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DROI T COMMERCIAL
COMMENTAIRE DU CODE DE COMMERCE
LIVRE
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PREMIER
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TITRE HUITIÈME
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DE LA LETTUE DE CHANGE
DES B IL L E T S A O R D R E
ET DE LA P R E S C R I P T I O N , / ^
PAR
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i. B ED A R R ID E
Avocat près la Cour d’appel d’Aix, ancien Bâtonnier
Membre correspondant de l’Académie de Législation de Toulouse
Chevalier de la Légion d’Honneur
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DEUXIÈME ÉDITION , R E V U E , CORRIGÉE ET AUGMENTÉE
TOME PREMIER
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PARIS
L.
LAROSE,
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LIBRAIRE
ACHILLE MAKAIEE, LIBRAIRE
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1877
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��DROIT COMMERCIAL
LIVRE 1er
TITRE V III
DE LA LETTRE DE CHANGE, DES BILLETS A ORDRE
ET DE LA PRESCRIPTION
S E C T IO N
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C B ia s ig e
SO M M A IRE
1.
2.
3.
4.
5.
Importance de la matière. Entraves que le commerce subis
sait avant l’invention de la lettre de change.
Effet de cette invention,
Nature des besoins auxquels la lettre de change devait faire
' face. Manière dont s’accomplit sa mission.
Ce qu’elle fut d’abord. Personnes dont elle exigeait le con
cours.
Modification qu’elle subit dans la désignation de la personne
à qui elle était payable. Conséquences quant à sa trans
mission.
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6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
16.
17.
18.
19.
20.
21.
22.
23.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Personnes diverses dont elle admet le concours. Caractère
de l’opération vis-à-vis de chacune d’elles.
Elle devint bientôt marchandise. Conséquences.
Nature de l ’intérêt qui s’attache à la détermination de sa dé
couverte. Opinion de M. Locré.
Réfutation.
Casaregis en attribue l ’honneur à ses concitoyens les Flo
rentins exilés de leur patrie. Discussion.
Opinion de M. Nouguier l’attribuant aux Juifs. Ses fonde
ments, sa preuve.
Effet de la lettre de change sur le précepte prohibitif du
prêt à intérêt sans aliénation du capital.
Nécessité de se former des idées exactes du change pour
apprécier sainement la lettre de change. En quoi con
sistait le premier avant la découverte et l ’emploi de
celle-ci.
Ce qu’il a été depuis. Définition qu’en donnait l ’école ita
lienne.
On appelle également change l ’indemnité payée ou retenue
par le tireur de lettre de change. Sa nature.
Diverses espèces de change admises par l’école italienne.
Par notre ancien droit.
Doctrine sur la légalité de chacune d’elles.
Dans quelle catégorie faut-il placer le change qu’on appe
lait en Italie Gambio con la ricorso.
Doctrine du Code n’admet plus ces distinctions.
Le prix du change peut-il être reconnu usuraire lorsqu’il a
été exigé au-delà du cours. Quel est l ’élément de solu
tion de cette question.
Caractère du contrat de change sous l ’école italienne, Casa
regis, Scaccia, Azuni. Conséquences qu’en déduisait de
Lucca.
Le principe et ses conséquences furent admis par notre an
cien droit, Jousse, Savary, Bornier, Dupuis de la Serra,
Pothier.
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
24.
5
Doctrine de notre droit moderne, MM. Pardessus, Frémery,
Troplong, Nouguier.
25. Le contrat de change est donc aujourd’hui ce qu’il était au
trefois. Il ne peut donc être querellé d ’usure. A quelles
conditions.
26. Le contrat de change peut devenir l'occasion d’un prêt.
Conséquences.
27. Le contrat de change participe-t-il à d’autres contrats.
Confusion dans laquelle Domat est tombé à cet égard.
28. Nécessité de ne pas donner au change les attributs et les
effets delà lettre. Ses motifs.
29. Le contrat de change est, pour sa validité, régi par l ’article
1108 du Code civil. Comment doit-on envisager la ca
pacité des parties.
30. Incompatibilité du commerce avec certaines professions. Ef
fets de la violation de la prohibition.
31. Modifications consacrées à l’endroit du mineur et des fem
mes mariées.
32. Nature de la prohibition que l ’article 85 fait aux agents de
change et courtiers.
33. Nature de l ’aval que l'arrêté du 27 prairial an x autorise
les agents de change à apposer sur les effets de com
merce.
34. Quel est l ’effet de la violaticn de la prohibition légale ?
35. L ’existence du contrat de change peut être prouvée par té
moins.
36. Confusion sur laquelle repose l ’opinion contraire. Différence
nécessaire entre la preuve du contrat de change et celle
de la lettre. Conséquences.
37. Législation ancienne sur les billets de change.
38. Silence que le Code de commerce a gardé à cet égard. Quel
les en sont les causes.
39. Effets que produiraient les billets constatant une promesse
de créer des lettres de change.
�4
DE LA LETTRE DE CHANGE
40.
Le contrat de change ne comporte pas d’autre preuve écrite
que la lettre de change. Place que la loi donne à celle-ci
dans le titre 8 du Code de commerce.
4.
— La matière de lettres de change, dans l’examen
de laquelle nous entrons, est sans contredit une de celles
qui ont le plus contribué au développement et au pro
grès du commerce, il est facile de s’en convaincre lors
que, à côté de la pratique que son usage a permis
d’adopter, on réfléchit à ce qu’était cette pratique avant
son invention.
La mission essentielle du commerce a été de tous les
temps de multiplier les échanges des divers produits,
d’aller prendre sur les lieux de productions, pour les
amener sur les marchés de consommation, les denrées
et marchandises nécessaires aux besoins, au luxe même
des populations.
L’accomplissement d’une mission de ce genre exige un
grand déplacement de fonds. Il faut payer les achats
avant ou après la revente, et ce payement qui se fait
aujourd’hui d’une façon si naturelle et si prompte, quel
les que soient les distances, était, avant l’invention des
lettres de change, extrêmement périlleux et difficile. Il
fallait transporter matériellement l’argent d’un lieu à un
autre.
Or, de quelque manière qu’il se réalisât, ce voyage de
l’argent n’était pas seulement long et coûteux, il offrait
en outre une multitude de difficultés et de périls, non
pas seulement par le peu de sécurité des grandes rou-
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
5
tes, mais encore parce qu’il fallait passer à travers une
foule de fiefs, dont les possesseurs ne professaient pas
toujours un profond respect pour la propriété d’autrui.
De plus, des considérations politiques, sur lesquelles
on est fort revenu depuis, avaient porté chaque Etat à
prohiber l’exportation, non seulement des espèces mon
nayées, mais encore de l’argent, de l’or, des lingots, de
telle sorte , ainsi que l’observait l’orateur du gouverne
ment, que le commerce rencontrait de graves entraves
dans l’intérieur, et était presque impraticable avec l’é
tranger.
3 . — La lettre de change parut, et devant elle obs
tacles et entraves s’évanouirent et disparurent. On pour
rait avec justice dire d’elle ce qu’on a dit des assurances
maritimes, à savoir, qu’elle a rapproché les diverses
parties du monde. Grâce à son secours, le commerçant
trafique dans les lieux les plus éloignés, et peut sans
sortir de chez lui payer ce qu’il doit, retirer ce qui lui
est dû sans autre sacrifice que l’indemnité toute aléatoire
qu’if payera à celui qui, recevant son argent dans le lieu
de soc. domicile, seftffiarge de le restituer au lieu où le
payement doit se réaliser, ou qui escompte contre de l’ar
gent les traites qu’il tire sur ses débiteurs.
« Pour remuer cette pesante pierre, dit M. Nouguier,
il faudrait de longs efforts et le secours de vingt bras ;
employez un lévier, vous verrez un homme aisément y
suffire.
« Le pesant fardeau du commerce, c’est la valeur des
�6
UK LA LETTRE DE CHANGE
achats ; son levier, c’est la lettre de change, elle est le
signe des métaux comme ceux-ci sont le signe de la
marchandise. Par elle les montagnes s’abaissent, la mer
se tarit, les distances se rapprochent, et les millions tra
versent l’espace avec la rapidité de la poste ou de la
marche d’un navire l. »
Le pittoresque de l’expression ne lui enlève rien de
son exactitude, l’expérience de plus de cinq siècles est
là pour l’attester. La lettre de change a été pour le com
merce la plus utile, la plus merveilleuse conquête, elle
a en quelque sorte changé la face du monde commercial
en en reculant si profondément les limites.
Un si utile instrument mérite donc d’être étudié avec
soin, il importe d’en saisir le véritable caractère, d’en
constater le mécanisme et le but, de rechercher ce qu’il
fut dans l’origine, les modifications qu’il a subies et leurs
effets.
a . — Les besoins auxquels la lettre de change était
appelée à pourvoir, nous les avons déjà indiqués, c’était
de faciliter les achats à des distances plus ou moins con
sidérables , sans trop déplacer lesrëspèces monnayées ,
et de dégager ainsi le payement des longueurs, des frais
et des périls d’un transport matériel, des obstacles que
la politique pouvaient susciter et qui le rendaient si dif
ficile lorsqu’il devait s’opérer à l’étanger.
La lettre de change dès son apparition résolut admii
De la lettre de change, t. 1, p. 34.
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
7
»
rablemeni ce problème, elle n’eut pour cela qu’à utiliser
le mouvement ordinaire des affaires commerciales. Il
n ’est pas de place sur laquelle ne se pratiquent consé
cutivement l’achat et la revente, cette coexistence de l’im
portation et de l’exportation amènera infailliblement à
cette conséquence que pendant qu’une partie des com
merçants auront à payer dans une localité, l’autre par
tie aura des fonds à y recevoir.
La lettre de change combinant ce double besoin lui
fait face au moyen d’une seule opération. Le commer
çant de Marseille, qui a des payements à faire à Lyon,
remet au commerçant marseillais qui a à recevoir de la
même ville l’argent qu’il serait obligé d’envoyer. Il ob
tient de lui une cédule par laquelle celui-ci indique à son
débiteur de payer celui qui la lui présentera. Cette cé
dule est par celui qui la reçoit transmise à son créan
cier qui retirera ainsi ce qui lui est dû, et toutes les det
tes seront éteintes au moyen de cette compensation ré
ciproque.
Cette cédule c’est la lettre ce change, qui n’a pas tou
jours été ce qu’elle est aujourd’hui.
4. — Dans l’origine et pendant longtemps elle n’exi
gea que le concours de deux personnes pour sa consti
tution, à savoir, le tireur, c’est-à-dire celui qui recevant
l’argent donnait la lettre de change ; le preneur ou por
teur, c’est-à-dire celui qui acceptait la lettre en échange
des fonds qu’il versait.
La coopération d’une troisième personne devenai
�8
DE LA LETTRE DE CHANGE
indispensable dans l’exécution. Le payement devant être
effectué dans un lieu autre que celui dans lequel le titre
était créé, on ne pouvait exiger que le tireur se trans
portât lui-même au lieu indiqué pour payer à l’échéance.
Ce soin fut confié à un tiers qui en recevait la délégation
dans la lettre même, et qu’on appelait le tiré.
Le payement, qui se faisait par l’office de mandataire,
n’était reçu qu’au même titre, toutes les fois que le por
teur ne jugeait pas devoir présenter personnellement la
lettre de change. Il la transmettait alors avec le man
dat de la recouvrer, et ce n’était qu’eu vertu de ce man
dat que le payement pouvait en être poursuivi et reçu.
5.
— La lettre de change n’était donc encore qu’un
titre dont la propriété ne cessait pas de résider sur la
tête du preneur. On n’avait pas encore tiré de l’institu
tion toutes les conséquences dont elle était susceptible.
Ces conséquences en découlaient cependant d’une ma
nière si naturelle, qu’on s’étonne à bon droit qu’on ait
été si longtemps à les découvrir et à les mettre en pra
tique. La lettre de change remonte pour son invention
au treizième siècle, et ce n’est que dans le dix-septième
qu’à ces mots : 'payez à M. tel, on ajouta ceux-ci : ou
à son ordre
Celte innovation eut une immense portée. Dès cet ins
tant la lettre de change n’est plus seulement un titre de
créance, elle devient une véritable monnaie circulant
dans le commerce, et, ainsi que nous l’enseignait notre
savant professeur, M, Cresp, donnée, reçue comme de
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
9
vraies espèces, aussi sûre, plus portative, et ayant, sur
la monnaie effective de chaque peuple, cet avantage
d’ètre la monnaie de tous les peuples, d’être partout
donnée et reçue en payement avec la même facilité, avec
la même confiance.
Désormais donc le mandat exprès du porteur ne fut
plus nécessaire. La simple signature sur le dos de la let
tre de change constitua ce mandai tout comme la délé
gation formelle du payement établit le transfert absolu
de la propriété.
6.
— Dès ce moment aussi la lettre de change vit se
multiplier les personnes dont le concours était indis
pensable. Aujourd’hui encore un tireur, un preneur, un
tiré assurent au litre la forme de la lettre de change ;
mais il en existe peu qui n ’offrent d’autres personnes à
côté de celles-ci, et ces autres personnes sont les endos
seurs, c’est-à-dire ceux qui achètent successivement la
lettre de change.
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’entre le porteur et son
cessionnaire qualifié d’endosseur, le contrat intervenant
était le contrat de change, le même que celui qui se réa
lisait entre le tireur et le preneur. Or, ce contrat étant,
comme nous aurons à l’établir, une véritable vente, il e n .
résultait que chaque porteur, en cédant la lettre, deve
nait garant de son payement envers les endosseurs sub
séquents, à moins de stipulation contraire.
*9. — Cette transmission facile, les garanties qui s’a
�DE LA LETTRE DE CHANGE
joutaient successivement à celle du premier signataire et
qui en rehaussait singulièrement l’utilité comme agent
de crédit, imprimèrent à la lettre de change une nouvelle
transformation. De monnaie elle devient marchandise
achetée et vendue au cours que les besoins de la place
viennent fixer. Son exploitation vint s’ajouter à l’indus
trie des banquiers qui s’y vouèrent. Elle consistait, dans
l’origine, à donner des lettres de change sur quelque
lieu que ce fût, et à les faire payer par un correspon
dant.
Cette industrie acquit bientôt la plus haute impor
tance. La vente et l’achat des lettres de change prirent
de tels développements qu’on crut devoir créer des offi
ciers publics chargés d’en déterminer le cours, et d’être
les intermédiaires légaux des parties.
En somme, la lettre de change est devenue l’agent le
plus actif, le plus indispensable de tout commerce, elle
facilite les rappoits non seulement de citoyens à citoyens,
mais encore de nations à nations ; tour à tour argent ou
marchandise, elle supplée à tout, suffit à tout, et ne
cesse de rendre les plus immenses, les plus signalés ser
vices.
8 . — On comprend dès lors les efforts tentés par nos
anciens jurisconsultes pour découvrir les circonstances
qui virent naître les lettres de change, et en déterminer
le véritable inventeur. Cette recherche était loin d’ail
leurs d’être un objet de curiosité pure, elle devait avoir
une influence sur la détermination du véritable carac-
�'
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
11
tère des lettres de change. On était naturellement ame
nés à décider ce qu’elles doivent être parce qu’elles
avaient été dans la pensée de leurs inventeurs.
Cette recherche a également préoccupé nos juriscon
sultes modernes. L’un d’eux, M. Locré, est arrivé à une
conséquence que nos anciens n’avaient pas même soup
çonnée. A son avis, la lettre de change ne se serait pro
duite que par un effet naturel des besoins et des pro
grès du commerce. On ne doit donc en rechercher l’ori
gine que dans l’extension des relations commerciales qui
a été la suite de ce progrès, et qui a produit la néces
sité de balancer les valeurs réciproquement acquises ou
déposées entre des négociants éloignés les uns des au
tres, et mutuellement créanciers et débiteurs l.
» . — Cette opinion indique comme cause ce qui n ’a
été, ce qui n’a pu être qu’un effet. Quelles ont pu être,
en effet, ces relations entre commerçants, alors que tout
se bornait à des achats respectifs qu’on était obligé de
solder en numéraire qu’on transportait sur les marchés
de production lorsqu’on ne les contractait pas par l’é
change de denrées ou marchandises ? C’est-à-dire alors
qu’il n ’existait entre le vendeur et l’acheteur d’autre in
termédiaire que celui qui transportait matériellement
ces fonds ?
Ce n’est donc qu’après que la lettre de change est
venue augmenter le numéraire et en constituer la rapide
1
Esprit du Code de commerce, tit. 8 , sect. 1 ,
�12
DE LA LETTRE DE CHANGE
circulation, que les relations commerciales ont pu s’é
tendre, se multiplier et devenir progressivement ce qu’el
les sont aujourd’hui.
Ce n’est donc pas dans ces relations qu’il faut cher
cher l’origine de la lettre de change. Ce qui le prouve
rait, c’est la lenteur qu’on a mise à en tirer toutes les
conséquences. Pendant trois siècles entiers le commerce,
muni de cet énergique et puissant levier, n’a pas su lui
donner le développement dont il était susceptible. Ce qui
peut être vrai, c’est que l’idée de compléter la lettre de
change, en la rendant payable à ordre, est née des be
soins que les relations commerciales développaient, mais
ces relations, c’est elle qui les avait créées.
Aussi l’opinion de M. Locré n’a-t-elle converti per
sonne. Après comme avant, la seule difficulté que l’ori
gine de la lettre de change ait soulevée est celle de savoir
si elle a été inventée par les Florentins proscrits de leur
patrie tantôt comme Guelfes, tantôt comme Gibelins, ou
aux Juifs expulsés de France en 640, 1186, 1316.
ÎO . — C’est naturellement en faveur des premiers
que se prononce l’école italienne, notamment Casaregis,
qui fait de cette invention une des gloires de sa patrie.
Alla glorie délia nazione sempre ingegnata de i Florentini di avéré avuto un Galileo gui scuopri nuovi
cieli, un Amerigo Vespucci che trova nuove terre, ed
un Accursio che nell inlerpretare le leggi, fu il prin
cipe dei giuricunsulti, si puo aggiungere il nuovo
contralto di cambio trovato da i noslri concittadim
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
13
délia parte guelfa,per retirare sensaspesa epericolo
li loro sustanze délia patria in lione, ove cacciati
délia parte contraria de i Ghibelhni s'erano refug ia ti l.
Que les Florentins réfugiés en France aient fait usage
de la lettre de change pour se procurer les ressources
que leur exil leur rendait nécessaires, c’est plus que pro
bable. Mais cela ne suffit pas pour leur en attribuer l’in
vention, surtout si des documents authentiques et irré
fragables attestent que sa connaissance s’était répandue
bien avant leur exil.
Or, çet exil date de la fin du quatorzième siècle, et un
statut avignonnais, de TSS43, renferme tout un chapitre
spécialement consacré à la lettre de change. Nous re
trouvons encore cette lettre mentionnée dans une loi de
Venise de 4272.
En réalité donc la lettre de change était connue en
Italie et dans le comtat Venaissin dès le treizième siè
cle, il ne peut pas être dès-lors que les Florentins l’aient
inventée au quatorzième siècle. S’ils ont eu recours à son
emploi, c’est que suivant toutes les apparences sa con
naissance s’était répandue pendant le siècle entier qui
sépare le statut avignonnais et la loi vénitienne de la sen
tence de leur expulsion.
i
«*>
1 1 . — C’est surtout cette démonstration mathéma
tique qui porte M. Nouguier à repousser la prétention
i Disc. 218, n° 4.
�14
DE LA LETTRE DE CHANGE
des Florentins, et à attribuer l’invention de la lettre de
change aux Juifs expulsés de France.
Leur bannissement concorde avec les dates que nous
venons d’indiquer. S’il est vrai que le dernier remonte
à 1316, et par conséquent à une époque postérieure au
statut d’Avignon et à la loi de Venise, les deux premiers
les ont précédés l’une et l’autre puisque l’un se réali
sait en 640, l’autre en 1186.
A cette considération décisive, M. Nouguier en réunit
une foule d'autres non moins plausibles et qui toutes
justifient la conclusion qu’il en tire. Nous nous en réfé
rons donc à ses observations.
La connaissance spéciale que nous avons de la légis
lation mosaïque rend pour nous cette conclusion irré
fragable, avec d’autant plus de raison que celte connais
sance nous met en position d’avancer que de tout temps
les Juifs, entre eux, ont pu et dû employer la lettre de
change.
Ils l’ont pu, car cet emploi leur était en quelque sorte
inspiré par les précédents puisés dans leur loi même.
On y trouve en effet et à chaque pas des institutions ana
logues pour les actes ordinaires. C’est ainsi qu’ils avaient
les lettres de répudiations, les lettres d’achat et de vente,
les lettres de donations, les lettres d’échange, etc. Or,
comme l’observe justement M. Salvador, dans ses Insti
tutions de Moyse, de toutes ces lettres à la lettre de
change, il n’y a qu’un pas.
Ce pas il durent le franchir. La dispersion fut pour
les Juifs l’origine et la source des plus cruelles persécu-
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
15
tions, même dans les contrées qu’il leur était permis
d’habiter. Les rois, les princes, les seigneurs, les ma
nants eux-mêmes ne cherchèrent longtemps qu’à s’enri
chir de leurs dépouilles.
Cependant, de l’aveu de tous, ils furent aux mêmes
époques non seulement à la tête, mais encore en posses
sion presque exclusive du commerce. Dirigées forcément
vers ce but, leur activité et leur intelligence surent lui
imprimer d’assez considérables développements. A eux
surtout semblait appartenir le soin de prendre à l’étran
ger ses divers produits, et de les introduire sur les mar
chés qu’ils fréquentaient.
Nous avons déjà dit combien était difficile et péril
leux le transport matériel des métaux. Ces dangers exis
taient pour les Juifs à un bien plus haut degré que pour
tous les autres. Aucun seigneur, aucune communauté
ne se faisant faute de les arrêter, de les emprisonner
lorsqu’ils les trouvaient sur leur domaine. Leur tâche
eût été donc impossible à remplir si, à l’aide de moyens
convenus, ils n’avaient pu éluder les prohibitions et
frustrer l’avidité qui les guettait au passage.
Ces moyens ne pouvaient être que l’emploi de la let
tre de change. Les liens de fraternité qui les unissaient
rendaient cet emploi facile et servait utilement leur in
térêt, en les dispensant de porter avec eux les sommes
qu’exigeaient leurs nombreuses opérations. Chacun d’eux
trouvait en tous pays des frères, des parents, des amis
qui payaient pour eux, pour lesquels ils payaient à leur
tour.
�DE DA LETTRE DE CHANGE
Leur expulsion du royaume dut les forcer à commu
niquer aux non juifs un emploi jusque-là concentré
entre eux. Comme la mesure les frappait tous indistinc
tement, ils durent, pour tirer leur fortune des pays
qu’ils abandonnaient, se procurer des correspondants,
des complices, comme le dit Chirac , entre les mains
desquels ils déposèrent leur actif, en convenant des
moyens de le reprendre.
Que ce procédé n’eût pas frappé l’attention du com
merce en 640, l’état des choses l’explique suffisamment.
Qu’était à cette époque le commerce ! Mais il ne pouvait
en être ainsi en 1186. A cette époque, les Juifs se réfu
gièrent en Italie, qui avançait dans le commerce à pas
de géant et qui ne pouvait rester indifférente en pré
sence d’une découverte qui était de nature à en hâter
encore le développement et le progrès. Et si nous ne
voyons pas la lettre de change généralement en usage
dès cette époque, c’est qu’il fallut un certain temps pour
que sa connaissance fût publiquement acquise.
Nous avons donc raison de donner, comme le fait
M. Nouguier, une origine juive à la lettre de change.
Mais notre démonstration ne serait pas complète si, aux
considérations qui précèdent, nous n’ajoutions pas la
suivante.
Pour les Juifs, la création des lettres de change ne
devait pas seulement servir un intérêt actuel, elle pouvait
et devait encore sauvegarder l’avenir.
Le motif principal de leur expulsion était le désir de
profiter de la confiscation qui en était la conséquence. On
�17
OBSERVATIONS PRELIMINAIRES
les avait soumis à des impôts excessifs dont on n ’enten
dait pas se priver tout en les expulsant. Cela est d’autant
plus certain, qu’on ne pourrait autrement expliquer
cette circonstance singulière que lorsqu’un juif se con
vertissait, en confisquait sa fortune. Cette confiscation,
dit l’immortel Montesquieu, était une espèce de droit
d’amortissement pour le prince ou pour les seigneurs
des taxes qu’ils levaient, et dont ils se trouvaient frustrés
lorsque les Juifs embrassaient le christianisme.
C’était évidemment au même titre que la confiscation
était décrétée en cas d’expulsion. Dès-lors les moyens
d’éviter celle-ci étaient de rendre la confiscation infruc
tueuse et d’intéresser ainsi les rois et les seigneurs à ne
point renoncer aux taxes et impôts qu’il leur plaisait
d’établir. Ces moyens consistaient pour les Juifs à déna
turer leur fortune nécessairement mobilière, à la rendre
insaisissable, impalpable en quelque sorte. Ce but, la
lettre de change l’atteignait infailliblement.
« Les Juifs, dit le célèbre auteur de l'Esprit des Lois,
proscrits tour à tour de chaque pays, trouvèrent le
moyen de sauver leurs effets, par là ils rendirent pour
jamais leurs retraites fixes, car tel prince qui voudrait
bien se défaire d’eux ne serait pas pour cela d’humeur
à se défaire de leur argent.
« Ils inventèrent la lettre de change, et par ce moyen
le commerce put éluder la violence et se maintenir par
tout, le négociant le plus riche n ’ayant que des biens
i — 2
�18
DE LA LETTRE DE CHANGE
invisibles, pouvant être envoyés partout et ne laissant
des traces nulle p a r t l. »
Montesquieu n’hésite donc pas sur l’origine de la let
tre de change, et son opinion est celle que l’école fran
çaise avait presque unanimement adoptée.
1 3 . — C’est ce qui a permis de dire que la lettre de
change était sortie du sein de la vexation et du déses
poir. Par son aide, le commerce prit bientôt les plus
larges développements. C’est par elle que se constitua le
crédit public et particulier, que les capitaux acquirent
cette liberté et cette rapidité de circulation que la raison
d’état leur faisait refuser ; c’est par elle enfin que dispa
rurent ces préjugés que l’esprit religieux avait inspiré,
et qui furent pendant si longtemps des obstacles invin
cibles au progrès commercial.
En effet, et c’est l’illustre Montesquieu qui l’enseigne,
les théologiens n’avaient pas hésité à appliquer au com
merce le principe prohibitif du prêt à intérêt ; ce qui non
seulement n’avait pas peu contribué à en arrêter l’es
sor, mais l’avait même complètement ruiné. L’existence
de la lettre de change, les facilités q u ’elle offrait pour
échapper à la prohibition par la simulation des som
mes données et reçues, les porta à modifier ce principe
et à se relâcher de leur sévérité ; et le commerce, qu'on
avait violemment lié avec la mauvaise foi, rentra,
pour ainsi dire, dans le sein de la probité 2.
1 L iv. 24, chap. 20.
2
Loc. cil.
�OBSERVATIONS PRELIMINAIRES
19
13- — L’origine de la lettre de change en détermine
avec précision le caractère essentiel. Son objet réel est
défaire trouver dans un lieu déterminé un argent compté
et perçu dans un autre lieu. C’est donc le change d’une
place sur une autre qu’elle doit constater et réaliser. On
ne pourra donc l’apprécier sainement qu’en se faisant
une idée exacte de ce dernier contrat.
Avant l’invention de la lettre de change , on connais
sait le change, mais seulement comme une opération se
réalisant dans un même lieu et consistant uniquement
dans l’échange des monnaies, moyennant un certain
prix que payait l’une des parties. Ce change était prati
qué en Grèce et à Rome. Les Romains l’appelaient collybus ; ils qualifiaient de collybistœ ceux qui en faisaient
leur industrie.
1 4L. — Depuis la lettre de change, le change a pris
des proportions plus amples. Dans le fond, cependant,
il est toujours le même : c’est de l’argent qu’on se pro
cure contre de l’argent ou du papier ; seulement la som
me reçue dans un lieu, par le preneur de la lettre de
change ou par le tireur, ne sera restituée que dans une
autre localité. C’est dans ce sens que, définissant le con
trat de change, Casaregis enseignait que non e altro che
un compra del denaro assente col prœsente, eambiandosi questo con quello l.
i Disc. 218, n« 16 V de Lucca,
n» 4.
de camb., Disc. 3, n® \, et Disc. 4,
�20
DE LA LETTRE DE CHANGE
C’est surtout ce caractère, cette remise de place en
place qui caractérise et constitue le change, donnant
naissance à la lettre de change, et qui le distingue du
collybus des Romains. C’est ainsi que Scaccia définit
celui-ci une vente de pecunia prœsente cum pœcunia
prcesente, et l’autre, la vente de pecunia prœsente, cum
pecunia absente.
15. — Le mot change a reçu dans l’usage une au
tre acception. On désigne sous cette qualification le prix
moyennant lequel le banquier qui délivre ou escompte
une lettre de change se paye de l’avance qu’il consent.
Ce prix est essentiellement variable. Ses éléments sont la
position et les besoins de la place où se réalise la créa
tion ou l’escompte relativement à celle sur laquelle la
lettre de change est tirée, l’abondance ou la rareté de
l’argent ou du papier ; enfin, et pour le change à l’étran
ger, la différence nominale des monnaies réciproques et
la distance viennent nécessairement se joindre à ces élé
ments.
On comprend combien ces circonstances doivent in
fluer sur le taux de la négociation. Il importe donc que
les commerçants soient au courant, car il peut arriver
que la partie qui supporte ordinairement l’indemnité soit
appelée à la recevoir l.
Le change est indépendant de l’escompte et de la comi M ontesquieu,
v»
Change.
Esprit des Lois, liv 22, chap. 10. Merlin, Répertoire,
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
21
mission que le banquier peut percevoir, mais il n’est
dû que si l’opération contient réellement la remise de
place en place et exécute dès-lors le contrat de change.
Le défaut de remise laisserait l’exigence d’un change
sans motifs, et en rendrait la perception usuraire.
IG. — L’école italienne distinguait diverses espèces
de change : le change réel et direct, le change oblique,
le change sec et illicite. Le premier était celui auquel
donnait lieu le contrat de change ou la remise de place
en place.
Dans le change oblique, les jurisconsultes italiens
voyaient trois contrats, à savoir : le prêt, le mandat, le
change. Le change sec et illicite n’était considéré que
comme une usure.
Il était dès lors important de déterminer son carac
tère et les conditions auxquelles on le devait reconnaî
tre. Ce caractère et ces conditions les voici : Quando
siimma non est realiter transmissa ad nundinas, vel
quando campsor non habet in loco solutionis cambiorum corresponsalem habentem proprias vel aliénas pecunias quibus saltem virtualis solutio fierip o ssitl.
I 1? . — Cette distinction fut admise par nos anciens
jurisconsultes. Us y ajoutèrent un change spécial et re
connurent en conséquence :
1 Casaregis, Disc. 248, n°s 3 e ts u iv ; Dise. 28, n 0' 9 et 10. De Lucca,
de Cambio, Iiv, 5, n» 9,
�22
DE LA LETTRE DE CHANGE
1° Le change menu, minutum seu manuale, consis
tant dans l’échange des monnaies ;
2° Le change de place en place, s’exécutant au moyen
de la lettre de change ; 7
3° Le change particulier à la ville de Lyon. Le désir
de favoriser les foires, et notamment les quatre qui se te
naient annuellement dans la ville de Lyon, avait fait ac
corder aux négociants qui s’y rendaient le privilège de
stipuler un intérêt de deux et demi pour cent pour l’in
tervalle d’une foire à l’autre , ce qui portait à 10 pour
cent le taux annuel de l’intérêt.
Ici le change était considéré comme une industrie en
faveur des capitalistes ou banquiers qui, par l’avance de
fonds, contribuaient au succès des foires. Mais le taux
élevé de ces intérêts avait de quoi tenter la cupidité.
Aussi chacun se qualifiant de marchand fréquentant les
foires de Lyon, on ne manquait pas de stipuler le deux
et demi pour cent pour chaque trois mois. La preuve de
cet abus se trouve dans un édit de 1311, par lequel
Philippe—
le-Bel défend ce change à tout le monde, sauf
aux marchands trafiquant réellement ès foires de Lyon ;
4° Enfin le change sec, feint, adultérin ou impur. Ce
change, dit Dupuis de la Serra, est une imitation ou plu
tôt une fiction de la seconde espèce, mais, en effet un
prêt usuraire. Il n’en sera parlé, ajoute-t-il, pour ne pas
l’enseigner.
On peut s’étonner avec Mareschal de la qualification
de sec, donnée à ce change et dire avec lui : N e s c io
qua
r a t io n e ,
puisque, par icelui autant qu’autres on
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
25
tire la substance, c'est-à-dire l'argent et les moyens
des personnes qui en souffrent sur eux patiemment l'u
sage.
Mareschal aurait pu dire : puisque par icelui plus
que par tout autre. En effet, rien dans ce contrat n’af
fectait les allures d’un change ; il n’était qu’une usure
portée à un point tel que le bénéficiaire du contrat n’o
sait pas se faire connaître. L’opération se réalisait par le
ministère d’un intermédiaire prenant le nom de cour
tier et traitant seul avec le débiteur, de telle sorte que
si, à l’échéance, celui-ci refusait d’exécuter le contrat,
la somme réellement reçue par lui était perdue pour le
propriétaire qui, n’osant dévoiler ses usures, et n’étant
pas même désigné par le titre, se renfermait dans une
prudente inaction.
On comprend ce que devait être l’usure exercée dans
de pareilles circonstances, et combien cher devait être
payée la chance de perdre les fonds prêtés.
1 8 . — Cette division, toute théorique, n ’avait pas
reçu la sanction de la pratique. L’opinion publique l’a
vait repoussée. Echo de cette opinion, Dupuis de la Serra
s’écriait : il n’y a que deux changes licites dans le mon
de : le change d’une monnaie contre une autre, celui
par lettre d’un pays sur un autre. C’était là une vérité
aussi exacte qu’incontestable, qu’on n’a pas hésité à ac
cepter et à pratiquer de nos jours. Toute opération qua
lifiée change, et qui ne rentrerait ni dans l’une, ni dans
�DE LA LETTRE DE CHANGE
l’autre de cas deux catégories, ne serait plus qu’une
usure palliée dont les magistrats feraient justice.
1®. — Devrait-on considérer comme tel le contrat
que les Italiens avaient appelé : Cambio con la ricorsa°l
Voici en quoi il consistait :
Primus, banquier à Gênes, reçoit de Secundus une
somme de 1000 écus pour la lui faire payer à Lyon.
Plus tard, le correspondant de Primus, sur lequel celuici avait fourni, lui mande qu’étant dans l’impossibilité
de payer, il ne sera pas fait honneur à la traite.
Primus ne connaissant à Lyon personne autre qu’il
puisse charger du payement, s’adresse à Secundus, et
entre eux intervient l’opération suivante :
Ils conviennent que Tertius, correspondant de Secun
dus, créditera celui-ci de 1000 écus dont il débitera
Primus, sur lequel il fournira , pour cette somme ainsi
que pour le coût du premier et du second change, par
une traite à l’ordre de Secundus, et dont il le débitera.
Ainsi le payement qui devait s’opérer à Lyon ne s’y
réalisera que fictivement. C’est à Gênes, où il avait donné
les fonds, que Secundus les retirera. Il sera remboursé
du change qu’il avait payé de Gênes sur Lyon, et il per
cevra le change de Lyon sur Gênes.
La légitimité de cette opération serait incontestable si
elle était sérieuse et sincère, si la traite de Gênes sur
Lyon avait un but réel, et si le défaut de payement dans
cette dernière ville était le résultat de circonstances for
tuites et imprévues.
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
25
Mais il devrait en être autrement si lors de la créa
tion de cette traite les parties savaient qu’elle ne serait
pas payée à Lyon, où l’une n’avait nul besoin d’argent,
et l’autre aucun moyen d’y en faire trouver.
Dès-lors, disait Pothier, c’est par les circonstances
qu’on devra se prononcer. Si Secundus n’avait pas be
soin de lettre de change sur Lyon où il avait des fonds,
le contrat de change intervenu entre lui et Primus n’est,
dans la véritable intention des parties, qu’un prêt d’ar
gent qui n’a été enveloppé d’une couleur apparente de
change que pour que Secundus retirât, sous le nom de
change, un intérêt plus considérable de l’argent qu’il
prêtait. Mais si Secundus avait effectivement besoin de
fonds à Lyon tors du contrat, et que ce ne soit que par
des circonstances survenues depuis que par la suite il
a retiré à Gênes l’argent que Primus lui avait donné à
recevoir à Lyon, en ce cas le contrat de change ayant
été sérieux, le droit de change qu’il a reçu est licite *.
8 0 . — On devrait d’autant plus le décider ainsi, que
le Code de commerce n ’a admis aucune distinction. Les
discussions que les prétendues opérations de change peu
vent soulever n’offrent à résoudre qu’une seule question :
y a -t-il ou non change sérieux et réel ?
Si des circonstances, de la position des parties, des
suppositions que la lettre de change peut contenir, tou
tes choses livrées à l’arbitrage souverain des tribunaux,
i
Contrat de change, n° 57.
�26
DE LA LETTRE DE CHANGE
il apparaît qu’il n’y a pas eu remise de place en place,
aucun doute ne pourrait exister. Tout ce qui a été perçu
à titre de change n’est plus qu’un intérêt déguisé, ré
ductible au taux légal et remboursable pour l’excédant.
2 1 . — Nous ayons dit que le cours du change est es
sentiellement variable. Faut-il en conclure que les par
ties sont entièrement libres dans sa perception ? La réa
lité du contrat de change est-elle absolument exclusive
de toute idée, de tout reproche d’usure?
La solution de ces questions dépend du caractère
qu’on doit assigner au contrat de change. En principe,
l’usure ne peut exister que dans le prêt direct ou dégui
sé, il faudrait donc, pour qu’on pût la réaliser dans le
change , que ce contrat constituât un prêt. Examinons
ce qu’il en était en Italie, autrefois le pays commercial
par excellence, ce qu’en ont pensé les jurisconsultes fran
çais avant et après le Code.
2 2 . — En Italie on comptait jusqu’à quatre opi
nions sur la nature et le caractère du contrat de change.
La première n’y voyait qu’un prêt pur et simple, et
condamnait dès lors le change comme constituant un
intérêt. Elle était généralement suivie par les casuistes et
les théologiens prohibant tout intérêt en dehors de l’a
liénation du capital : Prima opinio est, quod fit mu-
tuum, hancque opinionem secuti sunt ii qui hœc ipsa
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
27
de causa, detestantur cambia tanquam illicita et usavaria l.
La seconde opinion faisait du change un contrat in
nommé : Do ut des, do ut facias.
La troisième ne le considérait que comme l’échange
de l’argent contre de l’argent : Permutatio pecuniœ
pro pecunia.
La quatrième, enfin, admettait le change réel de place
en place comme un contrat d’achat et de vente d’une
somme d’argent, ou d’une créance due à l’un des con
tractants. La chose vendue était la somme due par le
tiré au tireur, le prix était la valeur livrée par le pre
neur.
Scaccia examine ces quatre opinions ; il fait longue
ment ressortir combien les trois premières s’écartent de
la vérité ; répond à quelques objections contre la qua
trième, et se prononce pour celle-ci : Ego eligendam
esse existimo quartam opinionem, quod cambium fit
emptio venditio, tum quia efficaciter probatur, tum
quia videtur magis communem3.
Scaccia dit une chose vraie en avançant que l’opinion
qu’il adopte était plus communément admise. Nous
avons déjà cité la définition que Casaregis donne dans
ce sens et que nous retrouvons dans le Dictionnaire dans
lequel Azuni résume la doctrine et la jurisprudence :
Cambio dicesi la operatione, con la quale si compra in
un luogo, un credito esigibile tn un altro.
1 Scaccia, de Comm.,
2 Ibid., n° 37,
et Camb., § 1, quest, 4, n ° 4 .
�28
DE LA LETTRE DE CHANGE
Ce qu’on induisait de là, c’est que le change ne pou
vait renfermer aucune usure. Cette conclusion est celle
d’un jurisconsulte dont on ne contestera la compétence,
ni au point de vue de la science, ni à celui des princi
pes religieux, du cardinal deLucca: Dictoque contraclu
posito infertur, non cadere usnram, cum hœc non datur sine mutuo vero , vel interpretativo quod ita
abesse judicandum fuit ; dum contractus cambii nullam sub se contineat mutuum verum vel interprétativwn l.
583. — La vérité n’a rien à craindre du temps, qussi
les opinions qui s’étaient produites en Italie passant dans
le droit français, c’est à la quatrième que se rallièrent
nos auteurs les plus distingués.
Jousse ne voit dans le contrat de change qu’une ces
sion, un transport d’une somme d’argent que le tireur
fait à celui au profil ou à l’ordre de qui la lettre de
change est souscrite, pour être payée par le correspon
dant de ce tireur dans un autre lieu que celui d’où la
lettre est tirée3.
Cette doctrine est celle de Savary, de Bornier. « Il y
en a, dit ce dernier, qui ont cru, par la manière dont
on use dans le commerce des lettres de change, que c’est
un contrat d’échange. Néanmoins l’opinion la plus com
mune est que c’est un contrat d’achat et de vente ; que
1
De camb., dise. 24, n» 2.
2 S ur le titre 5 de l’ordon. de 1673.
�vente, et l’argent qu’on trouve dans le lieu désigné par
celui qui a pris à change est la chose vendue et achetée l.
Nous pourrions multiplier les citations, nous nous
bornerons à en rapporter une dernière. Dupuis de la
Serra, dans son Traité sur les lettres de change, se
range à cette même opinion qu’il justifie par de nom
breux emprunts à la doctrine de Scaccia.
Ayant ainsi posé le principe, Dupuis de la Serra ar
rive à conclure, comme le faisait de Lucca, qu’il ne sau
rait exister une usure, quel que soit le taux auquel le
change a été perçu, et fût-il supérieur au cours ordi
naire de la place.
« Ceux-là se trompent, dit-il, qui pensent que de
prendre davantage que le cours ordinaire pour fournir
la lettre de change c’est une usure, car ce n ’en est point
une; ce peut bien être un mal, une fraude, une espèce
d’injustice, mais le nom d’usure ne lui convient pas ; de
même que si un marchand de blé ou d’autres marchan
dises les vendait à un prix plus haut que le courant du
marché, il commet bien un mal, mais ce mal ne peut
être appelé usure
Cette conséquence est réellement incontestable au
point de vue des principes en matière d’usure. Nous al
lons plus loin encore, si le contrat de change n’est qu’un
achat et une vente, on ne voit pas comment, en exi-
a S i ; ji
t :tf
!,;fi
18»
a
1<3ïl-.
�30
DE LA LETTRE DE CHANGE
géant un prix plus élevé que le cours, le vendeur aurait
commis une fraude, un mal, une injustice, il n’a fait
qu’user du droit que le législateur a de tout temps con
sacré : In pretio emptionis et venditionis naluraliter
licet contrahentibus se circumvenire 1. Cette règle ad
mise sans difficulté dans les transa ctions ordinaires sur
les marchandises notamment, pourquoi et comment ne
pas l’admettre dans l’achat et la vente de l’argent, purs
d’ailleurs de toute manœuvre reprochable ?
Dans tous les cas, la fraude, le mal, l’injustice ne
pourraient être réparés par la justice, parce que l’un et
l’autre pourraient bien constituer une lésion, et qu’une
action de ce genre n’est pas admise par la loi dans l’a
chat et la vente des choses mobilières. Mais le prix d’une
vente ne pouvant jamais être assimilé à un intérêt, quel
que soit celui que le banquier aurait perçu, on ne sau
rait y voir rien d’usuraire. C’est ce que Pothier ensei
gnait expressément à son to u r2.
.
84 — Dans leur transmission de l’école italienne à
l’école française, les principes n’ont donc pas varié. Nous
allons voir qu’il en a été exactement de même dans la
transition de notre ancien droit au nouveau.
Aujourd’hui comme autrefois, comme toujours, l’u
sure ne peut exister que dans le prêt, quel que soit
d’ailleurs le contrat dont on aurait emprunté et le nom
IL . 14, § 4, D. de minor viginti qmnque annis.
s Cont. de change, n» 51, 52 et 53,
�'
'
'
■
■
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
“
-
3 i
et la forme. Donc, s’il s’agit d’un change réel, et que
celui-ci ne soit pas un prêt, la plainte en usure ne sera
ni recevable, ni fondée , à quelque taux que le change
ait été perçu.
Or, que le change ne soit pas un prêt, c’est ce dont
il n’est pas permis de douter. La doctrine est aujour
d’hui unanime.
« On a écrit particulièrement depuis le quinzième
siècle, dit M. Fréméry, une énorme quantité de gros vo
lume sur le contrat de change, il semble cependant qu’il
est impossible, malgré les plus soigneuses recherches,
d’y découvrir autre chose de réel que l’idée simple et
unique d’une vente d’argent. »
En conséquence, M. Frémery le définit, la vente de
l’argent moyennant un certain prix, mais avec tradition
devant s’effectuer dans un autre lieu. Cette définition est
également enseignée et admise par MM. Pardessus, Nouguier et Troplong l.
*5. — Le contrat de change est donc sous l’empire
du Code ce qu’il a toujours été, rien autre chose que la
vente et l’achat d’un argent livrable dans un lieu autre
que celui où le contrat est souscrit. Conséquemment et
par rapport à l’usure, la question ne peut être résolue
que dans le sens que l’école italienne, que nos anciens
i Etude sur le droit Comm., chap. 15 P ardessus, du Contrat et des
lettres de change, n° 22. Nouguier. de la Lettre de change, 1 . 1, chap,
3, pag. 60. Troplong, du Prêt, n°» 370 et suiv.
�32
DE LA LETTRE DE CHANGE
jurisconsultes avaient admis. Elle ne saurait exister,
quel qu’ait été le taux du change perçu.
Mais, pour qu’il en soit ainsi, il est évident qu’il doit
s’agir d’un change sérieux, réel, et non d’un contrat qui
en emprunterait les apparences. Par exemple, des lettres
de changes paraissant souscrites dans un lieu et indi
quées payables dans un autre.
S’en référer absolument à cette apparence, c’était ou
vrir à l’usure l’issue la plus large. L’usure étant une
violation expresse de la loi, celui qui s’y livre n’hésitera
pas à faire tous ses efforts pour la dissimuler, pour la
faire réussir. En matière de change, le moyen serait
bien facile, il suffirait en effet de feindre la remise de
place en place, en tirant d’un lieu sur un autre, tandis
que l’intention commune est que le payement aura lieu
dans l’endroit de la création, soit en donnant à la lettre
une fausse date, en la déclarant, par exemple, tirée de
Marseille sur Aix, lorsqu’en réalité elle l’a été d’Àix mê
me. Il y a là toutes les apparences d’un contrat de
change, mais il n’y a que cela. La loi ne pouvait, ne
devait donc pas s’en contenter, aussi permet-elle d’in
terroger les faits, les circonstances, la position des par
ties pour arriver à la vérité des éhoses.
C’est cette vérité qui doit prévaloir sur l’écrit lui-mê
me. Dès lors, comme l’observe M. Pardessus, toutes les
fois qu’en recevant une lettre de change, on sait qu’elle
ne sera pas acquittée au lieu indiqué, que le rembour
sement en sera fait dans l’endroit même où sa contrevaleur est livrée, c’est-à-dire que la personne sur qui
�33
OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
elle est tirée n ’est ni la débitrice, ni correspondante du
tireur, le contrat n’est qu’un simple prêt que les parties
déguisent sous la fausse apparence d’un change, le droit
qui est payé pour cette lettre imaginaire ne peut être
considéré que comme un intérêt illicite et prohibé, si en
le réunissant aux intérêts ordinaires il dépassait le taux
légal K
36. — Le change réunissant les caractères exigés
pour sa régularité, et qui n’est pas par lui-même un
prêt, peut donner naissance à ce dernier contrat. Il ar
rive souvent que celui qui prend du papier sur une lo
calité plus ou moins éloignée n’en compte pas immé
diatement la valeur, il convient avec le tireur ou tout
autre cédant d’un délai dans lequel il devra le faire, et
ce délai peut se référer en une époque postérieure à l’é
chéance de la lettre donnée et reçue.
Il y a là deux contrats parfaitement distincts. Le
contrat de change, le contrat de prêt, dont le premier
devient l’occasion, sans perdre lui-même son caractère
propre.
En d’autres termes, une double opération se réalise,
un individu emprunte une somme au moyen de la
quelle il achète une lettre de change, il est évident que
si le prêteur était une personne différente du tireur, a u
cun doute ne saurait exister, le premier percevrait l’in—
i
Ibid., n° 28. Voyez pour les caractères de la rem ise de place en
inf., a rt. 140 e t suiv.
place,
i —
3
�DE LA LETTRE DE CHANGE
térêt de l’argent qu’il prête, le second retiendrait le prix
du change. Pourquoi en serait-il autrement parce que
le prêteur et le tireur sont une seule et même personne?
L’intérêt de l’argent est la conséquence du prêt, le chan
ge est dû dès que cet argent devra être compté dans un
lieu autre que celui où s’opère le prêt.
Ainsi, sans constituer le p rê t, le contrat de change
peut en devenir l’occasion, si le tireur de la lettre de
change ne doit être remboursé de son montant qu’à
une époque déterminée. Il y a alors deux contrats dis
tincts, indépendants l’un de l’autre et produisant cha
cun les effets qui lui sont propres. Le change n’en reste
pas moins l’achat et la vente d’une somme d’argent,
seulement ils sont faits à crédit au lieu de l’être au
comptant.
S ï . — Domat a vu autre chose dans le change, il le
définit un contrat sui generis, participant non seule
ment de la vente, mais encore de l’échange, du man
dat, du cautionnement, de la gestion d’affaires. C’est ce
qu’ont également admis plusieurs jurisconsultes.
Dire que le change participe de l’échange, ce n’est
pas le définir : c’est, disait Dupuis de la Serra, ne mar
quer que le genre suprême, et nous cherchons l’espèce
dans le genre.
Or, comme espèce, le contrat de change est l’achat et
la vente d’une somme d’argent considéré comme m ar
chandise. Il ne peut être que cela, car, parfait par le
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
55
consentement du vendeur et de l’acheteur, il n’exige que
leur concours mutuel et réciproque.
L’opinion de Domat repose snr une confusion évi
dente. Elle a le tort de demander les caractères consti
tutifs du contrat à son mode d’exécution le plus généra
lement suivi, et qui, exigeant ou comportant le concours
de plusieurs personnes, multiplie les obligations et donne
dès lors lieu à des contrats divers.
Ainsi la lettre de change, indépendamment du tireur,
du tiré, du preneur, est dans le cas de réunir plusieurs
autres individualités, l’accepteur, les donneurs d’aval,
les endosseurs, le payeur par intervention.
Mais la lettre n’a aucun besoin de ces individualités
qui, pour la plupart, n’y interviennent qu’après sa con
fection et sa mise en circulation, et dont quelques-unes,
comme les endosseurs, ne Contractent jamais aucune
obligation envers le preneur.
Donc le cautionnement que donnent les donneurs
d’aval ou l’accepteur, les négociations diverses d’où nais
sent les obligations et les droits des endosseurs, le man
dat ou la gestion d’affaires que le payeur par interven
tion accomplit sont autant de contrats divers distincts
du contrat de change. Ils viennent accessoirement se
joindre à la lettre de change, mais ils ne la constituent
pas. Le change en lui-même ne peut donc participer à
ces divers contrats, tous postérieurs à sa réalisation, et
ne se manifestant que dans son exécution.
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* 8 . — Nous pouvons le prouver mieux encore. Sup: IM
�36
DE LA LETTRE DE CHANGE
posons que le contrat de change s’exécute par tout autre
moyen que par une lettre de change ; celle-ci est bien
l’instrument ordinairement employé , mais ce moyen
n’est pas exclusif. Le contrat de change existe dès qu’une
somme est donnée dans un lieu pour être reçue dans un
autre. Or, rien n’empêche les parties de s’en rapporter à
la foi de l’une de l’autre, à se contenter d’une reconnais
sance de la somme reçue et de la promesse de la faire
payer dans un autre lieu. Il n’y aura pas alors de lettre
de change, mais sans aucun doute le contrat de change
existera. Pourrait-on dire, dans cette hypothèse, qu’il
participe du mandat, du cautionnement, de la gestion
d’affaires ?
Nous avons donc raison de le dire : Domat confond le
contrat avec la lettre de change, et donne à l’une les at
tributs de l’autre. Or cette confusion doit être évitée avec
d’autant plus de raison, que ce sont la deux choses es
sentiellement distinctes. Nous venons de voir que le con
trat de change peut exister indépendamment de la lettre.
Nous ajoutons que celle-ci n’aura pas toujours et infail
liblement pour cause le contrat de change.
En effet, la lettre de change, par le moyen d’endos
sements successifs, sert à acquitter, avec un seul mouve
ment d’espèces, une foule de dettes ; elle est dès lors de-,
venue pour chaque commerçant l’instrument le plus
actif de l’exploitation de son crédit. En conséquence, dit
M. Fréméry, si j’ai un payement à faire où que ce soit,
il me suffit d’obtenir la signature d’un banquier connu.
Je tire sur lui une lettre de change qu’il accepte à l’or-
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
37
dre de mon créancier à qui je la transmets, et qui, à
son choix, recevra, à l’échéance, ou se procurera im
médiatement par la négociation les fonds qui lui sont
dus. Y a-t-il entre lui et moi contrat de change? Le plus
souvent non. En effet, souvent ce créancier ne m’aura
rien remis au lieu où je demeure, souvent il demeurera
lui-même au lieu où la lettre de change lui sera payée,
et c’est là qu’il est devenu mon créancier. Ainsi, en réa
lité, nul contrat de change entre lui et moi, mais la
forme et l’apparence. L’obligé principal est dans un lieu
et l’obligation doit être payée dans un autre. Alors en
core la lettre de change est moins un titre qu’un paye
ment réel, qui est accepté sauf encaissement. C’était là,
dans l’origine, le caractère de la lettre de change, c’est
encore aujourd’hui, qu’il y ait ou non contrat de chan
ge, le caractère essentiel de ce titre. Le contrat a disparu
sous la forme. On ne se demande plus : y a-t-il contrat
de change ? On se contente de rechercher s’il y a obliga
tion par lettre de change. En un mot, la lettre a souvent
une autre cause, elle est produite par d’autres circons
tances. Elle ne résulte plus exclusivement du contrat de
change, mais c’est toujours une convention d é change
qu’elle doit exprimer. A cette condition seulement elle
est lettre de change ; dès que cette condition est rem
plie, le tireur, l’accepteur, l’endosseur sont obligés' en
vers le porteur, conformément au titre qu’ils ont sous
crit 1.
i
Etudes sur le droit commercial, chap. 15, p. 96.
�38
DE LA LETTRE DE CHANGE
Ce que nous extrairons seulement de ce tte doctrine,
c’est que, entre le tireur et le bénéficiaire de la lettre de
change, il peut y avoir absence de change réel, et c’est
ce qui se réalise dans l’hypothèse admise par M. Fréméry. En effet, la dette due au preneur a été contractée
à son domicile, et c’est à ce domicile qu’elle sera payée.
Raison de plus pour ne pas confondre la lettre avec le
contrat de change, et moins encore de ne pas donner à
l’un les attributs de l’autre.
Les diverses personnes qui ont pris part à la lettre de
change n’ont pas été parties au contrat ; et encore, bien
qu’elles y aient accédé plus tard, chacune en ce qui peut
l’intéresser, suivant la qualité qu’elle s’est donnée, le
contrat n’en était pas moins parfait auparavant. Le refus
de réaliser cette accession, quand même elle eût été pro
mise ou sous-entendue au moment de la création de la
lettre, ne résoudrait nullement la convention. Elles font
toutes des actes distincts, concourant plus ou moins di
rectement à l’exécution du contrat, mais n’intéressant
en rien sa validité et sa régularité à l’endroit du tireur
et du preneur. Pour ceux-ci, entre lesquels il se res
treint, le contrat de change n’a jamais été, n’a jamais
pu être que l’achat et la vente d’une somme d’argent.
30. — Ainsi caractérisé, le contrat de change est
soumis aux conditions exigées pour la validité des con
trats en général, notamment par l’article 1108 du Code
civil. Il devra donc être volontairement et librement
consenti, avoir un objet certain, une cause licite.
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
39
Evidemment encore les parties contractantes devront
être capables de s’engager. Mais, dans la recherche et
l’appréciation de cette condition, ce n’est plus le droit
commun qu’il faut consulter ; le seul guide à suivre est
le droit commercial.
A cet égard, ce qu’il importe de remarquer, c’est que,
en ce qui concerne le commerce, le législateur a entendu,
non pas restreindre la capacité ordinairs, mais l’étendre.
Ce qui s’induit de cette considération, c’est qu’on ne sau
rait concevoir aucun doute, se créer aucune difficulté sur
l’effet de la prohibition de tout commerce contre certai
nes personnes.
3®. — De tous les temps cette prohibition a existé
pour les ecclésiastiques. Des considérations faciles à
comprendre avaient fait passer dans le droit commun
celte maxime du droit canon : Nemo militans Deo, implicat se négocias secularibus. C’est ce qu’avaient pres
crit, notamment pour le commerce, les décret et édit de
1707 et 21 juillet 1721, et un arrêt du conseil du 28
juin 1755.
Ce que Pothier induisait de cette législation, c’est que
les ecclésiastiques étaient incapables de souscrire une
lettre de change. Mais nous verrons tout à l’heure que
cette conclusion, plus que contestable du temps de Po
thier, serait aujourd’hui inadmissible.
Nous ne parlerons pas de la noblesse, que le préjugé
surtout rendait incompatible avec l’exercice actif du com
merce, mais nous rappellerons que nos anciennes or-
�40
DE DA LETTRE DE CHANGE
donnances établissaient légalement cette incompatibilité
pour tous les officiers de judicature, même pour ceux
dont les fonctions se rapprochaient intimément des opé
rations commerciales. Le commerce leur était formelle
ment prohibé.
Notre nouvelle législation ne renferme plus aucune
prohibition. Au contraire, la loi des 2 17 mars 1791
proclame à cet égard la liberté la plus entière, la plus
absolue. Il sera libre A toute personne, porte l’article 7,
de faire le négoce ou d'exercer telle profession, art
ou métier qu'elle trouvera bon.
Cependant les convenances sociales, la raison, l’ordre
public lui-même exigeaient que l’exercice de ce droit
demeurât suspendu pour les personnes revêtues de cer
taines fonctions. Leur caractère, leur dignité ne leur per
mettaient pas de s’adonner aux spéculations commer
ciales, dont les dévorantes exigences pouvaient nuire aux
devoirs qu’ils ont à remplir. Telles sont les fonctions
d’ecclésiastiques, de magistrats, de notaires, d’avocats,
d’avoués, d’huissiers, etc.
On les a donc déclarés incompatibles avec le com
merce, Mais cette incompatibilité n’est pas une prohibi
tion, ni surtout une incapacité. Proclamer celle-ci, c’était
appeler celui qui avait violé la loi, non seulement à se
faire un titre , mais encore à tirer un évident profit de
sa propre turpitude, c’est-à-dire consacrer une immo
ralité.
Ce qui arrivera de la violation du principe de l’in
compatibilité, c’est que son auteur, quel qu’il soit, sera,
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
41
en fait et en droit, tenu de toutes les conséquences des
actes de commerce qu’il se sera permis ; ainsi il sera,
comme tout autre citoyen, justiciable, quant à ce, de la
juridiction consulaire, conlraignable par corps, soumis
à la faillite, si ces actes sont assez nombreux pour cons
tituer la profession habituelle.
De plus, comme en s’y livrant il a manqué à ses de
voirs professionnels, il pourra êire disciplinairement
poursuivi et frappé des peines édictées par les règlements
spéciaux.
31. — La loi n’admet donc, à l’égard du contrat
de change, d’autres incapacités que celles consacrées par
le droit commun : la minorité, l’interdiction, la qualité
de femme mariée.
Mais, à la différence de la pratique en droit ordinai
re, l’incapacité du mineur n’est pas absolue ; elle dispa
rait complètement s’il a été régulièrement autorisé è
faire le commerce. Cette autorisation assimile le mineur
au majeur pour tous les actes de commerce et lui con
fère toute la capacité de celui-ci.
Il en est de même de la femme mariée. En général
elle ne peut contracter sans l’autorisation de son mari
ou de la justice. Mais la qualité de marchande publique,
prise du consentement du mari, ou par l’exercice patent
du commerce, amène une exception à cette règle. La
faculté qui en résulte la fait considérer comme autori
sée pour tout ce qui concerne son négoce ‘.
1 V. n o tre com m entaire du titre t c», a rt. 8 e ts u iv .
�42
DE LA LETTRE DE CHANGE
Quel serait le sort du contrat de change réalisé par un
mineur ou par une femme mariée non autorisés à faire
le commerce ? C’est ce que nous aurons à examiner sous
les articles 113 et 114, auxquels nous renvoyons.
33.
— Les seules personnes auxquelles la loi ait for
mellement interdit le commerce , sont les agents de
change et les courtiers. Intermédiaires obligés dans les
transactions commerciales, mis au fait des véritables in
tentions des parties, il leur eut été par trop facile d’abu
ser de leur confiance et de les trom per ï.
Il ne peuvent donc négocier des lettres de change
pour leur propre compte, en tirer par spéculation, ces
opérations constituant des actes de commerce qui leur
sont expressément interdits.
Au reste, si les termes de l’article 85 du Code de com
merce pouvaient laisser quelque doute à cet égard, ce
doute serait tranché par l’arrêté du &7 prairial an x, sur
les bourses de commerce. « Les agents de change et
courtiers, dit l’article 10, ne pourront être associés, te
neurs de livres, ni caissiers de négociants, marchands
ou banquiers. Ils ne pourront pareillement faire aucun
commerce de marchandises, lettres, billets, effets publics
ou particuliers pour leur compte, ni endosser aucuns
billets, lettres de change ou effets négociables quelcon
ques, ni avoir entre eux ni avec qui que ce soit aucune
société de banque ou en commandite, ni prêter leur
i V . notre
Traite du dol et de la fraude, n» 710.
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
45
nom pour une négociation à des citoyens non commis
sionnés. » Or, que l’article 85 du Code de commerce
n’ait pas entendu déroger à ces dispositions, c’est ce qui
ne saurait être contesté.
Les agents de change et courtiers ne peuvent donc se
livrer à l’exercice du contrat de change sans s’exposer
aux peines prononcées contre ceux d’entre eux qui fe
raient directement ou indirectement le commerce.
33. — Il importe à ce sujet d’éviter la confusion
dans laquelle pourrait jeter la disposition finale de l’ar
ticle 10 de l’arrêté de prairial. Après les expressions que
nous venous de transcrire, cet article ajoute : il n’est
pas dérogé à la faculté qu’ont les agents de change de
donner leur aval pour les effets de commerce. Si l’aval
dont parle l’arrêté était celui que régit l’article 141 du
Code de commerce, entraînant le cautionnement soli
daire, il faudrait reconnaître qu’il serait tombé dans la
plus flagrante contradiction, il permettrait de faire par
l’aval ce qu’il prohibe par voie d’endossement, quoique
ce soit exactement la même chose.
L’aval permis aux agents de change ne peut donc
être celui de l’article 141. En fait, il est tout autre, il
n’a et ne saurait avoir d’autre but et d’autre effet que
celui de garantir l’identité de la personne pour le compte
de laquelle se fait la négociation.
Bien souvent cette négociation s’opère sans que les
parties se connaissent, sans qu’elles se soient abouchées,
On comprend dès lors que le preneur des lettres ou
�44
DE LA LETTRE DE CHANGE
effets négociés désire faire conster de l’indemnité du cé
dant et de la sincérité de la signature.
Cette double constatation, l’agent de change peut seul
la donner. Il doit connaître celui pour qui il négocie, et
s’assurer que c’est bien lui qui signe l’ordre. C’est là
l’aval qui lui est permis et au moyen duquel sa respon
sabilité n’est engagée que si la signature du cédant était
fausse, ou que si ce cédant n’était pas celui à l’ordre de
qui les effets négociés étaient tirés ou endossés.
34.
— Quel serait, par rapport à l’opération, l’effet
de la violation de l’article 85 ?
Il ne s’agit plus ici d’une simple et pure incompati
bilité, il y a une prohibition formelle positive, garantie
par une peine correctionnelle. Cette violation constitue
donc un délit qui devait dès lors entraîner la nullité du
contrat.
Mais cette nullité, juste à l’endroit de l’auteur de la
violation de la loi, ne le serait plus à l’égard de l’autre
partie. Celle-ci a pu ignorer la qualité réelle de celui
avec qui elle contractait. On ne saurait la punir d’une
faute qui lui est étrangère. D’ailleurs, cette peine serait
une véritable récompense pour l’auteur de cette faute,
puisque si, au lieu d’être avantageuse, l’opération me
naçait d’être défavorable, il trouverait dans son propre
délit le moyen d’en répudier les conséquences.
Ces considérations ont déterminé la doctrine et la ju
risprudence, lorsqu’il s’est agit de régler les effets de la
violation de l’article 85. Le contrat est nul, mais seule-
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
45
ment contre l’agent de change ou le courtier. Cette nul
lité ne peut jamais être invoquée que par ceux qui ont
traité avec l’un ou avec l’autre, sans qu’elle puisse, dans
aucun cas, être invoquée ni par l’un ni par l’autre.
Mais, dans tous les cas, la peine de l’infraction est
encourue. Le maintien de l’acte ne ferait nul obstacle à
la destitution de celui qui se l’est permis, et à la con
damnation à l'amende de 3,000 fr l.
35.
— La création d’une lettre de change en exécu
tion du contrat de change est en même temps sa cons
tatation par écrit. A défaut de cette constatation, pour
rait-on prouver par témoins l’existence du contrat.
On ne pourra jamais prouver par ce moyen l’existence
prétendue d’une lettre de change, parce que sa perfecti
bilité est soumise à des conditions dont l’accomplisse
ment ne peut résulter que de la production de la lettre
elle-même.
Mais rien n’est prescrit de semblable pour le contrat
de change. Celui-ci, avons-nous dit, n’est que l’achat
et la vente d’une somme d’argent payable dans un lieu
convenu. Comme tous les achats et ventes, il est parfait
dès qu’il y a consentement réciproque sur la chose et
sur le prix.
Or, cet achat et cette vente étant purement com
merciaux, échappent au principe du droit commun
i V. no tre
Traité du dol et de la fraude, n° 742.
�46
DE LA LETTRE DE CHANGE
Exclusivement régis par l’article 109 du Code de com
merce, leur existence peut être prouvée par témoins.
36.
— On a cependant prétendu le contraire, mais
on n’a pu le faire qu’en confondant encore ce contrat
avec la lettre de change. La preuve de cette confusion
résulte des arguments mêmes q u ’on invoque.
La loi, a-t-on dit, en déterminant les formes spéciales
que doit avoir une lettre de change, formes qui ne per
mettent pas qu’elle subsiste autrement que par écrit, en
exigeant si rigoureusement l’expression littérale de quel
ques-unes de ces conditions, a entendu proscrire la
preuve testimoniale.
Oui, sans doute, mais à quelle conclusion logique
ces prémisses vont-elles arriver ? À ceci uniquement :
que nul ne sera admis à prouver par témoins qu’il a
voulu traiter par lettre de change, et qu’on s’était engagé
à la souscrire.
Mais la forme de l’instrument écartée, reste le fait luimême. Vous m’avez vendu, moyennant une somme dé
terminée, une autre somme à toucher dans un autre
lieu. C’est là un fait matériel auquel la loi n’a tracé au
cune forme sacramentelle, et auquel un écrit ne pourra
jamais rien ajouter ni retrancher.
Devant une allégation de ce genre, on ne saurait écar
ter la preuve testimoniale que si le litige devait être régi
par l’article 1341 du Code civil. Mais nul n’oserait le
soutenir en présence de la commercialité de l’acte. C’est
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
47
donc à l’article 109 qu’il faudra recourir, et celui-ci, de
toute certitude, admet la preuve testimoniale.
En dernière analyse donc , on ne peut être admis à
prouver par témoins l’existence d’une lettre de change,
par deux motifs également décisifs, ou la lettre de change
n’a pas été rédigée, et aucune des conditions exigées par
la loi n’ayant été remplies, elle ne saurait jamais avoir
une existence régulière et légale ;
Ou la lettre de change ayant été souscrite, on se trouve
dans l’impossibilité de la représenter. Dans cette hypo
thèse, la preuve est inutile, on n’a qu’à remplir les for
malités que la loi a tracées pour ce cas.
Il ne saurait en être ainsi du contrat de change, les
difficultés qui pourront s’élever à son sujet rentreront
nécessairement dans une des hypothèses suivantes :
I ° Les fonds ayant été comptés, celui qui les a versés
demande à ce que les traites qui lui ont été promises lui
soient délivrées ;
2° La personne qui a reçu les fonds a promis de four
nir des traites à une époque convenue, et cette époque
étant arrivée, elle est sommée de remplir son engage
ment ;
3° Chacune des parties ne s’est engagée que pour l’a
venir dans un délai, ou à telles conditions. L’une a pro
mis de l ’argent, l’autre des lettres de change.
II n'y a rien, dans chacune de ces hypothèses, qui
sorte du cadre ordinaire des convenlions commerciales,
et par conséquent rien qui déroge au droit commun de
�48
DE LA LETTRE DE CHANGE
la matière, l’admissibilité de la preuve testimoniale. Sa
recevabilité ne saurait donc être contestée.
* 3 . — Dans l’ancien droit, l’écrit constatant l’une
des trois hypothèses que nous venons d’exposer était
qualifié de billet de change. Il était assimilé à la lettre
de change elle-même, et en produisait tous les effets,
s’il réunissait les conditions que la loi avait tracées à
celle-ci. Il pouvait même être souscrit à ordre et deve
nait dès lors transmissible par endossementl.
$ 8 . — Le Code de commerce n’a pas parlé des bil
lets de change. Les motifs et les effets de ce silence étaient
ainsi exposés par l’orateur du tribunat :
« Je ferai seulement observer une omission assez im
portante du projet de loi, et qui, par ses conséquences
raisonnables, équivaut à une abrogation formelle, il
s’agit des billets de change, ainsi nommés parce cju’ils
étaient faits pour des lettres de change fournies et à four
nir. Ces billets, assimilés en quelque sorte aux lettres de
change elles-mêmes, étaient négociables par l’ordre et
l’endossement, et soumis, en cas de non payement, aux
formalités du protêt et aux effets de la garantie. On ne
sera pas surpris que malgré l’unanimité des commenta
teurs à vanter leur utilité dans la circulation, l’usage en
ait décidé autrement.
« Ces billets ont été nécessairement négligés, et sont
t V . a ït, 27 et su iv ,, tit. 5 de l’ordon. de 1673.
�OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES
49
aujourd’hui presque partout étrangers aux opérations
commerciales, précisément parce qu’ils n’apportent au
commerce ni force ni mouvement.
« Le projet de loi n’en fait aucune mention, et son si
lence, qui n’indique point sa volonté de les exclure et de
les proscrire, n’aura d'autre effet que de ranger dans
la classe des promesses et billets ordinaires, dont la force
et les effets sont déterminés par la forme dans laquelle
ils sont rédigés. »
39 . — Ainsi la loi ne prohibe pas l’engagement écrit
de tirer ou de prendre des lettres de change, seulement
ce qu’elle refuse à l’écrit qui le constate, c’est le carac
tère et surtout les effets de la lettre de change.
Ce billet ne sera qu’une simple promesse ou tout au
plus un billet à ordre dont les effets obéiront aux pres
criptions de la loi en ce qui concerne les uns et les au
tres.
4 0 . — il résulte de ce qui précède que le contrat de
change ne reconnaît d’a u t r expression officielle et sa
cramentelle que la lettre de change C’est à ce point de
vue que le législateur traite de celle-ci dans le titre 8,
livre 1er du Code de commerce.
La section première lui est exclusivement consacrée.
Elle indique dans treize paragraphes tout ce qui est re
latif à la forme qu’elle doit revêtir, celle des différents
contrats dont elle est l’occasion, leur conditions et leurs
effets.
�50
DE LA LETTRE DE CHANGE
Déterminer sous toutes ses faces la véritable pensée du
législateur, examiner les difficultés qui peuvent surgir de
ses dispositions, exposer sur chacune de ces difficultés la
doctrine et la jurisprudence, indiquer enfin le solution
qui nous a paru la plus rationnelle, telle est la matière
et le but de notre commentaire.
�TITRE VIH
DE LA LETTRE DE CHANGE, DES BILLETS A ORDRE
ET DE LA PRESCRIPTION
§ Ier. ■
—
DE LA FORME DE LA LETTRE DE CHANGE
ART.
'HO.
La lettre de change est tirée d’un lieu sur un autre ;
Elle est datée ;
Elle énonce la somme à payer,
Le nom de celui qui doit payer,
L’époque et le iieu où le payement doit s’effectuer,
La valeur fournie en espèces , en marchandises , en
comote ou de toute autre manière ;
Elle est à l’ordre d’un tiers, ou à l’ordre du tireur
lui-même ;
Si ehe est par première, deuxième, troisième, qua
trième, etc., elle l’exprime.
ART.
H 4.
Une lettre de change peut être tirée sur un individu et
payable au domicile d’un tiers ;
�52
DE LA LETTRE DE CHANGE
Elle peut être tirée par ordre et pour le compte d’un
tiers.
SO M M A IR E
41.
Nature de la lettre de change. Son caractère. Ses consé
quences.
42. Nécessité de la signature malgré le silence de l ’article. 110
à cet égard.
48. Pourrait-on prouver par témoins l’existence d’une lettre
de change écrite de la main du tireur, mais non si
gnée ?
44. L’article 1326 du Code civil, prescrivant le bon et approuvé,
s’applique-t-il aux lettres de change ?
45. La lettre de change peut être notariée. Conséquences quant
à son transfert.
46. Quant aux sûretés hypothécaires.
47. La lettre notariée doit être enregistrée dans le délai légal.
48. Première condition exigée par l’article 110 ; remise de place
en place. Origine, motif du silence gardé par l ’ordon
nance de 1673.
49. L’article 110 exige cumulativement le fait de la remise et
sa mention expresse. Conséquences.
50. Débats que cette condition fit naître au conseil d’Etat.
51. Il n ’est pas nécessaire que la lettre soit tirée d’une place
de commerce sur une autre.
52. Objections de la cour de Toulouse contre l ’article 110 re
poussées.
53. Pouvoir des tribunaux en pareille matière. Décisions di
verses.
54. L’accepteur peut-il indiquer, pour le payement, le lieu mê
me d’où la lettre est tirée ?
55. Doit-on considérer comme lettre de change la lettre qui, ti-
�rëe à l’ordre du tireur et négociée à un tiers, serait pro
testée à la requête du premier ?
56. Nature de l’effet tiré à l’ordre du tireur. Comment doit-on
juger s’il contient remise de place en place. Jurispru
dence.
57. Arrêt contraire de la cour de Montpellier. Réfutation.
58. Deuxième condition : la lettre de change doit être datée. In
novation à la législation précédente.
59. En quoi consiste la date exigée.
60. Effet du défaut de date.
61. Arrêt de la cour de Nîmes. Examen.
62. L ’article 1328 du Code civil régit-il les lettres de change ?
63. Admissibilité de la preuve testimoniale pour établir la simu
lation de la date.
64. Usage relativement à la date.
65. Troisième condition : énonciation de la somme à payer. Con
sidérations qui la recommandaient.
66. Difficulté que cette condition et les termes dans lesquels elle
est conçue ont eu pour objet de résoudre.
67. La somme à payer doit-elle être énoncée en toutes lettres ?
Conséquences de la différence entre la somme portée en
tête de la lettre et celle exprimée dans le corps de l'acte.
68. Quatrième condition : énonciation du nom de celui qui doit
payer. Son origine.
69. Caractères que cette énonciation doit offrir.
70. Mode d’appréciation pour les tribunaux.
71. Arrêt d’espèce de la cour de Montpellier. Réfutation.
72. Conséquences graves que peut entraîner l'erreur dans la
désignation.
73. Le tireur peut-il cumuler cette qualité et celle du tiré ?
74. Faculté de tirer sur son commissionnaire, sur sa propre
maison, dans le cas de plusieurs établissements situés
dans des pays différents.
75. Opinion de M. Pardessus sur la lettre fournie sur la femme
ou le commis du tireur. Dissentiment.
�U
76.
77.
78.
79.
80.
81.
82.
83.
84.
85.
86.
87.
88.
89.
90.
91.
92.
93.
94.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Peut-on opposer aux tiers porteurs l ’irrégularité résultant
du cumul des qualités de tireur et de tiré. Le tireur estil recevable à s’en prévaloir?
Cinquième condition : énonciation de l’époque du payement.
Sa nécessité, son caractère.
Effet d’une échéance indéterminée ou dépendant d’une con
dition. Arrêts divers sur la matière.
L’omission ou l ’erreur dans l’époque d’exigibilité ne serait
pas réparée, du moins pour le passé, par la détermina
tion exacte qu’en ferait l ’accepteur.
Nécessité d’indiquer le lieu du payement. Conséquences.
Sixième condition : énonciation de la valeur et de sa nature.
Motifs qui ont dû la faire prescrire. Son origine.
L’article 110 ajoute à l ’ordonnance, comme énonciation ré
gulière de la valeur, celle de valeur en compte. Débats
que souleva la proposition de l ’admettre.
Quels en sont le sens réel et la véritable portée ?
Effets de ces expressions entre le tireur et le tiré, et entre
ceux-ci et les tiers.
Effets de la généralité des termes de l’article 110.
Valeurs pouvant ou non devenir la matière d’une lettre de
change. Arrêt d’Aix pour un remplacement militaire.
Critique qu’en fait M. Nouguier. Réfutation.
Enonciations insuffisantes de la valeur.
Remarquable exemple dans un arrêt de la cour de Bruxelles.
Quel est l’effet de l ’inexécution de la sixième prescription
de l ’article 110?
Dans le cas d’absence absolue de mention, la lettre de chan
ge est nulle. Caractère de cette nullité. Distinction
entre la lettre de change en la forme et l’obligation au
fond.
Effet de la fausse énonciation.
De Vinification insuffisante.
Ces diverses irrégularités disparaîtraient-elles par la régu
larité de l’endossement consenti par le preneur ?
�ART.
95.
96.
97.
98.
99.
100.
101.
102.
103.
104.
105.
106.
107.
108.
109.
110.
111.
HO,
111.
58
Arrêt de la cour de Toulouse pour l ’affirmative. Réfutation.
Septième condition : la lettre de change est à l’ordre d’un
tiers ou à l’ordre du tireur lui-même. Objet de cette
prescription.
Opinion de M. Pardessus sur la nécessité du mandement de
payer au porteur d’ordre. Opinion contraire de Pothier
sous l'empire de l ’ordonnance.
Le Code de commerce consacre celle de M. Pardessus. Con
séquences.
Les mots à l’ordre de ......ne sont pas sacramentels.
Quand la lettre de change est à l’ordre d’un tiers. Exemple.
Elle peut être à l ’ordre du tireur. Importance de l ’endosse
ment dans ce cas.
Celui-ci doit-il remplir toutes les conditions de l ’article
137?
Quel serait l ’effet de l’endossement en blanc delà lettre
tirée à l’ordre du tireur ? Doctrine de la Cour de cas
sation.
Différence des conditions qui précèdent d ’avec celle qui
consiste à exprimer si la lettre de change est tirée par
première, deuxième, troisième, quatrième, etc. Nature
de celle-ci.
Objet qu'elle se propose, conséquences en cas d ’omission
des numéros d’ordre.
Le tiré ayant payé les divers exemplaires non numérotés,
pourrait-il recourir contre le tireur?
Usage de n’indiquer le payement du duplicata que si on
n’a pas payé la première. Conséquences.
Mode de payement suivant que la lettre a été ou non ac
ceptée.
La lettre de change peut être négociée par copies. Diffé
rence entre celles-ci et les duplicata.
Ce que doit être la copie de la lettre.
Comment doit procder le créateur de la copie lors de sa
négociation, s’il a déjà endossé l ’original.
�56
DE LA LETTRE DE CHANGE
112.
113.
Arrêt de la cour de Paris.
Valeur des expressions : Payez sur, ou avec avis, ou sans
avis.
114. Modèle de lettre de change.
114 bis. La lettre de change remplie après coup et ne déguisant
qu’un prêt ordinaire, n ’est qu’une simple promesse,
conséquence.
115. Doit-on considérer comme une lettre de change l’effet tiré
sur un individu domicilié dans le lieu même de la sous
cription, mais payable à un autre domicile.
1 16. La lettre de change peut être tiiée par ordre et pour compte
d'un tiers.
4 1 . — La lettre de change est un acte rédigé avec
la solennité spécialement déterminée par la lo i, conçu
en style concis, par lequel un individu, qualifié de ti
reur, mande à un autre de paye” une certaine somme à
celui qui, suivant la convention de change intervenue
entre eux, lui en a fourni la valeur, ou à tout autre
porteur auquel celui-ci aura cédé ses droits par la voie
de l’ordre l.
La lettre de change est par elle-même un acte com
mercial. Quelles que soient la qualité et la profession
de celui qui la tire, l’accepte, la négocie ou la garantit,
il devient, par le fait seul de la signature qu’il donne,
non seulement justiciable de la juridiction consulaire,
mais encore contraignable par corps pour tous les effets
de la condamnation.
i Pardessus,
d e s L e ttr e s d e c h a n g e ,
n» 47. Nouguier, 1 . 1, p. 70.
�ART.
HO,
lit.
57
Cette dernière conséquence devait surtout éveiller toute
la sollicitude du législateur. En principe tout ce qui tient
à la liberté des personnes intéresse tellement l’ordre pu
blic, que nul ne peut renoncer au bénéfice résultant en
sa faveur d’une disposition formelle. C’est ainsi que no
tre Code défend de se soumettre à la contrainte par
corps, hors les cas où cette contrainte est légalement
établie.
La souscription d’une lettre de change étant un de ces
cas, l’exécution loyale de la grande règle que nous ve
nons de rappeler exigeait qu’on ne laissât pas cet acte
devenir le moyen facile d’éluder la prohibition. On ne
devait donc pas s’arrêter à la qualification adoptée par
les parties. Il ne suffisait pas même de s’en référer au
fond des choses, il convenait de régler en la forme les
conditions auxquelles on subordonnerait l’efficacité et la
régularité de la lettre de change. C’est ce que fait l’ar
ticle 110, que nous commentons.
4L2. — Avant d’examiner en détail chacun des ca
ractères que doit revêtir la lettre de change, nous de
vons nous arrêter un instant sur une singulière omission
qu’on pourrait reprocher à l’article 110. Cet article
n’exige pas tp la lettre de change soit signée. Est-ce à
dire par là que cette formalité n’est pas essentielle ? Evi
demment non, ce qui explique l’omission, c’est que le
titre quelconque, établissant une obligation, n’est régu
lier qu’autant qu’il est prouvé qu’il procède du consen
tement formel du débiteur. Or, cette preuve ne saurait
�58
DE LA LETTRE DE CHANGE
résulter que de la signature que celui-ci aura apposée
sur le titre même.
Il en serait de même de la lettre de change et des obli
gations accessoires qu’elle crée. Ainsi cette lettre doit être
signée par le tireur, l’aval par celui qui le consent, l’ac
ceptation par celui qui la donne, l’endossement par celui
qui le souscrit. Sans cette formalité, il n’y a aucune
obligation , et ce n’est que par la certitude de cet effet,
sans qu’il fût besoin de l’exprimer, qu’on doit expli
quer le silence gardé dans la circonstance par le légis
lateur.
13. — Toutefois ce silence peut offrir une difficulté
au point de vue de l’article 1347. Cet article autorise la
preuve testimoniale lorsqu’il existe un commencement
de preuve par écrit, et il considère comme tel tout acte
par écrit émané de celui à qui on l'oppose et qui rend
vraisemblable le fait allégué.
La lettre de change écrite, mais uon signée de la main
de celui qü’on poursuit en payement, rentrerait évidem
ment dans la catégorie des actes dont parle l’article
1347. De olus, en matière commerciale, la preuve tes
timoniale est de droit commun. Pourra-t-on dès lors
stij o'éer par la preuve testimoniale, ou par lesprésomplions, à l’absence delà signature?
La solution de cetf^ question exige une distinction en
tre l’obligation au fond et le titre en la forme.
Le titre non signé n’est qu’un commencement de
preuve en matière ordinaire, a fortiori ne pourra-t-il
�jamais constituer une lettre de change. Ce qui résulte de
l’article 110, c’est que celle ci ne peut exister que par
écrit, et nous avons déjà dit qu’on ne pourrait ni la sup
pléer, ni la compléter par la preuve testimoniale.
Il n ’en est pas ainsi pour l’obligation au fond. Celleci peut être . »•mvée par témoins, en matière ordinaire,
lorsqu’il y a un commencement de preuve ; en matière
commerciale, toutes les fois que le tribunal le juge utile.
Sous ce double rapport, notre question devrait se résou
dre par l’affirmative. Il semble que ce résultat rend celte
question oiseuse.
Il n’en est pas a in si, cependant, car la preuve de
l’obligation au fond ne lui donnera pas les effets que la
loi attache à la forme. Dans l’espèce le titre n’étant pas
une lettre de change, la compétence consulaire et la con
trainte par corps ne seront plus de plein droit encou
rues. Pour imposer l’une et l’autre au débiteur, il fau
drait prouver ou qu’il est commerçant, ou que la cause
de l’obligation est par elle-même commerciale, comme
s’il s'agissait d’un acte de commerce reconnu parla loi.
44,
— Il est une seconde difficulté que la signature
des lettres de change pourrait faire surgir. La lettre de
change est le plus ordinairement constatée par acte privé.
Or, avx termes de l’article 1326 du Code civil, la signa
ture de ces actes doit être précédée d’un bon ou ap
prouvé portant en toutes lettrss la somme ou la quantité
de la chose portée au corps de l’acte, sauf les personnes
�60
DE LA LETTRE DE CHANGE
indiquées en cet article. Cette obligation doit-elle être
exécutée en matière de lettres de change?
La négative est soutenue par MM. Merlin et Pardes
sus. Le motif qu’ils invoquent l’un et l’autre est que la
lettre de change étant essentiellement un acte de com
merce emportant de plein droit soumission à la juridic
tion commerciale et à la contrainte par corps, en d’au
tres termes, la lettre de change suffisant seule pour
constituer marchand ou banquier celui qui la signe, il
n’en faut pas davantage pour qu’on lui applique l’ex
ception qui limite la disposition de l’article 1326 du
Code civil
Nous admettons au fond la doctrine de MM. Merlin et
Pardessus. Quant au motif, il ne nous paraît exf et ni en
fait ni en droit. La lettre de change est par elle-même
un acte de commerce , et c’est uniquement ce caractère
qui produit les effets relevés par les honorables juriscon
sultes que nous combattons. Or, faire un acte de com
merce, ce n’est pas être négociant, puisqu’on ne le de
vient que par l’habitude de leur exercice ; donc ce n’est
pas comme commerçant que le signataire de la lettre
est passible de la juridiction commerciale et de la con
trainte par corps. En d’autres termes, comme l’observe
très bien M. Nouguier, la souscription d’une lettre de
change est attributive de juridiction, mais non de qua
lité.
i
Rép., v° Billet à ordre, § 4 , a rt 5. P ardessus, Lettre de change,
il» 74.
�ART.
MO,
llî.
61
Le signataire d’une lettre de change n’est donc pas le
marchand que l’article 1 326 excepte de sa première dis
position, si pour lui le bon ou approuvé n ’est pas obli
gatoire, c’est que l’article 1326 est sans application pos
sible aux matières commerciales. Les prescriptions qu’il
renferme sont des exceptions inhérentes au droit civil, à
la pratique ordinaire, elles ne pourraient régir les tran
sactions commerciales que si la loi l’avait formellement
ainsi ordonné.
Or, non seulement cette intention n ’est nulle par in
diquée, dans le texte du Code, mais elle est de plus for
mellement repoussée par son esprit. La législation com
merciale a des nécessités qu’il faut subir. Multiplier les
formalités, c’est en méconnaître l’essence, en suscitant
des obstacles à la libre et rapide circulation que le com
merce exige ; édicter des nullités , c’est s’exposer à di
minuer le crédit et atténuer la confiance qui en fait la
base. En fallait-il davantage pour ne consacrer ni l’un
ni l’autre ?
La spécialité de la législation est donc la raison dé
terminante de l’inapplicabilité de l’article 1326 à la let
tre de change. Cette doctrine consacrée par la Cour de
cassation, le 10 messidor an xi, l’a été depuis par la
cour de Toulouse, le 30 décembre 1829 ; par la cour de
Montpellier, le 20 janvier 1835.
— Le plus ordinairement, venons-nous de dire,
la lettre de change est rédigée par acte sous seing privé.
4S.
�DE LA LETTRE DE CHANGE
Mais il est évident que rendre cette forme exclusive,
c’était priver de son secours beaucoup de gens incapa
bles d’y recourir faute de savoir signer. Cependant une
personne dans celte position peut contracter le contrat
de change, recevoir dans un lieu de l’argent qu’elle s’o
blige de faire compter dans un autre, acheter des m ar
chandises au domicile du vendeur pour les payer à son
domicile propre. Pourquoi la rendre victime de son dé
faut d’instruction, en la contraignant de souscrire une
obligation notariée ordinaire, et d’en supporter les
frais.
Est-ce que le contrat de change perd de son caractère
parce que l’instrument qui le constate et l’exécute sera
authentique? N’y a-t-il pas au contraire dans cette ferme
une garantie efficace contre une des suppositions les
plus usuelles, celle du lieu d’où la lettre est tirée ?
On a donc permis et dû permettre la lettre de change
par acte notarié, et lui attribuer tous les effets qui s’at
tachent à celles rédigées par les parties. Dans le prin
cipe, cependant, cette règle avait été contestée, on avait
dénié le caractère de titre commercial à la lettre nota
riée, d’où l’on concluait qu’elle n’était pas négociable
par un simple endossement, et que la cession ne pou
vait s’en réaliser que dans la forme exigée pour les cré
ances civiles.
Mais cette doctrine n’a jamais été adoptée. C’est l’avis
contraire, soutenu par le plus grand nombre des juris
consultes, que la jurisprudence a consacré. La Cour de
�cassation notamment, appelée plusieurs fois à se pro
noncer, n ’a jamais varié dans la solution K
46.
— L’importance de cette solution se décèle su r
tout à l’égard des sûretés hypothécaires qui peuvent avoir
été attachées à la lettre de change, Or, la Cour de cas
sation a jugé que lorsque le tireur d’effets de commerce
s’est obligé hypothécairement à leur remboursement,
l’endossement des effets transmet le bénéfice de cette hy
pothèque, aussi bien que la créance dont elle est la ga
rantie spéciale ; en cas de protêt, le tiers porteur qu. a
obtenu un jugement tant contre le tireur que contre
l’endosseur, peut seul exercer, dans l’ordre, le droit at
taché à cette hypothèque, à l’exclusion de l’endosseur ou
de ses créanciers, encore que le transport de l’hypothè
que n ’ait pas été notifié à ces derniers, conformément à
l’article 4690 du Code civil3.
C’est pour arriver à la nullité du transfert de l’hypo
thèque par un a fortiori incontestable qu’on soutenait
l’impossibilité de négocier la lettre de change notariée
autrement que par les formes ordinaires. L’arrêt de la
Cour suprême crée donc cet a fortiori, mais dans un
sens contraire. C’est ce qui résultera surtout de sa doc
trine en matière de billets à ordre notariés renfermant
1 Cass., 18 m ars 4828, 10 août 4 834, 4 8 novem bre 4833, 21 février
1838.
J. du P., 4, 1838, 496. V. Grenoble, 47 novem bre 4836 e t la
�64
DE LA LETTRE DE CHANGE
cumulativement l’obligation et l’affectation hypothé
caire 1.
4 S . — La lettre de change revêtant la forme des ac
tes authentiques en reçoit les caractères, et se trouve
soumise à leurs formes, pour sa validité extrinsèque.
Elle est donc susceptible d’enregistrement dans le délai
fixé pour les autres actes notariés. Vainement a-t-o n
invoqué le § 6 de l’article 69 de la loi du 22 frimaire
an vu. La Cour de cassation a répondu que si des par
ticuliers qui font des effets négociables veulent jouir de
l’exemption que ce paragraphe confère à >.*. sortes d’ef
fets, il faut qu’ils les fassent sous signature privée, parce
qu’ils sont censés ne point ignorer la loi, et qu’ils sont
avertis par elle que, s’ils font ces effets par actes devant
notaires, ces officiers publics seront tenus de les faire
enregistrer dans les délais fixés par l’article 20, sous
peine d’amende ; et que par aucune disposition explicite
de la même loi, ni d’aucune autre, la nécessité de cette
présentation à l’enregistrement n’est subordonnée à
l’existence préalable d’un protêt2.
Cette jurisprudence intéresse les notaires autant et
plus que les parties. En effet, la conséquence de la vio
lation du devoir qu’elle impose est une amende qui ne
peut être encourue que par l’officier rédacteur de la let
tre de change, et que la Cour de cassation ne manque
jamais de prononcer.
i V. infra, art. 187.
s Cass., 10 février 1834, 28 janvier et 29 juin 1835.
�ART.
HO,
111.
65
Ainsi la forme de la lettre de change importe peu,
authentique ou sous seing-privé, elle existe par écrit, et
aucun doute ne saurait s’élever sur son efficacité, si
d’ailleurs dans l’une et dans l’autre hypothèse elle réu
nit les conditions exigées par l’article 110, et qu’il est
temps d’examiner en détail.
48. —
Première condition. La lettre de change est
tirée d’un lieu sur tin autre.
Celte première condition était la conséquence immé
diate et forcée de la nature de la lettre de change. Son
but et son objet sont de constater et d’exécuter le con
trat de change, celui-ci ne consistant que dans la remise,
dans un lieu, d’une somme d’argent remboursable dans
un autre ; la lettre de change, si elle constate un change
réel, doit nécessairement offrir la condition première
que l'article 110 exige.
C’est ce qui explique le silence que l’ordonnance de
1673 avait gardé à cet égard. Le législateur avait pu
croire qu’il s’agissait là du fond plutôt que de la forme.
Aussi, et malgré ce silence, la remise de place en place
n’en était pas moins considérée comme constituant le
caractère essentiel de la lettre de change. C’est ce que
nous apprennent la doctrine et la jurisprudence.
La marche contraire, que le Code a suivie, est-elle la
preuve qu’il n’a considéré celte remise que comme de
pure forme ? Evidemment non. La lettre de change est
aujourd’hui ce qu’elle était sous l’ancienne législation,
elle doit réaliser le contrat de change. Aussi la supposii — 5
�66
DE LA LETTRE DE CHANGE
tion de lieu ne lui donnerait que l’apparence de la lettre
et la réduirait au fond à l’état de simple promesse.
4 ». — La seule différence résultant de la disposi
tion de l’article 110, c’est que, pour donner à la lettre
de change son véritable caractère, il faudra que ses
énonciations prouvent l’existence du change. A défaut
de ces énonciations il pourra bien exister un change,
mais il n’y aura pas de lettre de change. Par la même
raison, vainement celle-ci serait tirée d’un lieu sur un
autre. Si cette indication n’est qu’un mensonge concerté
pour déguiser l’absence du contrat de change, la lettre
n’est et ne peut être qu’une simple promesse.
Aujourd’hui donc, le législateur exige cumulativement
l’existence au fond du contrat de change, et son indi
cation en la forme. Celte réunion était indispensable
pour que l’apparence ne vînt pas se substituer à le réa
lité, pour faire disparaître ces fraudes nombreuses qui,
sous l’ordonnance de 1673, avaient en quelque sorte
compromis l’institution, et déterminé le tribunat à pro
poser la suppression de la nécessité d’une remise de
en place.
50. — Dans le développement de cette proposition
au conseil d’Etat, l’orateur des sections faisait remar
quer que cette remise de place en place était devenue
une pure forme, une espèce de faux de convention d’un
très dangereux exemple.
« Au fond, ajoutait-il, on ne voit aucun motif solide
�ART.
110, n i .
67
à la nécessité de la remise de place en place. La lettre
de change est de sa nature une subrogation, de la part
d’un particulier en faveur d’un autre, au droit qu’il a
ou qu’il aura de faire remettre une somme de la part
d’un tiers, de suite ou à une époque convenue. Ce con
trat exige-t-il pour sa perfection cette forme illusoire de
remise de place en place ?
« D’ailleurs, il est aisé de sentir que ce formulaire
nuit à la rapidité du commerce, qu’il entraîne des dé
placements et des frais K »
Celte proposition, observait le prince archi-cbancelier,
anéantit la lettre de change. Si elle ne contient pas la
remise de place en place, elle n’est plus qu’un mandat.
Cette considération l’emporta, et malgré que la proposi
tion du tribunat eût été déjà formulée par des chambres
et tribunaux de-commerce, par des tribunaux civils
même, le conseil d’Etat ne crut pas devoir l’accueillir. Il
préféra rester fidèle à la doctrine des anciens juriscon
sultes, à l’usage commercial, à la vérité des choses ne
pouvant reconnaître le contrat de change, objet essen
tiel de la lettre de change, que dans une remise effective
de place en place.
C’est ce qu’exprime parfaitement M. Bégouen dans
l’exposé des motifs de la loi :
« Tous les commentateurs ont aussi pensé qu’il est
du caractère essentiel de la lettre de change qu’il y ait
remise d’argent d’un lieu sur un autre, c’est-à-dire
1 Locré, t. 18, p. 123.
�68
DE LA LETTRE DE CHANGE
qu’elle doit être payable dans un autre lieu que celui où
elle a été créée.
« L’ordonnance de 1673 ne l’avait pas textuellement
prononcé, mais cette opinion unanime des jurisconsul
tes sur ce point avait fixé la jurisprudence ; et quoique
plusieurs chambres et tribunaux de commerce, et même
quelques tribunaux civils eussent exprimé le vœu de voir
fléchir ce principe devant des considérations d’avanta
ges, de commodités et de facilités pour le commerce in
térieur, on a cru devoir au contraire le consacrer par
une disposition textuelle, on a pensé que ce contrat, en
vironné par la loi d’une protection particulière, doit
avoir des formes et un caractère qui le distinguent émi
nemment de tous autres effets négociablesl.
51. — La remise de place en place est donc restée
la condition essentielle du contrat de change, comme
son expression est devenue celle de la lettre de change.
A quels caractères devra-t-on en admettre l’existence ?
Le tribunal de commerce de l’Aigle avait demandé que
la remise s’opérât d’une place de commerce sur une au
tre. Cette proposition fut soumise au conseil d’Etat, dans
la séance du 27 janvier 1807, par M. Jaubert. Elle fut
rejetée.
La lettre de change n’est pas seulement à l’usage du
commerce. Elle sert à tous ceux qui ont besoin de trans
mettre ou de trouver des fonds dans un lieu quelconque.
l Locré, ibid., p. 442.
�ART.
HO,
111.
69
Exiger qu’elle fût tirée d’une place de commerce sur
une place de commerce, c’était gêner et entraver fort
inutilement le commerce. Il arrive bien souvent que les
fabricants ou marchands fournissent des marchandises
à des artisans ou revendeurs n’habitant pas des places
de commerce ; souvent même, dans les plus petites lo
calités, s’établissent des usines, des manufactures impor
tantes. Pourquoi prohiber de tirer sur les uns et les au
tres en payement des avances et fournitures ?
Enfin il est certain, en fait, qu’il suffit qu’il y ait réel
lement remise, pour que le contrat de change existe, et
que dès lors l’instrument qui l’exécute soit une véritable
lettre de change. On ne pouvait raisonnablement faire
dépendre de la nature de la place un fait que des con
sidérations de lieux ne pouvaient modifier. M. Begouen
observait avec juste raison que le contrat de change ne
perd pas son caractère parce que la lettre sera tirée
d’un lieu, ou sur un lieu qui n ’est pas une place de
commerce.
Il y a donc remise de place en place par cela seul que
la lettre tirée d’un lieu est payable sur un autre. Quelle
est la portée juridique de cette expression ? Quel est le
sens qu’il convient de lui attribuer ?
538. — Dans les travaux préparatoires du Code, on
demandait la détermination d’une règle précise à cet
égard. Le vague de l’expression était signalé par plu
sieurs cours. Tirée d’un lieu sur un autre, disait notam
ment la cour de Toulouse, n ’exprime rien de précis. Se
�70
DE LA LETTRE DE CHANGE
borner à l’exiger ainsi, c’est faire douter si la lettre de
change peut être tirée d’un village sur un village voisin,
ou même d’un hameau sur un hameau de la même
commune.
Cependant l’expression attaquée a été purement main
tenue. Le législateur a compris qu’en pareille matière
l’avantage d’une règle absolue ne saurait en compenser
les dangers. Il n’avait donc qu’à s’en référer à la cons
cience du juge pour le développement rationnel de sa
pensée.
■1'
53.
— Aux tribunaux seuls appartient donc le droit
de déterminer si le vœu de la loi est ou non rempli.
L’usage de ce droit, que la jurisprudence constate,
prouve que les magistrats se sont arrêtés bien plutôt à la
nature de l’opération qu’à la distance séparant le lieu de
la création de celui du payement, à moins que cette dis
tance n’en fût pas une.
Ainsi la cour de Bordeaux, par arrêt du 13 avril 1830,
refusa de reconnaître, comme renfermant remise de place
en place, la lettre de change tirée d’une ville sur la ban
lieue.
Mais la cour de Bruxelles décidait, le 24 septembre
1814, qu’il y avait remise de place en place dans la let
tre tirée d’un bourg sur une ville distante d’un myriamètre. C’est par application de cette règle que la cour
de Paris a pu juger que la commune de la Villette était
une place différente de celle de Paris.
Le caractère juridique de ces arrêts ne saurait être
�ART.
H O ,
111.
7i
contesté. L’objet que la lettre de change se propose est
de prévenir le transport matériel de l’argent. Or, qu’elle
que soit la distance à parcourir, ce transport peut avoir
ses difficultés, offrir des dangers. Dès lors l’intention
d’échapper aux unes et aux autres peut inspirer l’idée de
recourir au contrat de change. C’est la réalité de cette
intention que les tribunaux doivent rechercher, et la
conviction qu’ils puiseront dans cette recherche leur dic
tera la solution qu’ils devront consacrer.
54.
— Pour juger s’il y a ou non remise de place
en place, il faut se référer au moment de la création de
la lettre, et juger par la position que chaque partie avait
à celte époque. C’est ainsi qu’on arrivera à résoudre
d’une manière rationnelle la question de savoir quelle
est l’influence que peut exercer sur la lettre de change
l’exécution qu’elle a reçue.
L’importance de cette question est indiquée par l’exem
ple que voici : Primus tire de Paris à l’ordre de Secundus un& lettre de change sur Tertius, à Lyon. Sur la
présentation qui lui en est faite, ce dernier l’accepte ,
mais en déclarant qu’il en opérera le remboursement à
Paris, au domicile qu’il indique.
L’exécution de cette promesse fait que la lettre de
change est réellement payée au lieu même d’où elle a été
tirée. Mais pourra-t-on exciper de cette circonstance
pour soutenir que la lettre de change ne renfermait pas
la remise de place en place ?
Une circulaire du grand juge, ministre de la justice,
�72
DE LA LETTRE DE CHANGE
du 31 octobre 1808, résout négativement cette ques
tion.
« La lettre de change , dit cette circulaire , est le
moyen d’exécution du contrat de change, contrat dans
lequel une personne s’oblige de faire payer une somme
d’argent daqs un lieu déterminé , en échange d’une
somme ou de la valeur qu’elle a reçue dans un autre.
Il ne peut donc exister de lettres de change s’il n’y a
remise de place en place.
« Mais, dans l’espèce posée, celte remise existe de la
part du tireur qui a donné une traite payable sur une
autre ville que celle de sa résidence. Celte traite a donc,
dans son origine, tout le caractère de la lettre de chan
ge. Or, le refus ou l’acceptation conditionnelle du tiré
ne peut lui faire perdre ce caractère au préjudice du por
teur. Celui-ci peut, à défaut de payement, la faire pro
tester et exercer son recours ; il peut également prendre
pour refus l’acceptation faite sous condition de payer
dans un autre lieu que celui désigné par la lettre. S’il
consent néanmoins à la recevoir, il ne s’en suit pas que
cet effet perde le caractère de lettre de change qu’il avait.
On peut dire seulement qu’il s’opère alors, entre le por
teur et l’accepteur, une seconde négociation de change
qui succède à la première. »
Le caractère juridique de cette solution ne peut être
méconnu. L’acceptation suppose la provision. Celle don
née, dans notre espèce, par le tiré ; prouve donc que le
tireur fournissait sur lui à un juste titre , qu’il recevait
donc à Paris l’équivalent de la somme qu’il avait à
�.: T r
™
ART.
^
110, 1H .
75
prendre à Lyon, et qu’il pouvait dès lors déléguer au
preneur. Il y a là incontestablement opération de chan
ge sincère, sérieuse, légitime, qui ne pouvait être ulté
rieurement altérée ou modifiée par l’exécution convenue
entre et par les intéressés. Cette raison, acceptée comme
décisive par les auteurs, a été également admise par la
jurisprudence, et notamment par la cour de Paris, dans
un arrêt du 8 août 1833.
Mais il faut ne pas perdre de vue que pour que cette
doctrine puisse être appliquée, il faut que le change
ment du lieu du payement soit un fait imprévu, fortuit,
en dehors de toute prévision. Il est évident que si, lors
de la création de la lettre, le lieu du payement avait été
connu des parties, l’indication d’une place autre ne se
rait qu’une simulation pour donner à la traite le carac
tère de la lettre de change qui ne saurait lui appartenir,
puisque, dans le fait, il n’y aurait pas eu remise de
place en place. C’est ce que la circulaire du grand juge
fait ressortir en ces termes :
« Toutefois, si la remise de place en place avait été
supposée lors de l’émission de la traite, et que l’accep
tation dont il s’agit eût été convenue avant toute négo
ciation, les parties intéressées pourraient sans doute lui
contester les effets de la lettre de change, puisque la
traite n’en aurait eu que le caractère apparent, et devrait
être réputée simple promesse, aux termes de l’article
11 %. Mais on ne doit pas facilement présumer cette sup
position frauduleuse alors que personne ne réclame. »
A plus forte raison refuserait-on de considérer comme
�74
DE LA LETTRE DE CHANGE
lettre de change la traite tirée d’une place sur une autre
par et à l’ordre du tireur lui-même, mais indiquée
payable par l’accepteur au lieu d’où elle a été tirée. Une
pareille traite ne saurait être considérée que comme
simple promesse, alors même que le tiré l’aurait accep
tée dans un lieu autre que celui du payementl.
— On demandait dans la même circonstance si
l’on devait considérer comme lettre de change , et en
conséquence comme devant en produire les effets, la
traite qui, tirée à l’ordre du tireur, et par celui-ci né
gociée à un tiers, serait, en cas de non payement, pro
testée à la requête du tireur lui-même?
Le grand juge répond par la négative. « Si l’endos
sement était irrégulier, dit la circulaire, si le protêt était
dressé au nom du tireur, il en résulterait que le por
teur n’aurait été qu’un simple mandataire, et que le ti
reur serait resté toujours propriétaire ; que, par consé
quent, l’effet ne serait qu’improprement une lettre de
change. »
En réalité, nous le verrons plus bas, la lettre de chan
ge peut être à l’ordre du tireur lui-même ; mais dans ce
cas la lettre n’est parfaite que lorsque, au moyen de la
négociation, elle passe au pouvoir d’un tiers qui en four
nit la valeur. En effet, la lettre de change exige qu’à côté
du tireur et du tiré existe un preneur, et cette condition
55.
B ruxelles, 29 ju ille t 1816.
�ART.
110, 1H.
75
ne se réalise pas si celui-ci n ’a jamais été que le man
dataire du tireur.
Dans l’espèce, donc, ce n ’est pas seulement au point
de vue de la remise de place en plac que pèche le titre;
ce qui lui manquera, ce sera surtout une valeur fournie
en contre-échange, il ne constituera pas même une
obligation.
Mais l’obligation est incontestable si le preneur est sé
rieux et si l’endossement est régulier. Suffira-t-il pour
que cette obligation prenne les caractères de la lettre de
change, que l’effet daté de Paris soit tiré sur Lyon ? Non,
car dans les lettres de change tirées à l’ordre du tireur
lui-même , la remise de place en place obéit à d’autres
principes.
I
SG. — L’effet tiré à l’ordre du tireur ne renferme,
disons-nous, aucune obligation ; le tireur ne reçoit rien.
Le billet qu’il signe n’est ni une créance/ ni une dette, il
n’acquerra ce caractère que du jour où un tie rs, en
fournissant la valeur, en devient le porteur légitime.
C’est donc à ce jour, au moment et au lieu où la né
gociation ss réalisera qu’il faut s’en référer pour juger
s’il y a eu ou non contrat de change et remise de place
en place. L’affirmative sera incontestable si l’endosse
ment est fait, daté d’un lieu autre que celui indiqué
pour le payement, alors même que ce lieu serait diffé
rent de celui d’où la lettre de change est tirée.
Que si, au contraire, l’endossement est daté du lieu
même où la lettre de change doit être payée, la date de
\
�76
DE LA LETTRE DE CHANGE
la lettre importera peu. En réalité, la valeur n’ayant été
donnée qu’au lieu de l’endossement, et celui-ci n’étant
autre que le lieu où sera le payement, il n’y a ni change
ni remise.
C’est ce que la cour de Toulouse jugeait le 20 juin
1835. Jusqu’à l’endossement, disait l’arrêt, la lettre de
change à l’ordre du tireur n’est pas complète ; d’où il
suit que si le tireur la revêt de son endossement, élé
ment, complément indispensables de sa perfection, que
dans le lieu du payement, il n’y a pas remise de place
en place. Cette décision, déférée à la Cour suprême, fut
par elle maintenue. Ce qui a droit d’étonner, cependant,
c’est que la Cour de cassation ait admis comme appré
ciations de faits seulement les considérations que nous
venons de transcrire l.
Cette doctrine est celle de la cour de Paris. Ainsi elle
jugeait, les 2 et 30 janvier 1840, dans les mêmes ter
mes quelacour.de Toulouse. En conséquence et par
application, elle décidait, le 6 novembre suivant, qu’une
traite tirée à Rouen, à l’ordre du tireur lui-même, par
lui endossée en blanc et négociée par le porteur de cet
endos à un tiers demeurant à Paris, où la traite est
payable, ne contient pas remise de place en place et par
conséquent ne constitue pas le contrat de change. La
Cour ne voit dans le porteur de l’endos en blanc que le
mandataire du tireur. Elle pense dès lors que ce n’est
1 Cass., 40 ju ille t 1839.
suiv.
J. du P., 2, 4 839, 4 98. Y . in fra , n° 96 et
�ART.
MO, M I .
77
que l’endossement régulier consenti par lui qui a défi
nitivement constitué la lettre de change1.
ô 1? . — La cour de Montpellier, qui s’était d’abord
prononcée dans le même sens, par arrêt du 19 mars
1836, est revenue de sa jurisprudence, en jugeant, le 13
novembre 1839, que la lettre de change est indépen
dante de l’endossement ; qu’ainsi celle tirée à l’ordre du
tireur lui-même est parfaite bien que l’endossement au
profit d’un tiers ait été daté du lieu même où la traite
est payable2.
En principe, l’endossement est évidemment sans in
fluence aucune sur la lettre de change, bien entendu
que cet endossement est celui régi par l’article 136, et
qui a pour objet la cession de la lettre par le donneur
de valeur, ou par celui auquel il l’avait d’abord cédée.
Comment pourrait-il en être de m êm e, lorsqu’il
n’existe pas encore de lettre de change. Celle tirée à l’or
dre du tireur ne constitue pas même une obligation,
nous venons de le prouver, elle n ’est complète que par
l’accession d ’un tiers qui en paye la valeur pour la re
tirer dans un autre lieu, qui vient ainsi donner un corps
à une opération jusque là sans consistance possible.
Comment donc l’endossement resterait-il dans cette cir
constance indépendant de la lettre ?
1 J. du P ., 4, 4840, 162, 2, 4840, 628. V. Paris. 8 mars 4842. Ibid
4, 4842, p 734.
' îD . P., 40, 2, 74.
�78
DE LA LETTRE DE CHANGE
Puur le décider ainsi, la cour de Montpellier est obli
gée d’admettre qu’avant même l’endossement le contrat
de change existe. Ce contrat, dit-elle, se forme entre le
tireur et le tiré, indépendamment et sans l’intervention
du tiers porteur.
Du tireur au tiré il y a si peu contrat de change,
que ce dernier n’a peut-être jamais rien dû à l’autre, et
que s’il paye, c’est que le tireur aura fait provision en
ses mains depuis la création de la lettre.
Il est vrai que par l’acceptation le tiré est présumé
avoir provision. Mais cette présomption ne concerne à
vrai dire que les endosseurs eux-mêmes, car le tireur,
qu’il y ait ou non acceptation, n’est pas moins obligé de
prouver qu’il y avait provision.
D’ailleurs, dans tous les cas, le tiré qui accepte ou
paye ne fait qu’acquitter sa dette. Le tireur de la lettre
de change doit en recevoir la valeur dans un lieu pour
la rendre dans un autre. Or, le tiré ne donne rien ; il
ne recevra jamais rien, surtout s’il doit déjà le montant
de la lettre de change.
Il n’est donc pas possible d’admettre le contrat de
change entre le tireur et le tiré, l’arrêt de Montpellier
s’écarte des véritables principes ; il ne saurait prévaloir
contre la doctrine des Cours de cassation, de Paris, de
Toulouse.
58.
— Deuxième condition. La lettre de change
doit être datée.
Cette prescripiion de l’article 110 introduisit un droit
�ART.
110,
111.
79
nouveau. Sous l’ordonnance de 1673, la lettre de chan
ge était parfaite, si elle renfermait sommairement le nom
de celui à qui le contenu devait être payé, le temps du
payement, le nom de celui qui en avait fourni la valeur,
enfin si cette valeur avait été reçue en deniers, mar
chandises ou autres effets '.
La régularité de la lettre n’étant subordonnée qu’à
ces conditions, l’exigence de la date ne répondait à au
cune nécessité réelle. Mais la pratique commerciale,
ayant bientôt exigé la remise de place en place, signa
lait par cela même combien le silence de l’ordonnance,
à l’endroit de la date , était fâcheux. N’élait-elle pas en
effet l’élément essentiel pour apprécier s’il y avait ou
non remise de place en place.
C’est cette pratique que l’article 110 a consacrée.
D’ailleurs, faisant une condition de la remise de place
en place, le législateur ne pouvait pas se taire sur la
date, l’indication du lieu où la lettre de change est sous
crite étant un des éléments indispensables pour juger
de cette remise.
59.
— Il résulte de là que ce que le législateur en
tend par la date, c’est non seulement l’indication des
an, mois et jour, mais encore celle du lieu où se crée
la lettre de change, chacune de ces circonstances a son
utilité et son importance.
L’indication du lieu est utile sous le rapport que nous
�80
DE LA LETTRE DE CHANGE
venons d’indiquer. On est à même de trancher la ques
tion de la remise de place en place p arla comparaison
du lieu de la création avec le lieu du payement.
L’indication des an, mois et jour est de nature à fixer
l’opinion sur la capacité des parties contractantes. Le
tireur était-il en état de minorité ou d’interdiction ? La
femme qui a signé était-elle ou non engagée dans les
liens du mariage ? Telles sont les premières difficultés
que la constatation de l’époque de la création de la let
tre tend à résoudre.
Celte constatation est surtout utile dans le cas de fail
lite, pour empêcher que le tireur agisse en fraude des
droits de ses créanciers. En effet, un commerçant, à la
veille de faillir, pourrait tirer des lettres de change, en
omettant la date. On ne pourrait en ce cas ni vérifier le
moment de la création, ni en suivre l’emploi, et le failli
parviendrait ainsi à disposer de son actif, à le soustraire
aux créanciers.
Enfin, la lettre de change est bien souvent indiquée
payable à un ou plnsieurs jours, à un ou plusieurs mois
de date. Comment procéder si cette date est omise ?
Comment déterminera-t-on l’échéance, la nécessité du
protêt ? De quel jour fera-t-on partir le délai de la perte
du iccours contre les endosseurs, celui de la prescription
de cinq ans?
«O . — Quel sera pour la lettre de change l’effet du
défaut de date ?
Plusieurs jurisconsultes enseignent que ce défaut en-
�ART.
H O ,
H l.
81
traîne la nullité de la lettre de change, et ils ont raison,
sauf la généralité de l’expression qu’on doit modifier. Il
semblerait, en effet, qu’à leurs yeux la nullité s’applique
au titre en lui-même, qui serait ainsi incapable de pro
duire aucun effet, insusceptible de recevoir aucune exé
cution, en force de la règle : Quod millnm est nullum
producit effectum.
Ce serait là outrer les conséquences de l’article 110 et
en méconnaître l’esprit. Cet article ne s’occupe que de
la forme de la lettre de change, d’où la conséquence
que le titre non conforme à ses prescriptions ne saurait
être considéré comme une lettre de change, ni en pro
duire les effets. Il ne sera donc, en la forme, ni attri
butif de juridiction, ni exécutoire par la contrainte par
corps, ce qui ne l’empêchera pas, au fond, de renfer
mer le germe d’une obligation valable. En d’autres ter
mes, il faut résoudre notre question comme le fait Mer
lin ; si la date est omise, il y a bien une simple obliga
tion, mais il n’y a pas de lettre de change *.
Cette solution s’applique au cas où la date est com
plètement omise. Rien ne peut en effet en suppléer l’é
nonciation, pas même la preuve testimoniale. Vainement
ferait-on remarquer qu’en matière commerciale celle-ci
est de droit commun. Cette règle reçoit naturellement
exception lorsqu’il s’agit d’un acte dont la loi prescrit la
rédaction par écrit. Or, c’est ce qu’elle fait expressément
pour la lettre de changes.
�82
DE LA LETTRE DE CHANGE
Donc, le titre non daté ne peut jamais être une lettre
de change. L’article 110 ne pousse pas plus loin ses pré
visions. Reste l’obligation civile que le titre imparfait,
commercialement parlant, peut ou prouver par lui-mê
me, ou faire présumer. Considéré dans ce dernier cas
comme commencement de preuve par écrit, il rendrait
la preuve testimoniale admissible même devant la juri
diction ordinaire.
Ce n’est pas tout encore. La lettre de change impar
faite ne rend pas la juridiction consulaire de plein droit
incompétente. La cause de l’obligation peut consister
dans un acte de commerce, et son appréciation, dans ce
cas, appartiendrait à cette juridiction. C’est ce qui se
réaliserait, par exemple, s’il était prouvé que l’engage
ment se réfère à une opération de change, de banque, ou
à l’un des actes énumérés par l’article 632.
« 1 . — Un arrêt rendu par la cour de Nimes, le 5
juillet 1819, a même refusé de donner à l’omission de
la date l’effet que nous venons de déterminer, c’est àdire la nullité de la lettre de change en la forme.
« Attendu, dit cet arrêt, que l’article 110 du Code de
commerce, en prescrivant que la lettre de change soit
datée, n’a point infligé la peine de nullité à l’omission
de cette forme, qui, en règle générale, ne vicie point les
actes sous signature privée. »
Cet arrêt, statuant sur une lettre de change soumise
au droit ancien, est très juridique. Rien de pareil à l’ar
ticle 110 n’exisiait dans l’ordonnance de 1673, consé-
�ART.
HO,
H l.
83
quemment annuler la lettre de change pour omission
de la date, c’eût été ajouter à la loi.
Mais l’excursion que la Cour fait dans la doctrine du
Code de commerce n ’est pas heureuse ; l’interprétation
qu’elle donne à l’article 110 est inadmissible. Cet article
n’avait pas à prononcer une nullité quelconque. Ce dont
il s’occupe, c’est d’énumérer les conditions que doit réu
nir la lettre de change. Dès lors le titre qui n’offrira pas
cette réunion ne sera pas nul dans l’acception ordi
naire du mot, mais il ne sera pas une lettre de change.
C’est là la conséquence logique, inévitable de la nature
et du caractère de l’article 110.
6 9 . — La lettre de change sous signature privée estelle régie par l’article 1328 du Code civil, quant à la foi
due à la date ?
La négative s’induit de l’article 139 du Code de com
merce, défendant, sous peine de faux, d’antidater les
ordres, ce qui s’applique au tirage de la lettre de chan
ge comme à l’endossement lui-même. Quel serait le mo
tif de cette rigueur si, à l’égard des tiers, l’ordre devait
avoir acquis date certaine ?
A côté de cette considération vient s’en placer une au
tre non moins décisive. La libre et prompte circulation
de la lettre de change touche de trop près l’intérêt du
commerce pour qu’on ait pu songer à des formalités, à
des difficultés de nature à l’entraver. La lettre de change
étant une monnaie, devait faire foi de son millésime, et
dès lors exigeait qu’on l’exceptât de la règle de l’article
�.8 4
PF. LA LFTTRF DF. CHANGE
1328 du Code civil. C’est cette exception, garantie d’ail
leurs par l’article 139 du Code de commerce, que la
Cour de cassation a expressément sanctionnée l.
«3 . — Mais cette exception ne va pas jusqu’à assi
miler la lettre de change à l’acte authentique. On peut
contester sa date sans être obligé de recourir au préala
ble de l’inscription de faux. C’est ce qui est universelle
ment admis en doctrine et en jurisprudence2.
Ljt preuve testimoniale, que nous avons vue ne pou
voir être admise pour établir la date, est parfaitement
recevable pour justifier que celle qui se trouve dans la
lettre de change est simulée et fausse. Il s’agit alors de
prouver la violation de l’article 139, de constater une
des suppositions dont s’occupe l’article 112. Sous l’un
et l’autre rapport, on ne pouvait que recourir à la preuve
testimoniale ; on n’en aura jamais la preuve écrite, que
la loi ne pouvait d’ailleurs exiger, qu’elle n’exige pas.
64. — Dans l’usage, on a contracté l’habitude d’é
noncer la date en chiffre, et de la placer en tête de la
lettre, au côté gauche. En agir autrement, ce serait con
trevenir à la pratique, mais non à la loi. Il suffît que
la lettre de change soit datée, quelque place qu’occupe
la mention de cette date, pour que sa régularité ne puisse
être contestée.
S 28 juin 1828 .
s Voir notamment Riom, 27 décembre 1830.
�B ô. — Troisième condition. Enonciation de la
somme à payer.
Dans les obligations ayant pour objet le payement
d’une somme d’argent, déterminer cette somme c'est dé
terminer l’obligation elle-même ; à ce titre, rien n’auto
risait à excepter la lettre de change de la loi commune.
Nous pouvons même dire que la lettre de change sur
tout devait être placée sous l’empire de cette règle. En
général elle est payée dans un lieu éloigné de celui de
sa création , par un individu qui n’est pas l’obligé di
rect, mais son mandataire. Cette double circonstance
exigeait donc que, par ses énonciations, la lettre de
change indiquât la véritable étendue de l’obligation et
évitât ainsi toute possibilité d’erreur.
La lettre de change est de plus destinée à de nom
breuses négociations. Nous avons déjà dit que , vérita
ble monnaie, elle est, comme celle-ci, vendue et achetée.
Comment remplirait-elle cette si importante mission si,
avant le règlement à l’échéance, le porteur est dans l’im
puissance même d’indiquer la somme qui sera due?
Que serait, par exemple, l’ordre donné au tiré dans ces
termes : Payez toui ce que vous me devez ? Comment
satisfaire avec un titre pareil, aux exigences de la circu
lation ?
L’énonciation de la somme à payer était donc une
condition essentielle, et la prescription de l’article 110
une conséquence inévitable de la nature des choses.
6 0 . — Les expressions de l’article 110, à l’égard de
�86
DE LA LETTRE DE CHANGE
la condition qui nous occupe, ont été mûrement réflé
chies. Elles tranchent une difficulté sur laquelle les avis
n’étaient pas unanimes. La lettre de change peut-elle,
indépendamment d’une somme en argent, avoir pour
objet la livraison d’une chose, d’une marchandise quel
conque? La négative était indiquée par la raison , elle
est consacrée par l’article 110 ; c’est pourquoi il se
borne à exiger que la lettre de change exprime la som
me à payer.
La lettre de change peut également déterminer la
monnaie qui devra servir au payement. C’est là une con
séquence de la disposition de l’article 143 du Code de
commerce. Mais cette indication est purement facultative.
Elle n’ajoute rien à la perfection de l’instrument, de
même que son absence ne lui fait rien perdre de sa
force.
Seulement, si le titre contient l’indication de la mon
naie, ce mode de payement est obligatoire, et le créan
cier ne peut être tenu d’en recevoir aucune autre.
S’il n’a rien été stipulé à cet égard, le payement sera
fait avec la monnaie courante, au lieu et au moment où
il s’effectuera, et en se conformant aux règles que l’u
sage a consacrées sur l’emploi de la monnaie de billon.
® ï. — La somme à payer doit-elle être énoncée eu
toutes lettres ? Suffit-il qu’elle le soit en chiffres ? Le lé
gislateur a gardé sur ce point le plus complet silence.
Dès lors aucun doute ne saurait s’élever sur la régula
rité de la lettre de change dans l’un et l’autre cas.
�ART. HO, H1.
87
Polhier estimait qu’il était plus à propos d’écrire la
somme en toutes lettres, pour éviter ces altérations dont
les chiffres sont plus susceptibles ; mais ce n’est là, de
puis le Code de commerce, comme sous l’ordonnance
de 1673 elle-même, qu’un conseil que la prudence re
commande et que chacun est libre de suivre ou non.
Dans l’usage, on exprime deux fois la somme à payer :
on l’énonce d’abord en chiffres à la partie supérieure
droite de la lettre, vis-à-vis de la date ; on la répète en
suite en toutes lettres dans le corps du billet. Ces deux
modes ne sont pas plus sacramentels l’un que l’autre,
surtout lorsque la lettre de change est écrite par un au
tre que par le tireur. Cependant, en cas de différence
dans les énonciations, c’est à celle du corps de la lettre
qu’on ajoute foi.
Nous avons déjà dit que le bon ou approuvé prescrit
par l’article 1326 n’était pas exigé en matière de lettre
de change ; mais la loi qui ne l’ordonne pas ne le pro
hibe pas non plus. Il dépend donc uniquement du sous
cripteur de remplir cette formalité.
Si les énonciations du bon ou de l’approuvé ne sont
pas d’accord avec celles de la lettre de change, on pré
fère la somme moindre, conformément à l’article 1327
du Code civil, sauf la preuve de l’erreur.
68 . — Quatrième condition. La lettre de change
doit énoncer le nom de celui qui doit payer.
Cette prescription découlait forcément de la nature du
contrat et du mode de payement qu’il comporte. Il est
�88
DE LA LETTRE DE CHANGE
évident que dans les prévisions de tous, que par la force
des choses même, le payement ne pourra être matériel
lement opéré que par un tiers dont le débiteur invoquera
le secours.
En effet, un commerçant de Marseille ayant des fonds
h transmettre à Paris, verse ses fonds chez un banquier
de Marseille qui lui souscrit en échange des effets paya
bles à Paris. Ce commerçant n’a pu ni dû croire que le
banquier se transporterait lui-même à Paris pour y rem
bourser le montant de ses effets. Il a, au contraire, par
faitement admis que ce remboursement serait opéré par
le tiers qu’il plairait au tireur d’indiquer.
Dans ce sens, on a eu raison de dire que le tiré était
partie nécessaire en la lettre de change, même abslraetivemeril de toute acceptation et en ne le considérant
que sous le point de vue de la mission qui lui est don
née de recevoir provision et de payer.
C’est donc à lui exclusivement que le porteur peut et
doit s’adresser pour obtenir payement C’est cette néces
sité qui a motivé la condition que nous examinons. Com
ment le porteur remplirait-il son obligation, si le tiers
chargé de payer n’était pas formellement indiqué ?
O®. — La désignation exigée par la loi doit être
claire et précise. Dans l’usage, elle se réalise par l’indi
cation des nom, prénoms et qualité du tiré, au domicile
duquel la lettre est payable.
La doctrine et la jurisprudence ont eu à rechercher
la véritable portée de l’article 110 sur la condition qui
�nous occupe. L’une et l’autre sont arrivées à ce résultat
qu'en cette matière la loi n’a rien prescrit de sacramen
tel et d’impérieux. Il suffit que le porteur ne puisse se
tromper pour que la régularité de la lettre de change soit
incontestable. Tel est notamment l’avis de M. Nouguier.
Malgré l’omission du nom du tiré, enseigne-t-il, la let
tre de change n’en serait pas moins complète si la dé
signation était tellement précise qu’il était impossible
que le porteur se trompât L
*©. — D’autre p a rt, la Cour de cassation a admis
que , dans l’application de l’article 140 , les tribunaux
devaient plutôt s’arrêter au fond des choses qu’aux ex
pressions de l’acte. Elle décide en conséquence qu’il suf
fit qu’un tiers ait été désigné pour opérer le payement
pour que le titre soit une véritable lettre de change, alors
même que d’autres indications sembleraient arriver à un
résultat contraire. C’est dans ce sens qu’elle se pronon
çait, notamment dans un arrêt du 14 mai 1827.
Dans l’espèce, la lettre de change était ainsi conçue :
Boulogne, le...... B. P ...... à telle époque je payerai
sur cette lettre de change à l’ordre du sieur Dufour, la
somme de... valeur reçue comptant, que passerez sans
autre avis. À. M. Daitre, à Saint-Gaudens.
Cette lettre ayant été protestée, le souscripteur soutient
qu’elle ne constitue qu’une simple promesse, et, comme
il n’était pas commerçant, il décline la compétence con1T.
p. 85.
�90
DE LA LETTRE DE CHANGE
sulaire. Mais cette exception est repoussée en première
instance et en appel.
L’arrêt; émané de la cour de Toulouse, admet que
lorsqu’une traite contient remise de place en place ;
qu’elle est faite entre un tireur et un donneur de valeur,
avec indication d’un tiré, elle est une vraie lettre de
change ; qu’il importe peu que le tireur ait écrit je paye
rai ; que l’obligation personnelle qu’il s’est imposée de
payer concurremment avec le tiré ne fait rien perdre de
son caractère à la lettre de change, qu’en supposant
qu’elle ne fût pas l’effet de l’erreur , elle constituerait
seulement l’intervention d’un second payeur, ce qui n’est
pas prohibé par la loi.
Cet arrêt, ayant été l’objet d’un pourvoi, fut maintenu
par la Cour de cassation, et il était difficile qu’il ne le
fût pas L Le caractère juridique de sa doctrine semble
ne pouvoir être méconnu.
f l . — Il l’a été cependant par la cour de Montpel
lier jugeant, le 17 novembre 1843, qu’on ne peut con
sidérer comme lettre de change un effet commençant par
ces mots : Je payerai, bien que terminé par ceux-ci :
à Monsieur un tel...
Nous n’ignorons pas qu’un litige de la nature de ce
lui sur lequel l’arrêt est intervenu se réduit le plus sou
vent en une question de fait. Le titre a-t-il les caractè
res d’une lettre de change? L’opération constitue-t-elle
�ART. 110, 111.
91
ou non le contrat de change? Nous reconnaissons en
conséquence que les magistrats chargés de résoudre la
question ont un pouvoir d’appréciation nécessairement
fort étendu. Cependant ce pouvoir a des limites, et la
cour de Montpellier nous parait les avoir dépassées.
Son arrêt attache une autorité exagérée à une expres
sion plus ou moins conciliable avec les autres indica
tions du titre, tandis qu’abstraction faite des unes et de
l’autre, c’était par le fait lui-même que la Cour devait
se prononcer. Ce qui justifie notre reproche, c’est le
motif sur lequel l’arrêt se fonde.
Le titre était conçu de la manière suivante : Béziers,
le... Dans un an, à compter de ce jour, je payerai à
Mme de Saint-Maur ou à son ordre la somme de 8,400
fr., valeur reçue comptant de ladite dame, que passerez
sans autre avis : Signé Cellarier. À MM. Cassanié et
Cie, banquiers à Montpellier.
Attendu, dit la Cour, que cet effet ne renferme pas
les caractères de la lettre de change, puisqu’il n’y a
point de tiré, les mots à MM. Cassanié et Cie., ban
quiers, domiciliés à Montpellier, n’établissant nullement
que l’effet a été tiré sur lesdits Cassanié, et n’indiquant
même pas que c’est au domicile de ceux-ci que le paye
ment doit être effectué K
En fait, le nom de MM. Cassanié et Cie, sur le titre
dont le payement était commercialement poursuivi, ne
i
J. du P., 2, 1844, 319. L’a rrê tiste a ttrib u e cet a rrê t k la cour de
Bordeaux. Nous croyons que c’est une erre u r
�92
DE LA LETTRE DE CHANGE
pouvait avoir d’autre signification que celle que l’usage
a attachée à une indication de ce genre. On n’indique
jamais le tiré autrement que par la désignation de ses
nom, qualité et domicile. Nous retrouvons ici cette tri
ple circonstance, on indiquait MM. Cassanié frères et
Cie, banquiers à Montpellier.
Contre l’induction tirée de l’usage acquis et invaria
ble, on objecte qu’ordinairement l’adresse du tiré est
précédée du mandat fi rmel de payement ; que ce man
dat résulte de ces mots, payez ou il vous plaira payer
figurant en tête de la lettre de change
Nous répondons que la détermination de ce mandat
n’est soumise à aucune forme, à aucune expression lé
gale et sacramentelle, qu’elle peut résulter de l’intention
des parties, de la rédaction du titre, de la nature de
l’opération.
Dans l’espèce, on faisait remarquer que l’omission du
mot payez était remplacée par un équivalent formel ;
qu’ai nsi ces expressions, que vous passerez sarts autre
avis de renfermaient le mandat exprès de payer, man
dat qui ne pouvait s’adresser qu’à ceux qu’on allait im
médiatement désigner.
L’existence d’un tiré était donc établie par l’ordre de
payer formellement donné ; par la désignation d’une
tierce personne. 11 est vrai que le mot je payerai créait
une obligation personnelle au tireur, tout ce qui pou
vait résulter du concours ne pourrait être que l’effet
signalé par la cour de Toulouse et par la Cour de cas
sation.
�ART. 110, 111.
95
D’ailleurs l’obligation personnelle existe même dans
le cas d’un tiré régulièrement établi. Celui-ci n ’est obligé
de payer que s’il est débiteur du tireur ou que s’il reçoit
de lui provision suffisante. Dire donc je payerai, c’est
constater un fait exact et positif qui est loin d’exclure le
payement par l’intermédiaire d ’un tiers.
Nous croyons donc que la cour de Montpellier s’est
trompée. Nous résumons les motifs de notre opinion
dans les trois considérations suivantes :
1° Dans la supposition d’un billet à ordre pur et sim
ple, la désignation de la maison Cassanié et Cie est une
absurdité, qu’avait à faire cette maison dans la rédaction
d’un billet qu’elle ne devait pas payer ?
2° Dans l’intention des parties, le donneur de valeur
n’a pas entendu que le tireur payerait directement ; ce
lui-ci ne pouvait avoir la pensée d’un pareil payement.
La preuve, c’est que l’un acceptait et que l’autre don
nait à un tiers désigné l’ordre formel d’opérer ce paye
ment ;
3° Enfin dans la nature de l’opération, le titre cons
tatait que la sommme avait été reçue à Béziers ; qu’elle
devait être payée à Montpellier. Le contrat de change
existait donc, et son exécution ne pouvait donner lieu à
un simple billet à ordre. Comment, en effet, admettre
que le tireur se rendrait personnellement de Béziers,
lieu de la création de l’effet, à Montpellier, lieu du paye
ment. Pouvait-on raisonnablement soutenir que le billet
était payable à Béziers même! Mais alors comment ex
pliquer le nom de MM. Cassanié et Cie? L’anomalie que
�94
DE LA LETTRE DE CHANGE
nous signalions tout à l’heure acquiert un bien plus
haut degré d’absurdité.
38. — L’erreur dans la désignation pourrait avoir
des conséquences graves, entre autres, l’impossibilité de
faire le protêt en temps utile. Nous pensons que dans
ce cas le procès-verbal de perquisition de l’huissier con
serverait le recours du porteur contre les endosseurs, et
équivaudrait au protêt. Dans tous les cas, l’erreur étant
exclusivement imputable au tireu r, celui-ci serait sans
contredit tenu d indemniser le porteur du préjudice que
celui-ci serait exposé à souffrir ; il serait tenu de le payer
alors même qu’il prouverait que le tiré avait provision
à l’échéance. L’erreur dans la désignation équivaut au
défaut de désignation, le porteur ne peut donc être puni
de ce qu’il ne s’est pas adressé à celui qu’il ne connais
sait pas.
33. — Le tireur peut-il se désigner lui-même pour
le payement de la lettre de change et réunir ainsi à sa
qualité celle du tiré? Cette question, controversée sous
l’empire de l’ordonnance, l’est encore aujourd’hui, sans
trop de motifs pourtant.
En fait, le contrat de change dans son origine, dans
sa constitution, n’exige que le consentement de deux
parties : le donneur de valeur, le tireur ; le concours
d’un tiers ne se réalisant que pour et dans l’exécution
n’a rien d’essentiel tant qu’il n ’est pas question de con
traindre à celte exécution. Aux yeux du législateur de
�ART. 110, 111.
95
4673, l'intervention du tiers était plutôt un privilège
qu’une obligation.
Nous comprenons donc que, sous l’empire de l’ordon
nance, Fuleman enseignât que le tireur pouvait fournir
une lettre sur lui-même, payable dans une ville ou
foire, où il irait lui-même pour la payer, qu’il pouvait
donc être tireur et payeur.
Ajoutons que, sous notre ancien droit, tout titre réa
lisant le contrat de change était une lettre de change,
quels qu’en fussent la teneur et le contexte. Aussi défi
nissait-il les lettres de change, remises de place en
place K
Les seules dispositions qu’elles dussent réunir étaien (
d’exprimer le nom de ceux auxquels elles étaient paya
bles, l’époque du payement, le nom de celui qui en avait
donné la valeur, la nature de cette valeur, si elle avait
été fournie en deniers, marchandises, ou autres effets2.
La réunion de ces conditions imprimait au titre le
caractère de lettre de change. Le silence gardé par la
loi sur tout ce qui se référait au payement justifiait donc
l’opinion de Fuleman sur le cumul des qualités de tireur
et de payeur.
C’e3l ce que la Cour de cassation a formellement jugé
le 1" mai 1809. La cour de Turin avait refusé de voir
une lettre de change dans un effet tiré sur le tireur qui
l’avait acceptée. Son arrêt fut déféré à la Cour suprême
i A rt. 2, tit. 12. O rdonn. de 1673.
* Ibid
, a rt. 1, tit. v.
�1)0
DE LA LETTRE DE CHANGE
comme violant l’ordonnance de 1673, sous l’empire de
laquelle il avait été rendu.
Après une savante et solennelle discussion, la Cour de
cassation se trouva partagée. Plus tard, elle annula l’ar
rêt. Après avoir constaté que la remise de place en
place est certaine, et que la lettre de change est revêtue
de toutes les formalités prescrites par l’article 1", titre
5 de l’ordonnance, la Cour suprême ajoute :
« Considérant que la Cour d’appel, en réduisant
néanmoins cet écrit à l’état de simple obligation civile,
et en annulant par suite le jugement du tribunal de com
merce pour incompétence au profit du tireur, ne s’est
fondée, essentiellement et en général, que sur ce que le
tireur, tout en paraissant la diriger vers un tiers pour la
payer, n’a, par le fait opposé par lui et reconnu cons
tant, tiré que sur lui-même personnellement, se consti
tuant ainsi tireur et payeur ;
« Considérant que l’arrêt n’a pu, par cet unique mo
tif de l’incompatibilité absolue qui doit exister entre le
payeur et le tireur, dépouiller le tribunal de commerce
de sa juridiction, sans ajouter aux dispositions de l’arti
cle 1er, titre v, et sans violer expressément l’article 2,
titre xn de l’ordonnance '. »
Il importait de bien préciser les motifs de la solution
consacrée par la jurisprudence, pour la saine apprécia
tion de la question de savoir si cette solution est ou non
juridique sous l’empire du Code de commerce. La néga1 Sirey, 1809, 4, 175.
#
�ART.
110,
111.
97
tive devra être inévitablement admise, s’il est acquis que
le Code a innové sur l’ancienne législation.
Ce fait ne saurait être nié. Le législateur de 1807 a
profondément modifié la lettre de change, obéissant en
cela à des considérations que ses effets faisaient surgir.
D’abord on reconnut que le litre exécutant le contrat
de change, n ’était pas par cela même une lettre de chan
ge. Sans doute l’opération par elle-même restait essen
tiellement commerciale, mais les parties pouvaient se
contenter de souscrire soit un billet à ordre, soit un bil
let à domicile. C’est ce qui est explicitement consacré
par l’article 637 du Code de commerce.
Or, ces billets diffèrent essentiellement de la lettre de
change, en ce qu’ils n’établissent pas la commercialité
de l’acte à l’égard des non commerçants. Sans doute le
porteur pourra investir la juridiction consulaire et de
mander la contrainte par corps, mais il ne pourra obte
nir une condamnation qu'en justifiant que le billet a
réellement pour cause une opération de trafic, de chan
ge, banque ou courtage , à défaut le tribunal de com
merce devra se déclarer incompétent si le billet ne porte
point de signature de commerçants.
La lettre de change établit contre toute personne la
commercialité de l’opération pour laquelle elle a été
créée.Elle entraîne donc contre tout signataire la com
pétence consulaire, la contrainte par corps ; elle confère
au porteur tous les privilèges que la faveur due au com
merce a attachés à la création et à la transmission de
celle véritable monnaie.
i — 7
�98
DE LA LETTRE DE CHANGE
L’ensemble de ces effets signalait la lettre de change à
l’attention spéciale et particulière du législateur. Un acte
compromettant la liberté individuelle parut devoir être
soumis à des conditions rigoureuses. Cette pensée de
vint l’origine de notre article 110.
Sans doute cet article n’a pas attaché la peine de nul
lité à l’omission d’une ou de plusieurs des formalités
qu’il prescrit, mais cette nullité résulte de plein droit de
ce que la lettre de change n’étant parfaite que par la
réunion de toutes ces formalités, il serait impossible de
la reconnaître dans l’acte n’offrant pas cette réunion.
Or, l’article n ’a pas seulement conservé les formalités
anciennes, il en a introduit de nouvelles, notamment le
concours d’une personne chargée du payement et son
indication dans la lettre de change elle-même.
En réalité, donc, la lettre de change n’existe que lors
qu’elle réunit un tireur, un porteur, un tiré. Lorsque
les qualités du premier et du dernier se confondent sur
une même tête , il n’y a plus trois personnes comme
l’exige la loi, dès lors il ne saurait exister de lettres de
change régulières.
On objecte que le concours de trois personnes ne se
rait rigoureusement nécessaire que si chacune d’elles
avait dans l’opération un intérêt égal. En réalité, cepen
dant, toutes ne contractent pas. Le tiré reste bien sou
vent étranger à la lettre, dès lors on peut le supprimer.
On ajoute : en admettant que le concours soit néces
saire, que trois noms doivent figurer dans la lettre, fautil décider que le nom du tiré ne peut pas être le même
�art .
no,
n i.
99
que celui du tireur? Pourquoi la même personne ne
remplirait-elle pas deux offices ? Y en aura-t-il moins
trois personnes morales distinctes ?
Le premier argument n’aurait pas d’autre résultat
que d’effacer l’article 1 10. Certes, le législateur ne s’est
pas dissimulé que le tiré resterait souvent étranger à
l’opération. Cependant il n ’a pas hésité à prescrire for
mellement l’indication de son nom. En l’état de cette
prescription, demander si on peut supprimer le tiré,
c’est en réalité demander si on peut impunément violer
la loi.
D’ailleurs, le législateur, en ce qui concerne le tiré,
n’a pas admis la possibilité de l’indication d’un nom en
l’air. Il a, au contraire, raisonné dans l’hypothèse d’un
tiré sérieux, ayant provision ou placé dans une position
telle, par rapport au tireur, que son acceptation est en
quelque sorte forcée.
Ce qui prouve cette intention de la loi, c’est le soin
qu’elle prend d ’autoriser le protêt faute d’acceptation
et d’en régler les effets. Ainsi celui qui a tiré au hasard
pourra être obligé, avant l’échéance , ou de payer, ou
de donner caution. Ce privilège du créancier, inhérent à
la lettre de change , n ’est-il pas uniquement attaché à
l’existence et à l’indication du tiré? Supprimer celui-ci,
ce serait enlever à la lettre de change un de ses carac
tères les plus essentiels.
Il faut donc, de toute nécessité, un tiré. Cette conclu
sion aéquise, est-il possible d ’admettre que ce tiré puisse
être le tireur lui-même ?
�100
DE LA LETTRE DE CHANGE
L’économie générale de la loi repousse cette idée.
L’article 110 reçoit, des dispositions suivantes, cette si
gnification forcée, à savoir, que le tiré, dont il exige
l’indication, doit être distinct de la personne du tireur,
avec lequel il ne peut jamais se confondre.
Que le législateur ait voulu soumettre toute lettre de
change à l’acceptation, c’est ce qui résulte des articles
118 et suivants. Cette acceptation n’a pas d’autre objet
que d’ajouter un nouveau débiteur à celui qui existe
déjà et d’augmenter les garanties du créancier. Supposez
que le tireur soit en même temps le tiré, son accepta
tion ne sera qu’une vaine, qu’une inutile formalité. 11
n’hésitera jamais à la donner, puisqu’après il n’aura
pas d’autre obligation que celle qui lui incombait avant.
La loi, cependant, a prévu la possibilité d’un refus.
Elle a donc entendu s’occuper d’un tiré libre de tout
engagement jusqu’à son acceptation, et conséquemment
distinct de la personne du tireur.
Le tiré n’est obligé d’accepter ou de payer que lors
qu’il a provision. Cette provision, c’est le tireur qui doit
la faire, aux termes de l’article 115. L’article 116 ajoute :
il y a provision si, à l’échéance de la lettre de change,
celui sur qui elle est fournie est redevable au tireur
d’une somme au moins égale au montant de la lettre de
change.
Peut-on plus énergiquement proclamer la nécessité
de deux personnes distinctes? Non, d’après Pothier et
Merlin, se fondant sur ces considérations pour établir
même sous l’empire de l’ordonnance, la même
�ART. 110, 111.
101
personne ne pouvait être tireur et tiré. A plus forte rai
son faut-il le décider ainsi depuis la promulgation de
notre article 110 l.
L’opinion contraire, soutenue par MM. Horson et
Persil fils, s’étaie de trois arrêts, au nombre desquels
figure celui rendu par la Cour de cassation, le 1er mai
1809, que nous citions tout à l’heure. Cet arrêt, rendu
sous l’empire de l’ordonnance, ne peut avoir aucune
autorité sous l’empire du Code.
Restent deux autres arrêts rendus : le premier, par la
cour de Nîmes, le 22 juin 1829, et le second par la cour
de Toulouse , le 3 décembre suivant. Les faits consti
tuant l’espèce sur laquelle l’un et l’autre ont été rendus
les laissent en quelque sorte sans influence sur notre
question.
Devant la cour de Nîmes comme devant celle de Tou
louse, le tireur d’une lettre de change poursuivi en paye
ment soutenait l’incompétence du tribunal de commerce.
Il excipait : 1° de ce qu’il n’était pas négociant ; 2° de ce
que la lettre de change, étant tirée sur lui-même, ne
constitue qu’une simple obligation civile.
Ces objections étaient repoussées par cette considéra
tion que l’argent reçu dans un lieu devait être remboursé
dans un autre ; que dès lors l’opération ayant une cause
commerciale, le tribunal de commerce avait été légale
ment investi.
i Pardessus, Droit com., n° 335. Favard, v° Lettre de change. Nouguier, 1.1, p. 850, n° 4.
�A
10 à
DE LA LETTRE DE CHANGE
Cette défense rendait inutile l’examen du caractère du
titre, et c’est elle surtout qui va être consacrée par les
arrêts.
« Attendu, dit celui de la cour de Nîmes, que le ca
ractère constitutif du contrat de change est la remise
d’un lieu sur un autre ; que, dans l’espèce, Lapierre
ayant reçu à Carpentras les fonds des lettres de change
par lui tirées sur Avignon, le contrat intervenu porte les
caractères constitutifs du contrat de change. »
C’en était assez pour faire repousser l’exception d’in
compétence. Mais la Cour croit devoir examiner le titre,
et dans cet examen elle considère que les lettres de chan
ge ne perdent pas leur caractère parce que le tireur et
le tiré sont une seule et même personne, ce que d’ail
leurs l’article 110 n’a pas pour objet d’empêcher. Cette
opinion, la Cour l’aurait-elle consacrée si 1e caractère
commercial ne fût résulté que de la lettre de change pré
tendue ? Il est permis d’en douter.
Cet examen accessoire, la cour de Toulouse ne le fait
même pas. « Attendu, porte seulement son arrêt, que
tout acte portant engagement de compter ou faire comp
ter en un certain lieu une somme qu’on reçoit dans un
autre lieu, est une lettre de change ; attendu que l’acte,
objet du litige actuel, contient cet engagement ; que
conséquemment le tribunal de commerce était compé
tent. »
Evidemment le sens de l’arrêt n ’est nullement obs
curci par les termes impropres de sa rédaction. Ce que
la Cour a voulu dire, c’est que, quel que soit le titre qui
�ART.
110,
111.
103
la constitue, une opération de change est essentiellement
commerciale ; qu’on ne saurait dès lors légalement se
soustraire à la juridiction consulaire.
Ce résultat infaillible, alors même que le titre ne se
rait qu’une simple promesse, enlève aux arrêts de Nî
mes et de Toulouse toute autorité comme précédents sur
la question qui nous occupe ; ni l’un ni l’autre n’a eu
à la trancher.
Nous nous trompons, la cour de Toulouse avait été
appelée à le faire dans une autre circonstance, et la so
lution qu’elle avait consacrée est diamétralement oppo
sée à celle enseignée par MM. Horson et Persil fils. Nous
ne pouvons mieux résumer notre discussion qu’en
transcrivant les motifs de cet arrêt, rendu le 22 juillet
1825.
« Attendu que si avant la promulgation du Code de
commerce, les lettres de change tirées sur soi-même
étaient reconnues valables, c’est parce que l’article 1,
titre v de l’ordonnance de 1673 n ’avait pas compris
dans le nombre des conditions nécessaires à une lettre
de change le concours de trois personnes ; que plusieurs
auteurs s’étaient élevés contre cette législation, et que
divers parlements avaient même annulé des lettres de
change tirées sur le souscripteur lui-même, comme ne
présentant pas le nombre des personnes essentielles à ce
genre d’obligations ;
« Attendu que le Code de commerce, article 110, en
copiant presque textuellement l’article 1, titre v de l’or
donnance, y a ajouté que la lettre de change contien-
�104
DE LA LETTRE DE CHANGE
drait le nom de celui qui doit la payer, et que par là le
législateur a exigé le concours de trois personnes et pros
crit les lettres de change sur soi-même ;
« Attendu que le caractère principal qui distingue le
billet à domicile de la lettre de change consiste en ce que
deux personnes interviennent dans le premier, et que le
souscripteur s’oblige à faire lui-même le payement, tan
dis que dans la lettre de change le tireur indique une
tierce personne pour acquitter son obligation ; que dans
les lettres de change tirées sur soi-même, le souscrip
teur ferait lui-même le payement, et qu’ainsi elle ne se
rait qu’un simple billet à domicile, revêtu des apparen
ces d’une lettre de change.
« Attendu que si le tireur et le tiré étaient une seule
et même personne, l’acceptation deviendrait impossible,
et que cependant, par l’importance que la loi a attachée
à cette formalité et les effets qui en résultent, l’accepta
tion est une des conditions essentielles de la lettre de
change ;
« Attendu que les articles 115 et 116 du Code de
commerce , en exigeant que la provision soit toujours
faite par le tireu r, et en déclarant qu’il y a provision
dans les mains du tiré toutes les fois qu’il est redevable
d’une somme au moins égale au montant de la lettre de
change, prouvent que la loi a entendu que le tireur et
le tiré ne seraient pas une même personne ; qu’ils se
raient, au contraire, deux individus distincts. »
* 4 . — La prohibition de tirer sur soi-même doit
�ART. HO, 111.
105
être renfermée dans de justes limites. Cette prohibition
n’a qu’un objet : empêcher que le tireur ne prenne à sa
charge matérielle et personnelle l’obligation de payer.
Elle ne peut donc sortir à effet toutes les fois que cette
obligation est en fait confiée à un tiers, quelle que soit
d’ailleurs sa position à l’égard du tireur.
Ainsi, tirer sur son commissionnaire, ce n’est pas tirer
sur soi-même. La lettre de change ayant pour objet prin
cipal de prévenir la nécessité de faire voyager l’argent,
est la voie la plus naturelle que le mandant puisse em
ployer pour encaisser les fonds que son commission
naire a ou aura pour son compte au moment de l’é
chéance de la lettre.
Il y a plus, en commerce, la même personne peut
avoir divers établissements dans des localités différentes.
Chacun de ces établissements a son individualité propre,
constitue, commercialement parlant, un être particulier
et distinct. Conséquemment la maison d’Aix tirant sur
celle de Lyon, de Paris, de Marseille, et réciproquement,
crée de véritables lettres de change dont la régularité ne
saurait être mise en doute sous le prétexte de cumul
des qualités de tireur et de tiré.
75. — M. Pardessus adopte sans difficulté cette doc
trine et trouve une pareille opération parfaitement lé
gale, mais il refuse ce caractère à la négociation ayant
pour objet de la part du tireur de fournir sur sa femme
ou sur son commis. A notre avis rien ne justifie cette
solution. La femme libre de contracter, le commis sur-
�106
DE LA LETTRE DE CHANGE
tout, a une individualité distincte de celle de son mari
ou de son patron ; leur solvabilité propre peut être par
faitement établie, l’une et l’autre sont donc dans le cas
de cautionner la lettre de change en l’acceptant.
Au reste , en pareille matière, le fait influera sur le
droit. Il est possible que le mari, que le patron, voulant
payer à son domicile et prévoyant qu’il en sera absent
à l’époque de l’échéance, commette le soin de payer à sa
femme, à son commis qu’il laisse à la tête de ses affai
res. La réalisation de cette éventualité pourrait bien
motiver l’application spéciale de l’avis de MM. Pardes
sus, mais ériger cette opinion en principe absolu, c’est
émettre une théorie qui n’a aucun fondement légal ou
juridique.
A plus forte raison devrait-on repousser cette opi
nion, si le commis sur lequel la lettre de change est ti
rée était à la tête d’une maison située dans une localité
autre que celle que le patron exploite. C’est ce qu’avec
beaucoup de raison a jugé la cour de Rouen par arrêt
du 20 août 1845 L
S e . — L’irrégularité fondée sur le cumul des qua
lités de tireur et de tiré étant un vice apparent, peut être
opposée au tiers porteur. Il en serait autrement de l’ir
régularité fondée sur ce que le tiré serait la femme ou
le commis du tireur. Le tiers a pu ignorer cette cir
constance si la qualité de l’un ou de l’autre n’est pas
i J. du P., 1846 449,
�ART.
110, 111.
107
énoncée dans l’acte même ; on ne pourrait donc, dans
l’application de l’opinion de M. Pardessus, atteindre ce
tiers qu’en prouvant qu’il n’est pas de bonne foi.
Cette preuve peut-elle être faite par le tireur ? M. Par
dessus résout négativement la question. Il soutient la
non recevabilité absolue, et dans tous les cas, d’une pa
reille prétention.
Cette opinion est fondée sur la participation du tireur
à la fraude qu’il signale ; elle est sans contredit con
forme au principe général du droit ; l’est-elle également
au droit spécial ? Nous ne pouvons l’admettre.
Quant à nous, nous distinguons entre le tireur com- merçant et celui qui ne l’est pas. Quel intérêt aurait le
premier à exciper de l’irrégularité de la lettre de chan
ge ? Cette irrégularité admise, il n’en serait pas moins
justiciable des tribunaux de commerce et contraignable
par corps. Le défaut d’intérêt devrait donc le faire dé
clarer non recevable à prouver le vice de la lettre de
change : Frustra probatur quocl probatun non relevât.
Admettez, au contraire, que le tireur n ’est pas com
merçant, qu’il ne s’agit pas pour lui d’une opération de
trafic, de change, de banque ou de courtage, la compé
tence consulaire, la contrainte par corps résultent ex
clusivement de la forme de l’obligation. Détruire celleci, c’est anéantir celles-là. L’intérêt du tireur à obtenir
ce résultat est incontestable.
L’existence de cet intérêt ainsi établie, ajoutons que le
tireur n’a pu indirectement renoncer à s’en prévaloir,
car il n’aurait pu le faire directement. Cette renonciation
�108
DE LA LETTKE DE CHANGE
équivaudrait à la soumission volontaire à la contrainte
par corps hors les cas voulus par la loi. Elle blesserait
une loi impérative, et cette loi étant d’ordre public, la
fraude personnelle du débiteur ne l’empêcherait pas d’en
invoquer le bénéfice.
Concluons donc que le tireur est toujours recevable à
prouver l’irrégularité dont il se plaint et à échapper par
ce moyen à la compétence commerciale et à la contrainte
par corps, mais dans le cas seulement où l’une et l’au
tre ne résultent ni de la qualité de commerçant, ni de
la nature de l’opération.
î 1®. — Cinquième condition. La lettre de change
doit énoncer l’époque du payement et le lieu où il doit
s’effectuer.
Les motifs sur lesquels la quatrième condition se fonde
exigeaient la consécration de la cinquième. Ce n’est pas
tout, en effet, d’avoir indiqué celui qui doit payer , il
faut encore et surtout exprimer le moment où ce paye
ment pourra être requis et le lieu où il devra s’effec
tuer.
L’époque de l’exigibilité est exigée dans et pour tou
tes les obligations. Son utilité en matière ordinaire n’est
et ne peut être méconnue et contestée, à plus forte rai
son cette utilité se décèle-t-elle dans la lettre de change.
Pour celle-ci, tout est de rigueur, il faut agir, en quel
que sorte , à jour et heure fixes, sous peine de perdre
les seules garanties réelles de payement.
La détermination de l’échéance est donc essentielle ;
�ART. 1 1 0 ,
H l.
109
son omission enlève au titre le caractère de la lettre de
change. II devient une simple promesse, une obligation
ordinaire dont le payement est désormais réglé par la
justice. C’est précisément l’obligation de solliciter ce rè
glement qui annule la lettre de change par son incom
patibilité avec les devoirs et les droits naissant de celleci. Donc, à toutes les époques, on a admis qu’il ne peut
être suppléé à l’indication ; que son omission enlève au
titre le caractère de lettre de change *.
®8. — L’époque du payement doit donc être for
mellement indiquée ; elle doit être précise et certaine.
La soumettre à un événement conditionnel ou incertain,
ce serait méconnaître l’intention delà loi et se soustraire
à ses prescriptions. La lettre de change serait irrégu
lière, comme dans l’hypothèse d’une omission absolue.
La jurisprudence est unanime à cet égard.
Ainsi, la cour de Paris a jugé, le %février 1830, que
l’obligation 'souscrite sous la forme d’une lettre de change
n’a pas le caractère de celle-ci, si le tireur se réserve la
faculté de renouveler ou bien de payer à l’échéance.
Déjà, et le 29 avril 1829, la même Cour avait décidé
que l’époque du payement d’un billet à ordre n’est pas
suffisamment indiquée par ces mots : Je payerai toute
fois et quand. Ces expressions ne pouvant être considé
rées comme équivalentes de : Je payerai à volonté ou
à présentation.
1 Pothier, C h a n g e , n° 32.
�HO
DE IA LETTRE DE CHANGE
La cour de Toulouse, investie de la question de savoir
si une lettre de change stipulée payable après le décès
d’un individu était régulière et valable , s’est prononcée
pour la négative, par arrêt du 6 janvier 1837, Cette
solution se fonde sur ce que l ’indication précise de l’é
poque du payement est de l’essence de la lettre de chan
ge , que le décès d’un individu étant nécessairement in
certain et indéterminé , son indication n’est conforme
ni au texte, ni à l’esprit de la lo i l.
Enfin la cour de Riom a jugé, le 1er juin 1846, que
l’échéance d’une lettre de change ne saurait être subor
donnée à une condition suspensive, à celle, par exem
ple, que le montant en sera exigible un an après l’ad
mission encore incertaine et indéterminée d’un rempla
çant à l’arm ée2.
Ces précédents étaient utiles à évoquer. Ils ont le mé
rite de préciser de sens et la portée de l’article 110.
L’époque du payement doit être pure, simple, détermi
née. Le payement lui-même doit forcément s’y réaliser.
Toute autre stipulation équivaut à l’omission et en pro
duit les effets.
*9. — Nous venons de voir qu’il ne peut êttre sup
pléé à celle-ci, même par décision judiciaire. Peut-elle
être réparée ?
Un arrêt de Paris, du 14 mai 1829, se prononce
1 J. du P., 2, 1837, 415.
2 Ibid., 2, 1848, 333.
�ART.
I 10,
111.
111
pour l’affirmative. Il consacre, en effet, que l’indication
faite par le tiré au moment de son acceptation de l’épo
que où il payerait, était un complément régulier de la
lettre de change.
Cette conséquence nous paraît difficile à admettre.
Comment enlever le bénéfice de l’irrégularité de la let
tre de change à ceux auxquels ce bénéfice est acquis.
Comment, par exemple, lorsque le tireur n’est pas com
merçant, et n ’a pas fait une opération de trafic, change,
banque ou courtage, reconnaître au tiré le droit de le
soumettre à une contrainte par corps à laquelle il n ’é
tait pas soumis avant l’acceptation ?
Cet effet seul nous paraîtrait devoir entraîner le rejet
de la doctrine de l'arrêt. Nous nous prononcerions donc
dans le sens contraire. Nous ajoutons que, dans tous
les cas, si le tiré peut compléter la lettre de change,
l’effet de ce complément ne devrait et ne pourrait régir
que l’avenir ; qu’ainsi le tireur, les donneurs d’aval, les
endosseurs même, dont la signature serait antérieure à
l’acceptation, seraient recevables et fondés à exciper de
l’irrégularité de la lettre de change au moment de leur
adhésion.
8 0 . — Avec l’époque du payement la loi exfge l’in
dication du lieu où il doit se faire Cette dernière indi
cation n ’a pas l’importance de la première. Elle n’est
réellement indispensable que dans le cas où le payement
doit être fait ailleurs qu’au domicile du tiré.
A défaut d’indication contraire, c’est à ce domicile
�112
DE LA LETTRE DE CHANGE
que le payement est censé devoir être effectué. C’est
donc là que le porteur doit faire présenter la lettre de
change et requérir soit l’acceptation, soit le payement,
c’est là seulement que le protêt peut être régulièrement
dressé.
Cette règle ne reçoit d’autre exception que celle qui
s’induit de l’article 423. Des circonstances plus ou
moins fortuites peuvent mettre le tiré dans l’impossibi
lité de payer au lieu indiqué dans la lettre de change,
il peut et doit dans ce cas, en acceptant celle-ci, indi
quer le lieu où il effectuera le payement. C’est au do
micile ainsi désigné que se ferait la présentation, le
payement et au besoin le protêt.
8 1 . — Sixième condition. La lettre de change doit
énoncer la valeur fournie en espèces, en marchandises,
en compte ou de toute autre manière.
Les effels spéciaux , les privilèges qu’on a de tout
temps reconnu à la lettre de change exigeaient qu’on
veillât scrupuleusement à la sincérité et à la certitude de
l’opération qui en faisait l’objet. L’une et l’autre tien
nent évidemment à la délivrance effective d’une valeur
en contre-échange de laquelle est livrée la lettre de
change-; si le preneur ne donne qu’un objet insuscep
tible de devenir la matière du contrat de change, il n’y
aurait plus qu’un prêt qu’on déguiserait sous la forme
d’une lettre de change, soit pour autoriser la perception
d’un intérêt plus élevé, soit pour soumettre le débiteur à
la contrainte par corps.
�ART. H O ,
H3
H l.
De là l’exigence de l’indication de la valeur fournie
et la nécessité d’en constater la nature. Cette double
obligation ne date cependant que de l’ordonnance de
1673, qui la première prescrivit d’exprimer si la valeur
fournie était en argent, en marchandises ou autres effets.
« C’est un droit nouveau, dit Pothier, établi pour em
pêcher les fraudes des banqueroutiers q u i, ayant des
lettres de change qui portaient simplement valeur reçue
et dont il n’avaient fourni d’autre valeur que leurs bil
lets, passaient des ordres, la veille de leur banqueroute,
à des personnes supposées pour les recevoir sous leur
nom, et faisaient perdre la valeur à ceux qui leur avaient
fourni ces lettres de change l. »
Ce qu’il faut induire du passage de Pothier, c’est que,
jusqu’à l’ordonnance l’expression valeur reçue suffisait
pour assurer la régularité de la lettre de change. Mais,
du jour de sa promulgation, il n’en fut plus ainsi ; à la
mention de la réception de la valeur, il fallut ajouter sa
détermination, si elle consistait en argent, en marchan
dises ou tous autres effets. A défaut de cette détermina
tion, la lettre de change portant valeur reçue dégénérait
en simple promesse.
8 » . — L’article 1*10 a consacré le système de l’or
donnance en comblant une lacune que la pratique com
merciale n’avait pas tardé de signaler.
On remarquera, en effet, que l’ordonnance avait gardé
i T ra ité de c h a n g e , n° 34.
i
—
8
�H 4
DE LA LETTRE DE CHANGE
le silence sur l’expression valeur en compte. Mais la
création de lettres de change pour l’exploitation d’un
crédit mutuel était une opération trop naturelle pour
qu’elle ne prit pas sa place dans le commerce. Aussi cette
origine de la lettre de change ne tarda pas à être admise
et consacrée par l’usage, malgré le silence de l’ordon
nance. Jousse qui nous l’apprend fait remarquer que
l’expression valeur en compte équivaut à celle de valeur
reçue comptant, puisque la valeur se trouve fournie par
compensation, laquelle est un véritable payement ’.
Il semblait donc que rien ne devait s’opposer à ce que
l’article 110 fît une disposition législative de cette con
quête de l’expérience. Cependant, dans la discussion
que cet article subit au conseil d’Etat, l’expression va
leur en compte fut attaquée, on proposait de n’admettre
que celle de valeur reçue comptant ou valeur en mar
chandises. La facilité d’employer la première, disait-on,
encouragerait la fraude.
Cette proposition fut même adoptée, mais il paraît
qu’on y renonça plus tard, puisque l’expression valeur
en compte se trouve comprise dans la disposition de
l’article. Ajoutons que c’est évidemment ce qu’on pou
vait faire de mieux. Indépendamment des facilités
qu’une valeur de ce genre offre au commerce, sa légalité
ne saurait sérieusement être querellée. Nous avons déjà
vu que la lettre de change n’exige pas le versement ac
tuel de la somme pour laquelle elle est tirée ; qu’elle
i Sur l’art.
tit. 8.
�ART.
110, 111.
115
peut être tirée sur la promesse du preneur d*en payer
plus tard la valeur, même postérieurement à l’échéance
indiquée pour la lettre elle-même. Or, tirer une lettre
valeur en compte, c’est faire crédit au preneur, c’est se
contenter de son engagement de se libérer plus tard,
c’est en conséquence faire une opération régulière et lé
gale. Ajoutons que bien souvent la création de la lettre
ne sera qu’un moyen d’acquitter une dette établie par
le compte lui-même.
Que la fraude puisse abuser de ces expressions, c’est
là une malheureuse éventualité. Mais où en serionsnous, s’il ne fallait admettre que les dispositions dont il
lui serait impossible d’abuser? D’ailleurs cette crainte
est exagérée, car dans l’bypothèse la sincérité de l’opé
ration peut dépendre de la représentation du compte
dont on pourrait d’autant moins contester l’existence,
qu’on l’aurait constatée dans le titre lui-même.
83. — Quel est le sens réel et la véritable portée de
cette expression valeur en compte ?
M. Locré les détermine par l’exemple suivant : Un
particulier se trouve créancier d ’un autre de la somme
de 21,000 fr. Il a besoin de \ ,000 fr. à Lyon, où ni l ’un
ni l’autre ne résident, son débiteur, qui a des fonds en
tre les mains d’un correspondant de cette ville, tire sur
ce correspondant une lettre de change de 1,000 fr. au
profit de son créancier et la porte en déduction de
2,000 fr. qu’il lui doit K
i Esprit du Code de commerce, art, 140, en note.
�116
DE LA LETTRE DE CHANGE
C’est là une manière de tirer valeur en compte, mais
elle n’est ni l’unique , ni la principale. En effet, il ne
faudrait pas prendre trop à la lettre la doctrine de Jousse,
qualifiant ce mode de procéder de payement par com
pensation, ni exiger qu’au moment de la création de la
lettre le tireur fût débiteur avéré du preneur. La ques
tion de savoir lequel des deux sera créancier ou débi
teur est nécessairement suspendue jusqu’à règlement du
compte dont les lettres de change deviennent des élé
ments essentiels.
En fait comme en droit, il importe peu que le tireur
soit débiteur. Fût-il créancier, que la régularité de l’o
pération ne pourrait être mise en doute. L’unique diffé
rence en résultant, c’est que dans le premier cas le ti
reur agirait en son acquit, que dans le second il tirerait
à découvert et par extension du crédit qu’il a déjà ac
cordé.
On peut donc valablement tirer valeur en compte
toutes les fois que des relations d’affaires existent entre
le tireur et le preneur. L’existence préalable d’un compte
ouvert n’est pas même nécessaire, Dans cette hypothèse,
son ouverture sera déterminée par la création des lettres
qui en seront le premier article.
8 4 . — Du tireur au preneur le sort de ces lettres
de change se trouve subordonné à celui du compte, ou
plutôt elles se fondent dans celui-ci et déterminent la
balance réglant la position respective. Entre eux il n’y a
�ART.
110, 111.
117
plus telle ou telle créance, leur droit se résume dans le
payement du reliquat.
Mais il en est tout autrement du tiers porteur, celuici a le droit de se faire payer à l’échéance par le tireur,
alors même que le compte n’eût pas été réglé, ou, s’il
l’a été, que le reliquat le constituât créancier du pre
neur.
8 ô . — Il était à peu près impossible que le législa
teur énumérât une à une toutes les manières dont la
valeur peut avoir été reçue ou donnée. Il s’est donc con
tenté d’en exiger la mention, de quelque manière qu’elle
ait été faite. C’est ce qui résulte des termes généraux de
l’article 110.
Cette exigence de la loi a pour objet de s’assurer d’a
bord de l’existence d’une valeur quelconque, de vérifier
ensuite si cette valeur pouvait amener la création d’une
lettre de change. Celle-ci ne peut exister que comme
consommant le contrat de change. En conséquence, si
la valeur exprimée ne pouvait faire l’objet de celui-ci,
on aura beau rédiger une lettre de change, on n’aura
qu’une simple promesse.
8 6 . — Quelles sont les valeurs susceptibles de faire
l’objet d’un contrat de change ? Nos recueils de juris
prudence rapportent de nombreux arrêts intervenus sur
cette question. Ainsi il a été jugé que la lettre de change
est régulièrement causée valeur en fermages, en im
meubles, en prêt hypothécaire, en billets, en telle cré-
�118
DE LA LETTRE DE CHANGE
ance. La cour de Pau a même été plus loin, elle a va
lidé une lettre de change causée valeur en radiation
d’hypothèque, alors qu’au lieu d’être payée dans la ville
où la radiation a été consentie et d’où la lettre de change
est tirée, la valeur est indiquée payable dans une autre
localité l.
Il est évident qu’un payement de salaires, qu’une ré
compense pour des services rendus ne pourraient faire
l’objet d’une lettre de change. Celle dont la valeur serait
ainsi exprimée dégénérerait donc en simple promesse.
Des services ou une location d’industrie ne peuvent ja
mais autoriser le contrat de change.
La cour de Rouen a jugé, le 5 novembre 1825, qu’il
devait en être de même de la lettre de change causée
valeur en acquittement d’un prêt précédemment con
tracté.
Ce qu’il importe de remarquer, c’est que, dans cette
espèce, le prêt donné pour cause aux lettres de change,
était un prêt purement civil, constaté par un acte nota
rié qui en réglait les cônditions et l’époque du rem
boursement, et que des lettres de change n’avaient été
souscrites que pour suppléer par la garantie de la con
trainte par corps à l’insuffisance de l’affectation hypo
thécaire qui avait été concédée. D’où la cour de Rouen
concluait avec raison que les lettres de change n’ayant
d’autre cause que celle énoncée dans l’acte ne conte-
1 41 novembre 1834.
�ART.
HO, 111.
119
liaient pas remise de place en place et n’étaient dès lors
que de simples promesses.
Il en eût été autrement si le prêt auquel se référaient
les lettres de change avait été un prêt commercial ayant
réalisé le contrat de change. Dans ce cas, en effet, le
porteur des lettres de change nouvellement souscrites
ne donnait aucun fonds, il se bornait à restituer les ti
tres qu’il avait en mains, et ce qu’il faisait en réalité,
c’était de proroger le terme du payement. L’ancien prêt
continuait donc, et évidemment avec toutes les condi
tions sous lesquelles il avait été consenti et accepté.
C’est ainsi que par arrêt du 2 août 1871, la Cour de
cassation jugeait que l’énonciation dans des lettres de
change qu’elles sont souscrites valeur en renouvellement
de traites antérieures, exprimait suffisamment la valeur
fournie.
C’est ce que la cour de Montpellier avait décidé, et
son arrêt avait été l’objet d’un pourvoi à l’appui duquel
on invoquait les considérations suivantes :
« Aux termes de l’article 110 du Code de commerce,
la lettre de change doit énoncer la valeur fournie en
espèces, en marchandises, en compte ou de toute autre
manière. Sans la valeur fournie, pas de contrat de chan
ge, et sans énonciation de valeur, pas de lettre de chan
ge. Une conséquence de ce principe, c’est qu’une lettre
de change à l’ordre du tireur ne devient parfaite que
lorsque le tireur l’a transmise par la voie de l’ordre, et
cela parce qu’une lettre de change à l’ordre du tireur
lui-même ne peut encore contenir de valeur fournie.
�120
DE LA LETTRE DE CHANGE
« De là il ressort, dans notre espèce, que les traites
dont est porteur de Béville, ayant été souscrites à l’ordre
du tireur Martin, n’ont pu devenir parfaites comme le t
tres de change que par l’endossement : c’est donc l’en
dossement qu’il faut consulter pour savoir si de Béville
a fourni à Martin une valeur quelconque en échange de
la somme de 10,000 fr., montant des traites.
« Or, cet endossement porte seulement l’énonciation
suivante : « valeur en renouvellement de traites anté
rieures. » Ce n’est pas là une valeur de nature à fonder
un contrat de change, car, ce n’est pas en échange du
renouvellement que de Béville devait recevoir 10,000
fr.; ce n’est pas le prix d’une prorogation de délai qui
est stipulé comme cause de l’obligation de Martin. En
d’autres termes, le renouvellement n’est pas une valeur
remise par de Béville pour que 10,000 fr. lui soient
comptés à Montpellier. L’arrêt attaqué, en prétendant
que l’énonciation de la valeur fournie est faite confor
mément à la loi, commet donc une erreur, et de plus,
une erreur qui tombe sous la censure de la Cour de
cassation, car il s’agit de l’accomplissement d’une for
malité légale, et la Cour de cassation a le droit de véri
fier si elle a été régulièrement accomplie. »
A. ce premier reproche contre l’arrêt on ajoutait celui
d’avoir faussement admis qu’il y avait remise de place
en place, par cela seul que les traites étaient tirées de
Paris sur Montpellier. « C’est, disait-on, au lieu où la
valeur avait été fournie que la Cour devait s’attacher,
et alors elle n’aurait pas manqué de reconnaître que
4t
�ART.
110, 111.
121
c’était à Montpellier même que la valeur énoncée avait
été fournie. Et, en effet, la contre-valeur fournie par de
Béville en échange des traites dont il était preneur, con
sistait en renouvellement de traites de pareille somme,
lesquelles traites souscrites à Montpellier étaient paya
bles dans la même ville, dont la condition de remise de
place en place fait défaut comme la condition de la men
tion d’une valeur fournie.
Mais pour juger s’il y avait remise de place en place,
on ne pouvait s’en rapporter à l’opération du renouvel
lement des traites, car,à ce moment, il n’y avait eu aucun
argent compté. Sauf la modification à l’endroit de l’é
poque du payement, la position des parties restait telle
que l’avait faite la première négociation des traites.
C’était donc à celle-ci qu’il fallait nécessairement recou
rir pour connaître dans quel lieu l’argent avait été
donné, dans quel lieu il était payable et pour apprécier
dès lors si le contrat de change avait été réalisé et si
l’affirmative était certaine, le renouvellement des traites
n’avait pu évidemment ni modifier, ni changer cet état
des choses.
Pouvait-on d’ailleurs méconnaître que par la remise
des anciennes traites le bénéficiaire des nouvelles avait
remis une valeur réelle, sérieuse et de tout point équi
valente à celle qu’il recevait. Donc, si la cause des let
tres de change était suffisante et sincère, on ne voit pas
ce qui pouvait faire que la mention de cette valeur ne
réalisât pas le vœu de la loi,
�122
DE LA LETTRE DE CHANGE
Le pourvoi devait donc être rejeté et le fut en effet, et
ce rejet est ainsi motivé :
« Attendu que les lettres de change en date du 30
octobre 1868, dont il s’agit au procès, expriment la va
leur fournie par de Béville ; que cette valeur consiste
dans le renouvellement des traites antérieures escomp
tées par de Béville lui-même, qui en avait fait les fonds,
lesquelles traites antérieures constituaient entre ses
mains une véritable valeur dont il s’est dessaisi au mo
ment où les nouvelles traites lui ont été négociées ;
« Attendu que ces lettres de change contiennent éga
lement remise de place en place puisqu’elles ont été ti
rées par Martin, de Paris sur Montpellier, et que, de
plus, étant à l’ordre de Martin, elles ont été par lui ré
gulièrement endossées à Paris à l’ordre de de Béville ;
qu’en admettant que pour qu’il y ait remise de place en
place, il faille de plus que la valeur soit fournie dans
un lieu autre que celui du payement de la lettre de
change, cette condition se trouverait remplie dans l’es
pèce, puisque les traites renouvelées , remises à Paris
par de Béville à Martin, constituaient une valeur par
tout et quel que fût le lieu où, si elles n’eussent pas été
renouvelées, elles eussent été payables l.
Ainsi, il ne faut pas toujours une cause commerciale
à la lettre de change, mais son caractère résultant prin
cipalement du contrat de change qu’elle exécute et cons-
1 J. du P., 1871, 429.
�ART.
HO, 111.
123
tate, il est indispensable que la valeur, quelle qu’elle fût
dans l’origine, ait donné naissance au contrat.
La cour d’Aix a fait une saine application de ce prin
cipe en jugeant, le 5 novembre 1830, qu’une lettre de
change n’ayant pour cause que le prix d’un remplace
ment militaire, ne devait être acceptée que comme une
simple promesse.
8®. — M. Nouguier, citant cet arrêt, l’accompagne
de la note suivante : cet arrêt est contraire aux princi
pes élémentaires en matière de lettres de change. Ces
actes sont toujours considérés en eux mêmes, et indé
pendamment de leur cause, comme des actes commer
ciaux l.
Si quelque chose blesse les premières notions de la
matière, c’est uniquement l’observation échappée à
M. Nouguier. Sans doute les lettres de change sont par
elles-mêmes des actes commerciaux, mais il faut pour
cela qu’elles soient d’abord de vraies lettres de change.
Or, elles ne revêtent ce caractère que si elles ne renfer
ment aucune supposition, que si elles contiennent no
tamment remise de place en place.
Dans l’hypothèse jugée par la cour d’Aix , la lettre de
éhange était parfaite en la forme, mais il était allégué
par le souscripteur que non seulement il n’y avait pas
en réalité remise de place en place , mais encore qu’il
était impossible qu’elle existât. L’unique valeur qui m’ait
1 T. 4, sect. 7. Appendice, n° 32, p. 99.
�124
DE LA LETTRE DE CHANGE
été comptée, disait-il, c’est un remplaçant qu’on s’est
obligé de me fournir, qu’on m’a fourni plus tard. Com
ment rattacher l’existence d’un contrat de change à cette
valeur ?
La cour d’Àix avait donc à se prononcer sur cette
exception, à en vérifier l’existence en fait, la portée
en droit. L’arrêt indique quel fut le résultat de cet exa
men.
a Attendu qu’il n’est point dénié que les sommes qui
forment le montant des lettres de change souscrites par
Sauvas en faveur de Roure frères, ne soient le prix du
remplacement, dont il a été convenu qu’il se libérerait
à des termes déterminés ;
« Que la partie de l’accord qui consistait à obtenir
un titre à ce payement en des lettres de change n’était
qu’un moyen indirect d’arriver à la contrainte par corps
dans une obligation purement civile, repoussé par l’ar
ticle 2063 du Code civil ;
« Quainsi les lettres de change dont s’agit ne sau
raient être considérées que comme de simples pro
messes. »
Nous le répétons, la légalité de cette décision ne sau
rait faire un doute ; il ne pourrait en être autrement
que si, en matière de lettres de change, les tribunaux
étaient obligés, de s’en tenir à l’apparence du titre, sans
être autorisés à examiner au fond le véritable caractère
de l’opération.
8 8 . — Les lettres de change sont donc susceptibles
�ART.
H O , 111.
125
de dégénérer, faute d’une valeur suffisante et de nature
à les motiver. Le même résnltat peut être acquis par
l’absence ou par un vice d’expression.
Nous venons de voir que, depuis l’ordonnance, les
mots valeur reçue ne remplissent pas le vœu de la loi.
On a admis en doctrine et en jurisprudence qu’il doit en
être de même des expressions :
Valeur entendue ;
Valeur en rencontre d’affaires ;
Valeur en contractant ;
Valeur prêtée pour mon besoin ;
Valeur en moi-même.
Cependant cette dernière expression est inévitable lors
que la lettre de change est à l’ordre propre du tireur.
Dans cette hypothèse, en effet, la valeur est essentielle
ment fictive, et comment l’énoncer autrement ?
Mais une pareille lettre de change n’acquiert son vé
ritable caractère que par sa négociation. L’endossement
amène le concours des individualités exigées par la loi,
et offre le premier donneur de valeur. C’est alors moins
le corps de la lettre de change que les termes de l’en
dossement qu’il faut consulter. Si celui-ci énonce régu- '
lièrement la valeur fournie, la lettre de change est par
faite. Elle serait au contraire irrégulière si l’endossement
gardait le silence sur la valeur ou l’énonçait seulement
valeur en soi-même.
89.
— Nous trouvons un remarquable exemple d’in
suffisance dans l’expression de la valeur, dans une es-
�126
DE LA LETTRE DE CHANGE
pèce jugée par la cour de Bruxelles, le 26 décembre
1816.
On poursuivait judiciairement le payement d’une let
tre de change ainsi conçue : payez à M. tel ou à son or
dre la somme de...... que vous avez reçue en espèces.
Le défendeur soutenait l’incompétence du tribunal con
sulaire, à cause de l’irrégularité de la lettre de change.
Sa rédaction, disait-il, prouve bien que le tiré avait
provision, mais elle n’indique pas même que le tireur
ait reçu une valeur quelconque. Comment, dès lors, ad
mettre l’existence du contrat de change ?
Ce système est consacré par les motifs suivants : At
tendu que l’énonciation de la valeur, qui avait été anté
rieurement reçue par le tiré, ne remplit aucunement le
vœu de la loi, puisque cette énonciation n’indique autre
chose, sinon que cette personne est débitrice du tireur
qui lui donne mandat de payer ; qu’elle n’exprime par
elle-même aucun contrat de change, ni remise de place
en place ; qu’il est évident que lorsque le Code a exigé
l’expression de la valeur fournie, il a entendu la valeur
fournie par le porteur d’ordre au tireur, pour être re
mise audit porteur dans une autre place, ce qui carac
térise véritablement l’opération de change,
90.
— Quel est l’effet de l’inexécution de la sixiè
me condition de l’article 110 ?
Pour résoudre rationnellement cette question, il con
vient de distinguer entre la lettre de change en la forme,
et l’obligation en elle-même. L’article 110 ne se préoc-
�ART.
1 10 ,
111.
127
cupe nullement de celle-ci. Elle ne cesse donc pas d’o
béir aux principes du droit commun. Cette distinction
est essentielle, seule elle dissipe la confusion apparente
qu’on serait tenté de relever dans la jurisprudence.
L’article 410 s’occupe donc uniquement de la forme,
de la perfection de la lettre de change. On peut y con
trevenir : 4° par le défaut d’indication ou de réception
de la valeur; 2° par l’énonciation d’une fausse cause ;
3° par l’expression d’une valeur insuffisante.
— 1° Absence absolue de mention de la ré
ception ou d'indication de la nature de la valeur. —
La lettre de change ne saurait valablement exister. Le
titre produit comme tel est nul et de nulle valeur, en ce
sens qu’il dégénère en simple promesse que le tribunal
de commerce ne saurait apprécier compétemment, à
moins qu’il ne s’agisse au fond d’une opération com
merciale, ou que les signataires soient commerçants.
La nullité du titre n ’a donc de l’influence que relati
vement à la juridiction exceptionnelle et les effets qu’elle
produit. Les parties et matières sont renvoyées devant
les tribunaux ordinaires qui appliqueront le droit com
mun, il serait inique qu’un vice de forme dans le titre
fit disparaître l’obligation.
Dans cette hypothèse même, on a prétendu contester
l’invalidité des lettres de change, on a invoqué à l’appui
de cette opinion un arrêt de la Cour de cassation, du
30 août 4826.
A notre avis, cet arrêt ne saurait avoir la conséquence
91.
�<*
128
DE LA LETTRE DE CHANGE
qu’on en tire, il ne fait que sanctionner la distinction
que nous établissions tout à l’heure entre la lettre de
change en la forme et l’obligation au fond.
La nullité de la première laisse l’autre intacte, et de
là la nécessité de rechercher quelle en est la cause ; car
si cette cause est commerciale, ou s’il s’agit d’une opé
ration entre commerçants, la condamnation prononcée
par le tribunal de commerce est légale. L’incompétence
de ce tribunal, en cas de non expression de la valeur ,
n’est acquise qu’en tant que le souscripteur n’est pas
commerçant, et qu’il ne s’agit pas d’une opération com
merciale l.
C’est bien la validité de l’obligation que la cour de
Dijon avait proclamée, c’est ce que la Cour de cassation
nous apprend elle-même- « Attendu, dit l’arrêt, que la
cour de Dijon, qui, par un premier arrêt, avait ordonné
l’apport de la correspondance, a reconnu en fait que les
201,706 fr. montant des 53 traites signées Guiguet et
Cie, étaient réellement à la charge de la société parce
que les valeurs lui en avaient été fournies, qu’elle en
avait profité ou dû profiter ;
« Que de cette appréciation des faits, des actes et des
documents de la cause, qui était du domaine des juges,
il résultait en droit que les traites ne pouvaient être an
nulables ni par vice de fraude, ni par défaut de cause
dans l'obligation qu'elles représentaient. »
Evidemment la nullité dont il était question dans cette
i Caen, 31 janvier 1826.
�ART.
110,
m
129
.
espèce n’était que celle de l’obligation en elle-même.
N’eût-il point existé de lettres de change que le tribunal
de commerce eût été seul compétent pour prononcer.
De quelle utilité pouvait donc être la nullité du titre en
la forme?
Cette considération fixe la portée de l’arrêt, la nullité
est repoussée, en tant seulement qu’on veut l’appliquer
à l’obligation en elle-même. C’est, d’ailleurs, ce qui ré
sulte des termes de l’arrêt.
Nous persistons donc dans notre doctrine, le défaut
d’énonciation de la valeur ou de sa nature fait dégéné
rer la lettre de change en simple promesse et entraîne
l’incompétence du tribunal de commerce *.
Celte incompétence, qui n’existe que si le souscripteur
n’est pas commerçant, ou que si l’effet n’a pas pour
cause une opération de commerce, est ralione maleriœ
et peut être proposée pour la première fois en appel2.
Mais la lettre de change, nulle comme effet commer
cial, ne tombant dans la juridiction consulaire ni par la
qualité des parties, ni par la nature de l’opération, vaut
comme obligation civile dont le payement peut être pour
suivi par la voie ordinaire3.
Devant la juridiction commerciale, si elle est compé
tente, comme devant les tribunaux ordinaires, le silence
1 Aix 4 'f m ars 1839.
J. du P., 4, -1839, 630.
2 Caen, ci-dessus cité.
3 Aix, ci-dessus cité. V . Conf., c ass., 49 ju in 4 840, Toulouse, 2 mai
4826 et les notes.
i — 9
�150
DE LA LETTRE DE CHANGE
que le titre garderait sur la valeur obligerait le porteur
à prouver qu’il en existe une réelle, légitime et certaine,
à défaut de cette preuve, l’obligation serait réputée sans
cause et annulée par application de l’article 1131 du
Code civil.
» 8 . — 2° Fausse énonciation. — L’article 1131
assimile la cause fausse à l’absence de cause, à la cause
illicite, et annule en conséquence l’obligation qui en est
viciée, mais l’interprétation rationnelle de l’article 1132
a fait consacrer la validité de la convention lorsqu’à
côté de la cause fausse il en existe une sérieuse et lé
gitime.
Cette règle de doctrine et de jurisprudence doit-elle
faire valider la lettre de change, même en la forme ?
Celte question pourrait paraître oiseuse, car dans cette
hypothèse la lettre de change réunissant toutes les con
ditions exigées par l’article 110, ne laisse rien à désirer
sous le rapport de cette forme. Comment donc l’an
nuler ?
Parce que la cause énoncée n’est pas la véritable ?
Mais si celle-ci existe en réalité, si on ne peut faire dis
paraître la première qu’en lui substituant la seconde,
cette substitution peut-elle anéantir l’exécution maté
rielle que l’article 110 a reçue.
La Cour de cassation n’a pas cru qu’il fût rationnel
de le décider ainsi. Après avoir rappelé que la simula
tion de cause n’emporte pas la nullité, si d’ailleurs il en
existe une réelle, elle ajoute : Considérant qu’il est re-
�ART.
HO, 1H .
131
connu dans l’espèce que les traites sont régulières en la
forme ; qu’elles ont une cause sérieuse ; qu’elles sont
donc valables, malgré qu’elles énoncent une cause autre
que celle-ci '.
On le voit, l’arrêt insiste sur la régularité de la forme
de la lettre de change, c’est également ce que fera plus
tard la cour de Pau, lorsque, investie de la question, elle
refusera d’admettre la nullité de la lettre de change pour
cause de fausse énonciation, surtout lorsque, comme
dans l'espèce, elle réunit toutes les conditions exigées
pour la régularité de sa forme extérieures.
9 3 . — 3° Indication insuffisante. — Comme la
première, cette hypothèse viole expressément l’article
HO. L’effet doit être le même, à savoir : la nullité du
titre, mais en tant que lettre de change seulement.
Serait-on recevable, pour écarter cette nullité, à prou
ver que la lettre de change a une cause légitime, et que
la valeur reçue était d’une nature à la déterminer ? Nous
ne le pensons p as, frustra probatur quod probatum
non relevai, et tel serait ici le caractère de la preuve.
Prouver la nature sérieuse de la valeur, ce ne serait pas
prouver qu’elle a été exprimée. Or, l’article 110 n’exige
pas seulement cette nature, il veut de plus qu’elle soit
énoncée et ne reconnaît de lettre de change régulière
que par le cumul de ces deux conditions.
1 1 9 ju in <831.
2 Pau, I l novem bre 1834. D. P ., 35, a, 56.
�i32
DE LA LETTRE DE CHANGE
La lettre de change dégénérerait donc en obligation
dont le payement pourrait et devrait être poursuivi de
vant le tribunal de commerce si le souscripteur est né
gociant, ou s’il s’agit d’un acte de commerce ; devant le
tribunal civil, à défaut de l’une ou de l’autre de ces
circonstances.
» 4 . — La lettre de change n’énonçant pas la valeur
ou n’en indiquant pas suffisamment la nature, seraitelle purgée de tout vice par la régularité et la perfec
tion de l’endossement dont elle a été l’objet ?
Aucune difficulté ne saurait naître pour la lettre de
change tirée à l’ordre du tireur, cette lettre n’acquiert
de caractère que par sa négociation. L’endossement est
donc ici la lettre de change elle-même. La régularité
de son contexte protège le titre et en recommande l’exé
cution.
Mais lorsque la lettre de change est à l’ordre d’un
tiers, et qu’elle n’énonce ni la valeur, ni sa nature, com
ment admettre que l’endossement de ce tiers puisse en
couvrir et en faire disparaître le vice.
— Parce que, dit la cour de Toulouse, la lettre
n’énonçant aucune valeur équivaut à un endossement
en blanc et confère aux tiers le mandat de régulariser
la lettre en la négociant-1.
Les fondements de cette solution ne sauraient résister
l 4 juin 1825. Sirey, 25, 2, 308.
�ART.
110, 111.
135
à l'examen. On peut se convaincre, en effet, que la cour
de Toulouse n’arrive à résoudre le litige comme elle le
fait que par une interprétation erronée de l’article 110;
qu’en confondant la lettre de change en la forme, avec
l’obligation elle-même.
« Attendu, porte l’arrêt, qu’en indiquant comme un
des caractères constitutifs de la lettre de change l’ex
pression de la valeur fournie, l’article 110 du Code de
commerce ne prononce pas la nullité d’une lettre de
change pour le cas où cette expression ne se trouve
point dans le corps même de la lettre. »
Non, l’article 110 ne prononce pas la nullité, il se
borne à disposer qu’on ne considérera comme lettre de
change que le titre qui renferme toutes les conditions
qu’il énumère. La conséquence sera que le titre non
conforme à ces conditions ne devra pas être annulé,
mais évidemment il ne sera pas une lettre de change.
L’arrêt commet donc ici une première erreur qui l’a
mène naturellemeut à cette seconde : « Que Je législa
teur s’en est donc référé au droit qui n’annule les obli
gations que dans le cas du défaut absolu de cause et
qui les maintient si la cause est d’ailleurs prouvée et li
cite. »
Voilà parfaitement exposée la confusion que nous re
prochons à l’arrêt entre la forme et le fond. Sans doute
l’imperfection de la première ne peut, comme dans cer
tains cas, emporter le fond. Celui qui n’aura que cette
imperfection à invoquer pour anéantir son obligation
succombera infailliblement. Mais autre chose est l’obli- ,
�434
DE LA LETTRE DE CHANGE
galion, aulre chose le caractère du titre qui la constate.
Décider que celui-ci ne saurait valoir comme lettre de
change, c’est laisser entière la question de la légalité et
de la validité de la première.
Le principe invoqué par la cour de Toulouse n’est
donc pas même en jeu dans notre hypothèse. Ce qu’il
y avait à juger, c’était non la validité de l’engagement,
mais la régularité du titre. Dire que celui-ci doit valoir
comme lettre de change, quoique n’énonçant pas la na
ture de la valeur, c’est évidemment littéralement mé
connaître l’article 110.
L’irrationnalité des prémisses va faire consacrer des
conséquences étranges, voici celle de l’arrêt :
« Attendu que le tireur qui fournit à l’ordre d’un tiers
une lettre de change sans l’expression de valeur four
nie, est semblable à celui qui fournit un endossement
en blanc ;
« Que dans ce moment il n ’existe qu’un mandat qui
ne confie d’autres droit au porteur que celui de négo
cier l’effet pour le compte du tireur ou de l’endosseur
en blanc ;
« Mais que lorsque l’effet a été négocié par un tiers
de bonne foi, qui a fourni la valeur avec expression de
cette circonstance de la part du mandataire, le contrat
de change se consomme. »
Le contrat de change consommé par la négociation.
Mais ce contrat n’intervient et ne peut intervenir qu’en
tre le tireur et le preneur. Or, la négociation désinté
resse en quelque sorte celui-ci, il n’est plus que caution
�ART- 1 1 0 , 111.
1 35
solidaire, il ne peut plus y avoir qu’un endossement et
non un contrat de change. Comment d’ailleurs la valeur
fournie par celui qui accepte le transfert du preneur
pourra-t-elle faire qu’il en ait existé une réelle entre
celui-ci et le tireur ? Comment son expression pourra-telle faire qne cette dernière ait été exprimée ?
Parce que celui qui signe une lettre de change n’ex
primant aucune valeur n’a souscrit en quelque sorte
qu’un endossement en blanc 1 La fiction est audacieuse;
un endossement en blanc, lorsque la lettre de change
porte en toutes lettres : payez à M. tel ou à son ordre la
somme de... Mais si un endossement était ainsi conçu,
il ne pourrait être qualifié d’endossement en blanc, il
serait incomplet aux termes de l’article 137. C’est aussi
ce qu’on doit dire de notre lettre de change. Mais si
l’endossement incomplet ne vaut que comme procura
tion, la lettre de change incomplète n’est pas une lettre
de change. Décider le contraire, c’est violer la loi.
Considérons d’ailleurs que nous nous trouvons ici en
matière de contrainte par corps, la lettre de change ne
l’entraine que si elle est conforme à l’article 110. Dès
lors le non commerçant qui n’a pas fait un acte commer
cial ne pourrait la subir si en la forme le titre n’est pas
une lettre de change. Ce droit vaut la peine d’être pro
tégé, et il est acquis dès que ce titre est souscrit. Com
prendrait-on que le preneur pût l’anéantir par son fait
exclusif et qu’il se donnât lui-même cette énergique ga
rantie ?
C’est lui, en effet, qui serait en définitive appelé à
�156
DE LA LETTRE DE CHANGE
profiter de la rectification. La lettre de change protestée
retournerait en ses mains, car il serait tenu de la rem
bourser à son cessionnaire, et on voudrait qu’il eût pu
se donner à lui-même le droit de contraindre le débi
teur par corps.
La raison et le droit repoussent un pareil résultat.
Quels que soient les termes de la lettre, le preneur n’est
jamais le mandataire du tireur, il agit in rem suam, il
a compté la valeur dans laquelle il rentrera par la
négociation , sauf le recours du cessionnaire le cas
échéant.
Fût-il mandataire, il n’aurait que la faculté de trans
mettre la lettre de change telle qu’elle serait, avec toutes
ses imperfections ; corriger celle-ci, c’est appeler la con
trainte par corps sur la tête du tireur, et un mandat de
ce genre vaut la peine d’être exprimé.
Donc du tireur au preneur la lettre de change n’énon
çant aucune valeur, ou qui se tait sur sa nature, n’est
qu’une simple obligation, il en serait de même du tireur
aux tiers porteurs. Il s’agit ici d’un vice apparent que
ceux-ci n’ont pu ignorer. En acceptant la lettre malgré
son existence, ils ont expressément consenti à en subir
les effets.
9®. — Septième condition. — La lettre de chan
ge est à l’ordre d ’un tiers ou à l’ordre du tireur luimême.
Celle prescription a un double objet, elle remplace en
premier lieu l’obligation d’indiquer le nom du donneur
�ART.
110, l u .
157
de valeur, que l’ordonnance de 1673 consacrait exprès-1
sèment. Aujourd’hui, le donneur de valeur légalement
présumé est celui à l’ordre de qui la lettre de change est
tirée.
Le second objet de notre disposition est d’assurer la
transmissibilité de la lettre. On sait que dans l’origine
la lettre de change n’était pas destinée à circuler. De
meurant entre les mains du preneur, c’était à lui qu’elle
devait être payée. Sa cession ne pouvait se réaliser
qu’avec les solennités requises pour celle des droits in
corporels.
Trois siècles plus tard, les progrès et les besoins du
commerce imprimèrent à ces titres le caractère qui les
distingue encore si essentiellement. La lettre de change
cessa d’être exclusivement au nom du preneur, à ce nom
on ajouta ou à son ordre, et l’on fit de ce papier une
véritable monnaie.
L’article 110 a fait une obligation de ce qui n’était
jusque-là qu’une pratique commerciale, sa violation ne
permet pas de voir dans le titre une véritable lettre de
change.
O1? . — Pour que le double objet de la loi soit rem
pli, il faut nécessairement que le tireur mande au tiré
de payer celui à l’ordre de qui la lettre de change est
fournie. Cette indication, dit M. Pardessus, est tellement
essentielle, que si la lettre exprimait seulement le nom
de celui qui en a compté la valeur, sans ordre au tiré
de lui en payer le montant, on ne pourrait y suppléer
�138
DE LA LETTRE DE CHANGE
par la présomption que le tireur a entendu que la let
tre de change fût payable à cette personne , car il ar
rive fréquemment que le prix d’une lettre de change est
fourni par une autre que celui au profit de qui elle est
tirée l.
Pothier enseignait le contraire, sous l’empire de l’or
donnance de 1673. Si la lçttre de change, disait-il, était
conçue en ces termes : vous payerez la somme de 1000
livres, à vue, valeur reçue comptant d'un tel, il me
paraît raisonnable de présumer que le tireur a entendu
que la lettre de change fût payable à celui de qui il a
déclaré en avoir reçu la valeur, n’ayant pas nommé
d’autre personne. Néanmoins, ajoute Pothier, j’ai appris
d’un négociant très expérimenté que les banquiers fai
saient difficulté en ce cas d’acquitter la lettre.
98. — L’opinion de Pothier est condamnée par
notre article. La lettre de change dont il donne la ré
daction, n’étant à l’ordre de personne, dégénérerait en
simple promesse. La question de savoir si le montant
doit ou non être remboursé à celui qu’elle indique
comme en ayant fait les fonds, serait appréciée par la
justice d’après les circonstances et les documents de la
cause.
La lettre de change doit donc, pour être parfaite, ren
fermer le mandat de payer à celui à l’ordre de qui elle
est tirée. Dans l’usage on emploie en conséquence ces
i
Droit comm., n° 338.
�ART.
HO, 1 H .
139
expressions : Payez à un lel ou à son ordre, mais ces
expressions n’ont rien de sacramentel, on peut les rem
placer par des équipollents.
Payez
à un tel ou à sa disposition ; payez à un tel ou au
porteur légitime. L’une et l’autre de ces locutions ren
99 . — On a considéré comme tels ces mots :
ferment en réalité l’idée que le législateur a rendue obli
gatoire.
Il n’en serait pas de même de celui-ci : Payez à un
lel ou en sa faveur ; la seconde expression n’est que la
répétition de la première. Ce qui en résulterait, c’est que
la lettre de change ne serait pas transmissible par en
dossement , que le porteur de celui-ci ne serait consi
déré que comme le mandataire du preneur, susceptible
d’être écarté par les objections opposables à celui-ci l.
ÎOO. — Aux termes de l’article 110, l’ordre peut
être en faveur d’un tiers, c’est-à-dire d’une personne
autre que celles qui figurent en fait dans la création
d’une lettre de change, c’est, par exemple, ce qui se réa
lise dans l’hypothèse suivante :
Pierre, mandataire de Paul, a reçu de l’argent pour
le compte de celui-ci, qui lui écrit de lui faire parve
nir par le ministère d’un banquier désigné. Pierre peut
compter les fonds à ce banquier, en recevoir une lettre
de change à son ordre et l’endosser en faveur de Paul.
i Pardessus,
M d , n» 339. D ouai, 24 octobre 4808.
�140
DE LA LETTRE DE CHANGE
Mais, dans celte hypothèse, Pierre assume la respon
sabilité de l’endosseur, et il peut ne pas vouloir y con
sentir. Or, pour cela il n’a qu’à faire tirer la lettre à
l’ordre de Paul. Celui-ci est cependant absent au mo
ment de la création, il n’est pas le donneur de valeur,
il est le tiers dont parle l’article 110, et à l’ordre de
qui la lettre de change peut être régulièrement tirée.
lOi. — Elle peut l’être également à l’ordre du ti
reur lui-même. Mais dans cette hypothèse, et tant que
l’effet n’est pas négocié, il ne constitue ni une lettre de
change ni même une obligation.
La négociation détermine le concours d’un donneur
de valeur, ce qui complète le personnel de la lettre de
change. 11 importerait donc peu que celle-ci ne réunît
pas toutes les conditions voulues par l’article 110, si
d’ailleurs les indications omises se rencontraient dans
l’endossement. Celui-ci est le complément de la lettre de
change.
Tout à l’heure nous refusions cet effet à l’endossement
du preneur. Ce qui explique la différence que nous ad
mettons, c’est que, dans ce cas, le tireur, ayant depuis
longtemps retiré la valeur de la lettre de change, reste
forcément étranger aux négociations ultérieures , que
cette négociation n’ajoute rien à la lettre de change et ne
saurait en modifier ou en altérer l’essence. Dans notre
hypothèse, au contraire, l’endossement fait partie inté
grante de la lettre de change ; il est l’œuvre exclusive et
personnelle du tiieur lui-même ; dans tous les cas, ce-
�ART.
110, 111.
141
lui-ci pouvant valablement s’engager par la lettre de
change, le peut également par l’endossement.
Cette doctrine , enseignée par Pothier et adoptée par
M. Pardessus, a été consacrée par la jurisprudence, qui
en a, dans maintes circonstances, tiré les conséquences
qu’elle lui a paru commander. Ainsi il a été jugé qu’une
lettre de change à l’ordre du tireur peut être considérée
comme régulière, encore que celui-ci n’y ait pas apposé
sa signature, s’il en a signé l’endossement '.
Qu’une lettre de change tirée par un individu valeur
en lui-même est valable, quoiqu’elle ne contienne pas
l’expression de l’ordre, si cette mention se trouve dans
l’endossement passé par le tireur en faveur d’un tiers3.
En d’autres termes, jusqu’à l’endossement le billet à
l’ordre du tireur est un projet d’obligation par contrat
de change : ce qui réalise ce projet, c’est le concours
d’un preneur, concours qui ne peut résulter que de la
négociation. L’endossement opérant celle-ci est donc le
véritable titre ; et s’il mentionne les indications princi
palement exigées par la loi, il importe peu qu’elles aient
été omises dans le corps de la lettre.
ÎO*. — Cet endossement doit-il remplir toutes les
conditions voulues par l’article 437 du Code de com
merce ? C’est ce que nous aurons à examiner plus tard,
mais nous devons, dès à présent, faire remarquer que
1 Cass., 16 ju in 1846. J. du P., 2, 1846, 642.
* T oulouse, 4 4 jan v ie r 4828,
�H2
DE LA LETTRE DE CHANGE
dans notre hypothèse l’endossement et la lettre de chan
ge, n’étant en quelque sorte qu’un seul tout, se prêtent
un mutuel appui, se complètent l’un par l’autre. Les
omissions dans l’endossement seraient réparées par les
énonciations de la lettre, tout comme ses énonciations
suppléeraient à l’insuffisance de celle-ci.
Une autre remarque fort importante à retenir est
celle-ci : l’endossement de la lettre de change réalisant
l’opération, la question de savoir s’il y a remise de place
en place ne dépend plus de la différence entre la place
d’où la lettre de change est tirée et celle où elle est in
diquée payable, on doit uniquement prendre en consi
dération le lieu où l’endossement s’est réalisé.
Si ce lieu est autre que celui où doit se faire le paye
ment, le contrat de change existe et la lettre est régu •
lière ; mais si l’endossement a été opéré sur la place où
doit se faire le payement, il n’y a pas de lettre de chan
ge, parce qu’en réalité il n’y a jamais eu remise de place
en place.
II est vrai que la lettre de change tirée de Paris sera
payée à Lyon , mais la réalisation de l’endossement à
Lyon amène à cette conséquence qu’aucune valeur n’a
été comptée à Paris. Comment en serait-il autrement ?
Jusqu’à l’endossement la lettré était à l’ordre du tireur,
et causée valeur en moi-même l.
103. — Une autre conséquence du caractère de la
1 La doctrine et la jurisprudence o n t unanim em ent adm is cette so
lution.
�ART.
110, 141.
143
lettre de change à l’ordre du tireur lui-même, c’est que
la propriété ne saurait en être transférée par un endos
sement en blanc. Comme dans tous les autres cas, cet
endossement ne vaudrait que comme simple procura
tion.
De là la Cour de cassation a tiré une double induc
tion : 1° le transfert de propriété ne résulterait valable
ment que de l’endossement régulier que le porteur de
l’endossement en blanc aurait souscrit. N’ayant que la
qualité de mandant, le tireur serait censé avoir fait ce
que son mandataire aurait accompli ; 2° si avant ce se
cond endossement le tireur se trouvait dans un des cas
prévus par l’article 2003 du Code civil, le mandat par
lui donné se trouverait révoqué, et toute négociation ul
térieure resterait sans effets
t©4. — Telles sont les conditions que l’article 110
exige pour que le titre soit réputé lettre de change et en
produise les effets. Chacune d’elles est rigoureusement
exigée. Sans leur réunion, sans leur ensemble il n’y a
pas de lettre de change, il n’y a qu’une obligation dont
le caractère civil ou commercial résulte de la qualité du
débiteur, ou delà nature de l’opération.
C’est cet effet qui distingue les conditions que nous
venons d’énumérer de celle que nous trouvons encore
dans l’article 110, à savoir : l’énonciation du numéro
de la lettre, si elle est par 1r0, 2m% 3me, 4”e, etc.
1 9 novem bre 1842.
J. du P
1 ,1 8 4 3 ,1 1 7 .
4
�\M
DE LA LETTRE DE CHANGE
Cette dernière formalité est purement facultative, en
ce sens que rien n’oblige de souscrire plusieurs exem
plaires de la lettre de change. La loi le permet lorsque
les parties croient devoir le faire, soit pour faciliter la
négociation, soit pour obvier aux chances de pertes que
la destination de la lettre peut faire craindre.
105. — On facilite la circulation par la création de
duplicata. Tandis, en effet, que l’exemplaire numéro 1
est envoyé à l’acceptation, on livre les suivants à la cir
culation. D’autre part, l’utilité de ceux-ci ne saurait être
douteuse lorsque l’acceptation doit être donnée dans un
pays lointain, outre-mer par exemple.
11 est donc facultatif de tirer la lettre de change à plu
sieurs exemplaires. Si l’on a usé de cette faculté, l’arti
cle 110 devient obligatoire. Chaque exemplaire doit ex
primer son numéro d’ordre, sous peine contre le tireur
d’être tenu du payement multiple qu’en aurait fait le
tiré, et de répondre de tout le préjudice que son omis
sion aurait entraîné.
Tirer la lettre de change à plusieurs exemplaires, c’est
n’en fournir qu’une seule, c’est déclarer que le payement
d’un de ces exemplaires annulera les autres. Cette dé
claration ne peut être connue du public que par l’indi
cation exigée par l ’article 110.
Omettre cette indication, c’est en réalité créer autant
de lettres distinctes qu’il y a d’exemplaires différents.
Rien n’établit dans ce cas aucune relation de l’une à
l’autre. Elles seront d’autant plus considérées comme
�ART.
us
MO, I M i
autant d’originaux indépendants que la négociation s’o
pérant avec des personnes différentes, dans des localités
plus ou moins distantes, nul ne pourra être frappé de la
similitude de sommes, de dates, d’époques d’exigibilité,
circonstances d ’ailleurs qui se rencontrent souvent dans
le commerce.
Il n’est donc pas douteux que chaque preneur serait
recevable à poursuivre le tireur en payement de l’exem
plaire qu’il aurait acquis, sauf à lui à se pourvoir
contre l’auteur de l’abus que sa négligence aurait fait
réussir.
1 0 8 . — Le tireur serait-il obligé d’indemniser le
tiré qui aurait payé chaque exemplaire à sa présentation?
Une distinction nous parait utile. Le tiré a-t-il été ou
non avisé du mandat qu’on lui déférait.
Dans l’usage commercial, en effet, le tireur d'une
lettre de change en avise le correspondant sur lequel il
dispose. La lettre qu’il écrit et qu’on nomme lettre d’a
vis, énonce la date de la création, l’époque de l’échéan
ce, le montant de la lettre.
Il est évident que celui qui aurait été informé qu’on
a tiré sur lui une lettre de change à une date détermi
née, pour une somme indiquée, ne devrait accepter ou
payer que cette lettre de change. Si on lui en présente
plusieurs offrant la même échéance, la même somme, il
doit demander les ordres du tireur. S’il accepte ou paye
toutes ces lettres avant d ’avoir reçu ces ordres , il agit
avec une légèreté, une imprudence qui le laisseraient
i —
U
�146
DF. LA LETTRE DE CHANGE
sans recours contre le tireur. Ma lettre d’avis, dirait ce
lui-ci , ne vous permettait pas d’équivoquer. Pouviezvous supposer que si le même jour j’avais signé plusieurs
lettres je ne vous eusse écrit que pour une seule ?
A défaut de lettre d’avis, la responsabilité du tireur
serait évidemment engagée, et le tiré qui aurait accepté
ou payé les divers exemplaires non numérotés de la let
tre de change aurait le droit de le contraindre à l’en
rembourser.
l O l . — Ordinairement on ne se contente pas de
tirer la lettre par 1r\
3“', etc..., on mande au tiré
de ne payer ces dernières que si la première ne l’a pas
été, c’est ce qu’on exprime en ces termes : Payez par
celte deuxième (ou troisième) si vous ne l'avez fait
par la première.
Cet usage remonte fort haut, cependant la transcrip
tion de cette clause n’était pas rigoureusement exigée
par l’ordonnance de 1673, on la sous-entendait de plein
droit par cela seul qu’on signait les duplicata de la let
tre de change, en indiquant le rang de chacun d’eux.
On devrait l’admettre ainsi sous le Code. Mais dans
ce cas on n’accorderait le bénéfice du payement qu’à
celui qui aurait eu pour objet la première, le solde des
seconde, troisième ou quatrième ne serait pas libératoire.
Pour remplir cette condition, il faudrait qu’on eût for
mellement écrit dans les lettres que le payement de
l’une annulerait l’effet des autres. C’est ce que nous éta
blirons sous l'article 147.
�“
ART.
HO, 1 H .
147
Lorsque la lettre porte que la deuxième ne sera payée
que si la première ne l'est pas, cette dernière après ac
ceptation étant livrée au bénéficiaire, celui-ci se trouve
porteur des deux exemplaires. S’il les négocie tous deux
à des personnes différentes, le porteur de la seconde non
payée, parce que la première l’a été, pourra-t-il exer
cer un recours contre le preneur primitif, premier en
dosseur ?
L’affirmative a été soutenue par le motif qu’en endos
sant purement et simplement la seconde, le porteur avait
autorisé les tiers à penser que l’exemplaire qui leur
était présenté était le seul qui avait été mis en circula
tion ; que ces tiers, rassurés d’ailleurs par la confiance
qu’inspirait sa signature, avaient dû pouvoir, sans dan
gers pour eux, ne pas s’occuper de ce qu’était devenu
le premier exemple du titre dont le second était re
mis, et qu’ils devaient dans tous les cas trouver la ga
rantie de leur payement dans la solidarité de l’endos
seur.
La cour de Paris et la Cour de cassation ont condamné
ce système. Leur arrêt consacre que par cela seul que
l’exemplaire numéro 2 portait qu’il ne serait payé que
si le premier ne l’était pas, les tiers ne pouvaient igno
rer que ce dernier avait été mis en circulation ; que dès
lors, en n’en n’exigeant pas la remise, ils avaient aveu
glément suivi la foi de leur cédant ; qu’ils n’avaient
donc aucune action contre le précédent propriétaire K
i Cass., 4 a v ril 4 8 3 Î.
�148
DE LA LETTRE DE CHANGE
108. — Si la lettre de change n’a pas été acceptée
et si elle est muette sur le mode de payement, l’ordre
numérique des duplicala ne donne aucune préférence,
on peut payer le quatrième, comme le troisième, comme
le second. Le payement se fait alors en faveur de celui
qui arrive le premier à l’échéance.
Si la lettre est acceptée, le tiré ne peut payer que sur
l’exemplaire sur lequel il a écrit son acceptation L Mais
il faut remarquer que, dans le cas de négociation par
seconde, troisième ou quatrième, l’original accepté reste
déposé sans être livré à la circulation. C’est au porteur
arrivant le premier, et muni d’un titre endossé, que cet
original appartient, et qu’il doit être remis , pour qu’il
soit payé dé ce qui lui est dû.
109. — Indépendamment des duplicata souscrits
lors ou depuis la création, la lettre de change peut être
suppléée dans la circulation par des copies émanées du
porteur actuel. Cet usage est fort ancien, et c’est l’uti
lité commerciale qui l’a introduit. Sous ce rapport il a
un point de contact très intime avec l’usage du dupli
cata.
On ne doit pas cependant les confondre. Ce qui les
distingue essentiellement, c’est que le tireur seul peut
créer ceux-ci, tandis que la copie émane légalement du
détenteur actuel et peut être faite à toutes les époques.
Supposez que le porteur d’une lettre de change veut
�ART.
HO, 111.
149
l'envoyer à l’acceptation. Cependant, dans l’intervalle
qui s’écoulera entre l’aller et le retour, une occasion fa
vorable de la négocier se présentera, cette occasion, que
l’obligation d’attendre le retour matériel de la lettre
peut faire perdre, la transmission par copie permettra
de la saisir et d’en profiter.
11© . — En la forme, la copie doit être la reproduc
tion exacte de la lettre de change. On transcrit d’abord
le corps de la lettre, la signature du ou des tireurs, celle
des cautions des donneurs d’aval, le nom du tiré; on
copie ensuite au dos de la lettre les divers endossements
dont elle est revêtue, y compris celui en vertu duquel
l’auteur de la copie a acquis la propriété de la lettre; on
certifie ensuite la sincérité de toutes ces indications, soit
en la forme ordinaire, soit par celte formule : jusqu’ici
copie.
Dès ce moment l’original est retiré de la circulation.
Désormais il restera déposé dans un lieu que la copie
doit indiquer, pour être mis à la disposition de celui
qui, à l’échéance, se trouvera porteur de la copie.
La négociation de celle-ci s’opère par la forme ordi
naire, c’est-à-dire que l’auteur inscrit et signe un en
dossement devant réunir les conditions prescrites par
l’article 137.
I f i. — Cependant il ne doit agir ainsi que dans le
cas où la négociation postérieure à la copie ne se trouve
pas mentionnée sur l’original. Dans le cas contraire, la
�180
DE LA LETTRE DE CHANGE
copie ne doit mentionner l’endossement que dans le :
jusqu'ici copie,
Il importe, en effet, que les tiers ne puissent être in
duits en erreur. Si l’endossement de celui qui a trans
mis la lettre au porteur, en proposant la négociation,
n’est relaté que comme copie, tout le monde saura que
l’original est régulièrement endossé, et celui à qui on
offrira la copie sera en demeure d’exiger qu’on lui re
présente cet original.
Que si, après avoir endossé l’original, l’auteur de la
copie endosse purement et simplement celle-ci, il déli
vre, en réalité, deux titres parfaitement négociables. On
doit croire alors que l’original n’est pas endossé, et l’on
n’a pas à s’enquérir de celui-ci autrement que pour en
prendre possession à l’échéance, s’il y a lieu.
De là cette conséquence que si le propriétaire de la
copie, après avoir négocié celle-ci, négocie l’original, le
porteur de la première, non payé, a le droit de recourir
non seulement contre celui qui la lui a transmise, mais
encore contre son auteur ; contre celui qui l’a rédigée et
mise en circulation, dont la faute a eu pour conséquen
ces la double négociation et le défaut de payement. C’est
ce que décidait très juridiquement la cour de Paris dans
l’espèce suivante :
11®. — « Un sieur Courtel avait demandé du pa
pier sur Londres à la maison Thuret et Cie, de Paris,
qui lui avait offert des traites tirées de Rome sur cette
ville, mais qui n’avaient pas encore été acceptées par le
�ART.
110, 111.
1ÎH
tiré. Le sieur Courtel avait besoin, disait-il, de négocier
avant acceptation. En conséquence et sur sa demande,
la maison Thuret lui avait envoyé des traites s’élevant
à 60,000 fr. environ, et comme il fallait que ces traites
fussent envoyées à l’acceptation, elle lui avait remis des
copies certifiées de ces mêmes traites sur lesquelles elle
avait apposé une seconde fois son endossement au pro
fit de Courtel, mais au lieu de comprendre cet endosse
ment dans le : jusqu'ici copie, elle avait placé cette for
mule immédiatement avant cet endossement, qui dès
lors était donné en original sur la copie des traites, ce
qui était faire croire qu’il n'existait pas sur les origi
naux ; qu’en conséquence ceux-ci ne pourraient être
négociés à d’autres qu’à ceux auxquels les copies se
raient livrées.
« Courtel négocia les originaux à la maison Rostchild.
Plus tard les sieurs Chevalier frères, porteurs des copies
non payées, actionnent, par voie de recours, la maison
Thurel et Cie en payement.
« Ce recours, disaient-ils, est la juste conséquence
de la faute que cette maison a commise, et sans laquelle
la fraude dont nous sommes victimes n’aurait pas été
possible.
« Sans doute tout porteur de la lettre de change peut
en tirer une co p ie, m ais. pour être fidèle, celle-ci doit
renfermer toutes les énonciations qu’on trouve sur l’ori
ginal.
« Dès lors le créateur de la copie qui a endossé l’ori
ginal, doit mentionner son propre endossement sans le
�152
DE LA LETTRE DE CHANGE
renouveler sur la copie elle-même. Alors, en effet, les
tiers sont avertis que la traite originale étant revêtue de
l’endossement, peut être négociée, ils ne se chargeront
des copies que sur le vu et la remise de l’original luimême.
« Que si la copie porte l’endossement régulier, et que
cet endossement suive immédiatement 1qjusqu'ici copie,
c’est dire aux tiers que la traite originale n’est point en
dossée, leur inspirer la confiance qu’en acceptant la né
gociation de la copie, ils se chargent du seul titre né
gociable.
« En réalité donc le créateur d’une copie ne doit en
dosser que celle-ci ; si l’endossement existe sur la traite
originale, la copie ne doit le contenir que comme em
prunté à l’original lui-même, et par conséquent son
existence doit précéder le jusqu'ici copie. Dans le cas
contraire, on crée deux titres négociables, on facilite la
fraude dont on doit dès lors réparer les conséquences. »
C’est ce que décide la cour de Paris. Son arrêt, rendu
le 14 janvier 4830, statue en ces termes :
« Attendu que si après avoir négocié l’original, le
donneur d’ordre crée une copie dans laquelle, relatant
tous les divers endossements, il omet de mentionner ce
lui qu’il a donné, et appose, immédiatement, après les
endossements antérieurs, ces mots : jusqu'ici copie, il
peut laisser croire aux tiers auxquels la copie est pré
sentée que les endossements portés sur l’original s’arrê
tent aux mots jusqu’ici copie, et que cet original n ’a
pas été endossé par lui ; il crée ainsi deux titres et com-
�ART. 110, 111.
155
met une imprudence des suites de laquelle il s’expose à
devenir responsable. »
1 1 * . — Le mandat de payer conféré au tiré se ter
mine ordinairement par les expressions suivantes : sur
ou avec avis de...... sans avis de...... Ces termes se ré
fèrent à l’ancien usage que nous indiquions tout à
l’heure, à savoir : d’aviser le tiré des dispositions prises
sur lui
Cet avis n ’est pas fort nécessaire lorsque le tiré n'est
indiqué que pour remplir une formalité légale, soit qu’il
s’agisse d’une désignation en l’air, soit que sans rela
tions avec lui, le tireur se propose de lui transmettre
provision avant l’échéance. Mais il n’en est pas de mê
me lorsque le tireur en relations suivies avec le tiré ac
complit une opération du compte existant entre eux.
Dans ce cas, une lettre d’avis devient essentielle, d’a
bord pour que le tiré, pris à l’improvisle, ne refuse pas
d’accepter ou de payer une traite dont on lui a laissé
ignorer l’existence ; ensuite pour que, si le montant
delà lettre est important, Je tiré puisse prendre ses
précautions et se mettre en mesure de satisfaire à son
mandat.
Nous avons déjà dit les énonciatons que doit renfer
mer la lettre d’avis : c’est la date de la souscription de
l’effet, le nom du preneur, le montant e payer, la date
de l’échéance ; ce sont là de bonnes, de prudentes pré
cautions
On comprend leur inutilité lorsqu’il s’agit entre deux
�154
DE LA LETTRE DE CHANGE
maisons importantes depuis longtemps en rélations de
traites d’une valeur minime. Cependant, quelles qu’elles
fussent, si ces traites portaient la clause sur ou avec
avis, le tiré ne devrait et ne pourrait légalement accep
ter ou payer qu’a près cet avis.
114. — Nous avons épuisé la série des formalités
exigées pour la régularité de la lettre de change, qu’on
nous permette d’en offrir un modèle conforme à ces
exigences.
Aix, le 10 septembre 1851. B. P. F. 6,000
Àu dix décembre prochain, payez, par cette première
de change, à M. Jacques ou à son ordre, la somme de
six mille francs, valeur reçue comptant (ou en mar
chandises) (ou en compte) dudit, que passerez avec avis
(ou sans avis). Signé : Paul. A Monsieur Pierre et Cie,
banquiers, rue Tapis-Vert, 23, à Marseille.
Le duplicata de la lettre doit être conçu dans des ter
mes identiques. Seulement, au lieu de : par cette pre
mière, on dira : par cette seconde, par cette troisième,
par cette quatrième, laquelle sera annulée par le paye
ment de la première.
114 b‘«. — Qui d ira it, après ce que nous venons
d’exposer, qu’on a pu se demander si celui qui a reçu
un blanc seing a pu valablement le convertir après coup
en une lettre de change. Or, non seulement la question
�ART. 110, 111.
155
a été posée, mais elle a été de plus et à diverses repri
ses résolue par l’affirmative.
C’est en effet ce que la cour de Riom consacrait le
22 juillet 1817. « Considérant, disait l’arrêt, que si le
porteur avoue que les effets, quand ils furent remis,
n’avaient point encore reçu, au-dessus des signature et
approbation des sommes, la rédaction et l’écriture pro
pres à constituer la teneur et le caractère des lettres de
change, et si ces rédaction et écritures ont été faites pos
térieurement et par une main tierce , il est articulé en
même temps que cette rédaction a été conforme aux
conventions et à l’intention des parties ; qu’elle n’a eu
lieu, même, qu’avec l’autorisation nouvelle des sous
cripteurs pour une rédaction constitutive de lettre de
change. »
Le 16 mai 1853, la cour d’Agen se range à cette
doctrine et admet en conséquence la légalité et la vali
dité de la conversion en lettres de change de billets re
mis en blanc, et remplis plus tard par le porteur, et
c'est encore sur une prétendue convention des parties
qu’elle se fonde. Ce qui distingue cet arrêt du précédent,
c’est que dans l’espèce de celui-ci la convention était
expressément reconnue et admise, tandis que la cour
d’Agen la déduit implicitement des faits de la cause.
« Considérant, dit-elle, en effet, que la loi autorise
toutes personnes à souscrire des lettres de change, et
qu’il est de jurisprudence constante que tous porteurs,
tireurs, endosseurs, accepteurs ou avalistes de lettres de
change font acte de commerce ;
�156
DE LA LETTRE DE CHANGE
« Considérant, en fait, que Villeneuve, ex-huissier,
savait très bien, lorsqu’il a souscrit les engagements qui
font l’objet du procès, que, dans notre pays, les prêts
d’espèces s’opèrent habituellement par la délivrance de
lettres de change, que si, très souvent, il arrive que
l’emprunteur remette au bailleur des effets en blanc,
c’est toujours avec cette convention tacite que le porteur
peut les revêtir de la forme des lettres de change ; que
ce mode d’emprunt, loin d’être désavantageux à l’em
prunteur qui veut se libérer, lui donne au contraire un
moyen facile de se procurer les sommes utiles à ses af
faires sans recours aux prêts sur obligations avec affec
tation d’hypothèque, qui nécessitent des frais considéra
bles ; que c’est dans le but d’éviter ces dépenses que les
emprunteurs se soumettent volontairement aux lois du
commerce l. »
La cour de Bastia qui, le 15 décembre 1858, adop
tait au fond la doctrine de la cour d’Agen, était plus ex
plicite encore, sur le caractère de la convention tacite
intervenant entre les parties , et à laquelle elle n’assi
gnait d’autre but que celui de se soumettre à la con
trainte par corps.
« Considérant, disait l’arrêt, que la lettre de change
dont le sieur Fiamma est porteur et dont il poursuit le
payement, est régulière en la forme ; qu’en supposant
que le corps de la lettre ait été rempli postérieurement
au bon et à la signature donnés en blanc par le sieur
�ART.
110. 111.
157
Ciavaldini, celte circonstance ne saurait la dépouiller du
caractère qui lui appanieni légalement.
« Considérant, en effet, que la remise par Ciavaldini
d’un bon en blanc de la somme de 1,060 fr., a été de
sa part le résultat d’une convention par laquelle il s’est
soumis volontairement à la contrainte par corps ;
« Considérant que c’est manifestement pour obtenir
de lui celle garantie que les sieurs Damei exigèrent une
obligation en cette forme ; que le sieur Ciavaldini
n’exerçant point de profession commerciale et la remise
de place en place étant la condition essentielle de la va
lidité de sa soumission à la contrainte personnelle, on
ne saurait sérieusement révoquer en doute que celte
convention ait été expressément ou implicitement stipu
lée entre les parties K »
L’abolition de la contrainte par corps a enlevé à la
question son principal intérêt. Ce ne pouvait être en ef
fet que pour se ménager cette énergique voie d’exécution
qu’on recourait à cette simulation. Dans quel but l’accomplirait-on aujourd’hui ? On ne pouvait s’en propo
ser un autre que celui de recourir à la juridiction com
merciale. Ce but, aurait-on réussi à l’atteindre ? Nous
ne saurions l’admettre.
Sans doute tout le monde peut souscrire une lettre de
change, et cette souscription constitue un acte de com
merce. Mais on a beau donner à une obligation la forme
de la lettre de change. Celle-ci n’existera en réalité et ne
1J
du P.,
1869, 993
�158
DE LA LETTRE DE CHANGE
produira son effet légal que si elle réunit les conditions
auxquelles la loi subordonne sa régularité.
De toutes ces conditions la première et la plus essen
tielle est la remise de place en place. La lettre de change
n ’est que l’instrument de la réalisation du contrat de
change, et en quoi consiste celui-ci si ce n’est dans la
remise dans un lieu d’un argent qui sera payé dans un
autre.
Donc, point de remise de place en place, point de
contrat de change , et si point de contrat de change,
point de lettre de change. Or, comment admettre la re
mise de place en place lorsque le titre étant remis en
blanc est rempli hors la présence et sans le concours du
débiteur qui, dès lors, ne connaît et ne peut connaître
ni le lieu sur lequel la lettre est tirée, ni le nom de celui
en mains de qui il devrait faire provision ?
Evidemment la souscription d’une obligation en blanc
constitue un prêt ordinaire. On pourra bien lui donner
la couleur d’une lettre de change, mais on ne saurait
lui en attribuer le caractère légal. Que le débiteur ait ex
pressément ou tacitement consenti à cette simulation, ce
consentement ne saurait faire que la remise de place en
place ait existé et que dès lors la prétendue lettre de
change ne soit en réalité qu’une simple promesse aux
termes de l’article 112 du Code de commerce.
Qu’importe d’ailleurs la convention qui autoriserait le
créancier à remplir le titre et à lui donner la forme de
la lettre de change ? Il est de doctrine et de jurispru
dence que celui qui, souscrivant lui-même la lettre de
�ART. 110, 111.
159
change, lui a donné son caractère, est recevable et fondé
à soutenir qu’il y a supposition de lieu et qu’il peut l’é
tablir par de simples présomptions. Comment donc contesterait-on ce droit à celui qui, remettant un engage
ment en blanc, n’a évidemment pu contracter l’obliga
tion de rendre l’argent ailleurs que dans le lieu même
où il l’a reçu ?
Les arrêts que nous venons d’indiquer sacrifient le
fond à l’apparence et méconnaissent les véritables prin
cipes en matière de lettres de change. Ils avaient de plus,
au moment où ils intervenaient, le tort grave de violer
la disposition de l’article 2063 du Code civil. Comme
l’indique la cour de Bastia, ce n’était que pour se sou
mettre à la contrainte par corps que le débiteur autori
sait le créancier à donner au billet en blanc la forme de
la lettre de change. Or, c’est précisément cette soumis
sion que cet article prohibait et annulait de la manière
la plus expresse.
La cour de Montpellier avait donc raison lorsque, le
3 janvier 1857, elle jugeait que le contrat de change ne
pouvant exister qu’à la condition sine qua non d’une
remise de fonds d’un lieu sur un autre, des timbres des
tinés à des lettres de change, livrés à un tiers signés en
blanc contre une remise de fonds, ne deviennent pas de
véritables lettres de change par cela que ce tiers les a
ultérieurement remplis dans la forme des lettres de
change ; qu’on ne saurait voir dans de tels effets que de
simples promesses, c’est-à-dire de simples engagements
civils.
�160
DK LA LETTRE DE CHANGE
Voici les motifs essentiellement juridiques sur lesquels
se fonde cette décision :
« Attendu qu’il est constaté par les conclusions pri
ses en première instance par Rovira : 1° que les préten
dues lettres de change dont il est porteur lui furent dès
l’origine remises à l’état de blanc-seings ; 2" qu’à l’aide
de ces blanc-seings il créa seul, après coup, ces préten
dues lettres de change.
« Attendu que, de ces faits, il suit invinciblement
que ces prétendues lettres de change ne furent ni sous
crites, ni signées par les prétendus tireurs et endosseurs
à suite et comme un véritable instrument d’un contrat
de change, acte de commerce qui ne saurait exister qu’à
la condition sine qua non d’une remise de fonds d’un
lieu sur un autre ; qu’il importe peu qu’en livrant ainsi
leur signature en blanc sur des timbres destinés à de vé
ritables lettres de change, les frères P... autorisassent
par cela même Rovira à convertir en lettres de change
les blanc-seings à lui confiés ; que le contrat de change
n’existe pas arbitrairement par la seule volonté des par
ties ; que la loi ne le reconnaît et ne l’entoure des privi
léges qui s’y rattachent qu’à la condition essentielle
d’une remise de fonds d’un lieu sur un autre ;
« Qu’en simulant celte remise lorsque elle n’a pas eu
lieu, les parties supposent le contrat de change, mais ne
le réalisent pas ; que cette simulation tombe, au con
traire, sous le coup et sous la prohibition péremptoire
de l’article 112 du Code de commerce, lequel dépouille
de l’apparence mensongère dont les parties ont vaine-
�ART. 110, 111.
161
ment voulu les revêtir, les prétendues lettres de change
qui contiennent supposition des lieux d’où elles sont ti
rées et des lieux où elles sont payables, et ramène à de
simples promesses, c’est-à-dire de simples engagements
civils, ces prétendus engagements commerciaux, inter
venus en l’absence de tout acte de commerce réel K »
Conclusion. La lettre de change, qu’elle soit rédigée
par le débiteur, ou que livrée en blanc par celui-ci elle
ait été remplie par le créancier, si elle ne déguise qu’un
prêt ordinaire, n’est qu’une simple promesse et échappe
dès lors à la juridiction commerciale.
115. — L’article 111 déclare que la lettre de chan
ge peut être tirée sur un individu et payable au domi
cile d’un tiers. Cette disposition souleva quelques diffi
cultés.
Devra-t-on considérer comme une lettre de change
l’effet tiré sur un individu domicilié dans le lieu même
de la souscription de l’effet, si celui-ci est payable au
domicile d’un tiers habitant une autre localité ?
La négative était soutenue au conseil d’Etat. De pa
reilles lettres de change, disait-on, ne sont que de vé
ritables mandats. Cela est vrai, répondait-on, lorsqu’elles
sont payables à une personne déterminée, ou au por
teur. Mais il n’en est plus ainsi lorsqu’elles sont paya
bles à ordre. Dans ce cas l’acceptation pour payer dans
un autre lieu leur donne tous les caractères de la lettre
1 J. du P., 1857 1027.
I —
11
�162
DE LA LETTRE DE CHANGE
de change, il y a notamment remise de place en place.
Une objection était présentée. L’article 111, disait-on,
semble dispenser de la condition de faire la provision
au lieu où la lettre de change doit être payée. Il est cer
tain que la provision doit être faite entre les mains du
tiré, et que dans l’hypothèse le payement devant être
opéré ailleurs qu’au domicile de celui-ci, le reproche
était fondé.
Mais quelle conséquence en tirer en droit, puisque le
tiré s’engage à payer chez le tiers, et que celui-ci est
domicilié dans un lieu autre que celui d’où la lettre est
fournie ? La remise de place en place résulte forcément
de cette circonstance.
Donc le tireur peut indiquer pour lieu de payement
un domicile autre que celui de la personne sur qui la
lettre est fournie. Il importerait peu que le domicile de
celle-ci se trouvât dans la localité où la lettre est sous
crite, le payement devant s’opérer au domicile d’un
tiers, et ce dernier étant réellement dans un lieu dis
tinct, la régularité du titre est complète sous ce rap
port.
Ce que le tireur peut faire, le tiré peut également l’ac
complir. Il peut donc, en acceptant la lettre, indiquer
pour le payement un lieu autre que son domicile. Nous
avons déjà observé qu’il importerait même peu que ce
lieu fût celui-là même d’où la lettre est tirée. La remise
de place en place, résultant de la désignation du paye
ment chez le tiré , ne saurait disparaître par le chan-
�gement que les convenances de celui-ci lui font ap
porter '.
11G. — La lettre de change peut être tirée par or
dre et pour compte d’un tiers. On redoutait au conseil
d’Etat l’abus qu’une pareille faculté est dans le cas d’en
traîner, mais on fit remarquer que l’article exigeant un
ordre de la part du tiers, il ne s’agissait au fond que
de l’exécution d’un mandat ordinaire.
Déplus, la disposition de l’article 115 du Code de
commerce était un frein contre cet abus, puisque, même
en l’état d’un ordre formel, le tireur n’en reste pas moins
personnellement tenu 2.
ART.
112.
Sont réputées simples promesses toutes lettres de
change contenant supposition soit de nom, soit de qua
lités, soit de domicile, soit des lieux d’où elles sont ti
rées, ou dans lesquels elles sont payables.
SO M M A IR E
117.
Véritable caractère de l’article 112. Molifs qui l'ont fait ad
mettre. Nature des suppositions qu’il consacre.
sup., n° 54.
Infra, a rt 115. V notre Traité sur les faillites, n° 864.
1 Paris, 8 août 1843. V.
s
�Silence gardé sur la supposition de valeurs. Conséquences
1“ Supposition de nom. Comment elle peut se réaliser.
Son but. Peut constituer un faux.
Moyen employé pour échapper à celui-ci.
2“ Supposition de qualité. Son caractère. Pourrait consti
tuer une escroquerie.
3‘ Supposition de domicile ou de lieu. Sa fréquence.
Effet des suppositions. Leur existence fait répuler la lettre
de change simple promisse. Caractère absolu de l ’arti$e. Il n’admet pas la preuve du contraire.
Opinion contraire de M. Nouguier. Réfutation.
Influence que la vérité exercera sur le fond du procès.
On peut établir la supposition par la preuve testimoniale et
par présomptions.
Par qui et contre qui la supposition peut-elle être invo
quée?
Ne peut l'être contre le tiers porteur de bonne foi.
I I S . — L’importance de la lettre de change, les
privilèges qu’elle confère, les voies rigoureuses qu’elle
entraîne imposaient le devoir de veiller avec la plus vive
sollicitude à la stricte sincérité de l’opération à la suite
de laquelle elle intervient. Déjà et dans ce but l’article
410 nous a retracé les indications sans lesquelles il re
fuse au titre le caractère de lettre de change.
A. la rigueur, ce n’était pas là la garantie de véracité.
Ce qui devait résulter de cette disposition, c’est que
la partie qui exigeait une lettre de change s’applique
rait à la rendre parfaite en la forme, de telle manière
�ART.
112.
168
C’est ce que le législateur a compris , et c’est ce qu’il
a voulu prévenir. Quelles que soient les indications du
titre, il faut aller au fond des choses et non s’arrêter à
la surface. Si ces indications sont mensongères, si elles
n ’ont pour objet que de donner la forme d’une lettre de
change à un prêt ordinaire, que de déguiser et de favo
riser une honteuse opération d’usure, on leur refusera
tout effet, et les parties seront ramenées à la vérité que
l’intérêt de l’une et la position de l’autre ont fait mé
connaître.
Tel est le caractère de l’article 112, et dès lors c’est
ce qui le distingue de l’article 110. Celui-ci ne fait dé
générer. la lettre de change que dans le cas d’omission
d’une des conditions essentielles. Le premier, au con
traire, suppose que toutes les énonciations prescrites se
trouvent fidèlement dans le titre, mais mensongèrement
pour quelques-unes d’elles.
Les suppositions dont s’occupe le législateur sont
dans le texte au nombre de quatre , mais on peut les
réduire à trois, les deux dernières, en effet, ne peuvent
avoir qu’un effet commun et sont la conséquence l’une
de l’autre, c’est ce que nous allons démontrer en re
cherchant le caractère de chacune d’elles, le mode de
preuve dont elles sont susceptibles, les effets qu’elles
produisent, comment et par qui elles peuvent être op
posées.
L’article 112 prévoit: 1° la supposition du n o m ;
2° celle de qualité ; 3° celle de domicile, enfin celle des
�166
DE LA LETTRE DE CHANGE
lieux d’où la lettre de change est tirée, ou dans lesquels
elle est payable.
1 1 8 . — Faisons remarquer avant tout le silence
que l’article 112 garde sur la supposition de valeur, le
motif de ce silence n’est certes pas la volonté de fermer
les yeux sur cette importante supposition. Bien au con
traire, nous avons déjà indiqué que son effet ne per
mettrait pas de voir une lettre de change dans le titre
produit, et cela aux termes de l’article 110.
Mais nous l’avons également constaté, cet effet n’est
possible que si la supposition masque un défaut absolu
de valeur. La lettre de change est régulière si la simu
lation dans la valeur énoncée n’empêche pas l’existence
d’une valeur légitime de nature à autoriser le contrat de
change l.
Décider le contraire, faire dépendre la régularité de
la lettre de la seule supposition de valeur, ce n’était, dit
M. Locré, ni juste, ni nécessaire.
« Ce n ’était pas juste, car quand les valeurs ont été
réellement fournies ; qu’elles sont du nombre de celles
qui peuvent devenir l’objet d’un contrat de change, et
qu’on a seulement énoncé une valeur pour une autre,
comme si l’on a exprimé valeur comptant, lorsque la
valeur a été donnée en marchandises, alors il y a réel
lement contrat de change, puisqu’il existe un tireur, un
�art.
H2.
167
preneur, un accepteur et une somme remise dans un
lieu pour êire payée dans un autre.
« Ce n’était pas nécessaire pour le cas où le prix de
la lettre de change a été fourni en valeurs qui ne
pouvaient être la matière du contrat de change; caries
seules valeurs exclues sont celles qui ne peuvent devenir
l’objet d’une remise ; il n’y aurait donc pas de remise,
ni par conséquent, aux termes de l’article 110, de con
trat de change. Mais c’était là un fait qu’il fallait laisser
juger’.
Donc, lorsqu’il s’agit de la supposition de valeur, les
tribunaux ont le droit et le devoir de rechercher quel
en est le véritable caractère. Si cette recherche aboutit à
la conviction qu’il n’y a aucune valeur, ou que celle
qui a été fournie ne pouvait devenir la matière du con
trat de change, le titre produit, ne remplissant pas les
conditions de l’article 110, ne sera pas une lettre de
change. Dans l’hypothèse contraire, l’article 110 ayant
été respectueusement suivi en la forme, et une valeur lé
gitime et certaine existant au fond, la lettre de change
doit être respectée et produire tous ses effetsa.
Ce qui distingue donc la supposition de valeur de
celles dont s’occupe l’article 112 , c’est que l’existence
matérielle de celles-ci est toujours suffisante pour faire
dégénérer la lettre de change en simple promesse, tandis
'
1
V
> c";
V‘‘
■7
-
V
:
' ;:v.
Esprit du Code de commerce, a rt. 442.
Rép., Lettres et billets de change. H orson, Quest. 52.
2 Merlin, v°
Nouguier, t. 2, p. 253.
�168
DE LA LETTRE DE CHANGE
que la première 11e produit cet effet que si en réalité on
ne peut indiquer une autre valeur réelle et de nature à
créer et à réaliser le contrat de change L
1 1 » . — Arrivons aux suppositions prévues par l’a r
ticle 412. La première est la supposition de nom, elle
existe toutes les fois qu’à la faveur d’un nom fictif on fait
intervenir un contractant imaginaire sans lequel les per
sonnes, dont le concours est exigé, ne seraient pas en
nombre voulu.
Elle se réalise donc : 1° lorsque celui qui tire une let
tre de change signe ou fait signer du nom d’un faux
tireur une lettre de change qu’il accepte, ou qu’il fait
accepter par un véritable tiré ; 2° lorsqu’un tireur vala
ble tire sur un individu non existant ; 3° enfin lors
qu’une lettre, réellement tirée sur un individu existant,
par un autre aussi existant, présente un preneur sup
posé, et sous le faux nom duquel est souscrit le premier
endossement qui livre la lettre à la circulation.
Le commerçant qui se livre à de pareils moyens n’a
pour but que de se procurer de l’argent en donnant le
change sur sa position réelle. On sait que dans le com
merce offrir à négocier un effet revêtu de plusieurs si
gnatures c’est en quelque sorte réussir. Tel nom isolé ne
trouverait pas à escompter cent francs qui sera facile
ment accepté pour des sommes plus ou moins considé-
�ART,
1 12 .
169
râbles s’il esl accolé à quelques autres, bien qu’ils soient
complètement inconnus au preneur.
Celui qui les offre négocie des valeurs de portefeuille.
Donc il a des ressources, il mérite qu’on lui accorde du
crédit. Cette considération, quoique si souvent cruelle
ment démentie par l’expérieuce, n’a pas cessé d’être dé
cisive, c’est ce que savent parfaitement les commer
çants, et c’est ce qui les détermine à imaginer de pré
tendues valeurs de portefeuille lorsqu’en fait ils n’en ont
aucune.
Mais la supposition de nom est extrêmement délicate
et chanceuse. Signer une lettre de change, une accepta
tion, un endossement d’un nom qui ne nous appartient
pas, ce nom n’appartînt-il à personne et fût-il purement
imaginaire, à plus forte raison imiter la signature d’une
personne déterminée, c’est commettre un faux en écri
ture de commerce, et s'exposer aux peines que la loi ré
serve à ce crime. Aussi n’est-ce que rarement qu’on re
courra à de pareilles extrémités l.
130. — Un moyen bien moins dangereux et surtout
bien plus largement exploité, consiste en ceci : on veut
se créer des valeurs faites, on s’adresse au premier venu
et, quelquefois par complaisance, d’autres fois au moyen
de récompense pécuniaire, on obtient une signature qui
représente, selon le cas, le tireur, l’accepteur ou le pre
neur de la lettre de change. Au lieu d’une signature, on
i V.
infra, a rt. 239.
�170
DE LA LETTRE DE CHANGE
peut, à l’aide de ce moyen, s’en procurer plusieurs s’il
y a nécessité ou intérêt à le faire.
Il n’y a pas là le faux puni par la lo i, car on n’en
rencontre pas la matérialité, mais c’est là évidemment
une véritable supposition dans le sens de l’article U 2 .
1 8 1 . — Cette supposition peut à son tour engendrer
la seconde que cet article prévoit, à savoir : la supposi
tion de qualité. Plus la personne dont on a emprunté le
concours occupera une position infime, et plus on s’ef
forcera de le déguiser pour endormir la vigilance et
pour inspirer une fausse crédulité.
Or, il est en commerce des qualités qui se recomman
dent dans certaines limites. Celle de banquier suppose
une certaine fortune, détermine un certain crédit, et
c’est celle dont on décorera ce nom qu’on a été quel
quefois prendre dans la boue du ruisseau.
Cette supposition ne peut non plus jamais constituer
le crime de faux. Poussée cependant jusqu’à un certain
point, elle pourrait constituer une violation de la loi
pénale, et créer le délit prévu et puni par l’article 405
du Code pénal.
1 * 8 . — La troisième supposition prévue par notre
article est celle de lieu et de domicile. C’est sans contre
dit celle qui est la plus répandue, la plus habituelle.
La lettre de change n’est pas l’apanage exclusif du
commerce. Les privilèges qu’elle confère, son exécution
entraînant même l’aliénation de la dot, la rendent pré-
�ART.
112.
171
cieuse aux usuriers, qui savent d’ailleurs la cumuler
avec des garanties hypothécaires.
Mais si les usuriers sont friands des avantages de la
lettre de change, ils n ’entendent pas en subir les incon
vénients, notamment ceux attachés à la remise de place
en place. Le prêt se faisant au domicile du prêteur, ce
lui-ci serait obligé de retirer ses fonds ailleurs, de les
faire voyager, ou de se livrer à une opération de ban
que. Mais il y a là des dangers à courir, des agios à
payer, qu’il est beaucoup plus simple de prévenir.
En conséquence, quoique la valeur soit réellement
fournie à Aix, on fera dater la lettre de Marseille, et,
moyennant l’indication d’un tiré à Aix, on aura, en ap
parence du moins, réalisé le contrat de change.
M. Nouguier constate à cet égard un fait curieux.
Combien d’usuriers, dit-il, qui, pour garantie de leurs
prêts, font tirer ou accepter des lettres de change tirées
de Sainl-Germain*en-Laye ou de Versailles par des gens
qui n’ont songé ni à y aller ni à y toucher de l’argent.
Ces abus se sont tellement multipliés que les effets datés
de ces villes, empreints de suspicion, sont frappés de
réprobation par les magistrats l.
Il est évident que la supposition de domicile n’aura
pour objet que d’assurer la réussite de la supposition de
lieu. Ainsi, pour rendre plus vraisemblable le tirage de
la lettre au lieu où il est indiqué, on déclarera, selon le
cas, que ce lieu est le domicile du preneur ou du tireur.
1 T. 1, p. 4S3.
M
>
■. 4;
kl
I
fil
; '11!
�172
LA LETTRE DE CHANGE
Il esl certain d’autre part qu’une supposition de domi
cile, ne dissimulant pas la supposition de lieu , serait
fort indifférente et n’empêcherait pas la lettre de valoir
si elle réunissait les conditions de l’article 110.
1 8 3 . — Voilà l’ensemble des suppositions que l’ar
ticle 112 prévoit et dont il règle l’effet. La lettre de
change, viciée par l’une d’elles, devient une simple pro
messe dont la conséquence peut être pour le tribunal
de commerce la nécessité de se désinvestir, si la com
pétence ne résultait pas de la qualité des parties, ou de
la nature de l’opération.
Quel est à cet égard le caractère de l’article 112. La
déchéance qu’il proclame résulte-t-elle invinciblement
de la matérialité de la supposition ? ou bien son exis
tence acquise, les juges ont-ils le droit de rechercher si,
malgré la supposition, la lettre de change réunit ou non
les conditions requises et, dans l’hypothèse de l’affirma
tive, de la considérer comme régulière et valable ?
C’est dans le sens du caractère absolu de la déchéance
que s’est prononcée la jurisprudence. Elle enseigne en
effet qu’on doit considérer la présomption de l’article
112 comme juris et de jure ; ne comportant pas et ne
le cédant pas devant la preuve contraire, elle refuse
donc toute faculté tendant à la rechercher. Par applica
tion de cette règle il a été jugé que la lettre de change
contenant supposition de lieu doit être réputée simple
promesse, alors même qu’on offrirait de prouver qu’ell e
�ART.
112.
173
a été réellement tirée d’un lieu sur un autre, ou que ce
fait serait adm is1,
i#4L — M. Nouguier paraît tenir pour l’opinion
contraire, car, confondant les suppositions de l’article
112 avec la supposition de valeur, et reconnaissant, ce
qui est vrai, que pour celle-ci il est permis au juge de
substituer la vérité au mensonge, il accorde la même
faculté pour les premières, mais cette assimilation a le
tort de méconnaître l’esprit et le texte de la loi.
Qu’a voulu l’article 112? M. Locré va nous l’appren
dre, en répondant aux arguments, bases de l’opinion de
M. Nouguier.
« On dira que, malgré la supposition de personne,
il est possible qu’il y ait un preneur, un tireur, un ac
cepteur ; que, malgré la supposition de domicile ou de
lieux, il se peut qu’il y ait effectivement remise de place
en place ; que, comme le dol ne se présume pas, la loi
aurait dû permettre d’éclaircir les faits, de juger avant
tout si les apparences trompeuses, mais commandées
par des circonstances particulières, ne cachent pas une
réalité que les parties offrent de justifier. »
La loi ne le permet donc pas, puisqu’on pourrait lui
en faire un reproche. Cette sévérité de la loi, continue
Locré, n’a rien d’excessif. Il est rare que toutes les sup
positions ne cachent pas quelque fraude. Ainsi, la pré1 Colmar, 15 ju in 1813. Metz, 1er décem bre 1836.
1837, 438.
J. du P . , 1,
�174
DE LA LETTRE DE CHANGE
sompiion générale qu’admet l’article 112 est fondée.
D’ailleurs les parties sont averties, elles n’ont plus lieu
de se plaindre.
« Cette sévérité était nécessaire dans un temps où,
sous la forme de lettres de change, on cache tant de
prêts usuraires, tant d’opérations honteuses, et où l’on
s’en assure ainsi les fruits, en se dérobant à l’indigna
tion publique *.
Voilà donc l’esprit et la portée de la législation. On
n’a pas voulu permettre aux juges de rechercher si des
apparences trompeuses ne cachent pas une réalité
conforme aux prescriptions de la loi. L’emploi d’une
supposition a paru décisif, l’article 112 n’a pas d’autre
signification, ce qui le prouve, c’est que, voulant ad
mettre et admettant cette recherche pour la supposition
de valeur, le législateur a eu grand soin de ne pas la
mentionner dans l’article 112.
1 3 5 . — Cependant on aurait tort de croire que la
réalité des choses sera absolument sans influence sur le
litige. Celte influence, au contraire, pourra être telle
qu’en réalité elle enlèvera tout intérêt possible à l’ob
jection de supposition.
Admettez, en effet, que le tribunal en ait reconnu
l’existence, voilà la lettre de change déclarée simple pro
messe. Or ce résultat ne sera recherché que pour établir
1E s p r it
d u C ode de com m erce,
art. 112.
�ART.
112.
175
l’incompétence du tribunal, et pour échapper à la con
trainte par corps.
Mais toutes promesses n’échappent pas nécessairement
au tribunal de commerce. Loin de là, lui seul est appelé
à connaître de celles intervenues entre commercants, ou
qui ont une cause commerciale. Cette règle régit évi
demment les lettres de change revêtant ce caractère aux
termes de l’article. En conséquence, s’il s’agit de per
sonnes exerçant le commerce, si en réalité l’opération
réalisée est une opération de change ou de banque , le
tribunal de commerce, incompétent par la nature du ti
tre, ne sera pas moins appelé à statuer au fond et à pro
noncer la contrainte par corps, c’est ce qui résulte for
cément de la discussion de la loi.
« Plusieurs cours, tribunaux, conseils et chambre de
commerce avaient demandé qu’on expliquât quel serait
le caractère de l’effet quand il aurait été dépouillé de
celui de lettre de change.
« Il n’était ni nécessaire, ni possible de lui donner un
caractère déterminé. Tout, à cet égard, dépend de la
forme de l’engagement, de son objet, de la qualité des
parties entre lesquelles il existe. Il sera, suivant les cir
constances, tantôt un billet à ordre, tantôt un effet de
commerce, tantôt une rescription ou un mandat.
« Ne pouvant embrasser toutes les combinaisons qui
fixent la nature de l’effet, ne voulant d’ailleurs que le
dépouiller du caractère de lettre de change, on s’est .
borné à dire qu’il ne serait réputé que simple promesse,
�176
DE LA LETTRE DF. CHANGE
et on a laissé les tribunaux le qualifier suivant les cir
constances l.
En l’état, on le voit, l’article 142 n ’est pas si rigou
reux qu’il en a l’air, et la vérité de l’opération, qui ne
saurait jamais empêcher le titre de dégénérer, produira
par elle-même les effets que ce titre eût produit s’il eût
été sincère.
1 3 6 . — L’existence d’une supposition de la nature
de celles prévues par l’article 112 est donc d’un im
mense intérêt pour ceux que la qualité du titre soumet
seule à la juridiction consulaire et à la contrainte par
corps. La certitude de cet intérêt fait aussitôt juger de
l’importance de l’intérêt contraire ; et comme en défini
tive l’effet des suppositions ne saurait être discuté, c’est
surtout sur le mode de les établir et de les justifier que
le litige s’exercera.
La recevabilité de la preuve testimoniale ne peut oflrir aucun doute ; d’abord la matière est commerciale.
En effet, il s’agit bien en définitive d’obtenir du tribu
nal de commerce qu’il décide le contraire, mais ce con
traire ne peut résulter que de l’existence de la supposi
tion, et nulle autre autorité que le tribunal de commerce
n’a la mission de rechercher cette existence.
Donc, jusqu’à cette constatation, ce tribunal est compétemment investi, la cause est donc commerciale jus
qu’à prononciation de renvoi à l’autorité civile. Or, en
1 Locré,
ibid
�ART.
112.
177
matière commerciale, la preuve craie est de droit com
mun, son admissibilité en celte circonstance est donc
incontestable.
Il est, pour appuyer cette solution, un motif bien
plus péremptoire que nous puisons dans les principes
généraux du droit. Nul ne peut déroger à une loi d’or
dre public et d’intérêt général. Les lois réglant la con
trainte par corps et son exécution réunissant à un haut
degré ce double caractère, on ne peut impunémeut les
violer, et l’impossibilité de le faire directement exclut la
faculté de le faire d’une manière indirecte.
Or, créer une supposition pour donner à un titre or
dinaire le caractère de la lettre de change, c’est se sou
mettre volontairement à la contrainte hors les cas auto
risés ; c’est violer la disposition expresse de l’article
2063 ; c’est dès lors ne créer aucun droit en faveur de
qui que ce soit et contre personne.
La preuve testimoniale de cette violation serait admis
sible devant les tribunaux ordinaires, à plus forte rai
son l’esl-elle devant les tribunaux de commerce. C’est
là un point sur lequel la doctrine et la jurisprudence
sont unanimes.
La conséquence de cette admissibilité est de rendre
parfaitement recevable la preuve par présomptions. On
peut donc, suivant les circonstances, et sans recourir à
la preuve, se contenter de celles-ci, et à leur aide pro
clamer l’existence de la supposition alléguée.
ISS. — Cette solution indique celle que doitrecei — Ji2
�178
DE LA LETTRE DE CHANGE
voir la question de savoir par qui et contre qui la sup
position peut être alléguée et prouvée ? Elle peut l’être
évidemment par tous ceux qui y ont intérêt contre tous
ceux qui ont participé à la fraude ou qui y ont con
couru. Le Brocard nemo auditur turpitudinem suam
allegans, n’est pas de mise dans les matières d’ordre
public, et nous venons de voir que la contrainte par
corps se place forcément dans cette catégorie. On ne
pourrait donc empêcher celui qui s’y est soumis, au
mépris de l’article 2063, de poursuivre et de faire pro
noncer l’inanité de cette convention.
138. — On a même été plus loin, un arrêt de la
cour de Bruxelles, du 7 octobre 4811, permettait au ti
reur de l’opposer au tiers porteur même de bonne foi.
L’article 112, disait l’arrêt, ne faisant aucune distinc
tion et n’ayant évidemment d’autre but que de réprimer
l’infraction à l’article 2063, on peut l’opposer à tout
porteur.
Cette jurisprudence a été repoussée par la doctrine.
Merlin, Pardessus, Nouguier, Horson, Dalloz, Fournel
sont unanimes dans la réprobation qu’ils en font.
Elle a été condamnée par la jurisprudence et même
par la cour de Bruxelles, qui en a bientôt reconnu le
défaut de fondements juridiques l.
i 20 août 4812 et 20 décembre 4844. Conf., cass., 18 mars 1819 et 42
février 1832. Ce dernier rapport par Merlin, V. Lettres et billets de
banque.
�ART. 113, 114..
179
Ainsi le tiers porteur de bonne foi est à l’abri de l’ex
ception autorisée par l’article 112, de la même manière
qu’il le serait à l’endroit de celle fondée sur le dol, la
fraude, la violence, la complaisance. En matière de let
tres de change, le porteur ne transmet pas seulement
les droits qu’il a lui-même, il confère en outre la pro
priété pleine, entière, absolue de la créance, qui ne peut
être altérée que par des actes personnels imputables au
porteur. C’est ce qui a été jugé pour le cas de dol, de
fraude, etc......C’est ce qu’on doit également admettre
en cas de supposition. Ainsi le tiers porteur ne peut être
passible de l’application de l’article 112 que s’il a connu
la supposition dont on exciperait K
art.
113.
La signature des femmes et des filles non négociantes
ou marchandes publiques sur lettres de change ne vaut,
à leur égard, que comme simple promesse.
A RT.
114.
Les lettres de change souscrites par des mineurs non
négociants sont nulles à leur égard, sauf les droits res
pectifs des parties , conformément à l’article 1312 du
Code civil.
1 Cass, 26 décembre 4808. Paris, 22 mai 4828.
�180
DE LÀ LETTRE DE CHANGE
SO M M A IRE
129.
130.
131.
132.
133.
134.
133.
136.
137.
138.
139.
Caractère de l’article 113. Dérogation à la capacité ordi
naire des femmes et des filles.
Doit être combiné avec les principes régissant la femme
mariée. Effet de l’autorisation du mari.
Pourquoi la loi n'a pas voulu qu’à l’égard des femmes et
des filles la lettre de change fût un acte de commerce.
L’article 136, ordonnant le renvoi devant la juridiction ci
vile dans le cas de l ’article 112, n’est pas applicable à
l’article 113.
Arrêts de Bordeaux et de Limoges en sens contraire. Cri
tique.
Arrêt d’Aix en faveur de notre opinion. Importance de ses
considérations.
Examen de deux arrêts de la Cour de cassation.
Condition pour l ’application de l ’article 113.
Nullité de la lettre de change souscrite par le mineur. Ca
ractère de l’article 114.
Comme le droit civil, le droit commercial consacre la
maxime : Restituitur minor non tanquam minor sed
tanquam lœsus. Conséquences.
Effets de la nullité de la lettre à l’endroit de la compétence
consulaire.
189. — Comme tous les contrats, celui de change
est soumis aux prescriptions de l’article 1108 du Code
civil, notamment à la condition de capacité chez les
parties qui y concourent. Comment, en effet, permettre
de contracter un engagement entraînant la contrainte
par corps, à celui qui ne serait pas apte à consentir une
�ART.
H S , 114.
181
obligation ordinaire ? La loi commerciale a si bien ap
précié l’anomalie étrange d’un résultat de ce genre, que
non seulement elle a respecté les incapacités édictées par
la loi civile, mais qu’à raison même du contrat et de la
lettre de change, elle en a créé de spéciales K
L’article 413 ne crée pas une incapacité nouvelle, il
se borne à restreindre la capacité des femmes et des fil
les. En droit commun, les filles et les femmes, sauf les
stipulations du contrat de mariage et la nécessité de
l’autorisation maritale tant que dure le mariage, sont
non seulement dans le cas de contracter valablement, si
elles sont m ajeures, mais même de se livrer au com
merce et de s’exposer ainsi à la contrainte par corps.
Fallait-il le consacrer ainsi pour la signature qu’elles
donneraient à une lettre de change ? Le législateur a
consacré la négative ; la considération du sexe, sa faci
lité à se laisser entraîner, son inexpérience, le danger
des influences auxquelles il sera exposé ont paru com
mander de leur prohiber d’engager leur liberté en sous
crivant une lettre de change. À leur égard, cette sous
cription ne constitue pas un acte de commerce.
ISO. — L’article 113 doit être combiné avec les
règles imposées à la femme dans les diverses positions
qu’elle est appelée à occuper. Ainsi la femme mariée ne
saurait y trouver la faculté de se soustraire à l’autorisa
tion que la loi exige. La lettre de change qu’elle aurait
i Supra, n»» 29 et suiv.
i
�182
DE LA LETTRE DE CHANGE
souscrite, sans cette autorisation , ou les formalités qui
la suppléent, serait non seulement une simple promesse,
mais encore frappée d’une nullité absolue qui lui ferait
refuser tout effet.
L’autorisation régulièrement obtenue, rendrait l’obli
gation valable au fond, mais seulement dans les limites
de l’article 113, c’est-à-dire que, quoique cette obliga
tion empruntât la forme de la lettre de change, la si
gnature donnée par la femme ne vaudrait à son égard
que comme simple promesse.
La disposition de l’article 113 est impérieuse et abso
lue. Les femmes ou filles seront fondées à en revendi
quer le bénéfice, alors même que la réalité de la remise
de place en place assignerait à la lettre de change son
véritable caractère commercial. Ce n’est même que cette
hypothèse qui a pu faire la matière de l’article. Il est
évident, en effet, que si la lettre était entachée de sup
position, elle n ’était à l’égard des femmes et des filles
qu’une simple promesse, par l’excellente raison qu’elle
le devient pour tout le monde.
1 3 1 . — L’article 113 n’est pas la répétition de l’ar
ticle 112. De là cette conséquence qu’il a voulu que la
lettre de change, réputée acte de commerce entre toute
personne, ne puisse jamais revêtir ce caractère à l’égard
des femmes et des filles.
Cette dérogation à 4 ’article 632 est d’autant plus re
marquable, que tous les autres faits réputés actes de
commerce entraînent contre les femmes et les filles les
�ART. 115, 114.
185
mêmes effets que pour tous les citoyens. Cependant on
comprend la marche que s’est tracée le législateur. L’en
treprise d’un des actes énumérés par les articles 632 et
633 exige de celui qui s’y livre un certain temps, une
persévérance de volonté exclusive de toute idée de sur
prise ou de violence. Il n’en est pas de même d’une si
gnature à une lettre de change, le mari qui en aurait
besoin pour obtenir du crédit saurait bien l’obtenir au
prix même de l’abus de l’influence qu’il est appelé à
exercer pour son sexe et par sa qualité. Ce que le mari
obtiendrait de sa femme, un père, un frère pourrait par
ses prières l’obtenir de sa fille, de sa sœur, et c’est ainsi
que filles et femmes verraient bientôt leur fortune per
due, leur liberté aliénée.
C’est celte éventualité qui répugnait au législateur. Ne
pouvant garantir la fortune contre la surprise, il a voulu
au moins mettre à couvert la liberté. Tel est le mobile
et l’objet de notre article 113.
Donc, à l’égard des femmes et des filles, la signature
qu’elles auront donnée à la lettre de change, en quel
que qualité que ce soit, ne vaudra que comme simple
promesse. Ces termes méritent d’être remarqués, ils si
gnifient que pour tous autres signataires , la lettre de
change conservera son caractère et ses effets. Simple
promesse pour les unes, elle restera lettre de change
pour les autres. Ce résultat, impossible dans les hypo
thèses des articles 110 et 112, distingue ces hypothèses
de l’article 113.
�184
DE LA LETTRE DE CHANGE
— Cette différence doit, à notre avis, résoudre
une difficulté que soulève l’article 636 du Code de com
merce. Aux termes de sa disposition, lorsque les lettres
de change ne sont réputées que simples promesses sui
vant l’article 112, le tribunal de commerce sera tenu de
renvoyer au tribunal civil, s’il en est requis par le dé
fendeur : ce renvoi devra-t-il être prononcé dans le cas
de l’article 113 ? En d’autres termes, les femmes ou fil
les signataires de lettres de change sont-elles fondées à
décliner la compétence du tribunal consulaire ?
Nous hésitons d’autant moins à nous prononcer pour
la négative, qu’une pareille prétention, repoussée par
les termes de la loi, nous paraît condamnée par la na
ture des choses.
L’article 636 est formel : Lorsque les lettres de chan
ge ne seront réputées que simples promesses aux ter
mes de l’article 112. Mais pourquoi cette restriction s’il
doit en être de même pour l’article 113 ? Aussi, et pour
répondre à cette considération, M. Nouguier déclare que
ces termes de l’article 636 ne sont que l’effet de la pré
occupation et du hasard.
Nous n’admettons ni l’un ni l’autre, car leur expli
cation se produit naturellement du résultat différent au
quel aboutissent les articles 112 et 113.
Dans l’hypothèse du premier, il n’existe plus de lettre
de change. Il n’y a pour tous et contre tous ceux qui y
ont concouru qu’une simple promesse. A quel titre donc,
si aucun des signataires, si les débiteurs, tireur, accep
teur et endosseurs ne sont pas commerçants, si la ma± 32 .
�art.
113, 1l i
1 85
tière de l’obligation n’est pas commerciale, le tribunal
de commerce retiendrait-il, si le renvoi est demandé par
le défendeur.
Dans cette hypothèse m êm e, si le titre déclaré simple
promesse est revêtu de signatures de commerçants et de
non-commerçants, on reconnaît que le tribunal de com
merce prononcera sur tous, sauf à ne prononcer la con
trainte par corps que contre les premiers.
Or, ce qui dans cette hypothèse est la conséquence de
la qualité de certains signataires, serait dans celle de
l’article 113 le résultat de la nature de l’opération. Nous
l’avons déjà dit, la signature des femmes ou filles ne
fait rien perdre au titre de son caractère à l’égard de
tous les autres signataires. Pour eux tous, comme pour
chacun d’eux, ce titre reste une vraie lettre de change
entraînant la compétence consulaire et la contrainte par
corps. Comment admettre que l’intervention de la fem
me pût faire consacrer le contraire , alors que l’article
113 rend spécial et personnel le bénéfice qu’il confère ?
A notre avis, loin que l’incompétence acquise à la
femme ou à la fille rejaillisse sur les autres signataires,
il faut au contraire admettre que la compétence, rela
tivement à ceux-ci, s’étend à l’une et à l’autre, seule
ment la contrainte par corps ne pourra les atteindre, ni
être par conséquent prononcée. Ce résultat, MM. Par
dessus et Nouguier le préconisent dans le cas où la let
tre de change serait signée par des commerçants. Cette
exigence de la qualité se comprend pour le billet à or
dre, ou pour la simple promesse dont parle l’article 11H.
�186
DE LA LETTRE DE CHANGE
Mais puisque le titre de l’article 113 reste une lettre de
change pour les signataires ; puisque chacun d’eux en
y prenant part a fait un acte de commerce, qu’il s’est
soumis par cela seul à la contrainte par corps et à la
compétence consulaire, à quoi bon se préoccuper de sa
qualité? qu’ajouterait-elle qui ne soit déjà acquis l.
Donc la femme ou la fille signataire d’une lettre de
change est compétemment assignée devant le tribunal.
On appliquera dans ce cas l’article 637 , et le tribunal
ne pourra, en prononçant, ordonner la contrainte par
corps. La nature commerciale de l’acte envers les autres
signataires équivaut à la qualité exigée par cette dispo
sition et en produit les effets.
133.
— Il existe sur notre question des arrêts
en sens contraire. L’opinion de MM. Nouguier et Par
dessus est consacrée par la cour de Bordeaux et par la
cour de Limoges2.
Le premier de ces arrêts considère que tout ce qui ré
sulte des dispositions bien entendues de l’article 636
du Code de commerce combinées avec l’article 112, c’est
que les lettres de change dont il est question dans celuici, et qui sont celles qui contiennent supposition soit de
nom, soit de qualité, soit de domicile, soit de lieux, con
servent toutes les apparences de vraies lettres de change.
i Pardessus, Droit com,, n° 4348-49. Nouguier, chap.
p. 457.
a 11 août 1826, 16 février 1833.
x ii,
n° 6, t. 1,
�ART.
115, 114.
187
Il fallait donc une disposition formelle de la loi pour les
soustraire à la compétence des tribunaux de commerce,
lorsque le renvoi en était requis. Tandis que les lettres
de change dont parle l’article 113, et qui ne concernent
que celles signées par les femmes ou les filles non mar
chandes publiques, étant dépouillées par cet article du
seul caractère qui les constituait effets commerciaux et
ne pouvant plus valoir que comme simples promesses,
rentrent de plein droit dans le domaine des engagements
civils, dont la connaissance appartient aux juges natu
rels des parties. Celte considération se retrouve dans
l’arrêt de Limoges.
La Cour n’oublie qu’une chose fort essentielle pour
tant pour la validité de sa distinction, à savoir : que
dans l’hypothèse de l’article 1 12 le renvoi ne peut être
demandé et ne doit être ordonné que si l’existence de la
supposition a été reconnue et consacrée. Donc , on ne
peut dire qu’au moment de ce renvoi la lettre conserve
les apparences d ’une lettre de change, apparences qui ne
déterminent la compétence que pour et jusqu’à la cons
tatation du vice dont elle est entachée. Dès ce moment,
au contraire, la loi la dépouille de son caractère, et la
nécessité du renvoi n’avait pas besoin d’être étayée sur
une disposition expresse.
La vérité est en sens contraire de ce que les cours de
Bordeaux et de Limoges décident. C’est la lettre de
change dont s’occupe l’article 113 qui ne perd rien de
son caractère. Il faudrait pour cela supposer que tireur,
preneur, accepteur, endosseur, tous appartinssent au
�188
DE LA LETTRE DE CHANGE
sexe féminin, car il n’y a simple promesse qu’à l’égard
de celui ci, les signataires de l’autre sexe n ’en ont pas
moins fait une lettre de change.
134.
— Ce que nous avons déjà établi nous-même
était formellement consacré par la cour d’Àix. Son arrêt,
rendu le 22 février 18221, se prononce dans le sens
diamétralement contraire à celui des arrêts précédents :
Attendu que quoique la signature des femmes ou filles
non marchandes publiques sur lettre de change ne vaille
que comme simple promesse, la lettre de change qui en
est revêtue ne cesse pas d’être lettre de change et par
conséquent soumise à la juridiction commerciale ; tout
ce qu’opère le sexe du signataire est l’exemption de la
contrainte par corps et de la solidarité, puisque l’article
113 du Code qui s’occupe de ces lettres n’en prononce
pas la nullité, comme l’article 114 le fait pour celles
souscrites par les mineurs ; il ne dit même pas que la
lettre de change ne sera réputée que simple promesse,
comme au cas de l’article 112 ; mais seulement et taxativement que la signature des femmes ou filles ne vau
dra que comme simple promesse à laquelle la loi n’ac
corde pas le bénéfice de l’article 636 l.
Cette dernière considération a une importance réelle.
11 en résulte que l’article 113 n’a entendu conférer
qu’un bénéfice exclusivement personnel. La lettre de
i Conf., Toulouse, 19 mai 1820, Montpellier, 23 novembre 1828, 20
janvier 1835.
�ART. 1 1 0 , 111.
189
change n’en sera pas moins telle, mais elle ne sera pas
un acte de commerce pour la femme ou la fille qui y '
aura concouru.
— On a prétendu, dans l’opinion contraire,
que la Cour suprême l’avait consacrée par arrrêt du 28
avril 1829. L’examen de ce monument de jurisprudence
repousse cette prétention. Dans cette espèce, on contes
tait si peu la compétence sur ce que la lettre de change
ne serait qu’une simple promesse, que le déclinatoire
ne se fondait que sur sa nullité absolue, même comme
engagement ordinaire, et que sous ce rapport c’était à
la juridiction ordinaire qu’il fallait s’adresser, prétention
dont la Cour suprême approuve le rejet.
Notre question n’a donc pas été tranchée par cet ar
rêt, mais elle l’a été formellement et dans le sens que
nous soutenons par celui du 26 juin 1839.
On attaquait un arrêt de Paris qui avait admis la com
pétence consulaire. On soutenait qu’il avait violé l’arti
cle 113 et faussement appliqué les articles 142 et 637 ;
on appuyait le pourvoi sur les considérations relevées
par les arrêts de Bordeaux et de Limoges.
Voici la répouse de la Cour de cassation :
« Attendu qu’il résulte des articles 636 et 347 du
Code de commerce que l’attribution de la connaissance
des contestations relatives aux billets à ordre dévolue
aux tribunaux de commerce par la combinaison des ar
ticles 631 et 632 du même Code avec l’article 187, ne
cesse que dans le cas de l’article 112, ou lorsque les
billets à ordre ne portent que de signatures d ’individus
135.
�190
DE LA LETTRE DE CHANGE
non négociants, et n’ont pas pour occasion des opéra
tions de commerce ;
« Attendu qu’en exceptant de la compétence commer
ciale les lettres de change réputées simples promesses
aux termes de l’article 112, et par voie de conséquence
les billets à ordre qui n’ont que le caractère de simple
promesse, l’article 636 garde le silence à l’égard du cas
dans lequel, aux termes de l’article 113, la signature
des femmes et des filles non négociantes ou marchandes
publiques ne vaut que comme simple promesse ; qu’il
suit de là que la loi n’a pas voulu étendre, sur les cas
prévus par l’article 113, la dérogation aux principes gé
néraux de compétence, dérogation prononcée pour le
-cas de l’article 112 seulementL »
Pour la Cour de cassation, la spécialité de l’article
636 et son inapplicabilité à l’article 113 ne font donc
aucun doute, elle proclame dès lors la conséquence que
nous signalions tout à l’bure, et que les cours d’Aix, de
Toulouse, de Montpellier avaient consacrée.
136.
— Le bénéfice de l’article 113 tient à une
condition, à savoir : que les femmes et filles signataires
ne soient ni négociantes, ni marchandes publiques. Dans
le cas contraire, elles ont la plénitude de capacité pour
tout ce qui regarde leur commerce. Les lettres de change
qu’elles souscriraient dans cet objet produiraient con
tre elles les effets qu’elles entraînent contre les autres
�ART.
113, 114.
191
commerçants, à savoir, la compétence consulaire, la con
trainte par corps. Elles ne seraient pas recevables à in
voquer l'article 113 K
13?. — Il n’en est pas du mineur comme de la fem
me et de la fille, son incapacité absolue frapperait d’une
nullité radicale, en ce qui le concerne, la lettre de chan
ge qu’il souscrirait. La nullité, dans cette hypothèse,
s’étend non seulement à la forme, mais encore à l’obli
gation au fond.
Cette disposition n’est que la conséquence logique de
la législation spéciale régissant le mineur. De par le
droit civil, on ne lui reconnaît aucune capacité de con
tracter, et l’article 3 du Code de commerce lui prohibe
la faculté de faire valablement aucun des actes énumérés
par les articles 632 et 633 , et au nombre desquels se
trouve la lettre de change, sans être préalablement au
torisé à faire le commerce.
Conséquemment le mineur, qui sans cette autorisa
tion souscrit une lettre de change, fait en réalité une
opération condamnée par la loi civile et par la loi com
merciale, et qui doit dès lors être absolument réprouvée.
138. — Mais le droit commercial a pleinement
adopté et suivi les errements du droit civil. Celui-ci, nous
avons eu l’occasion de l’enseigner ailleurs2, a admis la
1 V. notre comm. des articles 4 et 5 C, comm.
2 V, notre Traité du dol et de la fraude, n°s 114 et suiv.
�102
DE LA LETTRE DE CHANGE
présomption de lésion : Restituitur minor non tanquam minor sed t&nquam lœsus. L’admission de cette
même présomption explique l’appel que notre article
fait à l’article 1312 du Code civil.
On n’a donc pas voulu ici, plus qu’ailleurs, enrichir
le mineur aux dépens de qui que ce soit. En conséquence
il devra rendre tout ce qui a tourné à son profit. Rap
pelons que pour le majeur, la preuve du profit que fait
le mineur lui est dans tous les cas imposée, et qu’on ne
reconnaîtrait cette destination qu’aux sommes qu’il au
rait placées ou employées en acquisition d’immeubles.
On considérerait les sommes dépensées comme le résul
tat d’une folle, d’une inutile dissipation. On pourrait
même placer dans cette catégorie les achats de meubles
faits sans utilité ou accasionnant une perte certaine.
1 3 » . — La lettre de change souscrite par le mi
neur ayant tous les caractères exigés par la loi a une
apparence de validité, le tribunal de commerce serait
régulièrement investi de la connaissance des difficultés
qu’elle ferait surgir, mais jusqu’à proclamation de la
minorité.
Celle-ci admise, il n’y a plus de lettre de change, à
moins que le mineur n’y eût figuré que comme accep
teur ou endosseur. Effacez, en effet, l’acceptation ou
l’endossement, et la lettre de change ne cessera pas
d’exister pour le tireur, le preneur et les endosseurs a u
tres que le mineur. Le tribunal pourrait donc conserver
la connaissance du litige entre les majeurs, mais si le
�ART.
113, 114.
193
mineur a lui-même tiré la lettre de change, la nullité
dont elle est frappée ne lui permet plus de produire le
moindre effet entre qui que ce soit. En conséquence,
dans cette hypothèse, le tribunal consulaire ne serait
compétent que si les majeurs étaient commerçants, ou si
l’opération était commerciale.
Quant au mineur, il peut demander ou son renvoi,
ou la nullité de la lettre de change, il n’a pas même be
soin pour cela de son tuteur ; mais, dans le cas d’ab
sence de celui-ci, le tribunal de commerce, compétent
pour prononcer la nullité de la lettre, ne pourrait rien
décider contre le mineur, pas même l’application de
l’article 1312, il devrait renvoyer celui qui la demande
rait à se pourvoir devant qui et aux formes de droit.
§ II. — DE LA PROVISION
ART. 11 S.
La provision doit être faite par le tireur ou par celui
pour le compte de,qui la lettre de change sera tirée,
sans que le tireur pour compte d ’autrui cesse d’être per
sonnellement obligé envers les endosseurs et le porteur
seulement.
i — 13
�194
DE LA LETTRE DE CHANGE
ARTICLE 116.
Il y a provision, si à l’échéance de la lettre de chan
ge, celui sur qui elle est fournie est redevable au ti
reur, ou à celui pour compte de qui elle est tirée, d’une
somme au moins égale au montant de la lettre de
change.
ARTICLE 117.
L’acceptation suppose la provision.
Elle en établit la preuve à l’égard des endosseurs.
Soit qu’il y ait ou non acceptation, le tireur seul est
tenu de prouver, en cas de dénégation, que ceux sur
qui la lettre était tirée avaient provision à l’échéance,
sinon il est tenu de la garantie , quoique le protêt ait
été fait après les délais fixés.
SO M M A IR E
140.
Nature de la provision. Conséquences. Comment elle s’ef
fectue.
141. L’existence d’une dette du tiré, au moins égale au mon
tant de la lettre de change, constitue la provision. A
quelles conditions.
142. Faut-il que cette dette soit exigible à l’échéance de la
lettre ?
�143.
144.
143.
146.
147.
148.
149.
130.
151.
152.
153.
154.
155.
156.
157.
158.
159.
160.
161.
162.
Opinion de M. Nouguier pour la négative. Jurisprudence
conforme.
Véritable caractère d’un arrêt rendu par la cour d’Aix
le 2 juin 1837, dont on veut faire ressortir l’opinion
contraire.
La provision peut être faite en marchandises. A quel titre.
i° Yente. Conséquences.
2° Dépôt. Ses effets.
2“ Consignations pour être vendues. Conditions pour qu’il
y ait provision.
Faut-il qu'il y ail affectation déclarée par le tireur et ac
ceptée par le tiré ? Dans quels cas ?
Résumé.
A quelle époque les marchandises devraient-elles être ar
rivées en la possession du tiré.
La marchandise déposée ou consignée périt pour le compte
du tireur, sauf le cas de négligence.
4° Envoi d’effets commerciaux. De quel jour existera la
provision. Obligations et droits du tiré.
5° Provision par crédit en compte courant. Ses effets.
Importance de la règle dans le cas d’une lettre de change
tirée pour le compte d’un tiers.
Où doit être faite la provision lorsque la traite est indiquée
payable à un domicile autre que celui du tiré ?
La provision est-elle détruite par la faillite du tiré avant
l’échéance ?
Effet de l ’acceptation quant à la preuve de la provision.
Comment prouvera-t-on la provision ?
La preuve testimoniale est-elle admissible"?
A qui appartient la provision si le tireur tombe en faillite
avant l ’échéance ?
Opinion de M. Fremery dans le cas où il n’y a eu ni affec
tation, ni acceptation.
Réfutation.
�196
DE LA LETTRE DE CHANGE
463.
164.
Réponse de M. Nouguier. Son caractère juridique.
Droit du tireur de disposer de la provision jusqu'à l’é
chéance, sauf le cas d’acceptation.
465. Droits des porteurs de lettres de change tirées sur le même
individu. Comment se fait la répartition.
166. Droits du porteur contre le tiers non acceptant. Devant
quel tribunal peut-il les faire valoir.
1 4 0 . — On a donné le nom de provision à la som
me qui est destinée au payement de la lettre de change
et qui, à l’échéance, doit se trouver au pouvoir du tiré
et au lieu du payement.
La destination de la provision n’étant que le paye
ment de la traite, amène à décider qu’elle n’est indis
pensable qu’au moment de l’échéance. Ainsi le porteur
n ’a pas le droit, avant celle-ci, de s’enquérir si elle
existe ou non, et cela est surtout vrai dans le cas d’ac
ceptation. En effet, celle-ci prouvant la provision à son
égard, qu’exigerait-il au-delà de l’obligation personnelle
du tiré qui naît de l’acceptation. Si la lettre de change
n’est pas acceptée, le porteur n’a que le droit de requé
rir l’acceptation, et, à son défaut, de faire protester, à
moins que la lettre ne soit pas acceptable.
Une seconde conséquence de la nature de la provision
est logiquement consacrée par notre article 115. Le
payement d’une obligation est dû par le débiteur. Or le
véritable, le seul débiteur d’une lettre de change, est le
tireur agissant pour son propre compte , ou celui qui a
donné l’ordre de tirer et pour le compte de qui la lettre
�ART. 115, 116, 117.
197
est tirée. La provision, c’est-à-dire le payement devra
être effectué , suivant le cas , soit par l’u n , soit par
l’au tre 1.
La provision peut être effectuée de diverses manières :
1® par compensation de la dette due par le tiré au ti
reur ; 2* par l’envoi de marchandises ; 3° par celui de
valeurs à recouvrer ou de traites négociables ; 4° par le
crédit et le débit du compte courant.
j>
-
1 4 t . — Le premier mode est formellement prévu
par l’article 11 6, il s’offrait tout naturellement à l’es
prit. D’une p a rt, la lettre de change est le moyen de
faire rentrer les fonds qu’on a à recouvrer dans des pays
plus ou moins éloignés, et ce moyen, utile au créancier,
ne saurait nuire au débiteur. En effet, ce qu’il faut à
celui-ci, c’est qu’il puisse se libérer valablement. Or, le
payement de la lettre de change entre les mains du pre
neur ou du porteur auquel il l’aurait transmise, opère
cette valable libération. En effet, il n’est que l’exécution
de l’ordre formel que donne le créancier, ordre que le
débiteur peut et doit exécuter.
L’existence d’une dette due par le tiré est donc une
provision suffisante, mais à une double condition, à sa
voir : que la dette existera au moment de l’échéance de
la lettre de change; qu’elle sera au moins égale au mon
tant de celle-ci.
Ainsi, il ne suffirait pas qu’au moment de la sous-
�198
DE LA LETTRE DE CHANGE
cription de la lettre de change le tireur fût créancier du
tiré. Si, depuis, cet état des choses s’est modifié par le
mouvement des relations existant entre l’un et l’autre,
si, à l’échéance , cette dette n’existe plus , il n’y a pas
provision, et le tiré ne saurait être poursuivi, à moins
qu’il n’eût accepté purement et simplement lors de la
présentation de la traite.
Il en serait de même si le tireur n’était devenu cré
ancier qu’après l’échéance. Dans le commerce, on ac
cepte quelquefois à découvert des traites d’un correspon
dant sur lequel on fournit en retour pour des sommes
égales ou supérieures. Doit-on considérer comme créan
cier l’accepteur à découvert et décider que le tiré a pro
vision pour les traites formant couvertures, alors que
ces traites sont à une échéance plus rapprochée que celle
de la lettre acceptée ? La cour de Paris a très juridique
ment décidé la négative. L’arrêt observe avec raison que
ce qui constitue la créance , c’est le payement et non
l’acceptation, celle-ci pouvant, par des circonstances
imprévues, ne pas sortir à effetï.
La même doctrine a été consacrée par la cour de
Liège, le 9 mai 1812. La Cour décide, en effet, que la
provision, qu’on voudrait faire résulter d’un compte
courant, ne serait réputée exister que si, le compte ar
rêté à l’échéance de la lettre de change, le tiré était
constitué débiteur ; que peu importerait qu’il le devînt
plus tard, surtout si ce résultat ultérieur ne provenait
�ART.
115, 116, 117.
199
que parce que des valeurs, jusque-là portées à son cré
dit, ont dû en être retranchées faute de payement.
Le même arrêt ajoute que la dette constatée au mo
ment de l’échéance ne constituerait pas la provision, si
elle était inférieure au montant de la lettre. Cette règle
est incontestable, elle découle rigoureusement de l’ar
ticle 116, n’admettant provision que si la dette est au
moins égale à ce montant. Ces expressions ne sont pas
susceptibles de deux sens, et comme elles expriment une
condition rigoureuse, on ne peut que rendre hommage
au caractère juridique de l’arrêt de Liège. C’est, au
reste, ce qui se trouve consacré par la Cour de cassa
tion, dans un arrêt du 6 mars 1837 L
143.
— Faut-il, pour la régularité de la provision,
que la dette du tiré soit exigible à l’échéance de la let
tre de change ? Le silence gardé par notre article a fait
surgir quelques doutes. L’exigibilité, a-t-on dit, est une
condition essentielle de la provision ; jusqu’au terme
fixé, le tiré ne pouvant être contraint de payer, c’est
comme s’il ne devait pas : Qui a terme ne doit rien.
C’est-à-dire que le débiteur à terme ne peut être pour
suivi en payement avant l’expiration de ce terme. Cela
est vrai et juste, mais tout ce qui en résultera, c’est que,
dans notre hyyothèse, le tiré pourra se refuser de payer
la lettre de change à l’échéance qu’elle indique, et at
tendre celle de sa propre dette. Le porteur ne pourrait
1 J. du P., 1, 1837, 463.
�200
DE LA LETTRE DE CHANGE
exiger le contraire que si le tiré avait purement et sim
plement accepté.
Mais cela fait-il que le tireur n’ait pu céder ce qui lui
était dû par le tiré ? Est-ce que la dette non exigible
ne peut pas devenir la matière d’une cession ? Or, du
tireur au porteur, la lettre de change doit être considé
rée comme un véritable transport de la provision ac
tuelle ou future, car la provision peut ne pas exister au
moment du tirage de la lettre de change, et elle n’en
appartiendra pas moins au porteur si elle existe au mo
ment de l’échéance.
Donc, tout ce qui est dû par le tiré au tireur est cédé
par celui-ci au porteur, qui en devient propriétaire. Si
l’échéance de cette créance ne concorde pas avec celle
de la lettre de change, le porteur a la faculté de s’en te
nir à celle-ci et de poursuivre immédiatement soit le
protêt faute d’acceptation, soit le protêt faute de paye
ment. Mais, s’il se contente de la garantie du tiré, et
qu’il accepte la dette telle qu’elle est due par lui, per
sonne ne serait recevable ou fondé à contester sa réso
lution et à l’empêcher de sortir à effet.
1 4 3 . — Telle est l’opinion de M. Nouguier, telle
est la doctrine que la jurisprudence a consacrée :
« La loi ne distingue pas, a dit la Cour suprême, en
tre la dette exigible et celle dont le terme n’est pas ar
rivé ; elle n’exige qu’une seule chose pour qu’il y ait
provision, c’est qu’à l’échéance de la lettre de change,
�ART. 1 1 b , 1 1 6 , 1 1 7 .
201
le tiré soit redevable envers le tireur d’une somme au
moins égale au montant de la lettre de change.
« Ainsi, il y a provision lorsqu’à l’échéance le tiré est
débiteur de valeurs suffisantes affectées au payement de
la lettre de change, et que le porteur en est saisi par
l’endossement, sauf à l u i, s’il ne se contente pas d’une
échéance postérieure à celle de son titre , à recourir de
suite contre le tireur l. »
La question, s’étant plus tard présentée à la cour de
Bordeaux, y a reçu une solution conforme.
a Attendu, dit l’arrêt rendu le 30 juin 1841, qu’il y
avait provision entre les mains de Daichal à l’échéance
de la lettre de change dont s’agit, puisque, au 15 juillet
1836, Daichal devait 3,100 fr. à Lecourt ; qu’inutilement Pechadergue invoque la maxime : qui a terme ne
doit rien ; que ce brocard de droit doit s’entendre dans
ce sens que celui qui a terme, bien qu’il ne puisse pas
répudier la qualité de débiteur, ne peut cependant être
poursuivi avant l’expiration du terme convenu ; qu’il est
évident que Daichal devait à Lecourt la somme portée
au contrat de 1837 ; que dès lors il y avait provision,
aux termes de l’article 116 du Code de commerce2. »
144.
— On a voulu trouver un point d’appui, pour
l’opinion contraire, dans un arrêt rendu par la cour
d’Aix, le 2 juin 1S37, et confirmé par la chambre civile
i Nouguier, 1 .1, p. 190. Cass., 1er février 1836. Conf., 8 août 1835.
�202
DE LA LETTRE DE CHANGE
de la Cour de cassation, le 30 mai 1841. Il est vrai que
cet arrêt décide que pour que le porteur, qui n’a pas
fait protester dans le délai légal, perde son recours con
tre le tireur , il faut que celui-ci prouve qu’à l’é
chéance il y avait provision entre les mains du tiré, et
que cette provision était réelle, disponible, exigible.
Cet arrêt, dont on ne peut qu’approuver la doctrine,
ne saurait résoudre notre question sur laquelle il n’avait
pas à statuer. Dans l’espèce qu’il juge, le tiré était en
faillite avant l’échéance de la lettre de change, et le por
teur, qui n’avait par protesté en temps utile, répondait
au reproche qui lui en était fait : à quoi eût servi ce
protêt ? N’est-il pas évident que le tiré ne pouvait plus
payer, que, l’eût-il fait, les créanciers auraient demandé
le rapport à la masse des sommes qu’il aurait ainsi dis
traites de son actif? Quel préjudice vous ai-je occasionné
à vous tireur ? Dès l’instant de la faillite, le tiré n’était
plus en réalité votre débiteur que du dividende éventuel
que son actif produirait, il n’y avait donc pas provision.
C’est le système que la cour d’Aix sanctionnait en infir
mant le jugement qui l’avait repoussé.
Ce qui résulte de cet a rrê t, c’est que la provision
n’existe pas si, à l’échéance, celui qui la détient est en
état de faillite, lorsque cette provision consistait en une
dette due par lui au tireur. Faut-il en conclure que si
le tiré débiteur est integri status sa dette, quoique non
exigible à l’échéance, ne pourra pas servir de provision
valable? Une pareille conséquence n’a rien de rationnel,
ni de logique.
�ART.
HS,
116, 117.
203
Nous allons plus loin, nous admettons dans toutes
les hypothèses la doctrine de la cour d’Aix, et nous es
timons que lorsque le tireur affecte pour provision à la
lettre une dette qui ne deviendra exigible qu’après l’é
chéance, il ne sera pas libéré si le porteur n’a pas fait
protester dans le délai, si la faillite du tiré, survenue
après ce délai, se réalise cependant avant l’échéance de
la dette. Les motifs de décider sont les mêmes, quel pré
judice vous ai-je causé par ma négligence, dirait le por
teur au tireur ? Le protêt devait-il rendre la provision
exigible ? Puisque, dans tous les cas, je ne pouvais en
contraindre le versement qu’à une époque plus reculée,
il me suffisait de faire mes diligences au moment de
celle-ci, ce que je n’aurais pas manqué de réaliser, s’il
n’y avait pas eu faillite.
Celle-ci, survenue avant cette dernière échéance, m’en
a dispensé, en apportant au payement un obstacle invin
cible. En effet, dit la Cour de cassation, le failli est de
plein droit dessaisi de l’administration de ses biens, et,
dès lors, en déclarant qu’il n’y avait pas de provision
valable, l’arrêt attaqué n ’a fait qu’une juste application
de la loi L
Il ne faut pas confondre l’espèce de ces arrêts avec
celle qui peut donner naissance à notre question.
Ainsi, lorsqu’il s’agira, à défaut de protêt en temps
utile, de libérer le tireur de tout recours de la part du
porteur, on exigera, du premier, la preuve qu’il y avait
3 J . d u P . , \ , \ 841, 559; v. Infra, n° 156.
�204
DE LA LETTRE DE CHANGE
provision utile à l’échéance, et on ne considérera com
me telle que celle qui était à cette époque disponible et
exigible.
Lorsqu’au contraire, après la faillite du tireur, le
porteur viendra réclamer l’affectation spéciale de la
provision et son versement entre ses mains, personne
ne pourra lui contester son privilège. La non exigibi
lité ne pouvant empêcher la cession, ne saurait créer
aucun obstacle aux effets de celle que la souscription de
la lettre de change ou sa négociation a nécessairement
créée.
145.
— La provision peut être faite en marchandi
ses. Les marchandises, en effet, sont une valeur réelle,
on peut donc l’employer à payer les traites qu’on a été
dans le cas de souscrire.
L’expéditeur de la marchandise peut l’envoyer ou
comme vendeur, ou comme déposant, ou comme com
mettant. Voyons les conséquences qui se réalisent sui
vant chacune de ces hypothèses.
Si les marchandises ont été vendues soit avant, soit
après la création de la lettre de change, aucun doute ne
saurait s’élever sur la réalité et sur la matérialité de la
provision. Le tiré, débiteur du prix, devrait une somme
déterminée, il se trouverait donc dans l’hypothèse régie
par l’article 116.
L’affectation de ce prix au payement de la lettre de
change conférerait au porteur le droit exclusif de se le
faire attribuer si, lors de l’échéance, il se trouvait en-
�ART. 115, 116, 117.
205
core entre les mains du tiré. La faillite du tireur, sur
venue avant, n’empêcherait pas cet effet de s’accom
plir.
Dans le cas de vente, la propriété de la marchandise
étant légalement transférée, elle est, du moment de la
livraison, aux risques et périls de l’acheteur. La perte
ultérieurement survenue resterait pour son compte, elle
ne le dispenserait pas de payer la lettre de change à pré
sentation, elle ne l’autoriserait pas à exiger une seconde
provision, ou, s’il avait payé, à se faire rembourser par
le tireur.
1 4 0 . — Déposer une marchandise en garantie du
payement auquel s’obligerait le tiré, c’est consentir une
provision suffisante tant à l’égard du porteur qu’à l’égard
de l’accepteur.
A l’égard du porteur, car la réalisation du dépôt le
mettra à même d’exiger du tiré le payement de la lettre.
Le tiré, dans ce cas, s’est engagé à faire ce payement à
la seule condition qu’on lui donnerait un nantissement.
Celui-ci réalisé, l’obligation est définitivement acquise
en faveur de tous les intéressés.
A l’égard de l’accepteur, car le gage qu’il aurait en
mains serait affecté par privilège au remboursement de
ce qu’il a lui-même payé si, faute par le tireur de le
retirer en temps convenu, il était procédé à la vente lé
gale des objets le constituant. Notons qu’au regard des
créanciers du tireur, le privilège de gagiste ne pourrait
�être réclamé que si les formalités voulues par l’article
2074 du Code civil avaient été remplies.
Dans le cas de faillite du tiré, avant le payement de
la lettre, les marchandises déposées pourraient être re
vendiquées Elles n’ont pu se confondre dans son avoir
personnel, car leur propriété n ’a pu lui appartenir,
n ’ayant jamais cessé de résider sur la tête du déposant.
Or, ce que le déposant serait recevable à exécuter pour
rait être réalisé par le porteur lui-même. L’affectation
spéciale des marchandises devrait les lui faire arriver au
même titre qu’au dépositaire aux droits duquel il se
trouverait naturellement substitué.
14® . — La consignation de marchandises avec man
dat de les vendre devient une provision réelle et suffi
sante, le prix produit par la vente constituant un moyen
naturel de payement et par suite de libération pour le ti
reur. C’est ce que la Cour de cassation a expressément
décidé dans une espèce où la lettre de change stipulant
le payement en deniers, on soutenait que le porteur ne
pouvait avoir aucun droit sur la marchandise l.
Cette décision est approuvée par l’esprit de la loi.
Avec la propriété de la lettre de change , le preneur ac
quiert tous les accessoires destinés à en déterminer l’ex
tinction. A ce titre, la provision n’en est-elle pas insé
parable. Dès lors, la marchandise consignée pour créer
�art. 1U>, 116, 117.
207
cette provision doit, à défaut du prix, être attribuée au
porteur.
Mais cet effet est subordonné à quelques conditions :
La première de toutes est que le tiré, à qui la marchan
dise a été expédiée, l’ait reçue et ait ainsi accepté la mis
sion qui lui était confiée. Sans cette réception, l’opéra
tion n’est pas complète. La marchandise n’ayant pas
cessé d’être la propriété de l’expéditeur et de se trouver
en son pouvoir, elle ne saurait être affectée à la lettre de
change que comme le sont toutes les autres ressources
du débiteur.
En conséquence, la Cour de cassation a jugé que des
marchandises expédiées au tiré par le tireur d’une lettre
de change ne peuvent faire provision, bien qu’affectées
spécialement au payement du titre, si le tiré a refusé
justement d’en prendre possesion. En conséquence, ces
marchandises, en cas de faillite du tireur, tombent dans
la masse de la faillite h
La seconde condition, qui est au reste générale pour
toute espèce de provision, est que l’envoi des fonds,
marchandises ou valeurs devant former la provision soit
antérieur à la faillite et aux dix jours qui l’ont précédée.
L’expédition faite dans ces dix jours et, à plus forte rai
son, après la cessation de payements, ne pourrait nuire
ni profiter à personne. Un arrêt, fortement motivé de la
cour d’Orléans, applique cette règle non seulement au
cas où la provision serait directement transmise par le
1 49 janvier 1847.
J. du P., 4, 4847, 567.
�208
DE LA LETTRE DE CHANGE
tireur, mais encore à celui où elle le serait par son man
dataire l.
148.
— Pour que la provision existe régulièrement,
faut-il qu’il y ait affectation déclarée par le tireur et ac
ceptée par le tiré? Cette question est importante pour
celui-ci autant que pour les créanciers du premier. Ainsi
que nous le verrons tout à l’heure, la provision est ex
clusivement acquise au preneur de la lettre de change,
il est donc, quant à ce, préférable au tiré qui aurait une
compensation à opposer ; aux créanciers du tireur failli
poursuivant une répartition commune de l’actif.
Cette considération a dicté la solution qui semble
d’abord contradictoire, mais qui s’explique très bien par
la différence des espèces sur lesquelles les arrêts son in
tervenus.
Pour le tireur, l’affectation résultera de ce que, au
moment de la création de la lettre de change, il était
créancier du tiré, ou de ce qu’après avoir tiré celle-ci il
aura envoyé des fonds suffisants pour faire face au paye
ment. C’est là une présomption qui acquerrait un de
gré de certitude évident si, sans relations précédentes
avec le tiré, il n’avait jamais fait avec lui d’autre opé
ration que celle qui s’est réalisée avant ou après la let
tre de change.
Dans cette même hypothèse, le tiré n’a aucun intérêt
1 7 m ai 1847 ;
8 , 1848, 448.
J. du P . , 8 ,1 8 4 7 , 690 ; A m iens, 10 ju in 1848 ; Ibid.
�personnel à la disposition des fonds qu’il détient. Il est
donc tenu de respecter celle qu’il a plu au tireur de pré
férer. Il n’a donc pas à l’approuver, et sa libération de
vant sans contredit en résulter, il serait tenu de l’exé
cuter.
C’est l’application de ces principes que faisait la cour
de Rennes, lorsqu’elle décidait, le 20 août 1845, qu’il
n’est pas nécessaire pour constituer la provision qu’il y
ait une affectation spéciale sur des marchandises ou des
valeurs déterminées. Il suffit qu’à l’échéance le tiré soit
redevable au tireur d’une somme au moins égale au
montant de la lettre de change K
Ce qui est vrai pour le tiré et le tireur l’est également
pour les créanciers de celui-ci. Ce qui cependant les
distingue du tiré , c’est que la nature de l’affectation
peut être contestée par eux , ils peuvent soutenir que,
conçue en termes généraux, elle ne peut s’appliquer à
aucun objet déterminé , q u e , conséquemment, le pri
vilège du preneur ne repose, en fait, sur rien de parti
culier.
Une pareille discussion, rentrant dans le domaine des
faits, est souverainement appréciée par les juges. La
cour de Rouen a refusé de voir une affectation quelcon
que dans l’ordre donné par le tireur, en avisant de la
création des lettres, d’en passer le montant au débit de
son compte courant. Une pareille indication pourrait
bien constituer, nous allons le voir, une obligation pour
�210
DE LA LETTRE DE CHANGE
le tiré, mais elle ne confère aux regards des créanciers
du tireur aucun privilège sur une partie quelconque de
l’actif de celui-ci1.
Mais il en serait autrement si la lettre de change four
nie par un commerçant était tirée sur son correspondant
avec lequel, depuis longtemps, il était en relations. Il
n’y aurait provision sur les marchandises consignées que
si cette affectation était déclarée par le premier, acceptée
par le second. La raison en est fort simple.
Lorsque deux négociants correspondent, un compte
courant ne manque pas d’intervenir. Ce compte n’obéit
à aucune règle précise. Les deux commerçants s’adres
sent réciproquement des valeurs, de l’argent, des mar
chandises, dont la destination est de se compenser mu
tuellement jusqu’à l’époque du règlement. Celui-ci
produit un solde qu’on pourrait exiger, mais qu’on re
porte le plus souvent à nouveau dans le compte sui
vant.
Il est évident en cet état que les envois faits par un
des correspondants sont présumés de plein droit la con
séquence de l’existence du compte. Ce qui en fait l’objet
ne peut donc recevoir d’autre imputation, à moins que
l’expéditeur s’en fût expressément expliqué, en déclarant
que tel envoi est par lui spécialement affecté à la pro
vision de telles lettres de change qu’il indique.
L’acceptation pure et simple que le tiré ferait de la
marchandise envoyée dans ce b u t, à plus forte raison
�ART.
113, 11 6 ^1 1 7 .
7
7 j&
211
celle qu’il donnerait aux lettres de change tirées sur lui,
entraînerait la reconnaissance du caractère spécial de
l’envoi. La provision existerait avec tous les effets qu’elle
doit produire.
Mais si, en recevant la marchandise, le tiré déclare
refuser l’affectation indiquée et vouloir la compenser au
contraire avec ce qui lui est personnellement dû, il ne
saurait exister de provision. O r, le droit du tiré à cet
égard est incontestable ; il résulte des relations exis
tant entre lui et le tireur une réciprocité de crédit, fon
dée sur une réciprocité d’obligations ne pouvant rece
voir aucune atteinte, autrement que par consentement
mutuel.
Vainement donc, le tireur aurait-il affecté un convoi
à la provision de lettres de change déterminées. Ce seserait là un projet dont l’accomplissement a besoin du
concours du tiré, et qui ne saurait sortir à effet si celuici le refuse. C’est ce que la Cour de cassation a formel
lement consacré par arrêt du 9 juillet 1840 L
Dans les termes, il y a entre cet arrêt, celui de la
même Cour, du 3 août 1835, et celui de Rouen, du 20
août 1845, une contradiction formelle. Les deux der
niers consacrent qu’il y a provision sur les marchandi
ses consignées, sans qu’il soit besoin d’une affectation
spéciale ; le premier consacre au contraire que cette af
fectation doit avoir été déclarée par le tireur et acceptée
par le tiré. Mais cette contradiction s’explique parfaite-
�212
DE LA LETTRE DE CHANGE
ment par la différence des espèces et par la distinction
que nous avons indiquée.
149.
— En résumé donc , la marchandise consi
gnée constitue une provision réelle en faveur du porteur
de la traite, lorsque cette consignation ne peut s’expli
quer que par l’intention d’effectuer celte provision, lors
que le tiré n’a aucun droit personnel à invoquer, aucune
compensation à faire valoir.
Dans le cas contraire, l’envoi ne peut être considéré
comme constituant la provision des traites qu’à la con
dition :
1° Que le tireur, en expédiant, ait formellement an
noncé l’affectation qu’il donnait à son envoi. Cette con
dition a un double objet. Les relations existant depuis
longtemps seraient censées se continuer sur le même
pied qu’avant, il faut pour qu’il en soit autrement, qu’on
s’en soit expliqué, et de la part du tireur cette expli
cation ne peut résulter que de l’indication de sa volonté;
cette indication doit de plus mettre en demeure le tiré
d’accepter ou de refuser la proposition qui lui est faite.
Nous avons dit que l’acceptation pure et simple de la
marchandise équivaudrait à la reconnaissance de la pro
vision. Or, comment le décider ainsi, si le tiré n’a pas
même été averti de l’intention du tireur ;
2° Que le tiré ait accepté l’affectation. Le droit de
compenser ce qu’il recevra avec ce qui lui est dû lui est
purement personnel, il n’appartient pas au tireur de lui
porter la moindre atteinte. L’exercice de ce droit ne sau-
�ART,
115, 116, 117.
213
rait rencontrer aucun obstacle , à moins que le bénéfi
ciaire en ait fait l’abandon. Cet abandon résulterait suf
fisamment du consentement exprès ou tacite qu’il aurait
donné à la proposition du correspondant.
150.
— Une autre condition pour que la provision
puisse produire son effet, c’est que les marchandises
destinées à la constituer soient arrivées entre les mains
du tiré avant la faillite du tireur. La cour d’Aix a jugé
que lorsque la valeur destinée à former la provision
d’une lettre de change consiste en marchandises expé
diées par le tireur avant l’échéance, mais qui ne sont
parvenues au tiré que postérieurement, le porteur n’est
pas propriétaire exclusif de cette provision, quoique le
tireur soit tombé en faillite après le protêt faute d’accep
tation et de payement1.
Cette doctrine est juridique sous tous les rapports.
D’abord elle est conforme aux règles de la loi. La pro
vision doit exister à l’échéance, cette condition ne se
réalise pas lorsqu’en réalité son aliment n’est parvenu
aux mains du tiré que postérieurement à l’échéance.
Vainement exciperait-on de l’envoi fait à une époque
antérieure, de l’avis qui en avait été donné au tiré, la
preuve que celui-ci n’a pas considéré l’un et l’autre com
me équivalent à la provision, c’est qu’il a laissé protes
ter la lettre de change.
L’envoi ne suffirait pas, car tant que la marchandise
�214
DE LA LETTRE DE CHANGE
n’est pas arrivée, il est loisible à l’expéditeur de lui don
ner une autre destination. Ce n’est donc pas par cet
envoi qu’on doit établir la provision ; ce qui la consti
tue, c’est la réception par le tiré, dès que celle-ci ne
s’est réalisée qu’après le protêt, il faut en conclure qu’il
n’existait aucune provision.
Sans doute cette tardiveté pourra n’être pas invoquée
par le tiré, et bien qu’il eût déjà refusé le payement, il
pourra l’offrir après la réception de la marchandise.
Aucune difficulté ne saurait naître si au moment de cette
offre tout était en état ; mais, si depuis le protêt le tireur
est tombé en faillite, tous les créanciers ont un droit
égal à son actif. Ils peuvent donc empêcher que, sous
prétexte de provision, une partie quelconque de cet ac
tif soit attribuée par privilège à l’un d’eux, soit par le
failli, soit par le tiré, son ancien mandataire.
— La marchandise déposée ou consignée pour
être vendue ne cesse pas d’être la propriété du tireur.
Ses droits quant à ce ne subissent aucune atteinte du
privilège auquel il l’a affectée.
En conséquence, si avant sa réalisation la marchan
dise périt, cette perte est pour son compte exclusif. Le
tiré a donc le droit, dans le cas d’un dépôt, d’exiger un
autre gage comme garantie de l’acceptation qu’il a don
née ou du payement qu’il aurait réalisé en vertu de cette
acceptation.
Il en serait de même si le consignataire à la vente
avait accepté les traites à la provision desquelles les mar151.
�A RT.
H S , 116, 117.
215
chandises étaient affectées, il pourrait en exiger d’autres.
A défaut d’acceptation, il n’aurait rien à réclamer, mais
il n’aurait de provision réelle que le montant de ce qui
aurait été vendu avant la perte, il ne serait jamais obligé
de payer au-delà.
Celte règle n’est susceptible que d’une seule exception
à savoir : si la perte était uniquement due à la négli
gence ou au défaut de soins du dépositaire ou du consi
gnataire. Nul doute dans ce cas, l’un et l’autre sont res
ponsables en vertu des principes généraux du droit, et
l’effet de cette responsabilité pourrait très bien faire
mettre à leur charge la perte survenue.
1 5 3 . — La provision peut être réalisée en valeurs
ou effets commerciaux. Rien même ne distingue celle-ci
de celle opérée en marchandises, on pourrait donc lui
appliquer les règles que nous venons de rappeler.
Ce qui distingue cependant les effets commerciaux des
marchandises, c’est que ces dernières ont toujours une
valeur intrinsèque sur laquelle peuvent intervenir toute
espèce de conventions définitives. Les au tres, au con
traire, n’ont d’autre valeur que le crédit qui s’attache
aux diverses signatures, valeur essentiellement aléatoire,
car les m aisons de premier crédit aujourd’hui peuven
être trois jours après dans un état de déconfiture cer
taine.
En conséquence, tel commerçant qui ne ferait aucune
difficulté d’accepter purement et simplement sur dépôt
de marchandises, refusera de le faire sur dépôts d’effets;
�216
DE LA LETTRE DE CHANGE
ce à quoi il consentira, c’est de procéder aux recouvre
ments des uns, à la négociation des autres, sauf à ap
pliquer le montant à la provision des traites tirées sur
lui.
Dès lors, si les valeurs qui lui sont expédiées consis
tent en effets à recouvrer, il n’y aura provision que du
jour où le payement réalisé atteindra un chiffre égal à
celui de la lettre de change, les effets non payés font re
tour au tireur et sont censés n’avoir jamais été en la pos
session du tiré. Conséquemment, celui-ci n’étant tenu
de payer que ce qu’il a réellement touché, la provision
n’aura jamais existé si le chiffre réel est inférieur à la
lettre de change.
Si les valeurs consistent en effets négociables et si le
tiré les a négociées, évidemment il aura perçu une som
me suffisante pour le payement de la lettre. Mais cette
somme n’est en quelque sorte que conditionnelle, elle
n’est définitivement acquise que par le payement et l’ex
tinction des effets négociés. En effet, l’endossement du
tiré le rendant garant de ce payement, peut l’obliger à
rendre ce qu’il avait reçu, il peut donc, dans cette éven
tualité, refuser le payement de la lettre tirée sur lui, jus
qu’à ce que tout danger de restitution soit entièrement
dissipé.
Mais le tiré qui veut attendre le recouvrement inté
gral ou le payement des effets négociés ne doit pas ac
cepter la lettre de change. En effet, l’acceptation le ren
dant obligé direct, il serait contraint de payer à l’é—
�ART.
115, 116, 117.
217
chéance, à moins qu’en acceptant il eût positivement
déclaré de quelle manière il entendait s’engager.
Vainement dirait-on qu’accepter pour ne payer que
dans telle hypothèse, c’est donner une acceptation con
ditionnelle proscrite par l’article 124. Nous verrons,
sous cet article , l’effet que la loi fait résulter de cette
nullité. Contentons-nous de dire ici que, relativement
au tireur, une acceptation de ce genre n’aurait aucune
efficacité ; que le porteur ne pourrait pas être empêché
de requérir le protêt faute d’acceptation et les garanties
qu’il serait en droit d’exiger ; que pour le tiré, au con
traire, son acceptation ne peut jamais aller au-delà des
termes dans lesquels elle est conçue ; que d’ailleurs ce
n’est pas seulement la condition qui serait nulle, mais
encore et essentiellement l’acceptation elle-même, qui
ne pourrait dès lors produire aucun effet 1.
153. — Enfin, la provision de la lettre de change
peut être valablement faite en compte courant. C’est ce
qui se réaliserait lorsque le tireur , donnant avis de sa
disposition au tiré, lui déclare qu’il l’en a crédité et l’in
vite à en porter le montant à son débit.
Si ce deuxième accepte cette proposition, si, en ré
pondant, il annonce qu’il fera bon accueil à la traite
du montant de laquelle il a débité le tireur, la provision
existe. C’est comme si, empruntant réellement du tiré
1 V.
non,
su r la q uestion de savoir si l’acceptation e st p u re et sim ple ou
inf. a rt. t2 * .
�218
DE LA LETTRE DE CHANGE
une somme, le tireur la lui laissait en mains pour faire
face à la traite. De toutes les monnaies commerciales ,
le crédit n’est pas la moins énergique, la moins utile.
Le tireur est devenu débiteur de l’article du compte cou
rant , le tiré l’est devenu de la traite , ce qui a vérita
blement opéré une novation en faveur des tiers ou co
débiteurs l.
En thèse ordinaire, cette règle est importante pour le
règlement des devoirs du tiré à l’égard du porteur ; pour
déterminer les droits du tireur dans le cas de protêt tar
dif et de recours de la part du porteur.
1541. — Mais son importance et son utilité se dé
cèlent surtout dans l’hypothèse d’une lettre tirée d’ordre
et pour compte d’un tiers. On sait que, dans ce cas, la
provision doit être faite par celui-ci , sans q u e, dit
l’article U S , le tireur cesse d’être personnellement
obligé.
L’étendue de cette obligation était devenue l’objet
d’une très vive controverse. Le tireur pour compte étaitil obligé envers l’accepteur? L’intérêt réel de cette ques
tion résultait de ce que , si o u i, l’accepteur qui avait
payé avait un recours contre le tireur pour compte ; si
non, c’était celui-ci qui était recevable à exercer une
garantie contre l’accepteur et à lui demander le rem
boursement de ce qu’il avait payé.
La Cour de cassation s’était prononcée contre le tii Nouguier, t. 1,p. 491.
�AKT.
l i s , 116, 117.
219
reur pour compte. La résistance opiniâtre des cours
n’avait pu parvenir à lui faire abandonner sa jurispru
dence lorsque la lutte se trouva législativement tranchée
par la loi du 19 mars 1817.
L’article premier détermine expressément l’obligation
du tireur pour compte. Elle n’existe qu’à l’égard des
endosseurs et du porteur, il est donc certain aujour
d’hui qu’en principe l’accepteur ne peut recourir contre
le tireur pour compte que s i , en acceptant, il s’en est
formellement réservé le droit.
Avant la loi de 1817, le tireur pour compte n’était
pas obligé envers l’accepteur, s’il résultait de la corres
pondance que ce dernier avait entendu n’avoir pour dé
biteur que celui pour le compte de qui la lettre était ti
rée, à plus forte raison doit-il en être de même depuis
cette lo i l.
Ajoutons que le résultat de cette législation a été de
changer la présomption régissant les parties avant 1817.
En vertu du système adopté par la Cour de cassation, le
tireur pour compte était de plein droit réputé obligé,
c’était donc à lui à prouver que l’accepteur avait renoncé
au bénéfice de cette obligation. Depuis 1817, au con
traire, le tireur pour compte n’étant plus obligé, l’ac
cepteur recourant contre lui devrait justifier que son re
cours a été formellement stipulé et convenu.
Quoi qu’il en soit, il est évident que le fait par le tiré
acceptant d’avoir exclusivement débité le donneur d’ori Cass., 22 m ai 4847 ; 1” décem bre 4848.
�220
DE U
LETTRE DE CHANGE
dre du montant de son acceptation et d’avoir consenti à
en être crédité par lui, créerait contre lui l’existence de
la provision, et l’acceptation du donneur d’ordre comme
débiteur unique.
Nous ne saurions trop le répéter ; l’entrée d’une va
leur en compte courant amène de toute certitude la
substitution d’une dette nouvelle, et crée une novation
libérant les coobligés et cautions. Comment un acte de
ce genre ne serait-il pas dans tous les cas l’exclusion
de toute possibilité de recours contre le tireur pour
compte ?
Le tiré qui, avisé par celui-ci de la traite qu’il four
nit sur lui, d’ordre et pour compte du tiers, répond qu’il
accepte, et qu’il en porte le montant au débit de ce tiers,
est censé dire : Je suis satisfait, j’ai la provision, ou,
ce qui est la même chose, je trouve notre commettant
suffisamment solvable pour me couvrir du crédit éven
tuel de mon compte, dans lequel je l’ai débité du mon
tant de la traite. Après cela , comment pourrait-il être
fondé à prétendre qu’il a fait confiance au tireur pour
compte L
A plus forte raison exclurait-on toute idée d’une con
fiance de ce genre, si l’avis de la création de la traite
émanait du donneur d’ordre déclarant au tiré qu’il l’a
vait crédité d’autant. Evidemment le tireur pour compte,
resté de fait en dehors de l’opération du compte cou
rant dont la traite serait devenue l’occasion, ne saurait
i Cass., î l mai 1817.
�ART. 115, 116, 117.
221
être recherché à raison du mandat qu’il aurait accom
pli. Telle était l’espèce sur laquelle est intervenu l’arrêt
delà Cour de cassation du 1er décembre 4818.
Dans cette même espèce, la cour de Lyon, dont l’ar
rêt était déféré à la Cour suprême , ne s’était pas con
tentée de décider qu’on ne pouvait demander la provision
au tireur pour compte. Elle ajoutait que cette provision
avait été régulièrement faite par l’opération du compte
courant entre l’accepteur et le donneur d’ordre. Le rejet
pur et simple du pourvoi indique suffisamment que telle
a été également la pensée de la Cour suprême.
La conséquence de ce qui précède est facile à poser.
Depuis la loi de 4817, non seulement le tireur pour
compte n’a aucune obligation envers le tiré, mais en
outre on ne saurait l’empêcher de recourir contre celuici. En conséquence, si en vertu de la responsabilité qu’il
encourt vis-à-vis des endosseurs et du porteur, il a rem
boursé la traite faute par le tiré de l’avoir fait, il sera
fondé à se faire restituer par lui. Par le payement, il se
trouve subrogé aux droits du dernier porteur, il peut
donc, comme celui-ci, l’aurait fait, établir qu’il y avait
provision entre les mains du tiré. L’existence de cette
provision serait même prouvée à son égard par l’accep
tation dont la lettre de change serait revêtue.
Il en est d’ailleurs de la provision à faire par le don
neur d’ordre comme de celle à réaliser par le tireur
direct et personnel. L’obligation de l’un est identi
que à celle de l’autre; elle a la même origine, elle
IEh
ijÿi
�222
DE LA LETTRE DE CHANGE
doit aboutir au même résultat; produire les mêmes ef
fets.
La provision que l’un ou l’autre doit réaliser n ’est in
dispensable qu’à l’échéance de la lettre. Il suffît donc
qu’ils l’opèrent à ce moment. Mais c’est là une obliga
tion rigoureuse. La provision n’existant pas à l’échéance,
le tireur ou le donneur d’ordre ne pourrait se prétendre
libéré par l’absence de protêt, alors même qu’il prouve
rait qu’avant ou depuis l’échéance cette provision exis
tait.
1 5 5 . — C’est le tiré qui doit faire le payement de
la traite. C’est donc entre ses mains que doit être faite la
provision. Mais la lettre de change tirée sur un individu
peut être payable au domicile d’un tiers, quelle sera
dans ce cas l’obligation de celui qui est obligé de faire
provision ?
La solution de cette question réside tout entière dans
le fait. En principe, c’est au lieu du payement que doit
se trouver la provision. C’est là en effet que le porteur
se présentera, c’est là qu’à défaut de payement, le protêt
doit être requis et réalisé.
La conséquence naturelle est l’obligation par le tireur
ou le donneur d’ordre d’y faire trouver les fonds. Mais
cette conséquence n’est juste et vraie que si la désigna
tion du lieu, autre que le domicile du tiré , est du fait
de l’un ou de l’autre. Dans ce cas, en effet, il ne pour
raient s’excuser d’avoir manqué à leur obligation. Les
difficultés, les impossibilités mêmes qu’ils allégueraient
�ART.
115, 116, 117.
223
auraient dû être calculées et prises en considération lors
de la création de la traite. L’omission de ce devoir ne
saurait les relever de leur obligation, on ne se fait pas
un titre de sa propre négligence.
Mais si la désignation du domicile autre que celui du
tiré est postérieure à la lettre de change, si elle émane
exclusivement de l’accepteur, on ne saurait en faire sup
porter les conséquences au tireur. Etranger à cette dési
gnation, qui peut n’être pas dans ses convenances, qu’il
n’aurait certes pas faite s’il en eût été le maître, qu’il
n’a jamais été mis en demeure d’accepter ou de refuser,
on ne saurait l’obliger à la subir sans blesser à son
égard les plus simples notions de la raison et de l’é
quité.
Avons-nous besoin d’ajouter que ce résultat serait
d’autant plus odieux que la désignation faite par l’ac
cepteur peut être formellement ignorée du tireur. La
preuve, en effet, ne s’en trouvera que sur le titre même.
Or, on comprend que ce titre, sorti de ses mains, n’y
retournera plus, du moins jusqu’après payement, Il peut
donc ne pas connaître réellement l’innovation apportée
dans l’indication du lieu de payement.
Notre distinction a été parfaitement tracée par la ju
risprudence, si non en théorie, du moins par applica
tion. Ainsi, dans une espèce où la désignation du do
micile autre que celui du tiré avait été faite par le tireur
lui-même, la cour d’Aix déclarait que son obligation
était de faire provision à ce domicile. Le tireur, dit la
Cour, choisissant lui-même le lieu du payement, con-
�224
DE LA LETTRE DE CHANGE
tracte par cela même l’engagement d’y faire arriver les
fonds à l’échéance 1.
Le contraire a été jugé par la Cour de cassation, mais
dans l’hypothèse opposée. Le tireur, a dit l’arrêt, n’est
pas tenu , en cas de protêt ta rd if, de prouver qu’il y
avait provision dans cette dernière place, il suffit qu’il
prouve que le tiré avait provision2.
M. Emile Vincent critique cette solution en l’admet
tant d’une manière générale, et en l’appliquant à tous
les cas de désignation d’un lieu de payement autre que
le domicile du tiré 3. Dans ce sens, sa critique serait
fondée, du moins en ce qui concerne la désignation faite
par le tireur lui-même.
Mais il est peu rationnel d’isoler la solution d’un ar
rêt de l’espèce sur laquelle il est intervenu. Ce n’est en
effet que par l’exacte appréciation de celle-ci qu’on
pourra donner, qu’on donnera réellement à l’arrêt sa
véritable signification.
Or, en fait, l’indication du lieu de payement, dans
l’espèce jugée par la Cour de cassation, émanait exclusi
vement de l’accepteur. C’est donc à cette hypothèse que se
réfère l’arrêt, c’est donc à son endroit qu’on déclare que
le tireur n’est pas obligé de prouver qu’il y avait provi-
1 A4 décem bre 1838.
J. du P., 1, 1839, 363. Conf. P aris, 17 mai
1811.
2 24 février 1812 ; R ouen, 31 m ars 1813.
�225
ART. 115, 116, 117.
sion dans cette dernière place ; qu’il suffit qu’il prouve
que le tiré avait provision.
Réduite à ces termes, la doctrine de la Cour de cas
sation est d’une exactitude rigoureuse et d’une justesse
incontestable. La critique de M. Emile Vincent serait
d’autant plus mal fondée, qu’aucun des motifs sur les
quels il la fonde ne serait applicable. Fort juridiques
dans le cas d’un tireur indiquant lui même le lieu du
payement, ces motifs sont de tous points inconcluanls
dans l’hypothèse contraire.
La jurisprudence de la Cour de cassation se borne
donc à ne pas rendre le tireur responsable d’un acte
qui lui est étranger, à ne pas vouloir le reconnaître en
gagé au-delà de l’obligation qu’il a consenti à assumer
sur sa tête. Sous l’un comme sous l’autre rapport, cette
jurisprudence ne mérite que des éloges.
En résumé, la distinction que nous indiquons, juste
en elle-même, justifie les conséquences que nous en ti
rons, conséquences tendant uniquement à laisser à cha
cun la responsabilité de ses actes.
Nous dirons donc avec les cours d’Aix et de Paris :
Lorsque le tireur a indiqué le lieu de payement, que ce
lieu soit ou non le domicile du tiré, il doit y faire arri
ver la provision.
Mais nous dirons avec les cours de cassation et de
Rouen : Lorsque le lieu de payement autre que le do
micile du tiré, est exclusivement désigné par celui-ci,
le tireur n’est pas obligé d’y faire provision, il lui sufi — 15
�t
226
DE LA LETTRE DE CHANGE
fit dans ce cas de prouver qu’elle se trouvait en mains
du tiré.
15®. — La provision régulièrement constituée, estelle détruite par la faillite du tiré survenue avant l’é
chéance de la lettre de change? La solution de cette
question varie suivant la nature de la provision et la
qualité des valeurs qui la composent.
Si ces valeurs sont telles qu’elles se sont confondues
avec son actif, ou qu’elles en fussent inséparables, la
faillite détruira la provision , en attribuant l’universalité
de cet actif à la masse des créanciers. Assimilé aux au
tres, le tireur n’aura comme eux que le droit de rece
voir le dividende que les ressources de la faillite per
mettront de donner.
C’est notamment ee que nous avons vu se réaliser
dans l’hypothèse d’une provision consistant en une dette
due par le tiré C’est ce qu’on admettrait également
pour la provision constituée par le prix de marchandi
ses achetées par le tiré, et dans celle que le tiré aurait
promis en en débitant le compte du tireur. Dans toutes
ces hypothèses, le tiré aurait pris sur son actif, et l’in
disponibilité que la faillite imprime à celui-ci fait éva
nouir toutes les affectations particulières dont il pouvait
être grevé.
Il en est autrement dans l'hypothèse d’un dépôt de
marchandises comme gage , ou d’une consignation à
i
Supra, n°* 141 et suiv.
�ART.
115, H 6, H 7.
227
l’effet de les vendre, enfin de l’envoi d’effets commer
ciaux.
Dans le premier cas, les marchandises déposées res
tent, distinctes de l’actif ordinaire du tiré , avec lequel
elles n’ont jamais pu se confondre. Leur propriété n’a
jamais cessé d’appartenir au déposant, et cet état des
choses que la faillite n’a pu ni modifier ni faire cesser,
les laisse soumises à l’affectation spéciale que leur avait
imposée le déposant. Leur revendication par le tireur
ou par le porteur ne souffrirait aucune difficulté. Il
serait inique que la masse pût élever des prétentions
quelconques sur des choses sur lesquelles le failli n’a
jamais eu qu’un droit conditionnel, désormais irréali
sable.
Quant aux marchandises consignées pour être ven
dues ou aux effets commerciaux transmis pour être en
caissés, leur revendication serait subordonnée à la ques
tion de savoir s’ils ont continué à rester distincts de
l’actif du failli. Il faudrait donc s’en référer aux articles
574 et 575 du Code de commerce, c’est-à-dire que la
provision, si elle consistait en effets de commerce, ne
serait pas détruite par la failite du tiré, pourvu : \ ° que
les effets se trouvassent en nature dans le portefeuille du
failli ; 2“ qu’ils eussent été transmis avec le simple man
dat d’en faire le recouvrement et d’en garder la valeur
à la disposition de l’envoyeur, ou avec l’affectation spé
ciale de servir à un payement déterminé.
Si la provision consistait en marchandises consignées
pour être vendues, tout ce qui existerait encore en n a-
�DE LA LETTRE DE CHANGE
228
ture dans les magasins du failli constituerait une provi
sion régulière. Il en serait de même du prix de celles
déjà vendues, si ce prix n ’avait été ni payé, ni réglé en
valeurs, ni compensé en compte courant avec l’ache
teur.
En d’autres termes, la faillite du tiré ne détruit la pro
vision que si le tireur ou ses ayants droit n’étaient pas
recevables à revendiquer les objets la constituant. A ce
point de vuje la véritable signification des articles 574
et 575 est d’un intérêt évident et incontestable, car c’est
à eux qu’il faudra nécessairement recourir l.
M. Nouguier admet qu’il en sera ainsi pour les effets
de commerce et les marchandises. Il pense autrement
pour le prix de celles-ci qu’il ne reconnaît pas soumis
aux dispositions de l’article 575. Ce prix, dit-il, a reçu
une affectation particulière, il n’est pas la propriété du
failli, il ne peut, à titre de dividende, servir à sa libé
ration, car les créanciers se payeraient avec l’argent d’un
tiers2.
On ne voit pas pourquoi M. Nouguier n’en dit pas
autant de la valeur des effets envoyés en recouvrement.
Les mêmes motifs existent cependant, car l’affectation
que la marchandise a reçue, les effets de commerce l’a
vaient également, surtout lorsqu’ils avaient été envoyés
avec mission d’en garder la valeur à la disposition du
commettant, ou de l’employer à un payement déterminé.
1 V . notre com m entaire de ces deux articles.
2 T. 1, p 205.
�ART.
113, 116, 117.
229
Cependant ce que M. Nouguier admet pour l’un, il ne
l’admet pas pour l’autre. Il y a là une contradiction
formelle.
Au fond, la doctrine de M. Nouguier n’a aucun fon
dement. Le législateur ne s’est pas dissimulé qu’en
équité, qu’en raison, le prix des marchandises grevées
d’une affectation spéciale n’a jamais appartenu au dé
positaire ou consignataire, aussi permet-il de le reven
diquer, mais en tant qu’il sera encore saisissable, qu’il
sera distinct du patrimoine du failli. Dans le cas con
traire, les plus graves abus pouvaient naître de l'admis»
sion de la revendication. Sans doute le consignataire
n’est pas un créancier ordinaire, mais il n’en a pas
moins fait confiance à son correspondant, et c’est pour
quoi la loi n’est venue à son secours que dans une cer
taine limite.
Quoi qu’il en soit, il nous parait certain qu’en dehors
des conditions exigées pour que le prix puisse être re
vendiqué, le tireur n’aurait aucun moyen de se faire
restituer celui de la marchandise consignée. Quelle voie
lui ouvrirait-on, lorsque la loi lui ferme celle de la re
vendication ? Quelle action intenterait-il ?
1 5 ® . — L’existence de la provision, si elle est dé
niée par le tiré ou par le porteur, devra être prouvée.
Gomment s’établira cette preuve, de quels actes la ferat-on résulter.
L’acceptation sera souvent invoquée comme preuve de
la provision. Cette circonstance pouvait devenir la m a-
�250
DE LA LETTRE DE CHANGE
lière de graves difficultés, si la loi n’avait pas pris le
soin d’en régler les effets, qui varient suivant les parties
entre lesquelles existe le litige ?
Du tiré aux endosseurs ou porteur, l’acceptation
prouve de plein droit la provision. Bien souvent la cir
culation de la lettre de change n’est que l’effet de la con
fiance due à la signature de l’accepteur. Pouvait-il être
que le bénéfice de cette signature pût être enlevé après
coup, et qu’on vint ainsi tromper la juste attente de ceux
qui n’avaient traité que sur sa foi ?
La loi ne l’a pas pensé, ne devait pas le penser ainsi.
Celui qui accepte sans être nanti suit aveuglément la
foi du tireur, il se rend volontairement son codébiteur
solidaire, on ne pouvait donc pas hésiter à le soumet
tre envers les tiers à la responsabilité de ses propres
actes.
Du porteur au tireur, l’acceptation suppose provision.
On devait présumer que celui qui n’hésite pas à accepter
la responsabilité de la dette d’autrui a pris d’avance
toutes les précautions pour n’en souffrir aucun pré
judice.
Mais cette supposition n’existe que jusqu’à dénégation.
Celle-ci se réalisant, l’acceptation ne créera pas même
une présomption jusqu’à preuve contraire. L’article 170
ne consacre la déchéance du porteur , en cas de protêt
tardif, que si le tireur prouve qu’il y avait provision.
Ce qui prévient toute équivoque sur la portée de cette
disposition, c’est que déjà notre article 117 oblige le
�ART. 113, 116, 117.
231
tireur à faire celte preuve que la lettre de change soit
acceptée ou non.
Enfin, du tireur au tiré, l’acceptation n’est qu’un acte
dont la véritable portée peut être toute différente de l’ap
parence. Le litige qu’il soulèverait serait un litige ordi
naire que les tribunaux résoudraient suivant les inspira
tions de leur conscience.
Ces règles, que nous nous bornons à indiquer, nous
aurons à les développer plus tard h
1S8.
— On voit que, même dans le cas d’accepta
tion, tout est loin d’être dit sur la provision. Que l’exis
tence matérielle de l’une ne dispensera pas de l’obliga
tion de prouver l’autre, quels seront les moyens et les
modes de preuves admissibles?
De tout temps on a indiqué comme les plus énergi
ques et les plus décisifs les livres et écritures des parties.
Il est impossible qu’une création de lettres de change et
l’envoi de la provision ne laissent pas de nombreuses
traces. On les rencontrera d’abord dans la correspon
dance, on pourra ensuite les suivre non seulement dans
le grand livre, au compte courant des parties, mais en
core dans le livre de caisse, si la provision a été faite en
espèces, dans le livre des sorties, si elle a été fournie en
marchandises, aux traites et remises, si elle a été cons
tituée par des effets commerciaux. L’envoi ainsi justifié,
les livres du tiré prouveront l’entrée des unes et des au I V . a rt. 418 e t su iv ., 168, 169, 470.
�252
DE LA LETTRE DE CHANGE
très ; tout au moins sera-t-on dans le cas de produire
un accusé de réception.
La production des livres respectifs, s’il s’agit de deux
commerçants, s’offrira donc naturellement à l’esprit, et
sera communément ordonnée, le refus de se rendre à
cette injonction pourrait faire tenir pour avéré le fait
qu’on cherche à établir.
159.
— Il n’est pas présumable que les livres et
écritures ne seront pas dans le cas de juger le litige.
Mais la difficulté surgira lorsque deux non commerçants
plaideront l’un contre l’autre, ou lorsque dans les par
ties toutes n’exerceront pas le commerce. Pourra-t-on,
dans ce cas, ajouter confiance aux écritures du commer
çant ? Sera-t-on recevable à recourir à la preuve testi
moniale ?
Ces deux questions n ’en font qu’une, car les livres du
commerçant ne peuvent être qu’une présomption , à
moins qu’on en demande la production avec offre d’y
ajouter foi. Or, les présomptions ne sont admises que
dans les espèces soumises à la preuve testimoniale. Qu’en
est-il donc de celle qui nous occupe?
M. Nouguier se prononce contre la preuve testimo
niale. La preuve de l’existence de la provision, dit-il, ne
saurait être faite par les témoins ; elle doit résulter de
pièces, titres, correspondance, surtout lorsque le tiré a
déclaré qu’elle ne lui avait pas été remise 1.
�Mais, dans toutes les contestations de ce genre, le tiré
aura un puissant intérêt à soutenir qu’il n’a pas reçu
la provision , car, dans le cas contraire, il serait obligé
de la verser entre les mains du porteur, ou de la resti
tuer au tireur. On comprend dès lors que son allégation
ne saurait être d’aucune importance. On le constituerait
juge et partie dans sa propre cause.
Quant à la preuve testimoniale, M. Nouguier la re
pousse sans indiquer le fondement de son opinion. Im
possible donc d’examiner et de discuter. Nous admet
tons, nous, l’opinion contraire, et voici pourquoi.
En matières commerciales, la preuve testimoniale est
de droit commun. On l’a ainsi consacré parce que d’une
part, la confiance si indispensable à tout commerce, de
l’autre, la rapidité de ses opérations, étaient incompa
tibles avec ces formalités minutieuses qu’exige le droit
civil.
Pourquoi donc n’admettrait-on pas, pour l’existence
de la provision, ce qu’on consacrerait sans difficulté pour
toute autre obligation ? Est-ce que dans la possession de
la provision il y a autre chose que l’obligation de payer,
que la libération du tireur ?
Dira-t-on que pour le non-commerçant l’obligation
n’aurait pas un caractère commercial. Erreur ! Tout ce
qui s’unit accessoirement à la lettre de change participe
de sa nature et se confond dans un seul tout. Or, on ne
peut nier que l’obligation du tiré ne soit un accessoire
de la lettre de change.
La Cour de cassation proclamait ce principe et ses
�234
DE LA LETTRE DE CHANGE
conséquences dans son arrêt du 3 décembre 1806. Dans
cette espèce, on faisait résulter la preuve de la provision
d’une quittance sous seing - privé émanée du tiré. Or,
.celui-ci n’étant pas commerçant, le porteur contre lequel
on demandait la déchéance pour protêt tardif soutenait
qu’aux termes de l’article 1328, la quittance ne pouvait
avoir à son égard d’autre date que celle de l’enregistre
ment, qui était postérieur au protêt.
M. l’avocat général Daniels combattait cette doctrine.
Le premier moyen du pourvoi, disait-il, consiste dans
la contravention aux lois romaines et à l’article 1328
du Code civil, suivant lesquels on ne peut accorder de
foi, au préjudice d’un tiers, à un écrit sans date certai
ne. Mais les lois romaines et le Code civil ne font pas
règle pour les tribunaux de commerce relativement aux
preuves de la provision. La faveur du commerce a fait
accorder à ces tribunaux la plus grande latitude sur ce
genre de preuves.
Evidemment donc, dans la pensée de M. l’avocat gé
néral, tout ce qui concerne la provision présente un ca
ractère commercial et tombe dans la juridiction consu
laire. C’est ce que la Cour consacre en se rangeant à
l’opinion de M. l’avocat général. La même question,
s’élant présentée à la Cour supérieure de Bruxelles, y a
été résolue dans le même sen s1.
1 6 0 . — Lorsque l’existence de la provision est cer1
février 1822.
�ART.
115, 116, 117.
235
taine, à qui appartient-elle, si le tireur tombe en fail
lite avant l’échéance de la traite ?
Que cette échéance arrivant, cette provision appar
tienne au porteur, c’est ce que nul ne conteste. La fail
lite du tireur avant cette échéance est-elle dans le cas
de changer ce résultat en dépouillant le tireur de l’ad
ministration de ses biens, en lui substituant celle des
créanciers ?
i
La question que nous examinons a été considérée
sous les trois faces suivantes : 1° ou la lettre de change
a été acceptée ; 2° ou les objets formant la provision y
ont été spécialement affectés ; 3° ou il n’y a eu ni ac
ceptation, ni affectation spéciale.
Dans le premier cas, la provision entre les mains de
l’accepteur est jpn gage le mettant à couvert des effets de
son acceptation. Elle est à bon droit considérée comme
ayant déterminé celle-ci, et nul autre que l’<accepteur
lui-même n’a capacité pour en abandonner le bénéfice.
Dans ce cas encore, le porteur non payé par l’accepteur
serait recevable, soit personnellement, soit comme exer
çant les droits de celui-ci devenu son débiteur , à se
faire attribuer la provision. La faillite modifie la posi
tion du failli, mais elle n’influe en rien sur les tiers,
dont les droits acquis avant n’en doivent pas moins être
exécutés après.
Dans le second cas, l ’affectation spéciale qu’ils ont
reçue frappe les objets formant provision d’un privilège
en faveur du porteur L’influence de l’affectation spéciale
�236
DE LA LETTRE DE CHANGE
ne saurait être méconnue par le tiré lui-même sous
peine de dommages-intérêts envers le porteur l.
Or la faillite ne peut rétroagir au-delà des dix jours
la précédant. Jusque-là le débiteur, libre d’aliéner ce
qui lui appartient, a pu valablement lui imprimer dans
les mains d’un tiers telle destination qu’il a jugée con
venable. Sa faillite postérieure ne peut produire qu’un
seul effet, à savoir : empêcher de modifier à l’avenir ce
ce qui aurait pu l’être tant que la faillite n’avait pas
éclaté.
Aussi ces deux premières hypothèses n’ont jamais sou
levé ni difficulté ni controverse sérieuse. Il n’en est pas
de même de la troisième, elle a divisé la doctrine et la
jurisprudence.
161.
— M. Fremery enseigne que lorsqu’il n’y a
eu ni acceptation, ni affectation spéciale, il n’y a pas en
réalité de provision ; qu’en conséquence la faillite du
tireur se réalisant, les objets en mains du tiré doivent
être rapportés à la masse et distribués aux créanciers de
préférence au porteur.
« Celui sur qui une lettre de change est tirée, dit
M. Fremery, et qui, ayant provision, l’accepte, dispose
des fonds du tireur qui formaient la provision, puis
qu’il les affecte et les engage au payement de la lettre de
change.
« Donc, si le tireur est en faillite, celui sur qui la
i Cass., 22 ju in 1824.
�ART.
11b, 116, 117.
237
lettre est tirée, et qui, en l’acceptant, dispose de la pro
vision, favorise le porteur aux dépens des autres créan
ciers du tireur.
« Ainsi celui sur qui une lettre de change est tirée, et
qui, sachant la faillite du tireur, accepte ou paye cette
lettre de change, cause sciemment un tort grave aux au
tres créanciers du tireur, en aliénant au profit d’un seul
une portion de l’actif1. »
1 6 3 . — Nous convenons que le statut de Gênes
avait formellement prohibé le cas. Mais nous ne voyons
là qu’un motif pour mettre à l’écart la doctrine de l’é
cole italienne, se fondant précisément sur cette disposi
tion du statut. Si le législateur français, imitant le lé
gislateur génois, avait sanctionné une règle quelconque,
la question ne serait pas même controversable.
Mais ni le Code de commerce ni l’ordonnance de
1673 n’ont rien disposé à cet égard, et ce silence nous
parait abroger formellement le statut de Gênes. Aussi la
doctrine de Pothier, conforme à celle de Scaccia, nous
paraît-elle fort difficile à justifier à une époque où on
avait rendu à la lettre de change son caractère réel et
où, au témoignage de Jousse, on la considérait comme
la cession par le tireur au porteur de toutes les sommes
que le tiré lui doit ou lui devra au moment de l’é
chéance.
Or, si telle est encore aujourd’hui le caractère de la
i Chap. 6, p . 434.
�258
DE LA LETTRE DE CHANGE
lettre de change, qu’importe la faillite du tireur, alors
que déjà la lettre de change a été souscrite et la provi
sion faite? Notons bien que la cession par lettre de
change n’a pas besoin d’être notifiée. Le cessionnaire
est saisi de plein droit par le fait de la négociation.
Comment donc admettre la possibilité qu’on veut con
vertir en doctrine. De quoi se plaindraient les créan
ciers ? Pourraient-ils empêcher que le créancier gagiste
se payât intégralement et par préférence sur le prix du
gage ? Or la provision n’est pas autre chose qu’un gage
donné au payement futur de la lettre de change.
On objecte qu’un privilège ne peut être reconnu que
s’il est formellement établi par la loi. Celui du gagiste
est dans ce cas. Donc, si c’est un privilège que le por
teur réclame, le silence de la loi ne permettrait pas de
le lui accorder. Or, qu’il réclame un privilège, cela n’est
pas douteux, car il prétend être intégralement payé
lorsque les autres créanciers ne recevront qu’un divi
dende.
103. — Nous ne pouvons faire mieux que d’em
prunter à M. Nouguier la réponse si péremptoire qu’il
fait à cette objection.
« S’il est vrai qu’un privilège soit en général un droit
rigoureux, il est dans l’espèce un acte d’équité. Non
seulement le porteur a pensé que les fonds qu’il a ver
sés lui seraient rendus (tous les prêteurs pensent ainsi),
mais encore il n’a remis son argent que sur l’assurance
que la valeur de son titre serait spécialement affectée à
�ART.
H 5 , 116, 117.
259
l’extinction de sa créance. Cette promesse, elle a même
été exécutée, cette espérance n’a pas été déçue ; la pro
vision existe, le débiteur désigné en est dépositaire, il y
a donc en sa faveur une sorte d’affectation spéciale qui,
si elle ne rend pas le privilège légal, le justifie morale
ment du moins.
« Mais, remarquons-Ie, les adversaires du porteur se
méprennent ; il ne réclame pas un pr vilége, il soutient
que la provision est chose à lui appartenante et ne sau
rait dès lors servir à payer les dettes du tireur, et ici,
c’est le moment de rappeler ce que je disais au livre 2,
chapitre H, sur la nature du contrat de change. Tous
les auteurs le reconnaissent, la convention de change
dans sa principale opération, participant de la vente,
de la cession, du transport, a pour principal effet de
transférer au porteur, considéré comme acheteur ou
comme cessionnaire, la propriété de la lettre de change
dont le tireur se trouve dépouillé. Eh bien? la propriété
de la letre de change que comporte-t-elle ? Elle em
brasse le papier qui en est le signe, et la valeur qu’il
représente. La lettre de change est une monnaie factice,
la monnaie du commerce, comme un billet de banque;
quand on l’achète, ou le fait transporter, on achète ou
l’on se fait céder sa valeur qui n’est autre que la pro
vision.
« Maintenant, comment s’acquiert la propriété d’un
pareil titre ? L’article \ 36 nous l’enseigne : la propriété
d’une lettre de change se transmet par la voie de l’en
dossement. Inutile une cession régulière, inutile une si-
�240
DE LA LETTRE DE CHANGE
gnification. Le commerce a besoin de rapidité et de
bonne foi, et le porteur doit être certain que quelques
mots suffisent pour assurer ses droits.
« Mais, dit-on, ce n’est qu’à l’échéance que la provi
sion est de rigueur. Jusqu’à cette époque le tireur peut
retirer les fonds, et l’on ne doit pas considérer une dette
momentanée du tiré dont l’existence dépend de la seule
volonté du tireur , comme une affectation spéciale à la
lettre de change, comme une provision véritable.
« Sans doute le tireur peut ne faire provision qu’à
l’échéance, mais il peut aussi la faire avant ; sans doute
il peut la retirer si elle existe, mais il peut aussi la lais
ser. Il suit de là que jusqu’à l’échéance le porteur n’a
qu’un droit de propriété éventuel. Mais on n’est pas au
torisé à tirer de cette faculté la conséquence que le por
teur n’a des droits qu’à l’échéance. Il est dans la posi
tion de celui qui a acquis par achat ou par transport un
objet quelconque, et qui a laissé à son vendeur ou à son
cédant la liberté de ne lui livrer l’objet qu’à un certain
terme. Le contrat n’en est pas moins parfait ; la pro
priété est définitivement acquise, seulement un terme
existe qui doit être respecté, à moins qu’un fait légal, la
faillite par exemple, ne vienne le faire cesser L »
Indépendamment de leur valeur intrinsèque, ces con
sidérations ont à nos yeux un mérite incontestable, ce
lui d’arriver à une solution en harmonie parfaite avec
l’esprit de la loi. En effet, la haute utilité de la lettre de
1 T . 1., p. 203.
�ART. 11b, 116, 117.
241
change a fait sévèrement proscrire tout ce qui était dans
le cas d’en altérer le crédit ou d’en ralentir la rapide
circulation. Ce double résultat serait cependant la con
séquence nécessaire du système que nous combattons.
On prend facilement une lettre de change parce qu’on
a foi dans la promesse de provision, et parce que, avec
la propriété de la créance on acquiert celle de la provi
sion en assurant l’utilité. Dp jour où, indépendamment
de la chance de l’absence de provision, on aura encore
à subir celle de voir la provision faite distraite de sa
destination par la faillite postérieure du tireur, dès ce
jour-là, disons-nous, un certain discrédit pèsera sur la
lettre de change, ce qui porterait au commerce en gé
néral une atteinte profonde et dangereuse. Nous avons
raison de le dire, l’opinion tendant à rendre cet effet
impossible est dans les véritables prévisions du législa
teur.
Ce qui le prouve mieux encore, c’est la tendance de
la jurisprudence devenant chaque jour plus unanime ;
c’est le retour successif à cette opinion des cours qui s’é
taient d’abord prononcées pour l’opinion contraire.
Il est donc aujourd’hui acquis : 1° que la provision
est de plein droit transmise par la création ou la négo
ciation de la lettre de change, alors même qu’elle n’exis
terait pas encore à ce moment ; 2° que celle qui existe
dans les mains du tiré à l’échéance de la traite appar
tient exclusivement au porteur, alors même qu’elle n’au
rait pas reçu une affectation spéciale, et que la traite
n’eût pas été acceptée; 3° que la faillite du tireur avant
i — 16
�242
DE LA LETTRE DE CHANGE
qu’il eût disposé de la provision existant, empêchant
toute disposition ultérieure, la laisse à sa destination ;
qu’elle appartient dès lors exclusivement au porteur, de
préférence à tous les autres créanciers du tireur l.
164. — Des conséquences juridiques et dignes de
remarque découlent de la doctrine que nous venons
d’exposer, en voici les principales :
4° La propriété du porteur, à l’endroit de la provi
sion, est purement conditionnelle, et, comme l’observe
M. Pardessus, nécessairement subordonnée à ce qui exis
tera au moment de l’échéance. Si à cette époque la pro
vision n’existe pas, elle sera censée n’avoir jamais existé.
Vainement exciperait-on de ce que dans tel moment
donné le tiré a été nanti. La certitude de ce fait ne don
nerait aucun droit ni contre les personnes ni contre les
choses.
Cette règle était dictée par une saine appréciation de
la position respective du porteur, du tireur et du tiré.
Le porteur ! Son droit ne peut sortir à effet qu’à l’é
chéance. On ne lui a transmis que la propriété de la
provision qui existera à cette époque. Cela est tellement
certain, que dans l’intervalle de la négociation à l’é
chéance on lui refuse toute faculté de s’enquérir de la
provision. Non seulement il n’a pas le droit d’en exiger
une, mais il ne saurait empêcher que le tireur dispose
1 Voir dans nos recueils de jurisprudence les nombreux arrêts dans
�«
ART.
115, 116, 117.
243
de celle qu’il aurait d’abord fournie. Tout ce qu’il peut,
c’est de requérir l’acceptation le cas échéant, et d’exiger
après le protêt les garanties que la loi ordonne. Nous
disons le cas échéant, car le porteur a pu renoncer au
bénéfice de l’acceptation. Cette renonciation s’induirait
de ce que la traite porterait cette indication, non accep
table.
Le tireur n’a qu’un seul devoir à remplir, faire pro
vision pour le payement de la traite. Ce devoir ne lui
est pas prescrit à tel ou tel moment, il suffit qu’il soit
rempli à l’époque de l’exigibilité. Jusque-là on ne sau
rait l’empêcher de disposer à ses convenances et d’après
ses intérêts de ce qu’il avait eu d’abord la pensée d’af
fecter à cette destination.
Le tiré n’est que le mandataire du tireur, sa mission
n’est également que de payer à l’échéance. Quel droit
aurait-il à s’opposer à ce que le tireur reprît la provi
sion qu’il aurait d’abord fournie ? Il ne sera tenu que
si à l’échéance il est nanti des moyens de payer. Consé
quemment le défaut absolu d’intérêt le rend sans action
aucune contre les volontés du tireur. Il ne pourrait donc
s’opposer à ce qu’il disposât de ce qui lui avait été con
fié par lui.
Il est dès lors certain qu’en agissant ainsi, il n ’expose
en rien sa responsabilité , qu’objecterait le porteur ? Le
tiré est-il son mandataire chargé de veiller à la conser
vation de ses intérêts ?
Il en serait ainsi non pas seulement des objets que le
tireur aurait transmis et retirés ensuite, mais encore de
�244
DE LA LETTRE DE CHANGE
la dette due personnellement par le tiré. Celui-ci, même
avisé de la création de la traite, n’est pas obligé d’en at
tendre l’échéance pour s’acquitter. Le porteur n ’a plus
aucun droit si, avant, le tiré s’est valablement acquitté ;
il ne serait pas recevable à se faire rembourser par les
syndics de la faillite du tireur L
Ainsi donc la provision cesse légalement d’exister si
avant l’échéance le tireur a retiré les effets qu’il avait
expédié dans cette intention ou perçu et quittancé la
dette à lui due par le tiré. Mais, pour qu’il en soit ainsi,
il ne suffit pas d’un simple projet, de la manifestation
d’une intention, il faut que l’un et l’autre aient reçu
tous ses effets. En conséquence , la Cour de cassation a
jugé que l’avis donné par le tireur de lui faire retour de
la somme fournie à titre de provision avec ordre de ne
pas payer la traite ne peut avoir pour effet de dépouiller
le porteur de son droit à la provision3.
Dès lors la faillite survenue après cet ordre, mais
avant son exécution, créant désormais à celle-ci un in
franchissable obstacle, la provision n’aurait pas cessé
d’exister et d’appartenir au porteur. Si le tiré s’en était
dessaisi entre les mains des syndics du tireur, le por
teur aurait le droit d’en exiger la restitution à son
profit.
On comprend au reste que si la traite avait été accep
tée la position du tiré serait bien différente, il pourrait,
1 Bordeaux, 28 avril 1835.
2 7 décembre 1835.
�lui, faire à l’égard du tireur ce qui ne pourrait être fait
par le porteur, à savoir : empêcher toute aliénation de
la provision dont il est nanti.
Dans ce cas, en effet, l’acceptation rend le tiré débi
teur direct, et cette acceptation, il pourra le soutenir
ainsi, n’aurait pas été fournie sans la possession actuelle
ou à un terme déterminé de la provision. On ne saurait
donc retirer cette provision sans altérer le contrat pri
mitif, ce que l’une des parties ne peut jamais faire sans
l’assentiment de l’autre.
En conséquence, si nanti de la provision avant l’é
chéance, mais en l’état de son acceptation, le tiré s’op
pose au projet du tireur et préfère conserver le gage
actuel qui le garantit contre les effets de son engage
ment, la provision ne pourrait être retirée ni aliénée.
1G5. — 2° La provision s’attache à la lettre de
change et la suit dans quelques mains qu’elle passe, dès
lors, si plusieurs lettres de change ont été tirées par le
même individu, la provision dont le tiré sera nanti
pourra être indifféremment réclamée par tous les por
teurs, chacun pour ce qui le concerne.
Comment le tiré devra-t-il procéder pour se libé
rer valablement dans le cas où les sommes qu’il détient
seraient insuffisantes pour payer toutes les lettres de
change ?
Aucune difficulté ne saurait surgir si ces lettres sont à
des échéances diverses. Le tiré payera celles qui lui se
ront présentées à fur et mesure qu’elles deviendront exi-
�246
DE LA LETTRE DE CHANGE
gibles, jusqu’à épuisement de la provision. Il n’en exis
terait plus aucune pour les dernières. Aussi les porteurs
ne seraient-ils ni recevables ni fondés à poursuivre le
tiré.
Mais si toutes les lettres sont à la même échéance, et
c’est ce qui se réalisera dans le cas de faillite rendant les
dettes exigibles, le payement devra obéir aux distinc
tions suivantes.
Le tiré doit d’abord éteindre les lettres de change
pour lesquelles il existerait une provision spéciale.
L’affectation qu’elle aurait reçue la rend exclusivement
la chose du porteur , il doit donc seul en percevoir le
bénéfice.
A défaut d’affectation, le tiré commencera par payer
les effets qu’il aurait acceptés. Le droit d’éteindre d’a
bord sa propre dette pourrait d’autant moins lui être
contesté, que l’acceptation est la reconnaissance de la
provision et remplace en quelque sorte l’affectation. Ce
qui a lieu communément ne saurait être ni modifié ni
changé de ce que le tiré aurait une provision supérieure
au chiffre de ses acceptations.
A défaut d’acceptation, le montant intégral de la pro
vision est distribué au marc le franc entre tous les por
teurs.
1 6 0 . — 3° Le tiré, quoique non acceptant, peut
être actionné par le porteur agissant en cette qualité
et comme exerçant les droits du tireur. Cette recherche
aura pour objet d’établir que le tiré avait provision,
�ART.
118, 116, 117.
247
et de le faire condamner au payement de la lettre de
change.
Le principe est incontesté. Mais son exécution a sou
levé une difficulté sur laquelle la jurisprudence paraît
être fixée. On s’est demandé devant quel tribunal le
porteur devrait exercer son recours contre le tiré qui
n’a pas signé la lettre de change.
Depuis longtemps la Cour de cassation s’est formelle
ment prononcée. Lorsque, dit-elle, le tiré n’a ni signé,
ni accepté, l’action du porteur ou du tireur lui-même
n’a pour objet qu’un règlement de compte, qui doit être
poursuivi au domicile du tiré l. Déjà et par arrêt du 21
mars 1825, elle avait jugé que le tiré n’ayant pas ac
cepté ne pouvait être distrait de ses juges naturels, alors
même qu’il serait réellement débiteur.
Dans ce dernier cas, cependant, on doit distinguer si,
par application de l’article 420 du Code de procédure
civile, la dette du tiré était payable ou exigible au lieu
où se réalise l’appel en garantie, le déclinatoire qu’il
proposerait devrait être éconduit2.
1 5 avril 1837. J. du
1, 1838, 212.
3 Àix, 29 mai 1834.
P.,
1, 1837. V. Limoges, 22 juin 1837
Ibi d.
�248
DE LA LETTRE DE CHANGE
§ III.
—
DE L’ACCEPTATION
ART.
118.
Les tireurs et les endosseurs d’une lettre de change
sont garants solidaires de l’acceptation et du payement
à l’échéance.
SO M M A IR E
167.
168.
169.
170.
Caractère et nature de l’acceptation.
Peut être requise à toute époque.
Reproche adressé à raison de ce à l ’article 118. Examen.
Autre reproche à l ’occasion de l ’assimilation entre les en
dosseurs et le tireur.
171. Caractère de l ’obligation de procurer l ’acceptation. Est-elle
remplacée par la souscription d’un aval ?
172. Position du tireur d’ordre et pour compte d’autrui.
473. Droits et devoirs du porteur. Faculté de requérir ou non
l ’acceptation
174. Exception que la loi apporte à cette faculté illimitée.
175. Exception résultant de la convention.
176. L’endosseur peut-il indiquer un besoin obligatoire pour le
porteur ?
177. Autre exception résultant du mandat ; arrêts d'Aix et de
la Cour de cassation.
178. L’appréciation du mandat est laissée à l’arbitrage souve
rain du juge. Arrêt de Bordeaux sur la garantie de l’ac
ceptation.
�479.
480.
Dans quel domicile doit être requise l ’acceptation.
Droits du tiré de la refuser, alors même qu’il serait débi
teur.
484 . Exception. Engagement formel ou tacite d’accepter. Ses
effets.
169. — L’acceptation est l’engagement que con
tracte le tiré de payer la lettre de change à son échéan
ce, assurant ainsi l’exécution du mandat qu’elle ren
ferme. Cette formalité n’est pas de l’essence du contrat
de change, dont la perfection repose sur le consentement
mutuel du tireur et du preneur, mais elle vient s’y unir
et s’y incorporer. Le tiré , jusque-là étranger au titre,
aux obligations qui en naissent, en assume là responsa
bilité par la délivrance de son acceptation, il devient
même le principal débiteur, car, d’une part, il est censé
avoir reçu du tireur une somme suffisante pour le paye
ment de la lettre ; d’autre part, c’est à lui que le por
teur devra directement s’adresser, tout recours contre le
tireur lui-même n’étant ouvert qu’après le refus de
payement de sa part, et sa constatation au domicile in
diqué.
L’acceptation est donc une chose grave pour le por
teur, pour les endosseurs, pour le tireur, pour le tiré
lui-même. De là la nécessité de l’étudier dans son ori
gine, de la considérer dans ses phases diverses, d’en
constater les effets.
168.
La portée de l’article 118 ns saurait être
�250
DE LA LETTRE DE CHANGE
douteuse. À moins de stipulation contraire, l’acceptation
pourra être requise à toute époque, la veille même de
l’échéance. Ce n’est pas le tireur seul qui est tenu de la
procurer. Les endosseurs la garantissent solidairement.
Ce double caractère a soulevé une double difficulté.
Nous venons de le dire. Jusqu’à l’échéance le porteur
n’a pas le droit de s’enquérir de la provision, le tireur
est libre de retirer celle qu’il a d’abord fournie ; il peut
l’aliéner, en disposer à son gré. Cela d’ailleurs suppose
que le tiré n’a point encore accepté, car, dans le cas
contraire, il serait recevable et fondé, pour sa garantie
propre et personnelle, à s’opposer à ce que le tireur dis
posât de la provision.
Or, permettre de requérir l’acceptation avant l’échéan
ce, c’est appeler cette opposition en suscitant l’intérêt
du tiré. C’est donc indirectement arriver à faire ce qu’on
ne saurait accomplir d’une manière directe, c’est-à-dire
s’assurer une provision qu’on n’aurait pas le droit de
demander.
1 6 9 . — Ce reproche était notamment formulé par
le tribunal de Béziers, il s’opposait en conséquence au
maintien de notre article H 8 .
« L’acceptation qu’on exige pour une lettre de change
avant qu’elle soit échue, disait-il, est une injustice qu’on
fait au tireur, en ce qu’il a promis de la faire acquitter
à son échéance, et non de la faire accepter. Si les fonds
ne sont pas faits pour le moment, ils pourront l’être à
l’échéance, avant laquelle il ne doit rien à celui en fa-
�ART. H 8.
281
veur de qui l’ordre en est passé. Ces conditions, accep
tées par celui-ci et par les endosseurs qui lui succèdent,
doivent être respectées jusqu’au jour de l’échéance, où
le protêt serait fait faute de payement.»
Certes la contradiction reprochée serait évidente, si le
législateur autorisait le tireur à ne fournir la provision
qu’à et pour l’échéance. Mais c’est là une inexacte inter
prétation des articles 115 et 116 du Code de commerce.
Ce dernier parle bien de l’existence de la provision à
l’échéance, mais c’est uniquement pour indiquer à quel
les conditions le porteur pourra se faire payer par pri
vilège, ou le tiré repousser le recours qui serait dirigé
contre lui. Mais cela n’altère en rien l’obligation abso
lue, sans limites et sans terme que l’article 115 impose
à ce même tireur.
Oui sans doute, pour produire ses effets ordinaires,
la provision doit exister à l’échéance. Peu importerait
qu’elle eût existé avant, ou qu’elle dût exister après, il
suffit qu’à l’instant du payement il ne s’en rencontrât
aucune, pour qu’elle fût censée n’avoir été jamais faite.
De là absence complète de libération du tireur même en
cas de protêt tardif, mais, et par réciprocité, impossi
bilité pour le porteur de réclamer un privilège sur l’ac
tif du tireur tombé en faillite avant ou depuis l’échéance.
Il n’y a donc aucune incompatibilité, aucune contra
diction entre les articles 115, 116 et 118. La vérité est,
au contraire , que le dernier prête aux premiers un
puissant secours. S’il est vrai que requérir l’acceptation
soit le moyen de contraindre la réalisation de la provi-
�252
DE LA LETTRE DE CHANGE
sion, on doit admettre qu’il n’est pas de manière plus
sûre pour déterminer l’exécution de ces deux disposi
tions, de la dernière surtout. La provision existera d’au
tant mieux à l’échéance, qu’on aura forcé le tireur à la
consigner avant.
Au reste, sur ce point le commerce n’a jamais con
fondu ou partagé les préoccupations du tribunal de Bé
ziers. Le tireur d’une lettre de change sait que non seu
lement il doit la faire payer à l’échéance, mais encore
qu’il en doit la provision à toute époque. Aussi, dans
l’hypothèse où, trouvant cette dernière obligation trop
onéreuse, il entend s’y soustraire, il a grand soin de le
stipuler sur la lettre de change même qu’il déclare n’être pas susceptible d’acceptation. Le preneur d’une let
tre ainsi qualifiée consent de son côté à déroger au droit
commun et à la faculté de requérir cette acceptation.
Mais, à défaut de cette clause, rien ne saurait l’empê
cher d’user de la faculté que la loi lui donne à cet
égard.
1 Ï O — Un second reproche a été fait à notre arti
cle, à savoir : celui de méconnaître la position véritable
des endosseurs en les déclarant garants solidaires de
l’acceptation.
En fait et à l’endroit des endosseurs, l’article 118 in
troduit un droit nouveau. En effet, l’ordonnance gardait
à cet égard le plus complet silence, et tout ce que la doc
trine induisait du défaut d’acceptation, c’était la faculté
pour le porteur de recourir contre le tireur pour
�ART.
118.
285
l'obliger à faire accepter la lettre, ou à donner cau
tion qu'en cas qu'elle ne soit pas payée à l'échéance,
il lui rendra la somme avec les changes, rechanges et
frais de protêtl.
Ce système de l’ordonnance, disait-on, est plus con
forme à la raison et au droit que celui de la nouvelle
législation. On comprend qu’on exige du tireur la réa
lisation de l’acceptation. Le tiré est de son choix, il est
ordinairement son correspondant, et il doit dans tous
les cas s’assurer au préalable de son concours, il est
d’ailleurs le seul débiteur de la lettre.
Les endosseurs, au contraire, s’ils reçoivent d’un côté
le montant de la lettre, ils l’ont compté de l’autre. D’ail
leurs, étrangers à sa création, il peuvent ne pas con
naître même le tiré, le devoir de procurer l’acceptation
n’a donc plus de fondement sérieux.
Sous un autre point de vue, l’ordonnance se confor
mait aux principes généraux du droit que le Code civil
a consacré. Les endosseurs sont des cédants. Or, de
droit commun, le cédant ne répond de la solvabilité du
débiteur que lorsqu’il s’y est engagé et jusqu’à concur
rence du prix qu’il retire de la cession ; lorsqu’il a pro
mis la garantie de la solvabilité du débiteur, cette pro
messe ne s’entend que de la solvabilité actuelle, et ne
s’étend pas au temps à venir, si le cédant ne l’a expres
sément stipulé2.
4
1 Jousse, tit. v, art. 2, n° 4.
2 Art. 1694,1695.
�254
DE LA LETTRE DE CHANGE
Le législateur de 1807, tout en rendant hommage à
ces principes, a refusé de les appliquer à la matière
commerciale. Il a d’ailleurs considéré l’endossement,
non pas seulement comme une cession ordinaire, mais
encore comme un véritable engagement entraînant l’o
bligation solidaire pour le payement. Quant à l’accepta
tion, il a considéré que chaque endosseur donnait au
tiré l’ordre de payer au cessionnaire ; qu’il devenait dès
lors relativement à celui-ci un véritable tireur, qu’il
était donc rationnel de le soumettre en cette qualité à
garantir l’acceptation comme le payement l,
La circonstance que le tiré était ou pouvait être in
connu à l’endosseur ne pouvait être prise en considéra
tion. L’adresse contenue en la lettre de change suffisait
pour qu’on pût lui transmettre le montant de la provi
sion. D’ailleurs la loi n ’exige pas que l’endosseur pro
cure l’acceptation du tiré, il peut indiquer un besoin, et
l’acceptation de celui-ci remplit, en ce qui le concerne,
les exigences de la loi.
Nul doute, donc, ne saurait s’élever sur l’esprit et la
lettre de la loi. Les endosseurs sont, relativement à l’ac
ceptation, sur la même ligne que le tireur, ils ne pour
raient invoquer les principes des articles 1694 et 1695
du Code civil. D’abord, parce que la loi les considère
comme de véritables tireurs, ensuite parce que dans tous
les cas elle aurait formellement consacré une exception
à ces principes.
1 Locré,
Esprit du Code de commerce, a rt. 118.
�1* 1 . — L’obligation de procurer l’acceptation est
absolue et ne comporte d’autre exception que celle ré
sultant de la convention contraire. Si la lettre de change
ne porte pas la clause, non acceptable, ou "non suscep
tible d'acceptation, le porteur ne saurait être repoussé,
quelles que fussent d’ailleurs les garanties que la lettre
de change offrirait déjà.
Dans une espèce où la lettre de change avait été revê
tue d’un aval, on voulait que la demande du porteur en
acceptation fût repoussée. Que pouviez-vous exiger, à
défaut de celle-ci, lui disait-on ? Une caution ? Mais cette
caution vous l’avez dans la personne qui a souscrit l’a
val. Donc, votre prétention n’est qu’un véritable double
emploi.
On répondait que l’aval était indépendant des obliga
tions que le tireur contractait relativement à l’accepta
tion ; que rien dans la loi n’indiquait une incompati
bilité quelconque dans leur existence simultanée ; que le
premier n’est qu’une garantie de plus sans laquelle le
preneur n’eût pas traité ; que le faire souscrire ce n’é
tait pas renoncer à la garantie de l’acceptation procu
rant des moyens et des sûretés que ne présente pas l’a
val ; que tout ce qui résulte de celui ci, c’est qu’en vertu
du principe que le donneur d’aval est toujours assimilé
au débiteur qu’il a cautionné, ou devrait le considérer
comme le débiteur et le rendre personnellement garant
de l’acceptation. Cette réponse prévalut devant la cour
de Toulouse l.
i 42 décembre 1887.
�2 S6
DE LA LETTRE DE CHANGE
l ï S . — Les obligations de celui qui a tiré une let
tre de change d’ordre et pour compte d’un tiers ne se
trouvent pas indiqués par l’article 118. Mais ce silence
de la loi ne saurait être considéré comme une dispense
de procurer l’acceptation. Le tireur pour compte est
obligé envers le porteur et les endosseurs. Ceux-ci, à dé
faut d’acceptation ou de caution, sont fondés à se faire
rembourser immédiatement. En conséquence, le tireur
pour compte, s’il veut profiter du délai donné par le ti
tre, sera bien obligé ou de procurer l’acceptation, ou de
donner une caution solvable.
Mais il est évident que le tireur pour compte et son
commettant ne sont qu’une seule et même personne.
Conséquemment, si le dernier était actionné pour faire
accepter ou pour donner caution, le premier ne saurait
être tenu qu’évenluellement, et pour le cas où son com
mettant serait dans l’impuissance de réaliser l’un ou
l’autre. L’acceptation procurée par lui, ou le cautionne
ment qu’il fournirait libérerait complètement le ti
reur pour compte jusqu’à l’échéance. Il ne serait tenu
que du payement futur dans les limites de ses obliga
tions.
1 9 3 . — Les droits et les devoirs du porteur à l’é
gard de l’acceptation résultent : d’une part, des obliga
tions imposées aux tireurs et endosseurs ; de l’autre, de
la loi ou de la convention.
Le porteur a d’abord la faculté de requérir l’accepta
tion toutes les fois que le titre ne le lui a pas interdit.
�Cette faculté est dans le plus grand nombre de cas
purement discrétionnaire. Elle est laissée aux convenan
ces du porteur. Jouissant à cet égard de la plus entière,
de la plus absolue liberté, il peut donc, à son choix, en
user ou s’en abstenir.
Cependant cette abstention peut avoir des suites fâ
cheuses pour les endosseurs. L’absence d’acceptation
rend le tiré sans intérêt, et en conséquence non receva
ble à contester au tireur la faculté d’aliéner la provision
déjà faite, selon qu’il le juge convenable ou utile; il peut
arriver que cette provision ainsi aliénée, il y ait impos
sibilité à en consigner une nouvelle.
En requérant l’acceptation, diront les endosseurs,
vous empêchiez forcément ce résultat, en mettant le tiré
dans la position de retenir la provision qu’il avait en
mains , vous assuriez le payement de la lettre de chan
ge, et par cela même notre complète libération. Le re
cours que vous exercez est donc la conséquence de vo
tre négligence, il est juste que vous soyez exclusivement
tenu des conséquences qu’elle entraine.
Une prétention de ce genre ne serait ni recevable ni
fondée. Le porteur répondrait avec raison : rien ne m’o
bligeait à agir, ni la loi, ni la convention. J ’ai donc usé
d’un droit, et cela suffit pour que je n’ai pu encourir
aucune responsabilité. Dans tous les cas, je me suis
borné à vous imiter. Chacun de vous a été propriétaire
de la lettre, pourquoi n’a -t-il pas requis son accepta
tion, vous ne pouvez m’accuser sans vous accuser vousmêmes.
i — 47
�258
DE LA LETTRE DE CHANGE
Nous avons donc raison de le dire : le porteur est
l’arbitre suprême de l’opportunité de l’acceptation. Les
seules exceptions que comporte cette règle résultent et
ne peuvent résulter que de la loi ou de la convention.
134. — Il y a exception légale lorsque dans un in
térêt quelconque la loi a formellement prescrit de requé
rir l’acceptation. Nous en trouvons un exemple dans
l’article 160 du Code de commerce.
Toutes les fois que les lettres de change ne sont pas
à une échéance fixe et déterminée , la loi a dû suppléer
à cette détermination. Les obligations des endosseurs,
du tireur lui-même doivent avoir une fin, et il ne pou
vait pas être que le porteur pût les éterniser à son gré.
En conséquence, les lettres de change tirées du conti
nent et payables dans les possessions européennes de la
France, soit à vue, soit à un ou plusieurs jours, mois
ou usances de vue, doivent être présentées à l’accepta
tion dans les six mois de leur date, sous peine contre
le porteur de la perte de tout recours contre les endos
seurs, et même contre le tireur, si celui-ci a fait pro
vision l.
135. — Ce que la loi a fait dans l’hypothèse d’une
échéance indéterminée , la convention des parties peut
l’accomplir dans tous les autres cas. Nous venons de
voir qu’on peut stipuler que la lettre de change ne sera
�ART.
118.
259
pas présentée à l’acceptation. On peut également conve
nir du contraire.
Ainsi le tireur peut vouloir acquérir immédiatement
la certitude que le tiré payera à l’échéance soit pour
suppléer à son défaut, soit pour n’avoir plus à se préoc
cuper des moyens pour assurer le payement. Il peut donc
stipuler que la lettre de change sera immédiatement pré
sentée à l’acceptation ; la légalité incontestable d’une
telle clause en devrait garantir l’exécution.
On comprend d’ailleurs que la violation de ce devoir
par le porteur ne saurait influer sur les droits que cette
qualité lui assure. Il pourrait donc recourir contre le
tireur, mais celui-ci pourrait de son côté le faire con
damner à l’indemniser du préjudice qu’il éprouverait
du défaut d’acceptation. En acceptant la lettre de change
prescrivant la présentation immédiate au tiré, le pre
neur est devenu un véritable mandataire, il répond
donc naturellement de la négligence qu’il a apportée
dans l’exécution du mandat qu’il avait à remplir.
1VG. — Le tireur peut indiquer un besoin pour
suppléer au refus éventuel du tiré. L’endosseur le peutil également ? L’indication que ferait celui-ci d’un tiers
auquel on devrait, avant protêt, demander l’acceptation,
serait-elle valable et obligatoire ?
On a soutenu la négative. Si l’on peut, a-t-o n dit,
imposer au porteur l’obligation de présenter la traite à
l’acceptation, il n ’en peut être ainsi qu’à l’égard du tiré,
et non à l’égard d’un tiers ; surtout lorsque ce tiers est
�260
DE LA LETTRE DE CHANGE
indiqué non par le tireur, mais par l’endosseur. Une
pareille condition ne saurait être imposée quand l’ac
ceptation ne peut être requise qu’au besoin, et avant
protêt.
En effet, que résulterait-il de là ? C’est que le porteur
serait dans l’impossibilité de faire le protêt. Le refus du
tiré ne devant être connu que le jour de l’échéance, ce
n’est que ce jour-là même qu’on pourra se présenter
chez le tiers indiqué. Or, celui-ci peut garder la traite
pendant vingt-quatre heures avant de donner ou de
refuser son acceptation. Ainsi, quand le porteur aura
repris son titre, le délai du protêt sera expiré à l’égard
du tiré. On ne saurait donc admettre contre le porteur
une conséquence contraire à ses droits. D’un autre côté,
reconnaître aux endosseurs la faculté d’indiquer des ac
ceptations et des payements au besoin, ce serait leur
permettre d’aggraver la condition du porteur, puisqu’ils
pourraient indiquer des besoins différents.
Le premier de ces arguments fait une singulière con
fusion entre le protêt faute d’acceptation et le protêt faute
de payement. Celui-ci doit se réaliser dans les vingtquatre heures de l’échéance ; l’autre ne reconnaît au
cune limite, par l’excellente raison que la réquisition
peut s’effectuer à toutes les époques. Donc et quelle que
soit celle de la restitution du titre par le tiré indiqué au
besoin, il est évident que le protêt faute d’acceptation
sera régulièrement dressé.
Que s’il s’agit du protêt pour défaut de payement, on
admet par cela même que le titre est devenu exigible.
�ART.
118.
261
Dans ce cas, on ne demandera plus au besoin indiqué
s’il accepte ou non, on le sommera de payer sans qu’on
soit obligé de lui laisser le titre plus ou moins longtemps.
S’il refuse, le protêt sera immédiatement dressé à son
domicile comme à celui du tiré. L’impossibilité dont on
excipe ne saurait être admise.
Il est possible que les endosseurs indiquent des be
soins différents ; il est possible encore que la position
du porteur en fût aggravée ; mais si quelqu’un ne peut
être recevable à s’en plaindre, c’est évidemment le por
teur, Volenti non fit injuria. Or, ou la désignation des
besoins a eu lieu au moment de la transmission de la
lettre qui lui était faite, ou elle l’a précédée. Dans le
premier cas, il l’a consentie, il l’a formellement accep
tée dans le second. De quoi se plaindrait-il ? S’il trou
vait la chose onéreuse, il n’avait qu’à refuser la cession
qui lui était proposée.
Les fondements de l’opinion que nous indiquons ne
sont pas même sérieux. On doit donc repousser cette
opinion et décider au contraire qu’un endosseur peut
valablement apposer à son endossement la condition
défaire accepter au besoin, avant protêt, par un tiers
désigné.
D’où la conséquence que le porteur qui n’aura pas
rempli cette condition aura commis une faute grave dont
il encourra la responsabilité. On devra donc le démettre
du recours qu’il prétendait exercer contre l’endosseur l.
i Cass., 3 ju in 4839.
n°5 549 et suiv.
J. du P., 2, 1839, 449. V . infra, a rt. 473,
�262
DE LA LETTRE DE CHANGE
199. — Transmettre à un tiers des traites pour les
présenter à l’acceptation, c’est donner un mandat qui,
s’il est accepté, engage la responsabilité du mandataire,
fût-il non salarié. Mais il faut que le mandat soit précis
et formel, qu’il exprime notamment si l’acceptation doit
être immédiatement requise. La responsabilité s’appré
cie par les termes du mandat même.
Ainsi la cour d’Aix a jugé, le 23 avril 1813, que ce
lui qui, ayant reçu et promis de remplir le mandat de
faire accepter ou protester, en cas de non acceptation,
une lettre de change, a négligé de l’exécuter, est res
ponsable en cas de faillite du tireur. Ici l’alternative in
diquait bien qu’on entendait de toute part que la réqui
sition devait être immédiate ; et c’est ce que l’arrêt cons
tate.
Dans une autre espèce, la Cour de cassation décidait
que le mandat donné au tiers porteur d’une traite de la
présenter à l’acceptation du tiré n’emportait pas de plein
droit, et en l’absence de toute prescription formelle à
cet égard, l’obligation de la présenter avant le jour de
l’échéance. Elle déchargeait donc le mandataire de toute
responsabilité pour insuffisance du mandat L
Il s’agissait dans cette espèce d’un pourvoi contre un
jugement du tribunal de commerce de la Seine, sanc
tionnant cette absence de responsabilité ; mais le juge
avait tranché la question par des considérations qui pou
vaient laisser croire à la possibilité d’une solution coni B novembre 1835.
�ART.
218.
263
traire en pur droit. Ainsi le tribunal considérait que le
titre transmis au mandataire était sur papier non tim
bré ; qu’en envoyant un pareil titre, le mandant ne
pouvait ignorer que si l’acceptation était refusée, il y
aurait des frais à faire que le mandataire n’était pas
tenu d’avancer.
Indépendamment de l’inconvénient de laisser le droit
en suspens, ces considérations n’étaient rien moins que
juridiques ; elles ne pouvaient justifier la solution. D’a
bord les frais ne devant surgir qu’après le refus d’ac
ceptation, leur éventualité ne pouvait être un obstacle à
la présentation amiable de la traite. De plus, le man
dataire qui ne veut pas avancer les frais du mandat ne
se charge pas de celui-ci, ou tout au moins écrit à son
mandant de le mettre à même de les payer. Dans l’hy
pothèse, le mandataire n’avait fait ni l’un, ni l’autre.
Aussi la Cour régulatrice n’entre pas dans l’examen
des reproches qui étaient adressés au jugement à cet
endroit. Elle rejette le pourvoi. « Attendu qu’il est cons
tant en fait que le mandat donné par le demandeur au
tiers porteur de la traite, à l’effet de la présenter à l’ac
ceptation du tiré, était sans réserve et ne portait pas
obligation expresse de la lui présenter avant l’é
chéance. »
Donc, aux yeux de la Cour de cassation, ce qui con
vertit en obligation la faculté que le tiers porteur a de
requérir ou non l’acceptation, c’est la condition formelle
qui lui en serait faite par la convention ou le mandat.
Si l’un et .l’autre ne parlent de l’acceptation qu’en ter-
�264
DE LA LETTRE DE CHANGE
mes généraux, on rentre purement et simplement dans
le droit commun.
Au demeurant, l’appréciation de l’étendue du mandat
et de la véritable portée de la convention étant toute de
fait, est souverainement laissée à l’arbitrage du juge. La
question de responsabilité n’étant à vrai dire que la
conséquence immédiate du fait lui-même, se trouve ré
solue par cela seul que celui-ci l’aura été.
On a cependant en quelque sorte contesté cette indé
pendance des magistrats. L’obligation de requérir im
médiatement l’acceptation, a-t-on d it, doit résulter
de ce que l’endosseur a formellement garanti l’accep
tation.
La cour de Bordeaux examine cette prétention et la
repousse par un arrêt fortement et juridiquement motivé.
Elle remarque notamment que la garantie de l’accepta
tion n’est qu’une obligation que la loi impose formelle
ment à l’endosseur sans que celui-çi l’ait stipulée ; dès
lors, c’est méconnaître les principes les plus élémentai
res que d’assimiler à un mandat la garantie de l’accep
tation souscrite par Lafargue (endosseur) ; que la ban
que qui a escompté les traites et qui en a payé la valeur,
en est devenue propriétaire, avec la faculté d’en pour
suivre l’acceptation et le payement, et d’exercer, faute
d’acceptation, son recours en garantie contre Lafargue,
responsable, non pas comme commettant de la banque,
mais comme débiteur, à raison de son engagement ; que
dès lors on ne peut lui appliquer les principes qui ré
gissent les obligations dérivant du mandat, mais celle
�ART.
118.
265
d’un débiteur qui veut se libérer de son obligation ; et
que, dans ce dernier cas, il ne peut dépendre du débi
teur d’éteindre son engagement au moyen d’une condi
tion qu’il n’a pas stipulée et qui n’est pas supplée par
la lo i l.
1Ï9. — Le porteur d’une lettre de change , qui
veut user de la faculté qui lui est laissée, ou qui obéit à
la loi ou à la convention, doit requérir l’acceptation au
domicile du tiré. Il importerait peu que la somme eût
été indiquée payable à un autre domicile. L’acceptation
est un fait purement personnel au tiré, elle doit directe
ment émaner de lui, c’est donc à sa personne qu’il con
vient de la demander. Si des besoins avaient été indi
qués soit par le tireur, soit par les endosseurs, la même
mise en demeure devrait être adressée à chacun d’eux
et à leur domicile respectif.
180. — Si le porteur est libre de requérir ou non
l’acceptation, à plus forte raison le tiré l’est-il de la don
ner ou de la refuser. A cet égard, loin de gêner son in
dépendance, la loi la lui garantit au contraire de la ma
nière la plus absolue. Il n’a qu’à suivre ses propres ins
pirations, qu’à obéir à des convenances dont il est le
seul appréciateur possible. Il n’est pas forcé d’accepter,
alors même qu’il devrait réellement au tireur le montant
des lettres de change.
i Bordeaux, 29 février 1836.
J. du P., 1, 1837, 248.
�266
DE LA LETTRE DE CHANGE
Cette règle se justifie parfaitement sous un double
point de vue. Le débiteur qui n’est pas commerçant, ou
dont l’obligation n'a pas une cause commerciale, verrait
sa position s’aggraver considérablement par l’accepta
tion. Ainsi il se soumettrait à la juridiction exception
nelle et à la contrainte par corps, il s’exposerait à payer
les intérêts moratoires sur le pied du six pour cent, en
fin il se placerait dans l’impossibilité d’obtenir ni terme,
ni délai pour le payement, la loi n’en permettant au
cun en matière de lettres de change ; il y aurait donc
une énorme injustice à lui imposer de tels résultats au
trement que par un effet de sa pleine et libre volonté.
Le tiré débiteur fût-il commerçant, son obligation
constituât-elle un engagement commercial, qu’on ne
saurait le contraindre à accepter. Sans doute, les in
convénients seraient moindres que dans l’hypothèse pré
cédente, mais ils n’en existent pas moins. L’acceptation
pourrait, en effet, avoir pour résultat de le distraire de
ses juges naturels, de lui imposer, en cas de non paye
ment par une circonstance imprévue, des frais tels que
ceux du rechange, de compte de retour, etc... C’en était
assez pour que le législateur s’en référât à son arbi
trage supérieur, et s’arrêtât au parti qu’il lui plairait de
choisir.
En d’autres termes, le tiré, dans quelque position
qu’on le suppose, n’est pas plus tenu de donner son ac
ceptation que de se charger de tout autre mandat. En
tièrement libre de refuser, il ne saurait être recherché à
raison de ce.
�ART.
118.
267
1 8 1 . — Mais cette règle reçoit exception lorsque le
tiré a contracté l’engagement formel ou tacite de donner
son acceptation.
Il y aurait engagement formel si le tiré, prévenu des
dispositions que le tireur va faire sur l u i , autorise ces
dispositions ou répond qu’il leur fera honneur et ac
cueil. C’est là une promesse susceptible de produire ef
fet, c’est ce qui était déjà admis sous l’empire de l’or
donnance de 1673. C’est ce que notre Code a également
consacré, la doctrine et la jurisprudence le reconnais
sent unanimement l.
L’engagement d’accepter serait tacite, si le tiré reçoit
sans réclamation la provision des traites fournies sur lui.
Cette réception, en effet, ne pourra être interprétée que
par l’acceptation du mandat, et en conséquence que
comme l’obligation d’accepter.
Mais ce qu’il importe de remarquer, c’est que, même
dans ces deux hypothèses, le tiré ne pourrait être con
traint de donner son acceptation. La promesse d’accep
ter prise soit avec le tireur, soit avec le porteur, ne pro
duirait jamais d’autres résultats que de contraindre le
tiré à les indemniser l’un ou l’autre du préjudice que
l’inexécution de la promesse leur aurait occasionnée2.
En général donc, rien ne gêne l’indépendance abso
lue du tiré. La loi lui accorde même vingt-quatre heu-
1 Cass., 22 ventôse an x n ; 16 m ars 1825 ; M erlin,
change, S 4, a rt. 10 ; P ardessus, Droit com. n» 362.
2 V. sup., n° 166, e t inf., a rt. 122 e t 164.
Rép. v° Lettre de
�268
DE LA LETTRE DE CHANGE
res pour qu’il réfléchisse au parti qu’il lui convient de
prendre. Ce parti pris, la loi l’accepte. Elle se borne,
ainsi que nous allons le voir, à en réglementer la forme
et les effets.
1 8 1 bis. — L’ouverture d’un crédit donne lieu or
dinairement à un tirage de traites par le crédité sur le
créditant. Comme ces traites ne sont qu’un moyen d’u
tiliser le crédit, ce dernier, en consentant celui-ci, a par
cela même, contracté l’obligation de les accepter et de
les payer.
Il y a ici en effet plus qu’une promesse , il y a enga
gement formel. Le créditant était libre de consentir ou
de refuser un crédit quelconque. Mais le crédit, une fois
accordé, il est tenu de le réaliser, à moins d’admettre
qu’il peut de sa seule volonté et à son gré annuler une
convention qui régulièrement et légalement intervenue
entre le crédité et l u i , est devenue leur loi commune
aux termes de l’article 1134 du Code civil.
Or l’acceptation des traites est un mode de réalisation
du crédit, car elle est pour les tiers l’obligation de payer
et donne aux effets qui en seront revêtus une valeur qui
en facilite singulièrement la négociation. Elle ne saurait
donc être refusée au porteur qui, connaissant l’acte de
crédit, n’a contracté avec le crédité qu’en vue des garan
ties que cet acte lui assurait.
Que le créditant puisse ne pas être contraint maté
riellement à donner cette acceptation, on le comprend,
nemo potest cogi ad factum. Mais ce à quoi il ne pour-
�ART.
H
8.
269
rait se soustraire, c’est à l’obligation de payer dans les
limites du crédit. Il ne peut pas être que l’acte d’ouver
ture de ce crédit n’ait été qu’un piège contre le public,
et ne le serait-il pas devenu pour celui qui n ’a traité
que sur la foi des garanties que cet acte lui promettait
si le bénéfice pouvait lui en être arbitrairement refusé.
Un pareil refus ne serait possible que dans un seul
cas, à savoir, si avant la création des traites présentées,
soit à l’acceptation, soit au payement, le crédit se trou
vait épuisé. La limitation du chiffre indique à tous l’é
tendue du crédit et nul ne peut ignorer qu’il n’est rien
dû au-delà. Celui-là donc qui a traité avec le crédité
sans s’assurer de sa véritable position vis-à-vis du cré
ditant, a sciemment, volontairement accepté la chance
dont il se trouve victime et dont il doit dès lors subir
les conséquences.
Mais si les traites nouvelles se restreignent dans les
limites du crédit, le créditant doit les accepter, et dans
le cas où il méconnaîtrait cette obligation, il ne saurait
se soustraire à celle de payer, à la condition pourtant
que le porteur aura conuu la lettre de crédit, et n ’aura
accepté les traites qu’en vue de la confiance qu’elle de
vait naturellement leur inspirer.
La question de savoir si cette condition est ou non ac
quise est, comme toutes les questions de fait, laissée à
l’arbitrage souverain du juge, mais elle ne serait pas
douteuse si les traites mentionnaient l’acte de crédit.
Dans ce cas il serait vrai que ces traites se confondraient
avec cet acte et ne feraient qu’un seul tout avec lui. Peu
�270
DE LA LETTRE DE CHANGE
importerait que le créditant n’eût pas accepté, il n’en
serait pas moins obligé de payer. Ainsi le décidait la
Cour de cassation par arrêt du 30 juin 1862.
Dans cette espèce, les sieurs Siordes Meyer et Cie
avaient ouvert un crédit à la maison Goerg et Cie, du
Havre, et l’annonçaient en ces termes à Langlois et Cie,
de Calcutta, par lettre du 26 août 1857.
« Sur la demande de MM. Gœrg et Cie, du Havre,
nous avons beaucoup de plaisir de vous faire savoir
qu’il ont ouvert chez vous un nouveau crédit de 8,000
livres sterling, contre marchandises que vous êtes auto
risé à leur expédier ; en vous confirmant ce crédit, nous
nous engageons à réserver bon accueil pour leur compte
à vos traites à six mois de vue, pourvu que ces traites
soient accompagnées des connaissements de la marchan
dise contre laquelle vous tirerez.
En conséquence, les 6 et 41 novembre Langlois et
Cie tiraient sur Siordet Meyer et Cie deux traites, en
semble 5,210 liv. sterl. ainsi libellées : à six mois de
vue, etc... et que porterez avec ou sans avis au comp
te de Gœrg et Cie suivant votré lettre de crédit du
26 août 1857.
La banque d’Àgra, à laquelle ces traites avaient été
négociées n’ayant pas été payées, en poursuit le recou
vrement tant contre Gœrg et Cie que contre les ban
quiers Siordet Meyer et Cie. Ceux-ci prétendent que
Langlois ont mal opéré et ont abusé des pouvoirs qui
leur avaient été conférés. Mais un jugement du tribunal
�ART.
118.
271
de commerce du Havre les déboute de leurs prétentions
et les condamne à payer.
« Attendu qu’il est bien évident que la banque
d’Agra n’a consenti à se dessaisir de ses fonds que sur
le vu de la lettre de crédit ; qu’elle a dû croire et qu’elle
a cru, en effet, à la sincérité de l’engagement pris par
Siordet Meyer et Cie, auxquels elle a ainsi fait confiance
et dont elle a suivi la foi ;
« Qu’il est donc impossible d’admettre qu’après s’être
ainsi formellement engagés Siordet Meyer et Cie puis
sent , par l’effet de leur seule volonté, se refuser au
payement qui leur est demandé et se soustraire ainsi à
leurs obligations ;
« Attendu que si le système de la défense pouvait être
admis, ces crédits confirmés ne seraient qu’une vérita
ble déception et un piège tendu à la bonne foi des tiers,
système inadmissible sous tous les rapports et que ne
peuvent repousser avec trop d’énergie la moralité qui
préside aux affaires et la confiance sans laquelle elle ne
saurait exister.
« Attendu que la banque d’Agra n’avait à se préoc
cuper, étrangère aux opérations qui existaient entre les
parties, que du point de savoir si les traites et docu
ments en contre-valeurs desquels elle consentait à re
mettre ses fonds étaient réguliers, c’est-à-dire confor
mes aux conditions de l’ouverture du crédit ; que si
Langlois et Cie ont mal opéré, s’ils ont été au-delà des
limites qu’on prétend leur avoir fixées, s’ils ont abusé
des pouvoirs qui leur étaient confiés par Gœrg et Cie,
�272
DE LA LETTRE DE CHANGE
ceux-ci ne peuvent s’en prendre qu’à eux-mêmes, mais
ne peuvent ni en droit ni en fait rendre les tiers res
ponsables de l’abus qui a pu être fait de leur con
fiance. »
Saisie par l’appel, la cour de Rouen, par arrêt du 19
mars 1861, confirme le jugement, en adopte les motifs
et ajoute :
« Attendu que les deux traites des 6 et 11 novem
bre 1857 dont il s’agit au procès, pour être appréciées
dans leurs conséquences légales, ne peuvent être prises
isolément ; qu’elles se rattachent et se lient intimement
à la lettre de crédit de 8,000 livres sterling annoncée à
Langlois et Cie par Gœrg et Cie le 8 août 1857, et con
firmée le 26 du même mois d’août par Siordet Meyer
et Cie ; que lesdites traites, soit par leur texte précis et
leurs conditions formellement exprimées, soit par la
pensée commune de toutes les parties, et enfin par la
nature même de l’opération commerciale qu’elles de
vaient servir à réaliser, ne forment avec ladite lettre
d’ouverture de crédit, qu’une seule et même convention;
« Attendu que c’est sur la foi de ladite lettre de cré
dit, présentée dans l’Inde aux bailleurs de fonds qui de
vaient intervenir pour le payement des marchandises
achetées, que ceux-ci devaient se déterminer à livrer
leurs fonds, et qu’ainsi ladite garantie était faite dans
leur intérêt bien plus encore que dans l’intérêt de Lan
glois et Cie ;
« Attendu que la banque d’Âgra établie à Calcutta,
suivant ainsi la foi de Siordet Meyer et Cie sur un acte
�art.
118.
273
signé et livré librement par eux précisément dans ce but,
a évidemment par là acquis tous les droits légitimes
d'un tiers porteur de bonne foi, et que la révocation du
crédit de 8,000 livres, plus tard notifiée par lesdits
sieurs Siordet Meyer et Cie, n ’a pu enlever à la banque
d’Agra les droits acquis avant ladite révocation K »
La maison Siordet Meyer et Cie n’avait plus qu’une
seule ressource, le pourvoi en cassation. Mais comment
espérer une réussite en présence des motifs si décisifs,
si rationnels, si juridiques des jugement et arrêt.
Aussi et comme il était facile de le prévoir, le pour
voi était-il rejeté par arrêt du 30 juin 1 8 6 2 2.
Tenons donc pour certain que celui qui a ouvert un
crédit ne peut se refuser à accepter les traites tirées sur,
lui par le crédité en conséquence de ce crédit.
Qu’à défaut d’acceptation, il ne saurait refuser de
payer le tiers porteur qui n’a accepté les traites et n’en
a fourni la valeur que sur le vu de la lettre de crédit
qui en garantissait le payement ; que peu importe si ces
traites sont conformes aux exigences de la lettre de cré
dit, que le souscripteur ait abusé des pouvoirs qui lui
avaient déférés ;
Enfin que le seul obstacle qui pourrait faire écarter
la demande du tiers porteur serait qu’au moment de la
création de ces traites le crédit fût épuisé.
1 J . d u P . , 1862, 2, 11.
a l d . , i b i d . , 348, 1.
ï — 48
�274
DE LA LETTRE DE CHANGE
ARTICLE 1 1 9 .
Le refus d’acceptation est constaté par un acte que
l’on nomme -protêt faute d’acceptation.
ARTICLE
120.
Sur la notification du protêt faute d’acceptalion, les
endosseurs et le tireur sont respectivement tenus de
donner caution pour assurer le payement de la lettre de
change à son échéance, ou d’en effectuer le rembourse
ment avec les frais de protêt et de rechange.
La caution, soit du tireur, soit de l’endosseur, n’est
solidaire qu’avec celui quelle a cautionné.
SOMMAIRE
182.
183.
184.
185.
186.
187.
188.
Conséquences du refus d'acceptation. Motifs pour lesquels
la loi a exigé sa constatation par un protêt.
Le tiré qui avait d’abord accepté peut-il biffer son accepta
tion. Conditions.
Conséquences que produirait l ’assentiment du porteur.
Droit des endosseurs de former tierce opposition au juge
ment qui aurait statué.
Droit que le protêt faute d’acceptation ouvre au porteur
contre le tiré.
Contre le tireur et les endosseurs.
Forme et objet de la demande à l’égard de ces derniers.
�ART.
119, 120.
275
489. Modification qu’on pourrait consacrer.
490. Motifs pour lesquels la loi a exigé d ’abord un cautionne
ment.
494. A défaut, obligation de réaliser le payement immédiat. Ca
ractère de celui-ci.
492. Le débiteur ne pourrait retenir l ’escompte. Discussion au
conseil d’Etat.
183.
— Le refus d’accepter impose des obligations
et crée des droits au porteur envers et contre les signa
taires de la lettre de change. La plus importante de ces
obligations est celle de faire constater le refus d’accepta
tion lui-même ; il importait, en effet, de ne laisser pla
ner aucun doute sur son existence ; l’exécution de l’ar
ticle 120 l’exigeait ainsi pour qu’on pût être recevable à
jouir du droit qu’il confère. Cette existence est constatée
par un acte que notre article 119 qualifie de protêt
faute d'acceptation.
On aurait pu, ce semble, arriver au même résultat
par un moyen moins dispendieux, celui, par exemple,
d’une déclaration écrite et signée par le tiré sur la lettre
de change même, mais on ne s’y est pas arrêté par des
considérations graves et puissantes.
D’abord, on n ’avait aucun moyen de contraindre le
tiré à faire cette déclaration qu’il ne consentira pas tou
jours de faire ; on s’exposait donc, en cas de refus, à
chercher ailleurs la preuve exigée. Etait-il dans la dignité
de la loi de courir cette chance, et ne convenait-il pas
de s’arrêter à un mode ne pouvant faillir dans aucune
circonstance ?
�276
DE IA LETTRE DE CHANGE
A côté de cette considération et dans un autre ordre
d’idée, on rencontre cet autre motif qu’un intérêt de
justice recommandait.
Le refus d’acceptation implique la négation de tout
crédit, et par cela même l’absence de confiance dans la
solvabilité du tireur , il peut également indiquer l’a b
sence de toute relation entre lui et le tiré. Ces deux in
ductions, quelque peu fondées qu’on les suppose, peu
vent avoir pour le premier des conséquences fâcheuses
qui s’aggraveraient d’autant plus que la circulation de
la lettre de change, portant la preuve du refus, lui don
nerait la plus grande publicité.
Cependant ce refus peut être injuste , et le tireur se
trouver dans le cas d’en obtenir judiciairement la con
damnation, mais lorsque celle-ci interviendra il ne sera
plus temps peut-être, et l’atteinte portée à son crédit
aura occasionné un préjudice irréparable.
Ce n’est pas tout encore ; dans maintes circonstances
le tiré aurait pu vouloir expliquer les causes de son re
fus, et, obéissant à un esprit de rancune ou d’émula
tion, en formuler de fâcheuses pour le tireur, et rendre
ainsi plus dangereuse et plus grave la blessure faite à sa
réputation commerciale.
La loi a sagement pensé qu’en cette matière, mieux
valait prévenir que punir. La raison disait avec M. Par
dessus : Le tiré ne doit pas écrire son refus sur la let
tre de change, ni moins encore le motiver sur des cau
ses qui pourraient nuire au tireur. Quel moyen d’ar
river à ce résultat plus énergique que celui d’appeler
�art. H 9, 120.
277
un officier ministériel pour la constatation de ce refus ?
Ainsi, il y a lieu à protêt dès que ce refus se réalise.
C’est l’huissier ou le notaire qui se présentera pour re
quérir l’acceptation. C’est à lui que la réponse sera don
née par le tiré, et c’est lui qui la transcrira dans son
acte comme il le ferait pour le refus de payement. Ainsi
sera acquise la constatation matérielle du refus d’accep
tation, et si, par suite d’un cautionnement la lettre de
change doit continuer ses pérégrinations, elle pourra le
faire sans devenir pour le tireur une cause de discrédit
et de préjudice.
1 8 3 . — Il est cependant une hypothèse dans la
quelle la lettre de change portera forcément la preuve
matérielle du refus d’acceptation. Le tiré a vingt-quatre
heures pour réfléchir. Dépositaire de la lettre de chan
ge, il pourra écrire d’abord et signer son acceptation
qu’un réavisé le portera à biffer. Quel est son droit à cet
égard ? Quelles seront les conséquences de sa détermi
nation ?
Sous l’empire de notre ancien droit, la doctrine et la
jurisprudence s’étaient préoccupées de ce fait excep
tionnel Voici les divers arguments qui se trouvaient en
présence dans une espèce que rappelle Dupuis de La
Serra.
Contre le tiré, on disait que celui à qui une lettre de
change a été adressée, ayant écrit sur cette lettre qu’il
acceptait, n’avait pas pu rayer son acceptation et qu’elle
�278
DE LA LETTRE DE CHANGE
devait l’obliger au payement comme si elle n’était pas
rayée.
Le tiré répondait que l’engagement de l’accepteur
n’était que dans la délivrance de la lettre au porteur ;
que jusque-là les choses étaient entières, qu’il était le
maître de sa signature ; qu’il avait pu rayer et retran
cher son acceptation. C’est aussi ce que la justice con
sacra, et c’est cette doctrine à laquelle notre auteur
donne son plein et entier assentiment h
La solution et ses motifs ont été adoptés sous l’em
pire du Code. Ainsi, la cour de Liège jugeait, le 26 mars
1811, et la cour de Lyon le 9 août 1848, que tant que
le tiré n’a point délivré la lettre de change qui lui a été
remise pour l’acceptation , il peut rayer celle-ci, car ce
n’est qu’au moment de la délivrance que se forme le
contrat qui lie l’accepteur2.
Mais la doctrine et la jurisprudence n’ont pas m an
qué de découvrir et de constater les dangereuses consé
quences que pouvait entraîner un principe absolu. Ainsi
la délivrance au porteur dans le cas d’un tirage à dou
ble ou à triple exemplaires, dans celui de la négociation
par copie, peut ne se réaliser qu’au moment de l’é
chéance même ; accorderait-on au tiré la faculté de rayer
sa signature jusqu’à ce moment ? Pourrait-on le faire
sans porter le plus grave préjudice à ceux qui, sous la
foi de l’acceptation, sont devenus cessionnaires de la let
tre de change ?
-J
S-V'i
;H
.iu’ e i
1
2
L ’art des lettres de change, chap. x .
J. du P., 2 ,1 8 4 8 , 457.
�art.
119, 120.
279
D’autre part, il n’est pas absolument vrai que le con
trat entre le porteur et l’accepteur ne se réalise qu’au
moment de la délivrance. C’est ici un contrat consen
suel s'il en fût, et dès lors il est parfait dès que le con
sentement mutuel est intervenu.
Or, comment mettre en doute celui du tiré qui, re
cevant la lettre, l’accepte, enregistre cette acceptation
dans ses livres en l’inscrivant dans les comptes et avise
du tout, soit le tireur, soit le porteur. L’un et l’autre
n’agiront-ils pas sur de pareils errements, et faudra-t-il
que cette lettre n’ait été pour eux, et pour ceux avec qui
ils ont traité, qu’un mensonge et un piège ?
Combien tout cela s’écartait de la confiance que le
commerce exige et sans laquelle il ne saurait exister.
Aussi a-t-on réfléchi, et de ces réflexions sont nées les
modifications suivantes :
S’il résultait, dit M. Horson, des registres et de la cor
respondance que l’acceptation signée n ’était pas le fruit
de l’erreur, si le tiré l’avait enregistrée et en avait avisé,
et que ce ne fût qu’ensuite, en apprenant la faillite du
tireur, qu’il a dénaturé le titre en biffant l’acceptation,
on pourrait la considérer comme existant.
Les circonstances, dit de son côté M. Pardessus, doi
vent être appréciées, et sans doute, si après avoir écrit
son acceptation il en avait donné avis au tireur ou à
tout autre intéressé, qui, en conséquence, aurait, ou fait
quelque chose, ou omis de prendre quelques sûretés, de
manière que le changement de volonté du tiré leur fit
�280
DE LA LETTRE DE CHANGE
un tort véritable, celui-ci pourrait être condamné à ré
parer ce tort.
Ainsi donc la possession ne suffit plus si l’accepta
tion a été annoncée. Les choses ne sont plus entières
comme elles le seraient s’il n ’y avait pas eu d’avis, com
me cela existait dans l’espèce citée par Dupuis de La
Serra.
D’autre part, quelle sera la possession utile dont le
tiré pourra se prévaloir ? Celle de vingt-quatre heures, a
répondu la cour de Montpellier. C’est l’unique délai
que la loi accorde, il devra donc s’être définitivement
prononcé avant son expiration, la radiation de la si
gnature opérée après ce délai laisserait intacte l’accepta
tion x.
En effet, la possession, pour produire un effet quel
conque, doit être légitime, et telle est celle du tiré pen
dant vingt-quatre heures, mais ces vingt-quatre heures
expirées, le tiré n ’est plus qu’un dépositaire, il n ’est
plus que le représentant du propriétaire actuel ou futur
de la lettre de change.
Cet effet s’opère par la seule force de la loi, mais il
peut également résulter de la convention. Telle est par
exemple l’hypothèse à laquelle nous faisions allusion
tout à l’heure.
Une lettre de change a été rédigée à double exem
plaire, ou bien il en a été fait une copie ; les secondes
ou la copie sont négociées pendant que l’original est en1 29 ju ille t 4836,
J. du P., 4, 4837, 68.
�ART.
H9, 120.
281
voyé à l’acceptation. Comme il est difficile de savoir à
qui appartiendra la lettre après l’acceptation, et par
conséquent à qui on devrait remettre l’original accepté,
on écrit au tiré d’accepter et de le garder à la disposi
tion du propriétaire.
La lettre arrive au tiré, pendant vingt-quatre heures
il possède la lettre de change comme tiré, mais ce délai
passé, la lettre n ’est qu’un dépôt en ses mains, elle est
une propriété du porteur qui doit lui demeurer intacte
et que, moins que tout autre, le dépositaire pourrait
dénaturer.
A plus forte raison en sera-t-il ainsi lorsque l’accep
teur se sera formellement reconnu et donné la qualité
de dépositaire. Or, cette reconnaissance, la cour de
Montpellier la faisait résulter de ce que, après avoir ac
cepté les traites, le tiré en donnait avis, en ajoutant je
les tiens à la disposition des porteurs des secondes.
« Attendu, d’ailleurs et en fait, disait l’arrêt, qu’il
résulte des termes exprès de la lettre du 5 octobre 1835,
qu’Oppermann, qui avait déjà revêtu les traites de son
acceptation, les gardait à la disposition des porteurs des
secondes ; qu’il se constituait ainsi, par ces expressions
bien entendues, gardien dépositaire des premières par
lui acceptées, et comme les ayant entre les mains à la
disposition des secondes ; que ces traites sont ainsi pas
sées d’Oppermann accepteur à Oppermann dépositaire ;
que cette mutation équipolle à une délivrance matérielle
des traites ; qu’il n’a plus dépendu de lui de faire au
cun changement sur un titre ne lui appartenant pas ;
�282
DE LA LETTRE DE CHANGE
qu’il a dû garder ce titre parfaitement intact, avec son
acceptation intégrale qui y était apposée. »
Vainement a-t-on investi la Cour suprême? Vaine
ment lui demandait-on l’annulation de l’arrêt comme
violant les articles 118, 119 et 124 du Code de com
merce. La Cour, sur les conclusions conformes de M. l’a
vocat général Nicod, donne à la doctrine de la cour de
Montpellier l’adhésion la plus complète et rejette le
pourvoix.
Ainsi la délivrance intentionnelle produit un effet
identique à celui qui naîtrait d’une délivrance maté
rielle. Tant que dure le délai de vingt-quatre heures, la
délivrance intentionnelle ne saurait résulter que de l’a
vis donné par le tiré qu’il tient les traites acceptées à la
disposition de celui qui les lui a transmises, ou de ceux
qu’il lui a indiqués comme devant les recevoir. Après
l’expiration des vingt-quatre heures, le même effet se
produit par la seule force de la loi. Cet effet est acquis
par cela seul que la traite n’a pas été restituée dans le
délai légal. Pourquoi, en effet, aurait elle été retenue si,
sa signature biffée, le tiré était devenu étranger à l’opé
ration, s’il l’a gardée au-delà de vingt-quatre heures,
c’est qu’il n ’avait pas encore biffé sa signature, ce qu’il
ne pouvait faire plus tard.
Au reste, les difficultés sur cette matière offriront des
questions de fait plutôt que de droit. Elles sont donc
abandonnées à l’appréciation souveraine des tribunaux.
�— L’acceptation n ’intéresse pas seulement le
porteur et le tireur. Son bénéfice profite énergiquement
à tous les autres signataires, et notamment aux endos
seurs. Chacun d’eux est dès lors recevable et fondé à le
revendiquer. Donc la rétractation que le tiré aurait faite
avec l’assentiment du porteur et du tireur ne saurait
produire aucun effet contre les autres intéressés.
Ce qui résulterait du consentement du porteur, ce se
rait la perte de tout recours contre les endosseurs. Ceuxci diraient avec raison, la lettre de change était acceptée
et pour nous cette acceptation prouvait la provision. Le
tiré devait donc payer, et si nous avions été forcés de le
faire nous-mêmes, nous avions un recours assuré contre
lui. Comment, après nous avoir enlevé toute possibilité
de ce recours, pourriez-vous nous faire condamner en
votre faveur.
Ce n’est donc qu’après avoir fait statuer sur la régu
larité et la légitimité de la rétractation de l’acceptation
que le porteur pourrait recourir contre les endosseurs.
Tant que la justice n’aurait pas prononcé, ceux-ci sou
tiendraient avec raison que, biffée sans droit, l’accepta
tion doit être considérée comme existant et produire tous
ses effets.
184.
185.
— Le jugement statuant sur la contestation
entre le tiré accepteur et le porteur, serait-il forcément
obligatoire pour les endosseurs. L’affirmative conduirait
à ce résultat que les droits de ceux-ci pourraient être
perdus par une collusion coupable entre le porteur et
�284
DE LA LETTRE DE CHANGE
l’accepteur. On peut admettre que dans l’intérêt de ce
lui-ci le premier pourrait, par une défense plutôt appa
rente que réelle, laisser consacrer une rétractation dont
il n’aura jamais à souffrir.
La raison exigeait donc que les endosseurs auxquels
on opposerait ce jugement fussent reçus à y former
tierce opposition. Cette exigence est d’ailleurs approuvée
par le droit.
Chaque endosseur profite de l’acceptation qui le li
bère de l’obligation de payer, puisqu’elle prouve que le
tiré a provision, ou leur ouvre un recours contre son
auteur. Comment pourrait-il, en son absence et sans son
concours, perdre définitivement un droit que lui a ac
quis la réalisation de l’acceptation.
Les endosseurs ont donc qualité pour assister à l’ins
tance, dont le maintien de l’acceptation sera l’objet. Le
porteur devrait d’autant, mieux y appeler son cédant que
celui-ci peut être plus intéressé que lui-même au sort de
la contestation. En effet, la rétractation admise, le por
teur se tournera vers son cédant et exigera de lui une
garantie ou le remboursement. Qui indemnisera celui-ci
s’il tient la lettre du tireur et si ce tireur est devenu in
solvable. En conséquence, le droit de former tierce op
position au jugement ne saurait lui être sérieusement
contesté.
186.
— Le refus pur et simple d’acceptation doit
être constaté par un protêt. Il devient l’origine d’une
�ART. 119, 120.
285
action que le porteur est recevable à intenter contre les
endosseurs, tireur, contre le tiré lui-même.
Il est en effet certain que si ce dernier avait provi
sion, il pourrait être contraint d’accepter sous peine de
répondre du préjudice que son refus occasionnerait au
tireur.
Mais cette action appartient au tireur exclusivement.
En conséquence, elle ne pourrait être exercée par le por
teur qu’en sa qualité de créancier de ce tireur et aux ter
mes de l’article 1166 du Code civil.
Cette action indirecte ne sera guère exercée que dans
le cas où par l’absence de toute négociation, la lettre ne
porte que la signature du tireur, ou que par le premier
porteur qui aura répondu à l’action des endosseurs aux
quels il avait lui-même cédé la lettre de change.
1 8 * . — Dans les autres hypothèses, le porteur pré
férera s’adresser à son cédant immédiat ou au tireur
lui-même, et éviter ainsi une discussion plus ou moins
longue. C’est dans cette prévision que le législateur a
réglé la forme et les conséquences de ce recours direct.
Nous retrouvons ici, comme dans l’article 118, les
endosseurs sur la même ligne que le tireur. C’était là la
conséquence nécessaire de l’obligation qu'imposait cet
article. Aussi le reproche que le tribunal de Béziers fai
sait à sa disposition, le tribunal de Carcassonne l’adres
sait à celle de notre article 1210. La réponse était la
même. L’endosseur devient pour les cessionnaires ulté
rieurs de la traite un véritable tireur. Ce qui avait fait
�286
DE LA LETTRE DE CHANGE
maintenir l’obligation en principe, devait en faire con
sacrer les conséquences.
188.
— Donc le porteur peut s’adresser aux endos
seurs et au tireur lui-même. Sa demande doit contenir
la notification du protêt faute d’acceptation, sommation
d’avoir, dans un délai déterminé, à fournir bonne cau
tion pour assurer le payement à l’échéance, ou à rem
bourser immédiatement la lettre de change. Par le mê
me exploit on peut, à défaut d’exécution volontaire,
ajourner devant le tribunal pour faire ordonner l’un ou
l’autre.
Aucune difficulté ne saurait naître à l’endroit du ti
reur. Que le porteur s’adresse ou non à son cédant, il
peut également actionner le tireur ; ce dernier ne sau
rait sous aucun prétexte refuser la garantie ou le rem
boursement.
Qu’en est-il des endosseurs, le porteur est-il recevable
à exiger de chacun d’eux une caution ou bien n ’est-il
recevable à la poursuivre que contre son propre cédant?
La raison indique que ce dernier sens doit être préféré,
quand on a une bonne caution assurée, il est inutile d’en
avoir vingt.
C’est au reste la solution qui s’induit du texte de la
loi, et notamment du mot respectivement, que nous
rencontrons dans l’article 120.
Ce mot n’existait pas dans le projet communiqué au
tribunat. Ce furent les sections réunies qui en demandè
rent l’insertion afin de faire apercevoir qu’une seule
�ART. 119, 120.
287
caution ne devait pas suffire pour garantir le défaut
d’acceptation. Dans la pensée du tribunat, si le porteur
peut exercer une garantie et demander une caution au
dernier endosseur, celui-ci a le même droit, pour son
intérêt particulier contre l’endosseur précédent, et ainsi
de suite jusqu’au tireur.
Cette interprétation législative du mot respectivement
fixe le véritable sens de l’article 120. Le tireur exigera
une caution de son cédant, celui-ci du sien, et ainsi
jusqu’au premier porteur. Mais cette règle reçoit excep
tion. Les endosseurs étant garants solidaires de l’accep
tation, il est évident que le porteur pourra attaquer tout
autre que son cédant, surtout si l’insolvabilité de celuici le mettait dans l’impossibilité de donner la garantie
exigée par la loi. Dans ce cas, celui qui serait actionné
par le porteur pourrait, par les mêmes raisons, recourir
contre celui des endosseurs précédents qu’il lui plairait
choisir.
Celte cascade de cautionnements, dont le nombre peut
être considérable, occasionnera quelquefois des frais con
sidérables. Quelque regrettable qu’il soit, ce résultat
était inévitable. On ne pouvait refuser à celui qu’on
contraignait à donner caution la faculté d’en exiger une
de ceux qui occupent à son égard la même position que
celle dans laquelle il se trouvait lui-même vis-à-vis du
porteur. Si celui-ci a le droit d’être garanti, l’endos
seur, exposé à le rembourser et à se trouver ainsi à son
lieu et place, a le droit de l’être également.
Ce droit ne peut être utilisé que par une caution don-
�V
288
DE LA LETTRE DE CHANGE
née par l’endosseur précédent. En effet, chaque cau
tion, c’est l’article 120 qui le dit, n’est obligée qu’avec
celui qu’elle a cautionné. En conséquence, celle du der
nier endosseur est libérée, dès que celui-ci a remboursé
le porteur. Mais qui garantirait cet endosseur si on lui
avait interdit tout recours contre son cédant I
Nous avons donc raison de le dire, cette cascade de
cautionnements peut être un mal ; mais elle était iné
vitable.
189.
— Peut-être cependant aurait-on pu l’amoin
drir en n’autorisant le recours d’endosseur à endosseur
que dans le cas où le tireur n’aurait pu lui-même four
nir la caution, comme s’il était en déconfiture, en fail
lite ou privé de tout crédit.
Dans le cas contraire, si le tireur donne une caution
reconnue solvable, le recours d’endosseur à endosseur
n ’est plus qu’une superfluité qui n’a pas même une rai
son d ’être.
En effet, le tireur devait procurer l’acceptation, c’està-dire la garantie personnelle du tiré. N’aura-t-il donc
pas rempli son engagement si, à défaut de cette garan
tie, il en donne une autre tout aussi solvable, tout aussi
solide ? Qu’y aura-t-il de changé, sinon le nom du dé
biteur ?
D’autre part, le tireur étant solidairement tenu en
vers tous les endosseurs, sa caution le sera également,
de sorte que si la caution ou le tireur payent, les en
dosseurs seront libérés : dans le cas contraire, ils auront
�art. 119, 120.
289
leurs recours contre l’un et l’antre, comme ils l’auraient
eu contre le tireur et l’accepteur.
Voilà ce qu’on aurait pu faire, voilà ce qu’on pourra
faire plus tard, voilà ce qui bien certainement n ’a pas
été fait. Les articles 118 et 120 proclament purement
et simplement la solidarité des endosseurs et du tireur.
La faculté de les poursuivre simultanément et cumula
tivement ne saurait être contestée.
190.
— L’objet de la poursuite est d’abord d’obte
nir une caution. La loi a expressément déclaré que cette
caution devait avoir pour but d’assurer le payement de
la lettre à son échéance, pour faire comprendre que le
refus d’acceptation ne saurait ni modifier la convention,
ni altérer les droits et les obligations réciproques. Ac
ceptée ou non, la lettre de change suivra son cours ré
gulier et normal.
C’est encore dans le sentiment de respect pour la con
vention que la loi a puisé la faculté de substituer une
caution à l’acceptation promise et refusée. L’acceptation,
dit Pothier, est une sûreté sur laquelle celui à qui la
lettre a été fournie comptait lors du contrat qui est in
tervenu entre le tireur et lui.
Il semblerait, dès lors, que le défaut de réalisation de
cette sûreté dût anéantir le contrat et forcer le premier
à rembourser immédiatement la lettre de change. Mais
c’eût été une énorme sévérité que de le consacrer ainsi,
non seulement pour le tireur, mais encore pour les en
dosseurs. Sans doute, le premier a eu le tort de ne pas
i — 19
�290
DE LA LETTRE DE CHANGE
s’assurer d’avance du concours de celui qu’il voulait
choisir pour mandataire, ou de ne pas réaliser la con
dition mise à ce concours, c’est-à-dire le dépôt de la
provision. Mais que peut-on reprocher aux endosseurs?
Ne devaient-ils pas s’en remettre au tireur et croire qu’il
remplirait les obligations qu’il avait contractées ? Cepen
dant ils subiraient une peine égale, peut-être même plus
lourde pour quelques-uns d’entre eux que pour le ti
reur lui-même.
Cette peine pouvait même avoir les plus funestes con
séquences, exercer sur leur position commerciale la plus
fâcheuse influence. Combien de maisons que l’obliga
tion de rembourser immédiatement une somme plus ou
moins forte jetterait dans la gêne, dans l’embarras,
qu’elles ne pourraient vaincre qu’au prix de grands sa
crifices.
La justice voulait qu’on leur évitât les uns et les au
tres. S’agissant, d’ailleurs, de suppléer une garantie, ce
qui se présentait naturellement à l’esprit, c’était le rem
placement de cette garantie par une autre offrant la
même sûreté, obligée au même titre.
Or, la caution autorisée par l’article 1210 doit être
agréée par le créancier, ce qui répond de sa solvabilité.
De plus la loi la déclare obligée solidaire, ce qui la met
sur la même ligne que le tiré, s’il eût accepté.
lo i. — Faute par le tireur ou les endosseurs de
donner caution, le porteur doit être immédiatement rem-
�ART.
119, 120.
291
boursé du montant de la lettre de change et des frais,
notamment de ceux du protêt et du rechange.
La diminution des garanties promises a toujours été
une cause d ’exigibilité de la créance. Il devait d’autant
plus en être ainsi dans notre hypothèse, que l’obligation
du payement immédiat devenait la sanction de celle de
remplacer l’acceptation par une caution solvable et équi
valente.
Ce payement immédiat est tout dans l’intérêt du por
teur. M. Nouguier se méprend donc étrangement lors
que, craignant que le refus de cautionner n’ait pour ob
jet que de contraindre le porteur à accepter le payement
avant l’échéance, il enseigne que le juge peut apprécier
les motifs de ce refus et ordonner que caution sera four
nie, ou que les fonds seront consignés aux risques et
périls du débiteur L
La fraude dont se préoccupe M. Nouguier ne serait
possible que si le débiteur trouvait un avantage dans le
payement avant l’échéance. Evidemment l’absence de
toute possibilité d’un bénéfice est un motif suffisant pour
rendre la fraude également impossible.
Quel pourrait donc être dans notre hypothèse le béné
fice du débiteur dans un payement anticipé ? Evidem
ment l’escompte et la rétention de l’intérêt du jour du
payement à celui de l’échéance. Or, cet escompte, le dé
biteur ne peut pas même y prétendre. La discussion lé
gislative ne laisse subsister aucun doute à cet égard.
�292
DE LA LETTRE DE CHANGE
1 9 8 . — En effet, dans ses observations sur le pro
jet, le bureau consultatif d’Alby avait réclamé la faculté
d’escompter. Les dispositions de l’article, disait-il, ag
gravent le sort du tireur, et ce malheur augmente à rai
son de l’éloignement du terme pour la lettre de change.
Pour obvier à ces inconvénients, il faudrait que le ti
reur fût autorisé à retenir l’escompte légal et ordinaire
dans le commerce. Cela paraît d’étroite justice.
Les commissaires rédacteurs, déférant à cette obser
vation, avaient ajouté à l’article la disposition suivante :
Dans le cas de remboursement, celui qui l’effectue a
droit de retenir l’intérêt du montant de la lettre de chan
ge au cours de la place, à dater du jour du rembourse
ment jusqu’à celui de l’échéance.
La section à laquelle le conseil d’Etat avait renvoyé
le projet retrancha cette disposition.
Son rétablissement fut réclamé dans la discussion gé
nérale. Il est bien vrai, disait-on, que, dans le droit
commun et dans les payements volontaires, l’anticipa
tion n’autorise point la retenue si elle n’est stipulée ou
consentie. Mais l’application de cette règle n’est-elle pas
ici bien sévère, surtout si l’on considère: 1° que l’évé
nement donnant lieu à l’anticipation de payement, n’est
point le fait du tireur, mais une chance malheureuse
pour lui ; 2° que les deniers remboursés avant terme au
créancier commerçant ne restent vraisemblablement pas
oisifs en ses mains. Sans doute, il est juste que celui-ci
ne perde rien ; mais il ne faut pas lui conférer un gain
sur lequel il n’a pas dû compter lors du contrat. La mo-
�AUT.
119, 120.
293
dification rejetée par la section semblait concilier mieux
tous les intérêts.
On répondit : que cette modification avait été écartée
parce qu’il ne doit pas être permis au payeur de chan
ger la convention faite avec le porteur, en le payant
avant terme dans la vue de se ménager des intérêts. Le
porteur ne demande pas son argent ; il peut n’en avoir
aucun besoin avant l’échéance convenue. Pourquoi donc
lui ferait-on payer ce qui n’est pas pour lui un avan
tage ? Le rejet de l’article fut m aintenu l.
Ainsi, c’est précisément pour se prémunir contre la
fraude entrevue par M. Nouguier, que la faculté d’es
compter a été prohibée, il faut reconnaître que le remède
est énergique et décisif. Le débiteur ne trouvera dans le
payement anticipé qu’une perte, celle de l’intérêt que
son argent lui aurait produit jusqu’à l’échéance. Bien
certainement donc il ne recourra pas à la fraude pour
arriver à ce résultat.
D’autre part, le porteur n’a qu’à gagner au payement
anticipé. Il n’y a donc pas à craindre qu’il s’en plai
gne, et moins encore qu’il demande une consignation
contraire à ses véritables intérêts.
Ainsi, à quelque époque que se réalise le payement,
le porteur recevra l’intégralité du capital porté sur la
lettre de change, il recevra de plus les frais du protêt et
du rechange qui, nés à l’occasion du refus d’acceptation,
i Locré,
Esprit du Code de commerce, a r t. <20.
�294
DE LA LETTRE DE CHANGE
doivent rester nécessairement à la charge du débiteur
de cette acceptation.
ART. 121.
Celui qui accepte une lettre de change contracte l’o
bligation d’en payer le montant.
L’accepteur n’est pas restituable contre son accepta
tion, quand même le tireur aurait failli à son insu avant
qu’il eût accepté.
art .
122.
L’acceptation d’une lettre de change doit être signée.
L’acceptation est exprimée par le mot accepté.
Elle est datée, si la lettre est à un ou plusieurs jours
ou mois de vue ;
Et, dans ce dernier cas, le défaut de date de l’accep
tation rend la lettre exigible au terme y exprimé, à
compter de sa date.
ART. 123.
L’acceptation d’une lettre de change payable dans un
autre lieu que celui de la résidence de l’accepteur, indi
�que le domicile où le payement doit être effectué, ou les
diligences faites.
SOMMAIRE
493.
194
493.
496.
197.
198.
199.
200.
201.
202.
203.
204.
205.
206.
Effets de l’acceptation à l ’endroit du tireur et des tiers
sous l’empire de l ’ordonnance de 4673.
Depuis la promulgation du Code.
Caractère absolu de l ’obligation de l ’accepteur. Jurispru
dence.
L’accepteur ne peut exciper ni de l’irrégularité de la lettre
de change, ni de celle de l’endossement.
Mais il peut soutenir que le porteur n ’est pas de bonne
foi.
Conséquence du caractère de débiteur principal que l’ac
ceptation confère, pour le cas de confusion de la créan
ce et de la dette sur la tête de l’accepteur.
L’accepteur ne peut être relevé de son acceptation à l ’é
gard des tiers.
Exception à cette règle dans le cas d’incapacité de l’accep
teur.
Arrêt contraire de la cour de Paris. Examen. Arrêt en
sens inverse de la cour d’Orléans.
La violence, le dol et la fraude autoriseraient-ils également
une exception contre la non restitution ?
Le dol résulterait-il du silence gardé sur la faillite immi
nente du tireur ?
Quiet si on a envoyé à l’acceptation par courrier extraor
dinaire ?
Le propriétaire de la lettre répond du dol du mandataire
qu’il a chargé de requérir l’acceptation.
Effet de l ’antériorité de la faillite du tireur à l’endroit de
l ’accepteur et de la masse.
�296
207.
208.
209.
210.
211.
212.
213.
214.
215.
216.
217.
218.
219.
220.
221.
222.
223.
224.
225.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Formes de l ’acceptation sous l'ordonnance de 1673.
Sous le Code. Conséquences quant à la promesse d'accep
ter ou d l’aveu de l ’existence de la provision.
Motifs qui ont fait prescrire la signature de l'accepteur.
Conséquences.
L’accepteur, n ’apposant que sa signature, doit-il approu
ver l’acceptation écrite d ’une autre main?
La signature isolée de toute autre indication constitueraitelle l ’acceptation ?
L’acceptation est exprimée par le mot accepté. Caractère
de cette exigence.
Equipollents qu’elle comporte.
Le mot d u , suivi de la signature, constitue-t-il l’accepta
tion ?
L’acceptation peut-elle être faite par écrit séparé. Doctrine
pour l’affirmative. Examen.
Système contraire de la Cour de cassation.
Dans quel cas la lettre missive peut-elle renfermer l’obli
gation de payer ?
Résumé.
Conséquences du système des auteurs.
Quand l’acceptation doit-elle être datée.
La date fait foi contre les tiers. Faculté d’en prouver la non
sincérité.
Effet de l ’omission de la date lorsque la lettre est à un
certain temps de vue. Caractère de l ’article 123.
La date de l ’acceptation, lorsqu’elle est requise, doit-elle
être de la main de l ’accepteur ?
Quid si les mots accepté ou vu, étant écrits de la main du
signataire, la date était d’une autre ?
Conséquences et caractère de la disposition de l ’arti
cle 123.
103. — Par l’acceptation , disait Dupuis de La
�ART. 121, 122, 123.
297
Serra, celui à qui la lettre de change est adressée s’en
rend débiteur principal, et le tireur n’en demeure plus
que garant solidaire pour le payement \
Sans doute le tireur a réellement reçu la valeur de la
lettre de change, et il devait être tenu de la restituer.
Mais l’acceptation supposant la provision, le tireur est
censé, jusqu’à preuve contraire, avoir payé au tiré qui
s’est mis à son lieu et place. En conséquence , il ne doit
plus être tenu que comme responsable de la fidèle exé
cution que le mandataire doit donner à son mandat.
Pour les tiers, la signature du tiré et son acceptation
leur donnent un débiteur solidaire de plus. C’est ce que
l’ordonnance de 1673 avait formellement consacré.
Ainsi elle permettait, par l’article 11 du titre v, de
poursuivre l’accepteur ; et Jousse observe avec raison
que cette poursuite était d’une autre nature que celle
que le porteur pouvait diriger contre les endosseurs.
Celle-ci périmait par l’expiration du délai de quinze
jours. Celle-là, au contraire, ne pouvait rencontrer et
subir d’autres obstacles que la prescription de cinq ans.
L’article 12, qui permettait de saisir, avec permis
sion de juge, les meubles et effets du tireur et des en
dosseurs, permettait également de saisir ceux de l’accep
teur.
1 9 4 — Notre Code s’est approprié cette doctrine ; ce
qui se réalisait sous l’empire de l’ordonnance doit se
1
L'A rt des lettres de change, ehap. S.
�298
DE LA LETTRE DE CHANGE
réaliser plus énergiquement encore aujourd’hui. Cet ef
fet, que l’article 121 édicte expressément était déjà ex
plicitement consacré par l’article 117.
Puisque, en effet, l’acceptation suppose la provision
entre le tiré et le tireur, puisqu’elle la prouve à l’égard
des endosseurs et du porteur, l’obligation imposée à
l’accepteur a pour fondement nécessaire la possession
en ses mains d’une somme suffisante pour éteindre la
dette.
Dès lors il devait être tenu de ce payement ; il devait
l’être à titre de débiteur principal, et tel est, en effet, le
caractère que la jurisprudence a imprimé à la disposi
tion de l’article 121.
105. — Ainsi l’obligation de payer, sous laquelle
l’accepteur se trouve placé, est absolue et sans excep
tion. Elle ne cède devant aucun prétexte.
Vainement donc prétendrait-il qu’il n’avait pas pro
vision au moment de son acceptation, vainement offri
rait-il de prouver qu’on ne lui en a fourni aucun de
puis. En admettant que tout cela fût vrai, il pourra re
courir contre le tireur pour se faire rembourser de ce
qu’il a payé, mais jamais en exciper contre le porteur et
moins encore décliner l’obligation de le payer l.
Depuis longtemps la jurisprudence est fixée dans ce
sens. Ainsi, il a été jugé que l’accepteur ne peut se re
fuser à payer sous prétexte qu’il n’avait accepté que
i Aix, 9 février 1816,
�ART. 121, 122, 123.
299
condit onnellement, et à la charge par le tireur de faire
provision î.
Ou sous prétexte qu’il y a compte à faire entre le ti
reur et lu i2.
Enfin et toujours dans le même esprit, la Cour de
cassation décidait, le 1" décembre 1832, que l’accep
teur ne pouvait même exiger un délai pour appeler le
tireur en garantie,
19®. — L’accepteur n’a pas même qualité pour exciper de l’irrégularité soit de la lettre de change, soit de
l’endossement. C’est ce que la cour de Paris décidait
très juridiquement dans une espèce où il s’agissait d’une
lettre de change n’énonçant pas la valeur fournie.
Cette irrégularité, disait l’accepteur, enlève à l’écrit
tout caractère de lettre de change ou d’effet commercial.
Elle peut être invoquée aussi bien par l’accepteur que
par le porteur.
L’exception proposée, répondait le porteur, n’est éta
blie que dans l’intérêt du tireur. Lorsque ce tireur seul
intéressé garde le silence, et que, comme dans l’espèce,
il reconnaît avoir reçu la valeur, l’accepteur est sans
qualité et sans droit pour se prévaloir de l’irrégularité.
Ce système prévalut devant la Cour, qui le consacra
par son a rrê t3.
Montpellier, 29 ju ille t 1835.
J. du P . , 1 1837, 68.
2 Metz, 15 ju ille t 1817. Cass., 10 pluviôse a n x.
3 15 m ars 1826,
�300
DE LA LETTRE DE CHANGE
La même cour avait déj;î adopté la même règle pour
l’irrégularité de l’endossement. Elle avait, en effet, dé
cidé, le 221 décembre 1825, que l’accepteur d’une lettre
de change n’avait pas qualité pour opposer au tiers por
teur le défaut d’indication, dans l’endossement, de la
valeur fournie, ce moyen ne pouvant appartenir qu’au
cédant de la traite.
On l’admettrait de même pour toute autre irrégula
rité de l’endossement. En effet, véritable transport ou
simple mandat, cet endossement autorise suffisamment
le porteur à exiger et recevoir le payement de l’accep
teur.
19®. — Il est une seule hypothèse dans laquelle
l’accepteur serait admis à discuter les droits du porteur,
à savoir : si, par une simulation concertée, ce porteur
n’était autre que le tireur lui-même et agissait réelle
ment pour le compte de celui-ci. La mauvaise foi fait
exception à tous les principes, et il est évident qu’on ne
pourrait légalement le décider ici autrement.
Ce qui établit les droits du porteur c’est la bonne foi;
c’est qu’il a lui-même fourni la valeur dont il veut se
faire rembourser. Mais si rien de cela n’existe, si ce
porteur apparent n’a jamais eu aucun droit sérieux, si,
abusant d’un endossement en blanc, il vient agir dans
l’intérêt du tireur pour lui sauver les exceptions par les
quelles l’accepteur repousserait celui-çi, il serait mons
trueux qu’on permît à la fraude de s’accomplir et qu’on
écartât la preuve que l’accepteur offrirait d’en fournir.
�Donc l’accepteur, soutenant que le porteur est de
mauvaise foi, serait recevable à l’établir pour se dis
penser de payer en ses mains
1 » 8 . — Ainsi, l’accepteur est bien réellement dé
biteur de la lettre de change. La manière dont on a
considéré l’obligation qui lui est imposée le prouve suf
fisamment.
De plus, il est considéré comme débiteur principal, et
cette qualité produit ses effets ordinaires vis-à-vis des co
obligés et cautions. La libération des uns et des autres
est acquise par le payement que l’accepteur ferait, par
la compensation ou la confusion qui éteindrait la lettre
de change en ses mains.
Nous verrons bientôt que la compensation peut s’o
pérer lorsque le tiré auquel on présente la lettre, se
trouvant créancier du porteur, déclare l’accepter pour
se payer à lui-m êm e2.
Il y aurait confusion si, par le résultat de négocia
tions, l’accepteur devenait cessionnaire de la lettre par
lui acceptée. Dès cet instant, cette lettre aurait produit
tout son effet, elle n’existe plus, même pour le tireur.
Sans doute si l’acceptation avait été faite à découvert,
celui-ci serait obligé de rembourser l’accepteur ; mais
cette action est indépendante de la lettre de change, elle
ne peut même naître que du payement, c’est-à-dire de
son extinction.
�302
DE LA LETTRE DE CHANGE
De là, cette inévitable conséquence que la cession
que l’accepteur ferait ultérieurement de la lettre de
change ne pourrait faire revivre les obligations éteintes
du tireur et des endosseurs. C’est ce que la cour de
Rouen a formellement jugé le 7 décembre 1846 L
Cet arrêt fut déféré à la Cour de cassation, on lui re
prochait d’avoir violé les principes et ensuite d’avoir
gardé le silence sur le défaut de provision, duquel on
voulait faire résulter la légalité du recours contre les ti
reurs, mais le pourvoi fut rejeté.
La Cour de cassation déclare, comme l’avait fait la
cour de Rouen, que l’extinction par confusion avait dé
truit les obligations résultant des lettres de change, tant
contre le tireur que contre le premier endosseur ; que
la négociation postérieure n’avait pu faire revivre ces
obligations, alors que l’état matériel du titre prouvait la
confusion opérée.
La Cour suprême ajoute : Attendu que la négociation
des lettres de change avant leur échéance et le silence
de l’arrêt sur la question de savoir s’il avait été fait pro
vision entre les mains du tiré sont des circonstances
qui ne créent aucun lien de droit, au profit du porteur
actuel, contre le tireur et le preneur, puisqu’au moment
de la négociation à lui faite il n’a reçu contre ces der
niers que des titres éteints et sans valeur à leur en
droit 2.
l J. du P., 1, 1847, 285.
s 19 avril 1848. J. duP., 1, 1848, 536.
�ART. 121, 122, 123.
303
Tel est donc l’effet de l’acceptation. Le tiré, jusque-là
étranger au contrat de change, est censé avoir en mains
de quoi remplir le mandat dont il s’est chargé ; il de
vient débiteur principal, et le tireur n’est plus qu’une
caution solidaire, que le payement soit en espèces ou
par compensations, que la confusion libérera, sauf, si
la provision n’a pas été faite, l’action de l’accepteur en
remboursement de sommes payées par lui.
1 9 ». — L’acceptation donnée est irrévocablement
acquise aux intéressés. Déjà, nous l’avons dit, le tiré ne
peut la biffer, même lorsqu’il n’a pas restitué la traite.
A plus forte raison est-il définitivement lié lorsque la
traite acceptée a été rendue à la circulation, c’est ce que
notre article \ t \ exprime énergiquement, en déclarant
que le tiré n’est pas restituable contre son accepta
tion, alors même qu’il l’eût donnée après la faillite du
tireur.
C’est surtout en faveur des tiers que cette prescription
doit sortir à effet. Du tiré au tireur , l’acceptation n’est
rien autre chose qu’un contrat ordinaire, elle serait donc
annulée par les causes qui infirmeraient celui ci, par
exemple, l’incapacité, la violence, l’erreur, le dol et la
fraude.
2 0 0 . — Cependant le principe de l’article \%\ nous
paraît devoir admettre une exception au regard des tiers,
à savoir, celle tirée de l’incapacité. L’acceptation est
évidemment soumise, quant à la capacité des personnes,
�304
DE LA LETTRE DE CHANGE
au principe de droit commun. La convention émanée
d’un incapable n’a jamais existé légalement, elle n’a
jamais pu créer un lien quelconque ; si cela est vrai en
matière ordinaire, pourrait-on le méconnaître en ma
tière commerciale où l’incapable engage non seulement
ses biens, mais encore sa personne, et se soumet à la
juridiction exceptionnelle.
Or, l’incapacité ne se divise pas, il est impossible
qu’elle soit admise pour les uns, rejetée pour les autres.
Elle existe ou non, et, si elle existe, il n’y a jamais eu
contrat.
La conclusion à tirer de ces principes, c’est que le
mineur, la femme mariée non autorisée, l’interdit qui
auraient accepté une lettre de change seraient restitua
bles contre leur acceptation, même à l’égard des tiers
porteurs.
8 0 1 . — Cependant le contraire pour ce qui con
cerne le mineur a été jugé par la cour de Paris, le 24
nivôse an ix, mais cet arrêt ne saurait être suivi. La
protection dont la loi entoure le mineur ne saurait s’ef
facer devant une acceptation que si la loi s’en était ex
pliquée. Or, comme le disait Pothier, je ne connais ni
loi, ni jurisprudence qui tire la création de l’endosse
ment ou de l’acceptation d’une lettre de change de la rè
gle générale qui accorde des restitutions aux mineurs
contre tous les actes par lesquels ils sont lésés '.
i C o n tr a i de c h a n g e , n° 28.
�art.
121, 122, 123.
308
Or, cette règle générale, la loi l’a posée envers et con
tre tous, elle est même transportée dans la matière des
lettres de change par l’article 114 ; il n’y a donc nul
doute possible qu’elle puisse être opposée au tiers por
teur.
On dira peut-être que la violence, le dol, la fraude
sont légalement des causes de nullité ; que cependant on
ne permettrait pas de les opposer aux tiers de bonne
foi.
Cela est vrai, mais le motif de la différence est facile
à saisir. Vainement les tiers se livreraient-ils à des in
vestigations, à des recherches. Le dol, la fraude, la vio
lence échapperaient aux unes et aux autres ; inconnus à
celui qui en a été victime, comment les tiers parvien
draient-ils à les connaître.
Il n’en est pas de même de l’incapacité. La minorité,
le mariage sont des faits matériellement constatés. L’in
terdiction a reçu une publicité certaine ; dès lors la
moindre démarche devait les faire connaître, et les tiers,
obligés de connaître, la condition de ceux avec qui ils
traitent, sont en faute de n’avoir pas vérifié la capacité
de celui qu’ils acceptaient comme débiteur.
Donc, le reproche de négligence, qu’on ne saurait
adresser dans le premier cas, est parfaitement mérité
dans le second. Cette différence dans les causes devait
nécessairement en créer une dans les effets.
Cette doctrine est celle que la cour d’Orléans n’a pas
hésité à consacrer, elle a en conséquence jugé que la
nullité de l’acceptation d’une lettre de change, résultant
i — 20
�306
DE LA LETTRE DE CHANGE
de ce que l’accepteur était pourvu d’un conseil judiciaire
peut être opposée aux tiers de bonne foi ; celte doctrine
est beaucoup plus juridique que celle de l’arrêt de Paris
du 24 nivôse an ix, on devrait donc l’appliquer à tous
les cas d’incapacité l.
3 0 8 . — La violence, le dol, la fraude produisent en
commerce l’effet qu’ils créent en matière ordinaire, ils
font exception à tous les principes. En conséquence,
l’acceptation provoquée et obtenue à leur aide ne pro
duirait et ne devrait produire aucun effet.
Mais cela n’est vrai qu’à l’égard de l’auteur du dol et
de ses complices. En conséquence , le tiers porteur de
bonne foi ne saurait en souffrir. L’exception ne pour
rait lui être opposée ; son ignorance de l’illégitimité du
moyen employé, l’impossibilité de parvenir à la connaî
tre ; le danger d’un concert entre le tireur et l’accepteur,
à l’effet de frapper d’impuissance le droit du porteur,
tout devait le faire admettre ainsi. En conséquence, et
par rapport à lui, l’accepteur ne pourrait, sous prétexte
de violence, de dol ou de fraude, être relevé de son
obligation de payer, sauf son recours contre l’auteur du
quasi-délit.
Cet auteur ne sera pas toujours le tireur. L’accepta
tion peut être requise par le porteur de la traite qui
pourrait, dès lors, dans le but de l’obtenir, s’être livré
à l’un de ces moyens ; ce qui en résulterait, c’est que
�ART. 121, 122, 123.
307
l’exception, qui ne pourrait être opposée à son cession
naire de bonne foi, lui sera incontestablement opposa
ble, soit qu’il n ’ait jamais négocié la lettre de change,
soit que, l’ayant négociée, il en soit redevenu proprié
taire par suite du recours des porteurs subséquents.
3 0 3 . — Par rapport donc à ce porteur, il peut être
utile de rechercher quels seront les faits constitutifs du
dol. On s’est demandé, entre autres, si le dol existerait
dans l’hypothèse où le porteur, requérant l’acceptation,
s’est borné à taire un fait dont il avait connaissance,
par exemple, la faillite imminente du tireur? La néga
tive est enseignée par M. Persil fils.
Pothier soutient l’avis contraire. « C’est un dol de la
part du porteur, dit-il, lorsque, ayant connaissance de
la prochaine faillite du tireur, il dissimule ceUe con
naissance à celui sur qui la lettre est tirée pour qu’il
l’accepte. C’est pourquoi, si l’accepteur peut prouver
que le porteur, lorsqu’il lui a présenté la lettre, avait
connaissance de la prochaine faillite du tireur, il sera
restituable contre son acceptation. »
Nous croyons que la doctrine de Pothier est beaucoup
trop sévère et qu’elle impose au porteur des obligations
que la conscience prescrit, mais que la loi n’a nulle part
consacrées. Celui, en effet, qui requiert l’acceptation
n’est pas obligé de renseigner le tiré, lequel ordinaire
ment correspondant, et dans tous les cas mandataire du
tireur, doit connaître celui-ci beaucoup mieux que le
porteur lui-même. D’ailleurs la demande d’acceptation
�308
de
la
lettre
d e change.
faite par ce dernier est une preuve de méfiance contre le
tireur. Elle doit d’autant plus exciter l’attention du tiré.
Dès lors, s’il s’agit d’une acceptation à découvert, il ne
doit la consentir qu’après s’être assuré de la solvabilité
de celui auquel il va accorder ce crédit.
Nous croyons donc avec M. Persil que le porteur qui
s’est borné à ne pas communiquer au tiré les rensei
gnements qu’il avait sur le tireur n ’a pas commis un
dol. On ne pourrait le décider autrement que si, à cette
réticence, venait se joindre d’autres faits tendant à ins
pirer une certitude contraire à la vérité. Si, par exem
ple, dans la lettre demandant l’acceptation on déclarait
que la solvabilité certaine du tireur semblerait la ren
dre inutile ; qu’aussi ne la sollicite-t-on qu’à titre de
précaution surabondante et pour faciliter une négocia
tion prochaine.
Ces expressions ou autres équivalentes pourraient pa
raître donner au silence gardé sur la faillite imminente
un caractère dolosif. Ce silence, en effet, ne serait plus
isolé. On se serait efforcé d’empêcher qu’on ne décou
vrit la vérité, par les insinuations mensongères sur une
solvabilité qu’on savait bien ne pas exister. Au reste, à
cet égard, la justice ayant un pouvoir absolu d’apprécia
tion n’aurait à suivre que les inspirations qu’elle pui
serait dans les faits et circonstances de la cause.
2 0 4 . — Pothier examine ensuite cette autre cir
constance sur laquelle l’ancienne doctrine avait cru de
voir s’expliquer. Le propriétaire de la lettre de change
�l’a envoyée à l’acceptation par courrier extraordinaire.
Peu après éclate la faillite du tireur. Cette précipitation,
dit Pothier, si elle est jointe à d’autres circonstances,
peut faire présumer dans le propriétaire une connais
sance de la faillite prochaine, et un dol pour faire ac
cepter la lettre ï.
Pothier, exigeant qu’à la précipitation se joignent
d’autres circonstances, contredit quelque peu sa doctrine
de tout à l’heure sur le silence dont il faisait découler le
droit. En effet, la précipitation a une bien autre gravité
que le silence, car on ne peut l’expliquer que par la
certitude de l’imminence de la faillite. Elle contient donc
le silence sur cette connaissance, silence qu’accompagne
un acte indiquant la crainte que le tiré ne soit instruit
par les voie ordinaires. Conséquemment, si on interprète
le silence comme un dol, à plus forte raison devra-t-on
reconnaître ce caractère à l’emploi d’une voie extraordi
naire pour arracher l’acceptation.
Cependant on ne le déciderait ainsi que si, en usant
de cette voie extraordinaire, le commerçant avait fait
exception à ses habitudes de tous les jours. Il est évi
dent que s’il était dans l’usage d’envoyer à l’acceptation
par courrier extraordinaire, l’emploi de ce moyen ne
pourrait devenir la matière d’un reproche
Dupuis de la Serra y mettait une seconde condition, à
savoir, que la nouvelle de la faillite ou de la déconfiture
du tireur fût arrivée par la voie ordinaire. Cette condii Contrat de change, nM18.
�510
DE LA LETTRE DE CHANGE
tion est rationnelle, si le tiré ne devait pas être instruit
par cette voie, il n’aurait pas à se plaindre. Qu’importe,
lui dirait le porteur, que j’aie envoyé par courrier ex
traordinaire ? Vous avez accepté parce que vous ignoriez
la déconfiture du tireur. Mais cette ignorance n’en au
rait pas moins existé si je m’étais servi du courrier or
dinaire. Vous auriez donc accepté alors comme vous
l’avez fait avant, et mon acte ne vous a dès lors occa
sionné aucun préjudice l.
Au reste répétons que les difficultés que le dol peut
soulever étant des questions de fait plutôt que des ques
tions de droit, on ne saurait poser des règles fixes et po
sitives. Il n’y en a qu’une seule, l’arbitrage souverain
des tribunaux.
305. — Le propriétaire ne présente pas toujours
lui-même la lettre de change à l’acceptation. Il peut
confier ce soin à un mandataire. Le dol que celui-ci
emploierait pour déterminer l’acceptation nuirait au
mandant : Quis mandat ipse fecisse videtur. On doit
donc répondre de la loyauté de celui qu’on se substitue.
A défaut d’imputabilité morale, l’imputabilité matérielle
ne saurait être écartée. Rien ne peut faire qu’on s’enri
chisse par le dol du mandataire.
306. — La loi ne reconnaît pas d’autre exception
à la règle de l’article 121. Conséquemment l’accepteur
i L'Art des lettres de change, chap. x.
�ART. 121, 122, 123.
311
ne pourrait se faire relever de son acceptation pour un
tout autre motif. Il ne le pourrait alors même que son
acceptation, donnée à découvert, constituerait un acte
de crédit, et qu’au moment où elle se réaliserait le ti
reur fût en faillite.
L’antériorité de la faillite ne pourrait donc être utile
ment invoquée par le tiré, mais elle peut devenir, dans
certains cas, l’occasion d’une poursuite contre lui de la
part de la masse.
Sans doute si l’acceptation est faite à découvert, les
créanciers ne sauraient se plaindre. Il est bien vrai ce
pendant qu’en résultat le porteur sera intégralement
payé. Mais, par rapport à la faillite, il n’y aura qu’une
substitution de créancier. L’accepteur venant se faire
rembourser ne retirera que le dividende que les autres
recevront.
Si, au contraire, l’acceptation est faite après provi
sion, elle détermine sur celle-ci un privilège soit en fa
veur du porteur, soit en faveur de l’accepteur lui-même.
La masse, obligée de subir ce privilège, forcée de se con
tenter de la distribution de ce qui excédera le montant
de la lettre de change, en éprouve un préjudice qu’elle
s’efforcera bien souvent d’empêcher. Elle contestera l’ef
ficacité et la régularité de l’acceptation.
Toute difficulté serait impossible si le tiré avait accepté
avant de connaître la faillite. Sa bonne foi le mettrait à
l’abri de tout reproche et laisserait son acte produire
tous ses effets.
�312
DE LA LETTRE DE CHANGE
Pourrait-il y avoir difficulté sérieuse si l’acceptation a
suivi la connaissance de la faillite ?
Scaccia, Dupuis de la Serra, Pothier estiment que le
tiré pourrait être condamné à des dommages-intérêts
envers la masse. 11 a, disent-ils, rendu la position du
porteur plus favorable que celle des autres créanciers ; il
a donc causé à ceux-ci un évident préjudice qu’il doit
réparer.
Cette doctrine a pu être juridique tant qu’on subor
donnait le droit du porteur à l’acceptation du tiré. Alors,
en effet, cette acceptation rendait la position de porteur
plus favorable. Elle lui conférait le droit et la faculté
d’être payé intégralement du montant de son titre, là
où les autres créanciers ne pouvaient recevoir qu’un
dividende.
Or ce système est aujourd’hui déserté par la doctrine
et la jurisprudence. Chaque jour on décide que le por
teur puise son droit, non pas dans l’acceptation, mais
dans l’existence de la provision ; que cette provision lui
est définitivement acquise par cela seul qu’elle a été
réalisée, quelle qu’ait été d’ailleurs la conduite du tiré.
On ne peut donc pas dire que l’acceptation rend la
position du porteur plus favorable que celle des créan
ciers ordinaires. Ce qui détermine ce résultat, c’est le
dépôt de la provision ès-mains du tiré, dépôt dont le
porteur pourrait faire la preuve contre le tiré lui-même.
L’acceptation n’est plus autre chose que la constatation
légale de la provision. Le porteur n’aura plus à la prou
ver. Comment donc punirait-on le tiré pour avoir rendu
�ART.
121, 122, 125.
313
hommage à la vérité, en déclarant un fait qu’on pouvait
établir contre lui.
La faillite du tireur révoque bien le mandat du tiré,
en ce sens que si la provision n’a pas été faite jusquelà, elle ne pourra régulièrement l’être à l’avenir. Aussi
avons-nous vu que celle qui aurait été réalisée après la
cessation de payement ou dans les dix jours qui l’ont
précédée, ne saurait sortir à effetx.
Mais lorsque, avant la faillite, la provision a été faite,
tout est accompli entre le tireur et le tiré, et le mandat,
ne concernant plus que le porteur, doit recevoir sa
pleine et entière exécution. Il est donc impossible que
cette exécution, que ce tiers a d’ailleurs le droit d’exi
ger, puisse devenir une cause de dommages-intérêts.
Ainsi, le droit de la masse, en cas de faillite du ti
reur, se borne à vérifier si la provision a été faite ou
non en temps suspect. Dans le premier cas, le tiré qui
a donné son acceptation connaissant la faillite, l’a don
née à ses risques et périls, il sera obligé de recombler
le montant de celte provision ; dans le second cas, le
dépôt de la provision étant pour le tireur un véritable
payement, ne saurait être contesté ni quant à sa légalité,
ni quant à son efficacité, et l’acceptation n’a pu occa
sionner et n ’a en réalité occasionné aucun préjudice
dont il soit dû réparation.
Toutefois, notre solution ne s’applique qu’à l’hypo
thèse d’une provision spéciale, fournie au tiré en vue
' Supra, nM 150, 160etsuiv.
�0 l4
DE LA LETTRE DE CHANGE
de la lettre de change et qui n’est en ses mains qu’un
dépôt destiné à la payer. La spécialité de l’affectation,
sa certitude ont, dans ce cas, uni intimement la provi
sion à la traite, dont elle est l’aliment. En acquérant
celle-ci, le preneur a acquis celle-là.
Si le tireur a fourni sur son débiteur, il n’y aura pro
vision, aux termes de l’article 116, que si, à l’échéance
de la traite, le tiré doit une somme égale à son montant.
Mais il faut en outre qu’il puisse la payer. Or, la faillite
du tireur rend cette condition impossible. La masse est
légalement substituée à ses droits, investie de la totalité
de son actif. Comment, dès lors, le tiré, qui ne pourrait
se libérer valablement entre les mains du tireur, pour
rait-il le faire aux mains de son délégué ?
De là cette conséquence que le tiré qui est au courant
de l’état de faillite du tireur connaît l’impossibilité de
payer à autre qu’au syndic. Dès lors, s’il donne son ac
ceptation, il le fait à ses risques et périls. Le seul droit
qu’il aura acquis est celui d’être admis au passif jus
qu’à concurrence du payement qui en aura été la con
séquence, et qui ne saurait nuire ni être opposé à la
masse.
Pourquoi, pourra-t-on dire, en serait-il autrement
lorsque l’acceptation est postérieure à la faillite, mais
donnée sans que le tiré en eût connaissance? Cette igno
rance a-t-elle empêché le désinvestissement du failli?
A-t-elle pu faire qu’il n’y eût pas absence de provision
à l’échéance ?
�Non sans doute, mais comment ne tenir aucun compte
de la bonne foi du tiré ?
En principe, ce que le mandataire fait après la révo
cation du mandat, mais dans l’ignorance de cette révo
cation, est valable envers et contre tous. Or, indiquer un
tiré, c’est consentir un double mandat, celui de se faire
payer par un tiers, en faveur du preneur de la traite ;
celui de payer ce preneur, en faveur du tiers indiqué.
Or, ce double mandat est rempli par l’acceptation de
la part du tiré surtout, puisque, devenu débiteur per
sonnel du porteur, il ne peut plus valablement se libérer
entre les mains du tireur de ce dont il lui était redeva
ble. Il y a donc eu substitution d’un créancier à un au
tre, c’est-à-dire novation, et cela en vertu d’un mandat
formel que l’ignorance de sa révocation permettait d’ac
complir.
On ne pourrait donc annuler l’acceptation au profit
de la masse que si le tiré devait être relevé de ses effets
à l’égard du porteur. Or, l’article 121 le prohibe for
mellement, et puisque l’acceptation est valable à la char
ge de celui qui l’a donnée, concevrait-on qu’elle ne le
fût pas en sa faveur ?
La loi n’a pu vouloir le rendre victime d’un événe
ment qu’il ignorait. Si, malgré la préexistence de cet
événement, elle maintient le contrat, ce contrat doit pro
duire tous ses effets envers et contre tous.
SOSL — Après avoir réglé ainsi les effets de l’accep
tation, le législateur s’est occupé de sa forme. C’est là
�316
DE LA LETTRE DE CHANGE
l’objet de l’article 122. Il exige d’abord qu’elle soit si
gnée.
L’ordonnance de 1673 exprimait la même règle, en
de termes différents. Elle voulait que l’acceptation fût
faite par écrit. Il est évident que c’est ce que prescrit
également le Code. L’exigence de la signature ne permet
aucun doute à cet égard.
Or, ce qu’on concluait des termes de l’ordonnance ,
c’est qu’elle avait formellement dérogé au principe de
l’admissibilité de la preuve testimoniale qu’on a toujours
considérée comme de droit commun en matière com
merciale. En effet cette preuve ne pourrait arriver qu’à
constater une acceptation verbale, et l’ordonnance dé
clarait formellement abroger l’usage de pareilles accep
tations l.
308.
— L’intention du Code d’adopter à cet égard
les errements de la législation qu’il venait remplacer ne
saurait être douteuse. Il n’a donc pas permis la preuve
testimoniale, et il lui a suffi pour cela d’exiger que l’ac
ceptation soit signée. Celte exigence est une dérogation
explicite à l’admissibilité de la preuve orale. C’est ce
qu’on a admis pour l’existence des sociétés, pour les let
tres de change. C’est ce qu’on admettra toutes les fois
que, pour un acte quelconque, la loi aura prescrit un
instrument écrit.
Vainement donc prétendrait-on trouver une accepta
�tion ailleurs que dans une déclaration signée de l’accep
teur. Cette prétention ne serait pas fondée et ne pourrait
être accueillie alors même qu’on produirait un aveu
écrit de l’existence de la provision ; à plus forte raison
si on se bornait à en offrir la preuve testimoniale L
Il ne faudrait pas cependant tirer de cette règle une
conséquence exagérée. Sans doute une promesse d’accep
tation convenue, l’aveu qu’on a en mains la provision
ne remplaceraient pas l’acceptation signée qu’exige la
loi. Mais l’un et l’autre constitueraient de véritables
obligations susceptibles d’être prouvées autrement que
par écrit, et de recevoir la sanction de l’autorité judi
ciaire. Ainsi on ne pourrait demander que le tiré sera
contraint d’accepter, et qu’à défaut le jugement à inter
venir tiendrait lieu d’acceptation, mais on pourrait, à ti
tre de dommages-intérêts, poursuivre la réparation du
préjudice occasionné par le refus illégitime de l’accep tation.
En d’autres termes, il en est de l’acceptation comme
de la lettre de change. Il faut distinguer l’acte matériel
et l’obligation qui devait en être le fondement. Le pre
mier ne peut être établi que par écrit. La seconde peut
être prouvée par témoins toutes les fois qu’on voudra
ainsi obtenir la réparation de l’inexécution alléguée.
300. — Nous signalions tout à l’heure la différence
existant entre l’ordonnance prescrivant l’acceptation par
1 Pardessus, Droit comm., n° 365.
�318
DE LA LETTRE DE CHANGE
écrit sans s’occuper de la signature, et le Code n’exi
geant que celle-ci. Les motifs qui le firent ainsi consa
crer nous sont expliqués par la discussion législative que
l’article 122 subit. On a voulu prévenir un équivoque
que l’ordonnance semblait autoriser, et empêcher l’abus
d’une erreur. Un banquier à la tête d’une maison con
sidérable peut, disait-on, écrire le mot accepté sur une
lettre autre que celle qu’il veut réellement accepter ; il
s’apperçoit de sa méprise au moment de signer, il s’abs
tient de le faire, mais il oublie de biffer le mot accepté.
D’après l’ordonnance, la porteur aurait pu prétendre
que l’acceptation était intervenue; avec J’article 122,
cette prétention devient impossible. C’est ce que le légis
lateur a en effet voulu consacrer.
De là, il faut noter comme conséquences essentielles :
1° L’abolition de tous les usages que le texte de l’or
donnance avait fait naître, notamment celui de voir une
acceptation valable dans l’inscription du mot accepté,
quoique non suivi de signature. Aujourd’hui, au con
traire, c’est cette signature qui constitue exclusivement
l’acceptation. Disons dès lors, avec M. Pardessus, que
cette signature doit être celle que le négociant emploie
habituellement dans l’administration de ses affaires ;
qu’ainsi un simple paraphe pourrait être déclaré suffi
sant, si la coutume de se borner à l’apposer était éta
blie ;
2° La validité et la régularité de l’acceptation signée
mais non écrite par le tiré. Aucune disposition de loi,
disait la cour de Paris, n’a comblé la lacune de l’article
�ART. 1 2 1 , 1 2 2 , 1 2 5 .
319
122, ni exigé que le mol accepté soit écrit de la main
de l’accepteur l.
8 1 0 . — Cette doctrine nous parait incontestable,
mais elle amène à se demander si dans ce cas la signa
ture doit être précédée du bon ou approuvé prescrit par
l’article 1326 du Code civil ?
Nous avons déjà eu l’occasion d’examiner cette ques
tion à l’égard des signataires de la lettre de change, et
nous l’avons résolue négativement2. Cette solution nous
l’adopterons également dans notre hypothèse.
Tout ce qui se rattache à la leUre de change obéit
nécessairement à la législation commerciale. Ce carac
tère accessoire ne saurait être refusé à l’acceptation. On
ne pourrait donc la soumettre à l’application du droit
ordinaire. De ce principe qu’elle pose, la cour de Bruxel
les conclut que le bon ou approuvé n’est pas nécessaire,
car la loi commerciale ne l’exige nulle p a rt3.
La question s’étant depuis offerte à la cour de Paris,
y a été résolue dans le même sens. Comme la cour de
Bruxelles, celle de Paris a déclaré que pour l’acceptation
des lettres de change, il n’y a pas d’autres dispositions
que celles du Code de commerce.
La Cour de cassation fut investie de la difficulté par
le pourvoi dont l’arrêt de Paris devint l’objet. Mais ellq
1 9 novembre 1825.
2 Supra, n° 44.
3 11 janvier 1808.
�520
DE LA LETTRE DE CHANGE
ne l’a pas résolue, s’arrêtant à un moyen de fait qui lui
paraît suffisant pour rejeter le pourvoil.
8 1 1 . — La signature apposée isolément sur la let
tre de change, sans être précédée du mot accepté ou de
tout autre équivalent, constitue-t-elle une acceptation
valable et régulière ?
Nous ne voyons pas sur quoi se fonderait la négative.
Invoquerait-on l’article 122, disant que l’acceptation
est exprimée par le mot accepté ? Mais, ainsi que nous
le dirons tout à l’heure, ce terme n’a rien de sacramen
tel ; il peut être suppléé par tous autres indiquant net
tement et sans équivoque l’intention d’accepter. Or, à
ce double titre, quel équipollent plus significatif que la
signature elle-même ? Quels peuvent être le sens et la
portée de son application sur la lettre ?
D’ailleurs, nous venons de le voir , le mot accepté
n’a pas besoin d’être écrit de la main du signataire, pas
même d’une approbation quelconque de sa part. Quel
serait dès lors le résultat de l’opinion contraire à celle
que nous indiquons ? Uniquement de faire que le por
teur écrivît le mot accepté au-dessus de la signature,
rendant ainsi toute difficulté impossible.
Dans ce cas, il serait vrai que l’acceptation n’émane
rait que du porteur, ce qui serait contraire à toutes les
notions consacrées par la loi, il faut donc admettre
�ART.
121, 122, 123.
321
qu’aux yeux de celle-ci la simple signature équivaut à
acceptation et la constitue.
!•
Le Répertoire du Journal du Palais indique, comme
ayant jugé le contraire, un arrêt de la Cour de cassation
du 20 mars 1832, mais la simple lecture de l’arrêt suf
fit pour prouver qu’il est intervenu sur une espèce
n’ayant rien de commun avec celle que nous suppo
sons.
En effet, après le décès du baron Duhamel, son hé
ritier trouva dans les effets un papier blanc sur lequel
étaient écrits ces mots : Accepté pour payer la somme
de 8,000 fr., premier octobre 1818. Signé : Sarat.
fl
-
Poursuivi en payement d’une somme de 17,458 fr.
qu’il devait au même Sarat, cet héritier prétendit com
penser jusqu’à due concurrence le montant de l’accep
tation, compensation que le créancier repoussait. Le
motif qu’il faisait valoir était la nullité de cette préten
due créance, fondée sur un titre n’exprimant pas la
cause de l’obligation, cause qu’on n’indiquait même pas.
Il ne s’agissait donc pas de savoir si la signature du
tiré, écrite sur une lettre de change régulièrement tirée,
constituait ou non une acceptation. La véritable ques
tion de ce procès était précisément de déterminer, en
l’absence de toute lettre de change, le caractère de l’ac
ceptation. Pouvait-on d’ailleurs consacrer l’accessoire
séparément et divisément du principal ? Ne devait-on
pas au contraire ne voir dans un pareil titre qu’un com
mencement de preuve par écrit incapable de fonder une
:ft!
i — 21
Ht t ;
�322
DE LA LETTRE DE CHANGE
obligation, mais pouvant en faire admettre la preuve
testimoniale ?
La cour de Caen se prononce dans ce dernier sens.
Elle exclut d’autant plus l’idée d’une acceptation régu
lière, que si la lettre de change avait été rédigée, elle
pouvait donner à cette acceptation un tout autre carac
tère que celui d’une obligation. Aussi la Cour de cassa
tion approuva-t-elle l’arrêt, attendu qu’une simple ac
ceptation en blanc ne peut être assimilée à une lettre
de change qui serait revêtue des formes exigées par la
loi.
Ce n’est pas au reste la première fois que la cour de
Caen l’avait ainsi jugé. Déjà, et le 31 mars 1817, elle
avait décidé que ces mots : Accepté, payer la somme de
1,519 fr. aux domicile et échéance ci-dessus, mis au
dos d’une lettre de change en blanc, ne peuvent consti
tuer un titre de créance contre le souscripteur, lorsque
le corps de la lettre de change n’a pas été rempli ; que
d’ailleurs cette sorte d’acceptation ne porte aucune énon
ciation de valeur fournie, et que le porteur ne justifie
pas en avoir fourni une.
On le voit donc, ce qui détermine la solution dans
l’un et l’autre cas, c’est l’impossibilité de rattacher l’ac
ceptation à un ordre qui ne s’est pas réalisé, et consé
quemment d’en fixer le caractère. Peut-être, si la lettre
avait été rédigée, les termes auraient prouvé que loin
d’être un titre contre l’accepteur, l’acceptation suivie
de payement serait devenue un titre en sa faveur. Dans
�ART,
121, 122, 123.
323
tous les cas, ces hypothèses sont bien différentes de la
nôtre.
Dans celle-ci, en effet, la lettre de change est rédigée;
elle s’adresse expressément et formellement au tiré, le
mandat est précis ; on ne peut donc hésiter. La signa
ture que celui-ci appose sur la lettre de change ne peut
avoir qu’une signification, l’acceptation. C’est donc celleci qu’il faut admettre.
313. — La seconde prescription à l’égard de la for
me de l’acceptation, est relative au mode dans lequel
elle doit être formulée. L’article 422 se contente du mot
accepté. Ce laconisme est parfaitement de mise dans
une obligation qu’on qualifiait de billet écrit en peu
de paroles.
Nous venons de voir que l’absence de ce mot, si le
tiré a apposé sa signature, n’est pas un motif pour re
pousser l’acceptation. Nous ajoutons que ce mot n ’a en
lui-même rien de sacramentel, il peut être remplacé par
des équipollents, à condition que l’expression résultant
de leur emploi ne soit pas en opposition avec l’obliga
tion qu’il s’agit de contracter.
L’ordonnance de 4673 avait déjà fait justice de deux
locutions qui ne pouvaient qu’engendrer des inconvé
nients, que faire naître l'erreur. Elle abroge, en effet
les formules : vu sans accepter ou accepté pour répon
dre à temps. Ces sortes d’acceptation, dit Jousse, sont
non seulement dangereuses et troublent le commerce
des lettres de change, mais encore inutiles et ne ser-
�524
DE LA LETTRE DE CHANGE
vent qu’à tromper et à surprendre ceux qui n’ont au
cune connaissance des inconvénients qui en peuvent ar
river 1.
Sous l’empire du Code, de pareilles réponses consti
tueraient des refus d’acceptation, donneraient lieu au
protêt, et en conséquence aux recours autorisés par l’ar
ticle 120.
S IS . — Mais ces mots : je ferai honneur, Repaye
rai, j'acquitterai, vu pour payer, constituent des équipollents naturels et légitimes, il résulterait de leur em
ploi'une acceptation régulière devant produire tous ses
effets.
Il a été admis que le tiré, même ayant provision, peut
refuser d’accepter , si l’effet qu’on lui présente n’était
pas écrit sur papier timbré, ou si le papier n’était pas
au timbre proportionnel. Dans l’un et l’autre cas, l'é
ventualité de l’amende peut augmenter les frais et aggra
ver ainsi la position de l’accepteur, obligé de les payer
intégralement, alors même que la provision serait in
suffisante. Il ne peut donc être contraint de courir cette
chance, s’il ne veut pas s’y exposer.
Aussi, s’est-on demandé si la réponse faite par le tiré,
lors du protêt de la lettre de change par duplicata, qu’il
a en mains des valeurs propres à en assurer le paye
ment, mais qu’il ne peut l’acquitter dans l’état d’imper
fection dans lequel se trouve le titre qu’on lui présente,
�ART.
121, 122, 123.
325
est une acceptation suffisante pour l’engager envers le
porteur? La négative a été consacrée par la cour de
Paris, le 20 février 4830 l.
Refuser d’accepter en déclarant avoir provision, c’est
reconnaître que celle-ci n’est pas suffisante pour répon
dre de toutes les éventualités. Le porteur doit, dès lors,
réaliser les diligences que la réponse du tiré le met en
demeure de remplir.
8 1 4 . — Nous venons de voir que les mots : vu sam
accepter, étaient un refus formel ; que ceux : vu pour
payer, constituaient une acceptation régulière ; que
doit-on décider si le tiré s’est borné à écrire le mot vu,
sans y rien ajouter ?
La difficulté ne peut surgir que si ce mot est accom
pagné de la signature du tiré. En l’absence de celle-ci,
la formule sacramentelle elle-même, c’est-à-dire le mot
accepté, mis sur la lettre, ne serait pas une accepta
tion ; à plus forte raison devrait-on le déclarer ainsi
pour le mot v u s.
Merlin enseigne qu’il doit en être de même lorsque
le visa est signé, car cette signature n’établit pas d’une
manière assez précise l’intention du tiré de s’engager.
M. Pardessus adopte l’opinion de Merlin. Le mot vu,
dit-il, ne serait considéré comme un équipollent du mot
i Dans le Journal du Palais , le sommaire précédant l’arrêt indique
par erreur la solution en sens contraire.
s Turin, 14 mai 1810. Cass., 28 février 1824.
�326
DE LA LETTRE DE CHANGE
accepté qu’autant que les circonstances ne permettraient
pas de lui donner un autre sens d’après l’usage des
lieux
Donc, d’après M. Pardessus, la solution ne peut obéir
à des règles absolues et positives ; elle peut el doit être
modifiée suivant les faits spéciaux et particuliers à cha
que espèce, c’est ce que nous admettons également.
Au nombre, et en première ligne des circonstances de
nature à déterminer ces modifications, nous plaçons,
non pas le vu pour payer, que M. Pardessus exige, mais
le caractère du titre lui-même : ou la lettre de change
est payable à un certain délai de vue, ou elle est à
échéance certaine et déterminée.
Dans le premier cas, le vu, écrit et signé par le tiré,
sans autre énonciation, ne peut, à notre avis, être con
sidéré comme une acceptation. Ce qui en résulte, c’est,
d’une part, que le porteur a voulu, par la présentation
de la lettre, faire courir le délai ; de l’autre, que le tiré
a officieusement constaté cette présentation et concédé
au porteur acte de sa diligence. Le vu ne peut établir
que le fait matériel que nous indiquons, d’abord parce
que rien ne prouve qu’on ait demandé autre chose au
tiré, ensuite que si celui-ci avait voulu autre chose que
de fixer le point de départ de l’échéance, il n’eût pas
manqué de s’en expliquer.
Il est vrai que Pothier nous apprend que, de son
i
Cours de droit comm., n° 366, Merlin, v° Accept. des lettres de ch.
Horson, n° 76,
�temps, on exigeait, pour que le visa ne fût pas une ac
ceptation, que le tiré écrivît : vu sans accepter. Mais,
sous l’empire du Code, nous ne craignons pas de l’indi
quer, c’est le contraire qui doit être admis ; il n’y aura
acceptation que si le tiré avait, par exemple, adopté la
locution indiquée par M. Pardessus : vu pour payer, ou
toute autre équivalente.
Dans la seconde hypothèse, à savoir : celle d’une
échéance certaine et déterminée, le vu, suivi de la si
gnature du tiré, constitue une acceptation valable ; com
ment, en effet, adopter le contraire sans se placer dans
une flagrante contradiction avec la raison et le bon
sens?
Une lettre de change ainsi conçue n’a pu être pré
sentée qu’à la seule fin de l’acceptation. A quoi bon, sans
cela, cette présentation? Ne constituerait—t-elle pas une
inutilité, une perte de temps? Dans le commerce, cepen
dant, on ne se livre pas habituellement à l’une et à
l’autre.
Ainsi, la lettre de change n’est présentée que pour la
faire accepter ; cela acquis, quel sens donnera-t-on rai
sonnablement au visa écrit et signé par le tiré ? Il serait
absurde d’en induire un refus d’acceptation, car, pour
constater ce refus, il ne fallait ni écriture, ni signature ;
il suffisait de la restitution pure et simple de la lettre. La
prétention contraire nous rappelle cet actionnaire qui,
s’inscrivant sur un acte de société après avoir écrit :
bon pour m e action, demandait la nullité de [son en-
�328
DE LA LETTRE DE CHANGE
gagement, parce qu’il avait eu l’intention d’écrire non
four une action.
Ainsi, dans notre première hypothèse, le visa signé
peut n’avoir pour objet que de fixer le point de départ
de l’échéance; on doit dès lors le présumer ainsi jusqu’à
preuve contraire.
Dans la seconde, ce même visa ne peut signifier que
la volonté d’acceptation. Toute autre interprétation se
rait absurde. C’est donc pour elle que nous nous pro
nonçons.
315. — L’acceptation peut-elle être régulièrement
donnée par acte séparé ?
L’affirmative invoque le silence gardé à ce sujet par
l’article 1212, silence que le prince archichancelier inter
prétait en ces termes : Puisque l'article n'exclut pas
l'acceptation par lettre missive, on en conclura na
turellement qu'il la permet K
Telle est en effet la conclusion adoptée par les au
teurs. Sauf M. Persil, tous les autres, MM. Merlin, Par
dessus, Locré, E. Vincent, Nouguier, Dalloz se pronon
cent pour la validité de l’acceptation par lettre missive.
Il y a sans doute de la témérité à ne pas se rallier à
une opinion qui se recommande d’une telle masse de
lumières et de savoir. Mais une étude approfondie ne
nous a pas permis de le faire.
Le silence gardé par l’article 122 ne nous paraît pas
1 Locré, t. 48, p. 46.
�ART.
121, 122, 123.
329
autoriser l’induction qu’en tirait le prince archichance
lier. L’acceptation complète la lettre de change en ren
dant le tiré débiteur solidaire. Elle est tellement de son
essence, que son refus donne lieu à protêt et confère au
porteur le droit d’exiger une caution ou le payement
immédiat.
Il est donc rationnel d’admettre que tout ce qui con
court à la perfection du titre doit résulter du titre luimême ; que dès lors si le législateur eût entendu qu’il
pût en être autrement pour la lettre de change, il aurait
dû s’en exprimer expressément et formellement.
Son silence exclut donc la conclusion du prince archi
chancelier, loin de l’autoriser, puisqu’il laisse les choses
sous l’empire de la règle ordinaire.
Il en est de l’acceptation comme de l’aval. Si celui-ci
peut être donné par acte séparé, c’est uniquement parce
que l’article 142 l’autorise. Sans cela il n’eût pu évi
demment être valablement fourni sous cette forme. Pour
quoi donc en serait-il autrement pour l’acceptation.
L’aval ajoute au titre, mais il ne lui est pas indispensa
ble, tandis que l’acceptalion le complète. On doit donc,
par une supériorité de raisons incontestables, décider
pour elle ce qu’on aurait admis pour l’aval, si l’article
•142 ne s’était pas expressément expliqué.
Si on avait voulu pour l’une ce qu’on autorisait pour
l’autre, on aurait d’autant moins omis de se prononcer,
qu’on était en demeure de le faire, car la question était
agitée au conseil d’Etat. Merlin, s’étayant de l’opinion
des jurisconsultes hollandais, allemands, espagnols, de-
�550
111
III
I!
: i , y !;!||
p;* ;
1
DE LA LETTRE DE CHANGE
mandait que la loi consacrât expressément le système
qu’elle adopterait, quel qu’il fût. Si M. Crétet pensait
qu’on ne devait pas faire, de l’acceptation sur la lettre
de change, une règle trop absolue , M. Régnault de
Saint-Jean-d’Angely soutenait l’avis contraire qui, sui
vant lui, s’induisait de l’article 122 , et cet article était
adopté sur l’observation de M. Begouen que , dans sa
concision, il contenait tout ce qu’il était utile de dire.
Tout ce qu’on pourrait induire de ces débats dans
l’intérêt du système que nous repoussons, c’est que l’ar
ticle 122 n’a pas tranché la question. Mais alors la rè
gle que la perfection du titre doit résulter du litre mê
me, n’a été ni modifiée ni altérée. C’est donc à elle
qu’il faut s’en tenir, et dès lors reconnaître que l’ac
ceptation doit être donnée sur la lettre de change.
N’est-ce pas d’ailleurs ce qui résulte de l’article 125?
| B
!
il
. i
it j| l
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fl
Là lettre de change doit être acceptée a s a p r é s e n t a
t i o n , ou, au plas tard, dans les vingt-quatre heures
de sa présentation ; après les vingt-quatre heures, si
elle n'est pas rendue a c c e p t é e o u n o n a c c e p t é e , celui
qui l'a retenue est passible de dommages-intérêts en
vers le porteur.
Ainsi la lettre de change doit non seulement être pré
sentée mais encore remise aux mains du tiré qui peut
la retenir vingt-quatre heures, et qui doit la restituer
avec ou sans acceptation. A quoi bon cette prescription,
si l’acceptation ne devait pas nécessairement être ins
crite siur la lettre de change ?
La Combinaison des articles 122 et 125, leur rappro-
�chement avec l’article 142 expliquent nettement la pen
sée du législateur , il n’a entendu permettre, ni permis
pour l’acceptation, ce qu’il autorise pour l’aval.
La raison qui devait le déterminer ainsi s’induit de la
nature de ces deux actes. L’aval implique ou la qualité
du débiteur ou la volonté réfléchie de se rendre caution.
L’acceptation n’entraîne ces conséquences que lors
qu’elle est donnée. Mais la lettre de change, parfaite
sans l’aval, est incomplète à défaut d’acceptation ; le ti
reur et les endosseurs sont obligés de la suppléer ou de
perdre le bénéfice du terme.
D’ailleurs, la garantie résultant de l’acceptation est
un élément essentiel pour la circulation de la lettre de
change. Dans la pratique, on n’est pas dans l’habitude
de se préoccuper de î’aval, mais on se préoccupe tou
jours de l’acceptation, à tel point que son absence ren
dra la négociation difficile, sinon impossible.
L’intérêt bien entendu des affaires prescrivait donc de
tenir compte de cette différence entre l’aval et l’accepta
tion, et dès lors de ne pas séparer celle-ci de la lettre
de change elle-même.
3 1 6 . — Le texte et l’esprit de la loi repoussent donc
le système contraire, et c’est ce que la Cour de cassa
tion a décidé à toutes les époques.
Non qu’elle dénie à la lettre missive tout effet obliga
toire. Attendu, disait-elle le 16 avril 1823, que si, au
lieu de donner son acceptation sur la lettre de change,
le tiré se borne à écrire au tireur et à lui mander ou
�332
DE LA LETTRE DE CHANGE
qu’il acceptera, ou qu’il payera, il peut bien résulter de
cette correspondance quelque obligation contre lui ; cette
obligation n’est pas celle qui dérive du contrat de chan
ge, et qu’elle ne peut par conséquent donner lieu aux
poursuites que la loi n’autorise que contre ceux dont la
signature existe sur lettre de change.
Nous verrons tout à l’heure dans quels cas, à quelles
conditions, envers qui l’écrivain de la lettre missive peut
être engagé. Mais, pour la Cour de cassation, cet enga
gement ne sera jamais celui que contracterait l’accep
teur. Ce qui est la négation de la faculté d’accepter par
écrit séparé.
Or, cette doctrine, que la Cour régulatrice consa
crait déjà le 16 juin 1807, sous l’empire de l’ordon
nance de 1673, elle l’a invariablement professée depuis
le Code.
L’arrêt de 1807 était rendu dans l’espèce suivante :
Les sieurs Àlbrecht et Delbruck, négociants à Bor
deaux, étaient créanciers de Philippe Couve, de Mar
seille. Sur l’invitation de celui-ci, ils tirent sur son or
dre et pour son compte deux lettres de change sur
Féronce et Crayen de Lyon. Avisés de l’opération, ceuxci répondent : Los traites recevront le meilleur ac
cueil.
Ces traites ne sont pas présentées à l’acceptation.
Avant leur échéance, Couve est déclaré en faillite ; les
tirés, se prévalant de la non acceptation, refusent de
payer. Ajournés en justice, ils sont condamnés par le
tribunal qui induit l’acceptation de la correspondance.
�art. 1 2 1 , 1 2 2 , 1 2 3 .
33 3
La cour de Lyon, saisie du litige, infirme le juge
ment : « Considérant qu’il ne résulte pas de la corres
pondance entre Albrecht et Delbruck, et Féronce et
Crayen, que les premiers aient consulté les seconds sur
une opération qu’ils avaient déjà consommée, ni de la
réponse de ces derniers qu’ils aient contracté aucun en
gagement envers Albrecht et Delbruck, avec qui ils cor
respondaient pour la première fois ;
« Considérant que l’ordonnance de 1673 exige im
périeusement que l’acceptation d’une lettre de change
soit pure et simple, et ne puisse être suppléée par au
cune stipulation ;
« Considérant que Féronce et Crayen n’ont point ac
cepté les traites en question. »
Donc, la cour de Lyon ne considérait pas la lettre
missive comme constituant l’acceptation régulière, car si
elle eût pensé le contraire, elle n’eût pas manqué de
voir, dans la réponse des tirés, l’acceptation pure et
simple et sans condition, et cette doctrine était consa
crée par le rejet du pourvoi que la Cour régulatrice pro
nonçait le 16 juin 1807.
Le Code de commerce ayant, quant à l’acceptation,
reproduit les exigences de l’ordonnance, ce qui était ju
ridique sous l’empire de celle-ci, ne pouvait avoir cessé
de l’être depuis sa promulgation ; aussi, la Cour de cas
sation, nous l’avons déjà dit, consacrait de nouveau sa
doctrine de 1807, par arrêt du 6 avril 1823.
L’espèce de cet arrêt est fort remarquable, et donne
à sa solution une décisive importance.
�334
DE LA LETTRE DE CHANGE
Le 27 décembre 1816, Avigdor, de Marseille, tire sur
Raba, de Bordeaux, trois lettres de change, ensemble de
12,300 fr., à l’ordre du sieur Olivieri, payables à trente
et quarante jours de date.
Le 3 janvier 1817, ces traites sont présentées à l’ac
ceptation ; Raba, qui n’avait pas été avisé, refusant de
les accepter, elles sont protestées faute d’acceptation.
Le lendemain, 4 janvier, Raba reçoit la lettre d’avis ;
il répond le même jour qu’on n’a qu’à lui présenter de
nouveau les traites, et que tout honneur y sera fait.
Il ajoute : vous pouvez assurer le porteur que tout
honneur y sera fait, et qu'il ait de nouveau à les con
fier à une maison ou à la même pour que je fasse le
nécessaire.
Les traites ne sont pas représentées, et peu de temps
après éclata la faillite d’Avigdor.
Le porteur, excipant de la lettre du 4 janvier, soutient
qu’elle renferme une acceptation formelle. Il demande,
en conséquence, que Raba soit reconnu débiteur et con
damné à payer. Raba répond que sa lettre n’est qu’une
promesse d’accepter lorsque les lettres lui seront pré
sentées ; que, dans tous les cas, l’acceptation n’ayant
pas été donnée sur la lettre de change, serait irrégu
lière et nulle. Cette exception est accueillie par le tribu
nal de commerce de Bordeaux.
Mais, sur l’appel, la Cour la repousse. Attendu que le
mot accepté prescrit par l’article 122 peut être suppléé
par des équipollents ; que la lettre du 4 janvier renfer
me une acceptation formelle ; que ces expressions : tout
�ART. 1 1 2 ,
122, 123.
355
honneur y sera fait, je ferai le nécessaire, sont équipollentes au mot accepté ; qu’elles sont même beaucoup
plus fortes.
Personne n’a jamais contesté que le mot accepté puisse
être remplacé par des équipollents, et il est évident que
celui qui écrirait ou signerait sur la lettre de change :
tout honneur y sera fait, ou je ferai le nécessaire, au
rait donné une véritable acceptation, et serait solidaire
ment obligé au payement.
Mais devait-on le décider ainsi lorsque ces expres
sions ne se trouvent que dans la correspondance. Pou
vait-on, sans violer la loi, considérer la lettre missive
comme l’acceptation exigée par elle ?
La Cour suprême se prononce pour la négative. En
conséquence, après délibération en la chambre du con
seil, elle casse l’arrêt de la cour de Bordeaux, sur le
motif qu’il résulte de l’article 122 que l’acceptation
doit être écrite et signée sur la lettre de change même,
et exprimée par le mot accepté, ou autres termes équi pollents dont ils n’excluent pas l’emploi; que quand l’ar
ticle 425 ajoute que la lettre de change doit être acceptée
à sa présentation, ou au plus tard dans les vingt-quatre
heures, et rendue dans le même délai, acceptée ou non
acceptée, il est impossible de méconnaître que le légis
lateur a entendu que l’acceptation serait inscrite sur la
lettre présentée.
Le 4 juillet 1843, la Cour régulatrice consacre de
nouveau cette doctrine. En conséquence, elle casse un
�336
DE LA LETTRE DE CHANGE
arrêt de la cour de Metz, qui s’était prononcée en sens
contraire,
Il est vrai que, dans ce dernier arrêt, la Cour de cas
sation déclare que si ce mode d’acceptation n’exclut pas
toute autre manière de s’obliger au payement des lettres
de change à présentation ou à vue, il faut alors que
l’acte écrit, dans lequel on puise cette obligation, soit
formel et contienne un engagement exprès et sans con
dition.
M. Dalloz, induit de ce motif que la Cour est revenue
de sa jurisprudence ; ne semble-t-elle pas, en effet, ditil, déclarer que si l’engagement de payer eût été formel
lement exprimé dans un titre au profit du porteur, elle
se serait prononcée pour la validité de l’engagement du
tiré 1.
Oui, sans doute, mais à quel titre l’eût elle déclaré
tenu ? Est-ce comme accepteur ? Non évidemment, car,
dans les motifs qui précèdent, elle vient de dire que
l’acceptation ne peut être donnée que sur la lettre de
change ; elle n’eût donc validé l’engagement qu’en force
de cet engagement lui-même, de la convention léga
lement intervenue , indépendamment de l’acceptation.
N’a-t-elle pas déjà, dans son arrêt du 16 avril 1823,
déclaré qu’à l’égard du tireur, la correspondance peut
devenir contre le tiré le germe d’une obligation qui n’en
devra pas moins produire son effet, malgré qu’elle ne
soit pas une acceptation.
1 N o u v . R é p ., v° E f f e ts de co m m ,, n° 316.
�ART.
121, 122, 125.
357
L’arrêt de 1843 ne fait qu’appliquer cette conséquence
au porteur, et il devait le faire par un a fortiori incon
testable. Si le porteur n’a consommé la négociation que
sur l’assurance du tiré qu’il payerait à l’échéance, se
rait-il juste de laisser à sa charge le préjudice qui résul
terait de l’inaccomplissement de cet engagement ?
Non évidemment. La justice exige que ces conséquen
ces grèvent l’auteur du préjudice, il ne pourra être con
damné comme accepteur, mais il le sera à titre de dom
mages-intérêts, et c’est ce que la jurisprudence a admis,
nous allons le voir. C’est aussi et uniquement ce que
consacre l’arrêt de 4843.
La Cour de cassation est si peu revenue alors de sa
jurisprudence, que depuis elle n’a pas cessé de la main
tenir. Ainsi, un arrêt de la cour de Rouen, qui en avait
fait l’application, étant attaqué devant elle, elle rejette le
pourvoi le 15 mai 1850 : attendu que la cour de Rouen
a fait une juste application de la loi, lorsqu’elle a dit, en
se fondant sur les articles 115, 116 et 122 du Code de
commerce, que le tiré n’est obligé au payement de la
lettre de change qu’autant qu’il l’a acceptée, et lorsqu’il
y a provision entre ses mains à l’échéance ; et que l’ac
ceptation doit être faite par écrit sur la lettre de change,
par le mot accepté, suivi de la signature du tiré, ou par
des expressions équivalentes1.
Enfin, la cour d’Àix s’étant, le 4 août 1858, pronon
cée dans le même sens que la cour de Rouen, son arrêt
1 D. P ., 50, 4, 149.
�DE LA LETTRE DE CHANGE
358
fut déféré à la Cour de cassation ; mais le pourvoi était
également rejeté le 27 juin 1859 l.
La Cour suprême n’a donc jamais varié ; de 1807 à
1859, elle a résolu la question dans un sens identique,
et que nous croyons le seul juridique et légal.
3 1 1? . — Nous concluons donc qu’il n’y a d’accep
tation régulière et obligatoire que celle qui est écrite et
signée sur la lettre même. Nous admettons également
que la lettre missive, insuffisante pour constituer cette
acceptation, peut devenir pour le tiré l’origine d’une
obligation de nature à le faire condamner au payement
de la lettre de change, à titre de dommages-intérêts.
Toutefois, ce principe proclamé par la Cour de cassa
tion, tant en faveur du tireur qu’à l’égard du preneur,
nous paraît d’une application difficile en ce qui con
cerne le premier.
En effet, du tireur au tiré la promesse d’accueil n’est
jamais qu’une promesse de crédit naturellement et né
cessairement subordonnée, soit à la réalisation de la
provision, soit tout au moins à un état de solvabilité
parfaite.
Si cet état existe, le défaut d’acceptation, qui aura
pour résultat de contraindre le tireur à rembourser le
porteur, ne lui occasionnera aucun préjudice, puisque,
tirant à découvert, il devrait en définitive se libérer aux
mains du tiré, si celui-ci avait accepté et payé.
i
ld.,
59, 1, 390.
�ART.
121, 122, 123.
359
Si la solvabilité du tireur, certaine au moment de
l’annonce de la création des traites, a disparu le jour où
elles sont présentées à l’acceptation, le tiré est délié des
effets de sa promesse. La condition sous la foi de la
quelle il l’a donnée, n’existe plus, et il ne saurait être
passible de dommages-intérêts, puisque son refus n’est
dicté que par un intérêt légitime, et qu’on ne saurait
jamais être contraint de faire crédit à celui qui ne doit
et ne peut plus en inspirer aucun.
Du tiré au porteur la thèse est toute différente. Celui
qui, avant de prendre les lettres de change qu’on lui
propose, consulte le tiré, prouve qu’il n ’entend pas faire
confiance au tireur, et qu’il n ’aurait pas traité si le pre
mier n’accordait pas sa garantie.
La promesse formelle de celle-ci a donc fait conclure
la négociation. Elle a dû être acceptée par le porteur
comme l’indication que son auteur avait en mains de
quoi suffire au payement des traites.
Serait-il juste que le tiré pût après coup réfracter sa
promesse et exposer ainsi le porteur à perdre ce qu’il n ’a
fourni que sur la foi de celte promesse ? Quel reproche
pourrait-on lui adresser, quelle faute lui imputer ?
Le tiré au contraire a agi au moins avec légèreté. Si
son engagement n’était que conditionnel dans sa pensée,
il devait s’en expliquer, subordonner l’accueil qu’il ré
servait aux traites à la réception de la provision, ou au
maintien de la solvabilité du tireur. En le promettant
purement et simplement, il a induit le preneur en erreur,
�340
D E LA
L E T T R E D E CHANGE
l’a poussé à un acte dont il se serait abstenu, il doit
donc répondre du préjudice qui en est résulté.
Ces considérations indiquent dans quels cas la pro
messe d’acceptation peut constituer contre le tiré un en
gagement pouvant le faire condamner au payement de
la lettre de change. Elle n’acquiert ce caractère que si,
donnée à l’occasion d’une négociation projetée, elle en a
déterminé la consommation.
C’est ce qu’indiquait fort clairement la cour d’Àix
dans son arrêt du 2 août 1858.
« Attendu que si Weikershein et Cie, avant de four
nir leurs fonds à Trasciatti, avaient obtenu de Chigizzola
et Cie une promesse de bon accueil pour les traites à
tirer sur eux en remboursement de ses avances, il serait
juste de voir là une garantie ayant déterminé le prêt
consenti plus tard, et l’on devrait en induire contre la
maison de Marseille l’obligation de payer les traites re
présentant la somme ainsi cautionnée. »
L’avis donné après la consommation de l’opération
n’a plus aucune importance, et la réponse, quelque af
firmative qu’elle soit, ne saurait devenir l’origine d’une
obligation quelconque. Les fonds déjà remis au tireur
ne seraient pas rentrés en la possession du porteur si
cette réponse avait été négative. Ce n’est donc pas en
considération et sous la garantie du tiré que ce porteur
a agi, et puisqu’il a suivi exclusivement la foi du tireur,
il doit subir toutes les chances auxquelles il s’est exposé.
La cour d’Aix le décidait ainsi expressément dans ce
même arrêt qui, comme nous venons de le dire, était
�ART.
121, 122, 123.
541
sanctionné par la Cour de cassation le 27 juin 1859 L
Ainsi, pour que la promesse d’un bon accueil, qui ne
peut jamais constituer l’acceptation légale, devienne con
tre le souscripteur l’origine d’une obligation, il faut
qu’elle ait été donnée au preneur des traites ; qu’elle ait
précédé leur négociation. La réunion de ces conditions
ne fera pas considérer le tiré comme accepteur, mais
l’obligera au payement à titre de réparation du préjudice
que son fait personnel a occasionné. Ce résultat, qui
s’induit implicitement de l’arrêt de la cour d’Aix, a été
formellement consacré d’abord par la cour de Paris, en
suite par la Cour de cassation, dans l’espèce suivante :
En novembre 1818, les sieurs Oppenheim, banquiers
à Cologne, préviennent le sieur Worms de Romilly, ban
quier à Paris, que d’ordre et pour compte de la maison
Wolf-Levy, ils tireront sur lui des traites pour la som
me de 20,000 fr. le sieur Worms répond qu’il fera hon
neur à ces traites à présentation.
Onze mille francs avaient été déjà payés lorsque WolfLevy tombe en faillite. Sur le refus de payer les 9,000 fr.
restant, le porteur assigne Worms en payement. Celui-ci
excipe du défaut d’acceptation, mais sa prétention d’a
bord repoussée par le tribunal de commerce, est ensuite
condamnée par la cour de Paris.
Le pourvoi contre l’arrêt est à son tour rejeté, le 16
mars 1825. « Attendu que sur la demande formelle
d’Oppenheim , Worms de Romilly s’était obligé envers
l L yon, 24 a o û t 4827.
�342
DE
LA
LETTRE
D E CHANGE.
lui directement, et indépendamment de l’acceptation, à
lui assurer le payement des traites à tirer pour le compte
de la maison Wolf-Levy ; que dans ces circonstances,
en décidant que la maison Worms de Romilly devait
acquitter les traites dont elle avait ainsi assuré le paye
ment, l’arrêt attaqué n’a fait qu’ordonner l’exécution
d’une obligation avouée tout à la fois par les lois civiles
et commerciales. »
318. — En résumé, il n’y a d’acceptation légale et
obligatoire que celle qui est donnée sur la lettre de
change par le mot accepté ou autres termes équivalents,
suivis de la signature du tiré.
La lettre missive, quels qu’en soient les termes, ne
constitue jamais l’acceptation. Mais elle peut créer un
engagement contre le tiré, si, sans la promesse d’accep
ter ou de payer qu’elle renferme, le porteur ne se serait
pas chargé des traites.
Ce caractère ne peut s’induire de la promesse faite au
tireur qui n’est jamais que conditionnelle. Il ne résulte
de celle adressée au porteur que s i , sollicitée avant la
négociation, elle en est devenue la cause déterminante,
il en serait du tireur d’ordre et pour compte comme du
porteur.
319. — Dans l’hypothèse où la lettre missive équi
vaudrait à l’acceptation, doit-on faire résulter cette ac
ceptation des termes le meilleur accueil est réservé à vos
traites, ou nous leur ferons honneur ?
�art.
121, 122, 123.
343
L’affirmative ne nous parait pas douteuse, elle serait
la conséquence forcée du principe qu’on admettrait. Il
est vrai que l’opinion contraire peut s’étayer des arrêts
de la Cour de cassation de 1807 et de 1843. Mais ce
qui explique que ces arrêts ont déclaré ces termes in
suffisants, c’est qu’ils repoussent la faculté d’accepter
par écrit séparé.
Auraient-ils statué ainsi s’ils avaient consacré cette
faculté ? On ne saurait le supposer. Dans ce cas, en ef
fet, l’écrit séparé serait considéré comme la lettre de
change. Or, supposez que le tiré ait écrit sur celle-ci :
je ferai le meilleur accueil, ou je ferai honneur à la pré
sente, hésiterait-on à voir là l’acceptation ? Pourquoi et
comment décider le contraire si l’acceptation peut être
donnée par lettre missive ? Ne serait-ce pas consacrer
un principe et en dénier les conséquences.
Sans doute, comme le faisait remarquer le tiré, dans
une des espèces des arrêts que nous venons de citer, ces
conséquences amèneraient à convertir en obligation une
politesse entre correspondants. Ou, comme le disait le
tribunal de commerce de Marseille dans l’affaire Weikershein contre Chighizzola, à faire résulter l’acceptation
d’expressions qui ne sont usuellement employées que
comme formules de style, et ne sauraient avoir com
mercialement la portée et la signification qu'on vou
drait leur donner.
Que conclure de ces anomalies? A notre avis, que le
système qui les engendrerait est vicieux ; il faut donc le
rejeter, mais le rejeter en principe et non dans ses con-
�344
D E LA
LETTRE
DE
CHANGE.
séquences. Admettre l’un, c’est inévitablement sanction
ner les autres, à peine de méconnaître les lois de la rai
son et de la logique.
Reconnaître la validité de l’acceptation par écrit sé
paré. c’est encore enlever tout intérêt à la question de
savoir à qui du tireur, du porteur ou du tireur d’ordre
et pour compte a été adressée la promesse d’accueil. La
distinction n’est utile que dans l’hypothèse où, cette
promesse ne constituant pas l’acceptation, il s’agit de re
chercher si le tiré est ou non engagé envers ces derniers.
C’est avec raison que, dans cette recherche, la cour de
Lyon, jugeant le 3 août 1848, que la promesse d’ac
cepter la lettre de change contenue dans une correspon
dance adressée au tireur, ne formait point contrat entre
le porteur et le tiré ; que dès lors elle peut être révo
quée par celui-ci, alors qu’il a appris que la solvabilité
du tireur devient de plus en plus douteuse L
Mais si la promesse équivaut à l’acceptation , même
faite par lettre missive adressée au tireur, le bénéfice en
est acquis au porteur, seul intéressé à s’en prévaloir. Le
tiré n ’a ni le droit, ni la possibilité de la rétracter, pas
plus que s’il l’avait donnée sur la lettre de change ellemême, à laquelle on incorporerait la lettre missive qui
en serait le complément.
En réalité donc, et malgré que le tiré n’ait jamais
contracté avec le porteur, c’est envers lui qu’il serait
principalement engagé, à tel point qu’il devrait payer
1 J.
du P., 2 ,1 8 4 8 , 457.
�art.
121, 122, 123.
345
alors même que le tireur eût été déclaré en faillite le
lendemain de la réception de la lettre. Nouveau motif
pour repousser un système conduisant à de telles con
séquences.
3 3 0 . — L’acceptation ne peut ni avancer, ni retar
der l’échéance de la lettre de change h En conséquence,
sa date est fort indifférente ; on n’avait donc pas à s’en
préoccuper.
Aussi la loi ne l’exige-t-elle que dans une hypothèse,
lorsque la lettre est payable à un certain temps de vue.
Alors, en effet, la date de l’acceptation n’est pas seule
ment utile, elle est encore indispensable. L’échéance de
la lettre de change est indéterminée, elle ne sera ac
quise qu’après l’expiration de jours ou mois stipulés de
puis sa présentation.
Il faut donc qu’il conste de celle-ci. Or, comme elle
résulte forcément de l’acceptation, il convenait de dater
cette acceptation devenant le point de départ du délai de
l’échéance.
L’absence de cette date laisserait la lettre de change
sans exigibilité déterminée, mais elle ne produirait d’au
tre effet que d’obliger le porteur à la présenter de nou
veau et à obtenir le visa du tiré ou de l’accepteur. A dé
faut, le délai courrait de la date de la lettre de change.
L’article 4SB n ’exige pas la date de ce visa, parce
que l’hypothèse qu’il prévoit et l’observation de sa près-
�*
346
DE
LA
LETTRE
DE
CH AN G E.
cription rendaient inutile non seulement la date du visa,
mais le visa lui-même, puisque la présentation de la
lettre de change que celui-ci a pour objet de constater
résultera invinciblement de l’acceptation dont la date
précisera l’époque.
Mais autre chose est l’acceptation , autre chose le
visa. La première peut ou non être requise par le por
teur, accordée ou refusée par le tiré ; le second est obli
gatoire pour le porteur, puisque son absence laisserait
la lettre de change sans exigibilité.
Il n’est ni dans les usages, ni dans les convenances
du commerce que le tiré refuse de viser la lettre, mais
on n’a aucun moyen de l’y contraindre ; s’il l’accorde,
il doit dater le vu qui, nous l’avons dit, ne constitue pas
l’acceptation, qui peut, dans tous les cas, être suivi des
mots : sans accepter, S’il refuse, la lettre doit être pré
sentée par huissier, qui constate le refus, et dont le
procès-verbal, équivalant au visa, fait courir le délai
d’exigibilité.
L’acceptation rend inutile le visa ultérieur, mais ce
lui-ci ne produit pas le même effet à l’égard de l’accep
tation. Le porteur, qui avait d’abord cru ne pas devoir
la requérir, peut changer d’avis ; or, son droit à ce su
jet ne saurait être contesté ; mais, dans ce cas, la date
de l’acceptation n’a plus aucune importance, car le point
de départ du délai stipulé est déjà irrévocablement fixé
par celle du visa préalablement apposé.
Ainsi, l’acceptation sur les lettres de change payables
à un certain temps de vue doit être datée, si elle est
�ART. 121, 122, 123.
347
donnée avant tout visa ; elle peut ne pas l’être, si cette
dernière formalité a déjà été accomplie.
2 2 1 . — La date de l’acceptation et celle du visa
font foi contre les tiers ; elles sont l’une et l’autre dis
pensées des conditions dont l’article 1328 du Code civil
fait dépendre la certitude de la date des actes sous seing
privé.
Toutefois, leur autorité peut être détruite par la preuve
contraire, que les intéressés sont recevables et fondés à
proposer et à faire admettre. Ainsi les endosseurs poursaient prouver par témoins que la date indiquée est si
mulée dans le but de relever le porteur de la déchéance
de protêt en temps utile K
222. — Nous venons de dire que l’absence de date
à l’acceptation ou au visa laissait la lettre de change sans
délai d’exigibilité. L’article 122 n’a pas sanctionné cette
conséquence, il fait dans ce cas courir ce délai de la
date même de la lettre de change, quelle que soit d’ail
leurs la distance entre le lieu où elle est créée et celui où
elle doit être présentée.
M. Horson se demande si, dans cette hypothèse et
faute de protêt dans les vingt-quatre heures de l’expira
tion du délai, le porteur sera déchu de tout recours, ou
admis à prouver l’époque réelle de l’acceptation ? C’est
i Pardessus, Droit comm-, n° 368 Cass., 21 mars 1821.
�548
DE LA LETTRE DE CHANGE.
contre le porteur que M. Horson se prononce, avec une
certaine hésitation cependant K
Nous ne voyons pas comment il serait possible de le
décider autrement. L’article 122 a un caractère excep
tionnel incontestable, il valide une lettre de change que
l’article 110 convertirait en simple obligation.
Celui-ci, en effet, exige qu’on indique l’époque du
payement. En conséquence, si la lettre est à un certain
temps de vue, ce qui précisera cette époque, ce sera uni
quement la date du visa ou de l’acceptation. L’omission
de cette date laisse la lettre de change sans indication
de l’époque du payement, et lui enlève une des condi
tions de sa régularité.
Donc, sans l’article 122, la lettre de change serait ir
régulière. De là cette conséquence que cet article, créant
une exception, doit être renfermé dans les limites qu’il
a lui-même posées. Dépasser ces limites, ce serait vio
ler le principe qu’en matière d’exceptions, tout étant
de droit étroit, on ne saurait ni les étendre, ni les mo
difier.
Sous un autre point de vue, le résultat est le même.
L’article 122 crée l’obligation et la clause pénale qui lui
sert de sanction. Or, comment permettrait-on pour une
clause pénale légale ce qui est souverainement interdit
à l’endroit de la clause pénale conventionnelle. La jus
tice, qui doit respecter celle-ci, pourrait anéantir l’au
tre !
i N«* 71 et suiv.
�ART. 121, 122, 123.
349
Enfin, dans l’hypothèse qui nous occupe, la preuve
offerte porterait sur une des conditions essentielles pour la
régularité de la lettre de change. Le principe général,
quant à ce, est que chacune de ces conditions doit être
établie par écrit, ce qui résulte de l’article 110.
Ainsi, on ne serait pas admis à prouver par témoins
l’époque du payement sur laquelle la lettre a omis de
s’expliquer. Pourquoi le serait-on dans le cas qui nous
occupe. Il est vrai que le résultat est différent, mais
cette différence l’article 122 l’autorise et la crée. Raison
décisive pour qu’on ne puisse aller au-delà de sa dis
position.
2 2 5 . — Une autre difficulté plus grave est dans le
cas de surgir de l’article 122. La date de l’acceptation
devra-t-elle être de la main du tiré.
Nous disions tout à l’heure que pour la régularité de
l’acceptation la loi n’exige que la signature. De là nous
avons conclu que l’acceptation pouvait être écrite par
tout autre que le tiré ; que le bon ou approuvé exigé
par l’article 1328 du Code civil n’était pas obligatoire ;
enfin, que la signature, isolée de toute autre énoncia
tion, n’en constituait pas moins l’acceptation.
Comme conséquence, nous admettrons que la signa
ture du tiré, précédée d’une acceptation écrite et datée
d’une autre main, serait régulière et commanderait la
confiance pour la date comme pour l’acceptation ellemême.
�350
DE LA
LETTRE DE CHANGE.
3 3 4 . — Mais la difficulté naîtrait si le mot accepté
ou vu étant écrit de la main du signataire, la date est
d’une autre main. Que devrait-on statuer ?
Il nous semble que la réponse est ici une conséquence
du fait lui-même. Il y a dans celui-ci une certitude qu’au
moment de l’acceptation la date avait été oubliée, qu’elle
a été mise après coup et à une époque qu’il est impos
sible de préciser.
Dès lors aussi l'application de la clause pénale de
l’article 122 était pour tous un droit acquis, il ne dé
pendait plus de personne d’en enlever le bénéfice. Il est
évident que valider dans cette circonstance la date écrite
d’une main autre que celle de l’accepteur, ce serait per
mettre le résultat contraire et déshériter les endosseurs
de la protection que la loi leur accorde. Le délai de re
cours n’expirerait jamais, ou du moins serait laissé à la
discrétion du porteur qui pourrait le faire revivre par
la date qu’il mettrait à l’acceptation.
Le même inconvénient, objectera-t-on, peut se pro
duire dans le cas où l’accepteur n’ayant apposé que sa
signature, l’acceptation est écrite et datée par une main
autre que la sienne. Cela est vrai, et cependant nous ve
nons de voir que dans cette hypothèse la sincérité de la
date est présumée.
Cette différence de solution s’explique par celle qu’on
remarque dans chaque hypothèse. Dans cette dernière,
l’acceptation et la date ne font qu’un seul tout. La loi a
dû s’arrêter à la forme et s’abstenir de diviser ce qui
était indivisible. Elle admet donc la date, mais elle per-
�ART.
121, 122, 123.
331
met de l’attaquer et d’en prouver la fausseté, c’est ce
que nous avons établi. Elle ne pouvait et ne devait que
se prononcer ainsi.
Dans la première hypothèse, au contraire, la certi
tude d’une date mise après coup est acquise. On ne com
prendrait pas que celui qui a écrit l’acceptation n ’eût
pas écrit la date, il y a donc eu oubli de sa part. En
l’état, comment admettre qu’on a pu suppléer à cet ou
bli autrement que par le mode indiqué par l’article 122?
On aurait pu, il est vrai, admettre le porteur à prouver
la réalité de la date, mais nous avons déjà dit que des
considérations décisives ont dû faire proscrire cette
preuve.
En résumé donc, lorsque l’acceptation et la date sont
de la même main, rien n’indique a priori qu’il y ait
une fraude, mais on pourra prouver cette fraude, et
dans ce cas seulement l’article 122 deviendrait applica
ble dans sa dernière disposition.
Lorsque, au contraire, l’acceptation et la signature
sont d’une main, et la date d’une autre, il y a preuve
que dans l’origine celle-ci avait été omise. On doit donc
la considérer comme si elle n’avait jamais existé, et l’ar
ticle 122 devient l’unique arbitre des droits des parties.
3 £ 5 . — Nous avons vu que le tiré peut accepter en
indiquant pour le payement un domicile autre que le
sien, l’article 123 l’oblige, dans ce cas, d’indiquer d’une
manière précise le domicile où le payement devra s’opé
rer ou les diligences suivies.
�582
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Cette indication par ie tiré constitue une véritable élec
tion de domicile commercial à raison de la traite accep
tée l, De là les conséquences suivantes :
1° On peut l’assigner devant le tribunal du lieu indi
qué, comme il pourrait l’être devant celui dans l’arron
dissement duquel la lettre était tirée, quand même il
aurait depuis changé de domicile2 ;
2° L’assignation ne devrait pas être donnée avec les
délais des distances calculées sur le domicile réel3.
A défaut de précision dans l’indication du tiré, il est
légalement procédé aux lieux indiqués par la lettre de
change.
ART.
124.
L’acceptation ne peut être conditionnelle ; mais elle
peut être restreinte quant à la somme acceptée.
Dans ce cas, le porteur est tenu de faire protester la
lettre de change pour le surplus.
ART.
425.
Une lettre de change doit être acceptée à sa présen1 Cass., 4 février 1808.
2 Paris, 11 ju ille t 1810.
3 P aris, 26 novem bre 1808.
�talion, ou, au plus tard, dans les vingt-quatre heures
de la présentation.
Après les vingt-quatre heures, si elle n’est pas rendue
acceptée ou non acceptée, celui qui l’a retenue est pas
sible de dommages-intérêts envers le porteur.
SOMMAI RE
226.
227.
228.
229.
230.
231.
232.
233.
234.
235.
236.
237.
238.
239.
240.
241.
Objet que se propose la défense d ’accepter conditionnelle
ment.
Equitable sagesse de la prohibition.
A quels caractères reconnaîtra-t-on l’acceptation pure et
simple.
Exemples divers.
Nature de l’acceptation pour payer à moi-même.
Sa validité enseignée par l’ancienne jurisprudence, adoptée
par Merlin depuis le Code.
Opinion contraire deM. Emile Vincens. Réfutation.
Autre reproche fait d la solution de Pothier et Merlin.
Examen et réfutation.
L’acceptation pour payer à qui sera dit par justice est
pure et simple.
L’acceptation peut être restreinte quant à la somme. Ca
ractères qu’elle doit avoir.
Obligations qu'elle impose au porteur. Conséquences.
Quel est le sort de l ’acceptation conditionnelle ? Est-elle
nulle pour le tout ou seulement pour la condition ?
Arrêt de la cour de Paris jugeant dans le premier sens.
Résumé.
Quand doit être donnée l’acceptation?
L’heure de la remi e comme la remise elle même peuvent
être prouvées par témoins.
i — 23
�354
242.
243.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Quel est l’effet du refus de restituer la traite après l ’expi
ration du délai de vingt-quatre heures?
Obligations de celui qui se prévaut de ce refus ; il doit
prouver d’abord le refus, ensuite le préjudice.
■
f
. .
8 8 0 . — L’acceptation étant une garantie de plu»
pour le payement de la lettre de change qui en est re
vêtue, son existence en facilitera singulièrement la négo
ciation. Il importait dès lors de veiller à sa sincérité,
d’empêcher que, par des expressions plus ou moins fal
lacieuses, l’apparence sous la foi de laquelle on avait
traité s’évanouît, entraînant avec elle la garantie espé
rée, et de prévenir ainsi des fraudes pouvant gravement
préjudicier au commerce.
C’est dans ce but que l’ordonnance de 1673 avait
prohibé certaines locutions, comme pouvant tromper les
personnes peu expérimentées, telle que : vu sans accep
ter-, ou accepté pour répondre à temps. L’acceptation
devait être dégagée de toute condition de nature à en
modifier le sens ou à en détruire les effets.
Les auteurs du Code de commerce imitèrent leurs de
vanciers, l’article 124 déclare que l’acceptation ne peut
être conditionnelle.
8 8 Ï . — En elle-même, cette règle est équitable et
rationnelle à l’égard du porteur. Lorsque, en donnant
la valeur, il s’est chargé de la lettre de change, il a ac
quis le droit, non seulement au payement, mais encore
à l'acceptation, qui était une garantie de celui-ci ; ce
�art.
124, 123.
335
droit ne pouvait pas plus être modifié pour l’acceptation
que pour le payement ; cello ci devait être pure et sim
ple comme le doit être celui là. On aurait donc méconnu
son intention et violé le contrat, si on l’eût contraint à
accepter soit les modifications que le tiré apporterait au
mode, au lieu, à l’époque du payement delà lettre, soit
toutes autres prétentions subordonnant la validité de
l’acceptation à un événement futur et incertain.
Ce n’est pas là une acceptation dont doive , dont
puisse se contenter le porteur. En effet, il n’est pas seul
intéressé à la lettre de change. Chacun des précédents
propriétaires, exposé à un recours, a un même recours
à exercer contre son cédant ; il faut pour cela que les
choses soient encore entières, et elles ne le sont plus, si
le tiré a modifié les clauses de la lettre de change ou
substitué un droit conditionnel au droit absolu d’obte
nir l’acceptation. Aussi, est-il certain que le porteur qui
y aurait consenti l’aurait fait à ses risques et périls, et
se serait exposé à perdre tout recours contre les endos
seurs, et quelquefois même contre le tireur.
3 3 8 . — Aucun doute donc ne saurait exister. A
l’endroit du porteur, il n’y a acceptation valable que si
elle est pure et simple ; à quelles conditions lui reconnaitra-t-on ce caractère ?
L’acceptation sera pure et simple toutes les fois que
l’obligation de payer au terme convenu résulte clairement
de l’engagement du tiré ; toutes les fois que sa réponse
implique l’existence d’une provision actuelle ou un cré-
�356
DE LA LETTRE DE CHANGE
dit définitivement consenti jusqu’à concurrence du mon
tant de la lettre de change.
Que si, au contraire, le tiré change le lieu, l’époque
du payement ; si la réponse exclut toute idée de provi
sion actuelle, s’il subordonne son obligation à la réali
sation future de la provision, il n’y a pas d’acceptation.
Dans ce dernier cas surtout, elle n’aurait effet que si à
l’échéance la provision existait, ce qui est une condition
véritable et rentre par conséquent sous l’application de
l’article 124.
8 3 » . — Comme application de ce qui précède ,
M. Pardessus invoque les deux exemples que voici :
1° j’accepte pour payer, pourvu que le tireur fasse pro
vision ; 2° j’accepte pour payer, sous toutes réserves
contre le tireur qui n’a pas fait provision, ou à qui je
ne dois rien.
La première formule constitue évidemment une ac
ceptation conditionnelle, mon obligation se trouvant su
bordonnée à la réalisation de la provision, à défaut de
laquelle elle ne saurait produire aucun effet.
La seconde, au contraire, renferme une acceptation
pure et simple. Le tiré y contracte l’obligation de payer
sans restriction, ni condition aucune ; les réserves qu’il
fait contre le tireur ne sont d’aucune importance ; elles
sont si peu de nature à infirmer la promesse de paye
ment, qu’elles ne pourront être réalisées qu’après ce
payement lui-même ; elles en supposent donc formelle-
�ART.
124, 125.
357
ment la pensée et l’intention, loin de les exclure ou de
les modifier.
L’arrêt de la Cour de cassation, du 4 juillet 1843,
que nous citions tout à l’heure, nous fournit un nouvel
exemple d’acceptation conditionnelle. Le tiré à qui des
valeurs sont envoyées en compte courant, comme provi
sion à une traite fournie sur lui, qui en crédite le tireur
sauf rentrée, et qui accepte la traite pour payer par le
crédit du tireur, ne s’engage à payer que si à l’échéance
les rentrées par lui opérées lui ont procuré provision
suffisante. L’acceptation dépend de l’existence de cette
provision ; elle est donc réellement conditionnelle, et se
place ainsi sous le coup de la prohibition de notre arti
cle 1Ü4.
3 3 0 . — Au reste, les restrictions que l’accepteur
met à son obligation ne rendent l’acceptation condition
nelle qu’en tant qu’elles proviennent du fait du tireur
et se réfèrent à des circonstances qui lui sont personnel
les. Dès lors, si ces restrictions se rapportent à des pré
tentions que le tiré ou tous autres prétendent avoir à
exercer contre le porteur, l’acceptation ne laissera pas
que d’être pure et simple à l’égard du tireur et des en
dosseurs.
Ainsi, le tiré à qui une traite est présentée et qui a
provision veut l’accepter, mais, créancier lui-même du
porteur, il entend compenser ce qui lui est dû avec son
acceptation elle-même, il inscrit donc sur la lettre cette
�358
DE LA LETTRE DE CHANGE
formule : accepté pour payer à moi-même. Celte ac
ceptation est-elle ou non conditionnelle ?
* 3 1 . — La négative était enseignée par l’ancienne
doctrine, mais à condition que celui à qui la lettre est
adressée fût créancier d’une somme actuellement cer
taine, ou qui puisse être promptement rendue certaine
et quelle soit échue ; dans ce cas, on ne peut l’empê
cher d’accepter la lettre de change p o u r p a y e r a s o i m é m e par compensation, et le porteur ne peut avoir
son recours contre celui qui en a donné la valeur 1.
Dupuis ne fait même aucune distinction, il décide de
même, que le tiré soit créancier du porteur actuel ou de
tout autre porteur précédent.
Pothier ne va pas jusque-là, et il prouve ainsi qu’il
apprécie plus justement le caractère et la nature de la
transmission d’une lettre de change ; mais il embrasse
entièrement l’avis de Dupuis, lorsque la créance du tiré
concerne le porteur actuel.
« Ce n’est point une acceptation conditionnelle, ditil, lorsque, étant créancier du propriétaire de la lettre de
change, je mets au bas de cette lettre : accepté pour
payer à moi-même, pourvu que ma créance soit d’une
somme liquide, qu’elle soit échue ou doive échoir au
temps de l’échéance de la lettre. Le refus que je lui fais,
par cette espèce d’acceptation, de lui faire un payement
réel, étant un refus qui procède de ce qu’il est mon déi Dupuis de la Serra,
L'Art des lettres de change, chap. v u .
�art.
124, 125.
359
biteur, et par conséquent qui procède de son fait, ne
peut donner lieu à aucun recours contre le tireur *. »
Cette doctrine n’était contestée par personne avant la
promulgation du Code ; dès iors celui-ci n’ayant rien
changé, rien innové en cette matière, la conclusion qu’on
devrait en tirer, c’est que ce qui était légal et régulier
autrefois n’a pas cessé de l’être aujourd’hui. Telle est,
en effet, la conséquence que M. Merlin adopte et en
seigne 2.
333.
— Mais l’avis contraire a des partisans ; il est
notamment enseigné par M. Emile Vincens. Si de l’ac
cepteur au porteur, dit cet honorable jurisconsulte, le
premier, pour s’assurer la compensation, s’avisait d’ac
cepter payable à so i-m ê m e , chose aujourd’hui très rare
ment essayée, ce serait une acceptation conditionnelle,
et je ne doute pas que le porteur n’eût le droit de faire
protester, et n’eût son recours contre ses antécédents, y
compris le tireur3.
M. Vincens résout la question, mais ne la discute pas.
Le seul motif par lequel il complète son opinion est que :
Il n’y a de compensation possible qu’entre deux dettes
exigibles. La lettre de change ne l’est pas. On ne peut
pas forcer le porteur à recevoir payement avant le temps;
donc on ne peut, en droit, prétendre à la compensation
avant qu’elle soit échue.
1 Contrat de change, n° 47.
2 Rép., v» Acceptation des lettres de change, n» 5.
3 T. 2., p. 264.
�560
DE LA LETTRE DE CHANGE
M. Vincens aurait raison s’il s’agissait d’une compen
sation à réaliser hic et nmc. Elle ne serait ni légale ni
possible, l’une des deux dettes au moins ne se trouvant
pas échue.
Mais accepter pour payer à soi-même est moins une
compensation, que l’annonce de l’intention de com
penser plus tard. Il faut donc, pour juger de la légalité
de la compensation, s’en référer au moment de l’é
chéance, et c’est ce qu’enseigne très judicieusement Po
thier.
Jusque-là, d’ailleurs, le tiré n’a rien à payer. Ce qu’on
lui demande, c’est de savoir s’il a provision et s’il payera
à l’échéance, demande qu’il résout affirmativement pour
la provision et pour le payement, en ajoutant qu’il réa
lisera celui-ci par*la compensation.
Comment donc, en cet état, admettre un recours du
porteur contre le tireur. A cette prétention ce dernier ne
manquera pas de répondre : Que pouvez-vous exiger de
moi ? La loi m’obligeait de faire provision et je l’ai faite ;
j’étais tenu de vous procurer l’acceptation et je vous l’ai
procurée. Je ne vous dois plus rien jusqu’à l’échéance,
en cas de défaut de payement. Faudrait-il que par un
fait qui vous est exclusivement personnel, je fusse con
damné à faire une seconde fois provision ou à vous
donner une garantie malgré l’acceptation que le tiré a
déjà accordée. Si sa prétention est injuste, faites la con
damner, mais c’est là un litige auquel je dois forcément
rester étranger.
Nous avons donc raison de le d ire, l’opinion de
�ART.
124, 125.
561
M. Vincens n ’a aucun fondement. Dans une acceptation
comme celle qui nous occupe, la compensation n’est à
réaliser qu’à l’échéance. Jusque-là les choses restent ce
qu’elles étaient, il ne peut donc pas être question de
forcer le porteur à recevoir son payement avant terme,
pas plus, dirons-nous, que de contraindre le débiteur à
payer avant l’échance.
333. — On a fait à la solution de Dupuis, Pothier
et Merlin un autre reproche, à savoir : de méconnaître
les principes du commerce. En effet, a-t on dit, elle pa
ralyse l’effet entre les mains du porteur, car il est bien
évident qu’une traite revêtue d’une acceptation sembla
ble ne peut plus être négociée, puisque le cessionnaire
n’aurait rien à exiger du tiré. Ce serait donc changer la
destination naturelle des effets de commerce, qui est la
circulation.
Au surplus, l’accepteur ne s’oblige-t-il pas non seule
ment envers le porteur actuel, mais encore envers les
porteurs successifs ? Comment admettre alors qu’il puisse
apposer à son acceptation des conditions qu’il ne pour
rait opposer qu’au porteur actuel ? Un pareil système
conduirait à des résultats illogiques.
La compensation paralyse la circulation de l’effet 1
Cette proposition n’a rien d’absolu, elle peut même être
dénuée de vérité. Sans doute la traite revêtue d’une ac
ceptation pour payer à soi-même sera d’une négocia
tion plus difficile, mais elle ne laisse pas que d’exister
légalement jusqu’à l’échéance. On pourra même la né-
�362
DE LA LETTRE DE CHANGE.
gocier, soit que le porteur jouisse d’un crédit tel que sa
signature sera considérée comme une garantie suffisante,
soit qu'il prenne l’engagement de payer avant l’échéance
ce qu’il doit au tiré et de rendre ainsi la provision à sa
destination primitive.
La négociation est donc possible. Ne le fût-elle pas,
que le reproche qu’on fait à notre système n’en serait
pas moins mal fondé, car il ne s’oppose en rien au but
naturel des effets commerciaux, à la circulation. Cette
circulation a des bornes légitimes, elle cède surtout de
vant l’extinction par un payement pouvant être offert et
accepté avant l’échéance.
L’effet résultant dans ce cas de la convention des par
ties, la loi l’attache de plein droit à certains actes ; à la
confusion, par exemple. Nous le disions tout à l’heure,
l’effet accepté, qui devient la propriété de l’accepteur par
suite d’une négociation, est définitivement éteint l. Pour
quoi n’en serait-il pas ainsi dans le cas qui nous
occupe? Celui qui, au moyen d’un effet de commerce se
libère d’une dette légitime, n’a-t-il pas recueilli tout ce
qu’il pouvait se promettre de cet effet ? Voilà ce qui se
rait illogique, d’autant plus qu’on ne fait que lui appli
quer la loi qu’il a d’avance acceptée. En effet, s’il répu
gnait tant à l’emploi qu’on affecte à la traite qu’il a en
mains, pourquoi ne l’a -t-il pas négociée avant de la
présenter à l’acceptation chez celui qu’il savait être son
créancier ?
�ART.
124, 125.
563
Mais, dit-on, l’accepteur ne s’oblige-t-il pas non seu
lement envers le porteur actuel, mais encore envers les
porteurs successifs ? Oui, répondrons-nous, excepté dans
le cas qui nous occupe. Les termes de l’acceptation ne
permettent pas le doute, ils indiquent par la compensa
tion qu’ils annoncent qu’on ne payera à nul autre qu’au
porteur lui-même.
Telle est la véritable signification de l’acceptation pour
payer à soi-même ; personne ne peut s’y tromper. Dès
lors celui qui, après avoir consulté le titre sur lequel est
inscrite cette acceptation, en devient le cessionnaire, le
fait à ses risques et périls, et n’a jamais à recourir que
contre son cédant.
Vainement s’adresserait-il à l’accepteur. Celui-ci lui
répondrait avec raison : J ’ai fait connaître mon inten
tion d’opposer la compensation ; j’ai eu soin de l’ex
primer sur le titre même, vous n’avez donc pu l’ignorer,
vous n’êtes dès lors pas le porteur de bonne foi qui
n’est passible que des exceptions qui lui sont personnel
les. Vous êtes en réalité le cédant lui-même, vous ne
sauriez avoir plus de droits qu’il n’en aurait lui-même.
En conséquence, je puis vous refuser le payement que
vous réclamez, comme je le lui aurais refusé à lui per
sonnellement. Donc, en fait et en droit, l’argument ne
saurait avoir de portée sérieuse.
Ainsi, il y a acceptation pure et simple dès que du
chef du tireur il ne s’élève ni difficultés ni restrictions.
Lorsque les réserves du tiré sont uniquement relatives
au porteur, il doit s’en défendre à ses risques et périls.
�364
DE LA LETTRE DE CHANGE
On ne saurait lui reconnaître le droit de recourir contre
le tireur. Tel est essentiellement le caractère de l’accep
tation pour payer à soi-même. Concluons donc avec
Dupuis, Pothier et Merlin qu’on ne saurait la considé
rer comme conditionnelle l.
8 3 4 . — On le déciderait de même lorsque, dans le
cas où une saisie arrêt entre les mains du tiré ayant
été pratiquée par des créanciers du porteur, le premier
accepte pour payer à qui sera dit par justice. Il y a
encore ici empêchement imputable au porteur justifiant
la restriction adoptée par le tiré.
D’une part, en effet, celui-ci croit ne pouvoir refuser
l’acceptation soit qu’il ait provision, soit qu’il fasse cré
dit au tireur avec lequel il peut s’être entendu. Mais,
d’autre part, une acceptation pure et simple l’obligerait
de payer, même au mépris de la saisie faite entre ses
mains, et dont le maintien l’exposerait à payer deux
fois. Dès lors, il a pu et dû dans cette éventualité, et
pour éviter le préjudice qu’il en éprouverait, accepter
dans les termes que nous venons d’indiquer. Ce qui en
résultera, ce sera d’obliger le porteur à se défendre con
tre les tiers saisissants, et, cet obstacle levé, le payement
intégral de la lettre de change ne saurait lui être refusé
par l’accepteur.
3 3 5 . — L’acceptation par une exception au prin-
i Pardessus, Droit comm., n° 372. Nouguier, 1 .1, p. 234.
�art.
124-, 125.
565
cipe, qui ne l’admet que pure et simple, peut être res
treinte quant à la somme. En effet, le tiré peut n’être
détenteur ou débiteur que d’une somme ou valeur moin
dre que le montant de la lettre de change. Cette circons
tance l’autoriserait à ne pas accepter. Cependant, dans
un sentiment d’équité, il préférera déclarer la vérité et
indiquer qu’il est prêt à payer ce qu’il doit.
Ce n’est pas là évidemment une acceplation pure et
simple. Donc, en vertu du principe général, le porteur
ne pouvait s’en contenter, et était tenu de faire le protêt
et de renoncer par là à tous droits sur la somme dé
clarée. C’est ce que la commission chargée du projet du
Code avait cru devoir expressément consacrer.
Mais cette disposition excita de nombreuses et vives
réclamations, on la trouvait inutile et injuste. On ne
ne voit pas pourquoi, disait-on, celui qui se croyant
créancier pour une somme de 1000 fr. aurait tiré pour
cette somme, alors qu’il ne lui en était dû que 500, ne
pourrait pas disposer au moins de ces 500 fr.? Pour
quoi le débiteur ne pourrait pas accepter jusqu’à con
currence ? De pareilles prohibitions, sans objet réel, ne
feraient que gêner le commerce. Qu’une accceptation
restreinte, disait notamment la cour de Riom, n’empê
che pas les poursuites contre le tireur et les endosseurs,
cela peut être ; mais que l’engagement de l’accepteur
envers le porteur demeure sans effets pour la somme à
laquelle il est restreint, c’est ce qui serait injuste.
Ces observations l’emportèrent au conseil d’Etat, qui
�366
DE LA LETTRE DE CHANGE
sanctionna dans l’article 124 le contraire de ce que la
commission demandait.
Il en est de l’acceptation restreinte, comme de l’ac
ceptation pure et simple, elle doit être formelle, écrite,
et signée par l’accepteur. On ne saurait donc la faire
tacitement résulter ni de la réponse faite au protêt ré
digé pour le surplus, ni du refus que le tiré aurait fait
d’accepter sur le motif qu’il n’a en mains pour le compte
du tireur qu’une somme intérieure au montant de la
traite, et non liquide l.
Il en serait autrement si le tiré déclarait la somme
dont il est débiteur et pour laquelle il est prêt à accep
ter, pourvu que cette réponse fût signée par lui.
33© . — Ainsi donc, l’acceptation restreinte quant
à la somme est valable, mais elle impose des obligations
au porteur, notamment celle de faire protester pour le
surplus. C’est ce que reconnaissaient ceux qui firent in
troduire cette acceptation et qui en soutenaient la légi
timité. C’était là à leurs yeux un corollaire indispensa
ble pour compléter le système. Fallait-il bien en effet
régler dans son entier le sort de la lettre de change, sur
tout celui de la partie de la somme non acceptée. On
soutenait dès lors que le défaut de protêt devait enlever
tout recours du porteur contre les endosseurs et contre
le tireur lui-même au besoin.
Delà l’article 124, déclarant le porteur tenu de faire
�A RT.
124, 125.
367
protester la lettre de change, mais jusqu’à concurrence
de la somme non acceptée, 'pour le surplus, dit la loi,
de sorte que pour la somme acceptée on considère l’ac
ceptation comme acquise et obligatoire pour tous.
De cette disposition nous déduisons les deux consé
quences suivantes :
1° L’acceptation restreinte quant à la somme se dis
tingue de l’acceptation conditionnelle en ce qu’elle est
libératoire pour les débiteurs, tandis que celle-ci ne
saurait créer jamais aucun lien pour le porteur. Pou
vant considérer celle-ci comme non avenue, il n’a pas
la même faculté pour celle-là, dont le bénéfice est acquis
aux endosseurs et au tireur, le protêt fait pour la tota
lité de la somme se trouverait réduit sur leur demande
à la partie de la somme non acceptée. La caution ne
pourrait donc être exigée que pour cette partie ;
il
2° Le protêt pour le surplus n’est pas facultatif, le
porteur qui aurait omis de le requérir perdrait son re
cours contre les endosseurs, et même contre le tireur,
si celui-ci prouvait que malgré son dire le tiré avait
provision suffisante. Restreindre l’acceptation, c’est ap
porter au contrat une modification que les intéressés
doivent connaître, soit pour la faire rejeter, soit pour
poursuivre les sûretés que la loi permet de requérir. Le
porteur peut bien abandonner son droit, mais non dis
poser de celui d’autrui, et si l’abandon qu’il fait en
traîne la perte de celui-ci, cette perte demeurerait à sa
charge exclusive.
Kl
;S
�368
DE LA LETTRE DE CHANGE
3 3 * . — On pourrait reprocher au Code de com
merce de n’avoir pas assez expliqué sa pensée sur le
sort de l’acceptation conditionnelle. Est-elle nulle pour
le tout, ne l’est-elle que pour la condition? C’est ce que
rien ne décide d’une manière formelle.
L’ordonnance de 1673 était beaucoup plus explicite,
elle ne se contentait pas d’abroger les acceptations con
ditionnelles. Elle ajoutait : qu’elles 'passeraient pour
refus, et pourront, les lettres, être protestées.
Malgré le silence gardé à cet égard, l’esprit de notre
législation a été de consacrer ce que la précédente avait
admis, seulement ce qui résultait explicitement de celleci n’est plus aujourd’hui qu’une déduction implicite. De
ce que l’article 124 ne permet pas que l’acceptation soit
conditionnelle, il faut en conclure qu’aux yeux de la loi
il n’y a de véritable acceptation que celle qui est pure
et simple.
Ainsi, aujourd’hui l’acceptation conditionnelle ne sau
rait être opposée au porteur, ni l’empêcher de requérir
le protêt et d’exercer son recours contre le tireur et les
endosseurs ; elle ne peut le lier que s’il accepte formel
lement la proposition qui lui en est faite.
Mais, à l’égard du tiré , l’article 124 ne lui enlève
rien de cette liberté absolue dont il est investi par la rai
son et par la loi ; il peut ne pas accepter, ou s’il accepte
il a la faculté de mettre à cette acceptation toutes les
conditions qu’il croira convenables ou utiles. On ne
pourra jamais diviser contre lui l’acceptation et les con-
�ART.
124, 12 5 .
369
ditions. Le rejet de celles-ci entraînera forcément la ré
tractation de celle-là.
On a quelquefois contesté ce principe, mais les tribu
naux ne sa sont pas laissés entraîner jusqu’à le mécon
naître ; ils ont pu varier sur le caractère de l’accepta
tion, sur les effets de l’acceptation conditionnelle ja
mais.
2 3 8 . — La cour de Paris était appelée à appliquer
le principe, le 31 mars 1838, dans l’espèce suivante :
Un commerçant sur lequel des traites étaient tirées
les avait acceptées, pour payer à l’échéance sur telles
fournitures à faire dans tel mois. Poursuivi en paye
ment à l’échéance, il déclare n’avoir reçu des fournitu
res dans le mois indiqué que pour une somme détermi
née qu’il offre de payer, il ajoutait que son acceptation,
faite sous conditions, devait être prise telle qu’elle était,
ou rejetée pour le tout.
Le porteur soutenait au contraire que l’obligation de
payer était expressément formulée, qu’elle devait donc
sortir à effet ; qu’on ne pouvait même lui opposer la
condition qui y avait été apposée. Ce système est admis
et consacré par le tribunal de commerce.
Mais, sur l’appel, le jugement est réformé.
« Attendu qu’en acceptant les deux traites, Richard a
énoncé qu’il les payerait à leurs échéances sur les four
nitures à faire dans le mois d’août suivant ;
« Que cette acceptation, ainsi faite dans une forme
inusitée, annonçait l’intention formelle de ne payer que
i — 24
�370
DE LA LETTRE DE CHANGE
sur les fournitures qui seraient faites, et par conséquent
dans le cas seulement où elles seraient effectuées; qu’ai nsi
la promesse de payer, étant subordonnée à un événement
futur et incertain, ne constituait qu’une acceptation con
ditionnelle ;
« Attendu que si l’acceptation conditionnelle peut
être prise pour refus et donner lieu à un protêt faute
d’acceptation lorsque la traite est présentée par le por
teur au tiré, il ne s’ensuit pas que cette acceptation
puisse être séparée de la condition qui y a été apposée,
pour en induire une acceptation pure et simpleL »
En fait et en d ro it, cet arrêt est irréprochable. Il se
rait inique que le tiré, qui, pour sauvegarder ses inté
rêts aurait mis une condition à son acceptation, vit cette
condition repoussée et se trouvât engagé purement et
simplement. La faveur due au porteur ne pouvait aller
jusque-là. Ne suffit—il pas en effet, à son intérêt, de la
faculté de repousser toute condition, de voir dans les ré
serves que se fait le tiré, relatives à un fait futur et in
certain, le refus d’acceptation l’autorisant à faire protes
ter et à recourir immédiatement contre le tireur et les
endosseurs.
£ 3 9 . — En résumé donc, le porteur est libre d’ac
cepter à ses périls et risques les conditions que le tiré
mettrait à son acceptation, mais il peut également les
repousser et les considérer comme refus de payement,
�art.
124, 125.
371
la prétention du tireur ou des endosseurs contre les
quels il recourrait aux termes de l’article 120, de le
forcer de se contenter de l’acceptation conditionnelle,
serait condamnée par l’article 124.
Mais à l’endroit du tiré, le droit de stipuler telle ou
telle condition, sans que jamais on puisse séparer celleci de l’acceptation, est incontestable. La nullité de la
condition entraînerait celle de l’acceptation.
Enfin, l’acceptation restreinte quant à la somme est
valable et obligatoire pour tous. Le porteur n’est receva
ble à protester et à exiger un cautionnement que pour
le surplus.
3 4 0 . — L’acceptation doit être donnée à présenta
tion de la lettre, cette exigence n’a rien de bien sévère.
En effet, l’avis de l’opération est ordinairement donné
au tiré au moment de la création des traites, quelque
fois même avant, dès lors il a eu tout le temps néces
saire pour se fixer sur le parti qu’il a à prendre. Ce
n’est donc pas trop exiger de lui que de lui demander
une résolution immédiate, lorsque ultérieurement les
traites lui seront présentées.
Cependant, il était bon d’aller à toutes fins. L’avis a
pu être omis ou donné tardivement. Des affaires urgen
tes ont pu empêcher l’examen de la position respective,
des renseignements attendus sur la solvabilité du tireur
pouvaient justifier la demande d’un délai. Dans celte
prévision , la loi a cru devoir fixer ce délai, il ne peut
être que de vingt-quatre heures.
�372
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Pendant ce délai, le tiré peut exiger que les traites
soient déposées en ses mains. Le porteur peut il en exi
ger un reçu ? La loi ne s’en explique pas, l’usage est
même contraire, car le tiré accepte ou n’accepte pas et,
dans l’un comme dans l’autre cas, il n’a aucun intérêt
soit à retenir les traites, soit à dénier de les avoir re
çues.
Cependant, la prudence nous parait commander cette
précaution, que doit accompagner celle de l’indication
de l’heure de la remise. On prévient ainsi toutes les
difficultés que pourraient faire naître la question de
savoir si le délai de vingt-quatre heures est ou non
expiré.
£41. — A défaut de reçu de la part du tiré, l’heure
de la remise comme la remise elle-même, en cas de dé
négation, pourraient être établies par toutes sortes de
preuves; et même par témoins, on pourrait également
déférer le serment.
A l’expiration des vingt-quatre heures, le tiré ne
pourrait, sous aucun prétexte, se dispenser de restituer
la lettre de change acceptée ou non. Mais, comme l’ob
serve fort bien M. Horson, son obligation est d’obéir à
la demande en restitution qui lui est faite et non de la
prévenir. En conséquence, si le propriétaire de la lettre
ou son mandataire ne la réclame pas, le tiré n’est pas
tenu de la rapporter, il peut attendre que la réclamation
soit formulée.
�art. 124, 125.
573
8 4 8 . — Quel est l’effet du refus d’obtempérer à
cette réclamation lorsque le délai de vingt-quatre heures
est expiré ?
Sous l’ordonnance de 4673, on considérait comme
une acceptation tacile la rétention de la lettre, sous pré
texte de l’avoir égarée. C’est ce que Jousse nous ap
prend, en rappelant la maxime deScaccia : Acceptatio
enim fit tacite per receptionem et retentionem litterarum. C’est ce que la doctrine enseignait assez géné
ralement ; c’est ce que professait notamment Dupuis de
la Serra.
Le désir de suppléer au silence de la loi et de trouver
une sanction pénale à l’obligation de restituer la lettre
avait quelque peu aveuglé ces jurisconsultes, en les ame
nant à se placer en contradiction flagrante avec l’or
donnance, qui prescrivait que l’acceptation devait être
par écrit.
C’est ce que le judicieux Pothier ne manquait pas de
signaler. De cette disposition de l’ordonnance il tirait
cette conséquence : Nous ne devons pas admettre dans
notre jurisprudence d’acceptation tacite résultant de ce
que celui sur qui la lettre de change est tirée l’aurait
retenue sans écrire au bas aucune acceptation. Néan
moins, s’il paraissait du dol de la part de celui sur qui
la lettre est tirée, qui aurait exprès amusé longtemps le
porteur sous le faux prétexte qu’il l’a adirée, afin de
l’empêcher de se pourvoir contre le tireur pour se faire
par lui donner caution faute d’acceptation, et que pen
dant ce temps le tireur eût fait faillite, celui sur qui la
�374
DE LA LETTRE DE CHANGE.
lettre est tirée, qui a amusé le porteur, serait tenu de
l’acquitter comme s’il l’avait acceptée, mais cette obliga
tion ne naît pas d’une acceptation , n’y en ayant pas
eu ; elle nait de son d o l 1.
C’est-à-dire que c’est à titre de dommages-intérêts
que le payement est ordonné, et cela entrait bien mieux
dans l’esprit et dans le texte précis de l’ordonnance.
Le Code de commerce a pensé comme Pothier, la ré
tention illégitime de la lettre de change ne constituera
jamais l’acceptation devant être écrite et signée, mais elle
pourra motiver contre le tiré une adjudication de dom
mages-intérêts. Mais l’article 125 n’exige pas que la ré
tention soit dolosive, elle suffit, quel qu’en soit le mo
tif, pour obliger son auteur à réparer le préjudice qu’elle
a occasionné. En d’autres termes, la rétention se place
dans la catégorie des faits prévus par l’article 1382 du
Code civil et produit les mêmes effets.
3 4 3 . — En conséquence, celui qui en poursuivra
l’application aura à prouver d’abord le refus de resti
tuer, ensuite l’existence d’un préjudice.
Refus de restituer. — Il résulterait suffisamment de
ce que le moment de la remise établi, le tiré se trouve
rait encore en possession de la lettre de dfttnge, après
plus de vingt-quatre heures.
Mais, nous venons de le dire, le tiré n’est tenu que
d’obéir à l’injonction de restituer. Il faudrait donc, pour
1 C o n tr a i
de ch an ge,
n° 46.
�caractériser la possession illégale du tiré, prouver que
cette injonction lui a été faite. Sans doute cette preuve
peut se faire par témoins, mais la prudence exige une
constatation faisant disparaitre tout doute, et toujours
exécutable. Nous voulons parler d’une sommation ex
tra-judiciaire.
Existence du préjudice. — Le préjudice , en matière
de lettre de change, existe par cela seul qu’il y a eu ré
tention illégitime. On n’a pu disposer de sa chose, ce
qui est un préjudice moral, indépendamment du pré
judice matériel pouvant résulter soit de la variation du
cours du change, soit de la faillite du tireur.
Mais nous admettrons, entre le préjudice moral et le
préjudice matériel, cette différence. A l’égard du pre
mier, la réparation nous paraîtrait devoir être laissée
à l’arbitrage des magistrats, c’est-à-dire qu’elle pourrait
être refusée si réellement le tiré a agi avec bonne foi.
Cette latitude, nous la refuserions pour le préjudice
matériel. Quelle que soit la bonne foi de celui qui l’a
occasionné, il doit en rester chargé. Cette bonne foi ne
saurait surpasser celle de celui qui a été victime. Entre
celui qui souffre et celui qui s’est trompé, même sans le
vouloir, il n'y a pas à hésiter, c’est là une maxime qui
ne cessera jamais d’être vraie.
�576
DE LA LETTRE DE CHANGE.
§ 4.
—
de
l’acceptation par intervention
ART. 1 2 7 .
Lors du protêt faute d’acceptation, la lettre de change
peut être acceptée par un tiers intervenant pour le ti
reur ou pour l’un des endosseurs.
L’intervention est mentionnée dans l’acte du protêt ;
elle est signée par l’intervenant.
art.
127.
L’intervenant est tenu de notifier sans délai son in
tervention à celui pour qui il est intervenu.
art.
128.
i
Le porteur de la lettre de change conserve tous ses
droits contre le tireur et les endosseurs à raison du dé
faut d’acceptation par celui sur qui la lettre était tirée,
nonobstant toutes acceptations par intervention.
SOMMAIRE
244.
245.
Précautions prises pour éviter le protêt faute d’acceptation.
Caractère de l'acceptation par intervention.
�246.
247.
248.
249.
250.
251.
252.
253.
254.
255.
256
257.
258.
259.
260.
Conséquence quant â la nécessité du protêt faute d’accep
tation.
Inacceptation par intervention doit être signée. Ne peut
être conditionnelle ; mais on peut la restreindre quant à
la somme.
Le tiré peut intervenir après avoir refusé d'accepter pour
le tireur.
Le tiré, lorsque la lettre de change est-fournie pour comp
te de tiers, peut-il sans protêt accepter pour le tireur
d’ordre et pour compte.
Arrêt décidant l'affirmative.
Réfutation.
Examen et critique d’un parère produit dans le sens de
l ’arrêt.
Le commerçant indiqué au besoin et le porteur lui-même
peuvent accepter par intervention.
Comment doit-il être procédé dans le cas où plusieurs in
tervenants se présentent.
Obligation pour l’intervenant de notifier son intervention
à celui pour qui il l'a réalisée.
Délai et forme de cette notification.
Nature de l ’acceptation par intervention. Conséquence
pour le recours du porteur contre le tireur el les endos
seurs.
Débats que l ’article 128 a subis.
Effet de l ’intervention à l’endroit de celui pour qui elle a
été réalisée, à l ’endroit de l ’intervenant lui-même.
Effet du caractère de l’acceptation par intervention sur l’o
bligation de celui qui l’a donnée. Ccnséquences vis-à-vis
du porteur.
244. — Le refus d’acceptation donnant lieu à un
protêt, comme celui de payement, est un fait grave pour
�378
DE LA LETTRE DE CHANGE
les signataires de la lettre de change. Indépendamment
du préjudice matériel résultant d’augmentation des frais,
il peut en surgir un grave préjudice moral. Ce déni de
confiance, habilement exploité par des rivaux ou des
jaloux, est dans le cas d’altérer le crédit d’une maison
et de porter une atteinte funeste à son existence com
merciale.
Aussi ne doit-on pas s’étonner du soin que les mai
sons honorables mettent à prévenir les effets de l’un et
de l’autre. Ce n’est pas seulement par la clause de re
tour sans frais qu’elles pourvoiront à ce but. Dans bien
des cas, elles indiqueront sur' le lieu de la présentation
ou du payement des tiers chargés au besoin d’accepter
ou de payer, à défaut par le tiré de faire l’un ou l’autre.
Dans d’autres circonstances, cette indication ne sera
pas même nécessaire. Par une susceptibilité honorable
pour celui qui la conçoit comme pour celui qui en est
l’objet, un commerçant ne voudra point permettre que
le nom de son correspondant se trouve compromis par
un protêt. En conséquence, sans en avoir reçu l’ordre,
sans même que son correspondant s’en doute, il inter
viendra spontanément pour l’honneur de la signature de
celui-ci, et payera ou acceptera la lettre de change.
8 4 5 . — La spontanéité, qui forme le caractère le
plus habituel de l’intervention, ne permet pas de la rat
tacher à l’idée d’un mandat quelconque. En effet, le
mandat suppose un ordre direct comme celui qui s’a
dresse au tiré, ou subsidiaire comme celui résultant de
�l’indication au besoin, on ne saurait en trouver aucun
dans l’acceptation par intervention.
Aussi, observait très judicieusement Pothier, lorsque
celui sur qui la lettre de change est tirée refuse de l’ac
cepter, et qu’une autre personne l’accepte pour faire
honneur au tireur ou à un des endosseurs, ce n ’est
point un contrat de mandat qui intervient entre cette
personne et le tireur ou l’endosseur, à qui elle a déclaré
qu’elle voulait faire honneur, qui ne l’en avait pas char
gé, et qui n’a aucune connaissance du service que cette
personne lui rend, mais c’est le quasi-contrat de negotiorum gestorum qui intervient et qui produit les obli
gations qui en naissent \
Ce caractère de l’acceptation par intervention est im
portant à retenir, il donne la clef des prescriptions des
articles que nous examinons sur la manière dont elle
peut être formée, sur les effets qu’elle est appelée à pro
duire.
34G. — En principe, il ne peut y avoir gestion d’af
faires tant qu’il n’y a pas d’affaires à gérer. Dans notre
hypothèse, les souscripteurs de la lettre de change n’ont ,
des obligations personnelles à remplir que du moment
que le tiré a refusé d’accepter et que ce refus autorise
les conséquences prévues par l’article 120.
On comprend dès lors les motifs qui ont porté la loi
à ne permettre l’acceptation par intervention que lors du
i Contrat de change, n° 3,
�580
DE LA LETTRE DE CHANGE
protêt faute d’acceptation, c’est-à-dire à l'instant où la
constatation légale du refus du tiré va motiver un re
cours contre le tireur et les endosseurs.
L’existence d’un protêt faute d’acceptation est donc
un préalable indispensable à l’intervention. Toute obli
gation de garantir le payement de la lettre de change,
contractée avant le protêt ne serait qu’un aval de quel
que manière d’ailleurs qu’on l’eût qualifiée.
3 4 1? . —De là il résulte que l’intention d’intervenir
se manifeste à l’huissier chargé de protester faute d’ac
ceptation. C’est donc à lui à constater ce fait dans son
exploit, mais cet exploit, du moins en la partie relatant
l’acceptation, doit être signé par l’intervenant. Le prin
cipe suivant lequel l’acceptation doit être signée s’appli
que à l’acceptation par intervention, comme à l’accepta
tion ordinaire.
On proposait lors de la discussion au conseil d’Etat
de ne pas parler de la signature dans cette circonstance.
C’est en réglant les formes du protêt qu’on pourra dire
comment la signature de celui qui ne sait pas écrire
pourra être suppléée.
On répondit que la nécessité de la signature ne tient
pas à la forme, mais au fond ; elle est exigée pour la
validité de l’intervention.
M. Berlier ajoutait que la simple mention de l’inter
vention serait dangereuse si elle devait obliger , jusqu’à
inscription de faux, celui qu’elle concernerait ; qu’au
surplus la signature de la partie ne présente nul embar-
�ART.
126, 127, 128.
381
ras, que tout négociant sait au moins signer, et qu’il
n’y a, dans le cas particulier, nul refus à prévoir ni à
craindre ; car celui qui veut bien intervenir sera tout
disposé à certifier son intervention par sa signature.
Ainsi donc, l’acceptation par intervention doit être
signée. Ce n ’est pas, au reste, le seul point de contact
qu’elle ait avec l’acceptation ordinaire ; comme celleci, elle doit être pure et simple. La condition à l’effet
de laquelle on la subordonnerait en anéantirait le bé
néfice.
Mais elle peut être restreinte quant à la somme. Dans
ce cas il serait procédé conformément à la disposition de
l’article 124.
348.
— Tout le monde peut s’offrir pour gérer les
affaires d’un correspondant ou d’un ami. Aussi la loi
n’exclut-elle personne de l’acceptation par intervention.
Le mot tiers, dont elle se sert dans notre article 126,
n’a pas d’autre portée que de distinguer ceux qui par la
nature des choses elles-mêmes ne pouvaient devenir ac
cepteur.
L’acceptation doit ajouter un nouveau débiteur à ceux
qui existent déjà, offrir une autre garantie de payement.
Or, comment atteindrait-on ce résultat, si le tireur, le
donneur d’aval ou l’endosseur était admis à accepter ?
Leur signature en celte qualité ajouterait-elle quelque
chose à l’obligation qu’ils ont déjà contractée ?
Ainsi, dans notre article, les tiers sont tous ceux qui,
étrangers jusque-là à la lettre de change, n’en devien-
�582
DE LA LETTRE DE CHANGE
dront responsables et garants qu’en vertu de leur ac
ceptation.
Dans cette catégorie se placent le tiré, celui qui a été
indiqué au besoin, le porteur lui-même.
Le tiré est à la vérité nommé dans la lettre de change,
mais il n’en devient débiteur que si, exécutant l’ordre
qui lui est adressé, il accepte et s’engage de payer la
lettre de change.
Le refus de donner son acceptation le rend complète
ment étranger à l’opération. Il peut donc, après avoir
déclaré et fait constater ce refus, intervenir et accepter
pour l’honneur de la signature d’un ou de plusieurs des
endosseurs.
349.
— Dans le cas d’une traite souscrite d’ordre
et pour compte d’un tiers, le tiré peut-il, refusant d’ac
cepter pour le donneur d’ordre, intervenir et accepter
pour le tireur ?
Doit-il, dans ce dernier cas, faire dresser un protêt
faute d’acceptation, et n’intervenir qu’a près ?
La première de ces questions ne saurait faire l’objet
d’une difficulté. Le tiré refusant le mandat qui lui est
conféré par le donneur d’ordre, devient étranger à la
lettre de change dont il n’est ni garant, ni responsable.
D’autre part, le tireur pour compte n’agit que comme
commissionnaire. L’ordre qu’il transmet au tiré n’est
que pour son commettant. En conséquence, le refus que
celui-ci fait de le remplir ne concerne que ce commet
tant et nullement le tireur pour compte.
�ART.
126, 127, 128.
385
En cet état, si le tiré a toute confiance en la solvabi
lité personnelle du tireur ; si les relations existant entre
eux lui paraissent devoir motiver une intervention pour
l’honneur de sa signature, comment et pour quels mo
tifs empêcherait-on la réalisation de cet acte ?
La seconde question est plus délicate, non pas au
point de vue des principes, mais à celui des considéra
tions et de l’usage commercial.
En effet, l’article 126 est général et absolu. Il n’y a
d’intervention possible que sur protêt, nous en disions
tout à l’heure les motifs. En conséquence, si l’accepta
tion du tiré en faveur du tireur pour compte est une
intervention véritable, comment la soustraire à l’appli
cation de l’article 126.
350.
— C’est cependant ce que la cour de Paris a
cru devoir faire, en jugeant que lorsqu’une traite est ti
rée pour compte d’un tiers qui n’a pas donné d’avis au
tiré, celui-ci peut accepter pour l’honneur de la signa
ture du tireur, en le prévenant par correspondance que
c’est pour son compte à lui tireur, qu’il accepte ; que
dans ce cas le tiré, pour conserver son recours contre le
tireur, n’est pas obligé de laisser protester la lettre et de
faire mentionner dans le protêt que son acceptation n’est
pas pour le compte du donneur d’ordre, mais pour le
compte du tireur. Le pourvoi dont cet arrêt avait été
frappé a été même rejeté par la Cour de cassation, le
22 décembre 1835.
L’importance de la question mérite quelques déve-
mm
�384
DE LA LETTRE DE CHANGE
loppements ; il s’agissait dans cette espèce d’une traite
que la maison Schroder et Schiller, de Bordeaux, créan
ciers du sieur Lindé, négociant à Saint-Pétersbourg,
avait tirée d’ordre de celui-ci sur le sieur Gontard, à
Paris.
Gontard répond à la lettre d’avis de la maison Schro
der et Schiller qu’à la réception de leur lettre, il a écrit
à Lindé pour lui demander son assentiment à cette
traite, mais que si elle lui est présentée avant la réponse
de ce dernier, il se fera un plaisir de l’accueillir, en
attendant, pour leur compte. Cette lettre est du 8 juin
1833.
Le 10 du même mois, la lettre présentée au tiré est
acceptée par l u i , purement et simplement ; et ce n’est
que le 27 que, dans une seconde lettre, Gontard con
firme aux sieurs Schroder et Schiller que, n’ayant reçu
aucun avis de Lindé, il a accepté pour leur compte per
sonnel.
Le 12 juillet, ceux-ci, qui connaissaient la faillite du
sieur Lindé, à Saint-Pétersbourg, écrivirent à Gontard
. qu’ils avaient dû être persuadés que ce n’était pas pour
leur compte, mais pour celui de Lindé que la traite était
acceptée, attendu que l’acceptation avait été donnée sans
protêt.
Gontard ayant payé la traite à son échéance, actionne
la maison Schroder et Schiller ; mais, sur l’exception de
celle-ci, il est condamné par le tribunal de commerce
delà Seine, le 12 novembre 1833.
« Attendu, en droit, que la loi en permettant à toute
�art.
126, 127, 128.
385
personne d’intervenir, soit pour l’acceptation, soit pour
le payement d’une lettre de change, a prescrit des for
malités sans l’accomplissement desquelles l’intervenant
ne peut avoir de droits contre celui pour lequel il est
intervenu ;
« Attendu que l’accepteur d’une lettre de change ti
rée pour compte de tiers ne peut, si la provision n’est
pas faite par le donneur d’ordre, avoir aucune action
contre le tireur pour compte , puisque ce dernier n’agit
qu’en qualité de mandataire du donneur d’ordre ; que
si donc le tiré, n ’ayant pas toute confiance dans ce don
neur d’ordre, croit devoir accepter pour l’honneur de
la signature du tireur, il ne peut le faire qu’en se con
formant aux dispositions prescrites pour les interven
tions ;
« Que faute par lui de remplir ces formalités, la loi
ne lui donne aucun droit contre celui pour le compte
duquel il a accepté ;
« Qu’à la vérité, en pareil cas, il arrive assez souvent
que le tiré, au lieu d’exiger un acte de protêt et d’inter
vention, se contente d’aviser la maison pour laquelle il
est intervenu, et qu’il est assez rare aussi que les ban
quiers se refusent à reconnaître la validité de pareilles
interventions ; mais que cet usage n’est pas général, et
que, dans ce cas, l’accepteur s’en remet entièrement à
la loyauté du tireur ;
« Attendu que s’il est vrai que le défaut de protêt à
l’intervention de Gontard n’a causé aucun préjudice aux
défendeurs, qui ne pourraient dire que ce soit sur la
i — 25
�386
DE LA LETTRE DE CHANGE
foi de l’acceptation donnée par Gontard qu’ils ont fait
crédit à Lindé, ce sont des considérations d’équité qui
ne peuvent faire fléchir les principes rigoureux en pa
reille occasion. »
En droit, et au point de vue de l’article 426, on ne
peut rien dire de plus concluant que les motifs que
nous venons de transcrire. Ce n’est donc qu’en se pla
çant sur un autre terrain que la Cour a pu réformer le
jugement qui les avait pour bases et pour fondements.
Voici, en effet, les motifs de l’arrêt de réformation.
« Considérant, en droit, que le négociant à l’accep
tation duquel une lettre de change, tirée par l’ordre
d’un tiers, est présentée, est le maître soit de refuser
purement et simplement son acceptation, soit d’accep
ter seulement pour le compte du tireur et non pour le
compte du donneur d’ordre, dont la solvabilité ne lui
est pas démontrée ; que cette acceptation, restreinte à la
signature du tireur par ordre, n’a pas été assujettie par
la loi à la formalité préalable du protêt, qu’en effet, si
la loi donne au porteur d’une lettre de change le droit
de la faire protester lors du refus d’acceptation ou dans
le cas d’une acceptation restreinte à une ou plusieurs
signatures, et d’exercer sur-le-champ son recours con
tre les endosseurs et le tireur de cette lettre, il n’en ré
sulte pas pour le porteur de la lettre l’obligation abso
lue de faire le protêt, à moins que la lettre ne soit paya
ble à un ou plusieurs jours, à un ou plusieurs mois de
vue, ou que l’obligation de faire présenter la lettre à
l’acceptation ne résulte de la convention spéciale des
�ART.
126, 127, 128.
387
parties, ce qui ne se rencontre pas dans l’espèce ; qu’en
tout autre cas il ne peut résulter, du défaut de protêt
contre le porteur, qu’une action en dommages-intérêts,
si par son propre fait il a porté préjudice à autrui.
« Considérant que le tiers qui intervient et qui ac
cepte une lettre de change, sur le refus d’acceptation
fait par le tiré, ou le tiré lui-même qui refuse l’accepta
tion pure et simple, et qui, changeant de qualité et pre
nant celle de tiers intervenant, ne consent à donner
qu’une acceptation restreinte à la signature du tireur par
ordre, ne sont pas placés dans une position autre que
celle du tiers porteur ;
« Considérant enfin que le défaut de protêt faute
d’acceptation n’a porté aucun préjudice à la maison
Schroder et Schiller, suffisamment avertie par la corres
pondance de Gontard. »
8 5 1 . — A notre avis, cet arrêt a un tort immense,
celui de méconnaître l’article 126 et de l’effacer de notre
Code, du moins quant à ses véritables caractères. En ef
fet, si la doctrine invoquée est juridique, qu’on nous cite
une seule hypothèse dans laquelle sa disposition devra
être appliquée. Quoi, l’intervenant sera libre de requé
rir ou non un protêt faute d’acceptation, tandis au con
traire que l’article 126 ne permet l’intervention que sur
protêt, c’est-à-dire rend celui-ci la condition essentielle,
indispensable de celle-là.
Celui sur qui une lettre est tirée pour compte de tiers
est sans doute libre d’accepter ou de refuser d’accepter
Y
�388
DE LA LETTRE2DE CHANGE
pour le compte du donneur’d’ordre, mais il n’est pas le
maître d’accepter pour le tireur par ordre. Celui-ci ne
donne aucun mandat, ne défère aucune mission. On ne
peut donc réaliser en sa faveur que l’acceptation par in
tervention, telle qu’on te ferait pour un endosseur. Or,
pour celui-ci, on ne niera pas l’application de l’article
126. Pour quelle raison la refuserait-on au tireur pour
compte, qui n’est obligé qu’au même titre que l’endos
seur ?
Nous contestons donc la faculté que l’arrêt reconnaît
au tiré. Il n’est pas libre d’accepter pour le tireur par
ordre, il ne peut le faire qu’en intervenant, et dès lors il
tombe sous l’application de l’article 126. L’arrêt le re
connaît lui-même, puisqu’il admet que dans ce cas le
tiré, changeant de qualité, prend celle de tiers interve
nant. Mais alors, s’il prend cette qualité, pourquoi ne le
soumettrait-on pas aux obligations qui en naissent?
Est-ce vrai d’ailleurs que le porteur de la lettre soit
libre de requérir ou non le protêt ? L’arrêt a raison lors
qu’il s’agit de requérir l’acceptation. Le porteur n’y est
obligé que dans les cas énumérés par l’arrêt lui-même.
Mais lorsque le porteur a réalisé cette demande d’accep
tation, une seule chose peut empêcher le protêt, l’accep
tation pure et simple. Si elle est refusée, si l’acceptation
est restreinte à une ou plusieurs signatures ; le protêt
doit être rédigé, il est obligatoire pour le porteur luimême.
L’arrêt de Paris confond donc les choses et les épo-
�ART.
126, 127, 128.
589
ques, il est loin de la lucidité, de la logique qui distin
guent le jugement.
Cependant la Cour de cassation l ’a consacré. Mais,
hâtons-nous de le dire, si le pourvoi est rejelé, c’est que,
aux moyens de droit la cour de Paris avait ajouté des
moyens de fait devant lesquels la Cour de cassation se
déclare désarmée, c’est ce qui explique sa décision.
Dans le cas contraire, nous n’hésiterions pas d’en appe
ler de la Cour de cassation à la Cour de casssation ellemême.
353.
— Ajoutons que devant la cour de Paris les
appelants produisaient un p a r è r e pour justifier l’usage
auquel fait allusion un des derniers motifs du jugement.
Les signataires partent de ce principe que, dans le cas
qui nous occupe, l’accceptation est donnée purement et
simplement. Tout aussitôt ils s’écrient : à quoi bon un
protêt ? Le porteur doit être nécessairement satisfait, car
il reçoit ce qu’il demande, il n’a rien de plus à récla
mer, aucours recours à exercer contre personne, la cir
constance que le tiré n’a pas accepté pour le compte de
la tierce personne indiquée par le tireur ne regarde nul
lement le porteur, c’est une affaire toute particulière en
tre le tireur par ordre et le tiré.
Certes, que le porteur fût satisfait, on le comprend. Il
demandait l’acceptation de la lettre, le tiré la donnait
pure et simple, que pouvait-il exiger de plus ? Mais quel
pouvait être le sens d’une pareille acceptation ? Quelle en
était la portée ?
�390
DE LA LETTRE DE CHANGE
Elle était évidemment donnée pour le compte du don
neur d’ordre. C’est lui et lui seul qui mandait d’accep
ter. L’accomplissement pur et simple du mandat ne
pouvait être interprété dans le sens d’un déni de con
fiance pour celui-ci.
Suffisait-il d’une lettre pour donner légalement cette
signification à l’acceptation ? Ici nous retrouvons les exi
gences de la loi qui a prescrit autre chose, et que pour
rait un usage d’une place quelconque contre sa dispo
sition formelle?
Ce n’est donc pas tout que d’examiner l’acceptation
au point de vue du porteur, il faut également l’appré
cier au regard du tireur pour compte. A quoi ce dernier
devra-t-il croire? Est-ce à la lettre lui annonçant qu’on
a accepté pour son compte, est-ce à l’acceptation don
née ultérieurement sans autre condition ? Ne peut-il pas
dire avec raison : J ’ai dû croire, à un changement de
résolution ; j’ai dû penser qu’après m’avoir écrit vous
aviez reçu des instructions, des avis, la provision même
de la part du donneur d’ordre, et c’est ce qui m’expli
quait le caractère de votre acceptation.
Cette excuse, objectera-t-on, ne sera pas proposable
lorsque, après l’acceptation, le tiré en fera connaître la
nature. Cela est vrai, mais qu’on y prenne garde, il y
a dans cette opération l’origine d’une fraude en prévi
sion de laquelle la loi a eu raison de prendre les pré
cautions qu’elle a prescrites. Le tiré peut avoir agi pour
le compte du donneur d’ordre, mais une heure, un jour,
plusieurs jours après, apprenant la faillite de ce der-
�ART.
126,. 127, 128.
391
nier, il écrira au tireur pour compte que l’acceptation
le regarde exclusivement.
Il faudra donc plaider sur l’opportunité de l’avis ? At-il ou non été donné en temps utile ? Est-il parvenu à
temps? A-t-il été réellement expédié et reçu. Voilà les
difficultés que la prétérition des désirs de la loi substi
tuera à la règle si claire, si naturelle et si simple qui
s’induit de l’article 126.
On objecte le défaut de préjudice ! Nous répondrons
que l’article 126 n’en suppose aucun, qu’on ne pour
rait donc en subordonner l’application à la preuve de
son existence.
Mais, en fait, le tireur en éprouvera un, à savoir : ce
lui de ne pouvoir immédiatement recourir contre le don
neur d’ordre pour le contraindre soit à faire provision,
soit à offrir actuellement des garanties pour le payement
à l’échéance.
Mais, dit le parère, cette possibilité le tireur pour
compte la trouve précisément dans la lettre lui annon
çant que l’acceptation est pour son compte ; et l’on croit
que sur le vu de cette lettre le donneur d’ordre pourra
être contraint. Erreur, erreur grave. Ce que le tireur
trouvera dans cette lettre, ce sera l’occasion de perdre
le procès qu’il ferait au donneur d’ordre.
En effet, celui-ci ne manquera pas de lui dire, j’étais
garant de l’acceptation, j’avais promis qu’elle serait don
née, j’ai rempli ma promesse. Voyez plutôt, non seule
ment il n’y a pas eu protêt faute d’acceptation, mais
�392
DE LA LETTRE DE CHANGE
encore l’acceptation est sur la lettre pure et simple, que
pouvez-vous exiger de plus ?
Que m’importe à moi la lettre contraire du tiré ? Vous
ne pouvez pas même me l’opposer, elle est peut être
concertée entre vous pour revenir contre une opération
irrévocable, et sur les suites de laquelle, à tort ou à rai
son, le tiré a conçu des inquiétudes.
Que feraient les tribunaux en présence d’une pareille
défense? Il n’est pas difficile de le deviner. L’article 120
ne permet le recours qu’après protêt faute d’acceptation
dûment notifié. Ce protêt serait-il, dans notre hypo
thèse, remplacé par une simple lettre du tiré, à qui il
était si facile d’exécuter la loi ? Non, mille fois non.
Donc, en réalité, le tireur pour compte, ne pouvant à
défaut de protêt exiger du donneur d’ordre une caution,
éprouve de ce défaut un notable préjudice.
Pour conclure cette longue discussion, nous dirons
que le tiré refusant d’accepter dans l’intérêt du donneur
d’ordre, et voulant le faire pour le tireur pour compte,
donne réellement une acceptation par intervention ;
qu’en conséquence, il est tenu d’en exécuter les pres
criptions ; et qu’à défaut il n’a aucun recours contre
ce tireur, surtout s’il a accepté purement et simple
ment.
3 5 3 . — Celui qui est indiqué au besoin, et le por
teur lui-même peuvent accepter par intervention.
Le premier, en effet, est bien désigné par la lettre de
change, mais de même que le tiré principal, il n’y de-
�126, 127, 128.
393
vient partie qu’en exécutant le mandat qui lui est sub
sidiairement déféré. S’il refuse cette exécution, il devient
étranger à la lettre de change, et libre par conséquent
d’intervenir pour l’honneur de la signature de tel ou tel
autre des souscripteurs.
Le porteur n’est pas, ne saurait être étranger à la let
tre de change; mais loin d’être tenu d’en payer le mon
tant, il doit au contraire en être payé. On ne saurait
donc l’empêcher de prendre l’engagement de se payer
lui-même, s’il y a lieu, en l’acquit et décharge d’un de
ses débiteurs. Il pourrait à l’échéance lui prêter les fonds
nécessaires à ce payement, pourquoi ne réaliserait-il pas
ce prêt en éteignant la lettre de change, en le déchar
geant s’il n’est qu’endosseur, sauf son recours contre son
cédant? Il n’y a là rien d’anormal, rien que la loi ait
pu condamner.
— La liberté que la loi laisse à tous d’inter
venir a pu et dû faire prévoir l’hypothèse d’un concours
entre plusieurs. Comment devrait-on agir dans un pa
reil cas ?
Plusieurs auteurs, assimilant ce concours à celui dont
s’occupe l’article 159 du Code de commerce, lui en ap
pliquent la disposition. Cette solution est-elle juridique ?
Nous ne le croyons pas, car l’assimilation qu’on essaye
est repoussée par la nature des choses. Pierre, Jacques,
Joseph sont débiteurs de la lettre de change, le paye
ment ne peut en être fait trois fois. Qu’il ait lieu une
seule, la lettre de change n’existera plus, à moins que
| j;
i ‘i
i
354.
i
§
�394
DE
LA LETTRE DE CHANGE.
celui qui paye ait à se faire rembourser par un signataire
précéden.
On comprend dès lors que pour éviter cette cascade
de remboursement, le législateur ait prescrit d’accueillir
le payement de celui qui libère un plus grand nombre
de débiteurs. On doit donc accepter en première ligne le
payement offert pour le compte du tireur, puis pour
celui du premier endosseur et ainsi de suite.
Mais l’acceptation n’est pas un payement, elle n’est
qu’une garantie qu’il se réalisera. On peut donc admet
tre ici ce qui serait impraticable dans le cas de paye
ment, à savoir : le concours de plusieurs garants. C’est
d’ailleurs le but que la loi se propose elle-même dans le
recours qu’elle autorise dans l’article 128, et qui peut
être exercé malgré l’intervention.
Ce que la loi ne consacre pas, c’est que plusieurs ré
pondent d’une même personne. Une caution qu’on n’ac
ceptera que si elle est incontestablement solvable suffit,
parce qu’elle répond à tous les intérêts.
Nous distinguerons donc pour la solution de notre
question. Si plusieurs acceptent pour la même personne,
la première intervention réalisée doit faire écarter les
autres.
Au contraire, si les divers intervenants cautionnent
chacun un signataire différent, on devra les accueillir
tous. Ce n’est là qu’une exécution anticipée de l’article
128 lui-même.
3 5 5 . — L’acceptation par intervention impose des
�devoirs à son auteur ; le premier est celui d’instruire
immédiatement celui pour le compte de qui il est inter
venu. C’est ce que prescrit l’article 127.
Aucune disposition analogue n’existait dans l’ordon
nance de 1673. Notre article est donc introductif d’un
droit nouveau. Ce qui l’a motivé, c’est que bien souvent
il arrivait que, après avoir accepté, l’intervenant laissait
passer un temps considérable sans avertir son corres
pondant pour qui il était intervenu. Ce qui en résultait,
c’est que ce dernier, ignorant ce qui s’était passé, né
gligeait de recourir contre son cédant pour obtenir une
caution, et qu’il ne pouvait plus le faire utilement lors
qu’il était enfin avisé. L’intervention était donc plus nui
sible que le protêt faute d ’acceptation. C’est cette ano
malie que le Code a voulu détruire, il n’est pas douteux
qu’aujourd’hui, en présence de l’article 127, l’interve
nant qui n’aurait pas obéi à sa disposition serait tenu
d’indemniser son correspondant du préjudice que son
silence lui aurait occasionné l.
356.
— L’urgence de l’avertissement a paru telle
que le législateur n’a pas même voulu indiquer un dé
lai. C’est sans délai que la notification doit être faite,
c’est-à-dire le jour même de l’intervention. Cette pres
cription n’a rien de bien sévère à l’endroit de l’interve
nant, il n’aura pas même à perdre un temps quelcon
que pour la levée du protêt. Son intervention l’y ayant
i Procès-verbal du 21 février 1807, n° 8, Locré, t. 18, p. 106.
�396
DE LA
LETTRE DE CHANGE.
rendu partie, l’huissier lui en laissera une copie, et c’est
cette copie qu’il doit transmettre sur-le-champ.
Au reste, il est évident que les termes de notre arti
cle comportent une latitude quelconque , à condition
toutefois que le relard n’aura pas déterminé le préju
dice. Ainsi, un retard de vingt-quatre heures n’est pas
en général une chose anormale mais, dans le commerce,
un délai de vingt-quatre heures, c’est la vie ou la mort,
la solvabilité ou la faillite. Il est donc, dans tous les cas,
aussi prudent que sage de l’éviter.
a s ï . — L’intervention ne produit jamais l’effet de
l’acceptation ordinaire. Celle-ci suppose que le tiré a
reçu provision, que déjà conséquemment la lettre est
payée dans ses mains. Aussi, le constitue-t-elle débi
teur principal, et son obligation n’admet pas d’autre
déchéance que celle tirée de la prescription quinquen
nale.
La première, au contraire, n’est qu’une garantie so
lidaire, il est vrai, par la nature de l’obligation à laquelle
elle se rattache, mais qui n’a pas pour son auteur les
conséquences que nous venons d’indiquer.
Aussi, lorsqu’à défaut de l’acceptation ordinaire, c’est
celle par intervention qui se réalise, la vérité est que le
porteur n’a pas ce qui lui avait été promis. Fallait-il
dès lors l’autoriser à recourir contre le tireur et les en
dosseurs ? Tout le monde était de cet avis. On recon
naissait que la solution contraire serait dangereuse.
�art.
126, 127, 128.
397
Bientôt, disait-on, on fera intervenir un homme sans
solvabilité, si l’intervention suffît pour dépouiller le por
teur de tout recours en garantie contre le porteur ou
les endosseurs.
358. — Mais ce qu’on concluait de là, c’est que
l’acceptation par intervention devenait inutile dès qu’elle
ne pouvait produire les effets de l’acceptation ordinaire.
Aussi, quelques tribunaux demandaient-ils qu’elle fût
supprimée.
Le contraire a été consacré, parce qu’on a reconnu
que si en droit l’intervention ne pouvait produire l’effet
d’enlever tout recours au porteur, en fait, elle arrivera à
ce résultat. Quel intérêt, en effet, aurait le porteur, si
l’intervenant est de toute solvabilité, à exiger un autre
cautionnement ? on ne devait donc pas présumer qu’il
plaiderait sans raison et sans objet contre le tireur ou
contre les endosseurs ; que si le recours n’est exercé
que parce que l’intervenant n’est pas solvable, le por
teur ne fait plus qu’user d’un droit que la loi a entendu
formellement lui conserver, et que la justice exigeait de
lui conserver.
359. — A l’égard du signataire en faveur duquel
elle s’est réalisée, l’intervention n’a aucun des effets de
l’acceptation ordinaire, il demeure après engagé au
même titre qu’il l’était avant, mais il possède les mêmes
droits. Ainsi on ne saurait l’empêcher de recourir con
tre son cédant, et d’exiger de lui ce cautionnement qu’il
�398
DE LA LETTRE DE CHANGE.
se trouve, par l’effet de l’intervention, avoir fourni luimême à son cessionnaire.
Ce que le débiteur souscripteur de la lettre de change
peut faire serait interdit à l’accepteur par intervention,
il n’est jamais subrogé au porteur tant qu’il n’a pas
réellement payé, il ne saurait donc exercer jusque-là
aucun des recours que la loi ouvre à ce porteur, et qui
ne cessent pas de lui appartenir nonobstant l’interven
tion.
De l’intervenant à celui pour compte de qui il est in
tervenu, to u t, avons-nous d it, se réduit à une gestion
d’affaires. Donc l’unique action que lui donne la loi est
celle en remboursement des avances que cette gestion
lui a occasionnées.
De là cette conséquence que tant que la lettre n’est
pas échue, que tant qu’il ne l’a pas payée, il ne peut
rien réclamer de celui pour compte de qui il est inter
venu. 11 n’est pas même son créancier, et dès lors il ne
serait pas recevable à demander au tireur et aux endos
seurs les garanties que ce dernier pourrait exiger.
Mais si par suite de son intervention il a réellement
payé, le droit de se faire rembourser non seulement par
celui dont il a géré l’affaire , mais encore par le tireur
et les endosseurs précédents, est incontestable.
360.
— Enfin, un dernier et remarquable effet de
l’intervention ne doit jamais être perdu de vue. N’étant
jamais qn'un cautionnement, elle crée une obligation
�art.
126, 127, 128.
599
s’incorporant et s’unissant à celle du cautionné et en
partageant les conditions et le sort.
Dès lors le porteur n’a contre l’intervenant que le
même droit qu’il aurait contre celui en faveur de qui
on est intervenu. Par exemple, s’il s’agissait d’un endos
seur, le défaut de protêt dans les vingt-quatre heures ou
d’action dans la quinzaine libérerait l’accepteur par in
tervention. Ce principe de la confusion des deux obliga
tions explique le silence que la loi a gardé sur le recours
du porteur contre l’intervenant ; elle s’en est référée aux
règles prescrites pour les divers signataires de la lettre
de change.
Il faut même que, dans le délai légal, le porteur ait
agi contre l’intervenant. L’exercice du recours contre
l’endosseur ainsi cautionné ne suffirait pas. L’interve
nant contre lequel aucune démarche n’aurait été diri
gée serait libéré.
Si l’intervention avait été faite pour le compte du ti
reur, l’obligation ne subirait d’autre déchéance que celle
résultant de la prescription.
�400
DE LA LETTRE DE CHANGE
§ V. —
DE L’ ÉCHÉANCE
ARTICLE
129.
Une lettre de change peut être tirée
à vue,
à en ou plusieurs jours,
à un ou plusieurs mois,
à une ou plusieurs usances de vue,
, à un ou plusieurs jours,
à un ou plusieurs mois,
à une ou plusieurs usances de date,
à jour fixe ou à un jour déterminé,
en foire.
SOMMAIRE
261. Utilité de la détermination de l’échéance.
262. Caractère de l’article 129.
263. Pourrait-on indiquer comme échéance à une lettre de
change celle d’un événement quelconque ou de l’accom
plissement d’un fait ?
3 ( î l . — La connaissance de l’échéance de l’obliga-
�Dur où le créancier aura le droit
de poursuivre le remboursement de ce qui lui est dû,
était surtout indispensable en matière de lettres de chan
ge. Ce qui l’exigeait impérieusement, c’est non seule
ment la circulation qu’elles sont appelées à subir, mais
encore cette foule d’obligations accessoires venant se
grouper autour de l’obligation principale ; mais surtout
la nécessité pour le porteur d’agir à des jours et heures
fixes, sous peine de perdre un recours formant l’unique
garantie de la dette.
Aussi avons-nous vu que l’article 410 faisait de l’in
dication de l’échéance une des conditions si essentielles
à la régularité de la lettre de change, qu’il n ’admet
même pas que son omission puisse être réparée par la
justice.
Ce principe ainsi posé, le législateur n ’avait plus à
intervenir, quant à l’échéance, que pour sanctionner la
liberté illimitée et absolue qu’il laisse aux parties pour
la déterminer. L’accord intervenu à cet effet entre le ti
reur et le preneur devient non seulement leur loi com
mune, mais encore celle de tous ceux qui s’associeront
dans l’avenir aux transactions que la lettre de change
fera surgir.
jiltl
2 6 2 . — L’article 429 a demandé à la pratique cons
tante du commerce quelles étaient les échéances les plus
usuellement indiquées. Le résultat de ces investigations
a amené les dispositions qui en forment l’ensemble. La
lettre de change peut être tirée à vue, à un ou plusieurs
i — 26
Il ii
�402
DE LA LETTRE DE CHANGE
jours, à un ou plusieurs mois, à une ou plusieurs usan
ces de vue ou de date, à un jour déterminé ou fixe, en
foire.
Mais cet article est loin d’être limitatif et restrictif.
Toute autre échéance serait respectée, pourvu que par
elle-même elle présentât un degré de certitude tel que
son énonciation satisfit au vœu de l’article 110.
26S.
— Pourrait-on indiquer comme échéance à
une lettre de change, celle d’un événementquelconque
ou celle de l’accomplissement d’un acte ? Nous ne pen
sons pas que cette question puisse être décidée autre
ment que par la négative. La solution contraire entraî
nerait tous les inconvénients que la loi a voulu éviter en
édictant l’article 110.
Comment, en effet, négocier une lettre de change dont
l’échéance se trouverait subordonnée à celle d’un événe
ment quelconque. Accepter une lettre de change, c’est
faire confiance aux signataires. Un des éléments de cette
confiance est sans contredit la position de ceux-ci rela
tivement à l’échéance de la lettre. Tel commerçant ac
corde pour trois mois un crédit qu’il n’accorderait pas
pour six mois.
Comment d’ailleurs, dans notre hypothèse, calcule
rait-on l’intérêt et l’escompte. L’impossibilité de les éta
blir amènerait peut-être une perception exagérée et usuraire.
Comment enfin se charger d’une lettre de change,
lorsqu’on serait exposé à n’être instruit soi-même de
�ART. 129.
403
l’échéance qu’après l’expiration du délai pour le recours
contre les endosseurs.
Nous avons raison de le dire, une pareille indication
ne constituerait ni échéance certaine, ni désignation
suffisante, le titre qui en serait affecté ne serait pas une
lettre de change K
8 6 4 . — L’article 129 se contente d’énumérer les
diverses manières dont l’échéance peut être énoncée. La
différence qui distingue chacune d’elles, leur effet res
pectif vont être expliqués par les articles suivants.
ARTICLE
•M
130.
,
ï .
La lettre de change à vue est payable à sa présen
tation.
ARTICLE
131.
<
L’échéance d’une lettre de change
à un ou plusieurs jours,
à un ou plusieurs mois,
à une ou plusieurs usances de vue,
est fixée par la date de l’acceptation, ou par celle du
protêt faute d’acceptation.
�DE LA LETTRE DE CHANGE
404
ARTICLE
432.
L’usance est de trente jours, qui courent du lende
main de la date de la lettre de change.
Les mois sont tels qu’ils sont fixés par le calendrier
grégorien.
ARTICLE
433.
Une lettre de change payable en loire est échue la
veille du jour fixé pour la clôture de la foire, ou le jour
de la foire, si elle ne dure qu’un jour.
SOMMAIRE
265. Objet de la lettre tirée à vue. Jour du payement.
266. N’est pas sujette à acceptation. Conséquences.
267. N’est pas dans les habitudes commerciales.
268. Effet de l’échéance à jour fixe ou déterminé.
269. Différence entre les lettres à un ou plusieurs jours, mois
ou usances de date ou de vue.
270. Comment se prouve la présentation.
271. Comment se calcule l’échéance dans ces divers cas.
272. Effet de l ’échéance indiquée en foire.
2 6 5 . — La lettre de change à vue a toujours été
d’une incontestable utilité. Elle a été de tout temps la
monnaie de ceux qui, se livrant à des voyages et ne
�ART.
130, 131, 132, 133.
405
voulant pas se charger d’une trop grande quantité d’es
pèces, prennent des lettres de change sur les diverses
places qu’ils ont à parcourir.
Cette destination de la lettre de change à vue a tou
jours influé sur son échéance. Ainsi, elle était payable à
présentation même sous l’empire de l’ordonnance de
1673, accordant un délai de grâce à toutes les lettres
dont le payement échéait à jour certain, ce qui était ex
clure celle tirée à vue.
C’est qu’en effet, ainsi que le faisait remarquer M. Crétet, de tous les temps le payement sans aucun retard
a été de l’essence des lettres à vue, car on ne les prend
qu’afin de trouver à point nommé dans une ville l’ar
gent dont on aura besoin. Elles font donc en quelque
sorte l’office d’un dépôt que le dépositaire doit toujours
avoir sous sa main et à sa disposition.
a « 6 . — Il suit de là que ces lettres ne sont pas sus
ceptibles d’acceptation. Celle-ci est en général fort utile
comme garantie en attendant l’échéance, mais elle ne
serait évidemment qu’une superfluité, si elle était offerte
après l’échéance. Or, c’est ce qui se réaliserait pour la
lettre de change payable à vue. La présentation en dé
termine l’exigibilité. Ce qu’on a le droit d’obtenir du
tiré, c’est le payement, et non une acceptation sans va
leur aucune et sans portée dans la circonstance.
L’offre de cette acceptation ne serait donc qu’un re
fus de payement, légitimant un protêt avec toutes ses
�406
DE LA LETTRE DE CHANGE
conséquences contre le tireur et les endosseurs s’il en
existe.
3 G ?. — Au reste, la lettre tirée à vue n’est pas très
avant dans les habitudes commerciales. On aime assez
dans le commerce connaître le terme de ses engage
ments. C’est l’unique moyen de se mettre en mesure de
les remplir, sans être condamné à une expectative plus
ou moins longue, pendant laquelle l’argent restera im
productif dans la caisse.
C’est surtout là l’inconvénient des effets tirés à vue, il
dépend du porteur d’en retarder la présentation, à sa
volonté. Cependant, comme cette présentation peut s’ef
fectuer d’un instant à l’autre, le tiré, surtout s’il s’agit
d’une somme considérable , devra la réaliser lorsqu’il
aura reçu la lettre d’avis. On comprend toute la pertur
bation que pourrait causer à certaines maisons l’obliga
tion de pourvoir immédiatement et à l’improviste au
payement de cette somme.
Le commerce a dû se préoccuper et s’est effectivement
préoccupé de cette éventualité. On ne tire guère à vue
que pour des sommes telles que, grâce à la position
commerciale du tiré, on pourra toujours les exiger sans
craindre le moindre danger à cet égard, sans jamais le
prendre au dépourvu.
3 6 8 . — L’échéance de la lettre de change peut être
à un jour fixé et déterminé. Le payement doit en être
réalisé le jour indiqué. Il n’y a entre cette hypothèse et
�ART. 130, l o i , 132, 133.
407
celle d’une lettre de change à vue aucune différence re
lativement à l’obligation de payer.
Ce qui distingue l’une de l’autre, c’est que jusqu’au
jour de l’échéance, la première peut donner lieu à l’ac
ceptation et par conséquent au protêt et à l’acceptation
par intervention ; mais quant au payement, nous le ré
pétons, il ne saurait pas plus être retardé dans ce cas
que dans celui d’une lettre tirée à vue. C’est dans cette
intention que le tribunal demanda qu’on ajoutât à l’ar
ticle les mots : ou à jour déterminé. Le mot fixe, di
sait-il, était analogue aux jours de grâce qui avaient
lieu. Ces jours de grâce était supprimés, il faut em
ployer un mot qui ne les laisse plus supposer.
369. — La lettre de change est souvent indiquée
payable à un ou plusieurs jours, à un ou plusieurs mois,
à une ou plusieurs usances de vue ou de date. Dans ce
dernier cas, le délai de l’échéance court du jour même
de la date de la lettre. On peut donc facilement calculer
le moment et même l’heure de l’échéance, et fixer l’épo
que à laquelle les diligences devront être faites.
Il n’en est pas de même de l’effet tiré à un certain
temps de vue. Cette clause suppose l’accomplissement
d’un fait sans lequel le délai de l’échéance ne saurait
courir, à savoir : la présentation au tiré. Ce qui, dans
ce cas, rend l’indication de l’échéance régulière et légale,
c’est que cet accomplissement dépend uniquement du
porteur ; c’est que, quelle que soit la latitude que lui
laisse la loi, cette présentation ne peut être différée plus
�408
DE LA LETTRE DE CHANGE
de six mois, sous les peines portées par l’article 160 du
Code de commerce.
3 ÏO . — Il y a donc certitude que la présentation de
la lettre aura lieu, mais il faut qu’il en conste d’une
manière certaine, puisqu’elle devient réellement la seule
voie pour faire courir le délai de l’échéance.
La preuve de la présentation résultera du visa ou de
l’acceptation émané du tiré. Nous avons déjà dit que,
dans cette hypothèse, l’une et l’autre doivent être datés,
sans quoi ils sont présumés avoir été donnés le jour
même de la souscription de la lettre de change 1.
Que si le tiré refuse d’écrire son visa, de donner son
acceptation, le protêt, que le défaut de celle-ci entraîne,
devient la constatation de la présentation. Les jours,
mois ou usances de vue courent donc de la date de ce
protêt.
Si l’acceptation n ’a pas été requise, soit qu’elle n’en
tre pas dans les convenances du porteur, soit qu’elle ait
été prohibée par la convention, on ne saurait empêcher
la présentation de la lettre de change, à l’effet de faire
courir le délai de l’échéance. A défaut de constatation
amiable, cette présentation devrait être établie par un
acte d’huissier, à la requête du porteur.
C’est donc de la date du visa, de l’acceptation ou de
celle du protêt ou de l’exploit de présentation que cou
rent les jours, mois et usances déterminés par la lettre
�art.
130, 131, 132, 133.
409
de change ; si elle est à jours, elle est échue par l’expi
ration du nombre indiqué à partir du lendemain de
cette date.
* 9 1 . — Lorsque la lettre de change est à un ou
plusieurs mois, le délai se compte date par date d’un
quantième à un autre quantième, sans distinction des
mois qui ont plus ou moins de trente jours. Ainsi, la
lettre datée ou vue le 28 février, payable à neuf mois
de date, échoit le 28 novembre suivant K
Cette interprétation de l’article 132 n’avait pas été
admise par la cour de Paris, elle avait au contraire pensé
qu’on devait faire le mois de trente jours et tenir compte
de ceux manquants au mois de février, comme de ceux
qui se trouvent en plus sur certains autres mois ; mais
ces décisions ont été constamment annulées par la Cour
suprême2.
La règle invariablement adoptée par la Cour de cassa
tion est donc la supputation d’un quantième à l’autre.
Mais cette règle reçoit naturellement exception lorsque
le mois amenant l’échéance n ’a pas de quantième cor
respondant. Ainsi, la lettre tirée le 31 janvier, à un mois
de date, écherrait le 28 ou le 29 février, suivant que
l’année est bissextile ou non.
Ce que la cour de Paris voulait faire pour les mois, la
loi le fait pour l’usance. Celui-ci se compose invariable-
1 Cass., 4 3 août 1817.
2 46 février e t 21 ju ille t 1818. Conf., O rléans, 3 m ai 1819,
�MO
DE LA LETTRE DE CHANGE.
ment de trente jours, qui ne courent que du lendemain
de la date de la lettre de change, du visa et de l’ac
ceptation ou de celle du protêt ou de l’acte judiciaire.
La lettre ne serait échue qu’après l’expiration d’autant
de fois trente jours qu’il y aurait d’usances stipulées.
Ainsi, la lettre de change tirée le 20 janvier, à six usan
ces de date, serait échue le 18 ou le 19 juillet, selon
que février aurait 28 ou 29 jours, tandis que celle tirée
à six mois n’écherrait jamais que le 20 juillet.
L’usance varie avec la législation des différents peu
ples commerçants. On peut consulter à cet égard l’inté
ressant tableau qu’en donne M. Nouguier L
— Les foires sont des occasions que le com
merce a de tout temps exploitées. Appelant sur un point
du territoire une foule d’intéressés, fournissant aux den
rées et marchandises un débouché souvent très impor
tant, elles facilitent le payement, et deviennent par cela
même des échéances naturellement indiquées pour une
certaine classe de négociants.
Ces considérations ont milité dans la détermination de
l’époque de l’exigibilité des lettres de change payables en
foire. C’est la veille de la clôture que le payement peut
en être requis, c’est-à-dire à une époque où la réalisa
tion des ventes aura mis les commerçants à même de
faire face à leurs engagements.
La clôture, dont il est question dans l’article 133, est
�ART. 130, 131, 132, 133.
411
celle résultant de l’ordonnance d’institution. Toutes les
fois qu’on crée une foire on en indique la durée. La fin
de celle-ci est la clôture légale de la foire, c’est la veille
de ce jour que les lettres de change sont échues. La clô
ture de fait est sans importance.
Dans le projet de la commission, l’article 133 ne con
tenait que cette première disposition ; mais plusieurs
tribunaux et conseils de commerce firent remarquer qu’il
serait utile de le compléter. Beaucoup de foires ne du
rent qu’un jour, disait le tribunal de Brioude ; et dans
ce cas, résultera-t-il de l’article qu’une lettre de change
payable en foire devra être payée la veille de la foire. Ce
serait contrarier évidemment les intentions des parties,
blesser leurs intérêts, puisqu’on forcerait le débiteur à
payer un jour plus tôt qu’il ne s’y est obligé, et s’il
n’habitait pas le lieu où se tient la foire, on lui ferait
hâter son voyage d’un jour, ce qui serait pour lui un
surcroît de perte de temps et de dépenses. Combien en
est-il, d’ailleurs, qui, en contractant l’engagement de
payer le jour de la foire, ont spéculé sur la vente des
bestiaux qu’ils doivent y conduire, des denrées ou m ar
chandises qu’ils y transporteront. Leur espoir serait
donc trompé, si on les forçait de payer la veille.
Telle n’était pas, nous l’avons dit, la pensée du légis
lateur. Aussi, la proposition faite à la suite de ces con
sidérations fut-elle adoptée. L’échéance de la lettre fut
fixée le jour même de la foire, si elle ne dure qu’un
jour.
Le protêt ne devrnt se faire que le lendemain, il en
�412
DE LA LETTRE DE CHANGE
résulte que les débiteurs auront tout le jour pour se
mettre en mesure de payer. Ils jouiront donc, en fait,
de toutes les facilités sur lesquelles ils comptaient, lors
qu’ils tiraient une lettre de change payable en une foire
désignée.
ARTICLE
134.
Si l’échéance d’une lettre de change et à un jour férié
légal, elle est payable la veille.
ARTICLE
135.
Tous les délais de grâce, de faveur, d’usage ou d’ha
bitude locale, pour le payement des lettres de change,
sont abrogés.
SO M M A IR E
273.
274.
275.
276.
277.
278.
Ancienneté de l'institution des jours fériés.
Détermination, sous le Consulat, de ceux qui seraient
obligatoires.
Avis du conseil d’Etat rangeant le 1" janvier dans cette
catégorie.
Ce qui le motiva.
Législation actuelle. Conséquences de l ’échéance tombant
sur un jour férié légal.
Débats que subit l’article 134.
�279.
L'article 435 abroge l’ordonnance de 1673 sur les dé
lais de faveur ou de grâce. Caractère de cette législa
tion.
280. Motifs de cette abrogation.
281. La prohibition de l’article 435 ne doit pas être appliquée
aux lettres de change constituant un prêt ordinaire.
282. Pouvoirs du gouvernement pour en suspendre l’applica
tion. Exemples.
2V3. — A toutes les époques, chez toutes les na
tions, les principes religieux d’une part, de l’autre le dé
sir d’éterniser des fastes mémorables, de fêter des a d
versaires précieux, ont fait établir des jours uniquement
consacrés au repos, et pendant lesquels, sauf les excep
tions que les travaux de la campagne pouvaient com
mander, le cours des administrations, celui de la justice
elle-même se trouvaient suspendus : Omnes judices, urbanœque plebes et cunctarum artium officia venerabili die quiescantl.
En France, la liberté que le clergé avait reçue de créer
des fêtes avait notablement accru les jours fériés. Mais
la Révolution de 4789 avait tout anéanti, le change
ment de calendrier avait même fait destituer le diman
che, qui se trouvait remplacé par le décadi.
8 * 4 . — La mission réparatrice du Consulat fit bien
tôt rentrer les choses dans leur cours normal. Seulement,
d’accord avec l’autorité religieuse, le gouvernement, qui
�414
DE LA
LETTRE DE CHANGE.
prohibait toute création de fêtes nouvelles sans sa per
mission, réduisit notablement les solennités religieuses
dont il rendait l’observance générale.
Ces solennités furent d’abord les dimanches. Ce jour,
en effet, est indiqué comme celui du repos des fonction
naires, par l’article 27 de la loi du 18 germinal an x.
Ce furent ensuite les jours de Noël, de l’Assomption,
de l’Ascension, de la Toussaint. C’est ce que détermine
la loi du 29 germinal an x.
Quant aux anniversaires purement politiques, le Con
sulat en avait déjà supprimé un grand nombre, ils le
furent tous par la création de l’Empire, de plus la SaintNapoléon étant fêtée le 15 août, jour de l’Assomption,
on n ’eût pas même à examiner sous l’empire la ques
tion que la Cour de cassation a eu à résoudre sous la
Restauration, à savoir : si la fête du chef de l’Etat était
ou non un jour férié légal.
— Indépendamment de ces solennités, on eût
bientôt à décider si le premier janvier devait être classé
dans une même catégorie. L’affirmative fut adoptée par
le conseil d’Etat, les 13-23 mars 1810. Cet avis rap
pelle que depuis l’an xm le premier janvier a été con
sidéré comme une fête et observé comme tel, quoiqu’il
ne tombât pas un dimanche. On s’empresse donc de se
conformer à l’intention de Sa Majesté, pour qu’on sus
pendit les travaux ordinaires le jour du premier jan
vier, compté parmi les fêtes de famille par la grande
majorité des Français ; on rappelle enfin que les admi-
�art.
134,
135.
415
nistrations, les cours et les tribunaux vaquèrent le pre
mier janvier ; que même les fonctionnaires publics de
l’ordre judiciaire reçurent à cet effet un ordre exprès de
Sa Majesté qui leur fut transmis par le grand-juge le 4
nivôse an xm ; que la banque de France et la caisse de
service fermèrent leurs bureaux ; que cet exemple fut
suivi dans presque toutes les parties de la France.
En conséquence, le conseil d’Etat est d’avis qu’une
fête sollicitée par le vœu public, avouée par le chef su
prême de l’Etat et ratifiée par un usage constant et gé
néral devait être placée au rang de celles qu’a prévues
l’article 162 du Code de commerce.
S®6. — Il est à remarquer que la question était
née précisément à l’occasion des lettres de change. Celles
échues fin décembre devaient-elles, sous peine de dé
chéance, être protestées le premier janvier ? La solution
qu’elle reçut n’a pas cessé d’être suivie. De nos jours
encore, le premier janvier est un jour férié légal.
La Restauration n ’ajouta rien à la nomenclature des
anniversaires religieux considérés comme jours fériés,
Mais, instituant un service expiatoire pour l’infortuné
Louis XVI, elle avait placé dans cette catégorie le jour
du 21 janvier, ce qui a été pratiqué jusqu’après la révo
lution de Juillet.
S®1? . — A son tour, celle-ci avait prescrit la célé
bration des 27, 28 et 29 juillet. Aujourd-hui, nous en
sommes purement et simplement revenus à la législation
�416
DE LA LETTRE DE CHANGE
de l’Empire, aux lois de germinal an x et à l’avis du
conseil d'Etat des 13-23 mars 1810. En conséquence, la
lettre de change qui viendrait à échéance le dimanche
serait exigible le samedi ; celle qui écherrait le jour de
la Noël ou le jour de l’Assomption, le jour de la Tous
saint ou celui de l’Ascension, serait payable la veille.
Enfin, celle à échoir le premier janvier pourrait être
exigée le 31 décembre.
2® 8. — Le payement se trouve donc ainsi devancé,
c’est ce qui explique les débats que notre disposition a
subis, les phases à travers lesquelles elle a passé. La
commission l’avait inscrite dans le projet, mais elle de
vint l’objet de nombreuses attaques de la part des cours
et tribunaux. On la critiquait surtout sur le motif qu'elle
laissait de l'incertitude sur la vraie date d’où il fal
lait partir pour faire le protêt en temps utile.
Déterminée par ces attaques , la commission avait
adopté un système contraire. Dans sa seconde rédaction,
l’article correspondant à l’article 134 avait été ainsi
conçu : La lettre de change échue un jour férié ne sera
payable que le lendemain.
La section de l’intérieur revint au premier projet, et
son rapporteur demandait au conseil d’Etat de se pro
noncer pour l’échéance de la veille. M. Berlier combat
tit cette proposition. Le bénéfice accidentel de l’échéance
à jour férié lui semblait devoir tourner au profit du dé
biteur, et non contre lui ; on peut bien l’admettre, vu
la circonstance, à payer le lendemain, mais on ne sau-
�ART.
134,
155.
417
rait le contraindre à payer la veille de l’échéance sans
choquer la justice et les premières notions du droit
commun.
Qu’oppose-t-on cependant à l’appui de cet article,
continuait M. Berlier ? L’usage du commerce 1 Mais d’a
bord, l’opinant ignore si cet usage est universel en
France ; en second lieu, il doute fort que, dans l’appli
cation, les tribunaux y aient beaucoup d’égards; enfin,
quand cet usage serait bien reconnu et consacré, le lé
gislateur devrait encore le faire cesser comme mauvais
en soi, et comme subversif de tous les principes. M. Ber
lier demande en conséquence que dans le cas prévu par
l’article 134 la lettre de change soit payable le lende
main et non la veille 1.
L’opinion de M. Berlier ne fut pas accueillie. L’usage
de demander payement la veille prévalut. Ce qui au
reste décida le conseil d’Etat, c’est que, par la consé
cration de l’article 16â du Code de commerce, on fai
sait disparaître tous les inconvénients reprochés à l’ar
ticle 134. Dans notre hypothèse, en effet, le billet étant
payable la veille, le protêt ne pouvait être fait que le
lendemain du jour férié, c’est-à-dire de l’échéance. Le
débiteur ne payera donc la veille que s’il est en mesure
de le faire, dans le cas contraire, il pourra ne le faire
que le lendemain de l’échéance. En réalité, l’article 134
est donc très inoffensif.
i Procès-verbal du 29 janvier 1807, n° 14. Locré, t. 18, p. 62.
i — 27
�418
DE LA LETTRE DE CHANGE
9*39. — Le délai de vingt-quatre heures, que l’é
chéance à jour férié est dans le cas d’entraîner, est le
seul que la loi ait voulu permettre. C’est ce qui résulte
de l’abrogation formelle que l’article 135 prononce de
tous délais de grâce, de faveur, d’usage ou d’habitude
locale pour le payement de la letttre de change.
L’ordonnance de 1673 accordait au porteur dix jours
pour faire protester à défaut de payement. Ce délai, di
sait Jousse, est favorable : 10 aux porteurs, parce que
ceux-ci ne courent le risque de l’insolvabilité des per
sonnes sur qui les lettres sont tirées qu’après les dix
jours ; 2° au tireur, parce que pendant ce temps-là il
peut donner avis ou remettre des fonds à celui sur qui
il a tiré ; 3° à l’accepteur ou débiteur de la lettre, parce
que ce délai peut lui donner le temps de chercher de
l’argent, ou de recevoir provision du tireur.
Jousse suppose donc que le délai de dix jours pouvait
être invoqué par le tireur et l’accepteur, par les endos
seurs eux-mêmes, mais ce n’était pas l’avis de tous les
jurisconsultes. Savary notamment enseignait qu’on ap
pelait les dix jours, jours de faveur, parce que cela ne
dépend que de l'honnêteté des porteurs des lettres ;
car ils peuvent faire protester le lendemain de l'é
chéance sans attendre dix jours l.
Savary induisait cette doctrine du style même de l’or
donnance. Le protêt ne pouvait être retardé au-delà de
dix jours, mais ce n’était pas l’interdire avant leur expi-
�ART.
134,
138.
419
ration. Jousse reconnaissait lui-même toute la justesse
de cette induction.
Mais bientôt le doute ne fut plus permis, une déclararation du Roi, du Ü8 novembre 1713, interprétant les
termes de l’ordonnance, rend le délai de dix jours obli
gatoire pour toutes les parties. Elle dispose, en effet,
que le porteur ne pourra exiger, et le débiteur offrir le
payement de la lettre avant l’expiration du dixième jour
après l’échéance. Dès ce jour le délai ne fut pas seule
ment de faveur, il devint également un délai de grâce.
2 8 0 . — Avait-il réellement produit les effets qu’on
s’en était promis ? L’expérience était venue, là encore,
détruire bien d’illusions. Aussi, M. Bégouen, exposant
les motifs de l’article 135, pouvait-il justement s’écrier
que ce qui résultait de l’ordonnance, c’est que la vérita
ble échéance de la letttre de change était fixée au der
nier des dix jours de grâce, au lieu de celle exprimée
dans la lettre ; il y avait donc cette discordance conve
nue entre l’expression et l’intention des contractants.
Il n’en résultait aucun avantage pour personne, ajoute
M. Bégouen, le porteur comme le payeur d’une lettre de
change tirée à soixante jours de date savaient égale
ment : l’uri, qu’il ne devait la présenter, l’autre, qu’il ne
devait la payer ou en subir le protêt que le soixantedixième jour ; cette espèce de tromperie dans l’expres
sion était donc sans objet, et c’était une erreur, quoique
ce fût l’opinion de quelques commentateurs, que ces
prétendus dix jours de grâce fussent avantageux au corn-
�420
DE LÀ LETTRE DE CHANGE
merce et également favorables au porteur, au tireur, à
l’accepteur ou au débiteur delà lettre. Dans le fait, rien
de plus insignifiant, de plus inutile aux uns et aux au
tres.
C’est cette conviction, justifiée par une pratique cons
tante, qui détermina le conseil d’Etat à sanctionner l’ar
ticle 135.
En thèse, cependant, un délai de grâce peut sauver
un commerçant de sa ruine, ne fût-il même que de dix
jours. Mais l’abus ne saurait être évité, si l’exigence de
ce délai inscrit dans la loi peut être invoquée par tous
les débiteurs d’une manière générale et absolue. Pour
un grand nombre d’entre eux, cette exigence n’aura
d’autre but que de bonifier, dix jours encore, de l’inté
rêt du montant de ce qu’ils ont à payer.
On ne pouvait donc maintenir la disposition de l’or
donnance de 1673.
Fallait-il s’en référer aux tribunaux, et leur accorder
le pouvoir d’admettre la nécessité d’un délai et le droit
d’en déterminer la durée ? Ce n’était pas là anéantir
l’inconvénient que nous venons de signaler. Sans doute,
on devait ainsi l’amoindrir, mais en échange on en créait
un autre non moins grave, celui de retarder le paye
ment en déférant à la justice la demande d’un délai
qu’on pouvait ainsi se procurer, dût-on, en définitive,
succomber dans l’instance engagée pour cet objet.
Ce qui pouvait résulter de là, c’était des embarras,
des ennuis, des Irais, et en conséquence du discrédit
�ART.
154,
135.
421
pour la lettre de change. Ce qui est radicalement évité
par la règle précise et formelle de l’article 135.
Cette règle, d’ailleurs, n’a rien de trop sévère ; le
commerce vit de ponctualité et d’exactitude, et les sor
ties se trouvent naturellement compensées par les ren
trées. Pourrait-on, sans danger, admettre que la maison
qui par position est obligée de payer exactement ses det
tes, pourrait être tenue d’attendre plus ou moins long
temps le payement de ses créances. Ne s’exposerait-on
pas à rompre ainsi cet équilibre qui lui permet de se
soutenir d’une manière honorable ?
C’est au commerçant qui s’engage à bien calculer ses
ressources, à bien déterminer les délais dont il peut
avoir besoin, mais l’échéance une fois fixée, le paye
ment doit s’opérer sans autre délai que celui que le cré
ancier consentirait à accorder.
8 8 1 . — Les considérations qui précèdent indiquent
le véritable caractère de l’article 135 ; le refus de tout
délai de grâce ou de faveur est bien plutôt la consé
quence de la profession des parties que de la nature
même du titre.
Or, la lettre de change peut être relative à tout autre
opération qu’une opération commerciale. Les capitalistes
prêtant à des propriétaires, à des cultivateurs peuvent
en emprunter la forme. Ils y trouvent d’abord l’intérêt
au six, puis l’énergique voie de la contrainte par corps,
dont l’exécution légitimera l’aliénation du bien dotal
lui-même.
�m
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Pourra-t-on, pour un débiteur de cette nature, se pré
valoir de l’article 135, et refuser un délai pour le paye
ment?
Cette question, bien souvent posée devant les tribu
naux de commerce, y a été résolue par la négative. Cette
solution, si elle n’est pas rigoureusement conforme au
texte de la loi, est du moins hautement avouée par son
esprit.
Le législateur a dû se préoccuper justement de tout ce
qui pouvait rejaillir sur la marche du commerce, inté
resser le crédit public, mais il lui importait peu que les
prêts ordinaires offrissent dans leur exécution une plus
ou moins grande exactitude ; le contraire résulte même
de l’article 1244 du Code civil, permettant au juge d’ac
corder un délai au débiteur.
Faudra-t-il retirer le bénéfice de cette disposition,
parce que, cédant à des exigences qu’il ne pouvait pas
ne pas subir, le débiteur à donné à son engagement la
forme d’une lettre de change ? Ce serait là le punir bien
sévèrement d’un tort qui est tout entier dans sa position
malheureuse, ne l’est-il pas déjà suffisamment par l’o
bligation de supporter l’intérêt commercial, et d’être
soumis à la contrainte par corps.
Nous nous sommes, ailleurs, élevé contre ce double
résultat l. Nous de faisons donc que persister dans nos
convictions, en approuvant hautement le refus d’ap-
i V. n o tre
Traité du dol et de la fraude, n° 1122.
�art.
134,
135.
4 .2 5
pliquer à notre hypothèse la disposition de l’article
435.
3 8 3 . — L’article 435 ne pouvait faire obstacle à ce
que le gouvernement, eu égard aux circonstances extra
ordinaires, en suspendît momentanément l’application.
Ainsi, après la révolution de 4830, un arrêté delà com
mission municipale de Paris prorogea de dix jours les
effets de commerce payables à Paris depuis le 26 juillet
jusqu’au 45 août inclusivement.
Il en a été de même après la révolution de février
1848. Des prorogations d’échéances des effets commer
ciaux devinrent la matière de divers décrets qui furent
successivement rendus.
§ VI. —
DE LENDOSSEMENT
ARTICLE
236.
La propriété d’une lettre de change se transmet par
la voie de l’endossement.
SO M M A IRE
283, Caractère de notre article.
284. Incompatibilité des formalités des articles 1690 et sui-
�424
DE LA LETTRE DE CHANGE
285.
286
287.
288.
289.
290.
291.
292.
293.
294.
295.
296.
297.
298.
299.
300.
301.
vants du Code civil avec l’objet de la lettre de change.
Effet donné à l’endossement par l’ordonnance et par le
Code sur la propriété des effets commerciaux.
Faut-il, pour l ’application de l’article 136, que le billet à
ordre soit souscrit par des commerçants, ou qu’il ait une
cause commerciale ?
Quid de la lettre de change dégénérant en simple pro
messe ?
L’endossement par acte séparé ne serait qu’une cession or
dinaire. Conséquences.
Peut-on endosser par acte authentique?
L’article 1326 du Code civil est inapplicable à l’endosse
ment.
Les endossements inscrits sur les duplicata de la lettre de
change profitent tous au propriétaire définitif.
Capacité requise pour la validité de l’endossement.
Quel serait le sort de celui souscrit aux approches de la
faillite?
La faillite du tireur est un obstacle à tout endossement ul
térieur.
Caractère de l ’endossement souscrit en faveur d’une mai
son en état de faillite.
Peut-on endosser valablement un effet après son échéan
ce ? Opinion de Savary. Discussion.
Arrêt de la Cour de cassation du 28 janvier 1834. Opinion
contraire de M. Pardessus.
Réfutation.
On peut effacer l’endossement. Dans quelles circonstances.
L’endossement peut ne constituer qu'un nantissement.
Exception aux articles 2074 et 2075 du Code civil.
Peut également ne renfermer qu’une procuration. Ancien
droit à cet égard.
* 8 3 . — La règle consacrée par notre article est l’ex
�ception la plus considérable que les exigences commer
ciales aient fait subir au droit commun. Les créances
dues à une personne, faisant partie de son actif, sont,
comme celui-ci, affectées au payement de toutes ses
dettes, sans distinction. On devait donc veiller à ce que,
par une fraude et une collusion faciles, elles ne fussent
distraites de cet actif ou bien attribuées à un créancier
au détriment de tous les autres.
Dans l’accomplissement de ce devoir, le législateur
avait à ne pas perdre de vue le droit sacré de propriété,
il fallait se garder de lui porter la moindre atteinte. Or,
tant qu’un individu est maintenu à la tête de ses affai
res, tant qu’en droit et en fait leur administration lui
est conservée, on ne peut l’empêcher de la diriger sui
vant ses convenances, de vendre, d’aliéner les droits
mobiliers lui appartenant.
Mais la loi, qui ne pouvait rien contre cette faculté
en principe, pouvait en dicter les conditions et en régler
les effets, surtout en ce qui concerne les tiers intéressés
dans la disposition ou lésés par elle. C’est ce double
objet que les articles 1690 et suivants du Code civil se
sont proposés.
Ainsi le cessionnaire d’une créance ou d’un droit in
corporel ne sera saisi envers les tiers que par la notifi
cation de la cession au débiteur cédé, ou que par l’ac
ceptation que celui-ci aurait déclaré en faire, si la ces
sion est par acte devant notaire. Jusque-là, de même
que le débiteur cédé pourrait valablement se libérer entre
les mains du cédant, de même les saisies-arrêts faites
�426
DE LÀ
LETTRE DE CHANGE.
par les créanciers de celui-ci seraient des obstacles ab
solus à ce que la cession sortît à effet.
Toutes ces formalités, avouées par l’équité, recom
mandées par le droit civil, ne pouvaient être imposées
à la cession des lettres de change et billets à ordre. El
les étaient incompatibles avec le but qu’on s’en est pro
posé, inconciliables avec leur nature et leur destination.
884.
— La nécessité d’une notification suspendant
la propriété du cessionnaire, pouvant même la faire éva
nouir, devenait une gêne et un obstacle à la libre cir
culation, appelait sur les effets commerciaux un profond
discrédit. Qui aurait osé en acquérir, si des saisies-ar
rêts faites depuis l’endossement, mais avant la notifica
tion, rendaient la somme cédée la propriété commune
des créanciers ?
Toutes ces formalités n’étaient possibles que tout au
tant que la lettre de change n’aurait pas été appelée à
circuler comme elle le fait depuis longtemps. Nous
avons déjà dit que cet effet ne fut que postérieur à son
invention \
Alors, en effet, la lettre uniquement payable au pre
neur, ne pouvait être payée qu’à lui ou à son manda
taire. Dans celte première période donc l’observation des
formes prescrites pour les cessions n’offrait rien d’exor
bitant, même à l’endroit de la lettre de change.
Mais, dès la seconde période, la lettre de change, ap-
�ART.
J5G.
427
pelée à une circulation sans limite, se débarasse de tous
les obstacles pouvant contrarier ce but. Cette seconde
période commence avec l’introduction de la clause payez
à un tel ou a son ordre.
Savary, qui fixe cette introduction en l’année 1620,
nous apprend qu’elle fut imaginée par les banquiers, né
gociants et agents de change, qui s’en servirent pour
faire valoir leur argent et pour faciliter le commerce,
parce que ne pouvant recevoir eux-mêmes de ceux sur
qui les lettres étaient tirées, il fallait qu’ils passassent
des procurations notariées au nom de quelqu’un des
lieux où la lettre de change était tirée pour en recevoir
le contenu, ce qui était extrêmement incommode au com
merce de la banque et du change ; au lieu que par le
moyen des ordres que les banquiers et négociants met
tent présentement sur les lettres de change suivant qu’il
est porté par icelles, et au moyen que lesdits ordres
portent aussi de payer le contenu de la lettre à un tel ou
à son ordre, les lettres peuvent être négociées cinq à six
fois avant l’échéance, au lieu, dis-je, que par ce moyen
il ne leur est plus nécessaire de passer des procurations
pardevant notaires 1.
Or, qu’était la nécessité d’une procuration notariée
en présence de celle de cinq à six notifications. Il est
donc évident qu’en se débarrassant de la première on se
débarrassait de la seconde. On faisait de la lettre de
change une véritable monnaie, il fallait donc que sa
i Parère, 82.
�428
DE LA LETTRE DE CHANGE
circulation se rapprochât autant que possible de celle de
la monnaie elle-même.
*
885.
— C’est ce que la pratique n’avait pas cessé
d’admettre, cette pratique, l’ordonnance de 1673 vint la
consacrer. L’article 24 du titre 5 le dit expressément.
Les lettres régulièrement endossées appartiendront à ce
lui au nom duquel l’ordre sera rempli, sans qu’il soit
besoin de transport ni de notification.
Le Code de commerce formule la même règle, mais en
termes différents et plus simples. Donc, le principe que
la propriété des lettres de change et des billets à ordre est
transférée par le simple endossement est définitivement
acquis,
Mais sous l’empire du Code, comme sous l’ordon
nance, cet effet de l’endossement est subordonné à des
conditions sans lesquelles il ne saurait se produire. Avant
de nous livrer à la recherche de ces conditions, à la
constatation des conséquences de leur observation ou de
leur inaccomplissement, il nous faut examiner quelques
difficultés, que les considérations qui précèdent peuvent
faire naître à l’égard de l’endossement en général.
886.
— En thèse, une exception est de sa nature
essentiellement restrictive. On ne peut l’étendre d’un cas
à un autre. Quel doit être l’effet de celle que la négocia
tion des lettres de change et billets à ordre fait subir à
la règle générale des articles 1690 et suivants du Code
civil ? Nous venons de dire que les fondements sur les-
�ART.
136.
429
quels elle repose sont les exigences de la circulation,
l’intérêt du commerce. Ne devra-t-on, dès lors, l’appli
quer que lorsqu’il s’agira d’une opération réellement
commerciale ?
Cette difficulté s’offrira surtout pour les billets à or
dre. Ils n’ont le caractère commercial que s’ils émanent
de négociants, ou que s’ils ont pour cause une opéra
tion de commerce, à défaut de ces conditions, est-ce par
le droit commun, est-ce par l’article 136 que leur trans
mission sera régie ?
Le tribunal de Saint-Flour, investi de la question
comme juge d’appel, s’était prononcé dans le premier
sens. Il lui avait paru qu’un billet à ordre causé pour
prix de fermage, et signé par un non-commerçant, ne
pouvait être régulièrement transmis par un simple en
dossement.
Mais cette décision, étant devenue l’objet d’un pour
voi, fut cassée par la Cour régulatrice. Attendu, dit l’ar
rêt, que le billet à ordre dont s’agit est revêtu de tou
tes les formalités prescrites par l’article 188 du Code de
commerce ; qu’aux termes de l’article 187 toutes les
dispositions relatives à l’endossement lui étaient ap
plicables ; et que l’article 136 porte que la propriété
d’une lettre de change est transmissible par la voie de
l’ordre l.
La Cour de cassation s’arrête donc à la forme extrin
sèque de l’obligation. Quel qu’en soit l’objet, quelle que
M 3 novem bre 1821.
�m
DE LA LETTRE DE CHANGE
soit la qualité du signataire, sa transmission, si le titre
est à ordre, s’opère en vertu de la disposition de l’arti
cle 136 et conformément à ses prescriptions.
Nous devons cependant remarquer que dans cette es
pèce le litige s’agitait entre le porteur d’ordre et le débi
teur. On pourrait dès lors objecter que ce dernier ne se
rait pas recevable à se prévaloir de l’article 1690, qui
n’a pas été fait pour lui. En effet, un point qui paraît
certain en doctrine et en jurisprudence, c’est que le dé
biteur n’a pas à s’immiscer dans les arrangements sur
venus entre son créancier 'et celui qu’il s’est substitué,
que notamment, pour ce qui le concerne, l’obligation
civile elle-même peut être transférée par un simple en
dossement 1.
On pourrait donc ne pas voir dans notre arrêt un
précédent opposable aux tiers excipant du défaut de no
tification. Ceux-ci peuvent dire qu’ils ne doivent ad
mettre ce défaut que lorsqu’il s’agit d’une obligation
commerciale à un titre quelconque. Mais s’il s’agit d’une
dette civile, comment se soustraire à l’application des
articles 1690 et suivants. C’est dans ce sens, ajouterontils, qu’il a été jugé pour les simples reconnaissances de
p rê t2.
Ces motifs nous ramènent à l’appréciation que la Cour
de cassation faisait de la forme du titre. La simple re1 T oulouse, 49 ju in 4832. Colm ar, 5 novem bre 4839.
4840, 268.
2 V. arrêt de Colmar, ci-dessus cité.
J. du P., 4,
�art.
156.
451
connaissance d’un prêt, est une obligation ordinaire,
elle ne peut être transmise par voie d’endossement, par
l’excellente raison qu’elle n’est pas même à ordre ;
qu’en conséquence, dans l’intention de celui qui la re
çoit ainsi, rien ne se rattache à l’idée d’une circulation
extraordinaire. Admettre en cet état et contre les tiers
le transfert par endossement, ce serait effacer l’article
1690.
Il n’en est plus ainsi si le titre est un billet à ordre,
sa teneur en indique la destination. Dès lors, en dispo
ser par un simple endossement, c’est user d’une faculté
qu’on ne saurait contester sans méconnaître expressé
ment les articles 187 et 136 du Code de commerce.
Cette contestation pourrait cependant se produire, mais
en se basant sur la mauvaise foi et la fraude dont il fau
drait justifier l’existence.
Nous pensons donc que, même à l’égard des tiers,
c’est par la forme donnée h l’acte que se règle le mode
de transmission dont il est susceptible. S’agit il d’un
billet à ordre, quelle qu’en soit la cause, de quelque part
qu’il émane, sa propriété est valablement transférée par
un endossement.
88®. — C’est par des considérations identiques que
devra se régler le sort des lettres de change devenues
simples promesses, par application des articles 110 et
112.
Ainsi, la traite nulle comme lettre de change, à défaut
de remise de place en place, pouvant, si elle réunit tous
�432
DE LA L E T T R E DE CHANGE
les autres caractères de la lettre de change, valoir com
me billet à ordre, la propriété en serait transférée con
formément à l’article 136 1.
Il en serait autrement, si le vice de la lettre gisait dans
l’absence de l’ordre ou dans l’insuffisance de son expres
sion. Ne serait donc pas transmissible par endossement
la traite déclarée payable au bénéficiaire ou en sa fa v e u r
au lieu de : ou à son o r d r e 2.
3 8 8 . — La cession d’une lettre de change ou d’un
billet à ordre est appelée endossement, par l’unique rai
son qu’elle s’écrit au dos de l’une ou de l’autre. Q u ia
d o rso in s c r ib i s o l e t 3.
Dès lors le législateur, consacrant cette locution, a
suffisamment manifesté son opinion sur la question de
savoir si l’endossement peut être régulièrement fait par
acte séparé du titre. Un usage de celte nature ne ferait
que susciter des obstacles et des difficultés, la propriété
du porteur actuel se prouve par la série de négociations
précédentes. Comment les apprécier, si chacune d’elles
avait été opérée par un acte spécial et distinct.
Dans la pratique, on n’a jamais hésité à proscrire un
pareil mode. C’est au dos de la lettre que viennent suc
cessivement s’inscrire chaque négociation nouvelle, et
lorsque le papier n’est pas suffisant pour les renfermer
1 Bruxelles, 20 janvier 4830.
2 D ouai, 24 octobre 1809.
3
Ileineccius, chap. 2, n° 27.
�ART. 136.
•433
toutes, un nouveau papier vient réellement allonger la
lettre de change , ce qui lui a fait donner la qualifica
tion d’allonge.
Quel serait cependant le sort d’un endossement par
acte séparé ? Serait-t-il nul, ou bien devrait-il sortir à
effet ?
La nullité n’aurait aucun fondement équitable. Cha
cun, en effet, est maître de disposer de sa propriété de
la manière qu’il l’entend. Celte disposition, une fois réa
lisée, devient définitive et irrévocable.
Donc, du cédant au cessionnaire, l’endossement par
acte séparé désinvestirait l’un et investirait l’autre; mais
cet effet ne pourrait être acquis définitivement contre
les tiers que par la notification du transport qui devient
dans ce cas un transport ordinaire. Le cessionnaire ne
serait pas recevable à se plaindre de cette décision. Il
pouvait user de la négociation commerciale et éviter
ainsi l’application de l’article 1690. Il a préféré le con
traire, il est juste qu’il en supporte les conséquences.
3 8 0 . — L’endossement pourra-t-il être consenti par
devant notaire ? On sait que la lettre de change peut
être rédigée dans celte forme, et qu’elle n’en est pas
moins transmissible par endossement. Pourquoi donc
l’endossement ne saurait-il à son tour revêtir la même
forme ?
La négative paraît d’autant plus extraordinaire qu’en
principe tous les actes susceptibles d’être consentis sous
seing-privé peuvent à plus forte raison l’être par acte
i — 28
�434
DE LA L E TTR E DE CHANGE
authentique. Le notaire n’est-il pas institué précisément
pour suppléer à l’ignorance ou à l’impuissance des p ar
ties ? L’authenticité n’est-elle pas dans les véritables pré
visions de la loi ?
Cependant, MM. Locré et Pardessus répondent à notre
question par la négartive, ils pensent que l’endossement
ne peut être fait par acte authentique.
La défense absolue ne nous paraît pas pouvoir être
juridiquement établie. Dans ce se n s , l’opinion de
MM. Locré et Pardessus devait être repoussée.
Ce qui l’a déterminée, ce sont les conséquences d’un
pareil mode d’endossement, les inconvénients qu’il en
traînerait.
D’abord, il est douteux que les notaires consentissent
à écrire l’endossement au dos de la lettre. Ils ne peu
vent, en effet, sous peine d’amende, inscrire deux obli
gations sur un même papier. Il est vrai que les auteurs
du Dictionnaire du notariat estiment qu’il y aurait dans
l’hypothèse dérogation au droit commun, mais cette opi
nion, toute respectable qu’elle est, ne remplace pas la
loi, sur laquelle la régie de l’enregistrement ne s’est pas
encore expliquée.
En supposant la dérogation enseignée par le Diction
naire, ce qui est certain, c’est que l’endossement nota
rié obligerait à faire préalablement enregistrer la lettre,
ou tout au moins à le faire simultanément avec l’endos
sement lui-même.
Tout cela peut ne pas pouvoir être fait le même jour.
Ce serait donc une perte de temps ajoutée à des frais
�ART. 156.
43S
plus ou moins considérables. Or, le commerce n’admet
ni l’une ni l’autre.
En réalité donc l’endossement notarié est inconcilia
ble avec la rapidité que la circulation des effets doit es
sentiellement offrir. Cette vérité est sans doute la clef de
l’opinion émise par les deux honorables jurisconsultes
que nous venons de nommer.
Mais l’unique conclusion à tirer de celte incompati
bilité, c’est que, dans la pratique, on n’endossera pas
devant notaire. Mais si on l’avait fait, on ne voit pas
comment on se déterminerait à ne pas accorder à l’en
dossement tous ses effets.
390. — L’endossement n’a pas besoin d’être écrit
de la main du signataire. La signature suffit ici, comme
elle suffit pour la lettre de change, pour l’acceptation.
On n’exige pas non plus que cette signature soit précé
dée du bon et approuvé prescrit par l’article 4326 du
Code civil. Raison de plus, pour que dans le commerce
on n’endosse pas par acte notarié. 11 est en effet bien
peu de commerçant qui ne sache au moins signer son
nom.
391. — Lorsque la lettre de change a été tirée à
plusieurs exemplaires, il n’est pas nécessaire que les di
vers endossements soient inscrits sur chacun d’eux. Le
dernier porteur est propriétaire et profite de tous ceux
qui ont été apposés sur d’autres duplicata que celui dont
il est porteur. D’une part, dit M. Nouguier, les endos-
�436
DE LA L E TTR E DE CHANGE
semenls développent l’opération du contrat de change ;
ils sont tous et successivement la continuation de cette
convention ; en sorte qu’ils ne font qu’un avec la let
tre dont ils étendent le bénéfice aux nouveaux interve
nants.
D’autre part, les duplicata de la lettre étant simple
ment des copies, dont l’ensemble constitue l’acte, ap
partiennent tous au propriétaire. Il suit de là que les
endossements, qui se trouvent sur d’autres exemplaires
que celui dont est possesseur le porteur définitif, sont la
garantie de sa créance aussi bien que les signatures
qu’il a en mains.
2 9 2 . — L’endossement constituant une aliénation
exige que celui dont il émane soit capable de contracter
et d’aliéner. Aucun doute ne s’élèverait sur le sort de
celui souscrit par un interdit, par un mineur non au
torisé à faire le commerce, par une femme mariée non
marchande publique.
3 9 * . — La difficulté peut naître de la faillite et des
fraudes que son approche est dans le cas de détermi
ner. Pourrait-on donc quereller les endossements sous
crits depuis le jour indiqué, comme celui de la cessa
tion du payement, ou dans les dix jours qui l’ont pré
cédé ?
Une déclaration du 18 novembre 1702 annulait les
cessions faites par un commerçant dans les dix jours
précédant la faillite. Cependant, et nonobstant celle loi
�ART.
136.
437
précise, notre ancien droit respectait les négociations de
valeurs, et admettait qu’un endossement fait la veille de
la faillite était valable et transportait tous les droits ré
sultant de la lettre de change à celui qui en avait payé
de bonne foi la valeur. Cet usage, disait M. Merlin, a été
consacré afin qu’il ne fût porté aucune atteinte à la foi
publique sous laquelle se fait la négociation de la lettre
de change.
Le législateur de 1807, professant pour la circulation
des effets commerciaux le même respect, la même sus
ceptibilité, dut arriver à un résultat identique, ce qui
était d’autant plus remarquable que le désinvestisse
ment légal du failli remontant au jour de la cessation
de payements, les valeurs négociées dans l’intervalle de
celle-ci au jugement déclaratif l’avaient été réellement
par un individu dépouillé de ses droits.
La loi de 1838 fixant le désinvestissement au jour du
jugement déclaratif, respecte par cela même les disposi
tions que le failli peut avoir fait de son actif. Sous son
empire surtout, il sera vrai de dire qu’un endossement
souscrit la veille du jugement déclaratif transférera la
propriété de la lettre de change.
Mais à la même condition que celle exigée par l’an
cien droit, à savoir : que le bénéficiaire en aura de bonne
foi payé la valeur. Ce que la loi entend respecter, c’est
une négociation dont l’habitude est dans la coutume et
les usages du commerce, qui dès lors n’a par elle-même
rien d’étrange, rien qui doive éveiller les soupçons.
Je donne de l’argent, je reçois une traite, il n’y a
�438
DE LA LE TTR E DE CHANGE
rien de plus simple. La preuve de la bonne foi résulte
du fait que je livre réellement mes fonds, que j’achète
la lettre de change.
Dès lors, si je reçois celle-ci sans livrer les fonds, si
je compense sa valeur avec ce qui m’est dû par le por
teur, ce n ’est pas un achat que je contracte, c’est un
payement que je reçois, le sort de mon opération se
trouve dès lors régi par les articles 446 et 447 du Code
de commerce.
8 9 4 . — La faillite du tireur est-elle un obstacle à
l’endossement ultérieur de la lettre de change? L’affir
mative est enseignée par la doctrine. L’article 1693 du
Code civil exige que celui qui vend une créance ou au
tre droit incorporel en garantisse l’existence au moment
de la vente, alors même qu’il vendrait sans garantie.
L’application de cette disposition à l’endossement est
d’autant moins douteuse, que celui-ci entraîne la garan
tie solidaire l.
C’est même cette circonstance qui rendra notre ques
tion de peu d’intérêt toutes les fois que la solvabilité du
cédant sera certaine et que le protêt aura été requis en
temps utile. Le recours que le cessionnaire ne manquera
pas d’exercer amènera son désintéressement, il n’aura
dès lors aucun intérêt à poursuivre la nullité de l’endos
sement.
Mais cet intérêt sera incontestable lorsque, en cas de
1 Nouguier, t. 4, p. 891.
�ART.
156.
439
protêt tardif, le cessionnaire voudra recourir contre son
cédant. En effet, la nullité de l’endossement sera le seul
moyen de se soustraire à la déchéance prononcée par la
loi. Or, cette nullité devrait être prononcée ainsi que
nous venons de le dire l.
8 0 5 . — L’endossement d’une lettre de change en
faveur d’une maison qui est en état de faillite et qui
n’en a pas fourni la valeur n’est point translatif de pro
priété, il ne peut même valoir comme simple procu
ration.
Cette règle n’est que l’application du principe exi
geant, pour la validité des conventions, la capacité réci
proque des parties. Or, le commerçant déclaré en faillite
ne peut plus contracter, le désinvestissement dont il est
l’objet lui fait perdre la faculté d’acquérir.
D’autre part, on ne peut accepter un mandat que si
on peut le remplir. Or, le commerçant failli, incapable
de se livrer au commerce tant qu’il ne sera pas relevé
de son état, ne peut accepter la mission que son ancien
correspondant lui confierait.
Nous avons dit, ailleurs, quel serait le sort des valeurs
qui n ’arriveraient au failli qu’après la cessation des
payements3. Nous ajoutons que les effets commerciaux
endossés ou envoyés en recouvrements dans l’ignorance
1 Cass., 20 décembre 1821. Paris, 7 novembre 1840.
1840, 643.
2 V. notre T r a i t é s u r le s f a i l l i t e s , n° 1114.
J. du
P „ 2,
�440
DE LA LETTRE DE CHANGE
de la faillite, n’auraient pas cessé d’appartenir à l’expé
diteur ; qu’il pourrait en conséquence les revendiquer
contre le tiers porteur auquel le failli les aurait négociés.
Accepter un transfert d’un homme judiciairement déclaré
en faillite, c’est exclure toute idée de bonne foi
8 9 6 . — Tant que la lettre de change n’est pas
échue, la faculté de la négocier ne saurait être contestée.
L’endossement en transférerait la propriété avec tous les
droits, tous les privilèges qui y sont attachés envers et
contre tous les signataires. Qu’en est-il de la lettre de
change échue, peut-elle encore devenir l’objet d’un en
dossement translatif de propriété ?
La négative, que des jurisconsultes honorables ont
enseignée, nous paraît reposer sur une évidente confu
sion entre les débiteurs de la lettre et les endoseurs.
Sans doute la négociation de la lettre après son échéance
ne fera pas revivre les droits éteints contre ceux-ci, mais
pourquoi cet effet empêcherait-il la transmission des
droits du porteur contre les souscripteurs, donneurs d’a
val ou accepteur ?
Telle est cependant l’unique raison que Savary donne
de son opinion. L’article 32 de l’ordonnance, dit-il,
veut que faute de payement dans un billet de change,
le porteur fasse signifier et fasse ses diligences contre
celui qui aura signé le biflet ou l’ordre, et l’assignation
de garantie sera donnée dans les délais prescrits pour
i P aris, 25 janvier 1830.
�art,
156.
441
les lettres de change, de sorte qu’aux termes de cet ar
ticle les porteurs devraient faire leur diligence contre les
souscripteurs dans les dix jours de l’échéance. Or, dans
l’espèce, le billet était échu depuis le 13 décembre, il
n’a été négocié que le 11 mars suivant, dès lors le billet
n’était plus négociable après le temps dans lequel les
diligences devaient être faites l.
Evidemment l’interprétation que Savary fait de l’arti
cle 32 de l’ordonnance est erronée. Tout ce qui résultera
de sa violation, c’est la perte de la garantie contre les
endosseurs. Le signataire n’en sera pas moins obligé
jusqu’à payement, sans qu’on soit obligé de lui faire la
moindre signification. C’est Savary lui-même qui nous
l’apprend2. Dès lors, que l’endossement soit sans effets
pour les endosseurs si à l’échéance les diligences n’ont
pas été remplies, on le comprend, mais comment con
tester son efficacité contre les débiteurs principaux.
Au reste, si la signification de l’article 32 de l’ordon
nance était telle que l’admet Savary, il faudrait, pour en
appliquer aujourd’hui les conséquences, que le Code se
la fût appropriée. Or, rien de semblable n’existe. La
Cour de cassation n’a pas manqué, toutes les fois qu’elle
a été appelée à s’expliquer sur la question, de le cons
tater. Voici notamment ce que nous lisons dans l’arrêt
du 28 janvier 1834 :
1 Savary,
Varère'l5, 2e question.
Des diligences., etc., p. 228.
2 Liv, 3, chap. v in ,
�442
DE LA LETTRE DE CHANGE
3 9 1 . — « Considérant, en droit, qu’en déterminant
les différentes conséquences qu’il attache au fait de l’é
chéance des lettres de change et des billets à ordre, le
Code de commerce ne dit nulle part que ces titres
perdent par ce seul fait leur nature d’effets de commerce
négociables; que l’article 136 dispose d’une manière
générale et absolue, et n’établit aucune distinction entre
le cas où l’endossement serait antérieur à l’échéance et
celui où il serait postérieur ; qu’ainsi la propriété d’une
lettre de change ou d’un billet à ordre peut être trans mise par un endossement postérieur.
M. Pardessus admet cette doctrine et son résultat,
mais du cédant au cessionnaire seulement. Il repousse
l’une et l’autre à l’égard des créanciers du cédant. Pour
ce qui les concerne, dit-il, la lettre de change une fois
échue est entrée irrévocablement dans l’actif de celui
qui s’en trouve propriétaire en ce moment ; le sort de
tous ceux qui ont contracté est alors fixé : les uns ayant
des recours à exercer, les autres des garanties à donner,
d’autres enfin des compensations ou des exceptions à
faire valoir. Ainsi l’endossement, aussi régulier qu’il pût
être, qu’en ferait le porteur, n’opèrerait pas les effets de
celui qui est consenti avant l’échéance, et n’empêche
rait ni les saisies-arrêts faites entre les mains du débi
teur par des créanciers du cédant postérieurement à l’é
chéance et antérieurement à l’endossement, ni les ex
ceptions que le débiteur lui-même pourrait opposer, si
depuis l’échéance et avant l’endossement il avait acquis
sa libération par compensation ou par tous autres
�ART.
136.
443
moyens. Cependant, ajoute M. Pardessus, il paraît que
cette distinction n’est pas admise par l’usage 1.
898. — M. Pardessus pose en fàit ce qui est en
discussion, car on ne peut trouver un fondement sérieux
à la position qu’il fait aux tiers et au débiteur lui-même,
dans cette considération que la lettre de change une fois
échue est entrée irrévocablement dans l’actif de celui
qui s’en trouve propriétaire en ce moment.
En la forme, cette lettre de change en sera-t-elle
moins à l’ordre du porteur ? Or , nous le disions tout à
l’heure, la forme suffit pour rendre l’article 136 appli
cable. Nous avons rappelé qu’on l’avait ainsi jugé no
tamment pour un billet à ordre causé valeur reçue en
prix de bail.
D’autre part, le besoin pour le porteur d’être payé
n’est-il pas plus urgent après l’échéance qu’avant ? Fau
dra-t-il donc qu’il se transporte lui-même sur les lieux
ou qu’il envoie une procuration. Mais n ’est-ce pas pré
cisément pour obvier dans tous les cas à l’un ou à l’au
tre qu’il a exigé un titre à ordre et dès lors transmissi
ble par endossement ? On comprend que l’usage, ainsi
que le reconnaît M. Pardessus, repousse cette doctrine.
L’arrêt de la Cour de cassation s’explique sur les ob
jections de M. Pardessus. Ainsi, il constate que le por
teur d’une lettre de change ou d’un billet à ordre, qui
en est devenu le propriétaire par un endossement régui
Droit comm., n° 352. Conf. N ouguier, 1 . 1, p. 290.
�444
DE LA LETTRE DE CHANGE
lier, est créancier direct des souscripteurs, et qu’il n’est
passible que des exceptions qui lui sont personnelles ;
que ce principe tient à l’essence des lettres de change et
billets ù ordre, cfu’il ne pourrait recevoir exception, re
lativement au porteur par endossement postérieur à l’é
chéance, qu’en vertu d’une disposition de loi, disposi
tion qui n’existe pas.
Relativement à l’exception de payement que le débi
teur pourrait élever, la Cour suprême ajoute, que le seul
fait de l’échéance ne prouve pas le payement, alors que
l’effet est demeuré entre les mains de celui au profit de
qui il avait été souscrit, et qu’il ne porte pas d’acquit ;
que le souscripteur qui aurait payé nonobstant ces cir
constances devrait s’imputer sa propre négligence et se
rait dans un cas analogue à celui prévu par l’article 148.
En résumé donc il importe peu que l’échéance de la
lettre ou du billet h ordre ait fait disparaître par extinc
tion ou règlement les obligations qui s’étaient accessoire
ment groupées autour de l’obligation principale. Tant
que celle-ci n’est pas éteinte, le titre reste ce qu’il était
avant, une créance à ordre. Il peut dès lors être trans
mis par voie d’endossement.
890. — La difficulté que nous avons indiquée au
sujet de l’acceptation, s’est produite à l’égard de l’en
dossement. Peut-on effacer celui-ci après l’avoir écrit?
L’affirmative nous paraît inévitable dans toutes les
hypothèses. Par exemple, un endossement a été par er
reur matérielle inscrit sous le nom d’une personne autre
�ART.
156.
445
que celle qui devait en profiter réellement. Pour quel
motif ne pourrait-on , en le biffant, corriger cette er
reur ?
Dans une autre hypothèse, des pourparlers sont enga
gés pour une opération commerciale. Croyant à une so
lution favorable, la partie qui a des valeurs à remettre
les endosse d’avance, mais, par une circonstance for
tuite, les parties rompent entre elles et l’opération se
trouve abandonnée.
Enfin, une troisième hypothèse peut s’offrir, un mar
ché est terminé et a été exécuté, mais d’accord commun
les parties en conviennent l’annulation. Chacune d’elle
restitue ce qu’elle avait reçu et rentre en possession de
ce qu’elle avait donné.
Dans ces deux dernières hypothèses, il n’y a pas plus
de difficultés que pour la première. Aussi la doctrine
moderne a admis la faculté de rayer l’endossement.
C'est en effet le moyen le plus simple et le plus naturel
qu’on puisse employer.
L’ancienne doctrine pensait autrement. Savary, entre
autres, dans son vingt-quatrième parère, enseigne que
l’endossement ne peut être rayé, qu’une fois souscrit il
ne peut être rétracté que par une contre-passation de
celui au nom duquel il est rédigé.
La contre passation serait facile dans la troisième hy
pothèse, car elle serait la condition de l’annulation du
marché. Mais il pourrait en être autrement dans les deux
autres, dans la seconde notamment.
Comment en effet contraindre la partie blessée de la
�446
DE LA LETTRE DE CHANGE
rupture des pourparlers de réaliser cette contre-passa
tion? Quelle voie prendre pour vaincre son refus? Adop
ter l’opinion de Savary, serait donc vouloir se précipiter
dans des inconvénients et dans des difficultés que les
causes commerciales ne comportent pas.
D’ailleurs, il n’est pas exact de dire que l’endosse
ment transmet ipso facto la propriété, il faut avec l’en
dossement la remise matérielle de l’etfet endossé. Donc,
sauf les cas de dol et de fraude, tant que la remise ne
s’est pas opérée, la lettre ou le billet appartient réelle
ment à son détenteur.
Enfin, la contre-passation sera bien souvent refusée,
de la part de celui qui doit la consentir, par le motif
qu’elle est un endossement l’exposant à garantir solidai
rement le payement de l’effet en faveur des porteurs ul
térieurs. Il ne la consentirait donc qu’à la condition
que l’ordre qu’il souscrirait serait à forfait et sans ga
rantie.
Mais une pareille clause serait refusée par l’autre
partie. La méfiance qu’elle décèle déshonore la lettre ou
le billet, à tel point qu’il ne trouverait peut-être plus à
le négocier.
Ainsi donc, la faculté consacrée par la doctrine mo
derne est préférable de tous points à l’avis de Savary.
L’endossement n ’est qu’un projet tant que l’effet n’a pas
été lancé dans la circulation, et son biffement ne prouve
qu’une seule chose, à savoir : que ce projet a été aban
donné par erreur, par désaccord, ou par un consente
ment réciproque.
�ART.
136.
447
L’effet de ce dernier peut se manifester à toute épo
que, mais à condition que les choses seront entières,
c’est-à-dire que la négociation n’aura été suivie par
aucune autre. Il est évident que celui qui a reçu un ef
fet commercial et qui l’a lui-même transmis ne pourrait
consentir à ce que son cédant rayât sa signature. Le
bénéfice de celle-ci a été cédé et est acquis au cession
naire.
Dans l’usage, lorsqu’après protêt la lettre de change
est remboursée par les endosseurs successifs, chacun
d’eux efface sa signature en opérant ce remboursement.
C’est là un fait parfaitement légal contre lequel nul
n’aurait à redire. Le payement a épuisé les obligations,
et l’existence de la signature est indifférente pour la
poursuite des droits.
3 0 0 . — L’endossement d’une lettre de change peut
n’avoir pour objet qu’un nantissement. Dans ce cas, il
est fait exception à l’article 2074 du Code civil, à l’égard
de la nécessité de l’enregistrement. Cet article reçoit ce
pendant application aux matières commerciales. L’ex
ception dans notre hypothèse n’est donc que la consé
quence de la forme de l’acte ; qu’une nouvelle preuve
du respect du législateur pour la lettre de change.
Cette exception est d’ailleurs rationnelle : qui peut le
plus peut le moins. Or, l’endossement transfère la pro
priété aux termes de l’article 136. Pouvait-on, dès lors,
lui méconnaître la faculté de l’engager? Quant à l’ob
jection tirée de l’article 2075, on a fait remarquer que
�448
DE LA LETTRE DE CHANGE
sa disposition gardait le silence sur les effets de com
merce qui s’en trouvaient dès lors exceptés h
301. — L’endossement peut également ne conférer
qu’une procuration à l’effet de requérir le payement de
la lettre de change. Nous allons voir bientôt que dans
certaines circonstances la loi ne lui reconnaît que ce ca
ractère. Mais indépendamment de cet effet légal, rien
n’empêche les parties de ne constituer qu’un mandat,
en s’en expliquant formellement dans l’endossement.
Cette doctrine est conforme à l’ancien droit sous l’em
pire duquel on reconnaissait trois espèces d’endosse
ment. Le premier transférant la propriété sans qu’il fût
nécessaire de transport ou de notification ; les deux au
tres ne valant que comme procuration, à cette seule dif
férence entre eux que l’un était exclusivement person
nel, tandis que l’autre pouvait être substitué.
Aussi l’endossement : Et pour moi vous payerez le
contenu d’autre part à un tel, sans expressions de va
leur reçue, ne valait que comme simple procuration, de
telle sorte que les créanciers du signataire pouvaient
faire saisir et arrêter le montant de la créance entre les
mains du débiteur, de plus le mandat était purement
personnel à celui en faveur de qui il était souscrit.
L’endossement : Et pour moi payez le contenu d’au
tre part, à un tel ou à son ordre , produisait exacte
ment les mêmes effets, seulement le mandataire pouvait
�ART. J 57, 158.
449
déléguer le mandat, les mots ou à son ordre valant pou
voir de se substituer l.
Nous allons examiner, sous les deux articles suivants,
ce qu’il en serait de ces expressions sous l’empire du
Code de 1807.
ARTICLE
137.
L’endossement est daté.
Il exprime la valeur fournie.
Il énonce le nom de celui à l’ordre de qui il est passé.
ARTICLE
138.
Si l’endossement n’est pas conforme aux dispositions
de l’article précédent, il n’opère pas le transport ; il n’est
qu’une procuration.
SOMMAIRE
302. Distinction de l’endossement en régulier et irrégulier.
303. Précautions exigées par l ’ordonnance de 1673.
304. Le Code exige comme première condition que l ’endosse
ment soit daté. Motifs.
305. Le Code a prohibé tout équipollent. La date n ’est pas uti-
1 Bornier, Ordonnance de 1673, tit. v, art. 24.
i — 29
�430
DE LÀ LETTRE DE CHANGE
lement indiquée par ces expressions : ut ré tro , ut
supra.
306. Arrêts de la Cour de cassation exigeant une date spéciale
et expresse pour l ’endossement d’une lettre tirée à l’or
dre du tireur lui-même. Discussion.
307. L’omission de la date ne serait suppléée nipar un aval de ga
rantie donné à l'endossement, ni par un protêt faute
d’acceptation.
308. La seconde condition exigée est que l’endossement expri
me la valeur fournie. Conséquences.
309. Application à l'endossement des motifs de l’article MO sur
la lettre de change. Raisons de douter. Conséquences
pour les expressions valeur vraie, valeur reçue, etc.
310. Doutes élevés sur celles valeur reçue comptant, valeur en
compte. Validité des unes et des autres.
311. Décisions rendues sur l’endossement valeur en compte.
312. Validité de l’endossement valeur en solde.
312 bis. Quid de l ’endossement valeur en garantie ?
313. De celui causé valeur en bons offices.
314. Exception que cette seconde condition comporte pour les
billets à ordre non commerciaux.
315. En matière d’effets commerciaux, l ’omission de l’expres
sion de la valeur ne peut être suppléée. Inadmissibilité
de la preuve.
316. Troisième condition, indication du nom du preneur. Ca
ractère.
3)7. Effets de l’endossement régulier. Quid pour les garanties
hypothécaires attachées au titre négocié.
31!;. Quel est l ’effet de la subrogation lorsque l ’hypothèque a
été donnée pour la garantie d’un crédit ouvert.
319. Caractère et conséquences de l ’endossement ne réunissant
pas les conditions de l’article 137.
320. Peut-on considérer comme tiers les débiteurs, tireur et
accepteur de la lettre de change? Conséquences de l’af
firmative.
�art.
321.
322.
323.
324.
325.
226.
327.
328.
329.
330.
331.
332.
333.
3S4.
335.
137, 138.
451
Effet de l'endossement irrégulier entre le cédant et le ces
sionnaire.
Caractère de l'action que le porteur d’un endossement ir
régulier exercera contre les tiers. Ses effets.
L’endossement irrégulier vaut mandat de négocier la let
tre de change. Exception que cette règle comporte.
Difficultés que fera naître cette négociation, si elle est faite
régulièrement.
Le porteur de l'endossement irrégulier devient dans ce cas
garant du payement, en suite de l ’endossement qu’il a
consenti.
S’il est obligé de payer à l ’échéance, sera-t-il subrogé au
porteur, ou restera-t-il mandataire? Opinion de M.Nouguier dans ce dernier sens.
Réfutation.
Jurisprudence.
Caractère de l ’endossement en blanc.
Motifs qui ont constamment fait échouer sa prohibition.
Lettre de d’Aguesseau.
La faculté conservée sous le Code, de remplir l’endosse
ment en blanc, enlève toute efficacité à la disposition
qui le réduit à l’état de procuration.
Peut-on remplir l’endossemeut après la faillite de l’endos
seur?
Effet de l’endossement en blanc entre parties.
Effets vis-à-vis des tiers, avant et après remboursement,
à la suite d’une négociation valable.
Résumé.
303.
— Dans le langage de la loi, l’endossement
ne comporte pas d’autre distinction que celle résultant
de l’accomplissement ou de l’omission des formes exi
gées pour sa régularité. Il est ou non translatif de pro-
�452
DE LA LETTRE DE CHANGE.
priété, selon que le souscripteur a obéi ou non aux pres
criptions de l’article 137.
L’ordonnance de 1673 admettait une différence, l’en
dossement n’était que la signature apposée derrière l’ef
fet et n’opérait que simple procuration ; elle appelait
ordre celui qui remplissait les conditions qu’elle exi
geait pour que l’endossement transférât la propriété.
Cette différence a disparu. Dans tous les cas, la loi
actuelle accepte la négociation comme un endossement,
seulement en doctrine et en jurisprudence on spécifie
l’endossement en le déclarant régulier lorsqu’il est con
forme à l’article 137, irrégulier dans le cas contraire.
3 0 3 . — L’effet énergique d’un endossement a de
tout temps commandé et imposé le devoir et la nécessité
d’en régler les formes, d’en préciser le caractère et d’en
subordonner les conséquences à l’accomplissement des
premières. Ce devoir avait été soigneusement rempli
par le législateur de 1673.
Ainsi, l’article 23, titre 5 de l’ordonnance ne consi
dère l’ordre comme translatif de propriété que s’il est
daté ; que s’il énonce le nom de celui qui en a donné
la valeur en argent, marchandises ou autrement. Ces
conditions avaient pour objet de fixer le moment de la
négociation, de justifier la réalité du contrat, en expri
mant la nature de la valeur et en désignant le cession
naire. C’étaient là des précautions tendant à prévenir
l’abus, qu’après la faillite ou à ses approches un com
merçant pouvait faire des endossements en blanc, dissi-
�ART.
137, 138.
4S3
mulant ainsi le plus clair de son actif au préjudice de
ses créanciers. Aussi, la mention de la date était-elle ri
goureusement exigée. Savary et Jousse citent des arrêts
de parlements qui avaient tantôt annulé, tantôt con
sidéré comme simple procuration l’endossement non
daté.
La sagesse de ces précautions ne pouvait échapper au
législateur de 1807. Les déplorables abus de tout genre
qui avaient surgi du bouleversement social qu’on venait
de traverser rendaient le rétablissement de la règle bien
plus indispensable. Cette conviction amena la consécra
tion de l’article 137. On maintint l’endossement, on lui
conserva son effet contre les tiers, mais on le soumit à
des conditions dont l’inaccomplissement le faisait dégé
nérer en simple procuration.
304.
— La première de ces conditions est que l’en
dossement soit daté.
Les motifs qui l’avaient ainsi fait admettre par l’or
donnance de 1673 n’avaient pas cessé d’exister en 1807.
La date est indispensable pour constater la capacité de
la partie. Comment à son défaut pourrait-on juger si le
signataire n’était pas, au moment de la négociation,
dans les liens de la minorité, de l’interdiction, du ma
riage.
C’est surtout dans le cas de faillite actuelle ou immi
nente que la date acquiert la plus haute, la plus décisive
importance. Les valeurs de portefeuille courraient grand
risque d’être enlevées aux créanciers si on pouvait les
�454
DE LA LETTRE DE CHANGE.
transmettre par une négociation sans date. Il est vrai
que la faculté d’antidater détermine à peu près le même
résultat ; mais la loi ne pouvait, contre cette éventualité,
que prendre les précautions que la nature des choses
comportait. Elle s’est donc bornée à proscrire l’antidate,
qu’elle assimile au faux.
305.
— Dans l’ancienne pratique commerciale, on
avait admis un équipollent pour suppléer à la date, et
même à l’expression de la valeur. Cet équipollent con
sistait à s’en référer aux énonciations qui se trouvaient
déjà dans la lettre de change. Ainsi, on endossait :
Payez à l’ordre de...... valeur en compte, u t r é t r o ,
Payez à l'ordre de...... valeur reçue, u t s u p r a . Mais
ces expressions, dont le sens varie suivant la place
qu’elles occupent et qui peuvent s’appliquer à toutes les
énonciations de la lettre de change, devaient être re
poussées par la nouvelle doctrine comme n’en suppléant
spécialement aucune.
Fallait-il conclure de là que lorsque la spécialité de
ces expressions résultait notamment de ce que la date
seule manquait à l’endossement, remplissant toutes les
autres conditions de la loi, on devait déclarer cet en
dossement régulier ?
L’affirmative avait été adoptée par la cour d’Aix, le
9 février 1815, mais son arrêt, ayant été frappé d'un
pourvoi, fut cassé par la Cour régulatrice, le 23 juin
1817, malgré que la validité de l’endossement n’eût été
�admise que parce que les traites avaient été souscrites à
l’ordre du tireur.
306.
— Cet arrêt de la Cour suprême pose un prin
cipe dans lequel nous la voyons plus tard persister.
Ainsi elle consacre, le 14 novembre 1821, que la date
de l’endossement doit être expressément indiquée, alors
même que, s’agissant d’une lettre de change à l’ordre
du tireur, l’endossement émane de celui-ci.
Ces deux décisions de la Cour étaient l’abandon fla
grant de la jurisprudence qu’elle avait jusqu’alors sui
vie. Ainsi elle jugeait expressément le contraire, le 2
prairial an xm , sur le motif que la lettre de change,
souscrite à l’ordre du tireur, n’est parfaite que par l’or
dre qu’il en passe à un tiers, qu’il importait peu que
cet ordre ne fût pas daté, la date étant alors celle de la
lettre de change qu’il ne faisait que compléter.
Ce dernier arrêt était, il est vrai, rendu sous l’empire
de l’ordonnance de 1673. Mais, ainsi que nous venons
de le dire, le Code n ’a fait que sanctionner les disposi
tions de celle-ci. Dès lors, tout ce qui était juridique
alors ne pouvait pas ne pas l’être aujourd’hui.
Dans cette conviction, nous n’hésitons pas à préférer
la solution de l’arrêt de l’an xm à celle donnée par
ceux de 1817 et 1821. Elle nous paraît plus conforme à
la logique, plus en rapport avec le véritable esprit de la
loi.
En effet, l’article 137 ne concerne que l’endossement
ordinaire, c’est-à-dire celui qui, venant accessoirement
�456
DE LA LETTRE DE CHANGE
s’unir et s’incorporer à la lettre de change, n’en consti
tue pas moins une obligation nouvelle, distincte de tou
tes celles qui l’ont précédée et destinée à produire des
effets spéciaux.
Dès lors, si l’une des obligations doit être datée, l’a u
tre doit l’être également. Les motifs qui le recomman
daient pour l’une militaient également pour l’autre.
L’existence de deux débiteurs distincts imposait la né
cessité de s’assurer de leur capacité respective.
Mais l’endossement d’une lettre souscrite à l’ordre du
tireur n’offre aucun de ces caractères. A proprement
parler, il n’est et ne peut pas être un véritable endosse
ment, il n’est que le complément de la lettre qui n’exis
tait pas avant sa confection. Aussi son auteur n’est pas
obligé comme endosseur ; il l’est exclusivement comme
tireur, ne pouvant invoquer la déchéance résultant de la
tardiveté du protêt ou du défaut de diligences dans le
délai voulu , à moins qu’il ne prouvât qu’il avait fait
provision.
En réalité donc, comme l’observe M. Pardessus, la
lettre de change souscrite à l’ordre du tireur lui-même
n’est pas, à proprement parler, une lettre de change.
Elle ii’acquiert ce caractère que par la négociation qui
en est faite en faveur d’un tiers. L’obligation du tireur
n’est nullement modifiée par cette négociation ; elle reste
après l’endossement ce qu’elle était avant, ce qu’elle au
rait été si la lettre avait été directement créée à l’ordre
du preneur.
Conséquemment on ne saurait voir dans cet endosse-
�art.
137, 138.
457
ment celui que la loi a voulu régir dans l’article 137.
Il n’est en effet que le supplément de la lettre de
change, que le complément du contrat ; il ne fait qu’un
seul tout avec la première, et dès lors à quoi bon deux
dates pour une seule obligation. Tout ce qui résultera
de l’omission de celle de l’endossement, ce sera d’en
rapporter le moment à la date de la lettre de change,
tout comme dans l’hypothèse contraire la lettre de
change emprunterait celle de l’endossement.
Nous estimons donc que la Cour de cassation s’est
trompée dans ses arrêts de 1817 et 1821, et qu’elle n’a
pas assez tenu compte de l’exception que la nature des
choses devait faire subir à l’article 137.
Mais cette exception est la seule. Dans tous les au
tres c a s , la date est de rigueur, ce n’est pas même là
un droit nouveau introduit par le Code. C’est en effet ce
que la doctrine et la jurisprudence anciennes avaient
admis et consacré.
3 0 » . — Sous l’empire de l’ordonnance, on s’était
demandé si le défaut de date pouvait être suppléé par
un protêt faute d’acceptation, ou par un aval de garan
tie donné à la suite d’un endossement et en faveur du
souscripteur ? La négative avait été admise, elle était no
tamment enseignée par Savary l.
Pothier, discutant cette solution pour laquelle il se
prononce d’ailleurs, observe : pour l’affirmative on dira
i Parère, 16, 2me et 3m" quest.
�438
DE LA LETTRE DE CHANGE
que l’endossement devant précéder l’aval et le protêt
n ’ayant pu être fait que depuis l’endossement, la date
de l’un ou de l’autre en assure une à l’endossement.
Mais, pour la négative, on répond que l’endossement
ayant été d’abord non valablement fait, faute de l’obser
vation d’une des formes requise par l’ordonnance, qui
est l’expression de la date, et n’ayant pas en consé
quence transféré la propriété de la lettre de change à
celui à qui l’ordre est passé, l’endosseur, qui a conservé
la propriété de la lettre, ne peut plus, sans son fait, en
être dépouillé par l’aval ou par le protêt, qui sont des
actes auxquels il n’a pas de p a rt l.
Sous le Code de 1807, cette doctrine ne doit rencon
trer ni difficulté ni doute, l’omission de la date ne peut
être réparée que par l’auteur de l’endossement, sauf les
droits des tiers. Il n’existe aucun autre moyen d’y sup
pléer, l’endossement qui en est vicié est donc définitive
ment irrégulier.
%
3 0 8 . — La seconde condition exigée par l’article
137, pour la régularité de l’endossement, consiste dans
l’expression de la valeur fournie.
Cette condition était une conséquence de la nature des
choses. La différence entre l’endossement et la lettre de
change ne consiste que dans ce fait unique, à savoir :
que celle-ci ne peut être souscrite au lieu où elle est
payable ; l’endossement, au contraire, n’ayant jamais à
1
C o n tr a t de c h a n g e ,
n° 40.
�réaliser le contrat de change, qui l’a nécessairement pré
cédé, peut y être signé. Sauf cette différence, l’endos
sement n’est pas autre chose que la lettre de change
elle-même. Comme elle, en effet, il est l’achat d’une
obligation moyennant une somme ou une valeur con
venue.
Sous ce point de vue , les principaux motifs qui ont
déterminé le législateur à exiger, dans l’article 110, que
la lettre de change exprimât la nature de la valeur, mi
litaient pour qu’il en fût ainsi en matière d’endossement.
D’ailleurs et en droit commun , une cession doit avoir
un prix, et l’obligation de l’exprimer devenait le corol
laire de l’effet qu’on allait donner à celle qui se réalise
par un endossement. Le transfert de la propriété s’opé
rant ipso facto, sans transport, sans notification, valait
bien la précaution ordonnée par le législateur.
309.
— En conséquence, tout ce que nous avons
dit sur l’article 110, à l’égard de l’insuffisance de l’ex
pression de la valeur, s’applique à l’endossement. La
doctrine et la jurisprudence ont déclaré communes à ce
lui-ci les règles qu’elles avaient admises pour la lettre
de change.
La raison de douter s’induisait du texte même des
deux articles. L’article 110 veut que la lettre de change
indique la valeur en espèces, en marchandises, en
compte ou de tout autre manière, taudis que l’article
137 se borne à prescrire l’expression de la valeur four
nie. Ne devait-on pas conclure de cette différence dans
�460
DE LÀ
LETTRE DE CHANGE.
Iss termes, que la loi ne demandait plus pour l’endosse
ment ce qu’elle voulait pour la lettre de change ?
On pouvait ajouter que le silence de l’article 137 est
d’autant plus remarquable que l’article 23, titre v de
l’ordonnance, qu’il venait remplacer, s’expliquait for
mellement et exigeait qu’on indiquât si la valeur de
l’endossement avait été donnée en argent, marchandises
ou autrement. Le silence du Code était donc prémédité,
et on aurait pu vouloir le faire considérer comme une
abrogation.
Mais ces raisons tombent devant la certitude que le
législateur de 1807 a entendu consacrer purement et
simplement la législation précédente ; elles s’effacent de
vant l’esprit de la loi. L’indication de la valeur est exi
gée, non pas à l’égard des parties, mais pour les tiers
exclusivement. Puisque l’endossement leur enlève de
plein droit et; sans signification une partie de l’actif de
leur débiteur, il était juste d’exiger qu’il fût par luimême dans le cas de les édifier sur le caractère de l’o
pération, sur la certitude d’un bon et valable payement.
Or, que pouvaient signifier pour eux ces expressions :
valeur vraie, valeur reçue, valeur convenue, valeur
entendue, etc. On devait donc les déclarer insuffisantes,
et c’est ce que la doctrine et la jurisprudence n’ont pas
hésité à faire.
310.
— L’intérêt des tiers à être édifiés sur la valeur
réelle de l’endossement avait même élevé des doutes que
la jurisprudence a eu à dissiper. On avait notamment
�art .
137, 138.
461
contesté la régularité de l’endossement causé : valeur
reçue comptant, ou valeur reçue en compte, mais ces
difficultés ne pouvaient être sérieuses. En effet, endos
ser valeur reçue comptant, c’est exprimer que la né
gociation a eu lieu contre espèces, et qu’en conséquence
la valeur a été payée et reçue en argent 1.
L’expression valeur en compte ne saurait non plus
être déclarée insuffisante ou repoussée. Sans doute elle
ne comporte aucune idée de quittance ; elle l’exclut mê
me, car elle signifie qu’il existe ou qu’il existera un
compte où cette valeur sera comprise ; mais cela n’em
pêche pas que la cession ne soit parfaite, ot que l’effet
endossé ne soit devenu la propriété exclusive du pre
neur. Son cédant lui a fait crédit, il lui a livré le pa
pier au même titre qu’il lui aurait donné des espèces.
L’opération est donc incontestable pour les tiers, comme
pour les parties elles-mêmes.
Pour celles ci, en effet, la mention de l’effet au débit
de l’un compense son inscription au crédit de l’autre et
en devient en quelque sorte le payement. Jusqu’à rè
glement, il n ’y a en réalité ni débiteur, ni créancier.
Ce règlement fait, le reliquataire est débiteur non pas de
tel ou tel article du compte, mais de la balance.
L’endossement valeur en compte est bien plus incon
testable pour les tiers. Absolument non recevables à exciper de l’existence du compte, ils n’en possèdent pas
les éléments, ils sont, par conséquent, dans l’impossi1 Cass., 43 novembre 4824.
�462
DE LA LETTRE DE CHANGE.
bilité d’établir que l’effet n’a pas été reçu par le ces
sionnaire à titre de payement de ce qui lui était dû.
Cette présomption est même celle qu’il convient d’appli
quer, elle justifierait à elle seule le transport de la pro
priété.
311.
— àu reste, payement ou crédit, l’effet est le
même. L’endossement valeur en compte est régulier et
translatif de propriété. C’est ainsi que l’a consacré la ju
risprudence l.
Elle a également décidé qu’un pareil endossement est
immédiatement translatif de propriété, sans qu’on puisse
prétendre qu’il ne la transfère que sous la condition que
le cessionnaire justifiera qu’il est créancier de l’endos
seur et qu’à défaut de cette preuve celui-ci doit être
considéré, même vis-à-vis des tiers, comme n’ayant ja
mais cessé d’être propriétaire des effets endossés2 ;
Que dans l’hypothèse d’un endossement valeur en
compte, l’accepteur n’est pas recevable à demander qu’il
soit sursis à statuer sur la demande en payement de la
traite, formée par le tiers porteur jusqu’après l’appurement du compte entre celui-ci et le tireu r3 ;
Enfin, que le porteur d’un billet à ordre, au profit
duquel a été passé un endossement valeur en compte,
1 C a s s .,29 novem bre 4827. Colm ar, 3 novem bre 4839.
4840, 268.
2 Cass., 25 ju ille t 4832.
3 P aris, 9 novem bre 4825.
J. du P., 4,
�art. 137, 138.
463
est dispensé de prouver qu’un compte existait réellement
entre lui et le souscripteur de l’endossement ; que seu
lement il pourrait y avoir lieu d’admettre ce dernier à
prouver, à l’aide d’un compte appuyé de pièces, qu’il
ne doit pas, en tout ou en partie, les sommes portées
dans l’endossementL
3 1 » . — La lettre de change, avons nous dit, est
une espèce de monnaie. On peut donc l’employer non
seulement au payement de ses dettes, mais encore à
faire des libéralités.
Deux commerçants arrêtent leur compte, liquident
une opération commune. L’un d’eux reste créancier de
l’autre qui s’acquitte en lui endossant des lettres de
change ou des billets à ordre, valeur en solde.On a con
testé ces expressions, mais elles ont été admises et recon
nues constituer un endossement régulier et translatif de
propriété.
3 1 » k is. — L’endossement valeur engarantie opèret-il le transport de la propriété ? Ne constitue-t-il qu’un
gage nul comme ne réunissant pas les conditions exi
gées par les articles 2074, 2075 du Code civil ?
Il serait difficile de voir autre chose qu’un gage dans
un pareil endossement. Mais comme tel on ne pouvait,
à notre avis, en contester la validité.
Il est vrai que la disposition de l’article 2084 du
1 Bordeaux, 1er mai 1830.
�464
DE LA LETTRE DE CHANGE
Code civil avait soulevé des difficultés relativement à son
application aux valeurs commerciales, et la Cour de cas
sation s’était prononcée pour la négative à l’égard des
valeurs au porteur transmissibles de la main à la main.
Elle avait en conséquence jugé plusieurs fois que leur
mise en gage était soumise aux formalités prescrites par
les articles 2074 et 2075.
Mais il ne pouvait en être ainsi des valeurs à ordre
susceptibles d’endossement. On ne pouvait prohiber aux
parties d’indiquer le véritable caractère de cet endossement et les contraindre à simuler une cession pure et
simple, alors qu’elles n’entendaient consentir qu’un
gage. Or, comment soumettre celui-ci aux conditions
du droit civil, sans créer un dangereux obstacle à l’im
périeuse nécessité d’une libre et prompte circulation.
Aussi la doctrine avait-elle admis que l’endossement
valeur en garantie, transmettait non seulement la pos
session, mais encore la propriété, et c’est ce que la Cour
de cassation décidait très expressément elle-même le 31
mars 1863 K
Nous n’avons pas à insister à cet égard. En effet, la
modification à l’article 91 du Code de commerce intro
duite par la loi de 1863, a tranché la question et rendu
toute controverse impossible.
Aux termes de la nouvelle disposition, le gage à
l’égard des valeurs négociables peut être établi par un
endossement régulier, indiquant que les valeurs ont été
1 D . P ., 63, 1, 292.
�art.
157, 138.
465
remises en garantie. L’article ajoute : les effets de com
merce donnés en gage sont recouvrables par le créancier
gagiste.
L’endossement valeur en garantie réunit la condition
exigée. Il transfère donc la propriété sauf règlement dé
finitif entre le créancier et le débiteur.
313.
— Sous l’empire de l’ordonnance de 1673,
on s’était demandé si l’endossement d’une valeur causée
en bons offices était régulier et valable ? On appuyait la
négative sur le texte même de l’ordonnance. Elle exige,
disait-on, qu’on exprime si la valeur a été reçue en ar
gent, en marchandises ou autrement. Or, des bons of
fices ne sont pas une valeur réelle ; ils ne pouvaient
donc devenir la matière d’une négociation.
Dans tous les cas un pareil endossement constitue une
libéralité par acte sous seing-privé, et par conséquent
nulle comme donation, nulle encore comme testament,
parce qu’il n’en réunit ni les formes, ni les caractères.
Mais ce système fut repoussé, et la Cour de cassation,
appelée à statuer, en consacra le rejet. Elle déclara l’en
dossement valable et translatif de propriété, considérant
que le billet souscrit par la dame de Choiseul au profit
de Rémy Lierval était payable à lui ou à son ordre, que
l’ordre qui est au dos est daté, qu’il contient le nom de
celui qui en a fourni la valeur, que l’article 23 de l’or
donnance n’exige pas strictement que la valeur en ait
été fournie en argent ou en marchandises, pourvu qu’elle
ait été fournie de toute autre manière ; que le prix des
i — 30
/
�466
DE LA LETTRE DE CHANGE
soins donnés à l’endosseur par le bénéficiaire de l’en
dossement était une valeur, et que personne mieux que
le premier n’avait pu apprécier cette valeur l.
On ne pourrait décider autrement depuis la promul
gation du Code. En fait, celui qui rétribue des bons offi
ces ne fait pas à proprement parler une donation, il
paye une dette dont il apprécie et détermine lui-même
le chiffre. L’endossement qu’il signerait à cet effet se
rait donc valable et translatif de propriété2.
Cet endossement constituât-il une donation qu’il n’en
serait pas moins valable. Sans doute la donation ne peut
être faite sous seing-privé, mais cela s’entend de la do
nation d’immeubles ou d’une part déterminée dans les
facultés du donateur. Quant à l’argent, la loi n’exige pas
même un acte, il peut être légalement donné de la main
à la main. Les effets de commerce sont assimilés à l’ar
gent, aussi les place-t-on sur la même ligne quant à la
donation. Ainsi le bénéficiaire d’un endossement peut
prouver contre l’endosseur, même en cas d’endossement
irrégulier, que le billet lui a été donné. Ainsi encore on
a admis qu’un effet de commerce endossé en blanc peut
faire l’objet d’un don manuel, sans qu’il soit nécessaire
pour sa validité que le donateur appose sa signature3.
3 1 4 . — L’article 137, relativement à l’expression
1 13 ventôse an xni.
2 Pardessus, Contrat de change, n° 485
3 Cass., 12 décembre 1815, 25 janvier 1832, 21 août 1837. J. du P.,
�ART. 137, 138.
467
de la valeur, reçoit exception en matière de billets à or
dre souscrits par des non négociants, et dont la cause
n’est pas commerciale.
Nous avons vu que, quant au transport, ces billets
sont sur la même ligne que les billets commerciaux, leur
propriété est valablement transférée par un endosse
ment.
Mais comme il s’agit alors d’une obligation civile, les
formes du transfert se règlent par le droit commun. On
est donc dispensé d’indiquer la nature de la valeur,
puisque le Code civil ne l’exige nulle part. Dès lors l’en
dossement causé valeur reçue ou valeur entendue
ne laisse pas que de tranférer la propriété au bénéfi
ciaire l.
315.
— Mais en matière commerciale il en est de
la nature de la valeur comme de la date, rien ne peut
suppléer à son omission, et nulle preuve n ’est receva
ble. En effet, et par rapport aux tiers, c’est dans l’en
dossement lui-même que doit se trouver la preuve de sa
régularité, et ce principe n’admet ni distinction, ni équi
valents, ni éléments étrangers. L’état apparent de l’en
dossement est seul décisif.
D’ailleurs, qu’obtiendrait-on de la preuve orale, de la
représentation des livres respectifs, de la production de
la correspondance ? La certitude que la valeur a été
payée ? Mais cette certitude, suffisante du cessionnaire
�468
DE LA LETTRE DE CHANGE
au cédant, n’est d’aucune considération pour les tiers.
À leur égard, il faut, ainsi que l’observe la Cour de cas
sation dans son arrêt du 23 juin 1817, outre le verse
ment de la valeur, que l’effet commercial l’exprime en
en déterminant la nature. Où est la preuve de nature à
suppléer à l’omission matérielle de cette dernière for
malité.
Donc, dans un cas pareil, toute preuve se réduisant
au fait du payement de la valeur, serait évidemment in
suffisante, elle devrait dès lors être rejetée. L’endosse
ment serait irrégulier et ne pourrait produire que les
effets de celui-ci1.
a i e . — La troisième condition exigée par l’article
137, pour la perfection de l’endossement, est l’indica
tion du nom de celui à l’ordre de qui il est passé. Cette
condition se justifie d’elle-même.
Dans le premier projet du Code, la commission exi
geait que l’endossement énonçât le nom social et le do
micile, s’il était passé au profit d’une société commer
ciale ; les nom, profession et domicile, s’il était passé au
nom d’un seul individu. Mais cette exigence rencontra
une énergique opposition. Un grand nombre de cours
et de tribunaux de commerce la signalaient comme illu
soire, impossible dans les grandes villes, embarrassante
et dangereuse partout. La commission se contenta dès
1 Cass., 1b juin 1831. A ix , 9 février 1815.
�ART.
137, 138.
469
lors de la disposition définitivement consacrée dans l’ar
ticle 137.
3 1 1? . — La réunion des trois conditions que cet ar
ticle exige constitue l’endossement régulier. Celui-ci a
pour effet de faire preuve des faits qu’il constate, jusqu’à
preuve contraire ; de transférer la propriété, de saisir,
au moment même de sa souscription, le bénéficiaire de
la plénitude des droits que le cédant avait tant contre le
débiteur principal que contre les autres coobligés ou
cautions.
Comme conséquence, le porteur se trouve dès lors su
brogé à toutes les garanties attachées à la créance de
quelque nature qu’elles soient. Ainsi, lorsque le tireur
d’effets de commerce s’est obligé hypothécairement à
leur remboursement, l’endossement transmet le bénéfice
de cette hypothèque, aussi bien que la créance dont
elle est la garantie spéciale. En conséquence, le tiers
porteur qui, en cas de protêt, a obtenu un jugement
tant contre le tireur que contre l’endosseur, peut seul
exercer dans l’ordre le droit attaché à cette hypothèque
à l’exclusion de l’endosseur et de ses créanciers, encore
que le transport de l’hypothèque n’ait pas été notifié
conformément à l’article 1690 du Code civil h
, Déjà et par arrêt du 14 juin 1819, la cour de Bruxel
les avait adopté cette doctrine, en jugeant que le por
teur d’une lettre, pour sûreté de laquelle l’aocepteur a
1 Cass., 11 juillet 1839. J. du P., 2, 1839, 425.
' Il
I
�470
DE LA LETTRE DE CHANGE
affecté un immeuble, est saisi du droit hypothécaire en
vertu de l’endossement même, et sans qu’il soit besoin
d’un autre acte de cession, ni de signification au débi
teur ; que dès lors il peut requérir l’inscription et pour
suivre le débiteur en expropriation.
3 1 8 . — Mais pour la réalisation de ces divers effets,
il faut, comme le remarque l’arrêt de la Cour de cassa
tion, que l’hypothèque ou l’affectation réelle ait été at
tachée à la traite transmise par endossement, elle est
par là devenue son accessoire indivisible et inséparable,
elle la suit en conséquence en quelques mains qu’elle
passe.
Que si au contraire le droit réel n’avait été attaché
qu’à une créance indéterminée, incertaine, il importe
rait peu que cette créance eût amené une création d’ef
fets de commerce, l’hypothèque n’en resterait pas moins
affectée au créancier primordial, elle pourrait même être
définitivement éteinte, malgré l’existence des traites non
payées encore.
C’est ce qui est admis pour l’hypothèque consentie
pour la garantie d’un crédit ouvert. Les cessionnaires
des lettres de change ou billets à ordre, souscrits pour
l’exercice de ce crédit, ne peuvent personnellement se
faire colloquer sur les biens du débiteur , qu’en sousordre à la collocation requise et obtenue par leur cé
dant l.
�art.
157, 138.
471
Comment pourrait-il en être autrement. L’existence
de l’hypothèque est subordonnée à la balance du
compte, car elle ne vaudra jamais, quel que soit le chif
fre déterminé, que jusqu’à concurrence de la somme
dont le crédité sera réellement débiteur. Or, comment
liquider cette somme avec le porteur d’une des traites
qui n’a ni les moyens, ni qualité pour procéder à la li
quidation ?
Ce porteur ne peut donc évidemment venir qu’en
sous-ordre à la collocation du cédant. De là il suit que
si celui-ci n’en obtenait aucune, tout droit hypothécaire
serait incontestablement perdu pour le premier. Or, ce
résultat serait inévitable si, par des payements opérés en
compte courant, le crédité avait équilibré son actif avec
son passif.
Vainement exciperait-on de l’existence des traites
.souscrites par lui. Sans aucun doute le crédité a agi im
prudemment en payant le créditant sans que celui-ci fût
en mesure de lui restituer ses obligations. La peine de
cette imprudence serait la nécessité pour lui d’acquitter
celles-ci entre les mains des porteurs, mais cela ne pour
rait maintenir l’hypothèque. Celle-ci n’était accordée
que conditionnellement, si le crédité se trouvait débi
teur. Or, s’il ne l’est pas par le résultat du compte, il
ne le deviendra certes pas par le payement des traites
qui le constituera au contraire créancier du créditant.
L’hypothèque n’a donc plus aucune raison d’être.
L’endossement régulier a encore pour effet de rendre
le cédant garant du payement de la lettre de change, ou
�m
DE LA LETTRE DE CHANGE
du billet à ordre, non seulement envers son cession
naire, mais encore envers tous ceux qui le deviendront
plus tard. Aux termes de l’article 140, cette garantie
constitue une obligation solidaire, mais la poursuite de
ses effets est soumise aux conditions édictées par l’arti
cle 168 l.
3 1 » . — L’endossement qui manque d’une des con
ditions de l’article 137 est un endossement irrégulier,
dont les effets sont déterminés par notre article 138, il
ne vaut que comme simple procuration. Cette prescrip
tion est copiée de l’ordonnance de 1673, dont l’article
23, titre v, ajoutait : Les lettres seront réputées apparte
nir à celui qui les aura endossées et pourront être sai
sies par ses créanciers et compensées par ses redeva
bles.
Ce sont là des conséquences que le Code s’est abstenu ,
d’exprimer, mais qui n’en découlent pas moins du prin
cipe qu’il a consacré. En effet, puisque l’endossement
irrégulier ne transfère pas la propriété, celle-ci demeure
légalement sur la tête du cédant. La conséquence est
celle que Jousse lirait de l’ordonnance: C'est une suite
qu'elle puisse être saisie par ses créanciers.
Cette conséquence, la jurisprudence n’a pas manqué
de la sanctionner. Non seulement elle reconnaît aux
créanciers de l’endosseur la faculté que l’ordonnance
leur concédait, amais elle consacre en outre que le por1 V. nos observations sur ces deux articles.
�ART. 137, 138.
4.73
teur d’un effet de commerce, en vertu d’un endossement
irrégulier ou en blanc, est réputé mandataire, non seu
lement en ce sens que les créanciers de l’endosseur, au
teur de l’ordre irrégulier, peuvent revendiquer l’effet,
mais encore que les débiteurs, tireurs, accepteurs et au
tres peuvent opposer soit la compensation, soit l’excep
tion non numeratœ pecuniœ 1.
3 2 0 . — En effet, la présomption d’un mandat se
tirant de l’irrégularité de l’endossement, est, à l’égard
des tiers, générale et absolue, elle exclut même toute
preuve contraire, mais peut-on considérer comme tiers
les débiteurs, tireur et accepteur ?
L’endossement régulier ou irrégulier ne comporte que
deux parties : le cédant, le cessionnaire. Tout autre in
téressé à la lettre reste forcément étranger à l’opération.
Comment ne pas reconnaître cette position aux débi
teurs, tireur, accepteur ou donneur d’aval ? Dès lors,
comment leur refuser la qualité de tiers ?
C’est cependant ce qui s’est réalisé, et des arrêts ont
décidé qu’à leur égard le porteur était admissible à prou
ver, soit par des documents en dehors de l’acte, soit
même par témoins, qu’il a fourni la valeur de la traite,
et qu’il en a par conséquent acquis la propriété2.
1 Cass., 45 juin 4834. V. nombreux arrêts indiqués par M. Nouguier,
p. 305.
2 Paris, 48 juin 4834 et 8 avril 4837. Amiens, 8 mars 4840. J.duP.,
4, 4887, 494 ; 4, 4842, 254.
�474
DE LÀ L E T T R E DE CHANGE
La Cour de cassation avait elle-même admis cette doc
trine par arrêt du 17 décembre 1827, mais elle s’est
ravisée depuis, et dans diverses espèces qu’elle a eu à
apprécier, elle a au contraire jugé : que le porteur d’un
billet à ordre , en vertu d’un endossement irrégulier et
incomplet, n’était pas admissible à établir à l’égard des
tiers, et par exemple du souscripteur, qu’il est proprié
taire sérieux de cet effet ; qu’il reste vis-à-vis de lui
simple mandataire, alors même qu’il justifierait par un
bordereau de négociation signé de son endosseur, et
ayant acquis date certaine avant l’échéance, en avoir
fourni la valeur à ce dernier ; que dès lors le souscrip
teur peut lui opposer toutes les exceptions, et notam
ment la compensation qu’il aurait pu invoquer contre
celui-ci l.
Ce qui, à notre avis, donne à ces dernières décisions
un haut caractère juridique, c’est que non seulement les
débiteurs restent étrangers à l’endossement, mais encore
qu’il peut se faire qu’on ne l’ait imaginé que pour sous
traire le cédant prétendu à des exceptions auxquelles il
ne pourrait échapper. Il fallait donc remédier à un pa
reil état des choses et rendre cette fraude le plus diffi
cile possible ; le remède était ici dans la nature même
des choses. L’endossement est-il régulier, personne ne
peut en contester l’utilité au bénéficiaire de bonne foi.
L’endossement manque-t-il d’une de ces conditions esi 30 décembre <840, 15 décembre 1841, 5 juillet 1843. J . d u P , 1,
�ART.
137, 138.
475
sentielles, il doit être permis à tout le monde d’exciper
de son irrégularité, il suffit d’y avoir intérêt pour être
recevable à le faire. Or, peut-il exister un intérêt plus
évident que celui des débiteurs ayant à opposer une
compensation, ou toute autre exception aussi péremp
toire.
8 8 1 . — Du cédant au cessionnaire, la présomption
créée par l’article 138 comporte la preuve contraire.
Cette preuve peut être faite par documents, par témoins,
par présomption, elle peut résulter de l’endossement
lui-même si, malgré le vice dont il est atteint, il prouve
que la valeur a été fournie.
Lorsque l’endossement exprime la valeur fournie, dit
un arrêt de la cour de Grenoble, il n’y a plus aucun
motif raisonnable d’appliquer les dispositions de l’arti
cle 138, sur la date, à l’égard de l’endosseur vis-à-vis
du porteur K
Lorsque la valeur n’est pas exprimée, le porteur peut
être admis à prouver que l’endosseur a eu l’intention et
la volonté de lui transmettre la propriété de l’effet de
commerce ; et lorsque l’un et l’autre résultent de la
preuve faite, il doit être décidé que la transmission de
l’effet s’est opérée entre l’auteur de l’endossement, et ce
lui au profit duquel il est fait3.
En un mot, l’article 138 du Code de commerce, pori 3 février 1836. J. d u P . , 1, 1837, 176.
3 Amiens, 12 août 1830. Cass., 25 janvier 1832.
�476
DE LA LETTRE DE CHANGE
tant que l’endossement irrégulier n’est pas translatif de
propriété et ne vaut que comme procuration, n’établit
» entre le cédant et le cessionnaire qu’une simple pré
somption, On doit donc admettre, en ce qui les con
cerne, la preuve que malgré l’apparence, l’endossement
a eu pour but de transmettre la propriété, soit à titre
onéreux, soit à titre gratuit l.
3 * 3 . — Mais pour les tiers ou contre eux, l’endos
sement irrégulier ne vaut que comme procuration. Au
cune preuve contraire n ’est ni recevable, ni admissible.
Quelle en sera la conséquence relativement à l’action en
payement? Le porteur pourra-1 il l’intenter en son nom
personnel ?
L’affirmative ne nous paraît pas susceptible de diffi
cultés. En fait et malgré les apparences, le cessionnaire
peut avoir réellement fourni la valeur, et ce serait mé
connaître ses droits vis-à-vis de son cédant que de le
contraindre à n’agir que comme son mandataire.
Il est vrai que contre les tiers il n’a que cette qualité,
mais la jurisprudence a su concilier cette règle avec
l’intérêt que nous venons de signaler ; qu’importe pour
les tiers que le porteur agisse en son nom ou comme
mandataire, si leur droit est intact dans l’un et l’autre
cas, s’ils ne peuvent jamais en éprouver le moindre
préjudice.
Or, il est évident que puisque l’endossement irrégui Merlin., Rèp., v° Endoss. Nouguier p. 306 et arrêts indiqués.
�ART.
137, 138.
477
lier vaut comme procuration, il s’ensuit que le débiteur
d’un effet de commerce ne peut se refuser de payer le
porteur, et ce payement n’est pas moins valable que ce
lui qui aurait été fait au mandant lui-même l.
Mais le débiteur peut avoir des exceptions, une com
pensation à opposer au cédant. Dans ce cas, il n’est
pas obligé de payer le cessionnaire, il est au contraire
recevable et fondé à faire valoir contre lui, même lors
qu’il agit en son nom, tous les moyens qu’il opposerait
au premier, et à l’écarter par les mêmes exceptions
qu’il aurait invoquées contre celui-ci2.
Il en serait de même de l’accepteur qui n’aurait pas
reçu provision avant et depuis son acceptation ; il serait
recevable à en exciper contre le porteur, cessionnaire
direct du tireur, en vertu d’un endossement irrégulier.
En d’autres termes, le bénéficiaire d’un endossement
irrégulier est en quelque sorte un commissionnaire com
mercial, il peut agir en son nom ; mais comme son
commettant est nécessairement connu, il demeure pas
sible des exceptions qu’on pourrait invoquer contre ce
dernier. C’est dans ce sens que sont intervenus plu
sieurs arrêts3.
On a indiqué, comme contraires, les arrêts rendus
par la Cour de cassation, les 10 juillet 1822, 22 avril
1 Bordeaux. <9 m ars 1841.
2 Cass., 9 novem bre 1836.
J. d u P ., 2, 1843. 192.
J. du P ., 1, 1840, 23.
3 B ruxelles, S mai 1820. A m iens, 6 m a rs , e t B ruxelles. 18 mai 1822.
O rléans, 19 jan v ier 1829
�478
DE LA LETTRE DE CHANGE
1828,15 juin 1831 et 9 novembre 1836. Seul, de tous,
le premier de ces arrêts a formellement accueilli la fin
de non recevoir tirée du défaut de qualité ; mais il s’a
gissait dans cette espèce d’un billet à ordre purement
civil, et dont le payement était poursuivi devant la ju
ridiction ordinaire.
Les trois derniers, rendus en matière de lettre de
change, sont moins affirmatifs. Il résulterait même de
leurs termes qu’ils ne consacreraient que ce principe que
nous développions tout à l’heure, à savoir : que le por
teur de l’endossement irrégulier est passible de toutes
les exceptions opposables à l’endosseur lui-même. C’est,
en effet, comme ayant méconnu ce principe, ou comme
l’ayant mal à propos appliqué, que les diverses déci
sions étaient déférées à la Cour suprême. Donc, en cas
sant dans le premier cas, en rejetant le pourvoi dans le
second, celle-ci ne faisait que rendre hommage au prin
cipe et consacrer là faculté pour les tiers d’opposer au
cessionnaire toutes les exceptions dans le cas d’être in
voquées contre le cédant. Cela suffit, d’ailleurs, à l’in
térêt des tiers, et la loi ne pouvait exiger d’avantage.
333.
— Quelle est l’étendue de la procuration que
crée l’endossement irrégulier ? Suffit-elle pour autoriser
le porteur non seulement à recouvrer, mais encore à
transférer à un tiers la propriété de l’effet ?
Pothier enseignait la négative, et la juste autorité qui
s’attache à son nom avait créé le doute et fait surgir la
controverse. Mais l’un et l’autre vont chaque jour s’ef-
�ART.
157, 158.
479
façant, comme le prouvent les décisions nombreuses de
la doctrine et de la jurisprudence.
La règle contraire à la doctrine de Pothier a donc
prévalu. La négociation d’un effet de commerce n’est
pour le propriétaire qu’un mode de payement. Celui-là
donc qui, au moyen d’un endossement irrégulier, charge
un tiers de requérir ce payement, est par cela même
censé l’autoriser à réaliser la négociation.
Cette conséquence n’admet même d’autre exception
que celle résultant des termes de l’endossement luimême. Celui-ci, en effet, peut être spécial, et dans ce cas
il reste sans effet pour tout ce qui n’est pas cette spécia
lité même. Nous avons déjà dit que la clause et pour
moi payez à constituerait le mandat spécial de recou
vrer le montant de l’effet, sans pouvoir se substituer un
autre mandataire.
La même spécialité résulterait de l’endossement causé
valeur en recouvrement. On ne saurait donc en exciper pour prétendre que le porteur a pu négocier l’effet.
Il importerait peu que cet endossement fût à ordre.
Tout ce qui s’induirait de celui-ci, c’est la faculté pour
le porteur de se substituer un autre mandataire chargé
d’opérer le recouvrement.
Toutes les fois que le mandat est restreint par l’endos
sement, le bénéficiaire ne peut valablement transférer la
propriété. En conséquence , quelque régulier que fût
l’endossement par lui consenti, il n’aurait pas ce résul
tat. Le tiers qui l’aurait accepté ne pourrait se dire de
bonne foi, l’apparence du défaut de pouvoirs chez son
�480
DE LA LETTRE DE CHANGE
cédant étant un obstacle invincible à ce qu’il pût pré
tendre l’avoir ignoré. Le propriétaire de la traite et ses
créanciers conserveraient donc contre lui les mêmes
droits qu’ils pouvaient faire valoir contre son cédant.
334.
— A défaut de restriction dans ses termes,
l’endossement irrégulier, fût-il même en blanc, vaut
pouvoir de négocier l’effet endossé.
Si le porteur fait la négociation par un endossement
en blanc ou irrégulier, les choses ne sont nullement
changées, il n’y a qu’un procureur substitué à un autre.
En conséquence, le droit des tiers, créanciers ou sous
cripteur, tireur et autres débiteurs de la lettre de chan
ge, reste tel que nous venons de le déterminer.
Si la négociation est faite par un endossement régu
lier, la propriété de l’effet est définitivement et valable
ment transférée, le preneur devient réellement tiers por
teur et jouit, à moins de mauvaise foi démontrée, de
toutes les immunités attachées à cette qualité.
Cette solution signale immédiatement deux difficultés
graves auxquelles elle donne naissance. Si la lettre reste
impayée, celui qui ne l’a transmise qu’en vertu d’un
endossement irrégulier est-il tenu d’en rembourser le
montant à celui à qui il l’avait négociée ? Dans le cas
où il aurait opéré ce remboursement, est il subrogé aux
droits du porteur, et acquiert-il le droit de se faire res
tituer par les autres obligés à la lettre de change, par
son cédant, par l’accepteur et par le tireur ?
�ART. 1 3 7 , 1 3 8 .
481
3 8 5 . — La première de res questions a été résolue
affirmativement par la Cour de cassation. L’obligation
de rembourser qu’elle impose au porteur de l’endosse
ment irrégulier se fonde sur ce motif qu’ayant reçu le
montant de la lettre de change, il est obligé de la ga
rantir *.
Ici, nous retrouvons à un haut degré l’effet de l’assi
milation entre le porteur d’un endossement irrégulier et
le commissionnaire commercial. Ce n’est, en effet, que
parce qu’il a signé de son nom personnel que le pre
mier devient garant du payement de l’effet par lui en
dossé. Il est impossible, en effet, de concevoir aucun
doute. Si ayant apposé sa signature il l’avait accompa
gnée de l’indication de sa qualité de mandataire, il n’au
rait contracté aucune obligation personnelle. Son man
dant serait seul responsable et garant du rembourse
ment.
Pourquoi donc le même résultat ne se produit-il pas,
par le seul effet de la présomption légale de l’article
138 ? Parce que, comme nous l’avons déjà dit, malgré
cette présomption, le porteur peut avoir, en fait, acquis
la propriété de la lettre de change ; qu’il peut l'établir
contre son endosseur ; que dans le doute on ne devait
considérer le mandat que lui donne la loi que comme
un mandat sut generis, lui donnant la faculté d’agir en
son nom personnel, le droit de s’engager personnelle
ment à l’instar du commissionnaire commercial.
i Cass., <*r décem bre <829.
î — 31
�482
DK U
LETTRE DE CHANGE
336. — La seconde question est encore controver
sée en doctrine et en jurisprudence. M. Nouguier n o
tamment refuse à celui qui, ayant transmis l’effet dont
il était porteur par un endossement irrégulier, l’a rem
boursé après protêt, le droit de se prétendre subrogé au
porteur qu’il a désintéressé et d’agir comme tel contre
les autres débiteurs de l’effet. S’il a payé, dit-il, il ne l’a
fait qu’en sa qualité de mandataire. Dès lors il ne de
vient pas propriétaire et ne peut être subrogé au por
teur qu’il a été obligé de désintéresser ï.
M. Nouguier ne se trompe-t-il pas sur la qualité en
laquelle le porteur d’un endossement irrégulier rem
bourse la lettre qu’il a lui-même régulièrement endos
sée. Ce payement n’est-il pas la conséquence de la res
ponsabilité qu’il assume par la négociation qu’il a faite
en son nom personnel ?
— Il serait étrange qu’on le tînt directement
engagé quant à cette responsabilité, et que lorsque, en
ayant subi les effets, il s’adresse aux autres débiteurs, on
ne le considérât que comme mandataire. Cela serait
d’autant plus injuste qu’ayant remboursé la lettre de
change il en a réellement fourni la valeur, que par ce
remboursement, et aux termes de l’article 1251 du Code
civil, il s’est trouvé de plein droit subrogé à celui qu’il
a ainsi payé.
Mais, dit M. Nouguier, ce remboursement il l’a opéré
335.
�ART.
137, 138.
483
comme mandataire, et par conséquent des deniers de
son mandant. Cela peut être, mais on doit à cet égard
s’en rapporter à celui-ci pour se faire directement rem
bourser. C’est une difficulté particulière au mandant et
au mandataire et dont ce dernier pourra décliner l’ef
fet, en prouvant contre le premier que, nonobstant Tirrégularité de l’endossement, il n’en avait pas moins ac
quis la propriété de l’effet.
Les fiers n ’ont ni qualité ni droit pour établir que le
payement n ’aurait été fait qu’au moyen des deniers
fournis par le mandant. De même que le porteur de
l’endossement irrégulier ne peut prouver contre eux qu’il
a fait les fonds de la traite dont il est porteur, de même
ils ne peuvent établir contre lui que le remboursement
qu’il a opéré ne l’a pas été de ses deniers. Si l’appa
rence est décisive lorsqu’elle est en leur faveur, elle doit
l’être également lorsqu’elle leur est contraire.
On doit d’ailleurs d’autant plus le décider ainsi que,
d’une part, les tiers obligés en qualité de débiteurs de
la lettre de change protestée se libéreront valablement
entre les mains du porteur actuel, ne fût-il que manda
taire ; que, d’autre part, le silence gardé par l’auteur de
celui-ci fait présumer que le remboursement n’a pas
été fait de ses deniers.
Ce silence peut sans doute cacher une fraude ayant
pour objet de soustraire le propriétaire à des exceptions
plus ou moins péremptoires, mais la fraude fait excep
tion à tous les principes. En conséquence, si elle était
�484
DE LA LETTRE DE CHANGE
prouvée, les tribunaux en proscriraient sévèrement les
effets.
ilfflifl
Ji i j i
$ 8 8 . — M. Nouguier s’étaie sur un arrêt de la Cour
de Rouen du 24 février 1814. Depuis, il est vrai que
d’autres cours ont jugé dans le même sens, mais celle
de Rouen est revenue de sa jurisprudence, en se pro
nonçant pour la doctrine contraire, par arrêt du 25 fé
vrier 1825.
Au reste, la controverse sur cette question n’a pas en
core disparu. L’opinion de M. Nouguier n’est pas sans
point d’appui dans la jurisprudence. Pour nous, nous
ne la croyons pas juridique et nous admettons sans hési
ter la doctrine contraire, consacrée dès le 27 avril 1808
par la cour de Trêves, enseignée par Merlin et sanc
tionnée par la Cour régulatrice, le 15 mars 1826 l.
Appelée depuis à se prononcer sur la question, la Cour
de cassation l’a de nouveau résolue dans le sens que
nous soutenons. Ainsi elle jugeait, le 10 mars 1865,
que le porteur, en vertu d’endossement en blanc d’un
effet de commerce déjà revêtu de plusieurs endossements
semblables, pouvait, s’il était créancier de son cédant
immédiat, se conférer la propriété de cet effet en rem
plissant le blanc à son profit et transmettre ensuite l’ef
fet à un tiers par voie d’endos régulier, et que si, à dé
faut de payement à l’échéance, il rembourse à ce tiers le
montant de l’effet ainsi transmis, il pouvait, comme su-
�ART.
137, 138.
485
brogé aux droits de celui-ci, en réclamer le payement à
tous les obligés au titre.
« Attendu, dit l’arrêt, en droit, que la signature au
dos d’une lettre de change ou d’un billet à ordre vaut
mandat à l’effet de les négocier et d’en toucher le mon
tant ; qu’à cet égard, le souscripteur et les endosseurs
sont obligés par le fait du mandataire auquel ils ont
remis la valeur même avec leur endossement en blanc,
lorsque ce mandataire ou ceux qui lui ont été substitués
par endossements successifs ont transmis, au moyen
d’un endossement régulier, la propriété de cette valeur
à un tiers porteur, lequel peut alors agir contre tous les
obligés au titre ;
« Attendu, en fait, qu’il est constaté par le jugement
du tribunal de commerce de Dijon, non contredit en ce
point par les arrêts attaqués, que Maloir, Guiot et Cie,
défendeurs, à qui Lechevalier, leur cédant immédiat, a
remis les deux billets dont il s’agit revêtus au dos seule
ment de sa signature, ont pu, comme créanciers, à ce
moment, dudit Lechevalier et pour se couvrir d’autant,
régulariser, en le remplissant eux-mêmes, l’endossement
en blanc dudit Lechevalier, et que, d’autre part, ils ont
transmis à leur to u r, et au moyen d’un endossement
régulier, ces billets à Lécuyer, banquier à Paris, lequel,
à défaut de payement et après protêt, a été remboursé
par lesdits Maloir, Guiot et Cie ;
« Attendu que si Lécuyer, justement saisi de la pro
priété des deux billets, avait le droit d’en réclamer le
payement à Pierret et à Baron, endosseurs, il y a lieu
�486
DE LA LETTRE DE CHANGE
de reconnaître que les défendeurs, à la suite du rem
boursement fait par eux à Lécuyer, ont été légalement
subrogés à ses droits, aux termes de l’article 1251 du
Code civil, et que dès lors ils ont pu agir contre les de
mandeurs au même titre et de la même manière que
Lécuyer aurait lui-même agi L »
L’exception des premiers endosseurs, dans cette es
pèce, était uniquement fondée sur ce que leur endosse
ment étant en blanc ne pouvait valoir que comme pro
curation. Procuration soit; mais procuration pour né
gocier, et dès lors pour transmettre la propriété des ef
fets, car, ainsi que le relevait le tribunal de commerce
de Dijon, la négociation ne pouvait avoir lieu sans ce
transfert de propriété. Dès lors, celui qui, ayant fait les
fonds des billets, avait acquis cette propriété, était de
venu un porteur sérieux, sincère, et rien ne pouvait
faire qu’il ne jouit pas de tous les droits attachés à cette
qualité.
Ce que la Cour de cassation jugeait en 1865 contre
les endosseurs, elle le jugeait le 14 janvier 1873 contre
l’accepteur.
Là encore un négociant à qui des traites avaient été
négociées en blanc, ayant rempli l’endossement en son
nom, les avait régulièrement transmises à un tiers.
Obligé d’en rembourser la valeur après protêt faute de
payement, il en réclamait le montant au tiré accepteur.
Celui-ci résiste en se fondant sur les irrégularités
�ART.
137, 138.
487
dans l’ordre des transmissions et spécialement sur ce
que cette transmission avait eu lieu en vertu d’un en
dossement en blanc. Débouté de ses prétentions par le
tribunal de commerce de Ruffel et la cour de Bordeaux,
il se pourvoit en cassation. On invoque dans son inté
rêt les considérations suivantes :
« Quelle que soit l’étendue des engagements contrac
tés par l’accepteur d’une lettre de change, il est certain
qu’il ne peut être tenu d’en payer la valeur qu’autant
que le porteur s’en trouve nanti par suite de transmis
sion régulière. Nul ne pouvant céder ce qui ne lui ap
partient pas, il en résulte que l’endossement d’un effet
de commerce fait par une personne qui n’en a pas été
régulièrement nantie ne saurait produire aucun effet, et
c’est à celui qui reçoit une lettre de change à s’assurer
si les divers endos qui ont transféré antérieurement la
propriété sont ou ne sont pas réguliers. Le sieur Geoffrion devait savoir, en recevant la traite, qu’elle ne lui
avait été transmise qu’en vertu d’un endossement en
blanc. Dès lors il ne pouvait prétendre à d’autres droits
qu’à ceux qui résultent d’un semblable endossement. Or
c’est un principe expressément formulé dans l’article
138 du Code de commerce, que l’endossement irrégu
lier ne transfère pas la propriété de la lettre de change
et qu’il ne vaut que comme simple procuration. C’est
donc à tort que la cour de Bordeaux, dans l’espèce, a
décidé que l’accepteur était tenu du remboursement. »
Nous ne saurions reconnaître à ces considérations un
caractère juridique. Oui, sans doute, l’endossement en
�488
de la lettre de change
blanc ne vaut que comme procuration et n’a pas trans
mis la propriété des traites à celui qui en est porteur.
Mais pourquoi celui à qui ce porteur propose la ces
sion des traites se préoccuperait-il de l’irrégularité de
l’endossement ? Est-ce pour autre chose que pour con
férer le pouvoir de les négocier, d’en réaliser le mon
tant que cet endossement a été consenti? Donc si le por
teur ne confère pas la propriété de ces traites à celui
qui en fait les fonds en qualité de propriétaire, il la lui
transmet incontestablement en qualité de mandataire
spécial. Pourquoi donc refuserait-il la négociation qui
lui est proposée et qui est en réalité consentie par le
propriétaire de ces traites lui-même, car quis mandat
ipse fecisse videtur.
D’ailleurs, que la question de propriété puisse être
soulevée par le souscripteur de l’endossement irrégu
lier, on le comprend. Mais de l’accepteur au porteur,
alors que personne ne s’oppose au payement, rien ne
saurait l’autoriser. L’acceptation prouve la provision à
tel point que l’article 121 du Code de commerce déclare
non seulement que celui qui la donne contracte l’obli
gation de payer, mais encore qu’il n’est pas restituable
contre son acceptation, quand même le tireur aurait
failli à son insu avant qu’il eût accepté.
Donc, obligé de payer, il ne peut exiger qu’une chose,
de payer valablement. Or, cette condition n’est-elle pas
remplie lorsque le payement n’est demandé qu’en
échange des titres acceptés.
En condamnant l’accepteur à payer, la cour de Bor-
�ART.
157, 158.
489
deaux n’avait fait qu’une exacte appréciation, qu’une
saine application des principes. C’est ce que déclare la
Cour de cassation qui rejette le pourvoi :
« Attendu que, sans qu’il soit besoin de rechercher
si le porteur d’une lettre de change en vertu d’un en
dossement en blanc, peut valablement en compléter luimême les énonciations, et en devenir ainsi légitime pro
priétaire, il est du moins incontestable que le mandat
qui résulte à son profit de l’endossement en blanc lui
donne le droit d’en opérer la négociation utile ;
« Attendu, que la lettre de change dont s’agit, après
avoir été revêtue de plusieurs endossements en blanc, a
été transférée par un endossement régulier à la banque
de France; que Geoffrion, l’un des précédents porteurs,
l’a remboursée à défaut de payement par le tiré ; que,
ainsi, et en vertu des dispositions de l’article 1251 du
Code civil, Geoffrion a été subrogé aux droits de la ban
que de France contre le tiré , et a pu exiger contre ce
dernier le payement auquel il s’était engagé par son ac
ceptation 1. »
Quant à la question dont la Cour de cassation déclare
n’avoir pas à se préoccuper, elle ne saurait être dou
teuse, dès l’instant que le mandat résultant de l’endos
sement en blanc confère le pouvoir d’opérer la négocia
tion utile du litre , le mandataire se trouve investi du
droit de faire tous les actes qu’exige l’efficacité de la né
gociation, notamment de régulariser l’endossement. Ce
�490
DE LA
LETTRE DE CHANGE.
droit qu’il pourrait exercer il le transfère à celui avec
qui il opère cette négociation, qui, acquerrant la pro
priété de ce titre, est nécessairement fondé à faire tout
ce qui doit concourir à lui assurer cette propriété.
330. — Puisque l’endossement non daté, ou n’ex
primant pas la valeur, ou n’indiquant pas le nom du
cessionnaire, est irrégulier, il paraît oiseux de deman
der ce qu’il doit en être de celui qui omet l’ensemble
de ces conditions, ç’est-à-dire de l’endossement en
blanc.
L’endossement en blanc serait donc le plus irrégulier
de tous. En fait cependant il l’est le moins. En effet,
personne ne pourrait réparer l’omission d’une des con
ditions de l’article 137, tandis que tout le monde peut
valablement remplir l’endossement en blanc ; qu’il suf
fit que ce remplissage ait eu lieu avant le protêt pour
que la propriété de l’effet soit valablement et définitive
ment acquise au porteur.
330. — Ce point, unanimement admis en doctrine
et en jurisprudence, enlève tout intérêt réel à tout ce
qui se rattache à l’endossement en blanc. On comprend
que son existence dépendant uniquement de là partie
intéressée, ne se produira que rarement. Mais ce qui
n'est pas sans intérêt, c’est la constatation des causes qui
ont pu faire admettre ce résultat n’allant à rien moins
qu’à éluder une loi explicite et formelle.
Or, ces causes sont les besoins et les exigences du
�art.
137, 138.
491
commerce. Dans la pratique on a toujours considéré
comme indispensable la faculté d’un endossement en
blanc faisant en quelque sorte de la lettre de change un
billet au porteur transmissible de la main à la main.
Aussi, vainement l’ordonnance de 1673 refusait-elle
à l’endossement en blanc l’effet de transférer la pro
priété. Le contraire, pratiqué par le commerce, fut bien
tôt consacré par l’autorité des parlements, provoqués à
cet effet par le chancelier de France lui-même.
En effet, le parlement de Toulouse se faisant quel
ques difficultés sur une pareille jurisprudence, son pro
cureur général consulte l’illustre d’Aguesseau, qui lui
répond, le 8 septembre 1747 :
« Je ne saurais mieux répondre à la consultation que
vous me faites par votre lettre du 19 juillet dernier, sur
l’affaire du sieur La Douse en particulier, et en général
sur l’usage des endossements en blanc, qu’en vous en
voyant l’avis d’un homme très instruit de toutes les ma
tières du commerce, et surtout de celui qui se fait par
la voie de la lettre de change. La question y est traitée
avec une clarté et une justesse qui ne laissent rien à dé
sirer. Je n’ai pas cru cependant devoir me contenter de
cet avis, quelque solide qu’il soit ; je l’ai fait commu
niquer à tous MM. les commissaires du conseil, qui
composent le bureau du commerce, et qui sont pleine
ment au fait de ce qui regarde ces sortes de matières.
Ils ont tous été du même sentiment que l’auteur de
l’avis, et le parlement de Toulouse ne saurait mieux
faire que de se conformer dans ses arrêts aux principes
�492
DE LA LETTRE DE CHANGE.
qui y sont établis. On y remarque fort bien que les abus
dont la crainte a suspendu la décision du parlement ne
peuvent être mis dans la balance avec les grands avan
tages qui résultent, pour le bien et pour la facilité du
commerce, de l’usage des billets au porteur et des en
dossements écrits en blanc sur les lettres de change.
« Ainsi ces abus sont du nombre de ceux que les
lois humaines ne sauraient prévenir entièrement, et qui,
ne pouvant causer que quelques inconvénients particu
liers, sont plus que compensés par l’utilité publique. »
Cette lettre ne dit pas reconnaissez à l’endossement en
blanc la faculté de transférer la propriété, mais elle
amenait directement à cette conséquence. C’est en effet
ce qui fut consacré sous l’empire de l’ordonnance, au
témoignage de la jurisprudence tant ancienne que mo
derne '.
Il paraît cependant que les abus dont se préoccupait
le parlement de Toulouse avaient été portés si loin, que
le gouvernement crut devoir intervenir énergiquement.
Une loi du 20 vendémiaire an iv défend toute négocia
tion en blanc des lettres de change, billets à ordre ou
autres effets de commerce, sous peine de confiscation
des effets ainsi négociés, et dont la valeur devait appar
tenir par moitié au dénonciateur.
3 3 1 . — Le Code de 1807 s’est contenté de rappei M erlin,
Rép„ v° Endoss., n° 1. P aris, 12 m ai 1808. O rléans, 10 fé
vrier, e t Bourges, 11 avril 1009. C ass., 1 6 a o ù t1 8 1 4 .
�ART.
137, 138.
493
1er la règte tracée par l’ordonnance, à savoir : que l’en
dossement en blanc ne vaut que comme procuration,
puisqu’il ne renferme aucune des conditions de l’arti
cle 137.
Mais il en est de cette prescription comme de celle de
l’ordonnance. Ce qui n’avait pas peu contribué à anni
hiler celle-ci, c’était la faculté donnée au porteur ou à
tout autre détenteur de remplir l’endossement et de le
rendre ainsi régulier et translatif de propriété. Nous
avons déjà dit que cette faculté, approuvée par Savary
et Pothier, est aujourd’hui admise sans difficulté.
Sous l’empire de notre Code, cette faculté n’a d’au
tres limites que l’abus et la fraude. Ainsi celui qui, sim
ple dépositaire ou détenteur d’effets signés en blanc les
endosserait frauduleusement à son ordre et les négocie
rait à son profit, commettrait un abus de confiance dont
il aurait à rendre compte devant la juridiction correc
tionnelle. Mais cet abus de confiance ne pourrait être
opposé au tiers porteur de bonne foi, il pourrait se faire
payer même par celui de la signature duquel on aurait
abusé.
Que si l’auteur de l’endossement frauduleux, encore
porteur des effets, en demandait directement le paye
ment, quelque régulier que fût l’endossement, celui qui
aurait apposé la signature serait recevable à exciper de
l’abus de confiance, et à en prouver l’existence tant par
titres que par témoins et par présomptions
i Cass., 28 m ars 4 8 2 t.
�494
DE LA LETTRE
DE CHANGE.
La faculté de remplir l’endossement en blanc a son
fondement juridique. La confiance absolue que suppose
la délivrance de cet endossement, l’absence de toute res
triction fait avec juste raison présumer que l’auteur a
d’avance accepté tout ce que le réceptionnaire croirait
devoir faire.
Or, ce qui peut arriver, c’est que celui-ci veuille bien
négocier l’effet, mais non se rendre garant de ce paye
ment. Il atteindra sûrement ce résultat en remplissant
l’endossement au nom de celui à qui il cède l’effet en
dossé en blanc. Ce cas se réalisant, la validité de la né
gociation ne saurait être contestée, et si le cessionnaire
avait reçu l’endossement en blanc, il pourrait le rem
plir directement en son nom, malgré qu’il n’eût jamais
traité avec le signataire. La seule condition requise,
c’est qu’il le fit sans fraude et sans porter préjudice aux
créanciers de son cédant L
S 3 3 . — Le porteur
de l’endossement en blanc
pourra-t-il le remplir après la faillite de l’endosseur ?
La Cour de cassation et la cour d’Amiens ont décidé la
négative par arrêts des 18 novembre 1812 et 29 juin
1813. Ces arrêts se fondent sur ce que le porteur n’étant
qu’un mandataire, le mandat cesse par la faillite du
constituant ; que dès lors on ne saurait lui donner ul
térieurement la moindre exécution.
Cela est incontestable. Ainsi l’endossement ne saurait
i B ruxelles, 12 ju ille t 1809.
�ART.
137,
138.
4 .9 5
être rempli après la faillite, si les effets qui en sont re
vêtus avaient été remis avec le simple mandat de les
négocier et d’en garder la valeur à la disposition du
signataire L
Mais pourrait-on le décider ainsi si la remise des ef
fets était le résultat d’une négociation sincère, si le ces
sionnaire en avait réellement fait le fonds ? N’est-il pas
évident dans cette hypothèse qu’en remplissant l ’endos
sement il n’aurait fait qu’user du droit de propriété
qu’il a légitimement acquis ?
Ce qui est en outre certain, c’est que l’endossement
sera rempli à la date du jour de la négociation et non
de celui du remplissage, de telle sorte qu’en apparence
du moins l’endossement sera parfaitement régulier.
Ce que nous en concluons, c’est que les débiteurs,
tireur, accepteur, endosseurs même contre lesquels on
recourra, seront obligés de payer sans pouvoir contester
la date et l’efficacité de l’endossement. Ce droit ne pour
rait être exercé que par les syndics de l’endosseur failli,
et sous la forme seulement d’une action en recomble
ment à la masse.
333. — L’endossement non rempli est irrégulier
comme serait celui dans lequel une des conditions requi
ses par l’article 137 serait omise. Ses effets seront iden
tiques. Comme celui-ci, il ne vaudra que procuration,
1 Cass., 3 avril 1848.
J. du P . , 48,
82.
�496
DE LA LETTRE DE CHANGE.
et ses conséquences ne seront pas autres que celles que
nous avons déjà exposées.
Ainsi, du porteur à l’endosseur, la preuve que la pro
priété a été réellement transférée est toujours recevable ;
ses éléments se puiseront dans les livres, dans la corres
pondance, dans la déposition orale des témoins, dans
les présomptions K
334.
— Mais du porteur aux tiers, l’endossement
en blanc ne vaut jamais que comme procuration. Vai
nement prétendrait-il prouver la réalité du transport.
A l’égard de tous autres que l’endosseur, cette réalité ne
peut résulter que de l’endossement lui-même ; à défaut,
le bénéficiaire est passible de toutes les exceptions qu’on
aurait pu invoquer contre son cédant2.
Nous disions tout à l’heure que le porteur d’un en
dossement irrégulier qui, ayant négocié l’effet par un
transport régulier, avait été obligé d’en rembourser la
valeur, était par ce remboursement subrogé aux droits
du porteur contre tous les autres débiteurs ; qu’on ne
pouvait donc lui opposer que les exceptions qui lui
étaient personnelles. Nous avons invoqué divers monu
ments de jurisprudence, notamment un arrêt de la Cour
de cassation, rendu en 1826 3.
Il semblerait dès lors que cette solution devrait s’ap-
i C ass., 20 m ars 1824.
�art.
137, 158.
497
pliquer au porteur d’un endossement en blanc qui se
trouverait dans les mêmes circonstances. Cet endosse
ment est-il autre chose qu’un endossement irrégulier ?
Cependant un grand nombre d’arrêts ont admis le con
traire l.
Mais là Cour de cassation ne s’est pas laissée entraîner
hors de la voie juridique qu’elle s’était tracée par son
arrêt de 1826. Ce qu’elle avait alors jugé pour l’endos
sement irrégulier pour omission d’une des conditions
de l’article 137, elle l’a appliqué à l’endossement en
blanc. Elle a en conséquence décidé, les 20 janvier
1843 et 12 novembre 1845, que celui qui, porteur d’un
billet à ordre en vertu d’un endossement en blanc, l’a
transmis à un tiers par un endos régulier, se trouve,
dans le cas où il est forcé d’en rembourser le montant
en raison de l’obligation personnelle résultant de l’en
dossement par lui consenti, subrogé aux droits du por
teur, tant contre son endosseur immédiat que contre le
souscripteur ; et que ceux-ci ne pourraient lui opposer
que l’endossement en blanc, l’ayant constitué simple
mandataire, cette qualité n’a pu s’effacer par le fait de
la subrogation2.
335.
— En résumé, l’endossement en blanc diffère
de l’endossement irrégulier pour violation de l’article
Rép. du J. du P., v° Endos., n°* 348 e ts u iv .
J. du P., 2, 1 843, 84 ; 2, -1845, 683. v» Rép. du J. du P., n«« 353
et suiv. v» Endoss.
1
2
�498
DE LA LETTRE DE CHANGE
137, en ce que celui-ci ne peut jamais être valablement
corrigé, tandis que le premier peut être rempli jusqu’au
moment du protêt.
L’endossement en blanc et conservé tel, n’est qu’un
endossement irrégulier. Ses effets sont donc identiques,
soit contre les parties, soit contre les tiers.
ARTICLE
139.
Il est défendu d’antidater les ordres, à peine de faux.
S O M M A IR E
336.
Caractère de la disposition de l ’article 139. Son but sous
l’ordonnance et depuis le Code.
337. Débats soulevés par la communication du projet. Demande
de plusieurs cours et tribunaux. Motif du rejet suivant
M. Locré
338. Le véritable motif, c’est que la peine de faux n’étant pos
sible que s’il y a intention ou possibilité de nuire, cette
demande était inutile.
339. La fraude peut ressortir du fait de l’antidate lui-même.
340. Doit-on procéder par la voie de l'inscription de faux dans
la poursuite en application de l’article 139?
336.
— L’article 139 est la sanction pénale de la
prescription de l’article 137, à l’endroit de la date. En
effet, l’auteur d’une négociation postérieure à la faillite
�ART.
139.
4 .9 9
ou contemporaine de la cessation de payements trouvait
dans l’antidate un moyen sûr de régulariser son opéra
tion et de paraître ainsi obéir à la loi. Cette fraude était
tellement facile, qu’elle s’offrait naturellement à l’esprit.
Il fallait donc tâcher de la prévenir, et les précautions
devaient être d’autant plus sévères que sa constatation
était plus difficile. La loi a voulu, par la peine du faux
qu’elle y a attachée, retenir ceux qui seraient tentés de
se livrer à un acte de nature à entraîner de si graves
conséquences.
Tel avait été l’objet et le but de l’article 26, titre v de
l’ordonnance de 1673. C’est ce que Jousse enseigne for
mellement. La défense d’antidater les ordres, dit-il, est
établie pour prévenir les tromperies qui pourraient se
faire dans le commerce , en cas de faillite, où ceux qui
ont des lettres de change ou billets à ordre en blanc
pourraient antidater les ordres longtemps avant leur
faillite, pour en recevoir le montant sous le nom de quel
ques personnes interposées, ou pour les donner à quel
qu’un de leurs créanciers, en payement, au préjudice
des autres, sans que ces derniers pussent en demander
le rapport à la masse.
En réalité, l’article 137 prescrit la date à tous endos
sements ; l’article 139 s’efforce d’en garantir la sin
cérité.
3 3 1? . — La communication du projet renfermant le
principe et ses conséquences donna lieu à des observa
tions sur celles-ci. Quelques cours et tribunaux de com-
�soo
DE LA LETTRE DE CHANGE
merce trouvaient que la peine de faux était trop rigou
reuse pour la sanctionner d’une manière générale et
absolue ; ils demandaient donc qu’elle ne fût édictée que
pour le cas où l’antidate serait frauduleuse, c’est-à-dire
en cas de faillite ou banqueroute, et pour soustraire aux
créanciers les effets endossés ; ils craignaient que dans
le cas contraire il ne surgit un grand nombre de pour
suites.
« Mais, dit M. Locré, ces craintes étaient mal fondées.
La garantie est ici dans le fait lui-même, car jamais un
créancier ne s’engagera dans un procès aussi difficile,
aussi dispendieux qu’une inscription de faux, s’il n’y
est poussé par l’intérêt d’échapper à une fraude qui lui
porte un grand préjudice.
« D’un autre côté, le système des tribunaux eût rendu
la disposition illusoire ; car s’il est vrai, comme l’obser
vait avec beaucoup de justesse la cour de Toulouse, que
la preuve des antidates est tellement difficile qu’on peut
à peine espérer de l’obtenir, qu’eût-ce été, si l’on eût
joint la condition de prouver que l’antidate constitue une
fraude 1. »
XL
S 3 8 . — Ces motifs n’ont pu avoir aucune influence
sur le rejet de la demande des tribunaux. Ce qui a amené
ce résultat, c’est qu’elle était inutile, ce qui en faisait
l’objet étant exigé par les principes généraux du droit.
En effet, pour que la peine du faux soit prononcée,
i Esprit du Code de commerce, art. 139.
�il faut qu’il y ait volonté de nuire dans l’intention de
l'auteur, possibilité d’un préjudice pour quelqu’un dans
le fait lui-même. L’article 139 ne déroge en rien à cette
règle de droit criminel. N’est-ce pas pour éviter la frau
de que la faillite peut créer qu’il a été sanctionné ?
Donc, le créancier qui se plaindrait d’une antidate
devrait prouver le préjudice réel ou possible. La peine
du faux ne serait que la conséquence de cette démons
tration. La loi n’a pu vouloir punir un simple men
songe ne pouvant nuire à qui que ce soit, pur de toute
intention mauvaise. Or, tel serait le caractère de l’anti
date non frauduleuse.
3 3 9 .'— A.u reste, et en ce qui touche la fraude et
la difficulté de la prouver, nous ne partageons pas la
manière de voir de M. Locré. Ce qui est réellement dif
ficile à établir, c’est le fait de l’antidate ; mais ce fait
acquis, il est d’autant plus facile de prouver la fraude,
qu’on n’a plus qu’à apprécier les motifs et les consé
quences de la conduite de son auteur.
Les motifs ! Quels peuvent-ils être, si non la pour
suite d’un intérêt personnel, ou un sentiment de préfé
rence pour l’un, au détriment et au préjudice des au
tres. On n’antidate pas pour le seul plaisir d’antidater,
une opération sérieuse ne demande rien à la simulation.
Donc, si l’on a recours à l’un et à l’autre, c’est qu’on
entreprend un acte illégitime.
Les conséquences ! En effet, le porteur de l’endosse
ment antidaté demandera son payement. Si l’endosseur
�502
DE LA LETTRE DE CHANGE
est integri status, qui songera à se préoccuper de l’an*
tidate !
Mais si ce payement est demandé aux environs de la
faillite ou après, l’antidate pourra avoir eu pour objet
d’empêcher la revendication de l’effet ou le rapport à la
masse de son montant. Or, ces conséquences sont toutes
d’appréciations et ne peuvent même devenir la matière
d’une preuve testimoniale.
Donc, l’antidate établie, son caractère est souveraine
ment laissé à l’appréciation et à l’arbitrage du juge, il
prononce comme juré et ne doit compte de sa décision
qu’à sa conscience.
Malheureusement, le fait de l’antidate ne se prouve
pas facilement. Aussi, l’article 139 est-il réduit au rôle
de menace irréalisable et en quelque sorte d’une lettre
morte.
340.
— On pourrait conclure de quelques expres
sions de M. Locré, que la poursuite en application de
l’article 139 donne lieu à une procédure en inscription
de faux, ce serait une erreur.
L’endossement, comme la lettre de change elle-même,
fait foi de sa date, mais seulement jusqu’à preuve con
traire. Il suffit donc d’une simple dénégation pour ren
dre cette preuve contraire recevable et admissible. C’est
par son résultat qu’il est définitivement statué sur le
litige.
�§ VII. —
DE LA SOLIDARITÉ
ARTICLE
140.
Tous ceux qui ont signé, accepté ou endossé une
lettre de change, sont tenus à la garantie solidaire en
vers le porteur.
SO M M A IRE
341.
Caractère et motifs de l’article. La solidarité avait été ad
mise en Italie et en France, sous l'ordonnance.
342. Différence entre les endosseurs et les tireurs et accepteurs,
quant à l ’application de l’article 1206 du Code civil.
343. Autre exception résultant de la qualité des parties.
344. Exception résultant de la faveur de la loi.
343. Exception résultant de la convention. Légalité de celle-ci.
246. Elle est expresse lorsque l’endossement est fait à forfait et
sans garantie. Peut-il être dans ce cas rédigé par acte
séparé ?
346 bis. Etendue de la clause à forfait et sans garantie. Ne cou
vre ni la non existence de la créance, ni le fait person
nel du cédant.
346 ter. Jugement du tribunal de Marseille et arrêt de la cour
d’Aix en ce sens.
346 quatuor. Moyens invoqués à l’appui du pourvoi.
346 quinto. Appréciation.
3 4 6 s ex to .
Arrêt de la Cour de cassation. Son caractère.
�504
DE LA LETTRE DE CHANGE
Jugement du tribunal de commerce de Marseille ap
pliquant l’article 348 du Code de commerce à la négo
ciation à forfait. Réfutation.
Elle est tacite lorsque le porteur se borne à remplir, au
nom de son cessionnaire, l’endossement en blanc dont il
est possesseur. Ses obligations dans ce cas.
Si le cédant a pris la qualité de mandataire, il n’est soumis
à aucune obligation et conséquemment affranchi de
toute solidarité. A quelles conditions.
L’article 2037 du Code civil, relativement à la subrogation
de la caution aux droits, privilèges et hypothèques du
créancier, rendue impossible par le fait de celui-ci, estil applicable aux codébiteurs de la lettre de change ?
3 4 6 septimo.
347.
348.
349.
La solidarité édictée par l’article 140 est
un nouveau témoignage de la sollicitude que le paye
ment de la lettre de change inspirait au législateur* de
la faveur dont il a voulu l’entourer, de son désir d’applanir tous les obstacles devant ce puissant auxiliaire du
crédit public.
341.
—
En droit, cette solidarité s’induisait de la nature des
choses elle-même. Quelque nombreux que soient les si
gnataires d’üne lettre de change, chacun d’eux contracte
un engagement identique, à savoir : celui de fournir les
fonds de la lettre de change à l’échéance. La loi a donc
pu voir dans ce faisceau d’obligations une obligation
unique, indivisible, et cela avec d’autant plus de rai
sons que la solidarité qu’elle en a fait résulter n ’impose
à chaque débiteur que la charge à laquelle il s’est vo
lontairement soumis lui-même.
�art.
140.
505
Le principe et ses conséquences n’ont été méconnus
dans aucun temps. Cette solidarité que l’article 140
sanctionne, nous la retrouvons dans cette école italienne
qui jeta un si vif éclat sur la matière commerciale ; et
si l’ordonnance de 1673 a omis de s’en expliquer, elle
ne l’en aura pas moins implicitement consacrée, au dire
de la doctrine, au jugement de la jurisprudence K
343.
— En ce qui concerne les endosseurs, déjà
l’article 118 avait déclaré leur obligation solidaire. Mais
une observation, que la nature de cette obligation que
l’article 140 confond avec celle des tireurs, accepteur,
donneurs d’aval, commande de faire, est qu’au fond il
y a entre ceux-ci et les endosseurs une différence capi
tale. Pour les premiers, l’application de la règle tracée
par l’article 1206 du Code civil serait incontestable et
produirait tous ses effets, tandis que chaque endosseur
doit être non seulement personnellement poursuivi, mais
encore qu’il ne peut l’être que dans un délai déterminé,
passé lequel il est entièrement libéré.
L’article 168, proclamant la déchéance que le por
teur encourt faute de poursuites, est donc une exception
aux effets ordinaires de la solidarité, une dérogation
formelle à l’article 1206 du Code civil. Le porteur doit
d’autant moins perdre de vue que cette déchéance est
absolue, qu’elle ne pourrait être évitée que par la renon-
1 V. D upuis de la Ser.'a, l 'Art
,
des lettres de change, chap. 16
'I
M: .
�506
DE LA LETTRE DE CHANGE
ciation formelle d’en revendiquer le bénéfice qu’en au
rait consentie l’endosseur.
3 4 3 . — L’article HO est même susceptible d’autres
exceptions. Ces exceptions résultent soit de la qualité du
signataire, soit de la faveur de la loi, soit de la stipu
lation des parties.
L’exception résulte de la qualité de la partie lorsque
la signature figurant sur la lettre émane d’un incapa
ble. Dans un pareil cas, la solidarité pourrait d’autant
moins exister, qu’il n’y a légalement aucune obligation,
soit qu’il s’agisse d’un interdit, d’un mineur non auto
risé ou d’une femme mariée non marchande publique
et agissant sans le concours de son mari.
3 4 4 . — L’exception résulte de la faveur de la loi
lorsque le signataire de la lettre de change est une fem
me ou une fille, ou un mineur émancipé. Les deux pre
mières n’ont souscrit en réalité qu’une simple promesse,
qu’un engagement purement civil pour lequel on ne
saurait admettre la solidarité que si elle était formelle
ment stipulée. Le dernier est en outre restituable en cas
de lésion.
3 4 5 . — Ces deux exceptions doivent à leur caractère
même de n’offrir que peu ou point de difficultés. Il n ’en
est pas de même de la troisième, celle résultant de la
convention des parties.
On a d’abord contesté la faculté pour les parties de
�art.
140.
507
transiger sur la solidarité, le caractère absolu et impéra
tif des articles 118 et 140 protestant énergiquement
contre tout accord de cette nature. Mais cet argument
n ’avait au fond aucun fondement juridique.
Ce n’est pas, en effet, par les termes plus ou moins
impératifs d’une disposition qu’on doit en juger le ca
ractère. Ce qui décide de celui-ci, c’est la nature de
l’objet auquel elle pourvoit. Cet objet est-il d’utilité pu
blique, d’intérêt général ? La disposition ne saurait être
modifiée. Il est évident que sur des matières de ce genre
la loi ne pouvait s’en remettre à la volonté, au caprice
des parties.
S’agit-il, au contraire, d’un bénéfice conféré à telle
ou telle partie, d’un objet ne se référant qu’à un intérêt
particulier ou privé, quelque formels que soient les ter
mes de la loi, on ne saurait refuser au bénéficiaire
qu’elle investit le droit de répudier l’avantage auquel il
lui plaît de renoncer.
Cela posé, dans quelle catégorie faut-il classer les dis
positions des articles 148 et 140 ? Dans la dernière évi
demment. Qu’importe, en effet, à l’intérêt public que la
dette soit due solidairement ou non ? La solidarité est
sans doute un avantage, mais pour le créancier exclusi
vement. Donc, la loi qui la crée s’en remet par cela
même au gré de ce créancier quant à l’exécution dont
elle est susceptible.
Cela est tellement vrai, que les principes ordinaires
sur la solidarité consacrent le droit que le créancier a
de la remettre à tel de ses débiteurs qu’il le juge conve-
�308
DE LA LETTRE DE CHANGE
nable. II serait donc étrange que ce droit, consacré par
la législation civile, ne pût dans les mêmes circonstances
être exercé en commerce , c’est-à-dire que le créancier
commercial fût incapable de renoncer à la solidarité, ce
que le créancier civil peut toujours faiie.
Qui pourrait, d’ailleurs, se plaindre de cet abandon ?
Les endosseurs antérieurs? Mais ils sont sans droits et
sans actions contre ceux qui les suivent, comment pour
raient-ils avoir à redire à ce qu’ils font ? Les endosseurs
ultérieurs ? Mais en se chargeant de l’effet malgré la
convention intervenue avec leur cédant, ils en ont par
cela même accepté les effets, et se sont rendus irreceva
bles à la quereller.
Ainsi, la convention dérogeant à la solidarité est
permise à l’endosseur. Elle devient la loi de tous dès
qu’elle est sanctionnée par le consentement mutuel des
parties.
— La convention peut être expresse. Elle peut
résulter tacitement de l’opération elle-même, de la qua
lité prise par l’endosseur.
Elle est expresse lorsque l’endossement renferme l’ex
pression de non garantie de la part du cédant, comme
si après l’ordre on ajoute : A forfait et sans garantie,
ou seulement sans garantie, ou bien encore sans aucun
recours, ou bien enfin, n'entendant être tenu de rien.
Cette clause, exclusive de toute garantie, pourrait-elle
être stipulée par acte séparé ? La loi ne le prohibant
pas, on ne saurait, par cela même, résoudre cette ques346.
�ART.
140.
509
lion négativement. Donc, l’écrit séparé serait valable et
obligatoire. Toutefois son effet se réduirait aux parties
elles-mêmes. Il ne pourrait être opposé aux porteurs
successifs de la lettre, s’ils n’en avaient eu connaissance
par la remise qui leur en aurait été faite au moment
de la négociation, remise dont la preuve devrait être ac
quise.
L’endossement peut donc être exclusif de toute ga
rantie. Cette règle ne reçoit qu’une exception, à savoir :
lorsqu’il s’agit de l’endossement, fait par le tireur luimême, d’un effet tiré à son ordre. Un pareil endosse
ment, avons-nous dit, est plutôt le complément de la
lettre qu’un endossement véritable. Celui qui le signe
est l’unique emprunteur, le seul débiteur de l’effet trans
mis, il ne pourrait donc pas stipuler qu’il n’en garantit
pas le payement. Dans le cas contraire, il contracterait
une dette avec faculté de ne pas la payer, ce qui serait
absurde.
Nous pensons donc que la clause de non garantie
que renfermerait cet endossement ne pourrait sortir à
effet. Essentiellement contraire à l’essence du contrat,
on devrait la considérer comme non écrite.
3Jtebis. — La clause de forfait et de non garantie
n’empêche pas le cédant de répondre de l’existence de
la créance, et de son fait personnel qui tendrait soit à
l’anéantir, soit à la modifier.
L’existence de la créance au moment de la cession qui
en est consentie, est déclarée par l’article 4693 du Code
�510
DE LA LETTRE DE CHANGE
civil, la condition sine qua non de la validité de la ces
sion, même lorsqu’elle a lieu aux risques et périls du
cessionnaire et sans garanties de la part du cédant. Rien
de plus juste que cette condition. En effet, celui qui se
charge à forfait d’une créance contracte une opération
aléatoire, et s’il accepte les clauses défavorables, c’est
qu’il jouira des chances heureuses. Or, où seraient ces
chances, où l’aléa qui détermine le contrat si la créance
cédée n’existait pas ? Le contrat manquerait donc de
son élément le plus essentiel, il n’aurait pas de cause
et ne saurait dès lors être maintenu. Le cessionnaire
devrait être relevé des effets d’un consentement qui se
rait le fruit de l’erreur, le résultat d’une surprise.
C’est surtout dans la négociation des effets de com
merce qu’on doit exiger la rigoureuse observation de
l’article 1693. Comme le disait le tribunal de commerce
de Marseille, dans le jugement dont nous allons parler,
si les cédants de titres à ordre pouvaient échapper à
toute garantie d’existence de la créance, ils se trouve
raient autorisés à négocier des titres qui ne seraient
que le fruit d’une connivence entre eux et les souscrip
teurs, et dans le cas d’insolvabilité de celui-ci, le ces
sionnaire à forfait aurait payé le prix d’une créance pu
rement fictive, prix qui habituellement profiterait, au
moins en partie, au cédant par l’effet de son entente
avec le souscripteur.
On objectera que le commerce est suffisamment armé
contre cet inconvénient, et que le refus de prendre des
titres à forfait lui fermera toutes les issues. Le remède
�ART,
140.
SU
serait en effet héroïque. Reste à savoir s’il serait compa
tible avec l’intérêt et les nécessités du commerce. Or, si
le forfait s’est créé une large place dans la pratique,
c’est que ses avantages ne peuvent être ni méconnus ni
contestés.
Il concourt en effet puissamment au développement
du crédit. Le commerçant qui ne consentirait à celui
avec qui il traite qu’un crédit plus ou moins restreint,
n’hésitera pas à aller fort au-delà, lorsque par un léger
sacrifice il est assuré de s’exonérer en tout ou en partie
des chances de perte que lui ferait courir l’insolvabilité
de son débiteur.
D’autre part, la réalisation immédiate de fonds exi
gibles seulement à une échéance plus ou moins éloignée,
le met à même d’entreprendre de nouvelles opérations
et de réaliser de nouveaux bénéfices.
En réalité, la négociation à forfait est pour le com
merce de terre ce que l’assurance est pour le com
merce maritime ; on ne saurait dont songer à la prohi
ber. Ce qu’on pouvait, ce qu’on devait, c’était de veiller
à sa sincérité, d’empêcher qu’elle ne devînt une source
de surprise, une occasion de fraudes, et c’est ce que réa
lise l’application de la règle édictée par l’article 1693
du Code civil.
L’obligation pour le cédant de ne rien faire qui puisse
nuire au cessionnaire, rendre la cession vaine et illu
soire, ou en amoindrir les effets, n’est ni moins ration
nelle, ni moins juste que celle de répondre de l’existence
de la créance. Conséquemment, quelque étendue que
fût la clause de non garantie, elle ne saurait dispenser
�512
DE LA LETTRE DE CHANGE
le cédant de répondre de son fait personnel. Le principe
que nul ne peut récuser la responsabilité de ses actes
est d’ordre public. Il ne comporte donc aucune déroga
tion, soit directe, soit indirecte.
3 4 6 ter. _ Notre doctrine à ce sujet trouve un re
marquable exemple d’application dans un arrêt du 31
mai 1864, rendu par la Cour de cassation dans les cir
constances suivantes :
Les sieurs Lafuente et Jullien, négociants à Marseille,
s’étaient engagés à acheter des sucres pour Zangronilz
et Cie, qui leur avaient souscrit pour 170,000 fr. de
billets.
En fin novembre 1859, le navire Saint-Eloi arrive à
Marseille avec un chargement de sucres faisant partie
de ceux achetés pour le compte de Zangronitz, et il est
procédé à une nouvelle émission de 126,000 fr. de bil•lets causés valeur en marchandises à l’échéance d’avril
1860, à valoir sur la fourniture des sucres non encore
livrés du navire Saint-Eloi.
Le 3 décembre 1859, les sieurs Lafuente et Jullien
négocient à MM. Folch et Cie un de ces billets de
10,000 fr. L’endossement en est fait à forfait en sans
garantie. Deux jours après Zangronitz et Cie suspendent
leurs payements.
Aussitôt intervient entre Lafuente et Jullien et les li
quidateurs Zangronilz une transaction par suite de la
quelle les premiers gardent pour leur compte les sucres
du Saint-Eloi et s’obligent à restituer les billets sous-
�ART.
140.
513
crits à cette occasion, ce qui est exécuté moins le billet
de 10,000 fr. aux mains de MW. Folch et Cie en
échange duquel on restitue d’autres valeurs ayant une
origine toute différente.
La faillite de Zangronitz ayant été plus tard déclarée,
Folch et Cie, qui ignoraient l’existence de la transaction,
se font admettre au passif pour les 10,000 fr. dont ils
sont porteurs et perçoivent le dividende de 12 0/0 affé
rant aux créanciers. Mais, instruits de cette existence,
ils actionnent Lafuente et Jullien en nullité de la ces
sion et en remboursement de ce qu’ils avaient payé
avec offre de compenser les 12 0/0 qu’ils avaient reçu.
Cette action se fondait sur ce que les 10,000 fr. fai
saient partie des 126,000 fr. souscrits à valoir sur la
livraison des sucres du navire Saint-Eloi ; qu’il était
devenu sans cause dès que les sucres n’avaient pas été
livrés par le fait de leurs cédants qui avaient résilié le
marché intervenu entre eux et Zangronitz à ce su jet,
qu’en conséquence Lafuente et Jullien ne pouvaient pas
exciper du forfait, puisqu’ils répondaient de leur fait et
de l’existence de la dette.
A ces prétentions ceux-ci opposent que la créance
existait par cela seul que Zangronitz s’était reconnu dé
biteur du montant des billets ; que, dans tous les cas,
en produisant à la faillite, Folch et Cie avaient renoncé
à tout recours contre leurs cédants ; et que d’ailleurs ils
étaient déchus du droit d’exercer ce recours faute de
leur avoir notifié, en temps utile, le protêt qui aurait
i — 33
�514
DE LA LETTRE DE CHANGE.
dû être fait entre les mains des souscripteurs du billet
qui leur avait été négocié.
Un jugement du tribunal de commerce de Marseille,
du 14 juin 1861, sans s’arrêter à aucune de ces excep
tions, accueille la prétention de Folsch et Cie, et con
damne Lafuente et Jullien à leur rembourser le montant
de la négociation, sous déduction du dividende de 12 0/0
touché dans la faillite Zangronitz. Voici sur quels m o
tifs s’étaye cette décision :
« Attendu que la cession à forfait des titres à ordre
exempte seulement les cédants de l’obligation de ga
rantir la solvabilité des souscripteurs ou accepteurs,
obligation que comporte par elle-même la transmission
par endossement de ces titres ; qu’elle laisse subsister la
garantie de l’existence de la créance ;
« Attendu que pour les titres à ordre cette garantie
doit s’entendre dans ce sens qu’il faut qu’ils aient des
causes sérieuses et qu’ils soient la reconnaissance d’un
droit réel du titulaire ; que ce n’est point assez que le
souscripteur soit engagé envers le porteur, car la bonne
foi du tiers porteur suffit généralement pour valider
l’action de ce dernier ;
« Que si en raison du droit reconnu aux tiers por
teurs de bonne foi, les cédants de titres à ordres pou
vaient échapper à toute garantie de l’existence de la cré
ance, ils se trouveraient autorisés à négocier des titres
qui ne seraient que le fruit d’une connivence entre eux
et le souscripteur, et dans le cas d’insolvabilité de celuici, le cessionnaire à forfait aurait payé le prix d’une
�créance purement fictive, prix qui, habituellement, pro
filerait au moins en partie au cédant par l’effet de son
entente avec le souscripteur ;
« Attendu que la négociation à forfait de titres à or
dre qui n’ont pas de causes sérieuses, sont entachées du
double vice, d’un profit illégitime en faveur des sous
cripteurs ou cédants, et d’erreur de la part du cession
naire qui a dû croire à la réalité de la cause énoncée,
et qui par là est trompé sur le crédit que le souscrip
teur mérite; qu’aussi, bien que les droits d’un tiers
porteur diffèrent à l’égard du débiteur cédé de ceux d’un
cessionnaire ordinaire, ces négociations entre le ces
sionnaire et le cédant doivent être régies par les mêmes
principes que les transactions civiles, par le principe
qui veut qu’on ne puisse céder valablement qu’une cré
ance réelle ;
« Attendu que, dans l’espèce, le billet de 10,000 fr.
qui a été négocié aux sieurs Folsch et Cie, n’a eu, au
moment de la souscription, qu’une cause éventuelle ;
que celte cause, qui devait consister dans la livraison
des sucres du navire Saint-Eloi, ne s’est pas réalisée ;
que ce défaut de réalisation est constaté par la transac
tion du 14 janvier 1860 et n’est pas déniée au procès ;
« Attendu que le titre doit être apprécié en lui-même;
que ce titre pris en lui-même manque de cause et ne
répond à aucune créance, puisque il a été souscrit en
vue d'une livraison de sucres qui n’a pas eu lieu ;
qu’ainsi il est compris dans la classe de ces effets de
�516
DE LA LETTRE DE CHANGE.
commerce dont les cédants à forfait restent garants par
suite de leur garantie de la créance ;
« Attendu que l’objection tirée au fond par les sieurs
Lafuente et Jullien de l’admission du titre dans la fail
lite Zangronitz et Cie, a été déjà repoussée par les con
sidérations qui précèdent ; que si les sieurs Lafuente et
Jullien sont même restés créanciers de la faillite pour
d’autres causes, ce fait est étranger aux sieurs Folsch et
Cie ; que ceux-ci peuvent faire valoir tous les droits at
tachés au titre qu’ils possèdent tant qu’il reste leur pro
priété, sans perdre le recours qui leur appartient contre
les cédants ;
« Attendu qu’il n’y a pas non plus de fin de non
recevoir dans le défaut de protêt du billet, le recours
exercé par Folsch et Cie n’étant pas celui prévu par le
Code de commerce contre un endosseur antérieur, mais
celui auquel d’autres dispositions soumettent un cédant
pour garantie de l’existence de la créance. »
Sur l’appel la cour d ’Aix, par arrêt du 22 novembre
1861, confirmait le jugement avec adoption des mo
tifs.
3 4 6 quatuor. _
On se pourvut en cassation, et voici
comment on essayait de justifier le pourvoi sur le
fond :
« Il est certain que la créance existait au jour de la
négociation. Celte existence résultait de la nature même
du titre qui faisait l’objet de cette négociation. En effet,
ce titre était un effet de commerce, et par cela seul que
�V; • V
ART.
140.
817
le souscripteur y avait apposé sa signature, il était obli
gé vis-à-vis des tiers porteurs de bonne foi, quelles que
pussent être d’ailleurs l’irrégularité ou même la faus
seté de la cause assignée à l’obligation. Or c’est là tout
ce qu’exige l’article 1693 du Code civil pour la validité
du transport même fait avec clause de non garantie.
D’après l’arrêt, il faudrait quelque chose de plus quand
il s’agit de la cession d’un titre à ordre ; dans ce cas
l’engagement du souscripteur vis-à-vis du tiers porteur
ne suffirait pas pour que la créance existât dans le sens
de l’article 1693 du Code civil, et la garantie de l’exis
tence de la créance dont parle cet article serait due dans
tous les cas où le titre n’aurait pas une cause sérieuse
et ne serait pas la reconnaissance d’un droit réel du
titulaire. Mais si ce principe était exact, il s’ensuivrait
que lorsque la négociation, au lieu d’être à forfait, est
une négociation pure et simple, le tiers porteur devrait
avoir également la possibilité d’en demander la nullité
dans le cas où la cause mentionnée au billet ne serait
pas réelle, puisque dans une négociation pure et simple
le cédant ne saurait être moins tenu que dans une né
gociation à forfait. Donc, cette conséquence extrême du
système de l’arrêt attaqué prouve que la garantie de
l’existence de la créance ne peut pas comprendre la ga
rantie de la cause de cette créance. C’est vainement que
l’arrêt objecte que le système contraire aurait pour ré
sultat de favoriser la fraude et de permettre la négocia
tion de titres qui ne seraient que le fruit d’une conni
vence entre le cédant et le souscripteur. En effet la
�318
DE LA LETTRE DE CHANGE
fraude, lorsqu’elle est démontrée, peut être un motif de
déroger aux règles ordinaires du droit ; mais ici il n’y
a ni fraude démontrée, ni même fraude alléguée. Il y a
plus, il y avait aux billets créés une cause réelle dans
la vente consentie par les sieurs Lafuente et Jullien aux
sieurs Zangronitz, et si plus tard cette vente a été rési
liée, et les billets auxquels elle avait donné lieu restitués
comme étant devenus sans cause, celui de 10,000 fr.
négocié antérieurement aux sieurs Folsch et Cie qui a
été excepté de cetle restitution, a conservé la cause qui
lui appartenait dès l’origine et a continué à être dû par
les sieurs Zangronitz. Donc, à tous les points de vue, la
cession était valable, et aucune garantie ne pouvait être
exercée contre le cessionnaire. »
3 4 G quînto. _ Ces moyens n’avaient rien de bien
juridique et étaient loin de justifier la thèse à l’appui de
laquelle on les invoquait. Ce qui constitue l’obligation,
c’est moins la signature de celui qui l’a souscrite que
la cause qui en a déterminé la souscription. A défaut
de cause il pourra bien exister un titre, mais il n’y aura
point d’obligation. L’article 1131 du Code civil ne laisse
aucun doute à ce sujet.
Sans doute, ce défaut de cause que le souscripteur
pourra faire valoir contre celui avec qui il a traité, ne
serait pas opposable au tiers porteur de bonne foi. Mais
l’effet de la nullité n’en serait pas moins acquis puis
que le recours du souscripteur qui aurait payé celui-ci
contre le preneur ne saurait être contesté si l’obligation
�ART.
140.
519
était réellement sans cause. Et pourquoi ce que le souscripieur pourrait faire serait-il interdit au tiers porteur
agissant en vertu de l’article 1166 du Code civil ?
Mais à quoi bon se préoccuper des droits du tiers
porteur de bonne foi lorsqu’il s’agit de déterminer les
effets d’une cession à forfait ? Dans ce cas, pour que le
cédant puisse se prévaloir delà clause de non garantie,
il faut que la créance existe, et cette existence la charge
'de la prouver incombe naturellement à celui qui l’invo
que pour sa libération.
Or, dans l’espèce, c’est la preuve contraire qui résul
tait des faits du procès. Ainsi, il n’était pas contesté
que le billet de 10,000 fr. avait été souscrit à valoir
sur les sucres non encore livrés du navire Saint-Eloi.
C’était donc un payement anticipé qui n’avait plus au
cune raison d’être et ne pouvait être acquis si ces su
cres n’étaient pas livrés. Les sieurs Lafuente et Jullien
l’avaient si bien compris que sur les 126,000 fr. de bil
lets qu’ils avaient reçus à ce titre, ils en restituaient
116,000. Mais pourquoi les 10,000 fr. qui restaient
auraient-ils échappé au sort de ces 116,000 ?
Supposez que les sieurs Lafuente et Jullien n’eussent
pas été créanciers à d’autres titres des sieurs Zangronitz,
auraient-ils pu retenir ces 10,000 fr. dès qu’ils s’ap
pliquaient les sucres dont ces 10,000 fr. étaient le prix?
Or, la compensation à laquelle Zangronitz n’avait au
cune raison de résister, n’avait pas validé le titre de
10,000 fr. négocié aux sieurs Folsch et Cie, elle l’avait
�520
DE LA LETTRE DE CHANGE
au contraire éteint par le payement et par conséquent
en avait consommé la nullité.
En fait donc, l’obligation de Zangronitz n’étant qu’un
payement anticipé, n ’était qu’une obligation condition
nelle subordonnée à la livraison des sucres. Cette con
dition ne s’étant pas réalisée, cette obligation était tom
bée de plein droit et n’avait jamais existé, pas même
au jour de sa souscription, car la nullité rétroagissait de
plein droit jusqu’à ce jour.
A ces raisons décisives se joignait cette autre que le
défaut de livraison était le fait unique des sieurs Lafuente et Jullien. C’était donc par leur fait personnel
que la créance avait été modifiée, que la marchandise
qui devait en être le gage n’était pas arrivée aux mains
du souscripteur. Dès lors responsables au point de vue
de la non existence de la créance, ils l’étaient en outre
à celui de leur fait personnel.
3 4 6 sexto. — Par arrêt du 31 mai 1864 le pourvoi
était donc rejeté. Après avoir relevé les constatations
de fait résultant de l’arrêt attaqué, la Cour suprême
ajoute :
« Attendu, en droit, que, quoique la cession soit faite
sans garantie, le cédant demeure garant de l’existence
de la créance cédée aux termes du transport, et qu’il est
tenu en outre de la garantie d’un fait qui lui est per
sonnel ;
« Attendu que la cession d’une créance comprend,
comme accessoire, les garanties qui lui sont inhérentes ;
�140.
S21
que lorsque cette créance a eu pour cause un prix de
vente, l’article 577 du Code de commerce lui attribue,
comme garantie spéciale, le droit de rétention des mar
chandises vendues et non encore délivrées au failli ; que
ce droit est spécialement affecté au prix de vente des
marchandises retenues, et ne peut être exercé pour d’au
tres créances ayant une origine différente ;
« Attendu qu’il résulte de là que c’est à tort que , par
la transaction du 4 janvier 1860, les demandeurs qui,
au moment de la suspension de payements de Zangronitz et Cie, se trouvaient encore nantis des marchandi
ses qui ont formé la valeur du billet par eux négocié
aux défendeurs, ont privé ces derniers du droit de ré
tention exclusivement affecté à la créance qu’ils leur
avaient cédée, et que c’est indûment qu’ils se sont ap
proprié ce privilège pour d’autres créances qui avaient
une cause différente ;
« Attendu qu’en dénaturant ainsi la créance par eux
cédée et en privant leurs cessionnaires de la garantie
qui y était attachée, les demandeurs ont encouru la res
ponsabilité de leur fait personnel ; que la garantie du
fait personnel, qui est d’ordre public et qui n’admet
aucune convention contraire, n’est soumise à aucune
des déchéances prononcées par l’article \ 68 du Code de
commerce h »
Dans la note dont il accompage cet arrêt, le Journal
du Palais ne parait pas se rendre exactement raison de
J . d u 1 \ , '1864, 699.
%%êk
A RT.
�522
DE U
LETTRE DE CHANGE
sa portée quant au droit de rétention. La Cour de cas
sation ne pouvait pas admettre que le cessionnaire de
billets qui n’a jamais eu la marchandise en sa posses
sion, pût exercer le droit de rétention. Ce qu’elle dit,
c’est que dans l’espèce la transaction intervenue le 4
janvier ne puisait sa validité que dans ce droit de ré
tention ; que ce droit les vendeurs l’avaient cédé jusqu’à
concurrence de 10,000 fr. au cessionnaire du billet
souscrit en payement des marchandises ; qu’ils ne pou
vaient donc l’exercer qu’au profit de celui-ci ; que dès
lors en se l’attribuant, en remplaçant ces 10,000 fr. par
des valeurs qui avaient une cause différente, ils avaient
méconnu et violé le droit du cessionnaire et dénaturé sa
créance, qu’ils s’étaient ainsi rendus garants envers
lui, et obligés à l’indemniser du préjudice qu’il en
éprouvait.
On ne saurait ni méconnaître, ni contester le carac
tère juridique de cette appréciation.
3 4 6 septîmo. _ Un jugement du tribunal de com
merce de Marseille, du 5 novembre 1875, décide que
la négociation à forfait d’un effet de commerce est réglée
par les principes du contrat d’assurance au point de vue
de la nullité résultant de la réticence ou de la connais
sance du sinistre au moment du commencement des
risques ;
Qu’en conséquence, lorsque une traite conçue valeur
en marchandises n’est en réalité que le renouvellement
d’une précédente non payée, le tireur ou l’endosseur qui
�art .
140.
323
la négocie à forfait sans faire connaître cette circons
tance, demeure garant du défaut de payement à l’é
chéance l.
Dans cette espèce, le 10 décembre 1874, les sieurs
Calmette et Cie, de Narbonne, avaient négocié à forfait
au sieur Bonniot fils aîné, de Marseille, deux traites,
l’une de 7,000 fr., l’autre de 127 fr., fournies par les
sieurs Ychè et Bousquet à leur ordre, à la date du 15
novembre précédent et à l’échéance du 15 février sui
vant, sur les sieurs Gondran et fils, qui les avaient ac
ceptées et qui suspendaient leurs payements dix jours
après, c’est-à-dire le 20 décembre.
Ces traites remontaient au 15 mai 1874. A cette épo
que Ychè et Bousquet avaient fourni à Gondran et fils
19,224 fr. de marchandises payable au 15 août. Ce
jour les traites avaient été renouvellées et l’échéance re
portée au 15 novembre. A cette époque, un à-compte
avait réduit la dette à 7,127 fr. pour lesquels les traites
négociées avaient été tirées à l’échéance du 15 février
1876.
Connaissance de ces renouvellements successifs n’ayant
pas été donnée à Bonniot fils aîné, le tribunal avait con
sidéré ce silence comme une réticence frauduleuse mo
tivant la nullité de la clause de non garantie.
L’application que le tribunal fait de l’article 348 du
Code de commerce à la négociation à forfait des effets
de commerce, ne nous paraît pas admissible. Il n’existe
i Journal de Marseille, 4876, 4, 20.
�824
DE LA LETTRE DE CHANGE.
aucune assimilation possible entre cette négociation et
l’assurance que cet article régit exclusivement.
L’industrie des assurances, par ses résultats à l’en
droit du commerce maritime, a dû justement être con
sidérée comme d’intérêt général et public. Elle serait
devenue à peu près impossible sans la disposition de
cet article.
En effet, l’assureur qui n’a ni le temps, ni les moyens
de vérifier et de contrôler les déclarations qui lui sont
faites eût été trop facilement dupe, si l’on avait pu lui
laisser ignorer des circonstances qu’on lui aurait d’au
tant mieux cachées qu’elles auraient été de nature soit
de l’empêcher d’accepter le risque, soit d’exiger une
prime plus élevée.
Il faut donc, pour que l’assureur puisse juger s’il
doit ou non contracter, qu’il connaisse la vérité tout en
tière, et cette condition ne sera acquise que si l’assuré
lui a fait savoir tout ce qu’il sait lui-même. L’observa
tion de ce devoir devait être garantie par une sanction
pénale énergique, et c’est cette sanction que consacre
l’article 348, en disposant que toute réticence, toute
fausse déclaration de la part de l’assuré, que toute dif
férence entre le contrat d’assurance et le connaissement
qui diminueraient l’opinion du risque ou en change
raient le sujet, annulent l’assurance. Cette nullité a
donc ici une raison d’être juste et légitime.
Où serait cette raison dans la négociation à forfait
des effets de commerce ? Dans ce fa it, dit le jugement,
que les cessionnaires n’ont assumé les risques de la né-
�art .
140.
525
gociation que parce qu’ils ont ignoré les renouvelle
ments successifs qui sont dans le commerce, indices de
gêne, et qui annoncent le plus souvent une suspension
prochaine.
Mais ce raisonnement trouve la plus énergique réfu
tation dans la nature même du contrat. La négociation
à forfait entraîne pour le cédant une perte plus ou
moins considérable, et ce qui peut seul le déterminer
à la subir, c’est évidemment le doute que lui inspire la
solvabilité du débiteur, la crainte d’un défaut de paye
ment à l’échéance. Croit-on que celui qui aurait en
portefeuille des valeurs de premier crédit hésiterait à les
garantir en les négociant et s’imposerait un sacrifice
quelconque pour s’exonérer de cette garantie ?
Donc, celui à qui on propose une négociation à for
fait est parfaitement édifié sur le risque de l’opération.
Ce risque, en effet, c’est le plus ou moins de solvabi
lité du débiteur. Or, peut-il à ce sujet concevoir une
pensée autre que celle du cédant et croire à une issue
dont celui-ci a désespéré.
Jusqu’à quel point cette opinion est-elle fondée ? A
quel degré est descendue la solvabilité du débiteur ?
C’est au cessionnaire qu’il appartient de le rechercher
et de le vérifier. Il a lui le temps et les moyens de le
faire, car rien ne le presse d’accepter la négociation au
jourd’hui plutôt que demain, et c’est ordinairement sur
la place même que résidera le débiteur.
Ainsi, dans l’espèce, c’étaient des négociants de Nar
bonne qui avaient cédé à un commerçant de Marseille
�5 26
DE LA
LETTRE DE CHANGE.
des traites acceptées et dues par un autre commerçant
de Marseille, et si le cessionnaire avait eu besoin de
s’informer, la notoriété commerciale l’eût plus que suf
fisamment éclairé. La négociation avait lieu le 10 dé
cembre, et c’est le 20 du même mois que les tirés ac
cepteurs avaient suspendu leurs payements. Or, com
ment croire que rien n’eût encore transpiré de leur état
de gêne ; qu’aucun de ces faits avant-coureurs de la
faillite ne fût venu en démontrer l’imminence ?
Donc, la moindre démarche de la part du cession
naire l’aurait mis à même d’apprécier sainement le ris
que qu’on lui proposait et qu’il acceptait. Cette con
duite était pour lui un devoir, et s’il y avait failli, si
malgré le doute que devait lui inspirer la clause de non
garantie, il en avait aveuglément couru la chance, c’est
que les avantages qu’on lui faisait lui offraient un inté
rêt réel, incontestable. Dans tous les cas, au lieu d’être
trompé, il s’était bien volontairement trompé lui-même,
et rien ne pouvait autoriser sa prétention d’être relevé
de son défaut de vigilance et de son imprudence.
Un abîme sépare la position du cessionnaire à forfait
de la position des assureurs. Il n’est donc ni rationnel,
ni juridique, ni même possible d’appliquer à l’un les
règles édictées pour l’autre.
345.
— La convention dérogatoire résulterait de
l’opération elle même lorsque le porteur de l’effet qu’il
négocie en vertu d’un endossement en blanc, le cédant
�ART, 140.
527
se borne à le remplir au nom de son cessionnaire, sans
apposer sa propre signature.
On dira sans doute que dans cette hypothèse il y a
plutôt inapplicabilité de l’article 440 que dérogation à
sa disposition. Mais, dans la réalité des choses, le défaut
de signature ne peut faire que le billet n’ait pas été
transmis par le porteur de l’endossement. Le fait de
cette transmission suffit pour le soumettre de plein droit
à la garantie de l’existence de la dette au moment de la
cession, et si à cette époque le tireur avait failli, il n’en
verrait pas moins annuler la négociation en ce qui le
concerné, il n’en serait pas moins obligé de restituer ce
qu’il avait reçu malgré l’absence de sa signature.
Nous verrons plus bas qu’en cas de faux le cédant
qui n’a pas signé sur la lettre demeure obligé comme
tous les autres endosseurs , c’est-à-dire qu’il répond de
son cédant à lui et qu’il doit le faire connaître '.
On comprend dès lors que ce qui se réalise dans ces
deux hypothèses aurait pu se réaliser dans la troisième.
On aurait pu ne pas considérer le défaut de signature
comme dispensant de la garantie ordinaire, et si le con
traire a été admis, c’est que l’acte étant incompatible
avec l’idée de celle-ci, on en a fait résulter une déroga
tion. Remplir l’endossement en blanc du nom du ces
sionnaire, c’est au fond négocier à forfait et sans ga
rantie.
1 V Supra, n° 294, et infra, n* 535.
�528
DE LA LETTRE DE CHANGE
3 4 8 . — Enfin la clause dérogatoire résulterait de
la qualité en laquelle le signataire aurait agi. Par exem
ple, s’il a vait déclaré n’être que le mandataire du pro
priétaire de la lettre.
Le principe que le mandataire ne s’oblige jamais per
sonnellement n’a rien d’antipathique au droit commer
cial, à condition que, s’agissant d’un mandat ordinaire,
son existence a été nettement indiquée dans l’acte mê
me. Si la qualité de mandataire n’est pas formellement
prise, si, mandataire commercial, le signataire signe
son nom personnel, ce n’est plus par les principes or
dinaires qu’on pourrait et devrait régir son obligation.
Il resterait garant solidaire, sauf son recours contre son
mandant. Cette règle explique la position du porteur
d’un endossement irrégulier ou en blanc. L’article 138
le déclare simple mandataire. Cependant, si en vertu de
cet endossement il a négocié la traite, il est personnel
lement tenu d’en garantir le payement.
La différence que nous signalons est consacrée par la
jurisprudence. Aussi la cour de Bruxelles, notamment,
décidait les 18 février 1818 et 11 juin 1819, que la
femme marchande publique qui accepte des traites par
procuration de mon mari ne s’oblige pas envers les
porteurs, tireur ou endosseurs.
Ce que la cour de Bruxelles juge pour la femme, la
doctrine l’admet sans difficulté pour le commis ou fac
teur. Ni l’un ni l’autre ne contractent aucune obligation
en signant une lettre de change par procuration du
�ART.
140.
maître. En ce cas, c’est ce dernier seul qui est obligé
par la signature du mandataire ï.
Il importe donc que celui qui n’entend pas se rendre
garant personnel ne laisse aucun doute sur la qualité en
laquelle il agit. Sans doute les mots par procuration ne
sont pas sacramentels, mais la prudence semble exclusi
vement les recommander, tous autres équipollents pou
vant laisser trop de place au doute, et même autoriser un
résultat contraire.
Ainsi le signataire déclarant agir pour le compte
d’une personne déterminée, n’en aurait pas moins en
gagé sa responsabilité personnelle. On le considérerait
comme commissionnaire plutôt que comme mandataire.
Il serait donc en tout assimilé au tireur d’ordre et pour
compte d’un tiers.
Il n’y a qu’une hypothèse où l’expression pour compte
ne pourrait être considérée comme un simple mandat,
obligatoire pour le mandant seul, à savoir : lorsqu’il
s’agit d’une femme gérant habituellement et même ex
clusivement le commerce de son mari (qui ne sait ni
lire, ni signer). Sa signature pour compte de celui-ci
l’obligerait au payement des billets souscrits ou endos
sés par elle, sans l’obliger elle-même2.
3 4 9 . — M. Pardessus observe avec juste raison que
Contrat de change, n<>«143, 244 et 275.
Contrat de change, n° 28. Mer
lin, v° Lettres et Miels de change, § 3, n° 3. Pardessus, Contrat de
change, n° 49.
1 Pardessus,
2 Angers, 27 février 1849. P othier,
I —r 34
�830
DE LA LETTRE DE CHANGE
les divers signataires de la lettre de change, quoiqu’ils
soient qualifiés de débiteurs solidaires, sont en réalité
non pas des obligés principaux, mais plutôt cautions
les uns des autres. Seulement le cautionnement est so
lidaire, et ce caractère doit d’autant moins être perdu
de vue, que seul il peut faire sainement résoudre cer
taines difficultés, notamment celle que peut soulever
l’application de l’article 21037 du Code civil.
Aux termes de cette disposition, la caution est dé
chargée lorsque la subrogation aux droits, privilèges et
hypothèque du créancier ne peut plus, par le fait de
celui-ci, s’opérer en faveur de la caution. Tel serait évi
demment le cas où le porteur aurait consenti une re
mise totale ou partielle en faveur du tireur ou de l’ac
cepteur, ou renoncé à exercer la contrainte par corps.
L’endosseur contre lequel le porteur s’est formellement
réservé tous ses droits pourrait-il se prétendre libéré au
bénéfice de l’article 2037 du Code civil ?
La cour de Poitiers, saisie de la question, se prononça
contre l’endosseur, par arrêt du 24 août 1813. Le pour
voi dont cet arrêt avait été l’objet fut repoussé par la
Cour de cassation, le 11 février 1817.
Relativement à l’article 2037, la Cour régulatrice
considère qu’il n’est applicable que dans l’hypothèse
d’un simple cautionnement, et qu’on ne saurait jamais
qualifier ainsi celui qui résulte de l’endossement d’une
lettre de change , elle ajoute d’ailleurs que l’endosseur
qui a remboursé ayant une action personnelle contre le
tireur ou l’accepteur, action à laquelle est attachée la
�ART.
UO.
S31
contrainte par corps, le traité intervenu entre eux et le
porteur n’avait porté aucune atteinte ni à l’un ni à l’au
tre ; que dès lors l’article 2037 ne pouvait pas même
être invoqué.
Dans l’espèce, ce dernier motif était peu concluant,
car le traité, n’étant autre qu’un concordat après fail
lite, était exécutoire pour les créanciers, quels qu’ils fus
sent. Il est vrai que le défaut d’homologation du con
cordat au moment de la poursuite amenait la Cour à
s’en occuper.
Mais ce qui était décisif, c’était la solidarité de la
créance et de la dette. Cette circonstance plaçait les dé
biteurs et le créancier sous le coup des articles 1210 et
1211 du Code civil. Leur application avait amené la
cour de Poitiers à conclure : que le créancier qui reçoit
la part de l’un de ses débiteurs solidaires n ’en conserve
pas moins ses droits contre les autres ; qu’il ne s’opère
alors qu’une division de la dette relativement à celui
dont la part a été reçue ; qu’on ne doit pas considérer
autrement une restriction ou remise des poursuites ac
cordée à l’un des débiteurs solidaires pour une portion
de la dette, lorsque loin que cette remise ait eu pour
objet l’extinction de la dette en elle-même, le créancier
s’est au contraire formellement réservé de poursuivre
pour le restant les autres codébiteurs solidaires, dont la
position se trouve alors améliorée, puisqu’ils ne sont
plus exposés à être poursuivis que pour une partie de
la dette, quand par la nature de l’obligation ils auraient
été passibles de poursuites pour le tout.
�532
DE LA LETTRE DE CHANGE
Ces considérations justifient parfaitement la conclu
sion que l’arrêt en déduit, au double point de vue du
droit civil et des principes commerciaux.
Notre question doit donc se résoudre par la négative.
L’endosseur ne saurait se prétendre libéré par la re
mise d’une partie de la dette, ou de la contrainte par
corps, faite par le porteur au tireur ou à l’accepteur,
soit que cette remise ait été consentie après faillite et
par un concordat, soit qu’elle ait été purement volon
taire.
Dans la première hypothèse, la remise n’est jamais
censée volontaire, c’est ce qui s’induit de l’article 542
du Code de commerce. C’est ce que la loi déclare ex
pressément dans l’article 545 ï.
Dans la seconde, les conséquences de la remise sont
souverainement réglées par l’article 1285 du Code ci
vil. C’est donc par son application qu’on déterminerait
les droits et les obligations du créancier et des débiteurs
solidaires.
1 V. n o tre
Commentaire du litre des faillites, a r t. 5 4 2-545.
�ART.
141, 142.
VIII.
---- DE L AVAL
ARTICLE
141.
Le payement d’une lettre de change, indépendam
ment de l’acceptation et de l’endossement, peut être ga
ranti par un aval.
ARTICLE
142.
Cette garantie est fournie, par un tiers, sur la lettre
même, ou par acte séparé.
Le donneur d’aval est tenu solidairement, et par les
mêmes voies que les tireur et endosseurs, sauf les con
ventions différentes des parties.
SO M M A IRE
350.
351.
352.
Définition et objet de l ’aval.
Quelles personnes peuvent le donner ?
Peut-on considérer comme tiers, par rapport à l ’aval, le
tiré, celui qui est indiqué nu besoin, le porteur.
353. L’article 142 exclut les incapables. Diverses catégories ;
mineurs, interdits, femmes mariées, femmes et filles.
353 l)is. Effets de la nullité de l’engagement de la femme à l ’é
gard du tiers porteur.
�534
354.
355.
356.
357.
358.
359.
360.
361.
362.
363.
364.
365.
366.
367.
368.
369.
370.
371.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Quid des agents de change et courtiers ?
Modifications et restrictions diverses dont l’aval est sus
ceptible.
L’ordonnance ne permettait pas, comme le Code, la faculté
de donner un aval par acte séparé. Débats que l ’intro
duction de cette faculté a fait naîtreL’aval ne peut être prouvé que par écrit. Conséquences.
Mais la loi ne lui a imposé aucune expression sacramentelle. Pouvoir et devoir des tribunaux b cet égard.
Dans le doute on doit se décider contre le donneur d'aval.
L’aval résultant de la simple signature, et celle-ci pouvant
se trouver au dos de l’acte, comment on doit juger s’il
s'agit d’un endossement ou d’un aval.
Dans quelles circonstances doit-on et peut-on exiger les
formalités prescrites par l’article 1326 du Code civil ?
Quid pour les femmes et les filles ?
Résumé?
La cession de l ’effet transfère le bénéfice de l’aval. Excep
tion s’il est personnel à un porteur déterminé.
Peut-on donner un aval à des traites non encore créées et
à créer par suite d’un crédit ouvert ? Arrêt pour l'affir
mative rendu par la Cour de cassation.
Réfutation.
Arrêt conforme à notre opinion de la Cour supérieure de
Bruxelles.
Doctrine et jurisprudence depuis 1816.
Effets de l ’aval. Différence entre lui et le cautionnement
ordinaire.
Modification par le Code à l ’article 32 de l’ordonnance
prescrivant la notification du protêt au donneur d’aval.
Obligations et droits du donneur d’aval, suivant qu’il a
cautionné le tireur, l’accepteur ou l’endosseur.
C’est par la teneur de l ’aval qu’on doit juger de sa nature.
Effets de celui qui est pur et simple.
�ART.
141, 142.
535
371 bis. L’annulation du payement fait par le débiteur princi
pal, fait revivre l’aval.
372. Juridiction 'compétente pour connaître de l ’exécution de
l ’aval.
373. Quid, lorsque le litige a pour objet de décider si l’aval con
cerne ou non les effets dont on poursuit le payement ?
350. — On a donné le nom d’aval à la souscrip
tion qu’on met sur une lettre de change ou sur un bil
let à ordre, et par laquelle on s’engage à en payer le
montant, dans le cas où à l’échéance le payement n’en
serait pas réalisé par ceux qui y sont tenus. Le mot
aval, disait Jousse, est un terme particulièrement en
usage dans le commerce, qui signifie faire valoirl.
Faire valoir un titre, c’est ajouter à sa valeur, en aug
mentant sa solidité, en réunissant des garanties nouvel
les à celles qu’il offre déjà. C’est bien en effet ce qui
résulte de l’aval, tel que le Code de commerce le com
prend. Celui qui le donne contracte l’obligation d’assu
rer le payement d’un titre qui ne le concernait pas jus
que-là, et auquel il était demeuré étranger.
A ce titre, il se recommandait d’autant plus au légis
lateur, qu’il concourrait d’une manière efficace au but
qu’il n’a cessé de poursuivre. Sa réalisation appelle sur
les effets commerciaux une plus grande somme de con
fiance, en augmente le crédit, en facilite la circulation,
et concourt ainsi d’une manière énergique aux dévelop
pements du commerce et de l’industrie.
i S ur l’article 33 de l ’ordonnance.
�556
DE LA LETTltE DE CHANGE
L’article 141 l’a donc transporté dans la législation
qui nous régit. Par qui et comment peut-il être donné,
quels en sont les effets ? C’est ce que nous avons à exa
miner.
351. — L’aval ayant pour objet d’ajouter une ga
rantie nouvelle à celles que le titre réunit déjà, il s’en
suivait forcément qu’il ne pouvait émaner d’aucun de
ceux qui, ayant concouru à la formation ou aux déve
loppements du titre, en garantissaient déjà le payement.
Aussi, voyons-nous l’article 142 exiger que l’aval émane
d’un tiers.
Nous retrouvons ici cette expression que nous ren
contrions tout à l’heure en nous occupant de l’accepta
tion par intervention. Le but et l’expression étant iden
tiques, la conclusion est nécessairement la même. En
conséquence, les explications que nous avons données
sur l’article 126 reçoivent ici leur pleine et entière ap
plication.
Donc la loi, par la qualification de tiers, désigne tous
ceux qui n’ont encore contracté aucune obligation à l’en
droit du titre qu’ils prétendent garantir. Elle exclut donc
de la faculté de signer un aval le tireur, l’accepteur et
les endosseurs.
353. — Mais le tiré, mais celui indiqué comme be
soin, quoique nommément indiqués dans l’effet, ne con
tractent aucune obligation, tant qu’ils n’ont pas répondu
à la mission qu’on leur donnait. Us peuvent donc, s’ils
�ART.
141,
142.
557
la refusent, donner un aval de garantie à la lettre ou
au billet qu’ils ne veulent pas accepter. Ils pourraient
accepter par intervention, on ne saurait les empêcher
de réaliser cette même intervention en donnant leur
aval.
Nous disions sur l’article 126 que le porteur luimême pouvait intervenir pour accepter. Serait-il admis
à donner un aval? Nous ne le pensons pas. L’accepta
tion n’est pas faite seulement en prévision du payement,
elle a toujours un but actuel et utile, et l’on comprend
que le porteur puisse intervenir pour sauver à son cor
respondant les inconvénients et les dangers d’un protêt
qu’il serait forcé de requérir.
L’aval ne peut rien prévenir, rien empêcher, pas
même le protêt faute d’acceptation. Il n’est donné qu’en
prévision du payement à effectuer à l’échéance. Or, de
deux choses l’une, ou le porteur entend garder l’effet,
ou il se propose de le négocier. Dans le premier cas,
l’aval est inutile. On ne se cautionne pas à soi-même
un payement qu’on est libre de proroger ou même de
ne pas exiger.
Si le porteur se propose de négocier l’effet, l’aval est
bien plus inutile encore. En effet, la cession qu’il con
sent lui confère la qualité d’endosseur et le rend garant
solidaire du payement. Qu’ajouterait l’aval à cette obli
gation ?
353. — Inutile de faire remarquer que l’article 142
�338
DE LA LETTRE DE CHANGE
présuppose chez le tiers donneur d’aval une capacité
entière et absolue.
Ainsi, le mineur, l’interdit, la femme mariée non au
torisée ne pourraient valablement souscrire un aval. Il
faudrait même pour habiliter la dernière, que son mari
concourût à l’acte, ou l’y autorisât spécialement. Ainsi,
l’autorisation donnée par le mari à la femme, de s’o
bliger jusqu’à concurrence d’une certaine somme ,
moyennant des conditions déterminées, ne serait pas
suffisante pour lui permettre de donner un aval de ga
rantie à un billet à ordre de cette somme. On ne peut
soutenir que cet aval, alors surtout qu’il aggrave la po
sition de cette femme, n’est que l’exécution de l’obliga
tion autorisée l.
Les femmes et les filles n’ayant qu’une capacité res
treinte pour ce qui concerne les effets commerciaux, ne
sauraient donner un aval que dans les limites de cette
capacité. Par rapport à elle, donc, l’aval ne vaudrait
jamais que comme simple promesse3.
* b is. — Un arrêt de la Cour de cassation, du 20
décembre 1821, décide que celui à qui un billet à or
dre a été passé depuis et après la faillite du souscripteur,
peut, nonobstant le défaut de protêt à l’échéance, s’en
faire rembourser le montant par son cédant.
3 5
1 Cass., 26 ju in 1839.
J. du P , 2, 1839, 12. V. nos observations
su r les articles 4 et 5 du Code de com m erce.
2 Grenoble, 14 septem bre 1833. V.
inf., n° 361.
�ART.
141,
142.
559
Or la nullité de l’aval donné sans autorisation par
une femme mariée fait disparaître une des signatures
dont le titre est revêtu, et enlève à ce titre la garantie
qui seule, peut-être, en eût assuré le payement. Ce ti
tre n’existe donc plus avec les droits et l’étendue que lui
donnait l’ensemble des signatures. Quelle sera donc la
position du porteur qui n’a pas requis le protêt en
temps utile vis-à-vis de celui qui lui a transmis ce
titre ?
On s’est prévalu de l’arrêt du 20 décembre 1821
pour soutenir qu’il pouvait encore recourir contre ce
lui-ci. Puisque, a-t-on dit, ce recours existe lorsque la
créance n’existe plus avec l’étendue et les droits que le
titre laissait supposer , pourquoi ne l’admettrait on pas
lorsque l’endosseur transmet un titre, non pas seule
ment diminué de valeur, mais absolument nul à raison
de l’incapacité de celui qui l’a souscrit ?
Le tribunal de commerce de Castres, saisi de la ques
tion, ne l’avait ni appréciée ni résolue. En droit, il avait
débouté le porteur de sa prétention parce que, en fait,
le cédant avait été de bonne foi, et que le cessionnaire
n’avait pu être trompé sur le caractère de l’aval, puis
qu’il avait pu reconnaître à la simple inspection du ti-
Mft
Cette décision se fonde sur ce que celui qui négocie
un effet de commerce est garant de l’existence de la
dette et répond non seulement de la sincérité des signa
tures qui y sont apposées, mais encore de la validité
des engagements exprimés par ces signatures.
�540
DE JA LETTRE DE CHANGE
tre que la femme qui l’avait souscrit n’y avait pas été
autorisée par son mari.
La Cour de cassation, saisie par un pourvoi, n’avait
pas non plus examiné la question de droit. S’arrêtant
aux constatations de fait que renfermait le jugement, elle
rejetait le pourvoi le 10 août 1874 l.
On peut dès lors supposer que la Cour régulatrice
confirmait implicitement sa doctrine de 18Ü1, et qu’elle
eût admis le recours si le cessionnaire avait pu être
trompé ou se tromper sur le caractère de l’engagement
de la femme. Mais cette hypothèse est en réalité à peu
près impossible à se réaliser, en l’état de la jurispru
dence exigeant pour la femme une autorisation spéciale
se manifestant sur le titre lui-même.
On a bien parlé d’une autorisation tacite et implicite,
mais on l’a si difficilement admise, que c’est exacte
ment comme si elle n’existait pas. Ainsi la Cour de cas
sation, par arrêt du 17 janvier 1870, déclarait qu’elle
ne saurait résulter de ce fait, que le mari avait rempli
les billets signés en blanc par sa femme2. Quel est donc
le fait dont on pourra jamais l’induire ?
Il faut d’ailleurs de toute nécessité que l’autorisation
ait précédé ou accompagné l’obligation de la femme.
Celle qui ne serait donnée qu’après, s’appliquant à un
engagement atteint d’une nullité radicale, ne pourrait
lui attribuer un effet qu’il était dans l’impossibilité de
produire.
1 J. du P., 1875, 17.
2 J. du P „ 1870, 535.
�ART.
141, 142.
541
Tout au moins celui à qui on propose la négociation
d’un effet souscrit ou garanti par une femme mariée ne
doit l’accepter que si, sur le titre lui-même, le mari l’a
formellement autorisée à faire l’un ou l’autre. Si le titre
est muet à ce sujet, on lui opposera toujours qu’il n’a
pu se tromper, et il n’aura de recours contre son cé
dant que s’il a rempli les formalités exigées par les arti
cles 161 et suivants du Code de commerce.
354. — Enfin, la loi prohibant aux agents de
change et courtiers de commerce toute opération com
merciale, et notamment la souscription de lettres de
change, leur interdit par cela même la faculté de les
garantir par un aval. Nous avons déjà expliqué la na
ture de celui qu’ils sont appelés à délivrer, aux termes
de l’article 10 de l’arrêté du 27 prairial an x l.
Mais, remarquons que pour les agents de change et
courtiers, il s’agit bien plutôt d’une incompatibilité que
d’une incapacité. Dès lors, ce qu’il adviendrait de la
violation de la prohibition, ce serait une poursuite dis
ciplinaire et l’application de la peine édictée par la loi.
Mais l’aval, n’en resterait pas moins obligatoire En ef
fet, si l’opération illicite est dans le cas d’être annulée,
c’est lorsqu’elle doit profiter au contrevenant ; jamais
lorsqu’elle est au bénéfice d’un tiers.
355. — L’aval étant un acte essentiellement spon1 S u p r a , n°s 22 et 23.
�542
DE LA LETTRE DE CHANGE
tané et libre, il n’a et ne peut avoir d’autre caractère
que celui qu’il plaît à son auteur de lui imprimer. Il
est susceptible de toutes les restrictions et modifications
jugées nécessaires ou utiles ;
Ainsi, il peut être donné en faveur du tireur, ou de
l’accepteur, ou d’un ou de plusieurs endosseurs.
Il peut n’être donné que pour une partie quelconque
du montant de l’effet. Sur la proposition de ne pas le
permettre, dont le conseil d’Etat fut saisi, on répondait
qu’il était de l’intérêt du commerce de laisser sur ce
point une juste latitude à la volonté, car tel qui cau
tionne la moitié d’un engagement ne voudrait pas tou
jours le cautionner en entier, et dans ce cas il ne four
nirait aucun aval ;
Il peut n’être consenti qu’en faveur d’un porteur dé
terminé ;
On peut stipuler que son efficacité restera subordon
née à la réalisation d ’un événement, ou à l’accomplis
sement d’un fait indiqué ;
Que ses effets porteront uniquement sur les meubles
ou sur les immeubles ;
Qu’il n ’entraînera ni solidarité, ni contrainte par
corps *.
En un mot, quelle que soit la restriction apportée à
l’engagement, il suffit qu’elle soit exprimée, pour qu’elle
devienne inséparable de celui-ci, et qu’on ne puisse
�ART.
141, 142.
545
poursuivre l’exécution de l’un sans se soumettre à celle
de l’autre.
356.
— Cette faculté n ’a pas été sans influence sur
la forme que l’article 142 trace à l’aval, et sur le droit
qu’il confère de le rédiger par un écrit séparé. Ce droit
n’était pas reconnu par l’ordonnance de 1673. L’arti
cle 33 n’admettait comme aval que l’obligation sous
crite sur la lettre de change ou le billet à ordre.
Mais la pratique commerciale ne se conforma pas
longtemps aux prescriptions de la loi. L’aval par écrit
séparé ne tarda pas à devenir la règle, et celui écrit sur
l’effet l’exception. Nous en avons le témoignage de Po
thier, déclarant qu’un négociant très expérimenté lui a
dit que les avals en la forme voulue par l’ordonnance
n’étaient plus guère en usage, et qu’ils se faisaient par
un billet séparé l.
Préoccupée de cette pratique, la commission chargée
du projet du Code n’avait pas vu avec faveur l’aval donné
sur la lettre même. La crainte des surprises pouvant en
résulter pour ceux qui, étrangers à la langue du com
merce, en ignoraient la signification et les effets, l’avait
déterminée à ne sanctionner l’aval que séparément du
titre.
Des réclamations vives et nombreuses s’élevèrent con
tre ce projet. La plupart des cours et tribunaux deman
daient la consécration pure et simple de la règle tracée
i Contrat de change, n® 50.
�544
DE LA LETTRE DE CHANGE
par l’ordonnance. Les cours, conseils et tribunaux de
commerce de Rouen, Bruxelles, Angers etGand propo
saient de réunir au système de l’ordonnance celui de la
commission et de permettre que l’aval fût donné ou sur
le titre ou par un écrit séparé. Cette opinion prévalut au
conseil d’Etat et détermina l’adoption de l’article 142,
tel qu’il est aujourd’hui dans le Code.
L’aval peut donc être donné sur l’effet ou par écrit
séparé. L’article 142 consacrant le principe s’est tu sur
la forme de l’un et de l’autre. Ainsi l’aval par écrit sé
paré peut être sous seing privé ou par acte authenti
que. Il peut résulter de la correspondance. Celui qui est
donné sur l’effet n’a point de place déterminée; il peut
être mis au bas ou au dos de la lettre ; il peut être même
rédigé sous la forme d’un endossementl.
3 5 S . — Mais ce qui s’induit forcément de notre ar
ticle, c’est que l’aval est un de ces actes pour la consta
tation desquels la loi exige impérieusement la preuve
écrite. Il serait impossible de tirer toute autre conclu
sion des diverses exigences que sa disposition renferme.
L’écrit est donc de rigueur en matière d’avals. En
conséquence, l’offre de prouver autrement son existence,
notamment par témoins, serait irrecevable et non admis
sible , quelque significatifs que fussent d’ailleurs les
faits articulés et malgré la nature commerciale de l’opé
ration.
1 Cass,, 30 mars 1819.
�ART.
141, 142.
545
358. — Il en est de la teneur de l’écrit comme de
sa forme. La loi ne considère aucune expression comme
sacramentelle. Elle s’en remet pour la détermination du
sens et de la portée de l’acte à l’appréciation souveraine
des tribunaux, dont la solution lierait la Cour suprême,
à moins qu’elle dénaturât la convention sous prétexte
de l'interpréter l.
Ce dont les tribunaux doivent se préoccuper dans l’ac
complissement de leur mission, c’est principalement de
la véritable intention des parties. Or, cette intention
peut résulter autant du fait en lui-même, que des ter
mes de la convention. Quelle peut être, en effet, l’inten
tion de celui qui, étranger à la lettre de change, vient y
inscrire, ne fût-ce que sa signature ! Quelle peut être
l’intention de cet autre qui, rappelant dans un acte sé
paré la substance de divers effets commerciaux, déclare
en garantir le payement?On a pu sous l’ordonnance de
1673 voir là un endossement, on ne pourrait y voir
aujourd’hui qu’un aval, dans la seconde hypothèse sur
tout.
Aussi a-t-o n considéré comme tel le billet ainsi con
çu : Je déclare me rendre garant, principal payeur,
comme caution ou endosseur des effet souscrits par......
le...... à l’ordre de......2
359. — Ainsi d’une part l’aval peut renfermer tou-
1 Cass., 26 ju ille t <823.
2 G renoble, 24 jan v ie r <829.
i — 35
�546
DE LA LETTRE DE CHANGE
tes sortes de conditions et de restrictions, de l’autre sa
rédaction n’est soumise à aucune forme déterminée.
C’est donc à celui qui le donne à veiller à ce qu’il relate
exactement et expressément sa véritable pensée, sa vo
lonté certaine. Le doute et l’ambiguité que laisserait la
rédaction s’interpréterait contre lui, et cela non seule
ment en vertu du principe général du droit commun,
mais encore par la faveur que la loi attache à tout ce
qui peut intéresser le commerce.
Le contraire est enseigné par M. Nouguier, sur le
motif que l’aval étant un contrat gratuit pour le sous
cripteur, on doit le traiter favorablement, et dans le
doute se prononcer pour l u i l. Il est vrai que du don
neur d’aval à celui qu’il cautionne, le contrat a le ca
ractère indiqué.
Mais il n’en est pas de même du donneur d’aval au
créancier. Il n’y a plus ni contrat ni acte de bienfai
sance. Il n’existe qu’une obligation ordinaire devant
produire ses effets légaux, c’est-à-dire la solidarité et
la contrainte.
Ce qui corrige cette sévérité, c’est que nul n’est con
traint à donner un aval ; c’est que celui qui le donne
peut lui faire subir toutes les restrictions qu’il lui plaît
de stipuler. S’il ne remplit ce devoir qu’imparfaitement,
s’il laisse planer sur ses intentions de l’ambiguïté et des
doutes, il commet une faute dont la responsabilité ne
peut appartenir qu’à lui.
�ART.
141, 142.
547
— Il en esl de l’aval comme de la lettre de
change, comme de Pacceptalion, comme de l’endosse
ment. Le corps de l’acte n’a pas besoin d’être de la main
du souscripteur, la signature suffit. Aussi la signature
d’un tiers étranger à la lettre de change, apposée au bas
de la lettre, constitue un aval L
Mais nous venons de dire que la signature peut être
apposée au dos de la lettre de change ; que l’aval peut
même être rédigé sous la forme d’un endossement. Dans
l’un et l’autre cas, il peut surgir sur la nature de l’en
gagement un doute d’autant plus grave que l’intérêt y
sera plus profondément engagé. Par exemple , à défaut
de protêt ou de poursuites dans le délai légal, le sous
cripteur sera libéré si endossement ; solidairement tenu,
si aval. Comment donc résoudre cette difficulté ?
Par l’application des règles que comporte chacune de
ces obligations. Pour devenir endosseur, il faut de toute
nécessité avoir été porteur de la traite. En conséquence,
si la signature du tiers existant derrière la lettre n ’était
précédée d’aucun ordre en sa faveur ; si tous les ordres
étaient d’ailleurs régulièrement rem plis, l’existence de
la signature constituerait un aval.
Au contraire, si cette signature est précédée de plu
sieurs autres ou d’une seule, mais en blanc, il devient
impossible de savoir si un de ces endossements en blanc
ne devait pas être rempli à son ordre. Alors aussi on
360.
i Colm ar, 22 novem bre 1811. G renoble, 3 février 4 846. B ruxelles,
43 novem bre 4830.
�548
DE LA LETTRE DE CHANGE
présume que la signature donnée en blanc est un nou
vel endossement irrégulier. Celui qui a reçu la signa
ture, si elle devait constituer un aval, a eu le double
tort, d’abord de la laisser donner au dos de la lettre ;
de l’accepter en blanc ensuite.
Cependant comme il s’agit non plus de prouver l’o
bligation, mais de déterminer la nature et le caractère
de celle résultant de la signature, la présomption n'est
admise que jusqu’à preuve contraire , cette preuve peut
être faite tant par titres que par témoins.
3 © 1 . — La disposition de l’article 1326 du Code
civil, qui ne s’applique ni à la lettre de change, ni à
l’acceptation, ni à l’endossement, ne régit pas non plus
l’aval en général. Toutefois, et en ce qui le concerne,
une distinction est à faire.
Ainsi les motifs d’inapplicabilité de l’article 1326, aux
trois premiers, sont tirés surtout des exigences du com
merce excluant les formalités minutieuses du droit ci
vil ; or, souscrire, accepter ou endosser une lettre de
change, c’est faire un acte essentiellement commercial.
Transmettre un simple billet à ordre par endossement,
c’est employer une forme essentiellement commerciale,
Mais l’aval n ’est un acte de commerce ni en lui-mê
me, ni dans la forme, il ne devient tel que lorsqu’il
vient s’adjoindre à un acte commercial soit par sa nature
ou par le genre de l’opération, soit par la qualité des
souscripteurs. Aussi ne pourrait-on réputer aval la ga
rantie donnée par acte particulier, par un individu non
�ART.
U\,
142.
549
marchand, à un billet à ordre causé valeur reçue comp
tant, et dont le souscripteur n’est pas commerçantl.
Dès lors et dans les mêmes circonstances, l’exception
à l’article 1326 n’aurait plus de raisons d’être, puisqu’il
ne s’agirait que d’un cautionnement civil. L’aval non
écrit par le donneur n’aurait donc comme tel aucune
valeur légale dans le cas où la signature ne se trouverait
pas précédée du bon ou approuvé prescrit par cet ar
ticle.
De ce principe, il résulte que les femmes et filles ne
pouvant s’engager dans la forme commerciale, et ne
souscrivant qu’une simple promesse, même lorsqu’elles
accèdent à une lettre de change, ne sauraient donner
un aval autrement que dans les formes du droit com
mun. Leur signature, mise au bas d’un aval non écrit
de leur main, ne créerait aucun lien contre elles si el
les ne s’étaient pas conformées à l’article 1326 du Code
civil 2.
— En résumé, l’aval est susceptible de toute
espèce de conditions et de restrictions. Quelques graves
que fussent les modifications qu’elles imposeraient à
l’engagement, elles resteraient obligatoires envers et con
tre tous ;
Il n’est soumis à aucune forme particulière, ni quant
aux expressions dans lesqu’elles il peut être conçu, ni
363.
1 P aris, 23 m ai <807.
2 Cass., 28 avril 1819, 26 m ai 1823
w\
KM
.
�;
550
DE LA
LETTRE DE CHANGE.
quant à la place qu’il doit occuper, s’il est donné sur la
lettre même. Il peut donc résulter de ces mots : Pour
caution, ou tout autre analogue, d’une signature mê
me, soit au bas, soit au dos de la lettre de change. Il
peut même être consenti sous la forme d’un endosse
ment.
L’aval par écrit séparé peut être fait par acte sous
seing privé ou par acte authentique. L’interprétation de
ses termes, la détermination de l’intention des parties
appartient souverainement aux tribunaux.
Enfin, l’article 1326 n’est applicable dans aucun cas,
pourvu toutefois que le titre garanti soit commercial par
sa nature, par l’opération qu’il se propose ou par la
qualité des signataires. L’aval souscrit par une femme
ou une fille ne les oblige que si les prescriptions de cet
article ont été observées.
3 6 3 . — De quelque manière que l’aval ait été
donné, qu’il ait été souscrit sur le titre même ou par
acte séparé, il ne s’en identifie pas moins avec ce titre
dont il devient l’accessoire inséparable et indivisible.
Son bénéfice appartient donc de plein droit au porteur
de l’effet, tant qu’il reste possesseur de celui-ci.
La cession de l’effet garanti emporte avec elle celle de
l’aval, à moins que le contraire ne fût stipulé dans l’aval
lui-même. Par exemple, s’il n’était donné qu’en faveur
du porteur actuel nommément et exclusivement.
Dans ce cas, le porteur ultérieur ne pourrait se pré
tendre personnellement appelé à profiter de l’aval, mais,
�AKT.
141, 142.
5bl
en fait, il en profiterait soit en se faisant rembourser
par le bénéficiaire et en le forçant ainsi à recourir con
tre le donneur, soit en vertu de l’article 1166 du Code
civil, et comme exerçant les droits du premier, son dé
biteur.
364. — Une difficulté sérieuse qui surgit de notre
matière, est celle de savoir si l’aval par acte séparé ne
doit pas indiquer les traites auxquelles il s’applique, et
si on peut valablement le donner pour des traites à créer
en exécution du crédit ouvert.
La Cour de cassation enseigne, dans un arrêt du 24
juin 1816, que la détermination des traites n’est pas in
dispensable. En conséquence, elle admet qu’on peut
donner un aval à l’exécution future d’un crédit ouvert.
Celte doctrine est adoptée par MM. Pardessus et Emile
Vincent, se bornant toutefois à indiquer l’arrêt de la
Cour de cassation.
365. — Quelques considérables que soient de telles
autorités, on ne saurait, à notre avis, adopter leur doc
trine et consacrer leur solution. L’une et l’autre parais
sent méconnaître la véritable nature de l’aval, et s’écar
ter du texte et de l’esprit de la loi.
L’aval est une garantie sut generis qui s’attache au
titre plutôt qu’à la personne dont il est fait en qr.elque
sorte abstraction ; qui reçoit son caractère même de la
nature de ce titre, puisque, suivant la forme adoptée et
suivant qu’il s’agira d’un effet commercial ou non,
�552
DE LA LETTRE DE CHANGE.
sa souscription sera un aval ou une simple garantie ci
vile.
Ce premier aperçu suppose donc l’existence préalable
du titre dont l’aval viendra garantir le payement. Cette
supposition, le texte de l’article 142 la corrobore. Au
cune équivoque, certes, ne serait possible si les auteurs
du Code, se conformant à l’ordonnance, avaient admis
que l’aval devait être donné sur la lettre de change ou
sur le billet à ordre. La nécessité de leur existence préa
lable n’aurait pu être révoquée en doute.
En sera-t-il autrement de ce que la faculté de donner
un aval séparé a été inscrite dans le Code ? Mais cette
prescription change-t-elle la nature et le caractère de
l’aval ? Son objet n’est-il pas uniquement le même que
celui de l’aval apposé sur l’effet, c’est-à-dire la garantie
du payement de l’effet lui-même ? Dès lors la préexis
tence de celui-ci, indispensable dans un cas, ne l’est
pas moins dans l’autre.
L’inconvénient de la doctrine que nous combattons,
c’est d’aboutir à des résultats de nature à autoriser la
fraude, à des impossibilités même d’arriver à une solu
tion équitable. Ainsi, on est d’accord sur ce point que
le cautionnement doit être déterminé quant à la somme.
Supposez donc qu’un négociant ait garanti jusqu’à con
currence de 10,000 fr., les traites à fournir à un autre
négociant, mais celui-ci crée le même jour et à la même
échéance pour 20,000 fr. de traites, quelles sont celles
qui profiteront de l’aval des 10,000 fr.?
�360. — C’est l’impossibilité de faire un choix avec
quelque certitude que la Cour supérieure de Bruxelles
signalait avec juste raison, lorsque, appelée à se pronon
cer sur cette question, elle se prononçait dans le sens
contraire à celui de la Cour de cassation. En effet, elle
décidait, le 27 juillet 1816, qu’on ne saurait considérer
comme un aval qui puisse profiter aux tiers porteurs,
le cautionnement donné par un individu pour le paye
ment non de traites déterminées, mais de traites valeur
en une certaine somme déjà tirées, et en d’autres trai
tes non tirées, et cela parce qu’on ne saurait détermi
ner quelles traites en particulier concerne le caution
nement.
« Attendu, dit l’arrêt, que le cautionnement ne porte
pas sur des traites déterminées, mais sur des traites va
leurs de 3,000 livres sterling déjà tirées à cette époque,
et sur 3,000 livres sterling à tirer ; de tout quoi il ré
sulte qu’on ne peut déterminer sur quelles traites taxativement tomberait ce cautionnement ; et que les por
teurs ne pourraient pas justifier que ce sont leurs traites,
plutôt que d’autres, qui ont été cautionnées, d’où il suit
que le susdit acte de cautionnement ne porte pas sur
les traites, mais qu'il est donné au profit de GeversLeuven, de Londres, et que par conséquent il n’est pas
un aval, et ne peut profiter au tiers porteur. »
Tel est, en effet, le mot essentiel de la difficulté. L’a
val, destiné à faire valoir le titre, à en rendre la négo
ciation plus facile, est exigé et donné autant dans l’in
térêt du premier porteur que dans celui de tous les
�S54
DE LA LETTRE DE CHANGE
porteurs successifs. Il fait donc en quelque sorte abs
traction de la personne pour ne s'attacher qu’au titre
lui-même.
Celui au contraire qui promettant un crédit, exige un
cautionnement, ne considère que son propre intérêt et
se préoccupe fort peu de celui des porteurs auxquels il
pourra plus tard négocier les traites tirées en exécution
de ce crédit. C’est à lui et non à ces derniers que le
cautionnement est donné, il ne peut donc être un aval.
Maintenant, veut-on connaître les conséquences des
deux systèmes ? Rappelons l’hypothèse que nous posions
de celui qui, cautionné pour 10,000 fr., tire le même
jour et pour la même échéance pour 20,000 fr. Dans
le système que nous combattons, 10,000 fr. seulement
seront garantis. Lesquels ? C’est là précisément l’insur
montable difficulté. Dans celui que nous adoptons, le
cautionnement ayant été donné au débiteur commun,
les porteurs des 20,000 fr. viendront en concours et
s’en distribueront le bénéfice. Il ne paraît donc pas
qu’on puisse hésiter,
3 © 1? . — Notre opinion, enseignée et adoptée par
M. Nouguier, paraît devoir être consacrée par la juris
prudence. La cour de Paris ne considère pas la garan
tie donnée à un crédit comme un aval, parce que cette
garantie ne réunit pas les conditions exigées à cet effet
par l’article 142, puisqu’elle ne s’applique pas à des let
tres de change déjà existantes L
l 12 avril 1834. Nouguier, 1 .1. p. 318.
�ART.
141, 142.
538
Enfin, la Cour de cassation s’est elle-même singuliè
rement éloignée de son arrêt de 4816, en consacrant,
le 7 juin 1837, qu’on ne pouvait contraindre par corps
celui qui s’était soumis à garantir des effets destinés à
solder la dette d’un tiers.
« Considérant, porte l’arrêt, que le sieur Capelle
père, en consentant à répondre avec son fils , dont il
s’est rendu caution, du payement des sommes qui pou
vaient rester dues à la dame Pezet pour complément du
prix intégral à elle dû à raison de la vente du fonds de
commerce, et même en s’engageant à donner sa signa
ture sur les billets d’annuités qui doivent former ce com
plément, n’a point fait la soumission expresse que la loi
requiert pour qu’il y ait lieu contre lui à l’exercice ri
goureux de la contrainte par corps ; que dès lors, en
étendant à lui cette condamnation par corps, l’arrêt de
la cour de Toulouse a contrevenu aux articles 21060 et
2063 du Code civil l.
Mais si le cautionnement donné a des effets à créer
est un aval, certes, l’engagement du sieur Capelle père
ne pouvait être douteux, il constituait un aval. Dès lors,
puisqu’il était admis que l’obligation principale était
commerciale, l’aval devait produire et la solidarité et la
contrainte par corps. La Cour de cassation ne peut re
pousser cette dernière qu’en refusant à l’engagement le
caractère de l’aval, et dès lors nous avons raison de dire
qu’elle revient sur sa jurisprudence de 1816.
1
J. du P., 2, 1837 251.
�856
DE LA LETTRE DE CHANGE
Tenons donc pour certain qu’il n'y a d’aval régulier,
lorsqu’il est donné par acte séparé, que celui qui spéci
fie la lettre de change dont il vient garantir le paye
ment. Cette condition remplie , il n ’y a plus aucune
différence entre cet aval et celui donné sur la lettre mê
me. En les plaçant l’un et l’autre dans sa disposition,
la loi leur attribue la même valeur, et leur fait produire
les mêmes effets.
368. — Ces effets sont énergiquement exprimés
dans l’article 142. Ils empêcheront toujours de confon
dre l’aval avec le cautionnement ordinaire. Celui-ci ne
crée jamais la solidarité, à moins de convention con
traire expressément établie. Donné à un commerçant et
pour une opération commerciale, il n’entraîne la con
trainte par corps que si celui dont il émane s’y est for
mellement soumis.
L’aval motive positivement le contraire, il détermine
de plein droit la solidarité, et par conséquent l’exclusion
de tout bénéfice de discussion et de division. Il soumet
directement à la contrainte par corps, puisque l’article
142 déclare le donneur tenu par les mêmes voies que
les tireur, accepteur ou endosseurs, c’est-à-dire exposé
comme eux à la contrainte par corps.
Ainsi la différence, quant aux effets, entre l’aval et le
cautionnement ordinaire se résume en ces termes : le
premier crée la solidarité et la contrainte par corps, à
moins d’une stipulation contraire, le second n’autorise
�ART. 141,
142.
557
ni l’une ni l’autre, à moins qu’elles n’aient été formel
lement convenues.
3 6 9 . — L’article 32 de l’ordonnance de 1673 assi
milait le donneur d’aval à l’endosseur. Il exigeait, en
conséquence, que le porteur lui signifiât ses diligences
et l’assignât dans un délai déterminé.
Le Code ne s’est pas expliqué sur ce point et n’avait
pas à le faire. La liberté laissée au donneur d’aval de
se placer dans telle catégorie de débiteurs qu’il lui plaît
choisir, le soumettant de plein droit aux règles tracées
pour celle à laquelle il s’arrête. Il est, en effet, univer
sellement admis que si le donneur d’aval est soumis à
toutes les Obligations de celui qu’il cautionne, il est par
réciprocité recevable à jouir des droits dont celui-ci
pourrait user.
SSO. — Or, l’aval peut être donné ou en faveur du
tireur, ou en faveur de l’accepteur, ou enfin à une ou
plusieurs signatures des endosseurs.
Si le donneur d’aval a garanti le tireur, il sera com
me celui-ci soumis à l’obligation non seulement d’assu
rer le payement de l’effet, mais encore d’en procurer
l’acceptation. Il ne se libère de la première que par la
prescription de cinq ans.
En cas de protêt tardif, il ne serait libéré du recours
du porteur qu’en prouvant qu’il y avait provision à l’é
chéance.
Dans la même hypothèse, enfin, il contracte envers
�S58
DE LA LETTRE DE CHANGE
l’accepteur les mêmes obligations, et acquiert contre lui
les mêmes droits que le tireur. Ainsi l’accepteur, s’il a
payé malgré le défaut de provision, aura son recours
contre le donneur d’aval. Il subira celui que ce dernier
pourra exercer contre lui si, ayant provision, il a refusé
de payer.
Si l’aval garantit l’accepteur, l’obligation de payer est
absolue. Le souscripteur n’aurait à invoquer d’autres
déchéances que la prescription, il pourrait recourir con
tre le tireur ou être actionné par lui, selon qu’il aurait
ou non payé avec ou sans provision.
Enfin, si l’aval a été donné à un ou plusieurs endos
seurs, le souscripteur devient lui-même un véritable en
dosseur soumis à tous les obligations, profitant de tous
les droits assurés à cette qualité. Le plus important de
tous est sans contredit celui d’être libéré pour défaut de
protêt ou pour poursuite hors des délais prévus. Le
donneur d’aval pourrait-il se prévaloir de l’un et de
l’autre.
On a soutenu la négative par le rapprochement des
dispositions de l’ordonnance de celles du Code. La pre
mière, disait-on, prescrivait de notifier au donneur d’a
val comme à l’endosseur lui-même les diligences du por
teur. Le silence que le Code a gardé à cet égard prouve
qu’il a été d’un avis contraire. Comment donc permet
tre qu’on invoque une formalité que la loi nouvelle a
abrogée ? La preuve de cette abrogation résulte surtout
de ce fait que la commission, ayant proposé une dispo-
�ART.
141, 142.
589
sition identique à celle de l’ordonnance, vit sa proposi
tion rejetée par le conseil d’Etat.
Dans un arrêt fortement motivé, la cour de Rouen
répond à cette considération : Que l’insertion au projet
de cette disposition prouve que la commission avait
pensé que les intérêts du commerce voulaient que l’an
cienne règle fût maintenue ; que si, en définitive, elle
ne l’a pas été dans les termes formulés, c’est sans doute
parce que ces termes n’exprimaient pas la véritable pen
sée de la loi moderne qui, en conservant l’obligation
depuis longtemps imposée au tiers porteur de dénoncer
le protêt au donneur d’aval, voulait cependant assimiler
cette obligation à celle qui était prescrite à l’égard des
personnes même garanties par cet aval ; et que, mû
par cette intention, le législateur ne pouvait adopter les
expressions indéfinies et indéterminées de ce projet de
loi, qui, comme celles de l’ordonnance de 1672, ne fai
saient aucune distinction quant à la nécessité de la d é
nonciation du protêt au donneur d’aval, entre les diffé
rentes personnes et les diverses obligations qu’il avait
cautionnées.
L’arrêt ajoute : Le silence du Code ne signifie que
ceci, à savoir : qu’il subordonne la position du donneur
d’aval à la qualité de la personne qu’il a cautionnée ;
et que, s’il est tenu des mêmes obligations, il doit par
une juste réciprocité jouir des mêmes droits. Qu’ainsi,
lorsque l’aval a pour objet la garantie de la signature
d’un endosseur, le tiers porteur est tenu de remplir en
vers le donneur les mêmes formalités et d’observer les
�560
DE LA LETTRE DE CHANGE
mêmes délais qu’envers les endosseurs proprement
d its l.
Le caractère juridique de cette décision est incontes
table ; elle interprète sainement la véritable pensée de
la loi. Ainsi, celui qui a cautionné par son aval un en
dosseur. devient lui-même un véritable endosseur. On
ne pourra donc l’atteindre qu’en faisant contre lui les
diligences prescrites dans le délai ordonné ; il faut que
la poursuite soit dirigée directement et personnellement
contre le donneur d’aval. Si le porteur n’avait poursuivi
que l’endosseur cautionné, sa déchéance à l’égard du
donneur d’aval serait incontestable.
3 ® !. — C’est par la teneur de l’aval lui-même
qu’on doit juger de sa nature et déterminer l’obligation
qu’il a voulu garantir. C’est donc à celui qui le donne à
s’expliquer, de telle sorte qu’on ne puisse se méprendre
sur ses intentions,
L’aval donné purement et simplement est présumé
l’être en faveur du tireur. Le souscripteur est donc
obligé envers tous les signataires de la lettre de change
ou du billet à ordre.
Telle est, en effet, la conséquence de la garantie don
née à l’obligation du tireur. Elle couvre tous les enga
gements, surtout vis-à-vis des endosseurs. Il importerait
M B mars 1824. J . d u P ., 2, 1844, 373. Conf. Limoges, 48 juin
1810. Lyon, 1er juillet 1817 Cass., 26 janvier 1848 et 30 mars 1819.
Toulouse, 12 décembre 4827.
�ART.
141, 142.
561
même peu que l’aval fût donné postérieurement à un
ou plusieurs endossements, leurs bénéficiaires seraient
placés sur la même ligne que les endosseurs subséquents.
Ils pourraient donc en poursuivre la réalisation. La cir
constance que l'aval n’aurait été donné qu’au dos de la
lettre et à la suite des endossements ne pourrait être
prise en considération l.
a 1? 1 bis. _ L’aval s’identifie avec l’obligation prin
cipale et ne fait avec elle qu’un seul tout. Il en subit
donc les péripéties et revit avec elle si le payement fait
par le débiteur vient à être annulé.
De là cette conséquence que si le créancier est obligé,
à cause de la faillite postérieure du débiteur, de rap
porter à la masse les payements qu’il en avait reçus.
Ces payements sont censés n’avoir jamais été réalisés et
le titre ancien se trouve rétabli avec toutes les garanties
qui s’y trouvaient annexées. C’est ce que le tribunal de
commerce de Dunkerque décidait le 47 novembre 4874.
« Attendu, disait le jugement, que les traites payées
par Verharne portaient l’aval de sa femme ;
« 'Attendu que le donneur d’aval est toujours assi
milé à l’obligé qu’il a cautionné ; que, dans l’espèce,
la dame Verharne est tenue, au regard du tireur, de la
même manière que Verharne accepteur de la traite ;
« Attendu que le payement du 34 octobre 4867 ne
les a pas libérés puisqu’il était indûment fait ; qu’ainsi
l Cass., 15 mars 1845. J. du P ., 2, 1845,197.
I — 36
�862
DE LA LETTRE DE CHANGE
la dame Verharne, obligée solidairement avec son mari,
lequel est actuellement incapable de payer, reste obligée
vis-à-vis de Séminel. »
Devant la cour de Douai, et à l’appui de l’appel qui
avait été relevé du jugement, on invoquait l’article
2038 du Code civil. « Aux termes de cette disposition,
disait-on, l’acceptation volontaire que le créancier a
faite d’un immeuble ou d’un effet quelconque en paye
ment de la dette principale, décharge la caution, en
core que le créancier vienne à être évincé. » Or, dans
l’espèce, il y a eu payement accepté librement et volon
tairement. Il est vrai que le créancier est obligé de le
rapporter à la masse, mais c’est là l’éviction prévue qui
n’empêche pas la caution d’être libérée.
On ajoutait : « Dans tous les cas, les payements ne
doivent être rapportés que parce qu’ils ont été reçus en
connaissance de la cessation des payements. » Il y a
donc eu faute de la part du créancier, faute dont on fe
rait peser la responsabilité sur le donneur d’aval qui
verrait ainsi sa position aggravée.
Mais par arrêt du 7 juillet 1875, la cour de Douai
confirme le jugement. Elle en adopte les motifs et
ajoute :
« Attendu que l’article 2038 du Code civil, loin d’ê
tre une pure et simple application d’un principe général,
déchargeant, en tous cas et en toute hypothèse, la cau
tion des conséquences de la condition résolutoire, n’est
qu’une exception à un principe général contraire ;
« Que cet article n ’est applicable qu’au cas spécial
�ART.
141, 142.
365
d’une dation en payement, c’est-à-dire une acceptation
en payement par le créancier d’une chose autre que
celle qui faisait l’objet du contrat primitif ;
« Que si la caution est alors libérée, c’est par suite
de la novation qui, en dehors de la caution même, s’est
opérée entre le débiteur principal et le créancier ; qu’il
résulte, a contrario, de cet article 2038, que quand le
payement ordinaire est annulé, le cautionnement suit
le sort de l’obligation principale et revit avec elle ;
« Attendu que ces derniers principes généraux doi
vent également recevoir leur application au cas où le
payement est annulé par suite de la faillite postérieure
du débiteur principal et par application de l’article 447
du Code de commerce ;
« Qu’un payement valable pouvait seul libérer la
dame Verharne des conséquences des avals par elle con
sentis ; qu’au moment où ils ont été effectués, les paye
ments de 1867 et 1868 étaient purement précaires, et
que, par suite de cette précarité même, la dame Verhar
ne ne saurait trouver dans ces payements la libération
de ses avals solidaires ;
« Attendu, d’ailleurs, que quel qu’ait été le caractère
des payements acceptés de Verharne parSeminel,ladame
Verharne ne justifie pas que, par ces payements, Seminel lui ait alors ou depuis causé le moindre préju
dice ; qu’il est au contraire établi par les éléments mê
mes de la cause que si Seminel eût alors exigé le paye
ment direct résultant de l’aval solidaire, la situation de
la dame Verharne, au point de vue de la garantie de
�564
DE LA LETTRE DE CHANGE
ses propres intérêts vis-à-vis de son mari, aurait tou
jours été, en définitive, ce qu’elle est aujourd’hui K »
3 ^ 3 . — L’aval, avons-nous dit, est un mode spé
cial de cautionnement, uniquement consacré aux opérarations commerciales, entraînant par le fait la contrainte
par corps. Celui qui le donne se soumet donc à la juri
diction commerciale.
Mais la conclusion qui s’induit de ce caractère de l’a
val, c’est qu’à défaut de commercialité de l’acte, il dégé
nère en cautionnement simple. Il n’en produit plus que
les effets, et son exécution ne peut être poursuivie que
devant la juridiction ordinaire.
Ainsi l’aval donné à une lettre de change participe
de la nature essentielle de celle-ci, devient comme elle
un acte commercial de la compétence du tribunal con
sulaire.
Mais si par une circonstance quelconque la lettre de
change se trouve réduite à l’état de simple promesse, le
tireur et l’accepteur, s’ils ne sont pas commerçants, ne
pouvant plus être contraints par corps, le donneur d’a
val qui les aurait cautionné l’un ou l’autre ne pourrait
plus être actionné que par les voies ordinaires, fût-il né
gociant 2.
Si l’aval a été donné sur un billet à ordre, c’est par
la qualité du souscripteur et par la cause du billet qu’on
i
Journal de Marseille, 1876, 2,
7.
3 Paris,. 12 décem bre 1837 et 12 ju illet 1843.
J. duP„ 1 ,1 8 3 8 . 108,
�ART. 141, 142.
568
juge de la compétence. S’il est souscrit par un simple
particulier et pour une cause non commerciale, le tri
bunal de commerce ne pourrait connaître de rengage
ment du donneur d’aval, alors même qu’au fond le bil
let portant la signature des commerçants tombât sous sa
juridiction l.
On déciderait le contraire si le billet à ordre avait une
cause commerciale, ou si, souscrit par des commerçants,
il était présumé fait pour leur commerce.
3®3. — Lorsque l’aval a été donné par acte séparé
et que le souscripteur en conteste l’application aux effets
en payement desquels il est poursuivi, quelle est la ju
ridiction compétente pour statuer sur cette difficulté ?
Un arrêt rendu par la cour de Rouen, le 24 février
4841, a décidé que le tribunal de commerce, quoique
légalement saisi au fond, ne pouvait connaître de l’inci
dent et devait, à raison de ce, renvoyer devant la juri
diction ordinaire. Cet arrêt résout la question, mais il
se tait sur les motifs qui doivent le faire décider ainsi3.
Ce silence nous étonne d’autant moins qu’il serait
peut-être difficile de donner un motif plausible. Cet ar
rêt nous paraît, en effet, échappé à la préoccupation et
à une évidente confusion.
Il est vrai que le tribunal de commerce n ’est pas juge
de tous les incidents pouvant surgir à son audience. Par
1 Paris. 9 jsnvier 1839. J . d u P . , 1, 1839, 251. V. A r r ê t p r é c é d e n t ,
du 12 juillet 1843
2 J . d u P . , 1, 1841, 110.
�566
J)E LA LETTRE DE CHANGE
exemple, une avération d’écriture, une inscription de
faux ne peuvent être suivies que devant les tribunaux
ordinaires.
Est-ce à dire par là que tous les incidents sont dans
le même cas ? Evidemment non, lorsque surtout l’inci
dent n’est que l’exception péremptoire contre la de
mande. Or, tel est le caractère de celui dont nous nous
occupons.
Je requiers condamnation pour le montant d’un effet
auquel, selon moi, vous avez donné votre aval. Vous
répondez que cet aval n’a aucun rapport avec cet effet,
et que je dois être débouté. Est-ce là, nous le deman
dons, un incident hors de la compétence commerciale?
Ne s’agit-il pas plutôt de l’action et de la défense qui lui
est opposée, et alors les juges de l’une ne sont-ils pas
les juges nécessaires et naturels de l’autre ?
Nous croyons donc qu’il n’y a pas à hésiter. C’est au
tribunal de commerce que le litige est réservé, il a donc
seul qualité et droit pour y statuer.
FIN
DU PREMIER VOLUME
��
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/1/329/RES-22981_Bedarride_Lettre-change-2.pdf
f1bf302a172ea4aef4ea281d8c4d3a1d
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0
Tome 2
J iïÀ o o X M
�0
J iïÀ o o X M
��DROIT COMMERCIAL
LIVRE 1«
TITRE VIII
DE LA LETTRE DE CHANGE , DES BILLETS A ORDRE
ET DE LA PRESCRIPTION
S E C T IO N
De
la
L ettre
§ IX.
—
DU
ARTICLE
Ire
de
fJirssige
PAYEMENT
143.
Une lettre de change doit être payée dans la m onnaie
q u ’elle indique.
SOMMAIRE
374.
375.
Objet de notre paragraphe.
Le paiement doit être fait conformément aux prescriptions
des articles 1239 et 1241 du Code civil. Consé
quences.
�DE LA LETTRE DE CHANGE.
Le payement doit êlre réclamé du souscripteur de l ’obliga
tion. Quid pour la lettre de change ?
377. Le tiré qui a payé la lettre de change revêtue de la signa
ture fausse du tireur, peut-il se faire restituer par le
porteur q u ’il a désintéressé ?
378. Peut-il se faire relever de l'acceptation si depuis il a dé
couvert le faux, et se dispenser de payer ?
379. Quid du faux consistant dans la signature non contrefaite,
mais d ’un être idéal ou imaginaire, ou de celle emprun
tée au premier venu ?
380. Position du tiré qui a payé par suite de la fausse accepta
tion q u ’il serait censé avoir donnée.
381. Ou lorsque le faux consistera dans l’altération du chiffre,
après l’acceptation. Devoir des endosseurs.
382. A qui incombe la charge de prouver le faux. Caractère de
la preuve. Devoir des tribunaux.
383. Objet de la disposition de l ’article 143. Obligation de payer
dans la monnaie convenue.
384. Peut-on, s’il s’agit d’une monnaie étrangère, offrir une
tout autre monnaie et la différence du change?
385. A défaut de spécification, le payement pourrait être fait
même en papier monnaie ayant cours forcé. Caractère
des lois qui consacrent ce cours. Conséquence qu'en
lire M. Vincent.
d8G. Effets du payement en valeurs pour le preneur et pour les
tiers.
3 S J :. — Comme toutes les obligations dont l’objet
est lu restitution d ’une somme d ’a rg e n t, celle qui ré
sulte d ’une lettre de change ou d ’un billet à ordre
s’éteint par les divers modes consacrés par le droit com
mun , le payem ent , la
novation , la remise volon-,
�ART.
143.
3
taire, la compensation, la confusion et la prescription \
Pour la plupart de ces modes, la loi commerciale
s’en est rapportée aux règles du Code civil; elle a seu
lement ajouté à ses dispositions, en ce qui concerne le
payement et la prescription. Le caractère et la nature de
la lettre de change, le nombre et l’importance des inté
rêts qu’elle met en mouvement, les éventualités de des
truction ou de perte, inséparables de la circulation
qu’elle est appelée à subir, tout faisait un devoir de ré
gler non-seulement le mode dans lequel devait s’en effeo
tuer le payement, mais encore l’époque à laquelle il
serait considéré ou non comme libératoire ; les forma
lités à remplir lorsque la lettre de change a été tirée à
plusieurs exemplaires, ou lorsqu’elle a été adirée ou
perdue.
Tel est l’objet du paragraphe dans l’examen duquel
nous allons entrer. Toutefois et avant d’en aborder les
dispositions, nous devons rappeler quelques principes
dont l’application à la matière des payements ne saurait
être contestée.
33f5. — Aux termes des articles 1239 et 1241 du
Code civil, le payement doit être fait au créancier ou è
quelqu’un ayant pouvoir de lui, ou qui soit autorisé par
justice ou par la loi à recevoir pour lui. Le payement
fait à celui qui n’aurait pas pouvoir de recevoir pour
le créancier est valable , si celui-ci a ratifié, ou s’il en
a profité.
1 Art. 1234 du Code civil.
�4
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Le payement fait au créancier n’est pas valable s’il
était incapable de recevoir, à moins que le débiteur ne
prouve que la chose payée a tourné au profit du créan
cier.
Le créancier d’une lettre de change ou d’un billet à
ordre est celui qui, à l’échéance, en est porteur en ver
tu d’un endossement régulier et dès-lors translatif de
propriété, c’est donc à lui exclusivement que le paye
ment doit être fait. Le débiteur ne pourrait pas même
récuser cette obligation en se fondant sur l’irrégularité
de l’endossement. Cette irrégularité ferait bien considé
rer le porteur comme mandataire du propriétaire, mais
elle n’empêcherait pas qu’il eût qualité pour requérir
payement. Dès lors celui qui se réaliserait en ses mains
serait évidemment libératoire.
Mais si le porteur était un mineur non commerçant,
un interdit, une femme mariée non marchande publi
que ni autorisée par son mari, le débiteur ne serait pas
tenu d’obéir à l’injonction de payer qui lui serait faite,
sous peine d’être exposé à payer deux fois.
Ce n’est pas, sans doute, que la loi entende enrichir
l’incapable aux dépens du capable. La preuve, c’est
qu’elle oblige le premier à tenir compte de ce dont il a
réellement profité, mais ce profit ne résulte pas du fait
de la réception d’une somme quelconque. Dans ce cas,
la présomption est que la somme reçue a été follement
dissipée. Mais cette présomption permet la preuve du
contraire et s’efface devant elle. Le payement qu’on jus
tifierait avoir réellement tourné ou bénéfice de l’incapa-
�ble serait donc valable et libératoire. Cette justification
serait dans tous les cas à la charge, du débiteur.
*®©. — Le payement doit être réclamé du débiteur
et fait par lui. Le débiteur est ordinairement le sous
cripteur de l’obligation. Dans la lettre de change, cepen
dant, on ne peut s’adresser à lui qu’après avoir mis en
demeure le tiré, qu’il ait accepté ou non, mais ce n’est
pas là une exception à la règle. Le tiré est un manda
taire que le tireur a dû se substituer pour la perfection
du contrat de change. Donc, en l’interpellant en cette
qualité, c’est en réalité le mandant, ou soit le tireur qui
se trouve interpellé.
S®®. — Cette existence obligée d’un tiré chargé de
payer peut faire naître une grave difficulté en cas d’une
lettre de change fausse. Que faudrait-il en effet décider
si la signature du tireur ayant été contrefaite ou imitée,
le tiré avait payé dans la fausse croyance de sa sincéri
té ? Pourrait-il poursuivre contre le porteur la restitu
tion de la somme payée ?
M. Pardessus tient pour la négative. Il enseigne que
le tiré, dans cette circonstance, non-seulement n’aurait
pas d’action en répétition, mais encore qu’il ne pourrait
se soustraire au payement, si, ayant donné son accep
tation, il découvrait le faux avant l’échéance 1.
La doctrine de M. Pardessus nous paraît juridique
�6
DE LA LETTRE DE CHANGE.
dans sa première partie. Nous déciderions donc avec
lui que si le tiré a payé il ne serait pas recevable à
poursuivre son remboursement.
Nous sommes loin de nous dissimuler, cependant, la
gravité des motifs que pourraient invoquer l’opinion
contraire, et que M. Nouguier invoque en effet1. Mais
ce qui nous fait nous ranger à celle de M. Pardessus,
c’est, d’une part, que le tiers porteur de bonne foi n’a
reçu que ce qui lui était légitimement dû ; de l’autre,
c’est que sa position se trouverait singulièrement empirée. Le payement ayant empêché le protêt dans le délai
légal, il ne pourrait plus recourir contre les endosseurs
précédents.
Sans doute nous verrons plus tard que le défaut de
protêt n’enlève pas tout recours lorsqu’il s’agit d’une
lettre de change fausse3, mais dans ce cas les droits du
porteur se bornent à obtenir de chacun d’eux le nom de
son cédant, pour remonter ainsi jusqu’à celui qui doit
répondre du faux. Or, celui-ci pourrait être insolvable,
et le porteur, forcé de rembourser, se trouverait la seule
victime, malgré qu’il n’eût aucun tort à se reprocher.
Ce résultat serait d’autant plus irrationnel, d’autant
plus inique que, s’il est vrai que le tiré ait été abusé,
il n’a pas cependant laissé que d’agir avec légèreté et
imprudence.
Il ne devait pas payer avant d’être avisé de la dispol T. 1, p. 71.
3 Vid. lnf., art. 168, n° 534
�sition faite par le tireur. Il est vrai que la loi ne fait
nulle part un devoir de n’agir que sur lettre d’avis,
mais la plus simple prudence le conseille. C’est là,
comme le dit M. Pardessus, un moyen qui n’est ima
giné que contre les manœuvres des faussaires, et pour
s’en garantir
Donc le tiré qui paye sans être avisé par le tireur
commet une faute qui met ce payement à ses risques et
périls. Quelque légère qu’on la suppose, les conséquen
ces de cette faute doivent peser exclusivement sur le
tiré, de préférence au porteur, auquel on ne saurait en
reprocher aucune, dès qu’il a traité avec un cédant sé
rieux et sincère.
Cependant, et pour obéir à un sentiment de justice,
la loi, en refusant au tiré l’action en remboursement,
entend qu’il puisse remonter jusqu’à celui qui, ayant
mis la lettre fausse en circulation, en a assumé toute la
responsabilité. En conséquence, il peut exiger de chaque
endosseur l’indication de son cédant et la preuve qu’il
est sérieux et sincère. Celui qui refuserait cette indica
tion ou qui ne pourrait la fournir pourrait être actionné
en remboursement de la somme payée.
3 * 8 . — Sur ce point donc, nous sommes de l’avis
de M. Pardessus. Mais nous n’admettons pas avec lui
que la découverte du faux après l’acceptation ne dût pas
relever le tiré des effets de celle-ci.
Sans doute l’acceptation l’engage, mais en tant qu’il
existe une lettre de change. En acceptant, le tiré se sou-
�8
DE LA LETTRE DE CHANGE.
met à remplir le mandat qui lui est donné, c’est-àdire à payer la traite. Si donc celle-ci est fausse, il n’est
pas obligé, puisqu’il n’y a plus ni mandat, ni par
conséquent de cause à l’obligation. Son acceptation n’est
plus que l’effet d’une erreur substantielle Or, qui errât,
non contrahit.
Vainement invoquerait-on la faveur due au porteur,
qui peut ne s’être chargé de la lettre de change que
parce qu’elle était acceptée. Cette faveur ne peut jamais
aboutir à contraindre l’exécution d’un crime, ni à pro
fiter d’une erreur évidente pour spolier un tiers. De pa
reils résultats, condamnés par la raison, sont absolu
ment repoussés par la justice.
Donc, le tiré ayant accepté, et découvrant avant
l’échéance de la lettre le faux dont elle est entachée,
pourrait se refuser à payer jusqu’à ce qu’il eût été statué
sur l’existence du faux.
Cette doctrine a été , en effet, consacrée par un arrêt
de la Cour de Bruxelles, du 12 septembre 1812, ju
geant que l’accepteur d’une lettre de change qui en
découvre la fausseté peut valablement en refuser le
payement.
Dans cette espèce, le porteur, après avoir soutenu
qu’en l’état de l’acceptation il y avait lieu à une con
damnation définitive et immédiate, demandait que tout
an moins l’accepteur fût tenu de payer provisoirement,
le litre devant être respecté jusqu’à décision définitive.
Mais la Cour de Bruxelles refuse de prononcer la con-
�ART.
14Ô.
9
damnation provisoire, attendu que l’acceptation était
postérieure aux endossements.
Cette circonstance permet à M. Emile Vincent de tirer
de l’arrêt de Bruxelles un préjugé en faveur de son
opinion, contraire à celle que nous adoptons. La Cour,
dit-il, refuse de condamner l’accepteur parce que l’ac
ceptation est postérieure aux endossements, ce qui si
gnifie que ce n’élait pas à sa considération que les
porteurs avaient agi. Donc, si l’acceptation étant anté
rieure, les endosseurs avaient pu et dû compter sur ses
effets, l’arrêt eût accordé la condamnation L
D’abord, M. Emile Vincent se trompe, en fait. La
condamnation immédiate et définitive est repoussée pu
rement et simplement sur le motif de l’erreur matérielle
et substantielle. L’autorité'des endossements n'est invo
quée que pour faire repousser la condamnation provi
soire. Donc, il n’y a d’autres conclusions à tirer que
celle-ci : Si les endossements, au lieu d’être antérieurs,
avaient été postérieurs à l’acceptation, la Cour eût pro
noncé la condamnation provisoire.
Admettons qu’il en fût ainsi, est-ce que cette circons
tance enlèverait à l’arrêt sa portée réelle. Nous hésitons
d’autant moins à répondre par la négative, que le ca
ractère provisoire de la condamnation était un homma
ge formel au principe que nous soutenons. A quoi bon,
en effet, le provisoire, si la condamnation définitive est
inévitable et certaine. On renvoit pour procéder sur le
l T. 2, p. 264.
�DE LA LETTRE DE CHANGE
faux ! À quoi bon, si, quel que soit le résultat de l’ins
truction sur ce point, l’acceptation n’en sera pas moins
valable et obligatoire.
En conséquence, par cela seul que l’arrêt subordon
ne le sort de l’acceptation à la question du faux ; c’est
qu’il reconnaît que l’existence de celui-ci doit la faire
disparaître. L’exécution provisoire du titre n’entraîne
aucun préjugé contraire, précisément parce que l’effet
de cette exécution se trouvera réglé par la solution défi
nitive. Donc, en fait en en droit, l’objection de M. Vin
cent est sans portée réelle.
L’arrêt lui-même nous indique ce qu’il aurait fait si
l’opinion du faux n’avait pas dû exercer une influence
décisive. Conjointement avec l’accepteur, le porteur avait
actionné son cédant et lui demandait de le rembourser.
Or, pour celui-ci, la Cour n’admet ni moyens dilatoi
res, ni subterfuges, elle le condamne actuellement et
définitivement, précisément parce que son obligation
est indépendante de l’existence du faux.
L’arrêt de Bruxelles n’a donc d’autre portée que cel
le que nous lui assignons. L’accepteur doit être relevé de
l’acceptation qui n ’est que le résultat d’une erreur ma
térielle et substantielle puisant son origine dans un
faux matériel. Sans doute, ici comme dans le cas de
payement, le tiré a eu le tort d’agir sans avoir reçu
une lettre d’avis. Mais les choses sont encore entières
et la position du porteur n’est nullement empirée à
l’égard des endosseurs précédents. Le refus de l’accep
teur donnera lieu au protêt faute de payement et par
�ART.
145.
11
conséquent à l’action en remboursement, jusqu’à ce
qu’on soit arrivé à celui à qui incombe la responsabilité
du faux.
339. — La doctrine et la jurisprudence considè
rent comme un faux l’apposition au bas d’une lettre de
change d’un nom idéal et imaginaire. Le tiré, qui au
rait donné son acceptation à une lettre de ce genre,
serait obligé de la payer.
On comprend qu’un commerçant, abusé par la per
fection de l’imitation de la signature de son correspon
dant, accepte une lettre de change présumée tirée par
celui-ci. L’excuse d’erreur est en pareil cas parfaitement
admissible.
Il ne saurait en être de même dans l’hypothèse que
nous examinons. Le tireur sera d’autant plus inconnu
dans le monde commercial, qu’en réalité il s’agira d’un
être fictif et imaginaire, avec lequel évidemment le tiré
n’a pu avoir aucune rélation0 Comment donc ce dernier
pourrait-il prétendre avoir fait acte d’obligeance envers
l’autre. On ne donne jamais sa signature à un inconnu.
L’acceptation donnée en pareille circonstance serait
une faute lourde et sans excuse, elle pourrait même
faire supposer que le tiré était dans le secret de la créa
tion de la traite et qu’il a voulu en favoriser le place
ment. Celte présomption, que rien ne saurait détruire,
le ferait condamner à payer par suite de l’acceptation
qu’il aurait consentie.
A plus forte raison si le signataire de la lettre de
\
�DE LA LETTRE DE CHANGE.
change n ’était ni un être fictif, ni un être imaginaire,
quoique n'offrant pas plus de solvabilité. Il arrive quel
quefois que certains individus, voulant se procurer du
crédit et paraître porteurs de valeurs, se font signer,
par le premier venu, des lettres de change qu’ils endos
sent ensuite. Rien ne pourrait empêcher l’acceptation
donnée à ces lettres de change de sortir à effet, sauf le
recours de l’accepteur contre le premier endosseur.
380. — Le faux ne procède pas toujours de la mê
me manière. Au lieu de s’attacher à la signature du
tireur, il peut avoir pour objet de créer une acceptation.,
Qu’elle serait la position du tiré qui, trompé par l’imi
tation de sa propre signature, aurait payé le porteur ?
Dans celte occasion, l’erreur pourrait sans doute exis
ter et être invoquée. Mais la conduite du tiré serait
d’une imprudence, d’une légèreté telle qu’on ne pour
rait venir à son secours et le dégager des liens qu’il au
rait acceptés.
On doit savoir ses propres affaires, et celui à qui on
demande le payement d’un engagement quelconque ne
doit pas s’en référer au titre qu’on lui présente. Il est
évident que ses souvenirs le serviront d’autant moins
qu’il n’aura réellement pas signé le titre. Sa méfiance
justement excitée par cette absence de souvenirs devra
le mettre en garde contre toute précipitation.
D’ailleurs, une acceptation laisse des traces, on en
prend note ordinairement, car elle constitue un engage
ment qu’il faut solder à jour fixe, et pour lequel on a
�ART.
143.
13
besoin de se mettre en mesure. La prudence exige donc
qu’on recherche dans ses livres, dans ses registres do
mestiques, dans la correspondance avec le tireur les cir
constances de nature à lever des doutes que la présenta
tion d’une fausse acceptation doit soulever. Celui-là
donc qui paye sans réflexion, sans précaution aucune,
ne saurait se plaindre de ce qu’on l’a trompé, il a par
trop contribué à se tromper lui-même.
381. — Dans d’autres circonstances, le faux consis
tera dans l’altération de la somme pour laquelle la lettre
de change a été tirée. Ainsi celle qui a été acceptée lors
qu’elle était de 1,000 fr. aura été portée plus tard au
chiffre de 10,000.
La lettre de change ayant une existence légale, cer
taine et vraie, l’acceptation elle-même ne pouvant être
révoquée en doute, l’altération de la somme ne pourrait
même être opposée au tiers porteur de bonne foi. Le tiré
serait pbligé de payer la somme en mains de celui-ci.
Il n’y a pas à hésiter. Ici encore on pourrait avoir à re
procher à l’accepteur de n’avoir pas rendu toute altéra
tion impossible en mentionnant en toutes lettres, dans
son acceptation, la somme pour laquelle elle était
donnée.
Du tiré au tireur, la question est plus délicate. En
principe, le mandataire a un recours contre le mandant
pour l’indemnité des pertes qu’il a essuyées à l’occasion
de sa gestion. Or, évidemment la somme payée par
�14
DE LA LETTRE DE CHANGE
suite de l'altération de la lettre de change serait une
perte subie à l’occasion du mandat donné au tiré.
Mais l’exercice de ce recours est subordonné par la
loi à la condition qu’il n’y aura aucune imprudence de
la part du mandataire K Donc le mandant pourrait exciper de cette imprudence pour faire rejeter le recours
dont il serait l’objet.
Cette exception reposant sur une appréciation de fait,
la loi s’en réfère à la conscience des tribunaux, dont
l’arbitrage est souverain et sans limites,
La preuve de l’altération du chiffre serait facile si la
lettre de change n’avait passé que dans les mains de
commerçants. Les livres de chacun d ’eux indiqueraient
le moment de la transformation, et pourraient désigner
celui dans les heureuses mains de qui le titre de 1,000
fr, serait devenu un titre de 10,000 fr.
Si au contraire la lettre avait été transmise à de non
commerçants, cette double découverte deviendrait beau
coup plus problématique.
Au reste, il n'est pas douteux que dans une pareille
circonstance le devoir de chaque endosseur est de se prê
ter, en tant qu’il est en l u i , à la découverte de la vérité,
et de concourir à toutes les mesures tendant à la facili
ter. Indépendamment du compte qu’il aurait à rendre à
la loi pénale, l’auteur de l’altération serait obligé d’in
demniser soit le tireur, soit le tiré, suivant que la lettre
aurait été soldée par l’un ou par l’autre.
1 Art. 2,000, Cod. civ.
�383.
— Dans tous les cas de faux, c’est à celui qui
en allègue l’existence à en fournir la preuve. Cette preu
ve peut être établie par titres, par témoins, par pré
somptions.
Ici plus que partout ailleurs, il convient de rappe
ler ce grand principe qu’il ne suffit pas d’alléguer un
fait libératoire pour être admis à la preuve demandée.
Il faut avant tout que ce fait soit vraisemblable ; qu’il
ne soit pas démenti par les circonstances déjà acquises ;
enfin que celles dont on veut le faire résulter soient
graves, précises et concordantes. Sans ces précautions,
l’excuse de faux deviendrait bientôt une banalité à l’aide
de laquelle on retarderait un payement qu’il est dans
l’intention de la loi d’exiger à jour fixe et sans délai.
Cette considération trace les devoirs du magistrat en
lui indiquant avec quelle prudence il doit se décider.
La lettre faisant foi de ses indications en faveur des
tiers et contre eux, son exécution provisoire pourrait
être ordonnée et le payement accompli en attendant la
sentence définitive. Toutefois cette exécution provisoire
ne devrait être ordonnée que sous caution suffisante pour
répondre du remboursement en capital, intérêts et frais.
383. — Lorsqu’aucune difficulté ne s’élève sur la
demande en payement, le débiteur est obligé de le faire
dans la monnaie qu’indique la lettre de change ; c’est
ce que décide expressément l’article 143. Celui qui four
nit la valeur de la lettre de change est libre de stipuler
la monnaie qui conviendra le mieux à ses intérêts.
Cette stipulation devient la loi des parties.
�.
DE LA LETTRE DE. CHANGE.
Le véritable objet de cette disposition a été de rassu
rer le commerce contre tout payement en papier. Or,
pour bannir toutes les craintes, il fallait : d’une part,
concéder la faculté de convenir de la monnaie devant
servir au payement; d’autre part, accepter la convention
comme absolue et sans aucune exception. C’est ce que
l’article 143 a prétendu consacrer.
Ainsi, observe M. Emile Vincent, si l’on avait aujour
d’hui une lettre de change de 1,000 fr. payable en piè
ces de 20 fr., ou encore mieux une lettre de change de
50 pièces de 20 fr., on pourrait valablement refuser le
payement offert en pièces de 5 fr. Cette offre n’empêche
rait ni le protêt, ni la poursuite judiciaire, ni enfin l’ad
judication de dommages-intérêts dans le cas d’un refus
persistant ayant occasionné un préjudice.
384.
— Il semblerait d’abord du caractère général
de toute législation, ensuite de la nature spéciale de no
tre article, que le législateur n’a eu en vue que le com
merce français, et ne s’occupe que des monnaies ayant
cours légal. Il est évident que la loi ne peut prescrire
l’emploi d’une monnaie qu’elle ne reconnaît pas.
La conséquence toute naturelle serait donc que, s’il
s’agit d’une monnaie étrangère, le payement, à défaut
de celle-ci, pourrait se faire en monnaie nationale, en
tenant compte de la différence de valeur suivant le cours
du change au jour de l’échéance.
Tel n’est pas cependant l’avis de MM. Nouguier et
Emile Vincent. Ces deux honorables jurisconsultes esti—
�ART.
17
143
ment que si la lettre de change est fournie en un certain
nombre de pièces de monnaie étrangère et que le débi
teur l’ait acceptée, celui-ci sera tenu de payer en mê
mes pièces et non autrement. Il s’est, disent-ils, recon
nu dépositaire de ceS monnaies, ou s’est soumis à les
avoir. Il ne peut offrir l’équivalent ; le porteur est en
droit de refuser et de protester K
Cette doctrine prête à l’article 143 un rigorisme au
quel ses auteurs n’ont sûrement jamais pensé. Comment
aurait-il pu en être autrement, lorsque dans telle cir
constance donnée, il pourrait être impossible d’exécuter
cet article. Supposez, en effet, que les pièces de monnaies
stipulées ne se trouvent pas dans le commerce.
Ce rigorisme était de plus fort inutile. En effet, ou la
lettre de change sera payable en pays étranger, et l’on
peut présumer que le payement s’en fera en monnaie
du pays ; ou elle sera payable en France, et dans ce
cas le porteur préférera la monnaie française à toute
autre, dont il ne pourrait se défaire qu’en s’adressant au
changeur. Son intérêt même commandait donc ce que
les convenances du débiteur exigeaient, à savoir : qu’il
reçût en monnaie du pays l’équivalent de ce qui lui re
venait en monnaie étrangère.
C’est ce qui fut expressément convenu au conseil
d’Etat. M. Jaubert émet en effet l’avis que la lettre doit
être payée au cours de change, si elle est en monnaie
étrangère. M. Régnault de Saint-Jean-d’Angely répond :
t.
i E Vincent, t. 2, p. 287. Nouguier, t, 4, p. 333.
n — 2
�■
18
DK LA LETTRE DE CHANGE.
cela est de droit. M. Bégouen, ajoute : On paye toujours
le montant de la lettre ou dans la monnaie exprimée,
ou dans une monnaie portée à un taux équivalent.
M. Jaubert demande alors que l’article exprime cette
faculté. Sur l’observation que cela offrirait des inconvé
nients, il demande la suppression de l’article comme
inutile.
L’article est utile, répond M. Louis, parce qu’il cons
titue la dette en monnaie qu’il faut donner, sous peine
d’indemniser de la différence entre cette monnaie et
celle dans laquelle on paye. Mais ces transactions se
font journellement, la loi n’a pas besoin de s’en occu
per : l’important c’est qu’elle maintienne le principe '.
Voilà le véritable esprit de notre article. La monnaie
convenue, ou l’indemnité de la différence. Cette indem
nité ne couvre-t-elle pas l’intérêt du porteur ? Que pour
rait-il donc exiger de plus?
Nous l’avons dit, la conséquence de l’obligation stricte
de payer la monnaie convenue pourrait amener même
à une impossibilité matérielle. Dès lors elle est inad
missible. La raison conseille au contraire l’interpréta
tion que le législateur faisait lui-même : ou la monnaie
convenue, ou l’indemnité de la différence. Cette inter
prétation, nous l’adoptons non-seulement pour la mon
naie étrangère, mais encore pour la monnaie française.
Ainsi, le porteur d’une lettre pour 50 pièces de 20 fr.
pourrait refuser l’offre d’être payé en pièces de 5 fr.
i Procès-verbal du 29 janvier 1807, n° 27. Locré, 1 .18, p. 66.
�ART.
14-3.
19
Mais si à cette offre on joignait celle du montant néces
saire pour convertir ces pièces de 5 fr. en pièces de
20 fr., l’offre serait satisfactoire et devrait être déclarée
telle.
385.
— Si la lettre de change ne spécifie pas la
monnaie dans laquelle le payement doit être opéré, on
peut le réaliser de toutes les manières reçues dans le
pays où il doit se faire, même en papier monnaie, s’il
en existe qui soit obligatoire.
Nous disons qui soit obligatoire, c’est-à-dire qu’une
déclaration du gouvernement lui aurait donné cours
forcé. Ainsi il ne suffirait pas qu’un papier monnaie
fût toléré, cette tolérance laisse à chacun la faculté de
le recevoir ou de le refuser. Tels sont nos billets de
banque redevenus aujourd’hui ce qu’ils étaient avant
que 18 Révolution de 1848 leur eût fait momentanément
attribuer un cours forcé.
Il faut donc que le papier monnaie, pour qu’on soit
contraint de l’accepter en payement, ait reçu un cours
forcé par une loi. Ces lois d’ailleurs, imposées par des
circonstances impérieuses, ne manquent pas de régler
le sort des obligations stipulées payables en argent,
d’annuler même ces conventions qu’elles considèrent
comme violant les règles du droit public : nous en sa
vons quelque chose en France.
De là, M. Emile Vincent conclut que ces lois ne
s’imposant qu’aux régnicoles, le payement en papier
monnaie ne serait obligatoire que pour les lettres de
�20
DE LA LETTRE DE CHANGE,
change souscrites et payables dans l’Êtat donnant cours
légal au papier. Celles qui seraient faites dans un autre
pays et spécifiées payables en numéraire effectif, avec
exclusion du papier monnaie créé ou à créer, devraient
être fidèlement exécutées ; et si l’accepteur était empê
ché par la loi locale de remplir cette obligation, le ti
reur serait tenu de l’indemnité du porteur. C’est, ajoute
M. Vincent, ce qui se pratiqua en 4807 pour les vales
dineros d’Espagne l.
8 8 « . — Les lettres de change et autres effets de
commerce faisant fonctions de l’argent, la remise au
créancier jusqu’à concurrence de ce qui lui est dû équi
vaut à payement et libère le débiteur, sauf la garantie
pouvant résulter de l’endossement.
Sans doute le créancier ne peut être contraint à ac
cepter ce payement, mais s’il consent à le recevoir, les
effets de commerce qui en font la matière lui appartien
nent exclusivement et la faillite du débiteur cédant,
survenue avant l’échéance de ces effets, ne peut empê
cher le cessionnaire d’en toucher le montant.
C’est là la conséquence que la Cour de cassation a
tirée de l’assimilation des valeurs commerciales à l’ar
gent, que nous trouvons formellement rappelée par
l’article 446 du Code de commarce 2.
Par rapport aux tiers, le payement fait en valeur a
i Tom. 2, p. 294.
* Cass., 23 avril 4826.
�ART.
144, 145, 146.
21
tous les effets d’un payement réel, alors même que le
débiteur garantit les valeurs. Il y a dans ce cas une
novation complète ; une nouvelle dette se substitue à
l’ancienne qui est éteinte, et avec elle tombe toutes les
obligations accessoires.
ARTICLE
144.
Celui qui paye une lettre de change avant son échéan
ce est responsable de la validité du payement.
ARTICLE
145.
Celui qui paye une lettre de change à son échéance
et sans opposition est présumé valablement libéré.
ARTICLE
146.
Le porteur d’une lettre de change ne peut êlre con
traint d’en recevoir le payement avant l’échéance.
SOMMAIRE
387.
Domiciles divers auxquels le payement doit être réclamé.
Conséquences.
388. Le dépôt dans les trois jours de l ’échéance, permis par la
loi du 6 therm idor an m , pourratt-il êlre encore effectué?
�DE LA LETTRE DE CHANGE
389
390.
391
392
393.
394.
Le payement ne peut être demandé qu’a l ’échéance. Ex
ceptions à cette règle.
Faillite du tireur ou du souscripteur du billet à ordre.
Faillite de l ’accepteur.
Faillite d ’un endosseur.
Faculté pour le débiteur de renoncer au bénéfice du terme.
Danger que cette renonciation peut faire courir au dé
biteur d ’une lettre de change.
Caractère de la responsabilité imposée par l’article 144.
Conséquences quant aux conditions rendant le payement
libératoire.
395
Quid, du payement réalisé sur un faux acquis ? Doctrine
396.
397.
398.
ancienne.
Discussion au conseil d ’Etat. Solution.
Résumé.
Motifs et effets de l ’article 446.
38® . — Le payement de la lettre de change doit
être réclamé par le porteur, au domicile du tiré d’abord,
à celui de la personne indiquée au besoin ensuite ; et
en cas de refus de l’un et de l’autre au domicile du
tireur ou de l’endosseur, suivant qu’il recourra contre
l’un ou contre l’autre.
Il importe de ne pas perdre de vue que dès qu’un
besoin est indiqué , le porteur est obligé de se présenter et
de requérir payement au domicile désigné. A défaut, il
serait considéré comme ayant refusé le payement qu’on
aurait réalisé à ce domicile ; en conséquence, il aurait
perdu tout recours contre les garants de la lettre de
change.
Dans tous les cas, le payement est essentiellement
�art.
144, 14b, 146.
25
quérable , et si par une circonstance quelconque le
premier accédit de l’huissier n’amenait pas une solution
définitive, l’huissier devrait retourner une seconde fois
chez le débiteur. Par application de cette règle, on a
décidé que le tiré au besoin ayant le droit, s’il paye,
d’exiger la remise de l’effet acquitté, avec le protêt fait
sur le débiteur principal, revêtu de l’enregistrement, le
porteur ou l’huissier, s’il se présente sans être muni de
ces pièces ou avec le protêt non encore enregistré, doit
après avoir fait opérer l’enregistrement revenir pour re
cevoir payement ; que ce n’est pas au tiré à aller payer
chez le porteur ou chez l’huissier
388.
— La loi du 6 therm idor an n i, relative au
payement des lettres de change et billets, autorisait le
débiteur, faute par le créancier de se présenter dans les
trois jours de l’échéance, à déposer le m ontant de la
dette entre les m ains du receveur de l’enregistrem ent,
dans l’arrondissem ent duquel la lettre était payable. Il
était dressé un acte de dépôt, dont u n double était remis
au déposant. En cas de présentation ultérieure du créan
cier, le débiteur n’était tenu que de lui livrer ce double,
sur la présentation duquel le receveur de l’enregistre
ment restituait le dépôt, sans autre formalité.
Cette loi peut-elle encore être exécutée sous l’empire
du Code? M. Pardessus enseigne l’affirmative. On peut
à l’appui de cette opinion remarquer que non-seulement
i Caen, i cr février 1825.
�DK LA LETTRE DE CHANGE.
le Code ne contient rien d’antipathique, mais encore
que les motifs qui firent sanctionner la loi n’ont rien
perdu de leur vérité. Il peut n’être ni dans les conve
nances, ni dans l’intérêt du tiré de rester nanti d’un
argent qui peut lui être soustrait ; qu’il peut lui -même
être tenté d’employer au risque de ne plus se trouver
en mesure de payer lorsque le créancier se présentera.
Dans un cas comme dans l'autre, sa position se trouve
rait empirée par la négligence du créancier. Comme, le
nom de celui-ci est le plus souvent inconnu, le dépôt
est le seul moyen de se soustraire aux inconvénients
que nous venons de signaler.
389.
— Le payement doit donc être éxigé au do
micile du débiteur ou de ceux qui sont présumés tels.
Mais cette réclamation ne peut surgir qu’au moment de
l’échéance. Jusque-là, en effet, le débiteur excipant du
bénéfice du terme ne doit rien, et ne saurait être con
traint sous aucun prétexte. Cela est vrai pour le débi
teur commercial comme pour le débiteur ordinaire.
Mais cette règle reçoit exception notamment dans les
cas de l’article 1188 du Code civil. A quoi bon, en
effet, le bénéfice du terme lorsque les garanties qui
l’avaient fait accorder sont altérées ou diminuées;
lorsque le débiteur est tombé dans un état tel, qu’évidemment son impuissance de payer à l’échéance est dès
à présent certaine. On ne pouvait, en le respectant, que
nuire au créancier sans utilité pour le débiteur. L’arti
cle 1188 du Code civil n ’a donc pas hésité.
�art.
144, 145, 146.
25
La faillite amène donc l’exigibilité actuelle de la dette.
Mais il faut distinguer entre les divers intéressés à la
lettre de change, tireur, accepteur, endosseur.
390.
— La faillite du tireur prive tous les autres
codébiteurs du bénéfice du terme. Le porteur est auto
risé à agir immédiatement contre les endosseurs. La
faillite du débiteur principal enlève au titre une de ses
garanties essentielles, il doit dès lors être payé, à moins
que les autres codébiteurs consentent à donner caution
qu’il le sera à l’échéance.
Si le titre est un billet à ordre, notre solution dans le
cas de faillite du souscripteur est absolue. S’il s’agit au
contraire d’une lettre de change, et qu’elle ait été accep
tée, l’accepteur est devenu le débiteur principal, et le
tireur étant présumé avoir fait provision, et en quel
que sorte payé entre les mains du tiré, n’est plus que
caution ; sa faillite reste sans influence sur l’échéance
de la lettre.
391.
— La faillite de l’accepteur à les conséquences
de celle du souscripteur d’un billet à ordre ou d’une
lettre de change n$n acceptée. Les motifs étant les mê
mes, l’effet devait être identique. C’est au reste ce que
la loi proclame expressément d’abord dans l’article 163
et ensuite dans l’article 444 du Code de commerce.
393.
— Les termes de ce dernier fixent positive
ment les intentions du législateur et tranchent toute pos-
�26
DE LA LETTRE DE CHANGE.
sibilité de controverse future sur l’effet delà faillite d’un
des endosseurs de la lettre de change ou du billet à
ordre. Elle n’accorderait aucun droit au porteur ni pour
un cautionnement, ni pour le payement immédiat. C’est
ce que la Cour de cassation avait depuis longtempe ad
mis, et c’est cette doctrine que le silence de l’article
444, à cet égard, consacre, fl n’était pas, en effet, pos
sible d'assimiler la faillite de l’endosseur à celle du sous
cripteur ou de l’accepteur. La garantie résultant de
l’endossement n’est qu’accessoire à celle du débiteur
principal de la lettre de change. Que la ruine de l’obli
gation principale entraîne celle des obligations accessoi
res, on le comprend, mais celles-ci peuvent s’effacer et
disparaître, sans qu’il en résulte aucune atteinte pour la
première.
D’ailleurs, ajoute M. Horson, dans aucun cas la fail
lite d’un signataire postérieur ne donne lieu à poursui
vre les signataires antérieurs, puisque, n’ayant jamais
connu cet individu, jamais ils n’ont pu consentir à se
rendre garants de son obligation l.
393. — Une autre règle relativement au terme,
c’est que celui au bénéfice de qui il a été introduit peut
y renoncer. Chacun, en effet, est libre de répudier un
avantage qui lui est personnellement acquis.
En matière de lettres de change, nous verrons bientôt
1 Quesl. sur le Code de commerce, n°» 458 et 459. Cass., 40 mai
4840. V. in f., art. 465.
�art.
144,
145, 146.
27
que le terme est stipulé autant en faveur du créancier
qu’en faveur du débiteur. Dès lors la renonciation à en
attendre l’expiration que ferait celui-ci ne pourrait pro
duire son effet que par le consentement du créancier.
Mais le débiteur de la lettre de change doit y regar
der à deux fois avant de renoncer au bénéfice du ter
me. Pour lui, en effet, payer avant l’échéance, c’est
s’exposer à payer deux fois, si le prétendu créancier
n’était qu’un détenteur illégitime de la lettre de change
perdue ou volée.
394.
— Cette responsabilité que l’article 144 im
pose au payeur est la conséquence du préjudice qui peut
naître de sa précipitation, pour le véritable et légitime
propriétaire. En effet, il était possible qu’avant l’éché
ance que la veille de celle ci une opposition fût formée
qui eût empêché le payement, et mis un obstacle à la
consommation de l’escroquerie. Le payeur a donc com
mis une faute en payant avant l’échéance. Tout le
monde se rangea à cet avis dans la discussion législati
ve, et la disposition de l’article 144 fut acceptée sans
contradiction.
Il résulte de là que la première condition pour que
le payement puisse être libératoire, est que la dette soit
échue. Dans une pareille occurrence, celui qui paye le
porteur de la lettre de change ou son mandataire ne
fait que remplir un devoir qu’il ne saurait négliger sans
s’exposer à un protêt, à tous les inconvénients et aux
frais qui en naissent, Dès lors il ne peut pas être qu’il
�28
DE LA LETTRE DE CHANGE.
puisse encourir une responsabilité autre que celle résul
tant de la fraude.
Une seconde condition pour que le payement soit effi
cace, est qu’aucune opposition n’ait été signifiée au dé
biteur. Mais à cet égard, ainsi que nous le verrons plus
bas, la loi ne considère comme obstacle au payement
que l’opposition motivée sur la perte de la lettre de
change, ou la faillite du porteur. Toute autre opposition
fondée sur des droits étrangers au porteur ne pourrait
autoriser le débiteur à retarder le payement L
Enfin, la remise du titre entre les mains de celui qui
paye est aussi une condition sans l’accomplissement de
laquelle le payement ne serait pas libératoire. Une né
gociation postérieure du titre serait dans le cas d’amener
la nécessité du payement. Donc, le souscripteur ou l’ac
cepteur qui paye, peut et doit exiger la restitution du
titre. Ce droit, absolu pour le premier, est susceptible
pour le second d’une exception.' Ainsi, si l’acceptation
n’avait été donnée que pour une partie de la somme, le
titre devrait rester en mains du porteur pour qu’il pût
recouvrer l’excédant. Mais dans ce cas, la libération de
l’accepteur résulte du protêt lui-même, puisqu’il n’est
fait que pour le surplus.
La remise matérielle du titre ne suffit même pas. Elle
n’établirait qu’une présomption de libération, On doit
donc exiger que le titre soit acquitté.
L’acquit doit émaner du titulaire du dernier endosse
ment ou de son mandataire. Lorsqu’un autre que ce ti1 V. ln f., n»> 406 et suiv.
�art.
144,
145,
146.
29
tulaire se présente et signe l’acquit, le payeur doit exi
ger la preuve de son droit de propriété ou de sa qualité
de mandataire. Il a droit de retenir par devers lui les
documents et pièces établissant l’un et l’autre pour pou
voir en justifier au besoin. Il est évident, en effet, que le
payement fait sur un acquit non signé par le porteur
apparent ne pourrait valablement se faire sans cette pré
caution.
395.
— Que doit - on décider, si l’acquit donné au
nom du véritable propriétaire est l’œuvre d’un faussaire?
Le commerce s’est sans cesse préoccupé de cette frau
de, trouvant dans le mode même de payement de la
lettre de change des chances de réussite. C’est dans un
lieu plus ou moins éloigné du lieu où elle a été souscrite
que la lettre de change est payée ; les négociations suc
cessives dont elle est l’objet peuvent la faire arriver en
mains de commerçants dont le nom et l’existence
étaient, avant, complètement ignorés de l’accepteur ou
du souscripteur. Comment donc ferait-on un devoir à
l’un et à l’autre de connaître leur signature ?
Cependant, le payement d’une lettre de change échue
n’admet ni délai, ni retard. Il doit se faire en quelque
sorte à jour et heure fixes, sous peine de donner nais
sance à des formalités et à des frais.
La responsabilité d’un refus de payement non justifié
devait empêcher ce refus de se réaliser. Aussi, est-ce
par d’autres moyens que le commerce avait essayé de
concilier les intérêts du propriétaire et ceux de l’accep
teur ou du souscripteur. On s’était, dans ce but, arrêté
�UE LA LETTRE DE CHANCE.
à l’envoi d’un fac simile de la signature du porteur, à
la communication d’un mot d’ordre que devait donner
le porteur, mais ces précautions, utiles dans les lettres
de crédit personnelles, ne pouvaient produire le même
résultat pour les effets de commerce destinés avant leur
échéance à passer par une foule de mains.
En l’état du double danger que court le payeur d’être
trompé par une fausse signature, ou de refuser le paye
ment au véritable propriétaire, fallait-il exiger de lui
qu’il ne payât qu’à une personne connue, ou bien, s’ar
rêtant au fait matériel de la présentation du titre, le
reconnaître libéré par le payement fait contre la remise
de celui-ci ?
La doctrine ancienne n’était pas d’accord, Dupuis de
la Serra enseignait, en empruntant l’opinion de Scaccia,
que celui qui paye doit connaître celui qui reçoit, autre
ment il risque de ne pas payer valablement. Tel était
également l’opinion de Jousse et de Pothier l.
Je ne suis point de ce sentiment là, disait Bornier,
car, si l’accepteur était obligé pour payer valablement
une lettre d’en connaître le porteur, cela ferait un grand
préjudice à ceux qui vont et viennent et qui ne sont
connus dans les lieux où ils passent, et ne peuvent point
s’y faire connaître. Il y a encore plusieurs autres rai
sons dont le commerce souffrirait, e tc .2.
i L'art des lelt. de ch. chap. 13, n° 13. Jousse, O is. générales sur
le lit V. Pothier, Cont. de ch., n° 168.
3 Sur l’art. 19 de l’ordonnance de 1673.
~
30
�ART.
396.
144, 145, 149.
31
— Il était impossible que cet état de choses
ne préoccupât pas le nouveau législateur. Aussi, devintil au conseil d’Etat L’objet d’une discussion approfondie,
dont le résultat a fondé notre droit commun.
Le payement sur un faux acquit n’est pas libératoire,
s’il a été réalisé avant l'échéance. Nous avons déjà dit
que cette solution fut unanimement adoptée. En consé
quence, celui qui l’a réalisé est obligé de payer une se
conde fois au véritable propriétaire, sauf son recours
contre celui qu’il a illégalement payé.
Mais aucune des raisons qui le faisaient ainsi décider
ne pouvait être invoquée lorsque le payement sur faux
acquit était intervenu à l’échéance et sur la présentation
de l’effet. Payer une lettre de change ou un billet à or
dre à leur échéance, c’est se conformer à la loi et rem
plir un devoir, alors surtout que rien n’est venu faire
suspecter la bonne foi de celui qui se présente.
Cependant, la commission primitive semblait pencher
pour l’opinion de Dupuis, Jousse et Pothier. Elle propo
sait la disposition suivante : une lettre de change n’est
valablement payée que sur l’acquit de celui au profit
duquel est passé le dernier ordre. Cette rédaction impli
quait bien pour le tiré la nécessité de connaître celui
qui recevait, mais elle ne s’expliquait pas sur le paye
ment obtenu par un faux acquit.
Sur les observations des cours et tribunaux signalant
cette lacune et la nécessité de la combler, la commission
abandonna sa rédaction et présenta celle qui est depuis
devenue l’article I4o.
�52
DE LA LETTRE DE CHANGE
On peut utilement consulter la discussion qui s’éleva
au conseil d’Etat. La proposition de la section deman
dant la consécration du premier projet fut repoussée par
un triple motif : la jusfice, la nature de la lettre de
change, l’intérêt du commerce.
La justice, disait M. Beugnot, ne permet pas d’exiger
du tiré au-delà de ce qu’il doit faire. La mesure de ce
qu’il peut, est ici la mesure de ce qu’il doit. Son obliga
tion rigoureuse sera donc de connaître la signature du
tireur et son acceptation si la lettre a été acceptée ; ses
risques, de payer deux fois, s’il s’est mépris sur la si
gnature du tireur ou sur la sienne.
Mais il n’a ni les moyens, ni la possibilité de s’assu
rer de la vérité de la signature mise au dos de la lettre
de change, ni de l’identité de la dernière signature et
du porteur qui la lui présente. La non libération serait
d’autant plus injuste, que c’était au propriétaire de la
lettre qui l’a perdue, à qui on l’a volée, ou qui l’a
confiée à des mains suspectes, à en prévenir le payement
par une opposition.
D’ailleurs, ajoutait-on, ce qu’il faut avant tout, c’est
pourvoir à ce que les lettres de change soient payées.
Or, on détruit tous leurs avantages si pour en obtenir
le payement le porteur est forcé de faire intervenir des
juges et des notaires. L’événement rare qui fait payer à
un voleur le montant d’une lettre de change aura tou
jours des conséquences moins funestes que la loi qui,
�ART.
144,
145, 146.
55
pour le prévenir, permettrait de ne pas payer le jour de
l’échéance '.
On arrêta donc le principe qu’un payement fait à
l’échéance et en l’absence de toute opposition devait li
bérer celui qui l’avait réalisé, même sur un faux acquit.
On examina ensuite quel devait être le caractère de cette
libération, devait-elle être définitive, pourrait-elle, au
contraire, être contestée par la partie intéressée ? Ad
mettre que le payement libère indéfiniment le débiteur,
disait-on, c’est ouvrir un moyen de fraude, tantôt au
payeur, tantôt au porteur lui-même. Il convient donc de
consacrer un système pouvant, tout en respectant les
droits du payeur, permettre d’atteindre la collusion et la
fraude dont il se serait rendu coupable.
De là, la disposition de l’article 145. Celui qui paye
une lettre de change à son échéance et sans opposition
est présumé libéré valablement. En pareil cas, disait M.
Berlier, la bonne foi est présumée, car une lettre de
change peut, à raison de son extrême mobilité, changer
de mains à chaque instant ; et le payeur ne peut ni sui
vre le cours de ces mutations, ni contester la propriété
du dernier porteur, quand les tiers lésés ne l’ont pas
averti.
Ces considérations fixent le véritable caractère de la
présomption résultant de l’article 145.
Elle libère de plein droit le payeur, sans qu’il soit
obligé de prouver sa bonne foi.
i Procès-verbal du 29 janvier 4807, n° 29. Locré, t, 4 8, p. 67.
il — 3
�54
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Elle cède cependant à la preuve de la collusion ou
d’une négligence inexcusable. Mais le preuve de l’une
ou del’autre incombe à celui qui en allègue l’existence l.
En un mot, pour que le payeur ne fût point libéré,
il faudrait prouver sa mauvaise foi. A défaut de cette
preuve, il demeure sans reproche.
3 9 Ï. — En résumé donc, les effets du payement à
l’endroit de celui qui l’a réalisé, se règlent par l’époque
qui l’a vu s’accomplir, par les circonstances au milieu
desquelles il l’a été. S’il a précédé l’échéance, il ne li
bère pas valablement, et s’il a été reçu sur faux acquit,
le véritable propriétaire serait recevable et fondé à en
exiger un second.
Si la lettre était échue, le payement produit tous ses
effets ordinaires, à condition qu’aucune opposition n’ait
été signifiée. Celui fait au mépris d’une opposition fon
dée sur la perte ou le vol de la lettre serait le résultat
inique d’une évidente mauvaise foi. L’absence de toute
opposition fait au contraire légalement présumer la bon
ne foi.
Mais cette présomption permet la preuve contraire et
s’effacerait devant elle, si elle était rapportée. Cette preu
ve est exclusivement à la charge de celui qui querelle le
payement.
398. — Il arrive fréquemment qu’un individu ne
se charge d’u ne lettre de change que parce qu’il a de
1 M. Begouen, E xposé des m otifs.
�ART.
144, 14b,
146.
55
l’argent à payer au lieu et à l’époque où elle est payable.
De telle sorte que la faculté de le contraindre à recevoir
payement avant l’échéance serait le condamner à voir
détruire ses combinaisons et lui occasionner quelquefois
un préjudice considérable. Cette prévision a dicté la
disposition de l’article 146.
Il est vrai qu’en général le terme est en faveur du dé
biteur. Mais l’article 1187 du Code civil reconnaît qu’il
peut résulter de la stipulation ou des circonstances que
le terme stipulé est aussi dans l’intérêt du créancier.
En matière de lettres de change, la loi crée elle-même
ce que l’article 1187 permet aux parties de stipuler. En
conséquence et de plein droit, le terme est censé en fa
veur du créancier comme du débiteur.
Ce qui résulte de là, c’est que vainement ce dernier
renoncerait-il au bénéfice le concernant, il faudrait en
outre, pour que cette renonciation sortit à effet, qu’elle
fût formellement acceptée par le créancier. Celui-ci re
fusant, aucun payement ne peut être fait avant l’échéance.
Cependant des difficultés pouvaient naître. C’est pour
les éviter, que notre article 146 a expressément consacré
le droit absolu du créancier de refuser le payement jus
qu’à l’échéance. Il peut l’accepter, s’il le juge convena
ble, mais on ne saurait jamais l’y contraindre.
�DE LA LETTRE DE CHANGE.
ARTICLE
447 .
Le payement d’une lettre de change fait sur une se
conde, troisième, quatrième, etc., est valable, lorsque
la seconde, troisième, quatrième, etc., porte que ce
payement annule l’effet des autres.
ARTICLE
448 .
Celui qui paye une lettre de change sur une seconde,
troisième, quatrième, etc., sans retirer celle sur laquelle
se trouve son acceptation, n’opère point sa libération à
l’égard du tiers porteur de son acceptation.
SOMMAIRE
399.
Caractère des articles 147 et 148.
400.
Conditions auxquelles le payement fait su r seconde, tro i
sième, etc., est valable, lorsque la lettre de change n ’a
pas été acceptée.
401.
Obligations de l ’accepteur qui paye la lettre par lu i accep
402.
Système de la commission.
tée. Conséquences.
Observations
de la Cour
d’Orléans. Décision du conseil d’Eta t.
403.
D ro it du porteur de l ’acceptation d’en exiger le montant,
sauf le cas de fraude. Preuve de celle-ci.
�- i
.7:'.
'
ART.
404.
' - ' ,■
' ,
. , .J"
147, 148.
~ :- .
37
Position de l'accepteur qui a payé sans la précaution indi
quée par l ’article 148, à l ’égard du tireur.
405
Il ne peut exercer un recours en indemnité du deuxième
payement que contre celui qui a reçu le premier et qui
a illégalement négocié l ’acceptation.
3 0 9 . — L’article 4 1 0 a consacré le principe dont
nous retrouverons ici le développement et les consé
quences. Puisque la lettre de change peut être tirée à
divers exemplaires, il devenait indispensable de régler
le mode de payement qu’il convenait d’adopter, et les
effets qu’il devait produire. Le législateur s’est donc pla
cé à un double point de vue. La lettre de change a été
ou non revêtue de l’acceptation.
L’article 147 prévoit l’hypothèse d’une lettre de
change non acceptée. Cette prévision pourrait paraître
étrange. Mais s’il est vrai qu’en général la lettre n’est à
plusieurs exemplaires que pour en faciliter l’acceptation
et la négociation, il est certain qu’il n’en est pas tou
jours ainsi. L’existence de divers duplicata n’est souvent
occasionnée que parce que, destinée à des pays étran
gers, la lettre de change est exposée à des pérégrina
tions au milieu desquelles on peut craindre de la voir
s’adirer ou se perdre.
4 0 0 . — Quoi qu’il en soit, en cas de non accepta
tion, aucun exemplaire ne se recommande à l’attention
particulière du tiré. Le porteur requérant payement doit
les réunir tous, à moins que le contraire n’ait été stipu
lé dans le titre même. C’est cette stipulation contraire
�DE LA LETTRE DE CHANGE.
que la loi admet, lorsque chaque exemplaire porte que
le payement de l’un annule l’effet des autres. Dès lors
elle considère ce payement comme libératoire. Aucun de
ceux qui ont accepté les divers exemplaires ne saurait se
plaindre d’un payement formellement autorisé par le
titre même.
La commission primitive, dans le projet qu’elle avait
rédigé, n’admettait la validité du payement que si la se
conde exprimait qu’elle annulait l’effet de la première.
A cela le tribunal de commerce de Paimpol faisait ob
server que : si la seconde lettre de change exprimait
l’annulation de la première, la seconde serait considé
rée comme seule traite et l’acceptation même deviendrait
sans force sur la première, que la loi aurait déclarée
sans effets. Cependant il est indispensable de conserver à
la première la ressource de servir pour l’acceptation,
lors même qu’elle aurait été suivie d’une seconde.
Il arrive en effet, chaque jour, qu’on exige une traite
par première et seconde, afin de pouvoir adresser la
première à l’acceptation, et néanmoins faire usage de la
seconde, sur laquelle on porte que la première acceptée
sera à la disposition du porteur de la seconde, à un do
micile indiqué au lieu du payement.
D’après ce mode pratiqué jusqu’ici sans réclamation,
un tireu-r trouve plus facilement à placer, parce que ce
lui qui se charge de ses traites à la faculté de se procu
rer, dans un court délai, une signature auxiliaire, celle
de la maison acceptante, dont la garantie est souvent
préférée à la première signature.
�■M.
art.
147, 148.
39
Si l’acceptation était refusée, l’acte qui le constate au
torise à réclamer une caution du tireur. Ainsi le preneur
trouve, dans ces deux cas, un moyen direct de se don
ner un garant, sans que les agissements nécessaires
pour y parvenir l’empêchent de faire usage préalable
des effets à sa disposition.
Ces observations étaient concluantes. Le conseil
d’Etat les accueillit, et au lieu de la rédaction de la com
mission, il sanctionna celle que nous trouvons dans
l’article 147.
Ce n’est pas par l’expression que chaque exemplaire
rendait les précédents sans effets, qu’on dut juger du
mérite du payement. Son efficacité fut subordonnée à la
condition unique, à savoir : que chaque exemplaire por
terait que son payement annulerait l’effet des autres.
Aucun doute ne saurait donc s’élever. L’existence de
cette mention rend le paiement forcé, quel que soit
d’ailleurs l’exemplaire présenté. Par une juste consé
quence, ce paiement devait libérer le débiteur. On ne
pouvait admettre le contraire sans se jeter dans la plus
absurde contradiction.
4 0 1 . — Si la lettre de change tirée à plusieurs
exemplaires a été acceptée, le titre réel est alors l’exem
plaire revêtu de l’acceptation Cela est si rigoureusement
exact, que si par inattention le tiré avait écrit son ac
ceptation sur plusieurs exemplaires, chacun d’eux cons
tituerait une lettre distincte que le tiré serait obligé de
payer au tiers-porteur de bonne foi.
�40
DE LA LETTBE DE CHANGE.
En conséquence, si l’original de l’acceptation consti
tue le titre d’obligation, il est évident que l’extinction de
celle-ci ne pourra s’induire que de l’annulation de
l’exemplaire sur lequel cette acceptation existe. Or, cet
te annulation ne peut résulter que de la restitution de
cet exemplaire revêtu de l’acquit. L’accepteur doit d’au
tant plus exiger l’un et l’autre que, s’il paye sans cette
double formalité, il est exposé à payer une seconde fois,
en cas de négociation ultérieure de cet exemplaire. C’est
en effet ce qui s’induit de l’article 448.
4 0 8 . — Notons que la restriction insérée dans l’ar
ticle, quant à la responsabilité de l’accepteur, a été le
résultat de la discussion, l’article proposé par la com
mission s’arrêtait à ces mots : N'opère pas la libé
ration.
Cette disposition était attaquée par quelques cours et
tribunaux. La Cour d’Orléans, notamment, faisait ob
server que l’accepteur qui paye sans prendre la précau
tion exigée par l’article se libère cependant envers le
tireur ; qu’il demeure seulement garant des poursuites
qui pourraient être dirigées contre ce dernier par le
tiers porteur de la lettre acceptée, sauf le recours de lui
accepteur contre le particulier qui aurait touché sur la
seconde ou troisième, et passé l’ordre de la lettre accep
tée ; qu’on ne peut donc pas dire indistinctement que
cet accepteur im prudent, trop facile, trop confiant ,
n ’opère pas sa libération ; que cela n’est vrai qu’à
�ART.
147, 148.
41
l’égard du tiers porteur de l’acceptation, et qu’ii conve
nait de l’exprimer.
Ces observations, dont la commission ne crut pas de
voir tenir compte, furent accueillies par le conseil d'Etat,
qui n’admit le défaut de libération de l’accepteur qu’à
l'égard du tiers porteur de son acceptation. Il était
d’autant plus utile de les rappeler, qu’elles déterminent
le caractère et la portée de l’article 148, dont elles sont
l’interprétation la plus rationnelle.
— A quelque époque donc que ce soit réali
sée la négociation de l’exemplaire accepté, fût - elle
même postérieure à l’échéance, le porteur a le droit d’en
contraindre le payement, et l’accepteur ne saurait s’y
refuser sous prétexte qu’il a déjà payé, ce qu’il justifie
rait par la représentation d’un exemplaire acquitté. Ce
n’est pas celui-là qu’il devait retirer, il ne pouvait vala
blement payer que sur la restitution de son acceptation
En ne l’exigeant pas, il a commis une faute créant la
nécessité de payer une seconde fois.
403.
Mais cette solution suppose chez le tiers porteur la
plus complète, la plus évidente bonne foi. Or, l’absence
de toute bonne foi serait incontestable, si celui qui de
mande le second payement, était celui à qui le premier
aurait été fait, et qui aurait illégalement retenu l’accep
tation. Il serait monstrueux qu’on pût se créer un litre
de sa propre fraude et se ménager ainsi un double
payement. En conséquence , ce tiers serait non-seule-
�42
DE LA LETTRE DE CHANGE.
ment débouté de son injuste prétention, mais encore
condamné à restituer l’original de l’acceptation.
La certitude de ce résultat amènera, on peut le pré
voir, cette conséquence, à savoir : que le porteur vou
lant spéculer sur la rétention frauduleuse du titre se
gardera bien de se présenter lui-même. Il simulera donc
une négociation, et le paiement sera poursuivi par ce. lui qu’il s’est substitué et qui a consenti à lui prêter son
nom. La preuve de cette collusion ferait incontestable
ment échouer la poursuite.
Or, cette preuve ne serait pas même nécessaire si le
tiers n ’avait qu’un endossement irrégulier ou en blanc.
Présumé mandataire du cédant, on lui opposerait tou
tes les exceptions qu’on pourrait invoquer contre celui-ci.
Si l’endossement était régulier et translatif de pro
priété, l’exception de mauvaise foi serait alors la seule
qu’on pût employer. Cette mauvaise foi devant nécessai
rement résulter de la collusion alléguée, la preuve de
celle-ci pourrait être fournie même par témoins et par
présomptions.
404.
— L’accepteur qui n’a pas retiré son accep
tation est valablement libéré envers le tireur. Ceci ne
peut être entendu qu’en ce sens que celui-ci ne pourrait
contester le paiement s’il avait fait provision, ou se refu
ser dans le cas contraire au remboursement des sommes
avancées par l’accepteur. Dans l’un et l ’autre cas, la
représentation du duplicata acquitté justifiant le fait d’un
�art.
147, 148.
43
paiement, suffirait pour faire écarter les prétentions du
tireur.
Mais si le porteur de l’acceptation non retirée pour
suivait le tireur, ainsi qu’il en aurait le droit, et que ce
lui-ci eût été contraint de payer, il pourrait par voie de
recours poursuivre contre l’accepteur le remboursement
de ce qu’il aurait payé. C’est ce que la Cour d’Orléans
reconnaissait et proclamait dans ses observations.
En réalité, l’accepteur, qui ne s’est pas en payant
conformé à l’article 148, est libéré de toute demande
directe de la part du tireur, intentée par voie d’action
ou par celle d’exception, suivant que la provision exis
tait ou non. Mais il reste soumis au recours que celui-ci
pourrait exercer comme étant aux droits du porteur de
l’acceptation qu’il aurait payé. Ce recours aurait pour
objet d’obtenir le remboursement de la provision si elle
avait été fournie, ou, dans le cas contraire, de faire re
pousser la demande en remboursement du premier
payement fait par l’accepteur à découvert.
405.
— Cette solution juridique résout une diffi
culté que l’obligation de payer deux fois peut faire naî
tre. En principe, le mandataire doit être restitué de tou
tes les pertes qu’il a subies à l’occasion du mandat. Or,
dira l’accepteur, si je n’avais pas accepté celui qui m’a
été confié, évidemment je n ’aurais pas été dans le cas de
payer deux fois. En conséquence, ce double payement
étant la conséquence directe du mandat lui-même, je
dois en être indemnisé.
�H
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Mais on répondrait avec raison que l’article 2000
du Code civil, qui consacre ce principe, en subor
donne l’effet à la condition qu’aucune imprudence ne
sera imputable au mandataire ; que, de plus, l’article
1992 du même Code déclare le mandataire responsable
non-seulement de son dol, mais encore des fautes qu'il
commet dans sa gestion.
Qu’enfin l’article 1999, relatif au payement des avan
ces, frais et salaires, ne le rend obligatoire, dans tous
les cas, que s’il n’y a aucune faute imputable au man
dataire.
Or, dans notre hypothèse, l’obligation de payer deux
fois n ’est que la conséquence du fait personnel de l’ac
cepteur, fait constituant une faute lourde, puisqu’il n’est
que l’oubli d’une prescription formelle de la loi. Il doit
donc en assumer toute la responsabilité, aux termes mê
me des articles 1992, 1999 et 2000 du Code civil.
La conclusion est que le second payement reste à sa
charge exclusive, sauf son recours contre celui qui a
indûment perçu le premier et frauduleusement négocié
l’acceptation qu’il devait restituer.
ARTICLE
149.
Il n’est admis d’opposition au payement qu’en cas de
perte de la lettre de change, ou de la faillite du porteur.
�406.
Motifs pour prohiber toute opposition au payement des
407.
effets de commerce.
Caractère et conséquences de la règle.
408.
Quid, des créanciers personnels du porteur actuel ?
409.
Caractère et effets des exceptions consacrées par notre
article.
410.
H M\
Forme de l ’opposition. Ses conséquences.
406.
— Le commerce vit de ponctualité et d’exacti
tude, ses obligations doivent être soldées à jour préfix,
car, avant même d’en avoir la disposition, le créancier
à affecté à leur montant une destination dont le défaut
de réalisation occasionnerait souvent un grand préjudi
ce, par la perturbation qu’il jeterait dans ses spécula
tions.
Il convenait donc d’assurer à la lettre de change, son
instrument le plus actif, un caractère tel que son paye
ment pût entrer comme une certitude dans les prévi
sions du porteur. Déjà, dans ce but, le législateur a in
terdit au juge la faculté de proroger l’échéance, ordon
né au porteur de requérir le protêt immédiatement après
le refus de payement. Enfin, dénié au débiteur le droit
de se libérer avant l'échéance.
Mais il y avait en cette matière un bien autre danger
à prévoir et à prévenir. Les personnes concourant à la
création et à la circulation de la lettre de change peu
vent être nombreuses, et chacune d’elles avoir des créan-
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DE LA LETTRE DE CHANGE
tiers qui se croiraient autorisés à saisir entre les mains
du débiteur le montant de la lettre qu’ils supposeraient
appartenir toujours à leur débiteur, à contester la trans
mission que celui-ci en aurait faite à une date posté
rieure à la saisie.
Ce n’était pas tout même de proscrire la faculté de
saisir. L’inconvénient qu’on voulait éviter était atteint,
si la saisie faite le payement pouvait être suspendu jus
qu’après la décision de la justice. C’est ce qui se prati
que dans les circonstances ordinaires. Le tiers saisi
n’est pas juge de la validité de la saisie, et s’il paye
avant qu’il ait été statué sur cette validité, il agit à ses
risques et périls et s’expose à payer deux fois.
Il fallait donc consacrer une exception à cette règle,
et déclarer qu’en matière de lettres de change, une sai
sie-arrêt n’en arrêtait pas le payement ; que le refus
fondé sur l’existence de ces saisies ne saurait être pris
en considération.
De là, la disposition de l’article 149. Le souscripteur
ou l’accepteur ne sont obligés qu’envers le porteur qui
présente la lettre de change à l’échéance, ou après. Le
payement exigé par lui ne saurait être retardé ni moins
encore refusé, quelques nombreuses que fussent les sai
sies contre un ou plusieurs des précédents porteurs.
4tO». — Cette règle ne reconnaît ni exception ni
modification. Non-seulement le débiteur de la lettre de
change ne peut avoir aucun égard à ces saisies, mais de
plus il devrait refuser le payement, alors même qu’un
�ART.
14 9.
47
jugement les aurait validées. Ainsi, on a jugé que le
souscripteur d’un billet à ordre qui en a payé le mon
tant, en exécution d’un jugement prononçant la validi
té d’une saisie-arrêt faite entre ses mains par un créan
cier de celui en faveur de qui le billet avait été souscrit,
n’est pas libéré envers le porteur auquel le billet a été
transmis par le saisi, au moyen d’un endossement ré
gulier 1.
Vainement, en effet, exciperait-on dans ce cas de la
force qui s’attache au jugement. Le porteur de celui-ci
n’aurait aucun droit de contrainte contre le souscrip
teur du billet à ordre ou de la lettre de change, autori
sé à refuser le payement tant qu’on ne lui restituerait
pas le titre de son obligation dûment acquitté par le
dernier bénéficiaire. L’omission d’user de ce droit serait
une faute dont ne pourrait souffrir celui à qui le titre
aurait été ultérieurement négocié, et qui l’aurait accepté
de bonne foi.
En réalité donc, le souscripteur d’un effet commercial
ne doit qu’à celui qui est porteur du billet au moment
où le payement est requis. La conclusion, c’est que la
saisie - arrêt faite contre tout autre précédent porteur
manque d’une condition essentielle. Le tiers n’est pas
débiteur du saisi. Comment donc le saisissant pourraitil obtenir contre lui la moindre adjudication ?
4 0 8 . — Mais de là nous concluons aussi que si le
1 Bruxelles, 10 mai 1808. Agen, 21 juin 1811. Cass. 5 avril 1824.
�48
■
DE LA LETTRE DE CHANGE
saisissant était créancier du porteur actuel, la saisie-ar
rêt pratiquée contre celui-ci devrait sortir à effet, en ce
sens que le souscripteur ne pourrait le payer au mépris
de la saisie. L’article 449 entend favoriser la circulation
des lettres de change, en écartant toutes les entraves au
payement provenant de tiers étrangers au porteur actuel.
Mais pour ce qui concerne ce dernier, il n’a nullement
entendu déroger au principe d’après lequel l’actif mo
bilier ou immobilier est le gage des créanciers. Donc la
saisie-arrêt que ceux-ci feraient entre les mains du sous
cripteur ou de l’accepteur du montant de la lettre de
change devrait sortir à effet.
Toutefois, nous le répétons, ce résultat serait subor
donné à la propriété de la lettre de change. En consé
quence, le saisi peut toujours s’affranchir de la saisie,
en négociant celle-ci. Il importerait peu que cette négo
ciation fût postérienre à la saisie ; qu’elle ne fût même
réalisée qu’après l’échéance. Celui qui l’a acceptée, s’il
a agi de bonne foi, et obtenu un endossement régulier,
est le seul propriétaire légal, et son payement ne pour
rait être différé et empêché par la saisie dont son cé
dant avait été l’objet.
409.
— La règle excluant toute opposition au
payement de la lettre de change est exclusivement dans
l’intérêt du porteur. C’est encore cet intérêt que l’article
4 49 a entendu protéger dans la première exception qu'il
consacre à la règle qn’on ne peut faire opposition au
payement de la lettre de change. Le propriétaire qui
�ART.
149.
49
l’aura perdue, ou à qui on l’aura soustraite, pourra
faire opposition entre les mains du débiteur.
Il est évident que cette opposition ne peut offrir au
cun des inconvénients que nous signalions tout à l’heure.
Qui pourrait se plaindre de l’obstacle mis au payement?
Celui qui, ayant trouvé ou soustrait la lettre de change,
voudrait frauduleusement s’en appliquer le profit? Mais
c’est à empêcher un pareil résultat que le législateur
devait essentiellement veiller. Comme moyen d’y parve
nir, l’opposition autorisée n’était plus qu’un acte de
moralité et de stricte justice.
L’opposition n’est pas moins juste dans le cas de
faillite. L’actif du débiteur est en entier dévolu à ses
créanciers, et cette dévolution eût amené bien d’excep
tions, si le failli avait pu impunément négocier les ef
fets qu’il aurait eu le soin de soustraire de son porte
feuille.
Sans doute la négociation peut avoir été faite en
temps régulier, et la preuve qu’en fournira le tiers por
teur lui en assurera les effets. Mais on ne pouvait pas
empêcher une opposition qui rend cette preuve néces
saire, surtout lorsque le failli ne laisse aucuns livres, ou
bien que ceux qui existent ne font aucune mention de
la négociation.
410.
— La loi ne règle nulle part la forme de
l’opposition qu’elle autorise. Ce qui est certain, c’est que
l’accepteur ou le souscripteur qui saurait pertinemment
ii — 4
�50
DE LA LETTRE DE CHANGE.
que la lettre qu’on lui présente a été soustraite ou per
due, ne devrait pas payer sans s’exposer à payer deux
fois.
De là on pourrait conclure que l’opposition faite par
lettre devait suffire, le fait de la perte ou de la sous
traction se trouvant ainsi formellement dénoncé.
Cependant, une lettre peut à son tour s’égarer, éprou
ver dans sa remise un retard plus ou moins considéra
ble ; des difficultés peuvent même surgir sur le fait de
la réception. Ce qui s’en suivrait serait un procès tou
jours délicat, et la nécessité d’une preuve plus ou
moins possible. La prudence conseille donc de faire
l’opposition par un acte qui doit lever tous les doutes,
par un exploit d’huissier.
L’existence de l’opposition dans les cas prévus par
l’article 149 empêche le payement. L’accepteur ou le
souscripteur doit donc péremptoirement le refuser en
dénonçant l’obstacle rendant ce refus indispensable.
Le porteur peut dès-lors s’adresser à la justice, et ap
peler devant elle l’auteur de l’opposition. S’il se borne
à actionner le débiteur, celui-ci devra mettre en cause
l’opposant, à qui seul il appartient de soutenir l’opposi
tion. L’offre faite par le débiteur de payer à qui sera
dit par justice empêcherait toute condamnation contre lui
et lui ferait allouer les dépens contre le succombant.
�ARTICLE
450.
En cas de perte d’une lettre de change non acceptée,
celui à qui elle appartient peut en poursuivre le paye
ment sur une seconde, troisième, quatrième, etc.
%
ARTICLE
454 .
Si la lettre de change perdue est revêtue de l’accepta
tion, le payement ne peut en être exigé sur une secon
de, troisième, quatrième, etc., que par ordonnance du
juge, et en donnant caution.
ARTICLE
452.
Si celui qui a perdu la lettre de change, qu’elle soit
acceptée ou non, ne peut représenter la seconde, troisiè
me, quatrième, etc., Il peut demander le payement de
la lettre de change perdue, et l’obtenir par l’ordonnan
ce du juge, en justifiant de sa propriété par ses livres, et
en donnant caution.
SOMMAIRE
411.
Motifs et but de nos trois articles.
412.
Premier devoir de celui qui a perdu, ou à qui on a sous
trait une lettre de change.
�Ses droits, s ’il est porteur d’une seconde, troisième, etc.,
si la lettre de change n’était pas acceptée.
Quid, si elle était acceptée ?
Conditions pour obtenir payement : 1* Ordonnance du ju
ge. Caractère de celle-ci, sa forme :
2“ Dation d’une caution. Comment il est procédé.
Conditions pour obtenir payement lorsqu'ancun exemplai
re de la lettre n’est représenté par celui qui s ’en pré
tend propriétaire.
Ordonnance du juge. E n quoi elle diffère de celle rendue
dans le cas de l ’article 151.
Conséquences. Preuve de la propriété. Débats au conseil
d’Eta t à l’occasion de la détermination de celle-ci.
Les juges doivent ensuite s’occuper de la réalité delà per
te ou de la soustraction. Eléments qu’ils doivent con
sulter.
Mais l ’article 152 ne renferme aucune déchéance.
Influence que devrait exercer l ’absence de l ’opposition au
payement.
423.
Le tribunal doit soumettre le propriétaire à donner caution.
Forme de celle-ci. Ses effets. Durée du droit de deman
der son remplacement si elle devient insolvable.
4L4 1 . — La soustraction et surtout la perte d’une
i'Mâ
lettre de change ou de tout autre effet de commerce était
un événement trop facile à prévoir pour qu’il pût
échapper à l’attention du législateur. Dès-lors, ainsi mis
en demeure d’en régler les effets, il aurait pu s’en réfé
rer aux principes généraux applicables à toutes les obli
gations sous seing privé ou par acte authentique. Mais
ici, comme partout, l’intérêt du commerce dictait la né
cessité d’une législation spéciale s’harmonisant avec ses
dévéloppements et ses exigences.
�ART. ISO, 181, 152.
53
Pour obéir à cette mission, la loi avait un double but
à atteindre. D’abord empêcher le payement entre les
mains de celui qui, ayant soustrait ou trouvé la lettre
de change, serait tenté d’abuser du titre et de s’en ap
pliquer le profit au prix d’un faux endossement ou d’un
faux acquit. Consacrer ensuite les moyens pour le véri
table propriétaire de conjurer les effets de la perte ou de
la soustraction.
413.
— L’article 149 a été consacré pour répon
dre au premier de ce buts. Il dépend du propriétare de
faire opposition au payement et d’empêcher ainsi la
consommation de la fraude dirigée contre ses intérêts.
Or, nous dirons dans cette circonstance ce que dans une
autre M. Beugnot disait du payeur: La mesure de ce
qu’il doit est la mesure de ce qu’il peut.
Donc, puisque la loi a dérogé en sa faveur à la règle
prohibitive de toute opposition au payement, son pre
mier devoir, dès qu’il s’aperçoit de la perte ou de la
soustraction, est de faire opposition au payement. Il doit
d’autant plus se hâter, que l’échéance de la lettre est
plus rapprochée. Nous avons vu en effet qu’en l’absence
d’opposition le payement fait à l’échéance, même sur un
faux acquit, serait libératoire, sauf le cas de fraude K
4 1 3 . — Les articles 150 et suivants développent les
moyens à l’aide desquels la loi a voulu atteindre le sei V. sur la forme de l’opposition, sup., n° 410.
�U
DE LA LETTRE DE CHANGE.
cond but qfl’elle s’est proposée, à savoir : le payement
au vrai propriétaire de l’effet perdu ou soustrait.
Elle s’occupe d’abord de l’hypothèse d’une lettre tirée
à plusieurs exemplaires. Celui qui a égaré la première
peut avoir en mains la seconde, la troisième, etc. Pourra-t-il contraindre le payement sur la représentation et
sur l’offre de la restituer dûment acquittée ?
La solution de cette question est subordonnée à l’in
térêt du payeur lui-même. Il était juste, en effet, de ne
le contraindre qu’en tant qu’il opérerait sa libération en
effectuant le payement.
Or, lorsque la lettre de change n’est pas acceptée,
son payement se place sous l’application de l’art. 147,
qui le déclare valable quoique fait sur une seconde,
troisième, quatrième, etc.
Aussi l’article 150 autorise-t-il la poursuite du paye
ment, sans exiger ni ordonnance du juge, ni caution.
Tout est inutile, puisque la possession en mains du
payeur, d’un exemplaire quelconque dûment acquitté,
ne permet plus aucune recherche contre lui, et que le
porteur de l’exemplaire perdu, fût-il même le véritable
propriétaire, ne pourrait exercer un recours que contre
celui qui aurait indûment reçu.
Mais de là il résulte que l’article 150 présuppose
l’existence de la condition exigée par l’article 147, à sa
voir : que la seconde, troisième, quatrième, etc., énonce
que son payement annule l’effet des autres. A défaut, le
payeur ne payerait pas valablement. Il pourrait donc
�ART. 150, 151, 152.
55
refuser de le faire , ou tout au moins exiger et l’ordon
nance du juge et une caution.
414.
— Si la lettre de change perdue ou soustraite
était revêtue de l’acceptation, le propriétaire porteur de
la seconde, troisième, quatrième, ne peut poursuivre le
payement que s’il y est autorisé par le juge et que s’il
donne préalablement caution. C’est là encore la consé
quence de la règle que nous indiquions tout à l’heure.
En effet, l’article 148 permet bien à l’accepteur de
payer sur seconde, troisième, etc., mais à condition
qu’il retirera celle sur laquelle se trouve son acceptation.
4 défaut et malgré le payement, il n’en reste pas moins
tenu envers le porteur de cette acceptation.
Le droit que celte disposition confère à l’accepteur est
incontestablement celui de refuser le payement tant
qu’on ne lui restituera pas l’original de son accep
tation.
Fallait—il respecter ce droit, alors même que cette
restitution n’est plus dans les possibilités du propriétaire
de la lettre parce qu’on la lui a soustraite, ou parce
qu’il l’a perdue ? Convenait-il, dans le cas où l’exem
plaire aurait réellement péri, de permettre que l’accep
teur se trouvât libéré sans avoir réellement payé ? La
raison et la justice protestaient contre un résultat pareil.
Mais ce qu’elles ne condamnaient pas moins, c’était
la solution qui, contraignant l’accepteur à payer, l’au
rait laissé sous le coup de l’éventualité que pouvait lui
faire courir la représentation de son acceptation entre
�S6
DE LA LETTRE DE CHANGE
les mains d’un tiers ; et qu’obligé de payer celui-ci, il
ne lui restât qu’un recours contre celui qu’il avait une
première fois payé, au risque de voir ce recours se ré
duire à néant à cause de l’insolvabilité de celui-ci.
Il fallait donc s’arrêter à un moyen conciliant tous
les droits, sauvegardant tous les intérêts ; et ce moyen
l’article 151 le consacre.
— Ainsi, en cas de perte de l’original accepté,
le propriétaire ne peut poursuivre le payement de
l’exemplaire dont il est porteur qu’à deux conditions :
1° l’ordonnance du juge ; H° la dation d’une caution.
1° Ordonnance du juge. — Remarquons avec
M. Nouguier que ces expressions sont ici détournées
de leur acception ordinaire. Dans la pratique on ap
pelle ordonnance du juge les décisions que le président
est appelé à rendre en référé ou en toutes autres matiè
res qui lui sont spécialement déléguées, mais on n’avait
jamais donné cette dénomination à la décision d’un tri
bunal.
Or, c’est bien de cette dernière qu’il s’agit dans notre
article actuel. L’autorité qui doit statuer sur la poursuite
du payement est le tribunal de commerce du lieu où la
lettre est payable.
Le but de ce jugement étant de permettre ou de re
fuser la poursuite du payement, suivant que la perte ou
la soustraction est plus ou moins probable, plus ou
moins démontrée, il importe que la requête présentée
par le poursuivant, et sur laquelle le jugement inter415.
�art.
ISO, 1S1, 152.
57
viendra, énonce d’une manière nette, claire et précise
tous les faits de nature à établir l’une ou l’autre.
Cette requête est communiquée à l’accepteur, qui a le
droit d’y répondre, et qui la ferait évidemment repous
ser s’il établisssait que la lettre qu’on prétend perdue a
été réellement négociée, et s’il indiquait celui qui en est
actuellement porteur.
Quelle que soit la décision que le tribunal aura sanc
tionnée, ses résultats se réduisent à des effets purement
provisoires qui ne peuvent jamais être foncièrement op
posés à l’accepteur. On autorise la poursuite du paye
ment, mais on ne l’ordonne ni en faveur ni contre per
sonne. En conséquence, l’accepteur pourra, sur la
poursuite dont il sera l’objet, faire valoir toutes les ex
ceptions qu’il jugera convenable. Le silence par lui
gardé lors de la communication de la requête ne saurait
jamais être invoqué contre lui, ni devenir la matière
d’une fin de non recevoir.
41©. — 2“ Caution. — L’obligation de donner
caution est ici non pas seulement une condition pour
recevoir payement, mais encore un préalable indispen
sable pour être recevable à le demander. Le jugement
doit subordonner la poursuite à son accomplissement.
L’omission qu’il en ferait ne pourrait être opposée à
l’accepteur. Il pourrait toujours faire déclarer la de
mande non recevable en l’état, jusqu’à réalisation du
cautionnement.
�38
DE LA LETTRE DE CHANGE
Les règles d’après lesquelles la caution serait ap
pelée à faire ses soumissions et l’appréciation de sa
solvabilité seraient celles établies en matière commer
ciale l.
4 1 S. — Jusqu’ici la loi a supposé que celui qui a
perdu ou à qui ôn a soustrait la lettre de change a con
servé un titre dont il peut poursuivre le payement aux
conditions que nous venons d’exposer. L’article 4521 se
place dans l’hypothèse inverse, celle où celui qui a perdu
la lettre n’a plus rien par devers lui, soit qu’il n’ait ja
mais existé qu’un seul exemplaire, soit qu’il n’ait jamais
reçu aucun des duplicata.
Ici revient la question que nous indiquions tout à
l’heure. Celui qui est appelé à payer une lettre de change
a le droit d’exiger la restitution du titre dûment ac
quitté. Fallait-il que l’impossibilité d’opérer cette resti
tution, en cas de perte, devînt pour le débiteur une vé
ritable et complète libération.
Les raisons étant les mêmes, la solution devait être
identique. De plus, dans l’hypothèse de l’article 452, la
position du souscripteur, relativement au payement, ne
diffère plus de celle de l’accepteur. En conséquence, la
loi ne distingue plus. Que la lettre perdue ou soustraite
ait été ou non acceptée, les formalités pour parvenir au
payement sont les mêmes. Ces formalités sont : l’ordon1 Art. 2018, 2019, et 2020 C. civ.
�ART.
150, 151, 152.
59
nance du juge, la preuve de la propriété de la lettre, la
dation d’une caution.
418. — L’ordonnance du juge est, dans l’hypothèse
de l’article 152, ce qu’elle est dans celle de l’article 151,
c’est-à-dire un véritable jugement que le tribunal de
commerce est appelé à rendre. La seule différence entre
elles, c’est que dans cette dernière le jugement rendu sur
requête est un préalable sans lequel le payement ne peut
être poursuivi, tandis que dans celle de l’article 152 il
s’agit d’un jugement devant ordonner le payement s’il
y a lieu. Aussi, est-ce réellement une instance ordinaire,
et celui qui demande payement doit ajourner, aux for
mes de droit, soit l’accepteur, soit le souscripteur.
419. — C’est précisément ce caractère du jugement
qui a fait exiger la preuve de la propriété. Cette preuve
était inutile tant qu’il ne s’agissait que d’une mesure
devant mettre en présence les parties intéressées. On
pouvait, d’ailleurs, s’en référer à l’apparence résultant
de la possession de la deuxième, troisième, quatrième,
etc.
L’une et l’autre ne pouvaient plus être envisagées ainsi
lorsqu’il s’agit de condamner la partie à payer. La preu
ve devait être exigée et fournie ; l’article 152 en a donc
déterminé les éléments.
Dans la proposition de la section, les mots en justi
fiant de la propriété par les livres étaient suivis de
�60
DE LA LETTRE DE CHANGE.
ces autres : ou par la correspondance. Ces derniers fu
rent retranchés par le conseil d’Etat.
Le tribunat, interprétant cette suppression comme
une interdiction pour les juges de consulter la corres
pondance, demanda le rétablissement de la rédaction de
la section. I„a correspondance, observait l’orateur s’ex
primant en son nom, est une chose indépendante des
livres, et souvent avec les livres on ne pourrait pas faire
une preuve qu’on ne pourrait faire qu’avec une lettre ;
comme par exemple, si on eu représentait une de la
part du tireur ou d’un endosseur qui annonçât l’envoi
de la lettre de change. 11 faut remarquer que , d’après
l’article 8 du Code de commerce, les lettres missives re
çues doivent seulement être mises en liasse et non trans
crites sur un registre. D’ailleurs, une preuve peut éma
ner d’un tiers qui serait étranger aux livres d’un com
merçant. On doit donc laisser à la disposition des juges
de réclamer et les livres et la correspondance, et d’a
voir égard aux uns et aux autres, selon les circons
tances.
En supposant que le conseil d’Etat voulait le contraire,
le tribunat se trompait évidemment. Dans notre hypo
thèse, pas plus que dans aucune autre, il n’est venu
dans la pensée du législateur de circonscrire les élé
ments de preuve dont le tribunal de commerce devra
s’entourer. Si l’article 152 parle nommément des livres,
c’est qu’il a entendu ajouter force probante à leurs
énonciations, et que ne pas l’exprimer, c’était faire naî
tre de graves difficultés.
�ART. 150, 151, 152.
61
Ce qui a fait repousser la proposition de la section,
ce que, mettant sur une ligne identique les livres et la
correspondance , elle accordait à celle-ci force probante
égale, et c’est ce qu’on ne voulait pas consacrer, préci
sément parce que les lettres missives ne se conservant
qu’en liasse, il devient facile d’intercaler les.lettres con
certées et d’arriver ainsi à la fraude.
Le rejet ainsi motivé, la proposition du tribunat de
venait inutile. La faculté qu’elle voulait faire attribuer
au tribunal de commerce existe, et les juges n’ayant en
cette matière d’autre guide que leur conscience, ont le
droit d’exiger et de consulter tous les documents qu’ils
croiront utiles ou nécessaires à leur édification.
La preuve par les livres est naturelle et facile entre
commerçants. L’entrée d’une lettre de change est un
fait dont les traces pourront être saisies tant dans les li
vres principaux, que dans les livres auxiliaires, notam
ment dans le contrôle des traites.
Mais cette ressource sera évidemment nulle s’il s’agit
d’un propriétaire non commerçant. Les seuls livres que
celui-ci pût produire seraient des registres domestiques,
qui ne commandent légalement aucune confiance.
Cependant les juges pourraient les consulter comme
tous autres documents produits et y puiser la conviction
de la propriété du réclamant.
Au reste, le payement que la preuve de la propriété
déterminera n’aura lieu que sur caution rescéante et sol
vable. On comprend dès lors que les juges n’apportent
pas, dans la décision de la question de propriété, toute
�62
DE LA LETTRE DE CHANGE.
la sévérité qu’ils y apporteraient si le payement devait
être pur et simple, définitif et sans garanties.
4 3 0 . — La question de propriété tranchée, les ju
ges ont à s’occuper de la réalité de la perte ou de la
soustraction. Il ne suffit pas, en effet, de prouver qu’on
a été propriétaire d’une traite, il faut encore ne pas
l’avoir négociée, ne pas en avoir été payé. Or, il peut se
faire qu’on trouve dans les livres des traces de la pre
mière, ou que le débiteur soutienne s’être acquitté et
avoir adiré le titre qu’il ne représente pas.
Dans ce dernier cas surtout, la difficulé peut être sé
rieuse, et, comme dans toutes les appréciations de fait,
c’est par les circonstances, par la moralité des parties,
par les antécédents, par l’époque de la poursuite que le
tribunal appréciera. La perte alléguée doit tout d’abord
être vraisemblable. Or, sur ce point, la réalisation de la
poursuite peut fournir des données décisives.
Ainsi la cour de Paris décidait, par arrêt du 16 mai
1843, qu’une demande en payement de traites préten
dues perdues, intentée seulement deux ans et demi après
leur échéance, devait être repoussée malgré la preuve
de leur propriété. Attendu, porte l’arrêt, que le deman
deur a à s’imputer le silence par lui gardé pendant deux
ans et demi, ce qui ne permet pas d’admettre que le
payement n’ait pas eu lieu entre ses mains ou celles de
ses préposés L
�ART.
150, 151, 152.
65
C’était là un fait considérable, et les conséquences
qu’én déduit la cour de Paris ne sont pas exorbitantes.
Il ne peut pas être qu’on raisonne comme le ferait le
commerçant, s’écriant : voilà, dans mes livres, la preuve
de l’entrée de la lettre de change, on y cherche vaine
ment celle de la sortie, donc cette lettre s’est égarée dans
mes mains. Mais l’absence d’indication de la sortie peut
provenir d’une omission ; on peut avoir négligé de
prendre note du payement, ce qui n’empêchera pas le
payement de s’être réalisé. Cette probabilité balance celle
de la perte. Elle doit l’emporter, si la poursuite se réa
lise surtout dans les conditions de l’arrêt que nous in
voquons.
4 8 1 . — Mais, à notre avis, la cour de Paris est
moins bien inspirée lorsque, voulant ajouter un motif
de droit aux moyens de fait, elle juge que l’article 152
n’est applicable qu’au cas où l’action est intentée à une
époque rapprochée du moment où la perte ou la sous
traction de l’effet réclamé a eu lieu ; et que ce délai
passé, le demandeur n’est plus admis à opposer ses li
vres, même régulièrement tenus, au défendeur qui allè
gue sa libération.
Cette considération méconnaît l’esprit et le texte de
l’article 152 et crée une déchéance qu’il n’autorise pas.
Sans doute, le plus ou moins d’intervalle mis entre la
perte et la poursuite peut devenir un argument, mais
en fait et jamais en droit, par cela même que le législa
teur ne s’en est pas exprimé.
�64
DE LA LETTRE DE CHANGE
Aussi, lorsque la Cour de cassation a été appelée à se
prononcer sur la régularité du l’arrêt de la cour de Pa
ris, le pourvoi n’a été rejeté que sur les moyens de fait
admis par la cour de Paris. La Cour suprême n’admet
pas la doctrine de l’inapplicabilité de l’article 152, elle
se borne à décider que celui qui demande le payement
d’une lettre de change perdue ou non représentée, peut,
alors même qu’il prouve par ses livres avoir été pro
priétaire de cette lettre, être déclaré non recevable lors
qu’un long temps s’étant écoulé entre l’échéance et la
demande en payement, il n’établit pas que la lettre lui
a été soustraite, ou qu’elle ait été acquittée entre les
mains d’un individu qui n’en était pas régulièrement
porteur l.
La Cour de cassation restitue au litige le véritable ca
ractère qu’il doit avoir. La perte ou la soustraction estelle justifiée ? Le défaut de sortie qu’on relève sur les
livres du commerçant n’est-elle pas le résultat d’une
omission dans les écritures ? Toutes questions essentiel
lement de fait, appartenant à la libre et souveraine ap
préciation des tribunaux.
4 8 8 . — Il est une circonstance dont l’arrêt de Pa
ris ne parle pas, et qui cependant n’est pas sans in
fluence sur la solution, nous voulons parler de l’oppo
sition au payement. Quel que soit l’intervalle écoulé
depuis la perte, il faut se reporter au moment où elle
1 19 mais 1845. J. du P ., 1848, 542.
�ART. IS O ,
1S1, 1S2.
OS
se réalisait et relever les actes du propriétaire dans cette
circonstance. Or, l’absence d’opposition au payement
empêcherait de croire à la réalité de la perte. Il n’est
pas possible d’admettre que celui qui se voit menacé du
danger de perdre une partie de sa fortune ne prenne
aucune précaution pour le prévenir, ne remplisse pas
même le devoir d’arrêter le payement.
Comment donc croire à une perte ou à une soustrac
tion ? Et si à cette première circonstance se joint un si
lence de plusieurs années, on ne saurait raisonnablement
croire ni à l’une ni à l’autre. On a omis de prendre note
du payement, et cette omission, relevée plus tard, a pu
inspirer la pensée d’une perte ou d’une soustraction
n’ayant rien de réel.
433.
— Si la prétention du demandeur est recon
nue fondée, le tribunal la consacre et ordonne le paye
ment en ses mains, mais en le soumettant à donner
caution, que la lettre perdue fût acceptée ou non. Ici
le Code se rapproche de l’ordonnance de 1673, exi
geant la caution toutes les fois qu’il s’agissait du paye
ment d’une lettre de change perdue. La seule exception
admise était pour la lettre qui n’était payable ni au por
teur, ni à ordre. Dans ce cas, en effet, une caution eût
été une superfluité, parce qu’une pareille lettre n’a
point de suite ; que nulle autre personne que le pro
priétaire au nom de qui elle est tirée ne pourrait s’en
n — 5
�/
66
DE LA LETTRE DE CHANGE
servir qu’en vertu d’un transport que lui en aurait fait
celui-ci l.
Comme dans le cas de l’article 151, les soumissions
de la caution, l’appréciation de sa solvabilité obéissent
aux règles commerciales. Dans l’un comme dans l’autre,
l’engagement de la caution n’est que l’accessoire de l’o
bligation du propriétaire de la lettre de change, lequel
est principalement tenu de mettre le payeur à l’abri de
toute demande ultérieure, à raison de la lettre qu’il paye
en ses mains.
Si cette demande se réalisait et si, par sa consécra
tion, le débiteur était obligé de payer deux fois, son
droit de recourir non seulement contre la caution, mais
encore contre le cautionné, serait incontestable.
On ne saurait également lui contester le droit d’exiger
une caution nouvelle, si celle qui avait été fournie et
acceptée devenait insolvable. L’exigence d’une caution
étant ici le fait de la loi plutôt que celui de la partie,
l’exception que l’article 2020 consacre au droit de faire
remplacer la caution ne pourrait être appliquée dans
cette circonstance.
Mais l’exercice de ce droit ne saurait survivre à l’o
bligation elle-même. Nous verrons tout à l’heure que la
caution, prescrite par nos articles, est libérée par l’ab
sence de poursuites pendant trois ans. Il est évident que
ce délai écoulé, il importerait peu que la caution de
vînt insolvable. On serait irrecevable à demander son
1 Jousse, sur les articles 48 et 49.
�ART.
153.
(57
remplacement, car le bénéfice seul du temps a rompu
définitivement son obligation. On ne remplace pas ce
qui n’existe plus.
ARTICLE
153.
En cas de refus de payement, sur la demande formée
en vertu des deux articles précédents, le propriétaire de
la lettre de change perdue conserve tous ses droits par
un acte de protestation.
Cet acte doit être fait le lendemain de l’échéance de
la lettre de change perdue.
Il doit être notifié aux tireur et endosseurs, dans les
formes et délais prescrits ci-après pour la notification du
protêt.
SOMMAIRE
424.
Comment se conserve le recours contre les endosseurs, en
cas de perte de la lettre de change.
425. Comment doivent s ’entendre ces termes, en cas de refus
de payement, sur la demande formée en vertu des deux
articles précédents.
426. L ’acte de protestation doit-il, pour être valable, être pré
cédé de l'ordonnance du juge. Opinion de MM. Pardes
sus, Horson, Nouguier.
427. Jurisprudence.
�68
42S.
429.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Solution.
Intérêt du propriétaire de la lettre perdue à poursuivre
sans délai le payement contre le souscripteur ou l’ac
cepteur.
434.
— Le refus de payement qne toute lettre de
change peut rencontrer pouvait et devait surtout être
prévu dans le cas où la lettre a été perdue ou soustraite.
Alors, en effet, ce ne sera plus seulement l’impuissance
du débiteur ou l’absence de provision. Le refus peut être
motivé sur le défaut de représentation du titre, et sur la
crainte que le payement ne soit pas libératoire. Dans
tous les cas, ce refus ouvrant au porteur des droits con
tre les autres signataires, contre les endosseurs notam
ment, son existence doit être soigneusement constatée.
Cette constatation résulte ordinairement du protêt
que le porteur doit requérir dans un délai déterminé.
Mais ce protêt est impossible lorsque la lettre de change
n’est plus en la possession de son propriétaire. Fallaitil dès lors le priver de tout recours contre les endos
seurs, le rendre fatalement victime d’un délit ou tout au
moins d’un fait de force majeure qu’il n’a pu ni pré
voir, ni empêcher ? Le législateur ne l’a pas pensé, et
par une dérogation à la règle qu’il va bientôt poser, il
lui permet de suppléer au protêt par un acte qu’il qua lifie acte de protestation.
Les seules conditions exigées pour que cet acte pro
duise les effets qui s’y rattachent sont : 1° qu’il soit ré
digé dans les vingt-quatre heures de l’échéance de la
�ART.
153.
69
lettre perdue ; 2° qu’il soit notifié aux tireur et endos
seurs dans la forme et les délais prescrits pour la noti
fication du protêt.
*
435.
— Rien de plus simple en apparence que l’ar
ticle 153. Cependant sa disposition a fait naître de
graves et sérieuses difficultés qui partagent encore au
jourd’hui la doctrine et la jurisprudence.
Comment doit-on entendre ces mots : en cas de refus
de payement sur la demande formée en vertu des deux
articles précédents? Est-ce le refus postérieur à l’ins
tance judiciaire ? Est-ce au contraire celui qui, se réali
sant sur la demande amiable, amènerait la poursuite
judiciaire que le législateur a prévue?
M. Locré admet cette dernière hypothèse. Le refus
dont parle l’article, dit-il, n’est pas celui qui pourrait
être fait d’obéir à l’ordonnance du juge. C’est le refus
que fait l’accepteur avant d’avoir été condamné, et au
moment où le propriétaire se présente à lui pour de
mander son payementl.
Nous croyons que M. Locré est dans le vrai. En effet,
il en est des formalités prescrites par les articles 151,
152, 153, comme de foutes les autres à réaliser, con
formément aux prescriptions de la loi. Elles ne devien
nent obligatoires que si l’objet qu’elles ont pour but de
remplir ne peut être amiablement acquis entre les par
ties.
t E sprit du Code de commerce, art, 153.
�70
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Or, il ne peut être dans l’esprit de la loi d’empêcher,
dans la circonstance, cette terminaison toujours désira
ble. Les articles 151 et 152 ne sont pas d’ordre public.
Les formalités qu’ils prescrivent sont exclusivement pri
ses dans l’intérêt du payeur, qui peut dès lors renoncer
à leur bénéfice.
Il est donc évident qu’avant de recourir à justice, le
propriétaire de la lettre perdue s’informera de l’intention
du débiteur, et qu’il n’entamera la poursuite judiciaire
que sur le refus de celui-ci de payer autrement que sur
l’ordonnance du juge.
C’est ce premier refus qui créera la nécessité de s’a
dresser aux juges. De plus, ce refus peut être considéré
comme un prétexte pour reculer le payement, et faire
dès lors présumer que le débiteur est dans l’impuissance
de le faire. Cette présomption rendant probable la né
cessité d’un recours contre les endosseurs, inspirera la
pensée de le conserver, et par conséquent de rédiger
l’acte de protestation voulu par l’article 153.
— Cette solution tendrait à faire disparaître
une difficulté grave, celle de savoir si l’acte de protesta
tion peut précéder l’ordonnance du juge, ou s’il n’est
valable que lorsque cette ordonnance l’a précédé luimême.
M. Pardessus se prononce dans le premier sens. Il
n’est pas nécessaire, dit-il, que les différentes formalités
de la loi aient été remplies, pour que l’acte de protes
tation puisse être fait. Cela serait presque toujours
436.
�ART,
135.
71
impossible. La plupart du temps tfn ne s’aperçoit de
la perte de l’effet qu’au moment où l’on veut en faire
usage l.
L’opinion contraire est soutenue parM. Horson. L’ar
ticle 453, dit-il en autorisant le propriétaire de la lettre
perdue à faire un acte de protestation pour la conserva
tion de tous ses droits, ne lui accorde cette faveur qu’en
cas de refus de payement sur la demande formée en
vertu des deux articles précédents. Mais pour qu’il y ait
refus de payement, il faut qu’il soit demandé ; pour
pouvoir faire cette demande, il faut en présenter le titre
ou avoir justifié de sa propriété, et obtenu l’ordonnance
du juge. Donc, l’acte de protestation fait avant ne sau
rait produire aucun effet2.
M. Nouguier préfère l’avis de M. Pardessus, il s’ef
force de prouver que l’opinion de M. Horson est injuste
en droit et souvent impraticable en fait, qu’on ne sau
rait dès lors l’accueillir3.
4 3 9 . — La jurisprudence n’est pas moins divisée
que la doctrine.
La cour de Lyon, par un arrêt du 15 mars 1826,
consacre le système de M. Horson, et décide, en consé
quence, que l’acte de protestation doit, à peine de nul
lité, être précédé de l’ordonnance du juge et de l’offre
d’une caution.
1 Droit comm., n° 423.
2 Quest. 401 et 402.
s T. 4, p. 237.
�72
DE LA LETTRE DE CHANGE
Le 10 novembre 1828, la Cour de cassation repousse
formellement cette doctrine. Elle décide que le proprié
taire d’un effet de commerce perdu conserve ses droits
contre les tireur et endosseurs, en faisant la protestation
dont parle l’article 153 du Code de commerce, lors mê
me que l’accomplissement des formalités prescrites par
l’article 162 du même Code aurait suivi cette protesta
tion au lieu de la précéder, ces formalités n’étant pres
crites que pour la sûreté du débiteur et pour qu’il ne
paye l’effet qu’au véritable propriétaire. C’est dans le
même sens que se prononce la cour de Nîmes, par ar
rêt du 29 avril 1829.
Appelée à son tour à se prononcer, la cour de Dijon
le fait dans un sens identique, par arrêt du 14 avril
1831. La Cour considère que l’article 153 contient des
dispositions distinctes pour déterminer les formes à sui
vre par le propriétaire d’une lettre de change perdue :
1° pour conserver sa garantie contre les précédents en
dosseurs ; 2° pour obtenir le payement de cette lettre.
Que pour le premier objet, il suffit qu’un acte de pro
testation soit notifié le lendemain de l’échéance, avec les
formes prescrites pour le protêt ; que rien n’indique que
cotte protestation doive, à peine de nullité, être précédée
des actes nécessaires pour avoir payement ; qu’il pour
rait se rencontrer une foule de circonstances dans les
quelles il serait impossible que ces actes précédassent la
protestation.
Le caractère juridique de sa doctrine, les précédents
mêmes de la Conr de cassation semblaient mettre cet
�ART.
153.
73
arrêt à l’abri de toute censure. Il n’en fut rien cepen
dant, et sur le pourvoi dont il fut l’objet, la Cour régu
latrice crut devoir l’annuler comme contrevenant aux
articles 181, 152 et 153 du Code de commerce. Aban
donnant sa propre jurisprudence, elle décide, le 3 mars
1834, que l’acte de protestation, pour être valable, doit
être précédé de l’ordonnance du juge. Depuis, et par
arrêt du 17 décembre 1844, elle a persisté dans ce der
nier système L
Enfin, un arrêt de la cour de Paris, du 7 décembre
1843, maintenu comme exception à la règle par celui
que nous venons d’indiquer, juge que l’article 153 n’or
donne pas, à peine de nullité de faire précéder l’acte de
protestation de l’ordonnance du juge 2.
4 3 8 . — Où est la vérité au milieu de ces apprécia
tions diverses ? Quel est le système auquel il faut se rat
tacher ? A notre avis, celui que MM. Pardessus et Nouguier enseignent, celui que la Cour de cassation consa
crait elle-même en 1828.
Quelles sont, en effet, les bases fondamentales du
système contraire ? L’arrêt de la Cour de cassation de
1834 s’appuie sur l’unique raison que nous avons déjà
empruntée à M. Horson. Le refus dont parle l’article
153 est celui qui se manifeste sur la demande formée en
vertu des articles 151 et 152. Or, si ces demandes exi1 J. du P., <, 1845, 241.
2 J. du P., 1 , 1844, 71.
�74
DE LA LETTRE DE CHANGE
gent l’ordonnance préalable du juge, il faut nécessaire
ment reconnaître que l’acte de protestation qui doit sui
vre ces demandes suppose par cela même l’existence de
l’ordonnance, sans laquelle il ne saurait y avoir ni de
mande ni refus.
N’est-ce pas là pousser jusqu’à l’idolâtrie le respect
de l’expression, et refuser de rechercher le véritable sens,
de le dégager des obscurités naissant de la forme ? Le
refus dont parle l’article 133 est si peu subordonné à
l’instance judiciaire, que sans ce refus il n’y aurait au
cune instance. Supposez, en effet, que par un motif
quelconque le débiteur ne crût pas devoir se refuser au
payement, qu’il s’entendît amiablement avec le créan
cier, à quoi bon une instance judiciaire et une ordon
nance du juge?
De toute nécessité donc, l’instance judiciaire sera pré
cédée d’une demande amiable. Le refus qui accueillera
cette demande, ainsi que le fait observer la cour de Di
jon, crée deux intérêts pour le propriétaire de la lettre ;
10 celui de conserver son recours contre les endosseurs ;
Ü!0 celui d’exiger le payement. L’ordonnance du juge et
la dation d’une caution n’étant requises que pour satis
faire à ce dernier, elles restent forcément étrangères à
toutes les mesures conservatoires que le premier peut
commander.
Comment, d’ailleurs, confondre et le payement et
l’acte de protestation lorsque la loi elle-même distingue
expressément. Pour obtenir le premier, elle veut une or
donnance du juge, la preuve de la propriété, une eau-
�ART.
153.
75
tion. Qu’exige-t-elle pour le second? Qu’il soit rédigé
dans les vingt-quatre heures, et notifié dans la forme
et les délais déterminés pour la notification du protêt.
Voilà tout. Donc, exiger davantage, c’est aller évidem
ment au-delà des désirs de la loi.
Concluons donc que le motif invoqué par la Cour de
cassation n’a rien de concluant. Les formalités des arti
cles 151 et 152 ne sont obligatoires que lorsqu’il s’agit
d’un payement effectif. Mais elles demeurent étrangères
et sans application à un acte purement conservatoire qui
n’empire en rien la position des endosseurs.
Dans son arrêt du 17 décembre 1844, la Cour de cas
sation invoque un tout autre moyen. Elle établit en thèse
une assimilation absolue entre la protestation et le pro
têt. Elle en conclut que le protêt n’ayant pas seulement
pour objet de prouver le refus de payement, mais ayant
encore pour but d’établir, par la transcription littérale
du titre et des endossements, la régularité de la présen
tation et la propriété du porteur, l’acte de protestation
doit, à défaut de représentation du titre, justifier de la
propriété de son auteur. Or, cette justification ne peut
résulter que de l’ordonnance du juge. Dès lors, de mê
me qu’il n’y a pas de protêt valable sans transcription
du titre, de même il n’y a d’acte de protestation régu
lier que celui qui renferme la transcription de cette or
donnance,
Le tort de ce raisonnement est de méconnaître un
principe sur lequel la Cour de cassation n’a jamais cessé
d’insister, à savoir : que les nullités ne se suppléent
W
�76
DE LA LETTRE DE CHANGE.
pas ; qu’on ne doit consacrer que celles qui sont ex
pressément prévues par la loi. Or, nous voyons bien
l’article 174 prescrire la transcription du litre dans le
protêt, mais nous ne trouvons nulle part une pareille
obligation pour l’acte de protestation. Donc l’omission
de la transcription motiverait légalement la nullité du
protêt, mais ne saurait produire le même résultat pour
l’acte de protestation.
Ajoutons que l’on doit d’autant moins exiger pour
celui ci ce qu’on exigerait pour celui-là, que le premier
n’est qu’une exception au principe posé par l’article
175, à savoir : que nul acte ne peut suppléer le protêt.
L’acte de protestation le supplée. Ici la preuve de la
propriété résultera de la protestation elle-même. Sans
doute cette preuve ne suffira pas pour amener le paye
ment. Celui-ci ne pourra être ordonné que par ordon
nance du juge. Mais est-ce que la preuve résultant de
la transcription du titre dans le protêt sera définitive
ment acquise, est ce que les endosseurs ne seront pas re
cevables à la discuter?
On ne saurait donc ranger sur la même ligne l’acte
de protestation et le protêt. La loi a nettement tracé la
forme de l’un, et a gardé le plus complet silence sur
celle de l’autre. La nullité que le défaut de la forme en
traîne pour le protêt ne peut donc être admise pour
l’acte de protestation. Ce résultat ne serait possible que
si une loi l’avait expressément commandé. Cette loi
existe-t-elle dans la disposition des articles 151 et 152?
Nous avons prouvé la négative.
�A ces considérations puisées dans le texte de la loi,
nous pourrions en ajouter une foule d’autres que son
esprit suggère. Est-il présumable que le législateur, qui
a jusqu’ici voulu protéger le porteur de la lettre de
change, qui vient dans ce but de lui permettre, en cas
de perte, de s’opposer au payement de la lettre, ait
voulu dans la même occasion le rendre nécessairement,
fatalement victime d’un événement imprévu, d’un dé
lit même, en mettant à la conservation de son recours
contre les endosseurs des conditions impossibles à rem
plir.
Ne perdons pas de vue, en effet, que l’ordonnance
du juge dont il est question n’est rien autre qu’un ju
gement émané du tribunal de commerce, que ce juge
ment, contradictoire dans le cas de l’article 152, est ren
du sur requête dans celui de l’article 151, mais après
communication.
Or, la perte peut n’être connue que la veille, que le
jour de l’échéance, au moment où le banquier extrait
de son portefeuille les effets à encaisser. Cependant l’acte
de protestation doit être fait vingt-quatre heures après
l’échéance, le propriétaire aura donc, en tenant compte
de la nuit, quelques heures pour prouver sa propriété,
obtenir un jugement alors même que le siège du tribu
nal serait à huit ou dix lieues de la localité où l’effet
était payable, enfin pour donner caution. Autant valait
dire que la perte de la lettre entraineiait de plein droit
celle de tout recours contre les endosseurs.
Il y a même plus, le délai pour remplir les Lraialités
�78
DE LA LETTRE DE CHANGE.
peut être moindre encore. Par exemple, si le commis a
perdu la lettre qu’il avait reçue pour encaisser, et dont
il ne s’apercevra qu’en rentrant de sa tournée, qui a pu
l’occuper une grande partie du jour.
La loi aurait donc voulu l’impossible, et cela peut-il
se supposer. Il est vrai que l’arrêt de Paris, du 7 dé
cembre 1843, admet dans ce dernier cas une exception,
et c’est ce que consacre la Cour de cassation dans son
arrêt du 17 décembre 1844. Mais sur quoi se fonde
cette exception, quelle est la loi qui l’autorise ?
D’ailleurs, si exception dans ce cas, pourquoi pas dans
tous ceux où l’impossibilité aura réellement existé ? Il est
vrai que la preuve n’en sera pas toujours facile, mais il
serait injuste de punir celui qui a perdu la lettre de ce
qu’il ne pourrait en préciser le moment.
Au fond il y a dans le système que nous combattons
impossibilité ou injustice. On doit donc le repousser.
4U39. — Ainsi l’acte de protestation fait et notifié
conformément à l’article 153, qu’il ait été ou non pré
cédé par l’ordonnance du juge, conserve le recours con
tre les endosseurs. Cette ordonnance, la preuve de la
propriété, la dation d’une caution ne seront indispen
sables que lorsqu’il s’agira de poursuivre et d’obtenir le
payement.
Dans tous les c a s, le propriétaire de la lettre perdue
devra se pourvoir sans délai contre le débiteur ou l’ac
cepteur. Car ce ne sera que sur le refus qu’ils feraient
l’un et l’autre de se conformer au jugement ordonnant
�ART.
155.
79
le payement, qu’il pourrait exercer son recours contre
les endosseurs. Il y a en effet, tant que ce jugement n’est
pas rendu, présomption que le refus de payer n ’est que
la conséquence de la crainte de mal payer.
A ce premier motif se joint un intérêt d’autant plus
urgent, que le retard ou la négligence que ce proprié
taire mettrait dans cette poursuite pourrait compromet
tre le succès de son recours contre les endosseurs. Par
exemple, si dans l’intervalle le souscripteur ou l’accep
teur était tombé en déconfiture. L’endosseur attaqué ne
manquerait pas de décliner l’obligation de payer, il di
rait au poursuivant : par votre fait, le débiteur, qui vous
eût payé si vous aviez été en règle, est tombé en décon
fiture avant payement ; par votre fait, je suis privé du
recours que j’aurais exercé contre lui ; vous devez donc
être exclusivement tenu de la perte que vous avez seul
occasionnée K Cette défense devrait être accueillie si
réellement une plus exacte diligence aurait amené le
payement. Il importe donc au propriétaire de la lettre
perdue de ne pas se mettre en position de mériter ce re
proche.
1 Nouguier, 1 .1, p. 339.
�DE LA LETTRE DE CHANGE
80
ARTICLE
154.
Le propriétaire de la lettre de change égarée doit,
pour s’en procurer la seconde, s’adresser à son endos
seur immédiat, qui est tenu de lui prêter son nom et
ses soins pour agir envers son propre endosseur, et ainsi
en remontant d’endosseur en endosseur jusqu’au tireur
de la lettre. Le propriétaire de la lettre de change éga
rée supportera les frais.
»
430.
431.
432.
433.
434.
435.
436.
437.
438.
SOMMAIRE
Objet de la disposition de l’article 154. Ses motifs.
Son caractère.
Silence de l’ordonnance sur la forme de procéder. Dif
ficultés qu’il avait fait surgir. Arrêt de règlement de
1714.
Marche à suivre depuis le Code.
Qui devrait payer les frais en cas de litige ?
La demande pourrait être faite par lettre missive.
Obligations imposées aux endosseurs.
Destination que peut recevoir le duplicata. Comment doitil être payé.
La lettre de change perdue ou soustraite peut être reven
diquée pendant trois ans.
4 3 0 . — La disposition de l’article 152, que nous
venons d’examiner, pourrait faire considérer comme
inutile celle de l’article 154. A quoi bon, en effet, se
�ART.
154.
81
préoccuper de la création d’une seconde, puisqu’on peut
sans son secours poursuivre ei obtenir le payement de
la lettre perdue ?
Mais la réflexion suffît pour faire repousser ce repro
che. La perte d’une lettre de change ne se réalise pas
toujours de la même manière ; la position et l’intérêt de
son propriétaire peuvent, selon le cas, être fort diffé
rents. L’intention et le désir de prévenir et de régler les
diverses éventualités ont fait sanctionner cumulative
ment les articles 152 et 154.
La lettre de change, avons-nous dit, peut être perdue
la veille, le jour même de l’échéance, et quelquefois
après la présentation au débiteur ; à quelque époque
que cette perte remonte, on peut ne la découvrir qu’à
ce moment même. Dans chacune de ces hypothèses,
l’intérêt du propriétaire est d’en obtenir le payement ;
et ce serait par trop en retarder l’époque que de recou
rir aux démarches que nécessite la création d’une se
conde. C’est pour satisfaire à cet intérêt que l’article
152 a été sanctionné.
Mais la perte peut se réaliser bien avant l’échéance et
être parfaitement connue dès le moment qui la voit s’ac
complir. Un banquier, en dépouillant son courrier,
laisse tomber un pli dans le feu. Tout autre accident
détruit dans ses bureaux une ou plusieurs lettres de
change.
Cependant, ces effets ont pu n ’être transmis que pour
les négocier ; si le délai qui sépare la perte de l’échéance
est encore long, le banquier peut vouloir les escompii — 6
�82
DE LA LETTRE DE CHANGE
ter. Enfin, il est possible qu’ils soient payables sur une
localité éloignée, où le banquier devrait les faire ar
river.
On comprend alors la nécessité d’une seconde qui,
remplaçant la première, se prêtera à toutes les négocia
tions et remplira le but que celle-ci s’était proposé.
Yoilà dans quelles prévisions l’article 154 a été sanc
tionné.
4 3 1 . — Au reste, le législateur n’a fait aucune
obligation d’exécuter, soit l’article 152, soit l’article
154. Il s’en rapporte exclusivement aux convenances et
au choix du propriétaire de la lettre perdue. Celui-ci
peut donc, dans tous les cas, vouloir se procurer une
seconde, et les endosseurs auxquels il demanderait leurs
soins et leur nom ne pourraient les lui refuser sous au
cuns prétextes. Ainsi, la cour de Turin, par arrêt du 9
juillet 1813, condamnait un endosseur qui, excipant de
ce que le propriétaire de la lettre avait perdu tout re
cours contre les endosseurs, prétendait n’être pas tenu
de concourir à la création d’une seconde.
La poursuite en obtention de celle-ci est donc facul
tative. Elle peut être réalisée alors même qu’aux termes
de l’article 152 le payement pourrait être demandé et
obtenu. Une seule condition est imposée à cette pour
suite, à savoir : que dans l’origine la lettre de change
perdue n’ait été tirée qu’à un seul exemplaire. Si elle
avait été faite par seconde, troisième, quatrième, etc.,
l’article 154 ne pourrait recevoir aucune exécution.
�ART.
154.
83
413*. — Le silence que l’ordonnance de 1673 avait
gardé sur la manière dont il devait être procédé pour
la création de la seconde n’avait pas tardé à soulever
des difficultés entre les parties. Celui qui voulait par ce
moyen remplacer la lettre perdue s’adressait aux der
niers endosseurs, mais ceux-ci prétendaient le renvoyer
au tireur qui devait à leur avis refaire la lettre. Un ar
rêt de règlement, rendu par le Parlement de Paris, le
30 août 1714, vint trancher ces difficultés en sanction
nant les prétentions du porteur. C’est la doctrine de cet
arrêt qui a passé dans notre article 154.
Le système des endosseurs était peut-être plus logi
que. Puisqu’il s’agit de refaire la lettre de change, il
semble qu’on devait d’abord s’occuper de l’obligation
principale et n’arriver qu’ensuite aux engagements ac
cessoires ; en d’autres termes, qu’il fallait commencer
par le commencement, par la tête et non par la queue.
Mais celui consacré par le Parlement et ensuite par
le Code est plus conforme aux principes du droit. En
effet, l’endossement n’est qu’une cession, qu’un trans
port. En cette matière, chaque cessionnaire doit exercer
son action contre son cédant immédiat, celui-ci contre
son cédant à lui, et ainsi de suite jusqu’au premier.
L’article 154 n’a donc fait que se conformer à celle
règle.
4L33. — Donc, celui qui demande un duplicata de
la lettre de change perdue doit s’adresser à celui de qui
il tenait celle-ci. Le consentement que celui-d&nnerail à
�84
DE LA LETTRE DE CHANGE
refaire son endossement rendrait à son égard toute dé
marche ultérieure inutile, à moins qu’après il refusât
ses soins et son nom pour obtenir un nouvel endosse
ment de la part de son cédant immédiat.
Dans ce cas comme dans celui de refus de donner
l’endossement, le propriétaire de la lettre perdue pour
rait s’adresser à la justice, mais l’action étant dans ce
cas pure, personnelle, ne saurait être portée qu’au tri
bunal du domicile de l’endosseur refusant h
4L34L. — Cette action serait infailliblement accueillie,
et l’endosseur condamné à renouveler son endossement.
Mais ici s’élève la question de savoir qui, dans ce cas,
supporterait les frais ?
L’article 154 les met à la charge de celui qui deman
de la seconde, et c’était justice. La création de celle-ci
ne pouvait être à la charge d’un autre que de celui qui
la réclame dans son intérêt. Il devrait donc indemniser
les divers endosseurs, même du port des lettres que cha
cun d’eux a dû payer.
Mais l’article 154 dispose pour le cas où la seconde
a été amiablement consentie. Le silence qu’il garde sur
l’hypothèse d’un litige ne laisse-t-il pas les parties
sous l’empire des règles ordinaires en matière de dé
pens ?
L’affirmative doit être consacrée avec d’autant plus de
raison, qu’en copiant le principe dans l’ancienne légis—
i Pardessus, Droit commercial, n° 4854.
�lation, les auteurs du Code s’en sont évidemment ap
proprié toutes les conséquences.
Or, à cet égard, aucun doute n’est possible. Beaucoup
plus explicite que le Code, l’arrêt de règlement de 1714
disposait que tous les frais qui seront faits à raison
de ce, même le port des lettres et autres frais seront
acquittés par ledit porteur de la première lettre de
change qui aura été perdue. Mais il ajoutait immédia
tement : Que l’endosseur qui aura été requis par écrit
et qui aura refusé sera tenu de tous les frais et dépens,
même des faux frais qui pourront être faits pour tou
tes les parties depuis son refus.
Les fondements de cette doctrine sont trop équitables
pour hésiter sur la consécration qu’elle a reçue des au
teurs du Code. Peut-être n’est-ce que parce que son ap
plication a paru incontestable qu’on n’a pas cru devoir
s’en expliquer.
435. — L’arrêt de 1714 suppose que la demande
d’un duplicata sera faite par écrit. Telle est également la
pensée de l’article 154. Mais il n’est pas besoin d’un
acte extra-judiciaire. Une simple lettre missive suffirait
pour autoriser la citation en justice et pour obliger l’en
dosseur à en supporter les frais s’il consentait à faire,
après l’avoir reçue, ce qu’il avait refusé sur simple
lettre.
436. — Les obligations que l’article 154 impose
aux endosseurs consistent dans leur concours personnel
�86
DE LA LETTRE DE CHANGE
à la confection de la seconde, dans leur intervention
auprès de leurs cédants respectifs, dans la faculté qu’ils
accordent de les contraindre en leur nom.
Ainsi, chaque endosseur doit d’abord refaire son en
dossement personnel, il doit ensuite écrire à son cédant,
lui demander un acte semblable et mettre tous ses soins
à l’obtenir.
Si la demande n’est pas accueillie, si son intervention
échoue, on ne pouvait certes pas lui imposer l’obliga
tion de plaider personnellement. Mais, d’autre part, le
refusant n’ayant jamais traité avec le demandeur en du
plicata, il était facile de prévoir que celui-ci ne pourrait
non plus l’assigner sans s’exposer à être repoussé par
une fin de non recevoir péremptoire.
Cependant comme le refus de concourir à la création
d’une seconde est injuste, comme celui qu’il lèse a le
droit d’en obtenir raison, on a tout concilié en obligeant
son cédant ou tout autre endosseur à prêter son nom.
C’est le propriétaire de la lettre perdue qui plaidera,
mais sous le nom du cessionnaire de celui qu’il devra
attaquer.
439.
— Le duplicata régulièrement confectionné
remplace l’original de la lettre de change. Il peut être
négocié tout comme le serait celui-ci, ce ne peut être
même que dans ce but qu’on l’aura créé.
Mais quel sera le mode de payement à l’échéance ?
Aucun doute ne saurait s’élever à l’endroit des cession
naires postérieurs à la création du duplicata. Pour eux,
�ART.
1S4.
87
il n’y a jamais eu d’autre titre. Chacun d’eux paye donc
régulièrement en remboursant celui à qui il l’avait cédé,
on arrive ainsi jusqu’à celui entre les mains de qui la
première s’était adirée.
Or, de celui-ci aux endosseurs qui le précèdent, à
l’accepteur ou au tireur, il y a la lettre de change per
due et conséquemment la chance de payer deux fois, si
le duplicata est acquitté purement et s’implement, alors
même que celui-ci porterait la clause voulue par l’arti117. L’original ne pouvant la renfermer, on ne pourrait
en invoquer d ’autorité contre le porteur.
La conséquence à en déduire, c’est que dans ce cas,
le titre vrai, réel ne pouvant être restitué au payeur, le
payement ne pourrait être poursuivi et obtenu que dans
les formes voulues par l’article 152.
Sans doute la création du duplicata aurait une in
fluence décisive sur le payement. En effet, elle fourni
rait la preuve de la propriété du porteur et de la perte
de la première, mais la caution ne saurait être refusée,
puisque le payement ne pourrait être définitif et libéra
toire.
488. — Indépendamment des facultés consacrées
par les articles qui précèdent, le propriétaire de la lettre
perdue ou soustraite a le droit de la revendiquer entre
les mains de celui qui la détient. Ce droit peut être
exercé pendant trois ans, aux termes de l’article 2279
du Code civil, dont l’application à la matière ne saurait
être contestée.
�88
DE LA LETTRE DE CHANGE
Vainement le détenteur actuel exciperait-il de sa
bonne foi. En admettant qu’on ne pût la révoquer en
doute, ses effets n’en resteraient pas moins subordonnés
à l’obligation que contracte tout porteur de garantir
l’existence, l’individualité de son cédant et la sincérité
de ses droits. Or, cette obligation ne pouvant être rem
plie dans notre hypothèse, la revendication ne rencon
trerait aucun obstacle. Le détenteur aurait à s’imputer
d’avoir traité avec un individu sur la moralité duquel il
s’est trompé. L’unique garantie qui lui resterait serait
un recours contre celui-ci.
ARTICLE 1 5 5 .
L’engagement de la caiflion, mentionné dans les ar
ticles 151 et 152, est éteint après trois ans, si, pendant
ce temps, il n’y a eu ni demandes ni poursuites juri
diques.
SOMMAIRE
439.
440.
4 41.
442.
443.
Motifs qui avaient porlé le législateur de 1673 à réduire à
3 ans la durée de l’engagement des cautions.
Restriction consacrée par l'article 155.
Considérations invoquées contre sa disposition.
Raisons qui le firent m aintenir.
Caractère de la prescription qu’il établit.
�art.
154.
89
4S». — Avant l’ordonnance de 1673, les actions se
rattachant aux lettres de change ne se prescrivaient que
par trente ans. Cette longue durée n’était pas compatible
avec la promptitude qu’exige le règlement des affaires
commerciales. Il en était résulté qu’on souscrivait diffi
cilement des lettres de change, plus difficilement un aval
et un cautionnement, dont les conséquences venaient
porter à l’improviste la ruine et la misère dans le sein
des familles l.
Un pareil état de choses était un obstacle au déve
loppement du crédit, aux progrès du commerce. En ef
fet, telle lettre de change était refusée, qui eût été accep
tée si son payement avait été garanti par un cautionne
ment ou un aval. Il importait donc d’y remédier, et la
meilleure manière pour y parvenir parut la détermina
tion d’une durée beaucoup moins longue pour l’engage
ment de ceux qui consentiraient l’un et l’autre..
En conséquence, l’article 20, titre 5 de l’ordonnance,
déclara les cautions baillées pour l'évènement des let
tres de change, libérées de plein droit, sans qu'il soit
besoin d’autre jugement, procédure ou sommation, s'il
n'en est fait demande pendant trois ans, à compter du
jour des dernières poursuites.
440.
— La place que cet article occupe dans l’or
donnance, immédiatement après les articles 18 et 19,
traitant de la perte des lettres de change, aurait pu faire
1 Savary. liv. 3, ch. îv, p. 205. Jousse et Bornier, sur l’art, xx.
�90
DE LA LETTRE DE CHANGE,
supposer que les cautions dont il s’y agissait n’élaient
que celles qui étaient la conséquence de la perte même.
Mais çette restriction était repoussée par la doctrine.
Savary, Jousse, Bornier attestent que l’application de
cette disposition à ceux qui avaient cautionné la lettre
de change, soit en la souscrivant, soit en donnant leur
aval, ne pouvait faire et ne faisait en effet aucune dif
ficulté.
Le Code de commerce n’a pas imité son prédéces
seur. Il ne distingue plus entre les cautions ordinaires
par aval ou autrement et les principaux obligés. Leur
engagement à tous ne se prescrit que par cinq ans. Le
bénéfice de la prescription triennale, empruntée à l’or
donnance, n’est attachée qu’aux cautions données en
exécution des articles 151 et 152.
441.
— Cette détermination est même devenue l’ob
jet d’une vive discussion. Pour la faire repousser on
disait :
D’après les articles 155 et 189, l’accepteur ne sera,
par la force de la lo i, libéré de son acceptation perdue
que deux ans après que la caution, par la force de cette
même loi, aura été libérée de toute garantie à son
égard. Cependant celte caution est uniquement instituée
pour garantir à l’accepteur la restitution de la somme
qu’il paye par ordonnance du juge, dans le cas où la
lettre, revêtue de son acceptation, viendrait un jour à
êire reproduite ; dans ce cas, en effet, et aux termes de
l’article 148, l’accepteur ne pourrait se dispenser de
�ART.
155.
91
payer une seconde fois celui qui en serait porteur, d’où
il résulte que la caution instituée par les articles 151 et
152 devient illusoire ; en voici la preuve.
Le porteur d’une lettre de change revêtue de notre
acceptation nous forcera, sous prétexte de l’avoir per
due, de lui en faire le payement sur une seconde, en
obtenant l’ordonnance du juge et en donnant caution.
Il laissera expirer les trois ans qui limitent la durée de
la garantie de cette caution. Immédiatement après, il
reproduira, sous un autre ordre, la valeur revêtue de
notre acceptation, et nous serons obligés de l’acquitter
une seconde fois, soit par application de l’article 148,
soit parce que nous ne serons pas dans le cas d’invo
quer la prescription quinquennale.
Ainsi, nulle prévoyance humaine ne pourra garantir
un accepteur de l’obligation de payer deux fois le mon
tant de ses acceptations. On devrait donc, à son endroit,
ne libérer la caution que lorsqu’il acquiert lui-même
le droit de se prévaloir de la prescription.
— Celte opinion ne tient pas assez compte de
la facilité que le terme de trois ans donne pour trouver
des cautions. Sans doute ces cautions sont dans l’intérêt
de ceux qui les obtiennent. Mais elles présentent égale
ment un intérêt général, car elles ont surtout pour but
de faciliter les opérations commerciales malgré un évé
nement de nature à en arrêter le cours.
Cette facilité était une raison déterminante qu’on ne
pouvait négliger.
443.
�92
DE LA LETTRE DE CHANGE
Sans doute la fraude est possible. Elle l’est dans tou
tes les occasions. Seulement il faut en examiner les
chances dans notre matière, pour juger sainement des
craintes qu’elle devait inspirer.
Or, la fraude sera impossible toutes les fois que celui
qui a été payé par ordonnance du juge offrira une sol
vabilité certaine. La garantie dont il est tenu envers
l’accepteur pouvant et devant sortir à effet, il ne fera
pas une fraude sans utilité possible, sans autre résultat
que de lui faire toucher indirectement ce qu’il serait
obligé de rembourser directement.
Aussi, dira-t-on, la fraude prévue ne sera évidemment
tentée que dans le cas d’insolvabilité du porteur ayant
reçu payement ! Soit. Mais dans cette hypothèse même,
est-il certain que le mal soit aussi fort, aussi inévitable
qu’on le suppose ?
Mais avant de se laisser condamner, l’accepteur exi
gera de celui qui l’attaque la preuve de la légitimité de
ses droits. Cette légitimité ne saurait résulter que de la
justification péremptoire du silence gardé pendant plus
de trois ans. Comment pourrait-on raisonnablement
faire cette justification, à moins de prouver qu’on a été
empêché d’agir par force majeure ?
Conçoit-on une force majeure ayant duré sans inter
ruption pendant plus de trois ans ? On peut sans exagé
ration supposer que la preuve en serait impossible.
Alors, dans le silence obstiné que le porteur aurait gar
dé pendant un si long temps, on trouverait une pré
�somption de collusion et de fraude de nature à faire re
pousser la demande.
N’y eût-il ni collusion ni fraude, resterait une négli
gence inconcevable, une faute lourde, un fait domma
geable de nature à exiger une réparation.
L’accepteur poursuivi dirait au porteur : par votre
faute, vous avez laissé se perdre la caution qui devait
me garantir et vous m ’avez occasionné un grave préju
dice. Nierez-vous ce préjudice, prétendrez-vous que celui
que jai payé est en état de restituer ? Je vous offre le re
cours que j ’ai contre lui, et je me fais concéder acte de
la cession que je consens en votre faveur de tous les
droits que je puis avoir à son endroit.
On le voit, les moyens de déjouer la fraude ne man
queraient pas. Il n’était donc pas possible de sacrifier,
à la crainte qu’elle pouvait inspirer, l’utilité incontesta
ble de la disposition.
Ajoutons que le délai de trois ans. avait été consacré
par l’ordonnance. La pratique qui avait suivi ne justi
fiait en rien les craintes que l’on exposait. Elle qui avait
divulgué tant d’abus et suscité tant de justes réclama
tions, avait laissé ici la fraude en état de pure hypothèse.
Le Code de commerce devait d’autant plus consacrer ce
même délai. Le passé était la meilleure garantie de l’a
venir.
4 4 * . — Cette prescription de trois ans est sous l’em
pire du Code, pour ceux qui peuvent l’invoquer, ce
qu’elle était sous l’ordonnance. Ce n ’est plus une pré-
�94
DE LA LETTRE DE CHANGE.
somption de libération pouvant et devant être confirmée
sous la foi du serment. Elle est une libération entière,
complète, définitive, s’opérant de plein droit, sans som
mation ni procédure. Son point de départ se place au
jour du cautionnement, pouvant être postérieur à l’é
chéance, si aucune poursuite n ’a été exercée ; dans le
cas contraire, la prescription ne commence qu’à partir
du dernier acte de poursuite.
ARTICLE
1 56.
Les payements faits à compte sur le montant d’une
lettre de change sont à la décharge des tireurs et endos
seurs.
Le porteur est tenu de faire protester la lettre de
change pour le surplus.
ARTICLE
\ 57.
Les juges ne peuvent accorder aucun délai pour le
payement d’une lettre de change.
SOMMAIRE
444.
Effet du payement.
445.
Conséquences pour le porteur du payement partiel sous
l ’ancien droit.
4
�ART.
156, 157.
95
446.
Depuis la promulgation du Code, caractère de ce paye
ment.
447. Ses effets à l’égard de celui qui paye. Protêt pour le sur
plus.
448. Caractère de l’article 157.
449. Exceptions q u ’il comporte.
444. — Le payement de la lettre de change, fait à
l’échéance entre les mains de son légitime propriétaire,
fait disparaître immédiatement toutes les obligations
tant principales qu’accessoires. L’opération que la lettre
de change avait pour objet est accomplie ; tout est ter
miné, il n’y a plus de lettre de change.
Ce qui peut survivre, c’est l’action du tiré qui, ayant
accepté ou payé à découvert, demande au tireur de le
rembourser de ses avances. Mais cette action du m an
dataire contre le mandant ne saurait faire revivre la
lettre de change. Celle-ci ne saurait être invoquée que
comme pièce justificative de l’avance déboursée à son
occasion.
445. — Nous avons vu plus haut que l’acceptation
peut n’être donnée que pour une partie du montant de
la lettre de change. La circonstance pouvant motiver
cette restriction dans le cas d’acceptation est de nature
à se réaliser au moment du payement. Ainsi le tiré qui
n’a pas accepté, et qui au moment de l’interpellation
qui lui est faite n’est débiteur que d’une somme infé
rieure à celle portée dans la lettre de change, peut n’of
frir que jusqu’à concurrence de ce qu’il doit.
�96
DE LA LETTRE DE CHANGE
Sous l’empire de notre ancien droit, le porteur qui
voulait conserver son recours contre les endosseurs de
vait refuser cette offre. En effet, l’acceptation d’un paye
ment partiel équivalait pour les précédents porteurs à
une novation La lettre de change restait l’affaire ex
clusive du porteur actuel auquel on refusait tout recours
pour le surplus.
Cette disposition, en apparence favorable aux endos
seurs, compromettait singulièrement celui qui, appelé
à rembourser, se trouvait en présence du tireur insol
vable. En effet, le porteur ne manquait pas de refuser
l’à-compte, et lorsque l’endosseur venait le réclamer, il
avait reçu une autre disposition. Il pouvait donc per
dre le tout, tandis qu’il aurait du moins profité de l’à compte.
44:6. — Le Code n’a pas cru devoir consacrer ce
rigorisme sans utilité pour personne. Le payement par
tiel peut être aujourd’hui accepté sans crainte, il pro
fite à tous en éteignant une partie correspondante de la
dette.
M. Nouguier se demande si la disposition de l’article
\ 56 fait un devoir au porteur d’accepter le payement
partiel, et il résout négativement cette question. M. Nou
guier a raison, rien ne peut contraindre le créancier
commercial, pas plus que le créancier civil, à accepter un
payement partiel. Ce principe devient même beaucoup
plus rationnel en commerce, où le montant de la lettre de
change peut d’avance avoir reçu une affectation spéciale
�art.
156, 157.
97
Donc, légalement parlant, ]p porteur n’est pas forcé
de recevoir un payement pariiel, mais en réalité cette
acceptation sera bien souvent dans son intérêt même au
tant que dans celui des porteurs précédents, dont il gère
en quelque sorte les affaires.
En effet, si le payement partiel est refusé, ce refus
dégage le tiré de son offre, et lui rend la plénitude de
ses droits relativement à la somme dont il est débiteur.
Il peut donc ou la restituer à son créancier, ou l’appli
quer au payement d’une autre traite que celui-ci aurait
tirée sur l u i l.
Il peut donc arriver qu’après le protêt le portei.r se
trouve en présence de débiteurs aussi insolvables les uns
que les autres, et dans ce cas le refus qu’il aurait fait
de l’à-compte resterait réellement à sa charge.
Cette éventualité lui fait donc un devoir de s’en abs
tenir ; et ce devoir lui est en quelque sorte imposé par
les convenances commerciales, dans le cas où la solva
bilité des endosseurs précédents enlèverait toute idée de
danger personnel.
En effet, le porteur est en quelque sorte le gérant
d’affaires des porteurs précédents. L’esprit de confrater
nité qui doit régner entre commerçants, le simple sen
timent de l’équité doit le porter à ne pas négliger un
avantage qu’il peut leur assurer, sans qu’il puisse ja
mais en résulter rien de fâcheux pour lui.
Sans doute, un payement partiel dérangera ses prévil Cass., 6 mars <836. J . du P., 37, 4, 206.
Il — 7
�98
DE LA LETTRE DE CHANGE
sions. Mais cet effet ne résultera-t-il pas d’un défaut
absolu de payement. Obligé dans un cas comme dans
l’autre de recourir contre son cédant, il vaut encore
mieux pour lui n’en venir là qu’après avoir été payé en
partie.
44® . — L’acceptation d’un payement partiel place
celui qui paye dans l’impossibilité de requérir la restitu
tion du titre. En effet, le créancier a le droit de le con
server pour poursuivre le payement de la partie de la
dette non éteinte. Donc le débiteur devrait se contenter
de la quittance qui lui serait offerte.
Il y a même mieux, la décharge du débiteur résulte
rait suffisamment de l’acte de protêt lui-même. L’offre
de payer une partie de la dette renferme virtuellement
le refus formel de payer le surplus. Aussi l’article 156
exige-t-il que pour celui-ci il soit rédigé un protêt sans
lequel le porteur serait privé de tout recours contre les
endosseurs. Toutes les fois donc qu’une offre de cette
nature se réalisera, l’accédit de l’huissier sera indispen
sable. C’est lui qui retirera la somme offerte, et la libé
ration de celui qui la paye résùltera soit de la mention
du payement elle-même, soit du protêt réduit à l’excé
dant.
448.
— L’article 157 défend aux juges d’accorder
aucun délai pour le payement de la lettre de change.
Déjà l’article 135 a prohibé tout délai de grâce, de fa
veur ou d’habitude. Aussi, quelques tribunaux voyaient-
�art.
156, 157.
99
ils un double emploi dans la disposition de l’article 157
et en demandaient-ils la suppression.
Mais cette demande fut repoussée , le but de l’article
157 étant en réalité différent de celui que se propose
l’article 135. Ce que celui-ci prohibe, ce sont les délais
qui s’opposaient au payement en prorogeant l’échéance
de la lettre de change. En effet, dans aucun cas le pro
têt ne pouvait être requis qu’après l’expiration du délai
de grâce que l’ordonnance avait fixé à dix jours.
L’article 157, au contraire, suppose l’échéance a rri
vée le protêt réalisé, le débiteur traduit en justice et sol
licitant un délai pour le payement. C’est sur cette hypo
thèse que le législateur a voulu s’expliquer avec d’autant
plus de raison que l’article 1244 du Code civil renferme
la faculté pour les juges d’accorder un délai, ce qu’on
aurait pu vouloir faire appliquer au payement de la let
tre de change, si le contraire n ’avait pas été formelle
ment écrit dans l’article 157.
Cette prohibition d’ailleurs avait son fondement juri
dique dans l’économie de la loi commerciale. L’article
437 porte que le commerçant qui ne paye pas est en
faillite. Pouvait-on dès lors admettre que pendant un
temps quelconque le commerçant fût autorisé par la
justice à cesser ses payements ?
— Au reste, ce caractère essentiel de la dispo
sition de l’article 157 nous fait persister de plus fort
dans l’opinion que nous émettons sous l’article 135.
Toutes les fois donc que derrière la forme de la lettre de
449.
�100
DE LA LETTRE DE CHANGE
change nous trouverons un débiteur non négociant, une
opération non réellement commerciale, nous repousse
rons la prohibition de l’article 157. L’inapplicabilité de
l’article 1244 du Code civil serait un effet sans cause.
On pourra, on devra donc revenir à la faculté qu’il
concède.
§ X.
—
1 DTJ
PAYEMENT PAR INTERVENTION
ARTICLE
158 .
Une lettre de change protestée peut être payée par
tout intervenant pour le tireur ou pour l’un des endos
seurs.
L’intervention et le payement seront constatés dans
l’acte de protêt ou à la suite de l’acte.
ARTICLE
159 .
Celui qui paye une lettre de change par intervention
est subrogé aux droits du porteur, et^ tenu des mêmes
devoirs pour les formalités à remplir.
Si le payement par intervention est fait pour le
du tireur, tous les endosseurs sont libérés.
�ART.
158, 159.
101
S’il est fait pour un endosseur, les endosseurs subsé
quents sont libérés.
S’il y a concurrence pour le payement d’une lettre
de change par intervention, celui qui opère le plus de
libérations est préféré.
Si celui sur qui la lettre était originairement tirée, et
sur qui a été fait le protêt faute d’acceptation, se pré
sente pour la payer, il set a préféré à tous autres.
SOMMAIRE
450.
451.
452.
Objet de l’intervention pour payer.
N ’est recevable q u ’après protêt.
Comment elle sera constatée. Nécessité de la signature de
l ’intervenant.
453. Le porteur ne peut refuser le payement par interven
tion, alors même qu'il prétendrait que l ’intervenant
n ’a voulu que se procurer le bénéfice d ’un compte de
retour.
,
454. Qui peut payer par intervention.
455. Intérêt des intervenants à la désignation de la personne
pour qui ils interviennent. Différence avec l ’intervention
pour l’acceptation.
456. Comment se règle la préférence si plusieurs intervenants
se présentent, mais pour des signataires différents.
457. Si plusieurs s’offrent pour le même signataire
458. Effet du payement parintervention. Subrogation aux droits
du porteur. Conséquences.
459. Devoirs du subrogé.
460. Le porteur est garant de son fait personnel.
�102
461.
462.
463.
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Est-il tenu de rembourser, si celui pour compte de qui on
intervient n'est obligé que par le résultat d’un faux ?
Doctrine de M. Pardessus. Réfutation.
Autre effet du payement. Libération de certains signatai
res. Ordre dans lequel elle s ’opère.
450. — Dans les habitudes commerciales, un protêt
est, même à l’égard des endosseurs, considéré, si non
comme une tache, du moins comme un grave affront,
comme un doute jeté sur leur solvabilité. On comprend,
dès lors, de quel intérêt il est pour eux d’en empêcher
les effets matériels et moraux par l’intervention bien
veillante d’un parent, d’un ami, d’un simple correspon
dant.
Cet intérêt, ayant déjà fait admettre l’acceptation par
intervention, devait amener un résultat identique pour le
payement. Le refus de celui-ci amène les mêmes consé
quences, offre les mêmes dangers, il peut être déter
miné par les mêmes causes qui ont motivé le refus d’ac
ceptation ; il peut en outre résulter d’une insolvabilité
de l’accepteur survenue depuis l’acceptation et que la
poursuite du payement fera éclater
La même cause devait produire les mêmes effets. Le
payement pourra donc avoir lieu par intervention. À
quelle époque, par qui, en faveur de qui cette interven
tion pourra-t-elle se réaliser ? Quels en seront les effets?
C’est ce que règlent les articles 458 et 159.
451. — L’intervention n’est admise qu’après que la
�ART. 138, 139.
103
lettre de change a été protestée faute de payement. Le
but de l’intervention ne pouvait être le déplacement de
l’obligation de payer. L’intérêt, au contraire, des signa
taires, est que les choses suivent leur cours naturel, et
que le payement soit fait par le débiteur. Dans ces con
ditions, en effet, l’opération est accomplie, toute dette
disparait sans qu’aucune des parties ait à rembourser
d’un côté, à se faire indemniser de l’autre.
De plus, l’intervention a surtout pour effet et pour
cause de garantir, celui pour lequel elle se réalise, de
toutes poursuites. Or, une poursuite quelconque ne de
vient possible que du moment où le refus de payement
est non seulement accompli, mais encore légalement
constaté. L’existence du protêt est donc un préalable
indispensable. C’est ce que de tout temps la loi et la
doctrine ont consacré l.
C’est également ce qui s’induit aujourd’hui des termes
mêmes de l’article 158. Le protêt préalable à l’interven
tion est une condition si essentielle que, comme l’ensei
gne M. Pardessus, l’intervenant qui payerait avant se
rait considéré comme un simple mandataire du tiré ou
de l’accepteur, et ne serait pas subrogé aux droits du
porteur contre les endosseurs.
La loi, en effet, ne se contente pas de dire une let
tre de change protestée peut être payée par tout in
tervenant, elle ajoute : l’intervention et le payement se-
1 Ordon. de 4673, art. 3, tit. v. Heineccias, E le m . j u r i s C a m b .,
cap. 6, § 9. Pothier, C o n t. de c h a n g e , n° 444.
�104
BE LA LETTRE DE CHANGE
ront constatés dans l’acte de protêt ou à la suite de
l’acte.
453.
— Donc, dans la pensée du législateur, les
choses se passeront de la manière que voici : l’huissier
ou le notaire porteur de la lettre de change se présente
au domicile indiqué pour en requérir payement. Sur la
réponse négative qu’il reçoit, il rédige le protêt.
Mais immédiatement se présente l’intervenant, l’acte
en fait mention, ainsi que du payement ou de l’offre
qui en est faite ; que si l’intervenant ne se présente
qu’après la clôture du protêt, c’est à la suite que ces
mentions doivent être faites.
L’article 158 exige la mention du payement. Dans la
pratique, cependant, ce payement est subordonné à la
remise des pièces et notamment à celle de l’original du
protêt dûment enregistré, ce qui exige un certain temps.
C’est donc l’offre du payement plutôt que ce payement
lui-même que le protêt constatera, et il a été jugé que
cela suffisait.
. Mais, pour qu’il en soit ainsi, il faut de toute néces
sité que cette offre soit réellement l’œuvre de l’interve
nant. Sans doute, l’huissier ou le notaire seul peut la
relater dans l’acte ou à la suite, mais cette relation doit
être signée par l’intervenant. Jusqu’à l’accomplissement
de cette formalité, il n’y a qu’une offre labiale que le
porteur est libre de ne pas accepter, et l’intervenant de
ne pas réaliser 1.
1 Paris, 29 mars 1848. J. du P ., 1848, 409.
�ART.
158, 159.
105
4 5 3 . — Il se mble extraordinaire de prévoir un re
fus de payement par intervention de la part du porteur,
mais c’est là le résultat de la différence existant entre
l’intervention pour payer et celle pour accepter. Cette
dernière, n’ayant pour objet que d’ajouter une garantie
à la lettre, ne blessera jamais l’intérêt du porteur.
Il n’en est pas de même pour la première. Le refus
de payement autorisera le porteur à recourir contre son
cédant en accompagnant la traite d’un compte de re
tour. Or, le cours du change peut être tel, que l’exécu
tion de la retraite serait plus profitable que ne l’eût été
le payement. Ce profit étant perdu par le fait de l’in
tervention, le porteur pourrait être tenté de la refuser.
Cette résistance serait fondée, enseigne M. Pardessus, si
l’intervenant ne veut, par son offre, faire rien autre
chose que d’acquérir le bénéfice d’un compte de retour.
On ne voit pas pourquoi le porteur pourrait être forcé
de lui abandonner cet avantage 1.
L’opinion de M. Pardessus pourrait être accueillie, si
elle ne soulevait pas une difficulté inextricable. Com
ment, en effet, établir d’une manière satifaisante quelle
est l’intention de l’intervenant ? Comment prouver qu’il
n’a eu en vue que d’acquérir le bénéfice d’un compte
de retour ?
D’ailleurs, cette preuve acquise pourrait bien, en dé
terminant un intérêt, créer le droit pour le porteur de
refuser l’inierventipn, si d’autres intérêts ne comman1 Droit comm , n° 407.
�106
DK LA LETTRE DE CHANGE.
daient pas la solution contraire. Or, ces autres intéressés
sont les endosseurs et les cautions que l’intervention li
bérera, suivant qu’elle sera réalisée pour le compte du
tireur, ou pour celui d’un des premiers endosseurs.
Comment donc permettre au porteur de mettre obstacle
à cette libération par le refus de l’intervention ?
M. Pardessus reconnaît cette impossibilité. Aussi, ré
duit-il dans ce cas le porteur aux seuls droits que l’in
tervenant pourrait exercer lui-même. Mais cette opinion,
toute considérable qu’elle so it, pourrait faire difficulté
à son tour et susciter un litige qu’il est bon d’éviter.
En définitive, tout ce que le porteur a droit d’exiger,
c’est le payement du titre qu’il a en mains, et dont
l’échéance est arrivée. Toute personne peut lui offrir ce
payement et le réaliser sans avoir à rendre aucun comp
te des intentions dans lesquelles elle agit. Cette règle,
de fout temps admise, a dû faire interdire au porteur
le droit de demander ce compte. La doctrine des auteurs
n’a cessé d’être : que bien qu’on n’intervienne ordinai
rement au payement que lorsqu’on est avisé, ou que l’on
connaît parfaitement la signature de celui pour qui on
intervient, rien n’empêche cependant l’intervention de
se réaliser et de produire les mêmes droits, quoique ce
lui qui l’opère n'ait reçu aucun ordre et n’agisse que
pour l’honneur d’une signature qu’il ne connaît pas L
4 5 4 . — Cette doctrine, incontestable sous l’ordoni Savary, Parère 26. Paris, 12 floréal an x u i.
�ART. 158, 159.
107
nance de 1673, ne l’est pas moins sous l’empire du
Code. L’article 158 permet à tout le monde d’interve
nir. La seule hypothèse donc où l’intervention ne pour
rait sortir à effet, serait si son auteur était déjà tenu,
en une qualité quelconque, du payement de la lettre de
change. Ainsi, le tireur, l’accepteur, le donneur d’aval,
les endosseurs ne pourraient payer par intervention. Le
payement qu’ils feraient ne serait que l’acquit de leur
propre obligation. Il ne produirait donc d’autres effets
que ceux que la loi fait produire à chacune des qualités
ci-dessus.
Mais le tiré qui n’a pas accepté est en réalité étran
ger à la lettre de change. Il pourrait donc intervenir
pour le payement, comme il le peut pour l’acceptation,
et pour tout autre signataire que le tireur.
Nous disons pour tout autre signataire indistincte
ment, malgré que l’article 158 ne permette d’intervenir
que pour le tireur ou l’un des endosseurs nommément.
Mais ces termes sont purement démonstralifs, et non
limitatifs. Quel que soit le débiteur chargé de payer la
lettre, soit directement, soit par suite d'un recours de la
part des autres signataires, il peut être régulièrement
suppléé dans l’accomplissement de cette obligation. On
peut donc intervenir non-seulement pour le tireur ou
l’un des endosseurs, mt is encore pour l’accepteur, le
donneur d’aval, ou toute autre caution.
455.
— Nous disions tout à l’heure que celui qui
accepte p ar intervention a un grand intérêt à indiquer
�108
DE LA LETTRE DE CHANGE.
la personne pour laquelle il agit. En effet, il ne sera te
nu que comme cette personne l’est elle-même ; les dé
chéances que celle-ci pourrait invoquer lui profiteront.
Dans l’intervention pour le payement, l’intérêt est
complètement déplacé. Si l’intervenant ne désigne per
sonne, il est purement et simplement subrogé aux droits
du porteur, il peut, dès-lors, recourir contre tous les en
dosseurs, contre le tireur, l’accepteur ; en un mot,
contre tous les signataires de la lettre de change sans
exception.
Si le payement est fait pour le compte du tireur ou
de l’accepteur, les donneurs d’aval et les endosseurs sont
définitivement libérés. Il en serait de même pour ces
derniers, si le payement était fait au nom d’un donneur
d’aval.
Enfin, si l’intervenant paye pour un des endosseurs,
tous ceux qui le précédent restent soumis à un recours,
mais ceux qui le suivent sont libérés de toute action de
la part de l’intervenant.
Nous avons donc raison de le dire, dans notre ma
tière, la désignation de celui pour qui on intervient est
dans l’intérêt des divers signataires et nullement dans
l’intérêt de l’intervenant, contre lequel elle peut créer
de nombreuses fins de non-recevoir.
— Le législateur a dû se préoccuper'd’une
hypothèse qui est loin d’être sans exemple dans la pra
tique, celle dans laquelle plusieurs interviennent pour
le payement d’une lettre de change. La multiplicité des
456.
�art.
158, 159.
109
prétendants se réfère, suivant le cas, à un seul ou à
plusieurs des signataires de la lettre.
Si les concurrents interviennent chacun pour un si
gnataire différent, le choix ne pouvait être douteux. Il
ne peut jamais y avoir qu’un seul payement, et la loi a
déterminé d’une manière précise quel est le débiteur
principal auquel vient aboutir le recours que chaque si
gnataire peut être dans le cas d’exercer.
A celui-là donc la charge du payement. On évitait
par la cette cascade de recours n’ayant d’autre résultat
possible que de prolonger l’opération et de multiplier les
frais. En conséquence, si plusieurs interviennent, on
préférera l’offre de celui qui libérera un plus grand
nombre de signataires, c’est-à-dire qu’on admettra les
intervenants dans l’ordre suivant :
D’abord celle faite au nom du tireur ou de l’accepteur,
ensuite celle pour compte du donneur d’aval ou d’une
caution quelconque, enfin, et pour ce qui concerne les
endosseurs, celle qui aurait pour objet le premier endos
seur, le second et ainsi de suite jusqu’au dernier.
La loi, appliquant elle-même sa disposition, a de
plus fort consacré cet ordre, en ordonnant d’admettre
de préférence celui sur qui la lettre de change était ori
ginairement tirée et sur qui a été fait le protêt faute d’ac
ceptation, mais cette prescription suppose que le tiré
s’étant entendu avec le tireur, ou ayant reçu provision
depuis son refus d’accepter, vient payer pour compte
du tireur lui-même. En effet, s’il se présentait pour
�HO
DE LA LETTRE DE CHANGE.
tout autre signataire, son offre ne devrait être acceptée
que si elle opérait un plus grand nombre de libérations.
415S. —■ Si plusieurs interviennent pour le même
signataire, il n’y a plus d’autres motifs de préférence
que ceux qu’on puiserait dans les circonstances, dans la
nature des relations entre l’intervenant et celui pour
qui il intervient, dans le fait de celui-ci. Ainsi chaque
endosseur, nous l’avons déjà dit, donne en réalité un
ordre au tiré principal. Il s’approprie dès-lors la dési
gnation qui en a été faite, il lui confère le mandat de
payer.
Mais il peut se faire que, n’ayant pas une confiance
absolue dans ce tiré qu’il peut ne pas connaître, l’endos
seur ait choisi un de ses correspondants dans le lieu du
payement et l’ait indiqué pour payer en cas de besoin.
Ces indications déterminent l’ordre à suivre dans le
payement par intervention. D’abord, le tiré principal.
Si, refusant de payer pour le tireur, il intervient pour
un des endosseurs, il doit avoir la prétérence sur la
personne indiquée au besoin, qui déclare vouloir payer
pour le compte de ce même endosseur h
A défaut d’intervention du tiré, la préférence est due
à celui qui a été indiqué au besoin. Le mandat, résul
tant de cette indication, est exclusif de toute gestion d’af
faire, c’est celle-ci qu’exécutent ceux qui interviennent
i Paris, 13 mars 1831
�?
spontanément, ils doivent en conséquence céder le pas
au mandataire.
A défaut d’indication au besoin, la préférence entre
les divers intervenants se réglerait par l’ordre dans le
quel ils se seraient présentés. Le premier excluerait les
autres, à moins qu’un de ceux-ci n’exhibât une lettre ou
tout autre ordre qu’il aurait reçu de la part du signa
taire qu’il s’agit de suppléer.
4 5 8 . — Le payement par intervention a un dou
ble effet : 1° la subrogation de celui qui paye aux droits
du porteur ; 2° la libération des signataires, suivant la
personne pour laquelle on a payé.
La subrogation n’est pas seulement conventionnelle,
elle se réalise de plein droit et par la seule force de la
loi. Celui qui a payé a donc toutes les prérogatives que
le porteur pouvait revendiquer, alors même qu’aucune
stipulation ne serait intervenue à cet effet.
Quel que soit donc celui pour compte de qui il a
payé, l’intervenant a le droit de lui demander le rem
boursement de ce qu’il a avancé. Remboursement qui
lui est dû par tous ceux auxquels ce dernier pourrait
Jui-même le demander.
En conséquence, si le payement a été fait pour le
dernier endosseur , l’intervenant peut actionner tous les
autres signataires comme cet endosseur lui-même. La
subrogation aux droits du porteur confère le bénéfice de
la solidarité existant entre les divers signataires.
�H2
DE LA LETTRE DE CHANGE
450. — Mais, en héritant des droits du porteur,
l’intervenant hérite également de ses obligations. Il est
donc soumis pour son recours aux mêmes formalités et
exposé à toutes les déchéances que celui-ci pourrait en
courir. Il peut agir ou personnellement contre celui
pour qui il a payé, ou collectivement contre tous ceux
qui demeureront obligés. Dans ce dernier cas, et pour
ce qui concerna ceux-ci, il doit agir dans les délais tra
cés au porteur par les articles suivants.
On doit même ne pas perdre de vue que si l’interve
nant n’actionne que celui pour le compte duquel il a
payé, il doit réaliser son action de manière à ce que
celui-ci puisse utilement recourir contre ses garants
personnels. La négligence qu’il aurait mise à se pour
voir pourrait laisser à sa charge personnelle les effets de
la déchéance qu’elle aurait déterminée.
Celui qui veut gérer les affaires d’autrui doit, comme
le mandataire lui-même, faire tout ce que l’intérêt de
celui dont il se déclare le gesteur exige. Il répondrait
donc de sa faute et surtout de sa faute lourde. Or, pour
rait-il en commettre une pire que celle de laisser périr
en ses mains l’action devant amener la restitution inté
grale de celui dont il a géré l’affaire ? Celui-ci pourrait
donc, dans ces circonstances et à titre de dommages-in
térêts, faire débouter l’intervenant de sa demande en
remboursement.
460. — En principe, la subrogation aux droits du
porteur s’opère sans garantie aucune de la part de celui-
�art.
188, 159.
113
ci, à moins que le contraire n’ait été formellement con
venu.
Mais la règle de non garantie n’a pas ici de propor
tions plus étendues que dans le droit civil. C’est là la
conséquence du caractère du payement par intervention.
Ce payement n’éteint pas la dette, il ne constitue qu’un
mode particulier de transporter les droits du porteur à
celui qui l’a réalisé. Dès lors, le porteur doit garantie
de son fait personnel, et il serait obligé de rembourser
ce qu’il a reçu dans le cas, par exemple, où le débiteur
de la lettre de change aurait contre lui une exception
éteignant la dette K
4L61. — À cette exception à la règle de non garan
tie du porteur s’en joint une autre, à savoir : la fausseté
de l’engagement de celui pour compte de qui l’interven
tion a lieu. Celle-ci a pour fondement l’obligation du
porteur de remettre à celui qui est subrogé à ses droits
un titre valable contre celui pour lequel il est intervenu.
Celle remise est présumée une des conditions essentiel
les de l’intervention, d’où l’on a conclu que le négociant
indiqué au besoin pour effectuer le payement d’une let
tre de change fausse et qui y a fait honneur en la
croyant vraie , est fondé à s’en faire restituer le mon
tant par celui à qui il l’a payée, lorsque la fausseté est
reconnue, sauf le recours de celui-ci contre son endos
seur et successivement des autres endosseurs les uns
1 Pardessus. Droit comm., n° 407.
il — 8
�H 4
DE LA LETTRE DE CHANGE
contre les autres, en remontant jusqu’à celui qui a reçu
la lettre de change fausseL
46® . — Cette doctrine n’est pas celle de M. Par
dessus. Assimilant le payeur par intervention au tiré
qui a soldé la lettre de change, cet honorable juriscon
sulte lui refuse le droit de revenir contre son accepta
tion ou de répéter la somme qu’il aurait payée2.
Mais cette assimilation n’est pas admissible. Le tiré
paye sa propre dette, laquelle se trouve dès lors éteinte
en faveur de tous les signataires de la lettre. Le porteur
n ’a d’autre obligation que de lui remettre le titre dont
il est porteur, tel que lui-même le possède, tel qu’il l’a
acquis de bonne foi.
Le payement par intervention n’a pas éteint la dette.
Celui qui le réalise a incontestablement le droit de se
faire rembourser tant par celui pour qui il intervient
que par les endosseurs précédents , que par le tireur et
A ccepteur. Il est quant à ce subrogé aux droits du por
teu r. Donc, celui-ci, en acceptant le payement, consent
iune véritable cession transport, et il doit au moins
garantir la sincérité et la réalité de la créance.
D’ailleurs, le tiré qui paye empêche le protêt, et par
conséquent enlève au porteur tout recours contre les en
dosseurs. Or, il ne serait pas juste de faire supporter à
1 Paris, B février 1824.
s Droit comm., n° 4B1.
�art.
158, 159.
115
celui-ci les conséquences de l’erreur qui n’est pas son
fait.
L’intervention, au contraire, ne se réalise qu’après le
protêt. Elle ne peut donc empirer sous ce rapport la
position du porteur, il a son recours contre les endos
seurs, à moins que l’intervenant ne réclame qu’après
l’expiration de la quinzaine de la notification. Dans ce
cas, il serait tenu de la négligence qu’il aurait mise à se
pourvoir, et sa demande en remboursement devrait être
repoussée. C’est ce que l’arrêt de Paris, du 5 février
1824, reconnaît lui-même.
Nouveau et puissant motif pour l’intervenant de réa
liser immédiatement le recours contre les endosseurs
précédents. Par là, il se mettra à couvert de tous re
proches, non seulement de la part de celui pour qui il
est intervenu, mais encore de la part du porteur dans le
cas que nous examinons. Profitant de ses diligences et
ayant conservé son recours contre les endosseurs, celuici ne pourrait se soustraire à la nécessité de le rem
bourser, si l’engagement qu’il a voulu éteindre se trouve
n ’avoir rien de sérieux.
-\
•*
x
. . .
-
463. — Le second effet du payement par interven
tion est de libérer tous les endosseurs postérieurs à ce
lui pour lequel ce payement a été effectué. C’est là une
exception à la subrogation dont nous parlions comme
premier effet du payement. Cette exception obéit à cette
considération rationnelle et juste. L’intervention, décla
�rée au nom d’un endosseur, est en quelque sorte le
payement que celui-ci ferait lui-même, payement que
les endosseurs qui le suivent pourraient contraindre.
Comment donc le garant, ou celui qui le représente,
pourrait-il être admis à rechercher les garantis.
Ainsi, la subrogation aux droits du porteur n’est en
tière que lorsque le payement est fait sans indication
d’un signataire quelconque. Dans ce cas, celui qui paye
a toutes les actions du porteur.
Si l’intervenant déclare agir pour le tireur, l’accep
teur ou le donneur d’aval, il n’a à recourir que contre
l’un ou l’autre. Mais tous les endosseurs se trouvent par
cela même libérés.
Si le payement est fait pour le premier preneur, il
n’y a de recours que contre lui, le tireur, l’accepteur,
les cautions. La dette est éteinte pour tous les endos
seurs.
Enfin, si le payement se réalise pour le compte d’un
endosseur intermédiaire, il n’y a que les endosseurs sub
séquents qui soient libérés. Les endosseurs précédents
continuent à être tenus de la garantie qu’ils devaient à
celui dont l’intervenant a pris la place.
�§ XI.
—
DES DROITS ET DEVOIRS DU PORTEUR
ARTICLE
160.
Le porteur d’une lettre de change tirée du continent
et des îles de l’Europe, et payable dans les possessions
européennes de la France, soit à vue, soit à un ou
plusieurs jours, mois ou usances de vue, doit en exi
ger le payement ou l’acceptation dans les six mois de
sa date, sous peine de perdre son recours sur les en
dosseurs, et même sur le tireur, si celui-ci a fait pro
vision.
Le délai est de huit mois pour les lettres de change
tirées des Echelles du Levant et des côtes septentrio
nales de l’Afrique sur les possessions européennes de
la France; et réciproquement, du continent et des
îles de l’Europe sur les établissemenfs français aux
Echelles du Levant et aux côtes septentrionales de
*
l’Afrique.
Le délai est d’un an pour les lettres de change tirées
des côtes occidentales de l’Afrique, jusques et compris le
cap de Bonne Espérance.
�118
DE LA LETTRE DE CHANGE
Il est aussi d’un an pour les lettres de change tirées
continent et des îles des Indes occidentales sur les
possessions européennes de la France ; et réciproque
ment, du continent et des îles de l’Europe sur les pos
sessions françaises
ou établissements français
aux côtes
•
•
occidentales de l’Afrique, au continent et aux îles des
Indes occidentales.
Le délai est de deux ans pour les lettres de change
tirées du continent et des îles des Indes orientales sur
les possessions européennes de la France ; et récipro
quement, du continent et des îles de l’Europe sur les
possessions françaises ou établissements français au
continent et aux îles des Indes orientales.
La même déchéance aura lieu contre le porteur d’une
lettre de change à vue, à un ou plusieurs jours, mois
ou usances de vue, tirée de la France, des possessions
ou établissements français, et payable dans les pays
étrangers, qui n’en exigera pas le payement ou l’accep
tation dans les délais ci-dessus prescrits pour chacune
des distances respectives.
Les délais ci-dessus, de huit mois, d’un an ou de
deux ans, sont doubles en cas de guerre maritime.
Les dispositions ci-dessus ne préjudicieront néan
moins pas aux stipulations contraires qui pourraient
�intervenir entre le preneur, le tireur et même les en
dosseurs.
SOMMAIRE
464.
465.
466.
467.
468.
469.
470.
471.
472.
473.
Nécessité de régler les devoirs du porteur de la lettre de
change.
Base sur laquelle la loi a fondé ses dispositions quant
à ce.
Différence, suivant q u ’il s’agit d ’une lettre de change à
échéance déterminée, ou à vue, ou à un certain délai de
vue.
Dispositions de l'article 460 pour ces deux dernières.
Même pour la dernière. C’est la présentation de la lettre
que la loi exige, plutôt que son acceptation.
Durée des délais pour cette présentation.
Réclamations sur le silence gardé sur les lettres tirées de
France sur les pays étrangers. Rejet par le conseil
d ’Etat, en 1814.
Consécration q u ’en a faite la loi du 19 mars 4817. Motifs.
Consécration du droit, pour les parties, de déroger à l’ar
ticle 160.
Effet de l ’inaccomplissement des prescriptions de l ’arti
cle 460.
464t. — La lettre de change ne consiste pas seule
ment dans l’engagement que le tireur contracte envers
le preneur. Ce qui la constitue, c’est, au même titre,
cette foule d’obligations auxquelles elle peut donner
naissance, qui viennent se réunir accessoirement au
contrat primitif, et augmenter si considérablement le
nombre des intéressés.
�120
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Il fallait donc, dans la détermination des consé
quences de la lettre de change, tenir compte de ces di
verses obligations et en régler les effets d’après leur na
ture spéciale et la différence de leur cause. De là la
pensée de consacrer dans un paragraphe particulier les
droits et les devoirs du porteur contre le tireur, l’accep
teur, les endosseurs et autres cautions.
465. — En ce qui concerne plus particulièrement
les devoirs du porteur, la loi se livre à une pensée fort
juste, arriver le plus promptement à une solution défi
nitive. La rapidité nécessaire des transactions commer
ciales crée le besoin d’un prompt règlement pour les
opérations consommées. Leur liquidation immédiate
permet d’en entreprendre des nouvelles auxquelles on
pourra consacrer sans crainte ses soins et ses capitaux.
En conséquence, suspendre trop longtemps cette liqui
dation, c’était condamner le commerçant à vivre dans
une incertitude, dans une anxiété pénible, c’était alté
rer son crédit et compromettre sa position.
Le législateur n’a donc entendu autoriser que les re
tards indispensables à la réalisation des formalités que
peuvent nécessiter les développements naturels d’une
lettre de change. Cette intention a présidé aux disposi
tions diverses que nous avons à parcourir.
466. — La lettre de change sera à une échéance
fixe, certaine ou déterminée. Elle peut également être
�ART.
160.
121
payable à vue, à un ou plusieurs jours, mois on usan
ces de vue.
Dans le premier cas, la loi n’avait à régler qu’une
seule chose, à savoir : ce que le porteur devait faire,
cette échéance se réalisant ; dans quel délai il devait
procéder. Aucun fait préalable ne devait la préoccuper,
pas même l’acceptation. Celle-ci, en effet, n’était qu’une
pure faculté que le porteur pouvait répudier à son choix.
Aussi la loi ne s’en est-elie occupée que pour régler les
effets qu’entraîne le refus de la demande qui en est
faite.
Mais il en était autrement pour la lettre de change
payable à vue, ou à un certains temps de vue. Alors
l’échéance ne se réalise pour la première, et pour la se
conde le délai de cette échéance 'ne court que du mo meut de la présentation de la lettre, ce qui fait que
l’époque de l’exigibilité est exclusivement subordonnée
à un fait que seul le porteur peut accomplir.
Ce qui pouvait résulter de cet état des choses, c’est que
le porteur, ne consultant que ses intérêts, pouvait avan
cer ou retarder à son gré l’échéance, prolonger, éterni
ser même l’obligation des divers signataires, car la pres
cription quinquennale ne courant que du jour de l’éché
ance ne saurait s’accomplir tant que la lettre de change
n’en a aucune.
46® . — L’article 160 prohibe ce résultat. Le paye
ment de la lettre de change à vue doit être demandé
dans les délais divers qui y sont réglés, suivant qu’elle
�122
DE LA LETTRE DE CHANGE
est tirée et payable des divers pays et sur les localités
différentes y mentionnés. A défaut de protêt dans ces dé
lais, le porteur a perdu tout recours contre les endos
seurs et même contre le tireur, si celui-ci prouve qu’il
y avait provision.
La lettre de change payable à vue n'est pas suscepti
ble d’acceptation, sa présentation au tiré la rend exigi
ble immédiatement. La résistance de celui-ci constitue
rait donc le défaut du payement, et non le défaut d’ac
ceptation.
Il n’en est pas de même de celle qui est tirée à un
ou plusieurs jours, mois ou usances de vue. Ici le por
teur a un devoir à remplir avant celui que lui imposera
plus tard l’échéance. C’est ce devoir que l’article 160
fait consister dans l’exigence de l’acceptation.
4G8. — Mais ce terme est impropre et rend mal
l’intention du législateur. L’acceptation est dans notre
hypothèse ce qu’elle est dans toutes les autres, à savoir :
une garantie de plus pour le payement, et dès-lors un
avantage pour le porteur. Comprendrait-on que la loi
lui eût fait un devoir de l’acquérir lorsqu’il ne le croit ni
utile ni nécessaire.
Ce qui est utile, indispensable même, c’est de faire
courir les délais de l’échéance. Ce but est atteint par
un autre acte que l’acceptation, à savoir : par la présen
tation de la lettre de change et la réquisition du visa de
la part du tiré. Evidemment ce ne peut être que cette
présentation et ce visa que la loi a entendu exiger.
�ART.
160.
123
Nous devions d’autant plus signaler l’impropriété des
expressions de l’article 4 60, que dans certains cas son
exécution arriverait à un singulier résultat. Nous avons
déjà dit que les parties peuvent convenir que l’accepta
tion ne sera pas poursuivie, et dans cet objet la lettre
est déclarée non-acceptable. Le paragraphe final de
l’article 460 corrobore cette faculté et l’admet formelle
ment.
Supposez donc que les parties en aient usé, le por
teur sera dispensé de requérir l’acceptation, et si l’article
160 n’a que celle-ci en vue, aucune autre formalité ne
devra être remplie. Mais alors à quelle époque arrivera
l’échéance ?
Nous avons donc raison de le dire, ce que la loi veut,
c’est moins l’acceptation que la présentation de la let
tre. Cette présentation, ayant pour effet le visa du tiré,
ouvre un point de départ à l’échéance et satisfait au but
que l’article 460 a voulu atteindre. Que si le tiré refuse
d’écrire et de dater son visa, la présentation est réalisée
par la voie extrajudiciaire. La date de l’exploit consta
tant la présentation et le refus ouvre et fait courir le
délai de l’échéance. La déclaration que la lettre n’est pas
acceptable ne dispenserait pas le porteur de la présenta
tion de la lettre et de la constatation du refus que le tiré
ferait de la viser.
46». — Ainsi, l’article 460 veut que si la lettre
est payable à vue, le payement en soit demandé, et que
si elle est à un certain temps de vue, la présentation en
�124
DE LA LETTRE DE CHANGE.
soit faite dans les délais qu’il indique, et qui ont été
calculés sur la distance et sur la facilité des communi
cations entre les lieux d’où elle est tirée et celui dans
lequel elle est payable.
Ainsi le délai est :
De six mois pour la lettre de change tirée du conti
nent et des îles de l’Europe, et payable dans les pos
sessions européennes de la France ;
De huit mois pour celles tirées des Echelles du Le
vant et des côtes septentrionales de l’Afrique sur les
possessions européennes de la France, et réciproque
ment ;
D’un an pour les lettres tirées des côtes occidentales
de l’Afrique jusques et compris le cap de Bonne-Espé
rance, pour celles tirées du continent et des îles des Indes
occidentales sur les possessions européennes de la Fran
ce, et réciproquement ;
Enfin, de deux ans pour les lettres de change tirées
du continent et des îles des Indes occidentales sur les
possessions européennes de la France, et réciproque
ment.
Les délais de huit mois, d’un an, de deux ans sont
doublés en cas de guerre maritime.
4¥© . — Telles étaient les dispositions du Code de
1807 au moment de sa promulgation. Peut-être que si
la navigation eût été à cette époque ce que l’ont faite
depuis les progrès de la vapeur, les délais eussent été
�ART.
160.
125
plus ou moins réduits. Quoi qu’il en soit et par rapport
à eux, il ne s’éleva aucune réclamation.
Mais ce qui en détermina de vives, de nombreuses,
ce fut le silence gardé par la loi sur le sort du tireur
français qui avait fait une lettre de change sur un pays
étranger. Le porteur français, disait-on, est bien tenu
d’agir dans un délai, mais on n’en détermine aucun
pour le porteur étranger. Celui-ci ne sera donc jamais
déchu, et par voie de conséquence le tireur français de
meurera éternellement obligé. C’est là une anomalie
étrange qu’il importe de faire disparaître, en établissant
une entière réciprocité.
Ces plaintes, transmises au ministre de l’intérieur,
furent communiquées au conseil d’Etat qui en confia
l’examen aux sections de l’intérieur et de législation
réunies. Ces sections ne crurent pas devoir accueillir les
réclamations, elles en prononçaient en conséquence le
rejet dans le projet d’avis qu’elles rédigeaient le 22 no
vembre 1811.
Elles reconnaissaient néanmoins que le vœu de réci
procité était justifié par de puissants motifs. Mais, di
saient-elles, quatre considérations ont fait penser que ce
vœu ne pouvait être accueilli :
1° Le silence absolu du Code à cet égard ;
2e L’inconvénient qu’il y aurait à introduire des me
sures qui pourraient se trouver en opposition avec les
lois du pays où la lettre doit être acquittée ;
3° La maxime générale qui veut que tout ce qui
�126
DE LA LETTRE DE CHANGE
concerne le payement de la lettre de change soit réglé
par la législation du pays où elle doit être payée ;
4° Enfin, cette considération que le tireur et le prê
teur peuvent connaître et fixer un terme précis par une
convention expresse, stipulée dans leurs intérêts récipro
ques et d’après les circonstances des lieux et des temps.
4L71. — En 1816, les plaintes et les réclamations
ayant de nouveau surgi, le législateur crut devoir les
accueillir. Le principe de réciprocité fut inscrit dans
le projet de loi qui fut depuis adopté et promulgué le
19 mars 1817.
Dans son rapport à la Chambre des Pairs, M. de Sèze
justifiait ainsi la légalité de ce principe :
« On a été aidé dans cette détermination par le prin
cipe dont on ne s’était pas jusque-là assez occupé, qu’en
matière de recours, c’est toujours la législation du pays
dans lequel il s’exerce dont on doit appliquer les dispo
sitions.
» Dans la lettre tirée de France sur l’étranger et pa
yable à l’étranger, le tireur est en France, et les endos
seurs aussi peuvent y être.
» Si la lettre n’est pas payée dans l’étranger, c’est
donc en France qu’on revient pour en chercher les dé
biteurs.
» C’est en France qu’on exerce contre les tireur et
endosseurs le recours que donnent, en ce cas là, contre
eux, les principes.
» C’est en France qu’on les poursuit.
�ART.
160.
127
» La législation française a donc le droit, à cette
époque du retour de la lettre en France, d’en régler l’ac
tion et le mouvement.
» Elle peut prescrire la forme dans laquelle s’exer
cera le recours auquel le tireur et les endosseurs seront
soumis.
» Elle peut fixer les conditions qui seront imposées
au porteur de la lettre.
» En un mot, elle peut user à cet égard de tous les
droits qui appartiennent à la législation de tous les
pays sur tous les objets que la nature même des choses
met dans son domaine l. »
Ces considérations, dont le conseil d’Etat ne s’était
pas préoccupé en 1811, l’emportèrent et introduisirent
dans l’article 160 la disposition qui en forme aujour
d’hui le paragraphe 6.
472. — La disposition finale de l’article a été éga
lement ajoutée par la loi du 19 mars 1817. On n’a pas
voulu laisser planer un doute sur la faculté que la loi
donne de déroger à l’article 140.
Le projet de loi pouvait amener une difficulté diffé
rente. La réserve des stipulations contraires avait été
inscrite à la fin du paragraphe 6, en ces termes : Sauf
toutefois le cas de stipulation contraire entre le tireur et
le preneur. Cette rédaction, disait le rapporteur de la
Chambre des Députés, paraissait restreindre cette faculté
�128
DE LA LETTRE DE CHANGE
de stipuler des conventions particulières, aux lettres de
change tirées de la France ou de ses colonies sur l’étran
ger, tandis que bien certainement il est dans l’esprit de
la loi de l’appliquer tant à ces dernières qu’à celles men
tionnées aux cinq paragraphes précédents. C’est pour
mettre le texte en rapport avec cet esprit, qu’on a fait
de la réserve une disposition spéciale s’appliquant à tou
tes les hypothèses précédentes.
4 9 3 . — Ce n’était pas tout que d’exiger une for
malité, il fallait en assurer l’exécution en plaçant son
accomplissement sous la garantie d’une clause pénale
énergique. Celle consacrée par l’article 160 contre le
porteur négligent est la perte de son recours contre les
endosseurs, et même contre le tireur lui-même, si celuici prouve qu’il y avait provision.
Donc l’expiration des divers délais sans protêt faute
de payement pour la lettre à vue, sans protêt faute d’ac
ceptation si celle-ci est réclamée, ou sans constatation
légale de la présentation de la lettre de change, fait au
porteur une position identique à celle que lui créerait
l ’absence d’un protêt faute de payement à l’échéance.
Que si au contraire la lettre a été présentée dans les
délais, l’échéance commence à courir du jour de la
constatation et du visa. La position du porteur devient
celle de tout porteur ordinaire, et il n’a plus d’autre dé
chéance à craindre que celle qui résulterait de l’inexé
cution des obligations imposées par les articles suivants.
�art .
161,
162, 163.
129
ARTICLE 1 6 1 .
Le porteur d’une lettre de change doit en exiger le
payement le jour de son échéance.
ARTICLE 16 2 .
Le refus de payement doit être constaté, le lendemain
du jour de l’échéance, par un acte que l’on nomme
protêt faute de payement.
Si ce jour est un jour férié légal, le protêt est fait le
jour suivant.
ARTICLE 16 3 .
Le porteur n’est dispensé du protêt faute de paye
ment, ni par le protêt faute d’acceptation, ni par la
mort ou faillite de celui sur qui la lettre de change est
tirée.
Dans le cas de faillite de l’accepteur avant l’échéan
ce, le porteur peut faire protester, et exercer son re
cours.
SOMMAIRE
474.
Caractère de la disposition de l’article 161. Effets de sa
violation.
h
9
�*
130
475.
476.
477.
478.
479.
480.
481.
482.
488.
484.
485.
486.
487.
488.
489.
490.
491.
492.
493.
494.
495.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Attaques que le projet de l’article 162 souleva.
Réponse de M. Bégouen.
Le protêt faute de payement d’une lettre à vue peut-il
n ’être rédigé que le lendemain de l’expiration des dé
lais de l'article 160 ?
Si cette lettre est présentée avant l’expiration de ces mê
mes délais, doit-elle être protestée dans les vingt-qua
tre heures ?
Le débiteur a le jo u r entier de l’échéance pour opérer le
payement. Conséquences.
Renvoi à un autre jour, si le lendemain de l’échéance est
un jour férié. Dérogation à l ’ordonnance.
Caractère de l ’obligation de faire constater le refus de
payement. Conséquences pour le cas d’un protêt faute
d’acceptation.
Exception si ce protêt a été suivi d’une condamnation.
, Quid, dans le cas de m ort ou de faillite du tiré.
Nature, étendue et effets de la faculté concédée en cas de
faillite de l’accepteur.
Peul être exercée avant le jugement déclaratif.
Exceptions que comporte l’article 162. Force majeure. An
cienne législation.
Discussion au conseil d’E tat. Solution.
Mission conférée aux tribunaux, quant au fait de force m a
jeure et à ses conséquences.
Comment ils doivent la remplir.
Exemples divers.
Quid, du retard du courrier?
Seconde exception, convention des parties. Ses caractères,
ses effets.
Peut être prouvée par témoins.
Effet de la clause retour sans frais, lorsqu’elle émane du
tireur et q u ’elle fait partie de la lettre de change.
Quid, en cas de dénégation de son existence par un en
dosseur ? Faculté qu’ils ont d ’y déroger.
�art. 1 6 1 ,
496.
497.
162, 163.
131
Droit de chaque endosseur d ’exiger le retour sans frais.
Conséquence de son exercice.
Le porteur dispensé par la clause de retour sans frais
du protêt et de la notification, est-il tenu, en cas de
refus de payement, sous peine de déchéance, d ’aver
tir dans les délais légaux soit le tireur, soit les endos
seurs ?
•.....,
•
-x •
-
. '■
4 5 4 . — Le devoir que l’article 461 impose au por
teur, au moment où l’opération arrive à son terme, est
une conséquence de l’idée que la loi s’est faite de la
nature desengagements commerciaux, et de la ponctua
lité qu’ils exigent dans leur exécution. Convaincue qu’en
commerce un retard de vingt-quatre heures peut être
une question de vie ou de mort, nous l’avons vue jus
qu’ici baser ses prescriptions sur cette conviction. De
vait-elle, pouvait-elle raisonnablement s’en départir au
moment le plus critique, lorsque la nécessité du paye
ment va résoudre le contrat et mettre en mouvement les
droits divers et nombreux que la lettre de change in
téresse ?
Le législateur n’a pas cru à une pareille possibilité.
Dès-lors, les devoirs qu’il impose au porteur, au mo
ment de l’échéance, continuent d ’obéir aux idées qui
n ’ont cesser de le dominer.
Ainsi, le payement doit être exigé le jour même de
l’échéance. Telle est la règle absolue que pose l’arti
cle 161.
Cependant, et relativement à ce premier devoir, îl
faut remarquer que la loi n ’attache aucune peine à sa
�132
DE LA LETTRE DE CHANGE
violation. Ainsi, le porteur qui ne s’est pas présenté la
veille peut se présenter le lendemain. Il est évident que
le débiteur ne saurait se plaindre d’un fait qui ne sau
rait jamais avoir pour lui aucune conséquence fâcheuse.
En effet, alors même que le porteur ne se présenterait
pas même le lendemain, l’huissier ne manquerait pas
de le faire, et le débiteur, en payant entre ses mains,
éviterait tous frais.
4 Ï 5 . — Le refus de payement ouvre la série des
recours que la lettre de change comporte. Or, ce re
cours doit être exercé dans le plus court délai, nonseulement dans l’intérêt du porteur, mais encore dans
celui des endosseurs, dans celui du tireur lui-même.
Celui-ci, en effet, peut avoir fait provision entre les
mains du tiré, avoir, par conséquent, contre lui une
action dont le succès peut dépendre de sa prompte réa
lisation.
Il était donc urgent de rendre la constatation de ce
refus obligatoire dans le plus bref délai. De là le projet
de l’exiger pour le lendemain de l’échéance.
Cette exigence fut attaquée par plusieurs Cours et tri
bunaux, par divers orateurs du conseil d’Etat, par le
Tribunat lui-même. Non pas qu’on prétendit revenir
contre la disposition de l’article 135, et renouveler ces
délais de grâce dont on avait tant abusé, mais on vou
lait prolonger le délai de la constatation du refus de
payement dans l’intérêt même du porteur. Il est certai
nement très-différent, disait M. Bérenger, de donner
�ART.
161, 162, 163.
1S3
7
trois jours au porteur ou dix jours au débiteur. Si des
accidents, ajoutait M. Berlier, une maladie, par exem
ple, ont empêché le porteur de présenter la lettre au
protêt le lendemain de l’échéance, est-il juste qu’il per
de un recours qu’il n’a pas tenu à lui de conserver ?
4 S 6 . — M. Bégouen fit repousser ces considéra
tions par les observations suivantes :
1° Il importe, pour assurer l’exactitude des paye
ments, de fixer invariablement le jour du protêt. Il ne
doit pas être au pouvoir du porteur d’accorder des dé
lais, ni de laisser dans l’incertitude ceux contre lesquels
le recours lui est ouvert en c§s de non payement. On
ne peut pas lui permettre de compromettre ainsi l’inté
rêt des tiers ;
2° Dans l’état actuel des choses, les jours de grâce
faisant rigoureusement partie du terme, puisque le por
teur ne peut faire protester que le dernier de ces jours,
il n’a que ce seul jour, celui de l’échéance, pour faire
faire le protêt à défaut du payement. Le projet qui ne
comprend pas le jour de l’échéance dans le délai ac
cordé pour faire faire le protêt, donne donc plus de fa
cilités au porteur qu’il n ’en a actuellementL
4 Ï 1? . — L’application de l’article 162 ne saurait
créer aucune difficulté lorsqu’il s’agit de lettres de chan
ge dont l’échéance a été déterminée, ou l’est devenue
1 P r o c è s - v e r b a l d u 2 9 ja n v ie r 1 8 0 7 , n ° 4 1 . L o c r é , t . 1 8 , p . 7 3 .
�134
DE LA LETTRE DE CHANGE
par la présentation au tiré. La date de cette échéance,
celle du protêt prouvent par leur rapprochement si le
délai a été ou non observé.
Mais un doute peut s’élever au sujet des lettres paya
bles à vue. Nous remarquions tout à l’heure qu’en ce
qui les concerne, l’échéance n’est acquise que du jour
de la présentation ; d’autre part, l’article 160 fixe les
délais dans lesquels le porteur doit en exiger le paye
ment.
De là, cette première question. Le protêt faute de
payement peut-il être valablement requis le lendemain
de l’expiration des délais prescrits par l’article 160?
On pourrait fonder l’affirmative sur l’application des
articles 161 et 162. Le dernier jour du délai, diraiton, étant considéré comme le jour de l’échéance, nonseulement le protêt peut être renvoyé au lendemain,
mais il doit forcément l’être, car celui réalisé le jour
même de l’échéance devrait être déclaré nul et de nul
effet.
Mais la réponse est facile. Les articles 161 et 162 ne
reçoivent aucune application aux hypothèses prévues
par l’article 160. Celui-ci fixe un délai fatal, dans le
quel le porteur aura à réaliser ses diligences, il faut
donc qu’il prouve qu’il a rempli ce devoir avant son
expiration. Cette preuve ne peut résulter que du protêt
faute de payement. Il faut donc que sa rédaction se
place nécessairement dans la durée du délai.
En d’autres termes, il en est des délais de l’article
160 comme des délais de grâce sous l’empire de l’or-
�ART. 1 6 1 , 1 6 2 , 1 6 3 .
135
donnance de 1673, à la seule différence que,' sous le
Code, le porteur peut ne pas attendre le dernier jour
pour agir, mais, s’il juge convenable de le faire, il ne
doit pas le laisser écouler sans réaliser ses diligences et
sans faire protester. Dans le cas contraire, le protêt
n’ayant pas été fait dans les délais prescrits, la déchéan
ce serait définitivement encourue.
A ÏS . — Donc, le porteur qui a laissé expirer les
délais ne peut invoquer les articles 161 et 162 pour lé
gitimer le protêt qu’il aurait fait dresser le lendemain de
cette expiration. Pourrait-on les invoquer contre lui si,
ayant présenté la lettre de change dans le cours du dé
lai, il n’avait pas fait suivre le refus de payement d’un
protêt ?
La négative est enseignée par MM. Horson et Nouguier. Ils pensent l’un et l’autre que le délai est en en
tier acquis, et que rien n’en saurait en faire perdre le
bénéfice au porteur. En conséqdence, dit M. Nouguier,
lorsque le propriétaire d’une lettre de change à vue l’a
présentée deux mois après sa date, et que le payement
lui a été refusé, il est libre de ne faire le protêt que le
dernier jour des délais dont parle l’article 160 C
A notre avis, cette doctrine n’a pas seulement le tort
de méconnaître le texte des articles 161 et 162, elle a
en outre celui de s’écarter du véritable esprit de la loi
commerciale en général.
i T. 1, p. 368. Horson, Quest. t07.
�156
DE LA LETTRE DE CHANGE
Nous l’avons déjà rappelé. En matière de lettres de
change, le législateur n’a eu qu’un seul but, à savoir :
hâter autant que possible la liquidation de l’opération.
L’article 160 n ’est qu’une exception que la distance,
que les difficultés de communications devaient faire pré
voir, et qu’il fallait cependant restreindre dans un ma
ximum de délai qu’on ne pourrait jamais dépasser.
En d’autres termes, la loi comprenant la nécessité
que créeraient certaines circonstances, a permis au por
teur de n’agir que dans les six ou huit mois, dans
l’année ou dans les deux ans de la lettre de change.
Mais cette disposition ne défend pas d’agir plus tôt.
Et si la possibilité de le faire se réalisant, le porteur a
fait ses diligences, on en revient aux principes ordinai
res et aux obligations qui en sont la conséquence.
Nous dirons donc que tout ce qui résulte de l’article
160, c’est que le porteur d’une lettre à vue peut s’abs
tenir de la présenter pendant six mois, un an ou deux,
et conséquemment d’en empêcher l’échéance. Aucune
réclamation fondée ne saurait s’élever contre son abs
tention, alors même qu’on offrirait de prouver qu’il a
dépendu de lui d’agir plus tôt.
Mais si le porteur, renonçant au délai, a présenté la
lettre de change, il en a par cela même déterminé l’é
chéance, et dès-lors il s’est placé lui-même sous l’appli
cation des articles 161 et 162.
De quel droit, en effet, le porteur accorderait-il un
délai, si ce n’est à ses risques, périls et fortune? M.
Bégouen ne vient-il pas de nous le dire, ce droit n ’est
�ART. 1 6 1 , 1 6 2 ,
163.
137
pas en son pouvoir. Comment échapperait-il à l’excep
tion de l’endosseur, lui disant : Si vous aviez fait pro
tester le lendemain de la présentation, le débiteur,
mon cédant lui-même, poursuivis par moi, pouvaient
me rembourser, depuis ils sont tombés en faillite et ce
remboursement est devenu impossible. Pourrait-on me
rendre victime de votre fait personnel ?
Concluons donc que la seule portée de l’article 160
est celle que nous indiquons, le porteur peut ne deman
der son payement que le dernier jour du délai. Mais
s’il l’a exigé avant, si, ayant présenté la lettre, il en a
ainsi déterminé l’échéance, il n’a pu conserver son re
cours qu’en se conformant aux articles 161 et 162.
4 Ï 9 . — De la combinaison de ces deux articles, il
résulte que le jour de l’échéance appartient en entier au
débiteur. L’utilité de cette conséquence se manifeste sur
tout à l’endroit du petit commerce, pouvant le soir, par
l’effet de la vente de la journée, solder un engagement
auquel il n’aurait pas été dans le cas de faire face le
matin.
Cette utilité n ’est pas moins incontestable pour les
lettres de change payables en foire, lorsque cette foire
ne dure qu’un jour. Il fallait laisser au débiteur le
moyen de réaliser la vente sur laquelle il a compté pour
ses payements. Il était donc juste de lui accorder la
journée entière.
Sans doute, le créancier n’est pas tenu, lorsqu’il s’est
présenté dans la journée, de retourner une seconde, une
�138
DE LA LETTRE DE CHANGE.
troisième fois. Mais le débiteur se transportera chez lui,
et, à défaut, il pourra payer le lendemain, lorsque
l’huissier se présentera pour constater le refus de paye
ment et pour dresser le protêt.
Si la journée de l’échéance appartient en entier au
débiteur, la disposition de l’article 162, renvoyant au
lendemain la constatation du refus du payement, n’est
pas seulement une faculté, elle impose une obligation
qui ne peut être devancée. Aussi, a-t-il été jugé que le
protêt fait le jour de l’échéance était nul et ne saurait
produire aucun effet ï.
4 8 0 . — Si le lendemain de l’échéance est un jour
férié légal, le protêt est renvoyé au jour suivant. Cette
disposition déroge à l’ordonnance de 1673, sous l’em
pire de laquelle le protêt devait être fait le dernier jour
du délai de grâce, ce jour fût-il un jour de fête, même
solennelle. C’est dans ce sens que l’avait décidé la dé
claration du 10 mai 1 6 8 6 2.
L’article 162 adopte le contraire, mais pour les jours
fériés légaux seulement. De là, M. Horson conclut avec
raison que le protêt ne saurait être renvoyé au Lende
main, sous prétexte que la Bourse et les autres établis
sements commerciaux auraient été fermés à l’occasion
d’une solennité purement locale. Nous renvoyons, pour
1 A g e n , 2 a v r il 1 8 2 4 . B o r d e a u x , 1 0 d é c e m b r e 1 8 3 2 .
2 Jousse, sur l ’article 4 de l ’ordonnance.
�akt.
161, 162,
163.
139
ce qui concerne les jours fériés, aux observations que
nous avons déjà présentées i.
4 8 1 . — L’obligation de constater le refus de paye
ment est absolue et générale. Ainsi, aux termes de
l’article 163, le porteur n’est dispensé du protêt faute
de payement, ni par le protêt faute d’acceptation, ni
par la mort ou la faillite de celui sur qui la lettre est
tirée.
Cette disposition est logique, le payement de la lettre
de change, étant indiqué à un domicile désigné, ne.saurait rationnellement être exigé ailleurs. Le contraire
pouvait-il résulter du protêt faute d’acceptation ?
Ce protêt n’établit rien autre chose, sinon que, lors
que la lettre de change lui a été présentée, le tiré n’avait
aucune provision. Mais, dans l’intervalle entre celte
présentation et l’échéance, cette provision a pu être réa
lisée ; le tiré a pu s’entendre avec le tireur, et, dans
l’une ou l’autre hypothèse, le payement sera réalisé.
C’est ce qui explique suffisamment le refus d’admettre
le protêt faute d’acceptation comme une dispense du
protêt faute de payement.
48:8. — La loi les exige donc successivement, mais
sa disposition doit être rationnellement interprétée. Il
est évident, par exemple, que si, sur le protêt à défaut
d’acceptation et faute de donner caution, le porteur a de1Supra, n° '134.
�140
DE LA LETTRE DE CHANGE
mandé et obtenu contre les divers débiteurs une con
damnation au payement immédiat, tout protêt ultérieur
deviendrait une superfluité. Qu’importe, eu effet, l’é
chéance ultérieure du terme primitivement stipulé, si,
par sa faute, le débiteur a dû être privé de son bénéfice?
D’ailleurs, à quoi tendrait le protêt, lorsque déjà le
payement est ordonné par justice?
Aussi la cour de Toulouse décidait-elle, par arrêt du
2 janvier 1815, que lorsqu’à défaut d’acceptation d’une
lettre de change, un jugement a condamné les signatai
res, tireur et endosseurs à fournir caution, sinon à
payer, si la caution n’a pas été fournie, le porteur n ’est
pas tenu d’obtenir une seconde condamnation après l’é
chéance de la traite.
Dans cette espèce , le porteur avait fait protester à
l’échéance, malgré l’instance précédente, mais il n’avait
pas poursuivi, et c’est pour défaut de pousuites dans la
quinzaine du protêt qu’on voulait le faire déclarer dé
chu. Dès lors ce que la cour de Toulouse décide dans ce
cas devrait être également consacré pour défaut de pro
têt. C’est ce qui a été admis par la cour de Paris et par
la Cour de cassation.
Le porteur d’une lettre de change protestée faute'd’acceptation en avait poursuivi le payement immédiat, et
fait condamner le porteur et l’endosseur Le jugement
rendu par défaut avait été exécuté par un verbal de ca
rence.
Après l’échéance de la lettre, ce jugement est frappé
d’opposition par l’endosseur qui, excipant du défaut de
�ART. 1 6 1 , 1 6 2 , 1 6 3 .
141
protêt faute de payement, se prétend libéré. Jugement
du tribunal de commerce de la Seine accueillant sa pré
tention. Mais, sur l’appel, la Cour infirme et condamne
celte prétention.
Pourvoi en cassation à l’appui duquel l’endosseur
soutient que le recours n’est accordé contre les endos
seurs qu’à la condition, par le porteur, de faire pro
tester à l’échéance dans le délai prescrit ; qu’aucun acte
ne peut suppléer le protêt, pas même le protêt faute
d’acceptation, la mort ou la faillite du tiré ;
Que la condamnation sur protêt faute d’acceptation
est évidemment subordonnée au cas où la lettre de
change ne serait pas payée à l’échéance, car le paye
ment de la lettre de change décharge tous les endos
seurs, qu’il fallait donc tenter d’obtenir le payement, ou
en faire constater le refus ; que le délai du protêt ex
piré, le porteur encourt la déchéance.
Voici la réponse juridique de la Cour de cassation :
« Attendu que le porteur d’une lettre de change pro
testée faute d’acceptation, peut à son gré ou en exiger
le payement avec les frais de protêt et de rechange, ou
exiger caution pour la sûreté du payement ;
.
!
« Attendu que lorsque le porteur s’est borné au pro
têt faute d’acceptation, ou à demander caution pour le
payement, il est tenu d’attendre, pour faire de nouvelles
poursuites, l’époque de l’échéance de la lettre de changé, puisque : dans le premier cas, le tireur peut faire
les fonds jusqu’à cette échéance, et n’est pas forcé de
�142
DK LA LETTRE DE CHANGE
les faire avant ; et que, dans le second cas, la caution
n ’est obligée que pour la même époque ;
« Que dans ces cas, de même que lorsqu’il n’y a eu
ni protêt faute d’acceptation, ni caution demandée, la
lettre de change doit être présentée à son échéance et
protestée faute de payement, si elle n’est point acquit
tée, sans que le protêt faute d’acceptation, ni la mort ou
la faillite du tiré, puisse dispenser du protêt faute de
payement.
« Que la raison en est que, malgré les démarchés an
térieures du porteur, ce n’est qu’à l’échéance que la let
tre est exigible, et que le protêt faute de payement a
pour objet de conserver les droits du porteur contre les
tireur et endosseurs, et des endosseurs entre eux à dater
de cette échéance ;
« Mais qu’il en est autrement lorsque le protêt faute
d’acceptation est suivi d’une condamnation contre le ti
reur, laquelle est passée en force de chose jugée ; que
cette condamnation, quand elle est devenue ainsi défi
nitive, doit recevoir son exécution ; que dès lors elle
rend évidemment inutiles toutes poursuites ultérieures
qui ne pourraient avoir d’objet l.
4 8 * . — L’article 163 ne considère comme dispen
sant du protêt de payement ni la mort, ni l’état de fail
lite du tiré. L’une ou l’autre, en effet, ne saurait em1 27 juin 1842. J. du P. 2, 1842, 387. V, arrêt d’Aix, du 17 juillet
1854 , encore inédit.
�ART. 1 6 1 , 1 6 2 , 1 6 3 .
143
pêcher que la lettre ne soit indiquée payable chez ce tiré,
ni modifier cette indication. Le porteur doit donc se
présenter à son domicile avec d ’autant plus de raison
que la provision peut y exister, soit que, réalisée avant
la mort ou la faillite, le tiré l’ait conservée distincte de
son actif, et sans la confondre, soit qu’elle ait été four
nie après le décès ou la faillite pour la facilité du paye
ment.
Au reste, la disposition de l’article 163 n’est pas in
troductive d’un droit nouveau. Ce qu’elle énonce ex
pressément, on l’avait induit des termes absolus de l’a r
ticle 4, titre 5, de l’ordonnance. Cet article, exigeant le
protêt dans tous les cas et sans aucune exception, le
rendait dès lors indispensable dans l’hypothèse de la
mort ou de la faillite du tiré. C’est ce que Pothier no
tamment enseignait de la manière la plus expresse L
Le Code aurait donc pu garder le silence que s’était
imposée l’ordonnance. Mais on a craint qu’il en surgît
des difficultés; Les héritiers pouvaient alléguer qu’étant
encore dans les délais pour délibérer et faire inventaire,
ils ne pouvaient être contraints à s’expliquer sur l’inter
pellation qui leur était faite, et qui devait dès lors être
ajournée. C’est précisément cet ajournement que l’article
163 a voulu empêcher. Le porteur doit à l’échéance se
présenter au domicile du tiré décédé, les héritiers répon
dront ce qu’ils jugeront convenable. Mais le refus de
payement n ’en devra pas moins être suivi de protêt.
1 Contrat de change, n° 4 46.
�1U
DE LA LETTRE DE CHANGE
Ce qu’on ordonnait pour le cas de décès, on devait à
plus forte raison l’ordonner dans le cas de faillite. Ce
pendant on douta un instant s’il fallait dans celui-ci
rendre le protêt nécessaire. Son objet, disait-on, n’est-il
pas suffisamment rempli par la faillite elle-même? La
publicité qu’elle reçoit n’avertit-elle pas le tireur et les
endosseurs que le payement n’aura pas lieu ?
Ici encore l’ancienne doctrine l’emporta. Savary et
Pothier répondaient à ces questions : que les formalités
établies par les lois, pour donner connaissance de quel
que fait, ne s’accomplissent pas par des équivalents,
que d’ailleurs il n’était pas impossible que les tireur et
endosseurs eussent ignoré la faillite, quelque publique
qu’elle eût été, ou que ne voyant pas de protêt ils s’ima
ginassent que le propriétaire avait trouvé moyen de faire
acquitter l’effet.
>
C’est cette doctrine que l’article 163 a cru devoir
consacrer. Donc l’échéance étant arrivée, le défaut de
payement donne lieu à un protêt lequel n’est empêché
ni par le protêt faute d’acceptation, ni par la mort, ni
par la faillite du tiré.
484.
— Notons que dans cette première partie de
sa disposition, l’article suppose que le tiré qui est mort
ou qui a failli n’a pas accepté. Sans doute, et dans le
cas contraire la faillite ne dispenserait pas le porteur de
la nécessité du protêt, mais elle lui conférerait un droit
que ne lui attribue pas celle du simple tiré, à savoir :
�ART. 161, 162, 165.
145
celui de faire protester avant l’échéance et d’exercer son
recours.
Cette seconde disposition est fondée sur le principe
que le bénéfice du terme est enlevé par la diminution
des sûretés promises ou données. Or, par l’acceptation,
le tiré devient le débiteur principal. La certitude qu’il
ne peut plus payer est une évidente diminution des ga
ranties attachées à la dette. En second lieu, la faillite du
débiteur principal rendant la dette exigible, le même
effet doit se réaliser à l’égard des cautions.
Les endosseurs ne pourraient donc contester en prin
cipe le recours du porteur. Ils sont fondés à en contes
ter cependant l’étendue. Résulte-t il de l’article 163
qu’ils sont à jamais déchus du bénéfice du terme, ou
bien peuvent-ils en profiter en remplaçant la garantie
perdue ?
Nous avons déjà parlé des réclamations qui s’étaient
produites sur l’article 160, et que le ministre avait cru
devoir déférer au conseil d’Etat, après les avoir soumi
ses au conseil général du commerce. Or, ces réclama
tions avaient aussi pour but l’interprétation de l’article
163. Voici sur ce dernier point les observations du con
seil général :
« Le conseil remarque que si le porteur de la lettre
de change sur un failli, usant du droit de la faire proter avant l’échéance stipulée, exerçait incontinent et par
retraite son recours sur son cédant, il le priverait de la
faculté que l’article 448 du Code de commerce lui donne
de fournir caution ; qu’il est juste que le cédant ait la
n — 10
�446
DE LA LETTRE DE CHANGE.
faculté de faire trouver à l’échéance et au lieu indiqué
pour le payement les fonds nécessaires à l’acquit des ef
fets qu’il a tirés ou endossés ; qu’en l’obligeant à un
payement inattendu et anticipé, le cédant pourrait se
trouver embarrassé, lors même que son actif serait fort
supérieur à sa dette ; qu’enfin le porteur n’ayant que
la faculté et non l’obligation de faire protester lors de
la faillite du payeur présumé, sans attendre l’échéance
de l’effet qu’il a en mains, il est juste que les garants
aient une faculté relative.
« En conséquence, le conseil estime qu’il est conve
nable que dans le cas prévu par l’article 463, la faculté
de recours accordé au porteur soit bornée jusqu’à l’é
chéance stipulée dans le titre à celle accordée par l’ar
ticle 448 (aujourd’hui 444). »
Les sections de l’intérieur et de législation avaient ré
digé un projet d’avis conforme. Mais cet avis ne fut pas
promulgué, parce que le conseil d’Etat déclara q u ’il n’y
avait pas lieu à avis interprétatif. Mais l’autorité du
précédent n’en demeure pas moins considérable et de
nature à exercer la plus grande influence sur la solution
de notre question.
Au reste, la Cour de casssation avait jugé dans le
même sens, en décidant, le 15 mai 1810, que le re
cours autorisé par l’article 163 n’oblige celui contre le
quel il est exercé qu’à donner caution, aux termes de
l’article 444. C’est par cette doctrine qu’on devait ré
soudre notre question.
Il importe de remarquer que l’article 163 s’en réfère
�ART. 1 6 1 ,
162, 165.
147
exclusivement à la volonté du porteur. Il lui concède
une faculté et ne lui impose aucune obligation. Ainsi, il
peut faire protester, mais il est libre de ne pas le faire ;
il peut, après avoir requis le protêt, en abandonner le
bénéfice et ne le faire suivre d’aucune poursuite. Il con
serverait tout son recours contre les endosseurs et le ti
reur, si un nouveau protêt, étant fait à l’échéance, était
régulièrement notifié. C’est ce que la Cour de cassation
sanctionne expressément dans l’arrêt du 16 mai 1810,
que nous venons d’invoquer.
485.
— La faillite se réalisant par le fait seul de la
cessation de payement, indépendamment du jugement
déclaratif, l’artiçle 163 serait applicable au cas où cette
cessation, étant notoire, n’aurait pas encore été suivie
d’un jugement déclaratif. C’est ce que la cour d’Or
léans a très rationnellement décidé , le 10 décembre
1832.
En résumé donc, le payement doit être exigé le jour
même de l’échéance, le refus qui en est fait doit être
constaté le lendemain. Cette obligation, le porteur n’en
est pas dispensé ni par le protêt faute d’acceptation, ni
par la mort ou la faillite de celui sur qui la lettre de
change est tirée.
— Mais quelque absolue qu’elle soit, cette
obligation admet quelques exceptions. Ces exceptions ré
sultent d’abord de la force majeure, ensuite de l’inten
tion des parties.
486.
�148
DE LA LETTRE DE CHANGE
é
L’ordonnance de 1673 n’avait aucune disposition
sur la force majeure. Le doute avait donc pu s’élever
sur les conséquences qu’elle devait produire. Plusieurs
jurisconsultes, notamment Pothier, n’hésitaient pas à la
considérer comme une excuse légitime du défaut de
protêt L
Les rédacteurs du projet primitif du Code de com
merce, adoptant l’opinion de Pothier, l’avaient conver
tie en disposition légale. Comment cette disposition avaitelle disparu du Code? Nous l’ignorons. Ce qui est cer
tain, c’est qu’elle ne tigurait pas dans le projet soumis
au conseil d’Etat.
48 9 .
— Mais le principe qu’elle consacrait se re
produisit dans la discussion. Il y devint l’objet de trois
opinions bien tranchées.
La première demandait que la force majeure fût con
sidérée et indiquée comme une exception à l’obligation
imposée par l’article 162. Il n’est pas permis, disaiton, de confondre le porteur négligent et celui qui n’a
pu agir. Rendre ce dernier victime de son impuissance,
ce serait le punir pour n’avoir pas fait l’impossible.
La seconde opinion repoussait l’exception. On rap
pelait ces paroles de Montesquieu : Les exceptions nais
sent des exceptions, et les détails des détails : en créer
une au principe que la lettre de change doit être protes
tée le lendemain de l’échéance, c’est ouvrir une large
i Contrat de change, n° 444.
�ART.
161, 162, 165.
149
porte aux abus, c’est enlever à la lettre de change ses
caractères essentiels, la célérité et la certitude du paye
m ent à l’époque convenue. Bientôt on verrait se multi
plier les faux procès-verbaux de force m ajeure. Il n ’y
aurait plus, par h fait, de déchéance en cas de protêt
tardif.
La troisième opinion, enfin, repoussait les deux au
tres comme trop absolues. Il ne convenait ni d ’adm et
tre, ni de rejeter expressément la force m ajeure. Ce
q u ’il fallait, c’était de laisser les tribunaux arbitres su
prêmes des faits pouvant la constituer, des conséquen
ces q u ’elle devait produire.
Cette opinion prévalut, et comme elle n ’était pas de
nature à figurer dans le Code de commerce, elle fut
consignée au procès-verbal en ces termes :
Le conseil arrête, q u ’afin de ne pas ouvrir la porte
aux abus, en liant la conscience des tribunaux par une
règle trop précise, il ne sera pas inséré dans le Code de
commerce de dispositions sur l ’exception de la force
majeure L
4 8 8 . -— Ainsi, le législateur n ’a pas adm is la force
majeure, mais il ne l’a pas repoussée. Quelle que soit
donc à cet égard la décision des tribunaux, elle ne sau
rait violer la loi. Elle n ’est que l’appréciation d ’une dif
ficulté que seuls ils sont appelés à résoudre, non pas
d’une m anière générale, m ais spécialement pour chaque
1 Procès-verbal du 31 janvier 1807, n° 3. Locré, 1.18, p. 78.
.
�ISO
DE LA LETTRE DE CHANGE
espèce sur laquelle ils sont appelés à statuer. Cette fa
culté exclusive leur a été reconnue non seulement par
la doctrine et la jurisprudence, mais encore par le gou
vernement lui-même.
Ainsi, le conseil d’Etat, consulté par le ministre de
la justice sur la question de savoir si dans le cas d’in
terruption de communication par des événements de
force majeure, il appartenait au gouvernement de sus
pendre ou de modifier, par une ordonnance, les effets
du Code de commerce à l’égard des porteurs des lettres
de change et de relever de la déchéance prononcée pour
défaut de protêt à l’échéance et de dénonciation dans
les délais prescrits, a décidé, par avis du 1â novembre
1840, qu’il appartenait, non à l’administration, mais
aux tribunaux dans l’exercice de leur juridiction, d’ap
précier les circonstances de force majeure, sous le dou
ble rapport du fait et du droit.
4 8 » . — Voilà donc la mission des tribunaux re
connue et constatée. Reste à savoir le mode d’apprécia
tion auquel ils doivent s’arrêter, si tant est qu’on puisse
diriger et réglementer un pouvoir n’ayant d’autres ba
ses que les inspirations de la conviction et de la cons
cience.
Mais, même dans l’exercice de ce pouvoir, il est des
considérations que les magistrats ne sauraient négliger.
Ainsi, ce qu’ils ne doivent jamais perdre de vue, c’est
que l’exception de force majeure ne doit pas être légè
rement accueillie.
�Les juges, disaient ceux qui émettaient au conseil
d’Etat l’opinion que le conseil consacrait, doivent être
difficiles à admettre l’exception de force majeure. Sans
doute on ne fera pas résulter l’impossibilité du simple
retard d’un courrier qu’aucun cas fortuit n’a arrêté dans
sa route, mais d’événements graves, tels qu’une épidé
mie, un siège, de ceux qui interrompent toute commu
nication.
Evidemment on ne peut assigner à cette indication
un caractère limitatif et restrictif. Mais elle est considé
rable comme manifestation de la pensée et de l’inten
tion du législateur. On avait même douté si l’état de
guerre, si l’invasion de l’ennemi constituait la force
majeure. L’affirmative fut décidée par un avis du con
seil d’Etat du 25 janvier 1814, approuvé le 27.
Une épidémie, un siège, l’invasion de l’ennemi, indé
pendamment des justes préoccupations qui en naissent,
rendent les communications difficiles, dangereuses, les
interceptent même quelquefois d’une manière complète.
Or, c’est surtout l’impossibilité des communications qui
a paru devoir constituer la force majeure. Ainsi, la Cour
de cassation jugeait, le 23 janvier 1831, qu’on aurait
pu considérer comme un cas de force majeure l’impos
sibilité où le porteur aurait été de faire parvenir l’effet
au domicile du débiteur, à cause de la contrariété des
vents ayant empêché la sortie de tout navire.
Au reste, dans tous les cas que nous venons d’indi
quer, la force majeure disparaissant avec la cause , le
porteur doit dès cette cessation réaliser ses diligences.
�132
DE LA LETTRE DE CHANGE
Le délai de la déchéance court du jour de cette cessa
tion. Cette solution de notre ancienne jurisprudence est
également consacrée par la jurisprudence moderne l.
— Sous l’empire de l’ordonnance de 4673,
Pothier citait comme constitutif de la force majeure
l’exemple suivant : Si demeurant à Orléans et ayant
une lettre de change à recevoir à Marseille à un certain
jour, j’en ai passé l’ordre à mon correspondant à Mar
seille, et je la lui ai envoyée afin qu’il la reçût pour
moi ; si ce correspondant, porteur de ma lettre, est mort
la veille ou le jour qu’il devait aller recevoir ou protes
ter ma lettre, le défaut de protêt dans ce jour ne me
fera pas déchoir de mes actions, pourvu que je le fasse
faire dans un temps qui sera jugé suffisant pour que
j ’aie pu être instruit de l’accident et donner des ordres
pour le faire faire2.
Le Code n’ayant que confirmé en ce point la précé
dente législation, on pourrait admettre sous son empire
ce qu’on admettait sous l’empire de celle-ci. Telle est
l’opinion de Merlin qui, reproduisant l’exemple de Po
thier, approuve et recommande la solution enseignée
par le judicieux et éminent jurisconsulte3.
Nous venons de voir que dans la détermination des
causes de la force majeure, on n’avait pas admis le re490.
1 Cass., 25janvier 182t.
2 Cont. de change, n° 444.
3 Rép , v» Protêt, § 4, n° 1
�ART. 1 6 1 , 1 6 2 , 1 6 3 .
155
tard d’un courrier qu’aucun cas fortuit n’a arrêté dans
sa marche. L’allégation de ce retard n’aurait donc ni
valeur, ni portée, le porteur ne saurait être relevé de la
déchéance. Il en serait de même du cas où l’envoi delà
lettre ayant eu lieu tardivement, celle-ci ne pouvait ar
river au destinataire qu’après l’expiration du délai pour
le protêt, comme si, par exemple, de la date de l’en
dossement à celle de l’échéance il n’y avait pas un inter
valle tel que l’exigerait la distance.
Dans ce cas, il y a une faute imputable soit à l’en
voyeur de la lettre, soit à celui qui la lui a transmise
pour l’expédier à sa destination. Il est donc évident que
l’effet de la déchéance ne peut être supporté par le ré
ceptionnaire. Il pourra donc recourir contre son cédant
et celui-ci contre le sien, suivant que le retard provien
dra de l’un ou de l’autre L
Toutefois et pour qu’il en soit ainsi, il faut que la let
tre soit arrivée après le délai fixé pour la constatation
du refu§ de payement. Dans le cas contraire, et si le
protêt pouvait être régulièrement requis, son omission
resterait à la charge exclusive du réceptionnaire. Telle
serait l’hypothèse d’une lettre de change arrivée le len
demain de l’échéance, et à une heure qui permettrait de
faire le protêt2.
4 9 1 . — La seconde exception dont la règle tracée
1 Nimes, 32 août, 1809.8 mai 1813.
2 Paris, 28 août 1831,
�\u
DE LA LETTRE DE CHANGE
par l’article 162 est susceptible, est celle qui résulterait
de la convention des parties. Cette disposition ne con
cerne en rien l’ordre public, elle ne se réfère qu’à l’in
térêt personnel de chacun de ceux appelés à en recueil
lir le bénéfice. La faculté de répudier celui-ci ne pou
vait dès lors être ni douteuse, ni contestée.
Cette répudiation résultera invinciblement de la dis
pense de faire le protêt et la notification. Or, cette dis
pense, soit qu’elle résulte de l’acte même, soit qu’elle ait
été convenue par écrit séparé, n’a pas besoin d’être ex
presse, elle peut s’induire des termes employés comme
de l’intention des parties. On a donc pu la faire résul
ter de la promesse pure et simple donnée par l’endos
seur h
Mais il ne suffirait pas que l’endossement contînt la
clause de garantie. Cette clause, essentiellement sous
entendue, ne saurait changer la nature de l’obligation
de l’endosseur, par cela seul qu’elle aurait été exprimée.
C’est ce que la cour de Nîmes a consacré en jugeant que
le porteur d’une lettre de change n’est pas dispensé
d’en faire le protêt en temps utile par l’endossement
ainsi conçu : Payez à l’ordre de...... valeur reçue
comptant avec garantie jusqu’à parfait payement ;
que le défaut de protêt peut lui être opposé même par
l’auteur de l’endossement, et qu’il ne peut prétendre
que cette clause constitue un aval qui le dispense du
protêta.
1 Cass., 20 juin 1817.
2 22 juin 1819.
�ART. 1 6 1 , 1 0 2 , 1 6 3 .
155
La Cour de cassation a décidé, le 23 décembre 1835.
que si, par un acte d’ouverture de crédit, deux dégociants sont convenus que le créditeur ne pourrait exer
cer aucune poursuite contre le crédité, faute de paye
ment aux échéances des billets fournis par celui-ci, il
suit de là que le créditeur porteur de ces billets n’est
pas garant envers le crédité de la déchéance encourue
par le défaut de protêt.
Au reste, un point qui domine toute notre matière,
c’est que le litige qui s’engage sur la question de savoir
s’il y a ou non dispense du protêt, se résume tout en
tier dans une appréciation de l’intention des parties. Ce
caractère amène d’abord à cette conséquence, que les
tribunaux sont arbitres souverains de la difficulté, et
que la constatation de faits qu’ils consacrent échappe à
la censure de la Cour de cassation.
4 9 3 . — Une seconde conséquence de la même rè
gle, c’est que cette intention n’a pas besoin d’être cons
tatée par écrit ; qu’elle peut résulter des présomptions
et être établie par la preuve testimoniale.
Le contraire avait été jugé par la cour de Paris, le 23
février 1830. L’article 175 du Code de commerce, disait
l’arrêt, dispose que le protêt ne peut être suppléé par
aucun acte ; à plus forte raison exclut-il la preuve testi
moniale.
C’était là mal caractériser le litige et par conséquent
en donner une solution peu légale. Aussi cet arrêt, étant
�15G
DE
LA LETTRE
D E CHANGE.
devenu l’objet d’un pourvoi, fut il cassé par la Cour ré
gulatrice.
Il ne s’agissait pas, dit celle-ci, de savoir si le porteur
peut suppléer le protêt par la preuve testimoniale, mais
s’il pouvait prouver par témoins, contre son cédant,
que celui-ci l’avait dispensé de faire le protêt, et avait
pris l’engagement de lui rembourser le montant de la
traite sans cette formalité. Or, cette convention parti
culière, n’ayant rien d'illicite, lie les parties contractan
tes comme toute autre convention légale, et la loi laisse
aux juges la faculté d’en admettre la preuve par té
moins, s’ils trouvent cette preuve admissible d’après les
circonstances, si l’article 175 ne permet point de sup
pléer le protêt par la preuve testimoniale, il ne défend
point de prouver par témoins la convention spéciale qui
vient d’être énoncée l.
En résumé donc, on peut déroger à la disposition de
l’article 162. La convention qui renferme cette déroga
tion est par sa nature essentiellement commerciale. Elle
ne doit donc pas, à peine de nullité, être établie par
écrit. On peut la faire résulter des faits et circonstan
ces, des présomptions, et la justifier par la preuve testi
moniale.
4=94. — Il est même un cas où cette dérogation est
forcée pour tous les signataires de la lettre de change,
1 Cass., 34 juillet 4832. Conf., 5 juillet 4843. J . d u P „ 2, 4843,
778
�à savoir : lorsque le tireur a mentionné dans la lettre la
clause de retour sans frais.
On a beaucoup discuté sur cette clause et sur les con
séquences qu’elle devait entraîner. Aujourd’hui toute
controverse tend à disparaître et voici les solutions
autour desquelles se rallient la doctrine et la jurispru
dence.
La mention retour sans frais, émanée du tireur et
faisant partie intégrante de la lettre de change, oblige
tous les preneurs successifs. En se chargeant de la let
tre, non seulement ils se soumettent à la condition, mais
encore ils se l’approprient. Ils sont donc censés la sti
puler expressément lorsque chacun d’eux négocie et
aliène la propriété de la lettre de change. Il importe
donc peu qu’elle ne soit pas textuellement reproduite
dans l’endossement. La présomption que nous indi
quons rend cette formalité inutile , le porteur n ’en est
pas moins dispensé de toutes formalités judiciaires ’.
Celte dispense n’est pas seulement un d ro it, son ob
servation atteint aux proportions d’un véritable devoir.
Ainsi le porteur qui, sous prétexte du silence gardé par
les endosseurs, ferait protester dans la circonstance que
nous supposons, ne pourrait répéter les frais qu’il au
rait ainsi exposés2.
495. — Cette règle pourrait cependant donner nais1 Cass., 8 avril 1834.
3 Angers, 15 juin 1831. Paris, 24 janvier 1835
�188
DE LA LETTRE DE
CHANGE
sance à une fraude contre les endosseurs. Le porteur
qui aurait omis ou négligé de requérir le protêt en
temps utile pourrait être tenté, pour se soustraire aux
effets de la déchéance, d’ajouter la mention sans frais à
la suite de la signature du tireur, et soutenir qu’il a été
dispensé de toute diligence.
C’est ce qu’on prétendait s’être réalisé dans une es
pèce sur laquelle la cour d’Agen était appelée à statuer.
Dans la prévision des facilités que la fraude avait pour
se produire, l’arrêt qui intervient déclare que, pour être
régulière, la clause de retour sans frais, attribuée au
tireur, doit faire partie intégrante de la lettre de change,
ou être reconnue par toutes les parties avoir existé lors
de son émission ;
Qu’en conséquence il ne suffirait pas que cette condi
tion fût écrite après la signature du porteur pour qu’elle
fût admise contre l’un des endosseurs qui contesterait
ou qui ne reconnaîtrait pas son existence au moment où
l’effet lui a été transmis, qu’à son égard cette condi
tion, étant étrangère au corps de l’acte, devrait être con
sidérée comme un renvoi non approuvé, et ne pouvant
en conséquence produire aucun effet h
Cependant, comme dans cette hypothèse la fraude
pourrait se trouver dans la dénégation intéressée de
l’endosseur, les juges devaient avoir le moyen de se pro
noncer entre lui et le porteur. Ce moyen réside dans
l’appréciation des faits et circonstances, dans les divers
1 9 janvier 4838. J . d u P . , 4, 1838, 470.
�ART.
161,
162,
163.
159
documents, et, en dernier résultat, dans la preuve tes
timoniale.
Une autre observation essentielle à faire sur la men
tion retour sans frais, émanant du tireur, c’est qu’elle
n’oblige les endosseurs successifs que s’ils s’abstiennent
de s’expliquer. Chacun d’eux, en effet, est libre de la
répudier, mais à la condition qu’il déclarera expressé
ment y déroger. C’est ce que consacre l’arrêt de cassa
tion du 8 avril 1834.
4L96. — Chaque endosseur a, en ce qui le concerne,
le droit de renoncer à l’exécution des formalités pres
crites par les articles 162 et suivants. Il peut donc, dans
l’hypothèse où le tireur a gardé le silence, stipuler la
clause de retour sans frais, et cette clause doit produire
à son égard ses effets ordinaires.
Mais dans ce cas le porteur pourrait se trouver fort
embarrassé. La nécessité de protester résulterait pour
lui de ce que le tireur ou d’autres endosseurs précédents
ou suivant celui qui mentionnerait le retour sans frais,
n’auraient pas, en s’appropriant cette clause, dispensé
des formalités légales.
En effet, ou a agité la question de savoir si la men
tion de retour sans frais, consignée par un endosseur,
produisait pour les endosseurs subséquents les mêmes
conséquences que celles qu’entraînerait la mention faite
par le tireur. Mais la négative a été admise, chaque en
dosseur n’agit que pour son intérêt personnel et exclusif.
Il peut déroger en ce qui le concerne au droit commun,
�160
DE
LA
LETTRE
DE CHANGE.
mais il ne peut contraindre qui que ce soit à l’imiter.
En conséquence, celui qui, transmettant la lettre qu’il
avait reçue avec la clause de retour sans frais, ne la
mentionne pas dans son endossement, est présumé s’en
être référé au droit commun. L’absence de protêt et de
notification dans les délais prescrits le libérerait donc de
toute obligation.
Ce qui résulterait encore de son fait, c’est que, dans
le cas où le porteur se serait conformé à la loi, il serait
tenu de rembourser à son cessionnaire les frais de pro
têt, de notification, de compte de retour, sans pouvoir
les répéter contre son cédant. Celui-ci s’en étant exonéré
par la clause retour sans frais, l’acte personnel de son
cessionnaire n’a pu lui enlever ce bénéfice.
Que si entre l’endossement de celui-ci et le porteur,
existent d’autres endossements portant la clause retour
sans frais, le porteur pourra exiger de ces derniers le
remboursement des frais qu’il a dû faire. Vainement
feraient-ils observer qu’ils s’en étaient dispensés par la
clause de retour sans frais. Le porteur répondrait que
c’est dans leur intérêt plutôt que dans le sien qu’il a re
quis le protêt ; que celui-ci a eu pour objet de leur
conserver leur garantie contre l’endosseur qui n’avait
pas mentionné la clause ; qu’il a donc été en réalité
leur negotiorum gestor, qu’il doit être dès lors rem
boursé de ses avances, sauf à eux à les répéter contre
qui de droit.
49®. — Tout le monde est d’accord sur les effets
�ART. 1 6 1 ,
162,
163.
161
de la clause de retour sans frais. Non seulement elle
dispense des frais du protêt et de notification, mais en
core de tous autres frais quelconques, elle est même un
obstacle à tout compte de retour. Mais le même accord
n’existe plus sur les devoirs que le refus de payement
impose au porteur. Les uns veulent qu’il soit obligé,
sous peine de déchéance, d’avertir amiablement les en
dosseurs du défaut de payement dans les délais ordi
naires ; les autres, tout en reconnaissant qu’il doit aver
tir le plus tôt possible, n’admettent aucune déchéance.
La première opinion, consacrée par l’arrêt d’Agen, du
9 janvier 4838, déjà cité, a été adoptée par la cour de
Paris, le 7 janvier 4845 l. La seconde est enseignée par
un arrêt de Limoges, du 28 janvier 4 835.
Le système des cours d’Agen et de Paris nous parait
s’écarter de la logique. En effet, la déchéance n’est en
courue par le porteur que dans le cas où il n’a pas fait
protester le lendemain de l’échéance et notifié dans la
quinzaine. Le dispenser de l’un et de l’autre, et l’on
reconnaît que tel est l’effet de la clause de retour sans
frais, c’est nécessairement l’affranchir des conséquences
que leur omission entraînerait. Décider le contraire,
n’est-ce pas consacrer les effets tout en reconnaissant
que la cause a cessé d’exister. Or, en s’écartant ainsi
de la logique, ce système viole la loi, puisqu’il tend à
créer une déchéance qu’aucune disposition de loi n’a
consacrée.
l J . d u P . , 4,1845, 103.
�162
DE
LA
LETTRE DE
CHANGE.
A ces reproches, on peut joindre celui de placer le
porteur sous le coup d’une obligation pour l'accomplis
sement de laquelle on ne lui donne aucun moyen légal.
Il ne peut, en l’état de la clause de retour sans frais,
ni protester, ni avertir par voie d’huissier, à moins de
rester personnellement tenu des frais ; il ne peut donc
avertir soit le tireur, soit les endosseurs, du refus de
payement, que par la voie amiable, par une lettre mis
sive. Or, comment pourra-t-il, en cas de dénégation,
prouver que cette lettre a été réellement envoyée et re
çue ? Rien cependant de plus facile à prévoir que cette
dénégation, dans le cas de mauvaise foi.
L’opinion contraire, dira-t-on, arrivera à ce résultat
que le porteur pourra prolonger à son gré l’obligation
des endosseurs et leur causer ainsi un préjudice consi
dérable, comme si pendant qu’il gardait le silence le
débiteur venait à faillir. Or, n’est-ce pas là précisément
ce que la loi a voulu surtout éviter ?
Sans doute ce serait là un inconvénient immense,
mais, hâtons-nous de le dire, le système que nous pré
férons ne saurait l’offrir. A nos yeux, en effet, le por
teur dispensé des formalités judiciaires devient à l’é
chéance de la lettre le mandataire des divers intéressés
Il doit donc agir dans le plus bref délai pour sau
vegarder l’intérêt de chacun d’eux ; s’il néglige de le
faire, il commet une faute grave, des conséquences de
laquelle il demeure responsable. Donc, les endosseurs
obtiendront la réparation du préjudice qu’ils seraient
dans le cas de souffrir de la négligence du porteur. Ce
�ART,
161,
162,
163.
163
résultat n’a pas besoin d’invoquer une déchéance dont
la loi ne s’est pas occupée. Il se légitime par les prin
cipes du mandat, et au besoin par la règle de l’article
1382.
Donc, l’opinion de la cour de Limoges est préférable
à celle des cours d’Agen et de Paris. C’est ce que la
Cour de cassation paraît adopter, car elle jugeait, le
1er décembre 1841, qu’il n’y a point d’ouverture à cas
sation contre un jugement qui décide que la clause sans
frais, apposée sur une lettre de change, dispensait le
porteur, d’après l’intention des parties, de faire le pro
têt à l’échéance, ainsi que de l’obligation de recourir
judiciairement contre les endosseurs et garants, et de
les prévenir du non payement dans les délais fixés par
la loi K
ARTICLE
163.
Le porteur d’une lettre de change protestée faute de
payement peut exercer son action en garantie.
Ou individuellement contre le tireur et chacun des
endosseurs,
Ou collectivement contre les endosseurs et le tireur.
La même faculté existe pour chacun des endosseurs,
à l’égard du tireur et des endosseurs qui le précèdent,
1 J . d u P . , 1, 1842, 377,
�164
DE LA LETTRE DE CHANGE
ARTICLE
165.
I
Si le porteur exerce le recours individuellement con
tre son cédant, il doit lui en faire notifier le protêt, et,
à défaut de remboursement, le faire citer en jugement
dans les quinze jours qui suivent la date du protêt, si
celui-ci réside dans la distance de cinq myriamètres.
Ce délai, à l’égard du cédant domicilié à plus de cinq
myriamètres de l’endroit où la lettre de change était
payable, sera augmenté d’un jour par deux myriamè
tres et demi excédants les cinq myriamètres.
ARTICLE
166.
Les lettres de change tirées de France et payables
hors du territoire continental de la France, en Europe,
étant protestées, les tireurs et endosseurs résidant en
France seront poursuivis dans les délais ci-après :
De deux mois pour celles qui étaient payables en
Corse, dans l’île d’Elbe ou de Capraja, en Angleterre et
dans les Etats limitrophes de la France ;
De quatre mois pour celles qui étaient payables dans
les autres Etats de l’Europe ;
De six mois pour celles qui étaient payables aux
�ART.
164.
163,
166,
167.
163
Echelles du Levant et sur les côtes septentrionales de
l’Afrique ;
D’un an pour celles qui étaient payables aux côtes
occidentales de l’Afrique, jusques et compris le cap de
Bonne-Espérance, et dans les Indes occidentales;
De deux ans pour celles qui étaient payables dans les
Indes orientales.
Ces délais seront observés dans les mêmes propor
tions pour le recours à exercer contre les tireurs et en
dosseurs résidant dans les possessions françaises situées
hors d’Europe.
Les délais ci-dessus, de six mois, d’un an et de deux
ans, seront doublés en temps de guerre maritime.
ARTICLE
167.
Si le porteur exerce son recours collectivement con
tre les endosseurs et le tireur, il jouit à l’égard de cha
cun d’eux, du délai déterminé par les articles précé
dents.
Chacun des endosseurs a le droit d’exercer le même
recours, ou individuellement, ou collectivement, dans le
même délai.
A leur égard, le délai court du lendemain de la date
de la citation en justice.
�166
D E LA L E T T R E
D E CHANGE
S O M M A IR E
498.
499.
800.
501.
502.
503.
504.
505.
506.
507.
Droit que le porteur puise dans le refus du payement, ré
gulièrement constaté.
Motifs du recours contre le tireur.
Motifs du recours contre les endosseurs.
Droits du porteur contre les donneurs d ’aval.
Droits contre le tiré.
Ces droits ne peuvent être exercés qu’après protêt. Consé
quences de la novation résultant du défaut de protêt à
l ’endroit du tireur.
Novation peut être tacite, arrêt de la cour de Limoges.
Arrêt de la cour de Lyon, admettant une novation tacite
avant protêt.
Obligation de notifier le protêt. Pourrait-elle être faite par
lettre missive. Ses effets.
Obligation d ’ajourner le débiteur. Ces deux formalités doi
vent être cumulées, mais elles peuvent être remplies
par un seul acte.
La citation qui ne contiendrait pas la copie du protêt au
rait-elle conservé le recours du porteur ?
509. Délai dans lequel doit être donnée l ’assignation. Ce dé
lai doit-il être augmenté toutes les fois que la distance
de cinq myriamètres s’augmente d’une fraction quel
conque.
509 bis. Le porteur peut-il se rembourser par une retraite.
Pourrait-on dans ce cas appliquer l’article 165 ?
510. Délais pour les lettres payables ailleurs qu’en France. Dé
bats que l ’article 166 souleva an conseil d ’Etat.
511. Quel sera l'effet d ’une citation donnée devant un juge in
compétent ?
512. Cette citation doit-elle être immédiatement suivie d’un ju
gement.
508.
�art.
513.
164-,
163,
166,
167.
167
Le porteur peut être dispensé de la notification du protêt
et de l ’a jo u r n e m e n t, m ê m e ta c ite m e n t . A rrêt de la Cour
de cassation.
514.
Obligations du porteur en cas de poursuite collective. Com
m e n t on s u p p u t e les d éla is. D evan t quel trib u n al peut
se faire la pou rsu ite.
515.
L ’e n d o s s e u r qui a r e m b o u r s é e s t su b r o g é à toutes le s obli
g a tio n s du porteur. De quel m o m e n t court pour lu i le
délai d e q u in zain e.
4 0 8 . — Le refus de payement régulièrement cons
taté a pour effet immédiat l’exercice du droit du porteur
pour se faire rembourser du montant de la lettre de
change.
,
Ce remboursement est solidairement dû par tous les
signataires de la lettre. Tireur, accepteur, donneurs d’a
val, endosseurs, tous sont placés sur la même ligne à
l’endroit de la garantie que le porteur peut exercer.
Ils peuvent donc être collectivement assignés. Mais ce
recours général était peu probable, précisément parce
qu’il est peu dans l’intérêt des commerçants et dès lors
dans les habitudes commerciales. En effet, il peut occa
sionner dans le payement un retard que le porteur peut
tenir à éviter, qu’il évitera en s’adressant à son cédant
immédiat et en obtenant ainsi un prompt rembourse
ment.
C’est surtout pour éviter toutes difficultés que le lé
gislateur a cru devoir écrire dans la loi commerciale
une règle que les effets ordinaires de la solidarité auto
risaient suffisam ment.
�168
DE
LA LETTRE
DE
CHANGE.
Donc, aux termes de l’article 164, le porteur peut
exercer la garantie, ou individuellement contre le tireur
et chacun des endosseurs, ou collectivement contre les
endosseurs et le tireur.
4 9 9 . — Le recours contre le tireur résultait forcé
ment de la nature des choses et de sa qualité même. 11
est l’emprunteur direct et par conséquent le débiteur
principal, et comme tel invinciblement tenu à en rem
bourser le montant.
Il est vrai que ce remboursement il l’a en quelque
sorte réalisé dès l’instant que, remplissant son devoir, il
a fait provision suffisante entre les mains du tiré, aussi
celui-ci devient-il dès lors principal débiteur. Mais ce
n’est pas tout que de mettre le tiré en position de payer,
il faut encore que le mandat qui lui est donné reçoive
son entière exécution. La responsabilité de l’infidélité
dans sa gestion, ou de l’impuissance dans laquelle il
serait de la remplir reste à la charge du tireur qui l’a
chosi. Celui-ci n’est donc à l’abri du recours que dans
le cas où le porteur aurait négligé de se présenter en
temps utile, comme nous le verrons bientôt.
5 0 0 . — Le recours contre les endosseurs puise son
fondement dans le concours que chacun d’eux a donné
à la circulation de la lettre, et dans la garantie qu’il as
sume que le payement sera fait à l’échéance. Cette ga
rantie, ayant été déclarée solidaire par la loi, ne s’arrête
pas à la personne qui l’a obtenue, elle est transmise
�ART.
164,
1 6 5 ,,
166,
167.
169
avec la propriété de la lettre elle-même. Elle appartient
donc au propriétaire de celle-ci.
La différence dans le principe des obligations du ti
reur et des endosseurs devait en motiver une dans les
conditions auxquelles allait être subordonné le recours
contre chacun d’eux. Mais avant de nous en occuper,
nous devons nous fixer sur la véritable étendue, sur la
portée réelle de notre article 164.
501.
— Sa disposition ne parle que du tireur et des
endosseurs. Mais le silence qu’il garde sur le tiré et les
donneurs d’aval ne saurait être considéré comme le déni
de l’action en ce qui les concerne. Cette action existe et
peut dès lors être exercée, mais dans certains cas et à de
certaines conditions.
Il importe d’abord de distinguer entre le tiré et les
donneurs d’aval. Ces derniers ont signé la lettre de
change, ils en sont dès lors devenus les garants solidai
res ; le porteur pourra donc les actionner dans tous les
cas.
'
Seulement l’étendue de leur obligation variera sui
vant qu’ils auront cautionné le tireur, l’accepteur ou
l’un des endosseurs. Assimilés à celui qu’ils ont garanti,
ils sont recevables à opposer à la demande du porteur
toutes les exceptions que le garanti pourrait invoquer
lui-même.
5 0 » . — Le tiré reste étranger à la lettre de change
tant qu’il n ’a pas accepté. Mais cette acceptation réali-
�170
DE LA
LETTRE DE CHANGE
sée, non seulement il devient garant solidaire, mais en
core débiteur principal. Pour le tiers porteur, l’accepta
tion prouve la provision, c’est bien le moins qu’il puisse
en exiger la restitution.
Ainsi donc l’acceptation est la condition essentielle
sans laquelle le tiré ne saurait être actionné. Peu im
porterait même qu’il eût reçu provision ou qu’il fût
réellement débiteur du tireur d’une somme égale ou su
périeure au montant de la lettre de change. Il peut, s’il
n’est pas négociant ou si la dette n’est pas commerciale,
refuser de s’engager sous cette forme, et personne ne
saurait le contraindre à concourir malgré lui à la lettre
de change.
Dans ce dernier cas, le porteur pourrait sans doute
lui demander compte de la provision qu’il aurait en
mains, mais seulement en vertu de l’article 1166 du
Code civil, et comme exerçant les droits et actions du
tireur créancier de cette provision.
De là cette double conséquence: 1° le tiré ne pour
rait être distrait de ses juges naturels, ni être traduit,
sous le prétexte d’un ajournement collectif, devant le
tribunal du domicile d’un des signataires de la lettre de
change ; 2° il serait recevable et fondé à opposer au
porteur toutes les exceptions qu’il serait dans le cas d’in
voquer contre le tireur, notamment celle de l’incompé
tence de la juridiction consulaire, si, n’étant pas com
merçant, sa dette ne constituait pas une opération com
merciale.
L’action directe contre l’accepteur et l’action oblique
�ART.
164,
165,
166,
167.
171
contre le tiré n’exigent aucune condition, aucune forma
lité préalables. Le porteur peut les exercer tant que par
le laps de temps écoulé la prescription n’est pas encore
acquise.
5 0 8 . — Le porteur de la lettre de change peut
donc recourir indifféremment contre tous ceux qui sont
tenus d’en assurer le payement. Mais cette faculté, pour
ce qui concerne notamment les tireur et endosseurs,
doit être précédée des formalités suivantes :
En première ligne, le protêt qui doit être fait le len
demain de l’échéance, aux termes de l’article 162 que
nous avons examiné. Cette formalité nous la trouvons
implicitement exigée par l’article 164, le bénéfice que
celui-ci confère ne peut être réclamé que par le por
teur d’une lettre de change protestée faute de paye
ment.
Cette condition, rigoureusement exigée à l’égard des
endosseurs, ne l’est pas moins pour ce qui concerne le
tireur, dans le cas où la lettre a été acceptée. Le défaut
du protêt peut, suivant les circonstances, être considéré
comme une novation de la dette ayant libéré le tireur.
C’est ce qui se réaliserait si, au lieu de faire protester
à l'échéance, le porteur promet à l’accepteur de n’exiger
payement qu’après l’événement d’une condition quel
conque. Evidemment le porteur aurait par là consenti
à se contenter de la garantie de l’accepteur, il aurait
dès lors perdu tout recours contre le tireur, quand mê-
�172
DE LA LETTRE DE CHANGE
me la condition paraîtrait avoir été apposée dans l’inté
rêt de ce dernier ï.
Ce principe et ses conséquences ont été consacrés par
la Cour de cassation. Elle a, en effet, jugé que le por
teur d’une lettre de change est déchu de son recours
contre le tireur lorsque, au lieu de faire protester le
lendemain de l’échéance, il a accordé à l’accepteur une
prorogation de délai, encore bien qu’il n’eût consenti à
cette prorogation que pour éviter l’amende qu’il aurait
fallu payer en cas de protêt, parce que la traite était
écrite sur un papier qui avait cessé d’avoir cours3.
— Dans les espèces jugées par la Cour de
Grenoble et par la Cour de cassation, l’existence de la
novation ne pouvait être méconnue. Elle résultait ex
pressément des changements que le porteur avait fait
subir aux conditions d’exigibilité, et dans sa confiance
exclusivement personnelle à l’accepteur. Mais ce carac
tère n’est pas indispensable, et la novation qui s’indui
rait tacitement des faits et circonstances ne laisserait
pas que de libérer le tireur.
Cette conséquence avait été admise par la Cour de
Limoges. Un arrêt rendu par elle, le 14 mars 1840,
avait fait résulter la novation de ce que le porteur de
la lettre de change non acquittée l’avait gardée plusieurs
jours en ses mains au lieu de la retourner de suite à
504.
i G r e n o b le , 1 6 fé v r ie r 1 8 0 9 .
8 1 4 décem b re 1 8 2 4 .
�art.
164,
165,
166,
167.
173
son endosseur, et de ce qu’il en avait réclamé depuis le
montant, en principal et intérêts, à la succession du
tiré.
Cet arrêt fut déféré à la Cour suprême, mais vaine
ment. Le pourvoi fut rejeté le 16 novembre 1841 *.
— La novation que le porteur peut faire
après le protêt, peut également se réaliser avant. La
Cour de Lyon a eu à s’en expliquer dans l’hypothèse
suivante :
Une lettre de change avait été tirée sur un individu
qui avait accepté. Divers besoins avaient été indiqués, il
paraît que par un accord intervenu entre le tiré et le
porteur, l’acceptation avait été biffée. C’est en cet état
qu’à l’échéance la lettre de change est présentée aux
personnes indiquées au besoin, et celles—çi déclarent re
fuser le payement, attendu l’autorisation donnée au ti
ré de biffer son acceptation, et l’exécution qui s’en est
suivie. Ce refus de payement est constaté par un
protêt.
Après ce protêt, le porteur fait rétablir l’acceptation
et prétend exercer son recours contre le tireur et les en
dosseurs. Mais l’arrêt qui intervint consacre leur résis
tance. Le consentement donné à la rature de l’accepta
tion, dit la Cour, équivaut à la concession d’un terme,
et le tireur lui-même se trouve libéré, alors même que
505.
1 J . d u P . , 2, 1834 424.
�174
DE LA
LETTRE DE CHANGE.
depuis le refus du payement le porteur aurait obtenu du
tiré la réapposition de l’acceptation 1.
— Le protêt régulièrement rédigé doit être
notifié au tireur et aux endosseurs. Cette notification
n’est pas seulement un avertissement du refus de paye
ment, une mise en demeure de rembourser, elle a pour
objet et pour but essentiels de mettre celui qui la reçoit
en possession de recourir lui-même contre ses garants,
en lui donnant un titre sur lequel il fondera son action.
Dans quelle forme doit être faite cette notification ?
L’ordonnance, qui ne distinguait pas la notification du
protêt et l’assignation, se bornait à ordonner que les
garants seraient poursuivis dans la quinzaine ; mais la
Cour de cassation jugeait que l’avis du protêt par sim
ple lettre missive ne suffisait p a s2. Une lettre missive ne
peut, en effet, constituer un titre légitime contre les ga
rants de celui qui l’aurait reçue.
Cette règle devrait être suivie aujourd’hui. La notifi
cation du protêt n’est régulière que si elle est faite par
acte d’huissier, soit qu’elle ait lieu séparément, soit
qu’elle accompagne la citation en justice3.
506.
50*. — La loi n’a fixé aucun délai à la notifica
tion du protêt. Mais comme cette notification doit pré-
i 2 5 j u in 1 8 2 7 .
3 2 4 v e n d é m ia ir e a n x u .
3 V.
in fra ,
n° 508.
�ART.
1 6 4 .,
165,
160,
167.
175
céder l’ajournemeut. et que celui-ci doit être donné dans
la quinzaine du protêt, il est évident que la notification
opérée après cette quinzaine n’empêcherait pas l’appli
cation de la pénalité édictées par l’article 168.
Si la notification officieuse ou officielle du protêt dé
termine le payement, le porteur n’a plus aucune forma
lité à remplir. Dans le cas contraire, cette notification
doit être suivie d’une citation en justice en condamna
tion contre le tireur ou l’endosseur.
Aux termes de l’ordonnance de 1673, il résultait que
le législateur prescrivait et la notification du protêt et
l’assignation. La section du conseil d’Etat pensa autre
ment ; elle proposait, en conséquence, de consacrer l’al
ternative, la notification du protêt ou l’ajournement. La
notification du protêt, disait-elle, amène ordinairement
le payement. Dans tous les cas, elle conserve le recours.
Toute nouvelle mesure devient donc inutile, dans l’une
comme dans l’autre hypothèse.
Mais le conseil d’Etat ne s’arrêta pas à cette propo
sition. L’assignation après le protêt, dit-on, est destinée
à faire cesser les délais pendant lesquels le porteur pour
rait, après la notification du protêt, négliger de pour
suivre ; elle a pour objet de prévenir dans les hypothèses
ordinaires les longueurs pendant lesquelles des faillites
pourraient survenir ; il importe donc, non-seulement de
la prescrire cumulativement avec la notification du pro
têt, mais encore de lui assigner un délai déterminé.
Aujourd’hui donc, comme sous l’ordonnance, il faut
�176
DE LA LETTRE DE CHANGE
et la notification du protêt et la citation en justice. L'ar
ticle 165 les considère même comme deux actes dis
tincts devant se succéder à une certaine distance, et
dont le second peut être rendu inutile par le payement
que le premier est dans le cas de déterminer.
Mais, ce n’est pas ainsi que l’a compris la pratique.
Ordinairement l’assignation et la notification ne for
ment qu’un seul exploit, et ce mode, destiné d’ailleurs
à économiser des frais, n’a suscité aucune réclamation.
508. — Donc, les prescriptions de la loi sont exé
cutées par une assignation précédée de la copie du pro
têt qui se trouve ainsi notifié. Mais quel sera le sort de
l’assignation qui n’offrira pas cette formalité ; sera-telle nulle et donnera-t-elle lieu à l’application de l’ar
ticle 168 ?
Pothier enseignait la négative. Il se fondait sur ce
principe que le défaut de copie des pièces dans un ajour
nement n’emporte pas la peine de nullité.
Pothier a raison pour les pièces qui peuvent encore
être signifiées dans le cours de l’instance. Mais on doit
décider autrement pour celles dont la notification est
prescrite dans un délai déterminé. Ce délai expiré, la
notification n’est ni possible, ni efficace, surtout lorsque
la volonté de la loi est garantie par une sanction pé
nale. Or, la notification du protêt est dans cette der
nière catégorie, Nous venons de voir qu’elle doit être
faite dans la quinzaine, sous la peine édictée par l’ar
ticle 168.
�ART.
164,
165,
166,
177
167.
D’ailleurs, Pothier se place ici au point de vue ordi
naire, et nullement sous l’empire des exigences com
merciales. Aussi Merlin, se préoccupant exclusivement
de celles-ci, arrive à une solution diamétralement con
traire.
« Chaque formalité, dit cet éminent jurisconsulte, a
son objet particulier. Il ne suffit pas de poursuivre et
de faire condamner l’endosseur, but de l’ajournement,
il faut encore le mettre à même de pouvoir agir contre
son propre cédant, c’est-à-dire lui fournir le titre qui
seul peut fonder son recours, c’est donc exclusivement
dans son intérêt que la dénonciation du protêt doit être
faite ; c’est en sa faveur qu’elle est prescrite. On ne peut
donc la négliger impunément, car il nous est bien per
mis de renoncer à nos propres avantages ; mais nous ne
pouvons jamais renoncer à ce qui n ’a été introduit
qu’en faveur d’a u tru i 1. »
Merlin invoque ici plusieurs arrêts et avec eux il con
clut à l’insuffisance, au point de vue de l’article 165,
de l’ajournement ne renfermant pas la copie du protêt.
Nous croyons que cette conclusion est irréfragable et
qu’elle est plus conforme à la loi que celle de Pothier.
Ici se manifeste l’utilité de la décision que nous indi
quions tout à l’heure3. Vainement le porteur, pour cor
riger le vice de l’ajournement, dirait-il qu’il avait avisé
du protêt par lettre missive. On lui répondrait avec raii
Rép.
3
Supra,
v°
Endoss, n °
va.
n« 5 0 6 .
n
12
�178
D E LA LETTRE D E
CHANGE.
son que ce n’était pas ce que la loi exige, et qu’il ne sau
rait se purger de l’insuffisance de l’ajournement par une
mesure plus insuffisante encore.
5 0 » . — La citation en justice doit être donnée dans
un délai de quinze jours, ce délai commence à courir le
lendemain du protêt. Mais il est évident qu’en matière
de lettre de change surtout, ce délai ne pouvait être uni
forme. On devait d’autant mieux tenir compte des dis
tances, qu’elles pouvaient être telles que le délai de
quinze jours eût été évidemment insuffisant. Cette con
sidération a dicté les dispositions des articles 165 et
166.
Le premier, s’occupant des garants domiciliés en
France, restreint à quinze jours le délai de l’assignation
pour ceux qui sont domiciliés dans une distance de cinq
myriamèires du lieu où siège le tribunal devant lequel
ils sont cités. Au-delà de cette distance, le délai s’aug
mente d’un jour par chaque deux myriamètres et demi.
Doit-on tenir compte de la fraction qui existerait audelà de deux myriamètres et demi ? 'Il résulte des ter
mes de l’article 165 que l’augmentation d’un jour n’est
accordée que lorsque la distance de cinq myriamètres se
trouve dépassée de deux myriamètres et demi. De là, il
parait résulter que si la distance excédant est moindre,
il n ’y a pas lieu à l’augmentation. Ainsi, le délai de
quinze jours suffirait dans l’hypothèse d’une distance
de sept myriamètres et un quart.
,
Mais, s’il y a lieu à augmentation du délai, on devrait
�art. 1 G 4 ,
165,
166,
167.
179
tenir compte de la fraction. Ainsi, on accorderait trois
jours à celui qui aurait son domicile à dix n r riamètres
et quatre kilomètres. C’est ce que la cour de Bordeaux
jugeait le S juillet 4825, sur les motifs que le législateur
ayant accordé des délais à raison de la distance à par
courir, il est juste qu’on tienne compte du temps que
l’on doit employer pour faire le chemin qui excéderait
d’une quotité quelconque les deux myriamètres et demi
pris pour base de calcul pour le délai à accorder.
Ainsi, tant que le domicile de l’assigné n’est pas à
plus de deux myriamètres et demi au-delà de cinq my
riamètres, on ne tient aucun compte de la fraction, et le
délai de quinzaine n’est pas augmenté.
Mais, si l’augmentation est acquise parce que les cinq
myriamètres sont dépassés, on accorde autant de fois un
jour, qu’il y a de fois deux myriamètres et demi. On
doit en accorder en outre un pour la fraction qui reste
rait, bien qu’elle n’atteignît pas à cette quotité.
Ce qui est certain, c’est que l’article 165, qui résout,
du moins implicitement, le premier cas, se tait sur le
second. On a donc pu interpréter son silence dans le
sens que nous indiquons, d’autant mieux qu’il s’agissait
d’une déchéance, et qu’en pareille matière on ne saurait
se montrer trop exigeant ni trop sévère, et qu’on ne doit
la consacrer que lorsqu’elle est expressément édictée par
la loi. c’est ce que la Cour de cassation enseignait, en
repoussant le pourvoi dont l’arrêt de la cour de Bor
deaux avait été l’objet K
1 49 juillet 1826.
�180
DE
LA LETTRE DE
CHANGE.
5®»t>is. — Ainsi, lorsque la lettre de change est
payable en France, on doit, sous peine de déchéance,
notifier le protêt et citer dans la quinzaine, peu importe
le lieu d’où la lettre est tirée ; qu’il y ait des signataires
résidants en pays étrangers. Ceux-ci peuvent, en vertu
de l’article 69 du Code de procédure civile, être cités au
parquet du procureur de la République dans l’arrondis
sement duquel la lettre de change est payable. Le délai
est donc plus que suffisant.
Mais le porteur peut, usant de la faculté que lui donne
l’article 176, se rembourser sur son cédant par une re
traite. Pourra-t-il, en cas de protêt de la nouvelle traite,
poursuivre son recours si ce protêt est postérieur à l’ex
piration du délai de quinzaine qui lui est imparti.
La retraite sur un endosseur domicilié et demeurant
en France peut être calculée de telle sorte que le refus de
payement s’effectuera dans le délai de l’article 165, ce
qui permettra de réaliser le recours en temps utile.
Mais, si le cédant est domicilié à l’étranger, il sera
impossible de présenter la nouvelle traite avant l’expira
tion de ce délai. Le tireur aura-t-il perdu tout recours,
ou bien suffira-t-il qu’il ait actionné son cédant endos
seur dans les délais de l’article 166.
La cour d’Aix vient de résoudre la question dans ce
dernier sens, par arrêt du 31 mars 1860.
Une traite payable à Marseille est tirée à Alexandrie
(Egypte), à l’ordre du sieur Mélicb, résidant français.
Celui-ci la transmet à la maison Gay-Bazin, de Mar
seille. Sur le refus de payement du tiré, la traite est
�protestée le 21 décembre 1857. La maison Gay-Bazin
fait retraite sur le sieur Mélich. Sur son refus de payer,
elle l’ajourne, le 22 février 1858, devant le tribunal
consulaire français d’Alexandrie.
Mélich excipe de sa qualité d’endosseur et soutient
que tout recours est perdu contre lui, faute par la mai
son Gay-Bazin d’avoir notifié Je protêt dans la quinzaine
avec citation au parquet du procureur de la Républi
que à Marseille. Cette exception est accueillie par le tri
bunal.
Mais, sur l’appel, la cour d’Aix réforme le jugement,
« attendu en droit que le porteur d’une lettre de change,
tirée de l’étranger sur France, endossée à l’étranger,
puis protestée en France faute de payement, a évidem
ment la faculté de notifier le protêt à son cédant et de
l’assigner en justice, soit dans le lieu où la traite est
payable, soit dans le lieu même du domicile réel du dé
fendeur ;
« Que s’il opte pour le premier mode de procéder con
tre un endosseur résidant hors de la France , il devra
forcément agir par la voie du parquet et se conformer
aux prescriptions des articles 165 du Code de commerce
et 69 du Code de procédure civile, en faisant ses notifi
cations dans la quinzaine du protêt au domicile du pro
cureur de la République près le tribunal du lieu où la
lettre est stipulée payable, sauf le délai de la distance de
l’ajournement ;
« Que s’il opte au contraire pour le second mode de
procéder, s’il veut appeler son cédant devant le tribunal
�t' !■i
î
ilj
IIP '
-iisÉ
du domicile réel de ce débiteur, ce n’est plus par la voie
du parquet qu’il aura besoin d’agir, mais par la voie de
citation directe, personnelle, et dès lors il aura, pour
exercer son action, l’indispensable délai des distances,
à raison de l’éloignement des deux domiciles ;
« Que, dans ce cas, il faut, il est vrai, s’il investit un
tribunal étranger, qu’il se soumette, pour les délais, à
la loi du pays dont il accepte la juridiction, mais que
cette obligation cesse si, comme dans la cause actuelle,
l’action est déférée à un de nos tribunaux consulaires
des Echelles du Levant, dans lesquelles les lois de la
France sont applicables aux résidants français.
« Qu’alors l’analogie et les principes de la réciprocité
indiquent que ce délai doit être supputé d’après les rè
gles établies dans l’article 166 du Code de commerce,
en renversant les rôles, ce qui donne un délai de six
mois au poursuivant des tireurs et endosseurs demeu
rant aux Echelles du Levant ;
« Que d’ailleurs ici la réciprocité est d’autant plus juste
qu’on peut dire qu’elle résulte d’un accord internatio
nal, puisqu’il y a parité de législation entre les deux
pays, et que le Code ottoman reproduit en sens inverse
les dispositions de notre article 166.
« Attendu enfin qu’en cette matière, où les délais du
recours doivent être prompts, le second mode dé pro
céder n’a rien de contraire à la célérité nécessaire au
commerce, par la raison que le porteur de la traite n’a
intérêt à l’employer que quand il lui procure un moyen
de poursuites plus expéditif que la voie du parquet, tan-
�ART.
164,
16b,
166,
167.
183
dis que le cédant ainsi assigné à son domicile y trouve
l’avantage de ne pas être distrait de ses juges naturels ;
«Attendu que d’après ces règles l’action introduite par
Gay-Bazin contre Mélich, protégé français, devant no
tre juridiction consulaire d’Alexandrie, dans les trois
mois de l’échéance et du protêt de la traite, était régu
lière et recevable ; que partant c’est à tort que les pre
miers juges ont déclaré les demandeurs déchus de tout
recours. »
L’arrêt aurait pu ajouter que le cédant avait d’autant
moins à se plaindre, que la voie adoptée ne pouvait lui
causer un préjudice quelconque, puisqu’elle laissait in
tact le recours qu’il avait à exercer contre ses coobligés.
Il est évident en effet que l’action intentée dans le délai
de l’article 166 l’autorisait à se pourvoir en temps utile
soit contre le tireur, soit contre les endosseurs précé
dents. Aucun d’eux n’aurait pu exciper du défaut de di
ligence au parquet, puisque le porteur n’était pas obligé
de les poursuivre tous et était autorisé à n’agir que con
tre son cédant individuellement.
En ce qui les concerne, il suffisait donc que ce der
nier eût été actionné dans les délais légaux, et que sa
garantie eût été à son tour réalisée en temps utile à
partir du jour où la dénonciation du protêt avec assi
gnation avait été faite à sa personne ou à son domicile
réel.
Donc, d’une part, absence absolue de préjudice ; de
l’autre, avantage d’être assigné devant son propre juge,
�184
DE LA LETTRE DE CHANGE
comment dès lors permettre la plainte et surtout l’ac
cueillir?
On pourrait d’autant moins hésiter que, se rembour
sant par une retraite, le porteur obéit aux convenances
commerciales. Les relations entre correspondants ne
comportent pas l’appel en justice préalable que les mai
sons honorables considéreraient avec raison comme un
affront. Donc, nul ne doit être admis à se faire une
arme d’un procédé que la loi avoue et que les conve
nances commandent h
Concluons donc que le porteur d’une traite tirée de
l’étranger sur France ne doit faire ses diligences au par
quet du procureur de la République que s’il ajourne le
cédant résidant en pays étranger devant le tribunal du
lieu du payement ;
Mais qu’il n’est pas obligé de suivre cette voie ; qu’il
peut, si son intérêt l’exige, fournir en retraite sur ce
cédant.
En cas de refus de payement, il doit lui notifier le
protêt fait en France avec citation devant le juge de son
domicile.
Si ce juge est lui-même étranger, le sort de la de
mande, quant au délai dans lequel elle doit être inten
tée, est réglé par la loi du pays.
Si le tribunal compétemment saisi est français, ce dé
lai est celui déterminé par l’article 166 du Code de com
merce 2.
1 In fra , n °s 5 7 7 e t s u iv .
2 T r ê v e s , 2 7 j u ille t 1 8 1 0 . G ê n e s , 1 3 a o û t 1 8 1 3 .
�art.
164,
165,
166,
167.
185
510. — Après avoir ainsi réglé le délai de la cita
tion en justice pour les effets de commerce payables en
France, le Code de commerce détermine celui qu’il ac
corde pour ceux payables en pays étrangers, c’est là
l’objet de l’article 166.
Cet article serait une exception au principe tant in
voqué à l’occasion du délai de la présentation et du
protêt des lettres à vue ou à un certain temps de vue, à
savoir : que tout ce qui concerne le payement d’effets de
commerce est soumis à la législation du lieu dans le
quel ils sont payables. Aussi, sa consécration prouve l’é
clatante vérité des paroles de M. Desèze, invoquant,
dans son rapport de la loi de 1817, cet autre principe :
Qu’en matière de recours, c’est toujours à la législation
du pays dans lequel il doit s’exercer qu’on doit s’en
rapporter. L’article 166 ne statuant que sur ce recours,
sa légitimité ne saurait être contestée.
Sa disposition fut cependant attaquée au conseil
d’Etat, mais sous un autre rapport.Les délais des ajour
nements, disait-on, ont été réglés par l’article 73 du
Code de procédure civile, il n ’y a donc qu’à s’en référer
à ses prescriptions.
Mais on répondit que le Code de procédure ne dispo
sait que pour ce qui concerne les possessions françaises,
hors du continent, tandis que le commerce liait tous
les peuples ; qu’en fait et dans certaines circonstances,
les délais de l’article 73 seraient insuffisants, qu’il con
venait donc d’en adopter de spéciaux pour la matière
�186
DE
LA LETTRE D E CHANGE
commerciale. La consécration de cette opinion fit adop
ter l’articlf 166.
En' conséquence, le porteur d’un effet de commerce
protesté a; pour en ajourner les débiteur, tireur ou en
dosseurs :J
Deux mois pour les effets payables en Corse, dans
l’île d’Elbe ou de Capraja, en Angleterre et dans les
Etats limitrophes de la France ;
Quatre mois pour ceux payables dans les autres Etats
de l’Europe ;
Six moisjpour ceux payables aux Echelles du Levant
et sur les ($tes occidentales de l’Afrique ;
Un an pour ceux payables aux côtes occidentales de
l’Afrique jfsques et compris le cap de Bonne-Espérance,
et dans lesf Indes occidentales :
*
Enfin, djsux ans pour ceux payables dans les Indes
orientales.Ces trois; derniers délais de six mois, un an et deux
ans sont doublés en cas de guerre maritime.
I
,
'
5 1 t.
-44 L’exigence d’une citation en justice dans
les délais cfi-dessus a soulevé notamment les deux diffi
cultés que iiyoici : Quel sera l’effet de la citation donnée
devant un juge incompétent ? La citation doit-elle être
suivie d’un jugement ?
La première question a été tranchée par la cour de
Caen, le 1er février 1842. Cet arrêt, considérant que les
principes généraux du droit civil sont applicables en ma
tière commerciale dans les points sur lesquels le Code de
�art .
164,
165,
166,
167.
187
commerce n’a pas de disposition spéciale repoussant
cette application ; considérant qu’on doit assimiler aux
prescriptions, et régir par les mêmes règles, les dé
chéances prononcées par la loi pour laps de temps, et
spécialement la déchéance contre le porteur d’une let
tre de change ou d’un billet à ordre faute par lui d’avoir
exercé dans les délais légaux l’action qui lui est ouverte,
déclare que la déchéance est empêchée par l’assignation
donnée même devant un tribunal incompétentx.
La cour de Caen décide un principe de droit commun
sur lequel on est loin d’être d’accord. En effet, l’assimi
lation absolue des déchéances aux prescriptions est con
testée, notamment par M. Troplong2. Cependant ce qui
est incontestable, c’est que, pour les intéressés à la let
tre de change, la déchéance les libérant d’une manière
complète, prend le véritable caractère de la prescription.
Quoiqu’il en soit, la doctrine de la cour de Caen
aboutit à un résultat qui nous paraît non seulement ju
ridique, mais encore commandé par l’esprit de la loi.
En effet, ce que la loi a voulu, ce qu’elle a entendu pu
nir, c’est la négligence du porteur, laissant les endos
seurs dans l’ignorance du refus du payement, les pla
çant dans l’impossibilité d’exercer leur recours, et les
exposant à en perdre le bénéfice.
Or, aucun de ces inconvénients ne se produit lorsque
dans le délai voulu le porteur a notifié le protêt et donné
1 J. du P., 2, 4842, 5S1.
2 De la prescription, n° 27 .
�188
DE LA LETTRE DE CHANGE.
l’assignation. Dès lors la déchéance n’a plus aucune
raison d’être, et cesse par cela même d’être juste et lé
gitime. Sans doute l’assignation aura été donnée devant
un juge incompétent, mais, comme le relevait très judi
cieusement un arrêt de la cour de Bourges, du 12 mars
1S13, cela ne pouvait faire que la citation fût nulle. En
avait-elle moins instruit l’endosseur à qui elle était
donnée que la lettre de change n’avait pas été payée ?
Provoqué les poursuites contre son cédant ? L’avait-elle
moins mis en état de les réaliser ?
Or, si tout cela était acquis, comment et sous quel
prétexte appliquer l’article 168. Loin d’avoir négligé les
formalités qu’il devait remplir, en réalité le porteur les
avait accomplies. L’incompétence du juge peut bien
amener la nécessité d’une instance nouvelle, mais elle
ne saurait jamais et dans aucun cas effacer l’exécution
que l'article 165 a reçue, ni en faire perdre le bénéfice.
512.
— La manière dont la cour de Caen a résolu
cette première difficulté doit donc être approuvée. Il en
est de même de la solution qu’elle a donnée à la seconde,
en jugeant que la citation en justice ne devait pas être
immédiatement suivie d’un jugement sous peine de dé
chéance.
L’opinion contraire est enseignée notamment par
M. Persil. Si une simple citation suffisait, dit-il, elle
serait sans motif, on aurait pu se borner à exiger la no
tification du protêt ; d’où, il conclut que la première
�art.
464, 165, 166, 167.
189
n’est prescrite que pour arriver sans délai à un juge
ment.
Cette opinion ne saurait trouver aucun appui dans le
texte ni dans l’esprit de la loi. L’article 165, en effet,
ne prescrit que la notification et la citation en justice. Ce
serait donc ajouter gravement à sa disposition que d’exiautre chose, que d’en faire résulter une déchéance
qu’il n’a nullement prévue.
Le silence gardé par le législateur s’explique par cette
double considération. La prononciation du jugement ne
saurait intéresser l’endosseur, car la dénonciation du
protêt et l’ajournement ont suffi pour le mettre en po
sition de demander son remboursement à son cédant ;
l’instance une fois introduite ne peut être légalement
éteinte que par la péremption, elle conserve donc jus
que-là toute son autorité, et maintient les droits du de
mandeur. Comment donc admettre une déchéance ?
Celle-ci ne pourrait être acquise que si l’inaction du
porteur s’étant prolongée plus de trois ans, la péremp
tion de l’instance avait été demandée et prononcée.
Alors, en effet, tous les actes antérieurs, notamment la
citation, se trouvant effacés, en droit l’article 165 n’au
rait pas été exécuté et la déchéance du porteur devien
drait une conséquence forcée l.
— Voilà donc les devoirs que la loi impose
au porteur pour la régularité du recours qu’il est en
513.
1 N o u g u ier, p . 3 8 0 . C a s s., 2 8 j u ille t 1 8 2 4 , 11 m a rs
1838.
�190
DE LA LETTRE DE CHANGE
droit d’exercer. Mais il en est de ces devoirs comme de
ceux prescrits par l’article 162. Le porteur en serait
dispensé par la force majeure, ou par la convention
contraire intervenue entre lui et son cédant, enfin par
la clause de: retour sans frais.
La convention n’a pas même besoin d’être expresse,
• elle résulterait tacitement de tous les faits indiquant l’in
tention d’éviter toutes démarches de la part du porteur.
La Cour de cassation l’a induite de l’engagement pris
par l’endosseur d’un billet protesté d’en rembourser le
montant à son cessionnaire l.
41
— Si le porteur exerce son action collective
ment contre le tireur et les endosseurs, il doit remplir
les formalités que nous venons d’indiquer. Les seules
modifications à faire sont celles naissant du nombre
même des défendeurs.
Ainsi chacun d’eux doit recevoir notification du pro
têt avec assignation dans la quinzaine. Le Code ne per
met plus ce qui était autorisé par l’ordonnance, à sa
voir : de citer tous les garants en la personne de l’un
d’eux.
Le délai de quinzaine courra du jour du protêt, mais
le porteur ne saurait réclamer autant de fois quinze
jours qu’il y a d’endosseurs différents, il n’y a qu’un
seul délai pour tous, il ne pourrait même appliquer à
514.
i 3 janvier -1848. J. du P ., 1, 1848, 428. V. cass., 20 juin J827,
23 décembre 1836.
�ART.
164, 165, 166, 167.
191
l’endossenr domicilié dans la distance de cinq myriamètres l’augmentation de délai dont il profiterait à l’égard
de celui qui résiderait dans une localité distante de plus
de sept myriamètres et demi. Cette augmentatifrn est ex
clusive à celui-ci. En conséquence, si le délai/de quin
zaine était expiré, ce dernier pourrait être endore vala
blement assigné, mais le premier serait définitivement
libéré.
!
Si la poursuite est personnelle et exclusive du cédant
immédiat, l’ajournement doit être donné à s$n domi
cile. Dans le cas d’action collective, toutes lefc parties
sont régulièrement appelées au domicile de l’unê d’elles,
au choix du porteur.
t
515.
— L’endosseur qui a remboursé le! porteur
prend à son tour cette qualité à l’endroit du tireur, de
l’accepteur, des cautions et des endosseurs qui le pré
cèdent ; il jouit dès lors, en ce qui les concerne, de tous
les droits du porteur qu’il a désintéressé, il peut donc
les attaquer ou individuellement, ou collectivement, à la
charge de remplir les formalités que nous venons d’in
diquer.
Aucune difficulté ne saurait s’élever sur le point de
départ du délai de quinzaine, lorsque l’endosseur a
remboursé sur citation en justice ou après. L’article \ 67
le fixe au lendemain de la citation. Qu’en serait-il en
cas de remboursement purement amiable ?
Ce remboursement désintéressant le porteur lui enlève
toute qualité et tout titre pour citer ultérieurement l’en-
�192
DE LA LETTRE DE CHANGE.
dosseur qui l’a payé. Donc la détermination du délai
du jour de la citation est impossible.
Celle qui le ferait courir du lendemain du protêt se
rait injuste, car le remboursement peut n’avoir été ef
fectué que plus tard, et dans ce cas l’endosseur n’aurait
pas ce délai franc que la loi entend lui assurer.
Il n’y avait qu’une détermination rationnelle, à sa
voir : celle qui fixerait le point de départ du délai au
lendemain du remboursement, et c’est celle-là que la
jurisprudence a consacrée.
Le contraire avait été jugé par deux tribunaux de
commerce : celui de Senlis et celui de Troyes. Ils avaient
admis : le premier, par jugement du 30 mai 1815, le
second, par jugement du 4 novembre 1844, que, pour
l’endosseur qui a remboursé sur protêt et avant cita
tion, le délai de quinzaine devait partir du lendemain
du protêt.
Mais ces jugements, déférés à chacune de ces époques
à la Cour régulatrice, y ont reçu le même accueil, c’està-dire qu’ils ont été cassés l’un et l’autre.
« Attendu, dit la Cour de cassation, que si pour le
porteur le délai de quinzaine court à partir du protêt,
pour l’endosseur qui a remboursé volontairement et
après protêt, il court le lendemain du remboursement
volontaire, parce que c’est seulement au jour de ce rem
boursement que l’endosseur a été subrogé aux droits
du porteur ; ce qui s’induit d’ailleurs suffisamment des
termes du deuxième alinéa de l’article 167, qui accorde
�art .
164, 166, 166, 167.
195
à chacun des endosseurs, pour exercer son recours, le
même délai qu’au porteur l. »
Le délai de quinzaine ne court donc, pour l’endos
seur qui rembourse amiablement après protêt, que du
lendemain du remboursement. Il est dès lors d’un grand
intérêt d’en fixer la date, soit par un acquit sur la let
tre de change, soit par une quittance séparée. L’un ou
l’autre ferait foi de la date qui y serait indiquée, mais
jusqu’à preuve contraire seulement, car elle pourrait
n’avoir été apposée qu’après coup et pour soustraire
l’endosseur à la déchéance qu’il aurait encourue.
Si l’époque du remboursement n’était pas fixée, l’en
dosseur serait admissible à la prouver par toutes sortes
et manière de preuves et même par témoins. C’est ce
qui s’induit notamment de l’arrêt de la Cour de cassa
tion, du 2 février 1846.
Si le remboursement n’a lieu qu’après citation en
justice, le délai ayant commencé à courir du lendemain
de cette citation ne cesse pas de courir à partir de cette
époque. Ici l’endosseur était, même avant d’avoir rem
boursé, en mesure de poursuivre ses propres garants, et
il devait le faire. Il n’est pas possible que le payement
’ efface le délai déjà couru et que par son propre fait l’en
dosseur proroge celui de la déchéance. L’intention de
rembourser, loin d’être un obstacle à l’exercice du re
cours, devait au contraire en hâter l’exécution.
Enfin, si l’endosseur remboursé après une poursuite
i 9 mars 1848, 2 février 1846. J . d u P . 1, 1846, 239.
n — 43
�194
DE LA LETTRE DE CHANGE
collective de la part du porteur, il n’a plus aucune for
malité à remplir. Subrogé à tous les drois de celui-ci,
il l’est également au profit de la procédure qu’il peut
suivre en son nom, suivant ses derniers errements.
Il en est des endosseurs comme du porteur quant au
délai. Celui qui a remboursé a un délai franc de quin
zaine pour se pourvoir soit contre son cédant, soit con
tre chacun des autres signataires. Mais ce délai est uni
que, et on déciderait pour l’endosseur ce que nous déci
dions tout à l’heure pour le porteur.
ARTICLE
468.
Après l’expiration des délais ci-dessus,
Pour la présentation de la lettre de change à vue, ou
à un ou plusieurs jours ou mois ou usances de vue,
Pour le protêt faute de payement,
Pour l’exercice de l’action en garantie,
Le porteur de la lettre de change est déchu de tous
droits contre les endosseurs.
ARTICLE
469.
Les endosseurs sont également déchus de toute action
en garantie contre leurs cédants, après les délais ci-des
sus prescrits, chacun en ce qui le concerne.
�ARTICLE
470.
La même déchéance a lieu contre le porteur et les
endosseurs, à l’égard du tireur lui-même, si ce dernier
justifie qu’il y avait provision à l’échéance de la lettre
de change.
Le porteur, en ce cas, ne conserve d’action que con
tre celui sur qui la lettre était tirée..
ARTICLE
474.
Les effets de la déchéance prononcée par les trois a r
ticles précédents cessent en faveur du porteur, contre le
tireur, ou contre celui des endosseurs qui, après l’expi
ration des délais fixés pour le protêt, la notification du
protêt ou la citation en jugement, a reçu par compte,
compensation ou autrement, les fonds destinés au paye
ment de la lettre de change.
SOMMAIRE
516.
517.
518.
519.
520.
Objetïdes articles 168, 169 et 170.
Convenance de la peine qu’ils prononcent.
Véritable portée de l’article 168, quant à l'inobservation
des formalités.
Caractère de la déchéance. Conséquences.
Doit-on l ’opposer in limine litis ?
�196
521.
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Effet de la déchéance à l’endroit des endosseurs et de leurs
cautions.
522.
523.
A l ’égard du tireur.
Caractère de l’obligation de prouver l’existence de la pro
vision.
524. Conséquences en cas de faillite du tiré avant l’échéance.
525. Position des donneurs d ’aval garantissant le tireur.
526. L ’exception de l’article 170 peut-elle être invoquée par le
souscripteur d’un billet payable à domicile ?
527. Caractère de l ’action donnée par l’article 170, contre le
tiré ayant provision. Conséquence.
528. Equité de la disposition de l’article 171 , sa véritable
portée.
529. A quelle époque le tireur pourrait-il substituer la provi
sion résultant d’une créance sur le tiré, à celle origi
nairement consignée.
530. Les dispositions concernant le porteur s’appliquent à l’en
dosseur exerçant son recours.
531. L ’endosseur qui a encouru la déchéance ne pourrait agir
contre les autres, en vertu de la subrogation que lui
aurait consentie le porteur.
531bis. La citation collective donnée par le porteur ne dispense
pas les endosseurs de la nécessité d’agir personnelle
m ent.
532. Position de l’endosseur qui a remboursé le porteur, malgré
la déchéance à l ’endroit de celui-ci.
533. — A l ’endroit des endosseurs.
534. Le porteur est-il déchargé de la déchéance par la certitude
de la fausseté de la lettre de change ?
L ’obligation d’indiquer son cédant est imposée même à ce
lui qui a transmis la lettre de change sans la signer.
535 bis. Loi du 5 juin 1850. Caractère de la déchéance qu’elle
crée. Débats législatifs.
535ter. Cette déchéance profite-t-elle aux donneurs d’aval ?
535.
�516. — Les articles dans l’examen desquels nous
entrons renferment la sanction pénale des obligations
prescrites par les articles précédents. On a remarqué,
en effet, que ces derniers gardaient le plus absolu si
lence sur les conséquences que leur inexécution était
dans le cas d’entraîner.
Ce n’était pas tout cependant que d’avoir ordonné
des formalités, plus le but qu’elles se proposaient était
essentiel, et plus on devait veiller à leur accomplisse
ment, lequel était subordonné à l’intérôt qu’il offrirait.
S’en référer à cet égard à la volonté unique de la partie,
s’abstenir de toute pénalité, c’était, non pas comman
der, mais implicitement autoriser une inexécution de
vant l’innocuité de laquelle personne ne reculerait. On
anéantissait par là tous les efforts que le législateur a
tentés pour arriver à une prompte solution.
Cette éventualité a motivé la consécration des articles
468, 169 et 170. Le porteur n’est plus libre de s’abste
nir. S’il ne présente pas la lettre à vue ou à un certain
temps de vue, si, quelle qu’en soit la nature, il n’a pas
fait protester à l’échéance, si, dans les quinze jours, il
n’a pas fait notifier le protêt et cité son cédant ou tous
ses débiteurs en justice, il perdra tout recours contre
les endosseurs, et, selon le cas, contre le tireur luimême.
51® . — La convenance de cette peine ne saurait
être méconnue, elle résultait de la position respective
des parties. La loi suppose que chacune d’elles est en
�198
DE LA LETTRE DE CHANGE.
position ou s’est mise en mesure pour ne pas prolonger
au-delà de l’échéance la responsabilité qu’elle a accep
tée. Pour cela, il faut que le jour indiqué voie le paye
ment se réaliser.
L’exigence de ce payement, que seul le porteur peut
formuler, n’est donc pas dans son intérêt exclusif. Elle
est bien plutôt dans celui des endosseurs, puisque le
recours de chacun d’eux, étant plus restreint que celui
du porteur, offrira de bien moindres garanties. De là,
également une nécessité plus grande de veiller à sa con
servation.
Or, seul le porteur est chargé de ce soin. Il est donc
en quelque sorte et forcément le negotiorum gestor des
endosseurs, obligé dès lors de les indemniser du préju
dice que pourrait occasionner la négligence qu’il aurait
mise à en remplir les devoirs ; des conséquences, par
exemple, d’une insolvabilité survenue après l’échéance,
des chances quelconques rendant le payement plus dif
ficile.
Donc, la seule indemnité capable d’atteindre à l’éten
due du préjudice était celle qui faisait désormais du
payement la chose propre et unique du porteur, le
laissant seul exposé à toutes les chances préjudiciables
que son inaction pouvait avoir créées.
518. — Les termes de l’article 168 ne peuvent of
frir aucun doute sur leur véritable sens. La déchéance
n’est pas seulement la conséquence de la violation de
l’ensemble des formalités, elle est encourue par cela
�.
ART.
168, 169, 170, 171.
i
99
seul qu’une de ces formalités a été omise ; ainsi, sup
posez que le protêt n’a pas été fait en temps utile, vai
nement aurait-il été notifié avec assignation dans la
quinzaine de sa date, la déchéance n’en serait pas moins
encourue. Il en serait de même si le protêt ayant été
fait en temps utile n ’avait pas été notifié, ou si sa noti
fication n ’avait pas été accompagnée ou suivie d’un
ajournement dans la quinzaine.
Le porteur ne peut donc échapper à la déchéance
que par l’accomplissement successif de toutes les forma
lités ordonnées, et dans les délais prescrits. L’omission
d’une seule enlèverait tout le bénéfice de l’accomplisse
ment des autres. C’est surtout en cette matière qu’on
doit dire avec le droit romain : Qui cadit a syllaba
cadit a loto.
— La déchéance résultant de l’omission ou de
l’irrégularité des formalités prescrites est générale et ab
solue. Elle est opposable à tout porteur, au mineur luimême, sauf recours contre son tuteur.
Mais elle n’est pas d’ordre public. De là, cetta consé
quence que les parties, qui pouvaient dispenser de l’obli
gation de remplir ces formalités, peuvent renoncer aux
effets de leur inaccomplissement et relever le porteur de
la déchéance. L’appréciation de cette intention est lais
sée à la prudence du juge. Il peut la faire résulter de ce
que, sur l’action en remboursement contre l’endosseur,
celui-ci s’est borné à solliciter un délai au lieu d’oppo
ser la déchéance ; ou de ce que, malgré l’inexécution
S I».
�200
DE LA LETTRE DE CHANGE
des formalités légales, l’endosseur aurait volontairement
rem boursé le porteur l .
Cette intention existerait bien mieux encore, si l’inexé
cution avait été autorisée et convenue par la partie in
téressée. L’existence de cette convention peut, non seu
lement être admise par le juge, mais encore être prouvée
par témoins3.
520. — Ainsi, la renonciation aux effets de la dé
chéance peut être tacite, m ais à la condition que le fait
dont on voudra l’induire emporte nécessairement une
intention conforme.
Or, on ne saurait attribuer cet effet à l’omission de se
prévaloir in limine litis, de l’exception de déchéance.
Sous ce rapport encore, celle-ci est assimilée à la pres
cription et peut être opposée en tout état de cause, en
appel pour la première fois, pourvu toutefois que la dé
fense présentée n’implique pas la renonciation à s’en
prévaloir. En d’autres termes, on appliquerait ici la dis
position de l'article 22214 du Code civil3.
521. — La déchéance encourue par le porteur li
bère de plein droit les endosseurs. Le Code a, à leur
égard, innové à l’ancienne législation. Sous l’ordon
nance de 1673, en effet, les endosseurs n’étaient libérés
1 Pardessus, Droit comm., n° 433. Bordeaux, 14 mars 1828.
3 Cass., 3 juillet 1843. J. du P ., 2, 1843, 778.
3 Cass., 29 juillet 1819. Agen, 19 janvier 1833. D, P., 33, 2, 142.
�ART. 168, 169, 170, 171.
201
q u ’en justifiant q u ’il y avait provision à l’échéance, au
jo u rd ’hu i, leur libération est absolue et sans condition
aucune, elle est la conséquence im m édiate et forcée de
l’omission ou de l’irrégularité des formalités prescrites
au porteur.
Le même effet est acquis en faveur des cautions don
nées pour le compte exclusif des endosseurs. Nous
avons déjà dit notam m ent que les donneurs d ’aval en
faveur d ’un endosseur jouissent de tous les droits de ce
lui-ci , comm e ils sont tenus de ses obligations. Us
trouvent donc nécessairement leur libération dans le fait
déterm inant celle du débiteur q u ’ils garantissaient.
Au reste, ce qui a décidé le législateur à décharger
les endosseurs de toute responsabilité, en cas de dé
chéance,
c’est l’exacte appréciation de leur position.
Ainsi, si chacun d ’eux a reçu le m onlant .de la lettre de
change en la négociant, c’est q u ’il l’avait déboursé en
s’en chargeant. En réalité, donc, il n ’a reçu que ce qui
lui était dû. Sa libération par suite de la déchéance ne
l’enrichira donc jam ais aux dépens de qui que ce soit.
On a pu cependant, dans l’intérêt du commerce, leur
imposer une garantie, m ais il était juste d ’en abandon
ner les effets à l’exécution stricte des conditions aux
quelles on pouvait en invoquer les effets.
5 3 S . — Telle n ’est pas la position ordinaire du ti
reur. Cependant, on ne saurait m éconnaître l ’assim ila
tion existant entre l’endosseur et lui, lorsque, rem plis
sant son devoir, il a fait, avant l ’échéance, provision
�202
DE LA LETTRE DE CHANGE
entre les mains du tiré. On ne dira certes pas de lui
qu’il n’a reçu que ce qui lui était dû, mais, en réalité, il
a payé ce qu’il devait, et si le profit de ce payement lui
échappe par l’effet de la négligence du porteur, il est
juste qu’il en soit indemnisé.
C’est cette considération d’équité qui a fait consacrer
l'article 170. Si la provision est justifiée, les chances fu
tures du payement, quelles qu’elles soient, demeurent
aux risques et périls du porteur qui n’a pas fait toutes
ses diligences en temps utile, ou qui a omis de les faire.
5 3 a . — L’obligation pour le tireur de justifier que
la provision existait à l’échéance est absolue, elle est à
sa charge, alors même que le tiré eût accepté. L’accep
tation ne prouve la provision qu’à l’égard des tiers, elle
ne fait que la supposer vis-à-vis du tireur. Or, le béné
fice de la libération ne pouvait être le prix d’une sup
position plus ou moins fondée, il ne pouvait être que la
conséquence d’une certitude. Comment acquérir celleci, si ce n’est par la preuve que la provision existait
réellement. Le préjudice ne pouvant résulter que de cette
existence, on ne devait en accorder la réparation que
lorsque aucun doute raisonnable ne pouvait s’élever à
cet égard.
En conséquence, qu’il y ait ou non acceptation, la
simple dénégation du porteur suffit pour obliger le ti
reur à faire preuve que la provision existait réellement.
5 3 4 . — Le but de cette obligation, les motifs sur
�art.
168, 169, 170, 171.
203
lesquels elle repose amènent à une conséquence qu’il est
bon de signaler. Les endosseurs étant libérés par le fait
seul de la négligence ou de l’omission du porteur, sans
qu’ils aient à s’occuper de la provision, on a pu décider,
pour ce qui les concerne, que le porteur n’était pas dis
pensé du protêt par la faillite de l’accepteur ou du tiré,
avant l’échéance.
Il ne saurait en être de même à l’égard du tireur. Sa
libération est subordonnée à la preuve que la provision
existait à l’échéance, et qu’elle était disponible en mains
du tiré. Où serait l’utilité de la preuve de la provision,
si celle de sa disponibilité était impossible.
Or, cette impossibilité résulte de la faillite. La provi
sion confondue dans l’actif du tiré ne constituerait plus
en faveur du tireur qu’un droit de créance lui confé
rant celui de recevoir le dividende que la faillite pro
duira. Ce n’est donc plus là cette provision que le por
teur devait exiger et qui devait le désintéresser intégra
lement. Quelle serait donc, dans cette hypothèse, l’utilité
du protêt, sur quel motif reposerait la déchéance ?
Déjà l’exception que nous indiquons était admise
sous l’ordonnance de 1673. La faillite certaine de l’ac
cepteur avant l’échéance relevait le porteur de la dé
chéance que lui aurait fait encourir, en temps ordi
naire, le défaut de protêt l.
M. Frémery a raison de qualifier cette doclrine de
i Paris, 19 nivôse an xii.
�204
DE LA LETTRE DE CHANGE
rationnelle et juste, et d’en conseiller l’adoption. C’est
ce conseil que la jurisprudence a suivi L
En conséquence, si le tiré vient à faillir avant l’é
chéance, le tireur ne devrait pas seulement prouver
l’existence certaine de la provision, il ne pourrait être li
béré par le défaut de protêt ou la tardiveté des diligen
ces du porteur, qu’en justifiant que par les mesures
qu’il avait prises la lettre eût été acquittée, nonobstant
la faillite.
5 3 5 . — La déchéance que le tireur peut invoquer,
peut également l’être par ses cautions. Ainsi, les don
neurs d’aval garantissant sa signature pourraient être
libérés par le défaut de protêt, mais de la même ma
nière et dans les mêmes circonstances que le tireur luimême, et surtout, et dans tous les cas, à la condition
de prouver la provision.
5 3 6 . — L’article 170, par la nature de sa disposi
tion, est évidemment spécial aux lettres de change. Le
souscripteur d’un billet à ordre n’ayant aucune provi
sion à réaliser, ne saurait jamais être exposé au préju
dice que l’article 170 a pour objet de réparer.
Cette proposition, incontestable en matière de billets
à ordre ordinaires, l’est-elle dans tous les cas ? Le sousi Frémery, p. 141 et suiv. Cass., 7 janvier 1814. Bordeaux, 10 fé
vrier 1824. Cass , 31 juillet 1832. Paris, 12 août 4837. J. du P ., 2,
4837, 393.
�ART.
168, 169, 170, 171.
205
cripteur d’un billet payable à un domicile désigné pour
rait-il exciper de la règle tracée par l’ariicle 170?
La raison de douter, dit M. Pardessus, vient de ce
qu’il n ’est pas possible d’admettre qu’un débiteur soit
libéré par cela seul que son billet ne lui a pas été pré
senté à l’échéance ; que dans ce cas le souscripteur a dû
s’informer si son mandataire avait payé, et ne peut être
libéré que par une consignation dans les formes indi
quées par la loi ; que le billet à domicile diffère de la
lettre de change, celle-ci constituant partie intégrante le
tiré, dont la personne a été considérée de telle manière
qu’il faut procurer son acceptation ou donner caution ;
que le billet n’admet pas comme partie celui au domi
cile duquel le payement sera fait, parce que ce n’est
pas sa personne, mais sa maison quon a eu en vue, et
que le souscripteur du billet est toujours le seul débi
teur direct.
A ces raisons, M. Nouguier, qui se prononce contre
la déchéance du porteur, ajoute que l’article 170 n’est
pas applicable, parce qu’on ne peut étendre une dé
chéance d ’un cas à un autre ; que çette inapplicabilité
d’ailleurs se justifie par les différences existant entre le
billet à domicile et la lettre de change l.
L’inapplicabilité légale de l’article 170 ne saurait être
un argument sérieux en présence de l’article 187. Celuici, en effet, déclare communes aux billets à ordre no-
1 Pardessus, Droit commercial, n° 481. Nouguier, 1 . 1, p. S33.
�206
DE LA LETTRE DE CHANGE
tamment les dispositions des articles 460 et suivants, ce
qui renferme celle de l’article 470.
En fait, il a sans doute une différence majeure entre
le billet à ordre et la lettre de change, car, pour le pre
mier, une provision est le plus souvent une chose im
possible, mais le contraire peut se réaliser, et alors la
différence disparaît et s’efface. C’est ce qui se réalise
surtout lorsque le billet à ordre est payable au domicile
d’un tiers. Le choix de ce domicile constitue l’élection
pour l’exécution. Le souscripteur peut y être légalement
ajourné, c’est le juge de ce domicile qui sera compé
tent ; c’est là que le payement devra être demandé, c’est
là dès lors que la somme devra être envoyée et con
signée b
à. l’objection que c’est un domicile plutôt qu’une per
sonne qui est indiqué, nous répondons qu’il en est de
même lorsque le payement de le lettre de change est in
diqué ailleurs qu’au domicile du tiré. Hésiterait-on à
proclamer sa déchéance si le porteur ne faisait pas pro
tester au domicile indiqué, s’il se contentait de le faire
à celui du tiré. Pourquoi ne l’admettrait-on pas lorsque
l’indication du payement ailleurs qu’au domicile du sous
cripteur a déterminé l’envoi de la provision ? Pourquoi
imposerait-on la chance de perte au souscripteur dili
gent plutôt qu’au porteur qui n ’a pas rempli son devoir?
i Lyon, 30 août 1825. Cass., 13 janvier 1829. Bordeaux, 4fév. 1835.
Paris, 8 juillet 1836. Aix, 1er février 1838. J . du P., 2, 1838, 316.
- V, in f., n°® 691 et suiv.
�akt .
\ 68, 169, 170, 171.
207
Donc les raisons de douter, relevées par M. Pardes
sus, ne sauraient suffire pour faire consacrer l’opinion
que M. Nouguier a embrassée. Cette opinion, condam
née par M. Pardessus lui-même, l'a été également en
doctrine et en jurisprudence l.
531
?. — Lorsque le tireur ou le souscripteur du
billet à domicile a été libéré par la preuve qu’il y avait
provision, le tiré ou le tiers, au domicile duquel le
payement devait être effectué, devient un véritable ac
cepteur, en ce sens qu’il est désormais le seul auquel le
porteur puisse s’adresser. Mais l’action qui lui est ou
verte n ’est autre que celle que nous indiquions tout à
l’heure, à savoir : l’action oblique autorisée par l’article
1166 du Code civil. Le tireur ou souscripteur, en fon
dant sa libération sur l’existence de la provision, en dé
lègue de plein droit le profit au porteur. C’est en vertu
de cette délégation que celui-ci poursuivra la restitution
des valeurs formant cette provision.
Lui seul, en effet, pourra obtenir cette restitution. Il
est en effet évident qu’il ne suffirait pas au tireur de
prouver qu’il y avait provision à l’échéance, si depuis et
par son fait il a mis le porteur dans l’impossibilité de se
la faire restituer, comme si depuis l’expiration des délais
pour le protêt, la notification avec citation, il avait luimême reçu du tiré les valeurs destinées à la provision.
i Pothier, Change, n° 215. Merlin, Quest., v° Sillet à dom , n° 4.
Cass., 4 frimaire an vin et 31 juillet 1817.
�208
DE LA LETTRE DE CHANGE
5 3 8 . — Cette prescription de l’article 171 se justi
fie d’elle-même, et son application à l’endosseur était
indiquée par la raison et la justice. Le tireur qui a re
pris ce qu’il avait donné en payement de sa dette a,
annulé ce payement avec obligation de le réaliser plus
tard.
L’endosseur qui s’applique les valeurs formant la
provision de la lettre de change en retire une seconde
fois le montant qui lui a été payé une première fois lors
de sa négociation.
Dans l’un et l’autre cas, la déchéance du porteur
n ’aurait d’autre effet que de libérer gratuitement le ti
reur, que d’enrichir l’endosseur aux dépens du porteur
lui-même, elle constituerait donc une iniquité juste
ment proscrite par l’article 171, qui n’a fait au reste, en
ce point, que copier l’ordonnance de 1673 L
Remarquons bien que ce que la loi défend au tireur
et à l’endosseur de retirer, ce sont les valeurs consignées
à titre de provision, c’est-à-dire les fonds destinés au
payement de la lettre de change. Dès lors, on ne saurait
leur appliquer l’effet de la prohibition si, en relations
d’affaires avec le tiré, ils avaient été payés par lui des
sommes dont ils seraient ses créanciers, indépendam
ment de la lettre de change.
5 3 9 . — L’existence d’une créance sur le tiré, pour
rait même justifier le retirement des choses primitivei Tit. v, art. <17.
�ART. 168, 169, 170, 171.
209
ment affectées. Aux termes de la loi, la provision ré
sulte de ce qu’à l’échéance le tiré est débiteur du tireur
d’une somme au moins égale ou montant de la lettre
de change. Or, rien n’empêche celui qui, ayant d’abord
donné des marchandises pour provision d’une lettre de
change, serait depuis devenu créancier du tiré d’une
somme égale à son montant, de retirer les marchandi
ses et de leur substituer sa créance.
La légalité de cette substitution serait incontestable,
mais à une condition rigoureuse, à savoir: que la subs
titution se fût réalisée dans un moment non suspect et
où la dette du tiré représentait une valeur réelle et cer
taine.
En conséquence, la substitution de provision faite
après la faillite du tiré serait nulle et de nul effet. Alors,
en effet, la marchandise, d’abord consignée à titre de
provision, était une valeur utile pour le porteur à qui
elle était affectée par privilège ; la créance sur le tiré ne
représentait plus qu’un droit à un dividende éventuel.
Comment donc admettre la substitution de celle-ci à
celle-là ? On devrait donc, dans ce cas, appliquer l’ar
ticle 171, et décider que le tireur n’avait pu rejeter sur
le porteur l’effet de la perte qu’il subit en sa qualité de
créancier 1.
5 3 0 . — La peine encourue par le porteur est com
mune à l’endosseur qui a remboursé le porteur. Devenu
i
C ass, 7 germinal an
x ii.
n — 14
�210
DE LA LETTRE DE CHANGE.
tel à son tour, il est tenu de toutes les obligations qui
étaient imposées à ce dernier. La négligence qu’il met
trait à les remplir utilement aurait donc pour consé
quence la perte de tout recours, soit contre les endos
seurs précédents, soit contre le tireur lui même.
Mais l’endosseur peut ne pas rembourser et se bor
ner, dès qu’il est cité en justice, à appeler ses garants
en cause ou les poursuivre directement en condamna
tion. Dans l’un comme dans l’autre cas, la loi veut qu’il
poursuive dans les quinze jours à partir du lendemain
de la citation qu’il a reçue, sauf l’augmentation à rai
son des distances.
Il est au reste bien évident que, d’endosseur à endos
seur, il ne saurait en être autrement que des endosseurs
au porteur. On ne saurait se prévaloir de la déchéance
que si on n’avait pas expressément ou tacitement renoncé
à le faire. Aux faits déjà indiqués comme impliquant
la renonciation tacite, ajoutons le suivant, indiqué par
Pothier, l’aveu que ferait l’endosseur que la lettre de
change et le protêt lui avaient été envoyés dans les dé
lais.
Si l’endosseur ne peut se placer dans aucune excep
tion, faute par lui d’avoir réalisé la notification du pro
têt et l’ajournement dans les délais qui lui son impartis,
il est définitivement déchu. Les endosseurs le précédant
sont absolument et de plein droit libérés. Le tireur le
serait en remplissant la condition de l’article 170.
5 * 1 . — Les tentatives imaginées dans le but de se
�art .
168, 169, 170, 171.
211
soustraire à ce résultat ont été constamment repoussées
par la jurisprudence. On avait, entre autres, essayé de
celle-ci : l’endosseur déchu remboursait le porteur qui
lui consentait une subrogation ; excipant de celle-ci,
l’endosseur venait au nom de celui qui l’avait consentie,
et en qualité de son cessionnaire, demander le paye
ment à ceux contre lesquels il avait perdu son recours.
Autoriser une action pareille, c’était effacer d’un seul
coup les articles 160 et suivants, et rendre toute dé
chéance impossible ou inutile pour ceux qui pouvaient
en réclamer le bénéfice. On l’a donc repoussée sur le
motif que l’endosseur qui paye le porteur éteint sa pro
pre dette ; que ce payement ne le subroge aux droits
du créancier qu’en tant que le droit qu’il a personnelle
ment a été conservé, que dans le cas contraire, ceux
qui étaient tenus de l’indemniser ont été complètement
libérés à son égard, et qu’il ne dépendait plus de per
sonne de faire revivre leur obligation '.
Saisis de la question, le tribunal civil de Nantua et la
cour d’appel de Lyon se prononçaient pour la négative,
par les considérations suivantes :
« Attendu, en droit, que les lois spéciales modifient
les lois générales dans les parties qui sont contradictoi
res ; qu’il s’agit dans l’espèce de valeurs commerciales
et qu’il y a lieu de rechercher si le Code n’a pas établi
de règles particulières en cette matière ; que ces règles
particulières sont établies dans le § 11, article 160 et
i Bordeaux, 30 décembre 183d.
�212
DE LA LETTRE DE CHANGE.
suivants du Code de commerce ; que ces articles déter
minent un délai très court dans lequel l’endosseur, atta
qué par le porteur, peut exercer son recours contre
l’endosseur antérieur ; que l’article 169 prononce une
déchéance contre l’endosseur qui n’a pas agi dans le
délai fixé ; qu’on ne peut faire indirectement ce que la
loi défend ; que l’endosseur qui a encouru la déchéance
ne peut prétendre à en être relevé ou la rendre illusoire,
en agissant en vertu d’une subrogation légale ou con
ventionnelle, conformément aux prescriptions de l’arti
cle 1251 du Code civil, et contrairement aux disposi
tions de la loi commerciale ainsi paralysée ; que, comme
le dit Dalloz, la rapitité des transactions, la mobilité des
fortunes commerciales ont exigé des règles spéciales, des
délais, des recours en garantie particuliers ; qu’ainsi on
a voulu que l’action récursoire contre les endosseurs fût
instantanée. »
Rien n’était plus juste car en réalité les endosseurs
ne sont pas des débiteurs véritables. Lorsqu’ils ont reçu
le montant des lettres de change qu’ils négocient, ils
n’ont fait que rentrer dans les fonds qu’ils avaient dé
boursé en les achetant. Ce n’est donc que pour obéir
aux nécessités commerciales qu’on a pu les rendre res
ponsables du payement, et dès lors la loi qui édictait
cette responsabilité a pu et dû prescrire les conditions
hors desquelles on ne saurait l’invoquer.
Il y eut pourvoi contre l’arrêt de la cour de Lyon.
Mais l’arrêt de rejet qui intervint le 22 juin 1870
n’examine même pas la question de savoir s’il pouvait
�art .
168, 169, 170, 171.
213
ou non y avoir lieu à l’application de l’article 4251 du
Code civil
Une seconde fois la question s’est posée devant la
Cour suprême, et voici dans quelles circonstances.
Un jugement du tribunal de commerce de la Seine
avait, comme la cour de Lyon, repoussé l’application de
l’article 4251 du Code civil et décidé que le recours en
tre endosseurs n’était recevable que s’il avait été formé
dans le délai imparti par le Code de commerce.
Ce jugement étant en dernier ressort, fut directement
déféré à la Cour de cassation comme violant l’article
1251 du Code civil. L’espèce présentait cette particula
rité, que le porteur, au moment du protêt, l’avait dé
noncé à tous les endosseurs, d’où celui qui avait rem
boursé soutenait que les exigences du Code avaient été
satisfaites, et que parlant on ne pouvait lui reprocher
de ne les avoir pas remplies.
A l’appui de cette prétention on invoquait l’opinion
de M. Bravard, qui, examinant la question de subro
gation, la résout en ces termes :
« L’article 467 du Code de commerce exige que l’en
dosseur, pour conserver son recours contre les endos
seurs antérieurs et contre le tireur, agisse contre eux
soit individuellement, soit collectivement dans le même
délai qui est assigné au porteur ; qu’il leur fasse une
contre dénonciation du protêt et leur donne une citation
en justice. Dès lors, si Fort applique cette disposition
�214
DE LA LETTRE DE CHANGE
judaiquement, si l’on prend cet article au pied de la
lettre, il est facile de voir quelle multiplicité de signifi
cations, quelle énormité de frais il en résultera.
« En effet, s’il y a un tireur et trois endosseurs, par
exemple, le porteur fera à chacun de ces quatre obligés
une signification du protêt et y joindra une citation ;
puis chaque endosseur en fera de même à l’égard des
endosseurs précédents et du tireur, de sorte que celui-ci
ne recevra pas moins de quatre citations, tant de la part
du porteur que de la part des endosseurs, et il suppor
tera tous les frais qui seront énormes. C’est là cepen
dant la marche que l’article 167 prescrit au moins dans
ses termes.
« N’y aurait-il donc pas un moyen d’affranchir les
obligés de cette multiplicité d’actes judiciaires et des
frais qui en résultent sans compromettre leurs droits et
sans nuire à leurs intérêts? Oui, il y en a un qui s’est
déjà fait jour dans la pratique et qui finira, je crois,
par prévaloir. Quand le porteur adresse son recours
contre tous les obligés, qu’il leur a signifié à tous le
protêt et qu’il les a tous cités collectivement, qu’est-il
besoin que chaque endosseur en fasse autant? En
payant le porteur soit avant le jugement, soit après,
l’endosseur sera subrogé au porteur par application des
articles 1251 du Code civil et 159 du Code de com
merce ; dès lors ses droits seront assurés sans significa
tion ni citation de sa part. Ce ne serait donc qu'autant
que le porteur n’aurait pas poursuivi les obligés collec
tivement et se serait borné à poursuivre l’un d’eux, que
�ART. 168, 169, 170, 171.
215
celui-ci serait tenu, pour conserver son recours contre
ses garants, d’agir personnellement contre eux. Cette
distinction sans doute n ’est pas conforme au texte de
l’article 167, mais elle ne me parait pas contraire à son
esprit K »
Dans son rapport, M. le conseiller Barafort trouvait
bien risquée une thèse qui consiste à dire d’une loi qui
prescrit des formalités et des délais à peine de déchéance,
que telle est bien sa lettre, que tels sont bien ses termes,
mais que néanmoins elle ne parait pas devoir être sui
vie dans la pratique, et qu’une distinction qui, sans
doute, n’est pas conforme au texte de l’article 167 du
Code de commerce, ne parait pas contraire à son es
prit. Il déclarait en conséquence la répudier expressé
ment.
Après avoir examiné et discuté cette thèse, cet hono
rable magistrat concluait en ces termes : « Nous admet
tons en principe la subrogation invoquée parle deman
deur en cassation, mais nous ne voulons pas d’un dé
lai indéterminé pour en user. Nous disons, au con
traire, que pour la faire valoir il faudra se conformer
aux formalités et aux délais des articles 165 et suivants
du Code de commerce. »
Le pourvoi nous faisait l’honneur de joindre notre
nom à celui de M. Bravard, et se prévalait de notre
n°515 comme appuyant la doctrine qu’il invoque.
Mais cette interprétation est absolument erronée. Ce
1 T. 3, p. 495.
�216
DE LA LETTRE DE CHANGE.
que nous disons au n° 515, c’est que l’endosseur qui
a remboursé le porteur prend à son tour cette qualité à
l’endroit du tireur, de l’accepteur, des cautions et des
endosseurs qui le précèdent. Il jouit dès lors, en ce qui
les concerne, de tous les droits du porteur qu’il a dé
sintéressé. Il peut donc les attaquer ou individuellement
ou collectivement, à la charge de remplir toutes les
formalités que nous venons d’indiquer.
On le voit, pour nous le fondement du droit de l’en
dosseur qui a désintéressé le porteur s’induit bien plu
tôt de la qualité de porteur qu’il acquiert, que d’une
subrogation aux droits du porteur précédent. Dans tous
les cas, la subrogation qui se serait opérée serait non
pas celle de l’article 1251 du Code civil, mais unique
ment celle de l’article 159 du Code de commerce. Aussi
n’avons-nous pas hésité, lorsque invoquant la pre
mière, l’endosseur s’est prétendu relevé de la déchéance
édictée par l’article 169, à combattre cette prétention et
à la déclarer inadmissible.
Cette fois encore la Cour suprême ne croit pas devoir
apprécier la question. Yoici en effet en quels termes elle
rejette le pourvoi :
« Attendu qu’il résulte du jugement attaqué que le
demandeur en cassation, endosseur de la lettre de
change dont il s’agit au procès, après avoir été actionné
lui-même en payement de cette traite et en avoir payé
le montant au porteur, n’a exercé son recours en ga
rantie contre le défendeur éventuel, précédent endos
seur, que plus de deux mois après l’expiration du délai
�ART. 168, 169, 170, 171.
217
fixé par les articles 165 et suivants'du Code de com
merce ;
« Attendu que pour échapper à l’application de ces
articles invoqués contre lui, i! a prétendu exercer con
tre le défendeur la subrogation légale aux termes de
l’article 1251 du Code civil ; mais sans qu’il y ait be
soin d’examiner si l’endosseur qui a payé le porteur a
le droit d’invoquer contre les endosseurs précédents la
subrogation légale dans les termes du droit civil, il se
rait au moins nécessaire que le porteur lui-même se
fût conformé aux formalités prescrites par les articles
165 et suivants du Code de commerce, et qu’il ne sau
rait suffire qu’il ait fait la dénonciation collective du
protêt ; qu’il faudrait, en tous cas, qu’il eût formé con
tre ces endosseurs l’action collective prescrite par ces
mêmes articles ;
« Attendu qu’il n’est nullement établi qu’une action
collective ait jamais été exercée par le porteur originaire
contre tous les endosseurs ; que le jugement attaqué ne
mentionne qu’une dénonciation collective du protêt;
que si une assignation donnée au demandeur s’y trouve
indiquée, rien ne démontre que cette assignation ait été
donnée aux autres endosseurs, et notamment au défen
deur éventuel ; d’où la conséquence que le demandeur
en cassation ne peut être admis à se dire subrogé a l’u
tilité d’une poursuite dont l’existence n ’est pas même
établie l. ».
�218
DE LÀ LETTRE DE CHANGE
5 3 fbis.
_ Ce qui résulte de cet arrêt, c’est que si le
porteur originaire n’a pas poursuivi tous les obligés col
lectivement, l’endosseur qui l’a payé ne saurait recourir
contre les autres sous prétexte que, légalement subrogé
aux droits de ce porteur conformément à l’article 1251
du Code civil, il était dispensé d’agir dans les formes et
dans le délai prescrit par les articles 165 et suivants du
Code de commerce.
Faut-il en outre en induire que cette subrogation
pourra être utilement invoquée si le porteur désintéressé
avait collectivement poursuivi tous les endosseurs? Nous
ne saurions l’admettre. Evidemment, dans l’espèce, l’ab
sence de celte poursuite collective dispensait la Cour de
cassation d’apprécier et de résoudre cette question. Au
rait-elle dans le cas contraire consacré la doctrine de
M. Bravard ? Il est plus que permis d’en douter.
La distinction qui fait le fondement de cette doctrine
est, à notre avis, contraire non seulement au texte,
mais encore à l’esprit du Code de commerce. C’est pour
obéir aux nécessités du commerce et pour satisfaire aux
exigences du crédit que le législateur a subordonné à
des formalités spéciales et restreint dans un délai fort
court l’obligation de ceux qui ont concouru à la circu
lation d’une lettre de change sans en être en réalité dé
biteurs.
Or , quelle serait la conséquence du système de
M. Bravard ? M. le conseiller rapporteur le relevait avec
raison. Les endosseurs ne seraient libérés ni par l’ex
piration du délai de quinzaine, ni même par la près-
�art.
168, 169, 170, 171.
219
criplion de cinq ans, puisque la citation en justice l’au
rait empêchée de courir et que l’instance durerait trente
ans si la péremption n’en avait été demandée et ordon
née. Est-ce donc pour arriver à ce résultat que les'dispositions des articles 165 et suivants ont été sanction
nées, et peut-on imaginer quelque chose qui jure plus
expressément avec leur esprit.
Or ces dispositions forment la loi unique, exclusive
de la matière. On l’a dit depuis longtemps : in toto
jure generi per speciem derogatur, et illud potissimum habetur, quod ad speciem directum est. Il n’est
donc pas permis, en présente de la loi spéciale, de re
courir au droit commun général. Comment demander à
l’article 1251 du Code civil les règles de la subrogation
en matière de lettres de change, alors que ces règles
sont si expressément édictées par l’article 159 du Code
de commerce ?
Objectera-t-on que celui qui paye par intervention
n’est pas solidairement obligé comme les-endosseurs, qu’il
n’est donc pas tenu de la dette avec d’autres ou pour
d’autres conditions à laquelle la subrogation légale est
subordonée. Mais cette condition existe t-elle réellement
pour les endosseurs ?
On ne saurait confondre la solidarité qui les lie avec
la solidarité ordinaire que prévoient et que règlent les
articles 1200 et suivant du Code civil. Ceux qui se trou
vent sous l’empire de celle-ci sont tous débiteurs au
même titre, et la subrogation aux droits du créancier en
faveur de celui qui le désintéresse, ne concède à celui—
■■ :!« '
I
■m
�220
DE LA LETTRE DE CHANGE.
ci d’autres droit que celui de se faire rembourser par
chacun de ses codébiteurs la part et portion lui incom
bant.
En matière de lettres de change, le seul, le véritable
débiteur est le tireur. Les endosseurs n’ont en rien pro
fité de la dette, puisque s’ils ont reçu le montant de la
lettre de change, ils l’avaient précédemment déboursé,
et s’ils sont obligés au payement à l’échéance, c’est
qu’en négociant cette lettre ils ont garanti ce payement.
Mais si en force de cette garantie ils payent le pnreur, ce n’est plus une part et portion, c’est l’intégra
lité de la dette en capital, intérêts et frais qu’ils exige
ront des endosseurs précédents. Cette dérogation à l’ar
ticle 1213 du Code civil ne permet donc pas de confontdre avec la solidarité ordinaire celle qui existe entre les
divers signataires des lettres de change qui emprunte
son caractère spécial à la spécialité de la législation sur
cette matière.
Or celte législation spéciale qui autorisait la restitu
tion ad integrum des endosseurs tout solidaires qu’ils
fussent, avait incontestablement le droit d’en subordon
ner le profit à telles formalités, à en circonscrire l’exer
cice dans tel délai qu’elle jugeait utile et convenable.
Celui-là donc qui réclame la restitution ne saurait le
faire s’il n’a pas rempli les formalités et observé les dé
lais prescrits.
S’attribuer le bénéfice d’une disposition et en répudier
les charges serait un résultat fort avantageux sans doute,
mais par trop contraire à la raison et à la logique pour
�ART. 168, 169, 170r 171.
221
qu’aucun législateur l’ait jamais admis et consacré. Com
ment donc puiserait-il un fondement juridique dans le
tait d’un tiers ?
Qu’importe en effet que le porteur ait assigné collec
tivement tous les obligés à la lettre de change ? Il n’a
fait ainsi qu’user du droit que lui donne l’article 167.
Mais cet article donne-t-il à l’exercice de ce droit une
influence quelconque sur la position des endosseurs ?
Leur impose-t-il moins le devoir d’agir individuelle
ment de leur côté sous peine de déchéance ?
Tout ce qu’il déduit de la citation soit collective, soit
individuelle, c’est de faire courir le délai du lendemain
de sa date. Donc, attacher à la première la dispense
pour les endosseurs de l’obligation d’agir, c’est évidem
ment donner à l’article une extension qu’il ne comporte
pas, qu’il ne saurait comporter, c’est prêter au législa
teur une intention qu’il n’a ni eu ni pu avoir.
Nous croyons donc que la doctrine de M. Bravard ne
saurait être admise et que chaque endosseur ne peut
éviter la déchéance édictée par l’article 169 qu’en rem
plissant dans le délai imparti les formalités exigées par
les articles précédents. Il doit, dès qu’il est ajourné en
payement, faire refluer la citation contre son cédant et
exercer ainsi le recours que lui donne ia loi. Il doit
d’autant moins s’en abstenir, en cas de citation collec
tive par le porteur, que l’ajournement qu’il reçoit étant
purement personnel, il ignorera le plus souvent cette
circonstance.
Sans doute, il y aura là une certaine aggravation de
�222
DE LA LETTRE DE CHANGE
frais. Mais de quel poids peut être cet inconvénient à
côté de celui de laisser pendant trente ans les commer
çants sous le coup des milliers d’endossements qu’ils
peuvent avoir souscrits ?
533. — La déchéance étant dans l’intérêt particu
lier de ceux qui peuvent l’invoquer, chacun d’eux peut
en répudier le bénéfice et renoncer à la faire valoir.
Mais l’exercice de cette faculté est purement et simple
ment personnel. Il ne saurait jamais lier que celui qui a
cru devoir le réaliser.
En conséquence, l’endosseur qui aurait remboursé le
porteur ne serait obligé que personnellement. Serait-il
recevable à demander la restitution de ce qu’il a payé,
sous prétexte d’erreur et dans l’ignorance de la dé
chéance ?
On a d’abord, et à l’égard du porteur remboursé,
distingué.entre la tardiveté et la nullité du protêt. Dans
ce dernier cas, on admettait que le payement fait par
l’endosseur, sans dol, fraude, ni violence, était un paye
ment valable ; que la faute du porteur occasionnant la
nullité ne suffit pas pour l’obliger à restituer à titre de
réparation ce qu’il a reçu en payement L
Devait-on le décider de même dans le cas de protêt
tardif? La négative a été consacrée par la cour de Bruxel
les, le 28 juillet 1810. L’arrêt décide que si l’endosseur
i Cass., 7 mars 1815, 29 août 1832, 22 mai 1833. Bordeaux, 3 jan-
�a remboursé la lettre de change après un protêt tardif,
il peut répéter ce qu’il a payé au porteur dans l’igno
rance de la tardiveté du protêt.
Cette doctrine ne nous parait pas juridique. Nous ne
l’admettrions que dans une seule hypothèse, à savoir : si
l’ignorance de l’endosseur était le résultat de manœuvres
de la part du porteur.
Vainement donc l’endosseur exciperait-il de ce qu’on
ne lui avait pas communiqué le protêt. Il devait insister
et même ne payer qu’après la communication. La loi,
dit M. Mongalvy, donne à chacun des garants le droit et
lui fait par suite un devoir de se faire représenter le
protêt, de vérifier s’il en résulte des exceptions en sa fa
veur, et d’user ou de ne pas user de ces exceptions.
D’où il suit que si quelqu’un d’eux paye par erreur, il
ne peut l’imputer à l’auteur du protêt et s’en prendre
qu’à lui-même ou à celui qui, par son fait particulier,
lui aurait surpris son payement.
Quelle que soit donc la cause de la déchéance, ce qui
a été payé au porteur malgré son existence n’est sujet à
répétition que s’il y a dol, fraude ou surprise. La simple
ignorance ne saurait être alléguée, mais le contraire de
vrait être admis si le payemeut n’avait été fait que sous
toutes réserves.
5 3 3 . — La déchéance du porteur décharge ipso
facto fous les endosseurs, leur libération en est la con
séquence immédiate et positive.
Ce bénéfice ne peut leur être enlevé sans leur con-
�224
DE LA LETTRE DE CHANGE.
sentement et leur concours. Dès lors l’endosseur, qui
malgré la déchéance aurait remboursé le porteur, n’au
rait aucun recours utile contre les endosseurs le précé
dant.
Enfin et relativement au tireur, l’endosseur pourrait
être écarté par la même exception qui repousserait celui
qu’il a remboursé. Il subirait donc également l’applica
tion et les effets de l’article 170.
Conclusion : Celui qui paye le porteur ayant encouru
la déchéance n’a aucun recours à exercer contre qui que
ce soit. Le droit de recours éteint avant la cession n ’a
pu revivre par l’effet de celle-ci, n’ayant transmis et pu
transmettre les droits du porteur que tels qu’il les pos
sédait lui-même.
53JL. — On a agité la question de savoir si le dé
faut ou la tardiveté du protêt pouvait être invoqué par
les endosseurs lorsque l’effet est reconnu entaché de
faux ?
La négative était consacrée par la cour de Lyon, le
■15 mars 1826. L’arrêt se fondait d’abord sur l’article
1693 du Code civil. Il ajoutait qu’on ne saurait appli
quer à un effet faux, ou portant des signatures chi
mériques, la faveur due aux papiers de commerce qui
suppléent le numéraire et font office du papier monnaie
par la confiance qu’ils méritent et la ponctualité dans le
payement, ou les actions récursoires qu’ils assurent
tant contre les endosseurs que contre les tireurs.
Mais cet arrêt, étant devenu l’objet d’un pourvoi, a été
�art .
168,
169,
170,
171.
225
cassé par la Cour suprême, le 47 mars 1829. La Cour
régulatrice pose en principe que le faux ne fait pas ex
ception aux obligations imposées au porteur par les ar
ticles 160 et suivants ; que, dans ce cas, on peut seu
lement contraindre chaque endosseur à justifier de la
personnalité de son cédant, pour arriver ainsi jusqu’à
celui qui, tenant ses droits du faussaire, a eu le tort de
mettre en circulation un titre informe, dont il est consi
déré comme le véritable tireur.
Comme on le voit, la Cour de cassation tient compte
de l’article 1693 du Code civil. Aux termes de la loi
commerciale, le garant de la lettre de change, libéré
par la déchéance du porteur, n’a plus rien à faire, per
sonne ne saurait rien lui demander.
Mais au point de vue du caractère du titre qu’il a
cédé, il doit une justification. Fallait-il que cette justifi
cation allât jusqu’à établir la sincérité de toutes les si
gnatures apposées sur la lettre ? Evidemment une pa
reille exigence eût été injuste autant que dangereuse.
Qui eût osé, en présence d’une pareille responsabilité,
se charger d’une lettre de change venue d’un pays
éloigné et pouvant être couverte de signatures incon
nues?
La raison indiquait donc que, par rapport à chaque
endosseur, la justification devait se borner à celle de
l’identité et de l’existence certaine de celui de qui il a
reçu la lettre. C’est cette justification que la déchéance
permet d’exiger, mais, une fois faite, l’endosseur ne
h
— 15
�226
. DE LA LETTRE DE CHANGE.
peut être actionné en recours par le porteur qui a en
couru celle-ci.
Il est sans doute fâcheux pour lui de voir périr en ses
mains un titre qu’il n’a accepté que parce qu’il le croyait
sérieux, mais son histoire est celle de tous les endos
seurs précédents, ayant agi de bonne foi. Il n’y a donc
dans l’origine aucune raison de nature à leur faire sup
porter de préférence la responsabilité du faux.
Mais, dans l’exécution, le porteur a assumé un tort
grave, celui de ne pas remplir les formalités devant seu
les lui conserver son recours contre les endosseurs, et
sauvegarder celui que chacun de ceux-ci avait à exer
cer contre les autres. On ne lui cause donc aucun grief
sérieux en plaçant exclusivement à sa charge les consé
quences de sa négligence personnelle.
Donc la fausseté du titre ne relève pas de la dé
chéance prononcée par nos trois articles, seulement
chaque endosseur reste tenu d’indiquer son cédant et
de répondre de sa personnalité.
5 3 5 . — Cette obligation résulte du fait seul qu’on
a été en possession de la lettre de change, quel que soit
d’ailleurs le mode de transmission qu’on ait choisi. Il
importerait donc peu qu’on l’eût endossée à forfait et
sans garantie, ou que, profitant de ce que la lettre était
endossée en blanc, on l’eût transmise en remplissant ce
blanc au nom du cessionnaire, sans la revêtir de sa si
gnature.
La cour de Montpellier, tout en proclamant le prin-
�art .
168.
169,
170,
171.
227
cipe dans ce dernier cas, en avait singulièrement outré
les conséquences. Elle décidait, par arrêt du 11 mars
1845, que quoique n’ayant pas signé la cession, l’en
dosseur était tenu non seulement d ’indiquer son cédant,
mais encore de garantir la sincérité de la lettre et d’en
rembourser la valeur en cas de faux l.
Mais cet arrêt fut déféré à la Cour suprême. Devant
elle, le demandeur en cassation disait : Je suis un cé
dant commercial, seulement par le mode convenu pour
la transmission, je suis affranchi de toute garantie, ma
position est donc celle qu’aurait l’endosseur ordinaire
dans le cas de négligence du porteur ayant amené sa
déchéance. On ne peut donc exiger de moi que ce qu’on
exigerait de lui, à savoir : que je justifie de l’individua
lité et de l’existence réelle et sérieuse de mon cédant.
Ce système fut consacré. L’arrêt de Montpellier fut
cassé le 22 février 1848, et la cause renvoyée devant la
cour d’Aix. Celle-ci, par arrêt du 22 août 1848, adopta
la doctrine de la Cour de cassation2.
Ainsi le défaut de diligences en temps utile décharge
les endosseurs de toute action pour le payement. Seule
ment, en cas de faux, ils restent tenus de l’obligation de
répondre de l’existence de leur cédant.
bis. — La loi du 5 juin 1850, relative au tim
bre des effets de commerce, a introduit une déchéance
535
1 J. du P., 4,1845, 548.
2 J. du
P;
48,4, m , 49, 2, 49.
�228
DE LA LETTRE DE CHANGE
nouvelle. Aux termes de son article 5, le porteur d’une
lettre de change non timbrée ou non visée pour timbre,
n’aura d’action, en cas de non acceptation, que contre
le tireur ; en cas d’acceptation, il aura seulement action
contre l’accepteur et contre le tireur, si ce dernier ne
justifie pas qu’il y avait provision à l’échéance.
L’article ajoute : le porteur de tout autre effet sujet
au timbre et non timbré ou non visé pour timbre, n’aura
d’action que contre le souscripteur. Toutes stipulations
contraires seront nulles.
Cette loi est d’autant plus sévère que l’insuffisance du
timbre équivaut à l’absence de timbre et en produit les
effets. Aussi souleva-t-elle de fort vives critiques au sein
du corps législatif.
« En sommes-nous donc arrivés, disait M. Bertrand
(de l’Yonne), à placer dans nos lois la dispense de payer
ses dettes, et faut-il que ce soit de la loi elle-même que
vienne cette séduction, ou plutôt cette prescription ten
tatrice : Tu ne payeras pas, alors que la conscience dit
à l’homme : Il faut payer ? Eh bien 1 voilà ce que vous
faites ; vous posez l’immoralité dans la loi, vous faites
de cette loi fiscale une loi de confiscation ; vous jetez la
perturbation dans le Code de commerce ; vous portez le
désordre dans les relations commerciales; vous poussez
trop loin le zèle de la loi. »
En conséquence, M. Bertrand proposait de rédiger
l’article 5 de la manière suivante : « Tout effet non tim
bré ou non visé pour timbre, ne vaudra que comme
�simple promesse, et le tribunal de commerce sera tenu
de renvoyer devant le tribunal civil. »
Il faut convenir que la libération accordée aux en
dosseurs est une faveur d’autant plus énorme qu’ils ont
un touble tort à se reprocher : celui d’avoir accepté un
effet ni timbré, ni visé pour timbre ; celui de l’avoir re
mis en circulation. Mais pour que la loi fût exécutée, il
fallait une sanction pénale telle qu’on ne pût être tenté
de l’éluder. Qu’aurait produit le parti proposé par
M. Bertrand ? Combien d’effets qui de toute certitude
n’aborderont pas la barre des tribunaux, et ces effets ne
les aurait-on pas soustraits au timbre.
Fallait-il en revenir au système des amendes? Mais,
comme le faisaient observer le rapporteur et le commis
saire du gouvernement, le passé indiquait suffisamment
ce que serait l’avenir. Vainement avait-on à deux re
prises, en 1824 et en 1834, augmenté l’amende. Cela
n’avait pas procuré une obole de plus au Trésor et la
loi restée en l’état de menace vaine n’avait abouti à au
cun des résultats qu’on s’en était promis.
Il fallait donc, si l’on ne voulait pas que la loi nou
velle vînt échouer sur le même écueil, adopter un moyen
coercitif qui s’imposât aux commerçants par la crainte
de voir leurs intérêts compromis, en réduisant celui qui
accepterait un effet non timbré à ne recourir que contre
le tireur ou souscripteur qui, de tous les signataires,
est peut-être le seul à ne présenter ni surface, ni sol
vabilité.
On adopta en conséquence l’article 5, et ce qui
�230
DE LA LETTRE DE CHANGE
prouve que ses défenseurs voyaient juste, c’est que de
puis sa promulgation il n’est peut être pas une maison
soit de commerce, soit de banque, qui se serve de pa
piers non timbrés. Il est vrai que la loi entend être
obéie et que dans ce but elle déclare nulle et de nuis
effets toutes conventions qui dérogeraient à ses dispo
sitions.
De plus l’article 8 frappe de la même nullité toute
mention ou convention de retour sans frais soit sur le
titre, soit en dehors du titre si elle s’applique à un titre
non timbré ou non visé pour timbre. On sait que cette
clause était l’instrument le plus général de la fraude
contre le Trésor. Comme elle dispensait du protêt et de
toute autre poursuite, le titre échappait forcément à tout
enregistrement, restait inconnu aux agents du fisc et
pouvait ainsi impunément être sur papier libre.
Il n’en sera plus ainsi désormais. La clause de retour
sans frais conservera toute son efficacité, à la condition
qu’elle se référera à un effet timbré ou visé pour tim
bre. A. défaut elle ne fera nul obstacle à la libération des
endosseurs par application de l’article 5.
5 3 5 ter. — Les donneurs d’aval participent-ils à la
faveur concédée aux endosseurs, et pourront-ils renvendiquer le bénéfice de cet article 5 ?
M. Duvergier se prononce pour l’affirmative. « On
ne voit pas, dit-il, de raison pour laisser subsister l’ac
tion contre les donneurs d’aval. Du moment qu’on
supprime celle qui devrait avoir lieu contre les endos
�seurs, ou même contre le tireur, l’obligation du donneur
d’aval n’est certes pas plus étroite que la leur ; elle n ’est
également qu’une garantie ; de plus il n’a reçu en
échange aucune valeur ; par suite la nullité de cette
obligation ne peut pas avoir pour effet de l’enrichir. Sa
position est donc au moins aussi favorable que celle des
endosseurs. Enfin l’article 5 dénie virtuellement toute
action contre lui par cela seul qu’il précise de la ma
nière la plus rigoureuse les personnes contre lesquelles
le porteur peut exercer son recours \ »
La loi de 1850 garde le plus complet silence sur les
donneurs d’aval malgré l’interpellation expresse de
M. Valette qui se plaignait que les auteurs de la loi
n’eussent rien dit à ce sujet. « L’aval, ajoutait cet hono
rable député, peut être donné sur le titre, mais il peut
aussi être donné sur un acte séparé. Quelle est leur doc
trine si l’aval est donné par un acte séparé ? Sera-t-il
annulé lorsque le billet ne sera pas nul ? »
Cette question resta sans réponse et la discussion ne
vise jamais que les endosseurs. Eux seuls étaient con
sidérés comme susceptibles de libération. On ne saurait
juridiquement assimiler les donneurs d’aval aux endos
seurs. Il y a entre ceux-ci et les autres signataires des
effets de commerce une différence fondamentale qui, au
dire du commissaire du gouvernement, avait déterminé
celui-ci à adhérer au projet de la commission.
Cette différence, le rapporteur l’expliquait en ces teri C o lle c t. d es L o is, 48S0, p. 243.
�232
DE LA LETTRE DE CHANGE
mes : « Pourquoi les endosseurs d’un billet sont-ils so
lidaires? Est-ce par application d’un principe général
de la loi civile ? Non. La loi civile, dans son article
1694, a dit que la garantie n’existait de la part du cé
dant qu’autant qu’il y avait une stipulation formelle. Si
la loi commerciale a déclaré les endosseurs solidaires,
c’est par un privilège spécial attaché à la nature du ti
tre, privilège dont on avait besoin pour assurer les tran
sactions commerciales. »
Or, la loi spéciale qui créait ce privilège était libre de
le subordonner aux conditions qui lui paraissaient rai
sonnables et justes. C’est ce qu’avait fait le Code de com
merce ; c’est ce que venait faire la loi nouvelle.
Elle ne pouvait donc viser que les endosseurs qui
n’étaient nullement cautions ni des autres signataires,
ni les uns des autres, qui n’étaient tenus qu’à l’occasion
de la part qu’ils avaient prise à la mise en circulation
de l’effet.
Sans doute, les donneurs d’aval concourent à cette
circulation, mais ce concours n’est donné que comme
garantie de la solvabilité du tireur. C’est donc un cau
tionnement qu’ils ont sciemment et volontairement con
senti. Dès lors leur engagement s’unit et s’incorpore à
celui du tireur, et l’on ne comprendrait pas qu’il
pût s’effacer et disparaître tant que celui-ci continue
d’exister.
Conséquemment, en réservant l’action contre le ti
reur ou le souscripteur, la loi l’a implicitement réservée
contre les donneurs d’aval, et c’est ce que la Cour de
�ART. 1 6 4 ,
16b,
166,
167.
253
cassation décide très expressément le H février 1856.
Saisi de la question, le tribunal de commerce de Tar
bes l’avait résolue en ce sens.
« Attendu, disait le jugement, que le donneur d’aval
est soumis de plein droit à une solidarité absolue, et
tenu de toutes les charges de l’obligation qu’il a garan
tie, de même manière que s’il l’avait contractée luimême et personnellement, à moins qu’il n’y ait stipu
lation contraire ;
« Attendu que la loi du 5 juin 1850 n’a pas modifié
cet état des choses ; qu’il résulte au contraire, des mo
tifs qui ont donné lieu à cette loi que son but a été,
non pas de frapper le titre dans son origine, mais d’en
gêner la négociation, afin de réprimer l’abus introduit
par des maisons de commerce qui mettaient en circula
tion des effets non timbrés à l’aide de la mention sans
frais, et qui non seulement occasionnaient ainsi une
perte réelle pour le Trésor, mais faisaient une concur
rence déloyale aux maisons qui se conformaient scrupu
leusement à la loi du timbre ;
« Qu’en effet, M. Emile Leroux, dans le rapport
qu’on a invoqué, déclare en termes formels : « Que
rien ne s’oppose à ce que la loi dise que le porteur
d’un billet non timbré n’aura pas de recours contre les
endosseurs. » M. Leroux ne parle pas des avalistes, les
laissant ainsi dans les conditions déterminées par l’arti
cle 142 du Code de commerce ;
« Attendu, en effet, qu’il est d ’usage dans le com
merce que le porteur exerce son recours contre son cé-
�234
DE LA LETTRE DE CHANGE
dant, celui-ci contre l’endosseur qui le précède ; que
cette garantie est presque toujours la seule dont on se
préoccupe, puisque le plus souvent le tireur est inconnu;
que cette garantie ne résultant pas du titre, mais seule
ment du fait môme de la négociation par un privilège
particulier de la loi commerciale, qui a dérogé en cela
aux règles du droit commun, car, en principe, le cé
dant ne répond pas de la solvabilité du débiteur à moins
d’un engagement formel, la loi a pu, dans le but d’en
traver ces négociations, déclarer qu’elle retirerait ces
privilèges lorsque les effets ne seraient pas dans les con
ditions légales et prononcer ainsi la déchéance à l’en
contre des endosseurs, mais elle n’a nullement entendu
porter atteinte aux privilèges particuliers du droit com
mercial et dégager les avalistes avec d’autant plus de
raison que les avalistes apparaissent rarement, et sont
pour ainsi dire une exception dans les usages du com
merce. »
La justesse et le caractère juridique de ces considéra
tions ne pouvaient être méconnus, et plaçaient le juge
ment à l’abri de toute atteinte, iussi, sur l’appel qui
en avait été émis, la cour de Pau, par arrêt du 14 jan
vier 1854, le confirmait-elle, et déclarait qu’il avait fait
une juste application de l’article 14H du Code de com
merce combiné avec les dispositions de la loi du 5 juin
1850 \
On se pourvut en cassation. Mais la Cour régulatrice,
�loin de censurer la doctrine du tribunal de commerce
de Tarbes et de la cour de Pau, lui donne au contraire
la plus entière, la plus complète adhésion. Elle rejette le
pourvoi. « Attendu que les demandeurs en cassation ont
été condamnés seulement en qualité de donneurs d’aval;
que les obligations du donneur d’aval se confondent
avec celles du tireur lui-même, dont il est l’image et
dont il garantit la solvabilité ; qu’il est tenu au même
titre que lui et se trouve passible des mêmes voies, et
soumis comme lui à l’action réservée par l’article 5 de
la loi du 5 juin 1850 l.
La Cour de cassation identifie donc le donneur d’a
val avec le tireur ou souscripteur. Il est évident dès lors
que cette identification doit produire tous ses effets pour
les avantages comme pour les charges, et que l’obliga
tion du donneur d’aval ne saurait survivre à celle du
tireur.
La preuve qu’il y avait provision à l’échéance faisant
disparaître celle-ci, annulerait donc celle-là. D’où la
conséquence que la preuve de l’existence de cette pro
vision offerte par le donneur d’aval devrait être ac
cueillie.
1 11 fé v r ie r 1 8 5 6 .
J. du P.
2, 1 856, 406.
�236
DE LA LETTRE DE CHANGE
ARTICLE
472.
Indépendamment des formalités prescrites pour l’exer
cice de l’action en garantie, le porteur d’une lettre de
change protestée faute de payement peut, en obtenant
la permission du juge, saisir conservatoirement les ef
fets mobiliers des tireur, accepteur et endosseurs.
SOMMAIRE
536.
537.
L'article 172 est purement facultatif. Conséquence.
Rigueur de la saisie à l’endroit de l’endosseur. Motifs qui
l ’ont fait admettre.
538. Conditions exigées. Prudence que le juge doit apporter
dans la permission qu’il doit en donner.
539. Quel est le juge compétent pour cette permission.
540. Conséquences de l ’attribution donnée au président du tri
bunal de commerce. Nécessité de deux jugements, l ’un
au fond, l ’autre sur la validité de la saisie.
541. Juridiction à investir en matière de billets â ordre.
542. Formes de la permission. Recours dont elle est sus
ceptible.
543. La saisie ne peut jamais suppléer les formalités prescrites
par les articles 160 et suivants. Conséquences.
536. — En général, les formalités exigées du por
teur sont surtout dans l’intérêt des endosseurs et du ti
reur lorsqu’il a fait provision. Chacun d’eux, au moment
où il est poursuivi, doit recevoir le titre avec toutes les
�ART.
172.
237
sûretés qu’il comporte. On pouvait, on devait donc faire
un devoir de la conservation de ces sûretés, et en cas
de diminution ou de perte par suite de la négligence
du porteur, laisser à sa charge toutes les chances de
préjudice.
L’article 172 entre dans un autre ordre de formalités.
Celles-ci sont dans l’intérêt unique du porteur. Aussi
sont-elles purement et absolument facultatives pour lui.
Quelque avantageuse qu’eût pu être pour les autres in
téressés une saisie conservatoire, nul ne pourra faire un
grief au porteur de ne l’avoir pas réalisée.
L’exécution de l’article 172 est donc abandonnée à la
discrétion du porteur. La loi s’en rapporte souveraine
ment à son appréciation.
5 3 9 . — La faculté de saisir le mobilier s’applique
à celui des endosseurs comme à celui du tireur et de
l’accepteur. Cette faculté est d’autant plus rigoureuse à
l’égard des premiers, qu’elle n’est pas même subordon
née à la notification du protêt. Ainsi l’endosseur peut,
avant d’avoir été mis en demeure de rembourser, et
sans avertissement préalable, voir ses marchandises sai
sies, son commerce arrêté, son crédit perdu, et se trou
ver ainsi condamné à une ruine complète.
Ce qui a déterminé la loi à ne pas reculer devant un
pareil résultat, c’est que la saisie conservatoire peut être
pour le porteur le seul moyen de rentrer dans ses fonds;
que dès lors elle sera d’une urgence telle qu’il y aurait
danger à la retarder. D’ailleurs, l’endosseur peut tou-
�238
DE LA LETTRE DE CHANGE
jours l'empêcher en remboursant, ce qui prévient le
préjudice qu’il serait dans le cas d’éprouver.
5 3 8 . — Une atténuation nouvelle de la rigueur du
principe se rencontre dans les conditions exigées dans
l’application. D’abord la lettre de change doit être pro
testée. Tant que ce protêt n’est pas fait, le refus de
payement n’est pas certain, n’est pas acquis. En cet état,
la saisie serait une mesure frustratoire, puisque sans
son secours et à présentation l’effet peut être acquitté. Il
était donc rationnel qu’avant de permettre de recourir
aux voies extraordinaires, on exigeât que les voies ordi
naires fussent épuisées.
Ce préliminaire rempli, le porteur doit obtenir la
permission du juge. Ici il importe de remarquer que ce
n’est pas une vaine formalité que la loi a entendu pres
crire. Une saisie peut ruiner un commerçant et déter
miner la faillite, qui sans cela n’eût pas éclaté. C’est ce
déplorable résultat que le législateur a voulu prévenir.
Il ne s’en est donc pas rapporté à la partie intéressée,
la haine, l’émulation, la jalousie pouvaient l’égarer.
C’est le juge qu’il a rendu l’arbitre de l’opportunité de
la saisie, elle ne pourrait être faite que sur la permis
sion dont il doit se montrer sobre, il ne l’accordera
donc que lorsque sa conscience lui en aura démontré
l’indispensable nécessité.
5 3 9 . — Quel est le juge que la loi charge de per
mettre la saisie conservatoire? M. Pardessus avait d’a-
�ART.
172.
259
bord pensé que c’était le président du tribunal civil. Il
se fondait sur ce que la saisie étant un moyen d’exé
cution, et le tribunal de commerce ne pouvant connaî
tre même de celle du jugement qu’il avait rendu, son
président devait par cela même être déclaré incompétent
pour l’autoriser.
M. Pardessus n ’a pas tardé à revenir de cette opi
nion, dont les fondements n ’avaient rien de sérieux. La
saisie conservatoire est si peu une exécution, qu’elle ne
peut sortir à effet qu’en tant qu’elle sera validée plus
tard par la juridiction ordinaire. Jusqu’à cette décision,
la saisie n’a conféré au saisissant qu’un droit, celui
d’empêcher la disparition des effets, en les plaçant sous
la main de la justice.
En conséquence, rien n’empêche le président du tri
bunal de commerce d’autoriser cette main mise judi
ciaire. Le doute n ’est pas même permis devant l’attri
bution spéciale que lui en fait si expressément l’article
417 du Code de procédure civile.
Cette attribution est aussi logique que rationnelle. Il
s’agit dans notre hypothèse d’une grave mesure contre
un commerçant. Son opportunité s’appréciera évidem
ment par sa position, par l’état de ses affaires, par la
notoriété de ses ressources et de son crédit. Or, qui donc
serait mieux en état de connaître toutes ces choses que
celui q u i, investi de la confiance du commerce, a été
appelé à la tête du tribunal.
4 5 0 . — C’est donc au président du tribunal de
�240
DE LA LETTRE DE CHANGE,
commerce qu’il appartient d’autoriser la saisie conser
vatoire, mais ni lui, ni le tribunal lui-même ne peuvent
connaître de sa validité et de son exécution. L’une et
l’autre doivent être demandées et ordonnées par la juri
diction ordinaire.
De là il arrivera nécessairement ce que voici : Le tri
bunal civil ne pourra statuer sur la saisie qu’après que
la juridiction commerciale aura définitivement prononcé
sur le fond. Ainsi, tandis qu’en matière ordinaire le tri
bunal prononce par un seul jugement la condamnation
du débiteur et la validité de la saisie, il faudra ici deux
jugements, l’un de condamnation par le tribunal de
commerce, l’autre de validité de la saisie par le tribu
nal civil. L’incompétence de celui-ci pour la condam
nation ne saurait pas plus être douteuse que celle du
tribunal de commerce à l’endroit de la validité de la
saisie.
5 4 1 . — Les droits et les devoirs du porteur d’un
billet à ordre protesté sont les mêmes que ceux du por
teur de la lettre de change. Le premier peut donc com
me le second user de la faculté que confère l’article
172.
Mais dans ce cas la juridiction appelée à autoriser la
saisie et à prononcer la condamnation n’est pas tou
jours la juridiction commerciale. Celle-ci n’est compé
tente que si le billet porte la signature de commer
çants, ou que si la cause en est commerciale. En l’ab
sence de l’une et de l’autre de ces conditions, la con-
�ART.
172.
241
naissance du litige appartenant à la juridiction ordi
naire, c’est le président du tribunal civil qui doit per
mettre la saisie.
543. — Dans tous les cas, la permission est de
mandée par une requête du créancier, qui n’est signifiée
qu’avec la saisie elle même. Avertir le débiteur qu’on va
le saisir, ce serait bien souvent exposer l’huissier à ne
rédiger qu’un procès-verbal de carence.
»
Mais le débiteur peut faire opposition à l’ordonnance
du juge, et cette opposition se vide par la voie du référé.
A son tour l’ordonnance intervenue sur celui-ci pourrait
être frappée d’appel, mais, par application de l’article
417 du Code de procédure civile, en matière commer
ciale l’exécution aurait lieu nonobstant l’opposition ou
l’appel, avec ou sans caution, suivant que le juge l’au
rait ordonné.
543. — La réalisation de la saisie contre les tireur
et endosseurs est sans contredit une diligence sur la si
gnification de laquelle on ne peut se tromper, mais elle
ne saurait remplacer les formalités prescrites par les ar
ticles 160 et suivants. La loi, en effet, permet la saisie
indépendamment de ces formalités, ce qui indique
qu’elle peut les accompagner, mais non les suppléer.
Aussi, et nonobstant la saisie, le défaut de notifica
tion du protêt comme sa tardiveté, l’absence de citation
en justice dans le délai fixé ne laisseraient pas que d ’enn —
16
�242
DE LA LETTRE DE CHANGE.
lever tout recours au porteur, et de l’obliger à indem
niser l’endosseur et le tireur du préjudice que lui aurait
occasionné la saisie conservatoire.
§ XII. —
DES PROTÊTS
ARTICLE
173.
Les protêts faute d'acceptation ou de payement sont
faits par deux notaires, ou par un notaire et deux té
moins, ou par un huissier et deux témoins.
Le protêt doit être fait :
Au domicile de celui sur qui la lettre de change était
payable, ou à son dernier domicile connu,
Au domicile des personnes indiquées par la lettre de
change pour la payer au besoin,
Au domicile du tiers qui a accepté par intervention.
Le tout par un seul et même acte.
En cas de fausse indication de domicile, le protêt est
précédé d’un acte de perquisition.
�art.
173,
ARTICLE
17 - 4 .
243
174.
L’acte de protêt contient :
La transcription littérale de la lettre de change, de
l’acceptation, des endossements, et des recommanda
tions qui y sont indiquées,
La sommation de payer le montant de la lettre de
change.
Il énonce :
La présence ou l’absence de celui qui doit payer,
Les motifs du refus de payer, et l’impuissance ou le
refus de signer.
SOMMAIRE
544.
Nature du protêt. Différence dans l’obligation de le requé
rir et dans les conséquences, suivant qu’il s’agiL du dé
faut d ’acceptation ou du défaut de payement.
545. Formes du protêt avant 1664 et depuis.
546. Qui peut requérir le protêt. Quid du possesseur matériel
de la lettre de change.
547. La règle que le mandataire ne peut agir q u ’en cette qua
lité, ou q u ’au nom de son mandat, reçoit exception dans
le cas d ’un endossement irrégulier.
548. Où doit être fait le protêt.
549. Le transport de l ’officier instrum entaire au domicile des
personnes indiquées par les endosseurs, pour payer au
besoin, est-il obligatoire ?
�244
550.
551.
552.
553.
554.
555.
556.
557.
558.
559.
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Arrêts de la Cour de cassation. Examen.
Arrêts de la cour de Paris. Réfutation.
Solution. Conséquences.
Ces divers accédits sont constatés par un seul et même
acte.
Dans quelle circonstance doit-on rédiger un procès-verbal
de perquisition ?
Nature de cet acte. Dans quelle forme il doit être si
gnifié.
Quel est le domicile auquel l ’huissier doit se transporter,
si à l ’échéance le tiré n'a plus celui qui était indiqué
dans la lettre de change.
Dans quelle forme doit être rédigé le protêt. Motifs de la
transcription complète du titre.
L ’absence du tiré ne pouvait pas créer une impossibité de
protester. Conséquence.
Différence entre l ’indication des motifs du refus de payer
et celle du refus ou de l'im puissance de signer.
Foi due aux énonciations du protêt. Quid si, en constatant
le refus de payer, il renfermait la reconnaissance de la
dette ?
561. Nature et conséquence de la responsabilité de l’officier ins
trumentaire à l ’endroit de l ’exactitude des indications
du protêt.
562. L ’omission des formalités de l ’article 174 entraîne-t-elle la
nullité du protêt ?
563. Nullités de forme qui peuvent frapper le protêt.
560.
rf^ 5 4 4 . — Le protêt est l’acte extrajudiciaire destiné
à constater tour à tour ou le refus d’acceptation, ou le
refus de payement, et dans lequel le porteur proteste de
tous ses droits tant contre les tireur, tiré, accepteur,
�que contre les endosseurs, pour les faire valoir ainsi
qu’il avisera.
La différence dans l’objet que le protêt se propose en
a fait admettre une importante dans la nécessité de le
réaliser et dans les conséquences que son omission est
dans le cas d’entraîner.
Ainsi le protêt faute de payement est indispensable à
moins d’une convention contraire, ou d’un événement
de force majeure. Le protêt faute d’acceptation n’est ja
mais que purement facultatif, si d’ailleurs l’obligation
de le requérir n’a pas été formellement imposée au por
teur.
Dans cette hypothèse même, l’omission qu’en ferait
ce dernier, ne lui ferait pas perdre son recours contre
les divers signataires. Tout ce qui en résulterait, ce se
rait la nécessité pour le porteur de réparer le préjudice
qu’on prouverait être le résultat de sa négligence. Au
contraire, le défaut de protêt faute de payement, hors
les cas d’exception, libère de plein droit les endosseurs,
et peut même enlever tout recours contre le tireur.
Le protêt faute de payement doit être notifié avec ci
tation en justice dans la quinzaine de sa date, faute de
déchéance. Aucune diligence n’est prescrite pour le pro
têt faute d’acceptation ; dans tous les cas, aucun délai
n’est assigné au porteur, il peut valablement agir jus
qu’au moment de l’échéance.
Enfin la notification par correspondance du protêt
faute de payement serait insuffisante et n’empêcherait
pas la déçhéance, tandis que celle du protêt faute
�246
DE LA LETTRE DE CHANGE
d’acceptation résulterait valablement et régulièrement
d’une lettre missive L
Les conséquences du protêt faute d’acceptation sont
indiquées par l’article 120 , les tireur et endosseurs peu
vent se borner à offrir une caution en garantie du paye
ment à l’échéance. Ce n’est que faute par eux de rem
plir cette obligation, qu’ils seraient tenus de rembourser
la lettre de change.
Ils ont donc l’alternative qui appartient à chacun
d’eux d’une manière absolue. Supposez, par exemple,
qu’un des endosseurs préfère rembourser , il ne pourra
pas exiger que son cédant ou que tout autre signataire
l’imite. L’offre que celui-ci ferait d’une caution le dé
sintéresserait entièrement et assurerait à tous les autres
débiteurs, comme à lui, le bénéfice du terme.
Enfin le protêt faute d’acceptation, à la différence de
celui faute de payement, ne fait pas courir les intérêts
précisément parce qu’il se réalise avant l’échance, et
que jusque-là les intérêts sont censés compris dans le
capital. Aussi, a-t-il été jugé que lorsque, faute de cau
tionnement, le remboursement de la lettre de change a
été ordonné avec intérêts légitimes, le bénéficiaire de ce
jugement n ’a droit à ces intérêts qu’à compter de l’é
chéance, et non à partir du protêt, ne pouvant valoir
comme demande en justice, ni à partir du jugement2.
1 Paris, 49 décembre 4 837. J. du P., 2, 4837, 568.
1 Cass., 44 juillet 4 843. J. du P„ 4, 4 844, 542.
�art .
175,
174.
247
545, — En la forme, et quel qu’en soit l’objet, le
protêt est soumis aux mêmes conditions. Ces conditions
se réfèrent à la qualité de l’officier appelé à le rece
voir, aux lieux dans lesquels il doit être reçu, aux énon
ciations qu’il doit renfermer.
Jusqu’en 1664, le protêt n’eût aucune forme déter
minée. Acte ordinaire du ministère de l’huissier, il
obéissait aux mêmes règles, mais depuis longtemps cet
état des choses excitait des réclamations dont la décla
ration de 1664 constate l’importance.
Les juges et consuls de Paris, y est-il dit, ayant re
connu par un long usage le préjudice que reçoivent les
négociants faute d’un règlement certain pour l’accepta
tion, cautionnement et protêt de lettres de change, se
sont pourvus devant le Parlement pour remédier à cet
inconvénient.
C’est conformément à l’arrêt que le Parlement avait
rendu sur cette requête, qu’une ordonnance du 9
janvier dispose : Que tous actes de protêt, pour être
réputés bons et valables, seront dorénavant faits pardevant deux notaires, ou un notaire et deux témoins,
lesquels notaires et témoins seront tenus de se trans
porter au domicile de ceux sur lesquels les lettres de
change seront tirées, ou qui auront fait les billets,
et desdits 'protêts laisser copie. Pourront néanmoins
lesdits protêts être faits par les huissiers et sergents
tant du Châtelet que des consuls, assistés de deux recors domiciliés et connus, qui sauront écrire et qui
signeront lesdits protêts.
�248
DE LA LETTRE DE CHANGE
L’ordonnance de 1673 s’appropria cette prescription
qui se retrouve encore, et dans les mêmes termes à peu
près, dans le Code de commerce. L’utilité incontestable
du but qu’elle se proposait devait nécessairement faire
aboutir à ce résultat.
Donc aujourd’hui comme en 1664, comme en 1673,
le protêt doit être rédigé par deux notaires ou par un
notaire et deux témoins. Rien, va bientôt nous dire l’ar
ticle 175, ne pourra suppléer à cet acte.
546. — Le protêt est ordinairement requis par le
propriétaire de la lettre, c’est-à-dire par le bénéficiaire
du dernier endossement régulier. Mais ici encore nous
allons rencontrer une différence entre le protêt faute
d’acceptation et celui faute de payement.
La simple possession matérielle de la lettre de change
suffit pour pouvoir en requérir personnellement l’accep
tation et faire protester en cas de refus,
Il n’en est pas de même pour le protêt faute de paye
ment. Celui-ci n’étant que la conséquence du refus de
payer, ne peut être réalisé que par et pour celui qui a
droit et qualité pour contraindre le payement. Or, la
simple détention d’une lettre de change, sans qu’elle
soit accompagnée d’un endossement quelconque, ne
constitue pas même un mandat à l’effet d’en recevoir le
montant. En conséquence, le refus qu’on ferait de celuici ne pourrait donner légalement lieu à un protêt.
Donc le porteur de la lettre de change non endossée
en sa faveur ne pourrait agir qu’au nom du bénéfi-
�art.
173 , 174 .
249
ciaire du dernier ordre, ou en qualité de mandataire,
avec obligation d’en justifier.
549.
— La règle que le mandataire ne peut agir en
son nom reçoit exception pour le mandat légal résultant
d’un endossement irrégulier ou en blanc. L’existence de
l’un ou de l’autre donne au porteur la disposition ab
solue de la lettre de change, sauf le droit de l’endosseur
de lui faire rendre compte, chose à laquelle le tiers reste
complètement étranger. L’unique intérêt de celui-ci
était de ne pouvoir être privé des exceptions qu’il a à
faire valoir contre son véritable créancier. Or, ce droit
a été sauvegardé par la loi. Le porteur d’un endosse
ment irrégulier ou en blanc est passible des exceptions
à invoquer contre l’endosseur lui-même. Bien qu’il
agisse en son nom propre et personnel, il n’est jamais
considéré que comme le mandataire de celui-ci. Le pro
têt qu’il requerrait personnellement ne pourrait donc
être contesté. Il est d’autant plus apte à le faire que le
payement fait en ses mains et sur son acquit libérerait
valablement le débiteur n’ayant dès lors aucun motif
raisonnable pour le refuser.
548. — L’acceptation ne peut être demandée qu’au
tiré personnellement. C’est donc en parlant dans son
domicile et à sa personne que le protêt devra être fait,
en cas de refus. Cette règle ne comporte aucune excep
tion, pas même dans l’hypothèse où, aux termes de
�250
DE LA LETTRE DE CHANGE
l’article 111 , le payement a été indiqué à un domicile
autre que celui du tiré.
C’est également au domicile du tiré que doit se faire
le protêt faute de payement, même dans le cas où le
payement a été indiqué ailleurs, mais pour cela il im
porte que le tiré n’ait pas accepté. L’acceptation en ef
fet renfermerait virtuellement l’obligation de faire les
fonds au domicile indiqué, ce serait donc à ce domicile
que l’huissier ou le notaire devrait se présenter. A plus
forte raison devrait-il en être ainsi si la désignation
d’un domicile pour le payement ne se trouvait que dans
l’acceptation du tiré.
Si l’acceptation est pure et simple, si la lettre n’indi
que pas un autre domicile, ou si, renfermant cette in
dication, elle n’a pas été acceptée, c’est au domicile du
tiré que le payement doit être requis. C’est donc là que
l’officier ministériel doit se transporter, rien ne saurait
l’en affranchir valablement, ni l’acceptation par inter
vention, ni la faillite déclarée avant l’échéance. Aussi la
Cour de cassation jugeait-elle, le 6 février 1849, que
bien que le protêt d’un effet de commerce ait lieu après
la faillite du tiré, il n’en doit pas moins être fait à la
personne et au domicile du failli, et non à la personne
et au domicile du syndic K
C’est également ce qu’enseignait l’ancienne doctrine.
Ce qui l’avait fait ainsi admettre, c’est qu’il peut se faire
que les fonds pour payer aient été remis au failli par le
1 J. du P., 1, 1849, 421.
�ART. 1 7 3 ,
174.
251
tireur, même depuis sa faillite. Il faut donc qu’il soit
constaté qu’au jour de l’échéance le payement n’a pas
été fait au lieu et par la personne indiquée, pour que le
recours puisse être justement exercé contre le signataire
de l’effet. Peu importerait que le tiré eût accepté la
traite, car les fonds destinés à la provision pouvant
n’avoir été consignés qu’à titre de dépôt, ne sont pas
confondus dans son actif personnel ï.
C’est cette même doctrine dont la cour de Bordeaux
faisait une énergique application, en jugeant, le 11 jan
vier 1814, que le protêt faute de payement d’une lettre
de change doit, à peine de nullité, être fait au lieu où
l’accepteur avait le siège de son commerce et où il payait
habituellement, encore bien que cet accepteur eût son
domicile dans un autre endroit, et qu’étant en faillite il
eût fermé son comptoir.
Il est donc certain que, pour la régularité du protêt,
l’officier instrumentaire doit d’abord se transporter au
domicile du tiré, alors même qu’il y aurait eu protêt
faute d’acceptation, mort ou faillite. Là, le refus se réa
lisant, il est procédé conformément à l’article 173.
549. — L’huissier ou le notaire, après avoir cons
taté le refus du tiré, se transporte chez les personnes
indiquées pour payer au besoin d’abord par le tireur.
L’ordre du transport se règle par celui de l’indication,
mais il est évident que si l’une d’elles payait, on n’au -
1 Savary, Parère 4S, Pothier, Change, n° 47.
�>
252
DE LA LETTRE DE CHANGE
rait pas à se rendre aux domiciles de celles indiquées
ultérieurement.
Le transport n’est-il obligatoire que pour les person
nes indiquées par le tireur, ou bien doit-on l’opérer
également chez celles indiquées par les endosseurs ?
Nous avons déjà examiné cette question à propos de
l’acceptation. Nous étayant de l’arrêt de la Cour de cas
sation, du 3 juin 1839, nous avons admis la nécessité
du protêt faute d’acceptation, au domicile des besoins
indiqués par l’endosseur, cette désignation constituant
un contrat dont le porteur ne saurait récuser les con
séquences, après l’avoir librement et volontairement ac
cepté 1.
550.
— La même solution nous paraît régir les pro
têts faute de payement. Mais ici nous nous trouvons en
présence de quelques monuments de jurisprudence con
sacrant la doctrine contraire.
Toutefois, nous n’admettons pas comme tels deux
arrêts de la Cour de cassation, des 24 mars 1829 et 5
mars 1834. En effet, dans chacune de ces espèces, l’en
dosseur s’était désigné lui-même pour payer au besoin,
et cette circonstance explique la décision de la Cour su
prême.
En effet, une pareille désignation, n’ajoutant rien aux
droits du preneur, ne saurait lui imposer des devoirs
nouveaux, ni lui enlever un bénéfice que la loi lui coni Supra, n» 176.
�A RT.
173, 174.
255
fère de plein droit. L’endosseur est tenu, en sa qualité,
du payement. Le porteur n ’a, pour conserver son re
cours contre lui, qu’à faire protester et à le poursuivre
dans les délais prescrits. Il répugnerait à la raison qu’il
pût, par son fait, créer une déchéance que la loi n’a
ni prescrite, ni autorisée.
En conséquence, la désignation que l’endosseur fait
de lui-même doit être censée non écrite. C’est ce que
M. Pardessus enseigne expressément. C’est parce que la
Cour de cassation l’a ainsi admis, qu’elle a rendu les
arrêts de 1829 et de 1834. La meilleure preuve qu’il en
est ainsi résulte de son arrêt de 1839, déclarant la dé
signation d’une tierce personne obligatoire pour le pro
têt faute d’acceptation. Or, ce qui est décidé pour ce
lui-ci s’applique forcément au protêt faute de paye
ment.
— Restent deux arrêts de la cour de Paris,
des 16 février 1834 et 19 mai 1841. Ceux-ci consacrent
expressément la doctrine que nous combattons. L’arti
cle 173, disent ces arrêts, rend le protêt obligatoire
au domicile des personnes indiquées par la lettre de
change, pour la payer au besoin. Or, ces termes ne
peuvent s’appliquer à celles désignées par les endos
seurs, car la lettre de change existe indépendamment de
l’endossement qui n’intervient que postérieurement à sa
confection l.
551.
1
J. duP.,
1, 1 8 3 7 ,
140; 2 , 1841, 2 2 0 .
�254
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Cette interprétation aurait elle-même grand besoin
d’être justifiée. En effet, l’article 173 parle de la lettre
de change telle qu’elle se trouve au moment du protêt
faute de payement. Il n’est donc pas même probable
qu’il ail voulu distinguer le corps de la lettre des endos
sements qui, étant venus s’y réunir, forment avec celuici un tout désormais inséparable.
Rationnellement parlant, le système de la cour de
Paris est inadmissible. Qu’importerait, en effet, que
l’article 173 eût gardé le silence sur les besoins indi
qués par les endosseurs, si cette indication est devenue
pour le preneur actuel comme pour les porteurs subsé
quents une convention régulière et valable. L’ordon
nance de 1673 n’ordonnait pas le protêt chez la per
sonne indiquée même par le tireur, ce qui n’empêchait
pas Pothier d’en enseigner la nécessité sous peine de
déchéance. Il est évident, disait-il, que le porteur ne
remplit pas en entier son obligation de requérir le paye
ment de la lettre de change lorsque deux personnes
lui ayant été indiquées pour recevoir le payement, elle
payement lui ayant été refusé par l’une de ces person
nes, il ne s’est pas présenté à l’autre l.
On pourrait donc admettre que la loi ne s’étant pas
formellement expliquée, on ne saurait induire de ses
termes l’obligation de faire protester chez les personnes
indiquées au besoin par l’endosseur. « Mais, dit M. Frémery, en supposant que le porteur n’en soit pas tenu en
i Change, n° 137.
�A RT.
173, 174.
235
vertu de l’article 173, il ne s’en suit pas qu’il n’y soit
pas obligé du tout. La conclusion ne serait pas juste,
car le porteur peut être engagé par un autre lien que
celui de la loi.
« Or, d’où se déduit l’obligation de faire le protêt
chez la personne indiquée pour payer au besoin par le
tireur ? De ce que, en consentant à prendre la lettre de
change avec cette indication, celui à l’ordre de qui elle
est tirée a nécessairement, bien que tacitement, consenti
à se présenter chez la personne indiquée.
« Si donc Pothier, en enseignant cette opinion, a sai
nement apprécié la convention, si l’article 173 a été
fondé à consacrer cette obligation à peine de déchéance
de l’action en recours, il faut conclure aussi que, dans
ce système, le porteur est obligé de la même manière à
se présenter chez les personnes indiquées pour payer au
besoin par les endosseurs V »
5 5 » . — Ainsi, le porteur n'est pas obligé par la
seule force de la loi, il l’est par l’effet de la convention.
Ce qui doit être remarqué, c’est que dans l’arrêt de
1839, la Cour suprême invoquait surtout celui-ci. En
conséquence, la convention existant dans le cas de pro
têt faute de payement comme dans celui pour défaut
d’acceptation, ses conséquences admises pour celui-ci, ne
peuvent pas ne pas l’être pour celui-là.
Dès lors, la déchéance du porteur serait la peine de
1 Eludes du droit com., n . 483.
�256
DE LA LETTRE DE CHANGE
l’omission du protêt chez la personne indiquée par l’en
dosseur. Mais, tandis que la déchéance pour absence de
protêt chez la personne indiquée par le tireur serait gé
nérale et absolue, tandis qu’elle serait acquise à tous les
endosseurs, la déchéance dans le premier cas ne profi
terait qu’à l’endosseur auteur de l’indication et qu’aux
porteurs subséquents. Nul autre qu’eux n’ayant traité
en l’état de cette clause, ne pourrait en revendiquer le
bénéfice.
Il n’y a aucun doute à concevoir. Le protêt doit être
fait cumulativement et successivement au domicile du
tiré ou à celui indiqué ou accepté par lui pour faire le
payement, au domicile des besoins indiqués par le ti
reur et par les endosseurs, enfin, au domicile de l’ac
cepteur par intervention.
La loi ne s’explique pas sur le billet à ordre. Mais on
ne saurait non plus hésiter. Ce protêt doit être fait au
domicile du souscripteur ou à celui indiqué pour le
payement, au domicile des personnes indiquées au be
soin par l’un ou plusieurs des endosseurs.
55*. — L’étendue de cette obligation pouvait créer
une difficulté. Devait-on rédiger autant de protêt qu’il y
a eu de personnes sommées de payer? Le législateur a
compris qu’une nécessité de cette nature ne tendait qu’à
multiplier inutilement les frais. Il l’a donc expressément
proscrite, en déclarant dans l’article 175 que le tout
sera fait par un seul et même acte.
En conséquence, l’huissier ou le notaire se transpor-
�ART.
173, 174.
287
tera à chaque domicile où la lettre doit être présentée ;
il y constatera son interpellation et la réponse de la per
sonne à laquelle il s’est adressé, ce n ’est q u ’au dernier
de ces domiciles q u ’il clôturera définitivement son pro
cès-verbal.
5 5 4 . — L’accédit de l’officier instrum entaire est
forcé et indispensable. La loi l’a tellement ainsi com
pris, q u ’en cas d ’indication de domicile inexacte ou
fausse, le p rotêt doit être précédé d ’un procès-verbal de
perquisition, dans le but de découvrir le domicile véri
table.
Mais l’absence d ’indication n ’équivaut pas à l’indica
tion inexacte ou fausse, elle ne donnerait donc pas lieu
à un procès-verbal de perquisition. Ainsi, il a été dé
cidé q u ’un individu à l’ordre duquel un billet a été
souscrit, payable à son domicile, et qui l’a endossé sans
indiquer le lieu de ce dom icile, lequel n ’était désigné
d’aucune m anière dans le corps du billet, n ’est pas re
cevable à se prévaloir du défaut de protêt à ce dom i
cile, ou d ’acte de perquisition qui y supplée ; q u ’il suf
fit, à son égard, que le protêt ait été fait au domicile de
l’un des endosseurs qui l’avait indiqué au besoin *.
5 5 5 . — Le procès-verbal de perquisition est l ’acte
par lequel l’huissier constate q u ’il s’est adressé à toutes
personnes capables de lui donner des indications sur la
1 Cass., 31 mars 1841. J . d u P , , 2, 1841, 123.
h
—
17
�2S8
DE LA LETTRE DE CHANGE
personne et le domicile du souscripteur, du tiré, des
personnes indiquées pour payer au besoin, et l’inutilité
de ses recherches. Mais ce procès-verbal ne saurait ni
remplacer ni suppléer le protêt, cela résulte des termes
mêmes de la loi, il doit donc le précéder. Conséquem
ment, le porteur qui se bornerait à requérir l’acte de
perquisition, sans le faire suivre du protêt, encourrait
la déchéance et perdrait tout recours contre les endos
seurs h
L’officier instrumentaire doit donc les rédiger l’un et
l’autre. Mais comme l’ignorance du domicile empêche
de laisser copie, celle du verbal de perquisition et du
protêt doit d’une part être affichée à la principale porte
du tribunal de commerce, d’autre part être donnée au
procureur de la République. Mention de cette double
formalité doit être faite dans l’original qui est visé par
ce magistrat.
556.
— L’acte de perquisition ne serait pas néces
saire si à l’époque de l’échéance le tiré n’habitait plus le
domicile indiqué par la lettre de change, le protêt fait
à ce domicile , s’il est le dernier connu, suffirait. Dans
le cas contraire, c’est au domicile nouveau qu’il devrait
être procédé, aux termes de la loi.
Au reste, c’est plutôt à la demeure actuelle qu’à celle
indiquée par la lettre de change que le protêt doit être
requis, toutes les fois qu’il s’agit du domicile réel du
i Rouen, 8 juillet, 181 \ . Nancy, 29 janvier. Cass., 8 décembre 1831.
�ART.
178, 174.
289
tiré. Le payement ne doit s’y faire que parce qu’il est
habité par lui. En conséquence , si avant l’échéance
cette habitation cesse, le lieu de payement se trouve na
turellement transféré au domicile où se réalise l’habita
tion nouvelle. C’est à ce dernier que le protêt non seu
lement pourrait, mais devrait être fait sous peine de
déchéance. Cette règle ne souffrirait qu’une seule excep
tion, à savoir : dans le cas où l’on ne pourrait indiquer
à l’huissier le nouveau domicile, ou si celui-ci avait été
transféré dans une autre ville. Dans l’un comme dans
l’autre cas, le protêt serait valablement fait dans le do
micile indiqué par la lettre de change.
5 5 » . — L’article 174 règle les formes du protêt, il
n’est régulier que s’il contient : la transcription littérale
de la lettre de change, de l’acceptation, des endosse
ments et des recommandations qui y sont indiquées ;
La sommation d’en payer le montant.
Il doit en outre énoncer :
La présence ou l’absence de celui qui doit payer ;
Les motifs du refus de payer, et l’impuissance ou le
refus de signer.
La transcription du titre dans son entier est de nature
à bannir toute équivoque, tout prétexte d’erreur de la
part de celui qui doit payer. Il ne peut se méprendre
sur l’obligation dont on poursuit l’extinction.
Cette copie littérale et fidèle doit en même temps
prouver que l’huissier ou le notaire s’est scrupuleuse-
�260
DE LA LETTRE DE CHANGE
ment acquitté des devoirs que lui imposaient les diver
ses énonciations du titre.
— Il était naturel d’adresser la sommation
de payer à celui qui doit réaliser le payement. Mais exi
ger cette interpellation directe obligatoirement, c’était
autoriser le tiré ou le débiteur à rendre tout protêt im
possible. Il n’avait en effet qu’à abandonner son domi
cile pendant vingt-quatre heures ou feindre de l’avoir
quitté.
Ce que la loi exige de l’officier instrumentaire, c’est
d’énoncer la présence ou l’absence du tiré. Dans le se
cond cas, la sommation de payer est faite à celui à qui
il s’adresse, et sa réponse, quelle qu’elle soit, pourra
être considérée comme un refus de payement et motiver
le protêt. Il n’est pas même nécessaire que le notaire
ou l’huissier retourne au domicile dont le tiré est ab
sent au moment d’un premier accédit. Il suffit que ce
lui-ci ait eu lieu pour que le protêt intervienne valable
ment.
Il a donc été jugé :
1° Q’un protêt est valable : s’il a été fait à domicile,
en parlant au domestique du tiré qui a répondu que
son maître n’était pas visible, et qu’il lui en donnerait
connaissance :
2° S’il est signifié au domicile du tiré avec énoncia
tion : Parlant à un voisin trouvé dans ledit domicile, et
chargé de répondre pour le tiré ;
3° S’il est fait parlant à la personne du portier, car
5 5 8 .
�ART.
175 , 174 .
261
celui-ci est préposé au service de tous les locataires de
la maison l.
5 5 9 . — De là s’induit naturellement une modifica
tion aux prescriptions de l’article 174. On peut, en ef
fet, facilement supposer qu’en général la personne à
laquelle le notaire ou l’huissier s’adressera en l’absence
du tiré sera dans l’impuissance d’indiquer les causes du
refus de payer.On ne saurait donc faire un devoir à l’un
ou à l’autre de mentionner ces causes, il ne peut dans
ce cas que transcrire la réponse quelle qu’elle soit, et
protester en déclarant considérer cette réponse comme
un refus de payement.
Mais il n’en est pas ainsi du refus ou de l’impuis
sance de signer. La sommation de le faire s’adresse à
celui qu’on interpelle. L’huissier est donc, dans tous les
cas, obligé de se conformer à celte prescription.
5 6 0 . — Le protêt fait foi de ses énonciations, mais
en tant qu’elles se réfèrent à la mission réelle du notaire
ou de l’huissier, à savoir : le payement de la traite. Le
refus de signature de la part du tiré n’altèrerait en rien
la confiance qui est due à l’acte.
Mais on ne pourrait, sans le concours du tiré, éta
blir contre lui une obligation quelconque. Ainsi la re
connaissance de la dette que l’huissier lui attribuerait,
i Cass., 23 novembre 1829. Paris, 14 avril 1835. Lyon, 25 mai
�DE LA LETTRE DE CHANGE
262
tout en constatant le refus de la payer, ne serait va
lable que si elle était certifiée par la signature du dé
biteur.
5 6 f . — L’officier instrumentaire répond de la sin
cérité des indications de son acte. L’ordonnance de 1673
était très sévère sur cet article, et M. Pardessus, parta
geant cette sévérité, considère comme un faux toute
énonciation mensongère dans le récit des faits, dans la
réponse, et même dans la transcription des pièces.
Ce qui tempère la rigueur de cette doctrine, c’est l’ap
plication à la matière des principes du droit commun à
l’endroit du faux. Ici, en effet, comme dans toutes les
hypothèses, il n’y a faux punissable que si à la maté
rialité du mensonge se joignent l’intention frauduleuse,
la possibilité d’un préjudice. On pourrait donc avoir
égard à la nature et à la cause de l’erreur dans le pro
têt, et surtout à la bonne foi du rédacteur.
— Quel serait l’effet de l’omission d’une ou
de plusieurs des formalités prescrites par l’article 174 ?
Le protêt serait-il nul, et le porteur déchu de tout re
cours contre les endosseurs ?
On reconnaissait dans la discussion au conseil d’Etat
que toutes les prescriptions de cet article ne se recom
mandaient pas au même titre, mais que l’inobservation
de quelques-unes d’entre elles devait entraîner la nul
lité. M. Régnault de Saint-Jean-d’Angély plaçait dans
cette catégorie les trois premières.
563.
�A RT.
173, 174.
2G3
MM. Merlin et Jaubert réclamèrent l’insertion dans
le Code d’un article général sur les cas où la nullité au
rait lieu. Mais cette proposition n’eut pas de suite. Ce
résultat toutefois ne fut pas déterminé par le rejet du
principe de la nullité, le conseil d’Etat n’eut pas d’au
tre but, en le proclamant, que de rester fidèle à la règle
qu’il avait déjà si souvent admise, à savoir : que les
tribunaux de commerce étant essentiellement des tribu
naux d’équité, on ne devait pas les lier par des pres
criptions absolues et trop précises.
La question de nullité pour violation totale ou par
tielle de l’article 474 est donc abandonnée à l'apprécia
tion souveraine du juge. Ce qui doit le décider, ce sont
les conséquences que la formalité omise a eues ou peut
avoir. La nullité peut être prononcée alors même que
cette formalité se placerait en dehors des trois catégories
que faisait M. Régnault de SaiDt-Jean-d’Angély.
Ainsi la cour de Bordeaux a jugé, le 3 janvier 4840,
que l’omission des motifs du refus de payement annu
lait le protêt, et que l’irrégularité de l’original résultant
de cette omission ne pouvait être réparée par les énon
ciations de la copie 1.
En résultat, la nullité du protêt est bien plutôt une
question de fait qu’une question de droit. La latitude
des tribunaux est absolue et ne reconnaît d’autre limite
que la conscience du juge. De là cette conséquence que
sa décision, quelle qu’elle soit, peut bien constituer un
�264
DE LA LETTRE DE CHANGE.
mal jugé que le second degré de juridiction peut réfor
mer, mais elle ne saurait encourir le reproche de vio
lation ou de fausse application de la loi. Elle échappe
rait donc forcément à la censure de la Cour de cas
sation.
56S8. — Indépendamment des formalités exigées par
l’article 174, les protêts sont soumis à toutes celles im
posées aux actes dont ils revêtent le caractère. Ainsi ce
lui rédigé par un notaire devrait être conforme aux di
verses prescriptions de la loi du 25 ventôse an xi, sous
peine de nullité suivant le cas.
Ainsi encore le protêt, quoique rédigé par un no
taire, n’en est pas moins régi, pour la signification, par
l’article 1037 du Code de procédure civile. Celle qui
serait réalisée contrairement à ses prescriptions serait
frappée de nullité h
ARTICLE
175.
Nul acte, de la part du porteur de la lettre de change,
ne peut suppléer l’acte de protêt, hors le cas prévu par
les articles 150 et suivants, touchant la perte de la lettre
de change.
i Bruxelles, 28 mai 4818, V. in f., art. 476, n° 566.
�ARTICLE
476.
Les notaires et les huissiers sont tenus, à peine de
destitution, dépens, dommages-intérêts envers les par
ties, de laisser copie exacte des protêts, et de les ins
crire en entier, jour par jour et par ordre de dates, dans
un registre particulier, coté, paraphé, et tenu dans les
formes prescrites pour les répertoires.
SOMMAIRE
564. Caractère de l’article 175.
565. Quels sont les actes qu’il déclare ne pouvoir suppléer au
protêt.
566. Responsabilité de l ’officier instrum entaire en la forme et
au fond.
567. Cette responsabilité n’existe q u ’à l ’endroit du porteur. Ar
rêt contraire de la cour de Paris.
568. Doctrine de la Cour de cassation.
569. L ’huissier ou le notaire qui a exécuté le mandat qu’il a
reçu ne répond pas de l ’erreur dans la personne ou le
domicile où le protêt devait être fait. Comment s'établit
le mandat.
570. Résum é.
571. L’endosseur qui a remboursé le porteur peut-il attaquer
l ’officier instrum entaire auteur de la nullité comme su
brogé aux droits du porteu r ?
572. Quid s’il n ’avait remboursé que sur réserves ?
573. Obligations nouvelles imposées aux huissiers et aux n o -
�266
574.
575.
576.
DE LA LETTRE DE CHANGE.
taires par l'article 176. Caractère de sa sanction pénale
et de celle de l’ordonnance de 1673.
Où doit être laissée la copie. La signification du protêt faite
à la personne du tiré est-il valable ?
Objet de la transcription sur un registre spécial.
Formes de cette transcription. Effet des contraventions.
Par qui sont-elles constatées et poursuivies ?
5 6 4 . — Nous venons, dans l’analyse des articles
précédents, de constater, d’une part, la nécessité abso
lue de faire protester le lendemain de l’échéance, de
l’autre, les formes de l’acte et les énonciations qu’il doit
renfermer.
Evidemment tout acte qui s’écarterait de ces formes,
ou qui ne mentionnerait pas ces indications, ne pour
rait constituer un protêt. Dès lors aussi les effets de son
absence seraient acquis contre le porteur.
C’est ce qui s’induit de la disposition de l’article 175,
qui, tout en confirmant la nécessité du protêt, rend
hommage à ce caractère de la déchéance que nous
avons déjà rappelé.
Ainsi, la nécessité du protêt n’est pas marquée au
coin de l’ordre public, de l’intérêt général. Elle peut
dès lors être l’objet de transactions des parties libres
d’en dégager le porteur.
565. — Remarquons, en effet, que les actes que
l’article 175 refuse d’accepter comme suppléant le pro
têt sont ceux qui émaneraient du porteur inclusivement.
�A RT.
Le protêt est autant
dans le sien propre.
sance dans laquelle
tendrait à déroger au
175,
176.
267
dans l’intérêt des endosseurs que
On comprend dès lors l’impuis
le place la loi, pour tout ce qui
droit des premiers.
Mais il ne saurait en être de même des endosseurs.
Libres de renoncer à un bénéfice tout personnel, les
traités qu’ils auraient faits à cet égard avec le porteur
recevraient leur pleine et entière exécution. Ils peuvent
dispenser du protêt lui-même, à plus forte raison pour
raient-ils déclarer qu’ils accepteront, comme équivalent,
tel ou tel acte.
Mais en l’absence de consentement ou de concours de
leur part, tout ce que le porteur ferait en ce sens reste
rait nécessairement sans effet. Vainement donc exciperait-il, à défaut de protêt, de la sommation faite à l’ac
cepteur ou au tiré, de l’assignation en justice donnée à
l’un ou à l’autre, des poursuites qui auraient suivi, de
la condamnation qui serait intervenue, chacun de ces
actes ne serait efficace contre les endosseurs que s’il
avait été lui-même précédé du protêt. Ils ne pourraient
donc dans leur ensemble y suppléer. Nous avons vu
qu’il ne pourrait même l’être par le procès-verbal de
perquisition.
• Cette règle ne cède que devant l’impossibilité maté
rielle de dresser le protêt, c’est-à-dire en cas de perte de
la lettre de change. Dans ce cas, la loi se contente d’un
acte de protestation dans les formes et les délais pres
crits par l’article 153.
�268
DE LA LETTRE DE CHANGE.
— Il en est des protêts comme de tous les
actes confiés à des officiers ministériels ou publics. Leur
rédacteur est tenu de leur donner toutes les formes né
cessaires pour leur validité, il répond, non seulement
de leur confection, mais encore de leur régularité. Par
exemple, l’huissier ou le notaire qui s’est borné, dans
le cas de l’article 173, à rédiger un acte de protestation
sans le faire suivre du protêt, est garant de l’omission et
doit indemniser le porteur du préjudice que celle-ci
peut lui occasionner1.
La responsabilité de la violation des formes est écrite
dans les articles 1 3 8 2 ,1 3 8 3 du Code civil, dans la loi
de l’an xi, dans les articles 71 et 1031 du Code de
procédure civile. Son principe n’est et ne saurait être ni
contestable, ni contesté.
Ce qui a donné naissance h des difficultés, c’est son
étendue. L’officier instrumentaire ne répond-il qu’à
l’endroit du porteur, est-il au contraire tenu vis-à-vis de
tous les souscripteurs ?
566.
S© 1? . — Dans le premier sens, on a fait remarquer
que l’officier instrumentaire n’est le mandataire que du
porteur ; qu’en conséquence nul autre que celui-ci ne
peut lui demander compte de l’exécution donnée au
mandat.
On a ajouté que la non recevabilité de l’action des
endosseurs était d’autant plus juste, que la nullité du
1 Rouen, 8 juillet 1811. Nancy, 29 janvier 1831.
�ART. H 5 ,
176.
269
fait de celui qui a reçu le protêt ne saurait lui nuire,
car ils peuvent en exciper pour s’affranchir de l’obliga
tion de rembourser ; que si, la connaissant, ils ont
néanmoins rempli cette obligation, ils sont présumés
avoir renoncé à se prévaloir de la nullité ; s’ils ont rem
boursé avant de pouvoir connaître cette nullité, ils ont
agi avec imprudence, et c’est cette imprudence qui leur
nuit, bien plutôt que. la faute du notaire ou de l’huis
sier. Ils doivent donc en subir toutes les conséquences.
La force, la justesse de ces considérations n’avaient
fait aucune impression sur la cour de Paris. Elle s’était
donc prononcée pour l’opinion contraire en jugeant, le
8 janvier 1834, que l’huissier recevant un protêt est
l’homme de la loi et le mandataire forcé de tous les
endosseurs ; qu’il est dès lors responsable à l’égard de
tous.
5 6 8 . — Mais, déféré à la Cour suprême, cet ar
rêt a été cassé en force des motifs que nous venons
d’exposer et dont la Cour régulatrice fait une littérale
application. Pour elle, l’endosseur qui a remboursé
sans s’assurer de la validité du protêt est présumé avoir
renoncé à se prévaloir de la nullité vis-à-vis de l’huis
sier1.
Déjà la Cour de cassation avait eu à se prononcer sur
notre question, et l’avait décidée dans le même sens, en
l Cass., 17 juillet 1837. J. du P ., 2, 4837,71.
�270
DE LA LETTRE DE CHANGE.
rejetant, le 29 août 1832, un pourvoi dirigé contre un
arrêt de Toulouse.
56». — Dans cette espèce, le premier degré de ju
ridiction avait singulièrement étendu la responsabilité
de l’huissier. Il déclarait que l’huissier qui avait reçu le
mandat formel de protester à un domicile indiqué était
tenu de la nullité résultant de ce que ce domicile n’était
pas celui où le protêt devait être fait. L’huissier, disait
le tribunal d’Alby, ne doit suivre d’autres ordres que
ceux qui lui sont dictés par ses devoirs, sans quoi il se
rait souvent exposé à s’en écarter et à faire des actes
nuis, ce qui pourrait compromettre la sûreté et la ga
rantie des tiers.
C’était là un singulier principe. Mais le devoir de
l’huissier n’est-il pas de se conformer aux ordres de
son mandant ? Est-il, lui, en position de discuter l’or
dre qu’il reçoit ? Ne doit-il pas croire que le domicile
où on l’envoie a été convenu entre les parties par une
dérogation aux indications de la lettre de change ?
Il n’est donc pas étonnant que la cour de Toulouse,
investie de la connaissance du litige, l’ait décidé dans
un sens contraire. Attendu, dit l’arrêt rendu le 8 mai
1830, que si l’huissier peut être responsable des omis
sions de formalités d’exploit, indépendantes de tout
mandat spécial, il ne peut l’être des nullités pour erreur
dans la personne ou dans le domicile auxquels il les
notifie conformément au mandat du requérant.
Mais, d’où s’induira l’existence de ce mandat? Du
�ART. 175, 176.
271
payement des frais faits postérieurement à l’huissier, ré
pond la cour de Toulouse. Cette appréciation, comme
celle de la responsabilité de l’huissier, fut vainement
querellée. Nous avons déjà dit que la Cour suprême les
sanctionnait l’une et l’autre par son arrêt du 29 août
1832.
S 1?©. — A insi, l’officier instrumentaire répond des
nullités résultant de l’inobservation ou de l’omission
des formalités exigées pour la validité de l’acte. Il y a
alors impéritie, ou négligence, ou ignorance de ce qu’il
est obligé de savoir, par conséquent faute lourde, et dès
lors nécessité de réparer le préjudice pouvant en ré
sulter 1.
Mais cette responsabilité n’existe réellement qu’à l’é
gard du porteur qui a requis le protêt. Personne ne se
rait recevable à en invoquer les effets. Aux arrêts déjà
invoqués, nous pouvons en ajouter un nouveau, rendu
par la cour de Rouen le 1er juin 1843.
5 Ï 1 . — Cet arrêt tranche la question à un point de
vue qui n’avait pas encore été agité. On soutenait, en
effet, que si les endosseurs n ’avaient personnellement
aucun droit contre l’officier instrumentaire, on devait
les admettre à exciper de sa responsabilité comme su
brogés aux actions du porteur qu’ils avaient désintéres
sés. Mais la négative est très rationnellement consacrée.
i V. notre Traité du dol, t. 4, ch. 3, sect. v, n0l! 475 et suiv.
�272
DE LA LETTRE DE CHANGE.
« Le remboursement malgré l’existence de la nullité,
ou avant de l’avoir vérifiée, dit la Cour, fait présumer
la renonciation à s’en prévaloir, et cette présomption est
générale et absolue. On ne saurait donc la faire dispa
raître à l’aide d’une prétendue subrogation. Celle-ci
existât-elle réellement, l’endosseur ne pourrait faire va
loir que les droits personnels du subrogeant, qui, dé
sintéressé par le remboursement qu’il a obtenu, est à
l’abri de tout préjudice. Comment l’endosseur action
nera-t-il donc l’huissier en responsabilité d’un préju
dice quelconque, lorsqu’en fait le porteur n’en éprouve
aucun1 ?
SOS. — Les réserves que ferait l’endosseur qui
rembourse auraient-elles pour résultat de l’autoriser à
recourir contre l’huissier?
Il est évident que ces réserves ne pourraient changer
l’état des choses, ni faire que l’huissier ou le notaire eût
été le mandataire de l’endosseur. Elles ne sauraient
donc créer une action directe et personnelle qui n’a ja
mais existé.
Mais leur effet pourrait rejaillir contre l’officier ins
trumentaire. Nous avons déjà dit que l’endosseur qui
n’aurait remboursé que sous toutes réserves, en cas de
nullité du protêt, pourrait, lors de la découverte de
celle ci, revenir contre le porteur et se faire restituer.
Le préjudice résultant de la nullité resterait donc à la
�ART. 175, 176.
273
charge de ce dernier, qui serait recevable et fondé à en
exiger la réparation de son auteur. Cette demande se
rait évidemment accueillie, pourvu que le porteur ne se
fût pas rendu non recevable à l’intenter.
553. — L’article 176 ajoute de nouvelles obliga
tions à celles que les lois professionnelles imposent aux
notaires et aux huissiers. Ces obligations sont : 1° de
laisser aux parties une copie exacte des protêts ; 2° de
les transcrire en entier, jour par jour et par ordre de
dates, dans un registre particulier, côté, paraphé et
tenu dans les formes prescrites pour les répertoires. Ces
obligations sont édictées sous peine de destitution, dé
pens et dommages-intérêts envers les parties.
Cette sanction pénale est aussi sévère qu’énergique.
La loi ne se contente plus de celle qu’elle avait consa
crée jusque-là. Aux frais, aux dommages-intérêts prévus
et prescrits par la loi de l’an xi et par les articles 71 et
1031 du Code de procédure civile, elle ajoute la desti
tution. Cette sévérité ne peut s’expliquer autrement que
par les exigences de l’intérêt général du commerce, si
directement affecté par tout ce qui se rapporte à la
création, à la circulation et aux effets de la lettre de
change, son premier et plus puissant levier.
L’ordonnance de 1673 prescrivait de laisser^copie du
protêt, elle en garantissait l’exactitude en assimilant au
faux tout ce qui s’en écartait. Aujourd’hui toute inexac
titude ne constituerait pas un faux, une omission quel
conque notamment. Les énonciations mensongères mêh
— 48
�274
DE LA LETTRE DE CHANGE
mes ne pourraient être considérées comme tel que si,
résultat d’une intention frauduleuse, elles étaient dans
le cas d’occasionner un préjudice.
05(4. — Des termes de l’article 176, les huissiers et
notaires sont tenus de laisser copie exacte du protêt,
il semble résulter que cette copie ne peut être donnée
qu’au domicile même où l’officier instrumentaire a dû
se transporter. De là la question de savoir ce qu’il en
serait de la signification faite, non au domicile, mais
à la personne du tiré. Cette signification serait-elle va
lable ?
L’affirmative se fonderait sur l’article 68 du Code de
procédure civile, mettant sur la même ligne les exploits
faits à personne ou à domicile.
Mais, dit M. Nouguier, l’article 176 consacre à l’ar
ticle 68 une dérogation dont le but est facile à saisir. Le
tiré d’une lettre de change ne peut avoir sur lui les
fonds nécessaires à son acquit. Par exemple les ban
quiers, qui aux fins des mois ont à payer des centaines
de mille francs, ne sauraient transporter sur eux et avec
eux des sommes considérables. Les provisions pour
leurs effets sont dans leur domicile, dans leur caisse ; il
fallait donc de toute nécessité que la réquisition du
payement et la protestation de son refus aient lieu en
la demeure du débiteur 1.
Cette opinion de M. Nouguier a pour fondement un
�ART. 175, 176. .
275
<*
avis du conseil d’Etat, du 25 janvier 1807, antérieur
par conséquent, il est vrai, au Code de commerce. Mais
celui-ci n’ayant, sur ce point, rien innové sur la légis
lation précédente, ce qui était vrai sous celle-ci est de
meuré tel sous l’empire du Code.
C’est ce qui a été formellement jugé par la cour de
Bordeaux, par arrêt du 18 juin 1834.
Cependant la cour d’Angers ayant décidé qu’il n’y a
pas nullité de l’acte de protêt lorsqu’il a été signifié à la
personne du tiré hors de son domicile, au lieu de l’être
à celui-ci, si d’ailleurs il n’est résulté de là aucun pré
judice pour les parties intéressées, la Cour de cassation
consacrait sa doctrine en rejetant, le 20 janvier 1835,
le pourvoi dont son arrêt avait été l’objet.
S’il fallait examiner la question en droit pur et ri
goureux, l’opinion de M. Nouguier et de la cour de Bor
deaux paraîtrait plus juridique que celle de la cour
d’Angers. Mais une pareille appréciation est-elle admis
sible en matière commerciale ? La volonté de la loi de
ne lui imposer ni règles absolues, ni prescriptions trop
précises, n’a-t-elle pas été mille fois proclamée dans la
discussion du Code ?
Comment décider le contraire dans une hypothèse où
les considérations qu’on invoque n’ont elies-mêmes rien
d’absolu ? M. Nouguier a raison, c’est au domicile et
dans la caisse du tiré que l’on trouve la provision; mais
ce n’est pas pour retirer celle-ci que la lettre de change
est remise en mains du notaire ou de l’huissier, préala
blement à cette remise, celte lettre a été présentée et le
�276
DE LA LETTRE DE CHANGE
payement refusé ; le notaire ou l’huissier n’ont donc
qu’à constater ce refus. Or, qu’ils en reçoivent la dé
claration de la bouche du tiré ailleurs que dans son
domicile, le résultat n’est-il pas identique.
Donc, puisque les juges du commerce sont surtout
institués pour obéir aux inspirations de l’équité ; puis
que dans tous les cas la loi fait appel à leur apprécia
tion, pourquoi vouloir le contraire dans cette circons
tance? Dès lors et le principe de cette appréciation
admis, en subordonner le résultat à l’existence d’un
préjudice, n’est-ce pas lui assigner une base rationnelle
et juridique?
L’arrêt de la cour d’Angers peut donc être avoué
comme conforme, en principe, à l’esprit de la loi, mais
nous lui refusons ce caractère comme arrêt d’applica
tion. Sous ce rapport, la Cour de cassation ne l’a sanc
tionné que parce que la constatation en fait ne pouvait
devenir l’objet de sa censure.
En effet, dans l’espèce la lettre de change était paya
ble à Mamers, et c’était à Alençon que, le lendemain de
l’échéance, elle était présentée au tiré casuellement ren
contré dans cette dernière ville.
Ainsi rien n’établissait que le payement eût été re
quis à Mamers le jour de l’échéance, l’existence de la
lettre à Alençon, le jour fatal pour le protêt, semblait
indiquer l’impossibilité de le requérir utilement au lieu
où la lettre de change était payable.
1
Il y avait donc un défaut de diligence, dont le hasard
ne pouvait relever le porteur, Sur ce point donc la ques-
�art.
175, 176.
277
lion du préjudice était fort indifférente. Sans doute lors
que le protêt a été fait dans la ville même où la lettre
était payable, et que l’officier instrumentaire s’est adressé
personnellement au tiré, la nullité du protêt serait une
rigueur injuste. Cet officier, dirait-on, n’avait que quel
ques pas à faire pour arriver au domicile, pourquoi y
serait-il allé recevoir une réponse que la personne inté
ressée venait de lui donner ? Quel est dans tous les cas
le préjudice que le défaut de transport dans ce domicile
a pu occasionner ?
Ces objections, rationnelles et justes dans cette hypo
thèse, ne sont même pas proposables lorsque, le lende
main de l’échéance, la lettre de change est présentée
dans un pays autre que celui où elle est payable. Les
endosseurs diront avec juste raison le défaut de protêt
dans les vingt-quatre heures amenait de plein droit no
tre libération. Or, comment admettre que ce protêt ait
pu être dressé en temps utile, lorsqu’il n’est pas même
démontré que vous eussiez pu faire arriver à temps
la lettre de change sur le lieu où elle devait être pré
sentée.
Nous croyons donc que si le protêt fait à ls personne
et non au domicile du tiré peut être validé, ce ne sera
jamais dans l’hypothèse où le protêt joindra à celte cir
constance celle d’avoir été réalisé ailleurs que dans la
localité sur laquelle la lettre de change était tirée, et
dans laquelle elle devait se trouver depuis la veille au
moins. En décidant le contraire, la cour d’Angers a
�278
DE LA LETTRE DE CHANGE.
fait une application inexacte d’un principe juste d’ail
leurs.
595. — La seconde obligation résultant de l’article
176 est la nécessité pour les notaires ou huissiers de
transcrire les protêts en entier, jour par jour et par or
dre de dates, sur un registre spécial.
Les actes de protêt accompagnent le titre protesté.
Nécessairement destinés à être transmis d’une localité
sur une autre, ils sont exposés à toutes les chances de
perte résultant des distances qu’ils doivent parcourir
pour retourner successivement entre les mains des di
vers endosseurs.
Ils peuvent donc s’égarer comme le titre lui-même,
et cependant leur possession est indispensable pour que
ces endosseurs puissent être poursuivis. Il n’existait au
cun moyen d’en suppléer la production, puisqu’il ne
reste dans les bureaux de l’enregistrement qu’une trace
trop imparfaite pour arriver à ce résultat, et réparer
ainsi les effets de la perte.
Celle-ci, disait la commission, se réalise assez fré
quemment pour que nous ayons dû la prévoir, et c’est
pour suppléer autant que possible même à la négligence
des huissiers que nous les avons obligés de tenir un re
gistre où seront transcrits jour par jour les actes de pro
têts, afin que les parties puissent au besoin s’en pro
curer des expéditions.
Ce que la loi a réellement voulu, c’est en quelque
sorte une minute des actes de protêts, destinée à sup-
�ART. 178, 176.
279
pléer à la perte ou à la destruction du titre original. Il
est vrai que cette minute n’est jamais signée par les par
ties. Ce qui n’empêche nullement que les expéditions
qui en seraient délivrées ne méritent toute confiance.
Nous verrons tout à l’heure l’article 181 renvoyer à ces
expéditions.
55(6. — L’article 176 a donc pour objet principal
de suppléer aux accidents pouvant occasionner la des
truction ou la perte du protêt. Cette intention rend rai
son des précautions pour assurer la régularité et l’exac
titude du registre prescrit.
Ainsi la transcription doit être entière, elle doit être
faite jour par jour et par ordre de dates, le registre luimême doit être coté et paraphé de la même manière
que le répertoire pour les actes ordinaires.
La tenue du registre est garantie par la sanction pé
nale de l’article 176 lui-même. Mais, cet objet réglé,
restait à se prémunir contre la résistance du détenteur à
le communiquer, contre les irrégularités qu’il pouvait
contenir.
Or, la constatation de ces irrégularités appartient à la
régie de l’enregistrement. Cette mission suppose pour
ses préposés le droit de se faire représenter le registre
toutes les fois qu’ils le jugent convenable, c’est ce que
la Cour de cassation a expressément jugé, le 8 juillet
1839 K
1 J. du P., 1, 1839, 141.
�280
DE LA LETTRE DE CHANGE
Le refus de l’huissier ou du notaire d’obtempérer à
la réquisition de communiquer le registre des protêts,
la contravention que l’un ou l’autre aurait commise, fe
rait encourir une amende à prononcer par les tribu
naux, mais cette peine étant purement fiscale, la pour
suite en appartient exclusivement à la régie de l’enre
gistrement. Le ministère public serait non recevable à
l’exercer l.
Il n’en est pas de même de la destitution autorisée
par l’article 176. Elle ne peut être demandée que par le
ministère public soit principalement et directement par
voie disciplinaire, soit accessoirement à la poursuite in
tentée par la partie en réparation du préjudice que lui
occasionnerait l’impossibilité de se procurer une ex
pédition du protêt, en cas de destruction ou de perte
de l’original.
Cass., 30 janvier 1840. J. du P., 2, 1843, 771.
�§ XIII.
----
Dü
ARTICLE
RECHANGE
177.
Le rechange s’effectue par une retraite.
ARTICLE
178.
La retraite est une nouvelle lettre de change, au
moyen de laquelle le porteur se rembourse sur le ti
reur, ou sur l’un des endosseurs, du principal de la
lettre protestée, de ses frais, et du nouveau change
qu’il paye.
SOMMAIRE
577.
Caractère du rechange. Signification que le Code donne à
ce mot.
578. Son fondement comme moyen, pour le porteur de se rem
bourser du montant de la lettre protestée.
579. Son origine. Sa nature réelle.
580. Conditions qu’exige sa réalisation.
58t. Le porteur usant de la voie de la retraite est-il soumis à
faire les diligences prescrites pour conserver le recours
contre les endosseurs ?
582. L’endosseur qui a remboursé peut, comme porteur, four
nir une retraite.
�282
583.
584.
585.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Pour qu’il y ait lieu à retraite, il faut qu’il y ait remise de
place en place. Conséquences pour celui à qui la lettre
a été négociée dans le lieu même où elle est payable.
Q u id , lorsqu’il s’agit d’un billet à ordre ?
Différence entre la disposition de l’article 164 et celle de
l ’article 178. Ses motifs.
S 1?®. — L’emploi de poursuites judiciaires pour
obtenir payement d’une lettre de change est peu compa
tible avec les allures habituelles du commerce, avec ses
besoins réels. Le commerçant doit d’autant plus être
soldé au jour de l’échéance, que déjà et avant même
celle-ci, les fonds qu’il doit recevoir ont reçu une affec
tation spéciale à laquelle on ne saurait les soustraire
sans des graves inconvénients.
Cette prévision imposait un devoir au législateur. Il
fallait trouver un moyen de nature à faire éviter tout
retard et à remplacer dans tous les cas le payement ef
fectif lui-même. Ce moyen, c’était le rechange, c’est-àdire l’opération par laquelle le porteur d’un effet de
commerce protesté se fait remettre par un tiers le mon
tant de cet effet, en échange duquel il livre une traite
sur un des signataires de la lettre de change originaire.
Cette nouvelle et seconde lettre de change s’appelle une
, retraite.
Le mot rechange a une autre signification. On qua
lifie ainsi le change même que paye le tireur de la re
traite. C’est dans cette seconde acception que l’article
179 nous parlera tout à l’heure du rechange. C’est dans
�art.
177, 178.
283
le premier sens que nous le rencontrons dans l’ar
ticle 177.
S Ï S . — Sous ce rapport, le rechange repose sur
une idée fort simple. Le porteur doit être payé à l’é
chéance, et telle est l’obligation que les tireur et endos
seurs ont contractée envers lui. Or, l’exécution littérale
de cette obligation peut être d’un puissant intérêt pour
le porteur ; dans tous les cas, il ne saurait être tenu
d’aller chercher ailleurs, que sur la place où il voulait
et devait être payé, le montant de ce qui lui est dû.
Sans doute, en tirant sur les débiteurs, il occasion
nera des frais, mais ces mêmes frais ne seraient-ils pas
à la charge de ceux-ci s’ils étaient obligés de faire arri
ver les fonds au lieu où la lettre de change était paya
ble ? En réalité donc la retraite leur est plutôt avanta
geuse en les exonérant des dangers que pourrait offrir
le transport de l’argent.
5 2 9 . — L’invention du rechange est attribuée aux
Gibelins, lorsque, chassés de leur patrie par les Guelphes, ils vinrent se réfugier à Amsterdam. Là, dit Roubeau, ils commentèrent sur l’invention des Juifs, pré
tendant des dommages-intérêts quand leurs lettres de
change n ’étaient point acquittées, et ces dommagesintérêts ont été depuis appelés, en cette matière, re
change x.
1 lnstit. du droit consulaire, ch. v, p. 488.
�284
DE LA LETTRE DE CHANGE.
C’est bien là effectivement le caractère que le rechange
conserve encore. Les articles 177 et suivants ne sont,
en effet, qu’une application spéciale du principe consa
cré par les articles 1142, 1146, 1147 et suivants du
Code civil.
Or, le défaut de payement, à l’échéance d’une lettre
de change, met le porteur dans la nécessité de se rem
bourser par le ministère d’un tiers. Mais ce rembourse
ment occasionne des frais, et partant un préjudice de
vant rester à la charge de celui qui a manqué à son
engagement. Dès lors, la loi appliquant elle-même les
conséquences de l’inexécution, détermine la qualité des
dommages-intérêts dont il est tenu. Ces dommages-in
térêts consistent dans le remboursement obligé, non
seulement du capital de la lettre de change, mais en
core des intérêts s’il en est dû, des frais s’il en a été
exposé, et, dans tous les cas, du nouveau change payé
à l’occasion de la retraite.
Cependant, le défaut de payement peut avoir eu pour
le porteur d’autres plus funestes conséquences. La loi,
dans l’intention de favoriser l’institution des lettres de
change, n’en a tenu aucun compte dans la supputation
des dommages-intérêts. Mais cette observation ajoute en
quelque sorte au caractère si éminemment juste des li
mites qu’elle leur a tracées. De quoi se plaindraient les
endosseurs et le tireur ? Ils avaient tous contracté l’obli
gation de faire payer la lettre de change à son échéance.
La violation de cette promesse les constitue en état fia-
�art.
177, 178.
285
grant d’inexécution de leur engagement. Ils sont dès
lors tenu de réparer le préjudice en résultant.
L’article 178 n’est donc qu’une application mitigée
du principe consacré par l’article 1149 du Code civil.
5 8 0 . — Mais, dans ces limites mêmes, l ’article 178
n’en crée pas moins une peine contre les tireur et en
dosseurs. De là, la nécessité de n’y recourir que dans
les cas strictement prévus.
Nous avons déjà dit que, dans certaines circonstan
ces, la voie de la retraite est plus avantageuse au por
teur que ne le serait le payement lui-même. On com
prend donc qu’obéissant à son intérêt, il pourrait re
courir à l’un, avant même de s’être mis en mesure de
recevoir l’autre.
Ce n ’est pas celte spéculation que la loi a entendu to
lérer. En la proscrivant, les tribunaux ne font donc que
remplir un devoir consciencieux et légal.
De là, ces solutions de la jurisprudence : 1° que la
voie de la retraite n ’est ouverte qu’après l’échéance des
traites qu'elle représente. Tant que le débiteur est dans
les délais du payement, le créancier ne saurait se plain
dre d’aucun préjudice et par conséquent prétendre à
une réparation quelconque 1 ;
2° Que la retraite ne peut être réalisée qu’après la
constatation légale du refus de payement. L’article 178
parle du remboursement du capital de la lettre de
i Colmar, 9 avril 1843.
�286
DE LA LETTRE DE CHANGE.
change p r o t e s t é e , ce qui précise l’intention de la loi.
D’ailleurs, la nécessité du protêt, pour que le porteur
soit recevable à agir de quelque manière que ce soit,
justifierait la conséquence que nous tirons des termes
de l’article 178. Gomment concevoir une retraite sur le
tireur ou l’endosseur, si le refus de payement ne s’est
pas réalisé, ou si, pour absence ou pour tardiveté du
protêt, le porteur avait perdu tout recours contre eux x.
581. — A cette occasion s’est agitée la question de
savoir si le porteur, usant de la voie de la retraite, est
dispensé de faire toutes autres diligences. N’aurait-il pas
perdu tout recours si la retraite retournait impayée
après l’expiration des délais fixés pour la notification du
protêt et la citation ?
A l’appui de la négative, on a dit : l’emploi de la re
traite suppose nécessairement l’abandon de toutes pour
suites ordinaires pour le recours ; puisque le porteur
se rembourse au moyen de la retraite (art. 178), il n’a
plus rien à demander aux voies ordinaires ; comment
assignera-t-il en payement d’une somme qui lui a été
versée au moyen de la négociation de la retraite ? Il
peut avoir contre les signataires de la lettre de change
originaire une action en garantie dans le cas où celui
sur qui il a fait retraite ne s’acquitterait pas et où il se
rait poursuivi lui-même par le porteur de cette retraite,
voilà tout ; mais puisqu’il s’est payé lui-même, il n’a
i Merlin v° Lettres et billets de change. Rép. § 3, n° 3.
�plus de payement à demander ; les poursuites pour ob
tenir ce payement ne sauraient donc être continuées l.
Tout cela est parfaitement juste dans l’hypothèse du
payement de la retraite, surtout si elle est fournie sur le
tireur. Alors, en effet, tout est fini, la lettre de change
est réellement payée, et avec l’obligation principale s’é
teignent toutes les obligations accessoires.
Mais au moment de la création de la retraite, son
payement est encore problématique, et la prudence exige
de son auteur qu’il suppose que le payement n’aura
pas lieu. Cette hypothèse se réalisant, on reconnaît qu’il
aura une action en garantie contre les signataires de la
lettre de change originaire, mais que deviendrait cette
action, si le principe sur lequel elle repose, c’est-à-dire
le recours, a été perdu faute d’avoir été exercé en temps
utile ?
Tout donc fait un devoir au porteur de la lettre de
change de mener de front les deux opérations, la pour
suite dans la quinzaine et la création de la retraite. On
: ne saurait lui en prohiber le cumul, que si la loi eût
déclaré suspendre le cours de la déchéance depuis la
création de la retraite jusqu’au jour du refus de son
payement, ce qui était d’autant moins possible, que
c’eût été attacher l’interruption de la prescription à un
acte exclusivement personnel à celui contre lequel cette
prescription s’acquiert.
Aussi la loi a-t-elle gardé à cet égard le plus absolu
1 Rép. du J. du P., v° Rechange, n°8 39 et suiv.
�288
DE LA LETTRE DE CHANGE
silence. Ce silence est d’autant plus significatif, qu’elle
avait été mise en demeure de s’expliquer. En effet, dans
ses observations, la cour de Riom notamment deman
dait si le porteur fournissant la retraite encourait la dé
chéance envers les endosseurs, ou si son action était
seulement suspendue jusqu’au refus de payement de la
nouvelle traite.
L’absence d’une réponse prouve que la loi a désiré
rester dans le droit commun de la matière, ce qui fait
dire à M. Locré que les articles 165 et 168 n’exceptent
pas de la règle qu’ils établissent le porteur qui use de
la voie de retraite ; mais que ce porteur n’est pas dans
l’alternative d’abandonner ou ce moyen ou son action.
Rien ne l’empêche de poursuivre le garant, quoiqu’il
ait tiré sur lui, que même l’article 185 suppose qu’il le
fera toujours ; que si la retraite est payée, les poursuites
sont éteintes comme devenues sans objet, le créancier
ayant obtenu satisfaction h
Ainsi le porteur de la lettre protestée peut cumuler la
voie de la retraite et la poursuite dans les formes et dé
lais prescrits. Cette faculté était indispensable pour la
conservation du recours contre les signataires précé
dents, mais il n’est pas obligé d’en user, et le plus or
dinairement on s’en abstient, parce que ce recours peut
être conservé autrement.
On n ’a, en effet, qu’à fournir la retraite à une échéan
ce antérieure au délai de quinzaine. De telle sorte que
t E sprit du Code de commerce, art. 177.
�art.
177 , 178 .
289
si le payement en est refusé, le protêt de la traite ori
ginaire puisse être notifié avec assignation en temps
utile.
La retraite, si elle est fournie sur un endosseur inter
médiaire, doit être combinée de telle sorte que celui-ci
puisse être en mesure de réaliser utilement son recours.
Il convient, de plus, qu’elle soit acompagnée du protêt
et de la lettre de change originaire, et que le tout soit
remis au moment du payement de la traite nouvelle.
L’endosseur qui paye celle-ci doit à son tour notifier
le protêt et donner citation à ses garants dans la quin
zaine de ce payement. A défaut de citation qu’il ferait
refluer contre eux, il doit recevoir les pièces originales,
bases de son droit et qui lui permettent de l’exercer.
Le refus qu’il ferait de payer la retraite, soit parce
qu’elle ne lui serait présentée qu’à une époque où il ne
pourrait plus exercer son recours, soit parce qu’on ne
le mettrait pas en position de le faire par la remise de
la lettre de change originaire et du protêt, serait sanc
tionné par la justice.
La voie de la retraite est la seule possible, lorsque la
lettre de change a été tirée et endossée avec la clause
retour sans frais. Alors, en effet, il n’y a plus à re
courir en justice, de déchéance à redouter. Alors aussi,
plus aucun délai ni aucune formalité à observer et à
remplir pour la présentation et le payement de la nou
velle traite.
589. — L’article 178 ne donne le droit de tirer la
n — 19
�290
D E LA
LETTRE DE
CHANGE
retraite qu’au porteur, mais cette qualification ne sau
rait être acceptée dans un sens exclusif. La loi ne l’a
employée que parce qu’il s’agissait de désigner le pos
sesseur de la lettre de change au moment de l’échéance
et du protêt.
Si celui-ci a obtenu de son cédant le remboursement
de ce qui lui est dû, il n’y a plus d’autre porteur que
ce dernier. Seul intéressé au remboursement ultérieur,
il est libre de l’exiger dans la forme qui lui paraît la
plus convenable, et notamment par la voie de la re
traite. L’article 178 ne saurait, de près ni de loin, four
nir le prétexte à une controverse.
583.
— Il y a même mieux, il est telle hypothèse
où le porteur réel ne pourra recourir à la création
d’une retraite, tandis que son cédant sera recevable à
le faire.
En effet, la retraite est une nouvelle lettre de change,
son existence suppose donc a 'priori la remise de place
en place.
Supposez qu’un commerçant a négocié la lettre sur le
lieu même où elle est payable. Si la lettre est protestée,
le porteur n’a pas d’autre droit que celui de se présen
ter chez son cédant et d’y prendre son remboursement.
On ne tire pas une lettre de change lorsqu’elle doit être
payée sur le lieu même où l’on a donné l’argent en for
mant la valeur l.
i Pardessus. Droit comm,, n° 44S.
�ART. 177, 178.
291
Donc, le porteur ne pourrait fournir une retraite,
> .
0
mais il en serait autrement do cédant qui, après avoir
remboursé le porteur, aurait à exiger le payement d’un
endosseur habitant une autre localité, la voie de la re
traite lui serait seule ouverte, en cas qu’il la préférât à
l’action en justice. On ne pourrait exiger de lui qu’il se
transportât dans le domicile de son endosseur, ce qui
d’ailleurs ne saurait s’exécuter qu’en donnant lieu à des
frais supérieurs au coût du change que la retraite occa
sionnera.
584. — Du principe que la retraite ne peut être ti
rée que lorsque l’argent pris sur le lieu doit être rendu
dans une autre localité, M. Pardessus conclut qu’on ne
saurait recourir à cette voie dans l’hypothèse du rem
boursement d’un billet à ordre. Mais cette solution re
çoit naturellement exception lorsque le billet à ordre est
payable à un domicile autre que celui du souscripteur.
Le refus de payement à ce domicile contraint le porteur
à recourir contre celui-ci et à son domicile. Ce recours
pourrait et devrait être exercé au moyen d’une re
traite L
585. — L’article 164 permet au porteur de la lettre
de change protestée faute de payement de recourir in
dividuellement contre le tireur et chacun des endos
seurs, ou collectivement contre les endosseurs et le tii Colmar, 44 janvior 1847.
�292
DE LA LETTRE DE CHANGE
reur. L’article 178 n’offre plus cette alternative: Le por
teur pourra se rembourser sur le tireur ou sur l'un
des endosseurs.
La différence est sensible, mais la raison en est sim
ple. On peut, lorsqu’il existe plusieurs débiteurs soli
daires, les faire tous condamner à solder la dette, mais
on ne saurait se faire payer par chacun d’eux séparé
ment. Il ne peut jamais y avoir qu’un seul payement.
Quel que soit celui qui l’effectue, le créancier est com
plètement, intégralement désintéressé, il n’a plus rien
à exiger de personne.
Or, dans le cas de l’article 164, il s’agit d’une pour
suite judiciaire. Au contraire, l’hypothèse de l’article
178 porte sur un payement réel et effectif; comment
donc concevoir une manière d’agir autre que celle qu’il
consacre. D’une part, la retraite ne pourrait être tirée
sur plusieurs endosseurs collectivement, habitant des
localités différentes et souvent fort éloignées les unes des
autres.
D’autre part, la retraite n’étant créée qu’en échange
des fonds que reçoit le tireur, celui-ci se payerait donc
cinq à six fois s’il tirait autant de traites qu’il y a de
débiteurs solidaires. Chaque porteur de celles-ci ayant
un droit égal, on multiplierait les payements au risque
de voir celui qui les aurait cumulativement reçus se
trouver dans l’impossibilité de restituer à qui de droit.
La restriction de l’article 178 était donc dictée par la
raison. On devait la consacrer sous peine de tomber
dans une confusion compromettante et dangereuse.
�j_ ±
art.
179.
293
La retraite ne peut donc être tirée que sur un seul
des codébiteurs solidaires. Lequel ? C’est ce que le por
teur a seul le droit de déterminer, la loi lui laisse l’op
tion la plus absolue, et s’en remet exclusivement à sa
décision. L’exercice de ce droit ne saurait rencontrer
aucune objection, ni faire surgir aucune opposition fon
dée. Le créancier ne fait en réalité qu’user du droit qu’il
puise dans la solidarité des débiteurs.
ARTICLE
179.
Le rechange se règle, à l’égard du tireur, par le
cours du change du lieu où la lettre de change était
payable, sur le lieu d’où elle a été tirée.
Il se règle, à l’égard des endosseurs, par le cours du
change du. lieu où la lettre de change a été remise ou
négociée par eux, sur le lieu où le remboursement s’ef
fectue.
SOMMAIRE
586.
587-
Signification du mot rechange dans l ’article 179. A quelles
conditions il pourra être exigé.
A quelle époque a -t-o n dû en régler les proportions entre
les tireurs et endosseurs.
Système suivi en France avant et depuis l’ordonnance de
1673.
MM
iV-'Ai'
B ■V
�294
589.
590.
591.
592.
593.
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Motifs qui le firent adopter par le conseil d ’Etat.
Inanité de cenx invoqués par le système contraire. Dé
monstration de M. Frémery.
Conséquences que présenterait le cumul des divers
changes.
Conséquences de la position que l’article 179 fait au tireur
et aux endosseurs.
Reproches que M. Frémery adresse à cet article. Exam en.
— Le rechange n ’a plus dans l’article 479
l’acception que lui donne l’article 177. Dans celui-ci, il
signifiait l’opération du porteur de la lettre de change
protesiée, tirant une nouvelle lettre pour se rembourser
de ce qui lui est dû ; dans notre article 179, le rechange
n’est plus que le prix du change que le porteur est
obligé de payer à celui qui lui fournit la valeur de la
traite, et dont il peut exiger la restitution.
En effet, l’exigence d’un change quelconque est la
conséquence de ce fait qu’il n’y a lieu à retraite que
lorsqu’il existe une remise de place en place. Or, dès
l’instant qu’il y aura valeur donnée dans un lieu, pour
la prendre dans un autre, il y aura nécessité de sup
porter un change quelconque.
586.
58®. — Qui doit en définitive supporter cette dé
pense ? Y a-t-il des proportions à établir entre le tireur
et les endosseurs de la lettre en retour ? Quelles sont ces
proportions ?
•
Ces questions ne pouvaient naître tant que la lettre
de change ne fut qu’un titre personnel et direct. Alors,
�en effet, elle n’offrait que trois personnes : le tireur, le
preneur et le tiré. Celui-ci ne payant pas, et le retour
de la lettre ne pouvant s’opérer que sur le tireur, lui
seul pouvait répondre de toutes les conséquences que le
défaut de payement amenait.
Mais lorsque, par l'adjonction de l’ordre, la lettre de
change put être indéfiniment transmise, aller d’un bout
du monde à l’autre, le règlement du change entre les
divers signataires devint aussi indispensable qu’urgent,
le cumul de tous ceux que les diverses négociations de
la lettre rendaient nécessaires pouvant, si on l’imposait
au tireur, singulièrement aggraver sa position. C’est ce
pendant cette règle que quelques pays avaient adoptée,
dont les villes de Lyon et du Puy demandaient la con
sécration.
588.
— Blais le contraire était depuis longtemps
suivi en France, notamment depuis l’ordonnance de
1673. Jousse trouvait le cumul désavantageux au com
merce et d’autant plus injuste que les diverses négocia
tions avaient été faites sans la participation du tireur et
pour le seul avantage de l'endosseur. S’il était permis,
ajoutait pittoresquement Bornier, de faire caracoler la
lettre par tous les lieux où on aurait des correspondants
qui se passeraient des ordres les uns aux autres, ce se
rait ruiner le commerce de ces lettres, et par cette usure
excessive faire payer trois ou quatre rechanges, e tc .1
1 Jousse et Bornier, sur l’article v, tit, vi de l’ordon.
�296
DE LA LETTRE DE CHANGE
Ainsi l’ordonnançe, sauf l’exception que nous aurons
à constater en nous occupant des articles 182 et 183,
proscrivait le cumul. Le tireur n’était jamais tenu que
du change du lieu où la remise était faite, et non pour
les autres lieux où elle aura été négociée, sauf à se
pourvoir par le porteur, contre les endosseurs pour
le payement des rechanges des lieux où elle aura été
négociée, suivant leur ordre.
589.
— C’est ce système que le conseil d’Etat crut
devoir consacrer. On aurait pu à la rigueur, disait
M. Bégouen, considérer que le tireur, en livrant à la
circulation du commerce, une lettre à ordre, est censé
avoir véritablement donné la faculté indéfinie de négo
cier dans tous les lieux ; que les rechanges ne sont oc
casionnés que par son manquement à l’obligation de
faire les fonds à l’échéance, et en conséquence faire re
tomber sur lui seul la charge de tous les rechanges ac
cumulés.
Mais si, tout bien considéré, ce n’eût été que justice,
cette justice a semblé trop sévère, et comme chaque en
dosseur a réellement profité pour ses propres intérêts de
la faculté de négocier en tous les lieux qu’il lui a con
venu, il a paru qu’il y aurait plus de mesure, de modé
ration et même d’équité dans la disposition adoptée,
conforme d’ailleurs à l’usage le plus général du com
merce de l’Europe, comme à notre ancienne ordon
nance l.
1 Exposé des motifs.
�ART.
179.
297
590.
— On le voit, le système contraire se fondait
surtout sur ce que le tireur à ordre est présumé par
cela seul consentir à toutes les négociations dont l’effet
pourra être ultérieurement l’objet. M. Bégouen aurait
pu dire que cet argumeut manque de base. La clause à
ordre, objecte avec beaucoup de raison M. Frémery, in
flue sur la forme, non sur le droit. Ce n’est pas elle qui
renferme la faculté de disposer de la lettre de change,
faculté inhérente à la propriété qui en est acquise. Ainsi
le tireur en créant le titre, l’endosseur en le cédant
n’ont pas conféré au preneur ou au cessionnaire, com
me quelque chose de spécial et qu’ils pourraient rete
nir, le droit de négocier la lettre de change. Ce droit est
virtuellement compris dans la propriété même. Quel
propriétaire peut être empêché de disposer de sa chose?
Conséquemment le donneur de valeur qui cède et
transporte sa créance use d’un droit qui lui appartient,
et précisément parce que le cessionnaire n ’acquiert que
le droit du cédant, la position du tireur ne peut en être
aggravée. Il en est de même de tous les cessionnaires
successifs 1.
Le système du Code est donc tout aussi juste que le
système contraire. Ajoutons qu’il a de plus que celui-ci
le mérite incontestable d’être un obstacle à l’usure. On
pouvait facilement, suivant l’expression de Bornier, faire
caracoler la lettre sur diverses places, simuler des né
gociations n’ayant absolument en vue que de mettre le
1 Etudes sur le droit corn., p. 459.
�298
DE LA LETTRE DE CHANGE.
porteur dans le cas de faire un bénéfice plus considéra
ble, en augmentant le change qu’il exigerait du tireur.
5 » 1 . — Pour bien saisir la gravité de ce reproche
et la véritable portée de l’article 179, un exemple nous
paraît utile, et cet exemple nous l’empruntons à M. Frémery.
Une lettre de change est tirée de Paris sur Bordeaux,
elle est successivement négociée à Paris, à Lyon, à
Rouen, à Marseille, au Havre, à Toulouse et à Bor
deaux. Présentée à l’échéance, elle est protestée. Le
cours du change de Bordeaux sur Paris est à un pour
cent.
Admettons que le capital et les frais de la lettre pro
testée s’élèvent à une somme de 1,200 fr. Voici ce qui
arrivera dans l’hypothèse du cumul des divers changes.
Le porteur de Bordeaux tirera sur l’endosseur de Tou
louse au change 1/2 0 /0 ............................... 1 .2 0 6
L’endosseur de Toulouse se remboursera
sur celui du Havre, change 2 0/0, à ajouter
24 fr. aux 1,206 f r ........................................ 1 .230
L’endosseur du Havre fournissant sur
Marseille, au change de 1 et 1/2 0/0, à
ajouter 18 fr...... ............................................. 1 .2 4 8
L’endosseur de Marseille tirera sur celui
de Rouen, change 1 et 3/4 0/0, à ajouter
21 f r .......................... ..................................... 1 .269
L’endosseur de Rouen fournira sur celui
de Lyon, change 1 0/0, à ajouter 12 f r . . . 1.281
�ART.
179.
299
Enfin, l’endosseur de Lyon se pourvoira
sur son cédant à Paris au change de 1/2 0/0,
à ajouter 6 fr................................................... 1.287
Donc le donneur de valeur à Paris se fera rembour
ser 1,287 fr. par le tireur. Or, qu’aurait payé celui-ci
si la retraite avait été directement faite de Bordeaux sur
Paris? 1,212 fr. seulement, puisque nous avons sup
posé que le change entre ces deux places était à un
pour cent.
C’est donc 75 fr. de plus que le tireur payera par
l’unique motif que la lettre de change a été négociée en
divers lieux. Ce résultat s’aggravera nécessairement si
les négociations ont été plus nombreuses, si la lettre de
change a voyagé à l’étranger, si le change est plus cher,
enfin si l’on tient compte des fractions que nous avons
négligées pour la clarté de l’exemple.
Ce résultat pouvait influer d’une manière fâcheuse
sur le commerce des lettres de change, il convenait donc
de l’empêcher en divisant la perte entre les divers inté
ressés. Cette division était d’autant plus juste que cha
que endosseur est en faute comme le tireur lui-même.
Il avait, en effet, comme lui, contracté l’engagement de
faire trouver les fonds à l’échéance, et cet engagement
il ne l’a pas tenu.
598. — Voici donc la position que l’article 179
fait au tireur et aux endosseurs.
Dans l’exemple que nous citions tout à l’heure, le
premier n ’aura jamais à supporter que le change de
�500
DE LA LETTRE DE CHANGE
Bordeaux sur Paris, soit un pour cent, ce qui représente
avec le capital un total de 1,212 fr.
Mais le porteur de Bordeaux tirera sur son cédant de
Toulouse, capital 1,200 fr. change demi pour cent, 6 fr.
soit.................................................................... 1.206
L’endosseur de Toulouse supportera le
change de 6 fr. Il fournira donc sur celui
du Havre, capital 1,200 fr. change de Tou
louse sur le Havre 2 0/0 24 fr., soit........... 1 .2 2 4
L’endosseur du Havre supportera person
nellement ces 24 fr., il fournira sur celui
de Marseille, capital 1,200 fr., change 1 et
1/2 0/0, 18 fr., total..................................... 1 .218
L’endosseur de Marseille payera sans ré pétion ces 18 fr.., il fournira sur son cédant
de Rouen, capital 1,200 fr., change 1 et
3/4 0/0, 21 fr., total.................................... 1.221
L’endosseur de Rouen supportera les 21
fr. il tirera sur celui de Lyon, capital 1,200
fr., change 1 0/0, 12 fr., total.................... 1.212
Enfin, celui de Lyon gardant pour son
compte ces 12 fr., fournira sur Paris, capi
tal 1,200 fr., change 1/2 0/0, 6 fr., total.. 1.206
En réalité donc le premier porteur, à Paris obtenant
la restitution du change direct de Bordeaux sur Paris,
soit 12 fr. et n ’en ayant payé que 6 réalisera un béné
fice. Mais on comprend combien ce bénéfice est chan
ceux et avec quelle facilité il peut se traduire en une
perte. C’est là une clause aléatoire contre laquelle on
�ART.
179.
301
ne pouvait se précautionner ; ce qu’il faut, c’est que le
tireur ne paye jamais au-delà du change dû pour le lieu
où la lettre de change était payable sur celui d’où elle
était tirée.
Le change sur les diverses places où la lettre a pu
être négociée est supporté par les endosseurs, chacun
dans la proportion que nous venons d’indiquer, c’est-àdire, aux termes de l’article 479, du lieu où la lettre de
change a été remise ou négociée sur le lieu où le rem
boursement s’effectue.
591.
— M. Frémery reproche à notre article d’a
voir adopté une base inexacte. Le devoir de l’endos
seur, dit-il, est de faire les fonds de la lettre de change
au lieu où elle doit être payée, et non ailleurs. 11 de
vrait donc, dans le cas d’inexécution, payer le change
du lieu du payement sur celui où il l’a lui-même négo
ciée. C’est ce que l’article 479 décide pour le tireur, il
devait donc l’exiger également de l’endosseur, ubi eadern
ratio, ibi idem jus.
Ce reproche semble être juste, mais il tombe bientôt
devant l’examen. Pourquoi, en effet, le tireur doit-il le
change du lieu où la lettre était payable sur celui d’où
elle était tirée ? Parce que le porteur, ne trouvant pas
les fonds dans la première localité, est obligé de venir les
chercher dans la seconde, il était dès lors juste de met
tre à la charge du tireur toute la dépense que ce retour
occasionne. C’est indemniser le porteur du préjudice
qu’il éprouve réellement.
�502
DE LA LETTRE DE CHANGE
Il ne saurait en être de même pour l’endosseur. D’a
bord, il est en faute pour n ’avoir pas fait les fonds à
l’échéance. En réparation, il doit indemniser son ces
sionnaire de tous les frais qu’entraîne le remboursement
qu’il vient chercher à son domicile.
A lui, à son tour, d’exciper de la faute de son cédant,
et d’exiger l’indemnité qui en est la conséquence. Or,
cette indemnité ne peut jamais aller au-delà de ce qu’il
lui en coûtera pour obtenir son remboursement. Il a,
par exemple, payé le porteur à Marseille, il s’en rem
bourse sur Rouen, il ne peut donc exiger que le chan
ge qu’il déboursera lui-même ; en lui accordant ce
remboursement, on lui accorde tout ce qu’il doit ob
tenir.
Calculer la restitution du change comme le veut
M. Frémery, c’était offrir dans certain cas, à chaque
endosseur ou à quelques-uns d’entre eux, l’occasion de
réaliser un bénéfice En effet, le change du lieu où la
lettre de change était payable, sur celui de la négocia
tion, pouvait être plus élevé que celui qui avait été res
titué à l’endosseur précédent. Ce qui pouvait résulter de
cet appât, c’était la multiplication des protêts et des re
tours, c’était cumuler les changes non plus à la charge
du tireur, mais à celle des endosseurs, ce qu’il ne fal
lait pas moins éviter.
Donc la disposition de l’article 179 est équitable et
juste, elle gradue les droits et les obligations dans de
proportions convenables, chacun expie ses torts et jouit
�ART.
180,
181.
503
de ses prérogaiives. Un pareil résultat ne peut qu’obte
nir une entière et pleine approbation.
ARTICLE
180.
La retraite est accompagnée d’un compte de retour.
ARTICLE
481.
4
Le compte de retour comprend :
Le principal de la lettre de change protestée,
Les frais de protêt et autres frais légitimes, tels que
commission de banque, courtage, timbre et ports de
lettres.
Il énonce le nom de celui sur qui la retraite est faite,
et le prix du change auquel elle est négociée.
Il est certifié par un agent de change.
Dans les lieux où il n’y a pas d’agent de change, il
est certifié par deux commerçants.
Il est accompagné de la lettre de change protestée, du
protêt, ou d’une expédition de l’acte du protêt.
Dans le cas où la retraite est faite sur l’un des en
dosseurs, elle est accompagnée, en outre, d’un cer
tificat qui constate le cours du change du lieu où la let-
�304
DE LA LETTRE DE CHANGE
tre de change était payable, sur le lieu d’où elle a été
tirée.
SOMMAIRE
594.
Objet que le législateur s’est proposé dans les articles 180
et 181.
595.
Nature du compte de retour.
596.
I l comprend le capital de la lettre de change proteslée.
597.
Les frais de protêt, d'amende, ceux de la notification du
598.
La commission de banque et courtage.
599.
Les ports de lettres. Q u id du voyage pour recevoir le paye
600.
Le change. Comment se calcule celui-ci.
601.
Le compte de retour doit énoncer le taux du change et le
602.
Pièces justificatives dont le compte de retour doit être ac
603.
Par qui est certifié le compte de retour A quoi s’applique
604.
Objet du certificat exigé par le dernier paragraphe de l ’ar
605.
Abus auquel les certificats ont donné naissance.
606.
Caractère du compte de retour isolé des pièces dont la pro
607.
La production de ces pièces lie-t-elle le défendeur ?
Q u id des intérêts ?
protêt.
ment de la lettre de change ?
nom de celui sur qui la retraite est fournie.
compagné. Objet de ces pièces.
l ’attestation.
ticle 181 .
duction est ordonnée.
5 0 4 . — Le porteur entre les mains de qui la lettre
de change est protestée a le droit de répéter non seu
lement le capital de ce qui lui est dû, mais encore les
�ART. 180, 181.
305
intérêts depuis le protêt, les frais de celui-ci, et tous
ceux qu’il supportera pour se rembourser sur l’un de
ses débiteurs, au moyen d’une retraite.
La conséquence inévitable de l’exercice de ce droit,
c’est que le montant de celle-ci sera supérieur à celui
de la lettre de change originaire. De là, des contesta
tions faciles à prévoir, non pas tant sur le droit de rem
boursement en lui-même que sur la sincérité des avan
ces et dépenses, que sur leur quotité.
Dans cette prévision, la loi ne pouvant prévenir le
débat, a voulu néanmoins le circonscrire dans des li
mites telles qu’il fût facile de l’apprécier, elle a donc
exigé que la retraite fût accompagnée d’un compte de
retour.
5 9 5 . — Il importe de ne pas se méprendre sur le
caractère de cette pièce. Ce compte de retour, œuvre ex
clusive du porteur créancier, ne saurait avoir à son
profit une autorité quelconque. Par lui-même, il est un
simple compte, mais un compte fourni et non arrêté ;
c’est un mémoire de demandes faites, et non un état de
demandes vérifiées ou accordées. Supposons, disaient
MM. Locré et Pardessus dans une consultation, que le
tiré se refuse à en opérer le payement, est-il au monde
un seul tribunal qui le condamnât à payer sur la seule
inspection de cette pièce ? Il ne faut être ni magistrat,
ni jurisconsulte pour savoir qu’il n’est au pouvoir de
personne de se créer un titre à lui-même. Cependant, le
tireur de la retraite serait investi de ce droit, s’il est
n — 20
�306
DE LA LETTRE DE CHANGE
vrai qu’il pût se faire payer, sans autre preuve, toutes
les sommes qu’il lui aurait plu de porter dans le compte
de retour.
Ainsi, ce compte n’est jamais qu’une allégation du
demandeur, le rôle qu’il est appelé à remplir n’est pas
autre que celui d’une note détaillée des divers articles
dont la totalisation forme la valeur de la retraite. La
loi, en en contraignant la présentation, est arrivée à ce
double et utile résultat : d’abord, de rendre l’exagéra
tion moins probable en lui faisant perdre beaucoup de
ses chances de réussite ; ensuite, celui d’éclairer le dé
fendeur sur les points qu’il doit contester, de rendre la
preuve à laquelle il est tenu plus facile, en spécialisant
les points sur lesquels elle doit porter.
5 9 6 . — Dans cette intention, l’article 181 indique
d’abord les divers articles devant se trouver successive
ment dans le compte de retour.
C’est en première ligne le capital de la lettre de
change. Ce capital constitue la créance principale dont
le porteur doit être remboursé par le tireur ou les en
dosseurs, lorsque le protêt est venu légalement constater
le défaut de payement de la part du tiré.
L’article 181 ne s’explique pas sur les intérêts. Le lé
gislateur ne faisant courir ces intérêts que du jour du
protêt, et supposant que la retraite suit immédiatement
ce protêt, a présumé qu’il n’en était dû aucuns pour le
passé.
Que si au contraire la retraite n’était fournie qu’après
�ART. 1 8 0 , 1 8 1 .
307
le protêt, les tntérêts seraient acquis de plein droit pour
l’espace écoulé, ne s’agit-il que de quelques jours. Le
créateur de la retraite aurait droit de les liquider et de
les comprendre dans la somme totale dont il se rem
bourse.
Quant aux intérêts du jour de la retraite à celui du
payement, ils sont dus au banquier qui a fourni les
fonds, et comme il s’en est indemnisé dans sa commis
sion de banque, on en tient réellement compte, en ad
mettant celle-ci.
59*3. — Le compte de retour comprend les frais de
. protêt. C’est là une avance réellement déboursée par le
porteur, et dont on ne pouvait sans injustice ne pas or
donner le remboursement.
*
Les frais de protêt comprennent ceux de l’enregistre
ment de la lettre, et au besoin ceux du visa pour tim
bre, et par conséquent l’amende que celui-ci peut en
traîner. La demande en restitution ne saurait rencontrer
aucun obstacle, sauf règlement entre ceux à la charge
desquels la loi met définitivement cette amende.
Dans la même catégorie se placent les frais pour la
notification du protêt avec citation en justice. Nous
avons déjà dit que l’intérêt du porteur, que celui des
endosseurs exige que ces mesures soient menées de front
avec la création de la retraite. Le porteur d’ailleurs,
n’ayant fait qu’user d’un droit, ne saurait encourir au
cune peine.
�508
DE LA LETTRE DE CHANGE
598. — Ces divers frais sont forcément attachés au
protêt lui-même. En voici d’autres ayant également
pour origine le défaut de payement dont ils sont la
conséquence, mais plus éloignée. Nous voulons parler
de ceux qu’entraîne la création de la retraite et qui sont
la commission de la banque et du courtage. Le loi en
accorde le remboursement parce qu’ils sont forcés. Le
banquier, en effet, ne donne ses fonds qu’en retenant
une commission indépendante de l’intérêt légal. De
plus, la négociation du papier exige bien souvent le se
cours d’un intermédiaire chargé de la préparer et de
l’amener.
599. — L’article 181 autorise le porteur à se rem
bourser des frais de port de lettres qu’il a payés à l’oc
casion de la lettre de change protestée.
L’ordonnance de 1673, sans s’expliquer à cet égard,
accordait expressément au porteur un droit bien plus
important, à savoir : celui de se faire rembourser les
frais du voyage fait pour retirer le montant de la lettre
de change, après toutefois affirmation en justice.
Pourrait-on le décider ainsi depuis la promulgation
du Code? M. Locré paraît pencher pour l’affirmative en
adoptant sur ce point l’opinion de Pothier. Mais Pothier
ne pouvait pas enseigner le contraire, par la raison dé
cisive que l’ordonnance renfermait une disposition ex
presse à ce sujet l.
1 Art. 4, tit. 6.
�ART.
180, 181.
50 9
Le Code de commerce n ’a pas jugé devoir renouveler
cette prescription, et le silence de son texte ne peut être
considéré que comme une abrogation, s’induisant d’ail
leurs de son esprit. Il n’appert, en effet, de nulle part,
qu’il ait autorisé et admis la nécessité d’un déplacement
matériel pour un payement qu’il est d’usage d’exiger et
de recevoir par le ministère d’un correspondant. Le
seul déplacement dont il serait tenu compte, serait le
voyage que l’huissier serait appelé à faire pour consta
ter le refus de payement et rédiger le protêt.
600.
— Nous n ’avons pas encore épuisé la nomen
clature des frais dont la retraite devient l’occasion.
Reste un article important, à savoir : le change, c’està-dire l’indemnité due à celui qui donne comptant l’ar
gent qu’il consent à recevoir dans une localité plus ou
moins éloignée. Cette indemnité, plus inévitable encore
que la commission de banque, devait évidemment subir
le même sort.
Le change se calculant proportionnellement à la
somme prêtée par le banquier, voici comment dans no tre espèce il sera procédé à sa détermination. On addi
tionnera le principal de la lettre de change, les inté
rêts, les frais de protêt et autres, la commission de
banque, de courtage, les ports de lettres, sur le total
ainsi obtenu, on établit la quotité du change, le total,
augmenté de cette quotité, forme la valeur intégrante
pour laquelle la retraite est fournie.
�310
DE LA LETTRE DE CHANGE.
— Le taux sur lequel le change a été calculé
doit être indiqué. Il doit être conforme à celui du jour»
de la place où la lettre de change était payable. S ’il
n’existe sur cette place aucun cours déterminé, on cal
cule sur le taux de la place la plus voisine.
Ajoutons que le change pouvant être différent suivant
la place sur laquelle la retraite est tirée, que la loi exi
geant des formalités diverses suivant que la retraite est
fournie sur le tireur ou sur les endosseurs de la lettre
de change proteslée, l’article 181 prescrit l’énonciation,
dans le compte de retour, du nom de celui sur qui la
retraite doit être tirée. Ce nom, en effet, fixe la qualité
et enlève tout doute à cet égard.
Voilà donc les indications qui doivent se rencontrer
dans le compte de retour, elles convergent toutes vers
un seul but : décomposer le total porté dans la retraite,
en indiquer les divers éléments, mettre à même le dé
fendeur d’apprécier chacun d'eux et de discuter.
Le compte de retour est donc en quelque sorte une
facture détaillée. Or, en le considérant comme tel, la
loi n’a pas oublié que dans tous les cas le demandeur
est tenu de justifier sa demande, avant même que cette
justification soit exigée par le défendeur. Celui-ci peut
faire défaut et les tribunaux devant apprécier s’il y a
lieu d’en concéder le profit, il faut nécessairement leur
fournir des éléments légitimes sur lesquels ils puissent
baser leur décision.
601.
— Voici donc les diverses pièces justificatives
que la loi exige du tireur de la retraite.
603.
�D’abord la lettre de change protestée, le protêt ou
l’expédition de l’acte de protêt.
Ces diverses pièces tendent d’abord à établir légale
ment le refus de payement que la lettre de change a
éprouvé, la nécessité et dès lors la légitimité de l’opéra
tion réalisée par le porteur.
Elles tendent ensuite à contrôler les énonciations du
compte de retour. Celui-ci comprend le capital de la
lettre de change, le coût du protêt. Pourrait-il mieux
justifier qu’il s’est conformé à la vérité qu’en plaçant
les pièces originales en regard des énonciations.
Enfin, toutes ces pièces devant être restituées au mo
ment du remboursement de la retraite, il est rationnel
de l’en faire accompagner. Le payement pur et simple
de celle-ci, laissant la lettre de change entre les mains
d’un tiers, pouvait soulever des difficultés qu’il impor
tait de prévenir.
Par une incontestable parité de raison, si l’auteur du
compte courant passait une somme quelconque pour
notification du protêt et pour la citation, l’exploit origi
nal devrait accompagner le compte, de même que la
lettre de change et le protêt.
Il est, on le voit, assez peu probable que l’exagéra
tion se glisse dans l’énonciation de ces premiers frais.
Il serait trop facile de la découvrir et de la réprimer.
Mais elle pourrait trouver une large place dans la se
conde catégorie de frais, ceux résultant de la création
de la retraite, et dont les principaux sont la commis
sion de banque, de courtage, le change.
�512
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Mais ce sont là autant d’articles obéissant à un cours
en quelque sorte régulier et sur lequel il est facile de
s’édifier. Puis le banquier donnant les fonds de la re
traite n’a pas le même intérêt que l’auteur de celle-ci.
Pourquoi donc se prêterait-il à exagérer l’indemnité
qu’il s’est attribuée.
Or, remarquons que les indications du compte de re
tour, à cet égard, reposeront sur la note de négociation
légalement dressée et qui devra accompagner le compte.
Il y a donc la une première garantie de la sincérité de
celui-ci.
6 0 3 . — A cette garantie la loi en joint une autre.
Le compte de retour doit être certifié par un agent de
change. Or, cette attestation s’applique non pas seule
ment au cours du change, mais encore et notamment à
la commission de banque et de courtage, et en établit
la conformité avec les usages de la place et avec le
cours du jour.
Si la place sur laquelle la lettre de change était paya
ble n’a pas de bourse, s’il n’y existe aucun agent de
change, le compte de retour est certifié par deux com
merçants.
Il était certes difficile d’agir avec plus de circonspec
tion, avec plus de prudence. L’intervention de tiers dé
sintéressés est surtout à remarquer, elle prouve tout le
soin déployé pour éloigner du compte de retour jusqu’à
la tentative d’exagération.
�art.
180, 181.
31 5
604. — Le dernier paragraphe de notre article 181
n’est qu’une application de la règle posée par l’article
179. Le tireur de la lettre de change ne doit jamais que
le change du lieu où la lettre de change était payable
sur le lieu d’où elle a été tirée. C’est ce change qui
figurera au compte de retour, lorsque la retraite sera
fournie sur ce tireur. Dès lors la certification du compte
de retour par l’agent de change ou par deux commer
çants, est évidemment suffisante.
Si la retraite est fournie sur un des endosseurs, le
change porté au compte de retour ne sera que celui de
la place de laquelle le porteur se rembourse, au domi
cile de l’endosseur. C’est donc ce change seul qui se
trouvera l’objet du certificat mis au bas du compte.
Mais ce n’est pas celui-ci que le tireur devra rem
bourser. Il devenait dès lors indispensable de faire cons
tater le cours de celui qui est exclusivement à sa char
ge, tel est l’objet du second certificat que notre article
exige lorsque la retraite est fournie sur un des endos
seurs.
605. — Relativement à ces certificats, il n’est pas
inutile de constater l’abus étrange qui se réalise chaque
jour. La loi ne restitue au porteur le change d’un lieu
sur un autre que parce que ce change, réellement payé
par lui, constituerait une perte qu’on ne devait pas
mettre à sa charge. Elle admet donc la réalité de l’opé
ration, et c’est autant cette réalité que le cours du
change que l’agent de change est appelé à certifier.
�314
DE LA LETTRE DE CHANGE.
Or, toutes les fois que le change est avantageux, le
commerçant est tenté d’en profiler lui-même, et voici
comment ce projet se réalise. La retraite est fournie à
l’ordre d’un commis du porteur, lequel prête son nom
et endosse l’effet à la volonté de son maître. Il n ’y a
donc jamais eu opération réelle et sérieuse, et cependant
l’agent de change affirme le contraire. C’est un usage
reçu, dit M. Emile Vincent, que le débiteur connaît et
ne conteste pas.
Mais quelle chance aurait une contestation de ce
genre en présence de l’attestation de l’agent de change
ou des commerçants de la localité ? La crainte de ne
pouvoir faire la preuve du contraire explique jusqu’à
un certain point le silence du débiteur. Ce qui est évi
demment certain, c’est que rien ne justifie chez l’agent
de change un acte qui, dit M. Emile Vincent, n’est rien
moins qu’une véritable prévarication L
GOG. — Le compte de retour isolé des pièces de
vant l’accompagner n’est rien, disent MM. Locré et Par
dessus, qu’une facture non acceptée, que le mémoire
d’un ouvrier ou d’un fournisseur, qu’un état de dom
mages-intérêts ; il n’a dès lors aucune force probante,
aucune autorité contre le débiteur.
De là cette conclusion que, quelques mensongères
que soient ses énonciations, quelque exagération qu’el
les offrent, quelle que soit la préméditation dont elles
�ART.
180, 181.
31S
sont le résultat, elles ne sauraient constituer le crime
de faux. Dès lors une condamnation criminelle pronon
cée sur ces motifs doit être annulée comme atteignant
un fait qui ne constitue ni crime, ni délitC
L’action que produit le rechange contre le tireur ou
l’endosseur d’une lettre de change protestée, ajoute la
consultation versée à l’appui du pourvoi, tire sa force
de la représentation de cette lettre, de la retraite, du
certificat de l’agent de change, en un mot, des pièces
dont la production est prescrite.
0 0 9 . — Est-ce à dire que cette production lie à
tout jamais le défendeur et l’empêche d’en contester le
mérite, de mettre en doute la sincérité des pièces ?
Non évidemment. Toutes ces pièces, sauf la lettre de
change et le protêt, sont l’œuvre exclusive du deman
deur et ne constituent qu’une prétention non contradic
toire encore. Le défendeur peut donc les attaquer com
me non sincères, faire réduire les commissions de ban
que et courtage, le change lui-même, comme exagérés.
Il peut prouver ces reproches par toutes sortes de preu
ves et même par témoins et par présomptions.
C’est aux magistrats à apprécier d’une part les pièces
justificatives du compte, de l’autre les débats qu’elles
ont soulevés et les preuves fournies à l’appui. Leur
conscience leur dicte ensuite la solution à laquelle ils
doivent s’arrêter.
i Cass., 30 août 4817. Sirey, 18,
\,
29.
�316
DE LA LETTRE DE CHANGE.
ARTICLE
182.
Il ne peut être fait plusieurs comptes de retour sur
une même lettre de change.
Ce compte de retour est remboursé d’endosseur à
endosseur respectivement, et définitivement par le ti
reur.
ARTICLE
183.
Les rechanges ne peuvent être cumulés. Chaque
endosseur n’en supporte qu’un seul, ainsi que le ti
reur.
SOMMAIRE
608.
609.
610.
611.
612.
613.
614.
Considérations auxquelles le législateur obéissait en consa
crant l’article 182.
Son caractère juridique à l’endroit des endosseurs.
Exception que l ’ordonnance de 1673 consacrait à la règle
prohibant le cumul des rechanges.
Conséquences qui en découlaient.
Le Code a fait, de la prohibition de ce cumul, une prohi
bition d ’ordre public, à laquelle il n ’est pas permis de
déroger.
Résumé.
Recours que le tireur de la lettre de change peut exercer
contre le tiré qui avait provision.
�art. 1 8 2 ,
615.
185.
317
Conditions indispensables pour ce recours, dans le cas où
la provision consiste dans une créance du premier sur
le second.
608.
— Nous venons de dire ce qu’est le compte
de retour, quel est l’objet qu’il se propose, dans quelle
forme il doit être rédigé, de quels documents il doit être
accompagné.
En réalité, le compte de retour aggrave la position
du débiteur en augmentant le chiffre de sa dette. Il est,
dans certaines circonstances, avantageux au créancier,
à tel point que les endosseurs s’empressent de rem
bourser amiablement pour acquérir le droit de le faire
en leur nom et à leur profit. C’est même dans cette
prévision que nous avons vu M. Pardessus se deman
der si le porteur ne devait pas être autorisé à refuser le
remboursement qu’on lui offrirait l.
Le bénéfice du compte de retour est surtout positif
dans le cas de la négociation simulée dont nous par
lions tout à l’heure, car l’auteur du compte obtient dans
ce cas le remboursement d’une somme qu’il n’a jamais
réellement déboursée. Autoriser un pareil résultat, n’était-ce pas porter une atteinte à la règle de justice sui
vant laquelle nul ne peut s’enrichir au détriment d’au
trui.
Mais la loi, qui ne pouvait descendre dans les nom
breuses hypothèses que son application peut faire naî1 Supra, n° 453.
*
�518
DE LA LETTRE DE CHANGE
tre, a dû nécessairement s’arrêter à des principes géné
raux auxquels on devait le plus souvent aboutir. Ces
principes étaient, dans la circonstance, la nécessité
d’une retraite naissant du refus du payement de la let
tre de change ; celle d’indemniser le porteur de tous
les frais qu’occasionnerait la retraite, enfin, la faute
imputable au tireur ne remplissant pas l’obligation par
lui contractée de payer sa dette à l’échéance.
Toutes ces considérations justifiaient la présentation
d’un compte de retour et l’admission des divers élé
ments devant le constituer.
Mais la justice exigeait de restreindre la peine de la
faute dans de justes limites. Le défaut de payement ne
pouvait donc, dans aucun cas, devenir pour celui à qui
il était imputable une cause de ruine. Or, supposez que
chaque endosseur eût pu faire un compte de retour dis
tinct. Leur nombre pouvait s’élever à vingt, c’était dès
lors vingt commissions de banque, vingt courtages,
vingt changes, dont les proportions pouvaient s’aggrandir encore, pour peu que la lettre eût été négociée en
pays étrangers. On devait d’autant plus proscrire une
pareille éventualité, que le tireur, appelé à en supporter
les tristes conséquences, pouvait en être la victime bien
innocente, comme si, ayant fait la provision, le défaut
de payement n’était dû qu’à l’insolvabilité ultérieure de
celui qui l’avait reçue.
D elà, la disposition de l’article 182, prohibant de
multiplier les comptes de retour pour une même lettre
�art. 1 8 2 ,
183.
319
de change. Disposition équitable à l’égard du tireur,
juste vis-à-vis des endosseurs eux-mêmes.
— Nous l’avons déjà indiqué, le défaut de
payement n ’est pas seulement imputable au tireur, on
peut, dans certaines proportions, le reprocher aux en
dosseurs eux-mêmes. Chacun d’eux, en effet, a signé
l’ordre au tiré de payer à son cessionnaire, cet ordre
constitue un mandat formel dont il était obligé d’assu
rer l’exécution.
Conséquemment, il a violé son engagement en ne
m
pas en procurant le moyen. Son tort, moins-grave que
celui du tireur, ne sera pas autant puni, mais évidem
ment il ne méritait pas qu’on lui permît d’en tirer un
profit au détriment de celui-ci.
Ce résultat était encore forcément indiqué par la né
cessité de ne pas intéresser les endosseurs à l’inexécu
tion de leur engagement. Le contraire ne pouvait que
les encourager à ne pas faire la provision et à multiplier
ainsi les refus de payement.
D’ailleurs, remarquons que si l’article 182 prive les
endosseurs de la faculté de réaliser un bénéfice, il ne
leur occasionne aucune perte. En effet, s’ils sont obligés
de payer le montan du compte de retour, ils sont auto
risés à s’en faire intégralement rembourser par le cé
dant ou par le tireur, à la charge de qui il reste défini
tivement.
609.
N
610. — L’article 183 consacre le principe dont
�320
DR LA LETTRE DE CHANGE.
l’article 179 a déjà réglementé l’application. Le cumul
des changes est prohibé, chaque endosseur n’en sup
porte qu’un seul, ainsi que le tireur.
Nous avons déjà dit que cette règle avait été consa
crée par l’ordonnance de 1673. Ce qui, au témoignage
de la doctrine, l’avait fait ainsi admettre, c’est que les
diverses négociations ayant été faites sans la participa
tion du tireur, sans même qu’il les connût, pour l’uni
que avantage du porteur, il eût été injuste d’en mettre
les conséquences à sa charge.
La déduction logique de ce motif était de faire auto
riser le cumul des rechanges lorsque le tireur avait
consenti et autorisé les négociations. C’est, en effet, ce
que l’ordonnance n’avait pas manqué de consacrer.
Le rechange, portait l’article vi, titre vi, sera dû par
le tireur des lettres négociées, pour les lieux où le pou
voir de négocier est donné par les lettres, et pour tous
les autres si le pouvoir de négocier est indéfini, et pour
tous les lieux. Ainsi, disait Jousse, si dans une lettre de
change tirée de Paris sur Lyon , le tireur donnait pou
voir par lettres, ou par un écrit particulier, d’en dispo
ser, verbi gralia, pour Amsterdam, et que cette lettre
revint à protêt, ce tireur serait tenu envers celui à qui
la lettre a été fournie du rechange de Lyon à Amsterdam
et de celui d’Amsterdam à Paris, ce qui est une suite de
la condition qui s’est faite entre eux. Il en est de même
du cas où le pouvoir de négocier est indéfini, car alors
il sera dû autant de rechanges par le tireur qu’il y a de
lieux différents sur lesquels la lettre a été négociée.
�art. 4 8 2 ,
183.
324
« 1 1 . — Notre ancienne législation laissait donc le
cumul des rechanges à la convention libre des parties.
On devine facilement ce qui devait en résulter. Celui
à qui on s’adressait pour négocier une lettre de change
ne l’acceptait qu’à la condition qu’on l’autoriserait à la
négocier partout où il lui plairait, et exigeait cette
autorisation par acte séparé. Placé entre cette exigence
et la crainte de voir la négociation repoussée, le débi
teur n’hésitait pas à satisfaire à la première. Il refu
sait d’autant moins, qu’il avait un besoin de fonds plus
urgent.
C’était là cependant, entre les mains du donneur de
valeur, un énergique moyen d’usure, puisque, gardant
par devers lui la déclaration du tireur, il se faisait rem
bourser des changes que, dans l’ignorance de cette dé
claration, chaque endosseur avait personnellement sup
porté. C’est surtout ce fait que Bornier faisait remarquer.
C’est ce qui se réalisait principalement dans le cas où
les négociations postérieures n’avaient rien de réel, et
qu’on ne les avait simulées que pour acquérir illégiti
mement la faculté d ’exiger plusieurs changes.
— Le Code de commerce a entendu prohiber
le cumul des rechanges d’une manière générale, abso
lue, sans exceptions. Il n ’a donc pas renouvelé celle
que l’ordonnance de 1673 autorisait.
Une convention de la nature de celle résultant de
cette exception ne saurait aujourd’hui créer un lien de
droit quelconque, ni par conséquent être suivie d’effets.
«1S.
h
— 21
�322
DE LA LETTRE DE CHANGE.
D’abord, par ce motif décisif qu’elle ne pourrait être
valable que si la loi l’autorisait expressément. En con
séquence, le silence du Code, lui enlevant tout fonde
ment légal, suffit pour la faire repousser.
Ensuite, parce que la disposition de l’article 183,
ayant surtout pour but de réprimer l’usure en empê
chant de la déguiser, acquiert de ce but même un ca
ractère d’ordre public et d’intérêt général. Elle s’impose
donc obligatoirement à toutes les parties, et exclut pour
elles toute faculté d’y déroger.
Donc, depuis la promulgation du Code, le tireur et
les endosseurs ne peuvent jamais payer qu’un seul re
change. Nous renvoyons, pour l’application de ce prin
cipe, au tableau que nous avons donné en expliquant
l’article 179.
6 1 8 . — En résumé donc, ou le porteur de la let
tre de change protestée se pourvoira par retraite sur le
tireur directement, ou sur l’un des endosseurs.
Dans le premier cas, le change calculé du lieu sur le
quel la lettre était payable, sur celui d’où elle était tirée,
étant celui que doit supporter le tireur, le compte de
retour sera invariable, il devra être remboursé successi
vement d’endosseur à endosseur respectivement, et défi
nitivement supporté par le tireur.
Si la retraite est fournie sur un des endosseurs, le
change du lieu d’où elle est tirée sur le lieu du domicile
de l’endosseur reste à la charge de celui-ci, et ainsi
successivement d’un endosseur à l’autre.
�art . 1 8 2 ,
185.
323
Le seul change que le premier preneur puisse se faire
rembourser par le tireur, est celui réglé conformément
au premier paragraphe de l’article 479.
611.
— C’est à titre de dommages-intérêts que le
compte de retour et le change sont mis définitivement à
la charge du tireur. La loi suppose donc qu’il y a faute
de sa part, et que le défaut de payement lui est exclu
sivement imputable.
Mais il peut en êlre autrement. Ce refus de payement
peut être le fait unique du tiré, qui, quoique nanti
d’une provision suffisante, aura refusé de faire honneur
à la signature du tireur.
Lui appliquer, dès lors, la responsabilité de ce refus,
lui en faire supporter les conséquences, ouvrir au tireur
un recours dans ce double but, c’est obéir à un senti
ment de justice et adopter une solution avouée par la
raison et le droit. C’est, dès lors, ce qu’on n’hésiterait
pas à admettre, si avant l’échéance le tireur avait en
voyé au tiré la provision soit en espèces, soit en mar
chandises acceptées par celui-ci dans cet objet.
615.
— Mais, aux termes de la loi, il y a provi
sion par cela seul qu’à l’échéance de la lettre, le tiré est
débiteur du tireur d’une somme au moins égale au
montant de celle-ci. Dans ce cas, le refus de payer au
rait-il pour le tiré les conséquences que nous venons
de signaler ? L’affirmative ne saurait être accueillie
qu’aux conditions suivantes :
�524
DE LA LETTRE DE CHANGE
1° Que la dette du tiré ait le caractère commercial.
Le débiteur d’une dette civile ne saurait être contraint
malgré lui à se libérer autrement que par les voies or
dinaires. Le refus qu’il ferait de payer la lettre de chan
ge ne serait donc que l’exercice d’un droit, et ne pour
rait par conséquent devenir contre lui la matière d’une
adjudication de dommages-intérêts.
C’est ce que la Cour de cassation a consacré en ju
geant que si la traite a été tirée pour une cause pure
ment civile ; les frais de retour, en cas de protêt, doi
vent rester à la charge du tireur, encore bien que la
dette du tiré soit constante 1 ;
2° Que la dette commerciale soit certaine, liquide et
exigible au moment de la présentation de la lettre de
change. La dette confondue dans un compte courant,
n ’acquérant son exigibilité que par le règlement du
compte, le débiteur ne saurait être tenu de la payer
avant ;
3» Que le tireur de la lettre ait avisé le tiré de la
création de celle-ci, et de l’époque de son échéance. Cet
avis est nécessaire non pas seulement pour que le débi
teur ait la faculté de se mettre en mesure, mais encore
pour l’empêcher d’être victime d’un faussaire plus ou
moins adroit, qui aurait contrefait la signature du pré
tendu tireur.
À cette triple condition, le tiré ne pourrait éviter de
faire accueil à la traite tirée sur lui. S’il refusait de la
1 16 avril 1818.
�art.
184,
185.
525
payer, le préjudice occasionné par ce refus resterait à
sa charge, et le tireur serait recevable à exiger la répa
ration qui comprendrait naturellement tous les frais ré
sultant du retour de la lettre de change.
L’absence d’une seule de ces conditions légitimerait
la solution contraire. La résistance du tiré ne pourrait
avoir pour lui une conséquence fâcheuse. Il serait donc
à l’abri de toute responsabilité, et par conséquent de
toutes poursuites.
ARTICLE
184.
L’intérêt du principal de la lettre de change protes
tée faute de payement est dû à compter du jour du
protêt.
ARTICLE
185.
L’intérêt des frais de protêt, rechange et autres frais
légitimes, n’est dû qu’à compter du jour de la demande
en justice.
SOMMAIRE
616.
617.
Caractère de la disposition de l’article 184, ses motifs, ses
conséquences.
Motifs de la règle consacrée par l'article!85, pour les frais
de protêt et de rechange.
�326
DE LA LETTRE DE CHANGE.
6 1 0 . — L’intérêt est la peine du retard dans l’exé
cution de l’obligation consistant dans le payement d’une
somme d’argent. En droit commun, le retard n ’existe
réellement qu’après la mise en demeure du débiteur.
De là cette règle que l’intérêt n’est dû qu’à partir de la
demande en justice, cette demande constituant une mise
en demeure incontestable.
Mais cette règle reçoit, en droit commun, de nom
breuses exceptions, expressément indiquées par la lo i l.
L’article 184 en introduit une nouvelle spéciale au com
merce.
L’argent, commercialement parlant, est une marchan
dise dont l’intérêt constitue le principal profit. C’est ce
qui l’a rendu la matière d’une industrie spéciale, celle
de la banque. Il est dès lors évident que celui qui livre
sa marchandise doit en retirer le profit. C’est ce qui a
déterminé la loi à admettre la commission de banque
dans laquelle les intérêts se trouvent compris, de ma
nière qu’ils concourent à former le capital de la lettre
de change.
Mais ces intérêts ne sont calculés que du jour de l’a
vance des fonds jusqu’à celui de l’échéance. La restitu
tion de la dette à cette dernière époque, restitution qui
était dans les prévisions des parties, ne permettait pas
de s’occuper de l’intérêt, car il ne devait plus exister
d’obligation.
1 V . ar t. 4 5 6 ,
474,
609, 612, 856, 1207, 1440, 1475, 1548,
1 6 2 0 , 1 6 5 2 , 1 8 4 6 e t 2001 C. c iv .; 5 7 C. p r oc . c i v ,
1569,
�art.
184, 185.
527
Nul doute cependant que si le défaut de payement eût
pu être prévu, l’intérêt n ’eût pas manqué d’être exigé
d’un côté, concédé de l’autre, c’est la certitude de cette
mutuelle intention qui a amené la disposition de l’arti
cle 184.
En réalité, cette disposition ne fait que rendre aux
parties la position qu’elles se seraient volontairement
assignées elles-mêmes. Mais là n’est pas seulement ce
que le législateur s’est proposé, son but principal a été
défavoriser la lettre de change, d’en multiplier l’emploi
par les avantages divers qui devaient en résulter.
Donc l’intérêt du principal de la lettre de change
court de plein droit du jour du protêt, encore qu'il
n'ait été demandé en justice, ajoutait l’ordonnance de
1673, locution que le Code de commerce n’a pas con
servée, par le motif qu’elle ne pouvait rien ajouter à sa
disposition, et qu’elle n’était qu’une répétition inutile.
Il est évident, en effet, que l’intérêt courant de plein
droit du jour du protêt, le profit en est définitivement
acquis par le fait seul du protêt, et ne pouvait être su
bordonné à une mesure ultérieure quelconque.
61® . — Les raisons qui faisaient courir l’intérêt de
plein droit pour le principal de la lettre de change sem
blaient commander la même solution pour les avances
occasionnées par le protêt et par le rechange. Ces avan
ces, en effet, ne sont que des accessoires qui viennent
se joindre à la lettre de change, avec laquelle elles se
�328
DE LA LETTRE DE CHANGE
confondent. Comment donc séparer leur sort de celui de
l’obligation principale.
C’est cependant ce que fait l’article 185 qui, plaçant
ces avances sous l’application du droit commun, dé
clare qu’elles ne produisent intérêt que du jour de la
demande en justice.
Les motifs de cette solution sont peut-être le résultat
de cette idée, à savoir : que le débiteur du principal de
la lettre de change protestée est en possession de la
somme ; qu’il l’a appliquée à d’autres besoins ; qu’il en
réalise donc un profit dont il est juste qu’il tienne
compte au créancier. L’intérêt n’est dans ce cas que le
juste équivalent de la jouissance.
Les avances pour frais de protêt, de rechange, etc.,
sont bien en réalité déboursées par le porteur, mais
elles n’arrivent jamais en la possession du débiteur. La
restitution de l’intérêt n ’a donc plus de cause spéciale,
et il était dès lors rationnel de la soumettre à la règle
générale, à savoir : une mise en demeure. Le protêt
peut bien constituer celle-ci pour le principal de la let
tre, mais il ne saurait être accepté comme tel pour des
dépenses toutes postérieures à sa confection.
A ces raisons juridiques on peut ajouter que l’article
185 est une nouvelle preuve du soin que le législateur
met, dans toutes les circonstances, à déterminer la plus
prompte solution en matière de lettres de change. Attri
buer à la citation en justice le pouvoir de faire courir
les intérêts pour les frais de protêt et de rechange, c’est
intéresser le porteur à la réaliser dans le plus court dé-
�'
'
art.
184, 185.
529
lai ; c’est, en donnant aux diligences un caractère par
ticulier d’utilité, en garantir en quelque sorte le prompt
accomplissement.
Sans doute, et en général, les frais de protêt, de re
change ne s’élèveront pas à une somme telle que quel
ques jours d’intérêt de plus ou de moins soient d’une
considération majeure, mais cet argument n’a qu’une
portée relative. Il n’y a rien de petit en banque, parce
que ce qui est peu de choses par lui-même acquiert
une véritable importance lorsqu’il se répète sur une
échelle plus ou moins étendue. D’ailleurs, l’amende à
payer pour défaut de timbre, ou pour timbre non pro
portionnel, peut élever singulièrement le chiffre des
frais.
Quoi qu’il en soit, l’article 185 est un encourage
ment nouveau à mener de front la voie de la retraite et
la poursuite en justifie. Non seulement celle-ci empê
chera toute déchéance, mais elle fera en outre courir les
intérêts des sommes déboursées, par suite du refus de
payement, du protêt et de la retraite.
ARTICLE
\ 86.
Il n’est point dû de rechange, si le compte de retour
n’est pas accompagné des certificats d’agents de change
ou de commerçants, prescrits par l’article 181.
I
�530
DE LA LETTRE DE CHANGE.
S O M M A IR E
618.
619.
620.
Effet que devait produire l'absence totale ou partielle des
pièces justificatives exigées par l’article 181.
Proposition du tribunal et du conseil de commerce de Ge
nève. Décision du conseil d’Etat. Conséquences.
Peut-on suppléer, après coup, à l’omission de requérir les
certificats, au moment du rechange.
6 1 8 . — Le compte de retour, isolé des pièces justi
ficatives, n’est rien par lui-même, il n’a aucune auto
rité et manque tellement de sanction, que les tribunaux
devraient déclarer le demandeur non recevable en l’é
tat, alors même que le défendeur ne comparaissant pas,
aucune contestation ne surgirait sur les indications du
compte.
Mais l’absence des pièces peut n’être que partielle.
On ne peut, en effet, présumer que le porteur ne sera
pas en position de produire la lettre de change protes
tée, le protêt en original ou en expédition. Dès lors,
l’effet de cette production ne pourrait être anéanti par
la raison que le réclamant ne produirait pas les autres
pièces exigées par la loi, telles que les notes de négo
ciations, les certificats des agents de change ou commer
çants.
La conséquence de ce défaut de production ne pour
rait être que le refus d’admettre la commission de ban
que, de courtage, le change lui-même. C’est ce que la
loi oblige de faire, quant à ce dernier, lorsque le compte
�ART.
186.
331
de retour n’est pas accompagné des certificats exigés
par l’article 181.
6 1 » . — Dans les observations que souleva le projet
du Code de commerce, le tribunal et le conseil de com
merce de Genève demandaient qu’on exonérât le tireur
du rechange toutes les fois que le compte de retour ne
se conformerait pas à toutes les exigences de l’article
181. Mais cette proposition parut et dut paraître dé
passer les limites d’une étroite justice, elle fut donc re
poussée.
Ce qu’on se borna à consacrer, c’est que le défaut de
production dos certificats aurait seul ce résultat. Ces cer
tificats, en effet, ont surtout pour objet d’attester la réa
lité, la sincérité du change. Leur absence laisse les
choses en l’état d’une pure allégation de la part du de
mandeur. Or, personne ne pouvant se faire un titre à
soi-même, cette allégation isolée ne pouvait être admise
sans violer ouvertement ce principe.
Il est vrai que le certificat a en même temps pour
objet d’attester la sincérité de la négociation, mais,
s’agissant d’un fait purement matériel, la preuve en ré
sultait suffisamment de la production de la retraite ellemême. Tirée d’un lieu sur un autre, son objet principal
était l’acquisition du change. Refuser celui-ci à défaut
de production des certificats, suffisait pour satisfaire à
toutes les exigences raisonnables.
6 8 0 . — Il résulte des termes de l’article 186 que
�352
DE LA LETTRE DE CHANGE
les certificats exigés par l’article 181 doivent être con
temporains du compte de retour, puisqu’ils doivent
l’accompagner. Dès lors, l’omission qu’on ferait de les
requérir au moment de la retraite ne pourrait être ré
parée après coup. Décider le contraire, c’était condam
ner l’article 186 à ne jamais recevoir aucune exécution.
Comment concevoir, en effet, que le demandeur ne
suppléera pas par un certificat à l’omission qui lui est
reprochée ?
Il ne suffirait donc pas, pour échapper à l’application
de l’article 186, de produire tardivement des certificats.
Ces certificats n’ayant pas été dans l’origine joints au
compte de retour, le débiteur a été par cela même libéré
de toute obligation à l’égard du rechange,
Ce qui peut résulter de là, c’est que, pour se sous
traire à cette déchéance, on antidatera les certificats.
Mais dans cette circonstance, comme dans toutes autres,
l’antidate, constituant une fraude, pourra être alléguée
et prouvée par témoins et par présomptions ; cette
preuve acquise, le litige se trouvera de plein droit tran
ché par l’application de l’article 186.
�ART.
187, 1 8 8 .
55 5
SECTION II
d d
i t i i i F / r
ARTICLE
a
« it
h
i i ■;
187.
Toutes les dispositions relatives aux lettres de change,
et concernant :
L’échéance,
L’endossement,
La solidarité,
L’aval,
(
Le payement,
Le payement par intervention,
Le protêt,
Les devoirs et droits du porteur,
Le rechange ou les intérêts,
Sont applicables aux billets à ordre, sans préjudice
des dispositions relatives aux cas prévus par les articles
636, 637 et 638.
ARTICLE
Lo billet à ordre est daté.
188.
�334
DE LA LETTRE DE CHANGE
Il énonce :
La somme à payer,
Le nom de celui à l’ordre de qui il est souscrit,
L’époque à laquelle le payement doit s’effectuer,
La valeur qui a été fournie en espèces, en marchan
dises, en compte, ou de toute autre manière.
SOMMAIRE
621.
622.
623.
624.
625.
626.
627.
628.
629.
630.
631.
Caractère et spécialité du billet à ordre. Son utilité.
Diverses espèces de billets, admis par l ’ordonnance de
1673.
Autres catégories admises depuis et jusqu’en 1807. Billet
à volonté, billet de rançon, billet d’honneur, billet pa
triotique de confiance.
Système suivi par le Code de commerce. Catégorie des bil
lets q u ’il admet.
Les conditions édictées par l'article 1108 du Code civil
s’appliquent à tous les billets en général.
L ’article 1326 est applicable aux billets simples. Excep
tions que comporte cette règle.
Le billet simple n’a pas besoin d’indiquer la valeur et sa
nature.
Nature de l ’obligation des débiteurs du billet simple et de
leurs cautions, relativement à la garantie.
Conséquences de l’endossement du billet simple vis-à-vis
du cédant, et vis-à-vis des tiers, du débiteur cédé luimême. Forme de la notification.
Effet de la notification au débiteur. Celui-ci peut-il oppo
ser au cessionnaire le défaut de cause ?
Autres conséquences du principe que le billet simple est
�632.
633.
634.
635.
636.
637.
638.
639.
640.
641.
642.
643.
644.
645.
646.
647.
648.
réglé par la législation civile. Obligation du cédant, des
endosseurs successifs. Nature de la déchéance.
N ature des rescriptions, définition. Conséquences.
Lettre de crédit, sa définition, double objet qu’elle se pro
pose.
Son caractère n’en permet pas la négociation.
La délivrance, l’emploi et l’accueil de la lettre de crédit ne
sont jamais obligatoires. Faculté de revenir sur la pre
mière.
Exception que cette règle comporte.
Conséquences de la lettre de crédit donnée à un voyageur,
pour le créditant, le crédité et le créditeur. Droits et
obligations réciproques.
Nature de l’obligation résultant de la lettre ouvrant à un
négociant un crédit chez un autre négociant.
Son exécution résulterait des énonciations du compte cou
rant entre les deux négociants, des lettres de change
tirées par l’un et payées par l ’autre.
Pourrait-on appliquer le crédit à la dette antérieure à sa
concession ? A rrêt de la cour de Bourges pour l'affirma
tive.
Faculté pour le créditant de stipuler q u ’il ne sera soumis
ni à la solidarité, ni à la contrainte par corps.
Origine du billet au porteur. Lois qui l ’ont tour à tour sup
primé et rétabli.
Législation intermédiaire.
Effet du silence gardé par le Code à son sujet.
La forme du billet au porteur est encore régie par l ’édit de
1721. Conséquences.
Le billet au porteur se transm et de la main à la main. Le
cédant n ’encourt donc aucune garantie, mais on peut
stipuler le contraire.
Peut être transmis par endossement.
La signature isolément mise au dos dn billet au porteur
constituerait-elle une promesse de garantie ?
�356
649.
650.
651.
652.
653.
654.
655.
656.
657.
658.
659.
660.
661.
662.
663.
664.
665.
666 .
667.
668 .
069.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Opinion de Merlin pour la négative.
Motifs qui doivent faire préférer la solution contraire.
Quelle serait l ’étendue de cette garantie?
Le billet au porteur ne peut être assimilé au billet à or
dre. Conséquences.
Incompétence du tribunal de commerce à l’endroit du bil
let au porteur.
Résumé.
La lettre de change peut être au porteur. Conséquence à
l ’endroit de la juridiction consulaire.
Validité d’une obligation notariée au porteur. Ses effets
quant à l’hypothèque.
L ’effet au porteur rentrant dans la catégorie des choses
dont parle l ’article 2279, peut être revendiqué. Obliga
tions du revendiquant. Conséquences.
Caractère et destination du billet à ordre.
Différences, dans leur b ut, entre lui et la lettre de change.
Conséquences.
Leur caractère réciproque.
Son influence sur la juridiction compétente.
Le billet à ordre peut être fait par acte authentique. Ses
effets.
L’article 4 326 régit-il le billet à ordre ?
Quid pour les femmes et les filles ?
La femme d’un commerçant qui a signé avec son mari
partage-t-elle avec lui le bénéfice de l ’exception tirée de
la qualité ?
Dispositions du Code, applicables au billet à ordre. Carac
tère de l’article 187. Dérogation à la législation précé
dente.
Indications que doit contenir le billet à ordre, d’abord la
date.
Effet de l’omission ou de l’inexactitude.
Seconde indication. — La somme à payer. Comment on
peut y satisfaire.
�art.
187, 188.
357
670.
Troisième indication. — Le nom de celui à l’ordre de qui
il est souscrit.
671. Quatrième indication. — L'époque à laquelle ce payement
doit être fait.
672. Le billet à ordre peut être payable à vue, à présentation, à
première réquisition. La clause je payerai toutes les
fois e t quand, satisfait-elle à l’article 188 ?
673. Dans l ’usage, les billets à ordre sont payables à nn certain
délai de vue ou de présentation. Ils sont régis par l ’ar
ticle 160. Equipollents admissibles.
673bis. Effet de l’indication d ’un payement conditionnel sur les
billets à ordre.
673ter. Espece jugée par la Cour de cassation.
673 quatuor. Reproche que M. le professeur Ernest Dubois fait à
l ’arrêt. Examen et réfutation.
674.
Cinquième indication.— La valeur qui a été fournie en
espèces, en marchandises , en compte, ou de toute
autre manière. Utilité de cette indication sous l’ancien
droit.
675. Son importance depuis le Code.
676. Exemples de locutions ne remplissant pas le but de l’arti
cle 188.
677. Les mots de toute autre manière font évidemment allusion
aux billets de change.
678. Effet du défaut ou d’omission de l ’expression de la va
leur.
679. L ’endossement d’un billet non conforme à l’article 188 est
valable, mais ses effets, quant à la garantie, sont réglés
par les principes du droit commun. A rrêt de la Cour de
cassation dans ce sens.
680. Autres conséquences de la transformation du billet en sim
ple promesse.
681. Difficultés sur la compétence. Solution.
h
1
—
22
�338
682.
683.
684.
685.
686.
687.
688.
689.
690.
691.
692.
693.
694.
695.
DE
LA
LETTRE
DE
CHANGE
Importance au point de vue du droit criminel, de la déter
mination de la cause du billet à ordre.
A qui appartient le droit de décider si le billet constitue ou
non une écriture de commerce ?
Résumé.
Lorsque le billet à ordre régulier est signé par des com
merçants et de non commerçants, le tribunal de com
merce est-il compétent, même lorsque ces derniers
sont seuls poursuivis ?
Effet pour les endosseurs de la clause de transmissibilité
sans garantie, stipulée par le souscripteur.
Billet à domicile, son objet, son caractère.
En quoi il diffère du billet à ordre.
— de la lettre de change.
Ses effets.
Controverse sur le caractère du billet à domicile. Arrêts de
Bordeaux et de Besançon ne lui reconnaissant pas le
moyen de réaliser la remise de place en place.
Réfutation.
Doctrine ancienne et moderne, Pothier, Dupuis de la Serra,
Frém ery, Horson, Merlin, Pardessus, Emile Vincent.
Nouguier.
Caractère de la remise.
Où doit être fait le protêt, où la signification du jugement
et celle du commandement ?
© 31. — Les services que la lettre de change est
appelée à rendre au commerce sont aussi nombreux
qu’incontestables. Son importance, son utilité se décè
lent surtout dans les relations d’une place avec les places
voisines, entre lesquelles elle fait en quelque sorte dis
paraître toute distance.
�ART.
187, 188.
339
Mais la spécialité de son objet, la nature de ses for
mes la rendaient peu propre à desservir le commerce
intérieur d’une localité, cependant les besoins n’étaient
ni moins réels ni moins nombreux. Un chef d’atelier
ingénieux, le manufacturier habile n’ont pas toujours
par devers eux les ressources nécessaires au développe
ment de leur précieuse industrie, la plupart d’entre eux
n’ont souvent, pour toute propriété, que leur travail,
leur bonne conduite et leurs talents.
« Il faut, disait le rapporteur au nom du tribunat,
trouver pour cette classe précieuse, qui emploie les bras
du pauvre, qui met en œuvre les produits de notre agri
culture et exporte ceux de nos fabriques, un moyen
d’emprunter qui s’accorde avec la nature de ses besoins
et celle de sa fortune ; le billet à ordre le lui présente.
Si les individus dont elle se compose engagent leur li
berté au prêteur qui vient à leur secours, c’est dans leur
propre intérêt ; car plus la garantie que l’emprunteur
offre au capitaliste est puissante, moins les conditions
du service qu’il en obtient sont onéreuses.
« Ainsi, l’emploi du billet à ordre aura le double
avantage de seconder l’industrie nationale et de réduire
le prix de l’argent. Mais ce contrat n ’est pas destiné
seulement à produire ces deux effets déjà si importants;
il sera susceptible d’être négocié, et en accroissant, sous
cette forme nouvelle, la somme des valeurs mises en
circulation, il tendra à rendre les espèces moins chères.
Ainsi il agira successivement de deux manières pour
diminuer le taux de l’intérêt.
�340
DE LA LETTRE DE CHANGE.
« Le billet à ordre est donc un véritable bienfait pour
le commerce ; c’est l’utile auxiliaire qu’attendait la let
tre de change, c’est le complément du système ingé
nieux et fécond des effets négociables. Sans efforts, sans
embarras, il crée sur chaque place une banque de cir
culation infiniment plus rassurante que ces banques de
circulation collectives dont les ressources sont souvent
illusoires, l’administration toujours coûteuse, et quel
quefois infidèle. »
Voilà les termes dans lesquels le tribunat recomman
dait celte institution à l’attention du conseil d’Etat.
Lorsque, en 1807, ces considérations étaient émises,
elles avaient le mérite .certain d’être autre chose que des
prévisions plus ou moins hasardées. La pratique avait
jusque-là justifié toutes les espérances et fixé toutes les
incertitudes.
6 3 8 . — Il est vrai que l’ordonnance de 1673 ne
s’occupait guères que du billet de change, c’est-à-dire
celui par lequel le souscripteur s’obligeait à payer une
certaine somme pour prix de lettres de change à lui
fournies ou qui devaient l’être plus tard ; cependant il
est certain que quoiqu’elle ne s’en fût pas spécialement
occupée, il avait été dans l’esprit de cette législation
d’autoriser tous autres billets. C’est ce qui s’induit no
tamment de l’article xxxi, titre v, parlant de ceux cau
sés en deniers ou en marchandises.
C’est ce que Jousse remarque dans son Commentaire.
Cet article, dit-il, concerne tous les billets de quelque
�ART.
187, 188.
u \
espèce qu’ils soient, et voici la nomenclature de ceux
qui étaient en usage à son époque, indépendamment
des billets de change.
1° Ceux qui se font au profit d’un particulier y nom
mé, sans ajouter la clause ; ou à son ordre.
2° Ceux qui sont payables à un particulier ou à son
ordre ;
3° Ceux qui sont souscrits en blanc ;
4° Ceux qui sont payables au porteur.
Ces diverses catégories comprennent évidemment l’en
semble de la grande famille de billets. Le Code de com
merce les a même réduites à trois, ainsi que la raison
l’indiquait d’ailleurs.
En effet, le billet en blanc n’était en réalité qu’un bil
let au porteur, ainsi que nous aurons tout à l’heure oc
casion de le faire ressortir. Il n’eût même qu’une exis
tence éphémère. Inventé en 1600, il ne tardait pas à
être proscrit comme un instrument de fraude et d’usure.
Deux arrêts de règlement du Parlement de Paris, des
7 juin 1611 et 26 mars 1621, en défendirent l’usage.
Cette suppression amena le billet payable au porteur,
qui n’était, sous une autre forme, que le billet en blanc
lui-même. Nous aurons à indiquer bientôt les vicissi
tudes diverses qu’il eut à traverser.
. 633. — De 1673 à 1807, les dénominations spé
ciales de billet s’étaient singulièrement accrues. Sans
s’arrêter à la forme, on qualifiait chaque billet par la
nature de l’engagement qu’il renfermait. C’est .ainsi que
�542
DE LA LETTRE DE CHANGE
nous rencontrons les billets à volonté, les billets de
rançon, les billets d’honneur, les billet de confiance,
etc.
Ce qui distinguait le billet à volonté, n ’était que l’ab
sence d’échéance fixe et déterminée. Il était forcément,
ou nominatif, ou à ordre. Il était donc impossible de
ne pas le classer dans l’une ou l’autre de ces catégories,
à moins cependant qu’il ne fût au porteur. Dans ce cas,
il appartenait à cette espèce et devait en subir les rè
gles. C’est ce qui se réalise aujourd’hui, car le billet à
volonté ou à présentation n’a pas cessé d’être en usage.
On appelait billet de rançon celui qui était souscrit
par le capitaine d’un navire "capturé, au profit du cap
teur, afin d’obtenir sa liberté.
Le billet d’honneur était celui par lequel les gentils
hommes ou officiers militaires s’engageaient sur leur
honneur à payer une certaine somme à une époque dé
terminée.
Cette dénomination n ’avait pas d’autre effet que l’in
tervention d’une juridiction compétente pour punir le
violateur de la foi donnée, mais non pour contraindre
le payement. Ainsi l’article 1er du règlement des maré
chaux de France, du 20 février 1748, prononçait con
tre tout gentilhomme ou officier qui, pour quelque cause
que ce fût, avait fait un billet d’honneur à un marchand,
une peine d’un mois de prison ou plus, suivant les cir
constances, lorsqu’il ne remplissait pas son engagement
d’honneur. Le créancier était renvoyé à se pourvoir de
vant les juges ordinaires.
�*
art.
187, 188.
343
Enfin, et à une époque plus rapprochée, nous trou
vons le billet de confiance. On appelait tantôt de ce
nom, tantôt de celui de billet patriotique, des effets
payables au porteur et à vue, mis en circulation comme
numéraire par les caisses des directoires de départe
ments. Mais c’était là moins un effet de commerce qu’un
véritable papier monnaie, que la Convention se hâta de
faire disparaître dans l’intérêt du crédit de l’Etat. Elle
en prononça l’abolition par une loi du 8 novembre
1792.
© 34. — Le Code de commerce ne s’est approprié
aucune de ces dénominations, pas même celle de billet
de change, qu’il trouvait dans l’ordonnance de 1673.
Sans doute on peut sous son empire distinguer encore
un billet par l’objet qui l’a motivé. Ainsi on dira très
légalement : billet de marchandises, billet de grosse,
billet de prime, lorsqu’il s’agit de l’engagement pris de
payer en marchandises une somme reçue en argent, ou
d’un prêt à la grosse, ou du payement d’une prime
d’assurances, soit maritimes, soit terrestres. Mais par sa
nature ce billet sera nécessairement ou nominatif, ou à
ordre, ou au porteur. On ne saurait en effet imaginer
un billet en dehors de ces catégories.
Au milieu de ces divers effets, un seul se présentait
comme se prêtant merveilleusement aux développements
de la circulation commerciale, c’est le billet à ordre.
Nous avons vu en quels termes le tribunat ën signalait
l’importance, et c’est parce que sa conviction était celle
�544
DE LA LETTRÉ DE CHANCE
du conseil d’Elat, que celui-ci n’a pas hésité à l’intro
duire dans notre législation commerciale et à en régle
menter la forme et les effets.
Mais l’adoption de l’un n’est pas l’exclusion des au
tres. Comme le billet à ordre lui-même, le billet nomi
natif, celui au porteur surtout, peuvent prendre une
place importante dans la circulation. Il convient donc /
d’en fixer les caractères, d’en déterminer les conditions,
d’en décrire les effets.
625. — Une condition générale et s’appliquant à
tous les billets indistinctement est celle qui résulte delà
disposition de l’article 1108 du Code civil. Il n’y a de
billets valables que ceux qui réunissent le consentement
de la partie et sa capacité, un objet certain formant la
matière de l’engagement, une cause licite dans l’obliga
tion. Inutile de s’appesantir sur les conséquences de
l’absence d’une ou de plusieurs de ces conditions.
<630. — Une seconde condition est encore indiquée
par l’artiqle 1341 du Code civil. Le fait seul qu’il a été
rédigé un billet indique que l’on a satisfait à cette dis
position. Aussi n’en parlons-nous que pour faire re
marquer la forme que l’article 1326 exige pour l’obli
gation sous seing privé.
Cette disposition s’applique-t-elle aux divers billets
que nous avons énumérés ? L’affirmative ne saurait être
contestée pour les billets simples.
Le billet simple est resté sous le Code ce qu’il était
�art.
187, 188.
545
avant, c’est celui dont le bénéficiaire est une personne
déterminée, auquel on n ’a pas même concédé la faculté
de transmettre son droit. L’absence de cette faculté in
dique qu’on n’a pas même entendu créer un titre des
tiné à circuler. Ï1 est donc impossible d’y voir autre
chose qu’un titre ordinaire, et par conséquent soumis
aux prescriptions de l’article 1326 du Code civil.
Mais en matière commerciale, le fond emporte la
forme, quelle que soit celle ci, le titre est commercial si
son objet a été une opération de commerce. En consé
quence, à l’exception créée par l’article 1326 lui-même
et tirée de la qualité du signataire, s’en réunit une se
conde qui est fournie par la nature de l’acte.
GStf. — Le billet nominatif offre dans sa constitu
tion cette circonstance remarquable qu’il n’a pas besoin
d’indiquer la valeur et sa nature ; si elle a été fournie
en espèce, en marchandises, en compte ou de toute au
tre manière. Cette condition est impérieusement exi
gée pour le billet à ordre.
11 n’en est pas ainsi pour le simple billet, parce que
la reconnaissance de devoir, qu’il renferme, suffit pour
lui assigner une cause légitime, et par conséquent pour
en faire ordonner le payement, sauf la preuve contraire
de la part du débiteur L
© 38.
Le simple billet, étant un titre purement
i Merlin, Rép , v» Billets, § 1, n° ■!,
�546
DE LA LETTRE DE CHANGE.
civil, est exclusivement régi par les principes du droit
commun, relativement, à l’étendue de l’obligation, à sa
transmission, a la garantie qui en peut être la consé
quence.
Ainsi, les signataires collectifs qui ont souscrit le bil
let, soit comme débiteurs, soit comme cautions, ne sont
tenus envers le bénéficiaire que chacun pour sa part et
portion. La solidarité, qui ne se présume pas, n’existe
rait à leur égard que si elle avait été expressément sti
pulée.
6 3 9 . — Un des caractères que l’ancienne législa
tion relevait dans le billet simple, c’était sa non trans
missibilité par voie d’endossement. Ces billets, disait
Jousse, ne peuvent se négocier, et ne sont payables qu’à
celui au profit de qui ils sont souscrits, ou à la per
sonne qui a procuration de l u i 1.
Ce caractère est celui que ces billets présentent en
core aujourd’hui, ils ne sont pas transmissibles à un
tiers par voie d’endossement, comme le sont les billets à
ordre2.
La conclusion qu’il faut tirer de cette règle, est seu
lement que le billet simple, transmis par endossement,
ne deviendrait pas par cela seul la propriété du cession
naire. Nous avons déjà dit que la faculté de céder à au
trui les choses qu’on possède, était une conséquence du
m
1 Sur l’art. 31.
s Cass.., 11 avril 1827.
ijff
1$
i i'f tMi-k
�art.
187, 188.
347
droit de propriété lui-même ; qu’elle peut toujours être
exercée, que la forme du titre pourra bien influer sur
les conditions de cet exercice, mais jamais sur le droit
en lui-même.
Donc le porteur d’un simple billet peut le céder com
me il le ferait de toute autre créance ordinaire. Du ces
sionnaire à lui, la loi s’est abstenue de prononcer. Toute
convention serait donc suffisante, notamment celle ré
sultant d’un endossement en faveur du preneur.
Mais, vis-à-vis du tireur, vis-à-vis du débiteur cédé
lui-même, le cessionnaire ne serait réellement saisi que
par la notification du transport ou son acceptation. Jus
que-là et pour tout ce qui les concerne, le cédant con
serve la propriété de la créance que le billet constate.
Dès lors, cette créance peut être valablement saisie par
ses créanciers ou soldée entre ses mains par le débi
teur K
Toutefois cette signification n’a reçu aucune forme
sacramentelle. Elle pourrait donc être suppléée par tout
acte ayant pour objet de manifester l’existence de la
cession et de la dénoncer au débiteur cédé. Elle serait
utilement remplacée, notamment par la notification du
protêt requis par le bénéficiaire de l’endossement. C’est
ce que la cour de Paris a admis par arrêt du 6 février
1830.
6 3 0 . — Mais à côté de ce principe rationnel et ju Pothier, Change, n° 217.
�548
DE LA LETTRE DE CHANGE
ridique, la cour de Paris en pose un autre auquel il
n ’est pas possible d’adhérer. Elle décide, en effet, que la
notification du protêt d’un billet endossé, quoique non
à ordre, saisit définitivement le tiers porteur en ce sens
que le souscripteur ne peut lui opposer le défaut de
cause, et refuser de lui payer le montant du billet.
Cette solution, à notre avis, donne à l’endossement
d’un billet non négociable un effet que la loi réserve
exclusivement à celui des billets de commerce. Celui-ci,
sans qu’il doive être signifié, transfère la propriété d’une
manière absolue, complète, sans restrictions et sans li
mites. Le billet est présumé n’avoir jamais eu d’autre
propriétaire que celui qui en est porteur au moment de
l’échéance, celui-ci n ’agit donc pas comme le représen
tant de tel ou de tel, il exerce un droit propre et per
sonnel que la faveur du commerce et les exigences du
crédit public ont fait reconnaître et proclamer. On com
prend, dès lors, qu’on ne puisse lui opposer aucune
exception du chef des porteurs précédents. Celui qui
signe un billet négociable accepte par cela même sciem
ment et volontairement toutes les conséquences que la
loi fait ressortir de son engagement.
Il est par cela même présumé avoir traité directement
avec tous les porteurs successifs, et consenti d’avance à
n’avoir à faire qu’avec celui qui, possesseur de l’effet à
l’échéance, lui en demandera payement. Peut-on en
dire autant de celui qui, précisément peut-être pour
échapper à cette présomption, n’a transmis qu’un titre
personnel et non négociable ?
�art.
187, 188.
349
Sans doute, il n’ignore pas que son créancier est libre
de céder ses droits, mais il sait également qu’il ne peut
s’en dessaisir que conformément aux règles de droit or
dinaires ; qu’en vertu de celles-ci, non seulement nul
ne peut céder à autrui des droits plus étendus que ceux
qu’il possède lui-même, mais encore que le cession
naire n’agit et ne peut agir qu’en cette qualité ; qu’on
peut donc lui opposer toutes les exceptions qu’on était
recevable à invoquer contre h cédant.
La cour de Paris part d’un principe vrai, mais arrive
à une conclusion erronée. La signification du transport
saisit définitivement le cessionnaire, cela est incontesta
ble, mais les effets de cette saisine ne se produisent
qu’au moment de la signification et pour l’avenir. Les
exceptions que le débiteur cédé acquerrait ultérieure
ment contre le cédant ne pourraient donc être opposées
au cessionnaire.
Mais celles dont le profit lui était acquis avant la ces
sion, comment lui refuser le droit de les faire valoir ?
Ce profit n ’a pu lui être enlevé, ni par la cession qui
est l’oeuvre unique du créancier, ni par la signification
émanant du cessionnaire.
Or, soutenir que la créance cédée n’a pas de cause,
c’est exciper d’une exception remontant à l’origine du
titre, et dès lors antérieure à la cession. La fin de non
recevoir unique que celle-ci serait dans le cas de créer
contre le débiteur, serait l’acceptation pure et simple
qu’il aurait donnée à la cession.
�550
DE LA LETTRE DE CHANGE
6 * 1 . — Du principe que la transmission d’un sim
ple billet par voie d’endossement est exclusivement régie
par les principes du droit commun, résultent les consé
quences suivantes :
4° Le cédant n’est tenu qu’à la garantie de l’existence
légale de la créance au moment du transport. Il ne ré
pondrait du payement qu’autant qu’il en aurait con
tracté l’engagement form el l.
Cette doctrine, admise sous l’ordonnance de 1673,
n ’a pas cessé de l’être sous l’empire du Code. C’est ce
qui résulte de la jurisprudence de la Cour de cassation,
jugeant que celui qui a cédé par voie d’endossement un
billet à ordre qui est jugé n’être qu’une simple pro
messe, n’est tenu d’en garantir le payement de- la part
du débiteur qu’autant qu’il s’y est formellement obligé2.
2° Les endosseurs d’un simple billet, qui en ont ga
ranti le payement, ne sont pas soumis à la solidarité,
à moins d’une stipulation expresse.
3° Dans la même hypothèse de garantie de la solva
bilité du débiteur, il n’y a aucun terme fatal dans le
quel le porteur soit tenu de faire des diligences contre
le débiteur pour conserver son recours contre les endos
seurs. Il n’y en a aucun non plus dans lequel il soit
tenu de réaliser ce recours. A quelque époque qu’il
agisse, pourvu que la dette ne soit pas prescrite, il vient
toujours à temps.
1 Pothier, Change, n» 218.
2 <7 février 1847.
�art. 1 8 7 ,
188.
551
En d’autres termes, les obligations prescrites par les
articles 162 et 165, et la peine portée par l’article 168
restent complètement étrangères à la matière des billets
simples. Une application de cette règle résulte d’un ar
rêt de la cour de Besançon, décidant qu’un simple bil
let qui n’est point à ordre , et qu'un négociant a remis,
revêtu de son acquit, à un autre négociant son créan
cier, en payement de ce qu’il lui doit, n’est pas aux
risques et périls de ce dernier à défaut de poursuites à
l’échéance ; qu’en conséquence, si le souscripteur vient
à faire faillite et que le porteur n’ait fait aucune dili
gence, celui qui l’a donné en payement n’est pas moins
tenu d’en rembourser le m ontant l.
4° Enfin, il n ’y a en matière de simples billets au
cune autre déchéance que celle résultant de la prescrip
tion. Ainsi que nous le ferons remarquer sur l’article
suivant, cette prescription ne peut s’entendre de celle
dont la durée est réglée par l’article 189, mais de la
prescription ordinaire de trente ans.
© 38. — Un titre de la nature de celui dont nous
venons d’indiquer la forme et les effets, qui ne peut
dans aucun cas remplir l’office d’une monnaie, ne se
rencontrera pas usuellement dans les habitudes com
merciales. Cependant, dans la catégorie des billets qui
ne portent pas la clause à ordre, nous en rencontrons
deux qui empruntent un caractère essentiellement comi 27 mars 4811.
�352
DE LA LETTRE DE CHANGE.
mercial de la qualité des signataires, du but qu’ils se
proposent. Nous voulons parler des rescriptions et des
lettres de crédit.
I.a rescription, dit Pothier, est une lettre par laquelle
je mande à quelqu’un de payer ou de compter pour
moi une certaine somme. C’est celle lettre qu’on dési
gne^ sous le nom de mandat, et qui seule mérite cette
qualification.
Il est évident qu’on décore improprement du nom de
mandats des obligations à ordre et surtout des titres
qui, tirés d’un lieu sur un autre, réalisent la remise
d’argent de place en place Les premières n’en seront
pas moins des billets à ordre et les seconds des lettres
de change. Nous sommes à cet égard de l’avis de
M. Nouguier, et nous reconnaissons que c’est en vain
qn’on tenterait d’interdire au porteur de celles-ci le droit
de requérir l’acceptation, sous prétexte que le tireur les
aurait qualifiées de mandat. Les effets de commerce
s’apprécient par le fond des choses plutôt que par leur
forme, plutôt surtout que par le nom qu’on leur aura
donné.
Ce que nous acceptons nous, sous le nom de man
dat, c’est le bon qu’un commerçant, qui a à opérer un
payement, donne à son créancier qui va le toucher au
lieu désigné.
Il est certaines maisons de commerce qui sont dans
l’usage de verser toutes leurs recettes chez un banquier,
qu’elles chargent également du payement de toutes leurs
dettes. Un créancier, quel qu’il soit, se présente-t il, on
�art. 1 8 7 ,
188.
553
vérifie ses titres, on lui donne ensuite un bon sur le
banquier qui le retire en payant.
Voilà la rescription, voilà le mandat véritable, et l’on
comprend qu’il ne peut être que nominatif. Il s’agit en
effet d’un payement réel, effectif, actuel. Le créancier
n’a qu’à se présenter pour le recevoir, la clause de
payer à son ordre devient inutile. Il ne peut jamais en
cette matière être question de négociation.
Ce qui se réalise sur la localité même peut s’accom
plir au dehors. Un commerçant qui a employé dans un
autre pays des ouvriers, des fournisseurs, leur envoie à
chacun un mandat sur un banquier de la localité en
règlement de ce qui lui est dû. Ici encore, le payement
devant suivre la présentation du bon lui même, la clause
à ordre deviendrait inutile.
Cependant le contraire serait admis si le payement
était fixé à une époque plus ou moins reculée de cette
présentation. Le bénéficiaire pourrait avoir intérêt à le
négocier pour en réaliser la valeur avant l’échéance in
diquée. Mais, si dans ce but le bon a été déclaré paya
ble à ordre, il n’est plus un mandat, il devient un véri
table billet à ordre, en subissant les règles et en produi
sant les effets.
633.
— A côté du mandat tel que nous le conce
vons, et sur une ligne parallèle, se place la lettre de
crédit, espèce de rescription, disait Pothier, par laquelle
un marchand ou banquier mande à son correspondant,
dans un autre lieu, de compter à la personne dénomii — 23
�354
DE LA LETTCtE DE CHANGE
mée dans la lettre l’argent dont celle-ci témoigne avoir
besoin. Ces lettres sont le plus souvent limitées à une
somme déterminée.
Ce but, quoique le plus usuel, n’est pas le seul que
la lettre de crédit puisse se proposer. Elle peut, en ou
tre, avoir pour objet de favoriser les relations d’un com
merçant avec un autre, en faveur duquel le souscrip
teur de la lettre déclare se porter garant des engage
ments souscrits ou à souscrire par le premier.
634.
— Dans l’un comme dans l’autre cas, la let
tre de crédit est purement nominative et personnelle.
S’agit-il du premier, l’exécution de la lettre de crédit
est inconciliable avec l’idée d’une substitution quelcon
que dans la personne du crédité. Il importe à celui sur
qui le crédit est donné de ne payer qu’au crédité, car
ce n’est qu’à cette condition qu’il pourra répéter con
tre le créditant toutes les sommes qu’il aura avan
cées. Aussi n’omet-on rien de ce qui peut le mettre à
même d’apprécier l’identité de celui qui se présente.
On a même le soin de lui transmettre d’avance un spé
cimen de la signature qu’il pourra comparer avec celle
qu’on lui donnera chez lui.
Toutrs ces sages précautions sont exclusives de toute
possibilité de négociation d’une lettre de crédit. D’ail
leurs, celui qui la donne et qui a confiance au crédité
ne serait pas assez insensé pour se lier envers celui que
celui-ci pourrait se substituer, et qui n’en mériterait en
réalité aucune.
�art.
187, 188.
355
635. — Dans la même hypothèse, la lettre de cré
dit offre ce caractère remarquable qu’elle n’est réelle
ment obligatoire pour personne. Celui qui l’obtient ne
contracte aucun engagement, pas même dans le cas où
il aurait réellement besoin de se procurer des fonds sur
la localité. L’usage de la lettre de crédit est entièrement
subordonné à sa volonté et à ses convenances.
Le commerçant sur qui la lettre de crédit est donnée
n’est pas contraint de l’accueillir, même envers son cor
respondant, à moins qu’il ne s’y soit formellement
obligé. Ce qui le déterminera à accepter ou à refuser
sera la position financière du créditant, la nature de
leurs relations. Si sa solvabilité est douteuse, si le dé
couvert de son compte a déjà atteint des proportions
considérables, à quel titre exigerait-il le nouveau témoi
gnage de confiance que son correspondant ne voudrait
pas lui accorder.
Enfin, le créditant lui-même peut toujours arrêter
l’effet de la lettre de crédit en la révoquant. Cette révo
cation, en supposant qu’elle dût être justifiée, le serait
suffisamment par l’allégation que les recherches nou
velles du créditant lui ont fait concevoir des doutes sur
la solvabilité du crédité.
636. — Cette dernière règle reçoit une exception
évidente, dans le cas où le montant de la lettre de cré
dit a été d’avance consigné entre les mains du créditant.
Dans ce cas, en effet, il y a pour celui-ci un avantage
résultant de la jouissance d’un capital qu’il n’aura à
�356
DE LA LETTRE DE CHANGE
rembourser que plus tard. Un autre avantage se réunira
à ce premier, le payement de la commission de banque
et de change qu’il n’aura pas manqué de stipuler.
Le crédité a donc acheté et payé le droit d’obtenir le
remboursement de ses fonds au lieu et aux époques
convenables. L’inexécution de la promesse du créditant
l’obligerait dès lors à indemniser le premier de tout le
préjudice que celui-ci en aurait éprouvé.
6 8 » . — L’exécution d’une lettre de crédit, tou
jours dans la même hypothèse, aboutira aux résultats
/■
suivants.
La réception des sommes touchées par le crédité sera
constatée par une quittance signée en duplicata. L’une
de ces quittances reste en possession de celui qui a
fourni les fonds et devient la pièce justificative de l’ins
cription de ces fonds au débit du créditant. L’autre est
transmise h celui-ci, qui est dès lors autorisé à en de
mander le remboursement au crédité.
Lorsque celui-ci a opéré ce remboursement et retiré
l’exemplaire de la quittance, sa libération est complète
et absolue. Peu importerait que le créditant n’eût pas
encore désintéressé son correspondant ; que son état
d’insolvabilité ne lui permît plus de le faire à l’avenir.
Celui-ci, en fournissant les fonds, n’a fait confiance
qu’au créditant, il n’a donc jamais acquis aucun droit
contre le crédité dont il ne pourrait dès lors contester la
valable libération. Cela est d’autant plus juste, que dans
�ART. 187, 188.
357
le cas de consignation préalable le crédité n’a jamais
rien dû à personne.
Dans tous les cas, il ne se serait obligé qu’envers le
créditant. Dès lors il ne pourrait être actionné par le
fournisseur des fonds que si ce dernier, invoquant l’ar
ticle 1166 du Code civil, exerçait les actions de son pro
pre débiteur.
Les droits respectifs du créditant et de son correspon
dant se règlent par les indications de la lettre de crédit.
Le second a incontestablement le droit de se faire rem
bourser l’intégralité de ce qu’il a payé, si le crédit étant
illimité, il est impossible de lui reprocher aucun excès.
Mais si la lettre de crédit déterminait la somme jus
qu’à concurrence de laquelle elle a été donnée, il n’y
aurait d’avance obligatoire que celle qui se renfermerait
dans la limite indiquée. Tout ce qui aurait été donné
au-delà l’ayant été contrairement au mandat, ne sau
rait être répété du mandant. Conséquemment, l’offre de
celui-ci, de restituer jusqu’à concurrence de la somme
dont il avait autorisé l’avance, serait satisfactoire. Le
donneur de fonds ne pourrait recourir pour le surplus
que contre le crédité lui-même, auquel il aurait per
sonnellement et exclusivement fait confiance.
638.
— Le crédit ouvert à un négociant chez un
autre négociant constitue, en thèse ordinaire, une obli
gation directe de la part de celui qui a consenti à l’ac
corder. Vainement exciperait-on de ce que dans la lettre
d’ouverture on aurait déclaré garantir le payement de
�558
DE LA LETTRE DE CHANGE.
la dette que le crédité contracterait. L’obligation, dans
ces termes, n’en serait pas moins réputée solidairement
consentie, à moins d’une stipulation contraire, expres
sément exprimée.
Ainsi et à défaut de cette stipulation, la lettre de cré
dit peut être réputée non un simple cautionnement du
quel il résulte une obligation purement civile, mais un
véritable aval consenti par acte séparé, qui rend celui
qui l’a souscrit justiciable des tribunaux de commerce,
et en vertu duquel il est contraignable par corps, de la
même manière et par les mêmes voies que les tireur et
endosseurs des effets souscrits en exécution de la lettre
de crédit *.
— Alors, en effet, cette exécution n’exige plus,
comme nous le disions tout à l’heure, la délivrance de
quittances au fur et à mesure des avances. Ces avances,
alors même que la lettre de crédit les autoriserait moyen
nant reçu, résulteraient valablement des lettres de chan
ge tirées par le crédité2.
Il y a mieux encore, si le crédité est en compte cou
rant avec le négociant auprès duquel on le crédite, les
énonciations du compte courant prouveront régulière
ment la sincérité et la valeur des avances. Il n’est pas
même nécessaire d’ouvrir un compte spécial pour l’exé639.
1 Bourges, 9 avril 1824.
2 Bordeaux, 30 novembre 4830. V. Aix, 29 mai 4841. J. du P ., 2,
�ART. 187, 188.
559
cution du crédit. Le tout se fondrait dans le compte
déjà existant, dont la balance constituerait la somme à
répéter du créditant.
640.
— A ce su jet, une circonstance importante
vient énergiquement témoigner de l’immense intérêt que
ce dernier a à bien expliquer dans la lettre de crédit la
nature et l’étendue de l’obligation qu’il entend s’impo
ser. En effet, le doute ou l’obscurité qui régnerait à cet
égard pourrait avoir ce singulier résultat de permettre,
à celui qui doit faire honneur au crédit, d’imputer sur
la somme à livrer les sommes par lui précédemment
avancées au débiteur crédité, quoique ce dernier n’y ait
pas formellement consenti, si la lettre de crédit n’en
contient pas la prohibition formelle.
En l’absence de toute indication précise, dit la cour
de Bourges, dans son arrêt du 9 avril 1824, la ques
tion ne peut se résoudre que par l’intention des parties.
Or, l’intention du créditeur, de ne pas faire porter le
cautionnement sur les avances déjà faites au moment
de la délivrance de la teltre de crédit, serait tellement
extraordinaire, qu’elle eût dû être énoncée dans les ter
mes les plus précis.
L’arrêt ajoute : Attendu qu’il est impossible de sup
poser que les sieurs Lyon et Breton eussent consenti à
ouvrir au sieur Senti un crédit de 30,000 fr., lorsque
déjà ils étaient à découvert de plus de 23,000 fr., et
que, loin de leur offrir une garantie, sa solvabilité com
mençait à être fort douteuse dans le commerce, lors-
�360
DE LA LETTRE DE CHANGE.
que, par le crédit qu’ils accordaient pour un an, ils se
seraient interdits le droit de faire aucune poursuite con
tre lui pendant cet intervalle.
Cette dernière considération était péremptoire, car
l’abstention de poursuites pendant un an, en admettant
que le crédit de 30,000 fr. fût distinct des 23,000 fr.
dus, aurait constitué de la part du créancier un crédit
réel de 53,000 fr.
Dans tous les cas, le crédit accordé à un négociant a
pour objet de le mettre en mesure de faire ses affaires
et de payer les dettes à jour dont le non payement pour
rait amener des poursuites et même une déclaration de
faillite, Or, si le créditeur est naturellement amené à
payer les dettes du crédité sous la garantie du crédi
tant, comment, lorsque le contrat est muet sur ce point,
l’empêcher de se payer d’abord lui-même? N’est-il pas
évident que s’il s’abstient même de demander ce qui lui
est dû, c’est par l’effet de la garantie qui en rend le
payement ultérieur beaucoup plus probable ?
En raison et en doctrine, l’arrêt de la cour de Bour
ges mérite une entière, une absolue approbation. De
quoi se plaindrait d'ailleurs le créditant ? D’avoir ignoré
la position du crédité ? Cela n’est pas probable. On ne
cautionne pas sans se mettre au courant des affaires de
celui pour lequel on engage une partie de sa fortune.
D’ailleurs, la nécessité seule d’être cautionné est un in
dice dont la signification ne saurait être douteuse en
commerce.
Le créditant a pu mettre à son obligation telles con-
�ART. 187, 188.
361
ditions et restrictions qu’il jugeait convenables, la faire
porter exclusivement sur les sommes à fournir , en ex
clure celles déjà fournies. L’intérêt qu'il a à ce qu’il en
soit ainsi ne permet pas d’équivoquer sur le silence qu’il
a gardé sur ce point. Il ne saurait donc raisonnable
ment en répudier les conséquences, et dicter après coup
au créditeur une loi qu’il n’eût pas acceptée, si on en
avait fait la condition du crédit.
644. — Du principe que l’obligation du créditant
admet des restrictions dont il est libre d’exiger la men
tion obligatoire, il résulte qu’il peut stipuler qu’il ne se
soumet ni à la solidarité, ni à la contrainte par corps,
ne donner qu’un cautionnement simple, se réserver le
bénéfice de division et de discussion. L’acceptation de
la lettre de crédit renfermant ces conditions emporterait
virtuellement le consentement à leur exécution.
643. — Nous avons déjà dit que, sous l’ancienne
législation, les billets au porteur avaient succédé aux
billets en blanc, dont la suppression avait été ordonnée
en 1611 et 1621. Evidemment le billet au porteur n’etait que le billet en blanc lui-même ; et sa substitution
à celui-ci prouverait que loin de répugner au commerce
ce mode d’engagement, véritable monnaie, plus encore
que la lettre de change et le billet à ordre, était appelé
à rendre des services réels.
Ce qui complète cette preuve, c’est la pratique qui fit
maintenir, qui maintient encore l’usage des billets au
�5G 2
DE LA LETTRE DE CHANGE.
porteur, malgré les répugnances, malgré les réclama
tions qu’il souleva et qui l’accueillirent.
En effet, on ne voyait en lui que le billet en blanc et
on le jugeait comme on avait fait de celui-ci. L’usage
des billets au porteur, disait Jousse, est dangereux pour
le commerce. C’est, en effet, ce que pensait le Parle
ment de Paris, lorque, par un arrêt de règlement du
16 mai 1850, il le proscrivait.
Cette doctrine, bientôt consacrée et renouvelée par la
déclaration royale du 9 janvier 1664, ne parait pas
avoir été suivie. En 1673, nous trouvons le billet au
porteur tellement en usage, que le nouveau législateur
croit devoir l’adopter, en décernant la contrainte par
corps contre les signataires l.
Plus tard et en 1716, un édit du régent le supprime
de nouveau. Le motif apparent de cette suppression se
trouve consigné dans le préambule. Après avoir rappelé
l’abolition des billets en blanc et les raisons qui durent
la faire consacrer, ce préambule ajoute : Le même es
prit de fraude et d’usure, ayant ensuite imaginé les bil
lets au porteur, qui, sous un autre nom, étant en effet
la même chose que les billets en blanc, consacrent les
mêmes abus, et plusieurs plaintes en ayant été portées
ennotreParlement.il rendit, sur la requête de notre pro
cureur général, le 16 mai 1850, un nouvel arrêt de rè
glement, par lequel, après avoir entendu les juges con-
i Ordonnance de 1673, tit. vu, art. 1er.
�art.
178, 188.
365
suis et les anciens marchands de notre bonne ville de
Paris, il fut fait défense, etc......
A ces causes, l’édit renouvelle cette défense et abolit
de nouveau l’usage des billets au porteur. Nous disons
que les raisons invoquées dans le préambule ne sont
qu’apparentes, et, en effet, le but que se proposait l’édit
était tout autre. En 1746, la fameuse banque de Law
venait d’êtie autorisée. On ne se contentait pas de la
fièvre de spéculation qu’elle avait suscitée, on voulait
en outre appeler à elle tous les capitaux en tarissant les
autres sources de la circulation.
Sans doute, les billets au porteur pouvaient offrir des
inconvénients, mais ils avaient, surtout à cette époque,
l’incontestable avantage d’attirer dans le commerce les
capitaux de ceux qui, par position ou par leur qualité,
devaient rester inconnus. Comment douter d’ailleurs de
leur utilité réelle en présence de l’usage persistant mal
gré la prohibition ; de leur rétablissement formel d’a
bord par l’ordonnance de 1673, ensuite par une décla
ration du roi du 26 février 1692.
C’est encore cette utilité qui fera rétracter l’édit de
1716, et avant de citer l’ordonnance de rétractation,
citons le témoignage de l’illustre d’Aguesseau. Dans une
lettre qu’il écrivait sur la matière, le 8 septembre 1747,
il disait : on a senti en France, et surtout à Paris où il
y a des gens de différents états extrêmement riches,
combien l’Etat était intéressé à leur procurer les moyens
de faire circuler leurs fonds sans être connus ; et c’est
par cette raison que les billets au porteur, abrogés en
�364-
DE LA LETTRE DE CHANGE.
mai 1716, ont été rétablis par la déclaration du roi du
mois de janvier 1731.
Le préambule de celte déclaration n ’en fait pas d’ail
leurs mystère. Il rappelle l’édit de 1716, il ajoute : Mais
des négociants nous ont fait représenter, aussi bien que
ceux qui sont intéressés dans nos affaires, que rien n’é
tant plus important pour le bien du commerce et pour
le soutien de nos finances que de ranimer la circulation
de l’argent, il n’y avait pas de moyen plus prompt pour
y parvenir, l’expérience ayant fait connaître qu’un grand
nombre de personnes se portent plus facilement à prê
ter leur argent par cette voie que par une autre.
6 4 3 . — C’est sous l’empire de cette législation que
se trouvaient les billets au porteur, lorsque éclata la ré
volution de 1789. Nous avons déjà dit que les caisses
des directoires des départements avaient créé des billets
dits patriotiques et de confiance, payables au porteur,
mais que ces billets avaient dû être prohibés dans l’in
térêt de la circulation des diverses monnaies de l’Etat.
Aussi, par décret de la Convention, du 8 novembre
1792, il fut fait défense de souscrire ou d’émettre au
cun billet au porteur, sous quelque dénomination que
ce fût, sous peine d’être poursuivi et puni comme faux
mn nayeurs.
Des doutes s’étant élevés sur la portée de ce décret,
sur son application aux billets au porteur de simples
particuliers, le législateur crut devoir s’expliquer luimême. Une loi du 25 thermidor an m déclara donc
�art.
187, 188.
365
que la prohibition de souscrire et d’émettre des effets et
billets au porteur ne concernait pas ceux qui n’avaient
pas pour objet de remplacer ou de suppléer la mon
naie ; qu’en conséquence, il était permis de souscrire et
de meitre en circulation, de gré à gré, comme par le
passé, lesdits billets et effets au porteur.
A. cette loi, autorisant expressément les billets au por
teur, il faut ajouter celle du 15 germinal an vi, sur la
contrainte par corps, qui en consacre implicitement
l’usage. C’est en cet état que parut le Code de com
merce.
© 44. — Le silence qu’il garde sur les billets au
porteur a d’abord préoccupé les esprits. Ce silence ren
fermait-il une abrogation et fallait-il en faire résulter
l’abolition de ces titres ? La négative a prévalu en doc
trine et en jurisprudence. Le silence d’une législation
nouvelle laisse l’ancienne en vigueur, si d’ailleurs la
première ne contient aucune disposition antipathique
ou inconciliable avec celle-ci. D’ailleurs, observe Merlin,
n’est-ce pas une obligation licite, d’après le droit natu
rel, que celle prise par le débiteur de payer une somme
déterminée à celui qui, de la main à la main, lui re
mettra le litre matériel renfermant la preuve de la dette.
L’effet d’une pareille obligation ne saurait être paraly
sée que par une loi qui la prohiberait formellementl.
Dès lors le Code ne les prohibant pas, les a par cela
i Quest. de droit, v° Billets au porteur, n° 4.
�366
D E LA LETTHE
DE
CHANGE
même maintenues. Aucun doute ne s’élève aujourd'hui
à cet égard.
Le billet au porteur est donc valable, et dès lors le
billet en blanc le serait également. Il faut bien le recon
naître, en effet, ce dernier n’est pas autre chose qu’un
billet au porteur, puisqu’il dépend de celui-ci de se cons
tituer créancier en remplissant de son nom le blanc que
présente le billet. N’est-ce pas d’ailleurs pour qu’on
puisse se le transmettre de la main à la main qu’on
omet d’en désigner le bénéficiaire ? Dès lors, comment
distinguer entre ces deux titres.
645. — Aucune forme spéciale n’ayant été indi
quée par le Code de commerce, celle des billets au por
teur se trouve encore régie par la loi de 1721. C’est ce
qui a fait décider que, conformément à ses dispositions,
le billet au porteur doit faire mention de la manière
dont la valeur a été fournie, si c’est en argent, en mar
chandises, en compte ou de tout autre manière l.
Cette doctrine était également admise sous l’empire
de l’ordonnance, et c’est ce que Savary et Jousse ensei
gnent formellement. Mais ces jurisconsultes ajoutent
que, sous la même peine de nullité, le billet au porteur
devait indiquer le nom de celui qui en avait fourni la
valeur2.
Mais il est fort difficile d’assigner à cette opinion un
Contrat de Change, 4 4 0 . N o u g u ie r , t. 1 ,
Parère 7 7 , J o u s s e , su r l ’a r tic le 3 4 , t it . v .
1 P a rd essu s,
2
Savary,
p.
541.
�ART.
187, 188.
367
fondement législatif, cependant, et puisqu’il s’agit de
nullité, frudrait-il au moins en puiser l’origine dans la
loi elle-même. Or, la déclaration de 1721 est muette
sur ce point.
A quoi bon d’ailleurs l’indication du donneur des
fonds ? Est-ce qu’il ne demeure pas étranger à la négo
ciation ? Quel qu’il soit, ce n’est pas envers lui que le
débiteur prend l’obligation de rembourser. L’indication
de son nom serait donc, dans tous les cas, fort indiffé
rente. Cela explique suffisamment pourquoi elle n’a pas
été exigée, et pourquoi son omission ne pourrait entraî
ner la nullité du billetL
646. — Le billet au portenr se transmettant ordi
nairement de la main à la main, sa négociation se réa
lise aux risques et périls du cessionnaire. Le cédant
n’est et ne saurait jamais être tenu d’en garantir le
payement. En l’acceptant, le preneur a par cela même
consenti à n’avoir pour débiteur unique que le sous
cripteur, et renoncé à toute recherche contre toute autre
personne, sous quelque prétexte que ce soit.
Cependant le contraire peut être convenu entre les
parties. Dans ce cas, la promesse de garantie sera réa
lisée soit par écrit séparé, soit par un endossement sur
le billet même.
641
?. — Transmissible de la main à la main, le
1 P o th ie r ,
Change,
n° 2 8 4 , M e r lin ,
Rép.
v.
Billet au porteur.
�568
DE LA
LETTRE DE CHANGE
billet au porteur le serait bien mieux encore par un en
dossement.
Mais un endossement pur et simple, et dans la forme
ordinaire, pourrait avoir pour résultat d’enlever au bil
let son caractère de transmissibilité de la main à la
main. Comment concevoir en effet que le bénéficiaire
de cet endossement pût transférer la propriété du titre
sans consentir une cession expresse.
Il peut donc se faire que l’endossement d’un billet au
porteur ne consiste que dans la signature isolément mise
au dos du billet, et destinée à profiter à tous les por
teurs ultérieurs.
— Mais cette prévision a soulevé la question
de savoir quel serait l’effet de cette signature. Devraiton en faire résulter une promesse de garantie ?
L’affirmative a été consacrée par un arrêt de la cour
de Pau, du 20 mars 1838 l.
C’est cette solution que recommandait l’ancienne doc
trine. La raison en est, disait Denisart, que la signa
ture au dos d’un billet au porteur étant inutile pour le
transfert de la propriété, cette signature ne peut avoir
été mise que pour un autre objet, celui de garantir.
C’est aussi ce que nous enseigne Jousse, en se fondant
sur un arrêt rendu dans ce sens par la grand’chambre
du Parlement de Paris, du mois de septembre 1703.
648.
�art .
187, 188.
369
— Merlin combat cette doctrine et ses consé
quences. La signature, dit-il, peut avoir été apposée,
non pour garantir le payement, mais pour certifier la
signature du souscripteur, en même temps que l’exis
tence légale de l’obligation. Dans le doute, l’interpréta
tion doit avoir lieu dans le sens le moins onéreux aux
signataires. D’ailleurs, aujourd’hui une simple signature
mise au bas d’un billet ne constitue pas un endosse
ment si elle n’est précédée des énonciations voulues, et
ne valant que comme simple procuration, elle consti
tuerait le cessionnaire du billet au porteur le procureur
in rem suam du cédant, à l’effet de recevoir le mon
tant du billet 1.
•
649.
— Nous en demandons pardon à ce grand
maître, mais son opinion est loin de répondre à la grave
considération invoquée par Denisart et par Jousse. Elle
déplace la question sans la résoudre.
Sans doute l’apposition de la signature peut avoir l’un
des buts indiqués par Merlin. Mais est-ce qu’il est d’u
sage en matière de billets au porteur de garantir la si
gnature du souscripteur, l’existence légale de la créance?
C’est là au contraire un acte tellement en dehors des
habitudes commerciales que peut-être personne n’y a
jamais songé. Or, plus cet acte est extraordinaire et plus
il ne conviendra de l ’admettre que s’il est formellement
et expressément formulé.
650.
i
Quest. de droit,
v.
Billet au porteur,
n° 6 .
n —- 24
�370
DE
LA LETTRE
D E CHANGE.
Donc une signature isolée ne saurait jamais avoir
cette signification, et les conséquences que l’on indui
sait tout à l’heure de son inutilité, à l’égard du transfert
de la propriété, restent dans toute leur force.
Nous n’admettrions même le doute que si les stipu
lations indiquées par Merlin étaient dans les habitudes
commerciales. Dans tous les cas, nous n’interpréterions
pas ce doute comme il le fait lui-même. Nous dirions
avec le principe général que c’est à celui qui contracte
un engagement à en déterminer la nature, à en préci
ser le caractère ; que s’il manque à ce devoir, que s’il
laisse planer sur ses intentions l’incertitude et le doute,
c’est contre lui qu’on doit se prononcer.
L’argument puisé dans l’irrégularité de l’endossement
ne saurait être sérieusement accepté. Il vaudrait plus
ou moins si l’existence de la signature était invoquée
comme opérant le transfert de la propriété. Mais, dans
l’espèce, ce transfert est de plein droit résulté de la tra
dition manuelle du titre. Ce n’est donc pas comme en
dossement que la signature est apposée. Ce qu'on veut
en faire résulter c’est qu’elle n’est qu’une promesse de
garantie, précisément parce qu’elle ne devait ni ne pou
vait dans aucun cas être un endossement. La raison dé
cisive est ici l’inutilité de celui-ci.
Nous faisions nous-même remarquer tout à l’heure,
en matière de simples billets, qu’un endossement régu
lier, et à plus furie raison une signature isolée ne pour
rait créer une garantie quelconque si elle n’était formel-
�art.
Ig ? , ^88.
371
lement stipulée l. Cette différence, qu’on serait peut être
tenté de nous reprocher comme u ;e contradiction, s’ex
plique naturellement par le caractère spécial des deux
titres.
L’endossement, étant indispensable pour le transfert
du billet simple, ne saurait avoir d’autre signification
que celle d’opérer ce transfert lui-même. On ne saurait
donc admettre une obligation plus étendue que si elle
résultait des termes mêmes de l’endossement. De son
côté, la signature isolée ne pourrait renfermer ce qui
n’est pas même virtuellement compris dans l’endosse
ment, elle ne serait qu’un endossement irrégulier.
Le billet au porteur n’exigeant aucun endossement,
on ne pourrait considérer comme tel la signature iso
lée, et comme le dit la cour de Pau, comme avant l’en
seignaient Denisart et Jousse, elle ne pourrait être en
réalité qu’une promesse de garantie.
©51. — Mais quelle serait l’étendue de cette ga
rantie ? La cour de Pau l’a fixée en décidant que l’ap
position de la signature sur un billet au porteur ne doit
être considérée que comme une simple garantie du
payement. Elle renfermerait donc la stipulation exigée
par l’article 1695 du Code civil. Dès lors, elle n’entraî
nerait ni compétence commerciale, ni solidarité, ni con
trainte par corps.
i Supra, n» 63 t.
�1
'
'
'*
- v l ■'
372
D E LA LETTRE D E CHANGE.
6 5 3 . — On s’est, en effet, de tout temps demandé
s’il fallait assimiler le billet au porteur au billet à or
dre. La solution négative, admise sous l’empire de l’or
donnance de 4673, devenait en quelque sorte plus im
périeuse depuis le Code de commerce. Celui-ci, en effet,
restreint l’application des conditions exigées pour les
lettres de change, et des conséquences qu’elles entraî
nent, aux seuls billets à ordre nommément, de plus,
il exige pour la validité de ceux-ci des formes que la
nature du billet au porteur exclut forcément. Il est donc
impossible de les placer indistinctement sur une seule et
même ligne l.
Donc, conclut M. Pardessus, les billets au porteur
étant différents des billets à ordre, ils ne peuvent jouir
d’aucune des prérogatives que la loi confère à ces der
niers. Cette régie n’a pas cessé de recevoir son applica
tion en doctrine et en jurisprudence.
Ainsi, la Cour de cassation jugeait, le 5 décembre
1837, qu’en cas de perte d’un billet au porteur, il n ’y
avait pas lieu d’appliquer les dispositions des articles
151 et 152 du Code de commerce2.
Ainsi, MM. Pardessus et Merlin enseignent que les
billets au porteur ne se prescrivent que par trente ans,
quelle qu’en soit la cause. Comment déciderait-on au
trement, lorsque, sous l’empire de l’ordonnance de
1 J o u s s e , su r l ’a r tic le x x x i , t it. v . P a r d e ss u s ,
C a ss., 2 0 j a n v ie r 1 8 3 6 .
s
J. du
1 \ , 2, 1837, 561.
Droit comm.,
n° 483.
�ART.
187, 188.
375
1673, le Parlement de Paris appliquait ce principe aux
billets au porteur, alors même qu’ils avaient été créés
par des commerçants et pour des faits de commerce.
Enfin, nous venons de voir la cour de Paris décider
que ceux qui se soumettent à garantir le payement du
billet au porteur sont régis, pour l’exécution de leur en
gagement, par les règles tracées par le Code civil.
653. — Il résulte de ce qui précède, que le billet
au porteur n’a aujourd’hui aucun caractère commer
cial ; que dès lors le tribunal de commerce serait incom
pétent, alors même que les signataires seraient com
merçants, excepté qu’il eût été souscrit pour un fait de
commerce, et sauf, en ce qui les concerne, la présomp
tion de l’article 638.
L’ordonnance de 1721 consacrait le contraire. Non
seulement elle déférait aux juges consulaires la connais
sance des billets au porteur, mais de plus elle en décla
rait les signataires, quels qu’ils fussent, contraignables
par corps.
C’est précisément ces dispositions dont on s’est pré
valu pour combattre l’incompétence actuelle de cette ju
ridiction. La législation de 1721, a-t-on dit, n’a pas
été abrogée, elle règle encore sans contestation la forme
des billets au porteur, elle doit donc également en régir
les effets.
A cette objetion, il a été répondu que, d’après la dis
position finale du Code de commerce, toutes les ancien
nes lois touchant les matières commerciales sur lesquel-
�374
DE
LA
LETTRE DE CHANGE,
les il est statué par ce Code sont abrogées ; que si le
Code ne s’exprime pas sur les billets au porteur, il con*
tient un titre spécial qui détermine, et par cela même
limite les matières commerciales dont la connaissance
est déférée aux tribunaux de commerce ; que les billets
au porteur ne se trouvant point compris dans l’énumé
ration qu’il renferme à cet égard, sont de plein droit
abandonnés à la juridiction ordinaire ; telle est notam
ment la doctrine de la cour de Pau, dans son arrêt du
29 mars 4838.
On a voulu alors arriver au même résultat par l ’ap
plication de l’article 637. L’existence des signatures de
commerçants sur les billets au porteur, a-t-o n dit, ren
tre dans la disposition de cet article et attribue juridic
tion au tribunal de commerce, même pour les non
cornai rçants. Mais, dans son arrêt, la Cour de cassa
tion répond : que l’article 637 ne s’applique qu’aux
billets à ordre et aux lettres de change réputées simples
promesses, tels qu’ils sont définis et réglés par le Code
de commerce, et non aux billets au porteur l.
Reste l’article 638. Le commerçant qui fait un billet
au porteur pour les besoins de son commerce, fait acte
de commerce et se rend passible de la juridiction con
sulaire. C’est l’existence de cet acte de commerce que
l’article 638 induit de la qualité de commerçant, et il
est d’autant moins possible de ne pas admettre cette
présomption en matière de billets au porteur, qu’on
i 20 janvier 4836.
�ART.
187, 188.
575
l’applique sans difficulté à un simple billet, à une obli
gation notariée et authentique.
Mais cette présomption cède lorsqu’une autre cause
est exprimée. Or, sur ce point, l’insuffisance du titre
peut être suppléée par les documents, par les faits et cir
constances du procès. C’est ce que la Cour suprême a
maintes fois décidé, c’est ce qu’elle juge notamment
dans cet arrêt du 20 janvier 1836, que nous venons
de citer.
654L. — En résumé, le billet au porteur n’a par
lui-même, et quelle que soit la qualité des signataires,
aucun caractère commercial. De là, la conséquence que
le tribunal de commerce est absolument incompétent
pour en connaître, relativement aux non négociants.
Il n’est compétent à l’endroit des négociants, que si
une autre cause n’est pas exprimée dans le billet, et cette
autre cause peut être prouvée par les faits et circons
tances.
Enfin, si la cause du billet constituait un acte de
commerce, la compétence consulaire serait incontesta
ble, quel qu’en fût le souscripteur.
655. — C’est ce qui se réaliserait, notamment dans
le cas où le billet souscrit dans une localité serait paya
ble dans une autre. Remarquons, en effet, que la for
me au porteur s’adapte à la lettre de change elle-même.
Ainsi, celui qui dit valablement : je payerai au porteur,
peut très bien confier cette mission à un tiers auquel il
�376
D E LA LETTRE DE CHANGE
mande: payez au porteur. L’ordonnance de 1673 re
connaissait formellement les lettres de change au por
teur l.
M. Pardessus en admet également l’existence légale
depuis le Code. Mais cela est plus difficile à établir.
Sans doute, l’article 110 n’exige pas que le nom du
preneur soit exprimé. Il se contente de dire que la let
tre de change sera à l’ordre d’un tiers. Mais il veut bien
certainement cet ordre qui est de l’essence de la lettre
de change. Or, cette condition emporte nécessairement
l’idée d’une désignation personnelle.
Quoi qu’il en soit, régulière ou non en la forme, la
lettre de change au porteur, si elle renfermait le contrat
de change , la remise d’argent de place en place, cons
tituerait un véritable acte de commerce. La connais
sance en appartiendrait donc au tribunal de commerce,
qui pourrait prononcer la contrainte par corps contre le
souscripteur.
0 5 6 . — On a agité la question de savoir si une
obligation notariée, payable au porteur, était régulière
et valable ? L’affirmative a été consacrée par la Cour de
cassation, par arrêt du 21 février 1838. Le tribunal de
Dieppe et la cour de Rouen s’étaient prononcés dans ce
sens, considérant qu’aucune disposition de la loi ne
i V, art xvm et xix.
�ART. 187, 188.
377
s’opposant à ce que, dans une obligation notariée et em
portant hypothèque, on puisse stipuler qu’elle sera paya
ble au porteur, on doit regarder une telle stipulation
comme valable.
Par application de cette règle, on consacre également
que l’hypotbèque conférée par le titre est valable, et
que si des billets à ordre avaient été souscrits en même
temps que l’obligation, ils seraient considérés comme ne
faisant avec elle qu’un seul et même acte ; et ils de
vraient, quoique transportés par la voie de l’endosse
ment et sans signification, entraîner au profit des por
teurs les avantages attachés aux diverses fractions de
l’obligation, c’est-à-dire la garantie hypothécaire qui y
est stipulée l.
Un arrêt de la cour de Bordeaux, du 22 janvier
1839, tirait comme conséquence du principe de la vali
dité de l’obligation notariée au porteur, cette autre rè
gle que celui qui en était propriétaire à l’échéance était
en droit d’agir contre le débiteur par voie d’exécution 2.
6 5 9 . — L’effet au porteur, quelle que soit d’ail
leurs la forme qu’il affecte, se place dans la catégorie
des choses susceptibles d’être revendiquées, aux termes
de l’article 2279 du Code civil, en cas de perte ou de
vol.
Mais la maxime qu’en fait de meubles la possession
1 J. du P.,
1838 , 496 .
2 J. du P., %
, 4 844 , 360 .
�578
DE LA LETTRE DE CHANGE,
vaut titre, s’applique essentiellement à l’effet au porteur.
Celui-là donc qui l’a entre les mains en est présumé
le propriétaire sérieux et légitime. Nul ne serait admis
à le revendiquer, qu’en prouvant qu’on le lui a volé,
ou qu’il l’a perdu, ou qu’il a été trouvé par le por
teur. C’est ce que la jurisprudence a de tout temps con
sacré 1.
Ce qu’on induisait de l’obligation de prouver faite au
revendiquant, c’est que le porteur n’avait aucune justi
fication à faire, aucune explication à donner ; pas mê
me à indiquer le nom de celui de qui il tenait l’effet.
Telle était la jurisprudence du Parlement de Paris, at
testée notamment par les arrêts des 10 décembre 1717
et 7 juillet 17303.
Sans doute on n’admettra jamais qu’on puisse venir
demander compte au porteur de sa possession, sous pré
texte de perte ou de vol, alors que rien ne recommande
cette allégation, alors qu’aucune circonstance n’en fait
présumer, non pas certes la vérité, mais la vraisem
blance : alors surtout qu’il ne serait pas établi, dès à
présent, que dans un temps quelconque le réclamant
a été réellement en possession de l’effet qu’il reven
dique.
Mais, si cette possession étant acquise on pouvait pré
sumer qu’elle n’a cessé que par un fait indépendant du
possesseur, si des faits pertinents et graves faisaient déjà
1 Cass., 2 nivôse an xu.
2 Merlin, V. Billet au porteur, n° 2.
�art.
187, 188.
379
suspecter la bonne foi du porteur, le silence qu’il gar
derait sur celui qui lui a transmis l’effet ferait naître de
tels soupçons, qu’il y aurait lieu de prendre une me
sure contre lui.
Dans une remarquable espèce qui s’offrait à son ap
préciation, la cour de Paris a jugé que cette mesure ne
pouvait être la nullité du billet ; que seulement le por
teur pourrait être, en l’état, déclaré sans qualité et sans
titre, et par conséquent non recevable à en exiger le
payementl.
6 5 8 . — Nous arrivons au billet à ordre, à celui
que la loi a placé dans ses dispositions parallèlement à
la lettre de change, et qui méritait bien cette place par
les importants services qu’il est appelé à rendre au com
merce, et dont l’exposé sortait naguères de la bouche de
l’orateur du tribunat.
Nous l’avons déjà relevé, le billet à ordre est destiné
à tenir lieu de monnaie. 11 agit donc de la même ma
nière que la lettre de change, quoique dans une sphère
plus restreinte. Ainsi, le but forcé de la lettre de change
est de faire trouver, là où le besoin s’en fait sentir, des
fonds qu’il faudrait sans son secours aller chercher au
loin, et faire voyager d’un lieu à un autre. Au contraire,
le billet à ordre, et c’est, là en quoi il diffère essentielle
ment de la lettre de change, sera payé dans le lieu
même où il est souscrit. La. lettre de change, dit avec
i 5 juillet 4811.
dj
�380
DE LA LETTRE DE CHANGE
infiniment de raison M. Nouguier, est cosmopolite ; elle
liquide les transactions de ville en ville, de pays en
pays ; le billet à ordre est en quelque sorte sédentaire,
au lieu de servir d’instrument au commerce de l’uni
vers, il concentre ses effets dans l’intérieur d’une lo
calité.
6 5 9. — Cette différence dans le but en créait de
notables dans la forme constitutive de l’acte, dans son
caractère, dans ses effets.
La lettre de change n’est pas destinée à être payée
par celui qui l’a souscrite. L’argent qu’il reçoit est tou
jours payable ailleurs qu’à son domicile, et on ne pou
vait ni présumer, ni moins encore exiger que, délais
sant son commerce et ses affaires, il se transportât de
sa personne au lieu du payement pour opérer person
nellement celui-ci.
Le concours d’un tiers était donc inévitable, et c’est
pour la réalisation de ce concours que la lettre change
est souscrite. Payez à tel ou à son ordre, dit-elle à celui
qu’elle désigne pour cet office. De là, la nécessité de
trois personnes dans la lettre de change : un tireur, un
preneur, un tiré; de là, encore, l’obligation d’une pro
vision devant mettre le mandataire en mesure de réali
ser le payement dont il est chargé ; de là, enfin, la fa
culté de contraindre à faire cette provision avant l’é
chéance, par le protêt faute d’acceptation.
Le billet à ordre se concentre entre le preneur et le
souscripteur. Je payerai, déclare celui-ci, et en effet,
�art.
187,
188.
381
nul autre que lui ne pourrait être valablement inter
pellé de faire ce payement que seul il a promis de réa
liser.
Les conséquences de cet état de choses étaient évi
dentes. Tout ce qui concerne la provision et l’accepta
tion restait focément étranger aux billets à ordre. Aussi,
l’article 187 omet-il de mentionner l’une et l’autre dans
la nomenclature des dispositions qu’il déclare commu
nes à la lettre de change et au billet à ordre.
Il résulte encore de là que, dans l’application de ces
dispositions communes, quelques-unes d’entre elles re
çoivent des modifications nécessaires. Le protêt, par
exemple, pour ce qui concerne le billet à ordre, ne peut
être fait qu’au domicile du souscripteur, sauf les besoins
que les endosseurs auraient indiqués et au domicile
desquels l’huissier devrait se présenter.
« 6 0 . — L’objet réciproque de la lettre de change
et du billet à ordre influe d’une manière décisive sur
leur caractère respectif. La lettre de change est essen
tiellement commerciale au fond comme dans la for
me. Ce qui la constitue est la remise d’argent de place
en place, c’est-à-dire une opération de change. Aussi,
la loi ne se contente pas de qualifier cette opération
d’acte de commerce, elle a voulu de plus s’expliquer
tant sur la lettre de change que sur la remise de place
en place. Sont réputées acte de commerce entre toutes
personnes, les lettres de change ou remises d’argent fai
tes de place en place ï.
i Art. 632.
�382
DE LA LETTRE DE CHANGE
Quelle que soit donc la qualité des signataires, la
création d’une lettre de change est un fait attributif de
juridiction. Les difficultés que son exécution peut susci
ter ne peuvent être appréciées que par le tribunal de
commerce. Cette exécution entraîne la contrainte par
corps.
Le billet à ordre n’est pas par lui-même et nécessai
rement un acte de commerce. Il n’a réellement de com
merçant que la forme. Il ne contracte au fond ce carac
tère que s’il émane d’individus commerçants, que si la
cause en est une opération de commerce.
C’est surtout celle-ci qui fournit le motif déterminant
de décision. En effet, si la loi fait résulter le caractère
commercial du billet à ordre de la qualité du signataire,
c’est qu’elle présume que ce n’est que pour les besoins
du commerce de celui-ci qu’il a été créé. Aussi, ce ca
ractère disparait-il, malgré celte qualité, si le billet ex
primait une cause purement civile.
6 6 1 . — Ce double caractère du billet à ordre ex
plique les divers effets qu’il produit. Commercial en la
forme, la loi l’assimilera, quant à ce, à la lettre de
change, en lui en imposant la forme.
Mais elle continuera à les distinguer au fond. Ainsi,
le tribunal de commerce ne sera compétent que si la
cause du billet est un acte de commerce, ou que si tous
les signataires, ou quelques-uns d’entre eux, sont comcommerçants.
Dans ce dernier cas, le tribunal de commerce est
�art.
187, 188.
383
compétent même pour les non commerçants, mais les
premiers engagent leurs biens et leur liberté, les se
conds n’engagent que leurs biens. Dès lors, disait l’ora
teur du tribunal, comme dans une matière indivisible,
il fallait donner à une autorité unique le droit de juger,
il était juste de déférer aux tribunaux de commerce la
connaissance de ce genre de différends, car l’objet le
plus grave entraîne celui qui l’est moins.
Tel est, en effet, le système que l’article 637 a con
sacré. Mais pour éviter tout équivoque, le législateur a
cru devoir en même temps interdire aux tribunaux de
commerce le pouvoir de prononcer la contrainte par
corps contre les non négociants.
G63. — Dans l’usage le plus général, le plus ré
pandu, le billet à ordre est fait sous seing privé, mais,
comme la lettre de change elle-même, il peut être ré
digé pardevant notaire et dans la forme authentique.
Cette règle ne rencontre plus aucun contradicteur en
doctrine et en jurisprudence, seulement on admet que
l’acte est alors régi par les lois notariales et soumis aux
mêmes formalités que les autres actes authentiques ;
que notamment il doit être enregistré dans le délai or
dinaire l.
Mais le billet authentique ne cessant pas d ’être trans
missible par voie d’endossement, il en résulte d’abord
1 C a ss., 1 8
1835.
novembre 1 8 3 3 , 10 fé v r ie r 1 8 3 4 , 2 8 ja n v ie r e t 2 9 ju in
�384
DE LA LETTRE DE CHANGE.
qu’on ne pourrait opposer au porteur l’exception, soit
de payement, soit de compensation, dont le titre ne fe
rait aucune mention.
Ensuite que le profit de l’hypothèque qui lui a été af
fectée en garantie est acquis au porteur auquel il a été
régulièrement négocié, de manière que celui-ci, ayant
obtenu jugement, tant contre l’endosseur que contre le
tireur, peut seul exercer dans l’ordre le droit attaché
à l’hypothèque, à l’exclusion du preneur, au nom du
quel l’hypothèque a été prise, et de ses autres créan
ciers i.
663. — Le billet à ordre souscrit sous seing-privé
est-il régi par la disposition de l’article 1326 du Code
civil ? Oui, à moins que la cause n’en fût commerciale,
ainsi que nous l’avons déjà indiqué2.
Ajoutons que dans le cas même où la cause du billet
serait purement civile, la qualité des parties pourrait les
dispenser du bon et approuvé prescrit par cet article.
Indépendamment du caractère commercial que la qua
lité de commerçant imprimerait au titre, elle placerait
celui qui en serait revêtu dans l’exception prévue par
l’article 1326 lui-même.
664. — La nécessité du bon ou approuvé existant
pour les femmes et les filles, en matière de lettres de
1 C a s s ., 41 j u i l l e t 1 8 3 9 .
2 Supra, n° 44.
J. du
P„
2, 1839, 428.
�change, existe à plus forte raison pour les billets à or
dre, sans parler de l’autorisation que devrait indispen
sablement rapporter la femme mariée.
Mais la femme marchande publique serait dispensée
de se conformer sur ce point à l’article 1326, alors mê
me qu’elle serait mariée. Elle est alors habile à faire,
sans l’autorisation de son mari, tous les actes ressortis
sants de son commerce, et les billets à ordre par elle
souscrits se placeraient incontestablement dans cette ca
tégorie, sauf la preuve contraire. Elle pourrait dès lors,
d’autant moins exciper de l’absence du bon et approu
vé, que par sa qualité seule elle en est affranchie.
G 6 5 . — En serait-il de même de la femme unie à
un commerçant et qui détaillerait les marchandises de
celui-ci. Le billet à ordre, par elle souscrit concurrem
ment avec son mari et en vertu de son autorisation se
rait-il valable à défaut du bon ou approuvé ?
L’affirmative avait été consacrée par la cour de Douai,
le 16 août 1813. Elle se fondait pour le décider ainsi,
sur ce que la femme d ’un artisan devait être rangée
dans la classe des artisans, comme la femme d’un mar
chand dans celle des marchands, quoiqu’il n’arrive pas
toujours qu’elles exercent la même profession. Raison
ner autrement, ajoutait l’arrêt, ce serait prétendre que
la loi a été faite pour les hommes et non pour les fem
mes, et obliger celles-ci à une formalité dont les maris
se trouveraient dispensés.
Sur le pourvoi dont cet arrêt devint l’objet, on faisait
n —
25
�386
DE LA LETTRE DE CHANGE
remarquer la confusion dans laquelle était tombée la
cour de Douai. Il est incontestable, disait-on, que la
femme suit la condition de son mari, mais ici c’est de
la profession et non pas de la condition qu’il s’agit.
Sans doute, la femme d’un Français ou d’un étranger,
d’un noble ou d’un plébéien, participera, sous le rap
port de ces qualités, à la condition de son mari ; mais
il n’en est pas de même de la profession. Ne serait-il
pas, en effet, ridicule de considérer la femme d’un avo
cat, d’un médecin, d’un apothicaire, comme exerçant la
même profession que son mari ?
Il était difficile de méconnaître la force d’une pareille
considération. Aussi, le défendeur au pourvoi soutenaitil l’inapplication de l’article 1326 aux obligations soli
daires. Il prétendait que cet article ne disposait que
relativement aux billets par lesquels une seule personne
s’engage envers une autre ; enfin, il excipait du carac
tère commercial du billet à ordre.
Aucune de ces raisons ne parut devoir être admise.
La Cour de cassation les rejette toutes, et, en consé
quence, elle prononce la cassation de l’arrêt de la cour
de D ouai l.
Le caractère juridique de la doctrine de la Cour su
prême ne saurait être méconnu. Il en résulte sans doute,
pour la femme de l’artisan, du marchand, du cultiva
teur, etc..., une protection encore plus étroite que celle
accordée au mari, mais pourrait-on s’en étonner ? N’esti 6 mai 4 816 et autorités en note.
�art.
187, 188.
387
ce pas là la conséquence légitime, naturelle de la fai
blesse du sexe et de l’imminence de l’abus d’autorité
que le mari pourrait se permettre ?
666 . — Le billet à ordre régulièrement créé est,
pour toutes les dispositions concernant l’échéance, l’en
dossement, la solidarité, l’aval, le payement, le paye
ment par intervention, le protêt, les devoirs et droits du
porteur, le rechange ou les intérêts, sur la même ligne
que la lettre de change. Telle est la disposition expresse
de l’article 187, et cette disposition, due uniquement à
la forme du billet à ordre, était indispensable pour at
teindre le but que se proposait le législateur, celui d’a
broger toutes les différences existant dans la législation
précédente, entre le billet à ordre et les lettres de
change.
Sous l’ordonnance de 1673, le porteur de la lettre de
change était tenu de la faire protester, et aucun acte ne
pouvait suppléer au protêt, ni le remplacer. Le porteur
d’un billet à ordre était seulement tenu de faire diligence
contre le débiteur, devoir qui était réputé accompli par
une sommation extrajudiciaire ou par toute autre pour
suite K
Les intérêts de la lettre de change étaient dus à par
tir du protêt, ceux du billet à ordre ne couraient que
du jour de la demande en justice.
Tout cela n’existe plus aujourd’hui, l’article 187 a
' Jousse, sur l’art. 31, tit. v.
�388
DE LA LETTRE DE CHANGE
fait cesser toutes différences. Sauf la cause commerciale,
les billets à ordre et les lettres de change se proposant
un but identique, obéissant à une même forme, impo
sent les mêmes obligations relativement à leur circula
tion et à leur extinction.
Nous n ’aurions donc qu’à revenir sur les principes
que nous avons exposés en nous occupant de la lettre
de change. Ce serait là une répétition d’autant plus inu
tile, qu’en traitant les divers paragraphes de la pre
mière section, nous avons indiqué sur chacun d’eux les
modifications que le billet à ordre pouvait leur faire su
bir. Nous devons donc nous borner à renvoyer à nos
précédentes observations.
(■69. — Cependant il importe de remarquer que
l’article 187 omet, dans la catégorie des dispositions dé
clarées communes aux billets à ordre et aux lettres de
change, celles des paragraphes 1, 2, 3 et 4 de l’article
110. Nous avons déjà expliqué le motif de cette omis
sion relativement aux trois dernières, traitant de la pro
vision et de l’acceptation.
Le motif qui a déterminé l’omission de celle du pre
mier paragraphe, c’est que les indications de l’article
110 ne pouvaient toutes convenir au billet à ordre, que
quelques-unes d’entre elles sont incompatibles avec sa
nature. Il fallait donc choisir celles que le billet à ordre
devait réunir, c’est là l’objet de l’article 188.
La première de ces indications est la date. Cette exi
gence de la loi a ici le double objet qu’elle se propose
�ART. 187, 188.
389
dans l’article 110, à savoir : la détermination de la ca
pacité des parties ; celle de l’échéance, lorsque le billet
est payable à un ou plusieurs jours, mois ou usances
de date. On peut consulter les développements dans les
quels nous sommes entrés à cet égard.
C 6 8 . — Le défaut de date n’annulerait pas l’obli
gation, s’il était d’ailleurs certain qu’au moment de sa
création les parties étaient capables de contracter. Seu
lement, le billet à ordre ne serait plus qu’un engage
ment purement civil, dont les conditions et les effets se
trouveraient exclusivement régis par les règles du droit
commun.
L’inexactitude dans la date équivaudrait à l’omission
et en produirait les effets. On a même prétendu trou
ver dans cette inexactitude le crime de faux , mais cette
prétention n’a pas été consacrée par la jurisprudence L
Mais si elle ne constitue pas nécessairement le faux,
cette inexactitude constitue le crime de banqueroute
frauduleuse, si le billet postérieur à la faillite n’avait
pour objet que de supposer une créance et une dette à
la charge du passif. Le porteur, qui malgré la fausse
date présenterait le titre à l’affirmation, se constituerait
en état de complicité dans cette banqueroute fraudu
leuse.
L’allégation de l’inexactitude de la date peut donc ac-
i Rennes, 30 juillet 1817.
�490
DE LA LETTRE DE CHANGE
quérir une immense gravité. La preuve peut en être
faite par témoins et par présomptions.
669. — La seconde condition exigée pour la vali
dité du billet à ordre, est l’indication de la somme à
payer, cette indication est d’autant plus utile qu’elle
constitue l’obligation elle-même. Que serait, en effet, le
billet à ordre qui l’aurait omise ?
Nous avons dit, en parlant de la lettre de change,
que cette indication se plaçait d’abord en chiffres au
côté droit et en tête de la lettre ; qu’elle était ensuite
répétée en toutes lettres dans le corps de l’acte. C’est ce
qui se réalise également pour le billet à ordre, mais,
pour celui-ci, comme pour celle-là, il n’y a aucune
forme obligatoire. Que l’indication soit en chiffres, puis
en toutes lettres ; qu’elle soit seulement en chiffres dans
le corps du billet, il suffît qu’elle existe pour que le
vœu de l’article 188 soit exécuté, et qu’aucune contesta
tion ne puisse s’élever sur la régularité du titre.
Nous nous sommes déjà expliqués sur la nécessité du
bon ou approuvé de la part du débiteur qui n ’a pas
écrit le corps du billet. Il est inutile, si la cause de ce
lui-ci est une opération commerciale, ou si le signa
taire est commerçant, artisan, etc. Dans ce dernier cas,
l’exception est écrite dans l’article 1326 lui-même.
— Le billet énonce
le nom de celui à l’ordre de qui il est souscrit.
Le billet à ordre est destiné à circuler, il faut donc
ôSO . —
T r o is iè m e
c o n d it io n .
�art.
187, 188.
391
qu’il puisse se prêter à ce but. Comment pourrait-il en
être ainsi si personne ne recevait nominativement la fa
culté de négocier. Si le billet n’était pas à ordre, il ne
constituerait qu’un titre non transmissible commerciale
ment ; si, étant à ordre, il ne mentionnait aucun nom,
il ne serait plus qu’un billet au porteur.
L’article 110 permet de rédiger la lettre de change à
l’ordre du tireur lui-même. Le silence gardé à cet égard
par l’article 1S8 semble la négation de cette faculté. Je
payerai à mon ordre est une formule pouvant paraître
singulière, il est peu naturel de se promettre un paye
ment à soi-même.
Cependant le billet à ordre tiré à l’ordre du souscrip
teur ne serait ni irrégulier, ni moins encore frappé de
nullité. Dans ce cas, il recevrait sa perfection de l’en
dossement qui en serait consenti en faveur d’un tiers,
et l’indication de celui-ci satisferait au vœu de l’arti
cle 183.
©Sfl. — Q u a t r iè m e c o n d it io n . — Le billet énonce
l’époque à laquelle le payement doit être fait.
Cette exigence était une conséquence forcée de l’obli
gation de faire protester, imposée au porteur du billet à
ordre, le protêt devant être requis le lendemain de l’é
chéance, sous peine de perdre tout recours contre les
endosseurs. Or, comment appliquer cette peine, si au
cune échéance précise n’a été indiquée. Les endosseurs
seraient indéfiniment tenus, et c’est ce que la loi n’a
pas voulu admettre.
�392
DE LA LETTRE DE CHANGE.
En effet, en l’absence de toute indication, il n’y aura
d’autre échéance que celle qu’il conviendra au porteur
d’adopter. L’esprit de la loi comme son texte répugne à
un pareil effet. La jurisprudence n’a pas cessé de le
proscrire ; quelles que soient les expressions dont on
s’est servi, le billet n’est régulier que lorsqu’il en res
sort la détermination d’une échéance précise.
6 9 2 . — Le billet à ordre peut être stipulé payable
à vue. Cette indication satisfait pleinement à l’article
488. Il en serait de même de toutes les expressions qui
tendraient au même résultat, notamment de celles-ci :
à -présentation, ou à volonté, je payerai, etc.
La clause : Je payerai toutes fois et quand, est-elle
un équipollent juste et légitime ? Le billet à ordre qui
la renferme est-il régulier ?
La cour de Paris a jugé la négative en déclarant que
la disposition de l’article 4 88 n’était pas suffisamment
obéie x.
Cet arrêt nous paraît renfermer une appréciation par
trop sévère. Sans doute, dire : Je payerai toutes fois et
quand, c’est employer une locution imparfaite, mais
que le bon sens complète naturellement. La seule signi
fication qu’elle puisse raisonnablement avoir est celleci : Je payerai toutes fois et quand j ’e n s e r a i r e q u i s .
En d’autres termes, je payerai à volonté, à réquisition,
�art.
187, 188.
393
à présentation, expressions dont la régularité ne saurait
être contestée.
Ce qui explique jusqu’à un certain point la doctrine
de l’arrêt de Paris, c’est que dans l’espèce le billet à or
dre était querellé sous un autre rapport. La valeur y
était seulement exprimée de la manière que voici : va
leur 'prêtée à mon besoin, et l’on soutenait qu’on avait
ainsi violé l’obligation résultant de la condition finale
de l’article 166. Ce reproche, il faut le reconnaître,
était juste et fondé, il frappait le billet à ordre d’irrégu
larité.
On comprend dès lors que l’attention ne se soit pas
reposée sur le premier reproche, car, quelle que fut la
décision en ce qui le concernait, le résultat ne pouvait
être autre que celui admis par l’arrêt. La solution eûtelle été la même si ce reproche eût été isolé ? C’est ce
dont il est très justement permis de douter.
6 Ï 3 . — Dans l’usage le plus ordinaire, les billets à
ordre sont indiqués payables à un certain délai de leur
présentation, huit jours, quinze jours, un mois au plus.
Le souscripteur se met ainsi à l’abri de l’inconvénient
d’avoir dans un moment de crise à réaliser des rem
boursements nombreux et imprévus, et se ménage le
moyen de se mettre en mesure d’y pourvoir.
Ici encore la loi n’a tracé aucune formule obligatoire,
ni sacramentellement admis telles ou telles expressions.
Toute locution qui, rendant la pensée des parties évi-
�594.
DE LA LETTRE DE CHANGE.
dente, précise ls moment de l’échéance, remplit suffi
samment la condition exigée.
A ce point de vue il nous paraît impossible de dire
avec la cour de Colmar qu’un billet à ordre, stipulé
payable après un avertissement de trois mois, ne précise
pas l’époque à laquelle le payement doit s’effectuer, et
n’est pas dès lors conforme à ce qu’exige l’article 188 l.
Mais, de bonne foi, peut-on équivoquer sur la portée
de pareille expression ? Dire je payerai après un aver
tissement de trois mois, n’est-ce pas promettre de se
libérer trois mois après la date de l’avertissement cons
tituant la réquisition de la part du créancier ?
Douterait-on de la régularité du billet fixant le paye
ment à trois mois de vue ? Comment donc décider le
contraire lorsqu’au lieu de trois mois de vue, on aura
indiqué trois mois de l’avertissement. Sans doute les
mots sont différents, mais la chose est évidemment la
même, on ne saurait donc admettre une solution diffé
rente. Il en serait au reste de l’avertissement comme de
la réquisition, comme de la présentation du billet à vue.
Il devrait être constaté soit par le visa du débiteur, soit
par un acte extrajudiciaire.
Toutes les fois que le payement du billet n’est pas à
jour fixe et déterminé ; toutes les fois qu’il est subor
donné à une présentation préalable du titre, l’article 160
est obligatoire pour le porteur, il doit donc opérer la
présentation ou réaliser la condition de l’exigibilité dans
i 24 janvier 1842. J. du P., 2, 1842, 512,
�art.
187, 188.
598
les délais qui y sont indiqués, sous peine de déchéance
à l’égard des endosseurs. Les termes de l’article 187 ne
laissent aucun doute à cet égard.
6 ij 3 bis. — Nous avons dit plus haut que la lettre
de change ne comportait d’autre indication de payement
que celle d’un payement pur et simple, et que la clause
qui subordonnerait ce payement à une condition quel
conque lui enlèverait son caractère et la rendrait une
simple promesse 1.
Il ne saurait en être autrement du billet à ordre. A
son égard, le langage de l’article 188 du Code de com
merce, quant à l’indication de l’époque du payement,
est exactement celui que l’article 110 tient pour la lettre
de change. Donc, le résultat ne saurait être différent.
L’indication d’un payement conditionnel rendrait le bil
let à ordre un engagement purement civil et exclurait
la compétence commerciale à l’égard des signataires
non commerçants.
Le principe ne comporte ni controverse ni doute. La
seule difficulté qu’il est permis d’entrevoir est celle qui
pourrait surgir sur le caractère de la clause. A ce sujet,
il est évident que les stipulations qui vicieraient la let—
lettre de change produiraient un effet identique sur le
billet à ordre.
G ïater. _ Un arrêt récent de la Cour de cassai Supra, n° 78.
�396
DE LA LETTRE DE CHANGE
tion vient de trancher cette difficulté dans l’espèce que
voici :
Le 10 avril 1870, le baron Corbineau, qui avait reçu
de M. Morel-Chanteau des avances considérables pour
lesquelles il lui avait consenti une hypothèque pour
52.000 fr. et une délégation de 61,262 fr., lui sous
crit pour 65,000 fr. de billets à ordre ainsi conçus :
« Au 10 juillet prochain, je payerai à l’ordre de
M. Morel-Chanteau la .somme de...... valeur reçue en
espèces versées pour mon compte. Le présent ne fait
qu’une seule et même chose avec la délégation que
M. Morel-Chanteau a acceptée et que je lui ai donnée le
30 mars dernier, pour toucher, jusqu’à concurrence de
65.000 fr., les sommes qui me sont attribuées dans
l’ordre ouvert à Cognac pour l’exploitation de MoineTarteau. Le présent billet sera nul si, comme je suis
fondé à le croire, M. Morel-Chanteau touche, avant son
échéance, le montant de ladite délégation. »
Le lendemain nouvelle création de 90,000 fr. de
billets conçus dans ces termes : « Au 10 juillet, etc.....
le présent ne faisant ni novation, ni dérogation aux ar
rangements et engagements antérieurs pris entre nous. »
Ces billets n’ayant pas été payés à l’échéance, le sieur
Richelot, à qui Morel-Chanteau les avait transmis, cite
en payement devant le tribunal de commerce de Ren
nes tant ledit Morel-Chanteau que le sieur Corbineau.
Celui-ci décline la compétence du tribunal sur le motif
que l’indication d’un payement conditionnel rendait les
billets de purs engagements civils.
�ART. 187, 188.
397
La cour de Rennes, saisie de la question, repousse
l’exception. « Considérant, dit l’arrêt, que la loi n’éta
blit aucune distinction entre le cas où le non commer
çant est souscripteur ou simple endosseur du billet ;
qu’il serait d’ailleurs difficile de justifier cette distinc
tion, puisque le non commerçant qui souscrit un billet
à ordre, sait qu’il pourra être endossé au profit de com
merçants et donner naissance entre eux à des opérations
commerciales, ce qui a lieu dans le procès dont est cas,
puisque Morel-Chanteau, possesseur d’une délégation de
Corbineau, lui garantissant sa créance, ce dernier a
consenti à lui souscrire des billets qui ne pouvaient
avoir d’autre but que de procurer des fonds à MorelChanteau par suite de négociations toutes commerciales;
« Considérant, d’un autre côté, que le but de l’arti
cle 637 du Code de commerce étant de faciliter le re
cours en garantie devant le même tribunal, serait man
qué si la juridiction commerciale devenait incompétente
à l’égard du souscripteur non commerçant ;
« Considérant que les billets souscrits par Corbineau
à l’ordre de Morel-Chanteau ont incontestablement une
cause non commerciale, mais qu’ils ont été endossés
par Morel-Chanteau, commerçant, valeur en compte
au profit de Richelot, commerçant lui-même ; qu’ils
portent donc des signatures de commerçants et de non
commerçants et que Richelot actionnant le souscripteur
et le bénéficiaire devant le tribunal de commerce, ce
lui-ci se trouve compétent à l’égard des deux défen
deurs.
�398
DE LA LETTRE DE CHANGE
« Au fond, )a Cour condamne Corbineau par le mo
tif que les mentions insérées aux billets dont est procès,
ne peuvent être opposées à Richelot, lequel doit être
considéré comme un porteur sérieux et de bonne foi,
et qu’en recevant lesdits billets de Morel-Chanteau il en
a fourni la contre-valeur l. »
Nous en demandons pardon à la cour de Rennes.
Les mentions des billets étaient parfaitement opposa
bles au cessionnaire précisément parce qu’elles y étaient
inscrites et qu’en acceptant ces billets il se soumettait
sciemment et volontairement à la chance qu’elles fai
saient entrevoir. En conséquence, si ces mentions ren
daient le payement conditionnel, les billets à ordre
manquant d’un de leurs éléments constitutifs, l’article
637 devenait inapplicable.
La question était donc de savoir si le payement était
conditionnel ou non. Cette question, que la cour de
Rennes n’avait pas résolue, s’imposait à la Cour de cas
sation, et voici en quels termes elle la résolvait :
« Attendu que les billets souscrits par Corbinean ren
fermant toutes les énonciations exigées par l’article 188
du Code de commerce, pour la validité et l’efficacité des
billets à ordre ; qu’ils sont datés, qu’ils énoncent la
somme à payer, le nom de celui à l’ordre de qui ils
sont souscrits, l’époque à laquelle le payement doit s’ef
fectuer et la valeur fournie en espèces versées pour le
compte du souscripteur ;
�ART. 187, 188.
599
« Attendu que si ces billets font la réserve d ’arrange
ments antérieurs, ou s’ils portent qu’ils ne font qu’une
seule et même chose avec la délégation que Corbineau,
leur souscripteur, a consentie à Morel-Chanteau, leur
bénéficiaire, et qu’ils seront nuis si Morel-Chanteau
touche avant leur échéance le montant de cette déléga
tion, ces mentions, qui n’avaient d’autre but que d’em
pêcher que ces billets ne fissent double emploi avec les
obligations ou arrangements antérieurs, n ’empêchaient
pas qu’ils ne fussent négociables conformément à la
clause à ordre qui y était insérée et qu’elles ne portent
d’ailleurs auçune atteinte aux énonciations essentielles à
la constitution des billets à ordre K
G 73 quatuor. _ L’honorable professeur à la Faculté
de Droit de Nancy critique fort vivement cet arrêt. Il
lui reproche d’avoir reconnu le caractère de billet à or
dre à un titre dont le payement était subordonné à une
condition, contrairement à ce que jusqu’à ce jour avait
enseigné la doctrine, consacré la jurisprudence.
Ce reproche est-il fondé ? L’engagement de payer
était-il réellement conditionnel ? Il nous paraît impos
sible de l’admettre. Les termes : au 10 juillet prochain
je payerai, sont clairs et précis, l’engagement est pur et
simple.
Mais le souscripteur venait d’affecter à sa dette une
hypothèque de 521,000 fr., de consentir pour surcroit
i ld., ibid.
�400
DE LA LETTRE DE CHANGE
de garantie une délégation de 65,000 fr., et s’il se prê
tait en outre à une création de billets pour pareille
somme, ce ne pouvait être qu’en vue de mettre le créan
cier à même de se procurer des fonds par leur négo
ciation. Dès lors, il ne pouvait pas rendre impossible la
réalisation de ce but en délivrant des titres que leur
imperfection n’aurait pas permis de négocier.
Cette négociation était si bien dans ses prévisions
qu’elle motivait seule la clause insérée dans les billets.
En effet, dès que les 65,000 fr. de billets faisaient dou
ble emploi avec les 65,000 fr. de la délégation, il est
évident que le payement des uns éteignait la dette et an
nulait soit les billets à ordre, soit la délégation suivant
que ce payement avait été reçu en vertu de celle-ci ou
de celle-là.
Or, du débiteur au créancier, cette conséquence ne
pouvait faire l’objet d’une difficulté ou d’un doute. Elle
découlait forcément, nécessairement de ce fait que les
titres donnés faisaient double emploi. Elle aurait été ac
quise de plein droit et sans qu’on eût besoin de la
stipuler
Mais ce qui dans l’espèce importait au débiteur, c’é
tait de se précautionner contre les tiers porteurs. C’est
précisément parce qu’il livrait des titres négociables et
qu’il savait devoir être négociés qu’il pouvait prévoir
qu’il se trouverait en présence de ces tiers porteurs et
qu’il serait tenu de les payer alors même que le paye
ment de la délégation eût éteint sa dette. Si rien n ’était
venu leur indiquer la nature de l’opération.
�art.
187,
401
188.
Ce danger était conjuré par la clause insérée dans les
billets que les tiers porteurs dussent en être payés à l’é
chéance du 10 juillet, c’est ce qui ne saurait être con
testé. Mais sans la clause ils étaient fondés à exiger ce
payement tant au souscripteur qu’à leur cédant. Avec
la clause ils n’auraient pu les poursuivre cumulative
ment si la délégation n’avait pas produit son effet.
Si elle avait été payée, le cédant seul aurait dû solder
les billets. A l’attaque dont il aurait été l’objet, le sous
cripteur aurait répondu avec raison : vous n’êles pas,
vous ne pouvez pas être le porteur de bonne foi que la
loi a entendu protéger. Le titre lui-même vous avertis
sait de la chance que vous couriez, et puisque vous l’a
vez sciemment, volontairement acceptée, subissez-en les
conséquences.
La Cour de cassation appréciait donc sainement, sa
gement le véritable caractère des titres et décidait avec
raison que leur nature n’était nullement altérée par les
mentions qu’ils renfermaient et qui avaient pour uni
que but d’empêcher qu’ils ne fissent double emploi avec
les obligations ou arrangement antérieurs, et que le dé
biteur pût être tenu de payer deux fois ce qu’il ne de
vait qu’une fois.
G 9 4 . — C in q u iè m e c o n d it io n . — Le billet à ordre
doit énoncer la valeur qui a été fournie en espèces, en
marchandises, en compte ou de toute autre manière.
Nous avons vu, sous l’article 110, quels étaient les
motifs de cette exigence pour ce qui concerne les lettres
h
—
26
�4-02
DE LA LETTRE DE CHANGE.
de change. Celui tiré de la nécessité de juger si la va
leur pouvait ou non créer le contrat de change ne peut
évidemment s’appliquer au billet à ordre, qui n’est
qu’exceplionnellement destiné à réaliser ce contrat.
Sous l’ancienne législation, l’expression de la valeur
et de sa nature trouvait son utilité dans l’appréciation
qu’elle permettait de faire du caractère commercial que
cette valeur pouvait donner au billet. On a soutenu,
en effet, que ce caractère était indispensable pour la né
gociation de ce billet, dont l’ordonnance n’autorisait la
transmissibilité par endossement qu’à cette condition.
Mais celte doctrine, fondée sur le silence de l’ordon
nance, n’a pas été admise. La Cour de cassation a con
sacré le contraire l.
©'SS. — Aujourd’hui, l’indication de la nature de
la valeur n’a et ne peut avoir aucune influence sur le
mode de transmission du billet. Celui-ci n’a de com
mercial que la forme, et celle-ci réside dans l’obligation
d’en opérer le payement au preneur ou à son ordre.
L’existence de cette obligation suffit pour que le billet
soit transmissible par endossement.
Cependant la nature de la valeur est d’une impor
tance incontestable. Son indication donne au billet à or
dre une cause dont on peut apprécier la légitimité ; elle
détermine le caractère de l’obligation, non seulement
pour le souscripteur non commerçant, mais encore
�art.
187, 188.
405
pour le commerçant et pour tous les endosseurs succes
sifs ; elle fixe ainsi la juridiction qui doit en connaître
et le mode d’exécution qu’elle pourra et devra sanc
tionner.
Ces considérations justifient la disposition de l’article
188. Elles arrivent à cette conséquence incontestable,
la cause de l’obligation est sans influence sur la trans
missibilité du titre, dès l’instant que celui-ci est payable
au bénéficiaire ou à son ordre ; dès qu’il est conforme
à ce que l’article 188 exige ; dès qu’il énonce une va
leur certaine et suffisante, il jouit de tous les privilèges
de la circulation commerciale et en subit toutes les con
séquences, alors même que la cause en serait purement
civile. C’est ainsi qu’on l’a décidé pour le billet causé
valeur en contractant à l'effet de la vente notariée
d'un tel jour, ou valeur en quittance du prix d'un
immeuble ; ou valeur en compte sur le prix d'une
vente ; ou valeur en vente d'un office d'huissier, etc.
Seulement, dans ces deux derniers cas, les billets à
ordre seraient déclarés nuis si la vente venait à être
annulée, ou si le souscripteur n ’était pas investi de la
charge l.
Cette doctrine, indépendamment de son caractère ju
ridique, a un fondement rationnel évident. Sans doute
chacune des causes que nous venons d ’indiquer est pu
rement civile, même pour le commerçant. Mais la vente
i Bruxelles, 23 juillet 4817. Paris 13 février 4847.7. du P., 4,
�4.04
DE LA LETTRE DE CHANGE.
du billet pour se procurer de l’argent, le fait surtout de
celui qui l’achète pour le revendre, constitue et peut
constituer un acte de commerce justifiant l’endossement
dont le billet devient l’objet, et expliquant sa transmis
sion par la voie commerciale.
« ¥ © . — Le billet à ordre doit donc énoncer la va
leur et exprimer sa nature. Comme exemple de locu
tions ne remplissant pas cette condition, nous citerons
les suivantes : valeur prêtée en mon besoin1 ; valeur
en contractant3; valeur reçue3 ; valent reçue à ma
satisfaction4 ; valeur entendue et entre nous connue5.
Il n’y a dans ces diverses formules ni énonciation d’une
valeur, ni indication de sa nature.
6 'S 'î. — L’article 188 permet d’exprimer la valeur
non seulement par l’indication qu’elle a été fournie en
argent, en marchandises, en compte, mais encore de
toute autre manière. Dans ces expressions, M. Locré
voit avec raison la consécration des billets de change
dont l’ancienne législation s’occupait expressément, et
qu’on ne trouve nulle part désignés dans le Code de
commerce.
1 Paris, 29 avril 1829.
2 Caen, 15 janvier 1813.
3 Toulouse, 17 novembre 1828. Aix, 1er mars 1839. J. du P., 1,
1839, 639.
4 Liège, 28 mai 1824.
&Metz, 18 janvier 1833.
�ART. 187, 188.
408
Il est évident, en effet, que le billet à ordre causé va
leur reçue en lettres de change fournies, ou en lettres
de change à fournir remplirait le vœu de l’article 188
et exprimerait suffisamment la valeur et sa nature.
Cette doctrine explique les paroles que M. Duveyrier
prononçait au nom du tribunat, lorsque, s’occupant des
billets de change, il s’écriait : Le Code de commerce n’en
fait pas mention, et son silence, qui n’indique point la
volonté de les exclure et de les proscrire, n ’aura d’autre
effet que de ranger ces sortes de billets dans la classe
des promesses et billets ordinaires, dont la force et les
effets sont déterminés par la forme dans laquelle ils sont
rédigés.
6 9 8 . — Il semblerait que l’absence ou l’insuffisance
de l’expression de la valeur dût faire prononcer la nul
lité de l’acte et celle de l’obligation elle-même. Il n’en
est rien cependant, à moins que l’une et l’autre ne tien
nent à un défaut absolu de valeur.
Mais, quoique non exprimée, la valeur peut n’en
exister pas moins, et la preuve de cette existence de
vrait justement prévaloir sur l’omission d’une formalité,
mais entre parties contractantes seulement.
Ainsi, le preneur ou le porteur, comme son subrogé,
pourra établir, par des preuves autres que le titre luimême, contre le souscripteur, que l’obligation est sé
rieuse, que la valeur en a été fournie. Cette preuve peut
résulter notamment des énonciations des livres l.
i Angers, 2 août 4816.
�4.06
DE LA LETTItE DE CHANGE
Mais, relativement aux tiers, le défaut d’indication
de la nature ne peut être suppléé par des preuves ex
trinsèques. Nous entendons par tiers les endossseurs
qui ont successivement accédé au titre. Pour ce qui les
concerne, l’effet de cette irrégularité est définitivement
acquis, par cela seul que le titre est muet sur la valeur
et sur sa nature.
Mais quel est cet effet ? Nous venons de le dire, le
billet n’est pas nul. Ainsi, disait la cour d’Aix, dans son
arrêt du 1er mars 1829, le billet à ordre qui n’énonce
point la valeur fournie, nul comme effet commercial,
vaut comme obligation civile dont le payement peut
être poursuivi par la voie ordinaire h
© t® . — Cet effet ne va pas même jusqu’à annuler
celui de l’endossement successivement consenti en faveur
de divers porteurs. Nous avons vu que les simples bil
lets peuvent être transmis par cette voie. Or, le billet à
ordre dépourvu de l’indication de valeur devient un
simple billet, il a donc pu être valablement transmis
par endossement.
Mais, conformément à ce que nous disions tout à
l’heure, cet endossement n’est plus qu’un transport,
qu’une cession ordinaire. Dès lors le bénéficiaire n’est
saisi envers les tiers, envers le débiteur cédé lui-mêmg
que par la notification ou l’acceptation de la cession.
D’autre part, la garantie due par les cédants n’obéit
1 Supra, nos 99 et suiv.
�ART.
187, 188.
407
plus qu’aux règles du droit commun, notamment à cel
les édictées par les articles 1693, 1694, du Code civil.
Chacun d’eux ne répond donc de la solvabilité future
du débiteur, que s’il en a pris l’engagement formel.
Le contraire avait été jugé par la cour de Lyon. Dans
une espèce où le billet à ordre avait été déclaré simple
promesse, elle avait considéré l’endosseur comme tenu
de payer, faute par le souscripteur de le faire, et l’avait
en conséquence condamné à désintéresser le porteur.
Mais cette décision, déférée à la Cour suprême, fut par
elle cassée pour violation des articles 1693, 1694,1695
du Code civil L
« 8 ® . — La transformation du billet à ordre en bil
let simple produit encore d’autres conséquences. Ainsi,
dans le cas où les endosseurs auraient formellement
garanti le payement et la solvabilité du débiteur, cha
cun d’eux ne serait tenu que pour sa part et portion.
La solidarité entre eux ne pourrait être admise que si
elle avait été expressément stipulée.
Ainsi, encore, le souscripteur peut opposer au por
teur, quel qu’il soit, toutes les exceptions qu’il serait re
cevable à invoquer contre le créancier originaire, jus
qu’au jour de la notification de la cession 3.
La tardiveté du protêt et le défaut de diligences du
1 17 février 1817.
2 Caen, 15 janvier 1813,
�408
DE LA LETTRE DE CHANGE.
porteur, dans les délais prescrits par l’article 165, ne
créent contre lui aucune déchéance l.
Les droits du porteur et les obligations des débiteurs
ne se prescrivent que par trente a n s s.
© 81. — Enfin, la connaissance des difficultés que
l’exécution ferait surgir appartiendrait, en ce qui con
cerne les non commerçants, aux tribunaux ordinaires
exclusivement.
Cette règle a été contestée. On a voulu fonder le con
traire sur l’article 637 du Code de commerce, mais le
caractère de cet article repousse cette prétention. L’arti
cle 637, en effet, établit une véritable exception au prin
cipe suivant lequel nul ne peut être distrait de ses juges
naturels. La faveur due au commerce, qui a motivé
celte exception, peut la légitimer.
Mais, ce qui n’est pas moins certain, c’est que ce ca
ractère exceptionnel conduit à cette conséquence que la
disposition de l’article 637 doit être restreinte dans les
limites qu’elle s’est d’ailleurs tracées elle-même. Or, re
marquons qu’elle ne dispose que pour les billets à or
dre. Donc, elle devient inapplicable lorsque, au lieu de
celui-ci, on se trouve en présence d’une simple pro
messe.
Le silence que le Code garde dans ce cas est d’autant
plus décisif, que la loi n’a pas cru devoir se l’imposer
1 Trêves, 4er février.
2 Àix, 4cr mars 4839 ci-dessus indiqué.
�art.
i
187, 188.
409
pour la lettre de change. Ainsi, elle prévoit le cas où
celle-ci n’étant que simple promesse est cependant re
vêtue de signatures de commerçants ; elle en défère la
connaissance aux tribunaux de commerce. Pourquoi,
s’il devait en être de même pour les billets à ordre ré
putés simples promesses, ne s’en serait-elle pas expli
quée ?
La différence que nous indiquons entre la lettre de
change et le billet à ordre s’explique d’ailleurs d’une
manière fort rationnelle. La lettre de change irrégulière
comme telle, par exemple, pour défaut de remise de
place en place, peut réunir toutes les formes d’un billet
à ordre, et offrir comme tel un certain caractère com
mercial. Le billet à ordre, au contraire, ne réunissant
pas les conditions de l’article 188, n’est plus qu’un ti
tre purement civil, et par conséquent absolument étran
ger à la juridiction commerciale.
D’ailleurs, pour que, dans l’hypothèse de l’article
637, la signature d’un commerçant sur un billet à or
dre attribue juridiction à l’autorité consulaire, même à
l’égard du non commerçant, il faut que le premier soit
réellement obligé, de telle sorte que l’action en paye
ment, quoique non actuellement exercée contre lui, ait
pu ou puisse encore l’être l.
.(
Or, nous venons de le voir, l’endossement d’une sim
ple promesse n’est, dans tous les cas, qu’un cautionne
ment ordinaire ne pouvant sortir à effet que dans les
i Bordeaux, 19 novembre 1827. Bastia, 4 janvier 1832.
�MO
DE LA LETTRE DE CHANGE
limites déterminées par la convention elle-même. Or,
comme la loi ne dispose que pour ce qui se réalise le
plus souvent, et qu’en notre matière l’endossement sera
ordinairement pur et simple, on peut admettre que
l’endosseur commerçant, se plaçant sous l’empire des
articles 1693, 1694, 1695 du Code civil, ou ne sera
pas obligé, ou ne le sera que d’une manière fort acces
soire. Comment dès lors admettre qu’au lieu de suivre
le sort de l’obligation principale, on subordonne celleci à l’obligation accessoire ?
Il faut donc le reconnaître. Le souscripteur non com
merçant d’un billet à ordre, déclaré simple promesse,'
ne peut être actionné que devant la juridiction civile,
alors même que par suite de transmissions successives
ce billet offrirait des signatures de commerçants 1.
Il en est autrement lorsque le souscripteur du billet
est commerçant. Simple promesse ou non, les obliga
tions souscrites par un négociant sont censées l’être
pour son commerce et offrir dès lors un caractère essen
tiellement commercial. L’inobservation de l’article 188
n ’a rien d’inconciliable avec cette présomption, elle ne
saurait donc l’exclure.
Le tribunal de commerce est donc seul compétent
pour en connaître, à une condition seulement, à savoir:
que l’effet n ’aura pas réellement une cause autre que
celle que la loi présume. Dans le cas où le billet exprime
i Emile Vincent, t. 2, p. 371. Fayard/v° jB ille ts à o r d r e , n° 5. Cass.,
6 août 48i 1. Rouen, 20 juin 4822. Colmar, 23 mars 4814.
�art.
187, 188.
Ml
la cause civile, comme par exemple l’achat d’un im
meuble, ou celui d’un meuble pour l’usage personnel,
le tribunal de commerce ne saurait être valablement in
vesti.
Ou le billet est muet sur la cause, et la juridiction
consulaire est compétemment investie. Mais elle serait
tenue de se désinvestir si le défendeur établissait que
son obligation n ’a qu’une cause civile, ce qu’il est tou
jours recevable à justifier.
© 88. — La détermination de la cause du billet à
ordre est donc importante au point de vue du droit
commercial et civil, et, dans l’intérêt des divers signa
taires, elle ne l’est pas moins en droit criminel. Par une
considération facile à justifier, la loi punit le faux en
écriture de commerce beaucoup plus sévèrement que
celui qui s’exerce en matière ordinaire. Dans quelle ca
tégorie faut-il placer le faux à l’occasion d’un billet à
ordre ?
La Cour de cassation
a uniformément résolu cette
«>
question. Le faux ne peut exister en matière commer
ciale qu’autant que le titre contrefait est un titre com
mercial. Or, si le billet à ordre n ’a pas par lui-même
ce caractère, il le reçoit ou de la qualité du signataire,
ou de la nature de l’opération. La Cour de cassation
exige donc, pour qu’il y ait faux en écriture de com
merce, que le billet à ordre émane de commerçants, ou
que la cause constitue une opération commerciale l.
1 -15 octobre 4825, 9 mars 4827, 44 juin 4832, 2 avril 4835.
�412
DE
LA LETTRE D E
CHANGE.
Mais la signature du commerçant n’imprime le ca
ractère commercial au billet à ordre que parce que,
censé fait pour le commerce, la cause en est présumée
commerciale. La certitude du contraire donnant au titre
un caractère purement civil, ne permettrait pas de voir
dans sa contrefaçon un faux en écriture de commerce.
Le faussaire peut donc discuter la cause de l’obligation,
alors même que la signature par lui contrefaite serait
celle d’un commerçant.
De ce principe résulte encore que le billet réputé sim
ple promesse perdant son caractère commercial, on ne
saurait raisonnablement soutenir que la contrefaçon ou
son altération constitue le crime de faux en écriture de
commerce l.
683. — A qui appartient le droit de décider la
question de savoir s’il y a ou non faux en écriture de
commerce ?
La Cour de cassation avait d’abord vu dans cette
question une difficulté de droit plutôt que de fait. Elle
avait en conséquence décidé que la cour d’assises pou
vait seule y statuer en appliquant la loi au fait déclaré
constant par le jury.
C’était là une erreur. Le fait que le faux, s’étant
exercé en écriture de commerce entraînait une peine
plus forte, rendait ce fait une véritable circonstance ag
gravante sur laquelle le jury devait être consulté, et
i Nouguier, p. 506.
�art.
187, 188.
413
que seul il pouvait admettre ou rejeter. L’économie de
notre législation criminelle rendait indispensable de de
mander au jury si l’accusé était coupable, non d’un
crime de faux en général, mais de tel faux prévu et dé
terminé.
C’est ce que la Cour de cassation n ’a pas tardé de re
connaître et de consacrer. Une foule d’arrêts remontant
au 26 janvier 1827 n’ont pas cessé de décider qu’au
jury seul il appartient de rechercher si le faux a été
commis en écriture de commerce ou en écriture privée,
et par suite de contrôler la nature de la pièce arguée.
©84. — En résumé, le billet à ordre, le plus ordi
nairement payable dans le lieu où il a été souscrit, n’est
pas en lui-même un effet commercial lorsqu’il émane
d’un non commerçant.
Mais il acquiert ce caractère envers et contre tous, s’il
a pour cause une opération ou un acte de commerce.
Cette cause est toujours présumée à l’égard des sous
cripteurs commerçants. Donc, et par rapport à eux, le
billet est commercial, soit qu’ils l’aient directement
souscrit, soit qu’ils aient concouru à sa circulation par
leurs endossements successifs. L’existence de leur signa
ture est attributive de juridiction, et le tribunal de com
merce, valablement investi en ce qui le concerne, l’est
également vis-à-vis des souscripteurs non commerçants,
seulement il ne peut les soumettre à la contrainte par
corps.
Le billet à ordre affectant dans tous les cas la forme
�4-14-
D E LA LETTRE D E CHANGE
commerciale, son endossement est soumis aux mêmes
conditions et produit les mêmes effets que celui de la
lettre de change. C’est ainsi que le cédant, même non
commerçant, est soumis à la garantie du payement et à
la solidarité avec tous les autres signataires. L’article
487 ne permet aucun doute à cet égard. Mais cette ga
rantie et cette solidarité, le porteur en serait déchu s’il
ne faisait pas protester le lendemain de l’échéance, et si
dans la quinzaine il n’avait pas fait notifier le protêt
avec citation en justice.
Mais tout cela suppose a 'priori l’existence d’un billet
à ordre régulier, réunissant notamment toutes les con
ditions exigées par l’article 488, à défaut il n’y a plus
qu’une simple promesse, qu’une obligation civile dont
la transmission et les effets se trouvent exclusivement
régis par les principes du droit commun.
Dans la même hypothèse, les signataires non com
merçants ne pourraient, sous aucun prétexte, être ap
pelés devant le tribunal de commerce, la compétence
consulaire extraordinairement appliquée aux non com
merçants, n’existant, aux termes de l’article 637, que
lorsque les signatures de commerçants et de non com
merçants figurent cumulativement sur un billet à ordre
régulier.
© 85. — L’application de l’article 637 a fait surgir
une grave difficulté. Lorsqu’il s’agit d’un billet à ordre
régulier, portant la signature de commerçants et de
non commerçants, ceux-ci ne peuvent-ils être traduits
�ART.
18/,
188.
415
devant le tribunal de commerce que cumulativement et
conjointement avec les premiers? Ce tribunal est-il, au
contraire, valablement saisi, lorsque le non commerçant
est seul mis en cause ?
La négative a été consacrée notamment par les cours
de Colmar et de Limoges. L’article 637, dit la première,
suppose qu’un porteur d’effets a actionné devant le tri
bunal de commerce plusieurs souscripteurs, soit d’une
lettre de change, soit d ’un billet à ordre, ou endosseurs
dont les uns sont négociants et les autres non.
Le principe de la solidarité ne permettant pas qu’on
divise l’action, la loi a voulu, pour ce cas, que les uns
et les autres soient justiciables du tribunal de commerce,
mais en lui interdisant la faculté de prononcer la con
trainte par corps contre les non négociants.
Mais cela ne saurait être admis lorsque, comme dans
l’espèce, l’effet ayant fait retour, le porteur a attaqué
isolément le débiteur non commerçant qui ne pouvait
dès lors être traduit que devant ses juges naturels l.
Attendu, dit à son tour la cour de Limoges, que l’ar
ticle 637 du Code de commerce n’a déclaré les tribu
naux de commerce compétents pour connaître d’un bil
let à ordre, lorsque ce billet à ordre se trouvait tout à la
fois revêtu de signatures d’individus commerçants et non
commerçants, que dans l’intérêt du commerce et pour
le favoriser ; que ce motif n’existe plus lorsque les com
merçants souscripteurs du billet à ordre ont été désinté-
�416
DE
LA
LETTRE DE
CHANGE,
ressés, ne sont point parties dans la contestation à la
quelle le payement de ce billet donne lieu, et que les
poursuites sont faites directement contre le non com
merçant qui l’a consentiL
Ce système, que la cour de Paris avait d’abord adop
té, mais qu’elle a abandonné depuis, repose, on le voit,
sur cette idée : la compétence est subordonnée à la
poursuite elle-même. On n’a pas voulu deux procès :
l’un devant la juridiction commerciale, l’autre devant
la juridiction civile, il fallait choisir, et si la première
l’a emporté, c’est uniquement dans l’intérêt du com
merce.
Mais, si la nécessité de faire ce choix n’a jamais
existé, si le non commerçant seul est actionné, il n'y a
plus motifs, et par conséquent lieu à le distraire de ses
juges naturels.
Le système adverse repose, au contraire, sur ce prin
cipe : que la compétence commerciale résulte invin
ciblement du mélange de signatures de commerçants et
de non commerçants. Ce fait se réalisant, le droit du
porteur de l’investir est définitivement acquis, aucune
circonstance ultérieure ne peut le lui faire perdre.
Ce principe, nous le trouvons développé dans les ar
rêts contraires à ceux de Colmar et de Limoges. Voici,
entre autres, comment s’en explique celui rendu par la
cour d’Amiens, le 7 mars 1837 :
« Attendu qu’aux termes de l’article 637, les tribui 30 décembre 4 825.
�art .
187, 188.
417
naux de commerce doivent connaître des billets à ordre
portant à la fois des signatures d’individus négociants
et non négociants ; que cette disposition, conçue en ter
mes généraux, attribue aux tribunaux de commerce,
par opposition au cas prévu par l’article 636, la con
naissance de tous effets qui, étant revêtus d’une forme
commerciale, sont susceptibles d’en conserver le privi
lège d’une manière immuable ;
« Que dès lors il est indifférent que l’individu non
négociant, signataire du billet, soit seul actionné en
payement, parce que cette circonstance n’est pas de na
ture à anéantir la juridiction commerciale ; irrévocable
ment acquise par le fait de la signature d ’individus
commerçants ;
« Qu’il faut reconnaître que le non négociant a ac
cepté d’avance cette juridiction, lorsque, pour satisfaire
à une obligation purement civile, il a recours aux for
mes commerciales, et notamment au billet à ordre •
parce que, en le souscrivant, il s’est soumis aux consé
quences qui pourraient en résulter, si son billet, mis en
circulation, se trouvait ensuite revêtu des signatures
d’individus commercants 1. »
Cette doctrine parait plus juridique que celle des ar
rêts de Colmar et de Limoges. Si le législateur eût en
tendu restreindre la compétence consulaire au cas seu
lement d’une poursuite collective, il n ’eût pas manqué
de s’en expliquer. L’absence de toute restriction de ce
»
i Sirey, 37, 2, 309.
h
— 27
�418
DE LA LETTRE D E CHANGE
genre donne bien à la disposition de l’article 637 le
caractère indiqué par l'arrêt d’Amiens, et justifie les
conséquences qu’il en tire. C’est à ce système que se
sont tour à tour rangées les cours de Caen, Bourges,
Montpellier, Grenoble et Paris.
© 8 6 . — Les divers souscripteurs du billet à ordre
peuvent dispenser le porteur de la nécessité de remplir
les obligations qui lui sont imposées à l’endroit du pro
têt, la notification et la citation en justice. Nous avons
vu que ces formalités n’étaient pas d’ordre public et
qu’on pouvait à leur égard déroger à la loi, ce qui est
vrai pour la lettre de change ne pouvait pas ne pas
l’être pour les billets à ordre.
Mais cette faculté s’étend-elle jusqu’à conférer au
souscripteur du billet à ordre le droit de déroger aux ef
fets ordinaires de la négociation ? L’indication inscrite
dans le billet, que sa transmission ne créerait aucune
garantie de la part des endosseurs, profiterait-elle à
ceux-ci ?
«
La cour de Paris a eu à examiner et à résoudre cette
question dans la liquidation de la maison Gouin et Cie,
dont les bons de caisse portaient cette clause : Trans
missibles sans garantie.
Cette question a déterminé une controverse au sein
de la cour de Paris. Trois arrêts de la seconde chambre,
en date des 29 août et 12 octobre 1 848 et 23 août
4849, consacrent l’invalidité de la clause. Un arrêt de
�art .
187,
188*
419
la première chambre, du 7 juillet 1849, se prononce
en sens contraire K
Quel est le système qui doit prévaloir ? Cette question
doit se résoudre par l’appréciation des motifs que cha
que opinion invoque, et qui lui servent de fondements.
On arrive par cette appréciation à déterminer de quel
côté se trouvent la vérité et le droit.
Or, l’arrêt de la première chambre se fonde d’abord
sur ce que celui qui crée un billet à ordre a le droit
d’y apposer toutes les conditions qu’il croit utiles ou
convenables, pourvu qu’elles ne soient pas contraires à
la loi.
Cela est incontestable. Mais dans son exercice, ce
droit se réduit à ce qui est personnel à ce souscripteur.
Ainsi, il est évident qu’en admettant leur légalité, tou
tes les conditions qu’il aurait mises à son engagement
seraient obligatoires pour les preneurs successifs, qui se
seraient soumis à les exécuter par cela seul qu’ils au
raient accepté le billet.
Mais, comment le souscripteur pourra-t-il modifier
des droits qui lui ont été, qui lui seront toujours étran
gers ? Ainsi, la loi a elle-même tracé les effets de l’en
dossement, le cédant doit garantie au cessionnaire. Sans
doute celte garantie peut devenir la matière d’une con
vention spéciale ; on peut er. répudier le bénéfice. Mais,
comment admettre la possibilité de cette répudiation de
l J. du P., 2, 1749, 17, 260. D. P., 49, 2, 5.
�4 .2 0
DE
LA LETTRE
D E CHANGE.
la part d!une personne autre que celle au profit de la
quelle ce bénéfice a été créé ?
Mais, dit l’arrêt que nous examinons, celui qui> ayant
connu la condition apposée au titre, y acquiesce et se
l’approprie en acceptant ce titre. Il ne peut donc se
plaindre, si on lui impose la responsabilité d’un acte
qu’il a volontairement et sciemment consenti.
D’abord, il n’est pas toujours vrai, en matière com
merciale surtout, que celui qui traite avec un autre que
le souscripteur d’un billet à ordre, en vérifie minutieu
sement les énonciations ; le plus souvent, au contraire,
comme il ne connaît que son cédant, qu’il n’a foi qu’en
lui, il se contente de vérifier l’endossement.
Mais, au fond, il y a une autre raison péremptoire.
Le cessionnaire, connaissant le billet, sait également fort
bien que la stipulation de non garantie ne peut vala
blement émaner que de celui que cette garantie peut et
doit atteindre. Il considérera donc les énonciations du
billet comme la mise en demeure pour le cédant de se
prononcer. Si, au lieu de déclarer qu’il veut en profiter,
celui-ci garde le plus complet silence, comment inter
préter ce silence autrement que comme la renonciation
à s’en prévaloir.
En d’autres termes, le souscripteur, traitant en cette
matière d’un droit appartenant à autrui, n’aura vala
blement agi que si le bénéficiaire de ce droit ratifie ex
pressément. C’est ce que le tribunal de commerce de la
Seine relevait fort à propos, lorsqu’il décidait que la
mention : transmissible sans garantie, mise par Goin et
�art .
187, 188.
421
Cie, souscripteur, n’a pu délier tous les endosseurs sub
séquents, inconnus lors de la création du titre, de la
responsabilité solidaire qui, aux termes de la loi, pèse
sur tous les endosseurs d’un effet de commerce, à moins
qu’ils n’aient accepté, par une mention spéciale, cette
dérogation au droit commun.
Cette acceptation, ajoute à son tour la seconde cham
bre de la cour d’appel de Paris, ne peut résulter de la
clause existant dans la formule imprimée du billet,
clause insérée par le souscripteur, sans que l’attention
du tiers ait été appelée sur l’importance de celte men
tion ; sans même qu’il ait pu connaître dans quel inté
rêt elle a été ajoutée au texte, et sans que l’endosseur
l’ait reproduite dans son endossement.
Cette dernière considération nous parait surtout déci
sive. Décider en sens contraire, ce serait multiplier pour
les uns les occasions de se tromper, ouvrir pour les
autres une large voie à la fraude. Souvent, en effet, le
cessionnaire ne connaîtra la vérité, que l’endossement
ne lui permettrait pas même de soupçonner, qu’après
la consommation de la négociation, et se trouverait
ainsi avoir traité à des conditions qu’il n’eût pas ac
ceptées, s’il avait pu en soupçonner l’existence. La se
conde chambre de la cour de Paris, s’écrie donc avec
raison que la loyauté commerciale, que l’intérêt du com
merce font un devoir de tarir cette source d’erreurs pré
judiciables.
Nous considérons donc la mention de transmissibilité
sans garantie, de la part du souscripteur du billet à or-
�im
DE
LA LETTRE
DE
CHANGE.
dre, comme une proposition à l’adresse des endosseurs
futurs. Ses effets ne pourront être revendiqués que par
celui qui, l’ayant formellement acceptée, l’aura repro
duite dans l’endossement par lui consenti.
6 8 » . — Nous n’avons jusqu’à présent considéré le
billet à ordre qu’au point de vue spécial de l’objet qu’il
se propose le plus ordinairement, à savoir : le service
des besoins commerciaux d’une localité. En réalité, ce
pendant il peut avoir un autre but, celui que la lettre
de change est toujours appelée à réaliser, la remise d’ar
gent de place en place, soit que le souscripteur, prenant
de l’argent dans une localité étrangère, s’oblige à le res
tituer à son propre domicile, soit que, recevant une
somme ou une valeur dans celui-ci, il ait pris l’engage
ment de les compter ailleurs. Dans l’un et l’autre
cas, le billet reçoit la qualification de billet à domi
cile.
Au témoignage de Pothier, non seulement ce billet
était connu, mais encore d’un grand usage dans le com
merce, depuis l’ordonnance de 1673. Pothier le définit
un billet par lequel je m’oblige de vous payer, ou à ce
lui qui aura ordre de vous, une certaine somme, dans
un certain lieu, par le ministère de mon correspondant,
à la place de celle, ou de la valeur que j’ai reçue ici de
vous, ou que je dois recevoir.
Il résulte de cette définition, ajoute Pothier, que
ce billet renferme le contrat de change, de même
�art.
187, 188.
423
que la lettre de change, et qu’il est de même nature l.
Ce caractère est encore aujourd’hui celui du billet à
domicile qui, touchant au billet à ordre et à la lettre de
change, diffère cependant de l’un et de l’autre.
— Ce qui distingue le billet à ordre du billet
à domicile, c’est que le premier est toujours payable
dans le lieu même où il est souscrit. L’autre, au con
traire, suppose nécessairement que la valeur en ayant
été prise dans une localité, sera restituée dans une au
tre, et à un domicile indiqué. Comme nous le remar
quions tout à l’heure, le domicile peut être celui du
souscripteur lui-même, pourvu que le montant du bil
let ait été touché ailleurs. Ainsi, le Lyonnais qui prend
à Paris de l’argent qu’il rembourse dans son domicile,
a Lyon, consent un véritable billet à domicile.
© 88.
©89. — Le billet à domicile diffère de la lettre de
change en ce que le payement de celle-ci étant ccnfié à
un tiers, il devient indispensable de l’indiquer nommé
ment, soit pour pouvoir requérir le payement lui-même,
soit pour s’assurer si la provision a été faite et pour en
contraindre la réalisation.
Dans le billet à domicile, quel que soit le lieu du
payement, c’est le souscripteur qui est exclusivement
chargé de l’opérer. Celui au domicile duquel ce payement
i C h a n g e , n° 21S
�424
DE LA LETTRE DE CHANGE
est indiqué n’a donc jamais à intervenir personnellement.
De là, l’inutilité de toute autre désignation autre que
celle du domicile lui-même ; de là, surtout, l’impossi
bilité de recourir aux formalités concernant la provision
ou l’acceptation. C’est surtout cette dernière circons
tance qui a fait dire qu’en réalité le billet à domicile
était une lettre de change non acceptable.
690. — Si tel est, en effet, le caractère du billet à
domicile, si comme le dit Pothier, et comme il n’est pas
permis d’en douter, il est de même nature que la lettre
de change, il est évident qu’il produira tous les au
tres effets dérivant de celle-ci ; que notamment les
signataires , commerçants ou non , seront justicia
bles du tribunal de commerce et contraignables par
corpsL
La jurisprudence arrive à ce résultat, en se fondant
sur ce que l’engagement concernant l’argent pris dans
un lieu, pour être payé dans un autre, constitue une
opération de banque et de change, renferme en réalité
la remise de place en place ; que chacune de ces opéra
tions étant expressément réputées actes de commerce, le
titre qui les réalise est par sa nature essentiellement
commercial, quelle que soit la qualité du souscripteur ;
que cette qualité ne saurait dès lors influer en rien, ni
i V. pour les arrêts à l’appui Rép. du Journal du Palais, v» Billet
à domicile, n°s 14 etsuiv.
�ART. 187, 188.
42b
sur la compétence, ni sur les effets qu’entraîne celle de
la juridiction consulaire 1.
©91. — Le principe et ses conséquences sont trop
évidemment incontestables pour qu’ils devinssent ma
tière à contradiction. Aussi la controverse ne s’est-elle
établie que sur le caractère du titre. On a soutenu que
le billet à domicile, bien qu’il soit payable dans un au
tre lieu que celui où la valeur a été reçue par le sous
cripteur, ne soumet pas celui-ci à la contrainte par
corps, s’il n ’est pas commerçant; il n’y a pas là, a-t-on
dit, la remise de place en place dans le sens de la loi.
La cour de Bordeaux qui le décide ainsi, le 22 jan
vier 1836, signale d’abord les différents qui existent en
tre le billet à domicile et la lettre de change ; elle ajoute :
Attendu que c’est se méprendre sur le sens des termes,
que de supposer qu’il y a remise de place en place parce
que le payement d’une somme comptée dans une ville
doit être effectué dans une autre ; car il est possible que
la même valeur reçue serve à acquiter le billet ; la
somme aura été transportée, mais il n’y aura pas eu
remise de place en place, ainsi que cela se pratique
pour le contrat de change ; que ces principes se trou
vent au surplus confirmés par les discussions qui eurent
lieu au conseil d’Etat lors de la présentation des articles
188 et 631 du Code de commerce.
i Lyon, 30 août <838. Cass., 4 janvier, et Bordeaux, 26 mai 1843.
J. du P „ 1.1843, 662 et 563, 2,1843,169.
�426
D E LA LETTRE DE CHANGE
Un arrêt rendu dans le même sens par la cour de
Besançon résume le système d’une manière plus éner
gique : Attendu, dit-il, que les billets à ordre dont s’agit
ne peuvent être réputés effets de commerce puisqu’ils ne
contiennent ni remise de place en place, ni opération
de banque, mais une simple indication de payement
dans un lieu désigné, tandis que la souscription des
billets avait été faite dans un autre ; que d’ailleurs ni
celui qui avait souscrit ces billets, ni celui au profit de
qui ils étaient faits ne sont pas négociants ; qu’on ne
peut les assimiler à une lettre de change qui suppose
l’intervention de trois personnes, parmi lesquelles une
est chargée d’intervenir au contrat et de payer au nom
du tireur, tandis que dans l’espèce c’est le même indi
vidu qui les a souscrits qui devait payer les trois billets,
en opérer le payement U
G®3. — Cette doctrine, consacrée d’ailleurs
par
d’autres arrêts, ne serait à notre avis admissible que
dans un seul cas, à savoir : si en fait on constatait une
supposition soit du lieu d’où le billet est prétendu sous
crit, soit du lieu dans lequel se trouve le domicile où le
payement est indiqué. Alors, en effet, la remise de place
en place n’existe pas et le billet ne saurait revêtir un
caractère commercial que par la qualité des parties.
Or, celte appréciation de fait appartient souverainei 18 janvier 4842. J. du P ., 1, 4843, 562.
�ART.
187, 188.
427
ment aux deux degrés de juridiction. Quels que soient
les termes du billet, le souscripteur peut toujours arguer
de leur simulation, que les tribunaux peuvent dans
tous les cas admettre et consacrer. La certitude acquise
que la valeur réelle du billet n’était pas de nature à de
venir l’objet d’un change amènerait le même résultat.
Mais s’il s’agit en réalité d’une somme d’argent don
née ici pour être payée là, si les indications du billet à
cet égard sont sincères et pures de toute simulation, dire
qu’il n’y a pas remise de place en place, c’est nier l’é
vidence même.
Il est possible que la même valeur reçue serve à ac
quitter le billet, dit la cour de Bordeaux en 1836 ; dans
ce cas, la somme aura été transportée, mais il n’y aura
pas eu remise de place en place.
Cette possibilité n’existe pas plus pour le billet que
pour la lettre de change. Lorsqu’on emprunte de l’ar
gent, c’est pour le consacrer à un usage qui en rend
l’emploi immédiat nécessaire ; lorsqu’on prend de la
marchandise, c’est pour la revendre. On ne garde ni
l’un ni l’autre pour l’employer au payement. Si on pou
vait les conserver intacts et sans emploi jusqu’à l’é
chéance, on ne les eût pas pris et on serait ainsi exo
néré de la nécessité de payer un intérêt et probablement
une commission de banque.
Pourquoi d’ailleurs un fait, fort indifférent en matière
de lettres de change, deviendrait-il capital pour le bil
let à domicile ? Mais si au fond, sincèrement, réelle-
�428
D E LA LETTRE D E
CHANGE.
ment, celui-ci fait ce que la première a pour objet de
faire ?
Dans ce cas, dit la cour de Besançon, il y a indica
tion et non remise de place en place comme dans la
lettre de change, la preuve c’est que dans la lettre de
change il y a un tiré chargé de payer, tandis que dans
le billet c’est le souscripteur qui demeure exclusivement
obligé à ce payement.
Mais est-ce que le même résultat n’est pas acquis
lorsque la lettre de change n ’est pas acceptée, et lui
fait-on perdre son caractère de ce que le tireur doit dans
ce cas rembourser le porteur. L’argument n’est donc
pas exact. Dans tous les cas, le fût-il, toute la différence
que nous trouverions entre le billet à domicile et la let
tre de change est celle-ci : il y a dans le premier une
indication, celle du lieu où le payement se fera ; la se
conde en renferme deux, celle du lieu de payement,
celle de la personne qui l’effectuera. Mais cette différence
fera-t-elle jamais que l’argent pris à Marseille pour être
payé à Lyon, n’ait pas été pris dans un lieu pour être
payé dans un autre. Or, qu’est-ce que la remise d’une
place sur une autre ?
Le système que nous combattons est donc contraire à
la vérité. On doit d’autant plus le repousser, que sou
vent le billet à domicile naîtra de la convention de créer
une lettre non acceptable. Les commerçants répugnent
ordinairement à la souscription de ces lettres. Leur em
ploi peut faire supposer qu’ils tirent en l’air, et porter
ainsi atteinte au crédit du souscripteur ; le billet à do
micile excluant cet inconvénient, on l’adoptera de pré-
�art .
187, 188.
429
férence. Il sera donc en réalité une lettre de change non
acceptable, et l’on ne voudrait pas qu’il contint la re
mise de place en place.
Est-ce vrai, d’ailleurs, que la désignation d’un tiré
soit indispensable pour qu’il y ait remise de place en
place ? C’est ce qu’on ne saurait admettre sans attacher
à la forme une autorité que la loi ne reconnaît qu’au
fait lui-même.
Supposez que la lettre de change réunit toutes les
conditions exigées par la loi, notamment l’indication du
tiré, est-ce que cette régularité, est-ce que cette indica
tion empêchera la lettre de dégénérer en simple pro
messe, s’il y a supposition du lieu d’où elle est tirée ?
Supposez au contraire que la lettre de change soit
imparfaite en la forme ; par exemple, qu’elle ait omis
d’indiquer le tiré, est-ce qu’elle ne continuera pas d’ê
tre un acte de commerce, si en réalité l’opération qu’elle
a réalisée est une remise de place en place ?
C’est donc celle-ci, et celle-ci exclusivement, qui cons
titue la commercialité de l’acte. Or, il est de toute im
possibilité de subordonner le fait à la nature de l’instru
ment destiné à en prouver l’existence ; en un mot, ce
qui est réellement remise de place en place par une let
tre de change, ne saurait pas ne pas l’être par un bil
let à domicile.
Le contraire résulterait-il cependant de la discussion
législative des articles 1 88 et 631 ? Ce qui résulte uni
quement de cette discussion, c’est qu’on ne consentit
pas à distinguer le billet à domicile du billet à ordre,
�450
DE LA LETTRE DE CHANGE
qu’en conséquence on rejeta la disposition suivante, que
contenait le projet du Code : Le billet à ordre peut être
payable au domicile d’un tiers résidant dans un autre
lieu.
Que résulte-il de ce rejet ? La prohibition des billets
à domicile, leur invalidité absolue ? Non évidemment.
On devra seulement les assimiler aux billets à ordre.
Mais cette assimilation permettra-t-elle de refuser au
billet à domicile l’effet que produirait infailliblement le
billet à ordre lui-même ?
Or, si ces derniers avaient pour cause une opération
de commerce, hésiterait-on à soumettre le souscripteur
non commerçant à la juridiction consulaire et à la con
trainte par corps ? Pourquoi donc ne le ferait-on pas
dans la même hypothèse pour le billet à domicile.
La cause commerciale existe dans celui-ci. Ce qui la
Constitue, c’est la remise d’argent de place en place que
l’article 632 du Code de commerce réputé expressément
acte de commerce.
693. -^-Ajoutons que la dénégation qu’on veut
faire au billet à ordre, de la faculté de réaliser le con
trat de change, a toujours été repoussée par la doctrine
tant ancienne que moderne. Déjà nous avons emprunté
l’opinion de Pothier. Yoici celle qu’enseignait Dupuis de
La Serra :
« Le contrat de change a deux faces qui produisent
deux natures différentes.
« La première est la face d’entre le tireur et celui qui
�art.
187, 188.
431
donne la valeur, et c’est sur cette face qu’on examine la
nature du change. Il est sous cette face une espèce d’a
chat et vente.
« La seconde, entre le tireur et celui qui doit la payer,
de même qu’entre celui qui en donne la valeur ou ceux
qui ont droit de lui et celui qui doit la recevoir qui est
une commission x. »
Or, le billet à domicile remplit parfaitement la pre
mière face, il consomme l’achat et la vente, c’est-à-dire
le change. Qu’importe que le contrat de commission ou
de mandat ne vienne pas se réunir au change, cela
peut influer sur l’exécution que celui-ci recevra, mais
jamais sur son essence.
Donc le billet à domicile, loin d’être incompatible
avec le change, se prêle fort bien à sa réalisation. La
doctrine moderne né laisse à cet égard aucun doute.
« Le billet à domicile, dit notamment M. Frémery,
est une expression aussi nette, aussi exacte du contrat
de change que la lettre de change elle-même. Il en at
teste même bien mieux la sincérité, car on n’y trouve
point la signature d’un accepteur qui fait, pour la lettre
de change, un moyen, pour le tireur, d’user de son
crédit. Nos tribunaux consulaires sont donc bien fondés,
en l’état actuel de la législation, à se déclarer compé
tents et à prononcer la contrainte par corps contre le
confectionnais2. «
1 L 'A rt des lettres de change, chap. 3.
2 Etudes sur le droit comm., p. 98.
�432
DE
LA
LETTRE DE CHANGE.
« Cet effet, dit M. Horson, n ’est-il qu’un simple bil
let à ordre ? Il est quelque chose de plus relativement
au souscripteur. Celui-ci a reçu la valeur dans un lieu,
et il s’est obligé de la faire compter à l’échéance dans
un autre lieu. Il y a donc là opération de change, et
dès lors engagement commercial aux termes de l’article
632 ; d’où nous concluons que le souscripteur, même
non commerçant, serait, à défaut de payement, passible
de la contrainte par corps l. »
Ainsi donc la remise de place en place contenue dans
le billet à domicile ne peut être ni un simple transport,
comme le prétend la cour de Bordeaux, ni une indica
tion de payement, comme le décide la cour de Besan
çon, elle constitue une opération de change rentrant
dans la catégorie des actes que l’article 632 réputé acte
de commerce.
6 9 4 . — La cour de Lyon a toutefois subordonné
cet effet, à une condition, à savoir : que le lieu où le
billet a été souscrit et le lieu où il est payable soient
place de commerce, ce qui ne doit s’entendre que d’un
lieu où se tient la banque, où se fait le négoce d’ar
gent2.
Ce système ne nous parait pas mieux fondé que ce
lui des cours de Bordeaux et de Besançon. En cette ma’-• • i ;
.
|
■ ■.]
IP "'
il
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' " -Il.»,■I
Jilll 1
J ïM '
1 Quest. 33 et 35. Conf., Merlin, v° Billet à ordre, § 3. Pardessus,
Droit comm., n° 531. Emile Vincent, t. 2, p. 368. Nouguier, t. 1,
p. 528.
s 21 juin 1826, 8 août 1827,12 mars 1832.
�art .
187,
453
188.
tière, il est impossible de tracer des règles absolues.
Mais évidemment on ne saurait distinguer entre la let
tre de change et le billet à domicile. Ce qui constitue la
remise pour celle-ci, doit la constituer pour celui-là,
nous renvoyons donc aux observations que nous avons
déjà présentées à cet égard l.
696. — Nous avons eu également déjà l’occasion
de nous expliquer sur l’obligation du porteur du billet
à domicile de faire protester le lendemain de l’échéance
sous peine de perdre son recours contre le souscripteur
lui-même, si le montant du billet déposé à ce domi
cile avait péri après l’échéance et sans que le billet eût
été présenté.
Nous avons ajouté que l’indication de ce domicile
équivalait à une élection pour l’exécution ; qu’en con
séquence l’assignation était régulièrement signifiée à ce
domicile ; et que le tribunal de l’arrondissement était
compétemment saisi3.
On a agité la question de savoir si on pouvait régu
lièrement signifier à ce même domicile le jugement de
condamnation et le commandement à fin de saisie im
mobilière. La cour d’Àix s’est prononcée pour l’affirma
tive quant à la signification du jugement, mais elle a
décidé que le commandement à fin de saisie immobi
lière ne pouvait être fait qu’au domicile ré e l3.
1 Supra, n°» 4S et suiv.
2 Supra, ji° 526.
3
février 1838. J. du P., 2, 1838, 316.
Il —
28
�de
434
LA LETTRE DE CHANGE.
SECTION III
DE
I.A
PRESCRIPTION
.'
ARTICLE
\ 89.
Toutes actions relatives aux lettres de change, et à
ceux des billets à ordre souscrits par des négociants,
marchands ou banquiers, ou pour faits de commerce,
se prescrivent par cinq ans, à compter du jour du pro
têt, ou de la dernière poursuite juridique, s’il n’y a eu
condamnation, ou si la dette n ’a été reconnue par acte
séparé.
Néanmoins les prétendus débiteurs seront tenus, s’ils
en sont requis, d’affirmer, sous serment, qu’ils ne sont
plus redevables ; et leurs veuves, héritiers ou ayants
cause qu’ils estiment de bonne foi qu’il n’est plus
rien dû.
SOMMAIRE
69G.
697.
Divers modes d’exlinction des obligations du commerce.
Caractère de la compensation. Comment et entre qui elle
�ART.
698.
699.
700.
701.
702.
703.
704.
705.
706.
707.
708.
709.
710.
711.
712.
713.
714.
189.
435
s’opère en matière de lettres de change et de billets â
ordre.
Nécessité de l ’exigibilité actuelle de la créance et de la
dette. Conséquences.
L ’accepteur qui n ’a pas encore payé ne peut compenser
avec les sommes liquides q u ’il doit au tireur. Arrêt de
la Cour de cassation.
La compensation se réalise-t-elle dans le cas de faillite ?
Objet de la novation. Son fondement rationnel.
Actes entraînant novation en m atière commerciale.
La déchéance prononcée par l ’article 168 n ’est que l ’effet
d ’une novation légalement présumée.
Il en serait de même du traité intervenu entre le porteur
et l ’un des signataires. Ce traité résulterait-il de la pas
sation, au débit du tireur, du montant de l’effet ?
Quid v i s - à - v i s de l ’accepteur à découvert. Arrêt de
Bruxelles repoussant la novalion.
Discussion de cet arrêt.
L’acceptation par le porteur d ’un nouveau titre signé par
les endosseurs, vaudrait-elle novation en faveur du dé
biteur principal ?
Nature de la remise de la dette. Conséquences pour celle
résultant de la faillite d ’un des débiteurs.
Elle est expresse ou tacite. Celle-ci résulterait de la resti
tution du titre.
Avantages de cette restitution.
Effets de la remise, se réglant par la qualité de celui à qui
elle est faite. Celle faite au tireur libère les endosseurs,
les donneurs d ’aval et les cautions.
Quid, si le porteur s’était fait des réserves contre les au
tres débiteurs.
Effets de la remise faite au tireur, à l'égard du tiré.
Si le tiré qui n ’a pas accepté avait provision, pourrait il
être actionné par le porteur qui aurait remis la dette
au tireur ?
�il: 1
436
DE LÀ LETTRE DE CHANGE
Effets de la remise faite à l’accepteur. A qui, dans ce cas,
appartiendrait la provision. Pourrait-elle être reprise
par le tireur ?
716. L ’accepteur à découvert, à qui la dette a été remise, au
rait-il action contre le tireur, en remboursement du
montant de la dette. Droits du porteur.
Effets de la remise consentie aux donneurs d ’aval.
Quid de celle faite à l’endosseur ?
Nature de la confusion, ses effets.
Caractère et conséquences de la confusion opérée sur la
tête de l’accepteur.
721
Opportunité et avantages de la prescription, en matière
d ’effets commerciaux. Nécessité d ’en réduire la durée.
Quels sont les titres régis par l ’article 189 ?
Conséquences de sa disposition.
Son étendne, quant aux lettres de change.
L’article 189 est inapplidable à l’action de l’accepteur con
tre le tireur, pour se faire rembourser de ce qu’il a
payé. Arrêts conformes.
725bis. Arrêt contraire de la cour de Montpellier. Appréciation.
725ter. Quid de l’action du tiers qui a fourni au tiré les fonds
pour le payement.
725 quatuor. Résumé.
715.
Mm
JHgiS
m
Quid de la lettre de change réputée simple promesse ?
Caractère de la prescription quinquennale, sous l’ordon
nance de 1673.
728. — Depuis le Code de commerce.
729. Peut-elle être combattue par les présomptions contraires,
par la preuve testimoniale ? Raisons invoquées pour
l ’affirmative.
730. Réfutation.
730 bis . A rrêt récent de la Cour de cassation dans le-sens de la
négative.
731. Point de départ de la prescription. Ce qu’il faut entendre
par ces mots : du jour du protêt ?
726.
727.
if» rg 1
Mij
I
! ||
;
�ART.
732.
733.
734.
735.
736.
737.
738.
739.
740.
741.
742.
743.
744.
745.
746.
747.
189.
457
Jurisprudence de la Cour de cassation.
Quel est le point de départ de la prescription, si le dernier
acte de poursuite est une citation en justice? Doit-on
poursuivre la péremption de l ’instance.
Critique d’un arrêt de la Cour de cassation se prononçant
pour la négative.
Différence entre la suspension et l'interruption de la pres
cription.
La prescription de l’article 189 n’est suspendue ni par la
minorité, ni par l’interdiction.
L’est-elle par la faillite du commerçant, soit à l’égard de
ses créanciers, soit vis-à-vis de ses débiteurs?
Dans quel sens la force majeure suspend-elle la prescrip
tion ?
L’interruption de notre prescription ne peut être civile.
Actes qui la constituent.
Lé protêt requis dans le cours des cinq ans, interrompt-il
la prescription ?
Quid si le protêt a été suivi de citation ? Application de
l'article 2246 du Code civil. Conditions que doit réunir
la citation.
L'interruption résulte de la reconnaissance de la dette.
Conséquence de l'exigence d’un acte séparé.
Peut-on, en l ’absence de cet acte, soumettre celui qui excipe de la prescription à comparaître en personne ou à
subir un interrogatoire sur faits et articles ?
Latitude laissée aux tribunaux, sur ce qui constitue l ’acte
séparé. Exemples divers.
L’acte antérieur à l’échéance des billets ou effets commer
ciaux interromprait-il la prescription.
Effets de l ’interpellation ou de la reconnaissance du débi
teur solidaire. Celle-ci doit avoir date certaine.
Effets de l ’interruption, durée du nouveau délai, suivant
q u ’il y aura eu ou non novation dans la créance.
�438
748
749.
750.
751.
DE LA LETTRE DE CHANGE
Exemples dans lesquels la novation a été e'carlée.
Q u id de l’acte notarié, conférant hypothèque pour la ga
rantie de la dette ?
Effets delà prescription. Discussion qui s’éleva sur la fa
culté de déférer le serment, nature et caractère de ce
lui-ci.
Conséquences des caractères de la prescription.
690. — Les obligations nées des titres et effets de
commerce s’éteignent de la même manière que les obli
gations purement civiles. En conséquence, les divers
modes de libération édictés par l’article \ 34 du Code
civil peuvent être invoqués contre le porteur de la lettre
de change ou du billet à ordre commercial.
Quelques-uns de ces modes, appliqués à notre ma
tière, devaient subir les modifications naissant du ca
ractère spécial du titre lui-même et des exigences com
merciales, c’est pourquoi nous avons vu le législateur
réglementer le payement, c’est pourquoi nous le voyons,
sous l’article 189, réglementer la prescription.
Son silence, à l’égard des autres, prouve qu’il s’en
est référé, pour ce qui les concerne, aux principes du
droit commun. Nous pourrions donc nous contenter de
faire appel à ces principes.
Mais la nature des titres commerciaux, la circulation
à laquelle ils sont destinés, les intérêts nombreux qui
s’y rattachent pourraient faire naître quelques difficul
tés, notamment à l’égard de la compensation, de la no
vation, de la remise de la dette, de la confusion.
�ART.
189.
439
Nous devons donc, avant d’aborder la prescription,
rappeler quelques règles de nature à éclairer ces diver
ses matières et à déterminer la consistance et la nature
des modifications dont le droit commercial peut deve
nir l’origine et la cause.
©OS. — La compensation est un véritable paye
ment s’opérant par la seule force de la loi, à l’insu mê
me des parties. Son fondement est on ne peut pas plus
rationnel. Je suis créancier et débiteur de la même per
sonne ; la créance et la dette sont également liquides et
exigibles à la même époque, ce qui arrive donc infailli
blement, c’est que, recevant d’une main, l’un de nous
payerait de l’autre. C’est cette opération que la loi tient
pour accomplie, dont elle n’a pas cru devoir prescrire
la réalisation matérielle.
En matière d’effets commerciaux, il est bien évident
que la compensation ne peut s’opérer qu’entre le débi
teur et le porteur de la lettre ou du billet, en poursui
vant le payement à l’échéance. Quelle que fût la posi
tion du premier vis-à-vis des précédents porteurs, la
négociation du titre a dépouillé ceux-ci de tous leurs
droits et les a transférés au cessionnaire, et celui-ci ne
saurait jamais être considéré comme leur ayant cause.
Mais, pour cela, il est indispensable que ce cession
naire soit un acquéreur sérieux et sincère. S’il n’était
pas de bonne foi, si, prête-nom du débiteur, il n’est in
tervenu que pour exonérer celui-ci de l’obligation de
compenser, on pourrait lui opposer la compensation, et
�440
DE LÀ LETTRE DE CHANGE
prouvée que fut la mauvaise foi, les tribunaux devraient
accueillir l’exception K
Telle serait également la conséquence forcée de l’en
dossement irrégulier ou en blanc. Cet endossement ne
conférant pas la propriété de l’effet, son bénéficiaire
n ’a jamais eu des droits personnels contre le débiteur,
et s’il agit contre lui, il ne peut le faire que comme man
dataire de l’endosseur. Donc, le débiteur, qui est en
même temps créancier de celui-ci, a été libéré de plein
droit au moyen de la compensation contre laquelle le
mandataire ne saurait protester.
Là ne s’arrête pas l’effet de cette qualité. Le porteur,
en vertu d’un endossement irrégulier n’étant pas pro
priétaire de la lettre de change ou du billet, ne peut
prétendre en compenser le montant avec une somme
qu’il doit personnellement au débiteur de l’une ou de
l’au tre2.
6 9 8 . — L’exigibilité réciproque de la créance et de
la dette est une des conditions substantielles de toute
compensation. C’est surtout en matière d’effets de com
merce qu’il importe de ne pas perdre de vue cette cir
constance. En effet, leur payement ne pouvant être ef
fectué avant l’échéance, le débiteur pourrait d’autant
moins prétendre compenser avec la créance qu’il aurait
sur le porteur actuel, qu’en négociant l’effet, celui-ci ne
sera plus créancier au moment de l’échéance.
1 Cass., 11 novembre 1813.
2 C ass, 10 septembre 1812.
�ART.
189.
U1
Le tiré lui-même peut être créancier du porteur au
nom duquel l’acceptation est requise, et dont il devient
le débiteur principal par le fait même de son accepta
tion. Mais alors même que la créance serait exigible, il
ne pourrait retenir les traites acceptées à titre de com
pensation, car la preuve qu’elles ne sont pas échues s’in
duit précisément de ce qu’elles sont présentées à l’accptation.
Cependant l’accepteur peut indirectement atteindre à
ce résultat, et se ménager une compensation future.
Nous avons déjà vu qu’il est libre d’accepter pour payer
à moi-même, et que cette clause serait un obstacle
qu’on pourrait opposer avec succès aux effets ordinai
res d’une transmission ultérieure l.
0 9 9 . — Au reste, il est bien certain que l’accepta
tion qui n’a pas encore été suivie d’effets ne saurait
devenir entre l’accepteur et le tireur un prétexte à com
pensation entre ce qui est dû au premier et le montant
de l’acceptation. Celle-ci, en effet, n’est qu’une obliga
tion, qu’une promesse de payement. Comment donc li
bérer l’accepteur d’une dette certaine et positive, sur la
foi de celte promesse uniquement ? Si à l’échéance il
ne peut ou ne veut faire face à son acceptation, il
n’aura jamais été créancier, et la compensation n’au
rait jamais eu de base légale.
C’est dans cette conviction que la Cour suprême déi Supra, n° 230
�'
442
DE LA LETTHE DE CHANGE
cidait, le 20 décembre 1837, que des traites acceptées
ne deviennent, entre les mains de l’accepteur, des titres
de créances susceptibles d’être admis en compensation
avec les créances liquides du tireur, qu’autant que l’ac
cepteur les a payées en l’acquit de celui-ci ; qu’en con
séquence, le tireur peut, tant que la preuve du paye
ment des traites n’est pas faite par l’accepteur, exiger
contre lui le montant de ses créances liquides, alors
surtout qu’il offre caution pour le cas où les porteurs
viendraient à inquiéter l’accepteur l.
Remarquons que dans cette hypothèse les traites ac
ceptées étaient échues sans qu’on les eût présentées. Il
est évident, en effet, que si ces traites n’étaient pas ve
nues à échéance, la dette de l’accepteur en faveur du
tireur en constituerait la provision, dont le premier ne
pourrait être forcé de se dessaisir. Mais le défaut de
présentation à échéance suppose que le porteur a été
désintéressé sans le concours de l’accepteur. Donc, tout
ce que ce dernier peut exiger, c’est qu’on le garantisse
contre l’événement d’une recherche postérieure. L’offre
d’une caution, dans ce but, le désintéresse donc com
plètement.
tfOO. — L’intérêt d’une compensation entre la cré
ance et la dette atteint la plus haute importance, en cas
de faillite du porteur de la lettre de change ou du billet
à ordre, dont les tireurs ou souscripteurs sont créan1 J. du P ., 4, 1838, 36.
�ART.
189.
445
ciers d’autre part. La compensation, en effet, éteindrait
jusqu’à concurrence la créance et la dette. A défaut, le
tireur ou souscripteur payera le montant intégral de
l’effet, et ne prendra pour sa créance qu’un dividende
plus ou moins important.
L’intérêt est donc incontestable, mais les principes
ne changent pas. La compensation n’est possible que si
la créance et la dette étaient échues avant la faillite.
Vainement, le débiteur du failli dont la créance n’é
tait pas échue, exciperait-il de l’article 444 du Code de
commerce, rendant les dettes du failli exigibles. Cat ar
ticle, en effet, n’admet l’exigibilité qu’en ce qui con
cerne le failli qu’il prive du bénéfice du terme, on ne
saurait donc en exciper pour diminuer l’actif au préju
dice de la masse, et pour' briser celte égalité absolue
que la loi impose à tous les créanciers.
D’ailleurs, en admettant même contre la masse une
exigibilité absolue, la compensation ne saurait être ad
missible. En effet, la faillite qui ferait naître cette condi
tion de toute compensation, en enlèverait une autre non
moins essentielle, à savoir : la liquidité de la créance.
En effet, les droits du créancier, nous venons de le
dire, se réduisent au dividende que la liquidation of
frira. On ne pourrait donc compenser que jusqu’à
concurrence de ce dividende, et comment le connaître
à l’origine de la faillite ?
Ainsi donc, en supposant que la compensation fût
proposable sous le rapport de l’exigibilité, elle ne pour-
�444
DE LA LETTRE DE CHANGE
rait être accueillie, la créance et la dette n’étant plus ni
certaines, ni liquides l.
¥© 1. — La novation a pour objet, entre autres, de
substituer une nouvelle dette à l’ancienne qui se trouve
par cela même éteinte. Sous ce rapport, son existence
est d’un grave intérêt, non pas seulement en ce qui
concerne la libération des codébiteurs, mais encore au
point de vue de la prescription. Evidemment, si la dette
substituée n’offrait plus le caractère commercial dont la
première était revêtue, la seule prescription proposable
et admissible serait celle de trente ans.
Le fondement rationnel de la novation repose sur
cette considération, à savoir : que le créancier, en ac
ceptant le renouvellement du titre, de la part d’un seul
de ses débiteurs, lui a exclusivement fait confiance, s’est
contenté de sa garantie et a conséquemment renoncé à
tous droits contre les autres. Aussi, l’article 4273 du
Code civil nous dit-il que la novation ne se présume
pas, que la volonté de l’opérer doit résulter clairement
de l’acte lui-même.
3© ». — En matière commerciale, il est des actes
qui présentent ce caractère et qui dès lors constituent la
novation.
Dans cette catégorie, l’ordonnance de 1673 avait
i Cass., 12 février 1823. Notre Commentaire des faillites, n°s 370 et
suiv.
�ART.
189.
448
placé l’acceptation d’un payement partiel par le por
teur de la lettre de change ou du billet à ordre. 11 était
présumé avoir ainsi fait novation à la dette, et avoir
pris désormais le payement du solde à ses risques et
périls personnels.
L’article 156 du Code de commerce a condamné cette
doctrine dangereuse pour ceux mêmes qu’elle entendait
protéger. L’acceptation d’un payement partiel est dans
l ’intérêt évident de tous les signataires de l’effet commer
cial. Il ne saurait donc devenir, pour aucun d’eux, une
cause de libération, à une condition cependant, c’est
que le porteur fera protester pour le surplus.
L’inobservation de cette condition constitue, à vrai
dire, une véritable novation. Elle en produit tous les
effets, non seulement en faveur des endosseurs, mais
encore et éventuellement au profit du tireur ou du
souscripteur du billlet à domicile, si l’un et l’autre
prouvent que provision était faite à l’échéance pour la
totalité de la dette.
Ï 0 3 . — 11 suit de là que la déchéance édictée par
l’article 168 puise sa raison d’être dans la novation. Le
porteur qui n’a pas requis le protêt, ou qui ne l’a pas
notifié avec assignation dans la quinzaine, a fait du ti
tre son affaire propre et personnelle, s’est contenté, à ses
risques et périls, de la garantie de l’accepteur, ou du
tireur ou souscripteur. Cette conséquence s’induisant de
la seule inaction du porteur, résulterait à bien plus
�M 6
DE LA LETTRE DE CHANGE
forte raison du traité intervenu avec l’un d’eux, et dont
cette inaction ne serait que la conséquence.
9© 4L. — Aussi les effets d'un traité de cette nature
ne pourraient jamais comporter aucune difficulté sé
rieuse. La contestation ne peut se concevoir qu’à l’é
gard de l’existence réelle du traité. L’intérêt que cette
existence peut avoir pour les endosseurs et autres cau
tions peut facilement faire présumer qu’ils voudront la
faire résulter de telles ou telles circonstances.
On a notamment prétendu l’induire de ce que, après
le protêt, le porteur de l’effet en a passé le montant au
débit du tireur. Cette prétention, en ce qui concerne les
endosseurs, ne saurait créer de graves difficultés. En
effet, si la passation au compte du tireur a eu pour ré
sultat le défaut de diligence dans le délai prescrit, les
endosseurs sont définitivement libérés ; si, au contraire,
le porteur, tout en débitant le tireur, a exercé son re
cours utilement, on ne voit pas comment les endosseurs
pourraient justifier la novation dont ils exciperaient. Il
faut le reconnaître néanmoins, il y a quelque chose de
contradictoire entre le payement que se fa it. le porteur
par le crédit de son compte, et la poursuite de ce même
payement contre d’autres personnes.
Au reste, comme toutes les appréciations de fait, celleci est laissée à l’arbitrage souverain du juge.
9 0 5 . — L’accepteur est placé dans une position
�art ,
189.
447
différente, il est débiteur alors même qu’il aurait accepté
à découvert. Cependant, ne peut-il pas raisonnable
ment prétendre que le porteur, ayant traité avec le ti
reur, a par cela même reconnu que l’acceptation avait
été donnée sans provision, et qu’il a dès lors libéré
l’accepteur ?
Telle était la question qui s’offrait à la cour de Bruxel
les. L’accepteur d’une lettre de change proteslée faute
de payement était poursuivi par le porteur après la fail
lite du tireur. Il opposait la novation. La substitution
d’un nouveau débiteur, disait-il, peut s’opérer à l’insu
du premier; elle est acquise dès que le porteur a ac
cepté le tireur pour débiteur unique ; dans l’espèce,
cette acceptation résulte non seulement de la passation
au débit de celui-ci du montant de la lettre de change,
mais encore de la lettre missive annonçant celte opéra
tion. Ce système fut consacré par le tribunal.
Mais, sur l’appel, la cour de Bruxelles réforme :
Attendu que la novation ne se présume pas, mais qu’elle
doit résulter clairement de l’acte ; attendu que si, dans
l’espèce, on pouvait s’en rapporter à des présomptions,
elles seraient toutes contraires à l’intimé , puisque, par
la novation prétendue faite avec le tireur, l’appelant au
rait consenti à perdre son recours contre les endosseurs
de l’effet dont il agit, qui n’avaient aucune exception à
lui opposer du chef de l’accepteur, pour s’en tenir à
une simple action résultant d’un compte courant, telle
ment que la demande en payement dudit effet devînt
susceptible de plusieurs exceptions qui, sans cette pré-
�448
DE U
LETTRE DE CHANGE.
tendue novation, n’auraient pu être opposées à une
dette claire et liquide i.
« 0 6 . — Comme appréciation consciencieuse, cet
arrêt pourrait échapper à toute critique. Il faut en con
venir, cependant, ses motifs sont quelque peu singu
liers. Sans doute, la novation ne se présume pas, la
loi veut que l’intention de l’opérer résulte clairement de
l’acte.
Cette intention pouvait-elle être douteuse dans l’es
pèce ? Evidemment non à l’égard des endosseurs contre
lesquels aucun recours n’avait été exercé, et qui se trou
vaient si complètement libérés, qu’aucune poursuite n’é
tait dirigée contre eux.
Le porteur avait donc innové quant à eux, et cette
novation faisait et devait faire présumer qu’il avait
voulu en faire autant pour l’accepteur, n’ayant d’ailleurs
reçu aucune provision.
Ce qui confirmait cette présomption, c’est que loin
de le poursuivre, le porteur avait dénaturé sa créance,
lui avait enlevé toute liquidité, toute exigibilité même.
En effet, jeter une lettre de change dans un compte
courant, c’est lui faire perdre son caractère, consentir
un nouveau crédit soumis aux éventualités du compte,
à la compensation réciproque entre les divers articles
appelés à y figurer jusqu’à règlement définitif.
Ce n’est d’ailleurs qu’au moment de ce règlement
i 18 juillet 1810,
\
�ART.
189.
449
qu’il y aura une créance et une dette. Jusque-là il n’y
a que des prêts partiels sans aucune limitation d’épo
que de remboursement, et soumis aux règles d’imputa
tion et de compensation prescrites en matière civile l.
Ajoutons qu’en cette matière les principes concernant
l’imputation légale ne reçoivent pas d’application. Ainsi,
le compte courant est indivisible, on ne peut en extraire
aucuns articles, soit pour en demander séparément le
payement actuel, soit pour les soustraire à l’imputation
qu’on prétendrait aussi faire porter exclusivement sur
d’autres articles2.
Enfin la lettre de change jetée en compte courant ne
se trouve plus régie par l’article 189. Il n’y a plus pour
la libération du souscripteur d’autre prescription que
celle applicable au solde du compte, c’est-à-dire celle de
trente a n s 3.
Comment donc ne pas voir l’intention d’innover et de
se contenter de la garantie du tireur chez le porteur
qui, non content d’avoir encouru la déchéance à l’égard
des endosseurs, non seulement ne réclame rien de l’ac
cepteur, mais encore débite le compte du tireur du mon
tant de ce qui lui est dû ? Comment surtout, lorsque,
par !a faillite de celui-ci, il s’aperçoit qu’il a mal placé
sa confiance, lui permettre de retirer de son compte
l’article qu’il y avait passé, de faire revivre un titre
1 Cass.. 3 avril 1839. J. du P., 1, 1839, 867.
2 Bordeaux, 8 avril 1842. J . du P , 1, 1844, 27.
3 Cass, 20 décembre 1842. J . du P., 1, 1843, 114
n — 29
�450
DE LA LETTRE DE CHANGE
éteint, et de revenir contre l’accepteur, alors surtout que
celui-ci n’ayant jamais reçu provision, n’a jamais rien
dû en réalité ?
Les motifs de l’arrêt de Bruxelles sont loin de répon
dre aux considérations que nous venons d’exposer.
Aussi, n’hésitons-nous pas à admettre que débiter le ti
reur en compte courant du montant de l’effet commer
cial protesté, c’est innover en fait et en droit, non seu
lement à l’égard des endosseurs, mais encore vis-à-vis
de l’accepteur et des autres cautions. Les uns et les au
tres, demeurés complètement étrangers au titre nouveau
que s’est créé le créancier, sont définitivement libérés
des effets de l’ancien.
SO5f. — L’acceptation d’un nouveau titre signé par
les endosseurs constituerait-elle une novation en faveur
du débiteur principal, tireur, accepteur ou souscrip
teur ?
La négative résulte d’abord de ce que le porteur au
rait retenu l’ancien titre, ce qui ne peut s’expliquer que
par l’intention de l’utiliser en cas de besoin. Elle résulte
encore de ce que, à cette première présomption du dé
faut d’intention d’innover, s’en joint une autre plus dé
cisive encore. Comment, en effet, supposer une inten
tion de ce genre chez celui-ci, qui n ’a pas même con
senti à sacrifier son action contre les garants.
C’est donc à bon droit que la cour de Lyon jugeait,
le 21 février 1840, que le porteur d’un billet à ordre
non payé à l’échéance et protesté n’opère pas, en accep-
�ART.
189.
451
tant un autre billet des endosseurs, novation de la cré
ance à l’égard des souscripteurs restés étrangers à la
création du nouveau billet.
Ce billet, dit l’arrêt, n’a été évidemment accepté que
dans l’intérêt des endosseurs, débiteurs solidaires du bil
let primitif, et afin de leur laisser des facilités pour ef
fectuer leur libération ; mais, en l’acceptant, le créan
cier n’entendait pas du tout éteindre sa créance envers
les souscripteurs, puisque, au contraire, c’étaient là des
titres de créance qui ne cessaient pas de demeurer en
tre ses m ains l.
SOS. — l a remise de la dette n’a pas besoin d’être
définie. Le mot seul indique ce qu’elle est et le but
qu’elle se propose.
Ce qui résulte de ce but lui-même, c’est que la remise
doit être essentiellement spontanée et volontaire. Ce
double caractère peut seul résoudre les difficultés que la
faillite d’un ou de plusieurs des signataires peut soule
ver sur les effets de la remise que cette faillite peut ren
dre nécessaire.
Aucun doute ne saurait s’élever dans l’hypothèse
d’une faillite se terminant par un contrat d’union. L’ac
ceptation du dividende produit par la liquidation n’est
pas même une remise du surplus, chaque créancier con
servant tous ses droits dans l’avenir. Dans tous les cas,
l’abandon est indépendant de leur volonté. Ils ne font
�482
DE LA LETTRE DE CHANGE.
que subir la loi que leur impose l’insolvabilité de leur
débiteur.
Il en est évidemment de même pour tous ceux qui,
sans avoir signé le concordat, sont tenus de l’exécuter.
Devrait-on décider dans un autre sens à l’égard des
créanciers qui ont adhéré au traité avec le failli ?
Non, répéterons-nous, car le créancier qui concorde
ne fait également qu’obéir à une nécessité indépendante
de sa volonté. Le plus souvent même il n’agit que
parce que le refus de concorder empirerait sa position
et préjudicierait à ses garants eux-mêmes, la liquida
tion judiciaire pouvant ne pas offrir un dividende aussi
important que celui proposé par le failli l.
L’adhésion au concordat n’est donc pas la remise li
bérant les codébiteurs solidaires et les cautions. Les uns
et les autres ne sont affranchis de la poursuite du cré
ancier que jusqu’à concurrence du dividende reçu.
ÏO O . — En matière commerciale comme en matière
ordinaire, la remise volontaire de la dette n’a pas besoin
d’être expresse. Ainsi le porteur de la lettre de change
ou du billet à ordre, qui se dessaisirait de son titre et le
remettrait au débiteur, serait considéré comme ayant
renoncé à sa créance, à moins qu’il ne prouvât que ce
dessaisissement a eu lieu dans un objet déterminé et
convenu, et sous la réserve de tous ses droits.
En conséquence, le débiteur nanti du titre par lui
1 V. notre Commentaire des faillites, nos 884 et suiv.
�-3
ART.
189.
453
souscrit, acquitté ou non, se prétendrait avec juste rai
son libéré. Peu importerait qu’il convint lui-même n’a
voir pas payé sa dette, on ne saurait, en absence de
convention contraire, lui contester sa libération qu’en
justifiant ou que le titre lui a été remis par une per
sonne qui n’en avait pas la propriété, ou qu’il l’a volé
ou trouvé.
A défaut de cette justification, la remise présumée
émaner du propriétaire entraînerait la libération du dé
biteur, aux termes de l’article 4283 du Code civil, dont
l’application ne saurait faire l’objet d’un doute.
9 1 0 . — Il y a même plus. La remise résultant de
la restitution du titre est plus avantageuse, et, si l’on
peut s’exprimer ainsi, plus définitive que celle qui au
rait été expressément convenue par écrit. En effet, resté
dans cette dernière hypothèse en possession du titre, le
créancier pourrait ultérieurement le négocier, et sa
transmission entre les mains d’un tiers porteur de bonne
foi en rendrait le payement paT le débiteur inévitable,
malgré l’acte de remise.
Il est vrai que dans cette hypothèse le débiteur au
rait une action en dommages-intérêts contre le créan
cier qui aurait négocié malgré la remise. Mais où serait
l’avantage de cette action, si l’insolvabilité de ce créan
cier le mettait d’avance dans l’impossibilité de satisfaire
à une condamnation quelconque ?
Nous avons donc raison de le dire , la restitution du
m
�454
DE LA LETTRE DE CHANGE
titre au débiteur est de toutes les remises la plus éner
gique et la plus sûre.
ï l t . — L’existence de plusieurs débiteurs dans les
effets de commerce impose la nécessité de distinguer la
qualité de celui en faveur de qui la dette a été remise.
En effet, ses conséquences diffèrent essentiellement, sui
vant qu’elle a été faite au tireur, à l’accepteur, aux don
neurs d’aval, aux endosseurs.
La remise faite au tireur libère les endosseurs, les
donneurs d’aval, l’accepteur lui-même, s’il n’a pas reçu
la provision. Ce résultat nous paraît s’induire du fait
lui-même. Lorsque le porteur remet la dette au tireur,
il veut évidemment le dispenser de payer. Or, quelle se
rait en réalité la nature de cette dispense, si, se réser
vant de poursuivre l’un des codébiteurs solidaires, il le
mettait dans le cas de recourir contre le tireur et de le
contraindre au payement ?
Qui veut la fin veut les moyens. Le porteur ne peut
donc pas avoir la faculté d’annuler ainsi indirectement
le bénéfice de l’engagement qu’il a contracté, et qui est
devenu définitif par l’acceptation de la partie intéressée.
Donner et retenir ne vaut. Or, n’est-ce pas précisément
ce que ferait le porteur qui, après avoir remis la dette
au tireur, en demanderait le payement à ses cautions ?
L’honorable M. Nouguier semble professer l’opinion
contraire. Il invoque, comme ayant consacré celle-ci,
un arrêt de la Cour de cassation du 11 février 1817.
Mais cette indication du sommaire n’est pas justifiée
�par l’arrêt. D’ailleurs, l’espèce sur laquelle il a été rendu
lui enlevait, à l’égard de notre question, toute autorité
doctrinale. Il s’y agissait d’une remise par un concor
dat à la suite d’une faillite. Or, comme nous le disions
tout à l’heure, dans ce cas la remise n’est pas présu
mée volontaire.
En effet, un sieur Laganne avait souscrit des lettres
de change, successivement endossées par les sieurs Ber
trand et Yideau. Il est depuis déclaré en faillite et un
concordat lui fait remise du cinquante pour cent de sa
dette.
L’article 5 du traité contenait, en faveur des créan
ciers du failli, et chacun pour ce qui le concerne, la
réserve de tous droits et recours contre les coobligés,
soit comme tireurs , soit comme endosseurs, donneurs
d’aval, accepteurs ou à tout autre titre solidaire, n’en
tendant aucunement déroger à aucun de leurs droits et
actions, qu’ils se réservent au contraire de faire valoir
contre lesdits coobligés, jusqu’au remboursement inté
gral de leurs créances, notamment contre les sieurs Ber
trand et Yideau, sauf à ceux-ci à répéter les sommes
qu’ils seront obligés de payer contre qui et ainsi qu’ils
aviseront,
Ce concordat présenté au tribunal de commerce, ce
lui-ci en avait refusé l’homologation.
En cet état, le sieur Lassalle, porteur de traites et si
gnataire du concordat, ayant poursuivi les cédants Ber
trand et Yideau, ce dernier a excipé de la remise de la
dette faite au tireur et prétendu que cette remise l’avait
�456
DE LA LETTRE DE CHANGE.
libéré lui-même. Mais on a contesté non seulement le
caractère, mais encore le fait de la remise. Il n’en a ja
mais existé aucune, disait-on, seulement il y a eu di
vision de la dette solidaire et par conséquent applica
tion des règles prescrites pour celle-ci.
C’est ce que consacre la cour de Poitiers. L’arrêt rap
pelle d’abord les faits et conclut de l’acceptation par le
tireur de la réserve faite par l’article 5 du traité en fa
veur des endosseurs contre qui de droit pour le rem
boursement de ce qu’ils auront payé, que leur position
n’a pas été empirée.
Il ajoute : attendu que le porteur n’a fait qu’user de
l’avantage accordé, par l’article 534 du Code de com
merce, aux créanciers d’un failli qui sont porteurs d’o
bligations solidaires de participer aux dividendes jusqu’à
entier payement, et qu’aux termes des articles 1210 et
42114 du Code civil, le créancier qui reçoit sa part de
l’un des débiteurs solidaires n’en conserve pas moins
ses droits contre les autres codébiteurs. Que cela est sur
tout vrai lorsque, comme dans l’espèce, loin que sa re
mise ait eu pour objet l’extinction de la dette, le créan
cier s’est au contraire réservé de poursuivre pour le res
tant les autres codébiteurs solidaires.
La cour de Poitiers n’admet donc, ni en fait ni en
droit, l’existence de la remise, et c’est cette solution que
la Cour suprême sanctionne de son autorité.
Faut-il en conclure qu’il doit en être de même si, en
l’absence de faillite , le porteur remettait la dette pure
ment et simplement 1 Non, évidemment, car la remise
�dans ce cas porterait sur l'intégralité de la dette et ne
permettrait pas dès lors l’admission d’une division dans
la dette solidaire. La libération entière, absolue, accor
dée au débiteur principal entraînerait de plein droit celle
des endosseurs et donneurs d’aval, qui ne sont, après
tout, que des cautions.
S I S . — Nous allons plus loin encore, et nous
croyons sans hésiter que ce résultat ne saurait être chan
gé par les réserves stipulées par le porteur. Ici le fait
étant purement volontaire, la réserve ne saurait préva
loir sur son accomplissement. Il n’y avait qu’une pro
testation utile, efficace, c’était de s’abstenir de toute re
mise et de poursuivre, aux risques et périls du tireur,
les codébiteurs contre lesquels on voulait conserver ses
droits.
Vainement voudrait-on exciper de l’article 4285 du
Code civil, donnant au créancier la faculté de se réser
ver ses droits contre les codébiteurs solidaires. Cette rè
gle, applicable en matière de solidarité ordinaire entre
codébiteurs tous obligés au même titre, ne saurait être
invoquée, en matière de solidarité commerciale, entre
les endosseurs, tireurs et accepteurs. Malgré cette soli
darité, les premiers ne sont de rien tenus. Si, par suite
du refus de ces deux derniers, ils sont contraints de
payer, ils auront le droit de recourir contre eux et de
se faire rembourser, non pas une partie quelconque de
la dette, mais bien la totalité.
En réalité donc, l’accepteur, et, à défaut de provi-
�438
DE LA LETTRE DE CHANGE,
sion, le tireur, sont des débiteurs principaux eî uniques
de la lettre de change. En conséquence et aux termes
de l’article 1287, la remise de la dette qui leur est faite
décharge de plein droit les cautions, endosseurs, don
neurs d’aval ou autres. Il en serait de même de la re
mise consentie en faveur du souscripteur du billet à
ordre.
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3-13. — Quel serait, par rapport au tiré, l’effet de
la remise accordée au tireur ? La difficulté que nous
signalons, on le comprend, ne peut naître que si la
traite a été acceptée. Tant que cette formalité n ’a pas
été accomplie, le tiré ne saurait être recherché, à moins
•■
qu’il n’eùt réellement reçu provision.
Ce qui doit faire résoudre notre question, c’est la
considération que nous exposions tout à l’heure. Le por
teur remettant la dette au tireur est présumé vouloir le
dispenser du payement de la lettre de change, et renon
cer par cela même à tout ce qui, directement ou indi
rectement, s’opposerait à ce résultat. N’est-il pas évi' dent qu’une poursuite contre l’accepteur à découvert
rendrait la libération du tireur illusoire, puisque, don
nant ouverture à l’action en recours, ce dernier ne
saurait se soustraire au payement.
Donc la remise faite au tireur est ou non libératoire
pour l’accepteur, suivant que la provision existe ou
non.
Si la provision a été faite, le tireur n’est plus, en
réalité, qu’une caution. Dès lors la remise de la dette
�ART.
189.
459
en sa faveur ne libère que lui. L’accepteur, devenu le
débiteur principal, ne pourrait en exciper sans être re
poussé par l’application du deuxième paragraphe de
l’article 1287 du Code civil. Il serait d’autant plus anor
mal de le décider autrement, qu’en fait la remise de la
dette a pu n’étre que la conséquence du dépôt de la
provision et de la certitude de la retrouver entre les
mains de l’accepteur.
— Si le tiré ayant provision n’avait pas ac
cepté, pourrait-il être actionné par le porteur qui aurait
remis la dette au tireur ? L’affirmative serait difficile à
justifier. Aussi ne l’admettons-nous que si, en remettant
la dette, le porteur s’était fait expressément subroger
aux droits du tireur contre le tiré, à l’occasion de la
provision.
Si celle-ci n’avait pas été réalisée, la remise de la
dette en faveur du tireur libérerait le tiré, alors même
qu’il aurait accepté. Ainsi que nous l’avons déjà observé,
l’opinion contraire annulerait le bénéfice de la remise,
nonobstant laquelle le tireur serait tenu de payer le
montant de son obligation.
315. — C’est par la même distinction qu’on doit
régler les effets de la remise en faveur de l’accepteur.
Cette remise qui, dans tous les cas, libère les endos
seurs, produirait incontestablement le même résultat en
faveur du tireur et des autres cautions, si la provision
existait aux mains de l’accepteur.
�460
DE U
LETTRE DE CHANGE
Dans cette hypothèse, à qui appartiendrait la provi
sion ? L’accepteur à qui la dette a été remise pourraitil, se l’appliquant personnellement, refuser de la resti
tuer ?
Pothier se prononçait pour la négative. Dans ce cas,
enseigne-t-il, l’accepteur ne pouvant être censé avoir
payé aucune chose pour l’acquittement, ne saurait non
plus rien passer en mise au tireur son mandant.
Mais, répond avec raison M. Pardessus, une remise
est un don ; l’intention de gratifier, même sans motifs
rémunératoires, en est la cause légitime. Or, ce serait
en faire une application contraire à l’intention du dona
teur que d’en laisser profiter un étranger dont le sort
ne change point ; puisque, si la remise n’avait pas été
faite par le propriétaire de la lettre, la provision était
nécessairement affectée à ce payementl.
Se ferait-on le moindre doute si, par exemple, le
porteur, après avoir exigé le payement réel, restituait à
l’accepteur les espèces ou les valeurs que celui-ci lui a
remises ? Or, cette opération est celle que la remise réa
lise, mais d'une manière fictive et sans la matérialité
de la double numération des espèces. Comment donc
l’accepteur, qui en recueillerait exclusivement le béné
fice dans la première hypothèse, serait-il empêché de le
faire dans la seconde ? il ne"pourrait en être ainsi que
si, en remettant la dette, le créancier s’était formelle
ment expliqué.
i Traité des lettres de change, n° 71
�ART.
I
189.
461
S l « . — Si le tiré avait accepté à découvert, la re
mise de la dette qui lui serait faite ne lui conférerait pas
le droit de forcer le tireur à le rembourser. On devrait
dire alors avec Pothier que, n’ayant rien déboursé, il
ne pourrait rien porter au compte du tireur. D’ailleurs,
la forme donnée à la remise, pouvant être celle d’un
payement, pourrait déterminer et autoriser le recours
contre le tireur.
Dans la même hypothèse d’une acceptation à découvert, le porteur pourrait-il, après avoir remis la dette à
l’accepteur, recourir contre le tireur ? L’affirmative ne
saurait souffrir aucun doute. Mais, dans cette hypo
thèse, le porteur n’aurait pas plus de droit que n’en
aurait eu l’accepteur lui-même. Ainsi, le tireur serait
recevable à soutenir et à prouver qu’il avait réellement
fait provision. Cette preuve faite, il serait à l’abri de
toute action.
WIS. — Les donneurs d’aval sont les débiteurs
principaux vis-à-vis des endosseurs. Us ne sont que
simples cautions pour ceux pour lesquels ils se sont en
gagés.
De là cette conséquence : la remise de la dette faite
au donneur d’aval libère les endosseurs. En effet, si on
les contraignait à payer, ceux-ci auraient contre lui
leur recours de droit. Elle ne libérerait pas ceux que le
donneur d’aval a cautionnés, et cela par application
du deuxième paragraphe de l’article 1187 du Code
civil.
�462
DE LA LETTRE DE CHANGE
5 1 8 . — Enfin la remise accordée à un endosseur
libérerait tous les endosseurs dont la signature a suivi
celle de celui à qui la remise est faite. Quant aux en
dosseurs le précédant, leur position ne change nullement
par l’effet de la remise. Ils n’en seraient pas moins te
nus de rembourser le porteur, sauf à chacun d’eux son
recours contre son cédant.
51® . — Le fondement juridique de l’effet que pro
duit la confusion repose sur cette vérité incontestable,
que nul ne peut être son propre créancier ou son propre
débiteur. Dès lors cette double qualité disparaît et s’ef
face du moment qu’elle se réunit sur une seule et même
tête. Telle est la décision expresse de l’article 1300 du
Code civil.
Il en est de la confusion comme de la remise de la
dette. Les effets sont différents, suivant la qualité de ce
lui sur la tête de qui elle s’opère.
Ainsi, si cette tête est celle du débiteur principal, la
confusion libère toutes les cautions.
Celle qui s’opère dans la personne de la caution n’en
traîne point l’extinction de l’obligation du débiteur prin
cipal.
On devra donc distinguer en matière de lettres de
change entre le tireur, l’accepteur, les endosseurs, les
donneurs d’aval. L’effet de la confusion se régira, sui
vant le cas, par les règles que nous venons de rappeler
à l’occasion de la remise de la dette.
�ART.
189.
465
$3© . — Le personnel obligé de la lettre de change
devient pour la confusion un aliment qui la rend plus
facile et qui en multiplie les occasions. Ainsi, par le ré
sultat des négociations qu’elle est appelée à subir, la
lettre de change peut, avant son échéance, arriver en
tre les mains du tiré, du tireur lui-même.
Pour ce dernier, l’acquisition de son obligation per
sonnelle ne peut être considérée que comme un paye
ment anticipé. Le titre est donc réellement éteint, et sa
négociation ultérieure ne saurait faire revivre aucun des
engagements qui étaient venus se grouper autour des
obligations principales.
Ainsi, endosseurs, donneurs d’aval seraient définiti
vement libérés par la confusion. L’accepteur le serait
lui-même s’il n’avait pas reçu la provision. Dans le cas
contraire, il pourrait sans doute être actionné par le ti
reur qui, ayant payé lui-même la lettre de change, se
rait recevable et fondé à se faire restituer une provision
devenue sans objet.
La négociation de la lettre de change à l’ordre du
tiré n ’opèrerait pas la confusion. Il existerait dans ce
cas une créance, mais il n’y aurait aucune dette. Ce
n’est qu’en acceptant que le tireur se constitue débiteur.
En conséquence, tant que cette condition ne s’est pas
réalisée, la confusion manque d ’un de ses éléments es
sentiels. Aucun obstacle ne s’oppose donc à une négo
ciation ultérieure par le tiré.
Mais si au moment où la lettre de change arrive à sa
possession, le tiré avait déjà accepté, ou s’il l’accepte
�464
DE LA LETTRE DE CHANGE
pendant qu’il l’a en main, la lettre est censée payée.
Elle a produit out son effet. Il y a cumul sur une tête
unique des qualités de débiteur et de créancier, et par
conséquent extinction légale de la créance et de la dette,
par la seule force de la confusion.
Ce qui en résulte, c’est que les endosseurs se trouvent
par cela même définitivement libérés, alors même que
l’acceptation serait donnée à découvert. La négociation
ultérieure que l’accepteur ferait ne pouvant faire revi
vre leur engagement, ne conférerait aucun droit contre
eux.
Le même résultat serait acquis en faveur du tireur
originaire, sauf l’action en remboursement dont il res
terait passible, si l’acceptation avait été réalisée sans
qu’aucune provision eût été fournie l.
’SSJL. — L’admissibilité de la prescription à l’égard
des effets de commerce pouvait soulever quelques dou
tes. Ce moyen d’extinction des obligations pouvait-il,
raisonnablement, s’appliquer à une matière exclusive
ment régie par les principes de l'équité et de la bonne
foi ? Etait-il utile, était-il convenable de le consacrer ?
Sans doute il peut paraître rigoureux d’accorder au
temps la faculté d’éteindre un droit aussi certain que lé
gitime ; mais, comme l’enseigne très judicieusement
M. Troplong, la prescription n’est pas l’ouvrage de la
seule puissance du temps ; elle prend sa base dans le
i Supra, n°198.
�ART.
189.
465
fait de l’homme, dans la possession de celui qui ac
quiert, et dans une présomption de renonciation chez
celui qui néglige son droit.
Sous ce dernier rapport, il faut le reconnaître, la
prescription devait d’autant mieux être admise, que les
usages, les règles, les besoins du commerce ne permet
tent pas d’admettre cette négligence prolongée. Il est,
en effet, fort invraisemblable que le commerçant n’exige
pas à l’échéance ce qui lui est dû, ce dont il a peut-être
déjà disposé éventuellement. On ne pouvait surtout sup
poser que l’oubli de toute diligence au moment de l’é
chéance dût se prolonger plus ou moins longtemps après
cette époque.
Si cette considération est vraie pour le commerce en
général, ne faut-il pas lui reconnaître une importance
bien plus décisive en matière d’effets de commerce, let
tres de change ou billets à ordre ? En pareille matière,
disait Jousse, les payements doivent être sommaires, et
tout doit être bref et terminé en peu de temps.
Ajoutons que l’intérêt public venait ici prescrire une
solution conforme. Que deviendrait le commerce, si pen
dant trente ans on pouvait ruiner une maison en exi
geant subitement le payement de lettres de change ou de
billets à ordre dont on pourrait avoir même ignoré
l’existence ?
La conclusion à tirer de ces considérations était donc,
non seulement la consécration d’une prescription com
merciale en principe, mais encore une réduction nota
ble dans le temps nécessaire pour la prescription ordin — 30
�466
DE LA LETTRE DE CHANGE.
naire. La nécessité de cette conclusion unanimement
admise, les auteurs du Code adoptèrent pour la première
la période de cinq ans, déjà consacrée par l’ordonnance
de 1673.
*222. — Mais une différence notable entre celle-ci
et notre législation actuelle, c’est que, sous l’empire de
la première, la prescription de cinq ans ne régissait que
les lettres et les billets de change. Au témoignage de
Jousse, les termes de l’ordonnance étaient limitatifs et
restrictifs. En conséquence, l’action relative aux billets
à ordre, quelque commerciales qu’en fussent l’origine
et la cause, ne se prescrivait que par trente ans l.
Le Code commerce a entendu déroger à cette juris
prudence. Comme les lettres de change elles-mêmes, les
billets à ordre souscrits par des négociants, marchands
ou banquiers, ou pour faits de commerce, se prescrivent
par cinq ans.
Au demeurant, l’article 189 n’est pas moins limitatif
et restrictif que ne l’était l’ordonnance. Ainsi la pres
cription quinquennale étant une exception, ne saurait
être invoquée que dans l’hypothèse expressément pré
vue, c’est-à-dire qu’en la forme le titre doit être un bil
let à ordre ; qu’il doit être souscrit par un commerçant
et à défaut qu’il doit avoir été créé pour une opération
de commerce.
Il importerait donc peu qu’un simple billet eût été
l Jousse, sur l’art,
tit, v.
�art.
189.
467
souscrit par des commerçants ; qu’il eût pour cause un
fait de commerce. Il n’est pas un titre commercial en
la forme, et c’est à celle-ci que s’arrête exclusivement
l’article 189. Ce qui le prouve, ce sont d’abord les ter
mes si précis qu’il renferme ; c’est ensuite le rejet de la
proposition formulée par plusieurs tribunaux d’appli
quer la prescription de cinq ans à toutes les opérations
commerciales.
'923. — De ce caractère de l’article 189, il résulte
que les seuls billets à ordre régis par sa disposition sont
ceux souscrits par des commerçants ou pour un acte de
commerce. A cette condition, il importerait peu que le
billet eût successivement passé entre les mains de non
commerçants. Même à l’égard de ceux-ci, la prescrip
tion de cinq ans aurait fait disparaître toute obligation.
Par contre, si le billet à ordre a été souscrit par un
non commerçant ; s’il n’a pas pour cause un fait de
commerce, l’action en résultant ne se prescrit que par
trente ans, même vis-à-vis des commerçants qui ont
pu en devenir les porteurs successifs. Il en serait incon
testablement de même si, par la violation des prescrip
tions de l’article 188, le billet à ordre dégénérait en
simple promesse.
■*
®34. — La lettre de change, constituant par elle
seule un acte commercial, est régie, sans condition au
cune, par l’article 189. Quelle que soit dès lors la qua-
�468
DE LA LETTRE DE CHANGE.
lité du souscripteur, pour quelque cause qu’elle ait été
créée, elle se prescrit par cinq ans.
La jurisprudence n’a jamais hésité à consacrer cette
conséquence. Il a donc été jugé que les droits et actions
que l’Etat est dans l’usage de se réserver contre les ad
judicataires des coupes de bois, en acceptant d’eux des
lettres de change, ne se transmettent pas par l’effet du
simple endossement aux personnes à qui les lettres sont
négociées ; que le porteur qui est resté plus de cinq
ans sans faire des poursuites contre les endosseurs ne
peut prétendre qu’en vertu des clauses particulières du
cahier des charges, il a le droit, comme étant à la place
de l’Etat, de recourir contre la caution de l’adjudica
taire pendant trente ans 1 ;
Que l’article 189 s’applique aux lettres de change que
l’adjudicataire d’une coupe de bois de l’Etat a souscri
tes à l’ordre du receveur général du département, con
formément au cahier des charges, sans qu’il y ait lieu
d’examiner s’il y a ou non novation dans la dette de
l’adjudicataire, ou si au contraire l’obligation antérieure
résultant de son adjudication subsiste toujours avec son
caractère primitif sous une forme nouvelle3.
Enfin, que les lettres de change souscrites par l’ac
quéreur d’un immeuble, au profit du vendeur, en paye
ment du prix, sont, au moins entre l’endosseur et le
tiers porteur, prescriptibles par cinq ans ; que si dès
1 Cass., 8 novembre 1825.
2 Cass., 15 décembre 1829.
�lors, en recevant des lettres de change en payement de
son prix, le vendeur a donné quittance, l’expiration du
délai de cinq ans, sans poursuites de la part du tiers
porteur, oblige le vendeur à donner main levée à l’ac
quéreur de l’inscription hypothécaire prise sur l’immeu
ble vendu, par suite du remboursement desdites lettres
de changex.
Ainsi, toutes les fois qu’une action fondée sur une
lettre de change a pour objet d’en faire ordonner l’exé
cution, la prescription de cinq ans peut être invoquée
et doit être accueillie, mais il en serait autrement si
l’action intentée n’était elle-même qu’une conséquence
de l’exécution donnée à la lettre de change.
9 9 5 . — Nous remarquions tout à l’heure que l’ac
cepteur à découvert, qui a payé à l’échéance sans avoir
reçu provision, était fondé à exiger du tireur le rem
boursement intégral de tout ce qu’il a avancé. Dans ce
cas, la lettre de change est bien l’occasion de l’action,
mais ce n’est pas comme créancier de celle-ci que l’ac
cepteur agit et peut agir. Son droit git exclusivement
dans le crédit qu’il a consenti en payant, dès lors la
prescription quinquennale ne saurait lui être opposée2.
Nous signalerons, comme application de cette règle,
un arrêt de la cour de Toulouse, jugeant que la pres1 Cass., 15 mai 1839. J. du P., 2, 1839, 257.
2 Aix, 19 juillet 1820. Conf., Savary, Parère 72. Pothier, Change
199 et 200. Pardessus, Contrat de change, 330.
�470
DE LA LETTRE DE CHANGE
cription de cinq ans ne peut être opposée au cohéritier
qui, ayant acquitté, comme negotiorum gestor, à la dé
charge de la succession, des lettres de change souscrites
par le défunt au profit d’un tiers, en réclame le rem
boursement de ses cohéritiers l.
Et un autre arrêt par lequel la cour de Rouen décide
que l’article 189 est inapplicable à l’action relative au
solde du compte courant, malgré que ce compte repose
sur des lettres de change ou des billets à ordre2.
®£5 bis. — Notre doctrine relativement à l’inappli
cabilité de l’article 189 à l’accepteur qui a payé sans
avoir provision, a été condamnée par la cour de Mont
pellier. Un arrêt rendu par elle le 21 janvier 1839 dé
cide en effet que la disposition de l’article 189 est géné
rale, absolue, et comprend toutes les actions relatives
aux lettres de change ; que, dès lors, l’action du tiré
contre le tireur en remboursement de la lettre de change
par lui payée sans provision est prescriptible par cinq
ans.
Que l’article 189 soit général, absolu et régisse tou
tes les actions relatives aux lettres de change, c’est ce
dont le texte de cet article ne permet pas de douter.
Mais qu’a entendu le législateur par l’expression relati
ves aux lettres de change ? Quelle est l’interprétation
que cette expression comporte ? Voilà ce qu’il faut re
chercher et apprécier.
1 10 juillet 1822.
2 10 novembre 1817.
�ART.
189.
471
Voici celle que la cour d’Aix adoptait dans son arrêt
du 19 juillet 1820 :
« Considérant que l’article 189 n’est relatif qu’à l’ac
tion exercée contre celui qui est directement obligé au
payement d’une lettre de change, ce que démontrent les
expressions dont le législateur s’est servi en disant :
A compter du jour du protêt ou des dernières poursui
tes juridiques, ce qui suppose que la lettre de change
existe encore ; que par conséquent la disposition dont
s’agit est inapplicable au cas où la lettre de change est
éteinte par le payement qu’en a fait l’accepteur, et s’est
convertie entre les mains de ce dernier en une simple
action en remboursement de ce qu’il a payé pour le
compte du tireur ; que la prescription de l’article 189,
étant une exception de rigueur au droit commun, doit
être restreinte au cas pour lequel elle a été spécialement
édictée. »
Voici maintenant les motifs sur lesquels la cour de
Montpellier étayait l’interprétation contraire :
« Attendu que l’article 189 du Code de commerce est
général et absolu et embrasse dans ses dispositions tou
tes les actions relatives aux lettres de change ; qu’on ne
peut méconnaître que l’action du tiré contre le tireur,
en remboursement du montant de la lettre de change
payée sans provision, ne soit naturellement et nécessai
rement relative à la lettre de change ;
« Qu’il n’y a aucun motif de ne pas soumettre le tiré
qui a payé à découvert à agir dans les cinq ans ; qu’en
matière de prescription d’un engagement, c’est au titre
�472
DE LA LETTRE DE CHANGE,
d’où l’engagement dérive qu’il faut surtout regarder ;
qu’ici l’engagement du tireur dérive de la lettre de
change ; que le mandat en résultant pour le tiré est un
mandat essentiellement commercial ; qu’il doit donc
être réglé par les règles de ce mandat et nullement par
celles du droit commun sur le mandat purement civil ;
enfin qu’on ne saurait admettre que le tiré qui a payé
la lettre de change tirée sur lui puisse , pendant trente
ans, venir dire au tireur : J ’ai payé à découvert, rem boursez-moi. Qu’un pareil système, si peu en harmonie
avec la disposition qui n’oblige à conserver les livres
que pendant dix ans, tendrait à ôter toute sécurité aux
négociants qui, pendant trente ans, auraient pu fournir
des milliers de lettres de change, sur les conséquences
desquelles le payement à l’échéance et l’absence de toute
réclamation de qui que ce soit pendant cinq ans, doi
vent pleinement les rassurer l. »
Ces motifs, à notre avis, ne sont ni concluants ni ju
ridiques. Ils font complètement abstraction du texte de
l ’article 189. La conclusion qu’en tirait la cour d’Aix
nous paraît irréfragable non pas seulement par ce qui
s’induit des expressions en elles-mêmes, mais encore,
mais surtout par cette considération : pour qu’une pres
cription puisse s’accomplir, il faut qu’elle ait un point
de départ certain, déterminé. Ainsi, pour celle qui nous
occupe, l’article 189 fixe ce point de départ au jour du
protêt ou de la dernière poursuite juridique.
l
J. du P.,
1,18i2, 155.
�ART. 189.
473
Mais si, malgré qu’il n’ait pas provision, le tiré paye
à présentation, il n ’y aura évidemment ni protêt, ni
poursuite, c’est-à-dire aucun point de départ pour la
prescription. Quand finiront donc les cinq ans s’ils n’ont
jamais commencé ?
Le payement d’une lettre de change n’a jamais été ni
pu être considéré comme un acte de commerce. Consé
quemment le mandat de l’opérer ne saurait être com
mercial. Le fût-il qu’on ne saurait soumettre à la pres
cription de cinq ans l’action du mandataire en rembour
sement de ses avances.
D’ailleurs, si le tiré a exécuté un mandat, c’est cette
exécution qui devient le fondement de son droit, et l’en
gagement du .tireur dérivant du mandat qu’il a donné,
n’a pas évidemment puisé son origine dans la lettre de
change.
Mais le tiré n’est réellement mandataire du tireur
que lorsque, ayant provision, il en dispose sur l’ordre
de celui-ci. Lorsqu’il paye sans avoir cette provision, il
accueille une prière, il acquiesce à une demande de
crédit, et c’est la réalisation de ce crédit qui crée son
droit contre le tireur et l’obligation de celui-ci envers
lui. Ce droit et cette obligation dérivent si peu de la let
tre de change qu’ils ne surgissent qu’au moment où
cette lettre a cessé d’exister. On ne saurait donc les sou
mettre à la règle tracée par l’article 189.
C’est ainsi au reste que sous l’empire de l’ordonnance
de 1673 l’enseignait un homme dont la compétence en
�474
DE LA LETTRE DE CHANGE.
matière de commerce ne saurait être ni méconnue, ni
contestée, Savary, l’auteur du Parfait négociant.
Consulté sur la question de savoir si un commettant,
sa veuve ou ses héritiers peuvent objecter la prescrip
tion de cinq ans contre le commissionnaire pour le rem
boursement par lui prétendu d’une lettre de change ti
rée sur lui et par lui acquittée suivant les ordres du
commettant, il répond par la négative.
Après avoir examiné les faits particuliers à l’espèce
sur laquelle il était consulté, Savary conclut ainsi :
« Il faut observer une chose importante pour la déci
sion du différend des parties, qui est que la lettre de
change en question ne pourrait produire l’effet de la
prescription et fin de non recevoir par les cinq ans
portés par l’ordonnance, que contre celui au profit du
quel elle a été tirée par lesdits François et Martin pour
le compte de Jacques, le commettant, si elle n’avait
point été acquittée par Pierre, le commissionnaire ; si
celui, dis-je, au profit duquel la lettre est tirée, reve
nait après les cinq ans à intenter son action contre la
veuve et héritiers dudit Jacques pour les raisons ci-des
sus alléguées. Or, en l’affaire dont il s’agit, la lettre de
change en question ne doit point être considérée à l’é
gard de Pierre, le commissionnaire, pour produire l’ef
fet de la prescription et fin de non recevoir des cinq ans
portés par l’ordonnance. Mais il faut considérer simple
ment la lettre missive écrite par Jacques, le commettant,
à Pierre, son commissionnaire, par laquelle il lui
mande d’accepter et de payer la lettre de 1000 livres
�ART. 1 8 9 .
475
qui serait tirée sur lui par François et Martin pour son
compte, et qu’il lui en tiendrait compte sur les affaires
qu’ils faisaient ensemble, parce que cette lettre missive
de Jacques est le titre de Pierre, en vertu duquel il a
payé et acquitté ladite lettre pour le compte de Jacques
et non pour le compte de François et Martin, tireurs
d’icelle, et en vertu de laquelle lettre missive Pierre a
intenté son action contre ladite veuve et héritiers de
Jacques, son commettant, car la lettre de change ne
produit d’autre effet à son égard que pour justifier par
le récépissé qui est au dos d’icelle, qu’il l’a payée au
porteur d’icelle. Or, il est constant que cette lettre mis
sive de Jacques portant promesse, doit être considérée
de même qu’un billet ou une promesse sous seing-privé
de Jacques pour raison de laquelle il a trente ans pour
intenter son action contre Jacques ou contre sa veuve
et héritiers 1. »
La pratique à laquelle celte doctrine fait allusion est
encore celle que suivent aujourd’hui les commerçants.
Celui qui tire directement ou qui ordonne de tirer une
lettre de change sur un de ses correspondants, ne man
que pas de l’en aviser, de réclamer de lui un bon ac
cueil et de s’engager à lui en tenir compte. Si le cor
respondant paye, l’engagement du tireur dérive évidem
ment non de la lettre de change, mais de cette lettre
d’avis et de la promesse qu’elle renferme. C’est donc
celle-ci qui forme le titre pour le remboursement de ce
i Parère, 72.
�476
DE LÀ LETTRE DE CHANGE.
que le tiré a payé et qui ne saurait de près ni de loin
tomber sous le coup de l’article 189 du Code de com
merce.
3 3 5 ter.
_ On a été cependant plus loin encore et
l’on a prétendu régir par sa disposition l’action du tiers
qui, ayant fourni au tiré les fonds nécessaires au paye
ment de la lettre de change, poursuit celui-ci en rem
boursement, et cette prétention avait été accueillie par le
tribunal de commerce d’Evreux, devant lequel elle se
produisait.
Vainement les demandeurs en ' remboursement fai
saient-ils remarquer que leur auteur n’avait été à au
cun titre partie au contrat de change ; qu’il avait seu
lement, comme prêteur, avancé au tiré des sommes que
celui-ci avait employées au payement des lettres de
change dont il était débiteur, et que, dans cet état des
choses, leur recours reposait sur une créance ordinaire,
à laquelle ne s’appliquait pas la prescription spéciale
établie seulement contre les actions résultant du contrat
de change. Le jugement rendu le 12 septembre 1861
n ’en admet pas moins cette prescription.
« Attendu que les demandeurs réclament le payement
de 765 fr., montant en principal de deux lettres de
change tirées sur le sieur Lebon, qu’ils prétendent avoir
été payées par leur auteur en l’acquit de celui-ci ;
« Attendu que le défendeur oppose la prescription ;
qu’en effet, aux termes de l’article 189 du Code de
commerce les actions relatives aux lettres de change
�ART,
189.
477
et aux billets à ordre se prescrivent par cinq ans.
« Attendu que les demandeurs comme leur auteur ne
peuvent avoir plus de droits que le tireur ou les endos
seurs des lettres de change. »
Nous n’avons pas à insister sur l’énormité de l’exten
sion que ce jugement donnait à l’article 189, ce qu’il
était facile de prévoir, c’est qu’il ne résisterait pas à
l’examen de la Cour de cassation.
En effet, il était cassé sur le pourvoi dont il avait été
l’objet par arrêt du 8 juillet 1863, dont voici les mo
tifs :
« Attendu que la prescription édictée par l’article 189
du Code de commerce ne s’applique qu’aux actions re
latives à des lettres de change et procédant des relations
qui ont existé entre ceux qui y ont concouru ;
« Attendu qu’aux termes de la demande et des diver
ses conclusions qui l’ont suivie, la somme réclamée par
les demandeurs en cassation a été avancée par Lemaine,
leur auteur, pour solder deux lettres de change échues,
mais non protestées, qui avaient été tirées sur le défen
deur Lebon, et dont, comme huissier, le même Le
maine était chargé d’opérer le recouvrement ; que dans
ces circonstances le payement de ces deux lettres de
change, auxquelles d’ailleurs Lemoine était resté étran
ger, doit être considéré comme ayant été fait à la dé
charge du tiré, non par un payeur intervenant, mais
par un gérant d’affaires ; que dès lors l’action qui en
résulte procède, non du contrat de change, mais tout à
la fois du contrat de prêt et d’un quasi-contrat de man-
�478
DE LA LETTRE DE CHANGE.
dat, et qu’elle ne peut se prescrire, aux termes de l’ar
ticle 2121621 du Code civil, que par le laps de trente an
nées »
La différence entre ces deux hypothèses consiste en
ce que dans l’une c’est au tiré que le prêt a été fait,
que ce sont ses affaires qu’on a géré, tandis que dans
l’autre c’est le tiré qui a prêté au tireur et s’est ainsi
constitué son gérant d’affaires. Le résultat, au point de
vue de l’applicabilité de l’article 189, ne saurait diffé
rer, puisque dans l’un comme dans l’autre cas, l’ac
tion en remboursement procède non du contrat de
change, mais tout à la fois du contrat de prêt et d’un
quasi-contrat de mandat.
Il importe peu que le réclamant produise les lettres
de change restées en ses mains. Cette production ne
saurait modifier le caractère de l’action, elle n’a pour
objet que d’établir le bien fondé de la réclamation, d’en
justifier la légitimité, et, ainsi que le disait Savary, de
prouver par l’acquit dont elles sont revêtues, qu’il les a
réellement payées.
En résumé, nous croyons que l’article 189 ne vise
que les actions du porteur soit contre le tireur, soit
contre les endosseurs et les donneurs d’aval ; et celles
que les endosseurs peuvent avoir à exercer soit entre
eux, soit contre le tireur et les donneurs d’aval. Ces ac
tions sont seules relatives aux lettres de change, car el
les s’induisent de la part que tous demandeurs et dél J. du P ., 4864, 87.
�art.
189.
479
fendeurs ont pris à l’émission de la lettre de change et
de leur coopération au contrat de change. Mais la lettre
de change ne peut survivre à son payement, et toutes
les actions que ce payement peut faire naître entre celui
qui l’a effectué et celui qui devait l’effectuer ne partici
pent pas, ne peuvent pas participer au caractère exigé
par l’article 489. Comment seraient-elles relatives à la
lettre de change puisqu’elles ne naissent qu’au moment
et que du fait de son extinction.
7126. — La lettre de change n’étant soumise à la
prescription de cinq ans qu’à raison de sa nature spé
ciale, il en résulte que si elle perd cette nature par suite
de l’inobservation des conditions que la loi lui a tra
cées, le titre rentre dans la catégorie des engagements
ordinaires, et l’obligation en découlant n ’est plus pres
criptible que par trente ans. C’est un point sur lequel
la jurisprudence de tous les temps n’a pas hésité.
Ainsi la Cour de cassation a jugé que lorsqu’il est
prouvé qu’une lettre de change, souscrite sous l’empire
de l’ordonnance de 1673, contient supposition de
noms, de qualités, de domicile ou de places, comme
elle n’est plus que simple promesse, elle n’est soumise
qu’à la prescription de trente ans, et que cette exception
peut être invoquée par celui même au profit de qui la
lettre de change est tirée L
Depuis le Code, qui exige une échéance déterminée,
1 22 juin 4825, 5 juillet 4836.
�480
DE LA LETTRE DE CHANGE
nous avons vu que la réserve de renouveler la lettre de
change constitue une violation de l’article 110. Il a été
dès lors également décidé que le titre renfermant cette
réserve n’étant pas une lettre de change régulière, ne
tombait pas, quant à la prescription, sous le coup de
l’article 189 1.
Nous avons déjà dit qu’au point de vue de la com
pétence consulaire et de la contrainte par corps, l’excep
tion tirée de la supposition faisant, aux termes de l’ar
ticle 112, dégénérer la lettre de change en simple pro
messe, pouvait n’offrir ni intérêt ni utilité2.
11 n’en est pas de même au point de vue de la pres
cription quinquennale. L’existence de la supposition,
enlevant au titre le caractère de lettre de change, rend
l’article 189 absolument inapplicable.
Peu importerait qu’il émanât de négociants, ou qu’il
eût pour cause une opération commerciale. Les engage
ments commerciaux, par leur nature ou par la qualité
de leurs souscripteurs, ne sont soumis, comme tous les
autres, qu’à la prescription de trente ans, sauf les ex
ceptions que la loi a édictées à cette règle.
Celle consacrée par l’article 189 est spéciale aux let
tres de change et aux billets à ordre ; elle se restreint
donc forcément aux unes et aux autres.
Or la lettre de change viciée par une des suppositions
de l’article 112 n’est plus une lettre de change. Le bil-
1 Paris, 2 février 1830.
2 V. sup., n°» 524 et suiv.
�art.
189.
481
let à ordre qui ne réunit pas les conditions exigées par
l’article 188 n’est plus un billet à ordre. Ils ne peuvent
donc être régis par l’article 189.
Aucune difficulté ne peut surgir pour le billet à or
dre imparfait, mais la lettre de change contenant une
supposition de lieu, par exemple, ne laissera pas que
d’offrir tous les caractères du billet à ordre, puisqu’elle
énoncera la somme à payer, le nom de celui à l’ordre
de qui elle est souscrite, l'époque du payement, la va
leur fournie et sa nature. On pourrait donc prétendre
que l’article 189 lui est applicable, sinon comme lettre
de change, du moins comme billet à ordre.
Mais l’article 112 repousse cette prétention, puisqu’il
réduit la lettre de change à l’état de simple promesse.
Les énonciations que nous venons d’indiquer concou
rent à la perfectibilité de celle-ci, mais ne sauraient en
rien modifier son caractère légal.
Ainsi, l’existence de l’une des suppositions prévues
par l’article 112 ferait de la lettre de change une simple
promesse. La seule prescription qui puisse désormais
l’atteindre, est celle de trente ans \
'S2'7. — Quelle est la nature de la prescription de
cinq ans ? Quel en est le fondement juridique ?
L’ordonnance de 1673 s’était formellement expliquée
à cet égard. L’article xxi du titre v disposait : les lettres
1 Cass., 22 juin 1825, Nouguier, t. 1. p. 576. Hourson, t. 2,
quest. 134.
il —
31
�482
DE LA LETTRE DE CHANGE
et billets de change seront réputés acquittés après cinq
ans, etc.
L’inaction du porteur faisait donc supposer qu’il avait
été payé, mais ce n’était là qu’une présomption simple,
pouvant céder à la preuve et même aux présomptions
contraires. Ainsi, disait Jousse, on n’est pas obligé de
s’y conformer toutes les fois que les circonstances font
cesser cette présomption de payement, c’est ce que les
Parlements avaient en effet admis.
Cependant, ce n’est pas dans ce sens que la Cour de
cassation a interprété l’ordonnance. Mise souvent en
demeure de s’expliquer à cet égard, elle a toujours dé
cidé que la présomption légale de payement consacrée
par l’ordonnance ne devait céder que devant une preuve
évidente et certaine de non payement ou devant le
refus du prétendu débiteur d’affirmer à serment qu’il
ne doit plus rien. C’est ce que pensait en effet Bornier
lorsqu’il enseignait que l'ordonnance ne réserve autre
chose, après cinq ans, que de faire jurer les débiteurs
s'ils ne sont plus redevables, et leurs veuves, héri
tiers ou ayants cause s'ils savent qu’ils le soient1.
* 2 8 . — Quoi qu’il en soit, c’est à cette doctrine
que s’est rallié le Code de commerce. Depuis sa pro
m ulgation, la prescription n ’a pas cessé de reposer sur
la présom ption de la libération du débiteur, m ais cette
présom ption est une présomption
juris et de jure, ne
�art.
189.
483
comportant d’autre genre de preuve contraire que celui
formellement édicté par l’article lui-même. Elle ne sau
rait donc être détruite par aucune de celles que l’arti
cle 1353 du Code civil abandonne aux lumières et à la
prudence des magistrats K
9 3 0 . — Mais cette solution a trouvé des contradic
teurs, surtout dans la pratique. La preuve par présomp
tions, a-t-on dit, est admissible toutes les fois que la
preuve orale peut être reçue. Or, cette recevabilité dans
la matière qui nous occupe est la conséquence de deux
considérations décisives :
1° La preuve testimoniale est de droit commun de
vant les tribunaux de commerce ;
2° L’article 189 admet la délation du serment, ce
qui ne peut avoir lieu que lorsque la preuve orale est
admissible. Dès lors, cette faculté amène à cette consé
quence que l’article 189 autorise formellement l’admis
sibilité de celle-ci ; qu’il reconnaît que la présomption
n’est pas juris et de jure, des présomptions de ce genre
excluant toute preuve contraire et devenant la loi irré
vocable et inattaquable par aucuns moyens.
9 3 0 . — Ce système a été bien souvent repoussé
par les tribunaux et devait l’être, les objections sur les—
1 Vazeilles, Des Prescrip., t. 2, p. 338. Conf., Merlin, B ip ., Prescrip., sect. 2, § 8, n° 10. Pardessus, D r. com., n° 240. Emile Vincent,
t. 2, p. 364.
�484
DE LA LETTRE DE CHANGE.
quelles il repose trouvant une réfutation décisive dans
la loi elle-même.
Sans doute, la preuve testimoniale est de droit com
mun en matière commerciale, c’est là la règle géné
rale ; mais, comme toutes les règles, celle-ci comporte
des exceptions. Nous en trouvons des exemples dans le
Code.
Ainsi, l’écriture est prescrite pour les sociétés, pour
les lettres de change, pour les polices d’assurance. En
présence de ces dispositions, on ne pourrait évidemment
recourir à la preuve testimoniale pour en établir l’exis
tence. Pourquoi déciderait-on autrement dans notre hy
pothèse, si d’ailleurs la loi ne s’en est pas moins expli
quée expressément.
Or, quel objet se proposerait la preuve testimoniale
en matière de prescription ? Evidemment celui de prou
ver que la dette a été reconnue. Mais la loi a réglé la
forme même de cette reconnaissance ; elle ne la déclare
valable qu’autant qu’elle a été faite par acte séparé. On
ne pourrait donc utilement recourir à une preuve de
vant fatalement aboutir à une reconnaissance orale que
le Code proscrit formellement.
Donc, l’article 189 crée une exception formelle à
l’admissibilité de la preuve par témoins. Il proscrit
même cette preuve par cela seul qu’il exige un acte
écrit.
Nous reconnaissons qu’en thèse la faculté d’admettre
au serment suppose l’admissibilité de la preuve testimo
niale. C’est notamment ce qui résulte de l’article 1366
�ART.
189.
485
du Code civil. Mais cet article n’est relatif qu’au ser
ment ordonné d’office par le juge, et non à celui que la
partie défère elle-même, et qui se trouve régi par les
articles 1358 et 1360 du même Code. Celui-ci peut être
exigé en toutes circonstances.
Dans quelle catégorie faut-il placer le serment dont
s’occupe l’article 189 ? La réponse ne saurait être dou
teuse. La doctrine et la jurisprudence ont depuis long
temps consacré que ce serment ne peut être demandé
que par la partie ; que le silence qu’elle garderait à cet
égard lierait les juges, qui ne peuvent jamais le déférer
d’office.
Nous avons donc raison de le dire. Le serment dont
s’occupe l’article 189 est le serment décisoire. On ne
saurait donc tenir compte de l’objection que nous réfu
tons, laquelle ne pourrait être sérieusement proposée
qu’à l’égard du serment que les juges peuvent ordonner
d’office, en le déférant indistinctement à l’une ou à l’au
tre des parties.
Reste l’argument puisé dans le caractère habituel de
la présomption légale. Il est vrai qu’en thèse celle-ci
n ’admet aucune preuve contraire ; qu’elle régit souve
rainement les parties. Mais l’article 13521 du Code civil,
tout en consacrant la règle, a expressément réservé l’ex
ception. Ainsi, il ne proscrit la preuve contraire que si
la loi ne l’a pas formellement autorisée, et sauf le ser
ment et l’aveu judiciaire.
On pourra donc agir même contre la présomption
juris et de jure, mais seulement dans l’hypothèse que
�X?
486
DE U
LETTRE DE CHANGE
la loi a elle-même réservée et par les moyens qu’elle
autorise. Cette condition se réalise précisément dans no
tre matière, puisque l’article 189 n’admet la prescrip
tion que si la dette n’a pas été reconnue par acte sé
paré, et à la charge par le débiteur de prêter serment
s’il en est requis.
Le système que nous combattons n’a donc aucun
fondement sérieux. Il faut dès lors s’en référer à la doc
trine de Yazeilles, Merlin, Pardessus et Vincent, doc
trine sanctionnée d’ailleurs par la jurisprudence l.
La prescription de l’article 189 est donc fondée sur
une présomption de libération. Cette présomption est
juris et de jure. Elle ne peut être détruite que par
les seuls moyens expressément autorisés par l’article
1 8 9 3.
—. c ’est ce que la Cour de cassation consa
crait expressément encore le 9 mars 1868.
Saisi de la demande en payement d’une lettre de
change échue depuis plus de cinq ans et à laquelle on
opposait la prescription, le tribunal de commerce de
Montpellier avait, par un premier jugement, admis le
porteur à prouver que les héritiers du tireur avaient re
connu leur dette, demandé un délai pour le payement
>ï3 © b is.
1 Cass., 14 janvier et 16 juin 1818; 18 janvier 1821. Grenoble. 13
décembre 1828. Cass., 15 décembre 1829, 18 février 1851 et 16 janvier
1854. D. P., 51, 1, 17, 54, 1, 13.
2 V. infra, n° 740,
�art.
189.
487
du capital et servi exactement les intérêts jusqu’en
1862.
« Attendu, disait ce jugement, que la lettre de chan
ge dont s’agit est échue depuis plus de cinq ans, mais
que Théron offre de prouver que la dette a été reconnue
par un acte séparé en payant les intérêts jusques il y a
deux ans ;
« Attendu que ce n’est pas, dans l’espèce, une pré
somption de non payement qu’on invoque, mais un
fait certain ; que, s’il était constaté par écrit, il ne lais
serait aucun doute sur la véracité de non payement,
et serait bien l’acte séparé dont parle l’article 189 ;
« Attendu qu’en matière commerciale, la preuve tes
timoniale étant admise, supplée à la preuve écrit et de
vient alors l’acte séparé exigé par l ’article 189. »
Par un second jugement du 31 janvier, le tribunal
condamne les défendeurs au payement de la lettre de
change : « Attendu que la demande des héritiers Théron
est basée sur un billet souscrit par feu Yallas père le
22 avril 1854, payable le 22 août 1855 ;
« Attendu que les héritiers Yallas ont opposé la pres
cription de ce billet, mais que les frères Théron ont été
admis par le jugement du tribunal du 3 janvier courant
à une preuve qui devait être faite devant M. Bagette ;
« Attendu que les héritiers Vallas ont refusé de com
paraître devant ce magistrat, et que ce refus de compa
raître indique suffisamment que la preuve offerte par
les héritiers Théron est redoutée par les héritiers Vallas
et tenue faite par eux ;
�4 88
DE LA LETTRE DE CHANGE
« Attendu qu’il résulte, d’ailleurs, de tous les actes,
faits et circonstances de la cause, que le billet dont s’a
git n’a pas été payé. »
Mais les héritiers Vallas s’étant pourvus, la Cour de
cassation cassait ces deux jugements.
« Attendu qu’aux termes de l’article 189 du Code de
commerce, toutes actions relatives aux effets de com
merce se prescrivent par cinq ans à compter du jour du
protêt ou de la dernière poursuite juridique, s’il n’y a
condamnation, ou s’il n’y a dette reconnue par acte sé
paré, ou si les prétendus débiteurs requis d’affirmer
qu’ils ne sont plus débiteurs n’ont pas refusé le serment
qui leur était déféré ;
« Attendu que cette disposition est absolue et limita
tive, et qu’en dehors des trois cas d’exception qu’elle
énonce, il est interdit au juge de rechercher dans d’au
tres éléments, la preuve de non payement ou de la re
connaissance de la dette ;
« Attendu, en fait, qu’à la demande formée contre
eux par les héritiers Théron le 26 octobre 4864, devant
le tribunal de commerce de Montpellier, à fin de paye
ment d’une traite de 1000 fr., souscrite par Vallas père,
échue le 22 août 1855 et non protestée, les héritiers de
ce dernier ont opposé la prescription établie par l’arti
cle 189 du Code de commerce ;
« Attendu qu’il s’était écoulé plus de cinq ans entre
l’échéance du billet dont s’agit et la demande des héri
tiers Théron ;
« Attendu cependant que des deux jugements atta-
�ART.
189.
489
qués, le premier a admis, à défaut d’un acte séparé de
reconnaissance de la prétendue dette, la preuve par té
moins de cette reconnaissance, et que le second s’est
fondé sur de simples présomptions pour constater le non
payement de l’effet et condamner les héritiers Yallas à
en acquitter le montant ;
« Attendu qu’en statuant ainsi le tribunal de com
merce de Montpellier a formellement violé l’article 189
du Code de commerce h »
9 3 1 . — Aux termes du même article, le délai de
cinq ans commence à courir du jour du protêt ou de la
dernière poursuite juridique. Ces expressions avaient fait
surgir une difficulté. Le délai de cinq ans courait-il du
jour seulement où le protêt a été réellement fait, ou
bien du jour où il aurait dû l’être, c’est-à-dire du len
demain de l’échéance ?
Cette difficulté pouvait avoir entre autres conséquen
ces celle d’annuler l ’article 189 lui-même. Décider en
effet qu’un protêt était indispensable pour faire courir
la prescription, c’était laisser les choses sous l’empire
du droit commun ; c’était même aller au-delà. En effet,
le porteur aurait pu ne faire protester que dans le cours
de la trentième année, et il se serait ainsi ménagé un
nouveau délai de cinq ans.
L’esprit de la loi repoussait manifestement un pareil
résultat. Ce qu’elle a voulu, c’est, comme le disait
1 J. du P., 1868, 38S.
�490
DE LA LETTRE DE CHANGE
*
Jousse, qu’en matière de lettres de change tout fût ré
glé et terminé en peu de temps. Cette intention, incon
ciliable avec la solution que nous signalons, devait donc
la faire absolument rejeter.
Il faut donc le reconnaître, l’article 189, en détermi
nant le jour du protêt comme point de départ de la
prescription quinquennale, s’en est référé purement et
simplement à l’article 1621, qui exige le protêt le lende
main de l’échéance. C’est de ce jour que doit courir la
prescription, car la mise en demeure d’exiger le paye
ment est désormais acquise.
* 8 8 . — La Cour de cassation va plus loin encore ;
elle refuse à l’acte requis postérieurement à l’époque
indiquée par l’article 162 le caractère de protêt, et n’ad
met pas qu’il puisse même interrompre la prescription
commencée, un tel acte ne pouvant ni produire les ef
fets d’un protêt formé en temps utile, ni être assimilé à
une poursuite juridique dans le sens de l’article 2244
du Code civil. Admettre le contraire, dit un arrêt du 28
avril 1846, ce serait étendre un délai qui est de rigueur
à l’égard de tous les souscripteurs et en outre mécon
naître l’esprit des lois commerciales qui, dans l’intérêt
d’une prompte libération, n’ont rien voulu laisser à l’ar
bitraire du créancier l.
Au reste, la jurisprudence est aujourd’hui définitive
ment fixée, on ne saurait hésiter. La prescription corn-
�ART.
189.
491
mence du lendemain de l’échéance, alors même qu’il
n’y aurait pas de protêt. Nous examinerons tout à
l’heure la question de savoir si le protêt requis dans
le cours de cinq ans interrompt ou non la prescription.
¥ 3 * . — Si le protêt est régulièrement intervenu,
c’est de sa date que courent les cinq ans ; s’il a été suivi
de poursuites, le délai ne commence de courir que du
jour du dernier acte de cette poursuite.
Si ce dernier acte est une citation en justice, les droits
du demandeur ne sont-ils pas conservés et à l’abri de
toute prescription tant que l’instance n’a pas été pé
rimée ?
La cour de Paris jugeait, le 13 décembre 1813, que
la prescription interrompue par une citation en justice
ne peut plus courir tant que la péremption de l’instance
n’a été ni demandée ni ordonnée. C’est cette doctrine
que M. Horson enseigne également. Mais le contraire a
été consacré par la Cour de cassation. L’article 189, dit
l’arrêt, fixe expressément le point de départ de la pres
cription au jour de la dernière poursuite judiciaire ; le
législateur, sans examiner si l’instance judiciaire à la
quelle se rattache cette poursuite est ou non périmée,
veut que ce soit à partir de la dernière poursuite que la
prescription commence à courir.
Il est vrai, ajoute l’arrêt, que la péremption d’ins
tance n’étant pas acquise de plein droit, l’instance pour
rait être considérée comme encore subsistante, lors
même que le temps de cette prescription spéciale serait
�492
DE LA LETTRE DE CHANGE
expiré. Mais la prescription et la péremption de procé
dure ayant chacune leurs règles particulières et spécia
les, ces règles doivent être appliquées indépendamment
les unes des autres l.
®34. — Ces motifs sont loin»de justifier le système
auquel la Cour suprême a cru devoir s’arrêter. Us ne
répondent en aucune manière à l’objection que ce sys
tème soulève naturellement.
La prescription suppose à 'priori l’abandon du droit
qu’elle a pour objet d’anéantir, de la part de celui qui
avait intérêt à le conserver. La perte de ce droit n’est
que la conséquence de cet abandon, que la peine de la
négligence inconcevable du créancier.
Or, comment admettre l’un ou l’autre lorsque dans
les délais de rigueur le porteur de l’effet de commerce a
fait protester et citer ses débiteurs en justice. L’ajour
nement donné, il n’a plus rien à faire. Ses diligences
sont épuisées. Seulement, s’il néglige d’en poursuivre
l’effet pendant plus de trois ans, il s’expose à en per
dre le bénéfice par la péremption de l’instance que les
défendeurs sont recevables à faire prononcer.
La charge d’agir passe alors du créancier au débi
teur. Faute par celui-ci de requérir la péremption, l’ins
tance existe. Le jugement qui interviendrait serait ré
gulièrement obvenu et sortirait à exécution. Com-
i 27 novembre 1848. J. du P., 1, 1849, 38.
�art.
189.
493
ment donc concilier ces effets avec l’idée de la prescrip
tion ?
En droit donc il est certain que la citation en justice
n ’est pas u n obstacle invincible à la prescription. Elle
pourra donb s’accomplir, m ais à une double condition,
à savoir : q u ’étant restée im poursuivie pendant plus de
trois ans, l’instance sera de fait périmée ; que cette pé
rem ption aura été demandée et prononcée par lo juge.
Cette pérem ption ferait perdre toute l’utilité de la cita
tion réputée non-avenue. En conséquence, le point de
départ de la prescription se trouverait reporté à l’acte
l’ayant précédée. Et si, depuis, un laps de cinq ans s’é
tait écoulé, la prescription serait incontestablem ent ac
quise. La citation périmée n ’aurait pas même servi à
l’interrom pre.
7 3 5 . — En effet, toute prescription est susceptible
d’être interrom pue ou suspendue. Le Code civil désigne
avec soin les causes pouvant légitimer l ’un ou l’autre de
ces résultats.
La différence distinguant la suspension de l ’interrup
tion est facile à saisir : la prem ière, due à un obstacle
temporaire, empêche la prescription de courir ; mais
cet obstacle levé, la prescription reprend non seule
ment son cours, m ais se compose encore du temps
qui était acquis au m om ent où s’est réalisé le fait sus
pensif.
L’interruption, au contraire, a pour effet de faire dis
paraître, d ’anéantir le bénéfice du délai expiré jusqu’au
�494
DE
LA LETTRE D E
CHANGE.
jour de son accomplissement ; la prescription pourra
reprendre après l’acte interruptif ; mais quel que soit le
délai requis, il n’aura commencé que de la date de cet
acte.
* 3 6 . — Le fondement juridique de la suspension
est cette condition d’équité : Contra non valentem
agere non currit prescriptio. Aussi remarque-t-on
que ses causes sont exclusivement puisées dans la qua
lité de la personne du créancier. Les principales de ces
causes sont la minorité, l’interdiction.
Fallait-il, en matière d’effets de commerce, suivre les
errements du droit commun ? Notre ancienne législation
ne l’avait pas pensé. Aussi faisait-elle courir la prescrip
tion de cinq ans tant contre les mineurs que contre les
absents l.
C’est dans le même sens que le décide le Code de
commerce, obéissant en cela à un esprit qui avait déjà
dominé la discussion des prescriptions ordinaires. Quel
que respectable que soit la position du mineur, celle de
l ’interdit, on ne pouvait pas cependant lui permettre de
prolonger indéfiniment les prescriptions qui ne pou
vaient l’être sans inconvénient. Cette pensée dictait l’ar
ticle 2278 du Code civil.
Or, les raisons militant dans cette hypothèse acqué
raient une importance bien plus évidente encore en ma
tière de billets et effets commerciaux. Ici, en effet, ce
i Art,
x x ii,
tit. v. Ordonnance de 4 673.
�ART.
189.
495
n’élait pas l’intérêt privé seul qu’il s’agit de protéger,
c’était le commerce en général ; c’était le crédit public
qui s’opposait à ce que l’incapacité personnelle du cré
ancier suspendit, quelquefois indéfiniment, les opéra
tions commerciales dont le titre avait été ou était encore
l’instrument l.
La prescription de l’article 189 court donc contre le
mineur et l’interdit. Il est vrai que le Code ne l’a pas
formellement établi comme l’avait fait l’ordonnance de
1673, mais la doctrine et la jurisprudence ont reconnu
que cela résultait implicitement des termes de notre ar
ticle. Toutes actions...... sont prescrites. Le législateur
interdit donc l’action à tous en général, sans excep
tion aucune, puisqu’il s’est décidé à poser une règle
absolue, après avoir balancé l’exemption ou faveur
due à certaines personnes, avec l’intérêt général du
commerce s’opposant à des recherches de longue du
rée pour des effets destinés à faire fonction de mon
naie 2.
#
9 3 9 . — La faillite d’un commerçant suspend-elle
la prescription ? La solution de celte question ne saurait
être douteuse à l’égard des débiteurs de la faillite.
Sans doute la déclaration régulière de celle-ci a des
saisi le commerçant de ses actions, et l’a par conséquent
mis dans l’impossibilité de poursuivre en justice le paye1 Locr.3, E sprit du Code de commerce, art. 489.
2 Riom, 26 juillet 4826. Paris, 23 avril 4836<
�496
DE LA LETTRE DE CHANGE
ment de ce qui lui est dû. Mais le jugement qui pro
duit cet effet substitue l’administration des syndics à
celle du failli, et impose aux premiers le devoir que le
second ne peut plus remplir, devoir qu’ils ne peuvent
négliger sans engager leur responsabilité.
La faillite n’est donc pas une cause de suspension de
la prescription à l’égard des débiteurs du commerçant
failli. Quid des créanciers relativement à la masse ?
Ici le doute nait précisément du caractère de la pres
cription. Ce qui la détermine, c’est la présomption de
payement. Or, comment admettre cette présomption,
lorsque, par sa position de failli, il y a à peu près cer
titude que le débiteur a été dans l’impossibilité de
payer ?
Mais cette impossibilité n’est pas en fait aussi abso
lue qu’elle le paraît en droit. D’ailleurs le créancier
peut avoir été désintéressé avant la faillite. Ce qui ren
drait celle supposition vraisemblable, c’est qu’il n’aurait
pas été appelé à la faillite, ou que, mis en demeure de
s’y présenter, il n’aurait pas jugé convenable de le
faire. Comment, en effet, expliquer l’une de ces circons
tances.
Cette considération d’une part ; de l’autre le carac
tère absolu de la règle tracée par l’article 189 ont paru
à la Cour de cassation devoir faire admettre que la fail
lite ne suspendait pas le cours de la prescription pour
les créanciers qui n’avaient ni requis ni obtenu leur
admission au passif1.
i U février 4833.
�ART.
189.
497
Ï 3 8 . — Nous avons déjà dit que la force majeure
pouvait relever de l’obligation de faire le protêt dans les
vingt-quatre heures de l’échéance, et de celle de le no
tifier et d’ajourner dans la quinzaine. Nous avons dit
également que l’état de guerre, que le défaut absolu de
communication d’un pays à l’autre pouvait constituer
cette force majeure.
Dans ce sens, mais dans ce sens seulement, il sera
vrai de dire que celle-ci suspend la prescription en re
culant son point de départ, qui se place alors naturelle
ment au jour de la cessation de la force majeure. C’est
ce que la cour de Paris d’abord, et la Cour de cassation
ensuite, ont formellement consacré l.
Mais cette force majeure, qui empêche la prescrip
tion de courir le lendemain de l’échéance, ne suffirait
pas pour en suspendre les effets si elle avait commencé
à courir. Il importerait donc peu que dans l’intervalle
des cinq ans, à une ou à plusieurs reprises la force
majeure se fût réalisée. Le Code civil n’en fait pas
lui-même une cause suspensive de la prescription or
dinaire. A plus forte raison devrait-on la considérer
de même au point de vue de la prescription de l’arti
cle 189.
S 3 9 . — L’interruption de la prescription est natu
relle ou civile, dit l’article 2242 du Code civil. Le ca
ractère de l’interruption naturelle l’exclut absolument
i Cass, 10 avril 1818.
h
—
32
�498
DE LA LETTRE DE CHANGE.
de notre matière. La prescription de l’article 189 ne
comporte donc d’autre interruption que l’interruption
civile que l’article 2244 du Code civil fait résulter
d’une citation en justice, d’un commandement ou d’une
saisie.
Ce développement de la pensée du législateur et son
caractère restrictif ne doivent pas être perdus de vue.
Ils déterminent la solution d’une difficulté que nous
avons déjà fait entrevoir, et qu’il est temps d’examiner.
Le protêt requis dans le cours des cinq années inter
rompt-il la prescription ?
¥ 4 0 . — On a soutenu l’affirmative. On s’est fondé
d’abord sur les termes de l’article 189, faisant courir la
prescription à compter du jour du protêt. Sans doute,
a-t-o n dit, lorsqu’aucun protêt n’a été requis, le point
de départ de la prescription se place au lendemain de
l’échéance. Il faudrait autrement admettre que cette
prescription n’a jamais couru.
Mais lorsque le protêt a été fait à une époque quel
conque de la période des cinq ans depuis l’échéance,
c’est de sa date que doit partir la prescription. L’acte est
une diligence de la part du créancier, il indique que le
payement n’a pas eu lieu jusque-là, il est donc exclusif
de la présomption sur laquelle est fondée la prescription
quinquennale.
A l’objection tirée de l’article 2244 du Code civil qui
limite les actes interruptifs,.et de ce que le protêt n’est
ni une citation en justice, ni un commandement, ni une
�ART.
18!).
49 9
saisie, on répondait : Qu’il ne fallait pas chercher dans
cet article des principes inapplicables à une matière
pour laquelle il existait une législation spéciale ; que
d’ailleurs l’article 189 aurait ajouté à l’article 2344,
puisqu’il fait expressément partir la prescription à
compter du protêt ; que ces termes ne peuvent sans
faire violence à la loi, et sans en torturer le sens, être
dans tous les cas remplacés par ceux-ci : à partir du
jour où le protêt doit être fait ; que l’acte qui cons
tate le refus de payement d’un effet de commerce exi
gible n’en est pas moins un protêt, quoiqu’il soit tardif,
et qu’il ne produise pas les effets qu’il aurait eu à l’é
gard des endosseurs s’il eût été fait en temps utile ; que
si le protêt fixe le point de départ de la prescription
dans l’un de ces deux cas, il doit également le fixer
dans l’autre, car l’article 189 renferme une disposition
générale en présence de laquelle toute distinction serait
arbitraire.
Ces considérations, appuyées d’ailleurs sur un arrêt
formel de la Cour de cassation, du 13 avril 1818,
avaient été consacrées par la cour d’Amiens. Un arrêt
du 20 août 1839 avait en conséquence décidé que le
protêt fait avant l’expiration des cinq ans avait inter
rompu la prescription.
Le débiteur condamné, s’étant pourvu en cassation,
demandait l’annulation de l’arrêt, notamment pour vio
lation des articles 189 du Code de commerce et 2244
du Code civil, en ce qu’il avait attribué l’effet d’inter
rompre la prescription à un acte qui, en réalité, ne
�5 00
DE LÀ LETTRE DE CHANGE.
constituait ni un véritable protêt, ni une poursuite ju
ridique, ni un commandement ; qui n’était et ne pou
vait être qu’une simple sommation. C’est ce que la Cour
suprême admit en effet expressément par les motifs sui
vants :
« Attendu qu’aux termes de l’article 189 du Code de
commerce, toutes actions relatives aux billets à ordre se
prescrivent par cinq ans, à l’égard des souscripteurs, à
dater du jour du protêt ou de la dernière poursuite ju
ridique ; que le jour du protêt est donc le point de dé
part de la prescription dont s’agit ; que l’article 162 du
Code de commerce détermine nettement ce qu’il faut en
tendre par ces paroles : le jour du protêt-, qu’en ef
fet il résulte de cet article que le refus de payement
doit être constaté le lendemain du jour de l’échéance
par un acte que l’on nomme protêt faute de payement ; d’où il suit que le lendemain du jour de l’éché
ance est le seul et véritable jour du protêt, à moins que
ce jour ne soit férié légal, auquel cas le protêt doit être
fait le jour suivant ;
« Attendu que tout acte destiné à constater le refus
de payement d’un effet de commerce dressé à une au
tre époque ne saurait constituer un protêt ou devenir le
point de départ de la prescription établie par l’article
189 du Code de commerce, puisque cette prescription,
établie conformément à l’esprit des lois commerciales
dans l’intérêt d’une prompte libération, serait indéfini
ment prolongée si elle ne commençait à courir qu’à
partir d’une époque indéterminée et abandonnée à l’ar-
�ART.
198.
501
bitraire du créancier ; qu’un tel acte ne constitue tout
au plus qu’une sommation de payement qui, n’ayant
ni le caractère d’une poursuite juridique, puisqu’il
n ’est pas la conséquence d’un titre exécutoire, ni le ca
ractère d’un protêt, ne saurait interrompre la pres
cription 1. »
Cet arrêt diffère essentiellement de celui que la même
Cour rendait le 13 avril 1818. Dans celui-ci, en effet,
la Cour de cassation admettait que si, à une époque
quelconque des cinq ans, la prescription avait été inter
rompue par un protêt ou autres poursuites juridiques,
elle recommençait son cours quinquennal à dater, soit
du jour où le protêt avait été fait, soit du jour de la
dernière poursuite.
Mais l’espèce sur laquelle cet arrêt est intervenu n’of
frait pas à examiner notre question. En effet, les cinq
ans s’étaient écoulés sans aucun acte de protêt, sans au
cune poursuite, ce qui n’avait pas empêché le tribunal
de commerce de Bois-le-Duc d’écarter la prescription,
sous prétexte qu’aux termes de l’article 189 elle ne
pouvait courir que du jour du protêt ; qu’elle n’avait
donc jamais couru, puisqu’il n ’avait été fait de protêt
à aucune époque.
Voilà la doctrine que la Cour de cassation avait à
apprécier et qu’elle censurait avec juste raison. Il se
rait donc difficile de voir dans son arrêt un précédent
1 1er juin 1842, J. du P„ 2,1842, 3S1. V. Supra, n°731.
�502
DE LA LETTRE DE CHANGE
sur le caractère et les effets du protêt dressé dans les
cinq ans.
Quoi qu’il en soit, ce qui est certain, c’est qu’elle au
rait déserté sa propre jurisprudence dans la décision de
1842, que nous venons de reproduire, et dans laquelle
elle n’a pas cessé de persister l.
S 4 1 . — Si le protêt fait dans le cours des cinq ans
a été suivi d’une citation en justice avant leur expira
tion, la prescription est régulièrement interrompue, si
non par le protêt, au moins par l’ajournement auquel
on ne saurait contester le caractère de poursuite juridi
que. Il importerait même peu qu’il eût été donné de
vant un juge incompétent. L’application de l’article
2246 du Code civil à notre matière ne saurait souffrir le
moindre doute. Mais l’utilité de cette interprétation est
subordonnée aux conditions de l’article 2247 du même
Code. Ainsi, si l’assignation est nulle pour défaut de
formes, si le demandeur se désiste de sa demande, s’il
laisse périmer l’instance, ou si la demande est rejetée,
l’interruption est censée n’avoir jamais existé.
Par application, la Cour de cassation jugeait, le 29
juin 1846, que l’endosseur d’une lettre de change au
quel le tireur actionné en paiement oppose la prescrip
tion quinquennale ne peut invoquer, comme interrup
tion de la prescription, les poursuites judiciaires faites
par le porteur, alors que ces poursuites ont été suivies
1 28 avril et 4 novembre 1846.
J . du P .,
1, 1846, 682, 2, 1846, 863.
�ART.
189.
805
soit de jugements par défaut tombés en péremption, soit
de jugements contradictoires non attaqués, déclarant le
demandeur non recevable dans sa demande K
La citation en justice interrompt donc la prescription,
mais l’interruption n’est efficace que si, régulière en la
forme, elle a produit au fond les effets dont elle était
susceptible. Si elle a été délaissée par son auteur, si les
décisions judiciaires dont elle était devenue l’occasion
ont péri faute d’exécution, elle n’est plus qu’une tenta
tive non suivie d’effet, n’ayant pu dès lors créer un
droit quelconque.
Ï 4 3 . — L’interruption la plus énergique est sans
contredit celle qui résulterait de la reconnaissance de la
dette par le débiteur. Cette reconnaissance enlève à la
prescription toute raison d’être, puisqu’elle est la preuve
irrécusable que la dette n’a jamais été payée.
Mais l’article 189, en admettant l’effet de la recon
naissance, en a prescrit la forme, elle doit résulter d’un
acte séparé. Déjà nous avons tiré les conséquences de
sa disposition 2. L’offre de prouver l’existence de cette
reconnaissance serait irrecevable et inadmissible : Frus
tra probatur quod probatum non relevât. Or, en sup
posant qu’on justifiât d’une reconnaissance orale, la pres
cription n’en serait pas moins acquise, la loi n’admet
tant d’autre reconnaissance que celle qui résulterait d’un
acte formel.
1 J . d u P . , 2,1846, 402.
i Supra , n<» 729 et suiv.
�504
DE LA LETTRE DE CHANGE
Une dernière preuve du rejet absolu de la preuve tes
timoniale de la reconnaissance, résulte du rapproche
ment de notre article 189 avec l’article 2148 du Code
civil. En matière ordinaire, la preuve testimoniale est
proscrite par l’article 1341 du même Code. Aussi l’ar
ticle 2248 se contente-t-il de disposer que la pres
cription est interrompue par la reconnaissance que le
débiteur fait du droit de celui contre lequel il pres
crivait.
Ces simples expressions, sans inconvénients possibles
en matière ordinaire, ne pouvaient passer dans la légis
lation commerciale sans donner immédiatement ouver
ture à la preuve testimoniale qui est de droit commun,
précisément ce que le législateur ne voulait pas, et c’est
pour manifester cette volonté que l’article 189 ne re
pousse la prescription que si la dette a été reconnue par
acte séparé.
On ne peut donc équivoquer. Toute reconnaissance
autre que celle prcuvée par écrit n’interrompt pas la
prescription. L’offre d’en prouver l’existence devrait
donc être écartée. La seule exception que recevrait cette
règle serait la preuve que la reconnaissance par écrit a
été souscrite par le débiteur ; qu’elle a été, depuis, per
due ou volée.
« 4 * . — De l’inadmissibilité de la preuve testimo
niale, on a conclu avec raison que le débiteur excipant
de la prescription ne pouvait être contraint à compa
raître en personne, ni soumis à un interrogatoire sur
�ART.
189.
505
faits et articles. Quel serait le but de ces mesures ? D’ar
river à un commencement de preuves de la reconnais
sance alléguée ? De tirer de la comparution ou des ré
ponses des présomptions plus ou moins graves à l’appui
de cette allégation ? Mais tout cela ne saurait remplacer
la reconnaissance par acte séparé, seule admise contre
la présomption juris et de jure, sur laquelle repose la
prescription.
« Une partie qui a en sa faveur une présomption ju
ris et de jure, dit Merlin, ne peut être forcée de ré
pondre à un interrogatoire sur faits et articles qu’on
voudrait lui faire subir relativement aux choses qui font
l’objet de cette présomption.
« On doit aussi remarquer que la confession extra
judiciaire et purement verbale ne peut pas produire à
cet égard les mêmes effets que si elle était faite en jus
tice ; parce qu’il faudrait, en cas de dénégation, la vé
rifier par témoins, ce que ne permet pas ce grand prin
cipe : qu’une présomption juris et de jure n’admet
point de preuve contraire 1. »
Cette doctrine est celle que M. Troplong enseigne lors
que, interprétant l’article 2275 du Code civil, il est
amené à s’expliquer sur la nature et le caractère des
prescriptions édictées par les articles 2271 et suivants
du même Code.
« Ces présomptions, dit-il reposent sur une présomp
tion de payement. Mais cette présomption n’est pas tel—
Ilcp
Prcsompt
�506
DE LA LETTRE DE CHANGE,
lement certaine, que la loi refuse au créancier tout
moyen de l’ébranler ; elle l’autorise, en conséquence, à
déférer à l’adversaire qui se retranche dans la prescrip
tion abrégée, le serment décisoire sur la question de sa
voir s’il a réellement payé.
« Mais je crois que le créancier ne serait pas fondé à
demander que le débiteur fût interrogé sur faits et arti
cles, si sa seule défense se puisait dans la prescription.
C’est ainsi que la cour de Lyon le décidait le 13 janvier
1836 L »
L’analogie entre l’article 22I75 du Code civil et l’a r
ticle 189 du Code de commerce est trop évidente pour
que la règle à suivre dans un cas ne s’impose pas égale
ment à l’autre. Il est dès lors certain que M. Troplong
ne comprend pas autrement que M. Merlin la difficulté
que nous examinons.
Concluons donc que la seule reconnaissance inter
ruptive de la prescription quinquennale est celle qui a
été faite par acte séparé. Les juges n’ont aucune lati
tude à cet égard. L’article 189 est impératif et limi
tatif.
S4 4 . — Mais il n’en est pas de même de la nature
et de la consistance de l’acte séparé prescrit par la loi.
En ce qui le concerne, les tribunaux ont la souveraineté
d’appréciation qui ne saurait leur être contestée. Ils
peuvent considérer comme tel, toute déclaration émanée
1 D e s p r e s c r i p t i o n s , nos 294 et suiv.
�art.
189.
507
du débiteur, soit au moment du protêt, soit en plaidant
devant la justice, celle même contenue dans une lettre
missive et renfermant l’aveu de la dette. Il suffit, dans
tous les cas, que la déclaration soit inconciliable avec
l’idée de la prescription.
Ainsi, il a été jugé que le débiteur qui, en même
temps qu’il oppose la prescription à la demande en
payement de la lettre de change, réclame par des con
clusions principales la subrogation au cessionnaire de
la créance qu’il prétend litigieuse, reconnaît par là que
la dette n’est pas acquittée, et cet aveu implicite détruit
l’effet de l’exception de prescription. Cette prescription,
dit l’arrêt, est fondée sur une présomption de payement.
Or, demander à exercer la subrogation légale, aux termer de l’article 1699 du Code civil, c’était offrir vir
tuellement de payer la dette, si non au taux de la som
me exprimée en l’effet, au moins au taux de la somme
pour laquelle cet effet avait passé du créancier primitif
au créancier actuel. Cette offre, écartant la présomption
de payement, doit dès lors faire repousser la prescrip
tion. Cette appréciation de la cour de Riom fut vaine
ment attaquée devant la Cour suprême. Le pourvoi
dont elle avait été l’objet fut rejeté par arrêt du 18 jan
vier 18â1.
Dans une autre circonstance, la Cour de cassation a
également décidé que la reconnaissance en justice de
payements partiels que le créancier avait lui-même
inscrit au dos de la lettre de change, faite par le débi
teur poursuivi en payement du solde, constituait la
�308
DE U
LETTRE DE CHANGE
reconnaissance exigée par l’article 189, et en consé
quence rendait irrecevable l’exception de prescription L
Enfin, on a considéré comme légalement interruptive
d elà prescription, la déclaration du débiteur qu’il re
fuse de payer, vu les oppositions existantes en ses mains;
la renonciation à opposer le défaut de dénonciation du
protêt dans le délai légal ; la demande d’un terme pour
opérer le payement ; enfin, la mention des effets à son
passif, faite par le débiteur dans son b ilan s.
9 4 5 . — Les tribunaux pourraient-ils voir la recon
naissance interruptive de la prescription dans un acte
antérieur à la création des lettres de change ou des bil
lets à ordre ? L’affirmative a été admise par la cour de
Paris, le 9 octobre. 1817.
« De graves motifs, dit M. Nouguier, pourraient être
articulés contre cette solution. Toute prescription est
fondée sur un double principe. D’une part, l’inaction
du créancier pendant un long espace de temps fait pré
sumer ou qu’il a été désintéressé, ou qu’inspiré par son
affection pour le débiteur, il lui a consenti remise de
la dette. D’autre part, si la supposition de la loi se
trouve erronée en fait, on arrive néanmoins au même
résultat par un autre principe, et alors la libération du
1 Cass. <16 décembre 1828.
2 Paris, 7 janvier 1815 ; Cass., 14 février 1826 ; Bordeaux, 22 août
1832 ; Cass,, 1er mars 1837; Bordeaux. 19 août 1840. J . du P ., 1,
1837, 587 ; 2. 1840, 717.
s-
■
êb
�ART. 1 8 9 .
809
débiteur est une peine infligée au créancier pour son in
qualifiable oubli.
« Pour qu’il soit possible de rentrer dans cette dou
ble hypothèse, et d’accomplir le vœu de la loi, il semble
donc nécessaire que la reconnaissance ait été la suite
du refus de payement.
« Remarquons, en outre, que la prescription n’est
évitée qu’autant que la dette a été reconnue : or, tant
que la lettre de change n’est pas échue, il n’y a point
de dette, et partant il y a impossibilité de reconnaître
une dette qui n’existe pas. Qui a terme , ne doit
rien 1. »
Ces considérations feraient supposer chez M. Nouguier une opinion contraire à celle de la cour de Paris.
Mais, généraliser cette question dans l’espèce jugée par
celle-ci, c’est, en la posant, s’exposer à la résoudre
inexactement.
Nous croyons, quant à nous, qu’il convient de dis
tinguer le caractère et la nature de la reconnaissance
qui a précédé l’échéance de l’effet de commerce contre
lequel on excipe de la prescription.
S’agit-il d’une reconnaissance pure et simple, com
ment pourrait-on s’y arrêter ? Elle serait sans efficacité,
en vertu des principes régissant l’interruption et ses con
séquences. Celles-ci, nous le verrons bientôt, ne con
sistent qu’à effacer le temps qui a couru jusqu’au jour
de l’interruption. La prescription recommence de ce
�510
DE LA LETTRE DE CHANGE.
jour, à moins que la reconnaissance, ayant fait nova
tion, ait substitué la prescription trentenaire à celle de
cinq ans.
Nous avons donc raison de le dire, la simple recon
naissance de la dette avant l'échéance ne saurait empê
cher le délai de cinq ans de courir du lendemain de
celle-ci. Comprendrait-on d’ailleurs qu’une prescription
pût être interrompue avant d’avoir commencé ?
Ce qu'on pourrait vouloir faire à cette époque, ce se
rait renoncer à se prévaloir jamais de la prescription,
dispenser en conséquence le porteur de l’obligation de
poursuivre, même pendant le cours des cinq années.
Dans ce sens, nous nous rendons parfaitement raison
d’une déclaration même antérieure à l’échéance, même
contemporaine à la création des effets de commerce.
Mais cette déclaration serait-elle valable en droit ? On
pourrait le contester en se fondant sur la disposition de
l’article 2220 du Code civil, prohibant de renoncer à
une prescription non acquise. A cet égard, il faudrait
d’abord établir que cette prohibition est applicable à
notre matière. Nous ne le pensons pas, car la prescrip
tion de l’article 189 n’est pas une prescription d’ordre
public. Non seulement les juges ne peuvent la suppléer,
mais la partie elle-même peut en répudier le bénéfice
par le refus du serment. Elle est plutôt une déchéance
qu’une véritable prescription. Pourquoi donc, le débi
teur, qui peut renoncer à celle résultant du défaut de
protêt, à celle de l’absence des poursuites dans la quin
zaine, serait-il dans l’impossibilité de répudier le béné-
�art.
189.
SU
fice de celle-ci, en prenant d’avance l’engagement de
ne pas en exciper ?
Nous pensons donc que dans cette seconde hypothèse
l’obligation contractée d’avance de déroger à l’article
489 devrait recevoir son entière exécution. Elle n ’aurait
pu interrompre la prescription non commencée, mais
elle l’aurait empêchée de courir.
Reste une troisième hypothèse, celle jugée par la cour
de Paris, dans l’arrêt cité par M. Nouguier. Dans cette
espèce, une dette de 5000 fr. avait été contractée d’a
bord par une obligation ordinaire. Plus tard, et pour
la commodité des parties, deux lettres de change avaient
été souscrites. Protestées faute de payement, plus de
cinq ans s’étaient écoulés sans nouvelles poursuites.
Actionné en payement, le débiteur soutenait que la
prescription était acquise. On lui opposait le titre ori
ginaire comme constituant la reconnaissance de la dette.
Il répondait que l’article 189 n ’a entendu parler que
d’un acte de reconnaissance postérieur à la lettre de
change, car alors il y a novation dans la dette, par la
substitution du nouveau titre qui annule en quelque
sorte la lettre de change. Mais, ajoutait-il, quand l’acte
séparé est antérieur aux lettres de change, la créance en
résultant est effacée par la création de celles-ci, et il ne
reste plus au créancier qu’à s’en prévaloir avec tous les
avantages et les inconvénients qu’elles comportent par
elles-mêmes.
La vraie, l’unique difficulté de ce procès consistait à
décider si la création des lettres de change avait opéré
�S I2
DE LA LETTRE DE CHANGE.
novation, si elle avait eu pour effet d’annuler le titre
primordial. Leur substitution matérielle ne suffisait pas,
car la novation ne peut se présumer et doit être ex
presse. La cour de Paris pouvait donc refuser de l’ad
mettre par interprétation de l’intention des parties, et
déclarer dès lors l’article 189 du Code de commerce
inapplicable. Sa décision dans ce sens était irrépro
chable.
Ce n’est pas cependant ce qu’elle crut devoir faire.
Elle repousse bien l’exception de prescription, mais en
se fondant en fait sur ce qu’il existait une reconnais
sance de la dette par acte séparé, reconnaissance qu’elle
fait résulter du titre primordial.
Cette constatation de fait a pu soustraire l’arrêt à la
censure de la Cour de cassation \ mais elle ne saurait
échapper aux reproches que M. Nouguier lui adresse
avec juste raison.
Ainsi, l’acte antérieur à l’échéance des effets de com
merce affectera nécessairement ou la forme d’une recon
naissance pure et simple, ou celle d’une renonciation à
exciper de la prescription, ou celle d’une substitution
d’un titre à un autre. Dans le premier et le dernier cas,
tout dépend de la question de savoir s’il y a eu novation
ou non ; dans le second, la prescription n ’a jamais
couru et n’a pu dès lors être acquise.
5 4 6 . — Aux termes de l’article Ü5ÜÎ49 du Code civil,
i 2 février 4819.
�art.
189.
513
l’interpellation faite à l’un des débiteurs solidaires ou sa
reconnaissance interrompt la prescription contre tous
les autres, même contre leurs héritiers. Cette règle n ’est
applicable aux effets commerciaux que dans une certaine
limite.
Ainsi, les endosseurs sont bien débiteurs solidaires du
porteur. Mais cette solidarité, comme le principe de leur
obligation, est subordonnée aux diligences prescrites
pour prévenir la déchéance de ce dernier. En ce qui les
concerne donc, la loi a formellement dérogé à l’article
2249 du Code civil. L’interpellation faite au tireur, à
l’accepteur ou à l’un des endosseurs ou leur reconnais
sance ne saurait être opposée à ceux qu’on aurait né
gligé d’interpeller.
Il en serait autrement des cautions ayant purement
et simplement garanti, soit le tireur, soit l’accepteur,
soit l’endosseur. Dans cette hypothèse, l’interpellation
faite au tireur, à l’endosseur, rejaillirait contre la cau
tion de chacun d’eux, envers laquelle la prescription se
rait interrompue. C’est ce qui a été jugé, notamment
pour les donneurs d’aval h
L’interpellation et la reconnaissance de la dette se
trouvent, quant à leurs effets, sur une ligne identique.
Il y a cependant entre elles cette différence que la pre
mière s’opérant par un acte extrajudiciaire, aura une
date certaine et non contestable. La seconde, au con
traire, pouvant se réaliser par acte privé, est dans le
l Paris, 43 décembre 4813. Riom, 2S janvier 4829.
n — 33
�814
DE LA LETTRE DE CHANGE.
cas de devenir un instrument de fraude. Il serait fa
cile, en effet, en en reculant la date, de priver les cau
tions du bénéfice d’une prescription dès longtemps ac
quise.
Aussi doit-on décider que pour être utilement invo
quée contre les cautions, la reconnaissance sous seing
privé doit avoir acquis date certaine par un des moyens
indiqués par la loi. A défaut, celui qui en exciperait
après le délai de cinq ans de l’échéance du titre devrait
voir sa prétention échouer contre tout autre que le si
gnataire lui-même.
Quel est l’effet de l’interruption régulière et légale ?
Nous l’avons déjà dit, d’enlever au débiteur le béné
fice du temps écoulé jusqu’au jour de l’interruption, de
donner naissance à une prescription nouvelle dont le
point de départ est la date de l’acte interruptif ou de la
dernière poursuite.
Quelle sera la durée du nouveau délai ? La réponse
est dictée par le caractère et la nature de l’acte inter
ruptif. Cet acte a-t-il eu pour résultat de substituer un
titre à un autre, d’opérer novation, la prescription or
dinaire devient la seule qu’on puisse désormais invo
quer ; n’a -t-il fait, au contraire, que confirmer le titre
primitif, c’est l’article 489 qui continuera de régir les
parties.
Par exemple, la prescription a été interrompue par
une citation en justice. Cette citation a été suivie d’un
jugement de condamnation qui a acquis l’autorité de la
chose jugée. Evidemment, il n’y a plus entre les parties
�ART. 1 8 9 .
S IS
d’autre titre que ce jugement lui-même, des effets du
quel le débiteur ne pourra se libérer par aucune autre
prescription que la prescription trentenaire.
Supposez, au contraire, qu’après avoir cité en justice,
le créancier néglige de poursuivre, ou qu’ayant obtenu
un jugement par défaut, il le laisse périmer faute d’exé
cution dans les six mois, il n’y aura rien de changé dans
sa position, son titre unique n’a pas cessé d’être la let
tre de change ou le billet à ordre, il restera donc sou
mis à la prescription quinquennale, qui aura recom
mencé son cours du jour de l’acte interruptif.
Le même effet est produit dans le cas d’interruption
de la prescription par la reconnaissance de la dette.
Pour que la prescription de trente ans se trouve substi
tuée à celle de cinq ans, il faut que l’acte renfermant
cette reconnaissance constitue un titre nouveau et non
un acte additionnel laissant subsister le titre ancien 1.
La question de savoir quelle a été la véritable inten
tion des parties, le caractère réel du nouvel acte, est
donc d’une haute importance puisque, suivant la solu
tion, la prescription sera ou non acquise, et le droit du
créancier anéanti ou non. Cette importance la signale à
toute la sollicitude des juges, à l’arbitrage souverain
desquels elle est exclusivement déférée2.
* 4 8 . — Dans les arrêts que nous indiquons, la
1 Cass., 6 novembre 1832, 14 mars 1838. J. du P , 1, 1838, 862
2 Cass, 9 août et 28 novembre 1831.
�516
DE
LA
LETTRE DE CHANGE.
Cour suprême décide qu’une lettre missive, écrite avant
l’échéance par un débiteur d’une lettre de change à ce
lui qui en est le porteur, pour le remercier des facilités
accordées à raison du payement, ne peut empêcher la
prescription de cinq ans, si d’ailleurs cette lettre ne
renferme aucune expression qui indique l’intention de
donner un nouvean titre au créancier ;
Que l’acte par lequel les débiteurs, obtenant une pro
longation du terme à l’échéance, promettent de payer à
une époque fixée et consentent des intérêts, doit être
considéré non comme une reconnaissance de la dette
dans le sens de l’article 189, mais comme un acte ad
ditionnel de la lettre de change avec laquelle il ne fait
qu’un seul et même titre ; que dès lors l’action en paye
ment est soumise à la prescription de cinq ans, à par
tir de l’échéance du délai accordé.
La même solution a été consacrée : 1° à l’égard de
la promesse de tenir compte du montant d’une lettre de
change dont on constate la remise, alors surtout que le
créancier a implicitement reconnu le caractère commer
cial de l’engagement, en portant la demande afin de
payement devant le tribunal de commerce, et en con
cluant à la contrainte par corps1 ;
21° A l’égard d’une lettre missive dans laquelle le dé
biteur d’un effet commercial se borne à demander à son
créancier une prorogation de délai2 ;
1 Cass., 40 décembre 1834.
2 Riom, 42 mars 4838. J. du P., 2,4838, 439.
�art.
189.
517
4° A l’égard de la mention de la lettre de change
faite par le débiteur sur son bilan \
L’acte notarié par lequel le débiteur consent pure
ment et simplement une hypothèque en garantie des
sommes qu’il doit par titres commerciaux, n'opère pas
novation dans le titre, dès lors la dette demeure pres
criptible par cinq ans de l’échéance de la lettre de
change ou du billet à ordre, si l’affectation hypothécaire
est antérieure, de la date de celle-ci si elle est posté
rieure.
— Mais l’acte notarié qui renferme la recon
naissance expresse de la dette constitue un titre nou
veau, se substituant à l’ancien. L’effet de cette novation
est de rendre impossible à l’avenir la prescription quin
quennale 2.
En définitive donc, la novation devient le dernier mot
de notre matière. Si elle n’existe pas, l’interruption n’a
pas d’autre effet que de rendre la dette prescriptible
par cinq ans à dater de l’acte interruptif ; si la nova
tion s’est réalisée, la prescription trentenaire se trouve
substituée à la prescription quinquennale, tout comme
celle-ci remplacerait la première, si le titre primordial,
purement civil, avait été converti en un titre commer
cial. Cette conclusion, que la jurisprudence consacre,
est également enseignée par la .doctrine3.
1 Bordeaux, 19 août 1840. J. du P., 2, 1840, 717.
2 Paris, 14 janvier 1825.
/
3 Pardessus, Dr. com., n°s 220 et 240. Troplong, Presc. nos 75 et s.
�S18
DE LA LETTRE DE CHANGE.
So©. — L’effet de la prescription régulièrement
acquise est d’éteindre la dette. Le débiteur est présumé
s’être acquitté de ce qu’il devait. Il est donc libéré.
Cependant, comme après tout ce n’est là qu’une pré
somption, le législateur n’a pas reculé devant un moyen
destiné à lui faire acquérir le plus de certitude possible.
Les débiteurs seront tenus, s’ils en sont requis, d’affir
mer sous serment qu’ils ne sont plus redevables. On
pourra même exiger de leurs veuves, héritiers ou ayants
cause le serment qu’ils estiment de bonne foi qu’il n’est
plus rien dû.
Cette disposition de l’article 189 est empruntée à l’or
donnance de 1673. Son existence dans cette loi trouve
une explication naturelle dans ce fait, que la prescrip
tion de payement formant la base de la prescription
n’était pas juris et de jure. Nous avons déjà rappelé la
doctrine de Jousse, enseignant qu’on ne devait pas l’ad
mettre toutes les fois que les circonstances venaient à en
faire suspecter la sincérité.
Dès lors, comment défendre au créancier de déférer
le serment, lorsqu’on lui permettait de relever et d’éta
blir les circonstances rendant le payement invraisem
blable ?
Aussi la commission primitive du Code de commerce,
voulant déroger à l’ordonnance et donner à la pres
cription un caractère légal et absolu, avait-elle refusé
d’admettre la faculté de déférer le serment. Elle la con
sidérait comme inconciliable avec ce caractère.
Mais son rétablissement fut sollicité par un grand
�art,
189.
519
nombre de cours et tribunaux. On soutenait que per
mettre la délation du serment, ce n’était pas autoriser le
créancier à combattre la prescription par les circons
tances ; que c’était purement et simplement rentrer
dans le droit commun déjà consacré par le Code civil,
et qui ne subordonnant pas l’effet de la prescription à la
preuve que le créancier pourra faire, et en lui donnant
la force absolue qu’elle doit avoir, permet cependant
d’exiger du débiteur l’affirmation, comme juge de sa
bonne foi. Cette opinion prévalut au conseil d’Etat et
détermina la rédaction actuelle de l’article 189.
La délation du serment est purement facultative pour
le créancier. Nous avons déjà dit que les tribunaux ne
pourraient l’ordonner d’office. Par contre, à quelque
époque qu’elle se réalise, fût-ce en cause d’appel pour
la première fois, les juges ne peuvent se dispenser de la
consacrer.
À son tour, le débiteur, dont le serment est exigé, ne
saurait directement ni indirectement décliner l’obligation
de le prêter. Le refus qu’il en ferait rendrait inadmissi
ble l’exception de prescription et motiverait sa condam
nation au payement du montant de l’effet par lui sous
crit.
Ï51. — L’obligation du serment imposée au débi
teur précise le caractère de la prescription autorisée par
l’article 189. Cette prescription a pour fondement uni
que la présomption de libération, puisque cette libéra-
�520
DE LA LETTRE DE CHANGE
tion doit être affirmée sous serment, et que le refus de
le prêter opposerait un obstacle invincible à la consé
cration de la prescription.
La conclusion qu’en ont tirée la doctrine et la juris
prudence, c’est que l’exception de prescription ne sau
rait être accueillie lorsque la certitude de la non libé
ration est évidente et acquise. L’allégation contraire
n’est plus qu’un acte de mauvaise foi. Le serment qui
serait donné à l’appui serait un mensonge que la mo
rale commandait de prévenir.
Mais à quelles conditions pourra-t-on considérer
comme certain le défaut de libération ? La Cour de cas
sation jugeait, le 13 décembre 18ÜÎ9, que la présomp
tion de l’article 189 ne pouvait être détruite par de
simples inductions ; que la prescription devait être ac
cueillie lorsque le créancier ne justifiait d’aucun aveu,
affirmation ou consentement du débiteur, d’où l’on
peut induire le non payement.
Il faut donc le reconnaître, lorsque le débiteur pour
suivi plus de cinq ans après l’échéance se bornera à op
poser la prescription, il sera difficile, pour ne pas dire
impossible, de repousser l’exception sans méconnaître
et violer l’article 189.
Que si, au contraire, tout en se prévalant de la pres
cription, le débiteur soutient au principal et par voie
subsidiaire un système dont il entend induire sa libéra
tion, le rejet de ce système peut être l’exclusion de cette
libération, et par conséquent faire écarter la prescrip
tion. Le moyen mal à propos soutenu devient simple-
�ART.
189.
521
ment l’aveu, l'affirmation, lé consentement exigé par la
Cour de cassation. L’un eM’autre doivent s’entendre de
toutes articulations qui, repoussées, rendent le paye
ment invraisemblable ou improbable.
La jurisprudence offre de nombreux exemples d’ap
plication de cette règle. Ainsi la cour de Caen avait re
poussé la prescription, dans une espèce qui lui était
soumise, par le motif que des faits et pièces, que de la
reconnaissance des héritiers présomptifs, que le débiteur
avait quitté la France avant l'échéance de la lettre de
change et était absent depuis lors, il résultait la certi
tude qu’il n ’y avait jamais eu payement.
Le 25 août 4813, la Cour de cassation rejetait le
pourvoi dont l’arrêt de la cour de Caen avait été l’objet,
attendu que le défaut de poursuites pendant cinq ans
n ’établit qu’une présomption de payement, et que cette
présomption s’évanouit s’il existe preuve que le paye
ment n ’a pas été fait.
Le 18 janvier 4820, la Cour suprême juge qu’un dé
biteur qui, en même temps qu’il oppose la prescription
à la demande de payement d’une lettre de change, ré
clame, par des conclusions principales, la subrogation
au cessionnaire de la créance qu’il soutient être litigieu
se, reconnaît par là que la dette n’est pas acquittée, et
cet aveu implicite détruit l’effet de l’exception de pres
cription.
« Attendu, dit l’arrêt, que si de la prescription de
cinq ans il résulte une présomption légale de payement,
celte présomption néanmoins peut être détruite par une
�522
DE LA LETTRE DE CHANGE.
preuve ou une présomption légale contraire ; que l’arrêt
attaqué constate que les conclusions principales des de
manderesses en cassation tendaient obtenir la subroga
tion au créancier cessionnaire, d’où résulte par une
conséquence nécessaire l’aveu que la dette n’avait pas
été payée, et qu’en écartant à l’appui de cet aveu la
prescription quinquennale, la cour de Riom n’a violé
aucune loi. »
Cette doctrine est consacrée par la cour d’Amiens, le
10 janvier 18216. Dans l’espèce, le débiteur soutenait
que la lettre de change avait été payée par compensa
tion ; il excipait en même temps de la prescription.
Mais la Cour, repoussant le moyen de la compensation
et considérant dès lors qu’il n’y avait jamais eu paye
ment, déclare l’exception de prescription non recevable.
Un troisième arrêt de la Cour de cassation, du 1er dé
cembre 1829, décide que la prescription de l’article 189
ne peut être invoquée par celui qui prétend en même
temps n’êlre pas tenu du payement de la lettre de chan
ge, en ce qu’il ne l’aurait endossée que comme manda
taire du premier endosseur.
Comment admettre, en effet, que celui qui soutient
n’avoir jamais rien dû, ait cependant payé. La consé
quence logique de cette prétention est qu’il ne. l’a pas
fait, et dès lors la présomption de libération est vaincue
par la preuve contraire.
La cour d’Aix est en ce moment saisie de la question
dans les circonstances suivantes :
Le débiteur d’une lettre de change tombe en faillite,
�ART.
189.
523
un contrat d’union a lieu, et, après liquidation, chaque
créancier rentre dans l’exercice de ses actions indivi
duelles.
Plus de cinq ans s’écoulent. Le porteur de la lettre
de change en poursuit le payement. Devant le tribunal,
le débiteur soutient que, par accord intervenu avec le
mandataire du créancier, il s’est intégralement libéré
moyennant le huit pour cent de la créance en sus de ce
qui avait été touché dans sa faillite.
Sur la dénégation du créancier, jugement qui ordonne
le payement.
Devant la Cour, le débiteur renouvelle son système de
payement. Il invoque, dans tous les cas, la prescription.
On oppose que la faillite a rendu à tout jamais l’ar
ticle 189 inapplicable, ce qui était une évidente erreur.
En effet, la déclaration de faillite suspend la prescrip
tion. Si elle rend les dettes exigibles, elle enlève aux
créanciers leurs action individuelles. On ne saurait donc,
en cet état, faire courir contre eux aucune prescription.
Si la faillite se termine par concordat, il s’opère une
véritable novation. Le droit des créanciers n’a plus
d’autre fondement que le concordat lui-même. Il n ’est
donc prescriptible que par trente ans, du jour où il a
pu être valablement exercé l.
Si union, la suspension se prolonge jusqu’à liquida
tion. Mais celle-ci faisant rentrer les créanciers dans
l’exercice de leurs actions individuelles, leur droit déi Aix, 19 juillet 1880.
�524
DE LA LETTRE DE CHANGE
coule des titres dont ils sont porteurs ; et s’il s’agit de
lettres de change, le défaut de poursuites pendant cinq
ans les soumet à la règle de l’article 489 l.
On pouvait donc, dans l’espèce, opposer la prescrip
tion. liais l’exception ne devait pas être accueilie par
application de la règle que nous venons d’indiquer. En
effet, puisque le débiteur soutenait n’avoir payé que le
huit pour cent, il avouait lui-même n’avoir jamais in
tégralement payé, et cet aveu ne laissait plus de place à
la présomption de libération, unique fondement de la
prescription de cinq ans.
L’arrêt de la Cour, rendu le 40 janvier 4864, l’a
ainsi décidé. Il déclare dans ses motifs que la faillite
s’étant terminée par un contrat d’union, il ne s’était
opéré aucune novation dans les titres des créanciers ;
que la clôture de l’union leur ayant rendu l’exercice de
leurs droits individuels, les avait mis en demeure d’a
gir , que dès lors là prescription avait recommencé de
courir pour les lettres de change et s’était accomplie par
le défaut de poursuites pendant cinq ans.
Mais attendu, en droit, que cette prescription est fon
dée sur la présomption de payement qui s’évanouit
quand la preuve certaine existe que le payement n’a
pas été fait ;
Attendu, en fait, que Liautaud s’est d’abord défendu
par une exception démontrant qu’il n’a pas payé
Isoard, et qu’il s’est rendu par là non recevable à invo
quer la prescription ;
1 Cass., 17 avril 1857, D. P , 57,1, 362.
�ART.
189.
525
Attendu qu’il y a même renoncé d’une manière ta
cite en faisant plaider principalement, en première ins
tance et en appel, qu’il avait donné le huit pour cent à
Isoard comme à ses autres créanciers ;
Qu’en effet, il a formellement reconnu par là ne pas
l’avoir payé intégralement, et que cette reconnaissance
judiciaire de sa dette a emporté renonciation à la pres
cription ;
Attendu que cette renonciation s’induit de toutes les
circonstances de la cause et ne permet pas d’accueillir
les conclusions subsidiaires, formulées pour la première
fois devant la Cour comme un moyen désespéré ;
La Cour repousse l’exception de prescription et con
firme le jugement.
OBSERVATION
Il est souvent question de la contrainte par corps
dans le cours de l’ouvrage. Nous avons cru inutile de
rappeler à chaque mention qu’elle avait été abolie par
la loi du 22 juillet 1867. Cet avertissement nous a paru
suffisant.
��TABLE DES MATIÈRES
DU
SECOND
VOLUME
Section P e. — D e la le ttr e d e c h a n g e .
§ IX. — D u p a y e m e n t ....................................
§ X. — D u p a y e m e n t p a r i n t e r v e n t i o n . . .
§ XI. — D es d r o it s e t d e v o ir s d u p o r t e u r .
§ XII. — D es p r o t ê t s .......................................
§ XIII. — D u r e c h a n g e .................................. .
Section II. — D u b ill e t à o r d r e ............
S ection III. — D e la p r e s c r i p t i o n ..........
Observation sur la contrainte par corps............
��TABLE ALPHABÉTIQUE
D ES M A T I È R E S
L e c h iffr e in d iq u e le n u m é ro d 'o r d r e des s o m m a ire s
A c c e p ta tio n . — Effets de l’acceptation quant à la preuve de
la provision, 157. — Droit du porteur contre le tiré refusant
l’acceptation, 166. — Caractère et nature de l’acceptaiion.
Reproches adressés à l’article 118, 167 et suiv. — L ’obliga
tion de procurer l’acceptation est-elle suppléée par la dation
d ’un aval de garantie, 171 ? Position du tireur d ’ordre et
pour compte de tiers, 172. — Le porteur est libre de requé
rir ou non l’acceptaiion. Exception que cette règle com
porte, 173 et suiv. — A quel domicile doit être requise l’ac
ceptation, 179 ? — Le tiré est libre de ne pas accepter,
alors même q u ’il serait débiteur du tireur. Exception, 181.
— Conséquences du refus d ’acceptation, 182. — Peut-on
revenir contre l ’acceptation et biffer celle q u ’on adonnée,
183 et suiv.? — Droits que le refus d ’acceptation confère au
porteur, 186 et suiv. — Forme et objet de l’action q u ’il
peut intenter, 188 et suiv. — Effets de l ’acceptation, à l’é
gard du tireur et des tiers, sous l ’ordonnance de 1673 et de
puis le Code, 193 et suiv. — Forme de l ’acceptation, 207 et
suiv. — La signature isolée constituerait-elle une accepta
tion ? Doit-elle être précédée du bon ou approuvé prescrit
par l’article 1326 du Code civil, 209 et suiv. — L ’accepta
tion est ordinairement exprimée par le mot accepté, mais
h
—
34
�I
530
'• r
TABLE ALPHABÉTIQUE
cette expression admet des équipollents, 212 et suiv. — Le
mot vu, suivi de la signature et sans autre indication, cons
titu e-t-il une acceptation, 214 ? — L’acceptation ne peut
être donnée par lettre missive, 215 et suiv. — Dans quels
cas la lettre missive peut-elle renfermer l’obligation de payer,
217 ? — L ’acceptation ne peut être conditionnelle. Sagesse
de cette prohibition, 226 et suiv. — Caractère de l’accepta
tion pour payer à moi-même, 230 et suiv. — De celle pour
payer à qui sera dit par justice, 234. — L ’acceptation
peut être restreinte quant à la somme. Conséquences, 235
et suiv. — Quel est le sort de l’acceptation conditionnelle ?
Portée de la nullité dont elle est atteinte, 237 et suiv. —
Délai dans lequel doit être donnée l'acceptation, 240 et
suiv.
A c c e p ta tio n p a r in t e r v e n t io n . — Son caractère. Ses
effets, 244 et suiv. — Doit être pure et simple, signée, mais
on peut la restreindre quant à la somme, 247. — Peut être
donnée par le tiré lui-même qui a refusé d’accepter pour le
compte du tireur, 248. — Le tiré peut-il intervenir sans
protêt pour compte du donneur d’ordre, lorsque la lettre est
tirée pour compte d ’autrui, 249 et suiv. — L ’acceptation par
intervention peut être faite par celui qui a été indiqué au be
soin et par le porteur lui-m êm e, 253. — Comment procèdet-o n , lorsque plusieurs intervenants se présentent, 254. —
Obligation pour l’intervenant de notifier son intervention à
celui pour compte de qui il l’a réalisée. Forme et délai de
cette notification, 255 et suiv. — Nature de l ’acceptation
par intervention. Conséquences pour le porteur, pour celui
pour compte de qui elle a été donnée et pour l ’intervenant
lui-même, 257 et suiv.
A c cep teu r. —■ Caractère absolu de l’obligation de l ’accepteur,
195. — Il ne peut exciper ni de l’irrégularité de la lettre de
change, ni de celle de l ’endossement, 196. — Il peut soute
nir que le porteur n’est pas de bonne foi, 197. — Consé-
�DES M
ATIÈRES.
531
quences du caractère de débiteur principal que lui confère
l ’acceptation, 198.— Il ne peut être relevé de son obligation
vis-à-vis des tiers. Exception que cette règle admet, 199 et
suiv.— Peut-il se faire relever de son acceptation si, depuis,
il a découvert la fausseté de la lettre de change, 378. —
Quid, s ’il a payé sur la contrefaçon de sa propre signature,
380. — Sa position, s’il a payé sur un faux acquit, 395 et
suiv. Voy. Acceptation, F a u x , Lettre de change , Paye
m ent , Tiré.
A c t i o n . — Nature de l’action naissant du refus d ’acceptation,
188 et suiv. — De celle à laquelle donne naissance le refus
de payement, voy. Déchéance, Endosseur, Porteur. Carac
tère de l’action donnée contre le tiré qui n ’a ni payé, ni ac
cepté, malgré q u ’il eût provision, 527, voy. Prescription,
Remise de la dette.
A g e n ts d e c h a n g e . — Voy. Incompatibilité. — Nature de
l’aval, que l’arrêté du 27 prairial an x les autorise à apposer
sur les effets de commerce, 33. — Le compte de retour doit
être certifié par un agent de change.Caractère de cette cer
tification, 603. — Il en est de même du cours du change,
lorsque la retraite est faite sur un endosseur, 604.
A n tid a te. — Il est défendu d ’antidater les ordres sous peine
de faux. Débats que souleva l’article 139, 336 et suiv.— La
fraude peut résulter du fait de l ’antidate, 339. — Doit-on, en
celte m atière, procéder par l'inscription de faux, 340 ?
A v a l. — Définition et objet de l’aval, 350. — Peut-il être
donné par le tiré, par celui indiqué au besoin, par le por
teu r, 351 ? — Quid, du m ineur, des interdits, des femmes
mariées, des agents de change et courtiers, 353. — Modifi
cations et restrictions dont il est susceptible, 355. — L ’aval
par acte séparé n ’était pas admis sous l'ordonnance de 1673.
Débats dont il fut l’objet au conseil d’E tat, 356. — L ’aval
ne peut être prouvé que par éciit. Conséquences, 357. —
�532
TABLE ALPHABÉTIQUE
Mais il n ’est soumis à aucune forme sacramentelle, 358 et
suiv. — L'aval résulte de la seule signature. Difficulté dans
le cas où elle a été apposée au dos de l ’effet, 360. — Pour
quelles personnes cette signature doit-elle être précédée du
bon ou approuvé prescrit par l ’article 1326, 361 et suiv.? —
La cession de l ’offet transfère le bénéfice de l’aval, Excep
tion, 363. — Peut-on donner un aval à des traites non en
core créées, mais à créer pour l’exécution d’un crédit ouvert,
364 et suiv. — Effet de l’aval. En quoi il diffère du caution
nement ordinaire, 368. — C’est par sa teneur q u ’on juge de
la nature de l’aval, 371. — Juridiction appelée à connaître
de l’aval. Différence suivant qu'il s’agit d’effets commerciaux
ou non, 372. — Quid, lorsque l’application de l’aval aux ef
fets dont le payement est réclamé, est contestée, 373 ?
A vis. — Valeur des expressions : Payez sur avec ou sans
avis, 113.
O
B ille t. — Diverses espèces de billets admis par l’ordonnance de
1673 et jusqu’en 1807, 622 et suiv. — Catégories reconnues
par le Code de commerce, 624. — Les conditions exigées
par l ’article 1108 du Code civil régissent tous les billets, 625.
— Les billets simples se placent sous l ’application de l’arti
cle 1326 du même Code. Exception à cette régie, 627. — Le
billet simple ne doit énoncer ni sa valeur, ni sa nature. Ca
ractère de l’obligation des débiteurs et des cautions, 627 et
suiv. — Conséquences de l’endossement du billet simple visà-vis du cédant, des tiers, du débiteur cédé lui-m êm e. For
me et effets de la notification, 629 et suiv. — Autres consé
quences relativement au cédant, aux endosseurs et à la dé
chéance, 631.
�DES M
ATIÈRES.
853
Billet, à dom icile. — Son caractère et son objet, 6 8 7 .—
En quoi il diffère du billet à ordre et de la lettre de change,
688 et suiv. — Ses effets, 690. — Controverse à son égard
et solution, 691 et suiv. — Où doit être fait le protêt, où
la signification du jugem ent et celle du commandement,
695 ?
Ballet à o rd re . — Sa nature. Utilité du billet à ordre. 621.
— Différence entre lui et la lettre de change. Leur spécialité
respective, 658 et suiv. — Son influence sur la juridiction
qui doit en connaître, 661.— Peut être fait par acte notarié,
662. — L’article 1326 du Code civil est-il applicable, 663 et
suiv.? — Le billet à"ordre est régi par la plupart des règles
de la lettre de change. Dérogation que l’article 187 a intro
duite à l ’ancien droit, 666. — Le billet à ordre doit être
daté. Effets de l’omission ou de l ’inexactitude de la date, 667
et suiv. — Il énonce la somme à payer. Expressions rem
plissant ou non cet objet, 669. — Il indique le nom de celui
à l’ordre de qui il est souscrit, 670. — L ’époque à laquelle
il doit être payé. Modes divers d’échéances, 671 et suiv. —
La nature de la valeur reçue. Importance de cette condition,
674 et suiv. — Effets de sa violation, 678. — Conséquences
de la transformation du billet à ordre en simple promesse,
679 et suiv. — Difficultés sur la compétence, 681. — Im
portance au point dé vue du droit criminel. Détermination
du caractère du billet à ordre. A qui appartient cette déter
m ination, 682 et suiv. — La connaissance des difficultés,
nées à l ’occasion d’un billet à ordre souscrit par des com
m erçants et non commerçants, appartient au tribunal de
commerce, même lorsque ces derniers sont seuls poursui
vis, 685.
B ille ts a n p o r t e n t * . — Origine du billet au porteur, lois
diverses qui l'ont successivement proscrit et rétabli, 642 et
suiv. — Effets du silence gardé par le Code à cet égard, 644.
— Sa forme est encore régie par l ’édit de 1721, conséquen-
�834
TABLE ALPHABÉTIQUE
ces, 645. — Le billet au porteur se transmettant de la main
à la main, le cédant n ’est soumis à aucune garantie. Le con
traire peut être stipulé, 646.— I l peut également être trans
mis par la voie de l'endossement, conséquences pour la ga
rantie, 647. — La signature isolée au dos du billet consti
tuerait-elle la promesse de garantie ; quelle serait dans tous
les cas l ’étendue de celle-ci ? 648 et suiv. — Le billet au
porteur ne peut être assimilé au billet à ordre, conséquences,
652. — Incompétence du tribunal de commerce à l ’endroit
des billets au porteur, 653 et suiv. — L ’effet au porteur
peut être revendiqué dans les cas de l'article 2279 du Code
civil. Obligation du revendiquant, 657.
B ille t d e c h a n g e . — Ancien droit sur ces billets, 37. —
Silence gardé par le Code, quelles en sont les conséquences,
38. — Effe t d’un billet promettant de créer des lettres de
change.
O
C a u tio n . — Obligation des tire u rs et endosseurs de donner
caution à la suite du protêt faute d’acceptation, 190. — Le
propriétaire d’une lettre de change perdue, qui veut en ob
tenir payement, doit donner caution, 416 et suiv. — Forme
et effets de celle prescrite par l ’article 152. D roit d'en de
mander le remplacement si elle devient insolvable, 423. —
Durée de ce cautionnement, motifs qui l ’ont fait réduire à
trois ans, 439. — Condition exigée par le Code, 440 et suiv.
— Nature de la prescription résultant de l ’expiration de trois
ans, art. 443.
C a u tio n n e m e n t s im p le . — Le simple cautionnement don
né à des effets de commerce par un non commerçant n ’en-
�DES MATIÈRES.
335
traîne ni la solidarité, ni la contrainte par corps, à moins de
stipulation contraire, 368.
C h a n g e. — E n quoi il consistait avant la découverte de la let
tre de change, ce qu’il a été depuis, 13 et suiv., voy. Con
trat de change. — On appelle également change l ’indem
nité payée ou retenue par le banquier opérant une vente
d’argent, 1 5 * — Diverses espèces de change admises par le
droit italien et par l ’ancien droit français, 16 et suiv. — Lé
galité de chacune d’elles, 18.— Dans quelle catégorie doiton placer celui que les Italiens qualifiaient cambio con la r i-
corsa? 19. — Le Code n’admet pas toutes ces distinctions,
20. — Le change peut-il constituer l ’usure ? 21.
C o m p e n s a tio n . — Caractère de la compensation, comment
et entre qui elle s’opère en matière d’effets commerciaux,
697. — Nécessité de l ’exigibilité actuelle de la créance et de
la dette, conséquences, 698. — L ’accepteur qui n ’a pas en
core payé ne peut compenser avec les sommes liquides qu’il
doit au tireur, 699.— L ’exigibilité occasionnée par la faillite
permet-elle la compensation, 700.
C o m p te d e r e t o u r . — Son objet, sa nature, 594 et suiv.
— Sommes qu’il peut comprendre, 596 et suiv. — Doit
énoncer le taux du change entre la place d’où il est fourni et
celle su r laquelle il est fourni, le nom de celui sur qui la re
traite est tirée, 601. — Pièces justificatives dont il doit être
accompagné, leur objet, 602.— Par qui est certifié le compte
1 de retour. A quoi s’applique l ’attestation de l ’agent de chan
ge et à défaut des commerçants, 603. — Second certificat
exigé lorsque le compte de retour est fourni sur l ’endosseur.
Abus auquel ce certificat a donné naissance, 604 et suiv.
— Caractère du compte de retour isolé des pièces justifica
tives. Effets de celles-ci, 606 et suiv. — I l ne peut être fait
qu’un seul compte de retour. Par qui doit-il être payé, 608 ?
C o n fu s io n . — Nature et effets de la confusion, 719. — Ca-
�856
table
a lp h a b é t iq u e
ractère et conséquences de celle opérée su r la tête de l ’ac
cepteur, 720.
C o n tr a in te p a r c o r p s , voy. Femmes, Filles. — Le don
neur d’aval peut stipuler qu’il ne sera pas soumis à la con
trainte par corps, 355. — L'aval souscrit à une lettre de
change ou à un billet à ordre, réputé simple promesse, ne
soumet pas le non commerçant à la contrainte par corps,
6 3 1 ,6 7 9 . V. la note à la suite du n° 751 et dernier.
C o n tra t «le c h a n g e . — Caractère de ce contrat sous l ’école
italienne. Câsaregis, Scaccia, A zuni, de Luca , 22. — Le
principe et ses conséquences furent admis par notre ancien
droit, 23. — Droit actuel. MM. Pardessus, Frém ery, Tro p long, Nouguier, 24. — A quelles conditions pourra-t-il être
querellé d’usure, 25 ? — Peut devenir la matière d’un prêt.
Conséquences, 26. — E s t- il vrai que le contrat de change
participe de plusieùrs autres contrats, 2 7 .— Nécessité de ne
pas lu i donner les attributs de la lettre de change, 28. — Le
contrat de change doit, pour sa validité, réunir les conditions
exigées par l ’article 1108 du Code civil, 29. — Le contrat de
change est surtout constaté par la lettre de change, 40 —
Qu\d, du billet à domicile, 691 et suiv.?
C op ie. — La lettre de change peut être négociée par copie.
Différence entre celle-ci et les duplicata, 109. — Ce que
doit être la copie de la lettre de change, 110. — Comment
doit procéder l ’auteur de la copie, s ’il a déjà endossé l ’origi
nal, 111 et suiv. — Obligations pour l ’officier instrumentaire
de laisser copie exacte du protêt, 573.— Où doit être laissée
la copie du billet à domicile, 695.
C o u r tie r d e c o m m e r c e , voy. agent de change, Incompa
tibilité.
�DES MATIÈRES.
537
D a te . — L ’exigence de la date dans la lettre de change est une
innovation au droit ancien, 58. — E n quoi consiste la date
de la lettre de change, 29. — Effets de son omission, 60 et
suiv. — Les dispositions de l ’article 1328 du Code civil ré
gissent-elles la lettre de change, 62. — La simulation de la
date peut être prouvée par témoins, 63. — Place que l ’usage
a consacrée à la date, 6 6.— La date est-elle nécessaire dans
l ’acceptation, 220 ? — Celle qui lu i est donnée fait-elle foi
contre les tiers, 221. — Effe ts de son omission, lorsque la
lettre est à un certain temps de vue, 222. — Doit-elle; lo rs
qu’elle est requise, être de la même main que celle qui a
écrit l ’acceptation, 223 et suiv.? — La date est également
exigée pour la validité de l'endossement. Motifs, 304. — La
date ne comporte pas d’équipollents. Les expressions fait,
u t supra, u t rétro, ne sauraient constituer la date, 305 et
suiv. — L ’omission de la date ne serait suppléée ni par un
aval de garantie donné à l ’endossement, ni par un protêt
faute d’acceptation, 307. — La date est encore exigée dans
le billet à ordre, 667 et suiv., voy. Acceptation , Billet à or
dre, Endossement. Lettre de change.
D é c h é a n c e . — La déchéance du porteur est la peine de la vio
lation des devoirs qui lu i sont imposés. Convenance de sa
consécration, 516 et suiv.— Son caractère, 519. — Doit-on
l ’opposer in limine litis, 520 ? — Ses effets, 521 et s u iv .—
Obligation imposée au tireur qui l ’invoque de prouver l ’exis
tence de la provision. Son caractère. Conséquences de la
faillite du tiré avant l ’échéance, 523 et suiv. — Quid, des
donneurs d’aval garantissant le tire u r, 525. — La déchéan-
�S58
TABLE ALPHABÉTIQUE
ce peut-elle être invoquée par le souscripteur d’un billet à
domicile, 526 ? — Le signataire de la lettre de change, quel
qu’il fû t, qui aurait repris la provision, serait irrecevable à
exciper de la déchéance, 528. — La certitude de la fausseté
de la lettre de change relèverait-elle le porteur de la néces
sité de faire les diligences prescrites et empêcherait-elle la
déchéance, 534?
D é la i. — Quel est le délai pour la présentation de la lettre de
change payable à un certain temps de vue et tirée de France
sur l'étranger et réciproquement, 469. — Les parties peu
vent déroger à cette disposition légale et la modifier, 472.—
Quel est le délai pendant lequel ces mêmes lettres doivent
être protestées, 457 et suiv. — Comment se calcule le délai
de quinzaine de l ’article 162, dans le cas de poursuites col
lectives, 509 et suiv. — De quel moment court le délai pour
l ’endosseur qui a remboursé, 525 ?
D é la i d e g râ c e . — Disposition à cet égard de l ’ordonnance
de 1673, abrogée par le Code, 279. — Caractère de la dispo
sition du Code. Nature delà prohibition, 280 et suiv.— Cette
prohibition peut être levée par le gouvernement, 282, 448
et suiv.
D o n n e u r d ’a v a l. — Ses obligations, voy. Aval Dans le
doute, on doit se prononcer contre lu i, 359. — On n ’a plus,
comme l’exigeait l ’ordonnance de 1673, à lu i notifier le pro
têt dans la quinzaine, 369. — Obligations et droits du don
neur d’aval, selon qu’il a cautionné le tire u r, l ’accepteur ou
l ’endosseur, 370.
D o n ia eu r d e v a le u r ; voy. Porteur.
D u b lic a ta . — La lettre de change peut peut être faite par
première, deuxième, troisième, etc. Motifs, 104 et suiv. —
Conséquence de l ’omission du numéro d’ordre sur les divers
exemplaires de la lettre de change, 106. — Dans l ’usage, on
mande de ne payer le duplicata qu’à défaut du payement de
�DES MATIERES.
339
la première. Conséquences de celte clause, 107. — Mode du
payement à défaut de cette stipulation, 108. — Conditions
pour être payé sur duplicata en cas de perte de la lettre de
change, 413 et suiv. — Comment on le crée. Devoir des
endosseurs, 430 et suiv. — Destination qu'il peut rece
voir, 437.
E c h é a n c e . — La lettre de change doit indiquer l'époque de
son échéance. Caractère et effet de cette indication, 77. —
Conséquences d'une échéance conditionnelle ou indétermi
née; 78. — L'omission de l ’époque de l ’échéance ne serait
pas réparée pour le passé par la détermination qu’en ferait
plus tard l ’accepteur, 79, voy. Payement. — U tili'é de la
fixation de l ’échéance, 261 et suiv. — Pourrait-on la subor
donner à celle d’un événement quelconque ou de l'accom
plissement d’un fait, 263 ? — Caractère de celle à vue, 265
et suiv. — Effe ts de l ’échéance fixe et déterminée, 268. —
Différence entre l ’échéance à un certain temps de vue et
celle à un certain temps de date. Conséquence, 269 et suiv.
— Effets de l'échéance fixée en foire, 272. — Quia, si l ’é
chéance tombe à un jo u r férié légal, 277 et suiv. — Condi
tions de l ’échéance pour les billets à ordre, 671 et suiv., voy.
Billet à ordre.
E n d o s s e m e n t. — Importance de l ’endossement, lorsque la
lettre de change est fournie à l ’ordre du tireur lui-même.
Conditions qu’il doit ré unir, 101 et suiv — Effe ts de l ’en
dossement en général sur la propriété du titre commercial,
283 et suiv. — Quid, à l’endroit du billet à ordre souscrit
par des non commerçants, ou dont la cause n ’est pas com-
�540
TABLE ALPHABÉTIQUE
merciale, et à l ’endroit de la lettre de change réputée simple
promesse, 286 et suiv. — Caractère de l ’endossement par
acte séparé. Ses effets, 288 et suiv. — L'endossement est-il
régi par l ’article 1326 du Code civil, 290 ? — Les endosse
ments exislant sur le duplicata profitent tons au propriétaire
définitif du titre, 2 9 i . — Capacité requise pour pouvoir va
lablement endosser. Conséquence, 292. — Quid, de celui
souscrit aux approches de la faillite ou après sa déclaration,
293 et suiv. — Caractère de celui souscrit en faveur d’une
maison déjà en faillite, 295. — Peut-on valablement endos
ser un effet après son échéance, 296 et suiv.? — Peut-on
effacer l’endossement déjà inscrit, 299? — Un endossement
peut ne constituer qu’un nantissement ou qu’un m andat,
300 et suiv. — L ’endossement doit être daté. Cette date
peut-elle être suppléée par des ëquipollents, 304 et suiv.?
— L’endossement, pour celui qui a fourni à son ordre pro
pre, doit avoir une date spéciale, 30.6. — La date ne serait
remplacée ni par un aval de garantie en faveur de l ’endos
seur, ni par un protêt faute d ’acceptation, 307. — L ’endos
sement doit exprim er la valeur fournie. Conséquences, 308
et suiv. — La valeur est suffisamment exprimée par ces ex
pressions : Valeur en solde, valeur en bons offices, 314. —
L ’omission de la valeur dans les effets de commerce ne sau
rait être suppléée, 315. — L ’endossement doit mentionner
le nom du preneur, 316. — Effets de l’endossement régulier,
quant aux garanties hypothécaires attachées au titre négo
cié, 317. — Quid , lorsque l’hypothèque a été donnée pour
sûreté d ’un crédit ouvert, 318. — L ’endossement à forfait
et sans garantie peut être fait valablement par acte séparé,
346.
E n d ossem en t
c m b la n c . — Effet q u ’il produirait dans
l’hypothèse d’une lettre de change fournie à l ’ordre du ti
reur, 103. — Caractère de l’endossement en blanc. Consé
quences de la faculté de le remplir, 329 et suiv.— Exception
�DES M
ATIÈRES.
541
que cette faculté comporte, 332. — Effets de l ’endossement
en blanc vis-à-vis des divers intéressés, 333 et suiv., voy.
Endossement irrégulier.
E m lo ssc u ie n ft i r r é g u l i e r . — Caractère et conséquences
de l’endossement irrégulier, 319. — Contre qui pourra se
faire la preuve que le porteur de l ’endossement en a réelle
ment fourni la valeur, 320 et suiv. — Caractère de l ’action
du porteur contre les tiers, 222. — L'endossement irrégu
lier vaut pouvoir de négocier l ’effet. Responsabilité qu’en
court le porteur, si cette négociation est réalisée par lui
par un endossement régulier, 323, voy. Endossement en
blanc.
E n d o s s e u r . — L ’endosseur est, comme le tireur, obligé de
procurer l ’acceptation. Difficulté que souleva cette assimi
lation, 1 7 0 . — Peut-il, à cet effet, indiquer un besoin obli
gatoire pour le porteur, 176. — Les endosseurs seraient li
bérés par l ’assentiment du porteur au biffement de l ’accepta
tion, 184. — Ils pourraient form er tierce opposition au
jugem ent intervenu a raison de ce en tre le porteur et l’ac
cepteur, 185. — Obligations naissant pour eux du protêt
faute d ’acceptation, 187. — Caractère de la solidarité à la
quelle ils sont soumis, 342. — Les endosseurs profilent jus
q u ’à concurrence du payement partiel, 446. — Effet par
rapport à eux du payement par intervention, 463. — L ’en
dosseur qui a remboursé est subrogé à toutes les obligations
du porteur, 5 1 5 .— Il encourt la même déchéance, s ’il n’a
pas fait ses diligences en temps utile, 530. — L’endosseur,
déchu aux termes de l’article 169, ne pourrait agir contre
ses garants du chef du porteur et comme lui étant subrogé,
532. — Position de l’endosseur qui a remboursé le porteur,
malgré la déchéance, vis-à-vis de celui-ci et des autres en
dosseurs, 532. — Obligation pour les endosseurs d ’indiquer
leur cédant, alors même q u ’ils auraient négocié la lettre sans
�542
TABLE ALPHABÉTIQUE
la signer, 535. — L’endosseur qui a remboursé peut-il at
taquer l’huissier dans le cas de nullité du protêt pour vice de
forme, 571 et suiv.? — L’endosseur peut se rem bourser par
voie de retraite, 582.
F
Faillite. — La faillite du tiré avant l ’échéance délrqit-elle la
provision, 165. — A qui appartient la provision dans le cas
où le tireur vient à faillir avant l’échéance, 160. — Effets de
l’antériorité de la faillite à l ’endroit de l ’accepteur et de la
masse, 206. — La faillite du porteur autorise l ’opposition au
payement de la lettre de change. Motifs et conséquences,
408 et suiv. — La faillite du tiré ne dispense pas le porteur
de l ’obligation de protester le lendemain de l ’échéance, 483.
— Nature et effet de la faculté accordée en cas de faillite de
l’accepteur, 484, — Peut être exercée dès la cessation de
payement et avant le jugem ent déclaratif, 485. — La pres
cription de cinq ans est-elle suspendue en faveur ou contre
le commerçant déclaré en état de faillite, 737.
Fanx. — Caractère des divers faux dont la lettre de change et
le billet à ordre sont susceptibles, leurs effets, voy. Tiré. A
qui incombe la charge de proùver le faux, 382, voy. Paye
ment. — La certitude de la fausseté du titre relèverait-elle
le porteur de la déchéance résultant du défaut de protêt en
temps requis, 535.
Fcniinc. — Les femmes ou filles non marchandes publiques ne
peuvent signer valablement des lettres de change, celle-ci ne
vaut à leur égard que comme simple promesse. Motifs, 129.
— Quid, pour la femme mariée pourvue de l'autorisation
maritale, 130. — Effets du refus fait par la loi d’attribuer le
�DES MATIÈRES.
S43
caractère commercial à la lettre de change tirée par une
femme ou une fille, 131. — Quid, par rapport à la compé
tence du tribunal de commerce et à la contrainte par corps,
632 et suiv. — Conditions requises pour l ’application de l’ar
ticle 113 du Code de commerce, 136. — La femme du com
m erçant est-elle comme son mari dispensée, lorsqu’elle signe
un billet à ordre, d'approuver la somme, 655.
Filles, voy. Femmes.
F o r c e m a j e u r e . — Suspend le cours de la déchéance pour
défaut de protêt. Ancienne législation à cet égard, 486. —
Discussion au conseil d’E tat, 487. — Mission des tribunaux
quant aux faits constitutifs d e là force majeure. Exemples
divers, 488 et suiv. — Peut-on assimiler à la force majeure
le retard du courrier, 491. — Dans quel sens la force ma
jeure suspend-elle le prescription quinquennale, 738.
G a r a n t ie . — Quelle est la garantie encourue par celui qui a
endossé un billet non commercial ou une lettre de change
réputée simple promesse, 631, 679. — La signature isolé
ment apposée au dos du billet au porteur constituerait-elle
une promesse de garantie. Dans tous les cas quelle en serait
l’étendue? 648 et suiv. — Effet pour les endosseurs de la
clause de transmissibilité sans garantie stipulée par le sous
cripteur de l ’effet, 686, voy. Accepteur , Aval, endosse
ment, Lettre de change, Tiré, Tireur.
�SM
TABLE ALPHABÉTIQUE
11
H nissicr. — Est-il obligé de se transporter au domicile des
besoins indiqués par les endosseurs, 549 et suiv. — Où doitil procéder, si à l ’échéance le tiré avait quitté le domicile in
diqué dans la lettre de change, 556. — Sa responsabilité à
l'endroit de l’exactitude des indications du protêt, 561. —
Nature de celle qu'il encourt en cas d’invalidité du protêt.
Qui peut s’en prévaloir? 566 et suiv. — L’huissier qui n ’a
fait que se conformer à l’ordre qu’il a reçu ne répond pas de
l ’erreur dans les indications par lui reçues, 569. — L ’endos
seur qui a remboursé peut-il demander compte à l’huissier
de la nullité du protêt, 571 et suiv. — Obligations de l’huis
sier de laisser copie exacte du protêt, où doit-il la laisser,
57S et suiv. — Objet et forme de la transcription du protêt
sur un registre spècial, effet de l’inexécution, 575 et suiv.,
voy. Protêt.
H y p o th è q u e. — Effets de l’endossement régulier à l’endroit
de l’hypothèque donnée en garantie de l’effet endossé, 317.
— Comment se transm et l’hypothèque attachée à une obliga
tion notariée au porteur, 656.
X
in c o m p a t ib ilit é . — Conséquences de l ’incompatibilité de cer
taines professions avec le commerce à l ’endroit des lettres
de change, 30. — Nature de la prohibition faite aux agents
de change et courtiers. Conséquences, 32. — Effets de la
violation, 34, voy. Agent de change, Aval.
�DES MATIÈRES.
545
I n t e r d i c t i o n . — Ne suspend pas la prescription quinquen
nale, 736.
I n te r d it. — Ne peut valablement concourir au contrat de
change, 29. — Ni signer un aval, 353.
I n té r ê t. — L’intérêt du principal de la lettre de change pro
testée court du jour du protêt, 616.— Celui des frais du pro
têt, rechange, etc., n ’est dû que du jour de la demande en
justice, 617.
I n te r v e n a n t, voy. Acceptation et Payement par inter
vention.
Jtogirs d e fa v e u r . — Le Code de commerce les prohibe, et
a par conséquent abrogé sur ce point l ’ordonnance de 1673,
279.
J o u r s f é r i é s . — Ancienneté de leur institution, 273. — Dé
termination de ceux qui sont obligatoires, 274, voy. éché
ance , Protêt. — Avis du Conseil classant dans celte catégo
rie le premier jour de l ’an, 375 et suiv.
L e t t r e d e e S ia n g c .. — Son im portance, sa mission, besoin
qu’elle a à satisfaire, 1 et suiv. — Ce qu’elle fut d ’abord, 4.
— Modification q u ’elle subit par l’adjonction de l'ordre. In
fluence de cette clause sur sa circulation, 5. — Personnes
diverses dont elle appelle forcément le concours, 6. — Elle
devint bientôt une véritable marchandise, 7 .— Effet qu'elle
produisit sur le principe qui prohibait le prêt à intérêt, 12.
— Nécessité, pour bien apprécier la lettre de change, de se
former une idée exacte du change, 13, voy. Change et Con
trat de change. — Nature et caractère de la lettre de cliann —
35
�846
TABLE ALPHABÉTIQUE
ge, 41. — Doit être signée, 42. — Pourrait-on en prouver
l ’existence par témoins, 43. — N’est pas régie par l’article
1326 du Code civil, 44. — Peut être reçue pardevant no
taire, conséquences quant au transfert de la propriété et des
garanties, 45 et suiv. — La lettre de change notariée doit
être enregistrée dans le délai prescrit pour les actes authenthiques, 47. — La lettre de change n ’existe que si elle con
tient remise de place en place, et que si elle l ’exprime, 48 et
suiv., voy. Remise déplacé en place. — Elle doit être da
tée, 58, voy Date. — Elle énonce la somme à payer, motifs
et forme de cette condition, 65 et suiv. — Elle désigne celui
qui doit la payer, appréciation dont la loi charge les tribu
naux, 68 et suiv. — Conséquences de l'erreur dans la dési
gnation, 72.— Le tireur peut-il être indiqué comme devant
effectuer le payement, 73. — Elle doit déterminer l ’époque
du payement, et le lieu où il doit s’effeetuer, 77 et suiv. —
Elle énonce la valeur et en quoi elle a été fournie, 81, voy.
Valeur. — Elle est à l ’ordre d ’un tiers ou à l’ordre du tireur
lui-m êm e, 96. — Elle énonce si elle est par première,
deuxième, troisième, etc., 101. — Elle peut être négociée
par copie, 109. — Modèle de lettre de change, 114. — Doiton considérer comme lettre de change l’effet tiré sur un in
dividu domicilié dans le lieu où la lettre de change est sous
crite, mais qui est payable dans un autre lieu, 115. — La
lettre de change peut être tirée par ordre et pour compte
d’un tiers, 116. — La lettre de change perdue ou volée peut
être revendiquée pendant trois ans. 458. — Dans quel délai
doivent être présentées les lettres de change payables à un
certain temps de vue ou tirées de France sur les pays étran
gers et réciproquem ent, 467 et suiv. — La lettre de change
peut être au porteur. Conséquences quant à la juridiction
consulaire,' 655.
Lettre de change im parfaite. — Caractère de la lettre
de change qui ne contient pas remise de place en place ou
�DES MATIÈRES.
54 7
qui ne l’exprime pas, ses effets, 49. — Doit-on considérer
comme une lettre de change l ’effet souscrit à l’ordre du ti
reur, négocié par lui et protesté ensuite en son nom, 55. —
Effets de la lettre de change qui n ’est pas datée, 60. — Effet
de celle qui ne détermine aucune échéance, ou dont l ’éché
ance est conditionnelle, 78 et suiv. — Effets de l ’absence ou
de l’insuffisance de l’expression de la valeur ou de sa nature,
90 et suiv. — La lettre de change qui contient une supposi
tion, soit de nom, soit de qualité, soit de domicile, soit des
lieux d’où elle est tirée ou dans lesquels elle est payable,
n ’est q u ’une simple promesse, 117, voy. Supposition . —
Celle souscrite par une femme ou une fille ne vaut à leur
égard que comme simple promesse, 129. — Par quels prin
cipes doit-on régir la garantie des endosseurs, lorsque la let
tre ne vaut que comme simple promesse, 631, 679.
t r l j f c d e c r é d i t . — Sa définition, double objet q u ’elle se
propose, 633. — Son caractère s’oppose à ce q u ’elle soit né
gociée, 634. — Sa délivrance, son emploi, son accueil sont
purement facultatifs. Cas dans lequel elle ne pourrait être
rétractée, 635 et suiv. — Conséquences de la lettre de cré
dit, droits et obligations réciproques du créditant, du crédité
et du créditeur, 637. — Nature de l ’obligation résultant
d’une lettre créditant un négociant auprès d ’un autre. D’où
pourrait s ’induire l’exécution, 638 et suiv. — Pourrait-on
appliquer le crédit à la dette antérieure à son ouverture,
640. — Faculté pour le créditant de stipuler qu’il ne sera
soumis ni à la solidarité, ni à la contrainte par corps, 641.
t . d < r e m i s s i v e — L ’acceptation peut-elle être donnée par
lettre missive, difficulté qui pourra en surgir, 215 et suiv.
— On peut aussi donner un aval par lettre, 356 et suiv. —
La dénonciation du protêt par lettre missive seulement, em
pêcherait-elle la déchéance, 506. — La reconnaissance de la
dette par lettre missive interrom prait la prescription, 743 et
suiv.
�548
TABLE ALPHABÉTIQUE
M
Marchandises. — A quels titres peuvent être livrées les
marchandises destinées à former la provision, conséquences,
145 et suiv., voy. Provision.
M in e u r . — Incapacité du mineur à l’endroit des lettres de
change, 137. — Caractère de la nullité dont les titres sous
crits par lui sont frappés, 138. — Ses effets relativement à
la compétence du tribunal de commerce, 139. — Ne peut
signer valablement un cautionnement quelconque, 353.
M in o r it é . — Ne suspend pas la prescription quinquennale,
736.
N
N o ta ir e , voy. Huissier, Protêt.
N o v a tio n . — Objet de la novation, son fondement juridique,
701. — Actes entraînant novation en matière commerciale,
702. — La déchéance de l’article 168 n ’est que l'effet d’une
novation légalem ent présumée, 703. — Quid, du traité in
tervenu entre le porteur et l’un des débiteurs, par exemple,
si le premier avait débité le tireur du m ontant de l’effet,
704. — Qu’en serait-il dans ce cas vis-à-vis de l’accepteur à
découvert, 705 et suiv. — L ’acceptation par le porteur d’un
nouveau titre signé par les endosseurs vaudrait-elle nova
tion en faveur du débiteur principal, tireu r ou accepteur,
707. — Importance de la novation pour juger si la pres
cription trentenaire a été substituée à la prescription quin
quennale. Diverses appréciations de la jurisprudence, 747 et
suiv.
�DES M ATIERES.
549
O b lig a t io n n o t a r i é e . — L ’obligation notariée payable au
porteur est valable. Conséquence à l’endroit des hypothè
ques, 656.
O p p o s it io n . — Aucune opposition ne peut être faite au paye
ment des effets commerciaux, caractère de] cette règle, 406
et suiv. — Exceptions q u ’elle comporte, leur nature, leurs
effets, 409. — Forme de l’opposition, 410.
O r d o n n a n c e d n j u g e . — Le payement sur duplicata d’une
lettre de change perdue, si elle a été acceptée, ne peut avoir
lieu que sur ordonnance du juge. Caractère et forme de
cette ordonnance, 315. — En quoi elle diffère de celle exi
gée par l'article 152 du Code de commerce, 418. — Celleci doit-elle précéder l ’acte de protestation, 426.
O r d r e . — Influence que l ’invention de la clause à ordre a
exercée sur la circulation de la lettre de change, 5. — Né
cessité sous le Code de l ’insertion de cette clause, 97 et suiv.
— Ces mots à l'ordre ne sont pas sacramentels, équipollents
admis ou rejetés par la jurisprudence, 99. — Importance de
l ’endossement lorsque la lettre de change est à l ’ordre du
tireu r lui-même, 101 et suiv., voy. Endossement. Une let
tre de change peut être tirée par ordre d ’un tiers. Position
et obligations de celui-ci, 116.
P a y e m e n t . — Nécessité d ’indiquer le lieu où doit se faire le
le payement, 80, voy. Echéance, Lettre de change .— A qui
doit être fait le payement, 375. — P ar qui est dû celui de
de la lettre de change, 376. — Le payement doit être réalisé
dans la monnaie convenue. Quid, s ’il s’agit d ’une monnaie
étrangère, 385 et suiv. — A défaut de stipulation, le paye-
�850
TABLE ALPHABÉTIQUE
ment doit être fait en monnaie ou en papiers ayant cours lé
gal et obligatoire au lieu de payement, 285.— Effet du paye
m ent en valeurs pour le preneur et le tiers, 386. — A quel
domicile doit-on réclamer le payement, 387.— Faculté pour
le débiteur de consigner à défaut de réclamation dans les
trois jours, 388. — Le payement ne peut être exigé qu’à
l’échéance. Exception en cas de faillite du tireur ou du sous
cripteur du billet à ordre, 389 et suiv. — Quelle est, relati
vement au payement, la conséquence de la faillite de l’ac
cepteur, ou de l’un des endosseurs, 391 et suiv. — Faculté
pour le débiteur de payer avant l ’échéance, danger qu’il
court, 393 et suiv. — Quia du payement réalisé sur faux
acquit, 375 et suiv. — Le porteur ne peut être contraint à
recevoir payement avant l’échcance, 398. — Comment doiton payer les duplicata de la lettre de change, 399 et suiv.
— Devoir de celui qui a accepté, restitution de l'exemplaire
accepté, droits du porteur de celui-ci, M l et suiv. — Posi
tion de l ’accepteur qui a négligé ce devoir vis-à-vis du ti
reur, 404. — Contre qui peut-il exiger le remboursement
du second payement, 405. — Comment se prescrit le paye
ment de l’effet perdu ou soustrait, 411 et suiv. — Effets du
payement, 444.
Payem ent p a r intervention. — Objet de l’intervention
pour payer, à quelle époque elle est recevable, 450 et suiv.
— Forme de sa constatation. Nécessité de la signature de
l’intervenant, 452. — Le payement par intervention ne sau
rait être refusé, 453. — Qui peut l’opérer, 454. — Intérêt à
déclarer en faveur de qui on intervient, 455. — Comment se
règle la préférence si plusieurs se présentent, soit pour le
même signataire, soit pour des signataires différents, 456 et
suiv. — Effets du payement par intervention, subrogation
aux droits du porteur, conséquences, 458 et suiv. — Le
porteur, garant de son fait personnel, est-il tenu de rem
bourser si la signature pour laquelle on est intervenu était
�DES MATIÈRES.
551
fausse, 460 et suiv. — Libération que le payement opère,
ordre dans lequel elle se réalise, 463.
Payement partiel. — Effet de ce payement sous l ’ancien
droit, abrogation par le Code, 445 et suiv. — Ses effets à
l’égard de celui qui le reçoit, 447.
P erq u isitio n (Procès-verbal de). — Dans quelles circonstan
ces est-il nécessaire de rédiger un procès-verbal de perqui
sition, 554. — Nature de cet acte. Forme de la signification,
555.
Perte de la lettre de change. — Conditions exigées
pour obtenir payement de la lettre de change perdue, 411 et
suiv. — Mode de procéder dans le cas où il n ’existe qu’un
exemplaire, 417 et suiv.— Devoir du juge d ’exiger la preuve
de la propriété et la dation d’une caution. Forme et effets de
celle-ci, 423. — Comment se conserve le recours contre les
endosseurs en cas de perte de la lettre de change, 424. —
— Comment doit-on interpréter l’article 153 du Code de
commerce, 425. — Formalités à remplir pour se procurer
un duplicata de la lettre de change. Devoir des endosseurs,
430.
P o rteu r. — Rôle qu’il est appelé à jouer dans la création d’une
lettre de change, 6. — Droits et devoirs du porteur relative
m ent à l ’acceptation, 173, voy. Acceptation. — Ses droits
en cas de refus. Nature et objet de l ’action qu’il peut inten
ter contre les divers signataires, 186 — Ses devoirs à l’en
droit du payement, 464 et suiv. — Importance de ce devoir
pour les lettres payables à un certain temps de vue.— Délai
pour leur présentation, 467 et suiv. — Réclamations sur le
silence gardé d’abord sur les lettres de change tirées de
France sur les pays étrangers. Loi du 19 mars 1817, 470 et
suiv. — On peut renoncer au bénéfice de l’article 160 du
Code de commerce, 472. — Effets de sa violation, 473. —
Le porteur doit exiger payement le jour de l’échéance et re
quérir protêt le lendemain, 474 et suiv. — Quid, si l’éché-
*
�S52
TABLE ALPHABÉTIQUE
arice ou le lendemain se trouve un jour férié légal, 476. —
Quel jour doit être rédigé le protêt d’une lettre payable à vue,
477. — Le porteur n ’est dispensé de le requérir, ni par le
protêt faute d ’acceptation, ni par la mort ou la faillite du
tiré, 481 et suiv. — Nature de la faculté qui lui est accordée
en cas de faillite de l’accepteur, 484 et suiv. — Le porteur
dispensé de toute diligence par la clause de retour sans frais
doit-il, sous peine de déchéance, avertir les intéressés du dé
faut de payement. Dans quels délais, 487. — Droits que le
refus de payement confère au porteur, 498. — Son recours
contre le tireur, l ’accepteur, les donneurs d ’aval, les endos
seurs, 499 et suiv. — A quelle époque peut-il être exercé,
503. — Sa forme. Doit être précédé de la notification du
protêt, et d ’une citation en justice, 506 et suiv. — Délais de
ces actes suivant q u ’il y a une distance de plus de cinq m yriamètres. Quid, de la fraction excédant, 509. — Délais
pour les lettres payables ailleurs qu’en France, 510. — E f
fets de la citation donnée devant un juge incompétent, 511.
— La citation doit-elle être suivie d ’un jugem ent, 512. —
Le porteur peut être dispensé de ces formalités, 513. — Ses
obligations en cas de poursuite collective, 514.
P r e s c r i p t i o n . — Convenance d'une courte prescription en
matière d ’effets de commerce, 7 2 6 .— Quels sont les titres
soumis à la prescription de cinq ans, édictée par l’article 189
du Code de commerce. Conséquences, 722 et suiv. — L ’ar
ticle 182 est inapplicable à l ’action de l ’accepteur réclamant
au tireur le montant de ce qu’il a payé à découvert, 725. —
Quid d elà lettre de change réputée simple promesse, 726.
— Caractère de la présomption. Peut-elle être combattue
par des présomptions ou par la preuve orale q u ’il n ’y a pas
eu payement, 727 et suiv.— Point de départ de la prescrip
tion, 731. — Quid si le dernier acte de poursuite est une ci
tation en justice, 733 et suiv. — Différence entre la suspen
sion et l ’interruption, 735. — La prescription de l ’article
189 du Code de commerce est-elle suspendue par la mino-
�*
_•
DES MATIÈRES.
555
rité, l’interdiction, la faillite, la force m ajeure, 736 et suiv.
— Actes constituant l ’interruption, 739. — Quid du protêt
rédigé dans le cours des cinq ans, 740. — A quelles condi
tions la citation en justice interrom pt-elle la prescription,
741. — L ’interruption par reconnaissance de la dette
n ’existe que si cette reconnaissance a été faite par acte sé
paré. Conséquences, 742.— Peut-on forcer le débiteur excipant de la prescription à comparaître en personne, ou à prê
ter un interrogatoire sur fait et articles, 743. — Latitude
laissée aux tribunaux sur ce qui constitue l ’acte séparé, 744.
— Pourrait-on adm ettre comme tel l ’acte antérieur h l’é
chéance des lettres de change, 745. — Effets de la recon
naissance de la dette par le codébiteur solidaire, 746. — Ef
fets de l’interruption, 747 et suiv. — Effets de la prescrip
tion, 750.
P r ê t à in t é r ê t . — Effet de la lettre de change sur le prin
cipe prohibitif du p rêt à intérêt, 12.
P ren ve testim oniale. — Est recevable pour établir l ’exis
tence du contrat de change, 35. — Ne saurait être invoquée
pour établir la forme de la lettre de change, alors même que
la lettre non signée par le tireur serait écrite de sa main,
42. — On peut prouver par témoins la simulation de la
date, 63. — Il en est de même des suppositions ‘d ont la let
tre serait entachée, 126. — La preuve testimoniale est inad
missible pour prouver l ’existence d ’un aval, 375. — La
preuve orale est admissible pour prouver que le porteur a
été dispensé du protêt, 422 et suiv. — Peut-on l’invoquer
pour empêcher la prescription en prouvant qu’il n’y a jamais
eu payement, 727 et suiv.
Protestation (Acte de). — L ’acte de protestation exigé du
porteur qui a perdu la lettre de change, doit-il être précédé
de l'ordonnance du juge, 426 et suiv.
P r o t ê t . — Nature du protêt, différence dans l’obligation de le
ffcidtT’1 ’ __.
�854
TABLE ALPHABÉTIQUE
requérir suivant q u ’il s’agit de l’acceptation ou du payement,
544. — Forme du protêt avant 1664 et depuis, 545. — Qui
peut le requérir, 546. — Où doit-il être fait, 548. — Le
transport de l'officier instrumentaire au domicile des besoins
indiqués par les endosseurs est-il obligatoire, 549, et suiv.
— Les divers accédits sont constatés par un seul et même
acte, 453. — Où doit se transporter l'huissier ou le notaire,
si à l ’échéance le tiré n ’a plus le domicile indiqué dans la
lettre de change, 556. — Ce que doit contenir le protêt. Mo
tifs qui ont fait exiger la transcription du titre, 5 7 7 .—
Comment il est procédé en l ’absence du tiré, 558.— Distinc
tion entre l’indication des motifs du refus de payer et des
motifs du refus ou de l’impuissance de signer, 559. — Foi
due aux énonciations du protêt. Quid, s'il renfermait la re
connaissance de la dette, 560. — L’omission des formalités
prescrites entraîne-t-elle la nullité du protêt, 563. — Le
protêt ne peut être suppléé par aucun acte. Nature de cette
règle, 564 et suiv., voy. Huissier.
Protêt faute d’acceptation. — La loi exige que le refus
d’acceptation soit constaté par un protêt. Motifs, 1 8 2 .—
Droits que ce protêt confère au porteur contre les signatai
res de la lettre de change, 186 et suiv., voy , Acceptation,
H uissier , Protêt.
Protêt faute de payement. — Doit être fait le lendemain
de l'échéance, 475 et suiv^ — Peut-il légalement être requis
le lendemain seulement de l ’expiration des délais de l’article
160 du Code de commerce, 477 et suiv. — Exception si le
lendemain de l’échéance est un jour férié. Système con
traire à l'ordonnance de 1673, 480. — Le protêt faute d’ac
ceptation, la mort ou la faillite du tiré ne dispensent pas de
l’obligation de requérir le protêt, 481 et suiv. — Autre ex
ception. Force majeure. Pouvoirs des tribunaux, 486 et
suiv. — L ’obligation de protester le lendemain peut être
abrogée par les parties. Cette convention pourrait être prou-
�DES MATIÈRES.
555
vée par témoins, 492 et suiv. — Effet de la clause retour
sans frais lorsqu’elle émane du tireur et qu’elle fait partie
intégrante de la lettre de change, 494. — Conséquence pour
le tireur du défaut de protêt, 503 et suiv. — Le protêt doit
être notifié. Cette notification serait-elle régulièrement faite
par lettre missive, 506, voy. Déchéance, Endosseurs, Huis
sier, Protêt.
P r o v i s i o n . — Sa nature. Comment elle s’effectue, 1 4 0 .—
E lle existe lorsque le tiré est débiteur du tireur d’une som
me au moins égale au montant de la lettre de change 141.
— Faut-il que cette dette soit exigible à l ’échéance de la let
tre de change, 142 et suiv. — E lle peut être faite en mar
chandises. A quel titre , 145 et su iv.— Dans quels cas fautil qu’il y ait affectation spéciale consentie par le tireur et
acceptée par le tiré, 148. — A quelle époque les marchan
dises doivent-elles être arrivées en possession du tiré, 150.
— Les marchandises déposées ou consignées pour être ven
dues périssent pour le compte du tire u r, sauf le cas de né
gligence, 151. — La provision peut être faite en effets com
merciaux. De quel jour existera-t-elle dans ce cas, 152. —
E lle peut se faire en compte courant. Importance de cette
opération dans le cas d’une lettre de change tirée pour
compte de tiers, 153 et suiv. — Où doit être faite la provi
sion lorsque la traite est payable à un antre domicile que ce
lui du tiré, 155. — La provision est-elle détruite par la fail
lite du tiré avant l ’échéance, 156. — Comment se prouve
la provision, 157 et suiv. — A qui appartient la provision
en cas de faillite du tire u r, 160 et suiv. — Le tireur a droit
de disposer de la provision tant qu'il n’y a pas acceptation,
164. — Comment se répartit la provision lorsque plusieurs
lettres de change sont tirées sur le même individu, 165. —
A quelle époque le tire u r peut-il substituer la provision ré
sultant de sa créance à celle fournie d’abord, 529.
�356
TABLE ALPHABÉTIQUE
R
R e c h a n g e . — Caractère du rechange. Sens que le Code atta
che à ce mot, 577. — Son fondement, son origine, ses con
ditions, 578 et suiv. — Le porteur usant de la voie de la re
traite est-il dispensé de toutes autres diligences,5 8 1 .—L ’en
dosseur qui a remboursé peut se pourvoir par une retraite,58‘2 .
La retraite suppose la remise de place en place. Conséquence,
583. — Quid lorsqu’il s’agit d’un billet à ordre, 584. —
Signification du mot rechange dans l'article 179 du Code de
commerce. — A quelles conditions pourra-t-on l ’exiger,
586. — A quelle époque a-t-on dû en régler les proportions
entre le tire u r et les endosseurs, 587. — Système suivi en
France avantet depuis l ’ordonnance de 1673.— Raisons qui le
firent maintenir par le conseil d’E ta t, 588 et suiv. — Posi
tion que l ’article 179 fait aux intéressés. — Reproche que
lu i adresse M. Frém ery, 592 et suiv. — Exception que l ’or
donnance admettait à la règle prohibant le cumul des re
changes. Conséquences, 610 et suiv. — Cette prohibition,
aujourd’hui d’ordre public, n’en comporte aucune, 612 et
suiv. — 11 n ’est dû aucun rechange si le compte de retour
n ’est pas accompagné des certificats exigés. Pourrait-on
produire ces certificats après coup, 618 et suiv.
R e m i s e d e l a d e t t e . — Nature de cette remise. Consé
quence pour celle subie après la faillite du codébiteur, 708.
— La remise de la dette est expresse ou tacite. De quels ac
tes s ’induirait celle-ci, 709 et suiv.— Ses effets selon qu’elle
a été consentie au tire u r, à l ’accepteur ou à l ’endosseur.
Conséquences dans le premier cas, 711. — Quid si cette re
mise était accompagnée de réserves contre les autres co
obligés, 712. — Effet de la remise faite au tire u r, à l ’égard
du tiré ou de l ’accepteur, 713. — S i le tiré avait provision,
pourrait-il être actionné par le porteur qui aurait remis la
dette au tire u r, 714. — E ffe t de la remise en faveur de l ’ac-
�DES MATIÈRES.
587
cepteur. A qui dans ce cas appartient la provision, 715. —
S i l ’acceptation avait été donnée à découvert, l ’accepteur qui
a obtenu la remise de la dette pourrait-il se faire livre r la
provision, 716. — Effets de la remise consentie en faveur du
donneur d’aval, ou de l ’endosseur, 717 et suiv.
R e m i s e d e p l a c e e n p la c e . — Origine de cette condition
indispensable pour la régularité de la lettre de change. S i
lence de l ’ordonnance, 48. — Débats qu'elle fit naître au
conseil d’Eta t, 50.— I l n’est pas nécessaire pour son accom
plissement que la lettre soit tirée d'une place de commerce
sur une autre, 5 1 . — Pouvoir des tribunaux en cette ma
tière, 52 et suiv. — Y a -t-il remise de place en place lors
que l ’accepteur a indiqué pour le payement le lieu même
d’où la lettre est tirée, 54. — Comment apprécie-t-on cette
condition, lorsqu’il s ’agit d’une lettre à l ’ordre du tire u r lu imême, 55 et suiv., voy. Lettre de change.
R e s c r i p t i o n . — Nature et effets des rescriptions. Conséquen
ces, 632.
R e t o u r s a n s f r a i s . — Effe t de la clause de retour sans frais
émanant du tire u r et faisant partie intégrante de la lettre de
change, 494. — Chaque endosseur peut y déroger. Consé
quence, 495. — A le droit d’en requérir le bénéfice, 496.—
Le porteur, ainsi dispensé de toute diligence, doit-il, sous
peine de déchéance, prévenir les signataires du refus ou du
défaut de payement, 427.
R e t r a i t e , voy. Rechange.
S
S a i s i e . — Faculté pour le porteur d’un effet protesté de saisir
conservatoirement les effets mobiliers des tireurs, accepteur
et endosseurs, 536. — Rigueur de cette mesure à l ’endroit
des endosseurs. Formalités à remplir, 537 et suiv. — Quel
�558
TABLE ALPHABÉTIQUE
est le juge appelé à permettre la saisie’ Conséquence de
l ’attribution déférée au président du tribunal de commerce,
539 et suiv. — Formes de la permission. Recours dont elle
est susceptible, 542. — La saisie ne peut jamais suppléer
aux diligences imposées au porteur. Conséquences, 543.
S e r m e n t . — Nature et caractère du serment que l ’article 189
du Code de commerce permet d'exiger du débiteur, sa veuve,
héritiers ou ayants cause, 750.
S o l i d a r i t é . — De tout temps admise en matière de lettres de
change. Son caractère et ses effets depuis le Code de com
merce, 341 et suiv. — Exceptions diverses que la qualité
des parties, la faveur de la loi ou la convention des parties
peuvent faire subir à celte règle, 343. — La convention est
expresse, lorsque la cession a été consentie et acceptée à for
fait et sans garantie, 346. — Dans quel cas est-elle tacite,
347. — Qu\d, si le cédant n ’a agi que comme mandataire,
348. — La disposition de l ’article 2037 du Code civil s’ap
plique-t-elle à la solidarité pour lettres de change et billets
à ordre, 349. — Le donneur d’aval peut stipuler qu’il ne
sera pas obligé solidairement, 355. — La solidarité ne ré
sulte pas du simple cautionnement donné à des effets de
commerce par un non commerçant, à moins de stipulation
contraire, 368. — N i de l ’endossement d’un billet à ordre
ou d’une lettre de change dégénérant en simple promesse,
6 3 1 ,6 7 9 .
S n t i i ’o g s ttio n . — Effet de la subrogation relativement à l ’hy
pothèque donnée pour garantie d’un crédit ouvert, 318. —
Celui qui paye par intervention est subrogé aux droits du
porteur. Ses devoirs, 458 et s u iv .— L ’endosseur qui a rem
boursé le porteur subrogé à ses droits, l ’est également à tou
tes ses obligations, 515.
S u p p o s i t io n . — Nature des suppositions pouvant vicier la let
tre de change, 117. — Conséquences du silence gardé par
�DES MATIÈRES.
859
la loi sur la supposition de valeur, 119. — Supposition de
nom. Comment elle peut se réaliser, 120. — Supposition de
qualité. Son caractère, 121.— Supposition de domicile ou de
place. Sa fréquence, 122. — Effe ts des suppositions, 123 et
suiv. — La preuve testimoniale et celle par présomption
sont admissibles pour en prouver l’existence, 126. — Par
qui et contre qui peuvent-elles être invoquées, 127 et suiv.
T
T i e r s p o r t e u r . — Peut-on lu i opposer l ’irrégularité résul
tant du cumul des qualités de tire u r et de tiré , 76. — E f
fets par rapport à lu i de la clause valeur en compte. On ne
saurait, s’il est de bonne foi, lu i opposer k s irrégularités et
les suppositions dont le titre peut être entaché, 129.
T i r é . — Rôle qu’il est appelé à jouer dans l ’exécution de la
lettre de change. Nécessité de sa désignation, 6, voy. Accep
tation, Lettre de change.— Le tiré qui a payé divers exem
plaires de la même lettre de change peut-il se faire rem
bourser par le tireur, 106. — Quid, s’il a payé sur une si
gnature faussement attribuée à celui-ci; 377.— P e u t-il être
relevé de son acceptation, si après, mais avant l ’échéance il
découvre le faux, 378. — Quid, si le faux consiste dans
l ’emprunt d’une signature fait au premier venu, 379 — Po
sition du tiré qui a payé sur une fausse acceptation qu’il s’est
mal à propos attribuée, 380. — Ou dans le cas d’une alté
ration de la somme, 381.— E s t - il forcé d'accepter, lorsq u’il
est débiteur du tiré , voy. Acceptation.
T i r e u r . — Sa position lors de la confection de la lettre de
change, 6. — Peut tire r à son ordre, 35 et suiv. — Peut-il
cumuler sa qualité et celle de tiré, 73 ? — Peut-il fo u rn ir
sur son commissionnaire, sur sa propre maison, 74 ? — Ca
ractère de la traite sur la femme ou sur le commis du tireur,
�TABLE ALPHABÉTIQUE
560
75. — E s t - il recevable à opposer au tiers le cumul des deux
qualités, 76 ? — Recours du tireur contre le tiré ayant pro
vision. Conditions de son exercice, 614 et suiv. — Ses obli
gations et ses droits, voy. Acceptation, Déchéance, Paye
m ent , Protêt, Provision.
T i r e u r d ’o r d r e e t p o u r c o m p t e d ’a u t r u i . — Sa po
sition à l ’endroit de l ’acceptation, 172.
T r i b u n a l d e c o m m e r c e . — E s t incompétent pour con
naître des billets au porteur, 653 et suiv. — Quid, en ma
tière des billets à ordre réputés simples promesses, 679 ? —
Peut-il connaître du litige, lorsqu’un billet à ordre portant
des signatures de commerçants et de non commerçants, ces
derniers sont seuls poursuivis, 685, voy. B illets , Lettres de
change.
V
V a le u r . — La lettre de change énonce la valeur fournie et sa
nature, 81.— Les expressions valeur en compte ont été ad
mises comme remplissant le vœu de la loi. Conséquence et
effets, 82 et suiv. — Valeurs pouvant ou non devenir la ma
tière d’une lettre de change, 86 et suiv. — Exemples d’ex
pressions n ’énonçant pas suffisamment la valeur, 88 et suiv.
— E ffe t du défaut d’indication, de la fausse indication ou de
l ’indication insuffisante, 90 et suiv, — Ces irrégularités se
raient-elles corrigées par un endossement régulier, 94 et
suiv.?
Vu. — Le mot vu, suivi de la signature sans autre indication,
conslitue-l-il une acceptation, 214?
FIN DE LA TABLE ALPHABÉTIQUE
��
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Publisher
An entity responsible for making the resource available
L. Larose (Paris)
A. Makaire (Aix)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1877
Rights
Information about rights held in and over the resource
domaine public
public domain
Relation
A related resource
Notice du catalogue : http://www.sudoc.fr/234481544
Vignette : https://odyssee.univ-amu.fr/files/vignette/RES-22981_Bedarride_Lettre-change-_vignette.jpg
Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
2 vol.
566, 560 p.
21 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
monographie imprimée
printed monograph
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/329
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 18..
Abstract
A summary of the resource.
Il s’agit d’une partie du commentaire de l’intégralité du Code de commerce de 1807 effectué par Jassuda Bédarride. Celle-ci porte sur la lettre de change, les billets à ordre et la prescription.
Jassuda Bédarride, avocat au barreau d’Aix-en-Provence et ancien Bâtonnier poursuit son commentaire du Code de commerce dans ces ouvrages. Après un court historique, il entreprend de commenter les dispositions du Code portant sur la lettre de change, un outil essentiel au commerce. Il s’attarde dans ces deux tomes sur le Titre huitième du livre Ier du Code, consacré à la lettre de change, aux billets à ordre et à la prescription.
Le tome premier porte sur les observations préliminaires du titre qui explique la forme que doit revêtir la lettre de change et les différents contrats dont elle est l’objet. Le second tome commente les trois sections du Titre VIII, concernant la lettre de change (son paiement, les droits et devoirs du porteur, les protêts et le rechange), le billet à ordre et la prescription.
2e édition, revue, corrigée et augmentée
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Description
An account of the resource
2e édition, revue, corrigée et augmentée du commentaire du Code de commerce de 1807 portant sur lettre de change, les billets à ordre et la prescription.
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
De la lettre de change, des billets à ordre et de la prescription
Billets à ordre -- France -- 19e siècle
Documents commerciaux -- France -- 19e siècle
Lettres de change -- France -- 19e siècle