À l'issue d'un conflit, faut-il indemniser les ressortissants neutres qui auraient pu en être victimes et qui doit le faire ? A l'occasion de la préparation de la Conférence organisée par la Société des Nations à Genève en vue de la Codification du Droit international, il apparaît que la question semble n'avoir jamais été débattue par les juristes* : à défaut de justice, ils pouvaient faire l'objet d'une certaine compassion et recevoir parfois une aide. C'est mieux que rien mais pouvoir y prétendre en droit, ce serait vraiment mieux.
Mais si l'on conçoit facilement ce qu'est la neutralité politique et territoriale d'un État (définition juridique très précise), comme celle perpétuelle obtenue par la Suisse en 1815, on comprend aussi qu'elle n'est pas un gilet pare-balles pour ses concitoyens, où qu'ils se trouvent, particulièrement à une époque, ici le début du 20e siècle, où le règlement des discordes entre nations par la voie des armes n'est pas toujours la dernière option retenue, comme l'a montré l'effarante spirale de la Guerre de 1914-1918.
Entrainement de l'armée suisse (1914)
Si aucune instance internationale n'est officiellement saisie de cette question, elle doit être documentée : il n'e s'agit pas seulement d'un problème juridique, il s'agit avant tout d'une question de justice. La Pradelle s'y attèle en rassemblant dans ce recueil une quinzaine de documents : rapports, déclarations, consultations et réponses, qu'il clôture par une synthèse sur l'opinion publique française, le point de vue des partis politiques et de la jurisprudence, notamment en matière d'indemnisation des Suisses pour les dommages qu'ils ont subis en France.
La ville de Zürich, bombardée par les Alliés (américains) en 1945
Si la question des réparations dues aux pays neutres et à leurs ressortissants exigeait à l'évidence l'élaboration de nouveaux textes, les traités et autres accords ne suffisent pas toujours à refermer les plaies de l'histoire : alors que les générations politiques qui ont été directement témoins du conflit ont disparu ou sont en train de disparaître, et après la Grèce en 2019, la Pologne a officiellement réclamé à l'Allemagne plus de 1 319 milliards d'euros au titre des réparations de dommages de guerre le 1er septembre 2022, 83 ans après le début de la Seconde Mondiale. Pour le Gouvernement fédéral allemand, cette demande est irrecevable puisque la Pologne y a officiellement renoncé en 1953. A suivre...
* la notion d'
indemnité de guerre est récente : elle apparaît après la Guerre de 1870-1871 avec les compensations que la France devra verser à l'Allemagne victorieuse. Celle de
dommages de guerre s'imposera quelques mois seulement après le début de la Première Guerre Mondiale quand il deviendra évident que l'ampleur des destructions (civiles) était telle qu'elle entrainerait des coûts de reconstruction insupportables pour la collectivité et les particuliers.