju tinien
qui aurait retranché cette circonstance de l'erreur pour
metlre la décision du jurisconsulte d'accord art!c sa th éorie
de l'insinuation, C'est là une pu re affirma tion qui ne
repose ur aucun fondement . Rien dan la formule dont
se sert la loi 5, paragraphe 5, ni dao s la solntion
qu'elle donne ne pronvc qu 'elle ail. subi un e al tération
quelconque. Elle n'accorde point, en effet. se ulement ,
comme la loi 21, paragraphe l. que nous allons examine!', action au disposant pour reprendre cc qui excède le
modus; mais il résu lte, au contl'aire, de ses termes qu'ell e
l'autori3e à réclame!' la totali té de ce qu 'il ava it donné.
Or, i elle avait été remaniée par les rédacteurs des Pan dectes,
il est certain que ceux-ci l'au 1aien t érYalemen t cor. .
rigee sur ce point cl qu ' il ~ l'auraient ainsi mise compl ètement en harmonie avec la loi 2 1, paragraph e 1.
~
Nous pensons donc , d'accord avec MM . Gide et
Machelard, qu'il vaut mieux prendre ce texte 1lans
son sens naturel et no pas y introduire une cir·
constance dont il ne clit ri en. La loi 5, paragraphe 5,
n'est que l'ex press ion d'nne opinion personnelle de Paul
qui, dans ce cas particulier, permettait au disposant
d'inten ter un e action pour so soustraire aux conséquences
de l'opération juridiqoe interveno e, action que celuici pourait exercer indépendamment de toute erreur .
C'était. là. ans doute. nnc décisio11 contraire a l'esprit
et an système généra l de la loi Cincia. mais qni pouvait cependant se ju. tiGer dans 11 11P. certaine me ure .
frappé des inconvénients que présentait dans le cas spé·
cial de délégation l'appli cation rigoureuse du plébiscite,
le jurisr,onsulle avait vou lu y remédier autant que po •
sibl e. li avait cherché a créor au profit du disposant une
protection particulière q11 e le tribun Cincius, doot l'atl~~
tion s'était uniquement portée sur les modes les plu s us1tes
de parfaire tes donation , aYai t onlllié de lui fournir et
il avait voulu empêcher que l'interve1llion d' un tiers ne
rendit irrérocable une libéralité pour laquelle il n'y aYait
eu en réalité qu'une simple promesse. Quand le donateur.
1~n e!Tet . 'engageait directement envcr· le ùonataire, son
obli rration ne devenait déGniti,•e que le jour où elle arait
D
.
>
•
été volon tairement exécutée. Tan t que le paiement n avait
pas eu li eu, la loi lui accor1lait une exception . S.i au. lieu
d'user de ce moyen de défense, il payai t. il témo1gna1t par
fa que sa volonté de donner étaiL sérieu -e et bien arrê tée,
encore même alor- lui permcltait-011 de reprendre ce qu 11
avait donné par une ronrfictio i11dr/1iti . :;'il prouvait que le
:.l
( 1) 1Jro1t ,.oma111 ., r. J, p. 71o, note 1.
�-
Ll6
paiement qu'il avait fait avait été le fruiL ù'unc erreur.
Mais si au lieu de s'engager directement envers la personne
qu'il voulait gratifier, Io donateur avait eu reco urs à
une délégation et avai t fait un e promesse au créancier
du donataire, il se serait trouvé complèlement désarmé.
Il ne pouvait pas . en eiîel, se préraloir de l'exception legis
Cinciœ à l'encontre du créancier, ca r, ainsi que l'indique Paul. creditots1m11171cti1 ; il ne pouvait pas davantage l'opposer au donataire. ca r avec celui·ci il n'y ava it
plus dé~ormai de procès pos ible. La donation aurai t
donc été immédiatemen t parfaite et irrévocable. C'e L
pour éviter une conséquence aussi rigoureuse que certains jurisconsultes crurent ju. te et éq uitable de remplacer l'exception par un moyen de défense équi,·alent et
d'accorder au disposant une condictio con tre le dona tai re,
à l'effet d'obtenir ou sa libération ,:;'il n'avait pas enc•Jre
payé, ou son remboursemen t ùans le cas contraire. ~Jais
celle dérogation de faveur qui n'avait de raison d'être
que dans le cas de délégation ne fut jamais étendue par
ces jurisconsultes dans d'autres hypothè e .
Le second tex.le qn'il nous reste a examiner est
la loi 21 paragraphe 1 de Donat . Voici l'hypothèse
qu 'il suppose. Le donateur pour fa ire une donation supérieure au Laux de la loi Cincia ùélegue son débi teur au donataire. Le jurisconsulte Celsus décide lout d'abord qu e le débileur n'a au cun
moyen d'échapper aux poursuites du donata ire el ue
peut pas in voquer l'exceplion legis Cinciœ. Mais il donn e
au contraire au donateur une acti on re~ciso i re pour f<1irc
réduire au moclus legi!iorns l'obli galiun contractée envers
-
~) 7 -
le délégataire et, dans le cas oü le débiteur aurait déjà
payé, il permet au donateur d'exiger la restitution de ce
qui dépasse le modus . Secl si debitot·em meum tibi do11a1ionis immodicœ causa 7n'omitterc jussi, an summoveris
donalionis exception e, ner.nc tmctabitur ? Et meus qiiidern
debitor exceptionc le ayenteui repctlerc non potest : quia
7)erindc smn, quasi exactam a debitore meo summam tibi
clonauerim, et tu ilium ei credicleris. Secl ego (s i 71,idem
7JeC1tniœ a debitore meo noncfom s olutœ sint) habeo iiduersus debitorem 11icum 1·escissoria11i in id , quod supra Legis
modum tibi prnmisit : ila 11t in reliqumn tanturnmodo tibi
maneat obligatio ; si11 aulem pecunias a debitore meo exe·
gisti , in hoc, quod modinn Legis excedil, habeo contra te
condictionem. Prise à la lettre , celle solution serait injustifiable. Celsus. en effet , restreint l'action à ce qui excède
le modus : in hoc quod modt'm Legis excedit. Or. nous
verrons bien tôt que les moyens tirés de 11 loi Cincia fai-
saient tomber la donation toute entière et ne l'annulaient
pas seulement pour partie. Il e·t <lonc évident que la loi
~ l. paragraphe 1, a été remaniée par les compilateurs de
Justinien qui ont vou ln la faire cadrer avec la théorie de
l'insinuation. ~l ais dans quelle mesure a-t-elle été altérée?
Sur ce point encore les interprètes ne sont pas d'accord.
~I. Machelard estime que tou te la fin du tex te depuis 1 ~
mols : Sed ego si quidem pectmiœ a été détournée <le sa
signi fica tion originaire et que la doctrine de Celsus était au
fond la même que celle ù'Ulpien et d'Hermogénien. li fond e
son opinion snr un double motif. Son l'empire de la loi
Cincia, dit·iL on ne connais ait pas ù'action directe pour
1e d nder les actes accomplis contrairement aux disposition~
�- 58 légales. Il e..<:l d'ailleurs inr.on lestablc que la loi t 1~ paragraphe 1. a é lL~ interpolée en part!c puisqu'elle restreint
l'effet de la con dirtio a1:conlée au donatenr à. ce qui dépassa it le modus; celle particularité ne suffil-elle pas pour
nous fai re conceYoir d e~ donte. sur la source véritable do
la dernière partie du tex te. el pour nous faire penser
qu'elle est due toute en ti ère aux rédacteurs des Pa ndectes "!
Nous om mes sur nu point particulier ab olument de
l'ayis de ~1 . Machelard donl nous repou::sons cepend:rnt le
. ystème. Il est éridenl que ia décision con tenue dans la loi
2 1 paragraphe 1 e l en con tradir,tion a,·ec tous les principes
admis par la loi Cincia qui ne fourni " ai t au donateur aucun
moyen direct pour ér iler l'ap pauvrissement résultant de sa
libérali lé. Nous croyons toutefois qu'elle nous fa it comiaitre
bien exactement la doctrine profeçéc par Cel u et qu e
sauf en ce qui concern e les mots in id quod :mpra mod1wi
legis qui ont été év idemment ajoutés au texte primitif elle
n'a pa · été modifiée par les compilateur de Justinien . Cc
qm nou confirme dans cette façoo de ''oir c'es t <]ne la loi
5, paragraphe 5, d.e Dol. Mal. et ftfl'l. E.J.·cepl . que nous vanons d'étudier et qui ne r.ontient pa trace d'in terpolati on
donne une solution absolument identique et dan: une hypothèse analogue accorde éga lement unè action au dtrnaleur pour revenir ur ce qu 'il a fait. No u pensons donc
que le j 11risconsulle Celsus permettait véri Lablemen t au
disposant d'intenter une condittio contre le donataire u.'.\ns
l'hypothè e prévue par la loi 2 1. paragraphe 1.
Quelle était la nature de cette r011dictio _9 Nous rel rouvons ici les mêmes difficultés 4ue 1;olles <JU C 11ous avons eu
~1 ré oudre à l'or.rasio11 de la loi ;;, paragraphe :>, d e Dol.
-
59 -
Mal. Mel et. Hxcept. Sans revenir sur une discusion à. la-
quelle nous avons déjà. consacré des développements considérables, nous croyons devoir adopter de nouveau le système
que nous avons précédemment exposé. Nous pensons qu'il
est question dans la loi 2 1,paragraphe 1, d'une condictio
donnée inJéµe ndamment de toute erreu r et dont l'application spéciale au cas de délégation se trouvait motiYée
par des raison particu lières 4ue nous a\·ons déjà. fait connaitre. En d'autres terme . la doctrine de Celsus est pour
nous la même que celle de Paul.
L'expcnsilatio , quoique d'un usage moins fréqu ent que
le contrat verbis , pouvait également être em ployée pour
faire un e donation par \'Oie de délégation. li fallait alor:::
appliq uer les principe· admis Jans le cas oü la délégation
s'exécutait par la stipulation.
S l\' .
-
Donation par voie d e Remise d e Dette
Le donateur pouvait con entir un pacte de non petendo
ou recourir à une acceplilation. Dans le premier ca , il .
cowenait son ancienne action qui triomphait grtice à la
replicatio legis Cinciœ de \'exception pacti convenli du
donataire. Celle solution, conforme d'ailleur au vèritable
esprit de la loi Cincia, 'appuie snr la loi 1. paragraphe 1.
rtttilms mod. pi911. vel hypolh. so/u. Dans le -econd cas.
au contraire. la donation ét:iit irréYocable, el le donateur
n'avai t plus aucun moyen de se sou traire anx con équences de \'opération juridique intenenue. ainsi que
l'indique la loi '2. C. de Acce11til. ~ i dcmalionis gmtin 110-
�-- 60 wtio11e (acta pcr acceptilacionem prœslitisci libemtionem,
omnis agendi via perempta est. Les Lextes ne lui accor~
daienl mème pas. coinme dans Je cas ùe donation par voie
de promesse, une action analogue à la conclictio indebiti,
dans l'bypothese où il ayail fait abandon de sa créance
sou l'empire d'une erreur. C'était là encore nn e inco nséquence de la loi Cincia, duc à. l'imprévoyance de se auteurs, qui ne ,'étaienl vrai emblablement préoccupés que
des modes habituel de réaliser une donation. c'est-à-dire
la dation ou la promesse. et donl l'attention ne s'élait pas
portée au delà.
SECTION II
DE L'EXCEPTION LEGIS CINCL E
La loi Cincia avai t ceci de particulier qu'elle ne prononçait pas la nullité des donations failes en violation de
ses dispositions. Le donateur n'avai t aucune action pour
répéter ce qu'il avai t donné , sanr dan deux hypothèses
exceptionnelles où les jurisconsulte· Paul et Celsus. par
un motif d'équité, l'auwrisèrent à agir directement con tre
le donataire. Toute la sanction de la loi consistait h lui
accorder. selon les cas. une exceplion ou une réplique.
L'exception lui permellail de e dél'ober à l'acllon et aux
poursuites Ju donalaire. La réplique, au contraire. fai ai t
revivre et sortir à effet tous les moyens de droi t commun
qni lui restaien t M paralysait les di verses exœptions qui
pouvaient lui être opposée,. Notre éLuùe serait incomp lèlc,
si nous n'indiqnious brii>vement quelle était la nature el
-
61 -
quels étaien t les caractères ds cr.s deux moyens de défense.
ou plutôt de l'excepti on Legis Cinciœ, car la réplique
n'était elle-même, scion l'ex pression si juste de Paul .
qu'une exception opposée à une autre exception, 'lua,çi
exceptionis exceptio ( L. 2~, § 1, de Except.).
L'ex.ception de la loi Cincia tirait son existenèe de la
loi et devait par conséq uent être proposée dans l'édit. Elle
présentait JC;s caractères suivants : 1u elle n'avait pas pour
but de faire prévJloir l'équi té ; 2u elle étai t perpétuelle et
péremptoim: 3° elle étai t rei cohœrens et populaire d'après
les Proculéiens ; 4° elle était Lransmissible aux héritiers
du donateur, à moins que celui-ci n'ait persévéré jusqu'à
sa mort dans la rnlonté de don ner ; ;;• elle entraînait l'absolution complète du défendeur ; 6" e116 pouvait être
conçue in (actwn.
L L'Exception de la l oi Ci11cia n'avait pas pom·
but de f'aire triompher l'équité. - Parmi les exception
les unes , les pins nombreuses. étaient fondées sur
l'équité. Elles étaienl donnée pour écarter une demande
qui, bien que conforme au droit. étai t cependant inique
et injuste à l'égard du défendeur . D'autres. au con traire ,
se rattachaient directement ou indirectement à des motifs
d'ordre public et i\ des considérations d'intérêt général.
San être nécessairement contraires à l'équité, elles pouvaien t cependan t la violer dans certain es de leurs applications. C'e t dans cette dernière catégorie qu'il faut ranger
l'exception legis Cinciœ. Son but était de venir au secour
du donateur et de lui permettre de faire tomber une donalion qui . parfaite selon les principes de l'ancien droit
�-- 62 ciYil , ne présentait pas aux yeux du législateur toutes les
aaran Lies de •incérité dé irabics.
~ De cetle première idée découlaient les conséquences
suivantes :
1° L'exception de la loi Cincia n'était pas ous-entendne dao les actions de bonne foi. Elle devait toujours
être insérée dans la formul e. Cette remarque paraît tout
d"abord sans importance pratique. li devai t être bien rare,
en efTel. que le donateur soit poursui\'i par une action de
ùe bonne foi on ait à en intenter une. Le contraire pou vai t cependan t e présenter quelque foi , s urlou ~ lorsque
l'exception se tran formait en réplique. Supposons, en effet,
qu'un bailleur ait fa it dOJtationis wusci remise à son locataire de la somme que celui-ci lui devait. A l'action locali
intentée par le donateur, h1 donataire répondait par l'exceptiopacti conventi qui était elle-même paralysée par la
replicatio leg is Cinciœ. Dans cette hypothèse la réplique
devait être contenue dans la formul e.
2' l'exceplio leg is Cinciœ ne pouvait pas être remplacée par celle de dol. Cette sub:,titution n'était possible
que dans les moyèns de défense tirés de l'équité où elle
présentait pour le défendeur des avantages et une utilité
incontestables.
-
65 -
écoulé ùepu i:> la clona Lion. l'exception n'en subsi Le pa •
moins, car le temps ne sau1·ait à loi seul corroborer une volonté qu e la loi con idère comme in complètcl et Jéfectueuse?
Remarquons toutefoi qu'il es t cer taines hypothèse, où le silencegarJé par le donateur pendant un laps de temps déterminéentraîncraiL pour lui la perte complète de son droit. Il
en serait ainsi notamment dans le ca où il aurai t laissé l'u sucapion s'accompli r au prnfit du donataire. Mais il n'y avait
pas là échec au principe ùe la perpéiuité de l'exception. ~en
lemen t les faits étaient tels qn ïl s ne se prêtaient pin au
fonct10nnement de ce moyen de défen·c. En même temps
qu'elle était perpétuelle. l'exception de la loi Cincia étail
également péremptoire.
Il faut rattacber ace double caractère les t:onséq uences
suivan tes :
'l° Le donateur qui. par erreur . arait ex.é~u Lé la promes~e
qu'il avait faite, pouvait , ainsi que nous !"avons déjà dit,
exercer la condictio indebili pour réclamer ce qu'i l avait
Jonné. Il était en effet de principe en ùrnit romain que
celui qui payait. quoiqu e protégé par un exception perpétuelle, conservait , s'il avait été 'ictime d'une erreur. un
droit de répétition : Qui exceptionem habel perpetuam so lutum per errorem repetere potesl (loi 40. 71r. de Gond
indeb.).
IL Elle ~tait 71erpétue/le et 7Jére111ptoire. - L'exception de
la loi Ciocia était perpétuelle. Ce cara~tère, qui appartenait
d'après Gai us (lV, § t 21) à tontes les exceptions fondées
sur ce qn'il y avait eu contravention à un e loi ou à un
sénatusconsulte, lui était formellement reconnu par le
paragraphe 266 Fra9. Vat. Qu' importe, en eITet, le délai
2° L'exception Je la loi Cincia paraly ai t compl ètement
le droit ùu don:lla ire et lui enlevait toute sa force. Con idcré comme inex istant. ce droi t ne pouvait par conséquent
plus désormais faire robjet J'u n pacte ùe constitut ni ervir de cause valable il une t:ompcn ·ation.
:5" ~! ème après la titis co11 teiilatifJ et tant que la sentence
�ük -
du juge n'était pas renJue. le donateur pom·ail'.. j l'e~cep·
tion avait été oubliée dan3 la fo rmole parce qu 11 en ignorait l'existence, obtenir une resliltLtio iu inteyrnm, ali11 de
baser sa défense snr ce moyen (Gaius IV. §. 125). 11 ne se
trouvait complètement désarmé qu'après la prononciation
du jugement. Toutefois même alor , il lui restait une
dernière ressource ; il pouvait opposer le bénéfice de compétence à. l'action j1ulicati du donataire et obtenir ainsi de
n'être condamné que dans la limite de ses faculté .
Ill. Elle ètait rei cohrereos et populaire d'après les P1·0c1deiens. - Les Institutes divisenl encore les exceptions en
exceptions 11ersonœ cohœrentes et exceptions rei. cohœrenles . Les premières n'appartenaien t qu'à celui en faveur
duquel elles avaient pris naissance. Les autres. au
contraire. profitaient à d'autres personnes et notam ment aux fidéjusseurs. L'exception Legis Cinciœ était
évidemment une de ces dernières. Nous voyons
en effe~. dans la loi 24 de Donat. Javolénus, quoique
appartenant a l'école Sabinieone qui restreignait la portée
de l'exception. l'accorder cependant au fidéjusseur qui
avait garanti la promesse du disposant; Ficlejussori ejus
qui donationis causu pewniam vel aliud quid 1n·omisit,
exceptio dari debet, etiam invita reo : ne forte reus solvendo non fuel'it, 7Jecu.11iam fidejussor amittat. Il faut, du
reste, étendre cette décision et l'appliquer dans tous les
cas ou un débiteur accessoire est venu s'engager à côté
du disposant et garantir l'exécution de la libéralilé, soit
en donnant un gage, soit en consentant une hypothèque.
Le texte de Javolénus et l'extension que nous lu i donnons
-
65 -
se justifient en effet par l'intérêt même du donateur, car
ainsi que le fait remarquer avec juste raison Justinien :
Quod a fidejiissoribus petitw" id ub ipso debitore peti videtur, quia 11ia.11dati j1tdicio redditurus est eis quocl ii pro eo
sol.verin t ('f. 4 de Replie. § 4). Par conséq uent, si l'ex~ep
tion ava it été refusée au fidéjusseur , le donateur aurait été
le premier à en souITrir, car le dona taire aurait toujours
pu en s'attaquant aux cautions et aux au tres débiteurs
accessoires, évi ter la probibition de la loi Cincia.
Un point également certain , c'est que le bénéfice de l'exception de\·ait appartenir aux ayants cause particuliers du
donateur. Celui -ci, en effet ne s'était point"'complètement
dépou illé de l'objet donné , puisqu'i l pouvait, grâce a la
loi Cincia, le conserver ou le faire rent rer dans son patrimoine. Rien ne s'opposait, par conséq uent, à ce qu'il cédât
ou transmi t les droits qui lui appartenaient a une antre
personne et permit à celle-ci de les exercer à sa place.
C'est ainsi, par exemple. que dans le cas où après avoir
mancipé do11ationis causa une res muncipi, sans en faire
la tradition , il l'aurait livrée soit à un acheteur soit aun
second donataire, ceux-ci pourraient opposer l'exception à
la revendi cation du donataire primitif.
Mais fallait-il étendre encore la portée de l 'exception~
C'était ce qu'enseignaient les Proculéiens qui la qualifiaient
de popttlaire (§. 266 Frag. Vat.) et l'accordaient à tous
ceux qui avaient intérêt à s'en prévaloir. Les Sabimens ,
au con traire, contestaien t cette doctrine en se fondant sur
ce que la loi avait en surtout en vue l'intérêt du donateur.
L'opinion de ces derniers finit vraisemblablement par
triompher. La règle posée par les Proculéiens était en effet
�-
fi ü -
heall coup lrnp large'. lntr.rpré lêc d'une fa co11 rigourcn:;c
cl absolue. clic aurai t en :raimi 11otamme11l ce lle con éqncncc qu e celoi qui s'êLait mi.; c11 po. :;cssion h lïnsn_du
di$pos:rn l d' nn l.Ji cn simpl ement mancipé au donata1rc ,
aurait pu repousser celui- ci par l'excop tion legis Ci11 ciœ'.
Or c'é Lait 1i1 un r~s u l tal tmp conlraire li. l'e~ p r iL de la 101
el à l'inten tion du don:itcur pour· pournir être admis.
!\us. i le jurisco nsulte Cel:;us. CJU1Ji411e Procnléien s'étai L-il
. épar~ de~ juri.consu ltes de son éco le et refusait -il au débiteur délégué do11atio nis causa le droit d'in voquer les
moyens Je défen. e ti rés lie la lui Cincia. Il es t pr0bablc
tl 'ailleur~ que l'npi nion de Procu léien. fn l défin ilivcmcn l
condamnée le jour où on admi t que le ·ilcnce ùn donateur jm>qu'à sa mort anrait pour clTet de re ndre la dona Ll on parfa i te ~' l'égard de ses héritiers.
JV. L'excr:plion de la loi Ci1icia. eu1il tra11smis1Jiu /e aux
/1éi'iliers du donatear. si et:/ 11 i- ci 11 'ava il pas 71er1Jéverd j usq 1t'à
.sa 111ort dans la voio11té de do1111 er. -- L'exception ùe la loi
Cincia ne s'éteignait p:i a l'origin e arec le do11alenr. Lui
mor t, elle pa,sait à. ses héri tiers. L'in térêt de la fami lle
n'arait point étè étranger à la prol1ibiti on de la loi et le tribun Ci n ciu~, toot en renant au ~cco n rs du donateur, s'était
égalemeul préoœupé de protéger ~es procbcs parents co ntre
des libéral ités incousillé1ées. li était juste p'.lr conséquent
de faire bénéficier les hérit iers des moyens de défense qni
ôtaien t accordés à leu r auteur .
f ar 1:1 suite t:cs principe:> ::c modiriùrcrit. Il pou rJit rn
fa ire en effet qu e le donateur· ail persévéré jusq1dt ~a
mort dan:> la YOl011 lé dl! donll er el 11\1il rew lè que par
égoïsme 011 néglig1•1m' il Pva11 l l'accorn plisscn1er1t cl <::; 11011-
-
67 - -
formalités nécessaires a)a perfection de la ?onatiori.
Pourquoi Jans ce cas empêcher de sortir ~1 e!Tet une libéralité que son aulenr avai t au con traire entendu maintenir?
C'est pou!' cela que l'empercnr Sérère décida que lorsque
le donateur serait mort sans avoir man ifesté' l'intention de
révoquer sa li bèralité, sos héritiers seraient repoussés par
une répl ique ou un e duplique cle dol, dans le cas où ils
invoqueraienl l'~xcep lion ùe la loi Ci ncia : Nam semper
\'Cll C •
e.cceptione Cincicc Ltli pot ait. ... secl et heres ejas, nisi forte
durcmte volanlale clecessit rlonalor : l1111c en im doli replicativnem /ocam habere imperalor 1t0.sler rescripsit in hœc
verba ... C§ 266 Frag. Vat.). Celle décision fut confir-
mée plr un rescrit ùes empereurs Dioclélien el Constantin qui l'orme le paragr:tphc ;) 12 ùes Frag . Vat. S11 ccessoi·iuus dunatoris pu/'ectwn do11atione111 revocare non per·1nillilttr , qULWL nnper/'eclam per.seuera ns volimtas per do li
mali replicalionein con(irmet. On considérait en effet qu'il
y avait dol ùe la p:irl ùes héritiers :1 se refuser à l'exé-
cution ùc la donation malgré la volon té persistante de
leur au teur. L'exception leyis Cinciœ ne cessait pas
cepcnùan l Je leur appar ten ir'. Elle ne devenait inutile
cl n'était paralysée pa1· la réplique ùe dol qu'autant que
le donataire parvenait à mon trer que le donateur anit
toujours entendu maintenir la ll bëralité. C'était en elTel à
lui , devenu demanùeur au point de vue de la réplique, à admi nistrer cette preuve et celte règle était d'autant
plus j nste que la présomption de changement de volonté
êtait bien naturell e quand il s'agi ~sai t d'une promesse de
donation à laquell e il n'avail pas été donné de suites do vivant du donateur .
�-
ti S -
La décijon f.onsacrée par les parngraphes 26G et 3 1'2
se trouve f•)rmulée cl'unc façun brèn~ el énergi cJ11 e 1lar
Papinien dans le pa ragraphe 259 en ces terme~ : M~ ,·~ e
. · remove t tt••.. Ci•, Le'·te
o!lre un e autre 1)arll cnlan1 c.
·'
Cmc1a
Il statue sur une hypoth è' e dans laqu ell e c'est par un e
duplique qnP, le donataire repousse les prélcnti ons des héritiers du donateur . \'oici l'espèce prévn e : une femme
en tutelle avait donné à un Latin san·s l'autorisalion de
son tnteur un fo nds tipendiaire et Lous le:; obj ets nécessaires à son exploitation. En cc qui concern e le fonds cl
les autres res nec maucipi, la tradi tion aYaiL sullî pour
parfaire la uonation. Mais il en était autremen t h l'égard
des esclaves et des :rn imanx qaœ collo vel clorso domantttr, qui n'avaient pas en core été usucapés. - Cc
détail nou permet de di re que la femme n'élait pas sou s
la tutelle légitime de ses agnats, car alors , aio, i que nous
l'apprend Gaius (Il § 1~7 ) . sesrcs 11w.ncipi n'<1uraient pas
pu être usuca pées et Pap!nien se place au con traire dans
l'hypothèse ou ces choses bien que suscepti bles d'usucapion en fait cependan t ne l'on t pas été . - Les hériti ers
de la femme revendiquent contre le donataire . Celu i-ri
répond par l' exception rei donatœ et tradilœ qui aurait
été infail liblernent paraiysée par la rcpliratio legis Ci11ciœ .
si le rescrit de l'em pereur Sé,·ère n'était \'enu au secours
du Latin en lui accordant une cluplicatio doli fond ée sur
ce que la fcrnœe avait persévéré jusqn'il sa mort dans la
volonté de donner.
La règle : Morle Ci11cia removctar n'a vail pas pou r effet
de transfo rm er la libérali té en une donation à cause de
mort. P<1pinien prend soin de nons le dirr, dans le para-
- - (j !) - -·
graphe 25 9 : Non c11 i1n morlis r.ausa capitm· latinus qtwd
aliter do11atu m est. Sa ns dou te ces deux sortes de libérali tés prP,sentaient certaines ressemVances. Elles étaien t
tou tes deux parfa ites au décès du donateur et rérncables
par son repen ti r. Mais i1 côté de ces ressemblances il est
bun de signa ler des ùiITérenccs essentielles. La donati on
co ntraire à la loi Cin cia pouvait deveni r parfaite avant
la mort rlu ùona teur par l'accom plissement des formalités
requises pour sa perfection. Elle n'était point révoquée par
le prédécès du donataire et profitait dans ce cas à ses héritiers. li fallait donc lui appliquer les règles qui régisaient les donations entre-vifs ordi naires et non point
celles des donation à can e de mor t. 11 en résu Ile :
1° Que le donataire ne sera pas tenu d'avoir le J· us w Jlic11cli. Le paragra phe 259 fa it un e application de ce principe en permettant au Latin qu i est cependant priYé du
j us capiendi d'in voquer la rügle: .4/ortc Cincia l'emovctur .
2" Que la donation ne sera pas soum i e à la réd uction
prescrite par la loi Falc idia etc. etc.
Les di i'positions contenues dans les paragraphes 26 6 et
3 12. ( Frag. Vat) ne s'appliquaient pas aux libéralités qu'n o
paler/'amilins fa isa it à ses en fant en puissance. Il ne suffisa it pas dans ce cas que le père ait mani festé jusqu'à sa mort
l'intention de mainteni r la libéralité, il fallait encore qu'il
l'eût expre sémcnt confi rmée par testament. Sinon les objets
donn és étaient compris dans la masse commune et partagés
entre chacun <.l es héritiers. C'est ce que nous iodique Papini en dans le parngraphe 2H/i.: Quod pncer filin:, q11a111 hnbuit
�-- 70 -
-
ac retimâl in potestatc. clunavil, q1wm cam do11atio11cm lf'sla-
me11to non confirmasse/. filiœ 11 0 11 es.~e ri•spondi. Une pareille donation ne pouvai!. même pa,, après la mo1·t du père
servir de juste cause pour l"nsucapion (§ 2%).
Toutefois la doctrine do Papinicn n'a vait pa$ été <1Jmisc .
même à l'époque classique.d'une fa t;on :ibsoluc. Paul moins
sérère professait une théorie tonte di lTérente (SeHL . V . 1.
11. § 3). Pater si filio{o 1111/ias aliqiticl do11averit, et in ra
voluntate decrsseril, morte pair is donal io con vales cil. So n
opinion ful consacrée ail Ill° _ièclc par de rC$CriL: impériaux qui assimilèrent ~1 peu p1 ès complètement les donations faites par un père de fami ll e à es en fan ts aux lil.Jér:ililés ordinaires (L, 2. C. dt' i110ff. Donal. - Frag . Vat.
§ ~7 4, 280, 281). Dés1)rm::i is I ~ ' il e1H:e dn père jusqu 'à
sa mort fut reconnu suITisant pour parfaire la donation et
les biens qui y élaienl compris duren t être adjugé ho1'$
part au donataire par le juge de l' acti on (amiliœ ercisra11 dœ. Toutefois les em pereurs Dioclé tie11 et Constanli11 apportèrent un Lem pé1 ame11 l et décideren l ~u e la lil>èr:ilite
ne devait pas dépasser le Laux fixé par la loi Falcid ia.
si non elle serait réduile dans la mesure Y1Ju lue (Frag. Vat.
§ 28 1).
V. l 'exception de la lui Ci11àa 1•11lnd1wil l'of1:svl 1•tivu
com1Jlèle du clr;{t 11cle11r. - L'eHeplion fa i:-ail·cl lc Lonibcr la
donation tout cnlierc ou biui au contr:iirc la laissa i!-cl lc
suts1sler pour pa rtie cri rie permettant an don:i lcur qu e de
retenir ou réclamer c0 qu i cx1·ürJail le 111otf11s /t gi:;? Celte
derni ère solution aYail 1;lé ndniisc clans :c dr·r nier état dn
droil en cc qui co ncerne lïnsi1111;di u11. L'1·mi ssion cle
1
1
71 -
cel le foi mali lé ('mpurtail de plei11 droil la nullité de la
dnnaLion mais seulement pour cc qui était supérieur à la
somme de deux cents ou cinq cents solides, suivant l'époque à Jaq11 cllc on se pl:1ce. Il pOO\'a il même y arnir en tre
le donalcnr et le donataire une ind ivision dont Justini en a
ilèlerminé les con éqnenccs dan l:l loi 3!.1- C. de Donat.
~l a i tout autre fut la rèi.d e admise sous rempire de la
loi Cincia. La dona tion lombanl par l'elTet de l'exception
dcrnit tomber tout entière et cc que le ùisposanl pouvait
réclamer ou retenir , c'ét'.lil la totalité même Jes objets
donnés. Celle ~uluti o n paraît contredite par la loi :2 1 paragraphe 1 . de Douat . qu e nous avons analysée plus haut et
1hns laquell e Celsus ne donne une aclion au ùonateur que
pour ce qui cxcP.cl~ le taux léga l. ~lais ce texte a été éricl cm men t i11te1polé sous .ln. tinien. JI e trouve, en eITet, en
co ntrad icti on complète :i rec ci eux décisions de Paul que les
compi lateurs de. Panù ectrs ont om is de ~o rriger les paragraphes 2 et 5 de la loi ~ de Dol. Mal . et il/et. Except.
Dans le premier de ces tex tes le juri consulte suppose une
donation porl<1 nt sur nn fond · italiq ue qni a été seul ement
m<1ncipé. Po Lérieuremen t le ùonatairc entre en pos_e__ iou
de l'immeul>Jc el\ élère des construction an YU et au su
clu donateur . Pui , ces con, trn ctions aclm·ées, la possession retourne entre le· mains de ce dernier. A la reYencli catinn du donataire, celoi-ci nppo. e \'exception de la loi
Cineia qui assurerait ccrlainement son tri omphe. , i clic ne
se Lrnuvail paralysée par une répliqu e de dol fondée . ur
cc qu 'il a appronvé les cl · penses !'ailes. puisqu 'il ne les a
pas t>tnpê~h ùcs. et sur cc qu'il rè:'11 : : 1' en même temps d'en
reml>o11r ·c1· le montant. Il résulte de fa que le lli::posanl
�-- 72 -
aurait pu, en indemnisant le demandeur, rntenir l'intégralité de la valeur donnée. Un argument semblable peut
être tiré du paragraphe 5 de la même loi qui accorde une
action rescisoire au donateur dans le cas de délégation ,
action qui n'est point limitée seulement à ce qui dépasse
Je 111odus, mais qui lui permet de répéter absolument
tout ce qu'il a donné. On peut encore invoquer à l'appui
de ce système les paragraphes 266 et 295 (Frag. Vat.)qui
contiennent des décisions analogues. Il est donc incontestable que l'exception de la loi Cincia entrainait l'absolul1on complète d_u défendeur. C'est là d'ailleurs un résul La l
parfaitement rationnel. Le législateur attachant la cer titud e
d'une intention bien réfléchie de donner à l'emploi de certaines formes, il serait bizarre, qu'en l'absence de ces formalités, on tînt la volonté du donateur comme certaine
pour partie et incertaine pour le surplus.
APPENDICE
B11t et
~a1•nctère
de IR 1,01 CluelR
Il nous reste pour terminer le travail que nous avons
consacré à la loi Cinr,ia à preodre parti sur deHx questions cootroversées dont nous avons renvoyé l'examen à. la
fin de celte étüde, parce qu'il nous a paru nécessaire pour
les résoudre de con naîlre à fond certaines disposition de
la loi. Elles portent sur le poi al de savoir : 1° si la loi
Cincia fut inspirée par des considérations d'un ordre politique ; 2° si elle était véritablement prohibitive.
1. la foi Cincia eut-elle un but 11olitiquc? -- Les restric-
VI. L'exception de la loi Cincia 71oiivait être conçue in
factum.-Le paragraphe 510 (Frag . 1i11t.) nous présente Je
donateur comme pouvant invoquer tantôt l'exception lcgis
Cinciœ. tantôt une exception in fa ctum. Il est probable
que cette dernière lui était donnée lorsq ue le donataire
sans nier que l'objet fût sopérienr au Laux légal, prétendait l'avoir reçu non pas dunationis causa. mais à un autre
Litre. Dans ce cas l'exception était aio. i rédigée : Si 11on
donationis causa mancipavi vel1Jromisi me daturum , et si
elle était reconnue juste elle assurait le triomphe du défendeur sur le fonds même du procès.
tions qu e le plébiscite du tribun Cincius apporta à la libre
faculté de donner avaien t un double bul. Elles protégeaient
le donatenr con tre des entrainements irréfléchis el sa famille
contre des libéralités propres à déplacer les patrimoines.
~J a is était-cc ià tout l'esprit de la loi ? N'avait-elle pas élé
également inspirée par d'autre motifs? M. Laferrière a
co nsacré dans son Histoire du Droit français (T. l. appendice Ill) llne ltrngue et a\'an te dissertation à établir que
l'intérêt politique n'était point étranger à la prohibition de
la loi .• La pensée politique du tribun . dit-il , pouvait être
d'empêcher les patriciens. les citoyens riches. d~ faire pa. . er, par leurs largesses intere~sées . des cltents, des
citoyens pauvres mais considéré , des centuries d'uue classe
�-
ï /i. -
1nférieurc dans une d 11:-sc upèrieu1 c, oil ils ponv:1 ient
avoir une parL pl us effi cace aux \'Otes des comice~, aux
èlertions des milgi ·trals. aux jngcmenls en matière ca pitale. el s' unir rlu.s élroilerncnl <Il l.X inlûrêls de l'ari· to. cra tie. On s:iil qu 'un e d ~s conditions au:iehées au polronage étail que l e~ clien t dc1·a icnl appll yer les patro n · de
leur. suffrages Jans le:' colll ice.s. A Rome Lou t se réJ u i ~ail
aux comices el a l'action qui 'exerçai t sn1· les suffra ges. , .
La loi Cincia rnulu L pré1•e11ir une infi ncnce qui avait quelque cho e d'hnoorable et qui m~ pou1·ait être réprim ée
co mme 0 11 ùélit. Dans le. nourernern enls libres on vo it
ou\'ent le3 ri ches chercher. ü l'aide de leur· fortune, à :111gml!il ler le nombre des èleclenrs h l'arpui de lenr opinion
ou de leur candida ture. »
Ce sys lème. malgré tout le l:i lcn t et Lou le la science d.;_
ployès par M. Laferrière , pour le so utenir est auj ourd'!Jui
un i1•ersellement repou sé et a\'ec juslc raison selon no11s.
C'est une err eur, à no tre a1·i . de croire qu e le tribu n
Cinci us fu t délerminé pa r de con iu ér:iti ons politiqu es à
présen ter le second che f de sa loi. Il n'eut d'a utre bct que
de fa ire eesser un état de cho::.es fâcheux et de prému nir le
donateur con lre ce1Lains danger!:> que prérnn1ait pour lui
la li berté absolue de donner qui lui appartenai l ~ l'origine.
Il nou suffi ra pour le dému111rer ùe refnt er les argument
in roq nés par l'opi 111011 contraire.
~1 Laferr ière ~c fo nde rl'al101 d ~ur le carnctèrc pnpulairc ùe l'exce ption de la loi Cincia. Pou1 qu oi, dit-il , pcr1~ellre ainsi à tout citoyeu d'agir. ~1 0011 p3rcc que tou t
citoyen ar:iiL intérêt a. assurer l'cxéw li()n du plébisci te? Cette première co11sidéra ti ori Psl lui11 d'ôtre dtilerm inante.
-- 75 -
ll e't bonde rappeler, en elîet. que les jurisconsultes romains
n'étaient pas d'accord u1· la porlée à attribuer aux moyens
Lie défense Lirés de la loi Cincia. Les Sabioi ens combaltaient avec énergie sur ce poinL la doctrine des Procnléicns
et rofusaien l de considérer l'exception comm e 1Jop ttlaris.
Celsus lui-même se séparait de l'opinion de son école et
cette circonstance nous a permis de conclnrc que celle opinion avai t fi ni par être repoussée.
Une seconde l(Jreuve :;e tire du changement qui s'opérai t au décès ùu donateur. L'ex ceplion ne passait poin t
à l'hériti er , :,i le Ji posant aYa il persë1·éré dans sa
volonté de donner jusqu'à son décès. S' il en était ain i,
ùit-on, c'est que l'intérêt poli tique du donateur ne pourni l
pl u ex i ter ; en politique et en matière de suffrage la
mort termine loul: M<·rs 011111ia solvit. - - Ce raisonnement
pourrait être pris r n consiciéra tion si la règle: Morte Cincia rcmovclttr :.ivail cxislê ùès l'origine. Noos arons E'tabli au contraire qu'elle n'al'ail étè admise qu n bien :i près
le votë cl u plébi -cile et dénniti1·emenl consa~rée que par
u11 rescrit de l'empereur Alexandre Sérère . L'argument
par con·équenl ne s:iurail por ter.
Une tr0i 1ème preuve, ajoute-t-on enfin . e l fournie par
les dispositi ons ùe la loi qui n'apportait aucune reslril'tion
aux donations de bien • ituês dan ' les proYi nces. Cela
tenail à cc que les terres de l'agcr ronwm1s et do l at'.um
fi gur:.iicn l seules dan le cens du citoyen el à ce q.ue les bien.
prc11·inciaux ne $errnicn t p:is au t"1 ux des c.enl.un:s. ~ Eslce bien 1~1 Io mot if pour lequel les ùonal1ons d rmincub\cs
ll('C 111 r111cipi echappèronl :\ l'applic:ition de la !oi. Cincia ~
Il est permi tl 'eo do11 Lcr. A nolro a1·is. j r,e.s biens rbs-
�-
76
tèren t en dehors des prèvision de la loi , c'est qu 'ils s'étaient con idèrés encore au VI• siècle de la fo ndation de
Rome comme n'aJant qu'une \'aleur bien restreinte et ne
formant qu'une partie secondaire de la for tune el du
pa tri moioe des ci toyens. 011 ne crut clone pas nécessaire
en ce qni les concernait de limiter le droit de disposition
du donateur. D'ailleurs, en qnoi le tri bun Cincius aurai t-il
pu modifier sur ce poinL le principe' du droit antérieur
et qnelles nonvel les forma lités <rnr:ii t-il pu ex iger . puisqu e
la mancipation était inapplicable aux res nec 111a11cipi et
que l'in jurr ressio ne pouvait nen ajo uter aux effet' uéjà
prod uits par la trad ition ?
S'il e' t donc. è\'ident qne le premi er cner de la loi Cincia pour·ui,·aiL nn !:lut éminemmen t pol iti que, il e, t non
moins certain que dans la seconde di position de ce pl.;biscit.e le légi lateur n'avait eu en vue que l'intérêt cl n
donateur et de sa fa mill e. Il aurait été, en efTeL, pour le
moin ex traordinaire qu'une même loi ai t chercl1ë tout à
la foi à mellre un fr ein ;i la cupid ité de. patriciens et à
modérer len r générosité
li . La loi Ciu cia pt·oftibait-ellc rt!elfeme11l les donations
Nous l'arnn · admi:; jusqu'ici dans le cours
de- dève loppemeots qui précedent . Nous avons co 11sidéré
le plèbi ·ci le comme défe:ida nt cle fai l'e des don aLions au
ei:ag~rées? -
delà du taux fixé. arer celle réserve tou tPfois que la prohibition 11'a llait pas ju qu'à détruire compl ètement l'opération jn l'idique intervenu e. Ce caractère particulier de
la loi est indiqué par un texte d'Ulpien le paragraphe 1
de es Regulœ : Prohiber, e.tcrptis qtûbtmlam to,qnatis , et si
ii
e'l J, rs de d Ult' fllle
i:ellc lléci:ion ~:appliqu:lil réellement ·t b. 1 1 Cinôa. ce
qui ressort d'une p:irt Je lïn licati"n ~run llux th~ p ur
les donations quand elles ne ~·adr\!$:: i.:nt p..ts. à des · r ·ouœ e.rceptœ, el d'au l re parl de t:etle circon ·tance. c'e~l
qu·:1 l'ëpoque où ècri,all Clpieo il n'y avait aucune lUlrt
l0i qui fùl applicable aux. hbèraltt~ t'nlre-rifs. Le jun::.consulte attribue au plébisctlc dè Ci ociu . tlime-1lt~ un
caractère prohibitif. mai· il constate en m1>me lemrs lUÏI
n'accordait au J1:po' :lnt aucune action ponr rep. en1ire
ce quïl a,·a1t donné CüOlrairement :rnx prt!~c11plll ns
légales. C'etait fa préei·ément ce 4ui dbtin~uait la Ili
('iocia Cl Ce qui J'aYait fait appeler lu imper{t·cla p:u les
ju1 isNnsultes romains. Tou te 'a sanction con.i·tait 1\ rnellre
par la cooces ·ion d'une exception le donateur à l'abri iles
coo. ëquences règu li ères 11'0 ne mancipation et d'une promesse qui auraient • ~1ffi primitirement ponr le dépouiller
cl'uoe façon irrérncable. •~lais n'ètait-ce pa.~ a:~ez pour
~Ire autorisé à considérer comme pMh1béc la maneipalion
ou la promesse interrenue do11atio11is cattsn! Yoifa des acte·
dooL le buL ordinaire est d'inre' lir l'acquéreur de la faculté utile de rereDdiquer ou de lui procurer une obli gation sé1 icuse pouvant aboutir à une condamnation. Que
cc' acte· soien t fait do11amli causa, iL resteront irnpui:san ls el dépournis ùe la valeur qui leur appartient en
principe. Nul incon\'énient dès lors~ ùire qu'il son t pïoliibè' par la loi Ciocia. pui ' qu'elle les rend inoffensifs l\
l'encontre de celui tic qui il émanent.• ( 1)
Jl/rh cfo11<1l11111
;,Il, llOtl rt:>CÏllt/ÏC. (l
( 1) '.llachelonJ. Ob~ . sur la loi Ci11ci11. n 9.
�-
7~
-
Plnsieurs auteurs ·~epeo<lant admetlent un système
contraire. IY ~rès enx la lni Cincia ne proh ibait pas les
donation supérienres au taux qu 'e lle avait fixé. pnisque
en définitire , en aci::ornplissant cerLain es formalit és il élail
t11ujours possible de cij)nner i11 i11/inilwn . Elle avait simplement vou lu en rendre la perfecti on plus rlirficil e et prévenir des entraînements irré11échis. Elle n'av<tit cherché
qu'à an1rer la liberté Ju donateu r. pen ant qn'il était
inutile d'interdire les libéralités co n idérables • qnand la
généro'ité de l'homme trnnrc 11n frein , i na ln re l et si sùr
dans la prévoyance de chacnn el dans l'égoï me du grand
nombre . • Admellre le con lrnire. cc serait prèler au législateur une incon éqnence el une con tradiction, car ce serait tout à la fois lui faire permettre el prnhiber le- donation nitra molfom. pu isqu'il ne donnait an donateu r
au1~une actio11 pour le, faire tomber. Du res te. ajoutet'on, i les dispositions de la loi Cincia a\'àicnt réellement un caractère prohibitir, pourquoi le di~posant n'a''aiL-il pas touj ours u11 e condictio ex injusta cattsa pour
reprendre les valeurs acq ui ~es au donataire? Comment la
donation ultra modwn pouvait-el le ervir de jusla causa
pour l'usucapion? Comment le. Sahiniens avaient-ils pu
con tester le caractère populaire de l'exception Legis Cinciœ?
Comlllenl expliquer la règle morte Cincia rcmovetur, car
assurémen~ on ne triomphe pas d'une prohibition légale
par la persistance à la violer? Qnant au texte d'Ulpien il
est assez difficil e de bien en la déterminer valeur. C'est 1111
lambeau de phrase mu tilé qui ne peul servir de base à un
système juridique, alors surtout que l'on ignore ce qui
--- 79 -
précéùai t cl qne le nom de la loi Cincia n'y e:>t pas mèmc
prononcé. ( 1)
Nons. avons cléj;t ind iqué le:; moLirs pour lesquels nous
pensons qu e le paragraphe 1 des flef111lœ s'appliquait bien
à la loi Cincia. Il ne nou· res te p\0:1 q11'à examiner les
objections élevées par les pat'li 'ans do , ystème que non~
venons d'expo~ er ; en montrant qu'elles son t peu fondéeg
nou for tifierons par cela même l'opinion à laqnclle nous
nous sommes 1al lié.
A. li est impos ibleqnc l:t loiCinciaait prohibé le· dona -
tions exce ives pui que ces ùonations pouv;iient . enir de
jn le eau e pour l':isucapion el que le donateur n'arait pa
de condictio c.r i11j11sl<' Clwsa pour les faire tomber. -C'Pst là an contraire, d'api ès nous, ce qni caractéri ail la
loi Cin cia et cc qui b diITérenciait de la plupart des lois de
celle époque. Elle ne contenait pas de clause absolument
ir ritante, elle ne pn>nonp it pa. la nullité des libéralité,
f:iiles en violation ùc ses di po il ion~: le législateur a,·ait
recu lé rleva nt nn pareil ré ult:it. Mai · elle e bornait à
fo urni r :rn Jonalenr un moyen de rcponsser l'aclion q11 i
déroulait des actes quïl venail d'accomplir . Celle 5anction
parfois i11efficace j1Llifiail celle qualification de /ex impurcta que lui arail donnée Ulpien el que l'on ne pourrail
1'xplicp1 er sans cela.
n.
Si l:t loi Cincia etail véritablement prohibitl\'e, comment expliquer que les ~abin i ens aien t mème songé à con tester le caractère popu laire de l'l'xceptio ler1i~ Ci11 ciœ? 11) Acro ri11~. TJ1·n1I ro111n111, T. 1, p. 71~ nolt• 3
�-
80 -
L'objeclion n'est rien moins qu e co ncluante. Le tribun Ci~
cius avail eu surtoul en vue l'intérêt du donateur. Il était
par conséqueol tout naturel de voir certains jurisço o~ ult.es
reslreindre la portée de l'exceplion et ne pas accorder 10d1fféremment à toute personne intèressée Io droit de s'en prévaloir .
C.Comment expliquer la règle: /tforte Cincia reinouetur?L'explication oous parait toute naturelle. Cette règle ne fut
pas posée el établie par les auteurs de la loi; elle fut même
tout d'abord admise avec difficulté et ne fut définilivement
consacrée que par l'empereur Alexandre Sévère. Par con·
séquent à l'époque où fut voté le plébiscite. l'objection
n'avait aucune portée. Quoi d'étünnant d'ail leurs à ce
qu'une loi qui ne s'était préoccupée qu e de l'intérêt du donateur n'ait pas étendu à ses héritiers ses dispositions protectrices~ Il aurait été au contraire injuste de faire bénéficier
ces derniers de l'exceptio Legis Cinciœ quand leur auteur
avait persévéré jusqu'à sa mort dans la volon té de donner.
Nous concluons de tout ceci qu e la loi Cincia prohibait
réellement les donations ultra ?nodmn. mais que sa prohibition n'allait pas jusqu'à annuler ces libéralités. C'était
donc en même temps une loi imparfait e comme le sénatusconsulte Velleien qui n'opérait également que par voie d'exception et dont ou disait cependant que totam obligationem
im7Jrobat .
Le second chef de la loi Cincia n'eut pas une destinée
bien longue. Aucune loi ne vint sans doute en prononcer
l'a.brogation , mais il tomba sous le poids de ses imperfections chaque jour constatées. Chemin faisant nous avons signalé la plupart de ces imperfections. Nous avons montré
-
81 -
qu e le système du tribun Cincius manquait complètement
d'unité et de logique. Les mesures imaginées pour empêc-.her les donations excessives opéraient de la manière la
plus inégale et tan tôt ùépassaient le but que l'on s'était
proposé. tantôt ne l'atteignaien t même pas. Le donateur ne se trouvait presque jamais secouru d'une façon utile
sauf peut·être dans le cas où il s'était engagé par voie de
promesse envers le donataire; il était toujours au contraire
protégé ou insuffisamment ou d'une façon trop efficace. Cela
explique le peu de fayeur dont jouit à Rome la loi Cincia et
la prom pte désuétude dans laquelle elle ne tarda pas à
tomber. Elle subsistait cependan t encore du temps d& Dio·
clétien ( Frag . Vat. 293, 5 15) ; nous en trouvons même des
traces dans les lois 1 , 2. 4, J , i ( C. Théod. de Donal.) Elle
dùt vraisemblablemen t disparaître le jour où l'insinuation
prit naissance et fut exigée par les empereurs pour la perfection des donati ons.
�ANCIEN DROI1
1
DE LA RÈGLE DONNERET RETENIR NR VA UT
Dans la dernihre période cle notre droit coutumier, la
règle: Donner et retenir ne vaut avait une double signification. «C'est donner et reten ir, disait l'article 27!~ de la
Coutume de Paris. quand le ùonateur s'est réservé la
puissance de ùisposer librement de la chose par lui donnée
on qu'il demeure en possession jusqu'a son décès. • Deux
con ditions étaient donc exi gées pa1· la maxime pour la validité des donations entre-vi fs, d'une part la tradition de la
chose donnée, de l'autn~ lïrré\·ocabilité de la disposition.
Un grand nombre de C1)utume· étaient sur ce point
conformes a ce110 de Paris et ratlachaient comme elle ces
deux. conditions! à la même règle. Cit ons les Coutumes
d'Auvergne (ch. U, art. 18-25): d'Orléans (arl. 285) :
d'Auxerre (art. 2 17); do Sens (arl. 108 et 115): de
Clermont (art. 127); de Melun (art. 250): du Nivernais
(chap, 27, art. 2); de Normandie (art. 23 1). D'autres.
�- · 84
au cnnlraire. parmi lesquelles les Coutumes de Péronne ,
Montdidier el Roye (art . 1OD ); d~ Senli s (arl. 2 11); du
Berry(t. vu. art. 1-4); de Mantes(art.150);d'Etampes
(art. 146), etc .. ne parlaient que de la nécessité de la
tradition. Toutefois, même sous l'empire de ces Cou tumes.
Je principe de \'irrévoca bilité des donations était admis. 11
était sou -entendu , pour ain i dire. et les commentateurs.
comblan t les lacunes el les oubli qui avaient pu se glisser
dans les textes. étaient arrivés à établir parlout une législation uniforme. C'est ain. i. par exempl e. que Claude le
Caron disait sur la Coutume <le Péronne (art. ; 09 , n. 8) :
• Si le donateur réser\'e la fa culté de pouvoi r ,·encire en
cas de nécessité et si traclita ( 11erit 1>ossessio, la donation
ne van t. »
A l'inverse. la Cou tum e dn Bourbonnais (art. 212 et
2 t 5) se contentait de prohiber les conditions potestatives
de la part <ln donateur et n'ex igeait pas en termes formels
du moins la tradition. Mais Auroux des Pommiers . dans
soo Commen tail'e avait réparé celle omission et enseignait
qu'il fallail au moins une tradi tion feinte on par éq uipollenl . On peut donc dire qtrn la max im e: Donner el retenir
ne vaut, avai t, dans toutes les Cou tumes, le même sens et
la même portée ( 1).
Les deux. conditions requi ses par l'article 27 4 de la
Coutume de Paris n'ont pas une origine également an( Il Ricard {lomo 1, n• 898) a rapproché, dan~ une même coni munauLé
d'expressions . les deux parli<>s tle ln r~itle . Pou r rendre Io donation
valable. di~-1 1, il faut qu' il !J o i l trad1t io11 de dr o1l et tradition de {ail. Ces
d11ux ex.pressions, consacrées au jourd' hui par l' usage, ne SA relrou1•e111
pas, sans dou le, dans les nnciens nulcurs . Mais elles ont l'uvan lage tle
r('Sume r sou$ une forme brève et co ncise une ri·gle ro mple~ c. Nous nt'
erons aucu ne diflicollê de lt'S <' mploye r dAns la suite rl<' cell<' l'lude.
1
8~
-
cienne .. La tradition de fa it fut d'abord seule nécessaire el
la maxime : Donner el reten ir ne vaut pouvai t, au début,
se rés umer dans cet adage qu e nous trouvons dans le
livre des Assises ùe la Cour des BoDrgeois: u Don ne vau t
sans la saisine de la chose. » Il suffi rait , pour le démontrer, ùe cette simple remarque c'est que la première rédaction de la plupart des Coutumes ( 1) ne faisait aucune
mention du principe de \'irrévocabilité. Si nous nous reportons égalemen t aux recueils ùe droit féodal antérieurs
an XVI• siècle. nou ne trou,·ons indiquée qu'une chose,
c'est la nécessité pour le donateur de se dépouiller immédiatement de la propriété de l'objet donné. Les Coutumes de Champagne réoigées en 1224 ex igent, dans
leur article 4'"· qne l'homme ou la femme qlli donnent à
un autre nne maison ou un héritage • li quittent et li
donnent quanq ues il li ont. et toutes voies li devesteres
retient et en demeure saisis, sans ce qu'il en paie loier,
oe nulle redevance acelui à qui au ra fait li don, li don oe
vaudra rien contre loir dou mort, pour ce que pa1· droi t
commun et par Coutume de Champagne, donners el retenir ne vaut riens. • Nous arnns cité de prèférence ce passage, parce qu'il contien t la for mule même qui passa pins
tard dans la rédaction des CouLUmes. Les assises de Jérusalem, du reste. n'étaient pa moins explicites. Dans leur
chapi tre l it.!~, elles prérnient l'hypothèse où la d.onati~n a
pour objet une ferme et décid ent que le donataire n aura
aucun droit, s'il n'a le tenure de ce t~e ferme, parce _que,
disen t-elles, • le don qu'il (le donê\teur) en aura fait en
( 1) Pa ris (art. 160 ot ~ 6 1 ), Sens (orl. 95 ~l 101); Au ~~rr e (ort. t O l ;
Orlél\ns (art. 2t'!), elc.
�-
86 -
dit ne sera valabl e ne establo. parce que n'anra esté que
prouméce; car le don n'au ra esté qne en dit el non en
fait; que ce don n'est p:is parfait qni n'est en fait qu e en
di l sans fait. 11
Il ne faudrait cepen dant pas croire qu'à cet~o époqu e
!'irrévocabilité n'é tait µas ex igée clans les donations. Senlement, Je principe n'était pas en tendu avec la ri gueur
que lui donna plus tard la législation cou tumi ère et qu'il a
conservée sous l'empire de notre Code ri ,•il . Les libéralités,
une foi fait es et exécutées, étaient irrévocables, com me
tous les autres contrats , en vertu de cette règle posée par
Beau manoir (chap. xxx1v. n• 3) . « Toutes conrenences
sont à tenir et por cc di t-on : convenence loi vaint. n
Mais celte irrévocabilité n'étai t pas co n~ id erée Go mme tellement essentielle qu'il ne fùt pas permis d'y déroger par une
convention spéciale. L'abrégé du livre des Assises de la
Cour des Bourgeois permet an co ntra ire aux parties, dans
un cas parLiculier, de faire nne donation sous des conditions potestati ves de la part du donateur : ,, Je donc mon
héritage à toi! à mon rapiau, par enci qu e toute les fo i
qu'il me plaira, je le puisse rapelor le don qu e je li fais
doudit héritage. - Et saché qu o cegte manière de don .i
vaut tant corne celi que li aura doné Je rapele ( 1). »
Ce n'est guère que rer le commencemci1t du XV!•
siècle, à l'époque de la rédaction des Coutumes, que nou.
voyons rattacher pour la première fo is le principe de !'irrévocabilité à la maxime: Donner et retenil' ne raut. Il est
alors considéré comme de l'essence même des donations
( 1) 1" partie (ch. 3J).
-
87 -
et toute clause qui aurait poul' bnt d'y porter atteinte est
sévèrement prohibée. Une fois admise. celle partie de la
règle ne tarda pas à acquérir une importance de plus en
plus grande au détrimen t de l'an tre qui tendait au con·
traire à disparaître et perdait chaque jour de la force
qu 'elle avai t eue tout d'abord. Tandis, en elTet, qu'à l'origine on exigeait une tradition rigoureuse el de fait, la
plupart des Coutumes se content ent par la suite d'une tradition feinte. Plus tard , enfin. la simple convention de
donner est recùnmrn suffisante ponr obliger le donateur
qui pouvait être contraint par le donataire à délivrer les
choses données. A l'inverse, lïrrérocabilité est toujours
exigée avec la même rigueur; le temps n'a jamais apporté
ùe modifications à celte l'ègle qui subsiste encore dans notre
Code civil avec toute la sél'érité qu'elle avait au début.
En terminant ce rapide aperçu. il est bon de faire remarquer. avec M. Albert Desjardins, qu'il n'existait pas
seulement une di!Térence entre les deux applications de la
maxime, mai qu'il y avait eutre elles une contradiction
formelle. • L'une. en effet, tend à rendre la donation t:ntièl'ement irrévocable ; par l'elîel de l'autre. celle même
donati on, dépourvue de tonte force, esl laissée en la main
du donateur qui peul, li son gl'é, la rendre efficace ou
inutile, selon qu'il accorde ou refuse la tradition ( 1). •
Nous étncli erons d'abord succes_i vem en l chacune des
deux parties de la règle; oou rechercherons ensuite quelle
ru t sa véritable origine ; nous verrons enfin ce qu'elle
devint sous l'empire de l'ordonnance de 1731 .
( 1)
Revue rrit iq11c, l. xxx111. P· ~ 1 5
�-
88 -
CHAPITHE l..
De la nécessité de la Tradition
La convention de donn er ne transférait pas de plein
droit la propriété dans notre ancienne jurisprudence pas
plus que dans le droit romain . Il fallait, pour opérer celle
translation, avoir recours à la trad ition. D'Argentré
(art. 228 de la Coutume de Bretagne) fo ndait la nécessité
du dessaisissement actuel dn donateur sur un double
motif : sur la présomption qu 'il y avait repentir de sa
part, et que la donation pouvait cacher un acte simu lé.
Ricard exprimait une idée analogue: "Elle (la tradition)
fait comme le sceau et la vérification de la donati on . afin
qu'il paraisse qu'elle a été faite sincèrement et sans dissimulation ( t ) . »
Le simple pacte de donation était, à l'origine. également impuissant par lui-même à obliger le donateur. «Il
n'y avait pas, dit Laurière, de donation sans traditi on actuelle; la donation n'était alors qu'une libéralité et non
un contrat, parce qu e. quand elle était acceptée. tout
étant consommé sur le champ et à l'heure même, il r.'en
résultait aucune obligation civile, ni par conséqu ent aucune action (2). » li est vrai que, dès la fin du XIII•
-
89 -
siècle, Beaumanoir semble admettre une opinion contraire
et écrit " qu'on ne peut faire la révocaLiou que des dons
que l'on fait dans un testament, et que quant à ceux. faits
dans one autre forme. il les convien t remplir ( 1). • Mais
Beanmanoir était évidemment en avant de son siècle et
n'exprimaiL pas le droit de son temps en déclarant la promesse de donner obligatoire. li ne faisait que formuler à
l'avance unerègle qui ne fut définitivement consacrée que
beaucoup plus tard .
La tradition exigée devait être. dans le début, réelle et
elîectirn. Le donateur devai t se dépouiller complètement
et transférer réellement. avec la propriété, la possession de
la. chose don née, témoignaut par là de sa rnlonté bien arrêtée de gratifier le donataire. puisqu'il le préférait à lui même. C'éLait déjà ce qu'exigeaient les Capitulaires de
Charlemagne : Si quis 1·es m as citilibet Lradere volrt-eril,
legitùnmn traditio11cm {acure studeaL et 7iost.qriam hœc ~r~
ditio ita {acta f'uerit, luei·es illius rwllam de 7Jrœd1clis
rebus valeat {acerc repetitioncm (2). Il est incontestable
que notre ancienne jurisprudence reproduisit les mê~es
prescriptions. C'e t là, du reste, une remarque ~ue. 1on
peu t faire à l'origine de la plupart des lég1slat1ons.
L'accomplissemeoL des nombreuses for~alités don~ sont
en tourés presq ue toujours les actes 1urid1ques est d abord
exigé avec la plu grande sévérité. Puis. peu à ~e~,. celle
rianeur disparaî t : la fiction se substitue a la realite _: le
r>
,.
devient moins forma11-ste. et on arri ve à suppn mer
droit
tontes ces formes que le temps fi nit par rendre trop se-
(1) fü card, t• pnr lie, o• 901.
(:!) rexte des Coutume~ de la prevôte et vicomté de Paris sur l'nrin.
ticte
• cln111• 1i! • no 3~.
·s1s,
( 1) Coutumes du 1Jeauvo1
<, cap. 19.
(t) Liv.
�-
90 -
- . 91 ·-
,·ères . Nous ponvon· coustater e11 c;ello n1alièro un progrès analogne. Yers le commencemen t du XVI• siècle, les
Cou lumes sont récligées. cl la plupart, subissant l'influence du droit romain qu i était alors généralè admettent la possibilité d'un e tradi tion feinte. P!lthier. tontefois. constJte que, même à son époque, les ùispositions
de:; Coutnmes n'étaient pas uniformes snr cc poin t. Les
une. demandaient une traditiori solennelle sous dilTéren ts
noms. D'autres exigeaien t une tradi tion réelle et ne tenaien t
pas pour valables les donations dau~ lesq nc:lles il n'était
interrenu qu 'une tradition fointe. Citons parmi ces dernière5 les·Coutumes de en lis (art. 2 11 , 212) ; de Clermont (ar~. 127); d'Amiens (art. :->5, 54 , 157); d'Anjou
(art. 54.5 et 429) ; du ~fai11e (art. ;:;;>7 el 444). Ces
deux premi ères classes de Contume étJicn t appelées Coutumes de snisin e et de nantissement. Les dern ières, enfin .
de beaucoup les plus nombreuses, se con tentaient d'un e
tradition f~inte.
l
i
La tradi.tion feinte es t ai n. i définie par F1wrière ( 1):
• Celle qu i , e fa it par uue fi t;tion de la loy , laqu ell e feint
que la tradition a élé faite, que le donataire possède la
c.hose en qualité de mailre. et que le donateur qui la détient. ne la possède ~u'au nom du ùonatairc en \'ertu de
quelque clause apposée au co11lrat de donation. » Une fois
i1~ten·enue, elle prod uisait le mè1nc effet que la lrarlition
recl le, ~vcc cette résen•e lou tefoi~ exp rimée par plusieur de
nos aoc1en. aut eurs, c'est qu'elle fut fai 1c de bonne foi et ne
( 1) Co1mr.entaires sur la Cou/umt <le Pari.(. art. 275, n·
~.
coo tint ui apparences ni pré ompti ons de fraude • au tremen t la donation court fortu ne d'être cassée. • ( 1)
Elle était égalemen t applicable à toutes sortes d'objets.
Quelques do11tes cependant s'étaient élevés en ce qu i conce rne les donations d'objets mobiliers. Duval (de Reb. club.
2) ex igeait la d élivrao~e réelle et don nait pou r raison que
les meubles n'ont pa de suite. Son opini on avait été adm ise
par la Coutume de Sedan (a rt. 11 :->) : " Les donations de
meuble· ne sont point valables sans la trad ition et délirrance réelle et ac tuelle de la cho e. • Le contraire parait toutefois a,·oir pré\'alu dans n0lre ancien oe jurisprudence, mais avec certain es restricti ons. C'est ainsi que
Ferrière n'admettait la validité de la tradi tion feinte qu 'au tant que les meubles donnés étaient certain et as uré.; et
qu'u n inventaire en aYai t été dressé soit dans l'acte même
de donation soit dans un acte séparé afin , dit-il : • Qu'on
ne pni sse pas donl er des meuble conten us dans la donation, car les choses incertaines ne peuvent poiot être livrées
ni par traùi ti on réelle ni par tradition feinte. • (2) Ric::ird s'c11 tenai t <111 texte de Coutnmes et exigeait par conséquen t selon les pny oit la tradition réelle soit la tradition feinte. Seul ement. dans ce dernier cas, il ''oulait,
comme Ferrière. un in ver.taire de objets donnés. (3) Le
système de ces deux ::iu teurs fut plus tard consacré par
l'ordon nance de 17'5 I .
Les modes d'o pêre1· la trad ition fei nt e étaient trèsnoinbrcux dans notr e ancien droit. L'article 275 ùe la
(1) Dela l11n<IC',
ttr
l'.lr /. ~84 de ta Co11l~111ie de l'aris n S.
(i) Co111mentai1·e di• la r:o 1~t 1w1e d? l'an s,
(·;) 1" por11e. n••• !lbl! l'l su•' .
11°
1O.
�-
92 -
Coutume de Paris cite à titre d'exemples, la réserve d'us11frui t à vie ou à temps, ln clau e de constitut et celle de
précaire. La rétention d'usufruit était certainement celle do
ces clauses qui était lâ pl us usitée dans les actes de donation. Le donateur était alors censé avoir livré la chose au
donataire donationis ctrnsa et l'avoir ensuil e reçue de celui-ci.
Quoique moins employées. les clauses de constitut et
de précaire P.taient cependant regardées comme ~ uffisanLes
pour rendre la donation va lable Il es t Hai que, d'après
Ferrière, elles avaient été regardées quelqu efois comme
imaginaires et qu 'on a\'ai t so ut en u que dans l' usage,
elles ne pouraient avoir aucune raleur sans la réser\'e
d'usufruit . mais on répondait en e fo ndant sur l'au torité
des lois romaines que perso nne ne pent teni r de soi à ti t~e
préc1ire (L. 4. § 5, de Prec.) ni être locataire de sa propre
chose ( L. 20 l ocal. Co11d.). Il avait même été admis que
rlans les Coutumes qui ne s'ex pliqn <lient que sur la réten tion d'usufruit, !e constitu t et le précaire produi saient le
même eITet.
D'ai lleurs , l'énumération donnée par l'article 275 de 1:1
?outu_m~ de Paris n'était point limita ti\'e, mais si111plement
enonc1at11·t:. Tel était l'avis de Ricard qui décide que :
• r .outes les espèces de traditions feintes introd uit es pa r le
droit romain doi\'ent avoir li en dans nos Cou tumes qui ne
les ont pas remises particulièrement et qu i ne font mention
par exemple que de la rétention d'usufru it, du cons titut et
dn précaire. » parce que. dit-il : " L'usage des traditions par
-
95 -
voyes teinLes a été em;1:·unlé au droit romai n. .. ( 1) La
liberalité était donc valabl e par cela seul que le disposan t
retenait l'obj et donné co1iJme locataire, dépositaire ou
commoùataire. Il en était cle même quand. antéri&urement à
la donation, le donataire possédait la chose: il y avait
alors tradition brevi 1nci1w. Enfin il suffisait égalemen t
pour la perfection de la libéralité que le donateur remit au
donataire les clefs de l'appartement (•li les titres de propriété. ou bien encore qu'i l le laissât se mellre en pesses·
sion des biens compris dans la disposi tion.
Par exception cependant, et contrairement à ce qui était
adm is en droit romain, la rem ise de \'i?1Slru111c11t1onclom1tio11is n'équi valait pas à la dél ivrance réelle. La clause de
dessaisine-saisine était également regardée comme i nsuffi sante , ainsi qu e nous l'apprend la Thaumassière: •Quoique dans les contrats de vente et aliénation, saisine et dessaisine faite en présence du donataire, équipolle à tradition
de fai t et à prise de possession de la chose aliénée, néanmoins en matière de donation entre-vifs. la tradition réelle
ou la feinte pa r rétention d'usufruit, par constitut ou précaire, est absolu ment req uise acause de la règle: Donner el
retenir ne vaut. • (2) Une seule Coutume, celle d'Orléans
(art. 278) . faisait valoir celle clause et encore n'était-elle
valable, d'après Dumoulin, qu'à une double condition.
c'est que non seul emen t il s'agisse de biens situés dans les
pays où la Coutume d'Orléans recevait son application ,
mais encore que J'acte même de donation y ait été passé :
( 1) I" pndie, n .. 9 ~ 0 cl 941.
(2) o r le chap itre
"tl,
.
art, 5, ile 111 Coulum~ ~le l.orns ..
�-
94 -
--
• Dmnmodu sil (acta Aw·cliœ, scrns si de terris silis Parisiis. •
Quand la libéralité avait pour objet une créance, la signification ilu titre cédé au débiteur tenait lieu de traditi on et était nécessai:-e mème pour l:t validité de la donation entre les parties: «Un simple t1·ansport ne saisit et il
faut signifier le transport, ùisait l'article ! 08 de la Coutume de Paris-. • L'acceptation de la cession par le débiteur
r.édé produisait d'ailleurs le même c!Tet que la significa·
lion ( t ).
Quant aux droits réels. tels qu e servitudes, rentes
foncières, etc. : • Ces droits étant une partie de la propriété de la chose ou une propriété imparfaite et di minuée, il est aisé de concevoir que de même qu'on pent
transférer une propriété pl eine, on pèut aussi transférer
une propriété irnpa ~'fa ite et diminué&; et par conséqu ent
la tradition de ces sortes de droits se fait et s'opère de la
même manière que celle de la chose même. » (2).
Enfin . en ce qui concerne les biens dont le donateur n'étai t
pas en possession au moment de la donation. comme ils ne
pouv:iieot fai re l'objet ni d'une trad ition réelle, ni d'une tradition feinte, on avait admis que la signification au posses·
seur de ces biens par le donataire de la donation qui I ui
était fa ite, avec assignation de les délaisser, suffisai t pour
rendre la libéralité Yalable et tenait lieu de trad ition ( 5).
Dans le dernier état de notre droit coutumier, la tradition
est donc toujours nécessaire pour transférer la propriété
~. . , (:~) ..,,Pot?i!~·
lnt~oduction ou tilt'e 1:; de
,n
Zi·J.
n•
ll.f cnizart, Collectiu11 de
Decisiu11s
(3) Po th ier. des Do11ations, section 2.
95 -
de l'objet donné. Il <'a résulte qu 'entre deux donataires
d'une même chose on doit préférer celui qui a été mis en
possession le premier, e.1core qu 'on ne lui ait fait qu'une
trad ition feinte et que te secoud donataire ait reçu une tradition réelle (1) . Mais à un autre point de vue nous
co nstatons un progrès bi en marqué . La simple promesse
de donner, dépourvu e de toute force à l'origine, oblige déso rmais le donateur et le so umet à une action en joslice.
La donation dev ient obligatoire pour lui du jour où ell e a
été acceptée par le donataire. A quell e date ce noureau
principe apparut-il dan notre droit ? C'est ce qu'il serait
assez difficile de préci er. Au XVI• siècle la plupart des au·
Leurs refu sent tout effet à la promessP. de donner; au XVII<
la fo rce obligatoire du pacte de donation esl encore contestée ; ell e n'est reconnue que dans le courant du X.VIH•
siècle . Toutefois les Couturnes de Châlons et de Reims accord aient déjà une action au donataire. • Le donataire peut
agir par action personnelle à l'encontre du donateur vi va nt ,
afin d'avoir déli vrance de la chose par luy donnée. • (2)
Ricard qui reproduit cette décision déclare même qu'elle doit
être étendu e a Lous les pays don t les Coutumes ne contiennen t pas de dispositions contraires (n• 94ï ).
Mais. par rapport aux héritiers du donateur, Je:; règles
anciennes su bsistent dans toute leur rigueur . Pou r leur
être opposa ble, la do nati on ùoit avoir été acrompagnée
de la tradition. Il fau t que le disposant se soit dessaisi de
so n viva nt de la proprifité de la cbo e donnée . « Et si le
la Coutum,, d'Orléans, seclion
i11J1111ellcs.
T. rr, Vo Do11ation .
( 1) Fr rrière, 1:0111111a11t11lre de ln Coulumr ,Jr Pat·is , art. 'H a. D'
(!) Cot1lmne de t:hcllons, 81'1. 114 .
3~ .
�-
96 -
donateur mourait en la possession de la chose donnûe
avan t l'action intentée, telle ùonati on ne 1'aut aucunement
et ne peut le donataire en vertu d'icelle agir personnellement, ne autrement à l'encontre de l'héritier. ,, ( 1)
Quelle était la raison de ceue différence et ponrquoi l'ac.
tion donnée con tre le donateur était-elle refusée con tre se.
héritiers? Nous avouons ne pas nous l'expliquer. Ricard
justifiait ainsi cdte distinction : • La so lenn ité de la trad ition
qui est nécessaire pour l'accomplissement de la donation à
l'égard de l'hérilier et des créa nciers du donateur n'est requise que pour éviter aux fraud es et à la dissimulation des
contrats; d'où il s'ensuit que le donateur ne peut pas s'en
prévaloir pour luy-même, personne n'etant reçu à alléguer
sa turpiLUde et qu'il ait eu intention de pratiqu er une
fraude; si bien qn'il demeure pour constant, qu e la donation est rendue parfaite à son égard par l'acceptation du
donal.aire. • (2).
li est bon enfin de faire remarquer que les donations
faites en faveur du mariage n'étaient pas soumises à la
néce.ssilé de la tradition : • Toutes conventions, donations,
a1·antages, institutions ld'héritier et autres choses fa ites
par contrat de mariage sont bonnes et valables en quelque forme qu'elles soient faites etiam en donnant et retenant. • (5).
( 1) Coutume de Châ/011s, art. 64
(t. ) Ricard, n• 04 5.
( 3) Coutume du Bourbonnais, art. 2 1!J.
..... 97 -
CHAPITRE li
De I'Irrévocabilité de la Donation
L'irrél'Ocabi lité était considérée par tous nos anciens auteur comme l'âme de la donation. le signe caractéristique
qui la dilTéreociait <les autres dispositions à titre gratuit.
«C'est, di ail Pothier, le caractère essentiel et distin ctif de
la donation entre-vifs d'être irrévocable ( 1) . • La violation
de ce principe avait ponr conséquence d'entraîner la nullité
de la li béralité elle-même.
Mais en qu el sens la donation devait-elle être irrévocable? C'est donner et retenir, disait la Cou tume de Paris
dans soo article 27 4, quand le donateur s'est réservé la
puissance de disposer librement de la chose par !ni donnée . Il était doue interdit de faire une libéral ité sous des
clauses réservant au ùisposant la facu lté de la révoquer
directement ou indirectement et notamment sous des conditions potestatives de sa part. Notre ancienne jurisprudence avait fait en pratique de nombreuses applications de
cettè partie de la règle : Donner et retenir ne vaut. Signalons les principales :
I. C'est ainsi, pa1· &xomple, qu'on annulait la donation
dans iaqnelle le donateur s'était réservé le droit de dispose1· de nouveau des objets par lui donnés , encore que ces
(1) Pothier, des no1iat1011s, section '!,
S '!.
�-
9$ -
objels eu:sent élé remis an ùouatairc. Ce point cepencbn t
n'avait pa ' clé oniYCt" cllemen t adm is. Cltaroncbs ne .prononçait la nulliLé ùe la libéralité qu'aut:rnt que le dtspo·
sanl avait effecli rement use de la faculté qu 'i l s'élait réservée. ~lais Ferrière et la major ité des Cou tu mes décidaient au contraire qu e la donation èlant entachée d'un
vice origin el ne potn ait produire aucun effet et conférer
aucun droit au donataire ( 1).
Si le donateur arait seul ement stipul é le droit de disposer d'une somme détermtn ée. la libérnlité n 'é.tai~
annu lée que jusqu 'à concurrence de ce lte somme. :itn 1
que nous l'apprend Dumoulin : • Si quis <ionet omnia
bo11a prœsen tia, reservalis 300 lirres ad leslanclitm , si
1
11on est teslalus renia neni llœredi, 11ec ced1111t lt11Jro do11a-
torii, r1 1ûa ealenus bona retenta rnnt et sic dmwlio 111tfla
ealenus. » (2) Telle5 étaient ëgalemcnt les dispositions des
Coutumes d'Auvergne ( chap.
Bourbonnais (art. 211 ) .
1li. ,
art. 22 et 23) , et du
Il. Etait également prohibée la donation faite à la charge
par le donataire d'acquitter les delles <Ju e le donateur laisserait à son décès. C'était ce que décidaient d'une façon expresse les Coutumes d'Auvergne(art. 19 , chap , U ): du
Bourbonnais (art, 2 12); du Nivernais (chap. 27. art. 3).
C'était également ce qu'enseignait Ricard (n°• 1Oz9, 1050).
Toutefois, Charondas (sur la Coutume du Nivernais) et
Tronçon (Coutume de Paris, art. 275) étaient d'un av1
-
99 -
contraire cl lcnr opin ion avait même été consacrée par nn
arrêt du Parlement de Pari en date du 1°• avril 1586.
Des difficn lté plus sérieuses s'él<1ient élevées sur le
point de savoir s'il fa llait valider la li béralité qui imposait au dona taire l'obligation d'exécot.er le testament du
donateur et d'acquitter les leg- qui pouvaient y être coo tenns . Deu' seules Cou tumes avaier.t préïu la question et la
tran chaie11t d'une façon différente. Celle do Nivernais
(chap. 27, art. 3) an nulai t expre'sérnent une pareille dispo.-ition; celle d'Auvergne. au con traire, la tenait pour valable. Cette dernière doctrine parait avoir prévalu . Elle était
admi e par Charonda et Auzanet. Dumoulin lui-même s'y
éta it rall ié. Après avoir, en cITet, tout d'abord enseigné sur
l'a rticle 1(iO de la Coutume de Paris, que c'était donner et retenir qu e de di poser nd onus testamenti, il so utint par la suite qu e cette donation était valable, parce que,
dit-il « etiamsi non sil rerta stwima en intelligitur secundum
qualilatem 7Jersonœ et bonorum. » Ferrière se prononçait
également clans le même sens en admellant toutefois la
même re triction que Dumonlin : « Le testament, dit-il, doi t
être réduit à proportion de ce que les personnes de la qualité dn donateur peuvent laisser, eu égarJ à la qualité de
ceux auxquels il laisse. <le leurs besoins et des biens du donateur et le surplus doit être retranché. » ( 1)
III. Nos anciens auteur prohibaient enfin , comme contraires au principe de !'irrévocabilité, les donations de biens
à venir. Un autre motif devait ègalement faire annuler fle.
l
{t) Fcrrii)re, G11111111e11taire de la Cnutumc d~ Paris, no 12.
(:1) Dbmoulin, nrl. 1130, A nriemw r:m1/1in1P dr l'a n~. n• !l.
(1)
..-
Co11111w11t11ir~ de lrl
Co11t11111e rl1• Pnl"is, or t, 271, n• 19 .
�-
100 -
pareilles libéralités. c'esl qu'en ce qui concerne les biens
qui y élaient compris. la tradition do fait exigée par la maxime él3it impossiLl e. « La tradition ne pent pas être faite
d'un bien avenir. auquel I~ donateur 11'a aucun droit lorsque la donalion est fait e. » ( 1) C'était là le droit commun
du royaume et la règle que l'on suivait dans les Cou tumes
qui ne contenaient point de disposiLion contraire-. Mais
quel de,·ait être le sort de la Jorialion qui com prenait à la
fois des Liens présen ts et des biens à venir~ ~otre ancienne
jurispruden ce était très divi êe sur· ce point. DuYal (de Rev.
dub. tract. 2 1wm. 4) prononçait la nullité totale de la donation même par rapport au'\ biens présents. Cnjas (act
l cg . si quis argenlum C. de Donat.) soutenait qu'elle ne
devait être nulle qu ·a l'égard des biens à Yenir, mais qu'elle
devait au contraire receroir son exécution en ce qui concerne les biens présents. Enfin , Ricard . adoplaot un système mixte, décidait qu'i l fallait avant tou t tenir compte de
la volonté du donateur. •Je voudrai s. dit·i~ après avoir ci té
Cujas, pour recernir ce partage qu'il eî1t été stipul é qu'en
cas que la donalion ne pût pa valoir pour le tout, elle aurait son elTet pour les biens présents ou du moins qu 'il parût par les termes avec lesquels la dona tion a esté conçue,
que l'intention du donateur eût esté d'en soulfrir la division, en cas qu'elle ne pût pas subsister pou r les hiens à
venir; sin on. el lorsque la donation des deux espèce de biens
présents et à venir est tellemen t jointe. qu'il n'y a pas li eu
de présumer que le donateur se fùt porté à do:1 ner l'u n
sans l'ao tre. on ne pent loy faire ce préjudice, de faire su h( 1) Ri<>anl, Il' lil09.
-
101 -
sister le contrat pour les biens présens, en le cassant pour
les biens à venir. » (1)
Cette seconde partie de la maxime: Donner et retenir ne
va nt, n'était, pas plus que la première, applicable aux donations en faveur du mariage qni se trouvaient régies par des
principes tout particuliers et des règles toutes spéciales.
CllAPlTRE Ill
Origine de la règle : Donner et retenir ne vaut
Après avoir montré les lliverses transform~tio~s q~·a
subies la maxime: Donner et retenir ne vaut, la s1g01ûcat1on
et la portée quelle a eues dans chacune des périodes de no·
tre droit coutumier, il ne sera pas inutile, croyons-nous.
de rechercher quelle fut sa Yéritable origine. Quand cette
form ule s'est-elle dégagée? Sous J'influence de quels motifs et de quelles idée~? A quels besoins répondait-elle! Ce
sont là tout autant de questions qui nous semblent de nature
à appeler notre attention. Après a\•oir indiqué et exa.mioé
chacun des princip:i.ux systèmes proposés pour expliquer
notre rëgle, nous feron s connaitre quel est celui qui nous
parait préférable.
(/ ) Jlicai·d n• IW1.
�-
102 -
De toutes les expl icalions qu'on a ùonuées de la maxime,
la plus originale à cour sùr , .inon la mieux fondée. est
celle de Coquill e: « Ton tes les Coutumes de France Jisent
pour règle que donner et retenir ne rauL. Ce qui procède,
comme il est vraisemblable. du natLH'el des 1Tais François
qui est de faire franch ement et a cœur ou,·ert , sans retenfr
à couvert. » ( 1) Quelque llalleu,c que soit pour notre carac t~re national une pareille crigine. il nous pélraît as,ez
difficile de s'en coo Len Lcr, 1·ar, ainsi que le fair for t 1Jie11
remarquer M. Demolomue ('f. 18, n° 2:>), la règle n'est
point interprétative de la rolonté ùu donateur, ell e c, t au
con l1aire impérative el ne saurait souffrir une dërogalion
quelconque.
De Laurière dans ses No tes sur Loy el (lnst . Cou1. liv . 1v.
lit.4 , règle 5) prétend que la 1ègle: Do nuer et retenir ne vau t,
u a été introduite originairement eu faveur des dona teurs,
afin que, connaissant la pe rte qu 'ils vont faire, ils soient
moins faci le à se dépouiller. " Cette explication ne sanr11it
non plus avoir une bien gra11cle ralcur. En effet, si l'iùée
exprimée par de Laurière arait c~ une influ ence quelconque sur la maxime, il est certai11 que la trad ition aurail
loujours été exigée avec la mème rigueur et que les Coutumes n'auraient pas admis l'usage des trad ition;; feintes
qoi ne fai aient pas suffi arnmen t compren dre au donateur
toute l'imporlance ùe l'acte qu'il \'enait de pa,se1 et qui 1w
lais aient éprournr qu'aux héritiers l'appaun issemenL résultant de la libéralité.
Potbier invoque pour justifier les deux µJ rtics de la rè(1) Institution au nroil (r11nr,ai:.. Ue,
-
103 -
gle l'intérêt de la famille. Son ex pli ca tion a élé admise de
nos joors par Grenier . " La raison. dit Pothier, pour
laqu elle notre droit a requis. pou r la validité ùes donations, la nécessité de cette tradition, ai nsi que celle de l'irré1•ocabilité se fait as cz apercevo ir. L'esprit de notre droit
françai incline it cc que le· biens demeurent dans les famill es el passent aux héritiers ..... Nos lois ont jugé à. propos ..... en conservant aux particuliers ce droit de donner
entre-Y ifs , de mettre un frein qui leur en rende l'exercice plus
ùifllcil e. C'est pour cela qu'el les ont ordon né qu'aucun ne pù l
v a lablen~enl donner, qu'il ne se dessaisit, ùès le temps de la
donation , de la chose donnée, et qu'il ne se prirâl pour tou jours de la facu!Lé d'en disposer, ann que l'allache naturelle
qu'on a à ce qu'on possède, et l'éloignement qu'on a pour le
dépouillement détol;rnât les particuliers de donner. • ( 1)
Une seule raison suffirai t, à notre avis, pour faire rejeter cette
explication, c'est que nous ne la trouvons mentionnée dans
aucon auteur avant Pothi er et qu 'il serai t bien étonnant que
ce soit ce jurisconsulte qui l'ait trouvée le premier. 11 est
probable. au contraire, qu'il l'a imaginée aprè coup pour
justifi er le maintien d'une règle qui avait été introduite
pour des raisons qui n'existaient plus de son temps et dont
par con équent il pou,·ait ne pas se rendre bien compte.
D'ailleurs, si les Coutumes araicn t réellement Youlu proté"er le hériti ers. elles auraient pu le faire d'une façon bien
~lus r,fUcace encore en permettant la révocabilité de la donation.
. .
Ricard donne aux ùeux part ies de la règle une or1g111e
IJOM1i1111~.
( 1) r,.aité d1•s /Jo11<1ti1111~. scct. 't, ort. ~.
�104 -
différente. D'après lui . l'idée de protection pour les héritiP.rs
du donateur sel'ait bien le véritable fond ement du principe
de l'irrérncabilité. Quant 3 la tradition, elle aurait èfé ex igée dans un double but: d'abord , pour prouver la sincérité
de la donation et p1·évenir les fraudes et dissimulations qui
pourraient être commises ; ensuite dans l'intérêt des tiers
qui contracteraient avec le donateur afin que: u La connaissance de la possession des domaines ne demeure pas incertaine et que ceux qui viendront à contracter avec le donateur et ses héritiers ne voyant aucun changement dans la
posse sion de ce qui lui appartenait, ne se persuaden t pas
avoir leur sûreté sur ce qui ne lui apparrienl plus qu'en
apparence. ~ ( 1) Est-ce bien là l'explication qui convien t à
celte partie de la maxime? Il est permis d'en douter. Les
fraud es et les dissimulations que la tradition devait empêcher étaient aussi bien à craindre dans les donations en faveur du mariage que dans les li béralités ordinaires . li aurait donc fallu dans tons les cas exiger ~etle for malité et
cependant toutes le.s Coutumes et tous les jurisconsultes décident que la règle: Donner et retenir ne va nt. est inapplicable au x. donations faites par contrat de mariage. Quan t au
second motif tiré de l'intérêt des ti ers, il est certain qu 'il ne
dût pas ètre pris en considération par no , anciens auteurs, car l'usage des traditions feintes eut précisémen t
~our résul tat de rendre complf'temcnt illusoil'e~ les garantie~ que la tradition réell e devait accorder aux personnes
qu i contracteraient avec le donateur.
L'explication qui jouit c!e nos jours du plus de crédit es t
(1) Rica rd, n• 001.
-
10 ~
-
celle donnée par Ferrière dans son Commentaire sur la Coutume de Paris (art. 275, n• 8). Elle ressemble beaucoup à
celle de Potb ier, elle en dilJère cependant à un certain poi nt
de vu e. Comme Pothier, Ferrière estime que la règle: Donner el retenir ne vaut, fut introduite en fa"eur des héritiers
du donateur. mais seulement pour prévenir, en ce qui les
concernait, les fâcheux résnllats que prod uisait la difîérence
qui ex istait clans la plu part de nos Coutumes entre la quotité disponible par donation et la quotité disponible par testament. • Que si on avait permis aux particuliers de faire
donation de leurs biens présents et de retenir la faculté d'en
pouvoir disposer. on aurait ouvert un moyen facile de fru trer ses héritiers par des donations eotre-vifs, sans que les
donateurs en reçussent aucune incommodité et sans rien
diminuer des droits qu'avaient avant les donations et sans
se dépooiller eux-mêmes des c~oses données, contre la natu re et la ~ ub~t;ince des donations qu'ils leroienl el dans le
dessein seulement de fr ustrer leurs héritiers de leur biens:
c~r. comme il c t permis de di poser de tous ses biens par
donation entre-vif , ans di' linclion de propres el d'acquêts.
et q11 e la facu lté de dispo er des biens par dernière rnlonté
est restreinte el bornée par tou tes no Coutumes. quand on
vondroit dépouiller ses héritiers de tous ses biens. on choi·
siroit cette Yoye, par laquelle on éluùeroil la disposition de
la Cou tume faite en fa \'eur des héri tiers . - C'est pour celle
raison que nos Cou lomes y ont pourvu, ùont la. .plupart
permetten t de dispo er de Lous ses bien par donal1~n e~
tre-vifs, mais ell e ont vo ulu que les donateurs se depoulllasseot eux-mêmes par icelle tle la propriété des cho~e.
donnée . pool' ôter aux. héritiers toute occa ion de se plain-
�-
106 . -
dre . • Argoo reproduit ahsolumenl la même idée. M. Demolombe après avoir cité cc dernier auteur e ralli e à son
opinion que partagent également M.M . Batbie ( 1) et
Baoby (2) . Mal~ré la faveur dont jouit cc sy. tème, nou s ne
Cl't~yons pas cependaul devoir l'adopter el nous pensons qu 'il
ne nou fait pas connaitre la véritable ori gine de la maxime.
En e!Tet, i l'idée exprimée par Ferrière était juste, il foudrait en conclure, ain i que le fa!L remarquer avec beaucoup
ùe raison M. Desjardins, que la règlr. : Donner et retenir ne
,·aul, devait exi.ter dans tous les pays üù la qu otité clispon1ble par testament étail dilTëren t~ de la quotité disponible par
donation enlre-,·ifs el qu'au contrai re elle était inco onuodans
ceux où aucune di!Térence n'existait ertre ces deux modes
de di$position au point de \'UC de la quoti té disponible. Or.
il n'en est rien . Dans les Coutumes de Tourain e. d'Anjou,
Je Bourgogne réformée. qui ne limitaien t pas plus étroitement le droit de tester que celui de donner en tre-vifs, presque tous les commenta tour exigeaient. malgré le sil ence des
textes qui ne faisaient pa mention du principe de l'irré\'Ocabi lité. le dessaisissement irrévocable du donateur. Ch opin
notamment s'exprimait ainsi sur la Coutume d'Anjon (li'' . Il ,
chap, IV lit. lV in fine): « Il e l notoire qu e la donation et
rétention des choses donnée ne raut pas nos Cr>utumes . •
Ce sont là, on le voit, les mêmes exp1·cssions qu o l'on retroure dans la Coutume de Paris. Ri en pins. un certain
nombre de CouLumes qni laissa ient an testateDr la même latitude por.r disposer des b'
. fores 1ens qu 'au donateur avaient
me.llement consacré notre règle. Citons les Contnm es de
Reims (art.. 25 2 el 292) et de Chùloos (art. G5 el 70). Au
(1) Revue critique, T. 211, p. 137 CL 138
(~) Revue pratique, annl'!e 1862, p. 5. .
-
107 -
contraire, la Coutume de Lille, qui , à l'instar de celle do
Paris, avait limité dans une large mesure la quotité disponible par testament et lai3sé au donateur une liberté a peu
près complète de disposer de ces biens, excl uait d'une façon
expresse la maxime : Donner et retenir 1;e vauL. ll faut en
dire autant de la Coutume d'Am iens. Comment concilier toutes ces divergences avecle motif donné par Ferrière?
Ell es prou,·ent jusqu'à l'évidence qu'on ne saurait se conten ter de l'ex plica tion ùe cet auteur q'.l i ne 'applique, du
reste, qu 'à une partie ùe la règle. celle qui a traiL à l'irrérncabilité des donations, cc qui se comprend, car, du Lemps
de Ferrière. on amil déji\ une action en délivrance contre le
tlo11ateur et l:l ressource de traùitions feintes.
Quant à nous. uivant en cela l'opioioo de 1\1 . Albert
Desjardins, nous pensons que nos anciens auteurs ne
cherchaient pas exacteruent les !Jases de la règl e. lis considéraient comme essentiels à l'ex istence de la donation le
Lie saisissement actuel et irrévocable ùu donateur el pcn·
saient yn e l'ausence ù'un ùc ce deux caractères de"ail
entraiuer la nullité de la libéralité elle-même. Quant à l'idée
qui servait de fondement à celle théorie, ils la croyaient empruntée à la législation romaine en ce qui touche la nécessité de la tradition. D'après onx, notre droit Coutumier était
sui· ce point conforme au droit des Pandectes. • Ces usages
ùilîéren ts, d1 ait Ricard en parlant des différents modes
de tradition, sont tirés de la disposition dn droit écrit, s~1i
rnnt les di\'ers changements qui y sont arril'és dans la suite
des temps ; .e reconnaissant par la une rérité importante
que j'ai reniarquéc en µlu sieors occurrences, que notre
�-
108 -
droit françois , dans son origine, a été formé en qnelqucs
parties sur le droit romain. • ( 1)
La croyance générale étail que la loi Cincia avait tracé
la voie sur ce point en exigeant la tradilion . D'après
Golhofredus(Ad. leg. 4 C. Th eod. til. v111 li v. 12). l'exception introduite par celle loi en faveur ùes 11ersonœ exce;itœ,
consi tait précisémeot ence que, par rapport à ces personnes,
la donation était valable iodépendemmenl de tou te tradition.
L'idée que se faisaient nos anciens au tems de la loi Ciocia
étai t évidemment fausse. Les ùéreloppements que nous
arons co nsacrés dans la première partie de cette thèse
à l'étude de ce plébisci1e nous dispen ent d'insister là dessus. Bornons-nous enlement à fa ire remarquer que la
loi Cincia n'avait nullemen t pour objet de régler le transport de la propriété, mais seulement les conditions de valid ité auxquelles la donation était soum ise.
On arnit égalemen t cherché à. rattacher la !'ègle : Donner
et retenir ne va::it, au titre VIII. liv. XII du Coùe Théodosien
de Donat. Presque toutes les lois de ce titre rappellent la
oéce sité de la tradition. e11 ce qui concerne la donation
d'.une chose corporell e. Et corpomlis traditio subsequatur.
dit n.otamrnen.t Constantin dans la loi 1. Il n'y aurai t, par
consequeot. dit-on, rien d'étonnan t à ce qnc notre ancien
droit ait voulu reproduire les dispo iti on con tenues dans
ce ~it re. Celte supposition, an contra ire, est d'au tant plus
'~ra1sernblable que c'e t par le Code Théodo ien qne l'an~
c1enoe France a connu le droit Romain .
( 1)
Des TJ011ations, n• 905,
-
109 - ·
Une raison commune doit à. notre avis faire écarter toutes les expli cations qui donnen t ~'l notre règle une origine
romaine. 11 est éviden t, en t'.1et. que le droit romain n'a pu
aYoir au cune in!lu ence sur la maxime: Donner et retenir ne
vaut µui squ'clle n'avait pas été ad mise dans les pays de
droit Écrit qui suivaient cependant la législation romaine.
Si notre ancienne jurisprudence cherchait à rattacher.
pour lui donner. pins de force. la théorie du dessai issemeot actuel dn clonatenr à une cfo;position des lois en vigueur à Rome., il n'en était pas de même en ce qui con.cerne
le principe le l'irrérncabil ité. li était considéré comme
tellemen t certain, qu'on ne cherchait même pas à le démontrer. li étrtit ùu reste admis partou t. même dans les
pays de droit Écrit oü la maxime n'était cependant pas con nu e. C'est ce que constate d'Agucsseau lorsqu'il dit dans
sa lettre 286 que le pays de droit Coutumier et les pays
dû droit Écrit: " S'accordent parfaitement en ce qui co ncerne \'irrévocabilité des donations entre-Y ifs. • Aussi
l'ordonnance de 175 1 ne rencon tra-t-elle sur ce point
aucune ré'sislance dan le provinces dn ~lidi et le difficultés soulevées par quelques parlements ne portàrent-elles
qu e sur cer taines application et certaines conséquences
particulières du principe.
Quell e e t donc la véritable origine de la règle: Donner
et reten ir ne vaut? O'aprè· MM. Albert De.jardin~ et de ln
Ménardière ùont nous n'hè itons pas a partager l'opinion,
c'est dans notre ancienne hi ·taire qu'il faut aller la chercher.
Dan une ocieté barb3re, comme l'était la nôtrn à l'origine.
les donateurs se consid éraient difficilement comme dépon il1és de leurs biens. Ri ches cl puissants pour la plupart, ils
�-
110 -
~taienl
d'autant plu, portés il reprenrlrc ce qu'ils avaient
donné. que disposanl do la force ils étaien t assu rés de l'i mpunité la plus complète. Leu r, héritier snrtout se ré ignaient
avec peine a se roir privés des biens qu'il co mptaient retrournr un jour dans lenr patrimoines et n'éprouvaient
aucun scrup ul e à les enlever ~ ceux <J'.li en avaient été
gratifiés. • Il o'e t pas bien cutain , dit M. Ar thur Desjardins dans son Traité tir !'Aliénation et la Prescription
des biens de l'Etat, qu'à cette époque Jcs rois se regardassent comme encbaioés par les engagcmeo ls de leu rs prédécesseurs ou plulôt il est certain qu 'ils troun ient sonvent
commode de s'y soustrai re. • Il était donc clillicil e qu'i l
y eû t des acles irrévocable, clans nne société où la violence
pouvait tout. Ce qu i frappe ·t1rtout à cette période de
notre hi toire. c'est l'instabilité et la mu ltiplici té des donations. Aussi chercha-t-on de bonne heure à sanregard er
leu r irrérocabilité par tous les moyen s possibles. Nons
voyons dans les formu les de Marculf le donataire demander
aux héritiers du donateur , la confirmation de la libéralité
qui lüi :i été fai te. dans l'espoir que celte confi rma tion assurera lïoriolabilité de son droit ( 1). Les \'entes, les
échanges et tous les au tres con trats 1!taien t comme les donations également confirm ès par formules. Sou les Carlovingieos on ne se contentait même plus d'une simple
confirmation. Pour rendre les li béralités plus irrévocables
encore, le donateur invoquait le secours du roi et de l'é~
glise contre ceux qui voudraient détruire ce qu'il avait fa it.
Il les mena,.~
it des 1'oud
.,...
'
res de l'E•g11·se et les c.ondamna1t· ·a
( 1) nect1ei/ !)Pnéral de~ fi' 0 1 1
·é
M. de Rozièrc (forrn 1 5~ ~ : 11' tcs ~ si t es J?ns l 'crnpi r o des Francs por
•
•
1 0 1 " 5. p.
J i
IVJ, 197, 20t),
-
111 -
payer une amende considérable tant au donataire qu'au
fisc. • Qu'il soit chassé. disait une vieille formule, de la
rénnion de Lou, les chrét10.: 11s et de l'Église. qn'il n'ait d'au·
\re société que cell e de Judas qui trahit Notre-SeigneurJéslls-Chrisl, que de plus il paye au monastère ou aux
frères y résidant, ensemble au fü'c très sacré, associé dans
les actes et dans \a poursuite tan t de livres d'or. tant de
livres d'argent. el qu'il ne puisse même pas ain i revendiqu er ce qu 'il réclame. » Toutes le lois de celle époque
posaie nt ce principe que la donation ne pouvait pas être
révoquée par le disposant , qnanù ell e avait été exécutée.
Les Capi tulaire de Charlemagne et de Louis-le-Débonnaire étaient formels à cet égard, mais ils étaient impuissan ts à as, urer le re pecl de la règle qu'ils proclamaien t
Les donations étaient chaque jours mécon ~ues el violées.
Pendant les temps féodaux l'irrùrncabilité ne fllt guère
mienx. respeclée. Que de précautions prises en eITet pour
assurer la stabi lité des donations ! On faisait concourir à
la libéralité la femme, les enfants et les plu proches parents
du donatenr soiL com me témoins, oit comme héritiers
éventuels. A la mort du disposant on demandai t la confirmation :1·es héritiers, quoi qu'ils aient déjà signé l'acle de
donation ; on la demandait également aa P,igneur el à. ·e
enfa n t~ . Toutes ces adhésions et toutes ces cootirmalions
devaien t être <JChetées à pri:< d'or par ceux qui les réclamaient. Elles dimi nuaien t d'autant par conséquent l'émolu ment que le donataire retirait de la libéralité qu i lui
avait été fa ite, mais elles avaient tin moin l'avantage d~
rendre son droi t stable et délinitiL
�-
112 -
Lcselforts fait~ peodantsi longtemps pour rendre incommutable l'engagement du donateur finissent par être couronnés de succès. Le principe de l'irré\'Ol'abilité app:irait
au XII• siècle daos les Assises de Jérusalem et au XIIe
daos Beanmanoir. Celle règle de l' irrévot:abi li té Loute fois
n'était pas à l'origine spéciale aux d0nations ; elle était
commune à tons les contrats. Mais elle ent besoin d'être
consacrée d'une manière toute particuli ère à l'ég:i rd des li·
béralités qui étaient beanconp plu soment méconn ues que
les :iutres convention préci ément parce que le donateur
ne recevait en échange de ce qu'il ava it donné aucun
équivalen t pécuniai re. Un principe, dit M. Albert Desjard ins dans son remarquable travail sur !'Origine de la
Règle Donner et Retenir ne vaut. dont no us demandons la
permis ion de citer la conclu ion malgré sa longueur , qui
n'était exprimé qll 'a propos de la donation. finit par paraitre spécial à la donation. On s'est demand é en quoi il
consistait. et comme il était impossible de ne pas reconnaitre que les autres conven ti ons étaient irrévocables par
nature. non par essence. on s'est persuadé que ta donation l'était par essence. qu'aucun e clause ne devait être
admise qui porterait atteinte :1 celle essentielle irrévocabilité. Peu à peu te principe ancien dans ta forme , nouveau
par l'esprit se développe ; il parbt serYir &ffi cacement
l'intérêt des héritiers, en rendan t les donations d'autant
plus rares que te donateur ne pouvait se réserver ancu n
mo~en de les reprendre en tou t ou en partie; il étni t
vraunent utile dans les pays qui établissaient une différence pour la qnotité disponible, entre ta donation et le
testa ment ; il s'introdu isit dans un grand nombre de Cou4
-
113 -
turnes. surtout an moment de la deuxième rédaction , força
l'entrée de celles nù il n'était pas expressément admis ;
devint le droit commun de la France ; fit apparaître progressivement toutes les conséquences qu'il contenait ; inspi ra une grande partie de t'ordonance de 1751 et fut accept~ sa ns aucune contestation par les rédactenrs du Code
Napoléon. La donation devint . ~ i l'on ifeut s'exprimer ainsi.
1'3 plus irrévoca ble de tous les actes, précisément parce
que , durant plusieurs siècle., elte en avait été le moins
solide.
u Qnant à la tradition. exigée à l'origine pour la donation comme pour ton les actes translati( de propriété.
elle acqu it une importance particulière, à. cause des difficn lt é qu'eut l'irrévocabitité h se faire admettre. Pour que
te donateur et ses héritiers eussent perd u tout droit sur
l'objet de la donatio n. il fallait au moi ns qu'ils eussent
vou lu se riépouiller complètement. Ptus les conséquences
d'une convention sont graves, plus il faut se garder de les
attacher à un simple projet. L'esprit de. Normands. jadis
fertil e en ruses imagina des traditions apparentes qui
trompaien t tout le monde, même le donataire. Le donateur laissait un serviteur ou des meubl es sur le bien
donné. Les héritiers réclamaient eosuiLe, comme si ce
bien n'eût jamais été livré. Le juriscon ultes déclarèrent
que la tradition devait être complète pour être ré~lle: ~t~
assuraient )'irrévocabil ité en même temps que la smcente
de la donation ( t). »
(1) Revue crjliquo T . :cn1u. p . 333.
�-
114 -
CHAPITRE lV
De la Maxime : Donner et retenir ne vmit,
sons l'empire de I'Ordorrmmce de 1731
Des deux elîels juridiques produits it l'origin e par la
m:lXime, à. savoir le dépouillemenl de fail et le dépoui llement de droil, le dernier seu l subsiste sous l' empire
de l'ordonance de 175t . Celle-ci étend au royaume toul
en li ~r la règle: Donner et retenirne vaut. mais en tant
seu lement qu'elle assure !'irrévocabilité. L'article 5 cons:icrant déOnilivemenl un principe qu i n'avai l prévalu
qu'après certaines hésitations et cer taines résistances,
reconnait à la donation la force d'engager le donateur du
jour où elle aura été acceptée par le donataire. Ajoutons
cependant qne dans les pays de droit Coutumier. à la différence des pays de droil Écrit, la tradilion réelle ou
feinle continua a être indi pe u sab l ~ pour la perfecllOn de
la libéralité; elle dernil être faite du Yivant du donateur,
sinon la donalion restait complètement inefficace a l'e11c0nlre de ses héritiers. ( 1)
En ce qui concerne au contraire la seconde conséquence de la règle: Donner et retenir ne vaut. c'est-à.dire la tradition de droit. l'ordonnance de t 7iH repro( 1) F11q:olP, Cmm11e1ilairr rie l' 1Jrdm1t1a11re de 173 1. 11 1t . ·15,
-
11 5 -
duit dans toute leur sévérité les principales dispositions
tle nos Coutumes. Les donations sont nulles, dit l'article 16 , lorsqu'ell es sont faites sous Jes conditions dont
l'eKécu Lion dépend de la seule volonté du donateur. En
vertu de ce principe l'ordonnance prohibait:
I. - Les donations de bi ens à venir (art. 1~) . Cette
appl ication de la règle avait él~ acceptée difficilement
par le pays de droit Ecrit qui, obsen·ant la législation romaine dans son dernier élaL. permettaient la
donat1on universelle de biens à venir sous la condition
toutefois que le donateur ,e réser\'Crait une portion de
ses biens. ordinairement le ringtième, afin de pouvoir en
disposer par testamen t. De vives réclamalions et de nombre us~s r~ istances s'étaient même produiles à ce sujet
dans le sein de certains parl ements et il n'avait fallu rien
moins que l' habileté et la courtoisie du chancelier d'Aguesseau pour épargner au parlement de Toulouse des
lellres de jussion que ses remontrances persistantes auraient pu lui mériter.
Quand une donation comprenait a la fois des biens
présents et de, biens à Yeni r. elle étai t, contrairement à
l'opinion qui avait été enseignée par Cujas, déclarée
nulle mème en ce qui con cern ~ les biens présenls. Les
raisons qui avaient fail admettre celte règle sévère nous
sont indiquées par d'Aguesseau : «Quoique il y aiL des
raisons considérables de part et d'autre. écrivait-il au
parlement de Grenoble. on a cru néanmoins qu'il était
. au x principe:;
· - , d' une sa1·ne J·urisprudence de
contraire
diviser un acte en le faisant valoir pour une partie et en
�-
t 16 -
Je détruisant pour l'autre ; que les choses n'étanl plus
eolières lor qu'on fail cell e distinction, on ne pouvait
savoir précisément si elle n'était pas r,ontrairo à lïntenLiou du donateur ; qn'il pou\'ait en naitre souv ent des
questions embarrassantes par rapport aux charges el aux
conditions de la donation, et qu'ainsi la jurisprudence
qui favorisait la séparation des Liens présen ts et des biens
à rnnir. était une source de procès . direclemen t opposée
à l'intention dn roi, dont le principal objet es l de les
prévenir. » ( 1)
II. -- - Les donations faites:« A condition de payer les
dettes et charges de la succession du donateur , cm tout
ou en partie, ou autres delles et charges que celles qui
ex istaient lors de la donation ; même de payer. les légitimes des enfants du dona.teur, an delà de ce dont led it
donataire peut en être tenu de droit (art. 16). • On
s'était demandé à l'occasion de cet article si le donateur
pouvait imposer an donataire l'obliga tion d'exécuter le
testament qu'il pourra it faire par la suite, ainsi que le lui
permeltaient la Coutume d'Auv ergne el la plupart de nos
anciens auteurs. La négative était généralement admise.
• l'esprit de l'ordonnance étant celui de ne laisser absolument rien d'arbitraire au donateur, et de ne rien lui
permellre qui puisse donner la plus légP.re atteinte à la
donation. • (2)
( 1) Titre LX. lettre 2\8
(!) Oc I3out3rir, /~.1:p/i ;r1 tio,, •I• /'( '1-./1111 •111c1• de 173 1, arl. Ili. p. 7J.
-
1'17 -
III. - La donation par laquelle le donateur se serait
réservé la faculté de disposer d'un objet compris dans la
donation ou <l'une somme à prendre sur les biens donnés.
Dans ce cas " ledit elleL et ladite somme n'étaient point
censés compris dans la donation. encore que le donateur
fût mort sans en avoir disposé et appartenaient de plein
droit à ses héritiers nonobstant toutes clauses ou stipulations à ce con traires (art. 16). • La dernière partie de
cet article était contraire anx règ!es reçues dans les pays
de droit Ecrit qui admettaient sans difficulté la validité
d'une s~ipn lati on aux termes de laquelle les objets réservés auraient appartenu au donataire. dans le cas où le
donateur serait mort sao" en avoir disposé. Dans ces pays.
en effet. les donations n'étaient point considérées comme
irrévocables par essence, mais simpl ement par nature.
IV. - Enfin. quand une 1ibéralité portait sur des
objets mobiliers, l'ordonnance décidait qu'elle n'était Yalable qu'au tant qu'ell e était accompagnée de la tradi tion
réelle ou d'un inventaire de ohjets donnés, signé des
parties et annexé à la minute de racle de donation (art.
15). C'était la consécration du ystème enseigné dans
notrn droit Coutumier par Ricard eL Ferrière. Le Code
civil a reprod uit cette di po ilion. comme les précédentes du reste, en lni fai~ant cependant subir quelques
modifications qu e nous signaleron en expliquant l'arti cle 94.8.
Toutefois, a l'exemple de ce qui avait eu lieu dans notre
.
. .
ancienne
1unspruùence.
une exce plion :'1 toutes ces 1ègles
.
·
1
·1
·
n
·
Le
donat
10ns
1
1
a,·ait été :idmi, c pou1· certarne lera es. ·
�-
11 8 -
-
faites en faveur du mariage ne pou,·aient pas être <1 ttaquées pour défaut dïrrévocabililé. « Tou tes les rèales
0
'
disa it de Boutaric, cèden t à la faveur des contrats do mariage; on pe.ut pour une eau e aussi favorab le donner
généralement tons ses biens présents et à ve nir, et le
donateur peut imposer à la ùonation qu'il fait de ses
biens présents telles conditions que bon lui semble .• ( t)
Partant de cette idée l'orcloonance déciùait :
1° Que ces donations pouYaient comprendre des biens
à venir. Lorsqu'elles portaient à la fo is sur ùes biens
présents el des biens à ren ir, le ùonataire pouva it ou
accepter les biens tels qu'ils se trouvaient au momen t du
décès du donateur· en ~e chargean t de tou tes les dettes
ex istantes à celte époque, ou au con traire s'en tenir aux
biens pré. ents en se chargea al seulem ent des del tes et
charges qui ex istaient au moment de la ùonation. (art.17 ).
2° Qu'elles pouYaient être fai tes S(I US de!\ conditions
potestatives de la part du donateur, (a rt. t 8).
J" Que le donateur pouvail imposer au donataire
l'o bliga tion de payer les dettes qu'il contracterait par la
suite et d'acquitter les légitimes des enfants (art. 18).
40
Qu'il pou\'ait se résen·er le droit de disposer de
certains objets compris dans la donation ou d'une cer taine
somme à prendre sur ce~ olJjets. Dans cc cas , s'il mourait
sans en avoir dis ·
· ou cell
po.e, ces o1)jets
e somme étaien t
compris dans la donation et appartenaien t au donata ire
(art. 18).
(1) Explicatio11 de tnrr/om1a11rc rie /7.;/,
~rt.
17 et l!i, p . l'.L
1t9 -
Tels étaient llonc à la fin ùu XVIII• siècle le sens el la
portée de la règle : Donner et retenir ne vaut. Les Coutumes et !'Ordonnance de 1731 avaien t commencé à lui
faire subir nne transformation et à lui faire perdre la
significati on qu'elle ava it eue à l'origine, en accordant une
acti on an donataire contre lf'. l donateur, -indépendamment
de toute tradi lion . Nous allons voir cette transformation
s'achever sous notre Code civil et la maxime de,·enir uniqu ement dans notre droit actuel la formule de l'irrérncabi litê des donations entre·vifs.
�DROIT CIVIL
DE LA RÈGLE DONNER ET RETENIR NE VAUT
A la différence de beaucoup de dispositions de notre
droit Coutumier qui ont aujourd 'hui complètement disparu , la règle: Donner et retenir ne vaut, a passé dans
notre Code civil. li suffirait ponr s'en convaincre de jeter
nn coup d'œil snr l'article 891~ qui contient la définition
de donations entre-vifs : • La clooation entre-îirs est un
acte par lequel le donateur e dépouille actuellement et
irré\'Ocablemen t de la cho -~ donnée en faveur du donataire qui l'accepte. n ans examiner en détail chacune des
parties de cet artich~ qui a donné lieu à beaucoup de critiques de lt part de jurisconsu ltes modernes, il est bon
de remarquer que les rédacteurs du Code exigent le dessaisi sement actuel et irrevoca&le du donateur. Quel est
le sens de ces deux mots ? En les employant, le législateur
a-t-il entendu reproduire sous une forme plus brève et
plus concise la do~1ble règle contenue dans l'article 27 4
de la Coutume de Paris ? A-t-il voulu au contraire la
modilier ? C'est la première que Lion que nou avons à
�-
i22 -
nous poser au debut de celle par lie de notre étnde. Poul'
la résoudre, il nous parait nécessaire de revenir sur
chacune des deux expl'essions donl s'est servi l'article
894 et d'en rechercher la signification et la portée.
1. Ln Do11ateur dfJil se d11po11i/le,· actuellemen t de fa
clwse d-0n11 ~e. - Dans nolre ancienne jurisprudence, avons.
nous vu. la simple convention de i onner ne transmettai t
pas la propriété. Le biens compris d:i n la donation
continuaient d'appartenir au dispo'ant jusqu 'à la trad ition
qui seule pouvait rendre le donataire propriétaire. Ces
principes ont été abandonnés de no jours. Le législateur
de f 804 a en effet formu lé dans l'article 1 138 celle
grande règle qu e les conventions sont par elles-mêmes
translatives de propriété quand elles ont pour objet des
choses certaines et déterminées. Cette disposition applicable 3 tous les contrats a été spécialement étendue aux
donations par l'article 958 : • La donation rlûment acceptée sera parfaite par le seul consentement des parties ;
la propriété des objets donnés sera transférée au donataire,
sans qu'i l soit besoin d'autre tradi tion.•
La rédaction de cet article lais e à désirer. Il esl évident d'une part qu e la donation étant un co ntr:it so lennel,
ne peut devenir parfaite qu'aut:rnt qu'elle est entourée
de tou tes les formalités indispensables à son existence.
D'autre part, l'article 958 ne parlan t d'aucune trad ition.
ces dernier mots sa118 qtt11'l SOl·l /JCSO l/1
. .
..
d Clttlre lra<l1l1o n 5011 t
évidemment de trop. Cette dernicrc partie du tex te peut
cependan t s'expliquer avec le seco urs de l'histoircl. JI est
en effet probable qu'elle a été ajoutée afin de montrer
-
123 -
qu'il n'était même pas nécessaire aujourd'hui de recourir
pour transférer la propriété à un de ces modes de tradition feinte <]U i pouvaient dans la plupart de nos Coutumes
remp lacer la traditio11 réelle. Quoi qu'il en mil, il n'est
pas difficile. malgré la formule obscure et inexacte don t il
s'est servi; de découvrir l'innovation introduite par Je législateur . La trad ilion n'est pl us es~cntielle pour la perfection de la dooation ; celle-ci devient, au contraire. dès
qu'elle est dûment offerte et dûment acceptée tout à la
fois ob liga toi re et translative de propriété.
Mais si la lrad ition n'est plus nécessaire aujourd'hui
pour faire passer la propriété des objets donnés du patrimoine du disposant dan, celui du donataire, quel est
al ors le sens de cette formule de l'article 894: Il fau t que
le donateur se dépou ille actuell ement ? En l'employant, le
législateur a seulement voulu indiquer une des di!Térences
essen tielles qui séparen t la donation entre-vifs du tes·
Lament . Dans le testament, le testateur ne se dépouille
pas d'une façon actuelle puisqu'il ne ùispose que pour
le temps où il n'existera plus; le légataire n'a qu'une
espérance, un droit en expectative, ré\'ocable par son préùécès on par le repentir du disposant et qui ne produira
son e!Tct que '5 Î le te tateur mourant Je premier persévère
jusqu'à sa mort dan la volonté de donner. La donation.
au contraire. confère an donataire dès le moment de sa
formali on. un ùroi t actu ellement exi tant dan son patrimoin e, tran missible ~t ses héritiers on ayant causes et
qui ne dépend pl11s de la volonté ùu donateur . Il n'im.
· .01·l pu1, et s'1mple· à terme
por te d.aillenrs
que ce dro1t
. .
\ . L'appos1
·1·iun l J'un terme on d'une con·
ou cond1t1onne
�124 -
dition n'empêche p;is la libéralité d'être régulière rt
valable.
Il est évident tont <l'abord qu'un terme peut être ajouté
à la donation. Une parei ll e modalit é n'a point en cfTet
pour objet de suspendre l'existence de l'obligation ; elle
ne fait qu'en retard er l'exécution ou en limiter la durée.
Elle ne fait pas ob tacle. par conséquent. à. ce qu e dès la
fo rmation du contrat le douateur ne se soit effecti vement
dépouill é et à ce qu 'un droit n'ai t eté réellement tra nsmis
au donatai re .
La donation peut également être soumise à une condition suspeosiYe pourvu que l'exécution de celte condition nè dépende pas de la volonté Ju tlonaten r . Il es t en
effet impossible de ue pas reconnaître lltJ droit au donataire même 7Jendente co11 ditiu11e en présence des ar ticles
1179 et t 180. La loi, d'ailleurs. admet ell e-même la validité des donations condi tionn elle dans les articles 900 et
944. Dire en elTet qu'une libéralité e. t null e <]Uand elle
est faite son des conditions potestati ves de la part du
donateur, n'est-ce pas a con11·ario ind iquer qu'ell e est
valable, si elle est aITectée d'une condition casuell e? Ce
serait donc une erreur de croire que la réten ti on que le
donateur fait de la chose pendant la durée du terme 011
pendente conclitione constitue une \•iolalion d n principe de
l'actualilé des dona tions. Le vœu de la loi se trouve au
c~ntrairc suffi amrnen t rempli par cela seul qu'un droit est
lue et nunc transmis au donataire sur· les objt:ts Jonn és.
li. l e Donateur doit se dépouiller irré\'Ocablemen t de la
chose don née - Cette f
. .
1
·
ormu e poilrrart egalcmen t paraîlrn
-
125 -
amphiuologiquc an premier abord. Interprétée d'une
facon rigoureuse, elle signifierait, en effel. que la donation
ntl peut pas êLre faile sous t1 11e condition quelconque, potestative ou casuelle. L'étude que nous avons consacrée dans
notre ancien droit à la maxime: Donner el retenir ne vaut.
nous indique assE-z que ce n'esl point dans ce sons qu'ell e
doit être comprise. En po ant le principe de !'irrévocabilité, la loi a simplement voulu prohiber dans les libéralités les conditions dont l'exécution dépendrait de la
senle \'Olonlé du donateu r ; mais elle o'a pa entendu
parl er ù'u ne irrévocabilité tellemen t absolue que la donation ne pu isse jamais être révoquée pour quelque cause
que ce soi t. Comme Lous les autres contrats . les donations
peuvent ètre valablement fartes sous une condition casuelle résolutoire. fi en était déjà ainsi dans notre ancien
droit : u C:i. 1· qu oy qu'il soit, disait Ricarù, de la natu re
des donalion: en tre-vifs. qu'il ne soit pas au pournir du
donateur de la faire valoir, ou de la reudre sans effet,
cela n'empêche pas qu'il ne puisse pas èlre Lipulé qu'elle
sera valable, ou qu 'ell e ùemeurera ans exécution en un
certain cas. pourrn qu'il soi t défini , el <]u'il ne dépende
pas absolument Je la volonté Ju donateur ; car celle
donation qui est fai Le pour a voir on e!Tel en un cas, ne
laisse pas d'être pi\rfaite en sa di position dès l'ioslan t de
la donation , quoy que la condition ne soi t pas échue, de
sorte qu'il n'e t plus en la liberté do donateu r, de faire
que le don so it valable ou non ; mais il a sa subsisLaoce
néce saire. an cas de la cond ition; ce qui suffit pour l'essence de la donation en tre-vils, la .loy ne désirant autre
chose, sinon que la l'l"vocation ne dépenùe pas de la vo-
�l~G
lonlédu donateur. • ( 1) Le Code n'a fait su r ce point
que reproduire la doctrine de Ricard. Les articles 951
et 952 nous le prou,·ent ùe la mnnière la plus évidente.
Qu'est-ce en elJet que ce droit de retour que le donateur peut dans cerlaios cas stipu ler en sa faveur , sinon
une \'éritable condition résololoire qni affecte la libéralité qu'il a faite ?
Les explications dans lesquelles nous sommes entré
au sujet des deux mots : Actuellement et ir1·~1Jocable111ent
contenus dans l'article 8 94 nous permettent dès maintenant de déterminer d'une façon bien exacte ie sens qu'a
aardé' en IJassant dans notre Code civil, la maxime: Doat!>
ner et retenir ne ''aut. Une de ses applications a complètement disparn . La tradition des objets donnés o'est pins
exigée pour la perfection de la donation entre-vifs. Seul le
principe de !'irrévoca bilité subsiste. Nous ailons l'examiner en détail , rechercher quelles conséq uences le législateur en a tirées, voir enfin les exceptions qu'il y a apportées. Toutefois, avant d'aborder l'examen des dispositions qui doi,·ent faire le principal objet de notre étude,
il nons paraît util e de faire conoaîlre sommairement et
sans en trer dans des développemen ts qui nou s feraien t
sortir du cadre que nous nous sommés tracé quelles sont
les clauses que le législateur déclare compatibles avec la
règle : Donner et relenir ne vaut.
(1) Ricard , Des Donations, n . 10\li.
-
127 -
CIJAP ITRE
(er
Des clauses compatibles avec la maxime
Donner et retenir ne vant
Le Code indique deux clause:; qui peuvent êlre insérées
dans nne donation sans porter attei nte à la règle : Donner
et retenir ne vaut.
Ce sont :
t • La réserve de l'usufruit ùes choses données an profit du donateur ou au profit d'un tiers;
2° La sti pula tion du droit de retour.
SECTION Jre
DES DONATIONS AYEC RÉSERYE
o'usuFRU1T
D'apr·ès l'article 949 il est perm is au donateur de faire
la réserve a son profit ou de disposer au profit d'uo
autre de la jou issa nce ou do l'usufruit des biens meobl~s
ou immeubles donnés. Celte disposition nous est presentée par la loi com me n'ayant rien de contraire à la
règle: Donnr,r et retenir ne vaut. Cela est iocoo ttJstable et
~ ~e point de vue l'article 949 éLait bien in~tile dans
notre Code. • Il est bien évident , dit Marcade, que ce
· que d,c'·ous atlribuer la nuen'est pas donn er et retenir
�-
128 -
propriété de rna ferme, en me réservant l'usufruit on en
Je donnant ~ un autre. L'olijct donné. alors, ~e n'est pas
la fdrme c'est-à-dire la pleine propnété de cette ferme,
c'est seulement sa nue·propriété; or. il est clair que je
ne reti ens rien, que je ne me nonne aucun moyen de ri en
reprendre sur cet objet do11 né , sur celte nu e-pro priété,
en me conservant l'usufruit. " Cette observation est
d'autant plus juste que pre-que tou tes nos Coutnmes admettaient déjà la ralidité d'une donation avec réserve
d'usufruit. Il n'était donc pas nécessaire, ainsi que semble le prétendre M. Demolombe, que le Corle s'ex pliquât su r ce point qui ne pouvait faire de nos jours aucune difficullé, étant donnés d'ailleurs les principes posés
par les articles 1'158 et 958.
L'usufruit que la donateur a le droit de se réser ver ùu
doot il peut disposer au profit d'une autre perso nne es t
en principe soumis aux règles qui· régissent le droil
d'usufruit en général. Remarquons, cependant, que l'artir,Je 60 1 dispense le donateur de l'obliga tion de donner
caution. Cette dérogation. du reste, n'est introdui te qu'en
faveur de ce dernier et ne saurait par conséquent , à
moins d'une stipulation ex presse co ntenue dans l'acte,
être étendue aux tiers au profit desqu~ls la réserve d'usufru it autorisée par la loi aurai t été sti pulée.
Toutefois, il n'est pas défendu au donatem de se réserver un usufruit pins étendu que celui de la loi. Ce droit
lui est au contraire reconnu par le législateur , ainsi que
cela résulte des travaux préparatoires (Locré, tome IV p.
125). C'est ce qu'a décidé tout récemment encore la
chambre des requêtes par un arrêt du 11 février 1878
-
129 -
dans une 0)7.pèce où le donateur usufrnitier a\'ait sti ulé
le droit de gérer, d'administrer et d'exploiter les ~ens
donnés, de faire tous baux , toutes coupes de bois même
de futaie, toutes additions, réparations, changements et
modifications. en un mot de jouir comme pourrait le faire
le propriétaire lui-même. Ell e À reconnu que, malgré les
pouvoirs si étendus que s'était réservés Pusufruitier le
1
donataire avait cependant un droit certain , actuel et irrévocable, ce qui suffisait, d'après l'article 894, pour valider
la libéralité qui lui avait été fai te.
L'article 9 50 s'occupe pl us spécialement dn cas où la
donation a pour objet des eITets mobiliers et tranche les
diverses difficultés qui pourraient s'élever à l'expiration
de l'usllfruit entre le donateur ou ses héritiers d'une part
et le donataire de l'autre . " Lorsque la donation d'effets
mobil iers. dit-il, aura été faite avec réserve d'usufrui t
le donataire sera tenu. à l'expiration de l'usufruit, de pren-'
dre les effets donnés qui se t.rouveront en nature, dans
l'état où ils seront ; et il aura action contre le donateur
on ses héritiers, pour raison de- objets non existants
jusqu'à concurrence de la valeur qui leur aura èté donnée
dans l'état estimatif. »La première partie de ce texte. celle
qui prévoit l'hypothèse ou les objets donnés se retrouvent
en nature à l'expiration de l'usufruit n'est qu'une application des principes posés par la loi en matière d'usufruit.
En est-il de même de la seconde ? En d'autres termes le
donateur ou ses héritiers seront-ils dans tous les cas tenus
de payer la valeur qu 'avaient les objets donnés au moment de la donation , quaod ils ne pourront pa les représen ter en nature, ou an contraire pourront-ils s'af-
�-
150
franchir de cetle obligation en prouvant qn'ils on t péri
par cas fortuit on force majenre? C'est sans hésiter le
dernier terme de celle alLernative qu'il faut adopter. Sans
doute la formule de l'article 9 ~O est générale et absolue,
mais la règle que contien t ce te1 te est ùéja bien assez rigoureuse par elle-même sa ns venir encore en ~u ~me~ter
la rigueur. Rien dn reste dans la loi ne sa urait JUSt1fier
une pareille sévéri té. L'obligation de restituer est éteinte
par la perte fortnite de la chose (ar t. 1502). Pourquoi en
serait-il différemmen t ici et pour quelles ra isons le législateur se serait-il écarté en celle ma tière des principes
généraux qu'i l a au con traire consacrés dans la première
partie du tex te. fi fau t donc, à nù tre avis. sous-entendre
dans l'article 9 50 ces mots : Sans préjudice des cas fortuit1
qui seraient pro11vés 7>ar le donateur ou. ses hP.riliers .
SECTION II
DO DROIT DE RETOUR CONVENTIONNEL
Le donateur peut se résen·er le droit de reprendre les
objets donnés en cas de prédécès, so it du donataire seul
c'est-à-d ire ne laissant pas de descendan ts, soit du Jonataire
lors même qu'il laisserait des descendants, soi t du donataire et de ses descendan ts. Ce droi t, appelé droit de retuitr
conventionnel par oppüsition au droit de retour légal établi
par lf's articles55 1, 552 , 74.7 et 7G6, n'est pascon trai r~
aa principe de l'irrérncabil ilé puisqu e l'évènement qu 1
-
1;>1 -
amène la révocation de la donation est complètement indépendant <Je la volonté du donateur.
Il s'est élevé en pra ti que de nombreuses di fficul lés au
sujet de l'interpréta tion des différen tes clauses de retour.
Nous n'avons point à les examioer en détail . Bornons-nous
seulement à indiquer les solutions qui ont été données sur
les poin ts principaux. Quand Je droit de retour a été réservé pour le cas de préclécès du donataire, on décide généralement en se fondant sur l'intention présumée du disposant que cc droit s'ouvrira, même si celui-ci laisse des descendants. C'est également par une interprétation ele la volonté
Liu donateur qu e l'on admet que le prédécès du donataire
suffira pour donner ouverture au droit du donateur, quand
celui-ci aura stipu lé le retour à son profit sans rien ajouter
de plus. Enfin , lorsque le reto ur a été stipulé pour le cas
de prédécès du donataire sans enfants, le prédécès du donataire avec enfants éteint immédiatement ce droit qui ne
revinait point même si ces enfants venaient à mourir
avant le donateu r. fi eo serait ainsi d'ailleurs soit que
ces enfan ts aient ac.cepté la succession du donataire, s0it
même qu 'ils y aient renoncé.
Dans l'hypothèse où le droit de retour est stipulé pour le
cas de prédécès du donataire et de ses descendants, ce droit
ne s'ouvrira qu'a la mort du dernier des enfants ou des
descendants du donataire. Nous estimons même, suivant
en cela l'opinion qui parait avoir prévalu, que l'existence
d'un enfant natu rel reconnu ou adopté avant l'époque de
la donation, pourvu qu e le donateur fût à ce moment-là
instruit du fait de la reconnaissance ou de l'adoption ferait
1
obstacle à l'ouverture du droit de retour. A plus forte rai-
�-
t:52 -
son. l'enfant naturel dn donataire légitimé même après la
donation empêcherait ce droit ùe s'oll\'rir. l'ar ticle, 553 déclarant que les enfant · légitimés doivent avoir les mêmes
droits que les enfants légitimes.
Plus sévère qne notre ancien droit. le législateur du Code
civil déclare que le retour conventionnel ne pourra être
stipulé qu'au profit du donateur seu l. Si. malgré la prohibition de la loi, il étai t stipulé au profil de toute autre personne. soit au profit du donateur et de ses héritiers. soit a11
profit d'un tiers quelconque, il constilnerait alor:; ou une
clause illicite qui serait considérée comme non écrite en
rnrtu de l'article 9OO, ou une sn bstilu tion fideicommissaire
qui annulerait la disposition tont entière (art. 8%).
Il n'a lieu que lorsqu'il a été ex pressément stipu lé. Il
constitue. en e!Tet, une exception aux principes généraux et
un droit exorbi tant accordé au donateur . On ne doit par
conséquent pas le présumer et on ne pourrait l'induire de
conjectures plus 011 moins incertaines. C'est ainsi par exemple. qu'une donation en avancement d'hoirie ne peut pas, il
moins qu'il n'y ait dans l'acte cle libéralité une clause ex presse à cet égard, être réputée faite sous la réserrn du
droit de retour.
Le donateur peut renoncer au bénéfice do droit de retour, même avant qne celui-ci ne soit ouver t. Sa renonciation peu l être, du reste, expresse ou tacite; elle peut résu lter notamment de son concours a la Yente que fait Je donataire des biens donnés.
L'elJet da droit de retour , dit l'article 9ti~ , "est de résoud re toutes les aliénations des biens don nés et de fai re
revenir ces biens au donateur francs et quittes de tou tes
-
155 -
charges et hypothèques, sauf néanmoins l'hypothèque de la
dot et des conven tions matrimoniales, si les autres biens de
l'époux donataire ne suffisent pas, et dans le cas seulement
où la donation \ni aura été faite par le même contrat de mariage duquel résultent ces droits et bypotheques. • C'est là.,
on le voi t, l'effet rétroactif attaché a tou te condition résol u.
toire. La condition venant ase réaliser, les choses sont remises au même état qu'auparavant ; le droit résolu est censé
n'avoir jamais existé; tous les actes faits par le propriétaire
sous condition résolutoire sont anéan tis comme faits par une
personn e qui est répu tée n'avoir jamais été propriétaire.
sauf les actes d'administration qui ne sont pas atteints par
l'eITet rétroactif de la condi Lion.
Le donateur au profit duquel le droit de retour se sera
ouvert pourra avoir une double action pour réclamer et reprendre les objets donnés. Il anra une action personnelle
contre les héritiers du donataire ou de ses descendants et
une acti on réelle en revendication contre les tiers détenteurs . Ces deux actions se prescriront par nn délai de trente
ans qui courra pour la première du jour de l'ouverture
du droit de retour, pour l'autre du jour où les tiers seront
entrés en possession. Tou tefois, ces derniers pourront se
prévaloir de la prescription de dix à. vingt ans quand ils
possèderon t de bonne foi et en vertu d'un juste titre; ils
pourront même, s'il s'agit de meubles, s'abriter derrière la
règle : En (ait de mwbles possession vaut titre, pou nu
qu' ils se trouvent dans les conditions exigées par les articles 1141 et 2279.
La loi, faisant en faveur de la femme mariée une exception aux principes du Jroit commun su r l'effet des condi-
�r
-
154 -
tions résolutoires, décide qne les immeu bles donnés à son
mari par contrat de mariage demeureront afieclés à son
hypothèque légale quant à la dot et aux conventions matrimoniales en cas d'insuffisance des bi ens ùu mari. Cetlo
dérogation repose su r l'interprétation qu e le législateur fait
de la volonté du donateur. Il suppose que celni-ci ayant
fait une donation en faveur du mariage a vou:u que les biens
donnés garan tissent les droits et reprises de la femme résu].
tant de son contrat de mariage, si les biens du mari ne
suffisent pas pour cela. Rien ne s'oppose, tou tefois, à ce
que le disposant stipule le contraire et déclare. qu'en cas
de retou r, les immeubles don nés lui reviend ront francs et
quilles de toutes hypothèq ues. mème de celle de la fem me.
On doit également se ga rder d'éte11dre celle exception
an delà des limites qui 1ui sont assignées par la loi. La
femme n'aura donc aucune hypothèque pour la garan ti e des
créances qu'elle a acqu ises contre son mari pendant le mariage. De même. dans le cas d'une donalion mobilière, elle
ne pourra se prévaloir à l'encontre du donateur d'aucun
droit de préférence sur les meubles doun és. D'ailleurs, pour
que l'article 952 soit applicable, il fa ut : 1• que la donation
ait élé faite dar1s le contrat de mariage du donataire; 20 que
la femme ait par le même contrat constitué ooe dot ou sti·
pulé de son m:.ri certains avantages ; ;Jo qu e la restitution
de la dot et le paiem ent des aran tages sti pu lés soient insuffisammen t garantis par les biens pel'sonnels do mari. et que
celte insuffisance ne prov ienne p:is d'uu fait Je Ja femme.
c~mme par exemple de sa renonciation à son hypothèq ue
legale eo faveur <l'on rn~ancie r do mari
-
155 -
CHAPITRE li
Des clauses incompatibles avec la maxime
Donner et retenir ne vant
Nous avons vu par les explications qui précèdent que
les rédacteurs du Code avaient entendu maintenir , sans
cependant oser la formuler en termes formels, la maxime :
Donner et retenir ne vaut. Ils en ont fait plusieurs applications dans les articles 945. 944 , 945 , 946 et 948,
qu 'il nou s faut maintenant étudier. L'ordre des textes
nous amènerait à parler d"abord de l'article 943. Nous
croyons cependant préférable d'expliqner en premier lieu
l'article 94!.i., qu i n'e:>t que le développement de l'ancienn e
règle coutumière. Il nous paraît bon de bien faire connaitre
Je principe, avant de rechercher quelles conséquences le
législateur en a tirées.
SECTION I
DES DONATIONS FAITES SOUS DES CONDITIONS POTESTATIVES
DE
LA
P.~R'f
DU DO:'\ATEUR.
L'arti cle 944. est ainsi conçu : «Toute donation entrevifs. faite sous des conditions dont l'exécution dépend de la
seule volonté du donateur, sera n111le. •
Les conditions qui peuven t affecter une obligation sont
ou casuelles ou mixtes ou potestatives. La condition cam elle (art. 1169) est celle qui dépend du hasard et qui
�..
-
t56 -
n'est nullement au pouvoir de l'une des parties: ce qui
comprend évidemment celle qui dépendrait ùe la Yolonté
d'un tiers. La condition mixle (art. 1171) est celle qui
dépend tout à la fois de la volonté d'une rles parties et do
la volonté d'un tiers. La coadition polestative (art. 1170)
est celle qui fait dépendre l'exécution Je la conven tion
d'un évènement qu'il est au pouvoir ùe l' une des parties
contractantes de faire arriver ou d'empêcher.
Toutefois, la doctrine et la jurisprudence, d'accord en
cela avec les véritables principes ùu droit, ont toujours
distingué deux sortes de conditions potestatives : les
conditions purement potestatives (art. 117 4) et les
conditions simplement potestatives (art. 1170 ). Les
conditions pmwient potestatives son t celles qui consistent dans une simple manifestation de volonté (si voltœro), on dans un acte malériel si facile a accomplir
qu'en réalité il se rédllit à un simple acte de volonté (si j e
lève le bras, etc.). Les conditions simplement potestatives,
au contraire, dépendent tout à la fois de la rnlonté de l'une
des parties et du hasard. Telle est. par exemple, cette
condition : Je vous promels dix ndllc fran cs. si j e me
rends adjudicataire de lcl bien qui est mis en vente. Il es t
certain qu'une pareille cond ition est potestative, en ce sen
qu'il dépend de moi de mo porter ou non adjudicataire.
Mais elle dépend également dans une certaine mesure du
hasard ; mille circonstances peuvent , en effet, influ er sur
ma volonté et m'empêcher de me renùre acqu éreur.
Les condi tions simplement potestati ves ne vicient pas les
contrats à titre onéreux. Il n'en est pas de même pour les
conditions pu remen t polestati vos. L'existence de l'obligation étant alors suhorùonnée en tièrement à la volonté de
-
137 -
l'une des parties, il est certain qu'aucun lien <le droi t ne peut
se former. et qu'aucune obligation ne peut prendre naissance.
Nu.lia promissio potest consislere quœ ex volu11tate 7n·omitte11tis statumi cavit. (L. 108. de verb . Oblig.)
Doit-on appliquer aux donations les mêmes principes.
et faut-il décider qu'une libéralité ne sera nulle qDe lorsqu'elle sera faite sous un e condi tion purement potestalive
de la part du donateur ? Qaelques auteurs l'ont soulenu ( 1) .
Ils se fondent d'abord sur les termes mêmes de l'arti cle 944 qui prohibe les conditions dont l'exécution dépend de la seule volonté du donateur, et ensuite sur ce que
rien ne justifierai t sur ce poi nt une différence entre les
contrats ordinaires et les dispositions à titre gratuit.
Qu'une pareille différence n'ait pas de fondement rationnel !
C'est possible, nous n'avons pas à le reehercher. Mais cependant elle exi te, il est impossible de la nier. L'article 944 reproduit , en effet. tex tuellement l'article 16 de
l'ordonnance de 175 1, ainsi conçu : " Cette disposition (la
nullité de la donation) sera observée généralement à l'égard
de toutes les donations fait es sous des con di lions dont
l'exé~ulion dépenù de la seule volonté du donateur. • Or,
cet article était interprété en ce sens par Pothier que
toute clause qui laissait au donateur le pouvoir de détrnire ou d'altérer l'effet de sa donation la rendai t nulle ( l ).•
Ricard et Ferrière étaient tout aus i formels que Potbier el
prohibaient, comme lui , Lou le condition qui laissait dirçclement ou indirectement le sort de la donation entre les
mains du donateur . Il est donc certain que Je Code, ayant
consacré une disposition ùc notre ancien ùroit. a entendu
t!
( I l Vozeillc (orl. 9~4. n• 1); Coin- Delisle (ort. 91'>. 11° 1) .
( l) fntrod11ct1on au litre XI' dr la Coulttmr d' Orlêans, no 18.
�-
11
158
lui laisser la signification que lui atlrihuaient tous nos
''ieux auteurs. On pent également apporter à l'appui de
ce système d'autres arguments qui ne nous semblen t pas
sans ''aleur . Si l'article 944 ne prohibait que les condi tions
qui font dépendre la donation do caprice ou de la volonté
du donateur , il ne compor terait aucune exception, car la
règle qu'il consacrerait tiendrait tellement à l'es$ence même
des conventions qu'ell e ne sera it sust:eptible d'aucune dérogation 011 modification, et cependant l'article 94 7 déclare
l'article 94~ inapplicable anx donations entre époux et à
celles faites aux futu rs conjoints pa1· leurcontratde mariage.
D'ailleurs , l'article 1086, qui développe l'exception annoncée par l'article 947 , vient corriger ce qu'a. de défectueux la formule do l'article 911-4. JI parle, en effet, seulement des conditions do!lt l'ex écution dépend de la vo l ont~
dll donalenr. Enfin, ce serait rendre la disposition de l'article 944 presque inutile et illusoire que d'en restreindre
la portée, comme le fon t les partisans de l'opin ion adverse,
car il est bien difficile d'imaginer des conditions qui ne
dépendent absolument que de la volonté dn donateur, et
sur l'accomplissement desquelles le hasard ne puisse exercer aucune influence.
li faut dooc décider que le disposant ne peut. à peine de
nullité, subordonner la libéralité qu'i l fait à une condition, suspensive ou résolutoire, positi ve ou négative. qui
lui laisserait le pouvoir do la révoq uer. Mais il ne faudrait pas étendre au delà le champ d'a pplication de la
règle posée par le législateur et soutenir, ainsi que le fait
M. Laurent (tomè XII , n° 409 J. qu'elle prohi be également les cond iti ons mixtes, c'est-à·d ire cell es qui dépen-
-
159 -
dent tout à la fois de la volonté du donateur et de celle
d'un tiers ou du donatairn . Ce serait exagérer, à notre
avis, la portée de la maxime : Donner el retenir ne vaut.
« Une dona ti on ne serait pas moins valable, disait de
Boularic, pour avoir été faite sous des conditions casuelles
ou mixtes ( 1). » n eproduisant certainement la même doctrine. le Code ne défend que les donations faites sous des
conditions dont l'exécution dépend de la seule volonté du
donateur , mon trant par là qu 'il permet la condition qui.
en dépendan t aus i de la volonté d'un tiers, ne dépend pas
év idemment de la seul e volonté du disposant. Dans une
condition mixte. d'ailleurs, la liberté de celui-ci est gênée
et entravée dans son exe rcice. Il n'est pl us en son ~eul
pouvoir de donner elîet à la libéralité ou de l'anéantir. Cela
suffit pour qu e Je vœu de la loi soit rempli et Je print.:ipe
de !'irrévocabi lité sauvegardé . (Demolombe , tome xx .
n• 4 20 ; Labbe, Revue critique 188 2, page 5 50 ; Î l'O·
plong. des Donat., t. 111 . n• 1 ~ 11 ).
En résumé, la donation peut être faite sous une condition mixte ou casuelle; elle ne peut pas être faite sous
une condition potestative. Telle est la règle qui se dégage
de l'article 91,.1~ . Examinons maintenant quelques difficultés que la pratique a pu avoir à résoud re.
li faudra it en vertu de l'article 944. annuler une do'
na tion faite sous cette conditi on : Si je vais à tel endroit .
Sans doute, il peut survenir certains évènements. certai nes circonstances qui peuvent m'empêcher de réaliser
mon voyage, mais i! n'est pas moins vrai qu'une pareille
condi tion est potestative dans Io sen que la loi attache à
(1) Expli ca tion de l'ordonnance de lï31, erl.16 , p. H .
�-
·-
1k0 -
co mot. Il faudrait en dire autant de celte condition : Si
j'embrasse telle profession, si j'entre dans telw carriè1'e.
Ricard (n" 1038) nous rapporte que, dans notre ancienne
jurisprudence. nn arrêt du 5 septembl'e t 702 avait déclaré nulle une donation faite sous une condition semblable. C'est également ce qn'il faudrait décider encore sous
l'empire du Code civil. qui n'a fait que suivre sur ce
point la théorie de nos anciens auteurs.
La donation, qui est subordonnée à celte condition
suspensive: Si je me marie. est-elle nulle? La doctrin e
tout entière répond d'une façon affirm ative à cette question ( t). Pour soutenir le co ntraire, on pourrait dire cependant que le co nwurs rles volontés des deux époux
étant nécessaire pour la célébration du mariage. le donateur n'est pas entièrement le maître de faire arriver on
défaillir la condition, qui rentre par conséquent dans la
catégorie des conditions mixtes . Mais il ne faudrait pas
s'arrêter à une pareille objection. Il suffit, en elTet , pour
que la condition se réalise, que le donateur épouse une
personne quelconque de celles avec lesquelles la loi lui
permet de se marier. On doit reconnaître. par conséqu ent,
que Je mariage dépend de son uniq ne volonté. S'il n'épouse
pas l'une, il épousera l'autre, et il pourra toujours, en
contractant une union qu i n'est en rapport ni avec sa situa tion de famille, ni avec sa situation de for tu ne, en faisan t
en un mot ce qu'on appelle communémen t un mariage de
fantaisie, trouver le moyen de fa ire évanouir et de détruire sa libéralité (2).
( 1) Voir ceponctant Toullier (tome
11 1.
no• '17'2, '!73) .
en ~st de mCm e.<:videm111cnl cle la condition suspensive mais
n<:gal1ve : S11e 11e me mane pas. Une pa reille condition rendrait cerla1 neroeot nulle la llbéralil(:.
(t) .li
14t --
Il résulle. an contraire, de ces motifs que la condition
suspensive: Si j'épouse telle 71c1·so1ine déterminée , ne vicierait pas une donation. Le Jisposaot n'est pas libre de se
marier d'un e façon qu elconque ; il doit épouser la personne désignée dans l'acte de donation. La volonté de
celle-ci est absolument nécessaire pour que la condition
se réalise, et elle peut, en résistant, en refusant d'accepter
le donateur pour époux. empêcher le mariage de s'accomplir. La nullité édictée par l'article 944 ne s:rnrait donc
être encourue. En vain, dira-t-on. que si deux volontés
sont nécessaires pour que le mariage pu isse être célébré,
un e seule suffit pour faire obstacle à son accomplissement,
r.t que, par conséquent, la donation est eotièremen t révo vocable au gré du donateur. Cette manière de mir élargi rait d'une faço n considérable le cercie d'application de
l'article 944 . puisqu'elle aurait pour résullat d'y introdui re toutes les conditions mixtes positives, mais elle est
contraire au tex te de la loi, ain i que le fait fort judicieusemen t remarquer le savant profes eur de la, facult6
de Paris, M. Labbé. La loi an nulle les donations faite
sous une cond ition, dont l'e..cécution dépend de la seule volonté du donateu r. Ce ne serait pas l'observer que de traduire ainsi celle di position. Est nulle toute condition don t
l' inexécution dépend de la seule volonté du donateur ( 1).
La jurisprudence s'était d'abord prononcée en sens contraire. La cour d'Orléans, par un arrêt du 17 Jan, ier
1846, (Sir. '1846 , 2, 177.) avait déclaré nulle une libé(1) Quant à Io donation rnil<' ~ous celte condition résolutoire : Si
j'épouse telle porson11c clcten11inie, elle est ' 'alable d'après tous les auteurs, car hien 6v iclemmenl sa rë,·ocalion no Jépeod pas de la seule volo11t.! rln disposunl.
�-
142 -
ralilé faite par une personne au x enfants que son futur
conjoint avait bUS d'un précédent mariage. avec cel le
clause que c'était en vue de son mariage el à sa seule
considération qu'elle faisait cette libéralité. Elle s'était fondée sur ce motif qu'il était an rouvoir du donateur de
faire arriver la condition ou de l'empêcher rle se réaliser.
C'était évidemment là interpréter d'une façon beaucoup
trop rigoureuse la di position de l'article 944. Aussi la
cour de Cassltion devant laquelle nne espèce absolument
analogue vient de se présenter tout récemment n'a-t -elle
pas hésité à con acrer une soluti on tout à fait opposée (1).
• Attendu , dit-elle. que les expressions employées dans
l'article 944 visent sans aucun doute la condition potes tative et excluent non moins certainement la condition casuelle ; mais qu'elles excluent également la condition mixte. - Qu'une donation comme celle de l'espèce actuelle
faite dans un contrat de mariage par la future épouse aux:
enfants du futur éroux , el'L ala vérité consentie sous la
condition tacite que le mariage projeté s'accomplira ; mais
que cette cond ilton n'est pas de nature à vicier lad ite donation. puisque l'exécution , quoique dépendant en partie
de la donatri ce, ne dépendait pas moins de !a vol onté du
futur étranger à ladite Jonation, etc. »
La cour suprême a eu également à. statuer, il y a peu de
temps, sur une espèce fort curieuse et qui mérite d'être
rapportée. Une personne avait fait don à une autre personne de certaines indemnités à provenir d'une expropriation pour cause d'utilité publique, mais par une contre-let( 1) Cass. civ. 30 ao11t 1880. D. 18110, 1, 4G4.
-
145 -
tre elle avait déclaré que le montant de ces indemnités lui
appartiendrait s'il ét<iit fixé avant son décès et que ce
ne serait que dans le cas contraire qu'il deviend rai t la
propriété du donataire. Cette libéralité fut allaqu ée
pour violation de l'article 944. !I résultait, disait-on ,
des termes de la con tre-lettre qu 'une liquidation am iable avait aussi pour e[et d'attribuer au donateur Je
bénèfice de la créance . Celui-ci pouvait donc en acceptant les o!Tres dérisoires qui lui étaient faites et en traitant à vil prix avec la compagnie expropriante s'emparer
des indemnités. <.::e raisonnement ne fut pas pris en considération par la Chambre des Requêtes ( 1 1 févri er 187 8,
O. 78 , 1, 577 ,) qui , avec juste raison suivant nous.
maintint la donation comme faite sous une condirion mixte. Il est é\'ident qu'il ue dépendait pas de la seule volonté
du donateur que le chiffre des indemnités fût fixé à telle
ou telle époque, mais que cela dépendait tout à la fois
de la volonté de !'exproprié et de celle de l'expropriant. On aura it même pu. a notre avis, aller plus loin
encore et décider que la donation était faite sous une condition casuelle. Quel était , en eiTet, l'évènement qui
tenait en suspens son existence ? C'était la mort du donateur, c'est-à-dire un fait dépendant uniquement du hasard.
SECTION II
DES lJONATIONS DE BIEN
A VENIR
La première application que fait le Code du principe
tle !'irrévocabilité formulé dans l'article 944 se trouve
�-
-
144 -
contenue dans l'article 9/i-5 : « La donation entre-vi fs ne
pourra comprendre que les biens présents du donateur ;
si elle comprend des biens a venir, elle sera nulle à cet
égard. Le motif qu i a inspiré cette disposition est le même
que 1~elui qtre donnait déji1 Auroux. des Pommiers pour
justifier dans notre ancienne jurisprudence la prohibition
des donations de biens à venir. « La raison est, qu'à
l'égard des biens à venir. Je donateur ayant la li berté d'acquérir ou de ne pas acquérir. et, ayant acquis. dP, vendre
ou autrement consommer en dettes les acquisitions qu'il a
faites il est libre de rendre la donati on entièrement inu'
tile : ce qui est absolument opposé aux principes des donations entre-vifs qui doivent être irrévocables et composées de choses certaines ( 1). » A cette raison, pos anciens
au teurs en ajoutaient généralement une au tre tirée àe ce
que. par rapport aux biens à Yenir. la tradition de fa it exigée par nos Coutu mes était impossible. Mais ce motif ne
peut plus étre invoqué sous le Code civi l qui a supprimé la
nécessilé de la tradition et déclare les donations parfaites
dès qu'elles sont acceptée3 par le donataire.
L'article 945 contient deux règles bien distinctes qu e
nous allons pour plus de clarté étudier séparément :
f Le donateur ne peut donner que ses biens présents ;
les donations de biens à venir so nt prohibées.
0
(1) Sur la Coutume tl u Dourbonnais, arl. 210.
1/i.5 -
20 Quand une donation conLient tout à la fois des biens
présents et des biens à venir , elle est valable en ce qui concerne les biens présents , nulle a l'égard des biens à venir.
Que faut-il entendre par biens présents et par biens
à venir? L'article 945 ne répond pa.sà. cette question et oe
nous fourn it aucun élément pour la réso udre. Il est donc
nécessaire de recourir à la tradition pour déterminer le
sens de ces ùeux expressions employées par le législateur .
L'article 1 5 de !'Ordonnance de 1751 dont les rédacteurs
du Code ont certainement entendu reproduire les dispositions décidait que la donation ne pouvait comprendre que
1. -
les biens qiti appa7·tenaùmt au donate.nr lors de la donation . Et Furgole expliquait ainsi cette formule : u Pour ne
pas équivoqD er sur ce qui peut être considéré comme biens
0 11 comme biens présents. il faut user d'une disti r.ction qui , quoique subtile. est néanmoins très-vraie.
Lorsque les biens oe sont pas au pouvoir du donateur, et
qu'il n'a aucun droit , ni ancune action pure ou conditionnelle pour les prétendre ou les espérer, c'est le véritable
cas des biens à. venir, dont on ne peut faire des donations,
hors du contraLde mariage. Que s'il s'agit d'un droit acquis
au donateur , ou d'une action qui lui compète, ou qui
pourra lui compéter dans l'évènement de qi;elque condition, qui puisse avoir un effet rétroactif au jour de l'acte,
qui établit le droit ou !'.action, ce n'est point un bien à
venir ; et la donation, qui comprendrait une telle action
ou un tel droit, ne serait pas nnlle, comme faite d'un bien
à venir ; elle serait ù'un bien présent, c'est-à-d ire du droit
ou de l'action (1) . " li résulte de là., par conséquent , qu'il
à venir
( 1) Comme11ta i l'e cte l' Ordon1111nce de 173 J. article 15.
�-
146 -
faut consiùérer comme biens présent ' tons les objets. toutes les \'aleurs sut· le quelles lü donateur peut confêrer immédiatement nn droit cer tain . Il n'est pas nécessaire qne
ce objets soient actu ellement dam' son patrimoin e. qu'il
les ait en sa possession . qu 'ils ex istent même. Il suffit qu 'il
puisse transférer et qn'il transfère réellement sur eux un
droit quelconque pur et simple, à terme ou cond itionnel.
qu'il ne soit plus en rnn pouvoir d'anéan tir par la suite.
Par application àe ces principes , il faudrait annul er une
donation ainsi conçue : Je vous donne Lei objet que je me
propose d'acheter ou que l'on compte me donner, car je
pourrais très bien en refusant d'acheter. on en n'acceptant
pas la libéralité qu i m'est offertt.l , faire é"anouir tous les
droi ts de mon donataire et emp~ch e r ma donati on de sortir
à effet.
La donation qui purterait sur l'ensemble ùes biens
qu' une personne doit recueil lir dans une succession seraitell e valable ~ Cette question doit a notre avis être résolu e
par une distinction. Si la succe.sion n'est pas encorn ouverte, la donation est nulle en vertu de l'a rticle 11 50 qu i
prohibe Lous pactes sur ucœssion , futures. Si, au contraire, nous supposons le de cujus décédé el le donateur
saisi, la donation est valaul e pui sque Loute al iénation qu e
fai t no héri tier de ses droits success ifs emporte de sa part
acceptation tacite de l'hér~ù i lé qu i lui est déférée (art. 780).
Il en serait au lrem1rnt si la donation au lieu de porter
sur l'ensembl e des biens qui composent une succession,
portail sur 11n oujet détermi né co n1pris dans cette succession. La li béralité serait alo rs nulle. car le donateur con-
-
147 -
serverait toujonrs la facul té ùc renoncer et pourrait même
en acceptant s'arranger èe façon à ce qne l'objet donn é fût
compris dans le lot de ses cnhériLiers. JI faudrait enfin également annDler la donation qu 'une femme ferait de sa part
dans la communauté ; la facn lté de renonciati on que lui
accorde la loi lui permettrait en effet toujours de revenir
sur la libéralité qu'elle a faite.
A l'inverse. quand une personne déclare donner les
fruits à naître telle ann ée d'un champ dont ell e est actuellement propriétaire ou les bénéfices à retirer d'une société
dans laquelle elleesl déjà. entrée el don telle n'est pas libre de
e retirer quand bon lui semblera, ell e se trouve irrévocablement liée et la ùouation qu'elle vient de faire est parfaite•
ment valable. San. doute il pourra se faire que par suite
de circonstances fortu ites et accidentelles son champ
ne porte au cun fru it, qn e les opérations de la société ne
produisent aucun bénéfice, se soldent même par un dêficit.
Mais il n'est pas moins vrai que la libéralité est un e véritable donation de biens présents ; car, ca qui est donné,
ce ne sont pas les fruit 011 le bénéfices", r,'est le droit à ces
fruits on aces bénéflces c'e ·t-à.-dire un droit actuel que le
disposant ne peut plus enlever au donataire et qui permettra même à celui-ci de réclamer ùe dommages-intérêts . i
c'est par son fait ou par sa faute qnc le donateur ne pent
pas remplir ses obligations.
.
C'est en se fondant sur des motifs analogues que la JUrisprudence a validé la donation par laquelle le donateur,
toul en se réservant l'usufruit de l'objet donné. attribuait au
donataire les fermages perç.u pendant l'année de son décès
�-
14.S -
(Req. 14 rrorèal. an XI) oil les fruits recueillis dans le cours
de 1:1. ruêmean11éc (Req. "!.7 janrier 18 19).
Il . - - La seconde partiedo l'article 911-3 décide. avons-nous
cléjà Vil , que lorsq ue nno même donati on comprendra à la
fois de biens présents et des biens à ven ir, elle sera nulle
seu lement en ce qui concerne les biens aven ir. mais recevra,
au contraire. son exécution quant aux biens présenls. L'ordonnance de 175 1 avaitadopté une solution toute dillérente.
Consacrant l'opinion enseignéP par Ou\'a l dans no tre droit
Coutumier. elle prononçait la nullité com pl ète de la dona tion même en ce qui concerne les Liens pré en ls. Ses rédacteurs avaient été déterminés par cett e double considération
qu'il était contraire aux \'éritables principes de diviser un
acte qui avait été probablement nn dan ' la pensée des contractants et qu'il fallait préve nir les protès qu e pourrait
faire naître la question de savoir quelle avai t été la véri table intention dn donateur. En rejetant le système ùc l'ordon nance. le législal eur de 1 8 01~ nous p~ raît avoir été bien
inspiré. Pourquoi en effet anno ler uoe donation ùe biens
présents valable par elle-même par ce motif qu'elle es t faite
dans un acte qui contient en même temps une donation de
biens à venir ? Ne v:iot-il pas mieu x, ao contra ire, prendre
et envisager séparément chacune de3 partie.:; de la di, position et interpréter celle-ci plutôt dans le sens arec leq uel ell e
peo t aroir quelqoe elTet, que dans celni arec lequ el elle n'en
pourrait produire aucun ? (art. 11Ll7).
Toutefois, la règ!e posée par l'a rti cle 94-3 in fînc a. besoin d'être bien comprise. El le ne signilie point qu e toutes
les fois qoe l'on se trou\'Cra en prc'·~en ee d'nn e donati on
-
14~J
-
portant en même temps sur des biens présents el sur des
biens à venir, on devra n éces~a ir em ent eo prononcer la divis1on. Il est certain , au co ntraire, malgré b généralité do
texte da l'article 943 ciue. lorsqu e l' intention du donateur
cra bien éviden te, lorsqu'il sera ~ tab li qu'i l n'a donné les
biens présents qu'en vo e et en considération des biens à ''enir et que la donation a formé dans son esprit un toot indivisible. on devra annuler compl ètement la libéralité. L'article 943 n'a pas voulu poser une règle absolue; c;'est seulement un e présomption ciu'il a en tendu établir. Ceci résulte de la façon la plus formelle des paroles prononcées
par Bigot-Prèamonou dan, son Exposé des Motifs : • Il est
plus naturel cle1irésumer que le donateu r de biens prèsenls
et à venir n'a point \'intention de disposer d'une manière
indivi. ible; la donation ne sera nulle qu'à l'égard des biens
à venir. ,, ( Locré T. 5 p. 327) . Tou t se réd uit, par con·
séquent, à une question d'in te1·prétation de volonté. On pre·
sume que lb donateur n'a pas entendu lier tellemen t le sort
cl es deux libéralités qu'il a faites que la null ité de l'une doive
entraîner forcément celle de l'<\Utrt: . La donation sera donc
divisée en principe, sauf aox parties intéres:;èes à prou,·er
que telle n'était pas la rnlonté du disposant. ( La~ren t
t. Xll, n° 4 17 ; Demolombe, T. XX, 11° ~ 1 2 et SU I\'.).
L'application des principes posés pa1· l'arlide %::5 n'aurait
dû. r,e semble, soule,·er eo pratique aucune difficu lté. 1l
n'en a ri en été cependant. La doctrine et la juri. prudence
ont été pendant longtemps et sont encore de nos jour divisées sur un certai 11 nombre de points quo nous allons exa.
miner.
�-
150 -
1. D011atiou d'm1 e Somme cl'arycnt payable au Décès du
Do1ialeur. - Peut-on donner une somme d'argent ou une
quantité de choses fongibles payables dans un certain temps
el plus spécialement a la morl du donateur ? Au cun dou te
ne saurait s'élever sur la validité d'un e pareille donation,
si elle avait pour objet un corps certain, meuble ou immeo ble. Dans ce cas, le donata ire devient en elTeLpar le seul fa it
de son acceptation et de l'observation des formalités reqnises
par la loi, propriétaire de la chose donnée (a rt. 118 5); il
a un droit actuel el irrévocalJle (a rt. 894) que le donateur
ne peut plus lui enlever. Mais en es t-il de même quand la
donation a pour objet une somme d'argent ? Je vous donne
une somme de dix mille fr ancs qui ne ser:i payal>le qu'à
mon décès. Une pareille libéralité est- elle val:lble? Quatre
systèmes ont été soutenus sur cc point.
Premier Systèrne: Une première opin ion décide que la
donation est nulle dans tous les c.as. Le tex te et l'esprit de
la loi, dit-on, commanden t cette solution. l e texte de la loi:
l'article 894 exige que le donateur se dépouill e actuellement et irrévocablement de la chose donnée. Dans l'espèce,
le donateur a le pouvoir de rendre la donation inefficace en
dissipant tout son patrimoine. L'effet du contrat e,t ùonc
entièrement subordonné à sa volon té (art. 943). Son esprit: Le législateur veu t, pour éviter des donations téméraires. que le donateur supporte les conséq ueuces de J'acte
qu'il a fait et éprou"e d'une façon sensible l'appauvri ssement résultant de sa libéra lit é; or, celui qu i donne une
somme d'argent payable à son décès peut se faire illusion
sur la for tune qu'il laissera à cet te époque et ne pas com-
-- 151 --
prendre tonte la portée de J'acte qu'il Yicnt cle passer. (Demante. Revtie c1'itique, T. Ir p. 556; Championnière et Rigaud , des Droits d' Enreyistrement. tome rI n°• 1 :546
et 15!~7 .)
Les auteurs de ce !'ystème y apportent cependant un
tempéramen t qn'il est bon de fai re connaîlre. Ils en~eignent
qu'un résultat analogue à celui que l'on veut alteindre en
donnant une somme d'argent payable au décès du donateur , peut être obtenu au moyen de la donation actuelle de
cette somme avec réserve de J'usnfruit au profit du disposant.Celui-ci ne pourra alors donner, à peine de nullité,
que dans la mesure de ses hcultés actuelles (art. 943).
Nous ne saurions admettre cette opinion rigoureuse,
même aYec l'amendement qu'y apporlentses partisans. Elle
é1end beaucoup trop la portée de la règle : Donner et retenir
ne vau t, et repose sur un e confusion évidente. Ecart ons tout
d'abord l'argum en t (]Ue l'on tire de l'e$prit de la loi. il .au rait pour conséq uence d'en trainer la nullité de toutes les
donations à terme, même de cell es qui portent sur des
cor ps certains et que le législateur lient cependant pour valables. Quant. acelui tiré des tex tes de notre Code et notamment
de l'article 91•5 . il ne saurait non plus avoir une bien grande
valeor. La libéral ité n'a point en elTet pour objet les biens
dont se compose le patrimoin e du don ateur; elle consiste
en un droit de créance acq uis par le donataire. Le donateur est lié. irrévocablement lié, dès le moment de la formation du con tral. Il ne dépend pas de lni de cesser d'être
débitenr . En rli san t qu'il peut détrui re et altérer l'elTet de
sa donation en di$Sipant son patrimoin e. on confond l'exi tenœ du drnit qu'i l a créé avec son efficacité. En fait il peut
�-
15! -
-
se faire que le donataire ne retire aucun avan tage de sa
créance, mais en droit elle constitue toujours une valeur
actuelle et si stérile qu'elle puisse être en définitive. ce
n'en est pas moins un droit positif et susceptible de transmission, une charge certaine et irrévocable dont le donateur
a grevé ses biens et qui pèsera sur son hérédité.
Deuxième Système: Dans ce second gystème, on 'enseigne
que la libéralité nulle en principe deviendra cepenùan t valable dans le cas où l'exécution en era garantie par une hypothèque portant ur les biens du donateur. Cette a!Teclation hypothécaire an ra pour efTet de sauvegarder 1ï rrévocabililé de la donation ; en rendant les actes de disposition
ou d'aliéoation que pourrait faire Io douateur inefficaces à
l'eocootre du don:itairc , elle assurera ;1 ce dernier le paiement de la somme qni lui a élé donnée. A l'a ppui de cette
première considération, on iuvoque en outre la tradition.
Telle était, dit-on, dans notre ancien droit l'opi nion de Pothier qui exigeait pour la rnlidité de la uonation: u Une
clause de dessaisissemen t par laquelle le ùonateur se uessaisit envers le donataire de ses biens jusqu'à due concurrence, en les chargean t de celle uelte pour le donataire .•
Ricard rnulait également que •Les biens du donaleur soien t
affectés à la rente dès le moment où la donation a élé
faite. • ( 1) Ferrière demandait enfin qne l'acte de donation portât hypothèqu e sur les Liens que le donateur arait
lors de la donation. (2) Ce système soutenu par Grenier
(T. 1, n° 67) et Va zeille (a rt . 94,5) a été reproduit et
(!) 1'• partie,~.. 100L éL 1000.
(-) Comme11laire de la Coutume de Pari\ Tome 111 , p. 1t'l9,
""'
5 et 6.
"'
1 ~3
-
adopté par le savant professeur de la Fa~nlté de Gand,
M. Laurent qui l'a longuemeot dével0ppé dans son ouvrage
sur les Principes du Droit civil français (Tome XII , n° !~ f 9).
Nous n'hésitons pas cependant à repousser cette opinion.
11nous paraîl impossible qu'une disposition accessoire puisse
avoir pour effet de valider une disposition priacipale entachée de nullité. L'exi ten ce et la validité d'une créance ne
sauraient dépendre des sûretés qui l'accompagnent. Uoe
constitution d'hypothèque peut bien rendre un droit plus
efficace. mais elle ne le crée pas. Si la libéralité est viciée
dans son essence, les garanties destinées à en assurer l'exécutioo ne sauraient non pins ralablement exister. On insLte
pour tant et on ùil : La donation est nulle daos l'espéce parce qu'elle est contraire à la règle: Donner et retenir ne vaut.
Or. l'hypothèque en lève au donateur le droit d'aoéantir sa
libéra li té; elle écarte le vice de révocabilité dont celle-ci est
entachée, elle doit par ~onséquen t la reodre valable. Cette
réponse est loin d'être déterminaole et ne saurait détruire
la portée et la force de uotre objection. Sans don te l'hypothèque limite dans une certaine mesure le pouvoir absolu
qu'a le donatenr ~e rendre inutile sa dooatioo, mais elle ne
le supprime pas. Le disposant ne peut plus causer un préjudice à rnn donataire en contractant de nouvelles dettes el
en aliénan t les imm eubles hypothéqués, mais il peut détruire
ses biens, les détériorer de telle façon que la créaoce de celui-ci ne soit pins qu'imparfaitement garantie el ne pnisse
plus s'exercer d'une façon utile . Une aITectation hypothécaire ne suffirait donc pas ;i. rend re irrévocable la doontion
d'une somme payable au décès du donateur, j celle-ci péclrnit par le défaut d'irrévocabilité.
�-
151. -
Quanl allx anciens auleurs cilés par M. Laurent , ils
ont loin d'être au si formels que semble l'indiq Dcr le savanl pro fesseur. Leurs décisions sont en général assez
obscures. 11 esl difficile de bien dégager leur pensée, N les
formu les don l il s se servenl peurent se prêter a Jes interprétations difTérentes. C'esl ainsi qu o le même passage de
Pothier ( lntrod11clion cm tilrc xv de la Cout11me ct'Or/éa.u s)
a pu être invoqué par les partisans clc deux systèmes absolument oppo e:' (1) . D'aill eurs, Du moulin et Fnrgole
se prononçaien t d·une façon catégorique pour la va lidité
de la donalion d'une somme d'argent payable au décès du
donateur, sa n exiger que l'exécuti on de celle libéralilè
fût garantie par une affectation hypothécaire.
Un troisième système, soutenn
par Coin-Delisle (art. 945, n°• 8 à 12). mai à peu près
aband onné aojourd'hni , exige one donblc co ndilion pour
qoe la donalion soit valable. Il fa ut : 1° qne le dooaleur
possède actnellemenl la somme donnée on des biens d'une
valeur égale; 2° que les bi ens qu'il laissera en mourant
soient les mêmes que ceux qu'il avait dans son patrimoine lors de la dona lion.
TrfJisième Système . -
Cc système repose, comme le premier. sur une co nfusion que nou- arons déjà signalée. Le donateur n'a point
donné Lelles ou telles cbo es déterminées; il a donné une
om me d'argent ; il s'e t constitué débiteur vis-à-vis du
donat aire . Il n'est donc pas nèce~sa ire qu 'il ail , an momenl
de la rlooalioo, des valeurs snffisantes ponr acqu ille1·
l'obligation qu'il a crmLractéc. Il n'est pas nécessaire non
(1) Laurc11t (1. r11 . llo 409), Ocmo!ombc (l ~'· n o:!9i.).
-
15 5 -
plus que ces mêmes valeu rs se re~rouvent à son décès
dans sa succession. L'action du donataire n'est point, en
elîet, dans ce cas i::irconscrite sur les objets qui appartiennent actuellement au donateur; elle por le indistinctement
sur tous ses biens présents et à ven ir. Le patrimoine
Lout entier d'on débiteur est aITeclé à sa libération
(art. 2092) .
Quatrième Système. -- Reste enfin on quatrième sys-
tème auquel nous croyons devoir nous rall ier. Nous avons
déjà indiqué les raisons sur lesqu elles il s'appuie. en réfutant les Lrois sys tèmes précéden ts. Il ne nous reste plus,
par conséquent, qu 'à l'expo,er ommairemeot.
La donation d'une somm e d'argent payaule à Lerme et
plus spécialemenl à la mort ùo disposant est, en principe,
valable par ce molif qu'ell e donne naissance à un droit de
créance au profit dn dona taire. A la vérité, son exécntion
peu l devenir impo sibl c par suite ùe l'insolvabilité du débi teu r, mais le drniL n'en sub iste pas moins; il permet au
donatai re d'iolenter one aclion soit contre la succesjon
dn di·pos:int. soit même contre ses héritiers, s'ils n'ont
pas eu le soin d'accepter sous bénéfice d'in ventaire l"hérédité qui leur C' l déférée. C'étail ce que décirlait dans
notre ancienne jurisprudence, Dumoulin, l'or:icle du Droi t
Coutumier, comme l'appelle M. Laurent . Jn dispositione
sunt duo, clispositio et cxewtio; dispositio Vl'l'O statim ligut
nec suspemlitur, licet e.nculio lla&eat tractum cul mortem ( 1).
C'es l égalen1ent la solnlion qui découle des principes Lie
( t) Commenla1rc r/1• Ill Co11lu111r du Rourbonnai._
�156 -
notre Jroil. Esl-ce à dire • <JU'une opinion, qui est. en
harmonie a\'ec les principes. est en opposition avee la
règle de l'irrévocabililé » ( 1)~ Nous croyons avoir prouvé
le contraire dans le cours de la rlis1:ussion à laquelle nous
nous sommes li Hé. Nous ne reviendrons pas sur celte démonstration.
Ce dernier système est aujourd'hui adopté par la grande
majorité de' au teurs (Demolombe, l. xx. n··~92 elsuiv.;
Marcadé, art. 9·i3, 11; Troplong. des Do11a1ions. t. Ill ,
n• 1200; Duranlon. t. v111. n° 4:5 7 : Dalloz, Répertoire ,
Dispos . e:11lre-uif's, n•' 1;>45 et suiv. : Naquet, Droit cl'E11·
t·egistreinenl , L. 11 , n• 912) .
Il est également consacré par une jurisprudence constante (Paris, 27 décembre 1851· : Req. . 11 ùécembre 1844; Agen. 10 juin 18:>1; Tribunal de Chalellc·
rault. 25 août 1851: Cass. civ., 18 novembr8 ·1861;
Angers, 50 mai 18ï5 ; Cas.. , '19 juin '1876; Caen ,
5 mars 1879) .
Le donataire d'une somme d'argent , payable all .J écès
du donateur , est donc un réritable créancier à Lerme. De
ce principe découlent de nombreuses conséquences ;
signalons les principales.
..
A. le Donataire est 1in Créancier à Terme. - Par
conséquent : 1• il aura le droil de faire des actes conservatoires (art. t 1PO); 2° s'il a été p:iyé avant la mort du
donaleur, il ne pourra pas être contrainl de restituer ce
qu'il a reçu . en vertu de la règle de l'arLicle 1 18 6 : ce CJU i
(1) Lauren! , T. xu, n• 'ol9 .
-
157 -
a élé payé d'avance ne peut étre rëpélé ; 5° sa créance
Jeviendra exigible, si le donateur tombe en faillite ou en
déconfiture (arl. 1188); li.• 1n;1is il ne pourra pas, sui"ant
l'opinion générale du moins. exerce r les droits et actions
dn donateur et se prévaloir de l'itrlicle 1166 qui ne s'appli que qn'anx créanciers dont la créance est exigible .
-
B. le Douataire est Créancier per~onnel du Donateur.
1° li a 11n droit acluellement existant ùans so n patri-
moine : i1 le transmet à. •es héritiers; il peut en di sposer,
. le céder soit à Litr e gratuit, soit à titre onéreux; ce droit
forme le gage de es propres créanciers qui pourront,
substituant leur action à la sienne, faire tons les actes
qu'il .'.l urait pu faire lui-même (a rl. 1t66); 2• il pourra attaqner les acLes que le donateur aurait faits en !raude de
ses droils (arl. 1167), notamment les aliénali ons qu'il
anrait consen ties , et par là se trouve corrigé un des inconvén ients du syslème que nous avons adopté ; 5° à la
mort de son débiteur, il pourra se faire payer sur tous
les biens qui composent la succession , même sur ceux
acqnis postérieurement à la donation ; il aura même une
action contre les héritiers , si ceux- ci acceptent purement
et simplement la succession qui leur esL déférée ; 4° à
l'échéance du terme, il sera payé sur tous les biens du don:i.Leur par con tribution et au marc le franc avec tous ses
autres créanciers chirographaires , aussi bien avec ses
créanciers à Litre gratuit qn'a"ec ses créanciers à Lilre onéreux.
Celle dernière conséquence n'a pas été admise comme
les précédentes. La Cour de cassa tion déciùe au contr~ire
�-
'1
158 -
qo'ao cas où deux donalions de sommes d'argent payables
l'une et l'autre au ùécès du donateur ont été successivement fai tes an profit de deux perso nnes dilTérenles, si, au
décès du donateur, ses bi ens se tronven t insuffisants pour
faire face aux deux donations. il' doivent être appliqués ,
par préférence,- à. l'acquittement de la première , nlors
même que la seconde serait accompagnée d·une affectation
hypothécaire; cette aITectation n'ayan t pu avoir pour effet
d'annihiler le droit irré\'ocable du premier donataire (Cass.
Req . ï mars 1860; Journal du Palais, 1860, p, 555:
Voir également Nicias Gaillard , Revue critique . t. X\' J ,
p. 195: Aubry et Rau, t. \ ' li, §707),
La doctrine de la Cour suprême repose tout entière
sur un principe dont, à. notre avis, elle étend beaucoup
trop le champ d'application, le principe de !'irrévocabilité
des donations entre-vifs. Si les donations de sommes d'argent payables au décès du donateur ne devaient pas , dilelle. en cas d'iosufû~a nce des biens de ce dernier être
exécu tées suivant l'ordre de leurs dates , il dépendrait du
disposant de rendre illusoires les libéralités qu'il aurai t
précéàemment faites el ù'anéan tir ainsi des actes que la loi
déclare cependant irrévocables. A l'appui de cet argument
de principe, la Cour de cassa tion invoque deux arguments
de texte. Le premier e t tiré de l'article 923 qui veut que
la réduction des donations qui excèdent la quotité disponibl e s'opère en remon tant JP,s plus récen tes aux plus anciennes. «S' il est vrai de dire, dit M. Nicias-Gaillard, sous
la présidence duquel a été rend u l'arrêt du 7 mars 1860,
que cet article ne dispose, en termes exprès, que pour le
159 -
cas où il "a~i l de repren dre ce qui manque sur les libéralités fai te!' par le défuut , cette disposition n'est, en ce qui
se rapporte ;iux libéralités entre-vifs. qu'une conséq uence
de !'irrévocabilité des donations. principe qu'apparemment
on ne prétend pas renferm er dans celle un ique application .
Or, c'es t le principe qui importe beaucoup plus que les
co n sé~ u ences particu lières ( 1). • Les partisans de ce système se fondent en second lieu sur l'article 1085. An cas
d'une instituti on contractuelle. le donateur ne peut pins
disposer :i titre gr<i tu il rles biens qui on t fait l'objet de la
donation, si ce n'e L ponr des ommes mod iq ues ou à ti tre
de récompense . Et cependant, ajoute ~t. Nicias Gaillard.
• l'institution contractuell e n'e t pas absolument irrévocable, il s'en faut bien; celui qui ri'a disposé que cle cette
façoo. non seulement demeure libre d'ali éner et d'engager
ses biens à titre onérenx , mais il peut en disposer même à.
litre gratuit, du moins dans une certaine mesure. La donati on entre-rifs enlève. au co ntraire. au donateur tout pou voir
sur les biens donnés. Comment donc, des dispo itions
postérieures pon rraient-elle:; contre la donation r.ntre-v ifs
ce qn'clles ne pourra ient p'.\ ' contre l'institution contractu elle (2) . •
Quelque pu issante que parais e cette argumen tation. il
nous semble qu 'elle ne résiste pas à un examen sérieux.
D'abord, l'argument ti ré de la règle : Donner el retenir ne
vaut ne prouve rien précisémen t parce qu'il veu t trop
prouver. Si cette règle est ri olée, dans le ca où l'on admet à. concourir cotre eux deux donatai res de somme
( ll fien te en/11J11e, l.
\il Lor. cf/ .
\v1 ,
p . 190
�-
160 -
d'argent payables au décès du donatem , qu ell e doit en
être la conséquence? C'est la null iLé de la première libéralité elle-même. Le donateur oe s'est poin t, en effet, dé·
ponillé irrévocablement. puisqu'il reste le maîlre d'amoindrir l'importance de sa donation et d'en dim inu er le montant; le donataire ne saurait donc avoir aucun droit
(art. 945). Tel est le résult at auquel conduit forcément
le principe iu voqué par la Cour de cassation, et que celleci se refu se cependant à :idmellre. Elle reconnait, au
contraire, que le donataire est un véritable créancier. Mais
alors il devrait. à ce titre. renir par contribution et au
marc le franc ur le prix des bi ens de son débiteur . avec
tous ses autres créanciers soit à Litre onéreux, soit à titre
gratuit. à moins qu'une disposition fo rmelle ne lui accordât
sur eux un droit de préférence. Or. quel est le tex te où il
puiserait un privilège à. l'enco ntre du second donataire?
C'est d'abord et principalement , di t·On , l'article 92 5
qui n'est qu'une application spéciale au cas de réduction du principe de !'irrévocabili té. Il est facile de se
convaincre du contraire. L'article 925 repose si peu sur
le pri ncipe de !'irrévocabilité qu 'il s'applique même au do·
nations entre époux qui sont cepenuant essan tiellement
révocables. La raison de la règle qu'il con tient est donc
ailleurs. elle découle du pri ncipe de \'indisponibilité. Si les
donations dernières en date sont réduites avant les pre·
mières, c'est parce qu'elles sont faites par une personne qui
excéde le pouvoir de disposition que lui donne la loi.
Toutes les libéralités faites dans la limite de la quotité disponible sont irréprochables et ne peuvent pas être attaquées par l'héritier réservataire puisque son droit est resté
-
161 -
complètement intact; celles, au contraire, qui dépassent
celle lim1Le lui causent véri t.·'\L>lemeot un préjudice et entament sa réserve. li est juste, p:ir conséquent, qu'elles subissent la réduction avant les premières.
Quant à l'article 1085 que l'on invoqne en second
lieu il s'explique également pa1· un motif tout particuli er.
II assimile !'insti tué à un véritable héri tier ; il crée en sa
faveur un droit spécial, sui yeneri.s , une sorte de réserve
qni ne saura it être réclamée par un donataire •>rdinaire
(art. 94 1), et c'est pour cela qu'il défend à l'instituant de
disposer à titre gratuit au préjudice de !'institué des biens
compris dans la donatio n. .Mais il faudrait bien se l:>aarder
de rattacher au prin1;ipe dr. l'irrévocabilité. la prohibition
conten ue dans l'arti cle 1083. Ce principe aurait en elTet
pou r conséquence de fa ire tomber même les aliénations à
titre onéreux consenties par le di sposant, car ces aliénations lui permettraien t également de rendre inefficace la
libéralité qu'il a fai te. Or cela est inadmissible en présence
des dispositions formelles ùe l'article 1085.
Le système de la Cour de cassation ne peut donc s'appuyer sur aucune disposition de n0tre Code. Ajoutons. du
reste, qu'il entrainerai t des résultats véritablement ioaccep·
tables. Il créerait eo faveur du premier donataire d'une
somme d'argent payable au déeès du donateur un droit de
préférence d'au tant plus dangereux que rien ne révèlerait
son existence aux personnes intéressées à le connaitre. Il
condui rait en ou tre à des difficultés pratiques impossibles à
résoudre . Supposons. en eITet. deux donataires successifs
de sommes d':irgent payables au décès du donateur en
concours aYec un créancier à titre onérèux de celui-ci.
..
�- 162 Ces deux donataires doivent, chacun pris séparément.
venir par contributi on el au marc le franc avec cc créancier ; ils <le\'raient par conséquent avoir des ùroits égaux
l'nn envers l'autre. Les prin cipes posés par la Cour suprême amène11t cependant à cette conséq uen ce, qu e le
premier donataire. qui n'a pas la préférence sur le créancier à titre onéreux . est préférëau second donataire qui a
les mêmes droits qu e celui-ci. Les difficu ltés d'a pplication
que soulèverait ce système deviendraient encore beaucoup
plus grandes si nou nous plaço ns dans l'hypothèse sui·
vante : Le 1" janvier 1880 je donne à Paul une so mme
déterminée payable à mon décès ; le t • r janvier 188 1 je
fais une donation semblable à Pierre à qui JO co nfère
une hypothèque et qui prend inscripti on ; enfin le 1••janri er t 882 j'emprunte à Jacques à qui ·je concède également un e hypothèq ue sur mes bi ens. Si. à ma mort.
mon actif est insuffisant pour acqui tter toutes ces dettes,
comment règlera-t-on le conflit qui se produ ira entre mes
divers créanciers? A qui donoera-t-on la préférence? Pau l
doit-être colloq ué avan t Pierre, mai .5 Jacques du:t passer
avan t Paul et cependant l ' hypo th ~q ue consentie à Pierre
et dont Jacques a cer tainement ·~o nnu \'existence le place
avant celui-ci. On se trouverai t donc dans ce cas enfermé
cl ans un véritable cercle vicieux dont il serait impossible
de sortir .
Notre conclusion e t qu e la première donation ne
sera préférée à la seconde que si son exécution se
trouve garantie par une aflccta tion hypothécaire qui manqne à celle-ci ; dans le cas con traire. les deux donataires
-
165 -
vieudrofll au marc le franc. Nous pensons cependant que
le donataire antérieur aurait toujours le droit d'intenter
l'action Pau lienne et d'attaquer la seconde libéralité comme
faite en fraude de ses dro its. A ce point de vue même il
aurait pl us de chances de réus~ir dans sa demande si le
second donataire avait oùtenu des garan ties qui ne lui ont
pas été accordées. a Celle circonstance, en effet, fait re·
marquer avec infiniment de raison M. Labbé, fait présumer que le second donataire et partan t le donateur avaient
des doutes sur la possibilité de l'exécution intégrale des
deux libéralités ( l). "
Le système que nous avons développé semble cependant
bien que conforme aux véritables principes du droit, définitivement condamné aujourd'hu i par la jurisprudence. La
cour de Caen vient encore de se prononcer en sens contraire par un arrêt du 5 mars 1879 (Journal dit Palais
1879 p. 5 15) . C'est là, croyon5-nous, la dernière décision judiciaire qui :;oit intervenue sur cette question.
Il. Donation cl' tme somme cl' argent à prendre sttr les
biens que le donateur laissera à son de'cés. - Cette donation
ressemble beaucoup au premier abord, à celle que nous venon~ d'étudier. li impo1te cependant de bien distinguer ces
deux sortes de li béralités. Cr.lui qui donne une somme
d'argent payable à son décès entend se constituer irumédia·
temen t débiteur de so n donataire ; il se troUYe lié d'une
façon irrévocable sans qu'il so it en son pou voir de se soustraire à. l'exécu Lion ùe l'obligation qu'il a contractée. Celui
qui donne, au contraire, une somme déterminée à prendre
sur les biens qu'il laissera à. sa mort n'a voulu la plupart du
( 1) Journal du Palais, année 1860, p. 355.
�-
itH -
temps que conférer une créance évenluell e ·ur sa snccession. créance qu i no prendra nais ance que s'il laisse
des biens el jusqu'à co ncurrence de ces biens. Le ùrnit du
donataire est limilé dans ce cas ; il ne porte qu e sur les
objets qui se trouveront dans le patrimoine du disposant
à l'époque de sa mort ; il n'a aucune acti on contre les
héritiers. li dépend doue du donateur en dissipant toute sa
fortune de révoquer la donaLionqu'il a faite. Celle-ci est,
dès lors,conlraire à la maxime: Donner et retenir ne vau t,
et nulle par conséquent en vertu de l'article 943.
-
165 -
rita ble caractère de la di·po"ition qui leur est soumise. ils
devront sui vre la règle si age contenue dans l'article
11 57 et par conséqu ent lplutôl valider la donation qne
l'::i nnuler. La jurisprudence a. d'ailleurs, toujours usé très
largement dn pou,·oir d'appréciJtion qu i lui est accordé ;
c'est ce qui résulte de plusieurs décisions judiciaires et notamment d'un arrêt de rejet du 18 novembre 186 1 (O.
1861. 1, 4-Gfi) .
SECTION III
A\'ant de terminer cette importante matière il est nécessaire de faire une dernière remarque qui nous paraît essentielle. Nous ayons supposé jusqu'ici que celui qu i donnait une somme d'argen t payable à son décès avait voulu
transmettre à. son donataire un droit actuel et irrévocable
dont l'ex igibilité seule était retard ée, qu'à. l'i nverse celni
qui donnait une som me à prendre sur les biens de sa succession n'avai t entendu conférer qu 'u ne si mple espérance
qui s'évanouirait s'il mourait insolvable. Le contraire peut
cependant se présen ter. Aussi faut-il bien se garder de poser une règle générale et absolue et de faire loujours dépendre la nulli té ou la validi té de la donation de la formule employée par le disposant. Ce sera aux tribunaux
juges souverains des questions de fait à recherch er quelle
a été l'intention du donateur. Ils auront à ce point de vue
à teni r com pte des termes <le l'acte, des évènemen ts qui
l'auront précédé ou accompagné, en un mot de toutes les
circonstances de la 1:ause. Dans le dou te en ri n, si ces
di vers éléments ne leur permettent pas de distinguer le vé-
DES DONA'fIO:XS FAITES A LA CHARGE PAR LE DONATAIRE
D'ACQUITTER LES DE1'TES DU DONATEUR
Le ùonateur peut grever son donataire de certaines
charges et lui imposer l'obligation ù'acquitter certaines
dettes. Il étai t libre de ne pas donner, il est libre .
par conséquent, de soumettre la personne qu'il veut gratifier a telles obli~at i ons qo'il jugera convenables pourvu
qu'elles ne soient poin t prohibées par la loi_- Mai~ ~e. droit
qui lui appartient avait besoin d'être défi.111 et hm1te par
Je législateur. « Il n'y a rien. disait Ricard . de plus contraire à. l'irré11ocabilité et à la certitude nécessairement requises pour rendre valable une donation entre~Yif~, que
la liberté donnée au donateur ùe pouvoir la redu1re au
néant par la création d'autant de delles qu'il lui pl~ira .:
cette disposition e t plutôt du ressorl de la donation a
cause de mort dont la marque est lorsque le donateur no
veu t pas qui tter absolument la propriété de la chose don-
�- . 166 -
née. » ( 1) C'est pour ce motif quo l'article 16 de \'Ordonnance de 1751 a\·ait prononcé la nullilé des donations « Lorsqu'elles seraienl faite· à la condition de payer
les dettes et charges de la succession du donateur en tout
ou en partie, ou autres delles et charges que celles qui
existaient lors de la donation. même de payer la légitime
des enfants du donateur , au delà de ce dont ledit donataire peut en être tenu de droit. • L'article 945 a reproduit celte règle sous une forme plus laconique et qui
prête par conséquent :\plus d'équiYoque. « Elle (la donation) era pareillement nulle si elle a élé fai te sous la
condition d'acquiller d'autres dettes ou charges qu o celles
qui existaient à l'époqu e de la donation ou qui seraient
exprimées soi t dan l'acte de donation, soit dans l'élat
qui devrait y être an nexé. n
Avant d'étudier en détail la disposition de cet article il
nous paraît uti le d'examiner la question de savoir si les
donataires sont tenus de plein droit des detle.s du donateur à défaut de stipulation expresse dans J'acte de donation. On a l'habitude, en pratique, d'appliquer aux donations entre-vifs la division que l'article 1002 a fai le des
legs. Or les legs peuvent êlre universels, à titre universel ou à titre particul ier. Le legs universel est celu i
qui donn e vocation à la totalilé des biens que Je testateur
laissera au jour de son décès (art. 1003). l e legs à titre
universel est celui par lequel une personne lègue su it nno
quote-part des biens dont la loi lui permet de disposer,
soit tous ses immeubl es, soit tous ses meubles, soit nne
-
fraction de tous ses immeubles, soit une fract ion de Lous
ses meubles (art. 1010) . Le legs à titre particulier est
celo i qui ne rentre ni dans l'une ni dans l'autre de ces
deux catégori es . qu i n'est par conséquent ni universel ni
à. ti tre un iversel. De même on appelle très improprement.
selon nous. donations particulières. universelles, a Litre
universel. cell es qni correspondent pour leu r quantum ala
division légale des legs .
De quelle faç,on ces di vers donataires con tribueront-ils
au paiement des dettes du donateur? Le Code ne prévoit
nulle part cette question; il faut Jonc la résoudre d'après
les principes de notre droit.
.
Premier Système. - Dans un premier système on applique aux donataires la théori e du paiement des dettes par
\es légataires. On décide donc que les donalaires ~ tilre p~r
iiculier ne seront poi nt tenus des dettes, exceple lorsqu tls
auront reçu un immeuble aITecté par hypothèque à leur acqui Ltement et sauf dans ce cas leur recours contre le donateur ou ses héritiers. Quant aux. donataires universels ou à
tilre universel, ils contri bueront de plein droit au payement
des dettes soit pour le tout, si la dona tion comprend tous
les biens présents du dispo ant, soit pour une fraction correspondanle it la portion qui leur e~t donnée. si elle ne
les comprend pas tous. Ils recueillent en eff~t. c~mme I~
héritiers, les successeurs irréguliers . les legata1res u01versels ou a titre unirerscl, un ensemble de biens. Il faut
donc les soumollre aux mêmes obligations que ceux-ci et
leur fa ire application de la règle : Non dictmltir bona nisi
dedttrto œre alfon o.
(1)
Des Donations, ! •• porlic, page 102; .
t ()7 -
�-
168 . ..
C'était déjà ce quo décidaient plusieurs de no Coutumes dont les dispositions étaient form elles dans cc sens.
(Coutume de Normandie, art. 4· 17 ; Coutume du Bourbonnais, art. 209). La plupart de 11os anciens auteurs
partageaient cette façon de vo ir. Ricard, notamment (5"
partie, n° 1522) et Pothier pbçaieo t au même rang au
point de vue de l'obligation aux doues las donataires et
les légataires. Sans doule aucun texte du Code n'es t venu
reprodnire et consacrer formellement leur opinion, mais
rien non plus ne prouve que le législateur de 1~04 l'ait
repoussée. li résulte, au contraire. des travau:-. préparatoires qu'on a voulu sur ce poin t maintenir les anciens
principes. Voici. en effet. commen t s'exprimait le tri bun
Jaubert dans son rapport au Tribunat : • Les donations
comprennent ou la totalité des biens. ou une quotité de
biens, ou une espèce de biens, ou enfin une chose particulière.- Donatiou de tous les biens... il n'y a de biens
qu e ce qui reste. dédu ction fa ite des dettes. Conséq uemment le donataire de tous les biens est ten u de dr oit, et
sans qu'il soi t besoin de l'ex primer de toutes les dettes
et charges qui existent à l'époque de la donation. - Donation d'une quoti té de biens ..... Je donataire doit supporter les dettes et charges en proportion de son émolument. - Donation d'une f'Spèce de uiens. par exemple
d'nne uni versalité ou d'une quote-part des immeu bles
ou des meubles . . ... Dans le système de la loi, la disposition d'une espèce de biens est aussi à litre universel.
Le donataire d'une espèce de biens doit donc, comme Io
donataire d'une quote-part. supporter les dettes et charges,
en proportion de son émolument. - Donation d'un objet
-
169 -
déterminé... . . Le donataire n'est obligé de payer que les
dettes ou charges auxqu ellrs il s'est expressémen t soumis. •
(1) Ce passage du rapport dn tribun Jaubert prouve
bien que si les réùacteurs du Code n'ont point. ainsi qu~
le leur demandait la section de législation du Tribunat
(Locré T. XI p. 555) inséré dans la loi un article formel poul' consacrer l'obligation des donataire:; aux del tes,
c'est qu'ils ont pensé que cet article était inutile, étant
donnés les pri ncipes généraux de notre droit. Comment
du reste pourr:iit-il en être autrement ? Quand quelqu'un
donne immédiatement toute sa fortune présente, tous ses
biens présents, n'est-il pas éYideot que cela signifie tout
son actif moins son passif ? La fortune d'une personne
c'est ce qui reste déduction faite de ses dettes. Adm1:ttre, ajoute-t-on enfio , que les donataires universels ou à
titre universel ne doivent jamais con tribuer au paiement
des dettes du donateu1', serait fou rnir aux individus peu
scrupuleux un moyen faci le de se soustraire à l'exécution
des obli gations qu'ils ont con tractées et leur permettre
d'enl ever à leurs créanciers par des donations fictives le
gage su r lequel ceux-ci avaient dû légitimement compter. Ce serait encourager la fraude et la mauvaise foi
des débiteurs (Delvincourt. T. II. p. 276 ; l\Jarcadé, art.
612, n° 3; art. 1085, n• 5; Dalloz, Répertoire, Disposit.
entre-vifs n• 1717 ; Riom , 9 décembre 1809; Limoges,
29avril 1817; Toulouse 15avril 1821; Bordeaux , 23
marsi827 .).
( 1) Locr é.
Ugi~lallOll CIVIie'
T. X!. p. 459 ot rno.
�-
170 -
DcuxièmeSystème .-- Dans un second sy-tème plus g6110-
ralement sni vi etanq ucl nou croyons devoi mous rail ier, on
décide que les donlllires ne sont jamais tenus de p!eiu droit
des dettes tlu donateur; le:; .JJna Lai res de bi ens déterminés ,
puisque le légataire à titro particulier n'en est lui-même pas
ten u; les donataires de tout ou d'nne partie aliquote des
biens présents , parce qu 'ils ne sont qur. des successeurs à
titre parti!;ulier. Les successeurs universels ou à titre universel . en effet, so nt ceux qni ont droit à l'universalité du
patrimoine ou à une quote-part de celte universalité, c'est.
à-dire des biens q11e la perso une à laquelle ils succèdent
laissera dans sa succe sion. Or, le donataire que l'on appelle bien à tort donataire universel. n'a droit qu 'aux biens
présents du donateur, c'est-a -dire à de.s biens particuliers. Il
n'a aucune vocation sur les bi ens à venir: il ne peul même
en avoir aucune en vertu de l'article 9!~3. li en est de même
en ce qui concerne le donataire à titre universel. " Il est
impossible de dire pour quelle por tion ce donataire est successeur, puisque le donateur pouvant acquérir de nouveaux
biens et dissiper ceux qu'il n'a pas comp ris dans la donation, il n'y a aucun moyen de dâterminer quelle est cette
portion; or. le titre uni\'ersel fait connaître tout d'abord,
à la seule inspection de l'acte, la quoti té dont il se co mpose. - ( 1) On ne sa urait donc imposer à ces dona taires
l'obligation d'acquitter les dettes du disposant , à moins
qu'ils ne s·y soient engagés ou qu'ils n'aient reçu un immeuble aITeclé par hypothèqu e au paiement d'une dette et
sauf recours dans ce dernier cas.
(I J Duranlon T. VIT, n• \1!.
-
171 -
Ces principes étaient déjà. su ivis en droit romain (L. 12
C. de Donat. ) Un certain nombre de nos anciens auteurs les
avaiont égalemen t admis. C'es t ainsi que d'.-\rgentré (su r
l'Art. 2 19 del' ancienne Coutume de Bretayrie)enseignait que
les seuls donataires so nmis de plein droit aux dettes étaient
ceux <lorit la donation participait de la nature des donations
à. cause de mort , aul omnium bonorum , aul quotœ sic {acta
a morte donaloris vires ca1>ial, quolœ posl mortem 11erci7Jiendœ. Furgole (Comment. sur les Donations, p. 123 et
ul
l 24)soutenait une doctrine analogue. Ricard lui-même. tout
en admettant pour des motifs d'équité. une opinion différente.
r<Jconnaissait cependant que celle-ci était plus conforme aux
véritables principes du droil. • Je dis Llonc pour év iter tou t
embarras en m'attachant à la raison qui doit être le prin cipe
de toutes choses que les donations entre-vifs ne so nt pas
sujettes aux delles. La raison est que la donation pure entre-vifs ne pouvant comprendre que les biens présents. il es t
impossible qu'il se rencontre uo titre universel dans celle
espèce de donation, l'universali té comprenant l'avenir aussi
bien que le présent. » ( 1)
Le législateur du Code a-t-il \'Ou lu consacrer une doctrine
dilTérentb~ Evidemment non . Nous ne voyons. en eITet, aucun arLicle imposer aux donataires universels ou à titre
uni \'erse! l'obligation cl'acqu iller les delles c~u donateur. Les
Ti tres des successions et des donations ne parlen t que des
héri tiers, des successeurs irréguli ers, des légataire uniYersels el à titre uni,·ersel el des donataires de biens à.venir plr
contrat de mariage (art. 1084. 108 5). Cederniel' article nous
(~)
/Jcs J)o11atio11$
a·
portic, n• la'l1.
�-
-
172 -
fournil même un aq~umcnL ùe pins en faveur de notre orinion . li soumet Je ùonalnire de· biens présents et à venir au
paiement dos ùettes, disposition qui eût été bien inutile si
tout donataire eût été so umis h cette règle. Quand à l'opinion du tribun Jaubert invoquée par les partisans du système contraire, elle ne saurait avoir aucune autorité législnti,·e et n'a même qu 'un e valeur doctrinale bien restreinte,
car elle repose sur nne erreu r manifeste en consiùérant les
donations de tout ou de partie aliqu ote des biens présents
comme constituant un mode de transmission à titre universe l.
La conclusion de tout ceci. par conséq11ent, est que les
donataires de biens préseo~ ne sont pas tenus de pl ein
droit des det~es du donateur (Oemolombe T. XX , n°• 4.54 et
sui\' .; Laurent ,T. Xll , n°'5 99et suiv.; Aubry et Rau , T.VII
paragraphe 706 , note 2; Duran ton . T . Vm, nos 472,11-73;
Troplong. de ta Veute. n°• 449 et suiv. ; Montpellier, 8
avril t 855; Toulouse, 15juillet18 59 ; Cass .. 2 mars 1840;
Amiens. 6 juin 1840 ; Pau, 16juillet1 852; Montpel lier,
15 jan\•ier 18::i4; Chambéry, 25 janviel' ·186 1 ; Toulouse, 29 janvier i 872 ) .
Cette doctrine pourra parfois produire des rés ultats fâcheux . Assurémen t, il sera regrellable de voir <les débiteurs
obérés de dettes se soustraire. grâce à tles donations la plupart du temps fraudul euses, à l'action de leurs créanciers.
Ceux-ci tout~fois ne sont pas complètement désarm és. Ils
peuvent intenter l'acti on Paulienne et fairn rentrer ainsi
da11s le patrimoine de leur débiteur les biens qui en étaient
sortis en fraude de leurs droits. Mais nous n'admettons pas
a"ec M. Demolombe : 11 Que dans le cas même oü le do na-
175 -
taire n'aurait été so 11mi~ par aucune convention à l'obligation de payer les dettes, le donateur aurait en général le
droit de retenir sur les biens donnés une valeur soffisan te
pour les acquitter. n (1) Ce serait , en effet. ruiner lesys tème
que nous défendons, quelque distinction que l'on poisse
faire cotre l'obligation perso nnelle du donateur et la retenue des dettes exerr,ée par lui sur les biens donnés. Le disposant n'a qu'un seul moyen pour forcer la personne qu 'il a
gratifiée à contribuer au paiemen t de ses dettes, c'es t de lui
imposer cette obligation pa1· une con ,·enLion .
Cette convention peut être, d'ailleurs. tacite aussi bien
qu'expresse. Toute la difficulté consistera donc à recherr,her
dans quels cas il y aura consentement tacite du donataire à
payer les dettes du donateur. Ce sera là une question de
fait dont les tribunaux seront souverains appréciateurs
(Req. 13 novembre 1854, O. 1855, 1, 7).
L'article 94 5, don t il nous fant ruainteno.nt. étudier les
di spositions. s'occupe du cas où one clause spéciale insérée
dans l'acte de clonation e::t venue soumettre Je donataire au
paiement de certaines dettes du donateur. Deux hypothèses
distin ctes que nous allou · examiner séparément sont prévues par ce texte.
1° Le donataire est chargé d'acquitter les dettes présente~
du donateur ;
2° li est chargé d'acquitter des dettes futures.
A. Le Donataire est chargé cl'acqt1itler les Del/es pres;mtes
clu Donateur. -- Celle clause n'est point incom patible a"ec
la règle: Donner el retenir ne vaut. Tont est. enelTeL, certain
(1) Tome XX, n• >60.
�-
171~
-
et dëlerminé dès le momeol de la formation du contrat. Il
n'est plus au pouvoir du donalenr de revenir sur la libéralilé qu'il a faite. de l'altérer ou de la détrnire. Pour que
cette clause soit valable, il n'est même pas nécessaire que
les dettes soient ex primées ùans l'acte rle donation oa dans
un état aonexé à cet acte. L'article 91.5 ne l'exige pas . La
disjonctive ou qui sépare{ les deux parties de ce tex te indique bien que celte énuméra110n détaillée n'est requise que
pour les dettes futures. A quoi bon, d'ailleJJrs, exiger une
formalité qui n'a d'autre but que de sauvegarder le principe de !'irrévocabilité, puisque dans l'espèce la llonatiGo
est irrévocable. Toutefois. le donataire aura la plupart du
temps un grand intérêt a faire dresser nn état des dettes
mises à sa charge. fi ponrra ainsi se rendre un compte
plu~ exact de l'opération qu'il vien t de faire, juger par là
des bénéfices qu'il en relirera, voir enfin si la li bëralilé ne
cache pas en réalité un véritable contrat à titre onéreux.
Remarquons, du reste, qu'il ne sera jamais tenu que des dettes ayant date certain e au moment de la donation . li serait
autrement trop facile pour le disposant au moyen <l'antidates d'amoindrir l'importance de sa libéralité.
B. Le Donataire est charg~ cl'cicqtûlter des Delles (utnre:;
du Donateur. - En ce qui concerne celle seconde hypothèse, la formule trop laconique de l'article 945 pourrai t
donner lieu à certaines confusions qu'il importe de prévenir. Il est donc nécessaire de bi en préciser ce qui se trouve
contenu dans ce texte.
Si le donataire est soumis à l'obligation de payer d'une
façon indéterminée, toutes les dettes présentes et futures ùu
-
17 5 -
donateur , la donation est null e pour le tout. Cela ne saurait faire l'objet d'aucun donte et c'est à une pareille lt béra1ité que Ricard fa isait alln.ion lorsqu'il disait qlle rien n'était plus contraire au prin cipe de !'irrévocabilité. On ne
pourrait même pas dans ce cas tirer argument de l'article
945 el déclarer seulement sans efTet l'obligation imposée
an d1rnataire de payer les dettes futures tout en laissant subsister celle d'acquitter les detles présentes. Il est certain, en
e!Tet , que 1:\ clause apposée à la donation est indivisible et
qu'on ne aurait sans violer l'intention du donateur scinder
une pareille dispo iti on.
Si. an contraire. les detles el charges fu tures dont le don:i taire est tenu sont déterminées et indiquées soit dans
l'acte même de donation, , oit dans un état y annexé, la libéralité est valable (art. 945). Mais dans quelle mesure
est-elle valable? Une personne rt-çoit donationis causa unt:
somme de 1OO ,000 francs à la charge de contribuer au
paiement des dettes du donateur jusqu'à con current.:e d'un
chiffre déterminé. La donation vaudra-t-elle pour le tout,
c'est-à·dire jusqu'à concurrence de 100,000 francs ou au
con traire faudra-t-il en dériuire hic el mmc le montant des
dettes mises par le disposant à la charge dn donataire~
C'est dans ce dern ier ens qu'il faut sans hésiter se prononcer. " Si le donateur. disait Pothier, a limité jusqu'à
quelle quantité le dona taire en serait ten u, la donation ne
sera nulle que ju·qu'à concurrence de celte quantité, et
le sera quand même le donateur n'aurait pas usé de cette
fac ulté.• (1) Le disposan t s'est, en elîet, réservé le droit
( 1) lnh'o<luclion au tii1"e XI" <le la Co11 /1tme d' Ol'léa11s, n• 18.
�-
176 -
de révoquer el d'anéantir sa libéralité en cont ractant des
dettes jusqu'à coo curren ~e d'une certaine somme. Il importe peu qn'en fait il n'ait pas usé de ce droit. Il suffit
pour porte!' atteinte à la règle : Donner el retenir ne vaut,
qu'il ait en la faculté d'en user. La donation était révocable
à son aré
dans une certaine mesure, ell e doit être annulée
0
dans la même mesure.
Il nous est impossible ùo prévoir toutes les diUiculLés
d'application qui pourraient se présen ter en pratique relativement à l'article 945. Bornons-nous seul ement à signaler les principales.
On s'est demandé, par exem ple, si la donation qui imposait au donataire l'obligation d'exécuter le testament que
pourrait faire le donateur étai t valable. Nos anciens auteurs
tranchaient en général celte question dans le sens de l'affirmative en se fondant sur ce que le montant des legs était
facilement déterminable m·bitrio boni viri. L'Ordonn ance
de 175 1 avait déja repo ussé cette doctrine qui ne saurait
pas davantage être acceptée auj ourd'hui . li est absolument
nécessaire, eo effet. que dès le moment de la formation du
contrat les charges auxq uelles est soumis Je donataire
soient déterminées et évaluées d'une faço n précise et
exacte. Or rien ne serait plus arbitraire. plus con traire au
texte et à l'esprit de la loi que de laisser ad arbitriHm
boni viri le soin d'évaluer le montant des dispositions testamentaires que le donateur pourrait faire par la suite (Troplong. des Donations T. llI, n° 1 2~ 0 ; 0emolombe. T. XX.
n° 422; Duranton, T. Vlll. n° 485).
Jl faudrait admettre la même solution et annuler la libéralité même dans le cas où le testament que le donataire
-
177 -
serait chargé d'exécuter aurait déjà été fa it par le donateur.
C'est en vain qu e ponr souten ir la validité d' une pareille
disposition on prétendrai t que le montant des legs est
dès maintenan t déterminé et invariable. Cela ne saurait
suffire ponr un double motif : d'abord il fa ut, ainsi que
l'exige l'article 945 . que les dettes mises à la cbarge du
donataire soient exprimées ùaos l'acte de Jonation ou dans
un état y annexé; en second lieu. le sort de la libéralité
serait tout entier entre le mains du donateur qui pourrait soit cm révoquant le testament quïl a fait, soit en le
laissant subsister. donner effet à. sa donation Oil au contraire l'anéan tir (D1lloz, Disp. c11lre-vifs, n" 1574. Contra Demolombe T. XX. n° 445).
On devra it également et pollr des raisons analogues annlller la donation qDi soumettrait le donataire à l'obligation
d'acqui tter un e certaine caLégorie de legs tels par exemple
que les legs pienx ou rém1Joéraloires. Sans doute ces sortes de disposiLions ne dépassent pas en général un max imum qu'il esl facile de prévoir : mais il n'est pas moins
vrai qu'elles contiennent une charge indéfinie qui n·a d'autres limites que la volonté et le caprice du donateu r .
A l'inverse. tous les au teurs décident que la clause qui
imposerait au donataire l'ob ligation de payer les frais funérai res du disposant ne vicierait pas la donation. C'est là,
en effet, une charge qui a une mesure déterminée, fixée
d'une faço n presque inrnriable par les convenances sociales
et qD i s'apprécie tou jour en tenant compte de la fortune
du défu nt et de la situation qu'il occupait dans la société.
(Demolombe T. XX, n• 444. ; Laurent T. XII, n°457 ;
�-
178 -
Troplong t.111 , n° 1121; Dall oz. fl isp.entre-uifsn°1376.
Aubry el Rau T. Vil, p. 368).
Enfin, le donateur pourrait-i l chal'ger la personne qu'il
gratifie d'acquitter la réserve ùe ses héritiers? L'ordo nnance de 175 1 pr0hibl it formellement dans son article 16
une pareille clause. Elle fondait sa prohibition su r ce motif que le disposant resterait maîtr13 dans ce cas d'anéantir
sa libéralité par de3 libérali tés postérieures. puisq ue en
Yerlu de l'acte ùo don:ition la ré erre devait se prendre
noa point sur les dernières dispositions mais sur la pre·
mière. Fau t-il sous l'empire du Code civil adopter la même
solution? li serait téméraire, croyons-nou s, de poser à
cet égard une règle générale et ab oln e. Tout dépendra de
l'intention du donateur . Si, par la clause qu'il a insérée
dans l'ac te de donation, il a entendo déroger à la disposition de l'article 9 25 et décider qo e Je donataire serait
soumis à rédu ction avant les donataires postérieurs, la li·
béralité est nulle pour la raison que nous venons d'indiquer. Si. au contraire, il a voulu simplement dire que le
donataire ne contri buerait au payement de la résel've
qu'au lan t que sa libéralité l'entamel'ait, il faudra it sans
hésiter tenir la donation pour valable. Ce sera donc là one
question d'ioterprélalio11 que l'on devra toujours en cas de
doute résoudre dans le sens le pins favorabl e pour le donataire. (:11'l. 11 57).
-
17 9 -
SECTION IV
DRS DONA'l'10NS RAITES AVEC RESERVE POUR LE DONATEUR
DE DISPOSER DES OBJETS
CO~JPRIS
DA 'S LA LIBÉRALITÉ
OU D' UNE SOMME A PRENDRE SUR. CES OBJETS.
Une troisième conséquence de la règle: Donner et retenir ne vaut. se trouve con tenu P. dans l'article 946 ainsi
conçu : .. En cas que le donateur se; soit réserré la li berté
de disposer d'un r,ITet compris dans la donation , ou d'une
somme fixe sur les biens Jonnés. s'il meurt sans en avoir
disposé, ledit e!Tet ou ladite somme appartiendra aux héritiers du donatenr. nonob tan l toutes clauses et stipulations
kt ce contraires .• Quanu une person ne, en e!Iet, stipule le
droit de disposer ullérienromen t d'une partie de ce qu'elle
donne. il est certain qu'elle ne se dépouille pas irrévocablemen t de celte partie. Elle donne d'une main et elle
retient de l'autre. C'est donner et retenir. disait la Coutume
de Paris. quand le donateur s'est réservé la puissance de
disposer librement de la chose par lui donnée (art. 27 4).
Il résulte donc de cette disposili on qtJe, lorsque le donateur se sera réservé le pouvoir d'aliéner un bien quelconque compris dans la donation ou de disposer d'une
somme à prendre sur les objets donnés, la libéralité sera
nulle par rapport au bien ou à la somme sur les4uels portera la réserre. Elle sera nu lle pour le tout, si le disposant a stipulé un droi t de disposition il li mitée, la faculté,
par exemple, de disposer de ce qu'il jugera à propos, car
alors la donation tout entière cesserait d'être irrévocable.
�-
180 -
La nullité, d'aill eurs, serai t encourue même dans le cas où
le domteur n':1urail pas use du droit q11ïl ~·éta it ré ervé.
La impie stipulation sufHL rour en Lache1· la libéralité d'un
vice qui l'annulle. Les objets réservés n'ayant pas été valablement donné$ doiYen L con tinu er d'apparten ir au donateur . Toutefois, le législJteur consacre une règle analogue à
celle que nous avons d ~jà rencontrée dans l'a rticle 945 et
décide que la libérali té, nulle en ce qui concerne les biens
don t le donateur s'est résené le droit de disposer, sern valable pour le . urplu, . C'est li llne application de celte
maxime si .age qu'il ne faut lX\S ubordooner la vali di té
d'une rli position à cell e de l'un e de ses parties. Male, 'fttia
in do11atione jam illu.d est aûsol atwn et iterum sœpi us, 11tilem
7Jarlem donationis non vitiari per inutilem ( 1). c· es ten vertu
de ce principe que la juri prnd ence a décidé que la donation d'une maison el de tout le mobil ier qu i s'y trouvait,
avec faculté pour lü donateu r de disposer de cc mobilier,
devait être nulle: quan t au mobilier seulemen t (Cass. 50
juin 18 57).
Lorsque le dona teur meurt sans avoir disposé dé l'objet
ou de la somme auxq uels s'appliquait la réserve qu 'il arni l
stipu lée à son profit , cet oujet ou celle somme appar tiennent de plein droit à ses hériliers, nonobstant, dit l'articl e
946, toutes clauses et stipulations à ce co ntraires. Ces derniers mots de l'arti cle. ain i du reste que nous l'avo ns fait
remarquer sur l'article 1 G de l'Ordonna nce de 175 1. ont
eu. po.ur but de faire cesser la différen ce de législati on qui
ex1sLa1t sur ce point entre les pays de ùroit Cou tu mier el
(1) Cujas 1.
J.> C. rie no11nt .
-
181 -
les pays de droit Ecrit. Les premiers qui considéraient
l'irrêvocabilité comme l':i.me de la donation entre-vifs prohibaient formell ement toute stipulation par laquell e le donateur au rait décidé . • qu'en cas qu'tl mourût sans avoir
disposé de la somme réservée. il enleriùait qu'elle fil partie
ùe la donation ( 1). " ~lo i ns sévère$. les pays de droit
Ecrit admettaient la validité d'une parei lle clause parce
qu'ils regardaient les libéralités seulement comme irrévocables par nature. Le Code civil, en consacrant la maxime :
Donner et retenir ne vaut , était amené par cela même à reproduire les dispositions pre crites dans notre ancienne j nrisprudeoce pour en assurer l'obsenation . Aussi, a-t-il
dans la matière qui nous occupe aùopté la décision de nos
pays Coutumiers.
Relativement a l'article 9/i.6 on s'est posé la question de
savoir si la règle qu'il con tient est appli cable non seulement quand la résen e de disposer est pure et simple mais
encore lorsq u'elle est subordonnée à l'accomplissement
d'une condition pmement casuelle. Je vous donne ma maison et le mobi lier qu'elle renferme, mais je me résene le
droit d'aliéner mon rot•bilier si mon frère se marie. La donation du mobi lier doit-elle dès maint1mant être déclarée
nulle ou bien faut-il ponr se prononcer à cet égard attendre l'arri vée de la condition qui affecte mon droit de disposition ? Les cieux opinions on t été soutenues. D'après
~1M . Troplong (t. Jll , n°• 1225 et 1226). et Lauren t
(t. Xll . n• 1•42) la réserve de disposer entraine toujours la
nullité de la donation, en \1ertu de l'article 94G , qu'elle
( 1) Ricard des Donations,
1,
n• 1011.
�-
Il
i 82 -
soit pure et simple ou cond itionnelle. Il suffit, en effet, disent ces auLeurs, q ne la réroca tion de la libérali tédépende en
partie de la volonté du donateur pour qu'elle soit prohibée
par la loi. Nous ne croyons pas devoir adopter ce système.
Une donation n'est annulée lorsqu'elle est fa ite sous une
condition potestative de la part du disposant. Or. dans
l'espèce que nous arnns prise, de deux choses l'une; ou
la condition ne s'accomplit pas et alors je n'ai jamais eu le
pouvoir de dispo er de mon mr)bilier. la li béralité a étô irrévocable dès le moment de sa formation (art. t t 79); ou
bien, au contraire, la condition 'accomplit, dans ce cas j'ai
eu le droit d'aliéner el de vendre mon mobilier, je n'ai
pas élé liè, la donation que j'ai faite est nulle. En résumé,
dit Marcadé. u Qu:md je stip ule le droit de dispo er absolument et sans condition, je résous et brise à l'instant la donation. Mais si je ne stipule ce droit que sous une condition, je fais une dona tion résoluble sous cette même /condition. c'est-à-dire un e donati on sous cond ition résolutoire.
qui sera valable pou rv n que la condition ne dépende pas
de ma volonté. " (Demolombe t. XX , n° 470; Marcadé.
arl. 946 n• li ; Aubry el Rau t. VII. § 699 , p. 367 ;
Aix, 17 thermidor an XI!f .)
Il faudra éga lemen t appliqu er l'a rticl e 946 dans le cas
où le dona teur se serait réservé la facu lté de créer sur
les objets donnés une clu~rge que le donataire serait condamnd à subir, par exemple le droit ùo disposer d'une
rente viagère. Si l'annuité de la rente n'est pas fixée, la
donation devra t0mber pour le tout, car il dépendrai t
du dispo.}ant de créer une charge si forte qu 'en réalité
eJJc absorberait tout lu mon tant cle Ja libéralité. Si, au
-
185 -
contraire, les arrérages de la rente sont déterminé:; et si la
ersoone. à laquelle le donataire devra les servir dans le
p
.
é , es t
cas où le disposant userait dn droit qu··1
1 s' est reserv
désignée, la donation ne sera nulle qu'en partie jusqu'à
concurrence de la ren te, qui devra être payée. soit à la
personne désignée si le donateur en a effecti rnment disposé à son profit, soit au donateur lui-même dans l'l~y
pothèse con traire. Enfin si l'annuité de la rente est 10diquée et si l'acte de donation ne fa it pas connaitre la
personne au profit de laquelle le donateur se réserve le
droit d'en dispo·er, nous pensons avec M. Laurent(T. XII
11• 44.5) que la rente devra être servie au disposant luimême. Tous les objets, en elîet. :rnxquels s'applique la
réserve slipulre par le donateur sont censés ne pas être
sortis de son patrimoine. Or, ici c'est une rente dont il
s' est résen·é le droit de disposer; cette rente doit donc. en
vertu des principes mêmes que nous venons d'exposer.
lui appartenir.
SECTION V
DES DONATIONS MOBILIÈRES FAITES SANS ÉTAT ESTIMATIF.
L' irrévocabil ilé qui e t de l'essence de toutes les donations arnit besoin d'être garan tie d'une façon toute spéciale dans les douations mobilières. Il était facile en e!Tet
pou r on donateur de mauvai se fo i de garder et r~lenir.une
partie des meubles donnés, s'il s n'avaient pas eté deter-
�-
184 -
minés d'une façon bien exacte lors de la formation du
contrat, ou de leur snb' tituer des meubl es de même nature mais d'une valeur moindl'e, s'ils n'avaien t pas fait
l'objet d'une estimation détai1lée. C'es t pour prévenir tous
ces dangers qu e le législateur a exigé que les ac tes de
donations mobilières fusse nt a~compag oés d'un état énumératif et estimatif des obj ets sur lesquels elles por tcnL.
• Tout acte de donations d'ellets mobiliers, dit rarticle 948,
ne sera valable quo pour l e~ elTet' dont un état estimatif
signé du donateur et du donataire ou de ceux qui acceptent pour lui aura été annexé à la mi nute de la donation. » L'article 15 t.le !'Ordonnance t.le 175 1 ne demandait
qu'un inventaire des meubles donnés, sans e:-. iger qu'ils
fussent estimés. • Et si la donation renferme des meubles
ou effets mobiliers, dont la donation ne contienne pas une
tradition réelle, il en sera fait un état signé des pal'lies
qui demeurera annexé à la minute de la donation, fa ute
de quoi le donataire ne pourra prétendre aucun desdits
meubles on effets mobiliers, même contre le donateur ou
ses héritiers. "
L'étal estimatif requis par l'article 9 1~8 n'a pas seulement p0ur but de sauvegarder le principe de !'irrévocabilité des donations : il est égalemeut utile à d'autres
points de veu.
Il est utile :
Dans lt: cas oü la li béral ité se
trou ve résolue (art. 9 ~ 1 ) ou ré l'oquée eo rerlu d'une
des causes én umé1·~es dans lét section Il do c;hapilre
IV. il indique quels son t les objets qu i doiven t lui fa ire
retour ou la somme que ùcvra 1endrc le donalairc qu i a
t • Au Donateur.
-
t 85 -
fait périr par sa faute ou qui a aliéné les meubles qui lui
avaient été donnés·
2• A ses lfériticrs, soit pour fixer en cas de rapport ce
qui doit être déduit de la part du donataire héri~i er , soit
pour vérifier si la donation n'entame pas la reserve et
servir alors de base de calcul pour déterm iner la valeur
que peuvent avoir 1es elTets mo!:li li ers don oés au moment
dn décès du donateur.
50 A ses Creanciers auxquels il importe de savoir
quels sont les biens qui se trou vent dans le patri m oin~
de lenr débiteur ou qui doivent y rentrer dans le cas ou
ils aurnnt fait rescinder par l'action Paulienne la donation faite en fraude de leurs droits.
40 A i t Donataire liri-méme. pour détermi ner le montant des dommages-intérêts que lui devra le donateur
qui aura détruit on laissé périr par oégligen ~e 1 ~ meu.bles sur lesq uels il s'était réservé un droit d usufruit
(art. 949) ou qni les aura livrés à une aulr~ pe.rson ne
protégée par sa bonne foi contre la revend1c.at1on dn
donataire (art. 111~ 1) .
. ,
..
Toutefois la principale raison qui a détermine le leg1slateur à exiger la formalité de l'article 948 ~ été d'assurer l'observation de la règle: Donner et rete01r ne va~t.
Ce qui le prouve, c'est que celle formali~é n'.est pas r~qu 1s.e
dans le3 donations qui se fo nt de la main a la marn ou
elle serait cependan t si util e à d'antres points de vue, par·
ce que daos ce cas le donateur n'a plus au cun moyen de
revenir sur la libéralité qu'il a faite.
�-
186 -
~ous
allons examiner sur l'arti cle 948 les trois questions sui\'anles :
1o Dans qu elles ùonaLions l'étal estimatif est nécessaire.
2° Formes et çaraclères de l'état estimatif.
3° Sanction de l'article 948.
l. Pour qriel/es D011alio11s l'~tal estimatif est-il exige .9
L'article 948 répond lui-même à celle qu estion. To ul
acte de donation d'effets mobiliers, dit·il , ne sera valable
etc.
A. Il faut, donc en premier lieu, qu e la donation ait
pour objet des meubl.es , el il faut attribuer à ce mot meubles le sens que lui donne ordin airement la loi.
L't> tat estimatif n'est donc pas exigé ù a n~ les don:itions qui portent sur des choses attachées à un fond s à
perpetuelle demeure et considérées par la loi comme immeubles par destinati on. C'est ce qn'a décidé la Cour de
Riom (22 janrier 1825) en ce qui concerne les animaux et
les ustensiles aratoires servant à la culture el il l'exl'loitation d'un fo nds (voir éga lement. Aix. t 7 thermidor a 11
XIII ; Angers 8 av ril 1808). 'foutefo i., si ces objets venaient à être détachés Je lïmmeulJle anquel ils so nt incorporés, ils reprendraient leur natu re de meul.il es et
devraien t dès lors être <tcco mpagnés d'u n étal esti matif.
A l'iove1.. e, dès qu'un <1 cte de donation por te su r des
e!Tets m0biliers la formalité de l'état estimatif dev ien L
nécessail'e. L'article %8 s'appliquera donc aux donations
de meuble;; inc;rporcls ( Req 1 t avril l 8J4; D. 51., t ,
246) c·e~t-à-clire de valeurs mobilières, de créances, d'ac-
-
187 -
Lions ou d'obligations sur l'Etat et les compagnies financières. Duranton (t. VIII. n• 408) admet, il est vrai,
une opinion co ntraire. Mais l'erreur dans laquelle tombe
ce jurisconsulte vi ent de ce qu'il s'exprime en termes
beauco up trop absolus. Il est certain que si la libéralité
a pour objet une créance nnique suffisamment indiqu ée
dans l'acte de donatinn . l'état estimatif est complètement
inutile et ne saurait raisonnablement être exigé. Mais il
sera au contrnire nécessaire. quand la do nation portera
sur un certain nombre de créances désignées en bloc et
qui n'ont fa it l'obj et d'aucune détermination spéciale (Bordeaux. 6 août 1834). C'est ce qui résulte des termes
généraux de l'article 948.
Faut-il appliquer l'article 948 à la donation qui aurait
pour obj et les tlroits qui appartiennent à une personne
dans une succession ou dans une communauté non encore
liquidée? La ju rispru dence a varié sur ceLLe question. La
cour de Limoges (28 novembre 1826) s'est prononcée
dans le sens de l'affirm ative en se fondant sur la généralité ùes termes de l'article 948 qui ne conti ent aucune
distinc tio n ; or fa où le législateur ne distingue pas , l'i nterprète ne peul pa disti nguer davantage. La cour de
Cassation a admis, avec plus de raison sui,•aot no us, l'opinion con traire (Req. 11 aYril 1854). A raison même de
la nature des choses com prises dans la donation , la réJaction de l'état esti ma tif ne peut avoir lieu dans cet te hypothèse. Comment , en eliet , én nmérer et estim er des
droits dont l'élcnclne et le mon tant sont encore in·
connus? Exiger en parei l cas un état esti matif serait
rendre impossibles de· donati ons que le législateur cepen-
�-
188 -
dant n'a pa; nmln prohiue1·. On pent, do reste, ajoutrr
qoe le vœo de la l11i se Lro nve suffisamment rempli puisque les cho$es données sont immédiatement acquises an
Jonllaire, sans qu'il dépende du donateur tl e révoqn er
ou de diminuer sa libéralilè. (Oemolombe T. XX,n° 348;
Troplong. T. Ill , n• '1247 ; Laurent , T. XII. 0 ° 578) .
[l fau t également soumellre à la formalité de l'étal estimatif les donations qoi embrassent la totalité on une
quote-part du m•1 bilier actuel du donateur comme celles
qui n'ont pour objel que quelqu es meuble détermi nés.
Tel n'est pas cependant l'avis de Doranton (T. VIII,
no 4.12) qui <~nseigoe que « dans les donation s d'une
quotité de biens, l'état estimatif quoiqu e uLil e sans doute,
n'est néanmoins pas nécessaire. On ne peut vraisemblablemenl , ajoute-t-il. exi ger qu'un donateur fasse un in veoLaire de Lous ses meubles quelconques, dan s chacun
desquels le donatai re se trouve ainsi avoir on droit , et
qu'il présente ~ n quelq ne so rte son uil an . • Cet au teur
cite en outre à l'appui de sa doctrine l'opinion de O'Argentré (sur l"art. 2 19 de l'ancienne Coutume de Bretagne). Nou:; repous on· ce sy· tème pour un double mo tif. li établ it tout d'abord une distiocLion qui ne se trou\'e
point con tenu e dans l'ar ticle 911-8 clont les termes sont
généraux. En seco nd lieu, si l'état estimatif est nécessaire,
c'est principalemen t uans les donations qui ont pou r objet un e universalité de meubles ou une quote-part de
celle universalité. C'est surtout dans ce cas qn' il faut
a~snrer l'irrévocabilité de la disposition , car , les l.J icns
donnés n'étant p:i:; certains et clélermioé3 , le donateu r
peut beaucoup plus facilement di minuer el amoindrir
-
189 -
l'importance de rn libéralité. Furgole admettait déjà celte
opinion dans notre ancienne jurisprudence et enseignait
qu e l'article 1;) de l'Ordonnance de 1751 était applicable
• soit qne la donation contienne une universalité de
meubles ou des meubles d'une certaine espèce. • Quant
à D'Argentré, au contraire. il n'envisageait même pas la
qu estion et prévoyait one hypothèse t~ute di fféren te.
B. Pour qu e l'état estimatif soit nécessaire. il fanl en second lieu qn'il y ait un acte de donation. Il résulte de là
que celte formalité n'est pas req uise pour les dons manuels,
c'est-à-di re pour les dona tions qui se fo nt sans acte par la
remise matériell e de la chose de la main à la main.
Elle doit , an contraire, être exigée, toutes les fois qu'un acte
aora été dressé, quand bien même il y au rait eu tradition
réelle des objets don nés . Il est vrai que l'article 15 de !'Ordonnance de 173 1 en décidait au lremen t et ne voulait un inventaire: u Que si la donation ne contenait pas une tradition
réelle des meubles ou effets mobiliers. n Mais ces principe
on t été abandonnés par le législateur de 1804. ainsi que
cela re sort des travaux préparatoires. L'article 52 du pro_
jet du Code reprod uisait , en elîel. la disposition de !'Ordonnance et avai t ajou té au tex.te actuel de l'ar ticle 948 ces
mots : ~ S'il n'y lt 11oint tradition rùlle. o Or ce membre de
phra$e fu t supprimé sur celte observation de Tronchet :
• Que toutes les fois que la donation est fuite 1rnr tm ac le,
elle duit être accompagnée <l'un état, même qirnncl il y a tra » ( 1)
Quelques autenrs sont cependant d'un av is con traire et
dition nielle.
<l ) Fen el , T. XII, p 370 et 37:1.
�1~1 - ·
soutiennent que la tradition transformant la donation en
un don manuel doit par conséquent la rendre valable. (Lau.
rent, T. XII , n° 575; Marcadé, art . 948 n° 5 ; Duranton ,
T. VIII,§ 405) . Nous ne saurions admettre, en prin cipe
du moins, celte opinion . Qui dit don manuel suppose nécessairement une libéralité faite sans écrit. Ce n'est pas là
évidemment le cas dans l'hypothèse qui nous occupe. puisque ..:'e t en exécution d'un acte de donation que la tradition
a été faite. Or, celte exécution volontaire ne peut avoir
pour eITet de valider un e libéralité, qui entachée d'une nullité de forme absolue, n'est susceptible d'aucune confirmation soit expresse. soit tacite (art. 1559 ). Toutefois, sïl
résultait des circonstances de la cause que le disposant a entendu . en livrant les objets mobi liers compris dans la donation, non point exécuter celle-ci, mais faire un e nouvelle
libéralité, la tradition constitu erait alors un véritable don
manuel, une donation refait e. valable par conséquent,
mais qui ne produirait son 'effet que du jour où elle aurait
été réalisée. Ce sera aux tribunaux à rechercher qu elle a
été l'intention du donateur et à trancher toutes les difficultés qui pourront s( présenter à cet égard .
Dans notre ancien droit, quand la donation avait pour
obj et un e créance, on décidait que la signification de la
donation au débiteur cédé équivalait à la tradition de la
créance et tenait, par conséquent , lieu d'inventaire (Furgole
surl'Art. 15 de (Ordonnance de 1751) . Il n'en est plus de
même aujourd'hui , en vertu des principes que nous venons
~·ex~oser . L'état estimatif et la signification prescrite par
1article 1690 sont Lous deux nécessaires. le premier pour
l'existence même de la donation , la seconde pour sa validité à l'égard des tiers.
L'état estimatif est-il n.'· cessaire dans les donations faites
par contrat de mariage ? 11 faut en principe répondre d'une
façon affirmatire. L'article 911-7 dispense seulement ces libér;i lités de l'observ:ition des règles contenues dans les articles 943, 944, 94 5 et 94 6 et ne parltl point de l'article 948. Cel article doit donc être appli cable. Toutefois,
par la forc·e même des choses, il y a certaines donations
dans le.;qn elles il sera impo sible d'exiger un état es timatif.
Telles sont les donations de biens à venir ou institutions
contractuelles. On ne peut pa, , e11 eJTet, décrire et e limer
des biens à venir et d'a utre part à quoi servirait de dresser
un état des meubles présents, puisque le donateur conserve
le droit de les Yendre et d'en disposer à titre onéreux. Nou s
cr0yons. au contraire. quoiqu e cependant la question soit
discu tée, quï l faut appliquer l'article 948 aux donations
cnmulatives de biens présents et à venir. Le dooalaire, a en
efTet, le droit de s·en tenir aux biens présents du don ateur
et de répuù ier les biens à venir. Dans ce cas la donation se
tran5forme el devi ent nue li béralité ordinaire, par conséquent irrévocable. Il e l donc nécessaire pour a • urer
l'irré\'Ocabilité d'une pareille dispo ilion el pour connaî tre
qu els sont les objets sur lesquels porte le droit du donataire de dresser un état estimatif des meubles do nn és que
le disposant a actu ellement dans on patrimoine. En "ain
objecte-t-on que l'article 1085 n'ex ige. pour l'exercice du
droit d'option que la loi accord e au donataire. qu'un état
des dettes et charges existantes lors de b donation et ne
�-
192 -
parle en aucune façon de la forma lité exigée par l'article 948 . Cet argument ne saurait porter à notre avis. li
résulte, ainsi que nous l'avons déjà dit, ùe la comparaison
ùes articles 947 et 948 , que les dispositions de ce dernier
article doi,·ent être étendues anx libéralités faites par contrat de mariage. Il était donc complètement inutile que le
législateur s'expliquât sur ce point (Oemolombe T. XXIIJ,
no 565 . - Contra Laurent T. XV, n° 262; Troplong T.
IV, n• 2444).
L'article 948 est également applicable aux donations
d'elTels mobiliers que peuvent se faire les ép0ux pendant le
mariage. C'est ce qu'a décidé un arrêt de la cour de Cassation (Req. l(i juillet 1817) en donnant pour raison que
ces libéralités sont so umises à toutes les règles qui régissent les donations orùinaires sauf à celles dont le législateur les a formell ement di spensées. Sans doute l'article 1096
décide qu'elles sont essentiell ement révocables. Mais il peut
se faire que le donateur ne révoque pas, ce sera même là
l'hypothèse la plus fréquente: dans ce cas l'état estimatif
peut seul donner an donataire la certitude de recevoir la totalité des meubles compris dans la libéralité. Dans le cas
de révocation, au contraire, il empêchera la donataire de
mauvaise foi de retenir etde garder certains des objets qu'il
devait restituer au donateur .
Il. Fm·mes el Caracleres de l'Etat estimatif. - L'état des
meubles donnés doit être à la fois énumératif et estimatif. Il
doit énumérer et décrire chacun des objets compris dans la
donation el en déterminer la valeur . Le Code se montre à ce
point de vue plus exigeant que l'article 15 de !'Ordonnance
193 -
de 1731 qui voulait seulement que l'état contînt la description des objets donnés.
JI n'est pas nécessail'e que l'éta t estimatif soit fait en la
forme authentique; le Code ne l'exige pas. Il suffit pour sa
validité qu'il soit signo du donateur el du donataire ou de
ses représentants et qu'il soi t annexé à la minute de l'acte
de donation.
Le détail des meubles doit être accompagné de leur estimation. non pas en bloc, mais article par article (Bordeaux 3 juin 1840; Cas., 17 mai 1848). C'est ce qui
résulte de l'article 950. Ce tette donne. dans le cas de réserve d'usufruit , action con tre le donateur ou ses héritiers,
à raison des objets mobiliers non existants à. l'expiration de
l'usufruit , jusq u'à. concurrence de la valeur qui leur aura
été donnée dans l'état estimaliL li est évident que cette
disposition ne saurait se comprendresi chacun des meubles
contenus dans la donation n'avait pas dû faire l'objet d'une
estimation spéciale. Cette estimation détai llée serait même
nécessaire, à notreavis, dans les donations qui portent sur un
ensemble d'objets qui acquièrent par leur réunion et leur
nombre une valeur bien supérieure â celle qu'ils pourraient
avoir, s'ils étaient pris isolément, ~omme par exemple Jans
les donations d'une bibliothèque ou d'une collection.
L'état estimatif doit être ùressé en même temps que la
donatiou. S' il n'était rédigé que postérieurement, la libéralité serait, jusqu'à sa rédaction, à la merci du donateur
qui pourrait faci lement divertir une partie des meubles
donnés . Mais les parties pourraient-elles se dispenser de
dresser un élat estimatif et se référer à un acte authentique an térieurement rédigé, à un inventaire notarié, par
�-
19/i. -
exemple? Nou, le pen ons. Qu elques auleurs, cependant. et
quelques arrèLs on t admis la négaLire en se fondant sur la
leLLre de l'article 948 (Coin-Del isle, n° 19; Marcaclé. arl.
948, no 2; Riom. 1 :5 juillet 1820 et 22 janvi er 182~).
« La donation , dit Marcadé. est nn acte Je pur droit civi l
qui oe peu l avoir de fo rce que par l'accomplissemen t de
toutes les pre'cripLions légales; or, notre articl e ex ige formellemenè que l'état oi t annexé à l'acte de donation. On
ne peul pas plus se di pcnsP.r de celle annexe que de celle
de la procuration authen tique dans le ca d'accep tation faite
par mandataire. » La majorité des aute ur:' admet un système contraire. (Demolombe. T. XX. n° 562; Laurent ,
T. XII , n° 58~; Troplong. T.5, n° 1241 ; Aubry et Rau
T. VII . § 660 ; Limoges. 28 mai 1826 ; Req., 11 jnillet
183 1). Ce serait. en elTet. se montrer trop sé\·ère qne
d'ex iger un élat es timatif qu and l"intérêt des par ti es el les
priocipe-s so nt sauvegardés. L'irrévocabilité de la donation
se trouve suffisamment garantie dans ce cas puisq ~rn le donalaire n'a qu 'à se référer à ceLacte authentique pour co nnaître immédiatement toute l'étendu e de son droit. Dn reste
ne peut-on pas dire avec Trop long que le tex te de l'article 948 est respecté el que u L'ann exe existe tout au
moins per 1·elatione11i puisq 11e l'acte contien t en lui la désignation nécessaire po:}r arriver de la manière la plus précise
à la connaissaoce Je la consistance de la donation? "
III . Quelle est la Sanction de 1'1frticle 948? - C'est la
nullité de la donation ell e-même. Notre ancienne jurisprudence s'éLait montrée moins ri goureuse. Ell e se bornait à
refuser au donataire une action pour réclamer les obj ets
-
19 5 -
donnés, mais elle n'accordai t au disposant aucun moyen
de reprendre les meubles dont le donataire s'était mi s en
possession. On a soutenu que tel était le syslèmP, du Code
civil (Coin-Delisle, art . 94.8. n° 21) . Celte opinion nous
paraît inconeiliable avec les termes de l'arli(jle 948 . Dire,
en effet. qu'une donation mobilière ne sera valable que lorsqu e un état estimatif aura été dressé, n'est-ce pas reconnaitre a contmrio qu e la donation sera nu ll e quand cet état
fera défaut ? C'est là d'ail leurs ce qui résulte avec la dernière
évidence des travaux préparatoires (Fenet, T. XII , p. 570
et 575).
Toute la clifficullé consiste donc à savoir de qu elle nullité le législateur a entendu parler. Anotre avis il s'agit. ici
d'une nnllité ùe forme absolue (Oemolombe. t. XX, n°' 75
et 565; Aubry et Rau, t. Vil, § 660 : Dalloz, Dispos . entre-vifs. n° 1555 ; Mourlon , t. If , n° 677). Il est certaif!.
en e[et. que lorsque certai nes formalités son t exigées pour
la perfection d'un acte, cet acte doit être réputé inexistao t
s'il n'a pas été fait en la forme vou lue. L'article 948 n'est
donc qn'une appli ca ti on particulière ~es dispositions contenu es dans les articles 1559 et l 540. En d'autres termes
la donation est rad icalement nulle à l'égard du donateur ,
simplement an nul able par rapport à ses héritiers. Examinons les cooséquence.5 qui découlent de cette double idée:
A. A l'égard dt, Donalcw· : l La donation ne peut pas
fa ire l'objet d'une confirmation. Le néaot ne peut en e!Tet
pas plus être confirmé qu'il ne peut être détruit. Nulle. la
libéralité doit être refaite en la forme légale, c'est-à-dire
accompagnée d'un état estimatif; on oc pourrait même pas
la valider par la voie indirecte de l'exécution volontaire.
0
�-
1
1
196
Nous avons ni, toutefois, qne b tradition des ohjets clonn~s
pou\'ait quelquefois être considérée comme un e dona tion
nou"elle et inreslir rar conséquent le ùonataire de tous les
droits qui apparten:iient an disposan t sui· les meubles livrés.
2° Les biens compris clans Il donation sont censés ne
µas être sortis du patrimoin e du d1rnateur. Celui-ci a donc
pour les reprendre une action en rel'enùi cation, que n'attei nt pas la prescription tic l'arlicle 1304 qui ne protège
que les actes ~ ujets à. ratification, mais qui ·e prescrit, conformémen t an droit commun. par nn laps de temp de
tren te ans. Qu:rnt à la nullité de la donation il peut b
proposer en tous temps (Co11 tra , Bord eaux, 2G janvier
184 1).
5° La liLéralit é est non avenu e cr:;a 01mtc}· ; la nullité
peutdoncen être demandée par toute 'personne intéressée.
notamment par le donateur el ses créanciers san s qu 'il y
ail lieu de disti nguer en tre les créanciers antéricnrs et les
créanciers postérieurs à la donati on (arl. 11 GG).
B. Vis-à-vis des lférilicrs cl11 Donatear, au contraire, la
nullité change de c:iractère. L1 libéralité prend la nature
d'une convention simplem ent an nulabl e et devien t par co nséquen t susceptible de ratifica tion soit expre.se soit tacite.
L'action en rescision q~ i compète aux héritiers es t sujelle j
la pre cription de dix ans réglée par l'article 1504. Le
point de départ de cette prescription sera le déc~s du donateur püisquc c'est à ce moment-là seül emen t qu e ~·o uvre
au pl'Ofit des hériLi ers l'acti on nécessa ire pou r attnquer la
-
197 -
libéralité et puisq u'il y a\·:lit pour eux auparavant impossiliililé de r.onfirmcr el clc rrC$Crirc.
Faisons en terminan t une dernière remarq ue. La ùonalion oe sera nulle qu'en ce qni coricerne les meubles qui
n'auron t pas été estimés ni décri ts. L'article 911-8 est
formel sur ce point. Les travaux préparatoires ne laissent également aucnn douLe à ce sujet (Fenel T. XII . /oc .
cit.) . La li béralité ~er.i donc valable a l'égard des objets
par rapport auxquels on se sera conformé aux prescriptions de la loi.
CHAPITRE Ill
Des Exceptions ala règle : Donner et Retenir ne vant
Nous venons d'étud ier la maxime : Donner et retenir
ne vaut, dan s srn principe et dan ~es conséquences. Nous
avons vu ql!el ens les rédacteurs du Code attachaient à
cette ,:ègle, quelles applications ils en avaient faites. 11
nous reste ma intenant. ponr en connaître et en détermi ner exactemen t tonte la portée, à exa!lliner r:ipidement les
exceptions qui ont été admi es par le législateur.
La, ection II du ch:ipitre des Donations a pour titre :
De1> Exceptions à la rèyle de l'Jrrevocabilité des D01iatio11s
entre-vif$. Ces exceptions ·o nt én umérées par l'article 9 53
qu i porte: " La donation entre-vifs ne pourra être révoquée
qne pour inexécution des co1H.litions sous lesquelles elle
aura été fai te, pour ingrat itu ùe du donataire ou pour sur-
�-
198 -
venance d'enfanls. o Ces trois caoses de révocation con titoent-elles de véritables dérogations à la règle: Donner et
retenir ne raot ? La ncigative nous paraît incon testable.
En exigeant que les 1ibéralites eo tre-rifs soien t irrévocables,
le Code a voulu dire qu 'ell es ne devaient pas être faites
sous des conditions ùon t l'exécution dépendrait de la seule
volon té du donateur. Or dans les trnis cas prévus par l'article 9~5 la révocation ne dépentl en aucune façon de
cette seu le volon té. Les fa it qni la motivent sont subordonnés à l'accCJmplissement d'une condition casuelle ou
mixte. Cela est éviden t en ce qui concerne la révocatïon
pour inexécu tion des charges et pour ingratitude. Si la
donation tombe ùans ces deux hypothèses, c'est par la faute
et le fait du donataire. soit parce qu'il ne remplit pas les
obligations auxquelles il s'es t .0um is par son accepta tion,
soit parce qu'il méconnatt gravement les devo irs de reconnaissance qui lui incom bent vis·à-vis dE: la personne qu i l'a
gra ti fié. Mais la volon té du donateur n'y est ::ibsolument
pour rien ; il ne dépend pas de lui de faire tomber la libéralité qo 'il a faite .
On insiste cependant et on dit: L'inexécution des con ditions et l'ingratitude du donataire n'opèïent pas de plein
droit et par elles seules la ré\·ocatio:1 de la dona tion. Celleci n'a lieu , au con traire, que lorsqu 'elle a été demandée el
prononcée en jusrice. Elle dépend donc dans un e cerlaine
mesure de la volonté du di -posant , puisque celni-ci peut à
son gré, suivant qu 'il Corme on non ~a ùemânde en 1 évoca·
tion maintenir la donation 0 11 la !aire tomber (ValelLe ;
Mourlor, Répét. écrit. l. Il. n" 7 18). Ce raisonn ement
n'est que spécieux. En aùmellant même. en effet, qu e la
-
199 -
révocation de la donation dépende jusqu'à un certain point
dans ces deux cas de la volonlé dn donateur, du moins
peul-on dire qu'ell e ne dépend pas de sa seule volonlé,
ainsi que l'exige l'article 9Mi.. Il faut qu'au fait du donaLeur vienne se jointlre un fait du donataire ; il est nëces, aire qne celui-ci n'ait pas accompli les obligations et les
charges qui lni étaien t imposées ou 5e soit rentln coupable
d'ingratitude, sinon la demande du donateur est infaillible·
men t condam née à échouer. La condition est mixte par
conséquent et échappe comme telle a la prohibition édictée
par l'article 9Mi..
.
Nous ferons une remarque ana logue en ce q111 concerne
la révocation pour c:iu e de snrvenance d'enfants. Elle ne
constitue pas non plus. sui vaut nons , une exception au principe: Donner et retenir ne vaut. Sans entrer à cet égard
dans uüe discussion beaucou p trop délicate pour que nous
osions nous y engager, bornons-nous à constater que le
fait qui révoque la libéralité dans ce cas ne dépend pas
uniqnement de la volonté du donateur.
.
Nous n'avons donc pas à étudier ici les trois causes de
révocation don t il est question dans l'article 9 55. Cette
étude nous lerait sortir tlu cadre que nous nous sommes
tracé et nous entraînerait dans des développemen ls con~
plètemen t en dehors de notre sujet. Nou n'a~ons à. exa.m1ner que les véritables exceptions que la 101 apporte a la
rèale : Donner ot retenir ne vaut.
~a sen le déroaation à celle règle est celle qui se trouve
con;enue dans 1'a~'ticle 91~ 7 : •Les qnatre articles pré.cédenls
ne s'appliquent po int aux donations dont est . m.cnt'.0.11 aux
chapitres Vlll et lX du présenL titre. v Les hberahtes que
�-
200 -
de mariage et cell es que ceux-ci se font entre eux ne sont
pas soumises à l'application de la règle : Donner et reten ir
ne vaut .
SECTION I
DES DO~ATIONS
F.U TE
PA R
CONTRAT DE
i\l.\R fAGE AUX
FUTURS ÉPOUX ET AUX EXFANTS .\ NAITRE DU MARIAGE.
En ce qui concerne cès libéralités, le motif qu i a fait aJ:
mettre l'exception que nous venons de signaler est facile à
saisir. Le législateur a voulu encourager an mariage ; or,
c'est y encourager que de faci liter les donations faites dans
ce bu t en les so um ettant a des règles spéciales et en les affranchissan t de certaines formalités .e t de certaines en traves
dont la loi a entouré les donations ordinaires. En conséquence,les rédacteurs du Code ont déclaré : 1• qu e ces Jibé·
ralités son t dispensées de la olennité de l'acceptation (art.
1087); 2°qu'elles ne sont point révocables pour ca use d'ingratitude (art. 959) ; 3° qu'cllespeuyen t s'ad resser à des
personnes qui ne sont pas encore conçues, puisqu 'elles sont
censées laites aux épo ux et aux eu(ants à naitre du mariage
(art. 1082) ; IJ. 0 qu'elles sont caduques par le prédécès de
l'époux donataire et de sa postérité (art. 1089); 5° qn 'el·
les sont révoquées do plein droi t si le mariage ne s'accom plit pas (art. 1088). Mai-; la déroga tion la pin s importante
est r,elle qui dispense 1;el_: dor1ations de l'o lJ!'; ervat! on de Il
règle: Donner et reten ir ne vaut. Nous al lons nous borner
-
20 1 -
à indiquer en qnoi consiste cette dérogation ; il n'entre
· t en elîet , clans notre .suj.et d'entreprendre
une élude
pom.
. ..
com plète et détaillée des pr10c1pes qm reg1ssent les donati ons par contrat de mariage.
Les donations qui penvent être faites par des tiers aux
futurs épou x dans le contrat de mariage, se divise nt en
quatre classes : 1• donations de biens ~rése~ts ; . 2•
institutions contractuelles ou donati ons de bi ens a ven ir ;
5° donations cumu latives ùe biens présents et à venir ;
40 donations faites sous des couditions potestatives de
la part dn donateur . Parcourons chacune de ces quatre
catégories :
1. Donation de Biens Présents. - Cette donation est soumise en prin cipe il toutes les règles qui régis~ent I.e~ lib~
ralilés enlre-vifs ordinaires, sauf les part1cular1les signalées par les articles 1087 et 9 59 · ~n s'est de~aodé
si celle donation rentrai t dans l'exception formu lee par
l'arti cle 947 et si elle pouvait être accompagnée de deux
des clauses prev ne par l'él'l'ticle 1086 , c'est-à-dire si elle
pou\'ait être faite sous la conùitioo de payer. l~s dettes et ~h~~
ges du donateur ou sous cl'aulrcs cood1t1ons dont 1exe1;ution dépendrait de la ,·olou tû de celui-ci. Quelqu es auteurs on t soutenu la oégati\'c. Ils invoquent de ux arguments à l'appu i de leur système. L'article 1086 , di.~ ent
il s, n'autori e les dérogations anx articles 944 et 945 que
da ns les donations fait es par con trat de mar iage ~ux
f poux et aux enfant. à na ître clu. mariag.e; or, l'art1cle
108 1 décide qu e la donation de biens presents. ne peut
avoir lieu au profit des enfant , à naître du manage. Ce
�-
202 -
qui proul'e d'ai lleurs. ajoutent-i ls. que le législateur a
voulu soumeLLre celte dona tion à l'application des articles
944 et 945. c'e t qu'il a remplacé les mols : Donations de
biens prese111s qui se truuvaient Jans l'article 18 <le l 'Ordonnance de t 751 , dont il a reproduit la disposition, par
ceux-ci : Donations en (auwr des époux cl des en/(mls à
1wilrc rfa mariage. Nous ne saurions admettre cette opinion qui e, t du reste universellement repoussée aujourd'hui. L'article 91-7 <lécl:lre, en e!Tet. inapplicables aux
donations en fa1· etlr <lu mariage les règles co nten ues dans
le5 articles 944. !J45 et aH sa ns distioguel' entre les
donations de biens à venir et les donations de Liens présents. Sans dou te ces dern ieres sont en principe soumises à
toutes les règles des libérnl il és e11tre-vifs et notamment à
la règle: Donner et retenir ne vaut; mais à la dilTérenœ
de celles-ci ell es peuvent, sans cesser pour cela d'être valables. être accompagnées d'nne des clauses prohibées par
les articles 941• , 945 et 946. Ell es se tran sforment alors
en donations fai tes . ou des con ditions potestatives de la
part uu donateur. Quant à l'arg um ent ti ré de l'article
1086. il ne saurait avoir aucune 1·aleu r, car ce tex te. ainsi
que le fa it remarquer avec juste raiso n ~I. Demolornbe .
ne veut pas dire que la donation pour ra être fair e sous
des conditions potestatives quand elle s'adres::era aux
épuux et aux eufan ts à. naitre dn mariage mais an con, '
traire qu'elle pourra être faite au profil des éponx et Jes
enfan ts à naîlre. qu and ell e sera fai te sous des conditions
potestatives. H ne faut pas non plus allacher· d'imrortance
à la différence de rédaction qui ex iste entre l'article t 086
et 1'artid e 18 de l'Ordù nnanœ Lie l 7 51. Nous trouvons,
-
203 -
en e!Tet, les mots biens prJscnl3 dans la seconde partie de
notre tex te qui est comme la première applicable à toutes
les donations par co ntrat de mariage. Ce n'est là qu'une
imperfection de langage à laquelle on ne doit évidemment
pas s'arrêter.
IL Institution contractuelle ou donation de Bier1s à Venir. -- Cette libéralité a un double caractère :
1° Elle porte sur de br ens à venir. et c'est par là qu'elle
échappe plus parti culièreme nt à la règle: Donner et retenir
ne mut. A ce point de l'Ue elle peut être uni verselle ou à
titre unil'ersel, c'est-à-dire comprendre soit la totalité soit
•
une quote-part des biens que Je disposant laissera à son décès; elle peu t être également à litre particulier, r,'esl·àdire porter sur des objels cl élermieés ou sur une somme à
prendre sur les biens qui composeron t la succession du
donateur . Ceci cependant a été contesté par Duranloo
('f. lX, n° o7ô) et Delvinconrt (T. H, p. 42 1 et 422)
qu i enseignent que l'institution con tractuelle ne peut étre
qu 'univer ell e ou à titre universel. Leur ·opinion nous
paraît insoutenable en présence ùes dispojtions de l'article 1082 . Ce tex te déclare. en elîet, que le donateur
pourra. disposer de tout ou parti e des biens qu'il laissera
au jour de son décès. Or par ces mots partie des biens,
usuel du droit. non seulemen t
On de'sinne dans le lanoaae
0
une partie aliquote du patrimoine mais encore chacun des
biens déterminés don t il se 0ompose (Arg. art. 895).
2o L'in stitn lion 0ontractu elle assimil e en quelque sorte
te donataire a un héritier réservataire, lui confère non
puint un droit ;iclul'I , mai un ùrnit é\'entuel ùc suc"
l')
�204 -
cessio11 qui ne s'onvrara qu'au décès dn disposant et
sous la condi tion ùe survie dD donataire et de sa postérité et le soumet 3 robligation <l'acquitter les dettes
de la succession. absolument Jans les mème:i cas et de
la même manière qu e les légataires. Elle en lève au do11ateur le droit de disposer à titre gratuit des objets sur lesquels elle porte. si cc n'est pour de sommes modiques
ou à titre de récompen e. mai· elle lui laisse la facnl té
d'en disposer â titre onéreux. Hien ne s'oppose cependan t
à ce que l'instituant se résen•e le pouvoir de disposer même
à Litre gratuit de certains objets com pris dans l'institu tion
ou d'une somme fixe à prendre sur ces objets. Cette clau ~e
est formellement autorisée pnnr l'article 1086 . Sans dou Le
œ tex te ne parle cl ans a derni~re partie que de la dona·
Lion de biens présents mais nous ne voyons aucune raisuu
de ne pas appliquer ses dispositions à la donation ùe
biens~ veni r. Si le dona teur meurt sa ns avoi r dis posé
des objet:; ou de la somme rGservés. ces objets on celle
somme appartiendront à l'i11 ·titué ou à ses héritiers .
~ous allons du reste rc1·enir uientôt sur celle parti e de
l'article 108() .
Dans le cas où l'instituan t s'est réservé le µou1•oir de
disposer Je cer'lain:, des objeL do unés ou d'une son1me fixe
it preadre sui· ces objets, on s'est dema ndé comment il
fallait interpréter cette clause. Le donateur conserve-t-il
loujours la facul té J 'ali èner tous les biens co1upr1:: dans
l'institu tion ·oit à litre onérenx. so it :1 Litre gratuit Jans la
mesure autorisée par l'article 1085, ou. au cou traire. so n
JroiL de disposition se trouve+il lim ité aux ol.Jj cts ou 11 la
somme réservés~ Dans notre a11cie1llle jurisprudence, on
-
20S -
admellait que la. clanse était restrictive à l'égarù de=- dispo sitions à titre gratuit, mais qu'elle n'enlevait pas au dona teur la facu lté cle cfo;poser à litre onéreux. li faut décider rie
même sous J'empire du Codü en ce qoi concerne !a faculté
d'aliéner à titre onéreux; c'e, t fa un droit qui appartient
toujours à l'instil nant et dont celui-ci ne peut même pas
s'interdire le libre e'<crcice. Mais faut-il également adopter
la solution de notre ancien rlroit, en ce qui concerne la faculté de disposer à titre grat uit pour somme· modique· ou
à titre de récompen'e? La question est contro\'ersée. Nous
croyon , quant a nous. qu'il serai t téméraire de po cr à cet
éoard
une rèale
absolue. C'c· t fa, arnnt tonl. une question
<'>
<'>
d'interprPlat ion qu'il faut lai ser à l'appréciation des tribunaux.Ceux-ci auront à rechercber. d'après les circons tances
de la cause. quelle a été la commune intention des partie. ,
à voir si le donateur a voulu restreindre la faculté de disposition qui lui est accordée par la loi. ou l'étendre au contraire, de telle sorte qoe tout en pouYant ùisposer des objets ou de la somme ré ervés, il puisse faire encore des libéralités mod ique , en \'Orlu ùe l'artiele 1035 . ur les autres biens compri · ùan l'insliLu Lion.
Ill . Du11atio11 c1mwlativc de Biens Prescnts et à Venir -
Celle donation 1)!Tre ceci de parLi culier qu'elle permet :iu
Jo11alaire de recueillir tous les biens que le donateur lai ~e
h son Mcè., . ou la charge de payer toutes se dette,, nu
de s'en tenir seulement aux biens pré,ents ous la charge
ù':1cq ni ttcr les delle ex i ~ t& nles au moment de la formation
uu contrat. C'est, en résumé, 11ne donation de biens h \'enir,
avec faculté pour le dona lairc, de la tran,former lors du
�-
206 -
décès du disposa nL, en unr donation de biens présents. ( f )
Dans le premier cas, on se ll'ouve en pr~sence d'une véritable donati on de bi ens à venir régie par les articles 1082
et 108J; dans le second , au contrai re. la libéralité devient
une donation de bi ens présents, so umise en vertu de l'article 1081 3. toutes les règles des libéralités ord inaires et
notamment au principe de !'irrévocabilité.
Ce droit d'option accordé au donataire est subordon né à
une coodiLion. li faut qu'il soit an nexé à l'acte de donation
un étal des dettes dont le donateur c~ L tenu à cette époque
(art. ! 084 et 1085). Dans le cas où la libéralité comprendrait des objets mobiliers, il est également néces aire, ainsi
que nous l'a>ons indiqué, de dl'essel' un étal estimatif des
meubles présents du donateur sur lesquels porte la libéralité (art. 948).
IV . Donations /'ailes sous des Conditions- Potestatives de
C'esl surton t ùansl'artic le 10 86 .
que le législateur déroge à la règle : Donner et retenir ne
vaut. Ce texte permet. en e!Tet, d'insérer dans les libéralités
faites par contrat de mariage, les diverses clauses p:'évues et
prohibées par les articles 9/i-4, 945 cl 946. Il résu lte de
là que dans ces donations:
la part du Donateur. -
0
l Le donateur peut imposer à l'époux donataire l'obli gation de payér non seulement ses dettes présenLes, mais
encore celles qu'il pourra contracter par la suite. De même,
il peut le char~er, soi t d'acquitter une certain e catégorie
de legs, tels que les legs pieux et rém unératoires, soit
( 1) Mourlon, füJpétilion s écritts, T. li, n• 088.
-
207 -
d'exécnter le te, lament qu 'il a déjà fait ou celu i qn'il se propose de faire .
2° La donation peDt ètre faite sous des conditions
rl ont l'exéc11tion dëpend de la rolonté du disposant , sous
ces conditions. par exemple, si je vais à tel en droit, sifembrn:;se telle carrière, si j e me marie . On s'est demandé
si la donati on pouvait égalem ent être fa ite sons des con ditions purement pote tati ves de la part dn donateur . Les auteurs son l rlivisés sur ce point. D'après les uns, la donation erait null e $i elle était faite sous une condition su pensiYe purement potesta tive. parce qu'alor aucun lien de
droit n'est formé, la volonté de gratifi er le donataire n'ex iste
pas chez le donateur ; elle serait v:ilable, au con lraire, , i
ell e élait faite sous une condition résolutoire. car, dans ce
cas, la volonté de donner ex iste dès maintenant (Col met de
San terre. T. IV . n° 259 bis; Oemolombe. T. XXI.Il , n° 370).
No us ne partageo11s pas celle opin ion. Ce n'est point en
vertu de la maxime: Donner et retenir ne \'aut. que les con ditions purement potestalives sont prohibées dans les libér2liLés en tre-vifs. c'e t en vertu d'Dn principe plus général,
qu i régit tous le con trats, le principe de l'article 11 7 4.
Or il ré ulte des termes même:; de l'article 1086 que le lè'
gis\ateur n'a eu pour bu t de déroger en r.ette matière qu'à
la maxime el non point à la règle de l':irticle 117 4 qui
tient d'ail leurs tellement à l'es ence des conven tion . qu'elle
n'e~ t su ceptibl e d'aucune exception ou modification . L'arti cle 11 71~ doit donc recevoir ici son application el com me
il ne di tingue pas entre les conditions suspen ives et les
cond itions résolutoires, les unos ~t les autres doivent être
�-
208 -
également prohibées, quand elles sont purement potestative .
Dans ce' deu'< bypotbèses prévues par la premiüre partie
de l'article 1086 , le donataire peu t renoncer à la donation.
s'il la juge onéreuse el e soustraire ainsi à l'exécution des
conditions qui ont été mises à sa charge. C'est là une nouvelle dérogation au droit comm un qui se justifie facilement.
Il serait inju te qu'une libéralité qui es t faite en faveur du
mariage, fùt obligatoire pour celui auqoP.I elle est adressée
et pût ainsi tourner à son ùélrimenl. Il est plus ration nel
et plus équitable, au contraire. de lui donner le droit d'y
renoncer. surtout puisque le donateur conserve la facu lté
d'augmenter d'une mani ère indéfinie les charges qu'i l lui a
imposées.
50 Le donateur peut se réserver le droit de di sposer d'un
obj et compris dans la donation. ou d'une somme fi xe à
prendre sur les biens qui la composent . Dans ce cas. contrairement 3. ce que décide l'arti cle 94G. cet. objet ou ce lle
sommP., si le donateur meurt sans en avoir disposé, seront
compris dans ladonation et appartiendront. dit l'arti cle 1086,
att donataire ou à ses TuJritiers. Ces derniers mots ont
donné lieu à des difficultés entre le jurisconsultes. Comment , a-t-on dit. l'objet ou la somme réservé peuven t-il s appartenir aux héritiers du donataire. puisque l'article 108!}
déclare la libéralité cadoque par le prédécès de celui-ci? De
deux. choses l'une, en effet : ou le donataire survit au donateur. et alors l'objet ou la somme lui appartiennent et
passen t à son décès à ses héritiers, ce qui est tout nature]
et ce que la loi n'avait pas besoin de dire , car ce la résulte
des princi pes généraux du droit; ou, au contraire, le dona-
-
209 -·
taire prédécède, dans ce cas les objets réservés reviennen t
au donateur (art. 1089) a rnoius qu'il ne laisse des enfan ts qui recueilleront alors non point comme béritiers,
mais comme donataires. en vertu d'un droit qui leur est
propre. Ces mols ou à 1Se1S haritiers sont donc tou L à. la fois
inutiles et inexacts. S'ils se trouvent dans l'article 1086,
cela tient à ce que le législateur a i;opié trop servilement sur
ce point l'article 18 de l'Orc!onriance de 1751 dont la décision .e comprenait, parce que notre ancien droit n'admettait
pas, comme le Code civ il. la révocation des donations en
faveur du mariage par le prédécès du donataire.
An lieu de se rc~server la faculté de disposer de certains
objets ou d'une somme déterm inée, le donateur pourrait
stipuler le droit de créer une charge sur les biens donnés,
de les grever, par e'\emple, d'nu e rente viagère an profit
d'une personn e quelconque. Il faudrait , dans ce cas , appliquer le principe que nous venons d'exposer.
"' ECTIO~
DE
II
DO:\ \TION' ENTRE ÉPOUX
Les époux peuven t e faire des libéralités soiL par leur
contrat de mariage. soit pendant le mariage.
Les donations faite par l'un des futurs conjoints il l'autre
par con trat de mariage sont en principe oumises aux mômes
règles qu e celles faites par un ti ers. 11 est bon de remarquer
cependant : 1° qu'elles ne sont point révocable' pom cao.e
�-
'1 10 -
de survenance d't!nfants (art. 9GO); 2° que les donations de
bien · présents oesont point censées faites sous la co ndition
de survie du donataire (arl. 109 2); 3° que les donations
de biens à ven ir et l e~ donations cu mulati ves de biens présents et à venir de\' ienoen l caduques par le prédécès de
l'époux donataire et ne SDnL pas daos ce cas transmissibles
aux enfa nts issus du mariage (art. 1093) .
Les éponx peu\'enl également se faire des donation pendant le mariage. eul emen t la loi déclare ces libéralités
essentiellement révocables (art. 1096). L'o ri gine de celle
disposition est des plus curi euses à étudier.
A nome, les donations entre époux furent d'abord permises, mai- elles devai ent être bien rares. car les femmes
mariées étan t pour la plupart in 111an1t mariti n'avaient aucune fortnne personnell e et ne pouvaient non plus rien acquéri r pour el les-mômes. Ell e5 ne furent guère prohibées
que vers le règne d'Augu Le. Les motif~ de cette prohibition
nous sont donnés par les juri~co nsultes romains. llfori(ms
1'f'Ceplum est , ne inter virum et uXfJrem, donationcs vale·
rent. . . . . ne mult~o a more i11 vicem spoliarentur, donationibus non lemperanles, sc<l prof'nsa erg a se (acilitulc ( L. 1.
de Donal. inter vir. et ux.) ..... ncconcordia71retio co11 ciliar i
videretur, ncvc 111elior i11 paupertatcm incideret. dctcrior ditior fieret (L. 3, Cod. til. ). Par la so ite ces principes se
modifièrent encore. Reconnaissant qu'il était injuste d'in·
terdire d'une façon trop absolue des li béralités qui pou vaienl
da os certains cas parfaitement se j uslifier, Septime Sévère
et Antonin Caracalla apportèrent un tempérament à l'anli·
que prohibition el décidèrent par un sénatu con ulte connu
soas Je nom rl'Oratio A11to11ii1i qu e les donal10ns i11t1·r virnm
-
':211 -
rt uxorem deviendraient n iables à la mort du donateur ,
si celui-ci avait persévéré ju qu 'à cette époque daos la volonté de donn er ( L. 32. § 1 de Donat. inter vir. el ux).
Les provinces de droit Écrit suiviren t le dro it romain
dans ce derni er état. Quant à notre législation Coutumière.
elle était loin d'ètre uniforme sur ce poi nt. Sans faire connaître en détail tou tes les divergences qui s'étaieot produite , bornons-nous cependant à constater qu e la plupart des
Con tu mes défendaient entre éponx toutes sortes de libéralités, sauf le ùon mutuel, aussi bien les libéralités testamentaire que le libéralité· en tre- vi~ (Coutume de Paris. art.
282 ; d'Orléan . art. 280). Coquille ex pliquait cette prohib!Lion en disant qu e • Onrant le mariage, l'amitié se doit
entretenir et conserver par honneur et en l'intérieur des
cœurs et non par dons." ( 1) Mais la principale raison qui
avait fai t prohiber ces li béralités est certainement celle qui
nous est donnée par FPrri ère " La raison pour laquelle nos
Coutumes se ~ont écartées des lois romai nes, en défendant
aux conjoints par mariage Loute espèces d'avantages et de
donations. est fondée ur le soin et le désir de consen·er
les biens dans l e~ fam ille . • (2)
Le droit intermédiaire réagis'ant contre ces idées. autorisa d'une façon absolue les libéralités entre conjoints et
•ouvrit aux époux une carrière de bienfaisance san bornes. même pendant le cours du mariage• (5). (Loi du 17
Nivose, an XII . art. I li etG ·t .)
( 1) QufSI. 149.
(2) Gom111011l111:e l/e la <:m1tum.'' de l'm'is. nrt. 28~. n• 6.
(a) Vermeil, Code drs ,\11crts.~1011s.
�-
2 12 -
Le Code n'a reproduit ni les di ' po.itions du droit romain , ni celles de notre :lncienn c jn risprudence, ni celles
du droit intennèùiairc. Chacun de ces système· ava it ,
en effet. .es danger:; cl .es incon\' én ients. Prohiber les
donati ons en tre époux , c'était empècher ùes libérali tés
qui potn aienl ·ou\'ent être inspirèes par un motif très
légilime el très louable, et ciue le lêgi. lateur devrait,
tout au moins. respecter . Les permettre, au contraire,
sans restriction d'aucune ~;cirte, en les as.imi lant complètement a n~ libéralité' ord inaire·, c'ètait s'ex poser à re11clrr irréYocablc cl e donation qui pouva ient avoir été
faite sons l'empire ù'ent raincments irréfléchis ou ar rac h (·e~
par de~ obse sions el qui, par con.équent , ne co ntenaient
pas l'ex pression de la l1hre \'O lont è dn donateur . Le Code
a su éviter tous r,es da ngcrs en déclaran l révocabl e~, an
gré dn di. posan t, les avan tages qne les époux po11\'aien t
se faire pendan t le mariage. Tou tefois, lorsque ces a\'antages au ront élè ùégni sés so us la forme d'un contrat à Litre
onéreux ou faits par personnes in terposée3. iis seront
alors complètement nuls en vertu des dispositions de l'article 1099.
Les donations entre époux, pendant le n1ariage. peu·
ven l comprendre les mêmes biens qu& cell es failcs par
contrat de mariage, c'csl·il-d ire des bi ens présent . de.
biens à venir, des biens présunls et à. venir comulati\'e~ en t ; de même. elles ne sont pas so umises a l'appli cation des arti cles 911-4, D-15 el 91.1-G. Ceci ré ulte formellc~entj de l'article 911-ï. L'époux donateur peut révoq uer sa
l1~éralité, soil pa1· ac:tc authcntiqne . . oil par :ictc sous
·l mnmc
·
·
•~e 1 nn" ,,nrivr . s01
tac1Leme111
, en vendan t ou en don·
--- 2 1;) -
nant de nouveau les objc:ts compris dans la donation. La révocation pourra être faite par la femme. sans qu'elle soit
autorisée par so n mari ou par j ustic<l (arl. 1096) ; \'obliger.
en effet, a obtenir cett0 :iuLorisation. serait, en réalité.
l11i enlever le pournir de révocation que la loi lui accorde.
Di.>ons, on terminant, qu e la faculté de révoquer e t perso nn elle à l'époux donateur , el qu'elle ne pourrait être
exercêe Je son chef par ses créanciers (art. 1166) .
Qu elle esl la nature el le carac tère des donations entre
époux? Celte qoe lion e l encore discotée entre les jurisconsultes. La controver c qui les di,·ise prend sa sou rce
dans la disposition de l'article 1096 qui déclare ces libéralité révocable ao gré dn di. posant. C ~rta in . auteurs
prétenden t, en .r fondant nr cet article. que ce sont de
vér ilables libéralités testamentaires. Leor opinion es t trop
con traire aox textes de la loi pour pouvoir être admise.
L'ar ticle 1097 permet aox. conj oints de se faire des donations par actes entre-Yifs , et l'article 2 de la loi do
2 1 juin t 8'~3 soomeL ces libéralité· aux mêmes formes
que les libéralité entt'e-\'ifs, ce qui prouve bien qu'il les
range parmi celle -ci. D'après M. Troplong (T. 11-, n°26 '~0) ,
la donation entre époux ne peul pas ètre rapportée à on
type uniqu e; ce n'e t ni un e donation entre-Yifs, ni une
donation à. eau e de mort. c'esLLin mélange Je deux. Ce
y:;Lème doit être égalemenl rejeté. L'article 895 ne reconnait. en effet, que deux modes de disposer à titre gratuit ; la donation ent re-\' if· et le testamen t. Il faot donc
ranger la donation en tre eponx dans l'une ou l'autl'L' de
ces ùenx calêgories A notre av is, elle constitne une véri table donation enlrC·\·ifs; elle e Lsoumise aux mème forme ·
�-
214 -
el aux mêmes règles ; elle en renferme LOU"... les él emeots
·
·
comme celle-ci, elle exige le concours de deux volont .•
~·est en vain que l'on nous objecte ces mots de r:~
l1cle 1096 : Quoique qualifiées enl,.e·vi/'s, ce qui indiq
dit-on, qu'elles n'ont des donations oo tre-vifs que le ue ,
Il est facile de répondre à cette objection. L'article ~~:~
a eu ~our but de poser le principe de Ja révocabili té des
donations
entre époux
. En employ:rnt ces mot ~· .. Quoique
.
.
..
qualifiées entre·vi/s.
1
1
a
seulement
You
lu
dire
•
.
que 1es epoux
ne pourraient pas sou· traire une disposition à cette
révocabilité en lui donnant la qualification de donation
en tre-vils.
-
21 !j
-
CONCLUSïON
Le maintien dans le Code ciril de notre \'ieille règle
coutumière : Donnel' et retenir ne \'aut, a fait l'objet de
cri tiques de la part d'un certain nombre de jurisconsultes.
• Nous n'apercevons rien , dit ~I. Demolornbe, dans la
na ture des choses. ni dans les principes généraux du dl'uit,
qui fasse nécessairement obstacle à ce que la donation
entre-vifs pu isse être consen tie sous des conditions dont
l'exécution dépendrait plus ou moins de la volonté ulté·
rieure du donateur ; et la preuve en est que le légi lateur
lui-même a admis. à certains égards, ces sortes de conditi ons dans les donations par contrat de mariage ( 1) . •
Après avoir exprimé une idée analogue, M. Bathie ajoute:
« Ce qui avait sa rai on d'être dan la légi'lation Coutu·
mière n'en a plu, sous le Code Napoléon. Rien ne 'opposerai t plu donc au rétal.Jk semen t de la loi romaine
(relativement aux donation à eau e de mort) ou, tout au
moi ns. à la généra li aticn des dispositions exceptioooelle
qui ont été consacrées en faveur du mariage. Il e. t rrai
que le donataire a plu ' d'él\'antage 11 recevoir one ùonalion
il'ré\'ocal.Jle, cLqu e cette e·pèce ùe lil.Jëralité est plus favo(l)TomcX\'111, n i l\.
�-
2 16 -
rable à l'établis emen l d'un e famille qu'nn lilre fragile et
révocable. Mais le exigences de la loi. en cette mal ière,
éloignent de la donation Pt font préférer le te Lament.
Loin d'y gagner. le donatai re y perd , puisq ue l'impossibilité de faire un e donation révoca ble fai t que la libéralité
est renvoyée après le clécè'. Or, un e donation avec mise
en po~s"'on immédiate vaudrait mieux qu'un leg .
puis~e.fe :i taire y gagnerait la jouissance actuell e ( 1). •
O'autres al. ..Jurs ont essayé, au conlraire, de juslifier
les décision contenues dans les articles 9-'~;) et suivants.
D'après eux. ces di,po ilion, on tencorc,mèmcaujonrcl' hui.
une réell e ulilité. En forçant le dispo.ant à e dépouiller
à jamais de la chose donnée. biles lui font mienx comprendre toute l'importance de l'acte qu'il fait , toute
l'étendue de la perte à laquell e il consen t ; elles peuvent
lui inspirer des réJlexion salutaires , l11i permellre ùc ~e
dérober aux influences et aux ob~es io11s auxquelles il
peut être en butte ; elles mellen L sa volonté ùe donner à
une nouvelle épreuve destinée à en as, urer et à en garan tir
la libre expression. A un au tre point de vue , ellec: sont
utiles dans l'intérêt de la famille et de héri tiers du Jonateur . On est moins ùispo é à donner quand on sait que l'on
se prive soi-même et d'uue fa~·on irrévocable. Cette con idération peut arrèter le disposant, 1'empêcher de réalise r
la libéralité qu'i l complait faire, le détermine!' à co nserver
à ses enfants des biens qu'il aurait pcnl·être dissipés d'une
façon inavouable. L'irré\'ocauiliLé des donations est donc
toot à la fois une protection pour le donateur, une garanlie
pour sa ramille et ses héritier"
1 3~'. ) Uevu<·
tr1l1quP
lt61·1~1on
du Cod!' •Napoléon. l. X.À \ 'I JJ, p . 13i il
-·
217 -
Auquel de ces systèmes faut-il s'arrêter? Quelle est de
ces deux opinions celle qoi est préférable ? Nous n'avons
pas à le rechercher. Notre but a été d'étudier dans ch~- .
cune des périodes de notre droit la régie: Donner et retenir
ne vaot. Nous al'On examiné so os l'infio ence de quelle
itlée ell e avnit rris nai sance, comment elle s'était dé\'elop·
pée, quelles tra n forma tions su<:cessives lui
ien~ fa_it
snbir les siècles et le' progrès du droit. Ace. '? • 01ffic1lament à l'origine. elle a fini par . 'ancrer dan notre législation au poin l de rési ter à l'œu vre do temps et de nous
récrir encore. Nous avoo , fatl rnir quelles app!ication les
ré~acteurs do Code en ont faites, le' exception qu'ils Y
ont apportées. La s'arrête notre tàche. Nous avon montré
ce qu'avait été la règle : Don ner et reteuir ne vaut, dans le
passé, ce qu'elle es t clans le p1·èse11t; c'est au législateur et
non à n0us qu'il arpartienl de dire ce qu'elle sera da11s
l'avenir.
�-
219 -
POSITIONS
DROIT ROMAIN
Un droit réel d'usufruit ou de servitude ne peut
résulter des pactes et stipulations.
Il. - L'obligation du fidéjusseur contractée in durio·
rcui cat'-Sam est nulle pour le tout et non pas
seulement réductible dans la mesure de l'obligation principale.
Ill. - Le possesseur d'un bien revendiqué qui refuse
d'exécuter à l'ar/Jilrium judicis peut être contraint ma11 u militm·i à fournir la satisfaction
ordonnée par le juge.
IV. -- La défense faile au mari d'hypothéquer l'immeuble dotal, même avec le consentement de la
femme, ne découle pas de la loi Julia.
l. -
DROIT CIVIL
I. -
Le, constructions élevées par rusufruitier tombent so us l'application ùe l'article 599 et non
sous celle de l'article 5~5.
Il , - L'usufruitier n'a aucune action pour contrain/
�-
220 -
dre le nu-propriétaire il faire les grosses réparaLions.
1H . - Lo. eofan ls iocestuem nés hors mariage. de parcnl s ou al!iés on tro lesquels ex iste une prohibili ou de mariage susceptible d'être levée nu
moyeu Je dispenses , ne peuven t pa êtro légitimés par le 111ariage snb ·éqnen t que leurs pèro
et mère 1.:onlraclon t en vertu ùe ces dispenses.
IV. - L'article 1301.-contiont une règle de pre cripLion.
V - Dans le ca où la mère tutrice de ses enfanL se
remarie, an, e conform&r :rnx prescriptions de
l'a rticle 395 . le' alin éa, le mari cotuteur ùe
faiL n'c t rc ponsablo que de la gestion postéri eure au mariage.
DHOIT PENA L
1. -
IJ. -
L'action pub liq ue et l'action civile. ré ulta nt d'un
crime 0 11 d'1111 d1~ l i t , sont so umises à la même
prescription.
Le fai t de donner la :mort à une porsonno , u r
s0n ordre cnnstiluè un homicide volon taire.
'
OROIT MA RITIM E
I. ·-- La police d'assura nce 11'osl exigée qu'ad Jiro&ationem.
li. -
Les créanciers cll irographai rcs peuvon L fai rc as-
-- 22 1 -
surcr les na1•ires et le marcbandises de leur
débi teur .
111. -- En ca d'incendie le capitaine n'est poiot responsallle eo priücipe, vi ~ - à-vis des chargeurs, de la
pel'lCcl os marchandi5c à. lui confiées; c'est donc
h ceu~-c i li prou 1er qu'il y a eu faute de ~a part.
Vo
P.\R NOUS
Professeur, Président de la Thèse,
A. PISON.
Vu
ET PER~trs D L\IPRIMER:
0
Le Recteur de l'Académie.
BELIN.
�,
TABLE
De la Loi Cincia en Droit romain
l1 ages
Généralités sur la loi Cincia. . . . . . . . . . . . . . . .
PREMIERE PARTIE. -Etude du premier chef
de la loi Cincia. . . • . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
DEUXIÈME PARTIE . - Etude du second chef
de la loi Cincia.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Droit antérieur à la loi Cincia. . . . . . . . . . . . . . .
Econom ie du seconù chef de la loi Cincia. . . . . .
CHAPITRE l er. - Détermination des Donations sou.
mi~cs à la loi Cincia. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Seclion Jre. - Les Donations entre-vifs seules
sont soumises à 1~loi Cincia.. . . . . . . . . . . .
S ec/ion J/0 • - Certaines libéralités entre-vifs ne
sont pas soumises à la loi Gincia . . . . . . . . . .
§ I. - Des Donations faites infra modttm.. . . .
§IL - Des Donations ttllra modnm faites aux
personœ exceplœ.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
§III. - De quelques Donations particulieres ..
CttAPJ'l'RE II. - Fonctionnem ent de la loi Cincia
(De l'exeept1on /pgis Cinciœ). . . . . . . . . . . . .
S ection l'". - Fonctionnement de la loi Cincia.
§ I. - Donation pa1· voie de dation. . . . . . . . . .
§ II . - Donation par voie de promesse . . . . . . .
~ III. - Douation par \'Oie de délégation . . . . .
§ IV. - Donation par Yoie de remise de dette . .
Section Jl". De l'Exception legis Cmciœ. . . . . . . . .
APPENDICE. - But et Caractère de la loi Cincia. .
5
8
14
14
20
23
2-1
26
2ü
29
37
39
39
39
46
49
59
üO
73
De Ia règle: Donner et Retenir ne vant
Dans notre ancienne Jurisprudence et sous le Oode oivil
ANCIEN DROIT ... . .............. . . . . . . . . .
CHAPITRE I er. - De la Néces ité de la Tradition.
Cu \.PJTRE II. - De l' frrévoca.bilité de la Donation.
83
88
97
�-
224 -
CnAPTTRE III. - Origine de la règ:le : Donner et
retenir ne vaut.......................... .
CHAPITRE I V. - De ln ma\.ime: Donner et retcnil'
ne vaut sous l'empire de l'Ord0nnance de 17:31.
CODE CIVIL .. . ............ ... . .. .. . ..... .
C11APITHE I••. - Des Clauses compatibles avec la
ma'(ime : Donner et retenir ne \·aut ......... .
Section Jro. - Des Donations avec résen •e d'usufruit . . . . . . . . . . . . . . . . .... . . ..... . .. . .
Section l ! . - Du Droit de 1·etour conventionnel .
CHAPITRE II. - Des Clauses incompatibles avec
la maxime: Donner et retenir ne ''aut ... . ... .
Sectio11 Jrc. - De$ Donations faites sous J es
conditions potestatives de la part du donateur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Section l !. - Des Donations de bien s à ' eui r.
Seâ ion II! . - Des Donations faites à la char~·e
par le donatairn d'acquitter les dettes du
donateur. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .
Section 1 V. - Des Donations faite::; avec réserYe
pour le donateur de disposer des objets compris dans la libéralité ou d'une somme à
prendre sur ces objets ... .. .... .. ....... .
Section V. - Des Donation s mobilières faites
sans état estimatif ... . .. ... .. . ......... .
CH.\PITRE TIL - Des exceptions à la règle: Donnar
~t retenir ne vaut.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
.-:>ection f r•. - Des Donations faites par contrat
de matfage aux époux et aux enfants à naître
du mariage.. . ... .. . . .. . . ....... . . . . .
Section II. - Des Donations entre époux .... .
Co::çcLu rox . . .. ...... . .. .. ................ .
POSITIONS......... . . . . . . . . . . . ........... .
Aix. - Imprimerie J. NICOT, rue du Louvr<', 111. - 3399.
ERRATA
] 01
ll t
121
127
127
130
135
Page 12, nqte 2.
lellre XXI a<l Rufurn , au lien ùc
lettre I ad Rufum.
» 14, lig nr 11. telle(ul,au lieu de te/fut.
» 31,
» 2:2. j11sq11'a1t si.rième degré inc;/usitienicnl
et a1-' septième le sobrinn oatus. au
lieu cle ;11 q11'au septihne rlegrë.
» 33,
,>
lH. /,. 8 de Gond. causa dat., au lieu de
l. 8 de C'ond. causa.
))
»
6 . Xote par des con. tit11tions, au liE:u
de par les const it ut ions.
» :n,
8. interêts, au lieu d'intérêt.
)) 39, » 18. rlélégalio11, au lieu de sliputatio11.
l)
-±0, » ü. deuen11, au lieu de resté.
)) 42, »
7. à, l'égard de, au lieu de à l'r'gard des.
» 59,
»
l. di cussion, au lieu de discusion.
)) 76, »
1. r111 'ils étaient, au lieu de qu ·ils s'étaient.
)) 78, » 27. déterminer la i:aleur, au lieu <le la
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Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Monographie imprimée
Description
An account of the resource
Ouvrages imprimés édités au cours des 16e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
De la loi "Cincia" en droit romain : De la règle "Donner et retenir ne vaut" dans notre ancienne jurisprudence et sous le code civil : thèse présentée et soutenue devant la faculté d'Aix
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Terris, Joseph de
Faculté de droit (Aix-en-Provence, Bouches-du-Rhône ; 1...-1896). Organisme de soutenance
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES-AIX-T-131
Publisher
An entity responsible for making the resource available
J. Nicot (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1883
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/240409795
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-AIX-T-131_Terris-Loi-Cincia_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
1 vol.
224 p.; 1 f. d'errata
24 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/395
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
De la règle "Donner et retenir ne vaut" dans notre ancienne jurisprudence et sous le code civil
Abstract
A summary of the resource.
Thèse : Thèse de doctorat : Droit : Aix : 1883
Etude de la Lex Cincia (~204 avant notre ère), loi interdisant le paiement d’un salaire à un avocat.
Etude de l’adage juridique « donner et retenir ne vaut » dans l’ancien droit et le droit français du XIXe siècle
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Subject
The topic of the resource
Droit civil
Droit romain
Description
An account of the resource
Etude de la Loi Cincia (~204 avant JC) qui interdit le paiement d’un salaire à un avocat et de l’adage juridique "Donner et retenir ne vaut" dans l’ancien droit et le droit français du 19e siècle
Corruption -- Rome -- Thèses et écrits académiques
Don -- France -- Thèses et écrits académiques
Droit -- Maximes -- France -- Thèses et écrits académiques
Refus -- France -- Thèses et écrits académiques