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ANNALES
DE LA
FACULTÉ DE DROIT
ET DES SCIENCES ECONOMIQUES
D'AIX - EN · PROVENCE
1959
Nouvelle Série No 51
ANNÉE 1959
(Etudes de Droit Public)
LA PENSÉE UNIVERSITAIRE
12 bis, Rue Nazareth, 12 bis
AIX·EN·PROVENCE
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DE LA
FACULTÉ DE DROIT
ET DES SCIENCES ECONOMIQUES
D'AIX - EN · PROVENCE
Nouvelle Série No 51
ANNÉE 1959
(Etudes de Droit Public)
LA PENSÉE UNIVERSITAIRE
12 bis, Rue Nazareth, 12 bis
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ET DES SCIENCES ECONOMIQUES
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DE LA FACULTE DE DROIT
ET DES SCIENCES ECONOMIQUES
D'AIX-EN-PROVENCE
N° 51
(ANNÉE 1959)
SOMMAIRE
Ph. de DIETRICH. - Le recours en annulation de-
vant la Cour de Justice de la C.E.C.A....
7
Jean DUPUY. - La Cité de Saint-Exupéry. . . . . . .
23
Charles DURAND. - La Fin du Conseil d'Etat
Napoléonien. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
47
Paul de La PRADELLE. - Le Corsaire Mordeille..
237
Charles SAVOUILLAN. - Les syndicats et l'évolut ion dei a politique des sai aires aux
Pays- Bas , . . . . .. . . .....................
249
Prosper WEI L. - Le Conseil d'Etat statuant au
contentieux : politique jurisprudentielle ou
jurisprudencs politique. . . . . . . . . . . . . . . . .. 281
Chroniques des Thèses et Revues. . .. ............
293
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�LE RECOURS EN ANNULATION
DEV ANI LA COUR DE JUSTICE DE LA COMMUNAUTÉ
EUROPÉENNE DU CHARBON ET DE L'ACIER
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Le recours en annulation
devant la Cour de Justice de la Communauté
Européenne du Charbon et de l'Acier
Par la conclusion des accords de Rome, la Cour de Justice
de la communauté Européenne du Charbon et de l'Acier voit sa
con1pétence s'étendre aux litiges pouvant naître de la mise en
application des traités de l'Euratom et du Marché Commun (1).
Il n'est peut-être pas inutile de tenter de faire le point 'des
solutions jurisprudentielles élaborées jusqu'à cette extension (2),
et de préciser l'accueil que la Cour a réservé au recours en
annulation que le traité a prévu dans son article 33, al. 1 et 2.
Dans l'arsenal des recout's que les rédacteurs ont mis à la
disposition des sujets de la Communauté, pour sauvegarder leurs
droits en face du pouvoir nouveau, le recours en annulation
occupe une place de choix: sur 53 requêtes introduites devant
la Cour jusqu'à la fin 1957, 43 ont pour objet l'annulation d'actes
de la Haute Autorité. Durant la seule année 1958, on arrive à
ce même nombre de 43 requêtes dont la quasi totalité conteste
la légalité d'actes communautaires, et fréquemment par le canal
(1) La Cour de Justice des Communautés Européennes est entrée en f,onction le 7 octobre 1958 à la suite de la prestation de serment de ses
membres.
(1) Celles-ci sont analysées régulièrement dans les chroniques de M.
Jean BOULOUIS (Annuaire français de Droit international. Années 1955
et suivantes), auxquelles nous renvoyons.
-
7 -
�de l'exception d'illégalité, afin ·de tourner les obstacles dressés
par le Traité et "la Cour dans le cas des recours privés. D'autre
part, si la Cour, sur les 96 requêtes, n'en a examiné que 37
en 29 arrêts, le retard qu'elle a accumulé est !TI0ins important
qu'il parait. Un grand nombre de ces requêtes ont un contenu
très voisin et 'invoquent des moyens tout à fait identiques (en
particulier dans les questions de péréquation des ferrailles) : on
peut donc penser que la Cour, les examinant en série, amenuisera
facilement son retard.
Toutes les règles concernant le recours en annulàtion se
trouvent inscrites dans le Traité et principalement dans l'article 33. C'est là qu'est organisé le contrôle juridictionnel de la
légalité (on devrait dire plus exactement de la conformité aux
règles du Traité) des actes de Haute Autorité, dans des conditions
relativement identiques à celles du recours pour excès de pouvoir
en France. L'admission de ce recours de droit interne sur le plan
international, en dépit de quelques signes annonciateurs d'une
telle tendance, représente une nouveauté d'une importance considérable. Cet aspect se double d'une seconde originalité. A côté
des Etats qui ont traditionnellement seuls compétence pour agir
en droit international, on voit en effet apparaître dans le Traité
de la C.E.C.A. des requérants privés pouvant user d'une action
en annulation. Les accords de Rome créant la C.E.E. et l'Euratom
reprennent ces solutions. Mais des limitations assez étroites ont
été introduites, dont nous verrons la portée et les conséquences.
Elles aboutissent à vider ce recours de l'Art. 33 de la notion
d'intérêt qui lui est pourtant 'inhérente.
Dans sa promotion, le recours pour excès de pouvoir rencontre
en même temps un obstacle, auquel il s'était déjà heurté en
droit français : Le droit du Traité est en effet un droit de
nature essentiellement économique. En face du développement
de l'interventionnisme économique, le Conseil d'Etat français,
conscient que le contrôle de la légalité d'une décision de na·tul·c
économique conduisait en fait à discuter de son opportunité,
avait donné une importance accrue aux moyens de contrôle objectif. Les rédacteurs, soucieux d'éviter que les pouvoirs de
décision ne passent, par le mécanisme juridictionnel, des mains
du pouvoir exécutif dans celles du juge, ont prévu des limites
précises. On peut même penser que les restrictions apportées
aux conditions de recevabilité, en particulier par l'élimination
presque totale de la notion d'intérêt, dans le cas des requérants
privés, ont ·été dictées par le désir de rendre plus difficiles
les recours privés, mais aussi sans doute de réduire les pouvoü's
de la Cour. En fait, celle-ci est seule maîtresse d'interpréter les
conditions fixées pour son intervention, et le succès de l'action
de la Haute Autorité, chargée de réaliser l'essai ·d'intégration
économique du Traité de la ·C.E.C.A., dépend pour beaucoup
de la concep.tion qu'elle a de son rôle.
8 -
r
�Les aménagement ainsi imaginés aboutissent à introduire dans
le recours en annulation de l'article 33 une grande technicité.
Et il devient délicat de présenter ce mécanisme tant sont liés
de façon étroite les conditions de recevabilité relatives aux
actes attaquables, celles relatives aux requérants, et les moyens
qu'il sera possible de faire valoir au fond.
En dépit de ces interpénétrations, et sans oublier que le
recours pour excès de pouvoir est d'abord un recours contre 1e~
actes de l'administration, il convient d'étudier séparément chaque problème: nous le ferons dans l'ordre ci-dessus.
Les actes de la Haute -Autorité normalement soumis, aux
termes de l'art. 14 du Traité, au recours en annulation, sont
les déCIsions et les recommandations. Allant au-delà de la qualification donnée à l'acte par la Haute Autorité, la Cour recherche SI elre est ·bien en présence d'une décision, au sens large de
ce mot, c'est-à-dire, suivant une expression de M. l'Avocat
Général Lagrange (Conclusions Rec No 2, p. 244), si
l'acte
comporte ou peut comporter des effets juridiques » . C'est ainsi
qu'elle a déclaré, dans les affaires 8-55 et 9-55, au sujet d'une
lettre dont la Haute Autorité elle-même contestait le caractère
de décision: « Le passage de la lettre du 28 mai 1955 de la
Haute Autorité déterminant, de manière non équivoque, l'attitude que cette dernière décide de prendre au cas où se trouveraient i"éalisées cèrtaines conditions précisées dans la même
lettre, a le caractère d'une décision au sens de l'Art. 14, susceptible de recours en vertu de l'article 33 » (Rec. No 2, p. 225
et Rec. No 2, p. 351). Elle a étendu cette analyse à une lettre
du vice-président de l'Assemblée cOJnmune, adressée à des fonctionnaires de cette assemblée, déterminant les conséquences qu'aurait eues pour leur carrière le refus des offres statutaires qui
leur étaient faites (Affaire 7-56 - ].0. 1957, p. 471, col. 2).
4(
La Cour a été plus loin ,: on sait que les avis sont normalement insusceptibles de recours. La Haute Autorité ayant
émis un avis défavorable sur un programme d'investissement
présenté par une société, celle-ci, pour être sûre que ce désaccord n'entraînerait pas pour elle de difficultés ultérieures, a
attaqué la légalité de cet avis, demandant à la Cour de déclarer
son recours irrecevable : c'étaIt faire conhaÎtre que rien dans
l'acte litigieux n'avait le caractère de décision. Malgré la qualification formelle de l'acte, la Cour a examiné s'il ne constituait
pas une décision camouflée » (Affaire 14-57, ].0. - 1958, p. 17
et suivantes).
.
4(
En présence des qualifications multiples employées dans la
pratique par la Haute Autorité qui ne se réfère pas toujours
aux vocables prévus par le Traité, la Cour se rallie à un
-
9 -
�critère matériel, dont nous savons qu'il est précisément apparu
en France avec le développement 'de l'interventionnisme économique.
Une ' fois operee cette dissection, la Cour s'as~ure encore
que l'acte, lorsqu'il est individuel, a bien été notifié aux requérants. Dans l'affaire 7-56, les décisions prises à l'égard de
fonctionnaires ne leur ayant pas été communiquées, elle décide,
pour ne pas les priver de tout recours et bien qu'ils aient eu
de la décision une connaissance suffisante, que l'acte attaqué
est en fait la décision implicite leur refusant les avantages statutaires. Par contre, une lettre recommandée suffit à remplir
les prescriptions de notification (Affaire 8-56).
La Cour reconnaît recevable un recours contre une seule
partie d'un a,c te : la dissociation des différents éléments est
possible, dit-elle, parce que, dans le cas d'une annulation, même
partielle, l'acte est renvoyé devant la Haute Autorité, qui peut
alors prendre toutes mesures utiles : la séparation des pouvoirs
est ainsi sauvegardée (Affaire 2-56, ].0. 1957, p. 177, col. 1).
Le retrait partiel d'un acte que la Cour a reconnu possible durant
« un délai raisonnable» (Affaire 7-56), s'inspire de la même idée.
Au fond, ces solutions de la Cour sur les actes susceptibles:
de recours ne présentent pas d'originalité considérable. Les
investigations ainsi pratiquées sont 'dans la logique du critère
matériel qui a été admis. Eu égard à la détermination des
reqlJérants et à l'étendue de leurs droits, nous nous trouvons
en présence de solutions tout à 'fait nouvelles.
;. . .
La communauté instituée par le Traité de la C.E.C.A. réalise
une intégration, mais cette intégration n'est que partielle. Pour
la détermination des requérants, cette caractéristique entraîne
diverses conséquences, la principale étant que la notion de
justiciable est liée à celle de sujet. Cette qualité est d'ailleurs
susceptible d'extension et la Communauté s'élargit parfois pour
régir des sujets occasionnels, tels que les entreprises tombant
sous le coup de mesures exceptionnelles contre les concentrations, les ententes, les discriminations : les articles 63, 65 et
66 prévoient ainsi des recours spéciaux.
Seuls les Etats et le Conseil de Ministres et les entreprises
ou associations d'entreprises (3) p'roductrices de charbon et d'acier
(3) Ces aSSOCIatIOns, pour être recevables en leur reoours, ne doivent
grouper que des entreprises au sens de l'Art. 80, c'est-à-dire productrices de
charbon et d'acier, Jurisprudence constante : Voir arrêts 3-54 (Rec. no l,
p. 138) et 4-54 ,(Rec., nO 1, page 193)' A,ffaires jointes 8-54 et 10-54
CRee. no ' l, page 186).
-
10
-
�sur les territoires métropolitains des états membres disposent
du recours de l'art. 33. Les premiers, de par leur seuIe qualité d'Etat, peuvent attaquer tous les actes de la Haute Autorité susceptibles de recours, pourvu qu'ils respectent les conditions
de forme et de délai .. Puissances délégant leur souveraineté, ils
n'ont à faire la preuve d'aucun intérêt précis, ou, plus exactement, ils ont un intérêt permanent à la légalité de l'action de
la Haute Autorité. Tous les moyens de l'article 33 leur sont
librement ouverts : incompétence, violation des formes substantielles, violation du Traité, détournement de pouvoir.
Le régime des requérants privés est beaucoup moins favorable.
Il est 'déterminé par l'al. 2 de l'art. 33, qui introdu,it une distinction fondamentale = celles des décisions ou recommandations
générales et 'des décisions ou recommandations individuelles (4).
Contre celles-ci, les entreprises ou associations ont les mêmes
droits que les Etats (v. par . ex. : arrêt '2-56, ).0. 1957, p. 177,
col. 1), lorsque les actes entrepris les concernent. Que recouvre
cette exigence ? La Cour a repoussé ridée avancée par le
Gouvernement luxembourgeois intervenant 'dans les affaires jointes 7 et 9-54, selon laquelle les entreprises ou associations
spécialisées dans la production de charbon ne pourraient agir
que dans les litiges concernant exclusivement le charbon, la
même règle s'appliquant aux producteurs d'acier. Elle s'est orientée vers une notion qui semble se rapprocher fort de la notion
d'intérêt, telle qu'elle est comprise dans le recours pour excès
de pouvoir français. Le sens des mots « les concernant » revêt
une importance toute spéciale dans le cas des recours des associations.
Pour les actes de caractère général, il convient de se reporter
au texte de l'art. 33, al. 2 : « Les entreprises ou les associations
visées à l'art. 48 peuvent former, dans les mêmes conditions, un
recours... contre les décisions ou recommandations générales
qu'elles estiment entachées de détournement de pouvoir à 'leur
égard » (5). Dès les premiers arrêts de la Cour, la discussion
s'est fixée autour du point de savoir si ces mots devaient être
interprétés comme signifiant · que la décision générale en cause,
sous les aspects d'un acte général, ne serait qu'un acte individuel
camouflé. Cette opinion, qui était émise par la Haute Autorité,
(4) Décisions individuelIes et décisions générales = la Cour met un
soin tout particulier à établir cette distinction primordiale = elle emploie
pour ce faire un critère matériel.
« Le caractère d'une décision ne dépend pas de sa forme, ma.ÏS de
sa portée ,. (Arrêt 9-55, Rec, l, p. 352). Elle a été influencée par les
remarquables conclusions de M, l'Avocat Général K. ROEMER dlns les
affaires 7-54 et 9-54 (Rec. no l, p. Il6).
(5) La Cour elle-même, en employant cette formule, nous autorise à
ainsi tronqué le texte de l'article 33.
présent~r
-
1.
-
�' 1
•
... !'
semble s'inspirer de l'antinomie de principe existant entre détournement 'o e pouvoir et décision générale ,en ce sens qu'admettant
difficilement qu'une décision générale puisse être entachée de
détournement de pouvoir à l'égard "d'une entreprise ou d'une
association, elle tourne la difficulté en disant que le détournement de pouvoir consiste justement dans le fait de prendre sous
pes apparences générales une décision individuelle concernant
le requérant. La Cour a repoussé cette explication de façon
très nette: « La Cour estime que l'art. 33 dit clairement que
les associations et les entreprises peuvent attaquer non seulement
des décisions individuelles" mais aussi 'des décisions générales
au sens propre du terme ,. (Affaire 8-55, Rec. no 2, p. 226).
Pour être recevables, les requérants privés devront « alléguer
formellement un détournement 'de pouvoir à leur égard (6), en indiquant de façon pertinente les raisons dont découle, à leur avis,
ce détournement de pouvoir ,. (Affaires 8-55, Rec. No 2,
p. 225 ; 9-55, Rec. No 2, p. 351. Voir aussi affaires 1-54
et 2-54, Rec. No 1, p. - 138 et 193). Nous touchons ici
au cœur du mécanisme juridictionnel international institué pour la première fois au bénéfice de requérants privés :
nous avons fait remarquer combien dans le jeu technique du
recours se trouvaient liées les conditions de recevabilité relatives
à l'acte, celles relatives aux r~quérants, et les moyens invocables
au fond. C'est ici que l'imbrication atteint son degré le plus
poussé: la tâche du commentateur s'en trouve singulièrement
compliquée. La 'Cour ayant affecté les motls « estiment » et « entachées de détournement de pouvoir à leur égard" à :une mission
de recevabilité, le problème des moyens semblait être résolu : la
place du membre de phrase « dans les mêmes conditions,. entre
les mots « former » et « recour's » donnait à entendre que les
moyens prévus à l'art. 33, al. 1 pour les recours des Etats s'appliquaient dans le cas des requérants privés aussi bien pour les
décisions individuelles les concernant que pour les décisions ' générales qu'ils estimaient entachées de détournement de pouvoir à
leur égard. Certes, dans une telle interprétation, les mots litigieux n'auraient plus qu'une signification formelle. La discussion
entre les requérants et la Haute Autorité défenderesse perdait
tout intérêt.
Dans cette perspective, quelle solution a adoptée la Cour de
Justice ? Elle avait pourtant déjà laissé transparaître son opinion
dès les arrêts 3-54 . et 4-54 (Rec. No 1, p. 139 et 193) : «La
preuve qu'un détournement 'de pouvoir a été effectivement commis sera nécessaire pour établir le bien-fondé du recours ». Mais
cette solution ne modifiait en rien le fond de ce litige et n'a pas
empêché des commentaires audacieux. Il a faIIu attendre les
(6) Formule reprise par l'Arrêt 7-54 (Rec, no l, p, 86) et arrêt 8-57
(J.O, des Communautés Européennes 1958, p. 173, col. 1).
Il
-
�affaires 8-55 et 9-55 pour comprendre réellement cotrlbten ta
solution de la Cour était restrictive : « Si le Traité prévoit que
les ,entreprises disposent 'dû droit de réclamer l'annulation d'une
décision générale pour cause de détournement de pouvoir, c'est
qu'un droit de recours pour d'autres motifs, ne leur est pas attribué ... (7). D'ailleurs les, autres moyens seraient padaitement
inutiles pUisque dès lors que les entreprises ont établi le détournement 'de pouvoir à leur égard, l'annulation de la décision
est acquise sans devoir être prononcée à nouveau pour d'autres
motifs... » (Rec. No 2, pp. 226 et 227). Abordant ainsi le problème à rebours, la Cour peut alors déclarer : « L'incise « dans
les mêmes conditions li ne saurait être interprétée comme
signifiant que les entreprises, après avoir établi un cas de détournement de pouvoir à leur égard, seraient en droit d'invoquer en
outre les autres moyens d'annulation li. Il faut en effet partir
du texte du traité qu'il est de la mission de la Cour d'interpréter.
La place des mots dans les mêmes conditions li (v. ci-dessus)
permet d'étendre la solution de l'al. 1 dans le cas des recours
privés contre tous les actes de la Haute Autorité. Cette inter' prétation semble inéluctable, et, en la repoussant, malgré les
arguments qu'elle apporte à l'appui de sa solution, il nous semble
que la Cour viole la lettre du Traité. Il faut cependant tempérer
cette accusation, ou plutôt trouver un autre responsable : la
Cour se trouvait à ce tournant de la jurisprudence devant une
alternative dont les deux termes étaient également fâcheux.
4(
Ou bien en allégant formellement un détournement de pouvoir à son égard, sans le prouver, quand elle estime qu'il y en
a un, une entreprise s'ouvre les voies du prétoire de la Cour
de manière aussi large qu'elles le sont pour les Etats et le
Conseil, et à ce moment la barrière dressée par le Traité se
trouve dépourvue d'utilité: alléguer un détournement de pouvoir est 'toujours possible dans une matière économique complexe,
où les interventions, même minutieusement préparées, peuvent
avoir des conséquences imprévues à l'égard d'une entreprise qui
s'en trouverait victime et accuserait l'instigateur d'intentions
illégales à son endroit.
Ou bien on décide qu'il ne suffit pas d'alléguer un détournement 'de pouvoir, mais qu'une entreprise requérante doit le
prouver. Dès lors la distinction des décisions suivant leur portée
retrouve son intérêt, mais, d'une part, la recevabilité tend à
se confondre avec le fond, comme l'ont fait remarquer des
auteurs, d'autre part, et c'est là le plus importarit, les autres
moyens d'annulation sont interdits aux requérants privés. Dans
(7) Entre autres raisons, la Cour invoque celle-ci : «Il serait ilLogique de
croire que le traité a voulu ouvrir aux entreprises un droir de reoours pratiquement identique à celui des Etats et du Conseil,..
�l'optique de l'interprétation du Traité, ce sont tes mots « dans
les mêmes conditions » qui se trouvent dépourvus de sens. A
tout le moins pourrait-on dire qu'ils sont mai placés.
En fait, plus que devant une alternative, la Cour se trouvait
devant Un véritable dilemme: pour des raisons multiples, à
commencer par le souci de prudence, légitime puisqu'il s'agit
d'une tentative, elle a décidé de s'orienter dans le sens d'une
restriction des recours privés contre les décisions générales. On
peut penser que lorsqu'elle estimera venu le moment 'd'ouvrir
plus largement son prétoire, elle pourra du moins asseoir son
revirement sur une rédaction défectueuse du Traité.
Ainsi privees d'un large droit de recours contre les décisions générales, les entreprises ou associations retrouvent des
pouvoirs étendus par le mécanisme de l'exception d'illégalité =
celle-ci a sa base dans l'art. 36 du Traité qui prévoit qu'à 'l'appui
d'un recours contre une décision infligeant des sanctions pécuniaires ou des astreintes, « les requérants peuvent se prévaloir,
dans les conditions prévues à l'alinéa 1 de l'art 33, de l'irrégularité des décisions et des recommandations dont la méconnaissance leur est reprochée ». La Cour, dans. l'affaire 9-56, a
décidé de ne pas tenir cette réglementation de l'art. 36 pour
« spéciale », mais comme l'application d'un principe général qui
pourrait s'énoncer comme suit: à l'occasion d'un recours contre
une décision individuelle mettant en cause un acte général, les
requérants privés seront fondés à invoquer les quatre moyens
de l'art. 33, al. 1. La Cour a été conduite à retenir cette solution pour éviter que les entreprises soient incitées, ce qui aurait
été le cas si l'article 36 avait été interprété restrictivement, à
se laisser condamner aux sanctions pécuniaires ou astreintes,
dans le dessein de retrouver des moyens contentieux plus étendus. Il est bien évident que le délai d'un mois de l'art 33 ne
s'applique plus ici. Enfin, « l'annulation d'une décision individuelle
fondée sur l'irrégularité des décisions générales dont elle' est
tirée n'affecte les effets de la décision générale que dans la mesure où ceux-ci se concrétisent 'dans la décision individuelle annulée » (Affaire 9-56, ).0. des Communautés Européennes 1958,
p. 107, col. 2). Toutes ces solutions ont été confirmées dans les
affaires postérieures. (Voir p'ar exemple affaire 15-57).
Le rôle imparti au détournement de pouvoir par les réd~cteurs
du Traité comme unique moyen dés requérants privés contre
les actes de caractère général suscite une remarque: En droit
français il s'agit là d'un moyen subsidiaire, secondaire du moîns,
en particulier à cause de la difficulté de sa preuve, du fait de
l'hésitation qui ·saisit légitimement le juge quand ' il doit sanctionner les intentions de l' Administr.ati~n .. Cet ~peel à cette n<?tio~
- 1" ._'
�marginale du droit français pour en faire le pivot du système
instauré reste un peu singulier = Tout se passe comme si les
requérants privés avaient seulement droit au contrôle du but de
la loi.
Il était bien évident que les requérants pnves, et les partisans
d'une institution véritablement supranationale, mécontents de la
limitation imposée au droit de recoùrs des entreprises et associations tenteraient des efforts pour accroître ces moyens réduits.
En effet, ils ont essayé d'élargir la notion de détournement de
pouvoir, en présentant en quelque sorte la violation du Traité
comme un détournement du pouvoir de faire des actes réglementaires conformes au Traité. Ils l'ont fait dès les premières
affaires, sans attendre que la Cour ait limité à ce moyen les
droits des requérants privés (affaire 8-55), peut-être parce que,
dans le cas de détournement de pouvoir, les juges ont de pius
larges pouvoirs d'investigation. Cette tentative se trouvait possible, dans le droit de la Communauté, à la fois du fait de la
multiplicité des buts et des moyens de la Haute Autorité et de
la polyvalence des décisions économiques (8). Elle aboutissait à
introduire une notion objective du détournement de pouvoir, qui
constitue en fait une véritàble désintégration de la notion classique, puisque dès lors il devenait pratiquement impossible de distinguer ce moyen de celui de violation de la loi. ' La Cour a
déjoué cette manœuvre et elle a accueilli une notion étroite
- et classique - du détournement de pouvoir (V. par exemple
Affaire 1-54, Rec. No 1, p. 72). M. l'Avocat Général Lagrange,
dans ses remarquables conclusions dans l'affaire 3-54 (Rec. No 1,
p. 169) et le rapport de la Délégation Française, pensent que
telle est bien l'opinion des rédacteurs.
Après avoir refusé d'admettre la compartimentation des pouvoirs de la Haute Autorité selon les articles du Traité, la Cour .
n'en est cependant pas restée là : elle a en quelque sorte contre-attaqué. S'appuyant sur les articles 5 et 57 du Traité, elle
déclare en effet, respectant ainsi le principe de libéralisme sur
lequel repose le Traité : « Il résulte du Traité que la Haute
Autorité, avant d'user des moyens directs, doit recourir de préférence aux modes d'action indirects qui sont à sa disposition » .
(Rec. No 1, p. 23). Elle consacre la place prépondérante des .
articles 2, 3 et 4 du Traité définissant les objectifs généraux
de la Communauté. La hiérarchie des objectifs arrêtée par la
Haute Autorité en fonction de ceux-ci devient dès lors inat(8) Dans le cas de l'affaire 1-54 (Gouvernement français contre H~ute
Autorité), le procédé consistait à soutenir que par s'o n action selon l'article . 60 (qui concerne la lutte contre les discriminations), la Haute Autorité .
poursuivait d'autres effets spécifiques : action sur les prix (qu'elle aurait dû '
poursuivre par les moyens de l'art. 61) et 'Iutte contre les ententes (que
r.églemente l'Art. 65). Sur ce ' problème,: voir J. LUDOVICY
R.G.D.I.P ..
1956. P. I l l .
-
15
�taquable. EnfIn, elie ajoute un maillon suppl~mentaire ~ sa construction;
Même si un motif non justifié s'était joint , aux
motifs justifiant l'action de la Haute Autorité, les décisions ne
seraient pas pour autant entachées de détournement de pouvoir,
pour autant qu'elles ne portent pas atteinte au but essentiel ».
(Affaire 1-54, Rec. No 1, p. 32 - Affaire 8-55, Rec. No 2,
p. 307). Par la conjonction de ces différents éléments, on voit que
la marge d'action contre l'intention de la Haute Autorité devient
extrêmement étroite. En fait, à travers cette solution, on peut
juger de la voie que s'est tracée la Cour de Justice. La Haute
Autorité, pour créer la Communauté et faire respecter la concurrence, s'est vue attribuer un faisceau de pouvoirs très ouvert.
Tant qu'elle agit conformément à la finalité générale de l'institution dont elle est l'exécutif, la Cour lui apporte son puissant
appui. Une telle démarche nous paraît légitime tant qu'elle use
pour cela de notions qui, comme le détournement de pouvoir,
nous sont familières, et dans un sens conforme à l'évolution récente des droits des pays membres.
4(
• t..
' La violation des formes substantielles (9) ne rencontre pas
dans les recours introduits toute la faveur dont elle 'd evrait
être entourée dans un contentieux de la légalité à caractère économique. Les solutions élaborées jusqu'à ce jour présentent pourtant un très grand intérêt et sont déjà très complètes = il est
vrai qu'en la matière la Cour recourt volontiers à l'examen
d'office.
'
La jurisprudence a dégagé deux groupes d'impératifs en ce
domaine, suivant ainsi l'art. 15 du Traité :
..
. ...
,
:'
.....
101 La motivation obligatoire des actes communautaires
Tous les actes de la Haute Autorité doivent être motivés. Mais
on ne demande à l'organe créateur que de mentionner les motifs
essentiels (Affaire 6-54. Rec. No 1, p. 219 et affaire 2-56 - ].0.
1957, p. 177, col. 2). Il i~porte peu que les conceptions de la
Haute Autorité soient exactes en droit, il faut qu'elles soient logiquement compatibles avec la décision arrêtée. Une motivation
suffisante peut être déduite du contexte de la 'décision. La Cour
a été jusqu'à déclarer que la motivation était un élément si essentiel de l'acte que son défaut en entraînait l'inexistenèe (Affaire
1-57, J.O. 1958, p. 18, col. 1) : il est vrai qu'il s'agissait en
l'espèce d'un avis normalement insusceptible de recours et qüe
l'appel à cette théorie a permis d'obtenir des effets impossibles à
atteindre par le seul recours en annulation (10).
(9) L'incompétence n'a jamais été abordée dans un arrêt. Toutefois les
requetee 27-S8, 28-S8 et 29-S8 l'allèguent.
(10) La violation des formes substantielles a été retenue dans les affaires 9-56 et 10-S6. L'abo;ence du ~compte exact et dét~iIlé des éléments
d'une c~ance au titre de sanction équivaut à lune absence de motifs (J.O.
195 8, pp. 108 et 109, J.O. 1958, pp. 125 et 126).
16
�20 1 La mention des avis obligatoirement recueillis
p'o ur'
prendre certaines décisions, la Haute AUtorité doit consulter le
Conseil de Ministres ou le Comité Consultatif : la Cour a
décidé que ces consultations avaient la valeur d'une forme substantielle (Affaire 6-54). Elle s'assure alors, non seulement que
les textes font 'bien mention des avis recueillis, mais encore que
la consultation a effectivement eu lieu, et officielrement. L'omission des avis contraires, . mais non obligatoires, ou les opinions
dissidentes dans le cas d'avis obligatoires ne sont pas susceptibles
d'annulation.
Il est possible qu'avec le temps, délaissant cette division bipartite, dont M. l'Avocat 'G énéral K. Roemer est à l'origine
(conclusions dans affaire 6-54), la Cour accorde le caractère
de substantiel à d'autres formes n'ayant pas jusqu'ici ce caractère = il nous semble bien, par exemple, toujours dans l'affaire 6-54, déceler un indice selon lequel la Cour considèrerait
comme forme substantielle l'obligation pour la Haute Autorité de
mettre une entreprise en mesure de présenter ses observations
avant de lut infliger une sanction.
Le moyen de violation de la légalité (ou plus exactement la
violation du Traité ou de toute règle relative à son application)
pose des problèmes moins originaux (11) : il n'a pas toute la
richesse contentieuse du détournement de pouvoir. Dans le cas
du recours en carence de l'art. 35, l'annulation de la décision
implicite de refus découlera de l'inaction de la Haute Autorité
alors qu'elle était tenue de prendre une décision. Une telle
violation directe des textes semble assez peu plausible : la
Haute Autorité est un organe technique, très bieh documenté. Le
plus souvent, en ce domaine, l'illégalité, et donc l'annulation,
résultera soit 'd u fait d'une fausse interprétation de la règle de
droit par la Haute Autorité, c'est-à-dire qu'elle appliquera la
règle en se méprenant toutefois sur sa portée ou sur son sens :
cette hypothèse risque de se produire d'autant plus facilement
que le Traité et les textes relatifs à son application contiennent
des obscurités que l'interprétation de la Cour n'a p'as encore
(Il) Toutefois, c'est à l'occasion de l'examen de ce grief que la Cour
a pu préciser le contenu de la légalité communautaire : Elle " ainsi refusé
de reconnaître comme partie intégrante de la légalité les r·e comm ,mdations
dont le Conseil de Ministres avait assorti l'avis oonforme qu'il donnait à
Wle décision (Affaire 9-S6, ).0. 19S8, p. 11, col. 1). Elle a émis des 'solutions intéressantes sur le problème du retrait des actes administutifs.
Elle interprète le Traité, comme le prescrit J'Art. 3 l, et dégag.e ses règles
d'interpl"étation . Elle devient ainsi l'agent principal de création de Il coutume
ft du droit communautaires. Par exemple, à deux reprises déjà, elle a eu
à se ' pencher sur les problèmes des délégations à' l'intérieur de la Communauté déclarant l'une valable (Aff.aire 7-S6) , l'autre irrégulière (Affaire
9-56, ).0. 1958, p. 118, col. 1).
17 -
�éclairées ; soit du fait que ia Haute -Autorité aura faussement appliqué les textes, en se fondant sur une appréciation défectueuse
des faits.
La Cour a ainsi, dans l'affaire 1-54, prononcé une _annulation
dans le cas d'une interprétation erronée du Traité : l'obligation
de publier les barêmes de prix contenue dans l'article 60 a, selon
la Cour, valeur de droit strict et la -H aute Autorité a violé le
Traité en autorisant, par la décision 2-54, des écarts margInaux de 2, 5 % par rapport aux barêmes publiés.
Si donc, dans le premier cas, il suf(ira à la Cour pour
trancher le litige, de se livrer au travail d'interprétation du droit
qui lui incombe, il lui faudra, si le requérant relève une ~ppré
ciation défectueuse des faits, analyser ces faits dans la mesure
où ils conditionnent le droit. Mais le Traité (art. 33, al. 1) a
fixé des limites à cette investigation de la Cour : « l'examen
de la Cour ne peut porter sur l'appréciation de la situation
découlant 'des faits ou circonstances économiques au vu de
laquelle sont intervenus les actes attaqués » (12). Ce qui interdit en fait à la Cour de se faire juge de la politique économique de la Haute Autorité. Un contrôle de la Cour sur tous les
aspects d'une décision conduirait au gouvernement des juges.
Aussi la Cour s'en tient-elle strictement aux limites qu'on lui
a fixées, du moins dans la rédaction de ses arrêts = elle ne
se fait pourtant pas faute de sonder les intentions de la Haute
Autorité et d'apprécier ses analyses, mais elle entend lui laisser
toute la responsabilité de son action, et il n'est pas rare que,
dans ses arrêts, elle en renouvelle la proclamation.
Au fond, dans cette matière de la violation de la légalité,
comme dans celle du détournement de pouvoir, il convient de
replacer le recours en annulation dans l'ambiance générale qui
est celle de la jeune Communauté. La Cour est associée à la
réussite de l'expérience tentée. En face d'un texte qui contient
bien des imperfections, la Cour incline plutôt à rechercher si
un acte est contraire à l'esprit du Traité qu'à une de ses
dispositions particulières, dont l'interprétation est sujette à controverse. C'est la raison pour laquelle elle se réfère en la
matière aux objectifs généraux, tels qu'ils sont définis aux articles 2, 3, 4 du Traité. La primauté · reconnue à ces articles,
et la préférence donnée, selon le Traité, à l'action indirecte sur
l'action directe, aboutissent à réduire le domaine de la violation de la légalité comme elles réduisent celui du détournement 'de pouvoir. Pourtant, dans l'un et l'autre cas, on ne peut
(1 l) « Hormis les cas de détournement de pouvoir et de méconnaissance
patente de la légalité » = lorsque ces manquements sont accompagnés • d'indices pertine~ts ". la Cour se reconnaît de pleins pouvoirs d'investigation.
-
18
�critiquer une telle posltlOn : Au fond, ce qui importe, c'est b~en
que la Haute Autorité organise et dirige le marché commun du
charbon et de l'acier dans le cadre du Traité qui l'instaure et
dans le respect des idées et des méthodes communes aux pays
membres = les difficultés qu'elle rencontre sont déjà suffisamment nombreuses pour qu'on ne la bride pas encore par un
contrôle étroit. La Cour garde assez de pouvoirs pour intervenir
puissanlment au cas où il lui apparaîtrait .q ue la Haute Autorité
s'éloigne de son rôle. Pour le moment, négligeant les occasions
qui lui étaient offertes de prendre dans la ComlTIunauté la
place prépondérante, elle a conçu ·et rempli sa mission de contrôle
avec la conscience scrupuleuse et la sagesse qui siéent au juge.
Ph. de DIETRICH
Docteur en Droit
de
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�La Cité
de Saint - Exupéry
L'homme, disait mon père, c'est d'abord celui qui crée. Et
S01ft frères les hommes qui collaborent. Et seuls vivent
ceux qui n'ont point trouvé leur paix dans les provisions qu'ils
avaient faites.)
«
s~uls
Cette parole du che! de la cité que Saint-Exupéry exalte
dans son œuvre posthume résume sa morale sociale sous son
double aspect de création et de communion.
Le sens de l'humain chez Saint-Exupéry peut certes se concevoir sur des plans divers, mais seul le sort de l'homme da"ns
la cité nous retiendra ici. Il a "en effet beaucoup insisté sur les
rapports que les hommes tissent entre eux. Et c'est toute une
morale politique qui se dégage de l'ensemble de son œuvre,
spécialement de Vol de Nuit, de Terre des Hommes, de Pilote
de guerre et enfin de Citadelle qui rassemble dans un monument
inachevé, encore cerné de ses échafaudages, les pierres les plus dures de son œuvre. Saint-Exupéry n'est certainement pas un penseur
- politique au sens traditionnel d'un terme qui vise surtout ceux
qui ont été attirés par la science politique. Celle-ci ne l'a
jamais séduit (1). Mais sa vie toute passée dans l'action, au
milieu des camarades de métier, l'a poussé à s'attacher à rechercher le sens de l'autorité comme celui du travail, de la
joie ou de la peur en commun.
Cette vie sociale est dominée, comme la vie individuelle,
par l'impératif de dépassement de soi grâce à 1'action. L'homme
doit s'efforcer de s'élever au-dessus de ses passions, au-dessus
de son corps, au-dessus des faiblesses de son âme.
(1) Nous ne rechercherons pas davantage ici les poSitions de SaintExupéry à l'égard des événements politiques qui se sont produits durant sa
vie. On les trouvera exprimées notamment dans des textes publiés par
Claude Raynal Jans Un sens à la vie (Gallimard 1956).
13
�« Je hais la facilité.
Et il n'est point d'homme s'il ne
s'oppose ». Et ce combat que l'on poursuit, cette œuvre à laquelle on se donne, sont magnifiés pour eux-mêmes. Non pour·
le résultat matériel auxquels ils aboutissent, non tant pour la:
victoire ou l'édifice que pour l'élévation que suppose leur accomplissement. La poursuite du but ·grandit, non sa possession.
Ascèse singulière qui commande non l'isolement ou le
repliement sur soi mais invite à se rallier généreusement à.
l'effort des autres.
« Qui bâtit sa cathédrale qu'il faudra cent années pour bâtir,
alors cent années il peut vivre dans la richesse du cœur. Car
tu t'augmentes de ce que tu ·donnes et augmentes ton pouvoir
même de donner. »
La vie . de Saint-Exupéry donne en effet bien çette impression
action continue exaltée et magnifiée par les disciplines
d'énergie et de dépassement qu'il s'impose.
d.'.~ne
M. Didier Daurat, qui, directeur de Latécoère, inspira à
Saint-Exupéry son Rivière de « Vol de Nuit », ce chef qui lance
~es pilotes envers et contre tout puisqu'il s'agit de fonder la
ligne, de l"incruster, d'en labourer le ciel avec la même ténacité que met le paysan à tracer son sillon, a rappelé depuis
combien il avait été étonné de voir arriver en 1926 à Toulouse un jeune homme distant et rêveur, aux mains soignées, qui
ayant naguère volé comme militaire, venait demander à piloter
sur Toulouse-Dakar. Rien en lui n'évoquait l'aviateur extraordinaire qu'il allait devenir. Mais tout de suite il domine ses
tendances personnelles, il remonte « les pentes naturelles
et
s'impose les servitudes qui forgeront sa grandeur.
li
Devenu pilote de ligne éprouvé, il est nommé chef d'aéroplane à Cap Juby. Durant dix-huit mois il va y mener, aux
confins du Rio de Oro, une existence d'ermite et il va fornler
en lui « l'homme qui ne vit que par son âme ». Mais un ermite
qui ne cesse d'agir : diplomate à l'égard des Maures insoumis,
sauveteur de camarades tombés en panne chez ces dissidents.
Durant son séjour à Cap Juby, six équipages sont emmenés en
captivité par les Maures, quatorze fois il faudra aller au secours des aviateurs en panne (2). Ainsi tout.e sa vie il affrontera les périls, frôlant le massacre en Afrique·, la noyade comme
pilote d'essai d'hydravion en 1934, la mort paF la soif en 1935
dans le désert de Lybie (Terre des Hommes), l'écrascIl).ent en
1938 au Guatémala, le feu enfin en 1940 comme pilote de
(1) Cf. l'admirable livre de M. Georges Pélissier, Les cinq visages du
Saint-Exupéry. Flammarion éd. 1951.
�guerre durant la campagne de France Mors que presque tous
nos avions de reconnaissance sont àbattus au cours de leur
mission et qu'il écrit : « J'ai engagé une chair dans l'aventure,
toute ma chair. Et je l'ai engagée perdante li.
Et ce n'est pas l'amour du danger ni le goût du risque qui
l'animent, -mais le sens de l'épanouissement de la vie dans laquelle l'homme, en se heurtant à l'adversité, se grandit. « J'ai
respiré le vent de la mer. Ceux qui l'ont goûté une fois n'oubUent pas cçtte nourriture. N'est-ce pas, mes camarades ? Et
il ne s'agit pas de vivre dangereusement. Cette fOl'mule est
prétentieuse. Les toréadors ne me plaisent guère. Ce n'est -pas
le danger que j'aime. C'est la vie li,
Cet épanouissement de l'individu il ne le comprend que
dans une vie collective. Des liens solides l'uniront toujours à
la terre des hommes, soit qu'il transporte des lettres ou ceux
voyageant à son bord, soit qu'il embrasse dans un vaste regard
cette humanité qu'il sent vivre à ses pieds. Ecoutez le pilote
Fabien dans Vol de Nuit :
« Et maintenant au cœur de la nuit comme un veilleur, il
découvre que de cette nuit monte l'homme: ces appels, ces
lumières, cette inquiétude. Cette simple étoile dans l'ombre:
l'isolement d'une maison. L'une s'éteint, c'est une maison qui
se ferme sur son amour, ou sur son ennui. C'est une maison
qui c'esse de faire son signal au reste du monde Il.
Il connaît ainsi l'humanité à travers l'outil qui lui permet
de se mesurer à l'obstacle. L'avion loin de s'éloigner de l'homme lui donne la hauteur de vue d'où il ,a pparaît dépouillé de
ses diversités contingentes dans l'éternelle unité de son destin.
L'ascension de l'aviateur n'est n'ailleurs possible que grâce au
concours d'autres hommes qui ont participé à l'évasion de son
envol et il se sent profondément solidaire de tous ces hommes,
ceux de l'équipage, de la ligne, de l'escadrille, et ceux de
la terre dont il capte d'en haut les minuscules lumières.
Sa mission est de les éveiller, de les amener à le suivre
dans sa montée. D'où tout naturellement une tendance profonde
de Saint-Exupéry à s"interroger sur l'humanité, sur la société
telle qu'il la voit à travers son métier et à lui apporter une
morale de vie, toute entière axée sur le dépassement puisque sur
le plan social, tout comme sur le plan individuel : « L'homme
se découvre quand il se mesure avec l'obstacle »,
On comprend dès lors la place essentielle que Saint-Exupéry,
moraliste politique, va faire à ceux qui se dépassent jusqu'au
sacrifice. C'est une morale héroïque qu'il nous offre. L'on sent
chez lui un profond mépris pour le monde moderne qui 'p ar une
-
lS
-
�lausse notion de l'égalité tend "à niveler l'humanité alors qu'elle
n'a de sens que si elle tend à s'élever. La terre des hommes,
loin d'être une plaine usée par l'érosion égalitaire, doit lancer
des sommets jaillis de son effort continu de création. C'est aux
chefs de la cité à élever l'homme.
Ainsi se dégage une aristocratie des héros, pilotes naturels
d'une humanité qui cherche sa voie.
Voici au premier abord une morale austère et qui ne laisse
de choquer "par ses ressemblances avec celle du surhomme de
Nietzsche. Similitude apparente seulement. Il ne s'agit point de
bâtir une société que des hommes supérieurs gouverneraient pour "
assouvir leur volonté de puissance. Au contraire, il s'impose aû
chef d'honorer . l'homme ; « il ne se résigne point à ce qui, dans
le plus humble ou le plus malheureux, les chances de l'homme
soient niées ou sacrifiées» (3). Et surtout cette morale n'est point
: apologie d'hommes supérieurs et prédestinés. Chacun, quel qù'il
soit, peut devenir ce héros qu'il porte en lui : « ma civilisation
repose sur le culte de l'homme à travers les individus
)t.
Un humanisme foncier anime la cité de Saint-Exupéry
qui dirige ainsi le peuple vers le progrès spirituel. Il y sera
conduit en participant à fa vie de la cité non seulement matériellement mais moralement. Il y a chez Saint-Exupéry une
mt>rale "de la participation libératrice qui fait comprendre les
contraintes sociales.
:
Chacun doit chercher à se dépasser à la place où Dieu
l'a mis et " le héros, s'il émerge, n'occupe pas nécessairement
la situation la plus spectaculaire. Il trouvera, dans son effort
d'élévation, une aide déterminante dans le groupe de ceux
animés du même idéal. Individuelle dans son essence, la libération de l'homme sera collective dans sa mise en œuvre. Chacun
S'enrichira de la poursuite du but commun. Le cadre dressé par
le pouvoir et animé par lui, doit favoriser cette participation qui,
seule, permet de se surpasser.
L'essor de la cité temporelle résultera de sa hauteur spirituelle. Gouvernants et gouvernés ne sont point des antagonistes mais des collaborateurs. Cette cité, pensera-t-on, n'est pas
de ce monde. Elle s'y intègre cependant, l'enrichissement intérieur devant inspirer le comportement quotidien de l'homme (4).
(3) P.H. Simon. L'homme au procès. Ed. la Baconnière, p. 14f
(4) Saint-Exupéry était loin de penser que le monde actuel fût dominé
par des impératifs de ce genre. On lit dans la « Lettre au général X.. . " :
« Je hais mon époque de toutes mes forces.
Les hommes y meurent de
soif... il n'y a qu'un problème, un seul de par le monde. Rendre aux
hommec; une signifiéation spirituelle, des inquiétudes spirituelles ".
-
26
-
�Ainsi l'impérieuse loi du dépassement de soi domine les
deux traits qui semblent caractériser la cité de Saint-Exupéry,
l'aristocratie des héros et la participation libératrice des hommes à l' œuvre ~ommune, le second thème venan~~ par ses
exigences de communion, corriger le timbre hautain du premier.
L'aristocratie des héros ne recouvre pas un système de
gouvernement précis mais une éthique du pouvoir imposant à
ceux qui l'exercent le devoir du dépassement pour dominer les
éléments hétérogènes qui composent la cité.
Le pouvoir, à cette fin, va bâtir la cité, la conduire, animé
par l'esprit. Il y a dans Citadelle une vue très belle de la
cité sous ses aspects différents d'architecture, de navire et d'âme.
(( Pour me montrer la ville on me conduisait quelquefois
sur le sommet de la montagne.
( Regarde là, notre cité, me disait-on. Et j'admirai l'ordonnance des rues et "le dessin de ses remparts ». C'est la ville de
l'architecte. « Mais d'autres, pour me montrer leur ville me
faisaient traverser le fleuve et l'admirer de l'autre rive. Je
découvrais donc de profil sur la splendeur du crépuscule, ses
maisons, les unes plus hautes, les autres moins hautes, les unes
petites, les autres "grandes, et la flèche des minarets accrochant
comme des mâts la fumée de nuages pourpres. Elle se révélait
à moi semblable à une flotte en partance. Et la vérité 'de la
ville n'était plus ordre stable et vérité de géomètre mais assaut
de la terre par l'homme dans le grand vent de sa croisière » .
C'est la cité des capitaines, des chefs.
Certains, cependant, pour me faire admirer leur ville
m'entraînaient à l'intérieur de leurs remparts et me conduisaient
d'abord au temple. Et j'entrais, pris dans le silence et l'ombre
et la fraîcheur, alors je méditais ... Voilà disais-je la vérité de
l'homme. Il n'existe que par son âme. A la tête de ma cité
j'installerai des poètes et des prêtres. Et ils feront s'épanouir
le cœur des" hommes ». C'est la cité spirituelle.
Ainsi la Cité Saint-Exupérienne relève de la triple autorité
de l'architecte, du chef, de l'Esprit, qualités qui se retrouvent
dans le Roi berbère de Citadelle et que doit revêtir le Pouvoir
s'il veu"t élever le:i hommes.
L'Architecte apparaît constamment dans l'œuvre de SaintExupéry, surtout à partir de Terre des Hommes. Dans son
action, l'homme fonde et bâtit, il édicte des normes contraignan-
':17 -
�tes. Le tempérament et la formation de l'auteur expliquent ce
recours fréquent au thème de l'architecte. Défricheur de lignes
aériennes, il construit le réseau, pilote de ligne, il se soumet
à la ieéhnique, aux rites du vol. L'aviateur est àinsi imbriqué
dans une hiérarchie, soumis 'à un cérémonial. Il en est' de
même dans la cité et l'architecte d'une part 'échafaude une
structure de pouvoir hiérarchisée, d'autre part établit des rit~
en une véritable liturgie du pouvoir.
La hiérarchie s'impose à l'architecte qui veut élever sa cité
car chacun doit être à sa place, comme dans l'avion les membres
de l'équipage, sous les ordres du commandant de bord, ont
été mis au poste où ils donnet·ont le meilleur d'eux-mêmes.
Saint-Exupéry donne ainsi 'aux structures une importance
Dans cette perspective, il a une vue pyramidale
de la société.
considérable~
L'organisation sociale est nécessaire et la vie de l'homme
ne .peut se dérouler pleinement 'q ue dans une certaine discipline
sociale. On l'a fort justement noté (5), Saint-Exupéry ne croit
pas au bon sauvage de Jean-Jacques. Certes l'Etat est œuvre
humaine, mais il exerce, à son '- tour, une influence déterminante
sur l'essor de l'homme.
« Je n'étais pas assez naïf pour croire que la fin de rEmpire é~ait due à cette faillite de la vertu, sachant avec trop de
clarté que cette faillite de la vertu était due à la fin de l'Empire ...
La pourriture de nos hommes est 'devant toute pourriture de
l'Empire . qui fonde les hommes. ~
Position singulière, à l'opposé de celle de Péguy pour qui
ce sont les hommes qui font les régimes et qui n'est pas
sans rappeler la doctrine de Maurras selon laquelle l'appartenance de l'homme à une hiérarchie sociale lui confère sa valeur.
Cet aspect de la pensée de, Saint-Exupéry se situe, avec un lot
d'images l~enouvelé, dans le sillage des hérauts . du traditionnalisme politique. Mais ce rappel ne doit pas faire illusion : chez
Saint-Exupéry ce qui caractérise ces structures c'est' essentiellement le dessein de l'architecte de les établir de tèlle sorte
qu'elles portent l'homme à l'épanouissement de son être. L'ordonnance de l'édifice n'est point faite pour le groupe mais pour
l'individu.
Ainsi apparaît la nécessité de l'architecte qui noue l'action
d'hommes dans des structures. Il écrit: « si ton pouvoir tu
le divises et le distribues entre tous, tu ne retires pas le
renforcement, mais la dissolution de ce pouvoir. Et si chacun
(5) Cf P.H. Simon, op. cU., p. 148.
28
-
�choisit l'emplacement du temple et apporte sa pierre ot\ il
veut, alors tu trouves une plaine pierreuse au lieu d'un temple ».
On retrouve chez Pilote de guerre la même image du tas
de pierres qui n'est rien en lui-même, étant dépourvu de sens.
Mais la loi de l'architecte l'animera et en fera une cathédrale.
Morale dure ; elle exige l'arbitraire du bâtisseur, mais toute
création est douloureuse.
Elle va tendre à remonter les pentes naturelles qui poussent toujours l'homme vers la faiblesse et la médiocrité. « j'oppose mon arbitraire à cet effritement 'des choses et n'écoute
point ceux qui me parient des pentes naturelles. j'apparais avec
mon arbitraire. Moi l'architecte qui suis un cœur et une âme
)t .
L'établissement d'un tel ordre exige des contraintes sociales.
Elles sont d'ailleurs désirées par ceux-là mêmes qu'elles vont
atteindre.
Qui veut monter dans une hiérarchie et s'enrichir,
prie d'abord qu'on le contraigne et les rites imposés t'augmentent ... Que fais-tu s'il est 'des enfants qui s'ennuient, sinon de
leur imposer tes contraintes lesquelles sont règles d'un jeu après
quoi tu les : vois courir ».
fi
Cette contrainte va ainsi imposer les rites dont l'ensemble
va constituer une véritable liturgie du pouvoir.
La liturgie du pouvoir s'impose car la société ne repose
pas seulement sur les lois, mais également sur les rites. D'où
J'importance des procédures au sens élevé du terme, l'importance,
par delà le code, du cérémonial. On comprend la rigueur avec
laquelle le chef de ligne, Rivière, impose à ses hommes le
respect 'du règlement et l'observation de rites, souvent incompréhensibles à première vue.
« Le règlement, écrit Saint~Exupéry, est semblable aux rites
d'une religion, qui semblent absurdes mais façonnent les hommes ». C'est pourquoi le Roi de la Citadelle s'écriera : « j'écris
des lois, je fonde des fêtes ' et j'ordonne des sacrifices, et de leurs
moutons, de leurs chèvres, de leurs demeures, de leurs montagnes, je tire cette civilisation, semblable au ,palais de mon
père, où 'tous les pas ont un sens ». Désastreux lui apparaît le
sort, de « l'ho~e perdu dans une semaine sans jours, dans une
annee sans fetes
)t .
« Et Je ne connais rien au monde qui ne soit d'abord cérémonial. Car tu n'as rien à attendre d'une cathédrale sans
architecture, d'une année sans fêtes, d'un visage sans proportion,
d'une armée sans rè.g lements, ni d'une patrie sans coutumes ».
'f
Les individus « ne sont plus que pierres en vrac si tu ne
fondes pas dans ton empire un cérémonial des hommes ».
Ainsi les rites qui Vivifient l'homme en donnant un sens
à ses actions relèvent de l'architecte car dans la liturgie chacun
�1
se trouve ~ la piace qui lui est fixée comme dans la cathédrale chaque pierre a son sens dans l'édifice.
Cependant cette cité est ainsi édifiée non pour rester à
l'état statique mais pour aller de l'avant. Alors Saint-Exupery
envisage la cité en marche et il use souvent de la comparaison
du navire. Cette cité n'est Ijlus celle de l'architecte mais celle
des capitaines, celle du chef.
Le Chef occupe la place centrale dans l'œuvre de SaintExupéry. La cité est œuvre collective mais elle repose sur le
chef qui la conduit avec fermeté et clairvoyance, comme l'avion
obéit à son commandant. Vue qui peut paraître simpliste, m ais
qui "s 'enrichit lorsque l'on contemple les admirables portrai ts
de chefs que Saint-Exupéry a campés dans son œuvre.
« Le Chef propose, dans sa personne et dans ses actes un
étalon de mesure humaine » (6). Le chef c'est Rivière dans
Vol de Nuit, c'est le Roi berbère de la Citadelle. Il est responsable d'une humanité et c'est ce qui l'oblige à être réaliste
et à vivre dans le présent; mais son comportement est dominé
par un profond amour "de l'homme. C'est ce sens du présent
et ce sens de l'amour humain qui sont les deux lignes de
forces de ce chef étonnant vu par Saint-Exupéry.
Le Chef doit laisser à l'avenir ses lointaines promesses et
se concentrer sur le présent. C'est au présent qu'il se heurte.
C'est contre lui qu'il se grandit.
_.,1: .'
" .. '
« Préparer l'avenir ce n'est que fonder le présent. Et que
ceux-là s'usent "dans l'utopie et les démarches de rêves, qui
poursuivent des images lointaines, fruit ' de leur invention. Car
la seule invention est de déchiffrer le présent... Mais si tu
te laisses aller aux balivernes que sont tes songes creux concernant l'avenir, tu es semblable à celui-là qui croit pouvoir
inventer sa colonne et bâtir des temples nouveaux dans la
liberté d! sa plume. »
Cette condamnation de l'utopie est nécessaire à qui veut
atteindre l'héroïsme qu'il faut affronter la vie au lieu de
se réfugier dans les rêvasseries de systèmes. Ce serait pour le
chef "trahir sa mission. Et certes ce n'est pas toujours commode.
« Mais ne crois pas que penser le présent soit simple. Car alors
te résiste la matière même dont tu dois faire usage, alors
que ne résisteront jamais tes inventions sur l'avenir » .
C'est pourquoi il relèvera les défis du présent aussi douloureux que soient 1es problèmes qu'il lui ·pose. Il ne devra même
pas hésiter devant la crainte d'envoyer un homme à la mort si
Samt-Exu~ry.
(6) Daniel Anet. MtoinB de
-
3°
Ed. Correa, p. 91.
�cette mort doit ètre salvatrice de piusÎeurs vies. Le chef doit
être à la hauteur de sa terrible responsabilité.
Ainsi Rivière appelle Fabien qui vient de vaincre un orage
épouvantable et va dès le lendemain le rejeter dans un nouvel
ouragan dans lequel cette fois Fabien disparaîtra.
Et il con'tinuera sa dure vocation, sans désespérer, comme
.« Où voyez-vous qu'il y ait lieu
de désespérer: Il n'est jamais que perpétuelle naissance. Et
certes, il existe, l'irréparable, le passé est irréparable, mais le
pt'ésent vous est fourni... c'est à nous d'en forger l'avenir ».
il est écrit dans Citadelle:
Une telle morale n'a de sens et ne peut s'admettre que
si elle est insplree non par le goût de la dureté, mais par
l'amour de l'homme.
Ce ne sont ni l'orgueil ni le désir de dominer qui guIdent
le chef. « Car le pouvoir, s'il est amour de la domination, je
le juge ambition stupide. Mais il est certes créateur et exercice
de la création s'il va contre la pente naturelle qui èst que
se mélangent "les matériaux, que se fondent les glaciers en mare,
que s'effritent les temples contre le temps
JI.
Aimer l'homme c'est chercher à le grandir. C'est se dépasser soi-même pour l'aider à trouver son propre épanouissement. Toute une école enseigne ainsi depuis Xénophon que
le chef est le premier s~rviteur de ceux qu'il commande .
. La mission du chef est 'de forger les caractères. Ainsi apparaît Rivière.
Ce qu'il veut, c'est lancer ses hommes hors d'eux-mêmes. Et
dans cette tâche, il doit se dominer lui-même car, les aimant, il
doit leur cacher son amour. Il ne peut leur montrer que sa· rigueur impérieuse, sa dureté inexorable. L'injustice de la punition
elle-même ne l'arrêtera pas si la vie de l'entreprise réclame que
toute défaillance, même inévitable, soit frappée. Rivière est parfois
tenté par l'indulgence, par la pitié. Sur le point de congédier
un vieil ouvrier, qui vient de commettre sa première faute
depuis dix ans, il songe un moment au pardon: « Rivière
rêvait au ruissellement de joie qui descendrait dans ces vieilles
mains. Et cette joie que disaient, qu'allaient dire, non ce _visage,
mais ces vieilles mains d'ouvrier, lui parût la ~hose la plus
belle au monde JI.
Mais ' le chef est dominé par le souci de l'efficacité de soil
entreprise. Les impératifs du service l'emportent àinsi sur le
respect de la justice humaine.
-
31
-
�« Suis-je juste ou injuste ? Je l'ignore. Si je fr'a ppe les parihes diminuent. Si j'étais très juste, un vol de nuit serait chaque
fois une chance de mort. »
Et cependant, il ne faut pas s'y tromper ; par delà la continuité du service c'est l'homme et la durée de son œuvre que
le chef poursuit. L'homme est fragile et périssable, mais il
peut àtteiridre à l'éternité si on lui fait faire des choses qui
resteront après lui. « Car pour moi, chante le récitant de Citadelle, je respecte d'abord ce qui 'dure plus que les hommes ».
C'est dans cette soif de dépassement, dans cette recherche de
la création durable que Rivière puise sa rude doctrine de chef.
Il l'oppose à 'la femme du pilote Fabien qui, inquiète, lui téléphone à son bureau alors que l'heure prévue pour l'atterrissage
de l'avion qui porte son mari es't écoulée. Après avoir hésité
un instant, il se résigne à l'écouter. « Rivière ne pouvait
qu'écouter, que plaindre cette petite voix, ce chant tellement
triste, mais ennemi. Car ni l'action, ni le bonheur individuel
n'admettent 1e partage, ils sont en conflit. Cette femme parlait
elle aussi au nom d'un monde absolu et de ses devoirs et de
ses droits ... , au nom d'un principe, celui de la clarté de la
lampe sur la table du soir, ~'une chair qui r'écl am ait , sa chair,
d?une patrie d'espoirs, de tendresses, de souvenirs ... Elle exigeait
son bien et elle avait raison
Cette femme et lui ne peuvent
se comprendre. Pour elle, le bonheur s'intègre dans la vie
humaine, pour lui l'honneur de l'hom1Jle est de laisser une œuvre
qui le continue par delà la mort.
lI .
Ainsi Rivière « revit un temple au dieu Soleil des Anciens
Incas au Pérou. Ces pierres droites sur la montagne, ,que resterait-il sans elles d'une civilisation puissante ?
lI .
Que de pierres un tel ouvrage a coûté, combien sont morts
dans ce labeur ? Mais
le conducteur des peuples d'autrefois
s'il n'eut peut-être pas pitié de la souffrance de l'homme , eut
immensément pitié de sa mort. Non de sa mort "individuelle,
mais pitié 'de l'e~èce qu'effacera la mer de sable. Et il menait
son peuple dresser au moins des pierres que n'ensevelirait pas
le désert
Position assez éloignée de celle du chrétien que
celle qui pousse l'homme à se prolonger dans une œuvre
qui ne témoignera que de l'orgueil de son effort. Les constructeurs de cathédrales, au delà de l'élan de leurs voûtes et de
leurs flèches, poursuivaient Dieu et c'est cet appel de l'homme à Dieu qu'elles expriment encore. La plus achevée d'entre
elles n'est toujours qu'un départ, alors que ce temple des Incas
c'est, en quelque sorte, la victoire de Sisyphe.
.
II(
lt.
AinSi s'expliquent, par le désir de magnifier les témoignages
du génie 'humain, cette soumission de l'homme aux finalités
sociales, telle qu'il l'a exprimée dans un passage de Citadelle
qui, détaché, du contexte de l"œuvre de Saint-Exupéry, ne lais-
33
-
�..
..
-
serait d'être inquiétant. « Les droits de l'homme o~ commencent-ils ? Car je connais les droits du temple .qui est sens des
pierres, et les droits de l'empire qui est sens des hommes, et
les droits du poème qui est sens des mots. Mais je ne reconnais point les droits des pierres contre le temple, ni les droits
des mots contre le poème, ni les droits de l'homme contre
l'empire
Phrase que certains commentateurs n'osent citer ou
qu'ils s'efforcent d'amenuiser. D'aucuns y décèlent un vestige
de la tentation du marxisme que Saint-Exupéry a éprouvée
un moment, cependant que d'autres y voient des séductions
fascistes. En vérité, à l'époque où 11 écrivait ces lignes, il ne
cachait pas son aversion pour les totalitarismes. Son vœ.u n'est
pas le primat de la société sur l'individu, mais bien plutôt l'épanouissement de l'homme dans une tâche qui, élevant le niveau
de la civilisation, le grandira lui-même. Ainsi Saint-Exupéry
refuse à l'homme d'exciper de ses droits pour se replier
dans une réserve égoïste, et tenter d'échapper à la vie de la
cité, mais il n'entend pas non plus que le pouvoir l'asservisse.
Bien au contraire il devrait empêcher que la masse n'étouffe
l'homme. Il a nettement exprirrié cette dialectique des deux
dictatures possibles: celle du pouvoir et celle de la multitude:
. . Il est certes mauvais que l'homme écrase le troupeau. Mais
-ne cherche pas là le grand esclavage : il se montre quand le
troupeau écrase l'homme
S'il souligne surtout ce 'dernier péril,
c'est que, rejoignant Tocqueville, il redoute dans les vastes
sociétés modernes l'enlisement de l'individu dans la masse.
)1 .
)1.
"p-'"
•
.It.,
j;l ••
,
,
Doctrine humaniste dans sa .fin, qui procède d'un optimisme
réel, d'un espoir profond dans le destin de l'homme. Il ra foet
bien résumée: « Ma civilisation repose sur le culte de l'homme
à 'travers les individus
Chaque homme a en lui un héros qui
sommeille et que le chef doit réveiller.
)1.
Cet éveil du héros n'est possible que si l'on cultive ce qu'il
y a de plus fécond dans le cœur de l'homme comme au centre
de la cité : l'âme, l'esprit, troisième assise de la cité saintexupérienne.
Seul l'Esprit, s'il souffle sur la glaise, peut créer l'homme.
C'est lui qui commande le dépassement. Le spiritualisme de
Saint-Exupéry se fonde sur la croyance en une réalité exigeante,
int~rieure à l'homme et supérieure à lui et qui doit inspirèr toute son action. Celle-ci, le goût de la vie qu'elle manifeste, n'est que la projection de l'esprit dans le monde. ·C'est
pourquoi l'action ne sigriifie pas agissements désordonnés ' et
que, pour l'aviateur qu'était Saint-Exupéry, le Dominièain, lorsqu'il prie, « n'est jamais plus homme que quand le voilà immobile et prosterné ».
.
C'est l'Esp'rit qUI nous éclaire sur le sens ero!ond de la
33
�miSSIon de l'homme et qui seul peut dégager ia signification
éternelle d'une vie. « Connaître ce n'est point démontrer ni expliquer. C'est accéder à la vision ,.. Saint-Exupéry n'est pas un
théoricien, mais un visionnaire. M. Pierre-Henri Simon explique
excellemment (7), opposant l'esprit à l'intelligence, qu'alors que
celle-ci «se meut dans l'immédiat. pour un but prochain ... , l'Esprit
voit ce qui dépasse l'instant ét à vàleur éternelle »). On retrouve
ici ce goût profond de Saint-Exupéry pour ce qui transcende les
divergences contingentes, les assemble et dégage leur signification
commune. De même que l'architecte réunit des organes différents .
dans un édifice et leur donne ainsi leur cohérence, de même
que le chef accorde les diverses activités de ses hommes dans
la marche de l'entreprise, de même l'Esprit décèle, à 'travers
les démarches multiples de la vie, le nœud qui les unit. L'Esprit
est la clef de voûte suprême qui unit toutes les actions d'une
vie, « le nœud qui les rassemble et les noue ». C'est .lui qui
les éclaire toutes: « Ne cherche point d'abord une lumière qui
soit un objet parmi les objets, celle du temple couronne les
pierres ». Il écrit aussi: « Les matériaux n'enseignent rien sur
leur démarche. Ils ne sont point nés s'ils ne sont nés dans un
être. Mais c'est une fois l'assembl~es ,que les 'pierres .peuvent
agir sur le cœur de l'homme par la pleine mer du silence ».
Il fallait s'attendre que dans cette montée progressive, SaintExupéry aboutit à 'Dieu: « Ta pyramide n'a point de sens si
elle ne s'achève en Dieu,. (8), «Dieu, port de tous les navires ». Dès lors, ' c'est l'Esprit qui permet aux hommes de
concevoir des actes supérieurs et d'accepter le sacrifice. L'exemple le plus frappant est celui du pilote de guerre qui s'entend donner l'ordre de partir dans une mission désespérée. Celle-ci est
inutile; les résultats de la reconnaissance, à supposer que
l'équipage puisse rentrer, ne pourront pas être communiqués
à 1'Etat-major, toujours en déplacement, les moyens de transmissions étant eux-mêmes désorganisés dans le désordre de la
retraite. Quel que soit le désespoir de l'homme, l'Esprit, s'il
souffle, lui fera accepter la mission, car une existence trouve
son apogée dans le sacrifice ; le don de soi, c'est le don d'un
sens à sa vie.
(7) P.H. Simon. Op. cU., p.
140.
(8) Saint-Exupéry n'avait plus la foi de son enfance, mais sa pensée
est cependant souvent imprégnée de christianisme. Il a dit lui-même dans
Pilote de Guerre qu'il revendiquait comme sienne la civilisation chrétienne.
Cf. à ce sujet le livre de Renée Zeller, l'Homme et le Navire, Ed. AI~atia.
dans lequel l'auteur s'efforce, parfois peut-être avec quelque outrance, de
montrer la parenté profonde de ÇiUulelle et des écritures des pères de
l'Eglise.
Il est certain que si Saint-Exupéry n'était pas positivement chrétien,
il croyait en Dieu, Nombreux sont dans Citadelle les passages d'une
admirable élévation qui le prouvent. Il avait de Dieu une vue à la
fois contemplative et agissante dans l'amour des hommes.
-
3-4
-
�é;est cet esprit qui animait rarchhecte et ie chef. Pour
Saint-Exupéry la mission du pouvoir n'est d'essence ni
économique, ni politique, mais avant tout spirituelle. Le bonheur
de l'homme ne résulte que de la sensation de vivre, et vivre
ce n'est point se nourrir, satisfaire ses appétits matériels ou
iritellectu~ls, mais les exigences de son esprit qui lui imposent
l'élévation, l'anoblissement de sa condition (9}.
Dans l'individu, il faut ainsi considérer non l'enveloppe charnelle ni même son intelligence qui n'est que mécanique, admirable mais vaine si elle n'est pas commandée par l'Esprit, il
taut . souligner ce signe de Dieu dans l'homme ,qui n'est que
le véhicule d'une réalité transcendante. C'est pou~quoi SaintExupéry emploie si souvent les expressions de « vase », de
« charroi ,. pour marquer ce caractère de l'homme qui fonde
sa grandeur sur ce qui es·t au plus profond de lui. Ce n'est
qu'en puisant sans cesse dans ce fond difficile à sorider mais
d'une inépuisable richesse ,qu'il demeu~era ,fidèle à son . des-tin.
C'est ainsi que cet homme placé sous la triple autorité de
l'architecte, -du chef et de l'Esprit connaîtra non l'asservissement
_mais au contraire l'épanouissement de sa personnalité. Mais celuici ne se réalisera pas pour chacun dans une œuvre qui le mette
seul en cause. Cette doctrine, individùaliste dans ses fins, ne
tend pas à l'isolement égoiste de l'homme, pas plus qu'elle n'envisage la conquête de son salut par une action solitaire. Le
chef . s~enferme dans la solitude de sa rigueur, mais il vit au
cœur de ses hommes et il les app'elle à une œuvre commune.
C'est 'dans cette participation à la tâche collective que chacun
trouvera sa propre libération. A l'effort du chef qui s'efforce
de le grandir, l'individu va répondre en coopérant à créer un
ouvrage suprême qui couvre les besognes individuelles et qui
leur donne un sens; c'est la particip'ation libératrice de l'homme à l'œuvre commune, notion qui se retrouve constamlnent
dans l'œuvre de Saint-Exupéry et qui nous semble être le second ·trait caractérisant sa morale sociale~
...
La participation libératrice réalise le
cantIque des hommes dans le même travail •. Elle est l'instrument 'de connaissance,
car était-il écrit dans Pilote de guerre, pour « accéder à la vision ... , pour voir, il convient d'abord de participer ,., elle est
la forme supérieure de la vie et de l'amour qui doit l'animer :
« Le métier de témoin m'a toujours fait horreur. Que suis-je si
je ne participe pas ? l'ai besoin, pour être, de participer ,..
fi
(9) Ce thème, p~nt da.ns toute l'œuvr-e, est
nettet6 da.Dt la üttre ..,. &",.~l X ...
ticuli~re
- :u
expo~
avec un-e par-
�L'homme n'est pas ùn spectateur tU un sujet passif qui subIt une
contrainte abrutissante; il agit (10). Mais pour être un agent
il a besoin de liberté ; il devra pouvoir penser ce qu'il voudra.
Pour Saint-Exupéry chacun a sa vérité. Cette conception
pirandellienne de la vérité, ce pluralisme des vérités permettra
à chacun de remplir . pleinement son rôle et de participer en
mettan t en œuvre la morale du mé.tier et la morale des camarades. Ainsi, comme un écho aux impératifs du pouvoir, vont
correspondre les exigences de la vie · féconde de l'homme : à la
contrainte de l'architecte répond la liberté des hommes, à l'autorité du chef le respect du métier, à l'Esprit de la cité l'amour
des camarades. Tels nous apparaissent les volets nécessaires
du tryptique de la participation.
·,
~
La multiplicité des vérités entraîne chez Saint-Exupéry un
libéralisme profond. C'est qü'il procède · d'une complète indiffé-:
rence à l'égard des idéologies. Il ne leur accorde aucun crédit.
Elles ne peuvent s'exprimer que par l'intermédiaire du langage, or
Saint-Exupéry manifeste une méfiance égale à l'idée et à son
expression. Le langage !ne peut exprimer tout ce que l'intelligence conçoit. Pour évoquer ce fond inexprimable, SaintExupéry a recours à l'image des icebergs. « Il est 'dans les
mers du Nord, des glaces flottan.tesqui ont l'épaisseur des montagnes, mais du massif n'émerge qu'un~ crête minuscule dans
la lumière du soleil. Le reste dort. Ainsi de l'homme dont tu
n'as éclairé qu'une. part misérable par la magie de ton langage ».
Dès lors comment l'abstraction des, mots pourrait-elle traduire
toute la réalité de l'homme. Il en· résulte de, nombreux malentendus dans les discussions. Or la vérité n'est 'pas ce qui
est démontré. Chaque individu aura ' la sienne, ce sera celle
qUI lui permettra de s'élever. Si dans ce terrain et non dans
un autre les orangers développent de , solides racines et se
chargent de fruits, ce ·terrain là, c'est la vérité des orangers.
Si cette religion, si cette culture, si cette échelle des valeurs,
si cette forme d'activité et non telles autres favorisent dans
l'homme cette plénitude, délivrent en lUI un .grand seigneur
qui s'ignorait, c'est que cette échelle des v al,e urs , cette culture,
cette forme d'activité sont la vérité de l'homme. La logique?
Qu'elle se débrouille pour rendre raison de la vie ... ».
4(
Le libéralisme de Saint-Exupéry ne consiste pas à laisser croupir les individus dans la, médiocrité de la vie quotidienne remplie par la satisfaction des pauvres joies terrestres.
enrièhissez-vous », qui inspira au siècle
Le conseil de Guizot
4(
(10) On pourrait aussi à cet ,égard souligner la cordialité de Saint-Exupéry
pour qui l'amour est instrument de connaissance. Comme il est dit dans
Le Petit Prince, " on ne compren~ bien qu'ayec le cœl.U' ».
�dernier un libéralisme de la ·pantoufle n'a rien de commun avec
la course au trésàr à laquelle nous convie ce conquérant, au
trésor que tout homme renferme au plus secret de son être.
On décèle , ainsi chez lui un mépris souverain l'pur les factions
politiques et leurs lamentables disputes qui ne se prolongent
qu'au niveau du langage. Non <Ju'il soit pour l'alignement des
âmes, mais simplement qu'il prefère que chaque famille spirirituelle, plutôt que. de piétiner dans des discussions vaines, ,s'engage concrètement dans la voie qu'elle suppose. A cet égard,
Saint-Exupéry n'est pas loin 4e Péguy qui distinguait les mystiques et les politiques et, comme lui, il élève les premiers et
abaisse les autres. La vérité n'est pas dans le calcul des politiciens. Elle est ce qui permét à l'homme d'atteindre à la plénitude de sa vie. On lit dans Terre des Hommes: « Celui
qui ne soupçonnait pas l'inconnu endormi en lui mais l'a senti
se réveiller une seule fois dans une cave d'anarchistes, à Barcelone, à cause dû sacrifice, de l'entr'aide, d'une image rigide
de la justice, celui-là ne connaîtra plus qu'une vérité, la vérité
des anachistes. Et celui qui aura une fois monté la garde pour
protéger un peuple de petites nonnes agenouillées, épouvantées
dans les monastères d'Espagne, celui~là mourra pour l'Eglise... ,..
C'est dire que la cité saint-exupérienne, loin d'être totalitaire,
-demeure le siège des deux royaumes: les décrets de l'architecte
ne doivent point mordre sur la pensée.
Ainsi toute v~rité est rèlative, non pas en ce qu'elle est
partielle, elle est totale mais particulière à chaque individu.
« La vérité ' c'est ce _
qui fait 'de lui un homme ». On voit l'immense et vivifiante tolérance qui se dégage de cette pensée.
Dès lors s'impose l'acceptation de l'autre : on ne doit
s'attacher dans les autres hommes non à la doctrine politique à laquelle ils se vouent ni les aimer ou lés combattre pour
elle, on doit, au contraire, considére~ qu'ils ont trouvé dans une
idéologie et .dans une tâche poursuivie en son nom, le levain
qui ·fait lever la pâte spirituelle dont se nourrit leur ferveur. Et
tous" ceux qui aspirent à cette élévation se sentiront solidaires
dans cette soif de dépassement.
On comprend mieux maintenant le rôle des contraintes socialès
qui pour Saint-Exupéry, n'est pas d'asservir l'homme mais de le
vivifier. Le forcer à être, l'obliger à donner un sens à sa vie ;
mais qu'il soit libre d'être ' ce qu'il veut, comme de choisir le
sens qu'il ' s'imposera. Si l'homme ainsi doit dépasser les par:
ticularismes des factions politiques, il est normal qu'il s'assemble avec ceux . qui mit "fait le même choix que lui, qu'il
s'intègre à un groupe car il ne peut trouver cet épanouissement
qu'en participélnt. Et cette participation s'incluera elle-même, par
delà les divergences doctrinales, dans une nation, dans une forme
de civilisation pour s'étaler pleinement dans l'humanité : à
chaque échelon de l'action commune, il !aut non pas s'arrêter
-- 37 -
�mais regarder plus haut. AinsI apparaît la double notion de
liberté et ' d'égalité sur laquelle Saint-Exupéry s'est beaucoup
étendu.
Les hommes peuvent être libres non 'dans un~ anarchie qui
ferait d'eux autant d'atomes, mais en quelque chose en partic1pant
à une œuvre commune, librement choisie ; conception moléculaire de la liberté. Saint-ExuPéry a montré que le rayonnement
de la colonne, laquelle forme un tout, ne naissait pas du
chapiteau, du fût, du socle, lesquels sont divers; mais de
l'ensemble. Remarque qui explique le cas des pays de
grande civilisation, comme la France notamment, où toutes
les opinions ont été soutenues et qui apparaît pourtant, malgré
ces diversités des apports du génie français, comme un tout dans
l'histoire du Monde. Il écrit qu'est « fertile la liberté qui permet
la naissance de l'homme et les contradictions nourrissantes ... liberté et contrainte sont deux aspects de la même nécessité qui
est d'être celui-là et pas un autre ».
Ainsi se trouvent conciliées les deux notions et se dévoile
la signification profonde des contraintes de l'architecte; elles ont
pour but, non de créer un homme standard, mais d'offrir à
chacun les diverses voies qui toutes ont une direction et ,une
valeur propres comme dans ce palais où 'tous les pas avaient
un sens, sans être pour autant alignés les uns sur les autres.,
Dans la cité, les voies ne sont pas parallèles mais rayonnantes.
C'est pourquoi Saint-Exupéry a horreur de l'état policé et du
gendarme t< avide de cogner ,.. Il condamne « celui qui fonde une
discipline de gendarmes où chacun tire dans le même sens et
allonge le même pas. Car si êhacun de tes sujets ressemble à
l'autre, tu n'as point atteint l'unité car mille colonnes identiques ne créent qu'un stupide effet de miroir et non un temple.
Et la perfection de ta démarche serait de les massacrer tous
sauf un seul ».
Du même coup se trouve fait le proces de la fausse notion
d'ég,alité fondée sur la jalousie. Comme ils sont libres, les hommes sont 'égaux en quelque réalité transcendante à la production
de laquelle ils participent. C'est leur concours à ce but commun
même poursuiVI par des voies différentes qui va les rendre égaux.
Il dit des croyants: « Exprimant Dieu, ils étaient égaux dans
leurs droits 'devant Dieu, ils étaient égaux dans leurs devoirs.,
je comprends pourquoi une égalité établie en ,Dieu n'entraînait
ni contradiction, ni désordre. La démagogie s'introdu~t quand,
faute de commune ll1:esure le prinéipe d'égalité s'abâtardit en
principe d'identité ». Et on lit dans Citadelle: cc Tu les souhaites semblables les uns aux autres, confondant égalité avec
l'identité. Moi je les dirai égaux de pareillement $ervir l'Empïre.
Et non tant de se ressembler: It.
�Il faut que les hommes sentent qu'ils sont 'tous également
riches du but poursuivi et non du succès remporté. Il 'l'explique dans l'admirable parabole des plongeurs du golfe de Corail
épousent la mer ». Il s'écrie :
qui "à "la recherche des perles
« Car te r~ine ton égaIité. Tu dis: que l'on partage cette
perle entre tous. Chacun des plongeurs l'eût pu trouver. Et la
mer n'est plus merveilleuse source de joie et miracle de la destinée... ». Lorsque l'un d'eux a trouvé une perle, « tous sont
enrichis. Car il est prouvé que la fouille de la mer est autre
chose qu'un simple labeur de misère. La perle qui échoit au voisin « illuminerâ tes plongées futures ». Et, dit-il, plus loin, « tu
es plus riche de ce qu'elle existe si même elle n'est pas 'pour
toi ». De même des décorations: « J'ai fondé telle décoration
dit le roi 'b erbère et les élus s'en vont se pavanant avec mon
caillou sur la poitrine. Tu envies donc qui je décore. Et tu viens
selon ta justice, laquelle n'est qu'esprit 'de compensation. "Et tu
décides: tous porteront des cailloux contre leur poitrine. Et
certes, désormais, qui s'affublera d'un pareil bijou ? Tu vivais
non pour le caillou mais pour sa signification ».
4(
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.'
~
..
;"..
.
.
-'.
:
'
'"
Alors dans cette société sairit-exupérienne s'éclaire la hauteur de vue de l'architecte qui devait s'efforcer ' de trouver la
-commune mesure à toutes les diversités composant l'édifice
pour leur permettre de s'exprimer en lui : Il n'est pour cela
que de les convier 'à participer à quelque chose qui les assemble
sans les confondre. « Mais vous enseignerez la merveilleuse
collaboration de tous à traver'i tous et à travers chacun ». La
comparaison du navire, utilisée une fois de plus, montre les hommes de l'équipage agissant différemment, certains se voyant
confier des tâches plus rudes que d'autres, et ceux qui assument
le même rôle ne l'accomplissant pas de la même façon, mais il
faut, quand tu te perds dans l'observation des équipes qui tirent
autrement leurs cordages, s'éloigner un peu pour découvrir l'unité. Et tu ne verras plus que navire en marche sur la mer » •
Les membres de l'équipage sont 'tous égaux dans le navire.
4(
Ainsi l'homme est libre de choisir sa voie dans le cadre d'une
cité qui lui en propose plusieurs ayant toutes un sens. Une s'offre
à lui par excellence qui va lui permettre de s'épanouir dans la "
participation: le métier. Alors apparaît la morale du métier,
thème fécond dont 'Saint-Exupéry nourrit sa pensée sociale.
La morale du métier est le pendant 'de celle du chef. La
libération de l'homme par le métier est un des grands messages
de son œuvre. Cette morale est dominée par deux commande- .
ments, d'une part : l'homme doit se donner totalement à son
métier, d'autre part, p'lus que du gain économique, il tirera sa
richesse de l'exécution de sa tâche.
L'homme s'offre à son métier.
-
39
Sairit-Exu'p'~ry
manifeste ce
�goût pour l'ouvrage bien fait qu'avait Péguy magnifiant le soin
avec lequel on rempaillait les chaises.
Lui exalte dans Vol de Nuit la joie du pilote Pellerin qui,
arrivant du Chili, heureux d'avoir vaincu les éléments hostiles
grâce à ses qualités techniques, demeure dans l'avion arrêté
pour savourer ce bonheur du travail accompli. Puis lors que
plus tard, il rend compte à Rivière des heures qu'il vient de
vivre, son che!, 'homme de métier comme lui, « l'aima de parler
de son vol comme un forgeron de son enclume ». Parce qu'il
sent que le métier ainsi conçu tire sa grandeur de lui même
plus que le gain matériel qu'il peut procurer. Celui qui ne
rêve que d'argent renonce à la vraie richesse. On lit Clans
Pilote de guerre: « Si je cherche dans mes souvenirs ceux qui
m'ont laissé un goût durable, si je fais le bilan des heures qui
ont compté, à coup sûr je retrouve celles que nulle fortune n'eut
procuré ». C'est ici que Sain"t-Exupéry introduit le thème de
l'échange.
C'est le temps, le soin que l'on consacre à une œuvre qui
lui confère sa valeur. Celle de l'aiguîère résulte des deux années
de veille que lui a donné le ciseleur. C'est toujours la même
idée : ce qui grandit c'est l'ouvrage qui se fait et non l'ouvrage
achevé. Terminé, il n'a d'autre prix que celui des peines de
l'ouvrier, du don fait à sa besogne.
« Qu'y a-t-il savetier qui te rend si joyeux ? Mais je n'écoutai
point la réponse, sachant qu'il se tromperait et me parlerait
de l'argent gagné, ou du repas qui l'attendait et du repos. Ne
sachant point que son bonl1eur était de se transfigurer en
babouches d'or. ,.
Saint-Exupéry n'ignore pas que l'économie a depuis longtemps
dépassé le stade artisanal et il regrette précisément que, dans
les grandes usines, l'ouvrier, mis à. la disposition de la machine,
ne sache pas toujours la signification de ses gestes. Maintenu
dans l'isolement d'un moment de la production, le travailleur ne
peut éprouver la sensation "de participer. Faute d'inspiration,
l'entreprise demeure un désert d'acier. On lit, dans la lettre au
Général X... : «Tous les craquements des trente dernières années n'ont que deux sources: les impasses du système économique du XIXme siècle, le désespoir spirituel». On ne saurait
jumeler plus nettement les deux causes.
PartiCipation au métier d'autant plus exaltante q'u'elle est
collective et qu'il rapproche les hommes : « La grandeur d'un
métier est peut-être avant tout d'unir les hommes : ils n'ont
qu'un luxe véritable, et c'est celui des relations humaines ».
Grâce à lui, l'homme se sent solidaire de ses compagnons. C'est
-
40 -
�en lui que va se développer la morale des camarades, troisième
témoignage de la libération de l'homme par la participation.
La morale des camarades, elle aussi, va permettre, mise
en œuvre, d'assurer le dépassement 'de soi. De même que l'Esprit
anime les assises de la cité, elle va animer le comportement
supérieur des individus. Parallèlement aux impératifs de l'Esprit
elle affirme les exigences de l'amour. L'ami ne juge point. Car
« l'amour véritable commence là où l'on n'attend plus rien en re- ,
tour ». Pour Saint-Exupéry l'amitié n'est point espérance d'approbation. Il écrit dans Terre des Hommes: «Liés à nos frères par un but
commun et qui se situe hors de nous, alors seulement nous respirons et l'expérience nous montre qu'aimer, ce n'est point se regarder l'un l'autre, mais regarder ensemble dans la même
direction. Il n'est de camarades que s'ils s'unissent dans la même
cordée, vers le même sommet... ,.. Leur joie vient de cette
participation. Comme ils sont libres et égaux, ils sont camarades
en ,q uelque chose. On lit dans Pilote de guerre_: « S'il n'est point
de nœud qui l~s unisse, les hommes sont juxtaposés et non liés.
On ne peut ètre frère tout court. Mes camarades et moi sommes frères en le groupe 2/33 ; les Français en la France ».
Il raconte dans Terre des Hommes comment il se retrouve,
dans le désert, près de deux avions en panne, avec des camarades qu'il est venu sauver. C'est le soir. Ils doivent pour
repartir, attendre le jour. Les dissidents sont tout proches et
cependan't, ils goûtent la joie des amis qui se rencontrent ët ils
chantent.
« Nous goûtions cette même ferveur légère qu'au cours d'une
fête bien préparée. Et cependant pous étions infiniment pauvres.
Du vent, du sable, des étoiles. Un style dur pour Trappistes.
Mais sur cette nappe mal 'éclairée, six ou sept hommes qui he
possédaient plus rien au monde, sinon leul s souvenirs, se partageaient d'invisibles richesses ... .»
1
Ce besoin de se sentir au milieu des camarades amme celui
qui, perdu, marche pour les retrouver et il se confond avec
l'instinct de vie. Est-il besoin de rappeler le célèbre et àdmirable
passage de Terre des Hommes qui nous montre Guillaumet
luttant contre la fatigue et le sommèil en se disant : « les camarades croient que 'je marche , ; ils ont tous confiance en moi.
Et 'je suis un salaud si je ne marche pas ». Nourrissant de cette
pensée d'incomparables forces morales, il continuera et eridurera
mille tourments. Mais quelle victorieuse fierté l'animera lorsqu'il s~écriera : « Ce que j'ai fait, je te le prie, jamais aucune
bête ne l'aurait fait ».
C'est la même éthique que Saint-Exupéry avait lui-même
�pratiquée lorsqu'au Rio de Oro il allait délivrer ses camarades
tombés chez les berbères; puis plus tard, lorsqu'il cherchait Guillaumet perdu dans les Andes. Et lorsque ce dernier le revit,
il lui déclara : « Je te voyais et -tu ne me voyais pas... ». Et
comme Saint-Exupéry s'en é~onnait - « Personne, lui -dit -Guillaumet, personne n'aurait osé voler si bas » (11). Sa conviction
que le contact des hommes grandit, est si profonde, que dépassant les contingences, son cœur s'épanouit dans l'amour de
son ennemi lui-même: « Et moi je dis qu'amis et -e nnemis sont
t'nots de ta fabrication. Et que certes spécifiant quelque chose
comme de te définir èe qui se passera si vous vous rencontrez
sur un champ de bataille, mais un homme n'est point régi par
un seul mot et je connais des ennemis qui me sont plus proches
que mes amis, -d'autres qui me sont plus utiles, d'autres qui
me respectent mieux »-.
-.
C'est pour rester avec ses camarades du 2/33 qu'à quarante
quatre ans, il demandera et firiira par obtenir de piloter des
appareils conçus pour des )cunes gens. Sa mort elle-même
est ainsi la partiCipation libératrice à l'œuvre commune de ceux
qui -c herchaient la France cachée par la tourmente. Son œuvre
n'était pas achevée a-t-on dit. Mais, nous le savons, plus que
la possession du but, il aimait le don de l'homme à son ouvrage.
Il èst nlort dans cette offrande. La morale des camarades boucle le cycle de la pensée sociale de Saint-Exupéry. Pensée singulière dont les contradictions apparentes ne laissent d'inquiéter
ceux qui pensent à l'usage que l'on tentera d'en faire. L'exemple de Péguy dont les partis les plus divers, voire les plus
opposés, se sont réclamés, justifie ces appréhensions. C'est qu'on
n'emprunte qu'aux riches. Prophètes et visionnaires sont de ce~x
là. Mais celui qui distrait de la rivière un cours d'eau et le
dirige dans une autre direction, arrose peut-être son domaine ;
il ne possède pas le fleuve. Le message de Saint-Exupéry serait
peut-être plus déformé que d'autres par une annexion car c'est
un appel à la réconciliation des hommes. Il ne faut pas s'y
tromper, l'aristocratie des héros n'est pas réservée à quelques
individus prédestinés ; pas davantage la participation n'est le
lot de la masse. C'est le même individu qui pour son effort
d'élévation atteint à l'une et à l'autre.
Toute tentative pour ne voir dans l'œuvre de Saint-Exupéry
_qu'une apologie du pouvoir serait trahison comme tout essai
pour découvrir une exaltation de l'anarchie dans sa conception
pluraliste de la "vérité politique,- morale ou religieuse. Car les
contraintes sont au service de l'homme et la liberté est rançon
du pouvoir. Est légitime l'autorité qui libère - l'homme et lui
(Il) Episode raconté par Jules Roy dans Passion de Saint-Exupéry;
�permet de trouver seul la voie qui le conduira plus haut. Que
l'homme s'associe à ceux qui ont choisi la mênle marche au
salut, mais qu'il aime comme ses ,frères ceux qui suivent une
autre route. Car tous volent vers le même but qui les attire
et les -assemble : le dépassement de soi.
La citadelle de Saint-Exupéry doit être embrassée en une
vue d'ensemble qui découvre toute son œuvre comme doivent
être domiriés les conflits des hommes dont il a voulu montrer,
par delà les oppositions de l'heure, la profonde solidarité. Lui
qui a dit : « Toute contradiction sans solution, tout irréparable
litige t'oblige de grandir pour l'absorber ».
Jean DUPUY.
Professeur à la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques d' Aix-en- Provence
-
43
�1
·1
,
�LA FIN
DU CONSEIL D'ÉTAT
.""
...
NAPOLÉONIEN
1. LA CHUTE DE L'EMPIRE (18Ù.1814) - II LA PREMIÈiE
R.ESTAUR.ATION - III. LES CENT JOURS ET LE RÉTABLISSEMENT
DE LA ROYAUTÉ
APPENDICE,
��Etroitement associé depuis le début du Consulat à l'œuvre
intérieure de Napoléon, le Conseil 'd'Etat n'a cessé de trouver
.dans cette collaboration constante et directe, influenc~ et prestige. Il est officiellement le second des grands corps tJ,e l'Etat
sur le plan protocolaire, où il vient après le Sénat, mais il est
le premier - sinon le seul - quant à l'action efficace et féconde. Indépendamment des avantages matériels ou honoriNques
reçus et des hautes fonctions individuelles dont beaucoup de
conseillers ont été pourvus, sûr tous ses membres refaillit l'honneur de la grande œuvre accomplie et de l'intense travail fourni.
Aucune institution ne paraît donc s'identifier autant avec le régime politique, nul corps civil ne se trouve plus étroitement lié
à la personne de l'Empereur.
.'
Or, après douze années de puissance, de triomphes, de traités
constamment dictés par la victoire, voici que se lèvent les fours
sombres, que décline l'étoile de l'Empire et que sous le choc des
catastrophes guerrières chancelle le grandiose édifice. Encore
quelques mois et" trahi par plusieurs de ses privilégiés, le régime
napoléonien s'effondre dans sa capitale envahie tandis qu'à 'dix
lieues la main de son chef lèv..e pour l'attaque le dernier tronçon d'épée. En moins de deux semaines, sous l'égide de l'ennemi,
un pouvoit' nouveau s'élève dans toute la France étonnée et
c'est de lui que dépendent désormais la conservation des places
et l'octroi des faveurs. L'année suivante, en quatre mois, deux
révolutions contraires de la fortune vienn~nt encore bouleverser
l'Etat et - à moins d'évolutions laites à temps - intervertir
les rôles entre triomphateurs et suspects.
Quel champ d'épreuve, en ces quinze mois, pour les consciences et les caractères, que de conflits entre l'intérêt personnel et
le sentiment du devoir comme entre la vanité et la fierté! Que
de tentations pour la faiblesse et l'instinct moutonnier, que de
salaires promis aux bassesses et même aux simples complaisances,
quelle carrière ouverte aux avidités de toute sorte, à la curée
des places, des décorations et des titres, à toutes les ambitions
et surtout aux plus vulgaires ! Enfin que de contrastes entre les
mobiles réels de beaucoup d'actes et les prétextes plus relevés
invoqués par leurs auteurs ou par des apologistes posthumes
comme en trouvent encore même un Talleyrand et un Marmont!
Ces brusques changements de régime fournissent ainsi tou-
�fours de saines ieçons d~ psychologie réaliste et des vues p~n~
trantes sur le fond de la nature humaine. Peut-être mêtne
est-ce la princiPale utilité que présentent beaucoup d'entre eux.
A cet égard les années 1814 et 1815 sont des plus instructives,
et grâce à la succession particulièrement raPide des bouleversements et en raison des conditions dans lesquelles fut rétablie
la royauté en 1814 et en 1815, conditions vraiment uniques sous le rapport du sentiment national - dans toute l'époque
contempor aine.
Sur ce plan l'histoire du Conseil d'Etat est faite surtout d'attitudes et de réactions individuelles car le corps entier n'a ioué
qu'un rôle effacé dans ces événements étrangers à sa sPhère
normale d'activité. L'obiet de cette étude ne se limite cependa1tt
pas à ces faits car, en ces deux périodes éphémères que SDtd
la première Restauration et les Cent-Jours, le rôle et le fonctionnement interne du Conseil d'Etat subissent plusieurs nlodificatiolls. Celles des Cent-Jours sont les moins marquées et Ott
ne peut savoir si elles seraient maintenues dans le cas où
Napoléon consèrverait la couronne. Mais les règles et les pra. tiques établies à cet égard en 1814 - e?ICOre qu'elles ne doivent
pas toutes subsister lors de la seconde Restauration - réalisellt
une transformation qui, hors du contentieux, va se confirmer et
s'accentuer plus tard avec les changements d'ordre politique et
constitutionnel, sauf en partie . dans le régime de 1852. En effet,
que Pélément essentiel de la vie politique après 1815 - savoir
les luttes et les transactions entre oligarchies concurrentes se manifeste dans le cadre censitaire ou dans le cadre démocratique, le genre de sélection et de valeur qu'incarnait le Conseil
d'Etat napoléonien se verra éclipsé dans la vie de la nation par
des facteurs très différents.
La situation ainsi créée en 1814 forme donc, sous plusieurs
rapports, un contraste marqué avec celle qu'avait connue et vécue
ce corps consultatif sous le régime consulaire et in1périal : elle
manifeste détà son abaissement devant les ministres et annonce
le déclin de son rôle effectif devant l'ascension des assemblées
parlementaires. Le Conseil d'Etat touera encore en France un rôle
important et très utile, qui; dans le domaine du contentieux administratif, s'accroîtra même constamment et sera l'obtet d'imitations plus ou -moins complètes en des pays étrangers. Mais ce
ne sera plus, en réalité, le Conseil d'Etat napoléonien (1).
(1) La Correspondance de Napoléon 1er, désignée p':lr le seul mot Correspondance... est citée d'après l'édition officielle de l'Imprimerie impériale.
Les références aux . Archives parlenwmtairet visent la seconde série de cette
publication. Les pièces d'archives citées se trouvent aux Archives naüonales.
Voir pour la situation, la. o'lmpositioon et le fonctionnement du Conseil
d'Etat sous le Consulat et l'Empire mes publications antérieures. Etudes sur
le Conseil d'Etat napoléonien (1949). Le fonctionnement du Conseil d'Etat
nllpoléonierJ (19H). Les IlUd.te"rs au CQ1JSeil -tl'B,. de 1803 à '1814 (1958).
�LA CHUTE DE L'EMPIRE
( 1813"':' 1814 )
Pendant toute l'année 1813 et même jusqu'aux derniers jours
de mars 1814, le fonctionnement normal du Conseil" d'Etat se
poursuit sans que son régime soit beaucoup' affecté par les
événements tragiques sous lesquels s'écroule progressivement
l'Empire.
Au déqut de 1813, quelques traits seulement évoquent le
changement de la situation militaire. Comme d'autres gra!lds
corps de l'Etat, le Conseil décide de faire contribuer pécuniairement 'ses membres à la remonte de la cavalerie presque détruite
par la campagne de Russie et il offre cent chevaux de dragons
tandis que le Sénat, plus opulent, offre trois cents chevaux de
cuirassiers. Plusieurs membres du Conseil d'Etat sont retenus ou
appelés à la Grande Armée ~t, comme les ,g énéraux de Chasseloup et de Gassendi deviennent sénateurs en avril, la section de
la Guerre se trouve réduite jusqu'en novembre à 'deux maîtres
des requêtes et à quelques auditeurs. Cinq conseillers et neuf
maîtres des requêtes nouvellement nommés viennent prendre
place dans les autres sections du Conseil mais celles-ci vont
aussi fournir des hommes pour des missions plus ou moins
longues.
.
L'Empereur part pour l'armée le 15 avril. Sous la présidence
effective de Cambacérès, à 1aquelle se superpose parfois, dans
la forme, celle de l'Impératrice régente, le Conseil d'Etat continue
à remplir sa tâche habituelle, PFépare les sénatus-consultes successifs qui permettent nouvelles levées et rappels de conscrit~,
-
49
�t
'
"
s occupe des mesurès concernant 1a vente des biens des communes, matière dans laquelle Napoléon lui fait enjoindre de
laisser primer les considérations juridiques par le souci des
nécessités financières si pressantes à ce moment (1).
Malgré la gravité de l'heure, le ton des orateurs du Conseil
n'a pas varié ; qu'il s'agisse de Molé présentant le budget au
Corps législatif le 11 mars 1813 ou de Boulay dénonçant au
Sénat, le 28 août, l'acquittement prononcé par la cour d'assises
de Bruxelles dans l'affaire des octrois d'Anvers, ce ton es't resté
aussi élevé qu'au jour des triomphes. Quand Regnaud demande
au Sénat des levées militaires (fût-ce le 23 août, après
l'entrée en guerre de l'Autriche), il affiche la !1lême confiance
que naguère dans le génie et dans l'étoile de l'Empereur, qui
garantissent (( la plus profonde sécurité, et, s'il le faut, les plus
éclatants succès Il.
Même si cette confiance n'est pas au fond, dès le printemps
de 1813, plus affectée que réelle, l'effet moral des revers qui à
partir de l'été se , succèdent et s'amplifient se fait sans doute
sentir au sein du Conseil d'Etat comme ailleurs. Napoléon invite,
le 3 novembre, Cambacérès à dire (( un mot aux conseillers
d'Etat et sénateurs pusillanimes Il car il lui est revenu qu'ils
(( montrent une grande peur et peu de caractère Il (2).
Arrivé à Saint-Cloud le 9 novembre au soir, l'Empereur y
préside le Conseil d'Etat le surlendemain (3). Il assiste à plusieurs autres séances jusqu'à la fin de décembre et, en dehors
de questions urgentes comme l'augmentation sensible des impôts
directs, il fait discuter des sujets fort étrangers aux soucis pressants du moment, par exemple les moyens d'empêcher le mariage
de prêtres quittant l'Eglise et un référé de la Cour de cassation
sur un problème 'de droit pénal. Ainsi que le Sénat, le Conseil
d'Etat assiste, le 19 décembre, à l'ouverture solennelle, faite par
(1) Cf. Le fonctionnement du Conseil d'Etat napoléonien, p. 114.
(2) Correspondance no 20.850 XXVI p. 462.
(3) Sur cette séance et sur l'audience accordée aussitôt avant elle par
l'Empereur aux membres du Conseil, voir (sans trop s'y fier) : PASQUIER
Mémoires II pp. 98-100 ; CORMENIN Article dans Le Livre des Cent-U"
IX pp. 5-6 et Le Livre des orateurr 15 me édition 1 pp. 193-194 ; des notes
attribuées implicitement au maître des requêtes Allent dans Suite au Mémorial de Sainte-Hélène, II, pp. 10-1 I.
Soit pendant l'audience, soit au cours de la séance même, l'Empereur
parla des récents événements. Selon des notes de Molé citées par A. Sorel
(L'Europe et la Révolution française VIII p. 218) il reprocha pux membre:~
du Conseil de trop parler de paix et de n'être pas romains. Sans doute
s'efforça-t-il du moins, comme l'affirme Cormenin, de les exhorter à l'énergie,
mais Regnaud, en lui déclarant que les adresses de fidélité et de dévouement
affluaient de tous les corps de l'Empire, se serait attiré cette réplique :
" Que dites-vous donc, monsieur Regnault ? ,est-ce que ' je ne ~ais pas
comment se fabriquent ces adresses-là ? Que signifient-elles ? est-ce que
j'y crois ? c'est de l'argent, des hommes qu'il faut et point de phrases. •
- so -
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f:
1
i
t
l'Empereur, de cette session du Corps législatif ,qui va être si
rapidement interrompue (4). Napoléon préside encore le Conseil
le 31 décembre. Il le reçoit le lendemain, de même que les autres
grands corps de l'Etat, mais les préparatifs de la campagne
d'hiver imminente l'écartent probablement des séances pendant
les vingt-quatre jours qu'il passe encore à Paris (5).
Si les événements qui se succèdent en 1813 affectent peu
l'activité du Conseil d'Etat, ils touchent plus directement une
partie de ceux de ses membres qui se trouvent alors en service
extraordinaire et non seulement les militaires. Parmi ces derniers Gouvion Saint-Cyr, qui commandait le corps d'armée
investi 'dans Dresde, capitula en novembre et fut fait prisonnier
ainSi que Mathieu Dumas.
Les conscriptions répétées, la levée et l'équipement 'des gardes
d'honneur, les réquisitions de chevaux et de denrées, etc., rendirent plus lourde dans tout l'Empire la tâche des 'préfets et des
sous-préfets en même temps que les charges des populations.
Les auditeurs qui figuraient parmi eux firent face à cette
situation en employant 'des procédés différents et avec plus ou
moins de succès (6). Alors que Bouvier-Dumolart, préfet du
(4) Regnaud et d'Hauterive furent désignés pour communiquer les pièc:!8
diplomatiques à la commission de cinq membres qui, seton la décision de
l'Empereur, fut élue par le Corps législatif et chargée de fournir un rapport
à cette assembtée sur la situation extérieure. Les deux conseillers d'Eut
firent, avec l'aide de Camb:loérès, apporter quelques modificaüons au
rapport de Lainé. D'après celui-ci, Regnaud fit cependant écarter une
atténuation de forme proposée par un membre de la commission. (E. de
PERCEVAL, Le Vte Lainé 1 pp. 202-21 I. Cf. Suite au Mémorial de SainteHélène II pp. 402-404).
S'il faut en croire la biographie apologétique de Boulay publiée par
son fils (Boultzy de ltz Meurthe p.2 16) ce conseiller d'Etat « se prononç:l
avec force» pour un essai d'entente avec le Corps légishtif ; Napoléon
aurait eu un moment l'intention d'enVlOyer Defermon et B:>ulay porter
un message conciliant à cette assemblée [?]. Madame de Chastenay (Mémoires II pp. 255-256) prétend que Réal tenta de calmer l'irritation de
l'Empereur contre les députés.
(5) L'Empereur aurait présidé, pour la dernière fois avant son départ, le
Conseil d'Etat le 31 décembre ; il fut question du ravitaillement d~ Plris
(REGNAULT Le Conseil d'Etat p. 514). Il aurait aussi annoncé et justifié
ce jour-là devant le Conseil le prochain renvoi du Corps législatif.
(Mémorial de Sainte-Hélène 1-4 novembre 181S ' dans l'édition critique M.
Ounan 1 pp. 210-211. Notes attribuées à ' Allent dans la Suite au Mémorial
de Sainte-Hélène II p. 31).
(6) Ces différences entre les auditeurs préf'ets se manifestent notamment
dans la levée des gardes d'honneur. Barante écrit en 1813 que son oollègue
Hély d'Oissel, préfet du Maine-et-Loire, « a repoussé t'oute réclamlti'on,
n'a pris en con.sidér~tion ni l'âge, ni la position de famille, au point
que le ministre, M. de Montalivet, a été obligé de modérer son ardeur ».
(BARANTE, Souvenirs II p. 4).
Cette allégation peut être exagérée car dans ce département où le
préfet avait désigné 64 gardes il ne semble y avoir eu que 5 réclamations.
En revanche dans la Corrèze (administrée par l'auditeur Camille Périer)
SI -
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Tarn-et-Garonne, manifestait un zèle aux formes maladroites
et se faisait honnir par sa brutalité, son collègue de Vanssay,
préfet 'des Basses-Pyrénées (qui n'avait d'ailleurs jamais figuré
dans le service ordinaire du Conseil), se montrait à la fois ferme
et mesuré ; il obtint le concours de ses administrés et aida efficacement au ravitaillement de l'armée de Soult. Un autre auditeur, Delamalle, fils aîné du conseiller d'Etat, se blessa grièvement d'un coup de p'istolet dans sa préfecture, à 'Perpignan, le
16 juillet 1813, sans qu'on puisse savoir s'il s'agissait d'un
accident ou d'une tentative de suicide causée soit par la maladie
soit par la crainte d'être au-dessous de sa tâche (7).
1
Mais ce furent surtout les membres du Conseil d'Etat employés en des Etats vassaux "ou dans plusieurs des contrées
annexées sous l'Empire qui durent alors faire face à des circonstances critiques.
.
Dès le 22 janvier 1813, une insurrection éclata dans le grandduché de Berg. Elle fut vite réprimée par les troupes françaises
et Beugnot n'eut pas à s'émouvoir longtemps de ce mouvement
auquel avait seulement pris part, dit-il, « tout ce que la
où le contingent devait varier entre 29 et 58 gardes, il s'é1eva beauooup
de réclamations dont 22 furent admises oomme émanant d'individus impropres
au service. Dans l'Ardèche, l'auditeur Chaillou atteignit le maximum de
son contingent (67) mais sur 17 réclamations I I furent admises par le
ministre. Au contraire, dans la Creuse, Camus-Dumartroy ne craignit pas
de déclarer qu'en raison de la pénurie financière des familles intéressées,
il croyait devoir s'en tenir au contingent minimum de 25 gardes. (Dr LOMIER. Histoire des régiments de gardes d'honneur, pp. III, 113, 123).
(7) Né en 1785 ou 1786, auditeur le 9 janvier 1807, commissa.ire général
de police à Livourne le 9 ;OC1l>bre 1810, il était préfet des Pyrénées-Orientales depuis quatre mois.
En annonçant cet événemelt à l'Empereur, le 20 juillet, le ministre
de l'Intérieur ne met pas en doute la tentative de suicide et l'explique
ainsi :
« ... il
était d'un caractère triste; plein d'esprit, d'honneur, d'éhn,
il craignait toujours de ne pas lssez bien réussir ; il s'irritaIt de tout ce
qui ne se faisait pas vite et bien ; il avait trouvé beaucoup d'aff.air.es
arriérées, .des bureaux a.ccoutumés à la lenteur ct à l'insouciance ; il était
devenu malade d'impatience et d'inquiétude, le moindre mot dans la oorrespondance du ministre lui paraissait un reproche et les fonctions de sa
place lui paraissaient un fardeau au-dessus de ses forces... »
Quelques jours après, Montalivet écrit que la tentative de suicide, q.ui
ne paraît pas préméditée, peut tenir à une maladie en raison de laquelle
ce préfet demandait avec insistlnoe un congé deux jours plus tôt : « Sa:ls
doute il sentait combien la demande d'un oong.é était peu c·onvenable dans
les circonstances actuelles et il n'aura pas supporté l'idée qu'on pourrait
douter de son zèle et de son oourage ». Cependant le préfet, , se trouvant
hors de danger, nia toute tentative de suicide et assura qu'il n'y avait
eu qu'un accident. Le ministre, d'abord soeptique, finit par admettre qu'il
pouvait en être ainsi. (AF IV 1068 nos 154, 157, 158, 172, 173, 174).
Mais, dès les premières nouvelles reçues par lui, l'Empereur avait enjoint
à Montalivet, le 31 juillet ,de rappeler Delamalle et de proposer un remplaçant car « un magistrat qui a causé un aussi grand scandale ne peut
plus être employé Il. (L. de BROTONNE. Let".es inédites ... p. 488).
�société peut recéler de plus vil, de plus laid et de plus gueux ~
(8). Mais à la fin de février une série d'émeutes éclata dans 1es
ex-pays hanséatiques ; le8 mars le général Carra Saint-Cyr
commençait à faire évacuer Hambourg. Au cours de la quinzain.e
suivante il se retira à Brême où se rendirent de nombreux fonctionnaires des départements en proie aux troubles tandis que
les Cosaques de Tettenborn faisaient, le 18 mars, à 'Hambourg
une entrée triomphale. Plusieurs auditeurs coururent quelque
danger, notamment Frochot fils, sous-préfet d'Oldenbourg, David
(fils du peintre), sous-préfet de Stade, Barthélémy, sous-préfet
de Lünebourg, et Lecocq, commissaire de police spécial à Lübeck,
qui fut blessé par les émeutiers (9). Le préfet des Bouches-dul'Elbe, Conninck-Outrive, maître des requêtes (qui n'avait jamais
appartenu au service ordinaire du Conseil), se sentit si ému
par la révolte de Hambourg qu'il fut frappé d'une attaque
d'apoplexie. Il fut rétabli en quelques semaines mais, dès le
13 mars, l'Empereur demandait à Montalivet de lui 'proposer
pour ce poste un homme « jeune et énergique» (10). Le 1S il
y nomma l'auditeur baron de Breteuil, préfet de la Nièvre.
Le conseiller d'Etat comte de Chaban, chargé de diverses
liquidations à Hambourg, estima qu'après la perte de cette ville
-il n'était plus d'aucune utilité dans la région et il regagna Paris
sans en avoir reçu l'ordre. Comme en tout cas de ce genre
l'Empereur fut très mécontent. Nul fonctionnaire ne devait
quitter son poste sans permission et ceux que l'insurrection
ou l'invasion ennemie chassait de leur résidence normale 'devaient
se rendre à la préfecture ou au quartier-général le plus proche.
Chaban fut 'donc blâmé et reçut l'ordre de repartir immédiatement (11).
~
,
-.
\
....
(8) Ch. SCHMIDT, Le grand duché de Berg, pp. 461-467.
(9) G. SERVIERES. L'Allemagne française sous Napoléon 1er.
Montalivet informa l'Empereur que Barthélémy était demeuré à Lünebourg
le plus longtemps possible, essuyant tl">ois coups de fusil à son départ ; il
demandait la croix de la Réunion pour Frochot qui, plein de courage et
de dévouement, avait risqué sa vie en résistant aux insurgés et n'avait
dû son salut qu'à quelques gendarmes envoyés par le préf.et. (AF IV 1068
nos 94, 98, III).
(10) L. de BROTONNE. Lettres inédites ... p. 437. Selon des sources
d'ailleurs peu sûres, Conninck-Outrive aurait essayé de s-e suicider lors de
la révolte de Hambourg. (Cte de PUYMAIGRE, Souvenirs, p. 148. PseudoMémoires de Bourrienne IX p. 156).
(II) L'Empereur écrit le 1<) mars 1813 à Gaudin ~u'il a appris « avec
la plus grande surprise que le conseiller d'Etat Chabln a quitté son poste
sans ordr,es. Ce conseiller d'Etat s'est f'ort mal conduit en cette cÏrc'onst'l:lOe,
Il s"est d'abord réfu9ié à Altona ; il a eu des pourparlers av,ec les Dan'Jis
et ensuite il a quitte son poste sans ordres. (LECESTRE II p. 218). •
Chaban écrit à l'Empereur le 20 mars en annonçant son départ pour
l'Allemagne :
« ... Je
supplie Votre Majesté d'obs-erver que mes fonctÏlons dans la
pme division se bornaient à la liquidation des dettes entre la France et la
Westphalie, à la liquidation des comptes et pensi'ons. 'Tout ce travail se
faisait à Hambourg et ne pouVlit se faire ailleurs à cause de la réuni'o n
des papiers ». (AF IV 1068 no 85).
-
53
�L'auditeur de Chastellux, sous-préfet de Hambourg, poura coups de pierres dans les rues dès le début des troubles
après une séance de tirage au sort pour la conscription, avait
lui aussi regagné Paris. Le ministre le renvoya en Allemagne
avec un blâme, comme les autres fonctionnaires ayant agi de
même.
SUIVI
Vandamme réoccupa en avril et mai les parties de ces départements qui avaient été évacuées en mars. Davout fit Je
30 mai son entrée dans Hambourg, mis en état 'de siège par
l'Empereur et qùi fut l'objet d'une rigoureuse répression. Sur
la demande du maréchal ,un décret du 17 juin nomma Chaban
intendant général des Finances dans la 32me division militaire
c'est-à-dire dans les départements formés par l'Oldenbourg, les
villes hanséatiques, etc. La reprise des hostilités en août fit de
cette région un théâtre éventuel d'opérations militaires. Davout
eut la haute main sur toute l'administration. Ses principaux
auxiliaires civils furent ci Hambourg Chaban et Breteuil, à
Brême l'auditeur comte d'Arberg, préfet des Bouches-du-Weser.
Celui-ci, dont le maréchal faisait ,dès mai 1811 un grand 'éloge,
avait mérité par son zèle, en ma~s et avril 1813, les louanges
de Vandamme lui-même. Il dut demander un congé de deux
mois pour rétablir sa santé ruinée par le travail, mais l'Empereur
fit répondre ,que .le moment ne se prêtait pas à de telles demandes (12). D'Arberg resta donc à son poste et y acheva
sans doute de s'épuiser car il mourut en mai 1814, à trente-neuf
ans. Quant aux auditeurs sous-préfets leur concours fut d'inégale valeur et 'plusieurs donnèrent lieu à 'des plaintes ou à des
blâmes de leurs chefs (13).
La situation militaire et politique s'aggrava brusquement
après la bataille de Leipzig ; cette région connut de nouveaux
soulèvements puis l'invasion ennemie et tous les fonctionnaires
français ne pw'ent même se retirer sans encombre. Après avoir
quitté sà sous-préfecture d'Oldenbourg, l'auditeur Frochot tenta
de se mairitenir à WesterfIèth avec quelques troupes mais il
fut pris par les Cosaques le 6 novembre et gardé en captivité
pendant plus de deux mois. A la fin d'octobre et au début de
novembre ces départements 'furent évacués sans combat par les
Français, sauf Lübeck (qui capitula le 22 novembre), Hambourg
(Il) G. SERVIERES Op. cit. pp. 305 (note 1) et
congé : AF· IV 101.
414,
Pour le refus de
(13) Le maréchal se plaignit que l'auditeur Himbert de Flégny, souspréfet de Lübeck, manquât d'activit~. Barthélémy et Chastellux, dont Breteuil
s'était plaint, furent blâmés par le ministre « mais le pflemier, qui était
plein de Z'èle, ne paraît pas avoir mérité cette' semonoe tandis que le
second... semble bien avoir déplQyé peu d'activité. Il se déplaisait à
Hambourg et son préfet demandait qu'on lui accordât un congé pour rentrer
en France et une autre sous-préfecture ». (G. SERVIERES. Op. cit. p. 403
note 3).
-
54 -
�"
-;-:.
et ses environs. Le blocus et le sIege de cette ville rendirent
de plus en plus difficile la tâche financière de Chaban et il
fallut mettre le sequestr_e sur la banque de Hambourg. Cette
opération eut lieu sous sa direction et l'on surnomma Chabans
les pièces de monnaie fabriquées avec les lingots saisis ; mais la
décision, d'ailleurs justifiée par les nécessités de la défense, avait
été prise par Davout. En dehors de ses fonctions principales,
Chaban assuma la direction des hôpitaux et c'est en les visitan-t
fréquemment que cèt ancien officier aux gardes françaises trouva
la même mort que venait de rencontrer à Mayence l'ex-conventionnd montagnard Jeanbon-Saint-André. Atteint par la maladie,
le comte de Chaban mourut cinq semaines avant la fin du siège,
le 24 mars 1814 (14).
Breteuil, alors très ardent pour le service de l'Emp'ereur,
prêta un concours actif .a ux mesures de rigueur (telles que
les prises d'otages visant à 'faire payer les amendes imposées
aux villes naguère insurgées) comme à la formation des approvisionnements de siège. Son zèle ne lui évita pas quelques
avanies dans ses rapports avec Davout (15).
La domination française s'écroula dans les Etats vassaux
d'Allemagne comme dans les nouveaux départements de l'Em(14) Davout lui rendit un éclatant hommage en annonçant sa. mort
dans un ordre du jour :
« ... Cet homme qui était tout, honneur, vertu et fidélité est du nombre
de ceux qui ont honoré l'humanité pendant leur vie. Il a rendu les plus
grands services au corps d'armée j il est mort victime de son beau
zèle et de son amour pour les soldats ... ". (Correspondance du maréchal
Davout IV p. 339).
Des obsèques très solennelles furent faites à Chaban. Sdon Thiébluit
(Mémoires V p. 172) le maréchal tint lui-même un des coins du poêle et
fit tirer trois salves d'artillerie alors qu'il IV ait, la semaine précédente,
supprimé en raison du blocus cette partie des honneurs militaires pour les
funérailles d'un général.
(15) Le maréchal écrivait le 3 mai 1813 à Vandamme : « Le préfet des
Bouches-de-l'Elbe ne part que ce matin. Il faut le remuer un peu et
lui donner un peu plus d'exactitude ". (Correspondance du maréchal Davout
IV p. 64).
Breteuil atténuait sans doute son impression quand il écrivait à M'ontalivet :
« Le
prince gouverneur-général est bon, juste, intègre, mais il a, par
moments, des formes peu agréables pour ceux qui servent sous ses 'Jrdres. "
(G. SERVIERBS, op. cit. p. 445).
L'animosité enver,,, Davout qui anime les Mémoires du général Thiéb.lult
permet toutefois de soupçonner d'exagération ses dires ooncerna:lt les
paroles qu'aurait Idressées à Breteuil « homme excellent, de mérite et généralement estimé,. le maréchal pendant le siège :
« Mais, Monsieur de Breteuil, à quoi êtes-v,ous bon ? Dites-moi, je v.ous
prie, ce que j'ai à faire d'un préfet. Un tambour me sera.it plus utile que
vous. Vous mangez gratuitement le pain des soldats. " (V p. 175).
En ~roposant Breteuil, parmi d'autres préfets, comme suscej?tible d'être
envoyé a Hambourg, Montalivet le déclarait « plein de zèle, d une volonté
ferme et qui ne se rébute point ; il a à présent acquis tout l'aplomb désirable
(AF IV 1068 no 66).
JO.
ss -
�pire. Siméon dut quitter précipitamment son ministère en Westphalie, non sans conserver l'espoir de rentrer à 'Cassel au
printemps suivant, s'il faut en croire Beugnot (16). Celui-ci,
qui ne se leurrait pas (dit-il) de telles illusions, remplit jusqu'au
bout ses fonctions ministérielles dans le grand-duché de Berg.
Il fit évacuer les , militaires malades et les armes puis, en
s'efforçant -de faire croire à une absence momentanée, il quitta
le 10 novembre, pour passer le Rhin, la ville de Düsseldorf
où l'ennemi 'e ntra le lendemain (17).
La Hollande, où avaient eu lieu, en février puis à la fin
d'avril, quelques révoltes vite réprimées, fut à son -tour, aprèi
le nord de l'Allemagne, le théâtre de véritables insurrections
qui servirent de prélude à l'invasion ennemie. La manière forte
était surtout J;:~présentée dans ce pays par deux membres du
Conseil d'Etat, le comte Vischer de Celles, maître des requêtes,
et le baron Gosswin de Stassart, auditeur, respectivement préfets
du Zuyderzée (Amsterdam) et des Bouches-de-Ia-Meuse (La Haye).
Tous deux étaient Belges, comme d'Arberg, mais très Français
de formation et d'esprit, portés à vouloir l'assÏInilation de la
Hollande comme de la Belgique aux départements de l'ancienne
France. Tous deux remplirent leurs fonctions avec un zèle ardent qui, dans les circonstances où 'se trouva le pays, les fit
' détester par une grande partie de la population. Le paterne
architrésorier Lebrun et l'intendant général d'Alphonse s'employèrent, sans beaucoup de succès, à en modérer les formes et
le premier écrivait à la fin de 1813 que Vischer de Celles et
Stassart « dont le zèle n'a pas toujours été très mesuré »
étaient en général hais (18).
1": •. '
(16)
BEUGNOT. Mémoires 3mc édition p. 392.
C'est trois semaines environ avant la bataille de Leipzig, s'oit à h, fin
de septembre, que Siméon et ses collègues quittèrent Cassel à l'approche
des Russes de Czernichef qui occupèrent la ville le 30 septembre. Le roi
et ses ministres se retirèrent par Düsseldorf sur Coblentz. Lors de la r,éoccupation éphémère de Cassel par les Français qui eut lieu peu après, Siméon
manifesta le désir de suivre le roi dans sa capitale m:lis Jérôme lui donn~
sa retraite et lui conseilla de gagner Paris. (Mémoires et correspondance
du roi Jérôme, VI pp. 367-368).
(17) Ch. SCHMIDT. Le grand duché de Berg pp.
BEUGNOT op. cit. pp. 387-398.
237- 238, 473-475.
(18) Duc de la FORCE. L'architrésorier Lebrun gouvemeur de la
Hollande p. 33 I. Le ministre de l'Intérieur écrivait aussi à l'Empereur en
août 1813 que
les deux premiers préfets français, MM. . de Celles el de
Stassart, ont eu parfOiS un zèle que la lenteur hollatldaise aigrissait ». (AF
IV 1068 no 167). Le duc de la Force, descendant de Vischer _d e Celles,
cite d'ailleurs un historien hollandais qui rend hommage à l'œuvr~ administrative de ce préfet et qui repousse l'accusation de cruauté portée C":mtre
lui, en signalant même des cas où il voulut faire réprimer des act~s de
dureté inutiles commis par des agents du fisc ou des douanes. Sussart,
de son côté, imputait au commissaire général de police de -R,')tterdam une
petite et tracassière » de r,e mplir sa , tâche mais les rapports de
manière
t(
t(
-
S6 -
�Les dangers et 'les revers de l'Empire ne les virent pas
faiblir. En février et mars 1813, Vischer de Celles s'irritait de
l'esprit mercantile des Hollandais; il proposait d'en transplanter dans l'ancienne France et de les remplacer par de vrais
Français. En mai et en juin, après les premières révoltes, il
n'aspirait à rien de moins qu'à (( rendre française et guerrière
une nation 1narchande nouvellement réunie à l'Empire 1/, à lui
faire estimer autre chose que (( le sucre et le café », à y
(( créer des familles militaires Il. Loin de se laisser intimider
par les émeutes, il fit conduire à leur corps par des gendarmes
les gardes d'honneur récalcitrants et emprisonner ou envoyer
dans l'intérieur de l'Empire les pères considérés comme les plus
obstinés : «( Qu'ils tremblent et ils obéiront! 1/, écrivait-il en
septembre au ministre de l'Intérieur (19).
"
. ,4,
• Jo.'.
"
Au début de novembre cependant, il fallut considérer comme
une mesure pouvant s'imposer bientôt l'évacuation de la Hollande.
Vischer de Celles écrivait encore à Réal le 13 novembre: ( Je
resterai préfet du Zuyderzée tant qu'il me sera possible de
l'être et je servirai l'Empereur jusqu'au dernier jour de 1na
vie Il (20). Mais à ce mOlnent il était cloué au lit par la goutte
et le directeur de la police Devilliers du Terrage se préoccupait
-de le faire partir en secret car, écrivait-il le 12 novembre, ( la
haine du peuple veille sur lui Il. Le préfet put être emmené "à
temps et c'est en vain que lors de l'insurrection d'Amsterdam
(15-16" novembre) les émeutiers le cherchèrent dans toute sa
demeure pour le massacrer. Le lendemain, devant la défection
et la sédition commençantes, Stassart, dépourvu de moyens de
force, quitta La Haye à cheval en sortant de la préfecture par
les jardins. Il se maintint à Gorcum, ville de son département,
jusqu'à ce qu'il en fût chassé, le 2 décembre, par l'approche de
l'ennemi (21).
police lui reprochaient sa vanité et la facilité avec laquelle il se laissait
«
grossièrement aduler ". (Duc de la FORCE op. cit., pp. 235-237).
En novembre 1805 Stassart, alors en service ordinaire, proposait da.ls
une note des mesures destinées à réaliser l'assimilation de la Belgique et
se montrait partisan convaincu de la centralisation. (LANZAC de LABORIE.
La Belgique sous la domination française II p. 384).
(19) Duc de la FORCE. Op. cit., pp. 282, 304, 307. Cf Dr LaMIER .
Histoire des régiments de gardes d' ho1V1'lleur, pp. 166, 173. Le comte de Celles
avait fait partir avant le 15 juillet, 121 gardes d'honneur, soit un de plus
que le maximum fixé par la répartition du contingent. Cependant il en
désigna encore 35 autres dans Il suite.
Stassart ne resta pas en arrière . Pour faire partir le contingent m lximum prévu quant à son département il ne s'en tint pas à des dislCofirs
emphatiques et il employa les mêmes procédés que Vischer de Celles :
14 gardes récalcitrants furent arrêtés chez eux à trois heures du matin
et conduits à leur corps par la gendarmerie. (Id pp. 173-179).
(20) LANZAC de LABORIE op. cit II, p. 321.
(21) Duc de la FORCE op. dt., pp. 329, 338, 342-344.
Montalivet, envisageant l'éventualité d'une réoccupation de la Hollande,
-- 57
�A l'autre extrémité de l'Empire, dans les provinces illyriennes,
l'auditeur de Contades, intendant de Carlstadt, fut saisi en août
1813 par la population soulevée et livré aux Autrichiens. Il fut
libéré depuis et un décret du 5 janvier 1814 le nomma p~éfet
du Puy-de-Dôme. Son collègue de Lareinty, intendant de Raguse,
resta dans cette ville et ne la quitta qu'au début de février 1814
après la capitulation du 28 janvier.
C'est aussi en janvier 1814 que Rome fut enlevée aux Français
non par l'insurrection des habitants mais par la trahison : la ville
se trouva peu à peu occupée par les Napolitains de Murat venus
comme alliés mais qui jettèrent le masque le 19 janvier. Le
maître des requêtes Janet, qui se savait détesté pour sa rigueur
fiscale, n'avait pas attendu cette date. Il était parti dix jours plus
tôt en secret, sans en avoir reçu, semble-t-il, ni l'ordre ni l'autorisation du général Miollis. Le préfet, l'auditeur 'de Tournon,
quitta la ville avec les autres fonctionnaires français sur l'ordre
de Miollis, enfermé avec ses troupes dans le château Saint-Ange,
et il put à grand'peine sortir des ex-Etats romains à travers
plusieurs villes insurgées ou en effervescence (22).
Tous les auditeurs en service extraordinaire employés dans
les départements envahis ou menacés ne restèrent pas à leur
poste tant que cela fut possible. Le 7 janvier 1814, Montalivet
écrivait 'à Napoléon que l'auditeur Doazan, préfet du Rhin-etMoselle, était accouru à Paris en apprenant d'un général que son
chef-lieu, Coblentz, allait être occupé par l'ennemi. Le mimstre
ajoutait qu'il lui avait ordonné de regagner son département ou,
si celui-ci était entièrement aux mains de l'ennemi, de se rendre
au quartier-général le plus rapproché. Mais l'Empereur ordonna
immédiatement au ministre de la Police de faire arrêter ce préfet
comme « venu à Paris sans permission,. (23).
écrivait peu après à l'Empereur que Vischer de Celles et Stassart s'étaient
montrés « administrateurs probes, zélés, dévoués, mais l'opinion générale
du pays s'est trop fortement prononcée contre eux pour qu'ils puissent
faire quelque bien
(AP, IV, 1068, no 285).
(22) L. MADELIN. La Rome de Napoléon pp. 635, 647M648, 652.653.
ABBÉ MOULARD, Le comte Camille de Tournon II p. 239, 246M256 et
Lettres inédites du comte Camille de Tournon pp. 259M275.
Tournon écrivait à Montalivet le 10 janvier 1814 :
« Quelque extraordinaire que soit ma position, je puis assurer à V. Exc.
que je saurai faire respecter jusqu'au dernier moment le nom français et
la plaçe que j'occupe, et que' toutes mes actions seront dictées par le
sentiment de mes devoirs envers ma patrie et mon auguste souverain. ,.
(Lettres ... p. 261).
Il tint parole et refusa de rester préfet au service de Munt mais, après
son départ de Rome, il ne se hâta pas de venir demander un autre poste:
et la nouvelle de la capitulation de Paris le tr-ouva à Nîmes, bien qu'il
eût passé le Var le 1S février.
(23) Lettre à Savary 8 janvier 1814' (L. de BROTONNE. Lettres
inédites... p. 524)' Montalivet écrivait la veille : « ... sa tête méridionale a
fermenté, c'est un homme plus dévoué que sage et prudent dans les cirJO .
-
S8
�Le zèle et l'ardeur à servir furent aussi très variables chez
les auditeurs employés dans la police. A Mayence le commissaire
spécial Berckheim, chargé de recueillir des renseignements sur
la situation existant au-delà du Rhin dans les pays occupés par
l'ennemi, envoyait à Savary en novembre et décembre . 1813 des
rapports qui dénotaient « un jugement perspicace, de saines facultés d'observation et une grande indépendance » (24). Mais
son collègue le baron de Melun aurait laissé la police de Genève
« . complètement nulle
et incapable de « rien prévoir, rien empêcher» quant aux menées anti-françaises (25).
)1
Parmi les membres du Conseil d'Etat chassés de leur poste
par l'invasion, plusieurs reçurent de nouvelles missions en service
extraordinaire. Le maître des requêtes Chabrol de Crouzol, intendant général des Finances dans les provinces illyriennes, fut
nommé intendant général du Trésor dans les 27me et 28me divisions militaires (Piémont et Ligurie) le 6 janvier 1814. Beugnot,
rentré à Paris, se montra réticent quand Montalivet lui ·p roposa
d'aller occuper provisoirement la préfecture du Nord, alors qu'il
avait à Düsseldorf, comme ministre du grand-duché de Berg,
« joué un rôle de prince ». Il fut envoyé à Lille pour y (( remplir
les fonctions de préfet jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné JI, selon les termes d'un décret du 16 décembre 1813 (26).
D'autres membres du Conseil revenus des pays envahis furent
placés en service ordinaire, tout au moins le conseiller d'Etat
Gogel (4 février 1814), les maîtres des requêtes Vischer de Celles
et d'Alphonse (21 janvier 1814). Miot, qui avait disparu des listes
du Conseil lorsqu'il était devenu à Naples ministre du roi Joseph,
revint d'Espagne avec celui-ci et fut nommé à nouveau conseiller
d'Etat le 24 janvier 1814 (27).
·..
constances,.. (AF IV 1067. Administration générale no 14).
Selon se,; propres Mémoires l'auditeur Sers, sous-préfet de Spire, rentra
aussi à Paris de lui-même au début de janvier, quand son arrondissement
fut envahi ; il fréquenta les sé.1nces de h section des Finances du Conseil
et déclina plus tard une mission qui eût consisté à se rendre en secret dans
la région rhénane pour y orglniser des mouvements sur les derrières de
l'ennemi. Cet ex-protégé de Jeanbon-Saint-André entra bientôt dans la
clientèle de Oalberg, qu'il avait rencontré en Allemagne. (SERS. Mémoil'es
pp. 89-99 et 104- II6 ).
(24) Ct LEFEBVRE de BEHAINE. La campagne de France. II, p. 88.
(25) Id IV p. 350.
(26) BEUGNOT. Mémoires 3me édition pp. 403-405.
(27) Il n'en fut pas de même quant à Siméon, dont la situation 6tait
identique à celle de Miot et auqud le roi Jérôme avait donné sa retraite.
Le chargé d'affaires de France à Cassel écrivait cependant le IJ octobre
18I~ au duc de Bassano que si l'Empereur rappelait Siméon au Conseil
d'Etat il trouverait en lui « un serviteur d'autant plus éclairé qu'un
séjour de six ans en Allemagne a dû 'a ugmenter la masse de ses connai-ssances ... " (Mémoires et correspondance du Roi Jérôme VI p. 368). Il
est vrai que Siméon, âgé de 64 ans, disait depuis plusieurs années aspirel"
au repos, v~u que devait contredire sa carrière postérieure.
-
59
�Plusieurs hommes quittèrent au contraire le Conseil d'Etat
pour remplir des missions lontaines liées aux circonstances du
moment. Déjà, dans la fin d'août 1813, Pelet de la Lozère avait
été envoyé dans le Sud-Ouest, avec le maître des requêtes Portal
et quelques auditeurs, afin de s'occuper des réquisitions à opérer
pour l'armée de Soult et de faire cesser les conflits qui s'élevaient
entre autorités civiles et militaires (28). Mais le but poursuivi
ne semble avoir été atteint que d'une façon relative et le maréchal aurait pris lui-même ces questions en main (29). La mission
de Pelet se prolongea toutefois jusqu'en décembre. 'Un décret 'du
20 novembre créa, pour la confection d'habillements, cinq grands
ateliers à Bordeaux, Toulouse, Montpellier et Perpignan. Un auditeur fut placé à la tête de chacun d'eux.
Un décret du 15 décembre 1813 décida que des commissaires
extraordinaires de l'Empereur, choisis parmi les sénateurs et
les conseillers d'Etat, seraient envoyés dans les départements pour
:accélérer la levée et l'équipement des troupes, le recrutement et
l'organisation de la garde nationale, etc. Ils pourraient prendre
des arrêtés obligatoires pour toutes les autorités locales, même
militaires ou j~diciaires, ordonner la levée en masse dans les
régions menacées d'invasion, prescrire toutes les mesurep de
haute police nécessaire, former des commissions militaires ou
des cours spéciales pour la répression des actes qùi tendraient
à 'favoriser l'ennemi ou à troubler la tranquillité publique.
Chacun aurait comme ressort territorial une division militaire,
c'est-à-dire plusieurs départements (30).
..........
,< . . . . . ....
",1
(28) Décret signé par l' Impératrice le 22 août 1813 (CHUQUET. Ordrer
et apostilles no 6033 IV p. 291) Cf. VIDAL de la BLACHE.
L'évacua-'
tion de l'Espagne II p. i2. Le préfet des Basses-Pyrénées avait demandé
le 30 juillet qu'un conseiller d'Etat fût envoyé à Bayonne dans ce but. Les
départements compris dans la zone de réquisition fur,e nt répartis entre les
auditeurs amenés par Pelet.
(29) VIDAL de la BLACHE. Op. cît. : « Les auditeurs étaient la pépinière des sous-préfets ; leur zèle dépassait souvent leur oompétence. Très
prévenus contre l'administration militaire, ils la critiqUaIent just,e ment I,or.squ'elle faisai~ venir des fourrages des bords de la Garonne al'ors qu'il ét:lÏt
possible d'en ~ trouver dans les Hautes et dans certaines parties des BassesPyrénées mais ils s'opposaient avec inoonséquence au recensement des f,o urrages sous prétexte que cette mesure avait un caractère révolutionnaire
(L'auditeur 0' Donnell à M. Favier. 1er septembre). Pelet, dont c'était il
tâche, ne sut ni les diriger par des instructions d'ensemble ni les associer
utilement au travail des préfets. Son adjoint PlOrtal, mahde et s~ns initiltive,
r·é sidait comme lui à Bordeaux où le souci de ménager les intérêts particuliers le préoccupait outre mesure » (p. 72).
.
Les auditeurs ainsi employ,és n'avaient pas tous appartenu au service
ordinaire du Conseil.
(30) L. BENAERTS. Les commissaires extraordinaires de Napoléon 1er
en 1814. Voir aussi d'autres textes extraits de la correspondance de ces commissaires dans J. THIRY. Rôle du Sénat de Napoléon dans l'organisation
militaire de kI France imPériale.
6p
-
�...
,
'.~
. .'
..
Il fut nommé vingt-troIs commlssair'es, mals te conseiller
et ministre d'Etat Otto, désigné le 2 janvier 1814, sur le refus
du maréchal Lefebvre, puis du général Klein (tous deux sénateurs) ,pour se rendre dans la 26me division (Mayence) ne' put
remplir sa mission, ce pays se trouvant déjà aux mains de l'ennemi. Les autres commissaires extraordinaires, nommés sauf
quelques exceptions conformément aux propositions de Montalivet, comprirent, avec dix-neuf sénateurs, trois conseillers d'Etat :
l'amiral Ganteaume (8 me division: Toulon), Pelet de la Lozère
(9 me division: l\.Jontpellier), Caffarelli (10me division: Toulouse).
Le ministre avait proposé d'envoyer Boulay dans la 2me division
militaire (Mézières) mais l'Empereur jugea sans doute que .le
président de la section de Législation était plus utile au Conseil.
Un· décret du 21 janvier 1814 décida que, pendant l'absence de
Pelet, Faure le remplacerait à la tête du second arrondissement
de la Police générale.
La plupart des commissaires (dont les trois conseillers d'Etat)
furent envoyés dans leur pays d'origine, d'autres dans leur sénatorerie, d'autres enfin dans une contrée où ils avaient jadis rempli
des fonctions civiles ou militaires. Ceci n'avait pas que des avantages. Les intéressés pouvaient mieux connaître le pays, l'esprit
des populations, les hauts fonctionnaires et les notables ; ils
avaient peut-être plus d'influence en raison de ces liens avec
. une région. Mais ils pouvaient, plus qu'un homme étranger au
pays, reculer devant des mesures impopulaires et cependant
nécessaires ; leurs relations personnelles O!l familiales pouvaient
inciter plusieurs d'entre eux à la faiblesse envers tels et tels
ennemis plus ou moins agissants du régime impérial.
.'
Deux auxiliaires, pris parmi les maîtres des requêtes ou les
auditeurs, devaient accompagner chaque , commissaire extraordinaire. En fait tous furent des auditeurs sauf les maîtres des
requêtes Portal et Lacuée, un législateur de l'Ourthe et un fonctionnaire de l'administration militaire adjoint à son père le sénateur Boissy d'Anglas. Le maître des requêtes Cuvier fut désigné
pour assister le commissaire envoyé dans la 26me division militaire mais cette mission ne put avoir lieu (31). Les auditeurs
ainsi employés furent pris pour la plupart dans la seconde classe;
quelques-uns seulement, dont Beyle et Cormenin, appartenaient
à la première c'est-à-dire se trouvaient attachés à des sections
du Conseil. Arnault et Pastoret furent enlevés provisoirement à
leurs sous-préfectures. Le fils du sénateur Cornudet fut nommé
(31) Selon une lettre de Maret à Montalivet, du 26 décembre 1813,
Napoléon avait pensé à nommer Cuvier commissaire extraordinaire en la
26me division après le refus de Lefebvre. (AF· IV 202 nO 195).
-
61
�auditeur te
père (32).
30 décembre, sans doute pour pouvoir assister son
Ces missions ne furent guère efficaces. La tâche était difficile.
Ces sénateurs, pour la plupart âgés, avaient perdu - quand ils
l'avaient eue - l'habitude de l'action et ils n'étaient guère en
mesure de relever le moral des populations ni d'insuffler un
renouveau d'énergie aux administrateurs. D'aucuns entravèrent
ou affaiblirent, au lieu de la. provoquer, l'activité des commissions
militaires et des cours spéciales contre les ennemis de l'intérieur.
Plusieurs montrèrent découragement et faiblesse, notamment
Chaptal, Monge, Pontécoulant. Ce dernier, Valence et plus encore
Beurnonville allaient d'ailleurs être parmi les premiers à trahir
l'Empire et à suivre Talleyrand quelques mois plus tard (3~).
Les trois conseillers d'Etat durent se rendre dans les régions où
l'esprit public était le plus mauvais, fût-ce au point de vue strictement national, et qui allaient devenir pendant l'année suivante
les foyers de la Terreur blanche. Il est peu probable qu'ils se
soient rendus plus utiles que les sénateurs. Le doute n'est possible
que pour Pelet.
L'amiral Ganteaume avait été envoyé en Provence, son pays
natal. Il ne put y changer l'esprit public et, selon Thibaudeau,
(12) Le " sieur Henri de Beyle» avait été exempté le
24
décembre
181J du service militaire (CHUQUET . Inédits napoléoniens II p. 279). Peu
de jours après, M . de Beyle fut désigné pour accompagner le sén:lteur de
Saint-Vallier dans la 7me division (Grenoble) mais II fut, dit-il, ,c Vlvement
touché de partir de Paris et de quitter l' Opéra'-Buffa et A. " c'est-à-dire
Angéline Béreyter. Il remplit cependant ' sa tâche à la satisfaction du sénateur; qui demanda pour lui la croix de la Réunion, mais une maladie contractée en Silésie l'année précédente se réveilla. Le 13 février, Saint-Valli«
annonce à Montalivet que M. de Beyle est alité ; le 22 il donn,e un avis
favorable à une demande de congé pour mlladie. Beyle reprit toutef'ois
son service, fut envoyé en mission auprès du général March!md et cité
avec éloges dan", le Moniteur du 20 mars. Le sénateur recommande à
Clarke, le 1 1 mars, ses deux auditeurs " qui sont iour et nuit en course »
mais. le 18 mars, il annonce qu'il a dû remr>lacer Beyle par le souspréfet de Chambéry. (BENAERTS op. cit. pp. 25, 17, 29, JI, 35. THIRY
op. cit. p. 94. STENDHAL. Journal Edition Arbelet V pp. 97-101).
(33) Mollien s'~tant plaint à l'Empereur des initiatives malencontreusea
prises par plusieurs commissaires en matière financière , Napoléon invita le
conseil des ministres à émettre un avi .. sur l'opportunité de les rappeler t ; >us .
Le 25 février l'opinion générale des ministres fut de ne pas prendre actuellement cette mesure et de se borner à empêcher le retour des abus
signalés par le mînistre du Trésor. Mlis un des 'a rguments employés par
Savary pour faire maintenir en de telles fonctions une partie de ces
bommes de confiance e'!!t peu banal, encore que trop fondé : .
« Il observe d'ailleurs, selon le procès~verbal, qu'il y a certains commissaires qu'il est bon de tenir dans l'éloignement, pm'ce qu'ils sont là
moins dangereux qu'à Pttris. " (Ap· IV 99, p. 141).
Voir dan'!! BENAERTS (Op. cit. p. 200) la lettre par laquelle l'excommissaire extraordinaire Sémonville, maître notoire en... opportunisme,
Ile vantait, en juillet 1814, auprès du gouvernement royal d'av,o ir aidé à
la Restauration, du moins par sa passivité.
�c~est en vain qu;il tenta d'obtenir un emprunt du commerce de
Marseille pour faire face aux besoins financiers (34). D'autre part
il s'alarmait en supposant Toulon sous la menace imminente d'un
débarquement anglais, à tel point que Napoléon s'irrita de ses
frayeurs et se montra disposé à le rappeler (35). Ganteaume
était encore en Provence, cependant, au début d'avril 1814.
Selon le comte de Montbel qui résidait alors à Toulouse,
Caffarelli, par sa naissance, s'y trouvait en relation avec plusieurs familles distinguées qu'il . n'aurait pas voulu blesser» et
il rencontrait des royalistes chez sa parente la comtesse d'Hargicourt, qui l'aurait même persuadé «qu'une persécution serait
comme une étincelle dans un magasin à poudre» (36). Après
avoir d'abord réduit, dans une lettre du 13 janvier au ministre
de l'Intérieur, le courant royaliste à quelques individus entraînés
par des vœux stériles ou absurdes pour l'ancienne dynastie»
il le jugeait, le 15 février, différemment car il écrivait : « ••• Je
sens que je suis sur un foyer qui deviendrait un incendie. Je
temporise, je ne prends aucune mesure de rigueur pour ne pas
faire éclater la désobéissance». Il n'en projetait Fas moins de
mettre les armes aux mains des gens aisés pour se défendre
des excès de la multitude» (37). Il fut d'ailleurs rejoint, selon
4(
4(
4(
<•
(14) Selon Thibaudeau, qui n'était pas de ses amis :
« Estimé de ses compatriotes, il aurait pu servir utilement si la situation n'avait pas été lu-dessus des forces humaines ; il se oonduisit avec
honneur et dévouement.» (TH/BAUDEAU. Mémoires p. 381).
(35) Correspondance ..... nos 21.351, 21.409, 21.420 XXVII pp. 270, 316,
324. Dans la première lettre, Napoléon prescrit à Clarke (22 février) d'écrire
à l'amiral «que ses craintes sont puériles et ridicules ", de lui mandct
«qu'il calme son imagination, sans quoi sa mission serait plus funeste
qu'utile It. Dans la seconde, il enjoint au même ministre, le 2 mars, de
se consulter avec ses collègues de .la Marine, de l'Intérieur et de la P,:)lice
pour voir s'il ne serait pas mieux de rappeler Gapteaume
Dans la dernière, datée du même jour, il écrit à Joseph : « Je pense qu'il faut rappeler
GanteiU4me ; il est trop pesrimiste It.
(36) Cte de MONTBEL. Souvenirs, pp. 71-78. Caffarelli aurait même
conseillé à Mme d'Hargicourt de faire se cacher un conspirateur alors qu'il
avait l'ordre de le traduire devant une commission militaire
V,oir
aussi sur la mission de Caffarelli : V/DAL de la BLACHE. L'évacuation de
l'Espagne. II pp. 44°-442.
(37) BENAERTS op. cit. pp. 45 et 47.
Les royali.,tes militants de cette région (et de bien d'autres) n'éuient,
selon un historien fort bien disposé pour eux, « qu'un débile instrument de
combat ... », des « conspirateurs de salon" et ils s'en ten~ient comme armes aux fausses nouvelles, aux libelles, aux lettres anonymes, à l'a~positÎlon
nocturne de placards ou d'in'iCriptions ~ur les murs. Malgré l'extreme fai.
blesse des effectifs en armes dont disposaient les autorités, l'activité non
clandestine de ces chevaliers de la Foi se réduisit à arborer la cocarde
et le drapeau blancs dms Toulouse après le départ des dernières troupes
françaises, aussitôt avant l'entrée des Anglais (G. de BERT/ER cIe SAUVIGNY. Le comte Ferdinand de Bertier pp. 74, 107-108, 111-118, 134-142).
Il est donc possible qu'en dépit de son image visant le foyer d'ince;ndie,
Caffarelli n'ait pas jugé fort dangereux pour l'empire des adversaires de
cette sorte, encore qu'ils aient contribué à :entraver la défense contre l'ennemi et sans doute aussi à renseigner celui-ci.
JO.
r?}.
�Montbei, par son frère (naguere préfet de l'Aube, destitué
l'Empereur le 14 février) .qui faisait dans le même salon
tableau de la situation militaire propre à exalter les espoirs
royalistes. La résolution du commissaire extraordinaire n'en
sans doute pas renforcée.
par
un
des
fut
Divers membres du Conseil d'Etat se trouvèrent mêlés en
1814 à des événements de guerre. 0' Sullivan, sous-préfet d'Arnheim, se distingua lors de l'attaque de cette ville et fut blessé
par un éclat d'obus. Finot, préfet du Mont-Blanc, et Roussy,
sous-préfet d'Annecy, contribuèrent activement à la défense de la
Savoie '; le premier fut nommé maître des requêtes par un
décret du 23 mars 1814 (38). Des auditeurs furent appelés
au quartier impérial ou envoyés comme sous-préfets temporaires
dans des villes du théâtre d'opérations ; plusieurs d'entre eux
se firent remarquer par leur zèle et leur courage, tels Fleury
de Chaboulon à Reims (où il put se cachèr pendant la première
occupation ennemie et reprendre ensuite ses fonctions) . et Hare1
qui prit part, en payant de sa personne, à la défense de Soissons (39).
Ce ne furent sans doute pas les seuls exemples de zèle et
de dévouement que donnèrent les préfets et les sous-préfets
(permanents ou provisoires) issus du Conseil d'Etat (40). On
n'oserait ·cependant affirmer que tous eurent à cœur de « se raidir
'.
(38) Cf. Moniteur des 20 et <26 mars 1814.
Pastoret, qui accompagnait le comte de Ségur, oommissaire extraordinaire,
prit part à ·la . mise en défense de Châlons-sur-Saône et marcha à la
tête des habitants dans un engagement qu'ils eurent avec l'ennemi à une
lieue de la ville. Sur l'éloge qu'en fit Ségur,Montalivet exprIma rintent~on
de le proposer pour le poste de maître des requêtes. Pastoret ne reçut
cependant pas cet avancement maie; il n'avait que 23 ans. (BENAERTS
op. cit. pp. 141-142, 154).
Selon une liste d'auditeurs qui demandaient à rentrer au Conseil pendant les Cent-jours, Roland de Chambeaudoin, fait prisonnier en 1813, se
serait enfui de Bohème et aurait organisé en Lorraine une levée de
paysans armés. Repris par l'ennemi, il n'aurait dû qu'à l'entrée de Napoléon à Arcis-sur-Aube de ne pas être fusillé. Mais je n'ai pu vérifier
l'exactitude de .ces affirmations qui émanent sans doute de l'intéressé.
(AF IV 1355).
(39) Le 18 février 1814 Maret écrit de Nangis à deux auditeurs qu'ils
doivent « partir sans aucun déhi .. pour le rej-oindre au quartier impéri 1.\
en vue de missions sans doute assez actives Clr il leur est reoommand!4
de se procurer des chevaux « soit de voitur-e si VIOUS v<>ulez suivre le quartier général en voiture, soit de selle, oe qui .s erait plus convenable pour
le service que vous aurez à faire JO . (AF· IV 2Q2 nos 868-869)' L'un da
ces auditeurs était, au début de mars, sous-préfet provisoire . à Chalonssur-Marne.
(40) Plusieurs, désignés pour occuper un nouveau poste, ne pure:lt
d'ailleurs le rejoindre ou le conserver longtemps. D'Arberg, revenu de
Brême et nommé préfet du Mont-T ,onnerre. .1e put gagner Mayence investie. L'auditeur de Villeneuve-Bargemont ne passa que quelques jours dans
sa pl'éfecture à Namur. Le maître des requêtes de Fréville, devenu préfet
de la Meurthe le 15 décembre 1813, n'arriva le I I janvier 1814 à ~ ,incy
�contre les évJnements seion la forte ëxpression de Vischer de
Celles, ou même que, dans l'ensemble, ils se montrèrent plus
dévoués et plus fermes que la moyenne des préfets, dont la
mollesse en ces jours critiques mécontenta vivement l'Empereur.
A Lyon on chansonnait le comte de Bondy, maître des requêtes
et préfet du Rhône, pour son inertie et sa faiblesse. Tous les
auditeurs préfets ne furent pas plus brillants (41).
Au découragement inspiré par la gravité des circonstances se
joignirent chez plusieurs la désaffection politique, le souci de mé~
nager les chances de leur future carrière et de ne pas s'aliéner les
puissances éventuelles du lendemain, voire les rapports entretenus
par eux ou leur famille avec des éléments restés ou redevenus
royalistes. On ne pouvait attendre de ceux-là qu'ils missent
beaucoup d'énergie à contenir ou à mettre hors d'état de nuire
les auxiliaires de l'ennemi et à réprimer les troubles qui se
produisirent en plusieurs départements. Barante, préfet de la
Loire-Inférieure, fut du nombre. En vain Montalivet lui citait-il
comme modèle le préfet de la Sarthe, Derville-Ma1échard, qui
pourchassait avec une escorte les bandes de brigands de son département. Barante restait, dit-il, « persuadé du danger de tout
e~cès de zèle et convaincu qu'avertir sans menacer était le
meilleur moyen d'éviter l'aggravation de ces désordres ». Il se
vante même dans ses Souvenirs d'avoir su inspirer de la tiédeur
au commissaire extraordinaire Boissy d'Anglas et il n'est même
pas certain que, dans ces manquements à son devoir, il s'en soit
tenu à la mollesse (42).
Ces hommes étaient évidemment disposés à prendre sans
difficulté leur parti de& év~nements qui allaient bientôt se p'~é
cipiter.
que pour en repartir le lendemain à l'approche de l'ennemi. Nommé
préfet de l'Aube le 14 février, l'ex-préfet du Trasimène Rœderer fils dut
bientôt regagner Paris. Appelé le 20 mars au quartier impérial avec plusieurs préfets de départements occupés, il se joignit à des tr.oupes dirigées
vers l'armée, se heurta aux avant-gardes ennemies et dut rebrousser chemin.
(Fragments de son récit publiés sous le titre Der.niers combats dans la Revue
hebdomadaire des 17 et 24 juillet 1909),
(41) H. HOUSSAYE 1814 p. 19. Toutes les références aux ouvrages de
cet auteur visent leur dernier état.
n ne faut cependant pas généraliser ces griefs à l'excès. Ainsi l'auditeur
de Plancy, préfet de Seine-et-Marne, se montra, en janvier 1814, actif et
zélé dans les mesures de mise en défense. (LEFEBVRE de BEHA/NE. Op. cit.
IV pp. 295-297 et 309),
(42) BARANTE. Souvenirs II pp. 11-19. Il reconnaît pourtant que " jusqu'à'
son dernier jour, le gouvernement impérial eut assez de puissance pour déjouer et pour réprimer des bandes de conscrits qui n'avaient inême pas le
secours de l'Angleterre lt. (p. II).
On a pu se demander si Barante s'en était tenu à la 'passivité et à des
relations privées avec des chefs royalistes des plus suspects, tels Louis de la
Rochejacquelein qu'il protégeait auprè'i du ministère de la Police (LEFEBVRE
de BEHA/NE. Op. cU. III, pp. 235, 238-240, 244, 245, 247). Même au
-
6S
�Napoléon quitta Paris le 25 janvIer 1814- pour sè mettre
à la tête d'une armée bien amoindrie et défendre, cette fois, le
territoire de l'ancienne France, déjà largement entamé par l'invasion. Le 8 de ce mois il avait enfin appelé à 1'« activité » la
garde nationale de Paris, recrutée dans la bourgeoisie, peu attachée au régime impérial et on ne peut moins disposée à voir
risquer dans une bataille la sécurité matérielle de la capitale,
même si la défense nationale l'exigeait. Les officiers supérieur s,
dont l'Empereur n'attendait sans doute pas un rôle militaire
très réel, furent choisis dans la haute administration, dans l'aristocratie ancienne ou nouvelle et parmi les notabilités de l'industrie, du commerce et de la finance. Le Conseil d'Etat y fut
représenté. Sur douze chefs oe légion (colonels) 4eux étaient
pris parmi les conseillers : Regnaud et Jaubert, celui-ci sans
aucun doute comme gouverneur de la Banque de France (43). Le
maître des requêtes Allent, major du génie, fut nommé chef
d'état-major de cette garde nationale avçc rang de général de
brigade. Ses collègues Las Cases, Laborde-Méréville, Gasson,
Gilbert de Voisins, Pelet fils, La Bouillerie étaient chefs de bataillon ou capitaines et plusieurs auditeurs capitaines, lieutenants
ou sous-lieutenants. Stassart, l'ex-préfet des Bouches-de-Ia-Meuse,
figurait comme officier dans l'état-major du roi Joseph. Celui-ci
avait été, le 28 janvier, nommé lieutenant général de l'Empereur
et investi de l'autorité militaire dans la capitale et dans la région
parisienne. Il eut un bureau militaire dirigé par Allent.
Après le départ du souverain, le Conseil d'Etat poursuit sa
tâche courante; selon les questions, ses projets sont signés et
ses avis approuvés par l'Impératrice régente ou ils sont envoyés
à Napoléon en son quartier-général mouvant. Aux objets habituels des délibérations, tels que l'examen de budgets communaux, il s'en ajoute d'autres qui suffisent à faire sentir combien
les temps sont changés depuis l'époque encore peu lointaine où
des projets du Conseil étaient approuvés à Moscou. Ainsi un
avis du 27 janvier concerne le protêt des effets 'de commerce
dans l'hypothèse, déjà réalisée, d'une invasion ennemie et, au
début de février, se discute un projet de décret tendant à
grouper et à organiser en force militaire ... des gardes champêtres de plusieurs départements. L'extrême urgence fait toutefois
début de 1814 il aurait affiché " des relations intimes a.vec les adversaires
les plus avérés du gouvernement », au point que le général commandant le
département n'osait pas lui communiquer les renseignements qu'il possédait
quant aux menées royalistes' car, écrivait-il, les gens dont s'entourait le
préfet « pourraient déjouer . les mesures que nous serions dans le cas de
prendre pour assurer le maintien de la tranquillité publique ... » (Id. p. 247).
(43) Selon l'ouvrage intitulé /( Mémoires et souvenirs du comte Lavallette JI
(II p. 77, 78) Napoléon lui-même plaisanta Jaubert quant à ses aptitudes
militaires, voire équestres. Mais, d'autre part, il écrivait à Jose.ph le 14
mars 1814 : " Ne souffrez pas que personne caio le la garde nationale ou
que Regnaud 011 tout autre s'en lasse le tribun II . LECESTRE II p. J2 I.
-
66
�écarter Nnterventiort du Conseil pour dive~~ projets qui en relevent normalement, surtout dans le domaine qui maintenant
prime tout,_ celui de la défense militaire.
C'est en effet aujourd'hui sur la Marne et sur l'Aube que
l'Empire français joue son destin. Cambacérès se tait le 4 février,
dans une lettre à Napoléon, l'écho des inquiétudes accrues que
soulèvent au sein du Conseil d'Etat les mauvaises nouvelles de
l'armée et le bruit d'un prochain départ de l'Impératrice (44).
Plusieurs succès repoussent bientôt cette offensive ennemie. Des
auditeurs reçoivent alors de brèves missions liées aux événements
de guerre mais fort différents de celles que remplirent jadis leurs
devanciers ou eux-mêmes en Autriche ou en Russie (45).
Quelques conseillers furent associés à des activités d'ordre
politique. Le 4 février, l'Empereur, irrité de la maladresse avec
laquelle étaient rédigés les journaux par les .plumes ~fficielles
relevant de Savary, créa un comité particulier présidé par Boulay
pour en surveiller et au besoin en guider la rédaction. Les présidents de section Defermon, Regnaud, Lacuée, Boulay firent
partie du conseil de régence extraordinaire réuni le 4 mars pour
_prendre connaissance des conditions de paix présentées par l'ennemi et d'autres documents diplomatiques (46). Il ne s'agissait
pas d'émettre un avis collectif !Uais l'Empereur voulait connaître
par le procès-verbal « les différentes sensations des individus ».
Seul Lacuée jugea inadmissibles les exigences de l'ennemi qui
ramenaient la France à ses limites de 1792. Tous les autres membres de ce conseil de régence se PFononcèrent en ~aveur de leur
acceptation.
Napoléon ne tint pas compte de ces avis. Sa position à cet
égard était d'ailleurs connue. Il semble, malgré le petit nombre
et l'imprécision des témoignages, que des efforts furent faits
(44) " ... Au Conseil d'Etat on était aussi fort préoccupé.. VIALLES.
L'archichancelier Cambacérès p. 404).
(45) Le 14 février, Napoléon prescrit à Joseph de faire enviOyer " un
conseiller d'Etat ou un autre pour prendre oonnaissance des borreurs que
l'ennemi a commises dans le pays qu'il évacue et de la conduite des
communes ". Se., dépêches .,eront publiées dans le Moniteur. (Correspondance .. .
nO 21.253 XXVII pp. 193-194). Le 21 février il ordonne d'envoyer " des auditeurs qui sachent bien écrire. pour constater en des procès-verbaux les
forfaits des troupes ennemies (Id no 21.328 XXVII p. 251). Des auditeurs
allèrent en effet se livrer à ces enquêtes jusqu'à 20 lieues de Paris.
Trois autres formèrent une commission pour examiner la oonduite du maire
de Coulommiers et un de leurs collègues alla rechercher pour les rapporter
à Paris les fusils abandonnés par l'ennemi en retraite. C'est encore deux
auditeurs qui, le 9 février, avaient été envoyés l'un au palais de Compiègne,
l'autre à celui de Fontainebleau pour en rapporter tous les papiers laissés
par l'Empereur. (AF· IV 203 nOs 323-324)'
(46) Correspondance ... no 21.408 XXVII pp. 3IS-316. Lettre du 2 man
au roi Joseph.
�auprès du roi Joseph en vue d'une pression ~ exercer sur i'Empere ur. Fut-il aussi question de provoquer une abdication qui
ferait au roi détrôné la part prépondérante dans une future
régence ? Jusqu'où allèrent ces ouvertures auprès de Joseph "luimême, à qui son frère écrivait le 8 fév'r ier ,précédent: « Vous
êtes de l'opinion du premier homme qui vous parle et qui paraît
refléter une opinion? » (47). Il paraît bien, du moins, 'qu'on
agita le projet de transmettre à l'Empereur une adresse qui
réclamerait la paix à tout prix et que signeraient les membres
du conseil de régence, ~u Sénat et du Conseil d'Etat. Officieusement pressenti par l'intermédiaire de Meneval, Napoléon réagit
vivement en déclarant qu'il verrait une rébellion dans toute
tentative éventuelle de ce genre (48).
Des conseillers d'Etat furent-ils associés à cette opération
demeurée obscure ? On l'ignore. Le 14 mars, dans une lettre à
Savary, Napoléon lui reproche de ne pas le renseigner sur ce
qui se passe à Paris où il est « question d'adresse, de régence
et de mille intrigues aussi plates qu'absurdes et qui peuvent tout
au plus être conçues par un imbécile comme Miot » (49). Certes,
ce dernier continuait à faire partie de cet entourage de l'ex-roi
d'Espagne qui avait, selon l'Empereur, un esprit particulier sentant la faction. Il résulte de ses propres Mémoires que, depuis
l'an VIII, il était membre de cette camarilla empressée à stimuler
les ambitions de Joseph pour y ~ccrocher sa propre fortune
politique. Miot était-il cependant assez résolu pour pousser son
protecteur dans une voie aussi scabreuse et participer aux ris'ques ? C'est fort douteux ,voire improbable. Il s'est du moins
défendu contre la suspicion de l'Empereur (dont l'avisa le roi
Joseph) en prétendant qu'il s'agissait d'une confusion avec la
conduite, d'ailleurs indemne de mauvaise intention, tenue par
son propre frère (SQ).
,
,
Quoi qu'il en soit de cette intrigue .possible, il est certain
qu'en liaison avec elle ou entièrement indépendante il s'en nouait
une autre plus dangereuse et plus grave, une véritable conjuration, autour de Talleyrand. Deux conseillers d'Etat au moins
y furent associ~s : le duc de Dalberg et le baron Louis étaient
en effet, avec l'abbé de Pradt, archevêque de Malines, et le
comte de Jaucourt, chambellan du roi Joseph, les principaux
acolytes masculins du prince de Bénévent.
Il s'agissait de profiter des circonstances, c'est-à-dire des revers
escomptés et souhaités des armées ~rançaises, p.our renverser
(47)
(48)
famille
(49)
(50)
Id no 21.210 XXVII p. 153.
H. HOUSSAYE 1814 pp. 252-254. F. MASSON. Napoléon et sa
IX pp. 409-411.
LECESTRE II p. 3 1 9.
MIOT. Mémoires, Ire édition, III, p. 344.
-
68
�sinon l'Empire du moins Napoléon. Tous les auxiliaires éventuel:5
seraient bons à utiliser dans ce but : étrangers en armes contre
la France, sénateurs et maréchaux, royalistes, libéraux, etc. Mais
Talleyrand et ses principaux complices étaient encore hésitants
quant au régime à instaurer. Les événements, pensaient-ils, leur
permettraient de choisir ou, au pis-aller, guideraient leur choix
entre le roi de Rome (avec régence nominale ,de Marie-Louise),
la branche aînée des Bourbons, le duc d'Orléans, voire d'autr es
solutions encore. Mais leur but essentiel était d'assouvir des rancunes personnelles et de satisfaire des ambitions parmi lesquelles
un Talleyrand ou UIl Dalberg tout au moins ne pouvaient négliger les avantages pécuniaires. Le prince de Bénévent avait à
se venger de sa disgrâce et des algarades subies ; il aspirait
en outre à un rôle de premier ministre pour lequel il était
peu fait et qu'il ne devait pas jouer très longtemps. Dalberg,
son familier depuis plus de dix ans, en voulait peut-être à
l'Empereur de l'avoir écarté de la négociation avec les EtatsUnis et surtout, maintenant qu'il n'avait plus rien à tirer de
Napoléon, son avidité pouvait se trouver d'accord avec les haines
anciennes de l'Allemand, du féodal, de l'ex-illuminé qu'avaient
provisoiremen t engourdies (ou voilées) un ti tre ducal et une riche
dotation. Les relations qu'il avait gardées dans les cours étran-gères et les milieux diplomatiques, notamment son ancienne intimité avec Stadion et sa p,arerité avec Nesselrode, en (aisaient
un complice utile.
.-
Dès novembre 1813, Dalberg aurait envoyé son secrétaire à
Francfort pour assurer les souverains alliés qu'on les attendait
à Paris « à bras ouverts» (51.). Lorsque, plus tard, le royaliste
Vitrolles projeta de se rendre auprès du comte d'Artois, récemment entré dans l'Est de la France, ce fut Dalberg qui lui
conseilla de se faire recevoir en outre par des ministres autrichiens et russes et lui en fournit les moyens. Lui-même et son
inspirateur Talleyrand n'auraient visé, selon leurs dires, qu'à
s'informer des intentions des Alliés envers Napoléon. En réalité,
(51) H. HOUSSAYE. 1814, p. 448. SAVARY. Mémoires, 2 me édition,
VI, pp. 224 et 334.
C'est sans doute cet envoi d'un émissaire que visait le 30 novembre 1816,
devant la Chambre des pairs, l'abbé de Montesquiou en proposant l'enregistrement des lettres de grande naturalisation accordées à Dalbel"g. Il
disait que, même avant le 31 mars 1814, 'ce dernier « avait déjà rendu
à la royauté un service important et trop peu c·onnu. Les puissances ignoraient les sentiments de la capitale ; M. le duc de Dalberg entreprit de
les leur fair·e connaître, et il y réussit. Ce fut alors qu'elles conçur·e nt des
espérances, et qu'elles s'avancèrent pour ré :lliser les nôtres ». (Arch!ves
parlementaires, XVII, p. 587).
Quelques propos hostiles ou défaitistes de ce oonseiller d'Etat avaie nt
pu être rapportés à l'Empereur qui, selon les , Mémoires de Vitrolles (l,
pp. 49-50) fit à la duchesse de Dalberg, dame du palais, des reproches
publics sur la conduite de son mari. Cette scèn~ aurait eu lieu au début
de janvier 1814 et Vitrolles l'attribue à des lettres interceptées où Dalberg
prévoyait des revers en Hollande.
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69
-
�cette mlSSlOn confiée par eux à Vitrolles ' avait p.our but d'inciter
les coalisés, par des renseignements plus ou moins exacts et
par la perspective d'un concours venant de l'intérieur en temps
voulu, à prendre nettement parti contre l'Empereur et à mener
plus hardiment les opérations militaires (52). On ignore si de's
phrases propres à donner aussi des espérances au comte d'Artois
furent prononcées conlme par hasard devant Vitrolles par Dalberg, pour son propre compte ou pour celui de Talleyrand.
Aucun de ces deux hommes ne se serait d'ailleurs considéré
comme lié de ce fait. Selon Nesselrode, c'est l'avis donné par
Vitrolles qui décida les Alliés à marcher de nouveau sur Paris.
Ceci ne paraît pas exact mais les propos tenus par l'émissaire
royaliste à Stadion, à Nesselrode, à Metternich et au tzar
contribuèrent sans doute à préparer les chefs de la coalition aux
décisions bientôt provoquées par de nouveaux motifs, notamment par des lettres interceptées qui parurent confirmer au moins
en partie les dires de Vitrolles.
L'ex-abbé Louis avait de longue date des rapports avec Talleyrand car il l'avait assisté comme diacre dans la messe de
la Fédération (14 juillet 1790), sans doute la dernière qu'ait célébrée l'ancien évêque d'Autun. Anglomane, de caractère hargneux et jugeant toujours inférieures à ses moyens les places
qu'il occupait, ce conseiller d'Etat entra, au plus tard vers la fin
de 1813, dans les conciliabules qui se tenaient autour de celui
dont il attendait sans doute pour un jour prochain 'le ministère
des Finances (53).
D'autres conseillers d'Etat peuvent avoir' joué dans cette
conjuration prudente un rôle plus effacé, peut-être incomplète~
(51) Vitrolles quitta Paris le 6 mars sans avoir pu obtenir un seul
mot écrit du prudent Talleyrand avec lequel il n'avait d'ailleurs eu aucun
rapport direct et qui se contentait d'être tenu au courant par Dllberg.
Celui-ci lui confia, outre son pflopre cachet qui portait ses armes ~Jle
mandes, quelques lignes écrites à l'encre sympathique, savoir 'pour le
ministre autrichien Stadion les prénoms de deux femmes jadis connues
à Vienne et pour le ministre russe Nesselcode le message suivant :
« La personne que je vous envoie est de toute confiance. Ec-outés la et
reconnoissés moi. Il est temps d'être plus clair. Vous marchés sur de~
béquilles. Servés vous de vos jambes et voulés ce que vous pouvés. " (Facsimite dans Lettres et papiers du cha.ncelier comte tk Nesselrode, II, en
annexe).
Cf. VITROLLES. Mémoires, l, pp. 67-68, et « Mémoires de Talleyrand ",
II, ,pp. z57-z60 (Récit de Dalberg). Je cite toujours les Mémoires de Vitrolles d'après l'édition de 1884, en trois volumes.
(53) « Ses prmClpes ci ses mœurs passaient pour relâchés, son esprit
manquait d'étendue, mais il était ferme et l.ffirm ltif... Rude et gr9ssier
par caractère, il se croyait audacieux lorsqu'il n'était qu'insolent. Au
besoin, il savait flatter, mais toujours avec une sorte de brusquerie qui
prêtait à ses cajoleries un air de franchise... Il cherchait sa fortune dans
les choses nouvelles. En tout c'était un homme de pass~on, de haine et de
grande activité. ,. (VITROLLES. Mémoires, l, p. 39).
- ;;
�' ment conscient. La Besnardière qui assistait Caulaincourt dans
les pourparlers de Châtillon aurait informé Talleyr~nd de leur
état ou du moins de leur rupture (54). Il est possible que
d'Hauterive, resté à Paris au ministère des Relations extérieures,
ait lui aussi commis des indiscrétions au profit de son ancien
chef mais les affirmations émises à ce sujet ne semblent pas
s'appuyer sur un témoignage précis. Quant au préfet de police
Pasquier, on peut supposer qu'il n'avait pas encore trahi l'Empire,
du moins en actions, mais il était plus p'orté à couvrir les royalistes qu'à les combattre et ses origines, ses relations, sa parenté ,
avec Madame de Rémusat étaient propres à ,garantir sa passivité
bienveillante, voire son concours pour le jour où les événements
se dessineraient davantage. Un 'autre subordonné de l'aveugle
Savary, le maître des requêtes Anglès, chargé de l'arrondissement
de la Police générale qui comprenait les départements situés
au-delà des Alpes, était d'ores et déjà inféodé aux ennemis cachés
de l'Empereur.
En revanche, c'est un conseiller d'Etat (peu mêlé, du reste, à
l'activité du Conseil) Lavallette, directeur général des Postes,
qui aurait averti Napoléon dans la dernière décade de mars que
« les partisans de l'étranger» relevaient la tête à Paris et se
livraient à d.es menées secrètes (55). Ce message chiffré, que
l'en1pereur reçut à Doulevent le 28 mars, l'aurait décidé à interrompre son mouvement sur les communications de l'ennemi
pour courir, d'ailleurs trop tard, au secours de sa cap'itale
menacée.
Le 8 février, lors de la prenuere avance des coalisés vers Paris, Napoléon, envisageant l'hypothèse de sa mort ou d'une bataille perdue, prescrivait au roi Joseph de faire en ce cas partir
pour Rambouillet l'Impératrice et le roi de Rome et d'ordonner
«au Sénat, au Conseil d'Etat et à toutes les troupes de se
réunir sur la Loire» (56). Mais une série de combats victorieux
avait aussitôt écarté le danger. Le 16 mars, alors que Schwarzenberg reprenait sa marche en avant et que Blücher, après
l'arrivée de renforts et son succès défensif 4e Laon, paraissait
aussi redevenir menaçant, l'Empereur envoyait à son frère de
nouveaux ordres, d'ailleurs plus restreints. En cas de péril
très grave et imminent pour Paris, il faudrait faire partir et
diriger sur la Loire l'Impératrice, le' roi de Rome, « les grands
dignitaires, les ministres, les officiers du Sénat, les présidents du
(54) SAVARY. Mémoires, 2me édition, VI, p. 355. Cette . affirmation n.e
prouve rien mais, le 4 mars 1814, le diplomate autrichien Floret annonce
qu'il a reçu par La Besnardière une lettre de Oalberg. (DARD. Napoléon
et Talleyrand, p. 337, note 2).
(55) FAIN Manuscrit de mil-huit-cent-quatorze, p. 227. If Mémoires et
souvenirs du comte Lavallette Il, II, p. go.
(56) Correspondance ... no 21.210, XXVII, pp. ISl-IS4.
71
-
�Conseil d'Etat, les grands officiers de la Couronne, le baron de
la Bouillerie et le Trésor » (57).
Cette éventuaiité critique se réalisa le 28 mars quand, devant
les masses croissantes de l'ennemi, Meaux eût été évacué par
les gardes nationaux et les Maries-Louises du général Compans.
Bien qu'il eût reçu les ordres catégoriques de son frère, Joseph
soumit la question à un conseil de régence extraordinaire tenu
le 28 mars au soir sous la présidence de l'Impératrice et auquel furent convoqués les grands dignitaires (Cambacérès, Lebrun, Talleyrand), les ministres, les ministres d'Etat (dont Lacuée)
Regnaud, Defermon), le président de section Boulay et, semblet-il, les conseillers d'Etat Muraire et Merlin, premier président
et procureur général à la Cour de cassation. La plupart des
membres (et surtout Boulay) se prononcèrent à deux reprises
pour que la régente restât à Paris (58). Mais Joseph produisit
les ordres formels de l'Empereur. Le lendemain matin, 29 mars,
l'Impératrice et le roi de Rome partirent pour Rambouillet. Cambacérès les accompagnait, ainsi que La Bouillerie avec le trésor
de la Couronne.
L'apparition de l'ennemi devant Paris était imminente et il
ne semblait pas que, s'il menait l'attaque avec le gros de ses
forces, la défense pût être bien longue, à moins d'une guerre de
rues que ni Joseph ni la plupart 'des hauts fonctionnaires civils
ou militaires ne jugeaient possible ou même désirable (59). Il
importait d'autant plus d'exécuter les ordres de l'Empereur concernant le départ des autorités supérieures de l'Etat ; l'ennemi
ne pourrait ainsi trouver dans Paris nul autre pouvoir que
l'autorité municipale et les chefs de services purement techniques. Cependant c'est seulement le 30, peu après midi et lorsque la bataille était déjà commencée, que l'ex-roi d'Espagne
tenta, et très mollement, de pourvoir à leur exécution. Il
chargea Lebrun d'aviser les grands dignitaires (U ne restait
comme tels que Lebrun lui-même et Talleyrand) ~t le grand-juge
Molé de prévenir les autres intéressés « qu'il est convenable qu'ils
se retirent sur les traces de l'Impératrice ».
(57) Id .... , no Z1.497, XXVII, pp. 377-378.
(58) H. HOUSSAYE 1814, pp. 459-464. SAVARY. Mémoires zme édition,
VI pp. 375-384. Supplément aux mémoires et souvenirs de M. Gaudin, duc d~
Gaëte p. 164. Boulay se prononça énergiquement (ainsi que Daru selon Gaudin)
contre le départ et fut appuyé par presque tout le Cons·eil de régence .
D'après Savary, Boulay proposa même « d'emmener l'impératrice à l'hôtel
de ville au moment du danger, et de la montrer au peuple dans les rues,
dans les faubourgs et sur les boulevards ".
.
(59) Selon un officier anglais prisonnier à Paris qui dit en aVio ir
été informé par un témoin direct Réal incitait Savary à organiser la.
guerre de rues (LADREIT de LA CHARRIÈRE, Journal d'Undenvood publié
à la suite du Journal inédit de Mad.ame de Marigny, pp. 149- 1 50). Savary
n'en dit rien dans ses Mémoires. Réal aurait ,déclaré au ministre : " Pal"Ï~,
c'est la dynastie ». (Mme de CHASTENAY. Mémoires, II, p. z87).
�Bien que l'ordre impérial du 16 mars visât seulement les
officiers du Sénat et les présidents du Conseil d'Etat, Joseph invita Molé à prévenir les sénateurs et les conseillers d'Etat. L'avis,
d'ailleurs si peu impératif, fut-il réellement transmis à tous,
comme l'affirme Miot ? Quoi qu'il en soit, beaucoup restèrent
à ·Paris, surtout parmi les sénateurs. Les présidents de section
(Defermon, Regnaud, Boulay, Lacuée) ~t · plusieurs conseillers
d'Etat dont Réal, Miot, Jaubert, Maret, Gogel partirent et suivirent la Régente à Blois (60). Parmi ceux qui restèrent figuraient naturellement Dalberg et Louis. Mollien assure du reste
dans ses Mémoires qu'il avait chargé Louis d'assurer à Paris la
direction du Trésor public en . son absence; le ministre avait
« confiance dans les services qu'il pouvait rendre à la France ».
L'intéressé allait montrer avant deux jours si cette confiance
était bien placée (61). D'autres conseillers purent aussi être ou
se croire autorisés à rester pour assumer leurs ..fonctions individuelles. Lavallette demeura à la direction générale des Postes,
où il importait d'ailleurs que se maintînt le plus longtemps possible un homme possédant et méritant la confiance de l'Empereur.
Le maître des requêtes Anglès ne partit pas, ·bien que Savary
assure le lui avoir enjoint. Le conseiller d'Etat Pasquier, préfet
de police, et le maître des requêtes Chabrol de Volvic, préfet
de la Seine, avaient reçu l'ordre de rester à leur poste.
Or dès le 30 mars Pasquier montra quel degré de confiance
il méritait. Talleyrand, que Napoléon voulait, non sans cause,
écarter de Paris plus que personne (Il l'avait formellement prescrit à Joseph), tenait au contraire à se trouver là pour accueillir
l'ennemi, dont il était, depuis plusieurs années, l'informateur et
le conseiller rétribué. Il voulait toutefois éviter l'apparence d'une
désobéissance formelle car l'avenir était encore incertain. Ayant
échoué du côté de Savary, il vint trouver Pasquier vers 5ix
heures du soir, accompagné de Madame de Rémusat, parente du
préfet de police. Celle-ci exposa l'intérêt qu'avait la capitale à
conserver Talleyrand dans ses murs et proposa, selon Pasquier,
que ce dernier envoyât quelques-uns de ses agents ameuter
le peuple pour empêcher un homme aussi précieux de franchir
(60) Regnaud était sorti le matin avec sa légion de Il garde nation lie.
Underwood le vit caracoler sur un beau cheval et donner des ordres
puis prendre la tête d'un de ses bataillons qui défilait et que commandlit
Laborde-Méréville (Op-cU. pp. 159, 161, 181). Au début de l'après-midi
Regnaud se trouvait avec ce bataillon du côté de Montmlrtre, alors menacé
par l'ennemi, quand il fut touché par l'ordre de quitter Paris. Il obéit mllis,
selon Pasquier, son départ dans ces circonstances fut très blâmé. (PASQUIER
Mémoires, II, p. 394)' Jaubert, également chef de légion, partit aussi ~ pour
Blois. Las Cases dit que, malgr,é un ordre analogue, il ne crut pas pouv1oir
quitter son poste en un tel moment. (Mé11UJrial de Sainte-Hélène 21-22 novembre 1815. Edition critique, l, pp. 254-255). Il semble que plusieurs conseillers d'Etat ne reçurent pas cet ordre de départ. (M. BEGOUEN-DEMEAUX. Jacques François Begottën, II, p. 57)'
(61) MOLLIEN. Mémoires. Edition de 1898, III, pp. 374-37S.
-
.. ~
• '<
73
�la barrière et l'obliger à rentrer chez lui. Pasquier n'entendait
pas se compromettre ainsi pour autrui. Il aurait répondu que
son rôle était de tenir le peuple tranquille et non de l'émouvoir
mais que Talleyrand n'avait qu'à se présenter, pour quitter Paris,
à celle des barrières où se trouverait M. de Rémusat, officier
de la garde nationale: celui-ci l'obligerait à rebrousser chemin:
Que ce fût ou non par l'intervention de ce personnage, c'est en
effet de cette façon que Talleyrand se trouva empêché de quitter
la capitale (62).
... ...
Pendant la nuit suivante la capitulation de Paris fut signée
par le maréchal Marmont. Le 31 mars au matin une délégation des autorités parisiennes se rendit à Bondy pour solliciter
la bienveillance du tzar en faveur de la ville. Elle comprenait
notamment quatre membres du Conseil d'Etat : Pasqwer et les
maîtres des requêtes Chabrol de Volvic (préfet de la Seine),
Allent et de Laborde-Méréville, ces deux derniers en raison de
leurs fonctions dans la garde nationale. Interrogé par Nesselrode
sur l'état de l'opinion, Laborde lui aurait répondu que «les
hommes distingués par leurs lumières » penchaient pour la Régence, que la noblesse anciepne voulait les Bourbons et que le
reste de la nation « les recevrait sans déplaisir avec un gouvernement limité» mais que Talleyrand était à même plus que
personne d'éclairer à cêt égard le tzar et ses ministres. Nesselrode renvoya aussitôt Laborde à Paris pour qu'il empêchat le
départ de cet homme indispensable. Si ces propos furent vraiment
tenus ils laissent supposer des liens antérieurs de leur auteur
avec Talleyrand ou l'un de ses affidés. Ils manifestent du moins
chez cet ancien émigré, jadis officier dans l'armée autrichienne,
une prise de position hostile à l'Empereur (63). On ne sait SI
Pasquier et Chabrol parlèrent seulement au tzar et à son
ministre des intérêts de la ville et s'ils se tinrent en dehors des
questions politiques (64).
Les troupes ennemies entrèrent et défilèrent 'dans Paris le
jour même, acclamées par les royalistes des deux sexes, puis
par un plus grand nombre de curieux rapidement transformés
(62) PASQUIER, II, pp. 231.232. Dès 1812, selon Caulaincourt, Napoléon ajoutait à un éloge de Pasqu~r : « ••• mais je n'aime pas ses rclati'ons
avec les Rémusat qui sont gens d'intrigue et d'argent sur le compte desquels
je me suis bien trompé ». CAULAINCOURT. Mémoires, II, p. 359).
(63) Journal d'Underwood pp. 224-228. Selon celui-ci cette scène fut
racontée devant lui par Laborde qui dit avoir refusé, chez TaUeyrand,
de prendre une cocarde blanche présentée par Louis. Cependant la question
de la cocarde n'était pas ,semble-t-il, résolue dès ce jour par Talleyr;md
et ses associés.
(64) Le silence gardé sur ce point. par Pasquier dans ses Mémoires ne
signifie rien. Après une diatribe contre Napoléon le tzar aurait demandé à
Allent s'il répondait de la garde nationale : « Oui, si on ne lui demande
rien de contraire à son honneur et à ses serments, répliqua M. Allent,
d'un ton plein de dépit. La déclamation contre Napoléon l'avait blessé ».
(PASQUIER, II, p. 247)'
-
74
-
�en ... opportunistes. Le tzar, qui le 25 mars, au combat de Fère~
Champenoise, avait salué de son admiration émue le sacrifice
des gardes nationaux tombés en luttant à un contre éinq et
en refusant de se rendre, put ainsi contempler, à six jours d'intervalle, les deux aspects extrêmes de la nature humaine et le
contraste offert par des éléments d'une même nation. Encore
n'était-ce qu'un début car dans la voie ouverte par les manifestants du 31 mars allaient se précipiter à l'envi la plupart des
« corps constitués », des dignitaires et des hauts fonctionnaires
de l'Empire, y compris bon nombre d'anciens conventionnels et
des généraux de quatre-vingt-treize. Sans doute fut-ce là pour
les Alliés l'élément le plus savoureux de la revanche enfin prise
sur la France révolutionnaire et impériale.
r'• •
Ce même jour, à la fin de l'après-midi, une conférence réunit
chez Talleyrand, outre celui-ci, l'empereur Alexandre, le roi
de Prusse, le prince de Schwarzenberg, le prince de Lichtenstein
et Pozzo di Borgo. Il se fit , assister par Dalberg, puis par Louis
et Pradt qui vinrent confirmer ses dires quant à l'état de l'opinion
en France. Les deux derniers se prononçaient déjà comme luimême pour la restauration des Bourbons avec une constitution
qu'ils souhaitaient sans doute faire établir en dehors du futur
roi. Il est probable que Dâlberg fut aussi de cet avis encore
qu'on lUI ait prêté des vues différentes (65). Il fut chargé de
rédiger avec Nesselrode la proclamation par laquelle les souverains alliés déclaraient ne plus vouloir traiter avec Napoléon
ou aucun membre de sa famille. Dalberg et Louis soutinrent
aussi Talleyrand dans les menées qui aboutirent à la formation d'un gouvernement provisoire, votée' docilement le 1er avril
par environ soixante sénateurs convoqués tout exprès. Dalberg
fut l'un de ses membres, avec le général comte BeurnonvilIe, le
comte de Jaucourt (tous deux sénateurs) et 'l'abbé de Montesquiou, sous la présidence de Ta]leyrand. Le 2 avril les mêmes
sénateurs votèrent la déchéance de Napoléon et 'de sa dynastie.
Le 3 cet acte fut publié et la plupart des membres du Corps
législatif présents à Paris (en nombre très inférieur au quorum
nécessaire pour délibérer) votèrent une déclaration analogue (66).
(65) Sans citer aucune source,
Viel~Castel
(Histoire de la Restauration,
1 p, 201) affirme que Dalberg proposa d'appeler au trône le roi de Rome
sous la régence de sa mère. Caulaincourt fait de lui un partisan du duc
d'Orléans (Mémoires, III, pp. 127, 136, 150). L'auditeur Sers aurait entendu
affirmer, pendant la campagne de France, dans le cabinet de Dalberg.
« que le retour des Bourbons était le seul moyen de salut restant à la
France » mais il ne dit pas pIr gui fut tenu ce propos. (SERS. Mémoire.s,
p. 100). Enfin Dalberg aurait déclaré à Savary en mai 1814 « qu'on n'lVlit
pas été le maître des événements, qu'il avait bien fallu accepter [les
Bourb01zs J et que l'on n'avait pas eu les moyens de refuser
(:SAVARY .
Mémoires 2me édition, VII, p. 316).
(66) Parmi les soixante~trois sénateurs qui (à des heures div'erses, fut-il
affirmé depuis) signèrent le procès-verbal de la séance du 1er avril figurent quatre anciens conseillers d'Etat : Barbé-Marbois, Emmery, les géJO .
-
75
�Louis fut nommé, le 3 avril, commissaire délégué aux Finances, c'est-à-dire ministre provisoire. Les six autres commissaires,
à 'l'exception du général Dupont, tenaient aussi ou àvaierit tenu
au Conseil d'Etat bien que Laforest, chargé pour la forme des
Affaires étrangères, n'eût jamais été que conseiller en service
extraordinaire. Il était absent et ne connut sa nomination que
le 11 avril en arrivant à Paris. L'ex-conseiller d'Etat Malouet,
affeété à la Marine, était également àbsent, Napoléon l'ayant
fait éloigner (( à quarante lieues» lors de sa brusque mise à
la retraite en octobre 1812. Henrion de Pansey fut chargé de
la Justice et le maître des requêtes Anglès de la Police générale. Beugnot, alors à Lille, fut désigné pour l'Intérieur (67).
Henrion de Pansey et Malouet avaient sans doute toujours
conservé des sentiments royalistes et Anglès s'était lié, depuis
quelques mois à tout le moins, avec les ennemis de l'Empire.
Mais pourquoi Beugnot absent fut-il préféré pour un ministère
aussi important que celui de l'Intérieur à des hommes qui se trouvaient sur place et parmi lesquels n'eussent pas manqué les
candidats ? Son adhésion parut-elle garantie par son défaut (notoire) de caractère que Vitrolles aurait signalé vers le milieu
de mars au comte d'Artois comme assurance d'un prompt ralliement ? (68). Y eut-il autre chose et la visite que lui fit à
Lille en février 1814 Roux-Laborie, iritrigant à tout taire, in-
néraux de Chasseloup et de Sainte-Suzanne. Ils votèrent, le l avril, la
déchéance de Napoléon et de sa dynastie puis, le 6 avril (ainsi que Redon)
le projet de constitution.
Barbé-Marbois prononça en outre le S avril, devant la Gour des
comptes dont il était le premier président, un discours dans lequel il
exaltait les souverains étrangers Il réunis pour la plus belle des causes ",
qui Il rte marquent leur présence que par des témoignages et des preuves
d'amitié. Ils sont au.fourd'hui nos amis, 1UJS alliés... et depuis longtemps
nous n'avions été aussi libres qu'en présence de ces étrangers en armes Il.
(Moniteur du 6 avril). Le 24 janvier 1809 il avait déclaré dans un discours
à Napoléon : Il Loin de vous tout manque à 1UJtre bonheur ; votre présence nous rend toutes nos espérances, 1UJS affections H. (Moniteur du
16 janvier 1809).
Saint-Marsan s'excusa le l avril de son abstention sur ce que lSon
pays allait cesser d'être français. Aux actes du Sénat adhérèrent Shée
le 3 avril et Dupuy le 9 avril. Ségur et le général Dejean, qui avaient
suivi l'Impératrice jusqu'à Orléans, envoyèrent de cette ville leur adhésion ,respectivement le 9 et le I l avril.
(67) Henrion de Pansey avait 72 ans, Malouet 74 ans et le secrétaire
gouvernement provisoire, Dupont de Nemours, 7S ans.
Le même acte qui nommait des commissaires délégués pourvut d'un
titulaire la direction générale des Postes, «M. de Lavallette s'ét,lnt absenté ". Cette importante fonction échut à « M. de Bourrienne ,ancien
conseiller d'Etat " (seulement en service extraordinaire) dont l'improbité
bien établie ne pouvait être une tare aux yeux de Talleyrand.
du
. (68) " Plié à tant de formes différ,e ntes (aurait dit Vitrolles) courbé
sous tant de principes opposés, il a peut-être perdu en force et en caractère ce qu'il a gagné en talent et en habileté. Il n'en est plS mohs
de ceux qui peuvent servir le plus utilement le gouvernement à ' rétablir,
�féodé alors ~ Talleyrand, se liait-elle 'à une entrée en relations
cherchée par celui-ci ou l'un de ses complices ?
A en croire Beugnot, Roux-Laborie lui donna l'Empereur
comme perdu et lui parla d'une régence de Marie-Louise, d'un
conseil où "figureraient Cambacérès, Talleyrand, Oalberg, un
maréchal et ... « un homme de lettres de première ligne tel que
notre ami commun M. de Fontanes ». Interrogé sur son attitude
envers ce gouvernement éve~tuel, Beugnot aurait répondu que
son rôle était tout tracé: « obéir à 'l'Empereur jusqu'au bout,
après lui à son fils quelle que soit la forme du gouvernement ,.
(69). Ce récit est-il exact ? Beugnot certes, n'était pas plus l'homme des adhésions prématurées que celui de la réserve devant
le succès acquis. Mais il est probable qu'il ne découragea pas les
vues qu'on pouvait avoir sur lui.
Lorsqu'il apprit à Lille les événements de Paris et la nomination dont il était l'objet, il passa, s'il faut l'en croire, par
deux états d'esprit 'fort différents. Son premier mouvement fut
de rester jusqu'à la fin « l'homme de l'Empereur » (70). Mais
ayant rapidement pris ce parti « indiqué par le devoir » Beugnot
réfléchit et lui substitua non moins vite une attitude toute autre.
Du moins n'invoque-t-il pas pour justifier ses actes (comme
tant d'autres transfuges intéressés de tous les pays et de tous
et il me semble qu'on ne doit pa5 craindre qu'il s'y refuse. JO (VITROLLES. Mémoires, l, p. 220).
Longtemps après, comme Berryer lui reprochait d'av.oir manqué un
jour de caractère, ' Beugnot aurait riposté :
" Du caractère ! Mais je n'en ai jam,lis eu ; je n'ai pas le moindre
caractère; si j'en avais eu aut ,l nt qu'on m'accorde d'esprit, j'aunis
soulevé dec.; montagnes. JO (Journal d'Eugène Delacroix, II, p. 484).
Cf. BARANTE. Souvenirs, II, p. 47 : « Je n'ai jamais vu un homme de
cette portée aussi dénué d'opinions arrêtées, aussi flottant dans ses oonvictions. Chez lui le caractère n'éuit pas au niveau de l'esprit. Sans jamais
sortir de la sphère des honnêtes gens, il manquait de courage politique et
avait même assez de cynisme dans ses variations » .
(69) BEUGNOT. Mémoires, 3me édition, pp. 4' 5-417. Roux-Laborie,
dit-il, ne le crut pas et pensa que ces déclarations de fidélité à Napoléon
masquaient des relations avec Bernadotte alors en Belgique.
(70) Id., pp. 424-426. Notamment
:
"II y avait longtemps que je tenais l'Empereur pour perdu ; mais
je ne croyais pas que ses malheurs m'eussent délié de mes serments, et 'il
m'avait en m'envoyant à Lille donné une preuve de confiance qui m'y
enchaînait davantage. Les dernières paroles qu'il m'avait dites résonnaient
à mon oreille et retombaient sur mon cœur. Tant qu'il n'avait été que
puissant, je l'avais admiré et craint, mais j'étais attendri au souvenir de
sa grandeur déchue, que le malheur avait dernièrement rendue familière
avec moi. Mon parti fut bientôt pris, parce qu'il était indique! par le devoir.
Je n'avais point à examiner qui, dans ce grand débat, avait tort ou wait
raison ; j',étais l'homme de l'Empereur et je devais le servir jusqu'à ce
qu'il m'eût dégagé. Si je perdais la faculté de le servir, je devais me
retirer... ,. (p. 426).
-
77
�·
les temps) le salut de la patrie, de la société, etc. II attribue Sa
décision à 'la crainte des dangers qu'il pourrait courir à Lille
et à un sentiment de reconnaissance pour ceux qui, à Paris,
l'avaient choisi. En effet si cette nomination était connue dans
le Nord, elle le compromettait auprès de l'armée et des généraux demeurés, pensait-il, fidèles à l'Empereur. Or « ils étaient
"maîtres de ma personne. Qu'allaient-ils délibérer à leur retour? »
S'il désavouait publiquement sa nomination et, si comme il "le
croyait, le général Maison tenait pour Bernadotte, « ce désaveu
ne me servirait pas à grand chose et il aurait l'inconvénient,
sinon de compromettre, au moins de contrarier ceux qui
m'avaient donné à Paris un témoignage signalé de leur confiance >t . Bref, la conclusion, vraiment éloignée du point de départ et révélatrice d'une conception peu banale des devoirs d'un
préfet (même en dehors du facteur politique) fut celle-ci :
"
« Je m'arrêtai donc au parti de mettre ordre à Lille aux
aftaires les plus pressantes, et de me rendre à Paris, pour y
prendre connaissance par moi-même de l'état "des choses. »
Arrivé à Paris le 7 ou Je 8 avril, Beugnot se rendit chez
Talleyrand mais il affirme qu'il se sentit à nouveau saisi de
scrupules et qu'il parla de ses serments dont l'abdication de
Napoléon, non consommée, ne l'avait pas encore délié. Bref il
pensa, dit-il, tout concilier en laissant, jusqu'à cet événement
attendu ,la signature au fonctionnaire qui avait assuré l'intérim
en son absence et en rédigeant cependant les notes et les circulaires qui rentraient dans ses nouvelles attributions (71).
,
4.
__ :
~
• •"
Saut Dupont et Malouet, tous ces ministres provisoires de
Talleyrand étaient fonctionnaires en activité lorsqu'ils acceptèrent ces fonctions. Louis et Anglès, à tout le moins, n'avaient
pas attendu ce moment pour trahir. Meiis aucun d'eux n'avait été
chargé de représenter dans la capitale envahie l'autorité regulière, vis-à-vis de la population comme de l'ennemi. Deux autres
membres du Conseil d'Etat, qui furent aussi 'parmi les premiers
à faire défection, avaient au contraire reçu (et accepté au
moins tacitement) cette mission de confiance : le préfet de police
Pasquier et le préfet de la Seine Chabrol de Volvic.
Dans la journée du 31 mars, ils avaient publié conjointement
une proclamation aux Parisiens ; ils se bornaient à Jaire connaître la capitulation et les promesses du tzar en faveur de la
ville, à recommander le calme et la tranquillité sans ajouter de
déclaration politique. Mais I~urs origines et leurs r~lations, fa(71) là., pp. 439.440. Beugnot assure qu'il ne savait pas ~ distinguer
la morale de la politique et faire au besoin le sacrifice de l'une à l'autre ,..
C'est lui qui, s'il faut en croire les Mémoires de l'auditeur Sers (p. III),
rédigea les proclamations du gOUvernement provisoire après son arrivée
à Paris.
-
78 -
�milîale"s ou mondaines, devaient faciliter leur ralliement rapide
à la faction royaliste. Pasquier fut, dit-il, convoqué le 31 mars à
l'hôtel de Talleyrand par Nesselrode qui, en une heure de conversation, vint à bout d'une conscience destinée à d'autres évolutions.
Le lendemain Pasquier rencontra là Caulaincourt, envoyé auprès du tzar par Napoléon ; il avisa ce ministre du parti qu'il
avait adopté et il le pria d'informer l'Empereur que celui-ci
n'avait plus à compter sur lui. Il resta préfet de police pour
le compte du gouvernement provisoire ; selon ses dires il refusa
d'être commissaire délégué à la Police et fit désigner Anglès
car il désirait quitter ce service (72).
Chabrol de Volvic, gendre de l'architrésorier Lebrun, devait
sans . doute en partie la préfecture de la Seine au zèle qu'il
avait montré et proclamé quand, préfet à "Savone, il avait dû
servir la politique de Napoléon à l'encontre du Pape prisonnier
dans cette ville. Il fut même nommé, le 26 novembre 1810, commissaire impérial près de Sa Sainteté ; cette fonction qui paraissait d'ordre diplomatique devint bientôt essentiellement policière, voire tâche de geôlier. Chabrol ne crut pas au-dessous
de lui de participer à ûne perquisition nocturne et secrète dans
les appartements occupés par la suite de Pie VII et il fut
l'exécuteur docile des rigueurs prescrites envers le Pape luimême. Il se vantait dans une lettre à Anglès d'avoir parlé au
vieillard captif ~ avec la fermeté et l'énergie que comn'Zandait la
circonstance » (73). Sans doute pens~-t-il qu'il n'en était que
(77) PASQUIER, II, pp. 260-265, 268-269. CAULAINCOURT, III, pp. 117,
120-121. Pasquier aurait déclaré à Lavallette le 31 mars, dès le milieu du
jour, qu'il passait du côté des Bourbons, du moins selon l'·o uvrage intitulé
Mémoires et souvenirs du comte Lavallette » (II, pp. 93-94).
Par les formes dont il sut entourer sa défection, Pasquier réussit à
conserver l'estime de Savary et de Caulaincourt. Selon celui-ci, il aurait
même gardé celle de Napoléon :
« Celui qui prend un parti avant qu'une chose soit décidée, aurait dit
l'Empereur, fait un acte de courage : les chances qu'il court, si elles ne
le justifient pas, lui méritent l'absolution. Celui qui prévient ne trahit pas,
Je l'estimais, je suis bien aise que sa conduite ait justifié cette estime. "
(Ill pp. 173-174)'
Mais le duc de Vicence est très favorable à Pasquier dont il dev lÎt
faire . plus' tard, selon ce dernier, le subrogé-tuteur de ses enfant~. Les
propos qu'il prête à l'Empereur sont peu conciliables avec l'attitude postérieure de celui-ci envers Pasquier, contraint par ordre à s'éloigner de J>ari~
pendant les Cent-Jours. Napoléon aurait alprs déclaré à Mol~ que le
préfet de police donna dans la capitale le signl1 de la défection et affirmé
troi~ fois de suite qu'il avait trahi. (Mis de NOAILLES. Le comte Mol&.
l, pp. 216-217). On lit aussi dans les Œuvres de Sainte-Hélène qu'en 1814
Pasquier " fut le premier qui trahit dans l'exercice de ses fonctions ".
(Correspondance... XXXI, p. 115).
t/
(73) MAYOL de LUPB, La Capüvité de Pie VIL, II, p. 103. Chabrol
écrivait encore : « J'ose espérer que mon zèle et mon dévouement ser.ont
appréciés ... " (Id. p. 124) et : " J'ai rempli les ordres qui m'ont été transmis jusqu'ici avec une exactitude rigoureuse ; le zèle et le dévouement ne
manqueront jamais, s'il s'agit d'en exécuter de nOUVeaux If. (Id. p. 125).
---:'
79
�plus nécessaire de se trouver parmi les premiers i déserter ta
cause de l'Empire. Le 1er avril, lorsque treize membres du corps
municipal signèrent la violente déclaration rédigée par Bellart
contre Napoléon et en faveur des Bourbons, Chabrol invoqua ce
qu'il devait à l'Empereur pour se dispenser de la contresigner
mais il déclara l'approuver et en autorisa l'affichage. Le même
jour, son beau-père l'architrésorier Lebrun votait la formation
du gouvernement provisoire. Chabrol signa l'adresse par laquelle
le 4 avril, le corps municipal de Paris remercia le Sénat 'de son
vote relatif à la déchéance de Napoléon. Quelques jours après,
dans une circulaire adressée aux maires de Paris en l'honneur
du grand événement qui promet à la France une régénération
si nécessaire >l, il écrivait :
4(
Depuis longtemps, Monsieur, je ne cessais de gémir sur les
maux qui désolaient notre patrie; fappelais par tous mes vœux,
j'osais même réclamer autant qu'il était en moi, l'adoption d'un
système de modération qui pût mettre un terme à tant de calamités. »
4(
....
Cependant ces gémissements incessants et ces réclamations
ne perçaient pas trop dans ses discours antérieurs, en particulier
dans celui qu'il adressait à l'Empereur le 27 décembre 1812,
soit quinze mois plus tôt seulement (74).
Jusqu'où allèrent quelques-uns de ces anciens serviteurs privilégiés de l'Empire dans les efforts qu'ils firent pour le renverser ? Pasquier impute à Dalberg (Celui-ci lui e.n aurait fait
confidence le 5 avril) d'avoir au moins connu un projet quï
tendait à l'assassinat de Napoléon, toujours menaçant à Fontainebleau avec sa petite armée. La mort de l'Empereur aurait été
bien accueillie de Talleyrand et 'de ses acolytes et on peut
douter qu'ils eussent répugné à y aider discrètement. Toutefois
(74) Il Quelle allégresse, Sire, répand dans tous les cœurs la présence
de votre personne sacrée ! Que d'espérance, que de sécurité eUe porte
avec elle ! Vos regards viennent tout vivifier, mais aussi que de gloire
pendant votre absence ! Il
Chabrol opposait à l'a.utorité tutélajre et paternelle de Napoléon le
pouvoir despotique sauvage du tsar et il assurait qu'en cas de danger les
parisien.., feraient à l'héritier du trône un rempart de leur corps car
Il
qu'importe la vie devant les immenses intérêts qui reposent sur cette
tête sacrée ! ". Tous les membres du corps municipal sauront la sacrifier
au besoin. Il Pour moi, qu'un regard inattendu de V. M. appela de si loin
à tant de confiance, ce que te ché.ris le plus dans vos bjenfa;ts, Sire,
c'est le droit de donner, le premier, l'exemple de ce noble déVOilement ". (Moniteur du 28 décembre 1812).
Selon Caulaincourt, Napoléon déclarait en avril 1 8 1 4 au sujet de
Chabrol (et non de Frochot comme l'al!irme la note) : « C'est un miltérable ; j'ai comblé lui et sa famille ... Son nom sera un jour l'exécration
des Français comme il est déjà la honte des siens lt. (CAULAINCOURT,
Mémoires, III, p. 443).
-
80
�les dires d'un Maubreuil et même les allégations de Pasquier
ne suffisent pas à établir la réalité d'un projet arrêté. Le préfet
de police est d'autant plus sujet à caution qu'il prend aussitôt
le beau rôle en assurant que, par un billet adressé à "M aret, il
tint à prévenir Napoléon, communication dont on ne trouve
par ailleurs aucune trace, fût-ce dans les Mémoires de Caulaincourt] si 'favorables à Pasquier (75). Il paraît aussi impossible d'affirmer comme F. Masson le projet d'assassinat que de
le mer absolument avec E. Daudet.
Des conseillers d'Etat semblent du moins avoir joué un
rôle dans les démarches qui amenèrent Marmont à la trahison.
Selon Pasquier, Dalberg en eut la première idée et Louis s'y
associa. L'abbé de Pradt dit aussi que Louis et lui-même s'en
occupèrent dès le 31 qlars. Mais le duc de Raguse a déclaré
depuis, dans ses Mémoires, que p'armi ceux qui lui écrivirent
pour l'entraîner «étaient MM. Dessolles et Pasquier» (76).
Le maître des requêtes Janet, qui était sans doute pressé
de faire oublier les griefs soulevés à Rome par son âpret,é
fiscale, accepta dès les premiers jours d'avril ' d'être adjoint
çomme conseiller ou auxiliaire administratif au gouverneur
russe de Paris, le général Sacken. Mounier, _'intendant des bâtiments de la Couronne, un des hommes "q ui "devaient le plus
à "Napoléon, fut nommé le 4 avril commissaire pour l'intendance
générale des domaines de la Couronne, fonction qui consista
d'abord à meubler les hôtels occupés par les géné.raux des armées coalisées (77).
.
Leur ancien collègue Dudon avait, lui, à redresser une carrière plus que compromise. A toute époque un tel mobile, qui
(75) PASQUIER, II, pp. 280-288. Ce billet aurait été rédigé et envoyé le
6 avril ; son texte, tel que le donne Pasquier, informe Maret des événements de Paris et contient en outre ces !mots : « On assure qu'il y a
plusieurs projets d'approcher l'Empereur et que, dans le nombre des individus
qui se livrent à cette pensée, il y a plusieurs jacobins
Dalberg aurait
approuvé l'envoi de ce billet et fait ajouter l'asserüon relative lUX jao0bins [? J. Pasquier assure qu'il reçut aussi un billet par lequel Lavallette
l'avertissait d'un projet formé contre la vie de Napoléon et l'in<:itait à le
déjouer. On ne trouve rien à ce sujet dans les Mémoires et souvenirs
publiés sous le nom de Lavallette. Pasquier prétend d'ailleurs que, quelques
semaines plus tôt, il fit aussi mettre les Boulibons sur leurs gardes contre
des projets d'attentat que, sur des données très vagues et fragiles, il attribue
à Napoléon ou à Savary. CI. H. HOUSSAYE 1814 (pp. 595-597) ; F.
MASSON. L'Allaire Maubreuil (pp. 96-97 et 103-105); E. DAUDET.
Conspirateurs et comédiennes (pp. 159-175).
)J.
(76) PASQUIER, II, pp. 289-29°' PRADT, Récit historique sur la restauration de la ro~.auté en France, " p. 72. MARMONT, VI, p. 255.
(77) Le gouvernement provisoire avait enjoint au maître des requêtes
Maillard, le 4 avril, de se mettre à la disposition du général Sacken pour
• organiser près de lui et sous son approbation les bureaux néces8.1ires
-
81
�Joint souvent ia sOIf de vengeance ~ i'amblt~on exacerbée, suffirait à pourvoir d'acteurs ardents et convaincus (d'un Talleyrand
à un Maubreuil en passant par un Oudon ou un Bourrienne)
les bouleversements politiques, voire sociaux. Revenu d'Espagne
en 1812 après avoir quitté sans permission Parmée dont il
était Pintendant général ,le maître des requêtes Oudon avait
été rayé pour ce motif 'pe la liste du Conseil, sinon même
incarcéré quelques jours (78). Le gouvernement provisoire le
chargea, le '9 avril, d'aller saisir les diamants de la Couronne
et ce qui subsistait des économies faites pendant dix ans par
Napoléon sur sa liste civile. La plus grande partie avait été
absorbée par les derniers efforts d'armement. Le reliquat avait
suivi Plmpératrice à Blois puis à Orléans où 'Oudon fut envoyé.
On a dit qu'il s'était laissé devancer ou supplanter par un
autre dans cette mission. Il semble plutôt qù'après l'avoir remplie (sinon même amplifiée) à Orléans il laissa intercepter,
entre cette ville et Paris, Je convoi par des agents royalistes
qui le conduisirent au comte d'Artois et non au Trésor public.
Oudon allait être mêlé pendant la seconde Restauration à
d'autres opérations d'ordre financier et en tirer, avec des ...pro~its matériels, une fâcheuse notoriété (79).
Le Conseil d'Etat ne fournit pas seulement au gouvernement
provisoire des complices proprement dits, des auxiliaires et des
instruments actifs. Sans attendre Pabdication de l'Empereur, beauau service de la place ». (AF· V 3 p. 7 no 20) C'est sans doute à ~hut
de Maillard, qui la déclina peut-être, que cette mission fut confiée à J met.
Pasquier (II p. 275) déclare que c'est lui-même qui choisit Janet.
(78) Auditeur dès thermidor an XI et substitut près du tribunal de
la Seine, Oudon avait compromis les chances d'avancement gue lui donnaient son instruction et son talent. 'EnVloyé pendant l'hiver 1806- 1 807 en
Pologne auprès de l'Empereur il égara le portefeuille du Conseil et revint
à Paris sans oser se présenter devant Napoléon. Selon V. de 'Br,oglie
~Souvenirs, l, p. 136), parlant comme substitut « dans un procès en
séparation célèbre et scandaleux, il avait conclu en faveur de la femme
et l'avait épousée plus tard ; elle était plus âgée et plus riche que lui ».
Il était cependant devenu secrétaire général puis procureur généraJau
conseil du Sceau des titres, baron et maître ,des requêtes avant d'être
envoyé en Espagne.
(79) Selon F. Masson (L'affaire Maubreuil, pp. 105-122), Oudon arriva
le 10 avril à Orléans et, grâce à la complicité d'un officier supérieur des
gendarmes d'élite et à la passivité suspecte du maître des requêtes de la
Bouillerie, trésorier général, il put saisir - outre les diamants de la couronne et divers fonds appartenant à l'Etat - la plus grande partie (onze
millions et demi) de l'or monnayé qui demeurait la pl'Iopriété de l'Empereur,
ses habillements et objets personnels, les diamants de l'Im,Pératrice. Dans
Marie-Louise et Napoléon 1813-1814. Lettres inédites (p. 299), M. J.
Savant a combattu ces dires en relevant le silence sardé à ce sujet dans
les lettres de l'I~pératrice ; ce n'est .Fas concluant car il n'y est rien
dit quant à l'enlèvement du trésor qUI a cependant eu lieu En dehors
de quelques détails peu compatibles avec ce silence, l'essentiel de ' cet enlèvement du trésor, des diamants, etc. est imputé à Oudon non seule~nt
par les Mémoires de la générale Durand (d'authenticité au moins douteuse),
�ëoup de ses membres donnèrent une adhésion pius ou moins
sincère aux premiers actes du Sénat et plusieurs devancèrent
même celui-ci dans le ralliement 'aux Bourbons sans savoir
encore ce que serait le futur régime constitutionnel.
'.
.'
,":.
Or, même lorsqu'elle ne va pas jusqu'à une trahison active,
toute adhésion d'un fonctionnaire civil ou militaire au comité
présidé par Talleyrand, aux actes du Sénat ou à la royauté
constitue, à tout le moins jusqu'au 7 avril, une désertion ouverte en présence et au profit de l'ennemi. Malgré la défection
latente des maréchaux et de plusieurs généraux, l'ensemble de
l'armée française, méprisant les votes d'assemblées comme les
proclamations du gouvernement provisoire, reste fidèle au devoir,
soumis à 1a seule autorité de l'Empereur et prêt au combat.
Cette autorité subsiste dans presque tout le territoire national
non envahi. Elle est encore le seul pouvoir régulier et, qui
plus est, le seul réellement français. Le gouvernement provisoire accepté (pour des raisons d'ailleurs différentes) par le
faubourg Saint-Germain et par une partie de la bourgeoisie
parisienne n'en est pas moins, par son origine et son rôle, selon
l'expression de Caulaincourt, «le ministère des étrangers et
l'agence de l'armée ennemie ». Sans la protection de celle-ci
Il pourrait moins encore prendre le pouvoir à Paris que les
royalistes ne l'auraient pu à Bordeaux sans l'arrivée d'un corps
d'armée anglais. La seule apparence de base juridique qu'il
puisse invoquer, c'est l'acte qu'ont voté au plus soixante-trois
sénateurs sur cent-quarante. Or, même assemblé dans des conditions correctes et en réunissant le quorum constitutionnel, le
Sénat ne peut exercer d'initiative que pour ses affrures intérieures
ou pour émettre des déclarations relatives à une loi inconstitutionnelle ou à une mesure arbitraire d'un ' ministre. En dehors
de ces cas et des nominations qui lui incombent, il ne possède
le .pouvoir de prendre une décision que pour adopter ou rejeter
(sans les modifier) !es projets de sénatus-consulte présentés par
l'Empereur. A plus forte raison est-il sans aucune compétence
pour prononcer la déchéance du souverain régnant 00 de la
dynastie (80).
de Pasquier et de Caulaincourt (qui n'étaient pas à Orléans), mais encore
par ceux de Bausset arrivé dans cette ville te 12 Javril (3 me édition, II
p. 314) et de Savary qui s'y trouvait encore le I l (2 me édition pp. 173- 180)
et surtout dans une lettre adressée le 13 à Fain par Meneval, qui lccompagnait l'Impératrice, et publiée dans les Mémoires de Caulaincourt (III,
pp. 371-372 en note). Semallé affirme que, loin d'avoir intercepté le trés'Or
sur la route de Paris, son envoyé La Grange l'avait saisi à Orléans même,
en devançant Oudon (Mémoires, pp. 187-188), mais Semallé n'était pas
sur place et ses Mémoires, écrits entre 1848 et 1859, contiennent des
inexactitudes grossières.
(80) Dans un ouvrage (Napoléon et le Parlement) tendant à grandir
les assemblées politiques du Consulat et de l'Empire, M. François Piétri
lui-même reconnaît que les actes du Sénat, en avril 1814, étaient inconstitutionnels et émiiS c sur l'injonction directs de l'étranger lt (pp. 280, 294,
�.J
Sans valeur en droit (c~S!st-à..:dire en ' droit positif), ces actes
ne trouvent d'autorité morale ni dans la personnalité,si notoirement tarée, de leur instigateur Talleyrand, ni dans celles. de
leurs signataires, gens pour la plupart obscurs et qui, mJme en
leurs meilleures années, n'ont pu émerger de la médiocrité,
presque tous serviteurs plus que dociles de rEmpire . triomphant,
prébendiers avides qui vont montrer par rartic1e 6 de leur
projet constitutionnel (voté le 6 avril) jusqu'où peut aller j'inconscience dans les formes les plus sordides de régoisme.
En toute la nation, .il n'est pas un corps, fût-ce rarmée, qui
se doive à lui-même autant que le Conseil d'Etat de compter
pour moins que rien ces votes du Sénat ou du Corps législatif
et de rester jusqu'à la fin lié et fidèle au régime dans lequel
il a trouvé la véritable grandeur, celle qui tient à rœuvre accomplie, celle qui naît de reffort soutenu, de raction efficace et
féconde. Alors que, sauf très peu d'exceptions, les -meilleurs
éléments du Sénat représentent, au plus, des valeurs humaines
du passé, le Conseil d'Etat incarne, lui, la capacité actuelle, le
labeur de chaque jour, la .pensée agissante de l'Etat législateur
et administrateur. Pareille situation n'est-elle pas, pour tous
les membres de ce corps, la source oblisée d'une fierté ,qui,
plus que la reconnaissance éventuelle pour des avantages matériels ou honorifiques, leur/ impose, moins encore envers rEmpereur ou rEtat qu'envers eux-mêmes, des devoirs moraux
particuliers ?
"
.~ ..
.
Certes, en de telles circonstances, les hommes sont rarement
retenus par les serments prêtés car, pour presque tous leurs
auteurs, ceux-ci sont grevés d'une restriction mentale, consciente
ou ~on, d'un sic rebus stantibus qui prend le plus souvent le sens
particulier Donec eris felix... Mais si les membres du 'Conseil
d'Etat adoptent cette conception courante du serment politique
et même s'ils ne sont pas retenus par d~ convictions les attachant à rEmpire, par un sentiment élémentaire d'amour-propre
national ou par la conscience de leur devoir d'état, le souvenir
de ce que leur corps a été pendant tout le régime qui s'effondre
devrait, à tout le moins, les retenir de se rallier au pouvoir
nouveau avant la publication officielle de l'abdication impériale
et leur interdire de donner comme objet ou comme base à 1eur
327)' Cet auteur n'en prétend pas moins que, par ces mêmes actes,
Napoléon est " en droit et en fait, .. déposé... ", qu'il se résout à « courber
la tête devant un verdict » du Sénat et à (( subir son accablante sentence ».
(pp . 296-297). Or le 3 et même le 4 avril l'Empereur prescrit des mouvements de troupes pour attaquer l'ennemi à Paris bien qu'il ait pour
cela moins de la moitié des 14°.000 hommes que lui attribue M. Piétri.
C'est la résistance des maréchaux qui le fait abdiquer, le 4, en faveur
du roi de Rome, sans arrêter les préparatifs de combat ; c'est seulement le 6 avril, après la trahison de Marmont, qu'il se décide à une
abdication complète, rendue définitive le I l avril.
�adhésion les actes antérieurs du Sénat. Par' là ils s'honoreraient
eux-mêmes presque à l'égal des soldats demeurés fidèles aux
aigles vaincues.
Il n'en fut pas ainsi. Chez beaucoup (et encore qu'il faille
peut-être retenir aussi l'effet de la stupeur due à l'accélération
des événements) le souci de la place à garder, voire de l'avancement à obtenir, prima la fierté et tout scrupule d'ordre moral.
Un conseiller d'Etat assure toutefois dans ses Mém,oires que,
peu de temps auparavant, il se disait en pensant à la chute
probable de l'Empereur
(( N'importe! j'ai été pour Napoléon l'un des ouvriers de la
pre1nière heure ,. il me retrouvera, s'il le faut à la dernière,
et quelle que soit la destinée qui m'attend, il y a toujours
quelque gloire à tomber adossé à un colosse de cette taille. Il
Mais ce conseiller se nommait Beugnot et l'on vient de voir
comment il se tint parole. Parmi ceux de ses collègues qui
entrent m.oins vite dans la voie de la défe,ction et y vont
moins loin, plusieurs et probablement la plupart ne font que
se résigner à saluer de leur adhésion des événements qui les
.affligent. Mais un passé marqué par des discours et des actes
très révolutionnaires ou par d'abondants panégyriques de Napoléon (voire par ces deux traits successivement), n'est p.as toujours une entrave à la reconnaissance précipitée du pouvoir qui
s'élève; peut-être même est-ce pour certains une ' raison de se
hâter . A vrai dire, c'est en agissant autrement, c'est en n'aban~
donnant pas au plus vite l'homme et le régime trahis par la
fortune que beaucoup de sénateurs, de conseillers d'Etat, de
législateurs, de généraux ,de fonctionnaires se montreraient infidèles à tout leur passé. Pour une partie d'entre eux, du reste,
l'année 1814 ne marquera pas la fin de telles évolutions qui
ne se différencient guère que par le soin plus ou moins grand
apporté dans leurs formes.
A cet égard le Conseil d'Etat montre en avril 1814 plus de
réserve et de tenue que les autres corps officiels. Il n'empêche
que dès les premiers jours du mois les défections se succèdent
sous forme d'adhésions au gouvernement provisoire et aux actes
du Sénat (81).
Le premier à se précipiter dans cette voie est, semble-t-il,
l'un des très rares conseillers d'Etat notoirement tenus pour
manquer de probité, l'ancien préfet de police Dubois, jadis artisan très zélé de l'arbitraire que le Sénat vient de reprocher
(81) Les adresses de différents corps visés ci-après figurent au Moniteur ,
Les adhésions individuelles, dont plusieurs y furent aussi publiées, se
trouvent dans AF V J (Dossier Conseil d'Etat) sauf indication oontra.ire.
-
85
-
�à Napoléon. Il écrit dès le 2 avril à Talleyrand pour solliciter
un en.tretien et proposer ses services (82). Le lendemain le
directeur général des Mines Laumond exprime au prince de
Bénévent sa vénération, lui fait hommage du bonheur et de la
liberté que va retrouver la France « si longtemps opprimée et
malheureuse» et s'offre (après l'avoir déjà fait, dit-il, par l'intermédiaire de Dalberg) à rendre tous les services dont il est
capable, soit au Conseil d'Etat, soit dans l'administration.
Plusieurs corps proclament aussi leur dévouement au régime
en formation. Ce sont les tribunaux judiciaires qui prennent
les devants et dès le 3 avril la Cour de cassation donne l'exemple. Elle assure Nosseigneurs les membres du gouvernement
provisoire de sa soumission, elle rend grâce au Sénat d'avoir
détruit l'édifice du despotisme, elle évoque le sceptre antique... qui
pendant huit siècles a si glorieusement gouverné la France. Un
seul des signataires appartient au Conseil d'Etat : le maître des
requêtes Zangiacomi, ex-conventionnel de la Plaine. Mais parmi
l~s magistrats, absents le 3 avril, qui adhèrent le lendemain à
cette adresse figure le maître des requêtes Coffinhal-Dunoyer,
frère d'un des juges les plus expéditifs du tribunal révolutionnaire
de Paris. On trouve dans cette liste mieux encore : le procureur
général Merlin, conseiller d'Etat, toujours prêt à saluer et à
servir le pouvoir du jour et qui espère faire oublier par cet
empressement son vote dans le procès de Louis XVI, son rôle
dans la rédaction de la loi des suspects, dans les proscriptions de
fructidor an V, etc.
Le 5 avril, la cour impériale de Paris, exprime son respect et
son admiration envers « des princes augustes, modèles de désintéressement et de magnanimité» dont les efforts «ont enfift
délivré la France d'un ioug tyrannique» ; elle proclame « son
profond amour pour la noble race des rois ... » et elle « adhère
unanimement à la déchéance de Bonaparte et de sa famille » .
L'acte n'est signé que du premier président Séguier, maître des
r~quêtes mais qui fut toujours comme tel en service extraordinaire. Les deux présidents de chambre. qui sont maitres des
requêtes en service ordinaire adhèrent-ils à cette adresse ? On
peut le supposer pour Gilbert de Voisins, gui servit dans l'armée
de Condé et qui recevra le 21 avril une mission en Vendée, et
plus encore pour Nougarède de Fayet \(gendre du ministre Bigot
de . Préameneu) car il ne ménage pas les actes de ralliement.
(82) Je supplie Votre Altesse Sérénissime de daigner m'accorder un moment d'entretien pour que je .puisse lui exprimer me.s sentiments et lui
faire l'hommage de mon ardent désir de contribuer de tous mes moyens
au succès de la juste cause que Votre Altesse sérénissime a entrepris·e pour
assurer la tran~uillité et le bonheur de notre infortunée patrie.
« Activité, zele et probité ont toujours été ma devise, daignez Monseigneur, me procurer les moyens d'être utile et de vous prouver m'Jn inal ~
térable dévouement. »
86
-
�Etant membre du Corps législatif quand il devint maître des
requêtes en avril î 813, il a continué à figurer sur la liste des
députés et il adhère le 6 avril à la délibération qui a, trois
jours plus tôt, associé cette assemblée aux actes du Sénat. Il
est aussi un des législateurs qui, le 7 avril, félicitent le Sénat
pour son projet de constitution. La veille, il a signé, ainsi que
le conseiller d'Etat De1amaJle et le maître des requêtes Cuvier,
l'adresse dans laquelle le conseil de l'Université exprime sa vive
reconnaissance au gouvernement provisoire, « son admiration aux
souver ains alliés qui viennent d'acquérir une gloire unique dans
l'bistoire des nations» et « l'hommage de sôn amour et de sa
fidélité au descendant de Saint Louis, de François 1er et
d'Henri IV».
Le 6 avril également, le Conseil des prises unanime adhère
aux actes du Sénat et du Gouvernement provisoire relatifs à
la déchéance de Napoléon Bonaparte et aux bases de la grande
cbarte constitutionnelle ». La première signature est celle du
président, le conseiller d'Etat Berlier, ancien conventionnel votant,
qui avait morltré plus d'indépendance d'esprit lors des transformations constitutionnelles de l'an X et de l'an XII. Peut--ê tre
était-ce alors moins compromettant, à ses yeux, qu'en avril 1814.
«
D'autres membres du Conseil donnent dès les premiers jours
d'avril une adhésion tacite en conservant sous l'autQ.r.ité des
nouveaux ministres provisoires leurs fonctions à la tête d'un
service administratif. Parmi eux se trouvent à tout le moins
d'Hauterive et La Besnardière (fidèles de Talleyrand), Français,
Bergon et Duchâtel demeurés en fonctions dans leurs directions
générales respectives (83). On peut y ajouter les maîtres des
requêtes Allent, qui reste chef d'état-major de la garde nationale
parisienne, et de Laborde-Méréville, l'un des signataires de
l'adresse dans laquelle cette milice bourgeoise déclare qu'un
peuple magnanime va recouvrer les _droits que le despotisme
n'avait pu lui faire oublier. Peut-être est-il émis en outre quelques
adhésions individuelles exprimées dans des écrits qui n'ont 'pas
été conservés.
Dubois se fait agent recruteur parmi ses coIIègues. Il écrit le
5 avril à Dalberg qu'il en a vu « une grande partie» et que
(83) Le poste élevé conféré le mois suivant à Bérenger permet de supposer qu'il fut aussi de ces adhérents tacites. Plusieurs d'entre eux se
montraient d'ailleurs encore assez réservés. C'est seulement le 10 avnl que
Duchâtel avise le gouvernement provisoire qu'à la direction de 'l'Enregistrement les fonctionnaires ont repris leur service le .. et adhèrent au
changement de régime. A en croire Français, ceux oe la Direction des
Droits réunis sont venus, dès le jour où ils ':lnt connu l'acte de déchéance
(publié le 3 avril), lui apporter leur adhésion « à cette grande mesure
qui a sauvé la France lt. M.us il n'en fait part au gouvernement provisoire que le 12 avril.
�tous ceux-là «. adhèrent d'intention et de cœur à tous les actes
du Sénat 'et du gouvernement provisoire ~. Ils prétendent l'avoir
déjà manifesté par écrit à titre individuel et s'ils ne font pas
d'adhésion publique et collective c'est « parce que le Conseil
d'Btat n'est pas un corps délibérant, mais un simple corps
consultant ou avisant» qui « appartient au gouvernement tel
qu'il soit ». Dubois propose de le remettre en activité et pense
que les projets de décret ou d'arrêté qui vont devenir nécessaires lui seront soumis comme ils l'étaient sous le régime impérial. Il ajoute que l'expédition de plusieurs projets actuellement pendants à la section de l'Intérieur, notamment sur l'approvisionnement des boulangers d'Orléans et du Mans, hâterait
la marche de l'administration (84).
Le gouvernement provisoire suppose peut-être chez l'ensemble des conseillers d'Etat plus de fidélité envers l'Empire qu'ils
ne vont en montrer. C'est seulement le 6 avril que (sur la demande de Pasquier, selon celui-ci) le gouvernement provisoire
s'occupe officiellement de ce corps et prend la décision suivante,
insérée le lendemain au Moniteur :
« Le Gouvernement provisoire fait connaître au secrétairegénéral du Conseil d'Etat, que ce Conseil ait à reprendre ses
fonctions ; qu'il attende sa convocation ; et que le prince archichancelier étant absent, il sera présidé par le prince architrésorier.
« Le travail dont les différentes sections se trouvent chargées ne doit souffrir aucune interruption.
« Le Gouvernement provisoire verra avec une grande satisfaction que des hommes aussi éclairés, et qui, dans toutes les
circonstances ont donné des preuves si parfaites de leur amour
pour la patrie, continuent à concourir par leurs lumières aux
changements politiques que la force des choses a nécessités.
(84) « ••• C'est donc au gouvernement provlso1re à nous convoquer, nou.~
lui appartenons comme nous appartenions aux autres gouvernements qui
l'ont précédé, et sans doute le gouvernement prlOvis'o ire ne tardera pas."
d'avoir à rendre des décrets ou des arrêtés qui sur la propositi.on des
commissaires qui remplacent les ministres seront renvoyés au Conseil d'Etat
(telle ou telle section) alors le plus ancien de chaque section c·omme président par intérim, jusqu'à ce que le gouvernement provisoire ait nommé
des présidents de seçtion, réunira la sienne, nommera un rapporteur et l'affaire sera délibérée au Conseil d'Etat en la forme ordinaire.
«Il nous semble que cette marche, si elle était suivi,e, serait la plus
.
régulière, prouverait l'union intime de tous les oorps de l'Etat 'et que
nous ne sommes pas en révoluti\>n, puisque t'ous les rouages marcheraient
comme auparavant et comme ils ont marché Lorsque nlOUS avons passé du
gouvernement consulaire au gouvernement impérial. "
Dans cette lettre Dubois se déclare « présiderzt par intérim la section
de l'Intérieur ". Il escomptait sans doute la succession définitive de Regnaud
absent.
-
-
88 .--
�« Le secrétaire général du Conseil d'Etat est invité à communiquer la présente disposition à tous les membres du -Conseil
d'Etat. »
L'invitation à reprendre les fonctions est pratiquement annulée pour l'assemblée plénière par la nécessité d'une convocation
et ne peut donc produire effet que pour les sections. Il ne semble pas qu'elles se soient réunies avant le 11 avril. La question
d'une prise de position collective ne se pose donc _ pas encore
pour le Conseil -d'Etat.
Cependant les adhésions individuelles et les adresses des
corps judiciaires et autres publiés par le Moniteur produisent effet
sur les caractères faibles et portés à l'imitation. D'autre part
les événements se précipitent. Depuis que, le 4 avril, la trahison
de Marmont lui a enlevé un corps d'armée, la cause de l'Empereur semble définitivement perdue et une abdication totale parait
prochaine. Dans les milieux officiels de Paris on doit savoir
depuis le . 7 avril, ne fût-ce que par les .. .indiscrétions de Ney,
qu'elle a été signée la veille. Si sa remise est encore ajournée,
ce n'est qu'en raison des conditions que veut y mettre l'Empereur
et au sujet desquelles des pourparlers se poursuivent avec les
-souverains étrangers. Cependant, jusqu'au 11 avril, l'abdication
n'a encore aucune exis-tence officielle car l'acte non daté se trouve
entre les mains de Caulaincourt, qui ne doit le remettre que lorsque le traité auquel il est subordonné aura été signé. Mais, au
sein du Conseil d'Etat comme ailleurs, bien des hommes craignent qu'un trop long retard dans le ralliement ne compromette
leurs chances de conserver une place dans le régime qui riaît (85).
Le 7 avril le secrétaire général Locré, qui, le 20 janvier
précédent, sollicitait une gratification de l'Empereur, juge devoir
montrer du zèle sans attendre davantage ; il réunit aux Tuileries les chefs et sous-chefs de ses bureaux. Tous adhèrent à
l'acte constitutionnel voté par le Sénat, ils manifesten-t même
le désir de jurer fidélité au nouveau roi (qui, selon cet acte,
n'est pas encore reconnu tel) et Locré reçoit le serment de ces
scribes si empressés auxquels se joint, comme bibliothécaire du
Conseil d'Etat, Barbier qui est aussi le bibliothécaire de Napoléon. Le même jour, 7 avril, le maître des requêtes Pelet, non
content de s'engager lui-même, se porte garant pour son père le
conseiller d'Etat, alors commissaire extraordinaire dans le Midi.
Le 9 avril, en arrivant à Paris, le maître des requêtes de Fréville
écrit à Talleyrand « sans attendre l'acte d'adhésion qui ématlera
(85) Dès le 8 au plus tard, du reste, Napoléon considère l'Empire oomme
terminé car il écrit, ce jour, à Marie-Louise que les ministres et tes
conseillers d'Etat qui ont suivi la Régence peuvent retourner à Paris.
(Marie-Louise et Napoléon, 1813-1814. Lettres inédites, p. 199)'
�du Conseil d'Etat,. pour adhérer personnellement aux actes -du
gouvernement provisoire.
Le 9 avril un arrêté décide qu'il sera pourvu au remplacement
des directeurs généraux absents et que « les ministres, membres
du Conseil d'Etat et autres fonctionnaires qui ont suivi l'ancien
Gouvernement ne pourront reprendre leur service que d'après
un acte spécial du Gouvernement provisoire ,., disposition dont
seront exceptés le 29 avril les magistrats judiciaires. Une menace
voilée vient ainsi s'ajouter vis-à-vis des absents aux compliments
contenus dans la décision du 6 avril (86). Même avant de connaître cet arrêté, plusieurs des intéressés envoient leur adhésion.
En effet, le 8 avril, l'arrivée à Blois d'un aide de camp du
tzar chargé d'entraîner l'Impératrice à Orléans est le signal
de la dissolution pratique de la Régence, même avant que MarieLouise ait reçu (sans doute le 10) la lettre de l'Empereur lui
prescrivant de prendre cette mesure. Soit de Blois même, soit
d'Orléans, presque tous ceux des conseillers d'Etat qui sont venus
jusque là reprennent le chemin de Paris ; plusieurs, craignant
d'arriver trop tard, se font précéder d'une lettre à Talleyrand (87). Dès le 7 avril 1'archichancelier Cambacérès, second
personnage de l'Etat depuis quatorze ans, a envoyé de Blois son
adhésion à « tous les actes faits par le Sénat depuis le 1er avril
courant ,.. Le surlendemain il la renouvelle et demande à Talleyrand une ~udience et « quelques directions ,..
-
.
Le 10 avril les conseillers d'Etat Jaubert et Muraire et .le
maître des requêtes Favard de Langlade, qui viennent de rentrer
à Paris, expriment leur ralliement au gouvernement provisoire (88). Il en est de même du maître des requêtes de Castellane,
(86) Madame de Chastenay affirme cependant, mais sans fournir de
date, que la comtesse Réal l'ayant priée d'aller, au sujet de son mari,
voir Henrion de Pansey, celui-ci « un excellent vieillard, étourdi comme un
jeune homme ~, lui dit : « Qu'il revienne, qu'il se trouve ici aprèsdemain. Le Conseil d'Etat se.ra assemblé, il 'Y prendra sa place et tout
sera dit ~ . Mais Réal serait revenu trop tard. (Mme de CHASTENAY,
Mémoires, II, p. 342).
(87) Miot fut envoyé à Paris par le roi J10seph pour sauvegarder autant
qu'il serait possible les intérêts de celui-ci. Arrivé le 8 -avril, il n~ put
obtenir d'être reçu le lendemain par Talleyrand et ne le fut pas trop
bien par Jaucourt, naguère son ami et chambellan de l'ex-roi d'Espagne
(MIOT. Mémoires Ire édition, III, pp. 366-369)' Il ne paraît pas avoir donné
alors, du moins par écrit, son adhésion individuelle.
(88) Muraire s'associe à l'adresse de la Cour de cassltion; adhère pleinement aux actes du Sénat et du gouvernement provisoire et ajoute &~n
hommage pour le petit-fils d'Henri IV et de Saint-Louis. Le 25 décembre 1812 il assurait l'Empereur que les magistrats de la Cour de
cassation donneraient « constamment le plus ferme exempIe d'un dév'ouement absolu à votre personne, d'un attachement inviolable à v10tre dynastie et d'une ' invariable fidélité aux devoirs... etc. lO (Moniteur du 26
�qui n'appartint jamais au service ordinaire du Conseil et se
trouve en disgrâce, sans emploi, depuis 1810. Duchâtel communique l'adhésion des fonctionnaires de sa direction générale ainsi
que leurs vœux pour l'auguste chef de la maison de Bourbon.
Réal écrit d'Orléans à Tàlleyrand avant de se mettre en route
pour Paris (89).
Le 11 avril c'est le tour des présidents de section Defermon
et Boulay qui viennent d'arriver, de Jollivet, des conseillers en
service extraordinaire Gau et Dauchy, celui-ci sans emploi depuis
1811 (90). Le général Dulauloy écrit le 9 avril, de Fontainebleau,
qu'il rentrera au Conseil d'Etat dès que son devoir militaire
le lui permettra ; le 11 avril, de Paris, il adhère au nouveau
régime en déclarant parler au nom des officiers de l'artillerie
de la Garde (91). Le même jour, 11 avril, le conseiller d'Etat
Maret et le maître des requêtes de la Bouillerie envoient leur
adhésion d'Orléans. Lacuée, comte de Cessac, adhère de Bourges,
sans doute le 10 ou le 11 avril, « à toutes les mesures prises
par le Sénat et le gouvernement provisoire depuis le 31 mars »
et de Vierzon, le 12 avril, à l'acte constitutionnel. Quant à Regnaud, chargé à Blois, le 7, par Marie-Louise, d'une mission
auprès 'de l'Empereur d'Autriche (alors à Lyon), il écrit le 11,
-de Clermont-Ferrand, à Talleyrand qu'il adhère « à toutes les
mesures, ~ tous les actes par lesquels le Sénat et le gouvernement ont préparé la régénération et le repos de la France» (92).
décembre 1812). En 1813 Napoléon avait décidé de consacrer au moins
200. 000 francs
à " tirer d'embarras.. Muraire lourdement endetté et
exposé à des poursuites de ses créanciers. (LECESTRE, II, pp. 274 et 298).
Quant à Jaubert, jadis lui aussi courtisan très empressé de N'lpoléon,
il se dit si impatient d'offrir l'hommage de son respect, de son dévouement
et de son admiration à Talleyrand qu'il supplie celui-ci de l'autoriser à
se présenter en habit de voyage.
(89) Réal déclare que les événements ont été connus à Blois le 8 avril
seulement ; arrivé le 9 au soir à Orléans, il a lu dans le MonifAeur de la
veille l'acte constitutionnel décrété par le Sénat et auquel il donne s,on
adhésion bien sincère. Arrivé à Paris, il renouvelle le 12, par un,e lett!'~
à Talleyrand, sa pleine adhésion à
tous les actes laits par le Sénat
depuis le 1 er avril courant, ainsi qu'aux dispositid(Js qui sont la suite de
ces actes et à l'tzete constitutionnel qui les consolide H.
(90) Defermon : « Je prie Votre Altesse sérénissime de recevoir, comme
président du Gouvernement provisoire, mon adhésion pleine et entière à
ses arrêtés et aux actes et décrets du , Sénat et l'assunnoe de mon zèle
et de mon dévouement à exécuter les ordres du gouvernement pl'ovisoire ,.,
Boulay : « J'arrive à l'instant même à Paris et je m'empresse de pré~
venir Votre Altesse que je donne une pleine adhésion aux actes du Sénat
et du gouvernement provisoire ".
(91) La première lettre de Dulauloy est dans AF V 3, son adh-ésion
dans AF V 4 (Dossier guerre). Le maître des requêtes Janet envoie lu~si
son adhésion le I I avril mais il s'éL\Ït déjà, comme il ne manque pas de
te rappeler, mis dès les premiers jours au servke du gouvernement provisoire.
(92) Regnaud expose qu'il est arrivé le jour même à C1ermont~Perrand :
« L'effervescence qui y régnait, l'incertitude si les troupes autrichiennes
aux prises avec les troupes françaises près de la ville nc senient pas
/1
-
91
�D'anciens conseillers d'Etat se rallient aussi, même en dehors
de Dessolles, de Marmont et des sénateurs cités plus haut. Jourdan, commandant à R.ouen, le fait le 8 avril et, sans doute induit
en erreur, annonce le même jour à ses troupes l'abdication de
« l'empereur Napoléon}) qui n'est pas encore officielle. Parmi les
ministres en exercice provenant du Conseil d'Etat, Bigot de
Préameneu envoie son adhésion le 10 avril au matin, Mollien
et Molé le 11 avril (93). Mais l'ancien grand-juge Regnier, duc
de Massa, les a devancés tous. A partir du 7 avril, à peine rentré
à Paris, il écrit (ou les siens lui font écrire) quatre fois en
cinq jours à Talleyrand pour solliciter d'être encore considéré
comme président du Corps législatif et pour adhérer «à la
déchéance prononcée contre Bonaparte et sa famille », puis à
l'acte constitutionnel. Triste fin pour un des hommes les plus
comblés par Napoléon et bassesse combien gratuite chez un
vieillard qui n'a plus trois mois à vivre ! (94).
Ainsi, avant que l'abdication impériale soit consommée et ·
rendue publique de façon officielle, la plupart 'des conseillers
d'Etat se sont déjà tournés, avec un empressement :plus ou moins
marqué et plus ou moins sincère, vers le pouvoir naissant,
aussi bien Merlin, Berlier, Boulay, Réal que les anciens feuillants
ou réacteurs et que les fonctionnaires sans antécédents politi-
dans peu d'heures sous ses murs m'a fait attendre à demain pour osny,er
de remplir ma mission.
« J'espère que Votre Altesse et le gouvernement jugeront favorablement
des motifs ou plutôt des sentiments qui me l'ont fait accepter.
« J'ai appris par mon beau-frère resté chez moi à Paris que j':lvais
été convoqué pour le Conseil d'Etat. Je me rendrai à Paris pour y assister
aussitôt qu'il me sera possible, et je prie Votl'e Altesse de recevoir d'avanc,e
mon adhésion à toutes les mesures... etc. »
Le lendemain, craignant que cette première lettre ne soit égarée; Regnaud
écrit à nouveau pour exposer sa situation et adhérer « aux actes par
lesquels le Sénat et le Gouvernement provisoire ont assuré la paix de
la France et prévenu les malheurs dont elle était menacée ...
(93) Bigot de Préaineneu supplie Talleyrand de daigner âgréer l'hommage de son profond respect, de sa pleine et entière adhési·on et de s'on
dévouement au nouveau gouvernement ; il est prêt à donner tf.>utes les
instructions et à rendre tous les comptes relatifs au ministère des CultJ;:s
et il demande des ordres · à ce sujet. (AF V 3. Intérieur). Molé « adhére pleinement et entièrement aux actes par lesguels le Sémlt vient . de
relever le thrône ·de Louis XIV" d'Henri IV et de St Louis .. (AF V 3.
Justice). Il renouvelle son adhésion le 12. Mollien envoie d'Evreux son
If
serment d'obéissance et de soumission à notre Roi légitime Louis DixHuit et à l'auguste maison Royale de France rétablie dans ses droits ".
Il voit dans la constitution votée par le Sénat ... le véritable terme des
révolutions et conséquemtnl!flt le plus grand bienfait que puissetzt recevoir la
Fra.nce et le monde ". (AF V 4. Finances).
(94) Moniteur des 9 et I I avril. La lettre du I I avril demande que
l'adhésion · donnée la veille à la constitution soit publiée au Moniteur. Ces
adhésions rapides et réitérées ne procurèrent pas à leur auteur la bienveillance de la royauté restaurée. Le duc 'd e Massa mourut le 24. juin
181" san~ avoir été nommé pair de France.
92
-
�ques. Pour la plupart des autres on ne saÎt s'il s'agit d'un retard
involontaire (95).
La démarche collective a lieu le 11 avril au matin. Une adhésion commune est alors signée par une partie des membres du
Conseil d'Etat, dont plusieurs se sont déjà ralliés avant cé jour :
« Les conseillers d'Etat, maîtres des requêtes et auditeurs
soussignés, rassemblés dans leurs sections respectives, conformément à la lettre du gouvernement provisoire du 6 de ce' mois,
pour préparer l'expédition des affaires dont elles sont chargées,
ont cru devoir, avant de reprendre leur travail, profiter du premier moment de leur réunion pour manifester au Gouvernement
provisoire leur reconnaissance de ses dispositions et de sa confiance envers le Conseil d'Etat, et pour déclarer qu'ils adhèrei'lt
à tous les actes du Sénat et du Gouverrnement provisoire et au
rétablissement · de la . dynastie de nos anciens souverains, conformément â la charte constitutionnelle du 6 de ce mois.
(( Fait à Paris, au palais des Tuileries, le 11 avril 1814 Il .
Ont signé cet acte:
_ Les conseillers d'Etat Boulay (président de la section . de
l'Intérieur), Qtto (ministre d'Etat, président 'de l'office des Relations extérieures), Najac (président par intérim de la section de
la Marine), Dubois (qui prend la même qualité pour la section
de l'Intérieur), Bégouen, Berlier, Costaz, Delamalle, Faure, de
Gerando, Giunti, Laumond, Mannay (évêque de Trêves), Merlin,
A1.iot, Muraire, Quinette ;
.
Les maîtres des requêtes d'Alphonse, de Castellane, Champy,
Colfinhal-Dunoyer, Cuvier, Favard de Langlade, Gasson, Gilbert
de Voisins, Jaubert, Maillard, Nougarède de Fayet, Pelet de la
Lozère fils, Redon fils, Vischer de Celles, Zangiacomi (96) .
. Enfin onze auditeurs dont le futur Stendhal.
Si cet acte est véridique, il en résulte que le Conseil d'Etat
n'a pas été convoqué en assemblée générale et que les sections
se réunissent pour la première fois depuis la fin de mars. Ceci
(95) Il ne fut inséré au Moniteur qu'une partie de ces adhésions, d'après
un choix plutôt capricieux qui fit publier, par exemple, celles de Boulay,
de Muraire, de Jaubert, voire de Gau et de Dauchy, mais non celles .de
Defermon, de Regnaud, de Lacuée, de Réal, etc.
(96) AF V 3. Les signatures se suivent sur l'acte un peu au hasard,
celles des maîtres des requêtes se mêlant à belles des conseillers d'Etat.
Le .Moniteur du 12 avril altère le.. noms : il remplace DeÙlmalle par
Desausalle et Giunti par Cirent. On remarquera la signature de Vischer de
Celles, si zélé quelques mois plus tôt pour le service de l'Empereur maÏ$
gendre du sénateur Valence et désireux de demeurer Français malsré Il
perte de la Belgique, son pays. Il écrivit le 16 avril à Talleyrand en
vue de l'obtenir mais sans succès.
�éxplÎque d'ailleurs que ne figurent point parmi tes signataires
plusieurs conseillers et maîtres des requêtes qui se sont déjà
ralliés au gouverneme~t provisoire mais remplissent une fonction
administrative individuelle et n'appartiennen't pas aux sections
ni même, pour quelques-uns, au service ordinaire. Mais Laumond
et Quinette qui se trouvent normalement hors section, et , surtout
les maîtres des requêtes en service extraordinaire Maillard et de
Castellane n'ont dû venir aux TUileries (surtoUt le dernier)
que pour signer l'adhésion collective du Conseil d'Etat. Il a
donc sans doute été question de cette démarche entre membres
du Conseil mais tous ceux qui assistent' à cette réunion n'en sont
pas forcément avertis. Quant aux membres des sections qui ne
signent pas cet acte et n'ont pas encore envoyé leur adhésion
individuelle, leur absence n'implique pas un refus de ralliement.
Plusieurs ne sont pas encore rentrés à Paris ou n'ont pas reçu
de convocation, d'autres peuverit avoir été empêchés. En effet,
le jour même, Corvetto et Bartolucci écrivent à Talleyrand ,
qu'ils n'ont pas pris part « à 1'acte d'adhésion fait ce matin par
plusieurs membres du Conseil d'Etat» mais qu'ils adhèrent aux
actes officiels accomplis depuis le 1er avril (97).
"
:' 1
De même que la plupart des adhésions antérieures émanant
de membres du Conseil à titre individuel, la déclaration collective
ne contient aucune parole injurieuse, aucune attaque contre
Napoléon et le régime impérial. Ceci n'est pas commun parmi les
écrits de ce genre. On n'y trouve pas davantage les adulations
exprimées aux souverains étrangers par plusieurs autres corps,
notamment par la cour d'appel de Paris et par le conseil de
l'Université. L'abdication de l'Empereur ne doit être remise
que le 11 avril au soir et publiée que le lendemain, mais sa
réalité ne fait plus de doute pour les membres du Conseil
d~Etat qui signent la déclaration le 11 avril au matin (98). Même
s'ils ne jugent pas plus digne de la différer d'un jour, ils
s'honoreraient en ne la faisant pas ,porter expressément sur tous
les actes du Sénat et du gouvernement provisoire. Mais on sait
que beaucoup ont déjà employé individuellement 'des forlTIules
de ce genre.
Le 12 et le 13 avril, la liste des partIcIpants à l'adhésion
collective du Conseil s'accroît des maîtres des requêtes Bruyère,
(97) Leur collègue Appélius qui va, comme eux, cesser d'être Français,
écrit le I l avril à Talleyrand pour donner sa démission. Gogel (lui aussi
Hollandais), parti le 30 mars de Paris, avait annoncé son ret,o ur à Talleyrand
en apprenant le vote sénatorial de 'déchéance. Il ne paraît pas avoir donné
son adh~sion et il envoya peu après sa démission au oomte ' d'Artois.
(98) Selon Miot (Mémoires, Ire édition, III, p. 371) les membres du
Conseil se r~unirent " lorsque l'abdication de l'Empereur en date du I l avril
fut connue ... Dégagés par cette .abdication des serments qu'ils avaient prêtés,
ils donnèrent leur adhésion aux changements qui yen aient de s'opérer ".
En r~alité ils ne pouvaient encore connaître qu'officieusement la ,l'emise très
prochaine de l'acte d'abdication.
-
94-
�Félix, de Bruyn, Janet, Oudon. Ces deux derniers së sont ralliés
beaucoup plus tôt et de façon active au gouvernement provisoire.
A cette liste s'ajoutent aussi, pendant ces deux jours, soixante
auditeurs. Ceux-ci ont du reste été devancés à titre individuel
par plusieurs de leurs collègues, même en dehors de ceux qui
ont signé le 11 avril la déclaration. Pcrrégaux prônait la restauration des Bourbons dès avant le 1 er avril (99). Rœderer fil s,
rentré à Paris le 10 ou le 11 avril, propose de se rendre à
Strasbourg, où son père est commissaire extraordinaire « afin
d'assurer la reddition de cette place » . Mais Talleyrand décline
son concours (100).
Le général de Pommereul, conseiller d'Etat, donne son adhésion le 12 avril en arrivant à Paris. Plusieurs anciens conseillers
font de même : le ministre Collin de Sussy le 13, à son retour ;
le ministre d'Etat Champagny le 12, d'Orléans; Moreau de
Saint~ Méry le 12 aussi, « comme conseiller d'Etat » (bien qu'il
:lit cessé en 1810 de figurer même sur la liste du service extraordinaire), et les sénateurs retardataires à des dates diverses.
Les maîtres des requêtes Hel voët, Préval, d'Hastrel, Nogaret,
Merlet '(dont les deux premiers ont seuls figuré au service ordi-naire) adhèrent également au nouveau régime. Ces retards ne
résultent sans doute pas tous de scrupules tenant à ce que l'Empereur n'a pas encore abdiqué. Mais telle peut être la raison de
quelques-uns ; du moins Lavallette et les maîtres des requêtes
de Las Cases, Fain, Lelorgne d'Ideville, qui envoient leur adhésion les 12 et 13 avril, sont sans doute dans ce cas (101).
Les membres du Conseil qui remplissaient loin de Paris une
fonction stable ou une mission temporaire adoptèrent en général,
(99) Selon Marmont, dès la fin de février 1814, son beau-frère Perrégaux,
auditeur et chambellan, • s'exprimait très haut sur la nécessité de se débarrasser de Napoléon ... Il parlait du retour des Bourbons comme du Hlut
de la France " (MARMONT. Mémoires, VI, pp. 2°.3-2°4). Si c'est exact
il est probable que Perrégaux parlait dans le même sens à son belu:père
Macdonald. Le comte de Montbel (Ménroires, p. 107) dit tenir de Marmont
que celui-ci fut poussé par Perrégaux et Laffitte à prendl'e parti pour
le gouvernement provisoire.
(100) Rœderer fils avait quitt.é Paris pour Alençon le 30 mars (ave.c
la permission de Montalivet, dit-il) et il regagna la capitale quand il apprlt
ce qui s'y passait (Derniers combats dlns la Revue hebdomadaire du
24 juillet 1909 p. 439)' L'auditeur Sers s'employa dès les premiers jours
auprès du gouvernement provisoire à un travail de bureau. Un autre souspréfet chassé de son poste par l'invasion, l'auditeur J'Jly de Fleury, adhén
dès le 6 aVril « aux actes du Sénat et du Gouvernement provisoire relatifs
d la déchéance de Napoléon BUOtUlparte II .
e101)
Lavallette envoya le Il ;\Vril à Talleyrand la lettre suivante :
Monseigneur, j'ai l'honneur d'adresser à Votre Altesse sérénissime
mon adhésion à tous les actes du gouvernement pfiovisoire. Je suis.. . etc. "
. Las Cases dit plus tard à Napoléon qu'après avoir tenté en vain de
le rejoindre à Fontainebleau il refusa de signer l'adhésion collective du
«
-
9S
�plus ou moins rapidement, ta même atdtude que ieurs collègues
restés ou revenus à Paris. Les dates ne sont 'pas concluantes car
les nouvelles leur parvinrent avec des retards variables, souvent
imprécises, contradictoires ou inexactes. Plusieurs recevaient même des instructions et du gouvernement provisoire eO
t de la
Régence (102).
~.
Le vice-amiral Ganteaume, grand officier de l'Empire et président de la section de la Marine, se trouvait en qualité de commissaire extraordinaire dans sa Provence natale. Selon Thibaudeau,
comme il passait en revue, le 14 avril au matin, la garde nationale de Marseille, il s'avisa, pour la satisfaire, de lui promettre
l'abolition des Droits réunis. Dans l'après-midi on apprit l'occupation de Paris, les actes du Sénat et du gouvernement provisoire.
Aussitôt l'émeute fut maîtresse de la ville sans rencontrer de
résistance et se rua vers la préfecture, acclamant les Bourbons,
menaçant Thibaudeau et lui criant :« Viens donc taire de la
conscription!». Ganteaume aurait acclamé la royauté à la première sommation (103). Ce qui est certain c'est qu'il céda très vite
I l avril (Mémorial de Sainte-Hélène 21-22 novembre 1815. Edition critique, 1 p. 257). Il écrivit le 12 avril à Talleyrand :
" Membre du Conseil d'Etat et chambellan de l'Empereur Napoléon.
j'en ai rempli tous les devoirs dans mon âme et conscience ; redevenu
aujourd'hui maître de moi-même, .,je dépose aux .pieds du r>oi, oomme
garantie la plus sûre de mon dévouement et de ma fidélité futurs mon dévouement et ma fidélité passés. »
Fain, Lelorgne d'Ideville et l'auditeur Jouanne, qui servaient au cabinet
de l'Empereur, envoyèrent le 13 avril une lettre collective de Fontainebleau
où ils étaient " retenus par le seul désir de finir honorablement I,e service
que nous avons fait jusqu'à ce jour ». Pour q'ue leur absence ne fût
pas l'objet d'une « interprétation ,défavorable ", ils exprimaient leur ldhésion pleine et entière, leur soumission au gouvernement et leur fidélité au
Roi.
{102) Peut-être plusieurs d'entre eux crurent-ils prématurément à l'abdication de l'Empereur. De même qu'on a vu Jourdan l'annoncer à Rlouen
dès le 8 .avril par un ordre du jour aux troupes, l' luditeur Galéazzini, e,.:>mmiss aire spécial de police dans cette ville, envoyait le même jour son
adhésion en ,disant que ." le Sénat et le Corps législatif ont déclaré la
déchéance de Napoléon Bonaparte qui a abdiqué ».
(103) THIBAUDEAU. Mémoires, pp. 386-387.
" L'amiral voulut leur parler, ils l'interrompirent brusquement, lui
portant le poing au visage, et lui crièrent : Trou de Diou. Crida vive km
ré ! L'amiral ne se le fit pa., dire deux fais ; il cria et ils défilèrent.
En revenant auprès de nous, il en était encore pâle et tremblant de colère :
" Ces b... là, dit-il, ont les yeux bors tk la têAe ; ils n'ant rien voulu.
entendre et m'ont forcé de crier: Vive le Roi! Si je n'avais pas dit
comme eux, je ne sais pa,s ce qu'ils m'aurai!ent fait. JI
Quinze mois plus tard, dans cette même ville, une négre'Sse, servante
d'Egyptiens que la populace venait de massacrer, se fit percer d'un coup
de 'baïonnette et noyer dans le vieux port en réponda~(: « -V ive l'Empereur ! » à la sommation qui avait .,i rapidement persuadé l'amiral Ganteaume.
Pour les événements du 14 mars 1814 voir THIBAUDEAU. Mémoires,
pp. 382-392 et GAFFAREL. La première Restaur(lUon à Marseille (dlns
les Annales des FlWultés de Droit et des Lettres d'Aix. 1905) .
0
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0
.....; 96 -
�aux événements. Ii envoya ie 16 avril son adhésion « entÛre et
absolue» à la constitution votée par le Sénat et il aurait même
fait arborer le drapeau blanc sur les édifices publics et les navires dès le 1 5 avril, alors qu'il ne pouvait encore connaître les
décisions prises à Paris sur cette question du drapeau.
Thibaudeau était détesté par tous les royalistes et surtout
par la plèbe de Marseille. Ce n'était pas seulement en raison de
son vote dans le procès de Louis XVI. Selon un historien marseillais «dans une ville où l'indiscipline, les complaisances, le
laisser-aller, f-ont partie des plus fortes traditions locales, son
rigorisme et son exactitude devaient singulièrement déplaire » (104). Le préfet donna, dit-il, sa démission à Ganteaume
aussitôt après l'arrivée des nouvelles de Paris, le 14 avril, mais il
ne put quitter la préfecture assaillie par l'émeute qu'à la faveur
d'une diversion. L'amiral lui enjoignit, pour sa propre sûreté,
de s'éloigner de Marseille. Thibaudeau sortit de la ville déguisé, pendant la nuit suivante, avec son fils et deux compagnons;
il put, non sans peine, franchir le Rhône le 16 avril et gagner
ensuite Paris.
_ Le conseiller d'Etat CaJfarelli, commissaire extraordinaire à
Toulouse, s'y était montré 'd 'une extrême faiblesse vis-à-vis des
royalistes même militants, mais ce n'était sans doute pas là
complicité voulue. Le 13 avril, bien qu'il connût la formation
d'un gouvernement dissident à Paris, il se considérait encore
comme le représentant de l'Empereur car il adressait ce jour-là,
de Carcassonne, un rapport 'à Montalivet qu'il croyait toujours
à Blois. Je n'ai pas trouvé trace d'une adhésion donnée alors par
lui au changement de régime. 'Pelet de la Lozère, qui envoyait
lui aussi ·le 13 avril, de Montpellier, une lettre au ministre de
l'Empereur, écrivit le surlendemain à Talleyrand pour adresser
au roi légitime son hommage de respect, de fidélité et 'd'obéissance et adhérer au grand ouvrage entrepris par le gouvernement
provisoire pour le bonheur des Français.
,1
Le maître des requêtes Portal, en mission dans le Sud-Ouest,
envoya de Loches son adhési9n au gouvernement provisoire le 14
(104) P. MASSON. Marseille et Napoléon dans les Annales de la
Faculté des Lettres d'Aix, t. XI, p. 73.
En 1813 Thibaudeau avait désigné d'office pour être gardes d'honneur (en les présentant comme des volontaires qui s'étaient empressés de
se faire inscrire) des jeunes gens de la noblesse dont plusieurs avaient dépassé l'âge fixé. Un autre, de trop petite taille et partiellement infirll!e,
que le préfet avait maintenu malgré les démarches répétées de sa famille,
fut réformé après son arrivée au régiment. (Dr LOMIER. Histoire des
régiments de gardes d'honneur, ' pp. 129-13°).
Quant à l'allégation selon laquelle Thibaudeau songea un instant à
se déclarer pour le nouveau gouvernement, M. Gaffarel ne l'a tl'louvée
que dans un ouvrage sans aucune valeur historique écrit bien après 1814
par un Marseillais d'une partillité passionnée : [LAUTARD]. Marseille
depuis 1789 tusqu'en ,8'5.
-
~7
-
�âvdl (10S) Son collègue te comte de Bondy, préfet du Rh6ne
éhassé de Lyon par l'invasion, avait écrit le 11 avril, de Paris où
il s'était empressé de se rendre, disait-il, à la première nouvelle
des récents événements afin d'accomplir cette démarche. Il exprimait le désir de consacrer ses faibles moyens au service de
l'illustre maison de Bourbon» et comme on ne se hâtait pas de
le renvoyer dans sa préfecture, il assurait, le 29 avril, qu'il y
avait adouci les rigueurs, résisté à l'oppression, gémi et souPiré avec tous les bons Français. Combien de tels gémissements
et soupirs durent alors être rétrospectivement évoqués ! (106).
4(
Parmi les auditeurs préfets, sous-préfets, commissaires généraux ou ~péciaux de police, plusieurs se hâtèrent de faire écho
aux proclamations venues de Paris. Barante affirme que lui-même
ne donna pas suite aux lettres de ses ancien~ collègues Anglès
et Mounier qui 1ui demandaient de fait'e se prononcer Nantes et
la Loire-Inférieure. Mais il fit publier les nouvelles et les proclamations émanant 'du gouvernement provisoire dès qu'il les
reçut par le courrier de Paris et il entraîna dans cette adhésion
au moins tacite le général qui commandait le département ma1gré
la répugnance de cet' officier (107).
Les ralliements rapides ne furent pas seulement le fait d'auditeurs-prétets appartenant comme Barante à l'ancienne noblesse.
Selon ses dires Regnier fils, préfet de l'Oise, avait . quitté Beauvais
,
1
(105) Selon les Mémoires de Pasquier (III, pp. 175-176), lorsque Portal
refusa en 1815 de se rallier à Napoléon, il aéclara à c~ui-ci qu'un an
plus tôt il avait repoussé de même les offres du duc d'Angoulême parce.
qu'il s'était considéré comme lié à l'Empire par son serment jusqu'à
l'abdication. Cependant Portal ne dit rien de ces offres et de ce refus
dans ses Mémoires. Il y déclare seulement qu'il ne se raUi!! aux Bourbons
qu'après l'abdication. (PORTAL. Mémoires, pp. 9-16).
(106) Bondy, cn écrivant le 29 avril à Beugnot, exprimait sa crainte de
ne pas être assez connu du comte d'Artois et d'avoir été cal'o mnié .auprès
de ce prince. Il énumérait les maux que sa famille anit subis SOUlt
la Révolution :
c J'ai souffert et espéré jusqu'à l'établissement de l'empire ; quelques
mois après sa proclamation, j'entui dans la !llaison, puis lU conseil d'étit
et je suis préfet du Rhône depuis quatre ans ... J'ai su me faire estimer
et aimer par mon administration paternelle en adoucissant les mesur,es rigoureuses et en ,r ésistant à l'oppression qui accabla t'Ou te la France ;
je gémissais avec les bons Français sur le sort de notre patrie et je soupirais
après des jours plus heureux... L'Empereur m'a estimé, je le méritais et
je n'ai à regretter aucune de mes actions. li (AF V 3 Dossier Intérieur),
Le comte d'Artois prescrivit de renvoyer Bondy à Lyon comme préfet.
(107) BARANTB. Souvenirs, II, pp. 21-29.
L'auteur cite des lettres de son collègue du Maine-et-Loire, l'auditeur
Hély d'Oissel. Celui-ci écrit le 9 avril : «Attendons prudemment les événements dont nous ne pOUVions arrê.r la marche li. Mais le surlendemain
il annonce que le Domine salvum lac regem a été chanté le 9 avril à
la cathédrale d'Angers et il ajoute « qu'il y aurait folie de vouloir soutenir
un gouvernement qui n'existe prus, qu'on ne peut trouver nulle part, qui
ne transmet plus d'ordres, qui n'a ni troupes ni argent li.
�'"
le 31 mars a rapproche de l'ennemi. Apprenant à Gisors les
événements de Paris, il se hâta de rentrer à Beauvais; comme
le conseiller de préfecture nommé préfet provisoire ne voulut pas
lui remettre le service, il s'empressa d'aller donner son adhésion
à Paris le 9 avril et fut aussitôt rétabli dans sa préfecture.
D'autres ralliements furent plus tardifs ; le ton des adhésions
et celui des proclamations adressées par les préfets et les souspréfets à leurs administrés varia aussi selon les hommes (108).
Mais l'attitude prise, au cours des mois suivants, par le nouveau
Gouvernement envers les auditeurs qui occupaient en mars une
préfecture semble indiquer que peu d'entre eux tardèrent à se
rallier ou prirent à quelque moment une attitude hostile à la
restauration de la royauté (109).
En dépit des adhésions individuelles ou collectives de ses
membres l'existence du Conseil d'Etat sous le nouveau régime
n'en était pas moins mise en question. La constitution votée par
le Sénat le 6 avril était absolument muette à cet égard. A plus
forte raison la composition du Conseil, s'il était conservé, demeurait-elle susceptible de grands changements dans les per_sonnes, notamment quant aux membres qui avalent quitté Paris
et se trouvaient visés par l'arrêté du 9 avril. Leur situation n'était
pas résolue par leS convocatIons, probablement antérieures à
cette date, qui avaient été remises au domicile de plusieurs
d'entre eux. Presque tous, en annonçant leur retour, accompli ou
(108) L'une des adhésions les plus dignes est celle de l'auditeur Moreau
de Saint-Méry, secrétaire général de la préfecture de la Stura, dont le père
n'avait pas eu à se louer de l'Empire. Il iécrivait le 19 avril :
.. J'ai servi avec fidélité l'Empereur Napoléon pendant treize années
-dans divers emplois diplomatiques et administratifs_ Délié aujourd'hui de
mes engagements envers lui, je promets le même dévouement à -Sa Majesté
Louis XVIII, Roi des Français ... etc. ,.
(109) Vingt-cinq auditeurs occupaient en mars 1814 une préfecture dans
les départements qui demeurèrent français. Que Camus-Dumartroy ait ou
non donné sa démission, un décret du 22 avril déclara l'accepter. Rœderer
fils fut remplacé le .ler mai et attribua cette mesure à l'animosité de Talleyrand. Neuf autres furent également écartés les 10, 16 et 18 juin mais
parmi eux Abrial (dont le père avait pris part aux votes du Sénat) et
Maurice allaient devenir, ainsi que Camus-Dumartroy, maîtres des requêtes
le mois suivant. On a vu ci-dessus que Rœdtrer fils et Hély d'Oiss.ei
n'avaient guère fait attendre en avril leur adhésion. Basset de Chat~au
bourg, préfet de la Vendée, avait rendu publics les actes du Séna.t le
I l avril et fait le lendemain une proclamation en faveur des Bourbons.
Les cinq autres préfets alors exclus étaient Chaillou, Vanssay, Cahouët, Vi~f
ville des Essarts et Bouvier-Dumolart.
Ce dernier s'était vu imputer par des royalistes une part de responsabilité dans la bataille de Toulouse : préfet du Tarn-et-Garonne il aurait
arrêté ou retardé à Montauban l'émissaire envoyé à Soult par le gouvernement provisoire et l'officier envoyé par les Alliés à WellingtJon. BouvierDumolart le nia et invoqua le .,t émoignage de J'émissaire royaliste lui-même.
Pasquier estime que ce préfet « n'a dû reconnaître le gouvernement provisoire qu'à la dernière extrémité ". (Mémoires, II, pp. 340-341).
-
99
�projeté, sollicitaient d'~tre reçus par Tal1eyrand. il est douteux
que beaucoup aient reçu satisfaction.
En écrivant au président du gouvernement provisoire le 12
avril, le premier de Clermont-Ferrand, le second de Vierzon,
Regnaud et Lacuée (qui ignoraient sans doute l'arrêté du 9 avril)
se considéraient toujours comme en service au Conseil et assuraient qu'ils iraient y remplir leurs fonctions le plus tôt possible (110). Le même jour Réal rentré à 'P aris sollicitait l'autorisation d'occuper sa place à la section de Législation; il protestait de son zèle et de son dévouement (111). Le lendemain
,Defermon demandait à reprendre la présidence de la section
des Finances. Tous deux exposaient que s'étant absentés de Paris
sur l'ordre du Gouvernement, ils étaient revenus dès la première
nouvelle des événements et qu'ils n'avaient pas perdu de temps
pour envoyer leur adhésion (112). L'ancien ministre Bigot de
Préameneu, rappelant qu'il était conseiller d'Etat à vie, écrivait
à Talleyrand le 12 puis le 13 avril pour se faire réintégrer au
Conseil. Le maître des requêtes de la Bouillerie demandait le
14 avril son maintien au seevice ordinaire. Sans doute se produisit-il d'autres requêtes analogues.
'.
,l
Le gouvernement provisoire allait se dessaisir de l'autorité
entre les mains du comte d'Artois qui arriva le 12 avril à 'Paris
et prit le 'titre de lieutenant général du royaume. Dès le 12,
Dubois, se mettant en avant comme porte-parole du Conseil
auprès de l'ex-:architrésorier Lebrun qui en avait théoriquement
la présidence depuis l'arrêté du 6 avril, lui demanda d'obtenir
que ce corps pût présenter ses hommages au .frère du Roi. Le
prince reçut en effet, le 16 avril, « les membres composant les
sections du Conseil d'Etat» selon la formule employée le lendemain par le Moniteur, mais ceux qui avaient suivi l'Impératrice
à Blois furent exclus de cette cérémonie (113). Le plus âgé des
(110) « Je me hâte, monseigneur, disait Lacuée, de me rendre à Paris
pour concourir aux travaux du Conseil d'Etat, ma santé m'empêchant d'y
arriver aussitôt que je l'aurais désiré, mais j'espère racheter par mon zèle
les moments que je perds forcément. lt
(III) « Dans tous les temps, déclarait Réal, j'ai été ami de l'ordre,
ennemi de tous les excès, défenseur de tous les hommes injustement persécutés. Je ne puis être suspect à aucun gouvernement et je dois trouver
dans celui-ci des protecteurs. Je lui offre mon expérience, mon zèle, mon
dévouement. Il doit -trouver une garantie dans les vingt-deux ans gue j'ai
consact'és au service de la patrie dans des circonstances difficiles. lt
(112) " Je suis revenu, disait Defermon, aussitôt que j'ai ·eu connaissance des mesures prises pour le salut de la patrie et je me suis ornpress16.
de vous faire parvenir mon acte d'adhésion... J'ai la oonscience de
n'avoir jamais trahi ma patrie et de l'avoir touj·o urs servie de mon mieux ...
n me serait pénible de. quitter le service public comme un homme 'suspect
de manquer de bonne volonté. lt
(113) Miot s'inqui,é ta de cette exclusion et s'efforça de la faire lever
quant à lui-,même :
-
100
-
�conseillers, Bergon, beau-père du général Dupont qui occupait
le ministère de la Guerre, fit un discours très bref et de peu de
relief (114). Le comte d'Artois assura « qu'il partageait les sentiments dont MM. les membres des sections du Conseil d'Etat
venaient de lui faire hommage " que le Roi et S.A.R. n'avaient
lamais douté de leur dévouement et de leur zèle pour le service
de ['Etat ,..
Le 19 avril, ce fut à l'ex-conventionnel votant Berlier de
haranguer le frère de Louis XVI au nom du Conseil des prises
et il en profita pour faire appel à l'union et à un régime libéral (115). Il s'entendit réponçlre en substance, selon le IVloniteur, que le Roi « serait sans doute disposé à tenir compte des
services rendus à ['Etat par le conseil des prises ", assurance
relative qui ne devait pas être suivie d'effet pour le président.
La veille, en présentant au prince la Cour de cassation, Muraire
avait retrouvé naturellement le style si souvent employé par lui
pour encenser le premier Consul et l'Empereur; il demandait
au Roi d'assurer l'indépendance des tribunaux « et surtout ['ordre
naturel et jamais interverti des juridictions» c'est-à-dire une
protection absolue de la compétence judiciaire.
« )'~crivis le
18 avril à M. de Talleyrand, mais il ne me répondit
pas. JO CM/OT. Mémoires Ire édition, III, pp. 371-372).
C'est peut-être de cette cérémonie que parle Madame de Chastena.y
(Mémoires, II, p. 343) quand elle raconte qu'au moment où Ré:ll allait
se rendr,e à une réunion du Conseil avec des rubans blancs à son épée
et à son chapeau " il reçut un contre-ordre imprévu JO.
( 1 .I 4)
Monseigneur,
Le Conseil d'Etat se félicite de voir le retOUr de V.A.R. dans la Clpit ale et le palais de ses pères.
« Enfin les fils de Saint Louis et de Henri IV nous sont rendus. Nos
cœurs sont au Roi et à son auguste famille, et nos pen&ées, n')tre zèle,
notre dévouement lui appartiennent.
«
Nos désirs, Monseigneur, sont d'être utiles au souverain et à la
patrie, de voir se cicatriser les plaies de ia Fonce redevenue enfin Jq
patrie commune du chef de l'état et des sujets, et de contempler notre
monarque heureux par le bonheur de son peuple " (Moniteur du 17 avril).
«
(IlS)
Monseigneur,
« La p~ix de l'Europe va bientôt marquer le terf!1e de nos trl~lUX,
et cette paix des nations trouvera les Franç:lÏs en p:ux avec eux-memes.
« Plus de divisions, a dit V.AR. ; non, Monseigneur, il ne saurait y
en avoir sous un gouvernement qui veut lui-même que tous les p':>uvoirs
publics soient sagement réglés et les droits individuels suffisamment garantis.
« Sous de tels auspices, la patrie va renaître, et sous une ldministration
paternelle, la France épuisée recouvrera la force et le ·bonheur.
« Que Monsieur reçoive avec bonté les vœux et les hommages
du
conseil des · prises : les membres qui le composent n'ont pas hngtemps
sans doute à servir le Roi, votre auguste frère, dans des ftonctiQns que
la guerre seule rendait nécessaires, mais ils s'estiment heureux d'être encore
revêtus d'un caractère qui leur permet de déposer l'exp~ession de leurs
sentiments dans le sein d'un prince digne descendant du grand et bon
Henri. JO (Moniteur du 20 avril).
101
�Mais tous les conseillers tenus à l'écart lors de la présentation au comte d'Artois ne se résignaient pas à cette exclusion
et 'Defermon tenta de recouvrer la situation de porte-parole du
Conseil qu'il avait détenue sous l'Empire. Il obtint que ce
corps serait reçu le 26 avril par le duc de Berry nouvellement
arrivé, convoqua pour cette cérémonie les membres qui, comme
lui-même, avaient suivi l'Impératrice à 'Blois, et prononça un
discours dans le même style médiocre qui lui avait servi jagis
pour haranguer Napoléon (116). Le prince répondit par quelques
phrases aussi banales. Mais, comme Defermon chargeait Locré
de faire insérer le tout au Aloniteur, le secrétaire général s'empressa de prévenir Vitrolles, pour que celui-ci pût empêcher
cette publication du discours prononcé par un homme qui, en
dépit de ses efforts, demeurait suspect (117). Le Moniteur ne
mentionna du reste aucunement cette cérémonie qui semble
bien avoir été la dernière manifestation collective à laquelle se
livra le Conseil d'Etat impérial.
Quelques adhésions individuelles au nouveau régime arrivèrent
encore, provenant de conseillers restés éloignés de la France.
La dernière lettre insérée au Moniteur (27 avril) est celle de
Chauvelin, intendant général de Catalogne, qui venait de rentrer
à Paris. Le général Mathieu Dumas, prisonnier de guerre en
Autriche, envoya son adhésion, de Vienne, le 14 mai. Le nom(116)
« Monseigneur,
c La paix si nécessaire à la France et ~ l'Europe signlle le retour
de Votre Altesse Royale parmi nous, La magnanimité du Roi, les témoignages de bonté et de bienveillance de votre auguste pèr,e et de Votre
Altesse Royale nous donnent l'espoir de l'avenir le plus heureux ! Aussi
tous les Français éprouvent-ils le besoin de se rendre dignes de si grands
bienfaits par leur amour et leur reconnlissance. .
" Animés, Monseigneur, de ces mêmes sentiments, les membres du
Conseil d'Etat mettront leur bonheur à prouver à leurs Souverains légitimes et leur fidélité et leur dévouement. "
(117) Lettre de Locré du 26 avril 1814. Le destinataire appelé pu
lui " Monsieur le Baron " ne peut être qu~ Vitrolles, qui remplissait alors
les fonctions de secrétaire d'Etat.
" Je crois devoir vous prévenir de ce qui s'est passé ce matin et
de ce qui se passe encore en ce moment. Il paraît que M, Defumon (cl
obtenu que les membres du Conseil d'Etat eussent l'honneur d'être admis
auprès de S.A.R. Monseigneur le duc de 13erry. Mais, sachant que si j'étais
chargé de la convocation, je n'appellerais plS les membr,es qui sont suspendus, il a pris le parti de la faire lui-même et, vers les une heure,
j'ai reçu le billet ci-joint, ce qui n'a pas hissé de m'étonner. [DefermOft
annonce la cérémonie de l'après-midi à LacTé, l'invite à s'y re"dre et
le prie de faire porter de suite plusieurs lettres, sans doute des C01WOcations J. Maintenant, voilà M. Defermon qui envoye dans mes bure lUX le
discours qu'il a prononcé. Il demande qu'on en fasse une copie pour être'
envoyée ce soir au Moniteur. Son n'Ûm figure en tête. Mes empl,oyés m'en
ont référé, je leur ai répondu qu'ils pouvaient faire la copie mais qu"ils
l'envoyassent à M. Defermon et non point au M,oniteur, me réservant
de prévenir Votre Excellence, afin qu'elle puisse arrêter l'insertion dans le
cas où elle la trouverait déplacée. " (AF V 3 Dossier Conseil d'Etl.t),
La lettre porte en marge : point de répolf'.se.
IO~
--
�bre des conseillers et maîtres des requêtes qui s'abstinrent d'une
telle démarche fut certainement infime d'après ce qui résulte
et des ralliements exprès et des emplois conservés ou reçus au
début de la première Restauration. Pour les conseillers et les
maîtres des requêtes qui avaient appartenu au service ordinaire
et qui demeurèrent français en 1814, ce nombre s'élève à six
tout au plus (118).
Bref, à la fin d'avril 1814, sauf de rarISSImes et incertaines
exceptions, tous les conseillers d'Etat et les maîtres des requêtes
(ainsi que bon nombre d'auditeurs) ont adhéré en termes plus
ou moins chaleureux à la restauration de la royauté que, sans
doute, la plupart voient et souhaitent conforme aux principes de
la constitution votée le 6 avril par le Sénat et accueillante au
haut personnel de l'Empire. L'ancien conventionnel régicide Berlier, le principal champion des principes révolutionnaires au
sein du Conseil, jadis ouvertement contraire à l'établissement 'de
la monarchie it:npériale, a été, comme président du Conseil des
prises, l'un des premiers conseillers d'Etat à reconnaître le changement de régime, sans réussir cependant à devancer Merlin.
Plusieurs de ceux qui, par ordre, ont suivi la Régence à Blois
en sont à s'excuser de ne pas avoir déserté assez tôt la cause de
l'Empire, à s'efforcer sans grand succès de se le faire pardonner
et Réal lui-même est de ce nombre. S'ils se sont presque tous
abstenus de paroles injurieuses pour Napoléon, beaucoup n'ont
pas ménagé la louange au gouvernement provisoire, émanation
pure et simple de la trahison dans tous les domaines.
Ainsi disparaît alors le Conseil d'Etat napoléonien, en s'efforçant vainement de survivre au régime qui l'a créé et lui a
fait une situation si haute. Quelques-uns de ses membres mis à
part, il ne se couvre pas de l'opprobre où s'achèvent les ternes
existences du Sénat et du Corps législatif et il montre aussi plus
de dignité que la Cour de cassation et que divers autres collègès judiciaires ou administratifs. Cependant il ne finit pas en
beauté ni en grandeur, c'est-à-dire dans la fermeté, le respect de
soi-même et la fierté.
-
(1 18) Il semble bien que Thibaudeau ne donna pas une Idhésion qu'il
devait juger sans utilité. De même Meneval qui accompagna Marie-Louise
à Vienne. Le doute n'existe que pour Caffarelli (qui figure parmi les conseillers honoraires nommés le 5 juillet 1814), le général Bourcier (qui
reçut un emploi militaire en janvier 1815), les maîtres des requêtes Coquebert
de Montbret et Lacuée. Quant au général Andréossl' ambassadeur à Constantinople, la distance ne permettait pas qu'il donnat son adhésion avant un '
ou deux mois.
�II
-r
PREMIÈRE RESTAURATION
Dès le mois d'avril 1814 des conseillers d'Etat et des maîtres
des requêtes reçurent des fonctions à caractère politique. Le
comte d'Ar"tois décida, le 22 avril, d'envoyer dans chaque division militaire comprise dans le territoire de l'ancienne France
un commissaire extraordinaire qui serait chargé d'établir l'autorité du nouveau gouvernement, de le renseigner, d'assurer l'exécution de ses actes, etc. Sur vingt-deux commissaires, dix furent
des maréchaux, des généraux ou des fonctionnaires civils de l'Empire, dont les conseillers Bégouen et Otto et le maître des requêtes Gilbert de Voisins (1).
Le 13 mai Louis XVIII désigna ses minIstres. Malouet conserva, malgré ses soixante-quatorze ans, le portefeuille de la
Marine. Le baron Louis garda celui des Finances ; il se montra
énergique et habile, non sans exagérer, comme le remarque
Thibaudeau, la gravité de la situation léguée par l'Empire
« pour s'attribuer la gloire de la guérir». Henrion de Pansey
fut remplacé par le chancelier Dambray au ministère de la Justice
et Talleyrand reçut celui -des Affaires étrangères où Laforest
n'avait guère .été qu'un figurant à sa dévotion. Beugnot espérait
peut-être demeurer ministre de l'Intérieur mais, croit-il, sa façon
de travailler avec Louis XVIII avait fatigué le Roi. Les purs
royalistes ne jugeaient sans doute pas son nom assez brillant
ni ses principes assez sûrs pour un ministère de premier plan
(1) Celui-ci, ancien soldat _ de Condé, dut se rendre en Vendéê où ses
efforts pour calmer les esprits eurent peu de succès et lui attirèrent les
attaques des royalistes.
-
-1 °4
-
�dont relevaient le choix et la direction des préfets ; il parut
nécessaire d'y placer non un néophyte mais un défenseur éprouvé
de la légitimité, fût-il étranger à l'administration. Bref ce ministère fut confié à l'abbé de Montesquiou, membre de l'ex-gouvernement 'provisoire, c'est-à-dire selon Beugnot, à «un homme
pourvu d'un grand nom, de l'extérieur le plus aimable, et de
la plus complète ignorance des affaires ,. aussi Dieu sait comment il les a laissé conduire!» (2).
·
~
,"
Cette même ordonnance du 16 mai pourvut d'ailleurs Beugnot
d'un autre poste au caractère politique marqué, poste moins élevé
mais aussi indépendant et, en ce moment, aussi important qu'un
minis'tère : la direction générale de la police du royaume qui
réunit les anciennes attributions du ministère de la Police et
celles de la préfecture de police. Beugnot eut ainsi auprès du
Roi et à la cour les mêmes prérogatives que les ministres et
prit rang immédiatement après eux. Il eut autorité sur les
préfets pour les matières de sa compétence, ce qui lui permit
de ne pas attendre la rédaction de ses Mémoires pour manifester son animosité envers l'abbé de Montesquiou; les querelles entre eux ne furent pas rares. Beugnot devi~t en outre
l'un des commissaires du Roi pour la préparation de la Charte
- et il joua comme tel un rôle important, du reste amplifié dans
ses Mémoires. Il eut ainsi l'occasion de montrer autant de zèle
gouvernemental que jadis sous le Co,nsulat (3). Son evolution
fut encore plus sensible vis-à-vis de la religion et on sait quelles
critiques souleva son ordonnance du 7 juin 1814 qui interdisait
en principe de travailler, d'ouvrir boutique, etc. le dimanche
(1) Selon Beugnot, une personne le cita devant la marquise de Simiane,
amie de l'abbé de Montesquiou, comme apte à être ministre de l'Intérieur
et vanta sa capacité, mais la marquise, scandalisée, répliqua :
« Il ne s'agit pas de cela ; c'était bon du temps de Bonaparte ; aujourd'hui, il faut mettre dans les ministères des gens de qualité et qui
ont à leurs ordres de bons travailleurs qui font les affaires, ce qu'on appelle des bouleux. " (BEUGNOT, Mémoù'es, 3me édition, p. 480).
Peut-être aussi parut-il convenable que dans le premier ministère du
Roi très-chrétien l'ancien ordre du clergé ne fût pas représenté uniquement
par Talleyrand et Louis,
(3) Dans un rapport au Roi, Beugnot écrivait, pour soutenir qu'il ne
fallait pas publier la Charte en h communiquant aux assemblées prim 'lires
ou à l'un des corps politiques de l'Empire :
« Le roi veut être roi de France, c'est-à-dire successeur de Saint Louis,
d'Henri IV et de Louis XIV ; il ne veut pas être roi de Ja Révolutioojl1.
c'est à dire venir après des hommes que je n'ose pas nommer, "
Il les nommait cependant en sa première rédaction : Bonaparte, Barras
et Reubell.
« Je ne puis trop le répéter, disait-il encore, J'autorité ('loyale est P')1'ulaire en France, dans le moment où je parle ; tout le monde est las d'etre
gouverné par la métaphysique. On veut de la religion, on veut du ('loi ;
ont veut une prompte restauration de l'ordre intérieur et plus de débats politiques... " (P. Simon. L'élaboration de la Charte constitutionnelle de
1814. pp. 107-108).
�sous peine d'amendes allant jusqu'à 100 'francs, 300 francs,
500 francs suivant les cas.
Le 16 mai, Pasquier obtint la direction générale des Pontset-Chaussées et Bérenger celle des Contributions indirectes dans
laquelle se fondirent les anciennes directions des Droits réunis
et des Douanes. D'Hauterive, La Besnardière, Duchâtel, Bergon,
Laumond, les ex-maîtres qes requêtes Mounier, de la Bouillerie,
Pelet fils, de Laborde-Méréville, Bruyères, Gasson, Champy, de
Belleville, Fiévée conservèrent leurs fonctions administratives antérieures. Les conseillers et maîtres des requêtes qui appartenaient aux tribunaux judiciaires en demeurèrent membres, du
moins provisoirement. D'autres, qui faisaient partie de l'armée,
de la marine ou de l'administration militaire, reçurent dès le
mois de mai de nouvelles fonctions individuelles ou entrèrent
en des organismes consultatifs nouvellement créés. Ainsi Préval
devint chef d'état-major (et l'un des inspecteurs généraux) d~
la gendarmerie tandis qu'Allent fut chef d'état-major de la garde
nationale de Paris et en outre (depuis le 9 juin) de toutes celle~
du royaume avec rang de lieutenant général. Il était major (lieutenant-colonel) du génie six mois plus tôt.
Mais les missions temporaires et les fonctions permanentes
reçues ou conservées par des membres du Conseil d'Etat impérial laissaient entière la question de l'avenir réservé au corps
lui-même. Créé par la constitution du 22 frimaire au VIII,
devait-il disparaître entièrement avec elle et sans délai ? Devait-il au contraire être maintenu, avec ses attributions, sa structure, son personnel antérieurs sauf modifications éventuelles sur
des points de détail et renouvellement partiel des hommes ?
"
L'attitude du gouvernement provisoire fut peu favorable au
Conseil d'Etat. Selon Vitrolles, Talleyrand lui était très hostile
et allait jusqu'à le considérer comme inutile désormais (4).
Les faits correspondirent du moins à ces allégations car, en
dépit de ce que semblait annoncer le gouvernement provisoire le
(4) VITROLLES, II, pp. 97-99 :
« Pendant la courte durée de son gouvernement provlSlOlre, les séances
de ce conseil avaient été suspendues et son existence mise ~n doute. On
avait voulu tellement l'annuler que les expéditions de ses actes, nécessaires
aux affaires particulières, avaient été remises à la secrétairerie d'Etat. J e
jugeais autrement cette institution, composée des hommes les plus capables
et les plus exercés à la conduite des affaires.. . Ses membres se rattachaiept
franchement à nous comme tout le monde et leurs princip.cs les disposaient à soutenir l'autorité. JO
« ... Mais M. de Talleyrand s'y entêtait. Suivant lui, toutes les attributions
importantes, celles du grand conseil de l'ancien temps, pouvaient être remises à la cour de cassation, et pour le reste, ils étaient entièrement inutiles.
Voyez, me disait-il un jour, vous n'avez qu'une chose à faire pour
hie" servir le Roi, c'est 1mB ordonnance. Article u"ique: Considérant
qu'il n'y a plus de biens nationaux, le Conseil d'Etat est et demeur.e
-
l06
�6 avril, le Conseil ne fut jamais réuni officiellement en assembléè
plénière et ses sections seules continuèrent peut-être à ~préparer
des rapports et des projets. Le 16 avril, on l'a vu, il fut présenté
au comte d'Artois mais, tout en r,?produisant le discours dans
lequel Bergon déclarait exprimer les sentiments 'éprouvés par
«. le Conseil d'Etat », le Moniteur du 17 ne visait direc,t ement que
« les membres composant les sections du Conseil d'Etat ~ et il
faisait répondre le frère du Roi à «At/M. les membres des
sections du Conseil d'Etat ».
Le même jour, 16 avril, fut créé un conseil d'Etat provisoire
qui comprit les cinq membres du gouvernement provisoire, les nlaréchaux Moncey et Oudinot, le général Dessolles. Vitrolles remplit les fonctions de secrétaire. C'est ce conseil que visent les
décisions postérieures dont le préambule contient la formule Le
Conseil d'Etat entendu (5). Au début de mai Henl'ion de Pansey
informa Louis XVIII que cent-cinquante affaires contentieuses
environ (dont vingt à vingt-cinq intéressaient le Trésor) se
trouvaient pendantes devant le Conseil d'Etat impérial. Il propo'sait d'instituer un Conseil contentieux provisoire qui réunirait
sous sa présidence quatre conseillers d'Etat et six maitr., des
requêtes et prononcerait définitivement en 'ces matières, sauf
que les affaires importantes qui intéressaient , l'ordre public seraient soumises au Roi. Ce projet paraît n'avoir été suivi d'aucun effet (6).
Les membres du Conseil d'Etat impérial ne semblent pas
avoir été présentés en corps à Louis XVIII qui reçut cependant
des fonctionnaires de rang bien moins élevé, les juges de paix
de Paris, une députation des bureaux de bienfaisance, etc. Il reçut
les avocats aux Conseils mais non le corps qui était leur raison
d'être (7).
supprimé. Après cela vous ferez tout ce que vous voudrez ; vous rétablirez même les jésuites si cela vous plaît.
« Je ne me contentai pas de ces bluettes de bel esprit ; je soutins
l'existence du conseil d'Etat qui était menacé, en le faisant admettre en
corps aux présentations, aux solennités publiques. ,.
Il semble cependant que le Conseil en corps n'ait été présenté qu'au
comte d'Artois et au duc de 'Berry.
(S) Plusieurs d'entre elles revêtent une forme insolite. Quatre décisions
. réglementaires rendues les 13 et 19 juin figurent au Bulletin tles Lois sous
le titre d'Arrêt du Conseil d'Etat du Roi et se terminent par la vieille
formule Fait eft Conseil d'Etat du Roi, Sa Maie-sté y étlmt .. . Trois d'entre
elles contiennent en outre dane; leur préambule les mots : ...le Roi, étant
en son Conseil... Selon Vitrolles c'est Henrion de Pansey qui fit employer
le titre Arrêt du Conseil. (VITROLLES. II, p. SI, note 1).
(6) AF V 3. Dossier Conseil d'Etat.
(7) Le Moniteur relate la ,présence de députations du Sénat, du Corps
législatif, des cours judiciaires ,e t de divers autres corps et auprès du Roi
à Saint-Ouen le 3 mai, avant son entrée à Paris, et 'lors du service solennel ~lébré le 1 .... mai à l'intention de Louis XVl, de LQuis XVII, de
�Le Conseil d'Etat se trouvait d'ailleurs en butte à des attaques, notamment dans le livre de l'ancien consul général
Pichon, De l'état de la France sous la domination de Napoléon
Bonaparte, l'un de ces libelles passionnés qui affluèrent alors.
En cette diatribe outrée et souvent de mauvaise foi, l'auteur
demandait la suppression du Conseil d'Etat auquel il imputait,
entre autres griefs, d'avoir été pratiquement asservi aux ministres (8). Au même moment dans une brochure moins dénigrante
et non destinée au public, intitulée Du Conseil d'Etat, le secrétaire de la commission du contentieux Hochet critiquait au
contraire l'indépendance dont avait joui le Conseil, en droit et
. en fait, vis-à-vis des ministres et il proposait de le remplacer
par des commissions consultatives p.1acées a~près d'eux.
Encore que Beugnot fût l'un de ses principaux rédacteurs, la
Charte, qe même que les travaux préparatoires, demeura muette
quant au Conseil d'Etat. Le rôle, l'organisation et même l'existence de celui-ci se trouvaient donc en question (9). Cependant,
ni dans sa lettre, ni sans doute dans la pensée de ses auteurs,
la Charte n'établissait le régime parlementaire. Elle attribuait
au Roi l'initiative exclusive des lois et un pouvoir réglementaire
considérable ; son silence laissa subsister la juridiction administrative ; la garantie des agents du Gouvernement demeura
elle-même en vigueur bien qu'établie par la Constitution de l'an
.,.
Marie-Antoinette et de Madame Elisabeth mais il ne mentionne aucunement le Conseil d'Etat .
Selon Las Cases (Mémorial... ler-4 novembre 1815. Edition critique
l p. 214) le Conseil aurait sollicité l'autorisation d'envoyer une députation
à Compiègne au-devant du Roi mais le comte d'Artois lui aurait répondu
que ses membres ne pourraient, être reçus qu'individuellement.
(8) Pichon avait été destitué de ses fonctions de oonsul aux Etats-Unis
par un décret du 7 octobre 1807 rendu conformément à l'avis du Oonseil
d'Etat et il en voulait au Conseil autant qu'à Napoléon. Aussi, ~out en
négligeant de dire si les fonctions de conseiller d'Etat, qu'il avait accept6es
du roi Jérôme, étaient plus relevées à Cassel qu'à Paris, il assurait que le
maintien d'un corps qui avait été l'instrument le plus actif de la tyrannie
serait un obstacle à la liberté publique et à la constitution de tout 8'0uvernement. Il publia en août 1814 une seconde édition « considérablemilnl
augmentée JI , notamment quant aux attaques contre le Conseil d'Etat qui
y occupent trente pages. Une ordonnance royale du I I octobre 1814
annula le décret du 7 octobre 1807 et autorisa la liquidation et le paiement des traites tirées jadis par Pichon pour le service de la m'1rine et
mises à sa charge sous l'Empire. Pichon devint maître des requêtes en
août 1815 et fut promu conseiller d'Etat en 1820 ; ce ne fut sans doute
pas pour avoir montré à l'enoontre des projets ministériels la hardiesse qui
avait fait défaut, selon lui, avant 1814.
(9) A l'auditeur Harel qui demandait à être compris dans le personnel
futur du S:;onseil d'Etat, Vitrolles, secrétaire d'Etat, répondait le 8 mai :
Il
j'ig.1UJre quelle détermination S.M. prendra relativement à MM. les
auditeurs et au Conseil d'Etat lui-même Il. Le 14 juin il répondait à une
demande analogue que le Roi n'avait « encore pris aucune détermination
.relative à l'organisation du Conseil d'Etat ". AF'" V l, pp. 21-21 et Ill).
108
-
�VIii et non consacrée par ia èharte. (}exlstence du éonseil d'État
se justifiait donc autant que sous l'Empire et, dès la fin de
juin, il fut institué un corps portant ce nom. Mais la situation
qui devait lui être faite ne parut pas appeler sa consécration
par la Charte ou même par la loi. Une simple ordonnance
royale sembla suffisante pour créer cet organisme et pour le
régir ; ceci facilita les attaques dont il fut plus tard l'objet et
les efforts qui tendirent à sa suppression.
Cette ordonnance fut signée par Louis XVIII le 29 juin
1814, les nominations eurent lieu le 5 juillet et la première
séance le 3 août seulement. Le Roi y reçut le serment des
membres du Conseil. Il ne se mit pas plus en frais d'éloquence
et d'originalité que dans les réponses faites par lui depuis son
retour à de nombreux corps et députations (10). Mais, après sa
courte allocution, le chancelier Dambray parla plus longuement
et il exprima ses vues propres ·o u celles du Gouvernement sur
le rôle futur du Conseil d'Etat. Ce magistrat de l'ancien Parlement de Paris, resté depuis vingt-cinq ans éloigné des fonctions
publiques, fort attaché aux institutions d'autrefois, était sans
doute en grande partie l'auteur de l'ordonnance du 29 juin dont
S911 discours forme le cqmmentaire et le complément. Les principes qui se dégagent de ces deux textes sont sensiblement différents de ceux qui avaient régi le fonctionnement du Conseil
d'Etat consulaire et impérial.
·
.~
...
..'
".
Ce dernier a été pendant quatorze ans l'auxiliaire d'un chef
d'Etat prodigieusement dynamique, actif, laborieux, volontaire,
qui tenait à décider lui-même sur toutes les questions administratives importantes et s'intéressait en outre à la législation
civile et pénale, du moins en tout ce qui n'était pas de pure
technique juridique. L'une des principales tâches du Conseil
consistait alors à émettre des avis et au besoin des critiques,
même vives, sur les projets des ministres et de leurs bureaux,
voire à leur opposer souvent des projets différents, pour que
le chef 4u Gouvernement pût peser les raisons respectives et
se faire une idée propre. Or un tel homme se trouve remplacé par
un roi impotent, n'ayant ni le goût ni l'habitude du travail soutenu, plus versé dans la poésie latine que dans aucune des
questions posées par le gouvernement d'une nation, porté à se
décharger sur autrui de toutes les parties ardues de sa tâche.
Encore qu'il en soit, dit-il, à la dix-neuvième année de son
règne, Louis XVIII ignore presque tout des lois et ,de l'admi-
(10) " Messieurs, j'ai voulu réunir tous les membres de mon
pour recevoir moi-même leur serment et donner plus de solennité à
rémonie religieuse qui vous attache à mon service et à celui dè
e
Redoublez donc de zèle, Messieurs, joignez vos efforts aux
je compte sur vos lumières et sur votre expérience pour m'aider à
mes peuples heureux. 1> (Mionitlmr du .. aollt).
conseil
la cél'Etat.
miens,
rendre
�nÎstratÎon, ne. s;y intéresse d'aitIeurs guère et entend bien borner,
sauf de très rares exceptions, son activité en ces domaines à
des signatures. Il tient à conserver dans les questions proprement politiques un pouvoir effectif ?e veto, quitte à subir l'influence d'un Blacas puis d'un Decazes, mais il est tout disposé
à laisser faire ses ministres en ce qui concerne l'administration,
le contentieux et même la plupart des objets de l'activité législative.
Ainsi le gouvernement effectif du souverain disparaît. L'autorité , administrative suprême se divise pratiquement entre les
divers ministres dont chacun sera, pour une grande partie des
affaires, maître exclusif ~en son département. Quant aux questions d'un intérêt plus général ou plus nettement politique,
l'exercice habituel du pouvoir gouvernemental passe à l'ensemble
des ministres, qu'ils soient ou non réellement dirigés par l'un
d'entre eux. C'est là dès 1814 un très grand changement dans
le régime constitutionnel effectif. C'en est un aussi quant à
la situation du Conseil d'Etat.
,
"
L'ordonnance du 29 juin 1814 vise à faire revivre quelques
traits ou du moins quelques formules de l'Ancien Régime. Selon
son préambule, elle réalise une simple adaptation de l'ex-conseil du Roi aux circonstances nouvelles, ce qui est d'ailleurs ,
inexact (11). L'esprit traditionnaliste se manifeste aussi dans
l'emploi partiel de termes anciens, Conseil d'en haut, Conseil
privé ou des parties, et dans la faculté que se réserve le souverain (mais dont il n'usera pas) de créer des conseillers d'Etat
d'église et des conseillers d'Etat d'épée. Le Conseil du Roi
comprend: les princes, le chancelier, les ministres secrétaires
d'Etat (c'est-à-dire chargés d'un département), les ministres d'Etat,
des conseillers d'Etat, des maîtres des requêtes. Mais tout ce
personnel forme plusieurs organismes distincts :
ff
«
Le Conseil d'en-haut ou des ministres, actuellement
existant
Le Conseil privé ou des parties qui prendra le titre
de Conseil d'Etat Il (12).
(11) c Notre intention étant de compléter incessamment l'organisation de notre Conseil, nous nous sommes fait représenter les règlements
faits par les rois nos prédécesseurs sur cette matière, et nous avons reoonnu
qu'il serait difficile d'arriver à un meilleur système ; que néanmoins
il y aurait de l'avantage à le simplifier, et qu'on ne peut se dispenser
de le mettre en harmonie avec les changements survenus dans la forme du
Gouvernement et dans les habitudes de nos peuples, "
(12) Sur l'organisation et la composiüon du Conseil d'Etat on trouve
quelques allégations dans PASQUIER. Mémoires, III, pp. 12-19. Selon
cette source les termes Conseil privé et Conseil des parties étaient dus
au chancelier Dambray qui aur~it nourri en secret l'intention de faire
attribuer au Conseil la connaissance de., pourvois en cassation comme SùU8
l' Ancien R~gime.
-
110
-
�Le éonseil d'en-haut, que PAlmanach royal 1814-1815 appelle seulement Conseil des ministres, est composé des princes
de la famille royale, du chancelier de France « et de ceux · de
nos ministres secrétaires d'Etat, de nos ministres d'Etat et des
conseillers d'Etat qu'il nous plaira de faire appeler pour chaque
sétmce ». Tout ceci l'assimile au Conseil d'en-haut ayant existé
sous l'ancien régime mais il dépend du Roi de le transformer
en un véritable conseil des ministres par la façon de le com·
poser et par l'invitation faite aux princes de s'abstenir. Ce
conseil ressemble encore à son prédécesseur du XVlIIme siècle
en ce qu'il doit être présidé par le Roi. En droit toute question rentrant dans l'activité gouvernementale ou dans le domaine législatif peut lui être soumise mais aucune ne l'est
obligatoirement (13).
\
.
Le Conseil d'Etat proprement dit, dans le sein duquel existent cinq comités spécialisés, comprend les ministres secrétaires
d'Etat, des conseillers et des maîtres des requêtes. Les auditeurs ont disparu, peut-être parce que l'Ancien Régime ne les
connaissait pas.
_ Les conseillers se divisent en trois catégories. Ceux du ~'er
vice ordinaire, dont le nombre est limité à vïngt-cinq, sqnt
l'élément essentiel du Conseil et ils y possèdent seuls, .e n
principe, voix délibérative. Encore que l'ordonnance soit muette
sur ce point, ils peuvent remplir en outre individuellement
des fonctions administratives ou judiciaires. Ces dernières tâches sont la raison d'être des conseillers en service extraordinaire mais ceux d'entre eux qui occupent un poste de directeur
général dans un ministère peuvent, à la demande du ministre
intéressé, sièger avec voix délibérative dans les « conseils et
comîtés attachés au département duquel ils dépendent» et ils
entrent ~ de droit,. au service ordinaire s'ils quittent leur direction (Art. 13). Enfin les conseillers d'Etat honoraires ne
détiennent qu'un titre mais six, au plus, peuvent être appelés
à siéger dans les formations du Conseil.
Les maîtres des requêtes sont divisés en trois catégories.
Le service ordinaire en comprend au plus cinquante, dont le
rôle est en principe d'instruire les questions et de faire les
rapports ; ils ont voix délibérative pour les affaires dont ils sont
rapporteurs. Eux aussi peuvent pratiquement cumuler avec le
service du Conseil des tâches individuelles dans l'administration
(13) Ce Conseil « délibèrera en notre présence, sur les matières de
haute administration, sur la législation administrative, sur tout ce qui tient
à la police générale, à la sûreté du trône et du royaume et au maintien
de l'autorité royale.
« Nous pourrons y ~voquel" les affaires du oontentieux de l'administration
qui se lieraient à de'.! vues d'intérêt général. •
----
III
-
�ou dans les tribunaux. tes maîtres des requêtes soit honoraires
soit surnuméraires sont réduits à un titre mais douze, au plus,
peuvent être attachés à des formations du Conseil ; en fait
les premiers vont être presque tous choisis parmi des fonctionnaires de rang élevé tandis que les surnuméraires seront
surtout des jeunes gens ; cette dernière catégorie évoque ainsi
à quelques égards les auditeurs de l'Empire, parmi lesquels elle
se recrutera en 1814 pour la plus grande partie.
Peut-être l'existence de ces membres honoraires ou surnu·
méraires et la faculté de les appeler à siéger réellement dans
les formations du Conseil visent-elles, du moins en partie, à
mettre en réserve d'anciens membres du Conseil d'Etat impérial dont le ralliement ne paraît pas encore assez sûr (ou,
quant aux maîtres des requêtes surnuméraires, la capacité assez
établie) pour qu'on les place d'ores et déjà dans le service ordinaire. Les nominations faites le 5 juillet rendent cette hypothèse
plausible.
Le silence de l'ordonnance du 29 juin suffit à établir l'amovibilité absolue pour tout le personnel du Conseil. Aussi l'article
qui vise le passage des directeurs généraux au service ordinaire
n'a-t-il qu'une portée relative. Il n'est plus prévu de conseillers
à vie, fût-ce uniquement quant à la conservation du titre.
Le Conseil -d'Etat se divise en cinq comités ; un conseiller
ou un maître des requêtes peut d'ailleurs appartenir simultanément à plusieurs (14). Le comité de Législation prépare tOitS
les projets de loi et de règlement sur toutes matières civiles,
criminelles et ecclésiastiques». Chacun des comités de l'Intérieur, des Finances, du Commerce remplit le même rôle pour
les matières qui rentrent dans sa spécialité et rédige en outre
des projets de décision à portée individuelle ou d'intérêt local. Le
comité contentieux connaît des litiges et recours relevant de la
juridiction du Roi en Conseil d'Etat (y compris les conflits
d'attribution) et des demandes qui tendent à obtenir l'autorisation de poursuivre un agent du Gouvernement (15). Le chancelier peut prescrire la réunion de plusieurs comités sur la
demande des ministres intéressés.
4(
(14) En fait ce cumul fut presque sans exemple pendant la
Restauration. L'Almanach royal 1814-1815 le réduit à deux cas
cernent Henrion de Pansey et un autr-e conseiller d'Etat. Le
faisait partie du comité de Législation, le second du comité ' des
et tous deux en outre du comité contentieux.-
première
qui conpremier
Finances
(.1 s) Cette dernière tâche n'incombait pas à la commission du contentieux sous l'Empire. L'ordonnance du 9 janvier 181S ajoute aux attributions de ce comité l'instruction des affaires de prises maritimes non enc,ore
jugées lors de la disparition du Conseil des prises, qui eut lieu le 1 er n.>vembre 1814.
-
lU
-
�Même en deh"ors du fait qu'elles sont fixées par une simple
ordonnance facile à modifier, les attributions du Conseil d'Etat
en corps se trouvent nettement amoindries. Aucune question,
selon l'ordonnance du 29 juin, ne lui est obligatoirement soumise; le Roi peut préférer consulter le Conseil d'en-h~ut, même
en matière contentieuse puisqu'il lui appartient d'apprécier si
l'objet d'un recours se lie à « des vues d'intérêt général ». En
dépit des formules contradictoires de l'ordonnance il peut même,
fût-ce en matière de lois, ne consulter aucun de ces deux conseils (16). Ces contradictions dans le texte applicable sont en
effet éclaircies par le discours du chancelier à la séance royale
du 3 août. Après avoir déclaré que le rôle essentiel du Conseil
d'Etat, dont il est désormais le véritable chef, est de fournir des
conseils sages et vertueux au Roi, mais sur les détails (17), et
d'éclairer l'administration, Dambray proclame:
« Les assemblées générales du conseil seront par là même
assez rares et c'est dans les comités particuliers qu'on éprouf.'era
surtout votre salutaire influence. ~~
Pasquier croit, en effet, qu'il ne fut tenu aucune autre assemblée générale pendant la première Restauration. Il devenait
ainsi "impossible au Conseil d'assurer la coordination et l'unité
d'esprit entre les projets fournis par les divers ministères, alors
que sous l'Empire le défaut avait été plutôt l'exagération du
système qui faisait au contraire renvoyer presque tous les projets
des sections à l'assemblée.
.
.'
(16) L'article 10 déclare que les projets de .loi et de règlement émanant
du comité de Législation ft devront ensuite être délibérés en Conseil d'Etat
avant de nous être définitivement soumis Il mais la fin de l'article 7
relatif au Conseil d'en-haut décide :
Il
Les proiets de loi, et géndr(llem.ent toutes les affaires qui devronft
être soumises à notre apprObatnn et qui ne l'auraient pas reçue dans
le Conseil d'Et:z.t, nous seront présentées dans ce Conseil . [d'en haut]
OU SOUMIS DIRECTEMENT SUIVANT QUE NOUS LE lUGERONS
CONVENABLE. Il
Selon l'article 8, il sera fait rapport au Conseil d'Etat sur «les
proiets de règlements et de iugemmts qui auront été convenus au comité
contentieux et autres comités, pour y être définitivement arrêtés ,., mais
d'après l'article 9 les projets du comité contentieux « ne seront définitivement arrêtés qu'a.près avoir été rapportés et déUbérés dans notre Conseil
d'Etat OU APRES AVOIR REÇU NOTRE SANCTION DIRECTE
et
quant à ceux des comités des finances, de l'intérieur et du commerce,
l'article I I décide qu'ils « ne seront définitifs qu'après nous avoir été soumis en Conseil d'Etat, OU DANS UN TRAVAIL PARTICULIER, par le
ministre de la ' partie ».
)t
(17) « Messieurs, il est digne d'un monarque qui veut que la justice
pl'\éside à toutes ses décisions de s'environner de oonseils sages et vertueux.
Il a beau réunir aux lumières les plus étendues la scienoe si rare de faire
un bon usage des connaissances acquises par le travail et la méditation ; si
un génie supérieur suffit pour ordonner de grandes choses, il est impossible de suffire aux détails sans conseils. »
113
:
'
�La consuitatÎon se réduIsait clonc désormais, en général,
à celle d'un comité même en. des matières où une loi exigeait
une délibération du Conseil d'Etat, même pour autoriser à poursuivre devant les tribunaux un agent du Gouvernement ; en ce
domaine le rôle du Conseil n'était d'ailleurs pas purell)ent consultatif selon l'article 75 de la Constitution de l'an VIII, tacitement maintenu avec force de loi ordinaire. Sans doute la délibération d'un comité eut-elle toujours lieu en pratique pour ces
autor~ations de poursuites et aussi pour les recours contentieux
saut si le Roi en évoquait un au Conseil d'en-haut comme lié
« à des vues d'intérêt général ». Il serait risqué de l'affirmer pour
les questions relevant des comités autres que celui du contentieux
malgré les ternles sus-relatés de l'ordonnance. Alors que, selon
l'atticle 10, le comité de législation ( préparera TOUS les proiets
de loi et de règlements sur TOUT ES matières civiles, criminelles et
ecclésiastiques» le chancelier Dambray donne, dans son discours
du 3 août, un sens beaucoup moins absolu à cette règle en disant
que ce comité « préparera les diverses lois civiles et criminelles
DONT S. M. JUGERA A PROPOS DE LUI CONFIER LA
REDACTION ». Il n'est pas probable que la consultation d'un
comité ait été jugée plus strictement obligatoire .pour les autres
lois, pour les règlements et les actes individuels d'administration
active visés par l'ordonnance.
"" .' ". '·'-1
'.
En fait cependant., les comités furent saIsIs de nombreuses
questions. Leur substitution pratique au Conseil assemblé n'en
suffirait pas moins à montrer l'amoindrissement de ce corps
mais elle n'en est pas la seule marque, elle se lie au contraire,
comme une conséquence, à un autre trait essentiel de cette
transformation, trait que manifestent nettement et l'ordonnance
et le discours du chancelier : l'abaissement du Conseil d'Etat
par rapport aux ministres. Sous l'Empire les projets de ceux-ci
et de leurs bureaux étaient soumis à l'examen et à la critique
du Conseil agissant pour le compte du souverain auquel était
directement transmis le résultat de ce travail, c'est-à-dire souvent un projet différent de celui du ministre, voire nettement
contraire. Même une section prise isolément n'était organe consultatif .qu'auprès de l'Empereur. Or l'ordonnance du 29 juin
1814 (Art. 5) déclare expressément que les comités du Conseil
« seront placés auprès du chancelier et des ministres secrétaires
d'Etat des départements auxquels ils se rattachent ». C'est à ces
derniers que sont transmis projets et avis pour qu'ils en saisissent
le Roi. Selon Dambray, le rôle du Conseil est d'éclairer l'administration.
( Le Roi veut que votre expertence et vos lumières ajoutent
à la force comme à la sécurité de ses ministres en les garantissant des surprises qu'on p.o urrait faire à leur religion; en les
-
II,\
�édaÎrant sur Îes erreurs invoiontaires "qui pourraient leur échapper, en préparant les lois et les règlements dont l'exécution
leur est confiée ,. (18).
C'est, au fond, aviser ses auditeurs qu'ils sont désormais
bien moins les conseillers du Roi que ceux des ministres. Il
s'agit maintenant d'éclairer, d'assister ces derniers et leurs bureaux, non plus d'exercer sur eux un contrôle pour le compte
du chef de l'Etat et d'aider celui-ci à maintenir vis-à-vis d'eux la
réalité de son propre pouvoir. Il est inutile d'insister sur le caractère et la portée du changement, tant, pour la monarchie, le
Gouvernement et l'Etat que pour le Conseil. Certes plusieurs
des nouveaux ministres ont, en 1814, grand besoin d'être éclairés,
notamment Dambray lui-même, sans doute peu versé dans le
droit postérieur à 1789, et l'abbé de Montesquiou, qui fait ses
débuts dans l'administration publique à cinquante-huit ans comme ministre de l'Intérieur. Encore n'est-il pas sûr qu'ils écouteront plus volontiers les comités du Conseil que leurs chefs de
service et autres auxiliaires ap~artenant à l'administration active,
voire aux coteries politiques.
Ces organismes consultatifs ne sont même pas assurés de
- pouvoir fournir en pleine indépendance leurs avis aux ministres ;
ceux-ci . possèdent maintenant vis-à-vis du Conseil et de ses
membres des moyens d'action pratiques qu'ils n'ont jamais eus
sous Napoléon car le rôle que jouait alors le grand-juge dans
la commission du contentieux ne présentait pas un tel caractère.
En l'absence du Roi (c'est-à-dire toujours ou presque) le chancelier préside le Conseil ou se fait suppléer par un de ses
collègues du ministère. En outre, dans l'assemblée générale (qui
ne paraît pas avoir fonctionné sous la première Restauration)
le ministre dont relève une question peut faire lui-même le rapport sur le projet débattu dans un comité; s'il s'en abstient,
c'est lui qui désigne le rapporteur.
Il y a plus grave. En fait, ' sous l'Empire, les mtnIstres ne
venaient pas prendre part aux séances des sections ; ils n'y
auraient d'ailleurs pas eu voix délibérative. Or ils ont désormais
la haute main sur les comités, dont l'examen est le seul que
doivent en fait subir la plupart (sinon la totalité) des affaires
( 18) Dans sa prochure Du Conseil d'ElIIt Hochet, sans doute désireux
de flatter les nouvelles tendances gui se ,dessinaient déjà, écrivait :
« Par l'Etat, il faut entendre l'Administration générale du Royaume,
c'est à dire . le Ministère. Il faut donc CUle .le Conseil d'Etat soit, non plus
comme sous Napoléon, hors du Ministère mais dans le Ministère. lt
Hochet proposait de placer auprès de chaque ministre c un bureau de
Conseillers d'Etat qui sera présidé par le Ministre et lui fera rapport de
toutes les affaires qu'il aura jug.é à propos de leur soumettre. Ce bure~
n'aurait que voix .consultative. La responsabilité ministérielle ne permet
pas qu'aucune résolution administrative puisse être prise sans l'aveu et contre
l'opinion du Ministre qu'elle concerne -. (p. 9).
-
Ils
�}
,
~
tenvoyees au Conseil. Le chancelier préside le comité contentieux et celui de Législation ; s'il est absent un conseiller le
supplée comme vice-président. Les trois autres comités, ceux
qui 's 'occupent d'administration active, préparent avis et projets
Il d'après les ORDRES et sous la PRESIDENCE des ministres secrétaires d'Etat auxquels ils sont respectivement attachés» (Art. 11).
Le ministre peut choisir le rapporteur et exercer ainsi une influenc;e sur le contenu du rapport et le résultat du débat en
comité. Il peut introduire aux séances avec voix délibérative,
voire comme rapporteurs, les conseillers en service extraordinaire
qui occupent 'dans son ministère une direction générale et sont
ainsi, moralement, dans sa dépendance malgré la règle qui les
fait entrer au service ordinaire s'ils perdent leur poste individuel (19). C'est enfin à la demande des ministres, que le chancelier peut ordonner la réunion, de plusieurs comités.
Le Conseil d'Etat se trouve amoindri même sur le plan
matériel, par la réduction du traitement des conseillers. La
France se trouve épuisée, très , diminuée en territoire et en
population. Ses finances appellent une rigoureuse économie à
laquelle aspire avec toute son âpreté le baron Louis, ce qui
n'empêche pas des innovations coûteuses comme la création
d'escadrons d'officiers, devant en compter plus de quatre mille:
six compagnies de gardes du corps (au lieu de quatre en 1789),
les quatre compagnies rouges (gendarmes, chevau-légers, mousquetaires gris et noirs) abolies avant la Révolution, et même deux
compagnies de gardes du corps de Monsieur.
, Selon ,l'ordonnance du 29 juin 1814 (art. 15-17), un conseiller
d'Etat en service ordinaire per,çoit un traitement annuel provisoirement fixé à 12.000 francs, auquel s'ajoute . un supplément
de 4.000 francs pour chacun des comités dont il fait partie.
Cc supplément est de 2.000 francs pour chaque maître des requêtes en service ordinaire, dont le traitement fixe est de
4.000 francs. Ces rémunérations, de 4.000 francs ou 2.000 francs
selon le grade, sont les seules que perçoivent, à l'exclusion de
tout traitement fixe, les conseillers honoraires et les maîtres des
requêtes honoraires ou surnuméraires attachés à un comité. On
peut se demander si le fait d'appartenir à plusieurs comités implique toujours une activité plus grande qui justifierait un supplément de traitement. Ce système est imité de l'ancien Conseil
du Roi mais il peut fournir aux ministres un nouveau moyen
(19) Le .ministre intéressé peut aussi appeler des marchaflds et des
industriels à siéger dans un comité mais avec voix consultative seulement.
Cette restriction ne s'applique pas aux conseillers d'Etat honoraires (six au
plus) que le Roi peut introduire dans des formations du Conseil sur la
présentation du chancelier. C'est là un moyen de plus pour celui-ci,
voire sans doute aussi en fait pour les ministres, d'influencer le fonctil()n~
nement des comités ou de tel d'entre eux si l'esprit des conseillers en
service ordinaire ne ,donne pas satisfaction. -
-
II6 -
�d'action sur les membres du Conseil. Ce cumul fut d'ailleurs tout
à fait exceptionnel au cours de la première Restauration. Presque
tous les conseillers en service ordinaire" reçurent donc 16.000
francs par an (au lieu de 25.000 francs naguère) et les maîtres
des rçquêtes 6.000 francs au lieu de 5.000 francs (20).
L'ordonnance du 29 juin annonce un règlement particulier qui
fixera les attributions et le mode de fonctionnement de chaque
conseil et de chaque comité mais cet acte ne fut pas fait p'endant
la première Restauration. La même ordonnance décide ' qu'en
l'attendant on suivra « les règlements et les usages qui 'étaient
observés au dernier comité contentieux» c'est-à-dire la procédure établie en 1806 (21).
Ainsi, non seulement l'exis'tence du Conseil d'Etat ne repose
plus sur un texte constitutionnel ou même légal, mais encore il
n'est plus vraiment le conseil du souverain et n'a plus de contacts
directs avec celui-ci; sa consultation, dont le domaine se trouve
amoindri en droit et en fait, va se réduire pratiquement à la
délibération de ses comités ; enfin les éléments, juridiques et
autres, qui tendaient à garantir l'indépendance réelle du Conseil
et de ses membres envers les ministres font place à 'des situations très différentes, voire contraires sur plusieurs p'oints. Il
apparaît en outre dès 1814 que le Conseil d'Etat ne conservera
pas sa position de naguère en face des assemblées politiques.
Il est à prévoir en effet que l'ancien Corps législatif, dont
les membres forment provisoirement la Chambre , des députés,
prendra volontiers plaisir à souligner, comme une revanche,
l'amoindrissement du collège qui, même sur le plan protocolaire,
l'emportait naguère sur lui. Dès le début d'août 1814 le libéral
Dumolard demande que la chambre s'efforce de faire proposer
par le Roi l'abrogation de la loi du 14 septembre 1807, qui
donne au souverain en Conseil d'Etat l'interprétation des règles
(20) Le costume fut également changé, le noir se substituant dans l'habit
au bleu ou au rouge. Un royaliste écrivait plus tard : « L'on s'abstint donc
d'habiller en petit manteau et rabat le conseil d'Etat" et l'administration
civile ; ce fu~ un petit triomphe seulement que de noircir et de rapetisser
les conseillers d'Etat, si importants et si splendides personnages s'ous Napoléon ". (Mémoires secrets du marquis de Villeneuve, II, p. 141).
(li) Une ordonnance du 10 juillet institua un collège d'avocats au Oonseil
d'Etat qui seraient « soumis aux règles tle discipline portées par le titre
XVII de la seconde partie du r~glement du Conseil du 28 iuin 1738
et par les arrêts du Conseil intervenus en conformité dudit règlement ".
La même ordonnance fixa leur nombre maximum à soixante et en nomma
cinquante-neuf qui comprirent, ,j}. quelques exceptions près, les .v ingt-deux
avocats au Conseil existant sous .l'Empire. Parmi ceux qui furent éliminés
figurait l'ancien conventionnel régicide Mailhe, qui avait cependant 'iigné
dès le 4 avril la déclaration des avocats ,à la .cour de cassation et q,uelques
jours plus tard celle des avocats au Conseil d'Etat, l'une et l'autre en faveur
de la restauration des 'Bourbons.
117
-
�légales ayant donné lieu à plusieurs pourvois en cassation dans
une même affaire (2~). Il ne se borne pas à fournir des raisons
de principe en faveur de l'interprétation purement législative ;
il dénie au Conseil d'Etat nouveau toute existence constitutionnelle et lui refuse les attributions étendues de son devancier. Sur
ce point aussi plusieurs voix lui font écho tant au Luxembourg
qu'au Palais-Bourbon (23).
Ces manifestations, auxquelles ne sont pas étrangères les
rancunes jalouses des anciens députés et sénateurs de l'Empire,
ne sont cependant que la suite normale de l'étrange attitude prise
par le nouveau roi et ses inspirateurs envers le corps . consultatif
qui a ·été pendant quatorze ans un des facteurs efficaces de
la prépondérance gouvernementale. En s'abstenant de consacrer
dans la Charte son existence et son rôle, en amoindrissant sa
situation et son activité ils l'ont sciemment abaissé devant les
assemblées politiques mais ils ont aussi contribué à préparer
pour un temps proche d'autres déclins que celui du Conseil
d'Etat.
Si la situation de ce dernier corps se trouve bien diminuée,
son rôle exige cependant le même genre d'aptitudes techniques,
à tout le moins chez la plupart de ses membres. Encore que ce
soit là, presque toujours, un facteur secondaire lors des distributions de postes qui suivent les changements de régime, il
(11) La motion de Dumolard donna lieu à plusieurs diso::>urs dans chaque chambre et finalement une résolution fut votée en ce sens par la
Chambr~ des députés le ZI septembre 1814 puis, avec des amendements,
par la Chambre de.. pairs le II octobre. La loi du 16 septembre 18°7 ne
fut cependant abrogée que par celle du 30 juillet 18z8.
L'argumentation mise en avant est propre à faire condamner aussi,
comme inconciliable avec la Charte et les principes constitutionnels, l'interprétation des lois par des avis du Conseil d'Etat auxquels l'approbation
gouvernementale donnerait force obligatooire.
(z3) Séance du 4 août 1814. Discours de Dumolard :
Plus sage que la constitution de l'an VIII, elle [la Charte] n'a point
institué de conseil d'Etat, elle ne reconnaît que le Roi et ses ministres. Le
conseil dont il plaît au prince de s'entourer est important sans doute, mais
il n'est rien dans l'ordre constitutionnel. Ses actes, par rapport à n'Ous, ne
sont pas de lui mais du Roi, sous la responsabilité des ministres : CC!
serait donc une erreur évidente de le .f.onfondre avec le conseil d'Etat qui,
bien que subordonné à l'Empereur, avait une existence constitutionnelle.
Ce serait une erreur de soutenir que sans examen, les attributions de l'un
sont aujourd'hui le patrimoine de l'autre. ,. (Archives parlementaires, XII,
p. z35)·
L'ancien sénateur Cornudet proclamait de même à ce sujet, le . II octobre 1814, dans la Chambre des pairs :
" Mais le conseil... n'est pas un corps de l'Etat, car il n'est pas indiqué
dans la Charte, et la loi seule peut établir des fonctions publiques. Les
fonctions des membres de ce conseil n'appartiennent qu'à une auguste oonfiance privée. N'existant ni ~ans la Charte, ni dans aucune loi, elles sont
sans titre devant les citoyens et ne peuvent leur imposer aucune obligaüon
ni donner aucune règle d'autorité au pouvoir judiciaire. ,. (Id. XIII, p. 124)'
«
n8 -.
�faut bien accepter que l'ancien Conseil d'Etat se survive, en
partie, dans son successeur par la composition de ce dernier.
Mais, à cet égard encore, le déclin est sensible.
L'ordonnance du 5 juillet 1814 prend parmi les ancIens membres du Conseil d'Etat impérial environ la moitié des nouveaux
conseillers et une plus forte proportion des maîtres des requêtes. Quels éléments dictent les choix ? Sans doute le passé
lointain ou récent des intéressés, la date de leur ralliement à
la royauté et les chances de solidité qu'il paraît offrir, l'absence
de rancunes soulevées, l'entretien de relatiops avec quelque
personnage bien en cour, sans doute aussi (du moins pour plusieurs) les réputations faites quant aux aptitudes (2~).
\
').
Le r~ste du personnel est choisi p.resque en entier parmi les
survivants de la magistrature ou de l'administration d'Ancien
Régime. Leur long éloignement des affaires publiques et l'âge
avancé de la plupart ne permettent pas d'en attendre de grands
services actuels ; l'ordonnance en affecte cependant p.rès de la
moitié au service ordinaire (25).
Les vingt-cinq conseillers ordinaires nommés le 5 juillet
comprennent treize membres' du Conseil d'Etat impérial: Bé(24) Dans le carton AF V 3 le dossier Conseil d'Etat contient une liste
des conseillers et des maîtres des requêtes de J'Empire retrouvée dans le
portefeuille de la secrétairerie d'Etat royale. Elle a sans doute été dressée
en avril ou mai 1814, mais d'aprè;; l'Altnlllnach impérial de 18IJ car le
seul changement postérieur dont elle tienne compte est la fl'ominaüon
de Champy comme maître des requêtes, réalisée en novembre 1813. Presque
tous les noms sont suivis d'une appréciation émanant d'un premier annotateur
qui est très probablement Laumond car c'est le seul conseiller en service
ordinaire qui, figurant sur l'Almanach imPérial de 1813, se trouve cependant
omis sur cette liste. La plupart de ces appréciations ont été oomplétées, Coorrigées, (en un esprit plus dénigrant), voire parfois rayées par une lutre
main, sans doute celle d'un homme de rang plus élevé dans le nouvea.u
régime et destinataire de la liste commentée. Cc pourrait être Vitrolles
mais alors il a dû tenir une partie de ses jugements d'un ou plusieurs
autres informateurs ayant a.ppartenu, comme le premier, au service ordinaire
du Conseil.
On ignore si cette liste a pu servir, comme élément partiel, pour
le recrutement du nouveau conseil, dont le servioe ordinaire oomprit des
hommes peu prisés par le second annotateur, tels Bégouen " homme médiocre mais honnête ", Pelet ~ homme très médiocre ", Français ~ peu
estimé ", Gérando « métaphysicien... homme très ordinaire ...
(25) « Leur principal devoir les appelait à appliquer des lois et des
règlements dont ils n'avaient pas la moindre notion. Ils auraient étt on
ne saurait mieux placé') parmi les conseillers d'Etat honoraires ; mais
on voulait leur assurer des traitements que ce ~itre ne leur aurait pas.
donnés. " (PASQUIER. Mémoirer, III, p. 16).
L'un d'eux, ex-intendant du Languedoc, fut même placé à la tête
du comité de l'Intérieur : c Le souvenir des années passées dans l'ancien
conseil me rendait plus dur le déplaisir d'avoir un pareil président .. ,
(Id., III, p. 40)' Or c'est celui-ci qu'après les Cent-Jours une ordonnance
du 13 novembre 1815 devait charger de présider, en l'absence des ministres, l'assemblée plénière du Conseil d'Etat.
119
-
�gouen, Bérenger, Beugnot, Corvet~o, Delamalle, Faure, Français,
Gérando, Henrion de Pansey, Pelet et les ex-maîtres des requêtes
Anglès, Chabrol de Crouzol, Cuvier. Les autres sont l'ex-préfet
Jourdan (dit des Bouches-du-Rhône), Dupont de Nemours, naguère secrétaire général du gouvernement provisoire (âgé de
75 ans), et dix anciens intendants de généralité, magistrats des
parlements ou maîtres des requêtes de l'hôtel (26).
Les quinze conseillers en service extraordinaire comptent
huit membres effectifs du Conseil de Napoléon: Bergon, Duchâtel, d'Hauterive, Laumond, La Besnardière, Pasquier, Portalis fils (qui avait été destitué en janvier 1811) et l'ex-maître des
requêtes Chabrol de Volvic ; en outre deux hommes qui, bien
qu'ayant figuré sur les listes du Conseil, n'y furent jamais en
service ordinaire: Laforest et l'ex-maître des requêtes Séguier.
Parmi les cinq autres se trouvent Royer-Collard et l' ancien mi",nistre plénipotentiaire Dura~d (de Mareuil) (27) .
.\
.
"
1
Il existe en fait deux sortes de conseillers d'Etat honoraires.
L'ordonnance du ' 29 juin attribue ce titre à tous les conseillers
à vie de l'Empire (sans citer leurs noms) et leur accorde une
pension égale au tiers du traitement ' fixe des nouveaux conseillers en service ordinaire, ce qui fixe le montant de cette pension à 4.000 francs. Ces conseillers sont au nombre de vingt.
Le Roi peut en outre nommer conseillers honoraires tels personnages qu'il veut. L'ordonnance du 5 juillet en désigne vingtquatre dont huit ont appartenu sous l'Empire au service ordinaire : Caffarelli, Otto, Chauvelin, Mathieu Dumas, Costaz,
Dulauloy s'y trouvaient encore en mars 1814 ainsi qu'Allent,
à cette époque maître des requêtes, et · Frochot l'avait quitté
par destitution en décembre 1812. Bourrienne et Qau n'avaient
jamais figuré que sur la liste du service extraordinaire et le
premier en avait été rayé à la fin .de 1802. Quelques-uns de
(26) Beugnot et Bérenger étaient directeurs généraux de la Police et
des Contributions indirectes, Henrion de Pansey président de chambre à la
Cour de cassation. Corvetto, né Gênois, était nommé conseiller « en obt~
nant nos lettres de naturalisapon ,. qui furent signées le 6 décembre. Le
premier annotateur de la liste susvisée écrit à son sujet : « sera une
très grande perte pour la France ; si sa sa.nté était bonne, ce serait
un bon ministre Il. Le second commentateur de cette liste voit en Beugnot
un homme d'esprit et de rédaction sans caractère ».
(27) Pasquier, DuchâteI, Bergon, Laumond dirigeaient respectivement les
Ponts-et-Chaussées, l'Enregistrement, les Forêts, les Mines. D'Hauterive et
La Besnardière conservaient leurs fonctions au ministère des Affaires étrangères, Chabrol la préfecture de la Seine, Portalis fils et Séguier la présidence des cours d'appel d'Angers et de Paris.
Dans la li'ite précitée de AF V 3, le premier annotateur voit en Pasquier un « mar)str'at intègre et éclairé » mais le second raie la première
épithète et ajoute « plein d'amour-propre et cassant ,.. Le même censeur
juge Bergon « faible de moyens ,. , Laforest « bomme ordinaire, d'un
esprit lourd » et Chabrol de Volvic « d'un caractère dQuteux ».
Il0
�ces hommes remplissent déjà en juillet 1814 des fonctions individuelles, d'autres en recevront bientôt (28). L'ordonnance du
5 juillet nomme en outre conseillers d'Etat honoraires quatorze
anciens magistrats et intendants, survivants du règne de
Louis XVI, çt parmi eux Joly de Fleury, le dernier procureur
général au parlement de Paris. Et dans l'ordonnance du 5 juillet, et dans l'Almanach royal paru au début de 1815, la liste
des conseillers d'Etat honoraires passe sous silence les anciens
conseillers à vie de l'Empire, · même ceux qui remplissent une
fonction effective ; sans doute est-ce afin de ne pas avoir à nommer les autres, ceux que le Gouvernement veut ignorer.
Le Conseil d'Etat impérial fournit trente-deux des .quarantehuit maîtres des requêtes ordinaires. On trouve en effet parmi
eux Gilbert de Voisins, Favard de Langlade, Zangiacomi, Coffinhal-Dunoyer (qui conservent en outre leurs fonctions judiciaires), Maillard, Jaubert, Portal, Pelet fils, Villot de Fréville,
La Bouillerie (29) et vingt-deux anciens auditeurs dont l'exintendant du Trésor Taboureau, les ex-préfets Maurice et CamusDumartroy, l'ex-substitut Delaire, les fils des anciens .sénateurs
(maintenant pairs de France) Iy1aleville et Pastoret (30). Les
seize autres maîtres des requêtes en service ordinaire com- prennent des personnages de provenance très variée: deux
hommes qualifiés à tort anciens auditeurs (dont le fils de Boissy
d'Anglas), deux ex-membres de l'Assemblée constituante, des
magistrats de l'Ancien Régime ou de l'Empire, quelques fonctionnaires parmi lesquels « Didier, ancien avocat, directeur de
l'école de droit à Grenoble» qui devait être deux ans plus tard,
dans l'Isère, le chef d'une insurrection anti-royaliste et mourir
sur l'échafaud.
Les vingt-trois maîtres des requêtes surnuméraires nommés le
5 juillet comprennent dix-huit anciens auditeurs dont l'ex-com(18) Allent, chef d'état-major des gardes nationales, fut nommé ensuite conseiller en service extraordinaire. Dulauloy était l'un des inspecteurs
généraux d'artillerie. Mathieu Dumas devint plus tard directeur génér..tl
de la CaÎsse des invalides et il fut question de lui pour le minis~ère. de
la Marine . Bourrienne ne conserva pas la direction générale des Post'es ;
il fut désigné plus tard pour aller représenter la France à' Hambourg, ,ancien théâtre de ses plus brillants exploits financiers, mais il ne s'y était
pas encore r,e ndu en mars 1815 et il fut nommé, le 14, aux fonctions de
préfet de police, rétablies par le Gouvernement chancelant.
(19) La Bouillerie l"esta intendant du Trésor de la Liste êivile et Pelet
administrateur de ses forêts.
(30) Dans la liste précitée (AF V 3) le second commentateur après .1.voir
ajouté aux conseillers et maîtres des requêtes cinq auditeurs qu'il considère
comme les plus forts dans leur partie respective ·(Saint-Didier, Delahante,
Froidefond de Bellisle, Bérard, Cormenin), a écrit, en visant seulement le
service ordinaire : « le reste des auditeurs sans mérite JO ce qui est
jugement bien sommail'e. Bérard et Froidefond de Bellisle figurent parmi
les maîtres des requêtes en service ordinaire nommés le 5 juillet 1814, ainsi
que plusieurs des ex-auditeurs sam mérite.
u"
121
_
�missaire général de police Pavée de Vandeuvre, Frochot fils et
Cormenin (31). L'ordonnance proclame eUe-même le rôle joué
par le népotisme dans le choix des cinq autres maîtres des requêtes surnuméraires car elle fait suivre leur nom des seules
qualités: fils du chancelier (Dambray), ... fils du contrôleur général d'01'messon, ... fils de l'intendant des finances, ... fils d'un
maître des requêtes de l'hôtel, ... fils du président (au parlement
de Paris), petit-gendre de M. de Malesherbes. Un des anciens auditeurs est aussi qualifié : fils du grand sénéchal de Languedoc.
Deux fonctionnaires, étrangers au Conseil d'Etat impérial, furent
également nommés maîtres des requêtes surnuméraires avant la
fin de 1814.
Les maîtres des requêtes honoraires comptent pour partie
des membres de droit mais en vertu de l'ordonnance du 5 juillet
et non de celle du 29 juin. Ce titre appartient en effet à tous
les ex-maîtres des requêtes (de l'Ancien Régime ou de l'Empire)
qui ne figurent pas dans l'une des autres catégories du nouveau
Conseil. L'ordonnance ne les énumère pas, l'Almanach royal
pas davantage et cette dernière publication ne mentionne ce titre
que pour une partie de ceux qu'elle cite à propos de leurs fonctions individuelles. L'un d'eux, Mounier fils, par ailleurs intendant
des bâtiments de la Liste civile, fut attaché à l'un des comités
du Conseil. Les dix-huit maîtres des requêtes honoraires expressément nommés par l'ordonnance du 5 juillet comprennent sept
maîtres des requêtes de l'Empire: Redon fils, Champy, Laborde(-l\léréville), Belleville, Gasson, Rayneval, Dupont-Delporte. ·En
font aussi partie sept anciens auditeurs dont les ex-préfets Abrial,
de Breteuil, de Plancy. Sauf Abrial, Breteuil et Dupont-Delporte,
ces dix-huit maîtres des requêtes honoraires remplirent des fonctions administratives individuelles. Deux autres fonctionnaires,
ex-auditeurs, furent nommés dans la suite maîtres des requêtes
honoraires.
Malgré la disparition des sections de la Guerre et de la Marine (qui fit écarter plusieurs conseillers)~ le Conseil d'Etat
impérial fournit donc au corps qui lui succéda une grande partie
de ses membres, surtout pour le service ordinaire, et sans aucun doute les éléments les plus aptes du nouveau Conseil à
bien remplir la tâche encore importante, quoique amoindrie, dont
il pouvait se trouver chargé. L'ancien secrétaire général du
Conseil, Locré, fut nommé au même poste le 6 juillet.
La co~position du Conseil d'Etat subit peu de changements
pendant la première Restauration. Toutefois Beugnot quitta ce
(31) Le baron de Vandeuvre assuma la. surveillance des approvisionnements
de Paris. Neuf de ses collègues, dont Cormenin' et cinq autres des anciens auditeurs, figurent à l'Almanacb royal comme attachés aux comités
du Conseil.
112
-
�corps .p our remplacer au minis tère de la Marine Malouet mort
le 8 septembre. " Pendant près de trois mois les milieux gouvernementaux se divisèrent quant au choix à faire, d'ailleurs entre
des hommes tous étrangers à la marine, si ce n'est que Dubouchage, candidat du duc d'Angoulème, avait occupé ce ministère
pendant moins de trois semaines en 1792 et... la préfecture
des Alpes-Maritimes depuis onze ans. Beugnot fut enfin nommé,
le 2 décembre, sans avoir eu d'autres rapports avec la mer et
la marine que l'occupation de la préfecture de la Seine-Inférieure
de 1800 à 1805. Mais jadis Berryer puis Sartine n'étaient-ils pas,
eux aussi, devenus secrétaires d'Etat à la Marine en quittant
la lieutenance générale de police de Paris ? (32).
Parmi les conseillers d'Etat encore investis de cette qualité
à la fin de l'Empire, plusieurs autres occupèrent aussi des fonctions officielles dès les premiers mois de la Restauration. Gouvion Saint-Cyr fut pair de France, Ganteaume reçut (ainsi que
deux autres vice-amiraux) le titre honorifique de premier inspecteur général de la Marine et fit partie de plusieurs commissions. Bourcier resta dans l'armée et devint au début de 1815
l'un des inspecteurs généraux de la cavalerie. Najac fut inspecteur
général des classes au ministère de la Marine. Andréossy demëura pendant quelques mois ambassadeur à Constantinople et
Jullien préfet du Morbihan tandis que Muraire et Merlin conservaient provisoirement leurs fonctions respectives à la Cour de
cassation,
Dalberg ~btint la récompense du rôle joué par lui auprès de
Talleyrand. Il fut ministre d'Etat, comme tous les anciens membres du gouvernement provisoire, et reçut le grand cordon de
la Légion d'honneur. Sa ville natale, Mayence, étant enlevée à
la France, il lui fallait, comme à Masséna, comme à Corvetto,
des lettres de naturalisation pour demeurer sujet français. Il ne
les demanda pas en 1814, ne sachant encore s'il ne changerait
pas à nouveau de patrie adoptive. Il fut cependant un des
représentants officiels du roi de France au congrès de Vienne (33).
(31) Barante écrivait alors au sujet de Beugnot :
« II est d'espoir pour les vaisseaux, car il a joliment mené sa. barque.
(Souvenirs , II, p. 92).
(33) Cf. Ct WEIL. Les dessous du congrès de Vienne, notamment l,
pp. 14 8 , 149, 150, 16 4, 389, 409, 694, 737·
Dalberg fut l'un des diplomates chez lesquels les agents secrets de
la police autrichienne firent les plu'i abondantes trouvailles de papiers,
même priv,és. Un rapport du 21 septembre déclare : « Talleyrand a. 1''1il'"
de n'employer Dalberg que comme espion et comme secrétaire ". (1 p. 164)'
Il n'avait pas attendu le congrès de Vienne pour cela mais Dalberg pouvait
lui être utile par sa connaissance des affaires allemandes et &es relations
dans les milieux diplomatiques ainsi que dans l'aristocratie autrichienne.
Dans la liste, ci-dessus visée, des membres du Conseil d'Etat impérial, le
premier annotateur n'a rien écrit devant le nom de Dalherg. Le second
a seulement porté « Homme d'esprit ".
•
-~
" <1[
�Il paraît s'y être occupé au moins autant de jeu et de galanterie
(distractions fort à la mode 'en ce festival diplomatique) et de
la sauvegarde des intérêts patrimoniaux qu'il possédait à Ratisbonne que du remaniement territorial de l'Europe. Mais malgré
ses efforts pour justifier aux yeux des Allemands son installation
en France, beaucoup d'entre eux le traitèrent conlme un
transfuge (34).
Parmi les anciens maîtres des requêtes, Préval servit, comme
on l'a vu, dans l'armée ; Félix fut inspecteur aux revues pour les
quatre compagnies rouges de la Maison du Roi. Nougarède de Fayet
demeura président de chambre à la cour de Paris et, comme
membre du Corps législatif, fit partie automatiquement de la
Chambre des députés. ,Bondy et Fiévée conservèrent leurs préfectures respectives (35). Quant aux maîtres des requêtes qui
n.e l'avaient été sous l'Empire qu'en service extraordinaire, Mayneau de Pancemont (dans la magistrature), Bruyère, Bonnaire
et Finot (dans l'administration) gardèrent leurs postes antérieurs,
Marchant fut commissaire ordonnateur en chef ~t Lameth préfet
de la Somme.
. '.
Parmi ceux des membres du Conseil d'Etat impérial qui
cessèrent d'être Français, plusieurs reçurent de hautes fonctions
dans ~eurs pays respectifs. Van Maanen devint bientôt ministre
de la Justice dans le royaume des Pays-Bas. Dalberg retrouva
au Congrès de Vienne deux de ses anciens collègues : SaintMarsan, qui représentait à nouveau le roi de Sardaigne, et
Néri-Corsini, plénipotentiaire de Toscane, ainsi que son propre
(34) D'après un brouillon de lettre trouvé chez lui au début d'octobre
Dalberg écrivait :
1814,
« Les fureurs allemandes se déchaînent contr,e moi pour préférer une
existence en France que la bassesse et la lâcheté des princes d'Allemagne
m'ont forcé de choisir pour sauver ma fortune et pour être tranquille. ,.
(Ct WEIL. Op. cit, l, p. pl).
En effet dans le Mercure du Rhin du 21 octobre un article signé V,i
Dalberg déclare : '" Un seul (Dalberg) est devenu apostat de l'Allemagne et de 'sa famille ". (DARD Napoléon et Talleyrand ,p. 101). Stein,
auquel on annonçait pendant le congrès la visite de Dalberg, aurait répondu
que si celui-ci venait comme représentant de la France il le recevrait mais
que s;il s'agissait d'une visite personnelle il le chasserait à coups de pied.
(DARD. Dans l'entourage de l'Empereur, p. 152).
Pozzo di ,Borgo écrivait le 23 juillet de ,paris à Nesselrode : « Talleyrand
a voulu Dalberg malgré le roi et l'Allemagne ... (CorrespotJdance diplomatique du comte Pozzo di Borgo... l, p. 31).
_(35) Dans la liste d'AF V 3, le premier rédacteur attribue à 'Bondy
de l'esprit et de la me,rure da1ts son administration " !l'lais le second
ajoute : « opinions incertai1tes JO . La première appréciation relative à
Fiévée porte : « écrivain de tous les · partis, n'aurait pas dû quitter la
profession de iourtulliste ,. et il cl été ajouté " espion de BOtuJpart8 » •
«
...
' .'1;
�beau-frère, l;ex-maître des requêtes de BrÎgnoie, qui ne put
obtenir pour Gênes, sa patrie, le retour à l'indépendance (36).
Si la première Restauration employa la plupart des conseillers
et des maîtres des requêtes qui appartenaient au Conseil d'Etat
en avril 1814, d'autres furent tenus à l'écart des fonctions publiques bien que presque tous fussent désireux de servir le
nouveau régime et que plusieurs l'eussent manifesté (37). Quinze
conseillers. d'Etat furent l'objet de cette exclusion, seize si l'on
compte Jaubert qui, perdant son poste de gouverneur de la Banque de France, demeura seulenlent en 1814 ... chef d'une légion
de la garde nationale parisienne; il devint en janvier 1815 grand
officier de la Légion d'honneur puis conseiller à la Cour de
cassation.
Le~ motifs de ces seize exclusions ne sont pas évidents pour
tous les cas. Les conseillers d'Etat qui avaient suivi l'Impératrice
à la fin de mars furent tou~ atteints, même ceux qui s'étaient
hâtés de revenir à Paris ou d'envoyer leur adhésion au gouvernement provisoire. Il s'y ajouta quelques hommes auxquels on
ne pouvait faire le même reproche. D'autres raisons purent donc
intervenir et fermer à plusieurs l'éventualité d'une rentrée en
gr_âce relative comme celle dont· bénéficia Jaubert.
.,
'
Berlier, Thibaudeau, Quinette avaient été des régicides intégraux; le second n'avait d'ailleurs, semble-t-il, exprimé son
adhésion ni au gouvernement provisoire 'ni à la royauté. Le
nom ·de Réal évoquait la Commune de Paris et, souvenir plus
proche, les vides souvent sanglants creusés dans les rangs des
agents royalistes par l'activité de la police politique. Sans doute
un homme qui avait été jadis un actif ipformateur (voire indicateur) !le Fouché venait d'être nommé pair de France et capi-
(36) Beaucoup des hommes qui avaient quitté le Conseil d'Etat avant
la chute de l'Empire conservèrent leurs fonctions officielles ou en reçurent
de nouvelles pendant la première Restauration.
Sauf Chaptal et Rœderer, tous les sénateurs qui avûent jadis appartenu
au Conseil d'Etat (savoir Barbé-Marbois, Champagny, Chasseloup, Dejem,
Dupuy, Emmery, Gassendi, Redon, Sainte-Suzanne, Ségur, Shée) entrèrent
à la Chambre des pairs, ainsi que Clarke, Dessolles et Marmont. En outre
Dessolles occupa le poste de major général des gardes nationales commandant en chef celle de Paris ; Marmont fut capitaine de la sixième
compagnie de gardes du corps, Dejean gouverneur de l'école polytechnique:
Barbé-Marbois conserva la présidence de la Cour des comptes. Jourdan
resta gouverneur de la 1 jme division militaire ; Brune garda son titre de
maréchal mais ne fut pas employé ; Truguet, jadis aussi révolutionnaire,
devint comte et grand cordon de la Légion d'honneUl'. Siméon fut seule- •
ment préfet du Nord. Quand la tournure prise par le congrès de Vienne
provoqua des préparatifs militaires, Daru fut nommé, en décembre, intendant général d'armée. Clarke et Daru furent les seuls des derniers ministres
de l'Empire à être investis de fonctions officielles par la première Restauration.
(37) La question n'avait pas à se poser pour Mannay qui demeunit, à
ce moment du moins, ~v~que de .T reves.
-
uS -
�1
"
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' "
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tame
d'une
compagme
de
gardes du corps maIS
c'étaIt
un Montmorency, duc de Luxembourg. Boulay rappelait fructidor an V
avec ses proscriptions, la loi faite contre les ci-devant "nobles
et aussi le département des Domaines nationaux dirigé par lui
pendant huit ans, sans doute à l'encontre de nombreuses prétentions d'émigrés (38).
Regnaud peut avoir eu contre lui le rôle de premier plan
qu'il avait joué sous l'Empire et Dubois ses antécédents policiers
malgré son ralliement rapide et actif au gouvernement provisoire.
Tous deux turent sans doute desservis en outre par les bruits qui
couraient sur leur indélicatesse quant aux questions pécuniaires,
sur leur vie privée, sur leurs épouses, encore qu'à ces trois
points de vue M. le prince de Talleyrand, principal fondateur et
ministre le plus en vue du régime ... (39).
La conduite tenue sous la Révolution par Defermon, Lacuée,
Jollivet, Dauchy, était plus acceptable pour les Bour bons restaurés que celle de plusieurs sénateurs "devenus pairs de France.
Pommereul, Miot, Maret aîné n'avaient pas vraiment d'antécédents politiques. Tous avaient adhéré le 11 ou le 12 avril au
changement de régime et la Restauration employa d'autres conseillers qui ne s'étaient pas ralliés plus tôt (40). Defermon et
Lacuée (qui ne demeura pas gouverneur de l'Ecole polytechnique) "étaient peu~-être suspects en raison des hauts postes occupés
par eux sous l'Empire, Miot pour sa longue intimité avec Joseph
Bonaparte, M"a ret comme frère du duc de Bassano. Pommereul
était notoirement irreligieux et anticlérical. Que Dauchy, jadis
protecteur des émigrés rentrés (lorsqu'il était préfet du Consulat) ~t laissé sans emploi par l'Empereur depuis trois ans,
ait pu être intellectuellement diminué, ce n'était pas un obstacle
à ce qu'il reçût du moins le titre de conseiller d'Etat honoraire,
surtout sous un régime qui confiait des fonctions actives 'très
(38) Dans la liste annotée d'AF V 3, il avait d'abord été écrit dennt
les nom5 de Boulay, Berlier, Réal : « Les opinions sont fixées sur leur
compte ". Mais une autre main l remplacé ce,s mots par : « Colonnes
de l'administration de Bonpp.arte et d'après ceu, repoussés par l'opinio1J ».
Pour Thibaudeau, à l'appréciation initiale " de l'école Regnaud » il a été
ajouté: " un grand talent (a voté) ". Pour Quinette, qualifié de « IHm
administrateur » on a 'lussi ajouté : « a voté ! ".
(39) Dans la liste précitée le premier annoteur a -écrit quant à Regnaud :
Corruption la plus épouvantable. De grands talents " et il apprécie ainsi
Dubois : " corruption, entouré de caMille ".
«
<
, (40) Lacuée
Louis :
« Je puis et
XVIII et son
(]. HUMBERT.
écrivait le
Il
juin 1814 en sollicitant la croix de SOlint
je dois dire que mon dévouement pour Sa Majesté Lquis
auguste maison ne sera surpassé par aucun autre » .
].G. Lacuée, comte de Cesrac, p. lll).
-
126 --
�importantes à un Ferrand. fignore SI quelque grief particulier
fut retenu contre Jollivet qui était, semble-t-il, allé à Blois
avec la Régence (41).
Quant à Lavallette, sa femme était la mece de l'Impératrice
Joséphine, il avait quitté volontairement la direction des Postes
.dès le 31 mars pour rester fidèle à l'Empereur et le laconisme
de son adhésion donnée le 12 avril ne le montrait pas enthousiaste du nouveau régime (42). ·
Si tous les anciens maîtres des requêtes demeurés Français
avaient reçu, par une mesure générale, le titre de maître des
requêtes honoraire, plusieUl's d'entre eux (en dehors de Meneval
alors à Vienne où il avait suivi Marie-Louise) furent laissés sans
emploi et non seulement Las Cases, Lacuée, Fain, Lelorgne
d'ldeville qui pouvaient être suspects à divers titres mais encore d'Alphonse, Coquebert de Montbret, Merlet, voire Janet ;
le rôle naguère joué à Rome par celui-ci ne fut pas effacé par
sa très rapide adhésion au gouvernement provisoire (43).
Plusieurs des anciens conseillers d'Etat et maîtres des requêtes de l'Empire qui avaient d'abord conservé leurs fonctions
(41) La liste précitée d'AF V 3 ne comprend pas Lacuée et Miot car
ils n'étaient pa., conseillers d'Etat quand fut publié l'AlmanAcb impérial de
1813. Pour Defermon, le premier rédacteur avait écrit : « Il eût été à
désirer que ses principes eussent été aussi purs que ses intentions. C'e,'
un par/~it honnête homme
Mais cette dernière phrase a été rayée et
une autre main lui a substitué : ~ instrument le plus odieux de l,a
tyrannie fitUmcière, détesté JO . Rien n'a été ajouté aux indications qui
relèvent l'expérience de ]ollivet en matière hypothécaire, qualifient Maret :
«
faible au conseil, peu fort dans l'administration des vivres " et montrent Pommereul « faisant profession de regarder comme préiugés ce que
non seulement la religion mais encore la morale devraient Jaire respecter ".
Après le nom de Dauchy se trouve ce seul mot
Fuit " bien que
l'intéressé fût vivant.
(42) Selon Pasquier, Lavallette, qui remplissait à la fin de l'Empire
les conditions voulues pour être nommé conseiller d'Etat à vie mais
n'avait pas demandé et reçu le brevet, tenta de se faire reconnaître la
qualité de conseiller d'Etat honoraire. Mais, malgré les efforts de Pasquier,
Dambray le lui refusa, ce qui exaspéra l'hostilité de Lavallette contre la
royauté (PASQUIER, III, pp. 17-18). D'après Molé, Lavallette dé5irait
conserver même les fonctions de conseiller d'Etat, tenta en vain de se
faire, du moins, maintenir le titre et obtint difficilement une pension ;
tous ces griefs, aggravés par une impolitesse de son successeur Ferrand,
auraient fait de lui « le plus implacable ennemi des Bourbons ». (Mis de
NOAILLES. Le comte Molé, l, p. 110).
(43) Dans la liste commentée des membres du Conseil d'Etat impérial,
Janet est qualifié " liquidateur de l'école Defermon » et le second annotateur
a ajouté " sans probité, ni délJcatesse, méprisé, ayant Jait des vilainies à
Rome lI . Le même attribue peu de mérite à Las Cases, très peu de
mérite à Merlet, voit dans Lacuée un Jou, · dans Meneval et Fain des
commis et il impute à d' Alphon~e des opinions révolutiontJaires mais il
acèepte l'opinion qui reconnaît à Coquebert de Montbret des connaissances étend'ues, un mérite distirngué et il y ajoute de la retenue.
JO .
• 1
:'"
�individuelles ies perdirent au hout de queiques mOls. Jullien et
Bonnaire, qui n'avaient jamais eu avec le Conseil d'Etat d'autre
lien que le titre de conseil1er ou de maître des requêtes en
service extraordinaire, furent écartés de leurs préfectures le
premier en juillet 1814 et le second en janvier 1815. Il en fut
de même de B~ndy remplacé à la préfecture du Rhône par
Chabrol de Crouzol le 22 novembre 1814. Andréossy fut rappelé en août de l'ambassade de Constantinople (44).
Il était un personnage plus notoire dont, en dépit de sa valeur
comme juriste, le maintien au poste de procureur général près
de la Cour de cassation devait paraître bien difficile aux royalistes les plus modérés : Merlin de Douai, résicide, rédacteur
de la loi des suspects, fructidorien. Mais le Gouvernement remit
d'abord à plus tard de réviser la composition des tribunaux.
Merlin comptait prêter son concours à la Restauration comme à
n'importe quel régime et il fit la sourde oreille quand on voulut
l'inviter à se démettre. Mais au début de 1815 le moment
d'épurer la magistrature parut venu. Il est peu probable que
Merlin ait fait partie de la dép\ltation envoyée par la Cour de
cassation le 21 janvier pour assister au transfert du cercueil
de Louis XVI à Saint-Denis. Une surveillance policière, qui visait
à trouver contre lui des griefs récents pour faciliter son élimination, ne fournit rien de précis (45).
Cependant, le 15 février, une ordonnance fixa la composItIOn
nouvelle de la Cour de cassation. Merlin fut mis à la retraite ;
Lacuée était neveu du mInlstre d'Etat comte de Cessac et gendre
de Réal. Las Cases, malgré son nom et ses campagnes d'émigration,
n'obtint pas (quoi qu'en ait dit F. Masson dans Napoléon à Sainte-Hélètle
p. 149) le poste de. conseiIler d'Etat qu'il demandait. II attribua oet échec
à ce qu'il était resté fidèle à Napoléon jusqu'à l'abdication et s'en ftait
fait honneur dans sa lettre au chancelier Dambray. Il devint toutefois,
sur sa demande, capitaine de vaisseau honoraire. (Mémorial... 21-11 novembre 1815. Edition critique, 1 pp. 260-161).
(<<) De Vienne, Talleyrand écrivait à Louis XVIII le 19 janvier 1815 :
c
Le général Andréossi a passé ici en revenant de Constantinople :
son langage est très bon ; il m'a fait une profession de ft{)i telle que je
pouvais la désirer. C'est un homme d'esprit qui a occupé des places
considérables et qui est susceptible d'être employé
(Correspondance inédite
du prince de T alleyrand et du roi Louis XV 111 pendant le congrès de
Vienne, pp. 134-135).
(45) GRUFFY. La vie et l'œuvre iuridique de Merlin de Douai,
pp. 90-93·
Le 10 février 1815 l'inspecteur général de police Foudras nie que
Merlin reçoive souvent Barras mais lui impute de voir Fouché " avec
mystère -, de rendre visite à ·Cambacérès et d'accueillir chez lui des
magistrats mécontents ou anciens jacobins ainsi que des généraux collègues
et amis de son fils :
c
M. Merlin est très mécontent, et depuis qu'il est menacé d'être
éliminé -de la cour de cas~tion il ne le cache po~nlt. ,. Cf. THIBAUDEAU
Mémoires, p. 412 : «S~vant jurisconsulte mais l'homme d'Etat médiocre,
faible, égoiste, Merlin n'aurait pas mieux demandé que de s'arranger
avec la Restauration lt.
JO.
�il
ouvrit un cabinet de consultation. Le premier président Muraire, ex-proscrit de fructidor, fut aussi écarté ; ce ne fut pas
à cause de son passé politique, de ses opinions ou d'un défaut,
Inême relatif, de souplesse. Peut-être le dérangement de sa situation pécuniaire contribua-t-il à son éviction mais celle-ci tint
sans doute surtout à une autre cause : sa place était destinée
à l'avocat Desèze qui, pour avoir défendu Louis XVI (à titre
professionnel et contre rémunération) vingt-deux ans plus tôt,
fit ainsi ses débuts dans la magistrature à la tête de la plus
haute juridiction. Le lendemain une ordonnance nomma d'ailleurs
M.uraire premier président honoraire en lui laissant ses prérogatives honorifiques et la moitié de son traitement d'activité outre la pension des ex-conseillers d'Etat à .vie. Les autres men1bres du Conseil qui appartenaient à la Cour de cassation y
furent maintenus. Merlin fut l'un des hommes qu'une ordonnance
royale, signée le 5 mars mais dont les év~nements firent différer
la publication, écartait de l'Institut.
La première Restauration employa bon nombre d'anciens
auditeurs. Beaucoup avaient été recrutés, surtout depuis 1810,
dans des familles qui, appartenant à la noblesse ou à la magistrature de l'Ancien Régime, n'en avaient pas répudié entièrement
l'esprit ; plusieurs étaient fils d'émigrés. Même lorsque le passage au Conseil d'Etat ou dans l'administration impériale avait
pu neutraliser plus ou moins l'influence de leurs proc~s et de
leurs relations sociales, la restauration des Bourbons ram'e na
facilement ces auditeurs au royalisme, à tel ou tel de ses divers
courants. Ils s'y rencontrèrent avec une partie de leurs anciens
collègues d'origine différente.
Aux ~1}S et aux autres le changement de reglme offrait des
perspectives d'avancement bien que l'amoindrissement du territoire français fît disparaître des emplois et que l'épuration
administrative n'ait pas été très étendue en 1814. Encore que
l'aptitude technique n'ait guère été prise en considération pour
le choix de plusieurs ministres ou directeurs généraux, les exauditeurs pouvaient compter que la formation administrative
reçue (ou ébauchée) leur donnerait des chances sérieuses d'être
employés s'ils étaient en outre bien pourv~s de relations utiles.
Il en fut ainsi pour beaucoup. Cinquante ex-auditeurs entrèrent dans les trois catégories de maîtres des requêtes, dont
vingt-deux au service ordinaire du nouveau Conseil d'Etat. Sur
vingt-cinq auditeurs qui occupaient en mars 1814 une préfectute
dans les départements qui restèrent fra~çais, ~uatorze (y compris Finot nommé maître des requêtes le 23 mars) conservaient
leur poste à la fin de juin et parmi les onze autres deux fure!1t
nommés maîtres des r:equêtes ordinaires. Trois de ceux dont
la préfecture se trouvait en des territoires désormais perdus en
reçurent une nouvelle et cinq ~qtres des anciens auditeurs de-
119
�vInrent aussi préfets. Latour-Maubourg, déj~ ministre plénipotentiaire à la chute de l'Empire, fut chargé d'affaires de France
à Hanovre et quelques autres furent employés dans là diplomatie
comme secrétaires d'ambassade ou de légation. Beaucoup ~'ex
auditeurs demeurèrent ou devinrent soit sous-préfets, soit titulaires de quelque autre poste administratif. Enfin quelques-uns
se sentirent entraînés soudain par une vocation militaire que
n'avait pu éveiller l'Empire et ils entrèrent comme officiers
dans l'armée ou dans la Maison du Roi (46).
Les postes maintenus ou attribués au début de la premlere
Restauration ne furent d'ail1eur~ pas tous conservés par leurs
titulaires jusqu'en mars 1815 et trois anciens auditeurs, dont
l'arrière petit-fils du maréchal de Contades, furent remplacés
dans leur préfecture avant la fin de l'année (47).
Victor de Broglie, chef de la branche aînée de sa famille, reprit comme tel son titre de duc et il fut nommé membre de la
Chambre des pairs de même que les autres représentants des
anciennes familles ducales. N'ayant que vingt-neuf ans, il devait
attendre une année pour posséder voix délibérative. Il s'abstint
de prendre la parole dans cette chambre mais, assure-t-il, ses
opinions libérales, ses relations avec des hommes de même opinion, notamment d'Argenson, La Fayette, Benjamin Constant,
et avec . quelques bonapartistes (Regnaud, Maret) ~e rendirent
suspect à la cour et à la société royaliste. La nouvelle de son
prochain mariage avec la fille de Madame de Staël ne fut. sans
doute pas faite pour atténuer cette défiance (48).
(46) Ainsi Alfred de Chastellux, naguère sous-préfet à Hambourg,
devint capitaine; Humbert de la Tour du Pin, sous-préfet de Sens,
aborda la carrière des armes comme sous-lieutenant dans les mousquetaires, ce qui le faisait major (lieutenant colonel) à vingt-quatre ans. Devoenu
plus tard aide de camp du maréchal Victor, il fut tué en duel par un
de ses collègues en janvier 1816. (Mise ae la TOUR DU PIN. Journal
d'une femme de cinqrumte ans, 1, pp. XVII-XXIII).
(47) Girod de Viennay, baron de Trémont (1 S juillet), Bergognié (14
septembre), Contades (3 novembre).
Il se peut que le remplacement de celui-ci ait été provoqué par le
discours qu'il adressa le 1 S octobre au oonseil général du Puy-de-Dôme.
Il s'y vantait d'avoir, avant h chute de l'Empire, évité d'exécuter une partie
des ordres concernant les levées de troupes et les réquisitions à ftOurnir
par le département. Ceci ne pouvait le desservir en haut lieu. Mais il
s'élevait ensuite contre les exactioM commises par l'ennemi, c'est-à-dire
par un corps autrichien qui « entra comme allié et se conduisit, sous
plusieurs rapports en véritable ennemi... " et il se félicitait d'avoir pu
«
hâter le départ de cette armé~ dévastatrice ». (BONNEFOY. Hisloire
de l'administration civile dans la province d'Auvergne et le déjMrtement du
P,u y-de-Dôme, II, pp. 4S7-4S9).
Trémont déclare que lui-même donna sa démission. (Revue bleue,
7 mai 1911 p. 181).
(48) V. de BROGLIE. Souvenirs, 1, pp. 158-164. La reine Hortense le
cite dans ses Mémoires (II, p. 290) parmi les hommes qui fréquentaient )lors
son 'ialon.
1)0
-
�D'autres auditeurs de l'Empire, même d'ancienne noblesse,
sincèrement ralliés à la Restauration et désireux d'être employés,
se virent écarter en raison de leur passé, soit à demi comme
Breteuil, qui fut maître des requêtes honoraire mais n'obtint
pas la préfecture demandée, soit totalement comme Tournon. Le
premier eut sans doute contre lui le zèle impérialiste manifesté
l'année précédente à Hambourg; le fait d'avoir été préfet de
Rome suffit à discréditer le second, malgré des appuis nombreux
et ses allégations, d'ailleurs exactes, concernant les adoucissements qu'il avait apportés à l'exécution des rigueurs impériales
envers le clergé romain (49).
Tournon n'en demeura pas moins fidèle au royalisme libéral.
Mais d'autres déceptions entraînèrent des revirements rapides
parmi les anciens auditeurs. Perrégaux, qui selon son beau-frère
Marmont, prônait la restauration des Bourbons dès le mois
de février 1814, en fournit un exemple. Que ce fût pour des
raisons politiques ou à la suite de froissements personnels trois
mois ne s'étaient pas écoulés, qu'il avait adopté toutes les haines
ainsi que tous les préjugés populaires contre les Bourbons et
qu'il s'était rangé parmi leurs ennemis» (5Q). Sa situation dans
- la banque dont il était le chef, au moins nominal, à côté de
Laffitte et qui avait des correspondants dans toute l'Europe
donnait à son hostilité une portée réelle (51).
4(
Plusieurs conseillers d'Etat de l'Empire que la royauté avait
écartés des fonctions publiques, tels Defermon et Regnaud, s'abstinrent de montrer des sentiments hostiles envers le régime ou
même manifestèrent le désir de rentrer en grâce auprès du
nouveau gouvernement (52). Lacuée fut nommé chevalier de
(49) ABBe MOULARD. Le comte Camille de Tournon, III, pp.
(so) MARMONT. Mémoires, VI, pp.
10-ll.
l03-204.
(s 1) Perrégaux ne fut pas le seul auditeur à revenir d'un royalisme
peut-être intéressé. Ainsi Chassenon, se réclamant de sa parenté lvec
Charette, avait demandé la réparation des injustices essuy6es de c l'empereur Napoléon... puisqu'il n'avait pas reçu l'avancement auquel ses talents
lui donnaient des droits ". N'ayant pas été plus heureux du côté des Bourbons, il entra dè'.l le début des Cent-Jours, selon un historien, au cabinet
de Fouché. (F. MASSON. L'allaire Maubreuil, p. l79).
(Sl) Dans une brochure publiée _après les .Cent-Jours, Defermon déclare
qu'il envoya à Louis XVIII l'expression de sa reconnaissance pour la
pension de 4.000 francs allouée aux anciens conseillers d'Etat à vie ' et
qu'il lui soumit une opinion ~ur une question de finances (Observations du
comte Delermo1l... pp. 7-8).
Le discours par lequel, en présidant l'Institut, Regnaud reçut, le 16 novembre, Campenon comme succ~seur de l'abbé Delille, contenait plu 'lieurs
passages propres à satisfaire les royalistes. Son irréligion ne l'empêchait pas
d'évoquer « la sainte volonté [de pardon] d'un roi mounnt qui prie
en montant au Ciel " ; il exprimait son hommage à " l'iuguste fils de
Henri le Grand ... entrant dans la capitale sur le char de la Plix, répondant
-
13 1
�Saint-Louis en décembre 1814 (après ravoir soIÎicité dès le mois
de juin) et inspecteur général d'infanterie en janvier 1815.
En revanche plusieurs des fonctionnaires de l'Elnpire qui ne
s'étaient pas ralliés au gouvernement royal ou avaient été écartés,
rebutés ou .négligés par lui faisaient figure d'opposants par leurs
fréquentations et leurs propos. Ils se v.oyaient entre eux, entretenaient des relations avec nombre d'officiers en demi-solde,
voire en activité, hantaient, le salon de la reine Hortense ou
la maison de Maret, duc de Bassano, et s'y répandaient ainsi que
leurs épouses en cri tiques amères ou en railleries sur le compte
des Bourbons, de leur cour, de leur gouvernement.
Les uns se bornaient à regretter le passé mais beaucoup d'~u
tres exprimaient, avec plus ou moins de conviction, des espoirs
de changement prochain que renforçaient les fautes politiques
du nouveau régime, son discrédit croissant et surtout l'esprit
de l'armée. Plusieurs hommes se rattachant à l'opposition constitutionnelle libérale et plutôt hostiles à l'Empire se ~êlaient
quelquefois à ces sociétés mais elles réunissaient surtout des
bonapartistes, civils et militaires, qui, de f~çon désintéressée ou
non, demeuraient fidèles à Napoléon, espéraient son retour sur
le trône ou du moins l'avènement de son fils. D'anciens membres
du Conseil d'Etat se trouvaient parmi eux, tels Lavallette et
l'auditeur Harel, qui n'avait pas obtenu d'emploi et qui collaborait au journal satirique le Nain faune, acharné au début de
1815 à ridiculiser les ultra-royalistes.
'. ,
Très assidu lui aussi chez Maret, Thibaudeau était surtout
lié avec Fouché. Il se défend d'avoir été, comme l'affirment les
pseudo-Mémoires de ce dernier, « le principal agent de la faction
de l'île d'Elbe ». Il s'efforçait, dit-il, de dissuader l'ancien terroriste des tractations qui tendaient à sa rentrée en grâce auprès
des Bourbons et de lui faire prendre la tête d'un p.arti occulte.
Le but aurait été de renverser Louis XVIII, soit pour lui substituer non pas Napoléon (acceptable seulement comme moindre
mal) mais son fils avec une régence convenable, soit pour faire
triompher quelque autre solution qui écarterait aussi bien une
royauté contre-révolutionnaire qu'un empire dictatorial. Thibaudeau cherchait, toujours selon ses Mémoires, à enrôler dans ce
parti d'anciens conventionnels, surtout des régicides, et des généraux ; il servait d'intermédiaire entre ce groupe peu nombreux
et les bonapartistes (53).
à tous les vœux par toutes les sages espérances, con90lant le passé et
garantissant l'avenir par ses saintes promesses » et il faisait appel à
l'union, à l'oubli des discordes et 'des rancunes passées. Quelques autres
phrase'i pouvaient en revanche heurter les purs royalistes, comme le contriste
établi entre les émigré'J « fidèles à leur prince • et les soldats fr.mç lis
prisonniers « fidèles à leur patrie lt. (Moniteur du 28 novembre 1814).
(53) THIBAUDEAU. Mémoires, pp. 407-441.
1]2
�L'attitude de Lavallette se dégage mal de témoignages contradictoires. S~lon les « Mémoires,. parus sous son nom après
sa mort, il se serait tenu en dehors de toutes les combinaisons
projetées, même lorsqu'il s'en trouvait fortuitement informé.
D'après Pasquier il aurait au contraire déclaré à celui-ci, le
20 mars 1815, qu'il était très mêlé aux projets tendant à renverser Louis XVIII sans lui substituer Napoléon; enfin selon
Thibaudeau, il était presque constamment chez Maret, « p.arlait
peu, écoutait, observait,. et semblait jouer un rôle imp.ortant
dans la conspiration bonapartiste (54).
Quelles qu'aient pu être la composition des deux partis
opposés au régime r~yal, leurs compénétrations possibles et leurs
relations mutuelles, les hommes les plus décidés, dans chacun
d'eux, n'entendaient pas s'en tenir à susciter un mouvement d'opinion. Ils songeaient, surtout les impérialistes, à un coup de force
réalisé par l'armée et ils cherchaient des chefs pour le conduire.
Toutefois, malgré la brusque tentative faite dans le Nord de la
France, .~ussitôt après le débarquement de Napoléon, par quelques
généraux, on n'en était encore en janvier et février 1815, semble-t-il, qu'à des préparatifs ou à des projets n'impliquant pas
une action très prochaine ni même un plan bien arrêté. Laval- lette et Thibaudeau n'étaient sans doute pas les seuls parmi
les conseillers d'Etat de l'Empire à les connaître. Mais il ri'est
guère possible de savoir ce qu'en pensait chacun des initiés, ni
lesquels se trouvaient disposés à jouer en cas de besoin un
rôle actif .(55).
(54) " Mémoires et souvenirs du comte Lavallette ,., II, pp. 131
et soo. PASQUIER, Mémoires, III, pp. 154.155. Mis de NOAILLES, Le
comte Molé, II, p. 110. THIBAUDEAU, Mémoires, p. 434.
Selon l'ouvrage intitulé Mémoires et souvenirs du comte Lavallette,
ce ,d ernier était d'autant plus tenu à la prudence qu'il détenait, cachés
dans son château de la Verrière, 1.600.000 francs en or confiés par
l'Empereur et dont il put remettre la moitié au prince Eugène pour que
celui-ci la fît passer Il l'île d'Elbe. Napoléon aunit chargé Lavallette de
garder cette somme la veille de son départ pour la campagne de Russie ;
ceci est peu vraisemblable et contribue à faire douter que ces Mémoires
aient été écrits, du moins en entier, par Lavallette. Si ce dépôt eut
réellement lieu, il se placerait plutôt au début de 1814 ' comme l'affirme
Meneval qui n'en parle d'ailleurs que d'après des propos de Lavallette
(Manuscrit de Meneval concernant ses rapports avec Lavallette dans la
Revue de Paris, 1er avril 1934, pp. 524-525. Cf. MENEVAL. Mémoires,
III, p. 458).
(H) Selon les prétendus Mémoires de Fauché, celui-ci tint des conférences
avec d'autres personnages dont Cambacérès, Regnaud, Boulay, Merlin (II p. 303)'
Henri Houssaye accepte cette allégation, que Thibaudeau croit inexacte,
surtout en ce qui, concerne Cambacérès, « le plus poltron des poltrons ,.,
et Regnaud «abattu et découragé,.. Quant à Merlin, il espéra jusqu'en
janvier 1 8 1 5 demeurer procureur général à la Cour de cassation et il
ne dut pas avoir plus tôt de contacts suivis avec Fouché ou d',autres
mécontents d'importance.
H. Houssaye cite Lavallette et Réal parmi ceux qui « connaissaient aussi
le complot ,. et Defermon parmi les hommes dont ~, d'après certains indi-
133
-
�En fait le seul des anciens membres du Conseil d'Etat impérial
qui s'y efforça fut un simple auditeur, Fleury de Chaboulon, désigné aussi, même dans des actes officiels, sous le nom de Chaboulon de Fleury (56). Au début de 1815 il forma le projet de
se rendre à l'île d'Elbe, soit pour un simple voyage, soit pour
tenter de s'y .faire employer et il demanda au duc de Bassano
de lui procurer un accueil favorable de Napoléon. Maret p,ofita
de cette occasion et il invita ou autorisa son protégé à informer
l'Empereur, sans plus, de la situation intérieure de la France.
Fleury de Chaboulon débarqua entre le 12 et le 16 février à
Porto-Ferrajo ; ses dires, dont on ignore la teneur et le degré
de véracité, ne turent pas sans effet, semble-t-il, sur la décision
que prit presque aussitôt Napoléon de débarquer en France
pour' tenter de recouvrer le trône (57).
Il ne semble pas qu'aucun autre membre du Conseil d'Etat
impérial ait joué un rôle actif dans ce retour et se soit efforcé d'y concourir avant le 20 mars, quoi qu'en aient dit ensuite
les royalistes en quête de coupables à proscrire. Même parmi le~
anciens serviteurs de l'Empire que le régime royal avait laissés
à l'écart et qui souhaitaient sa chute, plusieurs furent effrayés
par une entreprise qu'ils crurent vouée à un échec immédiat.
Ils ne pouvaient d'ailleurs guère y jouer un rôle utile (58).
Cependant les journaux royalistes en dénonçaient plusieurs comme complices et réclamaient leur arrestation. Il semble qu'il y
eut en ce sens des projets, sinon des ordres, mais ils restèrent
sans effet, peut-être en raison de la rapidité des événements.
.'
....
'.
ces » il croit pouvoir " avancer sans prétendre cependant l'affirmer "
qu'il., étaient également au courant (1815, 1, pp. 119-120). Defermon soutint
après les Cent-Jours que, loin d'avoir participé à des menées contre la
royauté, il ne formait d'autre vœu que de voir appliquer la Charte. Il avait,
dit-il, vécu à la campagne et n'était revenu à Paris avant le 22 mars
1815 qu'une seule fois, en voyage d'affaires et pour quelques heures.
(Observations... pp. 8-9).
(56) Né le 1er avril 1779, il fut nommé auditeur le 19 janvier 1810!
devint sous-préfet de Chateau-Salins en janvier 1811 et sous-préfet provisoire de Reim!ii le 5 mars 1814. Il était sans emploi depuis la Restauration.
(57) Dans ..es Mémoires ... pour servir à l'Histoire de la vie privée, du
retour et du règne de Napoléon en 1815, Fleury de Chaboulon raconte
50n voyage à l'île d'Elbe en 'l'attribuant à un imaginaire colonel Z,
sans doute par prudence car la première publication eut lieu en 1819, à
Londres. Napoléon, à Sainte-Hélène, a d'ailleurs déclaré fausses plusieurs
allégations ou appréciations o\>ntenues dans. ce récit et dans l'ensemble
de ces Mémoires. Fleury de Chaboulon rentrant en France (pIr Nlples)
y fut devancé par l'Empereur dont il ignorait la décision ; il le rejoignit
à Lyon et fut attaché à son cabinet.
(58) Vitrolles prétend savoir que Bondy " avait été dans le secret du
retour de Napoléon » mais le seul indice . qu'il cite est fort peu c·onclua.nt
et ses souvenirs sont si peu précis qu'il présente, à deux reprises, Bondy
comme préfet du Rhône en mars 1815 alor.. que ce poste était occupé
par Chabrol de Crouzol depuis novembre 1814. (VITROL~ES, Mémoires, II,
p. 4°1 ct m p. 140)'
-
1)4
-
�Lavallette jugea c~pendant préférable de quitter son domicile.
Mais le 20 mars au matin, après le départ du Roi, il se rendit
à la direction des Postes (pour obtenir des nouvelles, déclara-t-il
depuis) et il reprit en mains presque aussitôt ce service, précipitamment abandonné par Ferrand. Il envoya un courrier à
l'Empereur poùr lui apprendre le départ de Louis XVIII, arrêta
l'envoi du Moniteur et des lettres du gouvernement royal, interdit aux maîtres de poste de fournir des chevaux à quiconque
saut autorisation signée de lui ou d'un ministre de l'Empire
et annonça par une circulaire l'arrivée imminente de Napoléon
à Paris (59). Il semble que Lavallette fut le seul des hauts
fonctionnaires civils de l'Empire à prendre une initiative de ce,
genre. Elle devait le conduire neuf mois pJus tard bien p.rès de
l'échafaud.
Quant aux anciens membres du Conseil d'Etat impérial employés par le Roi, leur attitude varia selon les hommes et aussi
suivant les moments. Le Conseil d'Etat ge paraît pas avoir rédigé une adresse à Louis XVIII comme la plupart des autres
corps ; du moins n'en fut-il pas publié alors que les ,protestations de fidélité provenant d'organisme~ officiels , bien moins
élevés ou des avocats au Conseil affluaient dans les colonnes
du Moniteùr. Peut-être la situation dépendante de ses membres
parut-elle devoir réduire la portée d'une telle démarche. Il ne
semble pas avoir assisté en corps à la séance des Chambres
tenue le 16 mars par le Roi.
Mais beaucoup des anciens conseillers, maîtres des requêtes
et auditeurs de l'Empire signèrent des proclamations à leurs
administrés ou à leurs troupes ou adhérèrent au moins tacitemen~
aux adresses des tribunaux, des collèges ou des corps dont ils
faisaient partie. Aux assurances de fidélité plusieurs de ces écrits
ajoutaient des diatribes contre l'usurpateur en attendant que
le cours des événements fît iritervertir purement et simplement
les objets respect~fs de ces deux genres ~pposés d'éloquence.
Une adresse datée du 11 mars porte, en tête des signatures
des généraux alors .présents à Angers, celle de l'ancien ministre
Lacuée" comte de Cessac, employé depuis deux mois mais qui
n'adhéra probablement qu'avec répugnance à une phrase inju-
Thibaudeau, selon .,es Mémoires, était au courant du complot formé
par les généraux Drouet d'Erlon, Lefebvre-Desnouettes, Lallemand, etc. ;
son fils serait même parti de Paris, trop tard, pour oontremander le
mouvement. (pp. 447-448).
(59) L'une des pièces produites plus tard à son procès est signée
Le conseiller d'Etat directeur général des postes, comte Lavallette (H.
HOUSSAYE, 1815, I, p. 360).
-
Ils
-
�rieuse pour Napoléon (60). A cette signature paraît s'être réduit
son rôle actif dans la défense de la royauté ; il en fut de même
pour beaucoup q'officiers et de f0I!ctionnaires civils.
Parmi ceux qui tentèrent d'aller plus loin figurent quelques
anciens membres du Conseil d'Etat impérial, même en dehors
de Clarke et de Marmont qui l'avaient quitté depuis longtemps.
Les ex-auditeurs de Bouthilier et Harmand, alors préfets dans
le Midi, tentèrent d'arrêter la marche de l'Empereur (61). La
Besnardière, qui était à Vienne avec Talleyrand, rédigea la
déclaration que celui-ci fit adopter le 13 mars par les principales puissances étrangères pour mettre Napoléon au ban de
l'Europe. Mathieu Dumas accepta de remplir auprès de l'exgarde impériale une mission qui aurait consisté à acheter pour
le Roi la fidélité de ce corps d'élite (62). Gouvion Saint-Cyr
eut !lne attitude plus déterminée. Désigné le 19 mars pour
aller remplacer le général Dupont dans le commandement de
la 22me division , militaire, il n'arriva que le 21 à Orléans où
les troupes avaient arboré les trois couleurs sur l'ordre du général Pajol. Le maréchal fit arrêter ce dernier et reprendre la
cocarde blanche. Malgré les injonctions envoyées de Paris par
Davout, ministre de Napoléon, Gouvion Saint-Cyr se refusait
à proclamer l'Empire et faisait arrêter l'officier porteur de ces
ordres. Mais, le 24 mars, devant l'insurrection des troupes, il
dut s'enfuir à grand'peine et sous un déguisement (63).
(60) « Le bonheur dont jouit la France depuis qu'elle a reoouvré S'on
souverain légitime ne sera plus troublé par l'apparition de celui qui en
fut le fléau ... etc. » (.Mcmiteur du 17 mars).
Le baron de Frénilly rapporte qu'au théâtre de Tours, en mars 1815,
toute la salle chanta des couplets royalistes :
« Il n'y avait là de muet qu'un seul personnage, le comte de Cessac,
commandant généra!. .. » (FRENILLY. Souvenirs, p. 361).
(61) Le comte de Bouthilier, jadis o(ficier dans l'armée de O;mdé, au·
diteur en janvier 1810, sous-préfet en 181 l, déploya comme préfet du
Var une grande activité, dès qu'il connut le débarquement de Napoléon,
pour alerter les autorités civiles et m}litaires de toute la région, Il tentait
encore de défendre la cause royale dans les premières semaines d'avril.
Masséna le fit arrêter et incarcérer à Toulon au fort Lamalgue. Il figu:-e
sur la liste des personnages dont les biens furent mis sous séquestre par
un dé,c ret du 18 avril. Harmand (qui n'avait jamais été auditeur qu'en
service extraordinaire), préfet des Hautes-Alpes depuis janvier 1814, appela
sans succès la population aux armes, tenta vainement d'organiser la résistance et dut quitter Gap à l',a pproche de Napoléon.
(62) H. HOUSSAYE, 1815, l, pp. 352-353. PASQUIER, Mémoires, III, p. 176
Mathieu Dumas aurait seulement pu rejoindre à Chaumont, le 18 mars,
Oudinot que ses troupes avaient abandonné pour aller rejoindre L'Empel\Cur.
(63) H. HOUSSAYE, 1815, l, pp. 396-397. Le 23 mars Napoléon pre'5crivait à Davout de lui réitérer l'ordre de se rendre à Paris sous peine
d'être déclaré traitre et de voir ses biens confisqués (LECESTRE, II, p. 323).
Le 27 mars, à la suite d'une lettre de la maréchale 9ouvion Saint-Cyr,
l'Empereur écrivait à Davout : « Lui donner tout ce qu'elle demande ;
écrire au maréchal d'arborer la cocarde, de prêter son serment et de
13 6 -
�Beaucoup se montrèrent moins obstinés, même avant l'arrivée de Napoléon à Paris. Le préfet de Seine-et-Marne, l'exauditeur comte de Plancy, gendre de Lebrun, vint, sur l'ordre
de l'Empereur dit-il, saluer celui-ci lors de son passage à Fontainebleau et en reçut une nouvelle investiture (64).
Fort peu des ~nciens conseillers d'Etat et maîtres des requêtes de l'Empire employés par la première Restauration suivirent Louis XVIII à l'étrang~r : Beugnot, A~glès, Mounier, outre
Marmont? Clarke et Bo~rrienne dont les rapports avec l'ancien
Conseil étaient déjà lointains, voire quant au dernier purement
fictifs. Presque tous les autres, même s'ils ne se réservaient p'as
pour le nouvel Empire, demeurèrent passifs devant les événements
ou se contentèrent de saluer à son départ la royauté en déroute (65). Toutefois les anciens auditeurs pourvus d'une préfecture ne purent tous conserver la même sérénité que les
membres du Conseil présents à Paris ; plusieurs eurent à prendre parti pendant la période encore confuse de la fin de mars.
Quelques-uns, voulant rester fidèles à la royauté, quittèrent
d'eux-mêmes leurs fonctions, tel Barante, préfet de la LoireInférieure (66). p'autres soutinrent dans le Midi les derniers
efforts du duc d'Angoulême ou ceux de Vi trolles, qui se loue
notamment dans ses Mémoires du concours prêté par le préfet
du Tarn-et-Garonne, Alban de Villeneuve-Bargemont (67) . .Mais
plus nombreux furent ceux qui se rallièrent immédiatement à
l'Empire sans attendre que Louis XVIII fût sorti de France .. Le
préfet de la Lozère, Camille Perrier, informait Carnot, ministre
se retirer dans ses terres JO. Saint-Cyr répondit le 1 avril qu'il exécuterait
ces ordres et qu'il ne reconnaissait plus que l'autorité impériale, le R'oi
ayânt quitté la France. (CHUQUET. Ordres et apostilles, no 6.S76, IV,
p. SIO).
(64) H. HOUSSAYE 1815, l, p. 360, et PLANCY, Souvenirs, pp. 331-33S.
(65) L'ex-maîtres des requêtes Alexandre de Laborde (-Méréville), .tdjudant-commandant de la garde nationale parisienne à cheval, étllÎt à la
tête du détachement de ce corps qui prit la ~arde des Tuileries lors du
départ du Roi et s'y maintint toute la journée en partageant ce . . ervioe,
à la suite d'un accord, avec les officiers à demi-solde qui arboraient déjà
la cocarde tricolore. L'ancien conseiller d'Etat Sim60n, préfet du Nord,
et l'ex-auditeur de Brigode, maire de Lille, furent sans doute les derniers
fonctionnaires civils à saluer Louis XVIII quittant la France.
(66) BARANTE. Smtvenirs, II, pp. 118-119, Il envoya, dit-il, sa démission, quand le général Foy accomplit à Nantes /( avec régularité et sans désordre " le changement de régime.
(67) VITROLLES, II, pp. 381 , 4° 1 , 431.
L'ex-auditeur Hippolyte de Saint-Didier, receveur général des contributions
directes à Carcassonne, consentit d'abord à se charger de l'administration
financière pour le compte de Vitrolles, Soon ami perSoonn.e1,. mais, selon celui-ci,
il montrait peu de zèle, avouait sa crainte d'être pendu et finit plr ,'enfuir
pour aller à Paris. (Id. II, pp. 38 4. 389-390).
-
137
�de l'Intérieur, qu'il avait reçu en même temp.s les ordres de
l'Empereur et ceux du duc d'Angoulême mais qu'il n'obéirait
qu'aux premiers (68).
Bref, saut quelques-uns (dont il s~rait vain de vouloir connaître
les mobiles exacts) les anciens conseillers d'Etat, maîtres des requêtes et auditeurs de l'Empire employés par la première Restauration se comportèrent comme la masse des fonctionnaires.
En dépit de quelques adresses et déclamations obligées, ils
regardèrent avec une grande placidité (satisfaite, indifférente ou
résignée selon les cas) la royauté s'effondrer sans lutte au milieu
des assurances multipliées de dévouement. Si plusieurs affirmèrent, autour du 10, voire du 15 mars, qu'ils étaient prêts à
verser tout leur sang pour elle, nul d'entre eux ne prit sans
doute cet engagement au sérieux et Louis XVIII pouvait d'autant
moins se tromper sur la portée réelle de pareilles formules qu'il
disait lui-même le 16 mars, dans son discours aux chambres,
envisager la possibilité de terminer sa carrière en mourant pour
la défense de son peuple.
En effet aucun fervent royaliste, fût-il chevalier de la Foi.
ne semble avoir perdu la vie pour la défense du régime ou de
la dynastie pendant les trois semaines écoulées entre le débarquement de Napoléon et la retraite de Louis XVIII. Celui-ci alla
donc attendre hors de France qu'il lui vînt d'outre-mer, d'outre-Rhin et d'outre-Niémen des défenseurs plus résolus que ses
fidèles sujets. La première Restauration, si remarquable par la
façon dont elle naquit, le fut tout autant par la façon dont
elle s'écroula. Il fallut d'ailleurs peu de temps pour changer
d'adresse beaucoup d'assurances de fidélité comme beaucoup
d'invectives (69). Bien des hommes et des collèges moins élevés
dans l'Etat que la Cour de cassation se montrèrent presque
aussi empressés qu'elle à modeler leur langage sur l'aspect changeant des événements (70).
(68) H. HOUSSAYE 1815, 1, p. 394.
'A Saint-Brieuc le pl'éfet royal, l'ancien auditeur comte de Goyon, remit
['administration, le 24 mars, à l'ex-préfet impérial Boullé. Mais à Evreux
le préfet Maxime de Choiseul, lui aussi ancien auditeur, fit le même jour en
faveur de l'Empereur une proclamation, d'ailleurs conçue en termes modérés,
sans attaque contre les Bourbons.
-:
:.
(69) Talleyrand, peu qualifié pour s'cn étonner ou s'en choquer, écrivait
le S avril 1815 à la duchesse de Courlande :
c Les adresses. suivent la . route accoutumée. Tous (es noms qui, il y a
huit jours, étaient au bas de tout'es les adresses faites lU r9i, &Ont aujourd'hui au bas des adresses faites à Bonaparte. QueUe pauvre chose que (es
hommes! ,. (LACOUR-GAYET. Talle-pand, Il, p. -U8).
.
(70) L'adresse de la Cour de cassation au Roi, telle que la publia le
Moniteur du 9 mars, n'est pas suivie de signatures. Mais elle dut recevoir
l'adhésion verbale ou du moins tacite de tous (es .magistrats y compris
les anciens membres du Conseil d'Etat (Henrion de Pansey, Jaubert, Coffinhal-
13 8 -
�Le reste de l'année 1815 devait leur offrir encore à cet égard
de nouvelles et larges possibilités qui furent amplement utilisées,
même par plusieurs membres du Conseil d'Etat redevenu impérial.
Dunoyer, Favard de Langlade et Zangiacomi) qui signèrent l'adresse de la
même cour à l'Empereur, datée du 25 mars et publiée au Moniteur du
surlendemain.
La première adresse assure le Roi d'une fid~lité inviolable. La cour
regrette presque qu'il n'y ait pas assez de danger dans l'audacieuse et
folle entreprise qui vient d'être si vainement tentée contre la sûreté de l'Etat
pour donner au moins quelque prix à son dévouement ... L'ennemi éternel
de la France et du Monde a beau s'agiter ... Les Français n'ont que trop
reconnu qu'ils ne pouvaient plus avoir d'autre souverain que les desoendants
de Henri IV... Vivez pour eux, tous sont prêts à mourir pour vous ».
Mais, dan5 la seconde adresse, l'ennemi éternel de la France et du
Monde est salué «'comme seul, véritable et légitime souverain de l'Em,Pir.e » et la cour l'assure « de son resfJeCt, de son amour et de sa fUlélité
Le succès a transformé la folle entreprise en " l'entreprise la plus
étonnante et la plus glorieuse ». Quant aux descendants d'Henri IV pour
lesquel" tous les Français étaient prêts à mourir, leur pouvoir n'a été
qu'uh interrègne préparé par la trahisoIJ, établi par la force étrangère et
que la nation ne put alors que subir If.
}J.
139
~
�1
III
LES CENT· JOURS
ET LE RÉTABLISSEMENT DE LA ROYAUTÉ
(1815)
Lorsque, le soir du 20 mars 1815, Napoléon rentra aux Tuileries, quelques-uns de ses anciens conseillers d'Etat se trouvaient
parmi les groupes qui l'attendaient, certainement Lavallette, probablement Regnaud (1). Dans la mlÏt ou le lendemain, plusieurs
autres se présentèrent, soit à son appel soit spontanément, et
se mirent au service de l'Empire restauré.
Sous l'autorité de Cambacérès, .titulaire provisoire du mlfl1Stère de la Justice, et en attendant peut-être de l'y remplacer,
Boulay fut chargé de diriger la correspondance et la comptabilité
de ce département. Réal fut nommé préfet de police (2). Par
(1) Thiers nomme Regnaud, Lavallette, Defermon (XIX, p. 233)' H.
Houssaye cite Lavallette, Thibaudeau, Regnaud (1815, l, p. 366). Or,
d'après ses Observations, publiée .. quelques mois plus tard, Defermon n'arriva que le 22 mars à Paris. Thibaudeau, selon ses Mémoires (pp. 45°-452),
attendit le 20 au soir " modestement sur le pavé, dans la foule, écoutant,
observant » puis, ne voyant rien venir, il rentra chez lui à la nuit.
(2) On ne peut ajouter une foi absolue aux récits des intéressés assurant
qu'ils ne se présentèrent pas d'eux-mêmes à l'Empereur et que celui-ci les
envoya chercher. La prudence de Molé pendant les Cent-Jours permet
toutefois de croire que, oonformément à son récit, il ne vint' aux Tuileries
dans la nuit du 20 maC') que sur l'invitation de Napoléon (Mis de NOAILLES. Le comte Molé, 1, pp. 204-205). Boulay, d'après la biographie publiée
par son fils, fut convoqué le 21 mars par Cambacérès qui lui dit que
l'Empereur voulait le voir (p. 245). Réal aurait été appelé aux Tuileries
dans la nuit du 20 au 21 ; du moins sa nomination comme préfet ck
police est-eUe datée du 20 mars.
�ERRATUM
Page 141, lignes 19 et 20 )
.
·
1 2
3) suppnmer la phrase :
Page 142 , 1Ignes
, et \
Mais Thibaudeau dont le nom fut omis, sans doute par erreur ,
sur la minute de ce décret vint, très probablement sur convocation, siéger ce jour même en la première assemblée du Consei!
d'Etat dont il fit partie très officiellement pendant toute la
durée des Cent Jours.
Page 142, ligne 4, lire :
ne figure pas sur cette liste
Page 150, ligne 9, supprimer:
l'affectation de Thibaudeau restant incer taine.
Page 150. ligne Il et 12, lire :
Conseillers : Boulay (président), Berlier, Gilbert de Voisins.
Page 150, ligne 15 et 16, lire:
Conseillers : Regnaud (pr ésident), Maret, Pelet, T hibaudeau,
PommereuI, Quinette, Chauvelin, Miot, Costaz.
�"t' '-.
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�lm décret pris à Lyon le 15' mars, i'Émpereur avait annulé tous
les changements faits par le Roi dans la composition des tribunaux et rétabli expressément Muraire et Merlin dans leurs
fonctions antérieures à la Cour de Cassation. Lavallette reprit
la direction générale des Postes, après avoir refusé le ministère
de l'Intérieur s'il faut en croire les Mémoires parus sous son
nom (3).
Tout en attribuant les ministères et les autres postes les
plus importants, Napoléon s'occupait de reconstituer le Conseil
d'Etat. Il semble avoir confié le soin de préparer la liste de ses
membres aux présidents de section Boulay, Regnaud et Determon ; peut-être leur adjoignit-il quelques autres ralliés de la
première heure (4).
Un décret du 24 mars, qui ne fut publié ni au Bulletin deJ
Lois, ni au Moniteur, arrêta la liste des conseillers d'Etat ,et
des maîtres des requêtes et les répartit entre les sections, le
service ordinaire hors section et le service extraordinaire (5).
Il ne fut pas jugé utile de procéder pour eux à de nouvelles
nominations expresses. Mais Thibaudeau dont 'le nom fut oniis,
s,ans doute par erreur, sur la minute de ce décret vint, très
(3) « Mémoires et souvenirs ilu comte Lavallette ., II, p. 164. Il aurait
refusé ce ministère en déclarant que ce poste exigeait c un homme habitué
à diriger l'administration générale et qui ait un nom éclatant dans la
révolution » . Cette scène aurait immédiatement suivi l'audience donnée à
Molé. Or ce dernier ne parle pas de Lavallette en relatant la conversation
au cours de laquelle Napoléon se demandait qui choisir comme ministre
de l'Intérieur. , Aucun témoignage ne confirme l'offre d'un tel poste à Lavallette qui n'y était préparé ni sous l'angle politique ni sur le plan techni- ,
que. Cependant Thiers l'admet et Henri Houssaye (1815. l, p. 3'78) affirme
que Napoléon hésitait entre Costaz et Lavallette. Il se peut que Napol60n
ait proposé le ministère à ce dernier seulement pour la forme et en
comptant sur son refus. Pasquier commet certainement une 'confusÏlOn quand
il affirme (et lui seul) que Lavallette lui dit avoir refusé le ministère des
Affaires étrangères (PASQUIER , III, p. 167).
(4) Selon la biographie précitée de Boulay cette tâche fut confiée à
une commission qui comprenait Boulay, Regnaud, Defermon et le duc de
Bassano (Boulay de la Meurthe, p. 245).
D'après les dictées de Napoléon à Sainte-Hélène plusieurs anciens membres furent écartés : c Gette opération se fit par le scrutin des conseillers
d'Etat eux-mêmes ». (Correspondance ... XXXI, p. 114). Cependant un tel
scrutin n'était possible que de la part de conseillers déjà rétablis. Sans
doute l'Empereur a-t-il voulu parler d'un groupe de conseillers. Il semble
s'être occupé du Conseil au plus tard le 21 mars car il écrivait ce même
jour à Maret :
« Je désire que vous ne mettiez pas dans le Moniteur d'aujourd'hui lei
nouvelle'! du Con'ICil d'Etat non plus que tou, les détails... • (L. de pRO..
TONNE. Lettres inédites... p. SH).
(5) AF IV 859/6. Plaq. 6952 nO 32. Plusieurc; corrections sont de la main
de l'Empereur et d'autres proviennent d'une main dUférente. Mais on ne
iait dans quel1e mesure le projet ainsi corrigé résultait cWjà d'intentions
manifestées par Napoléon, notamment quant aux exclusions d'anciens membres du Conseil.
�probablement sur convocation, sîéger ce" Jour même en la première assemblée du Conseil d'Etat dont il fit partie très officiellement pendant toute la durée des Cent Jours, Faure, qui
ne figure pas davantage sur cette liste et ne semble pas avoir
pris part aux délibérations du Conseil, est cependant qualifié
de conseiller d'Etat dans un décret du 21 avril qui adjoint "des
membres de la Légion d'honneur aux collèges électoraux de
département. M-ais ceci ne comporte sans doute qu'une reconnaissance incidente du titre, sans fonction effective (6).
Redevinrent ainsi conseillers d'Etat les deux tiers de ceux
de mars 1814 qui étaient demeurés Français. Non compris Faure~
dont la situation demeure incertaine, seize autres furent écartés.
Une telle exclusion allait de soi pour ceux qui s'étaient cômportés en 1814, dès les premiers jours et à des degrés divers,
en complices actifs de Talleyrand : Dalberg, Louis, Beugnot,
Henrion de Pansey, Laforest, Pasquier. Furent aussi omis sur la
même liste d'autres hommes moins compromis mais qui cependant s'étaient ralliés très vite au gouvernement "provisoire en
1814 : La Besnardière, Dubois, Laumond, Muraire. Si celui-ci
était replacé à la tête de la Cour de cassation en vertu "d 'un
principe qui concernait l'ensemble de la magistrature, Napoléon
lUI tenait sans doute rigueur des louanges intempérantes par
lesquelles il avait salué la royauté restaurée. C'est lui-même
qui raya le nom de Muraire sur la liste du Conseil d'Etat (7).
, "1
(6) AF IV 859/11. Plaq. 6985. Faure est adjoint au collèg~ du
département de la Seine. N'étant ,r.as conseiller .à vie en mars 1814, il
n'avait pas droit au titre de conselller d'Etat s'il n'avait été ni porté sur
la liste du Conseil, ni nommé par . un décret individuel. De plus Faure
figure sur une liste de hauts fonctionnaires de la première Restauration
qui, ~ la suite d'une exigence de Napoléon, exprimèrent par lettre leur
adhésion à l'Empire (AF IV 859/6. Plaq. 6953, no 34)' Or cette démarche
aurait été inutile s'il était rentré au Conseil d'Etat. Ce cas reste donc
obscur. Peut-être y a-t-il eu une erreur dans · le libellé du décret du
l i avril. Peut-être aussi NapOléon l-t-il voulu donner à Faure une satisfaction
protocolaire ou lui reconnaître, indirectement, le droit de porter le titre
comme un conseiller en service extraordinaire sans emploi car ce décret
semble prouver qu'il ne le considérait pas à ce moment comme opposant.
(7) Napoléon déclara dans ses dictées de Sainte-Hélène que Dubois
fut écarté par ceux qui préparèrent la liste c parce qu'il avait, en 1814.
aidé à la direction de la police de M. de Blacas, et même favorisé, par
ses connaissances locales, l'arrestation de plusieurs amis du parti national -,
(Corresponda,n ce ... XXXI, p. 114)'
.
Que cette allégation soit fondée ou non, le zèle avec lequel Dubois.
dès le début d'avril 1814, servit le gouvernement provisoire suffisait à
justifier son exclusion et l'ensemble de sa réputation était J.ein d'y mettre
obstacle. Napoléon prescrivit cependant à CarnlOt, le 2 mai, de consulter
Dubois, avec Réal et Regnaud, sur le choix des chefs de la garde nationale parisienne (Correspondance... no 21.868. XXVIII, p. 179). Elu
membre de la Chambre des représentants, Dubois figure sur la liste officielle avec le titre de conseiller d'Etat (AF IV 859/12. Plaq. 6990) clr,
nommé en 1807 conseiller à vie, il avait le droit de oonserver ce titre
même sans être employé.
-142 _
�Bergon, d'ailleurs âgé de soixante-quatorze ans, fut écarté
du Conseil et destitué de la direction générale des Forêts ; il
était suspect soit pour son attitude propre, soit comme beau-père
du général Dupont. Je ne sais pour quel motif Bérenger et
Delamalle ne figurent pas sur la liste des conseillers d'Etat; peutêtre tut-ce, quant au second, parce qu'il avait signé, le 6 avril
1814, l'adresse du conseil de l'Université. Il fut du reste maintenu dans ce collège tandis que Bérenger paraît n'avoir été aucunement employé. Enfin deux personnages très importants furent
exclus pour leur conduite récente : le maréchal Gouvion-SamtCyr, dont on a vu ci-dessus l'attitude à Orléans, fut rayé de
la liste par Napoléon lui-même et celui-ci fit sans doute grief à
l'ancien ministre et président de section Lacuée, comte de Cessac,
de l'adresse au bas de laquelle il avait apposé sa signature,
probablement sans enthousiasme, le 11 mars à Angers (8).
Le général Jullien, qui n'avait jamais été conseiller qu'en
service extraordinaire, ne figura pas sur la liste du Conseil
mais ce ne fut pas là une marque de défiance car il redevint
préfet du Morbihan. Tous les autres conseillers d'Etat de mars
1814 demeurés français conservèrerit ou recouvrèrent leur qualité, même (en service extraordinaire, il est vrai) Dauchy, qui
se tt'ouvait sans emploi depuis 1811, Mathieu Dumas, dont
Napoléon ignora sans doute l'activité récente, Gau, qUI n'avait
jamais appartenu au service ordinaire, et d'Hauterive qu'auraient pu rendre suspect ses relations avec Talleyrand (9).
(8) Lacuée écrit dans ses Souvenirs manuscrits qu'il reçut de D,lVout,
ministre de la Guerre, l'ordre de se rendre à Paris
« Le Ministre me reçut froidement, l'Empereur, que je vis bientôt après
m'accueillit avec bonté, mais sa Cour assez mal.
« J'aurais repris du service avec plaisir sous Napoléon que je croyais
éclairé par le malheur et que je savais bien capable de rendre encore
la France florissante ; mais les hommes qui l'entouraient de très près me
craignaient et mes amis me conseillèrent de me tenir à l'écart... Je me
rendis à leur conseil... » (J. HU MBERT. ].G. Lacuée, comte de Cessac,
p. 212).
L'omission de Lacuée sur la liste du Conseil d'Etat semble indiquer
qu'il n'eut pas besoin d'en exprimer le désir pour être tenu à l'écart.
Or Napoléon employa, même en de hauts postes, d'autres hommes qui
avaient lancé contre lui au début de mars des déclarations individuelles et
publiques au moins aussi véhémentes, notamment Jourdan et Soult. Peut-être
Lacuée eut-il contre lui de se trouver absent de Paris le 20 mars et
d'avoir encouru l'hostilité de l'un des hommes qui préparèrent la liste
des conseillers d'Etat. Il figure d'ailleurs, avec sa qualité de ministre d'Etat
(conférée à vie en 1807), parmi les membres de la Légion d'honneur
ajout,és le 27 avril par l'Empereur au collège électoral du Lot-et-Garonne
(AF IV 859/13' Plaq. 6.997).
(9) Sur la minute du décret qui énumère les conseillers, le nom de
Dauchy semble avoir été rayé par l'Empereur et rétabli ensuite pU' une
autre main. D'Hauterive et Gérando ont été ajoutés (en service extnordinaire tous deux) d'une écriture qui n'est pas celle de Napoléon.
�TroIs andens maîtres des requêtes de l'Émpire furent ajoutés
par Napoléon lui-même sur la liste des conseillers d'Etat : Gilbert de Voisins (qui remplaça ce même jour, 24 mars, Séguier
démissionnaire comme premier président de la cour d'appel de
Paris), Marchant et Las Cases.
Enfin deux anciens ministres de l'Empire redevinrent consèillers d'Etat. Plusieurs départements ministériels de jadis se "trouvaient supprimés : celui des Cultes, celui des Manufactures et
du Commerce, celui de l'Administration de la guerre. Bigot de
Préameneu et Collin de Sussy, titulaires des deux premiers
en 1814, reçurent de hautes fonctions individuelles mais sans
rentrer au Conseil, non plus que Montalivet dont le retour au
ministère de l'Intérieur n'eût pas été en harmonie avec l'orientation que semblait devoir prendre, du moins pendant quelque
temps, l'Empire à peine restauré (10). Mais Daru, autrefois
ministre de l'Administration de la guerre, fut ajouté par Napoléon sur la liste du Conseil.
Quant à Molé, c'est aprè'i avoir refusé successivement le
ministère de la Justice, celui des Affaires étrangères et peut-être
celUi de l'Intérieur qu'il redevint conseiller d'Etat et directeur
général des Ponts-et-Chaussées, fonctions quittées par lui en
novembre 1813 pour le portefeuille de la Justice (11). Il avait
invoqué, dit-il, des raisons de santé et aussi, quant aux Affaires
étrangères, son inexpérience en cette tâche alors des plus difficiles. Mais une réserve prudente envers un régime dont l'avenir était incertain dut contribuer aussi à ses refus et "il l'aurait
déclaré sans ambages à Pasquier. Il a contredit plus tard luimême les propos par lesquels il "attribuait alors à une injonction presque comminatoire de Napoléon l'acceptation d'une direction générale (12).
Montalivet fut nommé intendant général de la Couronne le
2"des mars.
Collin de Sussy devint le même jour premier président de la Cour
comptes et ministre d'Etat. "Bigot de Préameneu fut nommé le 31 mars
(10)
directeur général des Cultes (sous l'autorité du ministre de l'Intérieur)
et le 10 avril, sur sa demande, ministre d'Etat.
(II) Mis de NOAILLES. Op. dt., l, pp. 206-211. Molé déclare qu'il
refusa dans la nuit du 20 au 21 mars le ministère de 1'1 Justice et celui
des Affaires étrangères, qu'invité à réfléchir il maintint son refus le lendemain et l'étendit au ministère de l'Intérieur. La réponsertégative de
Molé quant aux afhires étrangères est rapportée par les Mémoires de
la reine Hortense (II, pp. 336-337), par ceux de Pasquier (III, pp. 164-166),
par les" Souvenirs de Barante (II, p. 123) et pu l'ouvrage présenté comme
Mémoires de Lavallette (II, p. 164). C'est d'ailleurs seul~ment d'lprès
les dires de Molé que Pasquier et Barante relatent ce refus et celui qui
aurait vi~ le ministère de l'Intérieur. Il ne semble pas que Molé se
soit trouvé très qualifié pour ce dernier poste dans les circonstances
politiques du moment.
(Il) PASQUIER, III, p. 165 : « Il me donna tous ces détails, bien
r~solu à ne pas se lancer dans une carrière qui allait être semée de tant
de ~rils et dans laquelle, si Napoléon venait à succomber, il se coma
�La liste dressée le 24 mars comprend vingt-neuf maitres des
requêtes. Tous portaient déjà ce titre lors de rabdication de
Napoléon mais dix d'entre eux (dont quatre nommés in extremis
du 15 mars au 4 avril 1814) , n'avaient jamais appartenu comme
tels au service ordinaire. Sur cette liste figurent Alexandre de
Laborde-Méréville, qui s'était rallié au gouvernement provisoire
dès les premiers jours d'avril 1814, et Janet, qui fut à la même
époque l'auxiliaire du gouverneur russe de Paris mais bénéficie
sans doute de l'inacttvité où il a ensuite été laissé (13).
L'exclusion de Chabrol de Volvic, d'Anglès, de Mounier, de
Séguier est justifiée par leur attitude en mars 1814. Chabrol
de Crouzol (en 'dehors de sa parenté avec son frère consanguin)
et Fiévée s'étaient montrés fort royalistes depuis cette époque.
Furent aussi omis les trois magistrats Favard de Langlade,
Coffin hal-Dunoyer, et Nougarède de Fayet, l'ancien trésorier général de la Couronne La Bouillerie, Cuvier que le ROl avait
fait conseiller d'Etat (14), Bonnaire et Gérard ·de Rayneval. Ces
deux derniers, devenus maîtres des requêtes les 23 et 24 mars
1814, n'avaient pas réellement appartenu au Conseil d'Etat
Bonnaire devint ·d'ailleurs p'réfet de la Loire-Inf~rieure.
promettrait pour touj,ours et se rendrait irréoonciliable avec les hommes
auxquels il était attaché par les , liens de famille les plus étroit'i et par
les rapports sociaux les plus précieux ».
Molé, dit encore Pasquier, sans doute d'après les dires de l'intéressé,
« n'osa pas résister • à une injonction de prendre les Ponts-.et-Chaussées
c faite sur un ton qui lui donnait à entendre que' Napoléon voulait absolument que son nom figurât dans le nouveau gouvernement. Il pensait
qu'en le voyant descendre d'un ministère à des .fonctions secondaires,
personne ne pourrait douter de la violence qui lui était faite ». '(Id. III,
p. 166).
.
Barante, rapportant aussi les propos de Molé, déclare que celui-ci
n'osa désobéir à l'ordre de reprendre ce pos~ et considéra celui-ci comme
une sauvegarde contre la persécution que pouvàit entraîner un refus
(BARANTE. Souvenirs, II, p. 122).
Or, selon la relation écrite par Molé lui-même, il ne reçut lue une
inionction et il accepta les Ponts-et-Chaussées dès il première proposition de
l'Empereur qui ajouta : « Ob ! voyez si cela vous convient, ie ne force personne ». (Mis de NOAILLES. Op. cit, l, p. 211).
(13) Si Laborde fut maint.e nu au Conseil d'Etat, c'est en vain qu'il fit
une demande afin d'être nommé chambellan, bien que des renseignements
fournis à l'appui lui fissent honneur de s'être « fort bien conduit à l'époque
du 30 mars 1814 », ce qui est au moins con~stable. Son nom est de
ceux qui, sur la liste des candidats à une place de chambellan, sont rayés
de gros traits, probablement par l'Empereur (AF IV 859/22. Plaq. 7.067).
D'Alphonse, Maillard, Pelet fils, Champy et d'Aure ont été portés sur
la liste des maîtres des requêtes par une autre main que celle de Napol~on.
C'est ce dernier qui semble y avoir ajouté Castellane, dans le service extraordinaire, bien que cet ancien préfet relevé de ses fonctions en 1810 ft1t mal
disposé pour l'Empire.
(14) Il ne semble pas que ces exclusions tiennent à la date du ralliement des intéressés au gouvernement provisoire en 1814. En effet Ooffinhal
avait adhéré le 4 avril à l'adresse de la Cour de cassation mais F':l.vard
ne s'y était associé que le 10, .alors que Zangiacomi, qui resta maitre
.'
•.
",
�Queiques-uns de ces anciens membres du Conseil ainsi écartés
de ses rangs 'furent en outre l'objet de diverses mesures de
rigueur. Dalberg, alors à Vienne, fut un des treize personnages
dont Napoléon prescrivit la mise en jugement, pour leur conduite en 1814, par un décret daté du 12 mars mais qui 'semble
avoir été pris le 22. Il figure avec Beugnot '(déjà émigré) et
Louis (qui émigra plus tard) parmi ceux dont les biens furent
mis sous séquestre en vertu d'un décret du 24 mars. Il assurait
que cette mesure le réduisait à la mendicité; peut-être espérait-il
taéiliter ainsi le succès 'de récJamations relatives à ses domaines
de Ratisbonne. Mais il n'en maudissait que davantage Napoléon,
même dans sa correspondance privée : « C'est Robespierre ceint
d'un sabre et prêt à monter à cheval... C'est Mahomet à la
tête d'une armée de fanatiques ... ,. (15).
Une décision impériale du 31 mars prescrIvIt que divers su~
pects dont Beugnot, Louis, Pasquier, Chabrol de Volvic, AngIès,
Mounier fussent mis en surveillance à plus de 30 lie~es de
Paris, mais seuls Chabrol et Pasquier n'avaient pas émigré {16).
Tous les hommes que Napoléon omit d'appeler à nouveau
dans le Conseil d'Etat ne furent d'ailleurs pas traités en :idversaires du régime. C'est en vertu d'une règle d'ensemble que
les magistrats judiciaires de l'Empire, même Henrion de Pansey,
conservèrent leurs fonctions dans les tribunaux. Mais bien que
la composition du conseil de l'Université Tût modifiée, DelamalIe,
Cuvier, Nougarède de Fayet en demeurèrent membres. Quoique
Napoléon fût mécontent de la facilité avec laquelle La Bouillerie
s'était prêté, en avril 1814, à l'enlèvement du trésor de la Coudes requêtes aux Cent-Jours, l'avait signée dès le 3 avril. Les premiers
actes d'adhésion de Cuvier et de Nougarède, résultant de leur participation
à des manifestations collectives, sont du 6 avril. Mais la défection npide
d'un homme comme Cuvier, aggravée par l'adhésion au tribut d'admiration
visant les souverains alliés et leur c gloire ùnique dans l'histoire des nations ., affecta sans doute plus l'Empereur que celle d'un grand nombre
d'individus ordinaires.
(15) Ct WEIL. Les dessous du Congrès de Vienne, II, pp. 468, 470,
5 17, 595, 64 6, 64 8.
L'auteur d'un rapport de police écrit le 27 mai que Dalberg doit se
rendre à ' Munich et y rester jusqu'à la fin de la guerre : c Il ne sait
pas encore ce qu'il fera et s'il continuera à servir la France ,. (p. 595).
Dalberg allait écrire le 12 juin à la comtesse Schônborn :
« J'augure bien du résultat de la campagne. Il faut en tuer tant qu'on
peut, les conduire en Sibérie et les y laisser faire des enfants » (p. 646).
(16) Selon Pasquier, Réal vint dès le '3 mars « avec beaucoup d'égards
et d'obligeance,. et en paraissant c sincèrement peiné» lui signifier l'ordre
de s'éloigner à 40 lieues de Paris, ses anciens collègues du Conseil lui
témoignèrent leur sympathie et Regnaud tenta vainement de faire rapporter cette décision. Pasquier ajoute qu'il écrivit ~ l'Empereur pour réclamer
contre elle et justifier sa conduite en 1814 mais ne reçut pas de réponse
(Op, cit., III, pp. 168-169 et 173). Molé déclare qu'il fit dans le même .,ens
des efforts inutiles (Mit de NOAILLES. Op. cit. 1, pp. 216-217).
Le 1er avril Napoléon décida, par une lettre à Carnot, que les hauts
...::.- ,.
�ronne, il semble njavoir pas été aussi décidé à lui en tentl'
rIgueur qu'il le dit depuis à Sainte-Hélène (17).
Parmi les exclus tous ne renonçaient .sans doute pas à rentrer
au service de l'Empire s"il se consolidait. On ne peut se fier
aux affirmations d'intransigeance que plusieurs firent plus tard
mais les sources sûres manquent en cette matière et l'on ignore
ce qu'il faut penser des efforts attribués par exemple à Pasquier
et à Cuvier- (18).
.
Les lettres de Mounier, qui avait gagné la Belgique en y
devançant même le Roi, montrent en lui un homme de précaution. Les 22 et 23 mars, il écrivait de Bruxelles à Fain et à
Daru qu'il était parti pour éviter le pénible spectacle de li tant
fonctionnaires de la royauté devraient reconnaJtre clairement et par ~crit
le régime impérial sous peine d'être obligés de quitter la Prance et de
voir leurs biens mis sous séquestre (LECESTRE, II, pp. 327-328). Sur les
listes fragmentaires de ceux qui firent cette déclaration figurent les ex-conseillers d'Etat Bérenger, Bergon, Oelamalle, Faure, Henrion de Pansey, Pasquier,
les anciens maîtres des requêtes Chabrol de Volvic, Fiévée, Pinot, Séguier
et les ex-auditeurs préfets de Goyon et Regnier (AP IV 859/6. Plaq. 6.953).
Dans ses Mémoires (III, pp. 191-192) Pasquier dit qu'il considérait cette
fbrmalité comme dénuée d'importance et qu'il ne put cependant convaincre
son frère . de s'y soumettre mais il ne dit rien quant à sa propre déclaration .
(J7) Napoléon déclara l'année suivante, selon Las Cases, que La BouilJerie « sollicita vivement» en 1 5 d'être reçu par lui : « Mais, dit l'Empereur, j'étais résolu à ne pas le reprendre ; je refusai de le voir ». (Mémorial de Sainte-Hélène, 2 juin J8J6. Edition critique, 1, p. 675). La
Bouillerie s'éleva contre cette assertion et c'cat lui qui semble bien être dans
le vrai sur ce point car des billets que lui adressèrent Daru le 23 mars
J 8 J 5 et Montesquiou le 24 expriment le désir manifesté par l'Empereur
de le voir pour en obtenir des renseignements relatifs au 'Trésor de la
Couronne et aux diamants emportés par Louis XVIII (Billets cités dans
LADREIT de LA CHARRIERE. Les cahiers de Madame de Chlltellubriand,
note, pp. 310-3II). La Bouillerie produisit officiellement quelques jours plus
tard aux ministres des Finances et du Trésor l'ordonnance royale du
J 5 mars qui lui enjoignait de remettre les diamants de .h Couronne lU
valet de chambre Hue.
(J 8) Pasquier assure qu'il refusa, malgré l'insistance de Regnaud, de
Molé, de Fouché, d'adresser à l'Empereur une demande d'emploi (Mémoirer,
III, pp. 169-J73). Le silence gardé sur ce point par Molé dans son Journlll
ne suffit p'a s à 'infirmer les dires de Pasquier. Selon Thibaudeau (Mémoires,
p. 460) des hommes c que l'Empereur ne voulait pas employer, tels que
Séguier et Pasquier, traînaient leur repentir de porte en porte et imploraient
grâce et pardon ». Vaulabelle affirme que Pasquier fit hire par Regnaud
des démarches réitérées afin de rentrer au Conseil d'Etat et protesta CIe
son dévouement à l'Empereur. (Histoire des deux Restaurations, 7me édit.,
II, pp. 314-315). Mais cet ouvrage n'est guère sar. On ignore jusqu'où
alla Pasquier dans la lettre qu'il reconnait avoir 6crite à Napol60n pour
réclamer contre J'ordre de quitter Paris. Mais s'il avait fait solliciter un
emploi il aurait sans doute recouru à l'intercession de Molé, dont le
Journal le mentionnerait plutôt deux fois qu'une.
Quant à Cuvier, beaucoup moins compromis par sa conduite en J8J4,
il aurait fait demander ' par Regnaud sa rentrée au Conseil d'Etat ; son
insuccès ne l'aurait pas empêché de se sign':ller pendant la cérémonie du
champ de Mai par ses acclamations en l'honneur de Napoléon s'il faut
en croire Miot (Mémoires, Ire édit., III, p. 400 et note).
1-47 -
�de gens d~mentant ieurs protestations de la veiÎle
et ~ dont
les opinions changent au gré de leurs intérêts ». Lui-même ne
savait point « aussi aisément passer d'un parti â un autre
et
une si prompte rétractation tenant au fait de reprendre aussi
rapidement le parti quitté l'année précédente lui aurait beaucoup
coûté. Il ne ferait que passer en Belgique, il rendrait en Silésie
à la famille de sa femme une visite projetée depuis longtemps
et il irait ensuite en Saxe ~ attendre que le Gouvernement ayant
été généralement reconnu par la Nation, aucune opinion individuelle ne puisse empêcher de s'y rattacher » (19). Mais trois
semaines plus tard, voyant sans doute la coalition s'affirmer
contre la France, il écrivait à Blacas en bon royaliste, exprimant seulement le regret
de n'avoir pas ét~ placé de manière
à pouvoir être plus utile au Gouvernement
(20). En somme
il était très constant dans son désir de se « rattacher
au
Gouvernement ; ce dernier terme n'avait pas le même ~çns dans
toutes les lettres de Mounier mais les événements décideraient
de ce que devrait désigner finalement cette formule. Il se
jugea suffisamment éclairé sur les probabilités pour rejoindre
Gand le 24 mai (21).
li
li
f(
li
li
L'incertitude hantait sans doute aussi bon nombre de ceux
que Napoléon venait d'appeler au Conseil d'Etat. Les inscriptions
sur la liste avaient 'été faites, du moins pour une partie d'entre
eux, sans demande ou consultation des intéressés. Tous ne
furent peut-être pas enchantés de se trouver amenés à prendre
parti (22). Soit par conviction royaliste ou fidélité à leurs serments, soit par prudence et timidité, quelques-uns déclinèrent
le poste offert, du moins en s'abstenant d'en remplir les fonc-
(19) ete d'HERISSON. Les girouettes politiques. Un secrétaire de Napoléon 1er pp. 313-316. On lit en outre dans la lettre à Daru :
" Tels sont les motifs de mon éloignement. J'espère .qu'ils ne seront
pas confondus avec ceux par lesquels ont SIOuvent été oonduites les personnes qui ont quitté la France... »
Mounier terminait sa lettre à Fain, redevenu secrétaire de l'Empereur,
en lui laissant c à flaire de cette lettre l'usage que vos anciens sentiments
pour moi pourraient vous suggérer ».
(20) Id., pp. 320-321. Lettre du 13 avril. Il ajoutait: " Peut-être que
Votre Excellence aurait alors reconnu mes véritables sentiments, qu'elle
m'aurait compté au nombre des hommes que leurs principes et non
l'intérêt attachaient au Roi... •.
(21) Il fut même choisi pour être l'un des commissaires que Louis XVIII
décida de nommer auprès de l'armée russe, mais il pensait pouvoir " être
plus utile au centr,e des affaires. et il comptait sur l'arrivée de Talleyrand
pour l'y maintenir (Id., pp. 387-388). Il retrouva à Gand son ami Anglès
qui, écrivait Jaucourt le 25 avril, « sert tant qu'il peut • (eorr~spondance d·u
comte de ]lWCourt avec le prince de Talleyrand, p. 296).
(22) Miot assure qu'il déplora le retour de Napol60n et qu'il obéit
" quoiqu'à regret » à sa destinée, surtout pour ne pas sembler désav,o uer
<jon gendre le général Jamin, son fils et son neveu, officiers, qui s'étaient
ralliés A. l'Empire (MIOT op. dt., III, p. 178). Le général fut tué à
Waterloo et son jeune beau-frère mortellement blessé.
�tions. Mais on ne peut guère connaître, à moins de quelque
manifestation de leur part, l'attitude prise à cet égard par ceux
des conseillers et maîtres des requêtes inscrits sur la liste du
service extraordinaire qui ne reçurent pas de poste individuel.
Cette inscription n'avait en soi qu'une portée honorifique et
n'impliquait aucune activité des intéressés (23).
Il ne semble pas qu'un des conseillers ait fait connaître un
refus exprès mais l'amiral Ganteaume, nommé président de la
section de la Marine, resta en Provence et ïnvoqua sa santé
pour décliner le commandement 'de Toulon que l'Empereur ,voulait lUI confier. Il se tint ainsi à l'écart des événements. Plus
tard, pour obtenir du roi de Prusse le paiement de la rente
(40.000 francs) que lui avait constituée Napoléon sur des domaines de l'ancienne Poméranie suédoise, devenue prussienne,
Ganteaume devait se vanter de son attitude pendant les CentJours et la transformer en un refus formel qui lui aurait attiré
« une cruelle persécution,. dont il assurait avoir eu « beaucoup
à souffrir pendant les trois mois que dura l'usurpation» mais
dont il eût sans doute été fort empêché d'exposer le contenu (24).
Quant aux autres conseillers affectés au service ordinaire, la
question ne peut se poser pour Mannay, demeuré évêque de Trêves. L'incertitude ne subsiste que pour Corvetto et Begouen. Le
fait que la seconde Restauration les maintint au Conseil peut
faire présumer leur carence pendant 'les Cent-Jours, surtout pour
Corvetto, employé par Louis XVIII dès le 9 juillet et devenu
ministre le 26 septembre sans que la Chambre introuvable s'en
émût. Une biographie assure qu'il se tint à l'écart après le
retour de Napoléon et refusa « une situation importante ,.
(23) Parmi ceux-ci Mathieu Dumas, Gérando, les maîtres des requêtes
Bruyère, Laborde-Méréville, Fain, Janet, Lameth, PrévaI, Bondy, DupontDelporte acceptèrent de l'Empereur des fonctions publiques nouvelles ou
des missions pendant les Cent-Jours. Préville et Merlet avaient demandé
à être maîtres des requêtes. Moins concluant est le fait que d'Hauterive
demeura garde des archives au ministère des Affaires étrangères car ses
fonctions étaient peu actives et il refusa de signer la déclaration du Conseil
d'Etat. Lelorgne d'ldeville se trouvait à l'étranger. Peu vraisemblable pour
Castellane, le ralliement (au moins apparent) à l'Empire est incertain pour
les conseillers Dauchy et Gau, les maîtres des requêtes Coquebert de
Montbret, Mayneau de Pancemont (demeuré magistrat judiciaire), Lacuée
et Finot. Le Moniteur fait figurer les deux derniers parmi les signataires
de la déclaration du Conseil d'Etat mais, comme on le verra ci-après,
ce n'est pas une preuve et il existe de fortes présomptions oontraÏres
pour Pinot. Toutefois le fait que Lacuée fut nommé le 31 mai membre
d'une commission formée au sein du Conseil permet de supposer qu'il avait
adhéré à l'Empire; la première Restauration ne l'avait d'ailleurs pas
employé.
(24) Napoléon et son tempr. Catalogue
J934, p. 6... (Lettre du 26 août J817)'
-
1 ..9
-
de
la
collection
Brouwet,
�offerte par l'intermédiaire de Regnaud (25). Toutefois il n'aurait
probablement pas été nommé, le 14 avril, membre de deux commissions si, avant cette date ,il avait décliné expressément les
fonctions de conseiller d'Etat. Parmi les maîtres des requêtes.
Portal et Allent refusèrent de rentrer au Conseil et le premier
n'accepta pas davantage d'être maire de Bordeaux !26).
On peut donc, semble-t-il, retenir comme composition effective
du Conseil d'Etat à la fin de mars 1815, pour le service ordinaire, l'affectation de Thibaudeau restant incertaine :
SECTION DE LEGISLATION
Conseillers : Boulay (président), Berlier, [Thibaudeau ?], Gilbert de Voisins.
MaUre des requêtes : Zangiacomi.
SECTION DE L'INTERIEUR
Conseillers : Regnaud (président), Maret, Pelet, PommereuI,
Quinette, Chauvelin, Miot, Costaz, [Thibaudeau ?].
Maîtres des requêtes : Jaubert, d'Alphonse, Maillard, [Meneval] (27).
SECTION DES FINANCES
Conseillers : Defermon (président), Français, Jaubert, ]ollivet.
Maîtres des requê~es : Pelet (fils), Belleville, Gasson.
SECTION DE LA GUERRE
Conseillers : Andréossy (président), Bourcier, Dulauloy, Daru,
Marchant.
MaUres des requêtes : Félix, Champy, d'Aure.
SECTION DE LA MARINE
Conseillers
Caffarelli, Najac, Las Cases.
MaUre des requêtes : Redon fils.
OFFICE DES RELATIONS EXTÉRIEURES
Conseiller : Otto.
HORS SECTION
Conseillers : Réal, Duchâtel, Lavallette, Merlin, Molé.
(25)
Bon de NERva. Le comte Gorvetlo, pp. 28-29. Cependant le
de Corvetto, jusque là étranger au Conseil d'Etat, demandait alors
a devenir maître des requêtes (AF IV 1335).
Selon Wle biographie de Begouen, il resta chez lui dans la Seine-Inférieure, et ne fit aucWl acte d'adhésion à l'Empire. (M. BEGOUEN-DEMEAUX,
] aCqulJs-Frllnçois Begouën, II, pp. 80-81).
(26) PORTAL. Mémoires, pp. 9-16. Portal, qui prétend à tort avoir
été nommé conseiller d'Etat, aurait fait dire par Regnaud qu'il ne pouvait
accepter. Mandé aux Tuileries, il aurait déclaré à l'Empereur qu'en 1814
il lui resta fidèle jusqu'à l'abdication et affirmé l'intention de g.U'der
la même fidélité à Louis XVIII, aucune abdication ne l'ayant <Mlié de
son serment au Roi. Napoléon irrité lui aurait permis de se ret~er à t~
~endre
�En somme la plupart des anciens conseillers d'Etat et maîtres
des requêtes de l'Empire employés par la Restauration acceptèrent, avec plus ou moins d'empressement, de reprendre leur
place au Conseil dès le début des Cent-Jours (28).
En général ils n'attendirent même pas de savoir que le
régime auquel ils avaient prêté serment venait de prendre fin,
en droit comme en fait, par l'émigration de Louis XVIII et la
disparition de son autorité effective dans l'ensemble de la France.
Presque tous allaient d'ailleurs signer une déclaration collective
déniant tout caractère légitime à la restauration de 1814 et
toute force obligatoire aux engagements contractés envers la
royauté. Il est impossible de savoir en quelle mesure était sincère
leur ralliement à l'Empire. On peut seulement présumer qu'il
l'était au moins autant, pour la plupart, que leur ralliement au
régime royal en 1814.
Beaucoup d'ex-auditeurs de l'Empire demandaient à rentrer
au Conseil ou dans l'administration. Un décret du 3 avril compléta le service ordinaire du Conseil en répartissant entre les
sections quarante-quatre auditeurs, pris parmi 'les anciens, dont
Campan, Taboureau, Dutilleul, Cormenin, Pastoret, Delaire, Le_ cocq, Frochot fils. Plusieurs avaient été nommés sans l'avoir
demandé ; Pastoret et Lecouteulx de Canteleu, au moins, semblent avoir refusé ce poste, car deux autres des ex-auditeurs
furent nommés le 12 avril pour les remplacer (29).
campagne en ajoutant que les yeux seraient ouverts sur lui. Cependant
Pasquier, en rapportant la même scène d'après Portal, ne mentionne pas
cet avertissement comminatoire (Op. cil. III, p. 176). Le 13 avril l'Empereur
écrivit à Carnot de proposer la mairie de Bordea.ux à Portal (CHUQUET.
Inédits napoléoniens, II, p. 391) mais celui-ci, tout en remerciant, refuS:!.
(27) L'acceptation de Meneval n'était pas douteuse mais il se trouvait enCOl-e en Autriche et ne de·vait rentrer en Prance qu'au mois de ma.i.
(18) Parmi les hommes qui avaient quitté le Conseil d'Eta~nt
1814 plusieurs se rallièrent aussi à l'Empire, à tout le moins Brune, Jôur-
dan, Rœderer, Ségur, Dejean, Chaptal, Champagny, Bigot de Préameneu,
Montalivet, Mollien, Collin de Sussy, Gassendi, outre Daru et MoLé déjà
cités. Tous ces hommes sauf Daru furent nommés pairs. Prochot devint préfet
des Bouches-du-Rhône. Siméon ne resta pas préfet du Nord mais il
demanda la présidence d'une cour d'appel dans le Midi et l'Empereur
faisait prescrire à Cambacérès, le 6 mai, de le proposer pour le premier
poste de ce gènre qui serait vacant (Ap· IV 101 no 964)'
Clarke et Marmont avaient suivi Louis XVIII. Barbé-Marbois perdit
la présidence de la Cour des comptes et dut se retirer à 30 lieues de
Paris. Dessolles fut destitué de tous grades et fonctions. Que ce fût ou
non de leur plein gré, Chasseloup, Dupuy, Emmery, Sainte-Suzanne,
Shée et Truguet semblent ~tre demeurés à l'écart. Portalis fils resta premier
président de la Cour d'Angers.
(19) AF IV 859/8. Plaq. 6.962. Quinze des auditeurs nommés le 3 avril
avaient été maîtres des requêtes (dont sept comme surnuméraires)
au Conseil du Roi. Voir dans AP IV 1335 une liste de cent-cinq personnes,
pour la plupart anciens auditeur'i, qui demandent soit à rester ou à
rentrer au Conseil soit 'à recevoir de l'avancement ou des postes, surtout
15 1
-.;,
-
�Contrairement à ce qu'on pouvait attendre d'un reglme brusquement rétabli après de tels bouleversements, il fut ajouté pendant les Cent-Jours fort peu de membres nouveaux à ceux de
l'ancien Conseil d'Etat impérial "ain$i maintenus ou rétablis dans
leurs fonctions. Trois conseillers seulement furent nommés ~ le
20 avril Benjamin Constant, dans des circonstances qui seront
relatées ci-après ; le 30 avril (sur sa demande) le général Delaborde qUI avait, le 4 avril, proclamé l'Empire à Toulouse et
fait arrêter Vitrolles (30) ; le 9 juin Bedoch, membre 'de la
Chambre des représentants.
Deux ex-auditeurs devinrent maîtres des requêtes : le premier
fut l'ancien préfet Gosswin de Stassart ; se trouvant en France
à la fin de mars, il accepta, bien que Belge et devenu chambellan de l'empereur d'Autriche, de porter à celui-Cl une lettre
de Napoléon et à 'Metternich une lettre de Caulaincourt, mais
il ne put 'dépasser Lintz. Revenu à Paris il fut nommé maître
des requêtes le 18 mai (3~). Fleury de Chaboulon, qui avait
suiVI l'Empereur à l'armée comme secrétaire du cabinet, reçut
une préfecture ou une sous-préfecture. Parmi les ex-auditeurs qui aspirent
à le redevenir figurent quelques-uns de ceux qui ont été maîtres des requêtes
pendant la première Restauration. On y trouve aussi Joly de Fleury qui
avait adhéré dès le 6 avril 1814 à la déchéance de Napoléon Buonaparte .
.Lecouteulx de Canteleu écrivait le 9 avril à Maret que, retenu à la
campagne par des intérêts matériels, il ne pouvait accepter sa nomination
d'auditeur et qu'il avait refusé pour ce motif d'être maître des requêtes
sous la royauté (AF IV 859/9 Plaq. 6"72). Le 5 mai Napoléon n'o mml
auditeur Rathery qui avait été son secretaire à l'île d'Elbe CAF IV 859/15
Plaq. 7.015).
(30) Commandant de cette division militaire lors du retour de l'île
d'Elbe, il avait déclaré le I I mars dans un ordre du jour :
« S,A.R. [le duc d'Angoulème] va faire cesser les entreprises d'un homme
que le délire aveugle et dont les actes pourraient troubler la tranquillité
et le bonheur dont jouit la France... »
Mais, le .. avril, Delaborde annonçait lUX habitants :
c
Nous avons de nouveau proclamé ",otre Empereur, le héros du
siècle... »
(M. ALBERT. La première Restauration dans la Haute-Garonne, pp. 106
et 157).
Le 29 avril Davout proposait de oonfier à Delaborde le oommandement
militaire de l'Ouest, où s'organisait la guerre civile ; il ajoutait que ce
général demandait à être nommé conseiller d'Etat (Correspondance du maréchal Davout, no 1.648, IV, pp. 485-486).
(31) Selon une notice imprimée avec ,ses Œuvres complètes (pp. VIIVUI) St as sart écrivit de Lintz à l'Empereur François en lui envoyant la
lettre de Napoléon. Il présentait, comme témoin ooulaire, un tableau, d'ail·
leurs quelque peu forcé, de l'accueil fait au rétablissement de l'Empire par
« la nation entière ., de la détermination de celle-ci à repousser une attaque, etc. Il conjurait le souverain autrichien d'empêcher la guerre et
sollicitait son agrément avant de reprendre du service en France ; en
cas de refus il serait au désespoir d'être obligé de rendre sà clef de
chambellan.
En demandant à l'Empereur, le 15 mai, d'accorder un traitement provisoire à Stassart, Carnot expose que celui-ci c est f\entré en France dès
qu'il a connu le retour de Votre Majestié » ' (AF IV 859/17 Plaq. 7'°31).
�le même titre le 17 juin. Devinrent aussi maîtres des requêtes
trois hommes jusque là étrangers au Conseil d'Etat : Joseph
Fauchet, qui avait été préfet de 1800 'à 1814, venait de le redevenir et demandait le titre de conseiller d'Etat (25 mars),
l'inspecteur général des Forêts Bertrand (16 avril) et l'ancien ministre plénipotentiaire d'HédouviIle (18 mai) ; celui-ci fut placé
onze jours plus tard dans le service ordinaire et attaché à
l'office des Affaires étrangères.
Le Conseil d'Etat comprend donc, pendant les Cent-Jours,
surtout des hommes qui en ont fait partie avant avril 1814. Mais
leur esprit a subi l'influence des événements accomplis depuis
un an et SI Napoléon, à peine rentré aux Tuileries, réunit aisément autour de lui la plupart de ses anciens ministres et des
ex-membres de son Conseil d'Etat, il ne les retrouve pas tels
qu'il les a connus en 1810, voire en 1813.
C'est que lui aussi se trouve dans une situation différente.
Malgré son triomphal retour, son prestige personnel, demeuré
très grand, se trouve cependant affecté par la catastrophe militaire de 1813-1814 et ses suites. La sombre issue de guerres
sanglantes et onéreuses atteint en outre moralement dans beaucoup d'esprits le principe même de l'Empire quasi-absolu, l'omnipotence pratique du Gouvernement en matière de politique étrangère, voire en d'autres domaines, et cet effet ne se limite pas
aux adversaires ou aux hommes qui n'ont acclamé Napoléon
revenant de l'île d'Elbe que par animosité contre les Bourbons
et leurs partisans. D'autre part, au cours de l'année qui vient de
s'écouler, deux nouvelles tendances politiques se sont affirmées
dans l'opinion, en dehors et a l'encontre du pur royalisme.
Non seulement les prétentions de l'ancienne noblesse ont exaspéré l'esprit égalitaire mais encore, par une réaction analogue, la
doctrine intégrale de la légitimité monarchique a réveillé ou
ravivé chez beaucoup un dogme opposé, celui -de la souveraineté
du peuple. Ce concept mystique est alors entendu généralement,
semble-t-il, selon un sens assez imprécis, intermédiaire entre
celui que proclame le Contrat social et le sens, surtout négatif, du
principe de la souveraineté n,ationale.
Après avoir invoqué la souveraineté du peuple pendant tout
le Consulat, Napoléon en a fait en 1804 la base théorique du
nouveau trône, tout en réduisant déjà très sensiblement sa portée
lorsqu'il déclar ait, le 5 floréal an XII, dans son message au
Sénat : « . .. la souveraineté réside dans le Peuple français, en
ce sens que tout, tout sans exception doit être fait pour son
intérêt, pour son bonheur et pour sa gloire lt. Il s'est ensuite
appliqué à la reléguer à l'arrière-plan. sinon dans l'oubli. C'est
ainsi qu'en répondant le 20 décembre 1812 à l'adresse du Conseil
d'Etat et en évoquant la tentative de Malet il attaque ceux qui
�ont jadis « adulé le peuple en le proclamant à une souveraineté
qu'il était incapable d'exercer,. (32) .
\ .
. En 1815, dès lors que beaucoup de gens voient ou disent
voir la légitimité d'un régime politique dans sa référence
officielle à un principe abstrait (idéologique ou mystique)
visant l'origine théorique ou la transmission du pouvoir, l'Empereur se voit pratiquement obligé ·d'opposer quelque concept de
ce genre à cèlui des Bourbons, au soi-disant droit divin monarchique qu'il eût naguère souhaité annexer au profit de sa dynastie
mais qui se trouve maintenant employé contre lui. De là ses
proclamations et ses paroles depuis son retour en France.
Il n'y emploie d'ailleurs pas le terme souveraineté et il s'y
déclare empereur « par la grâce de Dieu et les constitutions de
l'Etat ». S'il y attaque la monarchie féodale et sa doctrine du
droit divin, s'il s'y réclame d'un esprit égalitaire à l'encontre
des prétentions émises par l'ancienne noblesse et s'il y oppose
à ces divers éléments adverses les droits et la volonté de la
nation ou du peuple, il y réduit le rôle primordiâl de ceux-ci à
choisir une dynastie et à repousser ou accepter les révisions
constitutionnelles majeures, le monarque ne devant lui-même
régner et gouverner que dans l'intérêt public.
Sur le plan politique concret, ni cette attitude, ni le courant
d'opinion auquel elle correspond - ni même la phraséologie plus
révolutionnaire de divers éléments - ne peuvent guère compromettre le pouvoir èt la prépondérance pratique de Napoléon.
Quelques déclarations limitées ainsi à des principes généraux,
un hommage rendu à la volonté nationale ou à Ia volonté du
peuple, quelques manifestations d'esprit égalitaire, quelques diatribes contre la royauté des Bourbons et la noblesse féodale,
l'ouverture d'un nouveau plébiscite et le rappel ·des anciens, enfin
des formes bien agencées comme en l'an VIII suffiront - hors
des régions royalistes - à satisfaire sur le plan politique la
plupart ·des paysans, des ouvriers, voire des petits bourgeois.
Avec quelque adresse l'Empereur doit trouver dans ces catégories sociales non des antagonistes mais bien, même si l'attitude des royalistes ne l'y aide pas, des auxiliaires contre ses
propres adversaires politiques de tout ordre car même l'esprit
révolutionnaire réveillé en divers milieux est alors facile à
tourner vers d'autres objectifs que l'affaiblissement du pouvoir
impérial. Son ardeur offensive risque même de gagner Napoléon
à la main dans la lutte contre le royalisme et ses soutiens.
Plus grave par ses conséquences, du moins dans les circonstances du moment, se révèle un autre état d'esprit très
répandu et très prononcé dans la haute et la moyenne bour(p) Cf. LECESTRE, II, p. pl. Lettre à Joseph, 14 mar,> 1814 :
. .. Je suppose cependant qu'ils font une différence du temps de La
Fayette, où le peuple était souverain, avec celui-ci, où c'est moi qui le suis . ..
c
-
1).4
-
�geoisie : te courant libéral et parlementaire. Ce dernier terme ne
doit pas être entendu selon le sens actuel ét précis du droit constitutionnel, sens qu'il n'avait pas encore achevé 'de prendre en
Angleterre, mais il .évoque du moins l'association effective d'assemblées politiques à l'exercice du pouvoir par le monarque
quel qu'il soit, et cela même en dehors d'un domaine strictement
limité à la fonction législative. L'une de ces assemblées, la
principale, « représenterait » en théorie la nation ou le peuple,
mais serait en réalité, comme la Chambre des communes anglaise, l'émanation exclusive des classes riches ou aisées, déclarées
comme telles aptes e~ seules aptes à l'activité politique. Bien
des hommes, certes, croient sincèrement - souvent par réaction
contre l'absolutisme impérial - aux avantages de ce gouve1'nement représentatif pour la protection des individus et la
sauvegarde d'intérêts publics ; mais les doctrines viennent
alors comme en 1789 - sinon comme toujours - consacrer
aussi, voire surtout, les intérêts et les ambitions (même d'ordre
matériel) de catégories professionnelles ou sociales, N'éprouvant
plus, comme au début de l'an VIII, la crainte d'un jacobinIsme
démagogique ou celle d'une contre-révolution totale, ni 'p ar
~uite le besoin d'un sauveur et 'd'une forte autorité gouvernementale, l'ensemble de la bourgeoisie haute et moyenne vise à par. tager avec l'Empereur ou avec le Roi la réalité du pouvoir politique et se flatte d'acquérir plus tard la prépondérance.
Ces aspirations se sont affirmées depuis un an, favorisées
par le discrédit et les maladresses de la royauté restaùrée. En
temps ordinaire elles ne pourraient menacer gravement Napoléon
car elles ne sont pas soutenues par l'ensemble de la nation ;
même à Paris, où leurs adeptes sont nombreux, elles pourraient avoir à compter avec des réactions, même spontanées,
du faubourg Saint-Antoine. L'autorité morale de l'Empereur demeure en effet sensiblement plus forte sur les paysans et les
ouvriers (sans parler des soldats) que le prestige des commerçants et des avocats, même rehaussé par les Austerlitz américains
de La Fayette. Mais la situation extérieure confère à cette
classe, du moins provisoirement, une grande force qu'elle veut
utiliser au maximum pour tenter d'obtenir, au plus tôt, des
avantages durables.
Ayant contre lui les purs royalistes, c'est-à-dire essentiellement presque toute l'ancienne noblesse et une grande partie du
peuple de l'Ouest et du Midi, Napoléon ne peut tenter d'en imposer aux puissances étrangères, surtout à l'Angleterre, et de
contenir leurs intentions agressives qu'en leur apparaissant 'comme soutenu par tout le reste de la nation, sans distinction de
classes sociales. Qu'il le soit par les soldats, par la plupart des
paysans et 'des ouvriers n'est pas - bien au contraire - de
nature à 'd ésarmer les haines et les défiances d'un Metternich
0\1 d'\1n Castlereagh. En ce moment du moins, Nap'oléon ne p'eut
�entrer ostensiblement en conflit avec la bourgeoisie libérale. Celle-ci ne l'ignore pas. Quelques assurances verbales et quelques
proclamations ne sauraient lui suffire. Sans attendre que soit
réglée la situation internationale, dont l'incertitude est sa principale force, elle va s'attacher à obtenir le , plus possible 'de
garanties constitutionnelles. Sans doute espère-t-elle que celles-ci
pourront bientôt être utilisées vis-à-vis d'un autre souverain, à
l'encontre duquel de telles entraves seront plus efficaces. Pour
réaliser ces vues, elle trouve dans Fouché un auxiliaire que
les circonstances rendent très influent. Il semble qu'elle bénéficie
aussi de la réaction produite chez l'Empereur par l'outrance de
certaines manifestations populaires et par sa crainte, exagérée,
d'être débordé de ce côté.
A l'égard de ces deux tendances qui se manifestent, simultanément, en des milieux différents les membres du Conseil
d'Etat reconstitué ne peuvent demeurer indifférents.
A leur âge et avec ' leur expérience politique, ils se doivent
d'apprécier selon leur valeur effective, c'est-à-dire sous l'angle
pragmatique, tous les principes métaphysiques qui touchent au
droit public et d'être sceptiques quant aux vertus absolues prêtées à chacun par ses adeptes ou ses utilisateurs. Ceux de ces
principes qui tendent à grandir sensiblement le rôle d'assemblées
élues par la masse d'une population ou d'une classe et n'en dépassant guère le niveau moyen ne sont pas propres à séduire les
membres d'un corps qui pendant quatorze ans a incarné la
sélection vraie c'est-à-dire basée sur la valeur propre des individus. Les propos tenus en août 1814, quant au Conseil d'Etat,
dans la Chambre des députés au sujet de la motion de Dumolard
concernant l'interprétation des lois ont dû les éclairer sous ce
rapport. Toutefois cette considération ne suffit pas à dicter leur
attitude car la question est moins simple.
Le princ~pe de la souveraineté du peuple ne peut leur en
imposer vraIment ni beaucoup les alarmer. Voilà plus de vingt
ans que plusieurs d'entre eux l'interprètent et l'utilisent en des
sens successifs et différents. Ils pourront donc l'invoquer à des
fins d'opportunité sans vouloir, pour autant, lui faire produire
beaucoup d'effets pratiques, même dans la mesure où ce serait
matériellement possible. Un égalitarisme prononcé ne reritre pas
davantage dans leurs aspirations actuelles, même s'ils l'ont sincèrement prisé jadis. Toutefois il se peut que quelques-uns,
tels Thibaudeau et Berlier, sentent revivre en eux, relativement, l'esprit ou du moins les attitudes de 1793.
Le courant libéral et parlementaire a ;,Ius fortement ~gi
sur les membres du Conseil d'Etat. Lui 'ceder plus ou moms
largement ne paraît sans doùte à plusieurs d'entre eux comme à Napoléon - qu'une fâcheuse n~cessité du moment
�présent. Mais d'autres peuvent se rallier plus sincèrement à cette
tendance, qu'ils aient foi en sa valeur ou qu'ils se contentent
de croire en son avenir.
Plus que les convictions démocratiques à la Rousseau, depuis longtemps ruinées en leur esprit par les faits, les principes
de 1789 peuvent avoir, jusque sous l'Empire, inspiré èncore à
plusieurs, par exemple à Defermon, à Regnaud, à Mathieu
Dumas, un reste 'd'attachement cérébral ou sentimental 'qui "ne
les a pas empêchés de prêter depuis l'an VIII, dans la vie
réelle, un plein concours à la' prépondérance puis à la quasiomnipotence gouvernementale, même à l'encontre des règles
constitutionnelles ou légales (33). Mais ces idées de leur jeunesse
ont pu reprendre force en eux avec les revers et la chute de
l'Empire. S'ajoutant ou non à des raisons de cet ordre, l'esprit
de la haute bourgeoisie, à 'laquelle les rattachent leur condition
sociale actuelle et la plupart de leurs relations courantes, a
pu influencer dans le même sens des conseillers d'Etat.
En dépit de sa grande œuvre intérieure, le despotisme éclairé
- qui 'p ouvait seul leur ouvrir un tel rôle et dont ils furent
les meilleurs auxiliaires - se trouve atteint, même à 'leurs yeux,
pal' les excès de sa politique étrangère et les désastres militaires
qui ont amené sa chute, voire par le souvenir de la façon dont,
un an plus tôt, la plupart d'entre eux ont ... manifesté la crainte
de s'en séparer trop tard. Le profond discrédit qui s'attachait
en l'an VIII aux assemblées élues et fit acclamer le 19 brumaire
par l'ensemble de la nation s'en trouve très atténué sinon même
oublié. Depuis un an, parmi ceux des anciens hauts fonctionnaires
de l'Empire dont la Restauration a repoussé le concours, plusieurs
ont sans doute songé -à devenir députés ; en outre la plupart 'des
hommes qu'inquiétèrent les visées des ultra-royalistes ont alors souhaité voir grandir à l'encontre du pouvoir royal celui des assemblées politiques. Même si cette orientation nouvelle plus ou moins
consciente ne tient qu'à ces raisons occasionnelles, elle peut
avoir survécu en partie au retour de Napoléon, à un changement
de souverain et de régime qui risque fort de ne pas être définitif.
Il est 'fort possible que, fût-ce aux yeux d'anciens serviteurs
réellement 'dévoués de l'absolutisme impérial, le danger d'une
nouvelle restauration royale rende plus opportun de ménager
le courant libéral et parlementaire.
(33) L'Empereur aurait dit au comte de Narbonne, en 18u, en parlant
des hommes encore attachés aux conceptions politiques de 1789 :
c Il y a de ces esprits là, je le sais, jusque dans mon Conseil d'Etat . ;
ils se taisent, parce que je suis là. Mais la propagande des anciens livr.es
et des souvenirs de 1789 n'est pa.. loin ; et en fait de Révolution à
recommencer, il n'y a jamais d'expérience acquise pour les jeunes, et souvent il n'yen a pas même pour les vieux. ~ (VILLEMAIN. Souvenirs
contèmporams, J, p. ,64),
Selon Beugnot (Mémoires, 3me édit., ,p. 376) Napoléon lui dit en juillet
1'813 : « Vous ête<3 de l'école des idéologues, avec Regnault ... -.
-
IJ7
�Sans doute ces hommes connaissent trop Napoléon pour
croire qu'il puisse longtemps, quels que soient les textes, quelles
que soient même ses propres résolutions du moment, supporter
le pouvoir rival et surtout l'opposifion d'une assemblée ou les
attaques de journalistes, c'est-à-dire, selon le mot de Corvisart,
« agit· contre son organisme ». Beaucoup d'entre eux peuvent cependant considérer comme nécessaire et possible, voire comme
viable, un compromis réalisé, sur d'autres bases qu'en l'an VIII,
entre les diverses ambitions, hautes ou mesquines, individuelles
ou collectives, qui aspirent au pouvoir politique.
Peut-être aussi pour plusieurs conseillers d'Etat, surtout parmi
ceux qui se sentent vieillir, leur haute situation d'avant 1814,
payée d'un dur labeur quasi-quotidien, faite d'une influence
réelle mais anonyme, paraît-elle moins tentante que celle 'd'un
lord anglais, d'un orate~r notoire de la Chambre des communes~
d'un miriistre britannique. Le régime oligarchique du RoyaumeUm, prIncipal créateur et longtemps seur bénéficiaire du gouvernement représentatif, pourrait mieux convenir à certaines
ambitions personnelles que le retour à l'Empire d'hier (34).
Il suffit d'indiquer ces divers mobiles possibles car il serait
vain de vouloir discerner leur rôle respectif dans l'orientation
nouvelle de plusieurs membres du Conseil et même de prétendre
désigner ces derniers ou savoir quelle proportion numérique ils
représentent dans l'ensemble de ce corps. Quoi qu'il en soit de
ces positions individuelles, de leurs causes et de leur degré de
sincerité ou de ' fermeté, le Conseil d'Etat lui-même ne tarda pas
à être mis en mesure d'exprimer une opinion.
Selon Thibaudeau - dont les écrits sont l'unique source pou.&::
l'ensemble de ce sujet - la première assemblée se tint le
24 mars sous la présidence de Defermon ; celui-ci déclara que
l'Empereur désirait une délibération propre à éclairer la France
sur les récents événements, à démontrer le caractère illégitime
de la royauté restaurée et l'invalidité des serments qui lui
avalent - été prêtés. Une commission de neuf conseillers, dont
firent partie les présidents de section, fut nommée pour préparer
un projet. Elle s'assembla aussitôt et posa des bases sur lesquelles
(34) Napoléon aurait dit [1] à Molé en mars 1813 que ses hauts fonctionnaires redoutaient également la Républigue et les Bourbons et il aurait
ajouû :
• Au lieu qu'ils ne redouteraient pas une minorité qui leur permettrait
de reprendre leur ascendant, de conserver, de fortifier toutes c~s instituti,ons
qui leur profitent, une minorité enfin qui rendrait à chacun l'espérance
de faire triompher ses opinions, de jouer un rôle, de ressaisir surtout lUne
importance individuelle qu'avec moi nul ne peut atteindre. Je sais très bien
que ces hommes que je laisse bavarder aujourd'hui au Conseil d'Eut et
ailleurs, mais que je fais taire quand je veux, prendraient alors toute licence
et seraient trop heureux de jouer un rôle .. (Mis de NOAILLES. 0l!. cit.,
l, pp. 18,.186).
�chacun de ses membres pourrait rédiger un texte (35). Daru
seul s'en abs"tint. Des huit projets fournis le lendemain, la
commission préféra celui de Thibaudeau mais chargea ce dernier
d'y amalgamer quelques idées prises dans les textes de Regnaud
et de Boulay. La déclaration qu'il lui présenta deux heures plus
tard fut approuvée par elle, puis par le Conseil assemblé. Elle
allait nettement au 'delà des désirs exprimés par l'Empereur. "
Thibaudeau n'était ni impérialiste par conviction, ni personnellement dévoué à 'Napoléon (36). Il estimait, assez justement,
n'avoir pas occupé depuis l'an XI un poste correspondant à sa
valeur. On sait que le rétablissement de l'Empire, qu'il préférait
encore à 'Louis XVIII, n'était pas à ses yeux la meilleure solution. Mais si les principes de 1793 revivaient partiellement
en lui, on peut douter que Thibaudeau ait été, surtout en de
telles circonstances, un dévot du libéralisme ou d'une légalité rigide. Il assure avoir souhaité « une dictature révolutionnaire,
momentanée ». Mais l'une des bases adoptées d'avance par la
commission (malgré ses objections s'il faut l'en croire) était
« de faire entendre à l'Empereur qu'il ne devait régner que "par
les principes et les lois » . Entravé par cette idée directrice, l'ancien conventionnel régicide s'appliqua du moins à proclamer
côntre les Bourbons et leur droit divin le principe de la souveraineté du peuple, à en faire résulter la légitimité du pouvoir
impérial et l'inefficacité de l'abdication.
Voici le texte de cette adresse :
~
~..
r
li
Le Conseil d'Eta"t, en reprenant
naître les principes qui font la règle
La souveraineté résidB dans le
time du pouvoir.
fi
En 1789, la nation reconquit
ou méconnus.
ses fonctions , croit devoir faire conde ses opinians et de sa conduite.
peuple ; il est la seule source légises droits, depuis longtemps usurpés
(35) THIBAUDEAU. Mémoires, p. 463 : « Après une discussion superficielle, on décida que cette délibération serait rédigée par une commlSSlion
composée des présidents et d'un membre de chaque section. Elle fut oommée
et s'assembla de suite, Elle était composée des présidents Defermon, Regnaud, Boulay, Andréossy, des conseillers d'Etat Jaubert, Berlier, Daru,
Las Cases et moi. On arrêta des bases 'd'après lesquelles chaque membre
qui le trouverait bon ferait un projet .et l'on oonvint qu'on se réunirait
le lendemain. » Cf. THIBAUDEAU. L'EmPire, VII, p. 263 et note).
Molé ne cite pas Las Cases parmi les membres de la commission et
il substitue Quinette à BerIier (Mis de NOAILLES. Op. cit., p. 21J). C'est
par une confusion évidente que M. Piétri fait intervenir cette commiss~on
(accrue par lui de Merlin et des ministres Carnot et Maret) et cette po- '
cédure dans la préparation de l'acte additionnel (P. PIE TRI. Napol~n et le
Parlement, p. 312).
(36) « Je n'avais pas désiré son retour ... Je ne parus devant l'Empereur
que lorsqu'il m'etît renommé conseiller d'Etat. Il me reçut oomme tout
le monde et m'adressa quelques mots insignifiants. Nous nous retrouvâmes
dans les mêmes rapports qu'avant son abdication et assez fr oids l'un
pour l'autre. • (Mémoires, pp.... so, 4S2~ ...S3).
159
-
�Li ÂssembUe Mtionate aboi;t la monarcbie féodale, Atabiit une monarchie constitutionnelle et le gouvernement reprhentatif.
La résistance des Bourbons aux vœux du peuple amena leur cbuttJ
et leur bannissement du territoire français.
« Dep.x fois le peuple consacra par ses votes la nouvelle forme de gouvernement établie par ses représentants.
1/
En l'an VIII, Bonaparte, déjà couronné par la Victoil'e, se trouva
porté au gouvernement par l',usentiment national ; une constitution crAa
la magistrature consulaire.
tt
Le sénat-us-consulte du 16 thermidor an X nomma Bonaparte consul
il vie.
1/
Le sénatus-consulte du 28 floréal an XII conféra à Napoléon la
dignité impériale et la rendit héréditaire dans sa famille .
« Ces trois actes solennels furent soumis à l'acceptation du peuple qui
les consacra par près de quatre millions de votes.
1/
Ainsi, pendant vingt-deux ans, les Bourbons avaient cessé de régner
en France ; ils '1 étaient oubliés par leurs contemporains, étrangers à nos
lois, à 'nos institutÏ01ls, à 'IIOS mœurs, à notre gloire ; la génératw1J Ilctuelle
ne les connaissait que par le souvenir de la guerre étrangère qu'ils avaient
suscitée contre la patrie et des diss8'llsions intestines qu'ils '1 avaient allumées .
• En 1814, la France lut envahie par les armées ennemies et la capitaltl
occupée. L'étranger créa un prétendu gouvernement provisoire " il assembla
la minorité des sénateurs et les força, contre leur mission et contre leur
volonté, à détruire les constituu.ons existantes, à renverser le trône impérial
et à rappeler la famille des Bourho1Js.
1/
Le Sénat, qui n'avait été institué que pour conserver les constitutions
de l'Empire, reconnut lui-même qu'il n'avait point le pouvoir de les changer.
Il décréta que le projet de constitution qu'il avait préparé serait soumis à
l'acceptation du peuple et que Louis-Stanislas-Xavier serait proclamé Roi des
Français aussitôt qu'il aurait accepté la constitution et juré de l'observer et
de la faire observer.
Il
L'abdication de l'Empereur Napoléon ne fut que le résultat de la
situation malheureuse où la FrlUJce et l'Empereur avaient été réduits par
les événements de la guerre, par la trahison ..et par l'occupatwn de la
capitale; l'ahdication n'eut pour objet que d'éviter la .guerre civile et l'effusion du sang français. Non conslICré par le vœu du peuple, cet .acte ne
pouvait détruire le contrat solennel qui s'était formé entre lui et l'Empereur,
et, quand Napoléon aurait pu abdiquer personnellement la couronne, il
n'aurait pu sacrifier les droits de son tils, appelé à régner après lui.
Il Cependant un Bourbon tut nommé lieutenant général du royaume et prit
les rên8s du gouvernement.
/( Louis-Stanislas-X{lvier arriva en France ; il fit son entrée dans la
caPitale; il s'empara d-u tr6ne, d'ap"ès l'ordre établi dans l'ancienne monarchie féodale.
fi
Il n'avait point accepté la constitution décrétée par le Sénal ; il
n'avait point juré de l'observer et de la faire observer; elle n'avait point
été envo'1ée à l'acceptation du peuple ; le peuple, subjugué par la présence des armées étrtmgères, ne pouvait pas même exprimer librement ni
valabletnMJt son vœu.
.. Sous leur protection, après avoir remercié un prince étranger dB
l'avo,;r tait remonter sur le trône, Louis-Stanislas-Xavier data le prem~r
acte de son autorité de la dix-neuvième année de son règne, déclarant
ainsi que les actes émanés de la volonté du peuple n'étaient que le produit
d'une longue révolte ; il accorda volontairement et _par lé libre ex-ercice
de son autorité r0'1ale une charte constitutionnelle appelée ordonnance de
réformation; et pour toute sanction il la fit lire en présence d'un nouveau
C!N'PS qu'il venait de créer et d'une réunion de députés qui n'était pas libre.
qui ne l'accepta point, dont aucun n'avait caractère pour consentir à ce
changenumt et dont les deux cinquièmes n'avaient même plus le caractère
de représentants.
160
�N
Tous ces actes sont donc illégaux. Faits en prJsence des armées ennemies et sous la domrnation étrangère, ils ne sont que l'ouvr.age de la
violence ,. ils sont essentielkment nuls et attentatoires à l'bonneur, à la
liberté et aux droits du peuple.
" Les adbésions données par des individus et par des fonctionnaires sans
mission n'ont pu ni anéantir ni suppléer le consentement du peuple, exprimé par des votes solennellement provoqués et légalement émis.
« Si ces adbésions, ainsi que les serments, avaient jamais pu même être
obligatoires pour ceux qui les ont faits, ils auraient cessé de l'être dès
que le gouvernement qui les a reçus a ,cessé d'existlJ,r.
La conduite des citoyens qui, sous ce gouvernement, ont servi l'Etat
ne peut être blâmée ,. ils sont même dignes d'éloges, ceux qui n'ont profité
de leur position que pour défendre ks intérêts nationaux et s'opposer à
l'esprit de réaction et de contre-révolutidn qui désolait la Frtl7lce.
" Les Bourbons eux-mêmes avaient constamment violé leurs . promesses ,. ils favorisèrent les prétentions de la nobksse fidèle ,. ils ébranlèrent
les ventes des biens n.ationaux de toutes les origines ,. ils préparèrent le
rétablissement des droits féodaux et des dî~s ,. ils menacèrent toutes les
existences nouvelles ,. ils déclarèrent la guerre à toutes ks opinions libérales ,. ils {lttaquèrent toutes les institutrons que la France avait acquises
au prix de son sang ,. aimant mieux bumJlier la nation que de s'unir à
sa gloire, ils dépoUillèrent la Légjon d'honneur de sa dotation et de ses
droits politiques, ils en prodiguèrent la décoration pour l'avilir ,. ils enlevèrent à l'armée, aux braves, leur solde, leurs grades et leurs bonneurs
pour les donnar à des émigré!, à des cbefs de révolte ,. ils voulurent enfin
régner et opprimer le peuple par l'émigration.
N Profondément alfectée de s.oll bumili4tion et de ses malbeurs, la France
- appelAit de tous ses vœux son gouvernement national, la Dynastie liée à ses
nouveaux intérêts, à ses nouvelles institutions.
Lorsque l'Empereur approcbait de la capitale, les Bourbons ont en
vain voulu réparer, par des lois improvisées et des serments tardifs à
leur cbarte constitutionnelk, les outrages faits à lA nation et à l'armée.
Le · temps des illusions était passé, la conf:ipnl;e était aliénée pour jamais.
Aucun bras ne s'est armé pour leur défense. La nation et l'armée ont volé
au-devant de leur libérateur.
" L'Empereur, en remontant sur le trtm.e où le peuple l'avait élevé,
rétablit donc le peuple dans ses droits les plus sacrés. Il rte ),ait que rappeler
à leur exécution les décrets des assemblées rejJrésentatives sanctionnées p.ar
la nation ,. il rev.ient régner par le seul princiPe de légitimité que la
France ait reconnu et consacré depuiS vingt-cinq ans, et auquel toutes ks
autorités s'étaient liées par des serments dont la volonté du peuple aurait
pu seule les dégager.
N
L'Empereur est appelé à garantir de nouveau par des institutions,
et il en a pris l'engagement dans ses proclamations à la nation et à
l'armée, tous les principes libéraux, lA liberté individuelk et l'égalité des
droit . . , la liberté de la presse et l'abolition de la censure, la liberté des
cultes, le vote des contributions et des lois par les représentants de la
nation légalement élus, les propriétés tUltionales de toute origine, l'indépendance et l'inamovibilité des tribunaux ,la responsabilité des ministres et
de tous les agents du pouvoir.
« Pour mieux consacrer les droits et les obligations du peuple et du
monarque, les institutions nationaler doivent être revues dans une grande
assemblée des représqJtants ,déjà annoncée par l'Empereur.
" Jusqu'à la réunion de cette grande assemblée représentativ~, l'Empereur doit exercer et faire exercer, conformément aux constitutions et aux
lois existantes, le pouvoir qu'elles lui ont délégué, qui n'a pu lui être '
enlevé, qu'il n'a pu abdiquer sans l'assentiment de la nation, que k vœu
et l'intérêt général du peupk fra".çais lui font un devoir de reprendre.
)J
Un préambule attribuait à cette déclaration un 'caractère
spontané et en faisait un exposé des principes qui inspiraient
les op'inions et la conduite des membres du Conseil :
�Sire, les membres de votre Conseil d'Etat ont pensé, au
moment de leur première réunion, qu'il était de leur devoir de
professer solennellement les principes qui dirigent leur opinion
et leur conduite.
.
« Ils viennent présenter à Votre Majesté la délibération
qu'ils ont prise à l'unanimité, et vous prier d'agréer l'assurance
de leur dévouement, de leur respect et de leur amour p'our votre
personne sacrée. »
•
Selon Thibaudeau l'adresse fut d'abord officieusement communiquée à l'Empereur avant d'être soumise à la signature des
membres du Conseil et « il n'y demanda pas de changements ».
Cependant ses vues réelles se trouvaient probablement contrariées
par les dernières phrases qui -lui attribuaient l'intention de garantir tous les principes libéraux, notamment la liberté de la
presse, et semblaient réserver a une future assemblée élective
cette représentation de la nation dont, selon le fameux article
inspiré paru dans le Moniteur du 15 décembre 1808, le Corps
législatif n'était investi qu'en quatrième rang, après l'Empereur,
le Sénat et le Conseil d'Etat. De telles déclarations dépassaient
les promesses contenues dans les proclamations récentes de Napoléon ; quelques-unes se retrouvent, plus brèves, dans l'adresse
des ministres qui, comme le Conseil d'Etat, semblaient appelés
par leurs fonctions à montrer un esprit plus gouvernemental.
Encore faut-il pratiquer une façon très... spéciale de lire les
textes pour affirmer que dans cette adresse du Conseil d'Etat
« se trouvait développée la thèse des droits de la nation et de
l'hégémonie parlementaire » . C'est nettement inexact quant au
second point (37).
.'
D'autre part, en déclarant que jusqu'à la reVlSlOn constitutionnelle promise l'Empereur devait exercer son pouvoir conforrriément aux règles antérieures, l'adresse du Conseil affaiblissait
très sensiblement la portée politique immédiate des principes
qu'elle proclamait. Cela contribua peut-être à faire passer ces
derniers aux yeux de Napoléon qui garda le silence à Jeur sujet
dans sa brève réponse au Conseil d'Etat.
L'Empereur exprima plus tard, selon Thibaudeau, une critique
à l'encontre d'un autre élément essentiel de l'adresse ; il aurait
dit aux présidents des sections que « dans la délibération on avait
posé d'une manière trop large le principe de la souveraineté du
peuple » .
Le Conseil n'avait pas jugé suffisant pour nier Îa validité
constitutionnelle de la restauration de rappeler qu'elle était en
réalité l'œuvre de l'ennemi et de ses auxiliaires. Pour com(37) F. PIETRI op. cit., p. 311.
�battre les prétentions des Bourbons à une l~gitimité de droit
divin, il s'était placé dans la ligne des proclamations et des
discours récents de Napoléon, en oubliant peut-être que les
armes théoriques employées pour aider à la reprise du pouvoir
devaient maintenant être évoquées avec moins d'éclat. L'Empereur n'avait d'ailleurs pas employé cette formule de souveraineté
du peuple. Mais, telle que la conçoit le Conseil, cette dernière
abstraction est loin de comporter le même sens et 'd'appeler les
mêmes effets qu'aux yeux de Rousseau et de ses disciples ;
elle n'aurait même pas paru acceptable en 1791 'à la majorité
des constituants. Les uns et les autres, et Thibaudeau lui-même
en 1793, auraient frémi 'à la seule idée d'un contrat solennel
formé entre le peuple et le fondateur d'une dynastie, contrat
subordonnant à l'initiative du monarque toute révision constitutionnelle. Un principe ainsi entendu ne peut guère, en soi,
gêner Napoléon, sauf peut-être quant aux rappor'ts éventuels
avec les souverains étrangers mais les positions de ceux-ci sont
déjà prïses.
Il est du reste probable que ceux des conseillers d'Etat
- sans doute nombreux - auxquels étaient devenues assez
indifférentes, quel que fût leur contenu, les doctrines concernant
là notion métaphysique de souveraineté se laissèrent entraîner
par Thibaudeau, peut-être aussi par Berlier, sans attacher ' à
de telles formules plus d'importance réelle qu'ils ne leur en
attribuaient depuis vingt ans, depuis la grande faillite des constructions idéologiques érigées en dogmes. Miot déclare en effet
que le Conseil d'Etat reprit cette doctrine 'de la souveraineté 'du
peuple ~ comme la seule qui pût rallier autour du gouvernement
l'opinion des classes moyennes et 'inférieures de la société, dans
lesquelles il était obligé de chercher _ son principal appui. Le
proiet de déclaration fut donc adopté sans difficulté li (38).
Presque tous les conseillers et les maîtres des requêtes présents signèrent en effet cette adresse qui fut 'présentée officiellement à l'Empereur le 26 mars. Selon son préambule elle fut
même adoptée à l'unanimité des membres présents à la séance du
25 ou à celle du 26 mars. Des conseillers et des maîtres des
requêtes qui se trouvaient alors absents la sigrièrent ensuite
et le Moniteur du 27 la publia en la faisant suivre des noms
de vingt-six conseillers et de dix-huit maîtres des requêtes (39).
Mais l'original de la déclaration signée a dû disparaître en 1871
(38) MIOT op. cit., III, p. 380.
(39) Les noms se suivent dans l'ordre suivant : Defermon, Regnaud,
Boulay, Andréossi, Daru, Thibaudeau, Maret, Pommereul, Najac, JoJJivet, Berlier, Miot, Duchâtel, Dumas, Dulauloy, Pelet, Français, Las Cases, Costaz, Marchant, Jaubert, Lav':l.l1ette, Réal, Gilbert de Voisins, Quinette, Merlin [conseillers
d'Etat], Jaubert, Belleville, d'Alphonse, Félix, Merlet, Maillard, Gasson, de
Laborde, Finot, Janet, Preval, Fain, Champy, Lacuée, Fréville, Pelet (fils) ,
Bondy, Bruyère [maîtres des requêtes].
�dans l'incendie des archives du 'èonseil et il se ,peut que, comme
l'affirme Pelet fils, quelques absents, dont lui-même, aient été
portés à tort comme signataires (40).
Plusieurs des membres pré_sents signèrent, semble-t-il, sans
conviction et pour éviter de paraître prendre parti contre l'ensemble du 'Conseil, voire contre le régime impérial. Lavallette,
absent de ces séances, aurait (d'après une source d'ailleurs sujette à caution) 'donné sa signature ensuite avant même d'avoir
lu l'adresse et, s'il faut en croire Molé, son collègue Pelet en
désapprouvait le contenu (41).
On peut douter qu'à tout le moins Gilbert de Voisins, Las
Cases, Laborde-MéréviIle, jadis en armes contre la Révolution,
aient pris au sérieux les déclarations sur la souveraineté du
peuple auxquelles ils adhéraient. Elles furent cependant la cause
ou le prétexte du refus que firent de leur signature ,quatre
conseillers : Molé, d'Hauterive, Gérando, Chauvelin. En ne retenant comme membres 'du Conseil d'Etat que des hommes qui
acceptèrent certainement de l'Empereur des fonctions publiques
pendant les Cent-Jours, plusieurs autres (outre Meneval et Lelorgne d'Ideville alors à l'étranger) s'abstinrent aussi de signer cette
déclaration : les conseillers d'Etat Otto, Bourcier, Caffarelli
et 'les maîtres des requêtes Zangiacomi, d'Aure, Lameth, Redon,
Dupont-Delporte. Mais on ignore si telle ou telle de ces abstentions tient à l'absence ou à un refus au moins tacite (42).
Le refus qui ,en raison de la situation précédemment occupée
par son auteur, attira le plus l'attention fut celui de Molé. Selon
ses dires, se trouvant le 25 mars à la séance du Conseil, il
sortit dès que Thibaudeau eût lu la moitié 'de la déclaration
(40) « Et avec cela, un certain nombre de signatures manquant, on y
suppléa dans le Moniteur en faisant signer [ou figurer] les absents. Je fus
du nombre. " (Souvenirs manuscrits de Pelet de la Lozère fils. Bibliothèque
Thiers. Papiers Masson Carton 272).
Ce qui tendrait à confirmer en partie cette assertion c'est que parmi
les noms énumérés par le Moniteur se trouve celui de Finot qui, préfet du
Mont-Blanc lors du retour de l'Empereur, ne se trouvait 'sans doute pas
à Paris le 2 S ou même le 26 mars et qui recouvra en août J 8 1 5 la préfecture dans laquelle il avait été remplacé le 25 mars.
(41) ~ Mémoires et souvenirs du' comte Lavallette ", II, p. 174.
Selon Molé, le 25 mars, avant la lecture de la déclaration, Pelet (et
non Petit) lui dit que celle:ci était " un acte au moins inutile ; c'est
ainsi que comme membre d'un corps on est entraîné à des démarches
contraires à son sentimerit. Vous devriez prendre la parole pour la combattre " (~is de NOAILLES. Op. cit. l, p. 212).
.
(42) Dupont-Delporte, nommé préfet du Nord le 22 mars, était sans
doute parti et Lameth, préfet de la Somme sous la royauté, pouvait ne
pas être encore venu à Paris. Le nom de Zangiacomi figure au bas de
('adresse émanant de la Cour de cassation. Ceci semble indiquer . que si on
supposa la signature de quelques absents comme l'affirme Pelet fils, on
ne le fit pas, du moins, pour tous.
-
J6~
�et il refusa plus tard à deux rep'rises de la signer. Il écrivit
à l'Empereur pour donner ses raisons et persista dans son refus
malgré l'insistance de Locré puis de Regnaud, qui lw' auraient
dit que DeIermon voulait le perdre dans l'esprit du souverain
en présentant son refus et sa sortie subite du Conseil comme
une désapprobation éclatante (43). Quelques jours plus tard il
se rendit, assure- t-il, auprès de l'Empereur pour justifier à nouveau son attitude en exposant les dangers -contenus dans le principe de la souveraineté du peuple (qu'il affectait d'ailleurs de
prendre à la lettre) et en s'excusant de ne pas l'avoir combattu
au sein du Conseil sur la force que prenait, selon lui, dans ce
corps ' l'esprit révolutionnaire prêt « à vomir encore sur la
France la terreur et les proscriptions » . Napoléon lui aurait
répondu qu'il fallait bien, en ce moment, se servir de iacobins
mais qu'il saurait les arrêter et n'irait pas plus loin qu'il ne
le voudrait (44).
En réalité Molé, s'il tint ces propos, exagérait beaucoup
et l'esprit éévolutionnaire du Conseil d'Etat -et les conséquences
pratiques que pouvait avoir sur le plan constitutionnel la déclaration concernant la souveraineté du peuple. L'adresse du
Conseil n'était pas fort différente -de celles que firent alors les
ministres, la Cour de cassation, etc. Elle ne fut même pas la
première -émise dans cet esprit. Elle put cependant avoir pour
les lecteurs des journaux plus de poids que les autres, parce
qu'elle émanait d'un corps tenu jusque là pour le porte-parole
du Gouvernement, mais son influence éventuelle tint sans doute
plutôt aux déclarations libérales de la fin qu'à la formule initiale~
concernant la souveraineté du peuPle.
On ne peut savoir quel rôle jouèrent respectivement dans ces
refus de signature (notamment quant à Molé) et dans les répugnances possibles de plusieurs autres membres du Conseil la
désapprobation de tout ou partie des idées exprimées dans l'adresse, la crainte de paraître adhérer à cèlles qui pouvaient mécontenter Napoléon, le désir de ménager l'avenir en vue d'un
retour éventuel des Bourbons si maltraités par ce texte (45) .
(43) Mis de NOAILLES. Op. cil. l, pp. 212-214. De même qu'à la page
on a imprimé Régnier au lieu de Regnaud. Régnier était mort depuis
près d'un an.
(44) Id., pp. 21 4- 21 5.
(".s) Selon Molé, Chauvelin lui dit le 25 '11lars : « Vous savez ce qui
nous réunit ici, nous serons tous pendus si les autres reviennent JO . _ M'olç
ajo'Ute : « Chauvelin suait de peur et se pleurait déjà ". (Id. p. 212).
Mais les raisons désintéressées qu'il attribue à son propre refus n 'ont
pas été admises par tous ses contemporains. Bien qu'il n'y soit pas nommé
c'est probablement lui que visent les Mémoires parus sous le n'Dm de
Lavallette et ceux de Benjamin Constant. Selon le premier de ces ouvrages, Lavallette pensa que l'adresse du Conseil ._ n'avait pas dû phir,e "
à l'Empereur et qu'en refusant de la signer « M···, au lieu d'un acte de
21 1 ,
�D'après Thibaudeau, on crut plutôt à ce dernier mobile. Napoléon
ne tint pas rigueur de leur attitude aux quatre conseillers qui
avaient refusé 'de signer l'adresse, il crut ou sembla croire aux
raisons qu'ils lui 'donnèrent èt 'Gérando fut même un des commissaires extraordinaires envoyés par lui dans les départements.
Dans la brève réponse qu'il fit au Conseil d'Etat, il lia la
légitimité à l'intérêt 'de la nation; c'est de cet intérêt qu'il fit
d'ailleurs résulter le caractère héréditaire de la souveraineté.
C'était donner à ce dernier terme un sens non plus d'ordre
métaphysique et absolu mais d'ordre juridique et concret (46).
Au début d'avril, l'Empereur fit préparer par les présidents
des sections un autre texte à portée politique, une riposte à la
déclaration furi~use lancée contre lui dès le 13 mars par les
représentants des gouvernements étrangers assemblés à Vienne.
Le rapport de la . commission des présidents, qui fut publié 'dans
le Moniteur du 13 avril, semble avoir été inspiré au moins en
partie par Napoléon lui-même (47). Il se refuse à considérer
comme authentique cette déclaration du 13 mars ; il la présente comme un factum qui 'émane de la délégation française au
Congrès de Vienne (celle-ci en avait d'ailleurs été réellement
l'instigatrice) et n'a pas reçu l'adhésion des puissances étrangères.
Cette allégation, malheureusement inexacte, visait à rassurer.
relativement les Frànçais quant à la gravité de la situation
courage n'avait fait qu'un calcul de courtisan » (II, p. 174)' Benjamin
Constant 's'exprime ainsi
c Il [Napoléon] me fit lire aus'ii l'explication que lui envopit, avec
des conseils respectueux sur la ligne qu'il devait suivre pour J.'econquérir
'son pouvoir dans toute son étendue, un homme qui se justifiait de n'avoir
pas signé la fameuse déclaration du Conseil d'Etat. Cet homme motinit
son refus de souscrire cette d~claration sur sa haine p:>ur 1.1 s>ouvenineté
du peuple et son dévouement à l'Empereur, Trois mois après il a motivé
le même refus sur sa haine pour l'usurpation et son dévouement à Il
légitimité. » (Mémoires sur les Cent-Jours, 2me édit., II, pp. 51-52).
(46) • Les princes sont les premiers citoyens de l'état. Leur autorité
est plus ou moins étendue, selon l'intérêt" des nations qu'ils gouvernent.
La souveraineté elle-même n'est héréditaire que paroe que l'intérêt des
peuples l'exige. Hors de ces principes, je ne connais pas de légitimité.
«
J'ai renoncé aux idées du grand Empire, dont depuis quinze ans
je n'avais encore que posé les bases. Désormais le bonheur et h. o')nsolidation de l'Empire français seront l'objet de toutes mes pensées. »
Cette réponse fut publiée, comme l'adresse ,dans le MoniteU/' du 27 mars.
Cf. Correspondance... no 2 J.71 6, XXVIII, pp. 34-36.
(47) Selon le Moniteur le rapport, signé par Defermon, Regnaud, Bouhy,
Andréossy, fut présenté le 2 avril au Conseil des ministres. Fleury de
Chaboulon déclare qu'on l'attribua à Boulay mlis que celui-ci ne fit que
resserrer le texte de l'Empereur et en adoucir quelques expressions. Napoléon 'a noté en marge de cette assertiQn'J: c C~tte Pièce a été faite par
P.egnaud de St Jean d'Angély après une conversl'ltion d'un quart d'hetlre
avec l'Emper~r » et attribué aussi à Regnaud le rapport de Fouché sur
la déclaration du 13 mars, rapport envoyé à Ja commission des présidents
de section (FLEURY de CHABOULON. Mémoires. Edition Cornet, I,
pp. 270 et 274)'
166 -
�extérieure. En outre le rapport tendait à àgir sur l'opinion publique, en France et au dehors, en énumérant les violations du
traité ~e Fontainebleau dont avait à 'se plaindre Napoléon, les
raisons de son retour, les griefs' de la France contre les Bourbons,
les motits qui militaient en faveur du maintien de la paix.
Un décret du 8 avril décida que, dans la huitaine, les membres du Conseil d'Etat et 'tous les autres fonctionnaires publics
prêteraient le serment prescrit par le sénatus-consulte du 28 floréai an XII ; sans doute le serment prêté à cette époque ou
depuis parut-il affaibli dans ses effets éventuels même chez
ceux qui n'en avaient pas prêté un autre à Louis XVIII. L'Empereur n'ayant pu venir présider le Conseil dans le délai fixé,
ce corps décida le 14 avril, sur la proposition de Defermon,
que la prestation de serment aurait lieu sur le champ entre
les mains de Cambacérès, qu.~ les présents signeraient sur le
registre et qu'on mentionnerait plus tard au procès-verbal les
serments écrits envoyés par les absents, auxquels la délibération serait notifiée. Tous les conseillers, maîtres des requêtes
et auditeurs présents prêtèrent et signèrent le serment : « Je
jure obéissance aux constitutions de l'Empire et fidélité à l'Empereur » (48). Presque tous étaient sans doute décidés à le tenir
_c'est-à-dire à ne pas trahir le régime tant qu'il existerait mais
beaucoup se sentaient probablement disposés à saluer de la même
promesse le Gouvernement, quel qu'il fût, dont les événements
feraient peut-être bientôt le successeur de l'Empire (49).
On peut se demander si des hommes imprégnés de cet esprit
'opportuniste étaient disposés à montrer beaucoup de hardiesse
el même de fermeté dans l'exercice des fonctions individuelles
qui pourraient les appeler à prendre des mesures de combat
contre les adversaires militants du régime impérial.
Dès le début des Cent-Jours ,en effet, plusieurs membres du
Conseil d'Etat reçurent des missions temporaires à caractère
politique.
Des commissaires extraordinaires furent envoyés dans les divisions militaires à la fin de mars et au début d'avril, teIs Thi-
(48) A. REGNAULT. Histoire du Conseil d'Etat.
zme
édit., p. 519.
(49) Une mémorialiste - plutôt suspecte, il est vrai, et qui n'est pas
dans l'espèce un t,é moin direct rapporte que le général Oelaborde,
futur conseiller d'Etat, dit en avril 1815 à l'un des royalistes qu'i! renvoyait
de Toulouse après avoir détruit leur autorité : « Nous nous reverrons
peut-être sur quelque champ de bataills ; mais, si le Roi triomphe, vous'
pouvez l'assurer qu'il ne comptera pas de serviteur plus fidèle que moi ~ .
(Mme de CHASTENAY. Mémoires, II, p. 511). Vraie ou fausse en ce
qui concerne Oelaborde, cette déclaration qui lui est prêtée représente sans
doute assez bien, au champ de bataille près, la tendance .réelle de nombreux fonctionnaires d'alors, voire de conseillers d'Etat.
�baudeau dans la 18me (Dii on), Costaz dans la 16me (Lille), Miot
dans la 12me (La Rochelle) ,(50). Un décret du 20 avril consacra
cette institution et l'étendit à -toute la France. Les commissaires
extraordinaires devaient parcourir tous les départements de la
division, changer sous-préfets, maires, adjoints, conseillers généraux, conseillers d'arrondissement, conseillers municipaux et
officiers de la garde nationale quand ils le jugeraient nécessaire.
Les choix seraient toutefois soumis à l'assentiment de l'Empereur
pour les sous-préfets et les autorités communales des villes
ayant plus de 5.000 habitants ; maires et adjoints -furent, d'ailleurs, rendus électifs le 30 avril dans les autres communes. Les
commissaires extraordinaires devaient aussi écarter les fonctionnaires que le régime impérial ne pouvait conserver ; ils nom_mer aient les remplaçants provisoires et adresseraient au ministre
intéressé des présentations motivées pour les choix définitifs. Il
leur était encore enjoint de pousser à la formation des gardes
nationales et de les organiser (51).
Parmi les vingt-deux commissaires extraordinaires désignés figurent dix conseillers d'Etat -( Gérando, PommereuI, Miot, Caffarelli, Français, Quinette, Costaz, Maret, Thibaudeau, Marchant)
et le maître des requêtes d'Alphonse. Les autres étaient presque
tous d'anciens sénateurs comme Rœderer, le général Rampon,
Boissy d'Anglas, Pontécoulant (52).
De telles missions étaient alors plus ardues encore qu'au
début de 1814, époque pendant laquelle plusieurs des nouveaux
commissaires extraordinaires avaient déjà montré dans une tâche
analogue insuffisance ou faiblesse. Quelques-uns de ceux-là furent
envoyés dans des régions très opposées à l'Empire e-t où il
existait le plus de difficultés à vaincre. Caffarelli, si peu agissant
L;o) Thibaudeau rapporte qu'il se laissa persuader par Carnot à la
fin de mars de se rendre dans la 18me division militaire pour y lever les
gardes nationales et les diriger sur Lyon que semblait menaoer le duc
d'Angoulème. Il accepta sans plaisir, revint le plus tôt possible mais consentit, Carnot l'en ayant con'N4ré, à repartir pour compléter sa tâche (THIBAUDEAU. Mémoires, pp. 465-468). Voir aussi sur sa mission : GAFFAREL.
Les Cent-Jours à Dijon.
(51) Décret du :10 avril 1815. Ces pouvoirs sont analogues à ceux
qu'énumérait le 8 avril la lettre par laquelle Napoléon prescrivait à Carnot
d'envoyer Costaz pans la 16me division (LECESTRE, II, p. 329). Celui-ci
. avait reçu en outre la faculté de faire arrêter les hommes dangereux mais il
semble qu'il fit au contraire mettre en liberté des individus arrêtés sur l'orcil'e
de Vandamme (H. HOUSSAYE. 1815, I, p. 500).
(5:1) Décret du :1l avril 1815 (AF IV 659/ 11 Plaq. 6,985), Le projet
faisait figurer parmi les commissaires extraordinaires Merlin et )ollivet
mais ils furent écartés ainsi que Villemanzy et Lanjuinais. Dix des intéressés
dont Miot, Thibaudeau, Costaz, Marcha.nt et d'Alphonse avaient déjà oommencé à remplir leur mission. Mais le dernier donna lieu aux plaintes
des bonapartistes du Gard et fut rappelé au début de mai (LE GALLO.
Les Cent-Jours, p. :179).
-
168
-
�dans le Midi en 1814, alla en Bretagne. QueUe énergie pouvait
déployer à Toulouse un Pontécoulant, prince des girouettes, qui
avait pris part en avril 1814 à tous les votes du Sénat, pair
de la Restauration avant de l'être des Cent-Jours ? Ceux des
commissaires extraordinaires qui avaient servi la royauté depuis un an se trouvaient peu qualifiés pour animer ropinion
c~ntre l'éventualité de son retour. Miot n'était pas du nombre
(ayant été écarté contre son désir) mais ce n'était pas cet
homme effacé, timoré jusqu'à l'inconsistance, qui pouvait consolider l'Empire dans le Poitou, en pleine terre de Vendée (53).
D'autres choix furent tout aussi mauvais. Des personnages plus
énergiques ou que la première Restauration avait tenus à l'écart,
Pommereul, Maret aîné, Thibaudeau, étaient envoyés dans des
régions bonapartistes (respectivement en Alsace, dans le Lyonnais, en Bourgogne) et le dernier assure d'ailleurs qu'il déploya
beaucoup de zèle mais plutôt au profit des tendances révolutionnaires que pour le service de l'Empire (54).
La plupart des commissaires extraordinaires ne connaissaient
pas les régions qu'ils devaient inspecter ; le temps leur manquait
pour contrôler tous les renseignements et dénonciations qu'ils
recevaient sur place. Beaucoup s'en tinrent presque à un rôle
d!apparat, firent peu d'éliminations parmi les éléments dangereux
du personnel administratif, évitèrent aussi bien de soulever les
rancunes des royalistes que de heurter. les libéraux. Ils s'appliquèrent plus à tenter d'amadouer les ennemis de l'Empire qu'à les
maîtriser, à tempérer l'ardeur de ses partisans qu'à l'encourager. Selon la parole de Thibaudeau, ils se montrèrent « la
plupart sans élan, affectant la modération et se ménageant pour
toutes les éventualités (55).
La même attitude peut être relevée chez une grande partie
des préfets, parmi lesquels figurèrent plusieurs membres ou
anciens membres du Conseil d'Etat outre Julien et Bonnaire,
déjà mentionnés, qui n'avaient jamais appartenu au service ordinaire. Frochot fut préfet 'des Bouches-du-Rhône. Bondy devint
préfet de la Seine dès la nuit du '20 au 21 mars malgré la
(H) Voir dans MIOT. Op. cit. (III, pp. 383-392) le récit de sa mission. Il conclut en se félicjt~nt de n'avoir pas persécuté les hommes d'une
autre opinion que la sienne, d'avoir « même fermé les yeux sur bien des
torts politiques qu'excusait la difficulté des circonstances » mais il se
demandait toutefois s'il avait coopéré « au bonlJeur de ses concitoyens "
et s'il avait, par ses choix « assuré ou compromis leur repos ".
(54) THIBAUDEAU. Mémoires, p. 480.
(55) Id., p. 476.
Gérando ayant figuré comme conseiller en service ordinair.e dès a,')ût 1815
dans le Conseil d'Etat royal reconstitué, on peut penser qu'il ne s'était
pas montré, en avril et mai, d'un impérialisme très combatif dans ses
fonctions de commissaire extraordinaire. On a vu en la note H ci-dessus que
dans les circonstances tragiques du moment, dans une nation menilœe
-
I~
�mollesse qu'il avait montrée dans les premiers mois de 1814
comme préfet du Rhône. Sans doute s'était-il rendu aux Tuileries
pour assister au retour de l'Empereur et bénéficia-t-il de la '
disgrâce subie quelques mois plus tôt. Dupont-Delporte, jadis
auditeur, devenu maître des requêtes en service extraordinaire
en mars 1814, devint préfet du Nord. Après que l'Empereur
eût mis fin à sa mission de commissaire extraordinaire,
d'Alphonse fut nommé préfet de l'Hérault le 4 mai puis remplacé
un mois plus tard (56).
Trente-six des anciens auditeurs de l'Empire furent nommés
préfets pendant les Cent-Jours. Huit d'entre eux l'avaient été
pendant la Restauration (57). D'autres reçurent ou conservèrent
une sous-préfecture et quelques-uns occupèrent le poste nouveau
de lieutenant de police. Mais plusieurs des intéressés déclinèrent
ces divers emplois ou n'y furent pas maintenus, notamment
les ex-préfets de l'Empire Aubernon, de Breteuil, Camus-Dumartroy, d'Houdetot, Rouillé 'd 'Orfeuil, de Tournon, de Vans-
d'invasion, Miot estimait qu'il avait à assurer . le repos de ses concitoyens. Davout écrivait le 16 mai à l'Empereur que de tous côtés on
appréciait de la même façon l'activité des commissa.ires :
« Leur temps était, en majeure partie, employé â des ceremonies. On
se plaint en général de leurs opérations, excepté dans les pays où l'esprit
était tellement bien prononcé que leur conaours n'était pas nécessaire.
Dans les autres pays, soit faute de temps, de renseignements ou par faiblesse, ils ont maintenu ou placé des hommes dont on se plaint généralement ; dans le Midi surtout ,cette faute a eu lieu. • (Correspondance du
maréchal Davout, IV, p. 538).
_
Beaucoup adoptèrent sans doute ce prétexte à inaction qu'aunit ainsi
exprimé Boissy d'Anglas : « Si Napoléon est vainqueur, tout ira bien sans
prelldre de mesures, et s'il est vaincu tout ce que l'on aura pu faire ne
servira à l'i.e" • (H. HOUSSAYE 1815, l, p. 500).
"
(56) Le maître des requêtes en service extraordinaire Alexandre de
Lameth fut nommé préfet de la Haute-Garonne le 6 avril et préfet de Il
Somme le 20 avril, mais dès le 10 mai l'Empereur écrivait à Carnot;
qu'il fallait préparer un décret nommant Lameth conseiller d'Etlt et le
remplacer à Amiens par Quinette (Correspondance... no 24.889, XVIII,
p, 198). Aucune de ces deux intentions ne fut réalisée. C'est par Cavaignac
que Lameth fut remplacé, le 10 juin. Il fut nommé non pas conseiller
d'Etat mais (le 2 juin) membre de la Chambre des pairs.
et en outre au cours
(57) Avaient déjà été préfets sous l'Empire de la première Restauration si leurs noms sont portés en caractères
italiques - les ex-auditeurs :
Abrial, Aube1'1lon, Basset de Chateaubourg, Bergognié, Bouvier-Dum\lhrt,
Breteuil, Busche, Cahouët, Cdmu'i-Dumartroy, Chaillou, Douan, Maurice Duval, Houdetot, Camille Perrier, Petit de Beauverger, Plancy (Godard de) ,
Rocderer, Rouen des Mallets, Rouillé d'Orfeuil, Tournon, Treilhard, Trémont,
Vanssay, Viefville des Essarts.
Devinrent aussi préfets pendant les Cent-Jours les ex-auditeurs
Amault, Cochelet, Combes-Sieyès, Didier, Dunod de Charnage, Fargues ,
Harel, Heim, Himbert de Flégny fils, Petiet, Rougicr de la Bergerie fils,
Saulnier.
Rouillé d'Orfeuil et Vanssay n'avaient jamais été qu'en titre auditeurs
au Conseil d'Etat.
170
-
�say (58). D'autres, à peine investis d':un poste, furent l'objet
d'une mutation : Maurice Duval se vit ainsi attribuer successivement trois préfectures en moins d'un mois.
Plusieurs des préfets et sous-préfets des Cent-Jours exercèrent
ces fonctions dans un ressort territorial où ils les avaient déjà
remplies pendant la première Restauration. Cela ne facilita
pas leur tâche sous l'angle politique. Même pour les autres!
même pour ceux qui n'avaient pas servi la royauté, cette tâche
était très ardue en une période aussi incertaine. S'exposant aux
futures vengeances éventuelles des royalistes, ils pouvaient en
outre se trouver pris entre des influences contraires telles que
le courant 'libéral et la poussée révolutionnaire, l'état d'esprit
local et l'impulsion du Gouvernement ou des commissaires extraordinaires, les instructions de Carnot et celles de Fouché,
les déclarations officielles de l'Empereur et ses arrières-pensées
probables. Qu'on ajoute en plusieurs régions troublées l'intervention des autorités militaires et on aura une idée de l'agréable
mission qui incombait aux préfets et aux sous-préfets des CentJours, chargés d'opérer ou de provoquer le renouvellement des
administrations locales, de comprimer les ennemis du régime
tout en modérant les passions animées contre eux, d'appliquer
- les mesures de recrutement militaire avec plus ou moins d'exactitude selon les régions, etc. Il n'est guère surprenant que beaucoup de ces fonctionnaires n'aient pas eu, dans ces conditions,
un,e attitude fort résolue et les difficultés des communications
ne furent peut-être pas la seule cause de la lenteur avec laquelle plusieurs se rendirent à leur poste (59).
(58) Il semble que plusieurs n'acceptèrent pas de préfecture, notamment
Tournon et d'Houdetot, car il leur fut rapidement désigné un successeur
et ils ne reçurent pas d'autre fonction. Mais Ides nominations furent rap portées en raison de renseignements tardivement parvenus sur les antécédents récents des intéressés. Il 'e n fut ainsi de celle de Vanssay, qui était
demeuré préfet pour le Roi à Avignon jusqu'en avril alors que l'Empereur
l'avait nommé le 21 mars préfet de la Haute-Vienne, Aubernon avait été
nommé préfet du Tarn-et-Garonne mais Carnot fit rapporter le I l avril
lia nomination en raison de la proclamation par laquelle, le 21 mars, cet
homme mal informé, alors préfet de l'Hérault, montt'ait « l'aventurier cruel
qui voudrait souûler encore le trône, cerné partout par l'animadversion publique, poursuivi par les bras vengellrs des Français .. , -, Cimot observait :
• Ce passage m'a paru écrit avec passion ; ce n'est pas le langage d'un
magistrat qui ne fait qu'obéir dans les limites de ses devoirs " (AF IV 859/9 .
Plaq. 6'970). Tardivement informé d'une proclamation adressée en avril 1814
par Trémont à ses administrés de [','\veyron, Napoléon pensait le 20 mai J815
à lui retirer la préfecture des Ardenne., (CHUQUET. Inédits ttapoléoniens,
II, p. 461) mais il ne donna pas suite à cette intention, qui s'accorde
mal avec un fragment émanmt de l'intéres.,é et publié dans la ReVlle bkue
du 7 mai 19 21 , p. 28 3.
(59) Rouen des Mallets, nommé préfet du Lot-et-Garonne le .6 avril, est
encore à Paris au début de mai. L'Empereur écrit le 5 mai à Carnot
qu'il faut le destituer .,'il ne part pas dans 11 nuit (CHUQUET. Inédits uapoléoltiens, II, p, 436). Ce préfet s'exécuta sans doute car il ne lui fut
pas donné de successeur.
�Si Jullien dans le Morbihan, si des auditeurs; tel Treilhard
(en Haute-Garonne) et Rœderer fils (dans l'Aube) méritèrent
par leur zèle les éloges des commissaires extraordinaires, d'autres, plus nombreux, se montrèrent hésitants et timorés, portés
à la faiblesse envers les ennemis de l'Empire comme vis-à-vis
des conscrits réfractaires. Selon le commissaire extraordinaire
Boissy d'Anglas (pourtant peu ardent lui-même) le nouveau maître des requêtes Fauchet se comportait ainsi dans la Gironde (60). Il en était de même de l'ancien conseiller d'Etat Frochot,
singulièrement mal placé d'ailleurs à Marseille, ville où il eût
fallu plus que jamais un préfet du genre de Thibaudeau ou
mieux l:état de siège, appliqué avec énergie par un général
compromis sans rémission possible vis-à-vis des Bourbons tel que
Gilly ou Drouet d'Erlon.
En dehors des missions temporaires et des fonctions de
préfet, sous-préfet ou lieutenant de police, peu de membres ou
d'anciens membres du Conseil d'Etat furent employés hors de
Paris. Le général Delaborde, nommé le 30 avril conseiller d'Etat
et commandant des 12me, 13me et 22me divisions militaires
(Ouest), ne put, avec ses faibles effectifs, contenir les premières
manifestations de l'insurrection vendéenne et, trois semaines
plus tard, il demanda son remplacement pour raison de santé.
L'Empereur qui le trouvait trop mou lui donna Lamarque
pour successeur. Le général Bourcier commanda le grand dépôt
de remonte de Versailles mais, asservi malgré l'urgence et les
intentions de l'Empereur aux règlements qui concernaient l'âge
et la taille des chevaux, il fut loin d'obtenir les résultats atteints dans ce poste en 1814 par le général Préval. Celui-ci, ·
demeuré maître des requêtes, dirigea d'abord le dépôt de cavalerie de Beauvais puis la· division de cette arme au ministère
de la Guerre. Dulauloy fut nommé au début de juin gouverneur
de Lyon. Le maître des requêtes d'Aure devint le 2 mai intendant général de l'Armée. Le maître des requêtes Jaubert fut
désigné le 18 avril comme chargé d'affaires près la Sublime
Porte mais il ne put sans doute se rendre en Turquie.
Plusieurs membres du Conseil placés en service ordinaire
conservèrent ou reprirent, à Paris même, les autres fonctions
qu'ils exerçaient en mars 1814 : Lavallette à la direction générale des Postes, Duchâtel à celle de l'Enregistrement (61), Merlin
(60) LE GALLO. Les Cent-Jours, p. 274. Voir Cte de PUYMAIGRE.
Souvenirs, pp. 188-189, quant aux ménagements qu'aurait eus pour des
royalistes de Nancy Bouvier-Dumolart, si rude avant 1814 et sC npidement
écarté par la première Restauration. Il est vni que ce parti n'était pas
aussi dangereux dans la Meurthe que dans la Gironde.
(61) En deux lettres adressées le 25 mai, J'une il 'Fouché, l'autre au
général Le Marois, Napoléon exprime un vif méoontentement oontre Duchâtel ou des membre .. de sa famille ; il menalOe de « les destituer tous •
(LECESTRE, Il, pp. 350 et 353).
�et Zanglacomi ~ la Cour de cassation. R.egnaucl redevint secrétaire de l'état [-civil] de la famille impériale. Du service ordinaire firent aussi partie Réal, préfet de police (20 mars), Boulay,
chargé de la correspondance et de la comptabilité au ministère
de la Justice (62) (20 mars), Molé, directeur général des Ponts-·
et-Chaussées (21 mars), Gilbert de Voisins, premier président
de la cour d'appel de Paris (24 mars), Otto, l'un des deux
sous-secrétaires d'Etat au ministère des Affaires étrangères
(24 mal·s), Jaubert, directeur général des contributions indirectes
(25 mars), Daru, nommé ministre d'Etat et attaché au ministère
de la Guern! sous les ordres de Davout mais avec la signature et
séance au conseil des ministres (5 avril), le président de section
Defermon, directeur général de la Caisse de l'extraordinaire
(6 avril), Marchant, secrétaire général du ministère de la Guerre
(29 mai), Maret aîné, commissaire impérial près le munitionnaire général (31 mai) (63).
C'est au service extraordinaire qu'appartenaient (outre Bondy)
d'Hauterive, demeuré garde des Archives au ministère des Affaires étrangères, Mathieu Dumas, nommé le 7 avril (à sa demande et sur la proposition de Carnot, dont il serait comme tel
le subordonné) directeur général de l'organisation des gardes na- tionales et les maîtres des requêtes Janet, administrateur du
Trésor impérial (6 avril) et Bruyère ,nommé le '15 mai, sur
sa demande, inspecteur général des Ponts-et-Chaussées, tout en
restant chargé de la direction des travaux publics à Paris.
Le Conseil d'Etat avait repris son activité collective. Selon
Miot, la première séance normale eut lieu le 28 mars sous la
présidence de l'Empereur, mai., elle ne concerna que des affaires
courantes et fut d'un faible intérêt (64). Dans la suite Napoléon
ne put que rarement venir présider le Conseil d'Etat qui s'assemblait deux fois par semaine. Il fut donc suppléé le plus souvent
par Cambacérès (65).
L'organisation du Conseil resta en droit régie par les textes
antérieurs à 1814 sauf qu'un décret du 31 mars modifia le régime
(62) Boulay était placé là pour assister Cambacérès. Selon Pasquier il
n'était pas pour l'archichancelier l'aide « le plus agréable qu'on pût lui
offrir » (PASQUIER, III, p. 163).
(63) Plusieurs de ces emplois n'étaient guère compatibles avec une collaboratjon assidue aux travaux du Conseil. Cependant seuls Réal, Duchâtel,
. Lavallette, Merlin et Molé furent placés hors section. Berlier reçut le I I juin
une fonction temporaire : il fut nommé secrétaire du Conseil des minist1'e,
en l'absence du ministre secrétaire d'Etat Maret qui suivait . l'Empereur à
l'armée.
(64) MIOT. Op. cit., III, p. 382.
(65) Locré demeura secrétaire général du Conseil d'Etat. Le 2 mai l'Empereur prescrivait à Cambacérès de faire dresser la liste des individus peu
sûrs à renvoyer des bureaux, tant du ministère de la Justice que du Conseil
d'Etat (LECESTRE, II, p. 337).
173
�"1
î
de la commission du contentieux. Celle-cl comprit le mînistre
de la Justice, trois conseillers d'Etat (dont le plus ancien devait
présider en l'absence du ministre), quatre maîtres des requêtes
et six auditeurs (66). Un décret du 3 avril désigna les conseil. lers Boulay, Berlier, Thibaudeau, les maîtres des requêtes
d'Alphonse et Zangiacomi, et cinq auditeurs. Comme d'Alphonse
reçut bientôt une mission lointaine, la commission comprit donc
seulement en fait, du moins provisoirement, un maître des requêtes au lieu de quatre. L'Empereur décida le 21 avril qu'elle
continuerait à être saisie des recours contre les décisions du
Conseil des prises, rétabli par un décret du 5 avril pour statuer
sur les affaires arriérées.
La situation financière imposa des réductions dans les dépenses du Conseil et notamment dans le traitement des conseillers
tel qu'il était fixé avant 1814. Un décret du 6 avril, laissant
aux maîtres des requêtes le traitement, d'ailleurs peu élevé
(5.000 francs) dont ils jouissaient sous l'Empire, alloua aux
conseillers d'Etat 20.000 francs par an au lieu de 25.000 francs
entre l'an VIII et 1814. Il semble qu'un supplément de
10.000 francs fut versé en outre aux présidents de section et que
les conseillers investis d'une fonction individuelle ne reçurent que
10.000 francs sur les fonds du Conseil d'Etat (67).
Le décret du 21 avril arrêta le budget annuel de ce corps.
Partant de son total en 1813 (soit 1.820.000 francs) les présidents de section jugèrent possible de le réduire à 1.495.060 francs
et Cambacérès soumit à l'Empereur un premier projet en ce
sens. Cette diminution de 324.940 francs fut jugée insuffisante.
(66) AF IV 859/7. Plaq. 6'960.
Cambacérès écrit dans son rapport à l'Empereur :
• La Présidence de la Commission du Contentieux doit être oonservée
au Ministre de la Justice, mais il peut arriver que ce Ministre soit détourné
de l'exercice de cette fonction en cas d'abo;enoe ou autrement, alors Votre
Majesté a été obligée d'y pourvoir en substituant provisoirement un autre
Ministre à celui de la Justice. Cet inconvénient cesserait si des Conseillers
d'Etat faisaient partie de la Commission du Contentieux comme ils f.ont
partie des Commissions et autres Sections du Conseil : le plus ancien présiderait. "
Le rapport déclare aussi. qu'il faut répudier les innovations de l'année
précédente qui consistaient à faire soumettre directement au souverain
le projet du comité du contentieux et à doter les aVlocats à la Cour de
cassation d'une compétence concurrente de celle des aVIOCats au OoIWeil. Le
décret est conforme à ces vues de Cambacérès. Il maintient aux maîtres
des requêtes voix délibérative et déclare qu'ils feront les rapports c,oncurremment avec les auditeurs.
.
(67) Le décret du 6 avril 1815 qui concerne les traitements des membres du
Conseil fixe par ailleurs à 30.000 francs celui des directeurs généraux dépendant des ministères de la Justice, de l'Intérieur, des Finances et de la
Police. Il est muet quant aux auditeurs mais les pièces qui concernent la
p~paration du budget du Conseil comptent leur traitement pour 2.000 franc;
comme jadis.
�Un seèond projet réduisit les crédits à 1.260.000 francs, mais
Napoléon le corrigea sur la minute et accorda seulement
1.100.000 francs (68). Les ordonnances de paiement seraient
signées chaque mois par le ministre de la Justice et les paiements effectués à son ministère d'après les états et les pièces
comptables émanant du secrétaire général du Conseil. Contrairement à ce qui s'était passé depuis l'an VIII, il ne serait
« versé aucun fonds au secrétaire général ni à aucun payeur »
du Conseil d'Etat. Chaque année le ministre de la Justice pourrait
soumettre l'éventualité de changements aux présidents de section
en vue d'un rapport à l'Empereur.
Le Conseil d'Etat fut saisi comme autrefois d'affaires administratives et contentieuses. Celles qui avaient été instruites par
les comités du Conseil d'Etat royal et n'avaient pas encore fait
l'objet d'une décision furent renvoyées aux ministres intéressés
pour être soumises au Conseil s'il y avait lieu (69). Des autotorisations de poursuivre un agent du Gouvernement, même
ratifiées par le Roi, furent aussi renvoyées à la section de Législation pour nouvel examen (70). Pendant les Cent-Jours la
commission du contentieux examina quarante-cinq affaires. En
d~horsdes litiges le Conseil d'Etat délibéra sur de nombreuses
(6B) AP IV BS9/11. Plaq. 6.9B5. Minute du décret et pièces annexes.
Parmi celles-ci figure la répartition ci-après ; la première colonne contient
les chiffres du second projet, la deuxième colonne ceux qu'y a substitués
l'Empereur.
Traitements des membres du Conseil
et du secrétaire général
' 9 64. 000
9°0 .000
Employés du secrétariat général
6).000
BS·Soo
près des sections
43. 000
3°·000
lO.OOO
Messager d'Etat, huissiers, garçons de bureau, etc.
43.3°0
Matériel, dépenses diverses ou imprévues
1°7. 1 30
7°·000
Commission du contentieux
15.000
17·°7°
Total
1.260.000
1.100.000
D'autres pièces contiennent des états plus détaillés qui correspondent au
second projet mais non les états définitifs visés par le décret. C'est sur
la base des prévisions de dépenses annuelles fixées par .celui-ci que sont calculés les crédits ouverts pour neuf moi., et dix jours par Je projet de budget
pour IBIS (AP IV BS9/17' Plaq. 7.035).
Avant IBI4 les dépenses de la commission du contentieux ne rentrai.ent
pas dans le 'budget du Conseil d'Etat.
(69) Ap· IV 20l, nO B90. Circulaire de la secrétairerie d'Eut aux ministres, 2B mars.
(70) Ap· IV 202, nO 936. Lettre du ministre secrétaire d'Etat à. Locré,
22 avriL
Napoléon décida aussi que quatre auditeurs (parmi lesquels Cormenin)
rechercheraient de quelle façon avaient été jugées sous la Restauration les
affaires contentieuses de biens nationaux et qu'ils en rendraient compte à
une commission composée des oonseillers Berlier et Miot et du maître des
requêtes Zangiacomi. Cette commission avisa l'Empereur que, du 10 août IBI4
au 6 mars lBI S, il avait été statué sur quarante-six affaires selon une
juste application des textes en vigueur.
c
Ce résultat qui satisfait autant qu'il étonne 'au 1 er aspect .est dû
175
�quesdons aclmlnÎstratlves, notamment d;orclré local ou Indivicluei
telles que l'approbation de budgets municipaux pour 1815, l'autorisation nécessaire à 'des communes ou à des fabriques pour
accepter des libéralités, des règlements concernant la profession de boulanger en certaines villes, le changement de nom de
plusieurs communes, le transfert de la sous-préfecture et du
tribunal d'Hazebrouck à Cassel, l'attribution de pensions de
retraite à des fonctionnaires, etc. Mais l'urgence fit soustraire à
son examen une partie des règlements, même en matière proprement administrative surtout pour des mesures d'ordre militaire, et à plus forte raison qu~nd un caractère politique apparaissait nettement comme pour l'abolition de la traite des noirs
(29 mars), pour l'institution des commissaires extraordinaires,
etc. Ce ne fut cependant pas général. Ainsi, le 7 mai, le rapport
de Fouché sur les mesures à prendre contre les Français qui
avaient émigré à la suite de Louis XVIII fut renvoyé à l'examen
des sections réunies de Législation et de l'Intérieur. Il en sortit
un décret du 9 mai qui rendit en outre passibles de poursuites
pénales diverses manifestations royalistes'.
.-
A côté de cette activité du Conseil assemblé et de ses sections se manifesta, comme autrefois, celle de commissions spéciales formées dans son sein, même en dehors de la commission
du contentieux et de la commission des pétitions (rétablie elle
aussi) qui avaient un caractère permanent (71). Il en fut même
formé pour examiner ·des questions de personnes car c'est sur
le rapport de l'une d'elles qu'un décret du 11 avril confirma
ou annula des décorations accordées par Louis XVIII dans la
Légion d'honneur à 'des officier') de la garde nationale. D'autres
furent créées pour l'examen de questions administratives (72) .
Des commissions et surtout la réunion des quatre présidents
sans .doute à la présence ~t au ,c oncours de plusieurs membres de l'ancien
conseil , ~e Votre Majesté, lesquels ont J1laintenu la iuri~prudence suivie sous
votre règne. »
Cependant, ajoute-t-on, c la réaction allait oommencer dans cette partie
comme en tant d'autres et le ICI" arrêt attentatoire aux lois de la matièt·e
venait d'être rendu, mais n'était point encore revêtu de l'approbation floyale »
lors du rétablissement de l'Empire : c Votre présence, Sire, a arrêté le génie
du mal et votre justice n'a heureusement ici aucun grief à ttdresser ou
à réparer» (AF IV 859/7. Plaq. 6,960. Pièces annexées au décret du 31 mars
1815 concernant la commission du contentieux).
(71) Une instruction du I l avril modifia le fonctionnement de la commission des pétitions. Le dépouillement et le classement des pétitions seraient
faits par les secrétaires du cabinet de l'Empefleur, qui soumettraient directement à celui-ci l'analyse des pétitions concernant divers objets déterminés et
enverraient les autres à la commission. Cene dernièfIC en saisirait les divers
ministres qualifiés po'u r y donner suite et aviserait de ce renvoi les intéressés.
Elle ferait en outre examiner d'office par un auditeur dans les bureaux
de chaque ministèfIC les pétitions qui émaneraient de veuves, d'orphelins ou
de militaires flCtenus sous les drapeaux. (AF IV 859/9 Plaq. 6'971).
(7~) Ainsi, le
avril, un décret maintint, avec la même composition,
un comité de liquidation créé par le Roi pour la Dette arriérée (l'ancien
ministre Dejean, le conseiller d'Etat Corvetto, les maÎtfICs des requêtes Félix
1"
-.
~
�de sectÎçm connurent d'objets politiques. Ainsi un décret du 3
avril forma une commission composée des conseillers d'Etat
Maret, Pelet, Quinette et Thibaudeau pour prendre connaissance de tout ce qui concernait les collèges électoraux, dépouiller
les listes, etc. Le 27 mars l'Empereur prescrivit à Defermon de
réunir les autres présidents de section pour proposer des mesuces
répressives contre les menées royalistes. Le mois suivant il
chargea une commission, qui groupa Cambacérès, les quatre
présidents de section et Merlin, d'aviser aux moyens de réprimer
divers excès des journaux.
Suivant les cas, les avis et les proposItIons de ces commissions tinrent 'lieu d'une délibération du Conseil d'Etat ou n'en
furent que le prélude. Ce dernier système fut appliqué, du moins
en théorie, quant à la décision la plus importante de cette
période, l'Acte additionnel aux Constitutions de l'Empire. Mais
en fait le rôle du Conseil sur ce point fut nettement moindre
que celui de quelques-uns de ses membres.
Au début d'avril, Napoléon chargea une commission restreinte de préparer la réforme constitutionnelle qu'il avait pro_mise. On ne sait rien de certain sur la composition et le travail
de cette .commission. Selon une biographie de Boulay, elle comprenait, outre celui-ci, le duc de Bassano, Defermon et Regnaud
sous la présidence de Cambacerès (73). D'autres écrits de l'époque ajoutent Merlin. Mais la commission n'avait sans doute
et de Fréville) et un autre décret institua un comité pour vérifier les
comptes de la Caisse d'amortissement; il devait comprendre Defermon, Gorvetto et Lavallette mais il est probable que Corvetto s'abstint de siéger dlns
ces deux organismes. Le 31 mai, une commission formée du oonseiller d'Etat
de Las Cases et des maîtres des requêtes Maillard et Lacuée fut chargée
de recevoir les comptes de l'académie impériale de musique pour 1814 et
les exercices antérieurs.
(73) Boulay de la Meurthe, p. 256. On ignore quelles institutions préconisait cette commission. A la même époque Carnot prenait parti contre
le régime constitutionnel anglais. Il aurait établi un projet, reproduit dlns
la biographie publiée par son fils, et qui vise sur deux points le Conseil
d'Etat :
• Le pouvoir exécutif est composé de l'Empereur qui en est le chef,
des ministres, dont le nombre est r,églé par la constitution, et _9 'un nombre
indéfini de conseillers d'Etat et .de maîtres des requêtes... »
c Les lois ne peuvent prendre naissance que dans un Conseil de Législation (ou Tribunat) composé de cinq oommissaires du Sénat, cinq commissaires du Corps législatif, cinq commissaires de l'ordre judicilire . et
cinq conseillers d'Etat, présidés par l'Empereur.
c Les projets de loi sont débattus et arrêtés au Conseil de législatÏlon.
Ils sont ensuite proposés par l'Empereur au Corps législatif (Mémoires sur
Carnot, II, p. 438).
Napoléon, dans ses dictées de Sainte-Hélène, déclare aussi que Cltnot
était opposé au système angLlis et à celui de la Charte (Corres-pQtuJance ...
XXXI, p. 155).
177
�pas encore rédigé de proJet complet quand eIie se trouva éclipsée par un nouveau venu dont le ralliement à l'Empire était
très récent et plutôt inattendu.
Eliminé en l'an X du Tribunat, Benjamin Constant n'avait
trouvé dans la politique suivie depuis par Napoléon que des
raisons nouvelles d' animosi té et de rancune. A la fin de 1813,
impatient d' « arriver à l'hallali il de l'Empire, il se hâta de
rédiger l' « Esprit de conquête et d'usurpation dans leurs rapports avec la civilation européenne il qui parut au début de
1814. Il envoya cet ouvrage au tsar et il manifestait alors
envers la France des sentiments tels qu'il se faisait blâmer au
nom du patriotisme par Ivladame de Staël elle-même... La chute
du Corse le fit accourir à Paris mais il ne trouva pas à y
satisfaire son désir (exprimé 'dans son Journal intime) de s'as
surer « une place commode... Servons la bonne cause et servons-nous ... » (74). A partir de septembre, d'ailleurs, Madame
Récamier l'occupa plus que la politique. Il sortit cependant de
cette réserve en mars 1815 quand le débarquement de Napoléon -poussa Louis XVIII à rechercher l'appui des libéraux (75).
Dans un article publié le 11 mars par le Journal de Paris,
Constant appelait tous les Fran~ais aux armes
pour défendre
leur roi, leur constitution ' et leur patrie ». Le 18 mars il
écrivit contre
Attila... Gengis-Khan... » une diatribe frénétique publiée le lendemain par le Journal des Débats ; il allait
jusqu'à déclarer légitime et nécessaire l'intervention armée de
l'étranger dans l'hypothèse d'un rétablissement 'de l'Empire, c'està-dire d'un gouvernement de mameloucks (76). De telles paroles
visaient à faire empêcher ce dernier événement par les Français
eux-mêmes ; mais n'étaient-elles pas à tout le moins bien imprudentes, surtout de la part d'un homme qui, selon son Journal
intime, n'accordait plus à la réalisation de ce vœu qu'une chance
contre vingt ? Il terminait sur un engagement péremptoire :
4(
4(
« J'ai voulu la liberté sous diverses formes. J'ai vu qu'elle
était possible sous la monarchie. J'ai vu le Roi se rallier à
la Nation ; je n'irai pas, misérable transfuge, me traîner d'un
(74) Journal intime, 7 et 16 avril 181 4 (Edition]. Mistler 1945, pp. 30 4305·
Cf.
p.
3 11 ),
(75) Voir notamment sur l'attitude de Benjamin Constant à cette époque
ses Mémoires sur les Cent-Jours, l'édition ci-dessus visée de son Journal
intime (faisant suite au Cabier rouge et à Adolphe) et une . autre version
fragmentaire (un peu différente) de ce Journal, qui V;1 d'octobre 1814 à
juillet 1815 et a été publiée par M. Rudler dans h Revue des étudoas 'Ulpoléoniennes du 1er semestre 1915, pp. 73-116.
(76) " Les souverains, devenus nos alliés par son abdication, sentent
avec douleur la nécessité de redev~nir nos ennemis, Aucune nation ne peut
se fier à sa parole ; aucune, s'il nous gouverne ,ne peut rester en paix
avec nous. lt
�pouvoir ~ l;autre, couvrir l'infar.nle par le sophIsme et balbutIer
des mots profanés pour racheter une vie honteuse. »
.......
Il n'est guère possible de démêler quelle fut la part respective des divers mobiles qui, en ce cas et 'en bien d'autres, dictèrent la conduite d'un homme aussi complexe et dans quelle
mesure l'inspirèrent des vues politiques sincères, la haine de
Napoléon, l'ambition de se préparer un rôle, la satisfaction
d'écrire un article retentissant, l'espoir d'un effet de 'prestige
aux yeux de Madame Récamier, le tempérament du joueur
excédé de sa vie ennuyeuse (77).
Napoléon étant rentré aux Tuileries malgré cet article, Benjamin Constant partit dès qu'il le put pour l'Ouest où il croyait
que l'autorité royale se maintenait. Vite détrompé, il revint à
Paris le 27 mars et vit Sébastiani puis Fouché, qui le rassurèrent sur sa situation ; se souvenant de ses anciennes relations
avec Joseph Bonaparte, il alla le voir, sans doute pour s'informer
des intentions de Gengis-Khan à son égard. Joseph lui vanta
la nouvelle orientation politique de son frère et fit part de la
visite reçue à ce dernier. On ne sait sj Napoléon conçut 'de
lui-même la pensée qu'il pourrait tirer parti du retour de
- Benjamin Constant et de ses relations avec l'ex-roi d'Espagne
ou si elle lui fut suggérée. Au moment où il désirait inspirer
confiance aux libéraux et surtout persuader les puissances étrangères de leur adhésion, le ralliement d'un adversaire d'hier aussi
connu en Europe, d'un théoricien du gouvernement représentatif
serait sans doute d'un bon rendement politique immédiat, au
dehors comme au dedans. Peut-être Napoléon pensa-t-il aussi que
ce ralliement affaiblirait la position éventuelle de Constant comme opposant futur. Il y avait d'ailleurs intérêt, dès lors qu'était
proclamée la liberté de la presse, à neutraliser, pour le moins,
cette plume acérée. En dehors de ces raisons d'opportunité, Napoléon trouva peut-être, accessoirement, à entreprendre la conquête d'un esprit aussi curieux et d'un ennemi déclaré un vrai
plaisir intellectuel, voire quelque jouissance d'ironie surtout s'il
songea aux réactions probables de Madame de Staël.
Quant à Benjamin Constant, il se laissa sans 'doute attirer par
le désir de réaliser ses conceptions politiques et d'y rallier Napo(77) " C'est Romée qui chante sous la fenêtre de Juliette ... » disait, lU
sujet de cet article, Fontanes à Villemain (VILLEMAIN. Souvenirs contemporains, II, pp. 34-35). Cf. B, CONSTANT. ]ourn41 intime, p. 346 :
Le 18 mars « Fait un article pour les Débats ; s'il triomphe et qu'il
me prenne, je péris. N'importe ; tâchons de nous souvenir que la vie est
ennuyeuse. L'ineptie continue toujours à nous diriger. Dans trois jours une
bataille ou plus probablement une déroute finira oout !... Soirée chez Juliette ; au fond elle m'aime peu. Si le Corse est battu, ma situation ici
sera améliorée. Si ? Mais il y a vingt contre un contre nous ,..
Le 19 mars « L'article a plnl bien mal ~ propos. Débâcle complète,
on ne sense même plus à se battre ,..
-
179
�léon, la satisfaction d'amour-propre, VOIre de vanité, comptant
probablement autant pour lui que la conviction pure, à laquelle
le portait d'ailleurs réellement sur ce point son caractère. Il
faut aussi faire une part - et lui-même en témoigne - au
désir de s'assurer enfin une position élevée et influente dans la
vie publique, mobile en lequel la pression d'embarras m atériels
pouvait se joindre à des éléments plus relevés (78).
Quoi qu'il en soit de ses mobiles, Benjamin Constant entra en
relations avec l'Empereur, d'abord de façon indirecte par l'intermédiaire du roi Joseph ou de quelque autre, et il accepta de
fournir des suggestions sur l'œuvre constitutionnelle en cours.
Le 14 avril au plus tard il eut une entrevue avec Napoléon
- c'est un homme étonnant, écrivait-il ensuite dans son Journal
- et dès le lendemain il lui présenta un proj~t de constitution
qui ne fut pas trop bien accueilli car « ce n'est pas précisément
de la liberté qu'on veut » . Encore qu'il la proclamât hautement
dans les salons où 'il continuait de paraître, sa confiance dans
les dispositions libérales de l'Empereur aurait été, selon ses écrits
postérieurs, seulement relative ou à ·éclipses. Il jugea toutefois
devoir s'attacher à -tirer parti de la situation et continuer son
concours à la préparation d'une constitution nouvelle en modifiant son premier projet (79).
Le 20 avril il fut nommé conseiller d'Etat, membre de
section de l'Intérieur, et il assista dès lors aux séances
Conseil, même avant sa prestation de serment qui eut lieu
25 de ce mois. En outre il avait pris le rôle principal dans
préparation du projet constitutionnel. Il semble qu'il rédigea
texte complet, en fit adopter les bases par l'Empereur les 18
la
du
le
la
un
et
(78) Dans '>es Mémoires sur les Cent-jours Benjamin Constant se défend
contre les critiques multiples que 1ui valut son ralliement à l'Empire. P,eutêtre exagère-t-il en écrivant : ,« Quant à moi, 1e l'avoue, quelle qu'eût
été mon opinion sur Napol60n, la seule attaque de l'étranger m'aurait fait un
devoir de le soutenir » (:2 me édit_, II, p. 7)' Cela s'accorde mal avec son
attitude au début de 1814 et avec son récent article du journal des Débats.
On peut le croire sincère quand il écrit « qu'il ne fallait pas, en refus'a nt
tout concours à Bonaparte, maître de l'Empire, le contraindre à rester
dictateur et à recommencer le despotisme de 181:2 » (Id. , II, p. 16). Mais
le journal intime révèle en outre des préoccupations plus personnelles
(pp. 348 -349).
(79) Benjamin Constant dit avoir vu l'Empereur pour la première fuis
le 14 avril. H. Houssaye pense que ce fut plus tôt car, qès le 6 avril,
Constant était présenté par le journal de l'Empire comme l'un des membres
de la commission constitutionnelle (1815, l , p. 544, note). Cet argument
n'est pas concluant et la nouvelle semble avoir été prématurée. Le :20 avril
Constant dit à Barante avoir vu l'Empereur trois ou quatre fois (BARANTE . Souvenirs, II, p. 136). Pour son attitude et ses propos pendant cette
période cf. V . de BROGLIE. Souvenirs, l , p. 301 et VILLEMAIN. Souvenirs contemporains, II, pp. 177-178.
180
--:
�19 avril puis en délibéra avec des membres de la commission
(80). Celle-ci paraît avoir arrêté avec son concours la rédaction
soumise le 21 avril à Napoléon, qui imposa quelques modifications. Le lendemain le Conseil d'Etat fut saisi et se prononça
en faveur du projet, en insistant toutefois fortement et à l'unanimité, selon Constant, pour que les membres de la commission
obtinssent "de l'Empereur (qui l'avait écarté malgré "leurs instances) le rétablissement de l'article abolissant la confi~cation des
biens. Mais Napoléon refusa encore, le 22 avril au soir, de
céder sur ce point. Le texte, corrigé, fut signé par lui ce jour
même (81).
Le rôle du Conseil d'Etat ne fut guè~e effectif dans la préparation de l'Acte additionnel mais il en avait été de même
quant aux sénatus-consultes des 16 thermidor an X et 28 flo)'éal
an XII. On ne sait quelles impressions produisit cet acte sur la
majorité "des conseillers ; elles varièrent sans doute selon les
préférences politiques de chacun mais aussi selon ses ambitions,
en supposant que l~s premières fussent souvent indépendantes
des secondes.
L'Article 56 de l'Acte additionnel supprime la Haute-Cour
et le privilège de juridiction dont jouissaient depuis
l'an XII les conseillers d'Etat comme tels mais dont l'intérêt
était réduit. D'autres articles amoindrissent ou menacent l'importance des attributions juridiques et du rôle effectif qu'avait
possédés le Conseil d'Etat consulaire et impérial. Selon l'article
50, une loi modifiera l'article 75 de la Constitution de l'an VIII,
qui subordonne à une décision du Conseil d'Etat les poursuites
visant des agents du Gouvernement pour faits de leurs fonctions.
Selon l'article 58, c'est la loi (et non plus un règlement d'administration publique) qui interprètera un texte législatif à la
~mpériale
(80) Il mentionne dans son JOllrnal le 18 et le 19 de longues entrevues
avec l'Empereur, le 20 une séance avec les présidents de section puis une
délibération avec Regnaud, Maret et Merlin chez l'Empereur. Il parle
aussi dans ses Mémoires sur les Cent-Jours de • l'espèce de comité de
cons titution qui se composait en partie des présidents de section... »
(2 me édit., II, p. 48).
En dehors de ces travaux constitutionnels, il assista, selon son Journal,
à seize séances du Conseil d'Etat, du zz avril au zo juin. Il note au
sujet de la séance du z6 mai : « Je ~raite trop légèrement les affaires
particulières ; il faut au moins les parcourir avant d'en rendre compte _.
(Journal, p. 35z).
(81) La violence que mit l'Empereur ~ vouloir oonserv,e r alors parmi
les peines la confiscation des biens parut à Benjamin Constant le premier
symptôme • d'une révolte contre le joug c-ol1stitutionnel, révolte ridicule
dans un prince faible, mais terrible dans un homme doué d'un vaste génie
et d'immenses facultés. Cette disposition était menaçante et paraissait, pour
se développer, n'attendre que la victoire JO . Constant aurait fait part de ses
craintes à La Fayette et le souvenir de cette confidence aurait contribué
à inspirer la conduite de celui-ci le Zl juin (Mémoires sur les Cent-Jours,
II, pp. 54-55).
-
181
-
1.
�demande de la Cour de cttssation. Quant aux avis du Conseil
d'Etat approuvés par l'Empereur qui, hors de cette hypothèse,
interprétaient aussi la loi, il n'en est rien dit dans l'Acte additionnel mais l'esprit de la transformation constitutionnelle en
cours n'est pas favorable à leur existence future.
Une des attributions essentielles du Conseil d'Etat, plus importante encore que l'interprétation des lois existantes, se trouve
menacée d'un amoindrissement sensible. Il s'agit de son rôle
dans la rédaction des projets de loi. Si les' artiCle:; 23 ~t 24 -de
l'Acte additionnel réservent à l'Empereur l'initiative juridique de
la loi, ils permettent aux chambres de lui proposer des amendements et même de lui demander le dépôt d'un projet, voire d'indiquer ce qu'elles souhaitent y voir insérer. Bien que le souverain
ne soit pas tenu de leur donner satisfaction, de telles suggestions
peuvent avoir plus de poids que les observations formulées de
façon officieuse depuis l'an X par une section du Tribunat puis
par une commission du Corps législatif. Cette faculté attribuée
aux chambres peut ainsi compromettre en fait, surtout par les
demandes portant sur des amendements, le caractère jadis réellement exclusif de l'initiative gouvernementale et par suite l'étendue de la prérogative dont jouit le Conseil d'Etat depuis
l'an VIII jusqu'en 1814 : être le véritable rédacteul' et, en pratique, assez souvent le principal inspirateur voire, en plusieurs
cas, l'unique auteur des règles contenues dans la loi.
La réalisation de ces éventualités suppose d'ailleurs un changement sensible dans les rapports existant en fait entre le
Gouvernement et les chambres, surtout quant à. la Chambre
des représentants rendue vraiment élective. Si ce changement se
produit, accroissant l'indépendance d'esprit au sein des assemblées, il entraînera probablement d'autres innovations.
Le régime créé en l'an VIII s'est en effet trouvé taussé à
la fin de l'an X par l'assujettissement pl'atique des assemblées
politiques au Gouvernement et il en est résulté une double
conséquence dès la seconde moitié du Consulat. Le vote des
projets de loi s'est trouvé quasi-assuré en fait ; en outre Jes
recours ouverts aux assemblées soit contre les actes, soit contre
les ministres se trouvant désormais pratiquement exclus, Je
Gouvernement a pu se permettre aussi bien d'empiéter par ses
règlements sur le domaine normal de la loi que de prendre des
décisions (à portée générale ou individuelle) méconnaissant des
règles légales voire constitutionnelles .En rédigeant le~ projets de
loi, le Conseil d'Etat n'avait donc guère à faire céder ses vues
propres devant les tendances même certaines du Corps législatif ;
en préparant d'autres projets ou avis il restait maître de prendre
ou non en considération les limites que devait trouver son initiative dans le souci de la légalité.
�"
Or cette situation, d'ailleurs contraire à l'esprit du texte
constitutionnel de l'an VIII, se maintiendra difficilement surtout
à cause de la responsabilité pénale des ministres, si la chambre
élective est réellement plus indépendante d'esprit vis-à-vis du
Gouvernement. Ceci permettra au Conseil d'Etat d'élever des
objections, même mal fondées, tirées de l'opinion probable des
chambres ou des limitations légales, à l'encontre des intentions
de l'Empereur qu'il désapprouverait pour d'autres raisons. Mais
la réalisation de ses propres tendances peut aussi s'en trouver
contrariée. Ce n'est que la conséquence normale d'un retour
pur et simple au fonctionnement correct d'un régime constitutionnel qui n'attribue au Gouvernement ni le pouvoir législatif
intégral ,ni la faculté de méconnaître couramment la loi pour
des raisons d'opportunité.
En outre la responsabilité pénale du ministre qui contresigne
un décret pouvant devenir plus effective qu'autrefois, l'opinion
émise par ltii sur la légalité de tel acte projeté est susceptible
de prendre plus de poids, fût-ce à rencontre du Conseil, même
si elle est dictée en fait par l'hostilité au contenu du projet sur
fe plan de l'opportunité.
Ce n'est pas tout. L'acte additionnel, certes, n'établit pas
ces éléments essentiels du régime parlementaire, même inachevé,
que sont la responsabilité politique générale des ministres (fût-ce
pour les décisions seulement ' contresignées par eux) et leurs
rapports directs, étroits, constants avec les chambres. Un tel
régime s'est établi le plus souvent en dehors des textes, sous
l'action de facteurs politiques dont le principal fut soit l'effacement volontaire, l'incapacité ou le défaut de prestige du monarque régnant, soit le discrédit du recrutement héréditaire en
son principe même. Il ne paraît compatible ni avec la personnalité
de Napoléon, ni avec l'origine plébiscitaire de son pouvoir, ni
avec son emprise morale sur une majorité encore prononcée de
la nation. Si, toutefois ,une évolution pratique même incomplète
se faisait en ce sens (plutôt avec un autre souverain) les ministres ne seraient plus uniquement, comme jadis, des chefs de
service aux ordres de l'Empereur : ils prendraient en fait un
rôle politique qui ne serait plus strictement consultatif. Or un
tel rôle transformerait leur situation ancienne vis-à-vis du Conseil
d'Etat ainsi que la portée effective des critiques et des avis émis
par celui-ci sur leurs projets et vice-versa.
Bref - et même en dehors d'une telle éventualité - outre
que le Conseil ne pourra pas conserver par rapport à la Chambre
des représentants la préséance protocolaire dont il jouissait vis-àvis du Corps législatif, son rôle se trouvera diminué, ne serait-ce
qu'en matière de lois, si l'Acte additionnel doit être appliqué
selon l'esprit du gouvernement représentatif. Or ceci touche à un
facteur politique et moral plus lar,ge et p'lus élev~ que l'in-
�fluence et le prestige d'un corps déterminé ou que l'amour-propre
de ses membres : le rôle qui, dans les activités principales de
l'Etat et notamment dans l'élaboration effective des lois et
des règlements, doit appartenir à la supériorité des moyens naturels et acquis, à la compétence réellement sélectionnée en
vue de cette tâche, au travail soutenu et ordonné. Nul conseiller
d'Etat ne peut se dissimuler la menace qui, à cet égard, se
trouve en germe dans l'Acte additionnel, surtout du fait de.,
règles concernant les amendements éventuels aux projets de loi
et l'initiative indirecte ouverte aux assemblées.
Il est vrai que, sur tous ces points et sur d'autres encore, la
façon dont sera appliquée cette réforme constitutionnelle est
problématique car les situations respectives du Gouvernement et
des chambres dépendront - comme il est habituel - bien
moins des textes et des doctrines que de facteurs politiques concrets et complexes. Ceux-ci se trouvent alors liés essentiellement
à l'évolution des rapports avec l'étranger. 9r il est probable que
des prochains événements, militaires et diplomatiques, surgira
soit la chute complète de Napoléon à nouveau détrôné au
profit des Bourbons soit, même dans le cadre juridique de l'Acte
additionnel, un retour, brusque ou progressif, sinon à 1a quasiomnipotence impériale de 1810 du moins à la nette prépondérance du Gouvernement sur les assemblées comme en l'an VHL
L'attente de cette seconde solution par les uns, la croyance à
la première chez les autres ,la conscience que du moins l'alternative est ·ouverte ont-elles - en réduisant la portée réelle
de la réforme constitutionnelle qui risquait d'amoindrir le Conseil
d'Etat - facilité l'adhésion qu'y donnèrent tel ou tel de ~es
membres ? C'est possible. Mais d'autres ont pu s'y rallier sans
ces arrière-pensées et 1a souhaiter durable, peut-être par une
acceptation sincère du gouvernement représentatif, peut-être aussi
parce que, tout en risquant de conduire à l'amoindrissement du
Conseil d'Etat, l'Acte additionnel ouvrait aux conseillers la possibilité d'un rôle individuel nouveau.
L'article 18 déclare en effet que cc l'Empereur envoie dans
les Chambres des ministres d'état et des conseillers d'état qui
y siègent et prennent part aux discussions ... » (82). Mais en
outre, selon l'article 17, les qualités de pair et de représentant
sont compatibles cc avec toute fonction publique hors celle des
comptables » et la fin de l'article 18 prévoit le cas où des
conseillers d'Etat sont membres d'une des chambres législatives (83). En tant qu'il vise les fonctionnaires en général, l'article
(82) Le projet initial ne prévoyait cette mission que pour « des ministres
d'Etat • (RADIGUET. L'acte additionnel, p. 443)'
(83) Selon cet article 18, en effet, les ministres d'Etat et conseillers
d'Etat envoyés par l'Empereur dans une assemblée n'y • ont voix
délibérative que dans le ctlS où ils sont membres de la Chambre !Comm.
-
18 4 -
�17 ouvre sans doute au Gouvernement les moyens d'action qui
ont joué un grand rôle en Angleterre au XVIIIme siècle et en
joueront un semblable en France jusqu'en 1848. Pour les conseillers d'Etat un tel cumul peut, selon les circonstances et les
hommes, soit imprimer l'esprit gouvernemental à l'activité exercée par eux dans les chambres, soit au contraire faire soutenir
au sein du Conseil un point de vue parlementaire. Ici encore
le fonctionnement des instituti~ns dépendra des positions respectives du Gouvernement et des assemblées sur le terrain de la
puissance réelle.
Mais la possibilité de ce cumul est propre à satisfaire une
partie des conseillers. Après quinze années passées au sein d'un
corps consultatif, plusieurs peuvent être repris par les souvenirs
de leur jeunesse, de l'Assemblée constituante ou du Conseil des
Cin.q-Cents, et aspirer au rôle d'un orateur parlementaire en
renom, sinon même d'un meneur de parti. Plusieurs, et non
des moindres, vont être élus à la Chambre des représentants.
La pairie héréditaire peut convenir mieux encore à bien des
conseillers d'Etat.
On ignore si des membres du Conseil critiquèrent la règle
qui faisait élire la Chambre des représentants par les collèges
électoraux dont, en fait, les membres appartenaient surtout à la
bourgeoisie et à la noblesse rurale, c'est-à-dire aux éléments
alors les plus mal disposés pour le régime impérial. Il allait
sortir d'un tel mode de recrutement et de l'abstention où se
cantonnèrent beaucoup de royalistes une véritable chambre introuvable de l'esprit parlementaire et du libéralisme intégral
même en pleine guerre étrangère et civile. Peut-être Napoléon
pensa-t-il qu'une assemblée ainsi élue n'aurait pas d'appui moràl
dans l'ensemble de la nation et qu'il serait d'autant plus facile,
une fois le danger extérieur écarté, soit de la dominer, soit de
la dissoudre puis de faire passer, à la faveur d'une transformation
de ce régime électoral, d'autres changements constitutionnels.
S'il n'eut pas cette .arrière-pensée, on se demaride par quelle
incroyable a~erration il put accepter pareil mode de recrutement
pour la chambre élective. L'absence (probable) de réaction chez
les conseillers d'Etat surprend moins ; beaucoup d'entre eux
étaient sans doute favorables à la prépondérance politique des
milieux sociaux représentés par ces collèges, sur l'esprit desquels ils se faisaient peut-être des illusions assez peu excusables,
tout en s'exagérant comme Napoléon les dangers que pourr.a it
comporter alors pour l'autorité gouvernementale un suffrage dipairs ou élus par le peuple ' . Des observations SUL" l'Acte additionnel, qui
furent ~nvoyées à l'Empereur, critiquent la possibilité d'un tel cumul : '
« On désire que les ministres d'Etat et les cOll5eillers d'Etat n'aient pas
voix délibérative dans les chambres lors même qu'ils en seraient membres ;
ce sel"ait autrement exercer deux fonctions différentes et opposées .• (AF IV
659/U Plaq. 6,9 89),
�rect très élargi, prenant par exemple comme base la détermination du citoyen actif par la Constitution de l'an III, (bien
entendu avec la clause de son article 9 sur l'effet des services
militaires) ,voire l'universalité judicieusement corrigée par quelques catégories d'exclusions (84).
Le mauvais accueil que firent à l'Acte additionnel aussi bien
les hommes imbus d'esprit égalitaire que les tenants du libéralisme, aussi bien les partisans du gouvernement représentatif
que ceux de l'Empire autoritaire fut ressenti par les conseillers
d'Etat qui, du moins en la forme, avaient joué un rôle dans sa
préparation (85). Les critiques élevées contre une réforme constitutionnelle jugée trop peu libérale par beaucoup de brochures
et de journaux purent exercer une influence sur l'esprit désorienté ou hésitant de bon nombre d'entre eux. En dépit des dangers majeurs qui menaçaient l'Etat, il leur parut difficile - fût-ce
pour mettre hors d'état de nuire les auxiliaires avérés .de
l'ennemi étranger - de faire appel à la notion de nécessité et
de se montrer aussi entrepre!1ants que jadis vis-à-vis de la
stricte légalité ou des droits individuels.
Ces scrupules intempestifs se firent jour notamment dans une
commission formée par l'Empereur pour lui proposer, en attendant une loi, des mesures à prendre contre les journaux et
publications qui attaquaient la personne du souverain (provoquant même parfois à l'assassinat) ou excitaient à la rébellion.
Composée de Cambacérès, Regnaud, Defermon, Boulay, Andréossy' et Merlin, cette commission émit son avis le 28 avril.
(84) Thibaudeau était absent du Conseil lorsque celui-ci · fut saisi du .
projet constitutionnel mais Berlier devait s'y tr.ouver. On ignore sïl combattit la pairie héréditaire et le système électoral proposé. Il devait cependant être partisan d'un mode d'élection plus égalitaire, m:lis pour d'autres
raisons que la recherche d'une majorité docile vis-à-vis de l'Em;>ereur, d'une
chambre de mameloucks comme celle que le suffrage universel, guidé p'lr
la candidature officielle, devait donner pendant dix ans au second Empire .
et qu'il aurait procurée plus sûrement encore au premier.
(85) • Tandis que le Moniteur s'escrimait dans de longs articles à
justifier l'acte additionnel, les conseillers qui y avaient pris la part la
plus active s'en défendaient de toute leur force et rejetaient tout sur l'Empereur. » (THIBAVDEAV. Mémoires, p. 476).
Benjamin Constant fut affecté par les attaques dont se trouvait l'objet
cette constitution (qu'on lui attribuait au point que certains la surfltOmmaient
la benjamine) et il écrivait le l mlÏ cLtns son Journal : • Je crois que
j'ai fait une sotti'>C. Le vin est tiré ! -. Mais le lendemain il décidait : « Il
me faut le plus tôt possible un ouvrage qui rétablisse ma réputation et
constate mes principes... -. Il écrivit en effet aussitôt les < Principes de
politique applicables à torts les gouvernements "eprésentatifs et particulièrement à la constitution actuelle de la France qui parurent dès la fin de
mai ou les premiers jours de juin. Il est d'ailleurs très abusif de voir dan3
cet ouvrage, expression des tendances et des désirs de son auteur, un
tableau de ce qu'impliquait le texte de l' Acte additionnel et a fortiori de
ce qu'eût été son application réelle si Napol60n était resté au pouvoir.
186 -
�Elle exposa que des poursuites criminelles intentées pour
complot risqueraient d'aboutir à des acquittements devant les
cours d'assises et que le Code pénal permettait en outre uniquement de poursuivre comme calomniateurs ceux qui articuleraient des faits susceptibles d'exposer le chef de l'Etat ou ses
principaux agents à la haine ou au mépris des citoyens. Certes,
les peines correctionnelles applicables étaient trop légères (en
général un à six mois de prison) et il conviendrait d'y remédier
par une loi mais le faire par décret serait aussi impolitique que
contraire à la règle selon laquelle la loi seule peut établir une
peine (86).
D'autre part les poursuites correctionnelles pour calomnie
ne rempliraient avec certitude « leur objet moral èt politique »
que si elles prenaient « une direction parfaitement légale »,
c'est-à-dire si èlles émanaient de la justice. Le préfet de police
ne devrait donc plus, comme jadis, faire saisir et mettre sous
séquestre des publications avant toute action judiciaire. On ne
devrait s'attaquer à l'écrit qu'en poursuivant l'auteur (87).
Quelques jours plus tôt Regnaud et Benjamin Constant avaient
insisté avec succès auprès de Napoléon pour que fût levée la
saisie administrative dont avait été l'objet le Censeur, publication
périodique libérale qui avait déclaré ne voir dans l'Empire rétabli qu'un pouvoir de fait et un gouvernement provisoire (88).
·
.
(86) AF IV 859/6 Plaq. 6.952, no 12 :
« ... Tels sont les vrais principe3, et Votre Majesté vient de les raffermir
trop solennellement sur leur base, en pl"lésentant au Peuple françai$ de
nouveaux articles constitutionnels, pour qu'il soit possible que désormais
les tribunaux considèrent et appliquent comme lois des décrets impériaux
qui infligeraient des peines à des faits non punis par les lois existantes
ou qui aggraveraient les peint:s que les lois existantes infligent à des faits
qu'elles qualifient de crimes ou de délits.
« Est-il besoin d'ajouter que, si Votre Majesté se déterminait, en ce
moment, à rendre un pareil décret, elle âonnerait des armes puissantes
contre elle à la malveillance qui s' agite en tout sens pour accréditer h
fausse et ridicule opinion que Votre Majesté ne tiendra pas les promesses
consignées dans sa proclamation du 1 er mars et dlns les décrets du 13
du même mois ? Cette considération est trop frappante pour qu'il soit
nécessaire de la présenter à Votre Majesté. Votre Majesté sait trop que,
dans les circonstances qui nous environnent, il n'est rien de plus essentiel
à entretenir et à fortifier que la confiance du peuple français dans son
auguste chef ; et que des moindres choses qui peuvent atténuer cette confiance , il peut résulter des maux incalculables. •
(87) L'avis se terminait ainsi :
« Telles sont, ~ire, les seules vues que .nous
de la législation, proposer à Votre Majesté sur
presse. Votre Majesté n'y trouvera pas tout ce
la prompte et efficace répression de ces abus
vérité ; et nous avons rempli le plus sacré
disant toute entière.
c Nous sommes... etc. •
pUISSIons, dans l'état actuel
les abus de la liberté de h
qu' eUe pouvait désirer pour
; mais elle y trouvera Il
de nos devoirs en la lui
(88) 8. CONSTANT. Mémoires sur les Cent-Jours, II, p. 98.
�-1
1
Le Conseil d'Etat adopta le projet qui devint le décret du
9 mai 1815 relatif à la répression des manœuvres susceptibles de
troubler la tranquillité publique. Ce décret n'édictait pas de ,pénalités nouvelles mais il déclarait applicables à diverses manifestations royalistes des articles du Code pénal ou de lois révolutionnaires. Le Conseil semble toutefois avoir atténué l'article
qui concernait l'enlèvement 'du drapeau tricolore (89).
Napoléon ne se conforma d'ailleurs pas toujours aux avis
du Conseil d'Etat qui mettaient en avant des scrupules d'ordre
juridique. Un avis 'émis le 19 mai par ce corps visait l'interprétation de la loi de finances du 23 septembre 1814 dont l'article 19 iriterdisait d'établir et de percevoir aucun impôt direct
non autorisé par elle, sous les peines qui réprimaient la concussion. Carnot pensait pouvoir déduire d'un passage du même
article qu'il ne visait pas les impositions antérieures à cette
loi , ; il proposait de regarder comme non avenue une circulaire
minis't érielle de novembre 1814 qui déclarait atteintes par cette
prohibition diverses perceptions locales et d'habiliter les préfets
à faire dresser les rôles de tels impôts autorisés par des 101s
ou des décrets a van t le 23 septembre 1814. Mais la section de
l'Intérieur et le Conseil d'Etat estimèrent que cette proposition
était contraire à la loi précitée et qu'il convenait de l'écarter,
sauf à faire autoriser par une loi future la perception de nouveaux centimes et à permettre par décret, en cas d'urgence, la
perception provisoire d'impôts communaux extraordinaires, comme le prévoyait d'ailleurs cette même loi de finances de septembre 1814. L'Empereur alla plus loin. Malgré l'avis du Conseil,
(89) La minute de ce décret (AF IV 859/16 Plaq. 7.021) est constituée
par l'extrait du 1'egistre des délibérations du Conseil d'Etat (pour le même
jour) et elle ne porte qu'une correction de f,orme. Mais un projet manuscrit
comporte un article 4 ainsi conçu : « Conformément à la loi du 22 "ivôse
an 6, les individus convaincus d'avoir enlevé le drapeau tricolore d'une
comtriune seront punis de 4 ans de détention Il. Or l'article 4 du décret
applique seulement à l'individu coupable ,d'avoir enlevé le drapeau tricobre
d'un clocher ou d'un monument public l'article 257 du Code pénal,
qui punit d' un mois à deux ans de prison et de cent à cinq cents francs
d' amende la dégradation ou destruction • des monuments, statues et autres
objets destinés à l'utilité ou à la décoratinn publique Il . Il est vrai que
l'article 5 fait application de la loi du 10 vendémiaire an IV à la commune
qui n'a pas empêché un attroupement public d'enlever ainsi le drapeau.
Le décret omet aussi cette disposition du premier projet : « Tou te
correspondance de l'Intérieur de l'Empire avec le Comte de Lille, les
Princes et leurs agents sera considérée comme un délit contre la sûreté
de l'Etat et les auteurs punis conformément aux dispositions du Code pénal JO .
Mais il prescrit de poursuivre ces relations et correspondances si elles
ont pour objet les crimes punis (de mort) par l'article 77 du C')dc
pénal ; or ce texte est assez large pour s'appliquer à beaucoup des c'ommunications visées, sans préjudice dc') lois révolutionnaires concernant l'espionnage.
188
-
�il approuva le 22 mai la proposition de Carnot te Îes circonstances
étant urgentes, sauf à convertir ensuite la décision en. loi » '(90).
Il a été allégué, comme un trait caractéristique de la nouvelle orientation manifestée par le Conseil, que ce corps avait
émis le 23 mai un avis contraire au projet de décret, adopté
par la section de la Guerre, qui rappelait sous les drapeaux
les conscrits de 1815 : selon la règle constitutionnelle une loi
seule pouvait décider une levée de conscription. Toutefois, en
raison de l'urgence devant la guerre imminente, il aurait exprimé peu après, un avis favorable à un expédient proposé par
l'Empereur: assimiler ces conscrits de. 1815, déjà appelés sous
les armes en 1814, à des militaires en congé, ce qui permettrait
de les rappeler par une simple mesure administrative. Mais ces
assertions visant l'attitude première et le revirement du Conseil
ne semblent guère étayées par l'historien qui les émet (91).
Quoi qu'il en soit sur ce ,point spécial, il n'est guère douteux que l'esprit antérieur a 1814, l'esprit des légistes de
gouvernement, n'anime plus que faiblement l'ensemble des con(90) AF IV 859/19 Plaq. 7.°46. L'approuvé et le panphe de Napoléon
sont en marge sur l'imprimé du rapport ministériel.
En · un autre cas qui posait aussi une question de droit, mais dans une
affaire individuelle et sur un plan bien plus .restreint, l'Empereur repoussa
le projet de Carnot qu'approuvait le Conseil d'Etat .Il s'agissait de sav.()ir
si Lambrechts, naturalisé français en janvier IBI5, serait autorisé à exercer
ses ,droits civiques à Paris \lnmédiatement, et non seulement un an a.près
sa déclaration comme le décid'lit le décret du 17 janvier 1806. Selon
le ministre et le Conseil, Lambrechts, étant inscrit antérieurement dans un
département qui avait cessé d'être français, se trouvait dans un cas exceptionnel qui devait faire écarter l'application de ce décret, afin qu'il ne
fût pas privé pendant un an de ses droits civiques. Mais, après aVOir
mis son paraphe sous l'Approuvé, Napoléon déchira la feuille où figurait
cet avis du 5 mai, • n'ayant pas voulu décider cette alla ire par exception » selon une note mise en marge et datée du 8' mai. Il est possible
que le rôle joué par le sénateur Lambrechts en avril IBI4 ait rendu
l'Empereur peu favorable à sa demande (AF IV B59/15' Plaq. 7.019).
(91) Le premier avis · du Conseil d'Etat semble n'être rapporté que
dans les Mémoires de Miot (III, pp. 399 bu' 43°-431, selon l'édition) et
cette source a suffi à H. Houssaye (1815, l, p. 500 et II, p. 15). Cct
historien ne dit pas d'après quel renseignement il attribue à une suggestion
de l'Empereur le second avis du Conseil. Cet avis est mentionné à \Jout
le moins dans une lettre de Napoléon à Davout, en date du 29 mai 1 B1 5 :
~ ... il résulte de l'avis du Conseil d'Etat que vous devez considérer les
conscrits de 1 BI5 comme en congé et .q ue vous devez les rappeler ....
Faites-moi le décret qui ordonne cet appel... » (Correspondance... 21.9B6,
XXVIII, p. 277).
Cependant Napoléon semble avoir encore éprouvé un scrupule car il
écrlt, le 3 juin, à Davout qu'il renvoie au Conseil d'Etat le projet de décret
car cette mesure exige une loi mais que, vu l'urgence et pour gagner les
quinze jours demandés en fait par le vote de cette loi, le ministre peut
• rappeler tous les conscrits de 1 BI5 qui ont servi » ; la toi « ne sera
plus alors que pour les pays où cette conscription n'aura pas été levée »
(CHUQUET. Inédits napoléoniens, l, pp. 442.443, nO 1625). La. levée de ces
conscrits de 181 S commença ka jours suivants.
-:- •189
�seillers d'Etat, quant ~ l;interprétation des règles JuridIques
dans· le cas d'un conflit prochain avec les chambres politiques
futures, Napoléon ne trouverait pas en eux le même concours qu'en
l'an X. Cela peut tenir en partie à ce qu'en présidant rarement
les séances il affaiblit son action personnelle sur l'esprit des
conseillers. Cet esprit pourrait être transformé par une solution
heureuse de la situation extérieure, qui ne rendrait cependant
pas superflue l'introduction dans le Conseil de nouveaux éléments plus jeunes et plus déterminés. Mais cette question n'eut
pa') à se poser.
En dehors des avis émanant du Conseil d'Etat en corps, une
influence peut-être même plus grande, et relevant du même esprit, fut exercée à titre individuel par quelques-uns de ses
membres sur des mesures d'ordre politique.
Selon Thibaudeau, Regnaud contribua, au moins autant que
Benjamin Constant, à faire adopter par l'Empereur une décision
très importante : la mise en vigueur de l'Acte additionnel et la
convocation des collèges électoraux pour la désignation des
membres de la Chambre des représentants, sans attendre les résultat" complets du plébiscite ouvert pour la ratification de la
l·éform(, constitutionnelle. Deux autres conseillers d'Etat au
moins, Lavallette et Mathieu Dumas, en auraient été partisans
mais c'est Regnaud qui aurait joué le principal rôle, recourant
même pour faire céder les répugnances de l'Empereur à la
menace de sa démission et de plusieurs autres. Son attitude a
été attribuée à l'emprise de Fouché (dont, ~ependant, il avait
jadis été l'ennemi) ainsi qu'au désir de jouer un grand rôle
parlementaire (92).
Un autre conseiller d'Etat notoire a été l'objet d'allégations qui
concernent aussi ses rapports avec Fouché. Napoléon voyait en
Réal un homme sûr et il pensa sans doute que sa présence à
la préfecture de police était une précaution, partielle mais utile,
contre les agissements éventuels de Fouché malgré les relations
d'amitié qu'entretenaient jadis ces deux hommes (93). Dans la
dernière semaine d'avril, un émissaire de Metternich remit au
ministre de la Police un billet le priant d'envoyer secrètement
(91) THIBAUDEAU. Mémoires, pp. 486-487 et L'Empire, VII, p. 331.
(93) Napoléon disait plus tard, le 1er avril 1817, en parlant de Fouché : ~ J'aurais dû prendre à sa place Réal qui m'était tout dévoué » .
(GOURGAUD, Journal, Edition O. Aubry, II, p. 56). S'il.faut en croire
Decazes, Réal aurait dit à ce dernier vers la fin de mars 1815, qu'il
• avait d'abord refusé la préfecture de police et qu'il ne l'avait acceptée
qu'après cette interpellation de Napoléon : c Quoi ! Réal! Vous ~ussi
vous m'abandonnez! » (E. DAUDET. Louis XVIII et le duc Decazes,
p. 63). Selon Beugnot (Mémoires, 3rne édition, p. 595) le double jeu de
Fouché c n'avait pas échappé :tu préfet de police Réal. L'Empereur fit peu
de cas de ses avertissements
Mais Beugnot était alors à Gand.
)p .
�i Bâle une personne de confiance à qui des ouvertures seraient
faites . Cet autrichien se rendit suspect, fut arrêté à l'insu de
Fouché et conduit devant l'Empereur ; il révéla l'objet de sa mission. Après avoir attendu en vain une confidence du ministre sur
ces ouvertures, Napoléon envoya à Bâle Fleury de Chaboulon
qui ,en se donnant comme l'émissaire de Fouché, s'efforcerait
de faire parler celui de Metternich. Fleury partit le 28 avril.
Le même jour, le duc d'Otrante vint spontanément révéler à
l'Empereur la démarche faite auprès de lui et remettre le billet
reçu, en s'excusant de cet oubli ou de ce retard sùr l'abondance
de ses occupations. Sans doute avait-il appris que Napoléon était
déjà au courant. Fleury retourna ensuite à Bâle toujours comme émissaire du ministre mais, cette fois, avec son assentiment
forcé. Les résultats de sa mission furent d'ailleurs presque nuls.
On lui assura depuis, dit-il, que Réal avait envoyé sa fille ,
épouse du maître des requêtes Lacuée, annoncer à Fouché l'arrestation de l'émissaire autrichien. Fleury ne prend pas parti
quant à ces allégations mais Pasquier affirme le mêm"e fait, sans
dire sur quels éléments repose sa conviction. En annotant, sans
bienveillance, les Mémoires de Fleury de Chaboulon, l'Empereur
il qualifié d'infâme calomnie l'assertion concernant Réal (a~quel
il légua plus tard cent mille francs) mais cela ne prouve rien
SUl' ce point. Plusieurs historiens ont repris à leur compte la
même imputation. Elle paraît cependant reposer sur des bases
peu s"û res et cette question reste fort incertaine (94).
11 est cependant assez probable que devant l'échec des ouvertures pacifiques faites par Napoléon, devant l'attitude de plus
en plus agressive de l'étranger, la quasi-certitude d'une guerre
prochaine et l'inégalité des effectifs, les doutes quant à
l'avenir du régime impérial croissent au sein du Conseil d'Etat
comme dans les autres sphères politiques, appelant chez beaucoup
le découragement, voire la désaffection, et chez tel ou tel...
peut-être un peu plus.
Evidemment, ces évolutions mentales, voire la plupart des
conversations ou même beaucoup des ouvertures voilées par les(94) FLEURY de CHABOULON. Op. cit. II, pp. 13-16. PASQUIER,
p. 198.
Ni les pseudo-Mémoires de Fouché, ni l'ouvrage écrit d'après les notes
de son ami Gaillard (Bon DESPATYS. Un ami de Fouché) ne mettent en
scène Réal au sujet de cet incident qu'ils rapportent ; ce derni er ouvnge,
qui paraît d'ailleurs contenir plmieurs confusions et erreurs, Ittribue l' indiscrétion à l'agent de la préfecture de police qui arrêta l'Autrichien
(p. 344). Dans L'Empire (VII, p. 304) Thibaudeau dit que Fouché fut
« prévenu par son ami Réal » m'li.. il a sans doute pris cela dans les
Mé.moires de Fleury de Cha boulon car dans ses propres Mémoires il se
borne à reproduire une conversation où Fouché lui parla de cette affaire
sans dire qui l'avait prévenu (p. 482). La biographie sommaire con~acrée
à Réal par M." Bigard (Le comte Réal, ancien jacobin) n'aborde pas cette
question.
III,
�quelles elles purent se manifester, se traduisent rarement eri
pièces d'archives et les ~Mémoires sont souvent peu sûrs. Il
est donc impossible de savoir ce qu'était en mai 1815 l'esprit
de tel ou tel membre du Conseil d'Etat. Il se peut que plusieur ' soient entrés en relations avec Gand. Le maître des
l'equêtef, Félix aurait même . fait parvenir à Beurnonville des
oc notions » sur l'état de l'armée française (95). En supposant
ce fait exact, il fut probablement exceptionnel. Rares furent
san') doute au sein du Conseil de véritables collusions politiques
avec des royalistes émigrés ou militants. Mais ceux-ci n'étaient
pas les seuls ennemis réels de l'Empire et d'autres tentations
allaient se trouver accentuées par un événement de politique
intérieure.
.;
" :.
~.
Pendant le mois de mai eurent lieu les élections à la Chambre
des représentants. Qu'ils se soient ou non déclarés candidats,
quatre conseillers d'Etat des plus notoires furent élus en des
contrées qui les avaient jadis désignés pour siéger dans une ou
plusieurs assemblées de la Révolution : Defermon (Ille-et-Vilaine), Regnaud (Charente-Inférieure), Boulay (Meurthe) et Merlin (Nord). L'ex-constituant Dauchy, redevenu conseiller d'Etat en
service extraordinaire (sans emploi) fut élu dans l'Oise (96).
Devinrent aussi représentants les maîtres des requêtes en service extraordinaire de Bondy, Janet, Mayneau de Pancemont et
Fauchet mais, même s'ils vinrent siéger, ils ne jouèrent dans
cette chambre aucun rôle dont on trouve trace. Benjamin Constant e't Thibaudeau souhaitèrent devenir députés en demeurant
conseillers 9'Etat mais ils ne firent pas acte de candidature et
ne furent pas élus (97).
.
(95) Jaucourt à Talleyrand, 27 avril 1815 (Correspondance du comte
de Jaucourt avec le prince de Talleynand, p. 308). Thibaudeau se trouve
lui-même visé, par un récit d'ailleurs peu sûr et de seconde main. Le 2 JUIn,
une semaine après l'arrivée de Guizot à Gand, Goltz écrivait de cette
ville à Hardenberg :
« Thibaudeau, jacobin renommé,
a dit à Guizot, quelques jours avant
le départ de celui-ci : Votre parti vaut mieux que le nôtre. - Eh bien,
répliqua ce dernier, pourquoi vous obstinez-vous à rester dans la position
Parce que, répondit-il, nous avons trop fait pour
où vous êtes ? pouvoir nous flatter d'un oubli du passé sans en avoir d'avance fme garantie sullis""te » (A. MALLET. Louis XVIII et les Cent-Jours à Gand,
II, p. 244).
Cependant Guizot qui mentionne, dans ses Mémoires pour servir à
l'histoire de mon temps, les efforts de plusieurs hauts serviteurs de l'Empire
pour se rapprocher des Bourbons ne rapporte aucune conversation avec
Thibaudeau. L'attitude que prit ce dernier à la fin de JUIn dans la Chambre
des pairs n'est pas propre à faire supposer la recherche d'.un tel rapprochement.
(96) Chacun de ces cinq conseillers fut élu par un colJège de département.
Regnaud le fut en outre par un collège d'arrondissemc:wlt.
(97) A la chambre élective entrèrent aussi les anciens conseillers d'Eut
de l'Empire Dubois, Siméon, Laforest, les ex-maîtres des requêtes Favard
de Langlade et Bonnaire, l'ex-auditeur Bouvier-Dumolart. Les deux derniers
�Uéiection de Regnaud, Boulay, Defermon et Merlin devait
inciter l'Empereur à 'les employer comme intermédiaires entre
le Gouvernement et la Chambre des représentants. Ce rôle pouvait être rempli par des ministres d'Etat et des conseillers
d'Etat n'étant pas membres de cette assemblée mais celle-ci
éprouverait peut-être moins de défiance envers des hçmmes qui
en faisaient partie. Defermon et Regnaud étaient ministres d'Etat
depuis 1807, Boulay et Merlin le devinrent par un décret du
30 mai. Jusque là ce titre ne comportait que des prérogatives
honorifiques ; l'Acte additionnel y ajoutait la possibilité d'un
rôle effectif et il apparaissait déjà que ceux des ministres
d'Etat qui appartiendraient à la chambre élective auraient à
cet égard une situation plus importante. C'est donc sans doute
à leur intention que le programme de la cérémonie du Champ
de mai prévit dans le cortège impérial une voiture pour quatre
ministres d'Etat.
Le Conseil d'Etat assista, dans la tribune située à la droite
du trône, à cette cérémonie qui eut lieu le 1er juin (98). Le
lendemain Napoléon nomma cent-dix-huit pairs, les princes de
sa famille compris. Neuf provenaient du Conseil d'Etat : les
généraux Andréossy, Delaborde et Dulauloy, le premier président
Gilbert de Voisins, les anciens conventionnels régicides Thibaudeau et Quinette, enfin 'Caffarelli, Lavallette et Molé.
En dépit de la situation précaire des choses, dit Thibaudeau,
la pairie ne manquait 'pas d'amateurs. C'était une loterie, sans
mise de fonds. Quel risque couraient-ils ? Si l'Empiretriomph ait, c'était une jolie position ; s'il succombait, ils ne seraieqt
pas pires, ils en seraient quittes pour dire que l'usurpateur leur
avait imposé la pairie et qu'ils ne l'avaient acceptée que pour
servir les Bourbons lt (99).
4(
étaient préfets. J'ignore d'après quels éléments H. Houssaye estime . que
Bonnaire était secrètement royali':lte encore qu'il ne se soit pas déclaré tel
avant l'élection (1815, l, p. 563). Cet historien 'Semble oublier ou ignorer
que Bonnaire était préfet de la Loire-Inférieure ; il ava.lt du reste été
écarté de la préfecture d'Ille-et-Vilaine en janvier 1815 par le gouvernement royal.
(98) Moniteur du 31 mai : « A dix heures le Conseil d'Etat partin
du palais des Tuileries .et ~rrivera par les cours de l'Ecole tnihtaÏu.
Il sera reçu par les maîtres et aides des cérémonies, et placé doms la tribune
à droite du trône ». Il aurait l'escorte d'usa,ge. Le Conseil assista, semble-t-il,
à l'ouverture de la session des Chambres (7 juin) et il fit partie de
l'entourage de l'Empereur quand celui-ci reçut les adresses de ces assem-.
blées (Il juin).
(99) THIBAUDEAU. Mémoires, p. 495. Il assure qu'il n'avait pla sou.
haité recevoir la pairie.
A cette chambre appartinrent aussi onze hommes sortis du Conseil
d'Etat avant 1814 : les maréchaux Brune et Jourdan, les ex-sénateurs Chaptal,
Gal Dejean, Champagny (tous trois anciens ministres), Rœderer, Ségur,
Gal Gassendi et enfin le ministre Mollien et les anciens ministres Bigot de
P",éameneu et Collin de Sussy.
193
-
�' \
Certainement injustifiée pour plusieurs des pairs issus du
Conseil d'Etat et en particulier pour Lavallette, cette supposition est encore au-dessous de la réalité en ce qui concerne
Molé. Celui-ci accentuait prudemment à la fin de mai la réserve relative qu'il observait depuis le 20 mars. Son ami Pasquier
assure qu'il se montrait fort empressé auprès de l'Empereur (100).
Mais la biographie apologétique de Molé déclare que celui-ci
n'eut plus d'entrevue avec Napolèon après le 17 mai et que
sa « santé ébranlée » l'obligea peu après à quitter Paris pour
Plombières. Sa conduite ultérieure devait démentir le prétexte
de ce départ qui eut lieu le 30 mai. C'est aussi sa santé qu'invoqua Molé en exprimant à "l'archichancelier ses regrets de ne
pouvoir venir occuper sa place à la Chambre des pairs. Pasquier
déclare que Molé, n'osant pas refuser la pairie mais ne voulant
pas siéger dans la chambre haute, « eut soin de se trouve1·
aux eaux de Plombières dans le moment où se tirent les nominations » (101).
Treize conseillers d'Etat, dont les quatre présidents de section
en activité, appartenaient donc à l'une ou à l'autre des chambres législatives. Le travail du Conseil pouvait en souffrir et
plus encore peut-être, dans les circonstances du moment, la
solidité de son esprit gouvernemental en la mesure où il subsistait.
Il ne se déroula pas de grand débat dans la Chambre des
pairs avant le 21 juin. Thibaudeau fut l'un des deux secrétaires
définitifs élus le 3 juin. Comme tel il prit part à la rédaction
de l'adresse votée après l'ouverture de la session (10~). Il fut
encore rapporteur de la commission chargée de préparer pour
cette chambre le projet de règlement intérieur et Quinette intervint dans la discussion, peu animée, qui eut lieu sur ce projet.
Plus important fut le rôle attribué par l'Empereur aux conseillers ~'Etat que comptait la Chambre des représentants ;
c'étaient~ lors de l'ouverture de la session, les ministres d'Etat
(100) Molé se trouvait alors suffisamment en faveur pour que l'Empereur s'en fit accompagner le ·1 2 avril dans sa visite à Ja Malmaison. Molé
était, selon Pasquier, « un des plus assidus à rendre ses devoirs au pahis
de l'Elysée ; il s'y rendait presque tous les soirs et s'efforçait de saisir
toutes les occasions d'approcher l'Empereur et d'entrer avec lui en oonversation ». (PASQUIER, III, p. 221).
(101) Id. III, p. 221. Mis de NOAILLES. Op. cit. l, pp. 218-220 :
« Pendant son séjour [à Plombières l, il reçut de l'Empereur 1>a nomination
de pair, mais sentant qu'il ne saul"l.it hire prévaloir auprès de Napoléon
ses idées de modération, il résolut de ne pas aller prendre possessÏo'.>n de
son siège et écrivit à Cambacérès qu'il ne pouvait revenir " (p. 220).
Sa lettre fut communiquée à la chambre haute le 13 juin, au moment
où il revenait à Paris.
(102) Lavallette et Caffarelli firent partie de la députation élue pour
aller présenter cette adresse à l'Empereur.
-
19-t
-
�Regnaud, Defermon, Boulay, MerIln. Malgré l'affirmation de
Thibaudeau, on peut douter que Napoléon ait souhaité voir
élire l'un d'eux président de cette assemblée. Possible en droit,
le cumul d'un tel poste avec leurs fonctions au Conseil eût
été peu admissible en fait. A fortiori ne pouvait-il se concevoir
avec la situation occupée par Merlin auprès de la Cour de
cassation. Il ne semble pas, du moins, que l'Empereur se soit
efforcé de faire élire l'un de ces quatre hommes car, le 4 juin,
dans le premier scrutin, cinquante-sept voix (sur quatre-cent
soixante-douze) se partagèrent entre eux au lieu de se grouper
sur l'un d'eux. Merlin en obtint quarante-quatre, Regnaud six,
Boulay cinq et Defermon deux. Au second tour Boulay eut Cinq
voix et Merlin trois. Le 5 juin, lors de l'élection des quatre
vice-présidents, Merli~ obtint quatre-vingt-dix voix, Regnaud
vingt-quatre, Boulay vingt-deux, Dèfermon onze (103).
Encore qu'il tînt sans doute à des raisons ne visant pas les
ministres d'Etat personnellement, le résultat de ces scrutins à
leur égard peut avoir contribué à la décision que prit l'Empereul'
de leur adjoindre comme porte-parole éventuels du Gouvernement un ou plusieurs hommes qui eussent davantage la confiance
ou la faveur de la Chambre des représentants. Le 9 juin il
nomma en effet conseiller d'Etat Bedoch, député de la Corrèze,
qui avait obtenu beaucoup de voix (sans être élu) lors des
scrutins relatifs à la vice-présidence de cette assemblée (104) .et
s'était élevé le 6 juin contre les efforts par lesquels Dupin et
Roy tentèrent de faire ajourner la prestation du serment de
fidélité. Deux jours plus tard un décret fixa à six le nombre·
des conseillers d'Etat devant faire partie de la Chambre des
(103) Un nouveau scrutin pour une des vice-présidences donna 9 voix
à Merlin, 3 à Boulay, 2 à Defermon. Merlin obtint 2S voix le 6 juin
lors de l'élection des secrétaires (Procès-verbaux des séances de la Chambre
des représentants, publiés en 1844 ; les résultats de ces scrutins y sont
plus complets que dans les Archives parlemenuliresJ.
Thibaudeau affirme que l'Empereur souhaitait voir un des mmlstres
d'Etat élu président de cette chambre (L'Empire, VII, p. 3S2) mais le fils
de Boulay assure que Napoléon ne fit rien pOlK" pflovoquer cette él.ection.
(Boula~ de la Meurthe, pp. 262-263). Du moins est-il peu croyable que
l'Empereur ait souhaité l'élection de Merlin qu'il savait dépourvu d'énergie
et dominé par la peur de se compromettre. Beaucoup des suffrages obtenus
par Merlin purent viser en lui l'ex-conventionnel régicide plutôt que le haut
fonctionnaire de l'Empire.
(104) Il obtint 212 voix sur 490 suffrages exprimés puis 134 voix
sur 360. Le 6 juin il fut élu secrétaire par 268 voix sur 440 votants.
Bedoch était devenu membre du Corps législatif en 1811 et chevali.er de
l'Empire en 1812. Le 17 octobre 1814, comme .rap·p orteur d'une .oommission,
il avait pris à partie très vivement dans la Chambre des dé.putés, les
fameuses déclarations de Ferrmd sur la ligne droite suivie jadis par les
émigrés. Il fut nommé au début des Cent-Jours commissaire extraordinaire
dans la 2 me division militaire (Mézières).
�à y jouer le même rÔle que ies
représentants et habilités
ministres d'Etat (105).
Ce décret du 11 juin, qui ne fut pas rendu public, contient
d'autres règles importantes sur le fonctionnement du Conseil
des ministres et du Conseil d'Etat ainsi que sur la situation des
ministres d'Etat faisant partie simultanément de ce dernier corps
et 'de la Chambre des représentants. Il marque un effort pour
établir entre celle-ci et le Gouvernement des moyens de contact
et réduire l'inégalité pratique pouvant résulter alors, entre les
deux chambres, du fait que tous les ministres appartiennent a
la Chambre des pairs. Ce décret fut rendu « Nos ministres entendus li, probablement sans consultation du Conseil d'Etat inais
ceci peut tenir à l'urgence car l'Empereur allait quitter Paris
pour l'armée le lendemain matin. Encore que la lettre de cet
acte n'en réduise pas le domaine d'application dans le temps
et que, notamment, l'article 3 (relatif aux conseillers d'Etat
membres de la Chambre des représentants) semble établir une
règle permanente, on ne peut être sûr que toutes les autres
innovations présentent le même caractèrt;. ~'Empereur peut d'ailleurs, à tout moment, abroger ou modifier son décret.
-1
"
Selon l'article 1er : « Toutes les affaires rel~tives à la
proposition des lois et à leur délibération dans les chambres
seront portées au conseil des ministres Il. Le silence ainsi 'gardé
quant au Conseil d'Etat n'exclut pas sa consultation, toujours'
prévue et même imposée par l'article 52 de la Constitution de
l'an VIII. Elle cesse cependant d'être seule obligatoire en droit
et risque d'être réduite en son champ d'application ainsi qu'en
sa portée réelle par l'intervention du Conseil des ministres.
Celle-ci est également seule visee par l'article 5 du même décret
en vue du cas où le Gouvernement doit prendre parti sur les
amendements proposés par la 'Chambre des représentants, hypothèse dans laquelle l'Acte additionnel n'impose pas la consultation du Conseil d'Etat.
D'autre part l'article 8 est ainsi conçu
« Le Conseil d'Etat sera préSidé par le prince archichancelier
taisant fonction de ministre de la justice. Dans tous les cas
d'absence du ministre de la justice., un ministre d'Etat, nommé
à cet effet chaque année, présidera le Conseil ; dans le cas où
le ministre d'Etat ainsi désigné se trouverait empêché, il ·sera
remplacé par , le plus ancien des trois autres ministres d'Etat.
(lOS) Art. 3 : c Six conseillers d'Etat sont membres de la Chambre
des représentants, soit qu'étant conseillers d'Etat ils aient été élus par le
peuple, soit qu'ils aient 'é té choisis par nous parmi les membres de la
Chambre -.
La minute de ce décret est dans AF IV 859/24 Plaq. 7.086. Il est
reproduit dans CHUQUET. Inddits napoléoniens, l, pp. 456-457. Les événements empêchèrent de faire d'autres nominations que celle de Bedoch en
cette catégorie.
'
-
l~
-
�Si c~ texte doit s'appliquer même en dehors des absences de
l'Empereur il traduit un amoindrissement certain du Conseil
d'Etat. C'est en qualité de ministre de la Justice que l'archichancelier semble devoir présider ce corps ; qu'un ministre puisse
jouer un tel rôle dans le Conseil est absolument contraire aux
règles établies et suivies jusqu'en 1814. En outre, bien que cet
article ne fasse pas obstacle à la présidence de l'Empereur, il
tendrait à laisser pressentir qu'elle sera moins fréquente, sinon
appelée à disparaître presque complètement. Or le contact direct et courant avec le chef du Gouvernement en des délibérations communes avait été l'un des éléments qui conférèrent au
Conseil d'Etat consulaire et "impérial son prestige et aussi son
influence pratique.
En prévoyant la présence de quatre mtnlstres d'Etat dans
le service ordinaire, cet article 8 du décret semble ne viser que
ceux qui sont alors membres de la Chambre des représentants;
en leur ouvrant la faculté de présider le Conseil, il leur donne
la prééminence sur ceux des présidents de section qui ne seraient pas ministres d'Etat (106). En prévoyant en outre six
conseillers d'Etat membres de la même assemblée, le décret
élève sensiblement la proportion de cet élément hybride au
~ein du Conseil. Il est vrai que ces six conseillers peuvent ne
pas être placés dans le service ordinaire ; le décret 'du 9 juin
nommant Bedoch ne le fait entrer dans aucune section.
, "
Ce texte tend à créer au sein du Conseil une ca.tégorie
prééminente comprenant ceux des conseillers qui appartiennent
a~ssi 'à l'une des chambres politiques et surtout à la chambre
élective. L'article 7 du décret du 11 juin attribue la qualité
d'intermédiaires du Gouvernement auprès de la Chambre des
pairs à ceux des ministres qui en font partie ; ceci laisse supposer qu~ l'Empereur ne compte pas confier à des ministres
d'Etat ou à des conseillers d'Etat ce rôle que prévoit pour eux
J'article 18 de l'Acte additionnel. En revanche l'article 4 du
décret réserve aux quatre ministres d'Etat et aux six conseillers d'Etat membres de la Chambre des représentants le rôle
d'intermédiaires entre le Gouvernement et cette assemblée, encore que l'article 18 de l'Acte additionnel permette de le confier à des ministres d'Etat ou conseillers d'Etat quelconques :
~< Ils donneront, dit cet article 4, les explications et produiront
les pièces qui seront demandées », Mais le décret du 11 juin
comporte une autre innovation très importante qui accroît sensiblement l'influence de ces quatre ministres d'Etat au sein du
Gouvernement. Il les nomme en effet membres du Conseil des
(106) Outre Daru, nommé mInIstre d'Etat le S avril mais qui 6e
trouvait en service extraordinaire, le Conseil d'Etat oomprenait parmi Soes
membres Otto, ministre d'Etat depuis février 1813,
-
197
-
�minIstres (107). Celui-ci n'est ,en droit, qu'un corps consultatif
inconnu du texte constitutionnel mais le même jour, l'ordre
général de service établi pour l'absence de l'Empereur lui confère le pouvoir de prendre des décisions à la majorité des voix
pour les affaires urgentes (108). Ces ministres d'Etat rendront
compte chaque jour au prince Joseph, président du Conseil des
ministres,
de tout ce qui se passera dans la chambre des
représentants dont ils sont membres ». Une instruction particulière du même jour prévoit un nouvel organisme constitutionnel
assez curieux, formé par la réunion des ministres d'Etat et
conseillers d'Etat qui font partie de la Chambre des représentants,
pour délibérer sur les relations de cette assemblée avec le Gouvernement (109). Enfin un décret, également signé le 11 juin,
nomme Regnaud vice-président du Conseil d'Etat pour qu'il puisse éventuellement présider ce corps à défaut de Cambacérès,
comme le prévoit en son article 8 le décret précité du même
jour.
f(
Ainsi, en dehors des fonctions individuelles occupées par trois
d'entre eux dans l'administration ou la magistrature, quatre
ministres d'Etat appartiennent simultanément à 'la Chambre des
représentants et aux deux corps les plus élevés de l'organisme
gouvernemental, le Conseil des ministres et le Conseil d'Etat.
(107) Un autre décret du I I juin décide que ces mêmes ministres d'Etat
recevront sur les fonds du Conseil d'Etat le supplément nécessaire pour que
le total de leurs traitements soit porté à 60.000 francs (AP IV 859/24
Plaq. 7.086. Cf. Ap· IV 202, nO 1.021, Lettre du ministre secrétaire d'Etat
à l'archichancelier). Le traitement des ministres proprement dits est alors
de 170.000 francs en général, 200.000 francs pour l~ ministre de la Justice et 300.000 francs pour celui des Affaires étrangères.
(108)
AF IV 859/24 Plaq. 7.086.
( 109) « Instructions particulières :
c Lorsque les Ministres et Conseillers d'Etat membres de la Chambre
des représentants jugeront à propos de se réunir, soit pour se concerter sur
des objets relatifs aux opérations de la Chambre des représentants, soit sur
des propositions à faire et que les Ministres d'Etat soumettraient préahblement au Conseil des Ministres, les Ministres et Conseillers d'Etat seront
réunis par le Ministre d'Etat vice-président du Conseil d'Etat et I$OUS
sa p~sidence.
« Dans le cas où les Ministres et conseillers d'Etat siégeant à h
chambre des représentants, après s'être concertés entre eux, jugeraient convenable de demander l'ajournement de la discussion ou la communication
au gouvernement d'une proposiüon qui serait faite à la Chambre des représentants ou de faire toute autre démarche de même natur,e, le viceprésident du Conseil portera la parole ou désignera le ministre d'Etat
ou le conseiller d'Etat qui devra la porter.
N. »
Ces instructions sont écrites sur la même feuille double que le décr,e t
du I l juin relatif au rôle des ministres d'Etat mais elles forment un texte
distinct et l'initiale de l'Empereur n'y est pas assQrtie d'un çontre-seing
(AF IV 859/24 Plaq. 7.086).
�-Leur introduction au sein du premier a sans doute pour but de
renforcer devant la Chambre leur autorité comme porte-parole
du Gouvernement et de les attacher davantage à celui-ci, tout
en leur permettant d'attirer l'attention de l'Empereur et des
ministres sur les questions posées par l'esprit et l'attitude de
l'assemblée dont ils font partie. Bien qu'ils n'aient pas le pouvoir
de contresigner les décrets et n'encourent pas la responsabilité
pénale spéciale des véritables ministres, ils sont en mesure de
prendre dans les délibérations, surtout en l'absence de l'Empereur,
un rôle important car ils peuvent invoquer, fût-ce tendancieusement, à l'appui de leur opinion, les dispositions qu'ils prêtent
à la majorité des représentants. Leur entrée au Conseil des ministre') n'est pas sans danger pour l'esprit de ce corps dans
l'hypothèse où ils seraient plus imbus de la mentalité parlementaire que de l'esprit gouvernemental.
D'autre part les délibérations du Conseil d'Etat peuvent se
trouver influencées par la situation politique de ces ministres
d'Etat, dont trois président les sections les plus importantes et
qui 'peuvent, surtout Regnaud, avoir à présider le Conseil entier.
Cette éventualité d'une influence extérieure peut encore être accrue si le service ordinaire vient à comprendre en outre les
six membre~ de la Chambre des représentants que vise le décret
- du 11 juin. La double qualité de ces divers personnages risque
donc, dans le climat politique de juin 181 S, d'introduire au sein
du Conseil d'Etat comme du Conseil des ministres les aspirations
d'une chambre remuante, hostile à l'Empereur et au Gouvernement comme tel, désireuse d'accroître son propre pouvoir à leur
détriment et portée à voir surtout dans le péril national une
circonstance favorable au succès de cette ambition.
Ce risque trouve-t-il du moins une contre-partie suffisante
dans une plus grande autorité morale des ministres d'Etat au
sein de la Chambre des représentants ? C'est peu probable. En
ce moment, leur crédit au sein de cette chambre serait plutôt
amoindri par la confiance que paraît leur témoigner l'Empereur.
L'article 6 du décret du 11 juin déclare bien que ces ministres
d'Etat prendront part aux discussions de l'assemblée politique
uniquement « comme membres de la Chambre » mais' cette
dissociation de leur activité n'est pas aussi aisée dans la pratique.
Leur situation n'est pas facile à tenir entre l'Empereur et la
Chambre des représentants. Celle-ci, élue par les majorités fragmentaires qui se sont manifestées en des collèges comprenant à
peine, au total, soixante-dix mille inscrits et trente-trois mille
votants, n'en prétend pas moins représenter la nation comme l'y
incite d'ailleurs maladroitement l'Acte additionnel en lui donnant
son titre et en la déclarant « élue par le peuple II. Elle se sent
dépourvue d'autorité morale aux yeux du peuple pris dans son
ensemble, surtout à l'encontre d'un Napoléon, d'un' chef d'Etat
plusieurs fois plébiscité qui, le 11 juin encore, en répondant
-
f99
-
�à l'adresse de cette chambre, s'est proclamé premier représentant
du peuple. L'assemblée n'en est que plus ardente à vouloir s'assurer des avantages au moment où va s'engager sur le terrain
essentiel, c'est-à-dire sur le plan militaire, la partie dont l'issue
dominera même la solution du problème constitutionnel. Les
députés s'efforcent donc d'imposer rapidement 'des usages quant
à leurs rapports avec le Gouvernement, en attendant une révision
éventuelle des textes qui régissent ce dernier objet.
Les numstres d'Etat, organes réguliers de ces rapports, ont
un rôle délicat pour lequel doit se faire violence le caraétère
cassant de Boulay car le temps n'est plus où il prenait la parole
devant un Sénat ou un Corps législatif silencieux et docile. Regnaud est mieux doué pour un rôle de conciliateur et il le joue
dès les premiers jours en contribuant, dit-on, par ses instànces
à obtenir que l'Empereur approuve l'élection de Lanjuinais comme président de la Chambre 'des représentants, puis en apaisant,
le 5 juin, l'incident soulevé dans l'assemblée quant à la façon
dont le souverain communiquerait sa décision sur ce point.
Mais, surtout d'après sa conduite postérieure, bien des suppositions ont été faites sur l'esprit selon l~quel Regnaud concevait
ce rôle et sur les mobiles dont il s'inspira.
Il n'est pas très vraisemblable qu'après un quart de siècle
d'expériences variées l'ancien constituant, d'ailleurs médiocrement
idéaliste, s'enthousiasme à nouveau pour toutes les conceptions
politiques et constitutionnelles qu'il soutenait en 1789. Estime-t-il
sur un plan réaliste que, sinon pow~ Napoléon (si celui-ci doit
continuer à régner) du moins pour son successeur éventuel, la
monarchie à l'anglaise s'imposera, obligeant le souverain à s'accorder coûte que coûte, au prix de concessions réciproques et
par l'intermédiaire des ministres, avec des chambres issues de
l'aristocratie ancienne ou nouvelle et de la bourgeoisie ? Juge-t-il,
sur le terrain des nécessités plus immédiates, cet accord actuellement indispensable pour que puisse être écarté par la paix,
après quelques victoires, le danger extérieur ? Pense-t-il que
l'adhésion des chambres fortifiera vis-à-vis ' de l'étranger la situation morale de l'Empereur mais que leur influence pourra empêcher celui-ci de se trouver, suivant la formule employée en son
adresse par la Chambre des pairs, entraîné par les séductions de
'la victoire? Regnaud est-il, comme on l'affirma, dominé moralement par Fouché ? S'en tient-il à un point de vue S\1rtout personnel et ambitionne-t-il le rôle d'un ministre qui par son influence dans une chambre s'imposerait au souverain, 'à l'instar
des deux Pitt ? Il est impossible de le savoir mais, pour quelque
raison que ce soit, il semble avoir été (sans considérer peut-être
......
~oo
�les deux rôles comme inconciliables) plutôt l'homme de la Chambre que l'homme de fEmpereur et 'du Gouvernement (11{».
L'importance qu'il semblait destiné à prendre' contribua sans
doute à le faire choisir, le 11 juin ,comme vice-président du
Conseil d'Etat et par conséquent comme principal ministre d'Etat,
bien qu'il fût moins ancien président de section que . Defermon.
Celui-ci ne tint d'ailleurs dans la Chambre des représentants
qu'un rôle très effacé avant l'abdication : il présenta le 19 juin
au nom du Gouvernement le projet de la loi de finances. Merlin
fit adopter le 3 juin, comme membre de la Chambre, un projet
de décision relatif à la procédure de vérification des pouvoirs et,
une semaine plus tard, il fut l'un des neuf représentants désignés
par le bureau pour composer la commission qui devait préparer
le règlement intérieur de l'assemblée.
'.
Regnaud et Boulay furent plus actifs. Ils transmirent à la
Chambre, surtout le premier, diverses communications du Gouvernement .Dès la première de ces missions, le 5 juin, un député
demanda si, en apportant l'approbation donnée par l'Empereur
à l'éjection du président, Regnaud agissait comme ministre d'Etat
ou comme membre de l'assemblée. Regnaud répondit qu'il le
faisait en ces deux qualités car elles se confondaient. La même
-question lui fut posée le 13 juin quand il vint lire le rapport
du ministre de l'Intérieur sur la situation de l'Empire (111). Le
16 juin, après que Boulay eût donné lecture du rapport adressé
à l'Empereur par le ministre des Affaires étrangères sur la situation extérieure, Jay et Manuel provoquèrent une discussion
assez vive en soutenant que les communications relatives aux
grandes questions de la politique générale devaient être faites
à la Chambre des représentants comme à l'autre 'c hambre par
les ministres responsables en personne afin qu'ils pussent fournir
des explications s'il en était demandé. Plusieurs de leurs collègues, dont Barrère, soutinrent les mêmes vues, en réduisant à
la présentation des projets de loi et aux questions secondaires le
domaine où s'exercerait l'activité des ministres d'Etat (112). De(110) Thibaudeau affirme cette influence de Fouché 'sur Regnaud
(L'Empire, VII, p. 331). Thiers, on ne sait d'après quels témoignages, écrit
aussi (XIX, p. 602) :
« Ce personnage était, par ses antécédents, sa brilllnte facilité de parole,
destiné plus que jamais à devenir l'organe du gouvernement auprès des Chambres. Il tenait par ce motif à se rendre agréable à leurs yeux, en lppUy lnt
leurs désirs auprès de l'Empereur. De plus, quoique sincèr,e ment dévoué à
Napoléon, il était tombé sous l'influence de M. Fouché, qui, le voyant appelé
à jouer un rôle considérable devant les Chambres et très flatté de c·e rôle,
l'avait encouragé à le prendre, lui en facilitait le moyen de toutes les nianières, et cherchait à lui persuader que résister à Napoléon c'était le sauver. ,.
(III) Archives parlementaires, XIV, pp. 399 et 413.
(112) Cette prétention se fondait sur les termes équivoques de l'article
19 de l'Acte additionnel : « Les ministres qui sont membres de la CTJambre
des Pairs ou de celle des Représentants, ou qui siègent par mission du
�vant cette tentative qui visait a Imposer des discussions entre les
ministres chargés d'un département et les représentants, Regnaud
et Boulay réagirent faiblement. Ils soutinrent qu'ils avaient qualité, d'après l'article 18 de l'Acte additionnel, pour faire toutes
communications jugées utiles par le Gouvernement. D'après Boulay, si la Chambre demandait des renseignements, les ministres
d'Etat devaient les fournir, dans la mesure où l'intérêt public le
permettait, au plus tard pendant la séance suivante s'ils n'étaient
pas en mesure de le faire immédiatement (113). Regnaud lui fit écho
et ajouta même que, malgré le silence des textes constitutionnels,
le ministre à département s'empresserait de se présenter devant
l'assemblée si eHe y tenait. C'était engager, sans qualité pour
le faire, ces ministres et céder beaucoup et bien vite aux prétentions parlementaires (114). Finalement la question fut renvoyée
à l'examen d'une commission recrutée par le sort et dont Boulay
fit partie.
Les ministres d'Etat intervinrent aussi dans plusieurs débats
en qualité de membres de la Chambre. Le 6 juin Boulay combattit vivement la proposition de Dupin qui tendait à faire
différer le serment des députés jusqu'a ce qu'il fût exigé par
une loi. Boulay déclara que refuser de jurer obéissance aux
constitutions de l'Empire serait une inconséquence absurde, une
insigne folie car les représentants tiraient d'elles seules leur
qualité et le droit de concourir à l'amélioration des institutions
politiques. Jurer fidélité à l'Empereur revenait à jurer d'être
fidèle à la nation, car l'Empereur était « le premier représentant de la nation, le cbef légitime et constitutionnel de l'Etat, le
premier lien de l'unité ,. . Boulay termina en flétrissant avec violence ce qu'il appelait, par opposition au parti national, la
faction de l'étranger, c'est-à-dire les Bourbons et leurs partisans
(115). La Chambre se prononça pour la prestation du serment.
Goltver1lement donnent aux Chambres les éclaircissements qui sont iugés
nécessaires, quand leur publicité ne compromet pas l'intérêt de l'Etat -,
Mais l'article 46 intet"dit aux Chambres de mander devant elles « les ministres ayant département » ,
(113) Id . XIV, p. 459, Interrompu par la question : • Etes-vous responsable ? » Boulay répondit que le') ministres d'Etat seraient re'Jponsables s'ils
se trompaient en donnant les renseignements demandés. Or une telle responsabilité ne rentrait nullement dans les prévisions du texte constitutÏJ\l:nel.
En une autre partie de son discours Boulay montra un esprit accommodlnt
qui ne lui était guère habituel : • ... J'observe que si un ministre est membre
de l'autre Chambre, c'est une question que de savoir s'il peut figurer dans
celle-ci... (Des murmures s'élèvent). Je m'aperçois que l'idée que je viens
d'exprimer n'obtient pas les suffrages de la Chambre et je consens bi-cn
volontiers à la considérer comme une erreur '.
(114) Id. XIV, pp. 460-461.
(115) Id. XIV, pp. 401-402. Que ce fût ou non pour replacer l'assemblée dans un certain climat, Boulay aurait commencé son discours
par la formule : « Citoyens représmtm.ts ». Il intervint le même jour pour
aplanir un incident qui visait le procès-verbal de la précédente séance et
l'accueil fait par l'Empereur à une communication de la Chambre (Id., p. 403).
-
~Ol
-
�Boulay intervint le 17 juin dans la discussion concernant la
préparation d'une loi répressive contre les menées royalistes. Au
risque d'encourager les prétentions de la Chambre, il préconisa
la formation d'une commission qui 'délibèrerait sur les mesures
à proposer au Gouvernement. Le vote de l'Assemblée fut émis
en ce sens (116).
Quant à Regnaud il émit et fit adopter le 3 juin deux
propositions en vue de hâter la vérification des pouvoirs et la
formation du bureau définitif, les députés dussent-ils pour cette
raison s'abstenir de paraître à une audience solennelle de l'Empereur. Le 12 juin il soutint que la décision à prendre sur la
situation des militaires qui, membres de la chambre, désireraient
siéger dans son sein appartenait à cette assemblée seule et non
au ministre de la Guerre. Le 14 juin il fit décider .la nomination
d'une commission qui s'occuperait des dépenses de la Chambre
et présenterait sur cette question un projet inspiré « du vœu,
de la pensée et des çonvenances ~ de cette assemblée. Il fut
l'un des cinq membres de cette commission.
Sans être contraires à sa situation de ministre d'Etat, ces
interventions manifestent chez Regnaud le désir de gagner la
- confiance de la Chambre en soutenant ses prérogatives et son
indépendance. Peut-être d'ailleurs visait-il ainsi à s'assurer une
influence susceptible de servir en des matières plus importantes
les vues de l'Empereur autant qu'à {ortifier sa situation personnelle. Son rôle consistait aussi à s'efforcer d'écarter les occasions
de conflit et même les incidents dont pourrait sortir un débat
manifestant l'esprit d'opposition. Il s'en acquitta avec adresse
le 6 juin lorsque la proposition du général Carnot, frère du ministre, tendant à faire déclarer que l'armée avait bien mérité
de la patrie (par son attitude trois mois plus tôt) parut susceptible de diviser l'assemblée. Regnaud loua l'esprit qui animait la
proposition, s'y associa chaleureusement mais conclut à l'ajournement en observant que la Chambre n'était pas encore définitivement constituée. C'est ce qui fut décidé.
Enfin, le 19 juin, il combattit avec succès le renvoi (au
lendemain) des débats concernant le règlement intérieur de la
chambre; ; il fit valoir qu'il était urgent de voter ce texte afin
de pouvoir discuter ensuite la loi de finances et, prochainement)
un projet de loi réprimant -les excès de la presse royaliste. Il
termina en flétrissant celle-ci. Il précisa le lendemain qu'il avait
(06) Id ., XIV , p. 478. Cette attitude peut surprendre alors que plusieurs représentants soutenaient que la proposition devait être faite par le
Gouvernement. Il semble toutefois que celui-ci &Ouhaitait voir la Chambre
participer, pour le moins, à l'initiative de ces mesures répressives. Ainsi
s'expliquerait peut-être la position prise par .Boulay
�parlé comme membre de la Chambre et non comme ministre
d'Etat (117).
Peut-être le ton plus décidé de ce discours tenait-il en partie
à la nouvelle de la victoire, d'ailleurs incomplète, remportée le
16 juin à 'Ligny. Mais dans l'intervalle était survenu, le 18, le
désastre de Waterloo, encore ignoré à Paris, qui renversait
les espoirs de Napoléon aussi 'bien sur le plan constitutionnel que
sur celui des rapports avec l'étranger. Or si Regnaud eût été
volontiers (du moins jusqu'à un certain point) la voix de l'Empereur victorieux au sein de la Chambre des représentants, il
allait devenir immédiatement le porte-parole de celle-ci auprès
de l'Empereur vaincu.
Le 21 juin au matin, quelques heures après son arrivée à
Paris, Napoléon, encore à bout de forces, tint à l'Elysée un
conseil des ministres. Carnot et Davout l'appuyèrent dans son
intention de prendre toutes les mesures voulues afin de continuer
la lutte. Mais Regnaud, sans doute inspiré par Fouché, prit la
parole pour conseiHer, d'abord à mots couverts puis clairement,
l'abdication immédiate en invoquant notamment l'esprit de la
Chambre des représentants. Se]on des témoignages d'ailleurs peu
sûrs, Boulay et Defermon se seraient prononcés en sens contraire (118). '
Même . si cette attitude de Regnaud tenait en partie à , des
ambitions personnelles, elle n'était pas de nature à ju.stifier la
parole par laqueIle, selon Gourgaud, Napoléon imputa plus tard
à ce ministre d'Etat de l'avoir « trahi un des premiers ~ (119).
(117) Pour toutes ces interventions de Regnaud : Id., pp. 393, 402-403,
4 1 l, 424, 484-485, 492.
(118) Il est déclaré dans la biographie de Boulay publiée pu son fils
(pp . ...283-284) que ce ministre d'Etat se montra, comme le prince Lucien,
Carnot et quelques autres, oppoS(é à la suggestion faite par Regnlud en fav-e ur
de l'abdication. Fouché aurait nommé à Thibaudnu, quelques jours plus
tard, Boulay et Defermon parmi \.es « fanatiques qui joueraient le tout pO'Jr le
tout pour leur idole . (THIBAUDEAU. Mémoires, p. 516). Barante, qui
ne pouvait d'ailleurs le savoir directement, écrivait, dans une lettre, le
22 juin : « Il voulait d'abord ne pas abdiquer. Boulay, Fermon et quelques
autres l'appuyaient dans ce désir de tout perdre en France plutôt que d~
céder. (BARANTE, Souvenirs, II, p. 155).
On ne sait si Regnaud était de ces personnes que Benjamin Constant
croyait des plus dévouées à l'Empereur et qui, pendant son absence de
Paris, déclaraient qu'il devait abdiquer. Lui-même fut, dit-il, d'opinion contraire jusqu'au moment où la Chambre des représentants se prononça oontre
Napoléon (Mémoires sur les Cent-J'Ours, 2me partie, pp. 133-134).
(119) L'Empereur aurait dit, le 8 février 1816, à Gourgaui que Regnaud
a « manqué de courage ~ (GOURGAUD. Journal, Edit. o. Aubry, l, p. 108)
mais il aurait déclaré le 5 décembre suivant : « Regnault est de la canaille ~ (Id., l, p. 209) et le 1er avril 1817 : « J'ai eu tort de prendre
le petit Regnault comme officier d'ordonnance. Il a dit à s,on père que
tout était perdu et son père m'a trahi un des premiers » (Id. II, p. 56).
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20~
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�QUO) qu'en ah dit (parfois, car ses propos varièrent) l'Empereur à Sainte-Hélène, il ne pouvait plus, après Waterloo,
amener par les armes la coalition à faire la paix avec lui. Déjà
très douteu~e, même avec le concours de la chance, une semaine
plus tôt, une telle possibilité se trouvait ruinée par les effets
matériels et moraux du désastre sur la principale armée française, réduite de plus de moitié en cinq jours, par sa répercussion dans l'intérieur, notamment dans le Midi et dans l'Ouest, par
l'impulsion qu'allaient en recevoir les mas~es austro-russes, jusque
là inactives face aux faibles corps de Rapp, de Lecourbe et de
Suchet. Il était fort probable que la Chambre des représentants
saisirait cette occasion de se dresser contre Napoléon afin de
s'assurer le plus de pouvoir possible, sinon même le pouvoir
constituant. Sans doute cette opposition parlementaire était aisée
à . briser : l'Empereur possédait la faculté constitutionnelle de
dissoudre la chambre élective et les moyens matériels de faire
exécuter, s'il le fallait, cette mesure par la force, même sans y
employer les soldats. Mais ce facil~ succès laisserait intact le péril
majeUl-, le péril d'ordre militaire ; il ne ferait en outre qu'amoindrir, sur le plan diplomatique, la position de l'Empire et les
chances (déjà bien faibles) de faire accepter à l'étranger Na-poléon 11.
On ignorera toujours si une attitude combative et résolue de
la nation (chambres comprises) et un succès militaire partiel (qui
n'était pas invraisemblable et qu'allait faciliter la hâte de Blücher
à courir vers Paris) auraient permis d'en imposer suffisamment
à l'ennemi sinon pour rendre possible une abdication négociée de ·
Napoléon, du moins pour éviter à la France des pertes territoriales et le retour, surtout inconditionnel, de Louis XVIII et des
siens. D'autre part l'abdication immédiate, sans changer les intentions des gouvernements étrangers, allait entraîner inéluctablement le découragement et la dissolution progressive de l'armée,
rendre moralement et pratiquement impossible toute résistance
sérieuse ~ux envahisseurs et n'être que le prélude quasi-certain
d'une prochaine capitulation pure et simple. Penser et dire dans
le conseil des ministres que cette abdication immédiate représentait le parti le plus sûr pour la nation comme pour le souverain
vaincu pouvait donc être une erreur politique. Du moins, en soi,
n'était-ce trahir ni la France ni l'Empereur.
Mais il semble que Regnaud ne s'en tint pas là et qu'il recourut pour forcer la décision de Napoléon à des procédés
incompatibles avec sa situation officielle, voire nettement déloyaux. En quittant la séance du Conseil des ministres, qui se
poursuivait, pour se rendre à celle de la Chambre des représentants, qui allait bientôt s'ouvrir, le ministre d'Etat aurait parlé
de ce qu'il venait d'entendre à La Fayette. Nul ne pouvait ignorer lçs sentiments que nourrissait celui-ci envers le régime
impérial et son chef. Le héros des deux mondes cherchait p'al'
-
205
�Surcroh une occasion de ne pas iaisser se clAre la partie française de sa renommée sur l'effondrement d'août 1792 et de
saisir enfin le grand rôle politique auquel, avec beaucoup d'optimisme, il se croyait propre. Or, alors que Napoléon n'avait pas
encore pris de parti définitif quant à son attitude envers les
chambres et qu'il inclinait à rechercher leur concours, Regnaud
serait allé jusqu'à déclarer que la dissolution de la Chambre des
représentants était résolue et imminente (120).
Fouché faisait déjà courir ce bruit car il connaissait (pour
l'avoir utilisé en thermidor an II) le pouvoir de la peur sur
les assemblées politiques comme moteur des résolutions extrêmes
et de la fuite en avant. Que Regnaud ait cru agir pour le sa1ut
de la France, dans l'intérêt de l'Empereur ou au profit de sa
propre ambition il ne servit là encore que les desseins de Fouché.
En dépit de son intelligence, ordinairement plus lucide, il ne
fut, t<?ut comme La Fayette (mieux fait pour un tèl rôle),
tout comme chacune des chambres, que l'instrument et la dupe
du ministre de la Police.
Ces propos de Regnaud, s'il les tint vraiment, contribuèrent à provoquer la motion qui fut déposée un instant
plus tard à la Chambre des Représentants et qui tendait à
faire abroger en pratique par celle-ci la faculté de dissolution .
expressément conférée à l'Empereur par la règle constitutionnel1e. Regnaud ne combattit pas cette motion. Il ne tenta pas
de faire sentir à l'assemblée qu'en prétendant détruire, quant
à un point essentiel, l'acte sur lequel reposaient ses propres
pouvoirs elle se retirait le droit de l'invoquer si, de quelque
côté et par quelque moyen que ce fût, une attaque était menée
contre elle. Aucun des autres membres du Conseil d'Etat .qui
siégeaient dans cette chambre ne s'éleva davantage contre la
motion de La Fayette. On ne sait d'ailleurs si Defermon et Boulay
se trouvaient là. Merlin fit seulement ajourner jusqu'après l'audition des ministres le vote de l'article 4 relatif à la mise
~ au plus grand complet » de la 4< garde citoyenne de Paris ".
(120) LA FAYETTE. Mémoires, V : « ••• Je fus averti de l'arrivée de
Napoléon, d'une discussion à l'Elysée, où il paraissait déterminé à diSSoOudre
les chambres, à usurper la dictature et tout entraîner dans sa ruine. Je
fus m'assurer de ces faits chez Fouché, et ils me furent aussi confirmés
par Regnault de Saint-Jean-d' Angély qui arrivait du conseil de l'Elysée »
(p. 45 1 ).
Ecrivant à la princesse d'Hénin, le 29 juin 1815 (Id., p. 523) La Fayette
déclare encore :
c On doit dire aussi qu'une partie des conseillers d'Etat et . surtout Regnault de Saint-Jean d'Angély et Thibaudeau furent les premiers à s'opposer
au projet de dissolution, et à prévenir ceux auxquels il était réservé de le
combattre. » (Id., p. 455)·
Thibaudeau n'avait pas accès au conseil des ministres. Il dit que, le
21 juin au matin, il rencontra chez Fouché La Fayette déjà prêt à partir
pour la Chambre des représentants et qu'il échangea seulement avec lui
c quelque.. compliments ». (THIBAUDEAU. Mé1rwires, p. 506).
�Mais un ancien membre du éonseil d~Etat Impérial IntervInt dans
le débat: c'est à la demande de l'âncien préfet de police Dubois,
libéral de fraîche date, que furent votés l'affichage de cette résolution dans Paris et son envoi dans les départements (121).
Elle fut transmise aussitôt à la Chambre des pairs. Thibau-.
deau, comme secrétaire, en donna lecture ; il ajouta qu'il fallait
s'empresser de suivre le « bel exemple » donné par les représentants. La résolution qu'il proposa fut en effet votée après
un bref débat ; elle reproduisait presque textuellement celle
de l'autre chambre sauf la disposition relative à la garde nationale et l'injonction adressée aux ministres. Son caractère n'était
d'ailleurs pas tout à fait le même, car la Chambre des pairs ne
pouvait régulièrement être dissoute, mais elle traduisait un esprit
analogue (122).
La commission de cinq membres nommée par cette chambre pour aller se concerter avec le bureau de l'autre assemblée
et les ministres comprit deux conseillers d'Etat, Andréossy et
Thibaudeau, les ault'es étant Boissy d'Anglas, les généraux Dejean et Drouot.
On ignore si des conseillers d'Etat figurèrent parmi les cinq
membres q~i au sein de cette conférence tenue la nuit suivante,
se prononcerent contre l'envoi au quartier-général ennemi de
p1énipotentiaires désignés par les chambres et agréés par l'Empereur. Une telle mesure, que soutinrent vingt et une voix, anticipait en fait sur l'abdication mais cette dernière solution était
fort probable dès lors que l'Empereur n'avait pas riposté immédiatement aux votes des deux assemblées par la dissolution
(en droit et en fait) de la chambre élective et la prorogation
de l'autre.
Regnaud continua de jouer le 22 juin le double rôle qu'i1
avait assumé la veillç : faire patienter les représentants en leur
présentant l'abdication comme imminente, obtenir celle-ci de
l'Empereur en lui dépeignant l'esprit de la Chambre et en
l'assurant que cette solution était le seul moyen de transmettre
la couronne à son fils. Lorsque, dans l'après-midi, l'abdication
eût été communiquée à la Chambre des représentants, Regnaud
combattit les propositions qui tendaient à ce que celle-ci se procla(121) Dubois montra encore, le 24 JUIO, son ardeur de néophyte du libéralisme en demandant comme il l'avait fait le 16 juin, l'abolition de la
confiscation de.. biens. La Chambre 'ajourna J'examen de cette question
(Arcbi1.Jes pa1·lement4ires, XIV, p. 529).
(122) Id., XIV, pp. 498-5°1. Ni dans ses Mémoires, ni dans L'Empire
(VII) Thibaudeau ne parle du rôle qu'il joua alors. Il se borne à dire que
la Chambre des pairs « se traina sur les traces de la Chambre des représentants » (Mémoires, p. SIl). Quinette avait demandé le premier que la
Çhambre des pairs se déclarât en permanence comme l'autre assemblée.
-
207
-
�mât assemblée natlonaie ou assemblée constituante. Il déclara
qu'il fallait conserver autant que possible l'organisation existante
et nommer le jour même un conseil exécutif mais il omit de
parler de Napoléon II. Il fit ensuite, en montrant beaucoup
d'émotion, décider que le bureau de l'assemblée irait exprimer à
l'Empereur la reconnaissance de la nation mais il ne manqua pas
d'infOL'mer en même temps ses collègues du rôle qu'il avait
joué 'd ans l'abdication (123). S'il espérait ' être l'un des membres
de la commission de gouvernement, il se trouva déçu car la
Chambre des représentants ne lui donna aucune voix et désigna
Carnot, Fouché, Grenier. La Chambre des pairs élut Caulaincourt et le conseiller d'Etat Quinette. Celui-ci et Thibaudeau
avaient contribué, le même jour, à faire ajourner le débat
sur la proposition du prince Lucien qui tendait à la proclamation immédiate de Napoléon II (124).
Le lendemain 23 juin, à la Chambre des représentants, trois
ministres d'Etat intervinrent, spontanément ou sur le désir de
l'Empereur, pour que cette proclamation eût lieu expre~sément.
Defermon le demanda le premier. Boulay l'appuya vivement ; il
déclara que l'abdication était indivisible, que par elle Napoléon II
succédait à son père de' plein droit. Il se montra fort agressif
contre les intrigants. et les factieux « qui voudraient faire déclarer le trône vacant afin de réussir à y placer les Bourbons
ainsi que contre la faction d'Orléans. Regnaud combattit ensuite
avec succès les tentatives d'ajournement et de renvoi aux bureaux (125). Napoléon II fut enfin reconnu comme empereur
mais les termes de la résolution votée, qui fut l'œuvre de Manuel,
et les paroles de celui-ci amoindrirent sensiblement la portée de
cette déclaration. La Chambre des pairs vota un texte analogue
proposé par Thibaudeau qui, comme la veille, attaqua vivement
les Bourbons.
)1
Le Conseil d'Etat demeura en dehors de ces événements et
continua de remplir sa tâche habituelle ; les séances plénières
furent sans doute présidées par Regnaud (126). Elles durent
d'ailleurs être fort peu nombreuses. Mais plusieurs membres du
Conseil reçurent de nouvelles fonctions ou missions individuelles.
(1l3)
(J 24)
plusieurs
pas être
Archives parlementaires, XIV, pp. 502 et 514-516.
Thibaudeau assure que, malgré les incitations de Fouché et de
pairs désireux de nommer un conventionnel votant, il ne voulut
élu membre de cette commission (Mémoires , pp. 516-)18).
(125) Archives parlementaires, XIV, pp. 524-525
(126) Dans une lettre de la secrétairerie d'Etat, en date du 2 juillet, Regnaud est qualifié de président du Conseil d'Etat (AF· IV 202).
Le bibliothécaire Regnault, dans son Histoire du Conseil d'Etat (p. 519),
dit que, pendant la séance du 27 juin, on lut le décret rendu k 17 au
quartier im~rial de Fleurus pour nommer maître des requêtes Fleury de
Chaboulon et que celui-ci prêta ce serment : • ]e iure fidélité li la nation,
obéissanc8 aux constitutions de l'Empire
:108
».
-
�Le 22 JUIn Otto fut nommé mln1stre plénipotentiaire et chargé
de se rendre à Londres pour essayer d'y négocier la paix mais
il ne put passer en Angleterre. Benjamin Constant fut adjoint
comme secrétaire à la commission, élue par les Chambres, qui
allait se rendre au quartier-général ennemi et, de là, auprès des
souverains. Le 23 la commission de gouvernement pourvut au
remplacement provisoire de trois de ses membres, Fouché, Carnot
et Caulaincourt, dans les ministères qu'ils occupaient jusque là.
Pelet fut chargé de celui de la Police. Berlier devint secrétaire
adjoint au ministre secrétaire d'Etat et c'est lui qui suppléa
celui-ci aux séances de la commission de gouvernement jusqu'au
6 juillet ; il donna alors sa démission et fut remplacé par le
maître des requêtes Fain. Le 23 juin également, Andréossy reçut
le commandement de la première division militaire (Paris) ~t
Marchant fut investi de la signature au ministère de la Guerre
pour le cas où Davout s'absenterait. Le lendemain, sur la demande de Cambacérès, la commission estima que l'archichancelier, qui présidait la Chambre des pairs, ne pouvait conserver
le ministère de la Justice pendant la session. Boulay en fut
provisoirement chargé ; dès lors il ne prit plus guère part aux
débats de la Chambre des représentants .Andréossy figura parmi
les cinq commissaires envoyés le 27 juin auprès de Wellington
èt de Blücher ; l'un des autres fut La Besnardière qui, depuis
quelques semaines, était arrive de Vienne où il avait accompagné
Talleyrand. Sans doute sa nomination comme membre de cette
commission fut-elle un des éléments de l'alliance qu'allaient former Talleyrand et Fouché. Elle aurait dû éclairer quelque peu
sur les visées de ce dernier ceux qui s'étaient faits ses instruments ,comme Regnaud (127).
Celui-ci et Defermon continuaient à remplir auprès de la
Chambre des représentants le rôle de porte-parole du pouvoir
exécutif. Ils firent en cette qualité plusieurs communica"tions
officielles et prirent part, comme membres de la Chambre, à
quelques discussions (128). A la Chambre des pairs, si l'on excepte
un rapport présenté le 26 juin par Gilbert de Voisins sur un
projet de loi, le seul conseiller d'Etat qui joua un rôle fut
Thibaudeau. Il insista vivement et ~vec succès, le 27 juin, pour
que fût adopté sans délai, malgré les entraves du règlement,
(127) Cf. THIBAUDEAU. Mémoires, pp. 529 et s. Fleury de Chaboulon
déclare, sans indiquer aucune date, que Defermon reprocha à Fouché « à
bout portant de trafiquer ténébreusement du sang et de la liberté des
Français » (Mémoires, Editions Cornet, II, pp. 278-279). Mais cette source
est peu sûre.
(128) Tous deux intervinrent le 26 juin dans le débat soulevé par le
projet de loi concernant les réquisitions. Dauchy, rapporteur, défendit ce
projet et prit encore la parole le 6 juillet quand il s'agit du paiement de
la solde à l'armée. Defermon participa le 30 juin au débat provoqué par un
écrit royaliste du représentant Maleville (Archives parlementaires, XIV,
pp. SH, 549, SSI, sn, S7 6, 61 3).
," 209
'_;
�le projet de loi relatif aux réquisitions. Il se livra depuis, en
plusieurs séances, à de vives attaques contre les Bourbons et leurs
partisanf:. et il déplorait qu'aucune mesure énergique ne fût
prisê pour faire face au danger. Cependant il prétendit plus
tard dans ses Mémoires que, dès la dernière semaine de juin,
il avait deviné Fouché, que tout en s'efforçant de détourner celui-ci de la solution royaliste il la considérait comme imminente,
qu'il en prenait son parti et que par ses virulents discow's il
visait seulement à régler d'avance ses comptes avec les Bourbons.
On ne sait s'il fut aussi c1airvoyant dans la réalité (129).
Depuis le 25 juin, Napoléon se trouvait à La Malmaison. Las
Cases l'y avait suivi, comme chambellan, et devait l'accompagner à Rochefort puis à Sainte-Hélène. Lavallette et Meneval
semblent avoir été les seuls membres du Conseil d'Etat à lui
r'e ndre visite.
Comme l'ennemi et l'armée française qui se repliait devant
lui s'approchaient rapidement de Paris, diverses raisons poussèr ent Fouché à hâter le départ de l'Empereur pour Rochefort.
S'y décidant le 28 au soir, il envoya dans la nuit Decrès et Boulay exposer à Napoléon cette nécessité. C'est Merlin qui avait
d'abord été désigné pour accompagner dans cette mission le
ministre de la Marine et les conditions dans lesquelles il se
déroba introduisirent en ces dramatiques événements une scène
de vaudeville.
Il monta en effet le 29 juin à la tribune de la Chambre
des représentants pour dénoncer une tentative criminelle faite
contre lui 'pendant la nuit précédente. Il en lut même un récit
écrit « pout· n'en point altérer les détails ». Deux hommes étaient
venus vers une heure du matin pour le mander de la part de
Fouché et le ramener aux Tuileries ; mais les conditions de
cet appel nocturne avaient paru si singulières à lui comme
à sa femme que celle-ci, après avoir parlementé avec ces inconnus par la fenêtre de son concierge, les avait évincés en
faisant passer le ministre d'Etat pour absent (13~).
« Je n'ai pas besoin de vous faire remarquer que tout cela
porte évidemment le caractère d'une tentative d'enlèvement de
ma personne, et probablement d'un attentat encore plus grave. »
Il ajouta qu'il n'en saisissait la Chambre que sur l'invitation
pressante de beaucoup de ses collègues, qui avaient vu là « le
(129) Id. XIV, pp. 55S, 560, 590-592. THIBAUDEAU, Mémoires, pp.
521-524, 528-535, 541-542. Le 29 juin, c'est à la demande de Thibaudeau
que fut nommée une commission chargée de faire à la Chambre des pairs
un r apport concernant le sort de Napoléon et de sa famille (Id. , p. 568).
(130) « Mon portier avait l'ordre formel de n'ouvrir la nuit à qui que
ce fOt, et de se borner à prendre par la fenêtre de sa loge les lettres
de convocation. .. Pendant que je faisais mes dispositions pour m'hl.biller,
-
SIO
.. __
�èommencement de i'ex~cution d'un complot beaucoup plus vaste ,.. Plusieurs représentants, croyant sans doute à un attentat
royaliste, s'émurent et l'un d'eux demanda même que la commission de gouvernement rendît compte des mesures prises ou
à prendre « pour s'assurer des coupables ou les faire punir ».
Boulay rassura tout le monde en révélant que Fouché était bien
l'auteur de la convocation adressée à Merlin. Cèlui-ci déclara
que dans ces conditions il était « inutile de donner suite à cet
incident », dont il n'avait parlé que sur le conseil de Regnaud
et d'autres collègues. On ignore si Regnaud avait pris les faits
au sérieux ou s'il s'était amusé aux dépens de Merlin. C'est
sur cette mésaventure, diffusée par le Moniteur, que prit fin
la carrière politique d'un homme jadis mêlé à tant d'événements
tragiques, au cours desquels il avait d'ailleurs souvent montré
la même ... prudence que dans la nuit du 28 au 29 juin 1815 (131).
Regn-aud avait demandé le 24 juin que 1a Chambre des représentants continuât à s'occuper de la révision constitutionnelle.
Ni lui ni Defermon ne tentèrent plus tard de dissiper les singulières illusions de cette assemblée qui s'obstinait à juger une
telle activité de première urgence, même après que, le 3 juillet.
\.!ne convention (dont Bondy .fut, comme préfet de la Seine, l'un
des négociateurs) eût décidé l'abandon de Paris aux armées
étrangères et la retraite des troupes françaises vers la Loire.
Lanjuinais proclamait ce même jour que le salut p,ublic était...
dans le plus prompt achèvement de la constitution. Participant
à ces débats stériles, Regnaud, appuyé par Bedoch, fit ajouter,
Je 5 juillet, au projet de déclaration des droits l'abolition de la
noblesse ; le lendemain Defermon soutint l'institution des ministres d'Etat que plusieurs voulaient exclure du texte en p'réparation.
ma femme , informée que l'on m'avait amené une voiture, soupçonna qu'un
mode de convocation aussi insollite cachait un piège ; et elle se confirm:l
dans ses soupçons, en se rappelant qu'elle avait appris le soir, vers onze heures, que la commission de gouvernement s'était séparée à neuf heures,
et ne s'assemblerait qu'aujourd'hui à neuf heures du matin. Frapp6e de
ces idées elle descendit et fut fort étonnée, en ouvrant la fenêtre du portier,
de voir deux hommes dans la voiture, tandis que les lettres de convocation
pour le conseil d'Etat et le conseil des ministres sont constamment apportées
par un simple facteur de la poste du 'g ouvernement. Elle demanda à ces
deux hommes s'ils avaient pour moi. une lettre de convocation. I1Jl répondirent qu'ils étaient porteurs d'une lettre du duc d'Otrante, et l'un d'eux
montra un papier plié en forme de lettre, mais sans vouloir s'en dessaisir,
ni même en laisser prendre lecture. Ma femme, voyant alors à quelles gens,
elle avait affaire, leur dit que je n'étais pas rentré hier soir à l'issue de
la séance de la Chambre des représentants, et qu'elle ignorait où j'étais allé
passer la nuit... » (Id., XIV, pp. 568-569).
(131) Il ne prit plus la parole au sein de la Chambre des représentUlts
que pour proposer en quelques mots, le S j'uillet, d'insérer dans la déclaration
des droits projetée " l'abolition des vœux &'llennels de religion ».
Sa mésaventure fit l'objet d'une pièce de vers intitulée La Merlitlfltk
DU le grand complot découvert.
211
�Ce même jour, 6 Juillet, alors que ,la veille au soir, Fouché
avait con.féré à Neuilly avec Wellington et Talleyrand, alors que
Louis XVIII approchait de Saint-Denis, Regnaud en était encore à
demander l'envoi ô'un message à 'la commission de Gouvernement pour en obtenir des mesures contre un coup de main royaliste éventuel ! Le 7 juillet, sachant que les Prussiens occupaient
Paris depuis le matin, la Chambre s'évertuait encore à faire
une constitution, même après avoir reçu le message par lequel
la commission de gouvernement annonçait qu'elle venait de
se dissoudre, que les étrangers entendaient rétablir Louis XVIII
et que celui-ci entrerait à Paris dans la soirée ou le lendemain
(132). Regnaud fit prendre une résolution pour remercier la
garde nationale parisienne d'être venue protéger l'inviolabilité
des assemblées politiques et pour lui interdire de résister aux
troupes qui jJ,o urraient menacer la Chambre des représentants.
Sans doute les députés croyaient-ils les gardes nationaux prêts
à se faire tuer en disputant aux Prussiens l'accès du Palais-Bourbon. Mais, le 8 juillet au matin, c'est une poignée de ces soldatscitoyens qui interdit aux représentants l'entrée de leur palais et
la continuation de leurs travaux... Parmi les cent-cinquante députés qui allèrent gravement chez Lanjuinais rédiger et signel'
un procès-verbal « pour constater les faits ci-dessus» se trouvaient
Regnaud, Dauchy et l'ex-auditeur Bouvier-Dumolart. Louis XVIII
entra dans Paris le jour même.
Pendant que ceux des membres du Conseil d'Etat qw remplissaient à la fin de juin 1815 des fonctions politiques se
montraient impuissants, et pour la plupart peu décidés, à combattre effectivement la seconde restauration des Bourbons, plusieurs de leurs anciens collègues se préparaient, sans excès
d'audace, à la hâter ou du moins à en manifester le désir. Pasquier et Chabrol de Crouzol figurent parmi les hommes que
Louis XVIII destinait dès le 1er juin à former quand il serait
possible une commission de gouvernement sous la présidence
de Macdonald demeuré en France, à l'écart, pendant les CentJours. Ce projet n'eut pas plus de suites que la désignation,
faite le 10 juin, de Gouvion-Saint-Cyr aux fins de se rendre
dans l'Ouest pour y assister le duc de Bourbon qui pensait y
débarquer (133).
.
(132) Id., XIV, pp. 602, 610, 618, 624.
Quinette aurait proposé, comme Carnot et Grenier, que la O?mmlSSl'.ln
de gouvernement rejoignît l'armée française sur la Loire (H. HOUSSAYE
1815, III, p. 326). Le 6, Berlier, secrétaire de cette com1l]ission, démissionna ; Réal l'avait fait dès le 3 juillet comme préfet de police.
(133) A. MALET. Louis XVIII et les Cent-Jours à Gand, l, pp. 70
et 74. Pasquier dit qu'il ne reçut ces pouvoirs dat,és du 1er juin que dan~
la dernière semaine du mois ; il estima qu'ils ne seraient " probabl.ement
d'aucune utilité » et la commission ne se réunit, chez Macdonald, que le
4 juillet au soir pour décider de ne rien faire (P~.sQUIER, III, pp. 268
et 3u).
-
~12
-
�Un grand zèle pour la restauration de Louis XVIII fut manifesté par un de leurs anciens collègues qui, lui, avait été tenu
à l'écart par le Roi puis employé par l'Empereur: Molé. Revenu de Plombières à Paris vers le 13 juin, il se rendit quelques jours plus tard chez sa belle-mère au château du Marais
où se trouvaient aussi Barante et Pasquier. Il comptait « partir
bientôt pour Vichy où 'il attendrait les événements » (134) et
Pasquier devait aller au Mont-Dore quand, le 21 juin au soir,
ils apprirent la défaite de Waterloo et le retour de l'Empere,ul
Ayant voyagé toute la nuit, les trois amis étaient le lendemain
matin à Paris où ils s'instruisirent de la situation. Ils ,e n conçurent beaucoup d'espérances pour la royauté et pour eux-mêmes ; en vue de faciliter leur réalisation, ils formèrent une sorte
de comité avec Tournon, Royer-Collard et quelques autres (135).
o
•
Molé dépeint Tournon comme « pressé de se faire des titres
qu'il pût présenter à la cause qui allait ' triompher » mais il
éprouvait la même ambition et la même hâte, d'autant plus
qu'il ne pouvait se vanter comme Tournon d'avoir refusé pendant les Cent-Jours tout emploi et tout contact avec Bonaparte.
Sachant que l'abdication de celui-ci était sans doute prochaine
et que, dans le cas contraire, des membres de la Chambre des
représentants pouvaient proposer la déchéance, l'homme que
Napoléon avaît fait conseiller d'Etat à vingt-huit ans et niinistre
à moins de trente-trois ans, celui qui, le mois précédent, fré-
Chabrol de Crouzol, naguère préfet du Rhône, prêta s'On ooncours
à des complots et préparatifs militaires faits par des royalistes du Lyonnais
et de l'Auvergne en vue de tenter ,s ur Lyon un coup de main qui resta
à l'état de projet, Il participa seulement au rétablissement de la royauté
dan,> la vi11e déjà occupée par les Autrichiens (H. d'ESPINCHAL. Souvenirs militaires, II, pp. 349 et 371-372).
(134) Mis de NOAILLES. Op. cU., l, pp. 221 et s. PASQUIER. Mémoires, III, pp. 231-234 et 253-256. BARANTE. ~ouvefÙrs, II, pp. 16'016 l, Cc projet de départ pour Vichy n'empêche pas M. de Noai11es d'écrire :
dès qu'il apprit que l'Empereur était parti rejoindre san armée en
Belgique, il n'eut plus qu'un désir, l'entrer à Paris et y servir le Roi Il.
ff
...
(p. 22'0).
(135)
« Chacun aussi, écrit Molé, pensait un peu à soi, la joie briIIait
sur tous les visages. Pasquier se voyait déjà élevé au miRistère... B.lnnte,
dédaignant cette fois les préfectures, se croyait appelé à tout. Ttournon
se contentait de la pl'éfecture de la Seine et de moins encore, pourvu qU'Ion
lui permît de rentrer dans la carrière... " Il .. se donnait un mouvement
incroyable JO, rédigeait de moitié avec Barante et faisait répandre un 'petit
pamphlet, parlait de Napoléon avec dédain. Bref Molé s'étlonnait intérieurement « du peu de gravité et d'élévation de son esprit " (Mis .de
NOAILLES. Op. cit, l, p. 223)'
Selon ses Mémoires inédits, Tournon, mis fortuitement en présence de
Blücher et de Gneisenau peu de jours avant l'entrée des Prussiens à Paris
s'efforça d'obtenir que celle-ci n'e4t pas lieu et qu'on laissât les Prançais
rappeler seuls Louis XVIII (Abbé MOULARD. _ Le comte Camille de
Tournon, III, pp. 18-21). Il fut nommé préfet de la Gironde quelques
joun plus tard.
-
2q
-
�quentait encore l'Elysée, médita un coup d'éclat. On doutetait
de ce dessein si lui-même n'avait écrit dans son récit de ces
événements :
« Ma situation ne manquait pas que d'être très délicate.
Je m'en ouvris 'à Pasquier et à Royer. Nommé Pair par Napoléon, et quoique je n'eusse jamais siégé, je leur offris de
paraître tout à coup dans la 'Chambre haute pour y proposer
.
la déchéance. » (136).
Il assure que Tournon l'approuva mais que Pasquier, RoyerCoUard et Barante lui déconseillèrent un tel geste, dans son
intérêt même. Il aurait alors pensé à « renouveler la fameuse
démarche faite par le conseil municipal en 1814 li et il aurai t
été encouragé à poursuivre ce projet. Afin d'y parvenir et, d'une
façon plus générale ,pour provoquer le rétablissement des Bourbons, Molé et Pasquier virent à plusieurs reprises Fouché mais
se heurtèrent à ses conseils de prudence et de temporisation,
c'est-à-dire à son désir de conserver seul la direction de toutes
tractations politiques. La démarche auprès du conseil général de
la Seine (qui était aussi conseil municipal de Paris) fut tentée
dans des conditions sur lesquelles Pasquier et Molé, dans leur s
récits respectifs, ne sont pas d'accord (137). Quand fut signée,
le 3 juillet, la capitulation de Paris, le comité qui, selon Molé
lui-même « avait eu plus de zèle, il faut l'avouer, .que d'influence li se considéra comme devenu sans objet. Molé accompagna
FOl,lché le 5 juillet au quartier général de Blücher puis à celui
de Wellington où il rencontra Talleyrand. Son agitation n'avait
été d'aucune utilité pour la cause royale (138) mais elle l'avait
personnellement, sinon purifié de ses récents rapports avec Napoléon et des fonctions occupées pendant les Cent-Jours, du
(136)
Mis
de NOAILLES. Op. cit., l, p. l.Z4.
(137) 1iJ., l, pp. 240-245. PASQUIER. III, p. P3. Chacun d'eux s'attribue
l'initiative de cette démarche. Molé obtint, dit-il, (sans doute dans h
dernière semaine de juin) d'être présenté au conseil génér al pal" le préfet,
le comte de Bondy, qui le soutint mellement sans lui éviter un accueil
tel qu'il se ,>entÎt « heureux de sortir de l'Hôtel de ville sain et sauf ".
Pas~uier dit avoir fait provoquer par Bondy une déchraü on du conseil
géneral, très satisfaisante mais trop tardive (7 juillet) pour avoir pu être
utile : « Cette démarche fut donc peu appréciée ».
Quelques jours après l'abdication, Pasquier consentit à se rendre avec
le général de Girardin auprès de Grouchy pour le gagner à la cause royale
mais ils revinrent à Paris sans l'avoir trouvé ni beaucoup cherché, ayant
passé la journée à Ermenonville chez Girardin, à se promener dans le pa.·c
d'après Pasquier, à « bien diner et jouer au bill ard » selon Molé (PASQUIER, III, pp. 270-272. NOAILLES op. cit. 1, pp. 239-240. BARANTE,
II, pp. 160-161).
(138) Barante écrit le 2 juillet à sa femme qu'il reste à Paris .tvec
Molé:
c Je ne lui suis bon à rien
; lui-même n'a aucune utilité ; cependant jJ
ne croit pas devoir quitter. » (Id., II, pp. 163-164).
�moins rendu apte à être èmployé par le gouvernement formé
sous les auspices de Talleyrand (139).
Les ralliements à la seconde Restauration furent aussi rapides que ceux dont avait été comblée la première. Les institutions des Cent-Jours n'ayant aucune existence en droit aux
yeux de Louis XVIII, le Conseil d'Etat impérial disparut en
fait sans qu'aucune déclaration pût être émise en son nom mais
plusieurs de ses membres sign~rent les adresses d'autres corps
dont ils faisaient partie. Ainsi l'ex-conventionnel Zangiacomi
fut (avec Henrion de Pansey, Coffinhal-Dunoyer, Favard de Langlade qui n'avaient pas été rétablis au Conseil d'Etat par l'Empereur) un des signataires de la déclaration du 12 juillet, en
laquelle la Cour de cassation s'efforça de faire oublier son adresse
du 25 mars qui voyait en Napoléon le seul, véritable et légitime
souverain et dans la première Restaurati~n un interrègne préparé par la trahison (140). C'étaient maintenant les Cent-Jours
qui devenaient l'interrègne et si, en annonçant à leurs administrés
le rétablissement de la royauté, plusieurs des ex-auditeurs employés comme préfets ou sous-préfets le firent avec dignité,
sans injurier I,e souverain détrôné, en faisant appel comme
Chaillou et Abrial au calme et à l'oubli des ressentiments res-pectifs, d'autres n'épargnèrent pas, afin de se faire pardonner
(139) En rapportant que Pasquier lui avait présenté Molé comme propre
à faire r~ussir la démarche projetée auprès du conseil général de la Seine,
Vitrolles ajoute :.
« Cette démarche n'ayant eu aucune suite, aucun succès, j'ai pu croire
que la présentation de J'ami de M. Pasquier n'avait eu d'autre but que
de ...donner une date au .témoignage de son dévouement et de son retour
vers nous. ~ (VITROLLES. Mémoires, III, P' . 55).
Cf. Mis de NOAILLES. Op. cU., 1, p. 220 : « Son {Jttltude politique
pendant les Cent-Jours ne lut pas comprise par tout le monde, et le mit
en butte aux critiques les plus acerbes, aux attaques les plus violentes.
Il en ressentit profondément j'injustice ».
(140) « •. •Puissent-ils s'ensevelir dans un éternel oubli, ces événements
affreux qui, en vous arrachant Sire, des bras 'de vos sujets désolés, ramenèrent le plus audacieux despotisme 1 Toutes les âmes furent comprimées,
tous les courages furent énervés. Dans cette stupeur des gens de bien, les
principes conservateurs des Sociétés furent méconnus ; une autorité désorganisatrice qu'environnait la terreur, contraignit les corps et les particuliers de
parler et d'écrire dans l'intérêt de son usurpation .
. « . .. Que V. M., Sire, daigne apprécier les motifs de la conduite de ceux
qui, placés par leurs fonctions, sous l'action immédiate de l'oppression, n'auraient pu lui résister sans faire cesser l'empire des lois et livrer à l'ana.rchie
l'administration de la justice.
" La colère du ciel s'est enfin apaisée, vous êtes revenu, Sire, au milieu
de vos sujets dont les cœurs vous étaient toujours demeurés fidèles. Sous
votre règne paternel, rien ne peut altérer ni les sentiments, ni les opinions ..
• C'est donc aujourd'hui que la cour de ca's sation proclamera de nouveau et avec sincérité les principes qu'elle professe ... Oui, Sire, il n'est pas
de gouvernement plus légitime ... etc. • (Moniteur du 17 juillet 1815).
-
Ils
�leur récent ralliement à l'Empire, les expressions intempérantes
d'un royalisme soudain réveillé (141).
Le Conseil d'Etat royal ne reparut pas tel que l'avait laissé
Louis XVIII en mars 1815. Une ordonnance du 23 août modifia son organisation ; deux autres fixèrent le lendemain la
nouvelle composition de son personnel et la répartition de son
service ordinaire entre les comité~ ; il resta sur ses listes fort
peu des hommes qui avaient servi l'Empire des Cent-Jours.
Même le secrétaire général fut changé, Hochet remplaçant Locré.
Mais seuls rentrent dans l'objet de cette étude les principaux faits
concernant les anciens membres du Conseil d'Etat impérial (142).
Beugnot et Clarke furent (ainsi que Blacas, Dambray, l'abbé
de Montesquiou) écartés du ministère le 9 juillet ; le. premier
devint alors directeur général des Postes. A Gouvion-Saint-Cyr
fut attribué le département de la Guerre et à Pasquier celui
de la Justice, avec l'intérim de celui de l'Intérieur, mais le
24 septembre, avec Louis, ils suivirent Talleyrand dans sa retraite et reçurent le titre de ministre d'Etat, déjà possédé par
(1.41) Ainsi le 9 juillet Moreau de la Rochette, maintenu pendant les
Cent-Jours dans la sous-préfecture de Provins, déclarait dans une pl'ochmation :
« L'homme qui, en ressaisissant les rênes de l'Etat, nous avait livrés
aux discordes intestines et à la guerre intérieure, Napoléon Bonaparte, l
disparu pour jamais. Déplorons la perte des Braves qu'il :1 oonduits au
trépas ; il était indigne d'eux, puisqu'il n'a pas su mourir comme eux. Leurs
frères d'armes. de retour sur les pas de l'auguste Chef qu'ils n'ont point
quitté ou accourus à sa rencontre, mêlent leurs chants de gloire à ceux
des phalanges étrangères, et, pour la seconde fois, Paris est témoin de 11
fête de l'Europe. » (AF V 3, dossier Intérieur).
Cet . auditeur avait été de 1811 à 1814 .commissaire spécial de police
à Caen. Sur le zèle avec lequel il s'associa à la r.é pr.ession outrée de
l'émeute qui eut lieu dans cette ville en mars 1812, voir G. LA VALLEY.
Napoléon et la disette de 1812, pp. 52-53 et 67-68.
(I.p) Le deuxième dossier de BB/30 732 contient des listes de demandes
portant sur des places de conseillers d'Etat avec l'analyse des « titres produits
par les requérants ». Les unes sont antérieures à l'ordonnance du 24 août
et les autres ont été remises quelque temps après. De brèves observations
faites au crayon en français ou en anglais, et dont plusieurs sont peu lisibles,
visent la plupart des postulants mais toutes semblent posterieures au
24 août. Suivies d'un M à paraphe, elles peuvent émaner de Barbé-Marbois,
ministre de la Justice à partir du 26 septembre, d'autant plu~ que la
demande faite avant l'ordonnance par l'avocat Dupin a prov·oqué l'observation « detlenseur de Ney » qui ne peut être antérieure à septembre.
Outre quelques anciens membres .du Conseil d'Etat impérial dont il sera
question ci-après, les auteurs de ces demandes sont surtout d'ex-magistrats
et fonctionnaires, dont un ancien oonseiller au parlement de ' Parîs 'qui déclare n'avoir occupé aucune place depuis la Révoluüon. Bertin, écarté du
Conseil d'Etat en 1806, est aussi un des postulan ts. Plusieurs ne demandent
que le titre de conseiller d'Etat honoraire. L'observation « tl-nable » vi~
un des conseillers honoraires, âgé de 74 ans et ancien président au parlement de Paris, qui invoque la médiocrité de sa fortune et ~a nombreuse
famille pour obtenir de passer au service ordinaire.
�Beugnot qui perdit sa direction générale. Clarke reprit le portefeuille de la Guerre, Barbé-Marbois reçut celui de la Justice
et Corvetto celui des Finances (143).
Parmi les anciens conseillers et maîtres des requêtes de
Napoléon qui étaient conseillers d'Etat au début de mars 1815,
ceux que l'Empereur avait "écartés ou qui s'étaient abstenus de
venir siéger au Conseil reprirent cette qualité - plusieurs passant du service ordinaire au service extraordinaire ou vice-versa
- sauf Anglès qui fut nommé ministre "d'Etat et accepta la préfecture de police après le renvoi de son ennemi Fouché. Demeurèrent aussi conseillers d'Etat Gérando et d'Hauterive qui,
pendant les Cent-Jours, avaient rempli des fonctions hors du
Conseil mais n'avaient pas signé l'adresse du 25 mars. Chauvelin
et Gau qui s'en étaient aussi àbstenus, furent conservés sur la
liste des conseillers honoraires mais tentèrent en vain de se
faire mettre le premier en service ordinaire, le second en service extraordinare. Duchâtel, Français et Pelet avaient signé
l'adresse : ils furent laissés sans emploi ni titre bien que les
deux derniers eussent invoqué pour demeurer au Conseil d'Etat
leur conduite pendant l'interrègne. Les assertions de Français
sont du reste fort sujettes à caution (144). Costaz, Mathieu
-Dumas et Dulauloy qui avaient adhéré à l'adresse, CaffarelIi et
Otto qui ne sont pas cités comme tels par le Moniteur, et Frochot, qui avait été pendant les Cent-Jours préfet mais non
conseiller d'Etat, perdirent tous le titre de conseiller honoraire.
Jaubert, redevenu conseiller d'Etat le 24 mars et signataire de la même adresse, perdit le slege occupé, depuis févner 1814, à la Cour de cassation et ne le recouvra qu'en
(143) Dès le 9 jlUillet Corvetto, Il canseilkr d'Etat ", avait été nommé
président de la commission créée pour connaître des questi·ons qu~ posait
l'occupation étrangère.
(144) Les titres de Français sont ainsi exposés sur la liste ci-dessus mentionnée de BB/3 0 732 :
« Il a été attaché au gouvernement du Roi jusqu'au dernier moment,
il fut rappelé au Conseil de Bonaparte sans l'avoir demandé, il a. refusé de
reprendre la direction générale des Droits réunis et d'être de la chambre
des pairs ; des ordres formels l'ayant appelé en Normandie, il calma ce
pays. A son arrivée à Paris, il fut klénoncé pour avoir facilité le ret'our
des Bourbons ; on le nomma préfet pour l'éloigner de Paris, il refusa
et n'a reparu qu'au retour du Roi. »
Seule observation : « Inadmissible ». Quant à Pelet les titres invoqués
sont :
« ." .au mois de mars
1814 il était commissaire du Roi dans une division militaire où il a empêché beaucoup d'événements malheureux ; pendant l'interrègne, il a protégé les militaires de la garde du Roi à leur
retour à Béthune, et a obtenu la liberté de plusieurs personnes marquantes arrêtées dans le midi par ordre du général Gilly ; peu de jours avant la
rentrée du Roi, ayant accepté le portefeuille de la police, son court ministère
n'a été marqué par aucune mesure de rigueur; plusieurs personnes,
et notamment M. le comte de Vioménil, peuvent attester qu'elles lui ont
quelques obligations. »
Observation : « Bas signed the tamOt4S adress ».
�janvier 1819. Au contraire Marchant, qui avait également signé
l'adresse (du moins selon le 'Moniteur) ne quitta le secrétariat
général du ministère de la Guerre, poste conféré par l'Empereur,
que pour être chargé, dès le mois de juillet, du travail relatif
à l'administration dans le mêrpe ministère (145).
Parmi les maîtres des requêtes de l'Empire conservés par la
première Restauration, Mounier ,La Bouillerie et Portal furent
nommés, par la liste du 24 août, conseillers en service ordinàire.
En revanche, tous ceux qui, comme maîtres des requêtes ou
comme conseillers, avaient réellement appartenu au Conseil
d'Etat pendant les Cent-Jours furent écartés par le Roi, sauf
Zangiacomi et Redon fils, qui n'avaient pas signé l'adresse et
furent inscrits sur la liste du service extraordinaire. Mais plusieurs maîtres des requêtes de la première Restauration nommés
(quelques-uns au moins sur leur demande) auditeurs par Napoléon furent conservés, une partie d'entre eux n'obtenant d'ailleurs qu'un titre par inscription sur la liste du service extraordinaire sans collation d'emploi (146).
Deux anciens membres du Conseil d'Etat antérieur à la première Restauration furent nommés conseillers d'Etat en service
grdinaire : l'ex-conseiller Siméon et l'ex-maît~e des requêtes Dudon. Barante fut nommé le 14 juillet secrétaire général du
ministère de l'Intérieur et conseiller d'Etat en service extraordinaire. Mais c'est en vain que l'ancien préfet de police Dubois,
laissé à l'écart par l'Empereur en 1815 comme par le Roi en
1814, tenta de redevenir conseiller d'Etat (147).
(1.45) Mathieu Dumas et Dulauloy furent mis à la retraite comme
généraux en septembre et en octobre. Najac n'avait pas été, comme eux,
nommé expressément conseiller d'Etat honoraire en juillet 1814 mais il
possédait ce titre 'c omme ancien conseiller à vie. L'ordonnance du 14 août
1815 ne maintenant pas cette règle, Najac demanda peu après à être nommé
conseiller honOt'aire mais cette demande provoqua l'observation suivante .sur
la liste de candidatures précitée : • Unable. bas si~d the ad [ress] ~
(BB/30 732). Le même grief est opposé à Bigot de Preameneu, qui n'obtint
pas la place de conseiller d'Eut demandée, bien que qualifié « good
malt, able ». Or s'il avait rempli de hautes fonctions pendant les Cent-Jours,
il n'avait pas appartenu au Conseil d'Etat ni, par suite, pu signer l'adresse
de ce corps.
(146) Les maîtres des requêtes honoraires ou surnuméraires étaient supprimés. Plusieurs membres de ces catégories furent conservés, en service
ordinaire ou extraordinaire. Mais ceux qui avaient accepté pendant les
Cent-Jours une préfecture (Abrial, Dupont-Delporte, Plancy) furent élimin~s
purement et simplement des listes du Conseil ainsi que Ddaire, Prochot fils
et Bourgeois de Jessaint fils. Aucun des ex-auditeurs qui, étant préfets ou
sous-préfets au d6but de mars 1814, le demeurèrent pendant les Cent-Jours,
ne conserva cette fonction au retour du Roi.
.
(147) Dans sa demande, déposée avant le 14 août, Dubois déclare qu'il
• n'a point été r~tabli conseiller d'Etat pendant l'interrègne ; si on l'emploie il répond de servir le Roi loyalement oct utilement '. Mais la seule
appréciation de cette demande est l'épithète : « Inadmissible » suivie de
quelques mots illisibles. (BB/30 731).
�Ganteaume, qui avait décHné les fonctions conférées ou offertes par Napoléon, puis prêt~ son concours pour faire reconnaître le Roi par la marine à Toulon (148), fit partie de la
grande « fournée » des quatre-vingt-quatorze pairs 'de France
nommés le 17 août, ainsi que Dalberg et les ex-maîtres des
requêtes en service extraordinaire Castellane et Séguier (149).
Lacuée avait pu espérer que sa passivité, voulue ou non, pendant les Cent-Jours lui vaudrait aussi la pairie ; non seulement
il ne l'obtint pas mais il fut mis à la retraite comme général
en septembre. Fiévée fut un des rares préfets de la première
Restauration non conservés par la seconde malgré leur exclusion
ou leur retraite volontaire pendant les Cent-Jours (150).
Quant à ceux des anciens .conseillers et maîtres des requêtes
de l'Empire qui se trouvaient sans fonction publique au mois
de mars 1815 et en reçurent une de Napoléon, ils furent exclus
de tout emploi et ceux qui percevaient une ' pension depuis l'année précédente la perdirent. Il y eut toutefois deux exceptions
mais l'une ne dura guère. Bondy reçut la préfecture de la Moselle mais ne put s'y faire accepter des royalistes locaux et il
fut remplacé dès le 11 août sans recevoir un autre poste (151).
Plus heureux, Molé fut nommé le 9 juillet directeur général
des Ponts-et-Chaussées (fonction à laquelle fut réunie la direction
générale des Mines), le 17 août pair de France et le 23 août
conseiller d'Etat en service ordinaire. Ces faveurs ne furent pas
. (148) Cf. Vce Aal GR/VEL. Mémoires, pp. 385-391. Dès le 26 juillet
teaume fut nommé président du collège électoral du Var.
G~n
(149) Dalberg ne poutrait toutdois siéger à la Chambl'e des pairs
que lorsqu'il aurait reçu ses lettres de grande naturalisation. II ne semble
pas s'être hâté de les demander car elles ne furent signées que le 22 novembre 1816.
(150) Pasquier (Ménwi/'es, III, p. 351) assure qu'il ne put faire replacer Fiévée dans une préfecture, étant donnée l'aversion de Talleyrand et
5urtout du baron Louis, il'rité de ce CJue l'ancien préfet de la Nièvre eût
constamment entravé en 1814 les ventes de bois nationaux dans ce département. Fiévée fut seulement nommé le 14 août membre d'une commission instituée pour l'examen des écrits périodiques ; il refusa ce poste
offert par son ennemi Fouché et retourna au journalisme (F/EVEE. Correspondance politique et administrative, 1, 2me partie, pp. 75-80 et 4me partie,
pp. 19- 2 3).
(151) Cf. PASQUIER. Mémoires, III, pp. 349-350 et 353. Selon Molé
le cabinet noir ouvrit des lettres compromettantes de Bondy et Pasquier
épiait l'occasion de faire rév~uer • avec quelque apparence de jU'ltice '"
une nomination qui avait irrite contre lui les princes et la cour (Mis de
NOAILLES. Op. cit., 1, pp. 293-294)' D'après Vitrolles des royalistes messins
imputèrent à Bondy d'être en relations étroites avec Boulay, BouvierDumolart et Rarel mis par l'ordonnance du 24 juillet sous la surveillance de
la police. Mais il est invraisemblable que, comme le prétend Vitrolles, Decazes ait recommandé ~es trois hommes à Bondy et l'ait prié de s'appliquu
à les faire élire députés (V/TROLLES. Mémoires, III, pp. 189-19°)'
�obtenues sans peine par Talleyrand et Pasquier car Louis XVIII
y était mal disposé (152). Molé assure qu'il faillit perdre sa
direction générale à la fin de septembre lors du changement
de ministère ; il la conserva cependant et fut même nommé
en décembre commissaire du Roi pour soutenir deux projets de
loi devant la Chambre haute.
Qu'il l'ait ou non cherché, son attitude pendant le procès
du maréchal 'Ney (13 novembre-6 décembre) (ut propre à satisf~ire les royalistes les plus exigeants. Dans les délibérations
de la Chambre des pairs, il ne se borna pas à combattre (comme c'était son droit strict) l'interprétation donnée par les défenseurs du maréchal à la convention du 3 iulllet dont, selon
eux, l'article 12 faisait obstacle à toute poursuite pénale contre
Ney. Il fit en outre état de ce qui s'était dit le 5 juillet entre
Fouché, Talleyrand et Wellington à Neuilly, alors qu'il s'y trouvait à titre officieux (153). C'était sortir de son rôle de juge et
s'ériger en un témoin dont les allégations, émises à 'huis-clos, ne
pouvaient être contredites ni même connues par la défense, voire
par aucun des personnages visés. Lors des deux appels portant
sur la fixation de la peine, Molé se prononça pour la mort.
Le même vote fut émis par six autres des anciens conseillers
d'Etat de l'Empire, savoir Marmont, Ganteaume, Dessolles, Dupuy, Emmery, Shée, et par deux ex-maîtres des requêtes en
service extraordinaire: Castellane et Séguier. Chasseloup vota pour
la déportation. Sainte-Suzanne fut l'un des cinq pairs qui s'abstinrent et proposèrent de recommander l'accusé à la clémence
du Roi. Un ex-auditeur, le duc Victor de Broglie, le plus jeune
membre de la Chambre, fut le seul pair à émettre un vote négatif sur la culpabilité pour attentat à la sûreté de l'Etat. Il
vota ensuite pour la déportation, comme il était convenu entre
ceux qui ne voulaient pas la condamnation à mort.
Deux autres auditeurs de l'Empire s'honorèrent aussi en
s'efforçant de sauver des proscrits. Le baron de Forget, descendant
d'un secrétaire d'Etat d'Henri IV, auditeur de janvier 1810,
(Ip) Pasquier, s'il faut l'en croire, n'accepta de dev·enir mmlStre que
si la direction générale des Ponts-ct-Chaussées, occupée par lui-même a.vant
les Cent-jour,s, était laissée à :,Molé (Mémoires, III, pp. 329-330). Molé assure
qu'il aurait pr,é féré à la pairie un siège de député. Il semble que pour
décider le Roi à le nommer pair, Talleyrand dut évoquer le souvenir ck5
ancêtres de l'intéressé et sa propre alliance de famille avec lui (Mis de
NOAILLES. Op. dt. l, p. 315 . • Mémoires de Talleyrand ". III, p. l53).
Louis XVIII ne renonça d'ailleurs pas, semble-t-il, à ses préventions contre Molé (E. DAUDET. Louis XV/Il et le duc Decazes, p. 458).
(153) Molé ajoute même dans ses Mémoires que son intervention fut
décisive et emporta le vote presque unanime de la Chambre sur ce point
(Mis de NOAILLES op. cil. II, pp. 77-80. W'ELSCHINGER. Le Maréchal
Ne'}. pp. '92-295.
-
llO
-
�sous-préfet de Riom pendant la premlere Restauration et ies
Cent-Jours, fut révoqué le 7 août 1815 pour avoir donné asile à Labédoyère (154). Esprit de Chassenon; auditeur de février 1809,
joua un rôle dans l'évasion de Lavallette ; c'est lui
qui, à deux reprises, menant un cabriolet, conduisit dans Paris
le fugitif. Marmont, Pasquier et peut-être Molé s'étaient vainement efforcés de provoquer la grâce de l'ex-directeur général
des Postes.
Pendant que d'anciens membres du Conseil d'Etat consulaire
et impérial participaient aux représailles des royalistes ou s'efforçaient de les modérer, d'autres en étaient les victimes, même
en dehors de Brune, assassiné à Avignon, .et de Lavallette, condamné à mort par la Cour d'assises de la Seine et sauvé par
sa femme la veille du jour fixé pour son exécution.
Déjà, le 18 juillet, un entrefilet du Moniteur, en annonçant
que N apoléon s'était rendu à bord du Bellérophon, ci tait parmi
les complices du retour de l'île d'Elbe Lavallette, Regnaud, Boulay, Defermon, pêle-mêle avec Soult, Savary, la reine Hortense,
Madame -Hamelin, etc. Or cette note a été attribuée à Vitrolles,
personnage officiel. Le 24 juillet une ordonnance, contresignée et
"Sans doute rédigée par Fouché, établit deux listes de proscription.
La première comprenait seulement des officiers généraux à
arrêter, sauf que Lavallette avait été glissé parmi eux. Le général Delaborde était du nombre, à cause du rôle qu'il avait
joué à Toulouse mais il put se cacher et s'enfuir à l'étranger
(155). La seconde liste énumérait trente-huit personnages très
variés qui seraient placés sous la surveillance de la police en
attendant d'être bannis du royaume ou traduits devant les tribunaux. Dès le 18 juillet ceux qui se trouvaient à Paris avaient
été invités par ·le nouveau préfet de police Decazes à s'en éloigner. Parmi eux figuraient Boulay, Defermon, Regnaud, Merlin,
Réal, Thibaudeau, qui avaient joué pendant les Cent-Jours un
rôle de quelque importance ou occupé des postes politiques élevés, mais aussi Pommereul qui semble s'être borné à siéger
au Conseil d'Etat et à remplir une mission de commissaire
extraordinaire dans la 5me division militaire. Moins explicable
encore est la présence sur cette liste du maître des requêtes
Lelorgne d'ldeville et des ex-auditeurs Harel et Bouvier-Dumolart, tous deux préfets des Cent-Jours ; le dernier avait siégé,
mais obscurément, à la Chambre des représentants. D'abord ins(IH) Il épousa en 1817 la fille unique de Lavallette. Devenu préfet
sous Louis-Philippe, il se noya dans l'Allier accidentellement, en 1836, avec
son plus jeune fils.
(155) La poursuite engagée contre lui par contumace, en 1616, devant
un conseil de guerre n'aboutit pas à une (:ondamnation : l'ordonnance du
24 juin 1815 le nommant fautivement Laborde, il fut admis que la dé;ignation était incertaine.
-
221
�crits, eux aussi sur ie projet d'ordonnance, Montalivet et BenJamin Constant en avaient été rayés, sur la demande adressée au
Roi par Decazes. On ne voit pas quel grief sérieux pouvait être
imputé au premier ; quant au second, quoi qu'il eût fait depuis
le 20 mars, on ne pouvait, certes, lui imputer d'avoir hâté ou
même souhaité le retour .de Napoléon (156).
Defermon publia une brochure intitulée l< Observations du
Comte Defermon sur les dénonciations et accusations portées
contre lui ». Il se défendait d'avoir été pour rien dans « le retour
de Bonaparte » et d'avoir eu « aucun rapport direct ou indi
rect
avec lui ou les siens avant le 20 mars. Sans se flatter
d'avoir été exempt d'erreurs d'opinions, soit dans les Conseill',
soit dans la Chambre des représentants » il déclinait toute responsabilité pour des actes accomplis pendant les Cent-Jours et
'notamment pour l'Acte additionnel, en ajoutant d'ailleurs qu'après
avoir juré fidélité à l'Empire et aux constitutions il avait cru
de son devoir de les défendre franchement et loyalement (157).
Remontant niême au-delà de 1814 il déclarait qu'il n'avait toujours pu exprimer en pleine liberté sa propre pensée dans ses discours officiels et qu'il avait souvent représenté à Bonaparte III
situation dans laquelle s'était trouvé Louis XIV après avoir fait
trembler l'Europe ». Il soutenait enfin qu'il ne pouvait être plus
coupable d'avoir repris sa place au Conseil d'Etat que plusieurs
de ses collègues conservés depuis au service du Roi.
li
1(
1(
Plusieurs des hommes qui figuraient sur la meme liste n'attendirent pas, pour sortir de France, d'en être bannis. En octobre
Thibaudeau se trouvait en Autriche, Regnaud aux Etats-Unis,
Merlin à Bruxelles où Réal se rendit également en décembre.
Boulay, selon la biographie rédigée par son fils, fut dénoncé
(IS6) E. DAUDET. Louis XVIII et le duc Decazes, pp. 65-69. L'exauditeur de Plancy, préfet de Seine-et-Marne, assure que Decazes (tramformé par lui en ministre de l'Intérieur) le fit rayer de la première liste
de proscription, puis de la seconde (PLANCY. Souvenirs, pp. 432-436). L'invraisemblance de son inscription sur la première liste et plu,>ieurs erreurs
discréditent toute l'affirmation.
(157) « On sait bien que je n'avais que voix consultative, et que le
Chef de l'Etat ne se croyait pas lié même par l'opinion de la ma~rité ;
il pourrait donc se faire qu'on m'imputât d'avoir pris part à des lctes
adoptés contre mon opinion et contre celle de la majorité du Conseil.
• Il serait même possible que l'on m'imputât des actes qui portent
qu'ils ont été rendus, le Conseil d'état ou les ministres d'état entendus,
quoiqu'ils n'aient été ni discutés ni délibérés en ma présence.
4
Enfin je puis ajouter qu'il en a été publié, en référant gu'ils étaient
signés de moi, quoique je ne les eusse pas revêtus de ma signature. "
Sans doute vise-t-il le rapport des presidents du Conseil d'Etat sur la
déclaration émise à Vienne le 13 mars.
4
Mais au reste, je ne pretends pas dissimuler mes opinions ; je r~pris
mes fonctions le 2-4 mars, et dès ce moment je me fis un devoir de les
remplir avec fidélité. J'ai dû parler et agir en conséquence, autrement j';lUrais
trahi mes serments et menti à ma conscience " -Cpp. 10-11).
�aux Russes qw occupaient Nancy, où il s'était retiré ; après un
interrogatoire il reçut l'ordre d'aller s'établir à Sarrebrück.
Le 8 décembre le Gouvernement royal déposa devant la
Chambre des députés le projet de loi concernant l'amnistie. Parmi
les catégories dont les membres devaient se trouver exemptés du
pardon pour leur conduite pendant les Cent-Jours figurait celle
des hommes inscrits sur la seconde liste de l'ordonnance du
24 juillet. Sauf s'ils çtaient passibles de poursuites pénales, ils
devraient sortir du royaume et s'abstenir d'y rentrer sans autorisation, sous peine de déportation. La loi du 12 janvier 1816
parut atténuer le projet sur ce point en limitant le bannissement
à ceux qui seraient maintenus par le Roi sur la liste. Mais l'ordonnance du 17 janvier les y maintint tous en bloc bien que
dans le rapport 'fait par Corbière au nom d'une commission, le
26 décembre 1815, sur le projet de loi et même dans le discours
par lequel, le 11 novembre précédent, La Bourdonnaye réclamait
« des fers, des bourreaux, des supplices » il fût concédé que
les hommes inscrits sur cette liste n'étaient pas tous de grands
coupables dont le bannissement s'imposât. L'ordonnance du
17 jap.vier leur enjoignit de sortir de France au plus tard le
25 février. D'autre part les députés ultra-royalistes firent ajouter
au projet initial le bannissement perpétuel de ceux des ex-conventionnels régicides qui, pendant les Cent-Jours, avaient « voté
l'Acte additionnel ou accepté des fonctions ou emplois de l'usurpateur ». Ils ne pourraient jouir en France d'aucun droit civil et
d' « aucun bien, titre, ni pension à eux concédés à titre gratuit ».
Cette mesure aggravait la situation de Thibaudeau et de Merlin,
atteints déjà comme inscrits sur la liste du 24 juillet, et elle
frappait en outre Quinette et Berlier.
Ceux des bannis qui se trouvaient encore en France durent
donc s'exiler. La plupart subirent les tracasseries des gouvernements étrangers, souvent stimulés par les représentants de
Louis XVIII, et ne purent fixer leur résidence à leur gré. Réal
et Quinette s'embarquèrent en 1816 pour les Etats-Unis 9ù se
trouvait déjà Regnaud. Un naufrage empêcha Merlin de s'y rendre aussi. Mais Regnaud et Quinette revinrent assez vite en
Europe et s'établirent en Hollande ou en Belgique ainsi que
Defermon, PommereuI, Harel, Merlin, Berlier et Thibaudeau,
qui avait d'abord résidé à Prague. Boulay vécut en Prusse (à
Halberstadt) puis à 'Francfort tandis que Lavallette trouvait refuge en Bavière (158).
(158) L'ordonnance royale du 21 mars '1816, qui réorganisa l'Institut, en
exclut, entre autres, Merlin et Regnaud, ainsi que Rœderer. Pour ce dernier et pour Merlin, cette mesure était décidée dès le début de mars 18IS.
En exil Merlin donna des consultations et refondit pour de nouvelle'.!
éditions son Répertoire et son Recueil des questions de droit. Thibaudeau
fit publier en 1827 à Paris, sans leur donner 'lOn nom, les Mémcires sur
-
223
�Parmi les ex-conventionnels votants Quinette mourut ~
Bruxelles en 1821, Berlier, Merlin et Thibaudeau ne purent rentrer en France qu'après la Révolution de 1830. Le bannissement
des autres membres de l'ancien Conseil d'Etat prit fin plus tôt,
à diverses époques, en vertu de mesures individuelles ou, au plus
tard, par l'ordonnance du 1er décembre 1819 publiée le 4 février
1820. Mais Regnaud, sujet depuis plusieurs mois à "des accès de
folie furieuse, ne regagna Paris, le 10 mars 1819, que pour y
mourir la nuit suivante (159). Bien que Madame Réal, qui
n'avait pas suivi son mari en Amérique, eût obtenu pour lui en
mai 1819 l'autorisation de rentrer en France, il n'y revint qù'en
mai 1827.
Si le Conseil d'Etat des Cent-Jours entraîna ainsi dans sa
chute la plupart de ses membres, car peu d'entre eux conservèrent alors des fonctions publiques, toutes ces exclusions n~
furent pas définitives. Même des hommes qui avaient signé
la déclaration du 25 mars, si agressive envers les Bourbons,
reçurent ·plus tard du Roi de hauts postes administratifs, voire
la pairie.
Le Conseil d'Etat consulaire et impérial avait disparu. Le
.corps d'élite, qu'avait créé, recruté, formé Napoléon pour son
propre usage, comme un auxiliaire essentiel à la taille de ses
ambitions et de son activité, n'était fait ni pour un Louis XVIII
ou un Charles X, ni pour un régime parlementaire même incomplet. Ses caractères ne devaient donc survivre qu'en partie
dans le corps qui allait conserver son nom. Mais, longtemps encore, beaucoup de ses anciens membres devaient faire profiter
de l'expérience acquise dans son sein la vie législative et administrative d'une nation où, sous l'influence de nouveaux facteurs politiques, allait sensiblement "décroître le rôle attribué en
ces deux activités à la compétence technique, voire à la sélection des hommes.
le Conslilat, par un ancien conseiller d'Etat. Berlier rédigea des ouvrage!!
d'histoire et des études juridiques. Sur les efforts infructueux qu'il fit (notamment auprès de son ex-collègue Bernadotte, devenu roi de Suède) pour
obtenir le versement des arrérages, antérieurs à 1814, provenant des biens
illyriens et poméranien'i que comprenait jadis sa dotation, voir J. BOURDON. Les biens étrangers des maiorats n.apoléoniens dans la Revue du
droit public... 1953, pp. .3 67-373.
(1 S9) En avril 1817 Ja comtesse Regnaud fut arrêtée quelques jours et
obligée de quitter la France, la police ayant interoepté une lettre qu'elle
adressait à son mari et gui contenait, outre un éLoge enthousiaste de
Napoléon, une violente diatribe contre les successeurs ae ce. colosse, contre ces odieux misérables que balaierait bientôt une révolution inévitable,
etc. (Revue rétrospective de janvier-juin 1889, pp. 134- 1 39 et E. DAUDET.
Les débuts de la seconde Restauration dans le Correspondant du :2 5 août
1909, pp. 674- 676).
�APPENDICE
LES MEMBRES DU CONSEIL D'ÉTAT NAPOLÉONIEN
-DANS LES FONCTIONS PUBUQUES APRÈS L'EMPIRE
En disparaissant, le Conseil d'Etat impérial laissait à la
Restauration un personnel de valeur, déjà éprouvé, que ce régime
et ceux qui le suivirent employèrent largement. Même parmi
les ex-auditeurs, plus jeunes et très inégaux entre eux par
l'expérience et les aptitudes, plusieurs devaient réaliser, malgré
le changement de circonstances, les brillants espoir~ qu'ils avaient
conçus en entrant au Conseil. Mais on ne trouvera ci-après à ce
sujet qu'un aperçu sommaire et ne concernant pas les bommes
qui appartinrent au Conseil seulement pendant les Cent-Jours.
Pendant la seconde Restauration, douze anciens membres du
Conseil d'Etat napoléonien occupèrent plus ou moins longtemps un
ministère: les ex-conseillers Barbé-Marbois, Clarke, Corvetto, Dessolles, Gouvion Saint-Cyr, Louis, Molé, Pasquier, Portalis fils,
Siméon, les ex-maîtres des requêtes Chabrol de Crouzol et
Portal. Dessolles fut même président du Conseil des ministres
pendant près d'un an, sans jouer d'ailleurs le rôle de chef qui
correspondait à ce titre.
Les conseillers d'Etat en service ordinaire comprirent, à diverses époques - outre ceux d'août 1815 - Laumond, Bergon
et Chabrol de Crouzol alors placés en service extraordinaire,
Mathieu Dumas rentré en grâce, les ex-maîtres des requêtes
Maillard, de Fréville, de Laborde-Méréville (exclus en août 1815),
-
us
�Favard de Langiade, ZangÎacomÎ et les ex-auditeurs V. de Broglie,
d'Argout, Hély d'Oissel, Lepileur de Brévannes, de Tournon,
de Pastoret, Lepelletier d'Aunay. Parmi les maîtres des requêtes
en service ordinaire figurèrent Janet (redevenu tel en 1820) et
plusieurs des ex-auditeurs de l'Empire.
Les conditions nouvelles de la politique intérieure n'entraînèrent pas seulement pour ces hommes de singuliers voisinages,
auxquels avait déjà pu les habituer la première Restauration.
Elles nuisirent pour plusieurs à 'la stabilité de leur situation au
Conseil d'Etat et provoquèrent, lors des changements de ministère, des exclusions ou des passages au service extraordinaire
sans emploi individuel. Certaines de ces mesures furent d'ailleurs
suivies de réintégrations. En dépit de cet élément d'instabilité,
de 1815 à 1830 les anciens membres (auditeurs compris) du
Conseil d'Etat 'impérial formèrent toujours près de la moitié
des conseillers en service ordinaire. La proportion fut analogue
pour les maîtres des requêtes jusqu'en 1820 puis fléchit progressivement ensuite, d'ailleurs en partie parce que plusieurs des
intéressés étaient 'devenus conseillers d'Etat.
D'autres hommes venus du Conseil d'Etat napoléonien remplirent d'importantes fonctions dans l'administration ou dans
la magistrature ; les anciens auditeurs fournirent d'assez nombreux préfets et sous-préfets et plusieurs figurèrent dans la carrière diplomatique "(1).
Dans les chambres législatives siégèrent d'anciens membres
du Conseil d'Etat impérial, y compris plusieurs de ceux .qui
remplissaient des fonctions àdministratives ou judiciaires. Aux
pairs de 1814 et de 1815 s'ajoutèrent treize anciens conseillers
d'Etat du Consulat ou de l'Empire (2), quatre ex-maîtres des
,',
(1) Les conseillers d'Etat qui furent toujours en service extraordinaire
comprirent notamment Henrion de Pansey (nommé premier président de la
Cour de cassation en 1828 et mort l'année \suivante à 87 ans), Ch;lbrol
de Volvic, préfet de la Seine jusqu'en juillet 1830, Barante, qui fut directeur
général des Contributions indirectes, Bourcier, Pelet fils, Redon fils qui
remplirent divers emplois administratifs. Portalis fils quitta le service Ordinaire en 1829 pour devenir premier president de la Cour de cassation ;
Mounier avait fait de même en février 1820 pour occuper, jusqu'en janvier 1822, la direction générale de l'administration départementale et de
la police.
Sans être conseillers d'Etat, même en service extraordinaire, Anglès fut
préfet de police de 18 r 5 à 1821 et Andréossy remplaça en 1821 Dejean
comme directeur général des subsistances militaires .Nommé en 1816 ambassadeur à · Turin, Dalberg fut rappelé en 1820.
.
(2) Chaptal, Daru, Jourdan, Laforest, Mollien, Montalivet, Pelet, Portalis, Collin de Sussy, Truguet (5 mars 1819), Pasquier (24 septembre 1821),
Siméon (25 octobre 1821), Beugnot (27 janvier 1830).
Parmi les hommes exclus de cette Chambre en juillet 1815, Champagny
et Dejean furent à nouveau nommés pairs le 5 mars 1819, Gassendi et Ségur
le 21 novembre suivant.
�requêtes (3) et SIX ex-audIteurs (4), outre ceux qUI devinrent
pairs par hérédité. Quelques-uns avaient d'abord appartenu à la
chambre élective. Celle-ci comprit pendant plus ou moins de
temps, entre 1815 et 1830, Andréossy, Bégouen, Beugnot, Bourcier,
Chauvelin, Ouchâtel, Mathieu Dumas, Français, Louis, Allent (qui
fùt sous-secrétaire d'Etat au ministère de la Guerre de 1817
à 1819), d'Alphonse, Bondy, Oudon, Favard de Langlade, Laborde-Méréville et plusieurs ex-auditeurs tels Barante au début
du régime et Cormenin à la fin. Les ,seuls qui jouèrent dans
cette Chambre un rôle assez actif furent Chauvelin, membre
mal'quant de la gauche, et Oudon ; celui-ci devint, pour des
raisons qui n'étaient pas toutes d'ordre p'olitique, un des orateurs
les plus virulents de l'ultra-royalisme (5).
Fiévée, redevenu journaliste, rechercha lui aussi des satisfactions de plusieurs sortes ; après avoir collaboré en 1814 à la
Quotidienne, en 1819 au Conservateur, il se tourna ensuite vers
des feuilles libérales et finit par écrire, après juillet 1830, dans
le National d'Armand Carrel (6).
La plupart des anciens membres du Conseil d'Etat napoléonien pourvus d'une fonction publique en 1830 se rallièrent
-à la monarchie de juillet. Aucun de ceux qui 'étaient pairs de
France ne quitta alors de son gré la chambre haute. En furent
exclus Beugnot, La Bouillerie (comme tous les pairs nommés
par Charles X) et Marmont. Quelques-uns quittèrent, volontairement ou non, le Conseil d'Etat (7). Mais parmi les nouveaux
(3) Mounier (s mars 1819), Portal (25 oct'o bre 1821), Chabrol de Crouzoi (23 décembre 1823), La Bouillerie (s novembre 1827)'
(4) Regnier fils duc de Massa (16 juillet 1816), d'Argout, Bannte,
d'Houdetot (s mars 1819), Breteuil, Tournon (23 décembre 1823)'
(s) Devenu président de la commission chargée de régler avec les
Etats étrangers les suites financières de la convention du 20 novembre
1815, Dudon passa pour s'être livré à de véritables concussions. Relevé
de ces fonctions par le duc de Richelieu il se jeta dans l'ultra-royalisme avec
1:1 même pa.... ion de se venger et de se relever qui l'avait lancé en 1814
à la poursuite du trésor de Napoléon. Il rivalisa de violence au sein de
la Chambre des députés avec le général Donnadieu. Soit pour &on zèle
absolutiste, soit pour la façon de s'enrichir qui lui était prêtée, il fut surnommé le Cosaque Dudon. Madame de Chateaubriand, dans ses Cahierr
(Edit. Ladreit de Lacharrière, p. 198), l'appelle DuJon le Voleur et avant
la révolution de 1830 la presse de l'opposition le cribla d'allusions et .
d'insinuations à ce sujet.
(6) L'un des articles que publia Fiévée sous le titre de Correspondance
politique et administrative (1815-1819) lui valut une condamnation à trois
mois de prison et à 50 francs d'amende (2 plai 1818).
.
(7) Les conseillers d'Etat Delamalle (il avait 78 ,:lns) et de Tournon,
les maîtres des requêtes de Cormenin et Prévost donnèrent leur démission
dès le mois d'août. Ce n'est pas que Cormenin demeurât attaché à la
Restauration. Dudon fut rayé de la liste des conseillers d'Eta.t. Des ex-,lUditeurs de Saint-Chamans et de Roussy, le premier, qui était conseiller d'Etat,
fut mis à la rett:aite et le second, alors maître des requêtes en · service
extraordinaire, fut rayé de la liste du Conseil.
�conseiiIers nommés cie 1830 i 1848 figurèrent janet, Bondy,
Fain, Vischer de Celles, Las Cases, d'Aure et plusieurs ex-auditeurs qui avaient servi la Restauration (8). Le service ordinaire
comprit ainsi, comme conseillers d'Etat: Bérenger, Mathieu Dumas, Gérando, Cuvier, Maillard, Fréville, Préval, Allent,d' Aure,
Janet et six des ex-auditeurs de l'Empire (~). Plusieurs autres
parmi ces derniers demeurèrent ou devinrent maîtres des requêtes.
·
..
Louis, Molé, Pelet (de la Lozère) fils et les ex-auditeurs Victor de Broglie et d'Argout furent ministres à plusieurs reprises ;
Broglie et Molé occupèrent même la présidence du 'Conseil des
ministres, le premier d'octobre 1832 à avril 1834, le 'second
de septembre 1836 à mai 1839. Pasquier, nommé le 3 août 1830
président 'de la Chambre des pairs, reçut en outre en 1837 la
dignité de chancelier de France et en 1844 le titre de ·duc.
Portalis fils conserva la présidence de la Cour de cassation
et Barbé-'M arbois ne quitta celle de la Cour des Comptes qu'en
1834 à quatre-vingt-neuf ans. Siméon avait un an de moins
quand il fut investi de la même fonction en 1837 ; il la résigna
deux ans plus tard. Barante fut ambassadeur à Turin puis
à Saint-Pétersbourg. D'autres survivants du Conseil d'Etat impérial remplirent diverses fonctions individuelles dans les préfectures (tel Bondy, préfet de la Seine de février 1831 à mars
1833), dans la diplomatie, etc.
A la chambre des pairs entrèrent Mathieu Dumas, Français,
Gilbert de Voisins, Lacuée 'de Cessac, Bondy (1831), Bérenger,
Rcederer, Allent, Fréville, Rayneval, Zangiacomi (1832), Gérando, Pelet de la Lozère fils, Préval (1837), Maillard, DupontDelporte (1839), Amédée Jaubert ' (1841) et plusieurs des exauditeurs de l'Empire. Avant d'être ainsi nommé p'air, Pelet avait
été 'député ; la chambre élective comprit aussi Laborde-Méréville,
Chabrol de Volvic, Lacuée (neveu du comte de Cessac), Lelorgne d'ldeville et plusieurs des anciens auditeurs, depuis le légitimiste Alban de Villeneuve-Bargemont jusqu'au républicain
Cormenin, qui fut député de 1830 à '1846 et joua en outre un
rôle comme polémiste politique.
(8) Vischer de Celles, Belge, avait perdu en 1814 la nationalité française. Elu député en son pays, chargé par le Roi des Pays-Bas d'une mission auprès du Saint-Siège, il prit ensuite une part active à la sécession
de la Belgique en 1830 et tenta d'obtenir la réunion de son pays à la
France ou de lui faire donner pour r,oi le duc de Nemours. N'ayant pu
y parvenir, il se fit naturaliser français en 1832.
(9) Hély d'Oissel, Lepileur de Brévannes, Taboureau, Janzé, O'DonneJ,
Maurice Duval.
Parmi ceux des conseillers en service extraordinaire qui participèrent
plus ou moins longtemps aux délibérations du Conseil figurent Bondy, FainMounier, Vischer de Celles, La~ Cases et les anciens auditeurs de l'Empire
Aubernon, Bérard, de Boubers, Choppin d'Arnouville, David, Delaire, Patry.
�Les fonctions publiques n'absorbèrent pas l'activité de tous
les ' anciens membres du Conseil d'Etat impérial. Parmi ceux qui
en remplirent comme parmi ceux qui s'en trouvèrent écartés,
plusieurs se livrèrent à 'd'autres travaux et publièrent des ouvrages plus ou moins importants. Mêlés par leurs fonctions officielles à la pratique du droit, Henrion de Pansey, Favard de
Langlade, Gérando et 'Cormenin produisirent en outre des œuvres juridiques variées. Le premier écrivit plusieurs livres sur
l'ancien droit public de la France, sur l'autorité judiciaire et
sur quelques questions administratives ; le second publia un
Répertoire de la nouvelle législation civile, commerciale et administrative (1823-1824) ~andis que Gérando et Cormenin se
consacraient au droit administratif et s'efforçaient, après en avoir
étudié plusieurs aspects particuliers, d'en fournir une vue plus
large, selon des méthodes d'ailleurs peu heureuses (10). Gérando
poursuivit en outre ses travaux philosophiques et Cormenin publia divers autres ouvrages" notamment le Livre des Orateurs.
L'ex-auditeur de Villeneuve-Bargemont traita, en plusieurs écrits,
de questions économiques et sociales.
L'actif çoncours prêté par Cuvier aux travaux du Conseil
d'Etat ne l'empêcha pas de faire des cours d'anatomie et d'his. toire naturelle au Collège de France et 'au Jardin du Roi. L'exmaître des requêtes Jaubert _p oursuivit ses p'ublications sur les
langues turque et persane, qu'il enseigna au Collège de France
et 'à l'Ecole des langues orientales. D'autres se livrèrept à des
travaux historiques, surtout Daru, Thibaudeau, Rœderer et 'Bal'ante. Mais en dehors de discours académiques ou d'autres écrits
peu étendus émanant 'd'auteurs divers, la littérature proprement
dite ne fut représentée depuis 1815 que par d'anciens auditeurs,
parmi 'lesquels Beyle-Stendhal a d'ailleurs éclipsé nettement Soumet, Arnault fils, Pastoret, Prévost d'Arlincourt. Lamothe-Langon s'essaya dans un double genre: il écrivit -des romans et il
rédigea ou adapta beaucoup de soi-disant Mémoires de contemporains. Enfin Harel, introduit dans la vie théâtrale par sa
liaison avec Mademoiselle George, fut directeur de l'Odéon puis
du Théâtre de la Porte Saint-Martin.
Plusieurs des anciens membres dù Conseil d'Etat impérial
qui avaient cessé -d'être français en 1814 jouèrent un rôle politique ou administratif important dans .leurs pays respectifs. Van
Maanen fut longtempi ministre de la Justice 'dans le royaume
des Pays-Bas et Six d'Oterleck (qui n'avait du reste été maître
(10) Gérando enseigna le droit public et administratif à la Faculté "de
Droit de Paris pendant quelques années à partir ae 1819, Il fit paraître
en 1829 la première édition de ses InsUtutes de Droit administratif, Cormenin publia surtout en 1818 Du Conseil d'Etat envisagé comme conseil et
comme iuridiction sous notre monarchis constitutitmnelle, ouvrage non signé.
puis en 18:32 la première édition de'i Questions d.e droit administratif qu'il
a6veloppa depuis.
�des requêtes qu'en titre) y ' occupa le -ministère des Finances.
Stassart, député aux Etats-généraux de ce royaume, prêta son
concours, comme Vischer de Celles, à la sécession de la Belgique; il devint dans le nouvel Etat gouverneur de province,
sénateur, fut même pendant plusieurs années président du Sénat
et il eut en outre une activité littéraire. Dans le royaume de
Sardaigne Saint-Marsan occupa le ministère de la Guerre puis
celui des Affaires étrangères et Brignole fut successivement ambassadeur à Madrid, à Paris et à Vienne. Dalpozzo, très mêlé
. au mouvement libéral et notamment à la tentative avortée du
prince Charles-Albert en 1821, passa les treize années suivantes
en exil. L'ex-auditeur Balbo écrivit des ouvrages historiques et
politiques puis fut en 1848, pendant trois mois et demi, premier
ministre dans le nouveau régime constitutionnel. Employé par
le grand duc de Toscane en des missions diplomati~ques, Néri
Corsini occupa ensuite des ministères, voire la présidence du
conseil des ministres en 1844 un an avant ' sa mort.
Malgré les décès et les retraites, plusieurs anciens membres
du Conseil d'Etat 'impérial participaient encore à la vie publique
au milieu du siècle. Après la révolution de 1848 Molé fut membre de l'Assemblée constituante puis de l'Assemblée législative.
Cormenin appartint à la première et il joua un rôle assez
important dans la préparation de la constitution nouvelle. Nommé par le gouvernement provisoire conseiller d'Etat puis viceprésident du Conseil d'Etat, il fit ensuite partie, ainsi que
Maillard, Préval, Janzé, O'Donnel, de la commission qui remplaça ce corps. En 1849, Cormenin et Maillard furent élus
membres du nouveau Conseil "d'Etat et y occupèrent successivement la présidence de la section du contentieux. Maillard remplit la même fonction dans le Conseil d'Etat transformé par la
constitution du 14 janvier 1852 mais, en juillet de cette année,
il se vit imposer de démissionner parce que, contre le désir du
prince-président, il avait pris parti pour l'annulation du conflit
d'attributions élevé dans le procès relatif aux biens de la tamille
d'Orléans. 0' Donnel avait été conseiller d'Etat de juin à décembre 1851, 'Cochelet ~t Cormenin le devinrent en juillet 1852
et le dernier l'était encore lorsqu'il mourut, âgé de quatre-vingts
ans, en .1868.
Le Sénat comprit aussi plusieurs survivants du Conseil d'Etat
napoléonien. Parmi ses premiers membres, désignés le 26 janvier 1852, figurèrent l'ex-conventionnel régicide Thibaudeau, jadis
proscrit par la seconde Restauration, et un ancien ministre de
Charles X, Portalis fils, que Napoléon avait chassé avec tant
d'éclat 'du Conseil d'Etat en 1811 ; la même liste comprenait
aussi le général Préval, maître des requêtes de 1810, et quatre
ex-auditeurs : d'Audiffret, Fourment, l'ex-préfet de Breteuil et
un ancien ministre de Louis-Philippe, le comte d'Argout. Plus
tard entrèrent aussi au Sénat Maillard (31 décembre 1852) et
23° -
�quatre ex-auditeurs : Pastoret, demeuré légitimiste irréductible
sous la monarchie de Juillet (31 décembre 1852), Gabriac, pair
de 1842 (4 mars 1853), Chassiron (19 juin 1854) et le conseiller
d'Etat Cochelet (27 novembre 1857).
Thibaudeau mourut en 1854 et Portalis fils en 1858. Sans
s'être, comme eux, ralliés au régime impérial rétabli, Molé
mourut en 1855 et Pasquier (à quatre-vingt-quinze ans) en
juillet 1862. Le dernier survivant des maîtres des requêtes du
premier Empire fut Pelet 'de la Lozère fils ; après avoir abandonné la vie publique en 1848, il mourut en février 1871, -dans
sa quatre-vingt-sixième année. Redon fils était mort deux ans
plus tôt à quatre-vingt-huit ans. Plusieurs anciens auditeurs
de l'Empire vivaient encore sous la troisième République.
Ainsi, pendant un demi-siècle après la chute de Napoléon,
d'anciens membres de son Conseil d'Etat continuèrent de participer à la vie publique de la France. 'Ce corps se survécut donc,
en partie, dans ses membres comme dans son œuvre. Son ancien rôle fut, à plusieurs reprises, évoqué, discuté, souvent même altéré, dans les discours et les écrits, pendant la Restauration
et depuis, car il fournit arguments ou prétextes aux polémiques
partisanes. Mais, de même que N ,!poléon évoquait encore à
Sainte-Hélène les débats de son Conseil d'Etat (11), des hommes
qui y avaient siégé en conservaient, fût-ce en des situations
plus élevées, la mémoire et la fierté. Molé le déclarait le 18 mars
1823 en pleine Chambre des pairs (12) et, trente ans après la
chute de l'Empire, le chancelier Pasquier faisait « sa conversation favorite » des souvenirs qu'il gardait du Conseil d'Etat
impérial et de ses séances (13).
(II) Selon Las Cases, le 17 juin 1816 'C l'Empereur a dit beaucoup de
-choses sur les séances du Conseil d'Etat ». Le 16 novembre suivant il
cite avec éloges plusieurs de ses anciens ministres let ajoute : « .,.et tous
mes conseillers d'Etat, si sages, si bon travailleurs ! Tous ces noms demeurent inséparables du mien.. . Heureuse la nation qui possède de tels
instruments et sait les mettre à profit ! » (Mémorilll de Sainte-Hélène. Edition critique, l, p. 746 et II, p. 596).
Le 28 août 1817, comme il forme le projet d'écrire et de faiN
publier des note'3 sur les Lettres de Hobhouse, Napoléon déclare : « Je signerai : Par un con'Seiller d'Etat. Ne '3uis-je pas conseiller d'Etat ? •
(GOURGAUD. Journal. Edition O. Aubry, II, p. 225).
(12) Le duc de Fitz-James s'étant étonné de trouver trois anciens
ministres de l'Empire parmi les pairs opposés à l'intervention en Espagne,
Molé riposta qu'on risquait de lui donner « un peu de fierté • en lui rappelant qu'il avait servi Napoléon et, disait-il, « dû à l'estime de cet homme
extraordinaire, de m'asseoir, bien jeune encore, dans les conseils, auprès
d'hommes qui m'étaient si supérieurs par leur expérience et leurs lumières "
(Archives parlementaires, XXXVIII, p. 689). Molé ayant été très peu de
temps ministre sous l'Empire, il visait sans doute aussi son passage au
Conseil d'Etat.
(1)
Mal de CASTELLANE. Journal, III, p. )32 (19 mai 1845).
-
l)1
�Ceci ne tint sans ~oute pas uniquement à ce que beaucoup
des hommes qui avaient servi l'Empire - voire de ceux qui,
en 1814 ou en 1815, l'avaient trahi - cherchèrent plus tard à
se parer d'un reflet du prestige qui s'y attacha, surtout quand
l'effet 'du temps écoulé vint atténuer ses ombres. Molé, Pasquier et bien d'autres n'loins notoires se dirent peut-être que
le choix qui 1es avait appelés au Conseil d'Etat valait, par son
auteur et par son objet, plus de lustre à leur nom que ceux
dont avaient procédé depuis leurs qualités de députés, de pairs
ou de ministres, partagées avec tant d'hommes que Napoléon
n'eût jamais introduits dans son Conseil, fût-ce comme maîtres
des requêtes. Ils purent 'également penser que, de toutes les
activités collectives auxquelles ils avaient participé, la plus réellement vouée au labeur soutenu et fécond s'était déroulée au
sein du Conseil d'Etat consulaire et · impérial, dans les débats
discrets de ses sections et de son assemblée générale, en cette
tâche que célébrait Balzac dans le chapitre du Curé de village
où, après àvoir critiqué sans ménagement ni justice le régime
successoral du Code civil, il n'en faisait pas moins évoquer avec
regret par un de ses personnages « les admirables conseillers
d'Etat qui, sous l'Empereur, méditaient les lois ... Il.
Charles DURAND
Professeur à la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques d'Aix
�.. ::.
�1
�LE
CORSAIRE MORDEILLE
�1
�Le Corsaire Mordeille
L'institution de la course maritIme a. tenté de nombreux
chercheurs, historiens, juristes et imagiers populaires, mais il
reste encore d'amples archives ' à explorer avant de pouvoir
prétendre à l'épuisement du sujet sous ses différents aspects :
économiques et financiers, sociaux, juridiques et folkloriques ,
car l'histoire de la course se double d'une histoire des corsaires,
dont le pittoresque a tenté de nombreux chroniqueurs populaires.
Dans cette histoire, petite ou grande, divertissante ou sérieuse, la Provence a sa place, moins importante sans doute que
la Bretagne. La Méditerranée, par ses dimensions relativement
réduites et ses passages obligés, a été lieu d'élection pour la
course et les provençaux s'y démenèrent au grand siècle avec
une telle liberté de style qu'ils fournirent l'occasion d'une ordonnance du 23 février 1674 prescrivant qu'à l'avenir les armateurs de navires destinés à la course devraient donner, aux
sièges d'amirauté, une bonne et suffisante caution et de bons
et solvables certificateurs (1). La course n'est pas la piraterie
mais elle risque d'y conduire.
Disparue en Europe, en fait dès 1815, en droit depuis la
Déclaration de Paris du 16 avril 1856 qui, au lendemain de la
guerre de Crimée, a solennellement consacré sa désuétude et
interdit sa renaissance, la course a été une institution régulière
de la guerre maritime, associant les particuliers, armateurs et
capitaines, aux forces navales dans la guerre au commerce
ennemi. Seuls pouvaient armer ou opérer en course les individus
ayant reçu par commission une délégation du pouvoir souve:
rain de guerre. La capture ne sera de bonne prise que lorsqu'elle aura, comme telle, été vérifiée et validée par le juge
compétent. « Toute prise doit être jugée ». Un double con-
(1)
de Pistoye et Duverdy, Traité des Prises Maritimes . p.
'-
~37
[90.
�tr6le, préventif et juridictionnel, discipline l'institution dans
pratique en la préservant, non sans mal, de l'excès (2).
sa
Dans les annales de la course, aux confins de la grande
et de la petite histoire, urt personnage de Provence, peu connu,
mérite davantage qu'une simple mention. Mordeille n'est pas
un corsaire comme les autres. Ecl~psé par le Chevalier Paul,
cet enfant du peuple que l'Ordre de Malte arma chevalier ,
de même que par ce grand seigneur qui s'arma lui-même, le
Comte de Forbin-Gardanne, Hippolyte Mordeille possède des
titres multiples à retenir l'attention.
Il est, tout d'abord, l'un des derniers titulaires de cet armement en guerre qui survit à la course de représailles, propre au temps de paix, qui a disparu à "la fin du XVIIIme siècle.
Mordeille, d'autre part, a cumulé les commissions. Corsaire
français sous trois régimes, la Révolution, le Consulat et l'Empire, il présente ce trait particulier, et cette anomalie juridique,
,d ans le 'droit des prises, d'avoir été, en fin de carrière, commissionné par le Roi d'Espagne. Enfin, au cumul des allégeances
et des ,:"égimes il ajoute celui des théâtres d'opérations. Après
avoir longuement combattu sur mer, il finit en fantassin, par une
commission de milice qui prolonge , curieusement sa dernière
commission en course.
-
'
.....
Le seul élément d'unité dans sa carnere aventureuse est
d'avoir toujours eu pour ennemi, sur mer comme sur terre,
l'Anglais. C'est la constance de sa destinée. Pitt ne l'a pas ignoré. Il n'est pas sûr, comme Mordeille s'en est vanté, qu'il lui
ait fait, à son tour, des offres de commission, mais il est presque
certain que pour l'abattre il ait mobilisé un amiral, Popham, et
un général de Sa Majesté, Auchm1Jty. Le personnage en valait
la peine.
On peut s'étonner, dans ces conditions, que sa renommée,
en France et surtout en Provence, ait été des plus brèves et
mesurées. Que Byron ne l'ait pas pris pour modèle, cela se
conçoit; que le Marseillais Autran l'ait ignoré dans ses poèmes
élégiaques de la mer, cela vaut mieux pour sa mémoire, mais
que le bi-centenaire de sa naissance ait passé inaperçu, on
peut s'étonner de cet oubli. Indifférence ou mépris ? Quelle
peut être l'origine de ce sort malheureux ?
Serait-ce parce que Mordeille aurait été fortement intéressé
aux profits de la course et quelque peu pirate.' mais quel
(:1) Marseille a été appelée à jouer dans l'histoire de cette di'icipline
de la course un rôle influent, notamment comme siège principal de l'Amira,uté de Provence et des mers du Levaklt. V. J ean-Mal'c David, l'Amirauté de PrOvetlce, thèse, Aix, 194:1.
�corsaIre célèbre pouvait se flatter, de son vlvant, de n'avoir pas
sinon pillé lui-même du moins fermé les yeux sur les exactions
de son équipage, rarement de premier choix ? Si la course
est une occasion de patriotisme elle . est aussi une affaire et
il est parTaitement admis, dans les termes des commissions,
d'armer en guerre et en marchandises.
Serait-ce parce que Mordeille a fait, en marchandises, le
commerce des esclaves, mais la traite était légale à l'époque,
sinon moralement licite, jusqu'à son abolition nominale en 1815
et les noirs dont il fit marché furent bel et bien capturés sur
les bateaux de la puritaine et sensible Albion.
Un poète et un érudit du terroir aixois de la République
des Lettres a récemment rompu cette conspiration du silence.
Dans sa « Voie Romaine » (3) Bruno Durand, ancien conservateur de la Bibliothèque Méjanes, secrétaire perpétuel de l'Académie d'Aix, a célébré Mordeille, avec une fetveur félibréenne,
dans un chant d'épopée au rythme étincelant.
Plus connu en Uruguay, Mordeille a retenu notamment l'at_tention de Phistorien Marco Falcao Espalter qui lui a rendu
hommage en 1921 et en 1926 (4), utilisant en partie des documents inédits dont il revendiquait la découverte.
Dans l'expectative d'une recherche à ·entreprendre dans les
archives de la marine, et qui pourrait tenter un historien, la
relation de Falcao Espalter offre, pour un commentaire de droit
international, des garanties suffisantes (5) pour autoriser, de seconde main, un essai valable sur les événements intéressant,
tout au moins, le dernier stade de la vie aventureuse du corsaire
provençal.
François-Hippolyte Mordei11e naît à Bormes, dans le Var,
dans les premiers jours de mai 1758. Son acte de baptême,
dressé le 6, le désigne fils légitime de Salvador et de MarieLu'èie Cauvet.
(3) Lou Cilmin Roumieu, Poème .. provençaux avec traduction française,
'959, pp. 126- 137.
(4) Hipolito Mordeille, corsario francès al servicio de Espana, 1804] 807, Montevideo 1921 Entre ~os Siglos, El URUGUA y Alrededor
de 1800, Montevideo 1926, pp. 197 à 256. Falcao Espalter fait état
d'une biographie de Mordeille par Groussac et Benoist, dont nous n'avons
pu retrouver la référence dans les catalogues de la Méjanes et le catalogue général des Livres de la Bibliothèque Nationale.
(5) Je tiens ici à remercier Mademoiselle Jeanne Lagarde, qui a traduit
pour moi le chapitre précité d' ~ Entre Dos Siglos » que j'ai eu la
chance de trouver et la curiosité de parcourir dans la Bibliothèque laissée
par mon père, dont elIe fut la très dévouée secrétaire.
-
.239
�me, 11 n;est pas fait pour les Joies du foyer et son théâtre élu
d'opérations cbange. De la Méditerranée il passe à "la mer
des Antilles, qui est également favorable, par ses contours,
à la guérilla maritime. Il y sert l'Anglais sur le brigantin
Caraïbe avec une audace et un mordant qui déterminent Londres à mobiliser contre lui une véritable flotille de chasse. Prudemment Mordeille décide de se replier vers les mers du Sud,
après escale à Marseille où il retrouve son épouse résignée
et entre en société avec MM. Ribert et Cie qui ont siège
social au bord du Lacydon et correspondants à Cadix. Depuis
1795 (traité "de Bâle du 22 jl:lillet) nous sommes en paix avec
l'Espagne et les Provinces Unies, paix qui tour à tour, pour
l'Espagne, s'est transformée en alliance (traité de San-Ildefonso
du 18 août 1796, confirmé en 1800) puis en neutralité (traité
de Paris du 22 octobre 1803). Sous la menace du Camp de
Bayonne, Bonaparte, 1er consul, a exigé du célèbre Godoy,
amant de la Reine Marie-Louise, affublé par le complaisant
et l'inexistant Charles IV du titre -de « Prince de la "Paix »
cette singulière neutralité. Le Premier Consul a rappelé à l'ambassadeur Azana, qu'il traitait en ami, qu'aux termes du traité
d'Ildefonso, il avait le droit d'exiger de Madrid la fourniture
de 15 vaisseaux, 6 frégates, 4 corvettes et 24.000 soldats.
Par ~ affection pour son allié le Roi Catholique )l, il consentait
à sa neutralité, ardemment désirée, en échangeant cette promesse
de secours contre un subside en argent et 1a liberté d'introduire
en Espagne les produits des fabriques françaises.
Si nous signalons le fait c'est parce que cette neutralité
purement nominale va jouer un rôle effectif dans la suite des
aventures de notre personnage. Si Pitt ne s'en embarrassa guère,
elle fut prise au sérieux en Amérique espagnole par le Vice-Roi
de Buenos-Aires, et MordeiIle en fut la victime.
Le )'écit çle Falcao Espalter qui, pour la suite des événements, nous offre une source inédite, en fait !oi (9).
(9) 11 s'agit de l' « Inventaire et relation des papiers trouvés à bord
du brigantin la Diana commandé par le citoyen Mordeille, signé par Monsieur l'officier des ordres, en présence de moi, l'écrivain ". L'écrivain en
question est l'un de ces archivistes embarqués qui, depuis un ordre de
l'Amiral de France du 20 avril 1697, étaient établis sur les vaisseaux
armés en course pour « empêcher qu'aucun effet ne soit dissipé, et
COnSel"Ver par ce moyen les intérêts des armateurs et les nôtres ». Ainsi
s'exprime Louis Alexandre de Bourbon, comte de Toulouse, amiral de
France. Voir texte dans Lebeau, Nouveau Code des Prises, T. l, p. 239.
Ne soyons pas étonnés de retrouver cette institution monarchique en péétroitement lié à la
riode révolutionnaire. Notre droit des prises course :;- défie le temps et il n'est pas rare de trouver dans les
arrêts récents du Conseil des Prises des considérants tirés de ce monument prestigieux et incomparable du droit de la mer qu'cst l'Ordonnance de la Marine de 1681, avec le célèbre commentaire de Valin.
�Le 2 janvier 1804, venant du Cap de Bonne Espérancè,
Mordeille aborde aux plages de Montevideo sur le briCk hol1andais Ho op, dont les passeports sont reconnus valables. MM.
Ribert et Cie l'ont armé et remis à Hippolyte Mordeille. Il revient en avril, tirant à son corps défendant la goélette anglaise Neptuno qu'il a capturée sur la côte africaine avec un
chargement -d'esclaves. Invoquant la neutralité, le Vice-Roi lui
fait faire sommation de se retirer: Le 5 mai le Hoop et sa
c~pture doivent quitter le port.
Que faut-il penser 'de la mesure ? Un neutre doit-il refuser
l'accès 'de ses ports à un navire belligérant conducteur de prise ?
Nous sommes en présence d'une question très controversée du
droit des prises, intéressant les 'devoirs de l'Etat neutre dans
la guerre maritime. Elle met en cause l'intérêt et 'le souci des
neutres de voir leur territoire respecté par les belligérants. Ce
droit essentiel de la neutralité ne peut être reconnu sans contre-partie et l'on conçoit que les neutres aient répugné, pour
éviter tout reproche de partialité venant d'un bel1igérant, à
donner accès 'dans leurs ports à un navire capteur et, à plus
f.orte raison, à la vente des prises.
A 'l'époque ces droits ne sont établis d'une façon à pèu près
certaine .,q ue par traités bilatéraux. En l'absence de traité, la
pratique est variable. Dans le cas d'une capture de course, elle
peut être considérée cependant comme généralement acceptée,
et elle est défavorable au corsaire : Ce n'est qu'au cas d~ péril
de mer, ou dans l'urgence d'un secours indispensable, que le
corsaire et sa capture auront accès au port. Ils devront reprendre
la mer, le plus vite possible, dès le danger passé ou le secours
reçu.
C'est la règle qu'adoptera, dans son article 21 la Convention
de La Haye de 1907, pour les captures' de la marine de guerre,
la course étant interdite depuis 1856.
La décision de Montevideo était donc régulière. Elle était,
au surplus, conforme aux instructions du « Prince de la Paix »
soucieux d'éviter au maximum un sujet de conflit.
Que va faire Mordeille ? Il emmène docilement sa prise
indésirable sur Cayenne puis il rejoint sa base portugaise du Cap
en quête de nouvelles campagnes et de nouveaux marchés
d'esclaves. Six mois passent èt le 19 novembre 1804 le voici
de retour à Montevideo à bord d'une goélette la Diana qui
accompagne la Ligeria commandée par Jean Beaulieu.
La notoriété du précédent incident - Montevideo, fondée en
1725, ne compte en 1803 que 4.722 habitants - suffit pour
rendre suspect cet attelage. La Diana ne serait-elle pas une
capture déguisée ?
-
2.cp -
�Une enquête est oùverte. La Ligeria est aussîtÀt reconnue
comme étant le Hoop, sorti en grande pompe le 5 mai pour
la Guyane. Dans une déclaration du 21 novembre, Mordeille
affirme que le Diana - 120 tonneaux, 22 hommes d'équipage - est un brigantin français, armé par MM. Ribert et Cie
de Cadix. Que sorti le 2 août du Cap de Bonne-Espérance, lui
Mordeille est arrivé le 5 septembre à Saint-Paul de Loanda,
dans l'Angola, où il a procédé à l'achat de 105 noirs, consig11és avec le navire à l'ordre de Don Juan Antonio de Lezica,
à Montevideo. Qu'il a fait escale du 26 octobre au 2 novembre
au Brésil, pour renouveler sa provision d'eau. Comme le capitaine du port observe que le bateau est armé de deux canons, Mordeille proteste qu'il n'est nullement corsaire et n'a
jamais pratiqué la course. Des déclarations identiques sont recueillis du capitaine de la Ligeria, mais Don Juan Vargas,
chargé de l'instruction, n'est pas convaincu. Très vite, les déclarations des àeux capitaines sont con'tredites par l'interrogatoire de l'équipage et de quelques marins déserteurs des
forces royales espagnoles, recherchés par les frégates Astrea et
Asuncion, que l'on découvre dans la cale. Les -matelots déclarent « qu'ils sortirent de Montévideo sur le Hoop à destination
_du Cap de Bonne-Espérance, que de là ils naviguèrent pour
la côte occidentale d'Afrique, dans le but de faire la course contre
les embarcations anglaises· de traite qui s'y trouvaient ; qu'après
vingt-quatre jours de quête sans trouver de bateau ennemi, ils
arrivèrent à Loanda où ils demeurèrent huit jours. Qu'ensuite,
ils rencontrèrent en mer libre le bateau anglais Diana qu'ils
prirent en chasse ... ». Les déserteurs ajoutaient que Mordeille leur
avait fait promettre que « sous aucun prétexte ils ne diraient
que ce bateau était une prise, mais qu'il avait été acheté au
Cap de Bonne-Espérance... qu'à son arrivée à la hauteur de Punta
Carretas, le capitaine Mordeille les avait eq,fermés dans la
cale ».
L'enquête révéla, d'autre part, que les navires suspects opéraient sous trois patentes - avec changement consécutif <!e
pavillons - française, gênoise et hollandaise.
Ainsi découverts, Mordeille et son lie~tenant furent arrêtés
et transférés à bord du courrier El Fuerte. Pressé de s'expliquer sur les contradictions signalées, l'astucieux marseillais se
mit de bonne grâce à table-, après qu'on eut découvert, dans
les papiers du bord, à côté d'un certain nombre de documents
fabriqués, pour camoufler la prise, son journal et des lettr~s
à sa femme et à ses armateurs, suffisamment explicites pour le
confondre.
Dans une nouvelle déclaration, faite le 1er décembre, à
bord de la frégate Asuncion où il a été transféré} Mordeille
donne, sous la foi du serment, la relation véridique et sincère
-
2~
-
�des faits déjà établis par les documents saIsIs. On y trouve
cet aveu sans réserve: «Ayant considéré que je ne pouvais
introduire la prise dans ce port comme neutre, suivant l'exemple que les prises antérieures ne m'avaient pas été admises
et désirant éviter un préjudice aux armateurs en même temps
que j'espérais de ma prise l'intérêt que j'en pouvais escompter ... je décidais de me diriger sur ce port, dissimulant la prise
et me .présentant avec mes bateaux comme embarcations marchandes non susceptibles de porter préjudice à un tiers ».
Le 5 décembre, déplorant la privation de ses biens - esclaves compris - il supplie qu'on le libère, pour lui permettre
de faire la preuve de son attachement à l'Espagne. Il, est 'prêt
à sacrifier sa vie pour la couronne de S.M.C. en reprenant la
lutte contre l'Anglais, l'ennemi commun. Sa proposition n'est
pas de pure jactance. Nul n'ignore, en effet, que la neutralité
équivoque pour la sauvegarde de laquelle les poursuites avaient
été engagées est morte.
Avant même que le procès n'ait été ouvert, Pitt, au grand
scandale de l'Europe, a donné l'ordre à ses croiseurs de courir
sus aux navires espagnols et le 5 octobr e quatre frégates, venant de Buenos-Aires et de Lima, sous la flamme de Bustamante y Guerra, chargées de 4 millions de piastres ont été
assaillies, l'une d'eUes coulée et les autres saisies. Bien que,
à la suite de ce Pearl Harbour avant la lettre, Charles IV
ait déclaré la guerre à l'Angleterre, le 12 décembre 1804, le
procès de Montevideo suit son cours. Mordeille multiplie les
suppliques et les offres de service. Epuisé par l'inaction, il désespère et dépérit. Le licencié Molina qui le visite à bord de sa
prison flottante constate « une attaque d'insuffisance rénale
jointe à un grand abattement d'esprit ». Il obtient enfin sur
prescription médicale une libération conditionnelle sous caution. Le 19 décembre, du domicile d'Antonio Masini qui l'a
recueilli, et qui achètera la cargaison d'esclaves pour la somme
de 13.655 pesos lourds, il demande qu'on lui permette de quitter
le port. Le promoteur fiscal Nicolas de Herrera transmet la demande, le 3 janvier 1805, avec avis défavorable. Mordeille
n'a-t-il pas eu l'audace de tromper les autorités avec de faux
papiers pour éluder la prohibition de vendre dans les ports
des Indes les prises faites aux puissances amies ? N'a-t-il pas
méconnu les règles admises du droit des gens et compromis
les relations du Cabinét espagnol avec l'Angleterre ?
L'accusation manque cependant d'opportunité. Le 11 janvier 1805, le Cabinet de Londres a répondu par une déclaration
de guerre à la déclaration espagnole. Toutes les formes internationales valident dès cet instant l'état de guerre entre l'Espagne
et l'Angleterre. Mais les procédures internes sont tenaces et
ce n'est que le 23 juin que Mordeille, réconcilié avec le Vice-Roi,
sera libéré. On demandait son expulsion. Il sort comnlissionné
en course par le Roi Très Catholique, au Roste de COllJIl1an-
�dement de la frégate San Fernando alias el Dromedario qui
porte le pavillon immaculé de Castille sommé de la croix
maure de Saint-André. Il gagne son champ de prédilection, sur
la Côte d'Afrique, au large, pour être éventuellement 'a u couvert, des établissements portugais.
Jamais corsaire ne fit course plus chaude et plus correcte
à la fois. Tout entier à son ardeur guerrière, négligeant les
profits de la traite et l'emploi des faux pavillons, consentant
cependant, suivant l'usage établi par l'Angleterre, à n"affirmer
ses couleurs qu'à l'instant du combat (10), Mordeille se livre
à sa passion et la chance récompense son courage. Le Dromadaire fait 'bonne charge sur le désert de l'océan. Le 15 août,
c'est la frégate Nelly qui amène ses voiles. La prise est belle:
400 't onneaux, 22 canons, 51 hommes d'équipage. Le 20 août,
c'est au tour de l'Elisabetb, de même rang. Le 28 septembre,
face à Loango (Guinée), les frégates insulaires Sara, Sixter et
Hind se rendent à leur tour. Suivi de toute une caravane le
Dromadaire triomphant prend le chemin du Rio de la Plata
où les captures sont scrupuleusement validées par la junta de
Marina de Montevideo, selon l'ordonnance de course de Charles IV du 20 juin 1801.
- Nous sommes en 1805. Cette année prestigieuse p,our Mordeille sera, un mois plus tard, une année de deuil pour les
pavillons français et espagnol. Qui, en évoquant le souvenir de
Trafalgar, songe au fougueux provençal dont l'exploit est bien
fait pour en adoucir l'amertume?
Les Lords de l'Amirauté furent loin de négliger cette conjoncture. Malgré Trafalgar, MordeilIe demeure plus que jamais
l'ennemi à abattre. Alors s'ouvre la seconde phase de son
épopée. Les circonstances vont l'enlever à la mer pour poursuivre
la lutte sur un théâtre d'opérations qui n'était pas de son choix.
Cessant d'être corsaire il devient soldat du Roi Catholique et
livre ses derniers combats sur la terre ferme, comme chef
de milice, ,régulièrement incorporé dans les forces' espagnoles
des Indes qui luttent, en 1806 et 1807, contre l'invasion anglaise.
Curieuse invasion, qui ajoute à sa gloire, car elle ne correspond nullement à un plan de conquête et les historiens britanniques ne ' lui prêtent qu'une fugitive attention.
Falcao Espalter rapporte qu'au jugement de Daniel Garcia
Acevedo, célébrant le centenaire de la libération de BuenosAyres le 12 août 1806, les invasions anglaises ont eu pour objectif direct de détruire dans leur r~paire les corsaires fra~çais
des Indes dont la prestigieuse popularité offensait l'amour-propre
britann~que. La première expédition lut un succès. Le Vice-Roi
(10) Pistoye et Duverdy signale sur ce sujet toute une controverse
chez les auteurs spécialisés dans le droit des prises.
�.1
....
Sobremonte, fuyant le combat, avait abandonné Buenos-Ayres,
sa capitale, aux forces anglaises. Les Montévidéens, soulevés
d'indignation, décidèrent aussitôt d'en entreprendre la reconquête. Santiago de Limiers, capitaine de frégate de la marine
royale, prit la tête d'un corps expéditionnaire qui, au milieu de
l'allégresse populaire, parvint jusqu'à la colonie du Sacrement
où ses troupes furent rejointes par une flotille de 7 à 9 chaloupes improvisée par Mordeille. L'opération réussit. Mordeille
fu"t le premier à débarquer sur la grande plage de Buenos-Ayres
sous le feu britannique, le premier encore à 'l'assaut des murs
vétustes de la capitale, comme à l'abordage. Follement acclamé, à son retour à Montevideo, comme le libérateur de Buenos-Ayres, Mordeille décide de s'enroler définitivement au service
de l'Espagne, offrant à Sobremonte de contribuer à la défense
de la ville en recrutant un parti de miliciens. Le Vice-RoÏ accepta, à la grande satisfaction de Mordeille, mais sans dissimuler
dans sa réponse son inquiétude dans « les circonstances où se
trouve cette place, menacée d'invasion par un nombre considérable de bateaux en vue ».
De fait l'Amiral Popham, ayant reçu les renforts de troupe
du général Auchmuty, se préparait de n<;>uveau à l'attaque. Mordeille eut le temps de mettre sur pied, sous le titre de corps
des hussards, un parti de quelque 300 hommes dont il eut la
coquetterie, dans la confusion générale, de régler la tenue ' jusqu'au moindre détail. Les Hussards de Mordeille prêtèrent serment "à la Couronne et s'y montrèrent fidèles jusqu'au sacrifice
suprême.
Après avoir battu au CardaI, le 20 janvier 1807, le malchanceux Sobremonte, qui abandonna la place et provoqua le
massacre d'une troupe en désordre, Popham et Auchmuty assiégèrent Montevideo. Le 3 février la ville, après une défense
héroïque, dut se rendre. Mordeille et ses hussards périrent dans
les combats corps à corps qu'ils livrèrent aux Anglais dans
les rues de la cité.
Ainsi mourut, en fantassin, au "terme d'un cycle "d'une vingtaine d'années de vie ardente et forcenée sur les durs chemins
de la mer, cet enfant de Bormes," voisin par ~on terroir d'"origine, sur la côte des Maures, du Bailli de Saint-Tropez. Les
officiers du Grand Corps, sous l'Ancien Régime, avaient en
piètre estime les gueux de la mer qui mêlaient sordidement
l'argent et les ,affaires au noble métier des armes. Mais il
est bien qu'il se soit trouvé dans la marine de guerre des marins
pour faire l'éloge de la piraterie, lorsqu'elle était une ' école de
courage et 'd'audace (11).
Paul de LA PRAD ELLE
Professeur à la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques d'Aix-en-Provence,
Associé
de
l'Institut de Dt'oit
(Il) Ortolan, La Diplomatie de la mer.
Interna.tional
�LES SYNDICATS ET L'ÉVOLUTION
DE LA POLITIQUE DES SALAIRES
AUX PAYS-BAS
(1)
(1) L'article ci-dessous est extrait du texte d'une conférence donnée
en 1959 à la Faculté de Droit et des Sciences économiques d'Aix-en-Provence par M. Ch. Savouillan. Le Professeur F. Sellier assume la responsabilité des réductions qui ont dû être faites pour la publication.
�1
�INTRODUCTION
Si l'on considère la politique et le reglme des salaires actuellement en vigueur dans les pays voisins de la France, la
politique des Pays-Bas attire particulièrement l'attention. Alors
que dans la plupart des pays, les employeurs et les travailleurs
ont, depuis de nombreuses années déjà, retrouvé le droit de déterminer librement, par accords contractuels, les salaires et conditions de travail (en Allemagne depuis 1949, en Bel-gique d.puis 1947, en Italie depuis 1945, en France depuis 1950), aux Pays-Bas la politique salariale, comme
l'ensemble de la politique économique, est strictement dirigée,
le gouvernement disposant de pouvoirs étendus qu'il exerce d'ailleurs en contact étroit avec les milieux, économiques représentés
dans divers organismes (1).
Pourtant, depuis 1959, le gouvernement a mis en vigueur
une nouvelle politique des salaires. Celle-ci laisse plus d'initiatives
aux organisations professionnelles. Toutefois, en liant les hausses de salaires à l'accroissement national de la productivité, elle
suppose toujours un contrôle a posteriori des accords passés (2).
(1) « L'évolution des salaires et la politique salariale dans les pays de
la Communauté », C.E.C.A., Luxembourg, Sept. 1957 ; Revue Internation~le
du Travail (B.I.T.), juin 1953 : ~ La participation coIlective aux bénéfices » par A. Vermeulen - février 1956, Politique Nationale des Salaires:
L'expérience des Pays-Bas par B. Zoeteweij.
Ces publications nous ont été très utiles pour la rédaction de ' cet
article, et nous les avons largement utilisées.
;1
(2) Sur ce point, voir infra, p. 147. Le Bulletin SEDEIS du 1/4/1960
publié une intéressante mise au point de L.H. Klaassen et L.M. Koyck.
�1
Première Partie
La sItuatIon politique et syndicale
1. - La situation politique
Les Partis Politiques
Il existe aux Pays-Bas une douzaine de partis politiques.
Le parti travailliste et le parti catholique sont de beaucoup
les plus importants et dominent la vie politique du pays.
.
Pourcentages des voies obtenues par les différents partis
lors des élections à la Chambre des Députés
#'
Catholiques
Travaillistes
Protestants :
\ Anli révolut.
Chrétiefo1s histonques
(
autres
Total
Libéraux
Communistes
Autres partis
lotal
1956
1959
30,8
31.~
28,3
3i,7
31,6
30,4
{16:4)
(12,9)
(9 9)
(9,4) .
( 7.5)
( 9,9)
( 7,8)
( 2,8)
(8,4)
(2,9)
(2.H)
33,8
25,5
21,2
<!O,3
6,4
3,4
6,4
10,6
12,2
3,0
fl,6
0.4
8,8
4,8
0.8
100,0
100,0
100,0
100,0
1937
1946
28,8
2~ ,O
J
(8,1) .
2,5
L'examen de ces chiffres met en évidence :
- Le progrès des travaillistes. Entre 1937 et 1959 le nombre
de voix qu'ils obtiennent augmente de 38 0/0. Mais la dernière
consultation leur a été défavorable.
-
:0:
"'<t
lSO
-
�- Une certaine · stabilité du parti catholique. Certes, celui-ci
progl'esse entre 1937 et i 946, mais le gain est faible et la · situation a peu varié depuis.
- Le recul très net des protestants qui perdent 40 % de
leurs suffrages entre 1937 et 1946. Cette évolution n'affecte pas
l'Union Chrétienne Historique qui améliore légèrement sa situation, mais les pertes enregistrées par le parti anti-révolutionnaire
(dont un des membres est Ministre des Affaires Economiques depuis de longues années) sont ·très sensibles (420/0).
- Les progrès des libéraux en 1948 et en 1959 ; alors qu'en
1946 ce parti s'était retrouvé dans la même situation qu'en 1937,
l'amélioration de sa position lors des dernières élections est
particulièremen t remarquable.
- La diminution constante de l'influence du parti communiste, malgré l'augmentation sérieuse entre 1937 et 1946 du nombre de voix qu'il rassemblait.
-
La quasi disparition des petits partis.
_ Il apparaît donc que les forces politiques ont tendu à se grouper sur les partis travailliste et catholique. Le premier semble
aVOir bénéficié des suffrages qui se portaient auparavant sur le
parti communiste.
Le Gouvernement
Depuis le lendemain de la guerre sept gouvernements se
sont · succédés à la tête du pays. Si l'on excepte le gouvernement de transition mis sur pied en décembre 1958,
une coalition entre les travaillistes et les catholiqu~s a été leur
base permanente avec, suivant les cas, une certaine participation
des partis protestants.
Ainsi, les deux partis qui représentent plus de 60 % des
voix ont été associés depuis la Libération jus.qu'à la fin de l'année 1958 a 'la direction du pays.
II. - Situation syndicale
Les Organisations Professionnelles d'Employeurs ·
Les employeurs néerlandais sont répartis dans trois organisations professionnelles : la Fédération SoCiale Centrale des
Employeurs qui est neutre et qui est la plus importante, la Fédération Catholique des Associations Patronales et, enfin, la Fédération des Employeurs Protestants des Pays-Bas.
-
lSI
�Ces trois fédérations collaborent habituellement entre elles
sur tous les sujets industriels et économiques ; dans le domaine
social, elles se rencontrent avec les trois organisations agricoles
et les trois organisations de classes moyennes (une neutre, une
catholique, une protestante) .c:Ians un organisme de liaison : le
Conseil de Direction pour les Questions du Travail.
Les Organisations Professionnelles de Salariés
Il existait au lendemain de la guerre quatre confédérations
importantes :
le N.V.V.,
le K.A.B.,
le C.N.V.,
le E.N.C.,
n'était pas
conf~dération socialiste,
confédération catholique,
confédération protestante t
confédération communiste, dont
négligeable.
l'importance
Si l'on examine la situation actuelle on peut constater
une quasi-disparition de la centrale communiste,
un développement important 'des organisations socialiste,
cathoiique et protestante.
Le nombre d'adhérents de ces trois organisations représente
en 1957 34,2 % de l'ensemble des sal:y-iés. Si l'on tient compte
de quelques autres organisations indépendantes groupànt des employés, des fonctionnaires, etc... on peut estimer que le nombre
des syndiqués (1.334.000) représente 40 % des salariés. Ce pourcentage est important et tait des Pays-Bas l'un des pays d'Europe où le pourcentage des salariés syndiqués est le plus élevé.
Tableau 1 :
Adhérents des syndicats (en milliers)
N.V.V. K.A.B. C.N.V. TouliR
(Socia- (Catho- (Protes- % 'II
salarl"
liste)
IIque)
tant)
(CaIIU'
Ristl)
4~t
- - - - - - -- - -23
110
170
289,5 153
162
::JO, 5
322
175
500
412
- -- -
1938
1949
1952
1957
E.V.C.
29~
377
34,~
216
12
Total IR
% dll
salarlis
--- --Autres
194-
40
En fait, c'est l'action du N.V.V., du K.A.B. et du C.N.V. qui
est déterminante dans les discussions relatives 'à la politique
-
'5 2
-
�des salalres. L'~chec de la confédération communiste est càractéristique. Dans les années d'après-guerre, eUe essaie sans
résultat de fusionner avec le N.V.V., s'efforce de déclencher des
mouvements contre la politique économique que soutenaient les
autres syndicats, mais ses adhérents la désertent et elle n'a actuellement 'plus beaucoup de signification.
Les autres organisations, dès le lendemain de la guerre,
créaient le « Conseil des Syndicats » à l'intérieur duquel une
véritable coopération organique s'institua.
Cette entente ne fut rompue qu'en 1954 à la suite d'un mandement de l'épiscopat néerlandais interdisant aux catholiques
d'adhérer au N.V.V. Celui-ci, trouvant ce texte offensant, rompit la collaboration. Cependant, un rapprochement s'imposa bien
vite et la collaboration fut officiellement rétablie 'e n janvier 1958.
Structure des organisations : avant guerre les travailleurs
étaient organisés sur le plan de la profession. En 1947 un
rapport établi par les trois confédérations (N.V.V., K.A.B., C.N.V.)
- compte tenu des tâches nouvelles qui incomberit au syndicalisme - conclut à la n écessité d'une organisation sur le plan
de l'industrie .
. Ce mode d'organisation a été introduit dans la plupart des
industries au N.V.V. et au C.N.V. A l'intérieur du K.A.B. il a
rencontré une forte opposition des agents de maîtrise, des tecbniciens et des cadres et a été provisoirement écarté.
Liaisons avec les partis politiques et concurrence syndicale
étant donné le rôle important que joue dans tous les regroupements le problème religieux, il est normal que les syndicats
soient assez étroitement liés avec les partis politiques correspondants :
Le N.V.V. est lié au Parti au Travail,
le K.A.B. au Parti Populaire Catholique,
le C.N.V. au Parti anti-révolutionnaire et à l'UnÏon
Chrétienne Historique.
Les relations se situent sur le plan idéologique et personnel
il n'existe aucun lieu organique, ni de rapport formel.
La ligne de partage confessionnelle apparaît partout, entre
les syndicats d'employeurs comme de travailleurs, entre les
partis politiques, à l'intérieur des classes moyennes comme dans
le monde agricole.
Pourtant la multiplicité des p'artis et organisations n'amène
�pas les surench~res, habituelles du pluralisme. Les pius importantes tendances collaborent :
sur le plan politique au sein du gouvernement,
sur le plan patronal dans le Conseil de Direction
pour les questions de travail,
sur le plan ouvrier dans le Conseil des Syndicats.
C'est que la divIsion ~yndicale repose sur des cloisonnements
traditionnels de la population, essentiellement stables. L'effort de
chacune des centrales vise à accroître le taux de syndicalisation
de la masse des salariés qui correspond à so11 ~tiquette idéologique et non à empiéter sur le domaine des autres.
C'est ce qui explique les évolutions non parallèles des mouvements syndicaux et des mouvements politiques auxquels ils se
rattachent. De 1938 à 1957, alors que sur le plan 'politique le
parti travailliste a progressé, le parti catholique est resté stationnaire et les partis protestants ont reculé. L'évolution a été différente sur le plan syndical : si les trois organisations se sont
développées, le syndicat socialiste a progressé de 70 0/0, le syndicat catholique de 142 % , le syndicat protestant de 96 0/0.
(Cf. Tableau 1).
Si · à l'échelon du pays on compare l'influence politique et
syndicale de ces trois courants, les résultats correspondent sensiblement pour les catholiques et les protestants (en 1956) (Tab. 2).
Tableau 2 :
.. '
.. :
- ..
Socialistes
Catholiques
1
Protestants
Politique Syndical Politiqu(> Syndical Politique Syndical
1956
32,7
0/0
37,4 Ofo
31,7
0/ 0
30,8
0/0
18,3
0/ 0
16/l
%
On peut cependant noter l'influence différente du courant
socialiste sur le plan politique et syndical, qui met en . évidence
sa force plus importante que celle des autres partis parmi les
salariés.
Si, à l'intérieur du mouvement syndical, on compare l'influence relative des socialistes, des catholiques et des, protestants,
on constate de 1938 à '1956
la stabilité des protestants,
le progrès des catholiques,
le recul des socialistes.
-
2H -
�Tableau
3
Importance de chacune des organisations syndicales par
rapport à l'ensemble des syndiqués (N.V.V., K.A.B., .C.N.V.)
~ocialisle;.;
1938
1957
Catholiquf'~
51 0/.
29,7 0/0
44,4 0/0
36,5 0/0
PfO ! e~t3nls
19,2 0/0
19,1 %
Les progrès du syndicat catholique proviennent en grande
partie de son implantation dane;; les industries du Brabant mais
surtout chez les mineurs de charbon du LimboUl'g où il rassemble
51 % de l'effectif et 80 % des syndiqués.
III. . Les principaux organismes de la
politique économique
Le Collège des Conciliateurs
Le Collège des Conciliateurs est l'organisme d'application des
décisions gouvernementales en matière de politique sociale. Il fut
institué en 1945. Les conciliateurs et leur président sont nommés
par le Ministre des Affaires Sociales ; ils ne sont pas des fonctionnaires d'Etat, ils constituent une autorité indépendante dont
les décisions doivent être conformes aux directives et instructions
générales données par le Ministre.
Les nouvelles conventions collectives et les modifications apportées à celles qui existent, "doivent lui être soumises pour approbation ; il peut prendre des mesures obligatoires, portant
réglementation des conditions de travail et de salaires ; il doit
avant toute décision sur des questions d'ordre général, demander
l'avis de la Fondation du .Travail.
La Fondation du Travail
La Fondation du Travail peut 'ê tre considérée comme l'organisme dont l'influence sur le d.éveloppement de la politique sa- .
lariale a été et est encore la plus importante ; c'est elle qui caractérise le système en vigueur. .
.
Elle a été créée dans la clandestinité par les employeurs et les
travailleurs qui s'y rencontraient pour définir la politique sociale
à app'liquer après la guerre.
.
:155 -
1
�En 1945, eile devlent un organisme volontaIre de coopération
entre organisations inter-professionnelles d'employeurs et "de travailleurs de l'industrie, du commerce et de l'agriculture.
Le Gouvernement l'agrée par un décret royal de 1945 ; elle
devient un organe consultatif pour l'exécution de la politique
salariale, par l'intermédiaire de sa Commission des salaires. Elle
groupe les fédérations des employeurs de l'industrie, de l'agriéulture et du commerce et les trois confédérations syndicales
(N.V.V., K.A.B. et C.N.V.).
Les statuts de la Fondation du Travail marquent bien son
caractère d'organe de collaboration entre employeurs et travailleurs, même si les objectifs qui sont fixés tiennent compte de
la situation des Pays-Bas à l'époque de leur adoption. Elle a
pour but:
a) de maintenir et, le cas échéant, de rétablir l'ordre dans
l'entreprise aussi longtemps que la situation de celle-ci ne s'est
pas stabilisée, ainsi que de prévoir le retour à des relations normales entre employeurs et travailleurs ;
b) de veiller dès lors à l'établissement et au maintien, grâce
à la collaboration entre employeurs et travailleurs, de bonnes relations sociales dans la vie économique des Pays-Bas.
Cette collaboration est la base de toute la politique salariale
des Pays-Bas. Les contacts au sommet et ceux qui existent entre
les organisations professionnelles dans la "plupart des secteurs
~ ont assuré tant au niveau d'une branche d'activité qu'au niveau
central, un fonctionnement souple et satisfaisant de la politique
salariale ; grâce à eux, des conflits du travail ont été évités et
la paix sociale maintenue » (3).
La Fondation du Travail, organisme de consultation mixte, au
niveau le plus élevé, donne des avis au Collège sur les questions
les plus importantes relatives à la politique des salaires, étudie
les vœux et revendications d'organisations professionnelles et les
confronte avec les directives gouvernementales ; elle essaie, "dans
certains cas, de réduire les différends et fait alors connaître sa
position au Collège des Conciliateurs qui prend la décision définitive.
Ce système fonctionne depuis 13 ans et l'on considère généralement qu'il a donné de bons résultats. Une étroite collaboration
s'est instituée entre le "Collège des Conciliateurs et la Fondation ;
les normes suivant lesquelles est appréciée la situation, sont jugés
(3) Indu'Strie, avril 1958 - F.H.A. de Graaff, Président de la Fédération
Sociale Centtale des Employeurs Néerlandais.
-
2S6 -
�les problèmes, sont devenues de plus en plus semblables. La
collaboration entre les deux organismes s'est développée, la similitude de vues a été toujours plus grande et, en général, peu de
graves divergences d'opinions se sont manifestées.
De fait, lorsque la Fondation a défini sa position, l'approbation
par le Collège n'est souvent qu'une simple formalité.
La Fondation du Travail apparaît donc comme le nœud de
la politique salariale aux Pays-Bas. Elle est le point où s'affrontent les opinions patronales et ouvrières, en général dans un
esprit de parfaife collaboration ; ses décisions en ont donc plus
de poids et influencent fortement la politique du gouvernement.
Le Conseil Economique et Social
Le Conseil Economique et Social couronne l'organisation économique aux Pays-Bas. Il fut institué par la loi du 20 janvier 1950 et est composé de 15 membres désignés par les organisations patronales, 15 membres désignés par les organisations
ouvrières, 15 membres indépendants nommés par le gouvernement.
Le Conseil a pour mission d'exercer une surveillance sur
l'organisation de l'économie et de conseiller le gouvernement
sur les questions économiques et sociales. Les ministres doivent
demander son avis avant de prendre toute mesure importante
en ces domaines.
.
Le Conseil formule des avis sur la situation économique du
pays, la politique des salaires, la sécurité sociale, la durée du
travail, etc ...
Les Groupes de Production et d'Entreprises
Au-dessous du Conseil Economique et Social se trouvent deux
catégories d'organismes : les groupes de production et les groupes
d'entreprises.
Tous ces groupes sont composés de six membres au mll11mum, désignés par les organisations professionnelles d'employeurs
et de travailleurs. Le président d'un groupe de production est
nommé par le gouvernement, celui d'un groupe d'entreprises pal'
le bureau du groupe. Le ministre compétent doit entériner ce
choix et peut d'ailleurs se faire représenter aux réunions.
Les groupes de production rassemblent toutes les entreprises
accomplissant des fonctions différentes dans la transformation et
la manipulation d'un même produit. Les groupes d'entreprises
-
Z57
- .
�rassemblent les entreprises accomplissant une fonction identi.
que ou similaire.
Dans les limites de leur compétence professionnelle, les groupes peuvent formuler des règlements qui -doivent être entérinés
par le gouvernement. La tâche de ces organismes est d'aider
les entreprises à « rendre des services profitables au peuple
néerlandais et de veiller à l'intérêt commun des entreprises et
de leur personnel ». Les règlements qu'ils prennent peuvent concerner la "fabrication, la yente, la répartition et l'achat des mal"
chan dises, la mécanisation, l'apprentissage, etc ...
Les Conseils Professionnels
Pour chacune des principales ,industries il existe un Conseil
Professionnel groupant les représentants des organisations d'employeurs et de salariés . C'est dans ces organismes que sont
discutés les problèmes intéressant les salaires et conditions de
travail de chaque industrie et que s'élaborent les conventions
collectives.
.
Mais, pour les problèmes importants (relèvements de salaires
par exemplé) les membres du Conseil ne font que délibérer sur
l'application de la décision gouvernementale dans leur industrie.
Ils signent un accord qui doit être alors agréé par le 'Collège des
Conciliateurs avant de pouvoir être appliqué.
-
:15 8 -
�Deuxième Partie
Conditions économIques
de la politique des salaires
1. - Quelques aspects de la situation économique (4)
Les Pays-Bas, pour vivre, doivent importer ; la seule source
de matières premières est le charbon du Limbourg, les réserves
de pétrole récemment découvertes près de la frontière allemande
ne couvrent que 25 % de la . consommation nationale ; on ne
trouve ni minerai de fer, ni bauxite, peu de laine, etc ... En 1938,
les matières premières et produits demi-finis représentent 58,3 0/0
des importations, alors que les produits fabr~qués représentent
52,8 % (69,5 % avec les produits demi-finis) des exportations.
Le commerce néerlandais était donc caractérisé par la proportion
élevée de matières premières et de produits semi-finis à l'importation et de produits fabriqués à l'exportation. C'est un
pays de transformation largement tourné vers l'extérieur ; le
commerce extérieur global (importations + exportations) représente 51,8 % du revenu national en 1948.
D'autre part, la natalité est très élevée ; elle est de 30 0 /0\>
en 1936, de 22,7 °/00 en 1950 (contre 20,4°/00 en France), le taux
de mortalité est le plus faible du monde : 7,5 °/00 (contre 12,6 °/0:>
en France) ; aussi, l'accroissement de la population est-il important : 1,21 Ojo en moyenne par an. Si l'on considère la période
1936-1 950, la population s'est accrue de 16 % aux Pays-"Bas et
de 1~ 2 Ojo en France.
Rappelons enfin que, pays tourné vers l'extérieur, les PaysBas ont été touchés durement avant-guerre par la crise économique- ; en 1936, si 1.960.000 salariés ont une occupation, 480.000
sont chômeurs.
La Politique Economique
L'Etat prend au lendemain de la guerre la responsabilité
complète de la politique économique et instaure un régime d'aus(4) Voir particulièrement sur ce sujet : Le Benelux, INSEE, 1953.
-
259 -
�térité. La lutte est engagée contre les facteurs inflationnistes
grâce à une série de mesures d'ensemble rigoureusement coordonnées. La production est planifiée, la consommation comprimée, les investissements développés, les méthodes de rationnement, de contingentement ,de subvention, sont largement utilisées
et s'inscrivent dans une politique systématique d'économie dirigée.
Outre la Fondation du Travail et le Conseil Economique et
Social, qui sont, suivant les cas, chargés de fournir des avis
en vue de la détermination des décisions gouvernementales ou
de leur application, le Bureau du Plan est créé en 1946. Il a
pour mission de donner au gouvernement toutes les informations
relatives « aux grandeurs qui sont importantes pour fixer les
grandes lignes de la politique économique, sociale et financière ».
Il ne s'agit pas d'un organisme de décision, le plan élaboré n'a
pas force de loi, les ministres ont à leur disposition des informations qui leur permettent de pratiquer une politique économique rationnelle, mais ils sont libres de leur choix.
La politique économique menée au cours des a~lnées qui SUivirent la guerre est nettement dirigiste. L'Etat yale rôle
prépondérant par une planification rigoureuse, par les pouvoirs
dont il dispose en matière de crédit, d'orientation des investissements, de répartition des matières premières, devises, etc ...
.'
.
Le développement de cette politique est facilité par la structure économique de l'industrie. Les Pays-Bas furent pendant
très longtemps une nation vivant de l'agriculture et du commerce ; l'industrie y est relativement récente et élIe est devenue de plus en plus l'objet de grandes unités, d'organisations
centralisées et monopolisées autour desquelles se centralise la
vie économique que l'Etat supervise par une planification précise.
Quels sont les objectifs de la politique économique du gouvernement ? Il s'agit avant tout d'assurer le plein emploi de la
main-d'œuvre. L'importance du chômage qu'a connu le pays
avant guerre est présent à l'esprit de tous et il convient d'éviter
qu'une telle situation se reproduise. Il s'agit aussi d'atteindre et
de maintenir l'équilibre économique extérieur.
Jusqu'en 1949, le commerce extérieur est minutieusement réglementé, les importations sévèrement contrôlées et réduites
maIgre les immenses besoins qu'entraîne la reconstruction de
l'économie néerlandaise. Les moyens de paiement manquent. Le
déficit de la balance des paiements est très important jusqu'en
1948 et nécessite les liquidations des avoirs à l'extérieur et de
l'encaisse-or, mesures qui doivent d'ailleurs être complétées par
des emprunts à l'étranger. L'aide Marshall arrive 'à point et l'on
estime qu'aucun des p'ays de l'Europ'e occidentale n'avait une
-
260
- .
�.position aussi difficile que les Pays-Bas au moment de l'application du Plan Marshall. Le Bureau du Plan a calculé que l'aide
Marshall avait permis une augmentation de 10 % de la consommation et de 50 % des investissements.
En 1949, la consommation et 90 % des investissements sont
couverts par des ressources nationales.
Mais à partir de 1949, nouvelle détérioration de la balance
due en particulier au développement plus rapide des investissements que de la production (en 1950, 75 % de ceux-ci sont financés par des ressources nationales), à la dévaluation du florin
(30,26 % par rapport au dollar) et à la hausse des matières
premières qui influencent défavorablement les termes d'échange
(1951 = 86).
Le gouvernement décide alors une réduction de 5 % de la
consommation et de 25 % des investissements. La balance des
paiements restera créditrice jusqu'à 1955 ; l'année suivante le
déficit réapparaît et amène à nouveau le gouvernement à pratiquer une politique systématique de restrictions.
La Politique Salariale
Employeurs et travailleurs ont discut& des problèmes économiques bien avant la Libération, dans la « Fondation du Travail »
qu'ils ont èréée. Ils se mettent donc facilement d'accord, 'à la
Libération, sur les principes généraux de la politique salariale
à suivre.
De même, l'accord se réalise sans difficulté avec le gouvernement.
La reconstruction de l'économie exigeant tout d'abord que les
salaires soient maintenus à un niveau assez bas, il convient toutefois d'assurer à tous les travailleurs un minimum vital qui 'permette de se procurer tous les biens rationnels au~quels a droit
une famille de quatre personnes. Ces conceptions sont à la base
de la réorgariisation du système de salaire et amènent la réduction des écarts entre les salaires :
a) réduction entre les salaires des différentes catégories professionnelles par un écrasement de l'échelle hiérarchique. Alors
qu'avant-guerre l'écart entre le manœuvre et l'ouvrier qualifié
était de 36 0/0, il est fixé à 18 % (manœuvre = 100) ;
b) réduction, et même suppression des écarts entre les salaires
pratiqués dans les diffé'r entes industries pour des postes de
travail comparables.
-
261
-
�Enfin, les écarts entre communes sont déterminés en fonction
du coût de la vie.
Telles sont les caractéristiques principales du régime et du
système des salaires. Pour les mettre en œuvre, une méthode
d'évaluation des tâches a été mise au point par une commission
d'experts. Approuvée par le Collège -des Conéiliateurs et les organisations professionnelles, elle est devenue la méthode offiéielle
employée dans la plupart des entreprises.
Le Collège des Conciliateurs a la responsabilité de la conversion des « valeurs de travail » en salaires. Aspect important
de la politique salariale, il est normal qu'il en ait le co"ntrôle.
Ainsi, alors qu'avant-guerre les salaires pratiqués aux PaysBas étaient 'très différents d'une entreprise à l'autre, d'une industrie à une autre, la politique salariale d'après-guerre tend à
faire disparaître cette situation, le travail de même valeur, quelle
que soit l'industrie ou l'entreprise, doit recevoir la même rémunération.
Si cette mesure est prise au nom de l'équité, de la justice,
elle permet d'ailleurs au gouvernement un contrôle plus facile
des niveaux de salaires. La technique de la qualification du
travail n'est donc pas simplement un Ïnstrument de gestion des
salaires dans l'entreprise, destiné à réduire les tensions et visant
ainsi au développement de la coopération aux objectifs du travail ; elle est aux Pays-Bas un instrument de la politique nationale des salaires.
Signalons aussi qu'afin d'éviter que par des moyens détournés
(prime de mérite personnel, prime de rendement par exemple)
les entreprises ne limitent l'effet de la politique d'égalisation des
salaires, des salaires moyens, maxima, par catégorie 01ft été
fixés et que des limites assez strictes ont été imposées en ce qui
concerne la rémunération au rendement .. lorsque les entreprises
pratiquent un prix de tâche fixé empiriquement, la prime maximum moyenne qu'elles peuvent verser est de 23 0; 0 ; lorsque les
tâches sont mesurées scientifiquement, le Collège des Conciliateurs peut autoriser le versement d'une prime de 33, 3 % du
salaire pour un rendement de 100 Ofo (72 unités Bedeaux).
Ainsi, par la méthode uniforme d'évaluation, par les règles
concernant les salaires moyens maximum, la rémunération au
rendement, le gouvernement développe une politique d'harmonisation des salaires qu'il peut étroitement contrôler ..
Systématiquement comprimés depuis 1945, les salaires néerlandais ne retrouvent "leur pouvoir d'achat de 1938-1939 qu'au
cours des années 1953-1954. Jusqu'en 1951, le gouvernement
s'efforce de garantir un cert~in p'ouvQi~ d'ach~t ; à cette d~te ce-
�pendant et, compte tenu de l'évolution de la balance des paiements, il décide une restriction systématique de 5 0;0 de la consommation.
Depuis 1950, les relèvements generaux de salaires décidés
prennent le nom de «ronde des salaires li. Si celles de janvier 1950, mars 1951, novembre 1951 ne visent .qu'à compenser
(partiellement en mars 1951) des augmentations du coût de la
vie, celles de janvier 1954, d'octobre 1954 et mars 1956 tendent à "faire bénéficier les travailleurs de l'amélioration de la
situation économique et prennent le nom de « ronde de prospérité » ; l'influence de ces rélèvements sur le niveau de vie
est sensible.
En 1957, la réapparition du déficit de la balance extérieure
amène le gouvernement "à décider une nouvelle réduction ode la
consommation, décision qui ne manque pas d'influencer le salaire
réel des travailleurs.
"
Signalons enfin qu'au cours de l'année 1958 la balance extérieure indique un solde créditeur, le coût de la vie tend à
diminuer, aucune augmentation générale n'est accordée.
Il. • La position des organisations ouvrière.
sur la politique des salaires
En mettant le plein emploi, la stabilité et le progrès économique au premier plan de leurs préoccupations, les organisations
syndicales admettent la riécessité d'une nouvelle politique économique. Elles sont donc favorables à une politique nationale
des salaires, des prix et des investissements.
Points de vue unanimes des organisations
En ce qui concerne les salaires, les organisations reconnaissent nettement la nécessité de l'intervention des pouvoirs publics ; elles admettent aussi
- que la consommation soit limitée pour permettre le financement des investissements favorables au développement constant
de la productivité et au maintien du plein emploi,
que les salaires soient maintenus à un niveau qui p'ermette aux coûts de production de rester adaptés aux conditions
de la concurrence internationale afin de développer les exportations pour maintenir en équilibre la balance des paiements.
Ce sont toutes ces raisons qui ont amené en de
f.r~quentes
�occasions les organisations syndicales à limiter leurs revendications.
A ces concessions correspondent d'ailleurs des engagements
de ligütation des marges bénéficiaires. Mais les organisations
ouvrières marquent nettement la nature fort différente des deux
engagements, puisqu' « un engagement relàtif aux marges bénéficiaires n'implique pas que l'ensemble des bénéfices ne puisse
augmenter » (5) lorsque la production augmente.
L'attitude des syndicats n'exclut d'ailleurs pas la revendication. Mais elle est toujours tempérée par deux facteurs impor-tants. D'une part, l'argumentation des uns et des autres s'appuie
sur des -chiffres reconnus unanimement; on ne discute pas
l'authenticité des statistiques, mais la revendication que l'on défend. Il convient sur ce point de noter qu'il existe à l'Office
Statistique, dont les travaux sont à la base de toutes les discussions, une commission composée d'employeurs et de travailleurs
dont le rôle est de suivre ses travaux et qui est en quelque sorte
garante de leur validité.
Enfin, même si la décision du gouvernement ou du Collège
des Conciliateurs ne correspond pas à la position des syndicats,
jamais elle n'est fortement contestée. Grèves ou manifestations de
protestation contre ce qui a été décidé sont rares. N'est-il pas caractéristique de constater qu'en 1957, le syndicat catholique des
mineurs déclenche une grève perlée, ce qui ne s'était pas vu
depuis longtemps dans cette industrie, pour obtenir des employeurs qu'ils acceptent, au sein du Conseil de l'Industrie Minière, d'accorder la prime de mineur aux ouvriers du jour; mais
que lorsque le gouvernement refuse la mesure décidée par le
Conseil, le syndicat ne tente rien pour lui faire modifier sa
position.
Divergences de vues entre organisations
Pourtant avec le retour à une situation économique normale,
les pouvoirs du gouvernement ont été mis en question en diverses
circonstances par les organisations catholiques et protestantes,
alors que le syndicat socialiste continuait à les défendre.
La position des uns et des autres trouve son origine dans
les principes qui sont à 1a base des organisations, dans l'idéologie qui anime leur action.
Pour les organisations confessionnelles le dirigisf!1e est un mal
nécess-a ire qu'impose la situation économique. « Même ceux
(5) Vermeulen, Revue Internationale du Travail, Juin 1953.
�qui (comme nous) rejettent en tant qu;objectif idéal de la Société, une politique salariale contrôlée sur le plan central par
les pouvoirs publics et ne l'acceptent que comme une nécessité... » (6).
Le syndicat socialiste est, par contre, favorable à la fixation des salaires par le pouvoir central car : « Le N.V.V. s'inspire du principe suivant lequel l'action en matière de salaires
doit tenir compte, non seulement des intérêts des groupes en
cause, mais aussi des intérêts des autres travailleurs » (7).
Les pouvoirs du gouvernement étant reconnus par les organisations confessionnelles comme un mal nécessaire, celles-ci
se sont efforcées, lorsque la situation économique leur a paru
plus favorable, d'obtenir à plusieurs reprises une détermination
plus libérale des salaires.
Les syndicats confessionnels pensent qu'il n'y a aucune raison
de priver les travailleurs des bénéfices de la prospérité de leur
entreprise, c'est une affaire de justice sociale. L'uniformité des
salaires, d'ailleurs, contrarie les déplacements de main-d'œuvre,
en la fixant là où elle se trouve, entravant ainsi sa mobilité
qui est une des nécessités de l'activité économique. Les entreprises et les industries doivent donc avoir une plus grande responsabilité dans la fixation de leur salaire. II ne s'agit pas
d'enlever tout rôle à l'Etat, il doit coordonner, orienter en
tenant compte de la situation économique, en indiquant par
exemple un taux d'augmentation autour duquel pourraient se
situer les décisions de chaque industrie ou entreprise.
En 1958-59 les protestants réaffirment que le moment est
venu de rendre la responsabilité de la formation des salaires
à ceux à qui elle doit naturellement revenir : aux organisations
professionnelles d'employeurs et de travai.1leurs ; ils considèrent
d'autre part que la formule d'augmentation généralisée est contraire aux intérêts des travailleurs, étant donné en particulier
sa répercussion sur le niveau des prix qui réduit ainsi sensiblement les avantages du relèvement des salaires.
Les catholiques précisent t'ensemble de leur posItIOn: les
travailleurs doivent participer à la prospérité du pays, mais
les améliorations à accorder doivent être appréciées au niveau
de l'industrie ou de l'entreprise, compte tenu de leur situation
économique. Cette centrale rejette la détermination des salaires dans telle industrie ou entreprise en fonction des salaires
pratiqués dans telle autre, mais pour éviter des modifications
(6) Rapport du « Christelijk Nationaal Vakverbond in Nederland » (protestant) 1952-1953, page 397.
(7) Rapport Assemblée Générale des Syndicats Ouvriers 1949.
�1
inconsidérées, les hausses des salaires n'auront pas de répercussion sur le niveau des prix.
Le gouvernement (ou le Conseil des Conciliateurs) ne doit
plus avoir à contrôler et à accepter les conventions passées
entre patrons et ouvriers ; son intervention ne peut se justifier
qu'en cas d'anomalie (niveau de salaires trop élevé ou trop bas).
La confédération socialiste reste opposée à une détermination
des salaires compte tenu de la situation existant dans chaque
industrie, chaque entreprise ; c'est une augmentation gén"é rale
et uniforme qu'elle revendique.
La formule d'augmentations différenciées est dangereuse:
- Les ouvriers d'une entreprise revendiquant ce qu'ont obtenu les ouvriers d'autres entreprises, etc ... , le niveau des salaires risque d'être entraîné bien au-delà de ce qu'il devrait être.
Elle est aussi injuste
- les ouvriers ne sont le plus souvent pas responsables du
niveau de productivité de leur entreprise ; ils ne peuvent l'influencer, il n'y a donc pas de raison pour qu'ils soient pénalisés
lorsqu'il est faible et ne peut guère varier.
Le N.V.V. ne croit pas, par ailleurs, que la différenciation des
salaires soit un stimulant efficace à la mobilité de la maind'œuvre.
1
Le revirement de 1959
Les offensives des syndicats confessionnels ont finalement eu
raison du principe de la centralisation. Le gouvernement issu
des élections de mars 1959 a accepté le principe de détermination différenciée des salaires. L'accord du 31 juillet a fixé les
critères à appliquer par le Collège des Conciliateurs. Dans la
métallurgie, jusqu'ici, une convention collective devait se situer
dans les limites fixées par le Collège. Désormais seule l'approbation du Collège reste nécessaire. Cet organisme prendra sa
décision en comparant l'amélioration des conditions de travail à
l'amélioration de la productivité de l'entreprise ou de la branche considérée. Le principe reste cependant affirmé que les amé1iorations de salaires ne peuvent avoir de conséquences sur les
prix. Enfin, dans le cas où les améliorations propos~es pour une
branche d'industrie par lel? partenaires sociaux dépasseraient si
largement l'accroissement national de la productivité que des
risques de diffusion en résulteraient, le Collège demanderait aux
parties de modifier les dispositions prévues. Il pourrait, dans ce
cas, arrêter un règlement obligatoire.
-
:a66
-
�Au principe de l'augmentation générale et uniforme des salaires, qui avait prévalu jusqu'ici, est donc substitué le 'principe
des augmentations particularisées aux industries et aux branches.
Malgré les précautions prises, il est probable que cet accroissement aura des conséquences importantes sur la politique économique comme sur la vie syndicale.
On peut penser en effet que les posillons défendues par les
catholiques et les protestants sont le signe de certains remous qui
se sont produits à l'intérieur des organisations. Pour les comprendre, voyons comment se développait une négociation salariale
jusqu'en 1959. Les mesures à prendre à tel ou tel moment,
faisaient l'objet, sur la demande du gouvernement ou d'une ou
plusieurs organisations professionnelles, de délibérations au sein
de la. Fondation du Travail et du Conseil Economique et Social.
Il en résultait un avis soumis au gouvernement. Le gouvernement prenait alors une décision et donnait des instructions au
Collège des Conciliateurs. L'application des décisions pour chaque industrie par les employeurs et les travailleurs dans le cadre
des Conseils Professionnels, sous forme d'accord ou de convention,
devait être soumis à l'approbation du Collège des Conciliateurs.
Ainsi, le système ne laissait que peu de possibilités d'action
-aux organisations d'industrie (Fédération de la Métallurgie, du
Textile, etc ... ) ; leur activité ne visàît qu'à l'application de décisions qui leur échàppaient puisqu'elles étaient déterminées à
l'échelon interprofessionnel, sous la responsabilité des confédérations.
Pour le syndicat socialiste, seule la formule d'une politique
nationale des salaires est val able. Chez les catholiques et les protestants, la situation est toute autre. Si les motifs de principe
basent la revendication d'un retour à plus de liberté, il est probable que des motifs tactiques l'appuient dans les fédérations où
elle est particulièrement forte : Métallurgie, l\tlines, etc ... Si l'on
excepte les mineurs (le mode de détermination de leurs salaires
est particulier), on doit constater que le rôle des organisations
d'industrie a été réduit considérablement par la politique nationale des salaires. Leurs congrès s'intéressent presque exclusivement à des problèmes d'administration. Les questions de politique
économique sont du ressort .e xclusif de la confédération. Il se
peut donc que cette situation ne soit pas étrangère à la position
des centrales confessionnelles dont les fédérations d'industries
désirent récupérer ce qu'elles considèrent comme faisant partie
de leur acti vi té syndicale normale.
Les antécédents du revirement de 1959
Le revirement de 1959 n'a cependant rien d'un changement
soudain. En fait, les discussions sur le maintien de la politique de .
centralisation des salaires se poursuivaient depuis longtemps déjà.
�Dès la fin de 1952, le gouvernement s'adressait au Conseil
Economique et Social pour lui demander son avis sur la politique
salariale à long terme.
Cet avis, formulé en mars 1953, fait apparaître des opmlOns
très divergentes au sein .du Conseil Economique et Social. Une
très faible majorité se déclare en faveur d'un assouplissement du
système en vigueur en matière de contrôle des salaires, le rôle
du gouvernement devant se limiter à déterminer certaines limites
à l'intérieur desquelles employeurs et travailleurs seraient libres
de fixer les salaires.
Une minorité importante du Conseil rejette cette idée. Il
semble très probable aux membres de cette minorité, que les
possibilités offertes par un tel système soient illusoires, la limite
supérieure étant atteinte dans tous les cas. Finalement, le Conseil
ne formule un avis unanime que sur la politique salariale à
court terme. Il lui semble possible, pour une période d'un ou
deux ans, d'envisager une plus grande souplesse, en prenant
davantage en considération la situation du marché du travail, lors
de la fixation des salaires conventionnels.
'.
Lorsque l'économie hollandaise eut surmonté la crise provoquée par les inondations catastrophiques de 1953, la situation
économique s'améliorant, les discussions relatives à une politique
salariale plus souple reprennent, après une interruption de deux
années. La Fondation du Travail en prend l'initiative en 1954.
Elle étudie la question puis adresse au gouvernement une note
selon laquelle la responsabilité du gouvernement en matière de
formation des salaires doit être transférée aux milieux professionnels. Le Collège des Conciliateurs serait remplacé par un
nouvel 'organisme: Le Conseil des Salaires, qui fonctionnerait
dans le cadre du Conseil Economique et Social. Il aurait à élaborer des directives obligatoires, en tenant compte notamment
de la rentabilité des diverses branches d'industrie.
Le gouvernement se déclare, en décembre 1955, disposé à
coopérer à la mise en œuvre d'une politique plus souple en matière de salaires, qui se traduirait par une 'différenèiation plus
prononcée entre les branches d'industrie, mais qui tiendrait
compte toutefois de la nécessité d'un certain équilibre.
L'acceptation par le gouvernement du principe d'une certaine
différenciation des salaires, se manifeste dans les règles qu'il fixe
lors de l'augmentation des salaires de mars 1956.
a) il ne détermine pas de pourcentage uniforme d'augmentation, celle-ci pourra varier entre 0 et 6 0/0.
b) les salaires ne peuvent être augmentés qu'à l'expiration
du délai de validité d'une convention collective, à moins que
-
268
.....;
�la c'onvention n'expire après le 1er septembre 1956. Dans ce
cas, les salaires peuvent être augmentés au 1el' septembre.
Le gouvernement s'efforce ainsi de permettre une certaine
différenciation en ce qui concerne tant l'importance de l'augmentation que la date de son entrée en vigueur. La clause indiquée sous b) vise d'autre part 'à accroître l'importance des conventions collectives.
Cependant, le gouvernement 'décide en même temps que les
augmentations de salaires ne devraient pas, en principe, conduire
à des hausses de prix. Les augmentations ne dépassant pas 3 0,'0
pourront être répercutées dans les prix, à condition que les
intéressés puissent prouver que sans cette augmentation, il n'aurait pu augmenter les salaires. Ainsi, les augmentations dépassant
3 % dépendraient donc de la situation économique propre à
chaque branche d'industrie.
Dans la pratique, ces mesures impliquent évidemment une
application assez générale de la première tranche de 3 % d'augmentation et, de ce fait, la différenciation est limitée à 'la seconde
tranche de 3 0/0. Or, à la fin de 1956, on constate que la grande majorité des travailleurs a bénéficié d'une augmentation de
salaires maximum (6 0/0). Suivant la centrale socialiste, environ
les 2/3, selon la centrale protestante, 80 % des salariés ont
bénéficié de cette augmentation.
A la suite de cette évolution, la fédération socialiste (N. V.V.)
s'adresse, dès la fin de l'année 1956, au gouvernement, pour lui
faire constater l'échec de la politique des salaires différenciés, et
cJemander de ne pas la poursuivre.
Les décisions les plus récentes confirment cependant la poursuite et l'accentuation de la politique de différenciation. Elles ne
sont donc que l'aboutissement d'une longue opposition de tendance entre les syndicats socialistes d'une part, les syndicats
confessionnels d'autre part.
Ill. . Quelques aspects de la politique salariale
Le relèvement des salaires de mars 1951
La dévaluation du florin et surtout l'augmentation des pri.x
sur le marché international, entraîne une détérioration des termes
d'échanges, donc de la balance des paiements ainsi q\l'une hausse
intérieure des prix.
Le déficit de la balance des paiements, très réduit en 1949,
reprend des proportions alarmantes.
�Pour faire face à cette situation, en tenant compte égaiement
du fait que l'aide Marshall "doit cesser en 1952, le gouvernement
décide de restreindre la consommation de 5 % et les investissements de 25 0/0.
Afin de diminuer ses propres dépenses, le gouvernement diminue les subventions, d'où une augmentation des prix qui s'ajoute à l'accroissement enregistré depuis la dernière augmentation
des salaires en 1950 et amène un relèvement du coût 'de la vie
d'environ 10 0/0.
Des négociations s'engagent à la Fondation du Travail sur
l'augmentation de salaires à accorder. Les travailleurs revendiquent 8 0/0, les employeurs proposent 4 0/0. Le gouvernement
décide une augmentation de 5 0/0, qui amène bien à la restriction
de consommation de 5 % qu'il avait fixée. Certes, les syndicats
protestent contre ce taux, mais ce qui est caractéristique, c'est
qu'îls avaient accepté une réduction, puisque leur proposition
équivalait à une baisse du pouvoir d'achat de 2 0/0. Leur désaccord ne porte donc pas sur le principe de la réduction mais
sur son importance.
Le relèvement des salaires de janvier 1954
Cet exemple vise avant tout à montrer comment est déterminé le taux d'une augmentation.
"
Au cours de l'année 1953, les travailleurs subissent toujours
les effets de la réduction de consommation décidée en 1951. Il
ne s'agit plus de 5 Ofo puisqu'une partie a été absorbée par une
légère baisse des prix. '
Le gouvernement fait, par ailleurs, connaître son intention
de relever le montant des loyers à partir de janvier 1954 et
déclare que la hausse des prix qui résultera de cette mesure
pourrait être compensée par une augmentation de salaires, dans
la mesure où elle ne le serait pas "déjà par une modification de
la fiscalité qui est également envisagée.
Des discussions s'engagent alors à la Fondation du Travail ;
elles débordent du cadre de la simpk compensation de la charge
nouvelle. Employeurs et travailleurs pensant que la situation
économique (la balance des paiements est créditrice) permet, non
seulement de compenser la hausse des loyers, mais aussi ce qu'il
reste des restrictions de consommation de 1951.
.
Les organisations professionnelles ne sont cependant pas d'accord sur l'augmentation à proposer au gouvernement. ~Les employeurs proposent 4 Ofo, "les ouvriers 6 Ofo. Le gouvernement
désigne alors une Commission de 3 experts qui conclut à un
�relèvement de 5 0/0, cette prOpOSItiOn est acceptée par tes em'ployeurs et jugée insuffisante par les travailleurs. Il est 'intéressant de voir comment ces 5 % ont été obtenus. Les experts ontils « coupé la poire en deux » ? Il n'en est rien et le chiffre
résulte d'un calcul, qui fut connu de tous pour justifier le
taux proposé.
Incidence des restrictions à la consommation subsistant depuis 1951
Incidence de l'augmentation des loyers sur le coût
de la vie
Total
Dégrèvement fiscal
3, 5 0/0
2, 1 0/0
5,6 0/0
0,8 0/n
Total
4,8 0/0
soit 5 0/ 0
Le gouvernement tient compte de cet . avis et autorise une
augmentation de 5 % à partir du 1er janvier 1954.
Discussion et acceptation par les synlicats
d'une restriction de consommation en 1957
Il existait aux Pays-Bas un prélèvement sur les salaires de
4 % à la charge de l'employeur, dont une partie servait é\ financer les pensions vieillesse. En 1956, le gouvernement envisage
la suppression de ce système, l'institution d'un régime national
d'assurance vieillesse et la création d'une Caisse Générale de
Prévoyance pour la vieillesse. Le nouveau régime de pension
serait financé par une cotisation de 6, 75 % sur les salaires,
entièrement à la charge des travailleurs ; pour compenser cette
diminution du salaire net, une augmentation générale des salaires
serait accordée.
Enfin le gouvernement a "l'intention d'autoriser dans le courant de l'année 1957 une hausse des loyers. L'accroissement des
charges qui en résulterait pour les travailleurs serait aussi
compensé par une augmentation des salaires.
Mais l'année 1956 est marquée par une hausse importante
des salaires effectifs (9 0/0), un léger accroissement de l'emploi
(2 0/0) et du coût 'de la vie (2 0/0).
Le pouvoir d'achat augmente, la consommation augmente
(pouvoir d'achat de la masse des salaires + 9 0/0) plus que la
production (+ 4 %), le niveau des importations se développe .
plus vite que celui des exportations, le déficit de la balance
des paiements réapparaît.
�Aussi, devant cette évolution, le gouvernement demande, au
début septembre, un avis au Conseil Economique ,et ·Social.
S'alignant sur 1'avis du Conseil, le gouvernement décide,
en ce qui concerne les salaires, qu'il n'y aura pas au cours de
l'année 1957 d'augmentation générale, sauf la compensation partielle de la cotisation à la caisse Vieillesse et la compensation
totale de l'augmentation des loyers ; d'autres améliorations 'des
salaires ne seront acceptées qu'en cas oe retard évident.
La Fondation du Travail est saisie du problème et calcule
que, compte tenu des indications du Conseil Economique et Social et des directives du gouvernement, la compensation partielle
de la cotisation ouvrièr e à la Caisse de Vieillesse suppose une
augmentation de 5,6 0/ 0 des salaires. Cette proposition conduira
donc à une diminution du salaire net de 1, 15 0/0 (taux de la
cotisation 6,75 0/0, augmentation proposée 5,6 °/0).
Cette compensation augmente la charge salariale des entreprises de 5,6 0/0, mais elle est d'autre part réduite des 4 0/0 de
prélèvement que supportaient les employeurs avant 1'institution
de la Caisse de Prévoyance. Ainsi, la charge des entreprises augmente de 1,6 O}o.
Conformément aux résultats des calculs de la Fondation du
Travail, le Collège des Conciliateurs décide que les salaires conventionnels de tous les travailleurs de moins de 65 ans seront
majorés à partir du 1/1/1957.
L'attitude des syndicats devant les revendications des agriculteurs
Peu après l'avis du Conseil Economique relatif à 'la compensation de la nouvelle cotisation ouvrière à la Caisse de Prévoyance et à 'l'augmentation des loyers, les agricultew's demandent "au gouvernement de prendre des mesures en vue d'accroître
la part du revenu national qui leur est affecté. Si une réponse
favorable était faite à cette demande, elle ne manquerait pas
d'entraîner un accroissement du coût de la vie plus important
que ne le prévoyait l'avis du Conseil Economique et Social.
Aussi, devant la perspective d'un nouvel accroissement du
coût 'de la vie qui ne manquera pas d'amener de nouvelles revendications des organisations ouvrières - les organisations patronales manifestent une vive inquiétude.
, Les organisations ouvneres définissent clairement leur position. Elles sont prêtes à accepter sans revendiquer une certaine
augmentation du coût de la vie qui résulterait d'un relèvement
des revenus des agriculteurs à condition qu'elle reste dans une
certaine limite.
�En 1956, le coût de la vie est ~ l'indice 110 (1951
1(0) ;
les organisations indiquent que la hausse admissible ne doit pas
entraîner d'indices au-delà de 112 pour la moyenne annuelle de
l'année 1957 et de 114,5 pour la fin de l'année ; au cas où le
coût de la vie dépasserait ces chiffres, elles se réservent le droit
de revendiquer une augmentation des salaires.
Par suite de fortes augmentations des fruits et légumes, l'indice maximum du coût de la vie de 114, 5 iridiqué par les syndicats comme étant acceptable pour la fin 1957 est déjà ·dépassé
en Juin.
Les confédérations ouvrières demandent · que cette situation
soit discutée par la ·Fondation du Travail. Elles estiment cependant que dans les conditions économiques actuelles - situation
précaire de la balance des paiements courants, pénurie de capitaux - une augmentation générale des salaires aggraverait la
situation économique, et se 'bornent à demander une augmentation des salaires les plus bas.
Les employeurs sont d'accord avec ces proposItIOns et marquent leur souci ae soulager les familles qui ont un bas revenu.
La Fondation du Travail propose donc au Gouvernement
d'augmenter les Allocations Familiales de 0,10 fI. par jour et
par enfant pour les familles ayant un revenu maximum de
16 florins par semaine. Elle précise d'ailleurs que ce supplément
serait à la charge des réserves de la Caisse d'Allocations Familiales et qu'il n'en résulterait de ce fait aucune augmentation
du coût de la main d'œuvre.
Cette proposition est acceptée par le gouvernement, elle entre
en vigueur le 1/1/58.
�CONCLUSIONS
1
-1
Jusqu'à ces derniers temps, les Pays-Bas ont connu un dirigisme des salaires assez sévère. Il convient cependant de remarquer sa nature assez particulière puisque la décision est précédée,
rappelons-le, par une consultation de plusieurs organismes où
sont représentées les organisations centrales d'employeurs et de
travailleurs. Ces organismes étudient la question et 'formulent
leur position en fonction de laquelle la décision est prise. Cette
consultation n'a pas un caractère accidentel, mais c'est très
normalement que le gouvernement consulte le Conseil Economique et Social et la Fondation du Travail sur la plupart des décisions de portée économique et sociale qu'il a à prendre.
Nombreux sont ceux qui n'hésitent pas à parler de « gestion
commune >t du gouvernement et des organisations professionnelles.
Pour celles-ci, bien que le pluralisme existe, les revendications
sont rarement utilisées comme moyen de concurrence: une position commune est 'déterminée d'avance dans le Conseil des
Syndicats.
1
j
Une atmosphère de paix sociale a ainsi été creee et ce n'est
que rarement que la grève est utilisée ; le nombre de journées
perdues aux Pays-Bas par suite de grèves depuis 1950 est le
plus faible des pays de la Communauté (8). Pour sept années
(1950-1956) et par 100 habitants, les chiffres sont les suivants
Belgique
Italie
France
Allemagne
Pays-Bas
78,8
76,3
74,7
13,2
6,4
journées de grève
.»
La moyenne actuelle était donc aux Pays-Bas pour cette période et par 100 habitants de 0,91 ; elle a été de 0,066 en 1957
et de 0,34 en 1958.
(8) Rapport sur la situation économique de la Communauté munauté Economique Européenne - Sept. 1958.
Com-
�ii paraît donc incontestable que les contacts entre organisa.
tions professionnelles ont favorisé les relations industrielles et
permis le développement d'un climat social très paisible.
Il faut enfin faire remarquer que si le droit de grève est
reconnu à tous les salariés (sauf au personnel des chemins de
fer et aux fonctionnaires), on peut se 'demander si, 'étant 'donné
la détermination réglementaire des salaires, il n'est pas dans les
faits quelque-peu limité. La doctrine ne parait pas clairement
établie sur ce sujet ; il semble cependant que si un mouvement
est déclenché contre des dispositions fixées par le Collège des
Conciliateurs, la grève constitue un acte illégal ; certains jugements ont été pris dans ce sens et on peut 'donc penser que
cette situation ri'est pas sans influence sur le nombre et l'importance des conflits (9).
Il est toutefois incontestable que les discussions entre partenaires sociaux sont beaucoup plus nombreuses que dans la
plupart des autres pays et qu'elles se situent d'ailleurs à tous
les échelons de la vie économique.
_Il est par exemple remarquable de constater que l'art. 12
de la convention collective des industries mécanique, métallurgique et sidérurgique fixe de façon très précise les conditions
dans lesquelles sont établis et appliqués les systèmes de rémunération à la tâche ou au temps (10). Cette question, si peu
souvent abordée en France et cause de tant de conflits, est traitée
sur un double plan :
-
le plan national par la convention collective
- le plan de l'entreprise par une réglementation spéciale négociée par entreprise qui 'doit toujours déterminer la rémunération en cas de rendement normal, inférieur et supérieur, et le
Règlement de la Commission des taux qui fixe les conditions
d'application des principes déterminés par l'accord.
Tout n'est pas pour autant réglé dans cet épineux problème
de la rémunération au rendement ; des difficultés surgissent encore souvent, mais il est cependant caractéristique de constater
qu'il a donné lieu, à 'tous les échelons, à des discussions et règlements paritaires.
La situation est assez semblable en ce qui concerne l'application dans les entreprises de la qualification du travail, à
(9) Il faut cependant remarquer que jamai~ les organisations ouvrière~
n'ont donné cet argument pour expliquer le nombre très réduit des conflits.
(10) Voir
par l'A.E.P.
«
Le'!! services syndicaux d'étude, et de recherches ", publié
-
275
-
�laquelle le Conseil Professionnel (11), ies organisations syndicates,
les représentants du p,ersonnel sont intimement associés.
Cette politique de coopération n'a pas seulement engendré un
climat de paix sociale. Elle a eu aussi des effets certains · sur la
structure des salaires, et specialement sur la réduction d'écarts
parfois excessifs.
La comparaison entre les salaires moyens pratiqués dans les
principales' industries de France et ces Pays-Bas, fait apparaître
nettement l'influence de la politique d'harmonisation des salaires.
Si l'on exc~pte l'industrie minière qui, dans les deux cas (comme d'ailleurs dans la plupart des pays), connait une situation
spéciale (12), on peut constater combien les écarts sont plus faibles aux Pays-Bas qu'en France.
Par rapport au salaire moyen de l'ensemble des industries
- le salaire moyen des industries polygraphiques est supérieur de 29,7 % en France et de 10,3 % aux Pays-Bas.
- le salaire moyen des industries d'habillement est inférieur
de 18,8 % en France et de 2,7 % aux Pays-Bas.
Si l'on donne la valeur 100 au salaire le plus élevé, celui des
industries polygraphiques, celui des industries de l'habillement
est à 62,6 % en France et à 88,5 % aux Pays-Bas.
La politique d'harmonisation s'est donc réalisée dans les faits.
Il y a certainement des cas où la règle est tournée d'une façon
ou d'une autre. C'est surtout le fait de petites entre,prises où
le cont.rôl~ est diJficile. Mais il semble bien que dans les grosses
entreprises qui groupent la majorité des travailleurs, elle soit
.
normalement respectée.
Toutefois, la politique nationale des salaires seIl\blait depuis quelques temps déjà avoir atteint ses limites. Non seulement des critiques radicales lui étaient adressées par les syndicats confessionnels, mais encore les syndicats socialistes euxmêmes n'en appréciaient pas certaines conséquences.
Dès 1953 (13), A. Vermeulen, à l'époque secrétaire de la
Confédération Socialiste, constatait que la politique. de restriction
(II)
Organi5me paritaire,
voir
Chapitre B V.
(12) RtlPpe1on'!l-nous qu'aux Pays-Bas cette industrie conn ait un régime
particulier de détermination des salaires.
(13) Revue Internationale du Travail, Juin J953.
�a permis que les bénéfices soient maintenus à un niveau tel
qu'il a été possible de disposer d'un volume suffisant d'épargne
et 'de réserve pour maintenir la production et les investissements
à un niveau élevé et pour assurer le plein emploi ». Le but a
été atteint, cependant « les nouveaux biens d'équipement viennent
ainsi grossir les ressources de la classe de ceux qui détiennent
les capitaux, c'est-à'::dire ceux-là même qui disposent 'des moyens
de production existants ».
ft
Il proposait: « Une participation collective aux bénéfices que
le mouvement syndical a contribué à réaliser en s'imposant,
lorsque c'était nécessaire, une telle politique (de restriction) lI. A.
Vermeulen précise d'ailleurs qu'afin que cette mesure ne modifie pas le niveau de la consommation, des investissements « la
part des bénéfices serait soumise à certains contrôles en ce qui
concerne les dépenses de consommation».
Cette idée n'eut pas de suite et ne fut pas reprise par la
centrale lorsqu'elle aborda à nouveau en octobre 1957, lors d'un
Congrès extraordinaire, l'examen du problème de la répartition
du revenu et du capital.
. La lecture du compte rendu de cette réunion laisse une impression étrange ; on sent (à -tort ou à raison) l'organisation
gênée et comme prise entre des désirs contradictoires :
- elle affirme qu'il est indispensable de persévérer dans
la politique menée jusqu'à présent : nécessité, lorsque la situation
l'exige, de restrictions de consommation, nécessité du dévelo"ppement des investissements, de l'harmonisation des sala~res, etc.
- elle constate cependant que les salaires sont défavorisés
dans la répartition des revenus et ceci en grande partie grâce
aux bénéfices réalisés dans les entreprises.
1
En conséquence, pour l'organisation socialiste, il est possible
d'augmenter la part des travailleurs dans le revenu national.
Une telle attitude met en question, bien que d'une manière très
différente de celle des syndicats confessionnels, l'ensemble de la
politique sociale menée jusqu'ici.
Peut-être doit-on voir là un affaiblissement du soutien socialiste à la politique économique. Si cette opposition devait se
développer, elle serait d'une autre nature et d'une autre portée
que celles que manifestent aujourd'hui les centrales catholiques
et protestantes.
Ch. SAVOUILLAN.•
��LE CONSEIL D'ÉTAT STATUANT AU CONTENTIEUX:
POLITIQUE JURISPRUDENTIELLE
POLITIQUE?
au
JURISPRUDENCE
�./'
,
.. \ ..•..
.',
•• "
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.....
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"I~
•
�Le Conseil d'Etat statuant au content1eux .
politique jurisprudentiell( ou jurisprudence
politique?
",
La doctrine contemporaine est unanime à sotiligner la fréquence et 'l'importance des prises de position d'ordre politique
du Conseil d'Etat statuant au contentieux. Le rôle de la théorie
des principes généraux du droit à cet égard est trop connu pour
qu'il soit utile d'y insister à nouveau. Mais on ne saurait pour
autant négliger les autres secteurs du droit administratif. En
bien des matières, en effet, la jurisprudence administrative a pris
des positions qui, débordant du plan strictement 'juridique, engagent la so.ciété politique française tout entière. Dans le domaine
économique, que l'on songe, par exemple, aux décisions de
pr incipe concernant la portée et les limites du « pouvoir professionnel », la conciliation des traditions de la médecine libre
avec les exigences de la médecine sociale, ou encore la grève
dans les services publics. Dans le domaine plus proprement politique, les exemples abondent également : accès des candidats à
l'Ecole nationale d'administration, liberté d'opinion des fonctionnaires, épuration, laïcité, pouvoirs spéciaux en Algérie, autant
de chapitres dont les lignes directrices procèdent sans aucun
,d oute de choix politiques.
Mais, si l'existence même des prises de posluon d'ordre
politique du Conseil d'Etat est incontestable, il n'en va pas de
même de la signification généralement prêtée à cè phénomène.
A en croire des auteurs parmi les plus considérables, la jurisprudence politique du Conseil d'Etat traduirait la volonté de la
�Haute Assemblée d'imposer à 'la vie politique française une
« éthique li personnelle (Rivero), qu'elle ferait p'révaloir aussi
bien sur la volonté la plus affirmée du législateur que sur les
changements les plus accusés des régimes politiques. Ainsi seraient atténuées, par l'effet 'de la jurisprudence administrative,
les mutations brusques in-t roduites dans notre vie publique par
les caprices des faiseurs de lois et les goûts novateurs des Iabricants de constitutions, et émoussées du même coup les dents de
scie de la vie politique française. Facteur de permanence et de
continuité, le Conseil d'Etat constituerait ainsi un antidote à
l'instabilité apparente de la vie politique et devrait à ce titre
être rangé parmi les plus importants de nos pouvoirs publics.
Cette action stabilisatrice s'exercerait par àilIeurs dans le sens
d'un certain libéralisme issu de la Révolution de 1789 et de
la tradition politique de la Illme République, libéralisme à la
fois politique - par la protection de la liberté contre les régimes totalitaires - et économique - par la sauvegarde de
l'entreprise privée contre l'Etat dirigiste.
Cette image d'un « juge qui gouverne li , pour reprendre le
titre d'une étude célèbre (1), - et qui gouverne dans le sens
d'une doctrine très précise, - s'est répandue parmi les juristes
au point de devenir classique. Mais il n'est pas inutile de
confronter de temps à autre les idées les plus établies avec la
réalité, pour en tirer confirmation ou infirmation. Est-il bien
vrai que les décisions à portée politique - dont l'existence, on
l'a vu, est hors de doute - ne peuvent s'expliquer que par
la volonté de la Haute Juridiction de sortir de sa mission de juge
qui dit le droit pour devenir un « juge qui gouvern.e li ? Est-il
bien vrai que ces décisions sont inspirées par un libéralisme
constant ét peut-être à èontre-courant de l'évolution des idées
et des faits ? C'est cette double question que nous voudrions
examiner ici : la réponse négative que nous serons amené à
apporter à l'une comme à l'autre nous conduira, sinon à rejeter,
du moins à nuancer l'opinion généralement adop.tée en cette
matière.
Première question n'y aurait-il pas aux prises de posItIon
politiques du juge administratif des raisons inhérentes à sa mission même, de sorte qu'il serait inutile d'en chercher l'explication
dans la volonté du Conseil d'Etat de faire intrusion dans le
domaine politique ? Il est certain tout -d'abord que la matière
même de son activité conduit le juge administratif à -des options
d'ordre politique: juge des rapports entre le Pouvoir et les
citoyens, entre - les gouvernants et les gouvernés, il est amené _
(1) RIVERO, Le tuge admillistratif franfais
D. J9SJ, chrono 21.
un iuge qui gouverne'
�par la force des choses à rendre ~es sentences dont la répercussion se fera sentir sur le plan politique. Mais cette explication
n'est évidemment pas suffisante à elle seule, et c'est dans la
structure même du droit administratif qu'il convient, à notre sens,
de cllercher l'explication du phénomène qui nous 9ccupe. Deux
facteurs peuvent à cet égard être retenus : d'une part, le rôle
particulier du 'droit écrit dans l'élaboration du droit administratif
et, de l'autre, le caractère sui generis de certains des raisonnements qui forment l'ossature de la jurisprudence du Conseil
d'Etat.
A) Constater la faible place occupée par le droit écrit dans
la formation du droit administratif est 'devenu une bamilité.
Mais ce qui n'a peut-être pas été suffisamment souligné, c'est
que ce fait explique à lui seul bien des prises de position politiques de la Haute Juridiction: refuser de juger sous prétexte
du silence ou de l'obscurité de la loi lui est interdit ; juger sans
s'inspirer de principes généraux serait transformer l'empirisme
en arbitraire: force est donc pour le Conseil d'Etat de pallier
le silence des textes en dégageant lui-même ces principes. La
_nature des choses fait ainsi du Conseil d'Etat le plus grand de
nos « faiseurs de systèmes ~ . Prenons, à titre d'exemple, l'éternel
problème des rapports de la liberté et de l'autorité, dont le dialogue forme la substance de toute vie politique : de ces deux
pôles, lequel est le principe et lequel constitue l'exception ?
Faute de texte, c'est au juge qu'il appartenait de résoudre le
problème. Ce n'est d'ailleurs pas de gaîté de cœur que le Conseil
d'Etat comble ainsi les lacunes de la loi, et l'on n'en veut pour
preuve que la répugnance manifeste qu'il a mise à résoudre le
problème de la grève dans les services publics. C'est le privilège
du législateur de pouvoir passer sous silence les problèmes irritants : le juge, lui, ne peut se dérober.
Serait-il même en présence d'un texte lui dictant élairement
l'attitude à prendre, le juge aqrait encore à choisir eqtre une
interprétation par analogie et une ' interprétation par a contrario
de ce texte. Si une felle option se présente chaque fois qu'une
loi vient régir une matière particulière en droit administratH,
elle est spécialement délicate dans les matières revêtant un caractère politique. Le cas s'est présenté durant l'occupation : comme l'a montré le président Bouffandeau, « le Conseil d'Etat
pouvait ou considérer les lois de Vichy comme instituant un régime nouveau de notre droit public et leur donner alors une
large extension, ou les regarder, au contraire, comme des mesur~s apportan't ces dér~gations aux principes demeurés en
vigueur et, dans ce cas, annuler les décisions prises en méconnaissance de ces principes... et interpréter restrictivement
�les lois édictées depuis juillet 1940 à raison
de mesures dtexception Il (2).
.... -.
de leur caractère
Enfin, il ne faut pas oublier que dans notre arsenal législatif
coexistent parfois, dans une même matière, des textes de dates
différentes, votés par des majorités différentes et procédant
d'une inspiration politique différente. Là' encore le juge se voit
dans l'obligation, pour concilier l'inconciliable, d'arrêter une
position de caractère politique. Que l'on songe, par exemple, au
problème de l'aide des collectivités publiques à l'enseignement
libre, régi 'jusqu'en 1959 à la fois par la loi Falloux de 1850,
la loi de 1886 sur l'enseignement primaire et la loi Barangé
de 1951, textes procédant d'idéologies absolument divergentes.
De même la coexistence de la loi de 1791 ' sur la liberté du
commerce et 'de l'industrie et de multiples textes contredisant
cette même liberté posait au Conseil d'Etat un redoutable problème : le choix ne pouvait être éludé.
B) La méthodologie du droit administratif accentue davantage encore le caractère inéluctable de certaines options politiques.
a) Il arrive souvent que dans un arrêt de principe le Conseil
d'Etat donne une définition qui 'paraît immuable et qui demeure
effectivement .constante pendant des années, voire des décades.
Néanmoins cette définition est rédigée en des termes tels que
le juge se voit contraint, à propos de chaque cas d'espèce, de
lui conférer un contenu concret et, par là-même, de renouveler
un choix qui pouvait sembler arrêté une fois pour toutes.
Lorsque le Conseil d'Etat 'décide, par exemple, que les conseils
municipaux ne peuvent ériger des entreprises commerciales en
services publics « que si, en raison de circonstances particulières
de temps et de lieu, un intérêt public justifie leur intervention
en la matière », il est bien évident que chaque espèce concrète
exigera une nouvelle apprédation de ces Circonstances. Les
exemples pourraient être multipliés : liberté d'opinion des fonctionnaires, mais nécessité de ne pas se départir d'une certaine
« réserve » ; reconnaissance aux ordres professionnels de « l'ensemble des pouvoirs nécessaires à l'accomplissement de leur
mission », mais limitation de ces pouvoirs par les « libertés individuelles qui appartiennent aux membres de l'ordre comme à
la généralité des citoyens » ; affirmation du droit de grève dans
les services publics, mais possibilité pour le gouvernement d'apporter à ce droit les restrictions nécessaires p'our en « éviter un
(2) BOUFFANDEAU, La continuité et ,. sauvegarde des princiPes du
droit public français entre le 16 juin '940 et l'entrée en vigueur de la
nouvelle Constitution, Etudes et documents du Conseil d'Etat, 1947, p. 23.
-. ;.
�usage abusif ou contraire aux nécessités de l'ordre public » . C'est
là ce que l'on pourrait appeler la méthode des définitions stables
à contenu variable.
b) Plus caractéristique encore est la méthode que l'on pourrait
qualifier des notions limitrophes à frontières mouvantes. Dans
certaines matières les limites de deux régimes juridiques diamétralement opposés coïncident avec celles de deux concepts absolument antinomiques : passer d'un concept à un autre, c'est
ipso facto passer d'un régime à l'autre. La détermination de la
ligne frontière paraît donc d'une importance capitale : et pourtant cette ligne est souvent 'définie de manière telle que le juge
peut la placer dans chaque affaire à l'endroit qui lui convient.
Il en résulte que ce n'est plus la notion qui entraîne le régime,
comme le voudrait la logique, mais le régime souhaité par le
juge qui conditionne la détermination de la notion. Un exemple
le fera comprendre. Comme on le sait, le régime des sanctions
et des mesures de police s'oppose sur un point important: la
communication des griefs. Indispensable en cas de sanction,
cette sauvegarde des droits de la défense est inùtile dans l'hypothèse d'une mesure de police. Il est 'donc essentiel de savoir
si telle mesure déterminée est prise en vue de sanctionner un
. agissement passé ou pour prévenir un agissement futur contraire
à l'ordre public. Or l'examen le plus superficiel de la jurisprudence montre l'extrême difficulté à distinguer une sanction
d'une mesure de police: la seule véritable différence est célie
du régime juridique applicable. Tout se passe souvent comme si
le Conseil d'Etat qualifiait de sanctions celles des mesures qu'il
veut soumettre au respect des droits de la défense, et 'de mesures
de police celles qu'il entend y soustraire. Que ce choix revête
fréquemment un caractère politique, la jurisprudence relative
aux mesures d'exception en Algérie en fait foi.
c) On citera enfin la nécessité dans laquelle se trouve le juge
administratif, lorsqu'il est mis en présence d'une situation entièrement nouvelle, de choisir entre l'extension à cette situation
d'une technique juridique déià 'éprouvée à propos d'une situation
ancienne et connue et l'élaboration de règles sui generis. Le
problème s'est posé à plusieurs reprises en raison des profonds
bouleversements politiques et économiques qui ont affecté la
France depuis 1940. L'instauration d'un « pouvoir professionnel ,. - ordres professionnels et organismes de direction de
l'économie - a placé le Conseil d'Etat devant un choix capital:
allait-on soumettre ou non ce pouvoir nouveau aux modes de
contrôle qui avaient fait leur preuve pour l'administration classique ? Tel est bien d'ailleurs le sens profond de
la célèbre jurisprudence Monpeurt et Bouguen. Quelques années
plus tard, l'épuration administrative allait placer la Haute Assemblée devant un dilemme analogue: règles sui generis ou extension du contrôle juridictionnel applicable au contentieux de l,a
fonction eub1ique ? Plus récemment, l'institQtion Rar l'article
�37 de la Constitution de 1958 d'un pouvoir gouvernementa1
propre, ni conditionné ni limité par la loi, a soulevé un problème
analogue. Fallait-il étendre à ce ~ pouvoir normatif gouvernemental » (Vedel) le contrôle juridictionnel élaboré jusque là pour
le pouvoir exécutif soumis à la primauté de la loi, ou bien
devait-on considérer que, s'agissant de mesures soustraites au
principe de légalité stricto sensu, le recours pour excès de pouvoir,
destiné par définition même à « assurer le respect 'de la légalité », perdait sa raison d'être et devait être écarté ? A cette
question d'une importance exceptionnelle, le Conseil d'Etat a
déjà apporté sa réponse : le recours pour excès de pouvoir est
recevable; le pouvoir réglementaire demeure subordonné, non
pas certes à la loi proprement dite, mais aux principes génér aux du droit, lesquels se voient, pour les besoins de la cause,
promus à un rang supra-législatif.
Ainsi dânc l'abondance des options politiques dans la jurisprudence du Conseil d'Etat s'explique très largement par l'originalité de notre droit administratif. Point n'est besoin de chercher
dans une volonté systématique de la Haute Juridiction la cause
d'un phénomène dû essentiellement à des facteurs d'ordre technique. Il Îl'en demeure pas moins que l'on doit s'interroger SUl'
l'orientation et la signification de ces prises de position : correspondent-elles à une idéologie déterminée ? procèdent-elles au
contraire d'inspirations divergentes ? Bref: y a-t-il vraiment,
derrière la politique jurisprudentielle du Conseil d'Etat, une
jurisprudence politique ?
A cette seconde question l'on apporte généralement une réponse affirmative. Laferrière déjà signalait, dans l'introduction
de son Traité de la turidiction administrative, la permanence,
« même à travers la variation des régimes politiques », de certains
~ principes traditionnels... qui sont en quelque sorte inhérents
à notre droit public et administratif » : il faisait sans doute allusion aux grands principes républicains et démocratiques, à cette
« tradition constitutionnelle républicaine » à laquelle le Conseil
d'Etat se réfèrera si souvent plus tard. Le -juge administratif
paraîtra en effet vouloir maintenir, contre vents et marées, une
idéologie libérale, alors même qu'elle serait contredite par les
textes législatifs ou constitutionnels. Le législateur a eu beau
porter des atteintes de plus en plus fréquentes, depuis la première guerre mondiale, au libéralisme économique : 1<; Conseil
d'Etat n'en continuait pas moins à proclamer avec la plus parfaite sérénité le vieux principe de la liberté du commerce et de
l'industrie, fût-ce au prix de la « stérilisation » des textes les
plus explicites. Ainsi tout paraissait se passer « comme si le juge
administratif opposait son éthique personnelle, restée fidèle aux
conceetions traditionnelles, à ûne ethique nouv~lle q",e le légis-
�1ateur traduirait toujours davantage dans les textes » (3). En
matière politique, le conservatisme républicain paraît encore plus
tenace. La doctrine a montré comment l'affirmation de principes
généraux du droit issus directement de l'idéologie de 1789 a
permis au Conseil d'Etat de neutraliser partiellement les effets
de l'idéologie de Vichy : là encore tout semblait se passer, selon
la forte expression du vice-président du Conseil d'Etat, comme
si la section du contentieux entendait appliquer « le droit commun de la République » (4) sous un régime qui en niait les
fondements mêmes. Et cette volonté de ne pas rompre la continuité politique, le Conseil d'Etat ne la manifeste-t-il pas aussi
en soumettant les règlements autonomes de la Constitution de
1958 au respect des principes généraux du droit, et en maintenant ainsi sous la Vme République des principes directement issus
de la IIIme et de la IVme ? Bref, qu'il s'agisse du domaine politique ou du domaine économique, c'est l'attachement au libéralisme
de la fin du XIXme siècle qui semble caractériser la jurisprudence
du Conseil d'Etat et constituer la doctrine politique de la Haute
Assemblée.
Une telle interprétation se heurte cependant à 'de graves
objections. Cette espèce de conservatisme républicain traduit
peut-être tout simplement le caractère naturellement conservateur
et prudent de tout juriste et, plus encore, de tout juge: ces
derniers savent trop la relativité des choses pour se lancer tête
baissée dans des changements plus spectaculaires souvent que
réels, et connaissent trop les dangers des mutations brusques
pour ne pas ménager des périodes de transition. Mais ce qui
frappe davantage, c'est que ce conservatisme correspond à une
très remarquable stabilité ·dans les profondeurs de la vie politique française elle-même. Plus d'un observateur, en effet, a relevé
que, derrière les changements en apparence plus nombreux et
plus radicaux que partout ailleurs, la vie politique française comportait des constantes lui conférant une réelle continuité. La
structure administrative et l'esprit qui imprègne notre administration n'ont guère changé depuis l'époque napoléonienne; les
bouleversements électoraux les plus spectaculaires ne sont souvent que des accès de fièvre qui s'effacent rapidement pour rendre leur place aux courants les plus traditionnels ; tout en appelant de ses vœux un « gouvernement fort lt , le citoyen est
toujours ~ contre les pouvoirs » dès que ceux-ci se manifestent
avec quelque fermeté; quant aux mœurs politiques, tout semble
se passer comme si celles d'un régime décrié étaient rondamnées
à toujours reparaître sous un « nouveau régime » qui lui succède.
(3) MORANGE, La protection accordée par le fuge administratif à
la liberté du commerce et de l'industrie, D. 1956, chrono 117.
(4) CASSIN, Introduction à Etudes et documents du Conseil d'Etat,
1947, p, 10.
�Mais, s'il en est ainsi, l'interprétation des attitudes politiques
du Conseil d'Etat pourrait bien se trouver modifiée. N'est-on
pas autorisé à penser que, loin de vouloir imposer sa conception personnelle aux rapports entre le citoyen et le Pouvoir,
la Haute Assemblée n'est que le reflet, aussi fidèle qu'il est possible, d'une certaine réalité sociologique ? Ce n'est là qu'une
impression encore, mais que d'autres constatations vont venir
renforcer.
La continuité de la jurisprudence administrative ne doit, en
effet, pas dissimuler l'existence de revirements de tendances
en des matières souvent fort importantes : or, là encore, la
coïncidence avec des mouvements profonds de l'esprit public est
frappante. Fort rares au lendemain de la Libération, les annulations de mesures d'épuration se sont faites de plus en plus
fréquentes depuis lors. Terriblement exigeant en 1946 sur l'égalité des sexes en matière d'accès aux emplois publics, le Conseil
d'Etat, suivant en cela révolution des mœurs elles-mêmes, a
considérablement assoupli sa rigueur depuis lors. Traditionnellement hostile à toute atteinte à la laïcité, la Haute Assemblée
avait considérablement nuancé et atténué ses positions depuis
les élections législatives de 1951 : la jurisprudence ne permettaitelle pas aux collectivités publiques, dès avant 1959, de subventionner comme elles l'entendaient les établissements privés d'enseignement supérieur et technique ? Il en va de même pour
l'Algérie, où 1es changements d'orientation politique, au lendemain de l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle et de la
désignation d'un nouveau délégué général du gouvernement, se
sont traduits, sur le plan juridique, par l'annulation fort remarquée d'une mesure d'assignation à résidence surveillée.
Mais on peut aller plus loin encore. Il n'est pas, hélas !
jusqu'aux défauts les plus grave~ de la vie politique française
que la jurisprudence administrative ne traduise assez fidèlement.
La « France irréelle » (Berl) dénoncée sur le plan politique paraît bien se retrouver sur le plan juridique, et, tout comme la
politique, le droit administratif devient parfois « le domaine où
les mots n'ont plus de sens » (Berl). L'octroi de certains avantages en bloc, suivi de leur retrait dans le détail ; l'affirmation
de grands principes aussitôt démentis dans leur application ; la
fixation de règles irréelles en des propositions dénuées de contenu concret: tous ces traits se rencontrent en plus d'un secteur
du droit administratif. Le Conseil d'Etat pose le principe de la
liberté d'expression des fonctionnaires, mais la ruine . dans son
application en exigeant que les intéressés ne se départissent pas
d'une certaine réserve et en estimant presque chaque fois que
cette exigence ne s'est pas trouvée resp'ectée. A 1a grande satisfactIon de la doctrine, la liste des actes de gouvernement s'amt:nuise d'année en année, mais combien de fois la radiation d'un
acte de cette liste - on pense notamment à certaines mesures
�concernant ies étrangers - n'a-telle pas été accompagnée d'un
transfert de cet acte dans une autre catégorie de quasi-immunité
juridictionnelle ? La jurisprudence Barel elle-même est plus belle
vue par le juriste que par les intéressés : admirable de libéralisme dans son principe, elle est assortie de tant de restrictions
et de réserves qu'elle n'aura que très rarement l'occasion de
s'appliquer. Et que dire d'une jurisprudence comme celle qui
fait de l'autorité judiciaire la gardienne de la liberté et de la
propriété privée, qui ne se maintient guère que par l'éclat des
mots qui l'expriment et va souvent à l'encontre même du but
poursuivi ? Ce verbalisme, cet irréalisme de certains chapitres
de notre droit administratif sont bien le reflet de vices identiques
dans la vie politique française elle-même.
;' 1
Ces quelques exemples permettent de voir à quel point l'opinion si 'répandue que le Conseil d'Etat impose son éthique
propre à la société française est largement exagérée. Sans doute
le juge administratif prend-il des libertés avec la loi, voire la
Constitution; mais c'est parce qu'il insère ces textes, comme
s'il les considérait avec quelque hauteur ou quelque recul, dans
l'ensemble de l'évolution politique , du pays. Parler d'une doctrine
politique du Conseil d'Etat et évoquer le rôle de la Cour suprême des Etats-Unis à l'époque de Roosevelt paraît assez
inexact. En tant que corps, le ·Conseil d'Etat n'a pas une philosophie politique propre, qu'il opposerait à celle du constituant
ou du législateur: le contraire serait même assez étonnant,
l'extrême diversité des opinions politiques individuelles au sein
de la Haute Assemblée n'étant un secret pour p'ersonne.
Mais il reste un point à préciser. Quel est cet esprit public
dont nous disions tout à l'heure que le Conseil d'Etat était un
fidèle reflet ? Dans quel groupe de la société se trouve-t-il
incarné ? Un premier point est certain: ce n'est pas de l'opinion des gouvernants au sens juridique du terme qu'il peut
s'agir, sinon le problème ne se poserait même pas. Est-ce alors
dans l'opinion publique que le Conseil d'Etat puiserait son inspiration ? Une telle explication serait évidemment purement verbale, et ne saurait être retenue. C'est donc ailleurs qu'il faut
chercher la solution. Un examen, même superficiel, de la société
française fait apparaître l'existence d'un petit groupe de techniciens, hauts fonctionnaires, hommes politiques, journalistes, universitaires, qui, sans remplir toujours des fonctions officielles,
gouvernent le pays en réalité et constituent une espèce de
pépinière où sont prélevés les titulaires des postes les plus
importants. De ce groupe social des « princes qui nous gouvernent lI, - groupe plus large que celui des gouvernants proprement dits, mais plus étroit que l'opinion publique, - le Conseil
d'Etat constitue vraisemblablement une émanation: des études
sérieuses seraient nécessaires pour l'établir, mais on peut l'affirmer d'emblée sans grand risque d'erreur. A ce IJJ.Îlieu, dont ses
�membres sont issus et au sein duquel ils vivent, il emprunte la
plupart des traits qui caractérisent sa jurisprudence ,en matière
politique : sa résistance aux changements institutionnels, son libéralisme teinté d'une pointe de technocratie, ses formules brillantes mais souvent inefficaces, ses qualités incomparables mais
aussi ses défauts certains.
Cette analyse ne constitue certes qu'une très modeste tentative d'explication. Bien des études seraient nécessaires pour
dessiner les contours de ce groupe de gouvernants, au sens sociologique du terme, et pour établir l'existence et le rôle de
cette opinion politique dominante qui se reflèterait ainsi dans les
arrêts du Conseil d'Etat. Mais il nous paraît probable d'ores et
déjà que la jurisprudence administrative doit être considérée, non
comme « attributive », mais comme « déclarative» de politique.
C'est dire que si l'on voulait étudier le rôle du Conseil d'Etat
.;n dehors du droit administratif proprement dit, - et on devrait
le faire, - c'est de la science politique plutôt que du droit constitutionnel que relèverait ce"tte étude.
Prosper WEIL,
Professeur à la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques d' Aix-en-Provence.
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1
�Chronique des Thèses et Revues
MICHEL-HENRY FABRE. - Eloge de Monsieur le Recteùr
Amzalak. (Allocution prononcée à l'occasion de la délivrance
du diplôme d'honoris causa à M. le Rectear Amzalak, le
23 avril 1960).
Le soin de présenter Monsieur Moses Bensabat Amzalak,
recteur de l'Université technique de Lisbonne, n'est pas pour
moi qu'un honneur ; _il crée aussi un plaisir des plus vifs.
Plaisir physique d'abord, si j'ose dire, car M. le Recteur,
_ votre personnalité d'homme du sud, votre cordialité, votre finesse, votre sensibilité, votre simple présence m'obligent à évoquer le souffle odorant des orangers, le charme d'un pays, couché
comme une femme au flanc de l'Espagne !
Plaisir moral, ensuite, que fournit le spectacle d'une existence dans laquelle action et méditation sont si heureusement
mêlées !
Vos qualités d'homme d'action vous les avez déployées dans
l'administration universitaire où très vite vous avez conquis les
plus hauts grades. En 1931 vous êtes nommé Vice Recteur de
l'Université Technique de Lisbonne. De _1933 à 1944, vous dirigez l'Institut Supérieur des sciences économiques et financières.
En 1944 retournant à vos premières amours, vous reprenez le
vice rectorat de l'Université technique. Vous en êtes le recteur
depUiS 1956. Or, chose remarquable quand on sait par expérience
le poids de l'administration universitaire, celle-ci ne vous a
point empêché de poursuivre votre carrière professorale avec
son cortège nécessaire d'enseignement et 'de travaux. En sorte
que vous avez pu ajouter aux saveurs austères secrétées par
le rectorat, les joies profondes que la recherche et la théorie
scientifiques prodiguent 'à leurs adeptes.
Vos enseignements et vos écrits très nombreux (ceux-ci se
concrétisent dans quelques trois cents publications), ont jeté la
lumière sur toutes les branches de l'Economie politique, principalement -sur l'histoire économique. Très certainement 'les historiens plus jeunes qui vous étudieront (à votre tour, M. le Recteur, vous serez livré aux historiens économiques) vous classeront p'armi 'les fondateurs de l'EconoIl!ie p'olitique moderne,
�j'entends l'Economie politique en tant que science positive, celle
dont la création -était annoncée aepuis la Révolution de 1789.
Notre Faculté, Faculté dualiste, Faculté des sciences économiques autant que de droit, ·avait donc vocation à vous rendre un
hommage très mérité.
D'autres raisons que vos qualités techniques d'économiste, ou
d'administrateur, ont encore guidé notre choix. En effet, par
les études que jeune homme vous avez poursuivies à Paris, par
les analyses magistrales que vous avez ensuite données, par
les séjours fréquents que vous faites sur notre sol, vous
avez été amené ·à connaître et à aimer la France. Or la tâche
n'est pas facile, s'agissant d'un pays si complexe dans sa géographie physique et dans son âme collective : laïque par la forme
et religieux dans le sentiment, pacifique d'instinct et 'toujours
lancé dans de folles guerres, téméraire dans les idées et d'une
prudence souvent exagérée dans l'action politique, profondément
républicain et 'pourtant n'ayant pas répudié un certain goût
pour le monarque. Qu'il est difficile de comprendre et d'aimer
la France! Nous sommes heureux, Monsieur le Recteur, que
ce diplôme de l'Université d'Aix-Marseille s'ajoute aux aut~es
distinctions éclatantes que la France vous a déjà décernées, à
vous qui la comprenez, qui l'aimez et qui la servez.
Michel-Henry FABRE,
Doyen de la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques de l'Université d'Aix-Marseille.
L. TROT ABAS. - Métamorphoses économiques et sociales
du droit privé d'aujourd'hui (1).
Comment rendre compte d'une publication du doyen R. SAVATI ER sans évoquer, d'abord, l'humanisme qui rayonne de tout
ce qu'il écrit ? Cet humanisme, qu'il porte en lui, qui se projette sur tout ce qu'il étudie - et il étudie beaucoup - est
sans doute sa marque propre, assortie d'une foi chrétienne qui
l'éclaire d'un généreux optimisme.
Les métamorphoses économiques et sociales du droit privé
d'aufourd'hui, - qui viennent de s'affirmer par une seconde
édition - s'enrichissent ainsi de deux volumes complémentaires.
Ils portent en sous-titre: « l'universalisme renouvelé des disciplines juridiques ,. et « approfondissement d'un droit renouvelé ,..
Trop de mots, . peut-être, pour traduire la pensée de 1'œuvre,
car les scrupules de précision qui les accumulent ~n restreignent ridée, qui jaillit pourtant dans sa plénitude. Pourquoi,
notamment, restreindre ces métamorphoses au droit privé ?
(1) R. SAVATlER, .roit privé d'auiourd'bui,
2e
Les métamorphoses économiques et sociales du
et 3e séries, 2 v~l., 340 et 268 p., DaJlQz, 1959,
�Le droit public n'est-il pas convié aussi au festin ? Les publicistes n'ont-ils pas leur part à prendre dans toutes ces métamorphoses ? Qu'il s'agisse de la collaboration avec les sociologues,
des techniques de diffusion, du principe de la représentation,
de la santé - qui est une police - et j'en passe, le publiciste
se sent aussi chez lui, et il s'y trouve à l'aise, bien que l'enseigne
évoque seulement la maison d'en face ... A la vérité, l'idée dominante dépasse, par son absolu, la distinction - relative du droit privé et du droit public. Obsédante comme un rythme
musical, elle jaillit à travers la complexité des titres, qu'elle
simplifie: métamorphoses, renouveau, viennent et reviennent
sous la plume de l'auteur et s'imposent au lecteur comme la
force vitale du droit, comme le gage assuré de sa renaissance, qui
compense tous ses dépérissements et lui rend sa jeunesse au
moment où la sclérose le guette. Au rythme de ce « leit motif »,
ce qu'il peut y avoir de disparate dans ce rassemblement d'études retrouve son unité et se justifie par la cohésion de cette force
vive, de cette Promesse qui 'donne à tous les problèmes juridiques, abordés dans les perspectives nouvelles d'un siècle aux
mutations rapides, la marque commune d'une adaptation continue. Et l'on sent bien qu'un même optimisme doit s'étendre
au-delà des points traités.
Le vol. II (seconde série), après une vue rétrospective sur
le « destin du code civil de 1804 à 1959 », présente toute une série de confrontations : droit et progrès techniques, économistes et
juristes, juristes et sociologues, médecins et juristes, droit et
techniques de diffusion, droit et histoire. Le vol. III (troisième
série) est peut-être plus ramassé dans son plan: ouvert sur le
renouvellement du droit des personnes, dont il affirme la promotion contemporaine, il comprend une seconde partie sur le
renouvellement du droit des biens, qui s'attache plus spécialement
à la présentation nouvelle du droit des affaires et à l'importance
du droit agraire.
Sur tous ces points, on ne peut que conseiller la lecture
de ces nouveaux volumes, où l'on s'acheminera sur les voies
nouvelles, ou, plutôt, renouvelées, ouvertes par la pensée généreuse du Doyen R. SAV ATIER. Qu'il soit remercié pour avoir
ainsi rassemblé ces morceaux divers en mettant l'accent sur la
vitalité du Droit, marqué par une nouvelle jeunesse alors que les
transformations du monde pourraient entraîner son déclin.
Prof. L. TROTABAS,
Correspondant de l'Institut.
MICHEL-HENR y FABRE. - Commentaires sur quelques Thèses de Droit Public. (M. Isoart et M. Trotabas.)
Depuis la dernière chronique que j'ai consacrée dans ces
Annales (No 49 Nouvelle Série) aux thèses de droit publi~,
sept thèses de doctorat ont ét~ soutenues sous ma PFésidence,
-
295
--::
�qui toutes, à titres divers, offrent de l'intérêt (1). Je me bornerai
à parler des deux plus remarquables, celle de M. Isoart et
celle de M. Trotabas, couronnées respectivement par un deuxième et un premier prix.
•••
L'ouvrage de M. Paul Isoart : Le phénomène national vietnamien (de l'indépendance unitaire à l'indépendance fractionnée)
se signale d'abord par ses qualités littéraires : style élégant et
émouvant qui fait que le livre saisit le lecteur aux entrailles,
comme un roman de Bernanos ; équilibre et harmonie des
titres et des parties ; également, une grande souplesse dans
le passage d'un développement à un autre en sorte que le
cloisonnement n'intervient que pour la clarté de l'exposition
mais ne porte atteinte, en aucune manière, au développement
logique de la trame de fond.
Sur le fond précisément, cette thèse représente un travail
considérable de prospection, de documentation et de méditation.
D'aucuns critiqueront sans doute un parti pris systématique
de négliger . les structures institutionnelles ; mais l'ambition de
l'auteur n'était-elle pas d'étudier la Nation plutôt que l'Etat
vietnamien? D'autres relèveront avec plus de raison, un usage
certainement anachronique de l'expression de «Viet-Nam », ou
une tendance à exagérer les caractères nationaux vietnamiens
par rapport à la Chine. Toutes les Nations en effet ne s'opposent pas comme la France sur un clivage aussi het que le
« steeck pommes frites » même s'il ressortit au genre culinaire
et emprunte à un vocabulaire étranger. Et ces exagérations ou
ces anachronismes ont pour source un trop grand désir de
démontrer, pardonnable à la jeunesse de M. Tsoart.
Mais des chapitres tels que le chapitre V (le fait colonial au
Viet-Nam) et le chapitre VI (le nationalisme vietnamien) sont
vraiment des modèles d'analyse. Et, sur l'ensemble, il était,
je crois, très difficile de réussir une telle synthèse, s'agissant
d'une matière dont on ignore si l'ampleur l'emportait sur la
fluidité ou sur le volcanisme.
Restent pourtant des mystères à élucider. Pourquoi, par exemple, l'effort militaire fraI?sais de conquête ou de répression a-t-il
connu Je succès à certaines époques, et au contraire se soldait-il
en 1954 par le désastre que l'on sait ? Est-ce le fait qu'au
(1) R. D'ORNANO : Gouvernement et haut commandement en régime
parlementaire français, 1814-1914.
R. THOMAS : L'Afrique saharienne française.
VUTHI-THOUTCH : L'Etat Khmer.
P. ISOART : Le Pbénomène national viet1wmien.
M. BRESCIANI : Le député de Marseille suus la !Vine R.épublique.
J.B. TROTABAS : La Notion de laïcité dans le droit de l'Eglise catholique et de l'Etat républicain.
A. GANDOLFI : L'Administration territoriale eu Afrique noire de 14uglUl française.
�XIXme siècle l'action française en Indochine épousait le sens
de · l'histoire en cherchant appui sur la classe montante des catholiques ? A quoi s'ajoutait l'absence de toute opposition étrangère, chinoise notamment? Et doit-on conclure que le retournement des catholiques et l'hostilité de la Chine communiste
ont ruiné les fondements militaires de l'Union française à Hanoï
et à 'Saïgon depuis 1945 ?
Autre question: pourquoi notre politique civile n'a-t-elle
pas réussi à résoudre le problème colonial indochinois, malgré un
effort certain, économique et social, que concrétisait un métissage
des populations inconnu en Algérie? Serait-ce seulement que
les élites autochtones, formées à notre Ecole, n'auraient pas été
suffisamment intégrées dans les organes locaux du pouvoir
administratif et économique ? Ou que l'autonomie territoriale serait venue trop tard? Ou que le nationalisme vietnamien ayant
été pris en main par le parti communiste, le succès politique
de l'Union française en Indochine aurait postulé une coexistence
pacifique internationale, ou à son défaut la démocratie populaire
en France ? S'il en était ainsi, on comprendrait le malaise fait
de regrets, d'espoirs déçus et d'impuissance que l'auteur attribue
au Général Sabatier, en exergue de son étude.
"''*'*
Je viens d'évoquer les romans de Bernanos à propos de
la thèse de M. Isoart ; M. J.B. Trotabas n'aurait-il pu placer
au début de sa thèse sur: « la Notion de la laïcité dans le
droit de e Eglise et de l'Etat républicain)l ce passage du célèbre journal du Curé de campagne: « L'Eglise n'est pas seulement une espèce d'Etat souverain avec ses lois, ses fonctionnaires, ses armes - un mouvement si glorieux qu'on voudra
de l'histoire des hommes. Elle marche à travers le temps comme une trmipe de soldats à travers des pays inconnus, où
tout ravitaillement normal est impossible. Elle vit sur les régimes et les sociétés successives ainsi que la troupe sur l'habitant au jour le jour)l. S'efforcer de systématiser une telle
position dualiste, à la fois absolue et contingente, alimentée autant par les impératifs d'une inspiration supranaturelle que par
des concessions journalières aux exigences de l'organisation politique, pouvait paraître comme l'entreprise la plus téméraire,
jusqu'ici non tentée. M. Trotabas a couru le risque de cette
entreprise et, en définitive, il en a triomphé grâce à des qualités
combinées de philosophe, de théologien, d'historien ... et de juriste.
Son travail ne pourra être ignoré de quiconque voudra désormais étudier le sujet.
.
Le chapitre l de l'ouvra.,ge traite de la doctrine de l'Eglise
sur la laïcité. Après avoir montré l'origine religieuse de l'idée
laïque et son aboutissement dans l'individualisme d'Ockham,
M. Trotabas analyse la thèse de l'Eglise sur le pouvoir et la
liberté. Cette excellente démonstration doctrinale se poursuit
dans la première section du chap'itre II où l'auteur retrace la
�formation progressive d'une · mentalité laïque, la raison s'émancipant de la religion, puis la morale, et celle-ci s'élevant chez
certains contemporains à la hauteur d'une vraie foi laïque.
On s'étonnera peut-être qu'à l'occasion de ce pèlerinage aux
deux sources » de la notion de laïcité, certains noms ne soient
pas rencontrés; je pense notamment à Sade; mais les citer
tous, était une impossibilité matérielle, et les principaux l'ont été
assurément. Plus j~stement, on regrettera une tendance à dévaluer l'influence protestante dans le mouvement de laïcisation,
encore que les pràtestants aient surtout exercé une action directe pour le vote d'une législation laïque ; et tel n'était pas
vraiment le sujet choisi par l'auteur.
Dans les deux dernières sections du chapitre II, M. Trotabas
décrit les a'pplications positives de la laïcité dans l'Etat républicain, en consacrant au problème scolaire, vu son importance,
une section entière. Toutefois, malgré la part faite au droit
par ces développements, on ne peut dire que l'aspect juridique
prédomine à travers l'ouvrage de M. Trotabas, et la définition
de la laïcité, qu'il donne en conclusion (p. 223) et quoi qu'il
prétende plus haut (p. 221) p'est qu'une définition philosophique.
Sacrifions à César et constatons que la technique d'exposition de M. Trotabas est bien celle de nos Facultés de Droit,
et qu'alliée à un style discret et feutré, procédant par touches
légères, elle nous livre une thèse particulièrement séduisante,
telle que chacun de nous rêverait d'écrire ou d'avoir écrite
pour son doctorat.
Michel-Henry FABRE,
Doyen de la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques de i'Université d'Aix-Ma rseille.
R. AUBENAS. - Données naturelles et milieu humain. Un
exemple d'utilisation d~ multiples disciplines pour arriver à
la compréhension d'une région (à propos du livre de B. Kayser,
Campagnes et Villes de la Côte-d'Azur, Edition du Rocher de
Monaco, 1960, 1 ],·ol. in-BD, 593 p.)
Personne, certes, ne songerait à mer l'intérêt de l'histoire
politique ou celui de l'histoire économique, l'attrait de la géographie humaine comme celui de la démographie, et chacune de
ces disciplines est assez complexe pour absorber une activité
humaine. Aussi est-il rare de voir le même auteur posséder
assez à fond ces diverses techniques et les manier toutes de
façon telle qu'en une synthèse « totale » une région soit, littéralement, au dedans comme auscultée, au dehors comme palpée.
C'est ce que vient de réaliser de façon particulièrement réussie
M. Bernard Kayser, Maître de Conférences à la Faculté des
Lettres de Toulouse, dans une thèse de doctorat ès-lettres soutenue en Sorbonne en juin 1958 et qui vient de paraître en
librairie sous la forme d'un volume à la fois imposant et élégant,
�abondamment pourvu de graphiques et de courbes, illustré de
photographies suggestives (1).
Pour espérer réaliser en profondeur une pareille œuvre, l'auteur ne pouvait s'attaquer qu'à une petite région : ses efforts
ont porté sur l'arrière-pays rural de la Côte d'Azur, c'est-àdire sur la zone intermédiaire entre la côte proprement dite et
les véritables montagnes des pré-Alpes. Dès la page 17 précaution indispensable - une carte délimite la région étudiée,
qui va, en gros, du rebord oriental de l'Estérel à la vallée du
Paillon, englobant par conséquent une partie de l'ancien Comté
de Nice. Pourquoi ces limites, que J'on pourrait, à première
vue, trouver bien arbitraires? C'est parce que cette zone est en
contact direct avec la Côte et qu'elle connaît, par suite de ce
voisinage, un développement urbain qu'il ne serait évidemment
pas question de chercher au delà, dans les montagnes situées
plus au Nord. C'est ce caractère intermédiaire d'un pays en
voie de transformation rapide dans tous les domaines qui a
tenté l'auteur, attiré par une évolution dont le caractère spectaculaire frappe l'œil du touriste le plus hâtif. On ne saurait
donc lui chercher chicane sur la délimitation choisie.
Ayant longtemps vécu dans cette région, qu'il a parcourue
en tous sens et dont aucun élément de population ne lui est
étranger, M. B. Kayser était tout désigné pour en montrer tous
les aspects, et le lecteur ne sera pas déçu. Le j';1riste y trouvera
des renseignements précis sur la répartition de· la propriété
foncière comme sur la condition des terres; l'économiste - particulièrement comblé - y recueillera les statistiques les plus
minutieuses, goûtera la nette présentation de courbes et graphiques aux fondements établis avec un soin irréprochable sur des
bases choisies après de sévères critiques ; l'historien sera attiré
pai' la description de l'évolution d'une région à la population si
mouvante (2) et dont le visage change de jour en jour, la
campagne méditerranéenne de type traditionnel cédant le pas
à une urbanisation aussi rapide que fertile en contrastes ; la
politique, même, n'est pas absente, et les résultats des élections,
par exemple, y trouvent leur explication.
(1) A vrai dire, nous regrettons un peu que l'auteur ait abandonné le
titre de sa thèse (L'arrière-pays rural de la Côte d'Azur) pour celui de.
Campagncs et Villes de la Côte d' Azur, qui lui convient moins, car sont
précisément laissées de côté les véritables villes de la Côte d'Azur, Nice,'
Cannes, Antibes, Monaco, Menton ...
(2) Peut-être l'auteur aurait-il pu accorder davantage d'importance aux
conséquences de l'effroyable vide causé par la guerre de 1914-18 dans une
popuration paysanne vouée à l'infanterie et à ses misères : les chefs de
famille, ruraux enracinés, sont morts... , la veuve, les filles abandonnent,
par forc(!, l'exploitation, que reprennent les immigrants étrangers.
--
- 199
�C'est dire la richesse d'un · tel livre, fruit de dix années de
scrupuleuses recherches. Souhaitons que, peu à ·peu, les autres
régions de notre Provence, au territoire si varié, fournissent aux
bons travailleurs l'occasion de suivre cet exemple.
R. AUBENAS,
Professeur à 1a Faculté de Droit
et des Sciences Economiques d'Aix-en-Provence
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le 15 Septembre 1960
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de l'
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Salon-de-Provence
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ANNALES
DE LA
FACULTÉ DE DROIT
ET DES
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Nouvelle Série N° 52
ANNEES 1960-1961
LA PENSÉE UNIVERSITAIRE
12 bis, Rue Nazareth, 12 bis
AIX-EN-PROVENCE
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��ANNALES
DE LA FACULTÉ DE DROIT
ET DES SCIENCES ÉCONOMIQ1IES
D'AIX-EN-PROVENCE
Nouvelle Série N° 52
AN N1jES 1960-61
SOMMAIRE
A. TORRENTE. - L 'obligation alimentaire et ses sanctions
en droit italien. ......•..........................
P. KA YSER. - 1.' obligation alimentaire et ses sanctions
civiles en droit français ..........................
G. GUARINO. - L'intervention de l'Etat italien en mo,tières
d"'hydrocarbures .................................
C.-A. COLLIARD. - L'intervention de l'Etat en matières
d'hydrocarbures en France ......................
L. BAISER. - La réforme du droit des sociétés anonymes
en Allemagne ....... . ...........................
1. RAISER. - L'origine. et la portée de la législation antitrust dans la République Fédérale Allemande ......
T. ESCHENBURG. - Les démocraties européennes entre les
deux guerres mondiales .........................
T. ESCHENBURG. - Bùli~ isolé ......................
C. DURAND. - Quelques Aspeds de l'Admnistration Préfectorale sous le Consulat et l'Empire ............
L. TROTABAS. - Défense Nationale et Université .......
15
25
41
"61
89
105
121
151
1'73
22'7
Obs.e rvations ••.......1•••••••••••••••••••••••••••••••• j
249
Thèses sou.te~ues devant la Facu.lté. depuis 1958 ••••••••••
2'79
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.....
L'OBLIGATION ALIMENTAIRE
ET SES SANCTIONS EN DROIT ITALIEN
�"
.
�L"obligation alimentaire
et ses sanctions civiles en droit iltalien
. i. - Une étude de droit comparé sur l'obligation alimentaire présente un intérêt particulier, non seulement pour
les motifs qui sont communs à toute étude comparative - et
- eela en raison de la meilleure connaissance des institutions
que la comparaison entre deux ou plusieurs législations peut
provoquer, et en raison de la possibilité d'utiliser dans un
pays les résultats auxquels sont arrivées la doctrine et la
jurisprudence d'un autre pays - mais aussi pour toute une
série de considérations.
EQ premier lieu, elle permet d'approoier l'opportunité
d'une tentative de discipline uniforme selon une tendance qui
fait de plus en plus son chemin dans la civilisation moderne,
toujours plus occupée à abattre les barrières qui se placent
entre les peuples, alors surtout qu'une telle tentative concrrne UQ domaine où, à première vue, les ob.stacles sont particulièTement grands. La que~tion des aliments est, en effet,
étroitement liée à celle des rapports familiaux, lesquels sont
en relation directe avec les caractéristiques, les idées, et,
plus que tout autre, avec les sentiments intimes des individus
et des peuple", mais dans un secteur qui, - ' cela est bien
connu -, se détache aussi de celui des rapports familiaux
du fait du contenu économique qui le distingue et qui, en
conséquence, se prête, plus que les rapl'orts personnels et
familiaux proprement dits, à une tentative de discipline
uniforme.
A côté de celui que nous venons d'iQdiquer, il est un
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motif particulier qui rend intéressante notre étude. Comme
l'a dit précisément un auteur français, M. JOSSF.RAND,
fobligation alimentaire réalise l'idée simple et touchante
de l'assistance familiale et son importance pratique était de
premier ordre à une époque où l'assistance publique était à
peu près inexistante.
Actuellement, la question que le chercheur se pose, et
qui peut recevoir une réponse justement au moyen des résultats comparés des expériences française et italienne est de
savoir si cette forme d'assistance familiale a encore droit de
cité dans un monde tel que celui où nous vivons, qui a vu se
transformer radicalement sa propre physionomie, dans une
société qui d'agricole tend à devenir principalement industrielle, dans une organisation où la solidarité collective se
fait jour de plus en plus, où l'Etat a mis parmi ses buts la
prévoyance, la sécurité nationale: l'article 38 de la Constitution italienne sanctionne solennellement le principe selon
lêquel tout citoyen inapte au travail et dépourvu des moyens
nécessaires pour vivre a droit à rentretien et à l'assistance
sociale. Je pose la question: « une fois que ce principe sera
mis en application, les dispositions du Code civil ont-elles
encore une raison d'être et dans quelles limites ? ))
La réponse à ces questions est, comme je viens de le
dire, facilitée par l'examen de la discipline des institutions
et pal' la confrontation des législations et de la jurisprudence de deux pays, - il s'agit ici de l'Italie et de la
France - entre lesquels existent de profondes analogies,
qui sont déterminées surtout par le fait que le Code civil
italien en vigueur, malgré les modifications intervenues, se
ressent toujours de l'influence des dispositions du Code
Napoléon qui fut l'inspirateur du premi~r Code civil italien,
celui d~ 1865.
2. - Il est à peine nécessaire d'insister sur le fait que
notre étude concernera les obligations alimentaires dérivant
de la loi, l 'hypothèse dans laquelle celles-ci découlent de la
volonté des parties ne présentant pas d'intérêt.
D'après le système juridique italien l'obligation alimentaire suppose d'abord un lien familial (lien conjugal ;
parenté en ligne directe: les enfants légitimes ou légitimés,
1
et, à défaut, leurs descendants proches), un lien d alliance
(genàre et bru, beau-père et belle-mère), un lien de parenté
en ligne collatérale au second degré. Ici apparait une diffé8
�·
,
rence par tapport à la discipline du Code civil français, qui
n'admet pas l'obligation alimentaire entre frères et sœurs.
Toutefois, rarticle 439 du ,Code civil italien restreint l'obligation entre frères et sœurs au strict minimum: cette expression - ainsi que l'a précisé la Cour de cassation italienne
par son arrêt du 16 juin 1954, n° 2.055 - ne doit pas toutefois s'entendre en ce sens que l'obligation comprend seulement la fourniture de la nourriture et du logement, l'obligation comprend aussi les vêtements, les soins médicaux et,
en général, ce qui est indispensable pour la vie du créancier
d'alimen.ts, à l'exclusion de toute largesse que l'obligation
alimentaire ct 'une façon générale comporterait. Le second
alinéa du même article 439 prévoit, en fait, que l'obligation
entre frères et sœurs peut comprendre aussi - si le bénéficiaire est une personne mineure de 18 ans - les dépenses
pour l'éducation et l'instruction.
L' obiigati0l1 alimentaire existe aussi entre l'adoptant et
r adopté (Code civil italien, article 436) (1).
Une autre différence à signaler résulte du texte qui prévoit l'obligation alimentaire même en dehors de tout lien
familial. Lorsque le Code civil italien de 1865 était en
vigueur, on discutait sur le point de savoir si le donateur
avait un droit aux aliments envers le donataire et la discussion, à défaut d'une disposition légIslative expresse, ne pouvait qu'avoir une solution négative. (En France, dans ce
même cas, il me semble que l'opinion positive est soutenue
par M. Planiol). Le Code 'de 1942 a entendu rendre effectif,
en cette matière aussi, le sentiment de gratitude qui doit
ou devrait animer le donataire et il a stipulé. dans l'article 436, que celui-ci est tenu aux aliments envers le donateur, avant toute autre obligation. Ainsi qu'on l'a dit, le
législateur a voulu rendre coercitive l'obligation morale qui
découle de la gratitude du donataire: cela exp1ique - selon
les termes mêmes de l'article 437 du Code civil -- pourquoi
robligation ne subsiste ' pas quand il s'agit d'une donation
faite pour rémunérer le donataire pour service$ rendus au
(1) Il Y a une différence entre la position de l'àdoptant et celle
de l'adopté, qui se rattache au mouvement de protection de l'adopté,'
qui J.nspire la discipline de l'adoption : l'adoptant doit les aliments
à l'enfant adoptif avant les parents légitimes ou naturels de celui ..
cl, alors que l'enfant adoptif doit les aliments à l'adoptant en COIlcours avec lea enfants lé&ittmes de ce ~mter.
,
�donateur , dans ce cas, en effet, ava.nt même ia donation~
k donateur a reçu un avantage du donataire. Justement en
·vertu du fondement éthique de l'obligation alimentaire, la
jurisprudence a rejeté une corrélation de n,ature patrimoniale entre la donation et l'obligation considérée, et elle a
affirmé que le donataire est tenu de fournir des aliments au
donateur même si l'état de besoin de celui-ci n'a pas été
causé par la libéralité ou si le bien donné ne produit pas un,
revenu suffisant (Cass. 5 mars 1951). L'artilce 437 du Code
civil italien exclut enfin l'obligation alimentaire quand il
s'agit d'une donation faite en, vue d'un mariage : ici, la
raison n'est pas l'absence de devoir de gratitude mais le
besoin de faciliter ]e mariage.
.
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'.
Le Code civil italien envisage en dehors de la partie
consacrée aux aliments (titre XIII) les obligations du parent
naturel. A ce propos, il y a une différence entre la situation
de l'enfant naturel reconnu ou déclaré et l'enfant qui ne
peut être reconnu parce qu'incestueux ou adultérin. Pour ce
qui est du premier, l'article 261 du Code civil italien stipule
que le . parent naturel est tenu d'entretenir l'enfant reconnu,
de lui donner une instruction et une éducation conformes à
ce qui est prescrit par l'arti.cle 147 relatif aux enfants légitimes. Le Code avait ain,si, avant la lettre, appliqué le principe établi par l'article 30 de la Constitution italienne selon
lequel c'est un devoir pour les parents d'instruire et de donner une bonne éducation à leurs enfants: même s'ils sont
nés en dehors du mariage. Au contraire, lorsque l'en,fant ne
peut être reconnu paf{~e que la recherche de la paternité et
de la maternité est interdite ou lorsque l'action en déclaration judiciaire de paternité ou de maternité ne peut être
intentée, l'article 279 fixe les cas où l'enfant peut agir contre
son paren.t naturel (paternité ou maternité résultant indirectement d'une dé~ision civile ou pénale, paternité ou maternité découlant d'un mariage déclaré nul ou résultant d'une
déclaration écrite non équivoque des parents), mais ce même
article restreint le droit de l'enfant naturel 8:UX alimen,ts,
c'est-à-dire - ainsi que l'a noté, et comme, du reste, nous
le verrons dans un instant --- qu'il lui assigne des limites
plus étroites que celles fixées pour les enfants légitimes.
Comme l'on voit, il y a ici une différence entre le principe sanctionné par l'article 30, alinéa 1er, de la Constitution, et la discipline du Code dvil ; la Constitution prévoit
If très large devoir d'ell.t~etien, le Code celui plus re_strein,t
~ 10
�des aliments. La Cour constitutionnelle siest occupée de
l'alinéa 3 de l'art.içle 30 déjà cité, selon lequel la loi assure
aux enfants nés hors mariag8 toute protection juridique et
sociale compatible avec les droits des membres de la famille
légitime, pour exclure l'inconstitutionnalité de certaines dispositions du Code civil italien qui prévoient un traitement
plus nlauvais pour l'enfant naturel en matière successorale
(Cour constitutionnelle, 6 juillet 1960, n° 5~), mais pas des
dispositions du premier alinéa du même article 30 lequel
sanctionne, sans la limitation de la comptabilité du traitement de l'enfant né hors mariage avec les droits des membres de la famille légitime, lB devoir des parents d'entre-tenir, instruire et éduquer leurs enfants même s'ils sont nés
hors mariage. Récemment, un éminent civiliste a soutenu
que la disposition considérée a un caractère de précepte et
doit donc recevoir une application immédiate ; en consé-quence, l'article 279 du Code civil, pour la partie où il
limite aux aliments le droit de l'enfant naturel non reconnu
ou non susceptible de l'être en exduant un droit plus large
d'entretien serait inconstitutionnel, du fait que l'enfant
naturel non reconnu, ou qui n'est pas susceptible de l'être,
Eturait le même droit d'entretien que l'enfant légitime.
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Il est à peine nécessaire de souligner que le Code civil
prévoit des aliments en faveur des enfants naturels non
reconnus ou non susceptibles de l'être, en ca& de mort du
parent naturel, mais cette attribution qui ne tient pas
compte de l'état de besoin de l'enfant est de nature successorale et dépasse donc le cadre de notre étude.
~
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~.'
3. - L'obligation alimentaire réciproque entre époux
mérite une attentton particulière. A ce propos, il convient de
distinguer les situations suivantes : a) cohabitation normale
des conjoints ; b) absence de cohabitation normale ; c) nullité et annulation du mariage ; d) dissolution du mariage.
a) Dans le cas où il y a cohabitation des époux, l'article 145 fait au mari une obligation de garder sa femme
auprès de lui et de lui fournir tout ce qùi est nécessaire à
ses besoins, compte tenU de ses ressources ; de même, la
femme 'a le devoir de contribuer à l'entretien du mari si elle
Cl des moyens suffisants. Comme l'on voit, on prévoit d'abord .
l'obligation plus large qui a pour -objet l'entretien dont nous
nous occuperons plus spécialement plus loin. En second lieu~
-il faut souligner que, bien que la même obligatioA d'e:n.tre-
�tien soit mise â la charge de ia femme, elie est subordonnée
fi. la condition que le mari n'ait pas de moyens suffisants,
alors que - comme la jurisprudence l'a souligné - l'obligation du mari fait totalement abstraction de l'état de
besoin de la femme et de sa situation patrimoniale. La règle
ne semble pas en harmonie avec le précepte contenu dans
le second alinéa de l'article 29 de la Constitution selon lequel
!c mariage est basé sur ]' égalité morale et juridique des
époux, avec des limitations fixées par la loi en vue de garantir l'unité familiale. Il ne semble pas qu'ici la garantie de
l'unité familiale impose cette disparité de traitement entre
les deux conjoints. Il est vrai que l'origine historique de la
règle doit être recherchée dans l'inégalité à laquelle la
femme était sujette dans la législation antérieure et que la
Constitution se fait l'écho d'aspirations féministes mais, soit
dit en plaisantant, une fois en passant, l 'homme aussi doit
tirer parti des conquêtes du féminisme ... Sur le plan théorique je penserai donc que la disposition, en ce qu'elle marque une différence de traitement, est d'une constitutionnalité
douteuse. Toutefois, autant que je sache, la question n'a
jamais été soulevée et Q'a fait l'objet d'aucune décision de
la Cour constitutionnelle.
Pour compléter ce tableau, il convient d'ajouter que la
disposition du Code civil, qui subordonne l'obligation de la
femme à la condition que le mari n'ait pas de moyens suffi~ants, trouvait un adoucissement dans les conventions matrimoniales et surtout dans la plus l'épandue de ces conventions, la constitution de dot, largement enracinée jusqu'il y
a quelques dizaines d'années dans les usages italiens. Avec
la dot, la femme, ou d'autres pour elle, apportait des biens
au mari pour que celui-ci supportât les frais du mariage
(ad one ra 1natrimonii terenda) - selon UI~e expression qui
provient du droit romain auquel l'institution remonte. La
transformation que notre société a subie du fait de l'industrialisation, de l'émancipation et du travail de la femme, les
liens eux-mêmes de l'inaliénabilité du patrimoine dotal, qui
s'opposent à un emploi circonspect des biens dotaux suivant
les circonstances et qui immobilisent les biens là où l'économie moderne a été marquée de soubresauts et de variations
de valeur importante, ont porté un coup bien dur à la tradition : aujourd'hui, les constitutions de dot sont extrêmement
Tares dans l'Italie septentrionale et centrale, il y eQ a
enco~ dans l'Italie méridiollaie et insulaire. On peut dire
12
-
.....
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~
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que hi réglementation consacrée par le Code aux conventions
matrimoniales constitue une branch~ sèche ; la difficulté
réside seulement dans le fait de déterminer le régime à
adopter, mais l'on peut dire que le t~mps est venu de réaliser
une réforme qui a du reste déjà été mise en œuvre par d'autres législations. Il me semble que le même problème se pose
en France.
Si l'on considère la pr.atique en Italie, on doit reconnaître que, au moins dans la majorité des cas~ la disposition qui
subordonne l'obligation d'entretien de la femme envers
son, mari au manque de moyens suffisants n'est pas appliquée. En réalité, quand la femme a des revenus propres,
ou - . cas qui se fait de plus en plus fréquent - retire
de son travail un bénéfice, elle participe avec ces biens à
l'entretien familial sans se préoccuper de savoir si le mari
a. ou non des moyens suffisants, avec le seul dessein d'améliorer le standing de la vje commune, apportant ainsL soit
ù elle-même, soit au mar:i, soit surtout aux enfants, cette
aisance que l'emploi des seules ressources du mari ne permettrait pas.
b) Considérons maintenant l'hypothèse dans laquelle
les époux ne cohabitent pas, bien que le lien matrimonial
continue à subsister. Telle est la situation en cas de séparation et en cas d'absence d'un conjoint.
L'obligation alimentaire au cours de la séparation est
réglée par l'article 156 du Code civil qui établit une distinction fondamentale basée sur la culpabilité ou sur l'absence
de culpabilité d'un conjoint: Je conjoint qui n'est pas coupable conserve tous les droits découlant du mariage et, par
\'oie de conséquence, le droit à l'entretien sanctionné par
l'article 1'5 du Code civil, avec les différences entre la situation du et de la femme que nous avons déjà signalées.
La situation que nous venons d'examiner est celle du
conjoint qui n'est pas coupable ; par contre, le conjoint qui
il -été reconnu coupable n'a droit qu'aux aliments proprement dits. Il n'y a qu'un cas où l'obligation, des aliments
disparaît entre conjoints: c'est celui que prévoit l'artcle 146
du Code civil italien qui déclare que l'obligation incombant
au mari d'assurer l'entretien de sa femme est suspendue .
. lorsque celle-ci ayant quitté sans raison valable le domicile
conjugal" refuse d'y retourner. Les buts de cette disposition
- sont très clairs : d'une part, à titre préventif', empêcher la
13
�femme de quitter- le domicile conjugal sous la menace de se
voir privée du droit à l'entretien et, d'autre part, punir
1;abandon injustifié du domicile conjugal et amener la femme
ft reprendre la vie commune.
Certaines précisions méritent d~être apportées sur ce
point. En _premier li~u, il faut remarquer que la doctrine et
la jurisprudence reconnaissent assez largement l'existence
de la juste ëause qui légitimB l'abandon du domicile conjugal par la femme, sans que celle-ci encourt la sanction
de l'article 146. On estime en effet qu'il y a juste cause
non seulement lorsque J'abandon se justifie par un des faits
qui autoriserait la femme à demander la séparation pour
faute du mari (comportement injurieux, violent ou brutal de
celui-ci), mais également dans les ca~ où un abandon temporaire du -domicile conjugal peut être considéré, en tenant
compte dù milieu familial, comme n'étant pas capricieux.
l'al' exemplè, selon l'arrêt du 12 décembre 1953, n° 3094,
de la Cour de cassation, la femme ne perd pas son droit à
l 'en~retien si elle a abandonné le domicile conjugal parce
([ue son mari l'a accusée à tort d'a voir eu une l~ai~on intime
avant le mariage.
Une autre difficulté surgit : l'article 146 ne parle que de la suspension de l'obligation d'entretien de la femme.
On se demande maintenant si .c ette suspension s'étend à
t'obligation alimentaire au sens étroit du terme ? La doctrine et la jurisprudence dominant.e (Cass. 27 oct. 1955,
n° 3.351) affirment que la suspension concerne également
l'obligation alimentaire au sens étroit du terme ; cette solution se justifie par le fait que les buts de cette disposition
(amener la femme à ne pas abandonner le domicile conjugal
N à Y retourner si elle l'a abandonné) ne seraient pas reml'lis si l'on accordait à la femme un droit moins étendu, tel
que l'est celui des aliments.
Il est ,à peine besoin de remarquer que l'article 146 supIJose comme condition' fondamentale l'obligation de la vie
commune et que cette disposition ne joue pas quand cette
obligation disparaît à la suite d'u~e décision judiciaire de
séparation : c'est pourquoi, s-j le mari obtient sur la base '
cl 'un abandon du domicile conjugal, la. séparation aux torts
de la femme, il sera tenu lui-même à l'obligation alimentaire aux termes de l'article 156 du Code civil.
Une autre question se pose dont la solution est en étr-oite
14
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relation avec la disposition constitutionnelle contenue dans '
le deuxième alinéa d~ l'article 29 de la Constitution italienne
auquel nous avons déjà fait allusion, et en vertu duquel le
mariage repose sur l'égalité morale et juridique des conjoints
sous réserve des limites prévues par la loi pour garantir
l'unité de la famille. Cette question est la suivante: l'abandon par le mari du domicile conjugal peut-il être également
sanctionné par la perte du droit à l'entretien ? Il faut préciser que, en vertu de l'article 144 du Code civil, le mari a le
droit de fixer où il veut le domicile conjugal et que la femme
doit le suivre. La question se pose de savoir si ce . principe
est conforme au non à (jelui posé par la Constitution.
On pense généralement que ce pouvoir ' est donné au mari
eri vue de' garantir l'unité de la famille et que, par conséquent, l'exception au principe de l'égalité juridique et
morale des conjoints, garanti 'par la Constitution. est justifiée. Nous avons vu que le principe admet des limites et des
tempéraments à cette égalité lorsque ceux-ci sont justifiés
par les nécessités de l'unité de la famille. Ceci dit, l'abandon injustifié du domicile conjugal par le mari ne peut
- exister que lorsque le mari s'installe dans un lieu différent
de celui où se trouvait auparavant le domicile familial et
lorsqu'il ne veut pas que sa femme le suive, refusant de
cohabiter avec elle dans ce nouveau domicile. Une hypothèse
analogue peut, à notre avis , se vérifier au cas où le mari
chasserait sa femme du domicile conjugal sans raison valable. Nous aurions tendance à penser que le mari pourrait
être également frappé de la suspension du droit à l'entretien
auquel il a lui-même droit aux termes de l'article 145. Nous
penchons vers cette solution, en raison du fait que l'article 146 du Code civil et la sanction qu'il prévoit n'ont pas
un caractère exceptionnel, mais qu'ils sont l'application
d'un principe général basé sur la nécessité de sauvegarder
]&, continuation de la cohabitation, ce fait étant d'ailleurs
corroboré par le principe de l' rgalité morale et juridique des
conjoints prévu par la Constitution.
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c) Considérons maintenant le cas de nullité ou d'annulation du mariage. Le problème est simple. L'annulation ou
la déclaration de nullité du mariage a pour conséquence que
celui-ci est considéré comme n'ayant jamais été célébré ;
il s'ensuit que l'obligation alimentaire cesse. La logique de
1.'1 rétroactivité de l'annulation et de la déclaration de nullité
15
�entrainerait . même l'obligation de restituer les prestations
alimentaires exigées jusqu'au moment de la déclaration de
nullité ; toutefois, ici joue le tempérament de la théorie du
mariage putatif (art. 128 du Code civil), cas également connu
du droit français.
d) 11 convient de remarquer qu'en vertu de la loi ita·
lienne, la dissolution du mariage n'existe qu'en cas de mort
d'un des époux, ]e divorce n'étant pas admis. L'article f98
accorde à la veuve le droit:il l'entretien si elle a une dot, et
seulement un droit aux aliments si elle n'a pas apporté
de dot. Sont tenus de l'une comme de l'autre obligation,
mais seulement pendant un délai d'un ,an, les héritiers du
mari. Il semble cependant que cette disposition soit rarement appliquée .
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4. - Notre examen a montré le lien étroit qui existe
entre l'obligation alimentaire et la situation des sujets dans
la famille, et par conséquent la distinction profonde qui,
sous l'angle subjectif, sépare l'obligation alimentaire de
1: obligation en général. D'autres caractéristiques de nature
objective donnent une physionomie particulière à l' obligation elle-même. Ces caractéristiques sont bien connues de
tous et je ne pense pas qu'il soit nécessaire de les relever ici
car elles existent également en droit français : il faut que
eelui qui demande les aliments soit dans un état de besoin.
Cette règle ne joue, d'une manière gén.érale, que pour les
aliments proprement dits et non pa'3 en matière d'entretien .
Le droit aux aliments est toutefois subordonné à l'obligation au travail qui incombe à tout membre de la société,
ainsi qu'il résulte des termes mêmes de l'article '38 du
Code civil italien qui déclare : « ... et n'est pas en mesure
de pourvoir à son propre entretien ». Toutefois, une décision
de la Cour de cassation du 20 mars f9'2, n° 755~ a déclaré
que l'obligation au travail ne devait pas être comprise d'une
manière absolue, c'est pourquoi celui qui a droit aux aliments n'est pas tenu d'effectuer un travail ne correspondant
pas à sa situation sociale (Cassation, 17 juin 1953, n° 1.797).
L'obligation alimentaire ne peut, en outre, incomber
qu 'à celui qui se trouve dans une situation économique propre à la satisfaire.
Nous n'aborderons pas Ici la question sans intérêt de
16
�la hiérarchie et de l'ordre existant entre les différentes personnes tenues à. l'obligation alimentaire.
La question qu'il nous faut au cOQtraire examiner tout
spécialement est celle de l'entité de l'obligation alimentaire.
L'article 438 du Code civil italien prévoit que les aliments
doivent être aooordés en fonction des besoins de celui qui
les demande et des èonditions économiques de celui qui les
doit. Hs ne doivent cependant pas dépasser les besoins vitaux
de la personne qui les demande, compte tenu de sa situation
sociale. C'est pourquoi la doctrine italienne, comme la doctrine française, comprend dans l'obligation alimentaire non
seulement les alimenta naturalia (nourriture, logement,
habillement, médicaments et soins), mais aussi les alimenta
civilia ; c'est-à-dire ceux qui sont nécessaires à la satisfaction des besoins sociaux et moraux du créancier. d'aliments
(tels que l'éducation et l'instruction) à l'exclusion de tout
iuxe et de tout superflu, c'est-à-dire de tout ce qui est
au-delà du train de vie normal du demandeur d'aliments.
.'
......
Nous avons déjà dit que la législatioQ italienne fait
- place à une notion plus restreinte concernant les aliments
entre frères et sœurs _qui Qe sont dus que dans les limites
du strict nécessaire. Nous' avons déjà trouvé une différence
entre l'obligation aux aliments et l'obligation d'entretien
existant, d'une part, entre conjoints et, d'autre part, entre
parents et enfants. Il a déjà été noté que l'obligation d'entretien fait abstraction des besoins de la personne qui demaQde
l'entretien, en particulier de la femme : en conséquence,
celle-ci doit être déterminée en fonction des possibilités du
mari indépendamment de celles de la femme. Il importe de
remarquer ici que, alors que les aliments doivent servir à la
satisfaction des nécessités vitales du créancier - même si
ces nécessités sont comprises au sens large - , la notion d'entretien comprend les plus larges besoins du conjoint ou de
l'enfant. En d'autres termes, l'entretien n'a pas pour but seulement de pallier l'iQdigence du sujet, mais aussi de créer une
égalité de train de vie entre les époux ou entre les parents
et les enfants sur tous les plans et par conséquent aussi sur
le plan du bien-être matériel.
L'exposé qui précède. laisse dans l'ombre certains
aspects particulièrement intéressants de l'obligation alimeQtaire, c'est là une omission que je suis le premier à regretter,
mais le temps est un tyran inexorable devant lequel il faut
17
2
�s'incliner. J'ai cependant essayé dans cet exposé de dégager
les traits les plus caractéristiques de 1'9bligation alimentaire,
ceux qui constituent le fondemeQt de (jette institution et qui
permettent de répondre à la question que nous nous sommes
posée au début de ce rapport, à savoir: est-il normal que
l'obligation alimentaire continue à exister malgré l'expansion de plus en plus grande que prend l'assistaQce publique
{:t, le fait que l'Etat moderne a inclu au nombre de ses tâches
la mise en œuvre de la solidarité sociale?
Encore aujourd'hui, on affirme que l'intérêt protégé
par l,a loi, lorsqu'elle impose une obligation alimentaire est
le droit à la vie de celui qui se trouve dans le besoin. Il s'agit,
dit-on d'un intérêt individuel protégé pour des raisons d'humanité. L'obligation alimentaire est établie - dit-on - tant
au profit de la société qu'au profit de l'Etat, car elle fait
obstacle au fait que, l'une et l'autre aient à supporter la
charge de nombreux indigents. En premier lieu, cette conception pourrait être seulement valab1e pour les aliments au
sens étroit du terme, mais ne vaudrait pas pour l'obligation
d'entretien qui ne présuppose pas l'indigence et qui doit
être comprise, nous l'avons déjà vu, dans un "ens très large
et en vue de traiter sur un pied d'égalité les conjoints ou les
parents et les enfants. En d'autres termes, cette obligation
d'entretien a pour but de réaliser sur le plan économique
l'unité de la famille. En secoQd lieu, cette conception est
trop étroite, même en ce qui concerne les aliments, étant
donné que les aliments ne sont pas le signe d'une véritable
situation d'indigence et que la mesure des aliment" accordés
dépasse ce qui est strictement indispensable à la vie du
sujet.
D'autre part, à supposer que la justification proposée
de l'obligation alimentaire soit exacte, celle-ci ne pourrait
légitimer la survivance de cette obligation en f.ace des formes
de prévoyance et d'assistance qui, par le jeu des assurances
ou de systèmes analogues aux assurances, ont pour but de
protéger l'individu, - surtout s'il s'agit d'un travailleur
placé dans une situation de subordination -,contre des
risques presque équivalents à l'indigence, c'est-il-dire la
maladie, l'invalidité, la vieillesse, ~tc ...
A mon sens, l'obligation alimentaire a un fondement
tout à fait différent-. Elle prend ses racines dans la nécessité de l'unité et de la solidarité familiale qui se fait jour
18
�dans la notion d'entretien, mais qui se reflète aussi d'une
manière générale sur l'ob1igation alimentaire. A côté de' la
solidarité publique, la loi pose le principe de la solidarité
privée au sein de la famille: la solidarité publique ne pourra
pas se substituer à la solidarité famIliale, du moins tant que
ne seront pas modifiées les bases mêmes de notre civilisation ; tant que, comme l'a dit un poète italien, le soleil brillera sur les détresses humaines. En effet, cette solidarité
familiale est liée aux sentiments les plus profonds de
l:homme, à ce noyau familial qui demeure encore aujourd'hui le fondement de la civilisation et de l'Etat. C'est cette
raison essentielle qui n'échappe à personne sur le plan éthique et non pas l'opportunité pour l'Etat de faire quelque
économie sur l'assistance qu'il prodigue aux indigents, qui
explique les sanctions civiles et pénales prévues par la loi
en cas de non-exécution de l'obligation alimentaire.
5. - Nous nous occuperons ici des sanctions civiles
prévues pal' la loi italienne.
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D'une manière générale, le demandeur d'aliments peut
faire appel aux moyens ordinaires qui appartiennent aux
créanciers quand le débiteur ne satisfait pas ponctuellement
à son obligation, mais il existe aussi en matière civile des
sanctions spéciales qui, à mon sens, ne se justifient véritablement qu'en fonction de ce lien étroit qui existe entre
l'obligation alimentaire et les rapports familiaux et les obligations qui en découlent. En général, la non-exécution de
fobligation ne peut donner lieu qu:à des dommages-intérêts.
Mais l'obligation alimentaire peut avoir des san,ctions qui
sont différentes et s' intègrtmt.. justement dans le domaine
des situations et des pouvoirs familiaux. En effet, l'inobservation de l 'obligation ct' entretien peut être retenue comme
un motifs de séparation des époux: selon les cas ; elle peut
être, par exemple, considérée comme excès ou injure grave
contre ]a femme, l'obliger à wener une vie de privations ne
correspondant pas à la situation économique du mari, en
lui imposant des sacrifices injustifiés, ayant une incidence
sur sa santé et sur sa, dignité. De même, l'inexécution de
l'obligation d'entretien, surtout lorsque celle-ci peut être le
signe d'un désintéressement envers les enfants, pour ne pas
dire un signe de mépris à leur égard., peut être considérée
comme un abus de la puissance paternelle susceptible d'en19
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traîner la perte de celle-ci, ainsi que les conséquences prévues par l'article 333 du Code civil.
En outre, la non-exécution de l'obligation elle-même doit
être prise el} considération par le tribunal qui prononce la
séparation pour confier la garde des enfants à l'un ou à
l'autre des époux, conformément à l'article 155 du CodB
civil.
Enfin, il ne faut pas oublier que l'inexécution de l'obligation alimentaire, lorsqu'elle est la conséquence de la dilapidation d'un patrimoine par prodigalité, peut entraîner
une incapacité au sens de l'article 415 du Code civil qui
I.Jrévoit justement comme condition de l'incapacité le fait,
pour un sujet, d'exposer, outre sa propre personne, sa
famille à de graves préjudices économiques (le fait d'être
frappé d'une telle incapacité donne lieu en droit italien à
une situation analogue à celle qui est prévue pour les prodigues par l'article 513 du Code civil français. Ces sanctions
spéciales ont des caractéristiques communes qu'il me paraît
opportun de souligner. En premier lieu, eelles-eÎ ne concernent pas toutes les obligations alimentaires. En sont exclues
celles qui sont dues aux ascendants, aux autres parents et aux
alliés. Elles font donc spécifiquement partie intégrante du
noyau famiJial au sens étroit de la famille) société naturelle
fondée sur le mariage que l'article 29 de la Constitution italienne entend protéger.
En second lieu ces sanctions spéciales ne s'appliquent
pas automatiquement, mais impliquent une appréciation dis~
crétionnaire du juge du fond qui doit prendre en considération l'ensemble de la conduite du sujet et replacer le
défaut de prestation d'aliments dans le cadre de son comportement. Si je ne me trœnpe, ce que le juge doit rechercher pour appliquer une sanction spéciale est la violation du
devoir famlial d'assistance que nous avons considéré comme
le fondement de l'obligation alimentaire.
Une autre sanction spéciale, conséquence de l'inobservation de l'obligation alimentaire, se retrouve en cas de
refus injustifié de la part du donataire de fournir des aliments au donateur. A ce propos, il convient de préciser que
l'art1cle 1.081 du Code civil italien de 1865 prévoyait la
révocation de la donation en cas de refus injustifi0 du donataire de fournir des aliments au donateur. Cette disposition
Hait analogue à celle de l'article 955 du Code Napoléon.
La doctrine italienne prédominante avait estimé que, en
20
�l;absence d'une disposition spéciale fixant une obligation alimentaire à la charge du donataire envers le donateur, du seul
fait de la donation, abstraction faite des liens de famille avec
le donateur, l'importance du refus entraînant la révocation
do la donation était limitée à la prestation des aliments dus
aux personnes indiquées par la loi. Il me semble avoir trouvé
un cas analogue dans la jurisprudence française dont un
arrêt de la Chambre des requêtes du 1er décembre 1919 a
affirmé que l'article 955 du Code Napoléon ne crée pas de
dette- alimentaire du donataire envers le donateur,
Nous avons vu que le Code italien actuellement en
vigueur a prévu :à la charge du donataire l'obligation de
fournir des aliments au donateur, même s'il n'y a pas entre
eux les liens familiaux qui sont requis en général. Toutefois,
il a semblé excessif de sanctionner la violation de cette obligation par la révocation de la donation si donateur et donataire sont étrangers l'un à l'autre. On a donc seulement
reconnu eomme suffisamment grave pour justifier la révocation de la donation la violation de l'obligation alimentaire
- reposant sur les relations familiales prévues par la loi : en
effet, l'article 801 limite textuellement la révocation à l'hypothèse de refus injustifié des alimeI~ts dus en vertu des
articles 433, 11,35 et 436 du Code civil italien.
Les tentatives faites par la doctrine pour étendre la
révocation -aux hypothèses où la donation a été faite entre
étrangers et où le donataire n'a pas rempli l'obligation alimentaire née de la donation elle-même, abstraction faite de
l'existence de liens familiaux, sont destinés à faire faillite
en face du renvoi formel contenu dans l'article 801 du Code
civil aux articles 433, 435 et 436 du Code civil italien qui
concernent l'obligation alimentaire entre personne~ unies par
des lien" de famille.
La raison de la portée étroite de cette disposition me
semble claire. La révocation de la donation est prévue par le
Code civil italien comme par le Code civil françaIs lor"qu'on
se trouve en présence de faits très graves, tels que l'homicide du donateur (que l'acte ait été tenté ou consommé, la
calomnie, l'injure grave. C'est seulement au cas où existent
entre donateur et donataire des liens de famille serrés. que
le comportement du donataire qui oublie ces liens sacrés
est véritablement répréhensible au plus haut degré ; dans
ce cas, on peut dire en vérité, comme le faisaient les Anciens,
21
�.
que ne pas fournir des alÎments équivaut à tuer le don,aieur
Cela équivaut à le tuer moins matériellement que moralement, parce que le donataire est insensible à la voix de
raffection et de~ liens familiaux, alors que le donateur s'est
montré généreux envers lui. Si je ne me trompe, l'examen de
cette sanction nous ramène à l'étroite connexion qui existe
entre le lien familial et l'obligation alimentaire et constitue
le fondement de cette dernière. Il s'agit là de la projection
dans le domaine patrimonial de devoirs sacrés n,és de l'affection et des liens du sang. Les sanctions spéciales trouvent
leur justification et leur limitation non pas dans Je fait
qu'elles sont liées à l'aspect patrimonial du non-accomplissement de l'obligation, mais surtout dans la nécessité de
protéger ces liens d'affection naturels et éternels pour
l'homme.
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:
6. - La protection judiciaire de la créance alimentaire
est, du moins en règle générale, particulièrement prise en
considération par le législateur italien dans la mesure où clle
tst liée là la modification d'une situation familiale. Une
mesure de protection particulière, prompte et efficace, n'est
en effet prévue par le Code de procédure civile italien qu'en
cas de séparation des époux: si le conjoint convoqué ne comparaît pas ou si, malgré ·sa comparution, la réconciliation
des époux n'a pas lieu, le président peut, d'office, par ordonnance prendre les mesures temporaires et urgentes qu'il
considère comme nécessaires dans l'intérêt des époux et des
enfants (art. 708 du Code de procédure civile), y compris
les mesures concernant les aliments. L'article 189 des disposjtions d'application du Code de procédure civile ajoute que
1: ordonnance constitue un titre exécutoire : il est regrettable
que ce même article n'ait pas ·spécifié que l'ordonnance
I(;mportait aussi hypothèque judiciaire, alor~ que l'article
2.818 du Code civil italien, qui me paraît' différent de l'article 2.123 du Code civil français, modifié par le décret du
.4, janvier 1955, ne considèr-e comme susceptible d'emporter
hypothèque judiciaire que les décisions (slentenze) et la
subordonne au contraire pour les autres mesures à la condition que la loi confère à celles--ci d'une façon précise la
possibilité de donner un droit à l'inscription de l'hypothèque.
Alors que l'artide 189 des dispositions d'exécution ·du Code
df.; procédure civile italien reconnaît que l'ordonnance en
question est exécutoire, il ne dit rien en ce qui concerne
rhypothèque judiciaire. Il serait souhaitable que le légi~la22
�teur comhlât cette lacune. De même, il serait en générai
souhaitable que la procédure d'urgence fût étendue à la
créance alimentaire. En vérité, la disposition de l'article 282
du Code de procédure civile italien, en vertu de laquelle
l'exécution provisoire doit toujours être aocordée, à la
demande des parties, dans le cas de jugement qui prononce
des condamnations au paiement d'une prestation alimentaire,
ne paraît pas suffisante pour une exécution rapide de la
créance alimentaire. Cette disposition, en effet, n'exclut pas
le déroulement d'un procès ordinaire contradictoire. En
matière d'exécution, la créance alimentaire est au contraire
largement protégée : l'article 54,5 du Code de procédure
civile prévoit que les traitements de.s employés des entreprises privées ou les salaire:s des ouvriers peuvent faire
l'objet d'un,e saisie-arrêt si la créance est de nature alimentaire. Des lois spéciales contiennent des dispositions analogues en ce qui concerne les fonctionnaires.
l
.
:
7. - La tableau nécessairement bref que nous avons
tracé me semble montfler une tendance vers une protection
- plus efficace des devoirs alimentaires qui existent entre les
personnes unies par les liens familiaux les plus proches.
Ces devoirs sont sanctionnés généralement par des mesures
spéciales qui ont une r.épercussion sur les ' situations et les
pouvoirs familiaux en relation avec le fondement que nous
avons trouvé à l'obligation alimentaire. En d'autres termes,
le devoir d'entretien est peut-être le plus important et celui
qui mérite le plus d'être pris en considération et protégé,
alors que les autres obligations alimentaires peuvent être
satisfaites par les formes d'assistance et de prévoyance qui
se répandent de plus en plus largement dans la société
moderne.
Dans le cadre de cette plus grande protection du devoir
d'entretien, instrument de cohésion de l'unité familiale,
prend place également l'évolution accomplie par le droit du
travail ver~ ce qu'on appelle le salaire familial J c'est-à-dire
.cette forme de rétribution qui met en œuvre le principe posé
par l'article 36 de la Constitution italienne, en vertu duquel
la rétribution du travailleur doit être suffisante pour lui
assurer, ainsi qu'à ~a famille, une existence libre et digne,
Ainsi donc, l'ancienne institution des aliments aussi bien
que la plus modern,e législation du travail tendent vers un
but commun qui est de réaliser la cohésion familiale sur le
23
�pian d 'une existence libre ct digne pour tous les membres
groupe familial .
du
.C'est vers cette fin, traçant un sillon nouveau dans le
champ de la tradition, que devraient tendre les études destinées à affermir les devoirs qui ont leurs racines anciennes et
profondes dans l'âme humaine.
Andrea TORRENTE,
Professeur à l'Université de Rome
Président de Chambre à la Cour de Cassation .
...• :
....
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24
�\-
L'OBLIGATION ALIMENTAIRE
ET SES SANCTIONS CIVILES
EN DROIT FRANÇAIS
��L'obligation alimentaire
et ses sanctions civiles
en Droit français
Notre Code civil consacre seulement quelques textes
à l'obligation alimentaire. Les plus importants, les art.
205 à 211, se trouvent placés, d'une manière inexacte,
dans un chapitre intituLé « Des obligations qui naissent
du mariage -». Ils déterminent les personnes entre les.quelles existe l'obligation alimentair'e, les conditions et
l'objet de celle-ci, mais ils n'en précisent pas les ,c arac' tères. Ils restent cependant, aujourd'hui encore, les
supports de toutes les règles qui régissent l'obligation
alimentaire dans notre droit.
Ils ont permis tout d'abord, de dégager l'originalité
de l'institution, et de la distinguer de deux institutions
voisines, l'obligation de secours entre époux (art. 212) ,
et l'obligation d'entretien et d'éducation des parents à
l'égard de leurs enfants (art. 203). L'obligation alimentaire diffère de ,ces deux obligations p.a r son fondement.
Elle est fondée sur l'étroite solidarité qui existe entre
les parents et les alliés les plus proches. L'obligation de
secours entre époux est au contraire, un devoir né directement du mariage. Quant à l'obligation d'entretien et
d',é ducation 'des parents, elle n'a pas sa source dans le '
mariage, car elle existe aussi à l'égard des enfants naturels. Elle est un devoir, issu de la procréation, qui est
exprimé avec une rude et vigoureuse simplicité par
27
�i'arlage de Loysel « Qui fait l'enfant, le doit nourrîr ».
Un auteur moderne a pu écrire, en écho à l'adage de
Loysel « Ce devoir est une conséquence, et comme une
sorte de continuation du fait de donner la vie » (1).
Un fondement aussi difl'érent a donné naissance à
des obligations qui n'ont pas le même objet. L'obligation
alimentaire a normalement pour objet une somme
d'argent, périodiquement versée par le débiteur au
créancier, pour permettre à ce dernier de vivre. L'obligation de secours entre époux 'ut. en dépit de son nom,
un objet beaucoup plus large, la contribution de chacun
des époux aux charges du mariage: art. 214. Elle implique l'égalité de traitement des époux, et elle s'exécute
en principe d'une manière spontanée, par le jeu du
régime matrimonial. C'est seulement dans les cas exceptionnels où ,cesse la vie commune des époux, séparation
de corps et divorce en particulier, que cette obligation
prend la forme d'une pension alimentaire, versée par
l'un des conjoints à l'autre. Même dans ce cas" elle tire
de son origine des carctères propres qui la différencient
d~ l'obligation alimentaire.
..........
."
L'objet de l'obligation d'entretien et d'éducation
n'est pas moins différent de celui de l'obligation alimentaire. Il consiste, ainsi que l'indique son nom, non seulement dans l'entretien, mais aussi dans l'iéducation de
l'enfant. L'obligation n'est donc pas réciproque, comme
l'obligation alimentaire : elle n'existe qu'à la charge
des parents, et elle prend fin, en principe, à la majorité
de l'enfant. Elle s'exécute normalement sous la fornœ
de l'obligation pour chacun des époux de contribuer à
cette charge du ' mariage que représentent les enfants.
C'est seulement quand cesse la vie commune des époux,
et pour les enfants naturels, que l'obligation prend la
forme d'une pension alimentaire, versée par l'un des
parents à l'autre, pour le compte de l'enfant. Même dans
ce cas, elle diffère de l'obligation ,a limentaire, puisqu'elle
continue à avoir pour objet, non seulement l'entretien,
mais aussi l'éducation de l'enfant.
(1) F.
p.54.
28
D~RmA,
L'obligation d'entretien, préfac.e de M. Breton.
�C'est donc à juste titre que la Commission de réforIlle du Code civil exclut l'obligation d'entretien et
d'éducation, des textes qu'elle consacre à l'obligation
alimentaire : art. 568 à 578 de l'Avant-lprojet. On peut
regretter, en revanche, qu'elle n'ait pas également exclu
l'obligation de secours entre époux, même dans le cas
où celle-ci s'exécute sous la forme d'une pension alimentaire: art. 568 1° de l'Avan~-projet.
C'est donc un lent travail d'analyse, encore inachevé, qui a conduit à distinguer, dans notre droit, l'obligation alimentaire de ces deux institutions. Mais, le
particularisme de l'obligation alimentaire étant ainsi
dégagé, c'est son utilité qui a semblé compromise par
l'avènement du régime de la Sécurité Sociale (2). Le
rôle de celle-ci n'est-il pas, en effet, de couvrir les différents risques, lllaiadie, invalidité, vieillesse, accident,
dont la survenance détermine l'état de besoin du créancier d'aliments '! Il n~est pas douteux que l'instauration
de la Sécurité sociale a diminué le nombre des créanciers
d'aliments. Mais elle ne les a pas supprnnés : le régime
de la Sécurité sociale laisse en efl'et en dehors de son
champ d'application les personnes qui n'ont jamais
exercé de profession. Il ne couvre pas, d'autre part, tous
les risques sociaux, et, pour les risques qu'il prend en
charge, ses prestations ne permettent pas toujours de
satisfaire tous les besoins de l'assuré (3).
"
Le développenlent récent de l'Aide sociale ne perInet-il pas, du moins, de con1bler les lacunes du régÏlne
de la Sécurité sociale, et d'étendre à l'ensemble de la
population, et à tous les risques sociaux, un réseau protecteur sans défailla nce ? Telle est, en effet, la généreuse
anlbition de la législation d'Aide sociale, ,c olnplémentaire
de celle de la Sécurité sociale. Mais, en assumant cette
fonction , cette législation a affirmé le caractère subsidiaire de l'assistance sociale par rapport à l'entr'aide
(2) R. SAVATIER~ Vévolution de l~ oQligatio'n (Ùim6ntaire~ D. 1950,
chr. p. 149 ; A. ROUAST~ La Sécurité Soci!aJe et le droit de la famille~
L-e droit privé français a,u milieu du xx',,· siècle, t. I, p. 346; P.
DURAND~ Le droit de ~a. famille devant le droit social~ Rev. int. dr.
comp, 1954, p. 533.
(3)ROUAST et DURAND~ Sécurité sociale~ Précis Dalloz, 2 me éd.,
p. 474.
29
�familiale (4). La primauté de celle-ci .a été organIsee
par les textes. A la suite de toute demande d'aide sociale,
les personnes tenues de l'obligation alimentaire vis-à-vis
du postulant sont invitées à indiquer la mesure du
secours qu'elles peuvent lui apporter: art. 144 al. 1° du
Code de la famille efl de l'Aide sociale. La Commission
de l'admission à l'aide sociale tient compte de cette
mesure pour déterminer celle de l'aide consentie par les
collectivités publiques : art. 144 al. 2° Si les débiteurs
d'aliments ne fournissent pas spontanément l'aide promise, et si leur créancier néglige de les poursuivre,
l'Administration peut se substituer à lui: le Préfet peut
demander à sa place à l'autorité judiciaire la fixation
de la dette alimentaire, et son paiement au département, \
qui la lui reverse, augmentée éventuellement de la part
de l'aide sociale : art. 145.
Le devoir familial a donc conservé la prééminence
par rapport à l'Aide sociale. Mais queUe est la mesure
exacte, et ·quelle est aussi l'efficacité, dans notre droit,
de ce devoir? Telles sont le~ questions essentielles qui
se posent. De leur réponse en effet, dépendent la vitalité,
ou, au contraire, la dégénérescence de ce noyau de la
cellule familiale, à l'intérieur duquel existe l'obligation
alimentaire. On observe depuis longtemps l'afl'aiblissement de la famille, groupementl des p.arents et des
alliés (5). La vie tend a s'en retirer pour refluer vers
le groupement formé par le mari, la femme et les enfants.
C'est au sein de ce dernier groupement que jouent
l'obligation de secours et le devoir d'entrètien et l'éducation des parents. Mais notre droit ne connait-JI pas,
entre le groupement familial élargi et faible, et le group~ment familial restreint et actif du ménage, un groupe- .
ment intermédiaire bien vivant ,formé des parents et
des alliés les plus proches, créanciers et débiteurs
d'aliments ?
Il n'est pas douteux que les mœurs tendent à affai-
(4) H. L. et J . MAZEAUD, Leçons de droit civil, t. 1 0 p 2 me éd.,
ROUA ST et DURAND, 'O,p. cit., p. 486.
•
n° 119a ;
(5) V. en partioulier H. VIALLETON'~ Famille, patrimoine et vocationhéréditaire en France depuis le Code c4vil, Mélanges Maury,
t. 2, p. 577.
30
�blir l'obligation alimentaire. On connait la maxime désabusée « II est plus facile à un pere de nourrir dix
enfants, qu',à dix enfants de nourrir un père :.. L'instinct
puissant de la paternité et de la Dlaternité rend facile
aux parents l'exécution de leur obligation d'entretien.
La piété filiale n'a pas la même efficacité pour l'exécution de l'obligation alimentaire. C'est encore une maxime que « L'affection descend ; elle ne remonte pas ».
Mais il est remarquable que, dans ce domaine, la règle
juridique n'épouse pas les ~urs et les sentiments ;
elle réagit contre eux.
Nous allons essayer de l'établir en montrant tout
d'abord, que le nombre des parents' et des alliés, liés
par l'obligation ,a limentaire, tend à augmenter dans
notre droit (1). Nous nous efforcerons ensuite de prouver que, plus fré'q uente, l'obligation alimentaire tend
également, dans notre droit à devenir plus efficace (II).
1
C'est tout d'abord dans la famille légitime qu'il
convient de dénombrer les créanciers et les débiteurs
d'aliments. Ils y sont plus nombr,e ux, en eUet, que dans
la parenté adoptive et; dans la parenté naturelle, parce
que l'infériorité de ceiIes-ci, n'a pas permis d'y établir
un « réseau alimentaire» aussi étendu.
1. - Dans la famille légitime notre droit consacre
en premier lieu l'obligation alimentaire entre tous les
parents en ligne directe (art. 205), parce que « nous
devons conserver la vie à ceux qui nous l'ont donnée, ou
qui l'ont reçue de nous» (6). Ces parents ont, par ailleurs,
la qualité d'héritiers réservataires les uns par rapport
aux autres, et la réserve héréditaire tend ainsi, pour
une part, à prolonger l'obligation alimentaire après le
décès du débiteur d'aliments.
II semble en revanche, à lire l'art. 206, que l'obligation alimentaire n'existe qu'entre les alliés en ligne
directe au premier degré, gendres et belles-filles, beaux-
(6) RIPERT et BoULANGER, Tra4M de PJantoZ, t. I. n° 2034:
31
�.
'
\.
pères et belles-mères. Mais le projet de la Commission
de l'An VIII assimilait l'alliance à la p.arenté, et reconnaissait le droit à des aliments à tous les alliés en ligne
directe, sans limitation de degré. Or, il n'a été modifié,
sur une observation de Tronchet, que pour exclure le
second conjoint du père ou de la mère, le 'beau-père
et la belle.-mère, entendus dans l'autre sens du mot. Aussi
la doctrine s'est souvent prononcée, après le Code, en
faveur du maintien de la règle consacrée par le projet.
Malgré le sévère rappel à l'ordre de Laurent (7), plusieurs décisions de justice ont consacre cette opinion (8).
Elles devancent seulement la règle proposée par la
Commission de réforme du Code civil: art. 568 4 0 de
l'Avant-projet.- Celle-ci, en revanche, propose de maintenir j, l'exclusion" traditionnelle dans 'notre ' droit, du
conjoint du père ou de la mère .
Faut-i~ étendre l'obligation alimentaire aux colla té . .
raux les plus proches, aux frères et sœurs en particulier? Le Code civil ne l'admet pas, mais la jurisprudence
a limité la portée de cette exclusion, en reconnaissant,
du moins, l'existence d'une obligation naturelle entre
les frères et sœurs. La Commission de réforme du Code
civil s'est demandée s'il co'n vient de transformer cette
obligation naturelle en obligation civile, et la question
a été d'autant plus vivement débattue, que le Code
civil italien reconnaît entre frères et sœurs une obligation alimentaire, limitée d'.ailleurs au strict nécessaire :
art. 433. Il a finalement semblé - à la Commission que
l'affaiblissement de la parenté en ligne collatérale déconseillait de consacrer une obligation alimentaire qui
n'avait pas été admise au début du XIxme siècle. Mais
la Commission a implicitement approuvé la jurisprudence de -c orriger l'absence d'obligation civile par la
reconnaissance d'une obligation naturelle (9).
-
-"
..
(7) « Ce n 'est pas le dire de Tronchet qui fait la loi, Ci'est le
texte ».
(8) Lyon 12 aoOt 1884, Mon. Jud., 11 décembre 1884 i Trib. p .
Quimperlé 12 aoOt 1937, D. 1938. 2. 120 ; Lyon 13 novembre 1952,
D. 1953, 755 note Gervésie.
(9) Avant-projet !<le Code civil, Exposé des motifs, p. _166.
32 .
�II. - La parenté adoptive est la source d'une obligation alimentaire dans la mesure où elle imite la parenté légitime. L'adoption ordinaire, ne rattachant pas
l'adopté à la famille de l'adoptant, ne crée pas d'obligation .a limentaire entre lui et les ascendants de l'adoptant.
En revanche, elle établit un lien de parenté entre l'adoptant et l'adopté, et les descendants légitimes de ce dernier. Il faut donc admettre qu'elle fait naître une obligation alimentaire, non seulement, comme le prévoit
expressément l'art. 363, entre l'adoptant et l'adopté,
mais aussi entre l'adoptant et les descendants légitimes
de ce dernier (10).
La légitimation adoptive, donnant à l'enfant les
mêmes droits et les mêmes obligations que s'il était né
du mariage, crée une obligation alimentaire entre lui et
les auteurs de la légitimation, et les ascendants de ces
derniers. Il n'a cependant paru possible d'admettre
l'obligation alimentaire entre l'enfant et ces ascendants,
que si ces derniers ont donné leur adhésion à l'adoption:
art. 370 al. 2°. L'adhésion des ascendants est également
- nécessaire pour établir la qualité d'héritiers réservataires entre eux et l'enfant, ,ce qui précise le lien existant
entre l'obligation alimentaire et la réserve hédéditaire.
; .
.......
III. - Dans quelle mesure la parenté naturelle
imite-t-elle la parenté légitime? Comme dans la parenté
légitime, l'obligation alimentaire est en droit distincte
de l'obligation d'entretien et d'éducation des parents.
Elle ne prend naissance qu'après cette obligation, à la
majorité de l'enfant, et elle a un caractère réciproque.
Mais la distinction des deux obligations est en fait moins
nette que dans la famille légitime. Les parents de l'enfant en effet, ne vivent pas ensemble, dans la plupart
des cas. L'obligation d'entretien s'exécute donc le plus
souvent, sous la forme d'une pension alimentaire versée
p.a r celui des parents qui n'a pas la garde de l'enfant à
celui qui la possède, afin de contribuer à l'entretien de
ce dernier. Elle s'exécute donc sous la mtême forme que
l'obligation alimentaire. Cette identité de fOrIne a entraÏ-
(10) V. en ce sens H. L. et J.
MAZEAUD)
op. dt., n° 1205.
33
3
�né cette conséquence que la reconnaissance d'une obligation alimentaire proprement dite entre les parents et
l'enfant, n'est vraiment acquise, dans notre droit, que
pour la filiation naturelle simple. Elle commence seulement à apparaître pour la filiation adultérine et incestueuse.
La filiation naturelle simple régulièrement établie
tend à être assimilée à la filiation légitime pour l' obli-,
gation alimentaire. On admet, en effet, l'existence de
celle-ci non seulement entre les parents et l'enfant, nlais
aussi entre les parents et les descendants légitimes de
ce dernier. La jurisprudence a levé au profit de l'enfant
l'obstacle résultant de l'art. 337 du Code civil. Elle
n'admet pas, il est vrai, que l'obligation alimentaire
existe aussi entre l'enfant et les ascendants légitimes .de
ses auteurs, parce que, dans la conception du Code civil,
la filiation naturelle ne ratta,c he pas l'enfant à la famille
de ses auteurs (11). Mais ·H convient de remarquer que
la Commission de réforme du Code civil propose de
consacrer l'existence de l'obligation alimentaire à tous
les degrés de la filiation, que .celle-ci soit légitime ou
nature~le : art. 568 2° de l'Avant...projet.
..
.... :
....
.,
La jurisprudence n' admet pas, en revanche, l'existence de l'obligation alimentaire, quand la filiation n'est
pas régulièrement établie, et elle a maintenu cette règle
depuis la loi du 15 juillet 1955, qui a consacré la règle
inverse au profit des enfants .a dultérins et incestueux (12) .
Mais elle la tempère par la reconnaissance d'une obligation naturelle. Cette obligation naturelle apparaît dans
les décisions de justice comme une obligation d'entretenir l'enfant. Mais elle pourrait être aussi une obligation alimentaire proprement dite.
La filiation adultérine fait naître à la charge des
parents une obligation alimentaire, quand elle est :r.égulièrement établie : art. 762 du Code civil. Le principe
de la réciprocité de l'obligation alimentaire .c onduit à
admettre également celle-ci à la charge de l'enfant, bien
(11) Civ. 29 ' mars 1950, D. 1950, 593 note Carbonnier.
(12) Civ., 1 0 sect., 13 janVier 1959, Le Louz, D. 1959, 61, note
Rouast.
34
�que plusieurs décisions de justice se soient prononcées en
sens contraire (13).
:,.
:
Quand la filiation n'est pas régulièrement établie,
la loi du 15 juillet 1955 a reconnu à l'enfant le droit de
réclamer des aliments à ses parents, sans que l'action
« ait pour effet de proclamer l'existence d'un lien de
filiation dont l'établissement demeure prohibé » : art.
342, al. 2°. L'enfant peut, à cette fin, établir sa filiation,
qui est considérée comme un simple fait, par tou~
moyens (14). Mais on comprend mal que l'enfant devenu
maj eur puisse seulement exercer cette action dans
l'année qui suit sa maj orité : art. 342 al. 2 (15). Le
législateur semble avoir hésité à franchir nettement le
seuil qui sépare l'obligation d'entretien de l'obligation
alimentaire, et par là-même de de consacrer la réciprocité de celle-ci (16).
0
:
En dépit de cette ultime hésitation, pour la filiation
adultérine, notre droit tend, d'une manière générale, à
augmenter le nombre descl~éanciers d'aliments, à la
-fois dans la parenté légitime., adoptive et naturelle. Mais,
plus encore que le nombre de ceux-ci, c'est l'efficacité
de l'obligation alimentaire, qui va nous permettre de
vérifier l'orientation de notre droit.
'.
1
II
-
.:
.....
Le Code civil indique seulement les caractères
essentiels de l'obligation alimentaire, c'est-à-dire ses
conditions, le besoin du créancier d'aliments et les res~ '
sources du débiteur (art. 208) ; son étendue proportion~
uelle à ses deux éléments (même texte) ; sa variabilité
(13) Trib. Lisieux 14 novembre 1901, D. 1902. 2. 221 ; Trib.
Seine 13 avril 1950, Gaz. Pal. 1950, 2, 104. Mais voir contra Rouast,
Traité pratique t. 2, 2 me éd., p. 22 note 1 ; Julliot de la Morandière,
Traité de Droit civil de Oolin et IOapita..nt) t. 1, n° 1409. Comp. H. L.
et J. Mazeaud, op.cit., n° 1221.
(14) Civ. 1 0 sect. 13 janvier 1959 Jarrelot, D. 1959, J, 61, note
Rouast.
(15) Julliot de la Morandière, op. cit., n° 1418.
(16) Juliot de la Morandière, op. cit., na(. 1420.
35
�en fonction de l'un et de l'autre (art. 209). L'obligation
alimentaire apparaît cependant déjà, dans ces textes,
comme une obligation légale présentant des caractères
originaux. L'œuvre du législateur et de la jurisprudence,
depuis le Code civil, a consisté à développer ces car.actèl'es originaux, afin de permettre à l'obligation alimen~
taire de mieux remplir sa fin, la subsistance du créancier
d'aliments. L'apport législatif est loin d'être négligeable,
puisqu'il comprend la sanction pénale de l'obligation
alimentaire. Mais c'est surtout la jurisprudence qui s'est
cfl'orcée de mieux adapter la créance d'aliments à sa fin
en donnant des règles renforçant son afl'ectation. Elle a
d'ailleurs, en même temps, plus nettement différencié
l'obligation alimentaire de l'obligation de secours entre
époux et de l'obligation d'entretien et d'éducation des
parents.
Il n'est pas possible d'exposer dans le détail tous les
traits de l'obligation alimentaire qui résultent de cette
évolution : les plus importants seront seuls indiqués. Il
est commode pour les présenter de suivre la vie de
l'obligation, et d'envisager successivement sa naissance,
son existence, et son extinction.
I. - L' obliga tion naît de plein droit, p,a r la seule
réunion de ses conditions: le besoin du créancier et les
ressources du débiteur. La convention qui peut intervenir entre l'un et l'autre, a seulement pour objet d'en
déterminer le montant: elle n'est pas créatrice, mais
seulement déclarative d'obligation (17).
Quand le créancier est obligé de poursuivre en
justice le recouvrement de sa créance, il peut exercer
l'action, à son choix, contre l'un quelconque de ses débiteurs, contre plusieurs, ou contre tous. Il n'est pas forcé
_ de respecter une hiérarchie entre eux, ou de les poursuivre tous. La règle est aujourd'hui bien acquise depuis
l'arrêt de principe de la Chambre civile du 2 janvier ,
1929 (18). Elle a cependant prévalu avec difficulté, et on
(17) V. sur ces conventions H. Sinay, Les conventions sur les
pensions alimentaires, Rev. trim. dr. civ. 1954 ,p. , 238.
(18) D. P. 1929. I. 137, note R. Savatier ; S. 1929. I. 185, note
A. Audinet.
36
�ie comprend sans peine. Si ron considère les débiteurs
d'aliments, il est naturel d'admettre une hiérarchie entre
eux, et il n'est pas difficile de la préciser: les enfants,
les ascendants, les alliés enfin. Mais si l'on regarde le
créancier d'aliments, cette hiérarchie est de nature à
retarder, et peut-être à compromettre le recouvrement
de sa créance. Il a évidemment intérêt à s'adresser à
son débiteur d'aliments le plus proche, ou le plus solvable, serait-il un allié. C'est en réalité cette ,c onsidération,
et non pas l'argument de texte douteux, qui a déterminé
la Cour de cassation à rompre avec sa jurisprudence
antérieure, qu'elle avait eu de la peine, d'ailleurs, à
imposer aux juges du fond. La Commission de réforme
du Code civil p~opose la consécration expresse de la
règle qui a prévalu en jurisprudence: art. 572 de
l'Avant-projet.
'
Cette règle ne ,c oncerne, d'ailleurs, que l'obligation
alimentaire proprement dite: elle est étrangère à
l'obligation de secours entre époux et à l'obligation
d'entretien des parents. L'époux doit d'abord s'adresser
à son conjoint pour obtenir une pension alimentaire (19).
Les enfants doivent de même s:ladresser d'abord à leurs
parents à ,c ette fin (20). Il existe entre ces deux devoirs et
l'obligation alimentaire une hiérarchie, qui correspond
à celle du ménage par rapport au groupement familial
plus vaste à l'intérieur duquel existe l'obligation alimentaire .
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Le créancier ayant ainsi le choix du débiteur poursuivi, que peut-il exactement lui demander '! On ne
prétend plus aujourd'hui que l'obligation alimentaire est
indivisible, ou solidaire, mais on a soutenu, du moins,
qu'elle est une obligation in solidum (21). La nature
originale de cette dette conduit cependant à exclure
même ce caractère, puisque son montant dépend non
seulement des besoins du créancier, mais aussi des res'.
, • •
_o.
_
••
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__ r
C·.
'<'··'~; .:..~~.~"::t;ff
.
(19) ParIs 20 mars 1952, .1. C. P. 1952. 2. 7'219.
(20) Civ. 16 juillet 1954, Bull. civ. 1954. 2. 187. V. dans le même
sens G. Lagarde, R~v. trime dr'. civ., 1954, p. 636.
·(21) V. en ce sens A. Rouast, Note au D.1936. 1 25 ; H. L.
et J. Mazeaud op. cit., n° 1223.
37
�sources du débiteur. Elie est donc, par essence, une
-- particulière à chaque débiteur d'aliments.
deite
Elle diffère d'ailleurs, par ce caractère, de l'obligation d'entretien et d'éducation des parents. Chacun des
parents. est tenu pour le tout de cette obligation, mênlc
à l'égard d'un enfant naturel (22). C'est seulement dans
les rapports des parents entre eux, que cette dette doit
être partagée dans la proportion de leurs ressources
respectives.
Le caractère personnel de la dette d'aliments ne
signifie pas, d'ailleurs, que le débiteur poursuivi doit
satisfaire tous les besoins du créancier. 11 faut en eUet,
pour estimer l~s besoins de ce dernier, tenir compte des
autres créances d'aliments, qu'il possede contre d'autres
parents ou alliés. Il faut donc permettre au débiteur
poursuivi de mettre en cause les autres parents et alliés
débiteurs d'aliments, afin que le juge puisse aélerminer
la mesure de la dette du débiteur poursuivi, ain~i que
celle des autres débiteurs (23). Cette nlise en cause n'est
pas de nature à retarder l'octroi d'aliments .a u demandeur, car elle ne fait pas obstacle à la- condamnation
immédiate du débiteur d'aliments poursuivi à une pension alimentaire, qui sera ensuite répartie entre tous les
débiteurs d'aliments. La Commission de r.éforme du
Code civil propose de cons.acrer d'une manière expresse
cette faculté du débiteur poursuivi de mettre en cause
les autres débiteurs: art. 572 al. 1° de l'Avant-projet.
Elle propose d'autre part de donner au juge le pouvoir de « ' décider que plusieurs débiteurs seront tenus
solidairement au paiement de la pension ... ». Mais la
solidarité est si contraire à la nature de cette dette, que
la Commission a dû tempérer, sinon la ruiner, en admettant que « aucun des débiteurs ne peut être tenu, par
l'effet de cette solidarité, de payer une somme supérieure
à celle qu'il aurait été obligé de verser ... s'il avait été
seul en cause » : art. 572 al. 3 de l'Avant-proj et.[
Les règles relatives à la compétence d'attribution
et à la compétence territoriale, ont également pour fin
(22) En ce sens Civ. 27 novembre 1935, D. 193ft J. 25.
(23) En ce sens R. Savatier, Note au D. 1929. I. 137.
· 38
�de pennettre au créancier un exercice facile de }tactÎon
a limentaiJ;e. Ctest le tribunal d'instance qui est compétent, 'à charge d'appel: art. 7t 1° du décret du 22 décembre 1958. Quand l'action est exercée par un .a scendant,
elle peut être portée devant le tribunal de son domicile:
art. 59, al. 2, du C. pro.civ.
II. - La créance d'aliments ainsi née et déterminée,
est indisponible dans le patrimoine du créancier' en
raison de son affectation. Ses créanciers ne peuvent la
saisir: art. 581, 4°, du C. pro. civ. et elle ne peut être
compensée avec une dette du débiteur d'aliments : art
1293, 3°, du C. civ. On admet également qu'elle ne peut
être cédée par son titulaire et que ce dernier ne peut y
renoncer, ni transiger à son suj et (24).
La Commission de réforme du Code civil propose,
il est vrai, des limitations à l'indisponibilité de la créan-
ce. Mais ces limitations, loin d'eIlj compromettre l'affectation, sont en accord avec elle. Elles consistent dans la
faculté pour le c~éancier, de céder sa créance à rétablissement public, ou privé, d'assistance, qui pourvoit
à ' ses besoins, et dans la faculté de la saisir, reconnue à
ses ,c réanciers à raison de fournitures nécessai1"c~ à
l'existence: art. 576, al. 2 et 3.
'. ,
Le législateur a consa.cré la jurisprudence qui
efforcée de rendre plus facile le recouvrement
créance, en reconnaissant au juge le pouvoir de la
rer portable. L'ordonnance du 23 décembre 1950 a
cette règle dans l'art. 1247, ,a l. 2 du Code civil.
s'était
de la
déclaiuséré
Notre droit ne prévoit pas de sanctions civiles particulières de l'obligation alimentaire. Mais la Commission
de réforme du Code ,c ivil a émis le v(~u que la saisiearrêt simplifiée, consacrée par l'art. 864 du C. pro. civ.,
.u profit de l'un des époux, sur les produits du travail
et ies revenus de son conjoint, soit étendue à l'obligation
alimentaire.
11.1. - De même qu'elle est née de plein droit de la
réunion de ses deux conditions, l'obligation alimentaire
(24) H . Stnay, op. cft., p. 234.
39
�dl,Spal'aît quand cesse l'etat de besoin du créancier, oti
quand le débiteur se trouve dans l'impossibilité :de
l'exécuter. S'il survient une contestation,' sur l;un ou
l'autre de ces points, le jugement qui y met fin constate
seulement la disparition de l'obligation alimentaire à
p'artir du moment où l'une ou l'autre de ses conditions
a cessé d'exister: il a donc un caractère déclaratif.
On peut justifier de cette manière le maintien par
la jurisprudence, malgré un texte en apparence contraire, de la règle traditionnelle « Aliments ne s'arréragent pas », qui, à la différence des précédentes, est favorable au déibteur. Si les arrérages des pensions alimentaires cessent d',être dûs, quand, n'ayant pas été payés
à l'échéance, ils n'ont pas été réclamés, ,c 'est parce que
l'absence de réclamation fait présumer qu'a cessé l'état
de besoin du créancier, condition du maintien de la
dette. La jurisprudence décide d'ailleurs aujourd'hui
que cette présomption n'est pas irréfragable, et que le
créancier peut établir que son inaction est dûe à une
autre cause que la cessation de son état de besoin (25).
C'est avec cette portée, que la Commission de réforme
du Code civil propose la consécration de la règle traditionnelleJi assouplie, par ailleurs, par l'octroi d'un délai
de trois mois au créancier pour réclamer le paiement
de la pension: art. ,575 de l'Àvant-projet.
..
'..'
~
La règle « Aliments ne s'arréragent pas », ne doit
pas être étendue à l'obligation d'entretien et d'éducation
des parents (26). Son fondement, la présomption de la
disparition de l'état de besoin du créancier, ne peu~ en
eUet exister pour cette obligation, qui apparaît ainsi
distincte, sur ce point encore, de l'obligation alimentaire proprement dite.
P. KAYSER
Professeur à la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques
d'Aix-en-Provence
(25) Req. 27 juillet 1942, D. A. 1943, J 10 ; Civ. 24 octobre 1951,
D. 1952, 577.
(26) Riom, 21 avril 1947, Gaz. Pal. 1947. 2. 66 ; Rouen 28
janvier 1947, J. C. P. 1947, Ed. avoués, 784, note Marray.
40
_
,
.
�L'IN'fERVENTION DE L'ETAT ITALIEN
EN MATI:ÏjRE D'HYDROCARBURES
�...
'. . " ..
• .!
~
�L'intervention de }.IÉtat italien
en matière d'hydrocarbures
L - PaT l'expression « intervention de l'Etat », nous
entendons nous référer à l'intervention que l'Etat réalise au
moyen de l'administration publique et des organismes qui
en dépendent.
A :côté. de cette forme d'interventioIl, ou plutôt avant
elle, il y a cependant l'intervention réalisée par de~ actes
l~gislatifs. En faisant cette remarque, nous n'entendons pas
nous référer à la constatation, d'ailleurs évidente, qu'il
existe des lois spéciales dans le domaine pétrolier et que,
par ces lois, l'Etat a voulu atteindre des huts d'intérêt public
d'une nature particulière: nous avons voulu mettre surtout
en évidence le fait que certaines de ces lois confèrent à
rEtat, en sa qualité de sujet de droit autonome, des avantages pratiques concrets.
Deux de ces lois méritent d'être immédiatement signalées.
La première, dont la portée est générale pour toute la
matière de~ mines, est représentée par l'article 826 du Code
eivil italien qui, conformément à UI~e tradition commune aux
pays latins, a attribué les mines et carrières au patrimoine
inaliénable de l'Etat. L'attribution de ces biens à l'Etat a
constitué la première d'une série d'interventions, . l'activité .
de recher.che et d'exploitation des gisements étant liée en
r(\alité, nOI1 seulement à l'intérêt public que présente la mise
en valeur des richesses et au développement de l'économie
. 43
�nationale, mals aussi à l'intérêt particuJier qu;a l'admnlstration publique à ce que les biens qu'elle possède soien t
découverts et exploités.
\ .
:
.
Les gisements d'hydrocarbures, aussi longtemps que
lc·ur contenu n'a pas été vérifié, ont une valeur économique
très limitée, dont l'importance est calculée sur la base des
droits fixes que les tiers sont tenus de payer, selon les différentes lois, pour pouvoir en effectuer des recherches (de 200
à 600 lires par hectare, d'après la loi italienne n° 6 du
11 janvier 1957 sur la recherche et l'exploitation des hydrocarbures). Cette valeur subit toutefois une augmentation lorsqu'une surface déterminée devient Une « indiziata », c'est-àdire lorsqu'il existe des indices ou des motifs raisonnables
permettant de supposer qu'elle contient un gisement ; l'augmentation de valeur est encore plus forte si le gisement a été
repéré mais non déterminé, alors que l ~ on ne connaît pas
('l1:core ·son contenu.
Compte tenu de ces circonstances~ la loi n° 6 du 11 janvier 1957 a adopté un mécanisme qui~ s'i~ assure une prime
au chercheur fortuné, tend à conserver entre les mains de
l'Etat uno portion substantielle des surfaces lorsque celles-ci
sont devenues des surfaces où l'existenc~ de gisements est
soupçonnée. Le système en question est analogue à celui dit
de l' cc échiquier Il en vigueur dans la législation de certaines
provinces ·canadiennes (Alberta et Saskatchevan : cfr. SYLOS
LABINI et GUARINO, L'industria petrolifeTa negli Stati Uniti,
nel Canadà e neZ Messieo, Milan 1956, p. 44 et s.) et peut
être correctement défini comme le système du cc corridor ».
I.Je chercheur qui aurait fait une découverte a le droit
d'obtenir en concession la surface qui entoure le puits de la
découverte, équivalente à une superficie n'excédant pas trois
mille hectares. Il a également le droit d'obtenir en concession d'autres surfaces contenues :à l'intérieur du périmètre
du permis de recherches, à condition que les différentes
concessions soient distantes les une des autres, sur chaque
côté, d'un kilomètre. L'Etat conserve ainsi la disponibilité
de surfaces pénétrant en coin entre les concessions sur une'
largeur d'un kilomètre. Puisqu'il est prescrit que les surfaces
de la concession doivent avoir une forme géométrique fixe
(alors que les gisements présentent parfois les fQrmes les
plus irrégulières), il y a ainsi de grandes probabilités qu'une
partie du gisement finisse par retomber dans la surface de
réserve de l'Etat, qui devient par conséquent et par définition
�même une surface fortement «( indiziata », c'est-à-dire fortement soupçonnée de contenir un gisement. L'Etat se prévaut
de cet avantage en donnant en concession, aux enchères
publiques, les surfaces du corridor au meilleur offrant.
Le produit de ces enchères représente la plus-value résultant
de l'effet de la loi, par rapport à la valeur originaire du gisement non encore découvert.
2. --- Si l'on considère ensuite l'intervention publique
réalisée par l'intermédiaire de l'administration publique~ il
convient de préciser que cette intervention peut prendre la
forme d'une intervention directe ou d'une intervention à
caractère purement juridique.
L'intervention directe trouve aujourd'hui son fondement
dans une règle constitutionnelle - l'article 43 de la Constitution italienne- qui déclare : « Pour des fins d'utilité
générale, la loi peut réserver dès l'origine .ou transférer par
voie d'Bxpropriatioll et sous réserve d'Îl1demnisation, à
l'Etat, à des organismes publics ou à des communautés de
travailleurs ou d'usagers, des entreprises ou catégories d'entreprises déterminées, qui se réfèrent à des services publics
essentiels ou è des sources d'énergie ou à des situations de
rnonopole et qui présentent. un caractère d'intérêt général
prééminent ».
Des doutes graves sur l'interprétation de cette règle
naissent cependant en raison de la manière imparfait~ dont
dIe est formulée.
On a discuté le point de savoir si les expressions (( pour
des fins d:utilité générale» et « intérêt général prééminent»
ont un caractère général ou prennent une signification précise: en d'autres termes, si elles se bornent à confirmer des
notions déjà implicites dam, la détermination des catégories
des entreprises expropriablBs, ou si elles posent une nouvelle
condition qu'il faut ajouter aux conditions objectives. Un
autre doute porte sur les entreprises expropriables : on s'est
demandé en effet si la référence aux trois catégories - services publics, sources d'énergie et situatioQs de monopole avait un caractère limitatif ou énumératf. En outre, la délimitation exacte de la portée de ces catégories est également
controversée. Enfin, d'aut,res questions se posent encore
quant à la détermination de la notion d'entreprise, quant
45
�aux sujets expropriateurs et quant à la possibilité de donner
les entreprises expropriées en concession à des particuliers.
....
":
. ....
Ce dernier point est décisjf. L'article 43 ,réglemente non
pas la simple installatioIl: d'entreprises, mais l'exploitation
des entreprises. Ce n'est qu ~à la condition que les entreprises
soient exploitées directement par l'Etat, par des organismes
[Jublies, par des communautés de travailleurs et d'usagers.
que la loi peut introduire une réserve originaire et qu'elle
peut décider l'expropriation. Ces différents organismes ne
peuvent faire appel à l'aide de sociétés de droit privé que
.'3: celles-ci sont entièrement contrôlées par eux et se trouvent donc vis-à-vis d'eux dans une position de dépendan,ce
absolue. Les sujets en faveur desquels l'expropriation peut
s'effectuer sont par conséquent ceux déjà indiqués ,(c'est-àdire l'Etat ,les organismes publics, les communautés de travaileurs ou d'usagers) el nul autre. Par contre, la détermination des matières au sujet desquelle~ la réserve ou l'expropriation peut être décidée est établie suivant des critères
VIus souples. Ceci se déduit de l'expressioQ employée dans
cette disposition (( entreprises ou catégories d'entreprises qui
s€ rapportent à des services publics essentiels »). La référf'nce constitue un critère de rattachement général. C'est1pourquoi la doctrine estime qu'il faut entendre par service public
Essentiel toute activité qui, étant essentielle, doit être assujettie à ]a réglementation propre aux services publics (production de services destinés à l'ensemble des citoyens et à des
conditions telles que la collectivité soit effectivement mise
en mesure d'en jouir). Elle estime ensuite qu'il faut ente.ndre
comme source d'énergie non point la seule matière première
constituant cette source, ou "Je processus de transformation
de la matière en énergie, ou encore la transformation d'une
énergie en un autre type d'énergie, mais tout ce qui appartient à la production de l'énergie et à son utilisation, y compris donc les phases de ~a distribution. de son transport, de
son importation et de son exportation. Elle estime enfiQ que
la situation de monopole doit comprendre tous les cas où
une entreprise est en mesure d'exercer un pouvoir autonome
de commandement ou bien encore une influence déterminante
sur le marché. Une entreprise ou une catégorie d'entreprises
rentrant dans l'un des groupes envisagés acquiert un intérêt
national prééminent (expression à laquelle il faut doné reconnaître un sens précis) lorsqu~elle a acquis un caractère de
nécessité, c'est-à-dire lorsqut', vu sa nature même, son
46
�absence entraînerait une préj udice grave pour la communauté.
On estime que toutes les entrepriSes économiques de grandes
dimensions présentent un tel ca,ractère, lorsque de leur exist~n~ dépend le développement d'une région ou pays tout
entier, comÏne le prouve ce fait que l'Etat se trouve obligé
d'intervenir pour les sauver et pour en empooher la destruction lorsqu'à la suite du mouvement des marchés ou d'erreurs
de gestion, les particuliers ne sont plus à même d'en soutenir
j~ charge. L'histoire de notre pays, à partir de 1920, et surtout au cours des périodes qui ont suivi la crise de 1930. et la
guerre, abonde en exemples de sauvetages de ce genre, qui
sont même la cause de la formation de l'énorme patrimoine.
industriel actuel de l'Etat italien.
.
~
3. - Les entreprises pétrolières rentrent dans le cadre
de l'article 43 sous deux aspects concurrents: en tant qu'elles
se réfèrent à une source d'énergie et en tant que l'industrie
pétrolière présente un caractère intégré sur l~ plan interne
et international, et donne naissance à une hypothèse typique de réglementation du marché de ]a part de groupes
rI' entreprises.
..
'
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,.
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.'
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.
'Toutefois, le fait que des entreprises déterminées présentent les caractères fixé" par l'article 43 n'est pas en lui
même une cause de réserve ou d'expropriation. La règle
constitutionnelle institue non pas une obligation mais seulement une faculté dont l'exercice est laissé à l'appréciation discrétionnaire du législateur. La loi peut même faire
un usage partiel de ce pouvoir. Seule l'analyse de la législation ordinaire permet donc d'indiquer si, et dans quelles
hmites, l'Etat se réserve pour lui-même ou résérve aux
autres sujets visés dans la disposition en question l'exercice
direct d'une activité.
Sur le plan concret, dans le domaine pétrolier. il a été
fait un usage modéré de ce pouvoir dans le système juridique en vigueur, la loi n° 136 du 10 février 1953 n~ayant
institué qu'une seule -réserve, doublement limitée, quant à
son étendue ter,ritoriale et quant à' son objet.
Quant au territoire, l'exclusivité publique ne vaut que
dans le cadre d.'une zone indiquée par la loi et qui coïncide
essentiellement avec la vallée du PÔ.
Quant à l'objet, cette exclu.sivité vise uniquement la
recherche et l'exploitation des hydrocarbures, ainsi que la
47
�construction et l'exploitation des canali&ations Servant au
transport des hydrocarbures minéraux nationaux.
Ces mêmes activités peuve11t donc être déployées même
par les particuliers dans les autres parties du territoire
national, de mêtne que les particuliers peuvent, même dans
la vaIJée du Pô, exercer t{)ute activité quelconque ne rentrant pas dans la réserve (importation, raffinage, transport
d'hydrocarbures nationaux par citernes, transport d'hydrocarbures étrangers même au moyen de canalisations, distribution, etc.).
\
.
L' Etat exerce l'activité r~servée par l'intermédiaire de
l'E.N.l (<< Ente nazionale idrocarburi »), organisme de droit
f'ublic créé par la loi n° :136 du iO février i953 susmentionnée. L'E.N.I. est un holding de droit public: en effet,
cet organisme est tenu d'agir non pas directement mais en
recourant à des sociétés qui, en ce qui concerne les tâches
relevant de la réserve, doivent être contrôlées par lui, et
doivent être constituées par un capital souscrit entièrement
par l'Etat, par des organismes publics ou par d'autres sociétés contrôlées par des sujets de droit public. L'E.N.I. a en
outre la même obligation de recourir exclusivement à des
sociétés contrôlées en ce qui concerne "la recherche et l'exploitation des hydrocarbures aux termes de la loi n° 6 du
11 janvierJ 957, sur laquelle nous reviendrons plus loin.
4. - Les activités « de réserve "» constituent la première forme d'intervention directe de l'Etat dans le domaine
pétrolier, mais elles n'en constituent pas la seule. Il est
communément admis en Italie qu'aucun obstacle d'ordre
constitutionnel ne s'oppose à ce que l'Etat exploite des
entreprises économiques sur un plan de parité avec les particuliers, et par conséquent en concurrence avec eux. Ceci
St~ déduit tant de l'article 43 de la Constitution, déjà cité
Vius haut, conformément à l'adage « qui peut le plus peut
le moins », que de la référence explicite, contenu~ dans
l'article 41 de la Constitution, à l'activité économique publique et à la nécessité que cette dernière soit coordonnée avec
l'activité économique privée.
L'Etat a fait usage de ces possibilités en autorisant
l'E.N. I., outre les tâches que cet nrganisme a en exclusivité,
ù exercer tout.e autre activité relative à la transformation,
à l'utilisation et au commerce des hydrocarbures et des
48
�vapeurs naturelles conformément aux lois en vigueur (loi
n° 136 du 10 février 1953, article 2). Dans l'exercice de ces
autres activités, 'l'E.N.1. peut également se servir, en dehors
des sociétés qu'il contrôle, de sociétés qui lui sont rattachées, dont une partie des actions est entre Jes mains de
particuliers.
Le fait pour l'E.N.I. d'être assujetti aux lois en vigueur
pour conséquence qu'en dehors de la réserve, cet organisme est soumis lui aussi à toutes les autres formes d'intervention publique qui sont édictées sur un plan général, et
qui s'appliquent à lui oomme aux particuliers. Par conséquent, l'E.N.I. est tenu de se procurer les permis, les concessions, les autorisations qui sont requis selon les cas ;
il encourt égaJement toutes les limitations, interdictions et
sanctions qui sont imposées; jl est soumis aux charges fiscales. L'E.N.1. a développé avec dynamisme toutes ses activités de -concurrence : il procède à des recherches et. exploite
des hydrocarbures dans la région sidlienne comme dans
différents pays étrangers ; il administre des raffineries, des
oléoducs et effectue des transports maritimes et terrestres ;
il exerce des activités pétrolières pour le compte de tiers ;
il a établi et gère, en Italie -comme à l'étranger, des réseaux
importants de distribution ; il produit des biens d'équipement pour l'industrie du pétrole ; il extrait des produits chimiques, des produits fertilisants et d'autres dérivés du
pétrole. Même la création d'une centrale électro-nucléaire
a été retenue .compatible avec les tâches institutionnelles de
l'E.N.1. Une telle expansion a eu pour effet que l'intervention directe de l'Etat dans le domaine des hydrocarbures a
dépassé de loin les frontières de la « réserve de la vallée
du Pô ».
(J
5. - Etant données les proportions prises par cette intervention directe, il convient de mentionner d'autres règles
cl 'organisH,tionqui s'y réfèrent.
Ainsi qu'il a été dit plus haut, l'Etat italien est devenu
possesseur au cours de ces dernières dizaines d'années d'un
important patrimoine de titres correspondant pour la plupart à · des entreprises opérant dans des secteurs de base de
l'économie (banques, sidérurgie, industrie.s extractives,
mécaniques, chantiers navals, etc.). La loi n° 1.589 du 22
décembre 1956 a inséré ce~ différentes participations, jus49
4
�qu'alors réparties entre divers Minist.ères, dans des organismes de gestion dépendant du Minist.ère des Participations.
Il a été attribué à ce Ministère tous les pouvoirs relatifs auxdits organismes ainsi que tous le pouvoirs relatifs à l'E.N.I.
et à l'I.R.I., l'autre g.rand holding de droit public déjà
existant. Une .organisation complète est ainsi née, dont la
structure est la suivante. Au sommet se trouve le Ministre
des Participations qui fait partie, sur le même pied que tous
les autres Ministères, du Conseil des Ministres et dont
l'action est coordonnée, par un Comité des Ministres ad hoc,
avec celle des autres Ministères économiques. Sont soumis
au Ministre les organismes de gestion, dont les .organes sont
nommés par le Ministre et qui peuvent être dissous en cas
de gestion irrégulière. A l'échelon au-dessous se trouvent
les sOciétés contrôlées ou rattachées, qui sont juridiquement
des sociétés de droit privé et qui accomplissent toutes les
opérations. Parfois (tel est le cas de la sphère d'action de
rE.N.1. et de l'I.R.I.) 'certaines de ces sociétés privées
acquièrent à leur tour la nature de holding et contrôlent un
groupe d'autres sociétés, pour des secteurs homogènes.
.
;
Les fonctions du Ministre et des organismes de gestion
s.ont nettement distinctes. Outre l'exercice des 'pouvoirs
administratifs relatifs aux divers organismes. il appartient
au Ministre de déterminer les directives suivant lesquelles
Itsdits organismes devront uniformiser leur action, directives qui rentrent dans le cadre de la politique économique et
qui consistent dans l'indication d'objectifs se rattachant à
la quantité, il la qualité de la production et à son emplacement. De leur côté, les organ~smes exécutent en pleine autonomie les tâches qui leur sont assignées. C'est à eux seuls
que revient en effet la responsabilité des choix à faire au
niveau de l'entreprise, choix sur lesquels le Ministre n'a pas
de pouvoir de contrôle. Par v.oie de réciprocité, ces organismes doivent travailler, d'après des critères généraux, à
une bonne économie, et sans pouvoir se livrer à aucune opération de caractère politique. Le critère de la bonne économie, fixé directement par la loi (loi n° 1.589 du 22 décembre 1956 ,article 3), constitue la règle la plus imp.ortante
dans un ensemble de - règles uniformes, qui sont valables
pour tous les organismes de gestion et qui comportent, entre
autres, l'obligation de présenter au Parlement leur bilan
ainsi qu'un rapport sur leur programme, annexé à l'état de
prévision budgétaire du Ministère des Participations. l'assis50
�tance d'un magistrat de la Cour des Comptes lors des séances de leurs organes collégiaux, l'obligation pour les sociétés
contrôlées de ne pas faire partie des associations syndicales
de~ autres employeurs.
Par l'effet de la loi 1..589 du 22 décembre f956, l'E.N.1.
a assumé le caractère d'un organisme de gestion, encadrant
toutes les participations du secteur pétrolier. L'autonomie
de la gestion économique de cet organisme s'est vue renforcée par son insertion dans le système de l'administration des
participations étatiques: mais en même temps, des liaisons
~e sont créées qui permettent de coordonner les réalisations
résultant de l'interven,tion publique directe dan., le domaine
des hydrocarbure's, aveû les objectifs de politique économique poursuivis par le Gouvernement dans d'autres secteurs .
6. - A côté de l'intervention directe examinée jusqn 'ici, on rencontre les formes d'intervention publique du
type traditionnel, qui 'consistent dans l'exercice de pouvoirs
de réglementation ~t de pouvoirs administratifs d'orienta. tion, de coordination et de eontrôle.
>
'.
-'
.
,-
us pouvoirs de réglemen tation sont représentés par
ceux qu'exerce le Comité interministériel des prix ('n Comité
spécial composé de Ministres, présidé par le Président du
Conseil des Ministres ou, par délégation, par le Ministre de
l'Industrie et du Commerce), et qui consistent dans la détermination des prix de tout bien quelconque, quelle que soit la
phase d'échange où il se trouve, même à l'importation et à
1~{lX porta tion ainsi que des prix des servi,ces et des prestations
(cf. Décr. Lég. du Lt-Gén,. du Royaume n° 347 du 19 octobre
1944, article 4 ; Décr. lég. du Lt-Général du Royaume n° 363
du 23 avril 1946 ; Décr. lég. du CheÎ Provo de l'Etat n° 869
du 15 septembre 1947 ; Décr. lég. n° 10 du 20 janvier 1948).
Le Comité- interministériel des prix a été institué immédiatement après la guerre, à un moment où presque tous les
prix étaient bloqués et fixés par voie d'autorité. A l'heure
actuelle et bien que les règles applicables soient restées
identiques, les pouvoirs de ce Comité ne sont plus exercés
qu'à l'égard de certain" produits de grande consommation
tels que, par exemple, les spécialités pharmaceutiques, le
charbon, les matières grasses, le sucre, les betteraves à
sucre, le riz, l'énergie éleetrique, les journaux quotidiens,
les engrais chimiques, les transmissions par télévision. Les
51
�produits pétroliers y sont également compris (cf., en dernier
lieu, les décisions n° 852 du 1-9 mai 1960 ,n° 869 du 30 juin
1960, n° 871 du 12 juillet 1960, relatives respectivement à
l'essence pour traction automobile, dissolvante et aviogasoil, au pétrole d'éclairage et à l 'huile combustible).
Le pouvoir de fixer d'autorité les prix a fait l'objet d'un
recours pour inconstitutionnalité, mais il a été retenu conforme à la Constitution en tant que mesure de protection
du bien-être sobial aux termes du dernier alinéa de l'article
41 de la COI~stitution (cf. Cour Constitutionnelle, arrêts
n° 103 du 8 juillet 1957 et n° 47 du 2 juillet 1958).
7. - Les pouvoirs d'orientation, de coordination, de
contrôle qui donnent lieu à des mesures administratives particulières se manifestent principalement sous la forme de
concessions et d'autorisations.
La concession est la mesure par laquelle l'administration publique, ou bien fait naître des droits, créés ex novo,
en faveur de sujets déterminés (concession constitutive), ou
bien attribue à d'autres sujets des pouvoirs et facultés qui
sont inhérents à des droits qui lui sont propres (concession
translative) .
,
...
',
........
.....
o
....
0'
..
,.
o"
.....
t','
f'"
•
L'autorisation ,est la mesure par laquelle l'autorité
écarte des limites établies dan,s l'intérêt public à l'exercice
de pouvoirs ou facultés inhérents à des droits appartenant à
des sujets individuels .
Ce n'est que sur la base de la réglementation positive
concrète, qu'il est possible de ' déterminer, dans chaque cas,
sj l'acte a un caractère de concession ou d'autorisation. ,
L'institution juridique de la concession translative est
largement utilisée dans le domaine pétrolier. Elle suppose
qu'une loi, ne fût-ce qu'implicitement, ait confié une matière
déterminée, en exclusivité, il l'administration publique, mais
en obligeant cependant cette dernière à exercer les attributions correspondantes non pa~ directement, mais par l'intermédiaire de concess;onnaires privés. Le pouvoir de créer une
réserve assorti de l'obligation de l'attribuer en concession
trouvé son fondement non point dans l'article 43 de la Censtitution, que nous avons d&jàexaminée, mais dans l'article 41,
qui garantit la liberté de l'initiative économique privée mais
qui,. en même temps, confère dans un alinéa suivant, à la loi
ordinaire, la tâche de d ~terminer « les programmes et les
52
�contrÔles opportuns afin que 1;actlvité économlque pUbiique
et, privée puisse être dirigée et coordonnée vers des fins
sociales ».
., -. ...
~
......
L'administration ainsi obligée de concéder l'exercice
d'une activité à des tiers, ne soustrait donc pas cette activité aux particuliers ; ainsi l'institution juridique de la
conéession n' a-t-elle pas pour effet de donner lieu à des
. formes d'étatisation et de socialisation exigeant que ladite
activité soit exercée directement par les sujet~ publics ou
collectifs.
Au moyen de l'institution de la concession, l'administration publique, tout en n'envahissant pas le domaine de
l'initiative privée, se met néanmoins en mesure de la réglementer. en l'orientant et en la contrôlant. Dans certains cas,
l'administration est tenue d'attribuer la concession (sauf
vérification de l'existence des conditions imposées par la
loi: cf. articles 2 et 13 de la loi n° 6 du 11 janvier 1957) ;
dans d'autres cas, elle est libre de l'attribuer ou non (cf.
articles et et 15 du Décr. ~ 1 roy. n° 1. 741 du 2 novembre
- 1933). En pareille hypothèse, lorsque la concession comporte ·la création j'un établissement industriel. l'administration publique a le moyen de contrôler le nombre
d'établissements qu'il faut faire installer dans le pays, la
production globale, l'emplacement des établissements,
l'opportunité que la production soit concentrée dans certains
gros établissements plutôt que dans un nombre plus élevé
d'établissements moins importants, et ainsi de suite.
En tout cas, l'institution juridique de la concession permet à l'admnistration de contrôler la capacité technique du
concessionnaire et la régularité de sa gestion, d'imposer la
production de quantités minimales ou l'adoption de systèmes
ou dispositifs techniques particuliers pour la conservation
deS biens matériels et des installations, ou pour la sécurité
du travail.
Il est un principe commun aux concessions, que celles-ci aient une durée limitée et qu'à leur échéance, les installations soient transférées à l'administration publique.
L'institution juridique de la concession, dans le secteur
pétrolier, est utilisée pour la recherche et l'exploitation des
gisements, et pour l'exploitation de raffineries, de dépôts
et d'oléoducs.
Le permis de recherche donne Heu à une concession au
53
�e"
.~
a
...
véritable sens de ce terme (cf. PROTETTI, Natura giuridica
clel permesso di ricerca, dan:; Riv. it. diritto petrolifero,
1956, p. 11 et s. ; cette opinion eSL toutefois controversée,
certains auteurs attribuant à cet acte la nature d'une
autorisation) .
En fait, la volonté implicite de la loi est de réserver à
l'Etat la primauté de la recherche. Personne ne peut effectuer de recherches de surface sans permis ; la recherche a
pour fin d'individualiser un, bien - la mine - qui appartient à l'Etat ; il s'instaure entre le chercheur et l'administration publique un rapport à caractère continu ; le chercheur al' obligation de fournir des informations et est tenu
de payer un droit fixe : des sanctions pénales sont édictées
à la charge de ceux qui effectueraien,t des recherches sans
avoir obtenu de permis.
.
En matière de recheTche d'hydrocarbures, les règles suivantes sont applicables: en cas de demandes concurrentes,
le permis est accordé au requérant présentant un programme
dont la réalisation sera la plus rapide ; chaque surface faisant l'objet d'un permis ne peut dépasser 50.000 hectares ;
globalement, on ne peut aooorder à un, même $ujet plus de
150 hectares dans une même r~gion ; la surface du terrain
doit avoir une forme carrée ou rectangulaire ; la durée du
permis est de trois ans, avec la possibilité d'obtenir deux
prorogations, chacune de deux ans ; des délais sont établis
pour le début des travaux de prospection et de perforation ;
à chaque prorogation,' le droit fixe (qui est initialement de
200 lires par hectare) est majoré, et la surface est réduite
dans une proportion, de 25 % (articles 2-12 de la loin n° 6
du 11 janvier 1957).
D'autre part, en ce qui concerne l'exploitation, il est
fait application des règles suivantes. Le titulaire d'un permis de recher:che qui a découvert un gisement peut obtenir
en concession la surface dans laquelle tombe Je puits de sa
découverte. Cette surface ne peut dépasser 3.000 hectares
et doit être de forme carrée ou rectangulaire. La concession
doit être demandée, sous peine de déchéance, dans les 120
jours de la découV{~rte ; sa darée ~st de 20 ans ; elle peut
être prorogée de dix autres années. La loi établit ~lle-même
diverses obligations comprenant entre autres le paiement
d'un droit fixe et d'une quote-part progressive du produit
évaluée sur la base de la production journalière par puits.
L'acte · de concession, qui approuve entre autres le pro54
�gramme de développement du champ d'expioitatlon, peut
introduire d'autres obligatioIlç;: et imposer des mesures ou
dispositifs particuliers destinés à éviter tout dommage pour
le gisement. Le même titulaire du permis peut obtenir en
concession une pluralité de surfaces, qui doivent toutefois
être distantes l'une de l'autre, en principe, d'au moins un
kilomètre. Les surfaces concédées en exploitation à une
même persoIlne ne. peuvent pas dépasser 80.000 hec.tares.
Dans tous les cas où la concession n'appartient pas au
titulaire du permis comme conséquence d'une découverte, la
loi prescrit I(article 29) que le choix du concessionnaire
s'opère" à la suite d'enchères publiques.
8. - En ce qui concerne l'installation de raffineries, les
règles édictées par le décret-loi royal n° 1.741 du 2 Ilovembre 1933 sont toujours applicables. Quiconque désire transformer, rectifier ou élaborer de quelque façon que ce soit
les hydrocarbures clans des établissements dont le potentiel
de traitement dépasse 5.000 tonnes par an, doit demander
- une concession, dont l'attribution, qui se fait par décret
interministériel, est toutefois discrétionnaire. Le projet de
]'installation et son emplacement sont approuvés par l'acte
de concession, qui fixe également les quantités de produits
finis par an que le eoncessionnaire est autorisé à livrer à la
consommation dans le territoire de l'Etat. Le concessionnaire est obligé de tenir des registres spéciaux et doit produire chaque mois une quantité de produits qui ne peut être
inférieure à la moitié des maxima autorisés. La durée de la
concession est généralement de 20 ans.
Les règles relatives aux raffineries, sauf quelques
variantes, sont aussi applicables aux dépôts ayant une capacité de plus de 10 m3 (aucune intervention de l'administration publique n'est requise par contre pour les dépôts ayant
une capacité inférieure). Elles sont considérées comme s'appliquant également aux oléoducs pour 1esquels, à ce jour.
aueune réglementation organique n'a encore été édictée
(cÎ. GUARINO, Sulla disciplina giuridica degli oleodotti, dans
Rivista internazionale di Scienze economiche e commerciali.
1960, Il 2).
0
9. - L'institution juridique de l'autorisation a été
adoptée pour les installations de transformation ayant une
capacité de traitement inférieure à 5.000 tonnes par an, et
55
�pour l'installation et l'exploitation d'appareils de distribution lorsque ceux-ci sont reliés à des dépôts ayant une capacité de moins de 10 m3.
· --
Aux termes de la loi n° 170 du 23 février 1950, l'autorisation concernant les distributeurs est accordée par les
Préfets et doit être précédée de l'agrément de l'autorité communale, laquelle devra se prononcer sur l'emplacement de
l'installation et sur les conditions éventuelles auxquelles
celle-ci devra satisfaire quant à la police locale. Une fois
l'agrément donné, la Commune est en outre tenue d'accorder
le droit d'occuper le sol communal. dans la mesure nécessaire à l'installation du distributeur.
10. - Les concessions et les autorisations permettent
àl'Etat de stimuler l'activité privée, une fois que l'entreprise a commtmcé, et de la contrôler. Elles .ne peuvent au
contraire influer sur le moment initial, qui regarde la
prise même de l'initiative. Ces deux institutions juridiques
n'agissent donc pas aussi longtemps que le particulier, spontanément et sur la base de ses propres calculs économiques
subjectifs, n'a ,pas décidé de présenter une demande de concession ou, selon le cas, d'autorisation. Sans l'intervention
d'autres institutions, l'Etat ne serait donc pas en mesure de
pallier l'absence d'initiative: ainsi, quelle que soit l'importance et l'étendue dBs pouvoirs dont il dispose dans toutes
les autres phases successives, resterait-il impuissant dans la
phase initiale, qui est la phase déterminante.
Etant donnée la nécessité dûment constatée de porter
remède à .cet état de choses, deux règles ont été édictées dans
13 système juridique italien afin de combler cette Jacune :
une première :il .caractère général et une autre, spécifique
pour la matière des hydrocarbures.
Aux termes de l'article 13 de la loi générale sur les
mines Décr. roy. n° 1.447 du 29 juillet 1927), « lorsque
l'Etat entend procéder directement à des recherches, la z.one
<i'exploration est déterminée par décret du Ministre de
l'Industrie ».
Cette règle établit donc que l'Etat n'est pas .obligé de
r.'exercer l'activité réservée que par l'intermédiairé de titulaires de permission, mais qu'il peut décider aussi d'agir
direetement. L'activité directe de l'admiQistrati.on tr.ouve
s.on fondement non pas dans un acte de conœssio~ mais
56
�dans une décision ministérielle qui délimÎte la zone d'Etat.
L'Etat chercheur peut exercer aussi l'activité d'exploitation,
~i la recherche s'avère fructueuse.
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Mais l'article 13 de la loi sur les mines rencontre un
obstacle pratique dans l'absence d'un instrument de travail
étpproprié au sein de l'administration. Les organes bureaucratiques de celle-ci, qui sont régis par les règles sur l'emploi public et qui ne font pas usage des institutions juridiques du droit privé mais bien des pouvoirs d'autorité du
droit administratif, Il:e sont pas à même de déployer des
activités de nature industrielle ou commerciale en concurrence avec les particuliers. Ainsi l'article 13 est-il resté sans
application sur le plan concret, à cause de ce défaut de
structure.
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Instruit par cette expérience, le législateur a ainsi établi, lorsqu'il a accueilli une règle analogue dans la loi nationale sur les hydrocarbures (loi Il: () 6 du 11 janvier 1957),
que l'activité directe serait accomplie non pas par l'administration mais par l' E.N.1.
........
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Aux termes de l'article 35 de cette loi, l'E.N.1. et les
sociétés qui en dépendent obtiennent les permis de recherche
et les .concessions d'exploitation, non point sur la base de
la procédure normale, mais à la suite d'une attributioIl: qui
leur est faite par décret du Ministre de l'Industrie, pris sur
ravis d'un Comité spécial pour le$ hydrocarbures, institué
a.uprès du Ministère de l'Industrie et à la suite d'une déli-·
bération du ,Comité des Ministres existant auprès du Ministère des participations de l'Etat. Par la même procédure.
les surfaces comprises dans le « corridor » peuvent être
attribuées en concession à l'E.N.1. sans qu'il faille recourir
au système des en_chères publiques.
Les surfaces attribuées ft l'E.N.1. sont exemptes des
limites de superficie mais sont soumises à toutes les autres
règles de la loL Sur le même pied que tout autre sujet de
droit, l'E.N.1. ,opère sur la base de concessions, est assujetti
aux règles sur la réduction des surfaces, est tenu au paiement des droits fixes et des royaUies, et doit répondre
vis-à-vis de l'administration du strict respect des obliga- .
tions qui lui sont imposées par la concession.
Puisqu'il s'agit d'une activité qui s'exerce en vertu
-d'une attribution spéciale, la loi reproduit la règle qui s'ap-
�plique en matière de zones de réserve, ell imposant à
l'E.N.L, même ici, de n'agir que par l'entremise de sociétés contrôlées, dont le capital doit être entièrement étatique.
Les attributions à l'E.N.1. de concessions de recherche
ou d'exploitation ne doivent -cependant pas être placées sur
le même plan que les activités de « réserve ». Ce n'est pas,
comme pour celles-ci, dans une loi que l'activité de l'E.N.1.
trouve SOIl fondement, mais dans un acte administratif.
Dans la zone de ré~rve, l'E.N.1. agit à l'exclusion des particuliers, tandis que dan,s ce cas-ci, cet organisme intervient
pour compléter l'action de ces derniers. La décision du
Comité jnterministériel qui attribue à l'E.N.1. une zone
déterminée donne naissance non pas à un acte d' expropriation aux termes de l'article 43 de la Constitution, mais à
une mesure de coordination entre l'activité publique et l'activité privée aux termes de l'article 41 de ladite Constitution.
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11. - La Constitution italienne actuelle rooonnaît le
pouvoir législatif non seulement à l'Etat, mais aussi aux
Régions et, en particulier aux quatre Régions qui ont été
constituées jusqu'à ce jour (Sicile, Sardaigne, Val d'Aoste,
Trentin-Haut-Adige), qui sont régies par des Statuts spéciaux
approuvés par une loi constitutionnelle et qui jouissent d'une
plus large autonomie. Les pouvoirs législatifs régionaux
n'existent ,que dans deEi matières limitativement énumérées;
ils sont dits « primaires » ~'ils ne sont assujettis qu'aux seules règles constitutionnelles et « secondaires » s'ils doivent
observer également les principes généraux qui inspirent les
lois d~ l'Etat.
Deux questions distinctes se posen.t pour les Régions :
savoir si, et dans quelles limites, elles peuvent opérer des
illterventions à caractère direct dans le secteur pétrolier, et
dans quelles limites elles peuvent légiférer en la matière.
La jurisprudence constitlitionnelle a établi que l'efficité des lois régionales doit se limiter au territoire de la
Région et, en même temps, que ces lois ne peuvent avoir un
effet perturbateur sur les rapports juridiques régis par les
lois nationales. En vertu de cette seconde limite, indépendamment du contenu des différentes compétences législatives, on estime que le pouvoir de créer des réserves en faveur
de l'administration ou d'organismes régionaux n'appartient
rJas aux Régions. Toute mesure de ce genre pr.oduirait fatale ..
ment d~& interférences avec la réglementation nationale, soit
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que œlie-ci s'Inspire du principe de la libre concurrence,
soit qu'elle adopte le principe de l'étatisation ou de la sochilisation. De teJles institutions, aux termes de l'article 43 de
la Constitution, ne peuvent être introduites que par une loi
nationale et nOQ par une loi régionale. Ceci n'exclut cependant pas que la Région puisse confier des tâches effectives
à certains de ses bureaux ou organismes, mais ceci aura
pour effet en pareil cas que ces sujets n'agiront pas avec
des pouvoirs exclusifs mais sur un pied d'égalité avec les
autres sujets.
.
En ce qui concerne les pouvoirs législatifs, il convient
d'examiner ici non pas tellement leur extension abstraite
que la manière dont ils ont été exercés concrètement. Les
Régions sicilienne, sarde et du Trentin ont utilisé leurs pouvoirs constitutionnels respectif& pour promulguer de& lois
propres en matière de recherche et d'exploitation d 'hydrocarbures, lois qui sont vel1ue'3 compléter la réglementation
{\n vigueur; le résultat est qu'en Italie, cette réglementation
est extrêmement diver."ifiée et variée. Ainsi, dans la vaJlée
- du PÔ, existe l'exclusivité en faveur de l'E.N.1. ; sur le
reste du territoire assujetti à la loi de l'Etat, on applique la
loi n° 6 du ft janvier 1957 ; en Sicile, en Sardaigne, et au
Trentin, on applique les lois régionales de chacune de ces
RégioQs (loi sicilienne n° 30 du 20 mars 1950 ; loi sarde
n° 20 du 19 décembre 1959 ; loi du Trentin, n° 28 du
21 novembre 1958).
Ces trois lois s'inspirent de~ principes habituels qui
consistent à distinguer la phase de la recherche de celle de
rexploitation, à assujettir l'une et l'autre à l'octroi de
concessions autonomes, et à cOQférer à l'inventeur un intérêt protégé afin d'obtenir la concession d'exploitation. A la
àifférence de la loi nationale, les lois régionales ignorent le
système du «( corridor » et attribuent à l'heureux titulaire
du permis qui s'est avéré fructueux, le droit d'obtenir en
concession le gisement tout entier. Sur divers points qui
constituent en quelque sorte pour toute législation pétrolifère
des sortes de clauses de style (durée du permis de recherche et droit à prorogation, forme de la surface, limites globales de superficie, réduction de la superficie à l'occasion
des prorogations, montant du droit fixe, délais pour le début
des travaux de prospection et de forage, durée de la concession d'exploitation, redevance en nature et droits fixe~ dus
par le concessionnaire), on ne rencontre pas, par rapport
aux' solutions adoptée~ par la loi nationalè, de divergences.
�profondes dans les lois régionales, bIen que chacune de œilès·ci ait édicM ses propres dispositions de manière autonome.
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f2. - La loi sarde et la loi sicilienne ne contiennent
aucune disposition expresse sur la nationalité du titulaire
du permis et du concessionnaire. La loi d'Etat et la loi du
Trentin spécifient que le titulaire du permis doit être un
citoyen italien ou une société ayant son siège social en Ita]je. Il n'existe pas, dans le système juridique italien de dispositions particulières ayant pour objet de promouvoir l'investissement de capitaux étrangers dans le secteur pétrolier.
Sont donc applicables à cette matière les règles de droit
commun de la loi n° 4,3 du 7 février 1956 qui autorisent le
transfert là l'étranger des dividendes et des bénéfices des
capitaux étrangers investis dans de nouvelles entreprises
productives en Italie ou dans l'élargissement des entreprises
existantes. La loi de 1956 est une loi « d'encouragement» .
et, comme telle, elle contient un engagement : en d'autres
termes, les sujets auxquels la loi est destinée sont garantis,
en vertu de principes constitutionnels positifs, contre toute
modification rétroactive et contre l'application de mesures
défavorables à caractère spécial (sur ces problèmes, cf.
GUARINO, Sul regime costituzionale delle leggi di "incentivazione e di indirizzo, dans Atorno, Petrolio, Elettricità, 196f,
Fas. 1). On peut se demander s'il rentre dans les possibilités
d'une loi de ce type de garantir le non-usage du pouvoir
d'expropriation prévu par l'article 43 de la Constitution.
La réponse doit être négative, car l'article 43 l'emporte sur
h réglementation constitutionnelle des lois « d'encouragement » qui présente un caractère de droit commun. Les
entreprises étrangères ou à participation étrangère peuvent
donc être assujetties à l'expropriation lorsque les conditions
en sont réunies, tout en conservant .le droit à l'indemnisation. Une jurisprudence constante de la Cour Constitutionnelle a cependant précisé que l'indemnité ne doit pas nécessairement réaliser la réparation intégrale du préjudice souffert par l'exproprié, mais qu'elle représente uniquement la
contribution et la réparation maximales que~ dans le cadre
des buts d'intérêt général, l'administration publique peut
garantir à l'intérêt privé, d'après l'évaluation discrétiollnaire effectuée par le législateur (cf. Cour Constitl1tion~elle,
arrêt n° 61 du 27 mai 1957).
"
Giuseppe GUARINO,
Professeur à l'Un.iversité de Naples.
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L'IN'fERVENTION DE L'ETAT
EN MATIÈRE D'HYDROCARBURES
EN FRANCE
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�L'intervention de }'Ijtat
en matière d)hydrocarbures
en France
A l':é gard des grands problèmes pétrolier& de
l'époque contelnporaine, les juristes devraient Dien
savoir que . leur univers est un univers lé troit, et que ce
qu'on appelé l'épopée du pétrole se déroule hors d'eux,
loin d'eux, que les vastes horizons des déserts du MoyenOrient ou du Sahara, les champs du Texas, ne sont point
des paysages qu'ils peuvent apercevoir de leur cabinet
de travail.
.
Les juristes ne peuvent être les Homères de cette
lliade des temps modernes qu'évoquait Léon Blum à
propos du pétrole. C'est avec beaucoup de modestie
donc qu'il faut d'.a bord aborder ce que j'appellerai le
« pétro-droit » ; car, s'il y a une belle chimie du pétrole,
il est difficile de croire qu'il y ait un beau Droit pétrolier.
Ce Droit pétrolier n'est ni une fin, ni une cause,
il est tout au plus un moyen, et un moyen des plus petits.
Il ne s'agit que d'une technique. Rechercher, trouver,
exploiter, importer, raffiner davantage de pétrole pour
la plus grande puissance de la Nation, c'est cela qui
compte. Pour le reste, les techniques juridiques ne sont
que min~ures et au service de cet impératif.
Ce Droit pétrolier est réaliste. Loin de lui les concepts abstraits dont les juristes aiment souvent s'entretenir. A vrai dire, il bouscule les disciplines juridiques,
HIes ignore. il les nivelle. Ce « pétro-droit » est souvent
a
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..
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...
63
�.-,
placé sous le signe du Droit public. Peut-être a-t-on
raison de le faire, mais seulement dans la mesure où
dans l'époque moderne, tout devient, tout est devenu,
Droit public.
En tout cas, loin de nous les distinctions du Droit
privé et du Droit public, loin de nous les conceptions
classiques, elles ne résistent pas aux foreurs de pétrole.
En effet, la puissance publique chère aux purs juristes,
tout à la fois nous la voyons jouer dans le Droit pétrolier
et nous la voyons disparaître; l'Etat pétrolier est en
même temps que puissance publique, un Etat entrepreneur.
Par ailleurs, la modestie convient bien aussi aux
Etats en· la matière, car devant eux, ils peuvent rencontrer dans cette bataille pétrolière, de grandes Sociétés
internationales qui sont Infiniment plus puissants que
beaucoup d'entre eux et dont les budgets sont, à l'aventure, parfois plus importants que les leurs.
D'autre part, l'Etat est rompu aux roueries de la
technique bancaire, il est à la fois puissance publique,
boursier et foreur de pétrole. Nous le retrouvons partout et souS! toutes les formes. C'est donc avec le sentiment du rôle mineur des Juristes, avec le sentiment
de la petitesse de leurs travaux, que doit être abordée
l'étude des interventions de l'Etat en matière d'hydrocarbures.
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Pour symboliser précisément cette place mineure
du Droit, il nous sera permis de prendre comme plan,
un plan qui n'est pas juridique, un plan qui s'inscrit
dans le circuit pétrolier lui-m"ême, pour montrer que
nous ne sommes que des instruments dans le processus
de la production pétrolière. Bien sûr, l'intervention de
l'Etat se présente sous les formes classiques d'un Etat
Législateur, d'un Etat Fisc, d'un Etat qui es~ aussi Service public intervenant dans la vie économique; mais il
nous sera permis de ne pas adopter ce plan type.
Il vaut mieux conduire l'étude en marquant que
l'Etat intervient dans deux séries de rapports tout à fait
dift~érents : d'abord, la recherche et la production du
pétrole, ensuite, le commerce du pétrole, le commerce
qui dérive de la transformation même du pétrole.
64
�1. -
L'INTERVENTION DE L'ETAT
EN MATIERE D'HYDROCARBURES, DANS LE' DOMAINE
DE LA RECHERCHE ET DE LA PRODUCTION DU PETROLE.
Il Y a plus d'un siècle, Stuart Mill disait : « Il est
une question discutée de notre temps, soit dans la Science, soit dans la pratique, ce sont les limites qu'il convient
de donner aux attributions et à l'achon du Gouvernement ~.
·
~.......
-
La formule de Stuart Mill apparaît comme bien
dépassée, comme une formule qui da te de plus d'un
siècle. Personne ne se demande si l'Etat doit ou non
intervenir en matière de recherches et de production du
pétrole, car la réponse àJ cette question est évidemment
afl'irmative ; l'Etat ne se pose pas la question de savoir
_s'il doit ou non intervenir, il intervient, et en ce qui concerne la France, il intervient beaucoup.
Certes, à parcourir les grandes routes del France, à
voir les panonceaux des stations d'essence, à lire Esso,
Shell, B. P., Mobil Oil et autres, on pourrait avoir l'illusion, le sentiment que le pétrole c'est quelque chose
dans le domaine de quoi l'Etat interviendrait seulement
pour faire payer très cher à l'automobiliste un produit,
au demeurant fort bon marché, et qui, par quelque
miracle de la « pompe à finances », sorti des raffineries
au prix de 16 francs le litre, entrerait dans le réservoir
de nos voitures au prix d'une centaine de francs. Réalité
apparente, car s'il · est vrai que l'Etat prélève 75 ~.
du prix de vente, et peut-être plus, par ailleurs méfionsnous de ces panonceaux qui n'expriment pas tout : en
réalité, le pétrole n'est pas entièrement un produit privé.
En France, le charbon est national, l'Energie atomique
est nationale, l'Electricité est nationale, le Pétrole tend
à être un pétrole semi-public.
L'histoire des hydrocarbures le montre.
C'est du gaz public, si j'ose dire, qui sort le 14
juillet 1939 du puits de Saint-Marcet dans les Pyrénées,
près de Saint-Gaudens, c'est du Pétrole public que l'on
65
5
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.
trouve à Lacq à la fin de l'année 1949, c'est du Gaz
public qui jaillit en énorme quantité à Lacq encore le
19 décembre 1951, c'est du pétrole à 70 % des capitaux
pu.blics qui sort du Sahara le 6 janvier 1956 à Edjeleh,
qui sort du Sahara aussi, encore, plus tard en janvier
1958 dans la même région. C'est du pétrole public, encore, qui sort d'Hassi Messaoud en janvier et juin 1956
des forages de la S.N.R.E.P.A.L. et en mai 1957 des
foreuses de la C.F.P.A.
Certes, il y a un peu de pétrole privé tout de m,ême
en France. Le gisement d'Esso Parentis, dans les Landes,
qui est en activité depuis mars 1954, produit un pétrole
privé. Et dans le bassin parisien un pétrole privé est
exploité depuis février 1958.
Mais tout ceci est relativement peu de chose par
rapportau pétrole_public. Par conséquent, voilà d'abord
le fait: les hydrocarbures découverts et exploités récemment en France sont essentiellement publics.
Ces données étant rappelées, il co~vient de présenter
l'intervention . de l'Etat en matières de recherches et
d'exploitation des hydrocarbures en distinguant troÏs
domaines: les structures et mécanismes juridiques
la fiscalité pétrolière - le droit minier pétrolier.
A -
Structures et mécanismes juridiques.
Le droit pétrolier utilise des structures juridiques
qui sont essentiellement de droit public, mais il fait
appel à des mécanismes juridiques et bancaires où
pénètrent largement les techniques du droit privé.
a) les structures juridiques.
A propos des structures, on doit d'abord indiquer
qu'il y a en France des établissements publics qui jouent
en matière pétrolière un rôle essentiel: c'est le Bureau
de recherches du Pétrole, et c'est la Régie autonome
des Pétroles ; ils ont des filiales et possèdent des participations.
1) La Régie est le plus ancien établissement public
pétrolier. Elle est née quinze jours après la découverte
du gaz de Saint-Marcet, créée par un décret-loi du 29
66
�juillet 1939. Elle a pris la suite d'un organisme qui était
déjà un organisme public, le Centre de recherches du
Pétrole du Midi, service extérieur de l'Office National
des Combustibles liquides créé le 10 janvier 1925.
La Régie exploite elle-même. Elle dispose d'un fonds
de dotation initial de l'Etat de six milliards, auquel se
sont ajoutés par la suite des avances de capitaux. Elle
a des p.articipations un peu partout, elle a des filiales.
Le second établissement, plus récent, est peut-être
plus important, c'est le Bureau de recherches du Pétrole,
créé par une ordonnance du 12 octobre 1945. Lui aussi
est un instrument d'une très grande souplesse. Mais
plus que la Régie, dont le nom signifie qu'elle peut>
exploiter, « mettre la main à la foreuse », le B. R. P.
ne met la main qu'indirectement; il a plusieurs rôles,
il facilite les recherches d'autres organismes.
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..
2) A p,a rtir de ces deux organismes, établissements
_publics, il faut présenter ceux qui procèdent d'euxm'ê mes, ceux qui sont leurs filiales.
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Celles-ci sont nombreuses, avec tout l'éventail des
participations multiples. Les établissements publics sont
prêts à s'allier avec n'importe qui, pourvu qu'il s'agisse
de trouver du pétrole ou de faciliter sa recherche. Ils
s'allient, par exemple, avec des collectivités publiques
qui, depuis l'origine, se sont d'ailleurs transformées en
Etats souverains indépendants; le B.R.P. a 75 % du
capital de la Société des Pétroles de Madagascar, et pour
partenaire l'Etat de Madagascar. II a plus de 54 % du
capital de la Société des Pétroles de Tunisie et pour
partenaire l'Etat souverain de Tunisie. II a plus de 54 %
du capital de la Société de Recherches et de l'Exploitation pétrolières du Cameroun et pour partenaire l'Etat
souverain du Cameroun, etc... On pourrait multiplier
les exemples.
Par ailleurs, sans complexe vis-à-vis des collectivités
publiques ou des Etats étrangers, le Bureau de Recher'c hes du Pétrole est également sans complexe vis-à-vis
d'autres organismes.
Ainsi il y a, au point de vue juridique, des choses
étranges fi signaler dans ce « Pétro-droit ». II y a des
sociétés qui sont des sociétés de droit commercial et qui
67
�.'
sont les filiales de « parents » qui eux, sont de pur
droit public. Etrange croisement des établissements
publics dont les enfants, par une mutation plus étrange
encore, appartiendraient au droit privé.
On peut citer à titre d'exemples, trois organisme~
particuliers qui procèdent d'établissements publics
pétroliers.
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L'un est une filial-e de la Régie autonome des Pétroles, c'est la S.O.G.E.R.A.P. ou Société de gestion des
participations ,de la Régie autonome des Pétroles. Elle a
été créée en juin 1957 et présente la caractéristique de
dériver de la Régie par parthénogénèse.
Un autre organisme est la Société nationale d'investissement pétroliers ou S. N. 1. P. ; elle résulte du
« mariage» de la Caisse des dépôts et consignations et
du Bureau de recherches du Pétrole avec des participations à son capital social respectivement de 11,, 75 et
88,25 %.
Un troisième organism'e porte le nom de Pétropar,
c'est la Société de participation pétrolières: ici le « mariage » est à trois. A la formation du' capital social ont
concouru, en effet, le B.R.P. pour 60%, la Caisse des
dépôts et consignations pour 25 %, et enfin pouli 15 %
la Caisse centrale de coopération économique, nom nouveau sous lequel est désignée l'ancienne Cafsse centrale
de la France d'Outre-mer.
Voilà donc quelques curiosités juridiques, des monstres, diront les juristes amateurs de classicisme; mais
les monstres qui existent ont sans doute plus d'intérêt
que les concepts irréels, fruits de l'imagination doctrinale.
Par ailleurs, toujours sans complexe, voici que ces
organismes publics s'allient avec les Puissances de ce
monde, c'est-à-dire avec les Compagnies pétrolières
internationales, et la chance les aide d'ailleurs quelquefois. Voici que le B.R.P. ne c~aint pas de s'allier à tel
ou tel de ces organismes internationaux plus puissants
que beaucoup d'Etats. Le B.R.P. intervient peu, 4,5%
mais la R.A.P. intervient beaucoup plus, 51 %, dans le
capital de la C.R.E.P.S., c'est-à-dire de la Compagnie'
de recherches de Pétrole au Sahara qui ,a trouvé le
p'é trole à Edj eleh. Ce pétrole est raffiné à Berre par la
68
�Shell. La vieille Société holiando-britannique s'est ainsi
alliée minoritairement, elle n'a que 35 % du capital
avec les jeunes organismes du droit public français,
pour fonder la C.R.E.P.S. à qui la chance a souri. A
titre de revanche, il est vrai, il a été créé une autre
société, et si dans la première, Shell n'a que 35 %, elle:
a à l'inverse 64 % dans la Compagnie des Pétroles
d'Algérie, la C.P.A. L a chance a favorisé l'organisme
le plus public, car la C.P.A. cherche toujours le pétrole,
l'autre a trouvé bien vite. Ces mécanismes sont assez
curieux, mais ces structures juridiques ne sont rien
comparées aux mécanismes de la vie juridique ellemême.
b) les mécanismes juridiques.
·
-
\
Dans le domaine des mécanismes juridiques, il
convient d'admirer la combinaison des procédés de droit
public et privé ; ils s'enchevêtrent tellement que l'on a
besoin de toute la sagacité des juristes pour retrouver
un fil directeur.
D'abord, évidenunent, on ne doit pas s'étonner de
ce que les organismes d'Etat s'efforcent d'abord de contrôler, de coordonner, de diriger, et c'est là l'un des
aspects officiels du Bureau de Recherches du Pétrole,
dont le Code minier français traite dans ses articles 188
à 194. Cet organisme fait effectuer par les organismes
publics, privés ou mixtes, dont il provoque au besoin
la réalisation, les recherches nécessaires.
D'autre part, non seulement il coordonne donc les
plans de recherches, mais les détails l'intéressent. Les
problèmes de forages posent des questions compliquées
de matériel. Ce matériel ay.ant été fabriqué longtemps
aux Etats-Unis, était coûteux, il s'usait vite; et voici que
le Bureau de Recherches des Pétroles estime qu'il faut
fabriquer du matériel sur place; il avance les fonds,
il oriente la politiqùe des divers organismes, travaille à
la recherche du pétrole, notamment en ce qui concerne
la meilleure utilisation des spécialistes et du matériel
de forage.
Dans d'autres domaines, voici que toutes les ressources du droit public ou privé sont utilisées. Par des pro69
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cédés de droit public, des avances budgétaires sont prévues pour alimenter un compte spécial du Trésor qui
porte le nom de « Fonds de soutien aux hydrocarbures »,
créé en UJnO, et dont les dotations s'accumulent. Les
charges s'allègent d'ailleurs, au fur et à mesure que la
chance aide les pétroliers d'Etat et que l'argent revient
à leurs caisses. Alors on diminue l'efl'ort exigé du budget,
grâce à l'existence de procédés que les hommes d'afl'aire
appelleraient ceux de l'autofinancement.
D'autre part, il est des craintes qui, quelquefois,
sont tenaces. Les épargnants ont souvent pensé que des
fonds privés étaient plus sûrs que des fonds d'Etat. Or,
pour pour trouver du pétrole, il faut évidemment des
gisements minéraux, mais il faut aussi de l'argent et des
sociétés financières ont été constituées. Elles sont privées
ou certaines d'entre elles sont privées; par exemple,
ce sont les sociétés que l'on appelle, dans le jargon français du pétrole et de la bourse, les sociétés REP, dont
le nom· comporte une désinence REP, qui est l'abréviation de Recherches et Exploitations Pétrolières.
En 1953 fut créé COFIREP, en 1954 FINAREP, en
1957 GENAREP et REPFRANCE. Ce sont des sociétés
privées (1).
Mais pour qu'elles démarrent mieux, l'Etat leur a
accordé, pour leurs titres, une garantie d'intérêt de 5 %,
et cela pour une période assez longue. Mais alors il
convenait que les premiers souscripteurs qui bénéficiaient de la garantie de l'Etat qui avaient eu foi, plus
que les autres, ou avant les autres, dans les destin'é es
pétrolières, soient favorisés. Il faut aussi que les actions
garanties par l'Etat ne soient pas utilisées éventuellement contre lui, et alors on a trouvé une formule dans
la technique du droit commercial, la technique des
actions priviligiées.
La loi du 16 novembre 1903 avait jadis été utilisée
dans un domaine différent pour la Société des Messageries Maritimes et validait la création d'actions privilégiées. De nouveau, dev.ant un intérêt national, on reprend
(1) La SNIP qui a été évoquée plus haut, est une Société de
financement pétrolier de caractère national.
70
�ia technîquej en ia transformant. L'Etat donne clonè
l'impulsion avec garantie d'intévèt, ensuite ce n 'est plus
nécessaire. Par conséquent, pour les deux socIétés
COFIREP et FINAREP, elles ont émis des titres A, à garantie d'Etat, et des titres B. Si l'on regarde les journaux
de bourse, on voit que ces titres sont cotés différemment.
Quant aux deux autres sociétés : GENAllliP et HEPFRANCE, elles n'ont pas de garanties de l'Etat. Ce
n'était plus nécessaire, on avait déjà confiance dans les
recherches pétrolières, les capitaux privés étaient rassu~
rés parce qu'e l'Etat avait été le pionnier.
D'autre part, ces Sociétés de financement peuvent
jouer un certain rôle et bénéficier d'avantages fiscaux.
Bref, l'Etat se trouve donc (en France comme en
ltalie)1 à la tête de très puissantes participations. 11 n'y
a pas toutefois en France l'institution italienne d'un
Ministère des participations, mais l'Etat français possède
toutefois des participations. L'Etat français, d 'ailleurs,
a estimé qu'il en avait peut-être trop. Peut-être aUSSJ,
qu'à l'té poque, certain .J\IIinistre des Finances estiITIait qu'il convenait de céder, de brader le portefeuille pétrolier de l'Etat. Si l'Etat a vendu sa finance"
il a gardé ses droits de vote, et les certificats pétroliers ,
ont été imaginés: Loi du 26 juin 1957, Décret du 10
septembre 1957. Il convient d'évoquer ces valeurs mobilières négociables qui peuvent être cotées en bourse, et
aussi cette situation juridique, assez étrange, dont on
ne sait si elle appartient au Droit privé ou public, qui
fait que le titulaire d'un certificat pétrolier a tous les
droits d'un actionnaire, sauf un, celui de voter aux
Assemblées générales. Voilà donc comment la technique
du Droit privé et la technique du Droit public se mélangent. Et au fond, les techniques n'ont aucune importance,
aucun intérêt. Que veut l'Etat ? C'est dominer, c'est
orienter, c'est agir. Le reste n'est qu'instrument. Il n'y
a pas là de grands principes juridiques à chercher.
Mais ces Sociétés ont suscité un autre problème qu'il
convient d'aborder maintenant.
Tout en étant un Etat pétrolier au sens propre, un
Etat dont les services publics interviennent directement
dans la recherche pétrolière, l'Etat se souvient qu'il est
aussi autre chose: Fisc et Législateur.
.
71
�En nous éloignant de ces champs de pétrole ou de
ces coulisses de Ja Bourse, on aborde Inaintenallt uu
second point: la Fiscalité pétrolière.
B -
La Fiscalité pétrolière.
Ici encore, il n'existe guère de grands principes,
mais plutôt des impératifs pétroliers.
Impératifs pétroliers parce qu'au fond, il faut que
le régime fiscal soit celui qui facilite la recherche des
exploitations pétrolières. Mais il faut aussi une fiscalité
double, une fiscalité qui incite à chercher et à trouver
le pétrole, et si on a trouvé, il faut une fiscalité de participation où l'Etat dépouille la notion de puissance publique et au fond s'écrie, s'adressant à l'entreprise pétrolière, si on permet cette expression: « part à deux ».
a) La Fiscalité pétrolière, en tant d'abord que fiscalité à'incitation a pris comme modèle la législation américaine.
En ce qui concerne la fiscalité d'incitation, il existe
desdispositions sur le détail desquelles on peut passer.
Elles permettent d'une part, de favoriser les Sociétés
en REP citées plus haut, et d'autre part, d'aider aussi
les Sociétés d'Exploitation directe.
Les Sociétés de financement vont être traitées comme
les Sociétés d'investiss·e ment: c'est-à-dire en évitant les
cascades d'impôts qui existeraient en France, si des textes
spéciaux ne paraient à ce danger et qui proviendraient
de la juxtaposition de la fiscalité des valeurs mobilières
et de la fiscalité des bénéfices industriels et commerciaux
ordinaires. On évite cette cascade et il y a des solutions
techniques qui concernent toutes ces sociétés de financement.
Il y a en second lieu pour les Sociétés qui cherchent
le pétrole, à la différence des Sociétés en REP qui financent les recherches, des dispositions qui proviennent
d'une loi du 7 février 1953 complétée par un décret du
14 mars de la même année, prévoyant pour les entreprises de l'Exploitation et de la Recherche de's Hydrocarbures en France et dans les territoires liés à la Frunce, le droit de déduire de leur hénéfice net d'exploitation
72
�~-~.. •...
~.
une provÎslon pour reconstitutIon des gisements, l!CI1treprise qui a trouvé du pétrole et qui est en train, pour
ainsi dire, de tirer sur son puits, risque de l'épuiser, Il
faut qu'elle puisse chercher ailleurs lorsque son puits
sera tari. Il faut des relais. A cet eU'et, la législation
fiscale permet de déduire des bénéfices, dans la linlite
de 50 % de ceux-ci et dans la limite de 27,50 % du
chiffre d'affaire, les provisions pour reconstitution de
gisements et si l'entreprise le semploie dans un délai
de 5 ans, elle sera définitivement exonérée de l'impôt
sur les bénéfices concernant cette part.
Ces pourcentages permettent de reconnaître une
institution transportée des Etats-Unis. C'est là une fiscalité « made in U.S.A. ; ne cherchons pas là non plus
de grands principes, on a appliqué ce que l'on a trouvé
ailleurs, ·c 'est une fiscalité donc de technique pétrolière
et non de principes abstraits.
--
.'
-
04.
:
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...
. ....
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b) Il Y a un second modèle, par delà la fiscalité
d'incitation qui, d'ailleurs, est insuffisante à cet égard
et n'atteint pas le modèle américain, qui, en particuH.er,
ignore les amortissements accélérés de matériel de forage
que connaissent les législations fiscales américaines. Si
donc il yale modèle américain, il est un autre modèle,
c'est celui que l'on peut désigner sous la formule cavalière « part à deux », .c 'est la fiscalité du Moyen-Orient.
On la définit plus noblement par l'expression « fiftyfifty » ou fisoalité! de participation et elle est exprimée
dans deux ordonnances qui concernent l'exploitation du
pétrole dans les régions sahariennes, deux ordonnances
du 22 novembre 1958, l'une n° 111, l'autre n° 113.
Quelle est l'idée ? On combine ici deux motions, la
notion d'impôt, puissance publique, avec la notion de
redevance qui est, au fond, non pas une notion de puissance publique, mais une notion de propriétaire du sol;
mais on doit mettre des réserves à cette formule, car
bien souvent cet Etat n'est pas propriétaire du sol. 11
s'agit là de la fiscalité classique que connaissent tous
ceux qui ont étudié un peu les problèmes pétroliers du
Moyen-Orient. On paye d'abord une redevance qui, pour
le gaz, est de 5 % de la valeur marchande, pour le
pétrole liquide de 12,50 %. Ensuite on estime qu'il y
aur.a un impôt 'complémentaire qui va frapper la diffé-
73
�l'ehee du bénéfice imposabledinlÎl1ùé de la redevance.
Si eette expression est positive, il y aura une taxation
au taux de 50 % ; si elle est négative, il y aura possibilité de déduction par l'entreprise d'une somme égale à
la moitié de la diffèrence, mais néanmoins on ne rend
pas la redevance, on crédite l'entreprise pour les impôts
ultérieurs. Ainsi apparaissent trèSj brièvement résumées
les dispositions des articles 63, 63 et 65 de l'ordonnance
n° 111 du 22 novembre 1958.
Enfin, cette fiscalité saharienne mérite une dernière
remarque. A ceux qui seraient tentés de croire à l'existence du principe de la suprématie de la puissance
publique, selon lèquel le contribuable se trouve vis-àvis de l'Etat dans une situation légale et règlementaire,
comme le disaient nos vieux maîtres, à tous les instants
modifiable par la loi, il faut dire qu'ils se trompent
grandement, que ce principe existait peut-être, qu'il
n'est pas vrai dans le Pétro-Droit, et au moins dans le
Pétro-Droit saharien. Des conventions fiscales peuvent
intervenir. L'Etat n'es pas gêné d'abandonner sa puissance publique, de renoncer à elle. Ne cherchons surtout
pas de fondement juridique, mais on voit que l'Etat
renonce à changer sa législation fiscale pour une certaine période, par exemple pour 30 ans, de manière il
assurel~ une certaine stabilité fiscale à des Entreprises
privées. Voilà donc comme la fiscalité pétrolière ébranle
nos connaissances les plus classiques. lVIais le · PétroDroit ne comporte pas qu'un particularisme fiscal, il
connaît aussi un particularisme « minier ».
C-
Problèmes du Droit minier.
Le Droit minier existe en France depuis longtemps
pour se borner aux lendemains de la Révolution, il
existe depuis 1810. Pour se borner aux textes principaux
on citera deux lois, celle du 21 avril 1810 (législation
napoléonienne), et celle du 9 septembre 1919. Mais le
Droit pétrolier ne s'inscrit pas dans ces législations et
les législations et les solutions qu'il adopte sont diffèrentes. Le Droit pétrolier rompt avec le Droit minier
classique, le Droit pétrolier se présente sous des formes
nouvelles qui sont pour partie celles du Droit saharien.
et~
74
.": ..... 'f
�D'abord, le Droit minier classique ignorait une donnée essentielle de la rech~rche pétrolière, dérivant des
difficultés de celle-ci : la nécessité: d'une exclusivité de
recherches dans un périmètre donné. Au système d'autrefois qui donnait un permis de recherches, lié à la
notion de propriété du sol, on a substitué d'autres notions,
celles de l'exclusivité et de la technique que connaissent
tous les droits p'é troliers. Les permis exclusifs de recherches ont été introduits en France par une loi particulière
du 16 décembre 1922, portant modification de la loi du
21 avril 1810 et transformation de la loi du 9 décembre
1919. A vrai dire, ce texte est demeurë longtemps sans
grand intévêt. De nos jours le Code minier connaît, bien
sûr, le permis exclusif de recherches.
D'autre part, au point de vue de r exploitation, les
solutions françaises du Droit pétrolier contemporain
sont différentes des solutions minières générales que
nous connaissons. Des institutions ont été introduites
par le pétrole, qui rayonnent d'ailleurs au-delà du
pétrole. A côté' de la concession classique de 1810, nous
- avons maintenant une concession ditrérente. La concession pétrolière présente la caractéristique, par rapport
aux autres concessions, d'être, premièrement, non gratuite et, deuxièmement, de caractère lhnité dans le temps
(50 -ans maximum), alors que la loi de 1810 prévoyait
la pérennité dans le temps. Le problème pour les mines
se pose différemment, notamment en ce qui concerne
les combustibles solides, puisque le jeu de la nationalisation enlève ici tout intérêt à l'idée d'une concession
limitée dans le temps.
Voilà donc une particularité" il en est quelques
autres, du Droit pétrolier, à l'intérieur d'un ensemble
minier plus vaste. Mais il y a un second aspect à mentionner: c'est l'existence d'une législation particulière
aux régions sahariennes. Là encore, l'ol"donnance n° 111
du 22 novembre 1958, article 1, prévoit des solutions
spéciales qu'il .convient de rappeler. Ce sont des solutions qui ont abouti à abandonner la notion classique du
cahier des charges. Ce cahier des charges, valable pour
les hommes de 1810, rompus à l'idée de la supériorité
de l'Etat, ce qui impliquait une autorisation, n'est plus
de mise aujourd'hui. Au lieu d'un cahier des chargf~s
impliquant la hiérarchie de l'Administr" tiol1 par r,a ppul't
, 7S
�aux concessÎonnaires, il y a maÎntenant une conventÎon
qui indique par conséquent 'q u'on discute d'égal à ég=1l.
Quant au concessionnaire, il n'est pas nécessairement
privé, il est parfois un établissement public ordinaire.
Il y a donc là des subtilités j uridiues : L'Etat concédant à lui-même se présentant sous une autre fomie :
un établissement public ou une société dont il a disposition majoritaire du capital. Tout ceci est extrêmement
compliqué si l'on veut en faire l'analyse juridique. Mais
la pratique ne s'en étonne point et nous la suivrons nous
ausSi, ayant pour parti de ne point nous étonner.
Voilà déjà briè'v ement r.ésumé ce que l'on peut dire
du point de vue de l'Etat dans le domaine des Hydrocarbures, en ce qui concerne la recherche et la produc":
tion pétrolières. Mais il est un autre problème: celui à
quoi sera consacrée la deuxième partie: l'intervention
de l'Etat dans les différents stades de l'industrialisation
et de la commercialisation du pétrole.
: ..
II. -
L'INTERVENTION DE L'ETAT EN MATIERE n'IMPoRTATION
TRAITEMENT, TRANSPORT ET DISTRIBUTION DU PETROLE.
L'intervention de l'Etat se présente sous des formes
diverses selon qu'il s'agit de l'importation, du raffinage,
du transport ou de la distribution des hydrocarbures.
A -
Importation et raffinage du pétrole.
Dans le domaine de l'importation et du raffinage
du pétrole, l'Etat intervient en tant que puissance publique. Il définit et suit d'abord une politique douanière,
il contrôle ensuite_l'industrie du raffinage par le moyen
d'une réglementation administrative particulière.
a) Le régime douanier.
••
'i
En ce qui concerne le régime douanier, il convient
d'indiquer que, lorsque le pétrole a Icommencé à être
utilisé en France, c'était peu de temps après que le
Colonel Drake ait découvert, en Pensnsylvanie à quelques mètres du sol, 'les premiers gisements américains,
c'était en 1864. On a commencé tout de suite à utiliser
le pétrole en France pour s'en servir comme moyen
�d'éclairage. A l'origine, il y a eu donc un régime fiscal
qui a été très favorable. La première loi en la matière,
du 4 juin 1864, recevait en franchise les huiles brutes de
pétrole, elle comportait des droits très élevés sur des
huiles raffinées, mais ces droits protecteurs à l'abri desquels a pu se constituer rapidement une industrie de
raflïnage du pétrole, se sont transformés très vite et
notamment à la suite de la guerre franoo-prussienne de
1870-1871.
On a cherché à trouver dans le pétrole une r'eSSOUfce qui alimente, en partie le budget de l'Etat. Il y a donc
eu des droits fiscaux créés par une loi de 1871 ; (ln a
ensuite réduit ces droits au fur et à mesure que le pétrole
est apparu, pour les hommes du XIxme siècle, comme un
produit de première nécessité car sur lui reposait l'éclairage. Pour abaisser le prix du pétrole lampant à la
consommation, pour réduire par ailleurs - c'est étrange
au milieu du XIXme siècle, époque de libéralisme économique - les bénéfices excessifs des raffineurs, les lois
de 1862 et 1863 ont diminué les droits de douane sur les
huiles raffinés, sur les produits dérivés, ne laissant
qu'une très faible marge de protection. Néanmoins,
l'industrie du raffinage a pu continuer à exister.
".
. .'
,"
."
....
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t
.
Mais en 1903, on a ajouté à cette fiscalité douanière,
une fiscalité tout à fait différente, on a taxé à la sortie
des usines, le pétrole p.ar une taxe dite de fabrication.
A partir de ce ll10ment-Ià, l'industrie de raffinage
n'a pu continuer à vivre en France et les statistiques
fournissent des indications très nettes. Alors qu~en 1903,
le pétrole consommé en France était pour 85 % raffiné
en France (il était importé totalement, mais 85 % de ce
pétrole était importé brut et traité en France et 15 %
importé raffiné dans des pays étrangers), au lendemain
de la loi de 1903 la proportion s'est renversée : 15 %
d'importations, 85 % de produits finis. Finalement, à la
veille de la première guerre mondiale, pratiquement il
n'y avait plus de raffinage en France. Le pétrole était
presque entièrement anglo-américain, importé raffiné.
Au lendemain de la guerre mondiale, au cours de laquelle les belligérants ont pu voir les -difficultés d'approvisionnement en pétrole, on s'explique qu'une loi du
16 mars 1928 ait porté révision du régime douaniër et
établi un régime qui n'était pas d'inspiration fiscale,
77
�r
mais technique. Il permettait d'accroître l"lmportation
des produits bruts et il frappait au contraire, sévèrement, les produits dérivés du pétrole, les produits finis,
immédiatement consommables: Le régime actuel est
dominé par cette législation, sinon exactement, car des
lois l'ont modifiée, du moins en son principe, c'est-à-dire
l'existence d'une disparité de droits entre le pétrole brut
et les produits dérivés du pétrole. C'est dans cette marge
provenant du pétrole qui est une des plus puissantes
d'Europe et qui aoutit à traiter, comme ce fut le cas l'an
dernier, quarante millions de tonnes, c'est-à-dire beaucoup plus que la consommation française .
, ....
•• 1.'
b) Le régime administratif.
.
:--.....
"
..
. .....
..
Par delà) le régime fiscal douanier de ce, pétrole et
de ses dérivés, il convient de définir quel est le régime
juridique de ce pétrole importé, le régime juridique de
l'importation. C'est aussi une loi de 1928 qu'il faut évoquer, qui est de 15 jours postérieure à la précédente.
Ce n'est plus la loi douanière du 16 mars, c'est la loi
administrative du 30 mars 1928. Elle prévoit des autorisations d'importer, mais on doit en distinguer plusieurs
types; à vrai dire, l'une d'elles n'est pas une autorisation, elle est une véritable concession .
.-
..... .
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...
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"
1°) En effet, il existe une autorisation d'inlporter
qui était l'autorisation dite générale de la loi du 30 mars
1928, destinée à permettre l'importation par petites
quantités, pour ne pas dépasser 300 tonnes annuelles, ce
qui est évidemment très peu. Il y a là une autorisation
générale, sorte de licence simple. Cette simple formule a
disp.a ru avec un décret-loi du 8 août 1935.
Mais elle subsiste toutefois à l'égard des lubrifianfs
en emballage d'origine, par exemple des huiles spéciales
qui sont importées des Etats-Unis.
Donc, l'importance économique est relativement
faible.
Il y a une autorisation d'importer ordinai.r.e et qui,
bien qu'appelée p.a r la loi « autorisation », est une vét:'itable concession. Elle est accordée pour une durée qui
fut, à l'origine, de 12 ans, mais à vrai dire, cette a uto-
�risation d'importer n'est pas la même suivant 'tIU~il s'agit
de produits bruts ou de 'p roduits finis. A l'origln(l, on
distinguait 12 ans pour les produits bruts et 3 ans pour
les produits finis.
Si l'on passe sur les transformations successives, la
réglementation actuelle fixe 20 ans pour les produits
bruts et jusqu'à 12 ans pour les produits finis (Ordonnance n° 892 du 24 septembre 1958).
Donc, la marge n'est pas aussi grande que ce qu'elle
était autrefois, mais le principe demeure de cette distinction entre ces autorisations (2).
·'
2°) A vrai dire, cette distinction étant faite, qu'il
s'agisse de produits bruts ou de produits dérivés, l'autorisation qui est une concession, a la même portée, c'està-dire que cette autorisation est donnée, concédée. diraije, à une société définie qui doit obéir à des règles très
strictes en ce qui concerne la nationalité de ses membres
et parfois de ses actionnaiI~es qui, d'ailleurs, ne peut se
modifier qu'avec l',a utorisation des pouvoirs publics et
- doit utiliser du matériel français. Elle n'a pas la liberté
d'utiliser du matériel étranger et doit demander une
autorisation pour acheter du lllatériel. On peut résunler
ceci en disant que ces soCiétés, d'une part, doivent obéir
à des injonctions gouvernenlentales,- ensuite que les
contingents d'importations dont elles disposent peuvent
être, avec un court préavis d'un mois, révisés en plus ou
moins, pour un cinquième de leur dotation. Leur situation économique est ainsi théoriquement assez fragile ~
commandée par l'Etat; enfin, troisièlnement, elles sont
soumises à un très étroit contrôle de l'Etat qui peut
aller jusqu'à des sanctions.
Le Ministre de l'Industrie chargé des carburants, peut
leur donner un .a vertissement si elles ne se conduisent
pas .comme les Pouvoirs publics le jugent bon. Ce minis-
(2) Il existe enfin une troisième sorte d'autorisation d'lmpor. ter, mais qui est différente et ne procède pas de la loi de 1928.
Elle concerne la Compagnie Française des pétro1es et résulte d'un
avenant, conclu le 4 mars 1931, à la convention régissant les rapports entre cette société d'économie mixte et l'Etat. Elle porte sur
25 % de l'ensemble :d es déclarations annuelles de produits finis
pour la consommation.
79
�fre, avec son collègue des finances, et après avis d'une
commission particulière des carburants,- peut infliger
certaines pénalités d'ordre financier; il peut même,
réduire le contingent attribué. Dans les cas les p.Ius,
graves, l'intervention du Conseil d'Etat v.a permettre de
suspendre le droit d'importation pour une certaine durée
ou jusqu'à la fin du délai qui reste à courir. Enfin, il y
a luême, après intervention cette fois du Conseil des
Ministres, la possibilité d'une déchéance.
Ces puissantes raffineries sont bien des entreprises
privées (3), mais elles sont en même temps dans la main
de l'Etat car, si la manière dont elles agissent, apparait
contraire non seulement à la loi, mais à la politique
gouvernementale, elles peuvent être arrêtées par les
pouvoirs publics. Il y a donc une situation extrêmement
curieuse, et au fond, tant de puissance repose aussi sur
une base juridique fragile.
.\
B -
Transport et distribution.
L'intervention de l'Etat dans le domaine du transport et de la distribution des hydro-carbures se présente
sous une forme quelque peu complexe. On peut distinguer essentiellement le l~égime juridique, d'une part, et
l'interventionnisme économique, d'.a utre part.
.'
,-
a) Les problèmes juridiques du transport et die la
distribution.
Les problèmes posés par le transport et la distribution des hydrocarbures ne soulèvent pas de difficultés
particulières; ils sont résolus selon des schémas classiques.
1 La distribution. C'est le reglme le plus simplf',
car on retrouve les solutions bien connues et tradition0
)
(3) L&, Compagnie Française des Pétroles est, on le sait, uné
société d'économie mixte dans laquelle l'Etat à 35 % du capital.
80
�nelles du droit administratif, telles que la permission de
voirie ou même le permis de stationnement.
Ainsi les postes d'essence, les stations services qui
sont établis le long des routes et qui utilisent privativement, pour partie, le sous-sol du domaine public (par
exemple pour l'installation des fosses), sont placés sous
le régime de la permission de voirie.
Exceptionnellement on trouve encore, dans quelques
villages reculés, des postes à essence rudimentaires constitués tout simplement par un baril placé sur un chariot
et équipé d'une pompe. Ce petit ensemble occupe privativemént le domaine publio mais sans emprise. C'est le
régime du permis de stationnement.
.
2°) Le transport. Le régime du transport est défini
par une réglementation plus particulière qui con.cerne
ce qu'on appelle les pipe-lines, ou si l'on veut être quelque peu puriste, les oléoducs. Il convient de distinguer, .
à propos du transport, les liquides et les gaz. Lorsqu'il
s'agit de gaz, la question, sur le plan technique, déborde
du domaine des hydrocarbures puisqu'il existe aussi, et
ils sont utilisés depuis fort longtemps, des gaz de houille.
A cet égard, on doit mentionner que la loi du 8 avril
1946 qui prévoit en France la nationalisation du gaz, a
nationalisé le transport du gaz, mais n'avait rien prévu
au point de vue du régime juridique des conduites et~,
ce sont des textes postérieurs: décret du 24 mai 1951,
décrets du 10 avril 1951 et 30 ,a oût 1951, qui ont définitivement instauré le régime juridique des concesf;ions
de transports de gaz concernant les Ic onduites qui relient
entre elles des usines productives ou bien qui relient
ces usines à des postes de compression ou de détente, ou
encore qui relient soit une usine, soit un de ces postes
aux centres de distribution publique ou à des entreprises
industrielles qui utilisent le gaz.
A côté de ce régime particulier, il en est un second
qui, lui, concerne: les hydrocarbures liquides. Il y a ici,
d'une part, l'article 11 d'une loi de finances du 29 mars
1958 et, d'autre part, un décret du 16 mai 1959.
Là, les amateurs' de solutions classiques seront satisfaits. Il existe des servitudes de passage qui permettent
à la conduite d'être établie sur les propriétés privées,
81
6
�pourvu que ce soit à une certaine profondeur,. au-dessous
de 70 mètres. Il existe une bande de 5 mètres qui constitue la servitude normale et elle peut être élargie j usqu'à un total de 20 mètres, y compris les 5 pour permettre le passage des gens chargés d'entretenir la conduite. Il y a là donc des dispositions de servitudes de
passages qui rappellent les servitudes de distribution de
l' électrici té.
Ces problèmes sont intéressants, mais les solutions
n'ont rien de particulier. C'est l'utili~tion des techniques classiques, où la propriété privée du Code civil, la
propriété terrienne se ' trouve subordonnée à d'autres
a.ctivités et à ,leurs instruments, dont l'importance pour
l'Economie nationale est évidemment supérieure.
b) L'intef1ventionnisme économique , en matière de
distrib.ution.
L'Etat pratique, depuis une époque très récente,
une politique d'interventionnisme marqué dans le
domaine de la distribution (4).
·~
.' .
Il faut noter qu'il s'agit là d'une conséquence nécessaire de la politique de participations publiques dans
les entreprises de production de pétrole. En effet, l'Etat
ne peut admettre que les entreprises publiques ou semipubliques qui jouent un rôle important dans le domaine
de la production depuis qu'existent des puits en activité
situés en France ou au Sahara ou encore tout simplement exploités par elles, puissent se heurter pour la
vente des produits bruts à des difficultés provenant de
ce qu'elles ne possèdent pas de réseau de raffinage et
de distribution et doivent dès lors subir les conditions
posées par de grandes compagnies qui sont, elles, généralement privées.
C'est pour cette raison qu'on a vu se développer
en France depuis deux années, une politique appelee
quelquefois le « national-pétrolisme ».
la
82
(4) Il n'est pas traité ici de la fiscalité pétrolière au stade de
c'est-à-dire des taxe~ sur les :produits pétroliers,
d1st~bution,
�.~
.
. ... .
l>endant longtemps il n'avait existé en matière de
raffinage et de distribution qu'une seule entreprise
d'économie mixte: la Compagnie française des Pétroles
qui avait été constituée à l'origine, au lendemain immédiat de la Première guerre mondiale pour gérer la participation française dans le capital de la Turkish Petroleum Co Ltd, qui découlait de l'art. 7 de l'accord international de San Remo du 24 ,a vril 1920. La C.F.P. a
ainsi disposé d'abord d'une p.articipation de 23,75 % dans
la production de l'Irak Petroleum Cy qui a succédé à
la Turkish Petroleum et dans les sociétés associées, puis
ultérieurement, après la nationalisation de l'Anglo
Iranian, d'une participation de 6 % dans le Consortium
iranien. Elle a aussi acquis des permis d'exploitation
dans le golfe Persique et au Sahar.a. Mais cette société
d'économie mixte dans le capital de laquelle l'Etat intervient pour 35 % ne se borne pas à la production, elle
assure des opérations de transport. Il s'est agi essentiellement du transport maritime avec une filiale qui constitue le premier armement pétrolier français, la Compagnie navale des Pétroles, mais la C.F.P. intervient aussi
avec une participation de 15% dans la Société du 'pipeline Sud Européen. Elle dispose, en outre, d'une grande
puissance dans le domaine du raffinage ; sa filiale a
56%, la Compagnie française de raffinage a une capacité de raffinage de l'ordre de 10 millions de tonnes par
an, soit en gros' plus du tiers de la puissance française .
Quant à la distriution, elle s~ fait grâce à des filiales
de vente (Total) ou à des accords commerciaux avec
diverses compagnies françaises.
Possédant ainsi, en quelque sorte, un caractère
« intégré » produisant, transportant, raffinant, distri-
buant du pétrole la C.F.P. dispose sur le marché français d'une grande puissance et participe d'ailleurs au
grand commerce international du pétrole. On pouvait
dire d'elle récemment q~'elle était le pétrolier français
n° 1 et le pétrolier mondial n° 10.
Mais si elle a ainsi disposé d'une situation tout à
fait particulière, on doit noter que depuis 1960 il existe
une autre société d'économie mixte qui a été constituée
et qui ne se borne pas à des opérations de recherche de
petrole et de production de brut, mais intervient aussi '
ou peut intervenir dans des opérations de raffinage et
83
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. .
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de distribution. Cette société s'appelle l'U.I.P. (Union
industrielle des pétroles). Son capital est réparti entre
la société américaine Caltex pour 40 % et un groupement
de producteurs de pétrole national français, l'Union
générale des pétroles pour 60 %. Il s'agit donc d'un~
société d'économie mixte dans laquelle le secteur public
est prédominant. La nouvelle société continue les activités de transport, de raffinage et de distribution assurées jusqu'alors par la. société privée Caltex et doit les
développer.
Quant au groupement des producteurs de pétrole,
l'Union générale des pétroles, il rassemble six producteurs de bIut qui exploitent des gisements. Le capital
de l'U.G.P. est réparti en trois parts égales, l'une à la
Régie autonome des pétroles, une autre à la SNREPAL
qui exploite une partie des puits d'Hassi Messaoud, le
troisième tiers appartient à un groupement rassenlblant
divers exploitants pétroliers au nombre de quatre (5).
On voit donc que le mécanisme des participations
à deux étages, en quelque sorte, permet aux producteurs
nationaux français de disposer d'un réseau de transport,
de raffinage, de distribution qui leur assure des garanties pour l'écoulement de leur production et leur permet,
en tout cas, de ne pas ,êlre désarmés devant le grar.d
commerce du pétrole en se cantonnant dans la seule
production.
La constitution, sous l'impulsion de l'Etat, de ces
deux sociétés, a constitué une étape import<Jnte de la
politique pétrolière française à l'époque actuelle qui
dépasse la recherche" le forage, la production, pour
atteindre le secteur commercial .
*
**
Ainsi, on le voit, l'intervention de l'Etat en ma!ière
d'hydrocarbures est multiforme : régime douanier, régi-
(15) Ce groupement des exploitants pétroliers qui partIcipe
pour 1/3 au capital de l'U.G.P., comporte les participations internes
suivantes : Société des pétroles d'Afrique équatoriale 40 % - Société nationale des pétroles d'Aquitaine 40% - Compagnie d'expIo;·
tation pétroliè:-e 15 % - Société t<Ie production et de recherCthe de
pétrole en Alsace 5 %.
84
�me administratif, intervention économique directe, lég!S'lation fiscale particulière; régime juridique spécial, tels
sont les aspects divers qui caractérisent en la matière
l'action de l'Etat. Présenter en quelques traits un tel
ensemble est bien difficile et les développeinents précédents n'ont pu que se borner à l'essentiel.
En décrivant une réalité complexe, ils peuvent
dOWler l'impression d'un manque d'unité. Pourtant, si
les mesures et les moyens sont divers, l'ensemble conserve une certaine unité. Ce Pétro-droit est, en efIet,
dominé par des impératifs simples et précis, il tend à
assurer à" la Nation des approvisionnements en pétrole
et à permettre à l'Etat d'affirmer une politique pétrolière. Les procédés juridiques employés ne sont que de
simples techniques mises au service de la poursuite de
ces buts..
C. A. COLLIARD
Doyen honoraire de la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques
de Grenoble.
Professeur à la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques
de Paris.
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�ia Direction des Annales de ia Faculté de Droit et des
Sciences Economiques d'Aix es.t heureuse de publier les deux
conférences qui ont été faites par le Professeur RAISER et
les deux conférences _qui ont été faites par le Professeur
/I;SCHENBURG, à la Faculté d'Aix, en mai 1961, dans le
_ cadre du jumelage de l'Université de Tübingen et de l'Université d'Aix-MarseiUe. Elle exprime à leurs auteurs ses bien
t'ifs remerciements.
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LA REFORME DU DROIT
DES SOCIETES ANONYMES EN ALLEMAGNE
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�La réforme du droIt
des Sociétés Anonymes en Allemagne
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La société anonyme est une invention de l'esprit euro..
péen. Toutes les grandes nations européenI1es ont contribué
-à lui donner les traits caractéristiques qui ont permis son
épanouissement. La question de savoir si les grandes banques
établies' à Gênes et à Milan aux quinzième et seizième siècles:
peuvent être considérées comme les précurseurs de n~ sociétés anonymes modernes, est assez controversée. Mais il est
certain que l'impulsion la plu~ forte pourle futur développement des ~ociétés anonymes, provient des grandes compagnies
commerciales, fondées dè~ le début du dix-septième siècle aux
Pays-Bas, bientôt suivies de celles d'Angleterre, de France
et des Pays scandinaves. Au dix-huitième siècle, la France
surtout a joué un rôle éminent dans la création de la forme
légale de la société anonyme. Les quelques· dispositions contenues dans le Code d~ commerce de 1807, constituent la
première codification du -droit des sociétés par actions en
Europe.
Au milieu du dix-neuvième siècle, à la suite des exp~
faites lors de l'industrialisation et du financement des
grandes eI1treprises de l'industrie, des chemins d~ fer et
des banques, le moment était venu de réaliser une codification complète du droit de la société anonyme. En même temps,
il's'agissait de procéder à une réforme libérale conforme à
l'esprit du siècle en passant du système de la concession
d'Etat à celui de la libre fondation, tout en respectant le
cadre fixé par la loi. Ainsi furent promulguées, vers t860,
rien~
91
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les premières grandes 10:-; sur les sociétés anonymes en
Europe : en Allemagne, en 1861, le Code général de commerce, en Angleterre, le Companies A~t de 1862, en France
la loi sur les sociétés de 1867.
Pour la France, cette loi signifie le terme de l'évolution.
La loi de 1867 a certes subi des changements au cours des
cent années qui se sont écoulées depuis, changements concernant maintes questions importantes. Mais la loi de 1867
11' a pas été remplacée par une codification moderne. Il en est
autrement en Angleterre, où la loi de 1862 a été suivie par
un assez grand nombre de Companies Acts. De même en
Allemagne, où aux réglementations partielles ·de 1870 et de
1884" succédait celle du Code de commerce de 1897. A la ·
roforme partielle de i 931, succédait une nouvelle codification : la loi sur les sociétés anonymes de 1937, toujours en
vigueur.
Après la deuxième guerre, une nouvelle réforme partielle eut lieu en 1959 ; el1 même temps, le gouvernement a
pl éparé, depuis 1953, une nouvelle réforme. Le gouvernement fédéral a publié, en 1958, un premier projet qu'il a
soumis au public intéressé. Il a, par la suite, profit.ant des
résultats des discussions qui ont suivi, établi un projet définitif qu'il a soumis, en 1960, ,1 l'approbation du Parlement.
Pendant longtemps, l'on a pu croire que le BUl1destag (la
Diète fédérale) allait pouvoir clore les débat~ sur ce projet,
et voter la loi pendant l'actuelle session parlementaire. Il y a
quelques semaines seulenlent, nou~ avons appris par la presse
qu'il n'est plus possible de voter la loi avant les élections
pour Je nouveau Bundestag. Ce~ élections auront lieu en
a'ltomne. Il faudra ainsi s'attendre à un certain retard de
rentrée en vigueur de la réforme. Le gouvernement devra
soumettre le projet à noùveau au Bundestag nouvellement
élu. Il est à prévoir que le projet ne sera guère voté avant
1963. Ce retard est regrettable, mais il permet de revoir les
buts de la réforme et les moyen~ employé~ pOUl' &a réali~ti6n.
1
Si l'on voulait mettre en relief les difJérence~ entre le
régime de la société anonyme en droit alleman.d et en droit
français, il faudrait insister sur de nombreux points de
92
�àétail. Je ne pourrai me dispenser d'en mentionner quelquesuns au cours de cette leçon. Cependant, la différence essentielle, il me semble, ne se trouve pas daQs tel ou tel détail
d'ordre technique, mais dans la conception différente de la
société anonyme qui _s'est imposée de part et d'autre du
Rhin. Le droit français me paraît resté attaché à l'idée qu'il
s:agit d'une société de personnes poursuivant le même but
économique sur la base de l'égalité en droits et en devoirs,
chaque personne apportant uQe participation pécuniaire
dont elle espère tirer un bénéfice. La base juridique des rapports entre les associés est le contrat de société, auquel la
loi réserve une grande liberté, à moins que l'intérêt et la protection de tiers n'exigent des restrictions. L'assemblée générale est l'organe suprême de la société ; mais comme il serait
peu pratique de lui confier la direction des affaires, elle
choisit un comité d'actionnaires, le conseil d'administration,
qu'elle charge de la direction de l'entreprise. Tel est le
schéma extrêmement simple que nous donnent traités et
manuels français en le déclarant toujours valable. Je ne
suis pas assez compétent en ce qui concerne le droit français
- pour pouvoir juger si la vie économique revêt encore en
France des traits à .ce point idylliques. Toutefois~ il est certain que le législateur n'a pa,; jugé néeessaire d'intervenir.
La réglementation de la vie intérieùre des sociétés, jusqu'à
ce jour, relève dans une grande mesure du ressort. des
statuts.
De même en Alle"11agne, au début du dix-neuvième siècle,
lorsque la société anonyme prit son essor, on partait de l'idée
qu'il s'agissait, sinon d'une société, tout au moins d'une
association d'actionnaires. le} de même, la liberté de la
fondation a été acquise dès la loi de 1870, et le Code général
de commeree avait largement reconnu aux actionnaires le
riroit de régler eux-mêmes leurs affaires, Mais de graves incidents survenus pendant les années postérieures à 1870, ont
incité le législateur, dès 1884, à prendre des mesures visant
à protéger le public contre des manipulations frauduleuses.
Ensuite, le Code de commerce de 1897 a légalisé une transformation de l'organisation interne qui nous révèle une différence caractéristique par l'apport à la structure de la
société anonyme française. En pratique, on était arrivé
à scinder les fonctions du Conseil d'administration en
instituaQt, d'une part un Conseil dit de surveillance
(Aufsichtsrat), d'autre part un Comité dit de direction
93
�(Vorstand), ce dernier étant nommé par le Conseil de surveillance. Le Code de commerce a sanctionné cette séparation.
Dans la pratique française, on trouve de même, en règle générale, un ou plusieurs directeurs chargés des affaires courantes à côté du Conseil d'administration et de son président.
J:'01) pourrait donc croire que la différence n'est pas essentielle avec le droit allemand. Mais, en vérité, elle n'est que
Il; signe extérieur d'une différence profonde quant à la conception de base. A côté de la 80ciété en tant que groupement
de plusieurs actionnaires, nous sommes habitués à considérer
r entreprise en tant cru 'unité d'organisation non seulement
sous l'angle économique, mais également sous l'aspect jurid~que. Les besoins de l'entreprise sont pris en considération
au même- titre que ceux des actionnaires. C'est pourquoi le
Comité de direction est détaché de l'ancien Conseil d'admillistration en tant que représentation des actionnaires, et
est considéré lui-même comme organe. Ses membres ne sont
pas en premier lieu les mandataires et hommes de confiance
des actionnaires, mais les directeurs de l'entreprise, choisis
d'après leurs qualifications professionnelles. Il n'est que
trop naturel qu'ils tendent, chaque fois que les besoins de
l'entreprise entrent en conflit avec les intérêts des actionnaires, à donner la préférence aux besoins de l'entreprise
même au détriment des intérêts des actionnaires. Il en est
ainsi surtout en ce qui COIlcerne la gestion financière. Le
manque de capitaux qui existe depuis toujours en Allemagne, ainsi que notre régime fiscal qui prévoit de lourds impôts
directs, incitent le Comité de direction à empêcher que la
hquidité de rentreprise soit dlminuée par la décJaration de
bénéfices et de dividendes élevés. Le Comité de direction
essaye au contraire cl' augmenter les moyens propres de l' entreprise et de financer Jes investissements nécessaires en
ayant recours, pour ce faire, aux bénéfices réalisés, mais
non déclarés. Puisqu'il en est ainsi, la tâche du Conseil de
surveillance devrait être de contrôler le Comité de direction
eT de défendre à son égard les intérêts des actionnaires.
Il serait certes faux de dire que les Conseils de surveillance
allemands négligent d'exercer leur droit de contrôle, et qu'ils
donnent carte blanche au Comité de direction, par paresse
ou par incapacité. Il existe certes, comme partout ailleurs,
de mauvais Conseils de surveillance ; mais dans leur grande
majorité, ils se composent d'hommes d'affaire éompétents
et vigilants. Seulement, ce contrôlE' que le Conseil de s'urveillance exerce au nom et en tant que représentant des
94
�actionnaires, n'a pas lieu eil première lîgne dans l'intérêt
des actionnaires, mais dans celui de l'entreprise.
Pour comprendre ce phénomène, il faut être au courant
d'un fait caractéristique de l'économie allemande. Il faut
sa voir qu'une grande partie des actions des sociétés allemandes n'est pas aux mains de particuliers cherchant à en
tirer le plus de bénéfice possible grâce à des dividend-es élevés. La plupart des actions se trouvent entre-les mains d'autres entrepr-ises, qui cherchent par ce moyen à accroître leur
puissance économique. Les actionnaires principaux sont
donc souvent eux-mêmes des industriels, et ils agissent en
tant que tels, et non pas COlnme des ren.tiers. Ce sont ces
milieux-là qui dominent également dans les Conseils de surveillance, tandis que de petits actionnaires n'ont guère de
chances d'être jamais élus aux Conseils de surveillance.
J...a conséquence en est que le Conseil de surveillance, le
plus souvent, ne défend que les intérêts des actionnaires
les plus influents, qui, eux, ne cherchent pas des dividendes
élevés, mais aspirent à dominer la société en question.
J...a réforme de 1.93ï n'a pas comhattu ces tendances du
droit des sociétés an.onymes, elle les a au contraire confirmées et protégées_ Ainsi, elle a très nettement renforcé la
position du Comité de direction par deux mesures. D'une
part, elle a enlevé au Conseil de surveillance le droit - qu'il
avait jusque-là -- de donner des directives au Comité de
direction en ce qui concerne la gestion des affaires. Les fonctions du Conseil de surveillanee, depuis lors, sont limitées à
l'exercice du droit de contrôle proprement dit. D'autre part,
elle a fortement limité les droits de l'Assemblée générale des
actionnaires. L'Assemblée « prjncipale » - comme on l'avait
nommée - n'a plus le droit de donner des directives au
Comité de direction, et elle est privée de son droit le plus
important, à savoir celui d'établir Je bilan annuel. A sa place,
le Comité de direction et le Conseil de surveillance sont chargés d'établir en commun le bilan et le compte des profits et
pertes. Il leur revient donc le droit de décider quelle partie
du bénéfice brut doit être utilisée pour des amortissements et
des réserves de toutes sortes, c'est-à-dire pour l'auto-financement de l'entreprise. Seul le bénéfice net, constituant en
général seulement une portion du bénéfice brut, se- trouve à
la disposition de l'Assemblée générale pour fixer le dividende.
On a souvent dit que la réforme de 1937 avait pour
95
�hut d'introduire dans le droit de la société anonyme le
« Führerprinzi p » conforme à l'idéologie nationale-socialiste .
C'est exact - mais ce n'est pas toute la vérité. La réforme
était guidée également et au même titre par le souci de renforcer l'autonomie des grandes entreprises et de libérer leur
direction de l'influence de tous ceux parmi les actionnaires
qui ne s'intéressent pas à l'entreprise, mais au seul bénéfice
Iéalisé et distribué comme dividende. Ces actionnaires-Ià, au
fond, ne sont pas traités en propriétaires de l'entreprise,
mais en bailleurs de fonds, somme toute un peu comme des
porteurs d' obliga tions. La loi leur reoonnaît le droit à un
dividende équitable, ils ont le droit de poser des questions
à l'assemblée générale et de demander des renseignements,
mais ils n'ont plus aucune influence sur la gestion des
affaires.
. .
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....
La loi de 1937 e$t restée en vigueur après 1945. La tendance-- nulle part exprimée en toutes lettres, mais partout
tangible - de placer les intérêts de l'entreprise au-dessus de
ceux du petit actionnaire, a IGême été renforcée par la suite
par les événements politiques. Vers 1950, les syndicats
ouvriers .ont réclamé une participation des ouvriers à la
gestion des entreprises. Le Gouvernement et le Parlement
ont réalisé ce vœu en reconnaissant aux ouvriers le droit de
déléguer des représentants élus et ayant droit de vote dans
les Conseils de surveillance. Dans la plupart des sociétés
anonymes, leur participation s'élève à un tiers des sièges ;
dans les Conseils de surveillance de$ entreprises de l'industrie du charbon ·et de l'acier, elle s'élève à la moitié des sièges.
Ces lois sur la cogestion qui datent de 1951 et de 1952, ont
d'autant diminué l'influence des actionnaires; la position
du Comité de direction, par contre, s'en est trouvée plutôt
renforcée, puisqu'il a maintenant en face de lui un Conseil
de surveillance composé de groupes aux intérêts fortement
d~vergents. C'est seulement la prospérité de l'entreprise qui
unit ces différents groupes au Con.seil de surveillance.
lIa prospérité assure aux ouvriers la stabilité de l'emploi
ainsi qu'un bon salaire, aux actionnaires, le bénéfice qu'ils
espèrent.
Avant de terminer cet aperçu de quelques traits caractérjstiques du droit de la société anonyme actu~llement en
vigueur en Allemagne, je pfmse qu'il sera peut-être utile de
le compléter par quelques d1iffres fournis par la statistique. Le Hombre des sociétés anonymes est en Allemagne
96
�n}oins élevé que dans la plupart des pays comparables.
JI s'élevait en 1914, à la veille de la première guerre, à 5.000.
·
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.
Il a fortement augmenté entre les années 1918 et 1923 pour
retomber jusqu'à environ 5.500 en 1938. Au cours des années
suivantes, un grand nombre de petites sociétés ont modifié
leur forme légale, de sorte qu'en 1941 on ne comptait plus
que 2.700 sociétés anonymes. On en compte à peu près autant
aujourd 'hui dans la République fédérale d'Allemagne. Cela
ne s'explique que par cette raison que la plupart des petites
sociétés financière'5 préfèrent la forme de la société à responsabilité limitée, la loi prévoyant des règles moins strictes
pour celle-ci. En particulier, la loi dispense les sociétés à
responsabilité limitée de la publication des bilans. Leur
nombre s'élève actuellement à environ 34 à 35.000. Mais le
total de leurs capitaux sociaux se chiffre à 10-11 milliards
de marks, celui des socjétés anonymes à environ 29 milliards.
Près de 30 % de ce capital nominal, d'après une statistique
officielle, sont aux mains d'autres sociétés anonymes. Puisque 50 % se trouvent à titre quasi permanent aux mains
_ d'autres actionnaires principaux, il n'y a que 20 % environ
qui appartiennent aux petits actionnaires. Toutefois, il faut
ajouter que les actions des sociétés-mères des grands trusts
des industries chimiques et minières, dont dépendent toutes
les autres sociétés faisant partie du trust, appartiennent
souvent à des dizaines de milliers de petits actionnaires.
Le bilan de la répartition des actions en Allemagne n'est
donc pas eIl réalité aussi défavorable qu'on pourrait le croire
d'après les données statistiques. Cependant il est clair que se
pose ici un grave problème de politique économique, auquel
!e législateur n'a pas manqué de s'intéresser.
n
Quel but le Gouvernement fédéral poursuit-il en présentant le projet d'uIl,e nouvelle loi $ur les sociétés anonymes?
On peut eQ distinguer plusieurs dont voici les principaux :
1) Il s'agit d'abord de réaliser un certain nombre d'améliorations souhaitées depuis longtemps. Ces améliorations
concernent moins les prjncipes de base que la technique
97
7
�juridique. Toute institution sociale vieillit ; elle se révèle
imparfaite et il s'agit de combler les lacunes. La jurisprudence et les statuts des soclétés ne sont pas toujours en
mesure d'y pallier. Certes, s'i! ne s'agissait que d'apporter
de petites améliorations de ce genre, ]e Parlement ne prendrait pas sur lui le pénible travail de réformer la loi. Mais si
en même temps des intentions politiques suggèrent une
réforme, la bureaucratie des ministères est toute disposée à
veiller en même temps à une llleilleure rédaction des dispositions législatives, même s'il s'agit de questions qui n'intéressent que le spécialiste. A cela s'ajoutent les comparaisons
établies avec les droits des sociétés anonymes en vigueur
dans d'autres pays. L€s minislères ue la justice, de nos jours,
ressemblent sur certains poinls aux bureaux de construction
des grcmdes usines de l'industrie automobile, par exemple,
où l'on observe avec attention les nouveautés que la concurrence lance sur ]e marché. C'est ce qui s'est passé dans le
projet de loi sur les sociétés anonymes. Par ailleurs, depuis
plusieurs années, différentes commissions d'experts ont mis
au point des propositions d'améliorations. D'après le jugement des connaisseurs, le projet représente du travail solide,
truffé çà et là de quelques solutions jntéressantes. Mais je
n'ai pas l'intention - et je n "aurais pas le loisir même si je
If voulais - de vous soumettre tous ces détails.
2) Parmi les intentions politiques du projet, il faut nommer en premier lieu la tentative de renforcer l'aspect de la
société anonyme en tant que groupement d'actionnaires
ayant les mêmes droits. Il s'~git d'atténuer, sinon de faire
disparaître, la priorité de l'entreprise et de ses intérêts, au
profit des actionnaires. Il est certain que les limites de cette
tentative sont assez étroitement tracées du seul fait qu'il y a
unanimité, dans l'intérêt de la sauvegarde de la paix sociale,
à ne pas réduire, voire supprimer, la cogestion économique,
e'est-à-dire l'infhl€nce des ouvriers sur la direction des
affaires par l'élection de leurs représentants au Consej} de
surveillance. Par ailleurs, personne en Allemagne ne songe
à supprimer la division entre Comité de direction et Conseil
de surveillance et à les remplacer par un Conseil d' administration ; on est convaincu qUt la solution allemande sur ce
plan a fait ses preuves. Mais au moins - à l'instar de
l'exemple français - le projet aurait pu renforcer' les droits
de l'Assemblée générale et du Conseil de surveillance par
98
�rapport au Comité de direction. Sur ce plan, le projet ne
répond pas à tout ce que l'on aurait pu en espérer. Comme
jusqu'à présent, le Conseil de surveillance a le droit de contrôle vis-à-vis du Comité de direction, mais non celui de
donner des directives. De même, l'Assemblée générale - sur
Ifl plan de la gestion des affaires -- n'a le droit de pr~ndre
des décisions que lorsque le Comité de direction demande
son avis. Rien n'est donc changé en ce qui concerne l'autonomie du Comité de direction. Même en ee qui concerne la
ques-Uon très discutée de savoir quel organe doit avoir le
droit d'établir le bilan, le projet ne change rien à la répartition des compétences prévues par la loi de 1937. La loi de
1937 avait attribué ce droit en commun au Comité de direction et au Conseil de surveillance, non à l'Assemblée générale. La survivance de cette solution est étonnante: car au
cours des dernières années on a très souvent demandé que
ce droit soit restitué à l'Assemblée générale. L'avant-projet
du Ministère de ]a justice de 1958 l'avait prévu, mais le
projet du Gouvernement de 1960, a repris la solution de la
_loi de 1937. Il reste à voir si le Parlement l'approuvera.
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Cependant, il faut reconnaître que le projet transforme
au bénéfice des actionnaires le fond des règles .s ur l'établissement du bilan. Jusqu'à présent, le Comité de direction et
le Conseil de surveillance étaient libres de décider quelle
partie du bénéfice brut devait être ajoutée aux réserves, et
quelle partie déclarée comme bénéfice net. L'Assemblée
générale pouvait seulement se prononcer sur la distribution
de ce bénéfice net. Dorénavant, le Comité de direction et le
Conseil de surveillance devront établir le bénéfice brut comme
bénéfice dit « de bilan ». Il reviel~dra à l'assemblée générale
de décider de son utilisation ; c'est elle qui devra dire quelle
partie verser comme dividende et quelle partie affecter aux
réserves.
Une autre disposition est peut-être encore plus importante. Elle prévoit que le Comité de direction et le Conseil de
surveillance n'auront désormais plus la possibilité de constituer des réserves dites secrètes, en évaluant arbitrairement
tI'op bas les postes de l'actif du bilan et trop haut ceux du
passif, en particulier en procédant à des amorti'3sements trop
importants, afin de soustraire le bénéfice brut aux actionnaires et de l'utiliser à de nouveaux investissements.
Il reste à attendre quel sera le suocès de ces mesures,
,
99
�'.
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Mais en tout cas ce point important montre que l'on cherche
à fortifier les droits des actionnaires vis-à-vis de l'intérêt
de l'entreprise. Un observateur étranger trouvera peut-être
curieux de constater que le législateur allemand se préoccupe moins de savoir comment empêcher les sociétés de
distribuer des bénéfices fictifs aux actionnaires au détriment
des créanciers de la société. Actuellement, le législateur
allemand se Sûucie plutôt de la question inverse, à savoir,
d)empêcher la société àe créer en quelque sorte des pertes
fictives ou tout au moins de ne révéler qu'une partie des
bénéfices réels.
Parmi les tentatives faites pour rétablir le régime démocratique de la société anonyme, il faut mentionner aussi la
ümdance à réduire l'influence considérable des banques, du
fait des voix dont. elles dispo~ent en représentant les petits
actionnaires. Les actionnaires qui J~e peuvent ou ne veulent
assister eux-mêmes à l'assemblée générale, se font d'ordinaire représenter par les banqu~s, où sont déposées leurs
actions, de sorte que la banque exerce le droit de vote pour
1: actionnaire. Les grandes banques collectionnent de. la sorte
souvent des milliers de voix qui leur confèrent un pouvoir
considérable aux assemblées générales, sans que la banque
en question ait investi son capitétl dans cette entreprise.
Le plus souvent les banques, qui ont fréquemment des sièges
au Conseil de surveillance, votent suivant les propositions du
Comité de directiol1, et renforcent, ce faisant, sa position par
rapport aux actionnaires. Cette pratique a souvent été âprement critiquée, majs on a dû se rendre àl'évidence que dans
l'intérêt des actionnaires mêmes~ on 1)e pouvait se passer du
secnurs des banques en tant que mandataires. La loi de 1937,
en conséquence, exige au moin.s que les pouvoirs soient délégués de façon explicite et par écrit. Le nouveau projet continue dans le même sens. Il oblige les banques à informer
leurs clients très exactement avant l'assemblée générale, à
kur demander des directives précises pour chaque question
il l'ordre du jour, et à mettre en évidence, lors du vote,
qu'elles exercent ce droit au Iwm de leurs clients. Toutes ces
réglementations risquent d'être fort gênantes et pour les
banques et pour leurs clients. Par ailleurs, il reste à voir si
elles permettront de réduire l'influence des banqu~s.
3) Ces dispositions servent en même temps à protéger
l'actionnaire en tant que tel. Il va de soi que l'action~aire
100
�doit s'incliner devant la majorité, mais celle-ci ne doit pas
abuser de sa prépondérance ni faire un usage illicite de ses
pouvoirs. La loi de 1937, déjà, prévoit une série de dispositions contre ces dangers; le projet vise les mêmes buts. Je ne
mentionnerai que deux possibilités : le droit de demander
des explications et des renseignements au cours de l'Assemblée générale, et le droit d'attaquer en justice les décisions de
l'Assemblée, si elles violent la loi ou les statuts, ou si elles
représentent un usage abusif des pouvoirs de la majorité au
détriment de la société ou des actionnaires minoritaires. Cette
action en annulation sera un peu facilitée daQs l'avenir,
puisque le projet permet de réduire la valeur de l'objet du
litige souvent tellement élevée qu'elle est prohibitive, le
plaideur courant le risque d'avoir à payer d'énorm~s frais
de procédure.
Le droit de demander des renseignements pose des problèmes délicats. D'une part, l'actionnaire doit avoir la
possibilité de s'infonner de manière à pouvoir juger en cOQnaissance de cause les sujets traités à l'Assemblée générale.
Ce droit ne doit pas seulement dépendre de la bonne volonté
de la direction de l'entreprise, en général peu disposée à
fournir des informations. D'un autre côté, les sociétés doivent être protégées des procéduriers qui tyrannisent les
Assemblées générales par leurs questions. Elles doivent également bénéficier du droit de ne pas répondre à certaines
questions, si la réponse doit nuire à l'entreprise. Le projet
de loi essaie de tenir compte des intérêts opposés, en modifiant prudemment les dispositions actuellement en vigueur.
n prévoit eQ effet une procédure spéciale au cas où la société
refuserait un renseignement, procédure qui garantit à
l'actionnaire une décision des tribunaux compétents à brève
échéance.
.."
~.
4) Un autre but poursuivi par la réforme, concerne les
règles sur la reddition des. comptes et la publication du bilan
annuel. La fonction de la société anonyme est de réunir de
grands capitaux par les apports de nombreux actionnaires
et de les utiliser de façon rentable. La société anonyme ne
peut remplir cette tâche convenablement que si elle rend
des comptes publiquement et de façon qui inspire confiance.
Il lui faut donc publier l'état de ses biens et le bénéfice par
elle réalisé. Ce n'est pas une idée neuve, mais on s'aperçoit
de plus en plus que cette publicité ne re.rt pas seulement les
101
�inté rêts des actionnaires et de~ créanciers de la société, et
qu 'elle concerne la communauté. Depuis toujours, les sociétés
anonymes, par opposition aux sociétés à responsabilité limitée , sont pour cette raison tenues de publier leur~ bilans.
Depuis 1931, la loi les oblige , en outre, à faire vérifier les
bilans par des commissaires aux comptes indépendants,
nommés par l'Assemblée générale, et à publier, outre le bilan,
un cOlnpte rendu. La loi de 1937 a élargi ces principes en
prévoyant des règles détaillée" quant aux différentes rubriques du bilan. D'autres améliorations, concernant eQ particulier le schéma du compte des profits et pertes, ont été
introduites par la réforme de 1959 . Le projet précise ces
dispositions. En particulier, comme je l'ai déjà indiqué, il
interdit de créer des réserves latentes. Le but de cette interdiction n'est pas seulement de favoriser le désir des actionnaires d) obtenir un dividende, mais également de permettre
au public de se faire une idée claire de la situation financière
des différentes sociétés . Il a été très pénible au public allemand d'apprendre que la Bourse de New York a failli refuser
l'admission des actions de certaines grandes entreprises
allemandes parce que leurs bilans n'étaient pas assez clairs.
5) Les dispositions du projet que j'ai indiquées jusqu 'ici n' ont en soi rien de révolutionnaire. Elles cherchent
à combattre certains défauts Je notre droit des sociétés anonymes par des remèdes qui ont déjà fait leurs preuves.
Il n 'en est pas de même en ce qui concerne un autre but que
le projet espère atteindre en prévoyant une série de dispositions nouvelles et intéressantes. Je veux parler de la réglementation de$ relations entre les différentes sociétés affiliées
à un groupe industriel. La loi de 1937 n'y consacre que quelques dispositions peu importantes. Il en est autremeQt du
projet de 1960 qui consacre à ces questions tout un chapitre
comprenant 47 paragraphes .
Les chiffres extraits de la statistique que j'ai citée tout
à l'heure, permettent de voir combien est forte la teQdance
des entreprises allemand€s . à renforcer leur influence en se
lIant avec d'autres entreprises. Je ne veux pas parler maintenant des ententes (des cartels), par lesquelles des entref.,rises d'une même branche, mais indépendantes les unes des
autres, s'unissent afin d'iQfluencer en leur faveur les prix
et d'autres facteurs économiques. Il s'agit ici plutôt des
groupes de sociétés que nous appelons. en allemand « con102
�terns )) ou, pour employer 1;expression du projet de loi., des
(( entreprises alliées
(verbundene Unternehmen). On en
connaît des formes très diverses. Le cas le plus fréquent est
celui-ci: la société-mère exerce une influence prépondérante
- soit en détenant des actions, soit par d'autres moyens sur une ou plusieurs sociétés-filles appartenant, soit à la
même branche économique, soit à une autre. Le plus souvent,
la « mère» livre une partie de sa production à la « fille »,
ou achète une partie de la production de celle-ci , Au point
de vue de la politique économique, de tels groupements ne
sont pas à condamner sous tous le,; rapports. En tout cas,
un groupe de sociétés, indépendantes sur Je plan juridique,
bien que étroitement affiliée:;, est préférable à une seule
entreprise aux dimensions gigantesques. A l'encontre de la
législation anti-trust aux U.S.A., le droit allemand n'autorise
ni les tribunaux ni aucune administration à dissoudre de
force de grandes entreprises ou les groupements établis entre
àifférentes sociétés. Le projet de la nouvelle loi sur les sociétés anonymes ne vise pas non plus à introduire de tels moyens
de force. Son but est plus modeste, mais peut-être plus réaliste: il che,rche à garantir l'ordre établi au sein des groupes
de sociétés par des moyens de droit et il cherche à protéger
les actionnaire~ et les créanciers de quelques dangers car~
téristiques.
J)
Le premier moyen prévu est d'élargir ici encore l'obligation de la publicité, que connaît déjà dans une certaine
mesure la loi de 1937. D'une part, il est intéressant de voir
que les groupes seront obligés dorénavant d'établir des bilans
d'ensemble pour toutes les sociétés affiliées au groupe, à
côté des bilans individuels de chaque société. Ceci rend manifeste qu'il s'agit, sur le plan ,économique, d'un grand corps
malgré l'autonomie sur le plan juridique des différentes
parties. D'autre part, il est prévu qu'une société anonyme
ayant réuni 25 % des parts d'une autre société 'financière,
sera obligée d'en informer celle-.ci.
.
•
'.:,w.
•
Le deuxième moyen du projet cOQsiste à limiter la compétence du Comité de direction à conclure des contrats d'affiliation (le projet les nomme « Contrats d'entreprises »,
Unternehmensvertraege). Le Comité de direction doit solliciter
pour ces contrats l'assentiment de l'Assemblée générale, vote
qui nécessite une majorité de trois quarts. Si le contrat eQ
question présente des dangers ou simplement des inconvénients pour une minorité d'actionnaires, il doit prévoir une
103
�'compensation financière , et leur accorder, en, outre, le droit
de céder leurs actions à l'un des contractants contre une
rémunération correspondant à la valeur de ces actions.
Le troisième moyen prévu est un système de responsabilités au sein du groupe. La société-mère peut donn,er des
directives au Comité de direction des sociétés-filles ; en
échange, ses organes sont responsables de leur gestion, non
seulement envers leur propre société, mais encore envers les
sociétés-filles. Si la société-mère pos$ède toutes les actions
de la société-fille, celle-ci, en droit allemand, n'en est pas
pour autant dissoute. Mais, d'après le projet, la société-mère
est également responsable vis-à-vis des créanciers de la
société-fille.
-""
Le Gouvernement espère que r,es mesures permettront,
sinon de lutter contre la forte tendance des entreprises à la
concentration, tout au moins d'empêcher quelques dangers
typiques que ce processus comporte. Mais ces mesures,
comme toutes les autres prévues par le projet, dépendent de
l'approbation du ParlemeQt. Le vote favorable est loin d'être
acquis. Il faudra quelque adresse pour défendre avec efficacité les dispositions que je viens d'esquisser, contre les attaques de certains groupements d'intérêts éocnomiques, qui
exercent uQe influence sur les partis politiques. Mais si l'on
,pense qu'une organisation économique libérale est une des
bases essentielles de la démocratie moderne, il faut souhaiter
le succès de cette réforme.
.,
. . .....
~
Ludwig
R'A ISER,
Professeur à la Faculté de Droit
et des. Sciences Economiques de Tübingen.
104
�L'ORIGINE ET LA PORTÉE
DE LA LÉGISLATION ANTI- TRUST
DANS LA
REPUBLIQ1!E FÉDÉRALE ALLEMANDE
"
.,
.
:
�"',"
"
�-
,
Llorigine et la portee
de la législation anti-trust
dans la
République Fédérale Allemande
Les six pays européens qui, il y a quatre ans, ont conclu
à Rome le traité instituant la Communauté Economique Européenne, poursuivaient le but de renforcer l'unité de leurs
économies et d'en assurer le développement harmonieux »,
comme il est stipulé dans l'article 2 du traité, « par l'établissement d'un marché commun et par le rapprochement
progressif des politiques économiques des Etats membres ».
Les six pays avaient conscience que pour atteindre ce but,
il fallait réunir deux 'Conditions : d'une part, la coordination des mesures de politique économique entre les différents
gouvernements, d'autre part, une opinion commune quant
aux principes directeurs va]ables pour chaque économie
nationale. C'est pourquoi l'article trois mentionne également
parmi les tâches que doit entreprendre la Communauté,
Il l'établissement d'un régime assurant que la concurrence
n'est pas faussée dans le marché commun », ainsi que « le
rapprochement des législations nationales dans la mesure
nécessaire au fonctionnement du marché commun ». Pour la •
même raison, ]e t1'aité lui-même comprend dans sa troisième
partie un chapitre sur « les règles de concurrence» et stipule,
aux articles 85 et 86, une série d'interdictions concernant
(c
107
�les pratiques des ent.reprises propres à entraver la libre
concurrence.
Il est 'Vrai que l'interprétation de ces dispositioQs est
très controversée en Allemagne et dans les autres pays de la
Communauté. Les organes de la Communauté sont en train
de mettre au point pour l'application des articles 85 et 86,
des directives qui sont prévues à l'article 87. Mais c'est précisément dans cette situation, qu'il me semble utile d'examiner les différentes structures économiques des pays de la
Communauté. Il s'agit là de questions qui concernent non
seulement l'économiste, mais au même titre le juriste, puisque c'est l'organisation juridique qui fournit la base et le
cadre du déroulement de la vie économique.
1
, -:
.
;
Les principes du libéralisme politique et économil(ll~, qui
étaient en vigueur dans toute l'Europe du dix-neuvième siècle, ont eu une grande influence en Allemagne, sans toutefois arriver à s'imposer au même deg.ré que par exemple en
Angleterre ou en France. L'Etat, en principe, s'est abstenu
d'intervenir dans la vie économique. Il y avait cependant des
exceptions. Dans certains domaines, comme par exemple
celui du trafic, il a vite regagné le terrain perdu. On peut toutéfois affirmer que le système de la libre concurrence dominait dans le conlffierce et dans l'industrie jusqu'à la première guerre. A ce système, correspondaient les principes
juridiques de la propriété privée des moyens de production,
de la liberté des contrats, et de la liberté du commerce et de
l'industrie. Lorsque les entrepreneurs, à la fin du dix-n,euvième et au début du vingtième siècle, dans de Qombreuses
branches de l'économie, en particulier dans les industries
de base, commencèrent à s'entendre sur les prix et les
autres conditions de vente, et à conclure des accords au
détriment de leurs acheteurs, la jurisprudence a reconnu
valables ces ententes (ces cartels), en vertu du principe de
la liberté des contrats. De ce fait, en Allemagne, le nombre
de ces ententes était part;culièrement élevé et grande leur
iQ.fl uence.
108
�La première guerre mit fin à l'ère du libéralisme. "Après
1918, les restrictions imposées par l'économie de guerre, ont
été successivement levées. Mais des domaines importants,
tel que celui des logements et des loyers, ainsi que le marché
du travail, restèrent sous le contrôle de l'Etat. Jusqu'à pré·
sent, ces marchés n'ont toujours pas recouvré leur indépendance. Les difficultés permanentes sur le plan économique
e1 social, nées des suites de la guerre, et qui s'aggravèrent
singulièrement après 1920, du fait de la crise économique
mondiale, obligèrent le Gouvèrnement de la République de
'Veimar il des interventions répétées dans tous les domaines
de l'économie,- afin de protéger les milieux menacés
Le législateur a essayé de réduire l'influence des ententes.
Il faut, à ce sujet, mentionner une ordonnance de 1923.
Cette ordonnance, toutefois, n'a pas interdit de conclure des
ententes ; les contrats, et les engagements qu'ils stipulent,
sont restés en vigueur. Elle devait, par contre, empêcher certaines pratiques des ententes, considérées comme un abus
de la puissance économique. Elle accordait des facilités aux
_contractants des ententes pour dénoncer les contrats. Sous
certaines conditions, l'ordonnance reconnaissait même au
Gouvernement le droit de rBsilier les ententes. L'interprétation et l'application de cette ordonnance, ont conduit à
une série d:arrêts intéressants des tribunaux, ainsi qu'à une
vive discussion en doctrine. L'efficacité de l'ordonnance sur
le plan pratique en tant qUI? moyen de lutte contre les
~ntentes, était cependant assez restreinte.
-,
'
Lors de la crise économique mondiale, on comptait en
Allemagne sept millions de chômeurs. A la suite du déc oul'agement général, il se manifestait une forte tendance au
radicalisme. La fin de la crise coïncidait en Allemagne avec
l'avènement du régime national-socialiste. Le gros de la
.population espérait qu'il tirerait le pays du marasme.
Il n'est pas nécessaire de vous dire ce que le nation,al-socialisme a signifié pour l'Allemagne et pour l'Europe. Il a
engagé l'Allemagne dans une aventure néfaste) qui s'est terminée en 19/,,5 par une effroyable- catastrophe. En politique
économique, cette époque s'est distinguée par un dirigisme
autoritaire. Les principes de toute so~iété libérale, à savoir
la propriété privée des moyens de production" la libre concurrence, la liberté du commerce et de l'industrie, ainsi que la
liberté des contrats, ne furent pas abandonnés d'un seul
coup, mais l'Etat, par des mesures législatives ou adminis109
�tratives, réduisit leur portéa peu à peu. Vers la fin du troisième Reich, pendant la guerr~, on était pratiquement arrivé
à appliquer le contraire de ces principes.
A la catastrophe de 1945, succédaient des an.nées de
misère, d'incertitude et d'une économie dirigée maintenue à
grand-peine. La monnaie était complètement dépréciée.
Au cours de l'été 19~8, les puissances d'occupation décidèrent une réforme monétaire radicale, mais salutaire. Il devenait alors possible de remplacer l'économie dirigée, qui était
néfaste et stérile, par une meilleure organisation économique.
C'est le mérite de 1\1. Erhard devenu depuis ministre des
affaires économiques, d'avoir eu le .courage de suivre ses propres convictions libérales, et les conseils d'un petit groupe
de professeurs et de praticiens, parmi lesquels il faut surtout
nommer Walter Eucken, en établissant une économie des
marchés basée sur la libre concurrence. Le succès que l'on a
pris l'habitude de qualifier de « miracle économique »
(Wirtschaftswunder) est la récompense de ce courage.
l'orientation choisie à ce moment détermine toujours nonobstant quelques fluctuations dans les détails - la politique économique du gouvernement fédéral, auquel M. Erhard
appartient toujours en tant que ministre des affaires économiques.
La conception de cette poFtique économique est libérale,
en ce sens qu'elle rej ette l'économie dirigée et en général tout
dirigisme. Elle fait confiance ù l'esprit d'initiative des entrer,reneurs. Cependant, sur deux points essentiels, elle diffère
des idées libérales du dix-neuvième siècle. D'une part. elle
reconnaît que l'égalité pour tous des conditions économiques
au départ, postulée par les théoriciens du libéralisme, est
une illusion. Toute économie, si sain.e soit-elle, connaît des
classes aisées et pauvres, et aucun régime démocratique ne
peut se permettre de refuser protection et secours aux économiquement faibles. En Allemagne, après la débâcle du natioHal-socialisme à la fin de la guerre: d'importantes mesures
de secours furent nécessaires en faveur des victimes de la
guerre, des millions de -réfugiés des régions de l'Est. etc.
C'est pourquoi l'Etat devait, même dans une organisation
lihérale, garder la possibilité d'intervenir çà et là pour protéger tel ou tel groupe de la population. Lorsque le Gouvernement fédéral qualifie son système économique d'économie
sociale des marchés (soziale Marktwirtschaft), il fait allusion
à la possibilité de prendre de telles mesures,
110
�La deuxième déviation par rapport aux idées du libéralisme classique, repose sur l'expérience que l' harmonie de
toutes les forces économ~ques, ne s'établit pas d'elle-même,
comme l'espérait le libéralisme, dès que l'Etat cesse d'intervenir dans ]a vie économique. Au contraire, l'économie ellemême engendre des forces tendant à perturber cet équHibre.
La théorie classique n'a pas suffisamment tenu compte du
phénomène de la puissance économique et des efforts faits
par les entreprises pour l'atteindre. Partout où ce phénomène
se manifeste, l'équilibre naturel entre l'offre et la demande
est rompu, car la libre concurrence se trouve entravée, sinon
éliminée. La théorie du néo-libéralisme s'attend donc sur ce
plan à une intervention de l'Etat afin d'empêcher que la
puissance économique aux mains des entrepreneurs, ne
prenne des proportions démesurées. Cet aspect met en relief
la fonction que la théorie du I1éo-libéralisme assigne à la loi.
Celle-ci ne doit pas seulement, suivant les postulats libéra.ux
du dix-neuvième siècle, accorder et garantir la. propriété
privée, la liberté des contrats et la liberté du commerce et
_de l'industrie, mais encore lutter contre la puissance économique. Nous aHons voir maintenant comment le droit allemand moderne essaie de remplir cette tâche.
II
On pourrait croire de prime abord que le droit allemand
n'est pas très bien préparé à cette tâche. Le Bürgerliches
Gesetzbuch - B.G.B. - , notre Code civil, est fils de l'époque
libérale. Il se fonde, cela va sans djre, sur le principe de la
propriété privée et sur celui de la liberté des contrats .
La protection judiciaire n'est refusée aux contrats privés
que s'ils contreviennent à une interdiütion légale ou offensent
les bonnes mœurs. J'ai mentionné tout à l'heure que pendant
des dizaines d'années, la jurisprudence a pour ,cette raison
considéré les entente~ comme licites. Toutefois, en dehors
du droit des ententes, elle a essayé, depuis 1920, de lutter
contre l'abus de la puissance éüonomique dans le cadre du
.
111
�droit des obligations. Les phénomènes que la doctrine française qualifie de contrats d'adhésion, fournissent des exemples caractéristiques. Dans ce& cas, la jurisprudence a. souvent déclaré nulles des clauses de contrat, qu'un entrepreHeur imposait à ses clients, si l'entrepreneur exerçait un
monopole, et abusait de sa puissance économique au détriment du client. La jurisprudence qualifiait ces clauses de
contraires aux bonnes mœurs, afin de pouvoir prononcer la
nullité prévue au paragraphe 138 du B.G.B. Mais il est évirlent que ces clauses n'offensent pas les bonnes mœurs au
sens traditionnel, mais la bonne marche de la vie économique, bref, l'ordre public économique. Les principes développés à cette occasion par lu. jurisprudence, gardent leur
importance jusqu'à nos jours ; mais en même temps, il est
évident que ce moyen ne saurait suffire pour lutter efficacement contre les excès de la puissance économique.
...... ' .
La Constitution de la Républiqué fédérale d'Allemag:Qe,
la « loi fondamentale » de 1949, est elle aussi fortement
imprégnée d'esprit libéral. Cela e$t manifeste surtout dans
sa première partie, comprenant un catalogue de droits fondamentaux ayant force obligatoire pour le législateur et pour
l'administration. La « loi fondamentale » accorde et garantit à chacun, de nombrèux droits individuels à l'égard de
rEtat. En particulier, il faut nommer l'article 2 qui garantit
~ tout homme le droit au libre développement de sa personnalité, puis l'article 14 qui garantit la propriété l)fivée .
IJ 'interprétation de « la loi fondamentale » oblige, de-ci~
de-là, à restreindre ces droits fondamentaux, mais il reste
que les libertés dont chacun jouit l'emportent de loin. Mais
la loi fondamentale» qualifie en même temps la République fédérale d'Allemagne d'cc Etat social ». Cette appel1ation
signifie à peu près la même oho&e que l'expression « économie sociale des marchés» (soziale Marktwirtschaft), à savoir,
robligation de l'Etat d'aider et de secourir la population
L'con omiquemen t faible, mais sans restreindre la liberté indi·
viduelle pour autant. La Constitution, par contre, ne mentionne nulle part la lutte contre les excès de la puissance
Économique.
(1
Pourtant, la théorie du nèo-libéralisme exige .c ette lutte.
Pratiquement, il faut mener cette lutte $i l'on veut maintenjr et voir fonctionner le système libéral des droits individuels. C'est pourquoi la législation anti-trust aux Etats-Unis
112
�est devenue un exemple important pour la doctri~e et le
législateur allemands. Aux Etats-Unis, la législation et la
jurisprudence ont engagé ]a lutte contre la puissance économique, qui menace la libre concurrence, depuis le Shennan
Act de -1890, davantage encore depuis le Clay ton Act et le
Federal Trade Commission. Act de 1914. Certes, cette lutte
n'a pas toujours été couronnée de suocès ; elle met en évidence les difficultés inhérentes :à cette tâche dans une démocratie moderne, où la puissance économique et la puissance
IJolitique s'allient facilement. Quoi qu'il en soit, en Allemagne, on essaie de tirer profit des expériences faites aux
Etats-Unis.
· . ..
L'exemple américain a pris pour nous une importance
pratique immédiate, lorsque après la guerre les puissances
d'occupation publièrent en 1947, sous le régime de l'occupation, les lois sur la décartelligation. Celles-ci étaient conçues
suivant le modèle de la législation anti-trust américaine,
mais elles étaient plus rigoureuses encore, puisqu'elles
visaient en même temps à réduire les forces économiques
en Allemagne. Au point de vue de la technique législative et
des garanties exigées par l'Etat de droit, ces lois étaient
mauvaises. Leur importance pratique fut pourtant asS&
considérable, puisqu'elles sont demeurées en vigueur penda~t
dix ans, c'est-à-dire même après l'abolition du régime de
l'occupation. Doctrine et jurisprudence ont eu largement
l'occasion, pendant ce temps-là, de s'initier aux principes
directeurs du système américain de la lutte contre les excès
de la puissance économique.
Entre temps, les tentatives n'ont pas manqué de remplacer les lois édictées sous le régime de l'occupation par une
loi de la République fédérale d'Allemagne. En 1952, le Gouvernement fédéral a soumis au Parlement un projet de loi ;
il en fut de même en 1954. Au bout de trois ans de discussions
et de débats parfois dramatiques, le Parlement vota, le 27
août 1957, la « Loi relative aux restrictions à la concurrence ». Elle est entrée en vigueur le premier janvier 1958,
(,t constitue, depuis, la base juridique la plus importa~te de
notre système économique des marchés. Je vais -e ssayer
maintenant de vous faire connaître les éléments essentiels
de cette loi, sans m'attarder sur les détails.
113
8
�III
La loi de 1957 concerne, comme son nom rindique, les
limitations de la libre concurrence. Elle ne vise Qature1lement que les limitations autres que celles ordonnées par le
législateur lui-même, pour protéger certaine~ parties de la
population. Elle concerne, en conséquence, les limitations
relatives à une ou à plusieurs entreprises. Cela veut dire aussi
que la loi ne s'applique qu'aux branches de l'économie où la
libre concurrence est établie suivant la volonté du législateur. Sont donc exclus tous les marchés que fe législateur a
réglés lui-même par des mesures plus ou moin~ dirigistes.
Il faut à ce titre mentionner. par exemple les transports,
l'électricité, le gaz et l'eau, les entreprises des industries du
charbon et de l'acier qui soni subordonnées à la 'C.E.C.A.
(Communauté européenne du charbon et de l'acier) ; et. surtout toute l'agriculture. La loi s'applique en principe aux
banques et aux compagnies d'assurance. Mais comme ces
{~ntreprises sont depuis longtemps sous le contrôle de l'Etat,
la surveillance de leur comportement vis-à-vis de la libre
concurrence relève pour une grande part des autorités chargées de ce contrôle spécial.
."
•••
t'l, ••
:
••
Parmi les restrictions de la libre concurrence que cette
loi cherche à combattre, il faut mentionner en premier
lieu les ententes d'entreprises (Kartelle). Mais landi s que
l'ordonnance de 1923 visait exclusivement les ententes, le
législateur a maintenant compris qu'il existe d'autres dangers menaçant la libre concurrence, et il a ·par conséquent
élargi la réglementation de façon à les englober. Il s'agit
d:une part des ententes qui excluent ou limitent la concurrence entre entrepreneurs d'un même Qiveau économique,
par exemple entre producteurs ou entre commerçants.
D'autre part, il s'agit des accords entre les producteurs ou
les commerçants et leurs acheteurs, imposant aux acheteurs
des conditions supplémentaires, concernant par exemple les
prix de revente, ou la région où l'acheteur aura seul le droit
de revendre, ou encore l'interdiction de vendre eQ même temps
les produits fabriqués par d'autres producteurs. <En outre,
le législateur essaie de lutter non seulément contre le monopole collectif créé par les ententes, mais encore contre le
114
..•:":" ··or
�monopole d'une seule entreprise, aussi dangereux que le premier sur le plan économique. Tl a donc prévu des dispositions
concernant le contrôle du comportement d'entreprises qui
dominent un marché, parce qu'elles n'ont que peu de concurrents ou même aucun. Il s'agit d'une loi importante
par le nombre de ses dispositions - il Y a 109 articles -et assez compliquée. Son application est d'autant plus délicate qu'au lieu des termes de droit clairement définis et
connus du juriste, la loi emploie fréquemment des notio~s
relevant de l'économie politique, afin de décrire les situations économiques qui permettent à l'autorité de surveillance
d'intervenir.
Aussi n'était-il pas possible de <confier le contrôle à
l'administration générale ou aux tribunaux. On a donc créé
une administration spéciale, l'Office fédéral des ententes
(Bundeskartellamt) dont le siège est à Berlin, qui est
chargé d'exercer le contrôle prévu par la loi. Cette administration relève du Ministère fédéral des affaires économiques
(Bundeswirtschaftsministerium). Toutefois, la loi prévoit des
- recours judiciaires contre ses décisions. En dernier ressort~
la Cour suprême fédérale (Bllndesgerichtshof), est compétente pour statuer.
Il serait erroné de considérer l'Office fédéral des ententes comme une autorité capable de prendre des mesures relevant de la politique économique et de les imposer par des
mesures dirigistes. Ses fonctions, et les moyens dont il dispose, ne sont pas éomparables à ceux dont disposent la
Haute Autorité de la C.E.C.A. au Luxembourg, ou la Commission de la C.E.E. à Bruxelles. La tâche de l'Office fédéral
n'est pas de diriger lui-même, mais d'assurer la libre concurr~mce: il doit veiller à ce que les dispositions. de la loi sur
les restrictions de la concurrence soient respeetées. Dans certains cas délimités par la loi, il peut intervenir dans un sens
ou dans l'autre, au moyen d'instructions ou d'autorisations.
Dans la mesure où les institutions européennes que je viens
de nommer sont, elles aussi, chargées de promouvoir la libre
concurrence ou d'empêcher qu~elle ne soit faussée, elles poursuivent le même but que l'Office fédéral des ententes. En tous
cas, la Commission de la C.E.E. à Bruxelles doit toujours se
limi-ter à poser certains principes pour la réalisation de ce
but. La tâche de.s autorités nationales, entre autres de l'Office
fédéral des ententes allemand, est par contre de veiller à la
réalisation de ce but.
115
�·"
Quelles mesures Ja loi de 1957 prévoit-elle afin de lutter
contre les dangers des limitations de la concurrence ? Jusqu'au moment du vote de la loi, ces mesures ont été J'objet
d'une violente discussion dans les milieux politiques. Les
partisans du néo-libéralisme - parmi lesquels il faut surtout
nommer Franz Boehm, professeur de droit à l'Université de
Francfort et député au Bundestag {la Diète fédérale) -- exigeaient, suivant l'exemple américain, une interdiction absolue, complétée par des sanctions pénales, de toutes les
fmtentes et de toutes les pratiques visant à limiter la concurrence. L'industrie et ses médiateurs dans les partis politiques
se sont fortement opposés à ces idées. Ils ont déclaré que les
ententes et d'autres limitations de la concurrence n'étaient
pas toujours forcément néfastes pour l'économie, qu'elles
étaient au contraire souvent utiles et même nécessaires) pour
éviter des dommages considérables causés par une concurrence ruineuse. Ils ont allégué qu'aucun autre pays européen
n'avait adopté les principes rigoureux de la législation antitrust des Etats-Unis, dont les succès étaient d'ailleurs sujets
ê'l caution aux Etats-Unis mêmes. Ils ont proposé de retourner
plutôt à la réglementation prévue par l'ordonnance de f 923,
c'est-à-dire d'admettre les ententes, en vertu de la liberté
des contrats, et de ne prévoir que des m·esures empêchant
eertaines pratiques qui passent pour un abus de la puissance
€conomique.
Comme résultat de ces longues discussions, le législateur
a fait un compromis. D'un côté, il n'a pas abandonné l'idée
Qéo-libérale, que la puissance économique risque d'être dangereuse si elle ~e trouve entre les mains d'entrepreneurs
privés, et qu'une vigoureuse concurrence est le meilleur
moyen pour prévenir ce danger. Mais d'un autre côté, le
législateur a reconnu qu'il y a des situations économiques
dans lesquelles certaines limitations de la concurrence sont
raisonnables au point de vue économique et qu'il existe des
cas où le législateur ne peut établir une concurrence qui ne
se développe pas d'elle-même. Pour ces cas-là, il s'est contenté de donner à l'Office fédéral des ententes la possiblité
de lutter contre l'abus auquel des monopoles collectifs ou
un;ques, pourraient employer leur puissance économique.
Cette conception est concrétisée dans la loi de 1957 par un
système assez compliqué de règles et d'exceptions ; ces
dernières sont en partie admises par le législateur lui-même,
116
�d;autres péuvent être reconnues par l'Office fédéral des
ententes sur demande des intéressés.
La disposition la plus importante de la loi est la règle
que les contrats contenant des ententes, ou d'autres accords
du genre mentionné tout à l'heure} sont inefficaces. Les
engagements pris dans ces contrats, ou les peines conventionnelles convenues, ne peuvent donc faire l'objet d'une
plainte devant les:- tribunaux d'Etat. Dans une certaine
mesure, cette interdiction est. garantie par des sanctions
pénales 'contre les tentatives d'éluder la loi. Mais cette règle
est suivie ' d'exceptions importantes: la loi elle-même admet
quelques types d'ententes qui servent à certaines fins économiques. Elle autorise, en outre, le Ministre des affaires
économiques à adnlettre, dans certains cas particuliers,
même des ententes d'un type qui, en principe, est interdit.
La loi prévoit des dispositions analogues pour les accords
limitant la concurrence entre fournisseurs et acheteurs. Ces
ententes sont interdites en principe, mais elles sont auiorisées dans un cas très important en pratique, à savoir,
lorsque le producteur d'articles de marque oblige le commerçant à vendre ses marcl)andises au public à un prix imposé.
<,
,
1.
...
...
_.
"
'.'
Le caractère de compromis de la loi est encore plus
manifeste, si l'on se réfèr~ aux dispositions essayant de
lutter contre les monopoles uniques. La législation antitrust américaine accorde une importance particulière à la
lutte contre ces monopoles. El1a autorise même les tribunaux
à dissoudre des trusts, si leur comportement entrave le jeu
de la libre concurrence. Par contre, la loi allemande
n'accorde à l'Office fédéral des ententes aucune possibilité,
soit d'empêcher de créer des entreprises aux proportions
gigal!tesques par la fusion de plusieurs entreprises, ou la
formatiol! d'un groupe composé de plusieurs sociétés, soit
de réduire des entreprises aux proportions démesurées en
en détachant des ent.reprises ou des membres du groupe.
L'Office fédéral des ententes ne peut intervenir contre les
entreprises qui dominent le marché que si elles abusent de
leur puissance économique ; il peut dans ce cas seulement
essayer d'interdire les pratiques répréhensibles. Cela explique que l'Office fédéral des ententes, depuis l'entrée en
vigueur de la loi, n'ait pas encore eu recours à ce faible
moyen, d'autant plus que son utilisation dépend de conditions difficiles à prouver. Si l'on veut combattre efficacement
la puissance abusive des entreprise& qui dominent le marché.
117
�les dispositions de cett€ partie de la loi doivent être 1'00forcées.
IV
Je dois rerioncer à VOtLS exposer les nombreuses questions de détail, parfois très intéressantes, que soulève notre
loi de 1957. En doctrine, l'interprétation de la loi continue
à être très controversée. L'Office fédéral des ententes est
entré en fonctions et s'applique à la tâche. Mai~ le nombre
des décisions de jurisprudence qui concernent la loi sur les
restrictions à la concurrence, est encore assez restreint. Les
expériences faite~ au cours de~ trois années depuis son entrée
en vigueur, ne suffisent pas pour juger définitivement la
valeur de la loi. C'est pourquoi je voudrais, en terminant,
a.jouter quelques remarques sur l'importance qu'il convient
d'attribuer à cette loi sur le plan du droit.
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Certains auteurs en Allemagne sont d'avis qu'il s'agit
simplement d'étayer par des moyens de droit une conception
de la politique économique, que le gouvernement juge opportune, et qui jusqu'à présent avait conduit à une amélioration
de la prospérité générale. C'est pourquoi ces auteurs comptent la lutte contre les ententes et les autres formes de la
puissance économique au nombre des mesures de l'interventionnisme ou du dirigisme d'Etat, mesures que l'on réprouve
en principe, mais tolère si des situations d'urgence les justifient. Ces auteurs, cependant, méconnaissent complète.ment
le sens de cette loi et les fonctions du droit vis-à-vis de l'économie. Au fond, ces avis sont basés sur l'opinion que la
seule organisation écon,omique légitime, est la liberté sans
bornes pour chacun, donc le laisser-faire, et que chaque
limitation de la liberté de l'individu devrait être considérée
comme intervention de l'Etat dans l'économie, intervention
permise seulement à titre d'exception. Mais en réalité~
1: organisation, économique libérale du « laisser-faire )) ne
suffit plus aux besoins de notre époque. Elle a certes conduit.
au 1g e siècle, à de grands succès, mais aussi à de grandes
injustices. Elle a amené, de ce' fait, tou~ les conflits sociaux
que connut l'histoire de l'Europe des cent dernières années.
Il en est résulté la conception marxiste d'une organisatipn
118
. .... ,. ..
�SOcIa1e et économIque qui repose 'Sur des .principes tout différents. Cette organisation, elle aussi, peut se référer à de
grands succès économiques. La preuve en est l'évolution de
l'U.R.S.S. : d'Etat agraire primitif, au début, le pays est
devenu un Etat industriel moderne. Le~ pays occidentaux
ne pourront se maintenir en face de l'U.R.S.S. qu'à condition de sa voir établir une organJsation économique non seulement plus rationnelle, mais plus juste et équitable. C'est
l'objet que poursuit, en dernier ressort, la loi allemande
contre les restrictions à la concurrence. Elle a pour but de
sauvegarder la liberté de l'individu, mais de sorte que cette
liberté ne se déploie pas aux dépen~ de eelle d'autrui. Pour
ce faire, il est nécessaire de limiter la puissance économique
d'une minorité par de~ moyens de droit, afin qu'un juste
équilibre entre les différents intérêts s'établisse dans l'économie libre des marchés. DanR la mesure seulement où cette
entreprise sera couronnée de succès, il sera justifié de préférer le mécanisme du marché libre au dirigisme d'Etat.
n me paraît nécessaire de souligner ces points de vue, en
tenant compte aussi de l' orgarüsation européenne commune
dont j'ai parlé au début de .cet exposé. Cette organisation ne
pourra se maintenir que si elle est juste et équitable. Il nous
faut donc absolument et avec insistance, malgré toutes les
difficultés, développer les débuts que constituent les articles 85 et suivants du traité de la C.E .E. La loi allemande
de 1957 n'est ,certainement pas un modèle idéal. Elle
contient, comme je l'ai signalé tout à l'heure, une série de
compromis peu conséquents et même des erreurs. Mais elle
indique tout de même la dir~tion dans laquelle il faut chercher la solution des problèmes économiques en Europe, sur
,ce plan. C'est pou~quoi il me semble que la loi allemande
contre les restrictions ~ la libre concurrence mérite quelque
intérêt même au-delà de nos frontières.
Ludwig
RAISER ,
Professeur à la Faculté de Droi'
et de.s Sciences Economiques de Tübingen.
119
�".
,.1.
�LES Dl'iMOCRATIES EUROPfJENNES
ENTRE LES DEUX GUERRES MONDIALES
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~.
�Les démocraties européennes
entre les deux guerres mondiales (1)
Si l'on prend comme principe de classification l'orga- nisation interne des Etats, on peut distinguer en Europe.
avant la première guerre mondiale, trois zones : Font partie
de la première zone les Etats démocratiques d'Europe occidentale, c'est-à-dim les Iles BritanQiques et, sur le continent, la France, les Pays scandinaves, la Belgique, la Hollande et la Suisse. Ces Etats possédaient avant t9a un
régime démocratique. La formation du gouvernement était
du ressort du Parlement. Dans les monarchies, les chefs
d'Etat n'apparaissaient plus comme des souverain.s en
matière politique. Les Chambres hautes avaient perdu leur
ca ractère féodal ou bien une grande part de leur importance face aux Chambres des députés ; le suffrage uruversel
était entré en vigueur ou sur le point de l'êlre. Les jalons
décisifs menant à la démocratisation avaient été posés à
une époque de grand essor économique. Cette nouvelle forme
de gouvernement n'avait été remise en question ni par des
crises économiques ni par des défaites militaires . La politique de prévoyance sociale ne figurait encore qu'en ma·rge
des tâches assumées par l'Etat et ne commençait que lentement à être mise en. pratique. Par conséquent, elle n'étail
(1) Conférenee faltes 11 l'InBtltut d'études politiques de l'Unlverolté d'Aix-MarseWe, le 18 avril 1961.
~23
�pas encore au centre des discussions politiques. L'Etat
n'avait pas besoin d'exiger de ses citoyens des sacrifices
matériels: qu'on se souvienne seulement des taux des impôts
sur le revenu de ces années-là, taux qui nous semblent
aujourd'hui il\croyablement bas. Jusqu'au début de la
guerre, la France n'avait pu se décider à instituer un impôt
sur le revenu. Il est important de noter que, dans ces pays,
le clergé des Eglises protestantes encouragea le processus
de démocratisation ou du moins ne le freina pas ; de la
même manière, dans les Etats à plusieurs confessions,
comme la Belgique, la Hollande, la Suisse, mais aussi dalls
une certaine mesure en France, le clergé catholique respecta
ce développement ; il s'efforça uniquement d'affirmer la
place de l'Eglise en face du libéralisme et de la laïcité.
Ces Etats sont des démocraties bourgeoises, dont, en dehors
de l'Europe, font seuls partiE les Etats-Unis d'Amérique.
Excepté en France, ce processus de démocratisation n'avait
entraîné dans aucun de ces pays de cl'ise de régime grave ;
encore la France l'avait-elle surmontée très rapidement.
La démocratie s'était implantée solidement. En principe,
elle n'était plus contestée. Les petits Etats n'avaient aucun
dessein d'hégémonie, ils ne menaient donc pas de politique
étrangère active, si bien que cette question ne constituait
pas non plus un sujet de différend en politique intérieure.
C'est pourquoi tous les Etats que je viens de nommer peuvent être considérés comme des démocraties stables .'
..
"
A cette même époque, les constitutions d'Espagne, du
Portugal, d'Italie et de Grèce étaient elles aussi plus ou
moins démocratiques, du moins d'un point de vue formel.
Mais certaines conditions faisaient défaut dans ces pays
pour que la démocratie puisse s'y implanter solidement.
Ils avaient conservé leur caractère féodal, bien qu'à des
degrés différents . Le pourcentage élevé d'analphabètes, de
grandes difiérences entre les revenus et l'absel\ce d'une
classe sociale moyenne entravaient le processus de démocratisation, interrompu voire remis en question par des
phénomènes révolutionnaires. L'Italie constituait tme exception, bien que les conditions sociales y aient été identiques
!J celles des autres pays cités. Mais l'instabilité- politique,
caractéristique de ces pays, fut atténuée en Italie par la
virtuosité dont fit preuve sur le plan de la tactique parlementaire le libéral Giolitti, qui fut à plusieurs reprises présiden.t du Conseil entre 1895 et 1914,. Dans tous ces pays,
124
�le clergé catholique s'efforça d'entraver, sinon d'annuler
le processus de démocratisation. Il était soutenu par la
classe dirigeante de caractère féodal, à laquelle de son côté
i1 apportait SOn soutien, et combattait les courants libéraux
et bien plus encore les courants révolutionnaires de tendance socialiste. D'autre part, l'emploi de procédés démocratiques ne fut possible dans ces pays que grâce au grand
essor économique que le monde connut dans cette période
de paix de plus de quinze ans. Ainsi, dans la première zone,
les démocraties stables faisaient face aux démocraties
instables.
...
La deuxième zone est constituée par les Etats de " légitimité traditionnelle >J , c'est-à-dire les monarchies constitut.ionnelles d'Allemagne, d'Autriche-Hongrie - je ne considère ici ni la Turquie ni la Russie dans son ensemble. Bien
que restreint par la constitution, l 'héritage de l'absolutisme avait été conservé dans ces Etats. La Chambre haute
gardait encore un caractère féodal accusé. Le monarque
gouvernait, il était à la fois à la tête de l'appareil militaire
. et administratif. En matière de législation, le Parlement
]l'était que l'un des trois partenaires. L'historien suisse
Werner Naer a appelé l'empire bismarckien " une monarchie
avec une annexe démocratique >J. Grâce à une magistrature
hautement qualifiée et à une bureaucratie homogène et éga:ement qualifiée, l'Etat de droit était strictement respecté
dans ces deux Etats. C'est là que le positivisme atteint en
matière de droit son apogée . Si les frontières Nord et Ouest
du Reich allemand et la frontière Ouest de l'Autriche-Hongrie séparaient le domaine de la démocratie de celui oit
l'autoritarisme était étahli constitutionnellement, par
contre, en Europe la zone de l'Etat de droit, dontla condition
première est la séparation des pouvoirs, s'étendait jusqu'à
la frontière Est de l'Allemagne et jnsqu'aux frontières Est
et Sud du domaine des Habsbourg. L'organisation de l'Etat
était stable grâce à J'existence d'un monarque qui exerçait
effectivement le pouvoir et au bon fonctionnement d'une
bureaucratie unifiée. En revanche, l'existence de l'Etat en
Autricbe-Hongrie et dans le Reich était rendue instable
par la possibilité d'une crise: en Autriche-Hongrie à cause
des poussées centrifuges des nationalités, dans le Reich à
cause dn nombre toujours croissant, au Parlement, des socialistes qui étaient alors antimonarchistes et antibourgeois.
Il est beaucoup plus difficile de définir la troisième
125
�ZOne. Il s'agit de cette reglOn de l'Europe de l'Est, du
Centre et du Sud-Est à carac/ère essentiellement ou exclusi~ement agraire, où prédominent encore fortement les conceptions de caste et de société féodale. L'Etat de droit s'y heurte
à cet ordre social féodal sans parvenir à s'imposer à lui,
comme c'est le cas en Europe Occidentale et Centrale.
Le bien-être économique, qui s'épanouit en Occident, pénètre
Ù peine ou dans une très faible mesure dans ces régions.
Mème là où sïnstaure le processus d'industrialisation,
l'ordre féodal subsis/e, ou ten/e d'adopter, à sa manière,
réconom'e d'entreprise bourgeoise. Les Eglises sont d'orientation autori/aire ou féodale, tout au moins antidémocratique, le pourcentage des analphabètes est très élevé .
Appartiennent à cette zone, les territoires de l'Etat
russe à population russe qui ont, du fail de leur passé, un
mode ùe vie de conception occidentale, c'est-à·dil'e les provinces baltiques et la Pologne, mais aussi la Finlandé.
Celle-ci occupe une position particulière dans la mesure où
elle jouit d'une certaine autonomie, bien qu'avec le temps
celle-ci soit peu à peu restreinte par les Russes. Elle entretient des rappol'/s étroits avec le monde scandinave, tant
par suite de sa position géographique que grâce à la classe
supérieure, d'origine suédoise, qui joue encore Ul! rôle politique prépondérant, malgré une prise de conscience croissante au sein de la population finnoise. A cette zone appartiennent en outre les Etats balkaniques, nés au cours du
19' siècle dans le territoire européen de l'Empire ottoman,
avec leur population en majorité de confession gréco-caiholique, Ces jeunes Etats sont gouvernés de façon autoritaIre
pal' des dynasties en partie étrangères ; ils se trouvent dans
une situation tl'ès instable, pal' suite de leurs dissensions
nationales et pal' manque de toute consolidation. Cette zone
est caractérisée par le mélange des nationali/és, qui donna
naissance à la multiplicité des ,( petits nationalismes » .
Dans cette zone, l'Autriche sc distingue en tant qu'« Etat
englobant plusieurs peuples », en tant que « puissance
politique supranationale ».
Il faut donc distinguer trois zones : une zone démocratique, une zone de mouarchie constitutionnelle et un.e zone
ùe pouvoir autoritaire prédominant. La pa;x - de BrestLitowsk, en 1918, conduisit à séparer de la Russie les territoires ù mode de vie d'orientation européenne, comme la
Pologne, les provinces baltiques el la Finlande, Ces pays
126
�se trouvèrent par là protégés du bolchevisme. D'après les
COl\ceptions allemandes des monarchies constitutionnelles
suzeraines, dépendant plus ou moins étroitement de Vienne
et Berlin, devaient prendre naissance dans ces territoires ;
ce point de vue était fortement inspiré aussi par la peur de
la révolution sociale agraire qui menaçait de l'Est. Dans
les cercles influents d'Allemagne on s'intéressait alors en
premier lieu à une domination militaire et à une exploitation
économique. (Max Weber avait conseillé à l'Allemagne de
soigner ses relations avec les Etats slaves de l'Ouest, pour
ne pas les contraindre à s'aligner sur la Russie. Ses articles
avaient paru dans la « Frankfurter Zeitung » en 1915-16,
par conséquent avant la révolution bolcbevique),
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Les défaites militaires de l'été et d'automne 1918
Gbligèrent l'Allemagne à renoncer à ces conceptions. Elles
furent remplacés par le plan que soumit le président ùes
Etats-Unis victorieux, Woodrow Wilson. Dans ces a points
Wilson réclamait pour les peuples qui s'étaient trouvés sous
. domination étrangère le droit de disposer d'eux-mêmes et
leur démocratisation,
Dans les pays de la zone d'autoritarisme féodal, pays
nés de l'affaiblissement des Etats qui les avaient dominés
- Allemagne, Autriche-Hongrie et Russie - il aurait été
difficile d'envisager, même sans ies conceptions constitutionnelles de Wilson, une autre possibilité que la création
d'un gouvernement démocratique. Il n'y avait pas de prétendants au trône qui auraient pu être tenus pour légitimes.
La classe supérieure féoda le s'était discréditée par sa « collaboration » avec les Etats jusque là souverains. Les bolchevistes n'avaient aucune possiblité d'action, car l'opposition
au communisme russe n'était pas moins forte que celle qui
avait existé contre le régime tzariste russe. Une dictature
n'avait aucune raison de s'établir, car l'affaiblis5ement des
anciens Etats souverains par suite de leur défaite et des
,évolutions avait éliminé toute opposition. D'autre part,
j'empire austro-hongrois se serait disloqué, même sans
l'initiative de Wilson ; car celui -ci n'avait prudemment
laissé entrevoir aux diverses populations d'autre perspective
que l'autonomie, Après la mort de l'empereur FrançoisJoseph, cet Etat n'aurait pas résisté à un,e défaite. Et les
pays autrefois russes, détachés par la paix de BrestI.itowsk .. se seraient également, , ans grand effort, rendus
indépendants, peut-être d'une façon légèrement différente .
127
�L'Allemagne leur avait donné l'impulsion nécessaire pour
devenir des Etats, mais n'était plus en mesure de leur accorder son soutien.
Après la première guerre mondiale, l'Europe fut tout
d'abord un continent d'Etats démocratiques à l'exception
de la Russie, de la Turquie et de la Hongrie. Le dictateur
turc Kemal Atatürk avait en vue un gouvernement démocratique dans le cadre de son entreprise d'européisation à long
terme. Quant à la Hongrie, j'y reviendrai plus loin. A la fin
de la guerre et au début de la période de paL"', la démocratie
était devenue pour le monde une formule magique . Il en
était de même pour les Allemands, au début même pour la
plupart des milieux de droite. Car même ceux-ci étaient, plus
01' moins à contre-cœur, encl ins à sacrifier les monarchies
constitutionnelles pour obtenir une paix suppork~ble, garantissant Ull statu quo. Ainsi, à la fin de i9i8, les Allemands
étaient prêts à accepter un gouvernement démocratique,
mais ils n 'y étaient pas mentalement préparés.
En 1919, après que la monarchie se filt effondrée d'une
llIanière surprenante, l'Allemagne improvisa une démocratie .
La Constitution de Weimar fut en première ligne le résultat
de la collaboration des conservateurs et des libéraux. Lors
des dél ibérations concernant l'organisation du nouvel Etat
il édifier, les socialistes s'abstinrent, de mème que le
ZentruDJ, parti catholique.
,
f
La nouvelle Constitution fut mise sur pied dans un
laps de temps étonnamment court, compte tenu de l'examen
réfléchi relativement poussé qui présida à son élaboration.
On lui impute aujourd'hui la responsabilité de l'effondrement du Reich . Mais il faut se remémorer les circonstances
dans lesquelles fut élaborée la Constitution de Weimar.
D'une part, l'influence des monarchistes, modérés il est
. vrai, était prépon.dérante lors des délibérations . Après un
examen judicieux de la situation, ils étaient devenus des
démocrates républicains, mais pendant J'élaboration, ils
s'inspirèrent de la conception de la monarchie constitutionnelle. D'autre part, le souci touchant la nouvelle démocratie
]Jersistait : résisterait-elle aux immenses difficultés qui se
manifestèrent tout d'abord dans différentes régions du Reich
sous la forme de soulèvements. Au fond, la Constitution
n'avait rien établi d'autre qu'un ersatz de monarchie, qui
de par ses institutions avait perdu presque tout caractère
128
�féodal. Mais la droite cessa de sympathiser avec la déme}cratie et prit une position anti-démocratique au moment
même où la République de Weimar perdait l'un de ses atouts
majeurs: la chance d'ohtenir une paix, qui garantissait pour
l'essentiel un statu-quo, lui était arrachée par la notification des conditions du traité de paix.
L'idée simpliste, dépourvue de diguité tant du point de
vue national que de la politique constitutionnelle. d'un troc
entre l'établissement de la démocratie et l'obtention d'une
paix de statu-quo, idée qui trouve aussi sa source dans la
propagande de guerre des alliés, perdit ainsi tout fondement.
A partir de ce moment-là, la République de Weimar et la
,. paix imposée de Versailles li fUTent étroitement et indissolublement liées dans l'esprit de la droite.
Pow' le groupe formé du Centre (Zentrum), des démocrates et des socialistes, il importait de maintenir, en éliminant la plupart des risques, l'existence dn Reich. S'ils
. élaient divisés entre eux sur d'antres problèmeset notamment
en matière de politique sociale, économique et rulturelle, ils
SI; trouvaiel1t réconciliés en ce qui concernait la démocratie.
Ils s'efforcèrent d'obtenir une révision du traité de paix, de
telle sorte qu'il se rapprochât autant que possible d'une
paix de statu quo et limitèrent tout d'abord leur action en
politique extérieure jJ cet objectif. En face d'eux, l'autre
groupe, celui de la droite, réclamait en politique intérieure
une restauration du régime d'autoritarisme constitutionnel.
Elle s'efforçait d'obtenir, elle aussi, une révisioI\ du traité
de Versailles, mais avec beaucoup plus d'impatience et d'une
manière beaucoup plus radicale. Cette ambition masquait
l'objectif réel qui était de renverser en fait l'issue de la
première guerre mondiale. Les deux idées forces, qui se fondaient l'une dans l'autre, étaient la monarchie bismarckienne et la dictature de Ludendorff. De puissants intérêts économiques, notamment dans l'industrie lourde et les
grosses exploitations rurales, étaient liés à ces desseins de
restauration en politique iI\térieure comme en politique
l'xtérieure. A cause de ces intérêts la droite se rapprocha
temporairement de la démocratie, cela cl 'autant plus qu'elle
tn était réduite, pour lutter contre les revendications sociales
des socialistes, à faire de temps à autre cause commune avec
k Centre et les Démocrates, lesquels de leur côté et pour
les mêmes raisons agissnient de concert avec elle.
129
9
�La monarchie constitutionnelle aurait pu supporter
les conséqueQces de la défaite militaire. Pour la démocratie,
improvisée et cbancelante, le traité de Versailles représentait un fardeau considérable, un obstacle sérieux à son
essor. Et pourtant, il semble exagéré de vouloir prétendre
que l'échec de la République de Weimar soit dît au traité de
Versailles ainsi qu'au système de la représentation proportionnelle.
..
".
Telle était la situation en Allemagne après la fin, de la
guerre. Les démocraties traditionnelles et stables de l'Europe
occidentale, d'Angleterre, de Belgique, de Hollande, de
Suisse, ainsi que des trois pays scandinaves avaient su
mettre en œuvre une vaste politique de prévoyance sociale,
conditionnée directement ou in.directement, idéologiquemen t
ou matériellement par la guelTe. Elles avaient également su
poursuivre le développement d'une politique constitutionnelle orientée vers une démocratIsation totale. Dans ces
pays, les difficultés nouvelles, auxquelles l' Etat devait faire
face dans la période d'après-guerre, n'avaieQt pas été imputées aux institutions démocratiques traditionnelles.
Toute autre était la situation rlans les Etats de l'Est et
dn Sud-Est de l'Europe. D' un côté de nouveaux Etats se
créèrent comme la Pologne, la Finlande et les pays baltes.
de l'dutre des Etats, déjà existants, comme la Roumanie et
la Yuugoslavie, s'agrandirent dans une telle mesure qu'ils se
trouvèrent placés devant de, problèmes ct 'intégration à peine
solubles. Tous ces Etats reçlU·ent. une constitution démocratique à régime parlementaire SUI' le modèle occidental ou
bien ils transformèrent dans le même sens le régilTlé autoritaire jusqu'alors en vigueur chcz eux. Ces démocraties
lInprovisées n'étaient pas mentalement préparée~ et
n'avaient pas profité de l'expérience nécessaire pour se
transformer en démocraties modernes de Illasses du type
Etat-Providence, expérience que les démocraties traditionnelles avaient acquise au cours de leur développement progressif. L'étape intermédiaire fit défaut lors du passage du
~ystème féodal autoritaire à la démocratie sociale du type
Elat-Providence. Dans ces nouveaux Etats, la c,Iasse
.ociale supérieure, dans la mesure où elle avait existé, était
réduite à l'impuissance - en partie aussi dans le domaine
economique par suite de la réforme agraire -. Il leur manquait également une bureaucratie capable et des bommes
politiques expérimentés. Un obstacle sérieux à l'intégration
150
�etait constitué par l'existence de minorités nationales, parfois très importantes, qui parvinrent à s'imposer grâce an
wrntin proportionnel. Ces nonveaux Etats se trouvèrent
coupés de grands ensembles économiques, cet isolement les
plaça en face de graves problèmes économiques et sociaux ;
les suites de la guerre entraînèrent également pour eux des
charges qu'ils durent, pour une grande part , supporter
seuls. La Roumanie et la Yougoslavie, séparées de l'Union
économique a ustro-hongroise, durent , elles aussi, faire face
à des problèmes non moins difficiles . La Bulgarie, la Hongrie et J'Autriche subirent de telles amputations territoriales que leur existence économique s'en trouva menacée .
A cela s'ajoutait la crainte de ne pouvoir défendre une existence nationale à peille fondée ou bien un accroissement
territorial extraordinaire. Ces Etats étaient redevables de
l'un comme de l'autre à J'affaiblissement ou à l'effondrement des trois grandes puissances. La restauration de
"Autriche-Hongrie était certes très improbable, mais l'Alle· magne et la Russie existaient toujours et pouvaient peutêtre un jour réclamer avec insistance ce qu 'elles avaient
perdu . Mais avant tout, les Etats voisins de la Russie soviétique vivaient dans la crainte des répercussions que sa politique intérieure pouvait avoir à l'extérieur. Bien qu'à des
degrés différents, les conditions préalables nécessaires à
l'établissement d'un régime démocratique étaient totalement
êbsentes, tant sur le pl~ politique que social - à quelques
exceptions près sur lesquelles je reviendrai. C'est pourquoi
dans la plupart de ces pays différentes sortes de dictatures
apparurent au cours des quinze années qui suivirent. Elles
fu,.ent instaurées par des militaires, des chefs politiques ou
par des monarques eux-mêmes, grâce à des coups d 'Etat
plus ou moins apparents, ou à des soulèvements provoqués
par des mouvements organisés. ~Iais elles résultèrent de la
défaillance du système parlementaire, qui avait conduit à
tlne paralysie de la fonction élémentaire de l'Etat.
On peut parler de dictatures fonctionnelles, dont la
tâche était tout simplement de maintenir l'Etat dans son
intég,.ité . Il s'agit même pour une part de dictatures « édn ·
catives " dont l'existence devait n'être que passagère, jusqu'à ce que des conditions politiques et sociales sa tisfaisantes aient été créées. Il s·agissait moins d'objectifs idéologiques ou bien encore de donner à l'Etat une forme précise,
que de conserver simplement en vie un Etat surgi à l'impro131
�\'Ïste ou subitement agrandi. C'est pourquoi ces dictaf.ures
furent toujours plus ou moins modérées. L'Etat de droit,
dans la mesure où il s'était implanté, fut conservé tel quel,
et il lui fut à. peine porté atteinte . Plusieurs de ces dictatures étaient ouvertement antifascistes, comme el\ Estonie
et en Roumanie, où il existait des organisations fascistes qui
furent combattues par les gouvernements autoritaires. Les
dictatures n'avaient pour la plupart aucun~ orientation
idéologique et ne s'appuyaient pas sur des mouvements organisés ; elles furent consolidées par les institutions , comme
en Estonie et en Lettonie, et dans une certaine mesure
aussi en Pologne où les pouvoirs présidentiels. d'abord
réduits, furent renforcés. Mais le régime démocratique avait
toujours au moins une chance d'être restauré, lorsque le
développement social aurait atteint le niveau suffisant.
Je dois encore attirer rapidement vojre attention sur
quatre exceptions qui échappent à ce phénomène, caractélistique du développement politique constitutionnel. En Finlande, la démocratie se maintient même pendant la seconde
guerre mondiale, malgré l'alliance avec l'Allemagne national-socialiste. La Finlande fut le seul Etat démocratique à
combattre aux côtés de l'Allemagne. et il fut le seul. avec
le Japon, à sauvegarder son indépendance en face d'Hitler.
Il la défendit également après 1945, face à la Russie soviétique victorieuse. Dans ce pays il existait une tradition
démocratique libérale à tendance anti-autoritaire, qui se
combina à une attitude anti-russe . L'influence scandinave
s'y fit également sentir.Dans leur conception de la démocratie il n 'y avait aucune différence essentielle entre la
Suède et la Finlande.
En Finlande aussi la constitution fut d'abord extrêmement démocratique ; en 1930, les pouvoirs présidentiels
furent constitutionnellement renforcés. snrtout sous la pression du mouvement Lappo. Ce mouvement « paysan » à
caractère fasciste était aussi encouragé par le clergé luthérien. Avec le renforcement des pouvoirs présidentiels, il
obtil\t l'interdiction du parti communiste, mais disparut
bientôt lui-même. Il avait rempli l'a fonction. L'homme que
Ip mouvement Lappo avait porté au pouvoir, le vieux et
sage président du conseil, Svinhuvud, rompit avec lui. Le
programme antidémocratique de ce mouvement ne trouva
plus de grande résonnance et il subit. en 1938, une défaite
électorale qui l'anéantit.
132
�·1
ta democratie se maÎntint de même en Tchécoslovaquie
jusqu'à son anéantissement par Hitler. Dans ce territoire
qui était bien le plus industrialisé de la vieille Autriche-Hongrie, les conditions sociales nécessaires à un régime démocratique se trouvaient réunies . Parmi les peuples slaves
d'Occident, les Tchèques comptaient le moins d'analphabètes. En Bohême, une bureaucratie de formation solide, expérimentée et sûre, existait déjà du temps des Habsbourgs.
Cette bureaucratie issue de la classe moyenne et même supérieure devint un facteur de stabilisation pour le nouvel Etat
que ses minorités risquaient d'affaiblir. La classe moyenne
y était puissal!te. Dans la bourgeoisie tcbèque s'était aussi
formée une tradition démocratique au cours de sa lutte cont.re la prédominance allemande sous la monarcbie autrichienne. L'existence d'un parlemel\t librement élu, chose
inconnue des Etats de J"Europe Orientale, lui en offrait la
possibilité. Les minorités étaient traitées de façon relativement libérale dans le domaine politique, mais beaucoup
moins sur Je plan économique et social. Elles n'eurent pas
une action aussi désintégrante qu'en Pologne, mais par
. contre leur pression rapprocha les uns des autres les partis
tchèques. Il ne faut surtout pas sous-estimer la force d'intégration qui émanait de Masaryk, fondateur réel de cet Etat
que le plan WilSOn n'avait pas prévu . Il fut l'homme supérieur qni sauvegarda l'Etat dans son intégrité. ce fut une
figure des plus respectables, pour ainsi dire le FrançoisJoseph de la Tchécoslovaquie. Un mouvement fasciste se
développa sous la conduite du général Gayda. mais une tentative de subversion fut étouffée en 1933. Des cinq partis
de la minorité allemande Ul\ seul était fasciste : le parti
national-socialiste. En Slovaquie et en Croatie subsista un
mouvement autoritaire, partisan ùe l'autonomie, d'organisation fasciste, dirigé par le clergé ; mais il ne parvint au
pouvoir qu'en 1938, gràce à Hitler. La démocratie tchèque
était une démocratie stable.
_-,..
1
En Autriche les conditions sociales étaient en gros les
mêmes qu'en Tchécoslovaquie. Dans la vieille monarchie,
ces régions avaient été les plus orientées vers l'Occident.
Mais les conditions politiques étaient totalement différentes.
Ce pays avait été jusqu'en 1918 le noyau d'un Etat comprenant différentes populatiol\s. Il ne voulut d'abord pas deveuir Etat 'indépendant, mais il y fut obligé. La population
catholique, principalement paysanne, avait eu envers une
133
�,
·
'.
t!lOnarehie où la dynastie régnante était cathoIîque, une aLtitude heaucoup plus positive que cela n'avait été le cas dans
le Reich allemand. Pour la même raison ils inclinèrent,
après l'écroulement de la monarchie, à des tendances autoritaires. Pal' contre, le parti socialiste autrichien appartenait avant la première guerre mondiale à l'aile gauche de la
deuxième Internationale. Sous l'Empire hismarckien, le centre et les socialistes avaient été, biell qu'à des degrés différents, frappés de discrimination: ils avaient pourcetle raison
lJeaucoup coopéré et s'étaient rejoints sous la République
de Weinlar dans une poli t'que gouvernemntale commune.
En Autriche, au contraire, l'ancienne opposition se maintint aussi forte et se renforça même. A cela s'ajouta le fait
que les socialistes autrichiens désiraient le rattachement à
l'Allemagne, tandis que les démocrates-chrétiens, conduits
par Seipel, ne le voulaient pas. Le rattachement aurait probablement mené à un apaisement intérieur en Autriche. Les
r.ationaux-socialistes autrichiens étaient en majorité antilIOcialistes et favorables au rattachement. Celui-ci aurait
vraisemblablement eu aussi une influence modératrice sur
les partis du Reich al'emand . Mais il était impossible,
surtout du point de vue de la politique étrangère. \1 aurait
fait de la Hongrie, aux aspirations révisionnistes, la voisine
immédiate de l'Allemagne ; et la Tchécoslovaquie aurait été
solidement encadrée de territoires allemands. L'Italie fasciste, elle aussi, était opposée au rattachement à cause du
Tyrol du Sud. E]le encourageait donc avec vigueur les aspirations autoritaires des chrétiens-sociaux autrichiens. Le
fascisme était alors à la fois le modèle et l'adversaire.
En mal' 1933, en s'appuyant sur de puissantes formations
paramilitaires, Dollfuss créa ~ la faveur d'un coup d'Etat
un régime dictatorial. Cet" Etat corporatif chrétien » était
dirigé aussi bien contre la " démocratie rouge" et la " Vienne
rouge» que contre le rattachement de l'Autriche à l'Allemagne national-socialiste. L 'Autriche était \lne dictature plus
idéolngique que fonctionnelle.
Quant à la Hongrie - et c'est la quatrième exception elle conserva la seule monarchie féodale et constitutionnelle
cl'Europe ; elle s'y maintint - sauf pendant une courte
interruption - après la guerre et malgré l'effondrement de
la monarchie danubienne. Le traité de paix retira à la
Hongrie les deux tiers de son ancien territoire. Mais c'est
justement de ce fait que l'ancien régime survécut. Les
134
�~Iagyats perdirent une part considérable de leur pays, mais
en même temps aussi leurs ennemis du Banat, de la TraDsylvanie, de Croatie et de Slovaquie, qu'ils avaient ju~que là
tenus assujettis. Cette monarchie sans monarque s'appuyait
sur la petite noblesse et le clergé. Une opposition démocratique ne pouvait se former, parce qu'il manquait dans les
villes une classe moyenne cultivée et que la cla~se paysan.ne
était également inculte et inorganisée .
C'est ainsi qu'en l'espace de quinze ans se formèrent
dans l'Est de l'Europe centrale et dans le Sud de l'Europe
orientale, précisément dans cette zone où régnait avant i9U,
une autorité féodale, des dictatures plus ou moins idéologiques. Il est vrai pourtaut que l'instauration de ces dictatures fut en partie activée ou favori~ée an nom d'une
certaine conception du monde, pal' exemple par le clergé
t!atholique en Lithuanie ou le clergé orthodoxe en Roumanie.
Elles se formèrent aussi parfois en réaction contre certaines
tendances, en particulier contre le socialisme, justemeDt à
. cause de son attitude strictement démocratique, comme ce
fut le cas en Estonie et en Lithuanie, mais aussi en Bulgarie. Mais aucun gouvernement totalitaire ne vit le jour
pour des raisons exclusivement idéologiques. Avec leurs
t:onstitutions improvisées ces Etats étaient à mi-chemin
d' une organisation 50ciale de caractère démocratique. Ils
s'étaient trouvés placés devant des difficulté, qui excédaient
leurs forces et n'avaient pu les surmonter que par le recours
à un régime autoritaire . Un développement non troublé et
une situation économique sallsfaisante et durable auraient
IJermis sans doute un alignement 5ur le modèle des démocraties d'Europe occidentale. Les dictatures de cette sorte
leprésentent du point de vue de la politique constitutionnelle
une étape intermédiaire entre l'autoritarisme féodal et la
démocratie. L'absence de chef charismatique est caractéristique, si on laisse de côté Pilsudski. Mais sa mort même
n'entraîna pas de crise de régime. Les dictatures monarchiques de l'Europe du Sud-Est sont également caractéristiques: là, les monarques gouvernaient avec l'aide de
présideilts du Conseil amovibles.
Ce processus ne s'étendit pas aux territoires situés dans
le voisinage et à la frontière de cette zone. Ces Etats empiétaient sur l'Europe occidentale ou lui appartenaient ; ils se
trouvaient à un stade de développement plus avancé et
avaient la ressource d'un.e tradition politique. La Finlande
135
�eL la Tllbécoslovaquie restèrent des démocraties ; la Hongrie
une monarchie constitutionnelle. En Autricbe seulement, la
démocratie tourna brutalement à la dictature idéologique
parce que la voie naturelle du rattachement à l'Allemagne
lui était interdite. Elle était trop petite et économiquement
trop faible pour pouvoir supporter avec Ul\ régime déillocratique les antagonismes extrêmes qui s'affrontaient à l'intérieur de l'Etat.
L'Italie exerça une influence considérable comme
modèle de dictature idéologique d'observance bourgeoise.
Ce pays avait beaucoup souffert de la première guerre mondiale et avait été le plus mal partagé par les grandes puissances alliées dans leur traité de paix. C'est pourquoi c'est
elle qui, parmi les alliés, l'e'sentit le plus vivement les suites
de la guerre. Ce n'est pas par hasard que Giolitti s'était
opposé à l'entrée de l'Italie dans la guerre, il craignait, en
effet, qu'elle ne soit pas en état de supporter cette guerre sur
le plan économique et social. Mussolini fut l'un de ceux
dont la propagande s'opposait à la sienne. Il fut exclu du
parti socialiste pour avoir pris position en faveur de la participation de l'Italie à la guerre. La guerre terminée, il
fonda un mouvement de rénovation nationale, qui utilisa
tont d'abord des slogans qui en appelaient aux passions,
mais qui étaient vagues et changeants. Ce monvement mit à
profit le mécontentement causé dans de nombreuses couches
de la population par la misère économique pour mettre en
accusation les institutions démocratiques ; il attira ainsi à
lui les intellectuels révolutionnaires, les anciens combattants
pour qui le retour à la vie civile était devenu plus difficile
et l'intelligenzia de la petite bourgeoisie, c'est-à-dire tous
ceux qui, sans être organisés dans les partis marxistes, souffraient de la misère, et notamment de l'inflation et du chômage. L'industrie et les grands propriétaires terriens les
suivirent par peur de la gauche extrémiste.
Contrairement à leur attente, les communistes russes
I\'avaient pas réussi, il est vrai, à étendre la révolution à
un seul pays - excepté la Hongrie, et là encore de façon
passagère -, mais s'il leur restait une chance quelque part,
c'était en Italie, aussitôt après la guerre. En 1922, ce danger persistait à peine, car les partis socialistes se combattaient violemment. Mais l'exagération consciente du danger
était un facteur de propagande puissant entre les mains de
Mussolini.
136
�Les mots d'ordre antilibéraux et antidémocratiques trouvèrent dans la bourgeoisie une audience d'autant plus large
que les ouvriers qui n'avaient pas le droit de vote, s'ils
étaient analpbabètes, sembla ient être les profiteurs du suffrage universel institué seulement en 1919. C'est pourquoi la
bourgeoisie, en face de ce glissement des rapports de force,
était prête à sacrifier les vieux principes pour se protéger
du socialisme et du communisme. Mussolini amorça pour
ainsi dire le combat antilibéral et antidémocratique qui prit
essor en Europe au début des années 20. Libéralisme et
démocratie ne semblaient souhaitables et ne mérit'lient d'être
défendus que dans la mesure où, grâce à un système électoral censitaire et capacitaire, ils étaient les privilèges de
la classe dominante. Dans l'ensemble, le clergé n.e pMt pas
position.
<
•
Le mouvement fasciste devint une machine à s 'emparer
du pouvoir, placée entre les mains d'un cbef charismatique.
Il était organisé militairement, strictement hiérarchisé et
. son chef disposait par là d ' une armée privée. Ce mouvement
n'avait pas de programme politique comme le parti communiste à qui il emprunta beaucoup de ses métbodes et de
ses fonnes d'organisation . Il remplaça ce programme pal'
1111 pathos pseudo-bis torique qui rappelait la grandew' de
la Rome antique et la splendeur de la Renaissance et éveillait l'espoir de les restaurer. Au rond . il était opportuniste
et ne s'intéressait qu'au pouvoir pour lui-même. Il était
donc ennemi de ceux qui détenaient alors le pouvoir et de
leurs institutions. SO\l'; cette forme et dans ce contexte, les
fascisme était un phénomène nouveau en Europe. Il mit à
profit le désenchantement moral du peuple italien qui avait
pris part à 'a guerre , et qui, sans appartenir au camp des
nations vaincues, n'avait obtenu aucun succès militaire tangible - ce qui était aussi déprimant - et qui avait eu à
souffrir lourdement des fardeaux de la guerre. Effectivement, des troubles incessants de plus en plus graves se manifestèrent dans le fonctionnement de l'appareil gouvernemental.
En le soumettant à une forte pression, grâce à sa marche sur Rome, Mussolini devint légalement chef d'un gouvernement de coalition.Avec l'aide de son armée personnelle,
les milices fascistes, il intinlida le Parlement pour obtenir
de lui une loi électorale favorable ; cette loi lui assura aux
élections une majorité des deux-tiers. Il tenta d'abord de
137
�gouverner d'une manière autoritaire en s'en tenant à ta
constitution ; mais la résistance des partis de l'opposition
et la crainte d'être renversé par eux le poussèrent à employer
des méthodes de plus pn plm despotiques. En 1926, il dissolvait les partis d'opposition, non sans avoir auparavant
traqué et soumis à un régime de terreur leurs adhérents.
,
..
Par une nouvelle constitution il élève alors la dictature
au rang d'institution. Il était à la tête de l'Etat, sa volontk
faisait loi. Le roi demeurait, il est vrai, mais il n'était pas
question d'une dictature monarchique, comme il en existait
dans les Etats balkaniques. Mussolini était en même temps
le chef absolu du parti unique, dont les organes directeurs
surveillaient ceux de l' Etat. Un nouveau régime s'installe
et avec lui un nouveau type d'Etat. En Italie s'instaure la
première dictature idéologique et institutionnelle non-communiste ; mais, elle aussi, elle était issue des troubles qui
avaient déréglé le fonctionnement de l'Etat. Le mouvement
ne reçut SOli contenu idéologique qu 'après la' prise de pouvoir.
A la suite de considérations opportunistes, les nouveaux
objectifs s'écartèrent sensiblement des objectifs originallx ,
de ceux qui avaient servi à la conquête du pouvoir. Les
prétentions de Mussolini en politique extérieure constituaient un des moyens d'action les plus stimulants d!1
mouvement fasciste : l'Italie devait devenir la puissance
prépondérante du bassin méditerranéen, comme J'ancienne
Rome J'avait été. Ces prétentions impérialistes sans cesse
proclamées agirent après la prise du pouvoir comme un
moyen de préserver l'ordre intérieur de J'Etat. Effecti·
vement, Mussolini avait tout d'abord suivi une politique
extérieure très prudente: il voulait protéger le régime
encore instable coutre les risques extérieurs. Ce n'est qu'en
1936, en s'appuyant SUI' Hitler et en rivalisant en même
temps avec lui, qu'il conunença une politique e>.1érieure
aventureuse .
Des organisations semblables - qu'inspirait plus ou
moins le modèle italien - naquirent dans la plupart des
Etats européens, et même dans quelques pays traditionnellement démocratiques, bien que leur signification et leur
ampleur pussent être très différentes . Mais une senle d'entre
elles parvint à ses fins, J'organisation allemande .
Qu'en était-il de l'Espagne? Elle n'avait pas pris part
à la guerre et par conséquent n'avait pas eu à souffrir de
138
�•
ses suites ; mais elle souffrait d'autant plus du retard de
son économie et des antagonismes aigus qui existaient entre
la classe ouvrière et les puissances féodales, en particulier
les grands propliétaires terriens et l'Eglise . Un compromis
démocratique était dans ce cas à peine possible. A des gouvernements faibles s'opposaient de puissantes forces extra parlementaires, d'une part le mouvement anarcho-syndicatiste, d'autre part les juntes d'officiers. Les efforts de la
Catalogne en vue d'acquérir son autonomie menaçaient de
comprometlre l'unité de l' Etat. Depuis la restauration de la
monarchie en 1874, ["Espagne se trouvait dans un état
latent de guerre civile. Il ne semblait y avoir d'alternative
qu'entre une dictature des socialistes extrémistes et une dictature des conservateurs cathOliques. Le gouvernement du
général Primo de Rivera entre 1923 et 1930 fut une sorte de
dictature monarchique. Pour assurer sa puissance, il fonda
en i 92~ un parti gouvernemental SUI' le modèle du fascisme
italieu, mais "Union Patriotica ne trouva que peu d'adhérents. En 1931, un an après la démission de Primo de Rivera,
démission que le roi provoqua lui-même, la monarchie fut
. renversée. Les gouvernements répuhlicains ne parvinrent
pas non plus à stabiliser la situation . En 1933 fut fondée la
Phalange, mouvement d'opposition dirigé contre les anarcho-syndicalistes. C'était une organisation fasciste, mais à
tendances sociales extrémistes, catholiques de gauche et
I-épublicaines. Elle dâsirait un Etat à parti unique, mais il
lui manquait un cbef cbarismatique, et elle resta au début
sans importance. Le coup d'Etat militaire du général Franco
se produisit d'abord indépendamment de la Pbalange.
Franco était un monarchiste - conservateur d'orientation
manifestement cléricale. Son but était de rendre vie à l'Etat
mais sous la forme d 'une monarchie catholique conservatrice. Il se servit pour cela de la Phalange, dont il prit la
lête. Il en fit un parti d'Etat, mais ne lui abandOlwa pas le
l'ouvoir centrai. Franco aussi fit de la dictature une institulion nationale, mais beaucoup plus dans une optique de
monarchie conservatrice, appuyée sur le clergé et les officiers, que fasciste.
Au Portugal, où, dans les années 20, moins de dix pour
cent de la population savaient lire et écrire, et où subsistaient des antagonismes aussi marqués qu'en Espagne, une
révolution succédait à l'autre. Seuls ces dix pour cent
avaient le droit de vote. De violents conflits opposèrent entre
eux les intellectuels. Après deux coups d'Etat militaires
139
�manqués et un soulèvement syndicaliste quÎ échoua, ~e généraI Carmona mit fin en 1926 à cette situation anarchique
par un coup d'Etat dont l'impulsion vint du clergé. Cannona
fut tout d'abord à la fois chef de l'Etat et chef du gouvernement ; il se limita plus tard a ux fonctions de chef de
l'Etat. Quant à Salazar, l'homme important, le dictateur
effectif, Carmona le nonuna en 1928 ministre des Finances,
puis président du Conseil. Professeur d'économie politique,
Salazar n'était pas apparu auparavant sur la scène politique. Il n'avait pas participé il la prise du pouvoir, mais
apparut alors que le système dictatorial était déjà en place.
Son action fut d'abord celle d'un ministre technicien de
grande classe, absolument intègre, qui réussit à renflouer
les finances délabrées du Portugal et à assainir par là son
économie. n fit de la dictature une institution en élaborant
une constitution, qui donna au président la place d'un
monarque constitutionnel et en fondant en 1930 un parti
unique. A ce parti étaient annexés une milice et un mouvement de jeunesse auquel appartenaient tous les jeunes de
sept à vingt ans . Il suivait en cela le modèle fasciste, mais
sous une forme très modérée et beaucoup plus tolérante .
En Espagne comme au Portugal, les dictatures étaient nées
de troubles qui menaçaient. en permanence le fonctionnement
de l'appareil gouvernemental. En cela elles ressemblaient à
celle de la zone où régnait autrefois l'autoritarisme. Mais
elles se servirent pour leur consolidation d'organisations
idéologiques, sans leur accorder d'influence déterminante.
Elles ne créèrent pas non plus de nouveau type d'Etat, mais
conservèrent le régime ancien, bien qu'avec des accommodements aux condiitons modernes, surtout au Portugal.
,.
Franco, comme Salazar, avait tenté de créer un régime
corporatif qui en pratique fonctionna aussi peu qu'en Autriche, et n'obtint de l'importance qu'en façade. La dictature
autrichienne n'a que três peu de ressemblance avec celle
de l'Italie, sur laquelle elle s'appuya pour des raisons de
politique extérieure ; elle en a beaucoup plus avec celle de
l'Espagne et du Portugal. Les conditions sociales en Autric.he sont, il est vrai, très différentes de celles de l'Espagne
et du Portugal; mais elles ont en commun J'opposition irréductible entre groupes politiques, l'eixstence de puissantes
forces extraparlementaires et le souci de J'Eglise de défendre sa place au cas où ses adversaires concevraient la
suprématie. Aucun des groupes politiques ne pouvait se
HO
�maintenir au pouvoir selon les règles démocratiques et parle
mentaires et ils recherchaient tous pour cela une con.solidation extra-parlementaire. Dans les trois Etats, le clergé
encouragea l'installation d'un régime dictatorial et constitua
l'un de ses appuis les plus solides. C'est pourquoi on peuL
parler de dictatures catholiques, mais l' Italie n'en fait pas
partie.
Encore un moL sur la Grèce : pendant dix ans, entre
1912 et J 922, e'le avait vécu en. état de guerre et, depuis
1913, elle n'était pas sortie de troubles révolutionnaires
sans cesse renouvelés. La monarchie ne pouvait tenir plus
longtemps en face de son puissant adversaire, Venizelos,
républicain démocrate eL impérialiste. Mais la république
elle-même, proclamée en 1924, ne parvint pas à triompber
des trouhles intérieurs. En 1925, le général Pangalos institua
grâce à un coup d'Etat militaire une dictature militaire ;
·d'orientation républicaine, elle ne présenta aucun caractère
idéOlogique particulier, mais ne dura qu'un an. Le roi
Georges Il, rétabli sur son trône en J935, tenta d'abord de
gouverner selon des méthodes parlementaires; mais en 1936,
après une teDtative avortée de soulèvement de Venizelos, il
nomma le général Metaxas président du Conseil. Cette nomination était dirigée contre l'opposition républicaine et contre
l'activité grandissante des communistes. Metaxas fut investi
de pleins pouvoirs analogue, à ceux que Primo de Rivera
avait obtenus en Espagne. Metaxas reprit avec beaucoup de
prudence quelques-unes des méthodes et des marques extérieures du fascisme, de là le salut" spartiate », mais il ne
put s'appuyer sur un mouvement. fasciste . Cette dictature
militaire prit fin avec l'occupation de la Grèce.
Des quatre démocraties instables d'Occident, aucune ne
put maintenir entre les deux guerres mondiales une fonne
d'Etat démocratique . La raison cn est que la démocratie ne
pouvait suffire à assurer le fonctionnement de l'Etat. Dans
ces quatre Etats, des troubles graves et permanents provoquèrent J'établissement d'une dictature.
En Allemagne, les conditions étaient très différentes et
l'évolution suivit aussi un cours très différent. Le gouvernement démocratique de Ebert et Streseman maîtrisa la grande
crise que traversa l'Etat en J923 à l'aide de moyens conformes à la constitution. Cette crise avait pour causes l'occupatioD de la Ruhr et la résistance passive, la dévaluation
141
�de la monnaie et 11 menace d'une sécession de l'Allemagne
occidentale (d'u n séparatisme rhénan,) , les émeutes communistes et la tentative de coup d'Etat des nationaux-socialistes. Les menaces de dislocation du Reich, de décadence
économique et de suppression du régime com;tJitutionnel
démocratique étaient bannies en décembre 1923. DepuMl le
putsch de Rapp en 1920, la droite n'était plus prête à une
subversion violente, car les risques étaient trop grands , Cette
droite était d'ailleurs modPrée, comparée aux nationauxsocialistes. Elle était d'autant plus intéressée à profiter des
cbances que lui offraient les défaillances permanentes et
graves de l'appareil gouvernemental, afin d'accéder au pouvoir par la voie légale et d 'instituer au moment voulu un
régime autoritaire . En un mot, le but était de parvenir pal'
la dic(atUl'e fonctionnelle à la dictature institutionnelle, et
cela en vertu des dispositions constitutionnelles sur l'état
d'exception, en liaison avec l'armée (Reichswehr), instrument de puissance caractél~stique d'un pouvoir d'Etat autorilaire, La droite n'a jamais pardonn,é à Streseman d'avoir
sauvé la République. Mais la démocratie était sauvée.
Hitler a tiré de cet échec l'enseignement qu'une révolution a priori illégale n'aurait en Allemagne aucune chance
de succès. C'est pourquoi il évita soigneusement une seconde
tentative. La rapide remontée économique et la détente en
politique extérieure avaient permis une stabilisation de
l'Etat constitutionnel. La droite perdit par là même la possibilité de profiter à sa façon d'une crise. Il ne lui restait d'autre chance que celle d'une majorité pal'lelllentaire. Outre que
cela était, en temps nOl'mal, un but inacessible, une telle
- majorité de droite n'aurait. pu transfortner le régime constitutionnel dans un sens autoritaire qu'en accord avec le
Président du Reich, car lui seul pouvait mettre en vigueur
l'article 48.
•
"
"
Après la mort d 'Ebert en '1925. la droite avait ré ussi à
faire élire président du Reich le très popu1ffire maréchal
Ilindrnburg. Partisan convaincu de la mona rchie constitutionnelle, il avait eu malgré cela une attitude honnête envers
la Répuhlique. Celle élection était Ulle lourde défaite politique pour les répuhlicains . Elle montrait combien la mentalité démocratique était peu répandue dans le peuple. Mais
le but de la droite qui était d'obtenir au moyen de cette présidence une inllucnce sur la formation du gouvernement et
sur l'application du paragraphe concernant la dictature,
142
�semblait encore inaccessible. Hindenburg, monarchiste par
conviction et répuhlicaitl par devoir, s'en tint strictement à
la Constitution qu'il respectait, mais dont il ne comprenait
ni la signification ni l'essence.
La deuxième grande crise traversée par l'Etat sous la
République de Weimar fut· causée par la crise économique de
l'automne 1929. Cette crise se manifesta par une augmentation brusque du nombre des chômeurs. Streseman était
mort en octobre 1919. Il avait été à proprementpllrlerl'orgaroisateur de toutes les coalitions gouvernementales, et le gouvernement comme le parlement devaient pour une bonne part
leur bon fonctionnement à sa virtuosité parlementaire. La
crise économique et la mort de Streseman eurent pour conséquence immédiate la dislocation de la coaliton gouvernementale. Le nouveau chancelier, Brüning, forma un cabinetminorit.aire et, lors de la crise économique de l'aut{)mne 1930,
lorsque trois millions de personnes se trouvèrent en chômage
il osa dissoudre le Parlement. Il espérait par là pouvoir
-former après les élections un gouvernement bourgeois fidèle
il la CDnstitution. La crise fit échouer ce coup d'audace.
Ventre affamé n'a point d'oreilles.
;.,
,
",.
Hitler arriva au moment où les masses étaient prêtes
pour les solutions extrémistes. Surpassant de très haut tous
les hommes politiques allemands dans la conduite des mas~es, il développa et· renforça ces dispositions populaires, en
démagogue puissant qui ne connaissait aucun obstacle.
Hitler devint le prophète de ceux que l'inflation avait déshé1 ités, ou que le chômage avait privés de leurs droits, dans lu
mesure où ils n'étaient pas demeurés, par discipline prolé·
tarienne, dans les organisations solidement charpentées des
socialistes et des communistes. A ceux-là s'ajoutent ceux
que la République avaient déçus, et ceux qui avaient soif
d'aventure. Il est vrai que l'inflation, qui avait fait monter
le mark d'une façon inimaginable, avait été suivie en 1923.
d'une stabilisation. Cette stabilisation avait conduit à une
remontée économique notable et sur le plan politique à un
net recul des extrémistes, mais elle avait provoqué en même
temps un profond ébranlement de la conscience civique, en
particulier chez les nombreuses gens qui avaient économisé,
confiants dan.s la monnaie que l'Et.at protégeait et qui de fait
étaient ~ présent dépossédés. La remontée économique les
avait certes protégés de la misère ; mais ils ne furent pas
dédommagés des pertes que leur avait fait subir l'inflation.
143
�C'esL pourquoi l'extrémisme politique fut tout d'abord
stoppé. A sa place apparut rindolence. Mais ces gens-là restèrent ou devinrent anlidémocrates, parce qu'ils avaient
souffert du temps de la démocratie, tandis que leurs condi·
tions de vie avaient été bonnes, ou du moin.s supportables,
sous la monarchie. Ce phénomène de l'indolence apparatt
avant tout eL sur une grande échelle dans les milieux protestants. Le protestantisme allemand, surtout le clergé, était
ouvertement orienté vers la mOl\archie consel"Vatrice. Ces
milieux avaient perdu leur pôle d'orientation avec la chute
de la monarchie, ils étaient devenus polit.iquement apatrides.
Lors des élections organisées par BrÜDing en l'automne 1930,
le nombre des mandats parlementaires natiol\aux-socialistes
passa de 12 à 107. Les nationaux-socialistes devinrent le
denxième parti au Parlement, les communistes le troisième.
Les élections au Reichstag furent en même temps un plébisclle contre la démocratie parlementaire, même si ses adversaires n'étaient pas d'accord sur le régime qui devait la
remplacer. Il y eut trois courants : le courant autorilaire
constit.utionnel , le courant totalitaire fasciste et le courant.
totalitaire communiste.
Comme en automne 1923 avec Streseman, cette situation
donna de nouveau naissance à une dictature légale: celle de
Brüning qui reçut l'assentiment de Hindenburg eL fut tolérée
lies sociaux-démocrates. Brüning gouverna de façol\ autoritaire comme le voulaiL la droite, mais il évita soigneuse'l'enL Loute expérience antidémocratique ou antisocialiste.
II utilisa ses pouvoirs autoritaires à seule fin de conserver à
I"Elat son bon fonctionnement el d'écarter la crise, mais il
ne changea rien à la constitution.. Briining mit sa dictature
au service de la démocratie, landis que la droite voulait s'en
servir pour supprimer la démocratie. C'est pourquoi l'opposition de la droite envers Brüning s'accentua à mesure que
durait le gouvernement qu'il dirige:lit. La politique de Ebert
et St.reseman n'avait pas permis de profiter des chances
offertes par la crise de 1923. Les résult.ats des élections
avaient démontré que la droite n.e possédait aucune ehance
tant que la situation était calme. Elle crut cependant qu'une
occasion favorable lui était offerte par la nouvelle crise économique et gouvernementale. En en triomphant, on serait
par contre parvenu à une meilleure stabilisation de la démocratie parlemenlaire. Par là, les voix électorales de la classe
ouvrière auraient pesé davantage et, inversement, l'industrie
1«
�lourde et la grosse exploitation rurale auraient perdu leur
position privilégiée. La droite non extrémiste avait pour
modèle non l'Italien Mussolini, mais rEspagnol Primo de
Rivera. Au contraire, le parti national-socialiste avec ses
formations militaires était pour Hitler ce que le parti fasciste
avait été pour Mussolini : IlOD pas une organisation auxiliaire de propagande au service de la tendance autoritaire,
telle que la considéraient les milieux conservateurs, mais
bien un instrument de conquête du pouvoir.
La droite n'avait pas renoncé .\. l'espoir d'établir un
régime autoritaire. Comme par suite de l'absence d'un prétendant au trône, qualifié et populaire. la monarchie constitutionnelle avait été privée de sa force d'attraction, la droite
avait d 'autant plus volontiers recolU'S à un slogan qui
n'avait encore rien perdu de son efficacité, celui qui appelait
il la lutte contre le traité de Versailles. La démocratie,
disait-elle, ne désirait, ni n'était en état de mener une
" politique de libération » ; seule pouvait le faire une per_sonnalité " nationale », allusion à Bismarck dans le passé et,
pour le présent, à Kemal Atatürk et à Mussolini. Ce mot
d'ordre présentait l'avantage de pouvoir discréditer comme
lIlsuffisant tout succès du gouvernement en politique extérieure ; or l'action du gouvernement était conditionnée par
:a conjoncture politique mondiale. Ce mot d'ordre avait en
réalité pour objectif inavoué le renversement de l'issue de
la gueITe mondiale. Un régime autoritaire aurait, ell effet,
disposé après son instauration de moyens appropriés pour
étouffer tout rappel à ce slogan.
Ainsi la lutte contre la Constitution allait de pair avec
l'exigence d'une politique extérieure forte. Ce slogan était
appuyé par l'industrie lourde et la grosse exploitation
l1Irale. Les restrictions d'armement imposées par le traité de
paix permettaient à l'industrie lourde de prétendre à une
protection spéciale, en considération d'un éventuel réarmement allemand. De même la grande exploitation rurale justifiait des prétentions analog1Jes par sa position aux frontières
de l'Est, mutilées par la Pologne. Toutes deux étaient des plus
grands ennemis de la république en même temps que ses
plus grands pI"ofiteurs. L'armée du Reich étendait sur elles
deux une main protectrice. cal" elle songea it au réannement,
et en raison aussi des relations traditionnelles qui liaient le
corps des officiers à ces milieux.
Mais malgré toutes capacités militaires, la Reichswehr
145
10
�formait au sein de l'Etat une force largement autonome,
étrangère par nature à la démocratie. Construite dans
l'esprit des principes monarchiques, se dérobant au contrôle
démocratique, elle exerçait une grande influence politique,
surtout depuis que Hindenburg était président. Elle n'était
pas certes un instrument de la contre-révolution, mais elle
n'était pa. résolument opposée aux contre-révolutionnaires .
Ain.i ces trois facteurs - industrie lourde, grosse exploitation rurale et armée - avaient su conserver même sous
la démocratie une grande part de la position privilégiée
qu'ils avaient occupée sous la monarchie.
La dictature légale de Br üning Ile pouvait être remise
en question par le Parlement aussi longtemps que les socialistes et Ics partis du centre la toléraient. Mais ceux-ci
étaient disposés à la tolérer , parce que la chute de Brüning
aurait pu conduire à un gouvernement de Hitler, et ainsi à
une dictature anU-démocratique. Ainsi Brüning ne dépendait-il que du PréSident du Reich, dont le mandat expirait
en mars 1932. Hitler étant avec Hindenburg le seul candidat
sérieux, ces élections devaient décider si Brüning restemit
ou non en fonction. Brüning réussit à amener les partis
républicains, les socialistes y complis , à élire· Hindenburg
contre qui ils avaient voté en 1925. L'élection de Hindenburg
prit pour Brüning, qui avait mené en sa faveur la campagne électorale, la valeur d'un plébiscite. Brüning entrevoyait
alors dans un avenir peu élo;gné deux grands succès de politique étrangère : l'annulation des réparations et la reconnaissance par les alliés des revendica t ions allemandes en
vue d'obtenir l'égalité des droits en matière d 'armement.
Ces succès auraient renforcé sa pOSition dans la conscience
du peuple allemand , ct par là même celle de la démocratie,
comme cela avait été le cas pour Streseman en 1923.
La droite aurait alors perdu les denüères cbances que lui
offrait cette crise du régime .
Prenant conscience de cette situation, la droite monta
une offensive concentrée contre le vieil Hindenburg. CeUr
attaque était menée en premier lieu par les grands propriétaires terriens . A l 'arrière-plan se dressait le général
Schleicher, personnalité brillante et énigmatique. Secrétaire
d'Etat au Ministère de la Défense, il fit de plus en plus
figure de chef politique de la Reichswehr . Tacticien habile,
mais dépourvu d'idées persoI\nelles, il ne voulait pas laisser
échapper la dernière chancr d'une restauration. Incapable
146
�de t<lute pensée politique dynantique, Hindenburg céda à son
influence. Il posa un ultimatum à Brüning: il le menaça de
lui retirer les pouvoirs dictatoriaux légaux s'il ne consentait
pas à dissoudre le Reicbstag et à former un nouveau gouvernement avec la participation de Hitler et de Hugenberg.
Ce dernier était le cbef de la droite modérée qui désirait un
Etat autoritaire, mais non totalHaire. Brüning repoussa les
exigences de Hindenburg et démissionna en mai 1932. Il ne
fit pas le moindre effort pour faire cbanger d'avis à Hindenhurg, comme il y était pan-enu à plusieurs reprises dans
li- passé.
'''-
'Ii
•
La résignation, le fatalisme, le manque de ressort qui se
IlJanifestèrent à ce moment-là, non seulement chez Brüning,
mais aussi dans les milieux influents des partisans d'une
politique constitutionnelle, sont l'aspect surprenant, inquiétant, de celle décision fatale. D'autre part, l'un des symptômes qui prouvent la faiblesse du vieil bomme qu'était
Hindenburg, c'est le fait qu'il accepta, sans j'avoir cboisi
el. sans examen, le successeur de Brüning, Franz von Papen,
reconunandé par Scbleicber. Déjà avant la nomination de
Papen et sans même consulter ce dernier, Scbleicber avait
formé le gouvernement et obtenu d'Hitler qu'il fermât les
yeux en _échange de la dissolution du Reicbstag. Papen
n'était pas un Primo de Rivera, mais fut au début l'bomme
de paille de Schleicher. Il fut le premier chancelier autoritaire à n'avoir pas l'appui du Parlement, qu'il ne recbercba même pas. Schleicber ne souhaitait qu'un cabinet de
transition qui lui serait dévoué et serait plus agréable à la
droite que celui de Briining. C'était une tactique pour gagner
du temps et surmonter la crise économique, et, par là, désarmer les extrémistes de droite. Cependant Papen se rendit
pour ainsi dire indépendant, afin de créer un " nouvel Etat Il
qui devait tenir le milieu eDtre une démocratie parlementaire
Cl une dictature nationale-socialiste ; sans être tout à fait
l'une des deux, il devait représenter une sorte de monarcbie
constitutionnelle avec ml gouvernement indépendant du parlement, et dominée par la figure déjà légendaire de Hindenhurg. Aux élections du Reichstag de juillet 1932, le nombre
des mandats nationaux-socialistes avait plus que doublé par
rapport à 1930. Hitler persistait à briguer la cbancellerie
Cl toute entente avec lui écboua . Papen n'aurait pu alors se
maintenir que par un coup d'Etat. Hindenburg y aurait été
favorable, mais Scbleicher ne voulait pas engager l'armée
147
�dans un coup d'Etat pour permettre de réaliser les plans de
restauration de Papen, plaf\s utopiques et approuvés seulement par une petite minorité .
Schleicher renversa Papen et. devint lui-même chancelier. Sa tentative de dissocier les nationaux-socialistes
échoua et les sociaux-démocrates firent également échouer
son autre plan : il voulait, appuyé sur les syndicats ouvriers
et après avoir éliminé les partis, exiger un gouvernement
socialiste autoritaire ; il s'agissait d'une dictature fonctionnelle provisoire, mais son objectif constitutionnel était
incertain. Il ne restait plus â Schleicher que le coup d'Etat,
mais Hindenburg l'en empêcha pal' son refus et en lui retourliant ses propres arguments qu'il avait fait valoir contre les
plans sinlilaires de Papen.
Le manque de loyauté de ce général, personnalité
caméléon, l'avait 'conduit â J'isolement. Les partis de restauration, sous la conduite de Hugenberg, lui étaient
0pposés â cause de ses tendances sociales, les nationauxsocialistes â cause de ses tentatives de division, les partis
démocratiques se défiaie,nt de lui ansi que Hindenburg .
Papen qui n'avait pas pardonné sa chute à Schleicher , pressa
Hindenburg de formel' un cabinet dirigé par Hitler, malS
dans lequel les représentants des forces conservatrices
auraient servi de frein. Le prétexte était d'appliquer à nouveau les règles conformes à la Constitution, le but était de
tenter à nouveau une restauration.
,
.
Ainsi se forma cette alliance des partisans d'un autoritarisme constitutionnel et des partisans d'une dictature
totalitaire. Cette union ne reposa it <lue sur leur opposition
commune à la démocratie. Dne classe sociale qui perdait
sans cesse davantage de son influence et de son importance
et qui visait à IDI Etat autoritaire, mais de droit, en y
joignant des conceptions en partie mystiques, s'était unie,
avec une mauvaise fois réciproque, à une classe moyenne
misérable et désorientée, poussée à la rébellion par un
démagogue fanatique. Les contrerévolutionnaires non nationaux-socialistes voulaient arriver au pouvoir avec Hitler.
Ils se servaient de son parti comme d'un organe _auxiliaire
de propagande . Ils calculaient qu'Hitler s'userait dans la
conduite des affaires politiques courantes, alors ils délivreraient la démocratie d'Hitler - par une restauration . Mais
Hitler intégra leurs calculs dans les siens pour, une ·fois par148
•
�veuu au pouvoir, se débarrasser d'eux par un coup d'Etat
e: grâce à des succè& impérialistes.
L'organisation dont Hitler disposait pour conquérir le
pouvoir aurait eu beaucoup moins de chances de réussir
sans le groupe des conservateurs et surtout sans l'appui
qu'Hugenberg apporta à sa propagande. D'autre part, le
groupe conservateur p'avait quelques chances que grâce au
mouvement de masse national-socialiste, qui seul, pendant
la crise économique, pouvait mettre en danger l'existence
de la démocratie. )lais ce groupe ne parvint pas, comme
Franco dans d'autres circonstances, à utiliser à son profit
ee mouvement de masse. Au contraire, Hitler supprima les
partisans de la restauration après s'être servi d'eux.
,
La dictature d 'Hitler marqua la fin de la démocratie,
mais aussi celle de l'Etat de droit. Les partisans de la restauration et avec eux d'innombrables compagnons d'Hitler
vivaient dans l'idée que des élections seraient organisées
régulièrement dans l'avenir, même si eUes ne devaient intéresser que des assemblées ayant un rôle strictement législatif. Ils espéraient que l'Etat de droit serait maintenu, ainsi
surtout que l'indépendance du pouvoir judi~iaire (de la
magistrature). Hitler était Lonscient du danger que représentaient pour lui ces institutions et il les écarta. Il rendit
son régime de plus en plus radical, non pas uniquement.
mais en partie par peur de ses adversaires.
Ainsi la dictature d'Hitler se différencie fondamentalement, dès son apparition, de touies les autres. Elle ne
répondait à aucun besoin, tant en politique extérieure
qu 'intérieure. Jusqu'au renvoi de Brüning, qui marque le
tournant décisif, aucun trouble extrêmement grave ne s'était
manifesté dans le fonctionnement de l'Etat; or, seuls de tels
troubles auraient légitimé une dictature.
Il n'est pas facile de comparer cette dictature allemande
avec les autres, et surtout pas avec les dictatures occasionnelles, susceptibles éventuellement de se transformer en
démocraties. Tout au plus peut-on la comparer avec celle
de l'Italie, bien qu'elle fut beaucoup plus intensive, radicale
et perfectionnée, en UI\ mot beaucoup plus totalitaire. Mais
elle se différencie fondamentalement de la dictature italienne
par des conditions sociales foncièrement différentes.
Ces cOl!ditions sociales de l'Allemagne se rapprochent
149
�•
.le plus de celles qui existaient dans les démocraties stables
d'Occident. Si l'on voulait considérer l'Allemagne comme
faisant socialement partie du groupe des démocraties stables
d'Occident, elle serait l' unique pays de ce groupe à avoir
tourné à la dictature. C'est aussi pourquoi la dictature
était, en AI.Iemagne, beaucoup plus menacée que dans aucun
autre Etat. Avec son impérialisme, forme hypertrophiée de
celui de Guillaume II, Hitler ne cédait pas seu.lement à son
instinct de puissance et à son besoin de se mettre en valeur,
il croyait surtout que seule l' hégémonie de l'Allemagne en
Europe et dans le monde pouvait assurer son système de
domina tion.
Theodor ESCHENBURG.
Recteur de l'Université de Tübingen,
Directeur de l'Institut d'Etudes Politiques .
•
150
�BERLIN ISOL.E
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1
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,
,
Seul Berlin-Ouest, avec ses 480 km2 . à peu près la super. ficie d'Andorre, et ses 2 millions d'habitants, a pu maintenir
son indépendance en face de la puissance soviétique. Cette
\ille est située au sein de tout ce territoire qui, jusqu'en
1945, n'était pas russe et qui depuis se trouve sous la domillatiol1 soviétique, en bref, dans ce domaine qu'on a appelé
I"ensemhle des satellites soviétiques, d'une superficie d'un
million de kilomètres carrés et fort de 100 millions d'habitants.
La Russie assura sa domination sur tout ce vaste
domaine en transformant, à l'exception de la Yougoslavie,
tous les Etats qu'elle avait occupés seule, avec l'accord des
alliés, en protectorats de fait. Cette transformation se fit par
un nivellement constitutionnel et social, grâce à l'action
combinée de ses troupes d'occupation et de ses filiales du
parti communiste. Ainsi ces protectorats de fait de la Russie
restèrent, selon le droit international, des Etats, tels qu'ils
avaient été reconnus auparavant, car aucun pouvoir légitime
ne pouvait leur enlever ce droit. De l'extérieur, les Etats
satellites sont donc selon le droit international incontestablement des Etats , mais de l'intérieur, dans leurs rapports
avec la Russie, ce sont des protectorats de .fait.
(1) OoDférenœ flÛte il. le Faculté de Droit le 19 avril 1961.
lSS
�Il
La partie de l'Allemagne de 1937 que les accords interalliés conclus avant la fin de la guerre avait attribuée à la
Russie soviétique comme zone d'occupation reste jusqu'à
œ jour l'objet de contestations en droit international. Déjà
avant la capitulatiot\ sans condition et à l'encontre des
accords signés avec les alliés occidentaux, la Russie partagea
sans traité de paix le territoire qu'elle occupait à l'Est de la
ligne Oder-Neisse el\ deux parties qu'elle incorpora, l'une ,
le district de Konigsberg, à son propre territoire, l'autre,
plus importante, à la Pologne qu'elle tenait suus sa domination. Ce « fait accompli» contraire au droit international
et aux Uaités passés, était motivé d'abord par l'espoir que
les alliés occidentaux n'étaient pas militairement en état
de reprendre ce larcin aux Soviets; les Russes étaient d'autre part préoccupés du fait que, dans un traité de paix ultérieur, les puissances occidentales reconnaîtraient bien ces
territoires à une Pologne démocratique, mais non à une PolI)gne communiste. Les alliés occidentaux l\'ont admis l'incorporation du district de Konigsberg à l'Etat russe qu'avec
des réserves; ils n'ont donné aucune adhésion à l'incorporation du reste du territoire à la Pologne, mais ont fait
dépendre leur décision concel'Dat\t l'appartenance de ces
territoires d'lm règlement par traité de paix. La Russie
soviétique et la Pologne soutiennent au contraire, quant à
elles, que l'annexion est conforme au droit inteft\ational.
Le désaccord entre la Russie et la Pologne d'une part, les
alliés occidentaux d'autre part, est un désaccord de droit
intel'Dational plus qu'une question politique. Les puissanoes
occidentales ne veulent pas faire de concession juridique
unilatérale à la Russie soviétique avant la conclusion d'un
traité de paix ; elles sont en principe prêtes à reconnaitre
les revendications politiques de la Pologne sur tout ou partie
de ce territoire . Cette questiou aurait depuis longtemps
trouvé une solution politique et légale en droit international
SI la Russie soviétique avait donné son accord à la réunification de l'Allemagne.
Pour la transformation de la zone d'occupation suviétique d'Allemagne en un protectorat de fait, les mêmes
méthodes furent employées que pour les Etats satellites.
La Rus§ie soviétique obligea le gouvernement qu'elle avait
154
�installé cians sa zO'1e ci'occupation à ratifier ['annexion pat
la Pologne des territoires à l'Est de la ligne Oder-Neisse.
Si la zone d'occupation soviétique était unanimement reconnue - seuls l'ont fait jusqu'à ce jour les pays communistes
- l'annexion des territoires situés au-delà de la ligne OderNeisse, qui n'était jusque là qu'effective, serait par la même
va lidée selon le droit international.
1Il
•
La Russie soviétique s'est emparée en peu d'années
de ces territoires de l'Europe centrale et o.rientale par une
campagne appuyée certes sur sa force armée, mais sans
préparation militaire et sans pertes sensibles. Pour mener
ù bien cette progression rapide, elle a été obligée de tourner
Berlin-Ouest, place-forte occupée par .les puissances occi. dentales, afin d'éviter les conflits militaires qui auraient, le
cas échéant, remis en question une partie de ses conquêtes.
Par peur d'une troisième guerre mondiale, les alliés occidentaux n'ont pas tenté de libérer les Etats satellites de la
domination soviétique, en particulier la zone d'occupation
soviétique en Allemagne. Pour la même raison, la Russie
soviétique n'a pas osé attaquer Berlin. L'existence, au sein
des territoires communistes, d'un Berlin libre et constitutionnellement légal repose sur la peur qu'ont la Russie soviétique et les puissances occidentales d'une troisième guerre
mondiale.
Mais cette unique e'1clave où règne l'ordre démocratique et l'état de droit manque encore à la nouvelle spbère de
domination russe pour que son annexion de fait du territoire
allemand soit totale. La Russie soviétique n'a aucun droit
légitime sur Berlin-Ouest. L'Union soviétique convoite aussi
cette portion de territoire, parce qu'elle a déjà en so'1 pouvoir, dans un vaste rayon, tout le territoire entourant
1lerlin. Il '1e s'agit pas là d'un remembrement de terres répondant à un quelconque souci d'esthétique géograpbique, afin
que cette surface soit sur la carte marquée d'une couleur
uniforme. Mais, par son régime opposé et ses relations avec
l'Occident, Berlin agit bien comme un bastion de résistance
au sein de la zone soviétique, territoire soumis à une puis155
�•
Sance totalitaÎre quÎ, du reste, a elle-même octroyé un régime
politique et social à ce territoire placé sous sa domination.
Ce bastion de l'Occident symbolise aux yeux des Russes les
prétentions occidentales à la restitution par l'Union Soviétique d'une part importante de ses conquêtes. D'autre part,
la soumission de leur zone d'occupation ne serait complète
pour les Russes que si ce bastion était arraché à l'ennemi.
L' existence de cette enclave anticommuniste en territoire soviétique entretient cbaque jour dans la population
des Etats satellites un doute quant à la puissance réelle de
la Russie et dans les cercles d'opposition l'espoir d'un revirement politique. Qui pourrait croire Kroutcbev, quand il
répète sans cesse que le communisme vaincra dans le monde,
alors que cette place forte au sein du domaine communiste
peut opposer une résistance aussi opiniâtre ? Alors que le
mode de vie libre et la prospérité économique de cette ville
peuvent sans cesse donner lieu à des comparaisons gênantes,
surtout dans la zone d'occupation soviétique et en Pologne,
avec la doctrine, les institutions et la politique de ce communisme tourné vers l'avenir !
Dans la zone soviétique, par ailleurs rendue si bien
étanche à tout ce qui vient du monde occidental, BerlinOuest fait j'effet d'un avant-poste ennemi d'où le territoire
soviétique peut être constammel1t observé et d'où des influences nuisibles peuvent se propager dans la population .
Les puissances totalitaires doivent se protéger contre l'influence et l'observation des étrangers qu'elles considèrent
comme des ennemis. Observation et Influence son.t plus facilement possibles à partir d'une enclave située au sein même
du territoire qu 'à partir de la frontière d'un pays voisin.
Si ces influences nuisibles sont pour l'instant désagréables,
"oire gênal)tes, elles ne peuvent pourtant pas compromettre
sérieusement le régime conununiste. Mais, après les expériences de la seconde guerre mondiale, l'Union soviétique
veut posséder une sécurité totale. Il lui faut écarter une fois
pour toutes l'éventualité que Berlin devienne un foyer de
danger sérieux pour la zone d'occupation soviétique et, par
suite d'une réactiol) en chaîne, pour la Pologne. Il faut aussi
empêcher qu'il en parte des impulsions capables de remettre
en question une part importante de ces conquêtes, réussies
grâce à des coups de maître.
(
....
....,
~
Il est relativement peu important de savoir si cette préoccupation soviétique mérite d'être prise au sérieux. Ce qui
�cs! essentiel, c 'est qu'elle semble devoir exister subjectivement; c'est la crainte qu'éprouve le dictateur conquérant.
Si, depuis novembre i958, la Russie soviétique s'efforce par
des actions diplomatiques extraordinaires et persévéraI\tes
de résoudre la question de Berlin. c'est qu'elle croit vital
pour elle de compléter ses conquêtes ; il s'agit d'arrondir
son territoire, d'éliminer ce symbole ennemi, centre de
troubles et foyer dangereux, cette brèche dans le ridea u
de fer.
,
L'incorporation de Berlin-Ouest à la rone d'occupation soviétique doit sceller la reconnaissance juridique d'un
état de fait qui dure depuis quinze ans, à savoir la domination soviétique jusqu'aux frontières de la République Fédérale. Moscou veut des garanties juridiques pour les nouvelles frontières du territoire qu'il domine, car il compte
que les Etats-Unis,et avec eux .le monde occidental tout
entier, respecteraient des accords internationaux. Le
Kremlin lui-même doute de la valeur d'un état de fait et
cherche à le compléter par la légalité. Les Russes attachent
ù'autant plus d'importance à œtte reconnaissance juridique
qu'ils n'ont aucune confiance politique en la population de
la zone d'occupation soviétique. L'annexion effective de Berlin-Ouest qui deviendrait, à la longue, juridique serait pour
la Russie soviétique le couronnement définitif de sa grande
conquête de l'Europe oriental~ et centrale, conquête menée
avec une habileté surprenante. C'est là toutc la ~ignification
de Berlin-Ouest dans la stratégie impérialiste des Soviets.
La Russie soviétique, aujourd'hui si vaste et si puissante, devrait pouvoir supporter l'existence de cette en,c1ave
qui a pu échapper à la mise au pas. ~Iais le gouvernement
polonais presse aussi \Ioscou. La reconnaisSance en droit
international de la zone d'occupation soviétique est sans
doute encore plus importante pour la Pologne que la conquête de Berlin-Ouest, car cette reconnaissance légitimerait
en même temps, selon le droit. international, l'annexion Iles
territoires situés à l'est de la ligne Oder-Neisse. Le dénouement de la question de Berlin ayant pour conséquence,
d'après te gouvernement polonais, la légitimation de la zone
d'occupation soviétique, cette question l'intéresse également.
Un sentiment d'insécurité règne panni la population de
Breslau, de Stettin et des environs de ces villes, qui se demandent si le territoire conquis depuis peu demeurera polonais.
157
�Seule une reconnaissance internationale peut, mettre fin à
celte incertitude,
Le gouvernement lIe protectorat de la zone d'occupation soviétique supporte lllai l'enclave de Berlin-Ouest.
Il pousse constamment le Kremlin à l'annexion. Sa mentalité
servile lui fait grossir démesurément les dangers qui, à ses
dires, \'iennent de Berlin-Ouest, ne serait-ce que pour appa13itre sous un jour favorable aux dirigeants de )Ioscou, ou
bien pOUl' se trouver des excuses : pal' exemple, les succès
sont obtenus malgré l'existencp de Berlin-Ouest et les échecs
lui sont imputables. L'isolement total de Berlin par le blocus
des voies d'accès suffirait à réduire l'aetio ... de ce corps
étranger qu'est Berlin, ce Cjloi profiterait au gouvernement
fantoche de Pankow. Cet isolement total pourrait en outre
l'endl'e Berlin-Ouest mûr pour la capitulation. Il aurait pour
ûOnséquence immédiate de stopper définitivement l'émigration constante en provenance de la zone soviétique. L'intérêt
que porte l'étranger à Berlin-Ouest, si pénible pour les communistes, disparaîtrait. Les autres obstacles qui s'opposent
à l'intégration totale de Berlin-Est à la zone d'occupation
soviétique tomberaient. Mais le protectorat de la zone d'occupation soviétique convoite solrtout l'augmentation sensible
des richesses économiques due à la capacité de production
de Bedin-Ouest et des biens qui s'y trouvent. Les marionnettes de Pankow auraient un besoin urgent de la maind'œuvre de Berlin-Ouest ; pourtant elles laisseraient vraisemblablement aux Berlinois le droit de quitter Berlin avec
tous leurs bagages, non par hwnanilé comme ils le prétenÙI'ont, mais parce qu'ils ne peuvent assimiler ce COl'pS homogène fait de deux millions d'hommes .
La Russie sOl'iétique sait qu'il est vain d'espérer gagner
les Berlinois de l'Ouest à une incorporation librement consentie de leur vi lle dam sa zone d'occupation. Elle ne peut
pas non plus compter sur l'assentiment des trois puissances
occidentales qui ne sont pas du tout disposées à livrer BerlinOuest et ont pris des engagements en ce sens envers la République Fédérale, La seule possibilité qui lui reste est donc
une conquête par la force, ouvertement ou d'une façon
déguisée,
"
158
�IV
,
Berlin-Ouest, ville isolée, est conUlle Berlin-Est, d'après
Ir. droit international, territoire occupé militairement.
D'après les traités passés avant la fin de la guerre entre
J'Amérique, l'Angleterre et la Russie soviétique, auxquels
plus tard la France a adhéré, l'Allemagne est occupée dans
les frontières qui élaiel\l les siennes au 31 décembre 1937 ;
dans ce dessein, elle a été partagée en quatre zones, une
revenant à chacune des quatre puissances ; le territoil'e de
Berlin étant sous la domination commune de ces quatre puissances. La Russie soviétique avait d'abord conquis l'ensemble de Berlin, puis remis, suivant les termes du traité, les
tl'Ois secteurs occidentaux aux trois puissances occidentales.
De même, les forces américaines et an.glaises évacuèrent la
partie de la zoue soviétique jusque là sous leur domination.
Berlin-Ouest n'a jamais fait partie de la zone smiétique
- d'occupation, il ll'a été que passagèrement territoire occupé
par les Soviets. Les puissances occidentales ont occupé les
trois secteurs occidentaux conformément à un accord multilatéral signé par l'Union Soviétique. Les droits qu'ont les
puissances occidentales à cette occupation ont donc la même
origine que ceux de l'Lnion Soviétique et n'ont pas du tout
été accordés par celte demière. Ainsi l' Uuion Soviétique
n'est nullement habilitée à abolir ces droits unilatéralement.
Le statut quadripartite de Berlin ne peut être transformé
qu'avec l'assentiment des quatre puissances. La situation
de Berlin-Ouest est déterminée par un statut particulier.
Uel'Iin se trouve sous commandement allié, celui-ci est composé actuellement des chefs des forces armées américaines,
anglaises et frauçaises stationnées à Berlin.
Bien qu'avec des restrictions, Berlin est politiquement
un " Land u de la République Fédérale. Il est vrai que ces
relations politiques n'onl pas été reconnues en droit internationaL Mais les alliés considèrent, sous certaines réserves,
les relations entre la République Fédérale et Berlin-Ouest
comme des relations d'Etat fédéral à Etat membre. Ainsi
BerliQ-Ouest est partie de la République Fédérale sous domination et protection alliées.
Cette situation curieuse résulte du statut quadripartite.
Les trois alliés occidentaux ne se crurent pas habilités à
159
�reconnaître Berlin-Ouest comme partie intégrante de la
République Fédérale sans l'assentiment de leur partenaire
soviétique. Mais lorsque les organismes représentatifs et la
l;opulation de Berlin-Ouest se furent prononcés en faveur de
lu. République Fédérale, ils laissèrent s'établir entre Berlin
et la République Fédérale des contacts étroits, aussi étroits
que le permettait le statut quadripartite .
Berlin-Ouest n'est, ni en droit ni en fait, en mesure de se
défendre lui-même. Le droit de la République Fédérale de
prendre seule l'initiative de la défense de Berlin est contesté
en droit international. Ce dmit appartient aux trois puissances occidentales dont les dix mille hommes de troupe~
remplissent une fonction sensiblement différente de celles
dévolues à des troupes .wrmales d' occu palion. Elles ne
défendent pas leur pays ou d'autres pays contre le territoire occupé, mais bien ce dernier contre des attaques venant
de la zone soviétique qui entoure Berlin, ou de la Russie.
Les trois puissances occupantes exercent ce droit de protection en accord avec les dirigeants et la population de BerlinOuest, ainsi que l'ont montré les dernières élections pour la
Cbambre des députés.
Conune le précise l'article 6 du traité de l'O.T.A.N .. le
territoire de Berlin-Ouest appartient à la zone défendue par
cette alliance. Les trois puissances oocidentales ont déclaré,
te 3 octobre 1954, qu'eUes considéreraient toute attaque
contre Berlin, cie quelque côté qu'eUe vienne, comme une
attaque contre leurs forces armées et contre elles-mêmes.
Les autres Etats de l'O.T.A.N. se sont ralliés à cette déclaration dans une résolution du Conseil de l'Atlantique Nord
en date du 22 octobre 1951La République Fédérale réclame pour la population de
la zone soviétique au moins le droit pour ceUe-ci de disposer
d'eUe-même, au nom de cette population qui n'a pas ellelIlême le droit d'exprimer cette aspiration. Il va cependant
de soi que l'Allemagne fédérale s'oppose de toutes ses forces
il l'abandon aux Soviets d'un mètre carré du sol qu'elle
défend contre la domination communiste. Bien que les chan- '
ces de voir la population de la zone soviétique exercer son
llroit il j'autodétermination soient poUl' l'instant; minimes,
abandonner Berlin-Ouest serai t considéré comme une renonciation à ce droit lui-mème.
~Jai s
160
la question de Berlin-Ouest se trouve en même
�temps placée au centre de la politique occidentale. Seule une
réaction de force égale de la part de l'Ouest pouvait répondre à la pression soviétique sur Berlin-Ouest. Par le dynamisme de ce processus, Berlin-Ouest a été poussé à l'avantscènc de la politique occidentale. Berlin-Ouest est devenn par
là un champ de bataille décisif entre l'Est et l'Ouest, entre
16 communisme totalitairc et la démocratie du monde libre.
Des cent m.illions d'habitants que la Russie a soumis à son
pouvoir en Europe occidentale et centrale, seuls les deux
millions de Berlinois ont su défendre leur droit à l'autodétermination . L'Occident aurait pu, au besoin, obtenir par
des opérations militaires qui auraient pu conduire à une troisième guerre mondiale, que les populations des Etats satelliles, en particulier celles de la zon,e soviétique d'occupation,
puissent se déterminer librement. Mais dans le cas de BerlinOuest Il s'agit de sauvegarder un droit légalement exercé
jllsqu'à maintenant.
li n'est absolument pas qllcstion pour l'Occident
·tl'essayer seulement de remettre en question par des opérations militaires les conquêtes soviétiques en Europe orientale
et centrale. Mais il n'est pas prêt à les reconnaître moralement et, en ce qui concerne la zone soviétique d'Allemagne,
à les reconnaître juridiquement. Berlin-Ouest est devenu le
symbole de la volonté commune du monde occidental de
s'affirmer en face de l'impérialisme communiste. BerlinOuest est une ville cie l'Allemagne occidentale et en même
temps certes une ville placée sous la protection des trois puissances occidentales et par là de l'O.T .A.N. Mais elle apparlient au monde occidental tout entier. La défense de BerlinOuest peut fournir demain la preuve que l'Ouest veut affirmer son existence. Celle volonté solidaire de l'Occident perdrait bea ucoup de sa vraisemblance si Berlin était ahan.donné.
La capitulation de l'Occident prouverait sa faiblesse au
monde entier et serait une preuve que la solidarité et la
confiance en soi de l'Occident sont ébranlées . Ceci constitue
une raison de plus pour les Russes de vouloir s'emparer de
Berlin-Ouest.
,
Si l'Occident livrait Berlin-Ouest, les petits Etats perdraient confiance dans la force de protection des grandes
puissances, ce qui à son tour pourrait mener à la dissolution
du système d'alliance occidental. Le gain en prestige de la
Russie soviétique correspondrait pOUf l'Occident à une perte
sensible et durable d'autorité.
161
11
�•
Si grande que soit la valeur de Berlin quant aux idéaux
défendus, on ne doit pas se dissimuler que cette ville représente aujourd'hui, sur les plans stratégique et matériel, une
charge pour l'Occident. La valeur économique de BerlinOuest pour l'Occident est minime . Il coûte en particulier
très cher à la République Fédérale qui doit lui accorder
d 'importantes subventions. Politiquement et militairement
Berlin-Ouest étant dans une situation absolument à découvert, il représente un point menacé pour l'Ouest. II peut
devenir pour ainsi dire un véritable talon d'Achille. L'Occident vit dans l'inquiétude constante de voir l'Union soviétique menacer Berlin-Ouest à chaque occasion favorable, soit
pour l'acculer à la capitulation, soit pour, en contre-partie,
arracher à l'Occident d'autres territoires . Les Russes chercheront par tous les moyens à paralyser l'intérêt que porte
l'Occident à Berlin, voire à ce qo 'il se résigne, pour être
libéré de cette charge et de ce souci. Il n'existe qu'une alternative: le choix entre la résistance avec l'inquiétude et les
sacrifices qui en résulLent d'une part, et de l'autre le calme
et le soulagement dus à la résignation , résignation qui mène
à la capitulation.
v
Berlin-Ouest peut rester le principal objet de discorde
entre l'Est et l'Ouest aussi longtemps que subsistent les
contradictions d'ordre social et constitutionnel entre cette
ville et le domaine qUI ]'entoure, jusqu'au moment par
conséquent où Berlin-Ouest sera délivré de son isolement.
Il n'y a, semble-t-il, d'après les conceptions actuelles, qu 'une
seule alternative : ou bien l'Allemagne est réunifiée ou bien
Berlin-Ouest est incorporé à la Zone placée sous autorité
soviétique. Cela ,ignifierait dans le premier cas que la Russie
renonce à l'annexion de fait d~ la zone qui est en son pouvoir ,
dans l'autre l'abandon pour l'Occidenl d'un territoire lui
appartenant légalement à Ul1e puissance n'ayant aucun droit
légitime sur ce territoire . Dans Ull règlement d€< forme si
absolue, il ne pourrait y avoir dans l'un ou j'autre cas que
vainqueur et vaif1cu. Il est fort improbable, par conséquent,
de voir à l'heure présente l'une de ces solutions se réaliser
sans recours à la force.
162
�Une troisième possibilité imaginable serait que la popuiation de la Zone soviétique obtint un droit véritable à l'autodétermination sur son propre territoire. Avec cependant la
réserve suivallte : ce territoire ne serait pas réuni à la République Fédérale, mais resterait au début séparé et neutre.
Mais cette solution aussi signifierait que la Russie renonce
en fait à son protectorat. allemand.
Une quatrième possiblité lécemment évoquée, sinon étudiée à fond par des milieux privés américains, est celle d'un
échange territorial de Berlin-Ouest contre la Tburinge et
l'ouest de la Saxe. Berlin-Ouest deviendrait partie de la zone
d'occupation soviétique, la Thuringe et l'ouest de la Saxe
reviendraient à l'Allemagne Fédérale. Cependant, une telle
suggestion n'est pas le fait de milieux officiels américains ;
elle semble résulter de l'incompréhension des arguments
employés par le Département d'Etat pour réfuter les prétentions soviétiques sur Berlin-Ouest. Dans son mémorandum
du 21 décembre 1958 sur la question de Berlin, le Départe. ment d'Etat a fait valoir que chaque puissance avait autant
le droit d'occuper Berlin que sa zone respective. Le droit
des trois puissances occidentales d'accéder librement à
Berlin étant à mettre au mêm~ rang que le droit d'occupation lui-même. D'autre part, la Russie soviétique n'avait pas
concédé aux Occidentam{ l'accès ù Berlin, mais elle avait
pris possession de sa zone avec comme préalable le maintien
de ces droits d'accès. Si cela n'était pas valable, les EtatsUnis pourraient alors, par exemple, exiger que la Russie
~oviétique se retire de la partie de sa zone occupée à l'origine
par les troupes anléricaines et réclamer pour eux le contrôle
de ce territoire . Ainsi donc le Département d'Elat n'a pas
émis l'idée d'un échange, mais " voulu mOlllrer par cet)
exemple que J'Union Soviétique n'a pas le droit d'interdire
l'accès à Berlin ou mème d'en tolérer l'interdiction.
"
"
.
Certes des échanges t.erritoriaux peu ven t permettre de
résoudre le problème des enclaves. ;Uais il ne s'agit ici en
aucune façon d'un remembrement territorial dOllt la réalisation, au moyen d'échange de territoires, ne serait d'ail··
leurs possible qu'entre deux Etats ayant un ordre constitutioIDlel et social identique ou du moins semblable. Même si
l'on faisait abstraction de celle méconllaissance du problème, qu'adviendrait-il des deux millions d'êtres humains
qui durant quinze années ont soutenu un combat acharné et
163
�constant contre la domination soviétique et qu'adviel\drait-il
de leurs biens ?
Tentons par la pensée une expérience el nous verrons
combien le règlement de la question de Berlin relève bien peu
du domaine écol\omique et leclmique. N'est-il pas possible
de construire avec de puissants moyens financiers et techniques un nouveau Berlin en Thuringe ou en Saxe occidentale
en y transportant tous les habitants de Berlin et leurs biens,
si tant est que le transfert soit rentable?
•
Le monde et même la Russie ne devraient-ils pas prendre
!eur part des frais entrainés par ceLte expérience qui élimilierait ce dangereux objet. de discorde? Une telle opéralion
conduirait en fait, pour la Russie, à un arrondissement de
son domaine, même au prix de certains sacrifices territol'aux. Berlin cesserait, aux yellx des soviétiques, d'être un
foyer dangereux et serait en même temps soustrait à cette
zone dangereuse .
Ce n'est pas la dépense gigantesque de moyens financiers et teclmiques qui parle contre un tel projet, mais, de
manière décisive, les conséquences politiques. Déplacer ainsi
Derlin-Ouest équivaudrait à une capitulation; elle signifierait
la reconnaissance morale et juridique de ,l'Est. Le monde
occidental serait pour un certain ::Jombre de jours libéré de
son angoisse, mais serait ensuite en butte au mépris de
l'étranger et se mépriserait lui-même
N'y a-t-il donc aucune possibilité réelle de compromis
entre ces deux solutions extrêmes: réunification ou annexion
par les Soviétiques? Le fait qu'aucune forme intermédiaire
entre l'ordre totalitaire cOmmuniste et la démocratie du
monde libre n'est à l 'heure actuelle pensable en Europe et le
fait que Berlin, par suite de -d situation particulière, représente une position-clé surtout symbolique, mais aussi réelle
dans la politique mondiale, rendent très difficile un compromis acceptable pour les deux partis intéressés.
Dans la situation actuelle, il semble qu 'il n'y ait qu'une
seule alternative à une solution provisoire: ou bien.la Russie
tolèrerait l'existence de Berlin-Ouest, ville occidentale au
centre de S011 protectorat, ou bien la Russie repousserait à.
plus tard son objectif, sans l'abandonner définitivement .
celui d'annexer Berlin.
164
�Les modèles-types d'une semblable alternative, susoeptibles de variations, seraient d'une part le régime du statuquo pour Berlin-Ouest, de J'autre la création d'une ville
libre, proposée par Kroutchev.
VI
)'!
Que signifie le statuo-quo '! Le maintien de l'ordre actuel
constitutionnel et international de Berlin et comme corollaire
le maintien des troupes alliées occidentales dans cette ville.
Par un retrait de ces troupes, les Berlinois se sentiraient non
point libérés, mais bien privés de l'indispensable protection.
donc abandonnés. Si l'on songe que le Régime de Pankow a
deux cent mille hommes sous les armes et que trois cent cinquante mille soldats soviétiques sont stationnées à BerlinOuest, toute intervent.ion par la force venant de la Russie
soviétique ou de .J'administmtion qu'elle a mise en place
dans son protectorat, constitue une attaque directe contre
les trois puissances protectrices. Celles-ci se trouveraient
alors placées devant l'alternative suivante: ou retirer leurs
troupes, ce qui équivaudrait il. une défaite de l'Occident ou
bien envoyer des renforts et se préoccuper de débloquer
Berlin, ce qui pourrait conduire à un conflit armé entre la
Russie soviétique et les puissances occidentales. Si, en
revanche, il n'y avait en stationnement à Berlin-Ouest aucune
troupe occidentale, une attaque soviétique pourrait être
considérée par l'opinion mondiale comme un conflit intéressant uniquement la ville de Berlin et la zone d'occupation
soviétique. Si alors les puissances occidentales envoyaient
dans la zone soviétique des forces militaires afin de protéger
Berlin, la Russie pourmit devant l'opinion mondiale accuser
l'Occident d'agression, à tort certes, mais les conséquences
d'une telle accusation son.t encore imprévisibles. Les conséquences de la présence ou de l'absence des troupes alliées à
Berlin sont les suivantes: dans le premier cas, les militaires
alliés se trouvent, lors d'une attaque soviétique, sur la défensive ; dans l'autre cas, les puissances occidentales ne peuvent arrêter ou repousser une telle attaque qu'en il\tervenant
P. travers la zone occupée par les Russes.
Un règlement de statu-quo ne change rien aux rapports
165
�entre Berlin e t l'Allemagne Fédérale. Pour Berlin-Ouest, il
est à l'heure actuelle bien plu5 important de se trouver placé
sous la protection directe des troupes des alliés occidentaux
que de voir reconnue, selol1 le droit international, son appartenance à la République Fédérale . En premier lieu, il importe
que la République Fédérale puisse aider Berlin économiquement et financi èrement dans toute la mesure désirable.
Bertin-Ouest ne dispose en effet de rien d'autre que de l'aide
de la République Fédérale et de la protection militaire des
alliés occidentaux. Si l'on retirait à Berlin aide et protection, il serait, à plus ou moins longue échéance, contl'aint
de capituler. Ce besoin de Berlin (l'être aidé et protégé est
provoqué par la Russie et résulte de sa situation isolée,
entouré qu' il est de tous côtés par un territoire ennemi.
l'ne ville aussi totalement isolée que Berlin l'est aujourd'hui,
est sans précédent historique .
• •
Berlin-Ouest se tro uve dans la situation d'une ville virtuellement assiégée en permanence. Ce siège ne sera pas efficace tant que des voies d' accès terrestres, fluviales et aériennes resteront libres et qu'une aide économique sera accordée
à Berlin. Ces voies d'accès sont les organes respiratoires de
Berlin ; si elles venaient à être bloquées, Berlin étoufferait.
La Russie est obligée envers les autres puissances occupantes de respecter la liberté de ces voies d 'accès et de la faire
respecter par des tiers . Le maintien du statu-quo signifie, du
moins politiquement, qu 'il est possible d'accorder à Berlin
aide et protection extérieures . Cela veut dire, juridiquement
du moins, le maintien du statu-quo quadripartite et le respect
de la liberté d'accès dans les limites admises jusqu'à présent.
VII
L'autre modèle-type est celui de la « ville libre », correspondant à la proposition de Kroutcbev. Mais d 'abord ,
qu'est-ce qu'une ville libre? Un organisme interna tional qui
éSt formé par une ville ou bien dans lequel une ville est
prépondérante et n'est assujettie à aucune autre. Par
conséquent, une ville libre devrait avoir la qualité de
sujet de droit international et pouvoir revendiquer cette qualité. Le monde a fait, à l'époque moderne, de très mauvaises
166
�expériences avec" la ville libre" dont l'existence a toujours
été le fruit de solutions de fortune diplomatiques . La Cité du
Vatican constitue la seule exception avec neuf mille quatre
cents habitants, tous soumis à l'autorité du pape. La Cité
du Vatican a bien les attributs d'une ville-état. En fait, elle
a été justement définie connue un ensemble de bâtiments où
se trouve la résidence du chef suprême de l'Eglise catholique,
laquelle dispose d'une exterritorialité renforcée. Les accords
du Latran garantissent avant tout le caractère catholique de
l'Etat qu i entoure le Vatican. Si d'après toutes les expériences faites jusqu·à maintenant la « ville libre" est une construction très problématique, ce concept mériterait d'éveiller
encore plus de méfiance lorsque les Russes l'utilisent.
Le Kremlin a autant tendance à reprendre à son compte certains concepts tirés du vocabulaire politique et juridique de
l'Ouest qu'il a le talent d'en transformer le sens quand il
ya recours .
Berlin devenant, dans le sens de cette définition, une
ville libre, cela signifierait l'annulation du statut quadripartite de même que la séparation sur le plan juridique de
Berlin et de la République Fédérale . Kroutchev a parlé à
maintes reprises rrune ville libre démilitarisée, cela signifierait le retrait des troupes de protection alliées. Même si la
police de Berlin-Ouest était considérablement renforcée, elle
ne serait pas en état d'en défendre la frontière non protégée
contre une attaque dirigée à travers Berlin-Est par les masses
venues du camp totalitaire. Qui donc protégerait alors
Berlin? L'O.N.U. ne serait /Jas en mesure de le faire, en
raison du droit de veto soviétique au Conseil de Sécurité.
La neutralisation de Berlin-Ouest ne donnerait à aucun pays
et à aucune alliance le droit de protéger cette ville d'une
manière active et efficace. Une protection réelle ne serait
possible que par l'entrée de troupes étrangères dans la zone
soviétique d'Allemagne ou par leur atterrissage à Berlin.
Mais cela pourrait être considéré comme ulle agression aux
termes des dispositions de l'O.N.D.
Berlin-Ouest, ville libre , I,ollfrait être privé de ses liens
avec l'Allemagne fédérale et de l'aide de celle-ci. Il deviendrait une ville sans aide ni protection extérieures Même si
nous faisons abstraction, pour un instant. des conséquences
possibles de la cOllstitution d'une ville libre, il n'en reste pas
moins que Berlin-Ouest, ville isolée, devrait se mettre
d'accord avec la zone soviétique d'occupation sur les assu167
�rances concernant les voies d'accès. Cela \'oudrait dîre
qu'elle reconnaîtrait la zone soviétique comme étant un
Etat. ~fais la constitution de Berlin en ville-libre ne pouvant
résulter que d'un accord entre les quatre alliés, la condition
préalable d'un nouveau réglement sur les voies d'accès à
Berlin serait la reconnaissancl' par les trois alliés occidentaux de la République démocratique allemande. Cela correspond aux calculs de li routchev. Pour Pankov, il s'agit
d'obtenir la reconnaissance internationale et de rendre, de
par son isolement, Berlin mûr pour une capitulation.
Kroutchev veut faire de Berlin Ulle ville libre, afin de lui
faire perdre sa libert~.
VIII
.,
r
•
>
Règlement de statu-quo, Berlin ville libre, telle est
l'alternative type dont on a surtout discuté depuis la note de
Kroutchev de novembre 58 . Entre les deux éléments de
j'alternative peut exister toute une série de possibilités. Lorsqu 'il s'agit du règlement de questions de détail, il ne faut
pas les considérer et les juger isolément, mais les étudier
cbaque fois eu fonction de la soIn tian type vers laquelle elles
sont orientées. La Russie soviétique et l'administration de
son protectorat d'Allemagne de l'Est n'ont pas, semble-t-il.
l'intention de prendre d'assaut Berlin-Ouest, car Il' risque de
guerre serait trop grand. Elles essaieront peut-être d'étrangler Berliu-Ouest. Elles essaieront de serrer peu à peu la
corde, centimètre par centimètre, dans l 'espoir que cbaque
action isolée aura une portée si négligeable que les puissances occidentales estimeront que cela ne vaut pas la peine
cl'intervenir énergiquement. Mais la somme de ces actions
isolées amènera une véritable capitulation. Des voix étrangères, dont certaines dignes de considération, se sont élevées
pour approuver dans une certaine mesure les prétentions
soviétiques tendant à réduire l'action de Berlin, ce cor]ls
étranger et nuisible, pour tout le domaine qui J'environne.
On peuse à suspendre des institutions particulièrement
gênantes pour la zone soviétique d'Allemagne, comme la
radio et les centres d'informations. Un tel règlement exigemit tout d'abord la réciprocité. Il ne semble pas cependant
que dans un pays totalitaire un tel règlement puisse être
respecté . D'autre part, il est dangereux de dOl\ner à la Rus.sie
168
�le droit d'intervenir directement ou indirec tement, ce qui
pourrait lui pel'mettre de prendre des mesures tracassières
dans le dessein d'user moralement Berlin-Ouest.
On ne doit pas davantage priver Berlin-Ouest de son
droit d'accorder asile. Non seulement parce que c'est un principe fondamental de la démocratie, donc déjà très important
en soi, mais encore parce que cette ville allemande, où exercent des fonctionnaires allemands, ne peut repousser des
réfugiés allemands . Comme Berlin est isolé et ne peut accorder l'hospitalité qu'à un nombre Imlité de réfugiés, il faut
que ces réfugiés soient dirigés yers l'Allemagne fédérale.
Cela ne peut se faire que [,al' la seule voie lion encore
contrôlée à l'heure actuelle, c'est-à-dire par les avions qui
partent de Berlin. La Russie soviétique s'elIorce d'obtenir
le contrôle des passages aériens pour interdire que de cette
façon des réfugiés venant de sa zone d'occupatIOn n'arrivent via Berlin en Allemagne Fédérale. La Russie soviétique yeut contraindre par là Berlin-Ouest à renOJlcer pratiquement au droit d'asile qu 'il accorde aux réfugiés de la
. zone placée sous la domination soviétique.
Même si l'on ne prend pas en considération les restrictions franches ou secrètes de Kroutcbev concernalll une telle
solution, une réunification ùe la ville séparée en deux
secteurs, le secteur Est et le secteur Ouest, la création par
conséquent d 'wle ville libre unifiée doit conduire à une
aggravation de la tension politique, à une multiplication
des motifs de conflit, aussi longtemps que subsistent les différences d'ordre constitutionnel et social. Berlin-Est dans
un Berlin réunifié constitubrait un véritable " cheval
de Troie ".
Celtes, il serait souhaitable et possible d'apporter, ne
serait-ce que sur le plan communal, une série d'amélioratIOns ou d'allégements d'ordre technique dans les rapports
entre Berlin-Est et Berlin-Ouest, même s'ils restent séparés.
Mais ici encore, il fa ut songer que la marge laissée libre
pal' le statu-quo qu'il faut maintenir par principe, est très
étroite. D'autre part, il faut compter avec la possibilité de
voir Pankow accentuel' encore la séparation en.tre BerlinOuest et Berlin-Est.
~
.
Souvent l'on reproche à l'Allemagne fédérale et aux
puissances occidentales de n'avoir pas fait de propositions
en vue d'une solution constructive du problème de Berlin .
169
�En fait, les droits de Berlin sont réduits à un minimum,
même si l'on néglige les oppositions tranchées entre les
!'onceptions juridiques des signataires supposés d'un traité
sur Berlin : car ces conceptions, un passé tout récent l'a
montré, peuvent conduire à interpréter et à appliquer des
traités de façons diamétralement opposées . A chaque concession faite pour répondre aux revendications soviétiques,
i· faut rechercher par un effort d'imagination réaliste si, à
la longue, cette concession ne conduit pas à une capitulation. La Russie soviétique avec sa politique imr,érialiste a
tout simplement enlevé à rOuest la possibilité d'élaborer
des solutions constructives. Ce n'est pas l'intelligeuce et
l'imagination occidentales qui ont fait défaut, mais la
matière semble ép uisée et n'offre plus de chances à des solutions constructives snsceptibles de rencontrer l'accord des
partis opposés.
IX
.-
,
.
Le statu-quo lui-même ne représente ancune solution
constructive dans le sens d'un apaisement durable, sans
garanties juridiques supplémentaires du côté soviétique ;
on pourrait alors penser à un. modèle de réglement comme
celui concernant la circulation des personnes et des marchandises entre la Prusse orientale et le Reich par le corridor
polonais comme l'avait prévu le traité de Versailles. Ce
règlement devant de toutes façons , pour avoir un sens, être
étendu au trafic par la voie aérienne et par l'autoroute.
Le statu-quo ne serait rien d'autre alors qu'un armistice.
Il est vrai que cet armistice existe depuis onze ans, mais
les Russes menacent depuis bientôt deux ans de le rompre
par le moyen détourné d'une paix séparée conclue avec leur
zone d'occupation . Dans la situation actuelle de statu-quo,
Berlin-Ouest se trouve virtuellement assiégé et ce siège peut
être rendu efficace par le blocus des voies d 'accès. Il est vrai
que Berlin est équipé pour résister quelque temps à un siège,
mais que ce siège puisse, comme en 1948-49, être battu en
brèche par un pont aérien, même s'il n'y avait aucun empêchement d'ordre militaire, est à présent un problème
teclmique très discuté.
A supposer que les voies d'accès soient totalement ou
en grande partie interdites, ce blocus ne serait pas simple170
�ment une violation du traité passé avec les alliés, mais
équivaudrait, selon le droit international, à une agression.
Car ce blocus déclencherait le siège efficace de la ville de
Berlin-Ouest. Si la Russie soviétique procède à ce blocus
ou le tolère, elle se rend coupable d'une agression et il
importe peu que ce blocus soit rendu effectif par des moyens
militaires ou de toute autre façon. Il n'y a pas de définition
universellement valable du mot. " agression ». On n'a guère
de cbance d'en trouver une. L'article 51 de la Charte des
Nations Unies parle certes du " droit inaliénable de se défendre n dans le cas d'une" attaque armée n, mais dans le cas
de Berlin il ne s'agirait, d'un point de vue formel, que d'une
" attaque indirecte» dont on a souvent parlé ces derniers
temps dans les relations entre Etats. Une attaque indirecle
aurait cependant, dans ce cas précis, exactement le même
effet qu'une attaque militaire. Un blocus des voies d'accès
:l. Berli[\ qui remettrait en question la liberté de circulation,
constituerait dans l'état actuel des choses un des rares cas
non équivoques d'agression.
·~
•
Mais connue Berlin-Ouest se lrouve placé sous la protection des trois puissances occidentales, qui se sont engagées à veiller sur sa sécurité, cette agression serait aussi
dirigée contre ces puissances. Les puissances protectrices,
et Berlin fait partie du domaine qu'elles protègent, sont
membres de l'O.T.A .N. L'Allemagne fédérale est, elle aussi,
membre de l'O.T.A.X ., et pour elle Berlin est un Land, donc
une partie de son territoire national. L'existence de
l'O .T.A.N . sous sa forme actuelle diminue le risque d'intervention soviétique à Berlin, ou celui d'une intervention ,
tolérée par la Russie, de la zone soviétique, car celte del'nière devrait compter, à l'extrême limite, avec un conflit
militaire.
x
Dans l'état actuel des choses, ni la Russie soviétique
ni l'Occident ne seraient disposés à accepter, dans un l'èglement avantageant l'autre camp, autre chose qu'une solution provisoire. Si J'on devait cependant parvenir à un
accord fondamental entre la Russie soviétique et les EtatsUnis, accord que certains considèrent comme inévitable,
celui-ci pourrait englober aussi Berlin - si possible sans
171
�risques - définitivement ou dans la perspective d'un règleUlent définitif, a'Jant tout accord global. Si cela était, l'Occident devrait alors défendre le statu-quo de Berlin pour
garantir d'une manière définitive le caractère démocratique
et libre de Berlin-Ouest, lors des négociations globales.
Ulbricht pousse il une annexion rapide de Berlin-Ouest, car
il redoute de voir la zone d'occupation soviétique privée de
Berlin lors de ces négociations. L'Ouest ne peut compter
avec certitude sur des accords d'ensemble, pas plus que sur
une sécurité définitive, garantie pour Berlin-Ouest par de
tpls aecords, mai;; il doit, dans l'attente d'une telle possibilité, maintenir le statu-quo.
•
-.
•,
Admettons que la Russie soviétique essaie d'arrondir
définitivement son territoire et d'affermir sa position juridique en annexant Berlin-Ouest. Elle le ferait non seulement
pour satisfaire ses appétits, mais aussi pour étendre, à toute
occasion favorable, à partir de cette base sûre, son expansion idéologique vers l'Ouest. Dans ce cas, Berlin-Ouest
garderait sa valeur réelle et symbolique dans la défense
idéologique de l'Occident. Mais si l'Union soviétique pouvait,
par suite d'un changement de la constellation politique,
acquérir la certitude absolue, y compris de façon subjective,
que l'Occident non seulement ne l'attaquerait pas, mais
encore la protègerait, alors pourrait naître une situation qui
ferait disparaître les motifs de désaccord à propos de
Berlin-Ouest.
T.
ESCHENBURG.
172
•
�~
• •
<
.
Q!lELQ!lES ASPECTS
DE L'ADMINISTRATION
PRÉFECTORALE
SOUS LE CONSULAT ET L'EMPIRE
(1800.1815)
I. - La question des super-préfets régionaux en l'an IX.
II. - La sous-préfecture du chef-lieu départem ental.
III. - Savary et le mouvement pr:ét ectoral d e mars 1813.
IV. - « Les préfets de Napoléon ~ par M. Jean So,oont.
(1958).
�..
"; . ....... .
;~:~~j;':§:,:~:.- ~ "'" -::t..+ ,..... ~!. "~.
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~
~:
;.'":~':~..i-:j.?\
- -.
�1
La question
des super-préfets régionaux
en l'an IX
•
En créant les préfets, la loi du 28 pluviôse an VIII
n'avait établi, quant à l'administration générale, aucun
échelon entre eux et le pouvoir central, c'est-à·,dire les
ministres. (1)
L'année suivante une suggestion qui préconisait la
création de cet échelon fut soumise au premier Consul
par le conseiller d'Etat Shée, qui avait été préfet du
!\font-Tonnerre (Mayence) du 3 messidor an VIII au 3m •
complémentaire de cette année et devait être préfet du
Bas-Rhin du 4 vendémiaire an XI au 5 février 1810. En
même temps que préfet du !\font-Tonnerre, il avait été
commissaire général du. Gouvernement près des départements nouvellemeut réunis de la rive gauche du Rhin;
'.
.,
(1) Les pièces manuscrites visées dans toute cette étude se
trouvent aux ArclJ.ives Nationales. On s'est borné il. uniformiser
l'orthographe. et à rectifier quelque peu 1& ponctuatioIL
175
�le fait d'avoir été ainsi superposé à des préfets put contribuer à lui inspirer les vues qu'il allait exposer à
Bonaparte. Qu'il ait été officier dans sa jeunesse exerça
sans doute aussi une influence sur un aspect de son
projet.
Le 29 IUvose au IX, Shée proposait au prenùer
Consul, dans un mémoire de cinq pages, (2) de créer dixsept administrateurs généraux placés entre les préfets
ct les ministres. n exposait qu'en créant cent-deux préfectures le Gouvernement avait voulu l'uniforoùté de
l'action administrative mais il ajoutait :
« L'expérience m 'a convaincu que pow' obtenir
la maturité des décisions, la promptitude d'expédition
et ménager au Premier Consul les instants qu'i! employe
si bien aux grandes choses, en lui épargnaut les détails
minutieux, ne laisser enfin parvenir aux différents
ministéres les propositions et les rapports multiples qui
partent journellement de toutes les préfectures qu'aprés
avoir subi un examen qui en élaguât ce qui tient à la
partialité, aux affections locales, en un mot aux petites
vues, il serait à désirer qu'on créât une surveillance
intermédiaire entre les préfets et les oùnistres. »
Après avoir visé l'immensité des objets quc comprend l'administration d'une préfecture, Shée continuait:
« On demeurera en effet convaincu de l'impossibilité physique qu'un nùnistre quelconque suffise à ces
détailS( multipliés par cent-deux préfectures.
« Cette vérité constatée par une expérience journalière explique pourquoi on demeure des mois entiers
sans solution SLU' des questions très importantes, sans
décision sur des destitutions proposées et urgentes, sans
nomination à des places vacantes qui mettent la chosc
publique en souffrance, etc., etc ... Mais la nécessité oil
se trouve Je minish'e le plus laborienx d'abandonne!'
une grande partie de ces objets à la sagacité de ses subor-
-~
.'.
(2) AF IV 1316 Premier Dossier n° 19.
176
1
�donnés pour ne s'occuper que de ceux d'uue importance
absolument majeure, produit souvent des elfets encore
plus fâcheux que ces délais.
.
« J'ai eu plusieurs fois occasiou de regreller que
des réponses trop longtemps attendues ne cuntinssent
que des phrases insignifiantes et d'un usage routinier
dans les bureaux, tandis qne nombre d'autres questions
restaient oubliées dans les cartons d'uu commis auquel
uue cascade de paresse les renvoyait en définitif. ~
Il voyait le remède à celle situation dans la création
de dix-sept chefs supérieurs (dont le titre importerait
peu) chargés chacun de surveiller six préfectures et de
correspondre directement avec les ministres. Ainsi le
créateur du plan d'administration adopté pourrait
« facilement et promptement diriger tootes les opérations
sur une connaissance certaine de l'état réel des choses. »
Neuf des groupes de départements, se trouvant border les frontières terrestres ou maritimes, seraient confiés à neuf généraux de division qui, au besoin, se trou,·eraient en état de pourvoir à leur défense militaire.
A la tête de chacun des huit autres groupes serait un
conseiller d'Etat. Shée prévoit ainsi les dépenses annuel.
les de cette administration nouvelle:
•
17 chefs de région à 36.000 f.
612.000
17 secrétaires généraux à 6.000 f.
102.000
17 chefs de bureau à 4.000 f.
68.000
51.000
17 sous-chefs à 3.000 f.
51 commis (3 par région) à 2.000 f.
102.000
17 garçons de bureau à 1.000 f.
17.000
Frais de bureau (4.000 f. pour chaque bureau) 68.000
soit 60.000 f. par région et au total :
1.020.000
.
,
f.
f.
f.
f.
f.
f.
f.
f.
Shée justifie ces traitements sur ce que « les admiuistrateurs généraux doivent tenir llll état de maison
qui leur donne beaucoup de considé.ratiou et qu'il faut
que les subordonnés tiennent à leurs places sans se laisser corrompre ». Mais il entend déduire du total cidessus les traitements perçus par les chefs dc région
dans leurs fonctions antérieures soit 25.000 francs pour
chacun des 8 conseillers d'Etat et 6.000 francs pour
chacun des 9 généraux. Il suppose donc implicitement
qu'il ne serait pas nommé, pour les remplacer comme
177
12
�tels, de nouveaux généraux ou ùe nouveaux conseillers,
ce qui est peu acceptable du moins pour ces derniers.
Cette déduction de 254.000 francs, avancée quelque peu
à la légère, ramènerait le coût annuel de l'institution à
766.000 francs.
Mais il s'ensuivrait une économie ùans les bureaux
du ministère: envoyant 17 circulaires au lieu de 102,
ils n'auraient pas besoin d'autant de commis. Même sans
cette réduction, on trouverait le moyen de couvrir la
dépense nouvelle sans charger le trésor pubTIc, et cela
« dans rexécution négligée d'une loi existante qui veut
que tout payement d'tme somme excédant dL" francs se
fasse sur une quittance en papier timbré. Or il serait
aisé de prouver que cette négligence coûte quelques
millions tous les ans à l'Etat, dont il n'y a guère que les
marchands d'objets de luxe ou de vétements qui profitent. Ce qui se pratique en Angleterre en est la preuve .•
•
Shée insiste sur le recrutement des hauts fonctionnaires qui seraient placés à la tête des régions et auxquels le Gouvernement doit pouvoir « accorder sans
danger une portion aussi considérable de confiance '.
11 faudrait désigner, outre les huit conseillers d'Etat,
neuf « officiers généraux distingués par leurs capacités
et leur désiutéressement : l'ordre dans les détails admi
nistratifs, de police et de finance d'un corps d'armée ou
d'une grande division est bien moins, étranger il l'objet
que je traite qu'il ne plaît de dire à une foule d'ex-ceci,
d'ex-cela qui croient avoir un dr'oit exclusif il toutes
les places où il ne faut pas se battre. Une malheureuse
expérience de dix ans nous a prouvé que leur principal
mérite consistait en sophismes. en subtilités chicanières
et en amplifications de rhétorique dont le sens commun
n'a eu que troPI longtemps à gémir.
« Si l'amalgame que je propose de ces deux classes
de citoyens est fait avec soin, il en résultera un rapprochement heureux qui les habituera à s'aimer et s'estimer
réciproquement et détruira de malheureuses préventions
nOUlTies par la morgue et la pédanterie des uns, par la
disposition des autres à trancher les difficultés comme
le nœud gordien: de longues années de service dans
l'une et l'autre capacité m'ont appris à saisir ces nuan·
ces.
178
�•
« II faudrait que tous les mois ces dix-sept administrateurs généraux adressassent un état général mais
sommaire de la situation des six départements confiés
à leurs soins à uu comité de cinq membres du Conseil
d'Eta t pris dans chacune des sections, •
Ce comité fondrait les dL>:-sept états de situation en
un seul état général qui permettrait au Gouvernement
« d'apercevoir d'un coup d'œil la situation de la République entière sous les trois rapports de justice, police
et finances; le conseil d'Etat de son côté acquerrait des
renseignements précieux, qu'il est souvent embarrassé
de savoir où chercher,
• J'ai dit un état de situation tous les mois et non
par décade, l'expérience a prouvé que plus multipliés
il est impossible de les faire avec soin, qu'ils deviennent
le travail d'un commis et manquent presque toujours
de justesse, de vérité et d'observations judicieuses;
aussi leur sort est-il d'être presque partout rélégués dans
des cartons sans avoir été examinés, après avoir inutile'ment occupé des commis et encombré les malles des
courriers,
• J'ai la conviction intime qu'une sage économie du
temps et des écritures, qu'une grande diminution dans
les paperasses tournent à l'avantage réel de l'administration et permettent d'y voir beaucoup plus clair, II
es t d'ailleurs de principe que pour qu'une machine
atteigne la plus grande puissance possible d'action, l'artiste en écarte tous les rouages parasites qui en multiplient le frottement. »
Shée termine sur cette conclusion, sans préciser en
quoi consisteraient les pouvoirs de ,ces ch~fs de région
envers les préfets, sans proposer de faire de la « déconcentration » en confiant aux ,premiers quelques-un.
des pouvoirs de décision juridique réservés, dans le système en vigueur, au POUyoir cenb'aI. Sur une feuille
annexe indiquant la division territoriale qu'il propose,
il ajoute ceci :
« Il conviendrait que chaque adminisb'ateur fît sa
résidence habituelle vers le point cenh'al des départements de son ressort, mais dans un lieu où il n'y aurait
point de préfet tant poUl' ne pas éclipser la cousidération
de ce dernier que pour n'en être pas circonvenu,
179
�« Une tournée au moins tous les ans serait d'obligation dans les six départements et je voudrais qu'il ue
logeât jamais qu'à l'auberge. Cette mesure parerait à
une foule, d'inconvénients qu'on deviue aisément. »
En haut du mémoire, dans la marge, on lit :
« R en·voyé par le 1" Consul au
pluviose. » (erreur pour nivôse).
Consll~
Le Brun 29
Une note anonyme, datée du m·èm e 29 nivôse, l'cul
exprimer l'appréciation de Le Brun. Le projet de, Shéc
y est sommairement analysé, et d'ailleurs altéré car on
n'y voit « qu'un système de réduction oes préfectures»
au nombre de oix-sept, ce qui est impraticable et placerait le préfet ou administrateur suprême trop loin dcs
adrninistl'ês. D'autre part :
« 9 administrateurs militaires auraieut leur du nge r
dans ce temps-ci, et dans tous les temps. Les hommes
civils ont leurs défauts, que les circonstances ont hi cn
exagérées. Mais ces défauts s'évanouiront quand il y
aura un système d'étndes et d'avancement dans l'adminisb'ation, surtout qnand les ministres seront ce qu'ils
doivent êlre, des hommes actüs formés par une longue
habitude des affaires.
« Les militaires ont aussi les défauts inhérents à leur
profession. Il faut pouvoir choisir le hon, le meilIelll'
partout où il est. Ainsi il ne faut pas se lier par ce,
affectations à une profession plutôt qu'à une autre. » (3)
Le premier Consul avait déjà placé et devait
employer encore des militaires en des postes de l'administration civile, préfectures et autres. Mais c'est il
cause de son principe même que la suggestion énùse
par Shée n'eut de suite ni alors, ni plus tru·d. Napoléon
n'adnùt jamais qu'un haut fonctionnaire se trouvât
placé, quant à l'ensemble de l'administration générale,
entre le ponvoir central et les préfets des départements
compris dans l'ancienne France, dans la Belgique et sur
la rive gauche du Rhin, si l'on excepte la période transi-
(3) Id.
180
�loire concernant cette dernière contrée au début du
Consulat et le régime particulier qui établit, de nivôse
an IX au début de l'an XI, un commissaire extraordinaire à la tête des deux départements corses. Dans les
contrées plus récemment réunies au territoire français,
il plaça, même après les régimes de transition précédant
ou suivant immédiatement l'annexion - mais peut-être
sans intention de conserver très longtemps ce système
- des gouverneurs généraux et des intendants des
Finances, du Trésor ou de l'Intérieur mais ni à Turin,
ni à Florence, ni à Rome, ni à Amsterdam, ni à Hambourg, ces personnages n'eurent autorité en toute matière snr les préfets, qui conservaient la correspondance
directe avec les ministres et en recevaient des ordres.
Les provinces illyriennes seules possédaient un régùne
diJrérent qui, du reste, ne comportait pas de préfets. (4)
Dans une lettre du 22 août 1811 à Cambacérés,
l'Empereur envisage de créer au profit de maréchaux
ou de généraux quelques autres postes dc gouverneurs
. généraux, de rang moins élevé, en des villes comme
Gênes et Bruxelles mais en leur donnant seulement,
avec un traitement important et des préséances honorifiques, et « indépendamment du commandement militaire, quelque chose dans la police, quelques honneurS
dans la coor impériale et enfin quelque chose dans la
municipalité, tout cela de manière à ne détruire la
responsabilité de personne et à ne gêner en rien l'unité
de l'administration. > (5). Encore cette idée ne semblet-elle pas avoir eu de suite.
(4) L'Empereur, écrivant li Junot le 18 février 1806, déclare
qu'une idée de celu1~ci tendant à concentrer tOU8 pouvoi.:"s dans les
mains d'un gouverneur général à Gênes c: n'est pas bonne. La marche
de l'administration est une ; une adminlstration particulière ne
peut qu'y apporter du désordre. ,. COTrespondamce ... n ° 9844 xn p. 77)
Le 22 janvier 1812, en conseil des ministres, 11 ordonne au mtnistre
du Commerce d'écrire à l'architrésorier Lebrun, gouverneur général en Hollande, que c: ...les Gouverneurs généraux ne peuvent prendre des arrêtés que pour les affaires: extraordinaires de poUce, et
.non pour les a1Iaires de finances ; que cette forme même qui charge
un préfet de l'exécution d'un arrêté rompt l'unité de l'Empire. Un
préfet ne peut être chargé de rien que pa:- un Mlnistre. :. (A F· IV
99 p. 30).
(3)
L. DE BROTONNE.
N ouv.nes lettres inédites, i l p. 145
n° 1&57).
181
�Même dans l'organisation" territoriale de ['année,
qui groupait les départements en divisions militaires,
1 apoléon parait avoir, en 1807, hésité à laisser - du
moins dans toute la France - les commandants de ces
divisions formel' un échelon hiérarchique entre le ministre et les généraux commandant les départements. Il
penchait pour la suppression des divisions militaires
quant aux départements de l'intérieur c'est·à-dire éloignés des frontières terrestres et des côtes. Il se demandait en outre s'il était nille de superposer aux commis"
saires des guerres placés dans les départements un commissaire ordonnateur pour chaque division militaire.
La note dictée par lui posait la question au ministre
sous les rapports de l'économie, de la rapidité du service
et des responsabilités (6). li ne changea cependant pas
les règles existantes mais cette note traduit un état
d'esprit peu favorahle au système proposé par Shée en
nivôse an IX pour l'administration préfectorale.
..
t
Pour la police générale seulemen t, le territoire de
l'Empire fut divisé, en l'an XII, en • arrondissements d~
police » (trois ou quatre selon les moments, y compris
celni du préfet de police) mais les conseillers d'Etat ou
le maître des requêtes placés à leur tête et superposés
en ce domaine aux préfets résidaient à Paris ; sauf le
préfet de police, ils ne possédaient de pouvoirs que
comme auxiliaires du ministre de la Police.
11 n'eût cependant pas été inutile de réaliser une
déconcentration administrative, partielle mais réelle, au
profit de « super-préfels régionaux» s'occupant chacun
(6)AF IV 909. Dossier Guerre, pièce n' 8. Note dictée le 17
septembre 1807.
e ... Il semble qu'U y a beaucoup plus d'avantages à faire
correspondre le ministre avec les commandants de l'Isère, du Mont·
Blanc et de la Drôme qU'avec le seul commandant de la 5 m .. division
militaire .. . Le ministre est invité à examiner cette question sous le
rapport du bien du service et sous celui de l'économie. Il fera
connaitre particulièrement quelle serait la diminution dans les
dépenses... TI verra., quant aux ordonnateurs, si un comm1ssaire
par département, correspondant directement avec l'admlnlstraUon
de la guerre, ne va.udrait pas mieux qu'un point central qui se
trouve quelquefois plus loin de Paris que le département avec lequel
U correspond, qui occasionne, en conséquence, des retards dans
la correspondance et qui déguise la respo~WtJé. .t
182
•
�de huit à douze départements, pour décharger nota11lr,
ment les bureaux ministériels et le Conaeil d'Etat de la
tutelle des collectivités locales et des établissements publics, du moins pour les affaires n'atteignant pas une
importance pécuniaire déterminée. Des retards nuisibles eussent pu ainsi être evités quant à l'exécution régulière des budgets, des menus travaux publics, etc. Mais
on vient de voir que ce point de vue était primé aux
yeux de l'Empereur par le souci de ne pas diluer les
responsabilités et de maintenir « l'unité de l'administration •.
-,
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183
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�II
La sous-préfecture
du chef-lieu départemental
r•
L'article 11 de la loi du 28 pluviôse an VIII décide:
Dans les arrondissements communaux où sera
situé le chef-lieu de département, il n'y aura point de
sous-préfet. »
«
Dans l'exposé des motifs fourni à l'appui du projet,
le conseiller d'Etat Rœderer, président de la section de
J'intérieur qui avait joué le principal rôle dans la rédaction, prétendait justifier ainsi cette règle
« Les raisons de cet article sont :
« 1°) Que partont où réside le préfet, c'est à lui
qu'il est naturel de s'adresser, et que par cette raison
le sous-préfet y est moins considéré qn'il ne devrait
l'être.
« 2°) Qu'il n'est pas plus difficile au préfet qu'au
sous-préfet de se procurer, de toutes les parties de
l"arrondissement où il réside, toutes les insh'uctions dont
il a besoin et d'y porter son action.
« 3°) Que les départements étant d'une étendue très
185
�bornée, il est très facile aux préfets d'exercer une administration particnlière d'arrondissement, en même temps
qu'ils exerceront leur surveillance sur les arrondissements voisins.
« 4') Qne ce sera une économie considérable d'épargner le traitement de quatre-vingt,dix-huit sons-préfets
et les dépenses accessoires. > (1)
Cependant le 24 pluviôse, au Tribunat, un membre
de cette assemblée, Dieudonné, qui était favorable à
l'ensemble du projet, critiqua cette règle de l'article 11 :
·.
• ,
« Dans cet arrondissement le préfet remplira à la
fois les fonctions de préfet et de sous-préfet. Ainsi, il
donnera son avis particulier snI' toutes les affaires particulières; il le donnera .par écrit et le signera; car il
doit faire alors tout ce que font les autres sous-préfets.
Lorsque les pétitions et réclamations sur lesquelles
il anra ainsi donné son avis seront présentées au conseil
de préfecture pour y être décidées, n'est-il pas à craindœ
que le conseil n'ait une déférence un peu aveugle pour
l'avis du préfet ? Dans ce cas les administrés u'en
souffriraient-ils pas quelquefois ?
« Si le conseil conserve assez de fermeté et d'indépendance pour se garantir de ce\(e prévention dangereuse, et qu'il prenne une décision contraire à l'avis du
préfet, n'est-il pas très inconvenant de voir ce dernier
sanctionner par sa signature et faire t!xécuter ensuite
un arrêté qui détruit tous les motifs qui avaient déterminé l'avis, aussi revêtu de sa signature'! La considération dont le préfet a besoin aux yeux des administrés ne
s'affaiblira-t-elle pas dans leur esprit ?
« N'est-ce pas, d'ailleurs, un inconvénirnt bien réel
d'obliger le préfet à correspondre journellement avec
soixante, quatre-vingts et peut-être plus de cent municipalités qui formeront l'arrondissement du chef-lieu ?
Cette correspondance inunense, les minutieux détails
(}l1'e1le embrassera, l'examen d'une foule de réclama-
(1) Arcni1>es parlementatres) 2 m, série l pp. 170-171.
186
�lions, distrairont le préfet des obj ets les plus importants
de ses attributions et nuiront nécessairement à l'administration générale dont il est chargé. » (2)
Dieudonné exprimait l'espoir que le Gonvernemenl
proposerait par un proj et particulier d'établir des souspréfets dans ces arrondissements. Devant le Corps législatif, le 28 pluviôse, le tribun Delpierre émettait le même
souhait dans son discours favorable au projet, après
avoir repris en quelques mots la première critique de
Dieudonné. Les orateurs dn Gouvernement ne la relevèrent pas. (3)
·>,
Le texte demandé par les deux tribuns ne fnt pas
préparé et le préfet remplit donc dans l'arrondissement
du chef-lieu départemental le rôle de sons-préfet. Ce
rôle comportait peu de pouvoirs juridiques de décisioll
à exercer sous forme d'arrêtés. il · était essentiellement
d'informer le préfet et de lui fournir des avis sur les
. questions locales, de transmettre et de faire exécuter
ses décisions ou celles du pouvoir cen tral, de diriger
ou de conseiller les maires ruraux. Une grande partie
de cette tâche, remplie en Cait par les bureaux, n'imposait pas au préfet une charge plus lourde que si un souspréfet s'était interposé entre lui-même et ces bureaux.
fi a même été soutenu que tous les sous-préfets ct
leurs bureaux étaient entre la préfecture et les maires
des intermédiaires inutiles, voire nuisibles (4). Il était
cependant des par~es de l'activité normalcment attribuée aux sous-préfets qui incombaient au préfet luimême pour un arrondissement.
Or, et d'autant plus qu'ils se trouvèrent aux prises
avec les difficultés inhérentes à la mise en train de tout
nouveau système administratif, plusieurs préfets déclarèrent bientôt que ce rôle supplémentaire nuisait à
l'accomplissement de leur fonction principale. Lc conseiller d'Etat Fourcroy, qui inspecta en l'an IX les dé-
(2) Id. pp. 197-198.
(3) Id. p. 228.
(4) Mémoire de Le.zay-Marnésia en 1809, visé cl-après.
187
�parlements compris dans plusieurs divisions militaÎres,
écrivait dans son rapport concernant la 12m • division
(Loire-Inférieure, Vendée, Deux-Sevres, CharenteJlnférieure) visitée par lui en nivôse:
• Les quatre préfets ont observé que la sous-préfectW'e de leur arrondissement, réunie à la préfectw'e, SUlcharge les préfets de détails qui entravent leur marche
ct leur ôte même une partie de la considération don! ils
ont besoin pour remplir leurs fonctions. »
En floréal suivant les préfets du Calvados, de la
Manche et de l'Orne lui exprimèrEut les mêmes doléances. Selon eux, l'assistanc., d'un sous-préfet « leur permettra de porter plus particulierement leur altention
sur les objets d'administration générale et de donner li
la marche des affaires la célérité qu'elle exige . • (5)
D'autres préfets et conseils généraux déplorèrent
aussi l'absence d'un véritable sous-préfet dans l'arron·
dissement du chef-lieu départemeutal car, en pluviôse
an IX, le ministère de l'Intérieur s'en faisait l'écho et
proposait l'abrogation de l'article 11 de la loi du 28
pluviôse an VIII. Un projet de rapport ministériel
s'exprime ainsi :
•
« Citoyens Consuls
« La loi du 28 pluviôse a décidé (art. 11) qu'il ne
sera point établi de sous-préfet dans les arrondissements
où est situé le chef-lieu des Départements.
« L'expérience accuse cette disposition de plusieurs
inconvénients. Elle est devenue l'objet des réclamations
de presque tous les préfets.
c Ils observent:
« 1°) que l'arrondissement du chef-lieu, composé
des commnnes les plus populeuses du Département,
fournit à l'administration plus de détails, plus d'affaires
qn'aucun autre, que le préfet ne peut se livrer à ces soins
particuliers sans dérober à l'administration générale du
département des moments qu'elle réclame .
•
(5) RoCQUAIN.. Vétat de la
et 181.
188
Fra.nce au 18 bnlmaÎ1'e} pp. 130
�« 2°) que les administrés qui habitent cet arrondissement se trouvent par le fait privés d'un des degrés de
la juridiction administrative (6). Jugés dans leurs réclamations immédiatement par le préfet. ils ne peuvent
appeler de sa décision qu'au Ministre, tandis que les habilants des autres arrondissements, écoutés d'abord par le
sous-préfet, peuvent ensuite se faire entendre au préfet
et ont ainsi avant de recourir à l'administration supérieure deux chances qui peuvent se balancer utilement
au profit de la justice et de la vérité.
« 3°) que dans plusieurs cas, des adnùnistrés, pour
obtenir du conseil de préfecture une décision, doi.vent
y présenter une opinion du sous-préfet et que le préfet
qui en remplit les fonctions, se trouvant ensuite président du conseil qui doit exanùner son avis, se trouve en
quelque sorte juge dans sa cause et censeur légal de
l'opinion qu'il a émise.
c Ces cousidérations ne furent pas oubliées dans la
discussion qui précéda la loi du 28 pluviôse, mais on
pensa qu'une économie dont la voix est toujours entendue avec faveur d'un Gouvernement sage et paternel
pouvait compenser ces irrégularités.
« En résultat les vices se sont fait sentir et l'écono··
mie a été presque nulle.
« Dans chaque préfecture, les afraires de l'arrondissement du chef-lieu séparées de celles de l'adIninislrHtion générale sont confiées à un bureau particulier dont
le chef entretient avec le préfet et avec les administrés
les mêmes relations qu'entretiendrait un sous-préfet et
dont les frais sont probablement égaux à ceux qu'occasionneraient dans les bureaux de celui-ci les mêmes
occupations.
« On ne peut cependant disconvenir qu'une lég~re
augmentation de dépense résulterait de l'institution de
ces sous-préfets, à raison du traitement qu'i! conviendrait de leur allouer et qui, déterminé par le séjour des
(6) Malgré les tennes ~Tidiction et jugés il s'agit là de décisions prises sur le plan de l'administration active.
189
�,
\
plus grandes vin~s de la République, serait en général
au maximum des traitements de ce genre. « Il convient aussi d'observer que les fonds out été
distribués pour l'an neuf avec une précision si rigoureuse qu'il ne reste rien de disponible pour subvenir à ce
surcroît de dépenses.
« Mais si ce changement anêté dans la session
actuelle du Corps législatif ne devait s'opérer que pour
ran 10, il serait facile d'en combiner les frais soit avec
la diminution qui devrait s'opérer dans ceux qu'exigent
les bnreaux des préfets, soit avec une légère augmentation de moyens, deux ressources al1xquelles pour l'au
9 il n'est pas possible d'avoir recours.
« Je crois, citoyens COllSuls, que rétablissement d'un
sous-préfet pour l'arrondissement de chaque chef-lieu
de département rendrait la marche de l'administration
plus régulière, ofIrirait aux administrés une garantie- de
plus, dégagerait les préfets de détails qui les fatiguent
et lelU' permettrait de consacrer sans partage toute leur
attention aux grandes pensées, à la surveillance qui sont
la véritable fonction de la haute magistrature.
« J'ai l'bonneur de vous proposer de soumettre à
J'examen du Conseil d'Etat le projet de loi ci-joint. ' . (7)
(7) F~ B l- 153 nO 46. Une &lutre feuille, elle aussi non signée,
porte -un texte différent, daté du 6 pluviôse et qui, sauf la premièJ.'e
phrase, a été batonné et remplacé par le tCÀ"te cj -dessus dans la
seconde rédaction. Le premier texte fait état des observations
émiaes par « la plupart des P l'éfets et des Con8eils générau,x :. ;
il déclare qu'après avoir donné son avis en tant que sous-préfet
SUr des objets à soumettre au conseil de prefecture, le préfet
devrait renoncer à sièger dans celui~ci pour ces mêmes affai:-es
« puisqu'il serait en même temps juge et partie ou serait exposé
au désagrément de concourir lui-même à la réformation de ses
actes ~ . On remarque aussi que les détails relevant de cette 8OUSpréfecture c: sont d'autant plus considérables que le nombre. des
communes de l'arrondissement communal du chef-lieu excède pres ~
que toujours de beauc.oup celui des autres arrondissements. Enfin
les embarras augmentent lorsque le Préfet est forcé de s'abstenir. ;)
Selon la loi du. 28 pluviôse an VU! (Art. 23) le traitement
annuel des sous-préfets 'e st de. 4000 f. dans les villes de plus de
20.000 habitants et de 3.000 f. dans les autres. Or, d'après le texte
initial du rapport susvisé, pour l'an IX « d'après l'évaluation de
toutes les dépenses administratives et judiciaires, 11 ne restera
disponible qu'environ 60.000 f. pour subvenir aux besoins extraordinaires. On ne pourrait d'aUleurs provoquer pour cette année l'imposition d'un supplément de centimes additionnels puisque les rôles
sont faits et en recouvrement. ;)
Le ministre de l'Intérieur était alors qhaptal.
190
�Ce projet était ainsi libellé:
« Art. 1" : L'art. XI de la loi du 28 pluviôse [an 8]
est rapporté.
Art. 2. A compter de l'an 10 il Y ama un sou s.-préfet
pour chacun des arrondissements communaux où est
situé le chef-lieu du département. »
•
•
Mais, que ce texte ait ou non été renvoyé par les
Consuls au Conseil d'Etat, il ne fit jamais l'objet d'un
projet de loi soumis au Corps législatif. Il aurait du
moins été possible, afin d'écarter plusieurs des griefs
allégués, de substituer au pl-éfet, pour celles des attributions du sous-préfet qu'il remplissait efl'ectivement
dans l'arrondissement du chef-lieu, le secrétaire général
de la préfecture, dont les fonctions officielles normales
se réduisaient à assurer « la garde des papiers» et à
contresigner les arrêtés. !\fais aucune réforme en ce
domaine n'intervint avant la fin de 1809; alors sans
prendre la peine de faire abroger ou modifier par une
. loi l'article 11 de celle de pluviôse an VIlI, Napoléon
créa des sous',préfets pour les chefs-lieux départementaux mais ce fut comme élément partiel, "oire accessoire, d'une réforme ayant un but düTérent.
A la fin de 1809 l'Empereur décida, pour des raisons
au moins aussi politiques qu'administrathes, d'élever
sensiblement le nombre des auditeurs au Conseil d'Etat,
même en y comprenant des hommes qui, malgré lelll'
titre, ne participeraient en rien à l'activité du Conseil.
II s'agissait notallllllent d'attacher au régime impérial
et d'orienter vers les fonctions publiques civiles des
jeunes gens issus de familles, riches ou aisées, de la
bourgeoisie ou de la noblesse d'Ancien Régime.
,
1
,
'
,•
Pour une partie d'entre eux, l'emploi de début se
situerait dans l'administration préfectorale. Le projet
de décret préparé par le Conseil d'Etat n'en prévoyait
<[ue pour les préfectures importantes à désigner: chacune recevrait deux auditeurs placés à la disposition du
préfet avec entrée au conseil de préfectnre. Cette formation était considérée, sans doute avec raison, comme
inférienre à celle qui pouvait s'acquérir auprès du Conseil d'Etat: en effet le proj et exigeait que, pour pouvoir
devenir sous-préfet dans un arrondissement ordinaire,
191
�un auditeur eût passé soit deux ans en service ordinairc
auprès du Conseil, soit quau'e ans auprès d'nn préfet.
Or, après la dernière délibération où le Conseil
d'Etat avait arl'êté ce projet, le ministre de l'Intérieur,
Montalivet, demanda à l'Empereur d'en onblier plusieurs articles. II aspirait à voir les auditeurs occupel'
bientôt un nombre croissant de sous-préfectures.
11 estimait que même le fait d'avoir passé deux ans auprès du Conseil ne donnait peut-être pas « assez de
garantie de leur bonne administration dans les arrondissements où ils seront seuls et sans guides >, que
quatre années de service auprès des préfets donneraient
\lne garantie complète quant à leur préparation aux
fonctions de sous-préfet mais qu'un tel délai « ajourne
pour longtemps l'époque où les auditeurs rempliront des
~ous-préfectllres •. II proposait donc de modifier le
projet sur ce poiut mais aussi d'élargir l'emploi des
nouveaux auditeurs dans l'administration préfectoralc.
11 visait à mieux préparer la formation de futurs sonspréfets mais, en même temps, à remédier aux inconvénients de l'absence d'un sous-préfet dans le cbef-lieu
départemental car il reprenait à cet égard les critiques
déj à formulées par son prédécesseur de l'an IX :
« L'on a souvent regretté qu'il n'y eÎlt point dc souspréfets dans les chefs-lieux de département; les Préfets
cn excrccnt les fonctions; mais presqup toujours. l'arrondissement on le département, et mêmc l'un et l'auu'c
cn soufIrent. Si le Préfet entrc dans tous Ics détails dc
son arrondissemcnt, les vues générales lui échappent;
s'il néglige les détails, ses sous-préfets, prenant son
arrondissement comme exemple, se relâchent et sont
encore loin de craindrc la comparaison. Chacun des
cm ployés de ses bureaux doit comme lui avoir deux
manières de traiter les affaires et tend toujours à exiger
moins des sous-préfets pour avoir moins à faire dans la
sous-préfecture du chef-lieu, et alors tout est au pis.
.,
« L'économie dans les dépenses a été une des raisons ·qui ont fait ajourner l'établissement des SOU5
préfets dans les chef-lieux, mais quant aux bureaux je
pense que l'on se trompe et si l'on considère que les
employés se payent généralement plus ou moins, selon
l'ordre qu'occupe, dans la hiérarchie, l'autorité qui les
192
�emploie, si l'on remarque que dans \lne moins vaste
administration il y a bien moins de perte de temps,
moins de consommation, moins d'abus de tout genre, si
l'on compte pour qnelque chose le travail du sous-préfet
lui-même, si intéressé à bien diriger son administration,
on reconnaîtra que les hnreaux d'une sous-préfecture
seront loin de coûter une somme égale à l'économie quc
produira sur les dépenses de la Préfecturc le retranchement d'employés et de bureaux que permet la séparation des fonctions du sous-préfet de celles du Préfet.
« L'économie s'i! y en a une ne porterait donc que
sur les traitements.
« Mais Votre Majesté veut formel' des administrateurs et pour cela elle crée des auditeurs auxquels elle
accorde des appointements: ne serait-ce pas disposer
de ces jeunes gens de la manière la plus utile que de les
cbarger des fonctions de sous-préfets dans les chefslieux?
« Ils se formeraient sous les yeux des Préfets, leur
inexpérience s'aiderait à chaque instant des lumières
de l'administrateur général qui essayerait leurs forces
toutes les fois qu'il n'y verrait aucun danger: Votre Majesté pOlll'rait dès à présent envoyer des sujets à cette
école. Les Préfets seraient déchargés de détails qui nuisent au perfectionnement de leur administration et les
arrondissements des chefs-lieux n'auraient pas une ga··
rantie de moins que les autres, pour lesquels un magistrat intermédiaire est un degré d'examen soigné, un
moyen de révision et de justice de plus.
« C'est d'après ces motifs que je prends la liberté
de proposer à Votre Majesté une nouvelle rédaction des
artides 14,15,16,17, titre deux du projet de décret. » (8)
L'Empereur accueillit cette idée. Le décret du 26
décembre 1809 (article 15) décida:
« Il sera placé, près du préfet de chaque départe-
,
.
(8) A F IV
~25
Plaq. 3185.
193
13
�ment, un auditeur qui aura le titre et qui fera les fonctions de sous-préfet de l'arrondissement du cherlieu ... » (9)
L'article 16 plaçait en outre dans chacun des :lI
départements les plus importants (cn dehors de la Seine)
énumeres par le tableau anuexé au décret ct
auxquels il pourrait en être ajouté en cas de besoin un autre auditeur qui serail à la disposition du préfet
et pourrait être chargé par lui de suppléer un souspréfet, d'instruire des .. l'fait..:!s con tentieuses ct de '·emplir telles autres tâches que détennil1l'rail plus tanl
l'Empereur (Art. 17). Il aurait en outre séance et voix
consultative au conseil de p' éfeeture, ce (lui n'Hall pas
prévu pour l'auditeur sous-préfet de l'arl'lllldiss~mcnt
du chef-lieu. (10)
•
<
Le préfet du Rhin-et-Moselle, Lezay-Marnésia,
jugeait inutiles tous les sous-préfets sédentaires e t
aurait voulu qu'ils fussent mis à la disposition du préfet,
sans affectation imposée, pour des missious surtout
ambulantes. Il critiqua, dans une lettre et dans un
mémoire adressés à Réal, l'innovation réalisée par le
décret dn 26 décembre 1809 en ce domaine (11) . Mais
la plupart de ses collêgues apprécièrent sans doute mieux
la réforme que beaucoup de préfets préconisaient
dès l'an IX. Toutefois le baron Lambert, préfet d'Indreet-Loire, écrivant le 25 novembre 1810 au duc de Bassano,
(9) Ayant étudié dans c Les a-uditeurs au CcmscU d'Etat de
1803 à 181.+ ;) (pp. 26-48) le contenu et l'application des réfomles
de 1809 et 1811 con(';ernant les audIteurs, je réduis ici au strict
minimum les traits qui concernent les sous-préfets de chefs lieux
départementaux en tant qu'auditeurs et je laisse de cOté les questions de personnes.
(10) Malgré l'observatiOOl précitée de Montalivet, Je décret
maintint l'infériorité du service dans les préfectures par rappt.wt
au service auprès du ~nseU :
«. Art. 20. Le quart des sous-préfectures qui viendront à vaquer
ne sera conféré. à mesure qu'elles viendront à vaquer, qu'à ceu":
qui auront été auditeurs près de notre Conseil d'Etat... pendant
l'espace de deux. ans au moins, et aux au diteurs qui au ront été
pendant quatre ans en service auprès des préfets .,
(11) Mémoirer· reproduit en J.
lat el de l'Empire, pp. 114-129.
194
RtGNIER 1 Les préfet8
du. COtlS'l'-
�ministre secrétaire d'Etat, déclarait craindre l'inexpérience des nouveaux sous-préfets prévus par le décret;
il eflt exigé d'eux l'âge de 25 ans et leur aurait seulement
donné le titre de « rapporteur des affaires de l'arrondissement du chef-lieu >, avec les fonctions ordinaires des
sous-préfets « sans pouvoir néanmoins prendre d'arrêtés
ni faire aucun acte d'autorité administrative. » (12)
Que cette lettre y ait ou non contribué, un décret du
7 avril 1811 concernant l'ensemble des auditeurs apporta,
quant aux sous-préfets placés dans les chefs-lieux de département, quelques retouches à celui du 26 décembre
1809. II divisa tous les auditeurs en trois classes; sur les
128 sous-préfets de cette catégorie, il en serait placé 20
dans la première cIass~, 30 dans la seconde et 78 dans la
troisième, qui comprendrait aussi les 34 auditeurs placés
à la disposition de préfets. Ce classement entre les postes
était établi en principe d'après les préfectures mai.
l'avancement de classe comme auditeur serait personnel
et pourrait naturellement se faire en dehors de l'administration préfectorale. Les auditeurs déjà nommés, pOll\'
la plupart en 1810, seraient immédiatement répartis entre
les trois classes .
·'
•
(12) A F TV 1335. Ce préfet demandait qu'li fOt en outre pIao.!
dans tous les départements un autre auditeur, (et même plusiew's
dans certains s'U était nécessaire) mis à la disposition du préfet
.'
pour remplir diverses missions et aussi les fonctions du secrétaire
général, « fonctionnaire 80tUtJeat 1.1lactif >, qui dispaîratrait. Cette
ruggestlon eOt conduit à un gonflement excessif du nombre, déjà
trop accru, des auditeurs. Mals des préfets dont le département
n'avait pas été jugé assez important pour qU'cn leur adjoignit un
tel auditeur le réclamèrent.
Ainsi celui du Loiret. expose, en 1811, au min1stre de l'Inté~eur,
qu'Orléans a 45.000 habitants, un lycée, un hospice, une prIson,
un dépOt de mendicité, une sodété des sciences et d'~o-rioultureJ
un jarcUn de botanique, une école gratuite de dessin et d'architecture, et que c les affaires très nombreuses que cette ville' donne
Il Z.'admini8tration de la Préfecture~ qui les traite directement ,
dCCTo1Ssent considérablement le trava.il d.u Pri:fd b. Les con.<;ÇH1ers
de préfecture, réduits au nombre minimum (trois) ne peuvent recevoir de mission exigeant des déplacements et les écartant de leur
poste nonnal. D'autre part (et le baron Lambert avait aussi fait
cette remarque) il y a des inconvénients à ce que le sous-préfet
malade ou en congé .ne puisse être remplacé provisoirement que
par un employé de ses bureaux. Montalivet transmit la demande
au ministre secrétaire d'Etat mats elle ne fut pas a.ccuelllie par
l'Empereur. (A F TV 1316. Intérieur, Dossier 1811-1814 n" 34-35) .
195
�Panni ceux qui furent alors placés comme souspréfets dans les chefs-lieux départementaux, ceux de la
seconde classe n'étaient pas plus anciens, ni, en général,
plus expérimentés que ceux de la troisième, mais c'est
seulement envers ceux-ci que le décret du 7 avril 1811
prit quelques-unes des précautions conseillées pour tous
par la leUre du baron Lambert. Leurs arrêtés ne seraient
exécutoires, pendant la première année de leurs fonctions, qu'avec le visa du préfet; après un an ils coucourraient avec les conseillers de préfecture pour la suppléance éventuelle du préfet (Art. 22). Mais quelle que
fût la classe de l'auditeur sous-préfet au chef-lieu départemental, le préfet pourrait « se réserver l'instrllctiol!
et fexpédition de telles affaires 011 parties spéciale.,
d'administration> qu'il jugerait bon (Art. 30). Enfin
pour éviter des froissements entre ces jeunes sous-préfets
et les maires des « bonnes vil/es >, c'est-à-dire des villes
les plus importantes, ceux-ci correspondraient, pour
les affaires municipales, directement avec le préfet, sauf
délégation expresse et limitée de celui-ci au sous-préfet
(Art. 31).
Le même décret améliora sensiblement la situafion
pécuniaire de cette catégorie de sous-préfets. Celui du
26 décembre 1809 exigeait des nouveaux auditeurs un
revenu annuel de 6.000 francs, à titre personnel ou
comme pension versée par leur famille. Il put dont:
n'accorder aux auditeurs employés dans les préfectures
(ou dans les administrations centrales autres qu'uu
ministère) que 500 francs par an, sur les fonds du Conseil d'Etat (Art. 22), l'Empereur se réservant toutefois
d'y ajouter un traitement à fixer selon leurs fonctions.
Le décret du 7 avril 1811 maintint à cette somme (prise
désormais sur les fonds de la préfecture) le traitement
des 34 auditeurs mis à la disposition d'autant de préfets
(Art. 25) mais il accorda aux auditeurs sous-préfets du
chef-lieu départemental le traitement de leur fonction
(Art. 24).
.'.
Enfin le décret du 7 avril 1811 éleva sous un autre
rapport la situation de l'auditeur souSl-préfet du cheflieu départemental. Dans la lettre précitée ' le préfet
Lambert préconisait l'entrée de ces auditeurs au conseil
de préfecture: ils y feraient rapport des affaires contentieuses concernant leur arrondissement et ils auraient
196
�• f
-.~
voix délibérative pour celles-ci, voix consultative seulement pour les autres, du moins jusqu'à l'àge de 27 ans.
L'auditeur éventuellement attaché au préfet aurait le
même rôle,létant rapporteur pour les affaires des autres
arrondissements. Le décret du 7 avril 1811 prit une
mesure quelque peu différente: le sous-préfet du cherlieu dépar~emental siège.ra au conseil de préfecture
(seulement après un an de service s'il est de troisième
classe) et y aura voix délibérative pour les affaires
étrangéres à son arrondissement (Art. 9, 15, 22). Ce
système était plus favorable à l'impartialité des délibérations que celui du baron Lambert. (13)
Ce dernier relevait dans sa lettrc au duc de Bassano,
('intérêt que présenterait l'entrée de ces auditeurs au
conseil de préfecture; elle rendrait plus rare le recours
à des conseillers généraux pour compléter le consefl ct
procurer le quorum, exigé. En outre elle donnerait aux
séances de ces conseils « le caractère de dignité qui
conuient ci ['importance de leurs attributions >. Cette
. formule semble exprimer au moins des doutes sur la
qualité des conseils de préfecture en général. Or il est
exact que leur personnel comprit beaucoup de sujets
très médiocres. Cette situation ne tint pas seulement à
ce qu'en l'an VIII le recrutement initial fut souvent
hâtif; elle fut duc en partie à l'usage du recrutement
local et à la faible rémunération (1200 ou 1600 francs
par an dans la plupart des préfectures) jugée suflïsante
pour une activité qui en beaucoup de départements
resta réduite. Les deux raisons réunies conduisirent à
admettre une compalibilité large entre cette fonction
et les professions d'avoué, d'avocat, voire d'agent d'affaires (14). Le rajeunissement de ce personnel ne semble
pas avoir préoccupé très vivement le ministre de l'Inté
rieur.
(13) Le décret n'!nJlove pas,
~
cet égard, quant à. l'auditeur
attaché au préfet en plusieurs départements ; U n'a donc, conformément au décret du 26 décembre 1809,\ que voix 'cons\Ùtative alll
conse1l ;de préfecture.
(14) C'est seulement pa.1"I' un avis du ConseU d'Etat approuvé
le 5 aoM 1809 que ces fonctions sont .déclarées incompatibles avec
celles d'avoué. En février 1810 encore le mJn1stère de l'Intérieur
admet la. compa.tibllité avec la profession d'avocat (LANZAC DE
LABORIE. La Bolg;que ...... la dominatl<m """"çaiae, 1 pp. 334·336)'.
197
�Dans les dernières années de l'Empire une liste,
qui ne vise qu'une partie des départements, reproduit
des renseiguements défavorables fournis sur 2S couseillers de préfecture apparteuant à :n départements qui
comptent en tout 83 conseillers. Neuf (dont un ancien
préfet) sont par leur âge ou leurs infirnùtés hors d·état
de se rendre utiles, six sont incapables ou trop peu instruits, deux viennent rarement aux séances; neuf exercent d'autres professions: on compte parmi ceux-ci
quatre avocats (dont l'un suspect d'usure et auquel « 011
ne croit pas beaucoup de délicatesse.), deux hommes
qui tiennent des cabinets d'afIaires, un architecte, un
imprimeur, un négociant ou industriel présiden t de
tribunal de commerce; eufin la liste comprend un
sourd et un homme qui remplit bien ses fonctions mais
«serait disposé à sacrifier son opinion au désir
-cl' obliger >. (15)
Malheureusement on peut douter que les nouveaux
auditeurs envoyés comme sous-préfets dans les chefslieux de département aient tous été en mesure - du
moins pendant les premières années - d'apporter ;oit
dans ces fonctions proprement dites, soit au conseil de
préfecture, une grande compétence administrative et
(15) Ft. Bi 154 nO. 1-2. Si un de ces conseillers était en fonction dans un département oQ il avait trois ou quatre collègues
donnant satisfaction le mal ill'était que relatif. jMa.Ls, selon cette
liste, des trois m embres qui composent le conseil de préfecture de
l'Ariège, l'un, âgé de 80 ans, est presque incapable d'aucun travail
bien qU'il montre encore du zèle quand sa santé le lui permet ;
un autre a trop peu de moyens et de capacité pour bien remplir
sa place; le troisième, âgé de 73 ans, presque aveugle, est rarement
en éta.t d'exercer ses fonctions et passe presque toute l'a.nnée à
sa campagne. Sur les cinq conseillers que compte l'Escaut, l'un
est étranger au contentieux, n'est pas en état .d 'avoir une opinion,
ne peut que suivre celle de ses collègues ; un autre a peu de connaissances administratives et se montre peu utHe ; un troisième
est aveugle, n'a pas paru depuis un an et ne reparaîtra. sans doute
plus ; enfin un autre conseiller de ce département se montre peu
assidu, absorbé par ses fonctions de président du tribunaJ. de commerce, vice-président de la Chambre de c onunerce, membre du
conseil général de commerce. Huit autres des conseillers portés
sur cette liste appartiennent chacun à un conseil de trOIs membre.s.
y compris un homme c tombé dans U HI état d'enfance 'qui ne permet
plus d3 attendre de lui aucun trav ail ;, et pour lequel le préfet
demande une pension de retraite, un autre c ct'.u1le melZité absoZt«e }. ,
un vieillard de 74 &DB infirme et décrépit, etc. .
198
�· juridique, même quant aux connaissances théoriques.
Les examens passés par les auditeurs nommés en 1810
et 1811 révèlent le contraire pour beaucoup et l'appréciation émise se termine souvent ainsi: A besoin de
s'instruire. Or les sous-préfets de chef-lieu départemen· tal comprirent certainement une partie de ces auditeurs
pen utilisables d'emblée. Plusieurs montrèrent plus de
prétentions que d'aptitudes actuelles, voire d'application, mais trop pen ont fait l'objet d'une étude, même
très' sommaire, quant à l'exercice de ces fonctions pour
qu'on puisse se faire une idée de leur niveau d'ensemble
et de leur rendement. Il dut y avoir sous ces rapports de
larges inégalités.
L'institution ne fonctionna d'ailleurs pas en fait
dans tout l'Empire. Le décret du 7 avril 1811 prévoyait
350 auditeurs placés soit p.r ès du Conseil d'Etat, soit
près d'une autre administration centrale, soit dans les
préfectures, le tout en dehors des auditeurs « en service
extraordinaire • . Or il existait à cette date, outre ces
· derniers, 231 auditeurs dans les trois catégories susvisées
du service dit « ordinaire >, pour 350 postes. Des auditeurs nommés en 1810 n'avaient pas encore prêté serment; la plupart le firent et furent ensuite dassés,
ainsi que les auditeurs nommés depuis (24 pendant le
reste de l'année 1811, et seulement 6 en 1812 puis 3 dans
les premiers mois de 1813) mais il en passa davantage,
pendant cette période, dans le service extraordinaire de
sorte qu'au lieu de 350 auditeurs le service ordinaire
en comptait 184 en avril 1813 et seulement 169 en juillet
suivant. Une partie des emplois vacants du fait de cette
situation concernaient l'administration préfectorale.
Le décret du 7 avril 1811 prévoyait 128 sous-préfets
dans les chefs lieux départementaux, n'exceptant que la
Seine, où Paris ne formait du reste pas un arrondi~se
ment, et le Simplon, très peu peuplé. Dans le cours de
l'année les deux départements corses furent réunis en
un seul mais la création de la Lippe maintint à centtrente, le nombre des départements, à cent-vingt-huit le
nombre des sous-préfectures de chef-lieu. L'Almanach
impérial de 1811, de peu postérieur au décret, en indique
73 comme occupées et 55 comme vacantes. Plusieurs de
.celles-ci furent pourvues depuis mais il semble qu'une
.vingtaine ne reçurent jamais cet auditeur sous-préfet;
"
•
199
�des départements qui l'avaient reçu ne le conservèrent
pas jusqu'à la fin de l'Empire car tous les auditeurs
ayant quitté ce poste pOUl" un au cre, notamment pour
une sous-préfectUl"e normale (en service extraordinaire)
ne purent être remplacés dans leut· premier emploi.
Selon l'Almanach impérial de 1813 établi en avril, 44
des 128 sous-préfecturés des chef-lieux départementaux
(hors Seine et Simplon) sont vacantes, y compris 7 postes
de la première classe : Rome, Florence, Gand, l\letz,
Lille, TUl"in, Versailles. Huit préfets et non trenle-qualre
ont auprès d'eux l'auditeur que le décret du 7 avril 1811
met à leur disposition. En 11 de ces 34 départements
font alors défaut simultanément et cet auditeUl" attaché
au préfet et le sous-préfet du chef-lieu, notamment à
Gand, TUl"in, Versaille·s. Sur la dernière liste de service
du Conseil d'Etat, celle du 23 juillet 1813, le nombre des
sous-préfets de chefs-lieux départementaux est passé
depuis awil de 84 à 87 mais il n'y a plus que 7( et non
8) auditeurs attachés aux préfets des 34 départements
désignés. (16)
.
Bref non seulement l'institution des auditeurs souspréfets de chef-lieu départemental eut peu d'années il
fonctionner mais encore elle ne reçut pas toute l'étendue
prévue par les décrets des 26 décembre 1809 et 7 avril
Hill.
.
La première Restauration, en transformant le Conseil d'Etat par l'ordonnance du 29 juin 1814, ne conserva
pas les auditeurs. En revanche elle maintint l'institution
d'un sous-préfet dans le chef-lieu départemental bicn
que celle-ci reposât seulement sur les décrets des 26
décembre 1809, et 7 avril 1811 concernant les auditeurs
et que l'art. 11 de la loi du 28 pluviôse an VIII n'eÎlt
jamais été abrogé. Il fut nommé de tels sous-préfets
dans les départements qui en étaient dépourvus sauf
dans la Seine et en Corse; parmi les titulaires en fonc~
tion au début d'awil 1814 environ les deux tiers furent
conservés. Mais c'est à peine si les anciens auditeurs
fournirent le dixième des sous-préfets de celte catégork
nommés sous la première Restauration.
(16) A F IV 792 Plllq. 6363.
200
�•
Aux Cent-Jours il fallut naturellement opérer des
changements parmi ces sous-préfets comme dans l'Cllsemble de l'administration préfectorale. Les auditeurs
au Conseil d'Etat avaient été rétablis mais les anciens
membres de cette catégorie n'y rentraient pas de plein
droit et le décret du 3 avril nomma seulement quarantequatre auditeurs, pour le service ordinaire du ConseiL
L'Empereur ayant consulté le ministre de l'Intérieur
(Carnot) sur l'opportunité de rétablir ou d'écarler lu
règle qui avait réservé aux auditeurs les sous-préfectures de chefs-lieux départementaux, l'avis du ministre
ou de ses services fut nettement favorable à la seconde
attitude. Napoléon adopta cette solution. (17)
L'institution des sous-préfets de chefs-lieux départementaux ne devail guère survivrc aux Cents-Jours.
L'ordonnance royale du 20 décembre 1815 décida eu
elfet :
« Les grands sacrifices auxquels la France a été
contrainte nous obligent à porter la plus sévère économie dans toutes les branches du service public, à opérer
(17) F' Bl 153 (Sous·préfectures. Pièce. an VilI . 1815). Note
anonyme à en-tête du ministère ,de l'Intérieur.
Son auteur assure que c: la plupart des auditeurs sous-préfets
n'avalent point répondu aux espérances qu'on avait conçues de
cette espèce de pépinière admlnistrative ~. que leur Age, leur inexpérience! et les règles posées à leur sujet obligeaient à les placer
sous 1& tutelle du préfet, ce qui était < contradictoire à l'essor quel
leur Utre, leurs fonctions apparentes et surtout leurs prétentions
les disposaient à prendre. Cette position fausse gênait singulière ment le préfet. ,. Des froissements résultaient de ce que les maires
des chefs-lieux c s 'accommodaient peu d'avoir à dépendre d'un élève
en administr&tiGIl. :) Bref ces auditeurs c entravaient la marche de
l'administration plutôt que de la seconder :..
Ce jugement péremptoire et sans doute outré dans sa généralité peut être influencé par l'hostilité jalouse que les bureaux
ministériels avaient toujours éprouvée pour les auditeurs. La note
ajoute que les sous-préfets c plus A.gés, plus habitués aux a.1faires
et ayant plus de consistance dans la société .$ qui ont été placés
dans U!le pa..."-tie de ces postes depuis un an y ont InJeux réussi ;
elle invoque en outre c l'importance d'avoir des fonctionnaires qui
sachent inspirer la confiance et le respect, la nécessité de placer
beaucoup de bons sous-préfets ayant appartenu aux départements
détachés de la France ,. pour faire écarter le caractère exclusif de
la vocation des auditeurs à ces postes.
"
201
�toutes les suppressions que l'expérience a démonlrée$
possibles, et à faire céder toute autre considération il
cette loi, d'une impérieuse nécessité.
« A ces causes
« De l'avis de notre Conseil,
« Nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit
« Art. 1". Les sous-préfectures des chefs-lieux de
département sont supprimées, et, dans le mois qui suivra
la publication de la présente ordonnance, l'adminislration cn sera réunie à celle des préfectures.
« Cette réunion ne pourra donner lieu à aucune
augmentation des frais de bureau des préfets. »
•
Cette institution avait donc fonctionné moins de
six ans. Et son degt'é d'utilité et le degré d'efficacité
personnelle de ses représentants avaient sans doute
beaucoup varié selon les départements. Le second trait
avait pu se trouver contrarié par le recrutement qu'imposait le décret du 26 décembre 1809 dont l'objet essentiel était du reste la formation d'une pépinière administrative et non l'innovation apportée dans l'administration
départementale. Si elle survécut aux auditeurs ce fui
pour peu de temps. Elle ne fut jamais rétablie, bien
que l'accroissement des tâches administratives en général el des pouvoirs de décision attribués, surtout depuis
1926, aux sous-préfets eussent justifié la réapparition
de l'uu d'eux au chef-lieu de chaque département.
202
�III
Savary
et le mouvement préfectoral
de Mars 1813
".
-
..
,
Les préfets du Consulat et de l'Empire se trouvaient
en rapports avec presque tous les ministres. Ils dépendaient surtout du ministre de l'Intérieur, qui émettait
sur chacun d'eux des appréciations annuelles, proposait
au premier Consul ou à l'Empereur des nominations,
des promotions, des mutations de poste, des révocations,
des « appels li d'aut,.es fonctions» etc. Mais ils étaient
notés aussi par le dtrecteur général de la Couscription
et par le ministre de la Police générale, à l'activité desquels ils devaient concourir fréquemment. Or les préfets,
voire les sous-préfets, n'étaient pas toujours appréciés
de la même façon par le ministre de l'Intérieur et par
celui de la Police, que celui-ci fût Fouché ou Savary (1).
(1) Des divergences se manifestent aussi au sujet de SQUSpréfets. En 1813. celui de Sens, le sieur Boulay. fut transféré à
Ruffec SUr la proposition du ministre de l'Intérieur selon lequel il
ne jou1s8ait d'aucune considération, d'aucune influence. vivait mal
avec sa femme, était c: ennemi déclaré des prétres :b . Mais le ministère de la PoUce, consulté ensuite, déclara au contraire que ce
sous-préfet joUiss&it de la considération générale, que tous les torts
étalent imputables à. sa femme et que « S01l. influence était trts
précie'lloS8 d Sens lPOUT balancer les progrès du /anati.snl8 et des
superstiti01'8 q1'i sont à craindre dans cette vine où les pretres, en
très grand. nombre, regrettent leur CIJ'Icienne domination.
J>
(A F IV
202 n' 415 et 478).
203
�On a souvent attribué à ce dernier une altitude uniformémenl réactrice, en ce domaine comme en plusieurs
autres. Cette opinion semble trop absolue mais elle est
loin d'être inexacte en son principe.
Au début de 1813 fut préparé un grand mouvement
visant les préfets et les sous-préfets. Il allait être réalisé
par les décrets des 12, 15 et 25 mars ponr les préfets,
par plusieurs décrets postérieurs (surtout par celui du li
avril) pour les sous-préfets. Dés le début de février,
Savary exprima, au sujet de ce mouvement projeté, des
suggestions d'ordre général visant le rôle et l'esprit qu'il
convenait de donner aux préfets sur le plan politiqne
et en outre des appréciations et propositions concernant
des préfets en activité et des hommes susceptihlc"i
d'entrer dans cette carrière. Le 8 février 1813 il adressa
le rapport suivant à l'Empereur : (2)
« Sire
.;
......-
« En méditant sur l'ensemble de l'administration
intérieure de l'Empire et sur les résultats de l'impulsion
donnée dans les circonstances impol"tantes et extraordinaires aux autorités départementales pour parvenir à
l'accomplissement des hautes conceptions de Votre
Majesté, et des décrets salutaires qui en émanent, J'ai
dû rechercher d'où provenait ce contraste de zèle et
d'elllpressement dans la plupart des grandes cités,
d'apaUtie et d'insouciance dans les autres. Pourquoi dans
les unes ce concours d'émulation pour l'affermissement
des institutions qui tendent à consolider la Monal"Chie
et dans les autres ces souvenirs et ces nuances qu'on doit
appeler encore Révolutiounaires : pourquoi d'une part
des Préfets considérés et usant avec avantage <le l'in,
fluence que leur donne l'autorité dout ils sont investis;
et d'autre part des Pl"éfets, sinon déconsidérés mais
descendus en quelque sorte au-dessous de leurs administrés, dans les villes surtout où les anciens nohles ont
repris parmi leurs concitoyens l'ascendant que leur
donnaient leurs anciens titres en les échangeant par les
(2)A F IV 74K Pl&q. 6PM.
204
�grâces de Votre Majesté contre des titres nouveaux, et
en obtenant des places honorifiques auprès de sa personne.
« Je n'ai pu longtemps me méprendre sur la cause
de résultats si opposés; l'expérience de plusieurs années
m'autorise à penser que cette discordance politique dans
les départements provient essentiellement du choix ct
du placement des fonctionnaires qui y président.
c Le mérite personnel, les connaissa nces administratives sont sans donte les titres primitifs qui aSSW'elÜ
anx Préfets institués la confiance dont les a honorés
Votre Majesté: mais il est d'autres avantages accidentels, tels que la naissance, la fortune, les grâces particulières de Votre Maj esté qui, réunis au mérite person,nel rendent ces fonctionnaires plus importants aux yeux
de leurs administrés et leur assurent un ascendant et
une influence que n'obtiennent pas ceux qui manquent
de ces accessoires de nécessaire ostentation, vivent
dans une espèce d'isolement et sont absorbés par l'éclat
et le faste que déployent grand nombre d'habitants des
villes qu'ils administrent.
c Ainsi tel Préfet qui ferait bien et remplirait les
vues de Votre Majesté dans une résidence peu marquante sera au-dessous de sa place et eu compromettra
la dignité s'il est appelé à résider dans une graude cité,
où l'opulence, la distinction de rang et de fortune sont
nécessairement des moyens de considération et où peutêtre le souvenir des principes politiques qu'il aura professés deviendrait un obstacle au succès de son administration.
e Frappé de ces idées et pénétré de ['indispensable
besoin d'un juste discernement dans le classement des
hommes sur lesquels reposent subsidiairement la tranquillité de l'Etat, le~ améliorations dans les institutions
de Votre Majesté et dont la mission principale est d'assurer le triomphe des principes monarchiques, j'ai cru
devoir céder à l'impulsion de mon zèle et de mon dévouement pour Votre Majesté en me permettant de lui soumettre ces observations, ainsi que le tableau nominatif
des préfets qui, par ces considérations, me paraissent
devoir être placés et transportés dans d'autres résidencesCe tableau est sous le n° 1" avec des notes individuelles.
205
�« Un second tableau comprend ceux qui réunissant
plus de qualités me paraissent devoir être placés dans
les grandes Cités. C'est le n' 2.
« Enfin, jetant un coup d'œil SUl les officiers d.!
la maison de Votre Majesté et sur des fonctionnaires
d'un ordre inférieur, j'ai distingué un certain nombre de
chambellans et d'auditeurs qui, par leur mérite personnel.
leur naissance, leur fortune et le rang qu'ils tiennent
dans la société, me paraissent dignes d"êtres appellés '1
des fonctions plus importantes. J'en joins ici l'état nomina tif sous le n' 3.
e Je suis ...
«
·,
•
Le duc de Rovigo •.
Le premier des états annoncés propose de déplacer
quinze préfets : l\Iéchin, Van Styrum, Gary, Desmousseaux, Thibaudeau, Bourdon de Vatry, La Vieuville,
Jeanbon Saint André, Jannesson, Ladoucette, Micoud
d'Umons, La Tour du Pin, Duplantier, Félix Desportes
et Poitevin-Maissemy (celui-ci ajouté sur une feuille
annexe). Sept des appréciations individuelles concernant
Ces préfets ne comportent aucun caractère politique (3)
mais les buit autres Se situent, au contraire, essentiellement sur ce terrain.
Cinq d'entre elles visent à faire appliquer en des
cas concrets l'esprit du rapport ci-dessus.
Méchin, préfet du Calvados, • grand travailleur ».
se trouve dans un département et surtout dans une
ville (Caen) où demeurent « trop de propriétaires riches,
(3) AinSi Bourdon de Vatry ( Gênes), homme de bien, est
c: I1l:"trémemeat dur et trop e:cclU8if Wl:-eC des administrés naturellement doua: ~ ; il faudrait là un prèfet ayant plus de finesse et
d'autorité. Jannesson (Ems-Oriental) est c 'U·n t.mai scandale d'ava,.rice :.. MicaUd d'Vmons (Ourthe) « n.'est .q1l/UlI. objet de ridi,c1lle. Il
est l'homme d'affaires du pays mais il 'if/en est pas l'administra.teur 1' .
Fél1x Desportes (Haut-Rhin) a beaucoup travaillé, n'a pas fait de
mal, encore qu'à ses débuts il ait encouru des griefs de -corruption
envers « des femmes qui fixaient p~us émi1/emme1it les TeJfJards et
qu'tulle régénération des mœU,TS dans la société a surtout mis plus
en évtde1lCe li. Poitevin-Maissemy (Somme) est lm « homme fatigué, usé. Et pZu.s bon à rie'l. Il est vieux avant l'age :JI .
206
�titrés autrefois, et qui, pour la plupart, ont retrouvé leur
ancienne considération en obtenant des places à la CoUt",
ce qui le place en quelque sorte sous leur protection.
Cette classe nombreuse d'anciens nobles donne plutôt
l'impulsion qu'elle ne la reçoit d'un fonctionnaire qu'ils
regardent au-dessous d'eux. L'intérieur de son ménage
donne lieu à des propos qui le déconsidèrent ».
Gary, préfet de la Gironde, est un homme de bien
dont le talent et le travail ne laissent rien à désirer; il
n'a contre lui qne de ne pas être à Bordeaux un homme
supérieur par la naissance et par la fortune mais il serait
convenable en toute autre place administrative.
,
Desmousseaux est préfet de la Haute-Garonne; Ol·
Toulouse « continue d'avoir deux partis de révolution
et de noblesse qui sont autant caractérisés qu'ils pouvaient l'être il y a quinze ans •. Le préfet « est un tracassier qui, au lieu de bien traiter la société, se fait
un jeu de mal vivre avec elle et de tounnenter des
hommes autrefois importants par leur nom et leur forttme et qui ne cessent pas d'être distingués dans l'opinion comme dans les respects du pays. »
L'appréciation concernant Thibaudeau ue révèle
pas une grande clairvoyance quant à l'orientation politique des Marseillais en 1813 :
« La ville de Marseille, eu quelque sorte la capitale
du .Midi et de la Méditerranée, est restée en arrière des
autres villes de l'Empire d'une manière remarquable,
c'est-à-dire qu'elle est à peine au 18 Brumaire.
« La différence de son offre de chevaux et de celle
des villes qui peuvent lui être comparées donne la
mesure de l'esprit qui y domine.
« Marseille a besoin
d'un préfet fort riche et
monarchique, qui par un
grader et disparaître trop
,.
au moirts autant qne Nantes
d'une famille essentiellement
travail vigoureux fasse rétrode souvenirs révolutionnaires.
« Le mauvais esprit de l'administration des Bouches
du-Rhône se fait encore remarquer par le choix des
sujets proposés pour les moindres places •.
JeanbOIll Saint-André, préfet du
Mont-Tonnerre
207
�(Mayence), a 64 ans: il possède 10.000 f. de rente et une
dotation de 4.000 f.
« Ce préfet, homme fort âgé et respectable, a conservé
trop longtemps des principes politiques qui ne conviennent plus pour que la direction qu'il pourrait donner à
ce département soit telle qu'elle doit être. Aussi ne lui
en donne-t-il point, et tout en l'administrant ne le confduit pas vers les principes qui doivent consolider l'Empire français, c'est-à-dire que dans les places à son choix
il propose des hommes qui, dans le commencement d\!
la réuuion, avaient des opinions politiques révolutionnaires. 11 s'attache bien ces hommes-Ià mais rien de
plus. Dans ce pays on se considère en général comme
conquis provisoirement plutôt que comme réunis définitivement. »
'. .
Il est à désirer que soit mis là un homme « qui fiL
tout ce que fait bien le préfet actuel el qui ferait de
plus toul ce qu'il ne fait pas et ne peut pas faire en
raison du peu de confiance qu'il inspirerait.•
Cependant, par son appréciation visant le baron
Duplantier (Nord), Savary montre qu'il réprouve chez
un préfet une attitude systématiquemenl réactrice dn
moins envers les individus :
« Homme de réaction qu'il est dangereux d'employer pour ou contre l'un et l'autre parti. C'est-à-dire
quand il faul se porler sul' les hommes de la révolution,
il le fait sans pitié. S'il faut lui recommander d'en traiter
quelques-uns avec bienveillance, il répond par un aele
d'accusation contre eux.
« S'il faut se porter conlre les anciens nobles, il
ne marche pas; si on lui demande d'en traiter quelquesuns avec bienveillance il les exalte.
« On lui reproche eu oulre d'avoir le vilain dé.faul
de s'enyvrer après ses diners. »
·,
Bien que le ministre n'adresse pas les mêmes griefs
au comte de la Tour du Pin, préfet de la Dyle- (Bmxelles), il semble éviter, du moins à son sujel, de considèrel'
comme des mérites suffisants ou essentiels chez un préfet l'origine aristocratique, la fortune, l'aptitude à la
parLie protocolaire et mondaine de sa tâche. S'il fauL
208
�en croire l'épouse de ce préfet, Réal s'était monlré offusqué, peu d'années auparavant, du caractère trop aristocratique présen té par les habitués de son s<llon Vi).
Savary se borne à écrire :
« C'est un rêveur qui n'exerce aucune influence
sur l'importante ville de Bruxelles et ne lui donne
ancune direction. Il s'y popularise un peu en ayant l'air
de se neutraliser. C'est aussi un désorganisateur de
1789.•
En1ïn le ministre s'occupe du préfet de la Stura
(Coni), le comte de la Vieuville, chambellan, âgé de 49
ans et qui possède 50.000 f. de revenu en lIIe-et-Vilaine.
Ce n'est du reste pas pour proposer de le déplacer
comme les aulres hommes compris dans ce premier
état, au conlraire :
Ce préfet • désirerait repasser dans l'ancienne
France mais il a été nourri de principes si mauvai~
jusqu'à son entrée à la Cour qu'il est à désirer qur:ù
reste encore dix ans au-delà des Alpes pour qu'on n·ait
rien à redou ter de ses anciens préj ugés. »
En somme, le duc de Rovigo désire que, du moins
dans les villes importantes et possédant des éléments
nombreux et riches de l'ancienne noblesse, les préfets
soient en mesure de leur en imposer par leur naissance,
leur fortune, leur penchant et leur aptitude à la représentation mondaine, mais non qu'ils conservent un
attachement pour les « anciens préjugés » de cette
classe et partagent ses rancunes conlre les ex-révolutionnaires. Encore qu'il ne prévoie sans doute pas l'issue
malheureuse de la prochaine campagne et la situation
politique devant en résulter, le ministre de la Police
générale se montre mal inspiré quand il propose de
placer en 1813 à Toulouse, à Bordeaux, à Marseille des
préfets se recommandant surtout par leur aptitude à se
concilier les membres influents de l'ancienne noblesse
et à « bien v~ure » avec eux. li s'en faut d'ailleurs de
beauconp que l'Empereur entre dans ses vues à cet
égard.
,
"
(4) Jour nal d'une
lemme
de cinquante ans, il p. 312.
209
14
�Des quatorze administrateurs dont Savary demandait le déplacement, cinq furent parmi les quinze préfets « appelés à d'autres fonctions» par le décret du 13
mars 1813 : Gary, Desportes, Poitevin-Maissemy. Van
Styrum, La Tour du Pin; encore celui-ci fut-il,
(grace à une 'démarche faitc auprès dc Napoléou par
sa femme, selon les Mémoires de cellc-ci) nommé le 25
mars à la préfecture de la Somme, aussi importante que
son précédent poste, du moins sur le plan administralil",
mais moins brillante (5). Desmousseaux qui avait été
muté de la Haute-Garonne à la Somme, fut alors nommé
préfet de l'&caut, département le plus peuplé de l'Empire. Malgré la suggestion de Savary, La Vieuville quitta
la Stura pOlU' le Haut-Rhin. Les huit autres préfcts con·
servèrent leur poste, et parmi eux Méchin. Jeanbon SaintAndré, Thibaudeau, Duplantier que le ministre de la
Police proposait d'écarter pour des raisons politiqucs :
ce fut regrettable seulement pour le dernier dont d'autres
raisons encore eussent amplement justifié l'exclusion du
service. (6)
Le second état de Savary contient les noms dc six
préfets qu'il conviendrait de placer en des postes plus
importants. Le comte d'Angosse, chambellan, et HersentDestouches sont proposés pour Toulouse ou Marseille. Le
second fut en efTet muté dans la Haute-Garonne mais le
premier resta dans sa préfecture, bien moins impOl'tantc.
des Laudes. Riouffc, « homme d',lll vrai mérite >, fut
maintenu à Nancy. Les trois autres préfets de cette liste,
tous auditeurs au Conseil d'Etat, reçurent au cont.raire
de nouveaux postes comportant un avanccment. Houdctot passa, comme le proposait Savary, du départemcnt
de l'Escaut à celui de la Dyle, beaucoup moins peuplé
mais pour lequel la résidence de Bruxelles conférait à
la préfecture un plus grand lustre. BFeteuil, qui admi
nistrait la Nièvre, fut nommé le 15 mars préfet des
Bouches-de-l'Elbe (Hambourg) mais c'était un des quatrc
auditeurs préfets que le ministrc de l'Intérieur avait
(5) Id. p . 320·325.
(6) Cf. mon article : Une œpplicatioa de la. c gara.ntie des
fonctionnaiTe8 ;) sous le pre'mier Empire, dans les Amtales de la
Faculté de DrOit d" Aix-en-Provence, aunée 1948, pp. 3-20.
210
�proposés pour ce poste. Enfin Barante fut transféré le
13 mars de la Vendée à la Loire-Inférieure ; selon le
ministre de la Police, son « extrême instruction ~ le
mettait au-dessus d'un travail comme celui de son poste
en Vendée. En outre:
« Sa fortune, son éducation et celle de son épouse le
mettraient à portée de figurer honorablement et utilement dans une grande ville. »
C'est sans doute en raison de considérations anulogues que le duc de Rovigo fait 1ïgurer dans son troisième état, parmi « un certain nombre de personnes
titrées et de fonctionnaires du second ordre qui paraissent propres à des fonctions supérieures dans l'ordre
administratif », dix chambellans dont les comtes de
Rémusat, de Brigode (<< grande fortune»), de ChoiseulPraslin, etc., voire Just de Noailles malgré cet éloge
mitigé :
•
•
« Propre à tout ce que l'on veut. On le soupçonne
de n'avoir pas pour le travail un goût aussi prononcé
que les précédents. »
Mais, de ces dix hommes, seuls Miramon et SainteAulaire devinrent préfets, ainsi du reste que deux autres
chambellans non visés par Savary.
Ce·t état comprend aussi les maîtres des requêtes
Portal, de Laborde-Méréville, de Brignole et de Fréville
(les deux dermers reçurent une préfecture), des auditeurs au Conseil d'Etat et des sous-préfets mais les
appréciations émises sur eux par le ministre de la Police sont souvent assez vagues et ne mettent pas en jeu
de considérations politiques ou sociales. Ces pl·opositions
eurent d'ailleurs peu de succès. (7)
(7) Napoléon n omma. préfets cinq auditeurs non proposés par
Savary et seulement trois 'des seize auditeurs (dont sept commissaires généraux ou spéciaux de police) compris dans son troisième
état : les commissaires générau.'X Abrial ct Delarn.alle et le commissaire spécial ~ampan . Encore la nomination de celui-ci fut-elle
rapportée par un décret du 24 mars en raison de renseignements
fournis (peut-être tardivement) par le ministre de l'Intérieur Montalivet et nettement moins favorables que ceux du ministre de la
Poli-ce, Un seul sous-préfet non-auditeur devint préfet en mars
181S.
211
�,
En définitive, l'influence du duc de Rovigo sur le
mouvement préfectoral de mars 1813 ne fut p~s considérable ; plusieurs des mutations conformes à ses suggestions l'étaient aussi aux notes et aux propositions <lu
ministre de l'Intérieur. Le rapport à l'Empereur reproduit ci-dessus manifeste cependant une orienta tion
d'esprit qui, du moins pour les grandes préfectures (son
objet essentiel), accuse la persistance de l'eupborie créée
par les triomphes passés de l'Empire. Or des événements
critiques allaient bientôt rendre désirables chez les prefets d'autres facteurs d'autorité morale, méme et surtotlt
envers les membres de l'ancienne noblesse, que « ,,,
distinction de rang et de fortune » soubaitéc par le
ministre de la Police.!La conduite que plusieurs des
hommes recommandés par celui-ci devaient tenir bientôt envers le régime impérial en danger - notamment
le préfet de Barante à Nantes et le chambellan de Rémusllt à Paris - achève de présenter sous un jour peu
favorable la clairvoyance politique de Savary.
212
�IV
«
Les Préfets de Napoléon
~
par M. J. Savant (1958).
En écrivant, fût-ce environ 200 pages seulement,
sur c Les préfets de Napoléon » . M. Jean Savant trouvait l'occasion de donner une bonne et utile vue d'ensemble - du moins provisoire -- d'un sujet peu étudié
jusqu'ici sauf pour de rares départements. Encore
fallait-il pour cela s'attacber aux points essentiels, éviter
d'attribuer une place excessive au côté anecdotique et
faire entre les sources éventuelles une discrimination
convenable quant à leur valeur respective et à leur
intérêt pour le sujet traité.
Tout en visant (mais seulement en bloc pour cbaque
chapitre) de nombreuses pièces d'archives, l'auteur a
négligé FI BI 150 (Notes des préfets jusqu'en 1809 inclus)
et les minutes des nominations, dont plusieurs, surtout
pour les mouvements étendus, sont complétées par des
pièces annexées intéressa utes. S'il a peu utilisé, tout en
les citant, des ouvrages de premier plan (Dejean, Blanchard) et s'il a méconnu ou négligé d'autres sources
analogues (Thèses de MM. Viard, Benaërts, René Du·
rand, L'Huillier), il a fait en revanche une très large
part à des Mémoires (en visant même les « Mémoires
de Bourrienne >, apocryphes pour la plus grande partie
à tout le moins) et les a utilisés sans montrer beaucoup
d'esprit critique, sans exprimer de réserves et même en
leur faisant d'amples emprunts étrangers à son sujet.
213
�Uue première partie concerne «Les préfets li
l'œuvre •. L'ensemble de l'ouvrage visant, par son litre
même, les hommes plutôt que les institutions, cet objet
n'exigeait pas un ample exposé des règles juridiques
mais appelait cependant un aperçu relatif à l'étendue
et à la nature des attributions, au degré d'initiative
résultant des textes en vigueur. aux règles visant les
rapports des préfets avec le pouvoir central et avec les
autres autoriés locales. M. Savant ne s'en est pas soucié.
II cite seulement la loi du 28 pluviose an VIl! et, dans
ses sources (p . 325) quatre arrêtés consulaires antérieurs
à pluviose an X. D'autre part, s'il s'est intéressé dans
cette partie à la situation personnelle des préfets (traitements, logement, etc.) et à leurs relations avec Fouché,
il n'a exposé que sommairement leur rôle officiel ct
leur activité réelle en matière de conscription et de
travaux publics; il a passé sous silence leurs rapports
avec les maires, les conseils généraux et municipaux, le
clergé, alors que des ouvrages de valeur étudient ces
questions pour plusieurs départements. Il aurait aussi
été utile de fournir une vue d'ensemble sur l'importance
comparée des diverses provenances dont est issu le corps
préfectoral et une rapide synthèse chiffrée visant le
degré de stabilité dans les fonctions, les mutations d'un
département à un autre, etc,
~,
, ,>
,',.
.
,
.,,
Ces lacunes se trouvent accentuées par le contraste
d'amples digressions. M. Savant a consacré une seconde
partie qui représente près du tiers de son ouvrage proprement dit (c'est-à-dire en dehors de l'annexe) à une
étude de « Préfets célèbres •. Il aurait été utile, eu
effet, (ne fût-ce que pour empêcher le lecteur de ramener tous ces fonctionnaires à un type unique) , de montrer à l'œuvre, dans l'exercice même de leurs fonctions,
quelques préfets très marquants comme tels, ditl'éœnts
par leur provenance, leur caractère, leur orientation,
leur façon d'admiriistrer, le tout étudié d'après des sources sérieuses. Mais, après avoir sacré grands préfets
trente à quarante hommes par un choix aussi arbitraire,
voire surprenant, quant à plusieurs des noms retenu~
(tel Frain, qualifié d' . ' homme nul. par son ministre
selon la p. 226) qu'au sujet de noms omis, M. Savant
consacre six chapitres à autant de préfets dont trois
seulement, Jeanbon Saint-André, Beugnot, Lezay-Mar214
�neSla étaient à retenir. Plancy ne se montra pas un ·
préfet d'une supériorité certaine, Molé ne remplit ces
fonctions que pendant un an et Girardin pendant deux
ans. M. Savant ne consacre du reste, dans un chapitre
de sept pages, que douze lignes - par lesquelles Fouché
ridiculise ses airs de hauteur - à la carrière préfectorale de Molé et un peu plus d'une page (sur onze que
compte le chapitre) à celle de Beugnot ; pour Girardin
il s'arrête à l'installation de celui ci dans sa préfecture.
C'est qu'il a écrit l'essentiel de ces quatre chapitres en
réslIDlant ou recopiant des fragments des Mémoires ou
SOl.wenirs laissés par les intéressés; l'activité préfectorale de Plancy est donc exposée exclusivement d'après
ses dires; comme celle de Girardin, de Beugnot, dc
Molé n'a pas fait l'objet de leurs récits, les chapitres
correspondants sont occupés par plusieurs événements
antérieurs ou postérieurs, surtout par des conversations
avec Napoléon. Le chapitre concernant Jeanbon SaintAndré repose lui aussi presque uniquement sur des
Mémoires, essentiellement sur ceux de Beugnot qui intéressent quelques jours dans une carrière préfectorale de
douze années et occupent cependant les deux tiers de
la place faite à celle-ci. Même en dehors de cette seconde
partie, dans la troisième, consacrée aux ultimes années
de l'Empire, le chapitre « Derniers cJlOix » tient pour
cinq pages et demie sur sept dans ce que furent les rapports de Napoléon avec un préfet et sa femme ... uniquement d'après les Mémoires de cette dernière sauf la
correction d'une date.
Un tel degré de confiance dans les Mémoires oblige
à s'interroger sur l'esprit critique de M. Savant et sur
l'exactitude de l'ensemble des faits allégués par lui.
Pour beaucoup de ses assertions le contrôle est entravé
- mais la portée de l'affirmation amoindrie - par leur
imprécision, notamment quant aux lieux et aux dates.
Ainsi trouve-ton (p. 53) des faits relatifs à la corvée
des chemins dans « telle localité » de « 6000 âmes »
ou dans « un département », sans plus de précision et
sans aucune date. Une snggestion de Montalivet relative
aux pensions des veuves de préfets et aux préfets en
non-activité est également visée (p. 88) sans date et sans
qu'on sache quelle suite lui a été donnée. Il est déclaré
(p . 171) que des auditeurs deviennent « commissaires
215
�generaux de police, sous-préfets, préfets » mais sans
aucun nom, aucune date, aucune indication numérique.
Or le nombre des auditeurs-préfets, leur proportion au
au sein du corps entier - et aussi parmi les nominations
faites pour cbacune des dernières années - intéressent
davantage le suj et traité que la plupart des propos tenus
par Napoléon à Molé, Beugnot ou Girardin.
•
M. Savant qualifie le plus souvent de révocation
le cas d'un préfet « appelé à d'autres fonctions» selon
l'acte qui lui donne un sucesseur. Or si cette mesure
produit fréquemment en pratique les mêmes etIets
immédiats que la destitution expresse (nettement plus
rare), elle s'en distingue cependant quant à la forme, à
la portée morale et souvent aux possibilités qui subsistent pour la carrière future de l'intéressé. Alors que par
un décret du 12 mars 1813, inséré au Bulletin des Lois,
quinze préfets sont expressément « appelés à d'autres
fonctions », M. Savant n'applique, dans sa liste des
préfets, cette formule qu'à trois d'entre eux et il en
déclare quatre « révolJl11é. > et six « destitués ». Il montre (p. 40) Pérès, préfet de Sambre-et-Meuse « destitué
sechement en janvier 1814 >, sans « le moindre bout
d'explication à l'appui» et il omet d'ajouter que Pérès
avait donné sa démission par une lettre du 19 décembre
1813 que reproduit en partie Lanzac de Laborie (La
domination française en Belgique Il p. 323) . A la p. 172,
M. Savant semble considérer comme une décision de
Napoléon une note où celui-ci vise des suggestions ministérielles dont plusieurs ne seront pas adoptées par lui.
Malheureusement M, Savant ne s'en tient pas à des
à des errenrs par omission partielle, voire
par généralisation abnsive on hasardée d'un trait relevé
dans un cas ou quelques cas d'espèce. En dehors de
questions comme l'importance et la qualité des travaux
de voirie, matières pour lesquelles un eontrôle effectif
n'est possible qu'à des historiens les ayant spécialement
étudiées, en dehors d'autres dires prêtant à controverse,
il est dans ce livre de nombreuses allégations visant des
règles, des faits et des dates que le recours au Bulletin
des Lois suffit à réfuter et aurait dû suflïre à éviter.
On ne voit pas sans surprise M. Savant attribuer aux
Consuls la nomination des tribuns (p. 20) ou faire signer
par Napoléon celle de tous les maires, adjoints et conseil-
impr~cisions,
216
�lers municipaux (p. 36), alors que selon la loi du 28
pluviose an VIn ccs derniers étaient tous nommés par
les préfets ainsi que les maires et adjoints des communes ne dépassant pas 5000 habitants.
Une importante annexe de plus de cent pages énumère (par département) les préfets avec, pour plusieur:;
d'entre eux, des appréciations émanant du ministère de
l'Intérieur et, pour presque tous, des indications fournies par M. Savant sur leurs antécéden ts (1) . Cette
partie, dont l'objet présente un réel intér·êt pour le sujet
de l'ouvrage, permet de suppléer à plusieurs lacunes
de celui-ci et même d'en rectüïer quelques outrances.
Ainsi l'allégation plus que hasardée de la page ilo selon
laquelle quand Napoléou est en campagne « le minislre
doit s'abstenir ... de l'entretenir sur les affaires relatives
aux préfets ~ se trouve au moins atténuée par le fail
qu'ou trouve dans l'annexe deux nominations siguées eu
Moravie en décembre 1805 et trois aulres signées pennan!
' la campagne de 1806-1807.
Malheureusement on ne peul se fier à toutes les dates
données par M. Savant. Sans doute, conm1e il l'expose
dans les pages 216-217, s'est-il heurté au désordre et aux
erreurs des registres et des dossiers concernant lcs préfets aux Archives Nationales. Mais sur beaucoup ne
points le Bv./letin des Lois et, au besoin, les minutes des
décisions l'auraient préservé lui-même de nombreuses erreurs quant aux dates des uominations et des
mutations. On a l'impression qu'en plusieurs cas, lorsqu",
M. Savant n'a pas trouvé (bien que ce fût souvent facile)
la date de la nomination d'un préfet à des fonctions
différentes, il a pris comme telle la date de la nomination du sucesseur alors que ce n'est pas toujonrs exact,
par exemple pOUl' l'entrée de Mouller et de Pommercul
(1) La liste des préfets semble exacte, sauf que Boucqueau ne
doit pas figurer parmi les préfets de la Sarre, que Fa.ipoult a été
omis (p. 304) comme préfet de Saône-et-Loire nommé le 27 avril
1815 et que d'Arbaud-Jouques parait compris à tort dans les nominations du 22 mars 1815 comme préfet de la Charente-Inférieure.
Les appréciations ministérielles reproduites, du moins en partie,
pour de nombreux préfets sont limit-ées dans le temps. par méconnaissanc.e du carton Fl, B \ 150.
217
�•
au Conseil d'Etal, de Shée au Sénat. En quelques C35
il donne pour la nomination d'un homme à une préfecture une date qui précède de plusieurs semaines, voire
de plus de deux mois pOUI1 les Alpes-Maritimes en l'an
X, la mutation on l'exclusion du précédent titulaire.
La plupart cie ces erreurs cie clate se réduisent à
quelques jours, à environ un mois au plus; mais d'autres
sont plus amples. La mort de Guiraudet et la nomination
de son successeur (p . 237) sont avancées d'un an ; 1\1ontaut-Desilles entra au Corps législatif non en septembr~
1802, mois où il fut relevé de ses fonctions (p. 271), mais
le 9 thermidor an XI ou 28 juillet 1803. Frémin de Beaumont devint législateur non en 1808 (p. 231) mais le 6
germinal an X, et à nouveau le 7 mars 1807. On lit que
La Ville fut « nommé sénateur et chambellan de Madame .1Ure ... 14 floréal an XIIl » (p. 290) . Or cette date
peut être exacte pour la seconde fonction mais La Ville
devint sénateur le 14 décembre 1809. Il est déclaré
(p. 310) que la Somme est sans préfet du printemps de
1811 au printemps de 1813 car Poitevin de Maissemy a
été « révoqué au printemps de 1811 •. Or c'est par un
décret du 12 mars 1813 qu'il est « appelé à d'autres
fonctions ».
Aux erreurs de date s'ajoutent celles qui visent les
antécédents de plnsieurs préfets. Ramel de Nogaret est
présenté (p. 233) comme ayant été. « constituant, légis·
lateur, conventionnel, cinq-cents >. M. Savant a oubli"
que ce personnage, qui fut en effet membre de l'Assemblée constituante, était par là même inéligible à l' Assemr
blée législative élue en 1791. Garnier, porté comme
constituant (p. 307) ne fut élu que comme suppléant et
n'eut pas à sièger. Colchen déclaré : « Conventionnel.
Minis tre» (p. 281), fut, de mars à novembre 1795, non
ministre mais l'un des commissaires qui remplaçaient
le ministre des Relations extérieures et cela suffirait il
établir qu'il n'était pas membre de la Convention.
,.
Enfin M. Savant qui impute (p. 217), sans doute
'avec raison, à deux répertoires biographiques des
erreurs grossières allant jusqu'à confondre le père avec
le fils et à faire revivre un préfet après son décès n'a
pas toujours évité les mêmes confusions. En déclarant
(p. 273) qu'avant d'être préfet 'Cossé-Brissac a été cham218
�bellan de Madame Mère il le confond avec son père le
sénateur. Le préfet Bnm n'est pas l'ex-conventionnel,
mort avant le Consulat, mais un homonyme (p. 2~6).
M. Savant donne à l'un des préfets de l'Aude. Leroy
(Jean Dominique) ces antécédents; « Membre de l'e:r:pédition d'Egypte, Tribun », et il le présente comme appelé
à d'autres fonctions le 30 Ulermidor an XI, rentré au
Tribunat, puis devenu plus tard préfet du Var ct du
Loiret, cn ajoutaut que l'intéressé était membre du
Corps législatif quand il devint préfet du Var en 1811
(p. 229, 267, 316) . Or, .ce faisant, M. Savant réunit en Wl
seul homme trois individus :
1 ° Le Roy, commissaire ordonnateur de la Marin e,
employé comme tel dans l'expédition d'Egypte et qui ne
fut jamais préfet ;
•
2° Leroy ou Le Roy (Jean Dominiqne), commissaire
du Directoire près du bureau central de Paris de ventôse à messidor an VII, tribun en nivôse an VIll, préfet
. de l'Aude le 19 frimaire an XI, « appelé à d'aulres fon clions» le 3 messidor an XI, décédé la même aunée, père
du maréchal de Saint-Arnaud;
3° Leroy ou Le Roy (Thomas) dit aussi Leroy de
Boisaumarié, officier, tribun en germinal an X, passe
an Corps législatif en 1807 lors de la suppression du
Tribunat, préfet du Var le 22 juin 1811 et du Loiret
aux Cent-JoUl's.
Même le déplorable Dictionnaire biographique de
Robinet se contente de confondre en un seul les deux
premiers de ces personnages et en distingue le troisième.
Certes, de telles erreurs commises quant aux date5
et aux personnes n'altèrent pas la vue d'ensemble que
peut prendre le leeteur du fonctionnement de l'institution préfectorale elle-même. D'autre part, elles doivent
être tenues pour fortnites et leur objet suflït à exclure,
en ce qui les concerne, le soupçon d'une partialité qui
ferait varier l'esprit critique et les exigences quant il
la recherche et à la confrontation des sources selon que
tel fait est favorable ou défavorable à un régime, à un
homme, etc. Peut-on en dire autant de toutes les inexactitudes manifestes que contient l'ouvrage de M. Savant '!
Quelques observations pel'lnettent d'en douter,
•
219
�M. Savant consacre seulement une page et demie
de son chapitre XVII à l'entrée des auditeurs au Conseil
d'Etat dans le corps préfectoral. Ayant déclaré que
« l'auditeur Iravaille peu ou point» (aflïrmation au moins
outrée dans son caractère général et absolu), il affirme
qn'après avoir entendu pendant quelques mois, deux
fois par semaine, Napoléon discourir et trancher avec
superbe au Conscil d'Etat, les auditeurs « passent, sans
autre préparation » en des fonctions importantes y
compris des préfectures (p. 171). Or des quarante auditeurs effectifs qui (y compris trois d'entre eux promus
maîtres des requêtes auparavant) devinrent préfets
avant mars 1814, quatre seulement étaient entrés depuÎs
un peu moins d'un an au Conseil d'Etat; pour les autrcs
ce délai fut supérieur à un an et plus souvent à deux
ans, atteignant près de quatre ans pour le fils du sénateur Rœderer, plus de cinq ans pour le fils du ministre
Regnier, etc. Ce temps avait été employé soit seulement
au Conseil d'Etat (presque toujours alors au moins un
an) soit en outre dans des intendances (en pays occupé),
des sous-préfectures ou d'autres fonctions administra lives. M. Savant affirme (p. 170) que ces auditeurs préfets avaient en moyenne vingt-cinq ans. Or huit seulement sur quarante-deux devinrent préfets à moins de
vingt-sept ans et quinze avaient au minimum trente ans.
Le préfet du Zuyderzée présenté (p . 172) comme « llIl
tout jeune homme. reçut ce poste il trente et un ans.
•
•
Encore M. Savant n'a-t-il fait là qu'outrer en les
généralisant absolument deux traits réels: le caractère
prématuré qu'eut l'accès de plusieurs auditeurs à des
postes préfectoraux ou autres et la « suffisance » souvent imputée à beaucoup d'entre eux. Leur recrutement
donne matière à une allégation plus entreprenante.
,
Un ancien auditeur de 1810, Barthélemy, narre dans
ses Souvenirs (p . 55) les démarches qu'il multiplia à la
fin de 1809 pour se faire nommer à ce poste. II s'ell"orça
d'ajouter à divers protecteurs de haut rang « /'archi·
chancelier Cambacérès. Je dois ajouter que pour arriver
à ce dernier j'eus besoin d'une dame, tres avant dans
son intimité, qui apres avoir réussi dans la nigociation
dont je l'avais chargée, me fit comprendre le vif désirl
qu'elle Oiooit d'une certaine robe que je m'empressai de
faire déposer chez elle. » Le récit limite donc cette inter220
�vention féminine à une mise en rapports avec Cambacérés. Voici ce qu'en tire M. Savant :
« Certaines femmes disposent de quelque influence.
En offrant une robe - celle qu'elle désigne - ci telle
d'entre elles, on est assuré d'être nommé audit eur au
Conseil d'Etat ' .
C'est là une façon d'interpréter un témoignage que
nul ne taxera de timidité et de scrupules excessifs.
M. Savant écrit (pp. 63-64) qu'à la fin de 1810
« devenu pour un instant audacieux, Montalivet se ris-
que à rappeler à Napoléon quelques circonstances fà ..
.,heuses pour la gloire de son règne.
•
••
-.
,
.
« Dans dix-sept départements (pas un de moins) la
justice boite. Pas de jury... Dans treize départements
il n'y a point de juges ... Quab'e départem( ots n'ont que
des députés provisoires au Corps législatif. Huit autres
n'ont point de députés du tout. Cela depuis rwènement
de Bonaparte, pour quelques-uns d'entre eu:> c'est-à.. dire depuis onze années ... Et huit départemenb réunis
à l'Empire « n'ont encore reçu aucune des instit;:tions
constitutionnelles •. Pratiquement ce sont des coloni,·s. »
M. Savant vise là un rapport du ministre de l'In,érieur en date du 12 décembre 1810 et sans doute fou1'li i
sur la demande même de l'Empereur (A R IV 1066 n ° 46).
Mais il présente inexactement le contenu réel de cc
rapport. C'est vingt-cinq départements qui ne possèdent
pas de jury mais le ministre ne déclare nulle part qu'il
n'y a pas de juges dans treize départements . Ce sont les
juges de paix qui font défaut dans sept départements
et ont été nommés dans tout ou partie de treize autres
sans la présentation des assemblées de canton, qlÙ n'y
existent pas. Quatre départements n'ont qne des dépntés
provisoires, quinze autres ct un arrondissement sont sans
représentant au Corps législatif et parmi eux huit
« n'ont auoune des institutions constitutionnelles • . Mais
le rapport ministériel cite tous les départements dont il
vise ainsi les particularités! Est-ce le résumer correctement qne de laisser ignorer au lecteur quels ils sont et
depuis quand 'i1s font partie de la France ?
.'
Or si, pour des raisons politiques, Napoléon a exclu
le jury des départements italiens annexés en septembre
"
"
221
�1802 et en octobre 1805, les départements continentaux
somnis en outre à des anomalies quant aux juges de
paix et aux membres du Corps législatif ont été réunis
constitutionnellement à l'Empire par des sénalus-consuItes soit en mai 1808, (quatre ont des députés proviSoires) soit en février et en avril 1810 (quatre) ou même
ne le seront que le 13 décembre 1810 (huit), lendema in
de la date du rapport ministériel en cause. Trois départements plus anciens seulement n'ont pas de députés
ni de juges de paix nommés sur présentation des assemhlées de canton: cc sont des départements insulaires, le
Golo, le Liamone et l'île d'Elbe, dont les deux premiers
ont été mis hors du régime constitutionnel par la loi
du 22 frimaire an X. Enfin l'allégation de M. Savant
qui fait remonter à onze ans la situation inférieure de
« quelques-uns » des départements visés quant à la
composition du Corps législatif est erronée. Même les
denx départements corses furent d'abord représentés au
Corps législatif. (2)
Cette ... utilisation d'un rapport de Montalivet forme
dans l'onVl'age une digressioll étrangère à l'histoire des
préfets. En revanche l'ampleur de leur tâche conduisait
M. Savant à traiter ou du moins à effleurer divers aspects
importants de la vie nationale et il avait donc à relever
objectivement qu'en plusieurs domaines, selon la formule
adoucie qui forme le titre de l'un de ses chapitres « tout
ne va pas pour le mieux ». Je ne dispose pas, je le
répète, des éléments vonlus pour apprécier ce que valent
beaucoup des tableaux sommaires ct sans nuances présentés notamment dans ce chapitre et dans celui qui
vise les grands travaux. Mais les dires de M. Savant
,
,
\.
(2) La constitution du 22 frimaire an vm (a.rt. 31) décide au
sujet du Corps législatif : c n doit toUjOIl,TS s'y t,'o"ver tm citoyen ·
al(. ntoill's de chaque département de la République :. sans préciser
quel lien doit unir ce citoyen au départeme..ï.t. En e.xécution du
sénatus~co.nsulte o~'ganique du 16 thermidor an X (art. 69-72). les
membres du Corps législatü furent répartis, par le Sénat. entre
les départements le 14 fructidor an X. Or, le Golo et le Liamone
ayant droit chacun à un député, ils se virent attribuep- comme tels
deux hommes qui siégeaient au Corps législatif depuis l'an Vill.
Du fait de la mise de l'île hors de la constitution, ils ne furent pas
remplacés quand l'un devint préfet, en germinal an XI, et quand
la S'érie à laq;uelle appartenait l'autre fut sorta.nte, en l'an XII.
222
�sont plus faciles à contrôler dans le domaine où il semble avoir systématiquement outré le caractère des faits,
bien que la réalité y fût déjà plus sombre qu'en aucun
autre : le nombre des soldats morts et le poids des levées
militaires. On lit en effet (p. 95) :
« Plus d'un million d'hommes ont péri en Espagne,
800.000 en Russie (1812), 1.200.000 ont été levés pour la
campagne d'Allemagne (1813), et, comme il n'en reste
pratiquement rien, pour 1814, on lève encore 450.000
hommes ...•
Le chiffre des morts est très exagéré. Il dépasse
même pour 1812 le nombre total des soldats entrés en
Russie, alliés compris. Le nombre de 1.800.000 hommes
censés morts en Espagne et en Russie dépasse le total
des recrues françaises levées pour j'armée dans la
France consulaire et inlpériale de l'an VIII à avril 1813
inclus. Le total des levées prescrites de septembre 1812
à la fin de 1813 s'élève non à 1.650.000 hommes mais à
1.170.000 hommes, non compris les 15 à 30.000 gardes
nationaux sédentaires mis sur un pied de guerre relatif
en vertu du sénatus-consulte du 3 avril 1813 pour garder
les ports de guerre et les côtes.
M. Savant écrit encore (p. 198) au suj et de 1814 qll<~
maintenant, ce sont des enfants de quinze et seiz e am
qui sont enlXJyés au feu. » Or la conscription de 1815,
- dont la levée fut autorisée par le sénatus-consulte du
9 octobre 1813 mais ordonnée seulement par le décret
du 7 janvier 1814 et effectuée pour la moindre partie
des 160.000 hOl11l11es appelés - portait sur des j eunes
gens nés pendant l'année li95. Les moins âgés avaient
donc dix-huit ans au début de 1814. C'est très jeune
mais ce n'est pas « quinze et seize ails • .
«
Enfin, après avoir relaté qu'en février 1814 Napoléon appelle à la défense de la France envahie, M. Savant ajoute : « c'est-a-dire que les mères, les granamères, les filles et les ,vieillards courront a la défenscl,
de la patrie, car, d'hommes, il n'en reste plus un en état
de porler les armes .•
Même les plus virulents pamphlétaires royalistes
auraient sans doute renoncé à écrire, de sang-froid, de.
phrases pareilles en 1814 et en 1815 car tous les lecteurs
223
�éventuels auraient su, par leurs propres yeux, que cc
n'était pas vrai. Les individus appelés sous les annes
par la Convention en 1793 avaient de 18 à 25 ans. Les
Français nés avant 1768 (et âgés par conséquent de 46
ans et plus en 1813) n'avaient donc pas été soumis, en
1793 ou depuis, au recrutement forcé sauf Lme partie
des marins. Même en tenant compte des ex-soldats de
l'armée royale et des volontaires de la H.évolution morts,
devenus invalides ou demeurés à l'armée, il devait se
trouver parmi eux plus d'un homme « en état de porter
les armes '. Quant aux hommes plus jeunes appelés
sous la Convention et le Directoire, il est au moins très
dillïcile de fixer leur nombre car plusieurs lois s'abstiennent elles-mêmes de le faire et 'visent tous les hommes valides d' un âge déterminé, du moins parmi les
célibataires, pour 1793. Il est aussi difficile de fixer le
nombre des incorporations réelles. M. Vallée évalue
celles-ci à environ 900.000 bommes mais en ajoutant
qu'une partie de ceux qui ont alors esquivé l'iucorporation ont été récupérés au début du Consulat. Il ne paraît
donc pas qu'on ait levé plus de 50 % des individus nés
de 1768 à 1779 dans l'ancienne France et tous-ceux-là
n'étaient pas morts, invalides ou restés dans l'armée.
Enfin les hommes plus jeunes dont la levée a été auto,·
risée ou prescrite par des lois et des sénatus-consutes,
de l'an VIII au début de 1814, s'élèvent à environ
2.400.000, y compris les 40.000 levés en 1810 pour la
marine et les 160.000 de la conscription de 1815, dont la
moindre partie fut réellement incorporée. Compte-tenu
du nombre des individus soumis il la conscription
(240.000 pour l'an IX, environ 360.000 par an ponr 1808
et 1809, davantage les années suivantes avec l'extension
de l'Empire), il semble que les levées prescrites visent
au plus 40 % d'entre eux (36 % selon M. G. Lefebvre) .
C'est déjà très lourd pOlir l'époque mais, même en ajoutant les volontaires en surplus, les remplaçants successifs que durent fournir certains conscrits, les réfractaires saisis et incorporés, les marins, les gardes nationaux
déjà efIectivement levés, même en tenant compte des
inégalités dans la répartition du contingent selon les
régions, il n'est pas possible de soutenir avec quelque
élément de preuve à l'appui qu'en février 1814 il ne
restait plus dans la population civile d'hommes en état
224
�de porter les annes et que de nouveaux appels ne pouvaient plus porter que sur les femmes, les vieillards
et les enfants de quinze ou seize ans.
II s'agit ici d'inexactitudes matérielles flagrantes,
qui apparaissent même comme d'une autre nature que
l'erreur confondant trois Leroy en un seul, voire que
l'attribution aux consuls du pouvoir de nommer les lribuns. Si elles émanaient, dans la fièvre d'un discours
improvisé ou d'un article hâtivement écrit, d'un polémiste politique visant à discréditer par tous les moyens
une cause adverse, celle d'un homme, d'un régime ou
d'un Etat, on penserait sans doute qu'il méprise fort
l'instruction et l'esprit critique de ses auditeurs ou de
ses lecteurs, peut-être aussi qu'il manque de sang-froid.
Que dire quand il s'agit d'affirma tions émises délibérément et à loisir dans un ouvrage présenté comme historique ?
•
Ceci prend une portée qui ne se limite pas à une
assertion isolée; ceci évoque un état d'esprit, une façon ...
'particulière de concevoir le 'travail d'un historien, du
moins quant à certains sujets. Cette conception et ces
procédés, surlout quand ils se manifestent avec autant
d'éclat que dans l'exemple précédent, appellent che? le
lecteur une suspicion qui ne peut se limiter ni à quelques passages ou à un seul chapitre d'un livre, ni li un
seul ouvrage d'un auteur,
Charles DURAND
Professeur à la Faculté de Droit
el des Sciences Economiques
d'Aix-en-Provence
225
�1.
'.
•
�,
-
.
.
.,
D1iFENSE NATIONALE ET UNIVERSIT1i
�-
'.
,
•
�Défense Nationale et Université
-~
•
C'est un titre complexe parce qu'il rassemble deux
Idées, deux éléments, et cette juxtaposition pose pour
nous, immédiatement, un problème. Exprime:t-elle un
antagonisme ou, aUi contraire, un couple ? S'il est, évidemment, impossible de traiter simultanément, dans une
leçon d'ouverture, de la Dèfense Nationale d'une part,
de l'Université d'autre part, qui sont l'une et l'autre des
choses considérables, il est au contraire possible, et
nécessaire, de les présenter l'une et l'autre dans leurs
rapports : cette présentation permettra de voir dans
quelle ~sure la conjonction de la Défense Nationale
et de l'Université est résolue d'une manière satisfaisante
dans les institutions qui sont les nôtres.
Essayer ainsi de confronter la Défense Nationale
et l'Université n'est pas chose simple. Je ne suis pas le
premier, d'ailleurs, à m'engager sur la voie de ces rap·
prochements, et malgré les recherches qui, déjà, ont
été faites par des gens très autorisés, des milieux militaires ou des milieux universitaires, il faut bien reconnattre que la délimitation (ou les contacts) entre ces
deux éléments capitaux de nos institutions n'est pas
encore assurée d'une manière certaine. J'ai du moins
l'avantage de m'engager sur des pistes déjà tracées, et
si nous ne pouvons pas pousser plus avant notre exploration, du moins pourrons-nous utiliser les enseigne229
�lùents que nous donnent les réflexions de nos IH'édécesse urs. (1)
Défense Nationale et Université : est-ce là deux
idées qui s'opposent, qui s'ignorent tout au moins
dans une indépendance foncière, ou constituent-elles
au con traire, sillon une paire, ce qui se dit de deux
choses qui vont nécessairement ensemble, comme des
bas ou des gants, un couple qui unit des choses, des
idées de même espèce, en les liant dans une prise COll1mnne, comme les pièces de la membrure d'un navire "
A vant de prendre parti sur ces deux façons de situer
ces deux éléments, l'un par rapport à l'autre, il faut
d'abord les présenter l'un et l'autre, les définir, tout
au moins les caractériser.
La Défense Nationale, d'abord. - La formule est
récente. Elle s'est substituée, il y a peu de temps à
d'autres qualifications, la Guerre ou l'Armée, que l'on
utilisait pour définir le département ministériel qui en
a plus spécialement la charge. Cette formule nouvelle,
à première vue, n'est pas expressive ; elle est même
plutôt décevante. Le terme de « défense >, en lui-même,
est un terme à sens passif, négatif; il implique une
attente, presque une résignation; il prévoit à peiuê la
possibilité d'une riposte, en admettant qu'elle soit légitime. L'épithète" nationale" parait dynamique. S'il fût
un temps où l'idée nationale apparaissait comme une idée
force, capable d'assurer la formation des Etats et leur
unité, il faut bien recounaitre aujourd'hui que le terme
est usé: on le rencontre plus fréquemment comme un
qualificatif complèmentaire, sans grande portée, attaché à la nature d'une entreprise, au style d'une exposition, à l'ampleur d'une loterie. Mais il faut comprendre
Défense Nationale en retenant ces mots, comme on ra
dit, avec un D maj uscule, en les personnifiant, et on
,
•
(1) Parmi les études con.sac...--ées à ces rproblèmes.
v~
not.
~né·
raI ALnORD} c La jeunesse et la Défense Nationale )o p Rev. de Dé/.
Nat. fév. 1958, p. 207, et c Pour une promotion de la Défense
nationale », Rev. des Travaux de I~Académie des sciences morales
et poZitique8) 1959, p. 1 ; M. MEGRE."T c Armée et Universi~ :), Reu.
de Lé/. 'Nat. dé'c. 1958, p. 1860 ; F. GROADER} « Une conception
archaïque >, les cahiers de la République} nov. déc. 1960, p. 15.
230
J
�leur donne alors un caractère très dynaInÎque. On a
voulu exprimer dans cette formule la sauvegarde totale
du pays, son service intégral, réalisant dans le cadre et
les conditions modernes du monde la levée en masse
que nos anciens de 93 avaient déjà envisagée, mais avec
beaucoup plus d'ampleur. C'est cette ampleur nouvelle
qui transforme l'idée de Défense; œ n'est plus simplement l'intégrité territoriale, la défense matérielle du sol
que l'on évoque, mais tout ce qui fait la substance de la
Patrie ou de la Nation, les valeurs spirituelles comme
les choses temporelles. On comprend alors que l'organisation de cette défense doit unir à l'Armée et à la
puissance militaire toutes les forces vives du pays, le
civil aussi bien que le militaire, le privé comme le pu·
blic, pour défendre le pays contre toutes les attaques
dont il peut être l'objet, sur tous les fronts . Cette conception expansive de la Défense Nationale est tentaculaire, on serait tenté de dire totalitaire si le mot n'était
pas déformé par son sens péjoratif dans le vocabulaire
- politiqne. Du moins faut-il retenir de cette conception
nouvelle de la Défense nationale qu'elle veut mettre
l'Etat à l'abri de toutes les attaques dont il peut être
l'objet, directes ou sournoises, en utilisant toutes les
forces dont il peut disposer. (2)
Si nous nous tournons maintenant vers l'Université,
allons nons trouver dans cette vieille institution quelque
chose de plus stable, le point fixe sur lequel nous pourrons nous ancrer pour déterminer précisément les rapports qui vont s'établir entre lui et la Défense Nationale ? Certes, l'Université est une très vieille chose, et
traditionnelle. Elle est tonjours pour nous, comme elle
l'a été pour nos anciens, l'Alma Mater. Mais l'Université
n'est pTus seulement, à l'heure actuelle, cette vieille institution traditionnelle. Le temps est loin où elle se réduisait au rassemblement de quelques maîtres et de quel-
(2) Parmi les nombreuses études consacrees à la conception
nouvelle de la Défense Nationale, on noUs excusera de renvoyer
tout spécialement au volume reproduisant les enseignements .d e la
IVe session du Centre de sciences politiques de notre Faculté, à
l'Institut d'Etudes JU.i' diques de Nice: La Defell'88 Nationale, P.U.F.
1958 (v. not. l'A 1..'tIJttt-propos et les études de M:M. J. ESSIG, M.
MEGRET et de SOTo).
231
�ques élèves unis, dans un e.prit corporatif, par l'étude
de quelques matières fondamentales. L'Université a, elle
aus.i, connu l'apport de forces vives, elle s'esi élargie,
par le développement de son emprioe sur la population
qu'elle enseigne, sous l'effet d'une double poussée, la
poussée démographique et la poussée démocratique,
qui sont à peine à leur début. Elle s'est élargie aussi,
et surtout, par l'objet de ses recherches et de ses
tâches. Loin de rester confinée à l'étude de quelques
sciences fondamentales, elle s'est élargie, si l'on peut
dire, par les deux bouts: vers l'extérieur et du côté
national, elle a multiplié ses recherches en abordant les
problèmes les plus larges et les plus lointains, en même
temps qu'elle développait également ses travaux et ses
enseIgnements vers l'intérieur, sur le plan régional. De
telle sorte que l'Université nous donne anssi l'impression d'un élargissement, d'une force en expansion, qui
est également marquée par le changement d'étiquette
du miniotère dont elle dépend, avec la substitution de
l'Education Nationale ·à l'Instruction publique. (3).
Ayant ainsi présenté les denx acteurs de notre colloque et noté leur égale vocation expansive, nous pouvons maintenant les confronter en cherchant à déterminer ce qui les oppose et ce qni les unit. Pour embrasser
dans leur ensemble ces deux vastes domaines que son t
la Défense Nationale et l'Université, étant universitaire
et, plus spécialement, juriote, je me propose de les présenter en les considérant sous les trois aspects auxquels
se ramènent toutes les analyses du juriote ; les personnes, les choses, les actions. Pour chacun de ces aspects,
nous rechercherons comment la Défense Nationale ct
l'Université marquent, dans leurs rapports, des .a ntagonismes ou révèlent au conh'aire des rapprocheronts.
Après ce tour d'horizon montrant le jeu respectif de ces
antagonismes et de ces rapprochements, peut-être sera-
(3) L'expansion de l'Uruversité française, spécialement pour
l'enseignement supérieur, est mise en lumière dans toutes les études
publié es dans la R evue de l'etlSeignement supérieur (depuis 1956).
V. spécialement dans le n° 3-1960 sur les c: Structures de l'enseignement supé:1.eur français » les articles de MM. BoUCHARD. . J .
BAYET. . L . ROLLAND} H. RACHOU.
232
�t-il possible de dégager, en conclusion, la résultante de
ces divergences e't de ces liaisons, qui marquera la direction vers laquelle il faut s'engager pour établir aujourd'hui, compte tenu des exigences du temps présent, et
de leur commune expansion, les relations de la Défense
Nationale et de l'Université.
I. -
LES PERSONNES.
]] est tentant et il serait facile de brosser deux portraits opposant le militaire et le civil, l'otricier el l'universitaire. Mais il suffit pour cela d'évoquer l'album
des photographies de famille, ou se cotoient souvent le
nùlitaire avantageux, jouant du prestige de l'Ulliforme,
fut-il sans galon, et l'universitaire guindé dans son
veston noir et son pantalon r ayé (4). Le parallèle, bien
sûr, s'impose, mais il ne faut pas s'y attarder, parce
. qu'il date: l'uniforme, aujourd'hui, est moins chamarré
qu'autrefois ct l'universitaire s'accommode volontiers
de tenues seyantes. Surtout, . derrière celle apparence,
faite toute entière de contrastes, si l'on va plus au fon,l
des choses on trouve de nombreux points communs ct,
finalement, plus de rapprochements que d'oppositions
entre le militaire et l'universitaire.
Ils sortent généralement, l'un et l'autre, d'un même
milieu social, constituant l'un et l'autre les cadres fondamentaux de la dasse moyenne. Ils connaissent l'un
et l'autre la même grandeur et la même servitude dans
l'exercice de leur fonction. Ils ont été l'écemment, à lu
suite des dernières guerres, soumis l'u n et l'autre aux
mêmes dévaluations; et je pense non seulement aux
dévaluations matérielles mais aussi aux dévaluation,
morales qui ont réduit, à hien des titres, leur place da",
la société. Pour le juriste que je suis le rapprochement
(4) On songe il l'amusant portralt de l' ~ élégance démocratique :., à propos d'un éminent universitaire, présenté par ~UY,
Vwtor.Marie, comte Hugo (édit. N.R.F., p. 20).
233
�ès! plus accusé encore; le militaire el l'nniversitaire
accomplissent l'un et l'aulre un service el ils poursuivent, l'un et l'autre, une carrière dans des conditiOlls
qui, à bien des titres, sont semblables. On (lit de l'officier
qu'il est propriétaire de son grade: la formule 11':?~! pas
exacte, juridiqueme!Jt parlant, mais elle exprime bien
une situation qui évoque, parallèlement, !.l « propri~lé »
de la chaire dont jouit aussi l'universitaire. (5)
•
-.
Malgré ces rapprochements, il existe entre le personnel de la Défense Nationale et de l'Université des
dh·ergenees profondes, dûes à l'opposition de la discipline militaire et de l'obéissance hiérarchique civile:
deux formules qui expriment peut-être la même chose,
mais dans un esprit différent et qui répondeut à des
situations opposées. Comme la fonction publique dans
son ensemble, la fonction enseignante connaît, depuis
pas mal d'années, les efTets d'un mouvement de démocratisation qui s'est arrêté, on l'a dit, à la porte de la
caserne. Les conditions dans lesquelles s'exercent les
fonctious, dans la Défense Na tionale ou dans l'Université,
présentent, par l'effet de cette disparité, des contrastes
nombreux et profonds. Qu'il s'agisse de l'exercice du
droit syndical, avec sa suite, presque fatale, du droit
de grève, - qu'il s'agisse de la discipline qui s'étend,
d'un c:,ll.\ ~L S: ïU' à la yic privée, qu'elle respecte ùc
l'autre, - qu'il s'agisse, surtout, de l'exercice des libertés
publiques, spécialement de la liberté d'expression, de la
liberté d'association, de la liberté de réunion, les différences s'accusent et le statut juridique des personnes
militaires et universitaires tend à s'opposer.
Au delà de cette opposition dans le statut des personnes, la personnalité des agents qui relèvent du monde de la Défense Nationale et de l'Université révèle
aussi des diffèrences profondes. Dans un essai d'analyse
caractérologique, on pourrait définir le militaire en
disant qu'il accepte la mission de servir, conformément
.,
~
(5) V. sur la situation de l'officier a.u sein de là fonction pUblique Prosper WEIL, « Armée et fonction publique l" . dans la
Déft:'llS8 Nati01lale, précitée, p. 183 et s.
�au pouvoir qui lui a donné celle mission (6), tandis que
I"universitaire revendique le droit de chercher et d'cnseigner conformément à sa recherche. Ces positions révèlent den x états d'esprit bien différents, où l'on retrouve
l'opposition classique des intellectuels et des militaires (7) . Cettc opposition, qui définit lïntellec!ucl dan:>
la mesure où il possède l'es pril d'examen et le militai re
dans la mesure où il est dirigé par l'esprit d'aulorité,
est simple à formuler mais assez délicate à expliquer.
Il n'est pas question, bien sûr, de la prendre au pied de
la lettre, car le monde ne sc partage pas en mettant les
uns dans la catégorie des intellectuels, les autres dans la
catégorie des militaires: il n'y a pas dilemne, ou incompatibilité. Le fait d'appartenir au premier groupe ne dispense pas d'appartenir au second, et vice-versa. Cette
opposition exprime, en réalité, des attitudes d'esprit différentes, et distinctes : le militaire raisonne en militaire
dans son monde militaire, l'intellectuel raisonne en
intellectuel dans le sien, qui est le monde plus abstrait
des spéculations pures et gratuites. Mais ces conditions
'sont changées depuis que la notion de Défense Nationale
ne se limite plus à la guerre conventionnelle. Par son
caractère plénier, elle englobe désormais les militaires
et les civils, et parmi les civils il y a les intellectuels.
Dès lors, si au cœur même de la Défense Nationale
nous rencontrons deux formes de raisonnement qui con·
duisent à des prises de position différente:> sur ses fins
et sur ses moyeus, son mùté est compromise: au lieu de
se présenter dans une union totale et complète, les forces
de la nation vont s'écarteler et s'opposer, aussi bien sur
les fins de la Défense Nationale que sur les moyens
permettant de les atteindre. Et c'est ainsi que l'on voit
des militaires affirmer, en esprit d'autorité, les valeurs
morales qu'ils ont conscience de devoir défendre et
justifier par la nécessité de cette défense l'emploi de
(6) V. sur ce point Gaston BERGER} «: Hommes politiques et
chefs militaires :t, dans la Défense Nationale} précitée, p. 15 et
suivanteS.
(7) V. sous le titre « Intellectuels - militaires ~ plusieurs arti·
cles publiés dans Le Monde, par P. H. SB1ON, avec répoœe de MM.
LoUis MANGIN et R. LAURE (15 oct. et 7 déc. 1958) suivi~ d'une
abondante correspondance (10 janvier et 28 - 30 janvier 1959).
J
735
,
�moyens pennettant de retourner contre l'adversaire les
armes qu'il utilise, ce qui est de bonne guerre ; en face
d'eux, des intellectuels, s'affirmant également défenseurs des mêmes valcurs morales, mais en esprit d'examen, condamnent ces fins, ou tout au moins ces moyens,
s'ils découvrent qu'ils en sont la négation. Supposant,
bien sûr, la honne foi des uns et des autres, leur profonde conviction, comment pouvons-nous condamner les
uns ou les autres ?
Cette interrogation révèle l'antagonisme maj eur qui
peut opposer Défense Nationale et Université sur le plan
des personnes. Avant de chercher à le résoudre, il faut
poursuivre notre inventaire des oppositions et des rapprochements en ahordant, maintenant, l'examen des
choses.
. ,••
lI. -
LES CHOSES
Cet examen des « choses » concerne les biens de
la Défense Nationale ou de l'Université, c'est-à-dire les
structures et les moyens matériels dont l'une et l'autre
disposent pour l'exercice de leur nùssion : ici aussi notre
inventaire va révéler des dissemblances, moins graves
peut être que celles qui portent sur les personnes, mais
qui ne manquent pas d'intérêt pour définir les mondes
respectifs de la Défense Nationale et de l'Université.
Dans une première approche, si l'on veut embrasser
d'un coup d'œil général « les choses» de la Défense
Nationale, celle-ci se révèle puissante dans ses biens,
exigeante dans ses équipements, prioritaire dans SOIl
financement, et, signe très particnlier, secrète sur tous
ces points. Elle recouvre en elIet toutes ses ressources,
toutes ses techniqnes, le détail de ses programmes, dn
secret uùlitaire. Cachés derrière ses murailles infranchissahles, ses hiens ne tomhent pas sons nos prises et
il faut reconnaître que cela est daus la natnre des choses: la Défense: Nationale a pour mission de garder et
cette uùssion est d'ahord de se garder. En face, l'Université, considérée dans ses hiens, ou dans ses choses, présente des cractères tout opposés. Elle est modeste,
�patiente, dans ses revendications, timide. Longtemps
elle a été tenue à la portion congrue dans l'octroi des
crédits. Mais, en revanche, elle est largement ouverte, elle
est publique, rien de ce qui lui appartient n'est réservé
et caché, et cela aussi est dans la nature des choses,
parce que l'Université a essentiellement pour mission
de donner et de se donn er.
-
Cette vue générale s'ouvre donc sur des positionstout à fait différentes et ces différences s'accroissent de
nos jours, au lieu de se résorber. Quelque différente que
fut, jusqu'à présent, la nature des biens relevant de la Défense Nationale et de l'Université, il y avait du moins,
entre eux, une commune mesure: ces biens étaient, d'un
côté comme de l'autre, à l'échelle humaine. Il n'y ayuH
pas, en effet, disproportion foncière entre la caserne ou
le fort et le lycée ou la faculté. Celle commune mesure
n'existe plus depuis que la puissance atomique, ou la
force de frappe, est devenue la chose essentielle de la
Défense Nationale. Comment pouvons-nous aligner notre
. pauvre patrimoine universitaire en face de celle énormité ? Certes l'Université a suivi le train des découvertes modernes : nos facultés des sciences. notamment. et
nos facultés de médecine se sont enrichies de moyens
puissants. Mais, dans notre domaine, la main de
l'homme, la main du maître et celle de l'élève sont
restées essentielles pour le maintien des choses et pour
leur exploitation, parce que, pour nous, il ne s'agit que
de moyens, et non d'une fin : la bombe, pour la Défense
Nationale, c'est la fin. Et c'est ainsi que la Défense
Nationale s'est alignée très vite, sur terre, sur mer et dans
les airs, aux données nouvelles de la force nucléaire,
de l'électronique et du robot. On peut envisager une
Défense Nationale « presse-bouton » ; l'Université ne
réalise pas ses fins aussi simplement.
.
Au delà de cette opposition générale une approche
l'lus juridique fournit aussi, dans l'analyse des choses
de la Défense Nationale et de l'Université, quelques
points contrastés qui méritent de nous retenir.
.' .
L'Université est née indépendante, autonome, maîtresse de son patrimoine, avec le sens d'une propriété
nécessaire. Cette propriété, elle ne l'entend pas dans un
esprit fmercantile, mais, comme nous l'entendons en
237
�droit- public, comme une garantie et une assurance de
la liberté. La propriété est un des éléments de cette
tranquillité d'esprit qui assure, selon la définition classique de Montesquieu, la liberté politique. II est remar·
quable que Napoléon, militaire à l'âme puissante, lorsqu'il a constitué l'Université impériale dans un esprit
de centralisation, l'a cependant dotée d'un patrimoine
propre, par voie de fondation. II la soustrayait en même
temps à l'emprise ministérielle. Celte tradition propriétariste s'est perpétuée et s'est maintenue constamment
dans noh'e conception des choses universitaires. L'Université est une personne : elle est propriétaire de ses
biens, elle a son budget, son nom, son domicile, car elle
est « chez elle >. Elle est maîtresse de son patrimoine
qu'elle constitue et développe à son initiative. Dans son
sein, chaque Faculté est aussi une personne, propriétaire distincte et jalouse de ses biens. Dans les Universités et daus les Facultés, nous assistons aussi à la
création constante d'Instituts, dont la raison d'être est
encore d'avoir, eux aussi, leur personnalité, leur budget,
leur patrimoine, leurs choses. Cette appropriation des
choses n'est pas spéciale à l'enseignement supérieur (où
elle se retrouve d'ailleurs, en dehors de l'Université,
dans tous nos grands établissements, qui sont également
des personnes propriétaires de leurs biens) : on la retrouve partout. Les lycées aussi sont des personnes morales, les écoles ont leur caisse, et il ne faudrait pas
pousser bien loin le tableau pour voir dans chaque classe, même les plus enfantines, un propriétaire attentif
de son matériel scolaire ou des jouets des enfants.
,
Si nous nous tournons maintenant vers la Défense
Nationale, l'analyse juridique des choses change du tout
au tout, car cette propriété particulière est inconcevable. La Défense Nationale est non seulement nationale,
mais nationalisée. On ne peut pas penser qu'un corps
d'armée, un régiment, soit maître de la constitution
de son armement, de ses approvisionnements, qu'il les
constitue selon l'optique particulière de son chef et pal"
une appréciation souveraine des besoins. En outre, avec
la conception atomique, on passe de cette propriété
nationale à un stade de « nationalisation progressive »,
comme on l'a dit (8), par suite de la nécessité d'élargir
238
,
�les base& sur lesquelles peut s'édHier la force nucléaire.
Je sais bien que la France, par un sursaut nationaliste,
si l'on peut dire, a voulu, constituer sa propre force dè
frappe, mais il faut bien reconnaitre que la complexité
des installations, la complication des mises en place, et
leur coût, ne peuvent pas s'accommoder, du moins à
l'échelle de notre pays, d'un nationalisme étroit (9). A
la base de ces choses nouvelles et essentielles de la
Défense Nationale, il faut une implantation plus large
et une communauté plus puissante que celle de la nation.
Ainsi s'affirme, dans l'analyse des biens ou des choses qui
constituent les domaines respectifs de l'Université et oe
la Défense Nationale, de profondes disparités.
Ill. -
LES ACTIONS
Avec « les actions ~, nous arrivons au terme cie
notre recherche et nous allons rencontrer de nouveau
des oppositions, mais ces oppositions seront moins nettes,
parce que de nombreuses activités communes rapprochent, sur bien des points, Défense Nationale et Université. Le temps n'est plus, en effet, où la Défense Nationale se ramenait à l'id~e de guerre, où l'action militaire
et l'action civile s'opposaient comme on opposait la toge
et l'épée. Dans l'esprit nouveau de la Défense Nationale,
il n'est pIns possible de limiter son action à la gnerre
seule, du moins an sens conventionnel, et ses activités
vont confronter souvent celles de l'Université. CUle
confrontation est si vaste que je ne pourrai pas la retracer dans tons ses détails: je me limiterai à denx points,
en recherchant d'abord sur qui s'exercent les actions
respectives de la Défense nationale et de l'Université,
pnis en quoi consistent ces actions.
(S) V. sur ces points R. E. Ca-\RLIER, c Nationalisation et inter~
nationalisation de l'atome >. dans La Défense Na.tion.ale, préc:tée.
p. 331 ; Gal STEHLIN, c: Les conséquences de la forme nucléaire de
la guerre ... 1>, ibid, p. 359.
(9) V. la 101 du 8 déc. 1960 et les importants débats parlementaires auxquels elle a donné lleu.
239
�A. - Sur qui s'exerce l'action de la Défense Nationale et de l'Un.iversité ? Sur des hommes, bien sûr, mais
il faut préciser, parce qne cela importe pour comprendre
l'effet de cette double action, qu'elle s'exerce sur les
mêmes hommes et avec un même caractère d'obligation.
Ceci, dn moins, est la thèse, mais l'hypothèse, la réalité
des .choses, révèlent immédiatement des différences.
L'Université exerce son emprise, par son action sur les
hommes, avec plén.itude : l' « obligation scolaire • ne
connaît aucune exception (10). Mais cette plénitude est
entamée par l'existence de deux voix parallèles qui
offrent anx hommes, en raison du principe de la liberté
de l'enseignement, nne option entre l'enseignement public et l'enseignement libre. Du côté de la Défense Nationale, au contraire, la voie est unique; son action relève
exclusivement du service public, sans .collaboration des
activités privées; mais la soumission des hommes à cette
action est limitée : elle connaît d'abord une limite
majeure, pa,' suite de l'exclusion des femmes, puis une
limite mineure, mais néanmoins importante, avec l'exclusion des inaptes. Dans la structure démographique
de la Nation, l'action militaire, qui s'annonce uniforme
et générale, n'atteint même pas la moitié de l'effectif
humain de l'Université.
A cette différence quuntila live sur la structure des
masses soumises à la double action de la Défense Nationale el de l'Université s'ajoute une différence qualitative
dans la composition de ces masses. Sïl s'agit bien en principe des mêmes hommes, du moins faut-il faire intervenir ici le facteur temps, c'est-à-dire le problème des âges:
cette considération d'âge est importante, en effet, pour
comprendre l'efficacité de cette action. Dans les périodes normales, par opposition à celles que nous connaissons, hélas, depuis trop longtemps, l'action universitaire
et l'action militaire se développaient dans un ordre
successif: l'enseignement d'abord, le service militaire
ensuite, et, après avoir reçu cette double action, l'hom-
(10) Etant entendu, bien sûr, que tous ceux qui
~ont ~ouœjs
à l'obligation scolaire ne pou:,suivent pas leurs études jusqu'à
l'Université ; il ne s'agit, C!lmme action de masse, que de l'actlo.n
de base, mais dont on sait la double tendance extensive, BOUS l'e:ffet
de l'élévation de l'âge sco1aire et de la démocratisation de renseignement.
240
�me entrait dans la population active et faisait carrière.
Le cycle normal de cette formation successive est aujourd'hui bien compromis par toute une série de facteurs qui
ont entrainé des chevauchements, un décalage, et, en conséquence, une certaine simultanéité dans l'exercice de
cette double action. Cette transformation est due à la
prolongation simultanée de l'action universitaire et de
l'action de Défense Nationale. Prolongation des études
chez nous, avec le développement des programmes et
l'élévation de l'âge de scolarité; prolongation du service,
de l'autre côté, suscitée, a près les guerres, par les opérations œOutre-Mer et d'Algérie. Ces prolongations
concurrentes ont posé le grave problème des sursis, bien
difficile à résoudre: retenons seulement, pour qui veut
étudier en science politique les rôles respectifs de l'Université et de l'Armée dans la formation des masses, que
leur réceptivité est bien différente lorsqu'elle porte sur
des jeunes gens de 20 ans ou sur des personnes de 25 à
TI ans.
Mais ce n'est pas seulement cette double prolongation qui a troublé la succession de l'action d'enseignement et de l'action militaire: un autre phénomène
doit être noté. Aussi bien du côté de l'Université que du
côté de l'Armée, on a cherché à étendre ses possibilités
d'action universitaire et militaire. L'Université s'est
lancée dans une politique d'enseignement, doublée de la
promotion des masses et de l'orientation scolaire; elle
cherche à conduire les élèves, au delà du premier cycle,
au second cycle, à l'enseignement technique et même à
l'enseignement supérieur. En face de cette tendance au
prolongement de l'action universitaire, l'Armée, de sim
côté, anticipe son action à l'égard des hommes : la préparation militaire, le mouvement Armée-Jeunesse, sont
autant d'avancées qui tendent, en se croisant avec la
prolongation universitaire, à' réaliser une sorte de zone
intermédiaire de simultanéité substituée à la successivité
d'autrefois.
Ce tableau général retient seulement les points communs aux actions de la Défense Nationale et de l'Université, sans aborder les problèmes propres à l'une et à
l'autre, comme ceux qui mettent l'Université en face
d'une poussée démographique qui l'encombre, tandis
,
1-i
241
16
1
i-
�que l'Année est aux prises avec le problème des classes
creuses.
Sous cet aspect général, un dernier point doit être
encore signalé: le sens, ou les fins de l'action de la
Défense Nationale et de l'Université ne sont pas semblables. L'Université ne travaille pas pour elle; elle diffuse
son enseignement dans un esprit désintéressé. Ce qu'elle
cherche, c'est de donner à ses élèves, à ses étudiants, le
capital intellectuel dont ils ont hesoin pour eux mêmes.
L'action universitaire se déroule en progression continue, tout en s'allègeant, en cours de route, par l'abandon des élèves, puis des étudiants qui ont reçu une
formation répondant à leurs capacités et à leurs besoins.
La Défense Nationale, au contraire poursuit une a<!tion
personnelle; elle prend les hommes pour son propre
service. Elle doit les former d'abord, ce qui implique
une action intensive dans la période d'instruction pour
préparer le personnel dont elle a besoin. Quand elle fi
achevé cette formation, quand ce personnel devient
utilisable, elle le garde sans poursuivre son instruction,
ce qui donne le sentiment d'une stagnation et du temps
perdu. Il en résulte un durcissement dans l'action de la
Défense Nationale, pour les périodes éalmes, un « manque de densité >, dans son dernier temps, qui provoque
souvent des réactions de dépit chez ceux qui y sont
soumis.
B. - Après avoir vu sur qui porte l'action de la
Défense Nationale et de l'Université, il reste à dire en
quoi cette action consiste.
Nous retrouvons, au départ, une opposition fondère
entre la Défense Nationale (on disait alors: l'Armée)
dont l'action essentielle était de former des soldats, et
l'Université, dont l'action essentielle était de fOlmet· .les
diplomés. Mais la conception nouvelle de la Défense
Nationale a considérablement élargi l'action de ses services. Dans le même temps, l'Université, de son côté,
n'a pas manqué d'étendre ses activités. Sous l'effet de
cette double croissance, les actions parallèles de la Défense Nationale et de l'Université se rencontrent.
Essayons d'esquisser ces rapprochements, en retenant
surtout les initiatives nouvelles de la Défense Nationale
qui se sont manifestées sur les domaines qui .constituent
242
�les secteurs essentiels de l'Université: l'instruction et
l'éducation. (11)
-..
a) Sur le plan de l'instruction ou de l'enseignement,
les activités de la Défense Nationale sont multiples et
très importantes. D'abord, la Défense Nationale est en ·
seignante pour elle-même : elle pourvoit à son propre
enseignement. Notre Université, en effet, n'est pas monopolistique et nombreux sont les départements ministériels qui se préoccupent de former eux-mêmes leurs
cadres. Mais la Défense Nationale le fait avec une particulière ampleur et ses enseignements pourvoient au
delà de ses propres besoins à la formation des élites de
la Nation: tel est notamment le rôle de l'Ecole polytechnique. Cette activité présente en outre un caractère
assez original. Si dans la plupart des services qui assurent leur propre enseignement, celui-ci a pour but le seul
recrutement des cadres, et s'arrête ensuite, il n'en est
pas de même pour la Défense Nationale: l'Armée apparatt comme une enseignante continue. Elle procède à
des instructions successives, depuis le peloton des caporaux jusqu'à l'Ecole de guerre et ces enseignements
conditionnent d'une manière continue l'attribution des
titres et des grades.
Cette vocation d'enseignement interne s'élargit en
outre dans un souci d'enseignement général associé à
l'instruction militaire pour la formation des recrues insuffisamment développées, sinon analphabètes. Poussant
plus plus .loin cette participation à l'enseignement, les
services de la Défense Nationale peuvent prendre en
(11) Le rapprochement concomitant de l'Université vers les
secteurs de Défense Nationale s'observerait dans la mesure où.
celle-ci peut être considérée c,ornme ayant. ;parmi ses activités
nonnales, la. mission de développer les aptitudes physiques des
hommes dont elle a la. charge. L'enseignement n'a jamais dissocié
la fonnation intellectuelle et la formation physIque : men1S sana
in corpore 8a110. Mais il est certain que les activités physiques ou
sportives n'ont jamais été aussi poussées dans l'Université qu'elles
le Bont aujourd'hui. n est donc nécessaire de noter, de ce cOté, une
corrélation .nouvelle Défense IN atlonale - Université, déterminée par
l'action universitaIre. Sur ce partage de la fonnation intellectuelle,
relevant de l'Université, et de la fonnatlon physique, relevant de
l'Année, on cannait la position de JAURtS : v. la p~polilit1on de
101 jointe l son Armée nouvelle, art. 5 et 9.
243
�mains de véritables écoles, conune celle des enfants de
troupe. Ces activités enseignantes, d'ailleurs, ne sont pas
nouvelles: sous la Monarchie de juillet on relevait déj à
l'existence de sociétés militaires pour l'enseignement
élémentaire.
Parmi les tâcbes actuelles de l'Université, l'une des
plus pressantes porte sur le développement de l'enseignement technique. Sans chercher à organiser un tel
enseignement, la Défense Nationale doit naturellement
assurer la formation de ses techniciens et ceux-ci, une
fois rendus à la vie dvile, bénéficieront de cette formation militaire ausi bien, sinon mieux, que d'une formation acquise à l'école. Il suffit de lire, dans les mairies
ou dans les gendarmeries, les affiches apposées pour
susciter les engagements ou rengagements, pour voir
avec quelle insistance la publicité s'appuie sur l'efficacité de cette formation technique.
Il est, enfin, un dernier point, capital: la recherche.
Enseignement et recherche sont deux choses nécessairement liées. Or, la Défense Nationale a une vocation de
recherche aussi forte que l'Université. Elle a constitué,
voici longtemps déjà, un Comité d'action scientifique de
Défense Nationale, dont le président est un officier généraI, qui se livre à des travaux de recherches dont la
qualité, sur le plan scientifique, se mesure avantageusement aux recherches universitaires. Cette recherche
présente d'ailleurs des caractères particuliers. C'est, plus
spécialement, une recherche scientifique - c'est-à-dire
une recherche du type de celle qui se développe dans
nos Facultés des sciences ou de médecine, plutôt qu'une
recherche intellectuelle qui relève de nos Facultés de
droit ou des Facultés des lettres. Mais elle est plus large
que la recherche universitaire, parce qu'elle s'étend,
nécessairement, au delà de la rechercbe fondamentale, à
la recherche appliquée, l'Armée jouant un peu le rôle
de l'industrie privée qui veut tireI1 les conséquences de
la recherche fondamentale. (12)
(12) V . sur tous ces poLnts : Gal GUERIN, c Politique scientl·
fique et Défense Nationale .., dans la D~/e1l8e Natiotlale, précitée.
IP. 397 ; J . BEcHER, c Structure et moyens de notre recherche pour
la défense ~, B v . milttaire d'informatiOn, mars 19159.
244
�On voit ainsi que le tableau est large où le même
idéal et la même fin d'action animent aussi bien la
Défense Nationale que l'Université, en matière d'instruction ou d'enseignement. Il en est encore de même si l'on
s'élève du plan de l'instruction à celui de l'éducation.
b) Tous les militaires sont d'accord pour proclamer
que la défense des principes moraux est un élément
essentiel de leur mission, et les civils le reconnaissent:
ne suffit-il pas d'invoquer, comme témoignage de cett~
attitude, l'opinion de Jaurès, ce civil de formation universitaire, dont l'Armée nouvelle s'ouvre sur un chapitre premier intitulé: « Force militaire et for.ce morale ~ ?
'.
Cette formation morale, liée à l'idée de Patrie, unit
l'Armée et l'Ecole dans un esprit commun, au début de
la IlIm. République, avec l'àffirmation simullanée du
service militaire et de l'enseignement obligatoires, au
lendemain des désastres militaires. Certes, par la suite,
quelques failles ont pu décaler les positions de l'Armée
et .celles de l'Université, sous l'elfet de l'évolution polItique, mais l'une et l'autre sont restées fidèles à une morale
qui, si elle n'est pas toujours inspirée du même idéal,
reste du moins également sincère et féconde. Nous savons
aussi, depuis Lyautey, que l'action sociale est une préoccupation majeure de l'Armée moderne, qui double étroitement la mission d'éducation de l'Université.
Mais cette orientation vers des activités morales et
les activités sociales dégénère facilement en activités
et en orientations politiques. De~ prises de position
politique ou la formation d'une pensée politique viennent alors marquer le monde de la Défense Nationale,
comme elle viennent marquer le monde de l'Université
et nous retrouvons i.ci le problème sur lequel nous nous
étions arrêtés à la fin de notre première analyse, portant sur les personnes. Nous retrouvons ce prohlème
avec toute sa gravité parce que cette transposition sur
le plan des idées politiques comporte deux risques: le
risqUe de politisation, d'abord, et le risque de rupture
d'unité dans la pensée de la Défense Nationale, qui recouvre, aujourd'hui, l'Université. Que nous retrouvions
ici ce problème n'a rien de surprenant parce que les
actions, à travers les choses, remontent aux hommes et
245
�cette rencontre nous montre que notre circuit est boucJé :
nous avons fait le tour de tous les points sur lesquels
nous avons essayé, dans une vue générale, de déterminer les rapports respectifs de la Défense Nationale et
de l'Université. Il nous faut, maintenant essayer de
conclure.
••*
Cette conclusion sera brève. A travers les différences et les similitudes, s'il faut maintenant, dresser un
bilan, ce sont les similitudes qui l'emportent. Si l'on
reprend l'option posée au début de cette leçon, divergeance ou couple, c'est en faveur de cette seconde solution qu'il faut se prononcer pour définir les rapports
respectifs de la Défense Nationale et de l'Université.
•
.,
Mais il est difficile, chacun le sait, de fonder un
couple, parce qu'il faut rechercher l'accord, et dans cette
recherche, si l'on reprend l'opposition fondamentale
entre l'esprit d'examen et l'esprit d'autorité, les positions de départ sont tellement lointaines qu'il parait
impossible de voir la Défense Nationale renoncer à
l'esprit d'autorité et, plus encore peut être, l'Université
renoncer à son esprit d'examen. Comme il faut pourtant
vivre ensemble, car la conception moderne de la Défense Nationale l'exige et nous met les uns et les autres
dans l'obligation de participer à l'unité de cette défense,
il est indispensable, pour résoudre l'antagonisme le plus
grave, qui s'affirme sur les positions politiques, de rechercher la liaison des deux éléments de notre couple.
J'emprunterai au Général ALBORD, qui s'est beaucoup
penché sur ces problèmes, la formule qui permet d'entrevoir la solution possible de ces divergences: c'est de
rechercher, r ésolument, un « creuset intellectuel commun , dans lequel la Défense Nationale et l'Université
pourront établir l'unité de la Défense Nationale, telle
qu'ou la conçoit aujourd'hui. Pour que celle..ci soit réalisée, il faut aussi qu'elle soit prolongée par une vérita,ble politique de Défense nationale qui ne pourI'll se réaliser justement que dans la mesure où, les uns et les autres,
nous prendrons conscience de la nécessité de construire
cette communauté.
246
�,
Cette communauté, il y a longtemps qu'on la cherche et elle sera peut être. difficile à réaliser. Si nOU6
faisons notre examen de conscience, aussi hien du côté
de la Défense Nationale que du côté de l'Université, il
faut reconnaître que nous avons commis, les uns et les
autres, la faute commune de nous ignorer et de ne pas
avoir cherché suffisamment à nous rapprocher et à nous
aider. Mais, par bonheur, bien des signes témoignent
aujourd'hui du désir de ce rapprochement. Dans l'énumération des tâches d'enseignement que la Défense Nationale assure, je n'ai pas cité, parce que je voulais le
conserver pour la fin, l'exemple de l'institut des hautes
études de Défense Nationale, qui réunit doublement,
dans la diffusion et dans la réception de l'enseignement,
des militaires et des civils. Sa tâche, quelque importante
quelle soit, avait l'inconvénient d'être limitée à la
fonnation des élites parisiennes, mais elle s'est amplifiée par une diffusion nouvelle, avec des ~essions provinciales. Dans le même ordre d'idée, les réalisations
Î}lSitutionnelIes qui créent ce que l'on appelle It:ljourd'hui des carrefours ou des colloques sont maintenant
nombreuses: autant de terrains de rencontre de la Défense Nationale et de l'Université. Nos institut d'études
politiques jouent également un grand rôle qu'atteste
cette session. L'Université, pour sa part, s'est largement
engagée dans ce rapprochement. En 1934, déjà, un colloque réunissait universitaires et militaires à la Sorbonne.
TI y a quelques années, nous tenions à Nice une « session
de Défense Nationale », sur l'initiative de notre Faculté
de droit. Notre Université d'Aix-Marseille joue sur ce
terrain un rôle particulier, en raison de ses rapports
constants avec l'Ecole de l'Air de Salon. La même collaboration se retrouve en d'autres lieux. La conjonction de
Coëtquidam et de la Faculté des lettres de Rennes a fait
pénétrer la Défense Nationale dans la structure des cel'tificats de licence, entrainant une adaptation des programmes, pour l'histoire, la sociologie, et la psychologie
et assurant une large place à la chose militaire à l'usage
de gens de Coëtquidan.A ces réalisations officielles s'ajoute l'activité de la Fondation nationale des sciences politiques qui, il y a quelques jours à peine, mettait au point
un questionnaire d'enquête de sociologie militaire.
Soulignons encore, parmi les colloques et carrefours, les
trois colloques triangulaires qui se sont tenus, entre 1958
247
�el 1960, il! Caen, où l'on a d'abord cherché ~
c rompre
la glace », puis à Fontainebleau, où l'on a abordé les
frictions qui peuvent opposer l'Armée, l'Université et
l'Industrie, en dernier à Jouy-en-Josas, sous l'impulsion
directe de notre ancien Directeur général Gaston Berger,
toujours attiré par les prohlèmes les plus aigus et les
plus délicats, et qui essayait de définir, dans une vue
prospective, le problème de la Défense Nationale et de
la formation des chefs.
Les cours qui s'ouvrent ici participent à ce mouvement général. Pour ceux d'entre vous qui les suivront, je formule un souhait: c'est qu'ils vous laissent
insatisfaits. Insatisfaits, non pas, bien sûr, pour euxmêmes, le programme qui vous est proposé est garant
de leur qualité. Mais insatisfaits danS la "mesure où je
souhaite qu'ils vous montrent la nécessité d'aller plus
loin, car ces rencontres épisodiques sont insuffisantes
pour vider les difficultés qui s'élèvent, surtout sur lc
plan de la pensée politique, entre le monde de la Défense
Nationale et le monde de l'Université. Il est nécessaire
de constituer d'une manière plus profonde, plus continue et plus normale, ce « couple parfait» des militaires
et universitaires, dans lequel chacun devra apporter ce
qu'il a de meilleur, afin de former une souche intellectuelle commune, qui sera la véritable « force de frappe»
de notre Défense Nationale.
Louis TROTABAS
Professeur à la Faculté de Droit
de l'Université d'Aix-Marseille
Correspondant de l'Institut
248
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OBSERVATIONS
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�Observations de la Faculté de Droit
& des Sciences Economiques
de l'Université d'Aix-Marseille
sur le Livre II de l'Avant-projet de Code Civil
" Des successions et des libéralités "
•
•
,.
TITRE 1. -
Des successions" ab intestat»
CHAPITRES J, Il et Il!
OBSERVAT/ONS GENERALES
1. - Dans l'Avant-projet, c'est immédiatement après les
textes l'elalifs aux personnes physiques et à la famille
(Livre 1), que se trouvent placés ceux concernant les successions et les libéralités (Livre Il). Cet ordre peut sans doute
s'expliquer par les liens étroits qui existent entre ces institutions et les rapports de famille . C'est d'ailleurs la méthode
adoptée pour les dispositions l'elalives aux régimes matrimoniaux (Titre III du Livre 1), qui sont encadrées par celle~
sur le mariage (Titre Il ), el celles sur la fil iation (Titre IV).
Mais, dans l'un et l'autre cas, cette méthode parait discutable. Il semble peu logique de régler les conséquences
que peut avoir lï.ncidence des rapports familiaux sur les
droits patrimoniaux, avant que ces droits n'aient été déterminés et décrits en eux-mêmes, dans une division distincte
et préalable. L'incidence des rapports familiaux sur les droits
patrimoniaux (régimes matrimoniaux, successions et libéralités) ne devrait être examinée ((U 'ensuite.
Il serait donc désirable de placer les textes relatifs au
251
�patrimoine et aux droits patrlmonlaux avant ceux qui inléressent les régimes matrimoniaux, les successions el les
libéralités.
2. - On peut formulel une remarque analogue sur les
textes relatifs à la r éserve héréditaire. Sous prétexte qne
c'est au moment du partage que la question de la réserve se
pose pratiquement, l'Avant-projet les fait figurer dans le
chapitre X du titre 1 du livre II, titre qui se rapporte aux
successions ab intestat, avant les dispositions sur les testamellts et les legs (titre II et les donations entre vifs (titre
III). Est-il normal de traiter des limitations que l'institution
de la réserve héréditaire peut apporter à l'effet des libéralités , avant ces libéralités?
OBSERVATIONS SUR LES TEXTES
.'
CHAPITRE II
Des qualités 1'equises pour succéder
ARTICLE 751
11 serait ulile de préciser dans ce texte s'il s'agit d'une
indignité de plein droit, n'ayant pas besoin d'être prononcée
par un tribunal, ou d'une indignité de droit, n'existant que
s'il y a une décision judiciaire en ce sens, mais que le tribunal saisi doit prononcer s'il lui est demandé de le faire.
L'exposé des motifs laisse subsister quelque doute à ce sujet.
car il y est question d'indignité de droit (p. 9), d'indignité
de plein droit (p. fO) . Si cette dernière solution correspond
il la pensée du rédacteur du texte, il serait utile de rédiger
comme il suit le début de l'art. 75t : (( Est de plein droit
ind igne de succéder, etc .. . "
ARTICLES 752 et 753
11 faut substituer dans ces deux textes " tribunal de
grande instance» à " tribunal de première instan,ce ".
Il serait préférable de dire " la totalité des droits
attac.hés à leur autorité ", au lieu de (( la totalité des droits
de leur autori\é ".
252
�CHAPITRE JIJ
De la dévolution de la succession
ARTICLES
755 à 757
Ces textes reproduisent, à peu de choses près, les articles 735, 736, 737 et 738 du Code civil concernant la définition du degré ct de la ligne, et le calcul de la parenté.
Mais la définitinn du degré donnée dans l'article 755, qui est
la reproductiol! de l'actuel article 735, ne parait pas bonne.
Le degré n'est pas une génération, mais l'intervalle qui
sépare deux générations se faisant immédiatement suite.
La Faculté propose, pour ces articles la rédaction
suivante:
ARTICLE
•
i55
La ligne est I"ensemblc des parents correspondant à une
suite de générations.
AnTleLE
756
La ligne directe comprelld les personnes engendrées les
unes par les autres .
Elle est descendante, lorsque, partant d'une personne,
on envisage la suite des générations dont cette personne est
!'origine.
Elle est ascendante, lorsque, partant d'une personne,
en envisage là suite Ges générations dont celte personne est
issue.
La ligne collatérale comprend les personnes qui ne sont
pas issues les unes des autres, mais d'un auteur commun.
ARTICLE
757
Le degré est l'intervalle qui sépare deux générations
successives.
Il détermine la proximit~ de la parenté. En ligne directe .
celle-ci se calcule d'après le nombre de degrés existant entre
deux personnes.
253
�,
En ligne collatérale, ·on additionne les degrés entre la
personne considérée et l'auteur commun, et ceux entre ce
dernier et l'autre personne considérée.
SECTIOl'i 1. -
nes (lmits successoraux
des descendanls légitimes .
Les textes relatifs il la représentation ujJpellent les
suivantes ;
r~lI\arques
..
,.
J. - On ne peut qu'approuver la possibilité pour un
descendant de représenter son auteur, même daus une succession que celui-ci est indigne de recueillir. Il n·y a pas,
~n effet, de raison de faire ubir au représentant les conséquences de 1"indigni té du représenté. \lais, contrairement à
ce que décide l'article 767, alinéa premier, de l'Avant-projet,
la même solution devrait être adoptée pour le cas 01. le représentant a renoncé à la succession tlont il s'agit. II n'y a pas
plus de raison de faire supporter au représentant les conséquences de la renonciation du représenté, que celles de son
indignité. II y a donc lieu de supprimer complètement le
principe qu'on ne peut pas représenter une personne vivante,
qn 'il s'agisse d'indignité ou de renonciation. Cette règle a
d'ailleurs l'avantage de faire disparaître les complications
résultant actuellement de l'application de la règle, d'après
laquelle la représentation ne peut avoir lieu pel' saUum e!
omisso medio.
2. - L'article 760, alinéa .t, refuse à l'indigne le droit
d'administrer les biens dévolus aux descendants qui le représentent. Ce t~xte ne vise pas le droit de jouissance légale .
Ji est dit, dans l'Exposé des motifs (p. JO et 11), que c'est
parce que ce droit a été supprimé par la Comnllssion au titre
de la minorité. Mais la note 1 de la I}. JO affirme que ce
droit a été rétabli en seconde lecture par la Conunission.
Si cette affirmation est exacte, il y a lieu de prévoir que
l'indigne sera privé, non seulemenl du droit d'administration
légale, mais aussi du droit de jouissance légale S\ll' les biens
Llémlus aux descendants qui le représentent.
;1. - Il ne sera it pas inutile de dire que le représentant
ne doit pas êll'e personnellement inapte il succéder au défunt,
254
�Par suite, la Faculté propoSé pour les articles 760 et
761 la rédaction suivante :
" ART. 760. - 1er alinéa: Les enfants prédécédés, codécédés dans les conditions prévues à l'article 749. renonçants.
indignes nu déclarés absents, sont représentés par leurs descendants légitimes, quand ceux-ci ne sont pas personnellement inaptes à leur succéder.
2' alinéa: sans changement.
3' alinéa : La représentation a lieu même si tous les
enfants du défunt sont prédécédés, codécédés , renonçants,
lDdignes ou déclarés absents.
4' alinéa: sans changement.
S'alinéa: passe dans l'art. 761.
ART. 761. - En aucun cas, l'indigne ne peut administ;'er les biens dévolus aux tl~scendants qui le représentent,
ni ell avoir la jouissance n.
SECTION Il. - Des droits successoraux des ascendants
et des frères et sœurs légitimes .
AHTlCLE
762
Dans la conception précédemment exposée, il convient
d'ajouter, à la première ligne de l'alinéa 4, entre les mots
" codécédés » et " indignes », le mot" renonçants ».
ARTICLE
76'
Ce texte appelle plusieurs observations
1. - A défaut de frères et ~œurs, et de descendants
16gilimes de frères et sœurs, il serait désirable de faire profiter de la totalité de la succession les père et mère du défunt,
nu l'un d'eux, de préférence aux ascendants d'un degré plus
éloigné, appartenant à l'autre ligne. La solution oorrespondrait mieux aux affections présumées du défunt, et exprimerait la cohésion familiale qui résulte du " ménage ". Elle
l'ntraînerait sans doute le passage de certains biens d'une
255
�ligne à l'autre ; mai~ l'Avant-projet écarte, dans plusieurs
cas, l'origine des biens pour en régler la dévolution (v. par
ex. l'article 769).
2. - Si l'on admet cette solution, il est logique d'exclure
également la fente quand, à défaut de père et de mère, le
défunt laisse dans les deux lignes des ascendants de degré
différent: un grand-père dans la ligne paternelle, une
arrière grand-mère dans la ligne maternelle, par exemple.
Il faut également faire prévaloir dans ce cas la règle de la
proximité du degré sur celle de la fente, inspirée par la
1I0tion de conservation des biens dans les ramilles.
•
.
•
3. - Enfin, il est rationnel d'exclure également la fente
quand le défunt laisse des ascendants de même degré dans
les deux lignes, un grand-père et une grand-mère paternels,
une grand-mère maternelle par exemple. II faut également
dans ce cas fonder ia dévolution successorale sur la proximité du degré, et attribuer à chaque ascendal\t le tiers de la
succession .
L'article 764 serait ainsi rédigé de la manière suivante :
" A défaut de frères et sœurs, ou de descendants légitimes
de frères et sœurs, la succession est dévolue par moitié au
père et à la mère, ou pour le tout, au survivant d'eux.
A défaut de père et de mère, la succession est dévolue
aux aut.res ascendants suivant la règle de la proximité du
degré. L'ascendant le plus proche de la ligne paternelle ou
d~ la ligne maternelle recueille toute la succession. Quand
il existe des ascendants de même degré dans les deux lignes,
ils se partagent la succession par tête. Il en est de même
quand il existe deux ascendants du même degré dllI\s une
ligne.
SECTION III. -
Des droits successoraux des collatéraux autres que les frères et sœurs.
ARTICLE
,,,
766
Il serait préférable de maintenir la vocation successorale
des collatéraux autres que les descendants des frères et
sœurs, au delà du 6m • degré, dans le cas où le défunt n'avait
256
�pas la pleine capacité de tester. En revancbe, la vocation
successorale pourrait, dans ce cas, être limitée sans inconvénient au tOm. degré.
L'article 766 pourrait donc être rédigé de la manière
suivante : " Les collatéraux au delà du 6m • degré ne succètient pas ".
Toutefois, ils succèdent jusqu'au tOm. degré, quand le
défunt n'avait pas la pleine capacité de tester, de fait ou de
droit, et n'était pas frappé d'interdiction légale.
SECTION IV. -
Des droits successoraux du conjoint
wrvivant.
ARTICLE 769
l
Ce texte consacre sans doute l'innovation la plus impor·tante dans la dévolution de la succession" ab intestat ", en
attribuant au conjoint sun~vant un droit successoral en
pleine propriété en présence d'enfants légitimes. Le principe
de cette innovation mérite l'approbation. Il est tout d'abord
l€ terme logique de l'évolution qui. depuis le Code de 1804,
f. consisté à augmenter les droits successoraux en pleine
propriété du conjoint. Par ailleurs. il assure mieux qu'un
droit successoral en usufruit l'existence clu conjoint survivant, car il lui pennet cie disposer des biens compris dans
son lot, ou de les placer de la manière qui lui parait là plus
avantageuse . L'exemple de beaucoup de législations étrangères peut enfin être invoqué en faveur de l'innovation pr(}r·osée par l'Avant-projet.
,
En revanche, le procédé technique dont se sert l'Avantprojet pour réaliser celle ;nnovation - la fixation du droit
successoral du conjoint à une part d'enfant légitime le
moins prenant - a]lpelle les réserves les plus sérieuses .
Ces réserves sont à la fois théoriques et pratiques .
"
.- ,'.
~
...
J. -- Au point de vue théorique, le problème posé par la
reconnaissance d'un droit successoral en pleine propriété
au conjoint survivant, en présence d'enfants légitimes du
conjoint prédécédé, consiste à trouver un équilibre entre la
part successorale cie, enfants, fondée sur le lien du sang,
257
17
�et celle du conjoint fondée sur le lien du mariage. Il s'agit
d'harmoniser, dans le groupe familial formé par le mariage,
la vocation successorale fondée sur la qualité d'enfant et
celle fondée sur la qualité du conjoint. N'est-il pas évident
que c'est esquiver le problème, plutôt que le résoudre, que
de considérer le conjoint comme un enfant supplémentaire,
" loco filii " ou " loco filire l) ?
Les deux précisions complémentaires, dont se sert l'Avantprojet pour déterminer la part du conjoint, confirment ce
point de vue. Il est arbitraire et injuste d'aligner cette part
sur celle de l'enfant " le moins prenant l). Quand par exemple le conjoint prédécédé a avantagé un de ses enfants
infirme, il n'y a pas de bonne raison de réduire la part sucœssorale du conjoint. La référence à " l'enfant le moins
prenant l), utilisée par le Code civil pour déterminer la quotité disponible au profit d'un second conjoint, quand il
existe des enfants du premier lit, s'explique par une pensée
traditionnelle de protection de ces enfants, qui n'intervient
pas ici.
Par ailleurs, l'Avant-projet renonce lui-mémt> à appli·
quer jusqu'au bout sou procédé de déterminahon de la part
successorale du conjoint, yuisqu'il l'abandonne quand il y
a trois enfants ou plus, et qu'il attribue dans ce cas au
conjoint une quotité invariable de la succession.
...
. .
. ...
2. - Le procédé utilisé n'appelle pas moins de réserves
au point de vue pratique. Il conduit en effet à ce résultat
smgulier que le conjoint survivant, c'est-à-dire en fait le
plUS souvent la femme, a des droits successoraux inversement proportionnels au nombre de ses en!ant.~ . La mère d'un
enfant partage avec celui-ci la la succession de son conjoint,
alors que la mère de trois enfants ne recueille que le quart
de cette succession. La législation civile favoriserait ainsi
les parents d'un ou de deux enfants, alors que celle des allocations familiales s'efforce d'augmenter la natalité, en
répartissant sur l'ensemble de la population les charges de
famille. Un tel mode de à 6 termination des droits successoraux du conjoint aW'ait peut-être été admissible en 1804..
mais il est aujourd'hui anachronique.
Il est donc nécessaire, pour assurer un équilÛlre véritable entre la vocation succes<orale du conjoint et celle des
enfants légitimes, d'attribuer au conjoint une quotité de la
succession, qui ne varie pas avec le nombre des enfants.
25$
�On peut en revanche éprouver des hésitations dans la détermination de cette quotité. Celle de la moitié de la succession
semble accorder trop au lien du mariage et trop peu au lien
du sang. Celle du quart parait au contraire sacrifier le lien
du mariage à celui du sang. Il semble donc qu'on assurerait
lin équilibre satisfaisant entre les droits successoraux des
E:nfants et ceux du conjoint, en attribuant à ce dernier. quel
que soit le nombre des enfants, le tiers de la succession.
L'article 769 devrait donc être rédigé de la manière suivante : " Lorsque le défunt laisse des enfants légitimes, ou
descendants d'eux, son conjoint survivant a droit au tiers
de sa succession.
Les deux autres tiers sOQt partagés entre les enfants et
les descendants comme s'ils étaient la totalité de la suc-
cession
Il .
ARTICL!
.-
,
770
On peut se demander s'il ne conviendrait pas. dans ce
cas également, d'attribuer au conjoint une quotité fixe de la
succession, qui serait de la moitié, l'autre moitié étant partagée entre le père et la mère du conjoint défunt , ou attribuée au survivant d'eux.
Le texte serait alors rédigé de la manière suivante :
.( Lorsque, à défaut de descendants légitimes, le défunt laisse
seulement ses père et mère légitimes, la succession est dévolue pour moitié a:ux père et mère, et pour J'autre moitié au
conjoint.
La part revenant aux père et mère est dévolue suivant
les règles données par l'article 762, alinéa 2 ».
ARTICLE 771
,
-'
-;
L'exclusion des frères et sœurs par le conjoint survivant est critiquable à un double point de vue. Elle méconnaît
lout d 'abord la force du Iirn qui existe souvent entre frères
el sœurs, et qui survit au départ des frères et sœurs du
foyer paternel. EJJe n'est pas, d'autre part, très logique,
puisque, dans la dévolution d'une succession, Irs frères et
sœurs du défunt concourent avec ses père et mère (art. 762,
al. 1 de J'Avant-projet), et que les père et mère concourent
259
�eux-mêmes, avec le conjoint survivant (art. 770). Il paraIt
donc naturel que les frères et sœurs du défunt possèdent,
en présence d'un conjoint survivant, les mêmes droits successoraux que ses père et mère, c'est-à-dire qu'ils recueillent
la moitié de la succession, le conjoint survivan t recueillant
l'antre moitié.
On se trouve ainsi amené à envisager le cas où le
de cujus laisse, à la fois, son conjoint, ses père et mère, et
des frères et sœurs. Il semble naturel d'admettre, dans cette
hypothèse, que la succession se partage par tiers entre ces
trois catégories de successibles.
L'article 771 pourrait, sur ces bases, être rédigé de la
manière suivante : « Lorsque le défunt laisse seulement des
frères et sœurs légitimes, la succession se partage par moitié
entre ces derniers et le conjoint survivant. La moitié dévolue
aux frères et sœurs ,c partage entre eux suivant les règles
données par l'art. 762, alinéa 3.
•
Lorsque le défunt laisse, à la fois, des père et mère légitimes, et des frères et sœurs légitimes, la succession se partage par tiers entre les père et mère, les frères et sœurs et
le conjoint. Le tiers revenant aux père et mère est dévolu
suivant les règles donn.ées par l'lIrticle 762, alinéa 2 ; celui
revenant aux frères et sœurs, suivant celles données par
l'article 762, alinéa 3.
Lorsque le défunt Ile laisse, ni descendants légitimes,
ni père et mère légitimes, J)i frète et sœnrs légitimes, la
~uccession est dévolue pour le tout au conjoint survivant Il .
SECTION V. -
Des droits successoraux des enfants
naturels et de leurs descendants.
ARTICLE
772
Il faudrait compléter l'alinéa 2 en ajoutant « renon-
çants
\
li
entre
«
indignes» et
«
ou déclarés absents ».
Par ailleurs, 011 éviterait ulle répétition ùans ce texte
en substituant in fine à « dans les condüions prévues aux
articles 760 et 761 du présent chapitre li la phrase suivante,
260
�aans le même alinéa : " Les dispositions des articles 7M
ct 761 leur sont applicables >1.
ARTICLE
773
On allégerait cet article en substituant au texte de la
deuxième phrase le texte suivant : " Toutefois, l'enfant
adultérin a seulement droit à des aliments ... etc. "
Par ailleurs, dans cette phrase, le qualificatif " survivant » appliqué au conjoint, pourrait être supprimé sans
créer d'équivoque.
SECTION VIII. -
Des droits de l'Etat.
ARTICLE
781
L'Exposé des motifs indique (p. 27) que la Commission
n'a pas voulu prendre parti sur la nature dn droit de l'Etat.
Il semble que ce scrupule soit excessif, car, à la suite des
réfQrmes apportées par l'ordonnance du 23 décembre 1958,
l"opinion suival1t laquelle il s'agit d'un droit de souveraineté tend à devenir générale. La consécration législative de
cette opinion aurait, par ailleurs, l'avantage de résoudre un
certain nombre de questions, aujourd'hui discutées, en parliculier en droit international privé.
L'article 781. pourrait donc être complété par la proposition suivante: " en vertu de son droit de souveraineté lI .
CHAPITRES IV, V, VI, VII
La Faculté n'a aucune observation à formuler sur ces
quatre chapitres. Les règles projetées sont bien venues dans
la mesure même où elles modifient les règles exis1:antes. particulièrement le chapitre VII et les règles nouvelles sur l'organisation de l'indivision.
Toutefois, à raisol! de ce qui sera observé sous l'article
261
�842, l'article 829 doit être modifié par la suppression de
toute référence au maintien de l'indivision en ce qui concerne les part~ sociales, de l'entreprise familiale.
CHAPITRE VIII . SECTION 1. -
Du partage.
Des conditions du partage
Il est bon que les héritiers présents et capables voient
affirmer la faculté de procéder comme ils l'entendent, et
qu'à lew' égard, même les formes du partage judiciaire
soient simpliliées. - Art. 834, 837, 839, 8iO § 3, 8'1 fi 1, § 2,
Annexe lH Code de Procédure Civile.
..
".,'
)lais relativement aux incapaLles, en fait le plus souvent aux mineurs, la simplification projetée des formes du
partage Judicialfe de celJes de la vente des biens héréditaires
allOULualent a supprimer leur protection dans le$ cas où
elie est le plus necessaire.
Relativement aux incapables, et particulièrement aux
mineurs, nous ne pouvons admettre:
al Ni la suppression du juge chargé de surveiller les
opérations du partage. l'iou.' l'avons vu trop souvent remplir
son rôle bénellque. (,ette suppression n'est pas compensée
par l'avis du l.onseil de famule (art. 971 C.P.C. Annexe),
qui ne pourra jamais contrôler la sincérité de la composition
des lots, Dl celle de leur tirage au sort devant le seul notaire
(Art. ~'i3 C.P .C.) . La composition du Conseil de famille est,
en matière de partage, suspecte dans tous les cas où l'incapable mineur est, en dehors des hypothèses d'école, en présence ue l'avlUlté, même illconsciellte des membres de sa
famule. L'intervention du Conseil de famille Ile se conçoit
qu'en l'état d'un patrimoine constitué dans ses éléments,
mais non pour en déterminer la compositioll .
..
Cette suppression n'est pas compensée .par le rôle
dévolu au Président du tribunal, statuant sur réquête collective ou en référé, ni par la faculté de renvoyer l'affaire
devant le tribunal. Nous connaissons trop l'encombrement
du rôle des requêtes et des audiences de référé dans les
262
�grands tribunaul> pour ne pas voir les coQSêquences plijora.
tives de l'avant-projet, chaque fois qu'une apparente cohésion familiale (celle des cohéritiers majeurs) saura donner à
la procédure un aspect lénitif et suffisamment protecteur.
Cette suppression est aggravée par l'absence de tout
contrôle du Parquet, ou l'impossibilité pour ces magistrats
d'exercer sur ces questions un véritable contrOle.
b) Ni le rôle presqu'exclusif donné au notaire. Ce rOle
supprime en grande partie le caractère judiciaire du partage des biens de mineurs. Le notaire choisi ou désigné sera
celui de la famille, ou celui du canton dans les régions rurales. Trop d'éléments, souvent impondérables, quelquefois
mieux définis, ne permettent plus au notaire de jouer spontanément un rôle protecteur; l'article 968 C.P .C. l'invitera
:\ collaborer essentiellement avec les héritiers majeurs.
c) Ni la faculté de procéder par attribution, après avis
du Conseil de famille et l'homologation du Président statuant
. sur requête collective. Le tirage au sort des lots contrôlé par
le juge chargé de surveiller les opérations a été souvent le
véritable procédé de protection de l'incapable. L'incertitude
de son résultat impose aux cohéri tiers majeurs de veiller
eux-mêmes à un exact équilibre des valeurs.
Mais nous admettrions volontiers qu'une réforme rende
obligatoire l'intervention du juge commis à toutes les opérations de partage, à tous les actes nécessaires pour y parvenir. Alors seulement, on pourra éviter les formes de la
vente en justice et procéder par attribution des lots, plutôt
que par tirage au sort, pour une meilleure composition du
patrimoine du mineur, suivant son âge, sa vocation professionnelle, son meilleur intérêt. La collaboration du notaire
et du juge serait très efficace, surIout si elle est aidée par
une véritable affection familiale.
Les présentes observations prennent un relief particulier
cn présence du conjoint surv;vant, véritable héritier.
..
Le conjoint survivant est ou n'est pas le tuteur légal
des enfants mineurs, ses cohéritiers,suivant que ceux-ci sont
ou ne sont pas issus du mariage. Dans tous les cas, les
enfants sont en opposition d'intérêt avec lui quant à la vocation en pleine propriété des biens héréditaires et à leur attribution. C'est alors que le projet diminue le rôle des organes
263
�de protection, ou les supprime. Il ne s'agit pas seulement de
simplifier les formes et d'alléger les procédures, mais des
organes eux-mêmes : le juge chargé de surveiller les opérations, la communication aux magistrats du Parquet et leur
intervention, l'intervention obligatoire du Tribunal. - Si le
mari survit, son influence sur le notaire sera plus sensible
ainsi que celle sur les cohéritiers majeurs, pour imposer une
certaine composition des lots et certaines attributions , Les
chefs d'entreprises qui préfèrent l'intérêt de leurs affaires
Il celui de leurs enfants ne sont pas des vues de l'esprit ;
qu'en est-il lorsqu 'il s'agit des enfants de leur conjoint
défunt. On voit mal expert, notaire, hommes de loi résister à
cette influence dans le seul intérêt, d'ailleurs difficile à définir, des enfants mineurs. En présence d'une requête collective, ou en audience de référé, on voit mal le Président du
Tribu)1al suffisamment éclairé.
r
•
;
L'usufruit actuel n'a pas les mêmes dangers; à raison
de la masse où il s'exerce, un partage est le plus souvent
impossible ; la pratique et les notaires connaissent les
accommodements légitimes.
On se rappelle que le projet ne fait varier la vocation
héréditaire du conjoint, en présence d'enfants légitimes du
uéfunt, ni en fonction du régime matrimonial ni suivant qu'il
s'agit d un conjoint de premières ou de secondes noces.
)larié sous le réglllle de la communauté, le conjoint de secondes Il,oces prélèvera les trois quarts des biens communs, mais
en outre la moitié des propres du défwl.t, s'il n'a laissé qu'un
enfant ; s'il y a deux enfants, les deux tiers des biens communs et le tiers des biens propres, chacun des enfants étanl
réduit à UJ1 slxième des biens communs et à un tiers des biens
propres, elc ... Ajoutons à cela le jeu des reprises en valeur
pt celui des récompenses . Les biens héréditaires seront presque toujours impartageables en nature. C'est la vente inévitable aux formes et suivant les modalités proposées au Présldent par les cobéritiers majeurs et le notaire. On voit mal
le conjoint de secondes noces ayant assez de grandeur d'âme
pour demeurer dans l'indiVIsion au moins jusqu'à la majorité du dernier des enfants.
Si les enfants mineurs sont tous des enfant!! issus du
mariage, les droits héréditaires sont calculés de la même
façon. Mais l'inconvénient est de trouver dans toutes les
successions laissant en présence le conjoint survivant et ses
264
�enfants la situation qui ne se présente aujourd'hui qu'en verttl
de la donation ou du legs de la quotité disponible. La pratique montre que dans cette ~ituation, l'indivision se poursuit
jusqu'au décès du conjoint survivant. Il el\ résulte souvent
de graves difficultés pour l'établissement des enfants devenus majeurs, et aussi bien pour la prospérité de l'entreprise
familiale, longtemps après la majorité survenue. L'organisat·ion de l'indivision ne sera qu'un palliatif insuffisant. En
cas de remariage du conjoiut survivant, cohéritier de ses
enfants, Je nouveau régime matrimonial quel qu 'il soit, mettra en péril leurs droits successoraux encore en état d'indi·
vision. Le projet paraît avoir raisonné comme si les veufs
et les veuves ne se remariaient pas, ou comme si le partage
en nature des biens de la succession était une solution anormale. Il ren.d anormal le remariage et pratiquement impossible le partage en nature, même avec soulte.
Quoi qu'il en soit, les textes projetés pourraient être
modifiés de la manière ,uivante :
ARTICLE 841,
•,
•
§3
" Si, parmi les héritiers, il existe des incapables, des
absents ou des non présents, les intéressés ne peuvent décider la vente et en fixer les formes que dans les limites et avec
les habilitations prévues au présent code et suivant les formes prévues au code de Procédure civile.
AN:"IEXE 111
CODE PROCEDUHE. -- LIVRE fI. -- TITRE VII.
ARTICLE 971
S'il Y a parmi les héritiers des mineurs en tutelle ou
des interdits, un juge chargé de surveiller les opérations du
partage est commis par ordonnance du Président du Tribunal, rendue sur requête de la partie la plus diligente, ou
même d'office.
..
Le juge commis doit participer à toutes les opérations
rlu partage ; ni le notaire, ni l'expert ne peuvent procéder
bors sa présence.
~
'.
<
�L'état des npérations de liquidation et partage établi
par le notaire sous le contrÔle du juge est soumis pour avis
au Conseil de famille ; le juge participe à la délibération et
fait un rapport écrit, annexé à la délibération du Conseil
de ramille, à peil\e de nullité.
ARTICLE 972
L'état liquidatif, auquel est joint, le cas échéant, l'avis
du Conseil de famille et le rapport du juge sur toutes les
opérations, est soumis à l'homologation... (le reste sans
changement) .
ARTICLE 8'2 (et 829)
•
.
,
Nous pensons cependant que l'attribution préférentielle
des droits sociaux, relatifs à une entreprise llépendant de
la succession, parait bien dangereuse. tout au moins inopportul\e. Elle peut entrer en contradiction, et gravement en
conflit, avec les clauses fréquemment en usage dans la
pratique : contil\uation de la société entre les associés survivants, droit de préemption au profit d'un associé seulement ou du conseil d'administration ~ur la base du dernier
inventaire ou au juste prix, etc ... Elle peut avoir pour elfet
de multiplier les sociétés entre époux dont le but exclusif
pourrait être l'application de ce texte, - ou l'élimination
des sociétés familiales de certains successibles avec le même
but. L'exploitation sous la forme sociale est, en fait et juridiquement très différel\te d'une exploitation mdividuelle ';
elle relève beaucoup moins du métier que de l'administration des entreprises. Si elle est prospère, elle revêt une
importance patrimoniale beaucoup plus grande. On voit
mal qu'à son propos, le Président du TrilJunal tranche, suivaut une prOcédure simplifiée, avec des pouvoirs quasi souverains, et qu'il puisse par là meUre en question, sinol\ en
r.éril, l'avenir d'une entreprise industrielle, modifier les
majorités et les droits des autres associés ou actionnaires.
On oublie que les droits sociaux se fractionnent jusqu'à
l'unité sans mettre en péril l'unité de l'exploitation . .'\.-t-on
remarqué que toute attribu!ôon préférentielle, avCj! le paiement d'une soulte, aboutit à restaurer une réserve en nature
au profit du seul attributaire, pouvant même excéder ses
droits héréditaires. Le droit des cohéritiers est une créance
�df soult~. Admissible pour les petites exploitatioQs agricoles
ou artisanales, cette attribution est inadmissibie semble-t-il,
pour les entreprises exploitées en société, dont le capital est
d;visible par nature.
Du point de vue fanüJial, le texte projeté fera naître de
graves et définitifs conflits, qui ~aQs lui ne seraient pas
noués. Ce n'est pas là la moindre critique.
En conséquence, la dernière phrase de J'article 8'2 § f,
(. Si J'entreprise était exploitée sous forme sociale ... Il
devrait être supprimée - ainsi que doivent être supprimées
à l'article 829, les références aux parts sociales contenues
il son § i et § 3.
.,
ARTICLE
•
8'3
Le paragraphe 2 de ce texte innove une procédul't'
d'opposition par mention sur le registre des renonciations
à succession. Le paragraphe 3 prévoit une opposition adressée aux co-partageants. Les formules de l'lm et J'autre texte
ne correspondent pas quant à l'effet de l'opposition, bien
qu'elles paraissent équivalentes et inversées. La pratique
notariale et la pratique judiciaire sont actuellement bien
supérieures ; la conscience des notaires fait produire un
effet à toute opposition qui leur est. révélée, même sans
forme et sans qu'elle soit adressée aux copartageants ; la
pratique judiciaire se contente de la preuve que le créancier s'est fait connaltre. C'est le droit commun de J'action
paulienne quant à la preuve, sinon quant à J'exigence d'une
fl'aude concertée.
Il semble que les lextes projetés (§ 1 el § 2) soient une
régression par rapport à ces pratiques. La prévision d'une
opposition par mention sur le registre acheminerait vraisemblablement la pratiqur notariale vers l'organisation
d'une publicité de fait des liquidations de successions, dès
qu'une première opposition aurait élé inscrite. En J'absence
de toute réglementation légale quant aux délais, on peut
cl'aindre que les opérations de liquidation-partage ne durent
beaucoup plus qu'il ue serait raisonnable, en présence des
règles largement protectrice. des créanciers : droit de poursuite avant le partage, séparation des patrinlOines, obligation in infinitunl aux dettes. Or il semble qu'en matière de
partage, la réforme doit tendre à une suffisante rapidité.
267
�•
Le texte de J'article 8l-3 peut être limité au § !, et, si
l'on voulait satisfa ire un scrupule technique, au N3.
CHAPITRE VIII
SECTION Il. AnTi eLES
Des rapports
844 à 863
Qu'il s'agisse du rapport des dons et des legs ou du
rapport des dettes, les textes projetés dans cette section et
les réformes qu 'ils contiennent paraissent particulièrement
bien venus. Dans l'ensemble, on ne peut qu'approuver leur
formulation et leur expl ication donnée à l'exposé des motifs
-,.'
• !
On doit cependant apporter une attention toute spéciale
aux textes de principe des articles 814 et 8'5 d'une part sur
le rapport des donations indirectes , d'autre part sur le
rapport des avantages que l'héritier a pu retirer de donations déguisées sous la forme de conventions à titre onéreux
passées avec le défunt. L'exposé des motifs présente ces
textes comme la reprise sou< une forme plus générale des
dispositions déjà contenues aux articles 853 et 85' du c. c . ;
sans doute en est-il ainsi.
"ais les textes projetés formulent une obligation positive de rapporter les donations indirectes et les avantages
déguisés, alors que les textes actuels contiennent inversement une dispense de rapport des profits indirects retirés
des conventions lors de leur exécution" et ceux des associations faites sans fraude avec le défunt, si elles étaient
réglées pal' acte authentique . Il s'en déduit une importante
aggravation de l'obligation de rapporter.
.' -
En renversant ]a formulation de la règle, le projet renverse la charge de la preuve. Dans le c. c. (art, 85' pour
!es associations), les copartageants doivent prouver la
fraude si l'acte est authentique ; la jurispruden~ est restrictive ; elle ne présume pas la fraude en présence ct 'un
acte S,S.p, Désormais, s'il s'agit de donation indirecte, la
dispense de rapport devrait résulter d'une disposition du
défunt ; s'il s'agit d'avantages et de donations déguisées,
�Je bénéficiaire devrait prouver que Je déguisemenl a eu pour
hut de le dispenser du rapport. Ce sant semble-toi!, des anomalies. Dans le projet, la preuve de la dispense du rapport
sera plus facile pour les avantages et donations déguisées
(puisqu'elle est libre) que pour les donations indirectes (puisque le défunt devra en avoir ainsi disposé, en pratique
par testament). Les donations déguisées étant tout aussi
valides que les donations indirectes, mais celles-{)i I\'étant
pas plus fragiles, la règle de preuve devrait être la même.
-.
,-
L'aggravation résulte encore des règles de fond. Pour
les associations, le O. C. 0 'impose le rapport que des conventions frauduleuses, le projet impose le rapport de tous
les avantages indirects ou déguisés ; or, la forme d'une
convention à titre onéreux ou le caractère indirect ne sont
pas frauduleux par eux-mêmes. 00 peose naturellement,
comme le propose le C. C. et l'illustrent la pratique et la
jurisprudence, aux sociétés commerciales ent.re le père de
famille et l'un de ses héritiers . L'opération et l'acte sont
tellement oonnaux que l'on propose par ailleurs une attributiOn préférentielle à ce même béritier bénéficiaire d'une
part, il devra rapporter les avantages retirés du vivant de
son auteur, et d'autre part il pourra obtenir, après le décès
l'attribution de la totalité des droits sociaux .
Il semble que]' on devrait dire que le caraetère indirect
ou Je déguisement contiennent uue présomption de dispense
de rapport, sauf preuve contraire_
La condition du conjoint survivant mérite des observations particulières.
,-
Le projet ne reproduit daus aUCWle de ses dispositions
les règes de l'art. 1.099 c. C., sur les donations indirectes
ct sur la nullité des donations déguisées entre époux.
Ni l'exposé des motifs ni le texte des art. SU et Si5 ni celui
d'aucun autre ne précisent si de telles donations au profit
du conjoint survivant sont par lui rapportables à ses cobéritiers. Ils ne précisent pas davantage le sort des donations
faites directement entre époux dans le contrat de mariage,
qui sont irrévocables, ou celui des donations révocables faites pendant le mariage. C'est un.e très grave lacune.
Relativement aux donations directes, nous ne croyons
ras être abusé en disant qu 'elles doivent être rapportées
malgré le silence des auteurs (lu projet. Mais on doit observer que l'obligation au rapport aboutira en fait à rendre
269
�caduque quant à la valeur par le seul effet du décès, la donation irrévocable contel\ue ùans le contrat de mariage .
.
'
Pour la qualification de donations indirectes ou de
donations déguisées sous la forme de conventions à titre
onéreux, comment faudra-toi! considérer d'une part le
régime matrimonial, d'autre part le contrat de mariage
Il ne s'agit plus seulement de convel\tions de mariage, mais
principalement du rapport dû aux cohéritiers ; qu'en esl-il
des apports inégaux en communauté, des clauses de préciput des biens communs, de la clause commerciale, des clauses de partage inégal. En l'absence d'enfant de premier lit.
ils sont, dans le Code, simples avantages matrimoniaux el
conventions de mariage, en principe à titre onéreux, suivant
la jurisprudence et la doclrine unanimes. A ce titre, non
réductibles pour atteinte à la réserve. ne deviennenl-i1s pas,
dans le projet, donations indirectes ou avantages rapportables comme contenus dans une convention à titre oD,éreux ?
·,
Le projet ne donne aucune protection aux enfanls du
premier lit. Il en résulte la nécessité plus évidente encore
de considérer les conventions de mariage et les avantages
matrimoniaux comme des libéralités indirectes ou déguisées
mpportables à ces cobéritiers. A l'égard des enfants du premier lit, ce qui est admis par l'art. 8j,5, pour les associatIOns et les sociétés entre le défunt <lt un successible, doit
l'être pOUl' l'association conjugale de secondes noces et son
régime matrimonial. Ces avantages qui sont réellement des
donations déguisées doivent être ;'apportés. Or, le projet
ne le dit pas. Il laisse entendre le contraire. En effet, l'exposé des motifs laisse snpposer le maintien d'une certaine
protection des enfants du premier lit par le jeu de l'action
en retranchement de l'art. 1527 c. c. (pages t8 et 70).
La précision est donnée à propos de la réserve .
Mais la question se pose aussi et surtout pour le rapport
il succession et l'application de l'art. 845 du projet.
, ,
'
Curieuse protection que ce retrancbement au sens classique.
Actuellement, il s'agit bien de retranchement en ce sens que
les avantages mat;rimoniaux ne ,'eçoivent aucun effet et
réintègrent la succession, dont le conjoint de secondes noces
est exclu . D'après le projet, ces avantages retranchés des
droits dans la communauté de l'époux commun en .biens
réintègrent une succession où le même conjoint participe
~70
�comme héritier. C'est un retranchement avec relour au prollt
de l'époux qui le subit, en méme temps qu'il profite il ~s
cohéritiers.
La meilleure protection est celle d'un rapport obligatoire, sans qu'il soit permis au défunt d'en dispenser le
conjoint de secondes noces, que la libéralité S!)it directe,
indirecte ou déguisée.
CHAPITRE VIII
SECTION III. -- Des effets du partage
ARnCLE 86'
La lormule du § -i de ce texte est quelque peu sibylline.
On a voulu condamner Ja jurisprudence classique qui ne
permet pas au créancier hypothécaire, tenant son droit du
copartageant débiteur, de faire valoir son droit de préférence sur la part du prix d'adjudication revenant à celui-ci,
- et qui va jusqu·à lui préférer le créancier chirographaire il qui cette pal t aurait été cédée. Cette jurisprudence
~ fonde sur l'effet déclaratif du partage et considère l'adjudication même à un tiers étranger à la succession, comme
une opération préliminaire au partage dans les rapports
des cohéritiers entre eux. Les auteurs du projet ont voulu
"pporter une limite à J'effet déclaratif. Mais ils ont voulu
apporter une égale limite dans des hypothèses très différentes : éviter que la créance du prix d'adjudication ne
tombe en communauté, permettre à la femme d'exercer sur
le prix d'adjudication le droit de préférence, survivant à
l'bypothèque légale qui grevait la portion indivise de l'immeuble vendu.
A ces effets très divers, on a voulu satisfaire par une
(ormule générale : « Les dispositions du présent article sont
sans application druls les rapports juridiques de chacun
des cohéritiers avec ses propres ayants-cause ". - II faut
naiment être assez savant pour la comprendre. et il faudra
{jans cinquante et cent ans faire l'histoire de la jurispru271
�•
dence établie sur la base du Code de t80i, si l'on veut comprendre le contenu de ce texte et sa portée. Cette méthode
de codification est certainement mauvaise.
Il parait préférable de régler la survie du droit de préférence ell traitan t de l'hypothèque, et en disposant que le
droit est reporté sur le prix, quelles que soient la cause et
la forme de la ven le. On règle ainsi le droit hypothécaire de
Jr.. femme et celui de tout créancier . .- Quant à la consisiance de communauté, il suffi rait de préciser la subrogation
l'éelle au titre qui traite de celle matière .
Le reste de la section, sans observation.
CHAPITRE VIII
"
•
I~.
SECTION IV. -
De la nullité du pattage.
La rét0l1l1e la plus importante parait ètre terminologique.
On ne devrait plus pa l'leI' d'action en rescision pour
lésion de plus du quart, mais d'action en nullité et de partage ·annulable. L'exposé des motifs présente ce cbangement comme anodin. Tel ,,'est pas notre avis ; il est très
important et fort critiquable.
Malgré quelques lois particulières, la lésion n'est pas
en principe une cause de nuUité, contrairement à l'erreur.
<lU dol et à la violence. ~fais surtout le projet dispose à
l'art. 878, que le défendeur à l'action en nullité, pour préjudice de plus du qnart dans l'évaluation, peut en arrêter
k cours et éviter un nouveau partage, en offrant et fournissant au demandeur le snpplément de sa portion héréditaire.
Voici une action en nullité qui est facultative, la faculté
élan t laissée non pas au àemandeur ou au juge, mais à
celni qui devrait en subir les effets. Sans doute. une telle
conception n'est-elle pas sans exemple (nullités en matière
de sociétés, de "en le de fonds de commerce où J'on trouve
un caractère facultatif, soit pour le défendeur, soit pour
l,' juge). Mais nons ne pensons pas qu'il convienne de généraliser ces hérésies ; elles jettent le plus grand trouble dallS
272.
�le régime des actes juridiques et de leurs nuJlités, déjà si
complexe pour l'interprète et pour le juge.
Enfin l'abandon de la rescision en matière de partage
&pporte sans nécessité un autre trouble grave dans la terminologie juridique traditionnelle. La langue juridique est de
précision : la nullité do"t l'effet peut être arrêté, l'acte nul
qui peut être l'objet d'une si curieuse confirmation ne correspondent pas à un contenu précis. Il en. est tout autrement
de la rescision, dont le terme est si précis qu'il a conduit la
jurisprudence à donner à l'action en rescision de la vente
immobilière sa véritable nature et ses véritables effets.
•
CHAPITRE X
Ott passif de la succession.
ARTICLE
880
L'accession du conjoint survivant à la qualité d'héritier
rendra presque toujours impossible la détermination de la
part de cbacun des héritiers, avant l'achèvement des opérations de liquidation-partage. En cas de communauté, ce sera
au préjudice des cohéritiers. et par application de l'art. 880,
cbacun subira le droit de poursuite dèS créanciers pour une
part égale. Voici des cohéritiers qui recevront une part certainement inférieure à celle du conjoint survivant sur l'ensemble des biens propres et des biens eommuns et qui seront
dans l'obligation de payer plus que leur part des deltes de
la suooession, sauf le recours contre le conjoint, mais sans
pouvoir invoquer une subrogation consentie.
ARTICLE
882. -
§ 2.
On comprend mal J'interdiction faite à l'héritier qui a
payé au delà de sa part d'exercer son recours suivant les
règles de la subrogation, bien que cette interdiction soit
traditionnelle pour les dettes bypothécaires. La jurisprudence étend le plus possible le domaine de la subrogation
légale, notamment au profit de ceux qui sont tenus avec
,
273
l~
�d'autres. Le projet maintient à l'égard du cohéritier les
effets de la suhrogation conventionnelle. C'est pousser bien
loin les conséquences de la division des dettes. Cela apparaît contraire à l'intérêt des créanciers : ils trouveront diffIcilement un héritier qui paiera au delà de sa [Jart. Cela est
contraire à l'intérêt des autres héritiers, qui n'ayant pas
de deniers découverts pour payer leur part dans la dette
héréditaire, laisseront poursuivre et exécuter les biens héréditaires avant le partage.
Cela est évidemment contraire à l'intérêt du solvens,
qui ne paraît pas pouvoir invoquer le rang et les sûretés du
créancier désintéressé, bien que le texte ne le précise pas.
pour la part de chacun. On comprendrait moins bien une
subrogation partielle et limitée dans ses effets.
La dernière phrase du même texte (882, § 2) est probablement une inadvertance: " L'héritier béI\éflcmire conserve
néanmoins la faculté de réclamer, comme tout autre héritier,
le paiement de sa créance, déduction faite de sa part )).
Nous venons de voir que tout autre héritier n'aurait pas
cette faculté; mais nous savons qu'en vertu de l'art. i25i ,
n° 4 du c. c. l'héritier bénéficiaire qui a payé les dettes de
la succession profite de plein droit de la subrogatioI\. Sans
doute l'incidence " comme tout autre héritier )) es~lle
une erreur de plume ; il faut lire : " comme tout autre
créancier )), conformément au texte de l'art. 875 du c. civil
à'aujourd'hui.
CHAPITRE X
De la
r~,erve
I!béditaire
On a déjà observé que cette matière trouve mal sa plaoe
naturelle au titre des successions " ab intestat )). Nous
observons d'une maI\ière plus générale que s'il s'agit de
fonder une division du Code sur les besoins de la pratique,
où l'ensemble des questions est réglé à propos du partage,
la distinction proposée, nouvelle en législation, .faite entre
les successions " ab intestat )) et les successions testamentaires est techniquement fausse. A propos du rapport,
l'art. 849 du projet dispose quaI\t aux legs ; or le rapport
274
�•
est essentiellement une règle de partage. Il intéresse principalement les dons faits à un successible. Les règles de la
réserve, de la quotité disponible, de la réduction des libéralités et de leur imputation suppose qu'il s'agit de liquider
et de partager une succession qui est, par bypotbèse, dévolue
à la fois par l'effet de la loi et par celui de dispositions
libérales, testamentaires ou entre vifs . Ni la pratique ni le
rêglement juridique nécessaire ne peuvent traIter distinctement, séparément les successions « ab intestat » et celles
testamentaires.
Nous profitons de la place de ce cbapitre pour proposer
que le titre 1 de ce Livre II soit intitulé: « Des Testaments»
ou mieu)' : « Des 'Règles particulières aux Testaments ».
Dans ce cas, le chapitre X sur la réserve viendrait à sa place
naturelle.
Sous la réserve expresse de ce qui sera dit à propos du
conjoint survivant, - et en ne considérant que les règles
proposées indépendamment de leurs bénéficiaires, l'ensemble
des textes du projet n'appelle pas d'observations particuliè. res . L'exposé des motifs justifie les réformes techniques (par
exemple, date d'évaluation, délai de l'action en réduction,
etc ... ).
Il est cependant fondamental de remarquer que le projet
Rpporte une révolution. Il dispose directement quant à la
réserve et non plus, comme le Code civil, quant à la quotité
des biens disponibles. Aucune raison ni justification n'en est
donnée. C'est cependant une révolution que celle qui tend
à considérer principalement la dévolution impérative de la
succession, pour n'admettre la liberté de tester que d'une
manière résiduelle. Il ne semble pas que les auteurs du projet aient poursuivi une politique à ce propos. Sans doute
ont-ils été amenés à cette présentation par les grands avantages techniques et rhétoriques qu'elle contient
Mais aussi en raison de la condition du conjoint survivant qui accède dans le projet au rang des héritiers réservataires. C'est certainement la réforme essentielle projetée.
.'
,
.'
Sur cette question {onda:mentale, la Faculté n'a pu
recueillir un avis unanime . Elle a été partagée suivant les
deux opinions ci-dessous.
275
�A. - Suivant une première opinion, l'attribution d'une
réserve au conjoint survivant est inadmissible et doit être
rejetée, les motifs essentiels ont été exprimés dans les observations écrites de l'un des membres de la Faculté, les voici:
" On prétend que la conception de la famille a changé
" et qu'elIe est principalement composée du mén.age et des
"enfants. A vrai dire, l'exposé des motifs est bref quant à
" cette j ustificatioD .
" ous dirons qu'une réserve au profit des héritiers du
" sang a de lointaines origines et une longue tradition ; elle
( se rattache d'une certaine façon au droit romain, malgré
" le principe d'une sucees,ion testamentaire. Mais limiter à
(' ee point la liberté de tester par l'institution ,j'une réserve
, au profit du conjoint survivant, voilà qui heurte tontes les
:. traditions méridionales. Dans nOS régions, en Corse, à
" Toulouse, les pères de famille sont tellement pressés de
" transmettre leurs biens à leurs enf8Jlts, qu'ils le font très
" souvent de leur vivant par donation-partage, avec réserve
" d'usufruit. Le projet (titre V) consacre l'institution mais
" il impose que le conjoint n'y soit pas omis ; c'est en fait
" tuer l'institution, si ce n'est pour le dernier viv8Jlt.
" C'est que chez nous, le conjoint digne de toutes les
" affections reçoit la quotité disponible par testament ou par
" donation pendant l~ mariage ; il en est ainsi même en
.. régime de communauté et il en résulte que pendant sa surI< vivance, les droits des cnfants dans la succession sont
" réduits à une faible quot6-part, qui reste en état d'indi., vision, en l'absence. d'intérêt majeur. Mais cela se fait
"comme une récompense d'une longue vie familiale et
., conune un hommage au dernier vivant des père et mère et
" non comme un droit acquis dès le jour du mariage.
" Il est en effet d'autres ménages, où les époux ne divor" cent pas, mais où le lien et la vie transforment l'affection
,. en une bai ne sourde. Il en est d'autres où l'antipathie
" réciproque survient définitive, dès les premiers jours. En
" prévision de ces cas qui ne sont pas exceptionnels, la loi
" actuelle permet de retirer par testament le droit à l'usu" fruit légal. Il est des maris volages et des femmes adul" tères. Le Line 1 de l'avant-projet refoule !'adtùtère parmi
• les causes facultatives de divoree et voici le conjoint inll" dèle ayant maintenu malgré lui le déftmt dans les liens du
276
�manage, qui reçoit une réserve sur sa successioQ, sur Je
" fondement de la cohésion du ménage moderne .
!,
" Il existe des séparations de fait volontaires et volontairement poursuivies pendant toute une vie. ~fais il existe
" aussi des séparations de fait qui sont la conséqueQce d'une
c. décision de justice ayant refusé le divorce ; ce sOQt les
" plus douloureuses. Sur le fondement de l'antorité de la
" chose jugée, et en l'absence de faits nouveaux prouvés en
"la fonne de justice, la réserve héréditaire est un droit
" intangible ou ia consacrer. Nous avons connu des pourvois
" dures de divorce sont introduites à tout âge. On verra plus
" souvent des vieillards y prétendre ou y résister d'une
"manière dilatoire pour supprimer la réserve héréditaire
" intangible ou la consacrer. Nous avons connu des pourvois
c. en cassation formés contre un arrêt de divorce, dans le
" seul but de maintenir le droit de "ecours pendant l'instance
.c en attendant le décès du conjoint moribond et de prétendre
· C à la transmission de t'obligation alimen taire cOQtre les
• c. héritiers. On verra désormais les mêmes procédures pour
" le maintien de la réserve. Il y aura moins de divorces
"convenus, mais plus de mariages contraints et surtout
c. plus de haine, plus de fraude, plus de procès. Certes, nous
" n'avons pas les mêmes vues idylliques que les auteurs du
cc projet, au moins quant au ménagp. moderne. Nous pensons
" que notre protestation est fondée sur un sens plus réel de
" la morale.
" Lorsque la même réserve est accordée à un conjoint
cc de secondes noces, ou de troisièmes, ou subséquentes, en
" présence d'enfants d' un autre lit, le droit à la réserve pour
.' le dernier conjoint ne serait que l'effet du dernier caprice.
" IJ viole dans tous les cas la liberté testamentaire et le fait
oC au préjudice des héritiers du sang . Au regard. une seule
" protection est suggérée : l'action en retranchement, qui
cc dégénère en une actioQ en réduction pour supprimer par" tiellement l'effet des avantages matrimoniaux excessifs li.
c.
B. . - Suivant une seconde opinion, la réserve héréditaire au profit du conjoint survivant, même de secondes
noces ou subséquentes noces, est la suite logique et naturelle
du droit héréditaire cc ab intestat li que le projet lui reconnalt. Sa justification se trouve dans l'exposé des motifs.
277
�.-
,
,
·
'.
,.
�Thèses soutenues devant la Faculté
depuis 1958
DROIT ROMAIN ET msTOIRE DU DROIT
ANHBII J968.
H. COUJOT. Une juridiction subalterne 80US
_nne. (Président : M . Aubenas) .
'~anc4en
régime :
G. LE BELLEGoU-BtoUIN. L~évol'Ut~on des jJlstitutions mu"icipaIea toulonnGlses des origines al< millev d .. XiV l ' siècle. ,
(Pn!sIdent : M. Aubenas).
B. NOAT. U .. _
d'o!conomie IUrigée : la polltiqlle li.. prince
Honorl V de Monaco (1815-1841) . (Président: M. Aubenas) .
.1. TBOFIMOFP. Les oontributiOns direct. . dans le département
des Alp..-M..rittme. de 1793 "
Vlll.
(PrésIdent: M. Aubenas).
r....
Q..........,.
A. vw.t.oN.
aspects des (ut/es de l' ..bbaye de Lérins
"" 1CVlll- _le. (Pn!sIdent : M. Aubenas).
APNBB
19C59.
O . ORIJ(AU)I. Le comité de BU,."eiliance
(1782-119CS). (PrésIdent: M. Aubenas).
-.
d·A~ .....Pro_
B. CRAVE. La OOfIIUtlon des ten-es " Aub..gne sous Louis XIV.
(PrésIdent : M. Viala).
C. DnAN. Les ,""tes oola.. tes dans la pratiqt<e "otaTiale ai%Oise
de la fjfI ciI& 1CVIII- siècle" la RévolutlOft. (Président : M. Aubenas) .
R. JOHNSON. La détetllUon pr~enti1.)e en drcrit ramai",.
(Pn!sIdent : M. Macqueron) .
.1. H. A. MERRYWEATHER. 8 _ BUr l"'lstoire du.- port d. MoINJOO. (Pn!sIdent : M . Aubenas).
C. PELLA.T. Le charbon 8ft: Provence (lU XVI11 - 8iécle.
!Présldent : M. Aubenas).
�ANNEE 1960.
J. GENIEST. La Révolution à CMteauneu./ Calecerr&ier (dit du
Pape). (Président: M. Aubenas).
G J. SUMElRE. La. c~mm"nauté de Trets à la veille de let Révol .. tion (Président: M. Aubenas).
A. ,MAUREAU. Le métayage cùu,s la région, d'Avignon a" XVII ""
sldcle. (Président : M. Viala) .
ANNEE 1961.
J . BOURClER. Le métayage dans la. regfon d'Aü au XVIII ""
.s1Acle. (Président : M. Aubenas) .
G. MARTEL-RE!lSON. Les eaux publiques à Marseille avant le
canal de la .Du7nnce. (Président : M. Aubenas).
W . CARUCHET: Relliitions économiques entre le Comté ete ~ice
et la France de 1814 à 1860 d~~rè8 la corr esponda-nce dBB C0ft8:u.l8
de lI'rance . (Président : M. AUbenas).
F. SPINOSI. Essai sur l'économie ruTale corse
XVIII -' silleles. (Président: M. Aubenas).
.~
•
•
aIU'
XVll ... • -
M. ANTHON. Les bWlalités des JOUTS et moulina 6ft PrQuence
aux XVU""f - XVlll"' ~ siècles. (Président : M. Aubenas)
DROIT PRIVIlI
ANNEli 1968.
P. TElIfiN. J..e commerçant _ t le contenU"'" /18"'".
(Président : M. J8Allfret).
A. Dupae DE POMAltllDE. Les probl_ j1<ridiqueo pos68 par
l'acconage à Ma<ÙI!/Iaacar, à l'ocC08loto _
tramports régi8 par 14
loi du B avril 1936. (Président ; M. Jauifret) .
Mm. P. DIABD :lIée VIALIS. L'habiUtDotm ju,diciaire de "un dIe8
conjoints en caB d'aliénation mentale <* d.'iftcGpacité de l'au.tre
conjoint. (Président ; M. Kayser) .
MlDe NACHlN née MALAFoSSE. La légilimation des en/6ftta ad1Qtm1l8 en droit /'IYJ/111Çais depuis la. loi du 5 juület 1956.
(Président : M'.. Kayser).
J . BoRRlCAND. Les effets du 'ntJI'iage a.près 8Q di.98olunon.
(Président : M. Kayser).
P . J AUFFRET. J..e déelin d .. e<mlrat médical "" tlrott pritIé.
(President : M. Bertran,d).
J. BAFFERT. Le transitaire, Ja. jon:ction, la respon.tGbiUté.
(Président: M. Bertrand) .
P. R WALKER. J..e droit maritime 81<I8.e. (Président: Il: JaUlfret).
ANNBE 1959.
P. VERsEILs. Les gra>td& priJtCipe8 relatif. _ _ professionnel. (Président : ;M. Lobret).
280
�.... "" parl6 doM Iea B_~ G __
(Prialdent : M. Jautrret).
A. ABanJ\J. LtJ 101 .... 30 IJO/It 1947 re/4üve 4 l'''''........_ t
du pro/...wn. ind""trlolIe8 et commer_:
(Pr6s\dent : M. Jau1rret) .
0. SoUBEYL\ND. L& _
JI_Uit~ Umi!~.
P. SIGALA8. Le CGutiottnement aolidatr8. (Prêatdent : M. Kayser).
K. MAl\IALOUlCAS. Aapscts du divorce- en F'1'otace et Stl Gnce.
(Président: MU. Lobln).
BB 1160.
X. ULYSSE. Il,,,,ti,,,, tMrop... tlqtUl d""""t la loi
(PrésIdent : M. Lebret).
R. VE&OOT. La notUm d'dCte d'admitdatration en tb"oit p7"'i1J4t
françG4B. (Président : M . Kayser) .
M. BoRYSEWICZ. lIi1rtero ...tiOn "" la B6curlté Bociale _ . les
' "<IJ>J>Orts _/lOir.. ...tro o!poua:. (Fresldent: M. Kayser) .
AN'"
,.m.aze.
C. JOUVE. Le / _ t "" la re8JIonsabiUtl! dl< troMport...r
dan.! le tr"<Jl18poTt terrestre "" q>er8<mne8. (président: M . Audlnet) .
lit. CULIOLI. L'obligation alimem.acre entre personnes d''' ~8.
(PrésIdent : MU' Lobln) .
J . BENNE. De. limitati"'" ~ 4 la liberté de la Jl"bUciM
commerciale. ~t : M. Jautfret) .
P . JULIEN. Les c<mtr"<J!. motre " - - (Pr6s\dent : M. Kayser ) .
•
APNU1961.
L. RlCIWID. Le J>"8 de _te commercial.
(_dent : M. JauftreU.
•
DROIT PUBLIC
ANNBB 1968.
G. HAPI-TINA. L',mUtulion de 'CI: chefferie en fHJ'Y8 BfJmiUké.
(Président : M. Aubenas) .
R. D'ORNANO. L& rGJ>J>OrI8 ""tro le _"Oir civil et le _ _ r
.nUi/Bire "" 1789 4 1939. (Président: M . Fabre).
P . DE DIETRICH. Le recovrs en. a,ntlv.lGtion detHlnt JG COKT de
;"'1ic<J "" la CoB.C.A . (Président : M . Dupuy).
R. DUBOIS. AdminiBtr"<JtiOn et ciirectl"" économat d ' .... MpltG/·
h08pice Jl"blic (Président : M. BoulouJa).
B . KORNPROBST. La. noUon de partie et le recoura pour 6%Cê"
"" _ _r. (Président : M . Weil) .
M. THoMAll. Il Afrique
Fabre) .
."
~.
AN!i'BB 1969.
TROIIrCH-V1Jftm. L'MM ~
(PrbldeII.t ; M.
;FabI9!c
~
(Présl<l?'>t :
10{.
�P.
18OAI1T. Le pIo_.... _
tMito..... leIi .
!PrNIdeDt : X. Fabre).
X. RB!l8CUML Le tUptfl~ de ......_ _ IG lVo, R<IpoobUQu.
(Prt8ldent : loi Fabre).
P . HU88ON. LG _ _ da fro _ _ Ir.. "" " ..roc.
(PrUlcIoDt: JI. FIory).
P . i'II88oL. u • . - de police ...1"",,,"0II;I/<I : IG lorce cI''''JI'''''"
da N _ U...... (PrUldent : M. de la Pradelle) .
J . UlC.t.. LIIII
cie _
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_ . (PrUIcIoDt: JI. Dupu;y).
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......,..,1_ _ .
O. t.YL LG"""""""'U tllWW. (PrUldeDt: M. do la Pradelle ).
de IG 8 ....16.
M. lJ)UON. LG proloc_
(Pr6oIdont : M. Duplly).
J. B. TaoTABAS. LA " " _ de _~. (PrUld6llt : .Il. Fabre) .
A. GANDOLrl. L'GclminIotrGHoto lerrilorIGIe ... AI... 1IOire.
(PrUldont: JI. J'abre).
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DDa.t.acB, "'" PI1rB1DIU. U _ _ en
1_. (Pnoidont : M. FIory).
C. DIllBASCB. ProœcIto"" CIcIm.....tTatWe coool.... _
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(PrUIdent : M . BouIouIlI).
ft. BRpGRpDN. Lu mari,.. -nfvgWa.
(Pr6oIdont : JI. de la PradeUe).
J . AlIPHOUL Le
loi 1_1,," do 10
R6ptlb1Wl<o 16cI6raIe GIIetnawcie. (Prillidont : JI. BouIouIlI) .
G. FOIllLLOUL LG ~ et le clroU ...1 . . - _
(PrUIcIoDt : M . do la Pradelle).
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G. VIAU.. lA ~ cUMpUtwl;re
(PrilllcIoDt : JI. BouIouIo).
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J. P. J'EBUl'1ANS.
(PrUldent : M. Fabre).
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G. CAS. LIIII _ _ ._ _ _ _
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c:Ie.t pIWIralaDI'IIG.
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(Pr'rdcnt : M. do la Pradello).
X. .KI.Y8ON,S. i.e
_'"....,... (Prioldont : M. Dupu;y).
C.
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Le pltroJ. .,
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M. lttJuiI:NTY. 'L e COtOHiI .1OjHI,inIr de ... tnGj/N_•.
(PrUll\ODt : M. BouIcUla).
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J. c. DI8CBAMI'8. Contrllo!wtlooo 4 ici tM_ du dIotor_ {io.
coIN. (PrUldoIIt : ll., Ta)latœlJ..
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�iL c. .rOIGNZIIEZ. iA. lO1OOtion.
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8I/II<fioGt (enquête
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Iee upec:bI pratiquee de
la 46fenoe ouvrière). (Pr68ldent : IL. BeIller) .
.r. DUVILLIEB. Inc1dBnc8 """ -_ _
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1er
de
bril4otnlqtoeo.
(Pr8oIdent : IL. BeWer).
Ji. PAIIODI• •"o/tltion. de .. IlUrGrcAIe """ - . . otWrieTa.
IPr68ldent : ;Il. Sellier).
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Fourgeaud) .
.r. LAUIlIAC. LtJ marcM ot la c_ _ ion. cl.. poiNoa " .....
• oUle. (Pr68ldent : IL. Marcy) .
G. Ill: Bl:LlJDNC&.
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1-~. (Pr68Ident : M. BeIller).
.r. RINAUDO.
(Pr68Ident : M.
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ANIN• • 1980.
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C. BoNlJ'AT. iLea prob_ d'....t"l:U~ et
~,·"H".I
de la 86011riU 8 _ . (Pr8oIdant : M. Sellier).
D. L·HUILLŒII. COIItribll_ cl 1'_ de
cie .trœoeport• ...r Iee m _ t . "" morc_ _ .
(Pr68ldent : M. Marey).
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�ACHEVE D'IMPRIMER
le 12 Mai 1962
Bur Jes Presses des
EDITIONS PROVENÇALES
16, rue Maréchal-Joffre
AIX-EN-PROVENCE
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PDF Text
Text
ANNALES
DE LA
FA CU LT É DE DR OI T
ET DES
SCIENCES ÉC ON OM IQ! IES
D' AI X- EN -P RO VE NC E
1963
N° 53
LA PENS:EE UNIVERSITAIRE
12 bis, Rue Nazar eth, 12 bis
AIX-EN-PROVENCE
1963
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DE LA
FA CU LT É DE DR OI T
ET DES
SCIENCES ÉC ON OM IQ! IES
D' AI X- EN -P RO VE NC E
N° 53
LA PENS:EE UNIVERSITAIRE
12 bis, Rue Nazar eth, 12 bis
AIX-EN-PROVENCE
1963
��ANNALES
DE LA
FACULTÉ DE DROIT
ET DES
SCIENCES ÉCONOMIQQES
D'AIX-EN -PROVENCE
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N o 53
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LA PENSEE UNIVERSITAIRE
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�SOMMAIRE
L.isle des personnes présentes ou rcprpsenlées ....... , . .. .
lJiscou,'s de bienvenue de M. le DO'yen BOULOU/S... .. ...
l'résenlalion du Colloque par .1/ . le Professeur DISr.HA~{PS
7
13
17
-1-
\ SPEGTS S \ISO-"" 1ERS DU TOURISIIE ANCIEN
\ 1. LlOYEB . - Le caraclere saisonlli~,. du phénornène touristique à l'époque aristocratique et ses conséqu_cn-
ces économiques ...... . ..... ..... . .... . ...... . ..
2,7
Le cU'Jeloppement <lc Nice depuis
deux cen.t (·trlquanle ans . .......... .. . .. ... . . ...
53
DULOUM. - Naissance, développement et déclin de la
colonie anglaise de Pau ( /11/4,'/91/, ) .. . .. .... . .. . .
65
CO~fPAN. Les uicissitudes d'une station thermale des
Alpes-Maritimes - Berthemont-ies-Bains avant 1914
79
lllGLl.\. - Des auberges (lUX gl'ands hdtels de Nice.. . .
87
LATOUCIIE. - Une page de l'histoire de Cimiez. La
Cité aristocratique ..... . ........ . ... ... . . .. ... .. ' ] 01
\1 . IIILDESIIEnIER . )1.
'1.
Il.
,\1.
1
-11( . O.~SEQUENCES
Dl] CARACTEI\E SA ISOIiNIEI\ DU TOURISME
POUR L'ENTHEPRISE lIOTELIERE
Les Problèmes posés l'ar la rentabili.té d'ulle
cxploitation saison n ière de la ("atégorie ff Palace )) '.. 109
)I C .\ UG lEn. Les remèdes Ou déficit chronique d'une
exploita.tion hôtelière (Ce la catéaorie des palaces :
l'exemple du ff Negresco II . • . . . . . .. •. •. • • • . . • •• • 123
j\L TSCHANN. - Nole sw' un exemple réel de reconversion
d'entrepri.ses hôtelières saisonnières . .. ... ... ..... 131
M. MONj\'OT. - ta moyenne et petite hôtellerie niçoise face
aux problèmes saisonniers .... . ... .. .... . ........ 151
Il . SQUARCI.·\FICHI. - Deux cas de reconversion d'Mtels :
Le « Cap -Estel 1) cl f( La Bano,fieraie Il .••• . • . • • ••• ] 59
\1. ·\GID. -
-
nu
111-
CONSEQUE:\'CES ECONOMIQUES
CARACTERE SA ISO:\'NlER DU PHENmlENE TOURISTIQUE
POUR L'JlCONOMIE LOC.\LE OU REGIO:\ALE
ET POUR TOUS LJlS TRANSPORTS
-\. -
)IIIe
PnonLÈr\IE UE TnA~SPonTS .
D.\ OHAHRY. _. L'aspect saisonnier dit trafic aer<en et
maritime entre la Corse el le continent. . . . . . . . . . . .
Les variations saisonnières dans le transport aérien .,., ... , .... . .... 1 • • 1 • • • r ••• , •• ••• • ,
167
,1. JODEAU. -
tS1
�B. -
PROBLÈMES LOCA UX.
""a-
M. DEFERT. - Les perturbations appariées à cerlaine..
nomies locales par le caractère saisonnier du phéno·
""ne tOU/'utique . . . . . . ... . ... . . ..... . .......... ,
M. TISSOT. - L'Evolution de Leysin· La transformation.
~09
d'une station curative permanente en une station de
tourisme bi·saisonnière .. . ....... . ...............
219
M. l'RUBERT. - Présentation des statistiques touristiques
de la Cilre d'Azur ..............................
237
C. -
PROBLÈMES nÉGIONAUX ou NATJON.-\UX .
•\1. CARONE. -
Faltore stagionale ed evoluzione cùUa
dorrwnda turistica nelle sta-zioni italiane . . .. . . ..
Mme VEYRET. - Caractères saisonniers du Tourisme Alpin,
ses conséquences écono miq ues et humaines ........
-
243
257
IV-
TOURISME SA ISQ:'i:;IEH ET THEORIE ECONOMIQUE
LE
~
li. ', .': ..;.
· PROBLE~!E
DE L'ETALEMENT DES CONGES
,\f. KRAPF. -
Les caractères généra.ux de la con,sonlJn,a·
tian touristique . .. .. .. . ...... .. . . ... .. ... . .....
M. PAYAi'\. Une enqufte de consommation. touristique
saisonnière .. .. .. . ... . . . .. . .. . . . .......... . . .. .
M. BARETJE. - Deux projets statistiques de détermina·
tian du m.ouvement saisonnier ... . .. .. ... . .......
M. LAJ3EAU. - Théorie lconomique de la distribution
optinuJ. des congés .. ..... .. . . . ..... .. ...... . . . .. r
.M. HAULOT. - L'établissement des Saisons l'ouri&tiques .
Nouvelle con.tribution à la solut"ion d'un.. vieux problè",., ..... . . . ... . .. . .. . ...... .. ........ . . .... .
267
:&77
297
321
33$1
M. HUNZIKEH. - La Caisse Suisse de Voyage amure pour
l'altangement cù la saison ................... . . 361
M. HALLAlRE. - Principes et motivation d'une politique
d' étalement des congés annu.els .............. . . . .
371
CONCLUSIONS
Résumé du rapport de synlhèse de .\1. BOyER............
303
...
~l.
Observations de la Faculté de Droit et des
Sciences Economiques d'Aix sur l 'u"vant-projet !Le
réforme du Code Civil, Livre Il . des successions el
dts libéralités (suite) ........ . .. . .. . .. ...........
413
Le GO I·de·ChamJletl'e . . .......... . ...
437
Thè'<$ soule nues devant la Faculté en 1962 .. . , ........ . .
485
;\J.
KA YSER . -
FOUILLOUX. -
�COLLOQUE
SCIENTIFIQUE INTERNATIONAL
SUR
,
«
LES CONSÉQ!lENCES ÊCONOMIQ!lES
DU CARACTtlRE SAISONNIER
DU PHÊNOM~NE TOURISTlQ!lE > .
(Nice 8·10 Mai 1962)
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V'
•
�Liste des personnes présentes
ou représentées
1. -
•
,
PARTICIPANTS COTE D'AZUR
M.M.
AGIO, Président de la Section des Palaces du Syndicat
de l'Hôtellerie des Alpes-Maritimes .
M' AUGIER, Président Directeur Général de l'Hôtel
Negresco.
BAREL, Directeur du Pa/riote.
BAVASTRO, Directeur de Nice-Malill.
BLANC, Délégué à la Mail'ie de Nice.
CASSIN, Adjoint au Maire de Nice, Président Honoraire de la Chambre de Commerce de Nice.
CEHEZ, Directeur du Cabinet du Préfet des Alpes-Maritimes.
CLERlCY, Directeur du Syndicat d'Initiative de Nice.
ConseilVr Général des Alpes-Maritimes.
COMPAN, Professeur Agrégé au Lycée de Nice.
l>ALMASSO, i\laître-Assistant., Faculté des Lettres et
des Sciences Humaines d'Aix.-en-Provence.
DEVUN, Professeur agrégé au Lycée de Nice.
DUCLUSEAU, Attaché à la Direction de l'Hôtel
Negresco.
FARINA, Président du Syndicat d'Initiative de Nice.
FLAMAIN, Directeur <l-I Centre d'Enseignement Touristique de Nice.
"
7
�GIANETTI, Président de la Fédération Départementale
des Hôteliers du Var.
GIORGI, Journaliste au Quotidien L e Pa/riote.
GONNET, Maître-Assistant à la Faculté des Lettres et
des Sciences HlUnaines d'Aix-en-Provence.
GUERRIN, Président Direcl'èur Général du Palais de
la Méditerrauée, Nice.
GUILLON, Directeur Régional d'Air-France.
HILDESHElMER, Directeur des Services d'Archives
des Alpes-Maritimes.
lCART, Conseiller Généra l des Alpes-Maritimes, Président Honoraire de la J eune Chambre Economique.
ISSAUTIER, Ancien Bâtonnier de l'Ordre des Avocats
de Nice, Conseiller Général des Alpes-Maritimes.
"
..
LATOUCHE, Doyen Honoraire de la Faculté des Lettres de Grenoble.
MAGNAN, Président de la Chambre de Commerce et
d'Industrie de Nice .
MEDECIN Jean, Député-Maire de Nice, Président du
Comité de Sauvegarde du Littoral Provence-Côte
d'Azur, Vice-Président du Conseil Supériem du
Tourisme.
MONNOT, Vice-Président de la Chambre de Commerce
de Nice, Trésorier du Comité Régional du Tourisme
de Nice.
MlCHELIS, Journaliste au Quotidien Nice-Ma/in.
OLLIVIER, Directeur de l'Académie Internationale du
Tourisme de la Principauté de Monaco.
ORENGO, Maire de Saint-Jean-Cap-Ferrat, Conseiller
Général des Alpes-Maritimes.
~
.
PALMERO, Président du Conseil Général des AlpesMaritimes.
PAYAN, Professeur au Centre d'Enseignement Touristique de Nice.
PASTORELLI, Chargé de Travaux Pratiques à la
Faculté de Droit et des Sciences EconoD:liques
d'Aix.
PERRET, Secrétaire Général de l'Académie Internationale de Tourisme.
,
8
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,
" .,~
--
;
•
POTFER jean, Directeur Général Adjoint S. A. La
Réserve de Beaulien.
REBSTOCK, Directeur de Provence-Côte d'Azur et du
Journal .r Aix-en-Plovence.
RENAUDEL, Adjoint au Directeur Régional d'AixFrance.
Rhl' Claude, Agent Général de la Cie Générale Transatlantique de Nice.
Mlle ROYER, Archiviste, Ville de Nice.
THIRlON, Directeur des Musées de la Ville de Nice.
TROTOBAS, Professeur à la Faculté de Droit et des
Sciences Economiques d'Aix-en-Provence, Directeur de l'Institut d'Etudes Juridiques de Nice ;
Correspondant de l'Institut de France.
SORZANA, Chargé d'Enseignement à l'Institut d'Adrrùnistration des Entreprises d'Aix-en-Provence.
SQUARCIAFICHI, Directeur de l'Hôtel du Cap.Estel.
TRESSE, Secrétaire Général Honoraire du Conservatoire des Arts et Métiers de Paris.
TRU BERT, du Comité Régional Tourisme Côte-d'Azur .
TSCHANN, Secrétaire Général de l'Association Internationale des Skal-Cluhs.
VIERS, Vice-Président de la Fédération Nationale de
l'Industrie Hôtelière de France, Secrétaire GéllPral
du Comité Régional du Tourisme à Nice.
VIVES, Journaliste au Quotidien Nice-Matin.
7
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PARTICIPANTS EXTERIEURS
BARETJE, Assistant d'Economie Politique à la Faculté
de Droit et des Sciences Economiques ; Secrétaire
Général Adj oint du Cen tre d'Etudes du Tourisme
de l'Institut d'Aidministration des Entreprisès dc
J',Université d'Aix-Marseille.
BERTRAND, Vice-Président de l'Union Nationale de
l'Hôtellerie.
BOULOUIS, Doyen de la Faculté de Droit et des Sciendes Economiques d'Aix-en-Provence, Président du
Conseil de Patronage du Centre d'Etudes du Tourisme de l'Institut d'Administration des Entreprises
de l'Université d'Aix-Marseille.
BOURSEAU, Président de la Fédération Nationale ,!tl'Industrie Hôtelière.
BOYER, Agrégé de l'Université, Secrétaire Général du
Centre d'Etudes du Tourisme de l'Institut d'Administration des Entreprises de J'Université d'AixMarseille.
CARONE, Directeur de l'Office Provincial de l'Industrie
et du Commerce de Trento.
Mlle DACHARRY, Assistante au Centre d'Etudes Supérieures du Tourisme de la Sorbonne.
DISCHAMPS, Professeur Agrégé à la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques ; Directeur de l'Institut d'Administration des Entreprises de l'Université
d'Aix-Marseille.
DULOUM, Professeur au Lycée de La Seyne.
DUMON, Délégué Régional au Tourisme de Provence.
GIRAUD, Professeur à l'Ecole Hôtelière de Paris et il
l'Ecole des H. E. C.
10
�•
GUII-lENEUF, Professeur à la Faculté de Droit et des
Sciences Economiques de l'Université d'Aix·Marseille, Directeur du Centre Associé d'Administration des Entreprises de Nice.
HALLAlRE, Inspectenr Général de l'Economie Nationale, Secrétaire Général du C. N. A. T.
HUNZIKER, Vice-Président délégué, Fédération Suisse
du Tourisme de Berne, Président de l'A. L E. S. 1'.
JAUREGUlBERRY, Président Directeur Général de la
Société des Hôtels Modernes de Provence.
JODEAU, Secrétaire Général de l'lnstitut de Transport
Aérien .
KRAPF, Directeur de l'Institut de Recherches Touristiques de Berne, Professeur à l'Université de Berne.
LABEAU, Professeur C.E.R.LA., Bruxelles.
LEON, Professeur à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Lyon.
LEROY, Administrateur à lu Communauté Eurupéenne
Charbon-Acier, Luxembourg.
LOISEL, Directeur des Hôtels de Provence, Nîmes,
Arles.
MAROVT STANKO, Conseiller à l'Institnt de Planilïcation Economique, Yougoslavie.
MONTANE, Société d'Equipement Touristique de la
Corse.
PRATURLON, Air-France, Marseille.
RENARD, Président de l'Association des Amis de l'Uni.
versité d'Aix,-MarseilJe.
RUFFIN, Délégué Régional au Tourisme de Savoie·
Dauphiné.
TISSOT, Directeur Général de Leysintours.
Mme Paul VEYRE1~ Professeur à la Faculté des Lettres
et des Sciences Humaines de Grenoble, Directrice
de l'Institut de Géographie Alpine.
VERHEYDEN, Représentant M. Haulot , Commissaire
Général du Tourisme Belge.
11
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• • .Jo
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• t. ~ f
,
••
•
�Discours de bienvenue
de M. le Doyen Boulouis
Doyen de la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques
de l'Université d'Aix-Marseille
,
Je voudrais tout d'abord sacrifier à l'agréable
. devoir de saluer les personnalités présentes et celles qui,
retenues loin de nous, ont cependant souhaité être ici
représentées. Je les remercie spécialement de l'honneur
qu'elles font à notre jeune Centre et des encouragements qu'elles lui apportent. Je voudrais aussi me faire
l'interprêtE1 des regrets de M. le Recteur de l'Académie
d'Aix-Marseille et de ceux de i\L le Recteur dc Tananarive qui , lorsqu'il était encore doyen de la Faculté
de Droit et des. Sciences Economiques de cette Université, fut à l'origine de ce Centre. Je voudrais enfin exprimer l'espoir que M. le Professeur Trotabas qul préside
avec l'autorité que l'on sait aux destinées de l'Institut
d'Etudes Juridiques de Nice et dont nous sommes cc
matin les hôtes puisse se libérer assez vite des obligations administratives qui le retiennent à Paris pour
venir passer quelques moments avec nous.
,
...
Pour le juriste que je suis, il y a assurément quelque chose d'insolite à ouvrir les travaux. d'un colloque
sur le Tourisme. Aussi bien, l'objet de vos débats devant
être surtout économique, je laisse à mon collègue M.
Disehamps, directeur de l'Institut d'Administration des
Entreprises de notre Université le soin de planter, en
tennes tecbniques, le décor de votre propos. J'cn suis
'"
13
�tout de même à m'étonner que l'Université se pl'êoccupe
de tourisme.
Je sais bien que par définition même l'Université a
vocation à considérer tous les aspects du savoir blllnain.
Ce que j'è me demande c'est pourquoi le tourisme est
devenu objet de science et de recherche. Devenu Il'est
pas à vrai dire le mot juste. Depuis longtemps, bien
longtemps même, géographes et historiens, écononùstes
et sociologues ont puisé à cette source admirable que
sont les récits et jOlU'Ilaux de voyage et ils continuent il
y faire d'importantes découvertes. On peut bien appeler
touristes ces' voyagelll's, parmi lesquels d'illustres
anciens, qui tenaient un journal de ce qu'ils voyaient,
plus soucieux des curiosités du monde et des gens que
d~ détours de leur propre conscience.
Cet aspect de la connaissance n'avait pas épUlSe
tontes ses ressources que le problème est app.a ru sous
un aspect nouveau, sollicitant cette fois l'attention des
géographes et spécialement de ceux d'entre eux qui s.e
sont attachés à la géographie humaine ou à la géographie économique. Mais il me semhle - et c'est là que
je trouve une réponse à mon prinùtif étonnement - il
me semhle que c'est dans une perspective interdisciplinaire de prévision que doivent désormais s'inscrire
les rechercbes Sur le phénomène touristique. J'y vois la
justification de l'intervention d'uu organisme spécialisé
où plusieurs disciplines - en fait toutes les sciences
sociales - doivent venù' concerter leurs méthodes et
leurs efforts. Par sa forme et par son ampleur, le phénomène touristique affecte profondémeut les structures
de la société contemporaine. De traditionnellem ent
séden taire, celle-ci tend chaque j our un peu plus à sc
« nomadiser. et ce n'est pas ici, SlU' la Côte d'AzlU''- que
l'on peut ignorer longtemps à quel point nos semblables
sont d\'>venus mi.grateurs.
.
\
..
Vous allez avoù' à discuter, à échanger des idées, il
vous faire mutuellement part d'expériences SlU' un
poiDt particulier : celui de l'incidence du caractère
saisonnier du tourisme du point de vue économique.
Mais il ne m'apparaît pas que vous puissiez, en 'traitant
ce problème précis, oublier le problème général. C'est
un mode de vie, nouveau qui se développe, des mœurs
nouvell es qui s'installent dans une société dont les tra14
�ditions protestent souvent. Il ne faut pas traiter ce problème sous l'angle exclusif du prix de revient ou de
l'équipement hôtelier. Ce caractère saisonnier ne me
semble qu'un aspect peut-être déjà dépassé du phénomène. Il faut réfléchir plus avant et de manière globale parce que le tourisme d'è vient une structure d'une
société qu'il déséquilibre et pour laquelle il faut trouver
un nouvel équilibre. C'est avec ce souci que je cède la
parole aux spécialistes en formant des vœux pour ~
succès de vos travaux.
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�Présentation du Colloque
par M. le professeur J.-C. Dischamps
Directeur de l'Institut d'Administration des Entreprises
dc l'Université d'AL,,-Marseille
MONSIL'UR LE DOYEN,
MONSIEUR LE PRÉSIDENT,
MESDAMES, MESSIEURS,
.Je voudrais, confonnément à une tradition bien
française, remercier tout d'abord les personnalités qui
ont bien voulu apporter leur concours à cette manifestation et en premier lieu M. le Doyen Jean Boulouis,
Doyen de la Faculté de Droit et dèS Sciences Economiques qui malgré ses charges s'est déplacé pour nous
manifester sur place le soutien qu'il n'a cessé de nous
accorder tout au long de la préparation de ce colloque
et M. le Doyen Bernard Guyon, Doyen de la Faculté des
Lettres et Sciences Humaines qui de son côté suit de
très près nos activités en les aidant autant qu'il est possible de le faire.
Je remercie également le Professeur Trotabas,
Directeur de l'Institut d'Etudes Juridiques cl.! Nice, qui ~
bien voulu nous accueillir, le Commissaire Général au
Tourisme en la personne de son délégué M. Dumoll,
puisque M. Santeny nous donne son soutien moral en k
concrétisant matériellement, M. le Préfet des AlpesMaritimes qui nous a dit en quels termes l'administr'ltion préfectorale pensait le problème touristique, le
"
17
~
�Conseil Général ct la Ville de Nice qui nous ont aussi
honoré d'un concours très généreux; je voudrais encore
rem ercier la dll e d e Saint-Jean-Cap-Ferrat qui fort
aimalement nous a accueilli dans le cadre prestigie ux
du l\lusée I1e-dc-Fra nce, la Chambre de Commerce dont
le Président ~ Ioun o t nous a cxprimé le soutien, a insi
qu e le Comité dc Produ ctivité,
-,
Je voudrais spécia lc111cnt renlcrcicr les hô teliers
niçois c t surtout l'ail c m archante dcs hôteliers niçois,
car s'il est vra isem blab le, comme l'a affirm é M, le Prérct, que bien des p rogrès doivent encore être faits, nous
avons é té frapp és par la largeur de vue d e ces hôtelie rs
<lui ont refusé ce tte a ttitudE' dc secrct, trop sOll\'cnt traditionnclle dans les milieux économiques priv és, el qu i
n'ont pas hésité il nOliS donncr dans des r a pports détaillés les chiffres réels qui ca ra ctérisent leurs exploitations,
avec tous Ics risques qu e cela peut comporter ! La générosité de l'hospitalité offel'te par les plus dynamiques
d'entre e ux, MM, Agid, Augier, Monnot, Squarciafici et
Tschann il un gra nd nombl'c d e pa rticipants de l'extérieur appelle égaleme nt notre rè-Connaissance . Je voudrais aussi remercier chacun de nos 26 rapporteurs, le
Professeur Robert Guibeneuf qui nous a apporté le souticn du Ce ntrc Associé d'Administration des Entreprises
dc l\ice, c t cnrin M, Boycr ct Baret j e qui se sont très
largem ent donn és il l'o rga nisa tion de notl'c Colloque,
Je vo udrais très ra pidemen t rappele r pourquo i
l'Insti tut d'Adm inistra tion <les Entreprises a décidé de
el'éer en S a il sein un Centre cI'Etudes du Tourisme, Il y
a à cela bie n des raisons, l'nais je Ine pcrllle ttrai de n'e n
l'CtenÏI' que trois pri ncipa tes, Ell premier lieu il vient,
bien sûr, l'importancc du problèm e touristique SUI' le
plan régional. C'est un e don née é\'idente que la Côte
c1'Azur est Irès directcment liée au problèm e touristi que el qu'ainsi cct Institut d'Université se devait lout
natur ellement de s"y intéresser , Mon prédécesseur, le
Professeur Ta baloni, en a pris l'initiative, Sur le plan
du passé, sur le plan du présent, sur le plan du futur
la multiplicit é des aspects caractérisliqces du phénomène touris!i<[u e doit nous conduire il lloUS pencher.
dans le cadre objectif de l'UniYersité, sur ces phénomènes de voies de communica tion, d'infrastruc'ture administrative, de logèmenl, de l'cs tacl'ation, de distra ctions, el plus général em ent S Ul' l'ensemble des activith
18
�commerciales qui sont annexes à cette activité touristiqne.
Un deuxième facteu r est constitué pal' l'importance
des problèmes de gestion dans le cadre de l'exploitation dn pbénomène touristique. C'est là en core une
donnée d'évidence que l'Institut d'Administration des
Entrèprises qui. a pour vocation de se pencher sur ces
problèmes de gestion était tout naturellement désign é
pour étudier les problèmes de fonctionnement et d'investissement propres à l'Industrie rouristique : problème,
d'investissement à l'écbelon de l'infrastructme qui préoccupent en particulier les organes publics et anssi problèmes de l'investissemen t à l'échelon de l'entreprise.
Plusieurs rapporteurs nous font bénéficier de leurs
expériences à ce suj et puisqu'il y a eu beaucoup de réalisations, mais aussi de leurs proj ets car il y en a plus
encore.
~.
Une b'oisième j ustifica tion qui me parait pouvoÏl'
expliquer l'intérêt porté par l'Institut d'Administration
des Entreprises à la création de ce Centre d'Etndes du
Tourisme tient à l'importance des problèmes économiques généraux qui se rattachent à ce phénomène touristique. En particuliel' j e m e dois de citer le' problème
des « choix économiques» qui dépasse de très loin no"
fl'Ontières , et qni vraisemblablement est un problème
du siècle, ou au moins du milieu du siècle. celui de
savoir si l'ou doit privilégier la production, ou si l'on
doit privilégier le loisir. dans quelles proportions et au
bénéfÎC'è de quelles sortes de loisirs.
II y avait quelque chose d'impur traditionnellement
dans la promotion du loisir : il existait comme un péché
originel du phénomène touristique. Grâce à tout un
ensemble de factcurs, cette impureté s'est décantée si
bien, qu'au,iourd'hui le loisir a acquis droit de cité dans
nob'e morale comme dans notre hygiène. Nous pouvons
désormais considérer que le problème du choix entre
ces loisirs , qu'ils soient constructifs ou simplemeut instructifs pourvu qn'i1s ne soient pas destructifs, est
devenu un problèmc maj cUI' des pays développés. La
civilisation des loisirs est née à uotre insu et les problèmes qu'elle pose déjà ne sont rien à côté de ceux qui
yont naître et croître, Il convient de chercher à s'y adapter. En dehors du problème des choix économiqu es nous
19
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,
~
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,.
avons le problème de la réduction des coûts économiques globaux du phénomène touristique. M. Dumon a
attiré l'attention snr l'importance de cet aspect et au
conrs de nos travaux plusienrs interventions ont donné
une vue précise des constituants de ces coHts d'exploitation. Nous insisterons sur les applications et sur le,
limites de la disbnction classique pour les économistes
théoriciens eutre les frais fixes et les frais variahles :
nous insisterons par conséquent sur la recherche d'Ull
optimum instantané SUr le plan du fonctionnement et
SUr le plan de l'investissement, mais aussi sur la recherche d'une vce pics prospective dans le cadre de œttr
réduction des coûts économiques globaux . Nous avons
également à l'intérieur de cette importance des problèmes économiques généraux il considérer l'impact de la
majol'ation du Revenu Na tional. Cette majoration est
devenue un « dada » politique mais c'est un « dada »
qu'il convient de respecter; les exemples viennent d'ailleurs de très loin selon des voies variées et la contagion
dans ce domaine est souhaitable. Au fond, nous sommes
là encore confrontés avec un problème qui nous préoccupe tous puisque le tourisme suppose des moyens
financiers lesquels reposent sur une croissance du
Revenu National ct que réciproquement la croissance d!l
Revenu National ne peut pas allel' sans une croissance
dc l'Industrie touristique. Sur le plan local, nous avons
des obj ectifs très précis (lui nous préoccupent et qui tendent à considérer l'Industrie touristique non selùement
comme un facteu r de croissance du Revenu National
mais aussi comme un e partie prenant des fruits de cette
majoration . Dc plus en plus nous aurons la possibilité
de bénéficier de congés, de nous déplacer davantage et
il est vraisemblable que la fin de ce siècle se caractérisera essentiellement par ce fait, avec vraisemblablement un élargissement spatial. L'homme du xx m • siècle
finissant sera lin honwle de nlOllvcnlent nlême si, hélas.
il ne connaît plus guèrè l'usage de ses jambes. Les progrès de productivité autorisent nn élargissement simultané des revenus et des loisirs car ces loisil-s accrus
eux-mêmes engendrent le plus souvent de nouveaux
progrès de productivité. Ceci explique bien assez pourquoi, au mois de juin 1961, s'est constitué à Aix, au
sein de l'Institut d'Administration des EntreprÎses, ce
Centre d'Etudes du Tourisme dont les objectil"s sont
certainement de très loin supérieurs aux moyens. En
2Q
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a
ce qui concerne les objectifs, j e me limite preciser un
certain nombre de réalisations, notamment sur le pla n
de la documentation et sur le plan des enquêtes. Notre
Secrétaire Général s'est livré à Wl inventaire touristique il la demande de M. le Préfet Haas Picard pour
le département des Bouches-du-Rhône. Sur le plan du
perfectionnement, le Centre d'Etudes du Tourisme a Cil
le plaisir d'inaugurer il Marseille au mois de marS dernier lin Cycle de Perfectionnement qui a été suivi par
26 participants, ce qui, a de très loin dépa%é nos espérances. Ce Cycle s'est limité il une semaine compte tenu
dn fait que les pra ticiens ne pouvaient pas renoncer il
leurs activités professionnell es sept heures par jour pendant plus d'une semaine.
Une autre manifestation. celle qui nous est la plus
chère, s'inscrit dans la suit e imposante des rapports que
tant de spécialistes ont bien voulu proposer aux travaux
du premier Colloque de notre Centre.
Une dernière manifestation tombe dans le domaine
des projets. Nous désirons nous attacher à promouvoir
il l'échelon décentralisé de noire région qui me semblet-il est toute désignée pour cc type d'innovation, un
enseignement supérieur du phénomène touristique dont
le Commissaire Général Saiuteny m'a dit combien il estimait nécessaire l'instauration. Malheureusement si l'appui des autorités locales directement intéressées au développement de ce type d'enseignement nous est acquis,
car il est tout de même anormal que les meilleurs élèves
de l'école hôtelière de Nice soient obligés d'aller à Paris
pour en bénéficier, les moyens dont nous disposons sont
de très loin inférieurs à nos objectifs. Quant à ces
moyens, je privilégierai lèS moyens humains : ce sonl
ceux qu'il est le plus difficile de surmonter. Nous avons
la chance au C. E. T. de l'Institut d'Administration des
Entreprises d'avoir une petit équipe Si la quantité n'y
est pas la qualité la supplée largement : M. Boyer, M.
Baret je, un ensemble de jeunes chercheurs que nous
espérons pouvoir recruter devraient nous donner les
moyens, en utilisant très largement les concours externes, de pouvoir mener à bien ce type de programme.
Sur les moyens matériels, je serai plus discret encore
puisque l'Institut d'Administration des Entreprises est
direcfement concerné. C'est lui, qui dans l'état actuel
des choses fou mit l'infrastructure nécessaire. Des snb21
�""llfious officielles et des sullvculiollS privées dans le
caure de la taxe d'appreullssage s'y ajoutent et aussI
LIes ressources coutractuelles pow: l'Illstant encore
modestes, mais je ne crams pas d'allïrmer que nous
a vous la-dessus (les assurances qUl sont très récoufortantes à court terme.
L.ec; étant dit ùe la genèse ùu Cenlœ d'Eludes du
'rOUl'ISIll", je voudralS ajouter quelques Illots de celle du
L.ouoque pUIsque c est le SUjet qui nous préoccupe pIUS
hUeCtement. ~core une lOIS II s t!st agl en chOlSISsanl
nJce, (le lenUl'e 1l0lllDlage au conCOUl'S qUl nous etall
"l'l'or", par les autorItés locales, malS il s eSI agI aUSSl
"",-"";
tl afurmer la supenonle tlu :Sud-Est de la J:<'rance
comme loyer pratique <.le recherches touristiques. En
invitant tles speciallStes un;versllaiœs, des spécialistes
exerçant <.les responsabilites administratives et des pratICIens à se rencontrer dans cette ville, nous avons estimé
qu'il serait possilile d'étudier eusemble l'aspect saisoniller du phéuomene touristique et les couséquences écouomiques que cet aspect saisOlIllicr peut avoir sur le
plan de l'exploitation des entreprises intéressées. Les
economistes auxquels j 'ai déjà fail allusion qui sont des
gcns éminemment <.lisUngués, ont pendant très longtemps crû que le phénomène saisollllier et, pIns généralement, que le phénomène cyclique était un phénomène
absolument inévitable. Et puis on s'est rendu compte
après ces comportements d'acceptation passive qu'il n'en
était pas nécessairement ainsi. Ces économistes classique se sont mués en des icouoclastes. Hs ont réalisé
que s'il n'était peut être pas possilile d'éliminer parfaitement l'aspect cyclique dans l'ensemble du mécai:usme
économique, il était au moins possilile d'en réduire la
portée. Ainsi ont-ils cherché à maîtriser des rylhmes
défavorables en utilisant des techniques nouvelles ou en
reformulant complètement les conditions de fonctionnement des systèmes économiques traditionnels. La théorie des organisations qui est en train de se faire cherche à déterminer les conditions les plus harmonieuses
possililes de leur fonctionnement. Au cœur de cette
harmonie il se présente le balancement à établir entre
les exigences d'une régularité productrice et les nécessités d'une irrégularité consommatrice. Cet équilibre
optimum à définir entre les possiliilités et les limites de
l'homme et des groupements d'hommes d'autre part, ne
22
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peul reposer que sur une analyse préalable de toufes
les variables et de leurs relntions muluclles. Ce qui est
valable pOUl' l'économie générale l'est pour l'économie
louristique.
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.
C'est ainsi que notre colloque s'est PL'oposé essentiellement comme but de lenter un diagnostic, de recher·
cher l'impact du caractère saisonnier du tourisme sur
le plan économique, afin de proposer des remèdes il
ce type de difficultés. Cctte réduction des saisons qui
peut aller d'ailleurs, dc pail', ce n'est qu'une ironie de
langage, avec la cl'éation dc saisons nouvelh~s ou avec
l'extension de saisons anciennes, cette réduction des
conséquences économiques néfastes qui va également
avec le souci d'une adaptation des charges subies ou
d'une adaptation des services offerts, tous ces asp.!cts
nous conduisent à déboucher sur la recherche générale
d'une harmonie d'cnsemble qui se manifesterait il tous
les échelons. Bien entendu, les Pouvoirs Publics Cen. tl'aUX, les Collectivités Locales, les Entreprises Publiques et Privées, les Individualités elle-mêmes sont en
cause. Mais la complexité du problème, la prodigieuse
multiplicité de ses aspeels doit nous pousser à une certaine humilité. Il est évident que malgré la richesse des
conununicaliOlls qui ont été proposé.!s et l'intérêt des
discussions, nous n'arriverons pas il résoudre ce problème par un seul colloquc. Mais nous en sommes conscients, et c'est sans doute notre sauvegarde. Lorsque
tout il l'heure je formais le souhait de voir ce colloque se péréniseL' et prendre à son tour un caractère saisonnier, je sous-entendais qu'à force de traiter le problèlL'l'.!, à force d'analyser ses composantes, il force éventuellement de synthétiser ses conclusions, nous pourrions dans quelques années avoir nne vue moins trouhle
que celle que nous avons à l'heure actuelle de ces principanx aspects. Les 26 rapports dont nous disposons
sont la prenve la plus réconfortante du fait que nous
parvienldrons certainement il réaliser ces objectifs dans
un avenir proche .
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Le caractère saisonnier
du phénomène touristique
à l'époque aristocratique
et ses conséquences économiques
Ce rapport introductif n'entend pas traiter un tel
sujet, au demeurant trop vaste mais, à partir de quel ·
'lues constatations préliminuires, énoncer quelques-un,
des problèmes que ~-encontrera notre Colloque, soumettre il la réflexion quelques hypothèses.
1. -
NAISSANCE DU FAIT TOURISTIQUE ET Aj>PANTlON DE SON CARACTERE SAISONNIER
PREl\UER PROBLEME (1)
li convient d'abord de s'entendre sur la nature clu
phénomène touristique. « Voyage par curiosité et désccu"rement > (Littré), « loisil' impliquant migration > (au
langage des sociologues), il n'est point de tous les
temps, Beaucoup d'auteurs (2) qui ont écrit sur « li'
tourisme :i travers les âges » ont méconnu que le tou-
(1 ) Je ne peux qu'avancer ici. tres brIèvement, quelques-unes des
grandes hypothèses de ma. thèse de Doctorat de Lettres, en cours de
rédaction.
(2) Cf. René Duchet « Le tourisme à travers les âges », Paris-
Vlgot 1949.
27
-,
�dsme, le fait et le mot lui-même, est apparu il une époque déterminée, début XIX·· ; les précurseurs ne st:
trouvent guère qu'au XVIII· ·, époque des changements
de goûts.
L'ancêtre en est « le Graud Toul' >, (il), voyage culturel dont l'Italie est l'aboutissement préféré ; lè « Grand
Tour " déplacement individuel de quelques porivilégiés,
est un des faits les plus significaW's de la « modèrnité •
qui marqlfè l'époque débutant au XVI· · ; Montaigne fait
figure de véritable précurseur (4).
Mais le phénomène ne prend son développement
qu'au XVllI"'· et surtout dans la première moitiè du
XIX"'· ; e'est dire qu'il est contemporain des grandes
transfonnations du monde qui, sous le nom de .Rèvolulion Industrielle, Agricole... • ouvrent la « civilisation
industrielle» que nous connaissons.
Aussi bien, le tourisme comme le loisir ne pouvaient pas exister dans la civilisation traditionnelle où
l'homme, concilié avec lui-même et avec la communauté, accordé à la nature, ne peut rêver d"évasion individuelle. Une telle humanité, avaut le XVI Il'''· - mais
elle couvre encore la majeure partie du globe qui ignore
toujours le tourisme - n'a que des genres de vie; travail et loisir y sont mêlés dans la vie quotidienne, et
leur ryllune est imposé par la nature (longueur des
nuits) ; les hommes ne <!onnaissent que la « F-ête > qui
sert l'intégration à la communauté.
L'apparition du tourisme est un aspect de la naissance du monde nouveau que je ne caractériserai pas
dès l'origine, par le caractère industriel, technique, mais
par des sentiments et des modes d'être nouveaux ; l'individualité, l' « altérité » qui pousse à découvrir des
hommes, des mœurs que l'on sait autres ; tel est le
~
(3) « The Grand Tour » comme disent les ouvrages anglais du
XVIUe est le couronnement d'une éducation aristocratique .
(4) Comme le note justement Ch. Dedeyan « Essai sur le Journal
de Voyage de Montaigne », p. 35 « En fait. il institue ce Que nous
appelons le tourisme :1.
N'oublions pe.s toutefois que le premier mobile de Montaigne est
« thérapeutique » : il croit aux eaux : ni surtout que son voyage.
non destiné à la publication, fu t « découvert » à la fin du XVIUe et
édité en 1774 seulement !
28
�mobile de tous ceux qui, de moins en moins rares, entreprennent le « Grand Tour » et qui racontent ensuite
leurs voyages.
Mais - et là nous somm~s au cœur du problème ~
ce goût du voyage bientôt tourisme, se modèle en des
rythmes saisonniers. Certes, Montaigne et plusieurs de
ceux qui, après lui, font le voyage en Italie ou un grand
tour, s'absentent plus d'un an et peuvent se trouve ,·
passer les Alpes au milieu des difficultés de l'hiver.
Mais, dès 1606, J . 1. Pontanus (5) peut conseill~r de choisir Montpellier pour résider l'hiver qui y est, dit-il, très
donx.
C'est essentiellement a u XVIII"" que le tourism e (la
chose existe alors avant le nom) prend sa forme véritablement saisonnièl e ; cette coïncidence touristiqu e
méritait d'être notée : le tourisme est né saisonnier.
La « saisoll d'hiver » naît, à partir de 1750 environ
- car il n'est pas de prcuve certaine de vrais séjours
d'hivernants qui soient antéri eurs - dans quelques vil.l es spécialisées : Nice, avec l'arrivée de Smolelt ; M.
Hildeshein1er nOLIs en dit le succès asscz rapide. Hyères,
cn Provence, est sans donte aussi ancienne (6). Montpellier pent-être plus ancienne encore, célèbre par sa
Fa cnlté de Médecine : le séjour d'un hiver y est recommandé aux futurs m édecins comme aux riches maladcs
de toute l'Europe ; Sterne ( << Voyage scntimental » 1768)
parle d'une société anglaise d'hivernants à Toulous e :
et A. Young en 1787 dit que les An glais préfèrent Béziers
il Montpellier. Mais Pau (au témoignage de 1\1. Duloum )
n'est point encore fréquenté ; ne le sont pas rlavantage
les bourgades dela Côte de Provence et dn Comté appe·
lées à la r enomnl ée, au XIXm.. ,
Au contraire, plusieurs villes d'Italie (Rome.
Na l'les) son 1 choisies comme r ésidence d'hiver, pou r
ceux qui, comm e H. B. ci e Salissure (fulur conquérant
(5) J ean-Isaac Pontanus, savant hollandais. auteur d'un « I Linera rium Gall1re Narbonensis ».
(6) P our Nice, voir « L'Histoire de Nice ». T. l de M. le Doyen
Latouche. - J e renvoie pOUr Hyères à ma communication sur « Hyeres, stat ion d'hivernants au XIX ~ » publiée dans « p rovence Histor ique» 1962. - N o spéCial,
-
•
;'
29
�du Mont-Blanc) en 1771/ 72 et 72/ 73, veulent rétablir
'leur santé.
L'été. cette très petite société qui voyage, prend
volontiers les eaux . Certes, le thennalisme est plus
ancien, et les siècles précédents dont ceux du moyen
âge, avaient un bon nombre d' « aquœ > utilisées par
une population surtout locale, venue y trouver remède il
toutes sortes de maux, devant lesqnels la médecine d'alors était impuissante; au XVIII m" de la masse des sources surgissent quelques stations que la mode, beaucoup
plus que la thérapeutique, pousse à fréquenter : pour
une certaine société, il devient de bon ton de paraître.
l'été surtout, à Bath « le Spa de l'Angleterre, mais pili s
commode et plus magnifique» nous dit Du tens (7). Ba 1h
reçoit alors 12.000 visiteurs par saison (8) .
>,
Quelques stations de la zone rhénane jouent sur le
Continent un rôle analogue, quoique moins brillant :
Spa, Baden, Pfeffers en Suisse ; en France, ce serait à
il un moindre degré, Barèges ou Bagnères dans les Pyrénées (9) ; mais aucun ~ n'u la vogue de Bath. Diderol
note malicieusement, à propos de Bourbonne, quc ce
sont encore « villes de malades • .
,
"
« Le séjour de Bourbonn e est déplaisant... quand
« on en est sorti, il est rare qu'on y revienne ... Si les
e habitants entendaient un peu leur intérêt... ils feraient
« un lien dont le charme pût attirer m ême dans la sanl é.
« C'est ainsi que les Anglais l'ont prati([ué à Bath où
« les hommes vont se distraire de la maussaderie de
« leurs femmes et les femmes de la maussaderie d e
« leurs maris et où, tout en buvant les eaux, on rit, on
« cause, on danse et on arl'ange d'autres amusements
« plus donx . • (10).
C'est Bath qui paraît bien avoir créé une antre
(7) Dutens «
~1 émoi res
d'un voyageur qui se re!)Ose " T .
n.
p. 147.
,
(3) Selon Lickorish in « Trans port and Toul'ism » art. in cr: Frcm·
dem'crl:ehr ln Them1e und Praxis ». p. 111.
t9) Cf . Dusaulx « Voyage i'.. Barèges et:. da ns les Hautes-PyrénéeS
en l788 ». Paris 1796. 2 vol.
(la) Diderot « Voyage il Bou rbonne » in Œuv res ed. Assezat,
T . XVII. p . 346.
30
�manière de voir l'été pour le « milieu aristocratique •.
Celui-ci jusque là, s'il quittait l'été la capitale (en Franee il s'agirait de quitter la Cour à Versailles) c'était
(Jour gagner la relative solitude du château ou manoir
campagnard ; une certaine fonction économique (la
surveillance des rentrées de récoltes) était, par là-même, assumée, et notamment en France dans les milieux
de la noblesse parlementaire provinciale, riche de
• maisous de campagne • et de « métaieries '. (Bordeaux, Grenoble, Aix-en-Provence ... )
A partir de 1705 environ et pendant tout le XVIII'.
Bath reçoit, l'été, toute une société aristocratique : noblesse, écrivains de renom, la Cour même qui en fait 1..
capitale intellectuelle et sociale temporaire de J'Angleterre ;, la vi'~ n'y est qu'une suite de plaisirs ; la ville.
très belle réussite « classique >. que M. Lavedan cite
{'n exemple (11), répond à la fOllctioll de ville de .Iai.<011 où tout est ordonné autour de « squares >.
Le caractère saisonnier du fait touristique ail
X VHI' sc limite il ce double aspect : quelques villes
·d·cau il fonction mon<laine, estivale ; quclques villcs ct
bourgades méditen-anéenues recevant des hivernants
relativement malades ; le « Grand Tour. réalisé une
ou deux fois dans la vic de « gentleman» ignore SOllvent le rythme saisonnier; la découverte de la montagne est, au XVIII', fait trop récenl '<!t trop limité pour
quc l'on puisse parler de SéjOU1'S <l'été (12).
Au demeurant, le caraclère saisonnier de ce « puléo-tourisme • (si j'ose dire) ne parait pas avoir entraîné de conséquences économiques ; aucune combinaison de professions touristiques n'existe entre les deux
types de stations, ni même entrè les deux types de séjour; il n'y a pas de station thermale proche des villes
d'hiver, bien que Smolett ait envisagé cette possibilité (13).
(11) P. Lavedan COllSacre à Bath un chapitre du tome II de sa
belle « Histoire de l'Urbanisme •.
(1) Fin XVIll". les visites aux glacières de Chamonix ne constituent que de brefs déplacements. a. partir de Genève.
(13) Smolett (ed Pilatte. p. 150) consacre une page aux eaux de
Roquebillière ; si elles étaient accessibles et dotées de logements. il
conseillerait aux valétudinaires d'y passer l'été, ils redescendraient
l'hiver ~ Nice ; ce conseil ne fut pas écouté.
31
�II. -
LES RYTHMES SAISONNIERS DU TOURISME
ARISTOCRATIQUE AU XIX~ ·.
Le tourisme aristocratique va développer, au XIX',
ses rythmes saisonniers, dans les directions esquissées
dès l'origine, au XVIII'.
A partir de l'époque du Second Empire, grâce au
progrès économique général et au développement des
chemins de fer, le mouvement a pris aSsez d'ampleur
pour qu'il soit possible d'évoquer ses principaux rythmes; ce que nous ferons de façon très S<'hématiquc :
L'houer
sejours longs dans les villes spécialisées
de la Méditerranée. La saison dnre d'octobre à mai, pnis tout est déserté. Nous
y reviendrons.
L'élé : qualre types de séjours principaux
- les slalions I.hermales ont la part principale. La
qualité des eaux, leur spécialité comptent moins pour
la renommée des stations que la présence des jeux, les
I>laisirs, la venue de monarques ou princes royaux (14) ;
les stations les plus réputées sont au Nord de l'Europe:
Spa, les stations de Rhénanie ou de Bohême, mais non
plus Bath qui décline ; en France le Second Empire n
fait des lancements : Vichy, Aix-les-Bains, Plombières.
Ces stations thermales ne sont animées qu e de juin ù
septembre; les séjours ou cures durent habituellemen t
21 jours ou un mois.
- les slalions de bains de mer. i.J~s guides et trai·1
lés du XIX' les assimilenl au thermalisme ; c'est la -.. ,,leur thérapeutique de la balnéation qui compte ; il
n'est guère question de nage ou de jeux de plage, encore moins de bains de soleil. La Manche surtout et CC"·
lains secteurs atlantiques ont des stations réputées_
- La monlaglle attire maintenant pour des séjours
d'été ; la montagne c'est-à-dire la Suisse qui englol>l',
(14) Je renvoie à ma « Contribution h l'Hi'it..oire rlu thermalisme
en Savoie de 1860 à. 1914 ».
32
�dans tous les guides du XIX', toute la Savoie. Stations
au demelll'ant peu nombreuses, au cœur des grands
massifs de l'Oberland ct du Mont Blanc (Chamonix)
séjours courts et public finalement limité.
- L es 1 ésidellces campagnardes. La grande majorité de ces oisifs touristes vit de la rente foncière; ellc
aime à setrouver sur ses terres, à chasser ; la gentry
britannique apprécie celte vie de château (15), Dans la
dcuxième moitié du XIX' , la bourgeoisie prend des vacances dans ses maisons de campagne.
Les saisoll.' intermédiaires (printemps, automnc) ne sont pas à l'écart du rythme saisonnier du tourisme aristocratique. Si le principal séjour, celui de
t'hiver, s'effectue au bord de la Méditerranée, l'essentiel des touristes ou bivernants vient de l'Europe du
Nord . Une partie des migrants, à l'aller ou au retour,
au printemps d'ailleurs plus qu'à l'automue, s'arrete
pour des séjours qui peuvent atteindre un mois, au bord
des grands lacs alpins, lacs de piédmont, Lémau, Anne'cy, et surtout lacs italiens ; la douceur de la tèmpérature contraste avec les somm ets neigeux, la floraison
est lnxuriante. Jusqu'à la crise économique de 29, des
stations comme Stresa ont conservé ce tte primauté du
printemps.
Une partie des touristes utiiise aussi .ces saisons
intermédiaires ponr des voyages plus lointains : l'Italie,
mais aussi, à partir de 1880 environ, l'Afrique du Nord ,
l'Egypte touristiquement lancée par Cook, la Grèce qui
connaît avec les fouilles de Schliema nn, un r enou\"ea u
d'intérêt.
C'es t au printemps aussi que certains de ces touris·
tes aristocrates résident à Paris, notamment ceux qui
viennent de l'Est de l'Europe. Ou bien à Londres ; les
Anglais, lni-avril, y sont r evenus pour la « season »
qni dure jusqu'en Juin et anim e la ville de fêtes con ti nuelles.
·
j'
(15) Que J. Chastenet décrit très heureusement, il. l'épcque vic·
tOl'ienne.
33
~
�A la limite, certains de ces oisifs aristocratiques
sont touristes toute l'année ou presque; vivant de leur;
rentes, ne souhaitan t pas résider dans leur pays (cl
c'est particulièrement le cas pour des groupes aristocratiques de l'Empire tsariste fin XIX' ), ils ne conçoivent
pas cie se fixer en une résidence oisive. Leur vie est un
perpétuel nomadisme clont les saisons ryUlll1ent le
m'o uvenlent.
Beaucoup ont pratiqué ce nomadisme quasi-permanent. Ainsi, ln famill e BashkirtsefL entre 1872 ct
1882.
« Mon genre de vic : emballer, déballer, essayer,
achetèr, voyager. Et c'est toujours ainsi > note Marie
dans son Journal. Plu s ins table encore, l'impérair;Cf'
t:lizabeth (f A utriche ne revient dans son pays que pou,'
la corvée des fêtes officielles (à la fin de l'hiver) ou le
plaisir d e la chasse en Hongrie (à l'automne) ; tout le
reste de l'année la voit errer dans les diverses stations
méditerranéennes (de Madère à Corfou), gagner au
printemps l'Angleterre ou l'Irlande, sejourner l'été
dans les stations thermales ou balnéaires, en Bavière.
sur les rives du Léman ; clIe ne cherche pas le mond t,
mais la solitude et pourtant sa présence sert le lancement des stations (ex . du Cap Martin).
i
~
Une génération après, Valéry Larbaud sous Je nOIll
cosmopolite de Barn abooth, raconte sa vie de voyageur
perpétuel, riche des reven us très assurés des ea ux ( li"
Saint-Yorre, ct chante les trains de lux e et les pAlaces.
cadre de vie cie tous ces oisifs .
Ceux-cj~ é ternels voyageurs, n'itnagineraient pOUH
ùe fixer leur résidence, ni Inên1e de s'écarter, sauf exception, des rythmes saisonniers qne la mode impose.
Qui oserait dire alors qu'il était il Nice, l'été ! (16).
•
(l7l Pa:-mi tant d'anecdotes, celle-Ci que raconté Louis Bertrand
dalls « La Riyiera que j'a.i connu e ». p. 161 (fin septembre 1903. il
rencontre place Massena Jean Lorrain. l'écrivain cosmopolite de la
côte : cc dernier feint de ne pas le voir ; « il n'avait aucune envie
de se faire voir à Nice à une époque aussi inélégante » ; surprise, il
avaît les che'i"cux poivre et sel. « Je repose mes cheveux, voilà tout...
eu t Lorrnin. Dans trois semaines . vous allez me voir blon d comme
les blé.5 »).
34
�Il faut que tous les équipements, les hébergements
en particulier, s'adaptent à ces rythmes si fortemen l
saisonniers des migrations du tourisme aristocratique.
et notamment à la saison d'hiver qui est prépondéJ'an.
te, tant par sa durée (d'octobre à mai) que par l'impor.
tance des déplacements qu'elle suscite. C'est elle qui, il
travers une concurrence effreinée, entraîne le dévelo pp ement de véritables villes. Toute une littérature médicale spécialisée traite de « l'usage de l'hiver dans le
Midi , (17). La température, lcs vents, l'hygrométriP,
autant d'éléments qu'il faut soigneusement peser et q ui
font successivement le succès de telle ou telle station.
La phtisie d'abord - et ce, jusqu'à ce que soit modifiéf'
la thérapeutique de la tuberculose - mais aussi le lymphatisme, la langueur et autres maux aussi incerta in-;
sont justiciables des séjours dans les villes d'biver.
"
Elles ne sont pas encore très fréquentées en 11\60 ;
le Centenaire de l'Annexion a été l'occasion de faire le
point (18) ; 1680 familles à Nice dans l'hiver 61/62 (selon la statistique Roux) eu font la plus importante , tation d'hiver, bien avant Hyères (400 familles environ ;
800 en 63/ 64) ou Cannes (300 à 400 familles) _ Pau est.
ailleurs, la principale rivale ; car, sn I' la Riviera, Monaco ne compte pas encore et Menton pas dava ntage.
Mais Monaco, uvec le lancem ent du Casino de
Monte-Carlo, ~fenton avec l'afflux d'une clicntèle anglaise conva incu e par les nombreux écrits de médecins
britanniques vont pr ogr esser considérablem ent dans Jes
années snivantes, de m ême que Nice et Canncs ; Hyè res
fait beaucoup moins d e progrès, a u contraire.
S'il nous faut désigner une da tc-charnière dans k
développement de ces stations d'hiver , nous avancer ions
1880, début de la grande périodè de progrès qui dura
jusque vers 1905. 1880 ne correspond p~ s aux eouplU'~s
politiques et militaire" (1870) ni à la rupture de pente
0 71 Pour reprcnclrc l'heureuse expression du Dr Jalles, auteur
du célèbre « G:,üde pratique rn=~ bains de mer et au:-: stations h:vernales
•
••
».
~aris
1872.
(18) Cf sur Nice « le Memorial du Centenaire ». et le numéro
special de Nice Hist-orique - sur Cannes les D.E.S. de Mlle Nelissano
et de Mme Borgialle - su r Hyères mOn étude « Hyères. station d'hi·
n~ rna n t s (XIX) l>,
35
�(1873) des grandes phases de hausse et de baisse des
prix. J'ai pourtant le sentiment qu'en matière éconumique et sociale, et pour le développement du tourisme,
les années qui suivent 1880 sont décisives. Ce que j'ai
montré pour le développement du thermalisme en Savoie (19) me paraît vrai aussi pour la Côte-d'Azur (20).
1880 ce n'est pas seulement le Carnaval institulionnalisé ; eneore que la transformation de la Fête traditionnelle des Niçois en une attraction l'OUI' touristcs étrangers ne soit pas dépourvue de sens ; c'est la création
de la série des grands hôtels réservés à la clientèle aristocratiqne d'hiver. 1880-85, ce sont einq ans d'une spéculation foncière inouïe qui montrc l'intérêt de grollp"s
capitalistes pOUl' le lancement des stations d'hivel.
-.
;;
~
,
~
De Saint-Raphaël il Menton et jusque SUl' la Riviera Italienne, ·achats de terrains, pel'Cèments de houlevards, construction d'hôtels ct villas sont entrepris avec
fièvre pal' des sociétés foncières et immobilières nées il
cet effet, dont heaucoup épbémères ne survivent pas il
la dépression de 1886 ; la plus importante est la Société Foncière Lyonnaise (21) créée par le Président du
Crédit Lyonnais, Henri Germain, un hivernant fidèle
de Nice; on peut dire que son activité est à l'origine du
développement de Cimiez, de celui du Cannet de Cannes ; mais, à pal·tir de 1886, la filiale ne vit que des
avances de sa puissante maison-mère ; trop de spéculations. comme celles de Bordighera, ont été des échecs.
Il n'empêche que l'éla n é tait donné, dont toutes
ces villes allaient bénéficier. Y e n a-t-il meilleure pl'ell-
~
(19) Cf. ma communication sur « Le thermalisme en Savoie ».
(20) Je rencontre ici l'appui pl1!cieu.x de M. Tschann qui. dans un
rapport pour les Fêtes du Centenaire. place aussi en 1880 le début de
la grande croissance de Nice.
(21) Dont j"ai pu étudier certaines archives. M. le Professeur
Escarra avait attiré mon attention sur le rôle personnel de Henri
Germain. La thèse de M. Bouvier sur « Le Crédit Lyonnais» a montré
la politique de cette Banque vers 1880 ; riche de liquidités, elle en
cherche le réemploi dans des spécalations foncières opérées par filiales. Mais on vit t!·op grand ; la clientèle d'hivernants était encore en
nombre trop limitêe et atteinte clans ses ressources (krach de 1882... ) :
de nombreux terrains n e trouvaient pas preneur; ainsi la S.F.L. garda
ceu.'X de Bordighera achetés en 1880-82 jusque vers 1950 ! L'exposé de
M. le Doyen Latouche montre que le développement de Cimiez s'est
effectué avec plus de lente1.JI",
36
�"c que la courbe démographique de Nice el du Liltorai
entre Nice et Menton. rigoureusement ascendante de
1l!80 à 1911 (22). C'est dans cette période que l'essentiel
de l'équipement hôtelier de la Côte est créé dans presque tous les grands hôtels ; ces hôtels, mais aussi ccs
restaurants, ccs commerces ferment J'été, mais la saison d'hiver est assez longuc pour assurer leur rentabilité, el occupe assez de monde pour que le tourisme soil
le \Tai moteur du développement démographique.
C'est dans celte péJ'iode que se fait vraiment la
répulation de celte r égion spécialisée ; son nom de
Côte-d'Azur, lancé par Stephen Liegeard, alors s' impose
auprès d'un public extraordinairement cosmopolite.
Vers 1900, H. Sienkiewicz (2:.1) évoque l'arrivée à MonteCarlo de « train bondé de voyagcurs de toutes les natio ·
nalités : Polonais, Russes, Anglais, Français, Allemands ..
tous animés dc l'espoir et du plaisir du jeu • .
A la même époque, Jean Lorrain doit sa grand"
lequel il
'peint la société d'hivernants.
rcnOlnnlée au brio 1I1l peu cliLlC[l1ant, avec
« Quel choix de princes et dc princesses ... les vrais
ct les faux ! Que de Majestés. les régnantes ct les déchues, « celles en exil •. les déposées et celles à la veille
de l'être !
.... toutes les unions morganatiques, toutes les anciennes maîtresses d'cmpereur, tout lc stock des exfavorites ! et dèS croupiers épousés par des milliardaires yankees et des tziganes enlevés par des princesses
ct des ex-marmitons devenus secrétaires de princes et
des pianistes déconcertants pour tous les concerts intimes ... des artilleurs aimés par de grandes altesses, des
cocbers pour baronnes moscovites et des alpins pour
boyards nihilistes, théosophistes et voyageurs, et làdessus quel inénarrable lot de vieilles dames !. ... (24)
Les listes de ces « voyageurs de distinction » dressées par les autorités de police ou publiées pal' les jolJl'-
(22) Cf. Raoul Blanchal'd « Le Comtê de Nice », p. 111.
(23) H. SienkiewiC1 CI: sur la Côte-d'Azur lt.
(24) Tiré de Jean Lorrain « La nostalgie de la beauté ».
37
�uaux de salson, donnent-dies raÎson il j'ecrivain ? J'ai
patiemment relevé leurs noms ponl' obtenir ùes statistiques ; j'en donne ici quelques-unes fondées SUl' cl cs
listes saus lacunes.
HYERES (25)
F rança iS
Anglais
51 t;"~
Hiver 1880/ 81
1836 '87
Au !res pays
9 ".,
9(-é
40%
44 0:',
47 ~{'
par situat ion
P roprié_ Off.
Lau'cs + Sup.
M in .
rentiers
culte
1880 81
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du
Magis.
Fonet.
Ir;
2c:';-
Parle m _ N eg oc. Divers
Avocats B anq.
Médecins
3.5r;'
2.5 'ï:
:::: ~"
NICE (26)
Répartition pa r natio!1alités
·;e~f.' 1 G.R. _1~ ~
"," '- -;'
__
Hiver
87' 8<1!
95<;;
94/ 95 / 957.
AbU ·B ~ SalUt
IItalIe a.S.A
Divers
1 31,.
28%
9%
4%
2,5%
2<;.
4 jô
11 %
1O,5 K
1
20T.
12%
5%
9 %
2%
16%
IG%
12 'l
18,l
Sur les listes de Nice, répartition des noms.
Hiver 94 / 95
Mr seul
-------
M lIIt',Mll
seule
:Mt+ MUe M.+enI. Mr + Mm Famille
Répartitoin
des 1W'P1/'s
41 %
22 %
2 ?c
2%
27"/c
6%
des personnes
29 %
14%
3"
3 <'
36 %
15%
"
,.
Le nombre de personnes par « ménage » d'hivernants s'élève à 1,4 seulement tant est grande la part dcs
femmes ou hommes seuls et faible 'Celle des familles.
<
(25) Blblioth. Municipale d'Hyères : Notes d'étrangers et c HyèresJournal J ,
(26) A, Dép , Alpes-Maritimes. M. Voy . de distinction.
58
�MENTON (27)
\
~ç
._-,--._-Rêpnrtition par nation (sans les Français)
des
renl
G.B.
Ali.
Aulr. · B. Suisse
-
Hive:
87 88
8 2 '~
55',;'
18' ;.,
2' ,
94 95
96
62';
:l:!';.
G' ·
f
U.s.A.
Divers
- - ---- ---11 1ft,
2"'c
5""
5 ~il
Ces statistiques - qu'il n'est pas lieu de détailler
ici - confirment du moins la prépondérance des clientèles étrangères, notamment anglaise, mais aussi américaine, russe ou venant de l'Europe du Centre, le
grand nombre de personnes seules - enfin la majorité
écrasante de rentiers ou propriétaires-rentiers. Quant
aux 10 ou 15% qui indiquent une profession ee ne sont
pas hommes participant au développement industriel
et eommereial de le ur époque, mais gens liés par leur
état à celte société aristocratique: beaucoup d'officiers
qui se reposent sans doute de campagnes surtout outreMer, des membres des divel's clergés, des bommes de
loi. des parlementaires, des m édecins ...
CeUe société aristocratique ne conDait la Côte que
l'hiver ; l'été elle la fuit. Sous le Second Empire, alors
que sont lancées les stations de la Manche et de l'Atlantique, eertains efforts tentent d'attirer des touristes sur
la Méditerranée, l'été (28) . Les résultats nous paraissent
avoir été très modestes, intéressant une clientèle locale;
la grande clientèle d'hiver ne voulait ni rester, ni revenir, persuadée que le climat était !t'op chaud, que la
Méditerrané<!, sans marée ni vagues, n'avait point
valenr thérapeutiqne.
(27) A, Dêp. Alpes-Maritimes. M. Voy. de distinction. - La répartition par nations ne porle que sur les étrangers.
(28) Ils concernent notamment Cannes où Brougham et Woodfield publient la brochure « Une saison à cannes » : Nice où tous
les écrits médicaux d'alors (D. Rouhaudl, Dr Wahn .. ,) soulignent la
douceur de l'été ; Monaco (cf. le nom même de la SOCiété des Bains
de mer... ) ; Juan~les-P1ns, Menton : Salnt~Raphaël dont l'Annuaire du
Var vante régulièrement la. plage ; il Hyères 11 y a même de grands
projets Que J'al présentés dans « Provence Rist. » ; MarseUle surtout
possède des établlssements de bains de mer.
39
�l:alsons la parl de la négligence des habllanls COII duisant à l'échec de nombreux projets, ct de lenr satisfaction de se retronver senls après le passage des étrangers (29) ; les hivernants, an contraire, ont le sentiment
qne la Côte, l'été, n'est plus pour eux (30). De 70 à 1900,
"oire à 1914 il n'est plus guère question de bains de mer
sur la Côte Méditerranéenne (31) ; il faut attendre que
se produisent, surtout après 1914 changements de structnre et de goûts ponr que la vogue des bains de mer,
au soleil, apporte la grande modification du rythme
saisonnier touristique.
"
UI. -
.
CONSEQUENCES ECONOMIQUES DU CARACTERE SAISONNIER ABSOLU DU TOURTS~IE
ARISTOCRATIQUE.
Le premier ressort de l'économie géographique :
le tourisme multi-saisonllier de l'époque aristocratique
a entrainé l'implantation discontinue de stations tandis
que le tourisme de masse contemporain tend à se dilucr
dans de vastes zones ou li lier, par une occupatiou continue les stations isolées de la Côte-d'Azur. Ces stations
aristocratiques étaient des villes nouvelles, même s~
elles se juxtaposaient à d'anciennes localités ; LOUS lc~
exposés historiques de ce Colloque soulignent le car"etère de « villes à part » des créations aristocratiques .
Les « colonies étrangères » soucieuses d'être à l'écart
de la vie indigène, ont d'abord créé des faubourgs : lu
(29 ) Comme ra bien noté Paul Arenc dans « Au bon soleil »
1881 - « Nice. depuis deux jours - m'appartient - Nice vraiment
belle aujourd'hui mais dont la beauté disparaît tant Que les étrangers
grelottant envahissent ces promenades ».
(30) Marie Baskkirtseff, le 3 juin 1873, l'observe dans son
Journal a Les étés à Nice me tuent, il n'y a. personne, je suis prête à
pleurer, enfin je souffre. On ne vit qu'une fois. Passer un été à Nice,
c'est perdre la moitié de la vie ... Oh ! si maman et les autres sa.vaient
combien cela me coûte de rester ici. ils ne me garderaient pas dans
cet affreux désert ».
(31) Le nom même de la. S.B.M. devient sujet de plaisanterie pour
les nombreux distracteurs du Casino de Monte-Carlo.
Si, après 1872, se développent Palavas et Valras, c'est qu'elles se
trouvent sur cette côte Languedocienne ignorée des hivernants, à
proximité de deux villes Montpellier et Béziers auxquelles leur sort est
lié : la prospérité ou les difficultés de l'économie languedocIenne
expliquent les à-coups de leur développement.
40
�l:roix de Marbre à l\iee dès la fin du XV[(j' ; à Canlles,
de part et d'autre de la colline du SlIqnet ; a u pied -:le la
yieille ville à Hyères,
r
Puis elles ont recherché les siles fonclionnels :
autour des parcs où se trouvent les établissements thel'maux et les buvettes (à Vichy-Uriage .. ,) ; dans les meilleures conditions climatiques pour les stations d'hiver,
11 y eut d'abord, vers 1870-90, l'engouement pour certaines collines abritées et bien ensoleillées : Cimiez et
quelques au tres collines (Mont Boron .. ,) autour de Nice,
la Californie au-dessus de Cannes, Valescure près StHaphaël et Costebelle près Hyères rivalisèrent pOUl'
attirer les hivernants aristocratiqnes, mais il semble que
le succès même de -ces sites suscita chez les élémen ts les
plus 'èn vue, anglais en particulier, le besoin d'en « inventer» de nouveaux : les Caps d'Antibes, Ferrat et
Martin devinrent les presqu'îles de riches rèsidences
qu'elles sont restées, d'aillenrs, jnsqn'à nos jours. 19061912 fut la dernière Yague de créations; les palaces de
bord de mer ; des andacienx (étrangers à. la région sr' Ilon à la France) créérent en quelqnes années les grands
hôtels de la Promenade des Anglais ou de la Croisette,
détrônant, ""ant qu'ils ne soient amortis souvent, les
palaces des Collines; non pas qu'ils aient pressenti les
bains de mer, mais parce que la clientèle pllls mobi le
et pIns « mondainè » désirait la proximité du Centre ct
appréciait la vil e directe snI' ln mer ct ln Promena<le.
Les sites fon ctionnels se )'etrouvent en monlagne, soit
comme points de départ des grandes ascensions : Grindelwald, Zermatt, Chamonix, Pralognan, soit comm e
stations de cure spécialisées et notamment vouées pal'
les positions en balcon, au traitement de la tuberclllose
(M. Tisso~ évoque, pour nous, le passé de Leysin), soit
comme hôtels-belvédères.
Le tonrisme saisonnier aristocratique a eu, d'autre
part, des conséquences démographiques très inégales.
La saison d'hiver, parce qu'elle entraîne des séjours
fort longs, fnt démographiquement très favorable. Le;;
progrès démographiques des villes d'hiver de la Côtc
d'Aznr - nons avons cité les courbes données par
Haoul Blanchard - sont considérables entre 1880 et
1911, soit dans la période qui voit le grand développement du tonrisme saisonnier d'hiver ; au contraire, 11
~
;,;
41
�y a pour Nice eutre 1906 e t 1!J21 moius de progrès d,
"
pour le littoral Est, entre 1911 et 1954, stagnations. pai'ce que la saisou d'hiver décline, dispa ralt presque, sans
être r emplacée sur le littoral Est, conmle à Nice, par
des activités économiques diverses qui compensent.
Au contraire, la région de Chamonix et du Mont
Blanc a plafonné, au point de vue démographique, pendant tout le XIX- (32). Pralognan, seule station d'alpinisme de la Vanoise décline depuis 1858, son maximulll
démographique (où elle avait 1313 hab.) C'est que le
tlux de touristes, alpinistes est concentré SUI' "une période très courte de l'été. Une saison estivale plus longue,
uue clientèle plus stable paraissent favoriser les SUttions thermales ; mais la courbe démographique ue va
pas au-delà du progrès modeste (cf" l:Irides) si ne s"y
ajoutent pas des activités de style industriel (expéd' ·
tions d'caux minéral es) qui occupent la main d'œu\'J'c
(Vichy-Evian) .
Peut-on Lmnsposer daus la situation actuelle !t:s
constatations faites pour l'époque de tourisme aristocratique ? De nombreuses études faites à l'lnstitut d~
Géographique Alpine" dont Madame Veyret nous donn~
la synthèse, montrent un comportement démographique différent des communes qui nè reçoivent qu'un
tourisme estival, tourisme de masse, concentré sur l'ne
courte période et de celles qui sont stations de ski ;
elles seules marquent récemment un net progrès. Les
stations de sports d'hiver sont les seules qui, aujow'd'hui, connaissent une saison r elativement longue
(décembre-avril) , et qui ont une fréquentation aSSèZ neltement aisée, Ne seraient-elles pas la transposition de
ce que furent, au siècle' dernicl', les villes d'hiver de la
Côte?
A travers les exposés hôteliers de ces journées,
transparaissent les conséquences, au niveau de l' cntreprise d'hébergement, du caractère saisonnier du tourisme aristocratique, C'était d'abord des hôtels qui fermaient une grande partie de l'année ; et ceci E'M ";rai
aussi pour de nombreux restaurants et commerces, l.es
entreprises étaient conçues pour de longs séjours et lIlI e
-,"
"'.
(32) Comme le souligne 1& thèse récente de Paul Guichonnet.
42
�clientèle de fidèles revenant chaque année : tout déctll: le de là. Une implantation sur des 8)<es de circulation
n'est pas nécessaire ; elle n'est peut-être pas sonhaitrtble ; aussi bien, jusque vers 1900 (début des palaces
nouveau modèle), l'hôtel peut être implanté sur On tel'rain qui n'a - relativement - pas coûté très cber ;
cet avantage 8 disparu avee le tourisme de masse. M.. is
il faut par contre que l'hôtel soit bien exposé (vue soleil-, qu'il soit entouré de jardins. Il faut qu'à l'intérieur ne soit pas négligé le « comfort ~ (le mot est habrtuellement écrit à l'anglaise au XIX' ) notion qui Il''
s'applique pas aux installations sanitaires (dIes sont
rudimentaires) mais surtout aux « parties .communes.:
halls, salons, salle à manger ... Le service doit être très
soigné, mais la main d'œuvre est, alors, peu coûteuse.
1
Emettons ici une hypothèse que ce Colloque d
d'autres b'avaux seront appelés à vérifier : l'hôte!, au
temps du tourisme aristocratique, ne présente pas de
difficultés réelles de gestion financière ; les problèmes
. essentiels pour lui sont à l'origine la mobilisation d'itr.portants capitaux puis le lancement publicitaire d.:!
l'établissement (33) ; diriger un hôtel, alors, ne demande pas de bien connaÎb'c l'administratioll d'une entreprise, mais de savoir /' accueil : dans un hôtel de 150 il
200 chambres l'hôtelier, comme ainIc à le rappeler M.
Tschann, pouvait connaître lous ses clicnts (400 au
maximum) ; r arl était de satisfaire leurs habitudes.
voire leurs manières (34) de vanter leurs goûts culinaires (35) . L'ordre de gravité des prohlèmes serail, aujourd'hui sans <loute inversé.
Le rythme multi"saisonnier du tourisme al'islocnli
tique, par son caractère permanent (les goûts ne chan geaient pas vite dans cette société relativement stable)
devait permettre une remarquable adaptation des di-
(33) L.':\ lecture de la presse de saison au XIXt m'a montrê la
pInce. qu'on a de la peine 3. imaginer aujourd'hui. Que tenait la publicité des hôtels de tourisme : la réclame pour ies stations n'en est
qu'un appendice
1
(34) L'exposé de M. Biglia témoigne de cette prêoccupation permanente.
(35) La fin du XIXe et le début du XX t furent aussi, dans l'bôtellerie, l'ère des selt-made men ; beaucoup commencèrent à la cuisine. pUis devinrent « chefs» avant de diriger des chaînes d'hôtels.
43
�,
11crses prole.lisiolls LOLtl'isliqu e.~ : eUes sui"Îrrul les migrations des oisifs aristocrates ; ce qui peul paraître
surprenant, c'est que cette adaptation ait été relativement tardh-e ; j'en connais peu d'exemples ayant U\&),
date-charnière décidément; c'est sans doute que le tOIlrisme, fait social déjà important n'était pas encore
l'objet d'une véritable exploitation éeonomiqlle de style
capitaliste.
Après 1880, et plus encore dans les années de prospérité fiévreuse qui précédèrent la crise économique,
bon nombre d'hôteliers et de restaurateurs, une parti e
du personnel hôtelier enrent, selon le rythme saisonnier du tourisme aristocratique, plusieurs activités . Le
plus souvent ils associaient station thermale l'été (VichyrAix-Ies-Bains, Evian, Royat, VitteL) et une vill e
d'hiver de la Côte-d'Azur. Le but essentiel consistant.
ponr les hôteliers, à a!lü'cr dans leur hôtel d'été, une
partie de leur clientèle fidèle de la Côte, ; l'importante
publicité hôtelière ou commerciale souligne cette double propriété (36). La Société de l'Hôtel de l'Ermitage
filiale de la S.A. des Eaux d'Evian, j ustilïe (37) ainsi
son acquisition de l'Hôtel Bellevue de Cannes: « Cetle
double organisation, très avantageuse en raison de la
publicité faite pendant tout l'hiver en faveur d'Evian
auprès de la clientèle anglaise hi\'er~ant sur la Côted'Azur ::t .
Le personnel, au moins celui qui était qualifié, slli ..
vait les migrations dè leurs patrons ; ou si ceux-ci ne
possédaient qu'un seul hôtel, cherchaient à trouver de
l'embauche pendant la saison morte (3tl). Certains d'entre eux, particulièrement recherchés, faisaient 4 saisons
différentes dans l'année, en s'employant printemps et
automne dans les stations des lacs italiens.
(36) Il faudrait citer trop de noms : parmi les Niçois, rappelons
Que les Agid étaient l'eté hôteliers à Evian, les Agid à Royat, le Con~
cordia Hôtel. le Ptisan Hôtel, le Calais Hôtel se retrouvaient à Vichy:
l'Hôtel Lamartine se transportait à. la Bourboule, le Restaurant
Reynaud il. Mers·Plage, plusieurs hôteliers de Monaco avaient des
hôtels au bord du lac d'Annecy.
(37) S. des Eaux Minérales d'Evian. Assemblée Générale des
Actionnaires 8-VI-1921.
(38) Les journaux de saiSOn de la Côte d'Azur recevaient sou·
vent des demandes d'emploi du personnel hôtelier suisse désireux de
passer l'hiver dans le Midi.
H.
�De nombreuses entreprises recherchaient, daus la
double activité ·s aisonnfère, uon seulement la possibilité
de garder une partie de leur clientèle, mai!; encore celle
de s'attacher un personnel stable ; on saisit de suite
J'avantage de l'hôtelIel'Îe de cette époque ~\1J' l'actuelle.
Enfin, il partir surtout de 1920, de puissantE groupes hôteliers s'efforcèrent en quelque sorte de perfectionner le système, en créant des chaînes hôleliere.<
dont une des raisons est l'adaptation la plus parfaite
possible du caractère muIti-saisonnier du tourism', aristocratique. Vers 1905, Meyer possède ainsi 3 hôt els il
Aix-les-Bains, un hôtel il Beaulieu, un à Nice, un ;\
Tunis. A la même époque, les Em ery, suisses d'origin."
ont des intérêts il Vevey et Leysin, ont construit le 1\Iajestic il Cimiez puis possèdent le Riviera et plusieurs
a lltres palaces de la Côte (dont l'Im périal de Menton).
Après la guerre, la chaîne Do:w.dei dont MW'/in ez fut le
Direclcl\l', rut l'aboutissement le plus complexe de cette
adapta tion HU caractère saisonnier dll tou risln c. Toute
la publicité éta it effectuée pour l'ensemble des hôtels
. intégrés : il Nice. le Ruhl, le Piazza, le Savo)', le Royal
ct l'Imperial ; les 5 plus grands hôtels de la station
Ihel'l11al e de Brides (lui dut il ce g\'Oupe son temps de la
plus grandc prospérité; la majorité des hôtels d'Evian.
,\ partir de 1930 ; le Ma j estic de Grenoble ; le Grand
Hôtel de Paris. La chaîne Marquet fnt établie sur des
associations analogues.
Bca ucoup d'autres métiers pratiquaient d'analogucs
migrations : les médecins de stalions thermales a vaient
en majorité un cabinet dans une grand e ville où ils r ecrutaient leur clientèle d'été, ou bien sur la Côte. Les
commerçants, les pa trons voituriers d e la Côte-d'Azur
faisaient aillenrs leur saison d'été (39). L'abondante
presse de saison (40) sllivait évidemment le rythme de
(39) Mlle Melissano. dans son D.E.S. d'Histoire. cite plusieurs cas
à
Canne ~ .
(40) Cf. La communication que j'avais falLe sur la « presse de
saison » au CollOQue sur la presse, organisé à Aix par MM. Oulml
et Kayser. Une remarqua-bIc exposition sur hl presse de Nice, au
Musêe Massena. attira l'attention sur le nombre et ln variété des
journaux de saison de Nice. notamment étrangers. D'aussi petites
villes telles que Saint-Raphaël ou Hyères eurent plusieurs journaux
(le saison,
~s
�ce tourisme aristocratique :. beaucoup de journaux n e
paraissaient que quelques mois, d'autres avaient Ull '
périodicité l'lus grande pendant la « saison » ; d'autres
enfin, déplaçaient leur activité cie la Côtc vers les stations thermales.
IV. -
LES PROBLEMES POSES PAR LES CHANGEMENTS DE STRUCTURE.
De 1903 à 1935 (le temps d'ulle génération) le phé nomène touristique s'est profondément modifié.
Il n'est lieu ici que d'évoquci' très rapidement les
causes et les aspects de ces transformations pour poser,
en conclusion, quelques-uns des problèmes que rencontre notre Colloque.
Les causes sont générales : la periode troublée de
]905 à 1914 avait montré l'extreme sensibilité du tourisme à la eonjoncture ; il Y avait cu de médiocres
« saisons d'hiver » ; la guerre entr:üne de profonds
.bouleversements politiques: les monarchies et les aristocraties de l'Europe du Centre et de l'Est s'effondrent:
elles constitnaient une partie importante de la clientèle de l'associatioll bi-saisonnière: Côte-d'Azur - stations
thermales ; l'inflation l'uine \cs classes rentières ; mai,
des éléments nouveaux paraissent pouvoir les remplacel' et une nouvelle prospédté intéresse les stations d,·
tourisme aristocratique ; de gmnds hôtels s'édifient enCOre dans les années 1926-29 ; c'est la crise économique
(41) qui sonn e le glas véritable de ce tourisme aristocratique dont les formes saisonnieres, l'apparence
s'étaienl maintenues jusqu'alors.
Mais l'observateur l'lus averti apercevrait déjà des
changements de goûts. Le Littoral rnéditelTanéen, p.rin-
.....
(43) Cela apparait avec une gl'andc nettetê dans toutes les cour~
b?s de fréquenta.tion. Mêmes typologies saisonnières jusqu'en 1929.
A peTrir de 1929. non seulement chute des totaux de !n§quentation.
mais modification des rapports entre les mois. J'ai donné ailleurs
les courbes de Brides (Rev. Geo., Lvon 1955-2 et 3) et de plUSieurs
"illes d'hiver (in « le tourisme dans le S!.Id-Est Méditerranéen fran(':liS ». Congrès Soc, Sa\'antes. Aix 1958 l.
~6
•
�cipal point d'attraction touristiqu c voyait afOuer l'hiver, des fOllles dc plus cn plus nombreuses, commè le
constataient alors les dirigeants du P. L. M. qui, par la
multiplication des trains spéciaux, n'étaient pas étrangers il cette démocmtisation (42).
« La Côte-<d'Azur est tellement démocratisée que
les grosses personnalités et les ricbards, peu soucieux
de se mêler aux foules vulgaires désertent Monte-Carlo » (43). Ils vont plus loin, sont attirés par l'Algérie,
l'Egypte, Ceylan même (44). Mais aussi par les sports
d'hiver quc la clientèlc a nglaise -- elle encore - pratique dans quel(fUes stations suisses, principalement St~Ioritz . D'où l'hypoth~se explicativc que j'ai été, sans
doute, le prclllie r pa l'm i les cont emporains, il avancer' :
l' intérêt précoce dc la c1ientèlc intcrnationale pOlir les
,ports d'hivcr a été à l'originc même du déclin de la
saison d'hiver de la Côte-d'Azur (4;;), cc (lui détruirait
l'idée couramment admisc quc l'afflux des • congés
payés» sur ln Côte il partir de :16 en aumit chassé les
hivel"nunts 1l,illiounuires.
I:;" fu it, la « démocratisation »
dc lu Côtc,
alors
séjour d'hive r, Hvait conllllc ncé bien avant 3G 011
la
crise économiquc ; et de puis longtemps se manifestait
chez les riches oisifs, le goû t d'au tres déplacements hi\·crnaux. !\Jais a ussi d'autres modifica tions du comportement, sinon ùu psychislllC faisaient décOH\Til', Slll"toul
" près 191<1, l'illtérêt de la Méditerranée. l'été. Ce qU'Ull,"
multitudc d'efforts, SOll\'ent soutenus pal' (l'importanL'
capitaux, n'a vaient pu obtenit' en plusie urs déca des, ln
mode en quelq ues années le réalise. Il n'cst pas lien ici
d'expose,. les causes profond es de cette véritable révolution affectant les mppol'ls de l'homme et du soleil
(42) Arch. Nat. - P.L.M. 77 AQ 250. - La CommiSSion du Budget.
du :r.-L.-M. (27-V-1908) soulignait « La. clientèle française se démocratise. En 1898, on comptait 2 millions de voyageurs ; en 1908, 5
mUlions ; on ne peut donc pas dire Que le littoral Méditerranéen soit
délaissé ».
(43) Arch Nat. - 65 AQ 1121 - Art. Paris Capital 13-nl-1907. Beaucoup de journaux de finances reprennent à propos de la 6 .B.M.
ce thème de « Monte-carlo encanaillé ».
(44 ) C f. a rt. du « Globe» (5-ITI-1908).
(45) Je réserve pour ma thèse la. production de plusieurs textes
montrant que les intéressé5 (hôteliers de la Côte-d 'A zur) en avaient.
eu parfaitement conscience vers 1905.1908.
~
47
•
�recherché maintenant pour cette ardeur qui le faisait
fuir.
Vers 1925-30, la mutation se réalise; de nouvelles
stations, à la suite de Juan-les-Pins naissent au bord d e.
plages. Dès 1935 l'été l'emporte presque partout en importance sur une saison d'hiver très alleinte par la crise
(mais on n e pense pas, en général, que le déclin es l
définitif). Le prestige de la Côte-d'Azur attire alors les
nouveaux venus au tourisme ; c'est de plus en plus Je
boom estival. Les établissem ents hôtelier s (dont les palaces créés entre 1907 e t 1912), les Casinos, les comme rces qui se trouvaient proches de la m er , ouvrent alors
toute l'année e t trouvent, du fait de l'été, une propspérité accrue, ta ndis que se trouvent e n difficulté lèS hôtels
tles collines aristocratiques.
,
~
•
Monsie ur Tschanu a é ta bli la sta tistique des hôtels
disparus à Nice d e 1934 à 1947. 106 hôtels disparure nt
représentant 5.191 chambres ; et de 1947 à 1960, ::l5
hôtels r eprésentant 1.600 chambres. 11 y e ut relativem ent moins de disparitions à Cannes; il Y en e ut, plus,
en proportion à Menton. Et Hyèr es devint en quelques
années (juste avant 1939) un « cime tiè re d'hôtels »
pour reprendre l'expression 'lue Monsieur Viers a ppliquait à Nice, avec trop de pessimisme.
L'historien porté à la rétro.pective sarrêterait sans
doute il ces années 1929-39 qui voient la fin du tourisme
aristocratique. Hyèr es lui paraîtrait le meille ur lieu
pour évoquer ce passé mort. Ainsi Gu ermantes présidant en 1952 les fêtes de Paul· Bourget proposait-il quc
la maison d e Bourge t à Costebelle devie nn e « uné
station de J'Histoire des mœurs » comme la huile de
Pee l' Gynt dans c sa pro vince norvégienne ».
Voilà ce qu e mt 1890 dirait-on au Yoyagc de l'a vcnu·.
Mai. le• • talion. dem et.lrent que le tourisme arist ocratique avait lancées; la clientèle es t toute autre; les
saisons Inênle peuvenl ê tre in versées lnais 01} ne peut
l"a ire fi de ces r éputations anciennes.
Mai., les équipem ent. dem eurent, adaptés à lin
tourisme révolu. Hôtelie rs qui possèdent ces vie il"' ;
48
�maisons, édiles qui administrent ces • villes de saison
aristocratique • sont affrontés à de singuliers problèmes d'adaptation et de reconversion ; notre colloque en
évoque certains .
Nous sommes heureux que Je rapport introductif
de ce Colloque soit bistorique, non pas tant pOUl' l'intérêt d'évoquer un passé. de faire une rétrospective, mais
parce que l'approche historique d'un phénomène permet d'éclairer sa réalité présente; nous pouvous ainsi
grâ'Ce à l'investigation historique, poser quelques-tille,
des questions qui animeront les débats de notre Colloque.
- Les entreprises touristiques - et pas seulemeut
celles d'héhergement - témoignaient d'une remarquable adaptation structurelle au caractère saisonnier du
tourisme aristocratique. Aujourd'hui elles paraissent
surtout être des victimes du caractère saisonnier ; car
les doubles hôtels (hôtel d'été - hôtel de stations de ski)
sont finalement assez rares. Pourquoi '!
,
- Quelles sont les conséquences économiques, d~·
mographiquès, sociales du caractère saisonnier du tourisme contemporain ? Observe-t-on de fortes différences, comme pour le tourisme aristocratique, selon qu'il
s'agit de la saison d'hiver ou d'été ? La saison d'hiVl'r
est-elle toujours la plus bénéfique ?
- Le tourisme contemporain est 11": « tourisme de
masse . qui exige d'autres unités et d'autres mHhodl's
de mesures que le tourisme aristocratique. En a-t-en
pris suffisamment conscience (46) ? Le rapport ou Professeur Krapf montre bien qu'il est « fait de cons~mm~·
tion •. Mais son caractère saisonnier rlemel1rr. Pourquoi ? Est-il inhérent à la ,notion même du tourisme ?
Ces migrations de masse posent ùe grave~ pl'Oblèmes de simultanéité, et toute sinmJbnéitf' est coûteuse il l'économie générale. Par ailleurs ces migrations
concentrées laissent enh'e elles de grands cr,!ux très
(46)
cr.
Vol 2 de la c ollection A.I.E.S.T. consacré : La mesure
49
i
�donunageables à l'activité des entreprises réceptrices,
Nous sommes très heureux que ce double problème,
trop souvent confondu en un seul (47), de l'é,.rêtem elll
des pointes et de l'élalem ent des congés, soit évoqué l'ar
plusieurs rapports ; aucun Colloque ne l'ava it, sans
doute, abordé avec autant de sérieux.
Peu Hm obtenir une répartition optima des congés,
C'est la question qu'au cours d'un voyage à Brllxelles,
nons avions posée à l'économiste G. Labeml et qu'il traite ici. L'étalement raisonnable des congés se tient sa""
doute dans des limites assez restreintes; alors où est ]P
salut pour les entreprises d'bébergement ? Dans la recbercbe d'autres activités non touristiques, pensell i
plusieurs bôteliers niçois. Mais leur exemple peut-il êtl'I;
suivi par tous ? Certainement pas.
La collectivité ne devrait-elle pas alors prendre
consciencc de ses responsabilités devant les conséquences économiques d'un tOllrislne au caractère saisonnier
inéluctable ?
.
~Mais U11 passé qui n'es t pas si loiutain nous a 111011Iré de singulières mutations dans la répartilion sais'Jl!nière. Pent-i1 y avoir de nouveaux changements '1 l,a
justification des énormes investissements actuellement
réalisés pour la création et le développement des ,tatians de sports d'hivel' (dont on voudra hien admettre
qu'elles seraicnt difficilement reconvertibles) est fond,<e
sur la conviction quc le goût pour ce « tourisme d'hiver» bien spécial doit nécessairement croître indéfiniment?
Certains croient pouvoir annoncer, ù. certains ~i
gnes, la renaissance de la saison d'hiver méditerranéenne. D'autres (dont le Président Bertrand) pensent par
la tbalassothérnl'ic faire sOl,tir le tourisme balnéaire
maritime de sa concentration estivale actuellemènt très
(47) Cf. me.') pn'pos:tJons SHr r « étalement des vacances» lésuméê5 en un article de 13. Revnr de l'Action Populaire, n. 140 (juillet
1960) : la mème volont.é ct"e';Hmen clitique anime le rapport présenté
par :'\1. t~" uis B o~r au Conseil Economique et Socia.l (24 et 25 Jan-
"
~:>-
\'ler 191)1) : ct ics <'ffets Olt C .N.A.T. dont le Secrétaire Général M.
Hallalre fi. bien vou!u pour ce Colloque préciser ISr politique.
~
�affirmée. A-t-on mesuré l'ampleur de telles modifications ?
Ultime question qui sous-entend les précédentes :
le changement des habitudes ou modes en matiére de
répartition saisonnière des migratious touristiques peutil atteindre d es « mass media • dont l'inflnence sur les
loisirs des masses, est certainement considérable ?
MAR C
BOYER .
51
�•
�Le développement de Nice
depuis deux cent-cinquante ans
Depuis les dernières années du XIV·' siècle, époque
où la Maison de Savoie avait établi sa souveraineté sur
les « terres neuves de Provence » (1388), Nice était
. devenue une place forte, comprise dans un système que
le duc Emmanuel-Philibert, à partir de 1560, avait organisé d'une manière cohérente et qui s'appuyait sur la
citadelle de Nice, les forts ,lu Mont-Alban, de Villefranche et de Saint-Hospice.
\
La démolition du château d e Nice en 1706, lors dc
l'occupation française (guerre de Succession d'Espagne), prive Nice de toute possibilité de résistance à une
attaque ennemie et lui enlève par conséquent toute vuleur militaire.
,
Nice se trouve alors entièrement tournée vers les
activités pacifiques. Porte Sur la mer des Etats de
Savoie, il est naturel qu'elle se soit orientée vers le commerce. Déjà en septembre 1,372, le duc Emmanuel-Philibe rt avait songé à fonder à Nice une compagnie pour
le commerce du Levant et avait fait armer dans ce but
deux vaisseaux. Par son édit dn 22 janvier 1612, Charles-Emmanuel 1" concédait la franchise aux ports de
Nice et de Villefranch e : tous les navires au dessus d'un
certain tonnage étaient exempts de tous droits quelconques sur les marchandises importées ou exportées, sauf
à payer les droits de douane au passage des cols pour
aller en Piémont ou un droit de transit d'un pour cent
sur les marchandises destinées à l'étranger; des facili53
�tés d'établissemenl e laien l accordées au x pcrsoun cs sc
livrant au COlUffiercc maritime sans considération dc
r eligion, ce qui e ut pour conséquence, en pa rti cu lie r,
d'attirer à Nice d es négociants juiJs.
Mais le petit pori de Saint-Lambert se j'évélait toutà-fait insuffisant pour permettre à Nice de tenir une
place importante dans le trafic commercial. C'est pourquoi, en 1748, Charles-Emmanuel III (les ducs de Savoie
portaient depuis 1720 le titre de roi de Sardaigne) avaHi! décidé le crèusement d' un nouveau port dans les terrains marécage ux de Lympia e t fait commencer les travaux sans délai.
'.
En conséquence, i! de venait indispe nsable d e pl·;évoir des routes terrestres bien aménagées pour acheminer vers l'intérieur ct conduire en Piémont les marchandises; les chemins muletiers devaient faire place il d es
voies carrossables. Deux itinéraires principanx r etenaient l'attention des pouvoirs publics: d'une part, une
route qui, passant pa r Levens, gagnerait la vallée d e la
Vésubie et franchirait la barrière montagneuse au coi
de Fenestre ; d'autre part, le chemin d e l'&carène, redescendant sur Sospel après le col de Braus, puis remontant an col de Brouis, prendrait à Breil la vallée de ln
Roya et pénètrerait en Piémont pa r le col de Tende. La
seconde solution fut retenue, et les travaux de la route
Niee-CoIlÏ décidés au mois de Mai 1780 venaient à peine
d'être achevés, lorsqu'éclatait la Révolution Française;
toutefois, le tunnel du col de Tende, dont le percement
avait été sérieusement étudié, n'avait pas pu être réalisé, faute de moyens.
Le XVIII"' siècle marque le début du mouvement
qui devait assurer la fortune de Nice. Les charmes du
climat de la future Côte d'Azur commencent à attirer
des étrangers à la recherche du sol cil. Les Anglais, lcs
premiers, ont éprouvé l'attrait de ce pays. A partiT de
1730 environ, les grands noms s'inscrivent à Nice sur les
listes d'hiveTuants : lord et lady Cavendish - dont le
fils, qui sera un chimiste fameux, naît précisément ù
Nice - , lady Fitz-Gérald, le duc d'York, frère du roi
d'Angleterre George 1I1. Parmi les Français, la duchesse de Penthièvre. la duchesse de Bourbon-Condé, l'intandant des finances Trudaine, fils du célébre directèul'
des ponts-et-chaussées. Des raisons médicales, autant
54
�j
'lue d,'s motirs d'ugr~ll1ent, incitaient ces personncs "
"cnir séjourncr daus unc ville encore petite et dépour\"lIe de confor t. Les étrangcrs logcaient habituellement
dans les faubou rgs, évitant ainsi les inconvénients de la
Yicille ville étroitc et malsaine. En 1787, on comptait
cent quinzc famillcs venues pour passer l'hiver. La littél'3turc vcnte les agréments de Nice par la voix senlellcie use d'un membre de l'Académie Française, AntoineLéonard Tbomas, et par la lyre classique de l'abbé
Delille. Le médecin écossais Smoletl et le mathématicien suisse Sulzer ont laissé le récit de leur séjour. précieux témoignage sllr le pays et les mœurs .
La ville déli\'rée d u corset des remparts désormais
inutiles ct démantelés s'est étendue.
couvent des
dominicains (Place du Palais) au Paillon, le Pré-auxOies s'est construit èI la rue Saint-FrançoilKle-Paule a
été tracée; des proj ets non réalisés parlaient même de
détourner le COurs du Paillon plus à l'Ouest et de créer
1111 nouveau port dans l'espaCé ainsi gagné. La place Vic1.01' (aujourd'hui place Garibaldi) était élevée avec ses
arcades grâce il la libéralité du roi Victor-Amédée HI
qui avait cédé gratuitement à la ville les terrains nécessairèS. Le Parc (cours Saleya) nouvellement aménagé,
avec ses terrasses ct scs plantations d'arbres, devenait
la promenade élégante ct la municipalité envisageait
même d"èn interdire l'accès aux véhicules.
J)u
Enfin, Cil dehors dc la ville pl'Oprement dite, les
faubolll'gs se développaien t : la bourgade (quai SaintJean-Baptistc) avec ses populaires échoppes de maréchaux-ferrants, selliers, et houl'l'eliers, la Croix-de-Marbre sur lu route de Francc, aristocratique au contraire,
avec ses jolis jardins plantés d'orangers et de citronnicrs et où les étrangers résinent de préférence.
,
""-
~
Avec la Révolution française, les évènements pl'ennent un nouveau cours. Le 29 septembre 1792, les troupes françaises commaudées par le général d'Anselme
entrent à Nice. Le 15 octobre, l'administration provisoirc de la ville ct du ci-devant comté, présidée par Barras,
adresse à la Convention une demande de réunion à la
France; deux délégués sont envoyés à Paris, un enfant
du pays, Jean-Dominiqu e Blanqui, né à la Trinité-Victor, qui sera plus tard sous-préfet de Puget-Théniers
pendant tout le Consulat et l'Empire, père du célèbre
55
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socialisle Augusle Blau,!ui, el Ull banquier sUlsse établI
a l'lIce, Gannel-Isaac \ eIllon. L'Assemolee declde '! ue
les cItoyens aOIvent etre convoques dans les communes
"ontrOI"es par l'armée trançalse pour lalre connaltrc
leur VOlOnte. La consultatIOn populaIre s'étant révelec
lavoraOle, la 1..0nvenUon l'/aUonale, dans sa séance du
,,1 janVIer 1Na, « declare a l'ullUnlIIuté qu'eUe accepœ,
au nom dU peup'le trançals, le vœu eilllS par le peuple
souveram (lU Cl-devant comté de I~Ice, et qu'en conséquence utera partle l1ltégrante du terntOIre de la rtépunuque ». Le aecret du '1 t evrler 1/\1., constItuaIt, avec les
terrHOIres l'atmcnes, le 1)0..... département, sous la dénollllllatlOn des rupes-1Ual'ltimes.
Nice devient donc française et le restera jusqu'en
avril HSl4. Cette perIOde! est malheureusement marquee
p'ar la guerre presque incessante, si l'on excepte la courte perlOae de la paIX d'Ailllens ; le comté lw.même n 'esl
enaerement conqllls qU'en mai 1/\14, après la prise de
l'Authion, de ::>aorge et des cols. Malgré tous ses erforb,
le préfet Duooucnage ne put taire henéficier son département des hwnfalts que la paix seule porle avec elie.
Du moins a-t-il laisse le souvenir d un administI'ateu l'
bienveillant et SOUCIeux des intérêts de la population.
JusqU'alOrs, le passage du Var se faisait à gué ; des
hommes de Saint-Laurent aidaient les voyageurs à passer ce qui comportait de graves inconvéruents et l'iuconfort le plus complet. Dès le mois de décembœ 179~
un p'ont en bois fut consfi,uit à hautelll' de la digue des
Français ; un projet de pont en pierre fut élaboré en
Hn~, l'adjudication eut lieu et les travaux commencèrent ; mais le fin du régime français les interrompit, el
c'est seulement après 1860 que l'idée sera reprise et
menée à bien. La grande réalisation de l'administration
française fut la route de la grande corniche destinée à
relier Nice à Gênes. Commencée vers la fin de 1803, la
construction était poussée jusqu'aux environs de SanRemo en 1814. Inspirée surtout par des considérations
militaires, cette œuvre importante présentait aussi un
intérêt majeur ponr les Niçois jnsqu'alors si mal pourvus de commnnications terrestres.
Les recensements de population faits à cette époque
ne paraissent pas avoir été établis d'une manière h·és
rigoureuse. Ils donnent cependant un ordre de grandenr qui peut être retenu : en 1809, l'ensemble de la
56
�commune de Nice comprendrait 19.783 habitants, dont
10.084 pour la ville elle-même, 6il9 pour les faubourgs
(Croix-de-Marbre et bourgade) 689 pour le port et 8.371
pour la campagne.
En 1814, le roi de Sardaigne l"ècouvre ses anciens
Etals, et Nice se trouve de nonveau placée sous la souveraineté de la maison de Savoie. La période qui s'étend
jusqu'en 1860 n'est pas pour elle une i:re de prospérité.
Aux anciennes possessions, le royaume ajouie, par la
volonté des grandes puissances, la république de Gênes,
soit toute la côte ligurielllle de Vintimille à la Spezia.
Maintenant que Gênes est intégrée dans les Etats sardes,
le rôle de Nice se trouve singulièrement réduit. Le port
ligurien infiniment mieux équipé, mieux situé et n'op-;
posant pas aux échanges avec le Piémont une triple
barrière de cols élevés, prend pour lui l'activité commerciale.
Le gouvernement ne fait pas grand chose pour améliorer les voies de communication. Les quatre routes des
. vallées (Var, Tinée, Vésubie, Estéron) sont mises en
chantier, mais le programme est loin d'être mené à son
terme en 1860, et les Ponts-et-Chaussées français devront faire uu gros eHort, admirable d'ailleurs, pour les
achever et compléter ce réseau qui, reliant la campagne au chef-lieu, arrache la montagne à son isolement.
Pour le chemin de fer, pas un seul kilomètre de voies
ferrées n'avait encore été construit en 1860.
Aussi la vie il Nice est-elle particulièrement modeste et frugale. Un contemporain, l'abbé Honifaci, dont les
notes abondantes conservées en partie aux Al'Chives
mnnicipales de Nice, en partie à la Hibliothèque de Ces·
sole, sont un précieux témoignage sur la vie quotidienne, nous en donne le témoignage. Telles familles de
paysans mangeaient seulement, matin et soir, un potage de polenta et de féveroles. On consommait peu de
pain, encore moins de viande. Pâtes et légumes, farine
de maïs et de pois chiche étaient le fond de l'alimentation populaire; la blette, « blea >, apparaît alors dans
la cuisine niçoise.
i
Les Niçois, voyant que le pouvoir central les oublie
le plus souvent, comprennent qu'ils doivent compter sur
eux-mêmes pour organiser leur existence et éprouvent
peu le sentiuIent de solidarité à l'égard des autres pro57
�yinees du roy3uuH'. Pur conlrc, s'affinll e lres "if Jfa_
mour du sol natal. Le goût des traditions, l'usage de la
langue, la pratique des m ets e t des yins du cru Sc fortifient, ct l'on assiste à un essor, à la mesure des moyens
et du public, de la littérature dialiectale qui s'enrichit
surtout de l'œuvre savoureuse d" Rosalinde Hancher ct
se manifeste ·aussi, à partir de 11150 enyiron , lorsqu'une
plus grande liberté est donnée à la p,esse, par des ten tatives pIns ou moins éphémères de journaux dialectaux .
Cependant les étrangers, dont les guerres de la
Hévolution et de l'Empire, avaient arrêté la venue, recommencent à fréquenter la ville après 1815, Anglais,
Français et Russes forment la clientèle la plus appréciée
de Nice, dont la population, en y comprenant la campagne, s'élève en 1822 à 25.851 habitants. D'après l'abbé
Bonifaci déj à cité, dans l'hiver de 1825-26, cent seizc
maisons out été occupées par des étrangers.
.•
Dans la seconde moitié du XIXmo siècle, le nombre
de hivernants augmente : 803 familles étrangères durant l'hiver 1857-58, 856 en 1858-59. Les Anglais dominent de loin, r espectivement, pour les deux amIées, 342
el 315 familles, puis le·s Français 160 el 174 ; les Allemands,57 et 65 ; les Italiens, 52 et 71, les Russes! 51 c l
119, et les Américains, 44 ct 20.
Nice devient une ville de saison. Elle s'efforce de.
contenter ses visiteurs par des embellissements dont
nous pouvons suivre le développement continu.
Sur l'emplacement des anciens remparts, le long de
la rive gauche du Paillon, d'agréables boulevards sont
aménagés jusqc'à la place Victor sous l'administration
de l'intendant général Cl'Otti (1819-182ï). En 1822, le
gouvernement concède à la ville la jouissance de la
colline du château; elle devient une promenade plantée
d'arbres particulièrem ent appreelee des étrangers.
D'autre part, l'accès de la ville du côté du Paillon était
limité au seul pont Vieux ou pont Saint Antoine ; en
1824, à hauteur de la rue a ctuelle de l'Op éra, est ina uguré le pont Neuf ou pont Saint-Charles, aiusi bapti sé
en l'honneur du roi Charles-Félix.
Mais plus encore, la création de la promenade des
Anglais devait contribuer il la gloire de Nice. L'initiative
privée, suivant la tradition, est à l'origine de cette voie
58.
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ll1agnifique, uujollrd'hui célèbre dans le monde ,·nlic,..
Durant l'hiver de 1820-21 particulièr ement rigou reux ,
employa les malheureux à niveler les lerrains ~n borIreuses réduisirent à la m endicité une fractiou illlJlvrtante de la pOJlulation. Un ecclésiastique anglais, le Révérend Lewis \Vay, organisa des quêtes parmi ses compatriotes et réunit une assez jolie sOlllme. Estimanl qu'ii
,",liait mieux douner du travail que fa ire l'alllnône, il
cmploya les ma lheureux à uiveler les tèl'rains en bordure de la m er, depuis l'embouchure du Paillon j usqu'à la rue Meyerbeer actuelle. Par la suite, lèS travaux
se ront continués en 1844 jusqu'à hauteur des Baumelles, eu 1856, jusqu'à Magnan. La chaussée, prinlitivement de deux m ètres, fuI élargie à huit et dix mètres ;
elle était encore forl élroite, nc comporlait pas de trolloirs, et la cù'culalioll n'y était pas toujours très agréable
au milieu de la poussière soulevée par les charrettes el
voitures.
On se p,'éOCCUP3 il partir de 1850, dc relier la prom enade au pont Neuf. Pour cela il fallait exhausser les te:'r ains de l'eslu aÎl'e du Paillon o u Pral de la Fous. On
embaucha une main d'œuvre très rudimentaù'e, 'lui r emplissait des « couffes » ail paniers de graviers pris dans
la m er et le lit du fleuve ct déversés ensu ite sur la Fous;
Pllis, par dessus on étendit une couche de terre végétale
prélevée sur place, Ainsi prit naissance le jardin puhlic
ou jardin des Plantes qui devait être considérablemenl
agrandi et embelli après 1860
En m ême lemps, la vieille lerrasse située le loug du
Cours Saleya était doublée a u sud, fa ce il la mer, pa .. ]n
nouvelle terrasse destinée à attirer les promeneu!'s dalls
cc lieu si -a ppréci é sous l'ancien réginlc.
Tous ces trava ux é taient exécutés SOLIS l'ilupulsiou
ct la direction d'une institution d'urbanisme originale, Je
C:onsiglio d'Omalo ou Conseil d'Ornem en t institué P li
1832. Ce Conseil présidé par le premier consul, plus tard
le syndic ou maire, comprenait des m embres pris da ns
la municipalité et d'autres choisis en raison de leur COIllpétence, On lui doit notamment la conception de la plaee
Masséna sur la rive droite du Paillon, avec ses arcades
inspirées de Turin et ses façades rouges (la coustruction
n'en sera terminée qu'après 1860) et l'alignemenl des
maisons de la place Cassini, sur le port.
59
�La période sarde touch e il sa fin. Nice et le comt'"
dans son ensemble, ont senti depuis la Hestauratioll,
qu'ils occupaient une place bien secondaire dans les préoccupations du gouvernement. En 1851, un projet de loi
prévoit l'unification de la législation douanière du
royaume ; èn conséquence, le privilège du port franc
doit disparaître. Bien que diyerses m esures antél'ieures
en aient .réduit J'étendue et que l'activité du port soit
bien modeste, les Niçois voient dans ces dispositions une
nouvelle atteinte à leurs libertés, une sorte de rupture du
contrat qu'ils estiment avoir passé, en 1388, avec la maison de Savoie. Un mouvem ent de protestation agite la
ville ; un moment m êm e, deux notables, membres du
Conseil Municipal, les banquiers Cm'lone ct Avigdor sont
J'objet de poursuites judiciaires pour excita tion il la
révolte. La loi n'en est pas moins votée, mais cet incidcn t
contribue il accentuer la désaffection que les Niçois
commençaient à ressentir pour des souverains envers qui
ils s'étaient conduits en loyaux sujets.
..
D'autre part, l'année 1848, si importante pour
J'orientation générale de l'E urope, a, dans toute l'Italie.
des répercussions profondes. Autour de la maison de
Savoie les patriotes italien" cristallisent leurs efforts c t
leurs aspirations. Les Niçois, comme les Savoyards, sentent que cette nouvelle mission historique engage la
dynastie dans une route qui n'est pas la leur. Alors considérant leurs intérêts économiques, évoquant les liens qui
les unissent il la Provènce et pIns simplem ent à la
France, ils pl'êtent de plus en plus l'oreille il la voix qui
demande le rattachement il ce l>ays. Le gouvernement
impérial français apporte au Piémont l'appui qui lui
permet de rattachel' il la couronne la Lombardie et les
provinces de l'ltalie centrale. Désormais Victor-Emmanuel II, devenu roi d'Italie en 1861, dirige ses ambitions
de l'autre côté des Alpes. Le traité du 24 Mars 1860, sanctionné par nn plébiscite olt la volonté populaire s'exprime à la quasi nnanimité, donne à la France deux provinces, la Savoie et le comté de Nice, qui complètent
harmonieusement l'unité nationale,
r
.
Nice est alors une ville de 44.091 habitan'ts, d'après
les chiffres du rècensement de 1858. Son développement
prend immédiatement de vastes proportions. La première
condition de son essor était d'assurer il la ville des com60
�f
munications faciles avec l'extérieur. La ligne de chemin
de fer qui s'arrêtait aux Arcs est prolongée d'abord
jusqu'à la gare de Cagnes (Février 1863)! ; puis, aprés
construction d'un viaduc de pierre auquel est accolé un
pont routier, jusqu'à Nice (Octobre 1864). Aprés percement du tunnel de Cimiez et des autres passages en hordure du littoral, la principauté de Monaco est atteinte en
Octobre 1868 et la frontière italienne en 1869.
On commence aussi la construction de notre actuelle
Corniche inférieure : tronçon Nice-ViJlef.ranche achevé
en Avril 1862 ; tronçon Villefranche-Beaulieu en 1861\.
Pour relier la ville il la uouvelle gare, l'avenue du
Prince-Impérial, aujou.rd'hui avenue de la Victoire, est
construite de 1862 à 1864. Signalons encore l'élargissement de ln promenadc des Anglais ct l'agrandissement
du jardin public, l'ouverture de nouvelles rues, dont la
rue Gioffredo, l'achèvement des boulevards Dubouchage
ct Victor-Hugo, rextension du lycée et l'embellissement
du quai Saint-Jean-Baptiste, le "èboisement dn MonlBoron, la constructiou de la nouvelle route de Cimiez,
nctuellement avenue des Arènes, enfin la première cou·
verture du Paillon effectuée pour établir le square Mas·
séna orné de la statue de Carrier-Belleuse.
De 1876 à 1901 Nice passe de 53.39ï habitants il plus
de 100.()()(). Un lei accroissement de population pose les
problèmes d'urbauisme les plus compliqués. L'ancienne
campagne se construit avec une rapidité qui ne laisse
pas le loisir de dresser des plans ha,·monieux. L"administration doit lutter avec la montre. En 1875, on étudie
l'aménagement du quartier de Riquier, que réalisera la
municipalité Borriglione (187&-1886) ; en 1880. celui tle
Saint-Etienne, Saint-Pilippe et la Buffa. En même temps.
surgissent du sol, un peu de tout côté, des agglomérations nouvelles: sur la colline des Baumettes, au-delà de
la gare, où le boulevard Joseph-Garnier est ouvert, à la
Madeleine, au Pio!, à Saint-Balihélemy, à Cimiez, il
Saint-Rocb. Les boulevard d'enceinte du plan de 1858
sont achevés. Le boulevard Saint·Philippe, aujourd'hui
Gambetta, est construit autour de 1880. La promenade
des Anglais est prolongée et atteint Carras en 1882. Le
boulevard Cimiez assure une voie digne pal' sa largeur
et son tracé d'un quartier où s'élèvent les villas les plus
61
�élégantes, et qui devient le rendez-vous de l'élite étrangère.
,
L'édification du Casino l\lunicipal donna lieu à de
violentes poléllliques. Inauguré le 6 Février 1884, il est
aussitôt l'objet de critiques. On lui reproche, par sou
architecture massive et sans élégance, de rompre l'ha rmonie de la place Masséna et on l'appelle couramment la
fenière, la grange à foin .
L'extension de la ville, depuis le début du siècle, a
été telle et a donné lieu à tellement de modifications et
d'embellissements qu'il faudrait un volume pour retracer
les changements survenus.
L'accroissement du mouvement touristique doit êLre
noté. Eu 1861, pour uue population de 48.273 habitants,
Nice compte 35 hôtels et pensions, et 1580 familles
d'étrangers y hivernent. En 1880, le mouvement des voyageurs est passé au chiffre annnel de 1.200.000. Quant aux
hôtels, il y en a 128 en 1900 et 182 en 1910. Après la
guerre de 1914-18, la réputation de Nice persiste. A la
saison traditionnelle d'hiver, la mode des bains de mer
et l'attrait du beau temps ajoutent une saison d'été. La
loi sur les congés payés a pour conséquence d'ouvrir l'accès de la Côte d'Azur à une nouvelle clientèle. Au mois
d'Août 1938. on enregistre à Nice 16.936 arrivées de touristes de nationalité étrangèrè, parmi lesquels 3.093 Britanniques et 2.883 Scandinaves, et 34.132 arrivées de
Français.
La reprise du tourisme a été rapide à la suite de la
guerre de 1939-1945. A la fin de 1949, une déclaratioo
officielle estimait que la Côte d'Azur reçoit 25 % des
étrangers qui Vienll'ènt en France. Toctefois, la prépondérance de la saison d'été n'a cessé de s'affirmer. On
doit tenir compte aussi d'èS périodes de pointe, (Noël,
Carnaval, Pâques).
L'exposé qui précède montre que, depuis 250 ans, le
développement de Nice, a été principalement conditionné
par la place qu'à prise dans son activité l'accneil des
étrangers. Amorcée sous l'Ancien Régime, suspendue pat·
suite de l'état de guerre durant la première période française, cette activité reprend après 1815 modestement d'abord, puis connaît une augmentation sensible êt continue
qui se manifeste d'ailleurs par une extension de la zone
IITbaine. Le t'attachement à la France imprime une accé-
�lération rapide au mouvement, et Nice devient alors la
grande ville que nous connaissons ; il s'agit d'ailleurs
d'un phénomène commun à toute la Côte d'Azur et qu'il
convient d'étudier dans son ensemble pour en préciser
les causes et les étapes.
Ernest HILIlESHElMER,
Directeur des Services d'Archives
des .4./pes-Maritimes.
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Naissance, développement et déclin
de la colonie anglaise de Pau
(1814·1914)
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Contmirement il une Opl111011 fort l'épa ndue parmi
les historiens locaux, l'existence d'une véritable colonie
britannique sous le « Bèv. ceù de Paù », nu XVIII'" siècle, est une pure légeude. Il y avait simplement nlors,
dans la ca pitale béa rnaise, un petit noya u de réfngiés
.i acobistes coupés des îles de leurs pères et en voie ra pide
de fra ncisation . De toutes f açons, on ne saur ait par ler de
Pau, comme ville climatique ava nt 1820 (1 ). H enry Coxe,
au d ébut de la Restaura tion, se borne à m entionn er qu'à
Pau ou dans les euvirons une personne peut trouver une
pension complète pour trente livres par an (2). Cette
remarque est très éloquente. Il y a là une in vitation à un
séjour économiqu e. C'est. du reste. le but essentiel des
insnlaires qui établissent le ur r ésideuce S Ul' le continent
dès la chnte de l'Empire. Les m oins aventureux s'installent à Cala is, à Boulogne, à Roucu, où ils vivent à moitié
prix, en mena nt le m êm e tra in que dans leu r pa trie, P aris
attire les plus opulents ou les plus soucieux de vic m on-
(l )
C'est ainsi que Henry Matthews -
qui de 1817 à 1819 fit le
tour de routes les villes de France. de Su is~e. d'I talie. allant jusqu'au
Port'lgal ù la recherche du climat idêal - ne fait aUCmle mention
tif' Pau c!a~s son j O'Jrnal. (Cf. (( The Diar" of an InvaHd in pursuit
.
of H ealt,i1 }). Leudres. 1820 : nomb~·euse.:; rééditions jusqu'en 183.5).
(2) Ct. « The G entleman's Gui de in H !s Tour Through France ».
Londres. 1817, p. 36Ô•
65
li
�daine. Certains vont résider à Tours, où s'établit rapidement une colonie considérable de Britanniques (3).
La douceur de vivre dans les pays des Gaves et de
l'A<.lour n'avait pas échappé, malgré la guelTe, aux soldats de Wellington . Ils n'avaient pas oublié l'accueil des
populations ni l'opulence des campagnes au sortir des
privations de la P éninsule. Aussi, la plupart des premiers
r ésidents d'outre-Manche à Pau étaient-ils d'anciens
officiers des diverses armes qui avaient découvert le
Béarn en 1814 (4) . Ce sont ces demi-soldes qui sout :\
J'origine <.le la colonie britannique de Pau, et des raisons
spécifiquement climatiques n'y sont pour ,·ien. En faiL
ce fut par accident que les deux premiers malades d'outre-Mancbe éprouvèrent les vertus du climat de Pau Cil
1819-1820.
je
V'ascendance hugueno te. George William Lefevre
venait de prendre ses grades de docteur en médecine ,i
l'Université d'Edimbourg. Menacé par la pstisie, ses confrères lui conseillèrent d'aller passer l'hiver sous un ciel
plus clément que celui de l'Ecosse ou de l'Angleterre. Sa
bourse étant des plus légères, le jeune médecin eut la
chance d'être présenté à Illl noble et riche malad e ell
'luHe d'Ull accompagna tclll' qualifié : Thomas Douglas,
fi"" Comte de Selkirk.
La qu estion se pose : où aller? Lisbon ne? /I:aples ?
:--Jice .! Madère? Le fait est que le lord et sa suite prennent le chemin du Sud , sans avoir de destination très
p'·écise. Le 1" Octobre 1819. les voyagelll's arrivent à
Bordea ux. lis hésitent cntre lin hiver à TOlilouse ou il
Valence. La ville espagnole paraît l'emporter dans lellr
choix HU moment oil ils repartent avec l'intention de
longer les Pyrénées. Pau ne doit être pOlIr ellX qu' une
ville <l'étape, mais le destin ya en décider autrement.
Aussitôt arrivés dans ln capitale béa l'llaise, les voyageu!'s sont subjugu és pa!' le panorama de la chaînè. La
(3) Jusqu'en 1845, Pau ne \'ient qu'au orne raug, immédiatemen t
après Tours. pour le nombre des résidents britamùques en France
(20.000 environ), Paris. Boulogne et Rouen l'cnant en téte.
(4 ) Ce fait a été verifié pal' nous en recherchant dans les rôles
des officiers de l'armée britannique l'affectatlon. en 1814. des milit.:'\ireti dont les noms figurent ft des t:tres divers dnns les registres dt'
l'état-civil de la ville de Pau ,
66
�1
\
1
compagnie décide alors d'élablir ses quartiers d'hiver
il Pau.
-,"
Aucun climal au monde ue pouvait guérir lord Selkirk. Il mourut dans sa nouvelle résidence en Avril 1820
(5). Mais son médecin particulier se trouva forl bien de
son séjour en Bearn (6) ; il le fit savoir autour de lui en
lirande-Brelagne longtemps avant la publication de ses
sou venirs (7).
Le second obscrvalcur du climal dc Pau fui lc DI'
Playfair (8) . Ses notcs ne furent jamais publiées ; il les
communiqua cependant au Dr Clark (9), qui Cil tira la
",hslance de ses pages SUl' Pau où il n'avait fait lui-même
qu 'un séjour assez rapide (10). L'apprécia tion reste
somme loute fort mitigée. En fait, la présence de phtisi,!ucs britanniques dans la ville, avant 1842, demeure dif/ïcilcmcnt explicable à ne considérer que la portée de la
littérature médicale anglaise ou autre.
,
•
,
Le véritable fondateur du climatisme palois est le
Dl' Alexander Taylo r. Arrivé il Puu en U\38, il frappait un
.;ll'Ond coup, quatœ ans plus tard, en faisanl paraître il
Londres son livrc : « On Ule curative influence of Ihc
c1 imale of Pau and mincral watcl'S of th e Pyrenees on
disease ~ (11). li s'agit d'une véritablc apologétiquc. C'est
grâc~ au crédit qu e l'encontre cet ouvragc outre-Manchc
qu'est dû la fOl·tun e d'unc ville c1imatiquc à laquelle le
DI' Taylor se dévoua passionnément jusquà sa mort, C il
HI79 (12). Le clima t de Pau Il C cessa jamais. ccrtes,
(5) Sa tombe sc LroU\'e au cimetière protestant d'Orthez.
(61 Il passa un nouvel hiver à Pau aupres de Lady Selkirk.
(7) Cf. « The Lire of a travelling physicinn ». Londres, 1843, t. I.
pp. 39-60.
(8) La date de son arrivée a Pau et la. durèe de son sejour sont
Incertaines. Son nom n'apparai:" dan::) d~s pièces d'é',!t-ch·il Qu'en
1825. Il aib s'instal ler plus tard â. Florence.
(9) On peut regarder le Dr Jarne Clark comme le fondateur de la
climatologie médicale en Grande-Bretagne.
(0) Cf. « The Influence of climate in the prevention and curc of
chrome diseases ». Londres, 1829, pp. 67-73.
(11) Cet ouvrage fut maintefois réimprimé ou réédité JUSQu'en
1865 et traduit clans plusieurs langues européennes.
(2 ) Décédé il. Londres. il voulut reposer à Pn.u parmi les tombes de ccux de ses compahiotes qui avaient reçu ses soins. Bienfaiteur numéro un de la ville. une rue de Pau porte son nom
depuis 1881,
"
67
�d'avoir ses détracteurs, mais la voix de son « inventeur >,
assisté de ses confrères (13) r esta la plus fort e pendant
plus de quarante ans.
L'installation des insula ires à Pa u ne posa guère de
séI-ieux problèmes locatifs, tout au moins jusque vers
1830. Pour t.rois ou quatre douzaines de f.amilles le choh
était assez large parmi les hôtels particuliers (14) dont
les propriétaires - qui ava ient r éduit leur train de vie cédaient une pm·tie, les appartements les plus r echerchés
étaient dans les immeubles de la rue Royale (15). Pou r
ceux qui préféraient vine il l'hôtel, Pau n'offrait encOliC
que des ressources limitécs. L'hôtel de la Poste, place
Gramont, malgré tous les inconvénients dûs à sa situation, avait l'avantage d'être le premier qui se présentait
à l'arrivée de la diligence. Il faut attendre 1833 pour voir
apparaitre un hôtel pins capable de satisfaire les goûts
britanniques : l'hôtel d e l'Europ e. L'hôtel de France
n'était alors qu' une auberge, mais, en 1837, Garderes fils
prit la succession et en fit bientôt un établissement tout
à fait remarquable' qui aura désormais la fidélité constante dc la clientèlc d'outre-Mancbe.
Pour être logés à leur convenance, certains insuluires
n'hésitent pa s it achc ter des propriétés en bordure de la
ville, y apportant toutes les transformations voulues. C'est
ainsi qu'en 1830, Robert Glasgow fit l'acquisition du château de Billère (16) . En 11138, Sarah Fitz-Gérald acheta,
it J'en tr ée de la route de Bordeaux et il la limite de Billère, une d emeurc avec de vastes dépendances et il
laquelle elle apporta de somptueuses transformations (17).
A ce I))'emier sta de du développement de la coloni c
"
o '
(3 ) Sous le second Empire. il y eut jusqu'à quatre ou cinq
médecins britanniques consultant â. Pau.
(14) Certains portaient le nom d'anciens magistrats du Parlement de Na.varre.
(15) Auj ourd'hui rue Louis-Barthou.
( 16 ) Robert Glasgow etait , disait-on, l'Oswal d de « Corinne ».
Le fait est Qu'il avait entretenu une correspondance suivie avec
Mme de Staël.
(17 ) La « Villa Fitz-Gerald» fut le centre le plUS 'brillant de
la vie mondaine pa loise sous la monarchle de juillet : Franz Liszt
y donna. un récital en 1844. Cette demeure fait aujou rd'hui partie
de l'ensemble des bâtiments de rinstitutiçl1 de l' « Immaculee
Conception ».
6~
�anglaise de Pau, II semble y ayoir COIl\Dlunauté de pla'"
sirs. La société béarnaise et la société d'outre-l\1anch-~
s'interpénètrent étroitement. Les membres du « cercle
béarnais» se retrouvent au < cercJè anglais •. Les salons
de la préfecture s'ouvrent largement aux Britanniques,
et ceux"ci s'y pressent volontiers. L:ès réceptions du Maire ne sont pas moins suivies. Et les étrangers, savent, à
l'occasion, rendre aux indigènes les attentions dont ils
sont l'objèt. Répondant aux . proverbes» des salons
français, les Anglais donnenl il leur tour la comédie.
Mais ce sont évidenunent les soirées musicales qui, ave"
les bals, réunissent le plus spontanémelllles dèux sociétés.
Cè n'est qu'à partir de 1838 que les deux nationalités
tendront à se séparer sur le plan de la vie mondaine.
La compénétration des deux sociétés, particulière"
ment étroite vers 11;25, provoqua un certain nombre de
mariages franco"anglais COllUlle celui d'Alfred de Vigny
avec Lydia Bunhury, le 3 février 1l!25. 11 y eut -a ussi
plusieurs unions purement béarno"britanniques.
,
*-;-*
L'année 1838 marquc le début d'une nouvelle phase
dans le développement de la colonie d'ontre"Manehe.
Comme en 1814, la guelTe en est la cause. Non plus un
conflit européen mais une guerre civile : le soulèvement
des Basques d'Espagne en favenr de Don Carlos. Lord
Palmerston avait multiplié, depuis son déclanchement
en 1833, les missions dans la Péninsule, et le chemin
direct de !\Iadrid par Bayonne et Vitoria se tronvait
coupé. Le Gonvernement de Londres avait donc organisé
un nouvel itinéraire par lu vallée d'Aspe et le Somport.
Pau devenait ainsi un relais d'étape pour les agents du
Foreign Office, les militaires, les financiers, les journa"
listes et aussi les simples touristes sur le chemin de la
capitale espagnole (18). Un certain nombre de ces Bri-
.
(18) On sait Qu'en 1835 l'Angleterre intervenait militairement
en faveur de Marie-Christine par une « légion » qui combattit dans
Jes Provinces Basques. Ces missions, puis cette intervention ne
furent pas sans conséquences sur le développement du tourisme
pyrénéen en général. Nous ne considérons ic! que leurs incidences
sur celui du climatisme palais .
(19) Le Dr Taylor était lui-même un ancien chirurgien de la
69
�tauuiques en activité dc l'autre côte des Pyrénées instailèrentlenr famille dans la capilale béarnaise. La guerre
terminée, on retrouve à Pau de nombreux officicrs dc
l'ancienne « British Légion» (19), des diplomates retirés du service, dont le premier contact avec la \'ill"
datait de ]a « Guen'a dc Siete Anos ».
Au second stade de son développement la colonie va
souffrir de l'insuffisance des installations locativcs dont
avaient pu se satisfaire les hôtes de la premièrc pé,·iodc.
L'attrait de la vie bon marché tend à disparaître et la
clientèle devient de plus en pins huppée (:10). L'invasion
des insulaires n'est pas du rcste saluée sans quelqucs
regrets de la pali de certains Béarnais. Mais les voix
discordantes se perdent rapidement dans la satisfaction
générale qui naît de la prospérité économique accrtlc.
La saison de IM6-1847 marque un nouveau bond eu
avant avec l'afflux de familles d'outre-Manche chassées
de Tours par la peur des scènes de désordre dont la ville
a été le théâtre à cause du renchérissement des grains.
Pau saura garder cette nouvelle couche de résidents e t
verra sa clientèle anglo-saxonne croîh"è régulièrement
jusqne vers 1880 (21).
La cordialité des relations of1icielles et l'urbanité
qui régissait les rapports entre insulaires et indigèn c;
n'empéchèrent pas, peu à peu, la société britannique du fait même de son importance croissante - à chercher
à s'isoler dans une certaine tuesure pour organiser sa
vie sociale sur des hases plus exclusivement « coloniales •. Ces tendances à la séparation se manifeslaient déjà
à la fin de la première phase du développement de la
colonie. Le divorce entre les deux sociétés semble un fail
accompli à la fin de la monarchie de Juillet. Quelques
traits d'union subsistent cependant comme le salon de
Cl British Legion ». Atteint de typhus à Vitoria. il était venu chercher la guérison â. Pau.
(20) Il serait fastidieux de signaler tous les grands noms de
l'armorial du Royaume-Uni qui fréquentent alors Pau. Citons
cependant lord Harris, lord Newark. lord Melbourne, Joni Falkland.
lord Gough. la duchesse de Gordon. îa comtesse de Durham. la
ma!'Q.uise de Donega.ll, etc ...
(21) On peut évaluer â trois cents environ le nombre des
hîŒrnants d'outre-Manche à Pau en 1845-1846. Dix ans plus tard,
ce chiffre atteint presque le millier.
70
�Sarah fiLz-G erald (22) ou certaines personnalités comJ1\C
le Dr Taylor ct l'avocat palois Patrick O'Quin, d'ascen·
dance irlandaise (23) .
La colo ,ùe voil d'année en a nnée se développer tous
les éléments nécessaires à son confort matériel (24) ct
spiritucl (25). Pour faciliter les formalités administra ti"es, lin vice-consulat est créé l'n HlM (26).
Tous les britanniqucs hivernaut à Pau n 'étant pas
dcs valétndinaires, les sports ell honneu!' outre-Manche
yont connaître lIll essor pro(ügicux sur les rives du Gave,
cn particlliier dans la plaine de Billère (27),
Cest en 1842 qu'apparut au Béarn la première me ute
pour la chasse ail renard et quc se constitua la sociéte
qui devait devenir le foyer essentiel des activités sporti"CS e t mondaines de la co lonie ct l'éléme nt primordial
qui la r e tint encore à PUll lorsque commença à craque,'
,'édifice construit par le Dr Taylor
•
**
•
-
18.')5 marquc lc rlébut d'ullc troisième pbase dans le
d éveloppement de la colonie britannique de Pau (28) . Le
chemin de fer va amener dans la capitale béarnaise des
flots toujours pills larges d'insulaires appartenant à des
couches sociales moins étroites qu'autrefois (29), Aux
(22) Voir supra, note 17.
(23) Il sera député des Basses-Pyrénées et maIre de Pau sous le
Second Empire.
(24) L'Hôtel des Ambassadeurs ouvre ses portes en 1841 et les
habItations à l'usage des étrangers se multiplient dans le N.~O .
de la ville.
(25) La. premIère église anglicane, « Christ-Church n. est inaugurée en 1841, grà.ce aux libéralités de la duchesse de Gordon.
(26) Son premier titulaire. Pemberton Hodgson, était par ailleurs
le banquier de la colonie. Ses successeurs poursuivirent la même
activité. Un Vice-Consulat américain fut créé en 1860.
(27) C'est ce qui explique rangUclsation totale, dans la seconde
moitié du siècle. de cette commWle qui jouxte Pau au N.-o.
(28) Nous avons choisi cette date parce Que le chemin de fer
atteint alors pour la première fois les Pyrénées à. Bayonne et que
ln liaison Londres-Pau qui, vers 1840, demandait plus de dix jours va
pouvoit' se faire désormais en quarante-hult heures, délai qui tombera à trente-six heures lorsqu 'en 1863 le tronçon Dax-Pau sera
achevé.
(29) Il s'agit d'un phénomène général dû à la révolution industrielle triomphante.
71
�eléments d'outre-Manche s'adjoignent bientôt des éléments venus d'outre-Atlantique qui prendront une part
croissantè à la vie de la conUllunauté anglo-saxonn ~,
plus du reste par leur dynamisme sportil et mondain
et l'opulence de leur train que par l'importance de lem
simple représèntation numérique (30).
Les vertus du « Clima te of Pa u » restent un dogmc
solide malgré une courte alerte en 1858 (31) et des jugem ents particulièr em ent séyères portés en 1864 par un e
autorité en matière de climatologie médicale (32) . Mais
déjà les responsables de la vie économique de la cité se
mettent à songer que si les malades d'outre-Manche
venaient à déserter Pau, il faudrait il tout prix retenir
et même augmenter la clientèle bien-portante en faisant
de la ville la capitale des sports élégants (33).
.-.
~'"oo
, •
.,
En 1856, est instaUé dans la plaine de Billère le
premier golfl du continent (34). Mais le sport il Pau est
avant tout hippique. Les premiers matches de polo font
leur apparition eu 1875. Les anglo-saxons n'apportent
qu'un intérêt l'datif aux courses de p lat se déroul ant ,;
l'bippodrome Montpensier ; par contre, les épreuves de
« steeple chase » attirent tous les « gentlemen-riders » (35) . La cbasse au r enard connaît un développcm ent inouï (36) et la campagne béarnaise se voit par-
(30) EncO:'e un phénomène d'ordre général
les Américains
rejoignent les Anglais dans les stations que ceux-ci ont lancées ... et
parfois les en chassent.
(3 1) D s'agit d'une polémique da.ns le « Times », au cours du
mois de septembre 1858. Les critiques anglaises portent du reste
davantage sur les conditions sanitaires de la ville que sur le climat
lui-même.
(32) Cf. Thomas More Madden : « On change of Climate... ».
Londres, 1864, PP. 250-260.
(33) Le premier geste qui concrétise cette prise de conscience
est, en 1868. le vote par la municipalité paloise d'une subvention
annuelle à la Société de la chasse au renard, subvention bien moclique il est vrai au départ, mais qui, en 1879, a.tteignait 15.000 francs.
(34) Quatre Ecossais sont à l'origine des « Links » de Pau. Ils
furent inaugurés en 1867 par le duc de Hamilton, hôte du Château
de Pau. Le club comptait une trentaine de membres vers 1860, trois
cent quarante en 1892. n reste:-a jusqu'à la fin du siècle un fief purement anglo-sa.xon.
(35) Le premier « steeple-chase » fut couru dans la campagne
béarnaise en 1841.
(36) La meute comprenait une centaine de « Harners » à l'ouverture de la saison de 1880-1 881.
72
�lagce cn dislricts de chasse donl les nOl1LS êyo qllPnl i...
"ieille Angleterre (37). La meute sort trois fois pa r
sClnainc, et chaque « l11ect :t représcntc unc haute l11finifestation mondaine.
,i;'"
En 1880, la société de chasse connait une crise des
plus graves du fait de l'inlroduetion d'une meute rivale:
celle du Comte de Bari, frère du dernier roi de Najlles~
Horrifiés par l'intrusion d'un étranger dans leur fief,
les Anglo-Saxons provoquent la dissolution de leur
société. Devant une situation aussi préjudiciable aux
intérêts locaux, la municipalité de Pau prend des mesures conservatoires. Et l'on cherche un sauveur. Celui-ci
se présente bientôt en la personne de J. Gordon-Bennet! ,
le propriétaire-directeur du « New-York Herald >. L,
1:lourbon-Sicile accepte de se ranger sous la houlette en
laissant incorporer sa meute à celle de la vieille société.
Le magnat d'outre-Atlantiquc Ile resta maitre d'équipage que durant deux saisons. Mais son « Mastersbip >
marque le début de l'ère américaine du « Fox-hunting ~
en Béarn (38).
;
..
Pour loger des hôtes de plus en plus nombreux (3!J).
des constrnctions nouvelles s'édifient à un rythme rapide
dans les quartiers périph2riques. Les 1:lritanniques euxmêmes participent à l'achat de terrains en vue de lotissement (40). Toute une zone suburbaine au Nord de la
ville voit de luxueuses villas, entourées de pelouses pour
la pratique du « Lawn-tennis >, sortir de terre pour le
compte des Anglo-Saxons. Sur la route de Tarhes ou sur
les allées de l\Iorlaas, en direction de ses tenains de
(37) Le plus ancien est le district de l' c( Old England », sur les
confins du pays tarbais. Le Home Circuit. » et le « Leicestershire »
apparaissent ensuite.
(38) A vrai dire, il y eut avant la. domination définitive des Amêricains sur la chasse de Pau une denl1ère période anglaise sous le
« mastership » de Sir Victor Brooke (le père du Field Marshall Alanbrook, chef de l'iEtat-Major Impérial au cours de la. dernière guerre)
et française sous ia direction du Baron Lejeune. pUis du Baron
d'Este.
(39) Environ 2.000 hivernants à la fin du Second Empire. Ceuxci laissaient annuellement près de 600.000 livres sterling à l'économie
locale.
(40) En 1868, quatre insulaires achetèrent des terrains au N.-O.
de la ville « afin d'y élever des constructions dans le genre de celles
qui existent en Angleterre ». (Cf. « Le Mémorial des ~yrénées » du
17 avril et du 28 mai 1868).
13
�chasse favoris, la colonie anglo-amcricaine s'installe n011
moins confortablement. Sur les côteaux de Jurancon ct
de Gelos, de grands domaines sonl a cquis par les 13ritanniques. Au centre de la ville, cependant, de grands palaces sont édifiés pour les hôtes de passage. Le « GranclHôtel et Continental » ouvre ses portes en 1868, le
« Grand-Hôtel Gassion > en 1872. Ce dernier joint à ses
fonctions hôtelières celles d'un casino, sa ns roulette ni
baccara il est vrai (41) .
Lc déplacement de la colonie à demeure vers les
nouveaux quartiers résidentiels de la périphérie, son
installation dans des villas plus ou moins Isolées, la
multiplication des centres de ralliement qui lui sont
propres (42) accentuent encore lè phénomène d'autoségrégation déjà noté (43) ; celui-ci va dc pair avcc
un expansionnisme qui arrive à chasser peu à peu la
société indigène de positions qu'die s'était tout de même
ménagéc dans les installations nouvellement construites (-14). Les traits d'union entJ·c les deux communautés
disparaissent les uns après les autrès (45). Certes, de
nouveaux liens se créent autour du chèval, mais ces
liens n'unissent les -anglo-saxons qu'à (les nlcn1hrcs du
« Jockey-Club >, avec SOIl prolongèlllent local : Ie « Hunting-Club >, fondé en 1875. Les notabilités béarnaises
et plus généralement françaises, qui se tieunent à l'écart
des sports équestres, n'ont aucune chane" de pénétrer
dans le milieu anglo-amél'icain de Pau. Les autres
« éh'angers » semblent l>al-tager cet ostrncisme (46).
(41) ses aménagements étaient si luxueux que la cHentêle anglosaxonne en était parfois étonnée. (Cf. Marvin R. Vincent : « In the
Shadow of the Pyrenees lt, New-York. 1883, p. 120) .
(42) En particulier les églises. A la fin du siècle la colonie disposait de Quatre temples en bmmes pierres. Du strict calvinisme
êcossais au puseyisme, toutes les tendances étaient représentées. La
colonie créa aussi ses propres écoles pour l'éducation de ses enfants.
(43) Ce phénomène est particulièrement manifeste en 1868 lorsque le siège de « l'Englisb Club» est transféré Place Royale. Son
nouvea.u règlement exclut les non Angl<H3axons.
(44) C'est ainsi Qu'eo 1877 le " Cercle Bearnais » doit évacuer
l'Hôtel Gassiou pour laisser toute la place au « Hunting-Club )t.
(45) C'estrà-dire les plus vieux rêsidents, ceux déjà êtablts à Pau
sous la monarchie de Juillet.
(46) On se trouve en peine de relever un nom russe ou espagnol
&
ur les listes d'invité!'; aux réceptions div~r,;::es organl~ées par la cclc!lie
anglo-saxonne.
74
�,~
••
11 est ass.;z difficile de suivre l'évolution numériquc
de la colonie hivernale britannique de Pau, mais il est nn
fait que celle-ci reste la rgemcnt majoritaire par rapport à l"énsClnble dcs autres groupes nationaux, y compris le français, durant tout le Sccond Empirc. L'amenuisement puis la perte de cette prépondérance appamit dès les premières annéès de la lllm" Républiquc ;
même avec l'a djonction de la colonie américaine, cetl<!
chute prend lc caractèrc d'un phénomènc irrévcrsiblé à
partir de la saison de 1878-1879, pour devcnir absolument
IlUtent en 1384-1885. Quclles sont donc les caUSéS de
celle désertion progressive ?
La prenùère est due à la condamnation fOl'melle du
climat de Pau comlllè résidence hivernale pour les malades pulmonaires parue outre-Manche, entre 18n 'è t 1887,
daus toute une série d'ouvrages traitant de climatologie
médicale (47),
La seconde réside dans l'apparition de Biarritz C il
lant qUè station d'hiver ct qui finit par détourner à SO'1
profit une grande partie de la clientèle hritannique de
Pan (48).)
La Lroisiènlc cause - ct sa ns doute aussi dé terlll iuante que les dèux premières - tien t , pour paradoxal
que cela paraisse, à la nouvelle vogue même de Pau llll e
fois que fut réussie la reconversion d'Ull" station de \'ai~
tudinaires en Ull haut lieu des sports élégants. L'impor ·
tance croissantè d'une clientèle continentale, essentiei-
.
•
(4S, C. Dr 011. T. Wmiams h « Medico-chirurgical Tra.n&actiom
of' lhe Royal Mcdi;:=nl and Chirurg ical SOCiety », Vcl. 55 (annêe
1872), Le Dt' Wi1!till1~, :.;,e basant sur l'observation de ~1
cas, relève Que 45 % des malades envoyés à Pau votent leur état
empirer, alors que la proportion tombe à 20% â Cannes. - Cf. du
même auteur : fi: The Influence of Climat,.. » Londres, 1871, pp. 71115. - Cf. Dr. Th. M. Madden : « The Principal Health~Resorts.
Londres, 1876, pp. 69-76. Il s'agit de la seconde édition de 1'0uvl-age précédemment cité (voir supra., note 32). Cf. Dr. James
A. Lindsay : « The Climatlc Treatment of Consumption 'l, Londres
1887, pp. 177-178. L'appréciation du climant de Pau y est particulièrement sévère.
(48) Ceci sou lève une Question des plus intéressantes : celle de
deux stations qui vivent d'abord en étroite symbiose, avec sensiblement la même clientèle, l'une l'ayant l'hiver, l'autre l'été, JUSQu'au
jour où l'une des stations réussit à devenir bival1ente.
75
•
�IClIlent latin e (49), Ile l'Ill donner à la colonie anglais"
que le œgrel d'une époque où elle seule complait, où
tout se faisait par elle ou pour ellc. A ce t égard, l'affaire
de la m eute du comte de Bari avait été certainemGnt P"ll l"
elle un véritable choc psychologique. 11 y e ut aussi S~ llS
doute quGiques mécomptes du côté des Américains, ceuxci se révélant des plus envahissants sur le double plan
sportif et mondain. Il semble que les Britanniques ne
livrèrent m êm e pas de combats en r etraite c t qu'ils
épronvèrent conunG une demi-consolation à passer la
main à le urs cousins d'ou tre-Atlantiqu e plutôt qu'à d'autres.
Tout conuue son implantation saisonnière dans la
ca pita lG b éarnaise au cours de la phase ascendante, la
désertion de Pau par ses h ôtes les plus anciens se fit
insensiblement (50), et le dynamisme yankee pouvait
cachGr, dans une certaine mesure, le lent reflux de la
colonie d 'o utre-;\fanche. Un événement, en 1889, fut
l'occasion d'une douloure use prise de conscience par les
Palais. On leur avait promis un sé jour dG la reine Victo· ·
r ia .. Déjà, ils la voyaient installée au Château du l'C,i
Henri. .. et ce fut Biarritz qui la re tint pour près d',H!
mois (51). sans quc la souvçra ine honol'ât leur ville, ne
fflt-ce ql1 è par une courte visite.
Les signes avant coureurs qui nlontraiell~ que Pau
avait sensiblement perdu de son prestige auprès des
insula ires n'avai:Gnt cependant pas manqué (52). Tenus
dans une ignorance à peu près complèt<! de l'évolution de
la questiou climatique paloise dans l'opinion m ,'dicale
d'oulre1~anche, les indigèn es n~ v·aient pourtant pa s
été sans remarquer que depuis la mort du Dr l'aylol' les
cabinets tenus par des consultants britanniques avaient
pris l'habitude d'ç changer fort rapidement de mains et
'J..~.
,
(49 ) La colonie russe ne fut jamais numériquement importante à
Pau. Elle disposa cependant d'une église à elle à. partir de 1867.
(50) En 1895-1896, l'élément britannique représente encore le
tiers de l'ensemble de la colonie hivernal e ; le quart â+la veille de
la première guerre mondiale.
{5U Du 7 mars au 22 avril 1889 .
(52) En particulier la llquidatlon aux enchères publiques des
« Terrains des Anglais » (voir supra, note 40) . dont 31 lots restaient
à bâtir, et Qui eut lieu le 24 décembre 1885.
76
�finalement se réduire à deux à la fin du siècle, puis à
seul à partir de 1905 (53) .
1I1l
Et comme par ironie, sortait enfin de terl" ~ cc que
les insulaires avaient réclamé pendant près d'un demisiècle: le boulevard des Pyrénées (54) et lin véritable
Casino (55).
1
La disparition quasi totale de la colonie britannique
de Pau se fit en deux temps, sous le coup d'é\"én'~m ents
mondiaux qui affectèrent du reste d'autres slations : la
première guerre mondialè et surtout l'effondrtment de
Wall-Street, en 1929, qui, avec la fin d'un monde , vit la
liquidation de la meute de Pau et le départ (h~ son dernier maître d'équipagc : l'Américain H. Prince (56).
Et aujourd'hui, bicll que la capitale béarna ise ait
I"ela hli son économie sur lèS bascs entjèrèl1lcnl 11o)Uvelles que r Oll sait, il nous scmbh! qu'elle gardc toujours
- incurablemenl - la nostalgi"! dc ses hôtes d'oulrcManche.
,
Joseph
OULOU~[
Pl'o(,J,<;seur ml I~ycée rk I .. rl ."l' eyll!'.
(53) Le demiel" mêdecin consultant d'outre-Manche à Pau fu t le
Dr Brown. n exerça jusqu'à la disparition quaSi complète de la
colonie en 1929-1930.
(54) n fut inauguré
en 1895. déjà trop tard pour qu'il füt bap-
tisé « Boulevard des Anglais ».
(55) Le « PalaIs d"Hiver » fut ouvert en Novembre 1899.
(56) Une rue de la ville porte le nom du dernier « Master of the
Pau Hounds D, une autre celle de son prédécesseur, américain égaIement, Ç .,H. Ridgway.
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�Les vicissitudes
d'une station thermale
des Alpes-Maritimes:
Berthemont-les-Bains avant 1914.
..
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HerUT~l1lolll-les-Bajns, à 65 kilomètres de Nice,
àccessible par la Vallée de la Vésubie, est, administra_
tivement, un hameau de, la commune de RoquebilJièr~,
il 8 kilomètres de Saint-Martin-de-Vésubie. Un établissement thennal - l'~ seul du département des A1pesMaritimes - y fonctionne et il a été agréé en 1960 par
la Sécurité Sociale, pour le r emboursement des cures.
L'Hôtèl lui-même (disponibilité : 31 chambres) a dÎt
adapter son exploitation. Depuis l'été 1961 (ouverture
15 Juin-l" Octobre), l'hospitalisation classique, trop
onéreuse (32 il 38 NF. la chambre par jour) a fait place
il une fonnule de sèmi-location : chambre ct petite cuisine (8 NF.) et petit déj euner du matin.
C'est donc une station thermale au succts mitig~ .
Comment s'expliqm~ cette quasi-stagnation alors qu'elic
est la SClùe du départem~nt ct que son accès est très
facile, il une distance assÇz courte de Nice ?
1°) Ce qu'est Berthemont.
C'est un plateau (altitude : 850 il 1.000 mètres)
situé sur la rive gauche d'è la Vésubie et que borde il
l'est le torrent l'Espalhar, tributaire de ln Vésubie. La
79
�route carrossable qui mène à l'établissement tb~rmal est
bonne, entretenne pal' la municipalité de Roquebillière.
La végétation - pâtures au C'~ntre du platean, truffé cs
de vergers - cst luxuriante : mélèzes, cèdres de l'Ath",
sa pins, châ taignierrs de très fort~ dimension, épicéas. Le
climat y est sec et l'on peut même parler, ù ce propos,
de micro-clima t.
Le calme est Id qu'on a sUl'nommé cc lieu: la Principauté du silence. C'est un luxe l'are en nos temps. ,
·
Les eaux thermales sourdent ,"n quatre endroits :
la plus élevée vers le Nord est nommée sour.ce SaintMichel ; clle èst froide et sert ordinairement de boisson; eUe jaillit du flanc de la montagne de Las Besses,
non loin du vallon de Lancioures. Une seconde, Cèlle de
Saint-Jean-Baptiste, a une température de 24" Réaumur ; la troisième, Saint-Julien, occupe quasiment le
lit du torrent dit de Las Crotas (23"), la quatrième est la
source de Saint-Jean, qui coule dans le lit de l'Espalhar.
Les eaux de ces sources sont claires et limpides, légèrem'~nt onctueuses au toucher, leur saveur est à peine
sensible; leur odeur est analogue à celle que dégagent
des œufs couvés. Elles déposent un léger précipité blanchâtre composé surtout d" soufre hydraté, facile Il
recueillir en leur ruissell~ment. L'analyse faite donnc la
composition ci-dessous :
Pour deux litres d'eau :
Gaz acide hydrosulfmi'lnc
Gaz acide carbonique
Gaz azote
Hydrosulfate de soude
Hydrochlorate de soude
SuIfat~ de chaux ........... .
Suifa te de soude ....... . . _..
Silice .................... ..
6 cenligr.
«
5
4
«
10
«
5
«
Comme les eaux de Luchon, celles de Bèl·themontl
émergent d'un terrain à base de gneiss et de mica~
schiste ; dies sont sulfurées, sodicfUes, contiennent un c
matière végétale, dénommée Barégine et s'adaptent aux
affections scrofuleuses et herpétiques.
En 1898, le docteur Corniglion lui consacrait un ~
thèse, soutenue devant la Faculté de Montpellier ; ce
lL'avail était intitulé: « De la possibilité de Irois CIII'PS ..
80
�lliermale, d'air, de lail • - Successivement, duraut la
période qui nous intéresse, les docteurs Balestra, Malgat,
Pollet, Matteo, Pietri, lui consacrèrent des études.
2°) L'exploitation th'èrmaIc,
En lM;!, J'auteur niçois Louis Houbaud publiait (1)
un ouvrage sur Nice et ses environs, où il étudiait l'étal
lamèntable dn site de Berthemont (pages 127-131).
Aucun établissement, un enchevêtrement forestier qui
achevait la reconqnê te des anciens chemins ou dràios.
un très mauvais eh'è min qn'empruntaient les paysans
allant cultiver les écarts du hameau, Il écrivait ceci :
« Un cbemin accessible aux voitnres, une installation
dè douches et de chambres .. , a ttireraient beau.coup d'habitants de Nice et lw e grande partie des étrangers qui
vont y pasS'èr l'hiver. On pourrait même dans qnelques
cas, faire succéder les bains d'è mer à ceux d'eaux thermales. - Et, plus loin: « II est à regretter que la route
qui y conduit ne soit pas en meilleur état •.
Ainsi, en 1860, au momènt dn rattachement du
comté de Nice à J'empire français, l'exploitation
ancienne des Bains n'était plus qu'un souvenir. Si quel'rues bâtiment en ruines suhsistaient sur ces terrains,
il n'y avait pour l'utilisation de l'eau thcl'male J'ieil de
plus que quelques trous dans le sol !
En 1861, un négociant en bois, Charlès Bergondi,
entrevit l'intérêt de ces sources ; il acheta à has prix
les terrains avoisinants et fit construire un modestè
bâtiment pourvu de trois ba ignoires et il demanda il
la commune de Roquebillère la concèssion des thermes, Le 25 mars 1863 le Préfet Gavini de Campile autorisa cette concession. Le délai de six ans mis
comnle condition ne comtnençcrait de courril' qu'à
partir de l'achev'è mcnt de la rou te départementale
numéro 1 jusqu'au vallon de ]'Espalhar. De 1865 io
1875, Bergondi effectua unè a!llne considérable : lin
établissement de bains (dont les vestiges subsistent il
côté <l c la sou rce Saint-Jean-Baptiste (2), Ull hôt el (c'es t
(1 ) Lou ls Roubaudi ; Nice et ses environs - Par:s-Tur!n 1843 Ouvrage en fran (:.a :.s.
(2) Document fc;)Urni par M. r lngënieur Alban Cardon.
81
6
�l'actuel bâtiment surélevé d'un étage). L'ingénieur des
Mines, Victor Juge, put constater, le 10 Févrièr 1875,
que les conditions rationnelles d'exploitation étaien~.
accomplies. Lé comité d'Hygiène des Alpes-Maritimc~
(22 Février IBïï). l'Académie de Médecine (2 Avril
1878), le Ministèr c de l'Agriculture (17 Avril 1878) donnèrent snccèssivcmcnt lin avis favorable. Restait l'accès à ]'établissenlcnl : or, en 1879, si un chemin vicinal
carrrossable partait de la route jusqu'au plateau. il sc
terminait 600 mètrès avant l'hôtel et l'on y accédait par
une sente à mulets ... Mais Bergondi ne put continuer
son œuvre.
Il dut cédér l'eusemble de sa réalhalioll ,\ M. Pierre
Cardon, avoué à Nice, moyennant la somme de 90.000
francs-or (la famille Cardon gardera l'exploitation jusllu'en 1928). Pour juger de la valeur de l'œuvre réalisée
par Charles Bèrgondi il convient de se rcpl'ésenter k s
conditions très pénibles (tans lesquelles il la mena il
bien : état arriéré de la région, iguorance à peu près
générale d es questions thermalés. dénuement technique du pays; précarité des moyens de transport et nes
voies de c01nnulnications.
Nous CIl avuns LIU téllloigllagc par
un ~
description
d'un toul'Îste allcmand, Stcinbrück (3) qui séjourna il
BerUlemont en 1884. Il écriva it ccci : < Aujourd'hui, ce
qu'il faut à Berthemont, c'est un établissemen t dé bains
sérieux, contenant H U nloin~ dng t baignoires, lin appnreil à douches d il serait facil e <l'y établir encore ull e
étuve pouvant seryir pour douner les bains turcs c t
russes » (page 114) - (4): Steinbrück disait plus loin :
« Une bonne route carl'Ossable, l'extension et l'amélioration de l'établissemcn t des bains ne permettraient
point de donte,!' qu e clans 'un avenir très prochain, ]a
CH J. H. T.
St ~jnhrüc!..
: Recueil d'études sur N:ce et ses environs
rLeipzig. Brockaus ) 189!.
,
.......
1;,
.
(4) Qu'on nous pennette de cit.er fn comparaison le tra:tement.
actuel (1962) organise pnr le d.Jct::!ur de la Farge ~et M Blanch~rdon : boisson. humages. pulYêrisnt'ons. aérosols, insufflatlons
tubc-ti-mpaniques bains wœrs pisc,ines. douches (massa.ge fjliforme,
vaginal. perineo-prostatique. etc.) emanatorium. lIlutations. vi "a~ismc thermal. etc ...
82
�station thelmaIe de Berthemont prendra la place qui lui
appartient à côté de tant d'autres plus favorisées pal'
la mode ou la routine >. lièS mêmes problèmes qu'en 186~ se reposent, avec
moins d'acuité grâcè ù Bcrgondi, vingl ans plus tard.
Comprenant l'importancc des investissements.
PielTe Cardon, par acte notarié du 19 Jnillet 1882, va
fonder la Société Anonyme dèS Bains de BerUlemont, au
capital entièrement souscrit, premier quart versé, de la
somme importante pOUl' l'époque de 600.()()() fI' . or. L'hôtel
fut surélevé d'un étagè, l'établissement U1ermal actuel
fut construit, des rcmises pour chevaux ct voitures
(encore existantes) furent élevées. En vue du captagè
des eaux, on fit percer deux galeries dè mines (5) et
canalisel' j'llsqu'aux bains l'eau de la sOIl·rce Saint-JeanBaptiste. Ayant acquis les parcèlles de terrain indispensables, on traça unc route de 3111.50 de large sur 60() m .
de long, I"!1ccordant enfin le chemin carrossable à
l'hôtel.
•
La grande crise financière de 181!4 - nOlis dirions
de nos jonrs ; la récession - vint stopper cètte expansion ; le 16 janvier 1894, une assemblée liquidait la so·
ciété par adjudication à Pierre Cal·don. L'exploitation
Iut suspendue. A la mort de Pieu" Cardon, en 1896,
elle passait à SOIl frère. Barthélémy. conducteul' des
Ponts et Chaussées, qui n'était en rien préparé à celle
tâche. Néanmoins, il Sè mit courageureusement au travail, rouvrit l'hôtel, fit construire des terrasses et l'établissement fonctionna, soit par gérant, directement, ou
par locataire, en 18!!8. Elle devait continuer sans intern1ption jusqu'ell 1914, datè de la mort de BarthéJém~'
C..ardon et cl'~ la première guerre mondiale.
3') L'équipement hôtelier avant 1914.
La période de 1898 à 1914 a marqué l'apogée de la
slation de Berthemont ; quelles furent les caUS'èS de
cette réussite ?
'.
.
.
C51 Documen ts fournis pttr M . l'ingënleur Alban Cnrdon.
63
�a) incontestablement, le dévelopl'emèllt de Nice
capitale d'hiver selon l'expression de Robert de Sonza ;
cette saison d'hi,""r avant 1914 va de Novembre à Avril
on Mai ; dnrant ces denx derniers mois, les voyageur,>
font des randonnées en montagne et cette évolution
s'accentm~ avec l'alpinisme niçois fondé par le Chevalier Victor de Cessole.
b) en second lieu, Ic mouvement général, bien antérieur à tou te organisa tion touristique sur la Côte d'Azur,
d'ès indigènes vers l'arrière pays niçois durant l'été où,
ne l'oublions pas. Nice et Cannes se vident. La saison
lhermale de Berthemont coïncide avec ceUè migration
saisonnière, car, dès 1901, 'è lle co=ence au 15 Juin ct
se prolonge même jusqu'au 15 octobre.
c) l'aisance très marquéc de ces curistes résidents.
dont les séjours durent cinq à six semaines, les négociants 'è I conunerçants fermant boutiquc, l' été, ,Ians Ics
villes côtières.
":
d)l'amélioratioll des transports : prenons trois
cxemples : cn 1872, pour aller de Nice il Berthemont,
on montait dans la diligence au départ de la placè
Garibaldi ; clic partait chaque soir à vingl heures ;
snr sa route deux l'clais il chevaux, il Levens et Lantosque (duréè de chaque arrêt : 3/ 4 d'heure environ), par
la vieille route de Dm-anus. On arrivait il l'embranchement du chemin dc Berthcmont à 7 heures du matill .
Là des calèches wnaient cherchcr les curistes; en 1892,
après la conslJ:llction de la roule du Plan-du-Var pal'
l'entreprise Thus, la duréc du trajet fut raccourcic de
a henres et demie; ènlïll, avec l'apparition des tramways de la Vésubie, on gagnait encore une heure 30.
On partait de jour, à 8 h. 30 el l'on arrivait de jOli",
vers 14 hèures. En 1910, des calèches d'une capacité d~
8 à 10 p'èl'Sonnes venaient attendre les voyageurs sur Ic
pont de l'&palhar (6).
e) En 1906, l'hôtel des Bains avait une capacité de
26 chambres; on comptait 'è n oulre sur le plaleau lui-
-
(6) Au mois de juillet 1907. on compte dans les remiSes de Berthemont. créées par Pierre Cardon
cnze attel ages . dont trois anglais.
deux russes et deux allemands.
64
�méme 5 établissements hospitaliers et fi pensions de
famille (7). En tout, une capacité de 116 chambres, sans
compter les maisons à location annuelle ou saisonnièrè
dont les statistiques sont difficiles à établir. Sous l'impulsion du médecin des bains, le docteur Malgal, on
transforma même certaines eharnbres de domestiques
en chambres d'hôtes. M. Alban Cardou signale qu'en
1908, on fut obligé de mettre des matelas sous les billards dè la salle de jeux ...
D'antres
d'avant 1914.
.~
facteurs
expliquent
cètte
prospérité
11 Y a d'abord la main-d'œuvre locale (garçons de
courses, valets, cuisinières, serveuses, femmes de chambre, jardiniers), qui fournissait à bon compte (1 fr-or 10
par jour, nourris) le personnel encadré par des spécialistes des grands hôtels de la côte - rendus alors libres
par la fermeture sur la cût" l'été - Ce personnel, indigène, est repris à la saison suivante et est dégrossi ainsi,
a u fur et à mesure, selon le rythme des saisons - On
comptè 13 personnes à l'hôtel des Bains et 35 personnes
dans les autres hôtels en 1911. Il Y il anssi des interprètes anglais et allemands dès 1904.
Ensuite, les familles de ce personnel d les paysans
du lieu fournissent légumes et fruits apportés tous le,
deux jours dans les charrettes ou à dos de mulels ainsi
qUè le lait. Des maisons de Nice - comme F. Potin,
Caressa, envoient par deux convois hebdomadaires les
vins, liqueurs, .champagnes, conserves, ainsi que l'assol'timent indispensable pour la variété des menus. L'èS
truites sont fournies par Saint-Martin de Vésubie et
Hoquebillière et il y a un vivier (encore existant) il
l'hôtel des Bains.
On organise des excursions, à dos d'âne, écrit le
journal l'Eclaireur en 1908, et il y a d'è ux cours de ten-
(7) Aujourd'hui, tous ces hôtels ont été rachetés et transformés
en colonie de vacances ce qui réduit il, très peu de chose la capacité
hôtelière de Berthemont : en dehors de l'hôtel des Bains. celuI des
Alpes (12 chambres) et une pension-restaurant. C'est tout C'est, è.
l'heure actuelle, le point faIble de Berthemont et celui qui freine
énormément un fonctionnement nonnal de la station thermale.
85
�Ilis ; ie nlê nlC journnl, ù la même dat{:, ~îgnalc des .cn ncerts en plein air.
A la veille d e 1914, Berthèmont est donc un e station
thermale en pleine prospérité.
- Son déclin, passéè cette etate, peut être expliqué
ainsi :
- bouleversement des conditions d e vie niçoise
e t ruine d'une partie de la bourgeoisie lïdèle à Bèrthemont; disparition des étra ugers (russps ct a llemancis) ;
- dépopulation très grave des villages dè l'arriè r cpays niçois par suite de très for tes pertes en vies humaines en 1914-18 ;
- manque de capitaux très importants pour réaliser en quatœ mois lin équilibre financier dans celte
exploitaion ;
li"" .... ,.,
- disparition des é tahlissem e nls hôteliers: manqu e
d'héhergement ;
- surtont, défant quasi-p ermanenl de propagande
touristiqu è en faveur de cette station.
André COMPA"
Professeu,. au Lycée
du Parc-Impérial de NiC/' .
..
8ii
�Des auberges
aux grands hôtels de Nice
L e., Palaces de .Vice el de la Côte d'A zur
li la tin du 19'" siècle el au début du 20·',
jusqu'a la crise de 1921J.
.
,
« QUELQUt:S SO U I/ ENIUS PERSONNELS »
Le Ulm. siècle après la démolition du Château.
ordonnée par Louis XIV voit la destinée de Nice se dessiner ear de ville fortifi ée, elle va dèvenir ville de Tourisme et de séjour, tout en restant ville de commerce
ct d'échangès par son port.
La cité prend de l'extension. Un nouveau port est
constmit à Lympia et cc qlwrtier s'embellit peu à pcu
par la création de la rges voÏès, la construction d e belles
et grandes maisons ct par la suite par l'aménagement
de la place Victor actuellement place Garibaldi.
Un ehemin promenad'è est tracé en bordure de la
mer, reliant le nouvea u port aux PoncheUes et au cours
Saleya. La construction de la première partie des terraSS'èS et l'ouverture du Théâtre Maccarani complètent
l'aménagement de cette partie de la ville où se concentre la vie mondaine.
'-
Un véritable tourisme ue pèut se coucevoir sans Ull
équipement hôtelier convenable. On peut dire qu'il éta it
87
�inexistant à cette époque de la mOitié clu l8 m • siécl<-.
Les qnelqnes hivernants qui échouaient dans la cité,
devaient se contenter d'aubergés, souvent modestes, ou
d'un logement chez l'habitant.
Un événement qui aura des conséquences hellI'euSéS pour l'avenir climatique de Nice, est celni du séjour
qu'y fit Georges Smolelt, arrivé malade au début <le
1763,
Sa première expel'lence au contact de la .cité lui
fut très désagréable, car descendu dans une anberge, il
la trouva fort incommode. Il réussit cepéndant à s'installer pIns confortablement pour l'époqne et y séjourna
jusqu'en 1765.
Smolett, de santé délicaté et malgré l'avis contraire
de ses médecins, voulut prendre des bains de mer auxquels il attribuera l'amélioration de son état, anssi se,
lettres à SéS compatriotes, vantant l'excellence du climat
niçois, publiées à Londres, ont-elles contribué grandement à la renommée naissante de Nice.
-
Smolett fut ainsi en matière dé propagande touristique, un précurseur et en quelque sorte un visionnaire,
de ce que pourra être 150 ans plus tard, la saison d'été
des bains dé mer et sa mésaventure, lors de son installation démontra la nécessité d'un équipement hôtelier
décent.
Cette nécessité se fait sentir de plus en pins, aussi
des hôtels-pénsions de famille, modestes encore, se
créent dans l'agglomération et vont déborder vers la
Croix de Marbre, qne les Anglais dénommeront Newboroogh ou quartier neuf.
C'est là que fut aménagé lé premier graud hôtel,
le premier Palace de l'époque, l'hôtel d'Angleterre où
séjournera le duc de Glou.cestér, frère du roi d'Angleterre, premier prince du sang britannique à résider il
Nice. Il y passera l'hiver 1783-1784 avec sa famille 'é t
sera suivi de plusieurs membres de la haute société
anglaise.
••
;, ..~ .
Les événements politiqUéS survenus en {<'rance cl
la période révolutionnaire que Nice connut en 1792-17<13.
bien que modérément, vont interrompre son essor Il'llristique.
88
�1
1
Après la paix d'Amiens e t surtout apès 1815, le
11\0uvement des étrangers vers notre côte reprend ct
"amplifie et la clientèle anglaise parmi laqudle figur"
la duchesse de Cumberland, belle-sœlll' du roi d'Angleterre, formera bièntôt une véritable colonie.
Nice va compter en 1830, 30.000 habitants avec 13
hôtels dè bon rang, sans faire état d'nne série d'auberges. Ce n'est qu'un embryon d'équipement, nettement
insuffisant, avec un senl établissement de quelqu~ importance.
C'est alors qu ~ vont se construire l' llôtel Chauvain.
près de la place Masséna, qui deviendra plus tard l'hôtèl
Cosmopolitain, l'hôtel Beau Rivage sur le quai du Midi
et l'hôtel de France sur la partie des quais qui deviendra
l'avènue Masséna puis avenue de Verdun .
,
o
·~,_1~"'l
.... , . .-.:: .,'
•
Le mouvement s'étend vers la mer, sur la promenade des Anglais et on y verra surgir des constructions
d'importance telles qu e l'hôtd de Home devenu WestEnd où descendra en 1858-59 le grand duc Constantin,
fils de Nicolas 1", l'hôtel Westminste r où séjournera
~ e yerbeel' .
D'autres hôtels de qualité prendront une place dè
premier rang tels que l'hôtel Méditerranée et le Luxembourg dans lequel séjourna le prince CharleS de Prusse et le Tsarewi\ch qui devint, en 1881, Tsar sous le
nom d'Alexandre.
Enfin l'hôtel des Anglais avec ses beaux balcons
continus et abrités servant dè promenoirs sur les jardins
publics et la mer, qui fera place en 1913 à l'hôtel Ruhl.
On arrive alors à l'époque du rattachement du
comté de Nice à la France. La ville dè Nice comptait
alors 50.000 habitants et possédait déjà 35 hôtels et pensions de famille. En 1861, 1.500 familles y passèrent
l'hiver.
Pendant les dix années qui s'écoulèrènt entre le
rattachement et le Second Empire, Nice connut une
intense activité touristique, mondaine et mêmè diplomatique.
La ville du reste prit de l'extension avec la construction de la voie ferrée, mais l'activité connut une
éclipse avec la guerre de 1870-1871.
89 .
�Après la guerre et les é\'énelllenis politl(l'lPs ql.Î
,nivirent, le mouvement ,reprend pen ù peu et son riéveloppement s'étendra vers la frontihe avec le prolongement progressif de la voie ferrée,
La construction d'hôtels d'importaItCè, amorcé"
vers la fin de la première moitié du siècle va se 1'0111'sllivrè.
A Nice, celle du Grand Hôtel sur les jardins ;VIassêna, se terminera èt cet établissement d'une envergure
audacieuse par le nombre de ses chambres el de ses
salons publics el particuliers, fera hooll'èllr à la famille
qui l'a conçu el réalisé et jouera un rôle de premier
plan dans la vie louristique et mondaine de la s&on<k
moitié du siècle et du début du 2O m - ,
Cet hôtel sera longtemps le Palace de Nice, et je n"
puis évoquer, sans une certaine émotion, cette bell"
maison, aujourd'hui Préfecture annexe, maison de mes
déhuts dans la carrière, il y aura bieutôt soixante ans,
et où tant de fêtes et de réceptions se donnèrent.
·
Là se fonnèren t quantité d'hôteliers l'épandus un
peu partout, et dont nombre d'entre eux sont arrivés à
la tête de beaux établissements faisant honneur à Niee
et à ceux qui les prépa rèren t.
Dans les autres secteurs de la ville, ou vert'a l'éclosion d'excellents hôtels de moindœ impo.'tance, mais
cependant de qualité,
Ce seront le Grand Hôtel de Nice e t lé Beaulieu
Hollande dans le quartier Carabacel, l'hôtel JuUien
devenu Alexandra èI les Empereurs sur le Boulevard
Dubouchage et les lIes Britanniques, le Métropole, le
Rhin-Atlantic, le Queens, Les Palmiers èl le Splen<lidc
sur le houlevard Victor Hugo,
Dans le quartier de la gare et dans le centre de la
villé on verra le Terminns, le Cécil, le Continental, le
Palace et l'hôtel de la Paix , ce dernier sur l'avenue
Félix-Faure,
Le mouvement ne se limité pas à la seule ville <le
Nice il s'étend vers la frontière, Dans la Principanté de
Monaco bénéficiaire d'un statut particulier et du régime
protégé du cerd" des étrangers, devenu la Société des
90.
�]
Hains de Mer, de beaux Hôlels s'élèvent autour dU 'Casi'
no de Monte-Carlo, parmi lesquels ressortent nettenro!nt,
J'hôtel de Paris de renommée mondiale, l'Hermitage, k
Grand Hôtel et le Métropole, que fréquenteront les hauts
])èrsonnages de la politique, de la finance et des Arts.
Menton n'échappe pas à cette poussée et dans un
cadre différent, de nombreux hôtels surgissent que fréquenteront des hivo!rnants séduits pal' le site et le calme
de la ville et du Cap Martin, propices aux séjours de
longue durée. Ce sont le National, le Wesminster, les
lIo!s Britanniques et plus tard le Win ter Palace, l'Impérial et le Grand Hôtel du Cap Martin où séjourneront
l'impératrice d'Autriche, et l'impératrice Eugénie.
Plus près de Nice, Villefranche avec Saint-Je«nCap-F'è rrat et Beaulieu sont entraînés dans celle montée
et en même temps que de riches propriétés sont aménagées pour des hivernants de marque, tels quo! le roi
Léopold II de Belgique, la .construction d'hôtels de qualité comme le Panorama devenu le &dford, le Victoriu,
le Bond's et le Bristol se réalisent.
L'essor hôtelier n'est pas limité aux communes de
la rivè gauche du Val', c'est-à-dire il celles de l'ancien
Comté de Nice, il touche également la rive droite c'est-
à-dire l'arrondissement de Grasse.
Sur cette partie do! la Côte d'Azur, Caunes connait
un développement remarquable. En dehors de l'amé-
nagement de magnifiques propriétés en résidenco!s pou r
une .clientèle internationale surtout anglaise, les hauteurs ainsi que le bord do! mer se garnissent d'hôtels
de premier ordre, tels que le Métropole, le Californie, le
Parc, le Gallia, les Pins, 1" Beau Site, le Grand Hôtel et
le Gray et d'Albion.
Antibes avait à cette époque le Grand Hôtel du Cap,
(lui acquerra, plus tard, une notoriété mondiale.
Grasse, pour sa part, possédait l'hôtel Victoria, dont
l'appdlation venait du séjour qu'y fit la reine d'Angle·
terre.
Nous sommes dans la dernière partie du t9 m • siècle.
L'activité touristique est caractérisée sur l'ensemble
de la Côte par une intenso! vie mondaine avee fêtes
91
�<lonnées dans les proprié tés e l domaines de l"arisloc r<ltÎl',
comme dans certains hôtels.
A Nice, en particulier, l'essor d" ce tourisme r ésidentiel est remarquable et l'ouverture de la saison était
alors marquée par une fastueuse réœption donnée
alternativ~lnent chaqu e année dans un des gl'nn ns doInaines.
L'hôtellerie, de son côté, allait partir en flèche par
la construction d'une série de Palaces qui prendront il
la tête de cette industrie, la r elève de ceux ,des grands
hôtels déjà mentionnés dans .cel ~xposé e l dé passés par
les progrès de la technique.
On arrive ainsi il la fin du 19"" e t au dé but du
20"" siècle.
La poussée hôlelièr c d" Nice se lïl il .ce tte époque
sur la colline de Cimiez, favorisée par la création d'un
grand boulevard d'accès. Ce fut d'abord la construction
du Hiviera Palace, par la Société des \Vagons-Lits.
l'f::xcelsior Hôtel Hégina vaste bâtime nl pouvant hé be rger 450 clients et dans lequel on aménagea les appartèm en ts de la Heine Victoria, ayec chapelle e l ènlrée p";yée .
Il y e n ensuile le 'Vinter Palace, l'Alhambra, le'
Majestic luxnellsem ent aménagé avec <1 " nombre" "
salons publics et privés pouvant recevoir pllls de 4()IJ
clients; enfin à Caraba.cel. Slli' le pla tea ll Saint-Charles,
l'H,,nnitage.
Dans le quartier Saint-Philippe, sur le platea u du
Parc Impérial, on construisit un immeuble d'allure imposante qui, cela allait de soi, fnt dénommé l'hôtel du
Parc Impérial. Tout y était vaste, bâtisse, dégagemwts,
escaliers, salons e t locaux de service ; il avait été conçu
à la taille de l'Empire c10nt il tirait le nom et est d'è vcnu
de nos jours un des lycées de la ville.
Une poussée similaire mais de moindr" envergu r e
se faisait à Monte-Carlo, Menton et Cannes.
Ce fut l'époque brillante, on pourrait dire la plus
brillante dl1 passé touristique d'è la Côte. Il n'yeu t
jamais autant de personnages royaux et de chefs d'Etat,
en séjour en même temps. C'étaient la reine Victoria
d'Angl",terre, le roi Léopold Il de Belgique, .ceux de
92
�Wurtemberg et de Suède, la reine ~ria Pia du Portugal, le Président Félix Faure, le Shah de Perse, le maharadjah d~ Kapurthala, tous à Nice, puis l'impératrice
d'Autriche au Cap Martin et le roi de Danemark à
Cannes.
Il en résultait que réceptions ct SOIrees se snccétant dans les résidenCès princières que dans les
Palaces et à la Préfecture.
daien~
L'Hôtellerie était en progression constante. On
recensait 130 établiSS"~ments en 1910 et près de 200 en
1911.
Dans les années qni pl"écédèrenl la guel"l"c de 19141918, denx hôteliers de renom el de grand~ classe, feront
consb'uire sur la pl"Omenade des Anglais, denx palaces
qui porteront leur nom, c~ sont Négl'esco et Ruhl. Ce
dernier qui avait déj à construit à Nice, le Boyal et le
SCl"ibe, eonstruil"a le Carlton à Cannes.
La gucrl"e de 1914-1918 marque llll art>êt dans
j"activilé de la Côte. La plupart des grands hôtels "d
quelques moyens sont transformés en hôpitaux complémentaires, mais la Paix reveuue, la Côte connait
un renouveau touristique et hôteli~r de qualité exceptionnelle.
La clieutèle de famille et de sejour, française cl
étrangère, r~trouve avec plaisir ses hôtels favoris, il
l'exception toutefois de celle de Russie. Ceux des membres de celte coloni:~ qui avaient pu fuir leur pays, s'installèrent dans des pensions modestes et je garde le SOIlvenir d'une famille dè la noblesse, habituée à un Palacede Cimiez, venue solliciter l'autorisation d'exposer et
de vendre des chapeaux dè dames et d'enfants .
Peu à peu va s'amorcer une désalJection des quartiers
éloignés lels que Cimiez, Carabacel 'è t Parc Impérial à
Nice, le super Menton et le super Gannes, au profit clela ville et du bord de IDèr.
Ce sera l'acheminement vers la transfo~mation de
l'activité de la Côte d'Azur qui, de saisonnière hivernale
'èxclusive, va connaître une activité estivale cette dernière allant dépasser la première.
93
�,-.
~
.ur.
Pendant longtemps, la profession hôtelière avrllt
été l'apanage de familles locales qui d'aubergistes s~
transfonnérent en petits hôteliers, assurant le gîte el le
couv~rt.
Ils évoluèrent avec le temps et des professionnels
venus de l'étranger, principalement de Suisse, ach ~h"
l'ent ou firent construire des bâtiments de diverses iJllportanC'~s, souvent agrémentés de jardins el de part·,
qu'ils aménagèrent en hôtels.
L'Hôtelier était il l'époquc l'organisa leur de IH'''Jnenades et excursions qu'il savait varier, car cn raison
d' ~s longs séjours dc ce temps là, il avait le sonci du
bien être de ses clients mais anssi de scs distractions.
La progression de la vie touristique SUl' la Côte
d'Azur incita les group~s étrangers à s'intéresser il SOIl
développement, en particulier à l'hôtellerie. C'est ainsi
que dans la dernière partie du 19-< sièc1<! et au débu t
du 20·' siècle ces groupes achètent tel'l'ains et propriétés pour y constrnire et aménager les ~nsembles hôteliers qne nous avons énumérés.
C'était l'époque où l'activité était excl usivement
hivernale. Quc deY~nait cet ensemble d'hôtels dUl'Hnt
J'été ?
Uès la fin an'il ou début de mai, la presque totalitè
des Palaces et >des grands hôtels el certains hôtèl,
ITIoyens, fennaient jusqu'en llovelnbrc, ou même déc<!mbre.
Pendant six Illois au nloit)::;, CÏJniez, le super Cannes et le haut de Menton 'é taient plongés dans un calme
léthargique car en même temps que lèS palaces et les
Casinos, les grandes f.amilles propriétaires on locataires
des propriétés retournaient dans leurs terres ou hôtèls
p'lrliculiers dc France ou de l'étranger.
Sur le front de Iller à
restaient ouverts
vain à l'heure d'" midi des
soir seulement un e activité
malùfestait.
~e ulement
:'\iice, deux hôtds moycns
et on y aurait cherché en
promeneurs aventurés. Le
toute r elative ct. locale s\
La plupart des sociétés et un certain nombre d'hôtdiers de la Côte avaient des intérêts ou étaient 1'1'094
�priétaires d'établissements similaires dans des villes
d'eaux ou des stations de montagne, en particulier en
Savoie, lesqueUès n'avaient que des saisons d"été.
Ils y trouvaient une activité complémentaire pOUl'
eux-mêmes et leurs collaborateurs qui avaient ainsi une
sécurité et une continuité d\mlploi à une époque ou
les conventions collectives de travail n'existaient pas.
Les hôteliers s'assuraient de leur côté la collaboration
continue d'un IYèrSOnnel qualifié et fidèle, ce qui était
ct reste toujours Ulle des préocL"upations majeures de
tout chef d'entreprise,
Ces déplacemeuts et cètle collaboration d'employeurs ct d'employés se u'aduisaient en même temps
par une efficace publicité parlée auprès dè la clientèle
en faveur de la Côte.
La migration estivale des travailleurs saisonniers
ne se limitait pas au seul p'è rsonnel des hôtels, elle
alJ'ectait également celui <lès Casinos ainsi que la corporation des cochers et celles des musiciens.
v
Avant lèS progrès et la vulgal'isation de J'automobile, les cochers niçois avaient une réputation d'amabilité et de coquetterie dans la présentation et l'entretien
de l'èurs voitures.
Le ralentissement de l'activité durant l'été les engageait à imiter les hôteliers et dès la fin du printemps.
nombre d\~ntre eux partaient I}ar Clapes avec lellrs
landaus et victorias pour Aix-les-Bains, Vichy ou l'Auvergne pour y travailler, bien sûr, ID!.lis aussi pOUl" y
faire admirer leurs attelages, apprécie,' leur 1c1,',le. kw'
.correction et concourir ainsi il la bonne pnhli.'ité Cil
faveur de la Côte d'Azur.
Nous avons Jnist!ll évidence la progression cl l'iJllportancc des hôtels dits « Palaces » au cours des 19"'"
et début du 20·· siècles, parce <Iu'ils ont joué Ull l'.j!f!
capital dans l'expansion de la Côte d'Azur ct d3n~ la
formation d'un personnel de qualité.
A unlê époque, où les casinos n'avaient pas l'al11pleur de ceux existant actuellement ct étaient surtout
des cercles privés, les grandes ré.ceptions, les fêtèS mondaines, les bals costumés et les galas se donnaient 10llt
naturellement dans les grands Palaces.
~5
�Ce rôle n'était pas exclusif à ces seuls établissements, certains restaurants, de grands renom, tels que
lè restaurant Français, le Helder, le London Honse, cc
dernier surtout, étaient l'équivalent des grands hôtels.
Ils avaient une clientèle cosmopolite, composée de personnalités de l'aristocratie, dè la finance, du théâb'e
et des milieux hippiques, et il n'était pas rare de voir
à la même table, princes, archiducs, grands ducs, ainsi
que l'héritier du trône d'un grand pays d'Europe.
Parmi lèS Cercles privés, le Cercle de la Méditerr:~··
née, qui comptait parmi ses membres fidèles le priJ1(' "
de Galles, était le plus côté.
Ceux qui eurent le privilège de vi vrè la période de
celte fastueuse activité hôtelière et mondaine, gardent
le souvènir d'une très belle époque. J'en garde pour mu
part une certaine nostalgie, ainsi qne des souvenirs
glanés tout au long d'une carrière, tarrt en France qu'à
l'étranger.
Ils sont nombreux ct vU"iés e t font r essortir les traYèrs et les égoïsmes, mais aussi les qualités de la clientèle d'èS Palaces. Je n'en citerai que quelques-uns, typiquement représentatifs des uns et des autres.
Le premier est celui d'une dame de ]'aristocrat ;c
austro-hongroise. Descendue avant 1\)14. avec sa nOJllbreusè domesticité dans un grand bôtel de Cirniez et
mécontente de ce dernier, elle décida de le quitter pOli r
un autre, pas très distant, sur le mêm e boulevard.
Ellè voulut un dépali spectaculaire et fit le traj et
en landau découvert accompagnée de sa dame d'bonneur et de son chien et poussa le fantasque jusqu'à sc
faire accompagner d'un orc hestœ à cordes jouant le
long du parcours.
La même comt esse, 'fui sortait rarement et vivait
dans l'appartement autrefois occupé par le Pré~ident
Félix Faw'e, descèndail quelquefois le soir dans ie hall
dè l'hôtel pour assister à une partie du concert après
l'avoir préalablement fait elaironner.
C'était une occasion pow' elle d~ se para de ses
nombreux bijoux et fourrures et de parader. Elle faisait
venir le chef d'orclIestrè, lui commandait quelques mOI"96
�ceaux et ensuite devant la clientèle assemblée elle se
:retirait non sans remettre en, passant et ostensiblement
une enveloppe aux musiciens.
Sitôt après la guerre, da ns uu autre Palace dc
Cimiez, était descendue une duchesS'è d'origine brésilienne et veuve d'un magnat de l'armem ent britannn ique, accompagnéè de nombreux domestiques mais a ussi
d'une vingtaine de chiens.
Cette dame habituée des grands casinos de la Cotc
qu'elle fréquentait jourl1'dlement, n'avait de préoccupations que pour son chenil. Elle voyageait en wagon
spécial qu'elle louait pour elle-mêm e, sa suite et S,'5
chiens ; elle installait sa faune dans une grande pièce
de l'appartèment, dont on enlevait le tapis, avec "nc
salle de bains Spéciale servant de cuisin e et donnan t
sur le jardin de l'hôtel.
Par ailleurs et en opposition avec CèS t nl vers, .i 'a i
connu des traits de simplicité et de gra ndeur che?
beaucoup: de personnages. Je citèrai une grande danl<"'
l'ex-Reine Amélie de Portugal, princesse de France. J e
l'ài connue avant 1914 après la mort tragiqu'è de son
mari et de son fils, parée de voiles de deuil et vivan 1
retirée, simplement ,quoique dans un des grands palaces
&&~.
J
En raison des circonstances et par goût elle se tenait
à l'écart de la clientèle choisie q"i, de son côté, cherchait
à l'approcher. Une damè de la société am éricaine.
Madame Vanderbilt qui avait re tardé son départ pOUl"
rencontrer l'ex-reine, m e suppliait de demander à cett~
dernière la faveur d'tin entreth~n. Je r éussis à le lui
obtenir et elle fut touchée par la gentillesse re n contl"~c.
Plus tard, a près la gUèl're, j'eus à nouveau l'honneur de revoir dans le m êm e palace la reine Amélie.
Elle n'avait pas changé, toujours a ussi affable, aussi
digne. Elle avait peu à peu noué déS r elations avec un e
certaiue clientèle de l'hôtel m ais se plaisa it tou jours
autant à converser avec le personnel. Chaqu e a nnée
dès qU'lèJle arri vait pOUl' sa cure, son prelnjer so in était
de s'enqu érir de la santé des uns et des a utrcs et de sc
rendre compte par elle-mêm e d'é l'installa tion de sa dam e
<le compagnie et de sa femme de chambre ava nt dé s'i nstalle r ell e-m ême. Un gra nd journ aliste E ugè ne La llti èr
97
7
�du « T emps » me disait a p.rès un long entretien qu'il
venait d'avoir avec ellè « C'est une grande française • .
.",
Un autre personnage qUè j'ai eu l'honneur de conuaitre en Savoie, a é té le Ma réchal Joffre. Ce grand
soldat taillé en hercule était la douceur e t la simplicité
mêmes. Il n'était pas prolixe, prenant ses repas dans
cn .coin retiré du restaurau t, évitant (l e ses m êle r il la
clientèle, laissant à la maréchale le soin dè bavarder
avec la clientèle, lui-mêm e se retirait dans son appartem ent. Quelle gentillessè ne manifest·a Îl-il pas avec les
hlmlhles et les mutilés avec lesquels il aimait s'entrete nir.
Je pourJ'ais Jn'éklld l'c cL citer d'a ulres souycnil's.
Illais j'ai sitl1plelnent vouln expose l~ par des cas COllcrets les comportem ents dil'fél'en ts de la cli entèle dans
les palaces d'autI'èfois.
Je disais dans le coms de cet e xposé 'lue les pala ces -avaient cu un r ôle prédominant au XIX"" siècle
dans la formation d'un personnel hôtèlier d e qualité.
Il n'y avait pas en France, à l'époque, de collège
technique donnant lin enseign eme nt théorique e t pra tique.
L'apPl'è nLissagc des CUISI IlIeI'S. e n grande majorit é
l'rançais, se faisa it de préférence dans les petites mai sous de province, restauranls ou hôtels, sous la slIJ'vcillance directe du patron, cuisinie r lui-luêm'è , ,cc qui é tait
pour cette corporation la m eill e ure formul e. Leul' formaUon était complétée cnsuite, da ns les mnisolls dl'
pills grandè importance, SOLIS les ordrcs et avec les
leçons de gl'allds chefs qlli les fa isnient pa>sel' dans h"
différentes parties de l'art culinaire.
Le restant du personnel é tait composé o.! l1 grand(~
partie d'étran gers, depuis les postes de direction j lI Squ'aux plus nlodestes, le français se destinant à f.ail·l~
carrière. n'ayant embrassé ln profession que petit ù
petit.
Ceux don t les l'amj\les en a\'aient lèS moye ns,
allaient suivre des cours dans les écol es professionne lles étrangères, SlIl'tOllt cu Suisse, lèS autres slli"irclIl
l'école de la pJ'a liqu c en com mença nt par les postes
rnodestes, 111ênle celiX peu IlO1l1brèUX encol'c, pourvus
98
�de diplômes secondaires. Les uns et les a utres allaient
faire des stag~s indispensables à l'étranger pour compléter leur formation professionnelle et la connaissance
des langues.
Les Palaces firent donc œuvre méritoire ~ t r endirent un service de premier plan à la profession,
.. ,:'
1
..
.'\
Il n'est que juste de r~ndr'e homm,a ge aux pionniers
qui dans le passé, par leur courage, leur esprit d'entreprise, leur travail, leur persévérance, il unr~ époque où
il n'existait pas d'organismes officiels de soutien et de
publicité, ont créé un capital hôtelier, richesse d~ notre
région, et fait par leurs seuls lTIoyens, leur action personnelle et la qualité de leur accll'èil une propag.ande à
travers le monde, dont le pays profite encore.
Par la suite, l'Etat français a heureuselnent conlpris
la nécessité de la création de collèges d'enseignement
technique hôtr~lier, dont la ville de Nice a été dotée une
des premières.
Ces collèges ont dispensé un enseignelnent théorique et pratique à de multiplès promotions et celui cIe
Nic~ p'e ut s'enorgueillir d'avoir formé quantité d'élèves
dont beaucoup sont devenus des cadres supérieurs à la
tête d'établisS'~ments d'importance diverse,
.
,
..
J'exprime en conclusion, le souhait que, s'inspiran t
de leurs' anciens, les nouvelles générations d'hôteHers
œuvreront comme ~ux pour le bon renom de leur profession, et diront aux futures promotions des collèges
d'enseignement technique, ce que, remplaçant l'Insp'èctèur de l'Enseignement, j e disais, il y a 25 ans à celle
du collège de Thonon :
« Ayez dans la carrlere que vous HUez suivre la
notion de la conscienc·è professionnelle, m ettez-là en
pratique dans vos relations entre camarades, dan') celles
d'employé à employeur, puis d'employenr à elnployé
comme aw.c la; clientèle »,
A.
BIGLIA.
99
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• 1
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Une page de ,l'histoire de Cimiez
La cité aristocratique
1
Vous ne serez pas surpris qu'un médiévistlè invité
à participer à un colloque sur le tourisme ait choisii
comme thème de sa communication le quartier niçois
de Cimiez qui est actuellem~nt le théâtre de fouilles du
plus haut intérêt.
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... .
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Dans Ulle conférence que j'ai faite ,s ur ees fouilles.
au C~ u. M., j'ai souligné le caractère singulier de l'antique cité de Cimiez qui fut capitale de province sous
l'Empire romain. Née à l'époque d'Auguste Ion; de la
construction de la V la J ulla, elle a brillé d'un vif écla t
au Ile et au Ille siècles de l'ère chrétienne pour disparaître de l'histoire au Ve.
.
~
•...
...-
Or, à certains égards et sans que j'ai la témérité de
comparer deux situations absolument diverses, je note
que Cimiez nous réservera à l'époqU'~ contemporainf::
une surprise quelque peu analogue ; trente années à
peine de tourisme brillant suivi'~s d'un déclin progressif
dont Cimiez ne s'est pas relevée.
Rappelons que dans le quartier de Cimiez, qui était
eSSêntieUement rural au moyen âge, une église dédiée
à Notre Dame a été édifii-.e au XIe siècle par les moines
de l'abbaye voisine de Saint-Pons, puis la .colline a vu
venir à eUe au XVI~ des Frères Min~urs de l'Observance qùi,ayant abandonné, apr-ès le siège de Nice, en 1543
101
,,~
�leur éouvent de Sainte-Croix dévasté et urIné, oni acquis
en 1546 l'église dè Notre-Danle de Cimiez par voie
d'échange avec les re1ïgieux de Saint-Pons.
.
Cette fondation fr.anciscaine a eu son importance
car le couvent de Cinùez est deVènu un noyau de cristallisation autour duquel un hameau s'est développé et
de beaux domaines S'è sont construits. LeS! fêtes qui s'y~
célébraient attiraient les Niçois et notalmnent pour ne'
citer qu'un 'è xemple bien connu le festin des Cougourdons décrit par Rancher dans la N\~maîde.
1
Toutefois, avec ces manifestations populaires nous
sommes encor~ loin . du ,c ourant touristique qui fera de
Cimiez le plus aristocratique des quartiers d'è Nice. C'est
à l'époque de la réunion définitive de ce Comté à la
France que des Etrangers commencent à hivernçr à Ciruiez. Albin lVlazon fait allusion dans son Nice en 1861
aux nombreuses villas qui couvrent la .colline, montrant
combien ce quartier èst apprécié des étrangers.
Dans son curieux petit ouvrage intitulé la vie à N tee
~onse~ls el directions pour nos hôles d'hiver, paru en
."
;...
..
~"~'
~
18ü5, Léon Pilatte parlilnt du choix d'un quartier, rècommande aux gen,s bien portants et aux lymphatiques
le bord de la mer. Pui$ il ajoute, .car de son temps on
envoyait les tuberculeux sur la Côt~ d'Azur : « A La
Groix de Marbre, Longchamps.... Ca,r abacel, Cimiez les
invalides de toutes sortes, les' poitrinaires surtout ».
.. ~
.'
....,
A l'époque où Pilatte écrivait, on accédait à la collinè par le ' vieux chemin de Cimiez ou par Brancolar ;
le boulevard de Cimiez .commencé en 1881 lui a donné
un nouvel essor.
'.
;,
........ ... .
,"
0"'·
'.
"
Cimiez deviendra alors un des quartiers préférés des
Anglais frileux ; à cet égard nous avons un témoignage
précilèux tant à cause de la personnalité de l'auteur que
de sa date. c'est un article intitulé Nice station d'hiver,
publié en 1884 par le consul de , Grande-Bretagne il
Nice, J. C. Harris dans les Annales de la Société fl ert
Lettres des Alpes-Maritimes. La date en est suggestive,
car il a été écrit au moment où allait commencer la vogue, qui sera éphémère, de Cimiez.
Le consul commence par lancer quelques . critiques
à l'adresse de Nice qui, dit-il, a beaucoup perdu de sa'
102
�réputation connne station sanitaIre parce qu;on y d
construit des rues larges et poudreuses, flanquées de
lnaisons qui ne sont qu'une imitation provinciale de
l'architècture parisienne et que ces rues, dont beaucoup
courent du Nord au Sud, sont des couloirs pour le vent
froid de la lnontagne. Il ajoute qu'un autre motif empêche les étrangers de se fixer à Niee: le manquè de villas à louer, jouissant d'un bon air et d'une belle vue~
alors qu'elles pullulent à Cannès.
Or, voici le renlède qu'il propose : fonder à Cimiez
sur cette colline abritée et bien exposée au solèil ur(
quartier pour les étrangers, une station hivernale ave~
des arbres à f~uilles persistantes tels que l'eucalyptus
pour arrêter le vent, y construire de commodes villas ù!
louer et des hôtels confortables et surtout se recommandant, si cela 'è st possible, par un bon marché relatif.
Curieuses suggestions, et nous noterons en passant
que le boulevard de Cimiez, bien qu'il ait certainement
'c ontribué dans une largè mesure à l'expansion du quar-tier, est critiqué par notre consul frileux qui en blâme
le tracé rectiligne d'une affreuse laideur et lui met en
parallèlè l'avenue des Minl0sas, cette jolie route à lacets
qui lui sert d'antithèse.
Quoiqu'il en soit, le quartier de Cimiez a eu
les années qui ont suivi cette publication un essor
digieux. Il a trouvé un remarquable animateur
l'archit~te S. M. Biasini, qui en a été l'urbaniste
a édifié le plus grand des Hôtels.
'1
dans
pro- '
dans.
et y
En 1884 il n'y avait encore, remarque le consul
Harris, que deux hôtels; Vitalis et la Pension Garin,
qui, dit-il, sont généralement remplis d'Anglais. D'autres sont construits dans la décad'è suivante ; Vitalis se
transforme et devient le Grand Hôtel de Cimiez, qui hébergera la Reine Victoria en 1895 et 1896. En 1892 est
ouvert lè Riviera Palace. Puis l'architecte Biasini conçoit le plan d'un grand et fastueux hôtel, le Regina Palace dont la façade écrasera la colline. Malgré les oppositions rencontrées, les fondements ~n sont creusés en
1895, et il est ouvert en 1897. C'est là que s'installera
désormais la Reine Victoria. Elle y reviendra en 1898
et 1899.
Les dernières années du XIXe siècle, celles durant
103
�lesquelles la Rein'è Victoria est venue hiverner à CiInÎeL:,
nlarquent l'apogée de ce que j'ai appelé la cité aristocratique. EUe y venait a vec une suite nombreuS'è, notamment avec cinq dames du Palais, un trésorier de
la bourse de S~ Majesté, un sec,r étaire privé, dèUX
ècuyers, un grand maréchal, son lnédecin ordinai.re, puis
tout un personnel domestique et une troupe d 'Indiens
magnifiques, habillés dè cachemire aux couleurs éclatantes et nous ne saurons passer sous silence le légendaire petIt ane Jacquot et la p,ehte VOIture venllsseè ue noli'
avec des rayures rouges a laquelle on l'attelait et dall~)
laqueHè la reIne se promenait tous les nlatins.
Pendant qu'elle séjournait à Cimiez, elle recevait
de nombreux visiteurs, François-Joseph, empereur
li' Autriche, sa f'è mnle ..t.;lisabeth, fimp,ératrice hugénie,
les souverains scandinaves, le roi des l1elges Léopold H.
,
j
l
1
.1
•
.
l
Cette présence auguste a donné le ton à Cüniez
pendant plusieurs annëès. Profitant de cette fa veut' du
sort, p,l usleurs hôtels de luxe se sont créés dans le quartIer a .la suite du ltegina ;, d 'abord au pied de la coUine,
le IVlajestic Pala'c e 'è t le lirand Palais, puis plus haut
l'Al11ambra, le -"winte.r Palace, le British Hôtel, le Pré
Catelan. Ils n 'ont pas été du reste très nombreux, car
l'aUrait exercé par Cimiez consistait surtout dans la
douceur du climat 'è t le charme d'un milieu raffiné ;
mais on y était privé de ce qui est peut-être l'attractioll
principale d'un séjour à Nice, je veux dire la tlâne'rie
sur la promenade des Anglais~ sans parler dèS distractions qu'offrent aux touristes, ,c ercles,' casinos, théâtres.
Les hôteliers de Cimiez ne l'ignoraient pas et dés
son inaugurati{)n lè Riviera Palace assura un service
quotidien avec le quai Masséna grâce à un omnibus à
quatre chevaux qui, quatre fois par jour, conduisait les ,
hivernants de Cimiez à la mer et les ramenait lènsuite',
sur la ,c olline. Son exemple fut suivi par d'autres hôte!::;.
Ce~ omnibus étaient devenus légèndaires et un journalistè de l'Eclaireur, a décrit dans un article paru 'èn 189~
ces mail-coaches à banquettes, à la caisse jaune ou verte dont l'èS valets de pied annonçaient de leur longuetrompette les passages dans les rues de Nice pour inviter les hôtes des Palaces de Cimiez à remontèr sur la
colline.
104
�Ainsi la vogue de Clmlez, assoclée an déclin dt:
fépqque Victorienne, aura été qU'~lque peu artifieielle
et ·cQurte. Puis pendant la première guerre mondiale
beaucoup de ces hôtels ont été réquisitionnés ; ils ont
été~ il est vrai, rouverts la: paix r~venue et, en 1929, lai
plupart fonctionnaient encore ; mais ensuite ils se sont
fermés les uns après les autres. Le Grandi Hôtel de Ci··
miez a été racheté par la villè de Nice et est devenu une
lnaison de retraite. Quant aux autres p.a laces tous pre/)que sans e:tception, ont disparu successivement et ont
été transformés en appartemènts. L'exemple, donné pa.r
le Majestic a été suivi par le Regina, le Riviera-Palace,
l'Alhambra, le Winter-Palace, etc ...
"
Est-ce à dire que Cimiez a été désèrté ? Non pas,
il a même pris le caractère de quartier résidentiel pOUl'
bourgeois fortunés. Un érudit averti, M. le Professeur
Gonnet a noté dans un articllè qui a été publié en 19:);')
par Nice historique sur « l'Evolution de l'habitat de
Cimiez d'après les archives fiscales» que le quartier de
Cimiez a une moyenne mobilièrè supérieure à quatre
. fois la moyenne de Nice.
.\
~, ,:;:.,' '~,>:1
Par ailleurs la densité de la population loin de diminuer ne cesse de s'accroîtrè par le morcellement des r ésidences, l'appartement prenant le pas sur la . villa et
par les constructions neuves qui se nlultiplient surtout
dans la partÏ'è méridionale du quartier, celle qui est ' la
plus proche du Centre de Nice.
Devons-nous toutefois nous borner à cette constata··
tion et aboutir à la conclusion que Cimiez est désormais
condamné à ne plus être qu'un quartier banal, rich'è Ù
la vérité, mais dépourvu de personnalité.
Nous rie le croyons pas et ce colloque bien que d~
caractère rigoureusement sCÎ'èntifique ne s'interdisan t
pas des vues d'avenir, vous me permettrez d'avoir sur
le destin futur de Cimiez une persp'èctive peut-être téméraire, mais dont vous excuserez l'audace en vous
souvenant que celui qui la suggère est un vrdl universitaire.
Depuis la Libération et rachat par la Ville de Nice
de la Villa Garin de Cocconato, la pioche des archéolo
gues fouille l~ sol de la colline et y fait de magnifiques
105
�1
découvertes.: L~anciel1ne villa abrite Üi1. lllusé'e p{ es(
·appelée « Centre d'études archéologiques ». Vous savez,
d'autrè part, que le dOlnaine de Valrose a été acquis
pour l'implantation de la Fa,c ulté des Sciences créée à
Nice. Tout cela ne légitnnerait-il pas l'établissement à
Cimiez, sinon d'une cité, du nl0ins d'un centre Universitaire d'autant plus qu~, vous ne l'ignorez pas, les étudiants de notre région éprouvent le désir ardent de voir
se créer à Nice une Université complète ?
Je livre à vos nléditatiolls cette sugg'è stion avec la
conviction que vous ne serez pas surpris de lue voir·
préférer un tel avenir à celui qu'en 1913 l'urbaniste
Robert d'è Souza rêvait pour Cimiez : faire de sa colline
l'unique cité-jardin de millionnaires.
Robert LATOUCHE,
Doyen Honoraire de la Faculté
des Lettres de Grenoble
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CONSE Qi[EN CES
DU CARACTi3RE SAISONNIER
DU TOURISME
POUR L'ENTREPRISE HOTELIÈRE
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�Les problèmes posés par la rentabilit.é
d'une exploitation saisonnière
de la catégorie « Palace»
EXEMPLE DE L'HOTEL PLAZA A NICE EXEMPLE D'UN HOTEL A CONSTRUIRE
La plupart des grands Palaces de la Côte d'Azur ont
été construits avant la guerre de 1914. A cette époque"
la tclh~ntèle de ces Etablissements se recrutait dans les
familles aristocratiques de toute l'Europe, y compris la
Russie. On venait passer l'hiver sur la Côte d'Azcr, et
les séjours s'étendaien~ sur plusieurs mois.
Chaque Hôtel comportait un très grand nombr~ ùe
chambres de courriers (de 50 à 100 suivant les Etablissements).
La rentabilité de ces Etablissements était excellenet tous les Hôtels fermaient leurs portes le 1er Inai
au plus tard.
t~,
Pendant la . guerre 1914-1918, ces Hôtels furent
transformés en Hôpitaux. Remis en état en 1919, ils sont
prêts à rec'~voir à nouveau une clientèle de luxe dès
1920.
Toute la ·côte profita d'un afflux touristique considérable pendant la période qui prendra fin lors de la
109
�grande .cdse économique qui s',a bat sur l'Europe, deux
ou trois ans après la dépression anléri.caine de 1929.
P.~ndant cette période, la clientèle n'est plus exactenlent la même : en parti.culier, les Russes et les Allemands font défaut, mais sont remplacés par les Anglais
et les Américains, qui profitent d'un change très favorable.
QU'~lques nouveaux Hôtels de luxe sont eonstruits
pendant ,cette période, en particulier, le ~Iartinez, le
l\faj estic et le l\liranlar à Cannes.
l\fais dès 1932,' la crise s'abat sur le tourislne, peu
d'Hôtds réussissent à équilibrer leur budget d'exploitation, un certain nombre ferment définitivenlent dès
avant 1939.
Pour remédier à une situatioll .catastrophique, quelques personnalités lancent encore timideln~nt ridée
d'une saison d'été.
\
Pendant la guerre de 1939-45, le 1110UVement de
transformation d'Hôtels en apparkrnents continue ct
prend une grande ampleur, de 1945 à 1950.
Depuis cette époque, s'il n'y a plus de grands Eh ,
blisselnents qui disparaissent, aucune construction llOllYen~ , n'est envisagée dans cette catégorie d'Hôtels.
:- , ' i
j
A ia Libération, tous les Hôtels se trouvent ùans llll
état ' d'usure et délabrement Inarqués, sans entretien dcpuis de nombreuses années. Contrait'~lnent à ccrtain~
pays COl1unc l'Italie, les fonds du Plan ,M arshall préYllS
pour l'Hôtellerie, ne lui sont pas distribués intégralcInent, ce qui provoque un retard considérable , da Ils
l'équip-èlllent, la rénovation et la modernisation 'de
l'Hôtellerie Française, par rapport à l'Industrie ,Hôt.elière étrangèi'e. Toutefois, les Hôteliers ne se décourngent pas, et peu à Il~u, surtout depuis quelques !1nnérs ,
Dl0dernisent leurs Etablissements grâce à une potitique '
libérale du Crédit Hôtelier, et par l'auto-financenlcHt,
l'Industriè Hôtelière française rattrape ainsi une partit"
de son retard.
Dés 1945, une grande transforlnution sr fait Ilialls
le Tourism-e sur la Côte d'Azur : aux saisons d'hiYcr
s'adjoignent les saison~ d'~té ; lU1G cll:~ntèle pins nOl!)110.-
�breuse, aux reVènus moins différenciés, préfÈ>re
Hôtels du bord de mer, aux Palaces de Cimiez.
les
"L~s . progrès, 'd epuis 1945, sont consioéraLles en
matière d'équipement hôteli'èr. Divers facteurs de modernisation auxquels se joint une aggravation de la
concurrence étrangère conditionnent cette évolutio-a.
Les HôtelÎ'èrs niçois procèdent après la guerre .à de nom:breux investissements. La rénovation des méthodes du
Crédit Hôtelier permet un meilleur financement : prêts
à plus long terme, à taux d'intérêt inférieur à ceux du
lnarché financier, et d'un montant plus élevé, sont en
effet accordés à tous les hôteliers désireux de moderniser leur équipement. Il en découle une amélioration notable du potentiel Hôtelier. Par ailleurs, le développelnent constant du tourisme sur la Côte d'Azur s'expliqU'è par une hausse, lente mais régulière du niveau oe
vie en Europe occidentale. L'augInentation constante
des revenus élargit la clientèle traditionnelle. Les périodes de vacanCèS deviennent plus longues ' et plus nombreuses. D'autre part, notre région bénéficie d'un ensemble de voies de ·c ommunication tout à fait remar.quable : - extension rl'è l'aérodrome, terminus et port
d'escale, amélioration du réseau routier, avec l'année
dernière, l'inauguration de l'autoroute Corniglion-Molinier - , autant de réalisations justifiant une modernisation accnle. Si favorables soient-ils, ces progrès ne
dissipent pas une inquiètude pour le présent et l'avenir.
1
En effet, l'aggravation de la concurrence, facteur
d'è développement de l'industrie Hôtelière niçoise, fait
surgir en Europe, d'è nouveaux Centres d'Attraction. Les
facteurs climat, transport, ne sont pas spécifiques à la
Côte d'Azur. Le développement exceptionll'èl des trans~
ports aériens, s'il perm.e t également ailx Américains de
se rendre en 7 heurès de Ne,v-York à Nice. leur pemlet
également de se rendre en 8 ou 9 heurps, en n'Ïlnporl'e
quel point d'è la Côte Méditerranéenne. La Côte d'A7.i1 r
n'a plus le monopole des mouvements touristiques.
L'importance donnée aux problèmes touristiques :\
l'étranger traduit un souci plus vif qu'en France, des
sources de finanC'èment plus nombreuses et plus importantes, un régime fiscal plus attrayant, exp!iquent un
décalage très net entre la valeur de l'équipement Hôtelier en France et à l'Etranger, Le J:etqrd fl'Hnçais h ~s
111
�très important ne pourra que s'aggraver dans un climat
de concurrence accrue si les problèlnes reIn tifs à rHôtelleri'è et au Tourisme ne sont pas étudiés avec une
attention et sur une échelle jusqu'ici inconnues.
Nous n'avons, jusqu'ici, p~rlé que de généralité5,
et nous allons prendre maintenant, un 'è xemplc, celui
de l'Hôtel Plaza, en expliquant comment la situation de
'cet Hôtel a évolué depuis la guerre.
Dès la Libération, l'Hôtel qui :l vait été venùu il lin
group'è allemand, est mis' sous séquestre. Les OOluaines
le gèrent. Le Plaza commence par être réquisitionné par
les Américains, et ouvre à nouveau ses portes . à la clientèle, durant l'hiver 1947-48. Les chi~.' tres d'affair(~s réalisés pendant cette période sont de l'Drdre de ;~5 à 40 Jnillions d'anciens francs, taxes et service compris.
Dès 1950, les S'è rvices des DOllulÎnes nous louent le
Plaza, uniquement pour la saison d'été, et nous réalisons un chiffre d'affa"ires de l'ordre de ~~5 nlillions d'anciens francs, ce qui .c orrespond au chiffre d'afl'aires réalisé pendant l'hiver.
...
En 1951, l'Hôtel 'è st mis aux enchères: et vendu il
M. Saglia qui s'apprête à le transformer en appartements. Après de longues discussions, il accepte de nous
céder l'Hôtel. Nous prenons immédiarerrlent dèS contacts avec le plus grand nOlnbre d'Agences de voyages
d'Europe et d'Amérique, de lnanière il augnlènter la
,c lientèle, surtout pendant la saison d'fJè.. Nnus procédons également immédiatement à de nOlnbreux investissements, qui portènt en particulier sur les andennC3
chambres de courriers, que nous tranSfOlll1.0nS en chalnbres de clients.
Comment a évolué la situation depuis cette époque
jusqu'à aujourd'hui ?
Première constatation : pèU de .changement en ce
qui concerne la saison d'hiver, où nous arrivons à 111aintenir un nombre à peu près constant de nuitées. Toutefois, aux séjours de deux ou trois mois, su~cèdent des
séjours beaucoup plus ,c ourts, mais un nümbre dè
.clients plus grand. Par contre, d'année en année, la
clientèle d'été augmente, à l'exception de l'année 1H61,
112
.~'.
...
~.
'.,
"'....
�pendant Iaquen~ nous avons constaté
d'environ 10% de la clientèle.
une
réduction
Le .chiffre d'affaires total de l'Hôtel passe de :
80 millions taxes et service compris '~n 1951 à
325 millions»
»
»en 1960 et
310 millions
»
»
»
en 1961
Le nombre de nuitées, de son côté est passé de
32.000 en 1951 à
58.000 en 1960 et
52.000 '~n 1961,
ce qui correspond à des taux d'occupation de 32%, 58%,
et 52%, l'occupation maxima calculée sur 365 jours
étant d'environ cent mille nuitées.
Void maintenant les statistiques ,des cin.q dernières
années
Nombre de
nuitées
"
1957
1958
1959
1960
1961
-
: 51.000
: 55.000
: 52.000
58.000
: 52.000
Nombre de
repas
48.483
53.000
48.400
54.000
48.600
Voici maintenant les résultats
trois dernières années :
1
0
--
Chiffre
d'affaires
Moy.
de recttte
par client
176.230.000
235.812.000
260.600.000
324.280.000
317.000.000
d'exploitation
3.451
4.283
5.035
5.570
6.100
des
Exercice du 1re Novembre 1958 au 31 o.ctobrè 1959
2° -
Exercice du 1re Novembre 1959 au 31 Octobre 1960
3° -
Exercice du 1r e Novembre 1960 au 31 Octobre 1961
113
'.
8
�EXERCICE DU 1er NOVEl\IBRE 58 AU 31 OCTOBHE 59
CHARGES PAR NATURE:
-
·- -1
V:
~
1
Sorties de stock : (alinlentation, cave,
papeterie, Inatéri21 électrique, combustible, droguerie) o....................
42.924.000
Frais de personnel : (salaires personnel
au fixe et au pourboire, inden1nité de
nourriturè, indelnnité de blanchissage,
congés payés, Jnédecine du travail, sécu.rité sociale, etc.) o...................
H6.410.000
Impôts et taxes : (y compris taxe sur le
chitl'rè d'affaires, se montant à 19.448.000)
26.505.000
TJ'avaux fournitures extérieures: (loyer,
entretien, mobilier et inllneuble, électri.cité, ·eau, gaz, blanchissage, rénumération aux agences, assurances générales,
etc .. .l) ~ o..............................
50.996.000;
Frais de gestion: (publicité, documèntation générale, P. et T., téléphone, cotisations, voyages déplacell1ents frais divers)
9.07.5.000
Frais financiers: (intérèts sur prêt, agios,
etc) . . ..............................
4.860.000
-
Dotations aux amortissements
20.109.000
DETAIL DES PRODUITS
-
Ven.tes et prestations de Se.rvice : (logement, cave et cuisine restaurant, petits
déjeuners, bar, roof-garden) o.........
256.143.000
Recettes auxiliaires :(autobus, téléphollè,
clients, divers clients) : ............. .
4.483.000
Total arrondi à
..
260.600.000
-
Bénéfice imposable
............... .
13.501.000
-
Bénéfice net après Ï111pÔts sur les Sociétés : ..... ,
~
~
~
G.750.000
f
114
,
•
t
••
t
•
,
,
,
t
'
:
•
t
t
,
••
,
•
t
�EXERCICE DU 1er NOVEMBRE 59 AU 31 OCTOBRE ·60
CHARGES PAR NATURE:
-
Frais de personnel: (salaires personnel
au fixe et au pourboire, indemnité de
nourriture, indemnité d~ blanchissage,
congés Pàyés, médecine du travail, Sécurité Sociale, etc ... ) .................. 1.155.340,00
-
Impôts et taxes : (y compris tax/~ sur le
d'affaires se montant
à 243.694.74) ...
.
1
327.470,00
Travaux et fournitures exté.rieures:
(loy~r, entretien mobilier et immeuble,
électri.cité, eau, gaz, blanchissage, rénumération aux agences, assurances générales, etc) ..........................
481.200,00
Frais de gestion : (publicité, documentation générale, P.' et T. téléphone, cotisations, voyages, déplacements, frais
div~,rs)
.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
116.000,00
Frais financiers: (intérêts sur prêt,
agios, etc. ) .......... ............... .
63.700,00
--
...
,.- .-,
.
-
.. ··1
517.000,00
-
"
~
Sorties de stock: (alimentation, cave
papett~rie, matériel électrique, combustible, droguerie) ......................
295.400,00
Dotations aux amortissements
1
-
"
D~S
DETAIL
..
.~
PRODUITS:
Ventes et prestations de Service : logement, cave et cuisine restaurant, p·~tits
déjeuners, bar, roof-garden) . . . . . . .. 3.180.000,00
-
Recettes auxiliaires : (autobus, téléphone, divers) · .........................
70.000,00
Total arrondi à .... 3.250.000,00
~
-
Bénéfice
imposable .................. 325.581,00
Bénéfi,ce ll'èt après impôts sur les Socié-
tés "
.
1
•
•
•••
,
•
r •
1
•
1
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
•
162.790,00
11~
"'"iI-"
�EXERCICE DU 1er NOVEMBRE 60 AU 31 OCTOBRE 61
CHARGES PAR NATURE
Sorties de stock: (alimentation, cave, pa~
peterie, Inatériel électrique, combustible, droguerie) .................... . .
-
-
Frais de personnel : (salaires p'èrsonnel
au fixe et au pourboire, indemnité de'
nourriture, indemnité de blanchissage,
congés payés, médecine du travail, Sécurité Sociale, etc) . .... . ... . ........ 1.232.350,00
-
'·I mpôts et taxes: (y compris tax'è sur le
chiffre d'aUaires se montant à 237.450,00
325.800,00
Travaux fo,urnitures extérieures : loyer,
entretien nl0bilier et immeuble, électricité, eau, gaz, blanchissage, rénumération aux agènces, assurances générales
etc .. ) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
460.490,00
Frais de gestion: (publicité, documentation générale, P. et T. téléphone, cotisations, voyages déplacelnents, frais divers)
....................... ....
13Y.400,OO
-- Frais financie.rs: (intérêts sur prêt,
agios, etc .. ) .......... . ... . ......... .
45.000,00
'.'.
1
.
\
-
." \
',~;,
529.000,00
Dotations aux
amortissements
365.600,00
i
DETAIL DES PRODUITS:
Ventes et prestations de S ervice : (logement, cave et cuisine restaurant, petits
déjeuners, bar, roof) , ............. , . 3.100.000,00
-
Re·celtes auxiliaires: (autobus, téléphone
clients, etc) ....... , .... , ..... ,.,.....
77.000,00
Total arrondi à . .. . 3.177.000,00
-
Bénéfice
Ïlnposable . . . . ,......... . ... 155.500,00
-- Bénéfice net après ünpôts sur les Sociétés ... .. .. , . . " . ! • . " . .
t
119
t
•
,
,
•
,
•
,
!
"
75.893,00
�VOIci maintenant un tableâu représentant le pout~
centage des recett~s ainsi que les pourcentages des dépensesJ par rapport au chiffre ' d'affaires total, concernant uniquement l'année 1961 :
·,
'.1
Pourcentage recettes '
Logement. . . ... . .................. .
Restauration ........................ .
Cave ............ ; ........' ......... . .
Bars ............................... .
Pètits déjeuners.. . ................ .
Téléphone .......................... .
Divers .......... . .................. .
57.8 .
25.2
2.7
3.6
8.4
2.2
0.1
%
%
%
%
%
%
%
100.00 %
-
~,.
~
Pourcentages dé penses
Alimentation . . . . .................. .
C.a ve .............................. .
Combustible . . . . .................. .
Papeterie, mat. électrique, droguerie ..
Frais dè personnel (salaires au fixe et
pourboire, .c harges sociales) ...... ..
Blanchissage . . . . .. . ............... .
Electricité, 'è au, gaz, fleurs ......... .
Rémunéra tion agences . . ........... .
Publicité ........ '....... . .......... .
Téléphone ........................ .
Divers ... . ........................ .
Impôts et taxes ..................... .
Loyer ....................... . .... .
Entretien ........................ .
Frais financiers ................... .
Amortissements .................... .
Bénéfice net avant BIC ......... . . .
12.21 %
1.90 :%
1.46 %
0.67 % .
37.90
2.60
2.60 ,
2.12
1.14
1.51
2.26
%
%
66.36
%
%
%
%
%
%
10.00 %
1.47 %
4.70 %
1.46 %
11.25 %
4.76 :%
100.00 %
Ce tableau mérite quelques constatations.
1~1
�l . e post~ Je plus îU1Podani est l~epn~st!l1té : pal~ le~
frais de personnel, qui cOlnprènd les salaires au fixe,
les salaires au pourboire, ainsi que toutes les charges
sociales, et avantages en nature. 11 ne senlblè pas possible de réduire ce poste, car, à l'exception de quelqlles
'è xtras, notre personnel est engagé à l'année, tout conllne à Paris, Lyon, etc... (Les dépenses de nourriture du
personnel sont .comprises dans
poste « Frais de Personnel ».J
.
le
L'alimentation, deuxièmè poste le plus important,
ne représente que 12.21 du chiffre d'affaires.
Le troisième poste, aillortissements, 11.25 5~ du
chiffre d'affaires, èst très important, 'è t s'explique par
les très nombreux investissements faits ces .dernièl~es
années. En effet, il faut considérer que le Plaza, commè
la majorité des Hôtels existants en France, est un Hôtel
an.cien. Pour concurrencer les Hôtèls étrangers, il ne
s'agit pas uniquement d'entretenir la maison, il faut
également faire du neuf.
Les dépenses que nous 'd 'fectuons ne peuvent pas
passer par Frais Généraux, mais grâ-ce à la nouvelle
législation fiscale, nous avons la possibilité de faire des
amortissements beaucoup plu~ substantiels.
Il ressort dèS derniers bilans et de ce tableau que
le bénéfice net reste très faible.
Le problème qui s'est posé à nous, et qui se pose
toujours, est d'augmenter le bénéficè.
Il est difficile de modifier les prix, à ,c ause de la
.concurrence étrangère, il faut donc essayer d'augmentèr le nombre de nuitées. Pendant les périodes de pleine
saison, ce nombre est relativement élevé, il reste donc
les inter-saisons. Des efforts ont été faits depuis quelr
ques années dans dèUX directions.
Pendant les périodes de morte-saison, d'une part,
nous demandons des prix inférieurs pour attirer la
clientèle;. les agences dè voyages, et surtout les compagnies de navigation aériennes et lnaritimes font ,u n effort du même genre.
D'autre part, nous essayons d'attirèr le maximunl
de congrès sur la Côte d'Azur, et durant les dernières
années, nous avons eu un nombre aSsez im;p'ottant de
118
�.
.
{
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.
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.
• J
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..
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.
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;
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congres qlU se sonf deroules sur la Cote, et dont la chen~
tètè s'est partagée entre différents Hôtels, suivant l'iInportance des congressistes .
. Notre taux d'occupation reste toutefois très faible,
et représente 20 à 30 % de luoins que beaucoup d'Hôtels dè Paris, cela tient à cc que Nice est une ville saisonnière, jouissant de deux saisons, mais d'une très
grande inter-saison. (1)
L'automation n'est malheureusement pas possible,
dans l'Hôtellerie, ce qui 'è xplique que, contrairement à
la plupart des grandes industries, le nombre de nos
employés reste constant, et il seluble presquè impossible dans l'état actuel des Hôtels, de pouvoir réduire cc
nombre.
.
..
'-.
fI
De tout cela, il rèssort que l'exploitation d'un Hôtel
de saison, nlêlne profitant de deux saisons, 'est très difficile.
...
D'autre part, il ne faut pas nier l'intérêt très Îm1
'portant du tourisme en France, SI l'on c~nsidère que
l'année 1960 a rapporté 600 millions dè ' dollars, et que
la balance commerciale du tourisme se solde par _200
millions de dollars de bénéfice.
-,
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.. C,,:,~::';:'1
.
"
"-
"
-'.·.·1
Le nombre de touristes en France a augmenté considérabl'èment. En effet, ce nombre qui était d'environ
deux millions par an, dans les années de pointe d'avant
guerre, est passé à plus de cinq millions, et pourtant, à;
cette époque là, la France recevait le quart du tourism'è
mondial.
Devant les nouveaux centres touristiques, possédant les plus beaux Hôtels du monde~ qui S'è sont créés'
.ces dernières années, et qui sont à la portée de tout le::
monde, rapidement grâce au « Jet », il ~st importanL,
si nous voulons maintenir notre place, de faire un effort
considérable sur deux points :
-
1°) Modernisation rapide des Hôtels 'èxistants,
-
2°) Construction d'Hôtels nouveaux.
(1)
Voir Ilote in fine.
119
�11 est possibie de c,ollcevoll' a.ctuellell1en.t ·une eXllloitalion d 'hotel .beaucoup !plus rahonuèl:He, permettanti
une bonne rentabilité, gràée en p.articulier aux prëts du
Crédit Hôtelier.
Nou~ avons étudié la rentabilité d'un Hôtel de~OO
chambres, situé quelque part sur la Côte d 'Azur. Voici
qu~l serait le p.roJet :
Dans un parc d'envirolli 5 hectares, ·c onstruction d2
deux ou troIS blocs communIquant ou non, 'à usage d' Hôtel, et comportant ~UU chamnres ayant toutes une tres
beUe vue. l..et Hotel serait du tyP.'~ Hotel meublé, salls
restauratIon, et comport'~rait simplement, en dehors des
chambres, six grands offices d' étag' ~s, pennettant le service aes petIts deJeuners, un ou <1eux grands salons au
rez-de-chaussée, et un bar. A proximité inunédiate de
l' Hôtel, serait ,c onstruit un bloc comportant une cuisin~,
un snack, un grill 1'00111, une granGe salle pouvant contenir 4UO à 500 personnes, et pouvant servir à organiser
deS) réunions de congrès et des banquets, un~ grande
piscine olympique, un centre commercial dans le genre
du Drug ~tore des Champs-Elysées, et un bar. En plus
dè la piscine, seraient insiaUés. plusieurs courts de tennis" un ' jeu de bowling, un mini,-golf, etc ...
",..
;.
Nous allons examiner uniquement l'exploitation de
l'Hôtel proprement dit, l'exploItatIon des autres éléments
Cè .coI11plexe hôtelier devant être largeulent
bénéficiaires par eux-mêmes.
de
L'Hôtel proprement dit ,c omporterait
d'e &) employés comprenant le personnel
lè personnel de réception, ouvriers, valets
chambres, garçons d'étages, personnel du
un personnel
administratit,
et femmes de
hall.
Le prix de construction de l'ensemble de ce complexe hôtelier devrait Sè monter à environ 22 millions
de nouveaux francs.
Les dépenses d'exploitation seraient les suivantes
Dépenses conCèrnant uniquement l'exploitation de
l'Hôtel « Location» à l'exclusion de toutes dépenses se
rapportant à la cuisine, ,c ave, entretien jardin, etc ..
120
�Salaires ,.fixes .........' .. , ...
Chargè!s Sociales ........................ '
Nourriture personnel fixe et pourboire ... .
Assurances ....................... '..... .
Combustible . . . . ........................ .
Papeterie ............................... .
Personnel au pourboire ................. .
Sécurité Sociale sjpersonnel au pourboire
C. A 3.725.000
'
,
Impôt foncier, patente ................... .
Electricité . . . ........................ ... .
Eau ................................... .
Hlanchissage ........................... .
Publicité ............................... .
Cotisations, dons ........................ ,
Rémunération Agen. Voy. 10% sur 1.500.000
Entretien, nettoyage ..................... .
Div~rs ......... ,........................ .
Taxes indirectes, 10% de C.A. net ....... .
Marchandise petits déj euners (base 500
clients maximum) 87.500 x 1,20 NF ....
j
·
\
1
•••
j
........
.
210.000
105.000
82.000
30.000
70.000
20.000
450.000
225.000
. 60.000
60.000
20.000
120.000
50.000
5.000
150.000
100.000
113.000
300.000
105.000
2.275.000
Les recettè!S envisagées comportant uniquement
chambres et pètits déjeuners, taxes et service compris,
seraient de l'ordre de 3.725.000 (prix moyen de la chambre plus petit déjeuner, plus taxe's et service: 70,OONF).
Bénéfice brut avant alnortisselnent 'è t B. 1. C.
1.450.000.
Cette somme devrait permettre de rembourser les
intérêts 'è!t le capital du prêt du Crédit Hôtelier qui serait demandé, ainsi qu'à assurer un rendement norm9.l
des capitaux engagés.
Je n'ai pas voulu donner les chiffres correspondant
aux exploitations anneX'è!S, et comportant en particulier
les bénéfices des Bars qui seront très importants, ainsi
que ceux correspondant à la restauration, au snack, à la
cave et au téléphone. D'autre part, lè!s recettes relatives
au Centre Commercial seront également très , él/è!vées.
L'on peut chiffrer, d'une manièrè! globale, un bénéfice
supplémentaire de l'ordre de 500.000 il 800.000 NF. '
121
�, D~autrc part, le taux d;occupation de' SÜ ~'( -de :cd
Hôtel d'~vrait être assez facilement atteint, unit pas en
envisageant un transfert de la -clientèle actuelle dans
cet Hôtel, mais en prévoyant une nouvellè clientèle qui
recherche des Hôtels neufs et modernes tds ' qu'oli - ~~n
trouve aux Iles Baléares, sur la Costa BraYa~ en (~rèèc ;
a:ù, Liban, 'è t dans tout le Moyen Orien t.
André AGID.
NOTE,
"
~.
~
,1
,
-
-
'.j
1
J
1
j
• 1
POURCENTAGES MENSUELS - TAUX D'OCCUPATION
Occupation à 100%
- 28 jours : 7700
- 30 jours : 8250
- 31 jours : 8525
1958-.59
1960-61
1959-60
,Novembre
20%
16%
18%
Décem.b re
29%
27%
20%
Janvier
41%
40%
35%
72%,
55%*·
Février
70%
~Iars
46%
51 %
51 %
Avril
63 %
61 %
44 %
Mai
74 0/0
64%
61 %
Juin 73%
47 %
64%
Juillet
86 %
86 %
64%
Août
90 10
82%
86%
Septembre
64 %
64~:1J
57%
Octobre
28 9'ô
48 %
44%
* * Nous avons procédé, en 1958-.59 il des travaux importants, consistant à démolir le 5 rn c étage de l'Hôtel qui
était mansardé, et à le transformer en un étage comportant 54 chambres modernes. Pendant toute la période
s'étejldant de Novembre 1958 à Avril 1959, une partie
des chambres de l'Hôtel s\:~st trouvée jndisponible, ce
qui explique un taux d'occupation plus 'faible.
Nous avons constaté qu'il faut un nombre mininlunl
de clients, pour que l'exploitation soit rentable. Les dépenS'~s telles que impôts directs, assurances, loyer, publicité intérêts hypothécaires, étant amorties sur 365
jours, le taux d'occupation nécessaire pour . faire _ les
frais, compte tenu d'un chilfre forfaitaire pour l'entretien évalué à 8% de la r~cette brute est de 42%. Chaque
année, nous avons donc trois ou quatre .mois, pen~ant
lesquels . l'exploitation est déficitaire .
122
�;i-
"
Les remèdes au déficit chronique
d'une exploitation hôtelière
de la catégorie des palaces:
l'exemple du ' Negresco
.
Il
1/
Le Negresco~ palace de tYP;è ancien puisqu'il fut
construit en 1912, conçu d'une façon grandiose et à une
échelle qui dépasse de loin ce qui peut se réaliser aujourd'hui, est redevènu un Etablissement très fréquen~
té, et dont la rentabilité s'est rétablie. Le fait est assez
remarquable et la Presse a déjà commenté d'2 façons
diverses cette évolution.
...~ -
,:..'
-~
,,'
;
Alors que certaines publications spécialisées se
sont attachées surtout à l'-2ffort de rénovation très original accompli par la nouvelle adnlinistration, .certains
journalistes se sont enquis des méthodes enlployées
pour parvènir à la rentabilité de l'exploitation, ce qui
semblait une gageure.
__ ." ) _ 1
'
.. ',., ..
."
... '...~
.'-
- - ... :01.
1
-
Pofrilique commerciale
Dans un Etablissement conlptant 240 elnployés en
période de pleine exploitation, l'obj'èctif prin.cipal est
d'assurer un rendement optimunl des 200 chambres
mises à la location. Pour .c ela, la clientèle ' existant2
était jusqu'alors insuffisante. Elle consistait çn une
élite triée sur le volet et sans cesse 'è n i·égression. Le
manque d'animation de l'Hôtel le rendait solennel "
morne. Il fallait l'è rendre à la vie.
et
/' "
1~3
�Pour cela, une prenlière Inesure s'iInposaH : ouvrÎl"
plus largement les portes à une clientèle qui, pour être
peut-êtrè llloins sélectionnée, n'en acceptait pas moins
de fréquenter un Etablissement nouveau pour elle.
Ce furent les premiers « Tours ». Ces voyages d è
groupes, eu maj orité américains, composés de clients
fortunés mals ayant pour habitude de confier à une
Agencè de Voyages l'organisation de ses déplacements
et de ses séjours, étaient le résultat d'une évolution des
moyens de transport.
'.
L'avion était de plus en plus utilisé et la rapidité
des déplacements 'è ntraînait l'augmentation du nombre
d'escales offertes en un temps restreint.
Pour cette raison, la durée des séjours raccourcissait, d'où un mouvement d'arrivées et de départs décuplés. Unt! nouvelle charge pour l'Hôtel: le personnel
nécessaire à ce mouvement de voyagèurs sans .cesse en
augmentation. l\fais un calcul très simple prouve que
ce ,c hangement de clientèl'è, d'ailleurs inévitable, a permis la renaissance du Negresco à cette époque.
.,
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........ j
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Conséquence inaUenduè : la clientèle « exclusive»
aimant le ,c alme et le silence ne disparut point ; elle
négocia, simplement, et adopta '(~èrtaines p.ériodes de
séjour, surtout l'hiver, de façon à éviter la saison de .ces
tours plus bruyants mais se réservant surtout la saison
d'été.
En même temps d'ailleurs la clientèle individU'dle
augmentait, attirée par la vie nouvelle de l'Hôtel. Nous
n~ citerons pour mémoire que le nombre total de « nuitées :. (unité représentant l'ocCupation nocturne d'urt lit
par un client) durant des mois extrêmes
-
Nomhre de nuitées
1957
1961
Janvier
1.960
4.925
Juillet
5.100
7.900
Recherche dans les aménagements :
Cette nouvelle politiqut! commerciale devait s'assortir ,d'un plan d'aménagement susceptible, de conten-·
ter la clientèle ancienne ,a ussi bièn que le potentiel
124
�d'une clientèle nouvelle cherchant dans de nouv:e lles
installations un cadre moins austèr~ et moins banal.
Nous ne parlons pas évidemment des installations sanitaires qui se veulent modernes, brillantes et pratiques.
La décoration d~s chambres a été conduite ' par
l'idée qu'une recherche de style, mettant en valeur l'art
français, frapperait à coup sûr une clientèle composéê
à 80 % de ressortissants étrangers.
C'est ainsi que furent réalisées des Chambres de
style Empire, Romantiqu'è, Louis XIII, Provençal,
Louis XIV, Napoléon III...
.
Les murs furent tendus de tissus ainsi 'q ue les plafonds, et des harmonies de couleurs furent réalisées
d'une manièrè diff.érente dans chaque chambre.
De pala,ce, le N egresco se transformait
grande Demeure Française.
ainsi
en
Le succès fut certain à partir du jour où les cli'è nts
de l'Hôtel, satisfaits ide leur chambre, demandèrent à
en visiter d'autres, par simple curiosité, et pour y .cher·c h'èr des idées de décoration pour leur demeure personnelle.
C'était assez démontrer à quel point la clientèle
était sensible au décor mis à sa disposition. Effet inattendu : les séjours se prolongèrent en hiver. Et l'on vit
se transformér une clientèle bien connue : celle qui ne '
passait que quelques jours à l'Hôtel, le temps de trouver
une villa ·à louer en ville, pour de longs séjours. Désormais, dans des appartements dont la décoration d'un
g~nre unique lui faisait oublier la monotonie habituelle
des installations d'Hôtel, cette clientèle ,redevint importante, alors qu'on la croyait disparue à tout jamais.
Touristes et hommes d'affaires , :
Deux .clientèl'è s bien différentes, lnais jusqu'alors
recherchées d'une manière bien inégale : la voea tion
hôtelière tournée à priori vers la clientèle de tourism~
de plus ou moins long séjou.r a été obligée d'admettre
une nouvelle clientèle: CèBe des hommes d'affaires.
Ayant une grande a.ctivité spécia.lement durant les
125
�ntoi~
d'hiver, cette clientèle répond à l'un des obj~,ctjIs
de première importance : cOlllbler les creux des .courbes
d'exploitation à tèndance saisonnière trés marquée.
Pour 'attirer cette .clientèle active, il fallait mettre cl
sa disposition certaines facilités correspondant à ses
besoins : salles de réunion dè travail, possibilités de
i'encontres professionnelles, salles de Congrès équipées
des tables recouvertes dèS traditionnels tapis vel~ls,
sonorisation et même traduction simultanée.
On connaît cette tendance de plus en plus généra tisée qui pousse '}èS grandes Firmes à réunir les représentants de leur réseau de vente et les associations professionnelles à faire se l"èn.contrer leurs .adhérents pOUl'
la confrontation de leurs résultats.
11 faut cependant reconnaître' que cette clientèle (t~
Congressistes impose à l'Hôtel une organisation spéciale qui consiste 'è n un véritable secrétariat groupant les
,réservations, établissant des programlnes et réservant
les salles de travail.
Pour parfaire l'accueil des congressistes, une llè.rsonne spécialisée se trouve en pennanence à leur disposition pour l'è ur donner tous renseignements concernant
le plan de la ville, la manière de louer des voitu.res, les
horaires des réunions, etc."
-1
,-
Le Negresco en 'èSt venu à organiser son propre
bureau, dénommé « EW'ope-Congrès ») ,c hargé de dé teeter les organisateu.rs de Congrès, de prendre en maill
toutè l'organisation matérielle, de fournir ùes devis,
d'accueillir les Congressistes à la gare ou à l'aéroport,
de planifier l'utilisation des salles de réunions, etc ..
-
Participation de l'Hôtel à la vie collective
Du fait qu'il ait ouvert ses portes largement à des
catégories de clientèle plus étendues, l'hôtelier se devaît,
lui aussi, de franchir le seuil de ses lnarches, d'~ rn,arhre
pour se lnêler davantage à la vie publique ct établir dus
échanges entre sa maison ,~t l'extérieur.
"
'1
Les Conférences du Negresco ont ..:tinsi Cl'eC lIJl
mouvement ,c ulturel nutour du nOln -je fRôtel t~ t de
celuî d 'èS personn ~!lités seientifique~ oq littè.J. a\rt~s.
12(j
�L'intérêt porté par le Negresco au développenlent
des Républiques Africaines JU) ont vaht , de nouveaux
liens d'amitié avec les représ'èntants des , différents
Gouvernements, et bientôt est née l'idée du par.r ainage
de la fornlation de personn"èl Hôtelier et surtout de
Cadres dont les jeunes Répubiiques ont tant besoin: ,
Ces conta,cts sont cèrtes le fruit de relations personils témoignent du désir d'étendre toujours
plus ,Ioill le nom d'un Palace qui, si réputé soit-il,. a bésoin de donner des p.reuves de son existence et de soill
activité.
D'~lles , mais
Cet hmnens'è travail de Public-Relations, à un degré
élevé, est sans cesse à renouveler, tant il est vrai que les
personnes influentes S'è succèdent, souvent très vite et
que l'intérêt des' auditeurs s'émousse avec le temps.
Mais ce ' travail devient une mission si on sàit lui
accorder la foi qu'il méritè, et si on sait aussi faire lé
rapp.rochement des résultats d'exploitation 'qui con'espondent à cette action.
-
Nouvelle formule du restaurant de Palace
Petits prix el ,c uisine locale :
....
~, ~
", 1
.:-\
"."
'"
'-'
Il n'est besoin que d'interroger le Chef d'une gU.llo.
de cuisine pour se rendre compte de la désaff:è ction ' des
clients pour la cuisine « inspirée » à base de fonds. ,de
sauces lnijotées 3 jours à l'avance.,
C\~st un fait génér.alement reconnu : l'Europe
ge moins depuis l'après-guerre.
1
nÜlll-
Effet d'une ,c ertaine publicité hygiénique ? Les
étrangers. nous ont souvent reproché de trop manger ci
drè ruiner notre santé ... Alors, les joies de la- gastronomie
aussi bien que l'a.r t culinaire français sont-ils en péril ?
' Ces joies et cet art subsistent m'ais 'pOUl' un petit:
nombre de privilégiés. Il fallait donc, raisolllH:l blenlent,
se mettrè à la portée de la masse.
'
Dès la création d'un petit menu, à un prix très abordable, avec une cuisine qui n'a pas honte d'être régionale, les J.·ésultats sont probants : les clients qui ne prenaient qu'un repas par j our se mettent à en pre:ndre
127
�deux, et -d'ul1'~ façon générale le nombre de déj euners
et de dîners augmente de façon spectaculaire.
Quelques chiffres en donneront la preuV'~ : 29.ôOO
repas servis au çours de l'année 1957. En 1960 ils
étaient passés au nombre de 51.000 et la p.rogression rcstè spectaculaire. Quant aux recettes de la restauration,
elles ont tout simplen1{~nt doublé en 4 ans ce qui tend à
prouver que la cuisine simple, à des prix de vente'; abordables mais à d'èS prix de revient plus bas également
donne des résultats satisfaisants.
-
Utilisation maxima des surfaces au sol :
Dans la recherche de la rentabilité, le rendcrncnt
des différents locaux !èt des grandes surfacps mis('s à la
disposition de la clientèle doit égalelnen! être recherché.
Une galerie de vitrines, une boutiqU'è de parfUlTIS
et d'articles de luxe sont d'un apport intéressant. Mais
il .reste les salons trop peu souvent utilisés. Et C'!èst grâ,c e à l'ingéniosité de l'Hôtelier que, par divers nloyens,
ces surfaces doivent dev~nir rentables.
- -1
,
~
Elles sont d'une part indispensables à la réalisation
et à la promotion des Congrès en tant que salles de
travail, mais elles peuvènt être aussi offertes à tous les
organisateurs de soirées p.rivées, bals, présentations de
couture, banquets, thés de Gala ..
Il suffit d'établir un planning d'!ltilisation de ces
salles pour se rèndre compte des vastes possibilités
offertes.
------0
L' Hôtellerie de luxe
re.~te
viable :
Tous les élélnents exposés, ci-dessus, sont diffirilèment dissociables. Ils doivent être exploités sur un même front pour être efficaces. Cependant, s'il n'y a pas
de .règlè générale, on peut affirmer que par cette préoccupation constante de rendement dè loutes 1er, su)'fac.es
offertes, et à' condition de savoir trouver les argumènts
favorables à leur prOlnotion, l'Hôtellerie de lux.: reste
viable.
128
�Mais rHôt~lier ne peu~ plus se permettre de reste.r
enfermé dans sa thébaïde. Il doit se mêler activement à
la vie extérieure et la faire pénétrer dans ses murs.
Ceth~ politique dynamique ~st le nleilleur remède,
ou le meilleur pallhitif, aux terl"ible5 creux d'une courbe d'exploitation qui doit tendre vers une expression
r~ctiligne.
Comme le soulignait réccnlnlent Monsieur Pierre
Hanon dans la « Vie Française », le succès de l'Hôtelier dépend en définitive dè sa faculté d'adaptatioI1 ...
Paul
,,' ,
AUGIER.
..
.
.
'
.
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129
go
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•
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HOTEL
N B GRE seo
SOMBRE
de
JUIN
JUIL.
NUITlES
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JMN.
AlmEES
FEV.
MARS
ùVR1L
1-1'\1
AOUT
1
SEP.
OCT.
NOV.
DEC.
5.358
4.932
2.439
2.804
52.M. r
TOTf\.L
1957
1.961
3.289
3.553
5~546
5.363
3.621
5.II7
8.458
1958
3.555
5.lB7
3.961
6.300
6.719
4.0l.6
5.873
13.390
5.681
5.255
3.252
4.197
62 .t~21
4.767
7. lOB
6.093
5.921
6.866
5.148
7.5Iû
8.066
5.316
5.93I
2.904
3.285
68.923
1950
1•• 016
6.365
4.955
7.265
8.297
6.756
7.261
0.924
0.417
7.933
4.404
4.196
7n.791
1 Ig6r
4.925
7.15I
5.7I!
6.610
7.513
6.4131
7.90D
D.120
5.682
6.642
3.408
4,360
74.319
_1962__[4. û6D
6.90i)
1--
1
1959
-"
BOTEL
NO~1DRE
AOUT
SEP.
OCT.
NOV.
.DEC.
TOT;J.
3.649
2.692
3.972
5.428
3.595
3.525
1.326
1.458
33.500
l,. 047
4.937
3.335
5.193
6.401
5.342
3.376
1.604
2.134
43.357
3.132
3.47I
4.288
3.723
L,. 372
5.952
3.828
3.993
1.US3
2.149
42.2/,1
3.663
2.590
5.071
6.258
5.531
6.102
5.568
4.248
4.131
1.949
2.720
50.076
3.535
3.437
4.551
3.BIl
4.219
2.II4
. 2.852
l,7.0%
1.175
1.558
l.7fJ7
3.512
1953
12.017
2.710
1.761
I
1953
2.095
2.880
1
J.%O
2.237
2.051
~I .
Jb.~N •
1957
lr -
1961
1%2
.
REPAS
JUIL.
HL\RS
ANNEES
de
JUIN
FEV.
1
N E GRE seo
3~. 6JlL ~72B
--_.
i.VR1L
r1f1l
1
5.136
3.839
5.279
5.473
;
j
�Note sur un exemple réel
de reconversion d'entreprises
hôtelières saisonnières
Les lignes qui vont suivre ne sont p.as, à propre. ment parler,: une 1 communication d'intérê{t général~
- théorique ou statistique.
Elles se bornent à rapporter une expérience J.'éelle
d'exploitation d'hôtels saisonniers.
'1
Il ne s'agira pas, d'ailleurs, de présenter des bilans
d'exploitation et des comptes de résultats" mais plutôt
d'~ rendre compte des efforts de réflexion et d'analyse
qui ont conduit ài orienter différemment ces affaires.
Il ne sera donc question que d'un , seul «cas» et il
serait dangereux de l'è généraliser.
.
Mais il peut être intéressant, en dehors des études
théoriques, d'exposer l'effort d'adaptation d'un chef
d\~ntreprise face aux :r.éalités.
Au départ, que nous fixerons à la fin de la guerre
afin de ne pas alourdir cette étude, nous trouvons deux
hôtels typiquement saisonniers :
J. - Un ancien Hôtd, typique de ces établissenlents
construits durant la « belle époque » du tourisme saisonnier : l'Hôtel Splendid à Nice. Il date de 1880, offre
de très vas.tes salons~ un restaQrant gigantesqu~ avec
1~1
~
�une cuisine en rapport, un bar caché dans un .recoin de
rez-de-chaussée, des chambres anormales: les ull'~S très
grandes, car il s'agissait autrefois de loger une clientèle
qui séjournait plusieurs mois et am~nait avec elle des
bagages innombrables, les autres très petites,c.ar il
s'agissait de loger l~s femmes de chambre ou valets
particuliers.
De façon très caractéristique, l'Hôtel est entouré
d'une grille, précédé d'un jardin, et enfin plusieurs marches le séparent d~ la rue.
L'on aura esquissé ainsi l'Hôtel construit autrefois
pour la clientèle anglaise qui tenait à se retrouver entre
en~, à l'abri du « native» local. Dans sa formule primitive, il fonctionnait pratiquement en vase clos : clientèle, et personnel aussi, vivaient entièrement dans
l'hôtel '~t en sortaient très peu. L'établissement présentait le phénomène curieux de n'avoir pratiquement aucune racine dans la cité: aucun habitant de Nice, par
exemple, n'aurait songé à entrer au bar.
.'"
II. - L~ deuxième établissement est encore plusÎ,
typiquement saisonnier : l'hôtel de la Plage à Evian:
C'est une ·m aison « plus moderne », construite en 1925;
mais manquant d'espace car l'architecte n'avait très
évid~mment aucune notion des nécessités d'une exploitation hôtelière. Là encore, le personnel en g.rande majorité « importé » pour la saison, couchait et mangeait
à l"hôtel.
.'
"
Dans les deux cas, par conséquent, il s'agissait d'hôtels dép'~ndant totalement d'une clientèle de séjours,
qu'il fallait d'abord trouver, et ensuite prendre en chargé depuis les repas jusqu'aux distractions.
*
**
En 1947, à la fin de la guer.re donc, se
blème d'exploiter ces deux maisons.
pos'~
le pro-
A Nice, il devient vite évident que l'ancienD'~ clientèle d'hiver à tendance à disparaître. Les efforts se concentr~nt donc sur les saisons de printemps et d'été et
sur la prospection des agences de voyages étrangères :
1~2
�~.
les r~suitats sont excetients, et la fréquentation très sà~
tisfaisante, puisqu'elh~ atteint plus de 70% sur l'année :
lnais la moyenne des séjours qui était dè 22 jours en
1925 ou de 13 jours en 1939 tombe immédiatement à 4.
ou 5 jours à peine, puisque l'on a dû faire app'è l à une
clientèle de passage.
A Evian, les premières saisons d'été sont satisfaisantes également : uneclientèlè traditionnelle française
se retrouve vite.
Les deux affaires, étant anciennes, sont en grande
mèsure amorties, les résultats d'exploitation sont donc
facilement favorables et des investissements conséquents sont faits dans les deux maisons afin de les moderniser.
Les tabl'è aux suivants donnent quelques indications
sur les caractéristiques d'exploitation durant cette première période :
.'
~
:1
133
';-'f.*
�~
."
l;}
{
1948
~
~
1949
1950
150 %
120 %
149 %
130 %
1951 .
1952
1953
161 %
180 %
185 %
182 %
Chiffre d'affaires (base 100 en 1948)
Splendid, Nice ........
Plage, Evian ........
Bénéfice comptable (après amortiss. et imp. Sté)
6%
9%
Splendid, Nice .. ....
7 %
Plage, Evian ........
8.6 %
1
Investissements (ont représenté le % des recettes)
8%
7%
Splendid, Nice ..... . ..
10 %,.
16 %
Plage,
Evian ........
158 %
130 %
3.3 %
9%
3 %
7 %
3 %
7 %
4%
16.4 %
3%
6.4 %
6.4 %
9 %
7 %
3.2 %
10 %
5. %
Dépenses (pour 100 f.r. de recettes il a été dépensé)
Achats cuisine :
Splendid, Nice
Plage, Evian .... . ...
42
46
33
40
32
36
36
40
Salaires et charges sociales: (distribution du pourcentage non comprise)
Splendid, Nice ........
20
22
16
13
22
25
Plage, Evian ... . ....
14
18
3H
:;6
~
;)7
26
24
i~2
27
�te chiffre d'affaires progressait clone sensi.biemellt
et sur le plan commercial la situation était bonne, Mais
les charges de salaires augmentaient énormément. Le
Splendid pouvait « tourner » a VèC des investissements
assez réduits grâce à la facilité de la clientèle (anglaise
et française) de cette -époque et l'absenc;è de concurrence. Par contre, la Plage nécessitait des dépens'è s assez
élevées de remise en é tat a près son abandon durant la
période de la gUèlTe.
*
~::*
A partir de 1954, il s'est produit deux phénonlènes
importants :
- la clientèle française a commencé à voyager à
l'étranger' ;
"
.
- de nouvelles régions touristiqlh~s se sont ouvertes ei la concurrence de l'étranger est devenue très vive,
du moment où même cèlles de ces nouvelles régions qui
- sont éloignées ont pû être atteintes facilement grâce à
l'avion.
D'autre part, la part des salaires et charges sociales
dans un pays à niveau dè vie relativement élevé comme
le nôtre devenait de plus en plus lourde en soi, 'èt devenait insupportable si on la comparait à la charge sociale
d'èS nouveaux concurrents étrangers où le coût de la
luain-d'œuvre était très bas, parfois 10 fois inférieur.
.
Il nous a selnblé, à cette époque, qu'il ne fallait pas
se laisser imp.ressionner par une activité commerciale
très satisfaisante, unè progression constante du chiffre
d'affaires, des nuitées de plus en plus nombreuses, car
nous « sentions» véritablement que l'ancien type était
tôt ou tard voué à la disparition.
,
A la réflexion, il nous a semblé qUè, dans l'avenir,
il n'y aurait de chance que pour trois types d'hôtels:
~
,---< . .....""
A -- Petit hôtel de luxe, ou tout au moins d'une
qualité telle .qu'il puisse obtenir dèS prix élevés: ceci
impliquait presque nécessairement une maison neuve,
et imposait le choix d'un lieu exc'è ptionnel.
B - Hôtel « court-ch'cuitant » le problème de la
main-d'-a~uvre, c'est-à-dire exploitable avec un person135
�nei tres r~dult (èt nous avions, il NIce, l'exenlple cl11
succès incroyable des locations, plus ou moins clandestines, d'appartements ou studios meublés).
C - L'hôtel de grande ville ou d'étape, neuf si possible, ayant un confort suffisant pour la clientèle internationale, et sans .restaurant ou tout ùu moins avec un
restaurant très réduit, la restauration représentant la
plus importante dépense de main-d'œuvre.
Nous nous sommes 'è fforcés de matérialiser nos réflexions, et après les avoir exprimées pour les pouvoirs
publics ou dans les organes professionnels, de prêcher
par l'exemple en réalisant.
~
1) La première réalisation a été celle d'un hôtel~
de capacité réduite, mais capable d'attirer une clientèle
à prix élevés. Nous nous somm'èS décidés pour une
station de sports d'hiver dans les Alpes-Maritimes, car
il n'existait aucun hôtel de ce type dans cette région et
que le coût du œrrain y était moins élevé qu'au bord
de mer.
Nous avons ainsi construit, en 1951, l'Hôtel du Pilon
à Auron : il n'a qu'une quarantaine de chambres mais
elles sont très confortables et l'hôtel dispose de terrasses,
bar, patinoire, etc ...
Les chiffres suivants donnent UDè indication sur la
différence de résultats dès qu'un hôtel est suffisamment
llèuf, confortable et attrayant pour attirer une clientèle
choisiè :
1953
1954
1955
3,8%
4,2%
Pourcentage des recettes «cave»
par rapport au total :
1
Plage, Evian (clientèle de
curistes) . . ............. .
4%
Spl'è ndid, Nice clientèle en
5,2%
maj orité étrangère). . .. .
Pilon, Auron
. .......... .
11 %
5,3%
5%
13%
14,1%
26,2%
27,1 %
21%
Pourcentage des « salaires »
(sans la distribution du pourcentage) et charges sociales
par rapport aux dépenses
totales :
Plage, Evian ............. .
Pilon, Auron .... . ... . .... .
156
27%
22%
20,1%
�1
- ',1
La dîtrér~nce nia fait que s;accentuer, et nous avon§
finalement décidé de nous débarasser de l'affaire
d'Evian. A première vue, il pour.rait paraître anonnai
d'abandonner un hôtel, somme toute amorti, qui fonctionnait normalement 'è t rapportait un pourcentage
bénéfice de 6 à 7 %. La correction essentielle à apporter
est évidemment que ce bénéfice D'è s'appliquait que sur
le .chiffre d'affaires réduit de 3 mois de saison, et qu'un
montant aussi faible ne justifiait pas les soucis que
causait cètte aUaire. A notre avis un hôtel de saisou'
cl"été 'devient pratiq'Uement impossible à gérer pour
l'hôtelier qui n'est pas du « pays ». Si l'exploitant habite
tout~ l'année dans la station, il peut trouver sur place
unè partie du personnel nécessaire, ses frais tout au
long de la saison creuse sont supportés par l'hôtel et
finalement, avec un gros travail pendant trois mois et
une vie végétative durant l'hiver, il peut subsist~r sans
pratiquement payer d'impôts car ses dépenses d'hiver
annulent le bénéfice d~ l'été. Mais il nous semble devenu
impossible d'espérer rentabiliser un investissement de
capitaux dans 'un hôtel neuf d'une station c~stivale française : les exigences extraordinaires d'un personnel
« amené » pour la saison d'été, depuis le dir~cteur
jusqu'au plongeur imposent des prix tels que la clientèle française, maintenant qu'elle i~ n a la possibilité
et l'habitude, s'en va à l'étranger.
Nous pensons que' l'hôtel saisonnier estival ne pèut
dorénavant se j ustifièr en France que s'il prend les
formes d'une activité de complément : retraités, désirant ne s'occuper que quelques mois, agriculteurs ou
pêcheurs, etc... mais il ne peut plus être une activité
commercialè rémunérant des capitaux.
Par contre l'expérience de l'hôtel neuf construit à
Auron indique :
a) - que la station de sports d'hiver est plus ren..
table : la clièntèle y dépense beaucoup plus, notamment
en boissons car, à partir de 5 heures du soir, il n'y Ii
pas d'autre ressource.
b) - mais surtout, et c~ci s'applique alors généralement en dehors des stations de sports d'hiver, que l'on
137
�1;'
o!"
,.',
..1
trouve ,c1~ IH cHentêle acceptant les prix ,i'rariçals elevé:;;,
à condition de lui donner un très grand confort, .un
attrait spécial (point de vue, patinoire~ piscine' l'été), et
beaucoup de soins. C'est d'ailleUrs la confirmation qu\~n
donne le' succès d'établissements tels que le Cap Estel,
la Héserve de Beaulieu, lèS Baux, etc. Le grand Hôtel
de luxe, le Palace, est très délicat à rentabiliser : les
investissements sont énorm'ès et le personnel ruineux.
Pa.l' contre le « Petit» Hôtel de lux~ nous paraît avoir
un avenir, même dans les stations saisonnières, à condition qu'il soit vraiment très bien. Or, il faut remarquer
que, si l'on se décide à construire un hôt~l, et une fois
que les dépenses de gros œuvre et d'installation ont
été faites, la différence entre un Hôtd « ordinaire » et
un Hôtel de classe ne représente qu'un pourcentage
infime du total de la dépense.
2) En abandonnant Evian, nous avons décidé de
en essayant notre seconde formule ; l'Hôtel
avec un minimum de personnel. Nous avons donc construit près d~ Nice, sur la plage du Cros-de-Cagnes, un
Hôtel tout neuf, très confortable car cela devient essentiel ; salles dè bains modernes partout, avec tous les
« gadgets » possible, téléphone, vastes balcons, mobilier très soigné. Mais nous avons prévu un Hôtel qui non
seulement n'a pas de restaurant, nlais dont la plupart
des chambres ont, au contraire, 'Une « kitchenette» individuelle. Il ne s',a git pas de la lanlentable « cuisin~ parisienne» dans un placard, mais d'une vraiecuisineUe,
moderne et gaie, av'èc de la place. un frigo, une cuisinière à gaz, un évièr en aeier inox en insonore, des
meubles de rangement 'è n f.onnica, carrelée comme la
salle de bains, et surtout ventilée avec le plus grand
soin ; . gaine spéciale, aérateurs électriquès, etc...
r~investir
"j
~
.,'
.....
,-<
..-
-0;:,
~
"
."
~
... ' ,
l'
:1
.1
Le succès est tout à fait étonnant : nous obtenons des prix de chambre élevés, et to.ut l'hôtel peut
marcher avec trois f'~mmes de chambre, un ménage de
direction e,t un aide. En une s~ison d'été, et avec , six
employés, il fait ,a utant de chiffre d'affaires que l'Hôtel
d~ la Plage à Evian, mais les salaires et charges sociales
représentent 9% du chiffre d'affaires contre 25 à 30%
dans un Hôtel saisonnier avec pension. Le bénéficè
d'exploitation abstraction fait~ naturellement des char138
�ges HnancÎère.s clues · il. i'eUlprunl au tredit .HôteHer,
est de l'ordre de 50% contre 5 à 7% à Evian : en sOlllIile,
nous faisons à peu près les m,êInes rècettes qu'à Evian,
Inais avec l'économie de tous les achats de nourriture et
des salaires du personnel. de Restaurant.
Il seInble donc qu'il .y ait, pour les Hôtels saisonniers, une seconde formule s'il n'est pas possibh~ de
faire du « petit luxe » : c'est l'Hôtel sans personnel, ou
ou avec un minimum de personnel.
Le nouvel Hôtel, l'Horizon au Cros-de-Cagnes, a
ouvert en Juillet 1961 seulement, nlais il peut être intéressant d~ donner quelques chiffres comparatifs entre
les résultats du Splendid à Nice, et ceux de l'Horizon
pour les quatre mois de Juillet à fin Octobre (donc deux
« bons » mois et drè ux mois « creux »).
. ·Jll;~, ~t~$.r~r.;'·:~.J~;;~j;:·.'<t ~j,~,
SPLBNDID
Persollllel
employ ~
............
Tota.l des salaires et charges
sociales (distribution pourcentage non comprise) ...... ... .
Total des nuitées ..............
51
6
122.200 NF.
11.300 NF.
18.400
4:.490
Dépens ~
"
.. .
personnel p~lJ' nuitée
de clients ....................
HOBIZON
:.
..
'
. 1
6,50
:2,50
Bén~fice
d'exploitation (diff érence pure entre recettes et
dépenses, avant amortissements, charges financières t t
sans tenir compte impôts s '
Sociétés) ..................... .
18 % envirOll
(meilleur que la
moyenne de l'an-
60%
lIée).
En d'autres termes, durant ces quatre mois, l'Horizon avec six employés et 30 chalnbres a rapporté, net,
presque autant que lè Splendid avec ses 110 chambre~.
ses 50 employés et les 250 repas par jour qu'il servait
en moyenne!
*
~:*
139
�Ces deux expérlenCèS vécues sont. é~'idell1111ent
des exemples isolés et il serait hnprudent de trop les
généraliser. Mais 'è n ce qui nous concerne elles nous ont
tout à fait persuadé que les difficultés de l'Hôtellerie
française proviennent essentiellement d~ l'impossibilité
de lutter contre les prix de la concurrence étrangère, en
raison des chargès de salaires. Il faut donc, ou bien donner assez de luxe pour obtenir des prix, ou bien réduire
la main-d'œuvre dans toute la mesure du possible, et
cela impliqu~ra presque toujours la suppression, ou la
réduction de la partie restauration.
Cependant, et c'est le point essentiel, (mais évidenunent le plus difficile car il d~mande des investissements et de l'endettement), il faut presque nécessairement fairè faire du neuf.
.
'.
·1 ."
Le « rafistolage » d'un Hôtel ancien ne mène plus
l~ troisième exemple,
celui du Splendid à Nice. L'on peut ajouter d'ailleurs
qu'il est stérile quand, comme c'est le cas dè la majorité des Hôtels d'une certaine importance en France,
rHôtelier est locataire. Il dépense alors énormément
sans arriver à donner un aspect moderne à un établisseInent q.ui ne lui appartient pas. Il serait très facile de
trouver d·è s exemples d'Hôteliers ayant dépensé une
cinquantaine de uullions pour entretenir ou s'efforcer
de moderniser un vieil Hôtel, alors qu'avec ces 50 millions 'è t ,50 du :crédit Hôtelier, ils auraient pu construire
du neuf, dont ils auraient été propriétaires.
à rien, et nous allons le voir avec
*
*:;:
Restait donc le problème le plus difficile : celui
du Splendid, dont nous avons dit les difficultés d'exploitation qu'implique son immeuble vétuste.
L'histoire du Splendid peut se schématiser rapidement par les chiffres suivants:
1"0
�Recettes
totales
1008 144.000
1909 . 170.000
1910 184.000
1911 180.000
1912 180.000
1913 171.000
Dont
recettes
cuisine
Impôts
Salaires
Loye1- et chILrges lnvestisSociales sements
52.000
59.000
61.000
61.500
60.500
58.000
1.400
2.800
2.800
3.000
3.000
3.000
40.000
40.000
40.000
40.000
40.000
40.000
14.000
18.000
18.000
J5.500
18.000
18.000
32.000
25.000
31.000
10.000
58.000
29.000
donc une étonnante stabilité d'~ dépenses et recettes, des
charges d'impôts négligeables, des dépenses de salaires
représentant 10% du chiffre d'affaires, un loyer très
important ne permettant que des investissements inférieurs au montant du loyer.
1!J14
1915
1916
1917
1918
1919
1
..
86.000
94.000
186.000
264.000
332.000
290.000
~l3.000
35.000
110.000
160.000
172.000
137.000
3.000
5.000
4.000
4.500
3.600
3.800
40.000
40.000
20.000
20.000
40.000
33.000
17.000
7.000
14.000
21.000
8.000
30.000
25.1)00
période de guerre, évidelnment, les recettes CUISIne
environ 50% du total, aucun investissement.
repr~sentant
..".·1
. \
1920
Hr21
1922
1923
476.000
341.000
448.000
816.000
187.000
167.000
245.000
414.000
19.000
20.000
27.000
37.000
40.000
40.000
40.000
62.000
14.000
20.()f)()
97.000
38,000
27.()i):)
5O.t)(){)
45.000
6H.WO
l'après-guerre immédiat voit les recettes quadl'upler et
l~ loyer perd son .c aractère de charge insupportable, les
impôts par contre augmentent mais les charges de salaires diminuent proportionnellement : à peine 5% des
cece ttèS ,
141
�..\
Recettes
totales
Dont
recettes
cuisine
1924
917.000
1925 1.207·000
19"26 1.492.000
1927 1.562.000
1928 1.689.000
1929 1.903.000
437.000
566.000
733.000
844,000
891.000
979.000
11npô ~ s
59.000
99.000
119.000
131.000
160.000
91.000
Salaires
Loyer ' et ch.arges lnvestisSoc'tales scments
57.000
57.000
108.000
119.000
100.000
100.000
63.000
72.000
86.000
123.000
159.000
198.000
62.000
85.000
130.000
107.000
57.000
41.000
Les « beUes années» semblent donc l'avoir été surtO'llt
aux dépens du personnel, dont la charge n'a pas suivi
la progression du chiffre d'affaires, elle représente 55~
des re~ettes en .1926 et 10% en 1929 ; lè loyer ne représente plus que 5% des recettes contre 24% avant guer.re .
L~s recettes o~t progressé aux dépens du propriétaire
et l'Etat, comme le personnel, n'ont pas encore exigé
leur part.
1930 1.096.000
1931
964.000
1932
950.000
1933
711.000
1934
709.000
19.35
607.000
640.000
435.000
458.000
376.000
384.000
299.000
76.000
93.000
78.000
66.000
57.000
58.000
.100.000
100.000
100.000
120.000
120.000
DO.OOO
180.000
179.000
150.000
126.000
96.000
81.000
10.000
10.000
c'est la crise : ell~ stoppe net les investissements, les
salaires ne haissent pas ~n proportion et atteignent 12 à
14 % ùes recettes.
1936 .
•
1
8~6.000
-l./il.OOO
IU37 1. 142.0(j0
53~.000
lU31:5
511.000
825.000
1939
,1
060.000
1.468.000
48.000
59.(00
72.000
133.000
90.000
90.000
70.000
120.000
l83.000
185.000
lSO. 000
225.000
5.000
3.000-
C'est la reprise grâc;~ aux saison d'été ; les dépenses de
salaires font 'un bon d'une part car le ' personnel est
employé toute l'année, d'autre part èar les charges
sociales ont fait leur apparition. A Il0ter que, durant ces
t.rente aoflnées, les guerres el les crises ont fait que seules les saisons jusqu'en 1913 et celles de 1926 ,~t 27 ont
permis un effort sensible d'investissements et améliorations. ' L'Hôtel en 1,940 Se trouvait dans un état d'entretien lamentable.
Les années 1940 à 1944 n'ont aucun 'intérêt : les
recett~s ont été celles provenant des réquisitions, ct
naturellement aucun investissement n'a été fait.
142
�1....
. 1
~,
~
~
Salaü'es et
charges sOciales
Investisments
90.000
2.160.000
1.300.000
1.637.000
96.000
4.020.000
990.000
17.810.000
3,355.000
360.000
5.022.000
1.200.000
37.000.000
19.050.000
3.762.000
360.000
6.900.000
1.600.000
1949
50.040.000
28.912.000
4.010.000
360.000
8.053.000
5.100.000
1950
51.922.000
27.573.000
4.570.000
850.000
12.454.000
3.745.000
1951
55.922.000
30.720.000
5.545.000
850.000
14.565.000
2.548.000
1952
58.810.000
32.130.000
4.528.000
850.000
15.235.000
3.750.000
1953
63.242.000
35.806.000
5.010.000
1.850.000
15.030.000
5.333.000
1954
71.990.000
41.006.000
8.087.000
1.850.000
16.558.000
7.510.000
1955
77.211.000
42.227.000
9.120.000
1.850.000
17.975.000
5,493.000.
:1956
78.995.000
41.656.000
9.990.000
1.850.000
19.424.000
6.l84.000
1957
84.553.000
42.801.000
9.417.000
1. 85O.00b
20.874.000
6.167.000
1958
99.839.000
49.679.000
10.347.000
1.850.000
25.042.000
3.543.000
1959
105.625,000
52.330.000
12.992.000
3.000.000
27.637.000
4.010.000
1960
122.821.000
58.800.000
15.957.000
3.000.000
28.258.000
4.600.000
Recettes
totales
Dont 1'ecetles
cuisine
Imp6ts
1945
13.340.000
5.860.000
1.080.000
1946
19.490.000
10.774.000
194'7
33.157.000
194·8
Loyer
�donc progression constante du chiffre d'affaires, car
l'on s'ingénie à faire « tourner» l'affaire au maximunl.
l\fais cela nécessite une abondante main d'œuvre et
la charge socialè atteint près de 24%. Il est intéressant
de signaler qu'impôts + salaires représentent près de.
4U% des recettes, alors qu'ils repréS'èntaient ensemble
1U% en 1911, 12% en 1921 et 28% en 1931.
L'effort d'investissement, dans un~ maison ancienne et mal adaptée, est très important puisque les
achats de matériel et les améliorations ont représent(~
64 millions en 15 ans, tandis que les dépenses d\~ntre·
tien atteignaient 56 millions: 120 millions ont donc été
investis depuis la guerre, sans arriver à vrai~ment
moderniser la maison.
II est d'ailleurs possible d'ausculter mieux le
Splèndid :
Repas
N uitees
(*)
les dépenses repr~sentent
le % suivant. des recettes
soil %
saI.
cs.
d'occup.
Entretien
Frs.
Gén.
Invest. Bénéfice
d'expl.
1950
42.100
66
55.679
24
9,3
23
6,5
6,2
1951
44.196
76
60.190
26
4,9
26
3,7
2,8
1952
42.603
56.000
25,5
4,3
26
6,2
5,5
5,29
1953
41.567
73
74
56.100
23,7
7,11
23,2
8,4
44.358
45.550
75,9
76,3
60.671
61.044
23
23
5,2
5,7
27,7
J
1954
1955
10,4
7,1
46.585
47.372,
76,4
58.077
24
7,3
27,1
7,7
6,1
. " '.:'1
1956
-1957
77,5
60.369
24
4,8
27
9
7 ,""
9,9
1958
47.372
78,5
61.642
23
8,1
24
6,6
8,3
1959
44.115
75
59.000
26
11,5
24
4,4
9,2
1960
44.753
76
56.760
25
4,9
26
5,6
11,2
,,' '-';',<.
.1
25
6
8
L'on voit ainsi que, si le nombre de nuitées augmente constamment grâce à une prospection commerciale très activè, le nombre de repas fléchit depuis deux
ans. Les charges sociales qui avaient pu être réduites en
1953 grâce à une transfonnation de la cuisine, atteignent
de nOUVT
è au 23 à26%, et les frais généraux delneurent
.constants.
("") simple différcnc( ' cnlrc dépenses eL n ·ce LLes.
144
san s amorti sse ments, etc ,.,
�Le bénétlce d'exploitation étant I~_ simple différence entre les dépenses d'exploitation et ' h~s recettes,
c'est sur ce bénéfice que l'on doit prendre les dépenses
d'investissements, et il est assez remarquable dè constater que les deux pourcentages sont presque toujours sensiblement égaux. En d'autres termes, le bénéfice résultant de l'exploitation est immédiatement utilisé à des investissements. En d'autres termes aussi, ,ce n'est que par
le jeu dèS amortissements que l'on peut dégager éventuellement un bénéfice« disponible »; mais il est très
réduit et sans commune lnesure avec les capitaux engagés ~t le travail fourni : cela illustre d'ailleurs l'importance de l'amortissement dégressif ,a.ccordé à l'Hôtellerie .. Si ce système avait existé depuis dix ans notrè histoire eut été toute différente.
L"Hôtel étant t.rès vieux èst coûteux à exploiter
(chauffage, personnel), et n'étant pas moderne il ne
peut obtenir des prix suffisants. D'autre part, deux phénomènes inquiétants :
·i
:1
-
La clientèle d'hiver disparaît: les décès parmi
les anciens ne sont pas .r emplacés par de nouveaux clients ;
-
La clientèle individuelle Hè tient plus à prendre ses repas à l'Hôtel: si le chiffre des repas
se maintiènt difficilement, c'est uniquement
grâce aux clients d'agences (groupes ou isolés)
qui sont obligés de prèndre les repas à l'Hôtel. Mais cette fréquentation du restaurant
niest alors possiblè qu'à des prix très peu ré nuluérateurs : on finit par garder tout un restau
rant en marche, et pour le faire travailler on
prend des cli'ènts d'agences qui règlent un prix
trop bas:
Charge de salaires pour servir UN repas
1956 : 141 fr.
1957 : 149 fr.
1958 : 157 fr.
1959 : 184 f.r.
1960 : 201 fr.
1961 : 222 fr. env.
Charge totale de salairès (restaurant et chambre)
pour UNE nuitée :
1956 : 394 fr.
1957 : 426 fr.
1958 : 497 fr.
1959 : 612 fr.
1960 : 638 fr.
1961 : 670 fr. env.
145
10
�Nous SODlDl'èS donc arrivé à la conclusion que,
malgré de très importants investissements pour ~ssayer
de le moderniser, notre Hôtel était vraiment trop vétuste
'èt qu'il entraînerait des charges de main d'œuVre exagérées.
D'autre pa,rt, il n'était plus au goût de la meilleure clientèle actuelle ce qui nous entr.aînerait à fonctionner surtout avec des groupes !èt des agences de
voyages, et alors évidemment à dès prix « tirés ».
:
,1
En gros, la différence ;~ntre recettes et dépenses se
maintient depuis une dizaine d"années à une moyenne
constante de 16% environ.
Le choix est alors le suivant
-
ou bien nous faisons ,c haque année dans l'Hôtel des dépr~nses, non pas nécessaires mais
indispensables, et alors il nous faut dépense.l'
entre 8 o~ 10 % des r~ettes et cela laisse
un « bénéfice » insuffisant pour couvrir sinlplen'1ent les talnortissements, sans parler de
rémunération du ,c apital
-
ou bi~n nous réduisons les investissenlents~
comme nous l'avons fait depuis deux ans, et le
bénéfice permet alors des anlortisS'~lnents
normaux Blais l'Hôtel se dég.r ade définitivc-
·1
ID'ènt.
•
.j
.1
Nous avons donc conclu qu'il était indispensable
de changer radicalement de lnéthode, ,~t d'envisager la
destruction complète d2 l'Hôtel.
Nous avons bénéficié, dans c·~tte hypothèse, d'un
fait qui est particulièren1ent favorable et qui est d'ailh~urs le cas de la plupart des Hôtels anciens : l'établissement actuel occupe bien trop ILle terrain : nous n'avons
que 108 chambres, sur trois étages sur rez-de-chaussée,
et oceupons 3.500 m2 ! \
n d~venait donc possible d'envisager la vente des
environ de terrain, et sur les 1400 m. restants, la
construction d'un Hôtel moderne qui, bâti sur 7 étages,
aura plus de 125 chambres.
.
~/5m e
C1:\t Hôtel, dont les plans sont
146
établis~
sent d'une
�conception entièrement inverse de l'ancien Splendid :
il s'efforcera d'avoir une base locale- solide, et de plus
dépendre entièrement Ide la clientèle touristique.
Au rez-de-chaussée, un bar et un restaurant
type snack» pour une trentaine de personnes à peinlè,
donneront directement sur la rue, au lh~u d'être cachés
à l'intérieur, et auront des entrées indépendantes : ils
pourront donc attirer égah:~ment la clientèle locale
«
- De lnême un certain nombre de Jnagasins donneront à la fois sur la .rue, et à rintérieur de l'Hôtel où
« une allée ma,rchande » permettra J'implantation de
vitrines, d'ou rapport supplém'è ntaire indépendant de
la fréquentation touristique.
- Les salons publics seront transforInahles, par
des cloisons mobiles, en salles de réunion, 'èt il est prévu
une scène et un grand bar, escamotables, qui permettront soit des proj ections soit des réunions ; ceci pour
attirer les congrès, les sénlinaires, réunions d'études, etc.
- Toutes les .chambres auront naturellemènt salle
de bains, balcon, conditionnement d'air, etc. ;
'1
-- Enfin au huitièlne étage une pisciuè, avec un
ba.r, un solarium, etc., sera également un intéressant
{Jément attra'c tif pouvant intéresser les Niçois.
Il s'agit donc d~ changer complètenlent, et de faire
un Hôtel moderne, gai et attrayant, axé sur la clientèle
locale. d'une part, et sur la clientèle d'affairès et de
passage d'autre part, pour remplacer un Hôtel « victorien» dèstiné à la clientèle de séjour anglaise.
.-,
Il faut se rendre à l'évidence, lnême si elle est
désagréable, 'è t constater que, dans un pays ' à niveau
de vie relativement élevé, où le p'èrsonnei demande des
salaires normaux et, de ,p lus, dans une ville comme
Nice qui est devenue un'è grande cité, il devient impossible d'envisager une clientèle typiquement touristique~
c'est-à-dire séjournant « 'èn pension ». Nous faisons
d'onc un . Hôtel sans pension, avec simplement un
« snack » pour une trentaine de personnes, et nous aurons incontestablement à «reconvèrtir» en même
temps dans une grande mesu.re notre c1ientèle qui, com147
;;
�me la ville de Nice
et plus d'affaires.
elle-m·êm~,
sera moins tou:ristique
"'*$
Ainsi qu'on l'\aura constaté à la lecture de ces
notes, notre expériencè n'offre, en réalité, aucun enseignement en ce qui concerne une adaptation d'entrepriSèS Hôtelières au caralc tère saisonnier des phénomènes
touristiques.
Parti de deux affaires saisonnières « classiques »,
c'est-à-dire deux Hôtels de première catégorÏ'è' ordinaire
avec pension, nous avons essayé d'abord, avec l'Hôtel
d'~ sports d'hiver, une formule à moindre capa.cité et à
meilleure clientèle. L~s résultats en sont satisfaisants",
mais c'est encore celui de nos établissem'è nts qui nous
donne le moins de satisfactions, car il est toujours saisonnier et comportè la restauration.
Aussi, dans nos deux .c réations ultérieures, nous
avons tiré la leçon de nos expériences et construisons
des Hôt~ls :
-
avec le moins de lnain-d'œuvl'e possible
-- sans restauration
-
"1
et qui s'efforcent de supp.rimer autant que
faire s'ô peut le caractère saisonnier inhé~
rent à notre région en s'appuyant, soit sur le
trafic automobile (l'hôtel de Cagnes fonctionne
également comme Motel), soit sur la clientèle
locale (projet du nouveau Splendid).
En ce qui nous concerne, donc, 'è t en .reprenant avec
la modestie qui convient une pa.role célèbre, nous avons
~stimé que la seule solution était la fuite,
11 est bien évident que nous avons sans doute tiré
des conclusions assez rigides et intellecturèlles d'une
situation qui sera, en vérité, celle des années 1965 ou
1970.
148
�Nous avons juge pl'éférable dè nous y preparer de
suite, luais il est certain que bien des établissements
saisonniers pourront encor:è vivre suivant la formule
classique, et cela surtout si le chef d'Entreprise est luiInême cuisiniièr.
l\lais il nous semble que, de toute façon, tout effort
d'adaptatlon de fHôteHerie purèment saisonnière peut
s'envisager dans trois directions :
..
..
'
.'
.,.
. \".
,',
"
a) -
réduclio,n de la capacité, suivant les théories de
M. Mignot à Vichy ' : un Hôtel de 150 chambres
vétustes qui se réduit à une soixantaine de
chambres sera très p.robablem~nt plus rentable,
.car la transf.ornlation réduit dans unè très grande
mesure l'inertie d'un capital trop important ainsi
bloqué et les charges d:è salaires 'en période
creuse
b) -
clientèle locale : Dans bien des stations, rè t à ,c ondition que l'exploitant y vive toute l'année, il
pourra s'efforcer d'atti.rer la clientèle localè' :
banquets, réunions, etc ... ;
c) -
Suppression de main-d'œuvre: C'est dire, 'è n fait,
la 's iinple location de chambres meublée~, avec
ou sans « kitchenette » : la formule permettrait de
« récupérer » toute une ,clientèle ' de familles,
réduite actuelleluent au camping mais qui, au
fond, préfèrerait certainemènt un toît solide pour
ses vacances si elle pouvait l'avoir à un coût
raisonnable.
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Même avec un:è formule de reconversion quelconque nous continuons à rester sceptique. Encore une
fois il s'agit d'une opinion puremènt personnelle, mais
nous ne voyons pas comment l'Hôtel saisonnier estival
peut être en France uniè affaire rentable sur le plan
financier, et même si par un miracle quelconque la
durée dè saison peut être portée de trois mois à quatre
Inois.
Un cas intéressant est celui du « bowling » qui
vient d'être créé à Biarritz: il a été ,c onstaté que même
trois mois d'exploitation intensive nè pouvaient compenser neuf mois de sommeil, et la rentabilité est actu~l149
�iernent ,c herchée par des accords avec tes col1)Îtes dtentreprise des usines avoisinantes '; c'est un nouyel exemple d'une '~ntreprise saisonnière se .cherchant une base
plus solide et permanente avec la clientèle locale. '
Cela aussi démontre qu'aucune industrie n~ peut
être rentable si elle chôme huit mois par an, et pourquoi
voudrait-on que l'Hôtell~rie, qui présente le handicap
supplémentaire d'être une industrie de main-d'œuvre,
puisse l'être?
Et nous pensons que dans qudques années, et en
dehors de quelques petits Etablissements obtenant des
prix élèvés grâce à leur situation ou leur cuisine nous ne
verrons plus que :
-
soit des Hôtels moyens, gérés par un Hôtelier
habitant la station à l'année et ayant une activité complémentair~ hors saison;
soit des Hôtels dépendant d'une affaire connexe (eaux minérales, 'casinos), qui couv,r ira
leur déficit.
H.
l
. ..
:.'
.
.·1
..
;.~ .'." .,'.',. '".'.
r
:'
.
~
1 '
150
TSCHANN.
�La moyenne et petite
. .
hôtellerie nIçoIse
face aux problèlnes saisonniers.
"
Dans le cadre du sujet général indiqué par ce colloque, nous avons l'intention de traiter ici de la position
- de la moycnne et petite hôtellerie par rapport aux
problèmes saisonniers.
.
Nous situerons cette moyenne et petite hôtellerie
au niveau du classem'c nt français des hôtels de tourisme,
de 1 et 2 étoiles, ce classeInent ne .c onstituant pas en
réalité une limite rigoureuse, la notion d'hôtellerh~
Inoyenne s'étendant fréquemment à des établissements
de classelnent voisin.
Pour la ville de Nice, ces établissemènts sont a'u
nombre de :>'62, ce qui correspond à un nombre de 6.766
chambres.
La presque totalité de ces établissèments ont une
exploitation permanente ; il apparaît peut-être anormal
de les rattacher à l'exploitation saisonnière puisque
celle-ci implique une fermeture totale entre les saisons.
En réalité, ces établissements ne peuvent se rattacher à l'exploitation permanente, dèS grandes vilies où
le pourcentage d'occup.ation subit certes des variations,
mais à caractère irrégulier dépendant des affaires en
général et subissant l'è ur mouvement.
L'hôtellerie niçoise encore fut, à l'origine, nettement
151
�saisonnière: ia saIson d'hIver. Son expioltatÎon perlna~
ll'ènte, la création de la saison d'été., l'énorme accroissement de la population urbaine peuvent masquer les faits
réels. Il n"en reste pas moins qu'elle a un caractère saisonnier touristique.
La comparaison de sa capacité hôtelière (hôtel de
1 et 2 étoilès) avec celle d'autres grandes villes constitue une démonstration formelle de ce cara,c tère.
Villes
Nom. d'ha.
Lille .............. 195.000
Nice ...... . ....... 244.000
Bordèaux ........ 270.000
480.000
Lyon
Stuttgart
603.000
Marseille
660.000
Milan ...... . ..... 1.430.000
(Hôtels 2°, 3° 4° cat.
Pensions 1, 2, 3 ..)
•••••••••
r "
•
.~-.
•
o
••
o
••
••••••
o
••••
HôteLs
Chambres
30
262
70
64
1.041
6.766
1.412
1.932
1;.275
4.030
5.031
96
165
225
De cette situation vont dépèndre les difi'icultés et
les problèmes de son exploitation.
Il est d'une croyance générale que l'exploitation
d'une p~tite maison à caractère familial est d'une meilleure rentabilité que celle d'une grande maison. Cette
opinion est erronée.
," .
1
II nr~ faut pas oublier que la prestation de base est}
la même pour toute l'pôtellerie du tourislne. De ce fait.
les frais généraux de base sont équivalents. Tout Ïltdiviou du monde occidental, qUèl que soit son standing
de vie n'utilise qu'un même genre de lit, de lingerie,
une même quantité d"èau, de ,c haleur, de lumière et de
nourriture, qui ne dépend pas de ce standing et qui est
la même pour tous les individus composant la clientèle
touristiquè. Une montée d'ascenseur en grand hôtel n'est
p.as plus onéreuse qu'une montée d'ascenseur dao5 uu
petit hôtel.
La main d'œuvre elle-même pèse à la .basè d'un
poids égal sur les frais, la capacité d'entretien ti'un
employé étant sensiblement la mêmè dans to '..; tes les
catégories.
i
152
"
.,
.~
�Or, en contre-partie de ces prestations, le prix (~e
Inandé dans un hôtd petit ou moyen est très réduit. Une
preuve formelle de ce fait est l'iInpossibilité, dans les
petites lnaisons, d'obtenir par les 15 % du service unè
somme supérieure au minimuln garanti aux employés
au pourboire, alors que la grande hôtellèrie retire de
ces 15 % une balance souvent importante appelée
« Masse ».
Donc, réglés .c es f.rais généraux de basè qui sont les
plus lourds et les plus inquiètants, tout a'c croissement du
prix de location pourra être reporté sur les investissements ou sur les bénéficès, permettant ainsi de rétablir
l'équilibre de ceux que l'on croit les plus chargés.
Pourquoi cette croyance d'une meilleure rèntabilité
de la moyenne et de la petite hôtdlerie ?
D'abord parce que le montant absolu des dépenses
que J'on considèrè sans en comparer les éléments de
recettes est 'p lus petit et qu~ l'on estime qu'il est plus
facile pour une entreprisè de retirer 2 ou 3 millions
_pour ses salaires que 100 millions.
Cette .croyance repose d'autre p,a rt sur le fait qUè
dans Une exploitation de faible importance, le rôle joué
par l';è xploitant et par sa famille représente une propor
tion importante de la main d'H~uvre. On obtiendra évidemment une diminution spectaculaire du coût de c'è tte
main-d'œuvre si la dite famille travaille 16 heures par
jour, supprime ses congés 'è t fournit un travail bien
supérieur aux norInes habituelles et ceci sans même
la compensation d'un salaire approprié.
Aucune de ces exploitations ne peut envisager la
doublure de l'exploitant ou dè sa famille. Les revenus
ne lui permettent pas le règlement de ces postes cependant nécC!ssaires. Et c'est pourquoi, au ,c ours du passé,
la disparition des petites et moyennes entreprises a été
importante mais masquée p,a r la disparition spectaculaire des grandes maisons.
Depuis 1939, il a disparu à
Ni~
:
29 hôtels de 2 étoiles soit
19 hôtels de 1 étoile soit:
1.433 chambres
378 chambres
48 hôtels
1.811 'c hambres
soit
153-
�t e seui ft-elIl apport~ à cette' disparition. ~sl le faH.
qü'elle est conditionnée par la possession du t'ouds et
des murs, circonstances qui sont rarement réalisées clans
l~s lTIoyellnes et petites affaires.
Cette situation nous montre que la rentabilité est
très précaire dans toutes les fornles de l'hôtellerie. L e
problème d~s charges plus lourdes en France, du niveau
des prix d'achat plus élevé et celui des hausses imnlodérées de la valeur immobilière ne font qu'accentuer cette
précarité. Or, l~ caractère saisonnier de cette exploitation permanente n'allège pas ces difficultés.
Voici une répartition m~nsuelle du pourcentage
d'occupation d'une lnaison moyenne.
Hôtel 2 étailes A
sans pension
Hôtel 2 étoiles B
Capacité annuelle : 13.824lcapaCité ~mnuelle : 17.500
Capacité mensuelle: 1.152 Capacité mensuelle: 1.458
Occupation 1961
7.190 Oc~upation 1961 : 9.4C9
Janvier
Février
~Iars
Avril
:Niai
Juin
Juillet
Août
Septenl.
Octobre
Novem.
Déc~ln.
524 : soit 45 %
865
75 %
800
630
553
397
815
1152
100 %
892
250
(fermé)
312
622 soit : 43 10
1.007
69
609
42 %
5f)!J
39 %
519
36 %
1.056
72 %
' 1.205
83 %
1.481
100 %
Y59
66 0/0
511
35 %
482
33%
449
31 , ~'::-
ro
Il va de soi que si, corollai.r ement à toutes nlesures
financières diminuant les frais on pouvait ' combler ce
déficit d'occupation, la situation serait toute autrè.
Comment envisager les remèdes '!
Un des plus gros plans de révision des problèmes
depuis la guerre a été la modernisation et si
possible la reconstruction de l'hôtel.
hôteli~rs
La reconstruction ayant pour but une meilleure
154
�utIlisation donc une cOlupressioll tlesfrals; né~ssÜc ~ Jl
contre;.partie un investissemènt iUlportant.
. _.
La ulode.rnisation, elle,. devrait attirer Ullè clientèle
supplémentaire et permettre des prix plus rémunéra teurs ; mais, 'è t ,c'est là un -sérieux· inconvénient, si la
solutio.n peut être rentable pour une affaire, eHe sera
néfaste à 'une autre si aucuIT~ clientèle supplémentaire
n 'est apportée à l'ensemble.
- ;1
Et nous estimons que, actuelienlellt, pour la- viHè
<le Nice, ce n 'est p.as IJetat de vétusté de la moyenne 'è t
petite hôtellerie qui inf1u~nce l'ensenlble de la ,c lientele .
.L~ ous assistons a une véritable invasion pendant la
saison. En hors-saison l'~IlStallatioll luoderne ne peuL
qu'amenèr le déplacement d 'un client d'une maison à
l'autre et peut être la fixation de la clientèle urbaill'è
inhérente à la grande ville. -'!Jè prix nécessairement en
hausse, même modeste, diminue sOuvent ce mouvement.
1
1
.
.Et nous voyons d'aillèurs, autant que l'imprécision
des statistiques ' le permet, que les 'lnaisons .à fort~
!uooernisatioll n 'ont en général pas un coefficient de
fréquèntation bien supérieur à celui des maisons moins
111odernisées, étant entendu que nous ne parlons que de
luodernisation et non d'entretien et dè maisons anciennes normalement tenues 'è t assurant les prestations
élémentaires. Les cas d'exception, toujours si généreusement évoqués èt existant d'ailleurs dans toutes les
formes d'activité humaine, ne sont pas à retenir car ils
sont anormaux.
Nous demeurons persuadés que si tous les hôtels
de· Nice réalisaient UITè modernisation complète, nous
nous retrouverions au même niveau de fréquentation
avec le danger possible d'une réduction de cli'èntèle due'
à une augmentation des tarifs. La plupart des hôtels
transformés montent naturellement à l'échelle du classement. Où la petite et moyenne clientèle qui fait la
masse du tourisme trouverait-'èlle alors sa place ?
Cette situation vient du caractère touristique saisonnier qui a doté Nice d'une capacité d ;hébergement
trop grande pour la viHè seule et ,c ependant à peine
suHïsante en périoQ.e · d'affluence.
La luéthode suggérée à l'Assemblée de la F.N.LH.
de 1961 liaI' M. Mignot est à cons.idérer.
155
�.' ·1
n s~.agirait, quand faire s~ peut, de llloderniser les
hôtels en .réduisant leur capacité réceptive. Le bénéfice
réalisé sur la vente des surfaces abandonnées serait
utilisé pour la modernisation.
Ou bi~n encore on pourrait, et ce serait chose facil e
dans une ville comme Nice, aider à la transfonnation
en appartements d'un certain nombre d'hôtels pour
réduire la capacité hôtelière de la vill!~.
Mais ces deux fonnules qui constituent un désistelnent sont de véritables hérésies, alors que l'on cherche
plutôt à soutenir l'hôtellerie et à augmenter sa capacité
réceptive, ceci étant donné la valeur touristique de la
cité toujours largement utilisée et même insuffisante
dans les périodes de saison.
La disparition de la capacité réceptive touristique
pour le maintien de la capacité réceptive « urbaine ~
causerait un préj udice immense à cette économie touristique sur laquelle repose encore pour la plus grande
pa:r t l'économie entière de la cité.
Nous sonunes évidemment d' aCCOI\~t pour poursui
vre à fond l'effort de modernisation entrepris grâce à
une aide maximum mais nous désirons lndiquer que
cet etl'ort seul ne sera pa:, la panacée univf'rseUe.
Et nous sommes ainsi ramènés
.~
1
':~
.'
...
1
j
D'une part il une aiti€" il l'hôtellerie ; aide pouvant
!l.l 'ovenir de divers secteurs: Etal. collectivité ou groupem'~nts de persolliles ou d'activités intéressées à la
présence de touristes et supportnnt une pal'! du déficit
de leur hébergement. Ceci pOUt' ohtenir une dinlinution
des prix et p·a rtant un accrOC}JSC'lnent d e recettes.
D'autre part, et ce sera not.re conclusion qui s~insère
dans les recherches du présent colloque, la diminution
du phénomène saisonnier par l'étalement des déplace
ments touristiques.
Il est certain qu'une activité annuelle constante
rétablirait l'équilibre. Elle doit pouvoir se trouver dans
les voyages d'études, les congrès, l'étalement <des 'c ongès,
les distractions organisées et la ,p ropagande.
Mais ce problème n'est plus particulièrement le
156.
-:4
0 ",
�nôtre, il est .c elui qui est !SOumis à toutes les personnalités ici réunies. Nous avons le ferme espoir que sérieusement pris en main et grâce à leur compétence, des
solutions seront trouv,ées et appliquées qui permettront
de redonner confiance en l'avenir à une hôtellerie dont
seule la ténacité de ses :Membres a vaincu le désespoir.
H.
MONNOT
1
1
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'1
"".
~.
1~7
�,
j
, .:
i
~.
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.,
"
...
'
' :.
�Deux cas de reconversion d'hôtels:
le Cap Este} et La Bananeraie
Il
Il
Il
Il
Lors de la J.'éunion ùu 29 J al1vier vous m'avez fait
l'honneur de mè demander un exposé de mon expérience
d'exploitation d'un deux étoiles et d'un hôtel de luxe.
-;~ .. l
. .
,:;.,.
-.
.. "-";'OJ.
Le deux étoile·s, était connu jusqu'en 1949 sous le
nom d'Hôtel Terminus et de la Plage, ces deux app'èllations valables dans le temps passé, car elles situaient
la proximité d'une plage et d'une gare, n'étaient plus
au goût du jour, car en principe l'on tient à s'éloigner
d'une gare, lorsqu'on envisage un séjour de vacances.
Quant à l'autre appellation « Plage » elle trompait le
tourist'è qui pouvait espérer avoir les pieds dans l'eau,
pour cela n"èst pas le cas .
Après avoir planté des bananiers et prouvé que les
fruits venaient à mâturité sur les arbres, je pris alors.
le nom de « La Bananeraie ». Du point de vue psychologique, je dois dire q'Ue ce changenlent de nom a été
indiscutablement très bénéfique pour mon exploitation.
,-
Ayant pris possession dè cet hôtel ap.rès guerre,
suite à de nOlnbreuses réquisitions, je me suis trouvé
avec un outil inexploitable. Cet établissement, avant
gu'èrre, ne possédait que deux baignoires COIlllnunes,
aucun bidet fixe, ce qui au goût de 1939 ne gênait pas
son exploitation, la clientèle étant alors moins difficile.
J'eus la chance, dès 1946, d'installer de nombreuses
salles de bains privées~ et des bidets fixes, et en 1948 j .~
159
•. . ..,
�1
..... ,,....
totalisais 17 chambres avec bains pnves, W.C., sur 35
et toutes aVèC bidet, eau courante, ainsi j'étais devenu
le plus moderne des deux étoiles de la Côte d'Azur.
A cette époque « 1948 », il existait, grâcè au manque
de compétition étr.angère, une forte clientèle belge,
ainsi qu'un renouveau dè clientèle anglaise, ces derniers
encore fortement restreints en quantité et qualité de
noun'iture constituaient un potentiel important de
cli'è nts. Surtout pour les hôtels deux étoiles, ca.r, respectueux des règlements sur la sortie des devises, la majorité d'entre eux ne pouvait plus descendre dans les hôtds
quatre étoiles et de luxe dont ils avaient l'habitude.
Grâce au modèrnisme de mes 17 chambres avec
bain privé et des 18 autres avec bon confort, la qualité
de la cuisill'è, la certitude de trouver des hotes parlant
à fond leur langue, « La Bananeraie» fit des saisons
excellentes, et prit une renommée en Angleterre dont
je profite 'è ncore.
En 1951, suite aux élections anglaises, l'autorisation
de sortie des devises fut ramenée à 25 livres. Je pris
cette annèè là, l'initiative de faire un Tout compris Total,
en ce sens qu'il comp.renait non seulement la pension
complète, les taxes et le servic'è, mais aussi un apéritif,
une demi bouteille de vin, le 'c afé, une liqueur par jour.
Cette mèsure me permit de « tourner» convenablement,
et surtout me fit une publicité intéressante.
~."
Hélas, en ce qui .c oncerne les saisons d'hiver, ce fut
pour moi la dernière valable. Nos bonnes saisons d'hivèr,
motivées par les .restrictions alimentaires en Angleterre
et le change favorable en Bdgique, venaient de disparaitre.
'"
"
-; "1
Ces raisons s'ajoutant aux exigences imperleuses
du touriste pour le confort moderne et la nouveauté, m 'è
firent comprendre qu'il ne m'était plus possible d'espérer progresser.
C'est ainsi que je p.ris lè risque de transformer la
Villa Cap Estel en un hôtel, 1110tivé par les raisons cidessous :
1. -- La fOrIne prise par la concurrence étrangère.
Nous n'avions la possibilité, faute de crédits, que de
160
�transf~tmei1 d~ vieilles installations, en chambres un
peu plus modernes. Nos voisins aidés, très largement,
firent du neuf, et dès 1950, bâtissaient des centaines
d'hôtels à confo.rt lllooerne.
La compétition, surtout pour les deux étoih~s devint
ùe plus en plus difficile, en effet, nos prix, pourtant très
bas si l'on considère la qualité de la nourriture, les
charges fiscales et sociales de nos exploitations, étah~nt
nettenlent plus élevés que les hôtels étrangers. Ceux-ci
mettaient à la disposition de lèur clientèle un aménagelllenf. moderne, un confort supérieur, et la plupart du
temps un hôtel plus judicieusement implanté.
2. ~ L'emplac.ement de « La Bananeraie », comme
pour beaucoup d'hôtels sur la Côte d'Azur, valable avant
guerre, époque où la circulation ferroviaire était moindre, la Circulation voiture était pratiquement inèxistante comparée à nos jours. Or, dès 1950 1'accroisselnent
des tràins, des voitu.res et des 2 roues rendirent plus
~iiftïcile notre tè xploitation.
:i. - Diflïcultés d'exploitation plus graves dans les
deux étoiles que dans les quatres étoiles et luxe, surtout
en hiver, par la concurrence étrangère 'è t par les stations
de ski.
4. - La rentabilité des deux étoiles,même sur
la Côte d'Azur ne peut plus se faire que sur trois mois,
ce qui 'è st nettement insuffisant.
En ce qui concerne « La Bananeraie » d'èux étoiles,
tine des possibilités m'était donnée grâce a des crédits
importants, c'è tte démolition et reconstruction serait
valable.
Trop jeune encore pour ne pas lutter contre la concurrence étrangère, conscient des possibilités magnifiques qu'oUrait la Villa Cap Este!, qui depuis 14 ans
était en ventè, j'achetais (grâce à des facilités de paiement) le domaine. Tout y était à faire.
Les premiers travaux avant de pouvoir ouvrir se
chiffraient à 28 millions d'A,F. De nouveau, grâce à des
161
11
�crédits, parmi lesquels une petite participation du
Crédit Hôtelier, je fus à même d'ouvrir le Cap Estel en
1953.
Le succès remporté plus spécialement auprès de la
clientèle étrangère, me permit, année par anné~, d'améliorer cet hôtel de standing de luxe dans un cadre exceptionnel. Ce succès est motivé par de nombreuS'~s raisons,
les deux principales citées plus haut, sont :
A) Hôtel neuf, répondant au goût du touriste actuel;
B) Implantation assurant le .repos, avec exposition
de toutes les chanlbr~s sur mer.
Les dift'érences d'exploitation entre un luxe et un
denx étoiles sont nOlnbreuses.
A) De nos jours, la chambre 1110derne d'un hôtel
'2st plus souvent louée qu'une ancienne, ou qu'une
« retapée ». Partant de cette indication l'hôtel de luxe
a un coefficient d'occupation plus grand. Or, comme
dans tout autre commerce, dans l'hôtellerie aussi la
recett2 est la base d'un bilan.
l
.... ,. ·1
'.
B) De plus, s'il est possible à un hôtel de luxe de '
compense.r en haute saison, les pertes des autres mois,
par contre 'c'è la est très difficile à un deux étoiles.
C) Il faut tenir compte aussi que le rendement
« Chiffre d'affaires» par employé est nettement supé-
rieur dans un luxe, bien que C'è personnel soit proportionnellement plus nombreux.
'j
D) Une cause inlportante aussi est la rareté du
personnel ' hôtelie.r (très compréhensible d'aiHèurs, à
cause des durées d'emplois trop courtes) et c'est ainsi
que les hôtels quatre étoiles et lux1è. lors de leur pointe
« Haute saison » se contente par nécessité, d'un personnellTIoins hautement qualifié, rendant ainsi le recrutem'è nt du personnel pour un hôtel moyen plus diflïcile.
Ces quelques ,c onsidérations
A) Coeft'icient d'occupation Inojndre
162
�B) DiftïcuIté de compenser les pertes des mois hors
saison,
C) Rendement inférieur par employé,
D) Difficulté d~ trouver du personnel,
font que la rentabilité d'un deux étoiles, devient de plus
en plus difficile, il '~st probable que dans beaucoup de
cas le revenu d'un propriétaire est inférÏ'~ur au salaire
du cadre d'un hôtel de luxe.
1
""..
Il serait désastreux pour le tourisme, que les deux
étoiles continuent à p'~rdre, ce type d'hôtel à forte personnalité doit être maintenu. 11 sera le type d'hôtel de
séjour par excellence pour les touristes bourgeois désireux de parler '~t d'être traités par le p.atron et sa
falnille. Il fera le contraste heureux avec l'impersonnalisation des « Chaînes Hilton » et autres.
1
Conclusion.
11 faut absolument augmenter l~ taux de fréquentation dans tous les hôtels de la Côte d'Azur, et plus
parti.culièrement dans les hôtels du type deux étoiles.
Pour cela
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•
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'"
j
1) Démolir l'ancien et r~construire par une aide du
Gouvernement d'au moins 90 % sur 15 ans, à taux trè~
réduit, j'insiste sur « prêt de 90 % à taux .réduit », car
ainsi l'hôtelier ne sera pas obligé d'augmenter ses prix,
étant entendu que pour les hôtèliers locataires de leur
immeuble, cette reconstruction ne soit pas la cause d'une
augmentation de loyer.
2) Fiscalisation des charges sociale~, C'~tte mesure
est une des plus iInportantes parmi celles, .réclamées
depuis des années par 1\'1. Marcel Bourseau, Président
de l'Union Nationale d~s Hôteliers.
3) Réduction du taux de la taxe prestation de service,
16:$
�4) Forte publicité sur ces hôtels deux étoiles moder
nisés et adaptés au goût du touriste actuel. Nul doute
qU'~ cette publicité serait, alors, très bénéfique pour
l'ensemble de notre p.rofession, donc pour tout le Tourisme.
M.
SQUARCIAFICHI
Dli recteur du « Cap-EsteZ »
Eze-Plage
1
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:
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0·>1
164
�III
CONSEQ!IENCES ECONOMI@ES
DU CARACTÈRE SAISONNIER
DU PHENOMENE TOURISTIQUE
POUR
L'ECONOMIE LOCALE OU REGIONALE
ET POUR LES TRANSPORTS
-.
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�A. - PROBLÈ~ES DE TRANSPORTS
L'aspect saisonnier
du trafic aérien et maritime
entre la Corse et le continent
.~ 't_
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1
1
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L'importante augnlelltation J:~ la population laborieuse des villes du milieu du XXme siècle r~t les rythmes
de ses travaux déplacent, chaque jour, hommes et fem- m~s loin de leurs domicilës et, chaque année, loin des
villes pour leurs congés payés. De ce double phénomène
est né le plus ardu des problèmes qu'ont eu à résoudre
les .r esponsables des moyens de transport : c"~st le problème dit des « pointes» que les accès de fièvre brusques et réguliers du trafic dessill'~nt, en effet, sur la
représentation graphique de son évolution. Il se lnanifeste par deux excès opposés : les systèmes de transport
sont à la fois pléthoriques pendant la plus grand'~ partiè
du j our ou de l'année et pourtant insuffisants pendant
le très petit nomhre d'heures ou de semaines qui correspond aux pointes.
D'une particulière ampleur sont notamment l~s
perturbations causées dans les transports par les migrations de loisir qui m~ttent en mouvement des foules,
souvent sur de très longues distances. A C'~ sujet, on
évoque spontanénlent des files de voitures sur les routes
ou la cohue dans les gares au moment des grands départs et des grands r~tours. Cependant, les transports
lnaritimes et aériens, comme les transports terrestres,
sont soumis .aux effets, coûteux pour l'exploitant. gênants
pour le public, des migrations saisQnnières de loisir. Le
fait est particulièrèment mis en évidence dans le cas
167
-.
�des liaIsons des î1es
Corse.
a Yocatlon
tourIstique. AinsI de la
Dans ce tr.afic, à destination et en provenance de
l'île de Beauté, la part du tourisme est aujourd'hui prépondérante car la Cors'~ vit de plus en plus par et pour
le tourisIDè. Dans cette terre si généreusement belle
mais si pauvre, qui se dépeuple régulièrement et dont
la vie économique dolente sinon décan dente est à peine
réveillée actuellement par quelques forces en travail,
le nombr~, chaque année croissant, des visiteurs du
continent a des effets de plus en plus sensibles. Les
liaisons aériennes et maritimes de la Corse avec le continent sont donc un cas ra.re d'~ liaisons à caractère essentiellement touristique, et, à ,c e titre, particulièrement
digne d'attention.
D'une année à l'autre, le trafic entre la Corse "è t le
continent suit la même évolution mensuelle. Deux périodes y font contraste : un long temps d'assoupissement
interrompu par lè brusque accès de fièvre. Les COUl'bes (fig. " 1) qui représentent les pulsations du trafic
rendent compte de l'importance de l'éruption estivale.
Leur étude permettra de précis'è r l'amplitude, la durée
et la composition des mouvements de pointe. A chaque
étape apparaîtront les moyens d'atténuer voirie d'en
supprimer l'~s effets.
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1. -
L'indice Id' amplitu'de saisonnière.
Le caractère le plus apparent des phénomènes de
« pointe » est la hauteur du triangle que dessine la
, ,c;"·1
variation saisolmière Is ur lè' courbe du trafic. Cetto
hauteur se rapporte à l'amplit:ude du phénomène doit!
l'expression la plus fidèle peut être l'indice d'amplitude
saisonnière ainsi que nous le désignerons. En matière
(1) A titre indicatif, le trafic s'élevait en 1951 à 290.000 passagers
et la part respective de chaque moyen de transport était déjà sensiblement la même.
168
�de .transpo.rt, cet indice est te rapport entre le t~~afic de
la périodè où il est le plus élevé et celui de la périod~ où
II l'èS! le moins. Il peut · aussi être défini comme te
l~apport entre le' trafic de la période où il est le pluséle~é
et le trafic total. Le choix de l'une ' ou de l'autre définition de .l'indice dépend des 'circonstanc'è s de fait.
Le prem,i er trait du trafic touristique de la Corse
est un indice d'amplitude saisonnière très fort :
on compte, au mois d'Août, dix fois . plus de passagers .q u'au mois de Février. Dè rapport du trafic du
trimestre d'été à celui du trimestre d'hiver est égal il
6.8 pour 1960.
Cet indice d',a mplitudè saisonnière n'est cependant
qu'une moyenne qui appelle quelques précisions.
Le navire et. l'avion se partagent un trafic global
qui a dép.assé 600.000 passagers en 1961 (1) à raison
des deux tiers 'è nviron pour le bateau et du tiers pour
l'avion. L'essentiel du trafic est partagé à peu près également entre Aj accio et Bastia ainsi que le montre l'ana-lyse qui en est donnèè dans le tableau .suivant.
"
'
.
"
'1
,.. \
trafic aérien
trafic nlarit.
tr.a fic total
Ajaccio
50 %
40 %
44 %
Hastia
44%
40 %
42 %
6 %
20 %
14 %
100 %
100 %
Balagne
Total
loo
%
L'examen des indices d'amplitude saisonnlere fait
apparaître trois caractères de ce trafic.
A. - Toutes les lignes sont saisonnières. Cependant,
celles de Balagnes ont les indices d'amplitude saisonnière les plus forts : les liaisons aériennes y cessent en
hiver.
A destination de Calvi et de l'Ile Rousse, la compagnie maritime a fait 77,5 % de son trafic total pendant
les trois mois d'ié té de 1960 alors que, pour Ajacdo~ la
proportion est de 67 % et, pour Bastia,' 64 %.
169
~
�Les liaisons aériennes sont aussi plus saÎsonniéres
qu~à Bastia qui apparaît la première place
,c01mnèrciale de la Corse, la ville sans doute ln plus
peuplée, dont l'activité dépend le moins du tourÏsllle,
tandis que la capitale est la plus visitée, la mieux équipée aussi et la plus proche des plus beaux sites.
à Ajaccio
B. Le trafic maritime entre l'è continent et la Corse
est plus saisonnier que le trafic aérien. (cf. fig. 2).
trimestre d'hiver
En 1960, l'indice (
) a été de 10,4
trimestre d'été
pour le navire et de 3,5 pour l'avion.
L'avion transporte même p'è ndant les mois d'hiver
plus de passagers que le bateau.
.\
Ainsi, les nombres respectifs des passagers des
lignes luaritimes et aériennes ont été les suivants 'è ll
1960 :
Janv.
avion
····1
Févr.
l\:lars
Oct.
Nov.
Déc.
8.008
7.50l
9.944
12.566
8.292
10.98f l
bateau : 8.224
5.684
7.276
12.706
7.467
8.961
Le fait prend toute sa valeur surtout quand on se
rappelle que l'avion transporte dans une année deux
fois moins de passagèl"S que le bateau.
L'avion a, de plus en plus, les suffrages des Yoyageul"S d'hiver.
.
Aux gens d'affaires. les seuls à cette époque, l'avion
assure la rapidité. De plus, les compagnies aérienll'ès
leur offrent 10 9;; de réduction pour l'aller-retour tandis
que la compagnie maritime n'accorde pas cette remise
aux passagers. Elle fait, 'è n revanche, pour les congés
payés, une remise de 30 % mais ces voyages sont exceptionnels en hiver. Enfin, les services aériens d'hiver sont
plus fréquents que l'èS services maritimes parce que
l'avion se prête à une exploitation plus souple. La réduction des rotations perturbe davantage le trafic maritime que le trafic aérien qui garde, pour cette raison,
la faveur du voyageur.
170
-l
�C. - ---< Le trafic nlaritiIne déjâ trés saisonnier le de.vient chaque aànée un peu plus, alors que le transport
aérien suit l'évolution inverse ou reste stable, double
tendancè que eonfirment les chiffres suivants pour l'un
et l'autre moyen de communication.
Pourcentage du trafic des trois mois d'été
par rapport à celui de l'année entière
1955
1956
1957
1958
1959
1960
navire
65
65,1
66
66
66,6
67,6
avion
48
47
46,2
47,5
47
45,3
On conçoit que, pour la Compagnie Générale Transatlantique à qui est confié l~ transport des passagers
et des automobiles, cette accentuation- de la fluctuation
_saisonnière est une source de diflïcultés auxquelles elle
s'efforce d~ faire face en mettant en service un tonnage
trois fois plus élevé en été qu'en hiver et en multipliant
les services d'été, ,ce qui oblige à des rotations extrêmement serrées.
L'explication qui vi~nt imnlédiatement à l'esprit de
cette augmentation de l'indice d'amplitude saisonnière
du trafic maritime est que le nombre des touristes qut
viennent en Corse augment~. Il est nonnal que le trans
.p.ort maritime, le plus important, en soit profondément
marqué. A cela, on doit bien objecter que, si le trafi~
maritime devient de plus en plus saisonni~r, il n'en est
pas ainsi du trafic aérien. L'explication de ,c ette contradiction est la progression à un rythme très rapide cl t l
transp.ort des passagers motorisés.
En 1951, la Compagnie Générale Transatlantique
transportait en moy~nne une automobile pour trentesept passagers, et, en 1960, elle compte une automobile
pour dix passagers. Or, ce trafic d'automobiles aCCODlpagnées est, de tous, le plus saisonnier comme le montrè
la courbe où sont portés les pourcentages de trafic de
'c haque mois dans le trafic de l'année entière pour cha
que type de trafic (fig. 2). Pour les lignes d'Ajaccio,
171
�(i!ldice , dj~nlplitudè saisonnière (2) qUI est de 6,6 pOUl'
les , passagers est 'de , 13 pour les automobiles. Celui tdes
lignes' de Bastia est de 5A pour les passagers '2 t de 8,7
pOUl' les automobiles.
JI. L'indice de durée saisonnière.
L'indice d'amplitude saisonluere ne donne encore
qu'une imag2 incomplète du contraste entre l'été et
rhiver parce qu'il ne rend 'c ompte ni de la brièveté de
la saison d'été ni de son arrivée soudaine. Les écarts
par rapport à la moyenne de trafic mensuel sont aussi
significatifs pour l'étude de la point2 saisonnière même.
Ils permettent de définir la base et non plus seulement
la hauteur du « triangle saisonnier» que dessinent les
courbes ' de tr,a fic. L2 rapport ainsi déterminé du trafic
de chaque mois au ,trafic moyen nlensuel peut ê.tre appelé « indice de durée saisonnière ».
'-
En Corse, pendant les trois IllOis, Juillet, Août et
de l'année 1960 - qui peut ê.tre considérée
comme représentative -- le trafic a dépassé la moyenne.
Au mois de Juin, il a été moindre qu'à Pâques, ce qui
est, en fait, extrêmement rare et souligne la médiocrité,
voir2 l'absence de saison intermédiaire - de printemps
- et la soudaineté de la saison .
Seph~mbre
.-.
~
-~
'",
On Ichereherait en vain dans le trafic touristique
d'autres îles de la Méditerranée occidentale des indices
de durée saisonnière aussi r2marquables qu'en Corse.
Pour terme de comparaison, on peut prendre aux Iles
Haléares le trafic aérien de Palma si fortement marqué
par le tourisme. Sur les liaisons international2s qui ont
3mois d'hiver
le olus fort indice d'amolitude saisonnière ( - - - - - .
.
3 mois d'été
= 7,8 indï.ce plus fort même qu'en Corse) pendant six
(2) Trafi..c du trimestre d'été,
'l'rafle du trimestre d'hiver.
172
�mois de l'annéè on enregistre un trafic supérieu.r au
trafic moyen ,m ensuel. Ces écarts comparés se lisent
dans le tableau suivant et sur la courbe de la figure 3
où sont portées de part et d'autre de la ligne d'è trafic'
moyen les valeurs de l'indice de durée saisonnière.
1959
~
".:....
'1"
• 'f'
•
~
•
;,-0,0"
..
~
Trafic aérien interna tional de Palma
0,4
0,3
0,7
0,5
0,6
0,9
2,5
2,9
1,8
0,5
0,3
0,4
Janvier
.Février
Mars
Avril
Mai
Juin
Juillet
Août
Septembrè
Octobre
Novembre
Uécembre
1
"'.::-~ . i.
,
Trafic total
de la Corse
0,1
0,1
0,5
0,7
1,2
1,3
1,7
2,3 '
1,8
1
0,2
0,2
La saison est strictement limitée en Corse, fi trois
nlois.
'i
,,"
o-;J
't
,
. ,1
Si l'on suit l'évolution de l'indice de ùUI~ée sai:"
sonnière au cours des dernières années, Ollconstatc
que l'augmentation régulière du volume du trafic ne
change en rien en fait audit indice. Tandis que la hauteur du trianglè saisonnier augmente, la largeur de la
base reste la même comme le montre la remarquable
stabilité de l'indice de durée saisonnière de 1957 à 1960
pour chacun des deux mOyèns de transport.
1
Trafic maritime
1957
1958
1959
1960
Juin
Juillet
Août
Septemb.
0,8
0,8
0,9
0,9
2,5
2,5
2,7
2,9
3,3
3,33,3
3,3
2,1
2,1
1,8
1,8
Octobn:
0,5
0,5
0,4
0,5
173
:-.. ;...
�-1
1
Trafic aérien
Juin
1Y57
1958
1959
1960
;
~
1
0,8
1
1,1
Juillet
1,7
1,7
1,8
1,9
Août Septemb.
2,1
2,3
2,2
2,2
1,7
1,7
1,6
1,7
Octobrè
0,9
1,8
0,7
0,7
En 1959, la base subit une translation vers la gaiJche
alors que le son1lllet de la pointe 'è n Août clenleure
inchangé. Ainsi donc, le triangle saisonnier ~3t défornlé
par un gain au mois de Juillet cOlllpensé par une perte
en Septelnbre. C'èst là une consé:luencc ct~rtainc de
l'avancement des vacances scolaires {'n F,l'ar:ce. La dur{'e
réelle ùe la saison n'en est pas luojifH~C. SiIIlpjCIll'èllt,
elle comlllellce et finit plus tôt. COl1îme s'explique (~ette
Iigidité du triangle saisonnier?
Attribuèl' au seul changement des dates de vacances scolaires françaises la translation de la ba~;c du
triangle saisonnier, c'est indirectement en ùonner un
une première .raison. Les touristes français font la maSSè
de loin prépondérante dans l'ensemble des visiteurs de
la Corse. Les agences françaises ont rècruté 89 % des
clients d'agence qui ont emprunté la voie maritime en
1,9 60 et, parmi les passagers aériens, 5,6 % seulem'ènt
ont été amenés directement en Corse de pays étrangers.
Aux Baléares, ce m,ê me trafic cOlnpte pour plus d'è 50 %
dans le trafic de l'aéroport.
• "1
'.
1
1
1
Or, la moitié des Français prennent directell1ent
leurs vacances au mois d'!Août. La France est le seul
pays au Jllondè dont les diagrammes de production
1110ntrent un V profond en Août traduisant l'effondrenlent des indices de c'e mois là. II en résulte que tout
tourisme d'origine française a pour marque un indice
de duréè saisonnière très élevé.
Pour rendre compte de la rigidité du triangle saisonnier on peut aussi noter que l'équipeluent tou.ristique
de la Corse ne se prête pas à Ull'è longue durée de la
saison. Les villages de toile et les pavillons de construction légère y constihlent 55 % de la capacité d'hé}J('f"
174
�gement. En Sardaiguè, sa plus proche .VOlsme qui
s'éveille aussi au tourislne, cette proportion tombe à,
28 % et, aux Baléares, elle est de 4 %.
III. L'indice de direction dominante.
Aux d~ux caractères qui viennent d'être étudiés de
la poussée saisonnière, s'en aj ou te un troisième qui a
un relief particulier dans le cas de la Corse. Il est lié.
au flux et au reflux des touristes: les moyens d'è- com~
munication se trouvent encombrés, voire saturés dans
un sens et en état de sous-emploi en sens invers'e. Ce
phénomène est mesurable par le quotient des « a,rrivées» et des « départs» p'è ndant une période donnée.
Quand ce quotient est égal à l'unité, il exprime l'équilibre. Nous l'avons appelé l'indice de direction dominante,
II varie de la mnnière suivante en Corse
Janvier
Février
Mars
Avril
Mai
Juin
Juillet
Aoftt
Septembre
Octobre
'Novembre
Décembre
(l,g
1
1,3
0,8
0,9
1,4
2.2
0,9
0,3
0,6
0,8
l,t
et peut être .représ'e nté par une courbe où se lisent directement les sens d'affluence et leur importance (cf. fig ~).
Les conséquences désavantageuses de ce phénomène sont entièrement supportées par le transport. Elles
peuvent être fort onéreuses ainsi que le montrent les
coefficients de remplissage dans le cas des transports
maritimes. Au cours du trimestre d'è pointe de ljannée·
1960, le taux d'occupation moyen dans les deux sens a
été de 48,4 %. Dans le sens de l'affluence, il a été de
64?4 % et? dan$ 1',3,utrè sens~ de 3~4 %' Ces pourcentages
17~
�de- sous-'è mploi d'un capital très .impOrtant ~n font mesu~
rel' le coût.
JI est reillarquable que les plus grands déséquilibres
ne coïncident pas nécessairèment avec les lignes où les
indices d'amplitude et de durée saisonnière sont les plus
forts. Aux Baléares, par exemple, l'indice de direction
dominante n'est pas si fort qU"èn Corse. Pour le trafic
aérien, dont l'indice d'amplitude saisonnière est de 4,3,
C'Om.n1e -pour le trafic maritime (3,9), il reste voisin de 1
ainsi que la -c ourbe le met en évidènce ; ce qui signifie
que départs et arrivées s'équilibrent à peu près (fig. 4);
La leçon à tirer du cas des Baléares est double. Elle
nous apprend d'abord qu'il est dè l'avantage d'un pays
de recruter sa clientèle touristique dans des pays très
divers, aux habitudes de vie différentes qui s'équilibrent
les unes l'èS autres. Dans le trafic _par nationalités de
l'aéroport de Palma, les touristes scandinaves, belges,
allemands et suisses sont, dans l'ordre, des éléments
lllodérateurs.
~
La seconde partie dè la leçon est que le trafic correspondant aux voyages organisés par les agences et
« clubs» est un second élément modérateur. Pourquoi ?
Parce que les agences ont égard à l'équilibrè de leurs
arrivées et de leurs départs. Elles l'è font sans doute dans
leur p,ropre intérêt mais le transporteur n'en tirè pas
llloins avantage. Aux Baléar-e s, le trafic non-régulier
compte pour plus du tiers du trafic total de l'aéroport
de Pahlla. En Corse, il n'est que de 10 %.
Le trafic dè la Sardaigne dans lequel le tourislne a
L1ne part très lnodeste est riche d'un autre enseignement,
L'indice de direction dominante est constamment très
voisin de 1 mêm'è sur -les lignes dont la pointe saison~
nière d'été marque le caractère touristique. Cet équilibre
du trafic en Sardaigne est d'abord l'image d'échanges
économiques non touristiques entre l'Ile 'è t le continent.
(,Juand ce trafic a,cquiert un caractère touristique et qu'il
reste encore équilibré, ,c 'est que les re,rènus distribués
en Sardaigne _sont suflïsants pour que les insulaires sè
rendant en touristes sur le contill'èl1t soient· au moins
aussi non1breux qlie- les continentaux qui viennent eri
Sardaigne (cf. fig. 4),
-176
�Il "n'y a pas de problème d'équilibre du tràfic dans
les deux sens p.arCè que l'économie sarde n'est pas dépendante du tourisme.
Dès lors qu'est déjà réalisé un équilibre de base,
l'appoint du tOu.rislne est bénéfique au transport parce
qu'il augmente le trafic mais sans le troubler par dèS
mouvements excessifs.
"
"
"
Tel n'est pas du tout le cas de la Corse.
*
**
Outre les conclusions relatives à son sujet, c'è tte
étude voudrait faire ressortir de sur,c roît l'étroite parenté
du tourisme et du transport ; elle montre combien l'étude resp'èctive de ,c hacun d'eux peut servir à la connai'3sance de l'autre.
Ce sont des remèdes de nature touristique qui apparaissent pour mettre un terme, deux fois sur tr~is, aux
diflïcultés rencontrèès par les transporteurs sur les lignes
de Corse : la mise en place d'un équipement d'accueil
plus complet et la recherche d'une clientèle plus diverse
devraient s'ajoute.r à la création et au développem;è nt
d'autres activités économiques régionales.
'"1
Autre exemple de ces services reclproques : l'avion
et le navire se révèlent des instrum'è nts de mesure très
précis des flux touristiques. Non seulement tous les passagers qu'ils transportent sont enregistrés au départ et
à l'arrivée nlais encore le trafic automobile à caractère
touristique de la Corse peut ètre décompté à une unité
près. Cette possibilité est exceptionnelle. Elle n'en est
que plus remarquabl'è. Le trafic routier est, en effet, le
plus fluide qui soit et les comptages nlême ne peuvent
le saisir que d'une façon très fragmentaire et imprécise.
Et voici que tout à coup l'augmentation dè la circulation
automobile entraînée par le tourisme dans tout un département peut être, chaque année, mesurée et analysée
sans risque pratique d'rè rreur.
La place du transport dans le tourisme n'a pas lieu
177
12
. .;..
,;-"
.. ...
~ - ~.; ~
�de surprendre. Elle est d'e la nature même du touriSme
qui est d'abord mouvement. C'est à ren tirer quelques
conséquences que nous nous sommes appliquée dans
cet exposé.
Monique
.
~
,
1
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178
DACHABBY.
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EVOLUTION MENSUELLE DU TRAFIC
ENrRE LE CONflNfNT
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LA CORSE
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19511
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EVOLUTION DE LA pl{/)PORrrON ou rRAl-lC MfNSUëL
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EVOLUT10N DE LI INDICE DE DIRECTION DOMf.NANTE
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0
�Les varIatIons saisonnières
dans le transport aérien
L'alternance de périodes de pomœ et de périodes
de creux est un phénomène économique commun à tous
les IDoyens de transport de voyageurs; loin d'être étranger au transport aéri~n, il en constitue une caractéristique essentielle.
" 7 •
Une étude systématique de ce phénomène n'a cependant, à notre .connaissance, pas été faite, en dèhors des
examens -- ou plutôt des constations - généralement
partiels et de caractère statistique, et des travaux internes aux aéroports, aux compagnrès exploitantes qui
doivent, soit chercher des trafics d'appoint pour la morte saison, soit modifier, au cours de l'année, les conditions d'exploitation et le rythme d'entretÏ'èn du matériel
volant, voirè l'importance de leur personnel pou.r faire
face aux à-coups saisonniers.
.
Dans la présente étude, nous voudrions d'abord,
par un certain nombre d'exemples, situer l'ampleur des
variations saisonnières sur quelques relations caractéristiques en Europe ou au départ d'Europe et sur quelques
aéroports européens.
Les résultats globaux trimestriels ou même mènsuels
ne donnent qu'une image approximative de l'évolution
et de la structure du trafic. Nous indiquerons un .certain .
nombre d'élémlènts essentiels dont il convient de tenir
compte pour un examen approfondi des variations saisonnières du trafic. Il est vraisemblable en outre que si
181
..
'"
..
~
�l:!oft'rc de transport repondaÏt à ia demande, iiampHtudc
des variations saisonnières serait encore plus importante.
En conclusion de cette note nous chercherons à indiqUèr brièvement dans quelle mesure le trafic aérien est
lié aux migrations touristiques et comment les compagnies aériennes cherchent à faire face à des variations
de trafic dont l'importance complique sou~nt de façon
grave leur exploitation.
-.
..~.' ,j
1. L'ampleur des ,ooriations saisonnières du trafic
aérien à l'intérieur de l'Europe et au départ d'Europe .
C\~st seulement une étude de chacune des liaisons
entre paires de villes européennes qui permettrait
d':avoir une vue exa·c te du rôle et dè l'importance des
variations saisonnières dans l'ensemble de l'Europe. Les
données statistiques sont insuflïsantes pour drèSSer une
telle carte d'ensemble des périodes de « creux» et des
périodes dè fort trafic.
~
~
~,
.. '.
Les statistiques des -c ompagnies aériennes faisant
partie de l'Air Research Bureau (1) permettront cependant d'avoir Ull'è vue globale de ces variations. Le graphique suivant, analysant le trafic de ces compagnies au
cours des dernières années permet de souligner la nature
et l'ampleur du cy.clè saisonnier (fig. 1). (2).
...
"of
Cette courbe recouvre naturellement des cycles
extrêmement divers !èn fonction de la structure des réseaux. Une comparaison entre les compagnies nationales et certaines .compagnies privées apparaît égalèment
riche d'enseignement.
Certains courants de trafic ont un caractère essenl'èment, voire exclusivement, saisonnier. Tel est le cas
. '.1
(1) Aer Lmgus, Air F'ranèe, Alitalià, i3EA, DLH, PiÎUlàir, tberia,
Icelandair, KLM, Sabena, SAS, SwisSàir.
(2) Les différentes figures illustrant cette communication ont été
.
regroupées à la fin du document.
182
•
j
�dt' certaInes re1ations entre la Grande-Bretagne et if'
continent. L'évolution du trafic des « Ponts aériens j ,
(passagers et voiturès accompagnées), non inclus dans
les statistiques de l'A.R.B., est particulièrement représentative de la strucuture des courants touristiques. La
création de œs services remonte à 1948 et, pendant fort
longtemps, les compagnies exploitantes n'ont prévu que
des services d'été; le lllode d'exploitation de ces relations, prévoyant- un minimum d'G départs dans ln journée, les services supplélllentaires étaienf fonction de la
demande, tend à refléter à peu près exactem"ènt, dans
les statistiques, les variations de la d~mande.
Les tableaux ci-après 'è t le graphique de la fig. 2
lnontrent quelle a été en 1959, l'évolution en valeur
absolue du trafi~ des Silver City Airways et d+ A.il" Charter à l'aéroport de Calais.
r
--.
"1
183
�:ARRIV'EES A CALAIS
Vols
Passagers
Indice
Autos
Indic'e. '
Juin
, Juillet
Aoat
Septerabre
Octobre
Novembre
D8cembre
62
36
157
168
373
586
825
910
626
211
92
119
290
,160
1.289
999
2.871
7.027
8-.035
8.032
3.550
829
320
631
181
100B06
624 ,
1.794
3.142
5.022
5.020
2.219
518
200
394
104
59
262
280
859
1.264 '
2.022
1.942
839
234
99
185
176
100
444
474
1.455
2.142
3.427
3.291
1.422
396
167
313
Total
Moyenne
4160
347"
32.231
2.686
1.679
8.149
679
1.150
Janvier
Février
.r1arS
.Avri~
liai
1- - -
--~----
-----
. . , ..
-DEPARTS DE CALÀIS
Vols
Passagers
' Indice
li.u:tos
Indice
1
1
•
JanVior
, . . . . ~;O'~
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1
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Juin
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Ào~t
Septembre
Octobre
Noyembre
Décempre
Total
Moyen~lG
J84
62
36
156
169
31'5
586
825
910
626
211
92
119
245
119
857
'1 .131
1.659
4.119
4.775
8.864
6.324
1.313
458
.476
206
100
720
955
1.;94
3.46i
4.013
7.449
5.314
1.103
385
400
4.165
347
30.346
2.528
2.124
72
45
155
288
406
958
1.135
2.021
1.606
397
154
142
7.379
614
160
100
344
640
902
2.129
2.522
4.491
3.569
882
342
316
1.355
�Les deux graphiquès (fig. 3 et fig. 4) Îndiquent,
toujours pour l'année 1959, quelle est l'évolution des
indices, à l'arriv,é e et au départ ,de Calais, pour les passagers et ,les voitures accompagnéts.
Le trafic de ,v oitures accompagnées au-dessus de 'la
Manche est, pourrait-on dire, un trafic de « grandes
vacances ». LèS touristes britanniques qui constituent
l'essentiel de la clientèle utilisant ,c ette voie, partent,
sauf exception, avec la voiture pour une période assez
longulè. Une pointe de trafic à peine sensible apparaît
au moment de Pâques, mais la seule pointe saisonnière,
très importante - puisque l'indice dépasse 5000 au cours
des mois de pointe - est la pointe saisonnière d'été.
-
Les variations saisonnières du trafic 'des Skyways
(liaison air-.route Londres-Paris via Beauvais) sont par
contre représentatives (fig. 5) d'un trafic de « courtes
vacances ». Cette relation est utilisée par une clientèle:
qui, allant de Londres à Paris ou vice versa, peut faire
normalement le voyage, sinon pour un bref week.J~nd,
du moins pour de courtes périodes de vacances, d'où les
·pointes de trafic très sensibl'è s à Noël et surtout à
Pâques.
De même qu'à Calais, le trafic d'hi.ver est très faible
à Beauvais (sauf pendant la période de Noël) et la struc-
,'1
.
,
ture d~ ces trafics apparaît comme entièrement dépendante des fluctuations du tourisme. A ,c et égard, une
comparaison intéressante est à fai.re entre les liaisons ù
vocation purement touristique et lts liaisons à vocation
générale. Cette comparaison a été faite, par exelllple~
pour les relations entre la Belgique 'è t la Grnnde
Bretagne.
Nous avons cherché à comparer pour l'année 1959
dans le g.raphique suivant (fig. 6) l'importance des variations saisonnières reltvées au départ des aéroports de :
Bruxelles vers toutes les directions
Bruxelles vers la Grande-Bretagne
Anvers vers la Grande-Brètagne
Ostende vers la Grande Bretagne
en prenant comme référence 100, l'indice de janvier.
Pour Cè dernier aéroport, à vocation essentiellement
touristique, l'indice 6.300 est atteint en août, tandis que
l85
�Ifindice 250 ntest pas dépas..{)é à Bnlxel1es, et que l'indIce
400 ne l'est pas à Anvers.
Les aéroports dessèrvant les « métropoles économiques il> ont d'ailleurs une activité beaucoup Dloins
sensible aux à-coups du trafic touristique. Cette constatation peut se faire sur la plupart des grands aéroporh
européens, lllais les statistiques de l'Aéropol·t de Paris,
très détaillées sont à cet égard fort intéressantes. A pa.t1ir
de ces statistiques, nous avons .cherché à comparer,
pour les principales liaisons européennes (arrivées il
Paris) l'amplitudê des variations saisonnières, c'est-àdire l'indice atteint au cours du mois au trafic le plus
élevé, si l'indice 100 est retenu pour le mois au trafic
le plus faible.
Arr:hé n
de
à Pari" 1 Tl'At"ia du l1ioill
le plus 1a1bl~
Genèvil
Du.sa eldorf (1)
5 091
Munich
l 286
768
Madrid.
2
Stuttgart
,1
~. 1
195
305
Zurioh
3 028
Franofort
Barcelone
Lisbonne
Stocklom
Berlin
Londre.
Bru.xelles
Rome
Vienne
ÀIl8terdam
Birmingham
2
Copenhague
541
1 023
660
762
610
19 135
2 340
3 518
659
l.tamboul
133
Var.ovie
Turin
Manche.ter
Mo.cou
Palma
Dublin
l
2
2
l
2
'l' rafio du mois
le plus fort
8
907
2 289
l ,82
.; 967
555
6 141
5 210
2
117
1 816
l 634
l 350
44 276
5 501
377
2
fi
2<
l 625
7 105
880
2,
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12)
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2
l
2
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1 462
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Belgrade
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~l
2 820
Hambourg
Prague
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l
2'
2
2
2
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l 63 4
2 328
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10)
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2,51
2,51
8
2,58
9
6
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2,82
2,97
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7
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1
2
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9
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2 820
l 483
2,38
5
l
,79
335
2,02
2,05
2,06
2,11
5
2
822
1,61
2,4p
262
201
l ,91
387
337
1,80
9
7'
9
5
10}
9'
90
1,77
1,79
2,14
2,21
2,31
2,34
5 727
104
1,74
10)
7)
1
2.
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1
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.-implitude
8
7
},72
3.97
4,11
4,3 2
4,46
5,25
6,19
8,41
8,52
(1) La liai.on D~.seldorf / Par ~ . est la seule relation .ur
laquelle on note le mois de plue fort trafic en h~ver, et
le mois de plus faible trafic en été - Le trafic de oette
11a1aon est en fait tr ès irrégul1er.
18'
�Sur 32 relations intra-européennes reh~lltleS
l'indice 200 n'est pas atteint dans cinq cas
Dusseldorf-Paris
Genève-Paris
lVladrid-Paris
· :"1
Munich-Par;~
Stuttgart-Paris
3 de ces relations, sinon 4, ont un caractère essentidlement économique.
un indice compris entre 200 et 300 est généraleluent
, atteint (16.cas)
un iIidice compris
4 cas
entr~
300 et 400 est atteint dans
un indice supérieur à 400 est atteint dans
Milau-Paris
Varsovie-Paris
Turin-Paris
Manchester-Paris
Moscou-Paris
Palma-Paris
Dublin-Paris
·1
Î
cas
(411)
(432)
(446)
(525)
(819)
(841)
(852)
On notera par ailleurs que les IDIruma de trafic
sont placés essentiellement (en décembre (3/32), ~n
février (20/32)1 et en janvier (8/32) et exceptionnellement en août (1/32) tandis qU'~ les maxima sont disséminés pendant toute la période d'été (mai 4/32
juin 3/32 ; juill~t 5/32 ; aout 4/32 ; septembre 10/32
octobre 5/32 ; exceptionnellem~nt, en janvier 1/32).
Chacun des aéroports européens et chacune des
liaisons européennes offrent naturellement une physionomie particulière. Les variations saisonnières y sont
toujours sensibles, comme l'indique le tableau suivant,
où nous avons retenu le trafic local des aéroports (trafic
long-courrier et moyen-courrier, arrivées + départs).
1
187
~_
i.-
�Amplitude ,des variations salsonniJres
sur les aéroports européens.
Aéroports ayant
enregistré en
1960 un trafio
local unitaira
supérieur à
Services réguliers et non régüliers
(1)
Trafic du mois dtac- Trafic du mois d'activité maximale (1) tivHé minimale (2)
_en%
Trafic local de pass ~s (arrivées+départs)
(2)
1
750 000 passagers
1
London Jd.:rport
Paris
Francfort
CopenhagUe
itome
Berlin
Amsterdam
Zurich
Stockholm
Madrid
Hambourg
:Bruxelles
Dublin
Düsseldorf
Athènes
1
201862
24I 20I
I6778497202
200 928
81 594-
I79952
17"5096
156 ;I8
142 I61
lOS 975
94 807
92943
120 260
70 3f;n
76 295
64 OI4-
2,46
2,56
2,27
2,44-
66707
58 605
1,86
46673
47 876
39 065
28 219
45 012
34 504
1,94
3,9I
5,20
1,75
2,61
668 445
370 702
146 662
78 567
90009
2,77
2,21
2,00
2,13
2,03
Sur le plan qui retient actuellement notre attention, les aéroports européens peuvent être classés en
deux grandes catégories :
- - aéroports dont la vocation prGmière est de caractère économIque: le trafic du mois de pointe n'y dépas..
se généralement pas l'indice 250 à 300 par rapport au
trafic du mois au plus faible trafic. Il s'agit d'aéroports
desservant les grandes métropoles économiques européenll'~s offrant un potentiel de trafic en grande partie
d'affaires. L'existence de ce trafic d'affaires ne réduit
en aucune façon le rôle de réservoir de touristes ou de
pôh~ d'attra.ction touristique de l'agglomération urbaine
considérée, mais atténue considérablement lIes variations saisonnières qui sont essentiellement ie fait des
mouvements touristiques. Il n'en rest~ pas moins que,
en valeur absolue, le trafic de la période creuse peut
différer considérablement du trafic en saison.
- 'a éroports à vocation touristique ; il s'agit des
aéroports desservant une région d'appel touristique, et
des agglomérations ne présentant, 'è n morte saison, qu'un
188
1
�potentiel démographique faible : La Baule, Biarritz,
Deauville, Perpignan, Tarbes en France, Rimini en
ltalie, les aéroports d~ la côte Dalmate en Yougoslavie,
etc ... L'exemple de Beauvais cité précédemment, lorsqu'il a été fait état du trafic des Skyways, est un cas
limite.
Naturellèment, entr~ .ces deux catégories d'aéroports, existe toute une gamme d'aéroports de catégories
intermédiaires où les variations saisonnières du trafic
touristique n'apparaissent pas « à l'état pur », l'~ trafic
étant influencé par des éléments extérieurs, voire
« construits ». L'intensité de la vie ~ntemationale en
Suisse, de même q'll'~ le développement des sports d'hiver
ne sont certainement pas étrangers à la stabilité du
trafic entre Paris et Genève. LYextension des saisons
touristiques à Nici~ et sur la Côte d'Azur, de même que
le développement ,é conomique de la région, atténuent
cerTainement l'irrégularité du trafic de Nice (fig. 7). Les
efl"orts faits pour favoriser la création d'ull'~ arrièresaison ne peuvent qu'àider à une saine gestion des
.
aéroports.
... :
~
Sans que ces efforts soient touj ou~s couronnés de
succès, les t~ntatives faites, soit pour allonger les saisons
ou créer de nouvelles saisons touristiques (exemple
du Maroc), soit pour orienter la propagande touristique
en tenant compte d~s possibilités d'accueil d'un pays ou
d'une région, sont intéressantes à suivre. Citons le cas
de la Grèce où, au cours d'une saison touristique très
longue, sinon continue, se succèdent h~s « contingents »
fournis par divers pays européens d'Europe Occidentale
ou Nordique. Une telle répartition n'est pas toujours
bénéfique pour les compagnh~s aériennes spécialisées,
souvent, dans l'exploitation de certains secteurs géographiques. Par contre, elle l'est pour les aéroports du pays
réceptionnaire, dont le trafic œnd à acquérir une plus
grande stabilité.
1.9·
�2. - Quelq,ues aspects complémentaires des variations .saisonnièresde trafic.
Les graphiques précédents permettent d'appréch:r
l'importance des variations mensuelles de trafic. Plusieurs autres phénomènes viennent amplifitc;r c.es variations, et, de ce fait, perturber encore plus les conditions
<fexploitation du transport aérien.
-1
L'amplitude des variations apparaît parfois
beaucoup plus grande si l'on cherche il préciser l'importance du trafic des jours de pointe. Si l'on considère une
liaison de ca,ractère particulièrement « touristique »,
comme Paris-Londres via Beauvais, on voit apparaître
des différences de trafic considérables d'un jour à
l'autre. Les deux graphiques suivants indiquent les
variations de trafic quotidien de l'aéroport de Beauvais
en août, mois de pointe, et en février, mois caraetéri~
tique de la mo.rte saison.
En février (fig. 8), le trafic est nul pendant 4 .i ours;
il ne dépasse pas, par ailleurs 130 passagers par jour,
c.c qui implique un très faible 1l0lnbre de vols. Les variations quotidiennes de trafic ne portent que sur un faible
nombre de passagers; le trafic de week-end peut cependant être mis en évidence; les jours sans trafk Sftl-:l
situés en milieu de semaine.
........
'.
•
1
En août (fig. 9), le cy.cle hedollladaire est beaucoup
plus apparent ; à l'exception du ter août (mardi) qui a
vu un trafic très élevé en raison de l'achèvement ou
du connnencement de la période de vacances d'un grand
l1011lbre de touristes, le diInanche et, secondairement,
le samedi sont les jours de pointe, le 11lercredi et le
vendredi les jours au trafic le plus faible ; une pointe
sensible de trafic, en milieu de semaine est notée le
jeudi -- Le trafic le plus élevé (1 er août) est égal ~1
:j,4 fois le trafic le plus faible (vendredi 18 août).
- Il est très fréquent par ailleurs que, sur des liaisons long-courriers ou sur des liaisons à courte distance,
le coefficient d'utilisation et le trafic varient considé1'90
�rablement selon le sens du trafic. La simple lécture du ·
graphique du trafic mensuel de l'aéroport de Beauvais
montre par exemple qu"en 1959, les vacances de Pâques
ayant empiété sur les mois de mars et d'avril, le trafic
a été le suivant :
Grande-Bretagne-France
France-Grande-Bretagne
mars
3.806
2.631
avril
3.217
4.259
Au cours des autres mois de cette même année, la
différence relevée entre les deux sens de trafic a rarement été supérieure à 10 %.
~1ais si l'on examine quelle est, quotidiennement, la
répartition du trafic selon les sens, ,des différences notables apparaissent que nous avons cherché à caractériser
par le graphique ci-dessous, donnant l'évolution quoti_dienne du trafic dans chaque sens, au cours du mois
d'août. Si l'allure générale des deux courb~s est comparable, et si, .certains jours, le trafic est sensiblement
identique dans les deux sens, le rapport entre les deux
sens de trafic atteint 2,4 le mardi 29, 2,2 le mardi 15)
2,1 le mercredi 2 par exemple (fig. 10).
Sur les relations transatlantiques (fig. 11), te déséquilibre exist~~t entre le sens Est-Ouest et le sens Vue&tEst est également considérable: ce déséquilibre apparaît
sur le graphique ci-dessous qui reprend le trafic cumulé
et le trafic dans chaque sens. Le trafic transatlantique
étant. pour une part im'p ortante, un trafic de touJ'istes
américains venant en Europe, leur arrivée ln a ssiv (i
provoque un~ pointe saisonnière très importante en j uin~
juillet dans le sens Ouest-Est, et leur départ une pointe
encore plus sensible en août-septembre. Les deux courbes apparaissent en quelque sorte commt~ décalées de
deux mois l'une par rapport à l'autre. Tandis que le
trafic global est à peu près maximurll. pendant 4 mois
de l'année, .ce maximum n~ dure que pendant deux
mois pour chaque sens de trafic.
191
�3. "~ Lès" variaHons "saisollJlières de la demande "de
transport.
Quelle que soit l'importance dèS variations saisonnières que l'on puisse relever à l'examen du trafic d'un
cer~in nombre de lignes européennôs, il est certain que
le t"ransport aérien ne présente pas la même « capacité
d'absorption» des pointes de trafic que les autres mOyèns
de transport terrestre.
.1
i
le chemin de fer doit tenir en réserve un n1.atérid
sutlïsant pour faire face aux obligations de service public
qui sont les siennes et en d~hors de cas particuliers (trains
spéciaux à nonlbre de places limité) ou de suspensions
de l'application de réduction de tarifs certains jours des
périodes de pointè, il doit faire face au trafic, quelle que
soit son ÏInportance.
l'utilisation de la route pa.r les voitures padiculières n'a d'autre limite que la lassitude des automobilistes, lassitude qui ne les incite d'aillèurs que dans une
très faible lnesure à différer ou avancer leur départ,
surtout lorsqu'il s'agit d'un départ en vacances.
."
1
Le coût du matériel aérien conduit par contre les
compagnies aériennes à ne pas pouvoir envisager
l'exploitation d'un matériel suflïsant pour ,faire face au
trafic des jours de pointe, et de c'e fait, il 'è xiste un frein
certain à l'amplitude des variations saisonnières. Certes
les compagnies peuvent p'è ndant la période de pointe
Inettre en place une plus grande capacité de trafic, et
lu p,l'ession de la demande conduit '~n été, d'une faço11
généi'ale à un lneilleur coefficient d'utilisation.
Le graphique suivant, établi d'après les statistiques
de l'Air Research Burèau montre l'évolution au cours
des dernières années du coeftïcient d'utilisation (fig. 12)
des services intra-européens.
Ce graphique souligne que l'amplitudè des varia~
tions du trafic est nettement plus g.rande que celle des
variations de la capacité offerte, bien que c'~lle-ci varie
presque du simple ou double du premier au troisième
trimestre.
192-
�.L'importance de la demande .au cours dèS périodes
depoînte est eu ·fait .très difficile à déterminer en particulier. du fait, que, étant donné les difl'icultés de trouver
une plac'è SUr certains services, plusieurs options sont
prjses pour un même voy,a ge et que, d'autre part,les
divers services offerts au cours de la journée n'ont pas,
pour le passager, le même attrait. Oèpendant une appréciation, même impa.rfaite de l'importance et de la pression de la demande pourrait apporter quelques éléments
nouV'~aux venant c'Ompléter les courbes de trafic d'autant plus qu'un .c oefficient d'utilisation proche de loo 1%,
ce qui se produit en période de pointe au moins dans
Un sens, est considéré comme anormal.
Afin de préciser ce que peut êtrè la pression de la
demande de transport sur .J'offre de transport, on pourrait en particulier adopter la représentation graphique
suivante : (fig. 13).
en abscissè sont indiqués les j ours de la période
critique que l'on souhaite étudier et, à l'intérieur de
chaque jour, les différents services examinés.
en ordonnée est indiqué le nombrè de jours
précédant la date du vol.
Il serait possible, à l'aide d'un tel graphique, pour
.chaque jour d'è la période critique, et éventuellement
pour c'h aque vol, de préciser ,l e délai à partir duquel
toutes les réservations ont été faites. Si l'on prend
l"èxemple théorique d'une ligne A B où sont exploités
.cinq services quotidiens, on obtiendra une série de
courbes ayant l'allure suivante (fig. 13).
Cette représentation n'est valable que certains jours
dè l'année puisque souvent la réservation ,c omplète de
l'appareil n'est pas atteinte ; elle suppose par ailleurs
que le passager prévoit longtemps à l'avance le voyage
qu'il entreprendr.a, Cè qui peut être vrai pour les voyages· touristiques, mais ce qui l'est beaucoup moins pour
les voyages d'affaires, ceux-ci étant très souvent décidés
au dernier moment.
Une autre rep.résentation de la pression dè la demande de transport sur l'offre consisterait à enregistrer
toutes les réservations faites pour un vol, avant que les
·193
13
�sIeges ne soient r~ntièrement réservés et toutes les
demandes d'options, et spécialement d'options de premier rang. faites avant et après cette réservation totale.
Même si r on sait qm~, dans de nombreux cas, un seul
voyage fait l'objet de plusieurs options, on peut considérercomme ,c ertain que deux options ne seront pas
faites sur le même avion pour le même voyag~. Dans
ces conditions, le maximum de la. courbe que l'on obtiendra correspondra approximativement au maximum de
la pression de la demand~ de transport sur l'offre. Si
une distinction peut être faite entre les options de premier rang et les options de second rang, on pourra
obtenir graphiqli'~ment deux courbes donnant le maximum et le minimum de la demande non satisfaite .
..
.
'
Le graphique ci après est naturellement théorique
puisqu'il ne se base pas sur un enr~gistrement réel de
demandes faites pour 'Un vol donné et que cet enregistr~ment est en fait extrêmement difficile. Dans la
mesure où cet enregistrement serait réalisable, une telle
représentation devrait pouvoir aider à déterminer dans
quelle mesure la p.l'ession de la demande non satisfaite
et l'importance de l'offre non satisfaite, justifierait une
augmentation de l'offre. Une telle méthode devrait naturdlement être perfectionnée pour être utilisée dans le
cadre de l'exploitation ,c omplexe d'une c'Ompagnie
aérienne .
•
("i'
4. ,
Remarq.ues cf ensemble.
.
L'examen fait au cours ùes chapitres p.récédr~nts
ne peut prétendre montrer tous les aspects d'un problème sur lequel on ne dispose pas toujours dr~s éléments
sta tistiqu'~s souhaitables.
La plupart des renlarques faites et des statistiques
Inentionnées permettent néanmoins de souligner l'influence primordiale des courants touristiqur~s su.r la
structure saisonnière du trafic. Sur les relations de
caractère essentiellement touristique telh~s q!le certaines
liaisons nord-sud, entre la Grande-Bretagne et le continent, le we'~k-end, la fin de mois, les périodes de vacan194
�ces - , va'c ances d'été ou courtes vacances de Noël ou
de Pâques - se traduisent par des pointes importantes.
Dans le eas de courants touristiques, }~s pointes de trafic
ne se produisent pas au même moment dans les deux
sens : même sur l'Atlantique Nord, où le trafic d'affaires
est important, l'influence du tourism'~ essentiellement
nord-américain se traduit d'une part pa.r une pointe
saisonnière d'été très importante, d'autre part par le
décallage d'un à deux mois existant entre la période
de point~ du courant de trafic ouest-est, et celle du courant de trafic est-ouest. Etant donné, d'autre pa.rt, que
le trafic d'origine américaine constitue ull'~ part impor··
tante du trafic intra-européen, il est intéressant de renlarquer le parallélisme presque absolu existant entre
lè trafic nord-atlantique et le trafic intra-européen, tel
qu'il apparaît dans le graphique de la fig. 15.
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Quelle qu'en soit l'origine, les variations saisonnières du trafic posent aux compagnies aéri~nnes et aux
aéroports des p.roblèmes d'exploitation dont certains
peuvent être mentionnés
.~.
.;
-- les compagnies aériennes doivent naturellement
chercher à immobiliser le moins possible leur matériel
pendant les périodes de poinre et, dans la mesure où
la sécurité le permet, à regroup;~r au cours des périodes
de moindre activité les grosses opérations d'entretien
et de. .révision. Si une telle olitique conduit à une lneilleure utilisation du matériel, elle réduit l'intél'êt que
pourrait p.résenter un planning d'entretien régulier, sur
la stabilité de l'emploi du personnel spécialisé.
....
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si le matériel volan t I~st insuflïsan tau cours des
périodes de pointes, il est largement excédentaire. d'une
façon général~" pendant une partie importante de l'annè~., au ·cours de laquelle le personnel navigant technique et commercial est lui-même sous-employé. D'où la
nécessité, pour les compagnies aériennes de .rechercher,
en période creuse, des trafics de complément qui atténuent. mais ne le peuvent que dans une certaine mesure.
les conséquences du sous-emploi.
'195
~ •• ":.~:·:'·1If
�Oèrtes, l'un des avantages primordiaux ·du transport aérien est sa souplesse d'emploi: on peut prévoir
des transferts de matériel d'une région vers une autre,
des lo.cations de matériel volant et d~s prêts de personnel, des modifications de l'aménagement des avions en
vue d'une utilisation pour des transports de types divers,
etc... QU'dIe que soit l'imagination et le dynamisme des
services de vente des compagnies aériennes, elles ne
parviennent cependant que très difficil~ment à réduire
l'amplitude des variations saisonnières du trafic. En
fait le tr,a nsport aérien, instrument au service de l'économieet ·d u tourisme doit satisfairè à la demande, au
maximum de service de ses possibilités, ce qui, dans
certains cas, conduit à de difficiles conditions d"èxploitation. Il est vraisemblable qu'une amélioratIon sensible
dè cette situation ne peut résulter que de modifications
d'ensemble de la structu.re des courants de trafic touristique et des habitudes des touristes.
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LE TRAFIC DE L'AEROPORT DE CALAIS
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VARIATIONS SAISONNIERES DE TRAFIC SUR
L'ATLANTIQUE NORD
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Fig. 12
L'EVOlllTION DU COEFF'ICIENT D' UTILISATICN
DES SERVICES mTRA-EUROPEENS
INDICE
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H1PORTANCE QUANTITATIVE ET C}\RACTERE INEGALEMENT SAISONNIER DU
TRANSPORT AERIEN POUR LE TRAFIC lllTERIEUR DES ETATS-UNIS, LE
TRAFIC A TRAVERS L'ATLANTIQUE NORD, ENFIN LE TRAFIC INTRA-EUROPEEN ( CINQ ANNEES, DE 1956 A 1960 ) .
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1958
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1959
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4
1960
Sièges - Km orrerts
Passagers - Km produ/ts
Pour chacun de s t r oi s graphiques l'échelle est logarithmique,
ma i s l e s espac ements d'abscisses sont différents.
208
�.1
B. - PROBLÈMES LOCAUX
.'
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Les perturbations apportees
à certaines économies locales
.
.
par le caractère saIsonnIer
du phénomène touristique
'\
Lorsqu'en 1960 la municipalité du petit port , de
pêche d~ Cap Breton dans les Landes décida d'accepter
un village de vacances de 600 pla/c es au creux d'une
dune à l'abri des pins elle ne doutait pas qu"elle allait
réaliser une opération de « polarisation » touristique:
d'un type nouveau et n'en lnesurait pas exactement les
conséquences (1). Elle les apprécie mieux aujourd'hui:
...
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2 millions AF. d~ salai.res frais distribués sur la
localïté, une trentaine d'emplois saisonniers offerts,
215.000 AF. de plus à la taxe de séjour du budget communal, 430.000 AF. de recettes sur la vente de l'eau. En
outr'è les 600 consommateurs supplémentaires de ce vil·,
lage sont « un ventre» qui absorbe bon an mal an :
13 tonnes de pain, 15.000 litres de lait, 5 tonnes de viande, 30.000 œufs, 10 tonnes de fruits, 2.760 yaourts, etc ...
Hevers de la médaille : Cap Brdon, avec quelques
(1) Créatio:'1 de; {( Villages-Vacances-Familles », 10, a'; enue Bosquet, ave.~ l'aide de la Caisse des Dépôts et Consignations dans une
perspective de vacances pour familles à revenus m :::destes,
209
14;
�3.400 ha. pennanents voit sa population estivale se gonfle.r démesurément :
11 Y avait déjà 800 estivants en hôtels, 1.500 en
villas, plus les campeurs, llès enfants en séj ours ou en
colonies, etc... Bref la « surcharge » saisonnière impose
désormais à CapBreton de calculer son infrastructure
(distribution d'eau, de courant éle.c trique. voirie. enlèv~
luent des ordures, évacuation des eaux usées, police,
etc ... ) non sur sa population réelle mais sur une population « fictive » 4 à 5 fois plus élièvée ...
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Voici le problème de base de tout~s les communes
qui sont tentées de « faire du Tourisme » : la richesseapparente d'ullè brillante vie estivale (ou hivernale)
dissimule un dranle : le suréquipelnent obligé des services collectifs sous peine de voir rapidement s'installer
le désordrè, la congestion, la malpropreté, etc... Toutes
les g.randes stations de Tourisme lancées il y a un demisiècle en savent quelque chose et ont fini par trouver
des solutions plus ou moins satisfaisantes (2). Les comlnunes qui actuellement se croient une « vocation :->
touristiqtle (et elles sont nombreus'~s dans les Alpes et
sur les littoraux) l'apprennent à leurs dépens (et aussi
aux dépens de leurs hôœs).
En fait on commence à apprendre qu'une municipalité qui veut « faire du Tourisme », si louable puisse
être son intention, devra résoudre des difficiultés très
complèxes avant d'enregistrer le succès qui la fera blit1er en tant que « station » de l'exotisme et du dépaysement.
D'où également les nombreux échecs par le fait de
l'emploi inconsidéré de fonds provenant de crédits
publics généreux octroyés sans une analyse économique
ou sociologique sérieuse parce qu'une science (et S'~s
techniques) du développement touristique commence
seulemiènt à naître.
(2) Précisons qu'alors la surcharge saisonnière n'était pas concentrée sur le mois d'août mais beaucoup plus étalée (saisons de printemps) par suite de séjours de lon~ue dur~.
210
�Voyons quelques exemples de ce qui peut se passer
DETERIORATION ET DESEQUILIBRE
Depuis un siècle, la fréquentation spontanée de
certains sih~s touristiques conduit bien souvent à leur
détérioration rapide. Il s',a git en premier lieu d'une dégradation physique: enlaidissement par des p.anonceaux
d'appel publicitaire, destruction d'arbres, dè plantes,
etc ...
A tel point que luaintenant, lorsqu'on découvre un
coin channant on dit : pourvu que les touristes n'y
viennent pas (on m'a dit ceci récemment à propos de
l'île d'Yeu). C'est un peu paradoxal. Ne peut-on concilieJ~ les exigence d'une jouissance publique OUV'èrte au
plus grand nombre et la conservation des éléments qui
ont été les mobiles initiaux de l'aUrait ?
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Les services de l'Urbanisme ont naturellement pris
conscience du fait. Après avoir protégé (en les classant
. ou en les invèntoriant grâce à une loi du 2 Mars 1930)
des sites, les dispositions de sauvegarde ont pris un
caractère régional (décret du 26 Juin 1958) de protection
de la zone de Corse, Côte-d'Azur et Provènce, lequel
pourrait s'appliquer également par décrêt un jour à
toutes les Côtes de France, aux régions de montagne ou
simplement à toute contréè pittoresque (article 65 de la
loi de Finances 1961). De même en ce qui concerne les
villes, l'Urbanisme s'est dégagé de la notion d'édifices
pour étendre sa tuteUè sur des « quartiers » ou des ensembles urbains (projet de loi pour la protection du
patrimoine historique et de sa restauration, adopté par
Je Sénat fin Décembre 1961 et en fèxamen devant rAssemblée Nationale). Un seul reproche : ces mesures
arrivent quand le mal est déjà grave 'è t retardeni en
général d'un bon quart de siècle sur les initi9.tives privées de dégradation.
•
**
Mais le Tourisme n'a pas à l'ù:.:igine qu'un effet
« physique » de détérioration, bien q:Uè celui-ci soit le
211
�plus apparent dans le paysage. Il déséquilibre aussi une
économie régionale souvent fragile.
On s'en rend compte dans des secteurs '~n voie
d'expansion rapide. En Savoie, un abandon rural ùU
pastoral a été noté dans plusieurs stations une fois·
qu'elles se furent consacrées aux sports d'hiver et à la
« culture de la neige ».
Si nous prenons le cas du littoral dèS Alpes-Maritimes et du Var on peut se poser la question: les genres
de vie agricoles méditerranéens n'aurai~nt-ils pas été
mieux conservés sans le rush hivernal ou estival des
riches étrangers ?
En Bretagne, le malaise économique n'a pas été
évité par la spécialisation touristiqu'è déjà vieille d'un
siècle. De même en Corse, le tourisme n'a en .rien résolu
actuellement le problème insulaire.
Des régions dites sous-développérès restent pauvres
et ceci malgré leur aUrait touristique. Sans doute, sans
le Tourisme seraient-elles encore plus misérables. Mais
en apportant unè certaine richesse, le Tourisme n'a pas
évité ou a peut-être accentué les déséquilibres consécutifs à la stagnation.
11 importe donc de ne pas présenter, dans certains
dép.artements à vocation vacancière, le Tourisme comme
un~ panaoée universelle ou un renlède-miracle. Il faut
au contraire être attentif et procéder très prudemment. L'injection brutale de 'c rédits peut aggraver l'état
de santé du malade. Voyons cela d'un peu plus près.
LE TOURISME,
POMPE ASPIRANTE DES CAMPAGNES
Le dévèloppement de toute station de 'l'ourisme
provoque un phénomène de condensation démographique.
11 se fait « un appel » sur les campagnes environnantèS qui se vident pour venir grossir un noyau permanent à la station, en profitant dèS emplois nouveaux
212
�,<'
offerts par ie Tourisme. La désertification s~accélêre cal'
les ['uraux trouvent dans l'hôtellerie ou les services tertiaires des èmplois moins fatigants et plus .rémunérateurs. (3).
Faut-il donc favoriser ou éviter la formation de
grosses stations de Tourisme ?
Le maintien d'une fréquentation atomisée (tourislne de campagne, de vallées, péri-forestier) est un -ànlidote à la concentration excessive. Celle-ci en revanche
est classique dans le cas du tourisme thermal, des sports
d'hiver, balnéaire.
D'autre 'part ce n'est qu'à partir d'une certaine concentration que les estivants peuvent trouVlèr des services
assurés (il faut 800 estivants pour qu'un coifl"eur saisonnier puisse faire ses frais).
'1
Actuellement dans les régions de Tourisme campagnard on pourrait j OU'èr sur un moyen terme : la réanilnation touristique des chefs-lieux de canton.
Presque tous ont largement perdu leurs habitants
depuis le 19me siècle. Par in e.rtÏ'è , ils se trouvent suréquipés en commerces et servic'è sadministratifs. Ils ont
trop de vieux hôtels du temps où ils servaient de relais
à la postè aux chevaux. Le chef-lieu du canton, quand
ses ressources touristiques et sa localisation s'y prêtent,
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(3) 500 estivants nouveaux dans une localité au mo:s <i'août cela
veut dire: 5 vendeuses de plus dans les commerces de l'alimentation,
un e:nployé surnuméraire à la pos-se, ouverture du coiffeur le dimanche matin, 2 compagnons de plus chez le garagiste ou la stationservice. 6 étudiants ou étudiantes pour garder les bébés ou faire
travailler les enfants, un porteur à la gare, 3 aides de cuisine, 4 femmes de chambre, un veilleur de nuit, 3 serveurs, 2 barmaids en plus
dans les quelques hôtels de la localité, un retraité gardien de square
en plus, du travail pour 10 femmes de ménage et 10 employés de maison dans les villas, etc ... Un chiffrage précis du nombre d'heures de
travail ainsi offertes est évidemment impossible et n'a jamais été fait.
Toutefois on pourra se reporter à l'étude de Boudeville : l'espace
opérationnel macro-économique (cahiers de l'I,S.E.A.) et rappeler la
relation de Berry: le nombre N de commerçants est en relation avec la
popUlation d'une localité P selon la formule P = ab n , a et b étant des
paramètres variables.
NT
Pour une station de Tourisme P = pr +
pr = popUlation résidente
S
NT : nombre de touristes, S, = durée du séjour.
21-3
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-::-110.... <{
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�ëst un cenh'e de tourÎslue prêt à dchllarre.r tout en ga . . ..
dant les avantages d'une dimension modérée. (4)
DU PiS-ALLER A LA CROISSANCE PLANIFIEE
.1
Essayons d'observer maintenant ce qui se passe lorsqu'une région ou une localité « s'éveille» au tourisme.
Depuis un siècle, il y a eu assez dexemples tant en
~rance que dans le reste d~ l'iEurope pour que le phénomène ait souvent montré un processus identique,
jamais à notre connaissance encore décrit par les responsables du Tourisme mais qu~ nous allons essayer
de schématiser en trois phases
Phase 1 - ;lnstallation du « Pis-aLLer ».
Les caractères essentiels sont : anarchie des initiatives et des implantations, non contrôléès et non-coor-·
données. P.rix des terrains encore avantageux. Pas de
voirie, pas de zoning, pas de plan d'urbanisme. La congestIon apparaît très vite sur certains sect~urs qui ne
sont pas les meilleurs mais qui sont choisis par routine
ou le jeu de l'exemple. Prolifération d'un secteur tertiaire (comm~ces) volant, notamment pour l'alimentation.
Fréquentation très élastique selon le temps qu'il
fait. l\1arché de clientèle local ou régional! Cette phase
est fréquente dans tous les périmètres de loisirs d~s~
grandes villes. Installation d'hébergement appartenant
à la para-hôtellerie légère (cabanes, bidonvilles.. cam-
...
~
~.~
(4) En réalité le phénomèn e est plus ,complexe mais nous ne pou·
vans entrer ici dans le détail du mécanisme. La croissance touristique en faisant monter les prix chasse de la localité les personnes
domiciliées à revenus les plus bas. Le tert~aire se hiérarchise d'une
façon annulaire à partir d'un noyau de valeur maxima (phénomène
visible dans les stations thermales anciennes). Le Tourisme agit
donc comme une pompe aspirante et foulante et son effet s'exerce sur
les deux niveaux extrêmes d'une façon la plus vis~ble. Dans plusieurs
stations on vous dira : ce qui se loue le mieux c'est le plus cher et
le meilleur marché, les catégories intermédiaires trouvant plus difficilement preneur.
214
'"'-:
" -.;
�pil1gs sans confort, .r ouiottèS). si l;întensité de la fre
quentation croît, on assiste à la congestion populaire
avec installation continue sur les sites les plus médio.cres. La détérioration des sites est rapidè (lèpre touristique).
Pha.')e 2 -
Périade de « colonisation » (5)
Caractères : les coûts des terrains montant rapideIuent et ceux-ci se .raréfiant, leur achat ou leur revente
s'opère par l'intervèntion d'agences privées. Une volonté mercantile de spéculation apparaît. quelquefois encouragée par les. notaires qui ont intérêt à accélérer les
transactions et à provoquer des plus-values les plus fortes possibles.
r.
: .... J
1
~
Le développemènt a pour moteur l'initiative individuelle mue pa'r l'espoir du profit rapide. C'est aussi
la période des lotissements et de la publicité lointaill'è
sur ees lotissements (le ,c lient ne se dérangera pas pour
soir ce qu'il achète). L'appel dépasse la région et se fait
SUI' le marché national. Les « colonisatèurs » appartiennent à des milieux d~ affai.res souvent non-touristiques et ne peuv~nt apprécier les chances réelles de leurs
opérations (pas plus d'.ailleurs les municipalités qui les
accueillent). D'où, échecs, et ratages à la suite de ris...
ques Inal calculés. La rente foncière grimpe à une allure
vertigineuse (Corse, littoral languedocien). La mise en
Jouissance du foncier se fait sous des formes juridiques
très variées. Unè voirie (toujours étriquée) suit plutôt
qu'elle ne guide l'occupation des sites. La sélection topographique se fait selon les degrés de richesse sociale et
il apparaît un'è ségrégation de fréquentation (villas de
luxe ou bidonvilles, palaces ou campings sales). Le site
champignonne des installations en dur, de haute fantaisie et d'une laideur consommée (style mauresquè, faux
(5) O'est entre 1es phases i et 2 que se ptodùisent les erteùrs
d;implantation. En effet, elles sont peu graves dans la phase 1 qui
est celle de la recherche du moindre coût. Mais au cours du passage
à la phase 2 élles passent inaperçues parée qUé masquées par un gaspillage d'investissements dont la non-rentabilité n'apparaîtra pas
immédiatement.
215
�gothIque, t"aux normand ou faux basque, fJaux chaiel
suisse). La hideur de certains secteurs s'accentue 'è t la
détérioration devient irrémédiable. Hôtels et commerces
(du bazar au bijoutier) se créent qui mèn~ilt immédiatement une bataille concurrentielle. A partir de .ce stade
la situation a dnlet difficilement un rattrapage. En cas
dè crise, c'est la 'C 'atastrophe et le dépérissement. Il n'y
a guère de remède sinon faire du n euf en repartant à
zéro sur un site voisin.
Phase 3 -
_ 4
dite de « croissance planifiée ».
A,c tuellement, lèS dispositions législatives peuvent
toutefois pèrmettre aux r esponsables locaux d'intervenir
il temps, a u InûiIis sur les stations de moyenne importance. (6)
Au dévdoppement anaJ~chique et destructeur précédent on peut substituer une reconversion planifiée.
:
1
Les caractères sont : une parti~ du secteur touristique est mise hors ...circuit Inercantile. Si la station a de
l'avenir on peut aisément trouver une zone encore intactè (,c as de nombreuses stations balnéaires. par exemple
Saint-Jean de Monts en Vendée). Les communes du bord
de mer ont par exemple la propriété de dunes incultes
ou de lais de illèr. En montagne des espaces considérables pour la p.ratique du ski ou l'installation touristique
sont formés pa.r les alpages indivis. Tout ceci constitue
des réserves excenente~ si la municipalité a eu la prudènce de ne pas les aliéner (dans le Doubs la municipa;.
lité de Baumes-les-Dames a su s'assurer le contrôle
d'une grande partie des terrains qui pouvaient servir à
des installations touristiques).
(6) En utilisant les décrets du 31 décembre 1958 et du 7 septembre
1959 qui sont relatifs à la conservat·on et à la création d'espaces
boisés dans les communes t enues d'avoir un plan d'urbanisme. Sur ces
t errains les constructions immobilières éventuelles sont subordonnées
à l'avis conforme de l'ingénieur en chef des Eaux et Forêts. Mais presque toujours les plans fa:ts par les urbanismes ne tiennen.t pas compte
de la fonction touristique possible ou existante de la localité, faute de
moyens d'analyse.
216
�Un vaste eV-è ntaH d'Interdiction de . -c onstruire, des
arrêtés portant nécess~té de détruire, des mesures co~tre
l'enlaidissement, pour la protection de la ' flore et des
arbres, celle des sites, seront déployés.
-
Certes des pressionS financières et électorales peuyent s'exer.cer. 'L es responsables locaux' doiv~nt- faire
procéder à une 'étude dès chances de développement
pour dressèr un cadre d'opération viable et raisonné.
~nsuite, ils constituent un fonds d'équipement remis
entre l~s mains d'un organisme autonome de développement pouvant réaliser toutes lèS opérations financières jugées utiles. La voirie et les équipements collectifs
précèderont et dirigeront l'installation qui devra voir
largè et non étriqué. Les premiers revenus de la misê
en valeur· iront à l'amortissement et constitueront ensuite un fonds de réserve et de modernisation. Les ÎnStaBations d'hébergemènt et de distraction seront remises
en gérance .c ontrôlée. Dès le début on créera (anima-teurs) une discipline de vie collective et des traditions
à respècter (propreté, silence. courtoisie). On cherchera
enfin à garder dans toutes les réalisations des dimen-sions harnlonieuses pour que l'estivant ne se sente pas
écrasé et puisse cOll-tenter ses 'besoins de .réfection au
llloindre coût. C'est la règle de la satisfaction optimum.
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*
**
En conclusion de C'è t exposé bien imparfait et qui
aura négligé de très nombreux aspects du problème, il
est inutile dè dire que nous en sommes, dans beaucoup
de régions françaises aux phases 1 et 2 plutôt qu'à la
dernière, de croissance planifiée et raisonnée. Mais le
mal éclate maintenant dans toute sa lumièr~. Il n'est
plus perso..1ue pour contester les effets déplorables de
certaines formes d'installation touristique. ' Les parl'èmentaires et les notables politiques eux-mêmes, souvent attachés pour des raisons électorales à d'èS programlues dépourvus de -références économiques se trouvent
dans -l a nécessité de repenser leur action 'èt ne peuvent
que céder le pas dev,a nt l'argumentation statistique sérieuse. Nous devons nous en féliciter. Méfions-nous aussi
d'èS formules sommaires, telle celle-ci lanoée il y a ln
•
217
�ans par un ministre : « Le 'fourisnle, etest quand vO'US
invitez un étranger à boire une coupe de champagne el
qu'il repart avec une caisse :..
'
Ce raccourci lèst saisissant et bon pour déclancher:
les applaudissements mais c'est quand' même un peu
facile. Les Congrès de Tourisme sont généralement des
nids préférés pour ces formules généreusès qui achèvent
leur existence éphémère dans le eercueH pompeux des
yœux et des résolutions. Félicitons le Centrè d'Etudes
du Tourisme de Marseille d'avoir voulu par ces assises
l'Cnoncer à un style de dialogue vain et inefficacè et
d'avoir pour la première fois à Nice replacé llè Tourisme
sur le vrai terrain de l'observation scientifique et de la
recherche analytique conciSè. Nous sommes quant à
nou~. certains que ces efforts porteront de beaux fruits
et ouvriront unè nouvelle phase dans la conception du
tourisme de notre époque. '
DEFERT
Pierre
Doctellr de l'Uni,versité de Paris
Expert-Conseil de TOllrisme
"
"
'-;.;' .:
,
.
. : 1
218
�LI évolution de Leysin.
la transformation d'une station
curative permanente en une station
de tourisme bi-saisonnière
CHAPITRE 1
D'UN PETIT VILLAGE MONTAGNARD
A UNE GRANDE STATION
,
.
La situation géographique et .climatique de Leysin
prédestinait ce petit village, bien assis sur un plateau
protégé des vents du Nord p,a r la chaîne des « Tours
d'Aï et de Mayen» à joulèr un rôle dans le domaine
du tourisllle. Son altitude moyenne est de 1400 m., le
village étant situé à 1.300 m., la partie supérieure de la
station, !èsplanade du Grand Hôtel, 1.450 m., au pied
d'une grande forêt.
Quelques dates :
l~YO Construction du premier sanatorium, le Grand
Hôtel disposant de 150 lits. Ce fut le point de
départ de la station.
1~Y5
Construction du deuxième sanatorium, œ MontBlanc, avec 120 lits.
lYOO Mise en exploitation du chemin de fer électrique
à crémaillère reliant Aigle à Leysin. La durée
du traj~t à l'époque était d'une heure.
~ul1olUid'hui,: la station t$t facilement accessible
par une excellente route, ouverte toute l'année ainsi que
par l~ chemin de fer électrique qui a été modernisé et
219
�gagne LeysIn en rnoÎns de 30 minutes. sItuée sur l~axe
de Paris à Milan, LeYis in est la station des Alpes la plus.
proche de Paris et l'une d1:!s plus proches de Milan.
L~ouverture prochaine du Tunnel du Grand Saint.Bernard la rapp.rochera considérablement des villes du
Nord de l'Italie pour l~ automobilistes.
Au début du siècle, grâce à la construction du Cheluin de fer, la station se développa rapidement, elle fut
entièrement ori~ntée, dès le début vers le traitement
de la tuberculose. Comme le démontre le tableau l, la
population a augmenté à un rythme très rapide puisqu'elle doublait durant chacunè des trois première~
décades depuis la création de la station.
Tablean 1.
L e -développement de La station, dès sa création en 1890.
Années
.. l
.. 0' 1
0·· 1
J
1890
1900
1910
1920
1930
1940
1950
1955
1960
Evolution de
la population
500
1.065
2.141
3.758
5.746
3.952
5.275
* 4.000
6.789
Nombre
Recettès de la
lits
Caisse communale
(impôts et taxes) fr.
13.20<J
37.141
78.706
299.196
523.758
361.530
488.505
1.018.386
*
*
1)
1)
150
280
1.000
2.000
2.986
3.127
3.285
2) 3.360
Les chiff.res indiqués au tableau Il sont ceux publiés par le Bureau Fédéral d'è la Statistique. Ils ne
comprennent que .les nuitées des hôtels et établissements
de cure sé.parément, à rexclusion des homes d'enfants,
coloniès .de vacan.ces, chalets et appartements de vacances qui se sont beaucoup développés à. Leysin.
Chiffre approximatifs.
0) L'augmentation du, nombre des lits est dûe à i>affectation de
deux grands sa.natoriums de lu~e en établissements populaires pour
hospitalisés.
(2) Entre 1!}56 et 1960 la conversion de sanatoriums en hôtels a
également permis d'augmenter le nombre des lits sans' qu'il y ait eu
de constructions nouvelles. Le chiffre de 3.360 lits comprenù 2.502 iit">
d'hôtels et '858 lits de cure. Les lits de chalets et maisons de vaCances
non COlI1priS.
~,
220
~
�\
·
"
.. '
Tableilll Il
Evolution de la station de Leysin de 1938 à 1.955 ~t dès le début de l'activité touristique
de 1956 à 1961
Années
l à XII
~
N
.:-.
1938
1946
1947
1948
1949
1950
'1951
1952
1953
1954
1955 ·
1956
1957
1958
1959.
1960
1961
Nuitées
de cure
621.544
l. 099. 705
1.003.521
966.095
909.846
851.732
887.960
!H3.944
835.793
813.719
682.678
444.028
334.892
249.193
214.032
175.690
158.403
Taux
d'Qccup.
57,
87,9
84,9
83,5
74,9
73,4
75,8
76,6
70,4
68,0
51,88
Diminution %
% du
total
100
»
»
»
»
»
»
»
))
»
»
»
»
»
»
II
»
»
»
»
j() %
»
24,6G
24,66
25,58
14,10
17,91
85,4.
D,~:3
Nuiées de
touristes
67,9
56,8H
49,O ~
:39,01
2H,~) 7
Augmentatlon %
% du
total
))
75.840
158.199
189.001
222.150
271.292
370.478
14,6
llO %
19,46
32.1
43,14
Total des
unités
621.544
1.099.705
1.003.52'1
966.095
909.846
851.732
887.960
913.944
835.793
813.719
682.678
519.868
493.00t
438.194,
436.132
17,54
50,92
22,12
60,6
446,98t
36,56
70.03
528.88t
�Jusqu'en 1955 la quasi totalité des nuitées sont fournies par des malades, la station ne possédant que trois.
petits hôtels-pensions totalisant moins de 100 lits.
Le cas de Leysin est donc bien particulier et ne
peut être cOll1paré à celui des stations de cu.re n1ixtes
telles que : Arosa, Davos ou Montana où l'activité touristique jouait un rôle prédominant, en tous cas pOUl
h~s deux premières.
Durant les années de 1945 à 1954 la fréquentation,
a été très forte en raison de l'afflux d'hospitalisés placés'
par les pays voisins à titre officiel ou semi-officiel. Ils
p.rovenaient plus particulièrement d~ France, de Belgique et d'Angleterre, ces pays manquant à l'époque
de lits pour le traitement des tub~rculeux .
•1
Dès 1952, en raison de l'apparition de nouveaux
1l1oyens thérapeutiques l'on pouvait constater une accélération des traitem!~nts qui ne tarda pas à avoir une
influence sur la fréquentation des sanatoriums, phénomène .réjouissant, mais qui allait poser des problèmes
très sérieux pour une station entièrement .consacrée au
trait~ment de la tuberculose.
1
,j
Les inforlnations dont nous disposions en 1954 nous
permettaient de prévoir que la presque totalité des contingents de malad~s étrangers disparaîtraient dans le
délai d'un à d~ux ans. Ce n'était pas l'avis du c011JS
lnédical de notre station composé de spécialistes qui
doutaient encore de l'eflïcadté à long terme des nouveaux moyens de traitem'~nt.
Les événements allaient rapidenlE-: nt nous donner
raison puisqu'en 1955 déjà les grands sanatoriums se
fermaient les uns après les autres. Nous aurions pu 'nous
contenter de faire apposer aux portes de ces établiss~
ments : « Fermé pour cause de victoire », ou attèndré
comme nous le proposait un m'é decin chef d'un sanatorium le retour hypothétique de malades, car, disait-il,
au .cours des douze derniers mois 40% des admissions
dans son établissemènt étaient constitués par des malades faisant une rechutè après le traitement aux antibiotiques en plaine.
Un état de tension régnait à Lèysin à cette époque
et la station ressemblait un peu à une place d'armes à
222:
�]a fin des hostilités. La démobilisation, l'angoisse quant
à l'avenir, le départ de nombreux commerçants, artisans
d'ull'G part et ceux qui ne pouvaient pas partir en raison
de leurs engagements d'nutre part.
H fallait absolument et rapidement trouver d'autres
possibilités de travail et une nouvell1G clientèle afin
d'éviter la catastrophe financière de toute la station
comme de la Commune.
··1
..
-,
·11
22~
;-,..;.:.,
�CHAPITRE II
REGRESSION DE LA FREQUENTATION,
RECHERCHE D'UNE SOLUTION
La p.remière solution qui paraissait logique, étant
donné l'équipemènt médical de tous les établissements
et la présence d'un corps médical important, semblait
être la recherche d'autres activités médicales ou paralnédicales. C'iest ce qui nous fut conseillé - sans beaucoup dè conviction - aussi bien par les autorités politiques loc'ales et cantonales que médicales. Les conseils
n'ont pas manqué - c'est si facile - suivis d'efforts
absolument stériles, et il a bien fallu se rèndre à l'évidence au bout de deux ans - 1954 et 1955 - qu'il ne
faUait plus songer ni espérer voir venir à Leysin, tant
qUè la station conserverait son étiquette de « Centre
de traitement de la tuber,c alose » des malades atteints
d'autres affections ou m.ême des convalescents. La résistance était générale ; l'èS malades atteints de diverses
formes de rhumatisme auraient pu bénéficier du climat
favorable mais ils ne voulaient à aucun p.rix accepter
<le monter à Leysin, même à titrè gratuit, craignant
non pas tant la contagion, mais bien le risque d'en revenir avec une « étiquette » de tubercul'è ux.
\
.,
. 1·
De son ,côté, le corps médical de la plaine ne pouvait
recommander à ses malades ou convalesœnts une station de tuberculeux.
Nous avions été influencés nl0mentanément par un
rapport officiel, très fouillé et très documenté, établi en
1944 à la demande des autorités fédérales, par feu le
Docteur Professeur Von Neergard de Zürich, rhumatologue éminent. Ce spécialisÎ'è et chercheur prévoyait
déjà, avant l'ap.parition des antibiotiques, que l'augmentation de la tuberculose ne serait que passagère et qu'eUè
ne prendrait pas les mêmes proportions qU~laprès la
première guerrè mondiale. Il reconlmandait aux stations
22-1
, :;'.~
..;;.
�spécialisées dans le traitement de la tuber,c ulose« de
cher.cher de nouvelles possibilités d~ travail ». « Les
stations de tuberculose doivent donc se demander si
elles veulent joU'~r leur avenir sur une seule carte ou
si elles préfèrent, en temps utile, s'ouvrir de nouvelles
possibilif.és ». '
Si cette prévision était exact~, par contre les solutions préconisées ne tenaient pas suflïsamment compte
de l'aspect psychologique du problème. La peu.r de la
tuberculosè était beaucoup plus forte chez les individus
atteints d'autres maladies, même lorsque ces derniers
auraient pu largement bénéficier d'un traitement' D
l'altitude, qu~ chez les bien-portants.
Les événements 'l 'ont prouvé.
Conscient de cett~ situation et absolument convaincu du fait que la très forte diminution du nombre
de nos malades allait s'accentuer encore, prévoyant
aussi la catastrophe économique imminente, il n'était
plus possible d'attendre ni dç suivre les conseils du corps
-lnédical de la station.
L'état de tension dont nous avons parlé atteignit
son paroxisme en automne 1.955, deux camps se formè··
rent, les attentistes d~ beaucoup les plus nombreux et
les « rénovateu.rs » ,c onsidérés comme les fossoyeurs de
situa tions bien établies.
• '1
L'auteur de ce rapport s'était mis à dos tout le corps
Jnédical de la station après vingt années de collaboration
et était violelnment attaqué, jusqU'~ dans la p.resse. Les
autorités communales se rangèrent tout d'abord derrière
lè corps médical tandis que du côté des autorités cantonales nous n'obtenions qu'un tinlide essai de sauver un
établissement de 110 lits, dont l'état était créancier hypothécaire, alors que nous en avions 3.000 en perdition.
Au cours d'une mémorable conférence, convoquée
sur notre demande paJ~ le Conseil d'Etat du Canton de
Vaud, réunissant en décembre 1955 à Lausanne les Professeurs de la faculté dè médecine, le Conseil de santé;
du canton, les dirigeants de la ligue contre la tubercu~
lose, les autorités communal'è s de Leysin et les Directeurs dèS établisselnents financiers, il fut reconnu et
adnlis ;
225
15
�1) qu"al ne fallait pas compter pouvoir à nouveau,
pas plus dans l'immédiat que .dans un proche avenir,
occuper les lits des sanatiriums par des tuberculeux,
plusieurs établissements étant déjà fenllés ou sur le
point de l'être.
2) qu'il ne fallait pas compter non plus s'Ur le plaCelTI'tnt à Leysin d'autres catégories de malades.
Après ces deux constatations qui signaient en fait
l'arrêt de mort pour de nombreux établissements et à
brève échéance celui de la station, la voie était librè
pour envisager et préparer la :c onversion de la station
de cure en une station de tou.risme.
Dès ce lTIOment 1'011 se ll1it à l'ouvrage, un programd'action et un c.ode d'urgence des travaux à entre . .
prendre furènt établis et présentés à rassemblée de la
Société de développement (Office du Tourisme) qui
l'approuva et donna pleins pouvoirs à son comité.
Ille
'.
~.
t2fj
�CHAPITRE III
CONVEHSION EN STATION DE TOURISME
PR~IIEHS RESULTATS
a) Le, bilan
de ce que nous avions à sauver et à1
•
reanlmer.
b) Comment et par quels moyens
but.
atteindr~
notre
Actif : Leysin, seule station d'altitud'~ en Suisse,
avec Davos, qui avait dépassé un million de nuitées
annuelles, avait Ic omme principal atout sa situation climatique fè t panoramique très favorable.
Un équipement « hôtelier » relativement considérable, plus de 3.000 lits, mais dont l'état laissait fort à
désirer,
Un chemin de fer électrique ,relativem~nt moderne
ainsi qu'une bonne route d'accès et un réseau routier
convenable,
.." .!"'-
" ",1
L'eau, le gaz et l'électricité ravitaillant toute la
commune, un commer.ce bien développé mais périclitant,
Une population active d'environ 3.000 âmes, découragés et sceptique, appréhendant de perdre une activité
permanente contre une activité saisonnière encore problématique,
Des investissements taxés fiscalelnent plus de 50
Inillions (Fr. S.).
Passif: Au passif, nous devons inscrire tout d'abord
notre principal handicap soit : l'Etiquette tuberculose
connue du mondè entier, puis l'absence de tout équipelnent touristique et sportif~
';.27
:,"~
... ~"
• fi
�i
Quelques détracteurs, jusqu'au sein des autorités,
L'absence de tout crédit, les étab1issements financiers ayant pour instructions de couper tout crédit à
Leysin en raison de la situation et vu les intérêts arriérés a.ccumulés chez la plupart des débiteurs.
La balance entre l'actif et le passif peut être estimée par ceux qui connaissent les problèmes touristiques,
nous leur laissons le soin de la f.aire. A l'époque, nous
l'estimions plus lourde du côté du passif mais nous
avions la volonté pour triompher, ayant rèlevé le défi
et ne voulant pas assister à la débâcle deceUe station à
laquelle nous avions voué toute notre activité.
r
b) Par quels rn10 yens atteindre notre but.
11 nous est agréable de pouvoir rendre ici un hommage tout particulier à la valeur de la recherche et de
la science touristique et plus spécialèment à l'expert
éminent qu'est le le Professeur Dr. W. Hunziker, président de l'A.l.E.S.T. et vice-président de la Fédération
suisse du Tourism'è.
C'est ·à lui que nous devons d'avoir choisi la solution qui convenait à la situation et d'avoir évité des
er!reurs initiales. C'est aussi grâce à ses relations internationales que nous devons nos premiers succès .
. ,
.... ,
'. '
'.
,
1
De tous côtés l'on nous engageait à changer le nom
de Leysin. Les prophètes ne manquèrent pas qui p.rétendaient que jamais des Suisses connaissant la station
ne monteraient en touristes à Leysin. (Plus de 20.000
sont déjà montés pour séjourner). Le seul qui n'ait pas
hésité un instant fut encore le Profess'è ur Hunziker, « il
ne faut pas voiler la vérité » dit-il et aussi, « le nom de
lJèysin très connu, s'il est un handicap au début sera
un atout par la suite» Nous l'avons suivi et nous avons
bien fait.
Les débuts et la formule
Ayant choisi la formulè du tourisme social et les
yacances falniliales comme activité nouvelle, nous avons
relancé la station de Leysin en réouvrant 'enMai 1956i
226
�1
ie Grand" Hôtel, qui fut le 1pr de la station une se1conde
fois, ~n portant sa capacité de 150 à 250 lits, tous mi~J
à la disposition de la grande agence TOUROPA qui avait
accepté de tenter l'aventure avec nous. Nous avions
fixé d'un commun accord le prix de pension forfaitaire
à 12,50 frs par j our pour la première saison.
,
'·1
üèla a l'air tout simple aujourd'hui; il faut cependant rappeler que la société propriétaire des trois principaux hôtels (sanatoriums) avait obstinément refusé
de nous louer le Grand Hôtel, certaine qu'elle était que
nous allions au dèvant d'un échec .et ne voulant pas
etl'ectuer les travaux les plus u.rgents. La première bataille fut livrée pour obtenir cet hôtel et en avril 1956,
prenant seul l'èS risques nous signons un bail de trois
ans, bail qui fut repris ensuite par Leysintours S.A. que
nous avons fondée le 8 Mai 1956, jour d'arrivée du premier convoi de touristes.
\ .
,j
La première saison fut déjà un succès car dès fin,
juin nous devions ouvrir un deuxièmè hôtel, Le MontBlanc, disposant de 120 lits. La propagande lancée par
- Touropa sous le slogan « MAMAN AU GRAND ROTEL »
avait porté juste. Nous avons ,r eçu cette première s.a ison 2.300 clients de Touropa qui ont totalisé 48.390'
nuitées.
..
. , ...... '1
Le premi'èr pas était franchi et il fallait réaliser
rapidement l'équipement indispensable, nous n'avions
pu construire pour cette première saison qu'un MINIGOLF et deux courts de tennis .
Afin d'êtr~ prêts pour lancer la première saison
d'hiver 1956-57 il fallait construire un téléphérique et
et des téléskis. Un comité d'initiative constitué le 3 Mai
1956 lança une souscription publique et réunit pour le
30 Mai les capitaux nécessaires soit 750.000 fr. les 2/3
en capital actions, 1/3 ~n obligations.
r".
'.
La société du Téléphérique Leysin-Aï Berneuse fondeé le 12 Juillet 1956 réussit le tour de force de construi,re la même année le Téléphériqu~ ainsi que le 1er Téléski Aï-Berneuse qui furent mis en exploitation le 22
Décembre 1956. Il a fallu, on s'en doute, surmonter de
nombreuses difficultés, bousculer des habitudes et lutter
contre les éléments, la neige tombée en quantité - plus
229
�d~un nlètre
en octohre aiors què nos transports de
nlatériel n'étaient pas tenuinés, le chalet ;rèstaurant de
la Berneuse (2.048 m.) pas encore construit.
-7-
~!.
Fort heureusement, nous avions pu tenir nos promesses lèt engagements. Leysintours avait déjà vendu
dès le printemps à Paris et à Londres pour plus d~ '
40.000 fr. d'abonnements au téléphérique, seul moyen
de nous assurer une clientèle pour l~ premier hiver durant lequel nous avons disposé de 1.431 lits.
..
o'
j
" _'0
•
01
Plus de 10.000 touristes ont répondu à notre appel
dont 4.000 environ par le CLUB MEDITERRANEE qui
faisait, avec nous, sa première 'è xpérience des sports
d'hiver; il n'avait orgamsé jusqu'alors que des vacances
d'été. Ce fut un double succès et une précieuse collaboration pour l'avenir. De là est née une collaboration plus'
étroite et plus intense avec le Club Méditerral1née qui
disposè aujourd'hui de 1.100 lits à Leysin et d'envi.ron
2.000 pour toutè la Suisse.
Nous n'avions d'ailleurs p.as limité nos efforts à
la seule construction des moyens de remontées mécaniques, il fallait songer à la deuxième saison d'été et construire une pisciuè olympique, chauffable, en plein air.
Le financement s'avérait beaucoup plus difficile, mais,
à force de démarches et de persuasIon nous avons pu
trouver le demi-million nécess~irè, les travaux commencés en automne 1956 f~urent terminés au printelnp3
1957 et la piscine inaugurée pour la saison d'été .
. t,,'
'1
Grâce à .c es réalisations très rapides, nous avons
pu arrêter l'exode massif des habitants de Leysin -plus de 800 habitants avaient quitté la commune dans
la seule année de 1956 - et rèdonner du courage et de
l'espoir à ceux qui l'avaient perdu.
LèS travaux de réf.ection et de transformation des
sanatoriums en hôtels prirent une telle ampleur, ajoutés
aux COl1st.ructiOl1S touristiques et privées que tous les
corps de métiers sont débordés depuis six ans et malgré
l'arrivée d'lèntreprises de la plaine l'activité artisanale
a pour des années plus de travail qu'elle n'en pourra
accomplir.
Grâce à ce renouveau et à l'essor pris p.a r la station,
nous avons pu intéresser de grand'è s organisations à
230
�(:onstruire des vil1ages de vacances à. Leysin. Le premier'
n été réalisé par l'Union Syndicale Suisse, un deuxième
es t en voie de réalisation par les Mutualités chrétiennes
de Belgique et un troisième est en préparation par la
Caisse suisse de voyages qui a acquIs une importante
parcelle de 70.000 m2 pour construir~ un village de
vacaI1Ces lllodèle. Ces constructions augmenteront le
nombre de lits de plus de 1.200.
L'expérience de Leysin ei la formule utilisée sontelles valables pour d'autres cas, font-eLLes concurrence à
d'alutres stations et sonl-elles économiquement saines ?
1
Voilà des questions qui ont fait le tour des milieux·
professionnels. Il faut d'emblée reconnaître qUè seul le
fuit d'avoir basé notre nouvelle activité sur une offre
de prix très modérés, forf.aitaires aussi bien pour les
hôtels qUç pour les sports, les divertissements et les
cx.cursions, a permis d'obtenir le succès retentissant qui
confond nos nombreux détracteurs.
(Jue notre action porte le nom de « TOURISME
SOCIAL », de « TOURISME ECONOMIQUE » comme
dans l'aviation, ou de « TOURISME FAMILIAL» à prix
modérés, cela n'a qu'une valeur a.c adémique.
Un fait dOluine, Leysin pratique d'une manlere
générale, avec succès, des prix fortement inférieurs à
ceux pratiqués ailleurs; comment cela est-il possible?
,.:
",
0_
i:
• 1
Tout d'abord, le fait d'avoir disposé très rapidement
d'un potentiel d'hébergement important à des conditions
financières favorables,
L'abandon de ce.rtainès méthodes de travail surannées et dispendieuses, la modération dans l'exécution
de travaux de transformation et de rénovation ,
L'adaptation de l'instrument au but ainsi que la
concentration des moyens et dlè l'action,
La .création d'équipes de travail enthousiastes et
disciplinées.
Il est juste de dire aussi que ces conditions ont pu
être réalisées en partie, par le fait que la plupart
nos collaborateurs ont senti le péril qui les menaçait et
de
231
�ont .accepté une nl{Ühode autoritaIre en ce qUI concerne
le .choix d~s moyens.
.
.
Le problème des prix, de la rentabilité.
Nous avons vu que pour réussir nous avons choisi
la voie des p rix modestes, voire bas. Toutes nos entreprises touristiques et hôtdières étant privées, il importait d'assurer leur rentabilité, te e qui est moins facile
lorsque les prix ne laissent qu'une faible marge. Il va
sans dire aussi que pour gagnèr une nombreuse clientèle, il faut également la satisfaire et lui donner de8
produits de qualité. Il faut aussi assurer au personnel
des entreprises quelh~s qu'elles soient" des conditions
de travail équivalentes à .c elles obtenues ailleurs, si non
il n'y a pas de personnel.
;0·
~
Ce dilemne qui
fessionnels leur avait
qu'en moins de dèUX
experts partageaient
~
n'échappe pas aux milieux profait dire, au début de notre action,
ans nous ferions faillite. Certains
C'è t avis.
Ils ne tenaient pas .assez compte du fait que tro.is
clients payant 15 frs valent mieux qu'un seul payant
· ~O frs et qu'il est plus facile de trouVèr 12.000 clients
pouvant payer 15 frs que 4.000 disposés à payer 30 frs.
:
'.:
< '. -.· • •1
(a ....-' ::
·· 1
Nous avons aussi pu démontrer qu'il est possible
d'allonger considérablement la saison et la durée moyenne de séjour en pratiquant des prix mo.dérés. Cela a UD'è
impo.rtance primo.rdiale pour o.btenir une bo.nne rentabilité et c'est aussi une conditio.n pour l'abaissement des
prix. Les résultats de Leysinto.urs publiés chaque
annéè - le prouvent abondamment.
LJ as peel colt!currentiel.
Nous pensons que c'est plutôt cet aspect qui nous
a valu certaines oppositions venant de milieux d'autres
stations. Ici également lèS cr aintifs o.nt eu to.rt et la
statistique fédérale de ces six dernières années démo.ntré
que le mouvement touristique important que no.us avo.ns
créé à Leysin ne s'~st pas fait au détriment des autres
stations. Les quinze principales statio.ns de montagne en
232
�Suisse ont toutes vu leur nuitées augmenter. 'Il est ainsi
prouvé que c'!~st une nouvet[le clientèle qui a permis fi
Leysin de devenir en cinq ans, la cinquième des grandes statioiIls suisses. Nous sommes très heureux de pouvoir le constatèr.
Certains hôteliers nous reprochent f.réquemment de
causer du tort à l'Hôtellerie ;è t de provoquer une baisse
dè qualité ; ils craignent pour la réputation de l'hôtellerie suisse. Nous croyons aussi que sur ce point ils se
trompent et ne se rendent pas assez compte du fait que
les exigences des touristes comme leurs moyens sont
variables et que celui qui ne peut payer qu'un prix
modeste ne recherche pas dès hôtels de 1er classe. Cela
ne veut pas dire qu'ils ne reçoivent pas des prestations
de qualité.
J
:
..
-\
Il ne faut pas confondre qualité 'èt luxe. Qui prétendra que les petites voitures automobiles par exemple
les 4CV. Renault ou les V.W. ne sont pas des produits
d-è qualité ? Elles sont simplement moins luxueuses,
llloins confortables que les grandes voitures, mais beaucoup plus économiques. Nous ne pensons pas que l'essor
-pris par la petite voitu.re ait causé du tort à la rèputation de l'industrie automobile. Pourquoi 'èn serait-il
autrelnent pour l'hôtellerie? Nous connaissons plusieurs
grandes fabriques d'automobiles de renQmmé;e mondiale, spécialisées dans la construction d'è voitures de
haute qualité et de prix élevé, qui n'ont pu échapper à
la faillite qu'en s'û.rÏentant vers la fabrication de petites
voitures économiques. Grâce à C'è ,c hangement de programme et de conception elles ont retrouvé la prospérité et contribué au développement économique de leur
pays. C\~st là un phénoD'lène dû à l'évolution de notre,
époque qui est aussi valable pour le tourisme et 'l'hôtellerie que pour l'industrie.
Il ne faut pas méconnaître que de nombreux hôtels
saisonnièrs, en Suisse comme ailleurs, ont une fréquentation tellement insuffisante, qu'ils ne sont pas normalement rentables et par conséquent pas viablès s'ils
n'évoluent pas et ne s'adaptent pas aux possibilités de la
c1ientèlè. Ils représentent un potentiel d'hébergement
important non utilisé alors que des milliers de personnes ne trouvent pas de logements de vacances adaptés
à leurs moyens.
233
�·Le.'] lalsser I.nutllises esL aussi Çlbsllrde que de brlller des récoltes dans le but d'léviter une baisse des pri:r
alors que des peuples meurent de faim. C'est cèpendant
ce que demandent certains de nos .c ollègues au nom de
la sacro sainte tradition.
UUè autre experlence déllloiltre que notre raisonneluent relatif à l'hôtellerie est aussi valable pour les
entreprises de transport où l'élément fréquence a plus
d'influencè sur la rentabilité que les prix. Le système
que nous avons choisi pour nos remontées mécaniques
comme pour nos excursions en autocars nous permet
d'obtenir de lneilleurs résultats que des entrèprises
similaires dans des stations en vogue pratiquant des
prix élevés.
.;.
Nous avons introduit pour les hôtes de la station
des cart'è s de sport donnant libre accè:5 à toutes les remontées mécaniques, aux patinoires et au service d'autobus. Pour les 'cartes les meilleur mar.ché, 18 fr. par
semaine, l'usage en est limité aux jours ouvrabl~s pour
les relllontées mécaniques, déchargeant ces dernières
pour le dimanche où il y a affluence d~ clients de
l'extérieur. Ces prix sont trois à quatre fois inférieu.rs
à ceux pratiqués pour la selllaine avec dimanche COlllpris dans la station comparée où les installations sont
pourtant très ,c hargées. ~s résultats sont nettement favorables à Leysin parce que nos installations travaillent de manière plus constante durant toute la saison .
~;.
Le tableau 111 qui stuit montre l'évolution du mouuement touristique; bi-saisonnier comparé au mouvement des établissements de cure permanents.
Remarque : Tandis que le tabh~au 11 qui précèdei
indique les nuitées par année de C'alendrier~ le tableau"
lU, le fait par année tOu.ristique, soit du 1cr Mai au 30
Avril, comprenant l'entier des saisons d'été et d'hiver.
2'3~
�Tableâu 3
A. -- Arrivées à
Hôtels et Pensions
Années
Suisses
1955/ 56
1956/57
1957/58
1958/59
1959/60
1960/ 61
Ley~in
1.089
2.196
4.053
5.602
5.875
8.604
Etrangers
Total
1.265
10.406
15.792
17.049
18.925
27A3R
2.354
12.602
19.845
2~.651
24.800
;36.04·2
pendant Iles exercices de HJ55 j 56 à 1960-61
Etablissements de cure
Suisses
874
883
900
721
661
74·6
Ensen1ble de la s latioll
Etrangel's
Total
Suisses
2.057
1.613
1.737
879
6')')
671
2. D31
1.963
3.079
4.953
6.324
6.536
9.350
2.496
2.637
L600
1.233
1.417
Etrangers
3.322
12.0lD
17.529
L7.927
19.547
28.10!)
Tota-t
5.28 '.~,
15.0~h
22.48".;'.
24.251
26. O~~ '.'
37 .It· :)~ ~·
H. _. \fombre de nuitées il Leysin pendant. les exer.cices de 1955-56 à 1960-61
1955/56
'l956/57
1957/58
W58/59
1959/60
1960/61
10.463
17.332
31.125
36.317
44.126
62.232
10.1'72
119.815
160.418
166.745
178.049
272.187
1961162'
!'V
UI .
U'I
.~
Chiffres provisoires estimés.
20.635
L37.147
191.543
203.062
222.175
:334.419
405.000'
. 204.2D3
L65.668
141.529
127,770
L20.434·
391.368
221.338
171.828
101.633
75.388
L08.4R7
G?253
W5.661
387.006 '
3L4.357
22!J,4·03
19'5.822
170.740
155.000'
214.756
183.000
n2.654
164.087
164.560
170.719
401.540
341.153
333.246
278.378
253.437
:33,1-.!t-4·0
G16.2H'Ii.
52·}. 15::;:
505.HOü
4·32.46:-~
417J)<J':
505.15')
560.000"
�.1
CONCLUSIONS
Les conséquences économiques du caractère saisollnier à Leysin.
Les conséquences visibles sont si évidentes qu~elles
sautent aux Y'~ux de tous ceux qui ont connu la station
avant la transformation. Les principales sont : (abstraction faite des créations touristiques).
La réfection de nombreux immeubles négligés depuis de nombreuses années,
L'è commerce loca] revigoré et l'établissement de
nouveaux commerces,
L'artisanat ,c ontinuellement débordé,
L'augmentation énorme du trafic tant par la route
que par le rail,
La construction de nonlbreux chalets de vacances,
L'amélioration dèS routes et de l'éclai.rage public,
création de parcs.
Les conséquences moins visibles
., ·-1
.,
Les trois premières années d~exploitation touristique ont provoqué une augmentation du produit de
l'impôt communal sur le reV'~nu de 40 %.
Le chemin de fer qui accumulait des déficits présente depuis deux ans des bénéfices d'exploitation, amortissements compris, ~t augmente son ntatériel roulant.
Les services Eau" Gaz et Electricité ont augmenté
leurs ventes dans de fortes proportions.
Les banques ont pu reV1~ndre sans perte les immeu~,
hIes qu'elles avaient dû reprendre. La situation des débiteurs s'est ,a ssainie. Le crédit est dè nouveau normal.
Deux bonnes saisons valènt mieux qu'une exploitation
permanente avec des taux d'occupation insuftïsants.
F.
23" .
TISSOT.
�.1
"-1
'i
Présentation des statistiques
touristiques de la Côte d'Azur
En raison dè l'importance nUluérique et de la diversité de sa clientèle, la Côte d'Azur con3titue un passionnant terrain d'étude, pour tous ceux qu'intéressent les
-problèmes techniques du tourisme.
1-.
... • '
~
A la variété de son équipement réceptif J.~épond, en
efIet, une égale variété de sa clientèl~, sous le rapport
des foyers d'origill'è, des motivations et des catégories
socio-économiques, en sorte que nous pouvons y étudier,
parallèlement et simultanément, les problèmes d'offres
et de demandes, dè production et de consommation. A
bien des égards notre .région apparaît comme un champ
d'expérience permanent, en matière de tourisme, parce
qu\~lle doit sans cesse faire face à de nouveaux problèmes, sous l'impulsion d'une clientèle dont les désirs . et
les besoins commandent une constante évolution des
méthodes d'exploitation en même temps qU'Ull'è incessante transformation de l'équipement réceptif et distractif.
Paradoxalement, l'étude de la clientèle touristiquè
de notre région apparaît cependant diflïcile, ceci en
raison de la précarité ou de l'insuffisance de c'è rtaines
des données statistiques dont nous disposons.
Celles-ci, nous le savons, découlent des fiches de
police recueilliès par les services de gendarmerie, et,
237
�certes, ,ce mode de recensement de nos visiteurs ne
prête pas à critique ~n son principe, ni en son application, mais il ne permet pas d'analyser notre clientèle en
profondeur, c'est-à-dire qualitativement et nous en
sommes réduits à des conjectures dès qu'il s'agit d'envisager le niveau économique de nos hôtes, leurs catégories professionnelles, leur psychologie. Cette psychologie, qui est en définitive déterminante, puisqu'elle conditionne précisément la venue des visiteurs dans une
région « touristique » et joue un t.rès grand rôle dans
la politique de propagande menér~ en faveur de cette
région. Par ailleurs, une notion aussi importante que
celle ·de la consonunation, c'est-à-dire l'enregistrement
du nombr~ des nuitées, ne nous est .c onnue que par de
simples sondages touchant un « panel» hôtelier restreint.
- ... -".
Enfin, pour s'en tenir à ce que peuvent nous offl'ir
les statistiques officieUGs, c'est-à-dire un moyen de -jauger le volume brut de notre clientèle, il est de fait que
l'accumulation de leurs chiffres s'OPPOS'è à la claire
translnission des précisions que renferment ceux-ci. Ce
que le mouvement touristique oft·re d'accidèntel y pèse
du Inênle poids que le permanent, et, connne l'on dit,
l'arbre y ca.che le plus souvent la forêt.
. ... -
La recherche des constantes étant à la base de toute
étude obj /Gctive, qu'il s,' agisse de production industrielle,
de consommation ou de fréquentation touristique, il m'est
apparu utile de dégager certaines de celles-ci de la grisaillè des statistiques officielles.
.
,
,
\
L'étude que j"ai réalisée, voici dix n10is, environ,
sous l'égide du C.R.T. et dont quelques exemplai.res vous
ont été relnis, a partieHenlent ;21 bien lllodestement répondu à cette intention.
Partant des statistiques oflïcielles des cinq dernières
années, je n1e suis 'Gfforcé d'en extraire un ensemble de
données de référence et d'indices pondérés perInettun t
de caractériser de façon objective ce qu'était le marché
touristique de la Côte-d'Azur et de mieux mesurer, dans
l'avenir, la nature réelh~ de son évolution. Toutefois,
certaines données économiques essentielles faisant défaut, j'ai simplement dû Ille borner à esquisser un étalonnag~ de la clientèle tde l~ Côte-d'Azur, en consiclérant
<
238
�tou.r à tour chacune des nationalités concourrant à la
fonner, et en tenant compte de leur importanc'e relative,
sous le double rapport :
r~présentants
-
ùu nombre de leurs
;
-
du nombre de nuitées « consommées
11).
La réduction de statistiques par dénombrement à des
indices simples, a pe.nnis, en premi~r lieu, de faire apparaître plus nettement les constantes, jusqu'alors noyées
dans la masse foisonnante des chiffres et d~ dresser un
premier inventaire objectif de notre clientèle touristique.
Les structures élém'~ntaires de celle-ci se sont du même
coup dessinées avec plus de précisions, qu"il s'agisse de
l'échelonnement des séjours mensuels ~n fonction des
nationalités ou des cO'~fficients de fréquentation des stations.
Certes, les la.cunes restent l1onlbreuses, tant en raison
du caractère uniquement quantitatif des statistiques offi-cielles qUè de la nature même de l'objectü' choisi: une
clientèle sans cesse mouvante, de conlposition hétérogène,
subissant l'influence d'épiphénomènes le plus souvent
imprévisibles et par là même irréductibles aux lois statistiques les plus él'é mentaires.
C'est qu'en effet, le tourisme, je ne l'apprendrai ù
se prête malaisément à des travaux exhaustifs.
De par sa nature, il présente toujours une part d'imprécision, une zone d'ombre qui interdisent de tirer de franches conclusions des observations r~cueillies. Il pourrait
être en cela comparable à un produit industriel - disons
un article de grande consommation, - dont le fabricant
ne connaîtrait que par déduction le potentiel d'~ produ ~
tivité d'~ son usine, ignorerait le chiffre exact de sa production, et de surcroît n'aurait que des notions fort incomplètes quant au volume réel de ses ventes - cela
parce que la nature même de l'article produit n'en permettrait pas le contrôle direct et précis au stade de la
production aussi bien que de la distribution.
personu~,
Ce fabricant pourrait tenter d'évaluer le volume réel
de sa production et de la consommation, en se référant à
(les sQndages par stratification, par exemph~, et aux donZ3~
�nées statistiques fragmentaires dont il disposerait. A
défaut d'une certitude, sans doute parviendrait-il par
cette méthode à dégagè.r certaines constantes qui lui permettraient d'apprécier le rendement probable de son entreprise. Mais les résultats authentiqut!s de son exploitation, connus seulement par déduction, lui resteraient
inconnus.
En somme, cet industriel imaginaire disposerait
d'estimations subjectives en lieu et place de bilan, ,~t
fonderait son planning de production sur de simples conjectures. A 50%, il livrerait le sort de son entrepris'~ au
pur hasard, à la chance.
Il en va de même r~n matière de tourisme, parce qU(~
celui-ci demeure en partie un phénomène ir.ra tionnel, je
veux dire incontrôlable, indépendant de la srt!ule volonté
des professionnels : hôteliers, restaurateurs, transporteu.rs, etc ...
Le tourisme reste~n efl'et partiellement soun1Ïs au
hasard, ou, si l'on préfère une comparaison inverse, il
n'est qu'un hasard partiellement domestiqué, qu'il serait
iHusoire de ,c roire définitivèment conquis. Que surviennent des conflits sociaux, des difficultés économiques ou
politiques, que le mauvais temps persiste, et nous voyonf.
le hasard reprendl"è tous ses droits.
Les problèmes d'exploitation, délicats en tous domaines, sont, de C'è fait, particulièrement difficiles à résoudre dans le domaine touristicfue. Alors qu'un industriel
peut contrôler son mar:ché, à tout le moins accroître ou
réduire le volulne de sa p,roduction en fonction du volulue de SèS ventes, les professionnels du tourisme doivent
s'en remettre, dans une très large mesure, à des lois
obscures, défiant toute mesure, qui sont précisément celles du hasard.
"':- ~
'-
Tout~fois, je pense qu'il devrait êt.re possible de réduire davantage la part que tient le hasard dans l'industrie Touristique, précisément, parce qu'au stade d'une
exploitation para-industrielle, rè t nous nous acheminons
vers celle-ci~ une analyse rationnelle du marché est toujours possible. Il conviend.rait donc, partant d'une connaissance relative a.cC'~ptable de la ,c lientèle de la Côte-
240
�d'A~ur de p~~céder à
uJ)e apalyse poussée d~' chacune ~e
ses composantes. Car la c;Lientèle de.la Côte-d'Azur n\:!st
en soi. qu'une abstraction. Elle' se dIversifie en autant de
clientèles que nous disposons dè stations et de modes
d'hébergement, et seule la connaissance précise et objective de chacune de .c'èS clientèles permettrait aux o.rganisations touristiques aussi bien qu'aux professionnels
<fœuvrer rationnellement, d'investir en équipement réceptif rèt distractif ou en propagande en évaluant la rentabilité prévisionnelle de leurs efforts financiers, sans
trop de risques de mécompte. C'est ainsi que le seuil prévisionnel de 68 %, m'è sure gaussienne d'usage constant
dans le domaine industriel, pourrait être pris pour base,
comme je l'ai d'ailleurs fait à titre expérimental, pour
mes études statistiques de notrè région.
"
-,1
•
'!'.,
."j
1
\
Cette étudé devrait en tout premier lieu porter sur
la clientèle propre à chacune dèS catégories d'hôtels de
tourisme, du XXXX LUXE à X, ainsi qu'aux meublés
et aux campings. En même temps que les courbes de fréquentation de chacune de .crèS formes ou catégories d'he-bergemènt seraient dressées, que leurs coefficients d~oc
cup,a tion seraient soigneusement confrontés, l'on pourrait p.rocéder à une étude de chacune des .clientèles régionales françaises et des clièntèles étrangères dans le
cadre d'une catégorie d'établissements déterminée. Ces
données de référence, en même temps qU"èlles approfondiraient notre connaissance du marché touristique
de la Côte-d'Azur, permettraient d'orienter les 'è fforts de
propagande .avec plus d'efficacité. Enfin, une étudeanalyse de nos diverses clientèles sous lè rapport des
catégories socio-économiques et des tranches d'âges devrait permettre de tracer le profil authèntique de « la »
clientèle touristique « Côte-d'Azur ».
Un ensemble de données statistiques et économiques,
tels que les indices de richesse vive des grandes régions
françaises et étrangères dont nous accueillons les visileurs, pourrait venir étayer .ces travaux, qu'il conviendrait de tenir constamment à j our par des sondages
similaires à C'èUX périodiquement effectués par l'I.N.S.
E.E. ou dans un domaine différent, lnais malgré tout
parallèle, par le C.R.E.n.O.C.
Des études complémentaires, portant sur les va.ria241
16
�fions interyenant dans la coMOmmatiori régi()llalè,
pourraient enfin perm~ttre de mesurer plus judicieusement l'apport du tourisme dans l'économie de la Côted'Azur. Et je vois qu'il entre précisément dans les inten...
tions de M. Boyer, Secrétairè Général du Centre d'Etudes
du Tourisme, de suivre cette voie.
A mon sens, une telle étude en profondeur de nos
clièntèles, contribuerait à réduire un peu plus la part
du hasard que renferme Je marché du tourisme et permettrait d'arriver à une certaine normalisation.
A notre époque le processus !èt 'les résultats d'exploitation d'une industrie telle que le Tourisme, D'è
doiven t plus dépendre d'un coup de dé.
c.
.- - ~ 1
• 1
--
'.
-j
,
1
242
.
~
......
TnUBERT
�C. - PROBLÈMES RÉGIONAUX OU NATIONAUX
Fattore stagionale ed evoluzione
della domanda turistica
nelle stazioni italiane
\
Alta stagione, bassa stagiOll'è, doppia stagione sono
tre posizioni tipiche deI rapporto turismo-fattore stagionale.
.• \
1
1
0.1
La espansione verificatasi nel turismo, soprattutto
nell'ultimo de cennio ha influito anche nel dare al fattorè stagionale una cnratterizzazio ne decisamente diversa da quella che aveva in passato fino ad assumere
una importanza deI mtto particolare ai fini delle localizzazioni turistiche.
Gli stessi termini aUa stagione, bassa stagione, doppia stagione in funzioll'è appunto dello sviluppo della
domanda tu.ristica hanno assunto, nel rüerimento aIle
diverse localita, e per quanto si riferisce ai tempi limite in cui risultano compresi, una ben diversa carattèrizzazione dando al mercato turistico una piu' ampia
movimentazione.
FaUore stagionale e sviluppo turistico hanno pertanto assunto caraUeri di maggiore intèrdipendenza
anche sul mercato turistico italiano.
La stessa posizione geografica dell' ltalia, 10 sviluppo delle Sue coste, il particolare ambiente montano
banno poi marçato in maniera piu' odecisa il rapporto
24~
�precitato di inte.rdipendenza tra fattore stagionale e
sviluppo della domanda turistica.
Le posizioni di aUa stagione e l'altra di bas8a 8tagione, nelloro riferimento alla domanda turistica banno
assunto , a seconda delh~ varie stazioni e della loro localizzazione, una ben diversa ampiezza tantoccbe' ad un
prolungamento della stagione aIta ha fatto necessariamente riscontro un conseguente .ridursi deI p'èriodo di
bassa stagione e della stagione morta.
Questo aspetto deI fenomeno e' piu' specifico per le
ZOI1'è littoranee e quindi il fenomeno, per la massima
parte, riguarda le siazioni balneari verso le quali la
domanda si e' indirizzata per soggiorni sempre piu'
lunghi compresi h'ia l'aprile e l"oUobre ed un graduale
migliore distribuirsi della domanda stessa sul periodo
giugno-seUembre pur rimanendo i me si di massinlH
concentrazione e congestione quelli di luglio 'èd agosto
che costituivano, per il passato, proprio per le stazioni
balneari, pressochè' l'unico periodo di maggiore intel'esse dèlla domanda.
E' noto poi che la eOl1centrazione tende a ridurre le
massime punte sul luglio e l'agosto di ma no in ma no
che si sposta verso il Sud doye piu' favorevoli condizioni
elimatieh eeonsentono una piu' lunga stagione balneare
e quindi maggiori possibilita' al distribuirsi della
domanda in modo piü' regolare riducendo le punte massime dei mesi di massÏma ealura.
1
E' da dire che per un turismo di soggiorno nelh~
stazioni deI Iitorale e' quantomai raro .ricorra la possibilita' della ereazione di una doppia stagione (ammenocche' non sussistano situazioni di altra natura dovute
a condizioni ambientali spontanee od organizzatè aUe
a soddisfare una domanda dive.rsa da qU'èlla indirizzata
al furismo balneare).
La doppia stagione e' tipica invece, in prevalenza,
delle stazioni montall'è dove ad una stagione p.ropriamente estiva, per un turismo di soggiorno, si aggiunge,
dove e' possibile pra tieare gli sports della neve, una
sfagione invernallè.
Mentre la stagione estiva vede il concentrarsi della
massÏma domanda nel periodo 1 luglio - 15 agosto. la
0
244
�1
•
,
'
, '
•
staglone invernale gem:~ralnlente vede concentrare la
domanda sul periodo dicembre - febbraio. con estensio
ne, a volte anche al marzo, con punte massime intorno
ane l'rè ste di fine d'anno ; e, per un turismo minore,
(escursionismo) piu' direUamente indirizzato verso un'
attivita' sportiva (la pratica dello sci), i giorni di fine
settimana, sempre nel predeUo periodo, deI sabato 'è
della domenica.
'f
'\
-\
~,
-~
' - ,0,1
Una doppia stagionè turistica si sta pero~ lentamente
crc.ando in virtu' p,roprio deI faUore stagionale, anche
llelle zone rivierasche e lacuali, in virtu' di quella nuova
particolare fonna di turismo chiamato residenziale
prodotto da una domanda rivenrènte da pensionati 0
possidenti stranieri che eleggono la loro dimora in localita' adalte ad un tale genere di turismo ; ed ancora una
domanda sempre in aumento rivenientè da residenti in
centri industriali notorianlente sovrafl'ollati e congestionati, i quali trasferiscono a volte anche la dimora abituale in centri periferici 'è sempre laddove le condizioni
dimatic.he ed ambientali risultano piu' propizie oppure
procurandosi nelle localita' stes se un recapito per il
-,r iposo di fine settimana.
E' chiara Chè il fenomeno della doppia stagione si
svilippèra' maggiormente con il generalizzarsi della
settimana corta risolvendosi, in tai maniera, per alcune
localita', quello che per l'ofl'erta turistica rappresenta
ancor~ un problema di non s'è mplice soluzione. Ma j
problemi che pone la settimana corta hanno un riferiInento solo indireUo col fattore stagionale.
Abbiamo innanzi accennato esservi interdipendenza
tra faUore stagionale Iè sviluppo tuistico.
Il turismo, deve il suo sviluppo e ]a sua evoluzione
a due fatti essenziali e precisamente il miglioramento
dei redditi individuali (cui si .ricollegano per d'è terminate -categorie le non poche provvidenze di carattere
sociale fra cui, in primo luogo, le ferie pagate) re 10
sviluppo verificatosi nei mezzi di trasporto cui fa spicco
la motorizzazione civile.
\
Nel giro di pocbi anni l'ltalia .che nel 1919 annoveraya, 1439 abitanti pe.r autovettura in confronto aIl'
America che nfè aveva 16, nel 1950 risultava avere 110
245
...........
�abÜanÜ pér autoveltura, rapporto ridoHosi, con rlhllO
accelerahssimo, ne! l~bU, a ~~ (America ~ ; Francia 9 ;
Gran Hretagna 9 ; Germania 1~).
Un dato di particolare evidenza ai fini dello sviluppo senza contare di quanto in pari tempo la motorizzazioue SI ç ' venuta accrescendo negli altri Paesi euro pei
Che per tr,a dlzlone, ormai, concorl'ono a c.reare la doluanua sul mercato tUrIstlco itaJiano. Ne' sono stati da
lueno, e' pure ben noto, i lUlglioramenti apportati nei
trasporti ler.roviari e mariUiIui e 10 sviluppo veram'ènte
consl<1erevole che .v iene registrando l'aviazone civile dèi
singoli Paesi.
!
. l'utto cio'lIa portato ad un aumento continuo deHa
domanda tUrIstica e ad un cons~guente aumento dell'
offerta di beni e servizi che si e' dovuta adeguare alla
crescente pressione della domallda ; di conseguenza alla
creazlouè di nuove aree turistiche sempre plU' lontane
daï centri di origine della domanda anche per il saturarsi di quelle preesistenti e de! naturale ampliar si deI
mercato.
.
.
Si e' verificata cosi' una S'~mpre maggiore spinta
dal ~ord verso il Sud e dalle zone deI 1ïto.rale verso
quelle montane sicche' il turismo estivo, in particolare,
si e' evoluto in piu' direzioni ampliando maggiorm~nte
i teulpi di utilizzo dei servizi neUe stazioni ba.1neari, ed
in proporzione anche in quelle lacuali e nelle montan~.
-
,..
~,- .-
,.
,.
Per il turismo invernale una caratlerizzazione com~
si e' detto e' stata data daU' escursionismo Cbè ha prevalso slu turismo di soggiorno ed ha imposto aile localita' presceHe ed adatte a questa fornla di turismo stagionale, la neccesita' di attrezzarsi, con adeguati ID'èZzi,
per soddisfare la crescente domanda.
Al faUore stagionale e' altresi' legata oggi altra
forma di turismo, da quello culturale a qU'dio religioso, .
a quello sanitario ecc. ecc.
Ove piu' Ove mena il fattore stagionale e' determinante per il mercato turistico e 10 e' sia p'èr quanto
concerne la domanda in quanto questa regola la spesa
turistica in relazione al principio deI massimô beneficio
con il minimo mezzo: e 10 e' prè r l'ofl'erta che tende a
246
-~-
. ..
�lrarrc. daliastagione proplzia ogni ntigliore rendimento
azicndale per coprire i eosti anche non 'a pparenti della
hassa stagione e della stagion~ morta.
.{;.
Vediamo piu' da vicino che cosa si e' determinato
nelle stazioni turistiche italiane in relazione appunto al
predetto rapporto faUore stagionale - ~voluzione della
domanda turistiea.
Pel' il passato, e ci riferiamo agli anni che preeedeUero la seconda guer.ra mondiale 0 piu~ precisamente
al p'è riodo intercorrente tra le due guerre, la domanda
turistica risultava concentra ta sulle eitta' d'arte nei
periodi primaverile ed autunnale con una piu' eontratta
domanda nel periodo estivo, quanto mena per l'~ loealizzazioni ,a ll'interno dei Paese.
Un turismo questo delle citta' d'arte a carattere
culturale-.religioso e con massime punte su Venczia, Padova, Firenze, Roma, Napoli e centri
minori dell'ltalia settentrionale e c'e ntrale con eselusioÎle quasi totale delle localita' divenute sueessivamente
note dell' ltalia meridionale ad eccezione di quen~ deI
golfo di Napoli e di aleune della Sieilia.
prevalentem~nte
Le stazioni idrominerali sviluppavano la loro aUivita' nei periodo estivo-autunnale eoncèntrando l'aUivita'
su quelle ben note deI Trentino, deI Veneto, della Toseana, della Campania.
Le stazioni Iaeuali tutte localizzate ll~ll' Halia settentrionale, vedevano concentrata la Ioro attivita' prevalentemente nel periodo propriamente estivo Cè su di un numero limitato di loealita' dei tre maggiori laghi italiani,
Ga.rda, (Benaco), Maggiore (V erbano) Cè di Como (Lario).
Quanto aIle stazioni balneari, la Riviera ligure annoverava diverse loealita' cosi' pure la Riviera toscana,
mentre minori possibilita' offrivano il Lazio e la stessa
Campania che ved'~va concentrata tutta l'attivita' sul
goIfo di Napoli e su quello di Salerno e piu' preeisamente
sulle Riviere sor.rentine ed amalfitana e sull' isola di
Capri.
Delle maggiori isolè soltano la Sicilia ereava un richiamo ,c oncentrato su Taormina mentre la Sardegna eru
2~7
�,
,
,
,
"
,
,
'
pressoche' sconosciuta sulluercato turistico non solo mtel"nazionale ma anche interno.
Sempre pel' le stazioni balnèari sulle sponde orientali la hlVlel:a adnat1ca annoverava alcuni centri nelle
VeneZle ed alcuni ID l~omagnaJ nelle IVlarche, e negli
Abruzzi.
Durante la stagione estiva un richiamo di rilièvo
costitulva tutta la cerclUa alpina per un turismo montano prevalentemente di sogglorno mentre determinate
ben aetInIte locallta' soddlSlacevano una domanda particolarmenre qualuica ta lna pel' un turismo di anco.ra
piu' lImatate proporzioni.
Di scarso rilievo il mercato turistico offerto sia pel'
la stagJ.one estiva che pel' queHa invernale daHe localita'
a Pp'èllllill1Che e p.reappenniniche.
-\
..
Pel' tutte le localita' di rilievo il tempo di permenza
lnedia e' ai ben aiversa ampiezza che non nel periodo
che segue.
N'è gli ultimi dieci anni i due fatti ai quali abbiano
accennato : mlglioramento dei redditi individuati e sviluppo della motorizzazione civile, in particolare, hanno
imposto pur sulle linee tradizionali un illdirizzo nuovo
al turismo.
Alle cor.renti internatzionali di provenienza prevalèntemente Nord-Centro Europa alla' ricerca di sole e
deI mare mediterraneo si e' aggiunto un accresciuto
movimento interno dovuto ad una piu' allargata base
di classi partecipanti al movimento turistico pel' ave.re
insel'ito nei propri bilanci il capitolo viaggi e vacafiZlè
come una spesa ormai necessaria, inlposta, piu, che da
una moda, dalla ,necessita' di un riposo conseguente al
continuo, piu' acc'e lerato ritmo di vita.
Ne hanno beneficiato in primo luogo ,h~ stazioni
costiere dell' Adriatico le quali nel pe.riodo 1.953-60 hanno visto l'indice dei pernottamenti sulla base 1953, satire
p'e r i connazionati a 2,40 e pel' gli stranÎ'èri a 6,32; il
piu' elevato indice registrato pel' tutte le stazioni. .
. Le ragioni sono da ricercare nel faUore climatico
che a~sicura un lungo periododi buona ,stagione cio'chrè
248
�éonsente agi! operatorl turlsti.d dirip:artll~e plu f agevoiluente i costi aziendali e praticare prezzi e tariffe piu'
bassi che non in altre zonè. A cio' si 'aggiunge" per le
stazioni della Riviera adriatica un retroterra che forllisce nella stagione che si prolunga, come accennato,
daH'aprile all'ottobre, prodoUi dell'agricoltura in abbondanza ed a buoni prezzi.
Da tuUo cio' il richiamo notèvole di turisti, prevalentemente appartenenti a ceti medi.
Seulpre in relazione al fattore stagionale le stazioni
balneari della Riviera ligure, della Toscana, deI L~zio
c della Campania, esercitano un richiamo che trova
pero; alcune limitazioni in piu' alti costi e quindi
richiama una piu' selezionata .clientela con phi' elevate
possibilita'mèdie di spesa.
'.
,Minore sviluppo registrato lè stazioni monta ne dove
il fattore stagionale esercita una sua influenza anche se
per diverse stazioni la doppia stagione, costituita da!
periodo invernale, integra il' .ridolto periodo della sta,gione estiva e le alternanze deI clima molto piu' avvertite Chè nelle zone dellitorale.
Le stazioni lacuali, in quanto localizzate quasi tutte
nell' Al"co alpino risentono, sia pure in minore misura
delle situaziolli che, ampiezza della stagione e clima,
provocano per le stazioni montaue.
~
",
1
., ~ 1
Lè stazioni idrominerali .risentono meno deI fattore
climatico in quanto tale, ma subiscono l'andamento della
domanda che indirizza le sue seeIte prevalentemente
nella buona stagione.
Le citta'
d~arte
in cui si sviluppa un turismo con
caratteristich~ tutte a se' stanti dovrebbero almeno appa-
.
'
rentemente figurare meno influenzilte 'dal faUore stagionale ; al contrario e' sempre nei periodi estivo ed autunnalè che tale fonnadi turismo si sviluppa ; durante la
stagione estiva poi si ricollega al turismo .di circuito cui
proprio da" luogo il turismo di soggiorno e di cura nelle
varie stazioni.
Allo scopo di rendere piu' evidenti le posizioni deI
tu.rismo nell~ varie stazioni che sono st~,te raggruppatè
teriendo cont9 della funzione dellev~rie Jocalita' e della
249
�posÎzione geografica, si e; \'oluta dOCuHlentarè questa
breve comunicazione di alcune tavole in cui sono state
raggruppate le -permaneze per gruppi di stazioni negli
anni daI1953 a11960 (tav. 1) f~ calcolati, tenendo distinti
gli italiani dagli stranieri, gli indici di variazione per i
singoli anni deI precitato periodo (tav. 2).
Le stazioni sono state considera te sempre le stesse
a partire dalla base 1953. (n. 192)'.
-~
Cio', spiega la diffGrenza con i dati esposti nella
tav. 3 in cui e' stato indicato il totale movimento dei forestieri nell'anno 1960 comprendendo questa volta tutte
le stazioni piu' importanti (n. 260) cui fariferimento la
statistica ufficiaie e .che rapprGsentano, quanto a presenze, il 64 % circa dell' intero movimento dei forestie..ri
che a nostro avviso puo' heu essere cousiderato 'Gffettivamente turistico, quanto meno turistico, a notevole
preva.}enza.
Le tav. 4 e 5 pOUgollO in evidenza, attraV'Grso le cifre
percentuali e le permanenze medie l'importanza d ei
vari gruppi. Di particolare rilievo le p;G rmanenze nled h-~
registrate dagli esercizi extralberghieri (vedi montana e
zone balneari).
Le cifre sono eloquenti. Come si e' deUo al fine dello
sviluppo delle stazioni il faUore stagionale e' veramente
determinante.
La tendenza, almello p'Gr quanto concerne le stazioni italiane, e' di piu' deciso sviluppo in tutte le zoue
costière con una continua spinta alla creazione di nuove
a,l'ee al Sud e neUe iso}~ che presenta no vaste possibilita'.
La montagna continua e continuera' ad esercitare
una sua particolare attrazione ma con piu' lento svilup-:
po sulle stesse are~ gia' affermatesi e con limita ta espansione su nuove.
Piu' decisa invece si presenta tutta la valorizzazione
di stazioni invernali in dipendenza di una particolare
domanda solo indirettamenh~ legata ad un turismo di
soggiorno.
E' da .considerare ad ogni buon conto ché nello studio dei fenomeno turistico il fattore stagionale va considerato ~d attentamente considerato soprattutto allo
250
�scopo di 'è vÜare InterventÎ che s010 apparentemente pos~
sono sembrare produttivi per zone che invece non deterluinano una attrazione proprio perche' i faUori climatici
non sono deI tutto favorevoli.
A questo fine e' Vèramellte deglla di rilievo l'iniziativa che il Centro per gli studi sul Turismo den'Univer~
sita' di Aix-Marseille si e' assunta promuovendo un
coHoquio scientifico a livello internazionale .che traUa
proprio d'dIe conseguenze economiche deI carattere
stagionale deI fenorneno turistico.
Professeur Giuseppe CARONE.
l'rento (Italia), aprile 1962
.1
'1
~:
1
"
251 .
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~.~,-~,
Tav.
j
PEANOTTAMENTI REGISTRATI IN n. 192 STAZIONI ITALIANE NEL PERIODO 1953·1960
~
Stazioni
GRUPPI
DI
STAZIONI
1953
1954
1955
1956
1957
1958
1959
1960
ITALIANI
15
32
17
27
7
18
lS
24
10
10
CitU.' il' arte
Stazioni ldrominerali
Stazioni lacuali
Riviera liiUre
Spi&g&e toscane, Lazio
C&IDIlania, Calabria. Sicil ia e Sardegna
Splagke- adrlatiche
Alpi e prealpi pi~ntesi
Alpi e prealpi lombarde
Alpi tridentine
Alpi e prealpi venete
Appellnini e preapllennini
3. t1l..153
'1.6148 •.772
810.512
G. 853. 446
2.337.813
932.231
7.192.170
1.226.334
1. 341. 982
3.276.483
1. 470. 806
768.432
4.198.449
4.933.952
786.005
7.153.381
2.368.990
1. 064. 826
7.748.728
969.409
1. 047. 035
2.866.324
1. 300. 777
703.360
4.244.096
5.067.707
709.411
8.288.501
2.586.373
1.277.410
8.787.425
1.'101. 012
1.078,253
2.919.519
1.445.997
720,330
4.076.030
5.149.618
772.225
8.202.093
2.947.007
1.323.401
9.780.566
1.109.528
-987.413
2.780.4'61
1. 367.868
587. 2~1
3.832.048
4.836.242
703.151
7.381.279
3.107.983
1.053.269
9.652.840
1. 040 ••568
.436.625'
1. 924. 271
1. 159.337
721. 022
4.690.279
5.260.932
806.769
7.812.794
3.486.725
1.108.503
13.900.118
1.270.377
1.598.149
3.037.492
1. 908, 868
1. 063. 557
4.908.355
6.077.748
840.217
8.631.047
3.846.450
1.049.907
14.927.017
1.294.006
.939.244
3.762.149
2.348.679
1. 059. 948
5.004.946
5.883.811
933.4Sl.i
9. 7S5. 047
3.924.7!3
912.256
17.291.944
1. 3!Hi. 07:)
2.065.947
3.178.032
2.1&5.6'17
1. 008. ~ 5 5
3.716.553
951.947
1. 2G8. 479
3.990.813
872.564
804.264
5.769.413
132.532
6.483
1.481.915
209.056
12. 088
3.695.935
1.191.035
1.413.328
4.1'2.2!i7
916.624
6'14.847
C. 172.932
137.428
10.075
1.672.580
210.714
13.681
4. 09a. 170
1.040.369
1. 427. 979
4.066. :>28
192
STRANIER:
15
32
17
27
8
18
15
9
24
10
10
192
Citb' d' ute
Stazioni idroUltlllaral i
stazioni lacuali
R.i viera ligure
SpiBill:e toscane, Laziu
Cwnpania, Calabria, Sieili" e Sardel:ua
Spiagge adriatiche
Alpl-e prealpi piemontesi
Alpi e prealp1 lombarde
Alpi tridentine
Alpi e prealpi venete
Appennini e preappennini
2.309.078'
387.975
846.472
1. 853.256
242.401
579.773
1. 110.358
81.783
8.998
549.662
108.292
8.887
2.466·075
505.879
878.48g
2.221. 925
282.259
578.195
1. 569. 637
78.100
9.614
720.440
127.120
&.310
2.574.571
575.65'1
1.133 . 121
3.161. 589
366.261
739.171
2.531. 669
103,032
12.372
986.745
189.447
9.413
2.154.374
663.114
1. 179.770
3.071.086
441.033
749.889
3.192.699
114.676
11.527
1. 138.937
189.691
8.500
3.161. 614
755.642
1. 296. 848
3.235.350
568.955
761. 964
3.726.459
145 . 194
6.&44
1. 309. 265
160.181
15.817
915. 5~3
82::1.582
7.020. C93
155.697
8.870
1. 738. (79
224: 3~3
12.296
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Tall.2
PEANOTTAM'ENTI 'R€GISTRATI IN N.192 STAZIONI ITALIANE NU PERIODO 1953·1960
Indict di svililppo •
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Stllzioni
GItUPPl
DI
1954
1953
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1953 : 1
1957
1956
1955
1958
1959
1
1960
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15
Ci tta' d' arte
1.00
1,00 . 1.35
1.07
1,36
1,11
1.31
1.19
1,23
1.37
1.51
1,61
1.58
1.60
1.61
1.77
32
Stazionl IdrolllineraU
1,00
1,00
1.06
1,30
1,09
1,48
1,11
1,71
1,04
1,95
1,13
2.45
1.31
3,07
, 1.27
2,58
17
Stazioni 1 e.cuali
1.00
1.00
0,97
1,04
0,88
1,34
0,95
1,39
0,87
1,53
0,99
1,50 , 1.04
1,61
1,15
1.69
27
Ri viera ligure
1,00
1.00
1,04
1, 20
1,21
1,71
1,20
1,66
1,08
1,75
1,14
2,15
1.26
2.~5
1,43
2,19:
7
Spiagge toscane, Lazio
1. 00
1,00
1,01
1,16
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1,26
1,~2
1,33
2,35
1,49
3,60
1,65
4,03
1,68 '3 ,78
8
Campanta, Calabria, Sicilia e Sardeg"a
1,00
1.00
1,14
1.00
1,37
1,27
1,42
1,29
1,13
1,31
1,19
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1,13
1,46
0,98
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18
Spiagce adriatiche '
1,00
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1,34
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15
Alpi e preal"i pielDonteai
1,00
1,00
0,79
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0,90
1,26
0,90
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1,,06
1.611
1,14 .1,90
Alpi e prealpi lOlllbarde
1,00
1,00
0,78
1,07
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1,37
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1,28
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0,73
1,19
0,;72
0,70
1,12
1,54
0.99
24
Alpi tridentine ,
1,00
1,00
0,87
1,31
0,89
1,80
'0,85
2,07
0,59
2,38
0,93
2,70
1,15, 3,04
0,97
3,16
10
Alpi e prealpi venete
1,00
1,00
0,88
1,17
0,98
1,75'
0,93
1,75
0,79
1,48
1,30
1,93
1,60
1,95
1.49
2,07
10
Appennlni e pret\J:)l!ennini
1,00
1,00
0,92
0,94
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0,76
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0.94
1,78: 1,38
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STAZIONI
Citte.' d' arte
6tazlonl ldrœlnerall
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IUviera 11l11re
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C~anla, calabria. Siellia e Sardesna
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Alpi • pr8&lp1 lollbarde
Alpi tridentlne
Alp1 e prealpi venete
Appennini e preeppennini
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AItri Cl)mUni
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101.908
298.291
608.61'7
86.573
27.883
239.946
130.731
136.496
4. !'93,743
8.526.551
J3. ~20. m
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787,125
5.240.512
612.535
212.021
1.282.1151
810.410
5211.337
23.025.311
24.330.768
4,. • • ••
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presenze
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1.561.984
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2.492.777
:1l.091
361.328
220.641
7.432.092
138.991
3.665.831
17.257
319.537
480.331
12.493.950
29.471
1.011.815
37.117
1.960.656
67.695
2.336.670
811.043
2.477.189
52.7411
1.248.356
J. tat.lU
37.369.168
521.890
10.938.787
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6. SO~. 761
6. 243. ~4O
1. 072. 061l
10.314.461
4.578.971
1.106. ~62
n. 734. 462
1.624.350
2. 172.6i7
3.619.327
3.287.659
1.777.863
60.394, ~!l3
35.269.553
2.377.398
686.562
243.395
675.535
240.899
315.548
1.088.938
116.051
64.999
307.641
216. 77~
189. 24~
S. 4U.an
9.055.441
J5 . 4711. 326
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as
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260
Citta' d'.rte
Rtazionl ldroeinerall
Staz10ni }acuali
1I1~1era a,lure
SpillC!!8 toscIID8, Lezio
C~anl... Calabria, RieU iA e
~f~~~ep~~l;ti~~:montesl
1. 643.166
~rdeina
Alpi 0 prealp1 IOlllbarde
Alpi tridmtln~
Alp1 e preelp1 ' vencte
AppcM1n1 e preBj)pehnlnl
Totale .uieade Auto_ di C. 8. T.
Al tr1 eomunl
Totale ItaUa
105.650
362.934
424.381
73.815
206.618
.96.105
26 •.672
3.133
350.234
73.746
1:1.424
3. 1'1"1'.878
3.252.14'1
7. 0341. 019
3.934.433
172.193
1.236: 1112
2.879.584
806.567
842.18t
5.081.11t
151.011
. 8.4111
1.3i8.5711
193.305
33.S5
17. ".023
9.977.854
27.1«1. 111
94.164
136.245
42.329
20.718
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37.1173
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33.423
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2.826.062
106.156
2.521.891
53.242
1.256.682
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43. 8:0. 929
1,153. :>00
14.192.965
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14.672.851
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2.134. $38
24.835.547
1.792. 325
2.183.413
5.457.289
3.525.666
1. 819.704
700.493
1.236.161
357.043
542. 882
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68.987
728.512
309.633
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12.931.1192
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1:12 :135 8jl4
1
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MOVIMENTO DEI fORESTIERl NELL'ANNO 1960 IN ITALIA
CON PARTICOLARE RIFERIMENTO A n. 260 STAZIONI
Dislribuzione pucentuale
Esercizi
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Esercizi
alberghieri
Stazaoni
22
37
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31
9
14
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260
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GRUPPI
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STAZI01l1
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Stazioni idroillinerai i
Stazioni lacuali
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Spiagge adrlaticbe
Alpi e prealpl piellOntesi
Alpi e prealpi lombarde
Alpi tridentine
Alpi e prealpi venete
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Totale AziaMIe Aa~ di C, II. T.
Altri conui
Totale rtaUa
arrivi
presenze
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8,80
4,45
9,11
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12, J9
1.73
D,56
4,81
2,62
2,73
22,73
16,29
3,08
12,78
3,97
3,42
22,76
2,66
0,92
S,57
3,52
2,30
36.94
48.62
63,06
51.38
arrivi
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ITALIANI
4,20
9,13
10,30
1,48
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2,60
4,74
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27.01
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presenze
6,67
0,97
19.89
9,81
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33,43
2.71
5,25
6,25
6,63
3.34
37,01
9,13
3,79
10,52
3,75
4,91
16,95
1.81
l,Dl
4,79
3,38
2,95
17.36
41.50
22.64
58.50
36. 87
100. 00
JOO,08
100,00
11 , 26
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17,18
7,58
1,83
29,37
2, 69
3,60
5,99
5,44
2.94
63.13
100.00
100.00
43,49
2.80
9,61
11,23
1.95
5,47
13,13
0,71
0,08
9,27
1, 93
0,33
22.89
5.08
7,19
16,75
3.53
4.90
29,56
0. 88
0, 05
7,85
1,12
0,20
29.32
2,66
10,96
15,86
4.93
2,41
22,68
0,46
0,10
8,22
2,34
0,06
15.87
3.16
8.03
22, 69
5.98
2.97
32,31
0,27
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63,27
:17.91
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36,08
100,00
100, 00
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22
37
21
31
9
14
25
19
12
29
17
24
260
Citta' d'srte
Stazioni idrollinerali
StaziOIIi lacuali
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Spiagge toscane, LazlO
Campan!a. calabria, Sicilia e sarde",a
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Alpi e prealpi lombarde
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.
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14
25
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12
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260
Citta' d'arte
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Spiagge toscane, Lazio
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Alpi e prealpi 10tllbarde
Alpi tridentine
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Appennini e preappennini
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0,13
46,26
46,73
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6:1.77
34,23
100,00
100,00
180.00
180,110
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22
37
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31
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12,59
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1,70
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57.32
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22,80
11,50·
4,84
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3,78
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25,67
1,00
0.55
6,54
2,49
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53,96
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1110,110
40.87
2,77
9.86
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2,50
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0, 66
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9,08
2,00
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18.34
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0, OS
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1,01
0,18
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16,71
7,43
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15,60
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29,50
1,46
1,66
6,05
4,64
2,33
66,49
5,87
6.17
1,98
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9,26
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33,27
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4,50
6,~
5,78
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33,51
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100,00
38,63
6,46
6,33
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3,23
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16,09
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100,00
13,99
8,72
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6,63
2,5S
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MOVIMENTO DEI fORESTIERI NELL'ANNO 1960 IN ITALIA
CON PARTICOLARE RIfERIMENTO A n. 260 STAZIONI
Perllf4ltenze medie
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GRUPPI
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STAZIONI
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Citta' d'arte
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Stazioni lacua.1i
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Spiagge toscane. Lazio
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Campania, Calabria, SieHia e sardegna
Spiagge adriatiehe
Alpi e prealpi _piemontesi
Alpi e prealpi lombarde
Alpi tridentine
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Appennini e preappeonini
2,33
8,54
3,20
6,47
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ITALIANI
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19,01
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16,29
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15,17
9,39
260
Totale Aziende AutOl104!lC
Altri Comuni
Totale Jtalia
4,61
2,85
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9,40
3,89
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12
29
17
24
260
Ci tta' d'arte
Stazioni idroallneral i
Stazioni 1 &cuali
Riviera ligure
Spiagge toscane, Lazio
Campania, Calabria, Sieilia e Sardegna
spiagge adnatiche
Al pl e prealpl piemolltesl
Alpi e prealpi lombarde
Alpi tridentine
Alpi e prealpi venetc
Appennini e preappcnnini
Totale Al.iende AutonoMe'li C,S.T,
A!tri Comuni
Totale Halia
2,39
8,26
3,41
6,79
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260
Cl tta' d' nrte
Stazloni idromlOera li
Staziani lacuali
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Spiagge toscane, LazlO
Campania, Calabria. fieil ia e Sardegna
Spiagge adriatiehe
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Altri COlllUnl
Totale ltalia
2,36
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3,33
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11,39
9,00
7,58
3,75
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250
:".~
-.
�Caractères saisonniers
du Tourisme Alpin;
,
,
.
ses consequences economlques
et humaines
Je voudrais tout d'abord m'excuser à l'avance du
cara'c tère un peu sommaire dè ma communication. En
réalité deux spécialistes des questions touristiques alpines, qui viennent d'a,c hever des thèses de doctorat consacrées au tourism'è auraient du assister à ce congrès et
présenter eux-mêmes leurs conclusions. En leur absence,
M. Boyer m'a demandé à la dernière minute de combler
cette lacune. Je le fais volontiers ,c ar les Alpes et la Côte
sont deux régions un peu 'complémentaires sur le plan
touristique, et qui, loin d'être concurrentes, sont susceptibles de s'épauler, à condition précisément d'étudier lè
fait touristique avec méthode dans chacune des deux
régions.
\
Il paraît indispensable de rappeler brièvem'ènt
l'évolution du tourisme alpin pour bien comprendre les
caractères saisonniers actuels, et. leurs conséquenc'è s
économiques et démographiques.
1. -
L.'EVOLUTION DU TOURISME ALPIN.
On peut distinguer en s-chématisant beaucoup, trois
grandes phases dans l'histoire du tourisme alpin jusqu"èn 1946 ;
257
17
�-
la belle époque jusqu'en 1914.
-
une période indécise et de stagnation de 1920 à
1930.
un tournant de 1930 à 1940.
Jusqu'en 1914, le tourisme est un tourisme aristocratique avôc une prédominance très nette de la saison
d'été. Il débute avec l'alpinisme (.région de Chamonix)
à la fin du 18m c siècle, s'intensifie au cours du 19mc siècle
avec la conquête de tous les grands sommets alpins dans
le massif du Mont-Blanc, la Vanoise et le Pelvoux. Au
cours de ce mêlnè 1ge siècle, une autre forme apparaît,
le t'he.rmalisme, avec les grandes stations dè la bordure
des Alpes (Aix-les-Bains, Evian) et d2 l'intérieur (Allé-yard, Challes, Brides, Uriage, Saint-Gervais, 'è te ... ). A
la fin du 19m c siècle, le séjour d'été apparaît soit dans les
stations d'alpinisme, soit dans de nouvelles stations
comme Villard-de-Lans, stations de bord du lac d'Annecy ou du Léman.
1
.
1
Le tourisme dè la belle époque est caractérisé par
l'existence d'hôtels et de palaces spacieux adaptés aux
longs séj ours et à une clientèle aisée et mênle .riche, par
une saison couri'è (ujillet~août), par une clientèle au
fort pourcentage d'étrangers, spécialemènt d'Anglais. A
ce moment là les Alpes complètent la Côte dans le temps
(été), dans l'espace et pour l'infrastructure (propriétaires d'hôtds à Nice - Evian, Nice - Aix-les-Bains, Nice Chamonix).
wIais pour les Alpes, durant toute cette période, le
tourisme n'est pas adapté à l'économie générale. D'une
part, il est très localisé. D"autre part, il correspond à la
pleinè saison agricole et ne peut pas absorber l'excédent
de main-d'œuvre qui est un ex.cèdent d'hiver. Enfin,
cette époque correspond aux débuts de la Houille Blanche et dè l'industrialisation des grandes vallées qui réclament également beaucoup de main d"œuvre pendant
l'été, lors de l'abondance des kilowatts. Il contribue à
a,c centuer le déséquiIibrè saisonnier entre un hiver languissant et un été où toutes les activités ont lieu en
même temps. Il cont.ribue également à accentuer le déséquilibrè régional, entre les Alpes du Nord et les Alpes
du Sud, entre vallées et montagnes, et .c'èci aux dépens
~58
�de la montagne (les principales stations n'étant pas, sauf
'pour l'alpinisme, typiquement montagnardes). Le tourisme n'a donc nulh:~ment empêché un exode rural massif - perte dè 50 à 70 % de la population rurale - . La
belle époque p,rend fin en 1914, et de 1920 à 1930, le
tourisme alpin connaît une période de stagnation, même
de régression 'dans certains cas (clientèle étrangère déjà
moins nombreuse). Les palaces sont 'èll difficulté - les
sports d'hiver débutent à peine.
De 1930 à 1940, nous assistons à un tournant, à un
véritable début de révolution dans l'histoire du tourisme
alpin. Trois faits y contribuent : la généralisation des
sports d'hiver (lanc'è ment du Revard, de Megève, Villardde-Lans, l'Alpe d'Huez, Chamonix). Le deuxième fait est
le développement de l'automobile et l'aménagem'è nt
des grands routes des Alpes (Galibier, Iseran) qui font
des Alpes un traj'è t touristique pour .aller sur la Côtt!
qui dès cette époque troque sa vocation hivernale pour
une uoca~ion estivale. Le troisième fait, sont les congés
payés de 1936 qui introduisent la clientèle populaire et
-le tourisme de masse. Aussi, dès cette époque se dessine
une triple vocation, hivernale, circuits touristiqruc.-;,
séjour d'été, ceci pour une clientèle moyenne ou modeste. L~après guerre donnera une prépondérance absolue
aux sports d'hiV'èr et au tourisme hivernal.
~
'~
.
.~,..
"
.
~
....
,
~.
'
.
Venons en donc au tourisn1e actu~l et voyons quds
sont ses caractères saisonniers avec !rS conséquenc(\s
économiques et démographiques.
~
_R."
1
II. '.
LE TOURISME ACTUEL.
On peut distinguer aujourd'hui quatrè types de stations dans les Alpes.
1 0 - Les stations relais qui vivent du passage et
qui sont pla,cées sur les grands axes de circulation, qui
sont le plus souvent dans les villes et qui souffrènt assez
peu du déséquilibre saisonnier, et le plus souvent sont
épaulées par d'autres activités.
Exemples : Briançon; Gap; Digne; Grenoble ;
Chambéry; Bourg - d'Oisans; Bourg - Saint-Mauric'è ;
~{outjerst
2~9
�On peut admettre qu'entre les stations de sports
d'hiver, le commerce local et les circuits d'été, l'hôtellerie y est viablè. Le Tourisme ,a pporte un appoint substantiel à J'économie.
.~:.
1,''''
,
•
.
:c '.. '. ' .•
~
1
.... ','
'1
~
~o _
Les stations de séjour d'été ou thermales sont
actuellement les plus mal adaptées, et je ne citerai à
l'appui qu'un eX'è mple, celui de la station thermale
d'Allevard. La forte saison ne dure que du 10 juin à la
fin Août. Le nombre des curistes (12500 personnes pour
toute la saison, curistes et familles), leur cara'ctère modeste, ne permettent ni des investissem'è nts hôteliers appréciables, ni des équipements collectifs.- Les commer'ces et les artisans ont des difficultés pour subsister pendant les 9 mois de saison creuse. Beaucoup d'hôteliers
sont des étrangers au pays qui ont des hôtels ailleurs
(Maroc). Le tourisme d'été n'a donc empêché ni le déclin
dè l'agriculture, ni l'exode, ni le déclin et le vieillissement de la population. La région rurale a perdu 70% de
ses habitants depuis le maximunl démographique de la
deuxième moitié du 1ge siècle. Allevard même, a vu sa
population passer de 3.200 habitants en 1881 à 2.515 en
1954, soit un:è diminution de 21 %. Cette perte s'est accompagnée d'un vieillissement puisque les + de 60 ans
forment 19,8% de la population, et l'indice de vieillesse
+ 60
- - - - est de 0,62 alors que dans les Alpes du Nord,
- 20
les communes situées au-dessous de 700 m. (Allevard est
à 460 m.) n'ont qu'un indice de 0,52. La station ne
constitue ni un marché pour l'agriculteur local, ni une
ofl'rè d'emplois, à cause de son caractère trop saisonnier
et trop estival, et tous les hôtels sont en difl'iculté sauf
les hôtels de 3me catégorie. Cet exemple pourrait être
généralisé à toutes les stations de caractèrè uniquement
estival. Même Chamonix aurait connu le même destin
sans le secours des sports d'hiver .
•1
3. - Les stations de spo.rls d'hiu'er sont actuellement
plus favorisées. D',a bord en général, la saison d'hiver
est plus longue (4 mois et plus dans l'ensemble, 5 ·à 6 à
Val d'Isère, Chamonix). Il existe certes, un afflux ft
Noël et à Pâques l11ais de nloins en moins de creux en
h~s
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j alù,ier. La clièntèle est pius riche et en tout cas d~pense
davantage (jours plus courts). Les stations sont mieux
adaptées à l'économie alpine (bon équipement hôtelier, 4
hôtels 4 étoiles à l'Alpe d'Huez, autant à Val d'Isère).
Elles peuvent fournir une activité complémentairè, utiliser les paysans (moniteurs, employés de remontées
mécaniques) pendant la morte saison. Elles ne tuent pas
forcém'è ut l'agriculture qui est estivale (Mégève compte
encore un bon nombre de paysans" et exploite encorè ses
alpages, .ce qui n'est plus le cas de Chamonix, de même
à Val d'Isère 'è t Tignes) ~ Elles peuvent même être un
Inarché pour cette agriculture. Sur le plan démographique, comme elles sont plus montagna.rdes d'une part, le
tourisme freine l'exode typiquemènt montagnavd, et
d'autre part, elles peuvent même provoquer une immigration ascendante (CouJ'lchevèl, Tignes, Val d'Isère,
etc ... ). 11 en résulte un raj eunissement de la population,
à la fois sur le plan de la structure, et d',a utre part sur
le plan psychologique. A C'è t égard, l'exemple de Mégève
est tout à fait significatif. La population autochtone (nés
à Megève) ne constitue plus que 47 % de la population,
-la population active de 15 à 64 ans, constitue un fort
pour.c entage 64,84 % de la population totalè, et les plus
de 65 ans, 8,75 % seulement. Pour ce qui concerne les
catégories socio-professionnelles, les agricultèurs forInent encore près de 30 % de la population active alors
qu'ils ne constituent pas 10 % dans le Val de Chamonix
tout entière L'âge moyen des exploitants agricoles est de
4.6 ans à Megève, de 55 ans à Chamonix. Tous les alpages
de Megève sont exploités et l'élevage bovin y est de bonne qualité.
Il~st vrai que Megève est en train de devenir une
station à double saison.
4° -
Les stations à double saison.
lilles tendent à devenir la règle dans les Alpes, avec
une prédominance d'été ou d'hiver - mais la saison
cr~use tend à disparaître (par exemple du 15 octobre au
1er décembre à Chamonix, et du 15 mai au 15 juin). De
même à Villard-de-Lans, on ne compte guère que Mai,
octobre et novembre comme saison vraiment creuse. A
peu près toutes les stations nouvelles de sports d'hiver
261
�(Alpe d~I-Îuez, Courchevèl, Val d;Isère), font une courie
saison d'été en raison de l'altitude, mais qui leur permet
de tourner, et la plupart des anciennes stations estivales
font des efforts pour s'équiper dè remontées mécaniques
(Exemple dè Pralognan). .
Entre un grand nombre, Chamonix et Villard de Lans,
sont des exemples d'une réussite de stations à deux
saisons.
,1
-1
V illard-de-Lans dans le Vercors a trois corde~ à son
arc -- les sports d'hiver (3 mois) le séjour d'été (3 mois)
et le climatisme (maisons d'enfants) dont bénéficient les
artisans, les commerçants et même les hôtèliers (visite
des familles) en permanence. Aussi le Vercors septentrional a-t-il bénéficié d'un véritable renOUVèau démog.raphique et économique. De 1926 à 1954, le Vercors
septentrional .a enregistré un excédent de naissances,
1023, un excédent d'immigration de 531 habitants
(exemple unique dans les Alpes, pour une région de
moyenne montagne) Pendant le lnême temps, on
assIstait à un regroupèment des exploitations, à une r énovaLÏon de l'élevage, grâce à la diminution mais non
au vieillissement de la population rurale. Celle-ci forme
encore 49 % de la population .activè dans des exploitations rurales de dimension viable (150 exploitations à
Villard-de-Lans de + de 20 ha). Les taux de natalité
sont supérieurs à la moyenne françaiS'è et la structure
nettement plus fèune. Villard-de-Lans passait de 1.631
habitants en 1926, à 2.655 en 1954, soit un accroissement
de 62 %, vingt-huit hôtels dont trois à 3 étoiles, t.rente
et une maisons d"ènfants.
Chamonix est un autre exemple de stations qui évolue vers la double saison, mais pendant longtemps la
saison d'été a été écrasante, d'où un déclin agricole et.
démogr.aphique (vidllissement) ; mais depuis 1946, si
la supériorité de la fréquentation estivale reste écrasante, une saison d'hiver la double. (35.000 cartes postales expédiées à Chamonix le 16 avril) 2.000 à 3.000 perSOnll'èS font chaque jour la Vallée Blanche pendant les
vacances de Pâques. Tournant décisif en 1956 : La Flégère, Aiguille du Midi, Grands Montets, (projet). AussÏ
262
�i\e compie~t-on pius à Chamonix que 40 % de natifs
de la commune sur les listes électoralès. Sur le plan démographique on assiste à un raj eunissement de la population et sur le plan économique à une expansion sans
précédent gravitant 'è ntièrement autour du tourisme (le
prix du terrain a passé de 1.000 fr. le m 2 en 1956 à 8.000
trancs en 1962 (aux abords). Les hôtels de luxe en déclin
entre 1920 et 1940, et vendus en appartèment, apparaissent aujourd'hui comme une nouvelle nécessité (reconstruction du Casino, du Savoie pa.r Rotschild).
CONCLUSION
Ainsi, en un siècle les Alp'èS touristiques ont considérablement évolué. A une clientèle d'été .riche, faite
d'Anglais, d'alpinistes et de curistes jusqu'en 1914, a
succédé entre les deux guerres une clientèle moyenne
encore à prépondérance d'élé faisant des séjours beau
_coup moins longs. Le tourisme loin d'être une panacée
universelle n'a ni empêché l'èxode, ni aidé puissamluent l'économie.
'
Actuellement, les ,c hoses sont en train de changér
et de changer très vitè. Envisageons l'avenir de ces
changements et les suggestions possibles sur le plan
alpin et sur le plan Sud-Est.
...
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SUR LE PLAN A LP],N.
1 0 - Actuellement, les stations de sports d'hivèr, si
elles ne sont pas la panacée universelle [psychologiqueluent certaines régions auront des difficultés à s"adaph~r
(Haute-Mau.rienne) et les conditions naturelles ne sont
pas partout favorables (Alpes du Sud occidentales, Préalpes], peuvent être considéréès comme le salut pour
l'économie alpine et pour la démographie. Elles sont
un l'emède .contre l'exode, et peuvent éviter le déclin de
l'agricultur~, et être complèmentai.res sur le plan régional des grandes vallées industrielles. Les skieurs français sont aujourd'hui 1 million, ils seront 5 millions en
197~, est de plus en plus il y a une clientèle d'hiver
qui prend du r-èpos sans faire du ski.
263
�·Il n;y a pour elles qU;Ull problèlue d't.~quipenlèlli
et d'infrastructure. On envisage la reconstruction d'hôtels
de luxe (Chamonix).
2° - Les stations typiquement 'è stivales deviennent
de moins en moins nombreuses, et doivent s'adapter soit
.aux sports d'hiver, soit trouver une nouvelle formule
de tourismè populaire familial si elles ne veulent pas
disparaître. Elles se trouvent directement en concurrence avec la Côte et moins favorisées.
3° La haute montagne intérieure est la plus favori-
sée.
4° - La cltèntèle étrangère a diminué et est à
reconquérir.
SUR LE PLAN DIU SUD-EST.
Les Alpes peuvent être complémentaire de la Côte ..
La clientèle qui fréquente Courchevèl, l'Alpe d'Huez,
Val d'Isère est aussi celle qui fréquente la Côte soit en
été soit au printemps. Aussi, je p'èflse qu'une étude
systématique de la clientèle des stations de sports d~hi
ver (âgè, condition sociale, etc ..) menée en étroite collaboration avec la Côte devrait permettre :
L
1 0) une complémentarité plus systématique
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2°) un équiprè ment plus rationnel ;
3°) une reconquête de la clientèle étrangère, phénomène si nécessaire au moment de notre entrée dans
lè marché commun.
Précisément à notre époque, on ne peut pas songer
à une politique touristique de clocher, mais à une politique régionale, la ' région étant prise au SêllS le plus
large : ici, tout le Slld~st.
Madame
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VEYRET.
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TOURISME SAISONNIER
ET THÉORIE ÉCONOMIQ!lE.
LE PROBLÈME DE L'ÉTALEMENT
DES CONGÉS
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Les caractères généraux
de la consommation touristique
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Dans l'économie générale comme dans le tourisme,
les phénomènes de consommation ont été relégués
pendant longtemps, au deuxième ou troisième rang des
préoccupations des chercheurs. Ce délaissement s\~xpli
que historiquement par l'essor spectaculaire qu'a pris
la producBon industrielle au cours des 19me ~t 20'ne
siècles ainsi que par l'attention qu'à toujou.rs évoqué,
dans la pensée économique, le rôle des échanges. Dès
lors, la première approche scientifique du tourisme s\~st
logiquement opérée au travers de la balance des paiements. En effet, des mercantilistes britanniques; tels qu~
Thomas Mun, .relevaient déjà l'influence favorable des
dépenses fait~s par les voyageurs étrangers, cet apport
d'or et de monnaies qui échappait à l'observation des
officiers de douane de Sa Maj esté britannique étant
donné son caractère « invisible » (1). Une nouvelle
impulsion à la découv~rte du tourisme est née dans la
révolution des transports et notamment par la construction des chemins de fer au 19° siècle. Le déplacement
étant un élément constitutif du phénomène touristique
- dont il marque le début et la fin - l~s avantages
(1)
Conf. Ogilvie F. W., The Tourist Movement, London 1933.
261'
..... -:~ • "1
�immenses du chemin de fer sur ia diligence venaient
nécèssairement bouleverser et généraliser la pratique
des voyages d',a grément. Inversement ces derniers venaient grossir le trafic-voyag~urs du rail. Il n'est donc
pas étonnant que dans une série de pays les chemins de
fer aient été les premiers à inaugurer, par leu.rs agenc'ès
à l'étranger, une action systématique de publicité touristique.
. i
-.
.-
Balance des paiements, transports - cdte double
approche du tourisme ne touchait que le circuit monétaire et les bases techniques du phénomène. Les motifs
'è t les conditions de participation à ce mouvement de
lnasse, le tourisme élément humain et facteur de consommation, restaient toujours à déterminer. A tel point,
que Ba:dou'i n a encore pu écrire en 1949 : « La construction d~s usines, l'apparition des nouveaux moyens de
transport, le lancement des banques et des g.rands magasins ont bouleversé la société et retenu l'attention des
chercheurs. Par contre, l'art dè boire et de manger n'a
guère progressé depuis Brillat Savarin. » (2).
Prise d e conscience de la consommation.
Il ne nous appartient pas d'étudier ici l'évolution qui
a permis à la consommation d'obtenir droit de cité dans
la scÏ!ènce économique au point d'en devenir aujourd'hui la clé de voûte (3). Tout au plus voulons nous distinguer trois courants impo.rtants susceptibles d'expliquer ce changement de l'optique économique:
- enmacro-économie, le mécanisme d'è la forInation et de l'utilisation du revenu national a de plus en
plus été mis en avant. Dans cet ordre d'idées, la corrélation entre le niV'èau global du revenu et l'ampleur des
dépenses de consommation, la fonction de consomma-
(2) Badouin Robert, L'élasticité de la demande des .biens de consommation, Librairie Armand Colin. p. 5.
(3) Rappelons le mot de Keynes: « Consumption - to repeat the
Obvious - is the sole end and objetc of all cccnomic act ivity ».
268
�tion, sert de dénominateur commun. A son tour, Keynes
avait établi, sous la notion de la propension marginale
à consommer, le rapport ~èntre l'augmentation du revenu
et l'augmentation de la dépense qu'il provoque. De nouvelles théories, comme celle du circuit économique,
donnaient tout leur poids aux dépenses de consommation dont elles faisaient le point de départ du p.rocessus
économique.
- empiriquement, l'élasticité d'è certaines dépenses
de consommation par rapport aux échelles différentes
du revenu individuel a frappé l'imagination d'ès économistes. Nous rappelons les lois d'Engel relatives à l'alimentation, à l'habitation et à l'habillement. De nos jours,
l'observation des budgets familiaux, faite par les Offices
de statistiquès nationaux, permet de déceler la structure
des dépenses de consommation.
1
1
- enfin, sous l'impulsion du progrès social, la
politique économique a découvert le « dernier » consommateur et s~efforcè, bon gré mal gré, de lui donner satis-faction. Bien que la masse amorphe des consommateurs
ait beaucoup de peine à s'organiser 'è t à s'affirmer dans
les options à prendre par les Gouvernements, certains
groupemènts, tels les coopératives de consommation ou
les usagers de la route (Touring Clubs, Automobile
Clubs) ont pu s'imposer dans les domaines d'activité
respectifs.
L'offre et la deman.de touristiques.
L'entrée en lice de la consommation s'est également
fait sentir dans le tourisme. A la longue, l'existenC'è d'un
Inarché touristique ne pouvait être nié. Si l'offre de hiens
et de services touristiques, grâc'è à l'ampleur d'investissements qu'engendraient l'industrie « des étrangers », a
principalement retenu l'attèntion, les ca.ractéristiques
de la dema,llide ont été relevées à leur tour. Il est vrai
que l'on ne se souciait guère des conditions socio-économiqU'ès qui étaient à l'origine du besoin d'aller ailleurs,
et qui nourrissaient le désir d'évasion. C'est la demande
effective de biens et services tou.ristiques qu'il importait
alors dé çonnaître.
2i9
�Deux ~aractéristiq~2s de la demande touristique ont
d'emblée été dégagées :
J
-.
..
. S011 élasticité aussi bien par rapport au revenu
individuel qu~au prix des biens et services touristiques.
En effet, les résultats statistiqu2s et les expériences dont
nous disposons permettent de con.C'lure que l'élasticité
ùe la demande touristique est supérieure à 1. Cett~
thèse a été douloureusement confirmée dans les périodes
ùe guerre et de crise économique aux cours desquelles
le tourisme était le p.remier à pâtir, son recul fut singulièrement plus sensible que celui de l'activité économique en général. En r~vanche, le « boom» actuel a décelé .
une expansion non plus proportionnelle, mais progressive du mouvement touristique par rapport à l'accroissement du taux d'o.ccupation de réconomie générale.
La sensibilité ma.rqué~ de la demande aux fluctuations économiques s'explique par le fait que le tourisme
s'apparente aux biens et se.rvices de confort, sinon de
luxe - aux dép'~nses plus ou moins « ostentatoires »,
ùe la « conspicuous consumption » dans le langage angIa-saxon. Toutefois, il faut se mettre en garde contre
l'idée d'une expansion quasi ilIinlÎtée de la demandè
touristique, contre un optimisllle sans borne. La sllbstitution joue également vis-à-vis des biens et S'~rvices
touristiques qui se t.rouvent être en compétition surtout
avec les biens de consommation durables, t21s que l'équip~ment ménager, postes de télévision, bijoux, voitu.res
(two cars family), villas, etc. A ce propos, ~fenges (4) a
démontré que dans certains pays l'augmentation du revenu national, à longue échéance, était supérieure à
l'accroissement des dépenses touristiques ;
--:- son caractère saisonnier, le fait bien connu que
la demand2 touristique se manifeste pendant certaines
périodes de l'année. L'exploitation et le rendement de
l'équipement touristique s'en trouve singulièrem'~nt
compliqués et alourdis. L'allongement des saisons touristiques permettant une lltilisation plus rationnelle des
(4) Menges Günter, Die touristische Konsumfunktion
1924-1957. Festschrift für Prof. W, aun~ :ker , B~rn 195~ ,
270
Deu t~chlanQ ~
�hôtds, des transports ainsi que l'équipement des 5taHons, il est judicieux que l'action .le concernant· soit au
centre de nos préoccupations.
Vers une théorie de la consommation touristique.
~
Les réflexions que nous venons d~ faire seront susceptibles de mettre en relief la demande effective d!~s
biens et services touristiques, mais en~s ne donnent pas
d'explication suffisante des raisons qui président à la
consommation touristique, cette dernière prenant corps
au travers de la demande potentielle de voyages.
Dans une étude publiée après la guerre (5), nous
avons essayé d'analyser les éléments constitutifs de la
consommation. Ils sont au nombre de quatre:
- le rClvenu individuel. Pour voyager, il faut de
l'argent et dans une quantité qui dépasse le minimum
vital. Ainsi, la participation au tourisme est fonction du
.r evenu individuel. Comment ,c e dernier est-il utilisé,
qU'ds sont les critères de la consommation? LFl théorie
subjective de la valeur, le marginalisme, nous donne
une première réponse. Elle consiste à .choisir et à consommer des biens et sèrvices touristiques si le prix de
ces derniers procure une utilité marginale maximum.
Réponse bien abstraite, il est vrai, qui néglige les fact~urs irrationnels dont l'influence sur la choix du consommateur ne peut être sous-estimée.
- le patrimoine Œil passé (legacy of the past). Le
nomadisme· est de l'humanité de tous les temps. Un
atavisme qui peut être assimilé aux archétypes formulés dans la théorie de G. C. Jung. Ainsi, le désir d'évasion, le départ pour la grande aventure, la curiosité de
(5) Kra/pl Kurt, Der touristisçhe Konsum. ;Berne 1949 (version fran-
çaise en
prépara~on).
211
�coùna~tre: de .noUveaux horizons relient les ' voyageurs
des temps mythologiques aux pérégrinations dèS foules
d'aujourd'hui. En c.hacun de nous sommeille, à des degrés divers, le voyageur ou l'aventurier, qui tend à
s'extérioriser.
- le
milieu social. L'utilisation du rèvenu est conditionnée par la stratification sociale, par le milieu et
l'habitat dans lesquels vit le touriste potentiel. Les choix
que font ies consommateurs, à chaque instant dè leur
vie, . ne répondent n~ au seul caJcul thp.Jrique de l'utilité
Ip.a.rginale ni 'à 'un hasard aveug!e. L'appartenanr:e à
u':le couche 's ociale donnéç {;Iigendr,~ une échelle de valeurs, implique un ordre (le priorite qui se ·traduj~ent
par un cahon adéquat des dépenses de consommation.
Crès dernières obéissent, en d'atlt.r(s termes. â fetat
d'âme .collectif et aux aspira~~':1l1s des diférentes couches
de la population, à ce . régulateur que les Amél'icains
appelent standard ,de ,vie (standard . of living) (6). On y
t,rouve, en étrangè cohabitation l'instinct grégaire, visible d~ns la mode, et le besoin de distinction, le « snoh
appeal ».
,'1
Or, ' si le tOu.rislne s'était toujours inscrit dans le
standard de vie de couches les plus ékvées de la population ce qui lui c'onférait un caractère aristocratique,
voir eféodal, 10ut au long du l8e et 1ge siècles, ce même
luouvement migratoire a ' successivem'è nt saisi, depuis
lors, ên partant du sommet, le milieu et la base de la
l)yramide des ;revenus. Ce passagé ' vè-r,s ' le bas marque
une étape décisive ·dan~ l'histoire du tourisme. En consacrant une partie du revenu disponible pour les 'biens d'è
confort et de luxe aux voyages d'agrément, les couches
nloyennes de la .p opulation, auxquellès se joignent de
plus en 'plus les travailleurs:, :oO't 'permis au tourisme de
devenir. un phénomène de ·masse. Ce processus continue
(6) Kyrk Hazel, A Theory of Consumption, Boston and New
York. 1923, d ~finit le standard of living comme su~ t : « scale of
preferences, h lt:r arc.hy of interests, code or plan for mat~dal living
which direct s our expenditure into certain chànnels and satisfies our
sense of propriety and decency as to a mode of living » (p. 10).
272
�toujours 'è t fait présager, au travers du standard de vie,
une augmentation constante du nombre de touristes.
~!
.•
~- ~
~
\
- La publicité touristique, à son tour, incite aux
déplacements, soit sous le couvert d'information, soit en
suggérant d'utiliser une partie toujours plus grande du
r'ève.n u individuel pour les voyages et les vacances.
L'engouement pour le tourisme trouve ainsi un concours
psychologique de premier ordre. Il n'est pas étonnant
que le moyen de publicité le plus 'èft"ectif soit la recommandation personnelle, la propagande « de bouche à
oreille ». (7).
-\
Le comportement des touristes dans la ,dépense.
Une fois donné le montant
affecté au tourisme
dans le cadre du budget individuel ou familial, il est
-intéressant de connaître lè modus operandi, c'est-à-dire
les habitudes et préfére,nces des touristes. Ici encore
nous nous tenons à quelques exemplès concrets
il existe sans doute une tendance vers un degré
plus élevé de confort et de luxe dans les voy.ages et
vacances malgré l'attrait qu'exerce le retour à la nature,
la vie primitive que satisfont certaines formes modèrnes du tourisme (camping, caravaning, village de tente).
La prospérité économique actuelle a eu comme corollairè une augmentation sensible des budgets de vacances. Celle-ci permet non seulement à un nombre croissant de personnes de partir en vacances deux ou plusieurs fois dans Ull'è même année, mais aussi de dépenser davantage au cours de ces déplacements. La préférenée des hôtels plus confortables, donc plus chers, ressort du tableau suivant que nous avons établi pour 1a
Suisse: .
(7 ) Une étude conduite pendant la saison d'été 1961 à Lucerne a
révélé que non moins de 35 % des tourist es interviewés ont déclaré avoir
choisi cette staLon grâ( e à l ~ récommendation de parents et d'amis.
273
18
�Nuitées dans les hôtels groupés selon les prix pratiqués.
(en milliers de nuitées)
\
-
Au cou.rs de la période 1937-1960 un changement
important dans la fréquentation des différentes catégories d'hôtels est int~rvenu en Suisse. Si les quatre groupes d'établissements à prix Inodique totalisaient, en 1937,
non moins de 80 % de l'ensemble des nuitées, leur quo tepart :~st descendue, en 1960, à 51 .%. En revanche, l'attraction des hôtels de catégorie supérieure à augmenté
dans la mênle p.roportion. Il est vrai que le passage de
certains hôtels d'une ·c atégorie inférieur~ à la .catégorie
supérieure dans la période d'observation s'oppose à
une :comparaison exacte des taux d'occupation respectifs. Toujours est-il que 1~ tableau montre une préférence nettelnent plus marquée du confort et du luxe,
aussi bien du côté des clients suisses qu'étrangers. En
d'autres termes, l'élasticité d~s prix des prestations
hôtelières én Suisse a sensiblelnent diIninué de 1937 à
1960 ;
- une tendance analogue se nlanifeste dans h~
choix ùes lieux de destination touristique. Ici, nous assistons à l'éloignem ent progressif du touriste de sa résidence habituelle, la barriè.re « distan.ce » qui s'était mise à
travers les voyages trop périphériques, perd de plus en
plus son emprise. Les frontières nationales n'effraient
plus les touristes, jamais on a vu de telles foules rayonner dans toute l'Eu.rope. Le flux le plus spectaculaire
s'oriente du Nord au Sud, à travers les Alpés, en direction de la Méditerranée, une véritable « route de soleil ».
Cette extension de J'orbite touristique est due, d"abord~
274
�à l'augmentation générale des revenus et au dépasseJnent touj ours plus fréquent du minimum vital touristique, en dessous duquel la participation régulière il
factivité touristique est exclue. Mais de façon plus incisive les nouveaux moyens de transports ont favorisé
l'éclatement des voyages touristiques dans l'espace :
l'automobile, servant de moyen de locomotion individuel
ainsi que collectif, l'avion - aussi bien dans le service
régulier que sur demande (charter). Il serait toutefois
erroné de croire que les moyens de transports traditionnels aient abdiqué. Le .c hemin de fer s'est modernisé et
assure toujours le transport de masses à des conditions
particulièremènt favorable; à son tour, le bateau n'a pas
dit son dernier mot dans le tourisme - nous renvoyons
à la vogue des croisières maritimes.
!
1
1
Conclusion.
1
En définitive, le développement de la consommation
touristique ne revêt pas le caractère rigide d'un processus dialectique. Les changements intervenus ne s'opèrent
pas au travers du remplacement radical de vieilles
structures par de nouvelles, de J'abandon total de formes
traditionnelles au profit de conceptions plus mode,rnes.
Au contraire, l'expérience nous montre que les nouvelles
classes, dans leur consommation touristique, se laissent
guider par les habitudes des couches touristiquement
« développées» et qu'elles adoptent les préférences 'èt
le « know how » de celles-ci. Notre suj et n'a donc rien
de .révolutionnaire, il dévoile plutôt l'image d'une syn- thèse, d'une amalgamation des voyages classiques avec
les moyens matériels et la technique d'aujourd'hui.
K. KRAPF .
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�Une enquête de consommation
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tounstlque salsonnlere
Le Centre d'Enseignement Touristique de Nice a
procédé, sur le plan local, à une enquête de consommation touristique saisonnière. Il n'est sans doute pas inutile d' ~n définir d'abord l'esprit, la méthode et les moda. lités d'exécution.
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L'expression enquête de consommation, dans le
domaine qui nous occupe', ne semble avoir de sens que
dans la mesure ou en~ rassure l'enquêteur en lui donnant . l'impression qu'il se trouve dans les conditions
objectives des mesures des courants de marchandises
effectivem'~nt consollunables et qu'il peut s'appuyer sur
les méthodes éprouvées des enquêtes commerciales.
C'est sans doute par analogie avec celles-ci que l'on !l
~ntrepris les mesures touristiques soit au départ (stade
de la production), soit durant le transit (stade du transport) soit au niveau de l'hébergement (stad'~ du stockage).
sait combien .ces critères sont incertains. Ils sont
n'e Uement décevants lorsqu'on S~ propose d'évaluer la
clientèle de la saison d'hiver à Nice, et surtout d'en
analyser la composition. Elle ne parait pas suffisamment 'nombreuse et s~s origines géographiques sont trop
dispersées pour qu'il soit possible de l'étudier au départ.
Pour les mêmes raisons, eU~ ne produit pas dans les
modes de transport de modifications caractéristiques.
Quant au recensement par les fiches d'hébergement
déj à bien insuffisant en soi, ~s résultats apparaissent
en partie douteux lorsqu'on considère l'activité des
t
On
277
n.,:.
-.:III •
.-.v-
•. "
�agences de location ou de vente d"-appartelllenfs, ie développemènt de la ,c onstruction à usage résidentiel qui,
en diX ans, est parvenu à modifier l'aspect même de la
fameuse Promenade. Il resterait à mesurer les variations dè consommation, lnais ce sont précisément ces
mois creux qui servent de base à l'appréciation des
pOIntes touristiques.
L'enquête que nous vous présentons procède du
principe de l'étude directe dè la clientèle sur le lieu et
au moment où le touriste satisfait le désir qui l'a poussé à se dépla.cer. La clientèle d~hiver niçoise nous a paru
se prêter particulièremènt bien à cette étude. En effet,
le lieu de consommation touristique est nettement délimité : c'est la Promenade des Anglais entre le Ruhl 'è t
le Negresco et les cafés qui la bordent dans ce secteur.
Le moment S-è définit tout aussi nettement selon la hauteur du soleil : de 10 h. 30 à 16 heures environ, déduction faite des deux heures du déjeuner.
:
A condition de choisir une période où n'intèrvienne
aucun appel touristique perturbateur (vacances, fêtes,
.congrès importants), on peut p.rétendre isoler à l'état
pur le séjour climatique d'hiver. Evidemment, il Ilè
pourra s'agir que d'un échantillonnage, mais on peul
penser que la notion ne s'applique pas entièrement à
cette entrèprise. En effet :
.a) c'est le touriste, cette fois., -qui se définit lui-même
ès qualité, puisque l'enquêteur va le surp.rendre pour
ainsi dire en flagrant délit.
. .
b) l'espac'è à couvrir est relativement faible et grâce à nos quarante élèves-enquêteurs, il a paru possible
d'interroger en 1 journée tous les « usagers » de la
Promenade .
,
"j
• 1
c) enfin, si l'on considère l'évaluation d'è la fré··
quentation pour janvier 1961 établie à 32.248 par Monsieur Trubert et si l'on admet que Janvier 1962 ne présente pas un important coefficient de variation, il faut
convenir que lèS 1.442 personnes que nous ayons interrogées, constituant près de 2% du total mensuel, dépm~~
sent le niveau de . l'échantillon classique.
278
-o.
�tette entreprise niest ~videlnmerü possibl~ ql~e jorsque les facteurs suivants se trouvent réunis :
- lieu et moment d'attraction touristique définis
t't concentrés,
-- un group~ d'enquêteurs suffisamment nnportant et un nombre de touristes assez réduit pour que
Popération puisse être rapidement achevée.
Le questionnaire que nous avons proposé a été voulu simple et l~éduit. Il s'est organisé à partir dèS intenüons suivantes :
a) Caractérisation géographique et sociale
origine : Département ou Pays,
profession actuelle.
.\
Cette dernière question était essi~ntiellement desti·
née à obtenir une idée concernant la proportion des retraités et des rentiers. C'est dev~nu un lieu trop comInunde définir par ces deux seuls éléments la clientèle
-d'hiver, non seulement de Nice, mais d'è toute la Côte.
Or, en parcourant la Promenade, si l'on se défend de
toute prévention, on observe, à côté d'un nombre iInportant il est vrai de p'è rsonnes âgées, un contingent remarquable de gens d'âge moyen et mêm<! de touristes jeunes.
Il n'est pas non plus inutile de noter que la .retrait'è est
de moins en moins fonction de l'âge et que retraite ne
signifie pas toujours forcément cessation d'activité.
t
1.
b) Evaluation des rôlès de deux éléments primordiaux de l'équipement touristique :
N~
le moyen de
transport utilisé pour arriver à
.
.
le mode de logement.
Notre intention, par cette dèrnière question, était
de mettre en évidence l'apport de clientèle dû à ce
qu'on appelle le tourislne résidentièl. Le phénomène, OIl
le sait, est assez nouveau. Il n'est, d'ailleurs, pas propre
ù Nice ou à la Côte. Son existence et son développ'~ment
prévisibles risquent de fausser les données statistiques
279
�LlahÜeb à partir des sour ces ciasslques. 'A défaut J iuu
denoinbremènt administratif, il nous a paru qu'il était
pusslDle d'en apprécIer l'importance.
(kl
c) Une recherche de motivation et une évaluation
proj et de dépense :
-
pour quelle raison êtes-vous Vènu à NICE ?
- pouvez-vous nous dire le montant de la SOllline
que vous réservez à ce séj our '?
.1
.1
Ces deux questions sont directes. On obje.ctera
qu"dies le sont trop au nom de cette «stratégie du
desir » qui tait, à propos de chaque élément de l'enquete une psychanalyse serrée du pauvre consommateur. l~on, lè tOUrIste ne nous paraît pas si inconscient
de ses <iésirs et lèS foreurs d'âmes semblent parfois bien
.u.eSlJ.'eux de taire valoir leur profession ! U'ailleurs, le
tait de se trouver sur la Promenade des Anglais, dans
une chaise longue, loin dè chez soi, à une heure enso.;
iel11ée d 'hiver, constitue en soi une réponse à la première questIon. Aussi bien, ce n 'est pas tellement la motivatIon climatiquè que nous voulIons évaluer que, par
discrnnination, l'importance et la nature des attraits
seconas : paysage, équipement .récréatif, intérêt culturel. ..
• <-'
'1
En ce qui concerne les proj ets de dépense, la question peut paraîtrè naïve. En fait, si elle est correctement posée, s'il est souligné de façon suffisamment convaincante que la réponse ne fera que s'inserrer dans
une série statistique, il est permis dè penser que le tou.l'iste s'exprimera avec sincérité. Cette sincérité pourra,
dans une certaine mesure, être ,c ontrôlée, d'une part" par
la proportion dè ceux qui ne voudront pas répondre;
d'autre part, par la distribution des séries.
d) La huitième question n'entre pas entièrement
dans le cadre de ce colloque. Elle relève d'une préoccupation proprè à l'option« Accueil » du Centre d'Enseignement Touristique. Il s'agit de participer à la mise en
valeur régionale par la commercialisation de nouveaux
facteurs touristiques sous la forme de projets de visites
ou d"èxéursions. Le circuit d'art moderne qui vous est
280
�;
.
(
l'
·1
, i
v
:"
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'
"
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.": "
"
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" - '
.,'
1
•
of'ferl ie il Mai, à ~i~ aÎnsi entIèrement mis au point
par nos élèves et sera guidé par eux. Cependant, cette
question peut ne pas être sans intérêt pour cette réunion
si nous la considérons sous rangh~ des attractions offertes par la saiSon d"hiver. Il semble que l'on admette bien
facilement le principe selon lequel, à notre époque, la
clientèle d'hiv~r se divise naturellement en deux groupes : l'un jeune, actü et même sportif puisqu'H va dans
les stations dites de sports d'hiver, l'autre passif et poussif qui relève de la chaise longue et du parasol. Si l'on
v~ut redonner son prestige à la vie de saison, il faut
d'abord procéder à une analyse de ce dernier groupe,
promouvoir pour lui des attractions actives : visites,
excursions, itinéraires de promenade dans l'arrièrepays ... Il faut considérer enfin qu'~ nous sommes dans
un des rares domaines où les deux formes d'occupation
des loisirs d'hiver, loin d'être concurrentielles, peuvent
être associées.
L'exécution d'~ cètte enquête n'a été possible que
grâce à la participation de nos élèves, à leur nombre,
.à leur formation, à leur connaissance des , langues
étrangères. Dans l'opération elle-même, nous avons
cependant éprouvé une difficulté qu'il 'è st utile de signaler. C'est la date du jeudi 25 janvier que nous avions
choisie pour notre travail comme suffisamment éloigriée
à la fois de Noël et de Carnaval. En fait cet après-midi
a vu la t~mpérature se rafraîchir et le soleil se voiler,
la clientèle de la PrOlnenade en a été d'autant diminué
et nous avons dû pou.rsuivre l'enquête le samedi et le
dimanche suivant. Nous ne pensons pas, toutefois, que
l'apport de week-end ait pu sensibh~ment altérer les résultats.
-!I
,
281
�. 1
H. -,. HESlfLTA'fS
Ces réserves faites, voici quelles sout les premIeres
conclusions que l'on peut tirer d'è l'enquête :
1 - Composition de la clientêle : (1) Origine.
Tableau n° 1
Origine de la clienlële
Etats
-.
é '~rangers
Pourcentage de
l'effectif total
soumis à 1'enquê'~e
Belgique
Grandè-Bretagne
Etats-Unis
ltalie
Allemagne
Suisse
Pays-Bas ~
Etats d'Aluérique Latine
Etats Africains
Canada
U. R. S. S.
Turquie
Etats Ibériques
Autriche
Luxem~ourg
, '" .
ft"'.;;.-
28,85
21
12,45
7,37
5,90
5,41
4,91
3,11
3,11
1,80
1,47
1,31
1,14
1,00
0,65
0,32
0,16
25
2:2
2,0
1,3
1~3
0,76
0,62
0,55
0,48
0,41
0,27
0:07
Total étranger
..... ' ...
12,2
8,2
5,2
3,1
013
AustralIe
Viet-Nam
' '''. ,
Pourcentage de
l'effectif
étranger
42,3
100
1
Tableau n° 2
Origine de .la clientêle nationale
Régions françaises
Paris et Région Parisienne
Est et Centre-Est
RhÔUê, Alpes, Jura
Nord
Midi Méditerranéen
Centre
Normandie
Bretagne et Centre-Ouest
Vallée de ]a Loire
Aquitaine
Algérie
Pourcentage de
l'effectif total
soumis à l'enquête
Pourcentage de
l'effectif
national
24,2
42,06
12,74
9,62
8,41
5,78
4,68
4,44
4,32
3
2,40
2,52
7,3
5,5
4,8
33
2:7
2,5
2,4
1,7
1,3
1,4
57,7
282
. -100
�ëes premiers tabieaux nlontr~nt que Nice, ou du
moins la Promenade des Anglais, est encore le but d'une
lnigration d'hivèr nettement internationale. Le pour-centage d'étrangers y est comparable à celui de la clientèle étrangère établi pour l'année moyenne par Monsieur Claude Trubert dans son étude de « La clilèntèle
touristique de la Côte d'Azur » éditée en 1961 par le
Comité Régional de Tourisme: 1960 = 43,48%, moyenne annuelle 1952..11960 : 39,67%.
D'autre part, l"èxamen de l'origine de la .clientèle
étrangère laisse conclure que les faits de voisinage (cas
de la Belgique" de l'Angleterre, de l'Italie, de l'Allema-gne, de la Suisse, des Pays-Bas, soit 73,44% de la clientèle en qu'è stion), l'emportent de peu sur ceux de la
similitude des niveaux de vie : les E;tats-Unis sont ici
au 3me rang des pays ,é trangers, et les pourcentages de
la clientèle à haut niveau dè vie mais d'origine lointaine
sont supérieurs (classes riches d'Amérique latine, Canada, U.R.S.S.) à ceux d'une clientèle d'états voisins mais
à lliveau de vie relativement bas (états ibériqu~s par
exemple).
Cependant, sur ce point, notre enquête au lieu de
consommation éclaire qudque peu les possibilités des
f'oyers de l'émigration touristique ; si nous rapportons
l'effectif national interrogé ici au total de la population
d'origine, France comprise, nous obtenons un classement assez différent de nos clients. L'indic;è national
d'attraction de la station est ici le rapport de l'effectif
national, porté présent, au total de la population d'ori"
•..
\
gine.
Tableau n° 3
lndice national d"attraction. de la station
N at:oIlàlités
Belgiqu~
France
Luxembourg
Pays-Bas
Grande..Bretagne
Au tri'c he
Italie
Allemagne
Canada
Etats-Unis
Etats Ibériques
Pourcentage de
l'effectif total
Indice
soumis
à l'enquêt e
19
18
6,6
2,7
2,5
0,9
0,9
0,7
0,5
0,92
0,16
12,2
57,7
0,27
2,,0
8,2
0,41
3,1
2,5
0,76
5,2
0,48
Indice de comparaison : 1 vait ure de tourisme
pour x habitants
14,1\
9
25,2
10,2
30
13,6
4,6
3
176,7
283
�En indIquant ies Jnarchés nationaux oi.. un gros
effoli de publicité reste à faire, ce tabh~au indique que,
mutatis mutandis, nos voisins sont nos meilleu.rs clients,
surto~t au Nord ;. il signale enfin, que, toutes choses
égales, la nation belge nous envoh~ davantage d'hivernants ' que notre propre nation : Nice peut être le grand
balcon d'hiver de l'Europe bénéluxienne et rhénane.
Ainsi se trouve déjà soulignée l'attraction du climat.
l\lais un marehé national est plus ou moins intéressant : il l'est davantage quand la capacité moyenrie de
consommation de la clientèle qu'il laisse espérer, est
plus grande. lei la nuitée est l'unité de consommation.
La duré~ du séjour a été l'objet de la 6me question ; le
chiffre moyen de nuitées par .catégories nationales a été
calculé de la manière suivante
1°) passage sans séjour de nuit,
~
.
2°) minimum probable .d'une nuitée par personne
.i nterrogée,
~O) moy~nne
probable Je 5 nuitées cor.respondant
il un séj our Inoyen d'une semaine,
,1°) :lnoyenne probable de 14 nuitées,
5°) nloyenne probable de 60 nuitées correspondant
à un séjour moyen de 2 mois,
6°)
moyenn~
probable de 100 nuitées
séjour supérieur.
pour
tout
SUl' ces estimations a été établi, conlID'~ le reconlmande ·M. Trubert, l'indice de fréquentation réelle de
chaque nationalité, e'est-à-dire, la somm'è du nombre
de visiteurs de chaque nationalité multipliée par chàcune des moyennes de durée de séjour.
2'84
�Tableau n° 4
Indice de fréquentation réelle' de chaque nationalité
Nationalités
l
Pourcentage de l'effectif
total soumis à l'enquête
France
Belgique
Grande-Bretagne
Etats-Unis
Suisse
Etats Germaniques
Italie
-
.
.
..
,
•
_"';"-•
.Ir,........ -
."
. . . . ,..:n-
... 1'-"
"'.",
.. - .
.
Pays-Bas
Canada
Etats Ibériques
U. R. S. S.
Etats Nordiques
Diw.rs
57,7
12,2
. 58,3
16,2
8,8
9,4
5,4
2,2
2,1
1,3
5,2
2,2
3,18
3,t
2,0
0,76
0,48
0,62
0,30
2,46
1,2
0,5
0,4
0,3
0,2
2,5
~
1
Total
-
Indice de
pourcentage
". 1
............ , ...
100
100
N.-B. - Un regroupement géographique facilite la
présentation sans modifier la réalité représentée (Allemagne - Luxembourg - Autriche - Etats Germaniques).
Les Français mis à part, les gros consommateurs sont
toujou.rs nos voisins, mais aussi les Etats-Unis comme
l'avait déjà signalé Monsieur Trubert. Les ressortissants
des Pays~Bas sont moins bien placés parce qu'ils restent
rarement plus de trois mois, à la différence d~s Belges(
On note aussi que les citoyens des pays nordiques ne
restent pas plus de trois mois. Une enquête pourrait être
faite sur ce point auprès de ces touristes habitués au
grand confort. (cf tableau n° 3).
Le tableau des totaux de nuitées par moyenn~ de
séjour et par nationalité n'est pas sans intérêt.
285
�1
1
Tableau n° 5
Séjour de 48 heures à 2 lnois totaux des nuitées
Nationalités
France
Belgique
Grande-Bretagne
Etats-Unis
Suisse
Etats Germaniques
Italie
Pays~Bas
Canada
Etats Ibériques
U. R. S. S.
Etats Nordiques
Divôrs
Séj our mOy211
d'une nuitée
37
2,1
2,1
17,4
2,1
21,8
4,4
11
2,1.
0
0
0
0
100
Séjour moyen
de 5 nuitées
40
3
5,6
10,6
4
6,7
13,4
3
3
4
0
2
4,7
100
On rema.rque, non sans inquiétude, que parn1Ï lèS
états étrangers, ce sont ceux qui possèdent les devises
nationales les plus fortes qui fournissent les plus gros
pourcentages d'è la clientèle à très court séj our : où
vont-ils?
{~uant à la clientèle française (tableau n ° 2), notre
Jllodeste enquête vé.rifie la fonction nationale de ventilation intèrrégionale des revenus qu'assure le tourisme ;
67,65% des Français interrogés viennent des régions de
grande activité économique du pays : Nord-Ouest, Nord,
Nord-Est ; 77,27% si l'on y ajoute les ressortissants des
.régions Rhône-Alpes-Jura et si l'on écarte la grand'è région économique marseillaise. Il est à signaler cependant l'importance relative de la région du Centre rd
surtout de la vallée de la Loire ; .c"est un fait qu'avait
déj à noté Monsieur Trubert.
On pourrait peut-être conclure que lè ·lna.rché national est plus rationnellement exploité que le marché
international,
266
�-0
(2) Les moyens de la migration.
°
Rien de bi~n nouveau n 'a été mis en évidence: le
chemin de fer l'emporte, vu la saison, avec 47,3% des
réponses. L'automobile au second rang avec 28,9 %.
L'avion, important moyen d'arrivée de la clientèle lomfaine! 15,8% trouve ses facilités dans les services d'un
aérodrome, outil nécessaire du cosmopolitisme moilerne. L'autocar est pénalisé par les difficultés des routes
hivernales : 3,4%. }\lIais le bateau : 4~6%, lignes régulières, ou .croisière d'hiV'~r marque encore sa p.résence
et c'est un fait à retenir.
(3) Structure sociale.
Notre enquête ici a été llloins rentable.
Tableau nO 6
St11lcture sociale
Professions
Cf
/0
Regroupement
socia-professionnel
%
Retraités "pel1sionnés 29,9% Personn~s non activ. 43
COffilnerçants
18
Patrons et cadres
13,1
Sans profession
supposés urbains
30~8
Prof. libérales
8,9
Salariés
5,2
Industriels cadres
8
2,1
Etudiants
Banque - affaires
2,8
1,2
:M arins-Mi li taires
Elnployés - ouvriers 5,2
1,1
Viticul.-agricul.
7,7
Sans réponse
2
Artisans
o
".'
......
°
t
°
0.0
Il s'en
r~tire
d'abord trois conclusions évidentes.
1. - La proportion relativement faible des retraités
et pensionnés présents sur la Promenade d'~s Anglais.
L'hiver, Nice est-en~ la « maison de retraite » que l'on
veut bien dire ? Cependant sa fonction de station de
~87
:-,.....;.
�repos attire les personnes non actives : l'eur pourcentage est à peu de choses près le double du pOlt:rcentagea
de la même catégorie dans l'effectif. national des chefs
de ménage. (INSEE. Renséignements 1954, sondage au
1/2Oe). La ventilation du groupe sans profession met en
évidence ia présence importante des fe:iiunes célib.a tail'es et des' veuve~ : il serait plus exact de. les qualifier de
rentières.
.
.
. ·2. '- Le' tourisme social d'hiv~r est peu pratique ': la
saIson d'hiver conserve ses caractères « bourgeois »
traditionnels (salariés 5,2%). Il est à noter cependant
l'iInportance nouvelle de la clientèle issue des milieux
du commeree : que des commerçants ferment leur
cntrep.rise l'hiver nous paraît être un fait social rd.atilnent nouveau.
"
3. - Si le monde agricole est peu représenté, on notera cependant le début d'un mOUVèment analogue à celui
des conunerçants, peut être facilité par la nature même
des travaux quand ils sont. viticoles.
Enfin, si le nombre de militaires paraît dû à l'arI'ivée accidentelh~ d'un navire allié, saluons la présence
d'étudiants souvent étrangers à qui Nice peut d'ailleurs
offrir beaucoup plus qu'on ne pense généralement.
.11. -
,"
ESQUISSE D'CNE MOTIVATION
"
1
SUi' ce point, sans renoncer à l'enquêt'è localisée,
s'adressant à des effectifs statistiquement moyens, ayant
pOUl' but des réponses courtes et snnples, exploitables
facilement par diverses manipulations a.rithmétiques,
nous a vouons notre insa tisfaction devant les résultats
obtenus.
. j
A la question simple : pour quelle raison ·êtes-vous
venu à Nice? (question n ° 4), les personnes interrogées
s'Ur la Promenade des Anglais ont répondu de telle
lnanière que leurs réponses ont pu être groupées de la
façon suivante
2~8
z .;;
�Tableau hO 7
Motifs de la migration
Motifs
Importance relative
des groupes
Attractions naturèlles:
dont Paysage ..... .
6,2 %
Climat
31,5 %
Renommée . . .
0,3 %
Voy. de noces 0,5 %
2,6 %
Visite (allÙs-parents) ,
Possibilités de repos :
dont Santé-repos-convalesc,ence
27,,9 %
Congés
10,0 %
Habitude - retro
2,4 %
_Attractions secondai.
dues à l'init. humaine
dont Equip. récréa.
3,9 %
Arts civilisa tion,
langue . ...... 1,8 %
. . -.. -.. .
.
- '.
.. ~ ..,.... . ~
-1
'~I
Importance du foyer
d'affaires :
dont Travail-affaires
Avant. instalIat.
ShoppIng ....
38,5 % des réponses
40,3 %
5,7 % -
5,75%
4,9 %
0,7 %
0,15%
~
Total . . . .
92,85%
11 faut ajouter que 2,2% des réponses invoquent
comme raison de leur p,rés'è nce ici, l'étape brève en
cours de voyage, le temps mort d'un transit et que
·1,95%, ce qui est peu, n'étaient pas exploitables ..
Ainsi apparaît nettement la profondè vérité de la
définition légalè du 24 Septembre 1919 ; Nice est, l'hiver, avant tout une station climatique si l'on en juge
par la nature de la motivation tirée dèS attractions
naturelles: 38,5% des .réponses : les qualités du climat;
289
19
�première motivation par ordre d'importance, auxquelles
on peut lier celles du paysag~ et de la renomméè faite
avant tout d'une douceur de vivre définie par l'ambiance ; et même les jeunes mariés sont à rapprocher des
amateurs plus âgés d~ notre ciel, c'est ici que se trouve
encore un des aspects du paradis naturel. Nous serions
volontiers portés à y adjoindre la motivation profonde
des visites faites aux parents et amis résidents, que l'on
'~nvie pour leur chance d'habiter dans un si beau pays.
La nature azuréenne est un capital fondamental à préserver comme l'ont bien compris les Pouvoirs Publics
et comme le Inontre nettement l'int~ntion préfectorale
de protection des sites dans le budget départemental de
1961.
Mais sociologiqueIn~nt, la saison d'hiver est aussi
une saison de repos ; 40,3.% des personnes interrogées
viennent y trouver soit le relnède à leurs fatigues, et il
y a b~aucoup à faire encore dans ce domaine d'une
thérapeutique spécialisée, soit le séjour confortable de
leu.r congé, soit les douceurs et habitudes acquises et
une retraite douillette. Odte motivation du repos a comme pourcentage sensiblement celui de la catégorie non
active de la clientèle défini par la structur~ sociale.
1
{' 1
Nous noterons au passage que la complexité de
l'économie urbaine d'une ville d'au moins 300.000 habitants est soulignée par l'inlportance relatiw des personnes interrogées qui sont venues à Nice pour affaires
mais ont pris le temps d'aller sur la Promenade. Au
demr~urant, si le théâtre de l'enquête s'était rapproché
de la Place Masséna et de l'avenue de la Victoire, le
pourcentage du « shopping » se serait élevé avec celui
d2 la clientèle, d'origine italienne en particulier.
Dans une p.rospection que les professionnels du
Tourisme ne peuvent négliger il convient de regretter
le pourC'~ntage minime de la clientèle attirée par les
installations artistiques d'une ville qui pourrait prétendre à être la Flo.rence de l'art contemporain: là, comme
en matière thérapeutique, il y a beaucoup à fair~. Les
attractions secondaires devraient attirèr davantage de
clients et sur ce point, .certaines réponsGs à l'enquête
sont révélatrices : d~aucuns paraissent affirmer que si
l'on s'y repose convenablement~ on risque de s'y mor290
�fondrè, des étrangers ont demandé que des distractions
soient prévues pour eux. Au XIXme siècle, Nice eut son
théâtre italien, au XXme s'y révéla l'opéra wagnérien; sa
nature cosmopolite su.rvit heureusement, nous l'avons
luontré ; peu dè spectacles à part quelques cinémas sont
en langue étrangère. D'audacieuses initiatives, plus ' ou
moins largement esquissées, pourraient fairè de ce balcon de l'Europe .c elui d'un théâtre européen.
La 8me question avait pour but de p.réciser les désirs
de la clientèle 'è n ce qui concerne les excursions à court
rayon : 15,2% de l'effectif interrogé n'a donné aucune
réponse ou a donné une réponse inexploitable : restaient 1.222 réponses valables.
Tableau n° 8
L'intérêt des excursions à 'Court rayon
..;
Réponses
<
Héponses valables
Aucune excursion
Excursion : en voiture
personnelle
Excursions organisèès (a)
Excursion par service
régulier .(b)
a et b réunis
,
P ourcentage
de l'effectif
interrogé
84,8
Pourcentage
des réponses
vala.bles
100
38,8
32
26,1
2,2
0,9
,.
. Si l'on se souvient qu~ en hiver, p.rès de la moitié de
la : clientèle arrive par le tr.ain, on reconnaîtra qu'il y a
possibilité, par les entrepris'è s locales de transport, d'exploitation de l'arrière-pays immédiat, de ses .richesses
naturelles et artistiques, après une bonne publicité.
Nous nous proposons de revenir plus tard sur . h~s perspectives offertes pa.r nos routes 'ènsoleillées et leurs vues
panoramiques, par nos villages aux richesses archéologiquès mal exploitées, par 110S lnusées d'art moderne
mieùx connus à l'étranger qu'on ne le croit.
En mettant au premier plan de la motivation de la
291
Z: ."';
�migration hivernale le climat et le repos, dans un contexte sociologique dominé par h~s catégories non-actives,
notre modeste enquête, vise aussi à définir les parts respectives, dans l'accueil de l'industrie hôtelière ~t de ce
que nous appelons provisoirement l"économie de résidence.
111. -
ESSAI D'ANALYSE DE L'ACCUEIL:
INDUSTRIE HOTELLIERE ET ECONOMIE DE
RESIDENCE.
A la 3me question, mode de logèment, il a été répondu de la manière suivante
Tableau n° 9
L'Accueil
Nature du logement
.....
,
tiôtellerie
Immeubles non hôteliers
Bateau
Camping
Logement non néC:èssaire : tran.s it
Pourcentage
de l'effectif interrogé
50,5
46,1
1~1
0,9
1,4
100
On notera tout d'abord que si le pourcentage du
transit est ici inférieur à celui qui fut indiqué dans le
tableau de motivation, c'est qu'un très petit- effectif,
bien qu'en transit, passe cependant une nuit à l'hôtel. Le
logement sur bateau pourrait-il être développé par la
,création d'un port de plaisance?
L'importante conclusion, c'est que l'hôtellerie assure en hiver la moitié de l'accU'èil touristique. Saluons au
passage les courageux campeurs ; quel que soit la clémence de notre climat, le confort hôtelier êst évid'èmment apprécié l'hiver surtout, de la part d'une clientèle que nous devinons relativem~nt âgée. Le pourcen...
292
l'rI.
'. ",
�tage hÔtelier pa.rait supérieur à Îa proportion annuelle.
L'étude de M. Trubert ne permet pas une comparaison
valabl~. Nous retirons cependant l'impression que
la
saison d'hiver est nécessaire à la rentabilité de l'hôtèllerie. Mais près de la moitié de la clientèle interrogée
lui échappe: où est-elh~ logée? Ce tableau suivant nous
l'indique.
Tableau n° 10
L'accueil non hôtelier
Nature du logemen t
Pourcentage de
l'effectif interrogé
Hôtellerie
Meublé
Appartement personnèl
Appartement d'amis
50,5
29,3
7,8
9
pourcentage de
l'accueil non hôtelier
63,5
46,1
17
19,5
100
Les 2/3, soit presque le 1/3 de l'effectif interrogé,
occupent des meublés: le rest~ se partage presque également entre l'appartement personnel et celui d'amis,
et l'on sait quelle ambiguïté r~couv.re cette dernière dèfinition. Il n'en reste pas moins que près de la moitié d'e'
l'effectif interrogé occupe des appartements plus ou
moins nettemènt .c onçus d'abord pour une résidence {~ _
quelque durée.
Il est certain que le lieu même de notre enquête, la
Promenade, est plus facHèment atteint par la clientèle
d'une hôtellerie natu.rellement ·s ituée, pour sa plus importante partie., près de la promenade, comme l'a remarqué M. Raoul Blanchard dans son étud'è du Comté de
Nice. D'autre part, quelle .q ue soit la qualité de l'accueil hôtelier, le client est plus facilement attiré par la
vie extérieur~ que le locataire d'appartements. Si les
rentiers et retraités à Nice, d'après M. Raoul Blanchard,
font 11 à 12% de la population des quartiers situés entre
la gare et la promenade, ils font encor~ de 10 à 11 % des
quartiers dits résidentiels de Carabacel, Cimiez et des
293
�UaUIllCÜcS ; quartiers uu les pl'01l1eUadès agréable~,
que ,counes,. abonaent. ur, precisenlent, ces quaruers reluuveIllent elolglles lie la .Yromenaae ~~s Anglais
sont ceux ou la propuruon Ges logel.ilents COllSlruus de
1~6;) a l~ou est la 'plUS lune par rapp,ort à la population
ue~ q uaruers en l~.Y:l. ~nIln, sur la .PrOlnellau~ el1enleme, 11 est d.e nownete punllque qU-l1 s-est d.avantage
conStruIt (1 apl'anements prIves que d.'hotels et la pnysionorme au nord Ge mer ~ll a (~tecnangee .
l.hen
-
.sur la base des estiInations qui ont pernüs d'établir
le taoleau Ges llUltees n ° ~, l'cllselnble etes sejours de '1
a n nUlIees rep.l'eS'~nte D.Llun nuItees, lU.~~ avec les
sejours Ge deux semaInes. IViaIs, a la date où nous avons
pHolograpIlle en quelque sorte le séjour prévisible d'une
clIentele en place, .l!~S seJ ours de 1 à j mois et de plusj
de J mois representaient on.,14U nuitées. Nous n 'avons
pas encore a-elements pour atfirmer que ces sejours
longs relevent de l' accll'~i1 non nôtelIer : mais le tableau
SUIvant ttableau n° Il) n 'est pas sans intérêt: la France
oifre la moItIé de cette c1ielltele à long séjour, mais la
proportIon française a baissé. Les tradltIons historiques
persIstent encor~, et, pour les plus longs séj ours, la
.c lientèle anglo-saxonne l'emporte: on note en ce domaine l'importance relative de la Suisse. La clientèl~ belge
reste supérieure à ,c elle des Etats-Unis pour le long séjour, mais reste la premièrè clientèle étrangère pour le
séj our de 1 à 3 mois, avec un cinquième des nuitées
totales; c'est un premi~r argument en faveur de cette
hypothèse que le citoyen belge est, après le français, lè
premier client de l'écononlie de séjour, moteur de la
construction locale. D'autres enquêtes préciseront cette
répartition.
.
Nous .retirons, enfin, un argument. en faveur de
l'importance relative de l'économie de séjour, de la
courbe de fréquence des dépenses quotidiennes~ Sans
doute s'y attachent les mêmes critiques qu'à une déclaration de revenus, et nous regrettons que par crainte de
je ne sais qu'elle inquisition fiscale, 37% de l'effectif
interrogé n'aient pas répondu. 11 % de l'effectif ont
décla.ré moins de 20 NF par jour : il nous semble qu'à ·
été décompté le logement ; fauL-il supposer que dans
l'esprit de nos clients, la dépense de location d'appartement ayant été faite au début, seuls étaient à fournit: ,
294
1 . ...··.
L.f
�les frais de vie quotidienne ? Constatons que ce pourcentage est très voisin du pourcentage de long séjour
français. Pour les dépenses retenues, de 20NF à plus de
500, le tableau est le suivant (tableau n° 12).
La grosse maj orité de la clientèle à plus de 500NF·
n'a pas caché le but de son voyage à Nice : le casino.
Son séj our est court. Pour le reste, la dépense moyenne
est d'environ 50NF où s' établit la médiane. On mesure,
à vue œœil, ainsi, l'importance économique du long
séjour qui représente, pour les deux grosses clientèles
françaisè et belge, plus de 50 % de l'effectif national
dans un cas, plus des 3/4 dans l'autre. Une seconde enquête ,c herchera la part relative de l'accueil hôtelier, et
de l'autre accueil, dans cette économie de long séjour.
r
En conclusion, nous pouvons avancé, faisant la part
ùe traditions réellement maintenues et de nouveautés
difficiles à mesurer: Nice est restée la station clinlatique d'hiver de l'Europe occidentale et des pays anglo~
saxons, une station de repos où se fait sentir le besoin
d'attractions nouvelles, une station de séjour hivernal
. où l'hôtellerie joue pleinement son rôle mais où se développent, aussi bien pou.r la ,c lientèle française qu'étrangère, des fornles d'accueil nouvelles pour long séjour.
André
~.
• ' ';.-
','
..
-'.
PAYAN,
Professeur au Centre
d'Enseignement Touristique .
'.
,1
295
�~:lblc:\u nO 11
Nationalités
1% de l'effectif 1% d:.1 tot9.1
des
mûtéc9 de III
catégorie
mtionul
%
supérieur : base :
100 nuitées
;:, de l'effac- %du totoJ.
tif nai.i.o.."lcl. des nuitées
de la. ca. tégorie
9
50%
8
10
Françeis
49
60
Belges
77
20%
Pays-fus
Angla.is
Z7
1 f&
3
40
7%
17
Etats Germaniques
Etats Ibériques
30
56
0,5
%
Italie
Etats Unis
7
0,5
%
40
2%
4,4 7~
Suisse
33
1,4
Eta ta Nordiques
Divers
40
0,3
%
%
6
2%
0%
4
1,4
17
9%
18
4%
0
o 1;
2f
%
,
,
.!
l
%de
l'effectif retenu
De 20 liF à 50 HF
58,1
De 51 HF à 100 NF
De 101 NF à 500 NF
27 , !~
13,5
Plus de 500 NF
100
- -
-
-~--~
------
296
.>0..
%
8 z 2 1f
100
Tableau de fréQuence des dépenses Quotidiennes
dépensées
'1>
14,5 70
Table3u nO 12
So~es
%
0,6
0
21~
100
---
Séjo~'
Séjour noyen de 60 nuitées
%
�.\
Deux procédés statistiques
de détermination du mouvement
. .
saIsonnier
Parmi les nombreuses nléthodes (1) préconisées.
pour dégager les varia!ions saisonnières nous allons
envisager successivement :
~
le procédé des moyennes mensuelles,
-
la méthode des chaînes de rapport.
Empruntons les données brutes concernant le nombre des uuitées dans l'hôtellerie à l'ouvrage de O. L.
Romer « Die Saisonschwankungen in Schweizerischen
Fremdenverkehr » (2) paru dans la collection « Schweizerische Beitrage sur ,Verk~hrswissenschaft :. et appliquons dans une premiè.re étape le procédé 'des moyennes mensuelles.
(1)
E. Moriee - F. Chirtiet; - Méthode statistique Imprimerie Natio~
nale.
.
.
A. Piatiè.r - Statistique et observation ·économique - Collection
Thémis Tome 1.
INSEE - Les variations saisonnières de l'activité éConomique
Avril.
1960.
. Numéro " Spécial. Etudes e.t Conjoncture
.
'
(2- Otto Ludwig Romer - DiesaisonschwenkUngen in Schweizerischen Fremdenverkehr - Verlag Von Stâmpfli - BemeW''l;:
~r
�1.-- èe procédJ consIste à d~lerInlnel' pour la pJrlode euvisagée (1934-1945) la moyenne arithmétique de
chacun des mois de Janvier à Décembre, puis la moyenne générale des données.
Les écarts de ces moyennes mensuelles à la moyenne générale sont ensuite mesurés. Le graphique de ces
écarts fournit alors l'allure saisonnière du fait étudié.
Dans l'exemple envisagé - « les variations mensuelles du nombre de nuitées pour la Suisse de 1934 à
1945 » - les données figurent dans les colonnes 1 à 12,
du tableau 1.
On calcule les totaux de ces colonnes et les moyennes annuelles correspondantes (Al, A2 ..... A12) (BI, B2....
B12).
'.
On calcule ensuite les totaux pour chaque ligne .3C
rapportant à un mois (colonne A' 13) et les moyennes
lnensuelles qui en résultent (colonne B' 14).
On détermine la moyenne générale pour l'ensemble
dës 12 années.
Diverses possibilités permettent
tions :
d'utiles
vérifica-
- la somme des totaux de la H~me colonne doit être
la même que .celle des totaux de la ligne A ; il suffit de
diviser cette somme par 12 x 12 = 144 pour obtenir la
moyenne générale ;
- celle-ci peut aussi s~obtenir en calculant la
llloyenne arithmétique des 12 moyennes ' mensuelles de
la 14mè colonne ;
'1
- elle peut enfin être obtenue en calculant la
moyenne arithmétique des 12 moyennes annuelles de la
ligne B.
Les déviations des moyennes mensuelles par rapport il la moyenne générale sont enfin calculées ; elles
sont consignées dans la 15me colonne du tableau 1.
Si l'on construit alors par la méthode .çlassique le
graphique de ces déviations, on obtient l'allure du mouvement saisonnier ' pur. (Voir graphique 1, courbe en
trait plein).
298
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O·l ·
R ÔM eR.)
�Le g.raphique montre i'allure saisonnière du fait
étudié ; le nombre des nuitées présente dtc!ux pointes
correspondant aux deux saisons (la saison d'été étant
toutefois plus accentuée).
Si on désire obtenir un mouvement désaisonnalisé,
les déviations étant calculées, l'élimination des variations saisonnièrès se fait très simplement en retranchant des données brutes la déviation correspondante.
Ce travail eff'c!ctué pou.r toutes les données du tableau
1 conduit à un nouveau tableau à données corrigées tableau 2.
r i·
,t
CeUc! série de données .c orrigées des variations saisonnières permet alors de construire le graphique du
mouvement dégagé de l'influence saisonnière (grapliique 2).
La période d'étude du mouvemfc!nt saisonnier proposée par Rômer semble toutefois critiquable; en raison du conflit mondial, il serait plus apportun de distinguer deux sous-périodes :
a) la sous-période 1934-1939.
b) la sous-période 1939-1945.
de Inanièl'è à dégager :
.
-
rallufl,e saisonnière d'une période .relativement
normale,
-
l'allure saisonnière d'fune période mouvementée .
. •....
~.
, !
.
On est ainsi amené à l'c!faire les calculs en respeci
tant la nouvelle coupure. Les calculs pour les périodes
Janvier 1934-Août 1939 et Septembre 1939 - Juin 1945.
des totaux mensuels,
des
moyenn~s
mensuelles,
et des écarts
figurent respectivement dans les tableaux 3 et 4.
On peut apprécier l'opportunité de pratiquer ces
nouveaux calculs 'èn comparant les colonnes « écarts »
des tableaux 3 et 4 et les courbes (en pointillé et en
3OQ .
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~
...... _~
/
9772.82.
1057098
Y... .B
�trait) du graphique J. La distinction entre période calme et période ' troublée apparaît n'èttement.
Le mouvement désaisonnalisé (tableau 5 A et B):
présente nécessairement des différences par rapport
aux don.nées du tabh~au 2, du fait des nouvelles valeurs
des écarts ou déviations des moyennes mensuelles par
rapport à la moyenne générale.
Le graphique 2 traduit assez bien h~s décalages entre les diverses ,c ourbes tracées à partir des données des
tableaux 2 et 5 A et B.
2. -
1
1
.i
La méthode des ûhaîne,s de rapport .
. En conservant touj ours les données extraites de
l'ouvrage de Romer, nous allons dégager le mouvement
saisonnier par la méthode mise au point par W. M. PèTsons. On calcule d'ubord le rapport des données de chaque mois à celles du mois précédent et ce dans l'ordre'
chronologique.
Les rapports ainsi calculés sont inscrits dans un
Jableau dè 12 colonnes correspondant chacune à un
mois. Ce tableau est séparé par une bande horizontale
comprise entre deux droites AB et CD. Quant le rapport
est supérieu.r à l, le quotient corrèspondant est inscrit
au-dessus de AB. Quand ce quotient est égal à 1 ou voisin de l, par exemple entre 0.98 ct 1.02, on l'inscrit dans
la bande comprise lèntre AB et CD, s'il est inférieur à 1,j
le quotient .c orrespondant est inscrit au-dessous de CD.
Si l'on a opéré sur un nombre suffisamment grand
d'années, on peut dire que le groupement systématique
alès rapports dans une-case au-dessus ou au dessous de
la bande central~ indique une variation saisonnière. Si}
les rapports sont dispersés de part et d'autre de cette
bande, il n'y a pas de variations saisonnières pour le
mois rè nvisagé. La concentration des rapports dans la
bande centrale indique une série stable. .
Exemple de calcul de rapport:
_':.
,_,~ >: :., .-.' .,'.' .
••" . '
,.'" 1
= 1,36
1008377 = 1,01
Janvier 1934 = 1008377
741199
Février 1934 = 1020784
307
�Les groupements systématiques de Janvier, Juin,
JuiUèt, Août, Septelubre, Octobre, Novembre, . Décembre
indiquent des variations saisonnières; les mois de Jan-.
vier, Juin, Juillet, Août et Décembre, indiquent UD'è reprise marquée ; les mois de Septembre, Octobre et Novembre indiquent un fléchiss'èment très net ; quant aux
mois de FéVirier, Mars et Mai ils laissent apercevoir un
fléchissement moyen ; enfin le mois d'Avril (Pâques)
semble .être un mois équilibré.
Jan.
Févr.
Mars
1,36
1,35
1,33
1,32
1,32
1,31
1,27
1,20
1,19
1,18
1,07
1,15 1,08 1,07
1,11 1,06 1,04
~
. .- .. . . ---'"
;
~
-
"1
.
• 1
A
1, 02 1,01
1,01
1,00 1,01
1,00
c
0,98 0,98
0,98
0,95
0,94
0,94
0,92
~o~
Avril
1,12
1,11
1,09
1,07
1,06
Mai
Juin
1,42
1,31
1,30
1,30
1,23
1,18
1,16
1,15
1,12
1,11
1.,12 1,06
1,05
Juillet
Août
1,96
1,95
1,92
1,92
1,91
1,91
1,85
1,85
1.,77
1,77
1,74
1,68
1,34
1,30
1,27
1,27
1,25
1,23
1,18
1,18
1,15
1,13
1,12
1,12
Sept.
Oct.
NOl.
Déc.
1,57
1,54
1,43
1,43
1,38
1,16
1,14
1,12
1,11
1,09
1,06
1,05
B
1,02
1,02 1,01
1,01 1,01
1,00
D
0,98 0,98 0,98 0,96
0,97 0,91 0,97
0,88 0,82 0,95
0,86
0,95
0,85
0,95
0,81
0,95
0,77
0,93
0,77
0,92
0,65 0,89 0,83
0,62 0,79 0,80
0,60 0,78 0,79
0,56 0,77 0,77
0,56 0,77 0,75
0,56 0,75 0,73
0,51 0,75 0,73
0,47 0,63 0,73
0,46 0,63 0,70
0,46 0,6~ 0,70
0,43 0,.60 0,69
0,27 0,60 0,69
�Pour oht~nir les indices saisonniers à base mobiie;
on procède au calcul de la moyenne arithmétique (3)
des rapports pour chaque mois et le résultat obtenu est
lTIultiplié par 100.
Janvier
~-~... ~: ...~~. ~
"
-l
..
.
Déc. -1
.l
:\
Février
Janvier
:Mars
92
Février
..
,
.. .
t
'
,
\
Mars
1
Mai
"0;
'1
---
101
98
-
119
Mai
Juillet
Juin
Le symbole
~
1
121
Septembre
51
Octobre
71
Septembre
Juin
': :, 1
Août
Août
Avril
.,-.'.
98
Juillet
Avril
'
\ 125
Novembre
74
Octobre
=
Décembre
185
125
Novembre
Janvier
désigne le quotient de Janvier
D'éc. -1
'
par Décembre de l'aI?-née précédente.
Pour avoir les indices à base fixe, on calcule
rapports:
Mars
Février
'ètc...
Janvier
Janvier
l~s
On obtient par exemple le rapport Mars/Janvier en
multipliant l'indice du mois précédent Février/Janvier
par l'indice de Mars/Févrirè r et en divisant le résultat
par 100.
(3) Certains auteurs déterminent la. médiane.
309
,;-.j:.
�~.:
98
J
M
-
-
J
A
F
M
JOO
J
1
M
F
A
100
. J
M
91,06 x
0,98 =
89,23
-=-x-x-=
1,19 =
106,18
J
89,23 x
100
J
M
J
1
J
= 100 x
x
= 106,18 x
J
1,85 =
196,43
J
A
1
100 x
x
= 196.43 x
1,21 =
237,68
S
x A = 237.68 x
0.51 =
121,21
J
J
J
J
A
1
= 100
1
J
M
1
0
x .
J
S
'J
0
S
=
121 21
'
x
0,71 =
86,05
-=-x-x--
86,05 x
0,74 =
63,67
63,67 x
1,25 =
79,58
79,58 x
1,25
=
99,47
-
-
-
x -
J
x -
J
100
N
1
0
N
J
100
J
0-
D
1
N
D
-=-x-x-=
..
90,16
A
M
M
1
J = 100 x J x A =
J
.',
=
91,06
J
S
,.. i
0,92
1,01 =
A
,
x
90,16 x
J
.::.j
98
=-x-x-=
J
,1
1
-x-x-=
J
100
J
N
J
D
1
J
-=-x-x-J . 100
J
D-l-
Pour ·ce dernier rapport on devrait trouVlèr 100 :
mais le résultat ne serait égal à 100 que si aucun autre
facteur que lè facteUr saisonnier n'intervenait dans
l'évolution du phénomène étudié.
Ur - et c\~st l'hypothèse la plus générale ~ des
facteurs de perturbation ont agi, facteurs qui ne peuvent
être que le mouvement cyclique ou le mouvement de
longuè durée ou les deux à la fois.
310
-;-" i-
�Le proc~d~ ie plus sinlpie pour ies éliminer consiste
à répartir la différence 100 - 99,47 entre les différents
chaînons. A cet effet, on aj oute 1/12 de la différenœ à
F IJ, 2/12 de la différence à M/J ....
Mais on peut aussi procéder de la façon suivante ;
on admet que l'écart constaté entre le produit A obrenu
à la fin de la chaîne (99,47) et 100 est le résultat d"une
erreur cumulative k, telle que l'on ait :
100 = A (k)
d'où l'on tire :
k
= 1~
12
A
100
L'usag~ d'une table de loga.rithmes permet d'effectuer les calculs aisément :
99,47 x k
k
12
=
100
100
12
= - -' = 1,00532
99,47
12 log k = log 1,00532
12 log k = 0,0023076
log. k =
k
~ \
.
·1
t
=
0,0023076
= 0,0001923
12
1,00044 environ
On a alors une nouvelle série d'indices à base fixe .
FI J
98
X 1,00044 = 98,04
M/J
90,16 X 1,00044 2 = 90,24
AIJ
91,06 X 1,00044 3 = 91,14
M/J
89,23 X 1,00044 4 = 89,38
JI J = 106,18 X 1,00044 5 = 106,41
JIJ = 196,43 X 1,00044 6,= 196,94
A/J = 237,68 X 1,,00044 7 = 238,40
S/J = 121,21 X 1,00044 8 = 121_63
O/J
86,05 X 1,00044 9 = 86,38
N/J = 63;67 X 1,0004410 = 63,94
D/J = 79,58 X 1,0004411 = 79,96
J/J = 99,47 X 1,0004412 = 100
311
�Ardv~ .~ 'ce stade on calcule ia llloyellne
que de OèS dernières valeurs, soit 113.53.
arftholJti-
Et l'on établit les valeurs définitives des coefficients
saisonniers en prenant cette moyenne comme base égale
à 100. On obti~nt ainsi les résultats suivants :
100 X 100
Janvier
88,08
113,53
100 X 98,04
86,35
.F'évrier
113,53
100 X 90,24
Mars
79,48
113,53
100 X 91,44
Avril
80,54
113,53
100 X 89,38
Mai
-
78,72
113,53
100 X 106,41
Juin
93,72
113,53
100 X 196,94
Juillet
173,46
113,53
100 X 238,4
Août
209,98
113,53
100 X 121,63
Septembre
107,13
113,53
100 X 86,38
Octobre
-
.t
1
-
76,08
-
56,31
113,53
100 X 63,94
Novembre
113,53
312
�ioo x 79,9g
Décenlbre
=
70,4~
113,53
Ce sont les coefficients saisonni~rs de la série chronologique envisagée qui permettent de tracer la courbe
du mouvement saisonnier· autour d'un axe moyen (graphiqurè 3).
Enfin pour obtenir les données régularisées, il suffit de diviser les données brutes par le coefficient saisonnier du mois correspondant et de multiplier le résultat par 100.
œs résultats sont consignés dans le tableau 6. Opé
rons comme nous l'avons fait pour le procédé des
moyennes et pour les mêmes raisons au découpage de
la période et distinguons respectivement :
-
la période A -
1934 -
1939
-
la période B -
1939 -
1945
LèS résultats présentés sous forme résumée sont les
suivants :
~
'-:. 1
Période A : 1934-1939
Période B : 1939-1945
Indices à base mobile
Indices à base mobile
J
130,1
~
J
D-1
F
-
101
J
M
82,3
F
A
M
M
-
'.
A
J
M
-
98,1
-
100~1
-
128.5
J
121,3
D-1
F
96,8
J
M
102,3
F
A
105,3
M
M
A
J
M
96.5
-
109.8
313
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VII
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J
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F
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A
1'1
J
J
A
S
0
N
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11+4&40 118l.1'IC 1130~ 1132601 1123 560 1 lU 57e 123' IIC 130167C 1201- 710 1080 70S 10/8927 , 165189
IIMG60 1log 51Q , /24745 1136717 loel 756 1 t 82.01Q
1067.447 115332.0
1937
1 38200C 1 ilS 060 13~" 62.0 1092 G74 /1.55696 1 ~~.34'30 ,"IS319Q 1 S340'Ç 1386010 \ IIZ Q7!J 1052. 752 12.99165
19 35
1 :'67140 1379770 1ll3 126
1939
1386.300 ~q26 070 1.2Q ... Z93 1178
96777/ 10/6 g '7 lO57.q()7
Il'f44~ \W18~
*f
109~530
1~53C!IO
997198
9'34 71/ 1101
1935
19 36
1.2.'35090 1174050
~17
10944.2Q 1/79 ......0 119. I~ IQ1f4 37ô 10395&9 I~8'6
14151GO 142.1300 1455799 1 3 /382.0 1181859 1116 œ9
11431.iS I2.S71."IO / 3010;0 / UI 51Q
12.78791
6-4i 675 809902. 911 745 847432.
9n260 889 3(55 8Q369't
~719~
72.1410
803530
'355849
~72.92.3
9~1739
~78 ZJJ)
~11.94G
446810 1000710 1070&65 1006055
S59101
36Z. 757 976<>"9 107667\ 106775G /00308,
9f:IJUO
898 \;50 1095030 /1
/940
7S8~3
/ 941
807
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304
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115'U63 1130
1941-
1 /$9710
1153m- IlUlli'
laOSS2D 1110990 IIOO'f3Q 1057'530 1I72.2m
1945
1 Z.OZ 190 1163 S«> 135S3~ 13&2.1.40 14~'512.0 /4?J42fIJ 137396<; 1339710 17J.i57OQ
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130~157
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190,5
61,6
-
-
70,8
147
Indices à base fixe
F
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J
M
-
83,12
J
A
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J
1
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J
J
J
J
J
A
J
S
81,54
-
81,62
-
104,88
=
199,79
=
247.73
-
115.44
J
0
J
101
-
71,11
J
J
A
-
J
S
A
0
rS
-
180,4:
-
118,4
-
58
-
78,6
N
76,6
0
D
111,3
N
Indices à base fixe
F
-
J
M
-
J
A
J
M
-
J
J
J
J
J
A
J
S
J
0
J
98,80
-
99,02
104,26
-
100,61
110,46
-
199,26
-
235,92
136,83
-
' .: l
107.54
, _..T '
315
�N
50,34
-
73.99
-
96,26
-
J
D
-~
J
J
-
J
Détermination de la .valeur
de k
100
k
==
=
N
-
96,26 X k 12
1VA
· 82,37
J
D
91,67
J
J
111,19
J
Détermination de la 'valeur
de _k
100 X k t 2
k 12 =
111,19
100
k 12
100
1,03885
96,26
12 log k = log 1,03885
log k = 0,00138
k = 1,0032 environ
=
'
111,19
=
1,1119
100
12 log k
=
log 1,1119
log k = 0,00383
k = 1,0088 environ
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J
S
J
0
J
N
-
J
118,40
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-
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-
-
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-
J
J
0
73,17
-
=
51.96
-
76.62
-
J
J
100
J
J
MOl/enne ,arithmétiaue
des indices
à bas fixe corriaés
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J
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' - -,
A
M
J
J
A
S
0
N
D
..
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234.85
135.75
-
106.45
81,27
J
D
90,56
J
J
100
J
-.\
.
MOl/enne arithmétiaue
des indices à base fixe
:corriaés
121,09
Coefficients saisonniers
-'.~
-
N
111,14
".- '.".
, "
S
-
D
'
~3t30
A
-
89,97
91,16
75,26
74,06
74,37
95,87
183,21
227,91
106,53
65.83
46,75
68,94
Coefficients saisonniers
J
82,58
79,10
80,93
85,25
F
M
A
M
J
J
82,22
90,35
163,67
193,94
112,10
A
S
0
N
D
87,90
-
67,11
74,79
Voir gr~phique 3
(courbe en trait).
Voir graphique 3
(courbe en trait).
Mouvement désaisonnali&é : tabh~~ll 7 A,
Mouvement désaisonnalisé : t~bleau 7 B.
517
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1 1
1
2.00
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1
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19~-16
1'339 - 45
(l'1dlfvxt(: des c.fl.a('rt~ dt! "C.c.l.ff01.f) •
318
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1069060
J
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95'561 1068669 1.1(,02.18 1335030
A
13' 141
cH4035
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109051+
1241610
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&2692.1
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J
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A
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972910
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S
15021+ 956315 100Qil.3
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1
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lœqQt6
1191111
31'
�Il ne faut voir là que 2 approches statistiques parmi d'autres de la mèsure du phénomène saisonnier.
Dans une prochaine étape nous essayerons de dégager
les divers types de courbes du mouvement saisonnier
concernant l'hôt'èllerie des stations tou.ristiques d'été ou
d'hiver, des stations à double saison, des stations thermales, des villes, etc.. ; nous pousserons même l'analyse
des variations saisonnières dans le cadre d'une station
'è n prenant en considération les divers types d'hôtels
offrant leurs services à des catégories différentes de
consommateu.rs.
Cette étude sera complétée d'une comparaison des
données dans le tèmps. Ceci nous amènera tout naturellement à diversifier le cadre des résultats globaux
valables pour IR Suisse et pour une période relativement
lointain~, résultats globaux où sont noyées les données
concernant toutes les catégories d'hôtels situés dans des
stations touristiques plus ou moins spécialisées ou dans
des villes et recevant une clientèle aussi bien nationale
qu'étrangère.
.\
.'
Lès résultats de ces recherches nous permettront
alors de tirer profit des avantages de ces méthodes statistiques, notamment en ce qui concerne le problème de
l'étalement des congés - donc corollairement de l'allongement des saisons - et de la rentabilité optima de
l'hôtellerie.
.
René
·cc
... ·- 1
320
;Oc. ~...
BARET JE.
�Théorie économique
de la distribution optima
des congés
• 1
Introduction "
Il 'è st à la fois plus facile et plus dangereux de traiter les aspects théoriques d'une question que d'en .résoudre les problèmes pratiques.
Il est en effet plus facile et moins fatigant de réfléchir qUIè de travailler (à réunir un nombreux matériel
statistique par exemple).
C'est aussi plus dangereux. Lorsqu"on laisse fai.re
la théorie et les théoriciens, on ignore où ils s'arrêtent,
et lorsqu'ils s'arrêtent, ils sont parfois très loin de la
réalité.
"
'\
Cette p.r écaution liminaire devait être faite avant
d'aborder un problème dont la solution est à la fois urgente et nécessaire.
L'optimisation des congés peut se penslèr selon trois
critères principaux :
-
la durée
-
le moment
-
l'endroit.
Ce seront surtout la durée et le moment qui seront
t.raités ici ; l'analyse de l'endroit lèst davantage un pro321
21
�blème de géographie régionale, bien que des moyens
d'optimisation soient offerts en la matière par .certaines
théories de recherche opérationnelle. Il en sera .fait
mention rapidement dans la troisième partie.
Les programlnes d'optimisation supposent en géné.r al un alignement concerté du comportement social
selon les données d'un~ planification indicatrice. Certains pourraient y voir une incompatibilité avec la notion de loisir, un des seuls synonymes actuels de la liberté individuelle.
Que cette antithèse appar~nte soit surmontée par le
désir sincère de voir la lneilleure utilisation possible du
loisir par le plus g.rand nombre possible d'être humains.
A. -
OPTIl\lISATION DE LA DUREE
Il Y a deux aspects économiques fondamentaux à
question. Le premier, c'est le .choix économique
individud entre l'accroissement du revenu et la .consommation des loisirs. Le deuxième, c'est un choix de politique générale au niveau lnacro-économiqu~ : la solution optimale à apporter à l'incompatibilité entre la
réduction du ten1.ps de travail et l'expansion de la prod.uction considérée comme un des objectifs majeurs de
toute politique économique.
cett~
,:"1l
"'."
1
1
1. - Le choix individuel
Il y a vingt-cinq ans environ, le problème des vacances entrait dans une période de solution léga]e. Cette
généralisation à l'en~mble des citoyens d'un pays modifia sans aucun doute la notion même de tourisme. Il
devenait une des grandes réalités sociales et commençait son essor fort spectaculaire.
Aujourd'hui, tous les pays europé~ns connaissent
pratiquement le régime des va'c ances payées et le problème de la société en devenir se situe à prés'~nt dans
l'examen de la durée d'un fait indiscuté.
.
Il n'y a pas tellement longtemps, c'est l'opportunité
~22.
�·\
..' '1
.
.. "'" .,,:':"
même du congé qui se voyait controVlèrsée. Aujourd'hui,
c'est l'importance du temps libre qui fait l'objet de
réflexions.
Il est indéniable que cette question se pose différem111ènt selon les époques. Lorsque le revenu par tête est
faible, le temps libre est moins intéressant que lorsque
ce revenu est élevé (1) .
,
,
D'autres nuances doivent égalenlel1t. s'introduirlè.
De ux phénomènes souvent incompatibles apparaissent
1
siInultanéluent : la tendance à travailler moins, la tendance à gagner davantage. Oètte contradiction est interagissante suivant le développement d'un dilelnme.
1
1
Si l'on gagne davantage, on pourra se permettre du
temps libre, lequèl pour être consOlumé convenablement, va ,c oûter de l'argent, que l'on voudra gagner en
travaillant plus.
·,1
-1.,.;
Pour le consommateur travailleur, le temps libre,
les vacances apparaisslènt comme un bien de luxe. A
première vue, sa satur.ation semble presque illimitée et
-sa limite ne peut être envisagée que par 1è goût du travail surpassant la désutilité. Mais cette saturation, pour
S2 concevoir quantitativement, doit supposer l'hypothèse des prix constants. Comme on peut penser que le prix.
du temps libre est égal au prix des salaires, il monte
donc avec ces derniers.
..
'-."1
Final1è ment, dans une optique de raisonnement
luarginaliste, la question est de savoir si l'utilité marginale de l'argent a baissé plus que n'a monté le niveau
des salaires.
.
Cette vision théorique, assurément inconsciente
dans la plupart dèS ,c omportements individuels, trouve
cependant son expression sur le plan de la réalité sociale au travers de l'action politique, revendicative ou non.
11 est assez édifiant à cet égard de r2prendre l'évolution historique des dernières années pour constater
une accélération du processus dans la conquête du temps
de loisir.
(1)
Vo:r à ce sujet une analyse remarquable : P. J . Vercloorn.
Al beldsduur en w c: lvaal' ~speil. De Haag 1947,
3Z3
~. ~
�Ceci nous mène au S'ècond aspect, le choix de la
politique économique estimée la plus judicieuse.
2. - Le choix macro-économique
1
L'expansion s'apprécie en général par le rythnle
annuel d'accroissement du produit national brut (P NB).
Les modèles de fonction de production explicitant
le produit national brut, font généralement appel à trois
variables explicatives: le travail, le capital et llè progrès
technique (pouvant être considéré comme une fonction
du temps).
Le développement exponentiel, Ife! plus souvent retenu, aboutit donc à une fonction du type suivant
y
:~I
, _' "1
=
k
C
1 -
k
e
vt
où Y = le P N E, L le travail, C le capital, t le temps,
k et v sont deux paramètres : le premier indiquè l'importance relative du rôle joué par le travail ou le capital, le deuxième détermine le taux d'expansion dû au
progrès tèchnique. Ce v pourra d'ailleurs être fractionné
en
v
tre:o.d historique du progrès.
1
v
a.c célération résultant d'une politique écono2
mique volontariste.
=
v
,
L
3
1
c -
accélération résultant d'une m 'è sure particulière: par exemple la mise en viguéur du
Ma.rché Commun.
base des log népériens.
Dans les économies occidentales, le v vaut en général la moitié du rythme d'expansion, les parts c-apital et
travail se p.artageant l'autre moitié, à concurrènce d.es
3/4 pour le travail et d'1/4 pour le capital (soit respectivement 3/8 et 1/8 du rythme total d'expansion).
Ainsi donc, la politique de la quantité ' de travail
vail est responsable d'1,5% 'è t si l'on considère que sa
seule dimension est sa quantité~ il faut que ce facteur
~24
,;-,.. ;;
�cie production s'accroisse annueilemeni: de 1,50 % : 3/4
(valeur de l'exposant dè L), soit 2% pour maintenir la
politique d'expansion dési.rée, celeris paribus.
1
1
\
Ces 2% peuvent être le résultat de l'accroissement
dénl0graphique, ou de l'immigration, ou d'une prolongation dè la durée du travail, ou temporairement d'une
politique de plein emploi si l'on a un chômage important.
Quoiqu'il en soit, s'ils ne sont pas maintenus, c'est
au capital (dont l"incidence est faible) ou au progrès
technique à compenser l'absence d"èxpansion, si l'on
désire maintenir le taux constant.
Ainsi donc, l'enjeu se résout selon deux possibilités:
-- la réduction de la durée du travail non compensée p.ar l'accroissemènt du .rythme du progrès technique,
avec ·la conséquence d'une réduction de l'expansion.
\
- la réduction de la durée du travail compensée
_par l'accroissement du progrès technique, avec le maintien d'un taux constant.
.i
La détèrInina tion des possibilités du progrès technique 'conditionne ainsi la quantification de l'accroissement de loisir.
Cette équilibration n'e.st pas sèule en cause. La
valeur absolue du PNB et donc du revenu individuel
lnoyèn, constitue égalelnellt un élément à intégrer dans
l'analyse.
En effet, la consommation touristique suppose un
revenu suffisant. Si la durée de loisir dépasse les possibilités budgétaires, une partie seulement de ceUè durée
sera affectée à la consommation touristique, l'autre partie se passant soit à la maison, soit à une consommation
rédcite, dont le contenu D'è correspond pas nécessairement au désir des individus.
.
Le processus semble ètre le suivant: en cas de durée
trop f,a ible, une contrainte de sous-consommation exish~.
Avec la durée croissante, la consommation touristique
va croître jusqu"à une certaine limite, au delà de
laquelle, apparaît un 'è xcédent de du.rée non consommable faute de revenu suffisant.
325
�Du point de vue de la dépense touristique, il eXIste
ainsi pour un niveau de vie mOyèn déterminé dans un
pays, une durée optimale de congé.
Socialement parlant, il serait donc souhaitable
d'être légèrement au delà de cette durèè plutôt qu'en
deçà. Il y a donc là un réel choix économique, voire
politique.
Sous la durée optimale, la population est contrainte
à une sous-consommation touristique par manquè de
temps disponible.
Trop au-delà, l'excès de congé mettra en péril l'expansion de l'économie. D'ailleurs, on pourrait s'.a ttendre
à une sorte d'ajustemènt automatique de la part de
ceux qui ont encore du temps, nlais plus d'argent.
B. -
OPTIMISATION DU IVlOlVIENT.
Le phénomène touristique .c ontemporain semble
avoir toujours connu un aspect saisonnier, mais nous
vivons vraisemblablemènt des années de paroxysme en
cette matière. La saison était moins aigüe avant la guerre et il est permis de penser que dans le futur, la courbe
saisonnière -nè se resserrera plus très fort en raison du
goulot d'étranglement que présente l'hébergement ; en
raison aussi de l'extension du niveau de vie aboutissant
à deux congés par an.
D 'une manièrè générale, les lnilieux gouvernementaux responsables du tourisme se préoccupent de plus
en plus de ifésoudre l'excès de concentration saisonnière.
D.a ns toute l'Europe en général, mais surtout dans les
régions non méditèrranéennes" l'exigüité de la saison
pose de réels problèmes de rentabilité pour l'hébergement. Il semble en effet difficile d investir des capitaux
importants alors que lè'ur temps d'utilisation réduit
abaissera fortement leur producÎivité annuelle.
9
L'existence dans la plupart des pays, de subsides gouvernementaux destinés à réduire lè taux d'intérêt des
prêts consentis à l'Hôtellerie .c onstitue une preuve objective des difficultés réelles qUè cette branche rencontre,
surtout -dans' ses formes saisonnières de l'exploitation.
326
�t>h-crs .renlèdes ont é t~ envlsag~s : l'Idée de tarÎts
hors saison a été avancée, a même été appliquée parfois,
sans qUè les résultats en aient semblé probants. La raison principale, dans les régions atlantiques tout au
moins, selnblc due à la fois à la réduction insuffisante
et à des circonstances climatiques qui constituent des
obstacles naturels à l'allongement de la saison touristiqUè.
11 y aurait peut-être intérêt du point de vue de l'hôtelier, à consentir non pas des réductions de prix hors.
saison, lnais à offrir des journées d'hébergement supplémentaires, gratuitès.
Ce paragraphe se propose d'examiner quatre prûblènles en rapport avec le phénomène saisonnier.
Dans une p,remièrè question, on peut se demander,
te.r mes généraux de l'inté1}êt économique et social de
la nation, si la concentration saisonnière est dûe à des
goûts de la consolnmation ou des impératifs de la vi'è
économique. En effet, la simultanéité des fonctions écononliques est une des conditions de la productivité. On
-n iInagine pas, sous prétexte d'étalement dè vacances,
de libérer les P. T. alors que les activités commerciales se nlaintiendraient. Il peut y avoir intérêt à suspel1drè l'activité de toute une usine pendant un certain
temps, plutôt que d'en ralentir l'activité sur une période
plus longue. C'est donc finalement en terme de coût
social que l'étalemènt des vacances semble devoir être
résolu.
2 11
5
'
.......
En second lieu, il nous a senlblé, à la suite de résultats obtenus par une enquête par sondage réalisée en
Belgique en 1959, qUè certains facteurs socio-professionnels .c onditionnaient la concentration de la saison. Il en
sera dit quelques mots dans le 2e aspect.
Les 3e et 4e points examineront qUèlques aspects
théoriques et statistiques de la concentration dans le
temps du point de vue du transport et du point de vue
de l'hébèrgement.
1. - Analyse théorique des problèmes die rentabilité économique en fonction de l'étalement des vacances.
LeS variables en prés'ènce sont
327
,z,.
'...~
�i.- Le consonunateur touristique sa valeur de COl1sommation est estimée à 2/52, sa valeur de p.roduction à
50/52 (52 = nombre de semaines d.ans l'année).
2.- La production touristiquè : dont la rentabilité
est directement liée à l'étalement de la saison.
3.- La production non touristique : dont la rentabilité est censée être inversement proportionnell'è à l'étalement des vacances. (fonction à déterminer).
Les variables 2 et 3 sont à intérêts opposés selon des
fonctions mathématiquès du type
"
-
Production touristique : F
(f
(Dl)
)
D : signifie fonction de répartition de la variable 1
le temps.
dan~
\
_
~i
1
.
Production non touristique : F (
1
f (D
)
,)
1
On suppose ,c onnu le degré de rentabilité de chacune des dèUX productions en fonction des différents
types de .répartition possibles de la variable 1 (consomma'teurs). La variable 1 doit dès lors être distribuée de
telle sorte que la somme des dèUX fonctions de production soit rendue maximum.
Il va sans dire que ce schéma de raisonnement esl
trop lapidaire à tc e stade pour pouvoir sC! suffire. Il devra se nuancer d'une série de contraintes économiques,
afin de maintenir la solution du problème sur k , ter-,
rain des réalités.
Ainsi par exemph~, on ne pourra admettre que la
rentabilité de la production touristique descende audessous d'un 'c ertain seuil de perte.
D'autre part, s'il est possiblè d'avoir certaines idées
sur le type de la fonction 2 : rentabilité de la production touristique, il serait beaucoup plus diffidle d'en
avoir dans le cas de la fonction 3, où la grosse queslion
s'è rait de déterminer la répercussion de l'étalement dans
le temps d'une activité diminuée.
Un des problèmes de la fonction 2 est l'Qptimisation
de l'épuipement productif d'après la nature de la courbe
saisonnière. Lorsque c'è tte courbe se .resserre trop" il
devient évident que la rentabilité ne peut plus être assu328
..
;.~~
,.(
�r~e en raison d;une activit~ par trop saisonnière. Pos~
autrement, le problèm'è revient à dire qu'il existe un
plafond à l'expansion de l'offre touristique, étant donné
un minimum d'occupation moyenne annuelle en dessous duquel l'activité n'est pas .rentable. Sous cètte limite, la demande de ,c onsommation touristique ne pourra
être satisfaite qu'au prix d'une perte dans ce sect'è ur, à
compenser socialement par l'absence de perte dans la
fonction 3, résultant précisément d'è ,c et excès de concentration.
2. - Quel.ques facteurs explicatifs :d u moment des
vacances.
La liberté de ,c hoix, c'est-à-dire le conditionnement
par le rythme d'è la vie économique a déj à été signalé
plus haut.
Une enquête par sondage, effectuée en Belgique en
1959, a dégagé les quelques résultats suivants.
La concentration saisonnière p'èUt s'exprimer en
_représentant les courbes de concentration, détenues en
représentant les % cumulés des vacanciers en abscisses,
d les mois cumulés en ordonnées (courbe de Lorenz).
Le deg.ré plus ou moins grand de la concentration
pourra s'exprimer en comparant l'aire de concentration
(comprise entre la courbe de concentration et la droite
d'équirépartition) à l'airè totale du triangle. Le coefficient de ,c oncentration variera ainsi de 0 à 1. Le calcul
du complément de la surface de concentration pourra
se faire de la manière suivante
~.
Cl
-.
/C
, 1
/
/
- - - 4--- ________ _
---71
/
/
,/
~l
1
a f
."
--l/'
1
J
/
,/
"l'A1'A
,"'./
"",;
'"
J
1
_ L~ __1~ Ô ~/_~~--:. 1"1--+ _
t
1
/.
B
1
1
1
1
t
1
1
1
1
1
1
1
1
'B
1
1
!e
p
p2
329
�OAB=o13'B - OA'A - A' B; BA
OAB = 1/2 (oB' X B'n) -1/2(oA' X
= 1/2 p
2
=1/2 (p
q
2
- 1/2 p
1
q
1
-1/2 (AA'+B'B)
A'A)
- 1/2 (p
2
A'3'
- q ) (q +q )
1
1
2
q - p q )
1 2
2 1
En étendant ce raisonnèment à l'ensemble des valeurs expérimentales on arrive à la formule
OABCD .... - "
11')
....
(p1 q 2
=
.
., J
1/2
p q )
2 ,1
~
+
(p q - p q ) +
2 3
3 2
c-
1
=1
(Pi q i
+
.. + (p
1 -
n-1
Pi
q-p q
11 11
+
n-,l
»)
1 q1)
Cc procédé de calcul étant fort long lorsqu'il s'agit
d'établir de nonlhreux coefficients de concentration, on
a préféré un système de calcul analogiquè qui consiste
à déterminer les coefficients par pesée des surfa.ces de
concentration (découpées dans un papier calque bien
homogène) sur un~ balance d e haute précision. Cette
technique aboutit à des résultats à la fois rapides et suffisanlment précis. C'est par cette méthode que les coefficients de concentration ont été calculés .
Nous SOlnmes arrivés aux résultats suivants dans l è
tableau ci-dessous, où les rapports de concentration sont
classés selon leur valeur croissante. Ces données ne sont
sans doute pas inutiles pour l'orientation d'une politique
d ~ vente, ou d'un programme d'étalement des vacances.
Concentralion des vacances selon la profession
Agriculteurs
Autres
Industriels, cadres supérieurs
Professions libérales
Ponctionnairès
Commerçants
Employés
Ouvriers
330
0,141
0,183
0,219 Les professions
0,234 sont ·c lassées
0,276
par
0,285
conéentration
0,314
croissante
0,332
�Connne on 1è voit, la différence selon les professions est assez luarquée. Elle est beaucoup plus marquée que la différenciation selon les classes dè revenu.
Seuls les gros revenus sont moins concentrés que les
petits. Ceci ne p.r ovient pas tellement du choix du moment, mais bien plus de ce que les gros revenus ont une
,c onsommation toùrÏstique multiple qui aboutit à une
distribution moins 'c oncentrée sur l"ènsemble de l'année.
En conclusion de ce 2e point, il semble que ce soit
principalement le fonctionnement et la structure de la
vie économiquè qui constituent les agents responsables
d'une certaine forme de concentration touristique, ainsi
que le montre le rôle maj eur de la liberté de choix d'èS
va'cances ou l'appartenance à telle ou telle catégorie
socio-prof'è ssionnelle. L'influence du revenu étant
moindre, la solution du problème de l'étalement des
vacances semble se situer plus dans des mesures de politique générale (déplacem'è nt des vacances scolaires, répartition ou allongement des vac.ances ouvrières) que
dans des efforts de réduction de prix hors-saison, en
provenance du secteur d'è l'offre touristique.
3. - Quelques as pe,cts de la concentration touristique
dans le domaine des transports .
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-
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• '. Il.........
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.,
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... .1
·1
1
Le tourisme n'est en général pas le mobilè maj eur
de l'activité des moyens de transport. L'intérêt du problème posé ici et des quelques résultats obtenus se trouve dans -la possibilité de délimitèr ce qui, dans la totalité
des services de transport, est motivé par le tourism'è. Il
y aura lieu aussi d'examiner le rythme saisonnier spécifiquement touristique 'è t de le .confronter avec le rythme
saisonnier de l'activité totale d'un moyen de transport
donné. Cette discrimination selon la motivation qui est
à la base de la demande de s'è rvices est intéressante à
connaître du point de vue du producteur : en effet, elle
permettra de mrèux adapter la qualité offerte, mais
aussi de mieux -c onnaître la répercussion d'éventuelles
modifications de prix, puisque des motivations très
dif~férentes pour · la demande d'un mêm'è service s'ac-
331
.:.1..;-.....'
�'\
compagneront certainelTICllt d'tÜasticités
prix différentes, donc de réactions différentes à des fluctuations
de prix.
L'enquête pal' sondagè réalisée en 1959 a abouti
aux rapports de concentration suivants :
Avion
Train
Autocar
Auto
-.
0,182
0,258
0,261
0,280
Le fait que l'.a uto connaisse la concentration la plus
forte tend à lui accorder une spé.cificité tOu.ristique accuséè. L'automobile n'est pas seulement le mode de transport le plus concentré, c'est également le plus fréquent.
Le transport touristique par avion, sans doute le
fait de classes aisées, est lnoins concentré en raison sans
doutè de la multiplicité des vacances hors-saison. Ces
rythmes spécifiquement touristiques vont à présent être
insérés dans l'activité d'ensemble de certains moyens
de transport en commun : l'aviation et les chemins dè
fer.
,.,.
•
1
.
~.t 'l;
.'
Linsertion de la consomlnation touristique dans la
consommation générale en matière de transport aboutit
aux constatations suivantes, en ce qui conCèrne les données statistiques belges.
.
Les transpo.rts aériens connaissent une activité plus
saisonnière en général que les transports par chemins
de fèr· Inversement, la consommation touristique des
transports aériens est moins concentrée que celle des
chemins de fer.
Dans les transports aériens, la -c ourbe passagers-km
est plus concentréè que la 'c ourbe passagers. La consommation par tête est supérieure durant les mois d'été.
Le même phénomène apparaît encore plus nettement dans le cas des ch~mins d'è fer. La courbe mensuelle va même jusqu'à changer de sens. Au creux estival du nombre des voyageu.rs, correspond uqe hausse du
nombrè de voyageurs-km, une hausse plus accentuée
encore des recettes estivales. La courbe la plus concentréè est celle des ,recettes par voyageur ; elle cumule les
352
�effets négatifs des abonnements moins nombreux en été
et des voyages touristiques généralement plus importants ~n Km et généralement payés au prix plein.
Ainsi il semble que dans le cas des chemins de fer,
le tourisme constitue un phénomène saisonnier au rythme anti-'Cy.clique.
rythme normd
rythme touristique
résultante
Pour le cas de l'aviation par .c ontrè, le phénomène
touristique ne contribuerait qu'à accentuer l'allure du
phénomène normal.
rythme normal
.\
--)~
rythme touristi que
~.. .
r ésultante
Ceci n'est qu'un reflet général qui dev.rait se creuser par l'étudè .a u niveau des lignes (les unes sont particulièrement touristiques, d'autres moins), par la détermination exacte de la part touristique dans l'ensemble
du trafic.
4. - Les problèmes de la concentratiM au niveau de
l' hébe,r gement.
Les concentrations ont des aspects divers, selon le
type d'hébergèlnent. Ci-dessous les pourcentages des
mois de Juillet et Août dans l'année, selon les résultats
de J'enquête par sondage menée en 19.59 en Hèlgique.
~33
�Pourcentage de vacaTljciers e,n Juillet et Août
selon le m.oded' hébergement
En Belgique
Tente, caravane
Villa à soi
Auberge de jeunesse
Pension
Villa, appartement loué
Fanlille, amis
Honle vacances
Hôtèl
-
96
86
78
72
70
68
64
47
A l'étranger
72
79
67
70
80
63
90
61
Les luodes d'hébergeluent sont classés suiv,a nt leur
concentration décroissante en Belgique.
... .
La situation est quelquè peu différente en Belgique
ou à l'étranger.
On s'aperçoit toutefois que l'hôtel tant en Belgique
qu'à l'étranger, est la fOrIne cOlnluerciale d'héberg'è ment
touristique la moins ,c oncentrée. C'est là une situation
heureuse puisqu'en fait, c'est l'hôtellerie qui représente
de loin l'investissement le plus in1portant.
~
'1
""-1
Ainsi seluble-t-il que le grand mouvement dè pointe
<le Juillet-Août, soit dû su.rtout à une surimposition de
toutes les formes d'hébergelnent complémèl1taire, encore
beaucoup plus concentrées que l'hôtellerie· Il est difficile de dirè s'il s'agit d'un goulot d'étranglement dû à
un équipement hôtelier insuffisant ou trop cher qui
oblige à adopter d'autres formes, ou bien s'il s'agit de
préférences expJ.~imèès par le consommateur tOlù~h~tiqlle
que l'hôtellerie n'intéresse pas ou plus.
La limitation de la construction hôtelièrr!- en fonction de la pointe saisonnière ..
Lè problème -posé est le suivant : il -existe, étant
douné un taux moyen d'occupation, en-dessous duquel
l'exploitation n'est pas rentable (seuil de re'l ltabiUté) une
334
�limite à l'expansion hôtelière, au-d-èlà de laquelle la
demande de logement ne pourra être satisfaite qu'au
prix d'une exploitation non rentable .
. Si l'on fbœ par exemple, ,ce taux minimum rentable à 60 % d'occupation (il est surtout lié à la proportion
des coûts fixes dans les coûts totaux d'une entreprise),
il existe une limite supérieure à la COllstruction du nombre dè chambres dans 'u n site déterminé. Si on la dépasse, la moyenne générale d'occupation va baisser. Ce
phénomène est lié à l'aspect saisonnier.
Le plafond nlaximum rentable d'une entvèprise
d'hébergement va être déterminé par l'aspect saisonnier des nuitées à attendre (étant donné un taux d'occupation minimum pour 'èn assurer la rentabilité).
Ce plafond maximum et le taux d'occupation (donc
la rentabilité) varient en sens inverse l'un de l'autre
selon une fonction hyperbolique du type suivant:
xy
x
y
C
"
= C
= taux de rentabilité
=
plafond maximuIn en %
constante = 100/12 (pour.centage 1ll2nsuel)
En effet, si nous supposons que la capacité hôtelière sera enlployée à plein au mois de hautè saison, la
capacité totale = le nombre de nuitées au mois de saison X 12.
"
.
.
.
-
'
."
-
.".-\
Dans l'hypothèse d'une distribution égalell1ent répartie dans le tèmps, on aura par mois, 8,3% du total
des nuitées (100% : 12) . .
Supposons que x, le taux de rentabilité, soit de 60%;
le plafond d'hébergement sera égal à la valeur de y dans
0,60 X Y
=
100
soi t 13,8
12
Si l'on veut ainsi assurer Ull'è rentabilité à l'hébergenlent dans ces conditions, la limite supérieure devra
se situer à 13,8% du total des nuitées annuelles.
En fonction des possibilités de pointe saisonnièrè
maximum, on détermine ainsi les seuils de rentabilité
exprimés en taux d'occupation,
~35
�Dans la fonction x y = C, si on se donne soit les x
soit les y, on détermine les valeurs soit des y, soit des x
-correspondants.
Cette liaison fonctionnen~ entre la pointe saisonniè.re maximum et le seuil de rentabilité est représentée
gra phiquemen t ci-dessous.
On y voit par ex'~mple que, dans le cas d'une pointe
saisonnière de 30%, la moyenne annuelle ne sera que
de 28%, p,a r contre dans le cas d'une pointe saisonnière
de 10%, la ·moy~nne annuelle sera de 80%.
Pointe saisonnière
Variati on du maximurn saisonnier en fonction
moyen d 'occupation
%
du
taux
40
35
30
25
20
15
10
1-
5'-
o
10
20
30
40
50
60
70
Taux
80
90
100
%
moyen d'occupation.
Cette analyse devrait se poursuivre en examinant
l'influence d'un pourcentage variable de coûts fixes
dans les coûts totaux, dr~s durées de fermeture consentie
et d'autres variables, dans le cas de l'hôtellerie véritablement saisonnière.
C. -
OPTIMISATION DE L'ENDROIT.
Ce point ne sera pas développé faute - d'~ place.'
Seuls seront évoqués les schémas de raiSOllnelnent qui
pourraient s'appliquer en la matière.
33~
�Le problème dè la localisation dans l'espa·c e appartient surtout au géographe qui détennine les champs
d'action à retenir au nom des critères qu'il estime valables.
La science économique p'èut aider à la répartition
optinlale d'une certaine quantité de touristes dans une
quantité d'endroits aux possibilités d'hébergement déterminées. Il s'agit d'un problème classiqu/è d'optimisation de tr.ansports connu en recherche opérationnelle
sous le nom de problème de Hitchcock-Coopmans ; c'est
l'établissement d'un prograulme linéaire aboutissant à
déterminer la solution optimale qui minimise le coût
total des diverses combinaisons de transport que suppose le transfert des touristes en prOVènance de n endroits
émetteurs et se rendant en m endroits récepteurs.
Un autre problème d'optimisation pourrait aboutir
à détèrminer les conditions d'équilibration entre le tourisme intérieur et étranger, en fonction de l'orientation
de certaines ,c ontraintes résultant de l'état de la balance
d'ès paiements.
"
1
D. -
CONCLUSIONS.
Lorsque les théories existantes s'attachent à essayer
d'éclairer ou de pénétrer une réalité .aussi complexe que
Je phénomène touristiquè en général, elles survolent tout
et ne résolvent rien.
-,;
.-
.......
~
.
~,
. .
.
\
Elles peuvent simplement ·c ontribuer à mieux mettre en lumière c'èJ'taines possibilités d'action susceptibles d·améliorer des situations en évolution incertaine.
Il n'en reste pas moins vrai que chaque problème
conserve sa spécificité, et nécessÎt'è donc sa propre théorie pour être résolu.
C'est toutefois de la confrontation des théaries existantes que peut naître la meilleure possibilité de répons'è
pratique à des questions qui comme le tourisme de masse d'aujourd'hui, sont des phénomènes sociaux d'importance générale, dont l'harmonisation conditionne une
des formes a/c tives du bonheur matériel pour les citoyens
d'aujourd'hui,
G.
LABEAU.
337
22
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\.1. ,
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�,:'\
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"
L /établissemen t
des saisons touristiques.
Nouvelle contribution
à la solution d/un vieux problème
. ':1
Le problème de l'étalement des vacances est un
_problème qui préoccupe depuis fort longtemps l'ens'è lnble des milieux touristiques. En fait, le problème est l'un
«es plus déterminants de l'évolution future du tourisme
dans lè monde.
-,·1
. \
Nous avons procédé en 1960, pour le compte de
l'Union Inte.rnationale des Organismes Officiels de Tourisme, à une vaste enquête auprès des membrès de
l'Union. Nous avons obtenu 35 réponses à l'heure actuelle, dont 15 provenant des pays d'Europe.
Une prèmière constatation s'impose : ,c 'est que, eu
fait, le problème si important de l'étalement des saisons
ne se pose pas pour tous les pays nlembres de l'Umon,:
C'est ainsi, par exempl1è que pour le Cambodge, le Pakistan, l'Afrique de l'Est, la Tunisie, Chypre, la Rhodésie et le Nyassaland, Ceylan, le Liban, la Chine et l'Australie, la faiblesse dè leur équipement ou la faveur de
leur position géographique font que le problème de l'étalenlent des congés ne se pose pas, ou p,a s encore 'èTI tout
cas.
NOlnbreux, cependant, sont les pays qui souhaitent
étalement des saisons touristiques. DèS pays sont ceux
(fui disposent d'un~ industrie déjà trè:5 solidement équi-
Un
~39
�pée, ou, ég~leU.1ent, ceux qui ne sont pas situés dans des
zones géographiques I~t climatiques particulièrement
favorables et pour lesquels les termes d'exploitation se
trouvent extrêmement serrés.
En fait, on constate qu~ parn1Ï les arguments nombreux mis en avant pour plaider la cause de l'étalement
des congés il y a, d'une part, l'insuffisante utilisation
d'un ,c apital national considérable, tant du point de vue
culturel que du point de vU'~ économique.
Il y a, d'autre part, un pou.rcentage d'occupation hôtelière et de transport totalement insuffisant, d'où découle, bien entendu, un manque considérabl'~ de rentabilité
des capitaux investis et une difficulté évidente de réinvestissements et de rééquip'è ment.
Troisième raison prouvant la nécessité de l'étaleluent des congés : les difficultés considérables que l'on
rencontre dans la formation, le Inainti~n et la stabilité
d'une nlain-d'[Œuv.re qualifiée. Et Dieu sait, cependant,
si dans le donlaine du tourisme, la qualification de la
main-d'œuvre 'è st une nécessité absolument indispensable.
Un dernier élément, enfin, est l'inconvénient énorlne de l'étranglement s.aisonnier. En fait, cet étrangl'èluent qui se caractérise, dans un nombre considérable
(-',t toujours grandissant de pays, par l'accumulation sur
de hrèves périodes d'une cHèntèle extl'êmement nombreuse, une surpopulation des moyens de transport et
des moyens d'hébergement, provoque, ~n réalité, des
conditions de gestion économique absolument déplorahIes, en mènle temps d'ailleurs qu'un mauvais emploi
ùe la périod~ de loisirs, de la période de congés annuels
dont disposent les citoyens.
, l
-1
L'analyse des raisons de l'existence de la concentration saisonnière a été faite, bien entendu, à d~ nombreuses .reprises. Il y a pratiquement douze ou quatorze ans
déj à que tous les congrès internationaux de tourisme,
qu'il s'agiss~ de ,ceux de l'Union ou de ceux de la Com111ission Européenne, qu'il s'agisse de l'Association Internationale de l'Hôtellerie ou des Experts scientifiques
de tourisme, se sont p'~nchés sur ce problème de l'étalement des saisons et ont très souvent prononcé des juge~4Q
�111ents définitifs sur les causes de cette concentration saÎsonnière 'è t sur les relllèdes qui dev,raient y être appo.rtés.
Les raiso.ns de l'existence de la concentratio.n saisonnière sont, les unes d'ordre climato.logique, les autres d'o.rdre éco.nomique ; d'autrès enfin so.nt d'o.rdre
so.cial et lnême d'ordre so.cio-psycho.lo.gique.
Hcvoyo.ns-Ies ,rapidement en détail. Les raiso.ns clilnatologiques sont évidentes et ll'è nécessitent vraiment
pas de dévelo.ppement. Les raiso.ns éco.no.miques sont,
elles, liées à la fermeture des grandès entreprises. Les
grandes entreprises o.nt pris po.ur habitude de fermer
leurs portes p'èndant une pérîode déterminée de l'année,
-de mettre tout leur personnel en congé d'un seul coup·
Celà entraîne dei perturbations .considérables dans le
1110UYèmellÎ touristique, perturbations d'autant plus graves précisément que les fermetures de g.randes entrepris~s sont généralement - on pourrait même dire presque
sans exception - fixées pendant ce qui est considéré
_ déjà cornme la haute saison touristique normale.
1
,
,
Les raisons socialès découlent de l'existence des
va.cances scolaires, et les ' vacances scolaires se trouvent
évidemment influencées directement par la mise ~n congé des grandes entreprises. Il est évident que l'ens1è mble
des travailleurs qui ont des enfa~ts en âge d'école déterlniuènt eux-mêmes et entraînent forcément la mise en
congé de l'ensemble' des entreprises. Ces travailleurs ne
peuvent évidemment envisager dè prendre leurs congés
lIue sur le plan familial, c'est-à-dire pendant la période
des vacances scolaires. Cette périod'è de vacances scolaires coïncide lamentablement - faut-il le dire - avec
la période de haute conj oncture du tourismè.
'
1
Enfin, .raisons socio-psychologiques. C'est évidemlnent, dans une .certaine mesure, la volonté des nouvelles masses acquis~s à l'idée et à la pratique du tourisme
Je jouir de leurs vacances pendant la période traditionnellement reconnue comme étant celle du tourisme. Il
y a là un véritablè phénomène de psychologie sociale,
une manifestation ,de véritable tabou social, qui veut
que les grandes masses exigent de pouvoir prendre leu.rs
congés pendant la période I(h~ l'année choisie déj à par
les classes mieux nanties de la population.
341
l,
�Ji:u d;aulres Lenlies, eÙes vculellt leur pari de ce qui
lèur est apparu jusqu'ici comme un privilège.
~.~.-
. ...
.: .
,.
'{oute cette analyse, que nous ve.i1ons très rapideInellt d'esquisser encore une tois, a été :faite trop souvent
uéJ a pour que nous pensions à la l'èprendre en long et
en large dans cette brève étude. ~n tait, ce qui est plus
lIllponant, ce n'est pas d'analyser les raisons de la concenttallon ; cela a elé fait çt bien fait. NIais c'est d'essayer de voir dans quelle lllesure les remèdes qui ont
éte indIqués j usqu)ici ont été efficaces, applicables ou
non.
~.
,
Jusqu'à présent, quelle a été la thèsç de .ceux qui se
sont eito.r·c és 'd'apporter un remède au problème de la
conceniratlon saIsonnière '! Ils ont recommandé - et
nous favons fait exactenlent ,commÇ eux - ils ont recomlnandé rabaissement des tarifs de transport. Dieu
sait si, dans ce domaine, les organislues nationaux de
tourisme peuv~nt se flatter d'avoir eu quelque influence, puisqu'aussi bien toute la politique de tarifs hOl'ti·
saison lest incontestablement sortie des délibérations
que nous avons Inenées à œ sujet avec les porle-paroles
de l'industrie intéressée. A l'abaissement des tarifs de
transport, il faut, a-t-on encore dit, ajouter rabaissement
dèS tarifs d 'hébergement. Cela va de soi, .car c'est ici
l'un des éléments qui peuvent le plus sùrenlent induire
une partie de la ,c lientèle à abandonner les av.antage~
- ou Cè qu'elle ,croit être les avantages - de la hautesaison touristique.
.
.'
.'
-'
.· ··1
.."... ,,
~.
-1
Il est également, bien entendu, recommandé très
chaleureusement et très fermement d'assurèr un étale··
ment des vacances scolaires et, au delà, un étalement
dèS vacances industrielles. Il est recommandé enfin de
111ener un action psychologique sur l'ensemble du pu1:)lic.
..~
Jusqu'à présent, ces relnèdes, .ces .recommandations
qui semblent tellem~nt raisonnables, qui semblent tellement logiques et qui devraient par consequent ayoir
résolu le problème depuis bien longtemps, n"ont eu guère dè succès. Et ce, pour des raisons qui sont d'ailleurs
totalement indépendantes de la volonté de ceux qui les
ont formulées" et même de ceux qui ont ~ssayé de le's
mèttre en pratique.
.. . . . "_."__ '
342
. ..
:;-
�Ën fait, Îc problèulC des vacances scolaires l'este
pusé aujourd'hui avec à peu près la même acuité qu'il
y a douze ans, pour la simple ' raison qu'il est toujours
aussi impensable de maintenir l~s enfants à l'école pen ·
daut la période des plus hautes températures. Par conséquent - ' comme eut ' dit :M. de la Palice - s'ils ne peuvent êtr~ à l'école, il faut qu'ils soient en congé. Les
voici donc en congé pendant la période d'été et c"est par
conséquent pendant la hante période d'été que les grandes usines ferment et qUè le grand flot du tourisme se
déverse exactement au même moment chaque année.
Rien, ni les tarifs réduits, ni aucune pr~ssion gouyernenlentale n'a encore pu entamer ce roc.
Nous avons pensé qu'i! était peut être possible d'aborder la qu~stion de l'étalement des saisons par un
biais 'sous lequel on ne l'avait pas encore envisagé, ou
en tous cas sous un angle auquel on n'avait pas attaché
jusqu'à présent suffisamment d'importance.
Après avoir essayé vainement pendant plusi'èurs
années de mettre en application les recommandations
que nous avions formuléès nous-'mêmes et que nous
avions ent~ndu si souvent répéter autrefois, nous nous
sonlmes dits que peut-être nous pêchions par une mauvaise approche générale du problème. Nou's avons procédé, pour compte de la Commission européenne du
Tourislne à une '~nquête qui nous a mené à la découverte ... d'un nouvel œuf de Colomb.
.1
Nous avons constaté que, en ce qui concerne les
pays d'Europe, en tout cas, une proportion de 30 à 35%
de la population de nos pays r~spectifs est libre de choisir sa période de vacances, s.a période de déplacement,
absolument en dehors de toute espèce d'impératif scolaire ou d'impératif industrid. Voilà donc une portion
de population - p.rès d'un tiers ou même plus d'un tiers
dans certains pays - qui se trouve être absolument
libr~ de son jugement et de sa décision sur le point précis où nous désirons modifier son comportement. Nous
nous sommes dits que si nous parvenions à agir sur cette
pal1ie de la population" de la haute saison touristique
et à la reporter sur la hors-saison, nous aurions rendu à
l'ensemble de l'industrie touristique et -, nous le dé343
�rnolltrerons tout à i'heuie sèrvice considérable.
aux individus eux-nlêlues,
Un
l. . ous avons aonc, sur cette basc, procédé à l'étude
ùu prOil.LelUe alillH Oe.1lilllte . .J..~ous nous sonunes aits qu'il
Claü peUI~eLre un peu aosurae <le contlnuer à vouloir
aC-C'Ulllu.1Cr oes arg~ments 0 ' ord.re genera1 sur la tëte
U: ullè cuentele qUl, IUailltUreusemenI, qu'elle le veuille
ou non, ne peuL pas mOUIller ses naDItUOes de vacances,
ne peUL vas se oeplacer en àel~ors oe la. haute saison.
nt que nuus aunolls, par contre, lè piUS grand intérêt il
cOll\;entrer tous nos e1torts sur la partie véritablement
dISponIble du public.
Nous sommes arrivés à la .conclusion qu'il était parfaitement posslDie d'agir ei de reUSSll' pour autant que,
bien èntenau, les conoltiol1s économIques plus lavorablèS en nors-saISons SOIent luaintenues, que l'activité dans
ies Ueux de sejour SOIt sUltlsante et que soit entreprise
une actIon de publicIté aSSèZ lnassi ve pour rompre Je
barrage psyC11010gique créé par l'habitude.
.· 1
1
j
Un ne m 'en voudra sans doute pas de m'étendre un
peu sur cette question: le maintien hors-saison dè condItions ,é conollliques plus favorables est évidenunent
une condItIon sine qua 'non de la réussite de· toute ~spè
ce de campagne dans ce sens· 11 est évident que les arguluents économIques gardènt toute leur valeur, au monIent du cl1oix. L'activIté developpée des lieux de plaisance et de séj our en dehors de la' saison, est une autre
évidènte nécessité. 11 est certain que si nous déplaçor..s
une partie du public vers le littoral ou vers la montagne et que ce public ne trouve pas pendant la période où
nous 1) avons amené une activité suffisante, il risque d'è
rencontrer l'ennui. Alors, non seulement il ne répondra
plus à un deuxième appel, mais il aura tôt fait de décourager toute espèce de tentative Vèrs l'étalement des saisons.
Mais, une fois ces deux conditions fondamentales
réunies, ce qui nous est a ppa.ru comme la chose primo rdialè., c'est l'approche pubHcitaire du problème. Nous
nous sommes dits, et nous avons démontré d!lns la pratique, que c'était bien cela qu'il fallait faire ; nous nous
sommes dits qu'il fallait exactement mefilèr une campagne psychologique qui en arrivè à .permettre à une par344
�tie importante de la population de s'affranchir de ce
tabou psychologique, de ce tabou social dont je parlais
tout à l'heure, qui lui permett'è donc de se décider à
prendre de nouvelles habitudes. Rien n'est plus difficile
à modifier, sans doute, que les habitud'ès des masses,
mais la bataille valait d'être tentée, l'essai valait d'être
fait. C'est 'ce que nous avons réalisé. En fait, en Belgique, en Alh~magne, en Grande-Bretagne et en France,
il s'est déroulé pendant quelques années un certain
nombre d'actions de propHgande et de publicité, basées
très exactement sur }è principe général que je viens de
vous exposer.
En Belgique en tout cas, nous avons véritablement
mobilisé tous les moyens techniques de la propagande
moderll'è, de la publicité moderne, de la radio à la télévision en passant par la presse quotidienne, par les
hebdomadaires, par ies conférencès, en utilisant le film,
en choisissant les a'c tions psychologiques particulières à
différentes couches sociales réunies dans les clubs et
dans les associations. Nous sommes véritablement parve-nus à créer un intérêt absolument neuf pour l'idée des
vacances en Juin.
..
1
•
j
Le Commissariat Général au Tourisme a pris, en
1960, l'initiative de cette vaste campagn'è publicitaire
tendant à assurer un étalement effectif de la saison touristique belge. Bâtie sur le thèm"è « Vacances en Juin »
cette action s'est répétée avec plus de vigueur encore en
1961.
Une inconnue rèstait, cependant : dans quelle mesu,r e le public, tant belge qu'étranger, serait-il sensible aux
arguments avancés, aux séductions des slogans promettant « meilleur repos, meiHèures vacances, pour moins
d'argent » ?
Les statistiques sont enfin c,onnues, Et leur dépouillement est source d'une très grande satisfaction pour les
promoreurs de cette importante action.
Une première constatation, tout d'abord. C'est qu'il
n'est pas possible de comparer valablement les chiffres
relatifs au seul mois de juin, pour la bonne raison que
la Pèntecôte, fête mobile dont en connaît l'énorme incidence sur les ,c hiffres touristiques, se place tantôt en
345
~'-
.;.;.
�lanlÔl en juin. Il faut tione, pou.r 6tabiir -uue
paraison valable, j oindre les deux mois·
lllUi,
C0111-
Sous bénéfiee de eettè opération, voici donc les ;résultats qui ont découlé de l"opération vacances en Juin:
de 1959 à 1961, c'est-à-dire, pour la période de deux ans
de la campagne, les chiffres ont passé dans l'hôten~rie
de 699.806 nuitéès à 787.533, soit une augn1entation de
13 90 ; dans les établissements de tourisme social, on
passe de 190.622 à 220.446, soit 16 % d'augmentation ;
pour les villas et appartements, de 925.000 à 1.045.72n,
soit 13 % d'augmentation.
Ces résultats sont d'autant plus significatifs si l'on
adn1et qu'une can1pagne publicitaire, quelle qu'ell~ soit,
n'atteint son pleill effet que par la répétition, et qu"un
délai parfois assez long "~xiste, pour une g;rande partie
du public, entre la réception du message publicitaire et
la prise d'une décision fonnelle dans le sens souhaité.
Tout laisse prévoir que la campagne pour lèS
vacances en. Juin "1963, que le Commissariat Général au
Tourisme prépare actuellement, connaîtra un nouveau
'è t substantiel succès.
,
<
"1
Des expériences relativement sinlilaires qui ont été
faites - COlnme je viens de le dire - en Allemagn~, en
France, en Italie et Grande-Bretagne, ont démontré la
pertin~nce générale de notre thèse. Nous sommes convaincus, et nos amis français, britanniques, italiens et
allemands nous l'ont confirmé, que l'approche psychologique du problème est l'approche véritablement valable et déterminanÏ'~.
Plus .récemment, au Groupe de Travail que j'ai
l'honneur de présider au sein du Comité du Tourisme
de l'O.C.D.E., l'nnanimité s'est faitè pour recommander
à l'ensemble des pays d'Eu.rope d'amorcer une eampague basée sur les Inêmes thèmes, sur les Inêm~s moyens
et sur la n1ême action psychologique .
.f e crois pouvoir affirmer que, pour la premlere
fois depuis douze ans, le problème de "l'étalèment saisonnier a été abordé sous un angle nouveau. Je répète que
c'est aussi simple que la découverte de l'œuf de Colomb.
r\)ous n'avons pas la prétention d'avoir fait un très
grand '~ffort d'imagination, ni même d'avoir découvert
346
L:"
. ~}.;-:.
"
�Lin nOlIveau nl0ncle. Mais nous croyons v.raiment avoir
apporté un élément de réflexion, un élénlent d'information qui sera peut-être uti1~ à l'ensemble des membres
de l'Union. Nous savons pertinemlnent aussi que les
conditions ne sont pas les ' mêmes ; le bref résumé que
j'ai présenté en comm~nçant, des réponses qui ont été
founlies à notre questionnaire, prouve que la maturation des problèmes est loin d'être la mênle suivant les
latitudes ou suivant l'état d'équipernent d~s pays. n
n'en reste pas moins que pour un très grand nombre de
pays membres de l"Union le problème de l'étalement d~s
saisons est déj à posé et que, pour d'autres, il se posera
à plus ou moins brève échéance, en fonction mêm'è du
développement du tourisme intercontinental.
leur
Nous serions heureux si notre expérience pouvait
êtr~, demain, de quelque utilité.
RESULTATS D'ENQUETE
Les résultats d'une enquête en 1960 révèlent que :
,
"
'1
1" Un certain nombre de pays membres de l'UIOOT,
en raison de la faiblesS'~ de leur équipement d'accueil
ou de la faveur de leur position géographique, f.ont que
le problème de l'étalement des congés ne se POStè pas ou
ne se pose pas encore. C'est le cas de l' Afriqùe d'~ ·l'E8t.
du Cambodge, de Chypre, de Ceylan, de l'Australie, ùe
la Rhodési~ et du Nyassaland, du Liban, de la Chinf',
de la Tunisie et du Pakistan.
2. Pour certains pays, le problème dE l'étalenlent
des congés se pose avec plus ou moin~ d'acuité. Vpyùn8,
d'~bord quelle est exact~ment la période hors saison de
ces pays:
I. -
En U.R.S.S., d'Octobre à Avril.
II. - Aux U.S.A., l'hiv~r est la période hors-saison.
Cependant les stations du Sud (Floride, Californie, NewMexico) ont leur morte.Jsaison en été.
III. -
Au Pakistan, la saison tou.ristique s'étale :
347
�a) sur toute l'année pour l{arachi, Dacc!!, Chittagong, Cox's Bazar, Sundèrbans el Sylhet ;
b) de novembre à mars pour les plaines de
et de l'Ouest ;
l'E~
c) d'avril à octobre dans les stations de Inontagnes
de l'Est et de l'Ouest.
IV. - A Hong-Kong, il faut
hors-saisons :
distingUi~r
2 périodes
a) de juin à septelnbre inclus,
b) de la mi-décernhre à fin-janvÏ'èr.
V. Canada: la période hors-saison va du 1""
Octobre au 31 Mai.
VI. - Corée : la période hors saison va de Hn-noven1bre au début de Mars.
VII. - Inde : l'indice saisonnier du trafic touristique montre que lèS v.ariations sont peu significat~ves en
ce qui concerne le trafic étranger. Il faut remarquer sur
le plan national une forte émigration dans les slations
de montagnes en mai 'è t juin, en vue d'échapper à l'intense chaleur des plaines à cette époque. Le problème
de l'étalement pour ces stations s'aggravè graduelleInent mais on ne voit pas comment persuader les gens
d'agir différemment.
VIII. - Arabe Unie (P.rov. Syrienne) : la périod'~
hors-saison se situe de mi-novembre à mi-mai. Période
pendant laquelle l'industrie hôtelière est pratiqU'~ment
inactive.
.
IX. -
Jordanie : on y distingue
~
périodes. de poin-
te
a) du 24 Décembre au 19 Janvier.
b) la période dè Pâques,
c) les mois d'été.
X. - Nouvelle-Zélande : la période considérée pa.r
les étrangers comme hors-saison va de ~ai à Août
inclus, mais pour les nationaux ce n'est plus le cas du
fait qu'on assiste à un déveloPPèment rapide des stations de ski dans le nord et le sud du p.a ys.
348
�-'
XI. ~ Japon: on distingue dans ce pays 2 périodes
hors-saison: de décembre à février et de juin à août
inclus.
XII. - Allemagne: dans C'èrtaines stations thermales ou climatiques, on ll'è fait plus guère de différence
entre saison et hors-saison; il en est surtout ainsi dans
les stations de sports d'hiver qui sont en mêm~ temps
des stations climatiques. En revanche, dans les stations
balnéaires, on fait encore une distinction entre la saison
proprement dite 'è t les périodes qui la précèdent ou la
suivent, la saison commençant début Juillet pour se terminer mi-septembre; dans certaines régions où le cliInat est particulièrenlent favorabl'è, elle dure généraleInent de Mai à Septembre.
XIII. - Autriche : l'avant-"Saison et l'arrière-saison
varient naturellement suivant les régions et les localités. D'ull'è manière générale, l'avant-saison dure jusqu'à
la fin juin et l'arrière-saison ,commence dès septembre.
La saison d'hiver comprend principalement les mois de
F évrie.r et de Mars.
XIV. - Danemark: on peut 'c onsidérèr comme
pleine saison la période allant du 2 Mai au 30 Septembre.
".
..
XV. - France: la saison touristique
dite se situe en Juillet et Août.
proprelnent
XVI. - Italie : bien que la périod'è hors-saison y
soit variable selon les régions on peut considére.r que
dans l'ensemble elle s'étend du mois d'Octobre au lnois
d'Avril, sauf pour les stations de sports d'hiver qui connaissent également une saison d'hiver .
XVII. - Luxembourg : on fait une distinction entre
la période considérée comme « pleine saison » et le
restant de l'année considéré comme « hors-saison ». Est
considérée .comme pleine saison la période comprise
entre le 1er juillet et le 15 septèmbre ; les jours de fêtes
de PâqUèS et de la Pentecôte ·s ont assimilés, au point de
vue hôtelier, à la pleine saison.
XVIII. - Pays-Bas : la période considérée comme
hors-saison » commence ap.rès le mois d'août et se
termine all mois de juillet,
.
«
~49
. . .~
0- II(
�XIX. - Royaume Uni: on considèrè généralement
que la durée de la période des vacances couvre les mois
ùe juillet et août. Toute autre période de l'année peut
être considérée comme hors-saison.
XX. - Portugal : les mois de novelubre, décembre,
janvier et février, sont considérés comme « hors-saison ».
Les périodes avril-juin et septembre-octobre, sont considérées COInm'è à la limite de la saison. La période de
pointe se situe en juillet et août.
XXI. - Suisse : il n'existe pas de définition légale
ùes périodes apP'èlées « hors-saison », puisqu'on pa.rle,
dans certaines parti'è s du pays, d'une saison de printemps et d'une saison d'automne. A son tou.r, la saison
d'hiver connaît le creux de janvier. Cependant les mois
de juillet et août sont généralement considérés COlnm'è
pleine saison estivale tandis que les fêtes de Noël et de
Nouvel-An, ainsi que le Inois de févri'è r marquent la
pointe de la saison hivernale.
XXII. et août.
Suède
la pleine saison sc situe en juillet
XXIII. - Norvège
juillet et août.
la pleine saison S'è
situe
en
1
XXIV. - F'inlande : connne pour la Suède et la
Norvège, la pleine saison se situe en juillet et août.
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,., . ::1
XXV. - Belgique : la période hors-saison s'étend
du 1er septemb.re au 30 juin .
Dans un bon nonlbre de pays les actions ont été
entreprises en vue d'étaler la saison. Les réponses au
questionnaire adressé aux mèmbres de rU.I.O.O.T. en
1960, sont analysées ci-dessous
1. - Aux U. S. A. : sur le plan gouvernenlental
aucune action n'a été entreprise.
2. - En U.R.S.S., Intourist a entrepris par tous les
1110yens de propagande dont il dispos'è, une campagne
de publicité en faveur de l'off-season. Les étrangers
hénéficient de 15 à 25 % de réduction et le.s nationaux
de 20 % dans les hôtels, pensions et sanatoriums, et 15 à
LO % de réduction sont consentis par les transporteur~
350
...
: "'~
~
�maritimes et aériens. Intourist constate que les mesures
adoptées ont été fructueuses sur h~ plan national mais
sans effets tangibles sur la clientèle internationale.
3. - Au PAKISTAN: aucune action spécifique n'a
été entreprise pour étaler la saison.
4. - A HONG-KONG : rien n'a été fait pour étaler
la saison.
_.
, -
-
5. - Au CANADA: divers organismès privés se
sont efforcés d'étaler la saison par des moyens de propagande classique (brochures, affiches et conférences).
L'industrie d'accueil ainsi que les transporteurs ferroviaires et aériens accordent en ofI-season 10 à 20 % de
réduction. Les résultats enregistrés sont très peu sensibles.
1
',,'- 1
6. - En COREE : une action de propagande est
centrée sur les stations de ski et sur les Zoll'~S de chasse.
Tous lèS moyens de propagande sont utilisés à cet effet
et le gouvernement y consacre 3.000 $. 20% de réduc.tion sont consentis par les hôteliers. Les résultats de
cette action sont peu sensibles.
7. - En INDE : les divèrs moyens de p.ropagande
classique sont utilisés en faveur des festivals et les céréInonies qui se déroulent en off-season. Aucun résultat
sensible n'a été enregistré jusqu'à ce jour.
8. - En ARABE UNIE (Syrie) : aucun~ action n'a
été entreprise jusqu'à ce jour pour étaler la période
otf-season. Les touristes toutefois bénéfi.cient de 25 % dè
réduction dans les hôtels.
-,
-1
\
1
9. - En JORDANIE : le gouvernem'è ut mène une
campagne de propagande pour développer le trafic
touristique en général (mais non une action spécifique
pour étaler le trafic). Les hôteliers en périodè de pointe
Inajorent leurs p.rix de 25%.
10. - En NOUVELLE ZELANDE : l'Office National
de Tourisme entreprend avec le Gouvernemènt Australien, une campagne en vue de développer le trafic offse.ason, -èt notalnment les stations de ski. Tous les
moyens classiques de propagande sont utilisés à cette
3.51
�fin. Les chemins de fer, les compagnies aerlennes, les
associations hôtelières, les ag~nces et autres transporteurs et organismes ont joint leurs efforts à ceux du
gouvernement. Entre juin et octobre, les compagnies
aériennes offr~nt 25% de réduction pour le trafic p.royenant d'Australie ..
Les résultats enregistrés sont intéressants : le trafic
s'est en effet accru de 9,8% en Mai 1960 par rapport au
nlois co.rrespondant de 1959. En juin, l'accroissement 'èst
12,6 %" en juillet de 20,2 % et en août de 12 %.
11. - Au JAPON: le gouvernement s'efforce d'étaler la saison par une campagne dr~ propagande appropriée. Il a réalisé deux films qui sont distribués à
l'étranger.
Aucun tarif spécial n'est consenti par les hôteliers
sauf certains établissements qui consentent 10 à 15% de
.réduction en off-,season.
-
L~s résultats enregistrés ne sont pas négligeables et
chaque année on constate un accroissement du trafic
touristique durant les mois de morte-saison.
12. - En ALLEMAGNE : dans tous les Lander, on
s'efforce d'étaler autant que possible les vacances scolaires.
'.
.j
Jusqu'à prés;~nt la nécessité de respecter les progranlmes et le niveau des études n'a pas permis de donner tout à fait satisfaction à findustrie touristique. Celleci s'efforce de son côté de répartir une fraction inlportante du trafic tou.ristiqU'~ avant et après la saison. Les
agences de voyages appuient cet effort en org.anisant
hors-saison des excursions particulièrelnent attrayantes.
En outre, les fédérations touristiques ont lancé l'opération « Schlaumeier » pour répandr~ l'idée que les « gens
avisés » ne voyagent jamais durant la pleine saison
lnais de préférence avant ou après. Cette publicité se
fait sous forme de dépliants, d'articles dans la presse,
de publicité cinématographique, etc ...
n est difficile d'apprécier les résultats d'efforts
accomplis depuis des années et ,a ucun progrès décisif n'a
été enregistré surtout pour l'aménagement des vacances
scolaires.
.
~52
�13. - En AUTRICHE : l'étalement des grandes vacances est actuellement organisé de telle manière que
dans les trois provinces de l'Est, Vienne, Basse-Autriche
et Burgenland, le début des vacances est avancé d'une
semaine par rapport aux six autres provinces fédérales.
Les vacances de Noël sont actuellement de 15 jours environ.
Un grand nombre d'hôtels accordent de 10 à 25%
de réduction sur h~ prix des chambres et de la pension.
Aucune action publicitaire n'étant entreprise en vue
d'étaler les vacances et congés, il n'est pas possible d'en
indiquer les résultats. D'une manière généralè, on peut
constater une prolongation de la saison jusqu'en septem.bre dans la région des lacs en particulier.
1
.
: ..' .J
. J
14. - Au Danemark : la loi danoise relative aux
congés est fondée sur lè principe que les mois d'été sont
les plus favorables au repos et au délassement. C'est en
pa.rtant de ce principe que la Loi sur les Congés stipule
que les intéressés doiV'ènt bénéficier de douze j ours consécutifs de congé entre le 2 mai et le 30 septembre (période effective de vacances) rèt que, seuls les six jours restants peuvent être p.ris en « hors-saison ».
\
De nombreux hôtels au Danemark accordent des
réductions sur le prix des 'c hambrès allant de 20 à 30%.
1
; . 'C
~7
Les statistiques ne font pas apparaître des résultats
en matière d'étalement.
.
.
.
15. -
'
FRANCE :
a) dans l'industrie automobile, les départs ont lieu
du 23 juillet au 5 août ;
1
b) dans les banques, il a été accordé Ull'è bonification de congé au personnel qui prendrait une partie de
leurs vacances en hiver, de la manière suivante: 2 jours
de congé supplémentaires pour deux semaines de congé
successif prises d'octobre à avril ;
c) dans les compagnies d'assurances, un régin"le perInet aux employeurs qui demandent à leur personnel d~
prendre tout leur congé dans la période qui se situe du
1er octobre au 1er avril, d'accorder 3 jours de congé
supplémèntaires,
353
23
�Les agences de voyage ont effectué une campagne
systématique pour un certain nomh.îc de circuits ho1'ssaison à des prix réduits.
Les hôtels consentent, pendant la hors-saison, des
prix qui sont généralenlent inférieurs de 20 à 30% aux
prix nonnaux.
En ce qui concerne l'étalement prop.rement dit, on
peut .considérer que dèS résultats encourageants ont été
obtenus cette année pour le mois de juin 1960. Ces derniers sont la conséquence des efforts entrepris sur les
instances du Commissariat Général au Tourisme, tant
par les directeurs des stations et les municipalités, pour
mettre pendant les Inois extrêmes de juin et septenlbre
à la disposition des touristes un 'è nseInble de distractions
et de réjouissances conlparable à celui dont peuvent
jouir les estivants de juillet et d'août, que par les hôtelie.rs qui conS'èntent des ,c onditions particulières en juin
et septembre. Ils sont dus également à ce qu'un certain
nombre de vacanciers a compris que l'étalement des
congés, s'il est d'intérêt national est aussi, et surtout, son
propre intérêt.
,, )
.
•
~.
c
j
La saison touristique ne s'est pas malheureusenlent
trouvée pour autant allongée car le mois de septembre
par contre a été égalèment en 1960 pratiquement perdu,
en raison de la fixation au 15 septembre de la rentrée
des classes qui a contraint les familles à regagner leur
domicile pour les préparatifs dè rentrée, huit à dix jours
d'avance.
Du m,ême coup, tous les efforts des organismes professionnels pour provoquer l'étalement de la saison sur
septembre se sont trouvés réduits à néant.
Oèla suffirait à prouver que l'aménagement du régime des vacances s'c olaires est à la base de l'étalement
des vacances.
16. - ITALIE : une ,réduction de 20% environ est
consentie en hors-saison sur l'èS tarifs hôteliers. Des réductions spéciales sont prévues en faveur des tourisle:s
d'Amérique du Nord dans les transports, les hôtels et
les restaurants et il est Iènvisagé d'étendre ces facilites
aux touristes européens et mêmès aux Italiens,
354
�Une action ,a été entreprise auprès du Ministère de
l'Instruction Publique en Vll'è d'étendre les vacances
scolaires de Pâques, qui ne durent actuellement que cinq
jours.
17. - LUXEMBOURG: depuis plus de six ans, l'Of.fice National du Tourisme s'efforce d'obtenir drè la part
des intéressés des tarifs de faveur afin d'attirer le plus
de visiteurs possibles. Des négociations ont été menées
aVèC l'hôtellerie, les transporteurs, les syndicats d'initiative et les entreprises touristiques privées.
En dehors de la publioation et de la diffusion d'un
dépliant spécial qui fait état de nombreuses et diverses
réductions acco.rdées pendant la hors-,saison, l'Ofn'c e
National du Tourisnle s'est efforcé de faire connaître les
avantages accordés, dans le cadre de la prop.agande réalisée annuellement dans la presse étrangère lèt à la radiotélévision.
.
La réduction accordée par environ 40% des hôte-liers participant à l'action est de l'ordre de 10%. Il Y a
lieu de préciser qUè les réductions ne sont a'c cordées que
sur la base de prix forfaitaires portant sur des séjours
minimum d'au moins 3 jours.
Certaines entreprises d'excursions en cars accordent
une remise de 10% sur lè prix des excursions organisées
pendant la hors-saison.
·1
.
A cause des faibles moyens mis en œuyre pour la
propagande, les résultats obtenus jusqu'à présent ne sont
guère importants et loin d'être satisfaisants.
18. - PAYS-BAS : toutes les directions des services
du personnel sont invitées, chaque année, par ci.rculaire,
à donner autant que possible avant le 15 juillet ou après
le 15 août, les v,a cances aux employés qui n'ont pas d'enfants fréquentant une école.
On infIuènce les va,c anciers
a) par l'int'èrmédiaire des entreprises d'hébergement
et de transport, par la distribution de dépliants, commençant au mois de janvier et par l'application -de transparents dans les moyens de transports publics
~5~
�b) par des publications en temps utiles :
dans des revues de personnel,
dans des organes de syndicats patronaux et
ouvriers,
dans des organismes touristiqu~s,
dans des revues professionnelles,
dans des organes et dépliants des syndicats
d'initia tive ;
c) par la pa.rticipation à des expositions
d) par l'organisation de ,c onférences de presse,
27.000 $ sont consacrés à cette action.
l
En 1948, presque toute la population néerlandaise
aUait en vacances dans la première semaine d'août. Les
vacances pr~scrites obligatoirement dans l'industrie du
bâtiment ainsi que dans les autres branches industrielles
néerlandaises étaient fixées également pour cette semaine. Dans le pays t~ntier les vacances scolaires tombaient
au mois d'août. Afin de niveler ce pic des vacances, on
a entrepris, depuis 1948, une action pour étaler les
vacances.
En ce moment la situation est ten~ que les vaeances
- qui en moyenne durent 4 semaines - sont
fixées dans une période allant du 10 juillet au 1 er septembre.
scolair~s
"
"
'-, ,--1
",·1
·1
·1
Grâce à une consultation annuelle avec les lecteurs
industriels, on a obtenu que les entreprises fermant collectivement durant la première semaine d'août étalent
maintenant les vacances sur ull'~ période de six semaines.
Le grand obstacle est formé actuellement par l'enseignement, parce qu'il n'existe pas de règlementation législative concernant la fixation des vacanCt~s d'été. La
seule chose possible que peut f.aire la «Fondation
Hécréation » c'est d'émettre un avis aux directions des
ècoles communales et particulières conc~rnant la fixation de la date du commencement des vacances d'été.
Cet avis est appuyé chaque année par une lettre du
Ministre dr~ l'Enseignement, de l'Art et des Sciences. Un
grand nombre de municipalités se conforment à cet avis.
Les directions des ècoles entièrement autonomes se .refusent dans la plupart de~ cas à prêter l~ur collaboration.
~5G
.~
�(~ ependant, SI ies parents en tont ia detnande, les enfants
de 'ces écoles sont mis à m.ême d'aller en vacances aV'èC
leurs parents.
Du fait que les secteurs industriels sont p,rêts à fixer
les vacances à des dates antérirèu.res, l'enseignement se
voit de plus 'è n pll1!S obligé de s'y conformer.
19. - ROYAUME-UNI : jusqu'à présent, seule, la
British Travel and Holidays Association a mené une
campagne de publicité restreintè pour encourager les
départs en vacances et à faire valoir l'av.antage des
vacances prises au début ou à la fin de la saison.
Tous les moyens de propagande sont utilisés à ceUè
fin.
Londres exceptée, le tourisme hors-saison bénéficie
d'une réduction de 20 % en moyenne, qui varie ~lon les
cas entre 5 et 35%.
\
On ne dispose pas de données statistiques permettant d'évaluer les résultats obtènus par l'un ou l'autre
des différents moyens employés pour prolonger la sai-son ni par l'ensemble des moyens mis en œuvre à cet
effet.
20. - PORTUGAL : aucune information
donnée sur ces p.roblèmes.
n~
nous est
:l1. - SUISSE: les actions entreprises en vue d'étaler les vacances pendant la période hors-saison concernent avant tout une modification du régime des vacances scolaires.
Les moyens mis en 'œ uvre à cette fin sont avant tout:
radio, dépliants, journaux" reVU'èS.
Le tarif différentiel accordé en hors-saison par les
hôtelièrs est indiqué dans le « guide suisse des hôtels ».
La marge est de l'ordre de 25 à 30%.
Les résultats de l'action n'ont pas encore été analysés spécialement, puisqu'ils se confondent avec une
hausse générale du mou~ment touristique.
22. - SUEDE : en 1951/52, la Confédération patronale avait recommandé à ses membres d'appliquer un
plan qui divisait les entreprises en quatre group~s et
357
�assignait à chacun d'enlre-eux une pérIode <le vacances
déterminé, entre juin et juillet ; pendant un cycJè de
quatre années, il était prevu que les groupes auraient
observé un roulement des quatres perIOdes ainsi fIxées.
1:>ièll que les premiers résultats de cette expérience
aient éte saüsfalsants, elle n 'a pu être lllenée à son terme en raIson prinCIpalement de rhostihté des tra vailleurs.
23. - NORVEGE : nous ne disposons d'aucun rellseignement sur Oè problème.
24. - FINLANDE : aucun rènseigneillent sur ces
questions.
25. - Belgique : en 1960, sous l'égide du C0Illi11issariat Uénéral au Tourislne, une granoe ,c ampagne publicité a été lancée en faveur des vacanCèS au mois de
Juin, aussi bien sur le lIttoral que dans les Ardennes ;
cette campagne a duré ~ IllOIS et un budget de bOU.OOO,
F. B. (lu.wu ~) y a été consacré non compris la con tri- .
bution de la radio et de la télévision qui était gratuite et
qui représente un élément important.
Cette action a
",1
organisée de la Ïaçon suivante
-
les autorités locales ont ét~ averties du lancement de la campaguè pour que les stations touristiques puissent 'prendre les mesures néc~ssai.res
pour être à même de recevoir les touristes en juin
de la même manière qu'en juillet et août ;
-
des études ont été faites sur les conditions climatiquès du mois de juin dont les résultats ont
été très positüs, (meilleur temps d'ensoleillement
qu'en juillèt et août) climat moins orageux, jours
plus longs) ;
-
d'autres études ont porté sur les meilleures conditions de transport et d'hébergement;
-
toutes les informations ainsi réunies ont été portées à la connaissance du public par l'ensemblè
des moyens publicitaires disponibles :' dépliants,
affiches, conférences, interviews, radio~ télévision
et cinéma. Pour ces deux derniers moyens d'ac-
1
358
~té
�l
"
.,
,
J
hon, "Un personnage a été créé, du non1 dè «Panlela », des slogans ont été largement répandus tels
que « Pour moins d'argent, plus de joie, plus de
soins, faites de juin le mois de vos vacances en
Belgique ».
L ·. ; s résultats peuvent être considérés comme très
tiutisfaisants puisqu'on a pu relever au mois de juin 1960
une augmentation de la fréquentation touristique de
20 ~~ en moyenne sur la période correspondante de 1959.
Il a donc été décidé de poursuivre l'a,c Hon entreprise rè n
1961 et de lui consacrer un budget de 1,5 million de F.B.
(30.000 $), soit le triple de l'année précédente.
Arthur
HAULOT,
Commissaire Général
au Tourisme en Belgique.
•.
-
0.
'!'
~
.
-~
359
:'.~
'.
�:
'1
•
\,
l,
�La Caisse Suisse de voyage œuvre
pour l'allongement de la saison
,1
1
Caractéristiques de la Caisse Suisse de voyage
,
.
1
\
Pour juger des possibilités que la Caisse suisse de
voyage offre en faveur d'une saison prolongée, il n'est
pas inutile d'è .r appeler d'abord quelques caractéristiques principales de l'institution. Voici celles qui, vues
sous l'angle de l'influence pouvant ,être exercée sur la
forme d'une saison, entrent essentiellement en considération:
1. - Les mesures destinées à p.rolonger une saison
sont avant tout efficaces - l'expérience le prouve lorsqu'elh~s sont prises sur le plan national. La Caisse
suisse de voyage satisfait à cette exigence. Sa tâche consiste à aider les couches peu f.o,rtunées de la population
suisse à trouver d'è façon appropriée repos et détente,
spécialement dans des vacances à passer· dans le pays
même. Elle est donc une œuvre du tourisme social national suisse.
2. - La Caisse suisse de voyage dispo~-t-elle de la
force de persuasion nécessaire ? Cela ne fait aucun doute. Elle repose sur la ,c oopération la plus étroite que l'on
_..1;.,
36'
�l)ulsse concevoir 'è ntre les organIsations de travailleurs,
les employeurs, le mouvenlent coopératif, le commerce
de détail privé, les entreprises de transport et de tourismè et les autorités tant locales que régionales et f.édérales. Sa clientèle se compose de 220.000 participants inscrits. Compte tenu des membres des famiiles, cela rep.résente un septième dè la population suisse· La Caisse
SUisS'è de voyage peut se féliciter de jouir de larges sympathies dans tous les milieux et compter sur l'appui de
tous lèS partis politiques et de toutes les autorités communales, 'cantonales et fédérales.
'!o _', ..
,
',",1
. '"
,
3. - Certes, le déroulement des vacances est fonction de la manière dont celles-,ci sont financées. La Caisse suisse dè voyage représente avant tout un institut de
financement à la consommation en matière de tourisme
social. Le moyen dont elle se sert est le timbre de voyage, qui 'è st tout à la fois un instrument d'épargne, de
paielnent et de réduction de prix. La fonction d'épargne
réside dans la possibilité de mettre de côté de tout petits
montants pour 'des voy,ages et des vacances. Comm'è
lnoyen de paiement, le timbre de voyage est pratiquement utilisable en Suisse pour tOUÎ'è prestation touristique. Mais 'c e qui lui donne tout son attrait, c'est la .réduction de prix qu'il représente. Le timbre de voyage, en
eff.et, n'rè st pas vendu' à sa valeur nominale, nIais avec
un rabais que permettent d'importantes contributions
du patronat, des associations de travailleurs, des coopératives de consommation et du commerce de détail.
Citons quelques !è xemp'les :
Aux termes d'un contrat de travail collectif, les
entreprises de l'industrie chocolatière suisse sont tenues
de fournir à leurs ouvriers 'è t employés des timbres de
voyage à un prix réduit de 25 % ~ pour offrir à leurs
employés de nouvelles prestations sociales et se les attacher plus solidement, les banqU'ès suisses surtout tendent de plus en plus à porter de 10 à 20% la réduction
du prix des timbres de voyage vendus par elles - une
grande entrep,rise suisse du commerce de détail laisse
à sa clientèle le .choix entre un rabais de 4% en espèces
sur JèS marchandises achetées ou de 6% en timbres de
voyage, ce qui équiv.aut à une réduction de 33 1/3% du
prix de ces derniers. Il va sans dire que ces mesures de
.réduction ont contribué de façon décisive au succès des
362,
�thnbrcs de voyage et de la CaIsse sUIsse de voyage. Pat
ailleurs, elles n'exercent aucune pression sur les prix de
l'éconolnie des t.ransports et du tourisme ; leurs conséquences financièrèS sont supportées par les autres grou-·
pes intéressés, qui n'ont pas fourni moins de quatre millions de fr.ancs en 1961.
4. - L'activité de la Caisse suisse de voyage va bi~n
au delà du financement des vacances. A côté d'un service de consultation et d'information très développé, qui
donne au demeurant d'èS renseignements au suj et des
possibilités de vacanCèS, la Caisse a entrepris une vaste
œuvre en vue de favoriser les va'c ances familiales, allant
jusqu'à financer et à exploiter des établissements d'hébergement, C'è qui lui perm'e t d'exercer une action directe
sur le déroulement des vacances. A ce propos, la Caisse
suisse de voyage a lancé une campagne pour modifier
le régime des vacances ; mais c"est là un suj et sur lequel
nous reviendrons.
."
II
La pression saisonnière
t.'-
-'.'
~
....
1
La concentration touristique, spécialement au plus
fort de l'été, n'est évidemment pas sans avoir de très
grosses -conséquences pour une institution du tourisme
social telle que la Caisse suisse de voyage.
On s'en apercevr.a en étudiant et en comparant la
ventè des timbres de voyage par mois dans les années
1950, 1955, 1960 et 1961. Il est aussi intéressant de considérer simultanément l'évolution des nuitées d'hôtes suisses dans les hôtels et pensions du pays, qui se présente
commè il suit :
363-
�N allées cl' iujle~
.~
.. . '"
-~.
i
,.j
du
pr(!lS d,ms les hôtels el lJ1:J1t.)·tons sUlsses
1. -
Chiffres absolus
1950
1955
1960
Janvier
Février
Mars
534.227
614.089
558.310
719.515
691.737
850.027
758.783
946.449
573.859
633.257
Mai
Juin
Juillet
Août
Septembre
Octobre
Novembre
Décembre
600.754
665.521
753.886
758.357
727.19",2
827.698
A "l'il
644.703
677.935
772.167
1.591.083
807.767
1.508.661
958.436
1.567.572
1.591.593
1.542.737
923.101
1.580.607
1.052.434
1.189.569
697.260
452.604
773.006
513.367
553.513
457.240
548.295
840.840
620.496
400.056
455.051
9.227.472
2. ".
""..'1; •
~.
,
•','"
...
-"
~
. -:;, .
_ v"'· .
,
............
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~
-
...
1......
-
...
~.... :.~.
-.o'
.~.
..
•
_~
'1
." •
~
~
.-
1.627.143
1.626.941
880.858
590.949
10.774.916
11.579.664
En chiffres Tela!ifs
.1
.. 1
.
9.655.354
823.028
811.530
943.203
----,
,---,
Total
1961
l
1950
1955
5,79
5,78
7,45
1960
1961
.,:
: " >" '..., .11
"l
~
...
1
1
Janvier
Février
Mars
An'il
Mai
Juin
Juillet
Août
Septembre
Octobre
Novembre
Décembre
Total
5~
6,66
6,42
6,55
8,17
7,15
7,11
6,22
6,68
6,86
7,02
7,89
7,00
7,04
6,51
6,89
6,75
7,01
8,37
17,24
17,25
O,11
6,72
4,34
8,37
15,62
15,98
9,56
7,22
4,69
8,89
14,55
14,67
9,77
7,17
4,76
8,15
14,05
14,05
10,27
7,61
4,78
4,93
4,74
5,09
5,10
100,00
100,00
100,00
100,00
�Par ailleurs, la vente des timbres de voyage a donné
les résultats suivants :
Vente de tilnbres de voyage
,1
- .
Janvier
Février
Mars
Avril
~Iai
,,\
JUill
JuiEet
Août
Septembre
Octobre
Novembre
-Décembre
1. -
Chiffres absolus
1950
1955
1960
1961
Fr.
F!'.
Fr.
Fr.
'185.962
877.889
1.036.29'1
1.256.423
1.296.231
1.819.066
2.487.276
2.022.909
1.183.069
1.053.111
595.299
673.971
1.395.708
1.552.573
1.994.355
1.956.215
2.355.892
3.492.866
q·.404.843
2.826.344
1.586.451
1.208.428
846.189
1.829.484
2.147.268
2.445.854
3.181.080
3.618.329
3.380.074
5.537.515
6.994.279
3.970.533
2.442.498
1.731.200
1.444.590
2.428.244
15.087.497
25.449.348
39.321 .464
43 . ~06.548
373.620
391.460
39.695.084
44.298.008
2.916.812
2.638.437
4.065.601
3.308.437
4.607.877
5.848.847
7.047.025
4.359.710
2.705.741
1.755.449
1.648.335
3.004.777
-- - - Total
P. T . T.
Total général
~_
';
p
.
15.087.497
25.449.348
Chiffres l'elatifs
, '1
2. -
.: \
1950
1955
1960
1961
5,21
5,82
6,87
8,33
8,59
12,05
16,49
13,41
7,84
6,98
3,94
4,47
5,48
6,10
7,84
7,69
9,26
13,72
17,31
11,11
6,23
4,75
3,32
7,19
5,46
6,22
8,09
9,20
8,60
14,;)8
17,79
10,10
6,21
4,40
3,67
6,18
6,64
6,01
9,26
7,54
10,49
13,32
16,05
9,93
6,16
4,00
3,76
6,84
100,00
100100
1001°0
100,00
f-
': \
Janvier
Février
Mars
Avril
Mai
.Tuin
Juillet
Août
Septembre
Octobre
Novembre
Décembre
,!'ot.al
~65
�Pour · faciliter . les comparaisons entre les deux
groupes de chiffrès, nous reproduisons le taux comme
il suit:
Groupement des taux par sais.ons
"
19:50
.
%
1
1
.
. ;')
1955
0'0
1960
1961
%
%
JWljvier /Mars
Nuité'è s
l'inlbres vend us
18,67
17,90
19,91
19,42
21,31
19,77
21,87
21,91
Avril/Juin
Nuitées
Timbres vendus
21,74
28,97
22,28
30,67
2468
31,88
22,27
31,35
J uillet/ Août
Nuitées
Timbres vendus
34,49
29,90
31,60
28,42
29,22
27,89
28,10
25,98
Septelnbre/ Décembre
25,10
Nuitées
23,23
TÏInhres vendus
26,21
21,49
26,79
20,46
27,76
20,76
Les conclusions à tirèr de ces chiffres sont assez
intéressantes. Nous en donnons quelques-unes parmi les
principales ci-après :
1. - La prenlière constatation a un caractère restdctif. En effet, on ne peut pas conlparer d'office l'évolution dès nuitées, d'une part, et celle de la vente des
timb.res de voyage, d'autre part. Durant la période considérée, la Caisse suisse de voyage était en pleine expansion, ce qui diIninue la valeur d'une cOlnparaison directè. La vente de ses timbres a été fortement influencée
par la participation de nouveaux groupes d'adhérents ;
elle se présente donc différe·m ment que si l'impulsion
était venue d'a&sociés des débuts,
366
�2. - 1\tlême si l'on tient compte de C'~s réserves, on
remarque qu'il y a conco.rdance de concentration de part
et d'autre, spécialement dans la haute saison d'été. Ici
comme là, on-constate une augmentation dlè façon absolue. Pour les nuitées, elle a été temporairement atténuée,
tout au moins en 1961 ; pour les timbres de voyage, cll~
a été constante et quasiment brutale, ce qui s'explique
en grande partie par l'expansion dont nous avons fait
état au sein mêmed~ la Caisse de voyage, donc pour le
motif spécial que nous avons relevé.
',-
3. - Dans leur tendance, les nuitées comme la vente
des timbres de voyage p,résent~nt une pointe estivale
légèrement émoussée au profit des autres mois. Il ne
faut pas y voir le fait du hasard, mais un déplacement
effectif vers la période transitoir~ et surtout vers l'hiver.
Que ce déplacement ait été plus accusé pour les tin1bres
de voyage vendus que pour les nuitées, cela ne doit pas
nous conduir~ à trop de conclusions erronées. La part
de timbres vendus en juin corrige déjà la différence ;
- elle a été beaucoup plus grande que celle des nuitées.
Cela tient au fait que' lèS timbres achetés en juin l'ont
été pour être utilisés en juillet et août.
...
.~ 1
.,- .\
,-
4. - Dans la période .considérée et le secteur des
timbres de voyage, le mOUVeID'ènt d'épargne proprement
dit n'a pas 'c ontribué à émousser plus fortement les
pointes saisonnières. En d'autres termes, les timnres de
voyage ont toujours été, en majeu.re partie, achetés pour
être utilisés immédiatelnent, comme un fruit porté à la
bouche sitôt cueilli. Ce sont précisément les nouveaux
sociétaires acquis de cette façon à la Caisse suisse de
voyagè. qui firent un tel usage des timbres de voyage. A:
cause d'eux, l'achat de timbrès de voyage pour un emploi
très rapproché a en quelque sorte couvert le mouvement
d'épargne. Il faut admettre que la vènte des timbres S~
répartira de façon plus régulière sur les saisons lorsque
l'expansion de la Caisse suisse de voyage se sera atténuée et qu'un dévèloppement de la vente sera davantage dû à d'anciens sociétaires.
"567
�III
C ontre-M esures
Malgré la restriction établie, la Caisse suisse de
voyage reste un précieux instrument d~ combat pour
améliorer la structure touristique saisonnière .
."
1. -
,
Possibilités
La Caisse gagnant toujours plus en importance dans
le financement du tourisme social suisse, en~ peut agir
toujours plus fortement sur la fixation des vacances en
la faisant dépendre de l'aspect financier. C'est notamment l~ cas lorsqu'il est possible de combiner une certaine orientation avec le financement.
~Iais la Caisse suisse de voyage a, à part cela, la
possibilité de participer directement iJ des c.ampagm:~s
en faveur d'un allongement de la saison. Du moment
qu'elle g.roupe de larges milieux r~n son sein et qu'elle
bénéficie à un haut degré de l'appui officiel, une activité de ce genre offre de bonnes p·~rspectives. Cela s'est
trouvé confirmé par des démarches qui ont été déj à
entreprises.
2. -
InfLuences d'ordre financier.
Ainsi que nous l'avons montré, la Caisse suissr~ de
voyage est avant tout une institution de finance~ent à
la consommation du tourisme social. Ce financement se
fait en premier lieu au moyen du timbr~ de voyage.
Comment est-il dès lors possible d'exercer une influence
Sur la structure de la saison touristique ?
Même si, un~ fois, l'achat de timbres de voyage se
répartit plus fortement sur l'ensemble de l'année et que
les montants 110n immédiatement utilisés augmentent, si,
en d'autres term~s, le mouvement d'épargI}e p.ropre. lnent dit s'accentue, il ne s'en suivra pas nécessairement
un report de leur utilisation à d'autres saisons que le
plein été. On pr~ut avoir, au contraire, de bonnes ra.isons
368
�d'adlnettre que le moment de l'enlploi des timbres restera sensiblement le mênle. Par ailleurs, Ull'è acculnulation accrue de ressources financières pour les vacances
est de nature à fa,c iliter, voire même à prè rmettre un
deuxièlne séjour annuel, lequel commence aussi à deveni.r usuel dans le tourisme social et S'è f.ait avant tout el}
hiver ou, en tout cas, à un autre moment qu'en plein été.
i
.'
1
.'
"\
, . .' 1
L'utilisation de timbres de voyagè ,c ontient en soi
d'autres possibilités d'influencer la saison touristiqm~ ,
notamment par la vente à prix réduit. Qui offre un
rabais a le moyen de le ]iel' à des conditions. Il arrive
fréquemment qu'il soit assorti d'un contingentement dèS
timbres de voyages retirés. On peut parfaitement concevoir que les ,contingents soient offerts par saison ou
échelonnés, donc qUè l'on tienne compte d'autres mois
que ceux de la haute saison d'été. Si cette mesure, par
exemple, est prise conjointement avec Ull'è fixation horssaison des vacanC'èS d'entreprises, il est possible de soulager la haute saison.
La Caisse suisse de voyage cherche déj à, par son
financement à la consommation, à diriger dans une certaine nlesure le mouvem'è nt touristique d'après la saison
eu vue d'allonger celle-,ci. C'est ainsi qu~elle accorde des
subsides pour favoriser les vacances familial'è s dans le8
hôtels et pensions suisses, à condition que le séjour n'ait
pas lieu au plus fort de la saison d'été. En louant ses
propres logements de vacances, eUè tient aussi compte
du facteur saisonnier ; elle offre, en effet, de fortes
réductions de prix dans l'entre-saison.
LèS possibilités de décha.rger la haute saison par le
truchement du financement à la consommation et, ce
faisant, de .contribuer à allonger la période Ide vacances
sont donc assez diverses. La Caisse suisse de voyage n'a
pu èn faire jusqu'ici que partiellement usage, mais elle
ne lnanquera pas de multiplier ses efforts dans ce sens.
3. -
-
Autres mesures
D'un autre côté, la Caisse suisse de voyage s'est
montrée assez activè clans ses essais d'intervention di.recte dans la structure des vacances saisonnières. Elle en
n eu l'occasion parce que, en Suisse, fanné e scolaire
369
2~
�~
·
: --..
:
....
1
COlnnlence dans la majorité des lèndroits au printemps,
ce qui rend difficile, voire même impossible, la fixation
de vacances d'été suffisaJrunent longues pour un échelonnement adéquat. Vu cette situation, la Caisse suisse
de voyagè a, en 1958, lancé une vaste ,c ampagne en vue
de reporter le début de l'année scolaire en automne et
de prolonger simultanément les vacances d'été. Elle a
édité, au départ, une brochure à très grand tiragè : « Un
nouveau régime des vacances en Suisse - Proposition
Caisse suisse de voyage », qu'elle a distribuée aux intéressés. Elle a exposé dans ceftrè brochu.re les arguments
qui militent en faveur de la nouvelle solution préconisée; elle l'a fait d'une manière aisée à comprendre, en
s\~fforçant d'·être conv.aincante. A côté de cela, on a agi
systén1atiquement sur l'opinion publique avec la collaboration de la presse, de la radio et d'autres lnoyens
d'information. Con1me, en Suisse, l'instruction publique
est du .ressort des cantons, il était indispensabllè de former des comités d'action cantonaux, dont la n1ission
était notan1ment d'arriver à une modification du régi-lue des vacances. Si l'on considère qu'il s"agissait de
vain.cre des préjugés bien ancrés dans l'esprit des g'èns
et de bousculer des habitudes largement répandues, on
est surpris de l'accueil sympathique réservé ~l.lX démarches dè la Caisse suisse de voyage par le public et les
autorités. Des résultats pratiques ont été déj à obtenus.
Néanmoins, le succès reste partiel. La campagne se
poursuit.
On complète cette campagne en influençant les
n1ilieux intéressés par les multiples moyens de publication dont dispose la Caisse suisse de voyage, surtout en
profitant des conseils et des renseignements que celle-ci
'è st appelée à donner. C'est là p.r écisément que l'on acquiert la conviction que la Caisse suisse de voyage ne
horne aucunelnent son activité au financement de vacances, mais qu'elle la met entièrem'è nt au service du
tourisme social, par quoi il faut entendre aussi qu'elle
s'emploÎ'è à obtenir une meilleure fixation des vacances
et un prolongement de la saison pour émousser les pointes touristiques de la haute saison d'été.
w.
HUNZIKER,
Prész.de.nf de la Caisse Suisse de Voyage 1
Berne,
370
:-. ;.:
�Principes et nlotivation
d'une politique d'étalement
des congés annuels
En 1925 un peu moins de 40.000 ouv,riers de l'indus_trie avaient droit à un congé annuel en vertu de conventions .collectives.
...
"
En 1961, 12.400.000 adultes ont pris des vacanC'èS
hors de leur domicile. D'année en année la psychose de
vacances loin de sa résidence gagne de nouvelles couches id~ la population. Le nombre des vacanciers aug11lente luais la durée pendant laquelle se déroulent ces
luigrations massives tend à se réduire sur une période
d'un mois. Plus de la moitié des vacanciers prènnent
leur ,c ongé entre le 25 Juillet et le 15/20 Août. Enfin,
cette concentration dans le temps correspond également
à une conc'è ntration dans l'espace.
Les inconvénients d'une telle situation ont été maintes fois décrits. Il est inutile de les rappeler. Ajoutons
seuleluent que l'extension d'un « tourismè social » formule qu'il serait souhaitable de développer dans les
années qui viennent, pour permettre dè gagner rapidement de nouvelles couches de la population, demeurera
limitée et dérisoire si l'infrastructure qu'il SUPPOS'è ne
peut être amortie que pendant la durée de 1 ou 2 mois
par année. Mais que l'on pense à un tourisme social, ou
encore aux vacances annuelles de l'ensemble de la population Çlctjve~ ce qui compte en définitive c'est de répon~71
�dre aux vœux - conscients ou inconscients - des bénéficiaires. Est-ce que l'étalement dans l~ tenlps de la
durée pendant laquelle ces congés pourraient être pris
correspond à ce que souhaitent les intéressés ? Sous le
prét~xte de rechercher des formules qui tendent à satisfaire des intérêts économiques ou encore qui répondent
à ce que devrait souhaiter l'ensemble des vacanciers on
peut provoquer des mesur~s aboutissant à élargir la
fourchette des congés mais cette politique serait-elle raisonnable ?
1
"'
..
Les vacances qui déterminent ces migrations Ùè
région à région, de pays à p.ays, sont devenues dans tous
les pays évolués un fait social important. Elles contribu~nt à un épanouissement de l'homme. Elles correspond2nt à certaines aspirations et à certains besoins. Ce
sont eux qui doivent orienter notre politique dans ce
domaine. Le souci d'entreprise d'obtenir une meilleure
rentabilité de leurs investissements. ou encore le désir de
la S·N.C.F. d'écréter les pointes de circulation sont Iègitimes, mais les inlpératifs d'ordl"2 humain, d'ordre
social, d'ordre culturel qui inspirent la ,m ajorité des
bénéficiaires des congés annuels ont aussi leur valeur.
Ce sont ces impératifs qu'ils nous faut d'abord connaître et analyser afin de proposer unr~ politique d'étalefent des congés qui puisse les satisfaire.
Et puis enfin, gardons-nous de prend.re des mesures
plus ou moins arbitraires qui troubl'~nt la vie d'un pays
plus qu'elles ne la facilitent. J'évoqU'~rai seulement
l'exemple tout récent de la fixation des dates de congés
scolaires des dernièr2s vacances de Pâques qui n'avaient
pas tenu compte que quelques millions d'enfants reviendraient en classe un vendredi pour ,repartir 3 jours 1/2
en congé le lendemain sanledi, veille du 1e l' Mai.
»:
**
Pour nous permettre de faire ce diagnostic, et de
préciser quelles sont les aspir.ations de la population à
l'occasion de ses congés annuels nous disposo'ns des 'ènquêtes par sondage effectuées par l'Institut National des
Statistiques et Etudes Economiq:ues en 1951, 1956 et
~7Z
�f U61. Ces enquê tes J'èposent sur des faits. Elles ont égatement l'avantage d'illustre.r l'évolution du phénomène
« Vacances » d ~puis 10 ans. Mais elles ne nous permettent pas de savoir si l'état des faits correspond à la satisfaction d~s intéressés et de connaître l'opinion des vacanciers. C'est la raison pour laquelle. le Commissariat
Général au Tourisme et ' le Comité National pour un
Anlénagement des Temps de Travail et des Temps de
Loisirs (C.N.A.T.) ont provoqué une enquête qui a été
confiée à l'Institut d'Opinion Publique et qui s'est déroulée en DéC'~mbre dernier. L'échantillon retenu est restreint. Il concerne 700 salariés de l'automobile de la région parisienne et 500 salariés de l'industrie textile de la
région du Nord. Ainsi limité il faut se ga.rder d'extrapoler les renseignements obt~nus à l'enselnble de la population. Et pourtant de multiples précisions portant sur
des faits . illustrent la représentativité de l'échantillon
p.a r rapport à l'enquête menée simultanément par
l'INSEE sur le plan national. Essayons tout d'abord d'è
préciser l'opinion des vacanciers pour tenter ensuite de
définir une politique d'étalement des congés.
*
**
La prclnière constatation qui s'impose c'est le souci
pour l'imm'è nse majorité de la population de saisir l'oc··
casion des vacances pour regrouper la cellule familiale.
Malg.ré le développement considérable des colonies de
vacances et organisations de j eUll'~sse qui, en 1961, ont
donné des séjours d'un nlois. à plus d'un million d'enfants, deux enfants sur trois parmi ceux âgés de 5 à 14
ans partis en vacances, sont partis avec leurs parents.
C'est ainsi que parmi les enquêtés du Nord comm~ parmi ceux de l'agglomération parisienne un vacancier sur
deux est parti avec un ou plusieurs enfants de moins
de 15 ans.
Ces dernières anné~s 10 à 12% environ des ménages
où les 2 conjoints travaillent ont été condamnés à prendre leurs congés à des dates différentes. Cette proportion, si faible soit-elle, est encore trop élevée et le souci
d'adopter une formule qui permette de faire coïncider
les vacances des conjoints est l'une d'~s revendications
les plus pressantes des salariés.
373
�Âinsi les vacances apparaissent en preuuer lieu
ce qui n'est peut-êtrG pas le cas dans d'autres pays européens - comme un reg.roupement de la famille. Si la
v'i e quotidienne, dans les grandes cités, aboutit à un éclatement de la cellulG familiale, par suite d'horaires de
travail très longs et divergents, dè repos pris sur les lieux
de travail, de j ours de repos en semaine différents pou.r
l'hOlllillG et la femme et l'enfant, par contre les quelques
semaines de congés annuels apparaissent à tous con1me
l'occasion de se retrouver.
Précisons toutefois que ~ette préoccupation familiale
ne s'étend pas au-delà du groupe composé du cbèf de
famille, de son conjoint et de ses enfants. Beaucoup de
vacanciers (45%) voient se dérouler leurs vacances chez
leurs parents. Mais pour la plupart d'entre eux ces
vacances « en famille» sont imposées par divers facteurs, et c'est seulement une fraction de 10% des
12.400.000 vacanciers qui considèrent comme « vacances
idéales» CGS vacances en famille,chez des ascendants
ou collatéraux.
*
**
Autre phénomène - qui a déjà fait l'objet de multiples communications - et qui va .restreindre la durée
au cours de laquelle peuvent ·être généralisés les congés
annuels, c\~st le développement de la formule du camping (tentes et caravanes) qui augmentè régulièrement:
1951
1956
1961
6% des v,a canciers
8%
»
10%
»
Cette proportion est plus élevée dans les milieux
salariés de l'industriè que pour l'ensemble de la population citadine et rurale active et non active.
Salariés industrie automobile, région parisienne
17 % des vacanciers.
.
Salariés industrie textile, région Nord
vacanciers.
374
16 % des
�La
VIC 0n
plein air exige un nlinhnUln d'ensoleiIle-
luellt et c'est une des raisons pour lesquelles les vacau-
.ces en Juin sont plus souvent évoquées par les enquêtés
que celles èn Septembre.
S'cst-on préoccupé de sa voir quelle inlage se faisait
des yU canees la lllajorité des vacanciers? L'enquête
111enéc pa.r l'LF.O.P. permet dè fournir des réponses à
cette question, tout au nloins en ce qui concerne le
111ilieu interrogé.
Pour un tiers d'entre eux, « vacances » lè st synonyde « voyage », « yoir du pays ». Ce goût de voyage se
retrouve quels que soient les reVèl1US. 11 varie seulement
en fonction de l'âge et concerne 73% des jeunes de
Bloins de 20 ans. C'est ainsi qUè se développent les voyages ù l'étranger : toutes les enquêtes effectuées en 1961
(INSEE, IFOP) indiquent un pourcentage .relativement
considérable dè va.canciers dont le séjour principal s'est
déroulé hors de nos frontières soit 13%. Cette proportion
ne pourra que progresser et c'est ainsi que le IVe Plan
prévoit pour 1965 un pourcentage atteignant 15%.
m·~
1
Pour un second tiers « vacances » 'è st synonyme de::
« repos, détente et air pur ». Si cette réponse était attendue, par contre le peu d'intérêt Inarqué pour les « amuselnents » et « distractions» - 2 à 3% - P'è ut surprendre. Ce désir de repos, cettè absence de souci de distractions sont souvent invoqués par les partisans de l'étalenlent des congés qui apprécient les vacances hors-saison,
(lallS des endroits reti.rés ct tranquilles. Mais la question
se pose de savoir si tout 1011 n'ayant pas pour but essenliel de se distraire les vacanciers exigent néanmoins un
1l1ininnlnl de divertissements et une ambiance que S'è lllc
peut créer une .concentration d'estivants. C'est ainsi qu'à
la question posée « Aimez -vous les vacances dans la
foulè ? », sur 100 vacanciers salariés du textile du Nord
qui avaient séjourné dans des endroits où il y avait un
« monde fou », 63 ont trouvé l'ambiance .agréable, 25
.L'ont trouvée gênante, lè t 12 se sont déclarés indifférents.
Les proportions sont sensiblement les mêmes chez les
snlariés de l'industrie autonl0bile de la .région parisienne : 56 l'ont trouvée agréable, 31 gênante, 13 sont restés
indifférènts.
Ainsi se trouve confirmée cette impression qui sem375
�hlaIt l'ésulter des l'aIts constatés ·ces dernj ~res années. La
maj orité des vacanciers souhaite p.rofiter de ses vacances pour se reposèr, mais cherche toutefois une certaine
atmosphère de distractions, que seules peuvent créer
une suffisante infrastructure touristique et une .relative
densité de population. Ce phénomèll'è est surtout sensible chez les Jeunes et explique ces vastes concentrations
humaines sur des zones restreintès, alors qu'au lnême
moment en période de pointe estivale, tant de contrées
si atta.chantes du point de vue touristique demeurent
dédaignées.
r,
Est-ce la raison, ou l'une des .raisons pour lesquelles
les mois de Juillet et d'Août ont la préférence des salariés (8 sur 10), mêmè de ceux qui n'ont pas d'enf.ants
d'âge scolaire ou de conjoint qui travaille '! De notre
sondage d'opinion il résulte en effet, que les préférences
des enquêtés se porh~nt sur Juillet et sur Août avec une
l ~ gère p,référence pour le mois de Juillet à Paris, comn1e
dans le Nord, alor's que des v.a cances en Juin ne sont
souhaitées que par 1 sur 10.
.,
.\
•
1
Lè mois d'août recrute surtout ses partisans parmi
les très jeunes. C'est le f.acteur « âge» qui semble avoir
la plus grande influence pour le choix du mois d'août.
Partagent cet avis les foyers d'une p'è rsonne et le groupe
des petits budgets qui précisément constituent une bonne part des moins de 30 ans.
:NIais n'y a-t-il que le facteur âge qui contribU'è à
orienter le choix des vacances sur le mois d'août plutôt
que sur le mois de Juillet ou même sur le mois de Juin ?
Si l'on se réfèrè aux expériences vécues au cours des
3 dernières années par les salariés enquêtés, il semble
que pour tous ceux qui n 'ont jamais pris de vacances
hors de leur domicile, le mois idéal est le mois d'Août.
Il 'è n est de même pour ceux qui ont toujours bénéficié
de leurs vacances en Août. Par contre, dès que l'intéressé
a bénéficié unè année de vacances en Juillet, il semble
que dans la maj orité des cas, il souhaite repartir en
Juillet plutôt qu'en Août ou encore bénéficier d'un régiIlle d'alternance Juillet-Août une année sur deux.
Ainsi apparaît cette pression psychologique en
faveur du mois d'Août pour Ull'è fraction importante des
salariés, indép'è ndamment du facteur « âge ». Par suite
376
�du Inallque d'lufol'lllalioll, par t.radition, Hant peut-être
plus 'o u moins ,c onsciemment la notion de vacances, à
la période des travaux agricoles, un congé ne peut se
dérouler qu'au mois d'Août. Mais il suffit qu'une seule
année il ait pu appréci~r l'ensoleillenlent des journées
de Juillet ou encore la plus grande longueur des jours,
pour qu'il compa.re les avantages et les inconvénients
des deux mois r~spectifs et devienne partisan des vacances en Juillet.
*
**
Comment se répartit la durée du séjour en vacances
sachant que pour l'ensemble de la population active, à
l'exception des agriculteurs, la durér~ légale des congés
annuels est de 3 sem·a ines ?
,J'
Durée
1 semaine environ
1 à 2 semaines
2 à 3 semaines
plus de 3 semaines
France
entière
16 %
24,2%
25,8%
34 %
100
'. "
Salariés
du !Nord
9%
18%
44%
29 %
.100
Salariés
de la rég.
parisienne
2%
7%
39 %
52%
100
Il ressort nettenlent d~ ce tableau que la durée
moyenne des séjours en vacances est fonction du .revenu
du bénéficiaire. Les réponses France entière de l'INSEE
corr~spondent à un échantillon comprenant à la fois
des personnes actives et des personnes non actives pour
qui en moyenn~ le revenu est inférieu.r aux revenus des
enquêtes du Nord - tous salariés. De même l'enquête
IFOP a fait ressortir une différence sensible de revenus
en faveur d~s salariés de la région parisienne par rapport à ceux du Nord.
1
1
Autre fait qu'il y a lieu de noter c'est la fraction
Ï1nportante de salariés qui dispose en fait de plus de 3
semaines de congés (la durée est d'è 4 semaines pour
377
"'111 • • '0(
�26% (ies saiariés de l'industrie automobile et 11 % des
salariés de l'industrie textile).
La question de la durée des séj ours pOS'e 2 problèmes : tout d'abord celui des locations généralement
effectuées par période mensuelle st ensuite ,c elui du
fractionnement.
D'après l'enquête de l'INSEE, 9,7% des vacanciers
soit 1.600.000 auraient procédé à la location d'une villa,
ou d'un nleublé en 1961 (proportion légèrement plus
élevée parmi les salariés de l'industrie automobile 12%
et de l'industrie textile 22%). Mais près de la moitié
d'entre eux (52% des vacanciers parisiens, 41 % des
vacanciers du Nord) n'ont pas pu profiter de la totalité
de leur période de location et ont exprimé leur amertuIlle. Nous ne pouvons qu'évoquer ici l'irritante question
posée par les locations au mois qui déterminent à dates
fixes les migrations de centaines de milliers de vacanciers. Quand on compare le régime de location adopté
par d'autre pays: l'Angleterre -p ar exemple - où toutes
les locations s'effectuent à la semaine - on est obligé de
reconnaître que le système français dans sa rigidité n'est
ni à l'avantage du locataire, ni même, 'e n définitive,
à l'avantage du loueur.
~.
"
, " -1
J "
;.
- -- 1
D'autre p.art, la durée actuelle des congés correspond-elle à une durée optimum de séj our hors de sa
résidence ? Si les salariés en avaient la possibilité souhaiteraient-ils prendre leurs 3 seluaines de congés
en 2 fois ? Plus des 2/3 des enquêtés se sont déclarés
hostiles au fractionnement des va.cances, même ceux
qui, pour diverses raisons non précisées n'ont ~ffectué
que des séjours de 8 ou 15 jours. Par contre à la question ainsi posée : « D.a ns le cas où la du.rée totale des
vacances serait augmentée, trouveriez-vous agréabl~ indiff.érent - ,contrariant - d'avoir à prendre une semaine
en dehors des 3 mois d'été, c'est-à-dire avant le 15 juin
ou après le 15 Septembre ? » 57 à 77% des enquêtés,
suivant l'âge ou le revenu, se sont déclarés partisans
d'un fractionnement et souhaiteraient profiter de vacances d'hiver ou de printemps. Précisons que l'enquête de
l'IFOP n'intéressait que des salariés manœuvres,
ouvriers, contremaîtres ou employés - les ,c ad.res n'entrant .q ue dans la proportion de 2% dans l'échantillon .
... [;'
*'''1:
�.
......;.
*
**
Trê lles sont très brièvement esquissées les données
psychologiques du problèIne ~< Vacances ». Peut-on dire
que dès à présent les vœux expriInés par l'ensemble de
la population se trouvent satisfaits ?
Tout d'abord en ce qui concerne lèS dates de départ:
Départs 1961
(enquête INSEE
France entière)
Juin
Juillet
Fin Juillet-Août
Septembre
Divers
6,4%
22,2%
55,1%
7,3%~ 16,3%
9
%(
f
.
.\
Nous l'avons dit, il Y a un instant, dès maintenant
les vœux 'ê xprimés par les salariés enquêtés se répartissent approximativement comme suit
le mois de Juin
le mois de Juillet
le mois d'Août
10%
45%
45%
Il apparaît ainsi une concentration des congés sur le
IllOis d'Aoftt qui ne correspond pas à ce que souhaitè la
population active.
1
Par ailleurs, nous avons dit que dès à présent 10%~
environ des ménages où le conjoint travaille ne pouvaient pas bénéficier de leur congé à la même époquê.
Faut-il alors abandonner tout espoir d'échelonner les
congés et recherchêr, au contraire, une synchronisation
systématique des congés, sur le mois d'Août par exemple, dans toutes les activités? Mais alors on irait à l'encontre du vœu exp.rimé par plus de la moitié des travailleurs qui souhaitent partir en dêhors du mois d'Août.
Et puis surtout ; ce serait oublier un facteur essentiel qui Îlnpose un étalement des congés dans les années
à venir: celui tenant à Yêffectif. des vacanciers. En 1961,
sur 33 millions d'adultes, 12.400.000 sont partis en vacances dont 6.800.000 pendant le mois d'Août. Or dans
les années qui viennent, le nombre des vacanciers doit
augmenter de façon importantê. Il semble en effet, qu'il
379
�est (llrcclenlent proportionl1el à la courbe ries revenus.
C'est ce qu'illustrent les chiffres ci-dessous extraits de
notre enquête d'opinion :
Pourcentage de vaCanc.i 3l'S partis
à PARIS
dans le NORD
Revenus mensuels
des foyers
400 NF
401 à 600 NF
G01 à 800 NF·
~01 à 1200 NF
Plus d~ 1201 NF
64
73
78
86
22%
39%
34%
46%
78%
L'enquête INSEE nous révèle que parmi les personnes bénéficiant de ,congés mais qui ne se sont pas déplacées, 37,8% d'entre elles ont invoqué le coût de vacances
trop él~vé. Une augmentation, même légère, du niveau de
vie SUl' le plan national se traduit par une augmentation
de l'effectif des vacanciers. Dans les années qui viennent une grande partie de ,Cf~S 35 à 40% de personnes
qui n'ont pu envisager de déplacements au monlent de
leurs vacances d'été pour des raisons financières devraient s'ajouter à nos vacanch:~.rs de 1961 surtout si nous
favorisons une politique de tourisme social. Le Commissariat du Tourisme du 4e Plan prévoit qu'au ,c ours de la
période 1958-1970, le nombre des départs en vacances
augluenterait de 30% environ. Mais alors, si l~s pourcentages de pa.rtants en Août restent les mêlues ce seraient 8 à 10.000.000 de vacanciers qui se déplacerai~nt
entre le 25 Juillet et le 20 Août. Ni les moyens de transport ni les possibilités d'hébergement ou d'accueil actuds ou futurs - ne pourront faire face à une pareille
demande, surtout si progressivement la tendance à
allonge,r la durée des vacances et la porter à 4 semaines - que ce soit en droit ou en fait - s'affirm;~ en
province comme dans la région parisienne.
*
**
Nous n'aborderons pas ici la solution à notre problème tenant à un étalement des congés dans l'espace.
380
�"'"
Ces d~rnières années en Inênle temps qu'on assistait à
une concentration des vacances dans le temps on constatait une concentration des vacanciers sur quelques
.régions bien délimitées : ainsi les 2 sculs départements
du Var ,~t des Alpes-Maritimes ont totalisé 10% des
vacanciers en 1961. Dix départements se partagent 1/3
des séjours. Mais je ne veux qu'évoquer ce problème
sans énumérer les solutions. Orienter les courants des
vacanch~rs vers telle ou telle ;région s'oppose à la création d'une infrastructure : la volonté des collectivités
intéressées à contribuer à une construction commune.
On n'attire pas les vacanciers seulement par une propagande si bien faite soit-'~lle. Nous l'avons dit : ces derniers souhaitent se délasser mais aussi trouver une certaine mnbiance qui suppose un équipement préalable.
.
.
,1
"\
*
**
.,\
L'étalenlent dans le tèlnps des congés annuels est-il
possible compte tenu des aspirations des bénéficiaires ?
Il nous senlble qu'avant tout, ce qui est important
c'est que les solutions imaginées aboutissent à laisser à
chaquè intéressé le maximum d'initiative: le mot
« vaca nces » évoque une notion de liberté - et d'abol'\c.l
une relative liberté dans le .choix de la date à laquelle
il pourra en profiter.
,
.~ ....
;.
\
Or actuellelTI'ènt de nombreux impératifs s'imposent
au vacancier. Son conjoint travaille dans ull'~ entreprise
qui ferme de telle date à telle date, ses enfants d'âgè
scolaire bénéficient de congés à partir de tel jour dc
Juillet. Si bien qU'~, même s'il a personnellement la possibilité de partir en Juin ou Juillet. en définitive il par·tira fin Juillet-Août. Peut-on imaginer les possibilités de
.c hoix offertes aux vacanciers ?
Le principal obstacle à une liberté dans 1è choix de
la date de départ tient à la fixation de dates de fermeture de l'entreprise dans laquelle travain~ le salarié.
Dans toutes les hypothèses où une entreprise ferme pendant la durée des congés annuèls, la date de départ en
vacances est fixée de façon impé.rative. Or d'après les
renseignem'e nts communiqués par M. Bour, Membre
~81
�du · Conseil Economique 'è t Social, 35,5 % des salariés
appartiendrai'è nt à des entreprises qui arrêtent toute
activité pendant la période des congés. Ainsi plus d'une
personne sur 3 se voit imposer une da te de dépa.rt en
congé de façon impérative.
Deux questions se posent dans ce dOlnaine.
1
1
. : 'j
-
,~.
1
Tout d'abord, la fern1eture des entreprises industrielles pendant la durée des congés ne pourrait-elle êtrè
évitée ? Compte tenu de l'importance croissant des il1vestissell1ents - dont l'aIllortissement doit ,êtrè recherché dans des délais de plus en plus courts - ne seraitil pas souhaitable de rechercher une solution qui permette lèur utilisation 12 mois sur 12. Il semble qu'en
fait, plus une entreprise fait appel à un matériel con1plexe et onéreux, plus s'impose à elle un arrêt annuel
Jans sa fabrication pour permettre l"èntretien et la
modernisation de son outillage. Ainsi, la période des
congés est-·elle mise à profit par les équipes d'entretien.
D~autre part, la petitè entreprise ne dispose pas de
personnel d'encadrement nécessaire pour permettre un
roulement dans les congés. Toutefois de nombreux chefs
d"èntreprises se posent la question de savoir s'ils n'ont
pas adopté une solution dè facilité qui, en définitive, nuit
ù l'expansion de leur activité. Il sen1ble qu'un effort
pourrait être tenté, sous l'ül1pulsion des o.rganisations
professionnelles patronales et plus particulièrem'è llt
auprè~ des entreprises d'in1portance n10yenne pour provoquer un nouvel exan1en du problèn1e qui se POS'è à
eux. Bien entendu, la ferIlleture totale pendant la période des congés ne répond pas à un impératif techniquè.
Elle n e correspond pas à l'intérêt de l'entreprise et de
toute façon elle prive ]e salarié d'exèrcer un choix.
Ajoutons que cette révision d'une politique de distribution des congés annuels au sein de l'entreprise s'in1pos·è
d'autant plus que dans l'aveni.r la durée des congés n e
pourra qu'augnlenter. Cesser toute activité 3 sen1aines
d'aff'ilé0 par an est déjà un handicap pour certains établissèll1ents notamment pour ceux travaillant sur les
111archés étrangers. Si cette durée passe de 3 sen1aines il
3 seillaines 1/2 ou 4 semaines, la recherchè d'une distribution des congés par roulement n e devient-elle pas un
impératif. ?
382
�En second lieu, les fermeturès totales des établissements dans la mesure où elles s'imposent aux chefs d'entreprises ne pourraient-elles pas êtr~ échelonnées harmonieusement de Juillet à fin Août, soit pendant la
durée des vacances scolaires, afin d'évite;r la pointe saisonnière dç fin Juillet-début Août. .
De nlultiples objections sont soulevées par les chefs
d'entreprises à qui on propose cette légère désynchronisa tion dans les congés :
·.
"\
-
difficultés de s'approvisionl1'èr s~il n'y a pas
concordance entre les fermetu.res des établissements fournisseurs et clients,
-
nécessité de constituer des stocks,
-
'Objection d'entreprises commerciales
qui ferment en Août,
-
opposition des salariés habitués à bénéficier des
congés Août,
'-
clientes,
appréhènsion, dans certains ateliers, de travaille.r en Août où la température est élevée.
,"
\
.\
1
1
Dès 1961 le ' C.N.A.T. a porté son effort auprès des
dirigeants de quelques entreprises inlportantes jouant
le rôle d'entreprises pilotes et des résultats ont été obtènus dès l'année dernière. Ainsi, en 1961 dans la région
parisienne, 18% des salariés sont partis dans la première semaine dè Juillet alors que ,c ette proportion n'était
que de 4,6% en 1960. L'action du CNAT est poursuivie
dans toutes les provinces par les représentants du gouvernement, les chambres dè commerce, les organisations
syndicales patronales et salariales. Il s'agit d'obtenir par
voie de persuasion en accord avec les représrè ntants des
salariés, qu'un certain nombre d'entreprises pilotès décalent de quelques semaines la date de leur fermeture
annuelle, pour utiliser au Inieux l'amplitude des congés
scolaires.
Ainsi S'è dessine un double objectif, concernant les
entreprises qui ferment pendant la durée des congés
~
limiter leur
nombre~
363
�répartir les fermetures sur l'ensemble des sèmainèS de congés scolaires.
:I:;~!:
l'ous l'avons évoqué à diverses reprises, le choix de
la date de départ 'èD congé de la Il1ajorité des va,c anciers
est limité par l'amplitude de la durée des vacances scolaires d'été. En effet, la fermeture des entreprises ne
peut être envisagée qu'à ce moment et tous les salariés
appartenant à des entreprises accordant les ,c ongés à
leur personnel par roulement, s'ils ont des enfants d'âge
scolaire, seront amenés à solliciter leur congé p'è ndant
les congés de leurs enfants. Or ,50% des salariés environ
ont un ou plusieurs enfants âgés de 5 à 15 ans.
.
1
C'est la raison pour laquelle, de non1breux organisITI'èS s'intéressant au tourisme, deluandent un allongement des vacances scolaires d'été. Cette position paraît
difficile à défendre. La France est l'un des pays évolués
où le cycle des vacances scolaires d'été est 'déjà le plus
long. Oètte année le Ministère de l'Education Nationale
a été an1ené à réduire à 10 senl'aines la durée des
vacances dans l'enseignemen t primaire. Ainsi - pour
des impératifs pédagogiques - la durée des ' va,c ances
scolaires d'été aura tèndance à être diminuée plutôt
qu'augn1entée. Cette contraction de la durée des vacances scolaires aura pour conséquence inéluctable de ,c ontribuer à une synchronisation plus pDussée des congés
des adultes.
l\'l ais si l'on ne peut l'aisonnablen1ellt envisager un
allongen1ent des va,canC'èS scolaires, ne peut-on pas prévoi.r des décalages dans les dates des congés en fonction
des conditions météorologiques, de l'activité économique de la région, et surtout des souhaits exprimés par la
population. Dans de nombreux pays étrangèrs, l'Allemagne, la Suisse, la Hollande, il y a des décalages dans les
dates de congés par régions économiques. N'est-il pas
possible d'orienter une réform'è en ,c e sens ? Une désynchronisation des congés scolaires sur 12 semaines pa,r
exe111ple, penueltrait en principe tout au 1110iÎls, un étaleu1.ent des congés de l"ènseluble de la population sur
un n1ême nOlubre de jours,
384
�Une tentative timide a été décidée par le gouvernement dès cette année. Un décalage de 8 jours, qui ne
concerne que l'enseignement primaire est prévu entre
les Académies. G.râce à cettè mesure les enfants partiront dès le début de Juillet dans l'ensemble de la France, alors que dans les régions du midi les classes vaqueront du 10 juillet au 24 septèmbre. Précisons que si cette
formule n'avait pas été adoptée si pour l'ensemble des
Académies les vacances n'avaient débuté que le 10 Juillet ainsi que l'avait préconisé une fl'action du corps
enseignant, la synchronisation d'èS congés 1962 aurait
été encore aggravée et tous les sala.riés qui souhaitent
partir en congé début Juillet dans le Nord de la France
ou dans la région parisienne auraient été contraints à
retarder leur départ s'Ur fin J uillet-iAoût.
Est-ce que cette solution prévoyant des décalages
d'une certaine amplitude dans les congés entre les Académies est susc'è ptible d'être poursuivie ? Le problème
est complexe. Tout d'abord il serait souhaitable - et
c'est ce qu'avait proposé le CNAT - que les dates de
c.ongés scolaires soient les mêmes pour tous lèS enseignements dans une région donnée. Mais alors il faudrait
renoncer aux examens uniques, à sujet unique, aux
IThênles j ours à la même heure pour la Franc~ entière.
Ce n'est d'ailleurs qu'il y a peu d'années que les sujets
d'exaInens sont devenus nationaux. Associations de
parents d'élèves, syndicats d"ènseignants sont à même
maintenant de tirer des ,c onclusions sur cette expérience.
D'autres objections ont été soulevées par diverses
pe.r sonnalités qui sont attachées à l'organisation d'è colonies de vacances. L'utilisation de locaux s.colaires, le
recrutement du personnel d'encadrement seraient rendus difficilès si des décalages inlportants intervenaient
entre les régions. Ces objections sont fondées et la nécessité d'assurer un séjour minimunl à un maximum d'enfants est trop évidente pour qu'il n'en soit pas tenu
compte. Mais ne pourrait-on pas lever C'èt obstacle en
jumelant par exemple les régions - régions de départ
- régions d'a,c cueil - pour lesqueHès les calend.riers
des vacances scolairès seraient identiques en toute hypothèse.
Nous n'avons pas à évoquer ici et à répondre à tous
385
2ij
�les arguments en faveur ou contre uue désynchronisation des vacances scolaires. En fait c'est tout le système
de renseignement primaire, secondaire, technique et
supérieur qui se trouve être mis en cause· Disons seulement que le principe de décalag~ de dates de vacances
scolaires correspond en défiuitive à l'intérêt de l'immense maj orité des salariés dans la mesure où cette .réforme lui permet de bénéficier de son propre congé à un
mom·~nt coincidant avec ses vœux. Une politique d'étalen"lent des congés annuels, répondant aux aspirations de
la population active doit s'appuyer sur une politique de
désynchronisation dr~s congés scolaires, tel est le troisième objectif que nous voulions souligner et qui d'ail1~urs
est un des objectifs prévus au cours du 4e Plan.
*
**
1
..
D'après l'enquête de l'INSEE, 32,7% des vacancieJ's,
soit près du tiers, ne seraient liés ni par les vacanees scolaires d~s enfants ni par la fermeture d'entreprises, ni
par les dates de va.cances impératives d'un conjoint qui
travaille. Est-ce que ce contingent important représentant aujourd'hui quelques 4.000.000 de vacanciers ne
pourrait profiter d'~ ses congés en dehors de la période
des congés scolai.res ?
Nos diverses enquêtes ne révèlent pas quelles sont
les motivations de cette fraction de la population. Parmi
eux, il est des j-~unes qui nous l'avons vu., cherchent une
ambiance qu'ils ne pourront trouver, dans l'état actuel
des choses, qu'au cœur de l'été dans des lieux bien définis. Il est aussi des adultes qui, sinon directement, du
lnoins indirectement sont intéressés par les vacances
scolaires, tels que des grands-parents qui r~çoivent
enfants et petits-enfants, pendant la durée des congés ;
rappelons que 45% des va,c anciers passent leurs congés
chez leurs parents.
Mais de toute façon, lnême si leur effectif n'atteint
pas 32 ou 33 %, le contingent des vacanciers susceptibles
d'être candidats à des congés en Juin et qui dès à présent peuvent opter pour ce Inois est très important. En
1961, 6% des vacanciers sont partis en Juin, 10% des
386
�salariés enquêtés ont exprimé leur préférence pour cette
époque. Le contingent des vacanciers de Juin pourrait
augmenter rapidement et dépasser 20 % à une double
condition.
- Tout d'abord cette évolution suppose un effo.rt
d 'information du public pour le convaincre des avantages de jours plus longs et plus ensoleillés. Nous l'avons
dit une fraction importante de la population est prisonnière de la mystique du mois d'Août. En Belgiquè, par
exe111ple, une véritable campagne sur le plan national a
été nlenée depuis quelques années et C'èt effort paraît
avoir porté ses fruits. Le Commissariat Général au Tourisme envisage un effort de propagande sur le plan
national en faveur des vacanC'èS hors-saison. De son côté
le C.N.A.T. estimant que l'Etat-patron devait donner
l'exemple a demandé à la Direction de la Fonction Publique s'il était possible de prévoir un texte limitant d~
façon inlpérative le pourcentage des départs en congé
des agents en Juillet et en Août.
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- Ensuite, mais parallèlement, cettè évolution exige un effort de la part des régions d'accueil. Combien
de centres touristiques ne s'éveillent de leur léthargie
hivernalè qu'ap.rès les premiers jours de Juillet ? Le
vacancier exige, nous l'avons dit, une cèrtaine ambiance
qui repose sur une infrastructure touristique. La propagande pour des vacances en Juin dans un coin retiré et
tranquillè risque de n'avoir aucun effet. Par contre, si
l'on offre des distractions et l'assurance de retrouver
d'autres vacanciers ayant les mêmes aspirations et les
lllêmes besoins, si les organismes d'aocueil proposent des
prix de séjour réduit, dès maintenant, on est sûr d'attirer dès le début de Juin, des centaines de milliers de
vacanciers, qui peuvent prèndre leurs vacances avant
les congés scolaires, et qui le souhaitent. J'évoquerai
seulement l'expérience d'une entreprise privéè qui, pou.r
la seconde année consécutive, a su s'attirer une clientèle
de jeunes en consentant des conditions spéciales hors
saison, tout en assurant dans ses lieux de vacances les
mêllles distractions et la même ambiance qu'en Juillet
ou en Août. Si l'information et l'éducation du public sont
des tâches qui incombent à des organismes officiels, par
contre l'organisation des lieux d'accueil, ne peut résulter
387
:'.
~
�que d'initiatives p.rivées, d'efforts constructifs des collectivités locales ou régionales, d'organismes p.rivés ou
semi-publics. L'étalement des congés n'est pas seulement
une tâche de gouvernement, c'est aussi l'œuvre d'~ tous
les responsables locaux et régionaux du tourisme.
*
**
Telles sont les mesures ess~ntielles qui peuvent
's'inscrire dans un~ politique d'étalement des congés, si
l'on veut tenir Je plus grand compte des aspirations et
des hèsoins des vacanciers. Quels résultats peut-on en
attendre? Très approximativement, si les diverses mesures préconisées étaient réalisées, les pourcentages suivants pourraient .être atteints
- ·1
.'-."
Mai-Juin
20%
JuiUèt
30%
Août
30%
Septembre
10%
Divers
10%
Si le contingent de vacanciers auglnentait dans les
proportions préV'Ues par la Commission du 4e Plan et
passait de 12.400.000 à 15 millions en 1965, le volunle
de vacanciers ne dépasserait à aucun moment le volume
,c onnu actuellement p'è ndant la période de pointe du 10
au 15 août (6.000.000) à la condition que la durée des
séj ou.rs denleure la même. Or il est évident que dans les
années à venir, les pressions salariales 'èn faveur d'une
quatrièlne semaine de congés s'~ront de plus en plus fortes. Combien d'entreprises seront tentées alors d'accoler
cette quatrième semaine aux trois premières ? Et pou.rtant, nous l'avons souligné, une large majorité de salariés se dégage en faveur d'une quatrième s'èmaine de
congé prise en hiver. Là encore ce qui nous paraît essentiel, c'est d'imaginer des formules qui laiss'~nt un minimum d'initiative et de liberté de choix tant aux chefs
d'entreprises qu'aux salariés.
Dans la lnesure où ces obj ectifs pourraient êtrè
atteints, il est bien évident qu'il& ne donne.ront que très
~e
�partÎel1eluent satIsfactlon il tous ceux dont l~actîvîté
repose uniquelll'ènt sur le tourisme. Pour eux, une politique d'étalement des congés devrait viser à une répartition plus harmonieuse sur une durée plus longue. Mais
de même qu'il serait déraisonnable, nous l'avons souligné, de cher.cher à obtenir un allongenlent -des va,c ances
scolaires de Inême serait-il souhaitable de chercher à
imposer' un étalement des congés qui ne correspond ni
aux tendances" ni aux aspirations de l'ensemble d'une
population ?
Déjà ces objeetifs supposent un efl'ort continu pour
briser la tendance à la synchronisation des congés qui
apparaît comme la solution de facilité du point de vue
économique. Mais en définitive ùans l'intél'têt même de
la population salariale pour permettre l'épanouissement
d'un tourisme social, une relative dé-synchronisation
apparaît indispensable. Nous avons cherché à en fixer
les limites '~t avons évoqué quelques uns des moyens
envisagés pour y parvenir.
\
ï
Quand on mesure les difficultés qui s'opposeront à
tout changement les objectifs proposés peuvent paraître
bien ambitieux. Ils ne seront atteints que si tous y collaborent. Il y a lieu de souligner ici le rôle prépondérant
que pourraient jouer en ce domaine, les Comités d'Entreprises. Déj à ces organismes ont des services d'information dans les établissements les plus importants. Ainsi 27% des salariés de l'industrie automobil<! dans la
région parisienne, 12% des salariés du textile dans le
Nord ont déclaré avoir eu des informations et des conseils pour l'organisation de leurs vacances (documentation sur les camps, les maisons familiales, les gîtes
ruraux, etc .. ) Une politique d'étalement des congés ne
peut se construi.re qu'avec eux. Elle suppose un effort
persévérant et le désir d'aboutir. Elle sùppose, également, une révision constante des éléments du problème.
L'organisation des temps de loisirs prendra une importance d'autant plus considérable dans les années à venir
~ue la durée même des loisi.rs tendra à augmenter. Il
faut penser dès maintenant à une « Civilisation des Loisirs» qui doit contribuer à l'épanouissement et à l'enrichissement de l'homme.
M.
HALLAlRE
Secrétaire Général du C.N.A.T.
389
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�Résumé du Rapport de Synthèse
par M. Boyer
Secrétaire Général
du Centre d'Etudes du Tourisme
Les ,r apports présentés dans ce Colloque ont été si ri.ches
cL si nombreuses les interventions dans la discussion que,
au premier abord, la tâche ùu rapporteur final paraît aisée ;
mais au fur et à mesure qu'on avançait dans <ces trois jours,
de nouveaux problèmes surgissaient.
A Nice, c'est-à-dire dans cette ville qui fut la plus
importante station d'hiver (Monsieur Hildesheimer nous présenta son histoire avec toute son autorité), il nous fallait
cl 'abord rappeler la naissance du tourisme et son développement à l'époque aristocratique. L'Hypothèse que nous avions
formulée dans notre rapport introductif, selon laquelle le
tourisme avait <comme un « péché originel » d'être né saisonnier, ne fut pas contestée. mai., plusieurs fois reprise.
Les exposés historiques de Messieurs Biglia, Compan,
Duloum, Hildesheimer, Latouche ont fait revivre les aspects
très divers de [ce tourism0 aristocratique, toujours sai~on
nier ; et ce ne sont pas les petits détails qui ont été donnés
qui 'ont eu le moins de valeur significative comme le rappe.lait Monsieur }e P.rofesseur Léon dans les quelques mots qu'i!
prononça comme Présiclent de séance. La visite que nous
fîm,es ensuite à .la Fondation Ephrussi de Rothschild .et les
anecdotes racontées alors par Maître Qrengo permettaient
J9~
�de situer ce monde qui, hIstoriquement, n ~est pas si lOlq tic
nous - une trentaine ou une quarantaine d'années -- puisque c'est la crise économique qui tut la cause de la décadence du tourisme aristocratique, mais qui psychologiquement est très éloignée. L'historien Lucien Febvre le notait
justement: « Un homme de mon, âge a vu, de .ces yeux YU,
« entre 1880 et 1940, s'accomplir la grande déchéance de
li l'homme qui ne fait rien, de l'homme qui ne travaille pas,
li de l'oisif rentier ».
1. ~I
LES RECONVERS10NS
DE L'EQUIPE'MENT RECEPTIF.
1
Les stations, les équipements, les l1ébergements qui
étaient nés et s'étaient développés pour accueillir ce tourisme aristocratique de rentiers, ont eu ou ont aujourd'hui
à se reconvertir pour recevoir un cc tourisme de masse» qui
comprend cerœs encore des éléments fort riches (mais ce ne
sont plus les mêmes que ceux d'autrefois), un tourisme contemporain dont les rythmes saisonniers surtout sont très
différents.
, - :-·1
En soulignant en introduction que, dans leur majorité,
ies réputations, les sites urbains, les infrastructures, les
hôtels... datant de ce touri"me, étaient restés, nous indiquions l'ampleur des problèmes de reconversion, notamment
dans la région de la Côte d'Azur liée et développée par et
pour la saison d'hiver et qui, aujourd'hui, reçoit l'essentie.l
de sa clientèle en été (cf. les statistiques du Comité Régional
de Tourisme présentées par Monsieur Trubert.).
Problèmes d'abord au niveau de l'entreprise d'hébergement. - Nous voulons remercier les représentants dynamiques de l'hôtellerie de la Côte d'Azur: Messieurs Agid,
Augier, ,Monnot, Squarciafichi, Tschann, d'avoir bien voulu
traiter avec une gTa~de probité oomment ils ont vécu dans
leur entrepri~ cette évolution, en ,,'efforçant de nous apporter des éléments chiffrés. Leurs hôte.Is étaient nés pour la
saison d'hiver aristocratique ; les locaux y étaient. adaptés.
Ils ne sont plus adaptés au Lourisme contemporain et. par
exemple, leurs grands salons faits pour des rentiers respirent aujourd'hui l'ennui; les hôteliers des palaces ont dressé
1904
�eux-même~ l'acte de décès de 'Ce que fappellerai, mais ell
m'excusant du terme, « la grande hôtellerie de grand-papa-".
Les statistiques présentées ont montré notamme~t le point
de~ charges fixes pour un grand hôtel, l'impossibilité d'obtenir un coefficient d'occupation ~uffisant avec une clientèle
uniquement individuelle comme autrefois, la nécessité de
recourir à de nouvelle~ ressources : clientèle d'agences et,
dans cette régio~, le salut paraît être d'échapper à la fonction proprement saisonnière liée au fait touristique ~n transformant les entrepr~es hôtelières en éléments essentiels de
la vie d'UI~C grande ville COllliue Ni~ ; ainsi ces hôtels voient
se succéder des clien,tèles différentes. qui leur assurent, ho-rs
saiso!!, un taux d'oocupation, suffisant.
\"
Le Pré~ident B~rtrand nOU& a montré qu'il restait bon
nombre de grands hôtel~ incapables de sortir d~ l'activité
saisonnière, par exemple, dan& les stations thermales
(Madame Veyret nou~ a apporté de~ précisions pour Alleyard). La plupart de ces hôtel~ SOIlt &outenus par d'autres
activités comme la veIlte de~ eaux minérales ou un casi~o,
ou bien ils végètent d'une façon qui paraît inexorable ;
comme l'a dit Monsieur Tschann, ils fonctionnent sans investissements nouveaux avec cle& instanatiOl~& ar~ciel~nes, depuis
longtemps amortie&, j~u'au jour où la vente par appartement les fait disparaître.
D'autres exposés nous ont montré le succès du petit
hdtel de luxe qui réussit, même saisonlÜer. Il peut s 'agir de
reconversions (exemples donn6S pal' Monsieur Squarciafichi),
de créations nouvelles (exemples donnés par Mo~sieur
Tschann). Il peut s'agir d'hôtels d'été ou àe petits hôtels de
stations d'hiver. La créatIOn continue, depuis une dizaine
d'années dans toutes les stations d'hiver, d'hôtels nouveaUx, dont beaucoup ne ~Ol1t ouvert~ que j'hiver (1), prouve
d'une mallière expérimentale, que l'e tourisme saisonnier
d'hiver, pourvu qu'il ait Ulle occupation con,tinuelle de quaire mois, sans creux de janvi~r (Madame Veyret a montré
que c'était le ca$ dans les grandes stations des Alpes du
Nord) assure la vie des établissements hôteliers.
(1) A Courchevel, il n'y a. élUe deux hôtels qui soient ouverts l'été,
essentiellement pour leS ouvriers trava.illant pour les chantiers ; tous
les hôtels de Courchevel fonctionnent bien, quoique tenus par des
gens étrangers à la profession hôtelière (à 2 ou 3 exceptions près).
·395 ·
,z ..~
�MonsIeur Monnot, dans uuc vIgoureuse Intefventlon, ft
souligné que les difficultés des petites et moyennes entreprises hôtelières, à clientèle relativement modeste, étaient au
moins aussi accusées que ce.lles des grands hôtels. Il pensait
surtout à Nice ; son propos n'aurait-il pas encore plus de
force, appliqué aux zones uniquement saisonnières d'été,
connne les plages de l'Atlantique ou de la ~Ianche, les stations de petites et moyennes montagn.es. Reconnaissons que
les conséquences économiques de ce tourisme uniquement
saisonnier d'été n'ont pas toutes été évoquées ; à'autres
débats seraient nécessaires. Pourquoi n'y-a-t-il pas dans ce
rays d'entreprises de grand format (plus de 100 ,chambres)
capables de faire des prix modérés teLles qu'il en existe dans
d'autres pays, notamment la Suisse , comme l 'a montré
Monsieur Tissot.
. 1
•
1
Enfin, nous n 'avons garde d'oublier que danç; un pays
comme la France, les 4/5 des « vacanciers » (2) n'utilisent
pas l'hôtefmais se répartissen~ en forme d~hébergement qu'il
ne .convient pas d'appeler complémentaires et qui compre.nflent aussi bien l'hébergement chez des parents et amis
(majoritaire) que les résidences secondaires, les villages de
vacances, capables d'apporter, là -où ils existent. de singulières répercussions dans l' économie locale (comme le montre le rapport de Monsieur Defert), les maisons familialès de
vacances, enfin, le camping. D'importantes assises internationales se sont penchées sur le problème dit « du tourisme
social» ; nous ne pensons pas que tout ait été déjà traité
et souhaitons d'autres débats placés dans le contexte français. Le tourisme de masse est, en effet, le p]us saisonnier ;
ainsi, plus un établissement est modeste, plus. son pourcentage de clientèle française est élevé pt plus le pourcentage de
dientèle fTançaise est élevé, plus la concentration saison..
nière est accusée ; dans les établissements les plus modestes,
i1 semble que la ,conséquence .Je la concentration saisonnière
~oit la plus grave. Ge sont eux qui ont le plus à gagner de
ce que l'on appelle l'étalement des saisons .
(2) Je renvoie aux résultats de l'enquête Sur les vacances des
Français en 1961 pUbliés par la revue « Etudes et Conjoncture »
numéro de mai 1962 et à l'analyse que j'ai donnée de ce caractère
très saisonnier du tourisme français dans la revue de l' « Action
Populaire » numéro de juillet 62 et dans la Revue de Géographie
Alpine (Sept. 62) .
396
�Le problème de la reconversion ~e pOi!ie inévitablement
au niveau des stations, principalement dans cette région de
la Côte d'Azur où toutes les statiolJs étaient, au moins jusqu'en 1929, à prédominance hivernale et sont devenues à
IJrédominance e~tivale. Certaines ayant conservé une importante clientèle d'hiver (Monacû et NiDe), d'autres n'en ayant
pratiquement plus (Juan-Ies-P ~ins).
.,
Je reprends ci-joints les graphiques que j'avais donnés
dans une communication au Congrès des Sociétés Savantes,
éoncernant notamment Cannes. La pointe de février est très
visible jusqu'en 1929 ; jamais ces stations n'ont retrouvé,
f~n hiver, des chiffres aussi~ considérables que ceux qu~elles
ont connu. Les étrangers étaient alors la majorité des touristes. On voit ensuite que la saison d'été est née à côté de
la saison d'hiver, cOfl'esponclant à de nouveaux goûts ; avec
une clientèle plus française qu'étrangère, elle. a progressé
avec le goût des bains de mer et la crise économique l'a !>Bu
affootée. La regression de 1933 est vite effacée par l'afflux
des masses qui, avec les ,congés payés, veulent connaître les
joies réservées jusque-là aux riches.
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Juste avant la guerre de 1939: les stati!Jns de la Côte
d'Azur ont bénéficié d'un assez bon étalement des saisons,
avec une pointe estivale mar·quée mais pas excessive. C'est
après la guerre de 39-45 que l'inégalité def' sajsons s'est
affirmée de plus en plus forte d'année en année. Tandis que
rété il y a vraiment sur-saturation, la saison d 'ldver re~te
modeste, nettement dépassée par le printemps.
1
.
Il se posait pour les villes de la Côte d' AZllr et notamment pour Nice, ]a question de savoir si elles jevaiellt continuer à lutter pour rester, coùte que coûte, villes de saison.
Une enquête est en cours, nous a dit le Président Cassin ;
souhaitons que nous soyons mis au courant de ses résultats.
La question est en particulier posée de savoir s'il faut reconvertir Nice. Certains esprits l::ensent déjà que le sort en a
été jeté, au moins pour Nice. Avant lé'~ guer,re de 1914, Robert
de Souza dont on a cité une ou deux fois le remarquable
ouvrage « Nice Capitale d'hiver» rédanlait, pour Nice, une
véritable politique qui en f·e rait la .capitale d'hiver ; en particulier il demandait la sauvegarde d'espaces verts dans la
vilJe. Il demandait aussi l'acquisition par la ville de certains
domaines (notarnrnent Valrose à Cimiez). Cela ne fnt pas
fait.
397
�t'important effort actuellement entrepris, dont nous a
(Iutretenu le Sous-Préfet Cérez, porte notamment sur la créade quatorze parcs départementaux.
Nice même paraît voué au développement continu des
llctivités ~omplexe.s d'une grande ville, tout à la fois souscapitale régionale et ville à fonctions internationales . Cet
avenir de Nice est-il compatible avec l' extension d'une fonction résidentieJle de retraités et petits rentiers, avee l'accroissement du hOOlll touristique €stivFll ? ~os amis niç0is
~r. posen.t cette question et ils seraient heureux qu'un colloque puisse les aider à la résoudre.
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-
.
1
Stations thermales et stations de montagne sont i.lppClées, elles aussi, à des reconversion s due.;; aux caractères saj sonniers du tourisme contemporain ; on nous en il donné
maints exemples~ notamment dans les Alpes. Les stations
thermales s'efforcent de trouver des activitBs économiques
permanentes ; les stations de montagne d'attirer les sports
d'hiver : Madame VeyTet a fortement souligné que c'était
une des grandes faiblesses de la moyenne montagne de ne
pouvoir le faire . M-onsieur Tissot nous a décrit l'extraordinaire reconversion de la station suisse de Leysin, autref0is
station permanente de tuberculose (pour une clientèle ri~he) ,
devenue station bi-saisonnière (et :llê~ne la 51) station de ski
dû Suisse) pour un e clientèle plus varj ée avec d'importants
éléments de tourisme social.
Le tourisme peut servir puissamment le développement
et les exr.mples f0urrnillent tant en Sujsse que dans
les Alpes du ~orcl. 'fais la LruscI'.le intrusion de touristes
l~oJllhrenx, pendant une prriod8 rel:ltivement courie, ne pro duit pas que des consé-qnences heUl'€:llses Olonsienr Defert le
montre pour Cap Breton). Mais surtout ]a création cl' équipement touristiques dans des régions nettement sous-développées et, surtout en grand déficit démographique, paraît
ttwhe délicate ; la discussion Cl souvent donné des exemples
dans les Alpe,; du Sud .et plus encore en Corse où les avatars
cl.'.:! la S.E .T.C.O., plusi,eues fois évoqués, nl0ntrent, à l'évidence, que la construction de qlV:~lqU'es hôtels de luxe ne
~uffit pas à créer un COllrHnt !ouristicflle suffisamrnent étalé,
JÜ à ranimer ja y je locale. Les soljdes travaux de ~fJle
nacharry ont montré, a c::m trario, le succès
la Sardaigne ; de même Je Professeur r.8ronè a évOqlH~ certaines rélissites italiennes.
J égiona.I,
de
398
�1
Ainsi, bien des exposés ont insisté sur la nécessité de la
la reconversion, conséquence même du caractère saisonnier
du fait touristique contemporain. Mais, reconversion à quoi?
- à des activités économiques extra touristiques ? cela
Ilaraît être la solution des vüles et notamment de Nice.
- à un lourisme plus étalé? cet objectif est, sa11s doute,
hors de ]a portée des hôtelierf' ou même des dirigeants de
stations ; il. découle de tout un 'iJJlénagement régional et,
l:lus encore, d'une politique llatior,ale .
•~. r
...
- à un tourisme, eufin, cl0nt ]e caractère à la fois saisonnier et massif continuerait à s'affirmer. ce qui conduirait
ri, ·r epenser tous les modes de transports (cela est en partie
fait), les formules d'hébergement (on en est au stade des
essais, semble-t-il), et en général l(H1t l' équipement lié à la
réception.
il. -
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ETALE'JENT DES CONGES
ET PROSPECTIVE DU TOUR] S'lE.
La richesse ùes nombreux rapport:-3 qui ont traité de
l'étalement des eongés et lïntérêt des débats qui ont su!vi,
me permettent d'avancer que plusieurs des objectifs fixés
dans le rapport introductif ont été largement atteints par
Eotre Colloque. Chacun est bien convaincu que ce problème
est devenu capital, avec un tourisme de masse dont· Je caractère saisonnier est nettement fl'anché. Les l épercussions économiques dépassent singulièrement le seul domaine de quelques secteurs tertjaires ·(l'hôtellerie en particuli€JI') popr
jntéresser .J'ensemble de l'économie nationale.
Certes, le tourisme aristocratique était déjà saisonnier
n-..ais le tourisme de masse contemporain porte sur des nombres singulièrement plus ôlevés. Il ne parait pas, d'autre
part, que le tourisme aristocratique saisonnier ait connu
les phénomènes de pointe ; au demeurant, l'essentiel du
public était .composé d'oisifs quï donc ne se voyaient pas
imposer des dates de départ ou de retour. L'examen que .j 'ai
pu faire, pendant de nombreuses années, tant dans les station~ de la Côte d'Azur que ùans des stations thermales, de
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listes d'arrivées de voyageurs de distinction, m'a montré, au
(:ontraire, une singulière régularité d'une senlaine à l'autre ;
entre ~e semaine la plus faible et la plus forte, l'écart est du
simple au double . Au contraire, le tourisme de masse a déyeloppé des phénornènes de simultanétté, particulièrement onéreux pour les transports . Pour les chemins àe fer, cela est
bien connu, et il n'est pas nécessaire d'y revenir ; Monsieur
Hallaire a montré comment des me'5ures d'pchelonnement des
départs avaient réussi à écrêter les pointes. Les conséquences, pour le réseau routier, aussi sont connues. Les Ponts et
Chaussées, en Franoe, grâcG au comptage automatic[ue,
déterminent avec précisiorl les jours de pointe et les cinquante heures (lui, clans l'année, ont ,le plus fort trafic. S\lr
presque tous les secteurs routiers, ces heures eorrespondent i1 un trafic touristique : -celui du week-end (heure de
retour vers les Yilles), celui des grandes vaeances (sur des
grands axes routiers comme la R. ~~. 7). Les coefficients de
&aturation du réseau routier, dans lP.l pays comme la France,
ne sont atteints que dix ou vingt jours par an et c'est donc
essentiellement la concentration du trafic touristique qui
oblige à d'importants travaux d'investissement. Mais ïes
conséquences pour les transports maritimes et aériens sont
moins souvent évoquées ; ct 'où l'intérêt particulier des exposés de Monsieur Jodeau et de ~laclemoiselle Dacharry. Certaines ,lignes présentent, en effet, un aspect tout à fait original : le trafic touristique y est llettement prépondérant ;
ln, fréquentation accuse un caractère saisonnier qui contraste nettement avec la mécliocritt~ des liaisons le restant
de l'année ; -c'est notamlYLent le cas des liaisons entre Je
c.:ontinent et la Corse. L'intérèt pour ·ces Compagnies est de
voir se développer soit des trafics touristiques compensatoiles (de l'Ile vers le continent), soit des trafics non touristiques ; Mlle Dacharry Cl nettement montré, par ses l~ourbes ,
que te] était l'avantage de ia Sarrlaigne et des Baléares.
Ce qui permet, sur ces traversées, de diminuer le coùt du
transport et qui fav'Ûrise, par cOlliSéquent, le tourisme luirnême.
Un autre aspèct de ia <ûoncentr::ltion des congés que plu~ieurs exposés ont sou]ign(~ est la concentration clans l'es-
pace qui. se combine avec 'Une contTation clans le temps :
La Côte d'Azur en est le meilleur éxemp]e .
Monsieur Trubert a présrnté }e<:.. statistiques du Comité
régional du Tourisme ; elles permettent de s'en faire une
première idée.
400
�Répartition par saison
Hiver
Printemps
15 %
25 %
Eté
,17 %
Automne
13 %
La moyenne des séjours est brève ; pour 1.000.000 d' arrivées, selon Monsieur Truoort, 5.000.000 de nuitées annuelles. Les Français représenteraient (i0 %. Il convient d'ajouter que ces statistiques pêchent par défaut ; elles sont fondées sur les nuitées hôtelières: non pas de toutes les communes de la Côte d'Azur, mais de dix stations: Nice, Cannes, Menton, Antibes, Grasse, Cagnes, Vence, Roquebrune,
Beausoleil, Golfe-Juan et établies d'après les fiches de police.
En fait, le nombre de nuitées doit être bien sllpérieur et
certaines évaluations les portent à 17.000.000 de nuitées,
compte tenu de tous les modes d'hébergement.
Les statistiques du Commissariat Général au Tourisme
fondées sur les réponses des hôtels homologués Tourisme,
plOntrent bien la prépondérance des Alpes-Maritimes qui,
avec 30.000 -chambres d'hôtels possèdent 8 % de l'ensemble
de la capacité hôtelière française. Le département des AlpesMaritimes est le deuxième pour la réception du tourü:te
ftranger (dans ,les hôtels classés) avec 14 % du total, bien
après la Seine 50 %, bien avant les autre" départements,.
Ii est aussi le deuxième pour la péception du Français (dans
les hôtels classés) avec 8,i %: après la Seine 19 %.
ï
L'enquête de l' I.N.S.E.E. sur ies vacances de~ França:"
en 1961 a le mérite de porter sur l'ensemble des séjours et
de ne pas mêler comme les statistiques précédemment citées
les déplacements touristiques et les déplacements pour toutes autres raisons qui favorisent notamment la Seine. On
voit alors que les Alpes-Maritimes sont nettement en tête
représentant 5 % du total des séjours de V1,cances des Français, soit 700.000 Français venus dans ce département. Le
deuxième département français est le Var tout voisin avec un
peu plus de 500.000 Français en vacances.
Ainsi dans la région où nous nous trouvons, la concentration dans l'espace vient accentuer l'extrême concentration dans le temps.
Dans &onexposé introduisant nos travaux, Monsieur le
Sous-Préfet Cérez a parlé de ~ ( Prospective », craignant que
401
26
�le mot ne s'Oit devenu une \( tarte à la crème ». J'ai peut-être
été le premier à employer ce mot à propos du tourisme (3),
ce qui me crée sans doute l'übligation de ne pas l'abandonner aujourd'hui.
Une prospective du tourisme ne peut. être fondée que sur
des statistiques certaines ; en France, ce sont celles de
l'l.N.S .E.E. réalisées au départ ; les plus récentes portent
sur les vacances des Français en 1961 (4).
\
Mais il est intéressant que ces éléments bruts soient
complétés par des enquêtes de motivation portant sur des
milieux relativement plus homogènes ; c'est Je mérite du
Lycée Technique de 'Nice d'a\'oir réalisé, sous la direction
de Monsieur Payan, une très intéressante enquête portant
sur la clientèle bien spéciale que l'on ~rüuve l'hiver sur la
Promenade des Anglais à Nice ; c'est l'intérêt du Sondage
. réalisé par l'Institut Français d'Opinion Publique auprès
cie salariés de Paris et de la région du Nord pour connaître
leur sentiment sur l'étalement des congés (5).
-
Jlonsieur le Présiden t Bourseau, parlant au nom de
l'ensembJe des hôteliers, a dit combien les enquêtes de motivation effectuées auprès de~ diverse~ catégories d'hôtels permettraient, en précisant les désirs des clients, d'orienter la
politique d'investissement ; nous nous félicitons qu'il ait
exprimé le désir que les orgallt's universitaires soient associés
à de telles recherches.
Tous les pays qui possèdent une certaine planification
s 'efforcent de prévoir le développement des phénomènes économiques et sociaux; c'est ce que fait, en France, le Ive Plan
qui possède un t erme,' 1963 ; mais qui, au-delà, regarde vers
un horizon: 1970 ou. 1980. Je ne \'eux pas repreüdre ici la
démonstratl on que j'aj donn éf dans la Revue de l' Acti on
Populaire (N°S septembre-octvbre 1961 et juillet 1962) qui
analyse les diverses hypothèses de développement du mar1
(3 ) D'abord dans une note rédigée à l'attention de M. Gaston
Berger, puis dans un article de la ({ Revue de l'Action Populaire »
n o 151 : « Prospective du tourisme ».
(4 ) Les résultats en sont publiés dans Etudes et Conjoncture no de
mai 1962.
(5) Les résultats de cette enquête sont publiés dans un numérQ
spécial de ({ Sondages 1962 ».
402
�ché touristique français ; je n'en donne ici, très schématiquement' que les conclusions:
On prévoit une augmentation des dépenses touristiques
des Français, d'ici 1970, de l'ordre de 250 %. Les taux de
départ, la durée des congés, 1. 'importance des dépenses touristiques, les goûts eux-mêmes (pourcentage de vacances à
la mer, à la montagne, à la campagne) dépendent de l'âge
de la personne, de la dimension du lieu de domicile, de la
catégorie socio-professionnelle, du type d'habitat pemlanent... Les principales modi.fications prévisibles capables
d'influer sur le taux de départ et les dépenses touristiques
paraissent être les suivantes :
-
Augmentation générale de la population.
- Modification structurelle de la population sous forme
de rajeunissement, de concentrations urbaines, de pourcentages plus Blevés de tertiaires.
-
Augmentation du revenu national.
-
Développement général de l'instruction.
-- Augmentation de la durée Jégale des congés (cette hypothèse n'a pas été retenue par le Plan, pourtant elle se réalise
déjà et doit être prise en considération).
'.
Dans toutes mes étude~ antérieures, je souligne que ces
prévisions optimistes pour un développement du tourisme
reposent) en fait, sur la supposition, toute gratuite, qu'aucun goulot d'étranglement ne viendra gêner la progression.
Or, ce goulot d'étranglement existe essentiellement sous la
forme de l'insuffisance de l' hébergemnet au moment de la
grande concentration estivalle. On retrouve ici l'importance
du caractère saisonnier du fait touristique.
Et c'est pour cela que nous avons voulu~ en terminant,
redire que la solution du prob~ème lIe l'étalement des congés
nous paraît être un; véritable préalable à tout4~ pohtique touristique. Sans un certain étalement des congés, il n'est pas
possible d'envisager une augmentation des équipements
d'hébergement (voire de transports) qui correspondent à la
demande et, principalement, d'équipements dits sociaux.
Ou alors j] faut admettre un transf~rt du revenu national en
403
�faveur d'un secteur économique llécessairement défavorisé
par le caractère saisonnier. L'exposé de Monsieur Labeau a
ouvert de ,larges horizons: il a montré la nécessité de rechercher une « optimalisation » des dates de congé ; mais, en
fait, nous manquons largement d'éléments chiffrés, à la fois
pour évaluer le coùt national de l'actuelle concentration des
congés, et ce que coûterait à l'activité productrice un étalement qui l'obligerait à constituer des stocks et modifierait
son rythme. A fortiori, nous manquons d'éléments pour
savoir les répercussions dé l'étalement des congés dans le
~cteur administratif où, dans un pays aussi centralisé que
)a France, l'étalement des c0l1gés sur une pèriode de deux
ou trois mois pourrait produire une certaine paralysie.
Mais alors comment héberger si la création d'hébergements touristiques n 'est pas l'-endue rentable par une occupation suffisante ?
Et les flux nouveaux de touristes (le marché potentiel
cher il. Monsieur Piatier) ne risquent-ils pas constamment de
remettre en question les ré.sul~at s acquis ?
Certains pays (notamment la Belgique) « exportent leurs
» ; leurs nationaux vont très nombreux passer
leurs vacances à l 'étranger. Mais quel pays peut-être assuré
d~avoir de façon durable une ba!lance des paiements suffisamment favorable pour se payer Je luxe d'exporter ainsi
ses devises? L'Amérique même reprend périodiquement son
thème « See America First ». Nou-- remercions Monsieur le
Commissaire Général Haulot de nous avoir montré comment
la Belgique, elle-même, avait réagi en s'efforçant, par une
eampagne judicieuse, de ~onvajncre les Belges de prendre
leurs vacances en Belgique, mais en juin ...
problèmes
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CONCLUSIONS.
Les rythmes saisonniers du tourisme aristocratique, si
vigoureusement l11arqués qu'ils aient été, n.'avaient finalement que des conséquences économiques limitées ,à quelques
entreprises, à quelques stations, à quelques professions qui
vivaient de lui.
404
�Dans ies pays économiquement développés, toute ia vIe
de la nation paraît affectée. aujourd'hui,par le~ grandes pulsations saisonnières du tourisme de masse. Certes, quelques
catégories limitées d'entreprises touristiques peuvent obtenir
certains résultats en s'adaptant et, en particulier, en développant les fonctions extra touristiques ; on nous a donné
plusieurs exemples.
A court rerme, les solutions paraissent bien être celles
que la Sagesse, par la bouche de Monsieur Hallaire, nous a
présentées. On p€ut supprimer des poiQtes, allonger un peu
la durée générale des vacances, espérer un réel fractionnement des congés, compter sur le '~{)urisme des ruraux pour
animer ce qui était morte saison.
A long terme, il deviendra nécessaire de considérer ce
problème comme un des plus grands de la civilisation contemporaine.
,-
Que de difficultés n,ouveHes notre Colloque a soulevées!
Et qu~ de Colloques seraient encore nécessaires pour les
_résoudre ! Nous avons simplement voulu, ici, prouver par
l'exemple u~e méthode pour résoudre de tels problèmes.
Cette méthode est la confrontation ; confrontation entre les
disciplines absolument jndispensable ; si, une seule discipline voulait traiter, à part, un tel problème, elle Q'aurait
qu'une vue partielle et donc partiale. Nécessité de la confrontation avec les professionnels ·~t les responsables admin1sWatifs. Les universitaires, ensei~ants, chercheurs ici
présents ont été particulièrement sensibles à l'importance
et à la qualité des rapports préspntés par ces praticiens.
De leur côté, ils nous ont dit comhien de tels travaux leurs
étaient précieux ; plusieurs fois il fut rendu hommage publiquement à l'université en général et· au Oentre d'Etudes du
Tourisme eQ particulier, pour les travaux effectués ; nous
ressentons profondément] 'honneur d'un tel hommage. Mais
nous savons, d'autre part, la faiblesse extrême de nos
moyens; notre collaboration a été plusieurs fois souhaitée ;
nous espérons qu'elle pourra se concrétiser. Nous connaissons personnellement trop de cas où des grands organismes
publics ou para-publics ont fait appel à des bureaux d'études
privés, incompétents en matière touristique, qui leur ont
pratiquement « revendu » des renseignements administratifs
ou des études universitaires. Il ne s'agit pas pour les organismes d~ recherches liés à l'Université, de se subs.t ituer à
405
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des groupes privés ou de faire ce qu 'il est convenu d'appeler
des « études de marché », ll1ai~, du lnoins, d'affirmer que
dans le niveau encore assez élémentaire de notre connaissance d'un phénomène aussi complexe que le tourisme,
compte tenu des conséquences très larges que son développement a pour l'ensemble de l'Bconomie, il est nécessaire,
avant d'entreprendre toute étude, (lue les divers groupes de
,recherches fondamentales liés à l'Université soient au moins
appelés à do~ner la nécessain~ initiation méthodoligique, à
fournir la documentation de base. C'est à ùette oondition,
et à cette condition seulement que les travaux de ce Colloque
pourront apporter les fruits que les responsables du tourisme
ont souhaités.
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Marc
BOYER,
Secrétaire général
du Centre d'Etudes du Tourisme.
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FIG. 1. - Courbe du nombre de tou,i. ..te3 (Fran.çc:.i, e' ~tran8ers) à
au moi.8 defmer et au moi, d'c.oat, de 1927 à. 1957.
CaAMI
rest~ la plus importante jusqu'en 1930. En 1931, la saison d'ét6 l'emporte.
Remarquez l'extrême &eD8ibilité des deux courbes à la conjoncture: le tourisme est un bon thermomètre.
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FIG. 2 et 3. -
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1956. Statistiques lMmuellt!3 et annueUes d'arrivées.
Part de Nice dans le total.
L'échelle de la fil. 2 est différente. Elle change • cr 1.000 ~ et à
arrivées.. N~ a tUl8 6cheUe quatre foie plus peûte, ce qui
correepond au n.pport inverse du Dombre de touristes de Cannes.
Ce graphique pœmet de comparer l'alJure de8 II1Î8Ons des principales stations de 11 cate dt Azur.
« 5.000 1
J
Allure des courbes saisonnièrea pour sept de cee stations.
~tablies, d'après les fiches de police, pour le total de. etAtions
suivantes : Nice., OUIDC8, Menton, Grasse, Antibes, Roquebrune,.
Cagnes, Vence et Beausoleil.
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FIG.
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M
J
A SON
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StatÎ8,ique~
(dtltprè.~
des .'Vu,itées·Touriste.5 dausla Prillcipauté de Mon.aco. par mois, pour les années 1952, 1955 et 1956
les fir.hes de police), statistiques établies par le Commissariat général au Tourisme de la Principauté
OB~ERV.UION5. ~- Les trois cour!w-s sont, a5..<;c.2j
progrè~ net ete 1952 il 1955. une il-gère rég~85ion
~
J
'"
1/'1
~
semblables : uu
en 1956.
On comparera cette courbe. par nuitées, do MOfi.OCl) avec celle
deI staticns de la C8te d' Azur fl'1mc:.ai~9 calculée sur le !lombre
d'arrif)é~j : les différences entre les moia sont moiru1 aC<.'ll.q ée~; août
fait g~re plus du dC)Uble de novembre. Cela tient certes au caractère
propre- de Monaco, maÎ8 surtout au fait, valable partout. que lei
~éjours
hivernaux ~ont plus longs et le tourisme t.'~tival lTès • itinl-rect'1\sé plnsieuJ'8 fo~.
Cette "ourhE' tl~ mùtées confirm~ :
..- ie primat de la saison d'été, avec la pointe d'auût;
- , - ,'ient en second la saison ete fin d'hÏ\'cr (jal\vi~r-avrilh
les deux ('reult (mai-juin t't octobrc.novernhrt") restent forle-
tant .;
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Can.nes avant la crise.
-saison ~ n-elle .'étend
toujoUll, comme au XIX8 siècle. d'octobre à avril.
Les étranger. sont alors plua nombreux que les Fram;llis C'Cl't le
c:.oDtraire hort waon. Les mois d'été sont les moins fournis, mais
Cannel COUDait dhjà un hono~bic début Je saison de Il bains de ruer Il.
De juiJfet 1927 à j~in 19"28 : 93.600 touriste!5 dont 47.700 Français.
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n y a des touriste. toute l'année. mais la
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FIG. 6. .... Après la crÎ$t, de& réajustemeutj.
De juillet 1933 à juill 1934 : 75.000 tourisks Jont 50.600 Ftallça~
Au total. moins de touristes; l'nais c('.!a n'est dû <{u'à la diminution du nombre d'étrangers. Ils ne forment <Lue le tiers cn hiver et
le quart l'été. Il v a ntainten.a nt demt saisons: celle d'été. surtout
française, a une pointe très nette cn nota; celle J1hiver.printemp$
Il son maximum en avril (Pâques).
Deux inter-saisons qui ne sont, qUllnd m"llle pas dt~pourVUt's de_
louristl's.
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FIc. 7. - CcmM$ avant la guerre : ~an.dl pro6'è&.
Les progrù sont considérable". n a fallu user. d'une autre échelle que
l'on conservera pour les deux graphiques d'après guerre. D'octobre
1937 à septembre 1938 inclus, 119.600 touristes, davantage qu'en 1928
pour plus des deux tiers Français (84.000).
Les progrèl sont rapidel et portent surtout sur la saison d'été: la
pointe d'août s'accul'oe d'année en année.
lA saison d'hiver est nettement di$la.ncée.
En ehiffces absolus, elle a pourtant progre$&é dC:l)Ws la crÎlle. EUe est
redevenue assez étale, avec deux pointes en février et en avril. Les étrangers y sont un peu plus du liers. Ce n'est plus la grande saison aristocratique d'avant 1930. ~ inter-saisOns sont plus courtes qu'en 1933.
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Fu;, 8 et 9. . - CanM$ a.pè& guerre. Let.proGrèt sont constants,
maïa sont .urtout dus aux touristes français.
De mai 1951 à avril 1952 : 149.900 touristes dont 73.400 Français;
De mai 1956 à avril 1957 : 171.122 tourdtes dont 101.210 Fr:mçais.
Les quatre
J'hiver 80nt 1e3 plus faibles : chiffre.:> i~érieurs à ceuX
de 1938; pourcenta6e le p!::.s {..fuIe d'étr!Ulgers.
La belle" saison 11 est l'tu, avec b pointe d'août, de pbs en plus accentuée; un pourcenta~e d'étrangers plus é!evé que l'lai...·er (surtout en juin).
Maintenant, le pr;n:.emps (m&rs-;wn) a tfols fois plus de !oUl:"~C& que..
l'hiver. Les v:urant'a de Pâques (mars ou avril) constituent un sommet.
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�Observations de la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques d'Aix
sur l'Avant-projet de réforme
du Code Civil, Livre Il,
des successions et des libéralités (suite)
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�TITRE II
Des Successions Testamentaires (1)
La Faculté n'a pas d'observation capitale à formuler : la Commission, en effet, à ce titre, n'apporte
aucune modification profonde au droit actuel.
Toutefois, les rèmarques suivantes
devoir être proposées.
Chapitre 1er
-
lui
semblent
Section 1
ARTICLE 908. - La force probante du testament olographe est précisée à l'article 908 : la charge de la
preuve incombe à celui qui s'en prévaut.
L'innovation essentielle du projet tend à reconnaître une force probante particulière au testament olographe dépos~ par le testateur chez un notaire : l'écriture est alors réputée émaner du testateur, tant qu'une
procédure de vérification n'aboutit pas à la constatation contraire.
Une question peut se poser: n'est-ce point la procédure de vérification qui s'impose aussi lorsque la charge
de la preuve incombe à celui qui se prévaut du testament?
(1) V. les observations de la Faculté sur le Titre l, Des Successions ab intestat, dans le no 52 de la nouvelle série des Annales
de la Fl\culté, année~ 1960-1961, p. 241.
415
�Le projet ne prévoit-il point ici en vérité un renversement de la charge de la preuve ? L'affirmative
devrait être précisée, si telle est la volonté réelle des
auteurs du projet.
En ce cas, au surplus, il y a lieu de remarquer
que le testament déposé par le testateur entre les mains
du notaire s'analyse alors comme un acte intermédiaire
entre l'acte S.S.P. et l'acte authentique. Est-ce opportun ?
"~
Chapitre 1er
-
Section 2
ARTICLE 921. L'article 921 envisage la capacité
de disposer au mOlllent de la rédaction du testament.
"" 1
Le projet n'envisage pas la capacité requise au jour
du décès, c'est-à-dire la capacité de laisser un testament : c'est l'hypothèse, notamment, de la condamnation pénale qui interdit au testateur de laisser des dispositions à cause de mort.
ARTICLES 928 et 929. Les articles 928 et 929 sont
relatifs aux legs adressés aux enfants naturels ou adultérins : ces dispositions tiennent compte" des droits que
l'on tend à reconnaître au conjoint survivant. Il est
capital de se reporter aux observations faites au titre
de~ droits du conj oint survivant.
ARTICLE 930. L'article 930 prévoit les libéralités
testamentaires adressées par le mineur à son tuteur. Le
principe ·actuel de la prohibition demeure. Il est cependant précisé que celle-ci cesse avec la majorité "ou
l'.émancipation : la nullité du legs fait au tuteur par le
pupille devenu maj eur ou émancipé, avant la réddition
de compte de tutelle, n'est plus encourue si cette réddilion de compte est intervenue avant le décès du testateur, où si ce décès intervient plus de cinq ans après
la majorité.
En principe cette disposition ne paraît pas opportune.
Dans la m~sure toutefois où elle serait maintenue,
il y aurait lieu de prévoir certaines conditions de délais
416
~
�dans l'hypothèse où la nullité n'est plus
fait d'une reddition de conlpte antérieure
testah~ur : on peut redouter en effet que le
se des dernières forces ... ou des dernières
pupille mourant.
encourue du
au décès du
tuteur n'abufaiblesses du
ARTICLE 935. -- L'article 935 prévoit le cas de la
destruction du testament.
Il serait opportun de prévoir l'hypothèse d"une destruction partielle, au regard notamment des problèmes
posés de ce chef en pratique.
o.
Chapitre 2 -
1
Selc tion 3
ARTICLE 948. L'article 948 traite de certains des
faits pouvant motiver la résolution judiciaire du legs.
Une question se pose : doit-on exiger que le bénéficiaire ait fait l'objet d'une condamnation du chef des
dits faits ?
Chapitre 2 - - Section 5
ARTICLE 954. Cet article prévoit qu'au cas où l"exhérédation excluerait toute dévolution successorale, le
testament ne serait pas nul et les biens seraient acquis
à l'Etat.
Un problèlne demeure : en vertu de quel droit ?
-.
l
\
."
Chapitre 3 -
Section 1
ARTICLE 956. Il convient de substituer à l'expreslsion « Président du Tribunal de Première Instance »)
celle de « Président du Tribunal de Grande Instance ».
Chapitre 3 -
>.
Section
If.
ARTICLE 967. L'article 967 prévoit que dans le
cas d'un legs d'un immeuble, les immeubles contigus ou
annexes, acquis par le testateur depuis la rédaction du
testament, sont présumés, sauf preuve contraire, être
compris dans le legs, s'ils composent uni tout avec l'immeuble légué,
417
2'l
�On peut redouter que cette disposition ne soit la
source de litiges délicats. En effet, en vertu de quel
critère peut-on décider qu'un tout est formé ?
Chapitre 3 -
Seclion 5
ARTIIC LE 976. L'article 976 ne fait plus aux exécuteurs testamentaires une obligation de !procéder 'à
l'inventaire. N'est-ce pas un point dangereux, notamment lorsque ce dernier se trouve appelé à se préoccuper du sort des biens ?
.
Chapitre 3 -
Se,c lion 5
ARTICLE 979. L'article 979 prévoit le pouvoir de
vendre à l'amiable au profit de l'exécuteur testamentaire.
Certes la jurisprudence actuelle est en ce sens.
Cette solution, cependant, par,a it dangereuse pour les
intérêts des lnineurs et des incapables en génér,a1.
Chapitre 3 -
Section 5
ARTICLE 983. -- L'article 983 prévoit qu~ si les fonctions de l'exécuteur testamentaire sont en principe gra··
tuites, le testateur peut en disposer autrement.
<,
L'expérience révèle que l'exécuteur testamentaire,
dans la nlesure où il se trouve gratifié par le testament,
se trouve parfois appelé à procéder à une interprétation subjective de ce dernier.
"1a
�TITRE III
Des Donations
·
.
La Faculté renouvelle une critique préliminaire de
plan.
Il est regrettable que les donations soient règlenlentées dans le titre III après les successions ab intestat et testamentaires.
".
·1
:.
Outre ses observations précédentes .c oncernant la
discrimination critiquable faite entre ces deux modes
de successions, elle estime qu'il est illogique de traÎt'èr
la réserve héréditaire l~ quotité disponible et la réduction des libéralités avant les libéralités elle-mêmes.
(Voir observations générales fornlulées en tête du
titre 1).
Le regroupement dans le titre III de toutes les dis~
positions concernant les donations entre vifs et notam- ·
luent les donations en faveur du nlariage paraît une
excellente formule. Mais si la commission n'a pas cru
devoir f.aire figurer dans ce titre les partagès d'ascendants l'article 984 semble alors; inutile ou inexact puisqu'il ne fait aucune allusion à la donation partage
comme mode de disposition à titre gratuit. On pourrait
peut-être ajouter au tèxte « sous réserve des règles
spéciales de la donation partage faisant l'objet du
titre IV »r
41~
~,'
~
�$.:.,;
On peut également s'étonner des motifs invoqués
par la commission pour justifier l'esprit qui l'a animée
en règlementant cette matière. Il ne paraît pas exac~
que les donations profitent surtout à des œuvres et si
l'on tient compte des remarques précédemment forn1ulé es par la Faculté sur les dispositions concernant la
réserve, la protection des intérêts familiaux ne doit pas
être négligée.
; ..
CHAPITRE 1
(
Des donations entre vifs
ARTICLE 985. Ce texte en ce qu'il n1aintient le
principe de l'irrévocabilité des donations entre vifs n'est
pas approuvé par la Faculté. Elle estime que le seul
fondement de la règle qui subsiste de nos jours (à savoir
la protection du donateur contre ses propres entraînements) ne paraît pas suffisamment sérieux pour j ustifier son maintien. Elle souhaite que la donation entre
vifs de biens présents soit irrévocable conformément au
droit commun des contrats.
.
ARTICLE 986. L'article 986 supprime la révocabilité «1 ad nutum » des donations entre époux.
1
Or, si l'on peut admettre que l'un des fondements
sur lequel était basée la faculté de révocation prévue
par l'article 1096 actuel a perdu de sa valeur, à savoir
le respect du principe de l'hnmutabilité, en revanche il
n'est pas sûr que la crainte d'abus d'influence d'un
époux surI, l'autre puisse être négligée de nos jours.
.. 1
Même, en dehors' ùe cette hypothèse, l'époux, de
lui-mème a pu faire une libéralité à son conjoint alors
que le ménage était parfaitement uni et peut plus tard
regretter son geste si le donataire ne mérite plus l'avantage qui lui avait été consenti et ceci sans que les rapports conjugaux soient juridiquement rompus.
Il appartiendrait peut-être également de maintenir
420
;-'.;.'
�actueis articles i099 et i 100 sur la nuiilté des donadéguisées ou par personnes interposées si l'on
veut protéger les héritiers réservataires et" plus particulièrement les enfants d'un premier lit. La solution à
adopter 'è st en outre liée à celle qu'adoptera le proj et,
compte tenu des observ'a tions de la Faculté sur les dispositions concernant les rapports (art. 844 et 863) et la
réserve, et plus spécialement cdle du conj oint survivant.
les
tiOllS
PARAGRAPHE l
Conditio'fls de' Validité
ARTICLE 991. - Tenir compte des observations de
la Faculté sur les articles 928 et 929 qui renvoient ellesmêmes à celles qui ont été formulées au titre des droits
du conj oint survivant.
ARTICLE 995. 2 al. : ne se justifie plus si le principe de révocabilité « ad nutum » est conservé contrairement au proj et.
ARTICLE 997. - Dit que la preuve des dons manuels
et des pactes adj oints se fait « conformément aux
règles ordinaires de la preuve ». Cette formule qui
d'après l'exposé des motifs n'est pas un renvoi aux
règles de preuve en matière de contrats mais tend il
maintenir l'application de la règle « en fait de meubles
possession vaut titre », pourra entraîner des difficultés
d'interprétation.
Le nouveau texte devrait distinguer les deux hypothèses où doit se f.aire la preuve du don nlanuel : contre
le donataire ou contre le donateur ou ses héritiers.
Ne serait-il pas préférable de dire : la preuve se
fait contre le donataire conformément au droit commun des preuves de l'article 1341, et contre le donateur
ou ses héritiers par la possession. Cette formule serait
d'ailleurs la consécration de la jurisprudence actuelle
qui admet en outre, dans la première hypothèse que les
héritiers du donateur pourront prouver le détournement
par tous les moyens si le don manuel a été fait pour
tourner les règles de la réserve ou de la réduction.
421
�ÀRTICl.;E' 998. - -- Suppr1.uer le lllOt andIn el lÎl'c
ne produit effet que du jour ....
el
PARAGRAPHE 3
De larévo,cation des donations entre (l}!ifS
ARTLCLE 1008. - Ajoutez aux règles spéciales énoncées dans la section II cirdessous : « et dans le chapitre II qui vise l'institution contractuelle entre époux ».
r
ARTICLE 1011. - Correction de fornl.e : 3e ligne ou
du jour auquel le donataire en a eu connaissance.
ARTICLE 1012. - Ce texte qui prétend condenser le
précédent est cependant 1110ins explicite car il ne précise pas les effets de la publication de la demande de
révocation (Ord. 7 janvier 1959).
Section II : REGLES RELATIVES AUX DONATIONS
ENTRE VIFS EN FAVEUR DU J.\IIARIAGE.
1
,1
.j
ARTICLE 1017. - Il faudrait préciser l'étendue de la
garantie .en indiquant que contrairement à l'article 16::>1
qui vise la vente, le constituant n Jest garant que de la
valeur de l'objet dont il est évincé le jour de l'éviction.
ARTICLE 1019. - Le 3'" alinéa n'a plus de sens en
raison de la loi sur la réforme des régimes matrinloniaux qui supprime le droit de renonciation de la femlue
à la communauté.
ARTICLES 1021 et 1022. - Dispositions à approuver
parce que confor~es ' à l'interprétation notariale SUI" les
clauses d'imputation de la dot. Il faut cependant signaler que les articles 1520 et 1522 du projet de loi sur lesll
régimes matrimoniaux ne sont pas identiques aux articles 1021 et 1022 de l',a vant-projet.
ARTICLES 1024 à 1029. - Même observ~tion : les
textes doivent être mis en accord avec les articles 1506
et 1519 du projet de loi sur les régimes luatrimoniaux
visant les clauses d"inaliénabilité.
422
�C1JAI>['l'Hft li
Des institutions contractuelles
Le regroupement des règles est à approuver mais
il est à noter que l'institution contractuelle perdra beaucoup de son intérêt si, conformément à l'avant-projet,
les droits successoraux du conjoint survivant sont
accrus.
1035. - 2e al. : il serait peut-être utile de
préciser qu'il y a lieu d'assimiler aux enfants à naître
du mariage, ceux qui ont fait l'obj et d'une légitimation
adoptive, comme le dit d'ailleurs l'exposé des motifs.
Le 2a al. pourrait êtr~ rédigé ainsi :
ARTICLE
« Elle peut aussi être faite au profit des enfants
à naître du mariage auxquels seront assimilés les
"
enfants ayant fait l'objet d'une légitimation adoptive,
soit directement.. .. etc .
.1
423
-,.~
�TITRE IV
Des Substitutions et Clauses
d'inaliénabilité
1. - La Faculté approuve dans son principe l'inl~
portante réforme réalisée par le présent titre de l;AvantProj et. Il lui paraît toutefois nëcessaire de proposer
deux observations.
D'une part, à traiter des clauses d'inaliénabilité
dans le livre consacré aux, successions et libéralités, on
risque de méconnaître le fait que de telles clauses peuvent être insérées aussi bien dans un acte à titre onéreux que dans une libéralité (ou un contrat de mariage).
Certes, la Commission a pu estimer qu'en autorisant les
clauses d'inaliénabilité dans les actes à titre gratuit, le
texte de l'Avant-Projet les prohibait implicitement dans
les actes à titre onéreux. Mais, outre que l'opportunité
d'une telle prohibition pourrait être contestée, la question mérite d'être traitée autrement que par prétérition.
La Faculté suggère donc qu'une théorie générale de
l'inaliénabilité soit élaborée, et qu'au moins des textes)
de principe soient insérés dans la partie de l'avant~
projet consacrée aux biens.
D'autre p.art, la Faculté n'est pas favora~le à une
limitation à trente années de la durée de l'inaliénabilité
ou de l'aliénabilité à charge de ren1ploi, au moins en ce
qui concerne les ascendants donateurs ou testateurs. Le
· 424
�d;un ascendant <le voir tel de ses iJÎens cteuletil'ei
dans le patrimoine familial ll1algré l'esprit de prodigalité qu'il devine chez son enfant mérite une protection
particulière, même si l'on estime à bon droit que la
lourde institution de la substitution fideicommissaire
doit disparaître du droit positif. La liberté de l'ascendant est d'autre part limitée par l'institution de la
réserve. Enfin, de par la nature même des choses, la
durée de l'inaliénabilité, restreinte à la vie du bénéficiaire, ne dépasser,a rarement que trente ans. La Faculté
propose donc la suppression de la limite des trente
années dans les libéralités faites pa';.~ les ascendants, et
le maintien quant à elles, de la seuJe lhnite de la dnrée
de la vie du bénéficiaire.
!50Ucl
II. - Les modalités de la réforme paraissent elles
aussi bien venues à la Faculté. 'routefois, il lui apparaît
que les textes de l'Avant-Projet ne précisent pas avec
une suffisante netteté le sort des hypothèques légales,
judiciaires ou conservatoires dont les biens déclarés ina-liénables pourraient faire l'objet.
1
Certes, le texte de l'Avant-Projet semble de prime
abord admettre la possibilité d 'inscrire sur les biens
déclarés inaliénables une hypothèque légale, judiciaire
ou conservatoire, en ce qu'il n'exclut dans l'article 1054
que la « constitution » d' un droit réel, alors que le
tenne ne vise dans la tradition classique que la création d'un droit r éel par contrat. lVlais, déj à, le tenue
« constitution » est abandonné dans l'alinéa deux d e
l'article 1054, lequel fait emploi du terme « grever »,
d'une portée beaucoup plus générale. D'autre part,
depuis la réforme de 1955, on peut arguer que toutes les
hypothèques légales demeurent virtuelles, jusqu'à leur
« constitution » par inscription. Faisant application du
m.ême raisonnement aux créanciers auxquels l'article
1056 maintient la faculté de saisir les biens frappés
d'inaliénabilité, on pourrait contester à ces créanci~rs le
droit de prendre sur ces biens l'une des inscriptions prévues par les articles 53 et suivants du Code de procédure
civile (loi du 12 novembre 1955 et loi du 6 février 1957).
L'imprécision du texte est d'autant plus fâcheuse qu'elle
concerne une matière difficile, assez confuser.lent réglée
par le droit positif, alors qu'au surplus l'Avant-Proj et
4.25
�!":''!.;.
.-
,
'.
.,
.~
\
.
abandonne ce qUI parait êtrc ie droit actuel. 1.' AvanlProjet donne en effet aux créanciers dont les droits sont
postérieurs à la libéralité, et lorsqu'ils ne tiennent pas
ces droits d'un ~ontrat, la faculté de saisir les biens\
déclarés inaliénables. Or, si telle est la règle en Inatière
d'insaisissabilité dotale, le droit positif paraît connaîh'e
une règh~ différente pour les autres situations d'inaliénabilité conventionnelle (pareillement si l'on admet qlle
les biens frappés de substitution fideicommissai.re sont
saisissables, c'est sous réserve des droits des appelés).
Les interprètes du texte nouveau ne trouveront ainsi
guère d'appui dans la jurisprudence actuelle, d'ailleurs
ancienne et de portée liInitée (aucun des arrêts cités nc
concerne, à notre connaissance, un créancier ne déduis,a nt pas son droit d'un acte juridique convèntionnel).
La Faculté estIme donc que les textes des artic1es
1054 et 1056 devraient être revus, pour qu'y soit inscrite
une règlementation précise des sûretés légales, judiciaires et conservatoires - règlementation qui, sans doute,
serait mieux à sa place encore dans un chapitre consacré à l'inaliénabilité. Et si la Commission décide de
maintenir le texte actuel, à tout le moins faudrait-il préciser dans l'article 1054 que ce sont les constitutions
volontaires qui sont visées, et à l'article 1056 que l'acte
juridique dont il est question (deuxièlne phrase) est
l'acte juridique émanant du bénéficiaire de la libéralité.
III. - La Faculté croit en conclusion utile de pro·
poser quelques modifications de pure forme, sur les
points suivants :
ARTICLE 1044. - Les tennes de « substitution simpIe» pourraient être substitués à la qualification un pen
trop traditionnelle de substitution « vulgaiJ e ».
ARTICLE 1047. - Au lieu de « ... les immeubles et les
valeurs ... qui font l'objet du don ... », la Faculté propose
« .. .les immeubles ou valeurs faisant l'objet du don ... »
ARTICLEt 1050. - Au lieu de « .. .inconlpatible avec
l'intérêt qui justifiait l'inaliénabilité », la Faculté propose : « ... justifiant l'inaliénabilité ».
426
�ARTICLE i054~ -- 11 parait llluLllc de reprendre dans
l'alinéa second la substance de la règle affirlnée dall~
l'alinéa premier. La Faculté propose d'écrire : « 11 ca
est de même des biens déclarés inaliénables à charg e~
de remploi, sauf clause contraire ,>.
ARTICLE 1055. tance ».
Lire
ARTICLE 1056. nlot « légataire ».
Une
«le tribunal de grande insvirgul~
paraît utile après le
;-
IV. ~ En considération des observations faites cidessus, la Faculté propose d'ins-érer dans l'Avant-Projet
un titre ainsi rédigé:
ARTICLE 1043. -
Inchangé.
ARTICLE 1044. - Est valable la substitution sinlple
ou clause.... (le reste inchangé).
ARTICLE 1045. -
Inchangé ..
ARTICLE 1046. -
Inchangé.
ARTICLE 1047. - Le donateur ou le testateur peut
stipuler que , pour un temps limité, les immeubles et
les ' valeurs immobilières déterminées faisant l'obj el
du don ou du legs seront inaliénables ou ne seront
aliénables qu'à charge de remploi, si cette clause est
justifiée par un intél'êt légitime.
~
La durée de l'inaliénabilité ou de l'aliénabilité à
charge de remploi ne peut dépasser la vie du bénéficiaire, ni, sauf en ce qui conceTne les libéralités faites
par un ascendant, excéder trente années.
En aucun cas une telle clause ne peut porter atteinte
aux droits des héritiers réservataires.
ARTICLE 1048. ~
'.
.
ARTICLE 1049. -
Inchangé.
Inchangé.
ARTICLE 1050. - Lorsque la clause a prévu l'inalienabilité des biens donnés ou légués sans exclur~ expres··
sément la possibilité de les aliéner à charge de remploi,
427
�je tribunal peut autoriser i;aüénation à. cilarge d~ reniploi, à moins qu'elle ne soit incompatible avec l'intérêt
justifiant l'inaliénabilité. (Alinéa second: sans changement).
ARTICLE
1051. - Inchangl'
ARTICLE
1052. -
Inchangé.
ARTICLE
1053. -
Inchangé.
ARTICLE 1054. Les biens déclarés inaliénables n e
peuvent faire l'objet d'aucune constitution conventionnelle de droit réel.
Il en est de même des biens déclarés aliénables à
charge de remploi, sauf clause contraire.
AVTICLE 1055. Inchangé, sauf référence au
bunal de grande instance ».
. .
«
tri-
ARTICLE 1056. Les biens donnés ou légués sous
condition d'inaliénabilité ou d'aliénabilité à chargc
de remploi ne peuvent être saisis par les créanciers du
donataire ou du légataire, dont les droits sont antérieurs
à la donation ou au décès du testateur. Ils ne pf.;uvent
être saisi par les créanciers postérieurs à cette da te
dont le droit résulte d'un acte j uridiquè émanant du
bénéficiaire de la libéralité et n'est pas garanti p.a r un
privilège .
:
~'. ...~:.....
(Ici devrait s'insérer un texte concernant les sûrctés légales, judiciaires et conservatoires).
ARTICLES
1057 à 1059. -
Inchangés.
428
~
'.
�TITRE V
,
-....
Des Partages d'Ascendant
I. - La Faculté approuve la Commission d'avoir
luaintenu l'institution du partage d'ascendant, malgré
les critiques dont cette institution a pu, récemment,
faire l'objet. Ce maintien se justifie par des raisons
de principe comme par des motifs de technique.
Au plan des principes, la Faculté considère que le
partage d'ascendant représente, aujourd'hui encore, le
meilleur mode de règlement d'une succession. Même
dans sa forme mineure, celle du testament-partage, il
évite bien des discussions et des discordes. Dans la
forme de la donation-partage, il a l'avantage d'associer
les bénéficiaires à la déternlination des lots, renforçant la cohésion familiale dans le respect de l'arbitrage,
sinon de l'autorité, des ascendants. Pour les ascendants
qui le réalisent, il est bien « le dernier et l'un des actes
les plus importants de la puissance et de l'affection des
père et mère» (Bigot-Préameneu). Et l'on ajoutera que
la pratique du partage d'ascendant est demeurée très
vivante dans la tradition méridionale.
Au point de vue technique, on peut sans doute
remarquer que l'Avant-Projet, allant bien au delà du
droit positif, même en son dernier état (loi du 19 décenlbre 1961), permet déjà en fait à tout ascendant de répartir se~ biens entre ses héritiers: soit par donation, soit
~29
�'par testament, avec une extrême liberté, puisqu"il n'a
à respecter que les exigences d'une réserve en valeur.
On pourrait alors voir dans le maintien du partage d'ascendant comme institution autonome une complication
inutile. Mais telle n'est pas l'opinion de la Faculté.
En effet, l'institution du partage d'ascendant, telle
qu'elle est règlementée par le projet, présente des avantages techniques certains par rapport à la situation qui
naîtrait de l'attribution aux héritiers de libéralités indépèndanh~s, avanta.ges différents d'ailleurs selon que l'on
envisage la donation partage et le testament partage.
"'7-
;,.0
En matière de donation-partage, le droit conlnlun du
projet rendrait d'abord difficile pour deux époux de
faire ensenlble donation de tous leurs biens à leurs
enfants, à raison de leur réserve respective (encore que
les difficultés soient atténuées par le principe de la
réserve en valeur). L'article 1070 pernlet au contraire une
telle donation, en privant chaque ascendant co-donateur
de son action en réduction. Cette disposition recueille
l'approbation unanime de tous les membres de la Faculté. A ceux qui critiquent l'institution d'une réserve
au profit du conjoint survivant (cf. observations de la
Faculté d'Aix-en-Provence sur h~ chapitre X, Livre II,
titre premier de l'Avant-Projet), elle apparaît comme
une heureuse limitation. Ceux qui sont favorables à Ull'è
telle réserve concèdent aisément qu'il n~est pas de raison sérieuse pour interdire à l'ascendant qui désire
transmettre l'intégralité de ses biens à ses enfants d·~
leur transmettre également ses droits éventuels dans la
succession rl'è son conj oint.
Le texte de l' Avan~-Proj et entend d'autre part. ~Îln
plifier le problème des évaluations. Aux termes des articles 1068 et 1065 du projet, l'acte de donation-partage
peut décider que les biens compris dans la donation, ou
les biens antérieurement donnés à l'un des copartageants,
seront évalués à leur valeur au jour de l'acte. Le droit
COlllIllun prévoyait l'évaluation au jour du décès, dans
le c~s le plus favorable, l',a scendant qui prétendait éviter
tout litige entre ses enfants en leur faisant des donations
indépendantes préciputaires des biens de valel1r sensiblement égale risquerait de voir contester, fut-ce seulelnent
« en valeur », les attributions par lui f~ites? à raison dç
430
�fluctuations inégales affectant les biens donnés entre
l'époque de la donation et celle du décès1 L'Avant-Projet
écarte ce risque.
En matière de testament-partage, les résultats
atteints par l'utilisation de la technique du partage d'ascendant présentent une spécificité nloindre qu'en matière
de donation-partage. Le recours à des legs indépendants aboutirait pareillement à une évaluation au jour
du décès, de tels legs étant préslunés faits avec dispense
de rapport (art. 849). Cependant, l'article 1072 établit une
règle originale, en pernlettant à l'ascendant d'obliger lè
bénéficiaire qui a déjà reçu une libéralité antérieure il
rapporter celle-ci, pour sa valeur au jour du partage,
c'est-à-dire au jour ' du décès. Cette règle a l'avan~age
d'unifier les évaluations. Elle pennet aussi à l'ascendant
d'établir une\ égalité plus parfaite entre ses enfants, en
revenant sur le caractère préciputaire d'une donation.
Sans doute, il peut sembler ici anornlal de voir la loi
autoriser la volonté d'un seul, l'ascendant, à nlodifier le
contenu d'un acte juridique bilatéral. Mais on observera
que l'enfant donataire atteint par la disposition égalitaire du testament-partage ne sera jalnais obligé qu'à un
rapport en valeur, et qu'il peut échapper à un tel rapport
en renonçant à la succession.
1
'.:
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. ·.···i
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"\
II. - La Faculté approuve aussi, dans leur ensell1hl\~ ,
les modalités d'organisation de l'institution. Les dispositions du projet paraissent en effet propres à éviter les
injustices comme les nombreux litiges suscités par les
partages d'ascendant dans le droit positif.
Ce que l'on reproche au partage d'ascendant, tel qu'il
est aujourd'hui règlelnenté, c'est d'abord de permettre
trop aisément à un père de famille de Inéconnaître les
règles gouvernant la détermination des droits des héritiers réservataires, lorsque l'un des enfants refuse de participer à la donation, ou est volontairement olnis. En
effet, les biens donnés aux enfants co-partagés sont évalués au jour de la donation, tandis que les biens aUrinués
à l'enfant omis le seront au j our du décès ou du partage
partiel. Comme l'écrivait récemment un auteur" « après
4~1
�une addition incohérente de bœufs et de grives, le descendant nonrgratifié est réduit à se satisfaire de merles»
(A Pellegrin, De la nature juridique du partage d'ascendant, 1961, p. 324). Mais le texte du projet rétablit un
heureux équilibre, puisque toutes les évaluations se
feront au jour du décès, la clause éventuelle de la donation-partage prévoyant l'évaluation au jour de l'acte (art.
1068, alinéa 2) étant inopposable à l'enfant omis, qui n'a
pas été « partie» au contrat. Cet enfant, certes, n'aura
droit à sa part de réserve qu'en valeur. Mais il en percevra la valeur intégrale. Certains membres de la Faculté,
cependant, ont émis la crainte que, lorsque tous les
enfants participent à la donation, la clause d'évaluation
des biens au jour de l'acte, autorisée par l'article 1068,
ne soit susceptible d'aboutir à des inj ustices, dans la
Inesure où l'enfant qui n'aurait reçu qu'une part inférieure à celle de ses frères et sœurs ne pourrait con1penser le moins perçu, au décès de l'ascendant donateur,
qu'en monnaie dévaluée. Mais la grande majorité des
membres de la Faculté est favorable au maintien de l'art.
1068, tel qu'il se présente dans le projet, car les avantages d'une évaluation conventionnelle des biens donnés
au jour de la donation sont certains (cf. supra, au § 1),
tandis que la situation envisagée par ceux qui craignent
qu'une telle technique ne soit source d'inj ustice est extrêluent improbable. En effet, on imagine Inal un des descendants participant à une donatiol1!-partage qui le lèse
gravement, et moins encore un notaire ne s'opposant pas
à un tel acte.
Quant aux litiges engendrés par les partages d'ascendant, la Faculté approuve, con1n1e susceptible de les éliminer ou de pallier leurs conséquences les plus fâcheuses, la disposition de l'Avant-Projet qui réduit l'enfant
Oll1is à une sÎlnple action en réduction en valeur, comn1e
celles qui suppriment l'action en rescision pour lésion
ou l'action en réduction spéciale des articles 1077 et 1080
actuels. Mais la Faculté s'étonne alors que les mêmes
règles n'aient pas été .appliquées au testalnent-partage,
dont l'Avant-Projet dit qu'il peut être attaqué pour cause
de lésion ou d'atteinte à la réserve. Or, l'action en rescision pourrait, ici aussi, être éliminée, car dans le testalnent-partage .aussi bien que dans la donation\~partage la
lésion est lè plus souvent volontaire, et traduit le désir
d'avantager certains des enfants, les enfants « lésés »
432
�étant suffisamment protégés par leur action en réduction.
La Faculté propose donc de reprendre dans l'article 1073
les dispositions de l'article 1067.
III. - Mais si la Faculté approuve ainsi, dans leur
ensemble, les modalités d'organisation du partage d'ascendant (aux dispositions analysées ci-dessus, on ajoutera les dispositions des articles 1064 et 1069 qui sont
pareillement bienvenues), elle estime que des réserves
doivent être faites quant à la définition de la notion
lnênle de partage d',a scendant. Il lui selnble que la comlnission s'est, à cet égard, montrée trop tÎlnide, la définition donnée par le proj et, entendue trop étroitement,
masquant les possibilités offertes aux ascendants.
C'est ainsi qu'il est certain qu'un partage d'ascendant peut porter sur partie seulement des biens de
l'ascendant. Le point mérite d'être précisé dans la définition donnée par l'article 1060.
l'rIais cette prelnière critique est mineure. On regret_tera plus vivenlent que l'Avant-Proj et n'ait pas pris!
expressément parti sur le point de savoir si l'ascendant
partageant peut attribuer la totalité de ses biens à un
ou plusieurs de ses enfants, à l'exclusion d'un autre, qui
ne recevrait qu'une soulte versée par ses frères et sœurs.
L'opération a toujours été connue de la pratique, et n'a
suscité de critiques graves qu'après les réfornles de
1938. En l'état actuel des textes du Code civil, elle est
en fait possible lorsqu'elle porte sur des biens échappant ,a u principe de la réserve en nature, à raison des
dispositions de l'article 866 du Code civil - mênle si
elle peut lnériter une autre qualification que celle de
partage d'ascendant lorsqu'elle est imposée à certains
des héritiers et non acceptée par eux. L'Avant-Projet
ayant généralisé le principe de la réserve en valeur, il
ne paraît y avoir aucune raison pour interdire à l'ascendant de procéder à un partage avec soulte, alors surtout
qu'il peut en fait atteindre le résultat désiré par le jeu
de donations préciputairefi. La Faculté estime que de
tels partages doivent être reconnus par les textes.
:Mais peut-être faudrait-il alors préciser dans quelle
mesure l'ascendant p eut règlementer les modalités de
paiement de la soulte. A cet égard, il semble logique de
distinguer entre donation-partage et testament-partage.
433
28
:Or ';';
�·1
:.....
En matière de testament-partage, la volonté de l'astendant doit s'incliner devant la règle de l'article 901. Il
faut donc décider que la soulte est payable immédiatement, sauf à l'héritier à se prévaloir des dispositions dp
l'article 901 alinéa 2, si le testanlent ne s'y réfère pas.
:.,
~"
.(
En matière de donation-partage, il paraît difficile
d'enlever au donateur, qui aurait pu ne rien donner,
le droit de prévoir que la souuHe sera payée par annuités. Mais le décès doit rendre la soulte imnlédiatelnent
exigible, sauf application des dispositions de l'article
901, alinéa 2. D',a utre part, il est indispensable de protéger les co-partageants créanders de la soulte contre
une dépréciation monétaire éventuelle. Il faudrait donc
insérer à l'article traitant du règlement de cette soulte
des dispositions analogues à celles qui figurent dans
l'article 866 actuel du Code civil, tel que nlodifié par la
loi du 19 décenlbre 1961 (réévaluation des somInes due~
au cas d'augmentation de plus ou quart de la valeur
des biens donnés).
1
IV. - On fera, pour conclure, une observation de
pure forme : il y a lieu de supprinler les mots « dans ce
cas» à l'article 1070, al. 2, car ils ne correspondent pas
à l'intention du législateuur (cf. Exposé des motifs) et
risquènt d'entraîner des erreurs d'interprétation.
,
.
"
V. - En considération des observations qui precedent, la Faculté propose de modifier le texte de l'AvantProjet ainsi qu'il suit :
ARTICLE 1060. - Les père et mère et autres ascelk
dants peuvent faire, par donation ou testament, la distribution et le partge de tout ou partie de leurs biens
entre leurs enfants et descendants, en remplissant chacun de ceux-ci de ses droits soit en nature soit en
valeur.
ART. 1061 : inchangé.
ART. 1062 : inchangé.
ART. 1063 : inchangé,
4~4
,--.,..;;.
�ART. 1064: inchangé.
ART. 1065 : inchangé.
ART. 1065 bis. - Si la donation-partage prévoit que
un ou plusieurs des co-partageants seront remplis de
leurs droits par une soulte, des délais pourront être
accordés pour le paiement de cette soulte. Au décès, la
soulte devIendra immédiatement exigible, sauf applIcation des dispositions de l'article 901, alinéa 2.
Les dispositions de l'.article (ici, référence au texte
r eprenant les dispositions de la loi du 19 décembre 1961)
sont applicables aux soultes prévues par la donationpartage.
ART. 1066 à 1071 : inchangés.
ART. 1072 : alinéa 1, inchangé.
Si un des bénéficiaires du testament-partage a déj à
reçu une libéralité antérieure" le testament peut décider
que cette libéralité ser3j rapportable au partage réalisé
par le testateur.
ART. 1073. - , Le testament-partage ne peut être
attaqué pour cause de lésion, mais seulement pour canse
d'atteinte à la réserve.
ART. 1074
inchangé.
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�INTRODUCTION
Le non1 du garde champêtre est inscrit au-dessous
de la loi qu'il porte sur son bras. De ce coude à coude
quotidien est née et se perpétue en droit administratif
la « question du garde champêtre » (1), personnage
familier certes, mais bien plus encore symbole oublié.
Une question ? A vrai dire la plaque de métal où
sont gravés et: unis la loi, le nOln d'une commune et le
nom du garde champêtre (2) éclaire comme un soleil
de cuivre l'histoire de l'administration municipale en
France et permet de saisir au sein de cette trinité brillante l'importance du garde chanlpêtre.
Hautains et débonnaires ils sont aujourd'hui quelques quarante mille. Qu'importe, le nonlbre n'a rien à
voir à l'affaire. S'il arrive que la personne du garde
(1) Sur la question du garde champêtre des c.ommunes qui fait
l'objet de la p~ésente étude cf : Maurice Hauriou, « La jurisprudence administrative », 3 vol. Paris Sirey 1929 ; J. Dubarry,
« INouveau manuel des Gardes )\-, Publications Administratives.
IP aris 1954, 386 p. ; E. Arnaud, « Les gardes champêtres », Th.
Paris 1925, 155 p. ; H. Signorel, « Le garde champêtre officier
de police judiciaire », Th. Toulouse 1931, 232 p. ; L. Morgand,
« La loi municipale », Ed. Berger-Lev~ault, Paris 1952, Tomes -1
et 2, 1211 p. ; Ch. Schmitt, « Le maire de la commune rurale »,
Ed. Berger-Levrault Paris 1959, p. 63-65 ; R. Vidal, « Code pratique annoté de l'administration municipale >~ , Publications Sldministratives Paris 1958. Répertoire Dalloz, V" Garde champêtre,
Tome 26 ; Encyclopédie Dalloz. D.A. Ve Garde champêtre.
(2)L'a-:-ticle 109, 2 c.a.c. dispose : « Ils ont, sur le bras,- une
plaque de métal où sont inscrits ces mots : « La loi, le nom de
la municipalité, celui du garde ».
439
�champêtre confere un relief colore à l;instÎtutlon, c'est
cependant l'institution d'un agent chargé de veiller au
respect de la loi dans la municipalité qui donne à la
présence du garde challlpêtre la valeur d'un synlbole.
En effet, le garde champètre, trait d'union entre la loi
et la lllunicipalité, est le témoin vivant des rapports
qui existent entre l'Etat et la comnlune. Pour cette
raison, l'histoire du garde champêtre jusque dans la
législation la plus récente est étroitement liée à l'histoire de l'autonomie municipale.
L'institution du garde ,c halllpêtre est apparue au
XIIl
siècle. A cette époque les gardes champêtres, banniers, messiers, gardes sergents et autres sergents de
verdure portent sans doute des atours et des noms différents à la fantaisie des coutumes et des localités Inais
ils exercent partout les mêmes fonctions précisées par
une leUre patente de Charles V élevant ces agents, le
19 Juin 1369 au rang de fonctionnaires publics. Ce
souverain pennit aux échevins d'Abbeville « d'établir
des gardes avec pouvoir de saisir les ,c harrois et bestiaux qui causeraient du dommage dans les terres et
avec pouvoir de condamner à l'amende ceux qui les
conduiraient ». Depuis le XIVe siè,cle (3), et ainsi jusqu'à la fin du XVIIl m e siècle, les gardes champêtre~ sont
des fonctionnaires publics que les habitants des conlmunautés désignent eux-nlêmes pour garder leurs
biens après avoir obtenu du, souverain l'autorisation de
les instituer.
La Révolution ne songea pas à supprimer les gardes champêtres apparus trop utiles à la sécurité des
campagnes. Bien au contraire après avoir organisé un
régime de décentralisation intégrale, dotant les conlmunes d'un statut uniforme, et après avoir admis qw~
le maintien de l'ordre incombait aux habitants de la
commune, la Révolution autorisa les municipalités
« pour assurer les propriétés et conserver les récoltes »...
ill C
'"
-'
(3) Le 11 juin 1709 unê déclaration du Roi fait obligation aux
gardes 'c hampêtres de prêter serment devant le juge . avant d'entrer en fonctions de bien et fidèlemént garder les biens confiés à
leur surveillance et de faire leurs rapports au greffe de tous les
mesus qu'ils constatent dans leurs visites. Rep. Dalloz tome 26,
page 266.
440
�a établir des gardes cllaUlpêtres piacés sous ia j urlcl1ction des juges de paix et s'o us la surveillance des officiers municipaux »'. Aux termes de la loi des 28 septembre et 6 'octobre 1791 (4) les gardes champêtres,
investis de fonctions de police judiciaire, sont des fonctionnaires municipaux que les conseils généraux des
communes ont la liberté de se donner. Toutefo1s il
nnporte de souligner que si cette loi s'est bornée à préciser les fonctions de police rurale du garde champêtre
elle a posé, en revanche, pour la première fois, le prin...
cipe de 'la liberté pour les communes d'avoir ou non un
garde champêtre. A partir de ce moment, devenu l'un
des symboles de l'autonomie locale, le garde champêtre
n 'a cessé de préoccuper le législateur.
-
.
En effet, tandis que l'autonomie implique pour les
municipalités la liberté d'établir ou non un garde chanlpêtre, la nécessité de ne pas abandonner tout à fait aux
autorités municipales le soin d'assurer le respect de la
loi militent, au contraire, en faveur de l'obligation pour
les communes d'avoir au moins un garde champêtre
exerçant ses activités de police s-ous le contrôle de l'Etat.
Aussi à la mesure de l'autonomie locale, depuis un siècle
et demi la législation concernant l'administration con1munale s'efforce, en définissant le statut du garde champêtre, de faire la part de l'autorité et celle de la liberté
et de ,c oncilier les intér,êts qui s'opposent dans la personne du garde champêtre.
C'est ainsi que le Décret du 20 Messidor An III,
imposant aux municipalités l'obligation d'établir au
moins un garde champêtre, nommé par l'administration
du district sur présentation du conseil général de la
commune, se heurta à l'hostilité des communes (5) ...
Celles-là, considérant déj à tout essai de conciliation
comme une atteinte aux libertés communales, négligèrent, pour faire échec à la législation nouvelle, de
présenter des gardes champêtres. La loi du 18 Juillet
(4) Loi concèrnànt lèS biens et USàges rUraux et là police
rurale, Rep. Dalloz, Ve Droit rural, tome 19 pages 203 sq.
.(5) cf. articles 1 et 3 du Décret du 20 messidor an III.
441 .
• I .
~
�1.sB7 illscrivalll le traÜelllellt du garde ;c !lalupêtre, ploilitl
.
oJ:llcier de police j uç1iclaire par le Code des délits et des
peInes du ~ .tirumall'e an l V, parmi les dépenses obligatOIres de la COlnnlune ne parvInt pas davantage à obtenir des maires la nominatIon d ' un garde champêtre (0).
J:Ïnaleinent, pour Inettre fin à cette « petite guerre» de
r ~tat et etes nlunicipaHtés, la loi du b avril IM4, après
de vifs débats (1), proc1alna à nouveau le principe pose
en 17Vl, de la liberté pOUl' les comn1unes (l'avoir ou non
un ou plusieurs gardes champêtres. En outre, cétte loi
étendit encore les fonctions de police du garde champëtre, chargé de rechercher les co"ntraventions aux règleluents et arrêtés de police municipale et habilité à dresser des procès-verbaux pour constater ces contraventions et modifia le statut élaboré en 1791 (8). Uésormais
le conseil nlunicipal est libre de créer l'enl"p loi, mais
c'est au maire qu'il appartient de nommer le garde
chanlpêtre qui doit être agréé et commissionné par le
représentant du pouvoir central. Par cette répartition
des cOlnpétences Û~ léglislateur de 1884 a "entendu à la
fois respecter le principe de la liberté pour les communes d 'avoir un garde champêtre et assurer, en raison
des fonctions de police dont est investi le garde chanlpêtre, le contrôle du pouvoir central.
Depuis lors, le décret du 22 ~Iai 1957 portant codification des textes législatifs concernant l'administration
communale n'ayant pu modifier ce statut, le garde
champêtre est le point de rencontre de compétences
concurrentes. En lui, liberté communale et autorité de
l'Etat se heurtent. La répartition de compétences concurrentes devient conflit de compétences rivales dont l'origine se trouve dans la nature des fonctions exercées par
le garde champêtre : fonctions de police administrative
et fonctions de "police judiciaire à i' exercice desquelles
l'Etat ne peut demeurer étranger.
(6) cf. article 168, 6, de la. loi du 18 juillet 1837.
(7) Not, séances des 26 janvier, 14 février, 24 mars 1884 ;
Morgand op. cit, pages 829-830,
(8) cf. article 20 de la. loi clu 24 juillet 1867 chargeant le ga:-de
champêtre de constater les c.ontraventions aux règlements et arrêtés de police municipale.
442
.. '
~.-
•. <c
�tepenclant alors que ce sont les fonctions' de poilee
du garde champêtre qui ont tout d'abord déterminé les
particularités du statut qui lui est applicable, sa qualité
d'agent communal s'avère être, depuis la création de
l'institution, un obstacle permanent à l'exercice de ses
fonctions de police. La question du garde champêtre, au
regard du droit administratif est toute entière résumée
aujaurd'hui dans le fait que malgré les fonctions de
police dont il est investi le garde champêtre est un agent
municipal, symbole vivant de l'autonomie des communes. Par conséquent c'est la qualité d'agent communal
du garde champêtre qui domine les fonctions de police
dont il est investi.
"-
443
�.~ • , 1" , ....
::t,'
(
�PREMIERE PARTIE
Le Garde Champêtre est 'u n agent communal
·.
Annotant l'arrêt Commune de Quarante le doyen
Hauriou écrivait : « Bien subtil serait celui qui trouverait une formule satisfaisante pour définir la situation
du garde champêtre » ( 9). Et, en effet, en définissant
le, statut du garde champêtre le législateur a manifesté
à la fois la volonté de respecter l'exercice d'une liberté
communale et le souci de ne pas abandonner l'éxécution
de la Loi que concrétise le garde champêtre au jeu des
rivalités et jalousies locales. La nécessité d'aménager ces
forces .contraires pernl.et de compr endre, à défaut d'une
fOrnlule subtile et satisfaisante, le particularisme du
statut qui présente le -g arde champêtre comme un agent
partagé, particularisme encore accentué par la difficulté qu'il y a de combiner ce statut avec les dispositions nouvelles de celui qui est applicable au personnel
communal.
Aux termes des dispositions statutaires spéciales qui
lui sont applic,a bles le garde champêtre est un agent
municipal, nommé par le maire mais agréé et commissionné par l'autorité de tutelle dans un emploi créé par le
conseil municipal (10). De la sorte le garde champêtre
échappe, en partie, au statut applicable aux agents des
(9) V. M. Hauriou, notes d'arrêts. T. 1 p. 273 sq.
(10) Ces dispositions sont celles des articles 108, 109, 591 et
592 C.R.C. et non pas seulement. malgré l'intitulé du chapitre IX,
Titre 1. Livre IV du code de l'administration communale, celles des
articles 591 et 592.
445
-~
..
"' ''::
�communes (11), les ~utorités nlunicipales ne disposant
pas à son égard des pouvoirs qui leur appartiennent
généralement à l'égard du personnel communal (12).
A l'inverse, l'autorité de tutelle exerce sur le garde
champêtre, directement ou indirectenlent, des pouvoirs
accrus et exceptionnels.
Un tel partage de conlpétence où l'extension des
pouvoirs de l'autorité de tutelle se réalise au. détriment
de ,c eux des autorités locales est déj à, en lui-même, peu
favorable à l'exercice d'une liberté communale. Au surplus l'importance des pouvoirs du représentant de l'Etat
est e.ncore accrue par la division des .compétences entre
les autorités lTIunicipales. En effet, la Loi municipale
n'a pas seulement entendu concilier l'exercice d'une
liberté reconnue aux communes et le contrôle du representant de. l'Etat, elle a encore entendu soustraire le
garde champêtre aux caprices du conseil municipal
autant qu'à ceux du maire. Si le conseil municipal peut
seul décider librenlent la création de l'emploi de garde
champêtre le contrôle de l'autorité de tutelle s'exerce
aussi bien sur les pouvoirs du conseil nlunicipal, parfois
enclin à révoquer un garde champêtre en décidant de
supprimer l'emploi, que sur ceux du lTIaire, par trop
soucieux de nonlmer un garde-champêtre qui lui soit
particulièrement dévoué, choisi dans son entourage. l:.:n
décidant que seul le représentant de l'Etat peut révoquer
le garde champêtre la Loi lTIunicipale a érigé le préfet
en protecteur de la personne du garde champêtre.
~.
- •.
' :00-''
,.Jo;
'-
·1
Dans ces conditions le partage des compétences
établi par la Loi municipale au bénéfice de l'autorité de
tutelle a conduit : d'une part, à l'altération des attributions du conseil municipal dans l'exercice d'une liberté
COlllmunale (A), et, d'autre part, à l'altération des aUri-
(11) Articles 477 et suivts c.a.c,. En toute hypothèse le garde
champêt:'e est un agent communal. Il n'est fonctionnaire municipal
que lorsqu'il est titulaire d'un emploi permanent. C'est la situation
la plus fréquente et c'est celle qui est ici envisagee, sauf précision
contraire.
(12 A l'exclusion des agents id e la polic,e municipale qui font
également l'objet d'·u ne disposition ~tatutaire spéciale (art, ·593
c.a.c.).
446
"':a, o_ ,
�butions du maire dans l'exercice de son pouvoir disciplinaire (B).
A. -- La Portée .au Contrôle exercê par l'autorité
de tutelle sur les attrib1u tions du Conseil Municipal.
,,",
- '~,
L'article 102 de la loi du 5 Avril 1884, reprenant le
principe posé par la loi des 28 Septembre et 6 Octobre
1791, établit la liberté pour toute commune d'avoir ùn
ou plusieurs gardes chanipêtres. Cet article, acquis après
de vives discussions abrogeait les dispositions du décret
du 20 Messidor an III et de la loi du 18 Juillet 1837 qui
avaient rendu obligatoire pour chaque commune l'emploi d'au moins un garde champêtre. Pour cette raison
l'article 108, al. 2 du décret du 22 Mai 1957 dispose :
« Toute commune peut avoir un ou plusieurs gardes
champêtres ». Il résulte de ce texte que toute COlnmune
- est libre d'avoir ou non un ou plusieurs gardes champ.êtres, cette liberté impliquant pour les communes le droit
de créer l'emploi de garde champêtre aussi bien que
celui de supprimer cet elnploi. Or il iInporte de souligner à cet égard que si l'autorité de tutelle ne peut en
aucune manière contraindre une comnlune à créer l'emploi de garde champêtre (a), cette autorité peut cependant paralyser la liberté reconnue aux comlnunes de
supprimer l'emploi et, partant, réduire à néant la liberté
des communes de n'avoir plus et de ne pas avoir de
garde champêtre (b).
(a) En concédant aux communes la faculté d'instituer un ou plusieurs garde champêtres la loi du 5 Avril
1884 avait fixé cependant une limite aux attributions du
conseil municipal dans l'exercice de cette liberté. Cette
limite ne figure plus dans la rédaction nouvelle de l'article 108 du Code de l'administration communale, rédaction qui de ce fait paraît annoncer le contrôle de l'autorité de tutelle, suivant l'exemple de la loi de 1791.
Le' conseil municipal étant maître d'organiser un
service facultatif dau& la commune, faut-il admettre,
447
�comme la loi de 1791 l'avait fait (13), qu'il puisse procéder à cette organisation dans les conditions qui lui
paraissent sinon les meilleures du moins les moins onéreuses et que, par exemple, plusieurs communes puissent avoir un même garde chanlpêtre en commun? Sans
doute les dépenses afférentes au traitement du garde
.champêtre peuvent-elles être pour beaucoup de petites
communes pauvres une charge trop lourde, mais cependant accepter que plusieurs communes puissent avo.!r
un même garde champêtre en commun c'est ~ller à l'encontre et de l'intention et de la volonté du législateur.
En effet, en conférant à toute commune la faculté d'avoir
un garde champêtre le législateur de 1884, non seulement a entendu ne pas imposer cette dépense à toutes
les communes mais encore a éC.a rté expressément la possibilité que consacrait la loi de 1791.
Le projet du ministre de l'intérieur, Jules Simon,
reproduisait la disposition de la loi de 1791 permettant
à plusieurs communes d'avoir un m·ême garde champêtre en commun, mais cette disposition, a.cceptée par la
Chambre des Députés, fut repoussée par le Sénat adoptant le point de vue de son rapporteur, Demole, qui
déclara lors de la séance du 26 Janvier 1884 : « ... quand
plusieurs conlmunes auront le même garde champêtre,
le service de cet agent serait certainement fait dans chacune d'elles d'une façon défectueuse et incomplète. D'un
autre côté, ,conl111ent faire concorder cela avec le droit de
suspension par le Inaire et de révocation pal,~ le préfet?
Un garde pourra donc être suspendu ou révoqué dans
une conlmune et continuer son service dans une comnlune voisine ! Ce résultat bizarre nous a paru inadnlissible... ».
Cette intervention particulièrenlent fondée provoqua la disparition dans la rédaction définitIve du projet
et dans l'article 102 de la Loi municipale de la faculté
pour les COffilnunes d'avoir un garde chanlpêtre en conlmun.
(13) cf. l'article 2, section VII, titre l , de la loi des 28 septembre-6 octobre 1791.
~48
�Mais voici que l'article 108, al. 3 du Code de l'administration communale dispose : « Plusieurs communes
peuvent avoir en commun un nlème garde champêtre »
et contredit sur ce point la loi de 1884. Si cette nouvelle
rédaction est le résultat d'une inadvertance des rédacteurs du décret du 22 mai 19,57 substituant l'article 108,
soit à la fois à la loi de 1791 (arti.cle 2, section VII, titre
1 cr) et à l'article 102 de la loi du 5 Avril 1884, soit seulenlent à l'article 2 de la loi de 1791 il faut le regretter (14),
non pas tellement d'ailleurs p,a rce que le décret de codification modifie l'exercice d'une liberté communale mais
surtout parce qu'il est susceptible, le cas échéant, de
placer les conseils municipaux dans un .cruel embarras
en leur donnant à choisir entre la loi et un décret !
Par ailleurs cette disposition inattendue pourrait, à
l'instar de la loi de 1791, conduire à l'obligation pour les
communes d'avoir un garde champêtre et, par conséquent, à l'extension du contrôle du représentant de l'Etat.
Dans cette hypothèse cette disposition aur.ait quant à la
liberté des communes de créer l'emploi de garde cham-pêtre la m·ême conséquence que celle entraînée par
l'inscription en dépense obligatoire du traitement afférent à cet emploi : rendre la liberté des communes de
supprimer l'emploi purement théorique.
-.
(b) La loi de 1884 décidant à son article 136-6 q ue
sont obligatoires pour les communes les dépenses des
traitements et ,a utres frais du personnel de la police
municipale et rurale ... » a apporté une importante limite aux pouvoirs des conseils municipaux, limite qui,
dans la pratique, a de très loin dépassé l'intention du
législateur.
«
,
En effet, lorsque le projet d'article 136--6 (aujourd'hui codifié à l'article 185-6 c.a.c.) vint en discussion,
(14 V. l'article 630 du décret du 22 mai 1957 et la table de
références (J.O. 2 juin 1957). Il convient également ide rappeler
que le 4 décembre 1924 A. Meunie';:' proposa de modifier l'article
102 de la loi municipale (J. O. Doc. Chamb::-e des Députés.
annexe n ° 817). Cette proposition donna lieu au rapport du 31
mars 1927 établi au nom de la Commission de l'administration générale, départeme.ntale et communale. (ibid. annexe n ° 4247).
449
29
�la Chambre des Députés, croyant déceler une contradiction entre la liberté des com'm unes d'avoir un ou
plusieurs gardes champêtres (article 102) et l'inscription en dépense obligatoire du traitement du personnel
de la police lnullicipale et rurale, supprnna les ternIes
de « police rurale» visant le traitement du garde champêtre. (15). Cependant la commission du Sénat maintint le traitement du garde champêtre parmi les dépenses obligatoires, le rapporteur Demole explicitant ainsi
sa pensée : « La commune ... est absolument libre d'avoir
ou de ne pas avoir de garde champêtre. Ce que nous
voulons dire dans la loi, c'est que quand une commune
s'est donnée un garde .c hampêtre, tant qu'elle éprouve
le besoin d'avoir cet agent dans la police municipale, tant qu'elle le conserve, tant qu'elle le garde, -elle
n'a pas la faculté de lui refuser son traitenlent. Voilà
la question telle que nous l'entendons dans la commission» (16). Les mênles explications furent données par
le rapporteur lorsque ce texte revint devant la Chambre
des Députés : « .. .il est clair que la Loi n'imposant pas
à la .commune un garde champêtre, mais lui concédant
shnplenlent la faculté d'en avoir un le jour où le conseil
municipal supprinlerait l'emploi ... la conséquence de ce
vote serait la suppression de la dépense qui cesserait
alors d'être obligatoire ». (17).
Malgré ces , explications, l'inscription parmi les
dépenses obligatoires du traitement du garde champêtre, parfaitement ,c onciliable d'un point de vue théorique
à la liberté conférée par la loi aux COlnnUll1eS, a eu pour
effet, dans la pratique, d'enlever aux COlnmunes la
liberté de supprimer l'emploi de garde champêtre _étant
donné les pouvoirs de contrôle dont dispose l'autorité
de tutelle sur le budget comnlunal, particulièrement en
ce qui concerne les dépenses obligatoires.
·1
En effet, en décidant que les traitements et autres
frais de personnel de la police municipale et rurale
constituaient des dépenses obligatoires pour les commu-
(15) V. séance du 5 novembre 1883 ; Morgand, op: cit. p. 829.
(16 V. séance du 14 février 1884. Morgand ibid.
(17) Réponse ,du rapporteur à la question d~ M. Roy de ~oulay,
séance du 24 mars 18~4:.
'
4~O
�nes (18), le législateur de 1884 a fait tomber sous le coup
de l'article 68-6 de la loi de 1884 (articles 47-6 et 10 du
c.a ..c) (19) la délibération du conseil municipal portant
suppression de l'emploi de garde chalnpêtre. Autrement
dit, la loi de 1884 en inscrivant parmi les dépenses obligatoires de la commune le tr.aitement du garde champê·
tre a, en même temps classé la délibération supprimant
l'emploi de garde champêtre parmi les délibérations
qui ne sont exécutoires qu'après avoir été approuvées
par l'autorité supérieure et a soumis la liberté du conseil municipal de supprimer l'emploi à l'approbation de
l'autorité de tutelle.
Ainsi alors que les conUllunes, conformément à la
volonté du législateur, pouvaient revendiquer le droit de
supprinler l'emploi, en ·refusant généralement de voter
les crédits afférents au traitement du garde champ,être,
l'autorité de tutelle, pensant déceler dans ,c e refus une
révocation qu'elle était seule habilitée à prononcer était
fondée (articles 42-2 et 44 c.a.c.) à déclarer nulle de droH
- la suppression d'emploi pour sanctionner .c e détournement de pouvoir (Cons. d'Etat, Bouet 7-1-1927 R. 20) et
à proCléder à l'inscription d'office du tr.aitement du
garde champêtre (article 149 devenu l'article 179 c.a.c.)
en pourvoyant, le cas échéant, à l'insuffisance des ressources de la commune.
S'agissant pour les communes de défendre une
liberté, s'agissant pour l'autorité de tutelle de protéger
le garde champêtre et de le soustraire aux jalousies locales, la Loi municipale avait ouvert la voie à une série
de conflits inévitables entre les conseils municipaux agités et le représentant de l'Etat volontiers soupçonneux.
C'est ainsi que le 21 juin 1884 le Ministre de l'Intérieur,
ayant estimé que l'article 102 (20)1 ne donnait aux .con-
(18) cf. les a:-ticles 185-6° et 478 - 2 c.a.c.
(19) L'article 47 - 6 c.a.c. a été modifié par l'Ordonnance du 5
janvier 1959 (J.O. 6 janvier) }X>rtant mesures de décentralisation
et de simplification concernant l'administration communale.
(20): Dépêche du ministre de l'Intérieur au préfet du Tarn-etGaronne du 21 juin 1884. Morgand, op. cit. ; :p. 831.
451
�seils lllunicip.çlux la faculté de supprÏnler l'emploi de
garde champêtre qu'en cas de vacance' seulement, dut,
en raison des protestations des comnlunes, ordonner le
renvoi devant la section de l'Intérieur du Conseil d'Etat
appelée à exprimer son avis sur les points suivants :
1 ° Le conseil lllunicipai peut-il à toute époque, et
lorsqu'il le juge à propos, supprimer l'emploi de garde
champêtre, ou bien ne peut-il exercer cette fa.culté qu'en
cas de vacance par suite de démission, décès, ou révocation du garde en fonctions?
2° Le droit du conseil municipal est-il absolu en ce
sens que la suppression d'elllploi pourrait être motivée,
non seulement sur l'intérêt de la conlmune, mais encore
sur des considérations qui viseraient la personne du
garde et qui donneraient en fait à la lllesure le caractère d'une véritable révocation?
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"'-
,~
v
3° N'appartiendrait-il pas au préfet, dans le cas de
suppression d'enlploi prononcée en dehors d'une vacance
ou dirigée contre le garde, d'annuler la délibération en
vertu des articles 63-65 et 102 de la loi du 5 Avril
1884 ? (21).
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. ,
1
L'avis du Conseil d'Etat du 30 Juillet 1884 a confinllé
les prétentions légalement fondées des autorités municipales et de tutelle et a précisé les limites de leurs
attributions respectives.
S'il appartient au conseil municipal, à toute époque,
sans attendre qu'il ne se produise de vacance, de supprimer l'emploi de garde champ,être, l'exercice de cette
faculté ne doit pas être entaché d'incompétence ou d'excès de pouvoir mais reposer sur des motifs d'utilité
publique, par exemple, des raisons d'èconomie. Toutefois le Conseil d'Etat, considérant que le traitement du
garde chanlpêtre figure au nOlllbre des dépenses obligatoires, dépenses que le conseil municipal ne saurait
modifier .a près l'approbation du budget, a estimé « que
la délibération portant suppression de l'emploi de garde
(21) ISi. Avis du Conseil d'Etat, 30 juillet 1884
L. p. 244.
452
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Sirey 1887.
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chanlp~tre nc pourrait avoir d;effet qu'après l'expiration dc l'exercice pendant tout le cours duquel la
dépense est obligatoire en vertu de l'article 136-6 »,
aj outant une limite tenlporaire au droit du conseil municipal de suppruller « à toute époque » le « poste de
garde champêt. ·~ » (21 bis).
Cet avis a inspiré depuis 1884 la jurisprudence du
Conseil d'Etat appelé à trancher les conflits permanents
des con11llunes et de l'Etat à propos des gardes champêtres. Il réslilte de cette jurisprudence que le Conseil
d'Etat pour apprécier la légalité des décisions de l'autorité de tutelle, prises en vertu des articles 63-65 de la
Loi muni.cipale recherche si les délibérations des conseils
municipaux portant suppression de l'emploi de garde
champêtre sont entachées soit d'incompétence, soit de
détournement de pouvoir.
L'empiètement de fonction est cependant peu fréquent, les délibérations révélant une révocation non
déguisée étant d'autant plus rares (~~) que la suppression d'emploi du garde chanlpêtre, presque toujours
implicite, résulte du refus de voter le traitement de cet
agent. Dès lors la suppression d'emploi ne peut être
qu'une révocation déguisée qui conduit le juge à rechercher si la délibération en cause est une mesure d'économie dictée par des motifs d'utilité publique (23) ou si,
au contraire, cette délibération motivée par des considéra tions de personne, a pour but caché de révoquer le
garde champêtre (24).
.... .....
~
A cet égard il convient de souligner que l'incompé-
(21 bis) Le Conseil ,d'Etat a admis qu'après a.voir approuvé
sans modification le budget ,d'une commune supprimant l'emploi dé
garde champêtre le préfet ne pouvait pas ultérieurement inscrire
d'office le crédit afférent au traitement du gaTde champêtre; Cons.
d'Etat, 7 aoftt 1897 Commune de Porto-Vecchio et 22 février 1901,
Commune ide Monticello, notes Hauriou, op. cit. 1.274.
(22) (~ons. d'Etat 6 janvier 1888. Commune de Charnoiville, S.
1889, 3, 62 et 20 avril 1888 Commune de Ploërmel. S. 1890, 3, 27.
(23) Cons. d'Etat, 6 janvier 1888, -précité (cf. les arrêts cités
par Morgand p. 832 op. cit. J et 8 février 1930 Ques, 156.
(24) Cons. d'Etat, 7 janvier 1927, Bouet, 20 ; 24 juillet 1930
Delalande 780.
453
�teIice he . peut être ~tabHc que SI la déllb~ratl011 du
conseil municipal est, en fait, une révocation : si la délibération est entàchée de détournenlent de pouvoir. L'enquète du juge est (particulièrement :diftïcile car s..til
n'appartient pas au conseil municipal de révoquer le
gante champêtre, il lui appartient de fixer son traiteluent et, notamment, de le réduire. Dans le cas d' une
réctuchon de traiteluent, nleSUl'e <fécollOluie ou,
aussi bien, moyen de provoquer une démission, il est
malaisé d 'établir s'il s'agit d'une révocation déguisée que
l'autorité de tutelle était fondée à déclarer nulle de droit,
s'il y a traude à la loi (25).
1
. "·1
De toute manière, et quelle que puisse être pour l~
juge la difficulté de tenir la balance égale entre deux
pouvoirs rivaux et concurrents, il est essentiel de souli~
gner qu'à l'occasion de ces conflits permanents les pouvoirs que l'autorité de tutelle tient des articles 42 ct
44 c.a.c. placent les communes dans la position défavorable de demandeur à l'instance qu'elles peuvent engager à fin d'annulation de la décision de l'autorité de
tutelle. Dans la pratique, contrairement à la volonté et
aux intentions du législateur, il y a là un obsta,c le permanent à la liberté des communes de supprimer rem·
ploi de garde champêtre, voire même, de "rixer le traitement de cet agent. Finalement, en conséquence de la
volonté de soustraire le garde chanlpêtre à l'arbitraire
présumé des communes, la tutelle fait place à la coadministration et selon l'expression du doyen Hauriou,
« plane l'idée d'un accord ». Cet accord la Loi luunicipale n'avait pas entendu l'organiser entre l'autorité de
tutelle et le conseil municip.al. Elle l'avait seulement
prévu entre l'autorité de tutelle et le maire.
(25) Cons œEtat ! 7 décembre 1888 Communé de M.arcillacLanville, S. 1890-3-68 et 1er juillet 1892 Commune de Quarante.
M. Hauriou op. cit. 1.373 : « Considérant qu'il n'est pas établi pa:l'instruction que, dans les circonstances où le co.nseil municipal a
décidé que le traitement du garde champêtre (serait réduit), sa
délibération puisse être 'r éputée porter atteinte à l'exercice du
droit de révocation réservé au préfet.... })
.
454
�B.
.. '
.
~
La Pol'lJe du Conlr6ie exercé pal'
tuteLLe sur les attributions du maiTe.
Ji aulol'ild de
L'article 102 de la Loi du 5 Avril 1884, n'ayant plus
sur ce point au mênle degré à composer avec le principe d'une liberté, avait organisé un contrôle plus étroît
des pouvoirs du nlaire par l'autorité de tutelle. Les dispositions de ,c et article, relatives au titulaire de l'emploi
c:r éé par le conseil municipal et intéressant l'accès à la
fonction de garde champëtre et l'exercice des ' mesures
hiérarchiques ou disciplinaires, avaient en effet, dans le
souci évident de protéger le garde ,champêtre, soumis la
nonlination de cet agent à l'.agrément dû préfet ou du
sous-préfet et décidé que le préfet ou le sous-préfet (D-L;) Novelllbre 1926) pouvaient seuls le révoquer. Ces dispositions, dérogatoü:es au droit commun, ont été codi·
fiées aux articles 591 et ,592 du code de l'administration
COll1111unale. Toutefois, la codification entreprise en 1957
a dû tenir cOlllpte de la législation intervenue depuis
1884 et notamment des lois ùu 12 mars 1930 et du 28
avril 1952 destinées à donner des garanties de stabilité
au personnel des' collectivités locales.
Contre toute attente, puisqu'aussi bien les pouvoirs
de l'autorité de tutelle consacrés par les articles 102 de
la Loi municipale visaient à assurer la stabilité du
garde champêtre, la difficile conj ugaison des dispositions statutaires spéciales applicables aux agents des
COlumunes (article 477 et suivants du c.a.c) a bouleversé
la portée du contrôle que le législateur avait entendu
faire peser sur les pouvoirs du maire. Désormais non
seulenlellt le contrôle de l'autorité de tutelle s'étend à la
nomination du garde champêtre (a) mais surtout, la
suspension prononcée par le maire cessant d'être une
sanction disciplinaire et la révocation prononcée par
l'administration préfectorale ne donnant pas lieu à
comparution devant un conseil de discipline, le partage
de cOlupétences au terme de la législation nouvelle fait
perdre au garde champêtre le bénéfice des garanties
disciplinaires reconnues aux autres agents de la commune (b).
(a) Alors que la loi de 1837 faisait obligation au
maire de soumettre la nomination du garde champêtre
455
:, .
.;;.
�':.
au conseIl 11lulücipai el que le d6crel du ~J Mar~ i852
avait confié cette nomination au préfet, la loi du 5 Avril
1884 (article 591 c.a.c.) décide : « Les gardes chan1pêtres sont nommés par le maire. Ils sont agréés et cOlnmissionnés par le sous-préfet ou par le préfet dans l'arrondissement du chef-lieu ».
La nomination par le maire du garde champêtrè
illustre la règle selon laquelle le maire, chef de l'administration municipale, nomme à tous les emplois con1munaux (article 88 L. 5 Avril 1884 ; article 500 c.a.c.).
Mais s'il appartient au m aire seul de nonlll1er à de tels
emplois, ce pouvoir, gage de l'indépendance du maire ft
l'égard du conseil municipal et du représentant de l'Etat,
est soumis en ce qui concerne la nomination du garde
champêtre à certaines restrictions.
Les prelnières de ces restrictions sont relatives aux
conditions d'accès à l'en1ploi de garde champêtre. Aux
conditions générales établies par l'article 501 c.a ..c, l'article 591 ajoute certaines conditions spéciales applicables
au garde champêtre : C01l1me tous les agents de la
commune, le garde champêtre doit posséder la nationalité française, jouir de ses droits civiques, être de bonne
moralité, âgé d'au lnoins vingt cinq ans (27) et être apte
à remplir l'emploi. En outre, les articles 33/2 et 34/2 de
la Loi municipale (articles 254/2 et 258/2 du Code élector.al) déclarant inéligibles les agents de police dans le
ressort où ils exercent leurs fonctions et prononçant
l'incompatibilité de fonctions de conseiller municipal
avec celles d'agent de police, le maire ne saurait nommer garde champêtre un conseiller municipal (28).
A ces conditions limitant le choix du maire, le législateur en a jouté une autre bien plus importante qui
(27): Uné cî~culàire du Mînistrê de l'Intérieur du 10 juin 1898
recommande que les gar<1e'3 champêtres ne s'adonnent à 'a ucun
'c ommerce de nature à affaiblir la surveillance .dont ils sont chargéH
ou à compromettre leur autorité : il leur est défèndu particuliè
rement de tenir auberge ou cabaret. cf. rep. Dalloz, loc. cit et H.
Signorel op. cit. p; 17 sq.
a
456
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"',"'.
- '''1;
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déroge au pouvoIr ptopl'C du lualre de non1rllér i:i -tous
les emploisconlmunaux. En effet, alors que le conseil
municipal ne peut prendre aucune décision concernant
la nomination du garde chalnpêtre dans le poste qu'il a
,c réé, il résulte des dispositions statutaires spéciales
applicables au garde champêtre que la nomination de
cet agent n'est parfaite qu'après avoir obtenu fagréInent du représentant de l'Etat (art. 591 c.a.c). L'agrément qu'il appartient ainsi au sous-préfet ou au préfet
de donner à ia nomination du garde champêtre permet
au représentant de l'Etat, chargé d'attribuer les fonctions
de garde champêtre, d'exercer un contrôle étroit sur le
pouvoir du maire" en refusant d'agréer et de conl111issionner le garde nommé. Ce contrôle est important non
seulement parce que le préfet peut, le cas échéant,
réduire à néant, directement le droit du maire et, indirectement, la volonté du conseil municipal d'avoir un
garde champêtre, mais surtout par ce que d'une part, il
intervient à l'occasion d'un arrêté de nomination et
parce que, d'autre part l'agrément doit être exprès.
L'arrêté du maire portant nomination à l'emploi de
garde champêtre échappe au droit commun des arrêtés
de nomination aux emplois communaux « qu'aucune
disposition de la loi ne soumet au contrôle du préfet»
(29). Cependant le contrôle qui pèse sur l'arrêté du
maire, en vertu d'un droit spécial, découle de l'agrément
du sous-préfet à la nomination et non pas des dispositions de l'.article 82 c.a.c. (article 95 de la loi de 1884).
En effet, l'arrêté de nomination du garde champêtre n'est pas au nombre de ,c eux dont le préfet peut, cn
application de l',a rticle 82 c.a.c., prononcer l'annulation
où suspendre l'exécution, mais en refusant d'agréer le
garde chalnpêtre, le représentant de l'Etat rend inopérant l'arrêté du maire. Dans la pratique, le refus d'agréer
un garde champêtre dispense l'autorité de tutelle de
déférer au juge aux fins d'annulation l'arrêté de nomi-
(29) Cons. d'Etat 24 nOVerr1b~è 1911 l~o1nrr1Unè de Saint-Blan..
c.ard précisant et limitant la. portée de l'article 92, 1 de la loi du
5 avril 1884 (article 82, 1 c.a..c.) 'a ux arrêtés pris en application
de l'article 94 (81. c.a.c.). M. Hauriou op. cit. 1-369 (Maire de
Rennes) et 2-692.
.
457
�hatl6a eL lui rCCOllIitüi Un très large poü voir dlscn~
tionnaire. Au surplus, aucune disposition de la loi ne
faisant obligation au représentant de l'Etat de motiver
son refus d'agrément (30), il incombe au maire ou au
garde chalnpêtre de saisir le juge à fin de vérifier si
l'arrêté préfectoral portant refus d'agrélnent n'est pas
entaché de détournement de pouvoir (31). Or « si le
fantôme des actes discrétionnaires n 'est plus un nlort
qu'il faut tuer» il n'en delneure pas lnoins, malgré les
développements récents sur ce point de la jurisprudence
du Conseil d'Etat, que le juge ne peut exercer son contrôle que si le deulandeur peut étayer la véracité de ses
alléga tions par un enselnble de présomptions sérieuses
(32). A cet égard le contrôle par le juge du refus opposé
par le préfet dépend du point de savoir si ce dernier
oubliant son pouvoir discrétionnaire a fait ünprudemlnent connaître les nloti1's de sa décision. Dès lors, mênle
si le garde 'chanlpêtre n'est pas candidat à rEcole nationale d'adlninistration il doit faire preuve de philosophie
en face du refus d'agréelnent conlme aussi en face du
silence du représentant de l'Etat.
Assurénlent l'article 591 c.u.c. dispose : « Le -préfet
ou le sous-préfet doit faire connaître son agrément ou
son refus d'agréer dans le délai d'un nlois », nlais il
faut se garder d'en conclure, si dans ,c e délai le préfet
ou le sous-préfet n'a pas opposé de refus, que ce silence
puisse être considéré comme un agrément à la nOlnination du garde champêtre. En effet, à l'agrément est liée
la cOlnnlission du garde champêtre: en agréant le garde
champêtre le sous-préfet ou le préfet l'investit de ses
fonctions. Par conséquent le silence de l'administration
préfectorale l,le saurait investir le garde champêtre de
"
(30) Cons. d'Etat 13 février 1914, Cerati, 182,
(31) Dans l'arrêt Cerati, postérieur à l',a ;:rêt Grazietti (Cons.
d'Etat 31 janvier 1902, M. Hauriou, 2-182), le IC'onseil d'Etat a
considéré « qu'aucune :disposition législative ne faisant obligation
au préfet de motiver un refus d'agrément, le garde champêtre
n'était pas fondé à soutenir que ce refus était entaché ' d"excès de
pouvoir ».
(32) cf. M. Hauriou op. dt. 2-184 et Cons. d'Etat 28 mai 1954,
Conel. Letourneu: G. A. (2me éd.) 382 ; 21 décembre 1960 Serra et
Vic at-Blanc, b. 1961-J. 421 note R. Chapus.
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;
458
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1
1
Ses fondIons: !lue sauraIt y ayolr d iagréllwut lactte. La
circulaire du lVlillistre de l'Intérieur du 15 mai 1884 avait
admis une solution contraire, lllais dans un avis du 0
nlars 1889 le Conseil d'Etat a estimé que si « le préfet ou
le, passé le délai d'un niois, doit être considéré COlllnlC
nlois son agrément ou son refus d'agréer un garde chalnpêtre, la loi qui a prescrit ce délai, n'ayant attaché aucune sanction à sOli inobservation, le garde champêtre
nommé par le Inaire nel doit pas être considéré coninle
régulièrenlent investi de ses fonctions » (33). Il résulte
de cet avis que le silence de l'administration préfectorale, passé le délai d'un llloir, doit ètI'e eonsidéré comme
une modalité du refuSt d'agréer et de commissionner le
garde champêtre nOIllmé par le maire. Dans ce cas encore le juge ne pourra exercer son contrôle sur ce refus
implicite d'agrément que si un lllembre « irresponsabk
et non identifié» de l'administration préfectorale a fait
part au garde chanlpêtre d'un soupçon d'éthylisme.
Pris entre le pouvoir de nOlllination du maire et
_ l'agrélllent du sous-préfet ou du préfet, le garde champêtre est finalement à la merci de celui-ci. En fait,
l'agrément devient acquiescement à la nomination · du
garde challlpêtre choisi par le nlaire et moyen de pres.sion que le législateur n'avait pas prévu. Le droit
d'agréer et de conlnlissionner prévu par la loi de 188Ll
correspond au droit d'investir le· garde .champêtre de ses
fonctions; il est étranger à la stabilité et à la protection
du garde chanlpêtre. Cette protection de la personne de
garde champêtre le législateur av.ait cru l'assurer en précisant l'étendue des mesures disciplinaires qu'il appartient respectivement au maire et à l'autorité de tutelle
de prendre à l'encontre du garde champêtre.
1
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.
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(b) Reprenant les dispositions de l'article 102 de la
loi du 5 avril 1884 l'article 592 c.a.c. dispose: « Les gardes champêtres peuvent être suspendus par le maire. La
suspension ne· peut durer plus d'un mois. Le préfet
(1884) ou le sous-préfet (D. L. 5 Novembre 1926) seuls
(33) Cf. H. SignoreI, op. dt. p. 23. A tort L. Mo:-gand c.onsidère le silence du préfet ou du sous-préfet comme un agrément
(Op. cit. page 666).
459
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�peuvent les l'~voquer». Cette ciisposition Jest1n~e ~ sous-
.,_
~
•
traire le garde champêtre aux caprices du lnaire et à assurer son inùépendance et sa stabilité, déroge à l'article
500 c.a.c. (article 88 L. 1884) donnant au maire en même
temps que le droit de nommer à tous les emplois communaux celui ùe suspendre et de révoquer les titulaires
de ces emplois. Toutefois, compte tenu de, la législation
intervenue depuis 1884 pour donner aux fonctionnaires
comnlunaux des garanties de stabilité, l'article 592, dans
l'ensemble des dispositions du Code de l'administration
communale, est loin d'avoir la portée de l'article 102 de
la loi municipale. Cela à tel point que le partage des
compétences organisé -en 1884 en matière de suspension
et de révocation du garde champêtre a perdu son sens
premier.
Jo;
En limitant le droit du maire de suspendre le garde
champêtre, le législateur de IBM manifestait sa volonté
d'accorder à cet agent une protection spéciale qui soit
à nlême de le soustraire à l'arbitraire sans cependant
priver le maire de prendre à son encontre toute mesure
disciplinaire. En 1884, comme la révocation prononcée
par le préfet, la suspension est une sanction que le
luaire peut prendre à l'égard du garde chanlpêtre pour
une durée inférieure ou égale à un mois.
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Dans l'exercice de ce pouvoir disciplinaire le lnaire
agit indépendamment du préfet qui ne peut annuler en
application de l'article 95 (82 c.a.c.) les arrêtés frappant
de sanctions disciplinaires le garde (champêftt'e (34).
L'arrêté de suspension, susceptible de faire l'objet d'un
recours pour excès de pouvoir, doit être pris en vue
d'assurer le bon fonctionnement du service (35). En
outre la jurisprudence a admis, avant l'article 535 c.a.c.,
que l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 était applica-
(34) V. Cons. d'Etat 13 juillet 1883, Maire de la ville de Bourges, S. 1885, 3, 42 ; 8 avril 1892, ville de Rennes S. i894, 3, 17 ;
17 novembre 1893, 24 juillet 1929 Commune d'Echenoz-Ie-Sec, 806.
(35) V. Cons. d'Etat 16 novembre 1900 D.P. 1902, 3, 10; 14 Janvier 1910 D. P. 1911, 3, 126 ; 2 aoftt 1918, 801 ; 5 décembre 1919,
889 ; 27 février 1929, 247.
460
�ble aux mesures de suspension du garde champêtre qui
devait être à même de prendre communication de son
dossier avant d'être l'objet de cette mesure discipH!..
na ire (36). Par ailleurs la loi du 12 mars 1930, énonçant
les peines que peut prononcer le maire, a confirmé le
caractère de mesure disciplinaire de la suspension que
désormais le maire ne peut décider qu'après avis motivé
d'un conseil de discipline (37). De la sorte la loi et la
jurisprudence avaient affermi la stabilité du garde
champêtre en le faisant bénéficier de garanties discipli'"
naires et en veillant à ce que le maire n'excède pas ses
pouvoirs et ne le frappe, par exemple, d'une révocation
déguisée en prolongeant indéfiniment. de mois en mois,
la mesure disciplinaire que constitue la suspension dans
la loi de 1884 (38).
Depuis lors l'article 592 c.a.c. reprenant la disposition de l'article 102 de la Loi lllunicipale a codifié les
compétences respectives du maire et des préfet et souspréfet concernant les mesures disciplinaires de suspension et de révocation dont ils peuvent frapper le garde
champêtre. Mais, en même temps ont été .c odliiées les
dispositions relatives aux garanties disciplinaires dont
bnéficie le personnel comnlunal, notmnment celles prévues par la loi du 28 Avril 1952. COlTIlne par le passé
(Cons. d'Etat 24 Mai 1933, précité), les dispositions statutaires spéciales applicables au garde champêtre doivent ·être combinées avec les garanties disciplinaires'
applicables au personnel communal dont bénéficie le
garde champêtre. A cet égard il convient de souligner
que, dans l'hypothèse où la suspension n'est plus une
sanction disciplinaire mais une mesure provisoire
(36) Par exemple : Cons. d'Etat 5 .décembre 1929, 1072 ; 26
févrie-:- 1930, 211.
(37) Loi du 12 mars 1930 (5) : « Les peines comportant... la
suspension ou la rév'Ocation .ne peuvent être prononcées par le
maire qu'après avis motivé d'un c.onseil de discipltne, le maire et
l'intéressé entendus 'Ou dûment appelés ... »
(38) Cons. d'Etat 8 avril 1892, Commune de Montflaquin, M.
Hauriou, op. cit. 1-369 ; 23 juillet 1909 et 22 juillet 1910, Fabrègues, ibid. 2, 397 (<< Considérant qu'en prononçant par les arrêtés
attaqués cette mesure discipIinai:-e.... » ) ; 30 janvier 1919, Agremont, 107 ; 24; mai 1933 Tarcens ; 26 décembre 1953 Be.nnetière,
1927 ; 31 janvier 1954, Fabre, 145 ; 15 juillet 1958, Bonnani A. J.
D. A . 1958, 2, 446.
461
�prÎse dans l'intérêt du service, le garde champêtre
perd la garantie de stabilité prévue par la Loi ITIunicipale ' limitant à un Inois la durée de la suspension
prononcée par le lnaire COlnme il perd le bénéfice des
garanties disciplinaires lorsqu'il est révoqué par l'adlninistration préfectorale.
"1
l
En effet, aux termes de l'article 52-1 c.a.c (modifié
par l'article 5 du D. 12 Août 1959) la suspension n'est
pas une mesure disciplinaire mais une mesure provisoire prise par le nlaire dans l'intérêt du service en
attendant les résultats de la procédure disciplinaire en
cas de faute grave cOlnu1ise par l'agent. Par conséquent '
lorsqu'un lnaire décide de suspendre un garde ,champêtre, les dispositions du personnel comlnunal ne dérogeant pas (article 477 c.a.(',) aux dispositions législatives
spéciales, ne convient-il pas d'envisager si cette suspension est la mesure disciplinaire prévue à l'article 592
sans autre garantie pour le garde chmnpêtre que celle
de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 (article 595 c.a.c)
ou la n1eSlue provisoire de l'article 5 du décret du 12
août 1959 ? La suspension, n1esure disciplinaire, ne peut
excéder un Inois (article 592 c.a.c.) lnais elle peut inter"enir .a près une suspension, nlesure provisoire préalable,
prise en attendant les résultats de la procédure disciplinaire. C'est cette solution que la jurisprudence du Conseil d'Etat a adopté le 4 Mars 1960 en considérant que
« ... si sous le régime de la loi du 29 Avril 1952 le maire
ne peut prononcer <le suspension à titre de sanction disciplinaire ... en vertu de l'article 38 de la loi du 28 Avril
1952... (article 531 n10d. D. 12 Août 1959) ... la suspension
d'un agent cOlnmunal peut être prononcée en cas de
faute grave et cette règle est applicable il la suspensi.on
d'un garde champêtre prescrite par le Iuaire par application de l'article 102 de la loi du 5 avril 1884 » (article
592 c.a.c.) (39). Cependant après avoir expressément dis-
(39) Cf. Cons. d'Etat, sect. 4 mars 1960 (jommune de Lubersac, 167. Ne figurent pas dans la rédaction de l'arrêt des termes
entre parenthèses renvoyant aux dispositions du code ..de l"adminjstration communale. L'article 592 c.a.c. est ainsi rédigé : « Les
,!"ar.des champêt:'es peuvent être suspendus par le maire. La suspension ne peut durer plus d'un mois ... ». L'arrêt du 4 mars 1960
considère cette dernière proposition comme éta,nt abrogée,
462
�\
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tingué. la suspension mesure disciplinaire, par application de 'artice 102 de la Loi Illunicipale, de la suspension
préalable, en vertu de l'article 38 de la loi de 1952, l'arrêt
la supprinle : « ... considérant enfin, que, les conditions
dans lesquelles un maire peut prononcer la suspension
dans l'intéfiêt du servi.ce d'un garde champêtre étant
déterminées par l'article 38 de la loi du 28 Avril 1952,
les dispositions de l'article 102 de la loi du 5 Avril 1884
en vertu desquelles le nlaire ne peut suspendre un garde
champêtre pour un durée supérieure à un mois, doivent être regardées comlne ayant été abrogées par le
dit article 38 ».
'\
Sans doute, COllllue il ressort de la jurisprudence, la
suspension par le maire du garde chanlpètre, mesure
disciplinaire ou préalable, doit être 1110tivée dans les
deux hypothèses par l'intérêt du service. Sans doute
l'arrêt du 4 nlars 1960 a-t-il entendu simplifier la
matière, mais il est permis de se denlander tant il est
évident que la IÎlnite d'un mois apportée au pouvoir du
_maire de suspendre à titre de sanction disciplinaire le
garde chanlpêtre n'affecte en rien les conditions du
pouvoir de suspension que le maire tient de l'article
5 du Décret du 12 août 1959, si cette solution est utile
pour les conséquences qu'elle emporte.
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...
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'.-
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En effet, si les dispositions de l'article 592 en vertu
desquelles le maire ne peut pas suspendre un garde
champêtre pour une durée supérieure à un nlois doivent
·être considérées COlnme abrogées, le maire peut désornlais en application des dispositions non abrogées de
l'article 592, suspendre le garde champêtre pour une
période de temps indéterminée, surtout si le garde champêtre non titularisé dans un emploi à temps conlplet est
sounlis aux seules dispositions de l'article 592 c.a.c. !
Dès lors que, selon le rédaction même de l'arrêt, la
suspension provisoire coexiste avec la suspension mesure
disciplinaire à laquelle elle est applicable, le contrôle
du juge éprouvera des difficutés nouvelles pour s'exercer. Informés de cette jurisprudence les mair'e s ne manqueront pas à l'occasion de suspendre pour longtemps
les gardes champêtres qui ne sont pas de leurs amis :
de les révoquer en se fondant sur les dispositions non
abrogées de l'article 592, Et ils auront be.a u jeu de le
463
�faire car cette jurisprudence n'autorise pas seulement
la révocation déguisée des gardes chanlpêtres, elle pernlet en outre, dernière conséquence mais non la moindre, de suspendre un garde champêtre à titre de sanction en privant l'intéressé des garanties disciplinaires
autres que celles accordées au personnel communal par
l'article 65 de la loi du 22 Avril 1905 (article 535 c.a.c).
Sous le régiIne des articles 524 et 528 c.a.c. le maire
ne peut pas prononcer de suspension à titre disciplinaire,
cette sanction ne figurant pas au nOlllDre des sanctions
applicables au personnel comnlunal prises après avis
lTIotivé du conseil de discipline. Il en résulte que l~
garde chalnpêtre frappé d'une mesure de suspension en
application des dispositions de l'article 592 n'est pas
fondé à demander l'annulation de l'arr,êté du maire pris
sans consulter le conseil de discipline, le bénéfice de
cette garantie accordée par l'article 88 de la loi municip.a le (mod. L. 12 Mars 1930) ) ayant été suppriIné par
l'article 38 de la loi du 28 Avri~ 1952 ( article 531 c.a.·c
D. 12 oût 1959 art. 5 (40).
.- j
,
Une telle conséquence résultant de la conlbinaison
des textes destinés à donner des garanties de stabilité
aux agents des conlnlunes est d'autant plus surprenante
que dans le cas de suspension préalable le maire doît
aviser le président du conseil de discipline convoqu6
dans le nlois qui suit (article 5 D. 12 Août 1959). Cependant cette conséquence rejoint celle qui découle de la
jurisprudence du Conseil d'Etat relative aux garanties
dont « bénéficie » le garde champêtre frappé d"une
111esure de révocation.
L'article 532 c.a.c décidant que le conseil de discipline est saisi par un rapport de l'autorité ayant pou-
(40) Cons. d'Etat, Commune de Lubersac, précité. L'article
612, 1 c.a.c. avait repris et reproduit l'article 95 de la loi du 28
av:il 1952. Comp. (;ons. d'Etat 7 novembre 1956, Pons, 421. Antérieurement la jurisprudence du Conseil d'Etat avait adl11is que le
droit du maire de suspendre un garde champêtre devait être combiné avec l'obligation de déférer au conseil de disc.ipline intercommu.nal les fonctionnaires municipau.x en vue de leur suspension
disciplinaire (24 mai 1933, Tarcens, précité).
4'-4
�voir disciplinaire fait perdre au garde champêtre je
droit de demander sa comparution devant le conseil
de discipline. En effet, s'agissant d'une mesure de révocation que l'administration préfectorale peut seule pro··
noncer non seulement les conseils de discipline communal ou intercommunal ne peuvent être saisis mais encore
le conseil de discipline dép.a rtemental ne peut pas l'être
davantage, la compétence de ce .c onseil étant limitée au
cas où le maire e.st investi du pouvoir de révocation à
l'égard d'un agent municipal. Le maire n'étant pas
investi d'un tel pouvoir à l'égard du garde champoêtre, la
Haute Assemblée a considéré que cet agent municipal
« ... que ni peut être révoqué que par le préfet ou le
sous-préfet ne pouvait utilement demander sa comp,a rution devant le conseil de discipline départemental » (41».
.
Finalement, le partage des compétences de l'administration préfectorale et de l'administration municipale
a donc pour conséquence d'altérer le statut du garde
- champêtre, conséquence aggravée p.a r la difficile conjonction des dispositions statutaires spéciales et du statut du personnel communal cependant élaborées pour
donner des garanties de stabilité aux agents des communes et plus spécialement soustraire le garde champêtre au jeu des rivalités locales.
• ....... , 1
Cette dégradation du statut du garde champêtre
qui ,a ffecte les pouvoirs des autorités municipales et
l'indépendance du garde champêtre, est contrair e à la
volonté du législateur de 1884 et, surtout, à l'idée œautonomie communale. Au surplus, cette dégradation étant
la conséquence du partage des compétences initialement
prévues pour concilier une liberté communale et les
fonctions de police du garde champêtre n'y-a-t-il pas
lieu de penser que la dégradation du statut du garde
champêtre, agent communal, aît entraîné celle de ses
fonctions?
(41) V. Cons. ;d'Etat 4 juillet 1958. Préfet de l'Aube, R.P.D.A.
19t18 n° 326.
465
30
�DEUXIEME PARTIE
Le Garde Champêtre est investi
d'une missi on de police
~
..
",,:.
.
.J
En qualité d'agent con1nlunal Je garde champêtre
exerce de nombreuses fonctions que la l.oi n'a d'ailleurs
pas toutes prévues. Auxiliaire et subordonné immédiat
du maire, le garde champêtre doit exécuter les ordres
qu'il reçoit : transn1ettre les dépêches urgentes, porter
un pli à l'un, une convocation à l'autre, assurer une liaison constante entre le secrétaire de mairie et le maire
quand il n'est pas lui-même le secrétaire de mairie. Ces
humbles et menues fonctions autrefois prévues par un
édit faisant obligation au garde champêtre « '" de se
rendre dans les maisons des maires toutes les fois qu'ils
les y manderont, pour y recevoir les ordres qu'ils auront
à leur donner ... » (42) ne figurent pas au nombre des
fonctions énumérées par la loi municipale ou le code de
l'administration communale. Toutefois', le garde champêtre ne saurait se soustraire à l'exécution de ces fonctions suffisantes le plus souvent à épuiser son emploi du
temps mais impropres .c ependant à rendre compte de la
mission essentielle qui l'élève parfois à l'égal du maire.
(42) Edit de décembre 1706. Rec. Gén. des Anc. lois. f::'anç.,
Isambert, Decrusy, Taillandier, tom~ XX p. 500 (a::-t. 24).
466
;:" ;"
�\
..
C'est en effet aux seules fonctions de police du
garde champêtre que se réfèrent les dispositions du code
de l'administration communale reprenant sur .c e point
les lois du 28 Septembre-6 Octobre 1791 et du 5 Avril
1884 (43). Les fonctions de police dévolues par ces lois au
garde champêtre sont des fonctions de police judiciaire
et des fonctions de police administrative, ces fonctions
étant largement étendues par un grand nombre de lois à
des matières spéciales. Au terme de ces fonctions le
garde champêtre doit veiller à la conservation des propriétés rurales, à l'observation des règlements et arrêtés
destinés à assurer le bon ordre dans la commune et Il
doit constater les délits et contraventions de police
rurale et les contraventions de police municipale. Un
tel cumul de fonctions de police dans la personne du
garde champêtre, cumul qui met en cause les distinctions devenues traditionnelles mais souvent délicates à
établir de la police judiciaire et de la police administrative, de la police administrative générale et des polices administratives spéciales, des autorités et des personnels de police administrative, des officiers et des
agents de police judiciaire, suffirait à lui seul à souligner l'importance de la question du garde champêtre.
Cependant la diversité des activités auxquelles a donné
lieu la dualité des fonctions de police du garde champêtre a eu pour conséquence de mettre cet agent communal dans l'impossibilité matérielle d'exercer en
même temps et d'une manière satisfais.ante ses fonctions de police administrative et de police judicaire.
Par la force même des choses le trait le plus marquant des fonctions de police du garde champêtre réside
dans leur dégradation continue encore accentuée depuis
que le service de police n'·a pparaît plus comme devant
constituer un service exclusivement communal. Cette
dégradation affecte les fonctions du garde champêtre
agent de la police administrative (A) et, par voie de
conséquence, celles qu'il exerce en tant qu'agent de la
police judiciaire (B).
(43) Dans l'exercice de leurs fonctions les gardes champêtres
peuvent être 'a rmés. (Artic)e 1091 2 c,a.(f.),
4~7
�Le Garde Champêtre, agent de la police administrative.
A. -
L'article 108 du code de l'administration communal
dispose : « .. .la police des campagnes est spécialement
placée sous la surveillance des gardes champêtres et
de la gendarmerie nationale ... (44) .... Outre leurs fonctions ci-dessus définies, les gardes champêtres sont chargés de rechercher, chacun dans le territoire pour lequel
il est assermenté, les contraventions aux règlements et
arrêtés de police municipale ... » (45).
.,
Cependant la rédaction de cet article ne doit pas
donner à penser qu'elle contient ex,a ctement les fonctions de police adnlinistrative du garde champêtre. En
effet, les dispositions de l'article 108 doivent être interprêtées en tenant compte des pouvoirs de police administrative que le nlaire exerce sous la surveillance ou
sous l'autorité de l'administration supérieure (articles
76, 96 et 77 ,c.a.c.). Or il résulte de ces dispositions que le
garde champêtre doit être considéré dans l'exercice de
ses fonctions de police rurale et de police municipale
comme un agent d'exécution des mesures qu'il appartient au maire, autorité de police, de prendre en ce
domaine. Il en résulte également qu'en sa qualité de
membre du personnel communal de police le g.arde
champêtre participe à l'exécution des actes de l'autorité
supérieure relatifs à la police municipale et à la police
rurale (46», comme à l'exécution des mesure de sûreté
générale (47). Par conséquent, dans les limites du territoire de la commune, le garde champêtre est en réalité
agent d'exécution de la police administrative à un double titre: d'une part, il est agent d'exécution des mesu-
(44) L'article 1 (section VII, titre II) de la loi du 28 septembre 1791 :disposait : « La police des campagnes est spécialement
sous la juridiction des juges de paix et des officiers municipaux,
et sous la surveillance des gardes champêt:-es et de la gendarmerie nationale ».
(45) L'article 102, 2 de la loi ,du 5 avril 1884 visait les infractions.
(46) cf. l'article 96 c.a.c. in fine.
(47) cf. l'article 77 1 2" c.'~.c ,
468
�l'cs de poIlce adllllllistrativc cOl1llnunale édictées par le
lnaire (a)" d'autre part, il est agent d'exécution des
mesures de police administrative d'Etat (b).
(a) Les fonctions d'exécution dont l'article 108 c.a.c.
investit le garde champêtre concernent « la police des
campagnes» et « la police municipale », c'est-à-dire les
deux branches de la police communale, police administrative générale. La distinction ainsi étabiie par le code
nlunicipal entre la police des canlpagnes et la police
municipale est importante car, outre la signification historique qu'elle revêt, elle permet de saisir l'étendue des
fonctions du garde champêtre en ce qui concerne !.a
police rurale et la police municipale.
,,
.-
Affinnanl l'idée révolutionnaire selon laquelle le
service de police constitue un service exclusivement
comnlunal la loi du 28 Septenlbre 1791 concernant les
biens et usages ruraux et la police rurale précisa le
domaine de la police rurale, indépendamment de celui
de la police nlunicipale définie par les lois du 14 décem~
bre 1789 et du 22 juillet 1791. Cette loi « en vue d'assu~
rel' les propriétés et conserver les récoltes » institua les
g.ardes champêtres. Sans doute aujourd'hui les raisons
de pourvoir à la sécurité, à la salubrité et au maintien
du bon ordre dans les campagnes ont perdu de leur
intensité nlais elles n'ont pas perdu de leur ampleur
puisque sur 38.000 communes, 32.000 ont une population
inférieure à mille habitants et 36.276 sont des communes rurales (48). Ce n'est donc que dans les communes
exclusivement urbaines, le plus souvent les villes de
100.000 habitants qu'il n'y a pas de place pour la police
des campagnes et que le maire n'a pas l'oocHsion d'exercer les pouvoirs que lui confèrent le code rur.a l et cer..
taines dispositions du .code d'administration communale (49). En revanche dans l'immense maj orité des
communes rurales, police municipale et police rurale
coexistent sur le fondement de textes législatifs distincts
(48) An. Statistique, 1954, (2me partie page 19) et 1959.
(49) V. par exemple, les articles 104-107 c.a.c.
469
"-,*,
�in aIs elles se pénètrent et se contolldeni dans 11excl'clce
quotidien des pouvoirs de police municipale qui appartiennent au maire de la commune rurale, comme à tout
Inaire.
C'est donc dans les conllnunes rurales, pratlqueJuent l'ensemble des comnlunes, que le maire( exerce la
plénitude de ses pouvoirs de police et qu'il doit assurer
la poilee des campagnes avec le concours du garde
champêtre, que la commune a pu établir, et de la gen-darmerie nationale. A cet égard, l'exécution par le
garde champêtre des mesures de police rurale arrêtées
par le mairé appellent deux remarques.
1
Tout d'abord. il semble résulter de la loi de 17ü1
reproduite par les articles 108 al. 1 et 109 du c.a.,c. que
les fonctions' de surveillance de la police des campagnes
exer.cées par le garde challlpêtre soient exclusivement
des fonctions de police judiciaire (50), ces diversesl dispositions visant la recherche et la constatation des délits
et contraventions de police rurale, ct non pas des fonctions de police administrative tendant à prévenir toute
atteinte à l'ordre public. Toutefois bien qu'il soit hors
de doute eu égard à la volonté expresse du législateur,
qu'en décidant d'avoir un garde champêtre la conlmuue
établisse un officier, ou aujourd'hui, un ,a gent chargé
d'exercer des fonctions de police judiciaire, il n 'en
demeure pas moins que l'exercice de ces fonctions de
surveillance condui,t le garde chanlpêtre non seulelnent
à constater et à réprimer les délits et contraventions de
police rurale comme la loi l'y oblige mais ,a ussi à empêcher et à éviter, par le rapport qu'il pourra faire au
maire ou par les remarques adressées aux intéressés à
l'issue ou .au cours de sa tournée, les atteintes à la police
des campagnes. De la sorte les fonctions de police j udiciaire pour lesquelles la loi a initialement permis aux
communes d'établir un garde champêtre suscitent des
fonctions de police administrative, la surveillance du
garde champêtre étant aussi bien une surveillance pré-
(50) L'article 109, 1 c.a..c. dispose : « Les gardes champêtres
exercent leurs fonctions dans les conditions prévues aux articles
6 à 8 de la section VII du titre 1 du décret ;du 28 septemb:-e 1791,
ainsi qu'aux articles 9 et 16 à 21 du code d'instruction criminelle ».
470
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vClltive j ushfiée par la nécessité de InaÎntenir l'ordre
public, qu'une surveillance fondée sur la notion d'infraction et VIsant exclusivelnent à la répression. En
conséquence, il importe de remarquer, et l'exemple du
garde champêtre est particulièrement probant sur ce
point, que si le personnel chargé d'exercer les fonctions de police judiciaire se confond généralenlent
avec celui qui est chargé J 'exercer des fonctions de
police administrative, cette identité tient au fait
que les fonctions de police judiciaire appellent les
fonctions de police administrative, le pouvoir de cons,.
tater et de sanctionner une infraction comportant celui
d'empêcher et de prévenir cette infraction. Dans la pratique le garde champêtre qui ne manque pas de raisons
pour se montrer indulgent vis à vis des électeurs de la
commune, invite surtout à respecter les réglements de
police, il ne dresse des procès verbaux et n'exerce les
fonctions de police judiciaire que la loi lui reconnaît
en' ce qui concerne la police des campagnes que d'une
nlanière exceptionnelle. De ce fait la survillance des
campagne est essentiellelnent pour le garde champêtre
une fonction de police adminish"a tive.
En se.c ond lieu si l'article 108 c.a . c conlme d'ailleurs
la loi de 1791, place la police des campagnes sous la surveillance des gardes chanlpêtres et de la gendarnlerie
nationale, dans la pratique les fonctions de la gendarmerie nationale ne liInitent pas celles du garde champêtre. En effet, le décret du 20 ~Iai 1903 fixant les attributions de police judiciaire et de police administrative
de la gendarmerie assigne bien aux brigades (articles
149 s.) l'obligation de visiter « chaque commune au
moins deux fois par mois de jour et une fois de nuit et
de l'explorer dans tous les sens « nlais l'implantation
cantonale des brigades ne permet guère à un effectif
réduit~ le plus souvent quatre gendarmes, d'explorer
dans tous les sens les douze .c ommunes que comprend en
moyenne le canton (51).
(51) Il Y a en effet 38.000 communes et 3.028 cantons. Le
décret du 20 mai 1903 portant organisation du service de la gendarmerie a été modifié par les Décrets du 10 octobre 1935 et des
22 aoO.t et 18 septembre 1958.
471
�IJ.al' consequeut, lualgl'é les c.Îlspositfolls Je la lUI,
c'est en réalité à la surveillance quasi-exclusive du garde
champêtre qu'est abandonnée la police quotidienne des
campagnes. Cette surveillance, Inême dans sa forme préventive et bienveillante, le garde champêtre à teinps
complet, est dans l'impossibilité de l'assurer d'une
manière permanente et effective en raison des fonctions
de policé 'municipale dont il et encore chargé.
La loi de 1791 n'avait attribué aucune fonction de
poliee municipale au garde champêtre. Toutefois la
situation particulière du garde champêtre, sans doute
officier de police judiciaire mais aussi agent comlnunal
placé sous l;autorité immédiate du maire, autant d 'aiLleurs que l'interpénétration dans les COilllnunes rurales
de la police des campagnes et de la police municipale,
devaient en fait donnér des fonctions de police municipale .a u garde champêtre, fonctions aujourd'hui consacrées par la loi.
',1
. ,1
En effet, il importe de se rendre cOlnpte que dans
32.000 communes rurales d' une population inférieure ou
égale à mille habitants le service communal de police
se compose du maire et du garde champêtre. Aussi dès
les preilliers jours de l'institution le garde champêtre
a-t-il ' été appelé à participer à la police municipale. Car
c'est naturellement vers ce seul agent d 'exécution que
s'est tourné le maire, autorité de police municipale,
pour faire connaître ses décisions, porter une notification, battre du tambour. C'est encore au garde champêtre que le maire a dû s'adresser pour être informé des
faits susceptibles de troubler l'ordre public, pour savoir
si les cir.c onstances ou les évènelnents pouvaient j ustifier telle mesure de police propre à assurer le bon ordre,
la sécurité ou la salubrité publiques. Et c'est enfin au
garde champêtre que l'autorité de police municipale a
demandé de veiller à l'exécution et à l'observ.a tion des
mesures de police. Subordonné inlmédiat du maire le
garde champêtre ne pouvait qu'éxécuter ses ordres et
se tenir à sa disposition. Partant, le garde champêtre est
devenu agent de la force publique chargé d'assurer
l'exécution des arrêtés pris par le maire, autorité de
police municipale, et de veiller au maintien de l'ordre
472,
�claus la COlllll11111e, ia j urlspruclence (;j~) et surtout la
législation consacrant ces nouvelles fonctions. Ainsi les
décrets du 11 juin 1806 et du 22 mars 1852 ont chargé
le garde champêtre d'informer les commissaires de police de tout ce qui intéresse la tranquillité publique tandis
que l'article 20 de la loi du 24 juillet 1867, afin d'éviter
que les arrêtés de police municipale puissent demeurer
sans effet faute d'agent pour en assurer l'exécution et
sanctionner les contrevenants, donne aux gardes champêtres la mission de recher,c her les contraventions aux
règlements et .arrêtés de police municipale. Cette dernière disposition (étendant les fonctions du garde champê,tre et maintenue par la loi du 5 avrill 1884 (102 § 2), est
reproduite par l'article 108 c. a. c. : « Outre leurs fonctions ci-dessus définies, les gardes champêtres sont
chargés de rechercher ... les contraventions aux règle~
ments et arrêtés de police municipale ... » (53). Depuis
lors le garde champêtre veillant à l'exécution et à l'observation des règlements et arrêtés de police municipale
exerce à la fois des fonctions de police administrative et
- des fonctions de police judiciaire puisqu'il peut dresser
des procès-verbaux pour constater les contraventions de
police municipale (54). Qui plus est, le maire cumulant
les pouvoirs de police, le garde chalnpêtre, agent communal dont les fonctions de police administrative dérivent de celles de l'autorité de police dans la commune,
est de ce fait, appelé à participer à la police d'Etat.
(52) Casso Crim. 19 juin 1818 ; 9 se,ptembre 1819 ; 8 a:vril 1826;
2 mai 1839 : « Attendu que si les gardes champêtres sont officie:-s
de police judiciaire seulement dans l'exercice de la police rurale ...
ils peuvent être requis c,omme auxiliaires des officiers loc'a ux de
police pour l'exécution des arrêtés légalement pris par l'autorité
municipale .... '» Af. Hubas, cf. rep. Dalloz, tome 24 page 749, note 1.
En qualité d'agent de la force publique le garde champêtre
peut-êt::-e requis par les commissaires de police (D. 28 mars 1852,
article 3), par les officiers et sous-officiers de gendarmerie (D. 20
mai 1903, article 314) par les employés des contributions indirectes, etc ... ». V. sur ce point J. Dubarry, op. dt. pa,ge 55 et l'article
25 du C. pro pén. C. 64 et 65.
('53) Par la suite le D. du 20 mai 1903 a précisé (art. 316) :
« Les gardes champêtres sont tenus d'info': 'mer les maires... de
tout ce qu'ils découvrent ide contraire au maintien de l'ordre et
de la tranquillité publique ... ».
(54) Les arrêtés de police municipale dans leur disposition
terminale chargent le garde champêtre de pourvoir à leur exécution.
473
. ::-~ •
• t[
�1
, (6) La participation du garde chanlptÜre ~ i;exécutfOll
des mesures de police administrative d'Etat découle de
ce que sa qualité d'agent communal le conduit à assurer
l'exécution de toutes les mesures de police prises par le
maire et de ce que sa qualité de seuL agent d'exécution
dans le plus grand nombre des ,c ommunes le conduit à
assurer l'exécution des mesures de police administrative
émanant des autorités de la police d'Etat.
~.
...
..
En tant qu'agent conlmunal d'exécution des mesures de police municipale prises par le ln aire, le garde
champêtre participe à r exécution des Inesures de police
administrative d'Etat dans deux hypothèses.
,'.
~
Il en est ainsi en premier lieu lorsque le maire,
exerç.a nt les pouvoirs que lui reconnaît l'article 96 c.a.c.
(article 91 1. 1884), procède à l'exécution des actes de
l'autorité supérieure relatifs à la police municipale ou
à la police rurale. Dans ce cas, en effet, le maire n'agit
pas en tant qu'autorité de police administrative décentr.alisée, mais en tant qu'agent d'exécution des actes, de
l'autorité supérieure. C'est ainsi, par exemple, que le
maire doit assurer l'ex:écution des règlements généraux
de police, soit qu'il les publie à nouveau en rappelant
les habitants de la commune à leur observation (article
81 c.a.c.), soit qu'il sanctionne les contrevenants. En réalité, selon les termes même de l'article 108 al. 4 qui
visent les règlements et arrêtés de police municipale,
c'est au garde champêtre qu'il incombe de veiller Ù
l'observation des arrêtés de police que ces arrêtés aient
été pris par le maire ou par le préfet. De plus, il se peut
que le garde champêtre, en application des dispositions
de l'article 107 c.,a.c. soit amené à assurer l'exécution
d'arrêtés relatifs au maintien de la salubrité, de la sureté et de la tranquillité publiques pris par le préfet se
substituant à l'autorité de police normalement ' compétente qui a négligé (107 al. 1) ou qui a négligé et refusé
d'agir (107 al. 2). Toutefois l'autorité de tutelle ayant
agi à la place du maire pour le compte de la commune,
le garde èhampêtre est cènsé assurer l'exécution de mesures prises par le maire alors que s'agissant des arrêtés
du préfet destiués à maintenir l'ordre menacé dans
plusieurs communes limitrophes (107 al. 3), il assure
474
_ ~4:
"
�l'exécution des actes d5ulle autorité de ia poiice d'Etai
exceptionnellement compétente même si le maire n'a
fait preuve d'acune négligence (55).
·
.
En second lieu le garde champêtre participe à l'exécution de mesures de la police administrative d'Etat
lorsque le maire exerce, sous l'autorité de l'administration supérieure, les fonctions de police qu'il possède en
qualité d'agent de l'Etat. Essentiellement, le maire est
(article 77 c.a.c.) chargé sous l'autorité du préfet de
l'exécution des mesures de sûreté générale et l'objet
même de cette fonction de police, surveillance du territoire, surveillance des étrangers ... , l'oblige à faire i appel
aux services du garde champêtre. A cet égard l'article
311 du décret du 20 mai 1903 portant règlement sur le
service de la gendarmerie n'a pas manqué de souligner
qu' «au point de vue de la sûreté générale, les renseignements recueillis auprès des gardes champêtres peuvent
être d'une gr.ande utilité ».
Dans les deux hypothèses envisagées, les fonctions
- du garde champêtre découlent de celles du maire qu'elles reflètent. Le garde champêtre exerce encore d'autres
fonctions d'exécution des Inesures de police administrative émanant d'autorités administratives centralisées, du
fait que dans la commune il se trouve être le seul agent
qui puisse pourvoir à leur exécution.
En effet, les fonctions de police que le garde champêtre exerce en qualité d'·a gent .c ommunal le placent
dans une situation de monopole quant à l'exécution des
mesures de police administrative applicables à l'ensemble du territoire et quelle que soit l'autorité de police
administrative dont elles én'lanent.
Certes l'étatisation de la police dans les communes
de plus de! 10.000 habitants et dans quelques autres qui
méritent une protection spéciale entraîne la mise en
(55) S'il n'en était pas ainsi il s'agirait de l'hypothèse prévue
à l'a-:-ticle 107-1. L'article 107 c.a.c.1 reproduit l'article 99 :de la loi
de 1884: (mod. D.L. 5 novembre 1926 et 30 octobre 1935)
415
�piace cl~un persollnel de poÜee propre, sCl111Jle-t-Ïi, ~l
supplanter le garde champêtre.
"
"
En réalité, l'étatisation de la police municipale n'a
pratiquement pas affecté l'institution et, par conséquent,
les fonctions de police dévolues au garde champêtre. En
effet, sur 38.000 COlnmunes, 407 seulement ont une population égale ou supérieure à 10.000 habitants, et « l'étatisation » et les dispositions particulières des articles
110, 111, 112, 113 c.a.c. n'ont pas eu d'incidence en ce
qui 'c oncerne les communes rurales d'une population inférieure à 1.000 habitants, soit, pour la statistique et la
science administrative, à l'égard de 75% des communes
où le personnel d'exécution est le plus souvent uniqu.~
en la personne du garde champêtre.
Il faut donc prendre conscience de ce fait pour se
rendre compte qu'aujourd'hui encore sur l'ensemble du
territoire c'est au garde champêtre qu'il incombe d'assurer l'exécution et de veiller à l'observation des mesures relatives à la police générale d'Etat, essentiellement
des arrêtés préfector,a ux.
Au surplus ,c 'est pour la Inême raison que le garde
chalnpêtre a été appelé à participer à l'exécution de
multiples polices spéciales d'autant plus nombreuses'
qu'augmente le degré de l'interventionisme et qui, d'une
manière générale sont confiées à des autorités étatiques
(56). Sans qu'il soit besoin d',a pprocher le dédale d'une
législation qui ne permet pas d'établir une distil1ctio~
claire entre police générale et polices spéciales (57) il
est acquis qu'un garde champêtre de bonne volonté ne
peut pas connaître l'étendue de ses compétences en ma-
(56) Cf. Dubarry, op. dt. page 61 sq.
(57) Il est, par exemple, bien difficile de dire si la police
rurale est une police générale ou une police spéciale. L'article 1er
de la loi du 21 juin 1898 dispose : « Les maires sont chargés sous
la surveiUance de l'administration supérieure d'assurer conformément à l,a loi du 5 avril 1884 le m,ainltien dru bon ordre, de la
sécurité et de lœ salubrité publiques ... 1 alors que nombre de ses
dispositions instituent des polic.es spéciales.. Au surplus~ la police
rurale est confiée aux termes mêmes de la loi : au maire, au
préfet (articles 9, 10, 12, 23, 24, 25, 34, 37) au ministre de l'Agriculture et même au !Président de la République (aujourd'hui au
Premier ministre a':1:icles 26, 30... ).
.
476
�·1
tière· de police administrative, ni la retenir pour. l'avoir
présente à l'esprit à tout instant.
En conséquence, alors que la multiplication des lois
spéciales depuis un siècle tend à promouvoir ses fonctions de police judiciaire d'abord ,c antonnées aux délits
et contraventions de police rurale, le garde champêtre
ne les exerce pratiquement pas (58). Il ne faut donc pàs
s"étonner outre mesure que le nouveau code de procédure pénale ne range plus le garde champêtre parmi les
officiers de police judiciaire mais le considère seule-I
ment comnle un agent investi de certaines fonctions de
police judi.ciaire.
B. -
.
'~'
•
~ " -.~..
f
Le Garde Champêtre agent de la poli·ce judiciaire.
Les fonctions de police judiciaire du garde chanl_ pêtre intéressent essentiellement le droit pénal et la
procédure pénale. Toutefois la qualité d'agent communal du garde champêtre et la dualité de ses fonctions de
police ne sont pas sans entraîner de conséquences qui
intéressent directement le droit administratif. Ainsi lorsque le garde champ,être intervient en qualité d'agent de
la police judiciaire pour ,c onstater par procès verbal
certaines infractions à la loi pénale (article 14 code proc .
pén.) ses actes relèvent alors de la compétence du juge
judiciaire (59-60). En dehors de la distinction des fonc-
...
(58) Encore le voudrait-il qu'il ne le pourrait pas toujours à
l'exemple de l'arrêté du maire de Fontaine-de-Vaucluse que la pro··
oXimité d'un certain centre a incité à décider dans un but de sécurité évident : article 1 : Le port et l,' usage de la bombe atomique
sur le ter:itoire de Fontaine-de-Vaucluse sont interdits. Article 2 :
Le garde champ@tre est chargé de l'exécution du présent arrêté.
(59) cf. 6 décembre 1951 D. 1952. J. 90 ; T.C. 7 juin 1951,
Noualek, 636.
(60) Les 'a rticles 483 et suiv. du c. instruc. crim. étaient applicables au garde champêtre, officier de police judiciaire, pour forfaiture et autres c':'imes ou délits relatifs à leurs fonctions. L'article 687 c. pro pen. ne vise pas le garde champêtre mais par comparaison avec l'article 132 du code forestier concernant certains
agents des eaux forêts (auxquels le garde champêtre ~st assimilé
par l'article 22 c. pro pen.) et pa':' référence à l'article 108,3 in
fine c.a.c. il semble bien que cette disposition leur soit applicable.
477
�. 1
°·1
1
tions en vertu desquelles le garde champêtre peut intervenir distinction dont la portée pratique est de permettre
de déterminer la compétence soit du juge judiciaire soit
du juge administratif, la qualité d 'agent comnlunal du
garde champêtre a une portée théorique beaucoup plus
importante. En cette qualité d'une part, le garde chanlpêtre exerce ses fonctions de police judiciaire dans un
ressort défini par l'autorité administrative et, d'autte
part, ses fonctions de police judiciaire sont la sanction
de ses fonctions de police administrative.
a) Conune l'article 102 § 2 de la loi du 5 avril 1884,
l'article 108 4 c.a.c. dispose : « ... Les gardes challlpêtres
sont chargés de rechercher, chacun dans le territoire
pour lequel il est assermenté, les contraventions aux règlements et arrêtés de police lnunicipale ». Par ailleurs
l'article 592 c.a.c. indique : « Ils sont assermentés ». Cependant la prestation du serment n'est que la condition
essentielle et préalable à l'exercice des fonctions de police judiciaire du garde champêtre, elle ne détermine:
nullelllent sa cOlnpétence territoriale.
:'J-;',;,~?~~!~~
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~,--
.."'1
.
Alors que l'a rticle 16 du code d'instr uction crllninelle a ttr ibuait compéten ce au garde ch alnp être dans
le ter r itoire pour lequel il est assernlellté le nouveau
code de procédure pénale (61) ne fait aucune allusion au
sernlellÎ que doit prêter le garde champoêtre avant d'entrer en foactions ni indirectenlent, à sa COlllpétence territoriale. Cepe ndant la rédaction de l'article !!2 du cocl('.
de procédure pénale ne doit pas être interprêtée comm,~
ayant nloùifié les principes de la cOlnpétence territoriale du garde champêtre. Comme le souligne expressélnent
l'article 63 de l'Instruction générale prise pour l'application du code de procédure pénale il ne semble pas que
]e législateur aît entendu modifier les principes actuels
de la compétence des gardes champêtres (62). Par conséquent, comme par le passé, le garde chanlpêtre doit,
(61) Loi du 31 décembre 1957, portant institution d'un code
de procédure pénale en vigueur depuis le 1er janvier 1959.
(62) J.O. du 28 février 1959 pages 2492 sq.
-il8
�sous la sanction prévue par l'article 196 du code pén'a},
prêter serment avant d'entrer en fonctions. Mais ce' n'est
que d'une maniè:;"e tout à fait indirecte que la prestation
du serment (63) permet de déterminer la compétence
territoriale du garde chalnpêtre alors même qu'elle lui
donne la qualité « d'agent investi de certaines fonctions
de police judiciaire ». En effet, si le ga!'de champêtre
j ure et promet de remplir fidèlement les fonctions qui
lui sont confiées, c'est l'acte de nomination qui' precise
sa compétence territoriale .
.\
C'est en effet de l'acte ùe non1Ïnation que dépend la
compétence territoriale du garde 'cha;n1pétre. Par l~acte
de nomination le lnaire, seul, détermine la compétence
territoriale du garde champêtre en fonction des besoins
du service. Il est important de le noter car la cOlnpétence
territoriale du garde champêtre peut présenter de ce
fait une certaine mobilité à l'intérieur même des limites
du territoire communal, étant donné qu'une commune
peut avoir un ou plusieurs gardes champêtres. Dans
l'hypothèse où une commune n'a qu'un seul garde là
compétence territoriale de cet agent ,c orrespond à l'étendue du territoire communal à moins que, se fondant sur
les besoins du service, le maire n 'en aît décidé a utrelnent
en confiant à sa surveillasce, par exclnple, la partie rurale du territoire de la commune. Dans l'hypothèse où
plusieurs gardes champêtres exercent leurs fonctions
sur le territoire d'une même commune il ne s'ensuit pas
pour autant que la compétence territoriale de chacun
d'eux soit nécessairement limitée à une partie du territoire de la commune ou, ce qui revient au même, à une
fonction de police rurale ou municipale ; elle peut s'etendre, selon les besoins du service. à l'ensemble du territoire communal. En tout état de cause il faut se reporter à l'acte de nomination pour déterminer la compétence territoriale du garde champêtre. Le cas échéant, c'est
seulement sur la partie du territoire communal pour
lequel il est assermenté que le garde est chargé de cons...
(63) Sur la formule et la procédure V. DubarrJ op. cit. pages 15-16.
479
�.,
..
tater par procès verbal les infractions de police rurale
et municipale (64). Toutefois en se référant au serment,
la loi indique que les fonctions de police judiciaire du.
garde champêtre sont la sanction de ses fonctions de
police administrative.
~
b) L'article 108 c.a.c. se borne à rappeler que la
police des campagnes est spécialenlent placée sous la
surveillance des gardes champêtres nlais précise : le
garde chanlpêtre est chargé de dresser des procès verbaux pour constater les contraventions aux règlements
et arDêtés de police municîpale. Cette précision, conséquence de l'article 20 de la loi du 24 juillet 1867 (65),
est essentielle car elle limite la compétence du garde
champêtre à la constatation des contraventions de police municipale et la distingue ainsi de la compétence
qu'il détient pour constater les délits et contraventions
de police rurale. La compétence du garde champêtre,
agent de la police judiciaire, est générale en matière de
police rurale, linlitée en matière de police municipale.
~ \
L'article 22 du code de procédure pénale dispose :
Les gardes champêtres recherchent et constatent
par procès-verbaux les délits et contraventions qui portent atteinte aux propriétés forestières ou rurales ». De
cette disposition découlent les attributions de police j udiciaire que le garde champ8tre exerce pour assurer la
police des campagnes. S'agissant des délits et contraventions de police rurale la compétence du garde champetre est générale sous deux conditions.
En premier lieu, alors qu'il est sans qualité pour
constater les crimes portant atteinte aux propriétés rurales, le garde champêtre ne peut constater par procèsverb.aux que les délits et contraventions de police rurale
« ....
1
.' .,'
~
~
(64) A l'exception toutefois des cas où le ga:-de champêtre
exerce le droit de suite (article 23 c. 'Pr. pen. et C. 63) ou agit en
vertu d'une réquisition (article 25 co. pl'. pen.).
(65) cf. supra.
480
~, ~
�punis pàr la loi de peines correctionnelles ou de peines
de police (66).
En second lieu le garde ,c hampêtre institué pour
assurer les propriétés et conserver les récoltes ne peut
constater par procès verbaux que les délits et contraventions qui portent atteinte aux propriétés rurales ou forestières. La compétence du garde champêtre n'est genéraIe de ce fait, que dans la mesure où elle apparaît comme la sanction de ses fonctions de police administrative.
C'est la raison pour laquelle le nouveau code de procépénale (articles 15 et 22) classe le garde ,c hampêfre parlui « les fonctionnaires et agents chargés de certaines
fonctions de police judiciaire dans le cadre de leur spécialité professionnelle» (67). Cette spécialité professionnelle du garde champêtre est extrêmement étendue en
matière de police rurale .
. 1
"
Les infractions qui portent atteinte aux propriétés
rurales et que le garde champêtre peut constater sont
énoncées par de si nombreuses dispositions du code pénal, du code forestier, du code rural, de lois spéciales,
que l'article C. 62. pro pén. reconnaît qu' « il n'est
pas possible d'en donner une énumération (68). Dès
lors, même si les gardes champêtres «sont responsables»
des dommages, dans le cas ou ils négligeront de faire,
dans les vingt-quatre heures les rapports des délits» (69)
il est ,a isé de comprendre qu'ils peuvent hésiter à dresser
des procès verbaux et que dans bien des cas la bienveillance dont ils font preuve découle de leur incertitude,
sinon de leur ignorance totale, quant à l'étendue de leur
compétence et non pas de leur négligence. S'il peut arriver qu'une mémoire prodigieuse à défaut d'un répertoi-
(66) Depuis l'arrêt du Cons. d'Etat, 12 février 1960 (Société
Eky, 101 ; D. 1960, 5, 263 note J. L'Huillie':'. J. C. P. 1960 note G.
Vedel) les contraventions ont un c,aractère règleme.ntaire. Cf. également V. Levasseur : Une révolution en droit pénal : le nouveau
régime des contraventions D. 1959, Chrono 121.
(67) I. G. article C. 62 : « Les fonctionnaires des eaux et
forêts et gardes champêtres conservent cependant, dans le cadre
de leur spécialité professionnelle, des attributions de police judiciaire... »
(68) ibid, C. 62, 2.
(69) cf. l'article 7 (section VII, titre 1) de la loi du 28 septembre 1791 auquel renvoie expressément l'a,:,ticle 109-1 c.a.c.
481
31
�re,formulaire à jour, permette à quelque garde champêtre de constater les délits et contraventions de police
rurale ce remède serait bien insuffisant pour lui pel'(mettre de constater les contraventions de police municipale.
En effet, les fonctions de police judiciaire que le
g.arde champêtre doit exercer, afin que les arrêtés et
réglements de police municipale ne demeurent sans
effet (70) sont limitées, voire exceptionnelles, pour deux
raisons.
1
D'une part l'article 109 al. 4 c.a.c. (loi du 24 juillet
1867) permet au garde champêtre de constater par procès-verbaux les contraventions de police municipale il
l'exclusion des délits (71). Autrement dit, en vertu d'un
principe fondamental en la nlatière, le garde champêtre ne peut constater par procès-verbal que les actes répréhensibles constitutifs d'une infraction punie par les
lois, ou les règlements depuis 1958, d'une peine de police.
D'autre part, le garde chanlpêtre ne peut dresser
procès-verbal pour constater les faits constitutifs d'une
contravention que si ces faits contreviennent aux règlements et arrêts de police municipale. En rabsence d'un
réglement ou d'un arrêté de police municipale le garde
champêtre ne peut pas verbaliser pour constater un fait
'.1
(70) La loi de 1791 et le code pénal (art. 16) ne visant que les
délits et contraventions portant atteinte au.x propriétés forestières
et rurales la jurisprudence refusait de reconnaître aux gardes champêtres le d::-oit de constater les co.ntraventions de police municipale.
Casso Crim. 2 déc. 1848, Richard S. 1849, 1, 453 ; surtout 13 janvier
1865, Lacoste, D. p. 1865, 1, 454 : « Les gardes champêtres sont
inc.ompétents pour constater les infractions aux règlements sur la
police urbaine alors même que les dits règlements leur donneraient
mission de faire cette constatation ».
(71 II convient de noter que ce::-taines infractions ne sont pas,
par nature, soit des infractions de police rurale, soit des infractions de police municipale. Ainsi, pour un exemple d'actualité, le
fait pour des commerçants ou des agriculteurs d'embarrasser la
voie publique. Le garde champêtre a qualité pour constater cette
contravention, qu'elle ait lieu dans le bourg ou en pleine c8;mpagne.
En revancihe il est sans qualité pour constater l'embarras volontaire de la voie publique dans le bourg lorsque la loi le punit
de peines correctionnelles. Il ne peut constater 'c e délit que s'il
peut être qualifié de délit de police rurq,le,
482
�'"
.1
tJ.ui cepenrlalll est puni d ;ulle peine de poÜce pal' la loi.
En effet, les fonctions de police judiciai·r e que · le garde
champêtre est invité à exercer pour assurer l'observation des règlements et arrêtés de police municipale d·épendent de l'existence de ces règlements et arrêtés de
police municipale elles ne découlent pas d'une
compétence générale. Ainsi par exemple, au terme d'une jurisprudence ancienne (7.2)~ · la contravention de tapage nocturne ne peut donner lieu à procès verbal dressé p.ar le garde thampêtre que si un
arl'êté de police municipale prohibe également cette activité. De fa sorte, les contraventions de police municipale que le garde champêtre peut constater sont celles
que visent l'article 471, 15 du Code pénal (R. 26-15) .. Il
importe de souligner que les fonctions de police j udiciaire du garde champêtre en matière de police municip.a le sont à la mesure des arrêtés publiés par l'autorité
111unicipale compétente, maire ou préfet, qui en reproduisant des défenses déjà prévues par la loi (73) peut
les étendre à l'encontre parfois des dispositions législatives.
*
**
Il apparaît donc une fois encore que les fonctions
de police judiciaire exercées par le garde champêtre
sont la sanction du devoir que lui donne la loi de veiller
à l'observation des .a rrêtés de police Illunicipale « légalement faits» et peuvent à l'occasion faire naître quelque doute. Il apparaît aussi en même temps que les
fonctions de police judiciaire que le ga~de champêtre
est amené à exercer pour assurer l'exécution des arl'etés de police municipale dépendent étroitement du développement des arrêtés de police municipale dans la commune. Outre les hésitations légitimes que peut éprouver
le garde champêtre au moment de constater par procès
(72) 'Cass. Crim. 5 et 6 novembre 1868, Lefort (1er espèce),
Masson (2me espèce) D.P. 1868, 1 511 ; 1er mai 1868 Milloy.
D.P. 1868, 1, ~64 : « L'a':'ticle 20 de la loi du 24 juillet 1867 ne
s'aplique qu'aux seules contraventions aux arrêtés des maires et .
des préfets que réprime l'article 471, 15 c. pen. et laisse les gardes
champêtres sans qualité en ce qui concerne toutes autres contraventions urbaines prévues soit par ledit code, soit par des lois
spéciales » ) ; 13 décemb:e 1890 Meynard. D.P. 1891, 5") 432 ; 18
nov. 1911 Thousellier et Gailla::d, D.P. 1912, 5, 12.
(73) ou les règl,~ments, sup:a Ilote 66:
483
~.
;,
�vel bal Ulle contra venllon, 11 fauL LIeu l'ecollnalLre qUè
dans les communes rurales la règlelnentation de pohee,
déj à réduite le plus souvent à limiter l'activité de 'quelques garnements' p.articulièrenlellt frondeurs, est inap,.
pliquée (74).
.
Etant donné que les COlnnlunes rurales occupent la
Inajeure partie du territoire national sur laquelle vit la
lnoitié de la population française, la f 'rance demeure,
curieusement aujourd'hui, un Etat policé qui n'a pas de
police. De ce point de vue la question du garde chanlpêtre n 'est pas assurément une question mineure du droit
a dministrà tif.
L'institution est étroitell1ent liée à la notion d'ordre
public. Le garde champêtre est l'image vivante du con·
dit permanent où se trouvent l'autorité nécessaire à
l'établissement comme .au maintien de l'unité de l'ordre
public et la liberté indispensable à l'existence de l'autonomie communale. Pour ' cette raison la Hévolufion
créant puis rendant l'institution obligatoire" avait espéré
que le garde champêtre serait le point d'équilibre de
l'autorité et de la liberté, de l'autonomie et de l'ordre
public nécessaire. Ces espoirs ont été vains l'institution
s'avérant dès l'an X inefficace à assurer la police des
campagnes. Depuis 184~ (75) se succèdent les proj ets
de réforme constatant la faillite de l'institution. Aucun
cependant n'a eu de suite. Car s'il est aisé, sans qu'il
soit besoin de mettre en cause la droiture du garde
champêtre, de ,c omprendre d'où vient le mal, il est difficile d'y porter remède. Il est difficile de penser que
le garde champêtre puisse cesser d'être un agent conrmunal au moins aussi longtemps que les communes delneureront jalouses de leur liberté si difficilement reconquise au XIXe siècle. Or cette qualité interdit au garde
champêtre d'exercer les fonctions pour lesquelles il a
été institué.
Gérard FOUILLOUX.
Assistant à la Faoulté de Droit
et des Scie,nces Economiques,
d'Aix-en-Provence.
l
.1
1
• .1
•
1
(74) 40.000 gardes champêtres dressent bon an, mal an, de .6 à
8.000 procès-verbaux soit ;dans la meHleure hypothèse 1 procès·
verbal par garde champêtre tous les cinq ans.
(75) cf. H. Signorel, 9p. cit. pages 197 ; E. Arnaud, op. cit.
pages 113 sq.
484
..
-
-
�\
Liste des thèses soulenues devant la Facultô de Dl'Oit et. des Science... .
Economiques d'Aix-en-Provence au cours de ]'ann('e 1962.
CANDIDAT
M. GOULET
Jean-Marie
La conidit ion juridique de renfant adultérin en droit ital:en.
Mlle LoBIN
M. VADON
.Jean-Baptiste
Le problème de la Codification du Droit
anglaiS.
M. BERTRAND
Mlle DANECHI
Tadjzemar.
Le juge des
M. LEBRET
Mlle MOLLARD
Danielle
Ls recouvœment. des créances de l'Etat.
étrangères à lïmpôt et au domaine.
M. WEIL
M. SPITERI
{( L'égalité des époux dans le rég:me
matllmonial légal ».
M . DERRIDA
M. GÉRAUD
René
Le journal de Marseille de Ferréol Beau-
M. VIALA
M. Touscoz
Le principe d 'effect:vité
in terna tionaI.
- Pierre
Jean
..
enfant~,
en France.
regard 0789-1797).
dans
l'ordre
M. Dupuy
M. SLOAN
Jérôme
Observations sur le traitement accordé
aux success:ons Anglo-Amér~caine~, pa,!'
le Droit frança:s .
M. BoNASSIES
M . EL FALLOUJI
Les jeunes adultes délinquants (études
comparatives).
M. LEBRET
Le s tatut international des pipel'nes.
M.deLAPRADEl.LE
M. GAJAC Yves
La. Société centrafricaine de crédit contributicn au développement.
M. L....TIL
Mme S.wONNET
Claudette
Le nat:onalisme Panafricain.
Mythes et Idéolog:es.
M. FLORY
L 'hôpital de la charité de Marseille et
la répression de la mendicité et du
vagabondage 0641-1750)..
M. AUBENAS
"
.
PRESIDENT
SUJEIT
Ikbal
Mme OBERT
Irène
ETCHEPARE
Monique
�. ',
"
".'
"
€',
.. '
"
.
"
~
�J
Liste des thèses déposées devant la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques d'Aix-en-Provence au cours de l'année 1962.
SUjET
PRESIDENT
BOGGIO-PASQU A
Vincent
Le construct eur immobilier. Analyse de
sa condit:on juridique.
M. BERTRAND
PEYRACCHIA
Victor
Pal'ticipat:on des employeurs a. l'effort
de construct on.
M. BERTRAND
Développement économique et enseignement.
M. LATIL
Influence de la conjoncture économique
sur les politiques de g~tion des entre·
prises.
M. MARCY
Les renonciations à succession.
Doyen AUDINET
COURT de
PoNTMICHEL
Hervé
Les commlSslons de répartit 'on des
indemnitéfl de nat :onalisation des biens
français dans les pays de l'Est.
M. WEIL
Roy Maurice
Problèmes posés par l'Association des
pays africains au marché commun.
M. LATIL
GRISI René
Nature juridique et peresonnaLté morale
en rr.atière de copropriété et de société
de wIlSItruction.
M. BERTRAND
ROUBAUD P:erre
Le Droit à la jouissance et à l'attribution
préférencielle dans les Sociétés de
construction.
M. JAUFFRET
SrcARD Jean
Les problèmes de financement dans les
sociétés immobiCères de construction.
M. JAUFFRET
PI,UCHON
L'organisation politique du Gouvernemen!, français sous la, 4t RépubI:que.
Doyen 'BouLOuIS
SAlAS Maurice
Théories modernes de la répartition et
jncidence des impôts.
M. TABATONI
BOURRA
Marcel
La st! ucture du taux de l'intérêt.
M. TABATONI
ETIENNE
Br~mo
Les França :s d 'Algérie et la naissence
de l'Etat algérien.
M. FLORY
« Le Oonsortium de Pétrole en Iran
M. VIALA
CANDIDAT
Ft!MOUX
André
VERRANDO
Jean-Marie
Mlle CARLIN
Nicole
"
Pierre
AMŒALAI
Ohamseddine
..... ~_:
..."
)~ .
�,. ,
-,
ACHEVE D 'IMPRIMER
le 28 Février 1963
sur les Presses des
EDITIONS PROVENÇALES
16, rue Maréchal-Joffre
Aix-en-Provence
�
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/2/286/RES-50038_Annales-Droit_1964_N54.pdf
0eb8302c8cf9743d6bc85dfa6e7540c1
PDF Text
Text
ANNALES
DE LA
FACULTÉ DE DROIT
ET DES SCIENCES ÉCONOMIQ!IES
D'AIX -EN - PROVENCE
1964
N° 54
LA PENS:BE UNIVERSITAIRE
12 bis, Rue Nazareth, 12 bis
AIX-EN-PROVENCE
1964
�ANNALES
DE LA
FACULTÉ DE DROIT
ET DES SCIENCES ÉCONOMIQ!IES
D'AIX -EN - PROVENCE
N° 54
LA PENS:BE UNIVERSITAIRE
12 bis, Rue Nazareth, 12 bis
AIX-EN-PROVENCE
1964
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ANNALES
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LA
FACULTÉ DE DROIT
ET DES SCIENCES ÉCONOMIQ1!ES
DI AIX -EN - PROVENCE
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N° 54
LA PENSÉE UNIVERSITAIRE
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12 bis, Rue Nazareth, U bis
AIX-EN-PROVENCE
1964
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1
�SOMMAIRE
La ...ole d'appel
Colloque national de droit judiciaire.
journées des 22 et 23 février 1963. à Aix .. . p.
'-
,
,
Avant-Propos du doyen Jean Boulouis ........... ... .
Programme du Colloque....... .. .......... . ......... . ... .
Liste des participants ............. , .............. . ... ..... .
La Cow' vue de l'extérieur
(Rapport dll Président Magnan) ... . " ....... .... .
Le fait judiciaire de l'appel
(Rapport du. Président Courteaud) .. .... .. ........ . .
!ntervention sur le rapport du Président Courteaud .. .
La procédure d'appel de droit cOmmun
(Rapport de Mlle Y. Lobin) ................. .
Interventions sur le rapport de Mlle Lobin ...... . . .
L'appel provoqué et l'indivisibilité
(Rapport de Monsieur R. Perrot) ............ ..... .
L'intervention en appel
(Rapport de Monsieur F. Terré) ....... .......... .
Interventions sur les rapports
de Messieurs R. Perrot et F. Terré .... . ...... .. . .
Effet dévolutif et évocation
(Rapport de Monsieur P. Hébraud) .......... .... .
Interventions sur le rar,port
de Monsieur P. Hebraud .................. ......... .
L'action privée jointe à l'action publique en appel
(Rapport de Monsieur P. Ra)lnaud) .. ... ...... .
Interventions sur le rapport
de Monsieur P. Raynaud ..... .................... .
Le procès civil provenant des juridictions d'exception
(Rapport de Monsieur H. Roland) ...... .. ...... .
Interventions sur le rapport
de Monsieur H. Roland .......................... .. . .
Remerciements du Président A. Magnan ........... .
Conclusions générales du Colloque
(Rapport de $)Intbèse par Monsieur H. Solus) ...
5
7
11
p.
p.
p.
13
p.
17
p. 31
p. 50
p.
p.
53
78
p.
91
p. 113
p. 132
p. 141
p. 176
p. 179
p. 192
p. 197
p. 212
p. 217
p. 221
�La respoDsabillté civile du travailleur
eDv.ra l'employeur. les collègues
de travail et les tiers
Rapport national français par le professeur E. Bertra nd ... . ... . .... .. . .. . .. .. . .. p. 233
,
L'organisatloD judiciaire dans la République Fédérale d'AllemagDe
par Monsieur Klaus Düll, Rechtsrejerendar
p. 257
Les idées politiques
de Mercier de la Rivière
p:lr Monsieur Jean-Marie Cotteret
p.299
L'assistaDee juridique aux réfugiés
sur le plan lDteruatioDal
par Monsieur Jean-René Tollec .. . _. . . . . . . . . p. 347
Bibliographie
par Adrienne Honorat
p.395
�ETUDES
DE
DROIT
JUDICIAIRE
sous la direction des
INSTITUTS D'ETUDES JUDICIAIRES
TOME 1
Annaleo de la Faculté de Droit et deo Sclenceo Eoono.. l"""o
d'Aix - en - Provence
tA VOIE D'APPEL
COLLOQUE NATIONAL de DROIT JUDICIAIRE
Journées des 22 et 23 Février 1963
Aix-an -Provence
Ouvrage publié avec le concours
du Centre National de la Recherche Scientifique
Inotltut d'Etude. Judlclaireo
de la Faculté de Droit et cie. Science. Economique.
d'Aix· en - Provence
�Présidence :
Monsieur le Professeur SOLUS.
Présidents de séances :
",
Messieurs les Doyens BOULOUIS, VINCENT.
Messieurs les Professeurs SOLUS et LAGARDE,
Madame LAGARDE, Président du Tribunal des Conflits.
"ft.apporteurs :
Maître MAGNAN, Monsieur le Président COURTEAUD.
Mademoiselle LOBIN, Messieurs PERROT, TERRE,
HEBRAUD, RAYNAUD, ROLAND.
Le rapport général et les conclusions du Colloque ont
été présentés par Monsieur le Président SOLUS.
,.
�LA
VOIE
D'APPEL
AVANT-PROPOS
l
<
de M. Jean BOULOUIS
Doyen de la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques d'Aix-en-Provence
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"
.-c"
~
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•
-• ••
•
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•
�AVANT-PROPOS
'J-,
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.~
,
Les travaux dont le lecteur va prendre connaissance n'ont
assurément pas besoin d'être présentés. Leur qualité, l'autorité
de leurs auteurs suffisent pour les recommander à l'attention
et à l'intérêt des spécialistes. Mais ce n'est pas leur seule richesse
et ils comportent d'autres leçons.
La première, c'est le renouveau des études de procédure.
Que renouveau ne choque pas ceux qui depuis de longues années
ont consacré tout leur soin à cette science. Ils savent sa valeur
. formatrice et qu'elle assume d'une certaine manière tout le génie
du Droit. li n'en demeure pas moins que, réduite par les pro·
grammes officiels à la portion congrue, elle souffrait du même
mal dont se trouvaient frappées la plupart des professions judiciaires. De cette langueur, la voici qui se dégage et il ne fait
guère de doute que la création récente des instituts d'Etudes
Judiciaires, y ait été pour beaucoup. Conçus comme une contri·
bution de l'Université à la préparation aux carrières de la
Magistrature, ils ont très vite affirmé une vocation à la recherche
qui devait combler les espérances que spontanément praticiens,
maltres et étudiants avaient mises en eux. Ils ont permis aux
Facultés de retrouver vivante une tradition qu'elles avaient un
peu oubliée.
Mais - et c'est une seconde leçon - ces travaux n'ont
pas été le fruit d'un colloque ordinaire. Si le mot carrefour
n'était point tant galvaudé on s'en servirait pour décrire cette
rencontre studieuse d'hommes venant d'horizons aussi différents
que la pratique judiciaire et l'enseignement du Droit. Il y avait
quelques risques d'incompréhension, le dialogue pouvait ne pas
se lier, les positions demeurer éloignées ou même étrangères.
Le compte rendu des débats paralt démontrer que ces risques
ne se sont pas réalisés. L'expérience vaut donc d'être renouvelée
de ces confrontations entre membres de la famille juridique pour
que suivant le mot du poète nous nous eurichissions de nos
mutuelles différences. Celui à qui échet l'honneur d'écrire ces
quelques lignes et qui n'eut point de part à ces travaux se réjouit
de pouvoir dire d'où est venue l'initiative d'une semblable
9
�rencontre. Sans l'enthousiasme et le dévouement de M. le Président MAGNAN, sans le soutien matériel et moral de l'honorable
Compagnie qu'il dirige, ce Colloque n'aurait pas eu lieu.
Enfin, d'un point de vue plus général, il est encore un
enseignement que l'on ne saurait oublier. Les Congrès n'ont pas
toujours une très bonne réputation et parmi les meilleurs esprits
il en est pour s'alarmer du développement, de la multiplication
de ces colloques. Le résultat de celui-ci n'est pas seul à prouver
que la méthode est fructueuse. De plus en plus impraticable, la
recherche individuelle tend à ne plus progresser au rythme des
faits. Nous ne sommes pas encore acquis au travail collectif qui
n'est pas sans dangers. La pratique des colloques apparait comme
une excellente transition, peut-être même comme la solution
à laquelle il conviendrait de s'en tenir.
Qu'il soit permis de laisser au lecteur le soin de juger
en s'en remettant . à lui du remerciement que l'on doit à tous
ceux q!ri, avec le seul souci du progrès du Droit, ont contribué
à cet ouvrage.
Jean
BOULOUIS,
Doyen de /0 Faculti de Droit
et des Sciences Economiques
d'ilix-en-P,ofJenct!.
« Désolé de ne pouvoir assister au Colloque sur la Voie
« d'appel que vous organisez avec Président MAGNAN. Vous
« exprime mes excuses et regrets sincères. Je charge Professeur
« TERRE vous dire ainsi qu'aux personnalités qui vous entou« rent et qui participent à vos travaux, mes regrets et ma très
« vive sympathie. ,..
Jean
FOYER,
Garde des Sceaux .
•
10
�FACULTE DE DROIT ET DES SCIENCES ECONOMIQUES
D·AIX-EN-PROVENCE
COLLOQUE des 22 et 23 Février 1963
.. DE LA VOIE D'APPEL"
PROGRAMME
VENDREDI 22 FÉVRIER
_Séance de 9 h. 30 .. Présidence de M. Jean Bou/ouis, Doyen de
la Faculté de Droit et des Sciences Economiques d'Aixen·Provence.
1. -
L'IMPORTANCE n'UNE COUR n'ApPEL DEPUIS LES DÉCRETS
DE
1958
-
Exposé de fait: « La Cour vue de l'extérieur ». Rapport
d'ouverture fait par M'André Magnan, Président de la
Chambre Nationale des Avoués près les Cours d'Appel.
Exposé de droit : Rapport de M. Louis Courteaud,
Président de Chambre à la Cour d'Appel d'Aix-en-
-
Provence.
II.
L'ACTION CIVILE
-
Le procès civil de droit commun en appel, Rapport de
M'" Yvette Lobin, Professeur à la Faculté de Droit et
des Sciences Economiques d'Aix-en-Provence.
Séance de 14 h. 30 .. Présidence de M. Henry So/us, Professeur
à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Paris.
1. - L'indivisibilité active et passive; L'appel provoqué;
L'appel en garantie. Rapport de M. Roger Perrot,
Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Paris.
II. - L'intervention volontaire et l'intervention forcée . La
déclaration d'arrêt commun et exécutoire. Rapport de
M. François Terré, Professeur à la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques de Strasbourg.
Il
�Séance de 16 h. JO : Présidence de M. Vincent, Doyen de la
Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Lyon.
-
Effet dévolutif et évocation; la règle du double degré
de juridiction. Rapport de M. Hébraud, Professeur à
la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de
Toulouse.
SAMEDI 23 FÉVRIER
Séance du matin : Présidence de M. Lagarde, Professeur à la
Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Paris.
9 h. JO : L'action civile jointe à l'action publique. Rapport
de M. Pierre Raynaud, Professeur à la Faculté de
Droit et des Sciences Economiques de Paris.
10 h. 45 : Le procès civil provenant des juridictions d'exception. Rapport de M. Henri Roland, Professeur à la
Faculté de Droit et des Sciences Economiques de
Clermont-Ferrand.
Séance de l'après-midi : Présidence de MM' Lagarde, Président
du Tribunal des Conflits.
15 h. 00 : Discussion générale.
Rapport général du colloque par M. H. Solus, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques de Paris.
20 h. 00 : Dîner de clôture - Hôtel du Roy René.
Observation : A la fin de chacune des séances du matin
et de l'après-midi de chaque journée, la discussion sera ouverte.
Pour le bon ordre des discussions, les membres invités qui ont
l'intention d'intervenir après les rapports particuliers sont priés
de se faire connaltre, soit par correspondance, soit au plus tard
en cours de séance, par l'intermédiaire du Secrétariat.
Secrétariat du colloque : Institut d'Etudes Judiciaires,
M. Verdot, Maitre Assistant, Faculté de Droit.
�LISTE DES PARTICIPANTS
au COLLOQUE des 22 et 23 Février 1963
sur "LA VOIE D'APPEL"
MM. APPERT, Avoué près la Cour d'Appel de Paris.
AUBE, Avoué près la Cour d'Appel d'Aix.
le Doyen AUDINET, Professeur à la Faculté de Droit et
des Sciences Economiques d'Aix.
J. AUDINET, Professeur à la Faculté de Droit et des
Sciences Economiques d'Aix.
M'"'
ALDEBERT, Juge au Tribunal de Grande Instance de
Marseille.
MM. E. BERTRAND, Professeur à la Faculté de Droit et des
Sciences Economiques d'Aix, Directeur de l'I.E.J.
de BEZ, Avoué, Marseille.
BLANC Pierre, Avoué près la Cour d'Appel d'Aix.
BOISSONNET, Avoué près la Cour d'Appel d'Aix.
BOMMART, Avoué près la Cour d'Appel de Paris.
P. BONASSIES, Professeur à la Faculté de Droit et des
Sciences Economiques d'Aix.
BORIE, Avoué près la Cour d'Appel d'Aix.
BORYSEWICZ, Chargé de Cours à la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques de Nice.
BOULOUIS, Doyen de la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques d'Aix.
BOUQUIER, Président du Tribunal de Grande Instance
de Marseille.
BRAMEL, Avoué près la Cour d'Appel d'Agen.
BLANC Raymond, Avoué, Marseille.
CALEB, Procureur général près la Cour d' Appel d'Aix.
de CAMPOU·GRIMALDI, Bâtonnier de l'Ordre des Avocats à la Cour d'Aix.
CATALA, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques de Grenoble.
CHARRAS, Avoué près la Cour d'Appel de Montpellier.
CHENAIN, Avoué Tribunal de Paris.
COMPASIEU, Avoué près la Cour d'Appel d'Aix.
CORNU, Doyen de la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques de Poitiers.
COTTEREAU, Avoué près la Cour d'Appel d'Aix.
COURTEAUD, Président de Chambre à la Cour d'Appel
d'Aix.
COURTES, Avoué près la Cour d'Appel de Montpellier.
,.
DEBBASCH, Professeur à la Faculté de Droit et des
Sciences Economiques de Grenoble.
13
�.,
.j; •
•
DEVISMES, Président de Chambre à la Cour d'Appel
d'Aix.
DIJOL, Avoué près la Cour d'Appel de Montpellier.
DONNIER, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques de Montpellier.
DU COLOMBIER, Procureur de la République, Marseille.
DUNES, Rédacteur en Chef du Recueil Dalloz, Paris.
DURRY, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques de Lille.
DUSSOL, Avoué près la Cour d'Appel de Montpellier.
D'EVERLANGE, Avoué près la Cour d'Appel de Nimes.
ESTRANGIN, Avoué près la Cour d'Appel d'Aix.
FANET, Avoué près la Cour d'Appel de Paris.
FRET, Président de la Cbambre des Avoués près la Cour
d'Appel d'Aix.
GANOT, Avoué près la Cour d'Appel d'Angers.
GASSIN, MaItre Assistant à la Faculté de Droit et des
Sciences Economiques d'Aix.
GAULTIER, Avoué près la Cour d'Appel de Paris.
GIVERDON, Professeur à la Faculté de Droit et des
Sciences Economiques de Grenoble.
GRIMAUD, Avoué près la Cour d'Appel de Grenoble.
HEBRAUD, Professeur à la Faculté de Droit et des
Sciences Economiques de Toulouse.
HEURTE, Président du Tribunal Administratif, Marseille.
HOSTACHE, Conseiller Technique au Ministère de J'In·
formation.
JAUFFRET, Professeur à la Faculté de Droit et des Scien·
ces Economiques d'Aix.
JOLY, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques de Caen.
JOURDAN Marc, Avoué près la Cour d'Appel d'Aix.
KAYSER, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques d'Aix.
KElME, Avoué près la Cour d'Appel de Paris.
LACROIX, Président de la Chambre des Avoués de
,
-,
Grande Instance, Paris.
MU
.
,
LAGARDE, Président du Tribunal des Conflits, Paris.
MM. LAGARDE, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques de Paris.
LAGUERRE, Avoué près la Cour d'Appel d'Aix.
LAMBERT, Professeur à la Faculté de Droit et des
Sciences Economiques d'Aix.
LAMBOT, Avoué près la Cour d'Appel d'Aix . .
LATIL Ph., Avoué près la Cour d'Appel d'Aix.
LA VIGNE, Avoué près la Cour d'Appel d'Agen.
LEVEL, Chargé de Cours à la Faculté de Droit et des
Sciences Economiques de Lille.
LIMOUZINEAU, Premier Président de la Cour d'Appel
d'Aix.
14
�M'"
,
·
Y. LOBIN, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques d'Aix.
MM. A. MAGNAN, Président de la Chambre Nationale des
Avoués d'Appel.
MANSION, Avoué près la Cour d'Appel de Paris .
MARTELLY Claude, Avoué près la Cour d'Appel d'Aix.
MENETEAU, Avocat Général, Aix.
MINJAUD, Procureur de la République, Aix.
MOIGNARD, Avoué près la Cour d'Appel de Paris.
MOURAND, Avoué près la Cour d'Appel de Lyon.
NERSON, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques de Lyon.
NICHET, Avoué près la Cour d'Appel de Montpellier.
NICOT, Avoué, Marseille.
PARMENTIER, Avoué près la Cour d'Appel de Paris .
PATARIN, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques de Lille.
PAUL Serge, Avocat à la Cour d'Aix.
PALATAN, Avoué près la Cour d'Appel de Montpellier.
PALOT, Avoué près la Cour d'Appel de MontpelIier.
PERROT, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques de Paris.
PUNTOS, Avoué près la Cour d'Appel d'Aix.
RA YNAUD, Professeur à la Faculté de Droit et des
Sciences Economiques de Paris.
REDORTIER, Avoué près la Cour d'Appel d'Aix.
REGNIER, Avoué près la Cour d'Appel de Paris .
RENAUDIN, B5tonnier de l'Ordre des Avocats au Bar·
reau de Marseille.
RIVEL, Avoué près la Cour d'Appel de Bordeaux.
ROBINO, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques de Bordeaux.
ROLAND, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques de Clermont·Ferrand.
de SAINT-FERREOL, Avocat à la Cour d'Aix.
SOLUS, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques de Paris.
SOULAS. Président du Tribunal de Grande Instance d'Aix.
STARCK, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques de Lille.
TERRE, Professeur à la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques de Lille.
TOUTON, Avoué près la Cour d'Appel de Bordeaux.
TANDONNET, Avoué près la Cour d'Appel d'Agen.
VILLARET, Juge au Tribunal de Grande Instance d'Aix.
VINCENT, Doyen de la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques de Lyon.
VERDOT, Mattre Assistant à la Faculté de Droit et des
Sciences Economiques d'Aix.
15
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,
•
r
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�l
RAPPORT D'OUVERTURE
LA
COUR
vue de l'extérieur
par
André MAGNAN
Président de la Chambre Nalionak
des Avoués près 1er Cours d'Appel
1
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r
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•
"
,
"
�LA COUR
vue de l'extérieur
par André MAGNAN
Président de 18 Chambre N.tionale de$ Avoués près les Cours d'Appel
PRESIDENCE DE M. JEAN BOULOUIS
Puisque le redoutable privilège m'est donné, de prendre
la parole le premier, devant ce jury de Procédure le plus illustre
qe France, veuillez me permettre de vous exprimer, in limine
titis, Monsieur le Doyen, Madame et Messieurs les Présidents,
Mademoiselle et Messieurs les rapporteurs, la déférente gratitude
de ma profession pour la bienveillance avec laquelle vous avez
accueilli l'idée de ce colloque, et la générosité immédiate avec
laquelle vous avez accepté d'y participer en ajoutant à vos
charges déjà très lourdes ce supplément de travail.
Vous avez probablement compris qu'au-delà, et bien lJUdessus, des commodités de pratique, il pouvait être intéressant,
après les bouleversements économiques et sociaux sans précédent
de ces cinquante dernières années, de faire le point de la situation
judiciaire française sur un secteur bien précis :
A l'heure de la confrontation des Institutions Nationales en
l'Europe, il pouvait être utile de dire quelle est précisément la
fonction actuelle de la Cour d'appel dans la vie judiciaire
française.
Vous avez eu, peut-être aussi, le sentiment que pour remédier
aux imperfections comprises sous le nom vulgaire de « malaise
judiciaire » et même pour parer aux « crises de croissance » de
la procédure française, il y avait une autre méthode que celle
du « sabre d'abordage » redoutée par Monsieur le Garde des
Sceaux.
Celle d'une remise en ordre, plus efficace dans ses résultats
immédiats et plus féconde à tous points de vue, notamment par
sa valeur d'exemple.
Mandataires de nos clients, seule qualité en laquelle mes
confrères pourraient être appelés à témoigner au cours de ces
journées, c'est au nom des 90.000 justiciables français qui chaque
année s'adressent à la justice d'appel, que nous nous sommes
19
�tournés vers vous, Messieurs les professeurs, pour obtenir de
votre immense science et un peu de de votre cœur, les lumières
dont nous avons besoin pour aller de l'avant, et les solutions
constructives plus nécessaires que jamais dans un monde juridique morcelé et complexe à l'infini .
*••
j
.1
...~
l'ai à vous parler des Cours et de l'appel vus de l'extérieur.
Je ne vais pas essayer de vous proposer une définition qui
n'existe pas dans la loi, ni une thèse plus ou moins abstraite,
mais vous rappeler quelques notions de fait très simples, quelques éléments externes que vous connaissez bien, sur le cadre,
les magistrats, le rythme de travail de la Cour, pour que vous
voyez le cas échéant s'ils n'ont pas d'influence sur la vie judiciaire d'appel, et sur le caractère spécifique même de cette
procédure.
Nous penserons plus spécialement aux Cours de province,
bien qu'elles ne représentent que 4/5~ des litiges français, parce
que les traits caractéristiques y apparaissent plus clairement.
Vous voudrez bien excuser aussi les chiffres que je risque
d'être obligé de fournir, en songeant que nous sommes réunis
dans une Faculté de « Sciences &onomiques » et que les statistiques ont souvent été mises en avant par les réformateurs,
désireux de supprimer une institution ou de la transformer, ce
qui nous oblige à parler nous-mêmes une langue procbe.
1. - LE CADRE EXTERNE
Une Cour est d'abord une circonscription, un morceau
de France de 15.000 à 25.000 km2 en moyenne avec une
population de l'ordre de 1 à 3 millions d'habitants inégalement
répartis.
C'est un ensemble organique de grandes et de petites villes,
de « pays », riches et pauvres, plus ou moins agricoles et
industriels, variés de sol, de paysages et de mœurs.
Cette constatation matérielle n'est pas d'une importance
négligeable ici, car elle entraine des conséquences multiples et
détetrnine même une réaction psychologique chez le plaideur
d'appel qui suivra personnellement son procès beaucoup mieux
qu'autrefois, grace à des déplacements faciles et à l'usage du
courrier ou du téléphone, mais qui ne sera jamais présent pour
un acte à signer ou à déposer : le plaideur téléphonera pour un
pourvoi plutôt que de venir le signer lui-même.
Pour un faux incident civil il préférera donner une procuration notariée que d'être présent.
Ces impératifs géographiques expliquent peut-être aussi
pourquoi certaines dispositions concernant la procédure du pre-
'!o
�...
1
mier degré ne sont ni appliquées ni applicables devant la Cour,
celles supposant la présence personnelle des parties, les conciliations, le rôle du juge rapporteur difficilement transposable
sans changement en « conseiller rapporteur », la durée des
délais qui ne doivent pas être trop écrasés.
De même dans les affaires d'exception, apparaît bien illusoire l'obligation faite par l'article 12 du décret sur les baux
ruraux aux parties, de comparaître en personne, à l'exclusion
de toute représentation « sauf maladie ou excuse reconnue ».
Elles n'y sont jamais et pas davantage les mystérieux « membres
de la profession
»
dont parlent les lois sociales.
Autre constatation géographique, la Cour, la région c'est
un ensemble polyvalent et complet, aussi bien sur le plan économique que social, portant en lni à des degrés divers, toutes
les activités et toutes les situations dont vont naltre les procès,
de sorte que chaque Cour présente en elle le reflet complet
de la vie juridique de la France.
C'est vraiment une grande communauté de vie, le principal
de ces corps intermédiaires, à la rénovation desquels est liée
la pleine renaissance de notre pays, une base pour l'Europe
de demain.
Uoe Cour, une région, c'est presque toujours enfin un
passé, une tradition, un ensemble de comportements profonds,
qui auront pour le plaideur, à l'occasion de cette secousse
humaine qu'est le procès, les incidences dont le praticien et le
magistrat doivent tenir compte.
Veut-on un signe de cette allure particulière?
Le nombre de procès.
Quand je dois visiter les confrères d'une Cour, j'attache
un certain intérêt à un chiffre qui me donne par avance le style
de cette compagnie.
Il y a en moyenne en France un appel par 1.000 habitants
et par an, c'est simple et clair.
Or à Rennes, ce chiffre moyen ne sera pas atteint, et le
breton pacifique ne plaidera devant sa Cour qu'à 0,64 p. 1.000.
Le normand de Caen à 0,68 pour 1.000.
Celui de Rouen à 1 pour 1.000.
J
La région de Douai, encore moins processive, ne dépas-
sera pas 0,54 pour 1.000, c'est le chiffre le plus bas
de ce que nous proposons d'appeler le coefficient de
litige.
- Mais à Paris, ce coefficient bondit à 1,60 pour 1.000.
- A Dijon, il redescend à 0,71.
Des éléments complexes peuvent entrer en ligne de compte,
notamment le plus ou moins grand éloignement de Paris, mais
c'est là un fait.
La latirude a-t-elle une influence? Il ne le semble pas, à en
juger par Toulouse qui a exactement le coefficient 1 de Rouen,
'21
�tandis que Poitiers est à 0,64, comme Rennes; Montpellier à 1,25,
Nîmes 1,20 et Aix a eu le triste privilège en l'année 1960
de plaider en appel à 2,23 pour l.000 .
n suffirait que la rue de Rivoli veuille bien reconnaltre
l'existence de ces accroissements particuliers et qu'elle admette
la création de postes au moins momentanés pour éviter des
« embouteillages de rôles », inutiles et très préjudiciables au
renom de la Justice. Peut-être est-œ là la vraie cause du retard
allégué parfois contre la justice des Cours d'appel.
Il . - JUSTICE D'APPEL ET PRODUCTIVITÉ
Veuillez me pardonner le rapprochement de ces mots, mais
une institution, si élevée soit·elle, n'a aujourd'hui le droit de
cité que si elle est dans la ligne d'une certaine « productivité ».
,
,
. ,.
Obligé de voir les choses de l'extérieur, laissez-moi vous proposer
encore trois chiHres pour vous permettre de situer les causes
véritables de la cherté alléguée de la Justice ... Messieurs Rueff
et Armand ont posé avec une telle honnêteté intellectuelle le
problème de savoir si la justice ne serait pas un « empêchement
à la production maximale » que nous voudrions pouvoir vous
rassurer d'inquiétudes aussi légitimes.
Un simple regard sur les budgets de la justice italienne et
allemande nous donnerait immédiatement une première réponse :
l'italien étant double du nôtre, tandis que celui du Reich et des
Lands est plus de cinq fois supérieur.
Plus précisément pour toutes les Cours d'appel (personnel)
notre budget 1961 indique au chapitre 31-11 - article 5, une
dépense de 2 milliards et demi d'anciens francs, soit en gros
le coût d'une Caravelle ou d'un Boeing 707. Je dis bien une
seule Caravelle ou un seul Boeing.
D'ores et déjà, on peut affirmer qu'il n'y a pas de « gaspillage » dans le fonctionnement des 27 Cours d'appel métropolitaines.
Mais si l'on se reporte au budget des ressources on apprend
que sous couvert de droits d'enregistrement, les bureaux des
actes judiciaires encaisseraient pour ]a même période annuelle
une somme de 6 milliards de la même monnaie, couvrant à peu
près exactement les dépenses des Cours et Tribunaux de grande
instance réunis (6 milliards et demi).
La justice des Cours d'appel ne coûte donc pratiquement
rien au Trésor, au contraire de ce qui se passe pour les Ministères
dits de « Production » et les Régies industrielles.
Monsieur Rueff semb1e pouvoir être rassuré sans réserve.
n est vrai que c'est le justiciable qui devra payer, sous la
forme d'une « taxe à la valeur ajoutée » ou ... « enlevée », le
droit d'enregistrement dont le recouvrement est confié à des
« collecteurs d'impôts bénévoles » que sont les auxiliaires de
justice, par le moyen de rôles de frais .
,
�Pour mémoire, le prélèvement réalisé dans l'économie natio-
nale par les avoués d'appel eux-mêmes, tous les avoués d'appel,
au service de toutes les Cours de France et du Ministère des
Finances s'est élevé seulement pendant la même année à une
somme de 400 millions d'anciens francs (moins d'un demimilliard).
Qui dit mieux comme rendement économique? Surtout
dans un service où le meilleur ne se mesure pas avec des
chiffres.
III . - LA JURIDICTION D'APPEL
Vous enseignez chaque année ce qu'elle est, avec sa Première Présidence, son Parquet Général, ses secrétaires administratifs, son personnel et un matériel ultra-moderne.
Que puis-je vous signaler de l'extérieur ?
- Une Première Présidence qui prend de plus en plus
d'importance à cause de la surveillance du ressort, de la presIdence ou de la désignation des présidents de commissions administratives chaque année plus nombreuses.
Mais aussi du point de vue judiciaire, il semble que le
pouvoir juridictionnel propre du Premier Président tende à
s'accroltre du fait du développement des procédures sur requê- tes, saisies conservatoires... Appels à jour fixe, par exemple ...
- Le nombre de chambres ou sections, représentant les
unités juridictionnelles de la Cour, varie de 2 à 12 en province,
dans le premier cas, petites Cours, chaque chambre a
une compétence étendue et chaque magistrat est obligé
de se spécialiser davantage;
dans les Cours importantes, ce sont les chambres ellesmêmes qui se spécialisent de manière à répondre à
tous les cas.
Ajoutez dans chacune les services variés que doivent assurer
les conseillers : la présidence de diverses juridictions, celle
des Cours d'assises (ici 14 sessions annuelles) de la Cour des
pensions, des expropriations, des mineurs, tribunaux militaires.
La présidence ou la composition de commissions multiples
ou jurys d'examen.
Direction des stages des auditeurs de justice, et autres
services. Ce n'est là qu'un bien faible aperçu de la tâche des
magistrats qui assurent la marche des 144 chambres ou sections
de France_
Car ce sont bien les hommes qui font le mérite incomparable
des Cours d'appel, ces magistrats au sujet desquels, en ma
qualité de mandataire des plaideurs, j'ai le devoir de vous apporter
mon respectueux témoignage :
, '
Nous ne dirons jamais assez ce que le plaideur et les
auxiliaires doivent à ces hommes longuement fortnés par la vie,
par le travail, et choisis entre beaucoup, qui viennent couronner
23
�•
leur carrlere comme Présidents ou conseillers, avec une tâche
souvent beaucoup plus dure que celle assumée comme juges ou
Substituts dans leurs jeunes années.
Ils doivent tout savoir du dtoit, de chacune des disciplines
juridiques, être au courant des textes qui paraissent à la cadence
de 6 lois de base par jour, dans l'un quelconque des domaines
économiques ou sociaux. Ils ne doivent rien ignorer non plus
des décisions de la Cour de cassation ni des autres Cours de
France, afin de pouvoir « juger la décision » qui leur est
soumise dans une perspective nationale indiscutable.
Avec une lucidité toute spéciale, et c'est là le sommet de
sa technique, le magistrar de Cour peut parvenir ainsi à discerner
dans la décision o.u dans la situation complexe qui lui est
soumise ce qui tient et ce qui ne tient pas, à apprécier au milieu
d'une argumentation savante, ce qui correspond au vrai, et au
juste, ce qui est conforme au dtoit naturel qu'il porte au tréfond
de son cœur.
Il aura ensuite à rédiger sa décision : dominant le fait
et survolant le jugement du premier degré qu'il amendera presque
toujours, plus qu'il ne le réformera vraiment, pour arriver à cet
arrêt ciselé, sans bavure qui apaisera les parties définitivement
sans mériter en droit aucune censure de la Cour suprême, en
même temps qu'elle apportera un maillon de plus à ngtre
jurisprudence française imposante et créatrice de droit.
Nous en sommes là au trait psychologique le plus marqué
de tous ceux qui participent au travail de la Cour : la hantise
du définitif, le souci de perfection, le désir unanime que la
sentence à naître, soit conforme à la véritable justice et irréprochable dans la forme.
Tout le monde sait bien en effet qu'un arrêt mal jugé
serait comme une plaie mal asseptisée qui s'envenimerait et
déterminerait de nouveaux procès sans fin. De même un arrêt
mal rédigé ou comportant trop d'incidentes ou de réserves serait
difficile à exécuter et donnerait rapidement naissance à des
incidents de rectification ou d'interprétation incertains.
Le juge de première instance pressé par le nombre des causes
pourrait s'arrêter avec moins de dangers aux seuls points qui
lui paraissent décisifs avec la consolation ou l'excuse qu'au-dessus
il yale juge d'appel. Mais devant la Cour il n'y a ni excuse
ni échappatoire : il faut tout juger, sans penser à une cassation
problématique, et tout juger de façon parfaite et définitive.
C'est probablement ici qu'existe au plus haut point cette
obsession d'achèvement, d'apaisement social et en même temps
de perfection intellectuelle, de dépassement même de la loi.
IV. - LES AUXILIAIRES DE LA COUR
Je ne peux pas ne pas en parler, car tout récemment encore,
lors des tractations de Bruxelles, la Chancelletie elle·même s'est
24
�posée la question de savoir si elle ne devrait pas en vertu de
l'article 55 du Traité de Rome, qualifier les auxiliaires de
« participants occasionnels à la fonction publique ».
C'est d'ailleurs ici qu'il est le plus indispensable de distinguer
les deux secteurs d'auxiliaires :
Le Secteur CONTRAINT, celui des mandataires stables
résidents.
Le Secteur LIBRE de tous les avocats susceptibles de
venir plaider devant la Cour.
- LE SECTEUR LIBRE, c'est celui des « techniciens
du Droit », défenseurs venant souvent de très loin, plaidant
partout où il il y a des problèmes qui se posent et des causes
à défendre; aussi libres pour l'étude que pour la parole.
Autorisés à se spécialiser sur tel point de technique finan-
cière industrielle ou commerciale, ils viennent le présenter devant
n'importe quelle juridiction de France, avec le maximum de
"-
compétence technique et juridique, de densité.
N'est-<:e pas en grande part aux AVOCATS, à la liberté
universelle dont ils disposent, que les Cours de France doivent
d'avoir dégagé avec tant d'acuité et d'efficacité les formules
juridiques les plus modernes dans les domaines ou les progrès
économiques étaient les plus rapides et d'avoir fait rayonner
le droit français dans tous les pays civilisés.
HOMMES DE LA SYNTHÈSE, ils le sont au plus haut chef.
- LE SECTEUR CONTRAINT, c'est celui des bommes
d'ANALYSE, les avoués penchés pendant des mois sur un dossier
à mettre en état. Après avoir décelé les failles de la sentence
à attaquer, et avoir essayé de tous les arguments de droit possibles,
ils réalisent les appels en garantie nécessaires pour rattraper
une procédure mal engagée (c'est très fréquent au commerce).
Ils lancent les appels en intervention forcée qu'exigent les
situations nouvelles.
C'est là l'un des aspects de cette grande fonction nouvelle
des cours pour l'ACHÈVEMENT JURIDIQUE dont il va vous être
parlé.
Ils fignolent alors les conclusions susceptibles de résister
à l'examen à froid du délibéré d'appel.
Il ne restera plus qu'à amener, à la barre à jour fixé et à
heure probable, tous les avocats de la cause pour débat oral;
tâche la plus obscure, sinon la plus facile qui leur incombe,
d'alimenter l'audience.
Juristes, consultés, parfois même avant l'introduction de
l'instance qui viendra un jour devant la Coux, leur caractère le
plus spécifique, est certainement d'être PRÉSENTS, PERMANENTS
près de leur Cour à chaque instant de manière à pouvoir répondre
aux questions venues du siège ou de la salle du conseil ; ils
le sont aussi pour renseigner les plaideurs exigeants dont ils
·. .'
~
sont les MANDATAIRES tant au civil qu'au pénal et au social.
�Sans aucun des mandats écrits exigés en Allemagne, sans la
présence du client à ses côtés comme en Italie, pour lui faire
faire en le tenant par la main toutes les démarches nécessaires,
l'avoué d'appel &ançais, comme son homologue de Grande
Instance mais à un degré supérieur est avant tout CELUI QUI
EST PRÉSENT, celui qui « rend présent », celui qui représente
en toutes circonstances jusqu'à signifier exécuter, encaisser, former pourvoi sur simple coup de télépbone.
Il peut tout faire sous sa seule responsabilité personnelle,
ouvrant la voie à toutes les finesses et à toutes les accélérations
procédurales souhaitables avec une souplesse inconnue des autres
pays.
TI est par essence et suivant l'expression du regretté Gaston
Berger « le personnage permanent du drame ».
Comment se répartissent les deux professions sur le sol
de France?
- le maillage des mandataires d'appel est extrêmement
régulier. Un avoué à la Cour pour 150.000 babitants, en
moyenne; ce nombre était légèrement plus important avant
1850, mais par suite des codifications législatives et d'une
certaine paix sociale, la diminution des litiges obligea très vite
à des rachats d'études dans les régions agticoles; nécessité et
non malthusianisme.
A Toulouse, le nombre d'études tomba ainsi entre 1810
et 1850 de 1/3 et à Aix, il passa de 28 charges créées par l'Empire à 16; réduction faite sans heurt et sans que personne
ne S1en aperçoive.
La souplesse de l'organisation professionnelle devait permettre au contraire, à partir de 1930, de répondre à l'afflux
des litiges par une simple augmentation du personnel, et d'étaler
ainsi parfaitement, sans heurt non plus, après les proliférations
législatives de l'entre deux guerres .
Pour les avocats, hommes libres, qui suivent presque toutes
leurs affaires de la naissance jusqu'à l'arrêt, la répartition est
si fantaisiste que l'on ne peut pas parler de maillage : quelques
chiffres, dont je m'excuse encore peuvent vous donner une
idée de cette diversité apparemment contraire à toute construction judiciaire d'ensemble :
- Dans la Cour de Douai, il y a un avocat pour
14.200 habitants.
A Amiens, 1 avocat pour 23.300 habitants.
A Paris, le record de France, 1 avocat pour 2.830 habitant (soit 10 fois plus).
A Aix, 1 avocat pour 3.500 babitants.
A Dijon, 1 avocat pour 14.200 babitants.
Puisse cette distinction des professions ne pas laisser croire,
en tout cas, à une séparation ; en raison de leurs traits spécifiques peut-être justement à cause de leur complémentarité, les
deux ordres travaillent ensemble depuis un temps immémorial à
1
1
1
1
1
1
26
�une même tâche, dans un même esprit ; ils sont plus fortement
unis, d'une amitié, d'une confiance fraternelle, et même finan·
cièrement qu'ils ne pourraient l'être dans une association en
participation officialisée. Comme si la « confusion » des deux
éléments de l'antique Mesnage de la Justice en une seule petsonne, ne pouvait amener qu'appauvrissement.
V. - LA LÉGISLATION D'APPEL VUE DE L'EXTÉRIEUR
Comment les cours ont-elles réagi à la réforme de 1958 ?
Des voix infiniment autorisées ont dit, à l'occasion du
150" anniversaire du code de procédure civile, les mérites
incomparables de cette construction élevée sur les matériaux
des coutumes de France et sur les traits les plus profonds
de la psychologie humaine.
D'autres ont signalé, au contraire, la diversité des procé·
dures adventices accolées depuis 50 ans à ce bel édifice, comme
suite aux bouleversements économiques, par le moyen de lois
d'exception ou de circonstances, portant chacune ses dispositions
de procédure et au point de faire, en fin de compte de notre
appareil procédural, l'habit d'Arlequin que vous connaissez bien.
Mais ce que l'on n'a peut-être pas assez noté, c'est pendant
la première moitié de ce siècle, le réalisme social de cet ensemble
législatif « spontané » qui a permis à la France dans un bouillonnement sans précédent, de coller aux mouvements de la vie,
de répondre à tous les besoins, et clopin-clopant, d'assurer de
façon complète, le respect des droits, tout en maintenant une
paix suffisante et en permettant le prodigieux essor économique
de notre pays.
Le législateur de 1958, fortement inspiré par la personne
de Monsieur le Garde des Sceaux, a eu l'immense mérite de
poser le principe d'une mise en ordre procédurale pour faire
suite à cette époque héroïque, en décidant de dégager l'appel
de la conception fragmentaire de la révolution, qui conférait
compétence d'appel à chaque juridiction immédiatement audessus:
Il a porté l'appel de toutes décisions devant la même
juridiction.
Notion géniale qui donnait au second degré, un même juge,
une même loi, une même technique, un paramètre commun.
Le principe de mise en ordre étant posé, il devait et doit
encore porter très rapidement tous ses fruits : économie~ simplification, efficience.
•
•••
Cependant l'appareil procédural n'était pas adapté à cette
fonction nouvelle et il fallait faire concorder les textes à la
brûlante réalité des faits.
"
27
�La Cour n'avait pas le droit d'improviser tout à fait, et
il fallut sur place un travail considérable pour achever en peu
de temps la pensée incomplète du législateur.
Comment tous ces textes rédigés par différentes équipes,
travaillant à tous les étages de la place Vendôme, allaient-ils
immédiatement s'appliquer dans les faits ?
Des réunions eurent lieu entre Premier Président, Présidents
et praticiens de chaque Cour, un modus vivendi très précis fut
arrêté, en attendant les décrets d'application et les jurisprudences
qui ne seraient pas connues avant trois mois.
Dans plusieurs régions, ces réunions se traduisirent même
par la rédaction de plaquettes classant en tableaux les nouveaux
taux de compétence, et en règles simples les mécaniques de
procédure suivant les juridictions d'origine.
Une lettre du Premier Président approuvant le travail prenait enfin l'allure d'une véritable ordonnance de règlement.
Grace à une large diffusion de ces plaquettes, quelques
jours avant le 1" mats 1959, à tous les officiers ministériels
du ressort, aux avocats, aux huissiers, et aux contentieux,
il n'y eut pas d'improvisations ni trop d'accrochages.
,
...
•
Ce n'est qu'avec beaucoup de travail inconnu que la réforme
de 1958, malgré les plaies douloureuses et les plaques de désert
judiciaires qu'elle devait laisser, est passée sans encombre;
et c'est peut·être aux Cours que l'on doit la si rapide assimilation
de cette complexe législation : la mise en ordre portait son
premier fruit.
VI. - LA RÉPARTITION ACTUELLE
DES AFFAIRES D'APPEL
Peut-être n'est-il pas inurile en ce début de colloque de
vous fournir un aperçu de la « matière » que les Cours ont à
« traiter» dans l'année, suivant l'expression des industriels.
La nature des affaires déférées varie avec le temps et avec
la législation ou les modifications économiques et suivant les
lieux, mais partout, on retrouve la même impression de FOISONNEMENT, celle d'une variété immense.
On a parlé en effet de 42 délais ou particularités pour le
seul acte d'appel qui saisit le 2° degré (depuis deux mois, il y
a un 43 e cas) ; cette diversité n'est qu'une image très suggestive
de la vie d'une Cour, résumant en un seul lieu tout ce qu'il y
,
.
a de plus difficile et de plus grave de la vie judiciaire du ressort.
Mais il y a aussi 24 juridictions d'origine, ce qui est plus
lourd de conséquences, en raison de la diversité de procédure.
et d'esprit de ces 24 origines.
Je ne puis vous donner une répartition complète ni' exacte,
des affaires respectives. Voici cependant pour 1960, d'après
quelques sondages bien imparfaits pratiqués dans les différentes
Cours de province, et spécialement dans celle-ci, l'importance
respective des groupes principaux d'affaires de droit privé.
�-
Affaires civiles de personnes ou de biens,
provenant des Tribunaux de G . 1. ou
d'Instance ....... . .. . .. . . . .. .. ..... . . . environ 35 %
- Affaires commerciales . . . .. ... ......... . environ 8 %
- Accidents civils .. .. ..... . .... . ....... . environ 19 %
- Loyers, propriété commerciale . .......... . environ 12 %
- Accidents correctionnels (adultes et mineurs) environ 19 %
- Affaires sociales ... .. ............. . .. .. environ 7 %
Et bien, toutes ces affaires, malgré la diversité de leurs
24 origines possibles et des particularités de procédure qu'elles
vont apporter avec elles, seront toutes jugées avec le recul
nécessaire, l'optique et la technique particulières auxquelles nous
avons fait allusion, et la même préoccupation de perfection que
vous savez.
.'
J'en ai terminé de ce « tour de Cour " bien superficiel.
Veuillez pardonner ces considérations trop terre à terre et les
chiffres dont j'ai probablement abusé.
Mais ces impératifs pèsent si lourdement sur la vie de
l'appel qu'il était de mon devoir de vous en parler en ce début
de réunion.
li appartient maintenant à Monsieur le Président Courteaud
de vous dire du haut du siège, et avec toute son autorité de
grand juriste, son expérience personnelle sur le fait judiciaire
d'appel, d'en analyser l'extrême complexité .
...
CONCLUSION
Mais pour nous, pratiCiens, remplis d'une admiration défé·
rente, dépassant à la fois les craintes d'un déclin du droit et
les menaces de la cybernétique, les Cours méritent déjà à nos
yeux la qualification de RÉGULATRICES nu nROIT JUDICIAIRE
pour leur ressort, titre qui leur est donné chaque jour davantage,
spécialement à l'occasion des affaires qui viennent des trop
nombreuses juridictions d'exception.
L'accomplissement de cette mission ordinatrice assignée aux
Cours par le législateur de 58, ne sera complet que lorsque
l'INSTRUMENT PROCEDURAL aura été lui-même mis au
point et adapté à cette mission, si vous en décidez aInSI.
L'instrument procédural, c'est l'objet même qui a été
proposé pour cette réunion .
...
Vous savez bien, Messieurs les Professeurs, que nous ne
pouvons compter sur la loi journalière pour cette remise en
état de l'instrument procédural, puisqu'à ce jour, les textes
préparés dans les commissions de chacun des départements
29
�•
ministériels sont apportés définitifs, sortis complets du crâne
de Minerve, et procédure comprise, au contrôle de la direction
des affaires civiles.
Vous savez aussi le caractère trop fragmentaire de la
;urisprudence, incomplètement publiée, parfois rédigée en fait,
justement pour ne pas trancher en forme de principe le cas
individuel soumis, souvent contradictoire.
Il manque encore quelque chose à la jurisprudence pour
que la pratique puisse y trouver dans les conjonctures actuelles,
l'outil précis et silr dont eUe a besoin.
C'est d'une synthèse, c'est d'un effort de synthèse, dont la
procédure comme tout notre monde moderne ont besoin.
Vous êtes seuls, Messieurs les Professeurs, à pouvoir le
réaliser; c'est vraiment :
~
L'HEURE DE LA DOCTRINE »
A. MAGNAN .
•
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30
�II
RAPPORT
Aperçus sur
ilLE FAIT JUDICIAIRE DE L'APPEL"
par
Louis COURTEAUD
Docteur en Droit - Lau réat de Faculté
Président de Chambre à la Cour d'Appel
d'Aix-en-ProlJence
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�Aperçus sur
"LE FAIT JUDICIAIRE DE L'APPEL"
par Louis COUllTEAUD
Prétident de Ch.mbre à 1. Cour d'Appel
PRESIDENCE DE M. LE DOYEN JEAN BOULOUIS
1. - INTRODUCTION
En remarquable synthèse d'ouverture à vos études de
-mise en ordre de la procédure civile, depuis la réforme de
1958, Monsieur le Président national Magnan a campé devant
nous la Cour d'Appel 1963, son espace vital, son rythme de
productivité, l'idéal de justice d'achèvement qui doit animer ses
magistrats, assurés du concours patient et permanent de l'avoué
mandataire d'appel, préfaçant l'éclat de l'avocat à la barre.
J'en retiens SOD triptyque « simplification, économie, effi·
dence », seul susceptible d'éviter on ne sait quel « Mane, Thecd,
Pharès ». Lorsqu'il insista pour que je traite du « fait judiciaire
de l'appel », je revécus d'abord mon rôle captivant de Ministère
Public, assigné sous l'occupation, ès·qualité de « contradicteur
légitime » au demandeur voulant faire juger sa non-appartenance
à la religion juive, puis, à la Libération, en référé de mainlevée
d'un séquestre de presse. Mais que je suis loin, maintenant, de
mon rapport présenté, en 1953, au Congrès international de
Londres, sur « l'application des lois pénales dans le temps ,>
ou de mes anciennes fonctions de Directeur du stage des attachés
au Parquet d'une Cour d'Appel !
Depuis, mes débuts au siège me confrontèrent avec les
arcanes du « contrat avec soi-même » passé par un individu,
,
.
; .
copropriétaire avec sa uièce, tout à la fois d'un immeuble géré
par le mari de cette deruière, et du fonds de commerce exploité
en cet immeuble par le même neveu, ès·qualité de gérant de la
Société à responsabilité limitée locaraire.
N 'ai-je point eu tort, cependant, de céder, par passion, à la
confiante invite de votre organisateur, à notre époque où une
Cour d'appel a eu encore à faire application de l'abolition
des anciens droits féodaux ! tandis qu'une autre rejetait le
33
�contredit basé sur la prétendue immunité de juridiction d'un
ministre oriental menacé d'expulsion d'Wl immeuble de nos
<
Champs-Elysées !
Faute de temps, donc de moisson et de synthèse suffisantes,
je ressens le grand frisson que Lacordaire éprouvait à la pensée
qu'un homme en juge un autre. Vous voudrez bien m'excuser
de ne vous livrer sur « le fait judiciaire de l'appel » que
quelques observations, exemples et aspects, saillants ou suggestifs .
II. - CARACTÈRES GÉNÉRAUX
Au creuset de la Cour où nombre de décisions se pressent,
souvent rendues avec bon sens et correctement motivées, le fait
judiciaire d'appel peut être simple, ne méritant que son anecdote,
parfois de réformation. Fréquemment, . cependant, il diffère de
celui du premier degré, et se révèle complexe et évolutif, à notre
époque où le litige, même simple, intéresse souvent plus de deux
plaideurs, comme ces échanges triangulaires d'appartements, ou
à l'examen des contrats qui sont les chefs-d'œuvre des agents
d'affaires.
Cet aspect de complexité et d'évolution tient, d'abord· et
généralement, à la nature, à l'interférence, aux effets en chaine
de droits et intérêts, parfois encore en gestation, difficiles à
saisir à définir, à confronter.
Ces prérogatives sont plus âprement défendues que jamais,
non seulement par des particuliers, mais par quantité de groupeJ
ments, collectivités, organismes ou services, privés ou publics,
qui excellent à combiner les privilèges de leur statut avec nos
normes du droit privé, ce qui est un aspect nouveau du « tout
devient droit public ».
Ne voit-on pas surgir aux côtés de la fée Electricité de
France, et comme par dédoublement, la Caisse d'action sociale
d'un de ses centres de distribution!
A la faveur, par exemple, de l'universalité d'application de
l'article 1382 du Code civil, aussi fécond que la vie elle-même,
ce raz de marée atteint la Cour où parvient un véritable cortège
de plaideurs dont il est difficile, à l'occasion , de distinguer si
les intérêts sont opposés ou plus ou moins distincts ...
Toutefois quelques isolés demeurent au stade de la première
instance, que l'on a parfois oublié d'attraire devant la Cour où
leur absence préjudicie au fond, surtout quand se présentent
des cas d'indivisibilité.
.,
Mais, d'autres plaideurs, ni parties ni représentés- en première instance, y font irruption d'intervention libre ou contrainte,
à moins d'être assignés en déclaration d 1 arrêt commun .
Ainsi, dans une action en responsabilité intentée par un
locataire, contre sa propriétaire pour dommages causés par les
34
�travaux effectués dans l'appartement d'un colocataire, a-t-on vu
J.'auteur du trouble n'intervenir volontairement qu'au stade de
l'appel !
Certaines parties agissent en double qualité : il apparaît,
par exemple, que les premiers juges auraient dû mettre hors
de cause, en tant qu'elle agissait personnellement, ]a veuve ayant
renoncé à la succession de son mari reconnu responsable, celle-ci
ne devant y demeurer qu'ès-qualité de tutrice légale de ses
enfants mineurs ayant accepté la succession sous bénéfice
d'inventaire .
. Par ailleurs, cette qualité des parties change par/ois depuis
le premier degré: le mineur est devenu majeur, sans que l'on
s'en soit toujours aperçu, l'héritier doit reprendre l'instance,
l'administrateur au règlement judiciaire se présente comme syndic
après la conversion en faillite ... et J'en passe ...
Mais, surtout, indépendamment des moyens nouveaux: ~s
en œuvre devant la Cour, cette juridiction de contrôle ·et de
quasi-achèvement du fait judiciaire, va avoir à tenir compte,.: fort
souvent, à la fois des effets de droit des décisions antérieures
à celle entreprise, plus souvent encore des décisions surgies entre
·>
le jugement querellé et l'arrêt appréciateur, parfois même. de
Irmcidence d'autres litiges... Et la tierce-opposition de fleutir
plus qu'au temps de nos études!
Que dire aussi de la complexité du préjudice à apprécier
au travers d'expertises, qui évolue à tous égards et en tous ·sens
depuis la première instance, avec l'intervention de la femme
en blanc qu'est la Sécurité Sociale, machine infernale aussi
prompte à secourir qu'à récupérer, par de savants calculs, contre
le tiers responsahle.
Sous la banalité de cet énoncé, se terre, j'en fais foi. tout
le jeu de patience et la partie d'échecs du magistrat d'appel
prenant à hras le corps les questions les plus complexes et
devant tout peser avant d'y infliger le mat de ses solutions.
Si vous pensez que je poétise ce travail d'usine qui, faute
de personnel suffisant, ne peut plus être de qualité, sachez,
d'abord, que tout commence ainsi : souvent les deux premières
pages des cone/usions que chaque partie jette parfois, à l'heure
de l'audience, représentent de véritahles affiches où s'eljlpilent
les noms et qualités, parfois multiples ou complexes, d'appelants
principaux, intimés, appelant incidents, ou provoqués, dits encore
« éventuels », appelés en garantie, intervenants libres ou
forcés, etc.
Chacune de ces conclusions se poursuit, souvent en six
pages, du principal, au suhsidiaire, très subsidiaire, plus suhsidiaire encore, voire à l'éventuel pour aboutir de guerre lasse,
en queue de poisson, aux formules « pour le cas où », « qu'il
appartiendra » ou « à qui mieux compétera » !
35
�Cette complexité, c'est l'apanage, helas, non exclusif des
domaines toujours envahissants de la propriété et de la copropriété, surtout de la responsabilité civile, parfois des faillites.
J'en ai choisi quelques exemples relativement simples, mais
typiques à mon avis, pour vous faire vivre nos difficultés du
fait judiciaire de l'appel où se marient, par raison, procédure
et fond.
III. - DROIT DES PERSONNES
Le mari ayant interjeté appel d'une ordonnance de nOQconciliation en ce qui concerne la garde des enfants, 1. femme
prétend en faire appel incident pour solliciter de la Cour une
pension alimentaire pour elle-même, alors qu'elle s'était bornée
au premier degré à faire des réserves de ce chef.
Un appel de non-conciliation est limité au chef d'une
pension alimentaire.
Avant que la Cour ne statue, un jugement ordonnant
enquête au fond intervient et croit devoir « confirmer » (sic)
.cette mesure provisoire.
.!.. ...
f'.
10
Les parties se demandent ce que va pouvoir faire la Cour
et craignent que la portée de son arrêt soit limitée à la période
intermédiaire entre l'ordonnance de non-conciliation et le jugement non attaqué.
En jurisprudence et doctrine, cela ne paraît guère douteux.
EstoCe cependant normal pour le cas où aucun élément d'appréciation n'ayant changé entre l'ordonnance et le jugement, la
Cour, statuant en pleine connaissance de cause, et la dernière,
va augmenter ou diminuer la pension?
Sur la demande en séparation de corps du mari, une ordonnance de non-conciliation rendue par défaut, confie à ce dernier
la garde des enfants co=uns emmenés par la mère en Norvège
et institue des enquêtes sociales tant en ce pays qu'en France.
Le mari fait signifier l'ordonnance à Parquet, mais cette
signification ne parvient à sa femme qu'un mois après, et elle
en relève appel.
Le mari soutient l'irrecevabilité de l'appel en vertu de la
non-application de l'augmentation des délais en raison des
distances.
Mais, avant que la Cour ait à statuer, une nouvelle ordonnance d~ non-conciliation, intervenant sur demande principale
de la femme en divorce, surseoit à statuer sur la garde des
enfants jusqu'au résultat des enquêtes sociales et cette seconde
ordonnance devient définitive faute d'appel par le mari.
A supposer que la Cour admette l'appel recevâble contre
la première ordonnance, que peut-elle décider?
En application de l'article 302 du Code Civil, les grandsparents, déjà titulaires de certains droits et prérogatives en
matière de puissance paternelle, sont reçus à intervenir en
36
�appel, au seul intérêt de l'enfant. Si les deux branches sont
présentes, c'est parfois le « nœud de vipères ».
•
Le Ministère Public près la Cour peut aussi intervenir de
ce chef, mais non conclure à l'imposition d'une pension non
réclamée par l'attributaire de la garde.
Un arrêt de la Cour de Paris du 3 juillet 1961 illustre les
inconvénients de l'écartèlement entre le premier et le second
degré de juridiction; ainsi, sur une demande principale, un
jugement prononce le divorce aux torts d'un époux, tout en
l'autorisant, sur la demande reconventionnelle à faire valoir ses
propres griefs, par enquête, pour être ultérieurement statué.
Sur un appel principal, il est décidé qu'il sera statué sur
la demande principale après exécution de l'enquête ordonnée
en première instance sur la demande reconventionnelle.
Sur appel incident, tendant à faire déclarer le demandeur
reconventionnel forclos, faute d'avoir déclaré au greffe, dans
le délai imparti, le nom de ses témoins, la Cour juge qu'il s'agit
d'une « demande nouvelle }) et que les premiers juges doivent
demeurer saisis de l'instance.
IV. - OBLIGATIONS EN GÉNÉRAL
Dans le domaine des obligations, il arrive à la Cour d'avoir
à rappeler à un Tribunal de Grande Instance, qu'au vu des
critères classiques et précis du Planiol et Ripert, l'agent d'affaires, ayant reçu la promesse unilatérale d'un achat immobilier avec
mandat de le réaliser et charge de représenter le candidatacquéreur, peut, par le mécanisme de la stipulation pour autrui,
se substituer ce dernier dans le bénéfice d'une promesse unilatérale de vente consentie à lui ou à son ordre.
Les premiers juges qui avaient tronçonné l'opération en
trouvaient excuse partielle dans les agissements successifs des
parties et la position « fluide » tant du vendeur que du deus
ex machina.
L'espèce est plus complexe encore quand la concubine d'un
homme marié, traitant pour elle ou pour toute personne qu'elle
réserve de se substituer, a acquis un appartement en construction
et en a payé les divers acomptes sauf le solde acquitté par le
concubin, et que, par ailleurs, la société venderesse, assignée
en exécution, allègue la véracité d'une mention manuscrite surajoutée après coup au compromis et non approuvée, pour prétendre
que le concubin est le bénéficiaire réel de la vente.
La question était d'autant plus délicate que la Cour avait
déjà statué sur le paiement entre ces deux concubins d'une
reconnaissance de dette dont il était soutenu qu'elle était liée
au second procès. C'était à tort, car, en principe, il faut toujours
veiller à prendre ensemble les affaires arguées de la moindre
connexité.
37
�Mais le « troisième homme» ne tente pas toujours d'arbitrer
le duel judiciaire, il le provoque parfois. Ainsi agit le « promoteur » qui assigne, ès-qualité, la gérante, déjà révoquée, d'une
société civile immobilière, en remboursement d'avances, dont
une partie est même postérieure à cette révocation.
En première instance, l'administrateur provisoire de cette
société intervient ès-qualité, mais ne conclut pas au fond. Sur
appel de ce dernier, la Cour, vu la nullité de l'assignation délivrée
à la gérante révoquée, annule le jugement, réputé contradictoire,
de condamnation de la société, mais « en l'état de l'effet dévolutif de l'appel », renvoie les parties à plaider au fond.
La prétention du « promoteur» ne repose que sur d'incertaines écri tures de viremen ts apparemment à la discrétion de
la gérante révoquée, et sur l'aveu de cette dernière; mais elle
fait l'objet d'une information bloquant au pénal la comptabilité
sociale.
,
La Cour doit donc faire instruire complètement l'affaire en
désignant utilement à cette fin le même expert qu'au pénal.
A la faveur de cet exemple, nous signalerons le cas fréquent
où, à défaut de contradiction au premier degré, la prétention
,. ~. '
du demandeur y est automatiquement admise, sans contrôle
•
•
quelle que soit son ampleur .
Une telle attirude de la juridiction de base est inadmissible,
et ne saurait s'excuser ni par le caractère parfois dilatoire du
défaut du défendeur, ni par la considération que le procès civil,
à la différence du pénal, comporterait seulement obligation de
loyauté et non de vérité entière~ s'agissant de trancher seulement
entre les prétentions des parties.
Pour parer à une telle carence, la Cour, est contrainte
d'ordonner enquête, ou expertise, voire comparution personnelle
des parties.
II nous est arrivé de vérifier que cette dernière mesure
d'instruction avait donné un résultat fructueux dans une affaire
d'échange triangulaire d'appartements, comme dans une espèce
où, à la suite de plusieurs tonneaux effectués par un véhirule,
il avait été impossible de déterminer quel était le conducteur
au moment d'un accident, ce qui dirimait la question de savoir
s'il s'agissait ou Don d'un transport bénévole.
v. -
PROPRIÉTÉ ET COPROPRIÉTÉ
La propriété et la copropriété, comme les questions de
responsabilité civile qu'elles engendrent, sous toutes formes
de procédures, offrent aussi d'utiles enseignements .sur la com-
•
plexité du fait judiciaire en appel, le rôle de contrôle et d'achèvement de la Cour, la liaison fréquente entre le fond et la
procédure.
Un architecte} ne reconnaissant curieusement que sa respon-
sabilité limitée, est-il condamné à faire poser le surpresseur,
38
�·.
•
<
auquel il n'a point songé, pour alimenter en eau un « building»
juché sur une colline de Marseille, que le juge des référés,
revenant sans fait nouveau sur une précédente ordonnance (comme
il est trop coutume de le faire) croit devoir mettre hors de cause
l'entrepreneur) pourtant tenu par le marché de travaux, de livrer
des appartements habitables, alors que les multiples acquéreurs
de ceux-ci ont droit et intérêt à le rechercher, comme solvable,
en urgente exécution, sauf son recours éventuel contre l'architecte.
A l'excusable saison des vacances judiciaires, il est arrivé
que la juridiction des référés confonde son pouvoir d'urgence
au provisoire avec la faculté que lui donne un décret en date
du 4 décembre 1958, d'imposer au fond, à défaut d'accord
amiable entre les propriétaires intéressés, une servitude dite
de « cour commune ». Cette servitude peut exister lorsque
l'administration, faisant application des lois sur l'urbanisme,
subordonne, en ce qui concerne les distances qui doivent séparer
les constructions, la délivrance du permis de construire sur un
terrain, à la création, sur un terrain voisin, d'une servitude
non aedificandi ou non altius tol/endi.
Ne rappelant que de fort loin le modeste et sympathique
« tour d'échelle », cette servitude légale, à base de règles d'urbanisme, n'est pourtant que d'intérêt privé, ce qui dirima la mise
hors de cause, par la Cour, du Préfet.
Tel Ponce Pilate, il s'est borné à donner un accord préalable
conditionnel à la construction projetée, mais laisse le juge des
référés, puis la Cour. souverainement apprécier au fond.
n veut bien, cependant, founùr toutes indications utiles
d'urbanisme à l'expert devant donner avis sur la nécessité de la
création de la servitude et sa juste indemnité préalable de contrepartie.
Mais l'Administration, ses pompes et ses œuvres, jouent
parfois un rôle principal qu'il arrive au premier juge de mal
saisir :
Sur jugement d'un Tribunal paritaire de baux ruraux ayant
refusé le bénéfice du statut du fermage, au motif que le bien
loué, dépendant du domaine de la Marine Nationale, ne constituait pas une exploitation agricole à autonomie culturale, l'appelant faisait valoir que, depuis cette décision, était intervenue une
loi, d'application immédiate, soumettant, même en ce cas, audit
statut, les biens des collectivités publiques.
Or à la demande du Sous-Secrétaire d'Etat à la Marine, du
Préfet, et du Directeur des Domaines du Département, la Cour,
en application de l'article 171 du code de procédure civile,
admit d'office son incompétence d'ordre public à connaître du
contrat administratif comme comportant des prérogatives de
puissance publique, à base de défense nationale, insusceptibles
de figurer dans un contrat de droit privé ; cette exception n'avait
pas été entrevue au premier degré.
39
�Une autre fois , sur voie de contredit, la Cour, par réformation, reconnut la compétence judiciaire en l'espèce où une
société effectuant des travaux publics avait, pour les besoins de
son exploitation, mais en l'absence de toute procédure administrative régulière, passé un véritable contrat de dsoit privé, pour
occuper un terrain au mépris d'une servitude conventionnelle
qu'elle connaissait parfaitement.
TI arrive aussi qu'un jugement du Tribunal d'Instance tout
en ayant mis bors de cause le syndic d'un immeuble, n'hésite
pas à autoriser des propriétaires d'appartements à effectuer des
travaux sur des parties communes, au prétexte d'un engagement
du constructeur-vendeur, antérieur au règlement de copropriété.
Devant la Cour, où le syndic de l'inuneuble n'a point été
attrait, le constructeur-vendeur soutient que l'inexécution de
l'obligation de faire ne peut plus se résoudse qu'en dommagesintérêts, tout en discutant la portée et le quantum de réparation.
Une autre fois, c'est le syndic bénévole d'un inuneuble que
la Cour doit mettre hors de l'instance engagée par l'acquéreur
d'un appartement, à la fois contre ce syndic, contre le vendeur,
et contre deux copropriétaires, ayants cause du même vendeur,
lesquels au mépris du règlement de copropriété, ont détourné
des garages de leur destioation naturelle pour en faire des entrepôts d'artisanat.
En ce cas, et en dehors de la garantie alléguée du vendeur,
le demandeur aurait pu se contenter de poursuivre les deux
copropriétaires intéressés, et DOD le syndic, puisque le litige,
bien que né à l'occasion du règlement de copropriété, n'intéressait que le trouble personnel invoqué.
Mais le régime de la copropriété des inuneubles divisés
par appartements, dans lequel l'organisation syndicale laisse
subsister la propriété individuelle, peut apparaltre d'application
pratique délicate en ce qui concerne la consistance des parties
communes et les pouvoirs de conservation, d'administration,
d'organisation, de jouissance, que le syndicat possède sur elles.
Voici à quoi aboutit une erreur d'optique au départ de la
procédure.
Une dizaine d'héritiers, propriétaires d'un immeuble en
bord de mer, intentent contre quatre propriétaires d'appartements
à divers étages d'un immeuble contigu, une action en suppression
des parties de balcons empiétant sur leur propriété et d'ouvertures
situées à moins d'un mètre quatre-vingt-dix de la ligne divisoire.
En l'état de l'article 5 de la loi du 28 juin 1938 et du
règlement particulier de copropriété qui énumérait comme choses
communes les gros murs de façade et les ornements de celle-ci,
à l'exception des gardes-corps des balcons, leur action est déclarée
irrecevable par le Tribunal de Grande Instance, faute de mise
en cause du syndic.
TIs interjettent appel, mais sous réserve du résultat de cette
'.
,
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.
.'
voie de recours, intentent devant le tribunal nouvelle action à
mêmes fins, syndic corps présent.
En la mêlée des conclusions d'appel, toutes les parties autres
que les demandeurs appelants soutiennent au-delà de l'irrecevabilité prétendue de l'appel, l'irrecevabilité reconnue au premier
degré, en tout cas le débouté.
Comme en première instance, les propriétaires dJappartements) intimés principaux, appellent leur vendeur, qui a été
aussi le constructeur de l'immeuble, en garantie des condamnations qui pourraient être prononcées contre eux, comme aussi
en dommages-intérêts pour le préjudice qu'ils subiraient du fait
des suppressions demandées et de la dépréciation en résultant.
Ce constructeur-vendeur d'appartements appelle à son tour
en garantie la société venderesse du terrain J alors affecté d'une
obligation déterminée de construire, ainsi que deux de ses
administrateurs de l'époque.
II demande à être couvert de toute condamnation qui interviendrait et aussi des dommages et intérêts.
Ces administrateurs concluent au rejet de cet appel en
garantie.
La société prenant la même position, demande qu'il soit
constaté que la vente de terrain par elle faite au constructeurvendeur en 1953, a été réalisée en conformité tant de prescriptions administratives que de documents sociaux approuvés pat
les demandeurs eux-mêmes. Ceux-ci apporteurs du terrain à ladite
société, puis devenus associés maiori/aires à l'époque de cette
cession , seraient personnellement responsables de la situation ,
dont ils se plaignent, et devraient garantir ladite société de toutes
condamnations éventuelles.
Deux particuliers et une firme automobile, propriétaires de
locaux en l'immeuble litigieux, intervenus en première instance
et attraits devant la Cour demandent, tout en adoptant la même
position de défense que la société, qu'il leur soit donné acte
qu'ils sont les cessionnaires actuels de 900 actions de la société,
titres vendus par les demandeurs eux-mêmes en 1955, soit
postérieurement à la vente du terrain dont s'agit.
Les demandeurs appelants persistent à soutenis, outre la
recevabilité de leurs demandes, qu'ils n'ont jamais renoncé ni
expressément, ni tacitement, au préjudice du fonds dont ils sont
copropriétaires, aux servitudes de vues régies par les articles 678
et 679 du Code Civil; ils discutent la validité et la portée des
documents sociaux.
Ils font valoir que certains d'entre eux, étant mineurs à
l'époque, n'ont point participé à l'apport du terrain à la société,
laquelle n'avait acquis leurs parts qu'en suite d'un partage
judiciaire.
La société venderesse réplique que le cahier des charges
aurait alors visé tant les documents sociaux que des prescriptions
administratives sur la construction projetée. Trois heures de
41
�plaidoiries.. . On songe à l'histoire de la Genèse ...• la Cour est
au cœur de son opération chirurgicale ... Elle ne peut, à regret,
que confirmer l'irrecevabilité au lieu de staruer au fond.
Mais le « fait judiciaire de l'appel» revêt ses pleins caraco
tères en matière de responsabilité civile où il faut toujours trouver
un responsable, voire un garant, en fonction des préjudices
subis ou allégué..
Quelques espèces. des plus simples aux plus complexes. nous
auront vite édifiés.
V I. . RESPONSABILITÉ CIVILE
Au cas de blessure à l'œil survenue à la cliente d'un libre·
service par l'explosion d'une bouteille de « Vittel·Délices ». la
victime met en cause Don seulement
·.
...
,
,
1
la Société exploitante du
magasin, mais encore la Société des Eaux de Vittel, les deux.
sans distinction. sur la base tant de la responsabilité du fait
personnel et du fait des cboses. que sur l'obligation du vendeur
à garantir les vices cachés, alors qu'en réalité ladite cliente n'a
aucun lien contracruel avec la société des Eaux de Vittel. La
société exploitante du magasin forme elle-même une demande
en garantie contre la Société des Eaux de Vittel. Cette dernière.
condamnée en première instance, demande à la Cour que, pour
le cas où cette condamnation serait maintenue, l'arrêt à intervenir
soit déclaré commun à son fournisseur de verres} attrait par
intervention forcée en cause d'appel.
Or. toute cette procédure intervient alors qu'il est établi
que la bouteille dont s'agit paraissait anormalement chaude en
suite de son exposition sous des rampes lumineuses et, qu'en
tous cas, la société exploitante du magasin s'était hâtée de
faire disparaître les débris qui eussent très évenruellement permis
une expertise susceptible de déterminer des responsabilités
autres que la sienne!
Le préposé d'un entrepreneur loue. pour le compte de celui·
ci, à un garagiste, une voiture automobile, assurée, si le conducteur est titulaire du permis de conduire et agréé par ce garagiste.
Au cours du trajet, ce véhicule conduit par un second
préposé, auprès duquel le premier a pris place. effecrue un
dépassement en troisième position et entre en collision avec une
autre voiture.
Ce second préposé conducteur est rué.
Dans le second véhicule. un passager bénévole est rué.
la femme du conducteur blessée.
Dans chacune des actions intentées distinctement par les
ayants droit de ces deux dernières victimes. et plaidées le même
jour tant en première instance qu'en appel, la trame est la
même:
Après multiples mises en cause et recours en garantie, les
deux héritiers du second préposé, auteur de l'accident. sont
42
�condamnés par un jugement de grande instance à des dommagesintérêts, in solidum avec l'entrepreneur que doivent garantir
Don seulement l'assureur du garagiste, mais le premier préposé,
curieusement retenu gardien du véhicule tamponneur.
L'intervention du Fonds de Garantie Automobile, qui joue
à l'intouchable, est rejetée. Ces 8 plaideurs, tant par appels
principaux qu'incidents et provoqués, vont venir devant la Cour
où la Caisse de Sécurité Sociale interviendra pour la première
fois afin de réclamer le remboursement des prestations versées
à la victime.
Mais avant que la Cour ne puisse, trancher notamment des
responsabilités encourues, de la qualité non cumulative de
commettant et de gardien, des recours en garantie, et de l'application du contrat d'assurance, elle a eu à répondre à l'exception
d'irrecevabilité soulevée par les héritiers du second préposé,
lesquels, depuis le jugement entrepris, avaient renoncé à la
succession de leur auteur, l'un d'eux prétendant, au surplus,
avoir été assigné irrégulièrement alors qu'il était mineur.
Le camion d'un entrepreneur entre en collision avec un
..
,
-,
car des établissements de la Marine transportant son personnel
à son lieu de travail et dont de nombreux occupants sont tués
ou blessés.
En l'état des relaxes au pénal des conducteurs des deux
véhicules, les 7 ayants droit, des victimes assignent l'entrepreneur
et son assureur sur la base de l'article 13 84, alinéa 1", du Code
civil, et de l'article 68 de la loi du 30 octobre 1956, en complé-
ment du préjudice indemnisé par la législation sur les accidents
du travail.
La Marine Nationale, intervenante dès la première instance,
cumule alors les qualités de transporteur, d'employeur et de
Caisse de Sécurité Sociale, qualités dirimant respectivement, mais
non sans interférences, le principe de la responsabilité, la réparation à concurrence de moitié, le remboursement des prestations
de Sécurité Sociale.
Mais interviennent également, en remboursement de pres ta·
tions versées et à verser, la Caisse des Dépôts et Consignations
représentant le fonds spécial des retraites des ouvriers des établissements de l'Etat et une Caisse primaire de Sécurité sociale.
La satisfaction d'une analyse juridique approfondie de la
mesure d'un tel droit à réparation est alors singulièrement mitigée
par le calcul compliqué de chacun de ses éléments pour chacune
des parties en cause.
VII. - PRÉJUDICES - RECOURS
Au temps limité qui m'est imparti, il m'est impossible de
vous traiter de la complexité et de l'évolution du préiudice
qui, depuis la décision du premier degré, s'aggrave, s'atténue,
disparaît, ou a pu être réparé par la victime, et puis aussi, se
43
,
�décompose parfois essentiellement en incapacités temporaires ou
permanentes, donnant lieu à des rentes révisables, elles-mêmes
soumises à des majorations légales.
La Sécurité Sociale intervient le plus souvent, parfois à
la Cour pour la première fois, en remboursement de ses prestations et des rentes, subrogée aux droits de la victime qui ne
touchera plus, le cas échéant, qu'un solde représentant le préjudice non ainsi réparé.
Une difficulté majeure a été de savoir si le tiers responsable
tenu de rembourser les arrérages échus d'une telle rente, était
en droit d'en demander l'imputation sur l'indemnité globale, au
même titre que le capital représentatif des arrérages à échoir.
Ceci, bien que logique en apparence, se heurtait à la difficulté
technique de mettre sur le même plan arrérages et capital,
contrairement aux principes mêmes de toute capitalisation.
En vous renvoyant sur ce point à l'excellente note du Dalloz
1960, page 757, et aux tableaux de jurisprudence de la Cour
de Cassation, dressés en chronique au même bréviaire, je vous
laisse à imaginer nos délibérés d'actuaires.
Parfois, ce recours contre le tiers responsable est exercé
par un service public, tel le service national de l'Electricité de
France, à roccasion d'accidents de droit commun, ou du travail
dont a été victime son agent, qu'il fait bénéficier, tant de la
Sécurité Sociale que d'un statut privilégié.
·
,
En suite de deux arrêts de l'Assemblée Plénière de la
Cour de Cassation en date du 30 juin 1960 et de la haute
jurisprudence postérieure, ce recours paraît revêtir deux aspects :
1 0 L'Electricité de France est fondée à demander au tiers
responsable, dans la limite du montant du préjudice subi par
la victime et mis à la charge de ce tiers, le remboursement des
prestations judiciairement reconnues présenter un caractère
indemnitaire.
En ce cas l'Electricité de France agit, tant en application
de l'action subrogatoire, réservée par l'article 470 du Code de
la Sécurité Sociale pour les prestations du régime général,
qu'encore, par application de l'article 1382 du Code Civil pour
les prestations statutaires.
2 0 De plus, sur la base de ce seul dernier texte, l'Electricité
de France peut obtenir la réparation du pré;udice subi par ellemême, à la condition de rapporter la preuve d'une relation de
cause à effet entre le dommage et la faute du tiers responsable.
A cet effet, la Cour est amenée à contrôler, après les
premiers juges, la nature et l' ob;et de chacune des çharges
sociales que l'Electricité de France doit verser du fait de
l'accident.
Le catalogue en va de la Caisse des retraites à base mutualiste à la colonie de vacances sans aucun lien avec l'accident, en
fonction du caractère atomique de l'article 1382 du Code Civil.
�Petit à petit, cependant se refait jour, ce que nous avions
médité, à savoir que partie de ces charges bénéficient en dernière
analyse à la victime. Et la chambre sociale, pourtant légitimement hardie, apporte peu à peu le hola de ce bon sens dans
cette éternelle question de la relation de cause à effet.
VIII. - TRIBUNAUX DE COMMERCE
Au stade d'appel, la complexité et l'évolution des problèmes
posés, la multiplicité des patries, apparaissent aussi dans le
domaine de la faillite et du règlement judiciaire.
Là sévit, parfois, la jurisprudence prétorienne, à base
4C J1imperium )t des tribunaux de commerce.
Sauf exceptions, ceux-ci apprécient bien au fond, mais face
à des cas délicats ou compliqués, hateelés par des impératifs de
sauvegarde des droits des créanciers et d'immédiates exigences
économiques, agissant dloffice} par voie de requête ou sur ordonnance, ils ne se soucient pas toujours des formes de procédure,
liées au fond le cas échéant, ni de motiver correctement leurs
décisions. En chaque espèce, la Cour doit saisir la situation patriculière, ses impératifs, éventuellement la maturité de l'affaire,
pour vérifier, redresser si nécessaire, confirmer ou réformer, au
besoin par l'effet dévolutif de l'appel ou par voie d'évocation.
En voici quelques exemples :
Un commerçant et son gendre constituent une société à
responsabilité limitée qui vient à être déclarée en faillite, le
passif ayant atteint, en moins de deux ans, un volume cinq fois
supérieur au capital social.
La démission du premier comme gérant statutaire n'a point
été régulièrement publiée et son gendre lui a succédé en cette
fonction.
Tous les deux assignés en déclaration de faillite commune
avec la société et subsidiairement en contribution au passif de
celle-ci, s'entendent condamner chacun à supporter 10 % de ce
passif, une expertise étant ordonnée par le tribunal de commerce
pour rechercher si leurs agissements respectifs ne mériteraient
pas contribution supérieure voire mise en faillite commune avec
la société. Le gérant statutaire fait seul appel principal ; son
gendre, intimé et codéfendeur en première instance, relève appel
incident dont le syndic conteste la recevahilité, faute d'indivisibilité au surplus.
Au fond, les deux gérants successifs disputent de leur
responsabilité respective, spécialement de la période de constitution du passif, alors que le compte du premier exercice social
aurait été reporté à la fin de l'année suivante, au cours de ~
laquelle le gérant statutaire a démissionné.
Mais ni eux, ni le syndic ne fournissent aucune précision.
Les parties, et la Cour, se demandent si, malgré les termes
de son dispositif, le Tribunal de Commerce a bien entendu pro45
•
�noncer une condamnation définitive, ou seulement, comme
certains de ses motUs paraissent ·le -laisser entendre, une conddm-nation provisionnelle. et, en cette dernière hypothèse, s'il avait
bien le pouvoir de le faire, comme les éléments pour le décider,
même au 'souci d'appréhender d'urgence, par l'exécution provisoire, les biens desdits gérants.
Dans un autre cas, la gérante d'une société à responsabilité
limitée exploite à son nom le fonds de commerce de la dite
société, dont elle possède 860 parts sur 1.000 ; sans êue personnellement -inscrite au registre du commerce et en laissant par-
faitement ignorer aux tiers l'existence de cette société, elle reçoit
et règle, à son nom, les factures commerciales, accepte des traites,
contracte de lourds emprunts au prétexte des besoins du fonds
de commerce qu'elle affirme alors être sa propriété.
Sur accumulation de protêts, cette commerçante de fait est
déclarée en faillite à la requête de créanciers qui ignorent l'existence de la société; mais avant le prononcé de cette faillite,
la Société vend librement son fonds au prix de 6 millions
d'anciens francs et les oppositions sur ce prix de vente, s'élèveht
à 40 millions d'anciens francs! La plus grande partie de ces
oppositions est afférente à des dettes commerciales du fonds.
A l'inverse de ce que prévoit l'article 446 du code de
•
commerce, la juridiction consulaire, d'office, et, par un seul
jugement, déclare, la faillite personnelle de cette commerçante
commune à la société.
li est soutenu que les premiers juges auraient dû prononcer
1. faillite de cette société puis l'étendre ensuite à sa gérante,
déjà en faillite personnelle.
Une importante société anonyme de construction, est judiciairement pourvue de deux administrateurs provisoires qui, ~ur
expertise, déposent le bilan pour la faire admettre au bénéfice
du règlement iudiciaire avec un uès lourd passif.
Son Président Directeur Général, qui a fait absorber par
elle une partie du passif, de sa propre enueprise antérieure,
s'y comporte en maître, bénéficiant d'une très grosse majorité
des actions, de la carence du Conseil d'Administration, d'un
compte courant qui s'avérera finalement débiteur d'environ
50 millions d'anciens francs, est lui-même déclaré en règlement
iudiciaire.
Un premier jugement admet la commune exécution entre
le règlement judiciaire de la société et celui de son Président
Directeur Général.
Sur tierce-opposition d'un actionnaire, Administrateur de
,
,
;
ladite société, le Tribunal de Commerce revient sur sa .décision
première et décide la séparation des deux règlements judiciaires,
le Président Directeur Général de la société étant cependant
condamné à payer le passif social. Sur son appel, ce Président
Directeur Général, qui a acquiescé à sa mise en règlement
46
�judiciaire, mais ct1nque la sépatation des deux ·règlement> judiciaires, comparaît devant
la Cour.
L'Administrateur au règlement judiciaire de la Société,
intimé, en cette seule qualité, est aussi administrateur au règlement judiciaire de · ce· Président Directeur Général. Les · deux
administrateurs provisoires de celle-ci, trois membres du Conseil
d.'Administration, et un créancier contrôleur au règlement judiciaire, intervenus dès la première instance, sont également.;attraits
à la Cour.
Vient parallèlement devant la Cour, l'appel par le même
Président Directeur Général, d'un jugement, postérieur au précédent, qui admet la dissolution anticipée de la Société, . déjà
en règlement judiciaire, et nomme les Administrateurs provisoires comme liquidateurs.
Les patties à cette seconde instance, dont l'interférence avec
la précédente est certaine, bien que délicate à apprécier, sont
plus nombreuses. Si le contrôleur au règlement judiciaire n'y
est pas présent, par contre se joignent aux précédents acteurs,
,
un très important créancier social, trois autres administrateurs
•
de la société, dont un demande réserve de ses droits, et quatre
actionnaires ... en tout 15 plaideurs devant la Cour!
_ La Cour, statuant par arrêts distincts, admit d'abord la
sépatation des deux règlements judiciaires. Devant le fait accompli d'un concordat voté, mais non homologué, la Cour ordonna,
à compter de cette homologation, la dissolution de la Société
pour justes motifs et sa liquidation pat des administrateurs judiciaires seuls capables d'assurer l'exécution éventuelle d'un tel
concordat comme la régularisation de toute la situation . immobilière. En ses motifs, elle suggéra la nomination d'un Commissaire au concordat ... En son dispositif, elle tint à « constater »
que les actions éventuelles en responsabilité contre les membres
du Conseil d'Administration, faisaient pattie de l'actif à réaliser
par les liquidateurs. Telle fut sa tâche d'achèvement du fait
judiciaire d'appel.
IX. - CONCLUSION
Après cette ébauche, forcément étriquée, ayant dû élaguer
le pénal, les décisions prud'homales et tant d'autres branches
du plus vif intérêt, vos rapports techniques vont proposer des
solutions claires, peut-être des formules lapidaires, quoique
nuancées, qui sont le secret de la Cour de cassation.
A notre stade de finition du débroussaillement du fait judiciaire, avant contrôle possible de la Cour de cassation, s'accuse
la nécessité d'une unification et d'une normalisation des délais
de leur point de départ, des formes et garanties.
Dans les mêmes sens et cadres, force est bien d'observer
que si les procédures des ;uridictions d'exception du 1" degré,
peuvent, sous réserve de retouches, conserver leurs physiono-
47
�mies particulières, répondant à des impératifs de base (urgence
à payer des salaires, à vendre des marchandises en dépérissement,
à faite repartir des chantiers de construction), il est nécessaire
qu'à leur acâs à la Cour, elles soient soumises aux règles essentielles du droit commun, compatible cvec des procédures à
simplifier encore) au coût à réduire.
Car il est inadmissible par exemple que sur appel d'un
rejet de conversion d'un règlement judiciaire en faillite, alors
qu'une société n'existe plus que sur le papier, un Administrateur
judiciaire, sous prétexte de l'absence de tous deniers, demeure
en « sleeping-partner » aux mêmes conclusions d'intimé que
!
,
'
," .
la Société qu'il assiste, et sans fournir la moindre pièce; il
s'est borné à écrire au créancier poursuivant qu'il préférait que
ce soit lui qui demande la conversion !
C'est là un typique exemple du lien entre la règle de
fond, la procédure et.. . le silence coupable.
Enfin, en l'état de complexité et d'évolution du fait
judiciaire, et du rôle ainsi pleinement régulateur de la Cour,
il paraît indispensable que cette dernière juridiction du fond,
se voit reconnaltre tant par le législateur, que par la Doctrine
et la Jurisprudence (dont tendance timide et non sans revirement
se dessine à cet effet), des pouvoirs plus souples et plus étendus,
fût-ce au mépris de la règle du double degré de jutidiction,
par un plein jeu, sans entrave, tant de l'intervention, que de
l'évocation et de l'effet dévolutif de l'appel.
•
Pourquoi, alors qu'une enquête sociale ou une expertise
•
'-,-
-
<
a été exécutée en application de la décision frappée d'appel, la
Cour, sauf réformation permettant l'évocation d'une affaire en
état, doit-eIle se placer pour statuer à la date de la décision
entreprise, alors que, journellement, elle réévalue des préjudices
à la date de ses arrêts ?
N'y a-t-il pas lieu d'abandonner cette portée « peau de
chagrin » et de concevoir plus vaste?
Sans trahir les traits du procès civil, ni son cadre, ne serait-il
point temps, à notre époque d'échelle humaine ou spatiale, de
reconnaltre à la Cour une plénitude de juridiction? Cela ne
redonnerait-il pas substance et vie à l'autorité de chose jugée,
trop souvent réduite à l'état de squelette?
Voyez-vous, jeune magistrat, j'ai fait mes délices de ces
décisions tant civiles que pénales appliquant expressément et
avec bonheur le principe que « nul ne peut se faire justice
lui-même », puis j'ai goûté les si pénétrantes directives de
l'interprétation des conventions. Mais depuis, des tra; aux parajudiciaires de compulsation continue de jurisprudence et de doctrine} m'ont assuré que technique et pratique y t rouvaient
encore bien trop peu de place.
48
�Or, vos suggestions les plus autorisées, si séduisantes soientelles, ne pourront être reçues qu'à la mesure de multiples
contingences pratiques tenant à l'Organisation Judiciaire, parfois
au fond du débat ou à la vie.
Le résultat de votre démarche d'adaptation de la procédure
civile à l'accélération de l'histoire maintiendra sa fonction de
garantie sociale et le peu de « perdurable » que compte encore
notre Droit privé, mis en œuvre par elle, et qui a son prix.
Seul, cependant, le retour par chaque praticien au devoir
du travail de qualité attestera l'efficacité de votre œuvre.
L. COURTEAUD.
>
,.
.
49
�•
INTERVENTION
.ur 1. rapport de M. le President COURTEAUD
MAITRE ANDRE MAGNAN
'.
Messieurs les Professeurs ont certainement été surpris des
su;ets proposés et du rapprochement de notions aussi différentes
;uridiquement que l'intervention, l'effet dévolutif et l'évocation.
Ces notions apparaissent au praticien d'appel comme les
INSTRUMENTS, les difficiles instruments, qu'il aura à sa disposition
pour essayer de cerner la réalité ;udiciaire devant la Cour,
d'a"iver au plus près de cette décision UNE et DÉFINITIVE qui
reste le rêve de tous.
Un point seulement sur lequel ;e vous demande la permission
de compléter l'analyse si riche et si profonde que Monsieur le
Président Courteaud dé;à vous a livrée du fait ;udiciaire d'appel.
Je souhaiterais pouvoir décomposer chronologiquement et
psychologiquement L'IMBRICATION PROGRESSIVE du fait ;udiciaire
d'appel ;usqu'à cette notion d'ACHÈVEMENT JURIDIQUE évoquée
dé;à plusieurs fois, et qui risque de choquer ou de heurter plusieurs d'entre vous.
Vous me pardonnerez de le faire en termes concrets d'après
deux procès récemment ;ugés par notre 4' puis J' Chambre.
1 0 Le fait (qui n'est pas encore ;udiciaire) est d'une simplicité exemplaire j l'histoire d'une petite fente: un copropriétaire
du dernier étage dans une construction neuve, constate une fente
dans l'angle extérieur de son appartement.
Il assigne le maître de l'œuvre qui lui a vendu l'appartement.
Z0 Le ve"deur assigne en garantie devant le même tribunal
['entrepreneur en lui disant: « Vous avez mal fait votre « chaînage » ceinturant le haut d'immeuble, et la charpente est trop
lourde ou insuffisamment rigide ».
3 0 Débat devant le tribunal. L'entrepreneur montre son
devis descriptif : « J'ai fait très exactement tout ce qui m'avait
été commandé, il n'y y a rien à me dire ».
Le tribunal admet la responsabilité du vendeur vis-à-vis du
propriétaire, la garantie de principe de l'entrepreneur et il nomme
un expert pour surveiller les travaux .. « TOUS les TRAVAUX nécessaires pour remettre en état et assurer la solidité ».
L'exécution provisoire dont le ;ugement est assorti va permettre vérification technique et solution pratique rapides ...
Heure d'euphorie, le fait simple reçoit une solution simple.
50
�Cependant, chaque partie s'interroge sur la base du ;ugement
et des virtualités inconnues qu'il a dégagées: « tous les travaux
nécessaires » ?
4 ° Tout compte fait, l'entrepreneur fait appel contre le
maltre de l' œuvre vis·à·vis de qui seul il est responsable.
5° Et la chaine de la procédure commence à se dérouler ...
Le maitre de l' œuvre fait APPEL PROVOQUÉ contre le demandeur.
6° En cours de procédure, un copropriétaire de l'étage du
dessous voit les graves fentes du mur d'angle se prolonger chez
lui. Inquiet, il INTERVIENT VOLONTAIREMENT aux mêmes fins
que le demandeur.
Puis un autre copropriétaire encore intervient pour les mêmes
raisons ...
7 ° Le maître de l'œuvre, devant cette ampleur nouvelle du
dégât, se demande si vraiment il y a faute d'exécution ou faute
de conception et il assigne en DÉCLARATION n'ARRÊT COMMUN
l'architecte aux fins de venir soit couvrir, soit tout au moins
« assister au film », il le lait au moyen d'une assignation qui
cachera en réalité une véritable action en garantie ...
g o L'entrepreneur tombe en règlement judiciaire ; le deman-
deur initial, qui diligente la procédure (celui de la simple petite
feute du début) , doit mettre en cause l'administrateur ;udiciaire
pour la régularité de la procédure ...
9° Au moment d'aborder l'audience, la Cour fait remarquer
qu'il s'agit de « parties communes» et au nom de l'indivisibilité
elle « invite » le malheureux demandeur à appeler devant la
Cour la copropriété.
10° Entre-temps, de nouveaux troubles se sont produits,
montrant non seulement la gravité et l'étendue du dégdt, mais
l'urgence extrême d'une solution.
L'expert chargé de surveiller l'exécution des travaux et qui
n'a pas pu exécuter sa mission, malgré l'exécution provisoire,
dépose cependant une note confirmant la gravité de la situation
en laissant entendre qu'il s'agit d'un trouble dans les fondations
construites partiellement sur le rocher et sur de l'argile, et de
semelles insuffisantes pour le poids de l'immeuble, erreur de
conception de l'architecte ou de l'ingénieur.
Lors des débats) je n'ai pas ci vous dire les conclusions des
parties. Je peux vous dire seulement que des disjonctions n'arrangeraient rien ; que personne ne veut, et que le temps ne permet
pas, de retourner au premier degré au nom de la règle du double
degré de ;uridiction et que tout exige une solution immédiate ...
y avait-il évolution « du fait ;udiciaire » ? Il semble
plutôt qu'il y ait eu dans ce cas « RÉVÉLATION PROGRESSIVE
DE LA CAUSE », « DÉCOUVERTE SUCCESSIVE DES VIRTUALITÉS »
tontenues dans l'assignation initiale.
En tout cas, n'y avait-il pas pour la Cour « obligation
.'
d'achever »?
Dans la plupart des cas,
m~me
les plus simples, le besoin
51
�reste aussi pressant, car le fait se présente très souvent devant
la Cour, différent de ce qu'il était à l'assignation = changement
de la qualité des parties... évolution de l'état de la victime ...
mise en règlement ;udiciaire du débiteur.. . changement de la
majorité à l'intérieur d'une copropriété ... modification législative
en cours de procédure (spécialement en matière de loyers ... ).
Excusez-moi de forcer l'image, mais dans les cas difficiles
et du fait de la complexité de toutes choses, tout se pose comme
si le procès avait besoin d'être jugé en deux temps, non pas une
phase d'instruction puis une phase de ;ugement, mais plutôt
une phase de ;ustice approchée au cours de laquelle le fait de
base essaye de se définir, de se délimiter dans ses conséquences,
de se justifier sur les premiers moyens. La situation de fait et
de droit se trouve ainsi « décantée » devant la juridiction du
premier degré.
Puis une deuxième phase de finition au cours de laquelle
toutes les parties font le point, et dans un effort ultime dégagent
les dernières « virtualités de 14 demande », pour solliciter de la
Cour de réformer le jugement entrepris, mais en le réformant,
de « compléter », de « parfaire », d'achever la sanction d'un
fait dont eux-mêmes n'avaient pas complètement détaillé tous
les éléments dans leur assignation, en un mot « d'achever le
litige dégrossi devant le tribunal ».
Comme si l'appel ajoutait à son caractère principal et permanent de « V oie de réformation » un nouveau caractère correspondant aux nécessités économiques et sociales modernes chaque
jour plus complexes, celui d'une « VOIE D'ACHÈVEMENT ».
Simple témoignage qu'il me fallait apporter, sans vouloir
formuler un principe .
..
,
-,.
•
52
�III
I{APPORT
LE PROC~S CIVIL DE DROIT COMMUN
EN APPEL
par
MU' Yvette LOBIN
Professtu, Q la Faculté de Droit et des Sciences EcofJomiqlles
J'Aix-en·Provence
...,
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i
�LE PROCÈS CIVIL DE DROIT COMMUN
EN APPEL
pm Yvette LOBIN
Professeur à la Faculté de Droit el des Sciences Economiques
d 'Ai~.en .P roven ce
PRESIDENCE DE M. LE DOYEN JEAN BOULOUIS
« li y a dans tout une matutité qu'il faut attenme, disait
Chamfort. Heuteux l'homme qui arrive dans le moment de
cette maturité. »
Sommes-nous ces hommes heureux qui allons voir aboutir
la réforme d'ensemble de notre code de procédure civile dont
on parle depuis si longtemps, ou serons-nous assez sages pout
reconnaître, avec ceux qui ne l'ont pas encore réalisée, qu'elle
n'est pas encore mûre?
Une réforme générale suppose en effet, que les principes
directeuts de l'institution ancienne ne correspondent plus aux
impératifs du moment et ne sont plus adaptés aux circonstances
économiques et sociales du pays où ils doivent être appliqués.
Certes, si la notion de justice est immuable et se retrouve
dans nos décisions modernes telle qu'elle apparaissait dans le
jugement de Salomon, on peut cependant concevoir que les
moyens de l'obtenir puissent varier.
Cet aménagement des manières de procéder réalisé par
notre code de 1807, correspondait à un double objectif : le
respect des droits des plaideurs et la nécessité d'obtenir une
décision assez rapidement.
Ces impératifs sont aujourd'hui toujours les mêmes; mais
s'il ne vienmait à l'esprit de personne de précouiser des règles
susceptibles de porter atteinte aux moits des individus, on a
prétendu depuis longtemps que notre procédure civile était trop
lente et qu'elle ne correspondait plus à l'accélération de la vie
sociale.
Sans aller jusqu'à dire que les responsables de cette lenteur
sont souvent beaucoup plus les hommes que les textes, il apparaît
cependant des études de Droit comparé que la procédute fran- _
çaise est l'une des plus rapides du monde occidental puisqu'une
décision de justice peut être obtenue dans un délai record de
3 ou 4 mois tout en permettant à chacune des parties de faire
valoir ses droits sans aucune réserve.
55
-.
�Ce n'est donc po. J'accélération qui est le besoin primordial
du moment d'autant qu'une procédure rapide a souvent tendance
à se confondre avec une procédure sommaire ne respectant plus
les intérêts des justiciables.
A-t-elle besoin d'une simplification?
Certainement, dans plusieurs domaines en raison de l'accé·
lération des communications qui permettent aux parties de manifester plus rapidement leurs intentions et de se mettre en rapport
avec leurs mandataires et du fait que les délais de procédure
pourraient être abrégés.
Du point de vue de l'économie, des solutions pourraient
être apportées afin de réduire sur certains postes les frais de
justice.
Mais le vrai besoin de notre procédure est acruellement
celui d'une remise en ordre en raison des lois d'exception qui
sont venues s'ajouter au code lui-même depuis une vingtaine
d'années, d'où des contradictions ou même des incohérences avec
toutes les conséquences qu'elles entralnent pour les plaideurs
et les praticiens.
Dans cette mise en ordre il peut paraîtte paradoxal . de
commencer par la procédure d'appel et non par celle de première
instance.
Plusieurs raisons semblent l'imposer :
- La première est une raison pratique
C'est grâce aux Cours d'appel que les réformes récentes
ont pu être appliquées sans difficultés sérieuses et sauvegarder
la justice et l'équité même si ces notions ne les inspiraient pas
à l'origine.
Les Cours, composées des meilleurs magistrats ayant des
connaissances sur des situations concrètes sans cesse renouvelées,
en même temps qu'une culrure juridique approfondie, ont élaboré
une jurisprudence très sûre qui donne les plus grandes garanties
aux plaideurs en rendant plus facile le travail de la Cour
Suprême.
- En outre, l'heureuse réforme de 1958 qui a fait des
Cours d'appel les seules juridictions de deuxième degré, leur
a donné une mission nouvelle qui en fait « les régulatrices du
Droit » dans toutes les disciplines, dans le cadre de leur ressort.
La complexité de notre Droit ne permet pas toujours à la
première instance de centrer les faits sur un problème juridique
aussi précis que ce qu'il faudrait; il semble que la vérité juridique
qui pouvait autrefois se mûrir parfaitement dans les phases
d'instruction de la procédure du 1" degré, ne se dégage aujourd'hui que plus lentement. Dans un grand nombre de litiges il
apparatt même nécessaire qu'un premier jugement soit rendu
pour que l'affaire, vue sous ses différents aspects, « décaniée ~ ,
trouve enfin sa formulation juridique précise devant la Cour de
manière à permettre une décision définitive tant en droit qu'en
56
�fait. Ce phénomène exigera une formulation procédurale beaucoup plus complète qu'autrefois.
- Enfin, il paraît légitime de commencer la mise en ordre
par les Cours en raison de l'extension toujours plus large du
domaine de l'appel résultant non seulement des solutions jurisprudentielles mais des textes législatifs eux-mêmes :
- C'est l'appel « provoqué » du Décret du 22 décembre 1958 inséré dan~ l'article 445 du c., p. c. qui 'suspend
tous délais pour la mise en cause devant la Cour, même après
signification du jugement, des parties qui figuraient déjà en
première instance.
-
C'est l'extension illimitée donnée à l'article 466 du
c. p. c. concernant l'intervention volontaire ou forcée et à
la notion d'indivisibilité active et passive.
- C'est aussi l'appréciation très large donnée par la jurisprudence au § 3 de l'article 464 du c. p. c. en vertu de laquelle
elle ne considère plus comme nouvelle la demande se fondant
sur des causes ou des motifs différents pourvu qu'elle tende
« aux mêmes fins ».
- C'est enfin le sens donné, malgré certaines réactions de
la Doctrine, aux articles 472 et 473 du c. p. c. sur l'effet
dévolutif et l'évocation.
. Cette mise en ordre parait d'autant plus désirable qu'elle
entrainerait à la fois : simplification, modernisation, accélération
et économie de la procédure.
Nous n'envisagerons dans notre rapport que la procédure
de droit commun en appel, en négligeant la matière pénale et
les problèmes soulevés par les appels des jugements venant des
juridictions d'exception.
Nous ne traiterons pas Don plus de certaines questions se
rattachant à la procédure de droit commun qui feront l'objet
d'un rapport spécial.
Nous traiterons dans une première partie : l'acte d'appel
proprement dit; dans une deuxième partie : l'instance d'appel.
...
57
�•
PREMIERE PARTIE
L'ACTE D'APPEL PROPREMENT DIT
En ce qui concerne l'introduction de l'instance d'appel on
peut envisager quatre domaines qui nécessiteraient une mise en
ordre ; ils concernent :
- le point de départ du délai,
- la durée du délai,
- les formes de l'acte d'appel,
- la saisine de la Cour.
Il y a lieu de constater préalablement que les textes réglementant ces questions sont très dispersés : ils figurent à la
fois dans le code de procédure civile, dans le code civil et dans
des lois spéciales. Il serait souhaitable qu'une disposition générale
figure dans le code de procédure civile au chapitre de l'Appel
à laquelle renverrait chacune des matières spéciales où la question
se pose.
A. - LE POINT DE DEPART DU DELAI D'APPEL
Le point de départ du délai d'appel varie sdon les matières
et les juridictions sans que l'on puisse toujours justifier les motifs
de cette diversité.
a) En règle générale, en matière civile et commerciale, par
application de l'article 445 du c. p. c., le point de départ du
délai est la signification à personne ou à domicile pour les
décisions contradictoires, et leur publicité ou leur exécution
pour les décisions par défaut.
Ces dispositions ont été reprises par les articles 47 de la
loi de 1948 sur les loyers d'habitation, l'article 30 du décret du
30 septembre 1953 sur les loyers commerciaux, l'article 238
du code civil sur les mesures prises en non-conciliation en
,.
matière de divorce, l'article 809 du c. p. c. en matière de référé,
les articles 23 , 24 et 89 du décret du 22 décembre 1958 en
matière sociale (Prud'hommes, tribunaux paritaires, Sécurité
sociale), l'article 31 de l'ordonnance du 30 octobre 1958, en
matière d'expropriation, l'article 6 de la loi du 15 juillet 1944
pour les affaires plaidées en Chambre du Conseil ! du moins
lorsqu'il y a un défendeur) notamment pour les affaires concernant les mineurs (article 380 c. c. ).
b) Certains textes acceptent cependant que la signification
soit faite au domicile élu de l'intéressé et non au domicile réd
58
�1
(article 452 c. p. c. pour les jugements avant-dire droit; article
651 c. p. c. pour la saisie des rentes et 732 du c. p. c. pour les
incidents de saisie immobilière, lorsqu'il n'y a pas d'avoué) sans
oublier la difficulté résultant de l'article 422 du c. p. c. où
il est précisé, pour les matières commerciales, « que si les parties
n'ont pas fait d'élection de domicile, toute signification, même
celle du jugement définitif, sera faite valablement au greffe
du tribunal », et qui pose la question de savoir si la signification
du jugement au greffe du tribunal peut faire courir le délai
d'appel.
c) D'autres textes s'attachent seulement à la signification
à avoué lorsqu'il y en a un : (article 651 et 732 c. p. c.) ; article
669 pour la distribution par contribution et 762 pour les incidents
de l'ordre judiciaire, procédures où il y a toujours un avoué).
d) En certaines matières, le délai d'appel court du jour
du jugement, indépendamment de toute signification : accidents
du travail, déchéance de puissance paternelle (L. 24 juillet 1889,
art. 7) modifiée par L. 15 novembre 1921 ; contredit d'incompétence (article 169 du c. p. c.) ; saisie des salaires (article 68 c
du travail - Livre 1) ; affaires dans lesquelles le Ministère Public
a la possibilité de faire appel ; renvoi pour parenté ou alliance
et récusation (articles 377 et 392 c. p. c.) ; adoption (article
356 c. civil), et légitimation adoptive.
e) Dans une autre série d'hypothèses le délai d'appel court
également à dater du prononcé de la décision mais on en comprend le motif : il s'agit de décisions rendues sur requête où
le demandeur n'a pas de contradicteur auquel il puisse faire faire
la signjfication, par exemple en matière de rectification d'actes
de l'état civil (article 856 c. p. c.) ; de révision des procédures
de faillite et de liquidation judiciaire (Loi 19 juin 1947) ; de
surveillance sur la tenue du registre du commerce (article 58
c. commerce).
,
Il en est de même en matière pénale en principe (article 498,
alinéa 1, 505-547 et 548 c. p. p.) ; le délai ne courant qu'à
dater de la signification dans certaines hypothèses prévues par
l'article 498 alinéa 2 en vertu de l'ordonnance du 4 juin 1960.
f) Si l'on ajoute à cette liste les règles particulières de
signification dans des hypothèses déterminées, comme par exemple, en cas d'incapacité de la partie condamnée, l'obligation
de signifier tant au tuteur qu'au subrogé tuteur (article 446 c. p. c.)
en cas de décès de l'une des parties, la nécessité de reprendre
l'instance d'appel suspendue, par une signification faite au domicile du défunt (articles 447 et 448 c. p. c.) en cas de jugement
rendu sur pièces fausses, le maintien pour la partie condamnée du droit d'appel dont les délais ne courrent qu'à dater du jour
où le faux a été reconnu (article 449 c. p . c.), on se rend compte
de l'incohérence de notre système; cette diversité est une source
d'erreurs qui peuvent certes être évitées dans les procédures
59
�où les avoués sont obligatoires, bien qu'elle oblige ces derniers
à un travail supplémentaire de vérification de textes, mais qui.
sont plus graves dans les instances où la loi n'exige pas le
ministère des avoués.
Il nous semble que l'on pourrait réaliser une certaine unité
en adoptant comme règle générale les solutions de l'article 445
du code de proc. civ. en faisant la distinction entre les jugements
contradictoires et les jugements de défaut non susceptibles d'opposition. Si pour ces derniers, on pourrait maintenir la réglemen-'
tation actuelle. une mise en ordre serait nécessaire pour les
jugements contradictoires aussi bien au fond (1) qu'avant-dire
droit, ces derniers soulevant en outre, d'autres problèmes.
1) Pour les ;ugements au fond contradictoires, le délai
d'appel courrait du jour de la signification à personne ou à
domicile, celle-ci étant obligatoire dans tous les cas. On éviterait
ainsi les inconvénients de la signification par lettre recommandée
en matière de Sécurité sociale et de baux ruraux où l'on s'est
posé la question de savoir si le défendeur peut ou non empêcher
le délai de courir en refusant d'entrer en possession de la lettre
recommandée.
Il serait donc précisé dans le nouveau texte que la signification en maitie ne peut pas faire courir le délai d'appel. Dans
cette hypothèse une publicité analogue à celle de l'art. 158 bis
serait nécessaire.
La signification serait aussi le point de départ du délai
d'appel dans les affaites particulièrement urgentes comme le
référé, en conservant les dispositions actuelles de l'article 809.
On pourrait donc supprimer sans grand inconvénient toutes
les dispositions visant comme point de départ, soit la signification
au domicile élu, soit la signification à avoué, car en réalité celle-ci
ne précède en général que de quelques jours, quand elle n'est
pas faite en même temps, la signification à partie.
L'objection que l'on pourrait formuler contre ce système
est que la signification à partie retarde l'appel car elle intervient
trop longtemps après le jugement.
On pourrait répondre d'abord, que les textes actuels qui
adoptent comme point de départ du délai d'appel le jour du
jugement ne visent pas des affaires particulièrement urgentes et
qu'il n'y a pas de raison valable à les soumettre à un régime
dérogatoire, en dehors des hypothèses de référé.
(1) C'est à dessein que nous employons l'expression de jugement
n nous semble en
effet que cette appellation consacrée par la doctrine et une certaine jurisprudence est fausse et peut prêter à confusion en laissant supposer que
le jugement définitif est celui qui n'est pas susceptible d'une voie de
recours.
« au fond ,.. et non pas celle de jugement définitif.
•
60
�Quant à la signification tardive qui est une réalité, elle
provient de pratiques que les avoués sont les premiers à déplorer
et à l'encontre desquelles aucune solution n'a jamais été envisagée : elles concernent la lenteur des formalités de l'enregistrement et de la délivrance des grosses.
Ces difficultés qui, sur le poiot particulier du départ du
délai d'appel, se rattachent à la procédure du premier degré, se
retrouvent de la même façon en appel lorsqu'il s'agit de signifier
un arrêt et plus particulièrement un arrêt ordonnant des mesures
d'iostruction qui pourront être paralysées par le retard apporté
à la signification puisqu'en vertu de l'article 147 du code de
pt. civ. la décision ne peut être exécutée qu'après avoir été
signifiée à avoué.
Signalons d'ailleurs que la question de l'enregistrement et
de la délivrance des grosses ne soulève pas seulement des pro~
blèmes d'accélération de procédure mais aussi des problèmes
financiers de première importance que nous n'aborderons pas
ici bien qu'ils mériteraient une étude approfondie.
La formalité de l'Enregistrement exige un délai d'un mois
durant lequel le dossier reste entre les maios de l'Administration
empêchant sa transmission au greffe.
POUT la délivrance des grosses} la mécanisation n'a qu'entraîné une majoration des prix, sans abréger en aucune façon le
délai d'attente.
Il y aurait lieu de réduire de moitié les délais d'enregistrement et d'imposer aux greffes une délivrance plus rapide des
grosses.
Sur ce point une réforme pourrait peut-être y contribuer
en allégeant le travail des greffiers : ce serait le rétablissement
des qualités en appel (voir page 72).
1
2) La solution que nous préconisons pour les jugements
au fond devrait être étendue à tous les jugements avant-dire
droit qui, à eux seuls, posent un certain nombre de problèmes.
...ô·
J
..
Notre droit positif présente d'abord une anomalie dans ce
domaine depuis les réformes du décret du 22 décembre 1958
sur l'enquête.
La loi du 23 mai 1942 avait eu le mérite d'unifier le
régime de l'appel des jugements avant-dire droit en précisant
dans le nouvel article 451 du c. p. c. que « tout jugement avantdire droit pourrait être frappé d'appel avant le jugement au fond,
ce qui présentait l'avantage de supprimer la distinction subtile
et incertaine entre les jugements préparatoires et interlocutoires.
Or, le décret du 22 décembre 1958 a dérogé à ce système
en édictant dans l'article 258 une règle spéciale pour l'enquête :
1. décision ordonnant ou rejetant l'enquête ne peut être frappéed'appel qu'avec le jugement sur le fond.
De nombreuses décisions, et plus particulièrement un arrêt
de la Cour de Paris du 3 mars 1960 (I.C.P. 1960 nO 3698)
ont fait nettement ressortir les inconvénients de cette discrimi61
�nation dans les jugements avant-dire droit : dans une demande
en séparation de corps où avait été accordée une enquête solli-
citée par la femme, et refusée une expertise médicale sollicitée
par le mari, seule contre cette dernière l'appel était possible,
il ne l'était pas immédiatement contre la demande d'enquête _
La réforme de 1958 sur l'enquête a soulevé un autre pre>blème concernant la question de savoir si l'art_ 31 du code de
pme. civ. devait être ou non considéré comme abrogé.
Cet article qui vise l'appel des jugements avant-dire droit
des juges d'instance, et étendu aux décisions prud'homales, fait
la distinction entre les jugements préparatoires dont l'appel doit
être fait avec le jugement sur le fond, et les jugements interlocutoires dont l'appel doit être fait immédiatement et avant
celui du jugement sur le fond.
Bien que l'article 31 n'ait pas été abrogé par la loi de 1942
on pouvait penser que la généralité de la réforme sur l'appel
entraînait implicitement son abrogation; mais le décret du
22 décembre 1958 a reposé le problème et la jurisprudence est
divisée. Si certaines décisions estiment que l'article 31 doit être
maintenu (2), d'autres, approuvées par la majorité de la Doctrine,
ont une opinion contraire (3). Celle-ci nous parait la meilleure,
car elle évite les difficultés de distinction entre les jugements
préparatoires et interlocutoires.
Si donc il serait souhaitable que l'article 31 soit abrogé, à
notre avis, l'article 258 devrait l'être également : l'appel d'un
jugement ordonnant ou refusant l'enquête devrait être possible
immédiatement non seulement en raison du grave préjugé que
cette décision constitue généralement, mais aussi en raison du
caractère mixte d'un grand nombre de jugements interlocutoires,
ces ;ugements mixtes faisant naitre en outre, de nouvelles
difficultés .
3 ) Jugements mixtes :
On sait que la Cour de cassation (2· sect. civ. 12 janvier 1962, D. 1962.237) a jugé que lorsqu'un jugement est pour
partie au fond et pour partie avant-dire droit, il faut le considérer comme un jugement au fond : non seulement elle lui
applique le délai d'appel de ce dernier, mais exige que l'appel
soit immédiat sans que l'on puisse profiter de la faculté d'attendre l'appel du jugement au fond.
On a déjà signalé (4), et nous partageons cet avis, que
•
-~
'.
(2) C. de Paris 20 décembre 1961 - SJ. 1961 - 11929 note Jean
Mazeaud - 11 janvier 1961 - SJ. 1961 - 3804
D . 1961 - 223 note
Hébraud - 10 février 1961 - SJ. 1961 - 12043.
(3) C. Lyon 2 juin 1961 - D. 1961 - 618 ; S.]. 1961 n° 3928 ;
ob,erv. Raynaud Rev. trim. droit civil 1961-734.
(4) Ob,erv. Raynaud Rev. trim. droit civil 1962 - 556.
�•
cette position prise par la Cour de cassation est déjà un moyen
d'éviter l'application de l'article 258 : chaque fois qu'il y aura
dans un jugement ordonnant enquête un élément au fond l'appel
sera possible.
Bien que toute la doctrine ne suive pas cette opinion, il
nous semble qu'il serait plus simple et plus logique de supprimer
l'article 258, ce qui aurait l'avantage d'unifier les règles concer·
nant les avant-dire droit en les soumettant au surplus, au droit
commun de l'appel.
Ajoutons enfin, pour en terminer avec ce premier point
du départ du délai d'appel, qu'il demeure une question sur
laquelle il y aurait lieu de prendre parti après l'exposé sut
l'indivisibilité, celui de la règle en appel : « Nul ne se fotclôt
lui·même ».
Il nous semble que la partie gagnante devrait être dans
l'obligation de siguifier l'arrêt à toutes les parties en cause en
première instance, ce qui ferait courir le délai contre toutes
et contre elle-même.
A cette question est liée celle de l'opportunité du maintien
ou de la suppression de l'article 457 § 4 du c. p. c. qui sera
examinée dans un autre rapport.
B. - DÉLAI D'APPEL
Nous retrouvons ici le même désordre : la durée des délais
n'est pas la même ; les uns sont francs, les autres ne le sont
pas; certains peuvent être augmentés à raison des distances,
et le calcul de celles-ci n'est pas toujours le même.
En matiète civile, le délai d'un mois est le délai de droit
commun, aux termes de l'article 444 § 1 du code de prae. civ.
Il s'applique également en principe en matière commerciale
(article 645 c. com) en matière d'arbitrage et en matière disciplinaire.
Mais il existe un grand nombre de délais spéciaux :
30 jours pour les accidents du travail et pour les décisions
des tribunaux d'instance (article 13 L. du 25 mai 1938).
Et des délais plus courts :
15 jours pour les jugements avant-dire droit (article 452
c. p. c.) pour les otdonnances de réfété (atticle 809 du c. p. c.)
et de non-conciliation en matière de divorce (article 238 du
code civil) ; pour les décisions du juge des loyers (articles 47,
48 L. 1" septembre 1948) ; en matière de vente de fonds
de commerce (art. 15 L. 17 mars 1909), de faillite (art. 456
c. com.) et d'expropriation (article 32 ordo du 23 octobre 1958).
10 jours pout les contredits de compétence (D. 2 août 1960)
affaires concernant les mineurs (article 380 c. c. modifié par
ordo 23 décembre 1958) déchéance de puissance paternelle
(article 7 L. 24 juillet 1889 modifiée par L. 15 novembre 1921),
ordre (article 762 c. p. c.) et de distribution par contribution
63
•
�(article 669 c. p. c.) en matière prud'homale (article 89 du
D. 22 décembre 1958) en matière correctionnelle en principe
(article 498 § 1 c. p. p.) sauf délai de 2 mois dans les hypothèses prévues par l'article 505, sans parler du délai supplémentaire de 5 jours pour l'appel incident alors qu'il n'yen
a pas en matière ordinaire (comparez les articles 445 § 3 c. p. c.
et 500 c. p . p.), pour les saisies des salaires (article 68
L. 27 juillet 1921) alors qu'il n'est que de :
8 jours en matière d'incidents de saisie de rente sur
particuliers (article 651 c. p. c. ).
5 jours en matière de récusation ou de renvoi (articles 377
et 392 du c. p. c.).
- En outre si le délai d'appel de droit commun ne peut
plus être augmenté en raison des distances pour la France métropolitaine, on doit y ajouter les délais prévus à l'article 73 du
code de proc. civ. pour ceux qui sont domiciliés hors de la
France métropolitaine avec en outte des dispositions spéciales
pour les pays d'Afrique du Nord.
Il serait possible d'apporter une simplification dans
cette matière des délais :
- Quant à leur durée, on pourrait adopter le principe d'un
délai long ; un mois, qui serait le droit commun; tous les
délais courts étant ramenés à 15 jours.
Il ne paraît pas nécessaire en effet d'avoir des délais d'appel
plus courts qu'en matière de référé où il n'est jamais apparu
malgré l'urgence que ce délai dût être raccourci.
- On pourrait également supprimer la distinction entre
les délais francs et non francs qui est une source de confusions.
Il serait plus simple de dire que le dies a quo et le dies
ad quem ne comptent jamais dans le calcul du délai. Peu importe
que l'on donne à l'appelant un jour de plus. Ce n'est pas cela
qui retardera l'instance et on évitera des difficultés.
- Quant à l'augmentation du délai d'appel en raison des
distances, il nous semble que l'on pourrait maintenir le principe
formulé par l'article 444 § 1 pour la métropole, à savoir le
refus d'allongement du délai.
Le fait d'avoir un seul délai d'appel aurait l'avantage d'enlever tout intérêt aux discussions actuelles sur le point de savoir
si l'article 444 s'applique seulement au délai de droit commun
ou aux délais spéciaux; les délais courts, bien entendu, ne
pourraient jamais être augmentés en raison des distances.
Les distinctions de l'article 73 et la disposition de l'article
444 § 3 semblent périmées.
On pourrait prévoir un allongement unique de ~deux mois
par exemple pour tous ceux qui se trouvent à étranger afin
de permettre l'accomplissement des formalités diplomatiques.
Peut-être, pour les pays faisant partie du marché commun,
l'allongement pourrait être ramené à un mois!
r
64
�c. -
FORMES DE LA NOTIFICATION DE L'APPEL
A L'INTIMÉ
L'appel peut actuellement êtte réalisé selon des formes très
diverses.
En vertu de l'article 457 du c. p. c. la forme ordinaire
consiste en un exploit d' huissier obéissant à toutes les règles
de l'ajournement signifié à personne ou à domicile, sans qu'il
soit nécessaire d'indiquer les moyens sur lesquels l'appelant se
fonde pour demander l'infirmation du jugement.
- Par exception, cependant, l'appel devra être motivé à
peine de nullité en matière d'incidents de saisie immobilière
(article 731 c. p. c.) ou de saisie de rentes (article 651) et en
matière de distribution par contribution ou d'ordre (articles 669,
762, 773 c. p. c.).
- Dans d'auttes hypotbèses, l'acte d'appel pourra êtte
signifié au domicile élu : pour la disttibution de prix (article
773) et pour les avant·dire droit (article 452) qui en outte
dans ce dernier cas, devra être enrôlé dans le mois.
La lettre recommandée avec avis de réception sera suffisante
.
en matière de Sécurité sociale et de Baux ruraux (article 24 du
D. 22 décembre 1958) dans les affaires de mineurs, et adressée
au greffier (article 380 c. c. modifié par ordonnance 23 décem·
bre 1958).
- Enfin l'appel se fera par une simple déclaration au greffe
dans les affaires de mineurs où elle constitue une option avec
la lettre recommandée, en matière d'expropriation, de récusation
et de renvoi, en matière électorale et en matière pénale;
et par une requête au président de la juridiction appelée à
connaître de l'appel lorsqu'il concerne un jugement sur requête.
C'est seulement dans cette dernière hypothèse que l'on
pourrait, à notte avis, adopter une forme d'appel particulière.
Mais il nous semble que la déclaration au greffe serait préférable
à une requête au Président de la juridiction; ce serait un moyen
de gagner du temps dans tous les cas où la déclaration au greffe
est obligatoire; ces deux formalités seraient réunies en une seule.
Il y aurait lieu d'adopter la forme ordinaire pour tous les
autres appels quels qu'ils soient, c'est-à-dire la signification par
huissier à personne ou à domicile. C'est le moyen le plus sûr
de toucher l'adversaire.
Ce point nécessiterait qu'une précision soit donnée par les
textes concernant la signification, sur ce qu'il faut entendre par
signification « à personne », notamment pour les personnes
morales. En ce qui les concerne, on pourrait prévoir que ne peut
équivaloir à une signification à personne que la copie remise
à celui qui a reçu pouvoir de représenter la personne morale par
délégation des organes directeurs (à préciser).
65
�D. - SAISINE DE LA COUR
Il est souhaitable que la Cour d'appel soit salSle assez
rapidement à la suite de l'appel qui a été signifié à l'intimé,
afin d'éviter notamment qu'après ce premier acte, un appelant
puisse rester inactif.
Certes, l'article 457 du code de proc. civ. prévoit que l'appelant devra faire, dans le mois, une déclaration au greffe, mais
on pourrait, à notre avis, donner à cette formalité une plus
grande efficacité en prévoyant que cette déclaration vaudrait
enrdlement et saisine de la Cour.
Il faudrait exiger qu'elle soit accompagnée de la copie de
l'acte d'appel et de la copie de la décision attaquée, et trouver
une formule efficace pour obliger l'appelant à conclure dans
un bref délai.
On pourrait alors prescrire au greffe de la Cour d'aviser,
sous sa propre responsabilité, le greffe de la juridiction qui a
rendu la décision attaquée. Celui-ci transcrirait sur ses registres
notamment comme il est prévu par les articles 163 et 549 du
c. p. c. et 252 du c. C., ce qui constituerait une garantie excellente
et permettrait d'éviter un grand nombre de cas de bigamie.
Il nous semble qu'il vaudrait mieux procéder ainsi plutôt
que d'exiger des parties ou de leurs conseils qu'ils fassent euxmêmes cette déclaration au greffe de la juridiction inférieure.
- La formalité de la déclaration au greffe devrait être
étendue à toutes les matières puisqu'elle est déjà imposée dans
les affaires prud'homales.
Il suffirait de reprendre la formule de l'article 457, par. 2,
si le ministère des avoués était désormais obligatoire dans toutes
les instances d'appel, ou celle de l'article 89 du décret du
22 décembre 1958 pour les Conseils de Prud'hommes si le
législateur maintenait le principe de certaines procédures sans
postulation : « l'appelant doit faire personnellement ou par
représentant une déclaration au greffe de la Cour » •
•
. -'o.
!
!
66
.-
�,
.
II' PARTIE
DEROULEMENT
DE LA PROCÉDURE D'APPEL
Nous examinerons
1 ° La procédure ordinaire.
2° Les incidents et les procédures spéciales.
1° LA PROCÉD URE ORDINAIRE D'APPEL
.
L'article 470 du c. p. c. prévoit « in fine » une dérogation
pour les incidents de compétence et de connexité ; il en résulterait que la procédure d'appel est la même que celle qui est
"
."
-suivie devant les tribunaux de grande instance .
En réalité, le procès ayant déjà été examiné en première
instance ne peut pas avoir la même physionomie. Sa complexité
contribue aussi à lui donner son caractère spécial, de même
que l'éloignement général des parties, pour des raisons géographiques, donnent à la procédure d'appel son caractère spécifique
justifiant des règles particulières.
Avant d'examiner les règles techniques de procédure, se
pose le problème de l'existence et du rôle du Conseiller chargé
de suivre la procédure.
0) Le conseiller chargé de suivre la procédure
li n'y a pas de textes sur ce point si ce n'est ceux qui
visent la première instance. Il serait pourtant nécessaire dans le
chapitre de « l'Appel » de préciser son rôle, car si sa présence
est utile en appel sans contestation possible, son rôle est bien
différent de celui du « juge chargé de suivre la procédure ».
Sans être le juge d'instruction civil du droit italien, il
pourrait avoir des fonctions très étendues, mais dont l'importance
varierait selon l'aspect sous lesquelles on les envisage.
a) La fonction la plus importante serait sans aucun doute
une fonction de surveillance.
Dans les Cours peu chargées, il s'agit d'éviter une trop
grande précipitation. Dans les Cours très chargées, il s'agit au
contraire d'accélérer.
Ce conseiller devrait donc :
- vérifier la signification des avenirs;
6ï
�-
surveiller la signification des conclusions de l'appelant dès
le premier avenir, avec délai de grâce du ze avenir ;
vérifier les jonctions de causes très fréquentes en appel;
]a mise en état des procédures récursoires;
surveiller spécialement les affaires ayant fait l'objet d'arrêts
interlocutoires ou de sursis;
accorder des fixations hors tour de rôle pour les affaires
présentant une urgence spéciale. Une telle surveillance par
un magistrat vaut mieux qu'une déclaration légale « que les
affaires seront jugées dans la quinzaine» (L. 17 mars 1909)
ou « hors tour de rôle » ;
tenir les ordres de travail des avoués pour alimenter efficacement les audiences des affaires à plaider (tâche que nous
reconnaissons comme très délicate en raison des convenances
des avocats et de la durée des affaires), mais qui n'est pas
impossible à réaliser du fait que ce magistrat peut être en
contact permanent avec les avoués.
b) Le rôle de conciliateur prévu par l'article 80, § 4, ne
semble pas lui convenir. Outre qu'il n'est à peu près jamais
exercé efficacement en première instance, le procès est trop
avancé en appel pour que l'une des parties cède certains de
ses droits.
Si une conciliation doit intervenir, elle se fera toujours en
dehors du magistrat par l'intermédiaire des mandataires, ou sur
les initiatives des experts dans le cadre ou non de l'arrêt qui
les a désignés.
On doit tout de même signaler que ces conciliations devant
experts peuvent être très dangereuses et que la présence du
Conseiller chargé de suivre la procédure pourrait être une
garantie. Il arrive en effet que l'expert fasse pression sur l'une
des parties pour lui faire accepter les offres léonines de l'autre
et le dispenser de faire son rapport tout en touchant ses
honoraires.
De plus, l'expert n'est pas un juriste et néglige souvent les
aspects juridiques qui ne lui sont pas signalés.
c} Des pouvoirs gracieux, actuellement réservés au Président
de la Cour, pourraient lui être attribués :
signature des ordonnances de réassignation;
désignation d'huissier pour signification d'arrêts de défaut;
changement d'expert;
tous actes de publicité et tous constats.
Tout cela pourrait être fait sur simple requête, sans débats
contradictoires et en évitant les frais d'un arrêt.
- :.,
, .
d) Le pouvoir d'ordonner des mesures d'instruction (arti·
cle 81, § 1, 2, 3, 4) soulève des objections formulées souvent
par les praticiens, basées d'une part, sur l'éloignement des parties
et des avocats qui ne peuvent être contraints à un double dépla.
cement, et le fait que la mesure d'instruction étant très dépen-
68
�dante du fond même du procès, les parties préfèrent plaider
devant la Cour, et d'autre part, sur le fait que la mesure d'infor·
mation qui serait ordonnée par le Conseiller pourrait réformer
nne décision du tribunal.
Cet argument est certes très sérieux et il semble en effet
difficile de donner un tel pouvoir au Conseiller chargé de suivre
la procédure dans le cas où les parties ne sont pas d'accord;
mais si elles le sont, on pourrait prévoir qu'elles doivent
s'adresser au Conseiller et non à la Cour. Ce serait une obligation
et non une possibilité comme aujourd'hui.
C'est dans le domaine de l'ENQUETE que l'intervention
du Conseiller serait la plus salutaire, et notamment lorsqu'il
s'agit d'enquêtes sur commission rogatoire; les dispositions de
première instance ne conviennent pas à la Cour.
1) D'abord, lorsque l'arrêt est rendu, il arrive que les
avoués ne connaissent pas encore les Doms et adresses de tous
les témoins, de sorte que la Cour donne commission rogatoire
aux tribunaux qui lui ont été signalés et ajoute pour les témoins
dont l'adresse est inconnue « à toutes autres juridictions compétentes ). TI en résultera qu'en application de l'article 259, § 2,
ce sera le greffier qui aura qualité pour saisir « les tribunaux
compétents » pour recevoir commission rogatoire.
Il serait normal que le Conseiller chargé de suivre la procédure puisse statuer sur requête visée des deux avoués et donne
lui-même commission rogatoire au tribunal qualifié, sans revenir
devant la Cour.
Il devrait en être de même lorsqu'au cours de l'enquête
sur commission , le juge commis constate un changement d'adresse
du témoin.
2) La convocation des témoins se fait à l'heure actuelle
par l'intermédiaire du greffier, même lorsqu'il s'agit d'une
enquête sur commission rogatoire; il en résulte que le magistrat
sur commission rogatoire ne sait pas si les témoins ont été
réellement touchés.
Il serait bien préférable, à notre avis, que le magistrat
commis conduise son enquête comme il le jugera utile. sous le
contrôle du seul Conseiller chargé de suivre la procédure qui
l'aura désigné et qui aura à utiliser le résultat de son interrogatoire.
Tous ces points méritent d'être signalés, car les greffes
d'appel apparaissent comme hors d'état de remplir les initiatives
que la réforme de 1958 a données aux greffiers du premier
degré. Il nous semble que ces initiatives devraient appartenir
en appel au Conseiller cbargé de suivre la procédure qui rendrait
une simple ordonnance avec enregistrement gratuit.
e) Les pouvoirs contentieux de ce magistrat seraient peu
étendus.
Il y aurait lieu, bien entendu, de lui maintenir le pouvoir
qu'il a déjà en vertu de l'article 81, § 3, de statuer sur les
69
�exceptions de « cautio judicatum salvi » et de communication
de pièces et sur les demandes de provision « ad litem » en
précisant peut-être que cette mission lui incombe obligatoirement
et non plus facultativement.
On pourrait en outre lui réserver toutes les affaires que les
parties sont d'accord pour lui déférer et pour lesquelles un débat
sur observations est possible. Il faudrait trouver une formule
permettant au Conseiller de rendre une décision homologuée par
la Cour, tout en bénéficiant de l'enregistrement des ordonnances
au droit fixe . Cette solution dispensant des plaidoieries aurait
l'avantage d'être rapide et économique et correspondrait au
vœu du législateur.
b) Règles techniques
Les textes modernes ont eu pour but d'accélérer la procédure comme en première instance, en évitant tous les moyens
dilatoires. Si cette préoccupation est souhaitable, elle ne doit pas
cependant méconnaître les légitimes intérêts des plaideurs.
a) A ce point de vue il nous semble que les dispositions
concernant le défaut faute de comparaltre mériteraient d'être
f
....
<
revues.
En l'absence de textes, il est d'usage d'appliquer les règles
des articles 149 et suiv. du c. p. c. visant la première instance,
à savoir, que l'arrêt sera réputé contradictoire si l'acte d'appel
a été signifié à la personne de l'intimé.
On peut se demander si cette règle n'est pas trop sévère,
surtout en raison des diverses opinions que peut avoir la jurisprudence sur la notion de signilication « à personne ». La
décision de la Cour met un terme à un procès déjà jugé en
faveur de l'intimé : elle est trop grave dans ses conséquences
pour que ce dernier soit privé du droit d'opposition sans autre
avertissement.
On pourrait exiger une réassignation par huissier commis,
précisant que l'arrêt rendu sur cette réassignation aurait tous les
effets d'un arrêt contradictoire.
On pourrait alors adopter une interprétation assez large
de la signification « à personne ».
- De même dans le cas où il y a plusieurs intimés dont
l'un est défaillant, les règles actuelles nous paraissent moins
souples et moins claires qu'autrefois.
L'ancieR article 153 (profit joint) permettait une procédure
rapide et sans équivoque possible : réassignation des parties
défaillantes et arrêt contradictoire à l'égard de toutes, qu'elles
aient ou non constitué avoué, sans qu'il y ait à se préoccuperà qui avait été faite la signification.
La procédure prévue aujourd'hui par l'article 151 est plus
longue, plus coûteuse et peut prêter à équivoque.
70
�Il faut, comme par le passé, réassIgner, mais il faut que
l'exploit soit signifié à personne. Le jugement rendu après l'expiration du nouveau délai d'ajournement sera réputé contradictoire
à l'égard de tous, dès lors que l'un des défendeurs, sur premier
ou second exploit, aura constitué avoué ou aura été assigné à
personne. Dans le cas contraire, les défendeurs pourront former
opposition.
Il y aurait lieu de revenir aux règles anciennes : la réassignation aurait pour but de donner à l'arrêt tous les effets d'un
arrêt contradictoire sans qu'il y ait lieu de se préoccuper à qui
a été faite la signification.
b) Pour le défaut faute de conclure, notre droit positif fait
la distinction dans deux textes : les articles 462 et 463 entre
le défaut de l'appelant et celui de l'intimé.
On pourrait fondre ces deux articles en prenant des dispositions analogues pour les deux situations : il serait prévu
que la partie la plus diligente donnerait les deux avenirs de
quinzaine qui obligeraient l'appelant comme l'intimé et toutes
parties au procès à conclure et rendraient les débats contradictoires entre toutes les parties.
" ..
,.
c) Les difficultés concernant le défaut étant réglées, toute
la procédure d'appel devrait se dérouler sous le contrôle du
Conseiller chargé de suivre la procédure.
C'est à lui à vérifier si le dossier du greffe est complet,
si la procédure est régulière et si les conclusions ont été réellement signifiées et déposées.
Ce dernier point mérite examen car il est difficile de trouver
une sanction efficace contre la pratique trop répandue devant
nos juridictions de signifier soit des conclusions de pure forme,
soit des conclusions tardives.
Dans le cas où malgré les deux avenirs l'une des parties n'a
pas conclu , il serait simple de prévoir que l'autre pourrait prendre
ses avantages en déposant son dossier par l'intermédiaire de son
avoué, entre les mains du conseiller chargé de suivre la procédure.
Celui-ci fixerait l'affaire à la plus prochaine audience et les
conclusions signifiées entre la remise du dossier et l'audience
seraient irrece vables.
Si malgré plusip""s remises successives les parties ne consen·
taient pas à prendre leurs avantages, l'affaire serait retirée du
rôle. Nous pensons ainsi proposer une solution au difficile
problème des conclusions de dernière heure.
Dans le cas où les deux parties ont conclu, il y a lieu de
maintenir les dispositions actuelles de l'article 78 in fine et
de l'article 82, § 2, exigeant le dépôt au greffe des conclusions
et leur visa en précisant que ce visa serait donné par le conseiller
chargé de suivre la procédure (on peut en effet se demander
aujourd'hui si c'est lui ou le Président qui doive le faire) , ainsi
71
�, "-1
t
que l'obligation de signifier les conclusions dix jours au moins
avant l'audience des plaidoieries.
y aurait-il lieu de maintenir la possibilité qu'à la Cour
de relever de la forclusion pour une signification tardive?
(article 82, § 5).
A notre avis, cette disposition doit subsister à la condition
que les magistrats de la Cour se montrent très sévères pour
apprécier « les motifs légitimes » du retard de la signification.
C'est à eux à rejeter d'office toutes conclusions entièrement nouvelles après la mise en état de l'affaire.
L'affaire étant en état, le Conseiller chargé de suivre la
procédure la fixerait soit à une audience utile, soit à la suite
du rôle; un bulletin de greffe pourrait, le cas échéant, avertir
les avoués.
La correspondance du greffe avec les parties serait à supprimer car c'est une dépense et une source d'erreurs considérables,
ainsi d'ailleurs que toutes les dispositions de l'article 81, § 6.
Enfin l'alinéa 3 de l'article 462 pourrait être modifié car
le critère est très imprécis : il serait préférable de donner un
pouvoir d'appréciation au Conseiller chargé de suivre la procédure
et non à la Cour pour renvoyer à la plus prochaine audience
certaines affaires pour plaider sur observations (v. p. 69 - el.
d) Les qualités :
Le législateur de 1958 en supprimant les qualités rédigées
par les avoués et les moyens de contrôle prévus par les articles
143 à 145 anciens du code de proc. civ. avait pensé alléger la
procédure sans nuire à la valeur d'information du jugement.
La majorité de la Doctrine avait approuvé cette réforme,
mais il s'est révélé à l'usage qu'elle entrainait de très graves
inconvénients en appel. A ce stade elles sont nécessaires en
• '1
,, ,
'oS;
effet pour fixer définitivement la position respective des parties,
redresser les qualifications généralement erronées des tribunaux
de commerce, et celles souvent incomplètes des tribunaux d'instance. Ceux-ci en outre, ont pour habitude d'annexer au jugement
tous les actes de procédure pour en faire une signification
globale, ce qui entraine d'énormes frais et détruit tous les avantages de simplification de la réforme.
TI serait préférable de rétablir le système ancien en appel
en précisant les éléments essentiels que les qualités devraient
contenir. Les grosses des arrêts doivent en effet se cpmprendre
et se suffire à elles-mêmes 50 ans après la décision.
TI serait également souhaitable que dans les affaires immobilières où l'arrêt constituera acte, les plans des lieux soient
annexés aux minutes.
72
�2' INCIDENTS ET PROCEDURES SPÉCIALES
Dans certaines procédures spéciales en appel, une mise en
ordre pourrait être réalisée dans certains cas, dans d'autres, une
réforme plus radicale nous paraîrrait nécessaire.
0) Mise en ordre
.' ,
a) Certains textes visant ['expertise aussi bien en première
instance qu'en appel seraient à revoir :
L'article 307 du c. p. c. prescrit au greffier d'aviser l'expert
de sa mission par lettre recommandée dans le délai de 5 jours,
et il doit lui adresser une formule de prestation de serment.
Or, aux termes de l'article 309, les parties ont un délai de
20 jours à dater du jugement pour récuser l'expert.
Il serait donc plus normal de ne saisir l'expert qu'après le
délai de 20 jours imparti aux plaideurs pour le récuser ou de
réduire à 5 jours le délai donné aux parties pour récuser ['expert
la première formule nous paraissant la meilleure car elle laisse
le temps nécessaire de se documenter sur les causes possibles
de récusation.
En ourre, l'article 147 du c. p. c. prescrit que l'on ne pourra
. faire exécuter une décision de justice, même avant-dire droit, si
elle n'a été signifiée à avoué, et ce à peine de nullité.
Or, nous avons dit que l'enregistrement dure un mois. que
le greffe ne délivre la grosse que 15 jours après l'enregisrrement,
ce qui fait que les avoués ne peuvent signifier l'arrêt à avoué
qu'un mois et demi après le prononcé de la décision.
Les experts qui se voient en général imposer un délai de
2 mois pour déposer leur rapport, convoquent les parties dès
qu'ils sont avisés par lettre du greffier à laquelle est jointe une
copie de la décision, alors que la grosse n'est pas encore signifiée
et que les avoués n'ont pas les dossiers qui sont à la disposition
du receveur de l'Enregistrement.
Nous retrouvons ici les inconvénients déjà signalés du retard
apporté à toute signification en raison des formalités de l'Enregistrement et de la rédaction des grosses mais qui prennent ici
une importance particulière en raison de la rapidité qui devrait
caractériser l'expertise et qu'une réglementation anachronique ne
permet pas de réaliser.
Indépendamment d'une accélération de la délivrance des
grosses et des formalités de l'enregistrement on pourrait peutêtre concevoir une dérogation au principe formulé par l'article
147 : les décisions ordonnant une mesure d'instruction pourraient être exécutées sur simple copie comme cela se fait déjà
en matière d'enquête (article 257 c. p. c.).
Le Conseiller chargé de suivre la procédure aurait la haute
main sur le déroulement des opérations d'expertise : il veillerait
à ce que les opérations soient faites dans le délai imparti en
73
�adressant, s'il le fallait, des rappels ou des injonctions. C'est
d'ailleurs ce que prévoit l'article 315.
b) Il faut signaler une inadvertance du législateur en ce
qui concerne les défenses à exécution provisoire.
En matière commerciale, l'article 647, § 2 du code de
'.
commerce précise que: « l'incident sera jugé suivant la procédure
édictée par les articles 452, § 2 et 3 et 453 c. p . c. ».
Or, l'article 452, § 2 fait obligation à l'appelant inter·
locutoire de « saisir la Cour dans le mois par simple acte »,
ce qpe l'on interprète comme une obligation d'enrôler.
L'article 452, § 3 vise « la déclaration d'appel ».
Si certaines décisions, malgré ces textes, ont déclaré recevable l'incident de défense à exécution provisoire contre un
jugement du tribunal de commerce, même s'il est introduit plus
d'un mois après l'appel, d'autres ne l'ont pas admis.
Une mise en ordre s'imposerait.
c) En cas d'erreur matérielle} une procédure est trop souvent
"
•
+
nécessaire. notamment lorsqu'il s'agit de rectifier des chiffres
d'indemnités ou des comptes de sécurité sociale.
On peut ajouter à cela les hypothèses où il aurait été omis
de statuer sur des parties secondaires des conclusions.
En s'inspirant du principe édicté par l'article 142 du c. p. c.
on pourrait prévoir un moyen simplifié d'arriver au résultat
désiré. Deux voies sont possibles : soit la voie gracieuse par
requête au Président signée des deux avoués et rectification
matérielle par le Président sur la minute, ou, s'il y a désaccord,
par arrêt sur conclusions et débats, et enregistrement gratuit.
d) Enfin il y aurait lieu de généraliser l'appel à iour fixe
prévu par l'article 75, § 2 pour répondre aux cas les plus urgents
des matières civiles et commerciales.
Cette forme particulière devrait être insérée dans l'article
457 du c. p. c. qui traite des formes de l'acte d'appel, en codifiant
l'article 18 du décret du 30 mars 1808.
Requête serait présentée au Premier Président et la signification de l'ordonnance rendue par lui vaudrait un avenir, ce
qui aurait l'avantage d'accélérer la procédure.
Parmi les affaires urgentes, nous ferions figurer les incidents
de compétence aux sujets desquels, à notre avis, il y aurait lieu
de supprimer les dernières réformes du décret du 22 décembre 1958 et du 2 août 1960.
b) Réformes
Elles viseraient trois matières :
a) les contredits d'incompétence,
b) la requête civile,
c) le faux incident.
74
�a)
LE
CONTREDIT n'INCOMPÉTENCE
Si le décret du 2 août 1960 a apporté quelques améliorations
au système trop rigide de règlement de compétence instauré par
le décret du 22 décembre 1958, il n'en demeure pas moins que
les dispositions des articles 169 et suiv. du c. p. c. sont très
critiquables.
Ces critiques qui s'adressent aux principes mêmes du nouveau système sont corroborées par les expériences de la pratique.
Si le motif qui a inspiré le législateur est parfaitement
légitime : lutter contre les procédés dilatoires pour accélérer la
procédure, les moyens par lesquels il avait pensé atteindre son
but ne sont pas parfaits.
Les observations que l'on a formulées contre la nouvelle
procédure sont trop connues pour que nous les reprenions .
Même amendée par le décret du 2 août 1960, la procédure de
règlement des incidents de compétence sacrifie parfois les intérêts
des plaideurs au désir d'accélération; notamment, par l'absence
de signification aux intéressés du jugement sur la compétence .
Lorsqu'elle tend , au contraire l à se rapprocher de ce qu'elle
•
est en droit commun, elle perd de sa rapidité, donc de son
intérêt.
En outre, les exceptions apportées par les articles 170 et
172 bis au domaine d'application de l'article 169 en montrent
les imperfections : pas de contredit lorsque la juridiction revendiquée est de nature administrative; ni en matière de référé;
ni en matière de divorce; toutes ces hypothèses restent soumises
aux règles anciennes.
Dérogation égaIement en matière commerciale lorsqu'en
vertu de l'article 425 du c. p. c. le tribunal de commerce a statué
par un seul jugement sur la forme et sur le fond et lorsque le
fond de l'affaire est susceptible d'appel, sans qu'aucun texte
d'ailleurs, ne dise s'il doit en être ainsi pour les autres juridictions
d'exception.
Même incertitude lorsque la juridiction revendiquée comme
compétente n'appartient pas à l'orche judiciaire français ou est
un tribunal arbitral.
Si les praticiens reconnaissent que les contredits sont moins
nombreux, ils prétendent que les difficultés subsistent et qu'elles
sont particulièrement sérieuses lorsque la question de compétence
est liée au fond parce qu'elle dépend par exemple de la nature
des droits des parties (1 ) : c'est le cas d'un tribunal de commerce
se déclarant incompétent sur une demande de déclaration de
faillite parce que le débiteur poursuivi est artisan et non
commerçant.
.. ..
(1) V. ohserv. Hébraud. Re• . trim. droit civil 1961, pp. 184, 376,
729 ; 1962, p. 176 ; Giverdon, Commentaire du Décret du 2 août 1960,
D. 1961, lB, n' 53 et s.
75
�Il en est de même lorsque la détermination de la compétence
dépend de la nature des droits en litige: c'est le cas du défendeur
soulevant l'incompétence du juge des loyers commerciaux sous
prétexte que son bail était à usage d'habitation.
La Cour de Paris a estimé qu'il s'agissait d'une question
de fond et que le contredit était irrecevable (2).
Dans une affaire où la compétence du Conseil de Prud'hommes était contestée au motif que le contrat de travail était nul,
il a été jugé qu'il s'agissait d'une question de fond alors que
dans une bypothèse voisine où l'on invoquait le défaut de sérieux
du contrat de travail, la voie du contredit a été déclarée applicable.
La plus grande incertitude règne donc dans ce domaine.
A notre avis, il n'était pas nécessaire de créer une procédure
spéciale, mais une procédure accélérée, par un appel à jour fixe
et des délais courts, sans avenirs, ni qualités, et un enregistrement
gratuit.
En réalité, il est regrettable que le législateur n'ait pas
voulu se rendre compte que c'est surtout la multiplicité des
juridictions d'exception qui crée les incidents de compétence, et
qu'il n'ait pas voulu s'attaquer aux véritables causes du mal.
b) LA
REQUÊTE CIVILE
Indépendamment d'une réforme générale qui serait souhaitable en cette matière en raison de l'incertitude de son domaine
d'application par rapport au pourvoi en cassation, il y a un
cas qui ne figure pas dans l'énumération actuelle de l'article 480
et qui justifierait à notre avis, la requête civile : c'est le faux
témoignage.
Cela donnerait plus de sécurité aux plaideurs, les juges
n'ayant plus à rechercher, pour déclarer la requête civile recevable, s'ils peuvent ou non découvrir un dol personnel dans
l'bypothèse de faux témoignages.
Il y aurait lieu en outre d'alléger la procédure en révisant
la distinction entre le rescindant et le rescisoire.
c) FAUX INCIDENT CIVIL
Ici encore les articles 214 et sillv . devraient être remames
dans un but de sitnplification et d'allègement de la procédure.
(2) Paris, 15 déc. 1961, D. 1961, 342, Dote GiverdoD.
76
�CONCLUSIONS
Des multiples problèmes soulevés par norre rapport et dont
certains auraient mérité une étude plus approfondie, il apparait
que, même réformée ou mise en ordre, la procédure d'appel est
loin d'êrre simple et élémentaire.
Elle engage surtout des intérêts considérables puisqu'elle
va aboutir à une décision définitive.
Il n'en demeure pas moins qu'à notre avis, et avant d'avoir
entendu les rapports sur les juridictions d'exception et l'action
civile jointe à l'action pénale, il nous semble que toutes les
affaires venant devant la Cour ne nécessiteraient pas une procédure identique, et qu'il se dessine en quelque sorte, à côté de
la procédure normale que nous venons d'étudier, une procédure
simplifiée procédant des mêmes principes mais dépouillée de
certaines formalités (avenirs ... qualités ... enregisrrement immédiat
- au droit fixe ... délivrance de grosse dans la huitaine et à frais
réduits) .
Telles sont nos suggestions ; il ne s'agit pas d'apporter un
bouleversement général à norre procédure d'appel, mais une
mise en ordre dans les textes existants qui correspond à une
nécessité certaine et qui permettrait surtout de faire apparaltre
son caractère spécifique.
Elle serait relativement facile à opérer, et d'une efficacité
indiscutable.
Quelles que soient les retoucbes apportées à notre système
procédural français , nous restons fidèles à une procédure d.iligentée, dans ses grandes lignes, par les parties et leurs conseils,
estimant que le dirigisme dans ce domaine ne peut condnire qu'à
l'arbitraire en sacrifiant les légitimes intérêts des plaideurs.
'.
•
Y. LOBIN.
'.
77
�INTERVENTIONS
sur le rapport de
Mlle
Yvette LOBIN
MAITRE RIVEL
Saisine de la Cour
N'y aurait-il pas la possibilité, comme cela avait existé à
un moment} d'obliger rappelant à saisir lui-même la Cour de
son appel?
Bien des appels inutiles disparaîtraient ainsi.
Ce serait un moyen de faire un travail constructif en obligeant l'appelant à dire ce qu'il veut alors qu'il ne fait qu'un
travail de démolition trop souvent.
MAITRE CANOT
Avoué à la Cour d'appel d'Angers et Doyen de la Faculté
libre de Droit d'Angers.
Il ne faudrait pas que sous couleur de bater la justice, un
Conseiller-Rapporteur arrive à infirmer une décision ; fai eu
llexemple suivant ... Je m'excuse... c'est pour mieux concrétiser
ma pensée ... Une affaire de garde d'enfants : un rapport d'assistante sociale avait été dressé, et, devant le Tribunal, la femme
qui devait perdre son procès, sollicitait une nouvelle mesure
d'instruction qui lui fut refusée; e/le fit appel, et sous couleur
de faire ordonner une nouvelle mesure d'instruction, le ConseillerRapporteur a ordonné cette enquête qui avait été refusée par un
Tribunal, de telle sorte que l'on a vu cette chose, assez curieuse,
du point de vue juridique, un Conseiller-Rapporteur infirmer
à lui tout seul une décision de Tribunal, lors qu'il lui est
interdit par le Code de Procédure de prendre des mesures qui
préjudicient au fond... Or, celle-là préiudiciait au fond.
MAITRE ANDRE MAGNAN
Qualités
Les qualités sont aussi nécessaires que les ot:.igines de
propriétésJJ pour les actes notariés et les ndéhats parlementaires"
J}
.'
pour les textes de lois ...
La seule question est de savoir
faites le plus utilement.
78
PAR Qill
elles peuvent être
�Trois rédacteurs sont possibles : le Greffier? comme en
Justice de Paix. C'est le cas le plus dangereux, car les greffes
sont payés au ,ôle et nous aboutissons naturellement aux
Il
qua-
lités grossoyées" comme celle de la plus mauvaise période ; je
n'en veux pour exemple que ces grosses d'instance de 30 ou
40 pages où figure toute la procédure, depuis l'assignation, jusqu'aux moindres motifs des conclusions de l'une ou l'autre des
parties ... aux dires déposés devant ['expert, etc ... , coût avec
timbre 8 ou 10.000 anciens francs ... Un fatras illisible avec le
système moderne des photocopies surexposées ou sous exposées ...
La deuxième solution pourrait paraître la meilleure pour
un théoricien, celle d'un Conseiller passant des heures et des
pages d'a"êt à disséquer les procédures ... Perte de temps, d'un
temps précieux qui serait mieux employé à rédiger les motifs
et le dispositif de la décision.
Travail généralement incomplet, sans les précisions suffi'santes sur ridentité des parties et manquant de la transcription
purement mécanique du dispositif des conclusions. Le Magistrat
a vraiment mieux à faire .
La troisième solution, pour moi la meilleure évidemment,
c'est celle d'une secrétaire, la plus attentive, qui, sous le regard
.du patron mandataire de justice, va transcrire l'essentiel, mais
•
l'essentiel de l'identité et des adresses des parties, de la
date des actes et de leur dispositif .
TOUT
•
Ce sont juste les renseignements qui seront utiles dans
50 ans, pour savoir ce que la Cour a voulu dire dans son
arrêt ... et dans deux ans à la Cour de cassation pour dire le droit
s'il y a lieu.
MONSIEUR LE PROFESSEUR BERTRAND
Ainsi que les deux précédents observateurs, je serai bref.
Je n'aborderai que le rapport de Mil' Lobin. Je pense que le
rapport du Président Magnan et celui du Président Courteaud
dominent fensemble des deux journées et quJil sera sur beaucoup
de points inévitable de rappeler les passages essentiels de l'un
et l'autre, soit comme idée générale, soit comme technique.
Quant au rapport de MU. Lobin, les points essentiels également, je ne les aborderai pas, parce que ie pense qu'il y a
dans cette assemblée d'autres spécialistes qui sont beaucoup plus
compétents que je ne puis l'être, et je sais, pour qu'il me l'ait
dit en voisinage, que le Professeur Solus désire intervenir sur
ces points essentiels.
aimerais que sur le rapport de Mn. Lobin, ces journées
ne soient pas seulement académiques ou universitaires j elles
rassemblent les praticiens, les magistrats, les Facultés sur des
points qui souvent n'ont pas été aussi approfondis que nous
venons de f entendre.
r
79
�Alors, la première partie : la simplification.
Nous venons de voir par le rapport du Président Magnan,
par le rapport du Président Courteaud, que la procédure a cessé
d'être formelle, et que la procédure s'infiltre dans le sang. Pour
reprendre une expression de mon Maître~ le Professeur Morel,
la forme emporte le fond. On ne peut, par exemple, décider
d'une irrecevabilité, sans que le magistrat de la Cour au moins
connaisse les points litigieux sur le fond; c'est là une des idées
essentielles du Haut Magistrat qui a rapporté.
Les simplifications également abordent le fond, en ce sens
qu'il s'agit d'organiser la ;ustice dans le sens voulu par le monde
moderne, dans le sens de la simplicité et de la rapidité.
Je suis heureux d'avoir trouvé dans la liste des membres de
ces journées de très nombreux avoués et praticiens. Il a été dit
depuis longtemps, depuis l'ordonnance de Moulins. si rai bonne
mémoire, que ce sont eux qui répugnent par leur pratique aux
réformes.
•
-
..
•
Or, nous trouvons dans le rapport de Mil. Lobin, les éléments POUT, je ne sais si l'on dit, Monsieur le Doyen, concréter
ou concrétiser, d'ici demain, en forme de vœux, des points
fondamentaux, sur celle simplification profonde .
On a vu jusqu'ici la simplification de l'extérieur, en
modifiant l'organisation ;udiciaire. Je pense que le rapport de
M"~ Lobin a montré que la simplification n'était qu'un tremplin
qui nous permet aujourd'hui de conférer ,. je pense que désormais
la simplification doit se faire, suivant ce que rappellerai (que
les spécialistes me critiquent) les règles de fond de la procédure,
à Javoir : la Jimplification des délais, la simplification de la
saisine. Et s'il n'est pas possible d'ici demain de rédiger un
pro;et détaillé suivant la très haute technique du rapport écrit
de notre Collègue, il serait souhaitable qu'une commission puisse
élaborer un texte suffisant.
J'émets le vœu qu'une commission soit chargée de rédiger
un texte simple qui soit une résolution tendant à dire d'une
manière assez forte et assez énergique: "Les projets de 1958
se sont faits en dehors de nous j or, il nous appartient (c'est
le vœu du Président Magnan) aujourd'hui, de dire notre mot".
Il me paraît utile qu'une commission limitée rédige, sous
forme de vœu, cinq, six, dix lignes pour poser les principes sur
lesquels la simplification des délais, des saisines, des procédures
à délais longs, des procédures à délais courts, pourrait être
ordonnée. sans entrer dans le détail du chaos, du cauchemar
de la législation actuelle.
Voilà l'essentiel. Il faudrait peut-être aussi que celle résolution ou une autre, affirmât la position de ceux qui sont
au/ourd'hui réunis, à savoir ." la procédure formelle , le droit
judiciaire, sont des disciplines fondamentales. C'est fintérêt de
80
�la Faculté, c'est l'intérêt de la justice. Cela se trouve inclus
dans les rapports que nous avons entendus ce matin.
Une remarque technique, et j'en ai fini. Je ne suis peutétre pas en conformité absolue d'opinion avec notre excellente amie Yvette Lohin, qui a commencé son rapport sur la
procédure d'appel, par l'acte d'appel et l'instance d'appel;
;e re;oins la pensée profonde du Président Magnan : la voie
d'appel, qui est notre suie!, commence avant. Elle commence
avant, dès que se trouve ouvert le délai, et là se mettent en
mouvement des correspondances, des délibérations intimes que
la justice ne connaît pas, qui seront camouflées à la justice.
Mais i' anticiperais sur une intervention que je demande à faire
cet après-midi sur les rapports fondamentaux de Monsieur
Hébraud et de Monsieur Perrot. Le fait ;udiciaire pose des
problèmes techniques qu'il nous faudra bien régler cet après-midi.
MADAME LE PRESIDENT LAGARDE
Délais
Je ne puis dire qu'une chose, c'est que je suis presque,
sur tous les points, d'accord avec Mademoiselle Lobin, notamment sur le point de départ et la durée des délais d'appel qui
sont un véritable cauchemar devant la Cour de Cassation.
Qualités
je suis également d'accord avec elle sur le rétablissement
des qualités parce que pour nous~ à la Cour de Cassation, nous
sommes extrêmement gênés de ne plus avoir de qualités~ parce
que nous ne savons pas exactement s'il y a des demandes nouvelles ou non, ce qui a été soutenu ou non~ et si c'est une
question mélangée de droit et de fait. Il y a bien le dossier,
mais il faut bien dire que le dossier a des délais de transport
excessivement longs, et qu'il n'arrive pas touiours, et que généralement, il y manque la moitié des pièces. Nous sommes, ie
crois, à peu près tous d'accord pour demander le rétablissement
des qualités.
Juge chargé de suivre la procédure
Mais il Y a un point sur lequel ;e ne dirai pas que ;e ne
suis pas dlaccord, mais enfin
,.
.,
,
raurai des hésitations, c'est sur le
rôle du ;uge-rapporteur. - je n'ai pas assez la pratique de cel/e
chose pour savoir si le juge-Rapporteur est vraiment, peut-être
aussi efficace, que Mademoiselle Lobin l'a proposé... mais i'ai
quelques doutes... parce que ;e ne sais pas si les Magistrats
aiment beaucoup ce rôle de juge-Rapporteur... d'autre part, les
81
�procès sont longs, les Magistrats changent de place... ;e crains
que le rôle du Juge-Rapporteur s'ouvre sur des points précis,
par exemple sur ce que vous avez dit sur l'enquête ...
Pour le reste, ie suis entièrement d'accord avec Made·
moiselle Lobin.
MONSIEUR LE PROFESSEUR RAYNAUD
Je m'excuse d'o"êter Monsieur Solus, sur la voie de la
tribune, mais ie voudrais dire un tout petit mot qui me paraît
indispensable après l'intervention de notre collègue Bertrand,
et qui souhaite que de ce colloque sortent éventuellement des
résolutions utiles.
Alors si finte,viens} ce n'est pas en qualité de praticien
puisque ;e ne le suis pas, ce n'est pas non plus en qualité de
théoricien pour le moment, mais en qualité,
i'allais
dire de
législateur, mais il n'y a plus de législateur en procédure, puisqu'elle relève du pouvoir réglementaire, mais de membre d'une
commission qui n}est même pas une commission car ce terme
est trop pompeux, mais de groupe d'étude qui a été chargé
par la Chancellerie d'étudier un certain nombre de textes ; il
Y a un autre membre de ce groupe dans rassemblée, et ie
pense qu'il m'autorisera à parler en son nom.
Car} nous sommes occupés, actuellement, précisément à
l'étude de l'unification des délais. Et vous pensez bien que les
résultats de ce colloque nous seront extrêmement précieux,
c'est pourquoi, je souhaiterais qu'ils fussent précis, également.
Car il est apparu à ce groupe de travail que la simplification
n'est pas une chose simple, qu'il n'y a rien de plus compliqué
que de simplifier, et je vous ferais simplement cette confidence,
qui n'a que la valeur d'une confidence, au départ nous étions
orientés avec un zèle très vif d'unification, vers une solution
qui consisterait à n'avoir qu'un seul délai d'appel ... Mais si l'on
avait voulu un seul délai d'appel, on était obligé de faire un
délai d'appel plus court que le délai actuel de droit commun,
c'est-à-dire un délai de quinze jours au lieu d'un délai de un
mois et à la réflexion nous avons pensé que ce délai serait
peut-§tre trop bref, les praticiens d'ailleurs nous ayant fait valoir
qu'ils restaient attachés du moins en droit commun, à un délai
de un mois.
C'est la raison pour laquelle fai été pour ma part, très
séduit, par la proposition de Mademoiselle Lobin, qui proposerait deux délais, un délai court, et un délai longJ ~ car c'est
précisément la dernière orientation du groupe de travail, et
il se trouve que nous nous sommes rencontrés ... mais, faimerais
pour ma part, que ce colloque, dise exactement ce qu'il souhaite.,
;e ne dis pas pour lui donner satisfaction, d'ailleurs les conclusions auxquelles nous aboutiront ne seront que des vœux, elles
�aussi, mais enfin un vœu de cette réunion qui rassemble à la
fois, les praticiens et les théoriciens, qui rassemble tous ceux
qui se préoccupent de ce même
probl~me
avec des optiques
différentes mais avec des soucis communs, serait, je crois, extrêmement précieux, et c'est la raison pour laquelle, je me permets
d'insister dans le sens de notre
coll~gue
Bertrand.
Conseiller-Rapporteur
Je suis un peu plus sceptique que Mademoiselle Lobin sur
f efficacité du conseiller-rapporteur} mais là aussi aimerais
r
bien que les magistrats et les avoués nous disent ce qu'ils en
pensent, ne serait-ce que pour dissiper fimpression d'incertitude
que
i'ai devant les conclusions de notre chère
coll~gue,
car je
constate toujours que le juge-rapporteur n'a pas eu encore
beaucoup de succès ni beaucoup de prestige, et je ne sais
pas si le conseiller-rapporteur aurait plus de chance... Ce n'est
pas que je ne le souhaite pas, mais enfin
i'aimerais
là aussi que
les praticiens nous permettent d'y voir plus clair.
Je m'excuse, {avais dit que je serais bref, et je m'aperçois
que i'ai été plus long que je ne voulais, et je laisse la place
enfin à Monsieur Solus.
MONSIEUR LE PROFESSEUR SOLUS
Mesdames, Messieurs, je veux d'abord, tout en devant parler
le plus brièvement possible, m'associer aux éloges qui ont été
adressés par mon collègue Bertrand aux trois rapporteurs que
nous avons entendus et qui nous ont mis vraiment, par la
hauteur de leurs vues, dans une ambiance favorable pour aborder
nos travaux avec fruit.
Qu'il me soit permis. à propos des questions traitées dans
l'excellent rapport de Mademoiselle Lobin, de présenter quelques
observations.
Jugements défiDdtlfs
La première a trait, ma chère collègue, à une question de
terminologie. Vous avez cru devoir renoncer à parler de JJjuge·
ments définitifs", et vous avez préféré l'expression de jugement
"au fond", parce que, dites-vous, l'appellation de jugement définitif prête à confusion en laissant supposer que le jugement
définitif est celui qui n'est pas susceptible d'une voie de recours.
Permettez-moi de ne pas vous suivre sur ce terrain. Si,
dans le langage courant, qui est notamment celui des civilistes,
. i .
•
on entend trop souvent par jugement définitif le jugement qui
n'est plus susceptible de voies de recours, c'est par une véritable
déformation et une méconnaissance certaine du sens technique
83
�du terme Hdé/initif", déformation et méconnaissance contre
lesquelles il nous appartient à nous spécialistes du droit ;udiciaire
privé, de nous élever avec force.
Le ;ugement définitif, par opposition au ;ugement avantdire droit est celui qui statue sur le fond. Tout autre est le
problème de savoir si le ;ugement - qu'il soit définitif ou avantdire droit - n'est plus susceptible de voies de recours, auquel
cas il est correct et seul correct d'user de l'expression de jugement
passé en force de chose ;ugée.
Aussi, quand ;e lis, quand i'entends la formule, un ;ugement
devenu définitif, il y a quelq". "hose en moi qui se rebelle;
car: Messieurs, un ;ugement est définitif ou il ne l'est pas;
il ne le devient pas. Et i/ n'est définitif que lorsqu'il se prononce
sur une question de fond; il n'y aura pas d'ailleurs que la
question de fond au principal qui donnera naissance à un ;ugement définitif; il Y aura des questions de fond sur des incidents.
Ainsi un ;ugement sur la compétence est un ;ugement définitif
sur la compétence; il statue sur le fond de la question de
compétence.
Qualités
Ma deuxième observation a trait aux qualités, ces malheureuses qualités ou ces bienheureuses qualités.
Nous les avons maudites quand elles étaient mal faites,
combien nous est-il arrivé de fois, à vous Messieurs les praticiens,
avoués d'appel, avocats, magistrats, éminents représentants de
la Cour de cassation, et à nous-mêmes, professeurs des Facultés
de DroÎt, ayant à consulter un dossier, de JJpester", si vous
voulez me permettre cette formule un peu vulgaire, quand nous
nous trouvions en présence de fun de ces petits cahiers de qualités de vingt à trente pages, sur un papier pelure qui était à
peine lisible parce que l'étude avait fait des économies de papief"
carbone (;e m'excuse d'entrer Jans tous ces détails) , nous
imposant de relire quatre, cinq, six fois la même chose; nous
étions excédés; et quand la condamnation des qualités est
arrivée nous avons été satisfaits.
Et puis, maintenant qu'il n'yen a plus, nous avons le regret
,.
-
des qualités bien faites; car il y avait aussi des qualités bien
faites, voire très bien faites; et ce sont celles-là qui étaient fort
utiles.
Alors la suppression des qualités a fait disparaître le mal,
mais aussi elle a supprimé le bien que comportaient les qualités.
Et c'est pourquoi, ;e partage, dans une large mesure, les regrets
qui ont été exprimés.
...
Permettez-moi cependant de faire allusion à des souvenirs
dé;à lointains : il me souvient des délibérations de la Commission
de 1934, qui, vous le savez, est à l'origine du décret de 1935
et des autres textes qui ont été ensuite promulgués, et i' entends
�e1Jcore, à cette Commission, Monsieur le Président Poulle, qui
p,ésidait une des chamb,es de la Cou, de cassation, vont.,
les mérites de la procédure en vigueur en Alsace-Lorraine .' ceUeci ne compo,tait pas de qualités; mais le dossie, du t,ibunal
était transmis à la Cour de cassation qui était ainsi informée
de l'état de l'affaire, bien mieux que par les qualités affirmait
Monsieur le Président Poulle. Il me souvient aussi des travaux
qui avaient été effectués par la Société d'Etudes Législatives,
auiourd'hui disparue, sur cette question de la suppression des
qualités, avec le substitut du dossier du tribunal.
Je me demande d'ailleurs, à un autre point de vue, si le
rapport du iuge chargé de suivre la procédure, à condition qu'il
soit bien fait et rédigé par écrit, ne pourrait pas deveni, le
substitut des qualités.
Mais s'il s'agit de revenir à des qualités dans le genre de
celles que ie vous ai décrites, leur rétablissement serait fâcheux .
C'est à vous seuls, Messieurs les avoués, qu'il appartient qu'il
n'en soit pas ainsi.
Conseiller-Rapporteur
Reste alors, et ce sera ma dernière observation, la question
du conseiller-rapporteur en appel.
L'institution du iuge chargé de suivre la procédure est sortie
du cerveau d'un magistrat} non point de celui d}un des professeurs
de Faculté qui faisaient partie de la commission de 1934;
c'était Monsieur l'Avocat général Mornet, magistrat J'une intel-
ligence remarquable, qui avait conçu le iuge chargé de suivre
la procédure; et ce personnage me paraissait si séduisant, qu'il
me souvient qu'aussitôt après la promulgation du décret de 1935,
ren
chantais toutes les louanges ...
Mais l'on s'est vite aperçu, à Paris tout au moins, que
l'institution ne se développait par, n'entrait pas dans les mœurs
iudiciaires.
J'avais, il est vrai, à l'origine, en présence de l'échec pratique de l'institution, accusé Messieurs les avoués - et ie m'en
excuse - d'avoir cédé à l'esprit de routine. Quand une insti-
tution nouvelle de droit iudiciaire prend naissance, il faut modifier le formulaire; or, le formulaire est un instrument bien
précieux, qui donne la sécurité; on emploie des formules, on
recourt à des procédures qui ont été éprouvées par la pratique
et dont la validité a été sanctionnée par des décisions judiciaires.
Quand on se trouve en présence d'une réforme et qu'il s'agit
de faire du neuf, on se demande si on le fera bien; on hésite ;
..
on s'abstient.
Ainsi avais pensé que les avoués, de même que les magis-
r
'-
trats, s'étaient laissé gagner par la loi du moindre effort, dont
85
�nous sommes tous les dévoués serviteurs, et que) si finstÏiution
n'a· pas fonctionné, c'est parce qu'on n'a pas voulu la faire
fonctionner.
A fexpérience, je me suis rendu compte qu'il y avait aussi
d'autres raisons de féchec de l'institution. Ces raisons sont
d'ordre matériel, s'agissant en particulier du Tribunal de la Seine
- ie vous parle de celui-là car il est le plus proche de ma
résidence - il est apparu que les obstacles au fonctionnement
ellicace du système du iuge chargé de suivre la procédure étaient
les suivants ;
D'abord, l'absence de locaux où pourront se tenir les audien-
ces auxquelles le iuge chargé de suivre la procédure devra convoquer et entendre les avoués, voire les avocats (on a parlé
d'audiences spéciales, qualificatif peut-être fâcheux);
Ensuite l'impossibilité qu'éprouvent les magistrats, les avoués
et les avocats, déià pris par la besogne normale que leur imposent
la préparation et la tenue des audiences de iugement, de trouver
. --,
'.;.
.
en outre le temps nécessaire aux premiers pour tenir les audiences spéciales et aux seconds pour y assister. Les avoués, comme
les avocats, ont leur important travail d'étude ou de cabinet,
leurs dossiers à préparer, leurs clients à recevoir, leur cou"ier
à assurer, comment y parviendront-ils s'il leur faut être au
Palais le matin aux audiences spéciales et l'après-midi aux
audiences où sont iugées les allaires?
Alors, Messieurs les avoués d'appel, permettez-moi de me
tourner vers vous, et vous aussi, Messieurs les magistrats d'appel,
croyez-vous que ces mêmes obstacles matériels que l'on a rencontrés auprès des tribunaux d'instance, vous ne les rencontrerez
pas auprès des Cours d'appel, pour bien faire fonctionner le
conseiller-rapporteur, avec toutes les attributions qu'il est envi-
sagé de lui donner, dans le rapport de Mademoiselle Lobin?
Il me semble que là est tout le problème, ou du moins
une très grande partie du problème; et c'est pourquoi, si vous
le voulez bien, Messieurs, je demanderai au président de susciter
des interventions de magistrats et de praticiens beaucoup plus
qualifiés que moi-même, pour répondre à la question que rai
cru devoir poser.
MONSIEUR LE PREMIER PRESIDENT LIMOUZINEAU
Mon intervention, qui sera brève, a pour seul objet d'attirer
votre attention sur un certain nombre de difficultés qui se
posent en pratique.
Qualités
On vient de proposer de rétablir les qualités. Leur suppression a imposé aux magistrats du siège un surcroît de travail
86
�important. Dans un procès où la rédaction des motifs et du
dispositif du jugement ou de l'arrêt nécessite, en moyenne, une
heure de travail, il est souvent nécessaire de consacrer plus
d'une autre heure à essayer de résumer les conclusions des
parties, les conclusions additionnelles, les conclusions complémentaires, les conclusions rectificatives, qui sont souvent bien
rédigées, qui ne le sont pas toujours et où il est parfois difficile
à un praticien modeste de saisir la pensée exacte de celui qui
les a écrites.
Par conséquent, ie pense qu'aucun magistrat ne verra dispa-
raître, avec trop de regret, cette obligation qui a été la conséquence de la suppression des qualités.
Monsieur le professeur Solus vient de proposer que le
juge ou le conseiller chargé de suivre la procédure soit chargé
de résumer les conclusions des parties dans son rapport écrit,
dont il donnerait lecture au début de l'audience des plaidoiries,
lequel tiendrait lieu de qualités.
L'idée est séduisante. Mais est-elle pratiquement réalisable!
En pratique, il arrive que certaines conclusions des parties soient
remises aux magistrats au début de l'audience, ou même seu-
lement quand l'affaire a été mise en délibéré. On assiste souvent
entre deux avocats, par exemple, l'un de Marseille, l'autre de
-Nice, au dialogue suivant .- « Je soutiens tel moyen. - Mais
vous ne m'avez pas communiqué vos conclusions! » - Comment? mais ie les ai adressées à mon avoué voici trois iours! »
Et la COllr fait quérir l'avoué qui s'explique .- « Je viens juste
de recevoir les conclusions » ou « Maître X ... vient de
me les remettre. Ma dactylographe est en train de les copier. La
Cour va les avoir dans un instant ».
Sans doute, serait-il préférable de renvoyer l'affaire afin
d'attendre que les conclusions aient été signifiées et déposées
dans les délais. Mais les affaires, qui sont nombreuses, nous
pressent. Les justiciables veulent hre jugés sans retard. Ils sont
là avec leurs avocats. Et je puis bien dire que dans la Cour
d'Aix, il y a fort peu de conclusions qui soient signifiées dix
iours à l'avance.
Aussi, je ne pense pas que la solution proposée par Monsieur
le Professeur Solus soit actuellement réalisable.
ConseUler-Rapporteur
Si i' en crois mon expérience, le rapport écrit du conseiller
chargé de suivre la procédure pouvait être généralement rédigé
avant l'audience dans certaines cours d'importance moyenne,
telle que celle de Dijon à laquelle i'ai eu l'honneur d'appartenir,
parce que les auxiliaires de justice se conformaient davantage
aux règles prescrites par le code de procédure civile et parce
que l'exactitude y était mieux respectée. Mais ie ne pense pas
qu'il en ait été souvent ainsi dans les Cours importantes. Et ie
87
�puis dire que dans nombre de tribunaux de première instance~
ce rapport écrit n'était souvent complètement rédigé qu'après
l'audience, quand il ne l'était pas, au moment de la transmission
à la Cour du dossier du tribunal, dans les seules causes ayant
motivé un appel.
Un mot encore sur le rôle du conseiller chargé de suivre
la procédure.
J'en ai rempli les fonctions pendant une dizaine d'années,
de 1945 à 1955, dans la Cour dont ;'ai parlé. J'ai constaté que
ce magistrat pouvait rendre d'appréciables services.
A Di;on, le conseiller chargé de suivre la procédure est
souvent saisi par les avoués des parties. Il ordonne des expertises,
prescrit des enquêtes et les exécute. A Dijon, les enquêtes sont
toutes faites par les conseillers, en présence des avoués près la
Cour.
A la Cour d'Aix, il n'en est pas de même. Pourquoi? Tout
d'abord, parce que le nombre des affaires est considérable et
que le nombre des enquêtes prescrites est élevé. Or, il n'existe
que seize avoués près la Cour. Ceux-ci sont pris, matin et soir,
aux audiences de la Cour. Comment exiger d'eux qu'ils assistent
leurs clients dans les enquêtes? Comment exiger d'eux, dans
..
les milliers d'affaires dont ils ont à connaltre, qu'ils reçoivent
les ;usticiables, les écoutent, les assistent des heures durant?
. Ensuite, existe un problème d'effectif des magistrats. La
situation actuelle est, certes, exceptionnelle. Mais il manque à
la Cour trois Présidents de Chambre, un quart de l'effectif. Il
manque aussi une demi-douzaine de conseillers. Au total, la
valeur de trois chambres. Si bien que les conseillers siègent
souvent à cinq, voire à six audiences par semaine. Ils doivent
rédiger des arrêts. Comment leur demander de remplir, en outre,
les fonctions effectives du conseiller chargé de st/ivre la
procédure?
Enfin, se pose t/n problème de locaux. La Cour ne dispose
que d'un Palais de Justice, dont la valeur architecturale ne
compense pas les inconvénients nombreux. Il n'a été possible que
d'y créer, à grand peine, de rares cabinets où les Présidents de
Chambres se tiennent à deux ou trois. Il n'existe pas de salle
pour les enquêtes. Il n'existe aucun cabinet pour les conseillers.
Or, pour pouvoir remplir, selon le vœu du législateur, les fonctions du magistrat chargé de suivre la procédure, le conseiller
doit disposer d'un cabinet où il peut recevoir les conseils des
parties et, au besoin, les parties elles-mêmes, afin, par exemple,
de tenter de les concilier.
Pour conclure, s'il m'a été donné de constater que le magis-
.,
•
trat chargé de suivre la procédure remplissait effectivement ses
fonctions dans des ;uridictions d'importance moyenne, Cours
et Tribunaux, il m'apparatt beaucoup plus difficile de mettre
effectivement en application cette institution dans les très grands
tribunaux et les très grandes Cours d'appel .
88
�MONSIEUR LE PROFESSEUR BERTRAND
Je crois que l'unanimité de l'opinion, celle exprtmee~ tout
au moins, est pour le rétablissement des qualités.
Il m' était venu à l'esprit autrefois, une manière de régler
ce problème de la nécessité des qualités, malgré l'ancienne pratique, qui aboutissait à des qualités que le Professeur Solus n'a
pas dit inqualifiables.
Le point de fait, le point de droit, le point à ;uger, quid
des dépens? En effet, ces formulations sont devenues inutiles.
Mais il faudrait que les qualités soient en forme de procédure dans les conclusions. En d'autres termes, que les avoués
près la Cour aient IJobligation, soit en annexe, soit en tête des
conclusions, de faire ce que le conseiller chargé de suivre la
procédure est obligé d'exprimer et que la Cour est souvent obligée
de rédiger dans son arrêt ; c'est-à-dire d' exposer dans les conclusions l'essentiel de la procédure ayant précédé la mise en état.
Si les avoués ne sont pas dlaccord sur le résumé et l'exposé des
faits du procès, la Cour tranchera par son arrét, et les qualités
seront arrêtées d'une manière définitive, grâce à l'autorité de
la chose jugée. Cela aurait, en outre, le grand intérêt d'imposer
une signification assez proche de IIaudience et d' éviter les
.conclusions tardives .
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RAPPORT
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APPEL PROVOQU~
et INDIVISIBllIT~ en
MATIÈRE d'APPEL
par
Roger PERROT
Professeur à la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques de l'Université de Paris
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APPEL PROVOQUE
el INDIVISIBILITÉ en MATIÈRE D'APPEL
PRESIDENCE .. M. LE PROFESSEUR HENRY SOWS
SOMMAIRE
Les affinités entre « l'appel provoqué » et l'appel en
matière indivisible (na 1). L'importance actuelle de ces problèmes
(na 2). L'insuffisance des règles classiques (na 3).
1. . L'appel provoqué par l'appel principal
-.
--
•
Utilité et rôle de l'appel provoqué (na 4). Nature juridique
de l'appel provoqué; comparaison avec l'intervention (na 5).
Al Domaine d'application de l'appel provoqué
Initialement, il a été conçu comme un mode d'intervention
volontaire (na 6). De nos jours, il est utilisé également comme
un mode d'intervention forcée (na 7). Les limites à son domaine
d'application (na 8). Conclusion: la force d'expansion de l'appel
provoqué (na 9).
B) Conditions d'exercice de l'appel provoqué
Les conditions requises s'apparentent à celles de l'intervention (na 10).
1) Lien de connexité (na 11 ).
II) La notion d'intérêt: ses particularités (na 12).
III) L'acquiescement (na 13 l.
IV) Les formes (na 14).
Conclusion : le but essentiel est de permettre la reconstitution du litige dans son unité première (na 15).
Il . . L'appel en cas d'indivisibilité
Définition de l'indivisibilité (na 16). L'unité du litige risque
d'être brisée au stade de l'appel (na 17). La technique de la
représentation ; critique (na 18). Plan (na 19).
A) Expiration simultanée des délais d'appel
Il est souhaitable que les délais expirent en même temps à
l'égard de tous les cointéressés (na 20).
93
�1) Indivisibilité du côté des gagnants (nO 21),
II) Indivisibilité du côté des perdants (n° 22).
B) Portée de l'acte d'appel
Position du problème; terminologie (nO 23).
1) Indivisibilité du côté des gagnants (nO 24).
II) Indivisibilité du côté des perdants (nO 25).
Relevé de déchéance (nO 26). L'autorité de la cbose
jugée à l'égard de ceux qui n'ont pas formé appel
(n° 27).
Conclusion
Une intervention législative ne s'impose pas.
1. - il ne faut pas attribuer au seul hasard des circonstances le fait d'avoir jumelé, dans un même rapport, l'étude
des questions concernant, d'une part, l'appel provoqué par l'appel
principal et, d'autre part, le régime spécial de l'appel en cas
d'indivisibilité. Car, à la réflexion, l'on s'aperçoit qu'il existe,
entre ces divers problèmes, une double affinité :
- d'abord, une affinité d'ob;et : dans les deux cas, il faut
faire face à des situations procédurales complexes, nées de la
multiplicité et de l'interdépendance des rapports juridiques litigieux, soit que toute une série de garants et de sous-garants ait
été mise en cause devant le premier juge, soit que le procès
ait été plaidé en première instance contre des héritiers ou des
copropriétaires indivis (pour ne prendre que ces quelques exemplesl. Or, une bonne administration de la justice exige que,
dans toute la mesure du possible, l'unité de semblables litiges
ne soit pas subitement brisée parce que certains des plaideurs
qui ont été parties en première instance ne veulent pas, ou ne
peuvent plus, saisir la juridiction du second degré. Ainsi s'expliquent, tant en ce qui concerne « l'appel provoqué» que l'appel
en matière indivisible , les règles dérogatoires dont l'objectif
essentiel est de favoriser, en cause d'appel, la reconstitution du
-"
litige dans son unité première.
- ensuite, une affinité de moyens : si l'on veut atteindre
ce but, il convient d'ouvrir largement l'instance d'appel à tous
ceux qui ont été parties au procès devant le premier juge ; et,
•
en particulier, il faut veiller à ce que certains plaideurs ne soient
pas déchus du droit d'interjeter appel par le jeu d'une forclusion
ou d'un acquiescement qui les priverait de la faculté de se joindre
à l'appel principal. Pour cette raison, l'appel provoqué et l'appel
en matière indivisible ont ceci de commun que, l'un et l'autre
peuvent être formés en tout état de cause, à un moment où,
par conséquent, un appel principal ne serait plus possible.
Ainsi donc, n'est-il pas irrationnel d'étudier dans un même
rapport ces deux questions apparemment dissemblables.
94
�2. - L'importance actuelle de ces problèmes est indéniable.
De plus en plus, les rapports juridiques se compliquent et s'interpénètrent (d. le rapport de M. le Président Magnan). Aujourd'hui,
bien rares sont les procès en responsabilité civile où n'intervient
pas soit une compagnie d'assurances, soit la Sécurité sociale.
De même, en matière immobilière, lorsque l'acquéreur d'un
appartement constate l'existence d'un défaut de construction, le
vendeur assigné appellera généralement en garantie le maltre de
l'œuvre, lequel assignera parfois l'architecte qui, à son tour,
cherchera à se couvrir des condamnations éventuelles en appelant
en cause une caisse de garantie professionnelle.
D'une manière plus générale, d'ailleurs, l'économie de groupe
engendre des rapports juridiques qui souvent se ramifient à
l'extrême et qui, sur le plan judiciaire, entraînent la mise en
cause de toute une série de personnes dont les intérêts sont
tributaires les uns des autres (1), voire même parfois indivi·
sibles (2).
3. - La fréquence de telles situations a révélé l'inadaptation
des règles classiques en matière d'appel.
On sait que, pour des raisons parfaitement légitimes, les
rédacteurs du Code de procédure civile ont soumis l'exercice de
l'appel à des délais relativement brefs, ayant généralement pour
point de départ le jour de la signification du jugement. Mais
en réglementant l'appel de cette manière, le législateur a pris
pour base l'hypothèse classique où le procès se déroule entre
deux plaideurs qui, dès le jour de la signification du jugement,
...•
possèdent tous les éléments nécessaires pour apprécier s'il y a
lieu d'interjeter appel et qui, dans les limites de temps imparties
par la loi, sont libres d'attaquer le jugement ou de préférer la
décision des premiers juges aux aléas d'une nouvelle instance.
Tel n'est pas toujours le cas; et, précisément, lorsque le
procès met en présence un grand nombre de personnes dont
les intérêts s'interpénètrent mutuellement, les données ne sont
plus les mêmes. Car, par le fait même de l'interdépendance des
intérêts en cause, toute décision prise par l'un des plaideurs
quant à l'opportunité d'attaquer le jugement risque d'altérer
profondément la situation juridique des autres parties, dans la
mesure où une éventuelle réformation du jugement attaqué est
de nature à compromettre l'équilibre des intérêts en présence.
Pour cette raison, la rigidité des règles classiques ne convient
plus. Et, notamment, la liberté laissée à chacun de saisir la
juridiction d'appel s'il le juge utile, à condition que ce soit dans
~.,
~"
..."..
~
..'..
..
(1) A titre d'exemple : Casso civ. 13 févr. 1957, Sem. jur. 1957.
II.10170 bis, D. 1957. 297, S. 1957. 222.
(2) A titre d'exemple : Casso civ. 3 mars 1961, Sem. jur. 1961.
IV, éd. avoués, n° 3838.
95
�les délais légaux, doit parfois céder le pas à d'autres considérations inspirées tout à la fois par le souci de conserver au litige
son unité première et par la nécessité d'éviter toute forclusion
prématurée, au détriment de certains plaideurs qui n'avaient pas
jugé opportun de faire appel immédiatement.
Ainsi se justifient les particularités relatives à « l'appel
provoqué » et le régime spécial de l'appel en cas d'indivisibilité.
1
L'APPEL PROVOQUÉ PAR L'APPEL PRINCIPAL
4. - On connaît l'exemple classique : une victime d'accident, déboutée en première instance de la demande qu'elle avait
formée contre le prétendu responsable et l'assureur de ce dernier,
s'avise d'interjeter appel contre l'assuré seul, sans intimer la
compagnie d'assurances. Comment l'assureur, qui a tout
intérêt à intervenir au procès d'appel en vue d'éviter une éventuelle condamnation de son assuré, - pourra-t-il se joindre à
l'appel principal?
,
f
......
- Il ne saurait être question de former une demande en
intervention puisque, par hypothèse, l'assureur a été partie au
procès en première instance (cf. toutefois sur ce point, infra
n° 15). Seule la voie de l'appel lui est ouverte; mais peut-il
interjeter appel ?
- Un appel principal n'est guère concevable pour cette
double raison que, d'une part, l'assureur n'a pas succombé en
première instance et que, d'autre part, eût-il succombé partiel.
lement, il demeure exposé au risque d'être forclos si la victime
a interjeté appel au dernier moment.
- Enfin, l'appel incident, auquel on songe pour échapper à la forclusion , n'est ici d'aucun secours puisque le garant
(l'assureur, dans l'exemple choisi) n'a pas été intimé.
.. ,
~
.
.~,
.
,.
C'est en vue de remédier à cette lacune que le décret-loi
du 14 juin 1938 a introduit dans notre droit positif un appel de
type particulier qui, à l'époque, prit le nom d'appel éventuel
provoqué par l'appel principal (art. 443 ancien C. pro. civ.) et
qui, aujourd'hui, est désigné simplement sous le nom « d'appel
provoqué par l'appel principal ».
Désormais, par conséquent, aux termes de l'article 445,
alinéa 4, C. pro. civ. , le plaideur qui, après avoir été _partie au
procès en première instance, n'a été ni appelant principal, ni
intimé (comme c'était le cas de l'assureur dans l'exemple cité
précédemment), a le droit d'interjeter appel « en tout état de
cause », à condition que cet appel ne retarde pas la solution de
l'appel principal.
�5. - La nature juridique de l'appel provoqué est malaisée
à déterminer.
De prime abord, on est tenté d'établir un rapprochement
avec l'appel incident, auquel l'appel provoqué s'apparente par de
nombreux traits : comme lui, il peut être formé en tout état
de cause; et comme lui, surtout, il tend à élargir l'effet dévolutif
opéré par l'appel principal. Cette double similitude a d'ailleurs
paru si caractéristique que les commentateurs les plus autorisés
ont pensé qu'il eut été juridiquement plus élégant d'étendre à
cette hypothèse particulière le domaine d'application de l'appel
incident classique, plutôt que de créer un nouveau type d'appel (3 J.
Mais, en réalité, cette similitude est plus apparente que
réelle; car, par ailleurs, il existe de très profondes différences
entre l'appel incident et l'appel provoqué.
En effet, l'appel incident a uniquement pour but d'élargir
la saisine opérée par l'appel principal, quant à l'objet de la
dévolution : par le moyen d'un appel incident, l'intimé qui a
partiellement succombé en première instance et qui, sans doute,
n'aurait pas interjeté appel si, de son côté l'adversaire n'avait
pas pris une telle initiative, va, à son tour, déférer au juge du
second degré les chefs du jugement sur lesquels il a succombé,
âe manière à tenir en échec la règle « tantum devolutum ... » et
à reconstituer l'unité première du litige contre le gré de l'appelant
principal.
Avec l'appel provoqué, l'extension de la saisine du juge
d'appel est d'une autre nature; car il s'agit, cette fois, d'élargir
la dévolution initiale opérée par l'acte d'appel, peut-être d'une
manière accessoire quant à son objet si l'auteur de l'appel
provoqué a succombé en première instance sur certains chefs
(ce qui n'est pas toujours le cas), mais aussi et surtout quant
aux personnes. En cela, réside l'originalité essentielle de l'appel
provoqué qui, pour cette raison, se disringue de l'appel incident
à un double titre :
a) D'abord, à la différence de l'appel incident, l'appel
provoqué n'est pas spécialement réservé au plaideur qui a
succombé en première instance : celui dont les conclusions ont
été intégralement adjugées peut former un appel provoqué (4 J.
b) Ensuite et surtout, l'appel provoqué tend à permettre,
hors délai, l'extension du lien juridique d'instance créé par l'acte
d'appel à des personnes qui, après avoir été parties au procès
·, -
(3) Hébraud, D.C. 1943, lég., p. 3, col. 1; rapp. Raynaud, observations à la Rev. trim. cIr. civ. 1950, p. 239. in fine; Cuche et Vincent,
Précis, 13' éd., n° 428, p. 493.
(4) Grenoble, 12 déc. 1951, Sem. jur. 1952, IV, éd. avoués, n° 1838,
obs. Madray, Rev. trim. dr. civ. 1952, p. 272, obs. P. Raynaud; Cass.
civ. 19 févr. 1958, Sem. jur. 1958. II. 10642, note H. Sinay D. 1958.
447, )tev. trim. dr. civ. 1958, p. 455, obs. P. Raynaud. Sur les conséquences pratiques de cette observation, quant à la notion d'intérêt (cl.
infra n° 12) et quant à l'acquiescement (cf. infra n° 13).
97
�devant les premiers juges, n'ont pas cru devoir former un appel
.,
principal et n'ont pas davantage été intimées.
Pour toutes ces raisons, l'appel provoqué s'apparente bien
plus à l'intervention qu'à l'appel incident.
Sans doute, l'appel provoqué se distingue-t-il de l'intervention proprement dite (et, à ce titre, participe de la nature
de l'appel), dans la mesure où l'extension du lien juridique
d'instance se limite' exclusivement aux personnes qui ont déjà
figuré au procès devant les premiers juges, au lieu de concerner
indistinctement tous les ti~rs. Mais, sous cette réserve, rappel
provoque est plus proche de l'intervention que de l'appel incident ; en d'autres termes, il serait plus exa~t de considérer rappel
provoqué comme un type particulier d'intervention que comme
une forme étendue de l'appel incident.
On le constatera, d'ailleurs, en étudiant :
a) son domaine d'application,
b) ses conditions d'exercice.
.
0) Domaine d'application de l'appel provoqué
\
6. - Lorsque, en 1938, l'appel provoqué a été introduit
dans le Code de procédure civile, sous le nom d'appel éventuel
provoqué par l'appel principal, il est vraisemblable que le législateur n'avait envisagé cette nouvelle forme d'appel que comme
un mode d'intervention volontaire.
Ainsi qu'il a été dit précédemment (cf. supra na 4), le
législateur a voulu que le gar'll1t (dans l'exemple cité plus haut:
l'assureur) puisse se joindre volontairement à l'appel principal
formé par un prétendu créancier (la victime d'un accident) contre
la seule personne garantie (le responsable assuré) ; et cela, par
voie de simples conclusions déposées en tout état de cause,
c'est·à-dire, même après Pexpiration du délai d'appel.
.
On comprend d'ailleurs pourquoi le législateur a attendu
1938 pour songer à cette hypothèse. Trois années auparavant,
le décret de 1935 avait abrogé la règle « nul ne se forclôt soimême » (5) ; et, du fait de cette abrogation, il était désormais
à craindre que le garant pût se voir opposer une fin de nonrecevoir tirée de l'expiration du délai d'appel. C'est donc pour
permettre à ce dernier d'intervenir spontanément à l'instance
d'appel, sans courir le risque de se heurter à une forclusion
éventuelle, que le législateur a imaginé l'appel provoqué.
.,
7. - Mais, comme cela arrive souvent, un procédé technique conçu en vue d'un but déterminé peut révéler à l'usage
d'autres finalités auxquelles le législateur n'avait peut-être pas
{5~
Sur cette règle, d. H. Solus et R. Perrot, Droit judiciaire privé,
t . I , n" 463.
98
�songé (6). Et, précisément, à l'heure actuelle, on constate que
l'appel provoqué est utilisé parfois par l'intimé lui-même, comme
un mode d'intervention forcée, afin d'attraire, en tout état de
cause, devant la juridiction du second degré, des personnes qui,
après avoir figuré au procès devant les premiers juges, étaient
jusque-là restées étrangères à l'instance d'appel.
A cet égard, la jurisprudence moderne offre deux séries
d'exemples :
a) d'ahord, en matière de responsabilité civile : si l'auteur
d'un accident, condamné par le premier juge, interjette appel
contre la victime, celle-ci peut intimer à son tour, par le jeu
d'un appel provoqué, un autre coauteur qui avait été mis hors
de cause en première instance (7);
b) ensuite, en matière de garantie : à plusieurs reprise~,
il a été admis que le débiteur garanti condamné en première
instance et qui s'est abstenu de faire appel, sans doute parce
qu'il disposait d'un recours contre son garant, peut, si ce dernier
interjette appel pour discuter de la garantie, former appel à sorr
tour contre son propre créancier pour tenter d'être déchargé
de sa dette (8). Et ainsi, lorsque les garants et les sous-garants
sont nombreux, l'on assiste parfois à une véritable cascade de
recours successifs qui prennent la forme d'appel provoqué (9).
Dans toutes ces hypothèses, il ne s'agit plus d'intervention
volontaire : l'appel provoqué est utilisé ouvertement comme un
mode d'intervention forcée.
8. - Quelle que soit, cependant, la faveur dont jouit actuellement l'appel provoqué, son domaine d'application a pour
limites nécessaires le respect des règles légales impératives et
des principes généraux relatifs à l'appel.
a) En application de cette idée, il a été jugé que l'appelant
principal lui-même ne peut pas se servir des facilités offertes
"
(6) Roger Perrot, De l'influence de la technique sur le but des
institutions juridiques, n° 49 et s. ; adde. G. Be1ot, Etudes de morale
positive, 2c éd., 1921, t . J, p. 110 et s.
(7) Montpellier, 8 nov. 1949, Sem. jur. 1950. II. 5519, Rev. trim.
dt. civ. 1950, p. 401, obs. Raynaud; Bourges, 6 déc. 1949, Sem. jur.
1950. II. 5479, Re• . trim. dt. civ. 1950, p. 238, obs. Raynaud; Rouen,
6 févr. 1950, S. 1950.2.138, Sem. jur. 1950. IV, éd. avoué" n° 1348,
ob,. Madray; Casso civ. 19 févr. 1958. Sem. jur. 1958. II. 10642, note
H . Sinay, D. 1958. 447.
(8) Toulouse, 17 janv. 1950, Sem. jur. 1950. IV, éd. avoués, n° 1348,
obs. Madtay, Rev. trim. dt. civ. 1950, p. 238, obs. Raynaud; Cas,. rom.
13 févr. 1957, Sem. jur. 1957. II. 10170 bis, note H. Sinay, D. 1957.
297, S. 1957. 222, Rev. trim. dt. civ. 1957, p. 584, obs. Raynaud.
(9) A titre d'exemple : Cass. com. 13 févr. 1957, précité ; adde.
Paris, 31 oct. 1956, Gaz. Pal. 1956. II. 351, Rev. trim. dt. civ. 1957,
p. 183, ob,. Raynaud.
99
�par l'appel provoqué pour appeler en cause un adversaire qu'il
aurait omis d'intimer dans les délais prescrits par l'art. 457
in fine C. pro. civ. (10).
b) De même, l'appel provoqué ne saurait être utilisé pour
tourner la prohibition de l'appel d'intimé à intimé, hormis le
cas d'indivisibilité (11 ). En effet, quoi qu'on en ait dit (12),
s'agissant, par hypothèse, de l'appel entre des personnes qui,
devant le premier juge, étaient du même côté de la barre, cette
prohibition n'est pas devenue anachronique : elle s'explique
toujours par le souci d'éviter qu'une action récursoire puisse être
exercée pour la première fois en appel, au mépris de la règle
du double degré de juridiction. Et il est alors évident, quelle
que soit l'extension du domaine de l'appel provoqué, que ce
procédé technique ne saurait être utilisé pour échapper à cette
règle fondamentale (13).
9. -
'"
Cette dernière observation atteste d'ailleurs clairement
la force d'expansion que recèle l'appel provoqué, lequel, si l'on
n'y prend garde, risque d'altérer les règles les plus essentielles de
l'appel. D'où la nécessité où se trouve l'interprète de soumettre
l'exercice de cet appel à des conditions très précises.
., .. ..
'
•
"
(10) Paris, 22 mars 1961, Gaz. Pal. 1962.1.85, Rev. trim. dt. civ .
1962, pp. 394-395, obs. Raynaud.
(11) Cass. civ. 11 mai 1931, DR. 1931,303 ; Cass. soc. 13 mai 1954,
Bull. cass. 1954. IL 230.
(12) Hélène Sinay, note Sem. jur. 1957. IL 10170 bis, spéc. S III.
(13) En réalité, l'ambiguïté de l'expression « appel d'intimé à
intimé ~ est peut-être à l'origine d'un malentendu. Car, cette expression
peut viser deux hypothèses bien distinctes (souvent confondues dans le
langage courant) :
- ou bien, - lU hypothèse, - les deux. plaideurs (les deux coauteurs
d'un accident, par exemple), qui ont été intimés l'un et l'autre par leur
victime, ont été eux·mêmes en conflit J'intérêts devant le premier juge
(par exemple, sur un partage de responsabilité). Dans ce cas, il n'y a
évidemment aucune raison valable pour interdire à l'un d'eux d'interjeter
appel contre l'autre, sous prétexte que tous les deux. ont déjà été intimés
par le même appelant principal. C'est ainsi que panût le comprendre
M.... • Sinay dans sa note précitée. Mais, en réalité, l'appel dont il s'agit
o'est plus un véritable appel d'intimé à intimé au sens strict du terme :
il s'agit simplement d'un appel de perdant à gagnant sur le point litigieux
qui, en première instance, les avait opposés. Et l'on voit mal alors ce
qui, le cas échéant, pourrait faire obstacle à ce que soient utilisées les
règles plus souples de l'appel provoqué.
- ou bien, - seconde hypothèse, - après avoir été du même côté
de la barre en première instance sans aucune contestation entre eux,
les deux coauteurs (dans l'exemple choisi) sont intimés l'un et l'autre
par leur victime. Dans ce cas, si 1'00 devait permettre un appel d'intimé
à intimé, le juge d'appel se trouverait saisi d'une action rérursoire qui
n'aurait pas subi l'épreuve de la première instance. C'est ainsi, nous
semble+il, qu'il faut comprendre la prohibition de l'appel d'intimé à
intimé. Et, dans cette mesure, il n'est aucunement paradoxal d'interdire
également l'appel provoqué.
100
�b) Conditions d'exercice de l'oppel provoqué
10. -
•
Les conditions requises s'apparentent, en bien des
points, à celles de l'intervention; ce qui ne saurait surprendre
si l'on songe que l'appel provoqué est beaucoup plus procbe
de l'intervention que de l'appel incident proprement dit (cf.
supra nO 5).
,
11. - I) Il doit d'abord exister un lien de connexité entre
l'objet de l'appel principal et celui de l'appel provoqué (14).
Dans son principe, la condition est rationnelle: elle est d'ailleurs
commune à toutes les demandes incidentes.
En revanche, le lien de rattachement qui est exigé est plus
difficile à définir (15). En tout cas, l'on s'accorde à admettre
qu'il n'est point nécessaire que l'appel principal et l'appel provoqué soient unis par un lien d'indivisibilité; sur ce point, la
jurisprudence la plus récente est formelle (16). On ne peut
que l'approuver: si l'on devait exiger une véritable indivisibilité,
cette forme particulière d'appel n'ajouterait rien au droit commun
puisque la jurisprudence a toujours admis que, en cas d'indivisibilité, l'appel formé par l'un des cointéressés conserve aux
aUJres la faculté d'interjeter appel après l'expiration des délais
(cf. infra n° 26).
12. -
II) Il faut ensuite, que l'auteur de l'appel provoqué
justifie d'un intérêt.
Ici encore, cette condition n'est pas spéciale à l'appel provoqué; celui qui interjette appel, qu'il s'agisse d'un appel
principal ou d'un appel incident, doit toujours justifier d'un
intérêt. Mais, en matière d'appel provoqué, la condition d'intérêt
présente une double particularité.
- d'une part, la notion d'intérêt n'a pas nécessairement
pour mesure la succombance (comme c'est le cas lorsqu'il s'agit
d'un appel principal ou d'un appel incident). Il arrive souvent,
au contraire, que l'auteur de l'appel provoqué ait pleinement
triomphé en première instance (cf. l'exemple cité supra n° 4) ;
et, dans ce cas, l'intérêt dont il se prévaut a sa source, non
(14) Les expressions utilisées par la jurisprudence sont diverses. On
parle parfois d'un « lien de dépendance ». Mais cette expression est
équivoque, dans la mesure où elle risque d'évoquer une idée d'indivisibilité.
(15) Sur ce point, d. Hébraud, D.C. 1943, lég. p. 2, col. 3;
H. Sinay, note Sem. jur. 1957. II. 10170 bis, ,péc. S II.
(16) Casso com. 13 févr. 1957, Sem. jur. 1957. II. 10170 bis, S. 1957.
222, D. 1957. 297, Rev. tritn. dr. civ. 1957, p. 584, ob,. Raynaud; dans
le même sens: Rouen, 6 févr. 1950, S. 1950.2.138. - Toutefois, en sens
contraire : Cas,. soc. 12 mars 1943, Sem. jur. 1943. II. 2312, note
Otartrou, Rev. gén. ass. ten. 1943. p. 288.
101
�point dans le contenu du jugement en soi, mais dans la perspectiye de sa réformation éventuelle, laquelle a été « provoquée »
par l'appel principal (d'où le nom donné à cet appel). De telle
sorte que l'intérêt de l'appelant ne consiste pas à obtenir la
réformation du jugement, mais, bien au contraire, sa confirmation. Et, en tout cas, il résulte de cette observation que la
seule menace d'un préjudice éventuel suffit à justifier la recevabilité de l'appel provoqué; comme en matière d'intervention (17).
d'autre part, une jurisprudence (encore mal définie
d'ailleurs) paraît décidée à admettre l'appel provoqué non seulement lorsque, par cette voie, son auteur cherche à se prémunir
contre un préjudice éventuel, mais aussi, d'une manière plus
large, lorsqu'il peut espérer tirer, de l'appel principal, un profit
quelconque. Et c'est ainsi que plusieurs arrêts ont admis la
recevabilité de l'appel provoqué dans des hypothèses où l'auteur
de cet appel avait conclu, contre l'intimé, dans le même sens
que l'appelant principal (18).
On mesure alors toute la différence qui, sur ce plan, sépare
l'appel provoqué de l'appel incident.
13. - III) Et, précisément, parce que la recevabilité de
l'appel provoqué n'est pas nécessairement liée à la succombance
de son auteur, si ce dernier a triomphé en première instance,
l'exécution volontaire du jugement entrepris ne peut plus être
considérée comme un véritable acquiescement, de nature à
constituer une fin de non-recevoir si cette exécution est postérieure à l'appel principal.
Là encore se manifeste une différence avec l'appel incident :
tandis que l'exécution volontaire du jugement par l'intimé,
postérieurement à l'appel principal, rend irrecevable un appel
incident de sa part (19 ), la même fin de non-recevoir ne peut
pas être opposée à l'auteur de l'appel provoqué qui a triomphé
en première instance, même s'il a exécuté le jugement après
l'appel principal, puisque, à défaut de succombance, l'appel
provoqué a davantage pour objet la coufirmation du jugement
que sa réformation (20).
(17) Au sujet de l'intervention, d. Cuche et Vincent, Précis, 1Y éd.
1963, n° 554, p. 617 ; rapp. P. Raynaud, observations Rev. trim. dr.
civ. 1958, p. 136-137.
(18) Grenoble, 12 déc. 1951, D. 1952. 221, Rev. trim. dt. civ. 1952,
p. 272, obs. P. Raynaud ; Paris, 31 oct. 1956, Gaz. Pal. 1956. II. 351,
Rev. trim. dt. av. 1957, p. 183, obs . Raynaud. Toutefois. en sens
contraire, d. Rennes, 12 déc. 1956, Rev. trim. dt. civ. 1957, p. 584,
obs. Raynaud.
(19) Encyclopédie Dalloz de procédure civile, V· Appel incident,
par Paul Janvier. n° 45 et s.
(20) En ce sens, d . les observations de M. Raynaud, in Rev. trim.
dt. civ. 1958, p. 455 (sous Casso civ. 19 févr. 1958, Sem. jur. 1958.
II. 10642, note H. Sinay, D. 1958. 447).
10'1
�14. - IV) Enfin, au point de vue des formes, l'appel
provoqué est encore comparable à l'intervention.
En effet, tandis qùe l'appel incident prend la forme d'un
acte d'avoué à avoué, cette façon de procéder n'est pas toujours
suffisante lorsqu'il s'agit d'un appel provoqué. Comme en matière
d'intervention, il faut distinguer selon que l'appel provoqué est
un mode d'intervention volontaire ou un moyen d'intervention
fOlCée : dans le premier cas, un simple dépôt de conclusions
suffit, tandis que, dans la seconde hypothèse, un exploit d'huissier
comportant sommation de comparaître est indispensable.
15. - CoNCLUSION - Aux termes de ces développements,
il se confirme que l'appel provoqué est une notion qui demeure
fort éloignée de l'appel proprement dit. En réalité, contrairement
à ce que suggère son appellation traditionnelle, « l'appel provoqué » n'a pas pour objet essentiel de déférer un « .mal jugé »
à la juridiction du second degré; par son but, il tend à
permettre la reconstitution du litige au stade de l'apPel, en
favorisant le regroupement des personnes qui ont figuré au
procès en première instance.
On est alors conduit à se demander si, de lege ferenda,
il ne serait pas plus simple de supprimer la notion d'appel
provoqué et d'utiliser à la place les textes relatifs à l'intervention (21).
En effet, la notion d'appel provoqué a été imaginée en
1938 parce que l'intervention proprement dite ne paraissait pas
pouvoir être utilisée pour étendre 'l'instance d'appel à des
personnes qui avaient été parties au procès devant le premier
juge (cf. l'exemple cité supra n° 4). Mais cette raison a perdu
une grande partie de sa valeur depuis que la jurisprudence
considère l'instance d'appel comme une instance distincte de
la
première instance (22 ). Car, dans cette perspective, les parties
au procès de première instance, qui n'ont pas fait appel et qui
n'ont pas été intimées, ont, en réalité, la qualité de tiers par
rapport à l'instance d'appel et, dès lors, rien ne saurait leur
interdire de se joindre spontanément à l'appel principal, au simple
titre d'une intervention volontaire.
La question est toutefois plus délicate lorsque l'appel provoqué est utilisé comme un mode d'intervention forcée (cf. supra
,
-.
.
t
~
~
"
~...
"
(21) Beaucoup de législations étrangères ignorent la notion d'appel
provoqué et paraissent se contenter des textes sur l'intervention : tels,
par exemple, le droit judiciaire de la Province de Québec et le droit
judiciaire polonais.
(22) Cf. notamment, à propos de l'application dans le temps des
réformes de 1958 : Cass. ass. plén. 3 avril 1962, D. 1962. 465, note
Hébraud, Sem. jur. 1962. II. 12744, note Raynaud, Rev. ttim. dr. civ.
1962, p. 3n, obs. Hébraud.
103
�n° 7). Car, en effet, s'il est concevable d'attraire à l'instance
d'appel des personnes qui ont été parties au procès devant le
premier juge, il est, en revanche, beaucoup plus contestable
d'admettre (comme le fait la jurisprudence dominante) l'assignation en intervention forcée, pour la première fois en appel, de
personnes contre lesquelles il est demandé une condamnation
bien qu'elles soient restées totalement étrangères au procès en
première instance. Cette question, il est vrai, met en cause le
problème plus général de l'intervention forcée en appel. Mais
si l'on refuse de s'incliner devant la jurisprudence dominante,
il faut en conclure que l'appel provoqué se distingue toujours
de l'intervention forcée et conserve, dès lors, son utilité propre
en tant que notion autonome.
Quoi qu'il en soit, dans la mesure où l'appel provoqué
tend à favoriser le regroupement des personnes qui ont figuré
au procès en première instance, il se révèle une identité de
préoccupation avec les règles spéciales de l'appel en matière
indivisible ; à cette différence près, toutefois, que, en cas
d'indivisibilité, la reconstitution du litige dans son unité
première n'est plus seulement un souhait, mais une impérieuse
nécessité commandée par la nature des choses.
II
L'APPEL EN CAS D'INDIVISIBILITÉ
16. Il est assez difficile de donner une définition
précise de l'indivisibilité (23). Sans entrer dans les détails
d'une controverse qui excéderait les limites de ce rapport, et
si l'on tient pour acquis les enseignements de la jurisprudence
moderne, on dira qu'il y a indivisibilité lorsque, par sa nature
même, l' obiet du litige rend matériellement impossible l'exécution simultanée de deux décisions divergentes dont la première
ne serait opposable qu'à certains des intéressés, tandis que la
seconde serait opposable aux autres (24 ).
Si, par exemple, un même partage devait être tenu pour
valable à l'égard de certains cohéritiers et nul à l'égard des
autres, la liquidation de la succession se révélerait singulièrement
difficile, pour ne pas dire impossible (25) ; de même, lorsqu'un
litige porte sur une question d'état (26), sur un droit de sépulture
(23) Cf. Groslière, L'indivisibilité en matière de voies de reoours,
Paris 1959, p. 19 et s.
(24) Outre la th~ précitée, on consultera la note déjà ancienne mais toujours actuelle de M. le Président Holleaux, au Recueil Dalloz,
1930. 1. 153.
(25) Casso civ. 27 juin 1894, S. 1895. 1. 400.
(26) Lyon, 17 oct. 1955, Setn. jur. 1956. II. 9377, note A. Rouast,
spécia!etOent 5 1 (légitimation d'enfants naturels).
th~
104
�commun à divers héritiers (27) ou encore lorsque plusieurs intéressés invoquent la nullité d'un même acte de vente (28),
l'indivisibilité de l'objet litigieux postule une solution unique
à l'égard de tous. A l'unité d'objet doit correspondre une unité
de décision .
17. - Or, c'est essentiellement au stade de l'appel que
cette homogénéité risque d'être rompue. Car, du fait de la
« pluralité des liens », outre la liberté qui appartient à chacun
des cointéressés d'interjeter appel ou de s'incliner devant la
décision des premiers juges, il pourrait arriver que certains
d'entre eux se vissent opposer une fin de non·recevoir qui ne
le serait pas à d'autres. Et ainsi, l'unité du litige étant brisée,
il serait à craindre que, dans une même affaire, fussent rendues
des décisions divergentes, l'une de la Cour, opposable à ceux
qui ont fait appel, et l'autre des premiers juges, opposable à
ceux qui n'ont pas été en mesure d'exercer cette voie de recours.
Ainsi s'explique la nécessité de déroger à certaines règles
du droit commun, en vue de reconstituer, autant que faire se
peut, l'unité première du litige.
•
•
18. - Pour atteindre ce but, il faut se résoudre à abandonner le principe de l'effet relatif des actes de procédure;
et, pour cela, on songe d'emblée au procédé technique de la
représentation mutuelle entre les cointéressés. Effectivement, la
jurisprudence a parfois retenu cette analyse afin d'obtenir que
tous les délais expirent en même temps et que soient étendus
les effets de l'acte d'appel à tous les cointéressés (29).
Le procédé est commode. Mais, à l'expérience, il se révèle
fort décevant en droit judiciaire, et spécialement en matière
d'indivisibilité (30). Car, à moins d'admettre parmi les cointéressés l'existence d'un « contradicteur légitime », il déplace la
difficulté beaucoup plus qu'il ne la résoud (31). La représen-
tation entre les cointéressés n'empêchera jamais chacun d'eux
d'agir en ordre dispersé selon ses intérêts et ses propres couve·
nances : que décidera-t-on alors si l'un adopte le parti d'interjeter
appel et si l'autre préfère acquiescer au jugement qui les a
condamnés tous les deux en première instance? Inévitablement l
(27) Bordeaux, 23 avril 1928, D.P. 1929.2.165.
(28) V. Cass. req. 15 avril 1902, S. 1902, 1. 316.
(29) Casso civ. 14 nov. 1892, S. 1893. 1.85; adde, note Holleaux,
D.P. 1930. 1. 155, col. 2.
(30) On peut faire la même observation à propos de la tierce
opposition, où la technique de la représentation est souvent utilisée abusivement pour restreindre la notion de tiers (d. sur ce point, Vincent,
note D. 1958. 378).
(31) Holleaux, note D. 1930. 1. 155, S 1.
105
•
�,
il faudra se demander auquel de ces actes la préférence doit
être accordée (32). Comme l'a très justement éctit M. le Président Holleaux, « la représentation ne fournit pas elle-même
les raisons d'une prééminence d'une décision sur l'autre » (33).
De surerolt, le correctif traditionnel qui consiste à ne faire
jouer la représentation que dans la mesure où l'acte améliore
la condition de tous et à en rejeter les conséquences lorsque
l'acte est nuisible (34) ou lorsque le moyen invoqué est d'ordre
personnel (35) témoigne de la fragilité d'une telle construction
et de son impuissance à résoudre toutes les difficultés.
Sans doute est-ce la raison pour laquelle les plus récents
arrêts· s'abstiennent généralement de toute référence expresse
à la notion de représentation. Mais, pendant longtemps, cette
explication technique purement factice a inutilement compliqué
le problème et, encore de nos jours, on peut se demander si cette
vieille idée ne transparalt point en filigrane à travers certains
arrêts' (cf. infra n° 27).
...
•
i9. - Ceci étant rappelé, et compte tenu de l'objectif à
atteindre, - à savoir, éviter les contrariétés de décisions incompatibles avec la notion d'indivisibilité, - une double question
se pose :
a} Comment obtenir l'expiration simultanée des délais
d'appel ?
b} Quelle est la portée de l'acte d'appel ?
al
Expiration simultanée des délais d'appel
20. -
Il est soubaitable, en premier lieu, que tous les
cointéressés soient forclos en même temps, afin d'éviter que
certains puissent encore faire appel à un instant où d'autres
ne le pourraient plus. Et, pour cela, il convient que les délais
d'appel aient, à l'égard de tous, un unique point de départ (36 ).
Telle serait tout au moins la solution idéale.
Car, en fait, pour des raisons parfaitement légitimes, la
jurisprudence distingue selon que l'indivisibilité existe du côté
(32) Tissier, note S. 1895. 1. 401, sous Cass. civ. 4 févr. 1895.
(33) Holleaux, note précitée.
(34) Rapp. Casso civ. 3 mars 1961, Sem. jur. 1961. IV, éd. avoués,
n' 3838, Rev. trim. dr. civ. 1961, p. 558, obs. Raynaud .
(35) Cass. com. 31 oct. 1961, Gaz. Pal. 1962. 1. 155.
(36) Dans les explications qui suivent, on négligera rhypothèse où
l'un des cointéressés serait domicilié en dehors de la France métropolitaine
et où, par conséquent, pourraient s'appliquer des délais de distance aujour·
d'hui exclus en matière d'appel à l'intérieur de la France métropolitaine
(an. 444 C. pro. civ.).
106
�des gagnants ou du côté des perdants (37). Ces deux hypothèses
doivent être envisagées successivement.
21. - I) Si l'indivisibilité existe du côté des gagnants,
il a toujours été admis en jurisprudence que la signjfication
du jugement au perdant, à la diligence d'un seul des gagnants,
doit pronter à tous ; ce qui, pratiquement, revient à dire que
le délai d'appel court au profit de tous les gagnants dès le
jour de la première signification faite par l'un d'eux, et que,
par conséquent, tous pourront, le cas échéant, invoquer la
déchéance encourue par le perdant qui n'aurait pas fait appel
dans le délai (38).
Seule la doctrine a parfois éprouvé des scrupules (39) et,
de fait, l'explication théorique est malaisée. Pendant longtemps,
l'on se référa à l'idée d'une représentation mutuelle entre les
gagnants. Mais il est préférable de se rallier à une explication
plus pratique en constatant que, d'une part, le perdant est
suffisamment protégé puisqu'il a eu connaissance du jugement
par la première signification qui lui en a été faite et que, d'autre
part, s'il devait en être autrement, la négligence d'un seul
gagnant à signifier le jugement conserverait sans nécessité au
perdant la faculté d'interjeter appel au-delà de tout délai
raisonnable.
22. - II) Si, au contraire, l'indivisibilité existe entre les
perdants, la solution est différente. En effet, depuis un arrêt
de la chambre civile du 3 mars 1961, la signification du ;ugement
à l'un des perdants seulement ne fait courir le délai d'appel qu'à
son égard; d'où, il résulte que le délai d'appel reste ouvert au
(37) li faut bannir, nous semble-t.il, les expressions « indivisibilité
active » et « indivisibilité passive »; car elles risquent d'ajouter à la
confusion qui règne déjà en cette matière.
En effet, lorsque les civilistes parlent d'une indivisibilité active, ils
désignent par là l'indivisibilité entre les créanciers~' et inversement, l'indi·
visibilité est passive lorsqu'elle existe du côté des débiteurs. Or le point
de vue n'est pas le même en droit judiciaire. L'indivisibilité active est
celle qui existe du côté des gagnants (qu'ils soient créanciers ou débiteurs,
peu importe); et, inversement, l'indivisibilité passive est celle qui
existe du côté des perdants. De telle sorte qu'une indivisibilité active, en
droit civil. peut se révéler passive en droit judiciaire; c'est le cas, par
exemple, toutes les fois que des copropriétaires indivis ont perdu leur
procès en première instance. Dans ces conditions, mieux vaut éviter de
telles expressions.
10
(38) Parmi de nombreux arrêts : Cass. ci• . 31 déc. 1855, D.P.
1856.1.17 ; Casso civ. 19 fé.r. 1953, D. 1953, 302.
(39) Pour la critique, d . Tissier, note S. 1895. 1. 401 ; et en faveur
de la solution jurisprudentielle, cf. Holleaux, note D.P. 1930. 1. 153.
107
�profit de tous les perdants auxquels le jugement n'a pas été
signifié (40).
La solution est équitable : si le délai d'appel devait courir
contre tous les perdants, même contre ceux auxquds le jugement
n'a pas été signifié, il serait à craindre que certains perdants
fussent déchus avant même d'avoir eu connaissance du jugement
et de savoir que le délai d'appel était ouvert.
Sans doute cette solution peut.eJle avoir pour conséquence
d'entraîner la forclusion des divers perdants à des instants différents, en fonction de la date de signification du jugement à
chacun d'eux. Mais, à la vérité, cette conséquence n'est pas
grave. En effet, la situation du perdant forclos n'est pas irrémédiablement compromise, pour la simple raison que l'appel
formé par l'un des perdants relève les autres cointéressés des
déchéances encourues, ainsi qu'il sera dit en examinant la portée
de l'acte d'appel (cf. infra n° 26).
b) Portée de l'acte d'appel
23. - Il est classique de se demander si l'acte d'appel
formé par l'un des cointéressés doit avoir une portée absolue
ou simplement relative, c'est-à-dire si les effets de l'acte d'appel
s'étendent à tous les cointéressés (effet absolu) ou seulement à
l'appelant et à l'intimé (effet relatif).
Néanmoins, ces expressions ne sont pas très suggestives et
elles risquent, ici encore, de prêter à confusion. Pour déterminer
l'exacte portée de l'acte d'appel, en cas d'indivisibilité, il est
donc préférable d'examiner successivement les deux hypothèses
possibles : celle où l'indivisibilité existe du côté des gagnants
et celle où elle existe du côté des perdants.
(40) Sem. jur. 1961. IV, éd. avoués, n° 3838, Rev. trim. dr. civ.
1961, p. 558, ob,. P. Raynaud.
Les faits de la cause étaient les suivants : un jugement avait été
rendu contre trois copropriétaires indivis {la mère et les deux fils}. Le
gagnant ne sîgnifia le jugement qu'à la mère et nullement aux deux fils :
le 22 mai 1951. Les fils, par ailleurs informés du. j~ement, firent appel
le 5 novembre 1951, soit plus de 5 mois après la signitication du jugement
à leur mère. La Cour d'appel les ayant déclarés forclos, la Cour suprême
cassa cet arrêt :
« ... Attendu que, même en cas d'indivisibilité de l'action, la signi« fication d'un jugement faite par la partie gagnante à un seul des
« cointéressés ayant succombé, n'a pour effet de faire courir les délais
« d'appel qu'à l'égard du signifié i qu'il résulte des constatations de l'arrêt
« que le jugement tendu le 18 décembre 1950 n'a été signifié _qu'à la
4C dame Lanquetot le 22 mai 1951; que les fils Lanquetot se trouvaient
« donc le 5 novembre 1951 encore dans les délais pour former appel ... »Cette solution est généralement approuvée par la doctrine (d. Raynaud,
obs. ptécitécs ; Groslière, th. cit., n' 97, p. 135 et s.). En sens contraire,
d. les motifs de Cass. civ. 23 mai 1957, D. 1957. 465.
108
�24. - I) Commençons par l'hypothèse la plus simple : si
l'indivisibilité existe du côté des gagnants, le perdant doit intimer
tous ses adversaires cointéressés. Sur ce point, la jurisprudence
est formelle : le défaut d'intimation d'un seul d'entre eux
constirue une fin de non-recevoir qui peut être invoquée par
tous (41) (sauf ce qui sera dit plus loin ; infra sous ce numéro).
La solution est sage : de cette manière, ou bien la Cour
ne staruera pas ou elle rendra un arrêt qui aura effet à l'égard
de tous les cointéressés; en toute hypothèse, la chose jugée
conservera son unité.
,
Par ailleurs, pour faciliter la mise en cause de tous les
cointéressés, la jurisprudence décide que le fait d'intimer l'un
des gagnants dans les délais impartis (et, bien entendu, de
l'intimer régulièrement), suffit à conserver au perdant le droit
d'intimer les autres, sans avoir à respecter le délai prescrit par
l'art. 457 in fine C. pro. civ. (42). C'est là un des effets
propres de l'indivisibilité : l'acte d'appel produit un ellet conservatoire. Dans cet ordre d'idées, on peut même relever un arrêt
de la Cour suprême qui a reconnu au juge d'appel la faculté
d'accorder un sursis au perdant pour lui donner le temps matériel
de procéder aux intimations nécessaires (43).
25. - II ) Le problème est plus délicat lorsque l'indivisibilité existe du côté des perdants.
On a coutume d'affirmer que l'acte d'appel fait par l'un
d'eux a un effet absolu, en ce sens qu'il « profite »0 à tous les
autres perdants. La formule est ambiguë, car le « profit » peut
s'entendre de manières très différentes. Et, précisément, là
commencent les difficultés.
26. - A l'heure acruelle, on est d'accord pour admettre
que l'appel formé régulièrement par l'un des perdants dans les
délais impartis par la loi, relève les autres des déchéances encourues par eux (44).
(41) Cass. req. 27 nov. 1905, D.P. 1906. 1. 309; Cass. civ.
30 déc. 1908, 1" esp., S. 1910. 181, note Tissier; Cass. req. 23 janv. 1924,
D.P. 1924. 1. 189 (certains de ces arrêts ont statué en matière de pourvoi
en cassation j mais les principes sont identiques). Adde, Groslière. th.
cit., n° 124.
(42) Cass. civ. 22 avril 1872, D.P. 1873. 1. 22, S. 1872. 1. 228;
Cass. civ. 25 mars 1894, S. 1897. 1. 138 ; Cass. civ. 11 févr. 1889, D.P.
1889. 1. 316; Casso req. 9 mars 1947, D . 1947. 1. 137.
(43) Casso civ. 27 nov. 1905, précité; rapp. Besançon, 15 juin 1894,
D.P. 1894. 2. 472.
(44) Parmi de nombreux arrêts, d. Cass. civ. 29 mai 1951, Bull.
Casso 1951. 1. 25; Cass. civ. 19 févr. 1953, Bull. casSo 1953. II. 35;
Cass. civ. 29 avril 1958, D. 1958. 432; Cass. civ. 3 mars 1961, Sem. jur.
1961. IV, éd. avoués, n° 3838.
109
�Si donc, l'un des perdants a été déchu du droit d'interjeter
appel, pour avoir acquiescé au jugement (45), pour avoir laissé
expirer le délai (46) ou même, pour avoir dans le délai, formé
un .acte d'appel irrégulier, il peut toujours se joindre à l'appel
principal: la faculté d'interjeter appel n'est pas irrémédiablement
compromise (47). Il semble simplement que, en pareil cas, le
perdant relevé de la déchéance ne puisse plus invoquer des
moyens qui lui seraient personnels (48).
Sans doute, ce principe a~t-il été controversé. Une doctrine
fort ancienne a prétendu jadis que l'irrecevabilité d'un seul appel
devait entralner une irrecevabilité générale à l'égard de tous les
cointéressés (49). Mais cette manière de voir a été justement
condamnée par la Cour Suprême ; selon une formule que l'on
retrouve dans certains arrêts : « les conséquences de l'indivisibilité doivent, dans leur application, s'interpréter plutôt dans le
sens qui maintient et vivifie les droits des parties que dans celui
qui tendrait à les anéantir ... » (50).
27. -
Mais, ce point étant acquis, quand on parle du
« profir » de l'appel, veut·on dire également que l'autorité de
l'arrêt qui sera rendu vaudra à l'égard de tous les cointéressés ?
'1
Le problème doit être clairement délimité. Si tous les
perdants ont formé appel ou se sont joints hors délai à l'appel
de J'un d'entre eux, il est bien évident que l'arrêt rendu s'imposera à tous les cointéressés . Mais la question se pose lorsque,
précisément, certains perdants sont restés en dehors de l'instance
d'appel : peut·on dire que l'arrêt leur est opposable et qu'il a
autorité de chose jugée en ce qui les concerne.
Une jurisprudence qui parait aujourd'hui fermement établie
décide que l'arrêt est opposable à tous, y compris à ceux qui
n'ont pas in/er;eté appel (51).
Comment justifier cette solution qui, a priori, paratt
surprenante? Plusieurs explications peuvent être proposées :
- La première consiste à admettre que l'indivisibilité de
l'objet litigieux entralne une véritable dérogation au principe de
l'effet relatif de la chose ;ugée, pour la simple raison que l'indi·
(45)
(46)
précité.
(47)
(48)
(49)
,..
Cass. dv. 4 févr. 1895, S. 1895. 1. 401, note Tissier.
Cass. dv. 29 avril 1958, précité; Cass. dv. 3 mars 1961,
Cass. dv. 9 janv. 1905, S. 1907. 1. 13.
Groslière, th. dt., p. 156.
Casso dv. 29 avril 1862, D. 1862. 1. 214. Sur l'~emble des
Ilrguments invoqués en faveur de cette solution, d. Groslière, th. dt., p. 146.
(50) Cass. dv. 4 févr. 1895, S. 1895. 1. 401, note Tissier.
(51) Cass. dv. 14 avril 1892, D.P. 1893. 1. 357; Cass. dv. 9 janv. 1905,
S. 1907. 1. 13; Casso dv. 22 janv. 1912, motifs, S. 1912. 1. 300; Casso
dv. 19 oct. 1948, Gaz. Pal. 1948. II. 238.
110
�visibilité de l'objet exige une unité de décision à l'égard de
tous les cointéressés (52). Mais, à la vérité, ce n'est pas là
une explication.
- On peut alors songer à compléter l'analyse précédente
en faisant intervenir la notion de représentation mutuelle entre
les cointéressés : le perdant qui a fait appel est censé avoir
représenté tous les autres perdants (53). De cette manière, les
principes sont saufs; dans la mesure, tout au moins, où l'on
admet la fiction de représentation. Or, d'une part, ce postulat
est très contestable (cf. supra n° 18) et, d'autre part, si on
l'admet, la logique voudrait que l'on clistinguât selon que l'arrêt
rendu est favorable ou défavorable à tous les cointéressés; ce
qui conduit à des subtilités d'une mise en œuvre bien complexe.
- La deruière analyse, - précouisée par Tissier (54), entend rester fidèle au principe de l'art. 1351 C. civ. : en droit,
chacune des décisions conserve son autorité propre (l'arrêt de
la Cour, opposable à ceux qui ont fait appel, et le jugement de
première instance qui continue à avoir autorité à l'égard de
ceux qui n'ont pas exercé cette voie de recours). Certes, dans
mesure où les deux décisions sont divergentes, l'arrêt de la
Cour paralyse en fait l'exécution du ;ugement de première instance
puisque, par hypothèse, les deux décisions ne peuvent pas être
exécutées simultanément (cf. supra nO 16). Mais, - et là réside
alors l'intérêt pratique de cette analyse, - si un jour l'indivisibilité doit cesser (à la suite, par exemple, d'un partage de la
copropriété inclivise), l'entrave matérielle qui faisait obstacle à
l'exécution du jugement de première instance ayant clisparu,
celui-ci reprendra toute son autorité première à l'égard de ceux
qui n'ont pas fait appel.
Sans méconnaître les clifficultés d'application de cette deruière analyse, elle parait néanmoins, sur le plan de principes,
beaucoup plus satisfaisante.
•
(52) En ce sens, Groslière, th. cit., pp. 175-176, n· 129.
(53) Cf. notamment, les motifs de l'arrêt de la chambre civile du
L4 avril 1892 (précité).
(54) Note au Sirey, 1895. 1. 401.
111
�CONCLUSION
Ces longs développements démontrent à quel point les
solutions de la jurisprudence sont nuancées et complexes. D'ailleurs, comment pourrait-il en être autrement dans un domaine
où la matière est naturellement rebelle aux solutions simples?
De surcroît, il est juste de constater que toutes les solutions
jurisprudentielles qui ont été exposées répondent finalement à
des raisons d'opportunité et que, dans l'ensemble, elles satisfont,
sinon à la logique pure, du moins à l'équité. Pour cette raison,
il serait sans doute préférable que le législateur ne s'avise pas
de vouloir réglementer ces délicats problèmes. Certes, lorsque
l'interprète se heurte à des difficultés, la tentation est forte de
solliciter le législateur pour lui demander de dispenser ses
lumières : et d'ailleurs, on y succombe d'autant plus volontiers
à l'heure actuelle que la procédure appartient au domaine
réglementaire.
Mais, gardons-nous des illusions. Dans un domaine aussi
délicat, il est matériellement impossible au législateur d'encMsser
dans quelques textes clairs, simples et précis, les innombrables
nuances que seules la jurisprudence, la pratique et la doctrine
peuvent déceler et synthétiser. Tout au plus, pourrait-on envisager lUle réforme en ce qui concerne l'appel provoqué, sauf à
modifier corrélativement les textes concernant l'intervention
(d. supra n° 15).
Mais, à tout prendre, mieux vaut un droit jurisprudentiel,
nécessairement fluide, à un droit réglementaire, nécessairement
incomplet.
R. PERROT.
112
�RAP PO R T
l' INTERVENTION EN APPEL
par
François TERRÉ
Professeur J la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques de Lille
�-,
"
.
�L'INTERVENTION EN APPEL
par françois TERRE
Professeur Il fa hculté de Oro,t
et dC$ $ciences Economiques de l.lIe
1. -
Comme les demandes additionnelles ou reconven-
tionnelles, les demandes en intervention appartiennent, en droit
judiciaire, à la famille des demandes incidentes. Aussi bien,
sont-elles soumises, les unes et les autres, à une condition générale : elles doivent, quel que soit leur auteur, être connexes
à la demande principale. Si cette condition est respectée, l'intérêt
général gagne à ce que le litige soit, en tous ses aspects, tranché
par le même juge. Depuis longtemps, les avantages de ce regrou-pement ont été signalés : éviter des contrariétés de décisions,
gagner du temps et de l'argent.
Pourtant, l'intervention conserve une originalité certaine :
si elle peut, d'ordinaire, aboutir à élargir l'objet du litige, comme
la demande additionnelle ou reconventionnelle, elle aboutit
en outre à étendre le cercle des litis-consorts. Les intérêts généraIL'! qui conduisent à faciliter le regroupement des demandes
permettent-ils encore d'admettre que la perturbation qui va en
résulter soit due au fait d'un tiers? On serait tenté d'observer
que les tiers ne peuvent, de toute façon, rester neutres et que,
d'une manière ou d'une autre, ils seront souvent conduits à
prendre parti. Mais voilà que cette personne qui, jusque-là, n'a
pas été partie ni représentée à l'instance, va y figurer. Si son
intervention est volontaire, elle fait figure de trouble-fête. Si
cette intervention est forcée, n'y a-t-il pas quelque excès à
permettre à deux plaideurs de commencer leur procès en tête·
à-tête, pour ne troubler qu'ensuite celui qui ne leur demande
rien?
Ni l'une ni l'autre de ces considérations n'a pourtant suffi,
à elle seule, à faire déclarer irrecevables, en première instance,
l'intervention volontaire et l'intervention forcée (1). Il n'y a
pas lieu, ici, d'en discuter.
".
(1) Glas,on, Tis,ier et Motel, Traité, t. I, n· 248 et '., p. 632
et 5. ; Comu et Foyer, Procédure civile, p. 31 et 5. ; Cuche et
Vincent, Procédure civile, 13- éd. n° 552 et 5., p. 616 et s.
115
•
�2. - Mais la perturbation est plus profonde lorsque l'intervention, au lieu de se produire en première instance, se manifeste
en cause d'appel (2). Telle raison, valable ici, peut ne plus l'être
là. Si étrange que cela puisse paraître, de prime abord, certaines
données peuvent, en cause d'appel, inciter à affirmer plus facilement qu'en première instance la recevabilité des interventions.
Plus fréquentes, elles y répondent à certains besoins légitimes,
encore mal dégagés au début du litige. La personne étrangère
au procès, qui souhaite que ses intérêts ne soient pas
compromIs, n'est tentée d'intervenir volontairement que si le
cours du litige et le comportement adopté effectivement par les
plaideurs suscite ou confirme ses craintes (3). De leur côté, les
plaideurs ne sont parfois incitJs à attraire d'autres personnes
dans le procès que si le cours de celui-ci en précise, chemin
faisant , la nécessité (4). Auparavant, il est encore trop tôt. Il
n'empêche que, plus le temps passe, plus le train est à bout
de course, et plus l'apparition de nouvelles personnes dans
l'instance paraît insolite. De manière générale, le procès se
complique au lieu de se purifier peu à peu. Plus précisément,
des règles essentielles à l'instance d'appel sont, alors, escamotées : c'est une demande nouvelle qui va être portée en
cause d'appel ; et, du même coup, c'est le premier degré de
juridiction qui est supprimé, à la faveur de ces interventions.
Les avantages de l'intervention se manifestent peut-être
davantage en cause d'appel; mais les inconvénients qu'elle
engendre s'accentuent, en même temps. Voilà le problème.
3. - Pour le résoudre, on pourrait être, à première vue,
tenté de croire que l'intervention volontaire et l'intervention
forcée peuvent être, en la matière, soumises au même régime.
Il n'y a, somme toute, entre elles, que la différence qui sépare
- et les transitions sont insensibles - la spontanéité de la
contrainte. Le défendeur au procès est, lui aussi, attrait contre
sa volonté et il trouve dans cette position la possibilité d'invo-quer, durant le procès, une série de règles protectrices. Ce
serait aussi le cas de l'intervenant malgré lui. Apparemment,
point d'autres différences, à notre propos, entre l'intervention
volontaire et l'intervention forcée, que celles qui permettent de
distinguer, en droit judiciaire, une demande d'une défense.
Le droit positif oriente pourtant dans une voie bien différente. Le code de procédure civile consacre une disposition très
.;
.
\
,
(2) Glasson, Tissier et Morel, op. cit., n° 248, p. 634 ;. Garsonnet
et Cézar-Bru, Traité, t. VI, n. 180 et S., p_ 351 et s.
(3) Hébraud, D.C. 1943, Lég. p. 8.
(4) Ne serait-ce que pour le ralentir : v. Garsonnet et Char-Bru,
op. cit. n° 180, p. 351 , sur les interventions « mendiées » ou « officieuses », dans l'ancien droit.
1'16
�libérale, surtout dans sa dernière rédaction, à l'intervention
volontaire en appel. « Peuvent intervenir en cause d'appel,
précise l'article 466, tous ceux qui justifieront d'un intérêt. »
Au contraire, le code est muet en ce qui concerne l'intervention
forcée. Alors, dans le silence des textes, ce qui est vrai de
l'une des formes de l'intervention l'est-il encore de l'autre?
Décidément, la distinction ne peut être éludée. Mieux vaut
se demander si les motifs qui fondent la recevabilité et expliquent
le régime de l'intervention volontaire expliquent le sort qu'il
convient de réserver, par delà les incertitudes de la jurisprudence. à l'intervention forcée.
1
L'INTERVENTION VOLONTAIRE EN APPEL
4. -
Les objections que peut susciter, en cause d'appel,
l'intervention volontaire ne paraissent tout de même pas aussi
fortes contre l'intervention volontaire que contre l'intervention
-forcée. On conçoit aisément qu'il soit plus facile au tiers de
se mêler de sa propre initiative à l'instance en cours qu'aux
parties en cause de l'y attraire contre son gré. Mals, ce qu'il
convient plutôt de rechercher, pour l'instant, c'est si l'inter·
vention volontaire du tiers, en cause d'appel, peut être aussi
facilement admise qu'en première instance. Il va de soi que
les conditions générales de recevabilité des demandes incidentes,
et plus particulièrement l'exigence d'un lien de connexité avec
l'instance principale (5), doivent être respectées . Mais, sous cette
réserve, il est légitime de se demander si des objections particulières à la voie d'appel ne mettent pas obstacle à des demandes
en intervention qui seraient admises en première instance. La
question mérite d'autant plus d'être posée que, bien souvent, le
tiers préfère rester dans l'ombre tant que le procès n'est pas
suffisamment décanté : il attend qu'il vienne en appel pour
entrer en lice afin de préserver ses droits (6).
5. - A vrai dire, cette circonstance de fait peut inciter
à tirer argument de décisions affirmant la recevabilité de demandes nouvelles en cause d'appel pour fonder leur justification au
stade de la première instance, par argument a fortiori. Ainsi,
la recevabilité de demandes en intervention volontaire en
;,
(5) Sur ce lien nécessaire, v. par ex., Casso av. ?, 17 nov. 1955,
Bull. civ. 1955, II, 0' 517, p. 317.
(6) Hébraud, op. ct loe. cil.
117
�référé serait fondée sur des décisions qui ont admis la recevabilité d'interventions volontaires en appel de référés (7).
6. - Mais, il ne suffit pas - et le caractère a fortiori
de l'argument le prouve assez - de relever cette tendance pour
déduire une assimilation et une coïncidence des domaines, car
l'intervention volontaire soulève en appel des objections qu'elle
ne suscite pas en première instance. On peut soutenir, tout
d'abord, que sa recevabilité porte atteinte à la prohibition des
demandes nouvelles en appel, ne serait<e que parce qu'elle
émane d'une personne qui n'était pas partie à la première
instance (8). La doctrine n'a pas manqué de relever cette
objection. En outre, l'intervention volontaire en cause d'appel
viole la règle du double degré de juridiction, dont on affirme,
encore aujourd'hui, le caractère d'ordre public (9).
7. - Il est vrai que le code de procédure civile, dans sa
rédaction actuelle, paraît avoir supprimé l'intérêt de la controverse. Certes, la rédaction initiale, plus restrictive, de l'arti~
cle 466 du code de procédure civile laissait place à la discussion.
Il était dit que les tiers pouvaient intervenir en cause d'appel,
lorsqu'ils avaient la faculté de former tierce-opposition contre
le jugement rendu en première instance. Quel qu'ait été le
rayonnement de la tierce-opposition (10), l'on pouvait se demander si le lien établi entre l'intervention et la tierce-opposition
était entièrement fondé. Retenons au passage que l'intervention
volontaire en cause d'appel apparaissait comme le substitut d'une
tierce-opposition, non contre l'éventuelle décision rendue en
appel , mais contre la décision des premiers ;uges (11).
La loi du 23 mai 1942 a détaché, du moins dans les textes,
l'intervention volontaire de la tierce-opposition. Les controverses
sur la recevabilité de l'intervention volontaire en cause d'appel
sont devenues inutiles, puisque, dans sa nouvelle rédaction,
l'art. 466 c. p. c. affirme, de manière générale, que « pourront
intervenir en cause d'appel tous ceux qui justifieront d'un
r.
.,
., ,
(7) Cézar·Bru, De la tierce-opposition et de l'intervention en première instance et en appel en matière de référé, Lois nouvelles, 1919,
4' partie, p. 49 ; Paris 9 juillet 1891 et 7 juin 1894, S. 1895. 2. 305
note Tissier ; contra Paris, 12 juin 1900, D.P. 1902. 2. 72, S. 1902.
2. 132 ; Paris, 18 févr. 1914, S. 1914. 2. 247.
(8) Boyreau, De la prohibition des demandes nouvelles en appel,
thèse Bordeaux 1945 ; Granger, Encycl. Jur., Dalloz Rép. proc. civ.
Ve Demande nouvelle.
(9) Solus et Perrot, l, o· 540, p. 505 ; cpr. L. Asselin; Le double
degré de juridiction, thèse, Poitiers, 1934.
(10) V. oot. H. Roland, Chose jugée et tierce-opposition, thèse,
Lyon, 1958.
(11) V. Hébraud, op. et loe. cil .
118
�intérêt ». Peu importe qu'il s'agisse, le cas échéant, d'une
demande nouvelle ou que cette démarche aboutisse à supprimer
un degré de juridiction (12). La réforme opérée en 1942
concourt, sur ce point comme sur d'autres, à n'en pas douter,
à donner à la voie d'appel une physionomie nouvelle. On
pourrait la replacer dans une tendance contemporaine, dont il
serait possihle de retrouver les traces, soit dans une plus grande
ouverture aux demandes nouvelles en appel (art. 464), soit
dans la suppression de l'opposition contre les décisions « suscep-
tibles d'appel » rendues à l'égard d'un plaideur qui ne comparait
pas. Encore, cette atteinte à la règle du double degré de juridiction est-elle, à propos de l'intervention volontaire, plus ou
moins profonde, selon que l'intervention est conservatoire au
agressive.
8. -
Al L'intervention volontaire en cause d'appel peut
n'être que conservatoire ou accessoire. Le tiers au procès ne
recherche pas une condamnation à son profit ; il souhaite seulement que la situation ne soit pas compromise à l'issue de l'instance
qui se déroule en dehors de lui. L'assureur, désireux que l'assuré
ne soit pas condamné, surveille le procès; le créancier chirographaire tient à ce que le débiteur ne se laisse pas condamner.
De toute manière, l'intervenant n'invoque pas, dans ce cas, de
droit qui lui soit propre.
L
9. L'intervention conservatoire est d'ailleurs soumise,
pour l'essentiel, en appel, au même régime qu'en premtere
instance, notamment aux mêmes règles qu'une intervention
conservatoite devant le tribunal de grande instance : introduite
par requête d'avoué, tout au moins si l'instance se déroule
par ministère d'avoué (13 l, la requête peut être présentée
en tout état de cause; si les parties n'élèvent pas d'objection,
la cour donne acte de l'intervention, etc ... En bref, rien de spécial
à ce type d'intervention volontaire. Les règles applicables en
première instance sont simplement transposées en appel : le
tiers « épaule » l'appelant, ou l'intimé ; il ne dépose pas de
conclusions différentes de celles de l'un ou de J'autre; s'il
peut, en appel, présenter d'autres moyens ou d'autres arguments
. ... ", ".
'
(I2) La loi reconnaît parfois expressément à des tiers le droit d'intervention : par ex., l'art. 15 de la loi du 31 déc. 1951 modo par l'ordo
du 23 sept. 1958 sur le Fonds de Garantie Automobile ou l'art. 704 du
Code de la Sécurité Sociale.
(13) On fera abstraction, dans ce rapport, des interventions en
appel de décisions de juridictions autres que le tribunal de grande
instance. V. aussi, sur l'intervention volontaire en appel, devant les
juridictions répressives, Cass. crÎm. 3 déc. 1937, S. 1939-1-158 ; Casso
ctim. 30 mars 1954, D. 1954, 493, Rev. Trim. Civ. 1954, 708, obs.
Raynaud .
119
�à l'appui de l'une ou de l'autre des prétentions, comme en première instance, ce comportement ne diffère pas de celui que
la prohibition des demandes nouvelles en appel laisse tout de
même aux parties la possibilité d'adopter en cause d'appel. On
,
doit toutefois pouvoir reconnaître au tiers, dans les mêmes
conditions qu'en première instance, la possibilité de provoquer
une mesure d'instruction. En outre, si l'instance principale
disparaît, l'intervention accessoire, à raison même de son caractère, subit le même sort. Pour l'essentiel, ces problèmes ne sont
pas particuliers à l'instance d'appel.
10. - La formule très générale du texte de l'article 466
c. p. c. n'empêcbe pourtant pas de poser le problème du domaine
de cette forme de l'intervention volontaire. En appel comme
en première instance, l'attitude simplement conservatoire du
tiers perturbe beaucoup moins l'instance engagée qu'une intervention agressive. Les caractères de l'intérêt exigé de la part de
celui qui intervient, peuvent donc, comme en première instance,
être entendus de manière plus extensive. Ici encore, la jurisprudence semble parfois se contenter, dans une certaine mesure,
'
..
,.
,
-
d'un intérêt éventuel (14). On dit parfois, pour justifier cette
solution en première instance, que la perspective d'une décision
prochaine, qui peut léser le tiers, permet déjà de reconnaltre
à l'intérêt dont celui-ci se prévaut un caractère né et actuel. La
formule n'est point totalement convaincante, au stade de la
première instance, puisque le procès n'en est encore qu'à ses
premiers balbutiements. Elle le devient davantage en cause
d'appel, toutes les fois que la décision, contre laquelle appel
a été interjeté, a pu actualiser la crainte dont se prévaut l'intervenant. C'est surtout à ce moment qu'il est possible de se
demander si l'intérêt qu'allègue le tiers peut justifier sa demande.
11. -
La jurisprudence a dû, cependant, écarter en cause
d'appel, l'intervention d'un tiers qui se fonde uniquement sur
la crainte d'un précédent pouvant, dans un avenir plus ou moins
proche, être invoqué contre lui : ce précédent, l'intervenant
s'en inquiète peut-être en première instance ; et, quand le procès
est en appel, il estime le moment venu de l'empêcher de se
cristalliser. Or, cela ne suffit pas pour permettre une intervention,
même à titre simplement conservatoire (15). La jurisprudence
distingue donc heureusement le précédent, qui ne justifie pas
..
(14) v. Raynaud, obs. Rev. Trim. Civ. 1958, p. 136 sur Paris,
10 juillet 1957 ; cpr. Gatsonnet et Cézar-Bru, 3' éd., t. III, n' 568.
(15) Casso soc. 18 janv. 1940, Gaz. Pal. 1940. 1. 331 ; Paris
23 mars 1956, ].P.C. 56. II. 9332, conc!. TurIan, Rev. Trim. Civ. 1956,
583, obs. Hébraud ; Paris, 10 juil. 1957, D. '57, 622 conc!. Lindon.
·120
�l'intervention volontaire, du préjugé qui conduit à la fonder, tout
au moins lorsqu'elle présente un caractère conservatoire (16).
12. - Il n'est pourtant pas inutile de s'interroger sur le
fondement de ces solutions assez libérales et au demeurant
incontestées. Longtemps, on a pu dire que le tiers a la possibilité,
s'il le désire, de préférer à une tierce-opposition la voie de l'intervention volontaire. Il est même un argument qui, dans cette
analyse, est avancé contre l'intervention volontaire en première
instance, et ne vaut plus contre l'intervention en appel : en
première instance, l'intervenant ne peut aisément supputer ce
que sera la décision rendue ; en appel, il le peut davantage,
surtout si la décision de première instance est rendue contre
ses intérêts. Il reste qu'un degré de juridiction est sauté. L'absolution qui découle du texte de la loi laisse donc l'esprit
insatisfait.
-.
13 . - L'emploi de ce raccourci, le tiers le paie tout de
même d'une certaine manière. Intervenant, même à titre conservatoire, dans l'instance d'appel, il ne pourra plus se prévaloir
ensuite, contre l'arrêt rendu par la cour) de la relativité de la
chose jugée. Quelque analyse que l'on choisisse de son attitude,
usage détourné de la faculté qui lui était reconnue de former
tierce opposition contre la décision rendue en première instance
ou exercice anticipé d'une faculté de tierce opposition contre
l'arrêt futur de la Cour (17), l'argumentation adoptée se
détache difficilement d'une référence, pourtant abandonnée par
la loi, à la faculté d'exercer la tierce·opposition.
Or, si cette analyse peut encore paraitre satisfaisante
lorsque la tierce-opposition émane d'une personne qui aurait
pu, sans cela, une fois l'arrêt rendu, former tierce-opposition
contre la décision - et c'est seulement contre cette décision
que la tierce-opposition eut été possible, comme si elle s'accommodait déjà mal par elle-même de la règle du double degré de
juridiction - , ne convient plus, lorsque l'intervention volontaire
à titre conservatoire émane par exemple d'un créancier chirographaire, qui ne pourrait, de toute façon, former tierceopposition. En effet, selon une analyse admise en jurisprudence,
même si elle suscite parfois les réserves de la doctrine, ce créancier
chirographaire est censé être représenté à l'instance par son
débiteur et ne peut, sauf s'il y a eu fraude à ses droits, exercer
la tierce-opposition. S'il peut néanmoins former une intervention,
c'est afin de surveiller en fait la conduite de son débiteur :
pour lui, c'est un peu parce qu'il est dépourvu de la faculté
(16) Req. 6 août 1862, S.-1862-1·773, D. 1862·1-436 : Cass. Civ.
1-, 9 mai 1955, D. 1955-467, Rev. Trim. Civ. 1955·715.
(17) Hébraud, op. et loc. cil. : Vizioz, Etudes de procédure, p. 207.
121
-.
�de former tierce-opposition, qu'il est opportun de lui reconnaître
le droit d'intervenir : l'exercice de ce droit n'est plus la cause
de l'absence de tierce-opposition ; il en est la conséquence.
Et la situation du créancier, au plan de la procédure, est plutôt
comparable à celle du garanti qui se fait mettre bors de cause,
mais, dans l'instance entre le tiers et le garant, conserve un
conseil à l'effet de défendre ses intérêts.
On comprend assez facilement, dans ces conditions, que cette
intervention volontaire soit admise en appel : le tiers n'ajoute
aucune demande à celles qui sont déjà formées . Nulle violation,
par conséquent, de la prohibition des demandes nouvelles. Simplement, l'affaire sera jugée aussi à son égard; dans cette mesure
seulement, il est déjà possible de découvrir le signe annonciateur
d'une violation de la règle du double degré de juridiction.
14. - B) La perturbation est plus profonde lorsque l'intervention volontaire est agressive (ou principale). Le tiers peut
figurer au procès en vue de faire reconnaître ou protéger son
droit. Le droit qu'il invoque à son profit, tel le tiers de la
fable, est parfois exclusif de celui des deux plaideurs. Ailleurs,
il ajoute - syndicat, association - sa prétention à celle de
l'une des parties . Ce faisant, il entend, en toute bypotbèse,
obtenir une condamnation à son profit. La demande est nouvelle
non plus seulement à raison de la qualité de celui qui la forme,
mais aussi à raison de la cause. Elle conduit le juge d'appel à
statuer sur une demande qui n'a pas été posée au juge de
première instance. Le tiers y trouve l'avantage de ne pas former
une demande séparée; le juge, celui de regrouper l'entière
connaissance du litige, sans que l'on ait à redouter, par l'effet
de la compétence générale désormais reconnue en appel à la
cour, des difficultés de prorogation de compétence à raison
de la matière.
15. - Le reg/me
ne soulève pas, pour
L'intervention agressive
mais pas plus en appel
de cette demande, en cause d'appel,
l'essentiel, de difficultés particulières.
diffère de l'intervention conservatoire,
qu'en première instance. Introduite de
la même manière, l'intervention agressive donne nécessairement
au tiers la position de demandeur; celui-ci contribue, par ses
conclusions, à délimiter le champ du litige; il peut provoquer
toutes mesures d'instruction; et obtenir une condalilIlation à
son profit, même si les parties principales transigent ou si
Pune d'elles se désiste.
.
;
16. Quant à sa recevabilité~ l'intervention agressive
est subordonnée, outre la condition de connexité, commune
aux demandes incidentes, aux conditions habituellement exigées
à propos de toute demande en justice, en particulier à l'exigence
122
�d'un intérêt né et actuel. Là encore, rien de spécifique à l'instance d'appel. Tout au plus pourra-t-on observer, comme à
propos de l'intervention conservatoire, que le développement
du litige, arrivé au degré d'appel, permet de déceler plus
facilement l'existence de cet intérêt. Mais ce sont là circonstances
de fait, qui paraissent ici encore faciliter l'intervention.
L'article 466 c. p. c. permet toutes les audaces. Et peutêtre la réforme judiciaire de 1958 a-HIle encore renforcé le
courant favorable à l'intervention.
Pourtant, si les solutions sont suffisamment nettes et si
aucune réforme législative ne paraît s'imposer, il est permis
de s'interroger, à la lumière du droit nouveau, sur la signification
profonde de cette recevabilité des interventions volontaires de
caractère agressif, en cause d'appel. Le tiers intervient désormais
afin d'obtenir condamnation à son profit. Sans conteste, sa
demande est nouvelle. En outre, par voie de conséquence, elle
heurte le double degré de juridiction. Or, la loi fait litière de
ces deux considérations. Et l'entorse aux règles habituelles est
beaucoup plus caractérisée qu'à propos de l'intervention conservatoire. La loi accorde au tiers ce qu'elle refuse aux parties :
,
présenter une demande nouvelle, sauter un degré de juridiction.
Au vrai, il est possible de trouver dans les règles issues
de la réforme judiciaire de 1958 une situation comparable : le
plaideur défaillant, faute de comparaître, est privé de la faculté
de faire opposition, si la décision rendue contre lui est « suscepti-
ble d'appel» : il ne peut plus faire entendre sa voix qu'en appel
et la voie de recours apparaît, bien plus qu'autrefois, comme la
prolongation, voire l'épanouissement, de l'instance initiale et
pas seulement comme la répétition solennelle et éclairée de
celle-ci; comme l'appel, pour le défaillant, l'intervention, pour
le tiers, se présente alors comme le substitut d'une arme qui
était à sa disposition et qu'il a négligé d'utiliser. Seulement,
contre le plaideur défaillant, une instance s'est tout de même
déroulée en première instance; rien de tel pour l'intervenant.
Encore, ce dernier le veut-il bien et l'on se prend à penser que
la loi lui laisse la possibilité de renoncer au premier degré de
juridiction - contrairement à ce que l'on affirme encore en
soutenant que la règle est d'ordre public - , comme il pourrait
renoncer au second, s'il était partie principale, en négligeant
d'exercer une voie de recours. Seulement, il y a plus: renonçant
finalement pour lui-même - et comme la loi le lui permet au premier degré de juridiction, il en prive du même coup,
qu'elles le veuillent ou non, les parties contre lesquelles il va
pouvoir former sa demande. Et c'est peut-être ce qui est le
plus grave. Au demeurant, l'intervention volontaire contient en
germe l'intervention forcée.
123
�II
L'INTERVENTION FORCÉE EN APPEL
17. - La tentation est grande de voir dans l'intervention
forcée, en dépit de quelque inélégance de vocabulaire, l'envers
de l'intervention volontaire et de transposer de celle-ci à celle-là
les solutions du droit positif. L'équité et le bon sens inclinent
à penser que les plaideurs peuvent faire aux personnes jusque-là
étrangères au procès ce que le droit positif permet à celles-ci
de leur faire. Les positions des protagonistes seraient inversées.
Un point, c'est tout.
Mais la référence à quelque précepte évangélique serait
ici source d'erreur. Dès à présent, si l'hypothèse habituelle à
propos de laquelle se prononce la jurisprudence suppose que les
plaideurs, ou l'un d'eux, décident spontanément d'attraire malgré
lui un tiers dans le procès, on peut encore se demander si
l'initiative de cette intervention ne peut pas être aussi le fait du
;uge. La contrainte s'accentue encore. Il y a intervention d'office.
,
18. -
A) Supposons, en premier lieu, que les plaideurs
décident d'attraire dans le procès une personne qui, jusque.là,
lui était restée étrangère. C'est le responsable qui se retourne
contre son assureur; le garanti, qui appelle en cause le garant;
le créancier, qui, après avoir formé sa demande contre un des
codébiteurs solidaires, en assigne un autre.
19. -
Pour l'essentiel, la situation de l'intervenant malgré
lui n'est pas sensiblement différente, en appel, de ce qu'elle
est en première instance (18). La discussion consiste plutôt
à savoir si l'intervention forcée peut être~ en appel, aussi facilement admise que l'intervention volontaire. Et c'est sur ce point
que l'on serait incité à conclure à un alignement des solutions.
Aussi bien peut-on citer nombre d'arrêts de la Cour de cassation,
dont il résulte que « toute personne ayant qualité pour intervenir
en appel peut être mise en cause par voie d'intervention
forcée » (19).
D'ores et déjà, il est permis de douter de cette « corrélation ». Sans doute est-il peu concevahle que puissent être
(18) V. not. Parmentier, L'intervention forcée en cause d'appel,
Bull. de la Ch. des avoués près la Cour de Paris, n° 17,_ oct. 1962,
p. 22 et s.
(19) Cass. corn. 17 mai 1954, Bull. 1954 III, n° 179, p. 135 ;
Cass. corn. 16 nov. 1954, Gaz. Pal. 1955-1-385 ; Cass. civ. 14 déc. 1955,
Bull. 1955 II, n° 583, p. 352 ; Casso soc. 5 juil. 1956, ibid. 1956, IV,
n° 624, p. 468 ; Casso civ. 8 juil. 1959, Bull. 1959, II, 366.
124
�attraits dans l'instance des personnes qui ne seraient pas recevables à intervenir volontairement. Mais, en revanche, il n'est
pas établi que la faculté d'intervenir volontairement ait toujours
pour contrepartie le risque d'une intervention forcée. On voit
bien, sans doute, le raisonnement sur lequel repose cette assimilation. C'est malgré eux, ou du ~oins sans leur consentement,
que les plaideurs initiaux voient intervenir, volontairement le
tiers; par un juste retour, ce dernier perd, en cas d'intervention
forcée, le choix de son attitude. Il y a pourtant un vice dans
ce raisonnement, car les situations ne sont pas exactement inversées. Tandis que le tiers peut intervenir volontairement à titre
simplement conservatoire, ou accessoire, il n'est jamais question
pour les plaideurs initiaux, devenus philanthropes, de l'attraire
dans le procès, malgré lui, mais pour son bien. Il s'agit toujours
pour eux de
lui causer un tort, plus ou moins grave certes,
direct ou indirect, selon les circonstances (20). C'est pourquoi
les créanciers chirographaires de l'un des plaideurs, qui peuvent
intervenir à l'instance pour « épauler» leur débiteur, ne sauraient
être atteints par une demande en intervention forcée. A quoi
bon les assigner, puisqu'ils sont de toute façon représentés
dans l'instance par leur débiteur et que le droit positif leur
dénie, de ce fait, la faculté de faire tierce opposition (21).
.,.
20 . - Mais précisément, ce tort, qui menace le tiers et
sert d'objectif à l'intervention forcée, en marque, du même
coup, les dangers, surtout en cause d'appel. Plus la menace
s'accentue, plus paraît choquante l'intervention forcée, qui prive
le tiers, malgré lui, du premier degré de juridiction.
Selon les hypothèses, la recevabilité de l'intervention forcée
est plus ou moins menacée. Mais des divergences de jurisprudence viennent compliquer l'analyse. Souvent d'accord pour
admettre l'assignation en déclaration d arrêt commun, les juges
J
du fond et la Cour de cassation ne le sont plus, à propos de la
mise en cause, et ne se retrouvent en harmonie que pour écarter
l'appel en garantie.
21. -
a) Une fois que le jugement de preInlere instance
a été rendu, rien n'empêche les parties, ou l'une d'elles, d'assigner
un tiers en déclaration de ;ugement commun. Il ne s'agit pas
de lui rendre le jugement opposable, car ce résultat découle du
jugement lui-même, comme de tout acte juridique (22). Il s'agit,
'..
..
;
(20) Raynaud, obs. Rev. Trim. Civ. 1957, 400 et s. sur Rennes,
28 juin 1956, Rec. Rennes, 1956, 4' trim., p. 12 et Paris, 18 déc. 1954,
D. 1957, 40, note Crémieu.
(21) Morel, n° 684, p. 525 ; Cuche et Vincent, n° 451, p. 523 ;
H. Roland, n° 305, p. 356.
(22) Raynaud, op. cit. p. 402 ; L. Boyer, Les effets des jugements
à l'égard des tiers, Rev. Trim. Civ. 1951, p. 163 et s. ; H. Roland, op. cit .
not. p. 147 et s.
"125
�en réalité, d'empêcher le tiers de se retrancher, le moment
venu, derrière le bénéfice de la relativité de la chose jugée, en
formant, le cas échéant, tierce opposition contre la décision. La
référence à la tierce opposition se comprend aisément.
Mais alors, plutôt que d'attendre que le juge se prononce,
les plaideurs, ou l'un d'eux, peuvent agir en intervention forcée
contre le tiers, par une action à la fois déclaratoire et, dit-on,
préventive, à la seule condition de respecter les règles habituelles
des demandes incidentes, plus particulièrement des interventions. La seule difficulté consiste, dans ce cas, à discerner,
avant même que le jugement de première instance n'ait été rendu,
quels pourraient être les tiers habilités à former tierce opposition.
22. - Quand l'affaire est en instance d'appel, l'utilité d'une
demande en intervention forcée est encore plus évidente. Et
la détermination des tiers contre lesquels cette action peut être
portée devient même plus facile. Aussi bien, c'est en se référant
au cercle des personnes qui peuvent former tierce-opposition à
la décision des premiers juges que la jurisprudence a déclaré
recevables les interventions forcées tendant, en cause d'appel, à
la simple déclaration d'arrêt commun (23).
n
est cependant permis, d'ores et déjà, de se demander
si ce premier type d'intervention forcée, bien que timide, n'abou-
tit pas à supprimer un degré de juridiction. En étendant au plan
de l'appel ce qui est admis en première instance, la jurisprudence
aboutit, semble-toi!, à priver l'intervenant malgré lui du premier
degré de juridiction. Quand i! est attrait en première instance,
il perd, à l'avenir, le droit de former tierce-opposition; mais
il acquiert, éventuellement, celui d'interjeter appel. Il y a, somme
toute, substitution d'une voie de recours à une autre. Au
contraire, si l'intervention forcée se produit en cause d'appel,
il n'y a, à première vue, pour le tiers, qu'une instance unique,
qui remplace à la fois celle qu'une tierce-opposition contre le
jugement rendu lui aurait permis de déclencher et celle qui
résulterait d'une éventuelle tierce-opposition contre l'arrêt à
rendre par la Cour (24).
L'objection n'est peut-être pas décisive. Sans doute
trouverait-on, dans le mécanisme même de la tierce-opposition,
plutôt que dans l'analyse de l'intervention, l'explication de cette
solution libérale. Pour justifier j'intervention en déclaration
d'arrêt commun, la doctrine est justement conduite à observer
que, à tout prendre, les tiers « ne sont privés ni de leur juge
.
,
(23) Casso req. 9 mars 1903, D.P. 1903-1-576, S. 1908-1-86 ; Casso
juin 1920,
D.P. 1924-1-34 ; Casso req. 23 fév. 1920, S. 1921-1-265 ; Casso req.
1·' fév. 1926, DR., 1926, 114.
(24) Hébraud, obs. D.C. 1943, L. p. 8.
req. 11 mai 1908, D.P. 1908-1-365, S. 1914-1-355 ; Cass. civ. 14
.~.
,
;
126
�naturel ni du double degré de juridiction puisque, de toute
façon, s'ils n'avaient pas été appelés en cause, ils auraient dû
saisir de leur tierce-opposition la juridiction devant laquelle ils
ont été contraints d'intervenir » (25).
li reste une différence : dans l'hypothèse d'une intervention
forcée, c'est contre leur gré que les tiers sont apparemment privés
d'un degré de juridiction; lorsqu'ils interviennent volontairement en appel ou attendent qu'un arrêt d'appel ait été rendu
pour le frapper d'une tierce-opposition, ils agissent de leur plein
gré. Seulement, il convient alors de se demander si finalement
il y a bien, dans l'une comme dans l'autre hypothèse, escamotage
du premier degré de juridiction. En eHet, la déclaration de
jugement ou d'arrêt commun ne fait que développer une virtualité
contenue dans la décision de justice. En ce sens, les tiers sont
déjà concernés par la décision rendue en dehors d'eux. Aussi
bien, l'intervention en déclaration d'arrêt commun ne tend qu'à
les priver du bénéfice de la relativité de la chose jugée. On
hésite donc à admettre qu'il y ait, à proprement parler, demande
nouvelle; il est même douteux que l'intervention en déclaration
d'arrêt commun aboutisse à « juger» les tiers (26).
23 . - Il est donc permis, dans ces conditions, d'approuver la jurisprudence, qni affirme la recevabilité de ces demandes.
La Cour de cassation adopte cette solution (27). Les cours
d'appel sont plus divisées : certaines d'entre elles déclarent
encore irrecevables des interventions en déclaration d'arrêt
commun (28) ; mais les autres se rangent à l'avis de la Cour
de cassation (29). Qu'il nous soit permis de les approuver.
24. b) La situation est différente, lorsque l'intervention forcée devient « agressive » et tend à obtenir, par une
mise en cause du tiers, sa condamnation. Bien que la distinction
des deux types d'intervention forcée -
.,
"
l'un timide, l'autre
(25) Raynaud, op. cil. p. 403.
(26) Raynaud, ibid. et ob,. Rev. Trim. Civ. 1945, p. 217 ; 1952,
p. 118 ; 1955, p. 547 ; 1957, p. 740 ; 1958, p. 304 ; 1960, p. 181
et 541 ; 1961, p. 189 ; 1962, p. 557.
(27) Voir, en dernier lieu, Casso civ. 2', 8 juill. 1959, Bull. 1959
II, 366 ; Cass. soc. 31 mai 1961, D. 1962, 184 ; Cass. com. 30 janv. 1962,
Bull. 1962, III, 51.
(28 ) Colmar, 12 déc. 1928, DR. 1929, 121 ; Paris 10 mars 1945,
I.c.P. 1945, IV. Ed. A, 364, D. 1945. 283 ; Paris 2 févr. 1953, D. 1953,
204 ; Nîmes 27 nov. 1957, Gaz. Pal. 1958, 1, 60 ; Poitiers, 28 lév. 1962,
I.C.P. 1962, IV, Ed. A. 4075, obs. J A., Rev. Trim. Civ. 1962, 710,
obs. Raynaud.
(29) V. par ex. Pari" 18 déc. 1954, D. 1957, 40, note Crémieu,
Gaz. Pal. 1955. 1. 217. Cpr. Paris, 11 avril 1962, J.c.P. 1963. Il.
13158, note Bizière.
127
�•
agressive - n'ait été dégagée que peu à peu par la doctrine (30)
et n'ait pas toujours recueilli les suffrages des auteurs (31),
elle paraît aujourd'hui répondre à l'évidence.
Quand elle revêt un caractère agressif, l'intervention forcée
évoque, plus fidèlement qu'ailleurs, l'intervention volontaire, ou
du moins l'un de ses types. Ce que le tiers peut faire, pourquoi
les plaideurs ne le pourraient-ils pas ? Quand il intervient contre
eux, en cause d'appel, de manière principale et non conservatoire,
ne les prive-t-il pas, même contre leur gré, d'un degré de juridiction? Quand l'occasion se présente à eux d'en faire autant,
la situation est inversée. Mais il n'y a pas, apparemment, d'autre
différence. Il est certain, cette fois, que l'intervention forcée
escamote lm degré de juridiction, mais pas plus, semble-t-il, qu'une
intervention volontaire et agressive.
Pourtant, il importe de ne pas pousser trop loin l'assimilation. Ce qui distingue le plaideur, appelant ou intimé, atteint
par l'intervention volontaire, du tiers troublé par l'intervention
forcée, c'est qu'il a déjà eu l'occasion de développer en première
instance une prétention distincte, certes, de celle que développe
l'intervention volontaire du tiers, mais néanmoins, et par hypo.
thèse, connexe à celle·ci. Ce qui caractérise au contraire le tiers,
atteint par l'intervention forcée, c'est qu'il n'entre en scène
que lorsque le premier acte est terminé. La demande formée
contre lui est nouvelle et il est déjà normal que, sur ce point,
la loi soit plus sévère aux plaideurs qu'au tiers.
25. - C'est sans dou te en tenant compte de ces considé·
rations que, pour la plupart, les cours d'appel déclarent irrece·
vables les demandes de mise en cause d'un tiers, formées par
l'appelant ou l'intimé (32). Au contraire, de nombreux arrêts
de la Cour de cassation ont adopté une solution favorable à
ces demandes (33), en permettant notamment l'assignation en
intervention forcée d'une banque par le porteur d'un chèque
,,
(30) Raynaud, obs. Rev. Trim. Civ. 1957, p. 400 et s.
(31) Cpr. Glasson, Tissier et Morel, t. I, p. 637 ; Morel, n'" 374,
p. 306 ; Crémieu, note précitée et Encycl. ]ur. Dalloz, Rép. de proc.
civile, VC intervention, n° 63 et s.
(32) Paris, 2 lév. 1953, J.C.P. 1953, IV, p. 115 ; Paris, 18 déc. 1954,
D. 1957, 40, note Crémieu ; Rennes, 28 juin 1956, Rec. Rennes, 1956,
4" trim., p. 12 ; Montpelliet 3 avril 1957, J.c.P. 1957, II, 10153, note
Dijol. V. aussi Trib. Seine, 4 oct. 1956, J.c.P. 1956, II. 9618 ; Trib.
Lille, 7 juil. 1959, Gaz. Pal. 14, 17 nov.
(33) V. Casso civ. 8 nov. 1877, S. 1877. 1. 147, 21 oct. 1895.
S. 1898. 1. 43 ; Casso req. 23 lév. 1920, S. 1921. 1. 265 ; 23 juil. 1930,
S. 1931. 1. 84 ; Casso civ. 5 nov. 1941, D.C. 1942, 158 ; Cass o com.
17 mai 1954, Bull. 1954, III, 135 ; Cass. com. 16 nov. 1954, Gaz. Pal.
1955, 1, 385, Bull. 1954. III. 265 ; Casso soc. 31 mai 1961, D. 1962.
184, Rev. Trim. Civ. 1962, 557 ; obs. Raynaud.
128
�impayé, qui avait, tout d'abord, agi contre l'un des endosseurs
(34). Souvent accueillante, la Cour de cassation tire argument
de J'article 466 c. p. c. Puisque les tiers peuvent intervenir en
cause d'appel, s'ils justifient d'un intérêt, les plaideurs ont la
faculté d'agir contre ces mêmes tiers, à la même condition, en
intervention forcée. Les cours d'appel répugnent à s'incliner (35).
Sans doute, pourrait-on souhaiter qu'un texte v1nt, sur ce point,
meUre fin à la controverse.
26. - c) La position de la Cour de cassation parait d'autant
plus singulière qu'elle l'abandonne en matière d'appel en garantie (36). Si la mise en cause du tiers tend à l'appeler en garantie,
la Cour de cassation estime qu'en cause d'appel, l'action, réglementée en première instance par les art. 175 et s. c. pro civ.,
est irrecevable, parce qu'elle viole la prohibition des demandes
nouvelles et aboutit à supprimer, au détriment du tiers, le
premier degré de juridiction. Si le tiers ne proteste pas, son
attitude équivaut, de ce point de vue, à une intervention volontaire. Mais, s'il proteste, il obtient satisfaction et il échappe à
l'intervention. Seulement, comme nulle différence de nature ne
distingue de ce point de vue la mise en cause forcée de l'appel
en garantie, on saisit à grand-peine la raison qui conduit la Cour
de cassation à déclarer recevable en cause d'appel l'une de ces
actions et à rejeter l'autre. Toutes deux portent atteinte à la
prohibition des demandes nouvelles en appel ; toutes deux
constituent une violation de la règle du double degré de juridiction (37). D'opinion différente à propos de la mise en cause
forcée, juge du fait et juge du droit se retrouvent donc d'accord
à propos de l'appel en garantie.
27 . - B) Même si, sur ces divers points, un texte venait
lever les incertitudes, une dernière difficulté devrait être surmontée car, dans diverses hypothèses, l'intervention forcée ne
manifeste pas seulement une contrainte exercée par les plaideurs
sur le tiers, mais encore une contrainte exercée par le juge sur
les plaideurs. L'intervention n'est plus seulement forcée pour
le tiers; elle le devient aussi pour les plaideurs: c'est l'intervention ordonnée d'office par le ;uge.
(34) Cass. com. 16 nov. 1954, précité.
(35) V. en dernier lieu, Paris 13 fév. 1960, D. 1960, Som. 76 ;
Paris 14 mai 1960, re.p. 1960. IV. Ed. A. 3478.
(36) Cass. req. 21 juil. 1876, S. 1878. 1. 455; Cass. civ. 2', 29 juin 1961
J.c.P. 1961, IV, p. 121.
(37) V. Ctémieu, Encycl. Jor. Dalloz, R~p. de proc. civ., V' Intervention,
D.
63 et
S.
129
�·1
28. - Diverses raisons peuvent conduire à la justifier. On
tiendra compte tout partirulièrement du fait que l'intérêt général
peut - on l'a vu - être intéressé à ce que le procès soit tranché
dans son unité naturelle. L'intérêt individuel de l'un des plaideurs
ou du tiers rejoint le plus souvent l'intérêt général et provoque
l'intervention. Mais, supposons que le tiers et les plaideurs
demeurent inaètifs? Est-il possible au juge de leur forcer la
main (38) ?
Il va de soi qu'il ne peut statuer au fond à l'égard du
tiers, si celui-ci n'a pas été appelé aux débats (39). Sans
doute, aujourd'hui, ordonne-t-il plus facilement qu'autrefois la
convocation d'un témoin. Mais il n'est pas question de lui
permettre d'assigner lui-même le tiers. Seulement, ne peut-il
pas, indirectement, le faire assigner par l'un des plaideurs ?
L'unanimité n'est pas réalisée, en doctrine, sur ce point (40).
Certes, il arrive que la présence du tiers dans l'instance soit
exigée. Ainsi, l'action directe exercée par la victime d'un accident
contre l'assureur implique normalement la mise en cause de
l'assuré, toutes les fois que la responsabilité de ce dernier n'a
pas encore été établie de manière définitive (41). Mais, il s'agit
de savoir si, en dehors de pareilles hypothèses, déjà significatives,
le juge peut surseoir à statuer, en laissant à la partie la plus
diligente le soin de procéder elle-même à la mise en cause d'un
tiers.
29. -
C'est sur ce terrain que les solutions du droit positif
manquent de netteté. Un premier courant de décisions admet
cette pratique (42), que l'intervention forcée du tiers tende en
définitive à une déclaration d'arrêt commun ou à une mise
en cause. D'autres, plus orthodoxes, marquent au contraire une
réaction contre cette tendance. Elles affirment « qu'il n'appartient
qu'aux parties qui ont été appelées à une instance judiciaire
d'y intervenir pour la défense de leurs intérêts» (43). Et - une
(38) V. sur ce point, Normand, L'office du juge et la contestation,
thèse Lille, 1961, t. !, p. 83 et s. ; R. Vienne, Le rôle du juge dans la
direction du procès civil, Rapport au VI- congrès international de droit
comparé, Travaux de l'Inst. de Droit Comparé, t . XXIII, p. 312 ;
Raynaud, obs. Rev. Trim. Civ. 1955, p. 167.
(39) Normand, op. cit., p. 88.
(40) V. par ex. Garsonnet Cézar-Bru, t. III, 3' éd. n. 574, p. 178.
Sur cette discussion, cf. Normand, t. I, p. 87 et s.
(41) Cass. civ. 13 déc. 1938, 3 arrêts, D.P. 1939. 1. 33, note
Picard.
(42) Casso req. 2 août 1876, S. 1877. 1. 306, D.P. 1877. 1. 224,
21 juil. 1913, S. 1916, 1. 8, D.P. 1914. 1. 19 ; Nancy, 3 janv. 1880,
D.P. 1880. 2. 138 ; Caen, 24 janv. 1898, S. 1898. 2. 295 ; Bordeaux,
31 janv. 1893, D.P. 1894. 2. 541.
(43) Cass. civ. 9 janv. 1923, S. 1923. 1. 128, D.P. 1925. 1. 52,
5 avr. 1933, Gaz. Pal. 1933. 2. 26.
130
�fois n'est pas coutume - il Y a divergence de jurisprudence entre
les chambres de la Cour de cassation (44).
Or, ce qui nous intéresse plus particulièrement ici, c'est
que, si quelques auteurs refusent au juge d'appel le pouvoir
d'ordonner d'office mais indirectement l'intervention
forcée d'un tiers, tout en raccordant, dans une certaine mesure
(45), au juge de première instance, certaines décisions de la Cour
de cassation n'ont pas craint de laisser produire effet à des
interventions d'office qui n'avaient été ordonnées qu'au cours
de l'instance d'appel (46). Si le juge d'appel peut lui·même,
finalement, passer outre au principe du double degré de juri.
diction, c'est que, décidément, dans notre droit, cette règle a
profondément évolué, dans sa lettre, bien sûr, mais aussi dans
son esprit.
30. - Le tiers peut s'en priver volontairement, en intervenant; les plaideurs, en retour, peuvent l'en dépouiller i puis
le juge la néglige. Présente·t-elle encore un caractère d'ordre
public? A la vérité, si l'intervention reçoit bon accueil, c'est
que les premiers juges ont tout de même connu d'une partie
du litige. Alors, pour rétablir son unité, même si c'est seulement
en
appel, la sagesse populaire nous donne la clé de l'énigme :
mieux vaut tard que jamais!
F. TERRÉ.
.,,
"
,'.
(44) Dans un sens défavorable, Cass. civ. 2"', 30 avril 1954. Bull.
1954, II, n. 162, p. 114 ; 4 oct. 1959, Bull. 1959, II, n. 648, p. 421 ;
22 nov. 1961, Bull. 1961, n° 789, p. 552 ; dans un sens favorable,
Cass. soc. 17 juil. 1958, Bull. 1958, IV, n. 948, p. 713.
(45) Glasson, Tissier et Morel, t. l, n. 251, p. 642.
(46) Cass. soc. 17 juil. 1958, ptécitée.
1il1
�..
INTERVENTIONS
'
sur !cs rapports de MM. R. PERROT et F. TERRÉ
MONSIEUR LE PROFESSEUR BERTRAND
Normalement il ne serait pas dans mon rôle, comme membre
de cette Faculté, Directeur J'un Institut qui vous a invités à
ce Colloque, d'intervenir le premier sur des rapports aussi scientifiques et aussi importants. Si je le fais, c'est pour poursuivre
une idée que (ai émise ce matin après avoir lu, avec le plus grand
intérêt, le rapport de notre collègue Monsieur Perrot. Il s'agit
de poser les problèmes entre les praticiens et les Facultés. u
vœu en a été exprimé par le rapport du Président Magnan
et celui du Président Courteaud.
Je ferai un parallèle entre les rapports du Président Magnan
et du Président Courteaud d'une part, et d'autre part, les deux
.-
rapports des membres de nos Facultés, que nous venons d'enten-
dre.
Je trouve entre tous ces rapports une communauté de vue
dans la position des problèmes. Les uns et les autres estiment
que les questions difficiles d'interventions volontaire ou forcée,
d'appel provoqué, d'indivisibilité, posent le problème du fait
judiciaire complexe dans sa réalité. rai trouvé dans ces rapports
cette idée commune que la Voie d'appel est une voie d'achèv~
ment du fait judiciaire, sauf le recours devant la Cour suprême.
Il s'agit de ;uger l'entier litige.
Ces communautés de vues étant posées} je trouve entr~
les premiers rapports, et ceux que nous venons dJentendre, un~
oppositi011 profonde. C'est encore une autre manière de poser
le même problème de la voie d'appel considérée comme voie
d'achèvement de l'entier litige.
rai compris que les Praticiens acceptent mal, ou avec un~
sorle de scrupule, la complexité extrême de la position du litige
devant les Cours d'appel. La complexité est aggravée par les
règles qui escamotent le double degré de ;uridiction, ou par le
changement de qualité des plaideurs qui devant la Cour se
présentent avec une qualité différente de celle qui apparaissait
•
r,
•
t.:~.
,
• J
en première instance.
De l'autre côté, entre les rapporteurs de nos Facultés, ie
trouve cette communauté de vues, de régler scientifiquement
le! difficultés de procédure formelle. Notre collègue Monsieur
132
�Perrot conclut avec fermeté à l'inutilité d'une intervention du
législateur, et au laisser faire de la pratique et de la Jurisprudence.
Il y a, entre la position théorique des Praticiens et la
position doctrinale de nos Collègues, une opposition qui me
parait évidente. Le Président Courteaud a rappelé cette complexité
judiciaire; les exemples qu'il a donnés ont été une illustration
capitale des soucis du ;uge d'appel de ;uger l'entier litige tel
qu'il se présente devant la Cour alors qu'il est très différent de
•
ce qu'il était devant le juge du premier degré. QuJavons-nous
entendu de la part de nos collègues des Facultés? Une position
doctrinale qui, semble-t-il, est à l'opposé: la procédure d'appel
est une instance distincte qui nJa pas de lien avec celle poursuivie
au premier degré. C'est la définition même de la procédure,
d'une procédure formelle, d'une procédure formaliste. Le seul
problème est celui de la sanction, c'est-à-dire de la recevabilité
ou de rirrecevabilité des interventions ou des changements de
,
.
"1
qualités, suivant la manière dont les problèmes se posent.
D'un côté, la profondeur du procès à travers le fait ;udiciaire procédural; de l'autre, la procédure formelle dans les
actes, dans la manière dont la procédure a été conduite par les
parties en ;ustice. Voilà des manières différentes de poser les
problèmes. Comment essayer de les régler? Ce soir, il a été
question d'indivisibilité. passive, active} dJappel provoqué, d'appel
en garantie, d'intervention volontaire, forcée, de déclaration
d'arrêt commun. Tout cela c'est le fait procédural ;udiciaire.
Or} dans notre droit judiciaire très contemporain, celui
que nous vivons depuis vingt ans (mais les choses s'accentuent
à longueur d'audience), le fait procédural est, si rose dire, extra;udiciaire. Les problèmes se posent par l'intermédiaire de représentations qui ne se font point, par les actes du Palais qui ne
se font point, par les qualités des plaideurs au procès qui ne
se font point, par l'intérêt du litige prétendu par les plaideurs.
Le procès se situe en coulisses, le plus souvent sur d'autres
intérêts, pour d'autres plaideurs qui ne sont pas dans la procédure comme parties, qui ne révèlent pas leurs qualités, qui ne
révèlent pas leurs intérêts.
Je donne quelques exemples, qui illustrent ma pensée, de
cette représentation en ;uslice en dehors de la procédure, et
qui se situe en coulisses, c'est là le fait grave.
On parlait des assureurs et on disait : II assureur peut user
de l'appel provoqué pour soutenir en appel son intérêt. Ce
que je connais de l'assureur est une position quotidienne exactement inverse: l'assureur plaide dans son intérêt exclusif, sous
le couvert de son assuré, en vertu de la clause de conduite
du procès.
En première instance, cela peut se concevoir : il s'agit
de définir les responsabilités suivant les règles du Droit Civil;
133
�.
-
.
~-
'
il s'agit de connaître le fait de l'accident lui-même,. il est
normal que le législateur ait imposé que l'assuré soit en cause
et que la responsabilité soit ;ugée en sa présence. Mais lorsque
nous sommes au stade de la voie d'appel, - ;e reprends Ù
formule du Président Magnan - , ce doit être la ;uridiction de
la clarté,. ce doit être la ;uridiction de l'achèvement du fait
judiciaire. Je dis aux assureurs en cause d'appel : "Bas les
masques" "vous devez plaider en votre nom, en votre qualité,
révéler votre intérêt, directement, et non sous le couvert de
la clause de conduite du procès Or, les assureurs n'apparaissent
que rarement auiourd'hui, ils n'interviennent pas volontairement.
Il J'agit rarement d'interventions forcées; sans doute l'action
directe est-elle quelquefois exercée, mais exceptionnellement.
L'assureur demeure en marge; il donne des instructions à son
avoué constitué au nom de l'assuré, seul partie au procès.
y a-t-il seulement le cas des assureurs? Un banquier a le
droit, en vertu des règles du compte courant, de poursuivre les
tirés qui défaillent à l'échéance. Mais si le tireur escompteur est
d'une solvabilité absolue, quel est l'effet de la clause "sauf
encaissement"? Le banquier plaidera, aussi bien poursuivra la
faillite du tiré, alors qu'il n'aura aucun intérêt financier, sauf
par le ;eu de la contre-passation ; il est sûr d'être payé. En
cause J'appel, ie dis également "bas les masques". Au moins
dans notre Colloque, il faut que les choses soient dites.
On pourrait développer et multiplier ces exemples. Il y 4
le fonds de garantie en matière d'accidents qui établit, entre
les assureurs qui participent à ce groupement, un tour de rôle
annuel; en ce sens, il y a une société d'Assurances apéritrice
chaque année,. elle conduit les procès pour tous les membres
assureurs du fonds de garantie. Il est possible que parmi les
autres assureurs inclus dans le groupe, au moins pour une part,
peut-~tre pour une part importante, se trouve run d'eux, qui
assure l'intimé en vertZJ d'un autre contrat. Si c'est cet assureur
qui cette année-là conduit le procès, n'est-ce pas la fausseté
absolue en matière ;udiciaire, et la duplicité dans la présentation
du procès, au lieu d'aboutir à l'extrême clarté que souhaite
Monsieur Magnan?
Je termine par une énumération : le syndic de la copropriété ? est-il administrateur d'immeubles par profession, ou
est·il copropriétaire, comme il arrive souvent? Son intérêt en
Cour d'appel ne sera pas le même que devant le ;uge de
première Instance. Ici, par les expertises et la recherche des
malfaçons, on essaie de vérifier le fait d'une manière approfondie.
Mais si l'on veut que l'achèvement ;udiciaire se fasse en cause
d'appel, il faut que l'on sache si le syndic de la copropriété est
un professionnel ou un copropriétaire.
L'administrateur au règlement iudiciaire? Qui représentet-il? la masse ou le débiteur? aucun commercialiste ne peut
le dire avec clarté.
lJ
•
•
134
�Dernier exemple : quelquefois, il existe entre les plaideurs
Jes conventions occultes sur le fait judiciaire i ou à l'occasion
d'un procès mettant en ;eu des intérêts importants, héritiers
plaidant contre des tiers,. certains héritiers ont des parts moins
importantes, d'autres ont un intérh capital,. il est décidé que
le procès sera poursuivi en Cour d'appel. Mais si le procès,
en définitive, est perdu, on convient que ceux-ci, seuls, paieront
ulu pots cassés". La même situation se trouve souvent en
matière de sociétés, suivant fintéTét des groupes.
Alors, quel est le moyen? Il ne s'agit pas d'intervention
volontaire, d'intervention forcée, il ne s'agit pas d'appel provoqué. Il y a une règle de procédure, très exceptionnelle, que ;e
suggère de généraliser en cause d'appel (hélas, ;e suis pour
une réforme législative). L'exemple, le seul à ma connaissance,
peut-être y en a-t-il d'autres, est tiré du Droit Social des accidents
de travail: les Caisses doivent être dans le procès, à peine d'irrecevabilité,. c'est l'intervention légale d'un tiers.
Pour tous les exemples que je viens de donner, si le tiers,
qui, au;ourd'hui, plaide par l'intermédiaire d'autrui, ne se révèle
pas, nous n'aurons jamais la clarté. Nous ne jugerons, ou plutôt
les Cours ne jugeront jamais ['entier litige, voilà le sens des
observations que ;e voulais faire. Il s'agit à la fois de faire le
point entre les rapports de ce matin et ceux de ce soir, et de
marquer, quant à moi, ['intérêt de cette réunion de Praticiens
et de Professeurs de Facultés.
MAITRE PARMENTIER
Les remarquables rapports de Messieurs les Professeurs
Terré et Perrot, et de Monsieur le Président Courteaud, nous
montrent bien que l'intervention en cause d}appel, qu'elle soit
volontaire ou forcée, pose avec une particulière acuité le problème de la portée de la règle du double degré de ;uridiction.
En face d'un tel problème, la tendance, ;e dirais presque
la tentation, serait, soit de faire exception à la règle du double
degré de ;uridiction, et d'admettre le plus largement possible
l'intervention volontaire et forcée} soit d'adopter au nom de cette
règle, garantie essentielle du ;usticiable, une attitude restrictive
condamnant toute intervention agressive qu'elle soit volontaire
ou .forcée, n'admettant à l'extr§me rigueur que l'assignation en
déclaration d'arrêt commun, et encore sous réserve qu'elle ne
recèle pas le fondement d'un appel en garantie.
Mais, est-ce la seule alternative? Ne convient-il pas plutôt
de s'interroger sur le principe même du double degré de ;uridiction, et se demander si l'on doit restreindre ce principe selon
l'expression de Monsieur le Professeur Terré, au cercle des
135
�plaideurs, c'est-à-dire voir une violation du principe dans toute
mise en cause d'un individu qui nIa pas fait valoir ses moyens
..
de défense devant la juridiction du premier degré, ou au contraire,
si l'on doit estimer que la véritable garantie donnée par le
double degré de juridiction, réside dans le fait que le m§me
litige peut §Ire débattu à deux reprises, la deuxième fois devant
une juridiction supérieure; autrement dit, la règle doit-elle §Ire
liée aux personnes se trouvant en cause, ou à rob;et même du
litige?
Autant il est normal de manifester de sérieuses réserves,
en face d'une intervention volontaire ou forcée, qui aura pour
effet de porter une instance sur un terrain dilférent, de déplacer
l'ob;et même du litige, autant peut-on considérer comme légitime
une intervention même agressive, qui n'aura pas pour effet de
déplacer l'objet du litige, m§me si de nouvelles personnes se
trouvent mises en cause.
Permettez-moi, puisque c'est en tant que pratIcIen que ;e
fais cette intervention, de vous donner rapidement deux exempies:
Premier exemple : un poële a répandu des fumées intempectives, qui ont pollué tout un appartement, y compris la
garde-robe de son occupant; la victime a assigné le vendeur
du poële, pour vices de fonctionnement de cet instrument;
une expertise a été ordonnée devant les premiers ] uges; au
cours de fexpertise, il est apparu que le mauvais fonctionnement
de cet engin était dû, non pas à un vice de construction, mais
à son mauvais entretien; raffaire est revenue après expertise
devant le Tribunal, et l'objet du litige, puisque le préjudice était
incontestable, était de savoir si la cause de cette fumée excessive
était due à la mauvaise construction ou au mauvais entretien
de l'appareil; c'est ce qui a été plaidé.
Le Tribunal a estimé que le sinistre était da à un mauvais
entretien, et, comme seul le constructeur de fengin, avait été
assigné, la victime a été déboutée de son action.
Devant la Cour, l'objet du litige était le m§me : les fumées
malencontreuses sont-elles dues au vice de construction, ou au
défaut d'entretien? N'était-il pas normal, en pareil cas, d'admettre
que la victime éclairée par les débats qui s'étaient déroulés
devant les premiers Juges, pouvait assigner en intervention forcée
l'entreprise chargée de l'entretien du poële, afin d'éviter que
l'alfaire ne revienne devant le Tribunal sur assignation du responsable de l'entretien, pour §Ire à nouveau déférée à la Cour?
Deuxième exemple : un litige porte sur la cession d'un fonds
de commerce, plus précisément sur la validité de cette cession .
En première instance, la cession est déclarée nulle, en raison de
l'existence d'un congé préalable, qui avait mis fin au bail.
Etait-il normal, en cause d'appel, d'assigner en intervention
forcée le rédacteur de l'acte pour le voir déclarer responsable.
136
�Ici des réserves sont permises, car l'objet du litige ne serait
plus le même. En première instance, il était de savoir si oui
ou non un congé avait mis fin au bail, alors qu'en cause d'appel,
sur l'intervention, la Cour aurait à examiner quelles étaient
les obligations du rédacteur de l'acte et notamment s'il était tenu
de renseigner l'acquéreur sur l'existence du congé préalable, et
si en l'espèce il pouvait le faire, questions qui n'avaient pas
été débattues devant la ;uridiction du premier degré.
Je me demande donc, si la solution que nous recherchons
ne doit pas tendre à permettre le plus libéralement possible,
l'intervention volontaire ou forcée,
lorsque le litige qu'elle
suscite devant la Cour reste dans un étroit lien
avec ce qui a été débattu devant la ;uridiction du
et au contraire à se montrer réticent à l'égard de
qui auraient pour effet de déplacer l' ob;et du
de dépefldance
premier degré,
mises en cause
litige et d'en
rompre l'unité.
MONSIEUR LE PRESIDENT COURTEAUD
La haute critique de Monsieur le Professeur Bertrand qUI
'a pensé trouver à la fois une ressemblance et une opposition
entre les données des rapports de Messieurs les Professeurs
Terré et Perrot, d'une part, et nos exposés pratiques de ce matin,
de l'autre, m'incite aux observations suivantes:
Ces rapports, si je ne trahis pas la pensée de leurs éminents
auteurs, m'ont paru tendre, en secours aux difficultés de fait
et de droit signalées, à ouvrir très largement la porte de l'intervention en cause d'appel.
Certes, il ne saurait être question de supprimer purement
et simplement la garantie du double degré de ;uridiction et de
permettre à un plaideur, élevant ce "processus normal, de
saisir la Cour d'un litige qui n'aurait ;amais subi le feu de la
lJ
première instance. Mais lorsque, après cette première épreuve,
une affaire est lancée à l'aventure de l'appel, la Cour doit en
poursuivre l'achèvement.
Ce principe est dé;à reconnu par l'admission de l'intervention volontaire en cause d'appel, de tous ceux qui justifient
d'un intérêt, notion beaucoup moins stricte et beaucoup plus
souple, i'allais dire plus fluide, que celle d'un droit.
Il suffit pour qu'une telle intervention soit recevable, qu'un
pareil intérêt soit suffisamment connexe à l'objet principal du
litige dont la Cour est saisie, - qu'une telle intervention ne
vise pas à retarder ou bloquer le procès - , qu'enfin, et c'est un
point sur lequel on ne saurait prop insister, elle ne heurte ou
contredise aucune garantie essentielle des droits de la défense.
137
�Celte notion de suffisante connexité rejoint dans sa sa..plesse d'appréciation, celle d'intérêt.
Ces conditions de recevabilité paraissent à la fois nécessaires
et suffisantes pour admettre également l'intervention forcée en
cause d'appel.
Certes, à cet égard, la ;urisprudence, au souci des garanties
de fond que doivent assurer les règles formelles de procédure,
a fait effort de subtile distinction entre la déclaration d'arrêt
commun (qu'on qualifie volontiers de conservatoire, parce que
d'une façon plus ou moins habile elle n'a point l'air de tendre
à immédiate condamnation) - l'intervention reconnue agressive
-
et l'incidente demande en garantie.
Mais, sans méconnaitre ce louable souci de recherche, voire
l'apparente exactitude théorique des critères retenus même par-
fois leur heureuse application pratique, il faut bien constater
avec ['étude minutieuse et éminente de Maître Parmentier) parue
à un récent numéro du bulletin des Avoués à la Cour de Paris,
qu'un tel effort jurisprudentiel a abouti à une grande confusion.
Ainsi} en ce domaine, est-il avéré que nous nous trouvons
en présence de la jurisprudence la plus fluctuante qui soit, tant
au stade de contrdle de la Cour de cassation qu'encore plus à
celui des Cours d'appel, au point que le praticien, même le
plus averti, est fort incertain sur les conseils à donner.
Nous ne méconnaissons, certes, pas davantage, la difficulté
d'une intervention législative en la matière.
Elle est encore accrue du fait que de nombreux litiges
posent des problèmes d'indivisibilité et de représentation de
parties les unes par les autres.
Vous nous en avez donné d'attachants aperçus, mais n'avez
point eu le temps matériel d'aborder certains problèmes, tel
ces cas à peine signalés par nous ce matin où le véritable plaideur
intéressé n'est point en cause. Je songe tout d'un coup à
l'assureur, seulement profilé derrière son assuré.
Ne pensez-vous pas qu'il faudra bien, un iour, faire respecter
en ce domaine l'esprit de l'adage que "Nul en France ne plaide
par Procureur"?
En vos pénétrantes analyses, vous nous nous avez séduit
en esquissant devant nous les enseignements fructueux à tirer
d'une étude du passage de la première instance à celle d'appel,
et, parfois, de renvoi de cette dernière à la première.
En matière de divorce où la procédure est quelque peu
désarticulée, comme signalé en notre exposé, nous vous avons
indiqué ce cas curieux où par un arr§! de 1952, une Cour d'appel
avait renvoyé au premier Juge un articulat insuffisant à lui
seul au prononcé d'un divorce, mais pouvant être requis par
lui à même éventuelle fin, dans le faisceau des autres articulats
demeurés à son appréciation.
138
�Curieuse ;uridiquement, une telle décision nous conduit à
l'observation plus générale que, pour apprécier et admettre de
la façon la plus large l'intervention forcée en cause d'appel,
voire éventuellement la mise en cause d'office par la Cour d'une
partie demeurée en première instance, force est peut-hre de
considérer, que, de ce chef, tout le procès au point de vue
fond et procédure forme, sinon une instance unique,
DU MOINS
UN ENSEMBLE.
En tous cas, pour notre part, quelles qu'en puissent être
les difficultés, nous estimons indispensable une intervention
législative qui, en admettant très largement l'intervention forcée,
quel que soit son style, en cause d'appel, permette à la Cour
de réaliser son œuvre d'achèvement.
Mais les germes, les directives, les prémisses d'une telle
réforme ne sont-ils pas dé;à dans nombre des textes de ''l'instruction sur l'appel", qui en notre actuel Code de Procédure Civile
ont ouvert la voie à notre tâche d'achèvement, et que vous
aurez à parfaire en orfèvres pour la soumettre au législateuf.
•
MONSIEUR LE PROFESSEUR PERROT
Peut-être avez-vous mal interprété ma pensée qui était
évidemment un peu rapide, i' en conviens, lorsque je ne souhaitais
pas une intervention législative, mais si ie ne la souhaite pas,
Cl est pour la raison que voici :
C'est parce que nous sommes dans un domaine où les idées
évoluent, et je cTois que l'intervention législative est dangereuse,
plus néfaste qu'utile, lorsqu'une institution évolue.
Or, il est bien évident, et les discussions qui ont eu lieu
depuis ce matin me le confirment, qu'il y a au fond, la pierre
d'achoppement, le point d'accrochage de tous ces débats, c'est
de savoir comment l'on conçoit l'appel.
Conçoit-on l'appel encore comme une voie de recours, ou
conçoit-on alors l'appel comme un processus d'achèvement d'un
premier litige, et qui signifié qu'en première instance, il y a
une espèce de hors-d' œuvre où chacun se tâte, où l'on prend
ses positions en se disant qu'au stade de l'appel, et bien l'on
verssa, ce sera là le grand ;eu.
C'est évidemment tout une conception de l'appel qui se
. t
transforme, ie ne dis pas qu'elle ne soit pas utile, mais je
crois qu'elle mérite tout de même réflexion, et que l'intervention
du Législateur à l'heure actuelle, à un moment où précisément
cette notion d'appel est en train d'évoluer, ou est susceptible
139
�d'évoluer, serait peut-être néfaste, il vaut mieux laisser voir
venir les choses, et voir comment les idées vont se décanter
peu à peu, il y a là à mon sens une idée qui est très riche
de conséquences} mais il faut savoir si vraiment on se résoud
à concevoir f appel comme un processus d' achèvement, ou bien
alors si c'est encore une voie de recours. Je crois que le problème
est là, j'avoue d'ailleurs très humblement mon hésitation, et
je sais gré à Monsieur le Président Magnan d'avoir lancé cette
idée-là, car
ravoue que c'est un point sur lequel ie ne m'étais
pas penché. Il y a là un problème très grave incontestablement.
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140
�VI
RAPPO RT
- EFFET DÉVOLUTIF ET ÉVOCATION
la
règle du double degré de Juridicfion
par
M. le Professeur P. HEBRAUD
de la Faculté de Droit
et des Scimces Economiques de Tou/ouu
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EFFET DÉVOLUTIF ET ÉVOCATION
La règle du double degré de Juridiction
p ar P. HEBRAUD
Professeur de le Facult6 de Droit
et des Sciences Economiques de Tooloose
PRESIDENCE DE M. LE DOYEN JEAN VINCENT
Plusieurs notions concourent à définir les pouvoits du juge
d'appel. Ce sont principalement l'effet dévolutif et le droit
d'évocation, à quoi il faudrait ajouter la compétence sur l'exécution de la décision, telle qu'elle est réglementée par l'art. 472
C. pro. Leur commune orientation vers la solution d'un même
problème pratique les rapproche, tandis que la différence de
leur aménagement technique contraint à les distinguer minutieusement. De là les difficultés soulevées par le tracé de leurs
frontières , et qui mettent en jeu la nature propre de chacune
.
,.'
de ces notions. Des études nombreuses et approfondies y ont
été consacrées depuis une douzaine d'années. La dernière en
date, et l'une des plus pénétrantes, est le rapport présenté aux
Journées de Lille de 1958 par M. Perrot.
Ce travail, parfaitement achevé, ne saurait être recommencé. Il n'y aurait eu qu'à y renvoyer, ou à le reproduire, si
deux séries de circonstances, d'origine extrinsèque, ne permettaient de renouveler le débat.
En premier lieu, ce colloque a essentiellement des visées
pratiques; c'est pour agir qu'il s'efforce de connaître, réalisant
un exemple trop rare de la coordination qu'il serait sonbaitable
de régulariser entre la science et la pratique.
Dans cet esprit, une place doit être faite au point de vue
de l'appréciation critique, la rechercbe des aménagements légis·
latifs les plus opportuns . Le champ des investigations doit
s'élargir, au~delà des institutions positives, jusqu'aux principes
-.
auxquels elles se rattachent, notamment cette règle du double
degré de juridiction qui a été expressément comprise dans le
titre de ce rapport.
On y est d'autant plus entraîné, - et c'est la seconde
justification de cette remise sur le chantier -
que de nombreux
143
�'éléments nouveaux sont apparus en cette matière depuis 1958,
aussi bien dans le domaine législatif que jurisprudentiel. Il suffit
de se reporter à moins de cinq ans en arrière pour se rendre
compte à quel point les perspectives se sont modifiées, Don
seulement par suite de changements positifs, opérés sur qudques
points particuliers, mais aussi par le sens que des faits isolés
et des évolutions en cours peuvent acquérir dans le climat
actuel. Et l'on ne peut manquer d'être immédiatement frappé
par un trait commun, qui marque tout cet ensemble d'une
dominante fortement accentuée : tout converge vers une dimi-
nution, un refoulement du double degré de juridiction.
La réforme de 1958 ne l'a certes pas renié. On pourrait
même penser, de prime abord, qu'elle
... . .
r
.
.~
ra
consolidé en centra-
lisant tous les appels devant la cour. Mais, en renforçant cet
étage judiciaire, doté d'une sorte de plénitude de juridiction,
elle lui a conféré une force d'attraction qui favorise le développement d'un rôle juridictionnel principal, moins attentif au
respect d'un premier degré préalable, et dont le caractère de
second degré s'estompe. Le signe le plus révélateur en est
l'interdiction de l'opposition dès lors que la matière est sujette
à appel; la discussion contradictoire ne pourra s'ouvrir que devant
la cour, la substance du débat juridictionnel est d'emblée
transportée à l'étage supérieur, le premier degré est éludé. D'un
autre côté, la procédure du contredit soustrait les décisions
rdatives à la compétence à l'emprise de l'appel, pour les soumettre à un règlement d'inspiration plus administrative et
autoritaire. Quant à la suppression de l'appd contre les jugements d'enquête, elle ouvre d'autres perspectives, qui pourraient
prendre corps si des mesures analogues étaient généralisées à
tous les avant-dire droit. En face du mouvement qui pousse
vers la juridiction d'appel, un autre se dessine, qui fait confiance
au premier juge, mais qui aboutit aussi à réduire à un seul
débat effectif l'examen des divers éléments du litige, que ce
soit au niveau inférieur ou supérieur; ces deux secteurs ne
sont d'ailleurs pas sans répercussions l'un sur l'autre, et leur
enchevêtrement laisse entrevoir bien des difficultés.
Quant aux controverses qui s'agitent en jurisprudence, elles
se situent dans le prolongement des précédentes. Elles affectent
l'aspect technique de l'effet dévolutif et du droit d'évocation.
La progression de l'effet dévolutif se confirme, et marque peutêtre quelques nouveaux pas. De son cÔté, la physionomie de
l'évocation se transforme, et accède à la possibilité de développements considérables par l'effacement de certaines de ses
conditions restrictives : l'élargissement des pouvoirs de la cour
emprunte maintenant les deux voies.
C'est par rapport à ce mouvement que les problèmes posés
par le principe du double degré de juridiction prennent aujourd'hui leur véritable sens et leur importance réelle. Il faut, d'une
144
�part, essayer de préciser le point qu'il a atteint, au stade actuel
de notre droit positif tel qu'on peut le discerner à travers une
jurisprudence à la fois fragmentaire et complexe. On doit,
d'autre part, en l'éclairant notamment par la comparaison de
notre appel civil avec d'autres types procéduraux, s'interroger
sur sa valeur et se demander s'il est opportun de le poursuivre
et de l'accentuer encore, ou si, au contraire, l'ampleur de son
épanouissement n'est pas déjà, à certains égards, excessive.
1
La description de notre droit positif peut rirer profit des
deux méthodes que suggère la narure des notions que nous
devons envisager. Il convient d'abord d'analyser chacune d'elles
dans ses conditions, son domaine, son contenu. Il sera ensuite
possible de les rapprocher, et, procédant d'une manière plus
réaliste, de les considérer comme un couple de notions complé.
mentaires, en essayant de préciser, dans chacune des situations
procédurales qui peuvent se présenter, l'étendue des pouvoirs
que leur conjonction ouvre à la cour.
1. - La détermination des pouvoirs de la cour, passant
à travers les notions de dévolution et d'évocation, souffre de
l'absence d'une défiuition légale de la première, de ses défec·
ruosités pour la seconde. A l'effet dévolutif se rattachent des
problèmes classiques, d'une profonde résonance théorique, concer-
,
nant l'étendue de son empire par rapport à l'évocation. A celle-ci
se rattachent des problèmes pratiques d'organisation interne,
plus ou moins importants pour ses diverses conditions.
Al L'effet dévolutif a été conçu à propos d'une siruation
principale, qui est d'ailleurs la plus fréquente , et dans laquelle
il joue pleinement, celle où le jugement sur le fond, rendu au
premier degré, est estimé injuste par la partie perdante qui
provoque un nouvel examen et une nouvelle décision définitive.
Mais la possibilité de son intervention se présente dans deux
séries d'hypothèses, qui ont pour trait commun de laisser aliment
au jugement du fond après l'objet propre de la décision : celle
où le jugement sur le fond, critiqué pour incompétence ou vice
de formes, encourt la nullité, et celle où l'appel est dirigé contre
un jugement avant·dire droit.
a) L'hypothèse où le jugement de première instance est
annulé en appel pour incompétence ou vice de formes a donné
lieu à une jurisprudence bien connue, qui fait au juge du second
degré un devoir de staruer sur le fond du litige, dont il est
considéré comme saisi de plein droit et obligatoirement par
l'effet dévolutif. Les prémisses en remontent peut-être à la note
145
�de Labbé sous l'arrêt de la Chambre Civile du 14 août 1882
(S, 1883, l, 145), qui considère l'incompétence du tribunal
de commerce comme purgée par le passage devant la cour
d'appel, et déclare le moyen irrecevable lorsqu'il est invoqué .
pour la première fois en cassation. Elle est, en tout cas, définitivement acquise depuis vingt-cinq ans (Civ. 12 mai 1936 et
Req. 24 janvier 1938, D, 1938, l, 49, note P . Appleton). La
jurisprudence récente n'a rien eu à y ajouter.
On peut cependant remarquer que les cours d'appel ne
semblent pas être entièrement pénétrées des pouvoirs que la
Cuur de cassation leur confère. Qui feuillette au fil des jours
les décisions publiées en matière de procédure a fréquemment
l'occasion de relever des arrêts où la question n'a pas été expres~
sément soulevée, - ce qui les empêche de laisser aucune trace - ,
et où les juges d'appel renvoient au premier degré alors qu'ils
étaient, selon la Cour de Cassation, saisis par l'effet dévolutif.
Il n'est pas inutile de noter dès maintenant cette constatation,
car l'occasion de la renouveler se présentera à plusieurs reprises;
en s'attachant seulement aux pointes extrêmes de la jurisprudence de Cassation, on se ferait sans doute une idée trop large
du rôle que jouent effectivement les cours d'appel, dont l'attitude
reste, dans son ensemble, conforme à des habitudes anciennes,
plus modérées mais plus sûres. D'autre part, on ne peut négliger
les réticences que la doctrine persiste à exprimer à l'endroit
de cette jurisprudence (V. p. ex. Curnu et Foyer, Préc. Proc.,
p. 474; Vincent, Préc. Proc., nO 439 bis). Il serait inutile de
reprendre toute la discussion; mais il faut s'arrêter un moment
à la tentative de compromis par laquelle M. Perrot a ingénieusement renouvelé le débat, en y introduisant des éléments qui,
en tout état de cause, méritent d'être retenus (rapp. précité,
Lille, 1958).
M. Perrot admet, d'une part, la spécificité du rôle parfois
joué par l'appel comme voie de nullité; d'autre part, il considère
que l'annulation du jugement ne détruit pas le fait que le
premier degré de juridiction s'est exercé et a été épuisé ;
le second degré peut donc s'ouvrir par dévolution. Encore faut-il
qu'elle soit effectivement déclenchée, ce qui conduit à s'interroger sur l'étendue que l'appelant a entendu donner à son
recours. En retournant dans un sens restrictif ce critère, jadis
prôné par Ch. Appleton dans une intention extensive (note
au S., 1886, 2, 137), il admet que l'appelant peut conclure
seulement à l'annulation; celle-ci prononcée, la çour ne se
trouve pas saisie du fond de plein droit; elle peut, soit l'évoquer,
soit le renvoyer <lU premier juge, ce qui permet d'assortir d'une
sanction efficace les irrégularités qui avaient été commises.
Cette thèse nuancée est assurément très séduisante, et ne
manquerait pas d'avantages pratiques. Elle ne parait cependant
146
�pas avoir convaincu l'ensemble des auteurs. Sans nous livrer
à'- un examen complet, nous DOUS bornerons ici à énoncer) sous
forme de questions, deux objections possibles.
En supposant admis le point de départ, on peut se demander
si les conséquences indiquées en découlent logiquement. L'annulation du jugement laisse bien, sur le fond, un vide qui doit
être comblé par un nouveau débat et un nouveau jugement.
Mais, si le premier degré est réellement épuisé, ce n'est pas à
ce niveau que ce nouveau débat et ce nouveau jugement pourront
se situer; ce ne peut être qu'au second degré. Si l'on estime
que l'acte d'appel n'a pas immédiatement déféré le fond au
juge d'appel, il ne restera qu'à le lui transmettre par un nouvel
acte de saisine j mais on ne peut, en tout état de cause, le
renvoyer aux premiers juges, si l'on reconnaît qu'ils ont rempli
leur mission et épuisé leurs pouvoirs.
,
Mais le principe même du système de M. Perrot suppose
une conception particulière du rôle de la volonté dans la détermination du contenu de l'appel. Certes, l'appelant peut cboisir
limitativement certains cbefs du jugement. Mais, lorsqu'il attaque
la disposition qui prononce une condamnation, c'est celle...çi qui
forme l'objet de l'appel, et non le moyen de nullité ou de
mal-fondé; l'appelant peut arguer, à l'enconrre du jugement,
de son irrégularité ou de son injustice mais on peut se demander
s'il lui est loisible de restreindre sa prétention à une annulation
qui ne remettrait pas nécessairement en cause la décision ellemême, dans son contenu substantiel.
1
En réalité, il ne parait pas possible d'éluder la double constatation que le premier degré a été matériellement épuisé, mais
ne l'a pas été valablement. La question de savoir si on le recommencera dépend donc d'une appréciation d'ordre juridique, sur
la nature et la portée de cette invalidité. La solution relève de
la politique sanctionnatrice que la loi entend suivre et aménager.
On comprendrait que la gravité du vice y joue un certain
rôle; mais la volonté des parties y est étrangère.
A quelque point de vue que l'on se réfère, le caractère
absolu et général que la jurisprudence confère à l'admission de
l'effet dévolutif, fait ressortir sa hardiesse.
b) En cas d'appel contre un jugement avant-dire droit,
une tradition constante, en doctrine et en jurisprudence, consi-
dérait l'effet dévolutif comme limité à l'incident, et ne permettait
au juge du second degré de se saisir du fond que par voie
d'évocation. On en relève des manifestations jusqu'à une date
toute récente (Civ. 1° 12 juillet 1955, Bull. 1955, 1. n° 299,
p. 249 ; Civ. 2° 13 mars 1957, Bull. 1957, II, n° 223, p. 148):
Un courant nouveau est cePendant apparu dans la jurisprudence de la Cour de cassation . L'invasion de l'effet dévolutif,
f47
�1
•
substitué à l'évocation, s'étend même à ce domaine (Com.
30 octobre 1951, Bull. 1951, II, n° 297, p. 218 ; Civ.
2° 12 décembre 1957, Sem. Jur. 1958, 10.545, note Motulsky,
Rev. Trim . 1958,302, obs. Ràynaud). « Le juge du second degré,
de plein droit investi par l'effet dévolutif de l'appel de la
connaissance des éléments de fond du procès débattu devant
les premiers juges, ont statué sans recourir à l'évocation dont
ils n'avaient point à user. » Malgré la netteté de la formule,
la portée réelle de ces arrêts a pu paraltre incertaine, parce
que le fond semblait déjà engagé par la détermination de l'objet
de l'expertise dont la cour d'appel réduisait l'étendue (Cfr. obs.
Raynaud. IDe. cil.). Mais la même thèse s'est trouvée rééditée
dans des circonstances plus caractéristiques. Un bailleur ayant
fait appel du jugement qui ordonnait une mesure d'instruction,
le juge d'appel infirme, et, statuant au fond, déclare l'occupant
sans droit au maintien dans les lieux ; la Cour de cassation
reconnaît que l'évocation avait été irrégulièrement pratiquée
parce que l'occupant n'avait pas conclu au fond; mais elle
estime que « le tribunal s'est trouvé saisi de l'ensemble même
de ce litige par suite de l'effet dévolutif de l'appel » (Soc.
~4 janvier 1959, Bull . 1959, IV, nO 110, p. 89) .
Il est donc certain que cette jurisprudence prend corps,
bien qu'il soit peut-être encore trop tôt pour la considérer
comme définitivement acquise. D'ores et déjà, la doctrine lui
a pourtant marqué une réprobation unanime (Raynaud, IDe. cit.;
Motulsky, IDe. cil., et Sem. Jur. 1958, 1. 1423; Perrot, rapp.
précité, p. 13). Il faut bien se rendre compte, en effet, de la
conception qui s'y trouve en germe. La dévolution ne porterait
plus sur la question débattue et tranchée, c'est-à-dire, en somme,
sur le contenu de Pinstance ; elle intéresserait celle-ci comme un
contenant, sous son aspect formel, de telle sorte que, une fois
ce lien transporté au niveau du second degré, toute la matière
juridique du procès pourrait s'y déverser. L'effet dévolutif,
loin d'être la mise en œuvre du principe du double degré de
juridiction, cacherait en réalité sa disparition effective.
B) La suppression du double degré de juridiction est, au
'Contraire, de l'essence même de l'évocation. En permettant aQ
juge supérieur de se saisir de ce qui ne lui est pas transmis par
l'effet dévolutif, elle joue un rôle complémentaire de celui-ci, à
l'occasion de l'appel des jugement avant dire droit, pour les'luels
seuls il y a aujourd'hui lieu de l'envisager. Dérogatoire au
principe, elle n'est admise qu'à titre d'exception, dans des
conditions déterminées. Mais leur équilibre est actuellement en
·voie d'évolution. La dérogation, en s'élargissant, refoule le
principe. Les conditions légales dans lesquelles l'évocation est
enfermée se desserrent, pour des causes diverses, sur plusieurs
points.
148
�Le caractère purement facultatif de l'évocation reste, assurément, son trait fondamental.
D'autre part, l'évocation suppose toujours l'infirmation
préalable du jugement. La jurisprudence, qui a pris tant de
libertés avec le texte de l'art. 473 , lui reste, sur ce point, fidèle
(V. p. ex. : Soc. 23 octobre 1958, Bull. 1958, IV, n ° 1061,
p. 805 ; Soc. 20 juin 1962, Bull. 1962, IV, n ° 572, p. 467).
Mais elle semble parfois supporter impatiemment cette entrave,
puisque c'est l'une des raisons qui la poussent souvent à
chercher dans l'élargissement de l'effet dévolutif un détour
salvateur. Et l'on peut signaler, au moins une fois , le souhait
exprimé par un magistrat de sa disparition (Concl. Turlan, sous
Paris 19 février 1960, G.P. 1960, I, 194, Ch. Bertin, G .P. 1960,
II, Doct. p. 44, § II Cl.
Mais les autres conditions de l'évocation ont subi des
altérations plus ou moins profondes.
..•
a) L'évocation suppose que la juridiction qui l'exerce est
compétente comme juge du second degré. La vérification de
cette condition suscitait jadis des difficultés en cas d'appel de
justice de paix, porté devant le tribunal civil; si celui-ci appa'raissait, en réalité, comme compétent au premier degré, l'éveu
tualité d'un troisième degré lui interdisait de se saisir. Les
entraves qui en résultaient pour le jeu de l'évocation ont disparu
depuis que la cour d'appel est devenue seule compétente au
second degré. La condition légale est désormais toujours réalisée.
b) L'obligation, autrefois imposée au juge d'appel, de
statuer par une seule décision a disparu depuis la loi du
23 mai 1942 . Cette libération n'avait pas une grande importance
pratique, tant qu'elle a été interprétée par la doctrine comme
w
n'affectant qu'une question de forme. Elle a pris, au contraire,
•
••
un intérêt considérable depuis que la jurisprudence en a fait
le tremplin d'une nouvelle extension.
c) L'article 473 ouvre la faculté d'évocation « à condition
que la matière soit susceptible de recevoir une décision définitive ». Cela suppose, à coup sûr, que les parties aient conclu
au fond. Mais la jurisprudence exigeait, en outre, que l'instruction
soit suffisamment avancée pour permettre une décision immédiate, sans recourir à des mesures d'instruction préalables. Cette
condition est aujourd'hui abandonnée par la Cour de cassation ;
elle admet que des mesures d'instruction puissent être ordonnées
à la suite de l'évocation.
A la vérité, on a pu relever des précédents anciens (Civ.
21 février 1905, S, 1905, I, 164). Mais la mesure d'instruction
ne tendait qu'à l'évaluation de dommages-intérêts après reconnaissance du principe de la responsabilité, situation ambiguë où
l'on peut voir une simple question d'exécution du jugement au
fond . De nouvelles décisions, plus ou moins caractéristiques,
149
�sont ensuite intervenues (Soc. 29 avril 1954, Bull. 1954, IV,
nO 258, p. 196 ; Civ. 1 ° 5 octobre 1954, Bull. 1954, l, nO 264,
p. 225 ; Com. 14 juin 1960, Bull. 1960, III, n° 228, p. 211).
Le principe a enfin été proclamé, sous l'estampille d'un commentaire autorisé, avec une ampleur tout à fait générale, dans une
espèce où la cour, évoquant le fond du litige reJatif à l'attribution
du droit de garde, avait ordonné une enquête sociale pour en
apprécier l'opportunité (Civ. 1 ° 21 février 1961, D, 1961,
229, note Holleaux, Sem. Jur. 1961 , 12.153, note R . Savatier,
Rev. Trim. 1961, 388, obs. Raynaud).
Au résultat de tous ces élargissements et de tous ces
assouplissements, l'évocation, sous réserve de son caractère
facultatif, se rapproche singulièrement de l'effet dévolutif. Elle
ouvre au juge d'appel des pouvoirs aussi complets . Corrélativement, le problème de leur délimitation perd une partie de son
intérêt. L'accroissement des pouvoirs du juge d'appel domine
Pune et l'autre technique. Si cet accroissement comporte des
.'
limites, et s'il convient d'essayer de les préciser, il peut être
intéressant de se placer au point de vue de leur combinaison,
en les envisageant conjointement.
~
.... -'"
•
:..~f
.-.
II. - A) Pour prendre, d'une façon concrète, une vue
d'ensemble des pouvoirs de la cour, on peut se proposer d'en
décrire l'étendue dans les diverses situations qui peuvent se
présenter suivant la nature du jugement dont il est appel. Cette
revue ne peut assurément prétendre à être complète, et l'on
doit se borner aux hypothèses principales les plus fréquentes.
D'autre part, une description exacte et sûre se révèle très difficile
à établir; la jurisprudence est, sur bien des points, imprécise,
mabisée à dégager de décisions éparses, dont les motifs effleurent
insuffisamment des aspects parfois essentiels des situations pro-
cédurales; il faudrait tenir compte de la pratique, dont on
sait combien elle est variable et incertaine. Un tableau, même
imparfait, peut cependant être utile, surtout accompagné du
souhait qu'il puisse servir de base à des compléments, précisions
ou redressements éventuels .
a) L'application des principes généraux dans le cas où la
compétence donne lieu à contestation a, tout d'abord, été
profondément perturbée et largemenr refmùée par l'institution
de la nouvelle procédure de la réforme de 1958. Le caractère
préalable du règlement, la séparation absolue de la compétence
et du fond , éliminent toute possibilité, pour la cour, de s'en
trouver saisie, soit par dévolution, soit par évocation.
Le mélange de la compétence et du fond peut se produire
cependant d'une manière plus ou moins complète, dans deux
séries d'hypothèses.
. La première naît de l'élévation d'office d'une incompétence
d'ordre public. Si elle émane du juge du premier degré, sa
150
�..
•
décision doit être attaquée par contredit; la cour ne peut
se prononcer sur le fond. Si c'est la cour qui soulève d'office
l'incompétence du premier juge, elle annule sa décision, mais
elle se trouve saisie de plein droit du fond par l'effet dévolutif
de l'appel.
La seconde hypothèse résulte de la faculté exceptionnellement réservée par l'article 425 C. Proc. au trihunal de commerce de joindre la compétence au fond, et de statuer par un
seul jugement qui doit être alors attaqué daos son ensemble
par la voie de l'appel (art. 425, 3' aL). Le régime actuel est
identique à celui de jadis. La cour qui infirme pour incompétence
reste obligatoirement saisie du fond. La jurisprudence parait
disposée à étendre ce texte au jugement qui engage seulement
le débat au fond par une mesure d'instruction : le jugement
qui affirme sa compétence et ordonne la comparution personnelle
des parties doit être attaqué par l'appel, ce qui permettra éven·
tuellement l'évocation (Caen, 5 novembre 1962, G .P., 1963, l,
159 ; D. 1963, 135, note Giverdon).
Une hésitation peut naître, cependaot, daos le cas où le
tribunal de commerce, après avoir joint l'incident au fond et
instruit l'affaire, se déclare incompétent. Il semble que ce
jugement, don l'objet est limité à la compétence, relève de
j'art. 425, al. 2, et doit être attaqué par contredit. Mais il en
résulterait, pour la cour, en cas d'infirmation, Pimpossibilité
de vider le fond, dont elle aurait certainement pu se saisir
naguère par voie d'évocation, peut-être même par dévolution.
Cette situation peut apparaître comme une régression inattendue,
et l'on sera tenté, pour l'éviter, de placer cette hypothèse dans
le cadre de l'art. 425·}, al., en soumettant ce jugement à appel.
b) Lorsque le jugement statue sur une exception ou une
fin de non-recevoir, il intervient en principe avant toute conclusion au fond, puisque ces moyens doivent être soulevés in limine
litis. La cour ne peut donc se saisir du fond, ui par dévolution,
ni par évocation, à moins que les parties ne le lui demandent.
Des difficultés peuvent naître, cependant, de la nature de
certains de ces moyens, suffisamment liés au fond du droit
pour que celui-ci soit considéré comme engagé et éventuellement
transmis à la cour (Solus et Perrot, Tr. dr. judo priv. t. l,
n° 319·1 D, p. 297). Dans cet ordre d'idées, des situations très
diverses peuvent se présenter, souvent délicates à apprécier, et
où interviennent de nombreux facteurs (v. p. ex. : Civ. 1 0
21 octobre 1952 (Patino), Bull. 1952, l, nO 272, p. 222 (renvoi
au premier juge de la demande réduite, en appel, à la séparation
de corps, après décision d'irrecevabilité de la demaode originaire
en divorce) ; Civ. 2 0 2 novembre 1955, Bull. 1955, II, nO 368,
p. 300 (impossibilité d'évoquer sur confirmation du rejet d'une
exception de commuuication de pièces) ; Soc. 2> octobre 1958,
Bull. 1958, IV, n° 1061 , p. 805 (dévolution après infirmation
15t
�du sursis prononcé pour renvoi préjudiciel à la juridiction administrative); Civ. 1 0 21 février 1961, D, 1961, 229, note
Holleaux, Sem. Jur. 1961, 12.153, note R. Savatier, Rev. Trim.
1961, 388, obs. Raynaud (évocation sur infirmation d'un jugement déclarant l'irrecevabilité du recours contre une décision
de conseil de famille).
c) L'une des hypothèses pratiquement les plus importantes
est celle où l'appel est dirigé contre un jugement ordonnant
une mesure d'instruction.
Dans un cas particulier, toute difficulté a été stoppée à la
source par la réforme de 1958; tel est l'effet du nouvel article
258 C. Proc., qui déclare l'appel irrecevable en matière d'enquête.
Mais le problème continue à se poser à propos de toutes
les autres mesures d'instruction, et notamment de l'expertise.
C'est l'une des siruations les plus indécises et les plus complexes,
où interviennent à la fois l'effet dévolutif, l'évocation, et les
règles de l'article 472 sur l'exécution des décisions d'appel.
......
L'hypothèse où la cour prononce une infirmation est dominée par le jeu de l'évocation. Si elle estime inutile la mesure
d'instruction qu'avait ordonnée le premier juge, elle peut sans
difficulté staruer immédiatement sur le fond. La siruation
est plus embarrassante lorsque la cour ordonne une mesure
d'instruction que les premiers juges avaient refusée. On la
résolvait ordinairement, au siècle dernier, en renvoyant à un
autre tribunal. Cette pratique semble être largement tombée en
désuérude, et l'on voit plutôt, aujourd'hui, le juge d'appel
renvoyer au tribunal dont émanait la décision attaquée, sans
•
.
même toujours s'assurer qu'il sera autrement composé. Mais la
cour cherche fréquemment une autre issue, en conservant
l'affaire par devers elle, pour faire procéder d'abord à la mesure
d'instruction et trancher ensuite le fond; naguère présentée
comme une conséquence et un prolongement de l'art. 472,
cette procédure trouve désormais une base solide dans l'évocation, telle qu'elle a été élargie par la Cour de cassation.
Lorsque la cour confirme le jugement attaqué, qu'il ait
ordonné ou refusé la mesure d'instruction, il ne peut y avoir
évocation. L'article 472 oriente la procédure vers un retour
"
-.
.-'
au premier juge, pour la réalisation de l'expertise, et il semble
que les cours adoptent très largement cette attirude, même
lorsqu'elle ne s'impose pas, par suite d'une infirmation partielle,
par exemple d'une modification de la mission de l'expert. L'effet
dévolutif serait seul susceptible de transférer au juge supérieur
toute la suite du procès; mais la prudence des cours semble
les avoir détournées, jusqu'à ce jour, de s'engager dans cette voie
sur la base, trop fragile ou trop discrète, des arrêts de 1957
et 1959.
15!
�d) La physionomie des jugements avant dire dtoit se
ttouve modifiée lorsqu'ils prennent le caractère de jugements
mixtes. Cette variété présente une importance d'autant plus
grande que la Cour de cassation lui attribue un large domaine,
découvrant très aisément des points définitivement résolus avec
autorité de chose jugée. Elle ouvre à la cour d'appel un rôle
accru. D'une part, la jurisprudence déclare l'appel immédiatement
recevable contre l'ensemble du jugement, ce qui en maintient
aujourd'hui la possibilité même en matière d'enquête. D'autre
part, le point du jugement qui touche au fond peut fournir
une assise au développement de l'effet dévolutif.
e) Le jugement définitif sur le fond est évidemment le
lieu d'élection de l'effet dévolutif. Il suffit de rappeler que,
selon la jurisprudence acruelle, la dévolution se produit même
en cas d'annulation du jugement pour vice de forme entachant
la procédure ou la décision de première instance. La Cour de
cassation a pourtant, récemment encore, fait intervenir l'êvoca.
tion en présence d'une nullité affectant la citation, anéantissant
ainsi jusqu'à la saisine du premier juge (Civ. 2" 1" février 1963,
Sem. Jur. 1963 [éd. A] IV, 4.212, obs. J. A.).
1) L'hypothèse où la proclamation du principe d'une respon·
sabilité doit être suivie d'une évaluation du préjudice pour le
prononcé de dommages-intérêts mérite une attention spéciale,
non seulement à cause de son importance pratique, mais aussi
en raison de son ambiguïté théorique. Elle peut aner de la
simple mesure d'exécution, soumise à l'article 472, comme la
Cour de cassation l'a jadis admis pour la procédure de liquidation
par état (Req. 20 août 1877, D, 1878, l, 299), jusqu'à l'érection
en instance distincte, comme le font certains droits sud-américains
(E. Courure, Fund. der. proc. , p. 342), et comme la jurispru·
dence le décide aujourd'hui pour les actions mtérieures en révision de pensions. La jurisprudence marque surtout la continuité
et l'unité contentieuse de l'ensemble, à laquelle se rattache, par
exemple, en matière répressive, la possibilité d'une constitution
de partie civile après la condamnation pénale (Crim. 9 novembre 1934, D , 1934, l, 163, note J.-Ch. Laurent). Et il semble
bien que, si l'on inclinait jadis à considérer la décision de
principe comme interlocutoire, la condamnation effective constiruant seule le jugement sur le fond, on insiste davantage
aujourd'hui sur la valeur de jugement au fond qui appartient
à la première décision (v. la note de P. Appleton, D , 1935,
l, 78).
La Cour de cassation a toujours accordé de très larges
pouvoirs à la cour d'appel (V. Meurisse, Sem. Jur. 1952, l ,
1058, § III et IV). Si elle infirme, la combinaison des articles
472 et 473 lui permet de reteuir l'affaire; et la Cour de
cassation a depuis longtemps admis qu'elle puisse, en ce cas,
sur la base de l'évocation, ordonner une expertise pour l'éva-
153
�luation des dommages-intérêts (V. p. ex., à la suite d'annulation
d'un jugement d'incompétence, Req. 21 février 1905, S, 1905,
l, 164), ce qui ne peut plus faire de doute depuis 1961. La
Cour de cassation a également admis la plénitude du pouvoir
d'instruction de la cour d'appel, en cas de confirmation, ce qui
ne peut se fonder que sur l'effet dévolutif; il était sous-jacent,
quoique non expressément invoqué, dans certains arrêts anciens
(Req. 13 février 1894, D, 1895, l, 31); il était complété par
une demande reconventionnelle de l'intimé, sur la base d'une
expertise réalisée en référé, dans un arrêt qui a été considéré
comme ayant valeur de principe (Civ. 7 mai 1935, D, 1935,
l, 78, note P. Appleton); il ne peut qu'être corroboré par les
extensions apportées à l'effet dévolutif des interlocutoires par
les arrêts des 12 décembre 1957 et 24 janvier 1959 ; là encore,
pourtant, la pratique des cours d'appel demeure, le plus souvent,
très réservée, et, sans faire état d'une dévolution possible, elle
complète une confirmation par le renvoi au premier juge, sdon
une méthode que la Cour de cassation a encore récemment
approuvée (Civ. 2° 13 mars 1957, Bull. 1957, II, nO 223,
p. 148 ; V. aussi Raynaud, Rev. Trim. 1954, 550, 1955, 554,
1958, 302).
g) On pouvait encore envisager naguère l'hypothèse où
l'appel était dirigé contre un jugement rendu sur opposition à
un jugement par défaut; même s'il s'était abstenu d'examiner
le fond par suite de l'irrecevabilité de l'opposition, l'appel portant
indivisiblement sur les deux décisions opérait dévolution à la
cour de l'entier litige (Civ. 7 janvier 1935, S, 1935, l, 91 ;
Soc. 30 juillet 1948, S, 1948, l, 184; Civ. 2° 31 mai 1954,
Bull. 1954, II, nO 197, p. 138; Civ. 2° 29 novembre 1962,
G. P. 1963, l, 196). Cette situation a cessé de pouvoir
se présenter, depuis que, par la réforme de 1958, l'opposition
et l'appel ne peuvent plus se succéder.
B) Un autre point de vue pourrait encore être adopté pour
décrire, dans leur contenu substantiel, les pouvoirs de la cour,
indépendamment !le leurs modalités techniques d'exercice. Il
consisterait à rechercher, en les isolant, les facteurs qui concoureot à les déterminer, afin de mesurer leur influence respective
et leur valeur relative.
Trois facteurs jouent un rôle essentiel : le contenu du
jugement attaqué, le sens de la décision d'appel (confirmation
ou infirmation), la volonté des parties, exprimée par leurs
conclusions.
A cet égard aussi, il faut ici se horner à quelques indications,
qui permettront d'ajouter quelques précisions au ral'pel des
solutions principales, ou d'en mieux reconnaître les zones
d'incertitude.
a) L'étendue du jugement est incontestablement la première
assise de la détermination des pouvoirs de la cour; elle ne
154
�peut être salSle, par l'effet dévolutif, que de ce qui est compris
dans le champ de la décision attaquée; au-delà, il faut qu'elle
s'en saisisse par évocation.
L'appel est apparu au premier chef comme dirigé contre
une décision juridictionnelle, ce qui la suppose effectivement
rendue, et même, en toute logique, valablement rendue. L'aban-
don de cette deruière condition par la jurisprudence signifie un
affaiblissement de ce caractère. Le jugement est issu d'un débat
juridictionnel ; derrière la critique de la décision, l'examen de
la substance du débat passe au premier plan. Ce déplacement
de point de vue explique que l'appel d'un interlocutoire puisse
être considéré comme entrainant avec lui tout le fond du litige.
Mais l'explication ne vaut justification que si l'on accepte de
pousser jusqu'à sa pointe extrême l'évolution et le développement de cet aspect de l'appel.
b) Les pouvoirs de la cour dépendent aussi du sens de
sa décision ; ils sont beaucoup plus étendus en cas d'infirmation
que de confirmation. L'infirmation, au moins partielle, ouvre
seule à la cour la faculté d'évoquer et de suivre l'exécution
de sa décision conformément à l'article 472. L'effet dévolutif,
dont le principe, orienté vers le prononcé de la décision, est
nécessairement indifférent à son sens, ne pose de problème que
s'il demeure, après elle, quelque chose à juger. Il en est ainsi
.
...
en cas d'annulation pour incompétence ou vice de forme, où
l'infirmation donne à l'effet dévolutif l'occasion de jouer. Il en
serait ainsi de tous les appels de jugements avant dire droit, si
l'on admettait que la dévolution s'étende au fond lui·même,
et ce serait la seule hypothèse où une confirmation ouvrirait
à la cour des pouvoirs nouveaux.
Cette efficacité particulière attachée à l'infirmation mauifeste le rôle de l'appel comme voie de critique et d'irnpugnation
des jugements. Mais on sait qu'elle s'inspire aussi, et peut-être
avant tout, de considérations pratiques et d'opportunité : autant
il y a avantage à laisser le premier juge poursuivre sa mission
quand il l'a bien remplie, autant il est prudent de ne pas le
contraindre à la reprendre après un désaveu.
e) Le dernier facteur qui commande les pouvoirs de la
cour réside dans l'attitude et les initiatives des parties, dont le
rôle paraît prendre une importance grandissante, bien qu'il soit
délicat de choisir le lieu de leur expression utile, à travers les
diverses conclusions.
.....
Elles ont un rôle restrictif bien connu, pour fixer les
limites de l'effet dévolutif, en cas d'appel partieL Il est largement
refoulé par la pratique de l'appel général, dans la très grande
majorité des cas.
Mats, à l'inverse, elles apparaissent comme dotées d'une
vertu amplificatrice, en ce qu'elles posent les assises sur lesquelles
155
•
�le juge appuie tous les développements de son emprise. Une
impulsion vers une interprétation extrêmement large du champ
de rappel se révèle à travers de nombreuses manifestations,
telles que la possibilité pour l'intimé de reprendre toutes ses
conclusions de première instance, sans avoir à faire appel incident.
De même encore le pouvoir reconnu à l'intimé qui concIut au
fond d'obliger l'appelant à le suivre sur ce terrain, malgré l'objet
limité qu'il avait assigné à son appel; le fait que la cour
n'est pas, comme Pétait jadis le tribunal en vertu de l'ancien
.'
article 172, contrainte de statuer séparément sur la compétence
(Cfr. Perrot, rapp. précité, p. 9), ne suffirait pas à l'expliquer,
non plus que l'éventualité d'une décision sur le fond par défaut
faute de conclure, puisque les formalités de l'article 462 ne
sont pas exigées; il s'agit bien d'une plénitude de la dévolution,
attachée à la simple demande de confirmation par l'intimé
(V. Motulsky, Sem. Jur. 1958, 1423, n° 12 et s.).
Je me demande même si l'on ne pourrait pas placer dans
cette perspective l'institution de l'appel provoqué, dont M. Perrot
vient de nous parler avec la pertinente ingéniosité qui lui est
habituelle. li l'a rapproché d'une demande en intervention
intéressant un tiers non partie à l'instance d'appel. Je suis
tout de même frappé du fait qu'il s'agit seulement de remettre
dans le circuit, au second degré, une partie qui y figurait au
premier; loin d'être étrangère au procès, dans son ensemble
et sa continuité, elle y a participé, et il est normal qu'elle y
soit réintégrée; cela ne fait que réaliser UDe dévolution qui
était demeurée virtuelle, et qui trouve dans les conclusions des
parties une base effective.
L'accord des parties surmonte, d'autre part, tous les obstacles et toutes les limites, et confère à la cour tous pouvoirs
de décision, notamment par voie d'évocation, en dehors de
ses conditions légales ; mais cela suppose un consentement spécial
devant le juge d'appel. La seule existence de conclusions au
fond mettant l'affaire en état est nécessaire et suffisante pour
l'exercice normal de l'évocation; peu importe, à cet égard,
qu'elles aient été présentées au premier ou au second degré
(Civ. 30 décembre 1907, S, 1908, l, 385).
Enfin, l'existence de conclusions au fond conditionne l'élar-
gissement de l'effet dévolutif quand le tribunal s'est borné à
ordonner une mesure d'instruction, soit que le préjugé contenu
dans l'interlocutoire confère à la décision de la cour un reten-
,!
..
,;.:;.
"
tissement sur le fond, soit que, avec les arrêts de 1957 et 1959,
on admette que l'appel du jugement avant dire droit produit par
lui-même effet dévolutif, dès lors qu'il y a eu en · première
instance des conclusions sur le fond.
L'importance que présentent ainsi les conclusions tend à
,"
mettre l'accent sur le fait de la soumission d'une question au
juge, de la discussion à laquelle elle a été soumise, indépen-
"\56
�damment de la solution que le juge a pu lui donner ou s'abstenir
de lui donner si sa décision l'a laissée en dehors de son objet.
Posée et mûrie par ce premier passage devant le juge, elle peut
sembler prête pour être transmise, avec l'ensemble du procès,
au juge supérieur, et résolue par lui.
II
Tracer le tableau de notre droit positif ne constitue que
la première démarche du programme qui nous était assigné;
la seconde doit tendre à en apprécier la valeur. Dans un colloque
destiné à confronter des points de vue susceptibles de s'éclairer
l'un par l'autre, la mission d'un rapporteur ne me paralt pas
être de proposer une opiuion déjà faite, mais de rassembler
les éléments sur la base desquels toute opiuion doit s'élaborer.
L'appel peut aisément être pris pour la cbose la plus
simple et la plus naturelle, tellement nous sommes accoutumés
•
-•
..
à son fonctionnement quotidien. Ce mirage se dissipe vite à
la moindre réflexion; l'appel se révèle, au contraire, d'un
mécanisme extrêmement délicat, le champ des diverses concep-
tions possibles apparalt largement ouvert .
Il suffirait, pour s'en convaincre, de se souvenir des
profondes transformations qu'il a subies au cours de son évolu-
tion historique. Il n'est évidemment plus question de ces formes
originaires où le plaideur s'en prenait au juge de sa décision.
Pour être plus récente, l'époque est déjà loin où les appels
••
pouvaient se succéder devant toutes les juridictions hiérarchiquement étagées, comme des actions nouvelles ouvertes contre
chaque décision précédente, tant que la prescription n'était pas
accomplie. Une consolidation s'est opérée sur une notion,
aujourd'hui généralement et couramment accréditée, mais dont
les traits fondamentaux comportent une marge de variabilité où
se reflètent encore, en un faisceau plus concentré, les différences
de principes jadis pleinement épanouies. La physionomie de
l'appel n'est ni universellement, ui immuablement figée; il
faut essayer de discerner, d'une part ses facteurs essentiels,
d'autre part le sens de l'évolution qui, à ce niveau, peut se
produire.
La méthode depuis longtemps la mieux éprouvée pour de
telles enquêtes repose sur la recherche de termes de comparaison. Ils peuvent être demandés au droit comparé externe,
interrogeant les institutions procédurales des législations étran·
gères, ou au droit comparé interne, que rend possible l'existence,
dans notre droit, de types procéduraux différents, comme la
procédure admiuistrative ou la procédure pénale.
J. - Une enquête complète sur les droits étrangers dépas.
serait le cadre et les possibilités de ce rapport; il suffit de
157
�se souvenir combi~ il a paru malaisé de se faire une idée
exacte de notre droit positif, pour pressentir les difficultés què
rencontrerait une recherche semblable COncernant d'autres législations. Cependant, on peut espérer qu'u,n coup d'œil retena,nt
les traits principaux et les points les plus caractéristiques
comporte quelques enseignements utiles, s'il s'en dégage une
impression assez nette pour permettre de situer, vis·à·vis d'elle,
notre propre droit.
A) On ne peut manquer d'être frappé, tout d'abord, par
la place qu'occupe, dans les ouvrages doctrinaux, la recherche,
à travers la discussion des conceptions, du principe sur lequel
repose l'appel : révision de la décision attaquée, ou révision
de l'instance qui y a conduit.
L'énoncé de la question peut provoquer une preruière
surprise, car l'appel se présente évidemment d'abord sous le
premier aspect, comme une voie de recours contre les décisions
défavorables. Mais les auteurs étrangers précisent bien que,
dans la preruière conception, on demande seulement au juge
d'appel de formuler une nouvelle appréciation, substituée à
celle du premier juge, mais portant sur les mêmes éléments,
tels qu'il avait pu les connaître; aucune modification ne peut
être apportée à la matière de l'insta,nce, à ses données de fait
ou de droit; aucun fait nouveau ne peut être allégué, aucune
preuve nouvelle ne peut être produite, aucune exception ou
fin de non· recevoir nouvelle ne peut être invoquée j tout « jus
novarurn » est repoussé. Ainsi précisé, au moins hypothétiquement, ce point de vue est de nature à provoquer une nouvelle
surprise, tellement nOliS sommes accoutumés à voir le juge
d'appel se saisir de moyens de preuve et de faits nouveaux,
dont la Cour de cassation vient encore tout récemment d'affirmer
la recevabilité de principe (Civ. 1° 3 décembre 1962, D, 1963,
181, note Holleaux, Sem. JUt. 1963 [éd. AJ, IV, 4. 184,
obs. J. A., G .P. 1963, I, 222) ; l'appel autorise les exceptions et fins de non·recevoir qui ne sont pas strictement limitées
au seuil du procès, et même les demandes nouvelles, dans une
mesure extrêmement large ; quant aux lois nouvelles, on ne
sait que trop avec quelle hâte on s'efforce de les faire interveuir
à tous les étages des procès en cours. Mais il faut, justement,
semer dans le confort des habitudes le levain de l'inquiétude.
L'affrontement des deux conceptions possibles de l'appel
se concrétise en deux types opposés de procédures, auxquels
on ramène deux courants législatifs différents. L'un, qui paralt
avoir de lointaines origines germaniques, tend à ~ permettre
d'ouvrir et de modeler le débat de second degré avec la même
liberté qu'au preruier, à faire de l'appel u,ne Zweite Erstinstanz,
une « seconde première instance ». L'autre type cristallise tout
le contenu et tous les termes du débat dans l'état où il avait
été fixé en première instance j il trouve son expression la
158
�plus ancienne dans le droit espagnol, où la première instance
est considérée comme prédusive à l'égard de la seconde, en ce
qui concerne les allégations, moyens d'attaque et de défense,
et moyens de preuve, à moins d'ignorance notoire affirmée sous
serment, ou d'impossibilité de les produire non imputable au
plaideur (Prieto Castro, D. proc., t. II, nO 511), et sa transplantation a partiellement influencé la plupart des droits latinaaméricains (V. Couture, op. cil., 252 et s.). Mais les types
juricliques ne restent pas à l'état pur. Le jeu des tempéraments
et des exceptions les rapproche SUI des positions intermédiaires.
A cet égard, il peut être intéressant de Doter, à côté des nuances
persistantes, les variations temporales qui peuvent refléter des
mouvements semblables dans les différentes législations. Il
semble bien, en effet, que l'on puisse relever en plusieurs lieux
les traces d'une évolution concordante, en même temps que
sinueuse.
On a pu discerner, dans l'entre deux guerres, un mouvement
restrictif, dont on ne doit pas exagérer l'importance comme on
l'a fait parfois (Couture, op. cil., p. 253), mais dont l'existence
est certaine. Il s'est manifesté, en Allemagne, par les réformes
-de 1924 et 1933, que Schonke présente comme un désaveu
formel de la théorie de la Zweite Erstinstanz (Zivilprozessrecht,
p. 297). Il a influencé les rédacteurs du Code italien de 1942,
dont l'article 345 a restreint la liberté de production de preuves
nouvelles, admise par l'article 490 du Code de 1865, en exigeant
qu'elle soit autorisée par le juge sur le fondement de motifs
graves. Mais la loi du 14 juillet 1950 a relâché cette rigueur,
en accueillant de plein droit les preuves nouvelles, sauf à laisser
éventuellement au requérant les frais de leur production (Redenti,
Dir. proc., t. II, n O 162 bis, p. 397). Le droit italien, sans
rejoindre entièrement le droit français, notamment en ce qui
concerne les demandes nouvelles, reprend du moins une orien-
tation semblable, ainsi que l'a fort justement remarqué MU. Lobin
(Rev. int. dr. comp., 1958, p. 533 ). L'intérêt de ces modifications dépasse leur objet particulier, et acquiert une valeur
pleinement significative du fait de leur corrélation avec d'autres
réformes contemporaines; elles reflètent les fluctuations des
conceptions doctrinales de l'ensemble de la procédure, où un
dirigisme quasi-administratif, d'inspiration germanique, caractérisé par une concentration assez rigide de l'instance, semble
s'estomper devant le retour à un aménagement plus souple
'.
.
.
""
.
-'
.
et plus profondément imprégné d'un esprit proprement juridictionnel.
Cette coufrontation conduit à la double constatation que
le droit français, en couférant une très large ampleur aux
pouvoirs du juge d'appel, se trouve orienté dans une direction
vers laquelle paraissent bien se ranger les expériences les plus
récentes, et que, ayant toujours suivi cette voie avec une constante
159
�progression, il y occupe une place très avancée; pour lui, la
critique de la première décision est moins essentielle que l'appréciation du procès, transmis au second juge pour qu'il le
réexamine aussi complètement que possible_ Une telle attitude
est d'ailleurs en harmonie avec des tendances profondes et des
traits caractéristiques de la procédure française. D'un CÔté,
nulle tradition juridique n'est sans doute plus anciennement et
plus intimement pénétrée de la valeur spécifique de l'acte juridictionnel, qui résiste à la voie de nullité et appelle la voie
de recours. D'un autre côté, les origines françaises de la cassation
donnent à ses traits une netteté qui la sépare de l'appel par un
fossé plus profond que dans d'autres systèmes, ou, en contre-
partie de ce qu'elle garde d'un troisième degré de juridiction,
l'appel conserve plus apparemment des éléments de réduction
à la critique d'une sentence.
B) Ces conceptions générales exercent une influence certaine
sur le problème particulier de l'étendue de la dévolution ou
des compléments dont elle est susceptible, et l'on y retrouve
la même diversité de principes, et la même recherche de compromis répondant aux nécessités pratiques.
Là encore, on peut d'abord relever, par exemple, une
tendance à ce qu'on appelle l'effet dévolutif absolu, qui parait
avoir une origine germanique, et dont on a signalé des traces
survivantes dans de nombreux cantons suisses (Grossen, rapport
Lille, 1958) : le juge d'appel connalt de tout le litige, sans
être limité ni par les conclusions, ni par l'objet de la décision
attaquée, de telle sorte, notamment, que l'appel dJun interlocutoire lui transmet la connaissance du fond. Mais, au contraire,
la plupart des droits actuels conditionnent le second degré de
juridiction par le premier, et ne retiennent que le contenu de
celui-ci comme objet de la dévolution. li demeure assurément
une certaine élasticité dans l'application du principe. Elle permet
de généraliser une remarque déjà faite à propos du droit français,
et qui vaut également pour d'autres lieux: l'interprétation doctrinale est habituellement plus stricte que celle de la jurisprudence ;
celle-ci est plus disposée à accueillir, au nom de la commodité
pratique, l'élargissement des pouvoirs du juge d'appel (V. notamment, à propos de la dévolution consécutive à l'annulation du
jugement pour incompétence ou vice de forme : pour la Belgique, Braas, Préc. proc. civ. t. II, nO 1242, pp. 642-643; pour
l'Espagne, Prieto Castro, Der. Proc., t. II, nO 132, p. 329).
Quelques-uns des points d'aboutissement qui jalonnent ces
extensions peuvent être précisés par référence à certaines législations caractéristiques.
-
En ce qui concerne l'effet dévolutif, on rencontre d'abord
.,
l'affirmation de principe que le premier degré est franchi par
la première décision, quel qu'en soit le contenu, par exemple
la proclamation d'une fin de non-recevoir qui entrave l'examen
160
�du fond; celui-ci se trouve transféré au juge d'appel, s'il ne
reconnait pas la cause d'irrecevabilité (V. Satta, Dir. proc.
n° 265, p. 354). Mais le juge d'appel ne peut statuer lui-même,
aux termes du Code de Procédure Italien, et doit renvoyer
l'affaire au juge de qui émanait la décision attaquée, si le premier
•
degré est entaché de certains vices énumérés par les articles
353 et 354; ce sont, notamment, l'absence de pouvoir juridictionnel, sinon peut-être toute incompétence (Cfr. Redenti,
op. cit., II, n ° 165 bis, p. 417), la nullité de l'assignation en
première instance, ou la nullité absolue du jugement pour
défaut de signature (art. 161). Ces dispositions s'inspirent, en
somme, d'une idée qui nous a paru très séduisante, et qui tend
à promouvoir des distinctions fondées sur la gravité du vice;
l'effet dévolutif ne peut se produire lorsque l'irrégularité est
si profonde que le premier degré ne peut être considéré comme
réellement épuisé, sauf peut-être à noter que l'étroitesse de la
définition légale de ces hypothèses laisse un assez large champ
aux pouvoirs du juge d'appel. lis sont encore accrus, dans le
droit belge, qui se signale par l'ancienneté de la jurisprudence
donnant ouverture à la dévolution, et non à révocation, après
annulation du jugement pour vice de formes (Cass. 21 janvier 1886, Pas. 1886, l,53; v. Braas, op. cil. nO 1242,
pp. 642-643).
Mais la jurisprudence belge est plus restrictive à l'égard
de ce complément de l'effet dévolutif qu'est l'évocation; s'en
tenant strictement à ses conditions légales, considérées comme
d'ordre public, elle refuse aux parties la faculté de l'autoriser,
par leur accord, hors des limites qui lui sont assignées (Braas,
op. cit. n° 1236, p. 639). D'autres systèmes juridiques sont plus
restrictifs encore ; on en trouve un exemple dans le droit local
d'Alsace-Lorraine, héritier de la Z.P.O., qui oblige le juge
d'appel à renvoyer l'affaire devant les premiers juges dans
diverses hypothèses expressément énoncées (art. 533); parmi
elles, figurent notamment, la liquidation des dommages-intérêts
et les suites d'un jugement sur la compétence, les conséquences
de cette dernière disposition ayant cependant été corrigées par
l'introduction jurisprudentielle de la pratique française qui fait
relever de l'effet dévolutif les pouvoirs de la cour après annulation du jugement pour incompétence (Com. 13 mai 1958,
Bull. 1958, III, n O 184, p. 151 ; Cfr. R. Sinay, G. P. 1961,
J (Doctr.), p. 20, nO 25).
Sur ces problèmes techniques particuliers que pose le domaine de l'effet dévolutif et de l'évocation, ces rapprochements
laissent donc une impression semblable à celle qui se dégageait
de la comparaison des conceptions générales de l'appel. Dans
le mouvement d'élargissement des pouvoirs du juge du second
degré, le droit français a atteint une position avancée, que les
droits étrangers égalent parfois, sur certains points, mais en retrait
161
�de laquelle ils demeurent souvent, plus ou moins nettement.
Cette constatation peut corroborer celle, déjà faite, d'une assez
grande parenté, d'une communauté d'orientation; elle ne permet
guère de porter une appréciation sur la valeur du dynamisme
français, encore capable d'une force d'entraînement, ou, au
contraire, menaçant de dépasser une juste mesure. C'est que
les systèmes procéduraux de tous les pays reposent sur les
mêmes données, et que leurs différences procèdent surtout
d'artitudes d'esprit, difficilement transposables. Pour éclairer
cette appréciation, il faudrait déceler les facteurs qui poussent
au développement des pouvoirs du juge d'appel, ou ceux qui,
au contraire, mettent un frein à cet accroissement. De nouvelles
comparaisons peuvent contribuer à les faire ressortir, en s'évadant
des cadres de la procédure civile, et en se référant à d'autres
types juridiques de procédures.
II. -
Le droit français fournit lui·même l'occasion de cette
confrontation, notamment avec la procédure administrative et
la procédure pénale.
A) Le droit administratif mérite d'autant plus d'être consuité
•
qu'il vient de découvrir, sinon l'appel lui-même, du moins le
rôle essentiel qu'il peut jouer dans une organisation juridictionnelle multiple et diversifiée. Le lieu même de ce colloque
nous y invite, puisque la Faculté d'Aix a pris, dans ce genre
d'études, une place de premier plan. L'appel administratif a
été déjà scruté dans ses caractères généraux et l'analyse de
sa nature (Feuer, Rev. Dr. Pub!. 1958, p. 19 ; Debbasch,
Procédure administrative contentieuse et procédure civile, Th.
Aix. 1962, spéc. p. 176·192 et 410·426; Auby et Drago,
Tr. cont. adm ., t. III , n ° 1317 et s., p. 241 et s.) ; nous
n'en retiendrons que les points qui touchent le plus directement
à notre sujet.
L'évolution de cette matière, depuis la réforme de 1953,
est dominée par l'arrêt Dellière, où les publicistes ont vu un
élargissement considérable de l'effet dévolutif, et des pouvoirs
du juge d'appel (Cons. d'Et. 23 décembre 1955 [Dellière],
Rec. 607). L'arrêt décide, en effet, que la section disciplinaire
de la Chambre nationale de l'ordre des pharmaciens, réformant
la décision qui lui était déférée, était obligée de statuer elle·
même sur le fond, en vertu de l'effet dévolutif, sans pouvoir
renvoyer au juge du premier degré.
<
Il n'y a pourtant là que l'application la plus naturelle de
l'effet dévolutif, tel qu'il a toujours été entendu, dans son
contenu le plus essentiel, en procédure civile. Si la décision
a paru remarquable et novatrice, c'est parce que la procédure
administrative se situe en retrait de la procédure civile à deux
points de vue.
162
�En premier lieu, le Conseil d'Etat n'attache à la dévolution
qu'une efficacité restreinte, en ce qu'il la considère tradition~
'1(.
.• 1
" ....
nellement comme entralnant seulement, pour le juge d'appel,
la faculté et non l'obligation de vider le fond; très souvent,
après avoir formulé les principes juridiques, il renvoie au juge
inférieur, en lui laissant le soin d'en faire l'application concrète_
La méthode est solidement implantée, malgré quelques critiques
élevées dès l'affaire du Gaz de Bordeaux, et le Conseil d'Etat
continue à procéder ainsi même depuis la réforme de 1953
et postérieurement à l'arrêt Dellière (V. Cons. d'Et. 17 décembre 1956 [Cousin l, Rev. Dr. Pub!. 1957, 336). L'arrêt Dellière
crée une exception limitée au domaine disciplinaire, et que Pon
a tenté d'expliquer par la compétence, comme juge du second
degré. d'une juridiction spécialisée.
D'autre part, la ligne de démarcation entre l'effet dévolutif
et révocation suit un tracé qui laisse à cette dernière un vaste
champ. La doctrine et la jurisprudence administratives sont
unanimes pour admettre que l'annulation pour vice de formes
d'une décision ayant statué sur le fond donne ouverture à
évocation (Cons. d'Et. 12 mars 1962 [Soc. X... l, D, 1962, 684,
note Lalumière). Et si M. Letourneur fait des réserves sur le
jeu de l'évocation en cette hypothèse, ce n'est pas en vue d'y
substituer la dévolution, mais au contraire pour se demander
s'il ne conviendrait pas plutôt d'obliger la juridiction d'appel
à renvoyer l'affaire au juge du premier degré (Letourneur,
L'effet dévolutif de l'appel et l'évocation dans le contentieux
administratif, Etudes et Documents du Conseil d'Etat, fasc. XII
[1958], p . 59 et s., spéc. p. 63).
La procédure administrative s'écarte donc de façon sensible
de la ptocédure civile, comme l'ont noté tous ceux qui l'ont
étudiée. La signification de ces différences peut être éclairée
par la recherche de leurs causes.
On a invoqué des raisons d'ordre historique ou pratique.
Le Conseil d'Etat, principale juridiction d'appel, est assez mal
placé pour descendre dans tous les détails concrets d'une affaire
complexe, pour conduire une instruction en un lieu peut-être
éloigné; toute cause de dispersion risquerait de compromettre
une activité déjà surchargée, et qui aspire à se concentrer sur
l'essentiel de sa tâche.
Mais ce particularisme est certainement dû, aussi, à l'influence sous-jacente de conceptions théoriques générales, issues
de la structure propre du droit administratif.
C'est, tout d'abord, à de telles données que remontent les
origines de la méthode consistant à énoncer des directives
juridiques et à renvoyer leur application concrète à un autre
organe. Elle est d'abnrd apparue dans les rapports de la juridiction avec l'administration active, pour réserver l'autonomie
163
�de celle-ci; un mouvement naturel d'imitation en explique la
transposition aux rapports du juge d'appel et du premier juge.
D'un autre côté, l'idée qu'un recours tend à l'annulation
de l'acte attaqué est si familière à la doctrine administrative
qu'elle l'applique sans difficulté à l'appel, ce qui favorise la
restriction de l'effet dévolutif et l'extension de l'évocation. La
référence à la notion d'annulation est constante, notamment
dans l'étude de M. Letourneur (loe. cit.) ; à la suite du Conseil
d'Etat, il parle, par exemple, de nullité pour insuffisance de
motifs ou omission de statuer; il rapproche, comme deux
- _.
notions de même nature, la violation de la légalité externe,
c'est-à-dire l'irrégularité des formes, et la violation de la légalité
interne, c'est-à-dire le mal jugé au fond. Une expression plus
symptomatique encore se présente naturellement sous la plume
d'un autre auteur, pour qui « le jugement doit être annulé
comme l'est la décision de Padministrateur qui ne respecte pas
les formes dans lesquelles il doit rendre ses décisions» (Debbascb,
op. cit. pp. 418-419).
Sous ces divers aspects apparaissent les conséquences de
la position particulière qu'occupe la justice administrative, encore
à mi-chemin de son plein épanouissement. Peu à peu constituée
à partir de bases précaires, par un effort constant et soutenu,
elle garde, à travers son développement actuel, la trace des liens
qui l'intègrent dans l'institution administrative. Elle a porté
toute son attention sur la notion d'acte juridictionnel, parce
qu'il fallait la faire émerger du cadre général des actes administratifs; mais elle n'a pu se pénétrer de sa spécificité aussi
intimement que la procédure civile, familiarisée depuis des siècles
avec les principes qui président au fonctionnement des juridictions, et dont le droit judiciaire français est, plus que tout
autre, profondément imprégné. Cette différence d'esprit se traduit, dans notre domaine, par le contraste entre la référence
persistan te à l'idée d'une voie d'annulation dirigée contre le
jugement, et ['adage traditionnel, chargé d'un sens substantiel
beaucoup plus lourd que ne le laisserait croire son aspect
formaliste: « Voies de nullité n'ont lieu contre les jugements» ;
la formule n'empêche certes pas que l'appel joue parfois le rôle
d'une action en nullité, mais elle exprime le fait caractéristique
que la nullité est poursuivie et obtenue par l'instrument et en
la forme d'une voie de recours, tendant essentiellement à provoquer une nouvelle décision à la suite d'un nouveau débat.
.--
Une leçon parait donc se dégager de cette incursion dans
le domaine du droit public. L'étroitesse des pouvoirs du juge
d'appel admiuistratif procède d'une large application de la techni,
.
que de l'annulation, et se relie au caractère juridictionnel insuffisamment marqué. La procédure civile aspire certainement à
réaliser aussi pleinement que possible les impératifs du point
164
�de vue juridictionnel; cela doit inciter à conférer au juge
d'appel d'amples pouvoirs, à insister principalement sur la
reprise du débat.
B) C'est évidemment dans un tout autre climat que nous
transportera la procédure pénale; l'enseignement que l'on peut
en attendre, s'il doit être différent, a chance d'être complémentaire.
L'une des bases sur lesquelles s'édifient les pouvoirs du
juge d'appel s'est trouvêe, dès le Code d'Instruction Criminelle,
plus solidement assise que dans la procédure civile : le caractère
obligatoire que l'article 215 (actuellement art. 520 C. Proc.
Pén.) confère à l'évocation a servi de support à un développement jurisprudentiel que Mm. Lagarde a pu jadis considérer
comme une véritable création (Mil. Béquignon, Une création
jurisprudentielle : l'évocation en matière répressive, Etudes
Criminologiques, 1928, 187). Lorsque l'affaire n'est pas en
état, la jurisprudence pénale, anticipant sur la solution récente
de la Chambre Civile, a toujours admis que la cour devait
surseoir jusqu'à ce qu'elle soit en mesure de se prononcer sur
.r
•
le fond (Crim . 7 décembre 1955, D, 1956, 178). En revanche,
révocation n'ouvre pas au juge des pouvoirs plus larges que la
dévolution, et ne lui permet pas, notamment, d'aggraver le sort
du prévenu sur son seul appel (Crim. 8 janvier 1909, B. , 10).
Les deux notions, rapprochées jusqu'à en devenir indiscernables,
se mêlent et se confondent pour soutenir les pouvoirs du juge
d'appel.
En cas de vice de formes entachant la première instance,
l'évocation a ainsi toujours suffi à fonder la saisine obligatoire
du second juge, pour laquelle la jurisprudence civile est contrainte
de faire appel à l'effet dévolutif (Bouzat, t. II, Proc. Pén.,
n° 1443). La cour statue elle-même, sans renvoi au premier juge
quel que soit le siège de la nullité, que ce soit le jugement,
ou la procédure d'instruction, ou les actes en vertu desquels
le premier juge a été saisi (Crim. 13 juillet 1954, B., 256).
Cependant, la Chambre Criminelle écarte toute possibilité d'évocation lorsque l'absence d'indication des faits dans l'acte introductif, Ol! l'omission d'une formalité préalable nécessaire à la
poursuite, empêche de considérer que le premier juge ait été
réellement saisi, ce qui fait disparaître également la saisine du
juge du second degré (Crim. 28 décembre 1950, B., 297;
Crim. 6 janvier 1954, Sem. Jur. 1955, 9.011, note Meurisse,
Rev. Sc. Crim. 1954, 777, obs. Patin). L'acte destiné à opérer
la saisine, base de toute l'instance pénale, est alors, non seulement
irrégulier, mais inexistant (V. J.-M. Robert, rapport Lille, 1958,
spéc. pp. 4-6). En se référant à cette notion, quelque indéfinissable que soit son domaine, la jurisprudence pénale fait, en
somme, apparattre le rôle qui revient en cette matière à l'aménagement de la sanction en fonction de la gravité du vice.
165
�En matière d'incompétence, les diverses hypothèses qui
peuvent se présenter ont été affectées, dans leurs données,
par les transformations générales de l'appel : élimination des
résidus persistants de l'appel circulaire, restrictions de l'appel
des avant dire droit, extension de l'appel en matière contraventionnelle; les solutions qu'elles ont successivement reçues
en gardent la trace, et n'acquièrent une coordination partielle
qu'à travers Porientation commune d'une évolution où s'entremêlent les textes législatifs et la jurisprudence.
Le Code du 3 brumaire an IV (art. 202), visant, à côté
du vice de forme, l'incompétence à raison du lieu du délit ou
de la résidence du prévenu, exigeait le renvoi du procès pour
un nouveau jugement; le principe du double degré de juridiction était respecté dans son acception la plus stricte et la
plus rigoureuse. La règle s'est, dans ce domaine, maintenue
jusqu'à nos jours; la cour qui annule un jugement sur le fond
entaché d'incompétence ratione loci~ ne peut s'en saisir ellemême et doit renvoyer au tribunal compétent (Garraud, Tr.
Instt. Crim. t. V, nO 1759, p. 254; Crim. 6 décembre 1951,
D, 1952, 90; Crim. 25 juillet 1956, B. 583; Crim. 12 février 1958, B. 151).
Mais la pratique a rapidement ressenti les inconvénients
des retards qui en résultaient dans la répression. Aussi, lorsqu'elle
s'est trouvée en face d'un problème posé dans des termes un
peu différents, a-t-elle avancé un principe contraire. Une note
du Président Barris envisage l'hypothèse où le juge du second
degré, saisi de l'appel contre un jugement incident d'incompétence, estime qu'il a été rendu à tort, et que le premier juge
était réellement compétent; selon sa doctrine, toujours suivie
depuis lors, il n'y a pas lieu à renvoi (Crim. 19 juillet 1945,
B. 84, Rec. Dr. Pén. 1947, 94, G. P. 1945, II, 102; Crim.
14 novembre 1956, B. 735, Rev. Sc. Crim. 1955, 390, obs.
Patin). Cette décision, dont la discordance avec la précédente
peut paraître surprenante, s'explique, dit-on, en pratique, par
l'inopportunité d'ouvrir le débat devant le juge qui vient de le
refuser, et qui a été censuré. La saisine de la cour qui le garde
par devers elle est généralement considérée comme reposant
sur une évocation; le Président Barris la justifiait pourtant par
1'idée que le premier degré de juridiction était épuisé (Garraud,
t. V, nO 1762, pp. 257-258), ce qui conduirait logiquement à
y voir l'exercice de l'effet dévolutif; l'affirmation souligne,
précisément par ce qu'elle a de discutable, la convergence des
deux notions et l'équivalence de leurs résultats.
'.'
.,
L'incompétence ratione materiœ soulève des difficultés d'une
nature particulière, liées à la qualification des faits comme crime,
·délit ou contravention. Ces problèmes ont été partiellemenr
-résolus par les textes. Le renvoi à la cour d'assises du fait qui
s'avère un crime (art. 214 C. l Cr., art. 519 C. Proc. Pén.)
166
�, -'..z:
.
~
..•.
s'impose comme principe juridique, et ne pose de problème que
sur le plan de la politique répressive, sous la forme de la
pratique de la correctionnalisation, condamnée aujourd'hui par
la Cour de cassation avec une rigueur excessive. Des relations
plm; étroites s'établissent, au contraire, entre délits et contraventions.
Lorsque la cour disqualifie en contravention le fait dont le
tribunal correctionnel a connu comme délit, elle en reste saisie,
et doit statuer elle-même au fond (Co 1. Cr_, art_ 213, Co Proc_
Pén_, art. 518 ). Cette disposition prolonge, au second degré,
celle qui ouvre déjà les mêmes pouvoirs au juge du premier
degré (C. 1. Cr. art. 192, C. Proc. Pén. art. 466). Appuyé sur
l'adage « qui peut le plus peut le moins », le tribunal correctionnel
a une compétence virtuelle en matière de contraventions; de
là une nouvelle cause d'ambiguïté des pouvoirs de la cour
d'appel, qui, rattachés à l'évocation, pourraient aussi bien
découler du simple exercice de l'effet dévolutif.
Dans l'hypothèse inverse où le juge de police se déclare
incompétent sur un fait qu'il estime de nature délictuelle, il
a fallu la combinaison de réformes récentes pour que s'offre
à la cour d'appel une nouvelle occasion d'élargir ses pouvoirs. La
Cour de cassation a décidé que, si la cour d'appel confirme le
jugement d'incompétence, elle ne doit pas renvoyer au tribunal
correctionnel la connaissance du délit, et doit y statuer ellemême (Crim. 5 mai 1960, D, 1960, 498, note Meurisse, Sem.
Jur. 1960, 11.691 , note Chambon) ; et cette jurisprudence a été
consacrée par la nouvelle disposition que la loi du 4 juin 1960
a introduite dans l'article 549 C. Proc. Pén. (Cfr. Crim.
6 octobre 1960, G. P. 1961 , l , 9 ; Paris 8 février 1961, Sem.
Jur. 1961 , 12.030, note Aymond). L'innovation, qui semble
se réclamer d'une symétrie avec le classique article 213 , est en
réalité d'une hardiesse que fait ressortir le caractère fallacieux
de cette analogie, car la saisine de la cour, sous le couvert de
sa compétence générale au second degré, s'étend ici de l'infraction la plus légère à l'infraction la plus grave, dont le premier
juge n'était pas saisi et ne pouvait connaître. Le fondement
des pouvoirs du juge d'appel peut être cherché dans l'alternative
de leurs deux assises habituelles, conjuguées dans l'équivalence
de leurs résultats, mais aussi dans la nécessité de dépasser leur
contenu normal. L'effet dévolutif, invoqué par la Cour de
cassation, supposerait que l'on considère le premier degré comme
accompli et épuisé par le jugement d'incompétence, quoi qu'il
n'ait ni jugé ni examiné le fond; si le germe de cette conception,
plus formelle que substantielle, peut se trouver, comme nous
l'avons vu, dans la note du Président Barris, la Chambre Criminelle lui confère aujourd'hui une valeur positive qui constituerait
certainement une transformation profonde de la notion généralement admise de la dévolution. Aussi peut-on tenter plutôt
167
�de rattacher cette hypothèse à l'évocation; il faudrait alors
constater un nouveau craquement de ses cadres traditionnels,
par la suppression de l'une de ses conditions qui s'est révélée
jusqu'ici la plus résistante, puisque ce dernier cas présenterait
la singularité de faire suite à une confirmation du jugement
attaqué.
Du rapprochement de ces solutions fragmentaires se dégage
un tableau, d'ensemble dense et chargé, des pouvoirs de la cour
d'appel en matière répressive; sur bien des points, ils vont plus
loin qu'en matière civile, et correspondent à une disparition
effective du double degré de juridiction; leur renforcement
ressort surtout de la transformation de leur source, l'évocation
entrainant avec elle et absorbant la dévolution. On invoque,
pour l'expliquer, les impératifs d'une répression efficace. Il est
certain que, même lorsqu'elle ne va pas jusqu'à prendre des
formes tératologiques, la justice pénale accorde volontiers une
influence prépondérante aux commodités de la poursuite et à la
rapidité de la procédure, refoulant au second plan la sauvegarde
des droits fondamentaux de la défense.
Il ne faudrait pourtant pas voir là un particularisme qui
mettrait la procédure civile à l'abri de toute contagion. Bien
au contraire, les formes plus sobres ou plus frustes de la procédure pénale ont souvent servi de préfiguration et de modèle
à des réformes civiles, comme l'expérience en a été faite,
notamment, en matière de défaut et d'opposition. Mais l'exemple
de la procédure pénale, à côté de la force d'attraction qu'il
exerce, contribue à éclairer les conquêtes extrêmes de l'effet
dévolutif et de l'évocation, à dévoiler le caractère spécieux et
les faiblesses de leurs justillcations, à mettre en garde contre
leurs dangers. Dans le mouvement d'extension des pouvoirs
du juge d'appel, dont le droit comparé corrobore, en somme·
l'opporruuité et le bien-fondé, la procédure administrative indique
une position qu'il faut certainement dépasser, mais la procédure
pénale avertit du point limite où l'excès risque d'être atteint.
:.
"
Le régime optimum de l'appel est fait de l'ensemble des
solutions pratiques apportées aux questions que pose son fone·
tionnement; il appartiendra aux délibérations qui vont s'ouvrir
demain d'examiner s'il est souhaitable et possible de suggérer,
sur ce plan, quelque proposition positive. Nous devons seulement, ici, tenter de dégager et de rassembler les direc~ves selon
lesquelles peut être orienté l'aménagement de l'appel, et appréciée sa valeur.
Ces directives ne sauraient avoir la netteté de contours,
la dureté d'arètes que tendent à acquérir les notions techniques,
par leur formulation abstraite et la logique de leur agencement.
168
�Pour répondre à la complexité des forces qui les suscitent,
.
'
des idées qui les inspirent, elles doivent au contraire être essen~
tiellement empreintes d'un esprit de mesure et de modération .
Nous chercherons à les discerner et à les saisir à travers
quelques~uns des thèmes dominants de ces problèmes : principe
du double degré de juridiction et narure de l'appel qui en est
l'instrument, place respective de l'étage inférieur et de l'étage
supérieur au regard du déroulement du procès et au regard
de l'organisation des juridictions.
1. - a) Le principe du double degré de juridiction n'est
assurément pas une nécessité logique j il n'a même pas la
valeur du principe du « débat contradictoire », essentiel à la
sauvegarde des droits de la défense. Il exprime un conseil
de sagesse. appuyé sur l'épreuve de l'expérience, qui en a
consacré l'autorité, tout en nuançant ses divers aspects. On ne
conçoit plus de difficultés concernant sa face négative, quelque
peu accidentelle, de prohibition radicale d'un troisième degré.
Tout l'intérêt se concentre sur son contenu substantiel, l'exigence
du passage à travers deux degrés successifs, règle générale et
de droit commun, qui fait toute la valeur du principe, mais qui
.a toujours été empreinte d'une certaine relativité.
C'est à son égard que se manifeste aujourd'hui une défaveur
de même narure, sinon de même ampleur, que celle qui frappe
la procédure du défaut et de l'opposition. L'hostilité ne s'adresse
pas aux principes; car elle devrait alors être plus forte pour
l'institution du double degré que pour l'exigence du débat
contradictoire. Elle naît des retards entra1nés par les voies de
recours qui les sanctionnent, voire des manœuvres dilatoires
qu'elles permettent ; et c'est pourquoi l'hostilité est plus vive
contre l'opposition, car elle dépend d'un fait, le défaut, qui
est à la discrétion de l'intéressé. L'hostilité au double degré
reste larvée, et ne s'est traduite que de façon sporadique, sur
des points particuliers; une tentative de systématisation partielle
ne se rencontre guère que dans une étude dont les singularités
seraient plutôt de nature à rendre la thèse suspecte (Julian,
L'indispensable accélération de la procédure, p. 161 et s.).
Les problèmes de ce genre se situent sur le plan de la
politique procédurale, et non sur celui des principes. On constate
souvent la bonne marche de procédures juridiquement boiteuses;
mais il advient aussi qu'après avoir longtemps fonctionné de
façon satisfaisante, des procédures se détraquent, des abus jadis
exceptionnels et négligeables se multiplient soudain et se généralisent. Les doléances des praticiens, auxquelles il faut être
très attentif, peuvent alors justifier des mesures draconiennes
destinées à enrayer le mal. Mais il ne faut pas se méprendre
sur leur portée, et y voir nécessairement un renversement des
principes, dont la valeur est d'un autre ordre, et peut demeurer
entière. Il faut aussi se défier de la résonance amplificatrice
169
�•
l
,
des mouvements d'opinion, et des déceptions que l'expérience
réserve fréquemment à des innovations qui avaient paru séduisantes, comme cette suppression des qualités, dont MU. Lobin
nous a dit ce matin qu'elles étaient maintenant unanimement
regrettées (1). La hantise des manœuvres dilatoires, dévorant
toutes autres considérations, a inspiré, en matière de défaut,
des mesures que tout le monde s'accorde à reconnaître excessives.
La moindre acuité des problèmes que pose l'appel doit, même
de ce point de vue, inciter à plus de prudence et de modération.
Il faut donc conserver la règle du do~ble degré à titre
de principe, sans lui attribuer une valeur absolue et rigide
(v. Solus et Perrot, Tr. dr. judo priv., t. I , n° 526, p. 494,
note 1).
On trouve le reflet de cette portée relative dans la répartition de son caractère d'ordre public et de l'emprise de la
volonté des parties. D'un côté, liberté de renonciation à l'appel,
contre-balancée par les pratiques tendant à en réserver artificiellement l'accès. De l'autre, l'interdiction de créer un troisième
degré, ou de porter immédiatement le procès, à titre principal,
au second degré. Entre les deux, faculté de saisir directement
le juge du second degré, lorsqu'elle se présente d'une manière
accessoire à l'occasion d'un procès qui a déjà franchi le premier
degré, sous la forme d'une renonciation à l'irrecevabilité des
demandes nouvelles ou aux conditions restrictives de l'évocation.
Cette dernière atténuation du principe se situe dans le sens
de l'élargissement des pouvoirs du juge d'appel, et nous ramène
à notre thème originaire; il s'agit de savoir dans quelle mesure
cet élargissement est possible de plein droit, et hors du consentement des parties, sur une base légale, ce qui met en cause la
narure de l'appel.
b ) Le problème fondamental de l'appel est celui que nous
avons déjà eu l'occasion de rencontrer : tend-il à une nouvelle
décision ou à un nouveau débat?
Il est certain qu'il faut qu'une décision ait été rendue,
et qu'elle mécontente l'une des parties, pour qu'elle puisse faire
l'objet d'une attaque de sa part; l'appel suppose d'abord la
critique d'un jugement. Mais, une fois déclenché, son contenu
ne se limite pas là. Une décision est issue d'un débat, dont elle
dégage et exprime le sens et la conclusion; en remettant en cause
la première, on est conduit à reprendre le second. La matière
de l'appel, sinon son objet, est constituée par le recommencement du débat. C'est par là que l'appel se différencie d'une
(1) V. sur les réticences exprimées à propos de cette !6forme
par une partie de la doctrine, le rapport de la Faculté de Toulouse sur
le Projet de révision du Code, Ann. Fac. Toulouse, 1957, p. 90; Cfr. notre
commentaire du décret de 1958, ibid. 1961 , pp. 30-31; Contrà, Vincent,
Prée. plOC. civ. n° 36Q.361; Cornu et Foyer, Suppl. p. 56.
170
�simple voie de nullité, pour accéder à la nature d'une véritable
voie de recours, et nous avons vu la plénitude de signification
qu'il faut attacher à cette notion pour marquer, avec toute
sa force, son appartenance à l'ordre juridictionnel. Elle porte à
briser la cristallisation où le procès aurait pu se figer, pour
lui ouvrir des possibilités d'évolution. Dans la dialectique qui
affronte cette impulsion à l'idée de l'immutabilité du litige,
qu'il s'agisse de nouveaux moyens de preuve, de fait ou de droit,
ou de demandes nouvelles, tout au moins dans le cadre des
parties originaires au procès, la part de la liberté l'emporte
considérablement, et de plus en plus, sur la part de la fixité.
A travers ce renouvellement, le débat initial se continue et se
prolonge.
Recommencement, prolongement : il n'est peut-être pas
inutile d'essayer de préciser les nuances que représentent ces
notions, différentes mais non opposées, et qui se muent plutôt
l'une en l'autre. La discussion deux fois recommencée est celle
•
qui concerne chacune des questions particulières dont le litige
est composé; c'est pour l'ensemble du procès que le débat appa·
rait comme se poursuivant avec continuité, à deux échelons
_successifs. Le réexamen vise essentiellement à une plus grande
chance d'exactitude, à la justesse de la justice; la prolongation
du débat ajoute à cette préoccupation fondamentale celle d'un
aménagement convenable de ses diverses phases, un souci
de praticabilité de la justice. A l'aspect de recommencement
correspond la séparation formelle des deux instances; leur
enchalnement, en tant que le second degré prolonge le premier,
restitue au procès son unité, tout au long de son déroulement.
M. Perrot a fait allusion, tout à l'heure, à l'arrêt de l'Assemblée
Plénière de la Cour de Cassation du 3 avril 1962 (Sem. Jur.
1962, 12.744, note Raynaud, D, 1962, 465, note Hébraud,
Rev. Trim. 1962, 377), qui a, dans ses motifs, affirmé le
caractère distinct de l'instance d'appel; mais l'hommage rendu
à la formule classique est bien près de la réduire à une pure
façade, car la Cour de Cassation y apporte un tempérament
qui consacre effectivement, dans ses conséquences pratiques, la
continuité du procès, au-delà même de ce que l'on avait pu
souhaiter.
A la faveur de cette poursuite du débat, l'appel en vient
parfois à prendre, selon le mot de M' Parmentier (Bull . Cb.
Nat. des avoués d'appel, 1962, p. 175), l'aspect d'une voie de
« parachèvement ». Non point certes que la fonction de parachèvement exprime la mission essentielle de l'appel, ni y soit
nécessairement incluse;
mais elle s'y ajoute naturellement,
comme un rôle complémentaire que l'appel peut jouer plus
commodément que toute autre voie procédurale.
Dans cette perspective d'un second débat soudé au premier,
les élargissement des pouvoirs du juge qui ont alimenté notre
171
�étude trouvent une place plausible. Il faut, cependant, avant
de les accueillir, jauger les obstacles qu'ils doivent surmonter.
Cette épreuve leur assigne des limites et des conditions, dont
nous avons déjà pu nous faire une idée, à divers points de vue.
Nous avons noté, par exemple, qu'en permettant au juge
d'appel de garder par devers lui le fond du litige, après annulation du jugement pour vice de forme ou incompétence, on
privait les règles légales de sanction effective ; cette préoccupation de police juridique entrave l'aspiration à la commodité
procédurale; lorsque l'irrégularité est très grave, elle justifierait
le dessaisissement du juge d'appel et le renvoi au premier
degré.
Nous avons remarqué aussi le rôle croissant des conclusions,
assises du débat, comme facteur d'élargissement des pouvoirs
du juge du second degré, par exemple à l'occasion de l'appel
des jugements interlocutoires. Les traits auxquels elles doivent
satisfaire restent empreints d'un certain flou , quant à leur
caractère contradictoire ou à la hauteur procédurale à laquelle
elles se situent. Mais l'insistance avec laquelle les arrêts y
font constamment référence impose l'impression qu'elles passent
au premier plan, à mesure que s'estompent les autres conditions
des pouvoirs du juge d'appel, à mesure que le recours dirigé
contre le jugement glisse vers la reprise du débat.
Les considérations de ce genre tendent à définir les conditions auxquelles sont subordonnés les pouvoirs des juges d'appel.
Mais leur exercice élude le premier degré, en attirant la substance
du débat au second, et il faut s'interroger, pour en apprécier
l'opportunité, sur l'influence que ce transfert exerce sur le
déroulement de l'ensemble du procès, ce qui conduit à envisager
plus largement les rapports des deux degrés.
II . - a) Toute atténuation du redoublement complet et
absolu du débat rompt l'égalité des deux niveaux, et fait porter
le poids du litige plus lourdement sur l'un d'eux. Il faut veiller
à ces déplacements du centre de gravité du procès, dans un
sens ou dans l'autre, et à la sauvegarde d'un certain équilibre.
C'est l'un des domaines où notre droit positif accuse actuellement
les flottements les plus graves, partagé entre des courants contradictoires dont on ne sait si le heurt évolue vers l'harmonie ou
vers l'incohérence. L'occasion principale s'en trouve dans les
rapports entre les jugements avant dire droit ou sur incidents,
;
et le jugement définitif sur le fond .
Le jeu normal de l'appel et du retour devant le premier
juge entra1ne un mouvement de va-et-vient, auquel OIi reproche
de retarder le procès. Toute la jurisprudence que nous avons
relevée tend à l'éviter, en attirant immédiatement le fond devant
le juge d'appel, grâce à l'élargissement de ses pouvoirs, par
dévolution ou évocation.
17~
�Le même résultat peut être cherché dans une autre voie
la suppression de l'appel contre les jugements avant dire droit,
qui maintient le fond et l'ensemble du débat devant le juge du
premier degré. Notre législation s'y est engagée en 1958, dans
l'article 258 C. Proc. Civ., relatif aux jugements d'enquête.
Ce procédé bénéficie, dans certains milieux judiciaires, d'une
faveur qui a provoqué, au sujet de son application aux instances
en cours, des excès de zèle que la Cour de cassation a dû
réprimer; le projet de révision du Code de Procédure (art. 420),
en faisait la règle de principe, de telle sorte qu'il faut toujours
envisager sa généralisation comme possible. Il est permis de
penser, cependant, que cette réforme n'cst pas souhaitable, car
elle risque de se révéler dangereuse et décevante.
La procédure, en effet, comme la diplomatie, a tendance
à porter le débat sur les postes avancés; une décision d'enquête
engage très fréquemment le fond , sur l'admissibilité des témoignages ou l'objet de la preuve, et il est bon que les plaideurs
puissent exercer un recours dès cet instant. C'est ce que
MU' 1ohio a marqué très pertinemment ce matin, dans son
rapport, qui concluait à l'abrogation de l'actuel article 258 (2).
.
La jurisprudence a d'ailleurs si bien senti ce danger qu'elle
s'est efforcée d'y apporter un remède, au risque de le voir,
comme il arrive souvent, dépasser la mesure et engendrer de
nouveaux inconvénients, Le caractère mixte du jugement fait
renaître le droit d'appel, mais avec une ampleur et une énergie
accrue (Durry, Les jugements mixtes, Rev. Trim. 1960, p. 5 et s.).
D'une part, la fréquence avec laquelle la Cour de cassation
décèle, dans une décision, des dispositions définitives implicites,
multiplie les jugements mixtes, au point que cette catégorie,
comme jadis celle des interlocutoires dont elle a pris le relai,
est en passe d'absorber tous les avant dire droit. D'autre part,
la Cour de cassation écarte le régime particulier d'appel facultatif
des articles 451 et s., et soumet le jugement mixte, dans sa
totalité, aux règles du droit commun, ce qui rend l'appel obligatoire, à peine de perdre toute possibilité de discuter le contenu
du jugement ou l'oppcrtunité de la mesure d'instmction. Elle
pousse ainsi les parties, soucieuses de la sauvegarde de leurs
droits, à faire presque systématiquement un appel immédiat,
tout en les exposant, d'ailleurs, tellement les notions jurisprudentielles sont indécises, à le voir déclarer irrecevable comme
ne s'attaquant qu'à de simples motifs . Mais, plus la pratique
s'en développera, plus pressante sera la nécessité d'en pallier les
inconvénients en étendant l'objet de cet appel, de manière à
permettre de vider en une seule fois l'ensemble du procès;
.<
-"
•
(2) Cfr. les observations de la Faculté de Toulouse sut le Projet
de révision du Code, Ann. Fac. Toulouse, 1957. pp. 98-99, et notre
commentaire du décret de 1958, ibid. 1961, pp. 34-35).
173
�on en revient, par un détour, à la méthode jurisprudentielle de
l'élargissement de pouvoirs du juge d'appel, mais avec des risques
d'excès provoqués par la perturbation du milieu dans lequel
elle doit jouer.
La répartition du procès entre le premier et le second
degré oscille de l'un à l'autre, sans parvenir à se stabiliser. Les
facteurs qui poussent vers l'un ou vers l'autre s'expriment dans
des règles trop radicales, dans des institutions trop rigides . Une
proscription acharnée des circuits procéduraux jette dans des
embarras insolubles. Il faut en accepter l'éventualité inévitable,
dans une mesure raisonnable, et sauvegarder un équilibre, qui,
en présence de données aussi complexes, ne peut être obtenu
que par la modération et la souplesse. Cet état d'esprit ne peut
être instauré par une règle unique, mais par un ensemble
de retouches convergentes. Une conception plus discrète des
jugements mixtes et des décisions implicites, un retour libéral
à l'appel facultatif généralisé, assureraient suffisamment et sans
excès le poids nécessaire du premier degré; en contre-partie,
l'élargissement des pouvoirs du juge d'appel, surtout sous la
forme facultative de l'évocation, pourrait jouer utilement son
.,
rôle d'allègement de la procédure, sans que ses dangers possibles
aient l'occasion de se manifester trop gravement.
b) li faut d'autant plus veiller à l'équilibre des deux
degrés, au cours du procès, que ses altérations pourraient exercer
des répercussions lointaines sur l'organisation des juridictions.
Le déplacement du cœur du débat vers l'un des étages en entraIDerait le gonflement, alors que l'autre s'étiolerait. La réforme
de 1958 comporte, à cet égard, à côté de ses aspects principaux
et de ses avantages substantiels, des traits secondaires qui se
dessinent de plus en plus nettement, et dont l'accentuation
produirait des inconvénients de plus en plus clairement apparents.
La concentration du second degré entre les mains d'une
juridiction unique est assurément l'une des inspirations les plus
séduisantes de la réforme. Le renforcement des cours d'appel,
où l'on semble avoir voulu mettre quelque chose d'une résurrection des Parlements, ne va pourtant pas sans difficultés pour
le fonctionnement des chambres sociales, sans un alourdissement
de l'appel des petites juridictions (Solus et Perrot, Tr. dr. judo
priv., t. l, n° 530). Le bilan, de ce point de vue, n'en demeure
pas moins, à mon sens) largement favorable. pourvu que l'on
prenne garde à la contre·partie dont il est assorti relativement
aux juridictions de première instance.
La réforme contient, en effet, les germes d'une dévalori-
sation générale du premier degré; simplement indirecte et
latente pour les juridictions d'exception, elle devient sensible
pour les juridictions ordinaires. La formation de corps judiciaires
étoffés et actifs s'accompagne d'une raréfaction qui répond, dans
son principe, à la conjoncture moderne, mais qui rappelle aussi
174
�parfois le semi-désert dont on a tant parlé_ Les attributions du
tribunal de grande instance, restreintes par le haut, au profit
de la cour, par la perte de sa compétence au second degré, le sont
aussi par le bas, au profit du tribunal d'instance, dont M_ Solus
a depuis longremps montré l'ascension vers la qualité de juridiction de droit commun (Solus et Perrot, Tr. dr. judo priv.,
t. l, nO 518), mais qui, par rapport à la juridiction collégiale,
reste d'un niveau inférieur. Cette dévalorisation n'est pas sans
dangers; si, en poussant les .choses à la limite, l'un des deux
étages judiciaires devait disparaître, ce ne serait certainement
pas le premier, plus proche des justiciables, mieux adapté à la
diversité des procès. Il faut donc lui conserver une importance
convenable, et un bon fonctionnement.
L'assise d'une première instance solide et bien organisée
est indispensable même au fonctionnement satisfaisant de l'appel.
Je suis frappé, en effet, de ce que l'embarras éprouvé par les
praticiens dans la plupart des hypothèses qui nous ont été
exposées ce matin, n'a pas son origine spécifiquement dans l'appel
•
et la dualité des degrés de juridiction, mais dans la complexité
sans cesse croissante du fond des procès, et la difficulté de
.lui trouver une expression judiciaire adéquate. Le problème se
pose dès la première instance; lorsqu'il y est correctement
résolu, il n'est plus nécessaire d'opérer, au stade de l'appel,
des modifications ou des compléments pour lesquels les juges
ont besoin de larges pouvoirs. Il en est déjà ainsi très fréquemment et devant de très nombreuses juridictions de première
instance; tout effort tendant à assurer plus régulièrement cette
mise en forme initiale contribuerait, sinon à faire disparaître,
du moins à atténuer les difficultés tardives. Et d'autre part, il
permettrait de consentir avec moins d'hésitations, au juge d'appel,
les pouvoirs étendus qui demeureraient indispensables pour le
règlement des cas exceptionnels, parce que la rareté de leur
usage préviendrait les dangers d'un développement excess~.
Ces remarques, je l'ai dit, ne prétendaient pas aboutir à
des affirmations positives, à des conclusions précises sur des
points de détail. Elles se proposaient seulement de brosser le
fond de décor de ces problèmes complexes. En essayant de
démêler, aussi imparfaitement que ce soit, les facteurs qui
conditionnent le principe du double degré de juridiction, je
n'ai cherché qu'à faire sentir l'opportunité de le soutenir et
de le tempérer, à la fois, par un souci d'équilibre . En ce qui
concerne plus particulièrement les pouvoirs du juge d'appel,
j'ai surtout tenté de mieux comprendre les causes du mouvement
qui pousse à leur élargissement, ce qui conduit à le justifier
dans son principe, tout en faisant ressortir la nécessité de ne
le poursuivre qu'avec prudence et en l'entourant de précautions.
Les enseignements qui me paraissent ainsi se dégager
appellent, comme toujours, la discussion. Je ne me suis hasardé
à les énoncer que dans l'espoir de la faciliter et de la susciter.
P. HÉBRAUD.
�INTERVENTIONS
,ur le rapport d. M. P. HÉBRAUD
MAITRE APPERT, AVOUE A LA COUR DE PARIS
•
......
Je voudrais indiquer deux difficultés à l'occasion du droit
d'évocation et du principe de l'effet dévolutif.
La première difficulté m'a été signalée par de hauts Magistrats de la Cour de Paris qu'elle préoccupe. La Cour d'Appel
saisie de l'appel d'un ;ugement du Tribunal de Commerce peuelle, si elle considère que le Tribunal de Commerce était incompétent et que le litige relevait du Conseil des prud'hommes,
évoquer et statuer au fond?
La difficulté provient de ce que la procédure prud'homale,
qui peut être considérée en quelque sorte comme d' ordre public,
prévoit un préliminaire de conciliation indispensable. La Cour,
;uge d'appel du Conseil des Prud'hommes, comme du Tribunal
de Commerce, peut-elle statuer à défaut de ce préliminaire
de conciliation?
Il est bien certain qu'une solution affirmative est souhaitable
dans l'intérêt du ;usticiable pour éviter des retards et les frais
d'une seconde procédure, mais la question est juridiquement
délicate.
Deuxième difficulté, celle-ci à propos de l'effet dévolutif
de l'appel. C'est une difficulté rencontré ;ournellement par les
praticiens. Bien que l'effet dévolutif soit al/aché à l'acte d'appel
lui-même, il est admis que sur un appel limité l'intimé peut
former un appel incident sur d'autres chefs. En particulier en
matière de divorce, sur un appel limité aux mesures provisoires,
l'intimé peut remettre en cause le divorce lui·même. Cela a
des conséquences fâcheuses: l'impossibilité de publier le divorce
sur les registres de l'état civil, tant qu'il n'a pas été statué par
décision définitive sur l'appel du chef du droit de garde et du
droit de visite, ['impossibilité, d'après certains, de terminer
l'instance d'appel par un désistement, etc.
MONSIEUR LE PROFESSEUR H~BRAUI5
La première difficulté signalée par M'Appert a donné lieu
à des arrêts d'appel divergents ; la Cour de Cassation apportera
seule la certitude, quel que soit le sens de sa décision, dont il
170
�est malaisé de préjuger. L'opinion qui vient d'être exprimée
reflète Faspiration des milieux ;udiciaires à vider immédiatement
.-
une affaire qui, de toute manière, dépend d'eux. L'unification
de la compétence au second degré lève l'obstacle qui résultait
autrefois de sa division entre le tribunal et la cour. D'autre
part, la jonction de la compétence et du fond, que l'article 425
autorise devant le tribunal de commerce, permet d'envisager
devant la cour, saisie par appel, le jeu de l'effet dévolutif ou
de l'évocation, qu'exclut le contredit, étroitement limité à la
question de compétence. Mais la procédure qui a été suivie
devant le tribunal de commerce ne comporte pas de préliminaire
de conciliation, et se trouverait donc affectée, si elle était substituée à la procédure prud'homale, d'une nullité d'ordre public.
L'eHet dévolutif devrait passer outre à un vice cumulé de
forme et d'incompétence. Cette extension, quoique préparée par
la jurisprudence, peut paraître hardie. On peut surtout se demander si elle ne méconnaît pas l'esprit de la procédure prud'homale,
à laquelle les milieux du travail sont très attachés.
Quant au problème sur lequel achoppent les praticiens en
matière de divorce, il me paraît difficile à résoudre sur le terrain
de' l'appel. Il faudrait limiter strictement la portée de l'effet
•
dévolutif, non seulement dans son contenu, mais comme base
éventuelle d'un appel incident, ce qui ne me paraît, ni souhaitable,
ni conforme à l'impulsion de notre droit procédural. Mais une
issue pourrait sans doute être trouvée dans une autre voie, sur
la base d'une conception de l'action en divorce dont la remarque
de M'Appert me révèle un nouvel intérêt, et sur laquelle il me
souvient d'avoir été en correspondance avec l'ancien Premier
Président de la Cour d'Aix, M. le Haut Conseiller Lapeyre,
à propos d'un jugement qu'il avait rendu lorsqu'il présidait le
tribunal de Lille. La division du procès en divorc. en deux
actions individuelles entrecroisées apparaît aujourd'hui assez
artificielle. La rupture du lien matrimonial constitue touiours
l'objet commun d'une action que l'on peut considérer comme
unique et globale, quel que soit celui qui en prend l'initiative;
seule, l'attribution des torts, avec ses répercussions sur les effets
du divorce, singularise, dans son objet secondaire, l'action de
chacun des époux contre l'autre, et lui donne un contenu
unilatéral. Les deux étapes du procès, mieux distinguées, pourraient ainsi plus aisément se séparer, par l'effet des voies de
recours. Mais ie ne voudrais pas, ici, insister sur des perspectives
qui risqueraient de nous égarer dans des domaines étrangerJ à
nos préoccupations actuelles.
MONSIEUR LE PRESIDENT COURTEAUD
Nous ne sommes pas tout à fait d'accord sur la concluJion
en demi-teinte de Monsieur le Professeur Hébraud, ,,,ivant
177
�laquelle le plus large accès à la Cour a amené et risque d'accroltre
une désaffection pour les ;uridictions du premier degré.
D'abord, beaucoup de procès demeurent définitivement
jugés au stade de la première instance, aucune partie n'ayant
usé de son droit d'appel.
Par ailleurs, nombre d'autres décisions du premier ;uge,
bien motivées tant en fait qu'en droit, sont confirmées par
la Cour.
Dans les autres cas, où les juridictions de première instance
conservent le mérite certain d'avoir n débroussaillé le fait et le
lJ
droit, les problèmes et difficultés soumis aux ;uges d'appel,
peuvent, comme nous avons tenté de le faire vivre devant vous,
se présenter sous des aspects parfois assez sensiblement différents
de ceux qu'ils ont revêtu à forée de la première barre.
Et la Cour doit leur assurer solution aussi définitive que
possible, pour une véritable œuvre d'achèvement, puisqu'elle
est dernier ;uge du fait avant la voie de recours de droit, de
l'éventuel pourvoi en cassation.
Mais nous pensons que si la Cour, devenue le creuset des
'-.
'.
appels, doit recevoir pleins pouvoirs pour épuiser sa tâche de
juger, nous n'en croyons pas moins que le texte nécessaire à
cet effet doit §tre aussi simple et souple que possible.
C'est qu'en effet, il faut réserver aux ;uges d'appel la
faculté d'apprécier les cas où l'intérêt d'une bonne administration
de la ;ustice, comme la sauvegarde des droits des parties, peut
paraître exiger, après arrêt de principe, le renvoi de la connais-
sance du litige à la ;uridiction de première instance.
Il pourra en être ainsi, par exemple~ lorsque~ sur intervention volontaire~ ou forcée à admettre largement devant la
Cour sur ;ustification d'un intérêt connexe à l'ob;et principal
du litige, voire pouvoir de mise en cause d' oHice à reconnaître
à cette ;uridiction, au moins au cas d'indivisibilité, les débats
feront apparaltre qu'en une affaire spécialement complexe une
antérieure mesure d'instruction doit ~tre reprise ou complétée
pour revêtir un caractère contradictoire - ou encore lorsque les
parties d'accord solliciteraient elles-mêmes ce renvoi, après a,,~t
de principe, pour faciliter leur ultérieure transaction.
,
'>
'"
.
178
�VII
RAPPORT
•
r. •
L'ACTION PRIVÉE
JOINTE à L'ACTION PUBLIQUE en APPEL
par
Pierre RAYNAUD
Professeur Q la FiJCult; de Droit
et des Sciences Economiques Je Paris
�-.
..
�L'ACTION PRIVÉE
JOINTE
~
L'ACTION PUBLIQUE en APPEL
par Pierre RAYNAUD
Professeur ~ la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques de Paris
PRESIDENCE DE M . LE PROFESSEUR LAGARDE
La procédure de la Cour d'appel n'est pas une et ce sera
un des intérêts de ce colloque de faire ressortir une diversité
dont l'utilité est malaisément démontrable.
Pourtant, on pourrait trouver tout naturel que la Chambre
des appels correctionnels ait sa procédure, qui est, en principe,
-celle du tribunal correctionnel, et il n'y aurait rien à redire si
seule l'action publique était en cause. Mais la difficulté apparalt
du fait que l'action civile peut être jugée en même temps et
suivant les mêmes formes. Car si l'article 10 C. proc. pénale
pose en principe que, réserve faite de la prescription, « l'action
civile est soumise à tous autres égards aux règles du Code
Civil », il ne dit pas qu'elle soit soumise aux règles du Code
de procédure civile.
La procédure pénale est-elle adaptée au débat civil? Et
plus particulièrement à celui qui se déroule devant la Cour
d'appel statuant correctionnellement? Les criminalistes ne se
sont guère posé la question et les civilistes ont toujours prudem.
ment hésité à s'engager dans un domaine qui leur parait
étranger.
Les praticiens qui m'ont demandé ce rapport m'ont encouragé
à une dangereuse violation de frontière pour une incursion sur le
territoire de la procédure pénale, à la recherche d'une action
privée qui fait un peu figure d'exilée chez un voisin qui la
retient captive.
Il est vrai que notre frontière est relativement rç.:ente
car le temps n'est pas si lointain où, la distinction étant inconnue
de la peine et de la réparation, l'action publique et l'action civile
n'avaient pas encore été distinguées. La dualité des actions ne
pouvait naître que de la distinction de la répression et de
l'indemnisation dont a pu dire qu'elle est une idée récente
dont le droit moderne n'a pas encore déduit toutes les consé·
quences (I. Foyer, L'action civile devant la ;uridiction répressive.
ln. Quelques aspects de l'autonomie du droit pénal, p. 320).
181
�C'est ainsi que la dualité des actions devrait logiquement
entraîner la dualité des procédures, la procédure pénale devant
être limitée à la seule action publique; mais ce n'est pas le
cas lorsque, par une survivance de l'ancienne confusion de la
répression et de la réparation, l'action civile est portée devant
les juridictions pénales pour y suivre le sillage de l'action
publique.
il faut reconnaître que notre captive s'est facilement laissée
prendre et que la tentation est grande pour la victime d'un.
infraction d'user de la faculté de se constituer partie civile
puisque, comme le législateur, la Cour de cassation a dO, par
une jurisprudence sévère et d'ailleurs discutée, monter bonne
garde contre ce qu'elle considère comme un abus des constitutions
de partie civile.
La victime trouve à la voie pénale l'avantage de la simplicité,
elle vient recueillir les fruits de l'instruction pénale et bien
souvent a trop d'intérêt à suivre le procès répressif, dont l'issue
déterminera les conditions de la réparation, pour pouvoir prati·
quement se permettre d'être absente au prétoire pénal.
,
•
....
Enfin, les intentions souvent répressives de la partie civile
qui veut assouvir sa vengeance en prenant prétexte d'un dommage
parfois symbolique qu'elle estime elle-même à 1 franc, achèvent
d'expliquer l'engouement bien connu pour la voie pénale (Granier,
Quelques réflexions sur l'action civile, rc.p. 1957, l, 1386.
Mais cette voie est-elle, du point de vue de la procédure,
celle qui convient exactement au débat sur les intérêts civils ?
On pollttait déjà en discuter en première instance mais la
question est plus aiguë devant la Cour d'appel.
La soumission de l'action civile à la procédure de l'action
pénale à laquelle elle est jointe se comprend bien si la première
n'est que l'accessoire de la seconde. Elle ne l'est pas toujours
et souvent elle ne l'est plus devant la Cour d'appel, où l'accessoire survit parfois à un principal épuisé.
Il arrive que le procès pénal soit pratiquement clos par le
jugement du tribunal correctionnel et que la Cour ait essentiellement à statuer sur les conséquesces civiles de l'infraction. Le
procès s'est en quelque sorte figé pour concentrer l'attention
du juge du second degré sur l'action civile. La peine de principe
qu'a pu prononcer le tribunal n'inquiète plus guère et le procès
reprend sur les dommages-intérêts en la présence formelle d'un
condamné moins préoccupé de l'issue finale que son assureur,
théoriquement étranger à l'instance.
Et cette survivance de la seule action privée est encore plus
évidente lorsque l'appel n'a précisément porté que sur les
intérêts civils, ce qui est toujours le cas lorsqu'il est formé par
la seule partie civile ou le seul civilement responsable. Alors
182
,
�l'action publique est épuisée et pourtant l'action civile continue
sur sa lancée pour être portée devant la Chambre des appels
correctionnels où elle suivra une procédure qui n'est pas princi-
palement faite pour elle.
Les signes de l'inadaptation de la procédure pénale à la
satisfaction des besoins de l'action privée sont évidents. Ils
inquiètent à juste titre les praticiens et l'objet de ce rapport
sera de les déceler sinon de les déplorer.
Cette inadaptation ne pourrait-elle être corrigée par des
appels aux règles du droit judiciaire privé, par l'injection de
quelque dose de procédure civile à la procédure pénale?
C'est ce que nous nous demanderons au passage en considérant successivement l'instance qui se noue devant la Chambre
des appels correctionnels et les recours contre la décision de
la Cour qui y met normalement son terme.
l
'
..
L'INSTANCE D'APPEL
t~
La soumission de l'action privée aux règles de la procédure
pénale conduit à appliquer des solutions originales par rapport à
celles du droit judiciaire privé, quant à la détermination des
parties à l'instance et quant au déroulement de celle-ci.
A. - Les parties à l'instance
Si le procès était porté devant la juridiction civile et donc
soumis aux règles du droit judiciaire privé, il pourrait se dérouler
en présence de toutes les personnes intéressées à sa solution
et celles-ci seraient soumises aux règles habituelles quant aux
conditions de capacité, en même temps que représentées par
un avoué d'appel.
A ces deux points de vue la situation est différente devant
la Chambre des appels correctionnels saisie de l'action civile.
1. - Les règles de la procédure pénale conduisent d'abord
à une conception rigoureuse de la qualité requise pour figurer
à l'instance.
A l'action civile, le Ministère public n'est plus partie
principale, les parties devraient être normalement les personnes
qui, d'une part, peuvent être appelées à participer à la réparation
du préjudice et auraient, à ce titre, dû pouvoir être défenderesses en première instance et, d'autre part, toutes celles qui
>
,
peuvent prétendre à réparation et qui auraient donc dû pouvoir
normalement être demanderesses devant les premiers juges.
183
�D'un côté les intérêts civils peuvent être invoqués par
beaucoup, car un acte dommageable peut faire par ricochet
de nombreuses victimes se plaignant d'un préjudice plus ou
moins direct. D'un autre côté réparation peut être demandée à
plusieurs responsables dont on a nettement souligné qu'ils
jouent le rôle essentiellement civil de garants de la réparation
(P. Hébraud, Les garants de la réparation devant les juridictions
répressives. Mélanges Magnol, pp. 189 et s.).
Mais toutes les victimes ne peuvent pas se constituer partie
civile, l'action civile ne pouvant être jointe à l'action publique
que si le demandeur se plaint personnellement d'un dommage
directement causé par l'infraction (art. 2 C. pro pén.) et tous
les garants de la réparation ne peuvent être traduits devant le
juge répressif, pas même l'assureur du responsable auquel en
définitive s'impose pourtant la charge de l'indemnisation.
Cette limitation du nombre des personnes susceptibles de
devenir parties à l'instance civile devant la juridiction répressive
s'applique dès la première instance où elle est déjà aggravée
par le refus de toute intervention volontaire autre que celle
de la partie civile et du civilement responsable, refus auquel
la jurÎspnldence donne une vigueur qui a suscité bien des critiques (Aix Trib. corr. 1" juillet 1948, ].C.P. 1948. II. 4352,
note Colombini). Ainsi, déjà devant les premiers juges, le débat
civil risque.t.il d'être tronqué et donc faussé, le corset de la
procédure pénale privant l'action civile des possibilités de déve·
loppement qu'elle aurait eues devant une juridiction civile et
obligeant à une regrettable division des actions relevant de la
compétence de juridictions différentes. Ainsi, l'absence de l'assu·
reur du responsable est bien difficile à justifier, car c'est lui
le premier intéressé à la détermination de la responsabilité civile.
Pratiquement la clause de direction du procès lui confère le
moyen de se défendre, mais ses intérêts ne coïncident pas tau·
jours avec ceux de rassuré et le système peut se retourner
contre l'un ou l'autre.
Mais le mal s'aggrave devant la Cour pour les raisons déjà
soulignées, car les raisons qui peuvent justifier la limitation du
débat aux frontières des conséquences directes de l'infraction
perdent de leur force lorsque le procès civil passe au premier
plan et surtout lorsqu'il est seul à se poursuivre, c'est·à-dire
au cas où l'appel ne met en cause que les seuls intérêts civils.
Non seulement la restriction des catégories de personnes
susceptibles d'être parties à l'instance devient plus fâcheuse
dans ses conséquences, mais elle devient plus rigoureuse en elle-
,.
même. En eHet devant la Cour la victime elle·même ne peut
plus se constituer partie civile (V. pour la Sécurité Sociale :
Crim. 7 mars 1956, Bull. Crim. 236; 21 février 1957, Bull.
Crim . 192).
184
�Ainsi le contraste s'accuse entre l'instance devant la Chamhre
des appels correctionnels et celle qui se développe devant les
Chamhres civiles.
Il nous est arrivé à plusieurs reprises de protester contre
l'usage de l'intervention forcée en appel qui nous paraIt faire
bon marché de la règle du double degré de juridiction, mais cet
usage est consacré par la jurisprudence et en tout cas l'intervention volontaire peut permettre de réaliser vite et simplement
les régularisations nécessaires. Elles sont impossihles devant la
Cour statuant correctionnellement et les praticiens ont quelques
raisons de se plaindre par exemple de l'obligation de renvoyer
une affaire parce que le Parquet Général a omis de citer une
Caisse de Sécurité Sociale, alors qu'une intervention de celle·ci
à l'audience permettrait de poursuivre les débats sans aucune
difficulté.
Ainsi tous les intéressés au débat civil ne sont pas nécessairement en cause. Pour ceux qui y sont il est permis de
s'interroger sur la valeur des règles relatives à leur habilitation
et à leur représentation.
2. - S'agissant essentiellement d'intérêts civils, les conditions de capacité et de pouvoirs devraient être normalement
t
-.
les mêmes devant la juridiction répressive que devant la juri·
diction civile, en particulier pour le défendeur. Mais sur ce point
encore il en est autrement.
a) Quafit à la capacité, d'abord c'est de capacité pénale et
non de capacité civile qu'il s'agit, du moins d'après la jurisprudence.
Certaines décisions sont allées jusqu'à affirmer par exemple
que le syndic d'un délinquant failli n'a aucune qualité pour être
mis en cause dans l'action civile dirigée contre le débiteur (Trib.
corr. Aix, 1"' juillet 1948, J.c.P. 1948. II. 4532, note Colom·
bini) et si la Cour de cassation n'est pas aussi catégorique, elle
tient cette mise en cause pour facultative (Crim. 3 février 1944,
D. 1944, J. 92; camp. pour le liquidé judiciaire Crim. 7 juillet 1932, S. 1934. 1. 157) malgré l'intérêt considérable que
présente tant pour le patrimoine du débiteur que pour ses
créanciers la décision qui statuera sur la responsabilité civile.
Certes, le failli n'est pas à proprement parler un incapable,
mais la même jurisprudence s'applique à ceux qui le sont. Dès
l'instant que le délinquant peut être tenu pour capable péna·
lement, ses intérêts civils peuvent être débattus en l'absence
du représentant ou du conseil que la loi civile a jugé nécessaire
à sa protection et qui devrait plaider pour lui ou à côté de lui devant le tribunal civil. C'est la solution consacrée pour le mineur
(Crim. 27 avril 1899, S. 1900. 1. 535) et pour le prodigue
(Crirn. 22 février 1896, S. 1898. 1. 377, note Roux). Encore
qu'on ait essayé de justifier la solution par le souci de laisser
185
�,r
le délinquant libre de se défendre seul au pénal (Roux, note
précitée), on peut se demander si elle est heureuse surtout devant
la Cour d'appel quand l'action civile a cessé d'être un accessoire
de l'oction publique.
b) Ce n'est pas seulement le représentant légal qui devient
inutile, c'est encore le mandataire judiciaire et l'action civile est
clispensée du ministère dl avoué. Certes ce n'est pas le seul cas où
l'avoué à la Cour est estimé inutile, il reste que l'on voit mal
pourquoi les mêmes intérêts et les mêmes problèmes qui imposeraient sa présence devant une Chambre civile peuvent être
débattus sans lui devant la Chambre des appels correctionnels.
Là encore l'observation serait déjà valable en première
instance mais elle prend plus de poids lorsque s'ouvre une
procédure d'appel devant une juridiction plus éloignée du domi·
cile des plaideurs. Le Code de procédure pénale n'ignore pas
cette difficulté lorsqu'il impose à la partie civile qui ne demeure
pas dans le ressort du tribunal où se fait l'instruction l'obligation
d'y faire élection de domicile (art. 89 C. proc. pén.). Mais ce
qui est utile pour la partie civile le serait aussi pour le civilement
responsable ou pour le garant qui conduit peut·être dans la
coulisse la défense des intérêts du délinquant. Certes cet assureur
aura pratiquement un représentant mais celui-ci sera démuni
des armes que le droit judiciaire privé lui aurait donné devant
une juridiction civile et qui auraient facilité l'instruction purement civile de l'affaire.
Car cette instruction est, elle aussi, soustraite aux règles
de la procédure civile, l'action civile relevant encore du droit
pénal quant au déroulement de la procédure.
B. - Le déroulement de 10 procédure
La procédure pénale se veut parfois plus souple et parfois
plus rigoureuse que la procédure civile. Il est permis de douter
de l'opportunité du particularisme qu'elle confère ainsi au déroulement de l'instance civile devant les juridictions pénales et
singulièrement devant celles du second degré.
1. -
La simplification se traduit non seulement par l'inuti-
lité de la présence des avoués mais encore par la réduction des
écritures exigées même si des avoués interviennent en fait.
,
.:t
~
.
,
C'est ainsi que les conclusions ne sont pas nécessaires, que
leur signification à l'avance est encore moins imposée et que,
faute de communication des pièces obligatoires, bien des justifications et des précisions sur les dernières prétentions des parties
ne sont fournies à l'adversaire qu'au moment de l'audience,
même si les demandes ou les moyens sont différents de ceux
qui avaient été soumis au tribunal.
Informé tardivement l'avocat d'une partie souvent fort
éloignée du siège de la Cour devra improviser une argumentation
-\86
�ou des calculs souvent complexes qui auraient pu être préparés
plus tôt si les mandataires des parties avaient pu échanger noti·
fications et significations habituelles dans une instance relevant
du droit judiciaire privé.
Par ailleurs la procédure pénale qui se veut simple et plus
souple ne permet pas, faute d'avoués, de postulation et d'écri-
tures, la pratique de la reprise des conclusions devant une juridiction dont la composition a changé au cours du délibéré,
pratique de nature à éviter bien d'inutiles retards.
Ainsi se vérifie une fois encore le caractère illusoire de
certaines recherches de simplification. Le désir d'aller vite peut
aussi aboutir à des résultats contestables et il en est ainsi quand
la procédure pénale se veut plus rigoureuse, notamment quant
aux délais.
2. - La procédure pénale impose habituellement des délais
plus brefs, il lui arrive même d'en exiger là où la procédure
civile n'en prévoit pas. Il n'est pas certain que cette rigueur
tienne suffisamment compte des besoins de l'action civile.
C'est ainsi que, devant la Cour saisie au civil, l'appel incident
est recevable en tout état de cause alots que l'article 500 C. proc.
pénale l'enferme dans un délai de cinq jours dont les praticiens
regrettent à juste titre l'excessive brièveté.
S'agissant en effet des intérêts civils, la décision peut
supposer de plus longues méditations, le représentant de la
partie civile ou du civilement responsable et surtout celui de
l'assureur qui dirige le procès civil derrière l'assuré peuvent avoir
à demander l'avis d'un client souvent fort éloigné; un délai
aussi rigoureux ne facilite pas leur tâche et on se demande
comment il se justifie lorsque précisément survit, au stade de
l'appel, la seule action civile.
L'impossibilité d'un appel incident qui aurait permis de
rendre au débat d'appel toute son ampleur risque de fausser
fâcheusement ce débat et il arrive parfois aux cours d'appel
de recourir à un détour pour lui rendre toute sa dimension en
utilisant les facilités que la procédure pénale leur donne en
matière d'évocation (Amiens, 4 mai 1962, ].C.P. 1962. II.
12. 821, note P. Aymond).
Mais il ne s'agit que de moyens détournés et cette fois
c'est la souplesse qui manque à la procédure pénale.
3. - On peut regretter encore que la Cour d'appel ait ses
pouvoirs limités en ce qui concerne les défenses à exécution
provisoire.
Certes en principe la jurisprudence a-t-elle permis à la partie
condamnée par un jugement assorti de l'exécution provisoire de
.,
. . ..
solliciter des défenses à la Cour conformément à l'article 460
C. proc. civ. Mais ce texte et celui de l'article 461 ne permettent
187
�ces défenses que « si l'exécution provlsolIe a été ordonnée
hors des cas où des conditions prévues par la loi » et cette
situation se réalisera difficilement en présence de l'article 464
C. proc. pén. qui autorise en termes très généraux les premiers
juges à ordonner le versement provisoire des dommages-intérêts
qu'ils allouent à la victime. L'exécution provisoire est donc
toujours régulièrement ordonnée, elle peut cependant l'être de
façon inopportune et, au cas d'infirmation de la condamnation
par la Cour le remboursement sera difficile si la victime est
insolvable.
Devant une juridiction civile l'exécution provisoire devrait
être motivée par l'urgence et la Cour d'appel aurait un droit
de contrôle dont on ne voit pas pourquoi elle est privée du
seul fait que la décision émane d'une juridiction répressive
statuant sur l'action civile.
. ..
.
Ainsi les règles relatives à l'organisation et au déroulement
de l'instance devant la Chambre des appels correctionnels apparaissent-elles comme commandées par les seuls principes de la
procédure pénale et il ne paraît pas avoir été envisagé d'y intro·
duire par transposition des emprunts à la procédure civile pourtant mieux adaptée à la discussion des intérêts civils.
Les inconvénients du système se répercutent sur la décision
ou plus exactement sur la conception des recours qui peuvent
~
être formés contre elle et dont il convient de se demander
maintenant dans quelle mesure ils demeurent eux aussi soumis
à la procédure pénale.
II
LES VOIES DE RECOURS CONTRE L'ARRET
DE LA COUR D'APPEL
Il n'est pas nécessaire de s'arrêter à l'arrêt lui-même qui
ne pose pas de problème particulier quand il statue sur l'action
civile en même temps que sur l'action publique, mais l'aménagement des voies de recours contre cet arrêt dépend-il uniquement
de la procédure pénale ou n'est-il pas possible de dissocier la
décision sur l'action civile pour la soumettre, au moins partiellement, aux règles de la procédure civile?
D'autre part, la conception particulière des éléments de
l'instance qu'impose le Code de procédure pénale n~ va-t-elle
pas influer sur la mise en œuvre des recours?
..
Telles sont les deux interrogations qui viennent à l'esprit
aussi bien quant à la détermination des voies de recours possibles
que quant aux modalités d'utilisation de celles qui sont ouvertes.
188
�A. - Les voies de recours possibles
Contre l'arrêt statuant sur l'action civile, les voies de recours
•
sont-elles celles du Code de procédure civile ou celles du Code
de procédure pénale ?
li est bien certain que le pourvoi en révision doit être
limité aux décisions statuant sur l'action publique et que la
tierce opposition, inconnue de la procédure pénale, ne saurait
être accueillie dans un domaine où l'intervention est refusée
et on peut exprimer à ce propos les regrets dont nous nous
sommes fait l'écho à propos de l'intervention, en remarquant
d'ailleurs qu'il est arrivé à la jurisprudence de sauvegarder les
intérêts de celui qui a été déclaré civilement responsable bien que
n'ayant pas été cité, en lui ouvrant l'opposition, qui fait alors
office de tierce opposition, ou le pourvoi en cassation, bien
qu'il n'ait pas été partie (Civ. 11 décembre 1928, S. 1931.
I. 201 , note Hugueney). Ces recours peuvent atténuer les
conséquences du refus de la tierce opposition dont le principe
est choquant, surtout si on constate à la lecture des arrêts qu'il
est admis sans hésitation que devant la juridiction répressive
GO peut être condamné sans avoir été cité!
En revanche, le pourvoi en cassation est connu de l'une
et de l'autre procédure et le principe de sa recevabilité dans
le cadre de l'action civile n'est pas discutable.
Mais c'est la requête civile qui pourrait faire difficulté, car
le Code de procédure pénale l'ignore alors qu'elle se développe
aujourd'hui en droit judiciaire privé.
La Cour de Paris avait d'abord refusé d'admettre la requête
civile car elle lui paraissait peu utile, la plupart des ouvertures
à requête civile étant énumérées par le Code d'instruction criminelle parmi les moyens de cassation (Paris, 17 avril 1871,
D. 1872. 2. 35) mais par la suite la même Cour devait accueillir
une requête civile formée contre l'un de ses arrêts par un
civilement responsable qui invoquait le dol personnel et la Cour
affirmait que « si la requête civile ne saurait s'appliquer à
l'instance pénale proprement dite, elle peut néanmoins être
appliquée aux procès civils dont les tribunaux correctionnels
se trouvent accessoirement saisis» (Paris, 5 juin 1946, S. 1947,
2. 13; D. 1946, 332, note de M. Lalou, Rev. trim. de droit
civil 1947, p. 360 et nos observations). La solution est précieuse
lorsque l'affaire a été jugée en appel, c'est-à-dire à un moment
où il n'y a plus d'autre degré de juridiction à gravir et il est
important de la relever comme un signe de la possibilité de
transposer à l'action privée devant les juridictions pénales certaines des règles du Code de procédure civile.
Mais la jurisprudence parait moins favorable à une ·telle
transposition quant à la réglementation même des ·voies de
recours dont la recevabilité est admise.
189
�B. - La rè glementotion des voies de recours
Les voies de recours communes à la procédure pénale
et à la procédure civile qui peuvent être suivies contre l'arrêt
d'appel sont l'opposition et le pourvoi en cassation. Si le principe
de leur recevabilité n'est pas douteux, leur utilisation à propos
d'un arrêt statuant sur les intérêts civils peut faire question.
En ce qui concerne l'opposition, que le Code d'instruction
criminelle n'avait prévu que pour le prévenu, le nouveau Code
de procédure pénale l'ouvre formellement à la personne civilement responsable et à la pattie civile qui doivent la former
dans les dix jours de la signification de la décision (atticle 493
C. proc. pén.).
Mais ce texte ne répond pas à la question posée antérieurement à la jurisprudence qui est de savoir s'il est ou non possible
de transposer devant les juridictions répressives saisies de l'action
civile les règles du Code de procédure civile permettant d'aboutir
à une décision réputée contradictoire. Cette transposition paraît
bien difficile; la Cour de Cassation s'y était montrée hostile
(Crim. 27 avril 1935, S. 1935. 1. 199; 19 juillet 1945, Gaz.
Pal. 1945. 2. 102, Rev. tTim. de droit civil, 1948, p. 55 et nos
observations) et elle ne pataît pas avoir été rendue plus commode
par les modifications apportées aux deux procédures par la
législation récente.
Le particularisme de la procédure pénale se maintient aussi
en ce qui concerne le pourvoi en cassation et le délai dans lequel
il est enfermé quoique porté de 3 à 5 jours par le Code de
procédure pénale (art. 568) est justement considéré comme trop
bref pat les praticiens, lorsqu'il s'applique au pourvoi sur les
seuls intérêts civils.
Mais c'est surtout l'incidence de la conception limitative
de la qualité requise pour figurer à l'instance civile devant les
juridictions pénales qui soulève des difficultés pour le pourvoi
en cassation comme pour l'appel.
C'est ainsi que si l'assureur du responsable pouvait être
pattie à l'instance au lieu de se dissimuler derrière son assuré
par le jeu de la clause de direction du procès, il pourrait se
pourvoir en cassation lui-même pour la sauvegarde de ses intérêts
sans avoir à déclencher le pourvoi de l'assuré qui risque de ne
pas avoir les mêmes raisons que lui d'agir ou de s'abstenir.
On est alors pris dans un dilemme. Ou bien on permet à
l'assureur de contraindre l'assuré condamné à un pourvoi en
cassation contre l'arrêt qui condamne celui-ci pénalement et
civilement, au risque de l'exposer à une augmentation de peine,
ou bien on laisse la partie condamnée libre de ne pas se pourvoir
et on interdit à son assureur de contester le principe de sa propre
obligation qui résulte de l'affirmation de la responsabilité pénale
(V. sur ce point: Hébraud, op. cit., p. 222).
190
�Il n'y aurait d'autre issue que d'admettre la partlClpation
directe et personnelle de l'assureur, que permettrait la procédure
civile.
:.
A vrai dire ce rapport n'avait d'autre objet que de rassembler
les questions posées surtout par les praticiens et il vaut mieux
laisser le soin à ceux qui ont bien voulu l'écouter de formuler
eux-mêmes les conclusions qu'il pourra leur inspirer.
D 'ailleurs, l'auteur du rapport n'a pu s'empêcher de laisser
parfois transparaltre le soubait à travers la critique. Certes,
il n'est pas question de faire revenir l'action civile de son escapade
dans le domaine de la procédure pénale, mais il est bien permis
de constater que, au moins devant la Cour d'appel, le débat civil
n'est pas parfaitement servi par les règles d'une procédure organisée pour la répression.
Réaction de civiliste, dira-t-on? Peut-être et c'est d'un
débat où d'autres orientations de pensée pourront s'exprimer
que se dégagera la conclusion en faveur du maintien du statu
quo ou de l'appel à la réforme.
,
-< •
P. RAYNAUD.
191
�INTERVENTIONS
sur 19 rapport de M. P. RA YNAUD
MAITRE ANDRE MAGNAN
... Une précision de chiffres.
Quelle est l'importance numérique des actions civiles jointes? Leur nombre semble aller en augmentation devant les
..
,
•
,~
h.
~
•
.-
Cours.
Un sondage dans une Cour de province nous révèle dans
l'année 1961 : 2.495 arrêts correctionnels sur lesquels il y a eu
1.841 parties civiles, soit une moyenne de l'ordre de 74,5 %
du chiffre total des affaires correctionnelles ou de police.
Il y a quelques années, la cause de cette préférence pour
l'action publique pouvait se trouver dans la rapidité d'une part,
et dans /'économie de frais d'autre part.
Depuis lors, ces causes ne ;ouent plus, car :
1 0 les actions civiles sont devenues aussi rapides "
2 0 les Avoués en matière d'accident ne demandent que des
provisions très réduites;
0
3 mais surtout} les parties n'ont plus le choix, car la quasi-
totalité des affaires d'accidents sont portées d'office par le
Ministère public devant le Tribunal de Simple Police au titre
de contravention de la 5· catégorie : la victime est obligée
d'y être.
Elle ne peut même plus choisir son terrain ;uridique entre
l'article 1382 ou l'article 1384. Elle a cessé d'être libre.
D'où nécessité de redoubler d'attention sur le sort de l'action
civile jointe à l'action publique devant la Cour.
INTERVENTION DE M. CALEB, PROCUREUR GENERAL
'.
Je m'excuse de prendre la parole dans ce débat qui me
paraît surtout mettre aux prises avocats et avoués SUT le dos
de la procédure pénale dont vous permettrez au Procureur
Général de prendre la défense.
J'ai l'impression qu'il lui est fait un mauvais procès. Ne
constate-t-on pas que les justiciables, excellents juges en la
matière, préfèrent en général, se joindre à l'action publique plut6t
192
�que d/agir au civil? S'il en est ainsi c'est queJ de la sorte,
l'affaire viendra plus vite, l'action sera plus efficace et les frais
..,
seront réduits .
Cela est vrai en première instance et aussi devant la chambre
des appels correctionnels, même lorsque le débat pénal a été
épuisé. Quoique ne portant plus que sur des intérêts civils, la
procédure reste pénale.
Il est possible que dans certains cas particuliers cette façon
de foire présente des inconvénients. Selon le préopinant il serait
bon que l'avoué pût jouer son rdle, son rôle obligatoire dons
cette action civile ;ointe à une action publique originaire.
Je n'en persiste pas moins à penser que l'intervention ohli-
•
gagatoire de l'avoué ne répond pas, en général, à une nécessité.
Le Ministère public qui a la charge des intérêts de la Société
sait bien, à l'occasion, se préoccuper de ceux de la victime.
Injecter une dose de procédure civile dans ce débat qui se
déroule devant la Chambre des Appels Correctionnels aboutirait,
en fait, à abandonner les parties civiles aux bons soins des avoués,
alors que le Ministère public ne demande pas mieux que de
j6uer son rôle traditionnel : il vérifiera si llexpertise est "rentrée",
il fera diligence pour que l'affaire vienne rapidement. Il jouera
le rôle d'un accélérateur, se montrant ainsi protecteur avisé der
intérêts de la victime.
Voilà l'observation que je tenais à présenter pour la défense
de la procédure pénale.
MONSIEUR LE PROFESSEUR RAYNAUD
Puisque Monsieur le Procureur Général vient de parler au
nom de la défense, il serait peut-être CO"ect de lui laisser la
parole le dernier, et puisqu'il m'a présenté un peu comme le
Procureur, il vaudrait mieux que je garde le silence, ma~s je
voudrais préciser que ie n'ai pas eu du tout l'intention, et St
rai donné cette impression, Cl est que ie me suis mal exprimé,
que je n'ai pas eu l'intention de soutenir qu'il fallait supprimer
l'action civile devant les juridictions répressives. et
ie
crois avoir
dit moi-même au début de mon rapport que les particuliers
optaient souvent pou!' cette voie qui présente p'our eux d'incontestables avantages.
.
J'ai voulu seulement poser la question de savoir s'il ne
s.eraÎt . pas possible dans une mesure à déterminer.. qe qui ~st
,
difficile d'ailleurs, d'apporter quelques assouplissements, ou
quelques modifications aux règles de la procédure suivie à l'occasion de l'actio;' civile, sdns prétendre po.ur autant la détacher
de l'action publique. ·
193
�Evidemment, on pourra beaucoup discuter, sur la dose de
procédure civile à injecter, puisque mon expression a été reprise
'Par Monsieur le Procureur Général, et je crois que c'est l'intérêt
précisément de ce débat d'avoir posé cette question, mais je ne
voudrais quand même pas être présenté comme un procureur
trop sévère, tellement sévère, que le Ministère public soit obligé
de se transformer en défenseur.
Ceci dit, alors, en ce qui concerne la présence des avouéJ
aux débats, présence facultative, ou présence obligatoire, i' aime·
rais mieux que la question soit résolue par eux et par les avocats,
ainsi que par les Magistrats, et si je l'ai posée aussi, je ne
prétends pas prendre parti dans cette querelle, car ce serait trop
périlleux, quelle que soit l'option que i'aurais adoptée.
MONSIEUR LE BATONNIER DE CAMPOU-GRIMALDI
•
"
,
Le Bâtonnier de Campou-Grimaldi précise qu'il intervient
en qualité de Praticien.
Il présente quatre observations :
0
1 il n'est pas opposé à l'intervention des Avoués devant les
Juridictions correctionnelles; il la souhaite même en matière
de contredit - mais cette intervention ne doit entraîner à
la charge des plaideurs qu'un honoraire de principe;
2° il rappelle que la communication des pièces entre avoués est
la règle générale de tout débat contradictoire. C'est une pratique ignorée malheureusement. Il convient de la remémorer
efficacement à ceux qui font oubliée;
0
3 il souligne la difficulté de réalisation pratique des appels en
matière de simple police. Il y aurait intérêt à ce qu'ils puissent
être faits ailleurs qu'au Greffe du Tribunal de Police.
4 0 il insiste en terminant sur la nécessité des défenses à Exécution Provisoire en Matière Pénale (iugemenls accordant ou
liquidant des indemnités).
MONSIEUR LE BATONNIER DE SAINT-FERREOL
J. souscris bien volontiers au désir exprimé par Monsieur
le Professeur Raynaud "d'in;ecter" certainer règles de procédure
civile, dans le domaine pénal.
Mais ;e me permets de poser une condition : -il importe
'lue l'Avocat conserve une entière liberté d'action, qu'il soit
déchargé d. la responsabilité des formalités et de l'exécution.
Pour concrétiser ma pensée ;. vous propose deux exemples :
Le prtmier vise le cas des formalités d'appel.
194
�Nous savons qu'en matière pénale, l'appel se réalise presque
clandestinement, par une déclaration au Greffe.
Si nous ne surveillons pas le registre et si nous laissons
passer le délai supplémentaire de cinq jours, les intérêts de
notre client seront irrémédiablement compromis. Impossible de
réaliser un appel incident devant la Cour.
Ne conviendrait-il pas que le Législateur décide que l'appelant aura l'obligation d'aviser l'autre partie par lettre recommandée, comme dans le cas de pourvoi.
Mon second exemple concerne l'exécution de l'arrêt.
Des dommages-intérêts ont été alloués à des mineurs avec
la condition habituelle: constitution de rente ou achat d'immeuble.
Comment l'Avocat peut-il accomplir ou surveiller la réalisation de cette condition?
Devra-t-il saisir l'Agent de Change, ou le Notaire?
pestime, personnellement, que l'intervention de Messieurs
les Avoués au pénal nous déchargerait d'obligations et de responsabilité, qui ne devraient pas §Ire les nlÎtres.
•
•
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195
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•
�VIII
RAPPORT
LE PROCÈS CIVIL
PROVENANT DES JURIDICTIONS D'EXCEPTION
par
Henri ROLAND
Professeur Agrégé à la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques de Clermont-Ferrand
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LE
PROCÈS CIVIL
PROVENANT DES JURIDICTIONS D'EXCEPTION
par Henri ROLAND
Pro fesseur Agrégé .li la Faculté de Dro it
et des $dences Econo mIques de C lermont Ferrand
PRESIDENCE DE M. LE PROFESSEUR LAGARDE
•
A celui qui ne s'attacherait qu'aux textes et jugerait ainsi
de l'arbre seulement par son écorce, la réforme judiciaire, quant
aux juridictions d'exception, pourrait paraltre une réussite, Quoi
de plus satisfaisant pour l'esprit que la concentration de tous
les appels des Tribunaux d'exception devant une juridiction
unique, composée des meilleurs magistrats? Quoi de plus propice
à une justice simple, rapide et économique qu'une procédure
sommaire affranchie du ministère d'avoué? Malheureusement
cette vue théorique reste incomplète et, partant incorrecte, car,
ainsi que le notait Vauvenargues, « lorsqu'une pièce est faite
pour être jouée, il est injuste de n'en juger que par la lecture ».
Or J si suivant ce précepte, on consulte la pratique, on est bien
obligé de convenir que le malaise judiciaire persiste et qu'il est
ressenti par tous ceux qui, de près ou de loin, collaborent à
l'œuvre de justice.
Comment, dès lors, expliquer les difficultés pratiques qu'ont
fait naltre les décrets du 22 décembre 1958, s'agissant du procès
civil provenant des juridictions d'exception (1) ?
Encore que le législateur de 1958 n'ait pas pris soin de
s'expliquer sur ses intentions profondes, il n'est pas douteux
qu'il ait eu en vue, comme ses devanciers, l'accélération de la
justice et, corollairement, son économie et sa simplification. Mais
si l'on doit s'incliner devant le but poursuivi, il est permis de
regretter, d'un côté l'idée qui a présidé à sa réalisation, d'un
autre les moyens mis en œuvre pour l'atteindre.
•
~,
~
"
•
(1) Au cours de ce rapport, il sen principa1ement exllIllÏnl! les IPpels
des décisions rendues par les Conseils de Prud'hommes, les Tribunam:
paritaires des baux ruraux et les Commissions de S&:uri~ sociale, car ce
sont surtout cetIl[<Ï qui font difficuIt~.
199
�Les réformateurs sont partis de l'idée que le ministère
d'avoué était une des 7 plaies de la justice. En cela ils ont commis
une grave erreur de conception. il n'y a pas de justice sans
procédure et il n'y a pas de procédure sans mandataire. L'exemple
contraire des juridictions d'exception ne constitue pas un obstacle.
Chaque degré appelle une instance propre et la dispense d'avoué
peut être valable au premier degré tout en étant préjudiciable
au second degré. Ce qui incite à le croire, c'est le phénomène,
à la fois géographique et psychologique, à peu près inconnu
en première instance, de l'éloignement du plaideur vis-à-vis
de ses juges.
Et ce qui interdit toute transpOSIllon devant la cour de la
procédure suivie en première instance, c'est l'importance capitale
que revêt l'appel dans le déroulement de la justice. Bien souvent,
l'intervention de la Cour d'appel a pour effet de réputer provisoire une erreur qui, sans elle, serait devenue une erreur judiciaire. Rien ne doit donc être négligé de ce qui pourrait favoriser
la découverte de l'erreur; or c'est en confiant le dossier à
un homme de l'art que l'on mettra le magistrat d'appel en mesure
de redresser les conséquences de la faillibilité des premiers juges.
Au demeurant, tout ne doit pas être sacrifié au souci de rapidit~ :
la perfection d'une procédure, comme celle d'une pendule, n'est
pas d'aller vite mais d'être bien réglée, surtout au deuxième et
:lernier degré de juridiction.
Cette erreur de jugement fondamentale s'est accompagnée
d'une grande imperfection technique. Alors que l'unité de juridiction, désormais instaurée, appelait l'unilication des règles de
procédure, la réforme a conservé et souvent agrandi la mosaïque
des formes, des actes et des délais. Elle n'a su éviter ni les
lacunes et inadvertances, ni les dispositions hermétiques ou
incohérentes. De l'avis des hommes d'affaires, ]a rédaction des
textes a été parfois si maladroite, si impropre que, pour une
bonne part, les règles ont écbappé à toute application pratique.
C'eSt dire à quel point s'impose une nouvelle formulation.
Le vice majeur d'absence de mandataire officiel et les vices
mineur:s d'ordre technique nous retiendrons tour à tour.
1. - LE VICE MAJEUR: LA DISPENSE DE MANDATAIRE
,
<•.
):.
,.
Bien qu'il s'agisse de procédure dont il est traditionnellement
exclu et bien que l'époque ne lui soit pas favorable, on suggérera,
sans réserve, d'introduire en notre domaine le ministère obliga~
toire d'avoué. La proposition, d'ailleurs, paraîtra moins révolutionnaire lorsqu'on aura souligné quelques~uns des inconvénients
tenant à l'absence d'avoué et lorsqu'on aura, en remède, suggéré,
modestement, d'adopter une postulation rédùite.
200
�A. - Les inconvénients découlant de l'absence d'avoué
Sans entreprendre un examen complet, on notera seulement,
'.
comme étant les traits les plus saillants, que le vide laissé par
le défaut de ce mandataire permanent rend illusoire le principe
du contradictoire et fait obstacle au règlement rapide et économique des incidents de procédure.
a) On sait l'attachement de notre Droit au principe du
contradictoire, estimé par tous consubstantiel à la notion de
procès. Or, ce principe veut que chaque plaideur connaisse, à
l'avance, l'objet de la prétention de son adversaire et les moyens
sur lesquels il la fonde . Faute d'avoué, ce résultat n'est jamais
atteint dans les matières qui nous préoccupent. C'est le jour
de l'audience seulement que les parties litigantes fournissent
leurs explications, sans s'en être au préalable réciproquement
informées. Dans de telles conditions, l'audience ne recouvre plus
qu'un simulacre de débat contradictoire : j'ignorance, de part
et d'autre, des arguments adverses interdit toute discussion
utile, l'effet de surprise nuit à la loyauté de la confrontation
des points de vue antagonistes; en bref, alors qu'on attend
une demande et une défense soigneusement mûries, prend place
.l'improvisation la plus débridée. Le magistrat, saisi d'un conglomérat informe de faits hétérogènes, parvient à peine à discerner
l'équation qu'il est appelé à résoudre; et, en supposant qu'il
l'entrevoit, rien ne vient l'éclairer sur Je mérite respectif des
dires de chacun.
La communication des pièces recèle des entraves analogues
à la discussion contradictoire. Sans doute il n'est pas contesté
que le juge ne doit se déterminer que sur les documents produits
par les plaideurs et qu'il ne peut faire état que des pièces sur
lesquelles chacun a été mis à même de présenter ses observations.
Mais comment ne pas voir que ce principe est dépourvu de toute
portée pratique en l'absence d'avoué? En ce cas, la communication se fait par voie de dépôt au greffe et c'est à l'intéressé
qu'il appartient d'en prendre connaissance au lieu du dépôt. Or,
si l'on peut admettre que les personnes résidant au cbef-lieu
de la Cour se rendront à cette fin au greffe, il n'est pas réaliste
de supposer que les plaideurs éloignés entreprendront un ou
plusieurs déplacements longs et coûteux pour procéder à une
consultation sur place et pour accomplir ensuite chacun des actes
de la Procédure. C'est pourquoi en pratique on observe que les
pièces demeurent occultes. Et le greffe n'étant pas outillé pour
faire les transmissions, la Cour, parfois, se verra contrainte de
prescrire, par arrêt dûment signifié, le versement des pièces au
débat ou d'ordonner une expertise pour en prendre connaissance.
b) Ainsi l'élintination de l'.voué ne paralyse pas seulement
,
le libre jeu de la contradiction, elle provoque parfois, sans
qu'on y prenne garde, de lourdes complications entralnant une
plus grande cherté de la justice. Les incidents de procédure en
!QI
�offrent une autre illustration. L'interruption d'instance, par
exemple, requiert, pour que la procédure se poursuive, une
réassignation et un réenrôlement; si un avoué figurait dans la
procédure, un simple acte du palais suffirait pour opérer reprise
d'instance. La même observation peut être faite en ce qui
concerne le désistement. En l'état actuel, il est prudent de le
faire constater par un arrêt. Cette exigence serait superflue dans
une procédure normale: ce serait assez d'un simple échange d'acte
entre les mandataires des parties. Il en va de même de toute
demande tendant à l'interprétation d'un arrêt ou à la rectification
d'une erreur matérielle. La Cour étant dessaisie, il convient
d'adresser une nouvelle assignation et de procéder à une nouvelle
mise au rôle; si la procédure ordinaire était appliquée, l'avoué
restant constitué pendant un délai de un an, un acte du palais
à lui seul permettrait de régler la difficulté. Enfin, lorsque
après le dépôt d'un rapport d'expertise, l'on désire revenir devant
les juges, l'audience ne peut pas être poursuivie sur simple
avenir; faute d'avoué, il doit être réassigné et réenrôlé.
Ainsi là où un acte du Palais à 1,40 F constitue d'ordinaire
le moyen procédural adéquat, il est indispensable, soit d'obtenir
une décision, soit de réassigner et réenrôler. L'absence de
représentant officiel, en retardant et en alourdissant le règlement
des incidents, conduit à une majoration substantielle de la note
de frais.
La gêne découlant de l'absence d'avoué est encore aggravée
du fait de l'encombrement des rôles particulièrement important
ici en raison de l'obligation d'assigner à jour fixe . Faute de
temps, il est souvent nécessaire de remettre l'affaire à une
audience ultérieure et, comme personne n'est là pour prévenir
que l'affaire ne viendra pas en rang utile, les parties se déplacent
sans profit pour n'entendre prononcer que le renvoi de leur
procès.
B. - Le remède : la postulation réduite
Tous ces graves défauts pourraient être évités si l'on
instaurait, devant la Cour, la représentation obligatoire du plaideur. D'ailleurs, sur le plan des principes, il n'est pas indifférent
de se demander pourquoi, relativement aux matières prud'homales
et sociales, par exemple, on s'est mis en marge du droit commun.
Ce ne peut être pour le motif de la modicité des intérêts litigieux,
car l'argument, contestable au niveau du premier degré, devient
inacceptable au niveau de l'appel où il y a de très gros intérêts
en jeu parfois. Est-ce alors à raison de la simplicité des contestations? Certainement pas. Ce serait fonder l'exclusion de
l'avoué sur une généralisation excessive et inexacte des matières
litigieuses : dans de très nombreux cas, il n'existe aucune différence, quant à la difficulté de juger, entre le contentieux social
�et le contentieux de dtoit commun. En réalité, c'est la considération de la personne des plaideurs qui a dicté le particularisme.
Et l'observation est digne de retenir l'attention. Si le législateur
a affr"!,lchi le procès civil provenant des juridictions d'exception
des rites de la procédure ordinaire, c'est sous l'influence d'une
préoccupation démagogique, dans le dessein de faciliter l'accès
du prétoire aux gens de condition modeste. On a cru réaliser
cet objectif en répudiant le ministère d'avoué, l'avoué étant rendu
responsable des lenteurs et de la cherté de la justice. Ce faisant,
le législateur a méconnu les enseignements de l'expérience : la
procédure est le seul gage sérieux d'une bonne justice, or il
n'y a pas de procédure sans forme, partant sans avoué. Ainsi,
contrairement au but poursuivi, le plaideur que l'on voulait
favorisé se trouve déshérité, par protection on ne lui offre plus
qu'tme justice au rabais. En profondeur, ce n'est donc pas être
infidèle à l'esprit qui a animé l'institution de ces procédures
spéciales que de proposer de les normaliser en Appel.
c
A rencontre d'une telle suggestion, on ne manquera pas
d'élever l'objection classique suivant laquelle une procédure
normalisée entraillerait nécessairement une complication de la
procédure et un accroissement des frais. On répondta d'abord
ciue la remarque n'est que partiellement exacte - nous l'avons
montré à propos des incidents de procédure - et surtout que,
dans les cas où objection conserve sa valeur, elle ni est pas
ineffaçable. Comme on l'a dit « le moteur est bon, il suffit de
changer de vitesse », nous ajouterions « et de consommation ».
Vouloir accueillir dans le procès un représentant qualifié servant
de trait d'union entre le tribunal et le justiciable ne signifie
pas aménagement d'une procédure calquée sur la procédure
ordinaire. On peut concevoir une petite postulation, laquelle
serait réduite sur deux plans : le plan des frais et celui des
r
actes.
a) Quant aux frais, la réduction pourrait être obtenue
facilement. Il suffirait, par exemple, de diminuer de moitié le
montant du dtoit fixe et d'abaisser, dans une mesure à débattre,
le montant des droits proportionnels comme pour les référés.
Une telle réforme, on ne le cachera pas, ne produirait pas de
résultats considérables, car les émoluments sont fixés à des tarifs
suffisamment bas pour qu'une division par deux ou par trois ne
modifie pas substantiellement le chiffre de l'état des frais. Nul
n'ignore dans quelle direction il conviendrait de s'orienter si
l'on voulait supprimer la cherté de la justice : il faudtait ouvrir
le procès des droits fiscaux, mais c'est un procès qu'aucun
homme d'affaire sérieux ne conseillera à son client. La seule
solution possible reste celle du tarif réduit : elle donnerait tout
de même une certaine satisfaction aux plaideurs; à tout le
moins, elle pourrait être offerte en sacrifice à la compréhension
des milieux législatifs.
'103
�b) Sous l'angle des actes, l'idée générale serait de conserver
le schéma de la procédure sommaire en y adjoignant un seul
acte de la procédure ordinaire, les conclusions écrites.
,
-.
L'appel serait introduit par une assignation à jour fixe,
suivant laquelle l'adversaire ne serait pas seulement invité à
comparaître, mais également prié de déposer ses conclusions en
défense pour le jour prévu à l'exploit. Naturellement l'appelant
ferait connaître, autre le nom de l'avoué chargé d'occuper pour
lui, l'objet de sa demande et exposerait complètement ses moyens
pour mettre son adversaire en mesure d'y répondre. Le même
acte vaudrait assignation, constitution et conclusions pour l'appelant, et, dans les délais impartis pour comparaître, il serait ainsi
directement procédé à la liaison de l'instance, l'avoué de l'intimé
se constituant à l'audience en déposant les conclusions de son
client. En un mot, on renoncerait au découpage de la procédure
initiale en deux temps; il n'y aurait plus, successivement, appel
à comparaître et appel à conclure. De cette façon, en éliminant
les formalités distinctes de la constitution d'avoué et de l'avenir
pour signification respective des conclusions, on ferait une économie de temps et d'argent. Eu égard au déroulement de la
procédure sommaire, la marche de l'instance n'en serait ni
alourdie ni ralentie. En revanche, il en résulterait des avantages
appréciables; les faits et les moyens de chaque justiciable étant
nettement précisés, l'exigence de contradiction serait satisfaite
et la Cour disposerait d'un dossier intelligible. En outre, l'avoué
étant constitué, rien n'empêcherait de l'utiliser occasionnellement
pour résoudre tel incident qui viendrait à surgir, plutôt que de
recourir aux autres moyens procéduraux plus longs et plus
coûteux.
A ce point de la procédure, l'affaire serait renvoyée à une
date fixe rapprochée pour discussion et jugement. .
Mais ce qu'il faut bien voir, c'est que le succès de cette
formule suppose que l'on cesse de raisonner par rapport à la
procédure de droit commun, en voulant attacher à la présence
de l'avoué les conséquences habituelles, notamment en cas de
défaillance de l'un des plaideurs. A la vérité, il n'y a pas de
problème en ce qui concerne l'appelant : celui-ci ayant par
l'acte introductif d'appel à la fois comparu et conclu, il ne
pourrait être question pour lui ni d'un défaut faute de comparaître ni d'un défaut faute de conclure_ L'arrêt à son égard serait
toujours contradictoire. Du même coup, seraient taries les divergences jurisprudentielles et les incertitudes relativement au
défaut de l'appelant. Mais en ce qui concerne l'intimé, il ne
faudrait pas, sous prétexte qu'à la même audience il doit comparaître et conclure, superposer les formalités de la réassigna tian
et de la délivrance d'avenir, au cas où il n'aurait pas été touché
à personne. Une seule nouvelle invitation à déposer ses conclu-
204
�sions par ministère d'avoué lui serait adressée. avant de réputer
le jugement contradictoire et de lui fermer l'opposition.
Tel est, croyons-nous, un des moyens possibles d'améliorer
cette procédure. Il en est un autre, de mise en œuvre plus
facile, se situant sur un autre plan, celui de l'art de légiférer.
Il consiste à corriger les défauts techniques des textes.
Il . - LES VICES MINEURS: LES DtFAUTS TECHNIQUES
A cet égard on ne s'attardera pas à recenser les impropriétés
de termes auxquels le législateur moderne nous a accoutumés.
Il est des bévues tellement apparentes que l'interprète les corrige
de lui·même, telle ceIle qui permet il la juridiction saisie en
matière de Sécurité Sociale de donner mission à son Président
de « procéder» à une expertise ( 2). Ce à quoi il faut s'attacher,
c'est aux défauts techniques qui jettent le doute dans l'esprit
du plaideur et placent le juge dans le plus grand embarras,
compromettant ainsi le cours régulier de la justice. En s'en
tenant aux seules défectuosités de ce type, on regrettera, d'une
part les imperfections dans l'énoncé des règles concernant l'intro·
duction de l'instance, d'autre part des lacunes quant à la procét ,
dure par défaut .
A - L'introduction de l'instance d'appel
Les textes concernant l'introduction de l'appel recèlent des
malfaçons à trois points de vue : relativement aux délais pour
interjeter appel, à la forme de l'acte d'appel, à la saisine de
la Cour.
a) La longueur des délais d'abord est variable : dix jours
en matière prud'homale, quinze jours en matière d'expropriation,
un mois en matière de Sécurité Sociale, en matière de bauX
ruraux, et s'agissant des décisions ayant trait à l'autorisation
d'exploiter certains fonds incultes (décret du 10 octobre 1962,
article 11).
La diversité quant à la durée se double d'une disparité de
régime : un délai de trêve de trois jours est conservé pour les
appels de prud'hommes, il est aboli partout ailleurs; la sanction
de la forclusion, d'ordinaire indélébile, peut parfois être écartée ;
suivant les cas les délais sont francs ou non, susceptibles ou
insusceptibles d'allongement en raison des distances, Il est hautement désirable que soient harmoni~és ces éléments d'anarchie
et que soit adoptée une réglementation uniforme : un délai de
un mois, toujours franc, non sujet à variation en fonction de
(2) Voir an. 19, al. 1 et 2 dû Décret, 1275, applicable à la Cour
d'après l'an. 26.
205
�l'éloignement de l'intimé - du moins dans le cadre de la France
métropolitaine - délai s'accomplissant inexorablement.
b) On exprimera le même vœu en ce qui concerne les formes
de l'appel. Encore qu'il soit entré dans le dessein du législateur
de 1958 de prévoir une formalité unique, la déclaration au
greffe, son silence gardé sur certains points a llvité les tribunaux
à revenir au droit commun de l'exploit d'huissier et par là
même favorisé la diversité des formes. Ainsi en matière prud-
d'homale et de baux ruraux, l'appel doit être régularisé par
acte d'huissier (3); en matière d'expropriation l'acte d'appel
est formalisé par déclaration au greffe, et en matière de
Sécurité Sociale une option est ouverte à l'appelant entre la
lettre recommandée avec demande d'avis de réception adressée
au greffe de la Cour et la déclaration au secrétariat de la
Commission de première instance. Rien ne justifiant de telles
différences, il serait préférable de ne retenir qu'une seule formalité constitutive de l'appel, laquelle serait la délivrance par
huissier d'une assignation, seul procédé présentant toute garantie.
,
•
c) S'agissant de la saisine de la Cour, le désordre atteint
son comble. En premier lieu, les articles 23 et 24 du décret 1293
ne prévoient pas comment la juridiction du second degré connaltra de l'appel des décisions des tribunaux paritaires, ce qui
n'empêche pas le décret du 10 octobre 1962 de se référer à
cette procédure -
purement intentionnelle -
en ce qui concerne
l'appel des jugements d'insrance statuant sur l'autorisation d'ex·
ploiter les fonds incultes. Il existait déjà des renvois intempestifs
ou malheureux; notre législation s'est enrichie d'une catégorie
nouvelle, le renvoi à des règles inexistantes. En second lieu, à
suivre la rédaction maladroite de l'article 24 du décret 1275
relatif à la Sécurité Sociale, la Cour est « saisie » par lettre
recommandée, ce qui conduit à dire qu'il n'a pas à être effectué
d'enrôlement ni de déclaration d'appel. Enfin, en matière pru·
d'homale, l'obligation faite à l'appelant de saisir effectivement
la juridiction par « simple acte » est logiquement dépourvue
de toute application pratique, le simple acte étant considéré
comme un acte d'avoué et le ministère d'avoué ayant été exclu
en ce domaine.
La jurisprudence, pour donner vie au texte, a dû réputer
que l'expression « simple acte » signifiait mise au rôle dans le
mois. Malheureusement cette interprétation imposée par le carac-
tère sybillin des textes est un obstacle à la simplification de
la procédure. On impose à l'appelant une douhle charge : celle
de déclarer l'appel au greffe et celle de mettre au rôle. Dès
lors la déclaration se présente comme une formalité complémentaire superfétatoire. L'intimé étant averti par l'exploit, il n'y a
(3) Soc. 16 mai 1961, I.e.p. 1961, sommaire 98, Bull. Cass. 1961,
4, 423; S. 1961, JJ3; D. 1961, 707.
206
�plus qu'à saisir la Cour et, pour cela, un enrôlement suffit avec
copie de pièce. Il serait donc opportun de décider que la
déclaration vaudrait enrôlement ou de conserver la seule mise
au rôle en effaçant l'exigence de la déclaration (4).
Dans le fond, les dispositions ne sont pas toujours plus
heureuses. Le législateur, dans l'article 89 du décret 1292, frappe
r•
".
•
(4) Suivant l'article 89, alinéa 2 du décret 1292, « l'appelant de tout
jugement avant dire droit ou définitif doit, ~ peine de déchéance, faire,
personnellement ou par représentant, une déclaration au greffe de la Cour
d'Appel dont il sera donné récépissé conformément à l'article 457 du Code
de Procédure Civile et saisir effectivement cette juridiction par simple
acte dans le mois de l'appel ».
Cette rédaction défectueuse a autorisé deux interprétations.
Dans un premier système, on peut considérer que la déclaration
au greffe est la formalité constitutive de l'appel et que le délai d'un
mois prévu in fine ne concerne que la saisine effective de la cour et ne
commence à courir que du jour de la déclaration faite au greffe.
Cette manière de voir est, sans doute, la plus conforme à la lettre
du texte et vraisemblablement à l'intention du législateur animé d'un souci
de simplification. De plus, elle peut se reoommander de la sanction dérogatoire au droit commun énoncée au texte. La déchéance du droit d'appeler
qui frappe toute omission de la déclaration ne s'explique que si la décla·
-ration est analysée en une formalité constitutive de l'appel. Si elle n'avait
qu'un caractère recognitif, il aurait été fait application de l'article 457.
Ainsi en prevoyant une sanction plus énergique que la simple amende, le
législateur a bien marqué que la déclaration en matière prud'homale
formalisait l'acte d'appel.
Cette interptétation, exégétiquement satisfaisante, se heurte à une
objection très sérieuse. L'intimé est tenu dans l'ignorance du recours exercé
contre lui. Il reste alors à découvrir la forme en laquelle il sera appelé
à comparaître. A défaut de texte l'autorisant, la convocation par le greffe
doit être répudiée, parce qu'elle est loin d'être reçue en droit commun.
Force est alors de recourir à l'exploit d'huissier. ce qui conduit i une
deuxième interprétation.
Suivant cette dernière, l'appel doit être formé par voie d'exploit,
conformément aux règles habituelles. La déclaration au greffe n'est qu'une
formalité complémentaire de l'acte d'appel et il suffit qu'elle intervienne
dans le mois et que, dans le même temps, l'appelant ait effectivement
saisi la Cour par simple acte.
C'est le système de l'assignation qui l'a emporté en droit positif
(Paris, 30 avril 1959, Rev. trim. Dr. civ. 1959, 598, obs. Raynaud; Douai,
15 octobre 1959, D. 1960, 175, note Givetdon; Soc. 19 avril 1961, I.C.P.
1%1, II, 12.178, note J. A.) et qui a obtenu les suffrages de la doctrine
(note Giverdon précitée; R. Blanc : l'appel en mat. paritaire et en mat.
prud'homale, G.P. 1959, Doc. 57 ; E. du Rusquec, Les modalités de
l'appel devant 1. Chambre sociale, I.C.P. 1959, l, 1491).
Pourtant la Cour de cassation, sans grande cohérence, décide que
l'ordre des formalités prescrites par l'article 89 est indifférent et qu'en
faisant au greffe déclaration de l'appel qu'il veut interjeter, avant que
l'exploitant d'appel ait été signifié à l'intimé, l'appelant respecte les
conditions visées au texte. La solution est évidemment incorrecte : si, en
dehors de l'exploit d'appel, aucune autre formalité ne peut donner vie à
ce recours et si la déclaration au greffe ne fait que divulguer un appel
déjA interjeté, il est indispensable que l'assignation pléœde la déclaration.
Au surplus, cette priorité chronologique est inéluctable, puisque 1& décla.
rt.tion doit être faite dans le mois de l'appel, c'est-à-dire dans le mois
qui suit la signification de l'exploit.
207
�de déchéance l'omission de la déclaration au greffe aussi bien
que le défaut de saisine de la Cour dans le délai imparti. Et
la jurisprudence, aggravant cette disposition, y a attaché une
valeur d'ordre public et en a conclu qu'il importait peu que
l'inobservation des prescriptions n'ait pas nui à l'intimé, l'article
173 du Code de Procédure Civile étant inapplicable à un vice
de fond tiré d'une déchéance (5). Une telle rigueur est excessive.
Elle aboutit à imposer à un appelant dont on veut faciliter la
tâche une sanction plus dure qu'à l'avoué qui occupe pour lui
en droit commun, lequel ne s'expose jamais qu'à une amende
et à des dommages et intérêts. La solution, mal venue en ce
qu'elle accumule les forclusions , devrait être révisée.
B. - La procédure par défaut en appel
,
•
Avec la procédure par défaut, il n'est plus question de
rédaction défectueuse, mais d'absence de rédaction. Une seule
fois le législateur s'est préoccupé du défaut de contradicteur et
encore l'a-t·il fait incomplètement; en effet l'article 27 du décret
1275, en matière de Sécurité Sociale, ne concerne que le défaut
de l'intimé et se borne à déclarer l'opposition recevable lorsque
deux lettres de convocation successivement adressées par le
greffier auront été retournées avec
la mention « non retirée ».
Mais nulle part ailleurs ne se trouve réglementée la procédure
par défaut, pas plus que l'opposition, ce qui est plus spécialement
regrettable s'agissant des baux ruraux, compte tenu de l'incer-
titude que fait planer le refus de l'opposition contre les décisions
de première instance.
La jurisprudence, appelée à combler ces lacunes, est sur ce
point très divisée. Lorsqu'elle a eu à se prononcer sur le défaut
de l'appelant, elle n'a pas adopté moins de trois solutions, appliquant tour à tour l'article 21 (C.P.c.) relatif aux tribunaux
d'instance (6), l'article 149 (C.P.C.) concernant le tribunal de
Grande Instance (7) et l'article 462 (C.P.c.) propre à la Cour
d'appel .(8). Or, le choix de la base textuelle n'est pas inutile:
suivant le texte retenu, l'intimé peut requérir de piano un
arrêt réputé contradictoire ou au contraire doit accomplir. cer·
taines formalités avant que soit fermée l'opposition à l'appelant.
Malheureusement aucun de ces textes ne convient ici.
(5) Soc. 19 avril 1961, J.C.P. 1961, II, 12.178.
.
(6) Paris, 2 avril 1960, D. 1960, 341; Pau, 23 mai 1960; Rev. Trim.
Dt. Civ. 1961, 388, obs. Raynaud.
(7) Paris, 29 mai 1959, De 1959, 545, note Giverdon, Rev, Trim. Dr.
Civ. ~. 1960, 182, obs. Raynaud; Paris, 10 f~vrier 1960, Rev. Trim. Dr.
Civ. 1960, 543, ·obs. Raynaud.
(8) Rouen, 18 décembre 1959, D. i960, 195, note ' Giverdon.
208
�L'article 21, s'il a le mérite de régler la matière dans une
procédure dispensée d'avoué, c'est-à-dire proche de la nôtre,
est certainement inutilisable, en raison de l'absence de garantie
dont il frappe le défaillant. Nonobstant la carence de l'adversaire,
l'arrêt est réputé contradictoire au profit de l'intimé, sans
qu'il ait à accomplir la moindre démarche préalable. Une telle
rigueur, pour être étendue, supposerait une disposition expresse
du législateur (9).
L'article 149 ne peut pas davantage servir de fondement.
Il aménage le défaut du défendeur et ce, en cas de non<onstitution
d'avoué, alors que ce qui est en cause c'est le défaut de l'appelant
(demandeur) en cas de non comparution personnelle.
Enfin, l'article 462, bien qu'il soit particulier à la Cour,
n'est pas non plus secourable. Ce texte prévoit un défaut faute
de conclure et impose la formalité d'un avenir à quinzaine, ce
qui implique l'assistance d'un avoué. Il est vrai que la Chambre
Sociale (10) a décidé que la procédure sommaire avait pour
conséquence de dispenser de toutes les formalités mises à la
charge des avoués, notamment par l'article 457 relatif il la
délivrance d'avenir, pour que le jugement soit réputé contradictoire. Mais on s'interroge encore sur la portée exacte d'une
telle formule. Faut-il comprendre que toute formalité est exclue
ou seulement celle de l'avenir? Il semble bien que la Cour
de cassation n'ait pas nettement pris parti et se soit essentidlement déterminée en fonction des circonstances de fait (11 l.
On juge ainsi de l'embarras dans lequel se trouvent placés
les magistrats du fait de l'oubli du législateur. D'ailleurs les
mêmes difficultés surgissent dans l'hypothèse de défaillance de
(9) En matière prud'homale, on a soutenu que le législateur s'était
prononcé en faveur de l'article 21 parce qu'il renvoie à ce texte dans
l'article 74 du décret 1292. Mais l'argument est sans valeur : l'article 74
figure sous le chapitre VI intitulé • De la procédure devant le Conseil
de Prud'hommes lt. Ce qui est valable devant la juridiction prud'homale
ne l'est pas devant la Cour qui resle une juridiction de droit commUN1
mIme lorsqu'elle statue en appel des sentences prud1homales.
(10) Soc. 11 juillet 1961, ]. C. P. 1961, sommaire 129 ; Soc.
19 octobre 1961, ].C.P. 1961, II, 12.366, Rev. ttim. Dr. ci•. 1962, 191,
obs. Raynaud.
(11) En l'espèce l'appelant avait assigné à jour fixe et, à cette date,
l'affaire avait été renvoyée contradictoirement à une audience ult&ieure. A
•
cette audience l'appelant ne s'était pas présenté pour soutenir son appel
et l'intimé avait conclu à la confinnation du jugement entrepris. La Cour
d'appel avait alors rendu une décision réputée contradictoire. La Cour de
cassation conclut, du renvoi contradictoire, que l'affaire avait ~~ liée entre
les parties et que la décision devait être nécessairement contradictoire. Pour
elle il n'y avait donc même pas défaut, étant donné qu'au jour fixé par
l'assignation l'appelant s'était présent~. Partant, il est bien diffieile de tirer
de cet arrêt des conclusions bien fermes quant à la dispense d'.venir.
209
�l'intimé. On retrouve le même désaccord en droit positif. Alors
que la Cour de Paris étend l'article 150 (C.P.c.) (12), la Cour
de Lyon applique l'article 20 (13). Or la différence entre les
deux textes est sensible : s'il peut toujours être procédé à une
réassignation dans les deux cas, l'opposition est ouverte plus
largement dans le cadre de l'article 20. Car, d'après cette disposition, l'opposition est recevable, non seulement si le défendeur
n'a pas été cité à personne, mais aussi lorsqu'il justifie qu'il
a été dans l'impossibilité de se faire représenter ou de comparaltre.
•
..
Toutes ces incertitudes commandent impérieusement l'intervention du législateur. Pour régler le défaut, une disposition
concise suffirait si l'on accueillait l'idée de postulation réduite
que nous avons défendue. Dans cette optique ne subsisterait
que le défaut de l'intimé, l'appelant ayant nécessairement
figuré dans l'instance d'appel puisque dès le départ il aurait
comparu et conclu. Pour l'intimé, une solution simple et rapide
consisterait à le faire réassigner à quinzaine, lorsque le premier
exploit ne l'aurait pas toucbé en propre. A l'expiration de ce
délai, l'appelant pourrait obtenir, après vérillcation par la Cour,
l'adjudication du bénéfice de ses conclusions par arrêt réputé
contradictoire.
.
:
Au terme de ces quelques notations, est-il besoin de
conclure? Vraisemblablement, la plupart de ceux qui nous
ont prêté quelque attention ont déjà adbéré à l'idée que l'assis·
tance d'un mandataire qualifié fait figure d'impératif catégorique. Ce n'est donc qu'aux hésitants qu'est destinée cette ultime
remarque. Personne ne s'est jamais avisé de douter de l'utilité
de l'avoué dans la procédure d'appel ordinaire. Et pourtant, si
un sacrifice devait être consenti, il serait plus acceptable ici
qu'ailleurs, car l'homme de l'art ayant figuré au premier degré,
le litige, dès l'origine, a trouvé une expression procédurale
correcte. Le second examen pourrait donc - on peut tout
au moins le concevoir - s'exercer sans dommage, en l'absence
d'intermédiaire assigné aux plaideurs. Mais cette réflexion accuse
l'anomalie de la dispense de mandataire dans la procédure suivie
en appel des décisions rendues par les Tribunaux d'exception.
La carence initiale de procédure rend plus indispensable en cette
hypothèse le concours d'un mandataire, puisqu'il s'y rencontre
à un degré plus éminent le motif qui a conduit à la représentation des parties en justice. Il y a donc, en notre domaine, un
a fortiori en faveur d'une postulation en appel. On mesure ainsi
l'inconséquence du législateur : alors que le procès civU de droit
(12) 16 juin 1959, D. 1959, 545, note Giverdon.
(13) 15 janvier 1963, in~t .
210
�,.
commun s'enchâsse, à tous les étages, dans des structures
complexes et élaborées, le contentieux qui relève des juridictions
d'exception est livré à une procédure qui reste invertébrée jusqu'au bout. A défaut de sens procédural, le simple sens commun,
en même temps qu'il impose le principe d'une réforme, indique
dans quel sens la correction doit être faite.
H. ROLAND.
'!11
�INTERVENTIONS
sur 1. rapport de M. Henri ROLAND
MAITRE APPERT, AVOUE A LA COUR DE PARIS
A propos du procès civil provenant des ;uridictions d'exce[>lion . je liens à signaler une difficulté rencontrée à l'occasion
du délai d'appel des décisions par défaut. Elle provient de la
rédaction des articles 445 et 158 bis du Code de Procédure
Civil•.
Quel est le délai d'appel des décisions par défaut des
;uridictionr d'exception et quel en est le point de dépar/?
•,
LA question se pose, notamment pour l'appel des décisions
d" Conseil des Prud'hommes; mais elle se pose aussi pour
l'appel des ordonnances de référé et de non-conciliation et donne
lieN à des décisions contradictoires.
Certains arrêts considèrent que le délai d'appel et le point
de départ de ce délai sont propres à chaque ;uridiction; C'elt
ainsi qu'il a été ;ugé que le délai d'appel des ;ugements des
Conseils de Prud'hommes rendus par défaut est tou;ours de dix
jours à compter de la signification, qu'elle ait été faite à
personne" Of': autrement, de même qu'il a été jugé que le délai
d'ap pel des ordonnances de référé par défaut est tou;ours de
quinzaine de la date de signification quel que soit le mode de
Il
cette signification.
Mais certains arrêts estiment, au contraire, que, chaque
lois qllune partie n'a pas été représentée par avoué devant le
premier ;uge, il y a lieu à application des articles 445 et 158 bis,
qui sont de portée générale.
Mais les arrêts qui en décident ainsi se divisent en deux
,.
catégories. Les uns appliquent les articles 445 et 158 bis dans
leur intégralité, c'est-à-dire quant au point de départ du délai
et quant à la durée même du dé/ai, et décident par exemple
que le délai d'appel des décisions prud'homales par défaut non
signijiées 1Jà personne' est d'un mois à compter de 10 connaissance par le défaillant du ;ugement. De même, certains arrêts
ont décidé que le délai d'appel des ordonnances de référé par
défaut est d'un mois à compter de la connaissance qu'a le
défaillant de cette ordonnance.
�D'autres arrêts estiment par contre que le délai d'appel
reste celui prévu spécialement pour la iuridiction qui a statui
et que les articles 445 et 158 his ne iouent que pour déter",;ner
le point de départ du délai.
Cette incertitude, cette pluralité de méthodes de calcul du
délai d'appel des décisions par défaut est hien regrettable et
les iusticiables ne comprennent pas qu'il soit impossible de les
fixer de façon certaine sur leur droit même de faire appel.
Une modification der textes ou une précision de la volontê
du légirlateur parait s'imposer.
M. GNERDON, PROFESSEUR A LA FACULTE
DE DROIT DE GRENOBLE
..
Voici un point de détail qui me paraît illustrer les difficultés techniques dont vie.• t de faire état notre rapporteur. Il
s'agit du point de départ du délai d'appel des iugements rendus
en matière de faillite et, notamment, du iugement prononçant
la faillite ou le règlement iudiciaire. La règle était que le délai
d'appel - qui est de quinze ;ours - commençait à courir à
compter de la signification du jugement sans qu'il soit nécessaire
que celle-ci soit faite à personne ou à domicile. Or cette règle
me paraît être remise en question si, du moins, on admet que
le iugement de faillite ou règlement iudiciaire, rendu en l'ahsence
du débiteur, doit être réputé contradictoire. On sait que ce
point est discuté, mais d'après la doctrine et la jurisprudence
dominantes, cette solution doit être admise en application des
articles 149 et 150 du C. de proc. civ. qui sont l'expression
d'un principe général. Tout récemment, la Cour de Lyon se
prononçait en ce sens, après avoir - si mes souvenirs sont
exacts - admis l'autre solution.
Ce jugement, JJréputé contradictoire en application des arti-
cles 149 et 150 du code de procédure civile", va donc devoir
être signifié selon les formes prévues par l'article 156 du même
code modifié par le décret du 2 août 1960. Un huissier doit
donc être commis et mention très apparente du délai d'appel
devra être faite dans la signification. Celle-ci, hien elltendu,
devra intervenir à personne ou à domicile, et après quoi seulement, le délai d'appel pourra courrir.
Ce n'est certes qu'un point de détail. Il n'est d'ailleurs
qu'un aspect particulier d'un problème plus varte qui est celui
de savoir quelles doivent être les formes de la signification
des iugements réputés contradictoires rendus par les iuridictions
autres que les tribunaux de grande instance et quels doivent
êtte les délais d'appel de ces iugements. Une étude minutieuse
'.
.,'
•
de cette question rendrait, pen suis convaincu, les plus grands
services aux praticiens.
1
213
�MONSIEUR LE PROFESSEUR SOLUS
. Messieurs, ie m'excuse ·infiniment de venir sans cesse
occuper cette tribune, d'autant plus que vous devrez subir ce
soir le supplice d'entendre, du même, un rapport général.
Si i' ai demandé la parole une fois de plus, c'est pour v.ous
parler. dlune question qui s'est posée à plusieurs reprises devant
la Cour de Paris, récemment, à propos de l'application de l'article 89, non plus du livre IV du Code du Travail, - ce malheureux livre N que l'on a mutilé, au point de le réduire à deux
articles - , mais du fameux décret n' 58-1292, texte auquel
tout à l'heure mon Collègue a fait allusion et qui frappe de
déchéance, sans dire laquelle, en cas d'omission de déclaration
de l'appel au Greffe. De quelle déchéance s'agit-il? Vous avez,
mon cher Collègue, aiouté tout à l'heure .- du droit d'appeler,
donc du droit de faire appel. Or on pourrait soutenir qu'il
s'agit purement et simplement de la déchéance de l'instance
d'appel, du lieu iuridique d'instance, noué par l'appel.
Voici où est fintéTé! pratique de la question, Messieurs
les Avoués, tel qu'il est apparu dans plusieurs affaires devant
la Cour d'appel de Paris.
Dans ces affaires, le jugement n'avait pas été signifié,
donc le délai d'appel n'avait pas encore commencé de courir.
Le jugement n'avait pas été signifié, mais le perdant, pressé
de mettre "" terme à ce procès, avait tout de suite fait appel;
et il avait omis de faire la déclaration au Greffe. Son adversaire
lui ayant opposé la déchéance de l'article 89 il s'est agi de savoir
sur quoi porte cette déchéance? Un arrêt a dit : sur le droit
de faire appel. C'est ce que vous avez affirmé, mon cher Collègue, alors que je crois, et
ten
suis très persuadé, que c'est une
simple déchéance de l'instance d'appel, et que par conséquence, il
est possible de refaire l'appel, de faire un nouvel acte d'appel
qui sera valablement déclaré au Greffe .
. A l'appui de la solution qui fait porter la déchéance sur
l'appel lui-même, on a fait valoir que si l'appelant pouvait
refaire un acte d'appel, il pourrait ainsi superposer des appels
successifs, en ometlant chaque fois d'en faire la déclaration au
Greffe, et ainsi l'intimé serait indéfiniment sous le coup d'une
procédure d'appel, ce qui est contraire au vœu de la loi.
Cette considération ne me paroît nullement déterminante :
l'intimé a, en effet, un moyen tr~s simple et radical de faire
échec à ces appels successifs; il lui suffit de faire preuve- de
diligence en signifiant le jugement en vue de faite courir le
délai d'appel. C'est d'ailleurs la solution qu'a admise un autre
ardt de la même Cour d'appel de Paris (20 octobre 1962).
~ ,'.
Cette contrariété de décision) au sein d'une même Cour) qui
\.
a son origine dans la rédaction défectueuse de l'article 89 du
~14
�décret n° 58-1292, est regrettable. Le texte devrait donc être
remanié et clarifié. Bien plus, il serait souhaitable qu'à l'occasion
de ce remaniement, toute déchéance fût supprimée. On doit
remarquer, en effet, que l'absence de la déclaration au Greffe
de ['appel, en droit commun, n'est pas pourvue dlune telle sanction par farticle 457, mais entraîne seulement une amende pour
l'avoué et, s'il y a lieu, des dommages et intérêts. Et l'on peut
s'étonner que la procédure en matière prud'homale, réputée plus
simple et moins formaliste que celle de droit commun, soit
pourvue d'une sanction plus rigoureuse.
Je voudrais signaler, dlun mot, à mon Collègue Monsieur
le Professeur Roland, une obiection qui m'est venue à l'esprit
en rentendant.
Une obiection qui dépasse la portée de ce Colloque, et tout
le monde me comprendra; donner une nouvelle prérogative, à
titre de monopole en quelque sorte si rai bien compris, aux
avoués d'appel, c'est susciter une nouvelle controverse de la
part d'autres auxiliaires de la Justice, qui actuellement participent, en première instance, avec les avoués aux procédures
concernant les matières dont connalt la Chambre Sociale et qui
verraient d'un mauvais œil l'attribution d'un véritable monopole
-de la procédure à l'avoué.
Il est bien évident, par ailleurs, que tout ce qu'a dit le
rapporteur, au point de vue de la sécurité de la procédure,
est très exact; et nous aurons peut-être l'occasion tout à l'heure
dans la discussion sur les points particuliers. d'y revenir .
"':.'
......
,
..
.,
211';
�•
•
....~,.- '1",
,,
�Remerciements de Maître MAGNAN
Juste avant les conclusions que Monsieur le Professeur
Solus va tirer dans quelques instants de ce colloque, qu'il a
bien voulu faire sien, laissez-moi exprimer l'immense gratitude
des praticiens d'appel pour Monsieur le Doyen Boulouis qui
nous a réunis avec tant de bienveillant intérêt et pour les
Présidents et Rapporteurs qui sont parvenus à poser si parfaitement les grands et difficiles problèmes de l'appel.
Ce sont eux qui ont donné à cette réunion ce style de
•
gravité et d'efficience supérieure qui en a été la caractéristique.
Merci aussi à tous les intervenants qui en quelques mots
ont éclairé un aspect, ou fourni des bases neuves et fécondes
comme notre cher Professeur Bertrand, sans qui cette réunion
.n'aurait jamais eu lieu, et qui a ouvert des perspectives constructives auxquelles on devra se référer souvent.
Ce qui a été le plus touchant, peut-être, c'est une sorte de
confiance constante qui a plané sur les travaux, la conviction
qu'il y avait des solutions possibles aux difficultés judiciaires,
la certitude que notre dtoit français pouvait rester gravé dans
la ligne des droits immuables de la personne humaine pour
une justice toujours plus vraie, toujours plus claire.
Monsieur le Président Courteaud a dégagé devant nous
la grande silhouette moderne de la Cour, et sa mission régulatrice du Droit français , qui pendant ces vingt dernières années,
est parvenue sans moyens matériels, avec une insuffisance de
personnel, et dans un silence complet, à faire front à une
évolution économique et sociale inouïe, à une législation dans
tous les sens.
Entre ses mains énergiques, elle est apparue comme l'instru-
ment de base pour les promotions judiciaires nouvelles de dtoit
privé, dans le cadre des principes les plus fondamentaux.
Monsieur le Professeur Hébraud a dressé devant les praticiens le grand monument de logique, d'ordte, de réalisme
humain dont ils avaient besoin, pour les guider au milieu du
brouillard juridique de plus en plus épais, dans lequel ils doivent
évoluer.
Mals nous craignons à notre tour de vous avoir choqué,
Monsieur le Professeur, avec ce « rôle d'achèvement » dont
217
�nous étions bien obligés de parler pour être vrais et qui cependant semblait heurter en vous quantité de fibres profondes.
Comme si nous risquions de porter atteinte ou tout au moins
de compromettre le prestige intact des Tribunaux du 1" degré.
Nous n'avons aussi que reconnaissance pour les travaux
magistraux de Messieurs Perrot et Terré, qui, sur les sujets
difficiles des
le plus solide
en plaçant les
dépasseraient
Indivisibilités et des Interventions, ont apporté
et le plus riche enseignement de la doctrine, tout
garde-fous nécessaires pous le cas où les praticiens
les limites. Ils l'ont fait, bien persuadés qu'ils
étaient, du grand courant qui se dessine et dont les praticiens
n'avaient été que les timides annonciateurs.
Car ils avaient eux-mêmes deviné « que les faits donnaient
déjà à la voie de l'appel une physionomie nouvelle . (T. 119);
ils avaient vu de très loin déjà que « l'appel apparaissait davan·
tage qu'autrefois comme la prolongation de l'instance initiale .
plutôt qu'une répétition solennelle de celle-ci » (T.123).
Ce qui DOUS a enthousiasmés, c'est que dans ces questions
difficiles,
DOS
jeunes Maîtres semblent avoir même posé les
règles de compétence de la Cour dans son nouveau domaine,
Monsieus Terré suggérant que l'appel et ses annexes d'intervention permettent de dégager toutes les virtualités du jugement (T. 127).
Tandis que Monsieur Perrot trouvait le critérium nouveau
fixant dans chaque cas le cadre limite du fait judiciaire moderne
de l'appel dans l'unité du litige à reconstituer devant la Cour.
Tout est là : l'unité du litige .. .
Je suis sûr que vous aurez accepté de vous-même le tout
petit complément que l'un des nôtres, Maître Parmentier, vous
a suggéré d'ajouter à cette notion infiniment féconde : l'unité
d'obiet.
En matière de contrat, c'est l'accord des volontés et tout
ce qui s'y rapporte nécessairement qui fixe seul les bornes de
la compétence pous la Cour dans sa mission de réformation et
d'achèvement.
En matière d'obligation, ce n'est pas un principe juridique
qui peut donner le critérium, mais au contraire le « fait luimême» dans toute sa simplicité première, qui sera la charpente
de ce fait devenu judiciaire, tel qu'il va ensuite se construire et
évoluer, jusqu'à la sanction synthétique finale que lui donnera
la· Cous.
Une faute ou une malfaçon donnent-elles naissance à un
procès? tout ce qui se rapporte à cette faute, à la cause de
cette faute, aux responsabilités premières ou secondes et surtout
à la remise en ordre de l'état de choses, sera de la compétence
218
�du Tribunal puis de la Cour, de manière à épuiser en une seule
décision si possible, toutes les virtualités de ce fait, à lui donner
en une seule décision finale sa sanction juste.
C'est le soubait unanime des parties. C'est la nécessité d'une
justice rapide et sûre, que tout ce qni se rapporte à cette
malheureuse faute soit (~ uni », au litige initial, même si il
semble étroit dans sa formulation juridique, pour trouver un
point final en une décision « unique » dans le cadre de
« l'unité d'objet ».
Construction toute neuve, dans l'esprit le plus strict de
l'article 464 du C.P.C., paragraphe dernier, et conforme à la
lettre de l'article 172, § 1"'.
Monsieur le Professeur Raynaud, Monsieur le Professeur
Roland et Mademoiselle Lobin, vous avez eu pour les praticiens
toutes les sollicitudes malgré l'ampleur de vos tâches, vous avez
accepté de les éclairer de la lumière de votre enseignement
jusque dans les plus secrètes difficultés journalières.
Rien ne vous a échappé des insuffisances de textes, des
incohérences mêmes, et en quelques mots vous avez tout mis
-au point, exactement au point, pour forger cet instrument d'appel
•
jusqu'ici insuffisant et dont Monsieur le Président Courteaud
vous avait dit la brûlante nécessité .
Soyez-en remerciés de tout cœUf.
Dans les matières de l'action publique et des juridictions
d'exception, il y avait beaucoup plus qu'un « malaise » à
signaler, un véritable « désordre ». Vous l'avez dit de façon
si claire que vous avez trouvé du même coup les solutions
simples et directes, à apporter.
Quant à Monsieur le Professeur Solus, il a dominé de
si haut nos problèmes immédiats et tout à la fois nos préoccupations les plus intellectuelles que nous sommes gênés pour
lui dire merci.
Puisse-t-il deviner chez ses élèves, que nous étions ou
que nous sommes devenus, la même préoccupation de rectitude
procédurale que celle qui n'a cessé de l'animer, la même
foi en la Justice et en son expression de Droit Judiciaire.
Permettez-moi en terminant de vous confier l'une de mes
préoccupations personnelles sur la distorsion chaque jour plus
sensible, qui se produit entre le rythme général de l'économie
ou de la vie du groupe, et la stabilité du Droit privé, spécia·
lement du Droit judiciaire.
Les publicistes prétendent que dans leur droit, il y a des
phases organisatrices et des phases régulatrices, les unes cotres-
219
�pondant aux époques de mouvement, les autres à des moments
de stabilité.
Il semble que dans le domaine procédural, il n'y ait que
des phases « régulatrices », c'est-à-dire de simples mouvements
très lents préparés longtemps à l'avance et assimilés encore plus
lentement.
On pourrait croire ainsi que ce secteur soit à peine effleuré
·"
par le vertige du mouvement matériel, de la transformation
ou d'une marche de l'histoire hallucinante.
Il nOliS semble, en tout cas, à nous praticiens qui vivons
au contact journalier de la difficile incarnation du droit, que
rien ne bouge, et que si la stabilité est la règle, c'est parce
que le Droit judiciaire est accroché à l'homme, à ce que
l'homme a de plus fixe, de plus durable, de plus permanent,
à ses besoins matériels et moraux de chaque jour, c'est-à-dire
à ce qu'il y a de plus immédiat et en même temps à ce qu'il
y a de plus élevé, de plus éternel, de plus humain en lui .
.*.
Si l'esprit et le cœur ont pu éprouver quelque satisfaction
à ces deux journées de travail en commun, puisse le bien
général y avoir trouvé quelque profit aussi. Et, dans ce cas, le
vœu de notre Maître est notre vœu à tous :
QUE NOTRE COLLOQUE DEMEURE
'.;.,.~
. :,
r!.:
.'.~ ~":
,.
-'
220
�CONCLUSIONS GÉNÉRALES
DU COLLOQUE
PRESIDENCE DE MADAME LE PROFESSEUR LAGARDE
Président du Tribunal des Conflits
.
~
r
-
t
RAPPORT DE SYNTHÈSE
présenté par M. Henry SOLUS
Professeur à la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques de Paris
'. ,
�.~
;
,
�RAPPORT DE SYNTHÈSE
( 1)
par M. Henry SOLUS
Profeu eur .li 1. Faculté de Droit
et des Scien ces Economiques de Pari s
PRESIDENCE DE MADAME LE PROFESSEUR LAGARDE
PRESIDENT DU TRIBUNAL DES CONFLITS
...
Après avoir rendu hommage aux excellents rapports successivement présentés par Monsieur le Président Magnan, Monsieur
le Président Courteaud, Mademoiselle et Messieurs les Professeurs Lobin, Terré, Perrot, Hébraud, Raynaud et Roland,
rapports remarquables qui ont donné lieu à une discussion de
haute qualité au cours de laquelle se sont conjuguées harmouieusement et pour le plus grand profit de tous, - ce qui
était le but même du colloque - , les considérations d'ordre
doctrinal et les vues pratiques, le Professeur Solus entreprend
de tirer du colloque l'enseignement qu'il comporte et les conclusions qui s'en dégagent.
Rappelant la réforme capitale qu'a réalisée le décret
n° 58-1273 du 22 décembre 1958 en faisant de la Cour d'appel
la seule juridiction d'appel du droit judiciaire français, le rapporteur n'entend pas cacher les inconvénients qu'elle peut présenter,
spécialement dans les ressorts de cour d'appel très étendus (tel
celui de la Cour de Paris, avec ses sept départements); trop
éloignés du siège de la cour, des justiciables reculeront devant
les difficultés et les frais auxquels les expose l'obligation de
conduire une instance d'appel loin de leur domicile; ils renonceront à saisir la Cour d'appel, ce qui, indirectement, les privera
du bénéfice du double degré de juridiction et, peut-être même,
suscitera l'apparition de pseudo-juridictions d'appel « officieuses » dont les membres, recrutés par les plaideurs avec plus
de fantaisie que de bon sens (on en a vu des exemples), ne
présenteront aucune garantie.
Mais la réforme de 1958 a produit incontestablement de
très heureuses conséquences. Conséquences d'ordre technique,
tout d'abord : la règle du double degré de juridiction, garantie
> ,.
(1) Un incident technique d'enregistrement n'a point permis de
conserver dans sa teneur même le rapport présenté par M. le Professeur
Solus à la suite des discussions. Le texte publié ici n'en est que le résumé.
223
�fondamentale d'une bonne administration de la justice, jouera
avec un maximum d'efficacité, les plaideurs ayant la certitude
d'avoir comme juges d'appel des magistrats de science juridique
et d'expérience éprouvées. Conséquences d'ordre procéduraI,
ensuite: ainsi qu'il ressort parfaitement des rapports de Monsieur
le Président Magnan, de Monsieur le Président Courteaud et
de Mademoiselle le Professeur Lobin, la réforme de 1958 a
réalisé une extension considérable du rôle juridictionnel des
Cours d'appel ; elle a eu pour résultat de conférer aux Cours
d'appel, devenues juridiction unique d'appel, une mission toute
particulière de « régulatrices du droit » dans toutes les matières
du droit privé, à l'égard de toutes les juridictions de droit
commun et d'exception.
L'expérience prouve, au surplus, que ce n'est bien souvent
qu'au stade de l'appel que l'affaire, étant en quelque sorte
décantée et mieux modelée à la suite de la première instance,
se présente devant la cour dans la complexité des problèmes
:
qu'elle pose et y comporte la présence de toutes les personnes
dont les droits et intérêts sont, directement ou indirectement,
engagés dans le procès et que concerne en conséquence la
solution finale que donnera la cour. Ce qui a fait dire à Mon-
sieur le Président Magnan, que l'appel est une « voie de
finition », UDe voie « d'achèvement ».
Ces considérations commandent, du même coup que la
formulation procédurale de l'appel soit plus parfaite et plus
complète qu'autrefois (Cf. le rapport de MU. Lobin); elles
imposent la nécessité d'améliorer l'instrument procédural qu'est
l'appel.
Tels ont été précisément l'objet même et les fins poursuivies
par le Colloque, dont l'organisation a été conçue en parfait
accord entre, d'une part, la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques d'Aix grâce à la compréhension généreuse de son
Doyen, Monsieur Jean Boulouis et à l'autorité du Directeur
de l'Institut d'Etudes Judiciaires, Monsieur le Professeur Bertrand, et, d'autre part, la Chambre des Avoués près la Cour
d'appel d'Aix, sous l'impulsion du distingué Président de la
Chambre Nationale, Monsieur André Magnan.
Les rapports présentés et les discussions qui les ont suivis
ont permis, semble-t·il, d'aboutir à des conclusions que l'on
peut grouper sous une double rubrique.
D'une part, les participants au Colloque ont estimé qu'un
certain nombre de réformes dont l'utilité a été soulignée pouvaient être aisément réalisées et qu'il était souhaitable qu'elles
le fussent dans l'immédiat.
D'autre part, il leur a paru que, sur d'autres points qui
,.
mettent en jeu des questions de principe et soulèvent discussions
et difficultés, il y avait lieu sinon de prendre position, du moins
de retenir l'attention et d'attirer la réflexion.
224
,
�1. - LES RtFORMES POSSIBLES DANS L'IMMÉDIAT
Elles ont trait aux matières qui ont fait l'objet des ra",ports
de Mademoiselle le Professeur Lobin sur le procès civil de
droit commun en appel, de Monsieur le Professeur Roland sur
le procès civil en appel provenant des iuridictions d'exception,
de Monsieur le Professeur Raynaud sur l'action civile ioi"te en
appel à l'action publique.
§ 1. - Le procès civil de droit commun en appel
Mademoiselle le Professeur Lobin a parfaitement analysé
et très finement relevé les nombreux points sur lesquels le
régime de droit commun de l'appel pourrait être utilement
réformé dans le sens de la simplification, de la rapidité et
d'une plus grande efficacité. Ces points sont les suivants :
IOLE DÉLAI D'APPEL. - La réglementation du délai d'appel
pourrait recevoir de notables améliorations sur lesquelles les
participants au Colloque ont paru unanimes.
al L'unification des délais d'appel. Il est superflu
d'insister non seulement sur la diversité des délais d'appel,
mais aussi sur le caractère souvent arbitraire de la durée assignée
par la loi à ces différents délais : d'où la possibilité d'erreurs,
de méprises, d'incerritudes qui se traduisent par des déchéances
très préjudiciables pour les plaideurs et des procès de pure
procédure. Une unification des délais d'appel s'impose.
Pour la France métropolitaine, il conviendrait de ramener
tous les actuels et multiples délais d'appel à deux : un délai
long, un mois; un délai court, quinze jours. Et le choix entre
l'un et l'autre de ces deux délais devrait être effectué par le
législateur en considération des exigences particulières de la
matière intéressée.
Hors la France métropolitaine, une révision de l'article 73
C. proc. cÏv. pourrait être envisagée en vue d'une meilleure
adaptation aux moyens actuels de franchissement des mers et
des continents.
b l Le point de départ du délai d'appel. - En raison de la
sécurité qui en résulte, il a paru opportun de s'en tenir à la
signification par huissier de la décision susceptible d'appel.
cl LA non-augmentation du délai en raison des distances. li conviendrait de généraliser la réforme effecruée par la loi
du 23 mai 1942 à l'article 444 al. 1" C. proc. civ. et de
n'admettre en aucun cas que le délai d'appel, - qui serait
désormais de un mois ou quinze jours - , puisse s'augmenter
�r
en raison des distances; les progrès aujourd'hui réalisés, quant
à la variété et à la rapidité des moyens de communication, justifient pleinement cette simplification qui; par ses conséquences
juridiques. et pratiques, serait considérahle.
·d) La franchise du délai. - On sait les difficultés que
soulève présentement la question; car la règle actuelle de base,
posée par l'article 1033 C. proc. civ., n'est pas considérée comme
absolue; sans d'ailleurs qu'aucune bonne raison en puisse être
fournie. Le principe général en vertu duquel, dans tous les cas,
le délai d'appel est franc (on pourrait appliquer ce régime à
tous les délais de procédure), doit être expressément affirmé
dans le Code.
2°. LES FORMES DE L'APPEL. - Il est apparu aux partICIpants du Colloque que l'appel doit être fait, dans tous les cas,
par exploit d'huissier, le souci de la sécurité devant l'emporter
sur le désir d'économie.
,
Dans tous les cas également, l'appel doit être déclaré au
greffe : non pas au greffe de la juridiction d'appel, donc de la
Cour d'appel, ainsi que le prescrit présentement l'article 457
C. proc. civ., mais au greffe de la juridiction qui a rendu la
décision attaquée, lequel tiendra un registre « ad hoc ». Cette
solution a paru, en effet, en dépit des réserves formulées par
quelques participants, plus commode et plus simple pour le
plaideur qui fait appel, spécialement lorsque, en conséquence
de la réforme de 1958 qui a fait de la Cour d'appel la seule
juridiction d'appel de toutes les juridictions de son ressort, le
domicile de ce plaideur se trouve très éloigné du siège de la
cour.
Et c'est à l'appelant qu'il appartiendra, en principe, de
procéder à l'enrôlement dans un délai qu'il conviendrait de
fixer; à son défaut, Pinitiative pourra être prise par l'intéressé.
3° LA PROCÉDURE PAR DÉFAUT. - En ce qui concerne le
défaut faute de comparaltre, c'est à juste titre que le rapport
de Mademoiselle le Professeur Lobin critique les dispositions de
l'article 151 actuel C. proc. civ. (rédaction de 1958), en cas de
pluralité de défendeurs, et prône le retour aux dispositions de
l'ancien article 153.
.,
En ce qui concerne le défaut faute de conclure, il y auiait
intérêt à substituer aux dispositions actuelles des articles 462
et 463 un régime plus simple s'inspirant plus étroitement des
articles 154 et 154 bis qui règlementent le défaut faute de
conclure en première instance. On aboutirait ainsi à une harmonisation et à une unification des règles du défaut faute de
conclure en appel et en première instance.
226
�4
0
LE
CONTREDIT D'INCOMPÉTENCE, ~
Les participants au
Colloque souscrivent unanimement aux critiques que contient
le rapport de Mademoiselle le Professeur Lobio sur le régime
dù contredit d'iocompétence iostitué par le décret nO 58-1289
du 22 décembre 1958 et iotroduit dans l'article 169 C. proc, civ,
Les modifications qu'il a fallu apporter à ce régime par le décret
du 2 août 1960 sont iosuffisantes, Plutôt que de créer une
procédure spéciale, qui reste très compliquée et soulève toujours
bien des difficultés, discussions et controverses, ainsi qu'en
témoigne la multitude des décisions judiciaires que ne cessent
de publier les recueils de jurisprudence, le législateur aurait été
mieux inspiré d'accélérer la solution des questions de compétence
par la voie normale de Pappel, et, mieux encore, de s'attaquer
au problème de l'existence de trop nombreuses juridictions
d'exception : existence qui est à l'origine de la plupart des
incidents de compétence.
5° LA QUESTION DU CONSEILLER CHARGÉ DE SUIVRE LA
PROCÉDURE EN APPEL. -
Tout en ayant pris connaissance avec
iotérêt des suggestions que contient le rapport de Mademoiselle
le Professeur Lobio sur le rôle que, par adaptation à la procédure
d'appel des règles en vigueur en première instance, pourrait
- remplir le conseiller chargé de suivre la procédure, certaios des
participants au Colloque pensent que les difficultés qui ont fait
obstacle au fonctionnement efficace de l'institution en première
instance et sont spécifiquement d'ordre matériel, se produiront
vraisemblablement en appeL
Il importerait donc de contenir les attributions du conseiller
chargé de suivre la procédure dans des limites strictes, On se
bornerait, par exemple : d'une part, à lui attribuer un rôle de
surveillance de l'échange des conclusions entre avoués (et, à ce
sujet, certains participants au Colloque pensent que l'irreceva-
bilité d'ordre public des conclusions tardives serait le seul moyen
efficace d'apporter remède à la pratique déplorable et trop
répandue des conclusions dires de dernière beure), d'autre part,
de lui donner le pouvoir d'ordonner soit des mesures d'iostruction à la demande des parties, soit une provision ad litem,
6° LE PROBLÈME DES QUALITÉS. Si, à l'expérience
acqui,e après la suppression des qualités réalisée par le législateur
de 1958, une forte majorité des participants au Colloque parait
favorable à leur rétablissement, encore faudrait-il que celles-ci
fussent bien faites et que l'on ne retombât pas dans les errements
antérieurs (qualités volumineuses et donc coûteuses, bourrées de
redites sans intérêt, transcrites sur papier pelure recto et verso,
à l'aide de carbones usés, en un mot aussi illisibles quant au
fond que quant à la forme),
.'
Le problème est délicat, car sa solution relève non point
d'un texte législatif, mais uniquement du bon vouloir, de la
227
�vigilance et du savoir faire de l'avoué (ou du personnel de
celui-ci) qui est chargé de la rédaction des qualités.
7° LA RECTIFICATION DES ERREURS MATÉRIELLES. - Il est
admis d'ores et déjà que toute juridiction, quoique dessaisie par
la décision qu'elle a rendue, peut rectifier les erreurs matérielles
que cette décision peut contenir ; s'agissant d'arrêts de cour
d'appel, il est proposé que la cour soit saisie de la demande
de rectification par requête collective des avoués.
§
2. - Le procès civil en oppel provenant des juridictions
d'exception
Parmi les nombreux problèmes que, sur ce sujet, Monsieur
le Professeur Roland a traités avec pertinence dans son rapport,
il convient d'indiquer l'un de ceux sur lequel les participants
du Colloque ont été unanimes à souhaiter une réforme : celle
de l'unification de la procédure d'appel devant la chambre
sociale. En l'état acruel, la diversité des procédures qui, selon
les matières relevant de la chambre sociale, est issue des réglementations de base de SOUfces différentes, manque trop souvent
de justification rationnelle; elle soulève des questions de doctrine
irritantes, complique la tâche des praticiens et risque d'être une
cause d'incertitudes, de confusions et d'erreurs qu'une unification
réussirait aisément à éliminer.
Il a paru également que, pour des raisons supérieures de
bonne administration de la justice, il serait souhaitable, devant
la cour staruant en appel des juridictions d'exception, d'imposer
aux parties le ministère obligatoire d'un mandataire qualifié,
choisi parmi les professions judiciaires dont la liste serait dressée.
Sur ce dernier point, il faut bien reconnaltre que le problème
s'avère délicat pour le législateur : la solution proposée par le
rapporteur Monsieur le Professeur Roland, de donner monopole
aux avoués près les Cours d'appel est certes pleinement logique;
mais elle risque de soulever un débat qu'il est peut·être préférable d'éviter présentement.
En revanche, une clarification et une nouvelle rédaction
•
de l'article 89 du décret n° 58-1292 serait immédiatement opporrune avec suppression de la déchéance que porte ce texte au
cas de défaut de déclaration de l'appel au greffe, et cela, en
contradiction non rationnelle avec la solution que contient
l'article 457 C. proc. civ. en matière d'appel de droit commun.
Enfin, il convient de signaler que les différentes réformes
proposées à propos du délai d'appel de droit commun (unification
des différents délais d'appel acruels, franchise du délai d'appel,
absence d'augmentation à raison des distances) seraient également
fort bienvenues et opporrunes en matière d'appel contre les décisions rendues par les juridictions d'exception .
�§
3. - L'action priyée jointe à l'action publique en appel
Dans son remarquable rapport sur cette question, Monsieur
le Professeur Raynaud a mis très efficacement en lumière les
nombreuses imperfections et insuffisances que présente le régime
actuel. Il est dès lors apparu aux participants au Colloque qu'un
certain nombre de réformes, en réalité assez simples, pourraient
y porter remède.
Il conviendrait, tout d'abord, que soient allongés les délais
d'appel incident et de pourvoi en cassation qui, en l'état actuel
du Code de procédure pénale, sont beaucoup trop brefs.
Par ailleurs, il serait opporrun que soient admises en ce
qui concerne l'action privée exerc~e à propos d'une instance
pénale : d'une part, l'intervention qui pourrait y jouer un rôle
pratique fort utile, et, d'autre part, les voies de recours de la
tierce opposition et de la requête civile que la procédw: pénale
ne connaît pas, mais qui, s'agissant d'intérêts civils, ont toute
raison d'être ouvertes.
Enfin, quant à la procédure elle-même, il conviendrait de
prévoir l'obligation pour le civilement responsable et pour le
'garant de faire élection de domicile au siège de la Cour d'appel
(l'article 89 C. proc. pén. ne l'impose qu'à la partie civile), ainsi
que de prescrire l'échange obligatoire de conclusions, L'expérience
a démontré, en effet, que d'une façon générale, le débat civil
n'est point parfaitement servi par les règles d'une procédure
organisée pour la répression et qu'il conviendrait, selon l'expression imagée mais très juste de Monsieur le Professeur Raynaud,
• d'injecter quelque dose de procédure civile à la procédure
pénale ».
En un mot, il s'agirait, relativement à la procédure suivie
devant la chambre correctionnelle de la cour statuant sur les
intérêts civils, d'atténuer certaines particularités de la procédure
pénale qui, sous le prétexte de simplification et de souplesse,
conduisent trop souvent à la complication, à l'incertitude et à
l'absence de garanties.
II. - LES QUESTIONS DE PRINCIPE
QUI APPELLENT RÉFLEXION
Les rapports savants qu'ont présentés Messieurs les Professeurs Terré. sur l'intervention en appel, Perrot sur l'appel pro-
voqué et l'indivisibilité en appel et Hébraud, sur l'effet dévolutif
de l'appel et l'évocation ont retenu toute l'attention des parti-
"
cipants au Colloque sur certains des grands problèmes que soulève l'appel, aussi bien du point de vue de la technique juridique
de la voie de l'appel elle-même, que du point de vue des droits
au fond dont l'appel assure la protection et la garantie.
2!!9
�Il ne saurait êtte question, dans un rapport de synthèse,
de reprendre, même succinctement, les idées maîtresses qui ont
inspiré ces rapports et de suivre l'analyse qui y a été faite,
avec beaucoup de science et de pénétration, des solutions que
consacre une jurisprudence souvent hésitante et parfois divisée.
On insistera seulement sur ce fait que, à des titres divers,
ces rapports ont posé aux participants au Colloque, clans toute
son acuité, le problème de savoir quel sort il convient de réserver
à la règle du double degré de juridiction, laquelle est incontestablement un des piliers du droit judiciaire privé français, parce
qu'elle est l'une des garanties fondamentales d'une bonne administtation de la justice.
Cette règle, -
·
.
cela n'est pas douteux, -
se trouve en
conflit avec le caractère de plus en plus reconnu à l'appel d'êtte,
ainsi qu'il a été dit, la voie « d'achèvement », de « finition »
judiciaires. Faudra-t-il refuser à la Cour d'appel d'opérer cet
achèvement et cette finition du procès sous le prétexte que, aussi
bien du chef des personnes en cause que du chef des questions
débattues, il serait porté atteinte à la règle du double degré
de juridiction?
Sans doute et selon la pittoresque formule employée au
cours de la discussion par Monsieur le Président Courteaud, ne
convient-il pas de se faire les « cerbères de la règle du double
degré de juridiction ,) . Et Monsieur le Professeur Solus ne
manque pas de relever les dispositions du Code de procédure
civile qui, d'ores et déjà, font échec à la dite règle: l'article 149
qui, au cas de défaut faute de comparaltte, répute le jugement
contradictoire lorsque l'affaire est susceptible d'appel; l'article 464 qui admet dans certains cas les demandes nouvelles en
appel; l'article 466 qui autorise l'intervention volontaire en
cause d'appel; et l'article 472 relatif à l'évocation. Mais convientil d'inciter le législateur ou l'interprète à ajouter d'autres hypothèses où, pareillement, il serait dérogé à la règle du double
degré de juridiction?
Les discussions auxquelles a notamment donné lieu l'intervention forcée en appel et la résistance que manifestent certaines
décisions judiciaires et certains auteurs à en admettre la possibilité, prouvent la force et le crédit dont jouit toujours la règle
du douhle degré de juridiction; et cela, alors pourtant que l'intervention forcée en appel, à l'instar de l'intervention volontaire
en appel qui, elle, est expressément admise par l'article 466,
se traduit de la même manière par la perte du premier degré
de juridiction, cette perte étant supportée par les parties en
cause au cas d'intervention volontaire, tandis qu'elle l'est par
le tiers au cas d'intervention forcée .
Quoi qu'il en soit, les rapports approfondis de Messieurs
les Professeurs Terré. Perrot et Hébraud ont incité les partici-
230
�pants au Colloque à réfléchir à des problèmes qui comptent
patmi les plus délicats et difficiles du droit judiciaire privé ; et
il est certain que tous en ont retiré le plus grand profit.
C'est pourquoi, en terminant son rapport de syntbèse, Monsieur le Professeur Solus a émis le souhait que d'autres Colloques
du même genre que celui d'Aix puissent être tenus à l'avenir.
Car ils permettent d'établir une collaboration fructueuse entre
tbéoriciens et praticiens : et cette collaboration, qui est plus
nécessaire dans la matière du droit judiciaire que dans les autres
branches de droit privé, en favorise du même coup l'évolution
et le développement.
H. SOLUS.
< •
231
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�ClNQUIËME CONGRËS INTERNATIONAL DE DROIT
DU TRAVAIL ET DE LA SËCURITË SOCIALE
LA RESPONSABILITÉ CIVILE DU TRAVAILLEUR
ENVERS L'EMPLOYEUR, LES COLUGUES
DE TRAVAIL ET LES TIERS
RA PPORT NATIONAL FRANÇAIS
par le
Professeur Edmond BERTRAND
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�LA RESPONSABILITÉ CIVILE DU TRAVAILLEUR
ENVERS L' EMPLOYEUR, LES COLLËGUES
DE TRAVAIL ET LES TIERS
(P lan du thème imposé)
INTRODUCTION
1.
.r:
-
QueUes sont les sources du droit commun en cc qui
concerne la responsabilité civile (délictuelle et cantt-actuelle) ?
Le rôle de la loi, de la jurisprudence et de la doctrine .
•
L'évolution au cours des dernières années.
2.
-
Principes et normes du droit du travail en matière d'accidents du travail (modification des règles du droit
commun).
PREMIERE PARTIE
La responsabilité civile du travailleur envers l'employeur
Quelle est la nature de cette responsabilité (délictuelle, contractuelle) ? si clIc est contractuelle, queUes sont les obligations du
travailleur envers j'employeur ? La nature juridique et la sanction
de ces obligations. Relation entre la responsabilité et la rupture
du cont rat de travail.
Cette responsabilité a-t-elle une valeur pratique ? Quels sont
les cas oans lesquels la jurisprudence a déclaré le travailleuL' responsable du dommage causé à l'employeur ? La distinction entre
le dommage causé pendant J'cxécution et à J'occasion de J'cxécution.
DEUXIEME PARTIE
La responsabilité civile du travailleur envers ses collègues
Le contrat de travail peut-il créer des obligations entre les
travailleurs ? Sinon, quel est le fondement de cette responsabilité ?
Les règles de la responsabilité délictueUe du 'droit commun sont-elles
applicables sans restriction ? La valeur pratique de la responsabilité du travailleur envers ses collègues de travail.
235
�TROISlEME PARTIE
La responsabilité civile du travailleur envers les tiers
La notion du préposé. QueUes sont les règles concernant la
responsabilité du commettant? Le recours du commettant contre
le préposé.
Le travailleur répond-il personnellement envers les tiers ? Description et analyse des conditions de cette responsaoilité. Dans queUe
mesure cette responsabilité est-eIle exclue par la jurisprudence ?
Cas où le travailJeur a reçu des ordres précis de l'employeur ou
des outils défectueux.
Appréciation générale du problème.
,
•
'.
236
�,
- '"
RAPPORT NATIONAL FRANÇAIS
par le
professeur Edmond BERTRAND
INTRODUCTION
Les Sources.
-
.
\
,
La responsabilité civile du travailleur met en œ uvre
to utes les sources du droit français des obligations. Les
règles qui dérivent de ces sources sont complexes, incertaines et toujours discutées en doctrine, évolutives par
l'interprétation d'une jW'isprudence de plus en plus techni·
que, diversifiée à l'extrême suivant les matières; elles
se fondent cependant sur la loi d'une manière principale.
Quant au droit commun de la responsabilité civile, contractuelle et délictuelle, cette loi est dans les textes du Code
Civil : articles 1136 à 1155 POW' le principe de la responsabilité contract uelle, art 1780 pour le contrat de
louage de services, articles 1382 à 1386 pour la responsabilité délictuelle. Ces textes sont demeurés dans leur rédaction initiale depuis 1804 pour le p"incipe de la responsabilité contractuelle, sans changement importan t pour
la responsabilité délictuelle quant à notre sujet ; seul
l'art. 1780 a subi des changements considérables pour le
mettre en harmonie avec les progrès incessants du droit
du travail.
A
R esponsabilité contractuelle.
Les quereUes doctrinales non épuisées posent la question de savoir si cette responsabilité est fondée sur l a
faute du débiteur ou si eUe dérive de plein droit de
l'inexécution de l'obligation ou du retard dans l'exécution.
On admet généralement qu'il s'agit d'interpréter l'art. 1147
du C.c. Il poserait Je principe ; mais contient-il une
présomption de faute ou pose-t-il la règle d'une respon-
237
�·,;abilité de plein droit du débiteur défaillant, sauf la preuve
qu'il rapporterait d'une cause étrangère exonératrice ? La
doctrine la plus moderne distingue suivant la nature de
L'obligation et le contenu du contrat. Elle se rapproche ainsi
de l'origine romaine, de l'interprétation des anciens auteurs
el du plan du Code Civil, où l'on distinguait l'obligation
de donner et livrer, et l'obligation de faire ou de ne pas
faire.
JI est inutile de rappeler et de rapporter ici plus précisément ces querelIes doctrinales. Elles ont déjà produit
leur effet créateur en Jurisprudence, donc en droit positif.
Malgré les variations de terminologie, iL est désormais
classique de distinguer les obligations contractuelIes de
moyens et celles de résul tats ; il est nécessaire pour chaque contrat de rechercher concrètement s'il engendre les
unes ou les autres, les unes et les autres. Suivant la
nature de l'obligation et le contenu du contrat, suivant la
,
•
<
diversité ou La pluralité des obligations qu'il engendre, le
débiteur sera libéré par la preuve "de l'absence de faute ou
il ne le sera que par la preuve de la Force ,majeure, du
cas fortuit ou de la cause étrangère.
La Jurisprudence a effectué ce travail d'analyse pour
tous les contrats usuels ; pour certains contrats, elle a
poussé très Loin cette analyse en distinguant par exemple
la dette de sécurité, obligation de résultat, et la dette
de sécurité, simple obligation de mettre en œuvre les
moyens pour l'assurer.
Ainsi le droit positif français, sur le fondement de la
loi, avec j'aide des débats doctrinaux, la haute technique
de la jurisprudence, contient des règles précises, le plus
souvent très claires; la difficulté est pLus grande de les
appljquer exactement que de les connaître dogmatiquement. On peut les grouper et les opposer de la manière
suivante:
a) suivant La nature de l'obligation et le contenu du
contrat, le débiteur n'est libéré que par la preuve qu'il doit
faire d'une cause étrangère qui ne lui est pas imputable
(art. 1147 C.C.) ;
b) suivant la nature d'autres obligations et le contenu
d'autres contrats, le débiteur pourra 'être libéré par la
preuve qu'il devra faire de l'absence de faute ;
c) d'autres fois, suivant la nature des obligations nées
du contrat, il ne sera responsable que si la preuve est
faite par le créancier d'une faute qui lui est imp,:,table : il
en est presque toujours ainsi dans le cas prétendu d'une
mauvaise exécution et non dans le cas d'une inexécution
totale ou d'un simple retard dans l'exécution ;
d) enfin, pour d'autres contrats, le débiteur ne sera
responsable que si le creancier p['ouve une faute qualifiée
238
�ou grave, ou lourde, ou doJosi ve, ou "inexcusable, ou intentionnelle, aucune de ces qualifications n'étant équivalente aux autres.
Quant au contenu du contrat de travail, on peut
dire d'une manière générale, en négligeant des statuts
particuliers ou la nature de certaines fonctions du travailleur, que la responsabilité civile de celui-ci suit les règles
du groupe c) ou du groupe dl. Inversement la responsabilité contractuelle de l'employeur envers le travailleur suit
les règles du groupe a) ou du groupe b) pour ce qui
regarde son exonération ; elle suit les règles des deux
autres groupes pour ce qui regarde l'aggravation de sa
responsabilité.
B -
.....
•
• l'
Responsabilité délictuelle.
Les querelles doctrinales ont posé depuis 1896 la question de savoir si la responsabilité délictuelle et quasi délictuelle était dans le Code Civil fondée exclusivement sur la
faute, ou s'il existait un principe de responsabilité objective dans l'art. 1384. Ces querelles sont éteintes sur le
principe : on admet, à la suite de la Jurisprudence, que,
suivant les matières ou le domaine d'application, cette
responsabilité est soit fondée sur la faute prouvée ou
présumée, soit objective.
De graves difficultés cependant demeurent pour déterrTÙner le rôle exact de la faute prouvée dans la mise
en œuvre de la responsabilité objective: la faute de la
victime exclusive ou non, la participation de la victime,
la faute prouvée d'un tiers, n'ayant contribué que pour
partie à la réalisation du dommage, modifient les règles
de l'imputabilité du fait objectivement dommageable ; la
faute commune de coauteurs ou la pluralité des fautes
imputables modifient, entre les coauteurs, l'imputabilité de
la responsabilité objective, sam la modifier à l'égard de la
victime. Ces problèmes ont fait rebondir la longue querelle
doctrinale ; ces rebondissements ont amené la Jurisprudence à préciser la construction juridique et à poser des
règles suffisamment claises ; quelquefois le législateur est
intervenu dans certaines matières en promulgant des lois
incorporées ou non au Code Civil.
Il est remarquable que ce soit à propos des accidents
de travail que l'élaboration de règles de responsabilité
objective ait commencé à partir de 1896. La Cour de Cassation avait décidé que le contrat de travail ne contenait
pas à l'encontre de l'employeur une obligation de sécurité ;
le travailleur, victime d'un accident, était soumis aux règles
du droit commun ; c'était alors l'obliger à rapporter en
justice la preuve d'une faute imputable à l'employeur.
239
�, 1
Souvent l'accident est dû au simple fait du travail ; il
pouvait l'être à la faute d'un camarade de travail, ou au
fait de machine, sans doute patronale. C'est à propos de
l'explosion d'une chaudière dans l'arsenal de Toulon, causant un grave accident de travail, que l'art. 1384 § 1
du Code Civil a été inventé ; il pose la règle de la responsabilité du fait des choses. Une longue élaboration de
doctrine et de jurisprudence a conduit à la règle d'une
responsabilité objective du fait des choses, certainement
posée par l'arrêt des Chambres réunies de la Cour de
Cassation du 13 février 1930.
Mais par le même phénomène de la position concrète
des problèmes théoriques, les accidents du travail cessaient
d'être soumis au droit commun. A leur propos, il n'y a
pas que le fait de la chose ou la faute imputable à
l'homme : il ya le fait du travail. C'est le grand principe
de réparation fondé exclusivement sur le risque professionnel qui a été posé par la loi du 9 avril 1898, dont la
date n'est pas due au hasard des travaux du législateur.
Elle établissait une règle arit hmétique oe réparation forfaitaire des accidents du travail. Depuis sa promulgation,
cette loi a été en continuelle expansion. Elle a été peu
à peu étendue à toutes les professions, non seulement aux
accidents mais aux maladies professionnelles. Ses règles ont
été reprises par la loi du 30 octobre 1946, incorporée au
Code de la Sécurité Sociale (décret du 10 décembre 1956)
Livre IV.
La matière des accidents de travail déroge ainsi complètement au droit commun de la responsabilité civile. il
en résultera des modifications très importantes de la responsabilité du travailleur envers ses coUègues de travail.
PREMIÈRE PARTIE
Le principe de la responsabilité civile
du travailleur
Sui vant l'art 19, Livre I, du Code du Travail, le
contrat de travail est soumis aux règles du droit commun.
Suivant l'analyse qui est faite par la doctrine et par la
JuriSprudence, il contient des obligations de faire et des
obligations de ne pas faire, à la charge du travailleur
(art. 1142 à 1145 du C.e.). Le manquement du travaillew'
à ces obligations doit en principe entraîner la "responsabilité civile contractuelle du travailleur.
Mais, en outre, le travailleur exerce une activité professionnelle; par le contrat, il promet une prestation
conforme aux règles de sa profesison ; le salaire dû par
240
�l'employeur est fonction de la qualification professionnelle ;
celle-ci est souvent définie par les normes de la profession
ou par les conventions collectives. Ainsi les obligations
du travailleur ne découlent pas seulement du contrat, mais
du statut de la profession et de la nature du travail promis.
En principe, tout manquement du travailleur à ces obligations professionnelles et statutaires doit entraîner sa responsabilité civile.
Enfin, d'après les auteurs les plus modernes, le salarié
« fait partie d'une organisation collective, l'entreprise » .
Il en résulte l'obligation pour lui de respecter le statut
de l'entreprise, et de ne pas lui porter préjudice.
On voit par là que malgré l'affirmation sommaire de
l'article 19, Livre l , du Code du Travail, les obligations
à la charge du travailleur contenues dans le contrat dérogent aux règles du droit commun de la responsabilité.
Un examen plus attentif du droit positif montre que cette
dérogation se fait tantôt dans le sens d'une aggravation
de la responsabilité du travailleur - tantôt dans le sens
d'un allègement pouvant aller jusqu'à l'exonération de
toute responsabilité.
A
.
•
.,
•
-',
Aggravation de la responsabilité du travailleur .
C'est un problème classique dans le 'droit français de
la responsabilité que celui du cumul ou de l'option de la
responsabilité contractuelle et de la responsabilité délictuelle.
La Jurisprudence le règle d'une manière différente suivant
les contrats. Lorsque la responsabilité est fondée sur la
faute et ne dérive pas seulement du fait matériel de
l'inexécution ou du retard dans l'exécution, on peut dire
que le principe est en faveur de l'option de la victime
entre l'une et l'autre action en responsabilité. Souvent
d'ailleurs, en matière contractuelle, la loi permet au créancier de dommages de mettre en mouvement l'action publique et de réclamer, devant la juridiction répressive la
réparation sur le fondement du délit qui est par ailleurs
qualifié pénalement.
En matière de droit du travail, il en est ainsi pour
les faits de sabotage (art. 443 C. Pénal), de pillage (art.
HO et svts du C. Pénal), plus généralement pour tous les
délits commis à l'occasion de l'exécution du travail (vol,
abus de confiance, faux par exemple). Ce sont encore les
délits de corruption passive (art. 177 C. Pénal) ou de
divulgation de secrets de fabrication (art. 418 C. Pénal).
Les obligations du travailleur demeurent après la cessation de l'emploi et la rupture du contrat; responsabilité
délictuelle dans le cas de détournement de clientèle par
des procédés déloyaux, soit au profit personnel du travail-
241
�leur, soit au profit d'un nouveau patron ; responsabilité
contractuelle en cas de concurrence poursuivie en violation
d'une clause du contrat l'interdisant pour un temps nécessairement limité. La loi du 5 février 1932 - art. 23 a du
C. Travail, Livre 1 - pose la règle d'une responsabilité
solidaire du salarié qui a rompu abusivement un contrat
de travail et du nouvel employeur, tier s complice de la
violation d'un contrat.
Telles sont les règles reconnues en doctrine et en jurisprudence, sur le fondement de la loi. Mais il faut dire tout
aussitôt que les applications pratiques en sont peu fréquentes, sinon tout à fait exceptionnelles. La raison principale
est que le plus souvent les employeurs renoncent à exercer une telle action ; même dans le cas où le fait est
puni par la loi pénale} ils mettent en mouvement l'action
publique et se bornent à demander une réparation de principe, un franc de dommages-intérêts. Le patron recherche
l'effet psychologique de l'exemplarité ; il est atteint plus
grandement par la sanction pénale, lorsqu'elle existe. Si le
fai t n'est pas puni pénalement, le patron craint de se
heurter à l'insolvabilité du travailleur et aux règles protectrices du salaire qui limitent la faculté de saisie (art. 60 a
Code du Travail, Livre I). Il recherchera plus volontiers
la responsabilité d'un tiers compli ce (débauchage ou
concurrence déloyale ou interdite, C. Dijon, 10 février 1954,
Dalloz 1954, Som. 59 - Paris, 19 mars 1958, Dalloz 1958,
Som. 119, Casso SOC. 7 juillet 1957, Gazette du Palais,
1958. 1. 140) ou celle d'un tiers légalement responsable
(responsabilité civile des communes en cas d'émeutes ou
de troubles).
B -
l .,,'
Atténuation de la responsabilité du tr availleur.
Certes les obligations du travailleur sont en principe
aggravées par le caractère statutaire de l'entreprise. Il est
soumis au pouvoir disciplinaire} souvent réglé par les
conventions collectives, et au règlement d'atelier s'il existe
et est exécutoire. Mais il est remarquable que la loi interdit
toute peine disciplinaire ayant un effet pécuruaire positif.
C'est la grande règle de l'interdiction des amendes par la
loi du 5 février 1932 (art. 22 b, Livr e l, C. du Travail) ;
elle ne prévoit que quelques exceptions dont l'effet est très
limité. Cependant, la sanction disciplinaire peut être la
mise à pied ; elle contient une sanction pécuniaire indirecte
et négative ; mais le salarié est pendant ce temps libéré de
toute prestation de travail.
L'atténuation de la responsabilité du travailleur apparaît dans le domaine proprement dit de la responsabilité
civile envers l'employeur. Le droit commun voudrait que
~42
�-
le travailleur fut civilement tenu des conséquences dommageables de toute faute dans l'exécution de son tr avail, ou
commise à son occasion, queUe que soit la légèreté de la
faute, par référence à l'attitude d'un bon père de famille :
art. 1137 du C.C. Ce texte est appliqué à d'autres contrats
que ceux qui incluent l'obl igation de conserver une chose ;
il est le droit commun de la responsabilité contractuelle
fautive. Sur la base d'une responsabilité délictuelle, la même
conséquence se déduit de l'art. 1382 et de l'art 1383 :
toute faute, toute imprudence, si légères soient-elles, engagent la responsabilité.
D'abord les mœurs ont changé la règle : naguère au
19me siècle, il était d'usage par exemple qu'un serviteur
ou domestique paie sur ses gages, sans forme de procès,
les légers dommages matériels, tel le bris d'objet mobilier.
Depuis longtemps aucun employeur n'a cette exigence. li
faut cependant excepter certaines professions où le travailleur est seul en contact direct avec la clientèle : par exemple les garçons de café - mais non ceux de restaurant sont responsables de l'encaissement du prix des consommations, suivant les usages de leur profession. Tout caissier,
-receveur, comptable de deniers est responsable pécuniairement envers l'employeur de l'exactitude de sa caisse ; le
temps passé à la recherche d'une erreur de caisse n'est
pas un travail supplémentaire rémunéré. Ici le travailleur
est tenu d'une obligation de résultat.
C'est sans doute en raison de la désuétude du droit
commun et du caractère très exceptionnel de son application à certaines professions et à certains services, que
la Cour de Cassation, Section Sociale, a affirmé dans
deux arrêts importants du 19 mai 1958, Bulletin 1958/4,
No 612/613, que c'est à bon droit que la responsabilité n'es!
pas reten ue si dans l'exécution des obligations professionnelles, une faute lourde, équipollente au dol, n'a pas été
commise : un dessinateur exécute mal son dessin et l'ouvrage est mal fabriqué et mal construit ; une employée
de commerce n'exécute pas une commande et la clientèle
est perdue. Ce sont de simples négligences ou fautes techniques professionnelles d'où ne peut se déduire aucune responsabilité du travailleur. La Cour de Cassation a confirmé le principe de cette règle le 27 novembre 1958 (Dalloz
1959. 20 ; J .c.P. 1959. II. 1143).
C
;
Exonération de la responsabilité du travailleur.
10 Lorsque, par le fait fautif du salarié, le commettant
est civilement responsable du dommage causé à autrui, les
règles du droit commun lui permettent d'exercer un recours en responsabilité personnelle contre le travailleur, au-
�-. -
".
teur du dommage. On admettait jusqu'ici que la faute, même
légère, permettait cette action récursoire. Observation bien
théorique, car en pratique ce recours est peu exercé. Cependant, le doyen Carbonnier a posé à nouveau le problème
à la suite des arrêts précités (Revue trimestrielle de Droit
civil, 1959, p. 755) ; il pense que désormais le recours
du commettant devrait être fondé sur une faute lourde
commise par le préposé. Cela équivaudra souvent à une
exonération pratique, par suite de la difficulté de la preuve.
20 Le législateur a prévu une exonération totale du
travailleur, sauf le cas de malveillance, dans le cas où
l'employeur étant assuré, le recours est prétendu par l'assureur du dommage. C'est l'article 36 § 3 de la loi du
13 juillet 1930. Ce texte est d'ordre public, suivant la
Cour de Cassation (CIV., 28 octobre 1947, Dal 1948. 13).
Il est d'une importance pratique considérable. L'assureur du
commettant, subrogé dans ses droits, après avoir payé l'indemnité de réparation, n'a aucun recours contre le préposé,
sur le fondement d'une faute qu'il aurait commise. C'est
la conséquence inéluctable des règles de l'assurance. La
pratique de l'assurance est par ailleurs telle qu'elle inclut
dans le contrat d'assurance, souscrit par le commettant,
une stipulation pour autrui garantissant la responsabilité
personnelle du préposé pour le même risque. C'est pourquoi,
en France, la 3me partie, proposée comme thème de rapport, n'a pas grand objet ou effet pratique.
30 A l'égard des tiers, la responsabilité civile du commettant est une responsabilité pour autrui dans tous les cas.
D'après la jurisprudence, la qualité de préposé est exclusive de celle de gardien d'une chose. Sa responsabilité ne
peut être recherchée que sur le fondement d'une faute,
même si une chose a participé à la réalisation du dommage. Or, les tiers ont intérêt à rechercher la responsabilité du fait de la chose, dont la garde incombe au commettant, plutôt que de prouver le fait fautif du préposé
pour mettre en œuvre la responsabilité pour autrui.
40 Solvable et le plus souvent assuré, ou obligatoirement assuré suivant la nature du risque, le commettant
couvre la responsabilité du préposé à l'égard des tiers.
Certains auteurs ont analysé la responsabilité civile du
commettant comme une garantie légale, analogue à celle
de l'assurance. Ce n'est pas l'opinion dominante, mais c'est
bien l'effet pratique. La garantie contractuelle de l'assureur
couvre enfin l a responsabilité du préposé, sans rrecours·
possible.
Outre cela, en France, la notion de préposé est grandement extensive et déborde largement celle du travailleur
ou du salarié. Ainsi il ne peut y avoir de faille dans cette
�exonération, tantôt légale tantôt pratique du salarié. Pour
qu'il soit tenu persoIUlellement à réparation, il faudrait que
l'employeur ne soit pas assuré et soit insolvable. C'est
la seule hypothèse où le travailleur répondrait concrètement
de sa faute à l'égard des tiers.
50 La pratique judiciaire, depuis trente ans, est allée
jusqu'à inverser l'application d'une règle légale. Le Code
de commerce prévoit que l'action en responsabilité dans le
transport des marchandises par mer est dirigée contre le
capitaine, préposé commercial de l'armateur. Depuis une
époque récente, la pratique est telle que seul l'amateur et
ses assureurs sont recherchés. L'action en responsabilité
Sur le fondement de la faute du capitaine est mise en œuvre
en dehors de lui, sans qu'il soit mis en cause. TI ne peut
donc être condamné, même comme représentant de l'armateur. On constate le même phénomène dans le droit
de la responsabilité des accidents de circulation. On recherche souvent le commettant en qualité de gardien du
véhicule qu'il avait confié au travailleur, suivant les règles de responsabilité du fait des choses. On néglige la
responsabilité du fait d'autrui. Le salarié dont la faute
n'est pas recherchée ne peut être tenu à réparation à
l'égard des tiers.
-.
60 Dans le droit positif français, il ne peut être
contesté que l'employeur est personnellement responsable
d'une faute qui lui est directement imputable, s'il a donné
des ordres précis au travailleur ou des outils défectueux.
C'était initialement l a question litigieuse dans l'affaire du
naufrage du paquebot Lamoricière. Les Transports Maritimes de l'Etat, ayant la qualité d'armateur, avaient pendant la guerre fourni au capitaine du charbon défectueux,
incapable de permettre au navire de résister à la tempête.
Sans doute la Cour de Cassation a-t-elle fondé ses arrêts
sur la qualité de gardien de l'armateur ; mais à raison de
sa faute personnelle, la force majeure ne l'a pas totalement
exonéré (Cass. Civ. 19 juin 1951, DaI. 1951. 717; 23 janvier
1952, Dal. 1952. 400) . Théoriquement toutefois, la faute personneUe de l'employeur n'exonère pas le travailleur de sa
responsabilité pour faute à l'égard des tiers. L'un et l'autre
sont juridiquement coauteurs et tenus in solidum à la
réparation du dommage. Mais le travailleur est lié envers
l'employeur par un lien de subordination, dont l'importance
est telle qu'il est le critérium juridique du contrat de
travail. Pour être responsable comme coauteur, il faudrait
que le travailleur eut le devoir et le pouvoir d'être insubordonné. Cela ne peut se trouver qu'exceptionnellement,
par l'effet de la qualification professionnelle exclusive du
245
�·,
,
.'
'.
1
travailleur, par exemple, médecins, médecins du travail,
assistantes sociales de l'entreprise, au.'{Îliaires médicaux, ingénieurs chargés comme tels de la sécurité.
Sans doute a-t-on pu être étonné que nous traitions
ensemble, dans une même suite de développements, la
responsabilité du travailleur envers l'employeur et la responsabilité du travailleur envers les tiers. L'une est contractuelle en principe, l'autre est inversement délictuelle ou
quasi délictuelle. Mais en droit positif, dans notre matière,
il est inexact d'affirmer qu'il n'y ait pas de cumul ou
d'option entre les deux ordres de responsabilités. Ce n'est
qu'à l'égard des tiers que la responsabilité du travailleur
apparaîtrait comme exclusivement délictuelle; encore faudrait-il préciser qu'elle est fondée exclusivement sur le fait
personnel fautif. Mais à l'égard de l'employeur, nous avons
fait la même constatation. Qu'il s'agisse pour lui de recourir
contre le travailleur en sa qualité de commettant civilement
responsable, ou qu'il s'agisse pour lui d'obtenir réparation
d'un dommage qu'il aurait personnellement subi, il doit
dans l'un et l'autre cas prouver la faute personnelle imputable. Dans notre matière la distinction ne se fait pas
suivant les règles du droit commun. A l'égard des tiers et quant à présent pour le recours du commettant - la
faute même légère oblige le travailleur. Mais c'est là pure
théorie. Soit par l'effet de la pratique judiciaire, soit par
l'effet de la pratique de l'assurance de responsabilité, soit
par l'effet de l'exonération légale à l'égard de l'assureur
du patron qui a payé la réparation du dommage, le travailleur n'est tenu que de sa malveillance, ou -de sa faute
lourde et de son dol non assurable, suivant une règle
d'ordre public. A l'égard de l'employeur la responsabilité
du travailleur n'existe désormais, pour la réparation d'un
dommage, que si la preuve est faite d'une faute lourde
équipollente au dol. Les règles sont théoriquement inverses ; mais elles se rejoignent par l'exigence d'une faute
lourde, ou dolosive ou malveillante ou intentionnelle, dans
tous les cas. A raison de la difficulté d'une telle preuve,
nous constatons encore une égale tendance à l'exonération
du travailleur.
Ce n'est que par la qualification et la poursuite, répressive et pénale, que l'on retrouve le droit commun d'une
responsabilité civile du travailleur, tant à l'égard des tiers
que de l'employeur. Mais la pratique et les mœurs y
répugnent le plus souvent. C'est pourquoi le législateur a
créé des délits spécifiés, tels le sabotage, la corruption
passive, la divulgation de secret. Ce sont encore des fautes
intentionnelles. Ce n'est, en dernière analyse, que lorsque
la faute d'imprudence, même légère, coincide avec une
246
�faute délictuelle, pénalement sanctionnée, que l'on rejOInt
vraiment le droit commun de la responsabilité civile. Encore faut-il préciser que si le travailleur est nominalement
condamné aux réparations, le jeu de l'assurance sera tel
que le plus souvent il n'en subira pas le poids à l'égard
des tiers.
DEUXIÈME PARTIE
La responsabilité civile du travailleur
envers ses camarades de fravail
•
Jusqu'à la loi du 9 avril 1898 sur les accidents de
travail, le salarié n'était pas contractuellement lié avec ses
camarades de travail, subordonnés ou supérieurs hiérarchiques. Il subissait toutes les règles de la responsabilité
délictuelle de droit commun. Mais il est vrai qu'à cette
époque, cette responsabilité était fondée exclusivement sur
la faute prouvée, hormis le cas de dommage causé par
un animal où la responsabilité incombe à celui qui s'en
sert (art. 1386 du c.e.). Il en est encore ainsi aujourd'hui
dans les cas exceptionnels où la législation sur les accidents
de travail ne peut être appliquée : relation de travail de
[ait et non rémunérée, exclusive de toute subordination
juridique du travailleur, coups de main dans le travail
agricole. La participation volontaire aux risques peut encore éliminer les règles de la responsabilité objective.
Mais depuis la loi du 9 avril 1898, article 7, le droit
de réclamer la réparation du préjudice, conformément aux
règles du droit commun, est supprimée, non seulement
contre le patron, mais aussi contre ses ouvriers et préposés. S'agissant d'un accident de travail, seul demeure le
droit à la réparation forfaitaire, dès l'instant que l'auteur
de l'accident participe à la même entreprise. C'est la célèbre notion française du travail en commun. Cette notion
a été confirmée pal' la loi du 1er juillet 1938, par l'ordonnance du 30 octobre 1946. Elle est aujourd'hui contenue
dans l'art. L 470 du Code de la Sécurité Sociale. Suivant
cette règle, le travail en commun établit une immunité
au profit de l'auteur de l'accident contre toute action en
responsabilité civile. Elle se justifiait par l'idée de risque
professionnel. Tous ceux: qui travaillent en commun courent
ensemble le même risque ; ils sont protégés par la législation sur les accidents de travail, il n'y a plus à rechercher
les responsabilités, l'imputation ou le partage des fautes.
C'était un fondement de justice sociale.
Le malheur a été que déjà, sous l'empire de la loi de
1898, la Jurisprudence donnait du travail en commun une
247
�..
.,
application extensive. li n'est pas nécessaire qu'il s'agisse
de camarades de travail dans la même entreprise, subordonnés au même patron ou à ses agents, ingénieurs ou contremaîtres. Deux ouvriers de deux entreprises différentes peuvent exécuter accidentellc:ment, occasionnellement ou habituellement des tâches, même différentes ; il Y aura travail
en commun s'ils concourent à la réalisation d'un même
ouvrage ou d'un même but économique, sous une même
direction. L'unité de direction dans l'exécution du travail
est le seul critère du travail en commun j quelquefois l'unité
de direction sera exercée spontanément par un simple ouvrier dépendant d'un autre patron : il fait les gestes nécessaires pour guider une manœuvre difficile. Ici le coup
de main s'intègre dans les accidents de travail. S'il est
maladroit et s'il commet une faute, le droit commun le
rendrait totalement responsable de la totalité du dommage.
Mais surtout, son patron serait civilement responsable comme commettant et l'assureur de celui-ci tenu
à garantie. Comme il s'agit d'un travail en commun, le
droit de réclamer la réparation totale est suppriprimé ; la victime est réduite à la réparation forfaitaire
et minorée des accidents de travail. Le seul avantage était
qu'elle n'avait d'autre preuve à faire que celle de la
matérialité de l'accident. Mais depuis que le droit français
admet une responsabilité objective, présumée, si le dommage est causé par le fait d'une chose, la protection des
accidents de travail est très inférieure à celle que donnerait
le recours de droit commun, si l'auteur est le préposé
du gardien de la chose. Voilà comment une législation
sociale, longtemps en avant-garde, se trouve en retrait
par rapport au droit commun.
La législation sur les accidents de travail a fait un
nouveau progrès en 1946, lorsqu'elle a inclus dans la protection qu'elle donne les accidents de trajet, aller et retour,
avant le commencement du travail et du risque professionnel, ou après leur cessation, à moins que le parcours
n'ait été interrompu ou détourné pour un motif personnel,
étranger aux nécessités de la vie courante ou indépendant
de l'emploi. Or, la Cour de Cassation, toutes chambres
réunies, par un arrêt du 27 juin 1962 (Juris-Classeur
Périodique, 1962, No 12 798, conclusions de M. l'Avocat
Général Lindon) a appliqué strictement aux accidents de
trajet la notion de travail en commun et la réparation
forfaitaire des accidents de travail. Il s'agissait d'un ouvrier
de la Régie Renault, rentrant chez lui sur un vélomoteur,
qui avait éfé tué par un autre ouvrier de la même entreprise, rentrant chez lui dans une voiture automobile 4 CV
L'accident avait eu lieu sur la voie publique. La Cour
d'Appel de Paris et la Cour d'Appel d'Orléans avaient
248
�successivement admis au profit de la veuve et de ses sept
enfants l'action de droit commun en réparation du préjudice total ; elles l'avaient fait en estimant que pendant le
trajet, il n'y a pas unité dans la subordination et dans la
direction d'un travail, qui avait d'ailleurs cessé. La Chambre
Sociale de la Cour âe Cassation avait pris quelquefois
une semblable position dans d'autres affaires, où le transport
avait lieu en commun. Les Chambres Réunies de la Cour
de Cassation ont étendu à ces accidents de circulation et de
trajet l'immunité légale de tout recours de droit commun.
Il faut remarquer que dans ces circonstances, l'immunité ne
joue que nominalement au profit du camarade de travail (il
peut demeurer d'ailleurs pénalement responsable). Elle joue
réellement et concrètement au profit de son assureur. Celui-ci sera souvent l'assureur de l'entreprise, garantissant
par une police collective la responsabilité du fait des véhicules qui sont la propriété des ouvriers.
Une proposition de loi est en instance à l'Assemblée
Nationale ayant pour objet de briser cette jurisprudence,
qui est d'ailleurs fondée sur le texte littéral de la loi.
Mais c'est aussi la notion même d'accident de trava.il
qU1 a une application extensive par tradition. Elle recouvre
le dommage causé volontairement par un camarade de
travail. Ici, la faute rnême intentionnelle ou dolosive est
immunisée contre tout recours de droit commWl de la
part de la victime. Il suffit qu'elle ait été commise par
un camarade de travail, à l'occasion du travail. L'exemple
très classique est celui de la rixe, entraînant des blessures volontaires, lorsque du moins le motif se rattache à
l'exécution du travail. L'immunité civile pro[ite alors personnellement à l'auteur, ces faits étant inassurables. Si
l'auteur est un supérieur hiérarchique, participant à l'autorité patronale, non seulement la faute intentionnelle n'est
plus immunisée d'après la jurisprudence, mais le recours
de droit commun doit aboutir à une réparation intégrale.
Cour de Lyon, 29 octobre 1953, J.C.P. 1954. 11.8203.
Enfin, sans être intentionnelle, ou lourde, la faute
commise par ceux que l'employeur s'est substitué dans la
direction est d'une gravité exceptionnelle, dérivant d'un
acte ou d'une omission volontaire, malgré la conscience
du danger, et en l'a bsence de toute cause justificative;
on est en présence d'une faute inexcusable au sens de l'art.
1468 du Code de la Sécurité Sociale, telle que cétte
faute est définie par la Cour de Cassation. L'immunité
·
,
personnelle de l'auteur contre tout recours 'de droit commun
demeure. Mais la victime a légalement droit à une ma-
249
�joration de la réparation forfaitaire ; cette majoration est
arbitraire ou appréciée par la juridiction de la Sécurité
Sociale.
On voit combien sont complexes les règles de droit
positif, malgré la règle de principe refusant tout recours
de droit com.mun contre un camarade de travail. Les
qualifications et les gradations de faute réapparaissent, malS
elles n'ont pas des conséquences uniformes.
CONCLUSIONS
La conclusion générale de cette étude doit être que,
dans la plupart des cas, la faute personnelle du travailleur,
commise pendant l'exécution ou à l'occasion du travail, ne
l'oblige pas à la réparation du dommage. Il n'est par ailleurs tenu par aucune règle de responsabilité objective,
notamment sa qualité de travailleur étant exclusive 'de celle
de gardien. La réparation due à la victime, employeur,
camarade de travail, ou tiers, est assurée par l'effet d'autres obligations contractuelles, auxquelles le travailleur qui
serait responsable demeure étranger. Cela ne va pas sans
anomalie, lorsque notamment les règles du droit de travail
et de la Sécurité Sociale profitent à d'autres que le travailleur ou la victime, par exemple aux caisses de Sécurité
SOcJale ou à l'assureur. Ces anomalies ne doivent pas
être exagérées ; il arrive que d'autres pratiques les pallient. Elles ne sont rien au regard de la condition très
favorable du travailleur quant à sa responsabilité civile.
Il ne faudrait pas penser que la faute du travailleur ne
soit pas en France sanctionnée. La faute, quelle que soit
sa gravité, justifie le licenciement ou la résiliation judiciaire
d'un contrat de travail à durée déterminée (art. 11 84 du
c.c.). La faute grave justifie un brusque renvoi, sans que
soit respecté par l'employeur le délai de préavis, sans indemnité ni dommages-intérêts de ce chef ; à plus forte
raison supprime-t-eUe tout droit à prétendre à des dommages-intérêts pour rupture abusive. La faute grave ou
les fautes répétées réduisent l'indemnité du licenciement,
prévue par le statut particulier des journalistes (art. 29 d,
Livre l du Code du Travail), ou par les conventiolls collectives suivant le contenu de ces conventions. La faute
grave fait perdre aux voyageurs, représentants et placiers
le droit à l'indemnité de clientèle, prévue par leur statut
particulier (art. 29 0, Livre l C. Travail, loi 7 mars 1957).
�Elle permet la mise à pied d'un représentant du personnel
(art. 22, ordonnance du 22 février 1945). Ainsi le travailleur qui ne commet pas de faute dans l'exécution de ses
prestations de travail, dans l'accomplissement de ses devoirs statutaires ou professionnels, suivant sa condition
dans l'entreprise ou sa qualification professionnelle, est
protégé dans une certaine stabilité de son emploi. La faute
le rend précaire ; elle fait perdre au travailleur des droits
pécuniaires importants, sans que jamais eUe lui fasse perdre
le droit au salaire pour le travail accompli. Suivant l'expression de Josserand, c'est une responsabilité envers soi-même ;
elle a pour limite le salaire dû.
Il est remarquable que cet aspect négatif de la sanction
de la faute subisse souvent l'influence de sa gravité. Telle
est la relation la plus apparente entre la responsabilité du
travailleur et la rupture du contrat de travail.
La stabilité de l'emploi, malgré la faute même grave,
est plus forte dans le droit positif concret que ne le révèle
le rappel des principales règles législatives. Le droit disciplinaire au sein de l'entreprise devient souvent un droit
protecteur, plutôt que sanctionnateur. Les conventions collectives prévoient souvent l'organisation d'un conseil de discipline ; son avis en principe consultatif est le plus souvent suivi par le chef d'entreprise. La faute, suivant sa
gravité, est sanctionnée par une peine disciplinaire, en fait
arbitrée par la voie paritaire. Il arrive même que ce droit
disciplinaire soit organisé dans le cadre de la profession
et déborde cel ui de l'entreprise ; il en est ainsi pour les
commis de certaines professions libérales, par exemple. Le
droit disciplinaire tend ainsi à se substituer à la responsabilité civile du travailleur et à donner à celui-ci une
plus grande sécurité d'emploi.
'!5t
�CONCLUSIONS DU RAPPORTEUR GÉNÉRAL,
M . le professeur SZPUNAR
.'
, < '
1.
La responsabilité du travailleur envers l'employeur met
en œuvre les sources du droit civil des obligations. Dans la p lupart
des pays socialistes elle est régie par les principes du droit du
travail qui connait la réglementation spécifique relative à ce problème.
2.
Cette responsabilité est contractuelle. L'analyse du contrat
de travail permet de dégager les obligations du travailleur, la prestation du t ravail , la so umission à l'autorité du chef d'entreprise, etc.
Tout manquement du travailleur à ces obligations entraîne sa responsabilité contractuelle. La charge de la preuve de la faute du
travailleur dans J'exécution défectueuse du con trat pèse sur le créancier.
3.
IJ est généralement admis que l'employeur peut aussi
exercer l'action en responsabilité dé lictueUe contre le travailleur.
4.
L'intérêt pratique de cette responsabilité n'est pas pourtant g r and. Les actions en responsabilité dans cette matière sont peu
fréquentes sinon exceptionnelles. Le préjudice causé à l'employeur
est souvent trop élevé pour que le travailleur puisse le réparer.
L'employeur se contente habituellement de congédier le travailleur
qui ne satisfait pas à ses obligations.
5.
La dérogation aux règles du droit commun de la responsabilité se fait dans le sens d'un allègement pouvant aller jusqu'à l'exonération totale. Parfois, il existe une législation spéciale
des 'dommages causés par le travailleur. La jurisprudence se montre
aussi favorable au travailleur. Elle affirme par exemple que la responsabilité n'est retenue que dans le cas d'une faute caractér isée
du travaiUeur.
6.
La responsabilité civile du travailleur envers ses collègues est délictuelle. Dans tous les pays, la législation sur les
accidents de travail a sensiblement modifié, ou même supprimé,
les règles de la responsabilité civile.
7.
A l'égard des tiers, la responsabil ité du travailleur est
exclusivement délictuelle, fondée sur le fait personnel fautif. EUe
s' efface devant la responsabilité de l'employeur en tant que commettant. Il est admis que le commettant déc.laré responsable des
actes de son préposé a un recours contre celui-ci. Ce recours n'est
cependant pas souvent exercé en raison de l'absence de solvabilité des
travailleurs. Solvable et le plus souve nt assuré, l'employeur couvre la
responsabilité du travailleur à l'égard des tiers. La pratique judiciaire accepte des solutions souvent opposées en ce qui concerne
le recours de l'assureur contre le travailleur.
8.
La conclusion générale de cette étude doit r être que,
dans la plupart des cas, la faute du travailleur commise pendant
l'exécution du travail, ne sera pas sanctionnée par l'obligation de
réparer intégralement le dommage causé .
..~!. • .r.;-'. :..:
"
252
�BIBLIOGRAPHIE SO MMA IRE
Compte tenu de l'importance des problèmes de responsabilité civile mis en cause par celle du travailleur, il
n'est pas question de donner ici une bibliographie générale
de la Responsabilité Civile contractuelle et délie ruelle. Nous
ne donnons que quelques indications se référant à notre
sujet particul ier.
1.
..
...
,".:
Trailés et auvrages
BATTINI Charles
L'aclion contre l'employeur qui débauche à son profit .....
thèse Aix, 1937. - Serres, Marseille, 1937.
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]AUFFRBT Emile
L'aclion en responsabilité dans le
transport des marchandises par mer. - Thèse
Aix, 1955. - Librairie Générale de droit et de
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PICARD et BESSON Traité général des Assurances
terrestres en droit français - Tome II, No 313
et suite, p. 720. Librairie Générale de droit et de
jurisprudence, 1940.
253
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SACHET A.
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suite, 336 et suite. 8e édition, Sirey.
Supplément : Commentaire de la loi du le, juillet 1938, par Henri Gazier. Si rey, 1939.
/ 1.
Juris prudence, noIes el observaIions
RESPONSABILITE DU TRAVAILLEUR (faute personnelle exclusive, faute lourde, concurrence fautive,
malfaçon, grève, obligation in solidum).
Brethe de la Gressaye note sous Casso Soc.
27/11/1958. rC.p. 1959 II, No Il.149.
Carbannier Jean - Observations Revue Trimestrielle
de droit civil (R.T.D.C.) . 1958, 107 et 270 1959, 753 - 1960, 127 - 1961, 153 et 334.
•
R. Lindon - note sous Casso Soc., 19 mai et 27
novembre 1958. D. 1959, p. 20.
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Soc., 27/11/1958. R.T.D.C. 1959, 731.
André Tunc 342, 511.
Observations, R.T.D.C. 1962, 330,
ACCIDENTS DE TRAVAIL Casso Civ.
Cass.Sac .
Casso Soc.
Casso Soc.
TRAVAIL EN COMMUN
20 déc. 1960, Bull. 1960 Il. No 80, p. 547
3 mars 1961, Bull. 1961lV. No 305, p. 246
21 iuin 1961, Bull. 1961/V. No 664, 1l. 526
4 nov. 1961, Bull. 1961/V. N o 910, p. 721
ACCIDENTS DE TRAVAIL -
ACCIDENTS DE TRAJET
1.J.
Dupeyraux Note salis Casso Soc. 9 11OV.
1960 D 1961, 69.
Note sous Casso Soc., 26 ianv. 1961 D 1961, 301.
Avocat général Klein, D 1960, 120.
~54
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réunies, 27 iuin 1962.
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Casso Soc. 29 avril 1961 Bull. Civil 1960 IV, nO 430, p. 332
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Casso Soc. 20 ianv. 1961 Bl/ll. Civil 1961 IV, nO 100, p. 78
27 nov. 1961 Bull. Civil 1961 IV, nO 135, p. 105
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255
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L'ORGANISATION JUDICIAIRE
DANS LA
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REPUBLIQUE FEDERALE D'ALLEMAGNE
•
par
Klaus OÜLL
R.echtareferendar
Faculté de Droit de l'U niversité de Munich
et Faculté de Droit et des Sciences Economiques d'Aix-en· Provence
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�L'ORGANISATION JUDICIAIRE
DANS LA
RÉPUBLIQUE FÉDÉRALE D'ALLEMAGNE
(1'
L
La Constitution de la République Fédérale
d'Allemagne du 23 mai 1949, dite • Loi Fondamentale .
(Grundgesetz) se trouve caractérisée par deux tendances
principales : d'une part la Loi Fondamentale cherche à
éviter quelques faiblesses néfastes de la Constitution de
Weimar datant du 11 août 1919, d'autre part elle doit être
comprise comme une réaction en face de la régression du
droit que l'Allemagne vécut sous l'ère nazi. La première
tendance s'est exprimée par 'l'institution d'un pouvoir gouvernemental extrêmement fort, la deuxième a entraîné une
garantie de droit aussi totale que possible. Cette tendance
a modifié la justice allemande de fond en comble depuis
l'entrée en viguew' de la Loi Fondamentale et a posé
des problèmes législatifs bien difficiles. On s'aperçoit aujourd'hui que la réorganisation de la justice allemande a
entrainé certains désavantages : ainsi l'évolution politique
a révélé pendant les années passées qu'un gouvernement
si fort n'est pas toujours souhaitable. Une réforme de la
justice allemande reste plus discutée que jamais, mais tous
les projets de loi, élaborés par le ministère de la justice,
sont entassés de nouveau dans les armoires de ce ministère.
'.
Quoi qu'il en soit, cette garantie de droit se trouve
enracinée dans la Constitution qui contient les principes
fondamentau.x de la Justice allemande. Par conséquent il
nous paraît indispensable de présenter dans une première
partie les tra;.ts caractéristiques de ladite organisation qui
sont dus à la Constitution. Dans une deuxième partie
nous examinerons la hiérarchie des tribunaux dans chaque
ordre juridictionnel, en nous attachant particulièrement à
l'analyse de la hiérarchie des tribunaux judiciaires.
"
.
(1) Pour la bibliographie et les abr6viations -
cf. In fine . .
259
�PREMIERE PARTIE
le rôle de la Constitution de 1 949 (loi fondamentale)
dans l'organisation judiciaire en Allemagne
2.
L'organisation judiciaire eI). AlIemagoe est à
peine compréhensible, si l'on ne se rend pas compte de
la structure fédérale de la République allemande. Il s'agit
ici d'un premier principe de l'organisation judiciaire. Un
deuxième principe de la justice allemande est représenté
par l'existence d'une juridiction constitutionnelle. Un troisième principe est inscrit dans l'art. 96, al. 1, de la Loi
Fondamentale: l'existence de cinq ordres juridictionnels
autonomes outre la juridiction constitutionnelle. Enfin, un
quatrième principe se trouve établi par l'art. 19, al. IV, de
la Constitution : la compétence subsidiaire des tribunaux
civils en matière de droit public.
PREMIER PRINCIPE :
la structure fédérale de la République allemande.
3.
Cette structure fédérale caractérise la forme
constitutionnelle qui fait tradition en Allemagne depuis
la Constitution d'Empire du 16 avril 1871 - abstraction
faite de la centralisation que l'Allemagoe connut sous
l'ère nazie. Ainsi que l'énonce l'art. 20 de la Loi Fondamentale, • La République Fédérale d'Allemagne est un Etat
fédéral, démocratique et social > .
Les Etats de la fédération, les lander (comme p. e.
la Bavière, la Basse-Saxe, la Rbénanie du Nord - Westpbalie, la Rhénanie - Palatinat, la Hesse, etc.) ont gardé une
autonomie envers la fédération, autonomie Qui est assez
complète dans le domaine de l'administration. Quant à
la législation, la fédération - c'est-à-dire la diète fédérale
(Bundestag) - a la compétence législative dans presque
tous les domaines importants, bien que l'art. 70 de la
Constitution contienne imp1icitement une présomption en
faveur des lander. La compétence législative de la fédération
se divise en deux branches différentes : compétence législative exclusive et compétence législative en concurrence
avec les lander. Tandis que la compétence législative exclusive de la fédération se comprend par soi-même, la compétence législative concurrente exige une brève explication.
Le land a la compétence législative dans cette branche,
lorsque la fédération n'est pas encore intervenue ; il s'agit
- si l'on veut - d'une compétence subsidiaire des lander.
Or, l'organisation juridictionnelle et la procédure se trouvent
sous la compétence concurrente de la fédération. Après la
chute du Troisième Reich, les anciennes lois judiciaires
260
�,
d'Empire subsistaient dans le. lander. Les gouvernements
inilitaires des zones d'occupation et les parlements des
liinder (après leur rétablissement en 1946-1 947) abrogèrent
plus ou moins ces ancÏermes lois judiciaires en aboliss,ant
avec des modalités différentes dans chaque land les modifications effectuées par le gouvernement nazi. Quand la
fédération fut constituée par l'entrée en vigueur de la
Constitution de 1949 la situation devint insupportable : les
lois de procédure avaient maintenant un contenu différent
dans presque tous les liinder (2) . Pour mettre fin
à cette situation, la fédération promulgua une loi qui se
range parmi les premières lois votées par la diète fédérale.
Cette loi (3) rétablit les anciennes lois d'Empire comme
lois fédérales en anéantissant les modifications variées in'stituées par chaque land. Pour les tribunaux non judiciak"es
la compétence législative subsidiaire des lander pouvait jouer
pendant un certain délai jusqu'à ce que le législateur fédéral
soit intervenu. Mais un dernier bastion de cette compétence
en cette matière juridictiOIUlelle a été pris par la loi 'fédérale relative aux tribunaux administratifs (4).
4.
De même que la compétence législative se trouve
divisée entre la fédération et les lander, de même le pouvoir
juridictionnel est exercé par les tribunaux fédéraux et , les
tribunaux des lander. Ici la compétence du land est beaucoup plus importante que dans le domaine de la législation.
En effet, on compte 1.216 tribunaux de land et seulement
sept tribunaux fédéraux (S) . Si l'on plaide devant un tribunal inférieur allemand, on se trouve toujours devant un
tribunal de land. L'administration de ces 1.216 tribunaux
de land appartient exclusivement aux lander. Chaque land
a installé un ministère de la justice qui est totalement indépendant du ministère fédéral de la justice. Les juges
et les procureurs d'Etat sont engagés par le land, les
greffiers, etc., sont des fonctionnaires du land. Le parquet - sauf le parquet fédéral - est responsable envers
le ministère de la justice du land et non envers le .m inistère
fédéral de la justice (6).
"
.,
(2) Sur la question : cf. Rosenberg, p. 21 et s.
(3) Loi du 12 septembre 1950 relative à la restitution de l'unité
de droit en matière d'organisation judiciaire, de juridiction civile, de
procédure pénale et de frais de j'instance (Rechtseinbeitsgeseb;).
(4) Loi du 21 janvier 1960 relative aux tribunaux administr:t.tifs
(Bund esverwaltungsgericbtsordnung - cité: V.W.G.O.).
(5) Le nombre des tribunaux de land est cité d'après J'hebdomadaire Der Spiegel du 24 janvier 1962.
(6) Cf. : art. 147, al. 2, de la loi sur l'organisation judiciaire
(G~ricbts verJa$Sungsgesetz cité: G.V.G.).
261
�Il va de soi que la compétence d'administration juridictionnelle des lânder cède à la compétence fédérale exclusive
quant aux tribunaux fédéraux. Les sept tribunaux fédéraux
sont les swvants : la Cour constitutionnelle fédérale, la
Cour fédérale, le Tribunal administratif fédéral, le Tribunal
fédéral du travail, le Tribunal fédéral social, la Cour fédérale des finances et enfin la Cour disciplinaire fédérale (7).
La Loi Fondamentale prévoit une hwtième Cour fédéraIe: la Cour suprême fédérale (art. 95, Loi Fondamentale). Mais cette Cour suprême fédérale n'existe
pas - elle n'est pas encore installée et ne le sera probablement jamais, car son utilité est contestée pour de bonnes
,·aisons. Si on estime en effet souhaitable qu'une Cour suprême veille sur l'unité de jurisprudence - car les solutions par les différents tribunaux fédéraux sont parfois
contradictoires (8) - on craint qu'une Cour suprême ne
fige l'évolution du droit par la jurisprudence et ne freine
la défense judiciaire de ses droits par chacun (9). En outre
une certaine partie de la tâche confiée à la Cour suprême
par les constituants est déjà remplie par • les grands
sénats unifiés • de la Cour fédérale (10) d'une part, et
par la Cour constitutionnelle de l'autre, qw joue le rôle
le plus important parmi les tribunaux fédéraux.
5.
Nous touchons ici au deuxième principe de
l'organisation iudiciaire : la furidiction constitutionnelle est
apparue en Allemagne après l'institution de la République
de Weimar en 1919. Cette juridiction était exercée par
quelques tribunau." des lânder et notamment par la Cour
d'Etat (Staatsgericbtsbof) qw fut installée au sein de la
fameuse Cour d'Empire, prédécesseur de la Cour fédérale.
En comparaison avec celle de la Cour constitutionnelle fédérale la tâche de la Cour d'Etat était restreinte. La
compétence de la Cour d'Etat se bornait aux tâches classiques de la juridiction constitutionnelle telles que la décision des conflits entre les différents organes constitution(7) En allemand (dans le même ordre) : Bundesver/auu"gsgericbt,
Bundesgerichtsbof. Bundesverwaltungsgerlcbt, Bundesarbeitsgericbt. BundessozialgerÎcbt, Bundes/inanzbof. Bundesdiszipllnarbof.
(8) P.e. La notion d'expropriation contenue dans l'art. 14 de la
Loi Fondamentale est différemment interprétée par la Cour fédérale
et le Tribunal administratif fédéral qui - par conséquent - ont
abouti à des conclusions contraires.
Cf. : Cour fédérale: arrêt du 10 juin 1952 BGH Z 6,
p. 280 et 5. Tribunal administratif fédéral: arrêt du 27 juin 1957,
BYerwG E 7, p. 143.
(9) Maunz, p. 224.
(10) Cf. infra, nOS 6 et 18.
F
262
�nels ou des conflits entre l'Empire et les liinder, tandis
que la compétence de la Cour constitutionnelle fédérale
englobe au surplus une matière extrêmement importante :
l'examen des lois - soit des lois fédérales, soit des lois
des liinder - au point 1de vue de leur compatibilité avec
la Constitution.
On peut distinguer trois cas, dans lesquels la Cour
constitutionnelle peut statuer sur la constitutionnalité d'une
loi : le premier cas, le moins important, est celui où la
Cour constitutionnelle fédérale rend une décision sur demande soit du gouvernement fédéral, soit d'un gouvernement d'un land ou d'un tiers des membres de la diète
fédérale, lorsque la compatibilité du droit fédéral ou du
droit du land avec la Constitution ou bien la compatibilité
d'une loi de la ..d avec une loi fédérale est douteuse (art.
93, al. 2 de la Loi Fondamentale). il s'agit d'un cas du
dit contrôle abstrait des lois (abstrakte Normenkontrolle),
contrôle abstrait, parce que la Cour constitutionnelle
exerce ce contrôle sans qu'un litige particulier ait été en
cause (11).
A l'inverse on parle d'un contrôle concret des lois
. (konkrete Norme ..kontrolle) dans le cas suivant: lorsqu'un tribunal est chargé d'appliquer une loi qu'il estime
incompatible avec la Constitution, il doit ajourner le procès
et demander à la Cour constitutionnelle d'apprécier la
loi en question (art. 100, al. 1 de la Loi Fondamentale) (12).
Les lois annulées par la Cour constitutionnelle, exerçant
pareil contrôle concret des lois, sont nombreuses. Même
deux articles du respectable Code civil allemand furent
victimes de la juridiction constitutionnelle: les art. 1628
et 1629 du B.G.B. concernant la prépondérance du père
dan,s l'exercice de la puissance paternelle ont été jugés
incompatibles avec le principe constitutionnel de l'égalité
de droit entre l'homme et la femme (art. 3, al. 2 ile la
Loi Fondamentale) (13).
Le troisième cas est le « recours constitutionnel (Verfassungsbescbwerde) qui est établi par l'art. 90 de la loi
sur la Cour constitutionnelle du 21 mars 1951. Voici le
libellé de cet article: • Quiconque prétend avoir été lésé
par la puissance publique dans l'un de ses droits fondamentaux (.. ) peut introduire un recours constitutionnel
devant la Cour constitutionnelle fédérale . . Or, la notion
de puissance publiq ue englobe la jurisprudence et la lé-
·,
(11)
(12)
(13)
1959, p.
Maunz, p. 244 et 5., Lechner, p. 84 et s.
Maunz, Lechnec, précité.
Arrêt de la Cour constitutionnelle du 18 juin 1957 1.483, FamRZ 1959, p. 416.
NJW
263
�gislation (14). Par conséquent le particulier même peut
provoquer le contrôle des lois au point de vue de leur
compatibilité avec la Constitution.
6.
Lorsque la Cour constitutionnelle fédérale
considère une loi comme incompatible avec la Constitution elle constate sa nullité d-ans un arrêt. Cet arrêt ne
lie P'IS seulement les autorités administratives et les tribunaux, mais aussi les organes constitutionnels de la fédération et des lander (15).
La question s'est posée cependant de savoir, si le
dispositif seul ou aussi les motifs essentiels de l'arrêt
de la Cour constitutionnelle lient les tribunaux. Les motifs
essentiels aussi, dit la Cour constitutionnelle, seulement le dispositif dit la Cour fédérale. Cette divergence
d'opinions entre les deux tribunaux fédéraux ne manque
pas d'tin aspect ironique : lorsque la Cour constitutionnelle
a déclaré pour la première fois dans le « sommaire fondamental. rédigé par elle (les Leitsiitze) de l'un de seS
arrêts que les motifs essentiels sont susceptibles d'exercer
le même pouvoir sur les tribunaux que le dispositif, la
Cour fédérale a pu répondre, qu'une telle opinion de la
Cour constitutiOIUlelle ne pouvait être considérée dans respèce où elle avait été avancée comme motif essentiel imposant la solution donnée. Car la Cour constitutionnelle
ne peut accorder à ses motifs le pouvoir de lier les autres
tribunaux que dans les motifs de l'un de ses arrêts,
Or, dit la Cour fédérale, les motifs ne nous lient pas (16).
7.
La Cour constitutionnelle fédérale, siégeant à
Karlsruhe, est formée par deux cbambres - les sénats composée chacune de dix juges (17), élus pour moitié par
la diète fédérale, pour moitié par le Conseil fédéral (Bundesrat) (§§ 4 et s. B.V.G.G.). Le premier sénat connaît
du contrôle de la constitutionnalité des lois, le second
sénat tranche d'une part les litiges entre la fédération et
les lander et d'autre part les conflits entre les organes
(14) Cf. Lechner, p. 258, Geiger, p. 277.
(15) Art. 31, al. l, de la loi sur la Cour constitutionnelle Bundesverfassungsgerichtsgesetz - cité : B.V.G.G.
(16) Arrêt de la Cour constitutionnelle du 12 octoIrre 1951,
BVerfG E, l, p. 14 et 37, et du 10 février 1954, BverfG E, 3,
p. 261. Arrêt de la Cour fédérale du 20 mai 1924, NJW, 1954,
p. 1073.
(17) Selon l'art. 2 de la loi du 21 juillet 1956, le nombre des
juges de deux sénats sera réduit à huit juges à partir du 31 août 1963.
�constitutionnels. Les. recow"S constitutionnels » sont confiés
au.". deux sénats avec prépondérance du premier (18) .
Les liinder ont également institué des tribunaux constitutionnels, dont l'importance est restreinte, parce que la
compétence des tribunaux constitutionnels du land se bornent aux tâches créées par les constitutions de liinder. Le
Tribunal constitutionnel de Hesse et la Cour constitutionnelle bavaroise connaissent également du contrôle. de la
constitutionnalité des lois, mais ces tribunaux ne peuvent
déclarer que l'incompatibilité d'une loi de land avec la
Constitution du land (19).
,-
8.
TROISIEME PRINCIPE : Les cinq ordres. juridictionnels autonomes (art. 96 de la Loi Fondamentale).
Les autres tribunaux fédéraux correspondent aux $ix ordres
de juridictions pleinement autonomes. Cinq sont dotés de
tribunaux hiérarchisés. La sixième juridiction autonome,
dépourvue d'une hiérarchie, est la juridiction disciplinaire
fédérale (cf. art. 96 a, al. 4 de la Loi Fondamentale et la
loi relative au tribunal disciplinaire fédéral du 12 nov~m
b~e 1952). Cette juridiction sera négligée par notre analyse.
Lês cinq ordres juridictionnels autonomes sont les suivants :
1) La juridiction judiciaire (Cour fédérale)
2) La juridiction administrative (Tribunal administratif fédéral)
3) La juridiction du travail (Tribunal fédéral du
travail)
4) La juridiction sociale (Tribunal social fédéral)
5) La juridiction financière (Cour fédérale des finances)
(18) En réalité, les deux sénats ne décident qu'une partie insides recours constitutionnels, instruits par les particuliers.
li fut nécessaire qu'une commission de trois juges constitutionnels
cf. § 96 a, B.V.G.G.) chargée
soit installée (le DreierQusscbuss d'examiner les recours constitutionnels et de rejeter ceux qui sont
évidemment non-fondés pour que la Cour constitutionnelle, submergée des recours constitutionnels innombrables, puisse fonctionner.
Mais dans la mesure où les recours constitutionnels sont décidés
pour 95 Ofo par ladite commission, la garantie de droit établie par
le § 90, B.V.G.G., se trouve sensiblement dévaluée. Un projet de
loi élaboré par le gouvernement fédéral prévoit une restriction du
pouvoir de cette • chambre de requête. en ce sens que l'examen
préalable des recours constitutionnels déposés se bornera aux exigenges rormelles. Ensuite les recours devront être examinés par le sénat
cf. JZ, no 10,
auquel ils ont été déférés (BR - Drucks. 116{63 du 17 mai 1963, annexe p. 31).
(19) Bavière: cf. les art. 65, 92, 98, al. 4, de la Constitution
bavaroise du 2 décembre 1946 et la loi bavaroise no 72, du 22 juillet 1947, sur la Cour constitutionnelle bavaroise. Hesse : l'art. 131
de la Constitution hessc du 1er décembre 1946 et la loi hesse sur
la Cour d'Etat de Hesse du 12 décembre 1947.
~nifiante
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.....
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265
�r
,
.,
.'
...:=
Les cinq tribunaux fédéraux, représentant les sommets
de chacun des ordres de juridiction, exercent une juridiction de révision. Toutefois, la Cour fédérale et le Tribunal administratif fédéral connaissent .,xceptionnellement en
premier ressort de quelques affaires, ainsi que nous le
verrons plus loin (cf infra nO' 23 et 30).
La séparation entre la juridiction judiciaire et la juridiction administrative n'est pas, en Allemagne, issue d'une
longue évolution historique comme en France (20). Le tribunal administratif de Bade (21) mis à part, les premiers
tribunaux administratifs ont été créés à partir de la Constitution d'Empire de 1871 par quelques lander. L'Empire
de 1871 n'avait presque aucune compétence en matière
d'administration y compris la procédure contentieuse administrative. Par conséquent, les tribunaux administratifs
des lander n'étaient pas coiffés par un tribunal administratif
d'Empire. Cette situation ne fut pas changée sous la République de Weimar, bien que l'art. 107 de la Constitution
de Weimar eut prévu l'institution d'un Tribunal administratif d'Empire : cet article ne fut jamais appliqué. Le
Tribunal administratif fédéral actuel est le premier tribunal
administratif en Allemagne qui exerce une juridiction suprême relative à tous les tribunaux administratifs des
liinder (c'est depuis 1960, comme nous l'avons mentionné,
que la procédure contentieuse administrative est réglée par
une loi fédérale).
Tandis que la séparation entre la juridiction judiciaire
et la juridiction administrative paraît classique, la création
d'une juridiction du travail et d'une juridiction sociale, toutes les deux pleinement autonomes, étonnera le juriste
français. La juridiction du travail appartenait autrefois aux
tribunaux civils. Les tribunaux du travail furent créés par
une loi du 23 décembre 1926 comme des chambres spéciales au sein des tribunaux civils. C'est depuis la loi relative
aux tribunaux du travail du 3 septembre 1953, que la
juridiction du travail a reçu sa pleine autonomie. Mais les
litiges du travail ont gardé leur caractère antérieur (22).
A l'inverse, la juridiction sociale fut détachée de la
juridiction administrative. Ainsi dispose l'art. 1 de la loi
relative aux tribunaux sociaux du 3 septembre 1953 : c La
juridiction sociale est exercée par des tribunaux administratifs particuliers, indépendants des autorités administratives >. On doit remarquer qu'en droit allemand, les
problèmes soci aux, concernant par exemple les affaires
(20) Cf. Forslhoff, p. 471 el s.
(21) Créé en 1863 par une loi bavaroise du 5 octobre 1863.
(22) Cf. infra, no 32.
266
�d'assurances sociales, d'assurances chômages, ont été toujours considérés comme présentant un caractère de droit
public. On doit donc se demander pourquoi il a été ainsi
créé une juridiction autonome. Cette juridiction doit son
existence aux problèmes sociaux d'après guerre. Les questions de chômage, d'assistance aux victimes de la guerre
(art. 51, al. 1 de la loi relative aux tribunaux sociaux)
sont devenues très importantes et il a semblé nécessaire
d'attribuer leur connaissance à une juridiction administrative spécialisée.
La juridiction financière a été créée sous la République de Weimar et a reçu son autonomie par le Code
des impôts d'Empire du 13 décembre 1919 (23), autonomie
qui a été complétée par la loi relative aux réformes de
la juridiction financière du 22 octobre 1957 (24). La juridiction financière est compétente pour les litiges de droit
fiscal entre les autorités financières et le contribuable.
9.
La séparation du pouvoir juridictionnel en cinq
juridictions autonomes (la sixième étant négligée) entraîne
un problème extrêmement difficile : le problème de la
répartition de compétence entre les différents ordres juri. dictionnels. C'est notamment la répartition des compétences
entre la juridiction judiciaire en matière civile et la juridiction administrative qui met au supplice les juristes ,allemands et qui a fait couler beaucoup d'encre en Allemagne (25). Les solutions légales semblent simples au premier
coup d'oeil. Selon l'art. 13 de la loi sur l'organisation
judiciaire les tribunaux judiciaires trancbent les litiges de
droit civil et exercent la juridiction criminelle, tandis que
la juridiction administrative est compétente pour tous les
litiges de droit public qui échappent à la juridiction constitution nelle (art. 40, al. 1, V.WG.O.) (26). Mais ces deux
règles font la même restriction: sauf les cas - déclarent-elles - où une loi fédérale confie le litige à un ,a utre
ordre juridictionnel. Par conséquent, le problème se dédouble. Il faut savoir d'abord, si une loi fédérale ne
désigne pas comme compétent un autre or·dre de juridiction
- question parfois très délicate lorsqu'il s'agit d'une loi
préconstitutionnelle - c'est-à-dire d'une ancienne loi d'Empire qui est devenu droit fédéral en vertu des art. 123,
(23) Reiscbsllbgllbenordnung - cité : R.A.O .
(24) § 1 de la loi du 22 octobre 1957 : Les tribunaux financiers
sont des tribunaux des lànder indépendants et séparés des tribunaux
administratifs.
(25) Cf. la thèse française de M. Michel Fromont : La répartition
des compétences entre les tribunaux civils et administratifs en droit
allemand (Th. Paris, 1957 - Paris, 1960).
(26) Cf. note no 4.
267
�al. 1, 124 et 125 de la Constitution. Sinon il faut .a voir ....:..
deuxième problème - un critère pour la distinction entre
un litige de droit civil et un litige de droit public. On
dit : le critère est simplement la nature juridique de l'action
en justice en cause (27), c'est-à-dire la nature juridique
du litige. Mais quelle est la nature juridique du litige ?
En outre, les cas dans lesquels les tribunaux civils Qnt
compétence en matière d'affaires de droit public, et réciproquement, sont si nombreux (28), que ce ".ritère perd
toute sa valeur. A côté des cas légaux les juristes allemands connaissent • une attribution d'un litige de droit
public à la juridiction judiciaire par tradition . . Cette attribution par tradition est bien contestée par de nombreux
auteurs (29), mais soutenue par la Cour fédérale (30).
Aussi, toutes les tentatives faites pour dégager un critère
satisfaisant ont-elles abouti à un échec (31).
10.
La juridiction en matière ·de cartels qui a
été créée par la loi contre les restrictions de la libre
concurrence du 27 juillet 1952 (32) est très révélatrice
à cet égard. Selon le premier article de cette loi les
cartels sont interdits. Or, la loi contient maintes exceptions à cette défense (cf §§ 2 et 16, Kart G). .Mais la
plupart de ces exceptions exigent une approbation de l'autorité fédérale des cartels (Bundeskartellamt) . Bien que
l'autorité fédérale des cartels procède selon les règles de
la procédure civile, il s'agit d'une autorité administrative
ressortissant au ministère fédéral de l'économie (§ 48,
al. 1, Kart G). Mais les recours contentieux contre les
•
.,
• 1
(27) Das vom Kldge r bebauptete Recbtsfolgebegebren - ce crilère
est utilisé par la plupart des auteurs (cf. Stein-Jonas, t. l , annotation II, A, 1 avant § 1 ; Eyermann-Frohler, p. 111) et par
la Cour Cédé"le (arrêt du 10 juillet 1954 - BGH Z, E 14, p. 227),
tandis que d'autres auteurs (cf. Klinger. p. 118) et une partie de
la juridiction administrative (cf. arrêt de la Cour administrative bavaroise du 26 juin 1953, VwRspr., 6, p. 221) considèrent comme
décisive c la nature du droit applicable-.
(28) Un exemple se trouve dans la Constitution même, dont
l'art. 14 prévoit la possibilité des expropriat ions exigées par le
salut public. Tandis que l'acte d'expropriation même peut être attaqué
devant les tribunaux administratifs, les litiges concernant l'indemnisation de l'exproprié sont confiés aux tribunaux civils (art. 14,
al. 3, de la Foi Fondamentale).
(29) Cf. Klinger, p. 125 ; Eyermann-Frohler, p. 145.
(30) Arrêt de la Cour fédérale du 8 mai 1952, DV~L. 1952,
p. 626.
(31) Cette opinion est partagée par MM. Stein, Jonas, Pohle
(Stein-Jonas, t. l , annotation II, A, 1 avant § 1) et M. Klinger
(Klinger p. 119).
(32) Gesets gegen Wettbe werbsbescbriinkungen - (Kart ellgeset~)
- cité : Kart G.
�arrêts de cette autorité fédérale échappent aux tribunaux
administratifs. On a créé des chambres spéciales au sein
des tribunaux judiciaires - une chambre dans chaque
tribunal supérieur du land (§ 92, Kart G) et une chambre
dans la Cour fédérale (§ 9, Kart G) - exclusivement
compétentes pour tous les litiges concernant les dispositions
de la loi relative aux cartels (~ 96, Kart G).
11. - Si difficile Que soit Je problème de répartJtlon
des compétences entre les différents ordres juridictionnels (33), la procédure dans un conflit des compétences
a été simplifiée par une réforme apportée par la loi relative
aux tribunaux administratifs du 21 janvier 1960 (V.W.G.O.) .
Pourtant, cette loi ne crée pas un tribunal fédéral des
conflits. L'Empire non plus n'avait jamais installé un tel
tribunal ; la juridiction des conflits ne se trouvait que
dans les liinder de l'Allemagne du Sud (34), mais seule
la Bavière a aujourd'hui gardé sa Cour des conflits qui n'a
aucune importance (35). Les règles - établies par l'art. 17
de la loi sur l'organisation judiciaire et l'art. 42 de la Joi
relative aux tribunaux administratifs - sont les suivantes :
l o Quant au conflit positif aucune juridiction ou au. torité administrative ne peut plus contester la compétence
du tribunal qui s'est reconnu compétent et a jugé au
fond. JI s'agit simplement du respect de la chose jugée
(§ 17, al. 2, G.V.G - § 41, al. 2, V.W.G.O. - cf. § 48 a,
Asb. G.G.) (36).
20 Lorsqu'une juridiction se déclare incompétente conflit négatif - elle est tenue de renvoyer le litige sur
la demande du plaideur à la juridiction qu'elle croit compétente. La juridiction ainsi désignée ne peut pas se déclarer
•
(33) Pour illustrer le fait, que même les spécialistes ne peuvent
plus s'orienter dans la question, on pouccait cüer le fameux procès
entre le Chancelier Adenauer et M. Dehler, ancien ministre
de la Justice et juriste éminent . Le Chancelier avait enregistré un entretien avec M. Dehler au cours des pourpacIers
de coal ition entre le parti gouvernemental (C.D.V.) et le parti
libéral (F.D.P.), dont M. Dehler était le leader. M. Oehler assigna
le chancelier devant un tribunal judiciaire et revendiqua le ruban magnétique, sur lequel sa voix avait été enregistrée, en s'appuyant sur
des dispositions relatives à la protection de la propriété littéraire
et artistique (compétence judiciaire). Le procès fut porté jusque devant la Cour fédérale, qui se déclara incompétente, alléguant le fait
que Je contenu des entretiens enregistrés avait un caractère politique,
Par conséquent, la Cour fédérale estima compétente la juridiction
administrative (arrêt de la Cour fédérale 'du 19 janvier 1959, NJW,
p. 988).
(34) Cf. Rosenberg, p. 46 et s.
(35) Cf. Loi bavaroise du 18 août 1879 relative à la Cour
des conflits .
(36) Loi relative aux tribunaux de travail du 3 septembre 1953
(Arbeitsgericbtsgesetz cité: Acb. G.G.).
269
�,-
incompétente en alléguant la compétence de la prenuere
juridiction (cf. les dispositions précitées). Le problème de
savoir, si le tribunal une fois désigné reste compétent
même en niant sa propre compétence, n'est pas encore
résolu (37). Tandis que quelques auteurs se sont exprimés
dans ce sens (38), d'autres tendent à accorder au tribunal
désigné le pouvoir de renvoyer le litige à une troisième
juridiction (39). Dans ce cas le jeu se répète jusqu'à ce
qu'un tribunal des cinq ordres juridictionnels soit tenu
à juger au fond.
12. - La création de cinq ordres juridictionnels n'est
pas seulement le résultat d'une division de travail en
matière de justice, mais aussi l'expression de la volonté
de réaliser une garantie de droit totale. Cette volonté
est aussi manifestée par le quatrième principe de l'organisation iuridictionnel/e en Allemagne: La compétence subsidiaire des tribunaux civils en matière publique. Ainsi
dispose l'art. 19, al. 4, de la Constitution: • Quiconque
se trouve lésé par la puissance publique dispose d'un recours devant les tribunaux. Lorsqu'aucune juridiction n'est
compétente, il peut porter son recours devant les tribunaux
judiciaires , (40).
D'après l'opinion prépondérante, l'art. 19, al. 4 de
la Loi Fondamentale constitue un droit subjectif • en matière publique , (41). Par conséquent, aucun 'tribunal ne
peut se déclarer incompétent, sous le prétexte que l'acte
attaqué échappe au contrôle de la justice, sans violer le
particulier dans ce droit subjectif. Dans le cas, où un
particulier prétend ainsi être lésé par la puissance publique dans un droit quelconque, le juge civil est obligé de
juger au fond, lorsque la juridiction administrative (ou une
autre juridiction) n'est pas compétente (ou lorsqu'elle a
déclaré son incompétence - cf. supra nO 11). Certes, la
notion c puissance publique , n'englobe ni les activités
juridictionnelles (42) ni les activités législatives (43) pour
(37) Cf. Baumbach-Lauterbach, p. 1652 ; Eye["mann-Frôhler, p. 153.
(38) Cf. Baumbach-Lauterbach, Eyermann-Frôhler, ,précité.
(39) Cf. Hueck-Nipperdey, p. 840, ct les articles de M. Bôttcher
(RdA 1960, p. 162) et M. Hastler (NJW 1954, p. 840).
(40) C'est-à-dire devant les tribunaux judiciaires.
(41) Suf1ektiv-olfentliches Recbt - cf. Maunz -Dürig, annotation
nO 2 à l'art. 19, al. IV i Bachof : Die Klage auf Vornahme einer
Amtsbandlung. 1951, p. 84 i Maunz : p. 112 et s.
(42) Dans ce sens: arrêt du tribunal administratif supérieur de
Rhén3nie - Palatinat (LVG Rheinland - Pfalz) du 12 octobte 1950 JZ 51, p. 372 ; Mangoldt-Klein : p. 571.
Contra : Maunz-Durig : précité anD. no 18.
(43) Opinion unanime : cf. Maunz-Dürig, précité ann. nO 17 i
arrêt de la Cour fédérale des finances du 7 avril 1954 BStBL.
III, 1954, p. 165 j arrêt du tribunal supérieur de land (OLG~.
Hambourg, du 22 janvier 1954 - MDR 1954, p. 554.
~70
�qui d'autres moyens de contrôle sont ouverts, mais elie
comprend toutes les activités administratives, y compris
les actes gouvernementaux (44) et les décisions d'ordre intérieur des autorités (45) qui, autrefois, n'étaient pas censés
susceptibles d'un recours en justice.
Bien que la portée pratique de l'article 19, al. 4, soit
restreinte par l'établissement d'une clause générale (§ 40.
V.W.G.O.), reconnaissant au particulier la possibilité d'attaquer les actes de la puissance publique devant les tribunaux administratifs (cf. §§ 42 et 47, V.W.G.O., infra nO 28),
l'importance théorique de cette disposition constitutionnelle
est considérée comme extrêmement grande par la plupart
des auteurs. M. Dürig, professeur de la Faculté de Droit
de Tübingen pouvait écrire: « L'art. 19, al. 4, manifeste
la décision des constituants d'établir une garantie absolument complète des droits de l'individu par la justice . (46) ;
« il est un rocher de bronze de la liberté du citoyen. (47).
DEUXIEME PARTIE
La hiérarchie des différents ordres juridictionnels
13. - Tandis que nous avons exploré dans la première
partie le sommet de la justice allemande, nous descendons
maintenant à la base de cette justice, pour grimper ensuite
à nouveau les degrés de la hiérarchie des tribunaux selon
le destin de la demande en justice. Nous analyserons d'abord
plus explicitement la hiérarchie des tribunaux judiciaires
en matiere civile et en matière pénale. Dans un deuxième
paragraphe nous donnerons une présentation rapide de la
hiérarchie et des traits caractéristiques des autres ordres
juridictionnels. Un troisième paragraphe sera consacré à
la condition des magistrats et des auxiliaires de la justice.
§ 1 Tribunaux civils et répressifs
14. La hiérarchie des tribunaux civils est très
proche du système français. Elle comprend une juridiction
du premier et du second degré et une juridiction suprême.
(44) Maunz-Dürig, précité, no 24 j Cour administrative de Hesse
du 13 octobre 1950 - VerwRspr. 1, p. 334, DVBI., 1951 , p. 146 ;
arrêt du Tribunal administratif fédéral du 9 février 1956 - BVet"wG E
3, p. 130, et du 22 févriet" 1956 - BVerwG E 3, p. 171.
(45) Maunz-Dürig, précité, ann. no 25 ; arrêt de la Cour fé·
déraie du 21 septembre 1953 - BGHZ 10, p. 297.
(46) Verfabrensrecbtlicb lûckenloser Individualrecbtsscbuts, cf.
Maunz-Dürig, précité, ann. n01.
(47) Maunz-Dürig, précité, ann. no 5.
271
�Les juridictions d'exception sont plus rares qu'en France. Abstraction faite de quelques cas négligeables la juridiction d'exception se borne aux tribunaux d'instance,
aux Amtsgerichte. Bien que cette juridiction soit très voisine du tribunal d'instance français, je garderai l'expression
allemande pour éviter toute confusion. L'Amtsgericht tranche tous les litiges civils ayant une valeur infériew-e à
1 000 DM (1.200 F. environ), sauf les litiges qui sont
expressément confiés aux tribunaux de land (§ 23, G.V.G.)
(48). En outre, l'Amlsgericht exerce la juridiction gracieuse (49) et tient le registre cadastral (50) et le registre
commercial (51). Les jugements de l'Amtsgericht sont rendus par un juge unique (§ 22, al. 1, G.V.G.). Ils sont
portés èn appel devant le tribunal de land (§ 72, G.V.G.).
L'arrêt d'appel rendu par le tribunal de land n'est pas
susceptjble d'une révision par la juridiction suprême.
15. - La juridiction. du premier degré est exercée
pal' le tribunal de land (Landgericht), abstraction faite de
sen rôle comme tribunal d'appel pour les jugements de
l'Amlsgericht. En matière civile le tribunal de land est
composé de plusieurs chambres civiles. Parfois, mais non
obligatoirement, on y trouve des chambres commerciales
(§ 93, G.V.G.) (52). Les chambres commerciales ne sont
que des chambres spéciales du tribunal de land et ne sont
pas considérées comme des tribunaux d'exception (53).
Les chambres commerciales tranchent les litiges d'un caractère commercial, dont l'art. 95 de la loi sur l'organisation judiciaire (G.V.G) contient une énumération complète,
mais elles n'ont compétence que sur la requête du demandeur (§ 98, al. 1, G.V.G.) et par décision d'une chambre
civile (§ 98, al. 3, G.V.G.). Chaque chambre civile est
composée de trois juges professionnels, la chambre commerciale d'un juge appartenant au tribunal de land et de
deux juges de commerce non-professionnels (54) (cf. §§ 75
et 105, al. 1, G.V.G.).
16. - Avant de monter au degré suivant il semble
préférable de préciser les grandes règles de compétence
,
•
,
\
,
\
J
(48) Au surplus l'Amtsgericbt tranche les litiges énumérés dans
l'art. 23 de la loi sur l'organisation judiciaire (G.V.G.) indépendamment de leur valeur.
(49) Art. 125, al. l, de la loi relative à la juridiction gracieuse
du 17 mai 1878.
(50) Art. 1er de la loi sur la publicité foncière du 2~ mars 1897.
(51) Art. 8 du code de commerce et l'art. 125 de la loi relative
à la juridiction gracieuse.
(52) Kammern fur Handelssachen (Chambres pour des affaires
commerciales) correspondant au Tribunal de commerce frans:ais.
(53) Rosenberg, p. 135.
(54) Ebrenamtlicbe Richter (juges c à titre honorifique _).
272
�territoriale et d'attribution. Quant à la compétence terri-
toriale la règle correspond à la règle française : le tribunal
compétent est celui du domicile du défendeur (§ 13, Z .P.O.)
(55). Mais cette règle connait maintes exceptions qui se
divisent comme en droit français en deux catégories : désignation d'un tribunal déterminé et options de
compétence. La loi ne désigne un tribunal déterminé, non
susceptible d'une prorogation, que pour les actions réelle.
immobilières (c'est le tribunal de la situation de l'immeuble - § 24, Z.P.O.) et pour les actions en divorce (dernière résidence commune des époux - § 606, al. 1, Z.P.O.).
Les règles d'attribution de J'Amtsgericbt et du tribunal
de land sont les suivantes :
10 L'incompétence est toujours absolue, lorsque le demandeur s'est trompé sur l'ordre juridictionnel à saisir
(cf. supra nO 11).
20 Il Y a incompétence absolue de J'Amtsgericbt, lorsque la compétence du tribunal de land est exclusive. A
rinverse, la compétence d'attribution de l'Amtsgericbt est
toujours susceptible d'une prorogation des parties.
30 La compétence du tribunal de !and est susceptible
d'une prorogation sauf quatre cas importants, il s'agit :
a) des actions d'un caractère non-patrimonial (cf.
§§ 606, 665, 679 al. 4, 684 al. 4 et 777 al. 4, Z.P.O.) ;
b) des actions contre le fisc en vertu des lois relatives
aux fonctionnaires (§ 71, al. 2, G.V.G.) ;
c) des actions en dommages intérêts contre J'Etat à
cause d'une prévarication de ses fonctionnaires (art. 839
B.G.B.), art. 34, Loi Fondamentale, et § 3 de la loi du
22 mai 1910) (56) ;
~.
cL) et enfin des actions en nullité concernant les résolutions prises par des assemblées générales des sociétés
anonymes ou des sociétés à responsabilité limitée (cf. §§ 199,
al. 3, et 201 de la loi du 13 janvier 1937 .s ur les sociétés
anonymes et §§ 61 et 75 de la loi du 20 .a vril 1892 sur
les sociétés à responsabilité limitée).
17. - Les jugements des tribunaux de land peuvent
être portés en appel devant le tribunal supérieur de land
(Oberlandesgericbt) ; celui-ci exerce la iuridiction du second
degré (cf. §§ 511 , Z.P.O. et 119, G.V.G.). Le tribunal
supérieur de land est composé de plusieurs chambres civiles
et pénales qui s'appellent • sénats -. Chaque sénat - soit
•
, 1
;
•
(55) Code de procédure civile du 30 janvier 1877 - Zivilprozessordnung - cité : Z.P.O.
(56) Reicbsbaltplicbtgesetz - loi (clative i\ la responsabilité délictuelle de l'Etat.
273
�civil, soit pénal - comprend trois juges (§ 122, al. 1,
G.V.G.). En matière civile le tribunal supérieur de land
est uniquement tribunal d'appel (57).
Les jugements du tribunal de land frappés d'appel
sont les jugements définitifs ; les jugements d'avant dire
droit (Zwiscbenurteile) (58) sont susceptibles d'appel indépendamment du jugement définitif, lorsque le juge du
fond a rejeté une exception d'incompétence ou un autre
déclinatoire (59). Le jugement par défaut n'est jamais frappé
d'appel - sauf un cas très exceptionnel (60). Le défaillant
dispose d'un recours spécial qui correspond à l'opposition
du droit français (cf. §§ 230 et s. Z.P.O.) (61).
L'appel peut être interjeté par les parties du premier
degré, soit par le défendeur, soit par le demandeur, soit
enfin par l'intervenant accessoire ou un litisconsort de
l'une des parties. Mais on ne peut intimer que la partie
du premier degré ou le litisconsort de celle-ci (62). Enfin,
l'autre partie a la possibilité d'interjeter un appel joint
(§ 511, Z.P.O.). L'appel a - comme en France - un
effet dévolutif et suspensif .<63). Le procès se reprend entièrement devant le tribunal supérieur de land (64). La
possibilité d'introduire de nouveaux moyens en demande
ou en défense a certaines limites (65) . Le tribunal supépérieur de land peut confirmer ou infirmer l'arrêt attaqué, mais seulement dans les limites de l'acte d'appel,
c'est-à-dire il ne peut ni dépasser la demande de l'appelant (§§ 538 et 539, Z .P.O.) ni donner une solution
moins favorable que le juge du fond . Les juristes allemands
parlent du principe de l'interdiction de re;ormatio in
peius (66).
18. - La iuridiction suprême est exercée par la COUt·
fédérale (Bwldesgericbtsbof) et la Cour suprême bavaroise
(Bayericbes Oberstes Landesgericbt). Tandis que la Cour
(57) En matière de cartels le tribunal supeneur de land exerce
exceptionnellement la juridiction du premier degré - cf. supra nO la).
(58) Sauf le jugement provisoire (cf. §§ 302, aL 3, et 599,
al. 3, Z.P.O.).
,
,
,
,
(59) Rosenberg, p. 656.
(60) § 513, al. 2, Z.P.Q. : il y a appel contre un jugement par
défaut lorsque le défaillant prétend que les conditions du défaut
n'étaient pas données.
(61) Bescbwerdeund ŒJiedereinset:;ung in den vorberigen Stand.
(62) Cf. Rosenberg, p. 666; arrêt de la Cour fédérale du
24 janvier 1952 - BGH Z, 5, p. 331 et s.
(63) Rosenberg, p. 651{652.
(64) Rosenberg, p. 683.
(65) § 529, Z.P.Q. - il s'agit notamment des moyens qui n'onr
pas été introduits dans le procès du premier degré par négligence
grave ou pour des raisons abusives.
(66) Rosenberg, p. 714 et 688.
274
�fédérale assure l'unité d'application et d'interprétation du
fidèle à ses traditions audroit fédéral, la Bavière tonomistes - a institué sa Cour suprême pour garantir
l'unité d'application du droit bavarois (67). Mais il est
évident que le rôle de la Cour suprême bavaroise est très
restreint, toutes les lois civiles importantes étant des lois
fédérales (68).
La Cour fédérale, siégeant à Karlsruhe (fPlurttemberg - Bade), est composée des huit chambres civiles,
cinq chambres criminelles, une chambre disciplinaire, une
chambre pour les affaires d'avocat et une chambre des
cartels (mentionnée supra nO 10). Les chambres de la Cour
fédérale s'appellent • sénats » comme les chambres du
tribunal supérieur du land. Lorsqu'il s'agit d'une affaire
d'une grande portée juridique, la Cour fédérale connait une
grande chambre civile (ou criminelle) les • grands
sénats » - composée chacune de neuf magistrats (§§ 116
et 130, G.V.G.) (69). Emin, les grands sénats civils et
criminels sont tenus de délibérer ensemble, lorsqu'un sénat
civil veut abroger une solution donnée par un sénat cri-
minel et à l'inverse (les • grands sénats unifiés. - cf.
§§ 136, al. 2 et 132, al. 4, G.V.G.).
En matière civile, seuls les arrêts d'appel du tribunal
supérieur de land sont susceptibles d'un contrôle de la
juridiction suprême. La Cour fédérale n'est pas une cour
de cassation mais une cour de révision : après avoir annulé l'arrêt d'appel du tribunal supérieur de land elle peut
substituer à cet arrêt sa propre décision, lorsque (nous
citons l'art. 565 du code de procédure civile) • l'affaire
est en état d'être jugée » (70). Sinon elle renvoie l'affaire
au tribunal supérieur de land qui a jugé au fond et qui
est tenu de statuer encore une fois en adoptant la doctrine donnée par l'arrêt de la Cour fédérale (§ 565, al. 2,
Z.p.O.).
Le pourvoi en révision n'est admis que dans le cas
où le tribunal supérieur de land a violé une règle soit
-,'
,
.
(67) Cf § 8, E.G.G.V.G. (loi d'introduction de la loi sur l'organisation judiciaire du 27 janvier 1877) et la loi bavaroise relative
à l'exécution de la loi sur l'organisation judiciaire du 17 novembre 1956 (art. 18-24).
(68) Comme exempl e pour une loi civile bavaroise i1 faut mentionner notamment la loi d'exécution du code allemand du 9 juin
1899 prévoyant le règlement des contrats de livraison de bière
(Bierliejerungsvertrâge) et contenant des particularités en matière de
droit de voisinage et de servitudes.
(69) Le sénat .. orainaire . de la Cour fédérale compte cinq
juges (§ 132, G.Y.G.).
(70) CEJenn die Sacbe zur Entscbeidung reif Îst.
�du droit fédéral, soit du droit de land. En outre, le pO,urvoi
en révision exige les conditions suivantes
10 la valeur du litige doit dépasser 6000 DM (env.
7.200 F.) - (§ 545, Z.P.O.) ;
20 Le pourvoi en révision doit être déclaré recevable
par le tribunal supérieur de land, parce que l'affaire a
une grande portée. Le pourvoi en révision est toujours recevable, lorsque l'arrêt du tribunal supérieur de land est
contraire à une décision antérieure de la Cour fédérale
ou lorsque la répartition des compétences est en cause
(§§ 546 et 547, Z.P.O.).
Les autres exigences, notamment les formes du pourvoi
en révision, correspondent à celles de l'acte d'appel (cf. les
§§ 553 - 5545, Z.P.O.). Le pourvoi a un effet suspensif et
un eHet dévolutif restreint. Des moyens nouveaux sont
exclus.
..
19.
En général les arrêts de la Cour fédérale
atteignent un haut niveau juridique. Leurs motifs ne sont
pas si concis que les motifs des arrêts de la Cour de
Cassation française. Le juriste français est souvent étonné
par la longueur des arrêts allemands, par leur richesse
en observations d'ordre théorique, par les multiples références aux opinions doctrinales et aux décisions antérieures.
Ce fait trouve son explication historique dans la situation
exceptionnelle de la doctrine avant la codification du droit
allemand et dans la grande influence qu'elle exerçait sur
la jurisprudence. Il faut mentionner notamment Jes « consultations de faculté . (Fakultiilsgutacbten) : il s'agissai t des
consultations des professeurs les plus célèbres de l'époque,
consultations élaborées par eux sur demande d'un tribunal
qui était chargé de donner une solution dans un litige
compliqué. Ces consultations ont souvent fixé la jurisprudence du dernier siècle. Mais la longueur des motifs
se trouve quelquefois exagérée : les motifs de l'arrêt sur
l'interdiction du parti communjste, établie par une loi constitutionnelle fédérale en vertu de l'art. 21, al. 2, de la Loi
Fondamentale, sont déposés dans un volume de cinq cents
pages (71).
20.
L'organisation iudiciaire en matière Pénale:
la hiérarchie des tribunaux et les règles de la compétence d'attribution en matière pénale sont beau.coup plus
(71) Arrêt de la Cour fédérale du 17 août 1956, BVerlG E, 5,
p. 87 ct s. la reproduction des motifs dans le recueil officiel
précité s'étend sur 308 pages - cf. la vive critique de M. Zwcigert :
Drei Jabre KP-Verbot JZ, 1955, p. 678.
276
�compliquées qu'en maUere civile. Par conséquent nous ne
pourrons que tracer les grandes lignes, et d'une manière
simplifiée.
La juridiction criminelle en Allemagne peut être caractérisée par deux principes dont l'un est le rôle important de l'échevinage, l'autre la faculté de tous les tribunaux
de l'ordre judiciaire - y compris la Cour fédérale de connaitre en premier ressort.
Les règles de la compétence d'attribution peuvent être
ramassées dans l'idée suivante: la compétence supérieure
englobe toujours la compétence inférieure (72). En général
le tribunal compétent est désigné par la plainte du ministère public (§§ 151 et 170, al. 1, S.T.P.O.) (73), mais
le tribunal peut statuer sur sa compétence indépendamment
de la plainte publique (cf. §§ 207, 209 et 270, S.T.P.O.).
,
21. Les règles de la compétence d'attribution
confient à l'Amtsgericht le pouvoir de juger - en premier reSSort - les contraventions et les délits d'une importance restreinte (§ 24, G.V.G.). Des crimes même peuvent - exceptionnellement - se trouver sous la compétence de l'Amtsgericht (74). Le3 jugements de l'Amtsgericht
Sont rendus soit par un juge unique (§ 25, G.Y.G.), soit
par un tribunal d'échevins (§ 28, G.Y.G.) qui est composé
d'un juge de carrière et de deux échevins (§ 29, al . .1,
G.V.G.). Le principe de répartition de compétence entre
le juge unique et le tribunal d'échevins est le suivant :
tandis que ce dernier juge les délits, le juge unique cannait
des contraventions.
22. -
Sous la compétence du tribunal de land - touse trouvent les délits échappant
à la compétence de l'Amtsgericht et les crimes qui n'appartiennent ni à la compétence de la Cour d'assises, ni à
celle du tribunal supérieur de land ou de la Cour fédérale
(cf. infra, nO 23). Le u-ibunal de land exerce la juridiction
du premier degré par la grande chambre pénale, composée
de trois juges professionnels et ·d eux échevins (§ 76, al. 2,
G.Y.G.).
joure; en premier ressort -
(72) Kern, p. 31 - cf. § 169, S.T.P.O.
(73) Gode de procédure pénale du 1er janvier 1877 - Strafprozersordnung ; cité : S.T.P.O.
(74) Il s'agit des crimes d'importance restreinte, échappant à
la juridiction de la Cour d'assises et de la Cour fédérale (ou du
tribunal supérieur de lmld), crimes entrainant une peine de réclusion inférieure à deux ans. Mais dans tous ces cas le ministère
public peut porter la plainte devant la grande chambre pénale du
tribunal de land (§ 27, al. 1, G.V.G.) - c'est pratiquement la règle.
L'Amtsgericbt ne peut jamais condamner à une peine supérieure ;\
deux ans de réclusion.
277
�La Cour d'assises est également installée au sein du
tribunal de land. Elle est compétente pour juger les crimes
énumérés par l'art. 80 de la loi sur l'organisation judiciaire: il s'agit notamment des crimes d'assassinat et
d'homicide, de rapine, d'extorsion grave et des crimes
constituant un danger public (75). La Cour d'assises réunit
six jurés et trois juges professionnels (§ 81, G.V.G).
Les jurés sont élus d'aprè, un système qui ressemble
à celui du droit français, mais ni l'accusé ni le ministère
public n'ont la faculté de rejeter un juré une fois désigné
par les organes responsables de l'élection des jurés. Les
jurés - selon une réforme datant de 1924 - ne décident
pas seulement la question de culpabilité de l'accusé
(Schuldfrage), mais participent à la détermination de la
peine (Stralmass). Leurs fonctions sont si proches de celles
des échevins que l'on a pu dire Que la Cour d'assis.es
n'est rien d'autre qu'un • grand tribunal d'échevins . (76).
En outre, la procédure d'élection est commune aux jurés
et échevins (§§ 83 et 31-57, G.V.G.).
23. - Enfin, le tribunal supérieur de land et la Cour
fédérale sont tribunaux en premier et dernier ressort pour
juger les crimes d'un caractère politique (énumération complète dans l'art. 134 de la loi sur l'organisation judiciaire).
Le tribunal supérieur de land est compétent, lorsque la
sécurité du land est menacée ; dans ce cas le Parquet fédéral
doit renvoyer l'affaire au tribunal supérieur de land en
question (§§ 120 et 134 a, G.V.G.). La Cour fédérale juge
les crimes de même nature ayant porté atteinte à la
sécurité de la République fédérale - par exemple haute
trahison (77).
24. - La iuridiction du sec07,d degré - c'est-à-dire
la juridiction d'appel - est exercée
10 par la petite chambre pénale (composée d'un juge
de carrière et deux échevins) du tribunal de land contre
les jugements du juge unique de l'Amtsgericht (cf. §§ 74,
al. 2, et 76, al. 2, G.V.G.) ;
20 par la grande chambre pénale du tribunal de land
contre les jugements rendus par le tribunal d'échevins (cf.
,'.
>
(75) Comme par exemple le crime d'incendie grave (art. 307,
code pénal) . Les autres crimes constituant un danger public (comme
l'inondation préméditée, art. 312, code pénal) ne se trouvent sous
la compétence de la Cour d'assises que lorsqu'un tç:l crime a
entraîné mort d'homme (§ 80, G.V.G.).
(76) Cr. Kern, p. 23.
(77) P.e. la fameuse affaire autour de l'hebdomadaire Der S'Piegel
et l'ancien ministre de la défense, M. Strauss, se trouve sous la
compétence de la Cour fédérale.
278
�les dispositions précitées). Ni les jugements de la grande
chambre pénale, ni les arrêts de la Cour d'assises ne sont
susceptibles d'appel (§§ 121 et 135, G.Y.G., in fine).
".
25. - Les jugements non frappés ô'appel sont soumis
au contrôle de la juridiction de révision. Mais en matière
pénale la Cour fédérale perd son monopole sur la juridiction de révision, celle-ci étant également exercée par
les tribunaux supérieurs de land (§ 121, G.V.G.). Le pourvoi en révision se porte toujours devant le tribunal supérieur
de land, lorsqu'il se dirige :
10 contre les jugements du juge unique de l'Amtrgericbt non frappés d'appel ;
20 contre les arrêts d'appel de la petite et de la
grande chambre du tribunal de land.
Les arrêts de la Cour d'assises et les jugements en
premier ressort de la grande chambre pénale du tribunal
de land sont soumis à la révision du tribunal supérieur
de land, lorsque le pourvoi s'appuie sur la violation d'une
loi de land ; à l'inverse ils sont révisés par la Cour fédérale, lorsque le droit fédéral est en cause.
La juridiction de révision peut - comme en matière
civile - substituer sa propre décision à l'arrêt attaqué
ou bien eUe peut renvoyer l'affaire au tribunal dont elle
a cassé le jugement. Dans le dernier cas le tribunal doit
statuer encore une fois en adoptant la solution donnée
par la juridiction de révision (§ 354, S.T.P.O.). La faculté d'interjeter l'appel ou de se pourvoir appartient à
la fois à l'accusé, à son défendeur ou représentant légal (78) et au ministère public qui s'en peut servir même
en faveur de l'accusé (§ 296, S.T.P.O.). En outre, on
peut se pourvoir immédiatement dans tous les cas où
l'appel serait possible - on parle de la révision par saut
(Sprflngrevirion - cf. § 355, S.T.P.O.).
§ 2 La hiérarchie et les traits caractéristiques
des juridictions non-judiciaires
26. - La juridiction administrative en Allemagne est
aujourd'hui totalement indépendante et strictement séparée
de l'administration. En effet, elle ne remplit aucune tâche
d'un caractère consultatif et n'a que des attributions contentieuses. Les tribunaux administratifs sont composés des
magistrats de carrière, dont le statut est le même que
celui des juges judiciaires (cf. infra nO 41) ; toutefois, les
tribunaux de premier ressort se trouvent complétés par:
,
(78) Kern, p. 197.
279
�deux juges non-professionnels (§ 4, aL 3, V.W .G.O.). En
outre, la juridiction administrative ne connaît plus de formations spéciales au sens propre du mot - les tribunaux
sociaux. et financiers disposent d'une hiérarchie qui leUl"
est propre (79).
,
27. - Pour que les attributions contentieuses des tribunaux administratifs soient compréhensibles il faut intercaler ici une brève analyse de l'acte administratif selon
la terminologie allemande, qui diffère sur ce plan sensiblement de la terminologie française. Certes, la nature juridique de l'acte administratif reste - selon l'opinion quasi
unanime des auteurs - encore douteuse. Mais on peut tout
de même en indiquer les traits essentiels (80). Comme en
France la notion d'acte administratif exclut les actes des
organes législatifs et juridictionnels aussi bien que les actes
accomplis par les simples particuliers (81) - on ne considère pas non plus comme actes administratifs les actes de
gouvernement, les mesures d'ordre intérieur (82) et les
actes de droit privé de l'administration (83). Mais la notion d'acte administratif a aussi un sens beaucoup plus
étroit qu'en France. EUe ne s'applique qu'aux actes particuliers, issus des autorités administratives pour régler une
situation concrète, actes s'adressant à un individu ou à
un nombre déterminable d'individus qui se trouvent dans
une situation de subordination à l'égard de l'administration (84). Tous les actes accomplis par l'administration qui
s'adressent à un nombre déterminable d'individus sont considérés comme règles de droit (Recbtmormen) (85) . D'où
la distinction allemande entre une loi dans le sens formel
•
•
"
(79) Bien que la loi les désigne comme c tribunaux administratifs
spéciaux,. (cf. § 1, S.G.G. et § 1 de la loi du 22 octobre 1957,
cf. aussi Ulc, p. 23 et s.) ; mais cf. d'autre part l'art 96, al. l, de
la Loi Fondamentale : la juridiction admin istrative (et) la juridiction
sociale (et) la juridiction financière, etc.
(80) Forsthoff, p. 181 j Eyermann-Frôhlcr, p. 164 et s. i Turegg-Kraus, p. 127 cf. aussi § 25 du décret no 165, relative
aux tribunaux admin istratif de la zone d'occupati on britannique (décret
du gouvernement militaire britannique) qui contenait une définition de
la notion d'acte administratif. La foi fédérale du 21 janvier 1960
y a renoncé.
(81) P.c. un ministre agissant comme un simple particulier.
(82) contra : Obermayer : Verwaltungsakt und innerdienrtlicber
cf. aussi supra no 12, et
Recbtsakt, München, 1956, p. 164 notes nos 44 et 45.
(83) Cf. Forsthoff, p. 184; Obermayer~Mang, p. 141.
(84) Cf. Obermayer-Mang, p. 1.40 et s.
",
- , .."-
"
(85)
suivant:
considéré
dirigeant
280
Pour illustrer cette distinction on peut donner l'exemple
tandis qu'un panneau de circulation routière doit être
comme une règle de droit, les signes de main d'un policier,
la circulation, constituent des actes administratifs.
�(c'est-à-dire votée par le parlement) et une loi dans le
sens matériel (ce sont les décrets et tous les arrêts qui
s'adressen t à un nombre indéterminable d'individus) (86).
r
•
•
,
,
28 . - Les actes administratifs, pris dans ce sens étroit
peuvent être attaqués par un recours spécial qui correspond
au recours pour excès de pouvoir du droit français : c'est
le recours c en infirmation lt ayant pour but l'annuJation
de l'acte administratif défavorable. A côté de ce recours
le particulier dispose d'un deuxième recours (Verpjlicbt'l11gsklage - cf. § 42, V.W.G.O.) comparable de loin
au « recours de pleine juridiction» : dans ce recours le
requérant réclame de la part de l'administration un avantage
qui doit lui être accordé par un acte administratif en sa
favew', acte que l'administration n'a pas accompli ou a
refusé d'accomplir (87).
Ces deux recoms (88) sont portés devant le tribunal
administratif qui juge en premier ressort. Pour que les recours soient recevables, il faut - dans la plupart des cas que le requérant ait lancé un recours hiérarchique contre
l'acte administratif attaqué sans aboutir à un accord amiable
.(§§ 68 et s., V.W.G.O.) (89). Le recours en • infirmation »
a un effet suspensif limité (§ 80, V.W.G.O.) .
Lorsque le tribunal administratif considère l'acte attaqué • contraire à la loi , (recbtswidrig) il l'annule, ou
il affirme l'obligation de l'administration d'accomplir l'acte
demandé par le requérant (§ 113, V.W.G.O.). Mais dans
les deux cas le requérant doit prouver qu'il a été lésé
dans « ses droits:. - c'est-à-dire dans un droit subjectif en
matière publique (90). Malgré une discussion savante sur
ce point (91) on s'est montré d'accord pour admettre
que le particulier est toujours lésé dans c ses droits :.
(86) Cf. Obermayer-Mang, p. 113 ; Turegg-Kraus, p. 66. Cette
distinction a été créée par le célèbre professeur de droit public
M. Laband (Cf. Laband, Staat.rrecht des detttschetJ Reiches. 2e éd.,
1911, t. II, p. 61 et 67).
(87) Pour la distinction entre le c recours de pleine juridiction •
et la VerPflichlrwgsklage cf. UIe, p. 249.
(88) La loi relative aux tribunaux administratifs connaît enfin
un troisième recours par lequel le requérant peut demander de la
part du tribunal administratif la constatation d'une situation juridique
§ 43, V.W.G.O.).
douteuse (Feststellungsklage (89) Il!liderspruchsverfahren.
(90) Obcrmayer-Mang, p. 191 ; contra Eyermann-Frohler, p. 202.
(9 1) Dans la mesure où la notion de droit subjectif en matière
publique est prise dans un sens large (c l'intérêt protégé par la loi .
arrêt du Tribunal administratif fédéral du 31 janvier 1958,
BVerwG E, 6, p. 169), la discussion n'a plus qu'un intérêt d'ordre
théorique. Cr. Maunz-Dürig, ann. 34, à l'art. 19, al. 4.
281
�"
.....
,
t":... ,.
.. "-'"
'
,
lorsque l'autorité attaquée a violé un texte légal qw a
été établi , dans l'intérêt prépondérant du requérant , (92).
Il en est de même lorsque l'autorité a abusé de son
pouvoir discrétionnaire (§ 114, V.W.G.O.) (93). Dans les
cas où l'acte administratif est vicieux pour d'autres raisons
(insuffisances formelles, etc.), la preuve d'avoir été lésé
dans « un intérêt protégé par la loi ,. doit être pleinement
accomplie par le requér ant (94). Cependant, le particulier
peut aussi appuyer son recours sur la prétention que le
texte même qui justifie l'acte administratif en question
porte atteint e à ses droits - il en est ainsi, lorsque ce
texte est incompatible avec les droits fondamentaux ou
lorsqu'une loi dans le « sens matériel ,. (décrets, etc.) n'est
pas fondée sur une loi dans le sens fo rmel, comme j1 est
exigé par l'art. 80 de la Loi Fondament ale. Dans ce cas le
tribunal administratif peut anéantir l'acte attaqué, mais il
ne peut annuJer le texte sur lequel cet acte est fondé,
même s'il a été rédigé par un simple maire. Lorsqu'un
pareil texte est incompatible avec la Constitution, le tribunal administratif doit ajourner le procès et demander
la décision de Cour constitutionnelle fédérale (95) .
.
. 'i-
.-.,;
29. - Il est évident que le contrôle de la légalité
des textes inférieurs au rang d'une loi est mal assuré par
ce procédé. Pour combler cette lacune la loi du 21 janvier 1960 confie au tribunal administratif supérieur (Oberverwaltungsgericht) un contrôle de légalité beaucoup plus
efficace vis-à-vis de ces textes (§ 47, V.W.G.O.) (96). Le
tribunal peut annuler tout texte inférieur au rang d'une
loi (dans le , sens formel , ) et échappant au contrôle de
la juridiction constitutionnelle (97), lorsque ce texte est incompatible avec le principe de légalité. Mais le contrôle
exercé par le tribunal administratif supérieur se borne
aux textes issus des autorités administratives de land (98).
. ..,
'
(92) Eyermann-Frôhler, p. 198 ; cf. Tribunal administratif fédéral, précité.
(93) Cf. Eyermann-Frôhler, p. 489.
(94) Eyermann-Frôhler, p. 198 o pinion unanime.
(95) Ou du Tribunal constitutionnel de land - cf. supra n a 7.
(96) Plus exactement: la loi du 21 janvier 1960 accorde au
législateur du land seul la possibilité de déférer au Tribunal administratif supérieur les textes à contrôler. La plupart des liinder ont pris
des mesures pour permettre l'application de cette loi (cf. p.e. la loi
bavaroise du 28 novembre 1960). Malgré cette fo r mulation p r udente
cette disposition a été vivement critiquée comme lésant le principe
..
du fédéralisme.
(97) cf. mpra no 5.
(98) Quant au droit fédéral inférieur à une loi votée par le
Parlement, le contrôle de légalité est moins complet : le particulier
ne peut que provoquer le contrôle de la Cour constitutionnelle dans
les limites du recours constitutionnel (cf. Eyermann -Frôhler, p. 250).
282
�Ce contrôle de légalité mis à part, le tribunal administratif supérieur remplit une triple fonction :
10 Il est tribunal d'appel vis-à-vis des jugements du
tribunal administratif (§ 124, V.W.G.O.) ; 20 il exerce la
juridiction de révision contre les jugements du tribunal administratif qui - selon des dispositions légales du land ne sont pas frappés d'appel (§ 145, V.W.G.O.) ; 30 il prononce sur demande du gouvernement de land l'interdiction
d'une association en vertu de l'art 9, al. 2, de la Loi
Fondamentale (99).
Le tribunal administratif supérieur est composé de
plusieurs chambres contenant chacune trois juges (§ 9,
V.W.G.O.) - mais une loi de land peut y ajouter deux
juges ; ces deux juges complémentaires peuvent être des
juges non-professionnels (§ 9, a!. 3, V.W.G.O.). En outre,
le land peut installer au sein du tribunal administratif superIeur un c grand sénat :. composé des sept juges qui
entrent en fonction lorsqu' un sénat (une chambre) veut
abroger la solution donnée par un autre sénat du tribunal
(§§ 12 et 11, V.W.G.O.).
30. - Le tribunal administratif fédéral a - comme
le tribunal administratif supérieur - plusieurs attributions
contentieuses différentes. Il exerce d'abord la iuridiction
de révisio1t à l'égard des jugements du tribunal administratif
supérieur. Les conditions du pour'foi en revision sont très
strictes. Le pourvoi exige toujours l'autorisation du tribunal
administratif supérieur qui a rendu le jugement déféré (100).
Le tribunal administratif supérieur ne peut admettre le
pourvoi que dans les cas suivants (§ 132, V.W.G.O.) :
10 lorsque le litige a une portée de principe ; 20 lorsque
le jugement du tribunal administratif supérieur s'écarte d'un
arrêt du Tribunal administratif fédéral; 30 lorsque le
jugement déféré se base sur une violation d'une disposition
de procédure (101). Le pourvoi en révision doit toujours
s'appuyer sur une violation du droit fédéral (§ 137,
V.W.G.O.).
A côté de la juridiction en révision, le Tribunal administratif fédéral tranche - en premier et dernier ressort - les affaires suivantes (§ 50, V.W.G.O.) :
(99) Il s'agit des associarions interdites par les lois pénales
(§ 129 du code pénal) ou des associations qui portent atteinte à
J'ordre constitutionnel ou à l'idée de réconciliation des peuples.
(100) Mais le demandeur peut critiquer le refus de l'autorisation
devant le Tribunal administratif fédéral.
(101) Quand la faute de procédure est extrêmement grave (énumération dans § 133, V.WG.O. p.c. le jugement est dépourvu
des motifs) le demandeur n'a pas besoin d'une autorisati.on.
�10 Il juge les litiges d'un caractère non-constitutionnel
entre la fédération et un land ou cntre deu..x lànder.
20 Il décide sur les actions lancées contre la République
fédérale dans les affaires se trouvant sous la compétence
des représentations diplomatiques ou consulaires à l'étranger.
30 li prononce l'interdiction d'une association en vertu
de l'art. 9 de la Constitution sur requête du gouvernement
fédéral (102).
Le Tribunal administratif fédéral, siégeant à Berlin, a
institué plusieurs sénats, composés chacun de cinq juges.
Correspondant au tribunal administratif supérieur on y
trouve également un te grand sénat » qui entre en scène
dans les mêmes conditions (§§ 10 et 11, V.W.G.O.).
31. -
La iuridiction du travail et la iuridiction sociale
ont un trait commun malgré leurs attributions tout à fajt
différentes : eUes sont caractérisées par la prépondérance
-,
,.
des juges non professionnels. Leur hiérarchie ne diffère pas
cependant de celle des autres juridictions : elles comprennent deux degrés et une juridiction de révision.
32. -
Sous la compétence exclusive des tribunaux du
travail se trouvent les « litige') civils résultant des conventions collectives . , les litiges civils entre un employeur et
un travailleur concernant le conflit du travail, « les litiges
civils opposant deux travailleurs au sujet de leur travail
ou les litiges résultant de la faute commune de deux travailleurs lors d'un accident du travail » (§ 2, Arb. G.G.)
(103). Au surplus le tribunal du travail tl'anche exclusivement les litiges concernant les dispositions de la loi relative
à l'organisation de l'entreprise (c'est-à-dire les litiges résultant notamment des fonctions du conseil d'entreprise) (104)
et les li tiges concernant la « faculté d'une association de
conclure des conventions collectives » (Tariffiibigkeit § 2, al. 4 et 5, Arb. G.G.) (105) .
Dans ces cas le t!ibutlal du travail connaît en premier
ressort. Les chambres du tribunal du travail sont composées
d'un juge professionnel et de deux juges non-professionnels,
des « juges du travail . (ArbeitsricbterJ, dont l'un est choisi
..
(102) Cf. itll'" no 29.
(103) Loi relative aux tribunaux du travail du 3 septembre 1953.
Arbeitsgerichtsgesetz - cité
Arb. G.G.
~
(104) Betriebsrat - parmi ces litiges les affaires résultant des
conventions collectives à l'égard de l'organisation de l'entreprise
(Betriebsvereinbarungen) sont les plus importantes .
(105) Dans ces litiges les syndicats et les associations d'entrepreneurs sont nécessairement parmi les parties (§ 10, Arb. G.G.).
�'.'
parmi les employeurs et l'autre parmi les travailleurs. Les
juges du travail sont désignés par le ministère du travail
des lander (106) sur les listes élaborées d'une part par les
associations d'entrepreneurs et d'autre part les syndicats
(§ 20, Arb. G.G.) (107). Le procès suit les règles de la
procédure civile (§ 46, Arb. G.G.).
33. - Les jugements du tribunal du travail, rendus
dans un litige d'un caractère civil (108) peuvent être portés
en appel devant le tribunal du travail de land (Landes arbeitsgerichl). Pourtant la possibilité d'interjeter l'appel a
certaines limites: il faut que la valeur du litige dépasse
300 DM (env. 360 Fr.) ou bien l'autorisation du tribunal du
travail est exigée (§ 64, Arb. G.G.). Les chambres du
tribunal du travail de land sont formées de la même manière que celles du tribunal du travail avec la différence
que • les juges du travail de land doivent disposer d'une
certaine expérience acquise comme juges d'un tribunal du
travail pendant un qélai de quatre ans • (§ 37, Arb. G.G.) .
34. - Enfin les arrêts d'appel sont sownis à la juridiction de révision exercée par le Tribunal fédéral du
travail, siégeant à Kassel. Les conditions du pourvoi sont
strictes : il nécessite toujours l'autorisation du tribunal
d'appel, sauf les cas où le tribunal du travail de land
s'est écarté d'une solution donnée par le Tribunal fédéral
du travail. Les chambres (. sénats.) du Tribunal fédéral du
travail comptent cinq juges de carrière et deux « juges
fédéraux du travail » ; il s'agit des anciens juges nonprofessionnels d'un tribunal du travail disposant des connaissances spéciales dans la matière (§ 43, Arb. G.G.).
Les arrêts du Tribunal fédéral du travail ont une importance capitale, non seulement en matière du droit proprement dit, mais à propos de quelques questions fondamentales du droit commun: comme son prédécesseur
(106) p.e. ministère bavarois de travail et d'affaires sociales -
cf. décret bavarois du 19 décembre 1956 relatif à la répartition
des compétences du gouvernement (§ 9, 1er).
(107) Les juges de travail choisis parmi les travailleurs peuvent
être des chômeurs (§ 23, al. 1, Arb. G.G.).
(108) Cf supra no 32 - dans les autres affaires le tribunal rend
une simple décision : on peut attaquer cette décision devant le
§§ 87
tribunal du trevait de land par un c grief,. (Bescbwerde et s. Arb. G.G.).
285
�(Tribunal du travail d'Empire) (109) il peut se faire un
grand mérite de l'évolution de la responsabilité civile (110).
35. - L'organisation de la iuridiction sociale est très
proche de celle des u'ibunaux de travail ; cette organisation
comprend les tribunaux sociaux (Sozialgerichte), compétents en premier ressort, les tribunaux sociaux de land
(Landesssoziaigerichte - juridiction d'appel) (110 a) et le
Tribunal social fédéral (juridiction de ré vision) (110 b),
siégeant à Karlsruhe. De même la composition des différentes chambres des tribunaux sociaux est presque identique à
la composition de celles des tribunaux du travail. Par
conséquent, nous nous bornerons à indiquer quelques particularités.
Correspondant aux trois groupes principaux des affaires
se trouvant sous la compétence de la juridiction sociale
(§ 51, S.G.G.) (111), les tribunaux sociaux sont constitués
des trois chambres spéciale-; (Fachkammern
§ 10,
S.G.G.) ; il s'agit: 10 des chambres « pour les affaires
d'assurance sociale et d'assurance chômage y compris les
·"
. \ .. ,
'.:-""
. .......
" ...
.
'
.: -..
\
'
(109) Parmi les multiples arrêts du ·Tribunal du travail d'Empire
(Reicbsarbeitsgericbt) rendus dans des affaires de responsabilité civile
on pourrait citer comme les plus intéressants : l'arrêt du 3 février
1932 - RAG E 14, 630 (lien de causalité), l'arrêt du 26 janvier 1938 RAG E, 32, p. 61, et du 1er juin 1933 (fixation du montant des
dommages-intérêts).
(110) Parmi les arrêts du T ribunal fédéral du travail il faut
mentionner: l'arrêt du 25 septembre 1957 (BAG E, 5, p. 1) (arrêt
de principe rendu par le grand sénat, concernant la réduction de la
responsabilité délictuelle d'un travailleur ayant causé un accident lors
d'un travail dangereux), l'arrêt du 11 août 1960 (obligation de sécurité
de l'employeur) - MOR 1960, p. 958 ; l'arrêt du 25 février 1960
( responsabilité sans faute de l'employeur à l'égard d'un accident de
travail survenu lors de l'exécution d'un travail dangereux) - AP,
§§898, 899, RVO, no 35.
(110 a) Quant aux conditions de l'appel, il faut mentionner certaines différences par rapport à la juridiction de travail : l'appel
est exclu lorsque le plaideur demande de la part de l'administration
une prestation unique ou une prestation successive s'étendant seulement sur le délai de trois mois (§ 144, S.G.G.). En outre, l'appel est
restreint quant à certains litiges concernant les affaires d'assuranceaccidents (§ 145, S.G.G.), d'assurance-retraite (§ 146, S.G.G.), d'assurance chômage (§ 147, S.G.G.) et enfin les affaires d'assistance
aux victimes de la guerre (§ 148, S.G.G.). Mais dans tous ces cas
l'appel peut être autorisé par le tribunal social, lorsque l'affaire a
une importance de principe ou parce que le tribunal s'est écarté
d'un arrêt d'un tribunal social de land. Enfin une telle autorisation
n'est pas exigée lorsque la causalité entre un accident du travail et
une maladie ou le décès de l'assuré est en cause (§ 50, s..G.G.), ou
quand le tribunal social a violé les règles de procédure.
(110 b) Les conditions du pourvoi en révision correspondent aux
exigences de l'appel ci-dessus analysées (cf. la note précédente § 162, S.G.G.).
(111) Loi du 3 septembre 1953, relative au.'\:: tribunaux sociaux
(Sozialgericbt sgesetz) cité: S.G.G.
286
�autres affaires ressortissant à l'autorité fédérale de placement et d'assurance chômage . (112), 20 des chambres
e pour les affaires d'assistance sociale aux victimes de la
guerre . et enfin 30 des chambres pour les • affaires des
caisses de maladie . . Les juges sociaux (c'est-à-dire les
juges non-professionnels des tribunaux sociaux) sont choisis
dans les divers groupes ou organismes sociaux auxquels appartiennent les parties : parmi les travailleurs et les employeurs quant aux chambres pour les affaires d'assurance
sociale et d'assurance chômage, parmi les agents des organismes d'assistance et les vIctimes de la guerre et enfin
parmi les agents des caisses de maladie, les médecins et
les assurés (§ 12, S.G.G.) . Les juges sociaux de land et
les juges sociaux fédéraux doivent également disposer d'une
certaine expérience (§§ 35 et 47, S.G.G. - cf. supra nO 32).
36 . - La procédure devant les tribunaux sociaux est
très procbe de la procédure administrative contentieuse
(cf. supra nO 8). Le requérant peut attaquer l'acte administratif rendu dans une affaire sociale par deux recow's
contentieux de la juridiction administrative : c'est le « recours en infirmation . (§ 54, al. 1, S.G.G.) (113) et le
r •
t
'.
_",
....
Vornahmeklage correspondant au Verpflichtungsklage de la
procédure administrative ' contentieuse (cf. supra na 28).
Mais le particulier peut aussi demander par un recours
spécial l'accomplissement d'une prestation de la part de
l'administration, sans qu'un texte légal lui donne droit à
une telle prestation (allgemeine Leistungsklage - cf. 54,
al. 5, S.G.G.). Pour que les contentieux introduits par le
particulier soient recevables, la loi exige dans la plupart
des cas, que le requérant ait essayé d'obtenir l'annulation
de l'acte attaqué par un recours hiérarchique (cf. §§ 77
et s., S.G.G.).
37. -
L'évolution de la iuridiction financière en Alle-
magne montre un certain retard par rapport aux autres
juridictions autonomes. En effet) la juridiction financière est
le seul ordre juridictionnel dont l'organisation (.1.14) n'est
pas encore réglée par une loi fédérale. Le projet d'une telle
loi, dont l'élaboration est imposée au législateur fédéral
par l'art. 108, al. 5, de la Loi Fondamentale, a été déféré à la diète fédérale en 1955, mais la diète fédérale
:...
(112) Bundesanstalt ttir ArbeUsvermittlung und Arbeitslosenversichenmg.
(113) Désigné par la loi comme Au/hebungsklage - cf. supra
no 28.
(114) La procédure devant les tribunaux financiers est réglée par
le code des impôts d'Empire (l oi fédérale) du 13 décembre 1919
(Reicbsabgabenordnung) - cité: R.A.O.
287
�ne l'a pas encore voté (115) . En outre, la juridiction financière suit encore l'ancienne tradition de la juridiction
administrative allemande (116) : la juridiction financière
ne comporte qu'un seul degré (juridiction d'appel) et une
juridiction de révision. Un premier resSOrt fait défaut - il
est remplacé par une décision de l'autorité financière . Enfin
le statut des juges financiers était longtemps incompatible
avec le principe constitutionnel de l'indépendance des magistrats (art. 97, al. l, Loi Fondamentale) (117) jusqu'à
ce que le législateur fédéral soit intervenu avec une loi
du 22 octobre 1957 attribuant aux juges financiers le
même statut qu'aux autres magistrats (118).
La compétence des tribunaux financiers (119) est désormais réglée par une clause générale, inscrite dans une
loi fédérale du 13 juillet. Cette loi (§ 228, R.A.O.) (120)
soumet au con trôle de la juridiction financière « tous les
litiges de droit public concernant les affaires des contributians . (Abgabesachen - impôts, droits de douane, taxes),
• les litiges de droit public concernant les actes administratifs issus des autorités financières de la fédération ou d'un
land . (121) et enfin les litiges d'un caractère professionnel concernant les conseillers fiscaux.
38. - Les recours des contribuables contre les avis
d'impositions et les mesures préparatoires du recouvrement
des impôts (comme la fixation de la dette d'impôt) se
•
,
,
,<
(115) Cf. loi bavaroise du 19 mai 1948 relative à la réorganisation de la juridiction financière ; loi du land Rhénanie-Palatinat
du 11 août 1949, etc. ces lois des lânder restent en vigueur
jusqu'à la promulgation d' une loi fédérale. Sur la question cf.
Hübschmann, ann. 7, avant § 22B.
(116) Cf. Forsthoff, p. 445 et s.
(117) Cf. Hübschmann, ann. 12, avant § 228. Les juges fina nciers
appartenaient autrefois en même temps à l'autorité financière.
(118) Cf. infra, no 41.
(119) Cette loi a décidé des problèmes difficiles : d'une part
elle a tranché la question de savoir, si le contrôle exercé par les
tribunaux financiers ne se borne qu'aux affaires réglées par le Code
des impôts d'Empire. Mais déjà la Cour fédérale des fi nances
avait étendu la compétence des tribunaux financiers à toutes les
affaires de contributions en vertu de l'art. 19, al. 4, de la Loi
BStBl., III, 1951,
Fondamentale (consultation du 17 avril 1951 p. 107). De l' autre côté certains auteurs ont soutenu la thèse que
les affaires non réglées par le Code des impôts d'Empire à
se
défaut d' une attribution formelle à la juridiction financière trouvent soumises au contrôle de la juridiction administrative en vertu
de la clause générale établie far § 40, V.W.G.O. (Vie.. p. 25 ;
Hohfeld, BB, 1960, p. 773 - c. Hübschmann, ann. 8, avant § 228
- cf. supra, no 9).
(120) Cf. note nO 114.
(121) La création des autorités financières du land et de la
fédération correspond à la répartition fiscale entre la fédération et
Jes lânder (cf. Maunz, p. 242 et s.).
288
�portent toujours devant l'autorité financière qui a rendu
l'acte attaqué (§ 229, al. 2, R.A.O.). Il s'agit de simples
recours administratifs (Einspruch) - l'autorité financière
(FinanzbehOrde) ne faisant pas partie de la juridiction financière, malgré ses attributions quasi-contentieuses (122).
L'autorité financière peut réviser l'acte attaqué selon la
demande du contribuable, ou bien elle est obligée de
rendre une décision motivée (Einspruchsentscheidung § 259, R.A.O.). Cette décision est frappée d'appel qui se
porte devant le tribunal financier (§ 263, R.A.O.) (123).
L'affaire est reprise entièrement devant le tribunal financier
qui contrôle la décision de l'autorité financière au point
de vue du fait comme au point de vue 'du droit. Le
contribuable peut introduire tous les moyens nouveaux dont
il dispose (§ 270, al. 1, R.A.O.). Lorsque le litige a .u ne
valeur inférieure à 100 DM (environ 120 Fr.) le tribunal
financier peut - dans certaines conditions - rendre une
décision discrétionnaire (§ 265, R.A.O.). Le jugement rendu
par le tribunal financier remplace l'acte attaqué par le
contribuable (124).
39. - Le contribuable ou le directeur de l'autorité
financière, dont la décision a été infirmée, peuvent « faire
grief . au jugement du tribunal financier devant la Cour
fédérale de finances (Rechtsbeschwerde - § 288, R.A.O.).
Ce « grief » ressemble au pourvoi en révision des autres
juridictions : il est seulement admis lorsque la valeur du
litige dépasse 1.000 DM (1.200 Fr.) 0" lorsque le tribunal
financier l'a autorisé parce que l'affaire a une importance
de principe et il doit se fonder sur l'argument que le
tribunal financier a violé un texte légal ou a mal interprété le contenu des dossiers ou bien sur le fait que la
procédure devant le tribunal financier a été viciée de
quelque façon (§ 228, R.A.O.). Bien que les moyens no uveaux soient en principe exclus devant la Cour fédérale
des finances, la Cour peut tout de même prendre en
considération des faits nouvealLX, lorsqu'elle veut infirmer
le jugement du tribunal financier (§ 298, al. 1, R .A.O.)
(125). Comme les autres tribunaux fédéraux, la Cour fédérale des finances peut substituer sa propre décision à
(122) Hübschmann, ann. 2 à § 259.
(123) En Bavière les tribunaux financiers (Nuremberg et Munich)
sont composés de cinq chambres contenant chacune deux juges de
carrière et trois juges non-professionnels - § 2, de la loi bavaroise
du 19 mai 1949).
(124) Hübschmann, ann . 6 à § 229 ; arrêt de la Cour d'Empire
des finances du 21 décembre 1927, Kartei, R.A.O., § 217, R. 22) .
(125) Cf. Kühn, ann. 1 à § 298, et ann. 1 à § 295.
:!H9
�l'arrêt attaqué ou renvoyer le litige au tribunal financier
dont elle a casse, le jugement (§ 296, al. 3, R .A.O.). '
La Cour fédérale des finances siégeant à Munich (126)
est composée de plusieurs « sénats» contenant chacun cinq
juges (§ 52, al. 3, R.A.O.). Comme les autres tribunaux
fédéraux, la Cour fédérale des finances a institué un « grand
sénat. (§ 66, R.A.O.).
§ 3 l es . ta tut. des juges et des a uxilia ire. judicia ires
".
40. - En Allemagne, tous les juristes suivent une carrière commune avant de devenir soit magistrats, soit fonctionnaires supérieurs de l'administration, soit avocats, soit
enfin spécialistes juridiques quelconques. Cette carrière englobe obligatoirement un titre universitaire qui est acquis
par un seul examen après quatre ans d'études juridiques
dans une faculté de droit (Erstes iuristisches Staatsexamen),
et un deuxième titre obtenu par un deuxième examen que
l'on doit passer après un stage de trois ans et demi (Zweites
iuristisches Staatsexamen). Pendant ce stage (Referendardienst) le juriste, pourvu du titre universitaire, doit faire
connaissance avec la pratique des tribunaux - y compris
le parquet - de l'administration et du barreau.
41. Le statut des iuges est désormais réglé par
une loi unique, accordant à tous les juges - quel que soit
le tribunal auquel ils appartiennent - les mêmes conditions : indépendance, inamovibilité et irrévocabilité (§§ 25
et 30, D.R.G.) (127) (cf. aussi les art. 97, 98 de la Loi
Fondamentale). Les juges de carrière sont nommés à vie
après un stage de trois ans (§ 10, al. 1, D.G.R.). Pourtant
les juges sont soumis à une juridiction disciplinaire qui est
exercée par des tribull<lUX spéciaux des lander (§ 77, D .R.G.)
et une chambre spéciale au sein de la Cour fédérale
(§ 61, al. 1, D.R.G.).
Quant à la nomination des iuges fédéraux, il faut
mentionner une certaine influence du pouvoir législatif ~t
du gouvernement : ils sont désignés par une commission
spéciale, composée pour une moitié par des ministres de
(126) § 1 de la loi du 29 juin 1950 relative à la Cour des
finances.
(127) Loi du 8 septembre 1961 relative à la condition des juges
cité: D.R.G.) cette loi a reçu une
(Deutscbes Ricbtergesetz certaine publicité à cause d'une disposition (§ 116) prévoyant la retraite
des magistrats marqués par leur activité sous le Troisième Reich.
290
�la justice des lander et de la fédération et pour l'autre
moitié par des membres de la diète fédérale (128).
Le ministère public est un corps hiérarchisé, dépendant
du pouvoir exécutif qui est représenté par le ministère de
la justice de land et par le ministère fédéral de la justice
quant aux procureurs fédéraux. Dans quelques lander les
magistrats peuvent passer du siège au parquet et inversement (129).
.'
42. - Parmi les auxiliaires de la ;ustice se rangent
seulement les avocats et les • huissiers. (RecbtsPfle~er).
Les avoués n'existent pas. L'avocat allemand remplit a la
fois les fonctions de son collègue français et de l'avoué.
L'avocat doit être admis par le barreau, c'est-à-dire par
une des chambres d'avocat (Anwaltskammer) qui sont coiffées par la chambre fédérale des avocats (Bundesrecbtsanwaltskammer - cf. §§ 60 et s., B.R.A.O.) (130). En général, les avocats ne sont agréés que devant un seul tribunal, soit un tribunal de land, un tribunal supérieur de
land ou soit enfin devant la Cour fédérale (131). La représentation des parties par un avocat est obligatoire devant
les tribunaux de l'ordre judiciaire - sauf l'Amtsgericbt en
-matière civile. La représentation des parties devant la juridiction sociale et la juridiction du travail se trouve en même
temps confiée aux syndicats et aux associations d'entrepreneurs et aux organismes sociaux, abstraction faite des procès devant les tribunaux fédéraux correspondants (§ 11,
Arh. G.G., et § 72, S.G.G.).
Conclusion : tendances réformatrices
43. - Bien que la réorganisation de la justice allemande après la guerre ait entraîné une amélioration sensible
de l'état antérieur, cette justice reste l'objet de vives critiques (132). Les procès traînent des années entières;
'.
(128) Loi du 25 août 1950 relative à l'élection des juges fédéraux
(Ricbterwablgeset::::). Cette loi a été critiquée comme portant atteinte
au principe de l'indépendance des juges. Le procédé d'élection est
notamment attaqué quant aux juges constitutionnels (Cf. Maunz,
p. 222).
(129) Cf. décret bavarois du 18 octobre 1960 (Bayerüches Gesetzund Verordnungsblatt, no 237).
(130) Loi relative à la condition des avocats du 1er août 1959
(Bundesrecbtsanwaltsordnung) cité: B.R.A.O.
(131) Quant aux autres tribunaux, les avocats ne sont pas liés
à un tribunal cf. Kalsbach: Bllndesrecbtsanwaltsordnung und
Ricbtlinien tiir die Ausübung des Recbtsanwaltsberlljs, Kom. 1960,
p. 97.
(132) On voit parmi les critiques les plus actifs M. Weinkauff,
président de la Cour fédérale - cf. WeinkauIf U!larum und fUie eine
grosse ]usti::::rejorm - Juristcnjahrbuch, 1960, p. 3 et s.
29\
�notamment les tribunaux supérieurs en matlere civile sont
surchargés de procès. Un procès contre le Volkswagenwerk
a duré onze ans jusqu'à ce que les parties aient transigé (133). Il n'y a aucun doute: la justice allemande n'est
point rationnelle. La lenteur chronique de la justice allemande n'est certainement pas l'effet d'un manque de juges :
11.502 juges, dont 9.280 appartiennent à la juridiction
judiciaire (134), ne peuvent pas maîtriser la tiche qui
leur est imposée. En 1957, quatre millions six cent mille
demandes en justice ont été faites devant les tribunaux
civils (135) - est-il étonnant que le nombre des procès
non terminés augmente d'année en année (136) ? Déni de
justice ? Certes, cette critique serait sans doute exagérée
- mais il y a trop de sable dans l'engrenage de la
belle machine que l'on a construite (137).
Personne ne doute qu'une réforme de la justice allemande ne soit nécessaire. Cependant, on voit deux groupes parmi les réformateurs : les uns, adhérants d'une oK grande réforme de la justice :t demandent une réorganisation
totale notamment de la justice judiciaire. Une commission,
chargée par le ministère fédéral de la justice d'élaborer
les principes d'une telle réforme, a proposé : la réduction
sensible des juges, l'abolition de tous les Amtsgerichte et
la création d'un degré dit pré-éliminaire (Vorstufe) , l'aggravation des conditions d'appel (valeur exigée: 300 DM
au lieu de 50 DM) et du pourvoi en révision, la simplification des règles de procédure civile et l'élaboration de
règles distinctes pour la répartition entre les tribunaux civils
,
.
(133) Cf. l'arrêt du Tribunal supérieur de land (OLG) du
9 novembre 1959, NJW, 1960, p. 200 ; transaction devant la Cour
fédérale le 18 mai 1961 cf. Denschel, NJW, 1961 , p. 965. Il
s'agit d'un procès des anciens .. épargnants de Volkswagenwerk ,.
ayant versé des sommes successi\'es à l'entreprise pour l'acquisition
d'une Volkswagen avant la guerre. Les voitures n'ont jamais été
fournies.
(134) Statistique officielle - DRIZ, 1959, p. 179 et s. - pour
comparaison : en 1958 on comptait en France 2.880 juges judiciaires
(J.O. 1958, p. 11, 583 et s.).
(135) D'après J'hebdomadaire Der S-piegel du 24 janvier 1962.
(136) Le Tribunal fédéral social gardait 2.379 procès non décidés
dans ses tiroirs en 1962 - cf. Der Spiegel, précité.
(137) Selon Der Spiegel, précité, cf. aussi: BÔ«Îchert RdA,
1960, p. 161 ; Wagner: Der Richter, Geschicbte, Aktuelle Frage1l,
Reformprobleme Karlsruhe, 1959.
292
�et administratifs (138). Quelques-uns, comme M. Weinkauff, président de la Cour fédérale, rêvent d'une juridiction à compétence générale selon le modèle anglosaxon (139).
Les autres réformateurs se bornent à une «petite
réforme » de la justice : c'est-à-dire qu'ils veulent garder
le système actuel et corriger les fautes les plus graves.
•
.,
,
(138) LeUsiitze fÛT die GestaltU1~g der grossen JustizreJorm DRiZ 1959, p. 346 et s. et DRiZ 1960, p. 33 et s. j Gerhard Marquardt :
Bericht der Kommission sur Tlorbereitung einer Reform der Zivilgericbtsbarkeit - Juristenjahrbuch, 1961/62, p. 37 ; Strauss: Re/aTm
der Zivilgericbtsbarkeit Juristenjahrbuch, 1962/63, p. 37 et s.
139) Weinkauff
DRiZ 1960, p. 232.
293
�Liste des abréviations
1)
<
,,'
.,.
Lois
Arb.G.G. : Arbeitsgericbtsgesetz (loi relative aux tribunaux du travail du 3 septembre 1953) ; B.G.B. : Bûrgerlicbes Gesetzbucb (code civil du l ee janvier 1900) ;
B.R.A.O. : Bundesrecbtsanwaltsordnung (loi relative à la
condition des avocats du le< août 1959) ; B.V.G.G. : Gesetz liber dos Btmdesverfassungsgericbt (loi relative à la
Cour constitutionnelle fédérale du 12 mars 1951) ; D.R.G. :
Deutscbes Ricbtergesetz (loi relative à la condition des
magistrats du 8 septembre 1961) ; G.v.G. : Gericbtsverfasstmgsgesetz (loi relative à l'organisation judiciaire du 27
janvier 1877) ; Kart.G. : Gesetz gegen IJ!lettbewerbsbescbrânkungen (Kartellgesetz) (loi contre les restrictions de
la libre concurrence du 27 juillet 1957) ; R .A.O. : Reicbsabgabenordnung (code des impôts d'Empire du 13 décembre
1919) ; S.G.G. : Sozialgericbtsgesetz (loi relative aux tribunaux sociaux du 3 septembre 1953) ; S.T.P.O. : Strafprozessordnung (code de procédure pénale du 1ee janvier
1877) ; V.W.G.O. : Verwaltllngsgericbtsordnung (loi relative aLLX tribunaux administratifs du 21 janvier 1960) ;
Z.P.O. : Zivilprozessordnung (code de procédure civile du
30 janvier 1877).
II) Recueils, revues, périodiques
,: i!'
AP : Arbeitsgericbtlicbe Praxis (recueil des décisions en
matière de droit de travail édité par Hueck-NipperdeyDietz) ; BAG E : Recueil officiel des décisions du Tribunal
fédéral du travail ; BB : Der Betriebsberazer (périodique) ;
BGH Z : Recueil officiel des décisions de la Cour fédérale
en matière civile; BVerfG E : Recueil officiel des décisions de la Cour constitutionnelle fédérale; BVewG E : Recueil officie! des décisions du Tribunal administratif fédérai; BStB!. : Journal officiel des impôts fédéraux (Bundessteuerblatt) ; DRiZ : Deutscbe Ricbterzeitung (périodique) ;
DVBI : Deutscbe Verwaltul1gsbliitter (revue) ; FamRZ : Ebe
und F ami/ie im privaten und otfentlicben Recbt (périodique) ;
JZ : ]uristenzeitung (périodique) ; MdR : Monatszeitscbrift
fÛT deutscbes Recbt (revue) ; NJW : Neue ]uristiscbe IJ!locbenscbrift (revue); RAG E: Rec ueil officiel des décisions
du Tribunal d'Empire du travail; RdA : Recbt der Arbeit
(périodique) ; VerwRspr. : Verwaltungsrecbtssprecbung in
Deutscbland (revue) .
294,
�B I BLIOGRAPHIE
,,
1. THEODOR MAVNZ : Deulsches Staatsrecht, 11 e
édition
München - Berlin 1962
cité : Mau"z.
2. MAVNZ-DVRlG: Grundgesetz - Kommentar - München 1958 - cité: Maunz-Dürig. 3. W IL LI GEIGER:
Gesetz über das BundesverfasSlmgsgericht - Kommentar Berlin-Frank/urt 1952 - cité: Geiger. 4. HANS LECHNER : Bundesver/assungsgerichtsgesetz - München-Berlin
1954 - cité: Lechner. 5. LEO ROSENBERG: Lehrbucb
des deutschen Zivilprozesses - 8 e édition MiinchenBerlin 1960 - cité: Rosenberg. 6. BAVMBACH-LAVTERBACH : Zivilprozessordnung - 26e édition - MünchenBerlin 1961 - cité : Baumbach-Lauterbach. 7. STEIN]ONAS-POHLE : Kommentar zur Zivilprozessordllung 18e édition - cité: Stein-Jonas. 8 . EYERMANN-FROHLER : Verwaltunsgerichtsordnung - Kommentar - München 1960 - cité : E-yermann-Fr6hler. 9. HANS-KLINGER: Verwaltungsgerichtsordnung - Kommentar - Gottingen 1960 - cité: Klinger. 10. ERNST FORSTHOFF :
Lehrbucb des Verwaltungsrecbls - Erster Teil - 7, édition München 1958 - cité: Forsthot!. 11. CARL
HERMANN VLE : Verwalt,mgspTozessTecht - 2e édition
- Miincben Berlin 1961 - cité: Vie. 12. TVREGGKRAVS : LehTbuch des VeTwaltungsTechts - 4 e édition
cité : Turegg-KTa!ls. 13. MANGBerlin 1962 MAVNZ-MAYER-OBERMAYER : Staats-,md VeTwaltungsTechl in Bayern - München 1962 - cité: Oberma-yerMang. 14. EDVARD KERN : Slra/veT/ahrensrecht 6 e édition Münch81l-Berlin 1960 - cité: Kern. 15.
HVECK-NIP PERDEY : GrundTiss des ATbeilsrechts - 6e
édition - Berlin-Frank/urt 1962 - cité: H ueck-Nipperde-y.
16. HVBSCHMANN-HEPP-SPITALER : KommentaT zur
ReichscbgabenoTdnzmg und den Nebengesetzen - 4e édition - Kain 1962 - cité: Hübschmann . 17. KUHN :
Reischsabgabenordnung - Se édition - Stuttgart 1958 cité: Kühn.
295
�TABLEAU l
•
L'organisation des tribunaux en Allemagne
1)
les tribunaux fédéraux
(Bundesgerichte)
Cour constitution nelle fédérale
(Bundesverfassungsgericht)
Karslruhe
1
Il
III
IV
V
Juridiction
Juridiction
administrative
Juridiction
sociale
Juridiction
du trovail
Juridiction
ordinaire
Cour
fédérale
Trib. admin. Trib. social Trib. fédéral Cour fédérale
fédéral
fédéral
du travail des finances
fBundesge-
richtshof)
Karlsruhe
•
•
Il)
financière
( Bundesverwal- (Bundessozial- (Bundes(Bundesfinanztungsgericht)
gericht) arbeibgericht)
hof)
Berlin
les tribunaux de land
Kassel
Kassel
Munich
(Landesgerichte)
9 tribunaux constitutionnels de land
(I)
(Landesverfassungsgerichte)
Trib . supér. Trib. admin . Trib. social Trib. du trav.
de land (2) supérieur(3)
de land
de land
Tribunal
financier
(Oberlandes(Oberverwal(Landesso(Landesarbeitstungsgerichl)
zialgericht)
gericht)
gerichtJ
(Finanzge-
19
Tribunal
de land
(Landgericht)
93
10
10
11
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13
Tribun.
administratif Trib. social
fVerwaltungs ·
gericht)
32
(SozialgerichtJ
42
Tribunal
d'instance
Tribunal du
travail
( AmtsgericbtJ
(Arbeitsgericht)
863
114
(1) En Bavière: « Cour constitutionnelle bavaroise
gerichtshof) - Municb.
-,
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(Bayerischer Verfauangs-
(2) En Bavière au surplus une Cour suprême bavaroise. (Bayerisches Oberstes
Landesgericht) - Municb.
(3) En Bavière: .. Cour admjnistrative bavaroise _. (Bayerischer VerwaltDlIgs~
gerichtshof) - Munich.
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•
TABLEAU II
La juridiction criminelle, en Allemagne
Degré
Premier
degré
Amtsgericht
Révision
'l'rib. supér, de land
Cour fédérale
Juge unique ou
Gde chambre pénale:
Sénat pénal:
Sénat pénal :
Tribunal d'échevins:
délits, crimes
crimes d' u n carac- cl'imes d' un cat'actère politi'lue
tère politique
contraventions
Cour d'assises:
délits
(crimes )
Deuxième
degré
(juridictiorr
d'appel)
Tribunal de land
cr'imes (80 G. V.G.)
(sécurité du land )
(sécurité de la
République fédérale)
Pourvoi en révision
contre :
Pourvoi en révision
contre:
Pte chambre pénale:
L'appel contre les jugemenl.::I du juge uniqu e.
Gde chambre pénale:
L'appel contre les ju ·
gements du trib unal d'éch evins.
- les jugeowots d'appel
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- les jugements du
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LES IDEES POLITIQUES
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de MERCIER de la RIVIERE
por
JEAN-MARIE
COTTERET
Chargé de Cours à la Faculté de Droit de Nice
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�LES IDÉES POLITIQUES
de MERCIER de la RIVIÈRE
c Si l'on doit être injuste, comme
il est beau de l'être pour la tyrannie. »
Euripide (Phéniciennes) .
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Autant la doctrine économique des physiocrates a fait l'objet
de nombreuses études, autant leur doctrine politique est restée
à peu près inconnue.
Cet oubli provient de l'éparpillement des idées politiques
des physiocrates dans les écrits à tendance économique. Pourtant
l'un d'entre eux, Mercier de la Rivière (1) s'est efforcé, dans
les 26 premiers chapitres de l'Ordre Naturel et Essentiel des
Sociétés Politiques (2) de présenter un exposé cohérent de la
doctrine politique des physiocrates. Cet ouvrage fut diversement
commenté. Chez les tenants de PEcole, on était en présence de
l'ouvrage le plus important de l'année et Dupont de Nemours
(1) L'opinion commune fait naître Mercier de la Rivière vers 1720
d'une famille de financiers. Le nom véritable de notre ameur est Mercier
de la Rivière et non Le Mercier de la Rivière comme l'indique Edgar
Depitee. Ayant recours à la Biographie Universelle pour trancher le débat
entre Eugène Daire et Edgar Depitre, nous avons appris que la simple
particule « Le » avait fait attribuer à cet auteur la paternité d'ouvrages
qu'il n'avait point écrit. Pour prévenir toute confusion nous ne parlerons
que de Mercier de la Rivière. En 1747. il acquiert une charge de Conseiller
au Parlement de Paris. TI fut nommé en 1757 intendant des Iles et possédait
déjà à cette époque des « connaissances en matière commerciale »'. Son
effort et son succès à relever la Colonie de son état de décrépitude profita
malheureusement aux forces anglaises devant lesquelles eUe dut se soumet
tre. Le mérite de Mercier de la Rivière fut récompensé par une nouvelle
désignation pour la Martinique en 1763. Mais une autre épreuve n'aUait
pas tarder à surgir : accusé « d'avoir favorisé, sans doute pour des motifs
d'intérêt personnel, le commerce des Anglais au préjudice du commerce
national », il commit l'imprudence de divulguer son mémoire justificatif.
ce qui devait accentuer encore sa disgrâce. Dès son retour en France il
entra en relations avec Quesnay et Mirabeau qui le conquirent promptement
à leur doctrine. C'est ainsi qu'assez naturellement Mercier de la Rivière
devint un collaborateur assidu des physiocrates.
(2) Après deux éditions en 1767, une à Londres et une à Paris,
les 26 premiers chapitres de l'Ordre Essentiel ont été assez paradoxalement
laissés de côté dans l'édition classique de 1846 par Eugène Oille consacrée
aux « physiocrates ». Ce n'est qu'en 1911 qu'Edgar Depitre, professeur à
la Faculté de Droit de Lille, publia intégralement l'Ordre Naturel et
Essentiel des Sociétés Politiques dans la collection des « Economistes et
Réformateurs Sociaux de la France ».
4
·
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,
301
�jugea même utile d'en publier un abrégé d'un accès plus facile.
Ce fut l'objet d'un volume de vulgarisation: « origine et progrès
d'une science nouvelle ).
Le retentissement de l'Ordre Naturel et Essentiel des
Sociétés Politiques valut à son auteur la considération de l'Impératrice Catherine II de Russie. Mercier de la Rivière partit
jusqu'en Russie pour exposer à l'Impératrice en personne l'eochai:nement de ses principes.
Thiébault rapporte fidèlement dans ses « Souvenirs de
Berlin » l'entrevue de Catherine et de Mercier de la Rivière :
« Monsieur, dit la tzarine en venant à lui, pourriez-vous
m'indiquer le meilleur moyen de gouverner un état? - Madame,
il n'yen a qu'un, c'est d'être juste, c'est-à-dire de maintenir
l'ordre et de faire suivre les lois. - Mais sur quelles bases
convient·il d'appuyer les lois d'un empire ? - Il n'y a qu'une
base, Madame, la nature des choses et des hommes. - Fort
bien ; malS quand on veu t donner des lois à un peuple, quelles
règles peuvent plus sûrement indiquer celles qui conviennent le
mieux ? - Donner ou faire des lois, Madame, c'est une tâche
que Dieu n'a laissée à personne. Eh ! qu'est-ce que l'homme
pour se croire capable de dicter des lois à des êtres qu'il ne
connaît pas ou qu'il connaît si mal! Et de quel droit imposerait-il
des lois à des êtres que Dieu n'a point mis en sa main ? A quoi réduisez-vous donc la science du gouvernement ? - A
bien étudier, à reconnaître et à manifester les lois que Dieu
a si manifestement gravées dans l'organisation même des hommes,
lorsqu'il leur a donné l'existence. Vouloir aller plus loin serait un
grand malheur et une entreprise destructive. Monsieur, je
suis bien aise de vous avoir entendu ; je vous souhaite le
bonjour. » Une telle adhésion pouvait être considérée comme
un exploit et ne fit qu'accroître l'influence acquise. Diderot
ira jusqu'à ajouter en parlant de Catherine II : " C'est celui-là
qui la consolera de la perte de Montesquieu » (3). Mais ses
détracteurs furent tout aussi violents que ses admirateurs.
Le plus acerbe fut probablement Grimm pour qui Mercier
de la Rivière était « un bonhomme qui accouche en rêvant d'un
système de mots auxquels il trouve apocalyptiquement un sens
suivi }) (4). Les sarcasmes de Voltaire n'épargnèrent point notre
auteur dans « L)homme aux quarante écus ». Quant à Linguet
il n'hésitait pas à qualifier le système économico-politique de
Mercier de la Rivière de meurtrier. Les idées politiques de
Mercier de la Rivière si diversement controversées dans l'Ordre
Naturel et Essentiel des Sociétés Politiques vont réapparaître
'.'
(3) Lettres juillet 1767.
(4) Grimm, correspondance lU juillet 1770, tome IX, page 82.
�en 1789 dans un opuscule intitulé « Essais sur les maximes et
lois fondamentales de la Monarchie française ou canevas d'un
code constitutionnel ».
On y retrouve un prolongement de la pensée politique de
notre auteur avec des précisions par rapport à son œuvre
fondamentale, mais aussi quelquefois des variantes qui tenaient
compte de la situation révolutionnaire.
La doctrine politique de Mercier de la Rivière - que l'on
peut considérer comme étant celle des physiocrates - est une
doctrine totalitaire. Totalitaire d'abord parce qu'elle fait partie
d'un tout - philosophique, économique et social - totalitaire
ensuite parce qu'elle forme un tout. Détacher une idée politique
de l'ensemble de l'exposé de Mercier de la Rivière serait un nonsens pur et simple. Aussi nous allons tenter de retracer l'ensemble
de la doctrine politique de notre auteur en analysant tour à
tour sa conception de la société politique et du pouvoir politique.
I. -
LA SOCIETE POLITIQUE
La naIssance des Sociétés Politiques
Toutes les théories politiques tentent d'expliquer un phénomène évident : la vie en société des hommes. En effet ni
physiquement, ni moralement l'homme ne peut rester isolé ;
il a besoin des autres individus et ceux-ci ont également besoin
de lui. Naturellement sociable, l'homme vit normalement en
société (5).
Mercier de la Rivière commence son ouvrage sur l'ordre
naturel et essentiel des sociétés politiques en proclamant : « La
nécessité physique de subsistance établit la nécessité physique
de la société » (6). Le lecteur est immédiatement prévenu.
L'homme doit quitter son état primitif, faute de quoi il
disparaîtra car : « il est évident que l'homme, susceptible de
compassion, de pitié, d'amitié, de bienfaisance, de gloire, d'ému·
lation, d'une multitude d'affections qu'il ne peut éprouver qu'en
société, est destiné à vivre en société » (7).
Cette conception, physique, organlciste presque mathématique de l'ordre naturd se justifie pour six raisons essentielles :
Toutes nos affections sociales prouvent que nous sommes
destinés à vivre en société. Si l'Auteur du monde - Dieu avait voulu nous laisser au stade des bêtes féroces , Il n'aurait
pas organisé notre société différemment de la leur.
(5) P. Timb.l. Cours de Doctorat 1956-1957. « Histoire des Sociétés
Politiques ».
:
(6) Ordre Naturel et Essentiel des Sociétés Politiques, p. 5.
(7) Op. cil., p. 2.
303
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Ensuite, la perfection et l'étendue de l'intelligence qui nous
est donnée ne se développe qu'en société. Le rôle de l'intelligence
est essentiel pour Mercier de la Rivière qui chaque fois qu'une
institution ou un gouvernement fonctionnera mal, demandera
que chaque homme réfléchisse aux lois naturelles. Cette réflexion
ne peut s'effectuer que par l'intelligence. Il existe donc une sorte
de va·et·vient entre la nature qui confère l'intelligence à l'homme,
à charge par l'homme de retourner à la nature.
En troisième lieu tout ce qui est fait par l'homme grâce à
son intelligence, se perpétue de générations en générations. C'est
donc l'intelligence de la société qui assure une certaine continuité
dans le développement du genre humain : « lors même que la
mort nous sépare de la société, elle ne sépare point toujours la
société de la portion d'intelligence que nous avons cultivée
pendant notre vie : les découvertes que nous avons faites par
son cours, tous les fruits en un mot que nous en avons retirés,
subsistent encore après nous, lorsque nous avons bien voulu les
communiquer et ne point les dérober à la société » (8 ).
En quatrième lieu, Mercier de la Rivière développe un
argument qui fit fortune par la suite : l'enfant en bas âge
et le vieillard ne pourraient pas subsister sans la société. Au
début comme à la fin de la vie, c'est l'entraide qui assure la
survie des hommes lorsque « courbés sous le poids des années,
le déclin journalier de nos forces nous achemine peu à peu
vers le dernier terme où la loi commune à tout être créé doit
s'accomplir » (9).
En cinquième lieu l'appétit des plaisirs et l'aversion de la
douleur ne parviennent jusqu'à nous que parce que nous vivons
en société. Il faut préciser d'ailleurs qu'il ne s'agit pas des
plaisirs et de la douleur purement physiques, ce qui ne nous
différencierait pas des bêtes. Mais des plaisirs et de la douleur
morales surtout : « Il faut comprendre encore ce que nous
pouvons nommer la délectation de l'âme, ces vives et douces
affections qui la pénètrent si délicieusement, qui naissent des
rapports que nous avons avec les êtres de notre espèce, et que
nous ne pouvons éprouver que dans nos sociétés » (10). Ces
« affections sociales » sont à la base de notre vie, et il faut
constater que notre vie s'épanouit dans une société ni bonne
ni mauvaise mais plutôt neutre.
Enfin la société nous fournit tous les besoins auxquels
notre existence nous assujettit uniformément. Notre existence
est une consommation perpétuelle et la nécessité physique des
subsistances établit la nécessité physique de la société (11).
(8) Op. cit., p. 5.
(9) Op. cit., p. 3.
(10) Op. cit., p. 4.
(11) Op. cit., p. 5.
�Certes, les productions spontanées des terres pourraient faire
vivre les hommes, mais des surfaces énormes de terre ne feraient
vivre qu'un tout petit nombre de gens, or c'est l'inverse qui
existe et doit exister. D'où le rôle évident de la société et la
condamnation des « économies du bon sauvage » !
Il est clair, qu'au départ, les hommes sont destinés à vivre
en société et tout homme qui refuse de remplir son rôle s'exclut
automatiquement de la société et par conséquent de la vie. Par
contre chaque individu qui vit dans la société a des droits et des
devoirs « qui sont d'une nécessité physique et par conséquent
absolue » (12).
Le droit de propriété
Le premier de ces droits est le droit à la conservation de
la personne bumaine avec son corollaire le droit à la propriété
qui est le plus sûr moyen de conservation. « La propriété personnelle est le premier ptincipe de tous les autres droits : sans eUe
il n'est plus ni propriété mobilière, ni propriété foncière, ni
société» (13). Dès lors tout est simple: l'homme vit en société
et cette vie en société n'est possible que par le droit de
propriété.
En effet si à l'origine des temps il existait une société
universelle, naturelle et nécessaire, cette société naturelle, générale et tacite a survécu tant que les hommes ont été assez peu
nombreux pour vivre des productions spontanées de la terre.
Cette société subsistait sans aucune convention entre les hommes.
Par l'établissement des sociétés particulières, la société
générale et naturelle n'a pas été détruite, elle n'a fait « que
se distribuer en classes ». Autrement dit chaque société particulière prend une forme nouvelle pour se donner plus de
consistance, pour préciser ses droits et devoirs réciproques entre
les hommes. Mais ces nouveaux droits et devoirs on les connaîtra
d'autant mieux qu'on connaîtra les droits de la société première.
Ainsi sont nées les « sociétés particulières », c'est-à-dire des
Etats, dont le but est toujours la recherche de l'ordre essentiel :
«( l'accord parfait des institutions sociales sans lesquelles ce
bonheur et cette multiplication ne pourraient avoir lieu » (14 ).
Cette conception de la société place Mercier de la Rivière
dans le courant traditionnaliste, autoritaire et contre-révolutionnaire que développeront Burke, Bonald et Maurras.
La société ne résulte pas d'une association plus ou moins
volontaire, elle est une nécessité naturelle. L'erreur des philo.
sophes et des juristes a été de se méprendre sur }' « Etat
(12) Op. cil., p. 8.
(13) Op. cil., p . 21.
(14 ) Op. cil., p. 17.
305
�Sauvage » ou pré·social, qu'ils ont confondu avec la société
naturelle - en visant particulièrement J.-J. Rousseau - Bonald
explique assez bien cette confusion entre Etat sauvage et société
naturelle :
« L'état sauvage est l'état natif : donc il est faible et
imparfait ; il se détruit ou se civilise. L'état civilisé est l'état
développé, accompli, parfait ; il est l'état naturel : donc il est
l'état fixe, l'état fort », et un peu plus loin il précise : « l'état
sauvage est donc contre la nature de la société, comme l'état
d'ignorance est contre la nature de l'homme : l'état natif ou
originel est donc l'opposé de l'état naturel, et c'est cette guerre
intestine de l'état natif ou mauvais contre l'état naturel ou bon
qui partage l'homme et trouble la société » (1 5).
Il n'y a donc pas une société naturelle et primitive qui ait
préexisté à une société politique, artificielle et contractuelle. Il
ne peut exister qu'une société politique conforme à la Nature,
conforme à l'Ordre. Il n'y a pas de pacte social entre les
individus, il n'y a que le respect des lois naturelles.
Mais comme la société universelle n'a pu subsister parce
que ses productions étaient insuffisantes pour faire vivre les
hommes, l'établissement des moyens privés de production a
engendré la propriété privée. La propriété privée, plus précisément la propriété foncière va devenir le centre des rapports
sociaux dans la société politique, car si chaque homme a la
propriété personnelle de sa personne humaine, ce droit n'existe
pas sans le droit de propriété qui lui permet de s'épanouir.
En effet : «( Plus nous e.xaminerons les rapports que les
hommes ont entre eux dans cette nouvelle société et plus nous
serons convaincus que les nouveaux droits sont établis sur de
nouveaux devoirs et que les nouveaux devoirs sont établis sur
de nouveaux droits j avant la formation des sociétés particulières
le droit de chaque homme consistait, comme je viens de le
dire, à ne point dépendre des autres et son devoir se bornait
à ne point les assujettir à dépendre de lui. Il en est tout
autrement dans les sociétés particulières: il s'y forme une chaîne
de dépendances réciproques qui deviennent des droits et des
avantages réciproques : chaque homme est dans l'obligation de
concourir à garantir les propriétés des autres hommes et ce
devoir lui donne un droit qui met les autres hommes dans
l'obligation de concourir à lui garantir les siennes ... Cette balance
de devoirs et de droits réciproques et proportionnels établis
les uns sur les autres se trouve être la même dans les devoirs
et les droits de l'autorité tutélaire» (16).
...
,';
(15) Ugislation pnmltlve. Appendice Art. inséré au Mercure de
France n° 4, An VIII. Œuvres vol. III, p. 215 et sq. Cité par Alexandre
Koyre .c L. de Bonald », in les Doctrines Politiques Modernes, 1947.
(16) Op. cil., p. 17.
306
�Et plus clairement encore natte auteur preclse : « il est
impossible d'imaginer un droit qui soit autre chose qu'ua
développement, uae conséquence, uae application du droit de
propriété. Otez ce droit de propriété, il ne reste plus de
droit» (17).
Une telle conception de la société politique met immédiatement en relief le caractère inégalitaire de cette société. Mercier
de la Rivière ne le nie pas, bien au contraire : l'inégalité entre
les hommes est un fait naturel et nécessaire.
Une égalité sociale même relative serait totalement antiéconomique. Pourquoi « une fois que j'ai acquis la propriété
exclusive d'une chose, un autre ne peut pas en être propriétaire
comme moi et en même temps ... Les droits qu'elle donne sont
tous d'une égale justice, mais ils ne sont pas tous d'une égale
valeur parce que chacun acquiert en raison des facultés qui lui
donnent les moyens d'acquérir ; or la mesure de ces facultés
n'est pas la même chez tous les hommes » (18).
Le rôle de la Raison dans les Sociétés Politiques
•
,.
_
Voilà donc cette société politique constituée. Elle reflète
une organisation naturelle : les maux dont nous souffrons ne
sont que les « fruits nécessaires » de notre ignorance des lois
naturelles, de l'Ordre. Seule la connaissance des lois essentielles
conduit à la meilleure forme de gouvernement - et pour arriver
à cette connaissance des lois naturelles il nous suffit de la
Raison que Mercier de la Rivière qualifie d'Evidence.
« Ce Montesquieu a connu les maladies, celui-ci a indiqué
les remèdes », dira Diderot en parlant de Mercier de la Rivière,
et ces remèdes ce sera la Nature « qui ne ment jamais »
qui nous les fournira.
Mais qu'est-ce que la Raison, qu'est-ce que l'Evidence? La
meilleure définition consiste à l'opposer à l'opinion . « De même
que tout ce qui n'est pas vérité n'est qu'erreur, de même tout
ce qui n'est pas évidence n'est qu'opinion et tout ce qui n'est
qu'opinion est arbitraire et sujet au changement» (19). Voici
donc l'antithèse posée, d'ua côté le Bien, de l'autre le Mal.
Analysons d'un peu plus près l'Evidence et l'Opinion.
L'Evidence, c'est tout ce qui est clair et distinct, dans les
sentiments que nous avons, et dans les perceptions qui en
dépendent. De l'harmonie parfaite qu'est la nature, et du jugement raisonné que nous pouvons avoir sur elle, naît un sentiment
d'évidence qui suffit à détruire tout préjugé et à nous indiquer
que nous sommes dans le bon chemin. Qui plus est, nous
(17) Op. cil., p. 17.
(18) Op. cil., p. 23.
(19) Op. Cil., p. 40.
307
�sommes aidés dans cette recherche par « cette tendance naturelle
de nos esprits vers l'évidence qui est liée avec les deux mobiles
qui sont en nous : l'appétit des plaisirs et l'aversion de la
douleur, ont grand intérêt de n'être point trompés dans le
choix des moyens de se satisfaire » (20).
Et pourtant l'opinion est là, prête à jouer son rôle destructeur, cette opinion qui comme le dit Mercier de la Rivière après
tant d'autres et avant beaucoup d'autres est la « Regina d'el
Mundo ».
Si « un seul homme sans armes commande à cent mille
hommes armés, dont le plus faible est plus fort que lui : qu'est-ce
donc qui fait sa force ? Leur opinion ... Ils obéissent à ce chef
parce qu'ils sont dans l'opinion qu'ils doivent lui obéir » (21).
Comment expliquer ces forces magiques, occultes qui conduisent
fatalement l'homme vers le Mal ? car « chaque homme est
ainsi sur la terre un petit royaume gouverné despotiquement
par l'opinion : il brûlera le temple d'Ephèse, si son opinion
est de le brûler ; au milieu des flammes il bravera ses ennemis,
si son opinion est de les braver ... Ne voit-on pas que l'auteur
de la Nature n'a point institué d'autres moyens pour enchalner
nos volontés et notre liberté ? » (22).
C'est certes une vue un peu manichéenne du monde, mais
cette conception physiocratique, se justifie dans la mesure où
ils pensaient avoir redécouvert l'ordre naturel. Contester un
prémice du système, c'était condamner ce dernier. Aussi, en
proclamant la liberté de la presse - c'est-à-dire des libellés
et des ouvrages doctrinaux - Mercier de la Rivière va s'efforcer
de tracer des limites à cette liberté.
Dans l'Ordre Naturel et Essentiel, tout contrôle de la presse
est inutile et superflu , car tout idée non conforme à l'Ordre
sombrerait rapidement dans le discrédit. C'était compter beaucoup
sur la force évidente de l'Ordre.
Aussi dans le Titre XIve des « Essais sur les Maximes et
Lois Fondamentales du Royaume » l'article premier prévoit :
« la liberté de la presse est trop nécessaire à la propagation
des lumières pour ne pas être regardée comme une branche de
la liberté nationale. Pourraient en conséquence être imprimés
librement et sans qu'il soit besoin d'une permission expresse ou
tacite, tous ouvrages concernant les sciences, les arts, le commerce,
la politique, les droits des nations, leur administration civile et
généralement tout ce qui peut intéresser l'humanité, pourvu
toutefois que les ouvrages ainsi imprimés portent le nom de leur
imprimeur avec celui de leur auteur et que ce dernier soit un
domicilié. »
<.
1:>" ••
..
(20) Op. cil., p. 47.
(21) Op. cil., p. 48.
(22) Op. cil., p. 49.
308
�Mais il est précisé :
« Attendu l'importance dont il est que la doctrine évangélique soit conservée dans toute sa pureté ... aucun ouvrage sur le
fait de la religion, de ses dogmes et de sa morale, ne doit être
imprimé sans permission. »
La Doctrine évangélique, c'est toujours l'Ordre.
Voilà donc comment la société politique est nécessaire,
comment elle obéit aux lois naturelles dont il est indispensable
d'avoir connaissance pour établir des institutions politiques
valables.
II. -
r
..
LE POUVOIR POLITIQUE
L'ordre juridique va refléter l'ordre naturel de la société
politique. Poser le problème de « faire la loi » est un faux
problème: les lois ne sont pas à élaborer, elles existent de tout
temps, il suffit de les constater, de les retrouver. Comme le
note parfaitement le Recteur Prelot : « le législateur comme
son nom l'indique, n'est pas un légisfacteur ; il ne fait pas les
. lois, il les porte seulement au milieu de la société » (23) .
Ce n'est qu'après avoir passé en revue les différents types
de lois que Mercier de la Rivière déterminera l'autorité la plus
qualifiée pour exercer le rôle de « tuteur ».
Toute la seconde partie de « l'Ordre Naturel et Essentiel
des Sociétés Politiques » va tenter de décrire les lois naturelles
et positives qui régissent toute société. « Que les lois soient
écrites ou qu'elles ne le soient pas, il n'est pas moins vrai qu'elles
naissent avec la société, ou plutôt qu'elles la précèdent » (24 ).
Les hommes ne peuvent se passer des lois pour vivre en société :
ainsi que ce soient le vol ou le meurtre la peine est prévue par
les législations de toutes les nations . Les législateurs du monde
entier « ont regardé cette peine comme une évidence ». Cependant « quoique la loi naturelle qui défend de tuer, de voler, etc.,
soit la même dans toutes les sociétés, elles n'infligent pas toutes
les mêmes peines à ceux par qui les crimes sont commis : les
lois qui statuent sur ces peines peuvent être déterminées par
diverses circonstances que le législateur doit peser avec attention » (25). Cette seconde catégorie de lois sont les lois positives.
Cel. s'explique clairement : le vol doit être puni partout, mais
bien évidemment Je même vol commis dans un état civilisé ou
dans un état sous·développé et Ol! règne la faim ne fera pas
l'objet d'une peine équivalente.
(23 ) M. Prelot, Histoire des Idées Politiques, p. 347.
(24) Op. cil., p. 56.
(25) Op. cit., p. 56.
309
�Voyons ce que sont ces deux catégories de lois qui règlementent la société politique.
Les Lois
Les premIeres, naturelles et essentielles, « ouvrage d'une
sagesse divine », ce sont les meilleures lois possibles car elles
sont immuables comme leur Auteur. Pour chaque loi naturelle
il faur prendre soin de distinguer entte la lettre de la loi et la
raison de la loi : la lettre de la loi est la disposition textuelle,
la raison, le motif qui l'a dictée. Ainsi : « Tu ne tueras point
arbitrairement, voilà la lettre de la loi ; car tu donnerais aux
autres le droit de te tuer arbitrairement aussi et tu détruirais
ainsi la société : voilà la raison de la loi » (26).
Ce dédoublement des lois est très important et entraîne
trois conséquences :
la première, c'est que nous ne pouvons nous rendre à
J'évidence d'une loi qu'en réfléchissant sur sa « raison », la
simple disposition textuelle est insuffisante. Nous prendrons
conscience ainsi de la valeur et de la nécessité de la loi j
la seconde conséquence, c'est que le législateur chaque fois
qu'il devra faire des lois positives pour compléter les lois naturelles devra se soucier du motu exact de ces dernières. L) arbîtraire
ou la justice d'une loi naturelle, dépendent directement de
l'examen plus ou moins consciencieux des « raisons » des lois
naturelles.
Enfin ce qu'on pourrait appeler dans une terminologie
moderne, la force obligatoire des lois dépend de la plus ou
moins grande compréhension de celles-ci. Or la compréhension
ne peut dépendre évidemment que des « raisons » des lois.
Il suffit qu'une loi soit comprise pour qu'elle soit acceptée :
c'était accorder un bien grand crédit à l'intelligence des hommes
ou à la force évidente de la loi J. ..
Mercier de la Rivière ne donne pas une énumération des
lois naturelles, mais d'après ce qui nous est dit, les lois natu~
relIes se confondent à la limîte avec les principes essentiels
que nous avons étudiés en commençant. Porter atteinte à la
personne humaine constitue un crime, comme porter atteinte
à la propriété est un vol. « Otez la loi de propriété il ne reste
plus de lois. Etat gouvernant, Etat gouverné, tout tombe nécessairement dans l'arbitraire » (27). Finalement les lois naturelles
sont en très petit nombre. Les lois positives vont fort heureusement les compléter. « Nous avons donné le nom de positives
aux lois de la seconde espèce, parce qu'elles établissent d'une
(26) Op. cil., p. 57.
(27) Op. cil., p. 59.
310
�manière posItIve ce qui, sans elles, resterait arbitraire, ou du
moins incertain pour la majeure partie des hommes » (28) .
Les lois positives jouent le rôle de « compléments }>, sous
l'étroite dépendance des lois naturelles. Les lois positives ne
doivent être « que les résultats évidents de l'ordre, mais scellés
du sceau de l'autorité publique ; pour devenir ainsi des actes
déclaratifs et confirmatifs des devoirs et des droits que les lois
naturelles et essentielles de la société établissent nécessairement
dans chacun de ses membres et pour leur intérêt commun» (29).
Les lois positives ne sont donc appelées qu'à jouer un rôle
tout à fait secondaire, un peu comme des règlements d'administration publique face aux lois. Mais particulièrement soucieux
de leur subordination, Mercier de la Rivière précise encore : (~ ce
n'est point assez que les lois positives soient exactement conformes
aux lois naturelles et essentielles de la société : cette première
condition requise pour leur assurer une soumission constante
étant remplie, il en est une seconde qui est que cette conformité
soit connue de manière que personne ne puisse en douter» (30).
Mercier de la Rivière s'est rendu compte qu'une telle
rigidité n'était peut-être pas tout à fait compatible avec le gouvernement d'un état qui aurait de plus en plus besoin de décisions
multiples et variées. Aussi nuança-t-il sa pensée dans les
« Essais ».
Les lois, tout en étant le reflet de principes naturels et
essentiels, vont être aussi « le tableau de tous les droits et de
tous les devoirs, les titres communs du monarque et de la
nation : les intérêts communs du monarque veulent donc également qu'aucune volonté particulière ne puisse s'opposer à leur
exécution» (3 1). Bien qu'implicitement on devine une référence
à l'ordre naturel, il n'en est plus explicitement question. « Le
tableau des droits et des devoirs » c'est la nation qui va en
décider puisqu'elle « doit être gouvernée par ses propres lois,
celles qui sont directement ou indirectement les expressions
de ses volontés communes » (32).
Nous ne sommes donc plus du tout sur le même plan ;
il semblerait en lisant l'alinéa ci-dessus que la nation se vît
reconnaltre le droit par l'organe législateur, de faire des lois et
non plus seulement de constater l'existence de celles-ci.
Mais suivons le raisonnement de Mercier de la Rivière :
« Les lois sont directement les expressions de la volonté
commune de la nation, lorsqu'avant d'avoir reçu du souverain
la sanction qui leur donne force de loi, elles ont été délibérées
par la nation en corps. Elles sont indirectement les expressions
56.
59.
6I.
V, des « Essais •.
(32) Art. l, titre VI, des « Essais ».
(28) Op. cil., p.
(29) Op. cil., p.
(30) Op. ct/., p.
(31) Art. l, titre
311
",
�•
•
de sa volonté, quand elles émanent d'un Pouvoir Législatif, par
elle institué pour le représenter à cet égard, tandis qu'elle n'est
point assemblée, et dicter alors des lois, suivant l'exigence des
cas et les formes nationales établies concernant l'exercice d'un
tel pouvoir» (33).
La première hypothèse est celle où la nation en corps
délibère et exprime sa volonté sous réserve d'une sanction
royale ; l'Autorité tutélaire, ou le « despote légal » restant le
maitre de sanctionner ou non les lois faites par le peuple. Cette
soupape de sûreté ne trompe personne, si le peuple ne se rend
pas à « l'évidence de l'ordre naturel » le roi le préservera de
ses errements possibles. Par conséquent la « volonté commune»
est très étroitement endiguée.
Le second cas envisagé est celui où la nation délibère indirectement par ses représentants. Les restrictions apportées dans
ce cas sont bien plus grandes encore.
En effet, Mercier de la Rivière fait état du Pouvoir Légis·
latif conféré à l'assemblée des représentants par opposition aux
lois délibérées par la nation en corps et sanctionnées par le roi.
La nation en corps vote les lois naturelles, tandis que les
représentants votent les lois positives. Alors que dans son premier
ouvrage, les lois naturelles et positives émanaient de la seule
« autorité tutélaire », elles émanent ici dans le premier cas de
la nation et du roi réunis, dans le second cas des représentants
de la nation seuls, et dans certains cas du monarque seul. Pour
les lois qui émanent du Pouvoir législatif, c'est-à-dire des assemblées représentatives : « les lois délibérées par la nation et
sanctionnées par son chef, ne peuvent être ni abrogées, ni changées par le Pouvoir législatif établi pour la représenter : l'institution de ce pouvoir n'a d'autre objet que d'assurer l'exécution
de ces mêmes lois, par les développements et les applications
de leurs conséquences . Les Formes Nationales mentionnées dans
J'article précédent doivent donc être de nature à mettre ce pouvoir
à l'abri des surprises dont il pourrait résulter des actes contraires
aux délibérations de la Nation » (34 ).
n faut remarquer d'abord que lorsque Mercier de la Rivière
parIe de Pouvoir Législatif chargé d'exécuter les lois, il ne confère
pas à cette dernière expression le caractère technique que nous
lui connaissons. Ce qui ressort de la lecture de cet article, c'est
que toutes les lois décidées par les représentants de la nation
ne peuvent avoir qu'un caractère second par rapport à ce qui
est décidé directement par la Nation. L'osmose établie par les
constituants de 1789 entre la Nation et les représentants a
toujours été rejetée par les physiocrates.
(3) Art. 2, titre IV, des « Essais ».
(34) Art. 3, titre IV, des « Essais ».
312
�Nous sommes donc toujours en présence d'un dualisme,
lois de la « Nation en corps » d'une part, lois de ses représentants
d'autre part.
Par conséquent nous retrouvons les lois naturelles et positives et une seule autorité pour les exercer : le monarque. Nous
pensons avoir montré qu'au-delà des différences formelles, la
pensée de Mercier de la Rivière est rigoureusement la même :
le respect de l'Ordre Naturel.
Le tableau ci-dessous résume la hiérarchie juridique préccr
nisé par notre auteur en 1767 et en 1789.
« Ordre Naturel et Essentiel »
Ordre Naturel
Lois naturelles
Monarque
Lois positives
Monarque
« Essais»
Constitution
Monarque + Peuple
Lois naturelles
Lois d'administration
Peuple + Monarque
Les Institutions Politiques se résument à une idée simple
l'exercice du pouvoir exécutif et législatif par une seule et même
autorité, le despote légal. Seul le Pouvoir Judiciaire sera parriel.
lement indépendant et exercé par des magistrats chargés de
préserver les Lois Naturelles et Essentielles. L'Institution cen·
traie est évidemment celle du despote légal. Les contemporains
de Mercier de la Rivière eux·mêmes ont porté un jugement très
sévère sur cette expression : « Au nombre des mots obscurs et
dangereux dont l'autorité sait faire son profit, il faut sans doute
ranger ceux de despotisme légal : il est certain que ces mots
hurlent d'effroi de se voir accouplés ; qu'on peut tirer de cette
union difforme les conséquences les plus bizarres ; qu'en vain
objecterait·on que Despotisme ne voulait dire dans l'antiquité
que Souveraineté ; les mots n'ont de valeur que celle de leur
acception moderne » (35).
Toutefois entre 1767 et 1789 la pensée de Mercier de la
Rivière a évolué, guidée d'ailleurs dans une large mesure par les
circonstances. Alors que primitivement, il s'était montré farouche
défenseur du « Despote légal », autrement dit du monarque
absolu détenteur du Pouvoir exécutif et législatif, à la Révolution
Française sa conception du Pouvoir deviendra plus modérée et
une certaine collabora tion cédera le pas à une confusion totale
des pouvoirs.
(35) Lettre de M. de S. M. aux auteurs de la .c Gazette Littéraire »,
servant d'introduction à l'Essai sur le Despotisme du Comte de Mirabeau,
3" édition, 1792.
1113
�,
La confusion des PouvoiTs (36)
Il faut distinguer trois moments dans Je raisonnement de
Mercier de la Rivière. Il démonrre tout d'abord que la confusion
des Pouvoirs est nécessaire et évidente. Il prouve ensuite que
la Nation n'a qu'un rôle très subsidiaire à jouer, et qu'enfin
la meilleure forme de gouvernement est le despotisme légal.
Si J'exercice du Pouvoir rev ient à une Autorité Tutélaire,
quelle est-elle ?
Pour Mercier de la Rivière « l'autorité est le droit de
commander qui ne peut solidement exister, c'est-à-dire ne ri'en
perdre dans le fait de ce qu'il est dans le droit, sans le Pouvoir
Physique de se faire obéir » (37). Mais ce pouvoir d'obéissance
ne doit pas être arbitraire. On obéit car ·il est nécessaire d'obéir
pour conserver l'ordre, cette obéissance résulte de la volonté
et de l'obligation pour les hommes de vivre en société et il est
évident que sans cette obéissance la vie en société serait
impossible.
Ainsi « le droit de commandet et le pouvoir physique de se
faire obéir ne sont donc exactement qu'une seule et même
autorité présentée sous deux noms différents » (38).
Toutefois comme certains hommes risquent de ne pas être
touchés par l'Instruction et par conséquent pour eux « l'évidence
du devoir ne pourrait suffire pour contenir l'appétit des jouissances » (39), dans ce cas·là « il faut que parmi les hommes
l'autorité naturelle de l'évidence soit assurée d'une force physique
et coercitive, et qu'ainsi la puissance législative, quoi qu'elle
commande au nom de l'évidence, dispose de la force publique,
pour assurer l'observation de ses commandements» (40).
Nous voyons donc que l'autorité chargée de la Puissance
exécutive, bénéficie tantôt du concours volontaire des personnes
qui veulent bien se soumettre à ses ordres de leur plein gré,
tantôt doit exercer la force .
Le propre de l'autorité chargée de faire exécuter les lois
est de disposer également du Pouvoir législatif « car il faut que
l'évidence nous soit connue avant qu'elle puisse asservir nos
volontés et que les lois soient instituées avant que l'autorité
puisse s'occuper du soin de les faire observer. Dicter des lois
positives c'est commander et par la raison que nos passions sont
trop orageuses pour que le droit de commander puisse exister
sans le pouvoir physique de se faire obéir, le droit de dicter
,.
".
(36) Nous employons l'expression confusion des pouvoirs {X>ur
conserver la terminologie des publicistes. Il serait plus exact de parler
de Concentration des Pouvoirs.
(37) Op. cil., p. 77.
(38) Op. cil., p. 77.
(39) Op. cil., p. 78.
(40) Op. cil., p. 78.
3 14
�des lois ne peut exister sans le pouvoir physique de les faire
observer ; il ne peut donc jamais être séparé de l'administration
de la force publique et coercitive. Ainsi la puissance exécutrice.
celle qui dispose de cette force, est toujours et nécessairement
puissance législative» (41).
L'autorité qui détient le Pouvoir législatif connaltra parfai.
tement les lois à faire appliquer. TI serait absurde dès lors de
faire appliquer ces lois par une autorité différente. Le résultat
serait un grand désordre cause d'arbitraire.
,
•
"
i,
, "
,.. J.'
,
,
Assez paradoxalement il est permis de dire que pour Mercier
de la Rivière, de la confusion des pouvoirs, naît l'ordre, et de
la séparation des pouvoirs naît le désordre.
Qu'arrivera-t-il « lorsque les lois de la première et les
commandements de la seconde sont en contradiction ? Tout
sera dans la confusion » (42). Les sujets placés devant le cboix
entre l'obéissance aux lois et l'obéissance aux commandements
devront opter pour l'un ou pour l'autre. Il en résultera qu'un
des deux pouvoirs sera détruit. D'où évidemment naîtra le
désordre et l'arbitraire.
Le principe paraît parfaitement clair ; à l'exclusion du
P.ouvoir Judiciaire, le Pouvoir législatif et le Pouvoir exécutif
doivent être « dans la même main » ; « ainsi quelques tournures,
quelques modifications qu'on veuille donner à un tel système,
il arrivera nécessairement que ces deux autorités se réuniront et
se confondront dans une seule ; que la puissance législatrice
deviendra puissance exécutrice, ou que la puissance exécutrice
deviendra puissance législatrice» (43).
Mais ces deux pouvoirs, une fois acquis le principe de leur
confusion, doivent-ils être exercés par la « Nation en corps » ou
par le « gouvernement d'un seul » ?
Nous arrivons ici à un des points les plus importants de la
pensée de Mercier de la Rivière. Il va s'efforcer de prouver que
« la nation en corps » ne peut exercer ni le pouvoir législatif
ni le pouvoir exécutif.
Mercier de la Rivière commence par critiquer un système
« fort accrédité » selon lequel le pouvoir législatif doit être
exercé par la « Nation en corps » (44). Un tel système suppose
(41) Op. cit., p. 79.
(42) Op. cit., p. 79.
(43) Op. cit., p. 79.
(44) En 1789, Mercier de la Rivière se rend compte du peu de
succès du despote légal. La publication des of( Essais sur les Maximes et
Lois Fondamentales de la Monarchie Française » va apporter de larges
mcxlifications aux idées développées dans l'Ordre Naturel et Essentiel des
Sociétés Politiques. L'apparition d'Etats Généraux pour assister le despore
légal constitue le point le plus notable. Cette apparente concession ne
sert en réalité qu'à renforcer la protection des propriétaires fonciers car
comme le note A. Esmein : of( Cette Assemblée est simplement le dernier
et Je plus haut de ces corps élus de propriétaires fonciers que les physiocrates voulaient créer pour les faire participer à l'administration. li>
315
�que les hommes soient égaux entre eux et que
la société ait pour
base l'égalité entre les hommes : c'est la première contradiction.
En effet la loi fondamentale des sociétés c'est la propriété ;
cette loi qui est la raison primitive de toutes les autres lois,
« se trouve nécessairement exclusive de l'égalité » (45 ). Et plus
loin de préciser : « cette égalité chimérique, qui est d'une
impossibilité pbysique dans quelque état que vous supposiez les
hommes, n'a donc jamais pu donner le droit de participer au
pouvoir d'instituer des lois, puisque le maintien de l'égalité
n'était pas l'objet des lois qu'il s'agissait d'instituer. Supposez
deux hommes seulement ; à raison des différences qui se trouveront entre leurs facultés, ainsi qu'entre les hasards qu'ils
rencontreront, leurs conditions ne seront point égales : faites
que pour s'entraider mutuellement, ils forment une société ;
elle n'aura point certainement pour but d'établir entre eux
l'égalité ; car à ce marché l'un gagnerait et l'autre perdrait,
auquel cas ce dernier ne consentirait point à la société ; mais
'.
leur objet sera de rendre meilleur l'état de chacun d'eux, en
proportion des avantages dont il jouissait déjà et qui doivent
le suivre en société » (46).
Cette déclaration qui est presque une confession dévoile
la pensée de notre auteur. La société est naturellement inégalitaire, il faut donc raisonner sur cette base, en adopter une autre
serait raisonner sur des prémisses fausses . Il s'en suit que si
les lois sont toutes faites par l'Auteur de la Nature et qu'il
suffit de les constater, seule une partie de la Nation aura « une
lumière suffisante pour en connaître évidemment la justice et la
nécessité» (47). Mais alors le Pouvoir législatif « ne peut appartenir de droit qu'à ceux qui ont acquis cette connaissance
évidente» (47 ). Ce qui aboutit à faire imposer des lois par
une minorité à une majorité.
Mais suivons le raisonnement de Mercier de la Rivière. Que
penser de ceux qui défèrent le Pouvoir législatif à la Nation
motif pris que ce corps ne doit avoir d'autre législateur que luimême ? Tout simplement que ces auteurs jouent avec les mots,
car personne ne se demande pourquoi et comment la nation
forme un corps. La nation ne forme pas un corps parce qu'elle
est animée d'un intérêt commun : la société est répartie naturellement en différentes classes, en différentes professions qui
forment autant d'intérêts particuliers. Car « l'intérêt commun »
que Mercier de la Rivière qualifie quelquefois de « général »
n'est qu'un perfectionnement de chaque intérêt particulier :
« La façon dont nous sommes organisés nous tI)ontre donc
que dans le système de la narure, chaque homme tend perpéruel(45) Op. cit., p. 92.
(46) Op. cit., p. 92.
(47) Op. cit., p. 92.
316
�•
lement vers son meilleur état possible, et qu'en cela même, il
travaille et concourt nécessairement à former le meilleur état
possible du corps entier de la société. » (48)
Les modalités d'adoption des Lois plaident elles aussi en
faveur du rejet de la « Nation en corps ». L'unanimité ne sera
pour ainsi dire jamais atteinte en raison « de la contradiction
des intérêts, des prétentions, et même des opinions » (48 bis).
D'ailleurs si une seule voix se faisait entendre contre une loi,
la mesure ne serait pas adoptée ce qui ne manquerait pas d'être
cboquant.
La délibération à la pluralité des voix est-elle préférable ?
« Mais alors ce n'est plus toute la nation en corps qui fait la
loi ; c'est une portion seulement de la nation qui la dicte à
l'autre; ainsi rune la fait, et l'autre la reçoit contre sa volonté;
celle-ci par conséquent ne fait point partie du corps législatif » (49).
Les Droits de la Nation seraient-ils sauvés par son aptitude
à exercer le Pouvoir exécutif ?
La première constatation essentielle, c'est que l'autorité ne
peut pratiquement pas être exercée par plusieurs. Que penser
de l'autorité exercée par un corps d'administrateurs ? « si dans
un corps d'administrateurs, une seule volonté peut arrêter l'effet
de toutes les autres, c'est opposer à l'activité qui caractérise
l'autorité, une force de résistance invincible pour elle » (50).
Si ce collège ou ce corps d'administrateurs donnait des ordres
après les avoir décidés à la majorité des voix cela supposerait
dans ce corps d'administrateurs « ou de l'ignorance ou de la
mouvaise volonté » (51). L'ignorance car les administrateurs
seraient mal informés, sur l'ordre naturel ; mauvaise volonté
car certains administrateurs voudraient faire passer leurs intérêts
particuliers avant tout. Enfin la composition de ce corps d'administrateurs est également contestable. La présence des grands
propriétaires pourrait leur faire croire « que le peuple est fait
pour eux, que tout leur est dû » ; mais le risque n'est pas
moins grand avec les représentants du peuple « envieux de l'état
des grands propriétaires, et tentés de regarder comme une injustice l'inégalité de partage » (52). Quant à recourir à un corps
d'administrateurs « uni parti » : « chacun de ces deux partis
n'en serait pas moîns attaché aux préjugés et aux prétendus
intérêts particuliers de sa classe » (53).
(48 ) Op. cil. , p.
(48 bis) Op. cit.,
(49) Op. cit., p.
(50 ) Op. cil., p.
(51) Op. cit., p.
(52) Op. cil., p.
(53 ) Op. cil ., p.
95.
p. 26.
95.
101.
102.
109.
109.
317
�Le Despote Légal
La réponse à toutes les questions en suspens est donc très
simple : le Pouvoir Législatif et le Pouvoir Exécutif doivent
être exercés par une même autorité. Cette autorité ne peut être
la Nation en corps inapte à exercer l'un et l'autre de ces Pouvoirs.
Tout Pouvoir doit donc revenir au Monarque absolu, au despote
légal, à l'autorité tutélaire, faute de quoi : « Si la Nation en
corps s'était réservé l'exercice de l'autorité tutélaire, il en résulterai t comme je l'ai dit précédemment, qu'alternativement il se
trouverait une autorité sans lois, et des lois sans autorité ; un
Etat gouvernant sans Etat gouverné, et un Etat gouverné sans
Etat gouvernant, ce qui serait une absurdité de la plus grande
évidence » (54 ).
« QueUe est donc la meilleure forme de gouvernement ?
Quelle est donc celle qui se trouve si parfaitement conforme à
l'ordre naturel et essentiel de la société, qu'il ne puisse en
résulter aucun abus ? Cette meilleure forme de gouvernement est
celle qui ne permet pas qu'on puisse gagner en gouvernant mal,
et qui assujettit au contraire celui qui gouverne, à n'avoir pas de
plus grand intérêt que de bien gouverner. Or ce point de perfection vous ne pouvez le trouver que dans le gouvernement d'un
seul ; dans le gouvernement d'un chef unique ... » (55)
Il n'y a pas de question possible, seul le chef unique pourra
gouverner dans l'intérêt de la nation comme dans le sien propre.
Ce qui évidemment crée un intérêt commun particulièrement
grand et qui supprime tout risque de désordre. Ce chef unique
dont parle Mercier de la Rivière c'est un « souverain par droit
d'hérédité» et naD un « souverain par élection ». Un souverain
héréditaire se comportera comme un véritable propriétaire dont
les intérêts sont liés à ceux de la nation, alors que le Souverain
par élection se comportera tout au plus comme un simple
usufruitier ! D'autre part dans les « monarchies électives » il
faut distinguer trois temps : celui de l'élection, celui qui la
précède et celui qui la suit. La liberté ne peut régner dans une
Assemblée Nationale convoquée pour l'élection d'un souverain ;
car il serait physiquement et moralement impossible que leur
choix fût fixé par des « connaissances évidentes ». En effet « il
est physiquement et moralement impossible de connaître évidemment l'intention d'un homme, surtout lorsqu'il se croit intéressé
fortement à ne point se laisser pénétrer ». En d'autres termes
le choix des électeurs ne peut être guidé que par des critères
subjectifs et non par des critères objectifs.
La période pré-électorale est elle-même aussi une période
de trouble où la nation se divise en plusieurs parties « disons
mieux en plusieurs nations ennemies les unes des autrés ». Il y a
(54) Op. cit., p. 109.
(55) Op. cit., p. 110.
318
�donc peu de chance d'y voir régner l'ordre. Par contre une fois
l'élection faite, toutes les places de l'administration seront remplies par « des créateurs de ce nouveau souverain» (56).
Par contre le souverain héréditaire en tant que « Copropriétaire du produit net de toutes les terres de sa domination »
partage un intérêt commun avec tous les autres propriétaires.
Cette unité d'intérêt est la garantie de la meilleure forme de
gouvernement. C'est aussi le meilleur critère objectif et de la
sorte on est certain que : « le meilleur état possible du souverain
ne peut s'établir que sur le meilleur état possible de la
nation » (57).
Il faut analyser maintenant plus précisément cette forme de
gouvernement. Suivant l'ordre essentiel, l'autorité tutélaire est
l'administrateur « d'une force sociale et physique instituée dans
la société et par la société, pour assurer parmi les hommes la
propriété et la liberté, conformément aux lois naturelles et
essentielles des sociétés » (58). Cette force est sociale car c'est
dans la société qu'elle prend naissance. Cette force est instituée
dans et par la société car cette réunion de forces et de volontés
ne peut avoir lieu qu'après la réunion des hommes en Société.
La questions primordiale demeure de savoir si ce pouvoir
qua.si-absolu entre les mains d'une seule personne ne risque pas
de dégénérer en despotisme.
Mercier de la Rivière reconnalt bien volontiers que dans
les sociétés dites primitives l'autorité unique a dégénéré souvent
en despotisme et que le gouvernement d'un seul a été pire que
le gouvernement collégial . Mais dans les sociétés évoluées il ne
peut en être de même. S'il y a arbitraire, cela ne peut provenir
que de l'ignorance et rien ne pourra le changer. On ne peut
chasser l'arbitraire que par l'arbitraire : ou le gouvernement est
bon ou il est mauvais. Mais le système des contre-forces ne sert
à rien.
Mercier de la Rivière s'en prend alors violemment à
Montesquieu : ( ces vérités si simples, si évidentes par ellesmêmes ont cependant échappé à de grands génies ; et de leur
inattention à ce sujet est provenu le système des contre-forces
qu'ils ont prétendu devoir être opposées à l'autorité pour en
arrêter les bus» (59).
Montesquieu a imaginé le système des contre-forces pour
que le Pouvoir du Souverain puisse être modifié par un autre
Pouvoir opposé qui en soit le contre-poids et puisse le balancer.
Mais alors ( si dans l'exécution de cette idée bizarre on pouvait
parvenir à instituer deux puissances parfaitement égales, sépa-
-,
(56)
(57)
(58)
(59)
Op.
Op.
Op.
Op.
cit., p.
cil., p.
cil., p.
cil., p.
112.
115.
119.
122.
319
�rément elles seraient toutes les deux nulles
•
'.
j
si au contraire elles
étaient inégales, il n'y aurait pas de contre-forces» (60). Voilà
donc une première contradiction. Puis il se demande : « si
l'Auteur qui a le plus soutenu ce projet chimérique, pouvait me
répondre, je lui demanderais comment il a compté calculer les
contre-forces pour trouver leur point d'équilibre» ? (61)
On a maintes fois vu que toute force sociale est le produit
d'une réunion d'opinions et de volontés. Ou cette réunion est
évidente et donne naissance à l'autorité tutélaire, ou cette force
sociale est arbitraire et dès lors tout est désordre.
Supposons un souverain et son conseil composé pour assurer
la plus grande contre-force possible: ce n'est déjà plus le gouvernement d'un seul mais de plusieurs qui participent à 1.
souveraineté.
D'autre part le conseil peut le plus souvent être dans
l'ignorance et par conséquent dans l'incapacité de donner
SOD
avis sur le bien et le mal. Mais il y a plus grave, tous ceux
qui participent au conseil voudront imposer leurs intérêts particuliers : d'où évidemment l'inutilité des contre-forces.
.-
••
Décidément la théorie des contre-forces est non seulement
inutile mais absurde : « Dans un gouvernement dont les principes sont arbitraires, il est inutile de se mettre l'esprit à la
torture pour trouver des contre-forces : car ce qui rend vicieux
ce gouvernement c'est précisément la multitude des contre-forces
qui s'y forment (62). Le choix doit donc se faire entre une
autorité unique établie sur la raison ou une multitude d'autorités
arbitraires « qui ne peuvent cesser de s'entre-choquer ».
Mercier de la Rivière va enfin réfuter la thèse selon laquelle
tout système monarchique conduit au despotisme. Toute la
confusion vient de ce qu'on mélange très souvent les despotisme•.
n y a en effet le despotisme arbitraire que l'on pourrait encore
qualifier de tyrannie sdon la terminologie hellénique et d'autre
part le despotisme légal qui est la meilleure forme de gouvernement. Le despotisme arbitraire est « une chose odieuse,
contraire à l'ordre et aux droits naturels de l'humanité » (63).
Le despotisme arbitraire est composé de quatre parties : le
Despotisme, le Despote, la force physique qui fait son autorité
et les peuples qu'il contraint à lui obéir.
Le despotisme est « une production bizarre de l'ignorance,
une force physique qui se sert de sa supériorité pour opprimer» (64).
Mais c'est le despote surtout qui fait le despotisme. La
force qui sert de base à Pautorité du despote n'est ni à lui
(60)
(61)
(62)
(63)
(64)
320
Op.
Op.
Op.
Op.
Op.
cil.,
cil.,
cil.,
cil.,
cil.,
p. 123.
p. 123.
p. 125.
p. 128.
p. 131.
�ni en lui, c'est une force empruntée et en quelque sorte usurpée.
Mercier de la Rivière décrit ainsi le despote : « C'est une
espèce de corps transparent et fragile au travers duquel on
aperçoit la force qui l'environne ; on peut le comparer à ces
figures de bois ou d'osier qui semblent faire mouvoir une
machine à laquelle elles sont attachées, tandis que c'est cette
même machine qui leur imprime tous leurs mouvements ~ (65).
Le despote est un être abject dont le Pouvoir est bâti sur
l'illusion et l'arbitraire. La force publique n'est plus qu'une
opinion « livrée à toute la fureur des passions et à tous les
égarements de l'ignorance ». La force Publique sera dans ce
cas toujours imposée et non acceptée.
Elle sera imposée aux peuples sur qui règne le Despote,
car ce peuple n'aura plus de droits mais qu'un seul devoir :
obéir. Les peuples qui gémissent sous le joug d'un despotisme
arbitraire, ne forment donc point une nation parce qu'ils ne
forment point entre eux une société: « il n'est point de sociétés
sans droits réciproques et il n'est point de droits là où il n'est
point de propriété ».
.,
Mercier de la Rivière ne craint pas de rejeter vigoureusement
..
cette sorte de Despotisme. Mais les termes despote et despotisme
ne doivent pas qu'exprimer une sorte « d'autorité monstrueuse ",
Yautorité despotique peut être aussi « cette force irréversible
de l'évidence ~ . Dans ce sens-là le Despote se soumet à l'ordre
naturel, aux lois naturelles, et voilà pourquoi Mercier de la
Rivière parle de Despote légal.
Le terme de Despote légal est préféré à celui de Monarque
absolu, car il spécifie mieux et le rôle et l'autorité du Souverain.
n est inutile d'insister davantage sur ce terme qui, il faut le
reconnaître, peut prêter à confusion mais qui en aucun cas ne
peut faire passer notre auteur pour l'admirateur des tyrans. Ce
serait un con tre-sens pur et simple.
Mercier de la Rivière affirme : « Si le législateur était aussi
magistrat, il ne pourrait que couronner et consommer comme
magistrat, toutes les méprises qui lui seraient échappées comme
législateur ~ (66).
Les Magistrats
Le système politique précouisé par Mercier de la Rivière
pourrait s'arrêter au despote légal, qui marque le couronnement
de la pensée politique de notre auteur. En réalité tout l'édifice
laborieusement élaboré par Mercier de la Rivière risquait de
s'effondrer, si le despote légal faisait peu cas des Lois Naturelles
et essentielles. Les Magistrats « gardiens des Lois» vont assurer
la sauvegarde du pouvoir.
(65) Op. ci•. , p. 132.
(66) Op. ci'., p. 64.
321
�r
Mais d'autre part « si le magistrat était aussi législateur,
les lois n'existant que par sa seule volonté, il ne serait point
assujetti à les consulter pour juger ; et il pourrait toujours
ordonner comme législateur ce qu'il aurait à décider comme
magistrat » (67).
Finalement voici le rôle dévolu aux magistrats :
« Puisque les lois sont muettes physiquement, et qu'il faut
des Lois positives, il faut donc aussi des Magistrats qui soient
les organes physiques des lois. Puisque les Magistrats sont les
organes physiques des lois il faut donc qu'ils parlent pour les
lois et comme les lois, dans tous les cas où les lois ont à
parler » (68).
CONCLUSION
On ne connaît généralement des physiocrates que leur
libéralisme économique. Or leur doctrine politique est totaliraire,
absolutiste. TI n'y a pas d'opposition ni de paradoxe entre ces
deux données : le totalitarisme politique vient au secours des
propriétaires fonciers. La classe des propriétaires fonciers ne
pouvait sans se condamner refuser le libéralisme économique
dans le système monarchique où ils vivaient. Mais d'autre part
le libéralisme politique les aurait conduits à se donner des
concurrents. Le système politique mis au point par Mercier de
la Rivière consistait à conférer le pouvoir politique à ceux qui
détenaient la puissance économique. Finalement c'est l'intérêt
commun des propriétaires fonciers qui donne sa raison à la
doctrine politique et économique des physiocrates. Comme l'écrit
A. Mathiez : « leur Dieu est le mécanicien d'un monde dont
l'intérêt est le moteur» (69).
Jean-Marie COTIERET,
Cbarg~ de cours
à la Faculté de DroÎt de Nice.
(67) Op. cil., p. 64.
(68) Op. cil., p. 70.
(69) A. Mathiez, La doctrine politique des physiocrates. Annales
historiques de la Révolution française, 1936, p. 203.
322
�BIBLIOGRAPHIE
ŒUVRES DE MERCIER DE LA RIVIERE
1) L'Ordre Naturel et Essentiel des Sociétés Politiques - Paris
1767 (l volume in-4°). Londres 1767 (2 volumes in_8°).
Cet ouvrage de Mercier de la Rivière a été réédité pastiellement en 1846 par Eugène Daire dans son livre « Physiocrates »,
Paris 1846, Guillaumin éditeur. Les vingt-six premiers chapitres
sont laissés de côté et la publication commence au vrngt·septième
chapitre qui est intitulé Chapitre I.
Edgas Depitre réédita intégralement en 1910 l'Ordre Naturel
et Essentiel des Snciétés Politiques dans la « collection des
~onomistes et des réformateurs sociaux de la France ». Paris
1910, Paul Geuthner éditeur.
2) L'intérêt général de l'Etat, ou la liberté du commerce des
blés démontrée conforme au droit naturel, au droit public
de la France, aux lois fondamentales du royaume, à l'intérêt
commun du souverain et de ses suiets dans tous les temps3
avec la réfutation d'un nouveau système publié en forme
de dialogue sur le commerce des blés. Amsterdam et
Paris 1770.
3) De l'instruction publique, ou considérations morales et politiques SUT la nature et la source de cette instruction,
ouvrage demandé pour le Roi de Suède. Paris 1775.
4) Essais sur les maximes et lois fondamentales de la monarchie
française ou canevas d'un code constitutionnel. Paris 1789.
(Cf. annexe p. 194.)
Cet ouvrage, assez paradoxalement, n'a jamais été réédité
depuis cette date.
5) Mémoire à l'Assemblée Nationale pour les Syndics généraux
des créanciers des Jésuites. Paris 1790. En collaboration
avec Theaulon, GraHin, Rouchette.
6) Lettre
les économistes. Non daté.
On attribue à tort à Mercier de la Rivière trois ouvrages
qui sont en réalité de Le Mercier de la Rivière. Ces trois
Hlr
ouvrages en dehors de l'homonymie n'ont aucune communauté
3!!3
�de pensée avec ceux de notre auteur. La simple lecture est un
test suffisant. Les trois ouvrages en question sont les suivants :
Lettre de Monsieur de la Rivièrel conseiller honoraire au
Parlement de Paris à Messieurs les députés composant le comité
(
des finances dans l'Assemblée Nationale. Non daté.
L'heureuse nation, ou gouvernement des Féliciens.
Paris 1792.
L'heureuse nation ou relations du gouvernement des Féliciens, peuple souverainement libre sous rempire absolu de ses
lois. Paris 1792.
.*.
Il n'existe aucun ouvrage ni aucun article sur les idées
politiques de Mercier de la Rivière. Sur la doctrine politique
des physiocrates, il faut retenir deux articles : celui d'Ernest
Chavegrin : Les doctrines politiques des Physiocrates, in Mélanges Carré de Malberg, p. 60 et s, et celui d'A. Mathiez: Les
doctrines politiques des physiocrates in Annales historiques de
la Révolution française, mai-juin 1936, p. 200 et s. Il convient
d'y ajouter le bref discours prononcé par A. Esmein à la séance
générale du Congrès des sociétés savantes le 9 avril 1904 sur :
La science politique des physiocrates, in Mélanges Esmein ,
volume IV. Enfin, on peut consulter le livre de Dina Fiorot : L.
filosoHa politica dei fisiocrati. Padoue, Cedam 1954.
•••
Sur les institutions politiques des physiocrates, le seul
article important est celui d'A. Esmein : L'Assemblée Nationale
proposée par les physiocrates. Séances et travaux de l'Académie
des Sciences morales et politiques, 1904, tome 162, p. 397 et <.
Malheureusement cet article passe complètement sous silence les
institutions conçues par Mercier de la Rivière.
•••
Sur le mouvement physiocratique en général, l'ouvrage
fondamental est celui de Georges Weulersse : Le mouvement
physiocratique en France de 1756 à 1770. Alcan 1910 (2 volumes) ; La physiocratie sous les ministères de Turgot et de
Necker (1774-1781). P.U.F. 1950 ; et enfin le troisième volume
qui fait la jonction entre les deux périodes précédentes : L.
physiocratie à la fin du règne de Louis XV (1770-1774)_
P.U.F. 1959.
•••
, '
Les manuels de Monsieur le Recteur Prelat Histoire des
idées politiques. Dalloz 1959 ; et de Monsieur Jean Touchard,
en collaboration avec Louis Bodin, Pierre Jeannin, Georges
324
�Lavau, Jean Sirinelli : Histoire des idées politiques (2 tomes).
P.U.F. collection Thémis, Paris 1959, sont irremplaçables pour
« si ruer ~ les idées politiques des physiocrates.
Sur les idées politiques au XVIII' siècle, on retiendra :
Henri Sée : L'évolution de la pensée politique en France au
XVIII' siècle. M. Giard, 1925. Maxime Leroy : Histoire des
idées sociales en France, tome l : De Montesquieu à Robespierre. Gallimard 1946.
:.
Enfin sur l'histoire générale de cette période on recourra
aux grandes collections classiques, Clio, Peuples et civilisations,
mais plus particulièrement à Roland Mousnier, Ernest Labrousse,
Marc Bouloiseau : Le XVIII' siècle. Révolution technique et
politique (1715-1815 ). P.U.F. 1953 (Collection Histoire générale
des civilisations).
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�ESSAIS sur les MAXIMES des LOIS FONDAMENTALES
de la MONARCHIE FRANCAISE ou CANEVAS
D'UN CODE CONSTITUTIONNEL
par
MERCIER de la RIVIÈRE
PR E AMBULE
Prétendre que la nation française doit être aussi libre que
son nom l'annonce, que sa constitution politique est exclusive
de tout esclavage et que cependant, il existe une puissance qui
peut arbitrairement priver tout citoyen de sa liberté, qu'elle
peut confier à une multitude de ministres inférieurs, l'exercice
de ce pouvoir terrible, n'est-ce pas dire que cette nation est
libre et qu'elle ne l'est point )
Prétendre qu'elle ne forme avec son chef qu'un seul corps
dont les membres sont unis à lui par un intérêt commun, que
cependant elle n'a plus la faculté de délibérer, d'agir comme
un corps et en cette qualité d'avoir une volonté. N'est-ce pas
dire que cette nation est, et n'est poin t un corps politique ?
Prétendre que le droit de propriété est le droit commun
national et que pourtant la volonté d'un seul suffit pour nous
enlever une portion de nos propriétés. N'est-ce pas dire que
nous avons des propriétés et que nous n'en avons pas ?
La durée des corps politiques dépend de leurs constitutions.
Pour que celles-ci soient exemptes de défauts il faut que ses
lois ne permettent qu'aucun intérêt particulier puisse prévaloir
.
'.
sur l'intérêt général.
Ce n'est que sous un gouvernement monarchique qu'on
peut se procurer constamment un si grand avantage. li est le
seul qui puisse tenir inséparablement unis les vrais intérêts du
monarque et ceux de la nation.
Ces grands projets ne pourront être réalisés sans le secours
d'un code constitutionnel. C'est dans ce code que nous apprendrons si nous sommes ou ne sommes pas un véritable corps
politique.
327
�Prétendre que la justice ne doit pas être arbitraire et que
pourtant cet ordre judiciaire peut être suspendu ou interverti au
gré des volontés arbitraires du souverain, n'est-ce pas dire que
le souverain doit et ne doit pas la justice à ses sujets ?
Prétendre que nos Rois sont dans l'heureuse impuissance
de changer les lois fondamentaIes de l'Etat, que le corps instirué
dépositaire et gardien de ces lois est un corps constitutionnel,
que pourtant ces princes peuvent dicter arbitrairement toutes
les lois qu'ils leur plait et que ce corps est tenu de les faire
exécuter, n'est-ce pas dire que ces prétendues lois fondamentales
ainsi que ces prétendus gardiens existent et n'existent pas?
Prétendre qu'il est de l'essence d'un gouvernement monarchique que les lois y règnent souverainement, que tous les
citoyens soient assurés de jouir constamment de leurs droits,
que cependant tous les ordres émis par le souverain doivent
être exécutés sans opposition ni réclamation, même contraires
aux lois, n'est-ce pas dire que notte gouvernement est et n'est
point monarchique et, sous le nom de monarchie, n'est-ce point
introduire le despotisme ?
Les plus petites corporations ont leur statut rédigé en
forme de lois. Ne serait-il pas extraordinaire que la corporation
généraIe fut la seule à ne pas avoir de starut ? N'a-t-on, dans
cette corporation, ni droits ni devoirs essentiels ? et, s'il en
existe, ne doivent-ils pas être rédigés de manière que personne
ne puisse les méconnaître ?
TITRE 1"
DE LA NATION FRANÇAISE EN GENERAL
SA CONDITION CIVILE. - NATURE DE SON
GOUVERNEMENT ET SES RAPPORTS AVEC
LES PRINCIPAUX CARACTERES DU GENIE
NATIONAL
ARTICLE PREMIER . -
La nation des francs est une nation
libre et sa liberté consiste en celle qui est inséparable du droit
de propriété. Ce droit fondé sur la narure des choses et principalement sur celle de l'homme, forme le droit commun national,
constirue la condition civile de la nation en générai et celle
de chacun de ses membres en particulier ; il est aussi la première
de ses lois fondamentales, le principe, la raison primitive de
toutes ses autres lois comme de toutes les institUtions qui
concourent à l'organisation du corps politique.
ART. 2. -
Le gouvernement français est monarchique : la
nation est gouvernée par ses propres lois et par un chef unique
revêtu du pouvoir nécessaire pour en assurer constamment l'obser-
3'!8
�vation. Dans ce chef réside encore sans partage j'autorité destinée
à suppléer les lois dans tous les cas sur lesquels il est impossible
de statuer.
ART. 3. Aimer son souverain comme un père, l'honorer
comme une divinité tutélaire, chérir l'honneur comme le premier
de tous les biens, s'attacher à la pratique des vettus sociales,
principalement à bien servir et son prince et l'état : tels sont
en France les grands et principaux caractères du génie national,
bien précieux à nourrir, à entretenir dans toutes les classes de
citoyens qui composent la nation.
ART. 4. Le génie national ne peut animer que des
hommes libres : né du sein de la liberté, il n'appartient qu'à
elle de l'exhorter, de lui procurer constamment l'énergie dont il
est susceptible ; une des maximes fondamentales du gouvernement français doit donc être d'écarter tout ce qui pourrait
affaiblir, dans ses sujets, l'idée et le sentiment intime de leur
liberté.
TITRE II
DU DROIT DE PROPRIETE. - SES DIFFERENTES
BRANCHES ET SES ATTRIBUTS ESSENTIELS
ARTICLE PREMIER. Le droit de propriété est un ; il
prend seulement trois différentes dénominations selon la nature
des trois différents objets auxquels il s'applique ; et chacune
de ces dénominations peut être considérée comme une branche
particulière de ce droit.
ART. 2. La première de ces branches est la propriété
personnelle, qui n'est que la liberté naturelle de disposer de
son individu et de toutes ses facultés.
La deuxième, mère de l'industrie et des arts, est la propriété
mobilière, qui donne la libre disposition des effets mobiliers,
légitimement acquis.
La troisième, à qui nous devons la culture et la fécondité
de nos terres, est la propriété foncière, qui rend maitre de faire
usage qu'on juge à propos et de ses biens et de leurs produits
annuels . Daos chacune de ces trois branches le droit de propriété
est également sacré, également la première des lois fondamentales et constitutives de la monarchie française.
ART. 3. Un droit qu'on ne serait pas libre d'exercer, ne
serait pas un droit : sans cette liberté, le droit de propriété ne
pourrait exister : porter atteinte à la liberté, c'est donc porter
atteinte au droit de propriété.
ART. 4. La liberté essentielle au droit de propriété ne
peut cependant être arbitraire et illimitée : elle est au contraire
329
�comme les propriétés mêmes, bornée dans chaque citoyen, par
la Hberté des autres citoyens ; et jamais elle ne peut s'étendre
à ce qui préjudicierait, soit à leur liberté, soit à leurs propriétés.
ART. 5. - Les bornes de la liberté ne doivent être plus
arbitraires que son extension : c'est donc aux lois de la nation
uniquement qu'il appartient de les déterminer ; et il convient
que ces bornes soient établies de manière qu'on ne puisse les
méconnaître, que chacun aperçoive clairement ce qu'il peut
prétendre, et ce qu'il ne doit jamais se permettre.
ART. 6. - La propriété doit donc être dans le fait ce
qu'elle est dans le droit, et la sûreté ne lui est pas moins
essentielle que la liberté : c'est donc à l'établissement de cette
sûreté que doivent tendre toutes les différentes branches de
l'organisation du corps politique ; elle ne peut être régulière
qu'autant qu'elle sera propre à remplir cet objet fondamental.
TITRE III
•
DE LA CONDITION CNILE DE CHAQUE CITOYEN
CONSIDERE COMME CITOYEN SEULEMENT
ARTICLE PREMIER. En ne considérant les citoyens que
comme citoyens seulement et non comme membres de certains
ordres ou de certains corps, il n'est, dans leurs conditions civiles
que des différences de fait, sans aucune différence de droit :
tous jouissent également du droit de propriété et de la liberté
qui lui est essentielle ; et attendu que leurs conditions civiles
ne sont que des applications à chacun d'eux du droit commun
et de la liberté commune à toute la nation, blesser ce droit ou
cette liberté dans un seul particulier c'est les blesser dans toute
la nation.
ART. 2. - Qu'aucun particulier ne soit donc ni dépoUillé
de ses propriétés ni privé de la liberté d'en jouir que dans les
cas prévus par les lois, et suivant les formalités prescrites par
les lois.
ART. 3. - Le titre de citoyen ne doit pas être moins honoré
parmi les français , qu'il le fut parmi les romains. A quelque
ordre et à quelque corps qu'on appartienne, ce titre héréditaire
sera regardé comme le premier des titres, celui sans lequel on
ne peut ni jouir d'aucun autre, ni exercer dans la nation aucune
fonction publique.
ART. 4. - En sa qualité de citoyen, tout particulier devenant
membre de l'état se doit tout entier à l'état. Et attendu que cette
qualité le place d'une manière spéciale sous la protection des
lois, elle lui impose aussi l'obligation de se conformer aux
330
�lois, de concourir même, autant qu'il est en lui au maintien des
lois, à peine d'être déchu du titre et des prérogatives de citoyen
s'il prêtait son ministère à des opérations manifestement destructives de l'autorité des lois. Ne pourra, néanmoins, une telle
peine lui être infligée que par un jugement.
.
TITRE IV
DES LOIS
.
. .....
"
ARTICLE PREMIER. La nation, ainsi qu'il est dit, en
l'article .3 du titre 1er , doit être gouvernée par ses propres lois
et elle ne peut reconnaître pour ses propres lois que celles qui
sont directement ou indirectement les expressions de ses volontés
communes.
AIn. 2. - Les lois sont directement les expressions de la
volonté commune de la nation, lorsqu'avant d'avoir reçu du
souverain la sanction qui leur donne force de loi elles ont été
d~libérées par la nation en corps. Elles sont inooectement les
expressions de sa volonté, quand elles émanent d'un pouvoir
législatif par elle institué pour la représenter à cet égard, tandis
qu'elle n'est point assemblée et dicter alors des lois suivant
l'exigence des cas et les formes nationales établies concernant
l'exercice d'un tel pouvoir.
AIn. 3. - Les lois délibérées par la nation et sanctionnées
par son chef ne peuvent être ni abrégées, ni changées par le
pouvoir législatif établi pour la représenter : l'institution de ce
pouvoir n'a d'autre objet que d'assurer l'exécution de ces mêmes
lois par les développements et les applications de leurs consé·
quences. Les formes nationales mentionnées dans l'article précédent, doivent donc être de nature à mettre ce pouvoir à l'abri
des surprises dont il pourrait résulter des actes contraires aux
délibérations de la nation .
ART. 4. Il est pour la nation deux sortes de lois, les
lois de sa constitution et celles de son administration. Les lois
déterminent la nature et la forme de son gouvernement, la
condition civile du souverain et de la nation ; ce sont elles qui
font le monarque, ce qu'il est comme monarque et ses sujets
ce qu'ils sont comme sujets. De telles lois sont nécessairement
immuables, et la nation même ne pourrait les changer sans
dénaturer la monarchie.
ART. 5. Les lois d'administration président à tous les
intérêts journaliers du corps politique et servent à les ooiger
suivant les circonstances éventuelles auxquelles ils correspondent.
Attendu que par la nature des choses ces circonstances sont
sujettes à varier les lois qu'elles provoquent doivent aussi éprouver
331
�toutes les mêmes varlatJons sans néanmoins pouvoir jamais être
contraires ni aux lois de la constitution, ni aux autres lois
délibérées dans les assemblées nationales et les objets d'administration seront les seuls sur lesquels pourra s'exercer J'autorité
de la puissance législative instituée par la nation.
TITRE V
DES INSTITUTIONS NECESSAIRES A LA STABILITE
DES LOIS ET DES FORMALITES ESSENTIELLES
A LA PROMULGATION DE CELLES QUI EMANENT
DE LA PUISSANCE LEGISLATNE ETABLIE PAR
LA NATION
,
. '.
.
ARTICLE PREMIER. Les lois sont le tableau de tous
les droits et de tous les devoirs, les titres communs du monarque
et de la nation : les intérêts communs du monarque et de la
nation veulent donc également qu'aucune volonté particulière ne
puisse s'opposet à leur exécution ; veulent aussi qu'il existe un
corps national, constitué dépositaire et gardien des lois ; qu'il
soit chargé de les faire constamment observer: qu'en conséquence,
à lui seul apparùenne la prérogaùve de les promulguer et
qu'aucun acte public ne puisse acquérir le caractère de lois que
par cette promulgation.
ART. 2. - Toutes les lois sont enregistrées par le corps
à qui la garde est confiée pour être ensuite promulguée. Le
même intérêt général exige néanmoins qu'à l'égard de celles
qui seront. adressées à ce corps par la puissance législative repré·
sentative de la nation, sans avoir été préalablement délibérées
dans une assemblée nationale, il ne puisse en ordonner l'enregistrement qu'après qu'il aura vérifié et reconnu qu'elles n'ont
rien d'incompatible avec celles qui sont résultées des délibéraùons
de la nation et dans le cas contraire, il se regardera comme n'ayant
pas le pouvoir d'enregistrer, comme tenu par conséquent, de se
refuser à l'enregistrement sous peine d'être réputé infracteur des
lois.
ART. 3. - Les dépositaires et gardiens des lois ne sont
point associés au pouvoir législatif mais seulement tenus de
juger en leur âme et conscience de la conformité ou non
conformité que les nouvelles lois projetées par l~ puissance
législative, se trouvaient avoir avec les lois nationales, qu'elle
ne peut ni abroger ni changer ; et du jugement qu'ils auront
ainsi porté sur ces nouvelles lois projetées résultera, pour eux,
l'obligation absolue, ou de les enregistrer ou de ne pas les
enregistrer.
33'Z
�ART. 4. -
Le corps à qui le dépôt et la garde des lois
seront confiés doit avoir la même stabilité avec les lois ; et ce
corps ne peut être que celui de la haute magistrature, dont la
consistance fait partie de celle des lois, sa qualité d'organe des
lois l'identifiant aver les lois.
TITRE VI
DE LA SOUVERAINETE
ARTICLE PREMIER. Sous les noms augustes de Roi , de
Souverain, de Monarque, le chef de la nation est dépositaire
unique du pouvoir exétutif, ce qui rend absolue et indivisible
son autorité tutélaire et protectrice. Dans les mains de ce chef
est déposée sans panage la force publique, à lui seul il appartient
d'en disposer tant pour la paix extérieure et la sûreté politique
de la nation, que pour la tranquillité intérieure et la sûreté
civile de chaque citoyen. Et attendu que dans l'intérieur du
royaume, cette tranquillité et cette sûreté ne peuvent être que
,..
l'ouvrage des lois, la force publique ne doit jamais y servir
qu'à faire régner les lois, jamais y être employée que suivant les
règles et les formalités prescrites par les lois.
ART. 2. Le monarque seul peut imprimer aux délibérations nationales le caractère de lois du royaume, en les revêtant
de son pouvoir exécutif. Ce prince est aussi la puissance législative
représentative de la nation, et instituée pour dicter des lois sur
le fait de l'administration, conformément à ce qui est établi dans
les titres IV et V ci-dessus.
ART. 3. - Encore qu'elle soit indivisible et absolue, l'autorité monarchique n'est point arbitraire et sans bornes : instituée
pour conserver elle ne peut avoir un caractère qui la rendrait
propre à tou t détruire.
ART. 4. - Dans tous les cas que les lois peuvent prévoir
et sur lesquels elles peuvent statuer le propre du monarque, et
ce qui le différencie du despote est de ne gouverner que par
des lois, qui ne doivent être arbitraires, ni dans leur institution,
ni dans leur exécution. Et seront réputées faire partie de notre
constitution monarchique, les formes auxquelles l'institution et
l'exécution des lois auront été assujetties en vertu des volontés
communes de la nation, sanctionnées par le souverain.
ART. 5. - Seront néanmoins affranchies des mêmes formes
légales les ordres particuliers du monarque dans tous les détails
d'administration où il ne s'agira que de J'exécution des lois
établies, et des objets qui ne peuvent être ni prévus, ni réglés
d'avance par elles. Il sera seulement de sa sagesse souveraine,
ainsi que l'exigent ses vrais intérêts, de se conformer, sur ces
objets à l'esprit et à l'institution des lois.
333
�ART. 6. L'ordre de la succession à la couronne sera
constamment gardé parmi nous, tel qu'i! subsiste depuis Hugues
Capet. L'héritier naturel de la souveraineté se trouvant ainsi
toujours désigné par cet ordre de succession, toujours saisi par
la loi, tant qu'il existera des princes issus de la maison régnante,
le trône ne sera jamais réputé vacant ; et pour que le prince
appelé à le remplir puisse s'y placer il ne sera nullement nécessaire d'attendre qu'il ait été sacré et couronné, ni que les
serments de fidélité accoutumés lui aient été prêtés, ces serments
n'ajoutant rien aux devoirs dont ils ne sont que les expressions,
devoirs que les lois du royaume imposent également à tous les
sujets de nos rois et dont la puissance ecclésiastique ne peut
en aucun cas les affranchir.
ART. 7. - Les droits et domaines appartenant au corps
de la souveraineté et connus parmi nous sous la dénomination
de droits domaniaux et domaines de la couronne, ne pourront,
en aucun cas, et sous aucune forme, être aliénés que du consentement de la nation ; et lorsqu'elles auront été consenties par
la nation de teUes aliénations seront irrévocables et sans retour.
Pourront néanmoins ces mêmes domaines être donnés à titre
d'apanages aux frères d'enfants puinés du monarque à la charge
toutefois de réversion à la couronne ; dans le cas où les frères
apanagistes viendraient à décéder sans héritiers mâles en ligne
directe.
TITRE VII
DE LA NATION FRANÇAISE CONSIDEREE
COMME CORPS POLITIQUE
DE SON
INTERET COMMUN ET DE SA FACULTE
D'EN DELIBERER
ARTICLE PREMIER. Tous les membres de la nation ne
forment entte eux et avec leur chef qu'un seul et même corps
politique et le lien auquel on est redevable de cette sainte union
est leur intérêt commun : lien naturel que rien ne peut remplacer
et qui pour toujours subsister n'a besoin que d'être connu ;
tel est le vrai système monarchique, et tel sera toujours celui
de notre gouvernement.
ART. 2. - L'intérêt commun est l'accord et le résultat de
tous les intérêts particuliers, raisonnables et bien entendus. Il
suppose un ordre de choses qui les protège tous également, qui
assure également à tous les citoyens et leurs propriétés et leur
liberté, seul et unique moyen de porter à son plus haut degré
la prospérité d'une nation. Et attendu que sur cette prospérité
334
�générale sont fondés la puissance et l'éclat du trône, un tel
ordre pareillement conforme aux vrais intérêts du monarque, qui
dans une monarchie héréditaire, ne peut en avoir d'autres que
ceux de sa souveraineté.
ART. 3. - Qu'on se garde donc de jamais abuser du nom
respectable d'intérêt commun, pour sacrifier les intérêts du plus
petit nombre aux intérêts du plus grand nombre ; et tel sera le
cas de ce sacrifice injuste lorsqu'on se permettra ou d'imposer
gratuitement, sur diverses propriétés, des charges extraordinaires,
dont elles ne sont point grevées par les lois, ou d'enlever gratuitement à divers propriétaires une portion de la liberté que les lois
leur ont accordée comme aux autres citoyens.
ART. 4 . - Tout intérêt particulier cependant doit être
subordonné à l'intérêt commun, dans lequel il se confond ainsi
que toute volonté particulière doit l'être à la volonté générale
dont elle fait partie. Mais cette subordination, instituée pour la
sûreté même des propriétés tournerait à leur détriment si on la
faisait suivre de titre pour exiger d'autres sacrifices que ceux
qui étaient prévus et d'avance ordonnés.
ART. 5. - Un corps politique en cela qu'il est composé
çl'être sensibles et intelligents ne peut former, comme chacun
d'eux, qu'un corps vivant et animé, donc de la faculté d'agir
pour sa conservation et son bonheur un tel corps doit donc
nécessairement avoir la faculté d'assembler tous ses membres
pour en délibérer. Cet acte social est même pour eux tout à
la fois et un droit inhérent à sa qualité d'hommes libres, et un
devoir attaché à celle de citoyen par la loi suprême de l'intérêt
commun.
-.
TITRE VIII
DES ASSEMBLEES NATIONALES
ARTICLE PREMIER. - Les assemblées ordinaires de la nation
se tiendront à des époques fixes et périodiques, déterminées par
une loi générale, laquelle à ces époques, tiendra lieu de convo~
cation . Ne pourra nçanmoins une telle loi, empêcher qu'il se
tienne des assemblées. extraordinaires, toutes les fois qu'elles
auront été délibérées par la nation même, ou convoquées par
son chef.
ART. 2. - Attendu l'impossibilité dont il est que l'universalité de la nation se réunisse dans un même lieu, pour y délibérer,
ses assemblées sous le nom d'états généraux ne seront composées
que des représentants qu'elle aura choisis et chargés de ses
instructions, ainsi que de ses pouvoirs.
335
�ART. 3. -
Pour que toute la nation puisse choisir et
nommer ses représentants, puisse aussi leur donner les instructions et les pouvoirs nécessaires à l'effet de la représenter vérita-
blement, lorsque les objets destinés à être traités dans les états
généraux seront communs à toute la nation, et intéresseront
directement toute la nation, elle en sera d'avance instruite, et
de manière que cbacune des assemblées particulières dans lesquelles elle sera divisée et subdivisée, ait un temps suffisant
pour en délibérer et dresser ses instructions.
ART. 4. - Chaque province, pour son administration particulière, aura ses états particuliers, lesquels seront composés de
manière qu'ils puissent en être véritablement les représentants,
et pour donner à cette composition toute la consistance qui lui
convient elle sera confirmée par une délibération des états
généraux, lesquels règleront aussi l'âge, les états et conditions
dans lesquels pourront être pris les membres des états provinciaux. Seront en outre toutes nos provinces subdivisées en
différents districts, qui s'occuperont séparément des objets à
traiter dans l'assemblée générale et promouveront ensuite des
syndics pour présenter leurs délibérations à leurs états provinciaux.
ART.
5. -
Les syndics des différents districts concourront
dans les états provinciaux, à la formation d'un avis commun,
à la nomination des députés qui seront chargés de le porter aux
états généraux ainsi qu'à la rédaction des instructions et pouvoirs
à donner à ces députés .
ART. 6. - La manière dont les districts seront composés
ainsi que l'ordre à garder dans leurs délibérations seront pareillement réglés par les états généraux.
ART. 7. -
Tous les états provinciaux pourront présenter
aux états généraux des sujets particuliers de délibération. Chaque
district pourra s'occuper aussi de ses intérêts particuliers et
locaux ; et les demandes à ce sujet seront remises aux états
provinciaux pour être ensuite communiquées aux états généraux
qui seront tenus d'en délibérer. A l'égard des prérogatives particulières concédées à diverses provinces et dans lesquelles elles
demanderont à être maintenues, elles doivent être religieusement
conservées lorsqu'elles ne seront point de nature à augmenter
les cbarges des autres provinces ou à gêner la liberté de leur
commerce.
ART. 8 . -
Dans tous les cas, les états provinciaux rendront
publics, par la voie de l'impression, leurs avis motivés avec les
instructions par eux données à leurs députés, lesquels seront
chargés d'en déposer un exemplaire dans les archives des états
généraux. Il en sera, en outre, envoyé à chacun des autres états
provinciaux des exemplaires, en nombre suffisant pour qu'il en
soit déposé pareillement un dans leurs archives, un autre remis
à chaque ordre dans la personne de son président, un autre
encore à cbacun des trois ordres qui composeront la députation.
336
�ART. 9. Les états generaux détermineront le nombre
de syndics qui seront envoyés par chacun des ru stricts à leurs
états provinciaux, détermineront encore celui des députés qui
seront nommés par les provinces pour assister à rassemblée
généraJe, et ne pourront ni les états provinciaux ni les districts,
s'écarter d'un tel règlement soit en plus, soit en moins. Et
attendu la distribution de la nation en trois ordres de citoyens
ainsi qu'il sera dit dans le titre suivant, le même règlement
déterminera pareillement le nombre tant des syndics que des
députés qui seront pris dans chacun de ces trois ordres et par
rapport aux députés ce nombre quel qu'il soit sera toujours
réglé dans la proportion nécessaire pour maintenir entre les deux
premiers ordres et le troisième un équilibre indispensable dans
les délibérations par tête qui pourront avoir lieu en vertu de
l'article 12 du présent titre.
ART. 10. - Dans les pouvoirs et instructions donnés aux
députés, ils seront qualifiés représentants de la nation, nommés
par telle province et cette qualification les avertira que c'est
dans l'intérêt commun du roi et de la nation et non dans l'intérêt
particulier de leur province seulement qu'ils doivent s'occuper
dans l'assemblée générale.
ART. Il. - Quels que puissent être les avis des états
provinciaux sur les objets à traiter dans l'assemblée générale les
pouvoirs par eux donnés à leurs députés les autoriseront expressément à concourir par leurs suffrages à la formation du vœu
commun qui doit résulter de la discussion des différents avis ;
et s'il arrive que cette autorisation soit omise dans leurs pouvoirs,
elle sera suppléée de droit, comme étant par la nature des choses
inséparablement attacbée à la qualité de représentants de la
nation.
ART. 12. Les états généraux délibéreront par ordre ;
mais toutes les fois que l'avis des trois ordres ne se trouvera
pas uniforme, la délibération ne pourra être prise que par tête j
à l'effet de quoi les trois ordres seront tenus de se réunir pour
délibérer ensemble sur les objets qui les auront divisés . La
même police aura lieu, quand même, dans la suite, l'assemblée
générale jugerait à propos de ne plus former que deux ordres
seulement. Pourront, dans tous les cas, les états généraux, se
distribuer en divers bureaux pour y préparer les matières de
leurs délibérations ; et en conséquence, ils règleront la formation
de ces bureaux, ainsi que l'ordre de leur travail.
ART. 13 . - Lorsque l'avis le plus nombreux n'aura pas
réuni les deux tiers des suffrages, l'objet dont il s'agira sera
soumis à une seconde délibération dans laquelle il sera définitivement réglé à la pluralité des voix et cette seconde délibération
ne pourra être tenue qu'après un intervalle de 15 jours au
moins.
337
�ART. 14. - La même règle sera observée dans le cas où
les avis seront partagés. E t si après la seconde délibération le
partage subsistait encore les états généraux s'en remettront
entièrement à la sagesse du roi, sauf à prendre la chose en
considération de nouveau , lorsqu'ils se rassembleront.
ART. 15. Lorsque les états généraux auront formé
quelque délibération dont les suites et l'exécution seront de
nature à devoir être l'ouvrage de la nation ils pourront avant
de se séparer nommer une commission à laquelle ils donneront
les instructions et pouvoirs nécessaires à cet effet ; sera cette
commission tenue de se conformer aux instructions et de se
renfermer dans les pouvoirs qui lui auront été donnés.
.
ART. 16. - La nomination de la commission intermédiaire
ainsi que les pouvoirs et instructions à elle donnés par les
états généraux, seront adressés à l'effet d'y être enregistrés et
que leur observation soit maintenue par cette cour comme celle
de toutes les autres lois. Après cet enregistrement sera fait par
sa Majesté - semblable envoi à toutes les cours souveraines
comme tenues de la même surveillance en ce qui pourra les
concerner particulièrement .
"
,"
TITRE IX
DES TROIS ORDRES DE CITOYENS
QUI COMPOSENT LA NATION FRANÇAISE
LEUR RANG DANS L'ETAT. - LEURS PREROGATIVES
PARTICULIERES ET LEURS CHARGES COMMUNES
ARTICLE PREMIER. Dans la nation française on distingue
trois ordres de citoyens ; le premier est celui du clergé, composé
de tous ceux qui , ayant reçu quelqu'un des ordres de l'Eglise
se trouvent attachés au service divin ; de ceux encore qui sont
par des vœux, engagés dans quelque profession religieuse. Tous
les nobles d'extraction, ainsi que tous les ennoblis, soit par
des offices, soit par des lettres du prince, forment le deuxième
ordre. Le troisième est le tiers·état lequel comprend tous les
hommes nationaux qui n'appartiennent à aucun des deux premiers ordres de quelque état et profession qu'ils soient. Et sous
le titre d'hommes nationaux doivent être entendus tous ceux
qui étant nés français ou ayant obtenu lettres de naturalité, sont
demeurant dans les pays de la domination française .
~.
. . ART. 2. C'est par le respect dû à la religio~ que sont
déterminés les égards dus à ses ministres ; le droit du clergé
à la qualité de premier ordre du royaume est ainsi fondé sur
l'importance et la sainteté de son ministère il doit l'être encore
338
•
�sur la pureté de ses mœurs, les lumières que requièrent ses
fonctions, son zèle à les remplir, sa qualité de père des pauvres,
à lui spécialement attachée par la loi divine, dont il est l'organe,
et par la destination des biens dont il est le dépositaire.
ART. 3. - Sur l'ordre de la noblesse réfléchit l'éclat du
trône qu'il a l'honneur d'environner. Né en France avec la
monarchie, et avec les fonctions publiques, auxquelles la noblesse
était attachée, l'antiquité de cet ordre constitutionnel, les services
rendus par lui à l'état dans tous les temps, et ceux que l'état
doit toujours en attendre, tant dans la profession des armes, que
dans les places de la haute magistrature, sont des titres qui
doivent lui assurer la considération publique, les distinctions
honorifiques, et généralement toutes les prérogatives qui n'ont
rien de contraire à l'intérêt commun . Doivent aussi ces mêmes
prérogatives être regardées par la noblesse et principalement par
les nobles d'extraction comme un engagement qui leur impose
l'obligation de s'en rendre dignes par leurs qualités personnelles.
ART. 4. Pour conserver la qualité de nobles, et pouvoir
la transmettre à ses enfants, il ne suffit pas d'être issus de
parents nobles, ou d'avoir été ennoblis ; il faut encore vivre
noblement ; n'exercer par conséquent aucune profession réservée
- au tiers-état ; et dans la classe de ces professions ne seront
comprises que celles qui exigent une étude et des grades ; celles
qui tiennent à l'agriculture et au commerce maritime ainsi que
l'exercice des premiers arts tels que la peinture, la sculpture
et l'architecrure.
ART. 5. Le tiers-état ainsi que les deux premiers ordres
est une elasse d'hommes libres qui ne dépendent que des lois :
et ils ont été en possession de cette prérogative naturelle tant
que notre gouvernement monarchique a conservé sa constitution
primitive sans mélange d'aristocratie ni de despotisme, les seuls
abus qui puissent la dénaturer : c'est donc au maintien de cette
constitution dans toute sa pureté qu'est attaché celui de la
condition civile de ce troisième ordre.
ART. 6. - Tout citoyen doit, suivant son état et sa
condition concourir de sa personne et de toutes ses facultés, à
la sÛIeté, tant extérieure qu'intérieure, de la nation ; et la
noblesse française se glorifiera toujours de n'avoir à cet égard
d'autres prérogatives que celle d'être plus particulièrement
destinée au commandement des autres ; de se trouver, par cette
raison, dans l'obligation honorable de devenir le modèle des
talents et des vertus militaires, comme celui de toutes les autres
qualités sociales . Ces talents et ces vertus cependant ne doivent
pas être moins honorés dans le tiers-état, ils y seront au contraire
les principaux titres pour être décoré de la noblesse.
ART . 7. La profession des armes sera néanmoins réputée
incompatible avec le sacerdoce ; en conséquence ne pourront
exercer ladite profession, ceux qui auront été promus aux ordres
339
�sacrés, encore que par cette promotion ils n'aient point cessé
d'être sujets de l'état et soumis aux lois de l'état. Sera la
même règle observée, par rapport aux personnes qui auront fait
valablement profession dans quelqu'un des ordres religieux
autorisés dans le royaume.
ART. 8 . - Une deuxième charge commune aux trois ordres
j
de l'état est la contribution en argent aux dépenses publiques,
inséparables de l'existence d'un corps politique ; et attendu
l'utilité générale résultant de ces dépenses chacun de ces trois
ordres, ainsi que chacun de ses membres, doit par intérêt pour
lui-même se soumettre à la nécessité de cette contribution.
TITRE X
DU REVENU PUBLIC. . SA DESTINATION
SA FORMATION ET SON ADMINISTRATION
ARTICLE PREMIER. -
Le revenu public est le produit des
contributions de chaque citoyen aux dépenses publiques ; il est
ainsi une sorte de propriété commune destinée à l'acquittement
des charges communes ; et cette destination ne pourrait être
changée sans que le droit commun et fondamental de la nation
en soit blessé.
ART. 2. Deux règles inviolables sont à observer dans la
formation du revenu public ; la proportion qu'il doit avoir avec
les besoins de l'état et l'égalité respective de la répartition des
impôts entre tous les contribuables.
ART. 3. Le montant des besoins de l'état étant ce qui
doit déterminer le montant des contributions de la nation, la
loi sacrée de la propriété ne permet pas que ces besoins soient
arbitraires ; il est d'ailleurs d'une nécessité indispensable que
les dépenses soient proportionnées aux moyens d'y pourvoir.
Et attendu que le poids des contributions est plus ou moins
augmenté par la manière de les lever l'arbitraire doit pareille·
ment être exclu de la forme de leur perception.
ART. 4. A la nation seule, conjointement avec son chef
il appartient de déterminer le montant des contributions à lever
sur elle, ainsi que la manière de les percevoir ; et conformément
à ce qui est établi dans les précédents articles du présent titre,
la nation règlera ce montant sur celui des besoins qu'elle aura
jugés indispensables, d'après la pleine connaissance qu'elle en
aura prise i connaissance qui supposera toujours et nécessairement
,
.' .
,.
celle de la situation du trésor public, et de l'emploi des deniers
accordés déjà par la nation. Seront en outre assignés des fonds
pour subvenir aux dépenses éventuelles, qu'on doit regarder
comme inévitables, sans toutefois pouvoir les évaluer.
�ART. 5. - Lorsque d'après les connaissances mentionnées
dans l'article précédent et de concert avec le souverain, il aura
été statué par les états généraux sur le montant des fonds appli-
,
•
cables à chaque branche de la dépense publique, ainsi que sur
la manière de répartir et lever les contributions leur délibération
sanctionnée par le monarque, et enregistrée dans toutes les
cours souveraines, sera réputée une des lois du royaume, auxquelles J'administration est tenue de se conformer invariablement
et à l'observation desquelles les gardiens des lois sont chargés
de veiller.
ART. 6. Les emprunts à rentes, soit perpétuelles, soit
viagères, et même les emprunts remboursables à terme fixe, ne
pouvant se faire au nom de la nation sans être une charge pour
elle il o'en sera fait aucun, ou du moins aucun emprunt ne
pourra être réputé d'être national qu'autant qu'il aura été
consenti par les états généraux de la nation.
ART. 7. Encore que les fonds assignés à chaque nature
de dépenses publiques, ne puissent être détournés de leur
destination, ces dépenses seront assujetties aux formes les
plus propres à en écarter toute déprédation. Ces formes seront
_délibérées comme les autres lois par les états généraux et les
dépenses, à l'occasion desquelles elles n'auront point été remplies,
ne pourront sous aucun prétexte, être allouées dans les comptes
des trésoriers qui en auront fourni le montant.
TITRE XI
DE L'ADMINISTRATION DE LA JUSTICE
ARTiCLE PREMIER. -
TI ne suffit pas que les lois n'aient
rien d'arbitraire dans leur institution, elles doivent encore n'avoir
rien d'arbitraire dans leur exécution : sans cela elles ne seraient
pas de véritables lois. Et attendu l'impossibilité dont il est que
le souverain se livre personnellement aux détails journaliers de
cette exécution, elle doit être confiée à des corps de magistrature,
institués organes des lois, tenus en cette qualité, de faire les
applications des lois, de prononcer tous les jugements dictés
d'avance par les lois.
ART. 2. Le choix et les fonctions des magistrats sont
d'une trop grande importance pour être assujettis à des règles
et des formes constantes lesquelles doivent être délibérées par
la nation et placées au rang des lois du royaume qui ne peuvent
être changées qu'avec le consentement de la nation.
ART. 3. L'inamovibilité des magistrats dans leurs offices
est essentielle à la liberté dont ils doivent jouir dans leurs
fonctions et toute atteinte portée à cette liberté, sera réputée
�atteinte portée directement aux lois. Pourront cependant, les
magistrats, en cas d'accusation être poursuivis, comme les autres
citoyens, pardevant les juges qui leur auront été assignés par
la nation.
ART.
4. -
L'administration de la justice requerait diffé-
rentes classes de juridictions, leur compétence, leur territoire,
et la subordination qu'elles garderont entre elles, seront déter-
minées par des règlements précis, d'après les délibérations nationales et cette branche de l'ordre public ne pourra, sous aucun
prétexte être intervertie qu'en vertu d'autres délibérations
subséquentes.
ART. 5. - La justice est une dette de toute la nation envers
chacun de ses membres, une dette par conséquent dont le
souverain est tenu de s'acquitter ; dans le choix des formalités
nécessaires pour l'administration seront préférées celles qui
auront été jugées les plus courtes et les moins dispendieuses,
sans toutefois que par cette préférence, la justice puisse être
compromise.
TITRE XII
•
DU COMMERCE TANT EXTERIEUR QU'INTERIEUR
Dans la liberté du commerce intérieur on ne doit avoir
que l'exercice naturel de celle qui est inséparable du droit de
propriété et tout ce qui est attentatoire à cette liberté doit être
écarté comme attentatoire à la propriété. A l'égard du commerce
extérieur, si, à raison de ses divers rapports avec l'intérêt général
les assemblées nationales croient nécessaire de mettre des bornes
à sa liberté, ces bornes seront déterminées par des lois positives
dont l'application ne puisse être arbitraire. Et sur le fait du
commerce, tant extérieur qu'intérieur ne pourra être accordé
aucun privilège exclusif à moins qu'il n'ait été consenti par la
nation.
TITRE XIII
DE LA RELIGION ET DE SES MINISTRES CONSIDERES
RELATIVEMENT AUX FONCTIONS QUI LEUR SONT
PARTICULIERES
ARTICLE PREMIER. -
La religion carbolique apostolique et
romaine est et sera toujours la religion de l'état ; en France,
nul autre culte ne jouira de l'exercice public, ne pourra du moins
y être toléré par des permissions particulières émanées du souve-
MC!
�rain. Seront seulement exceptées de la présente règle les villes
ou cités qui auront des capitulations contraires aux dispositions
du présent article.
ART.
2. -
Aucun particulier ne pourra néanmoins être
inquiété pour raison de sa croyance ; et sans égard à ses opînions
religieuses) la jouissance de sa condition civile doit être assurée
à sa personne, à sa femme et à ses enfants, comme aux autres
sujets de l'état.
ART. 3. Aux ffiilllstres de la religion seuls et exclusivement, il appartient d'enseigner les dogmes définis par l'Eglise,
de prêcher la parole de Dieu, d'administrer les sacrements,
suivant les règles instituées par les canons reçus dans le royaume
en vertu des ordonnances, duement vérifiées et enregistrées
dans le parlement. Seront tenus les ministres de la religion de
se conformer aux règles ainsi établies j et ne pourront, sans se
rendre coupables envers le roi et la nation, abuser de leur minis4
tère, pour faire directement ou indirectement quelque entreprise
sur la puissance séculière, par laquelle l'état entier doit être
gouverné.
ART. 4. Le royaume de Jésus-Christ n'est pas de ce
monde, et l'Eglise est dans l'état : son autorité étant purement
spirituelle ses ministres, quels qu'ils soient, ne peuvent exercer
sur aucun membre de l'état, une autorité temporelle à moins
qu'elle ne leur ait été confiée par l'état. Et attendu que ce qui
intéresse l'Eglise doit intéresser l'état, les canons de discipline
ecclésiastique seront réputés lois du royaume en conséquence
leur institution sera soumise aux règles prescrites pour l'institution des autres lois et leur observation doit être maintenue
constamment par les corps de la magistrature chargés de faire
exécuter les lois.
TITRE XIV
DE LA LIBERTE DE LA PRESSE
ARTICLE PREMIER. -
La liberté de la presse est trop
nécessaire à la propagation des lumières pour ne pas être regardée
comme une branche de la libetté nationale. Pourront en conséquence être imprimés librement, et sans qu'il soit besoin d'une
permission expresse ou tacite, tous ouvrages concernant les
sciences, les arts, le commerce, la politique, les droits des nations,
leur administration civile et généralement tout ce qui peut intéresser l'humanité ; pourvu toutefois que les ouvrages ainsi impri-
més, portent le nom de leur imprimeur avec celui de leurs
auteurs et que ces derniers soient domiciliés. Pour ne pas
3~3
�contraindre cependant la modestie des auteurs, il leur sera permis
de ne point mettre leur nom à leurs ouvrages lorsqu'ils auront
obtenu du gouvernement la permission de les imprimer.
ART. 2. - Attendu l'importance dont il est que la doctrine
évangélique soit conservée dans toute sa pureté, et que la foi
des fidèles ne soit point exposée à être ébranlée, aucun ouvrage
sur le fait de la religion, de ses dogmes, et de sa morale, ne
doit être imprimé sans permission. Ne seront point compris
néanmoins dans la prohibition, les ouvrages dans lesquels il ne
sera traité que de la discipline de l'Eglise et de ses intérêts
temporels.
ART. 3. - Les lois civiles s'armeront de rigueur contre les
auteurs tant des libellés diffamatoires que des écrits injurieux
à ]a religion ou propres à corrompre les mœurs ; et leurs
imprimeurs, seront punis comme complices de ces auteurs,
quand même les attaques livrées à la religion ou aux mœurs,
ne seraient que des traits épars répandus dans les ouvrages qui
doivent jouir de la liberté de la presse, en vertu des précédents
articles du présent titre.
TITRE XV
DES RAPPORTS POLITIQUES DE LA NATION
FRANÇATSE AVEC LES NATIONS ETRANGERES
ARTICLE PREMIER. -
Tous les peuples étant destinés par
la nature à être utiles les uns aux autres et cette utilité réciproque
ne pouvant se réaliser que par le commerce qui sans la paix ne
peut avoir lieu, le maintien de la paix au dehors et de la liberté
du commerce extérieur son t les objets que nous devons nous
proposer dans nos traités avec les nations étrangères.
ART. 2. - Dans la grande société, celle que tous les peuples
de la terre doivent former ensemble, par intérêt pour euxmêmes, le droit de propriété est de nation à nation ce qu'il
est de particulier à particulier dans les différentes classes de
cette société naturelle et universelle j la paix ne peut donc
régner entre elles qu'autant qu'elles respectent mutuellement
leurs droits de propriété et la liberté de les exercer : ainsi tous
nos traités doivent tendre à consolider la sûreté respective de
ces droits et de cette liberté.
....
ART. 3. - Tels sont, tels seront toujours les principes
de notre politique principes exclusifs de la funeste manie des
conquêtes, et les seuls qui puissent garantir la durée d'un grand
empire ; les seuls aussi qui conviennent à la justice par essence
cette loi naturelle gravée par Dieu même dans tous nos cœurs,
344
�cette loi immuable qu'li entend que nous observions, puisqu'li
nous a destinés à la connaître et qu'en même temps li a tout
disposé pour y attacher notre bonbeur ; cette loi sainte, qui
veut que dans chaque homme nous voyons un homme, et dans
chaque nation, une des classes de la société générale à laquelle
nous appartenons : en conséquence pour donner plus de consistance à nos traités avec les autres nations, nous tiendrons pour
une de nos maximes fondamentales non seulement qu'ils doivent
être confirmés par les états généraux et être enregistrés, mais
encore que la guerre ne doit être par nous déclarée, et la nation
tenue d'en faire les fonds, que dans les cas prévus par ces traités,
ou lorsqu'il s'agira, soit de repousser une attaque, soit de prévenir
un ennemi qui se proposerait quelque entreprise contre nos
possessions.
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345
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'.
�L'ASSISTANCE JURIDIQUE
AUX RÉFUGIÉS
SUR LE PLAN INTERNATIONAL
(assistance judiciaire et conseils juridiques)
PAR
•
JEAN - RENÉ
TOLLEC
Mémoire pour J'Examen de fin d 'Etudes
présenté à J'Institut d 'Etudes Politiques
d'Aix-en-Provence
sous la direction de Monsieur de la PRADELLE
Professeur de Droit International Public
','
....
....
�,
:..-'
·.
,
,
.,
Je tiens à retrUlrcier Monsieur de la
PRADELLE, Directeur de l'INSTITUT POLITIQUE d'Aix-en-Provence, dont la générosité
m'a permis d'effectuer un voyage d'études à
Genève,
et Monsieur POTULICKI, Secrétaire Général du CENTRE INTERNATIONAL DE
COORDINATION DE L'ASSISTANCE JURIDIQUE, dont la gentil/esse et l'amabilité m'ont
permis d'obtenir les renseignements et les contacts nécessaires.
�INTRODUCTION
....
..
....
Si l'on veut assurer l'égalité effective de tous devant
la loi, il faut procurer à chacun la possibilité de jouir de
l'organisation judiciaire et adnùnistrative nationale pour
défendre ses droits et ses intérêts légitimes ; dans presque
tous les pays du monde l'égalité juridique est proclamée,
pourtant, dans beaucoup d'entre eux, les procédures devant
les autorités adnùnistratives et judiciaires, les démarches,
les avis des conseillers juridiques coûtent cher, non seulement directement, mais aussi indirectement par les faux
frais qu'ils entralnent ; la situation des personnes indigentes
peut encore être aggravée par le fait qu'elles habitent loin
des centres adnùnistratifs ou judiciaires, et qu'elles peuvent
être désorientées par les problèmes juridiques et matériels
qu'elles doivent résoudre à l'occasion de la défense de
leurs droits et intérêts légitimes.
Par souci O
de justice, il est nécessaire d'aider tous ceux
qui souffrent de tels handicaps à les surmonter. Cette
assistance à l'occasion des problèmes juridiques - nous
l'appellerons assistance juridique, en anglais « legal aid • doit être à la portée de tous ceux qui en ont besoin,
qu'ils soient nationaux ou étrangers et quelle que soit la
difficulté qui se présente dans la solution de leurs problèmes.
Suivant le cas, l'aide octroyée devra comprendre une
assistance judiciaire devant les tribunaux, ou une assistance pour des démarches auprès d'autorités administratives,
ou la possibilité de jouir des services d'un homme de loi,
ou une combinaison, adaptée à chaque cas concret, de
ces trois genres d'assistance. TI est bien évident qu'il
faudra considérer comme une assistance juridique, l'assistance matérielle accordée pour couvrir les frais directement
issus des démarches ou procédures (comme les différents
droits de timbre ou d'écriture, les rémunérations des
experts, etc.).
Actuellement, des systèmes d'assistance juridique existent, mais ils vont d'organisations embryonnaires ou théori-
349
�•...,.,.
ques à de très belles réalisations. Les impératifs auxquels
doit se plier tout système d'assistance iuridique pour parvenir à l'efficacité ont été récemment 'élaborés et définis
lors de la Conférence de l'Association Internationale du
Barreau (International Bar Association), dans un rapport
qui s'intitule :
• Les conditions essentielles d'un plan national d'aide
et conseils judiciaires et les possibilités pratiques d'établir
un tel plan, en tout ou partie, dans les différents pays ' .
(Edimbourg - 1962. Mémorandum de l'Association Internationale d'Aïde Légale - International legal Aïd-Association).
Nous étudierons ce rapport qui couvre l'objet de notre
mémoire, puis, alors qu'il est évident qu'une assistance
juridique spéciale aux réfugiés est nécessaire dans un pays
qui ne possède pas de système national efficace, nous rechercherons si cette nécessité s'impose aussi dans un pays
qui en possède un, nous saurons ainsi qu'elles doivent
être la nature et la sow'ce de cette assistance particulière.
350
�TITRE 1
NATURE ET SOURCES DE l'ASSISTANCE JURIDIOUE
CHAPITRE 1
Conditions essentielles d' un Plan National
d'Assistance Judiciaire et de Conseils Juridiques
L'assistance juridique devrait être un droit pour tout
individu gui aurait besoin, toutes les fois que la loi lui
en donne la possibilité, de défendre sa vie, de conserver:
ou de restaurer ses biens, sa liberté, sa réputation. Il ne
devrait y avoir aucune distinction entre les nationaux et
les étrangers .
•
<
Un système entièrement développé d'assistance juridique devrait comprendre, dans toutes les affaires civiles
ou criminelles, devant tous les tribunatL'i::, de droit commun
ou d'exception, l'aide d'un homme de loi qui apporterait
l'assistance professionnelle concernant tout procès, y compris celle qui précède le début du procès, et celle qui
suit sa conclusion. La subvention d'aide devrait permettre
à l'homme de loi de couvrir les frais nécessaires, notamment les honoraires des témoins et des experts.
Les services d'un homme de loi devraient pouvoir
aussi s'obtenir relativement à toute question de Droit et
comprendre l'octroi d'avis juridiques, mais aussi l'assistance
dans le règlement extrajudiciaire des différends, lorsque,
par exemple, un arrangement à l'amiable, est possible,
Dans tous les cas, l'homme de loi devrait pouvoir agir
en toute indépendance à l'égard de n'importe quelle personne, ou de n'importe quelle organisation, et ses rapports
professionnels avec son client ne devraient aucunement souffrir du fait que ce dernier bénéficie de l'assistance juridique,
I.e but de l'assistance juridique est donc de fournir
l'aide d'un homme de loi à 'toute personne qui en aurait
besoin, mais, naturellement, on ne peut fournir cette aide
à n'importe qui, à propos de n'importe quoi, elle doit se
situer dans la limite de celle qu'un homme raisonnable se
procurerait s'il avait les moyens de le faire ; il nous faudra
351
�donc, avant sa réalisation concrète au niveau des cas individuels, étudier les conditions d'obtention ·de l'assistance
juridique.
Du plan individuel nouS devrons passer au plan national car tout système nécessite une organisation d'ensemble et un financement approprié.
SECTION 1
Obtention de l'Assistance Publique
A
-
JAlS
Conditions préalables.
Deux conditions générales doivent être remplies avant
que toute aide judiciaire soit rendue disponible dans un cas
particulier :
il faut que, dans l'affaire qui l'intéresse, le requérant mérite juridiquement que l'on s'occupe de lui ;
il faut que ses ressources soient insuffisantes
pour lui permettre de supporter lui-même les frais nécessaires.
La nature humaine étant ce qu'elle est, il est probable
que ceux qui ne seront pas obligés personnellement de
payer des frais ne seront pas guidés par ces conditions pécuniaires, et il sera nécessaire de déterminer, dans tous
les cas particuliers, les chances de succès d'une affaire et
de décider si elle est assez importante pour justifier l'octroi
d'une aide au requérant.
Il existe plusieurs systèmes permettant de décider
du mérite juridique d'une demande.
L'octroi pourra être décidé par le tribunal, par des
fonctionnaires du gouvernement, ou par des hommes de
loi exerçant de façon privée, individuellement ou en comité.
Dans le premier cas, il faudrait que le tribunal soit
à même de determiner les moyens financiers du requérant,
et de donner son avis avant le lancement du procès ; de plus,
on pourrait craindre qu'il ne soit pas absolument impartial,
et l'on peut, avec raison, ne pas vouloir lui révéler de
détails confidentiels sur l'affaire ; il en va de même pour
les fonctionnaires du gouvernement ; la troisième solution
est la meilleure garantie d'indépendance et d'efficacité.
Les conditions financières auxquelles le requérant doit
satisfaire doivent être stipulées à l'avance ; il existe trois
sortes de possibilités.
On pourrait préciser une limite maximum au montant du revenu brut et du capital brut de l'individu. Ce
système est simple mais peut produire des résultats injustes.
352
�L'assignation d'une limite, sous la forme d'un montant
maximum du • revenu disponible • et du • capital disponible " offre l'avantage de ne fixer aucun arbitraire, à l'éligibilité financière, ce qui permet de ne pas refuser l'accès
du tribunal à quiconque souffre d'une insuffisance de
moyens ; comme dans ce système, la contribution du requérant est proportionnelle à ses disponibilités, il a un
intérêt pécuniaire direct dans l'affaire et de ce fait une
responsabilité personnelle plus grande est engagée ; mais
ces avantages ont une contrepartie : le calcul des ressources disponibles d'un individu nécessite beaucoup de travail.
On pourrait laisser l'octroi de l'assistance judiciaire à
la seule discrétion de l'organisme compétent. Si ce système est souple, il offre des dangers d'arbitraire et de
variations dans les décisions d'un même organisme ou
dans celles des divers organismes parallèlement compétents,
s'il en existe plusieurs.
Les conditions d'obtention de l'assistance juridique étant
définies, il faut déterminer qui fournira l'assistance et
dans quelles conditions cela sera fait.
B
, ,.
Nature et sources de l'Assistance.
Un principe s'impose avec évidence: l'assistance juridique doit fournir une représentation juridique indépendante, et les rapports entre l'homme de loi et le client
ne devraient pas être affectés par le fait que ce dernier
bénéficie de cette assistance. Lorsqu'il ne s'agit pas de
services judiciaires, des conseils indépendants d'un homme
de loi devraient pouvoir s'obtenir dès le début de toute
difficulté juridique.
Nous étudierons successivement :
les affaires civiles et les affaires qw ne sont pas
encore passées devant un tribunal,
les affaires criminelles,
les conseils juridiques.
Pour ce qui est de la première catégorie d'affaires,
trois systèmes principaux sont possibles :
les services pourront être fournis par un homme
de loi travaillant independamment dans son étude ;
ils pourront être fournis par un centre d'aide judiciaire spécialement organisé ;
on pourra combiner les deux systèmes précédents.
Dans le premier système, il faut que les relations entre
1'homme de loi et son client ne soient pas affectées par
le fait que ce dernier bénéficie de l'assistance juridique,
S53
�.
.-
...
"
~
..•
il faut aussi qu'il assiste son client. en toute indépendance ;
il sera donc nécessaire qu'il soit payé suivant les tarifs
normaux de sa profession pour que cette assistance ne lui
crée pas un surcrolt d'obligations qu'il serait obligé d'assumer seul .
Le centre d'aide judiciaire, au contraire, ne crée pas
d'obligations nouvelles à l'homme de loi qui y travaille,
il lui permet de se spécialiser dans les affaires de ses
clients, mais ceux-ci peuvent craindre que son indépendance ne soit moins grande. La création de ces centres
constitue un moyen pratique de lancer une organisation
d'assistance juridique.
Ces centres peuvent être financés et organisés uniquement par des organismes philanthropiques privés ; ils peuvent aussi être mis en œuvre et financés directement par
le gouvernement, ou par des organisations locales d'hommes
de loi subventiormées par le gouvernement ou l'administration locale. Dans ces deu.x cas, si la notion de charité
est moins prononcée et si ces centres bénéficient d'une
autorité conférée directement par le gouvernement ou l'administration, ils pourront cependant être suspects de complaisance à l'égard des autorités qui les dirigent et les
financent.
Dans les affaires criminelles, nous trouverons aUSSi
trois systèmes principaux :
représentation par des hommes de loi exerçant,
qui sont engagés pour chaque affaire distincte,
représentation par des hommes de loi faisant partie
d'un Bureau d'Aide Juridique et de Défenseurs,
représentation par des hommes de loi employés
par le gouvernement central ou local.
Le libre choix de l'homme de loi est une garantie
essentielle de bonne justice, et ce principe doit être encore
plus respecté dans les affaires criminelles où l'individu
voit sa vie ou sa liberté mises en jeu.
Pour ces deux raisons, le premier système est celui
qui offre le plus de garanties, mais les frais sont susceptibles d'être considérables ; à l'inverse, le troisième exclut
le libre choix de l'homme de loi, qui peut, en outre, être
soupçonné par ses clients de dépendre d'une façon peu
désirable de l'adversaire, à savoir l'Etat. Quant au second,
s'il restreint le libre choix, il conserve néarun6ins une
garantie d'indépendance, il fait acquérir une grande expérience des problèmes particuliers des assistés, et dans la
pratique est probablement la méthode la moins coûteuse
et la plus facile dans les régions à population dense.
�Il Y a plusieurs possibilités pour l'octroi de conseils
juridiques ; ils pourront être fournis :
par des hommes de loi exerçant en leur étude,
par des hommes de loi siégeant en des centres
consultatifs juridiques,
par une combinaison de ces deux systèmes.
,
r
•
Dans le premier cas, le requérant pourra s'adresser
soit directement à un homme de loi de son choix, pourvu
qu'il participe au plan d'assistance juridique, soit à un
centre qui le guidera vers celui qui lui convient le mieu.x.
Les termes et les conditions finan cières pour l'obtention
des avis seront stipulés à l'avance. L'homme de loi exercera en toute indépendance, conseillant son client de la
même manière que s'il était un client ordinaire, et pourra
par la suite, dans la même question de droit, se charger
de conduire tout le procès judiciaire qui pourrait en découler.
Dans le second cas, nous retrouvons les inconvénients
.que nous avons déjà signalés à propos des centres d'aide
judiciaire; de plus, le client ne sera pas certain de retrouver le même homme de loi tout au long de son
affaire. Mais les conseils seront donnés promptement et
économiquement et c'est probablement le moyen le plus
pratique de lancer un système consultatif juridique dans
une région quelconque.
Les conditions d'obtention de conseils juridiques sont
les mêmes que les conditions d'obtention de l'assistance
judiciaire, mais il est très difficile de faire une enquête
efficace pour savoir si une personne a reellement besoin
de ces conseils ; comme un grand nombre de personnes
ont besoin d'un sociologue plutôt que d'un homme de
loi, il sera utile d'effectuer un triage préliminaire quelconque pour apprécier le mérite juridique de l'affaire ; et
comme une enquête compliquée sur les ressources du
requérant n'est pas possible, il faut aussi qu'il y ait un
moyen quelconque d'empêcher l'emploi inconsidéré de
conseih juridiques, soit en laissant au centre ou à l'homme
de loi le droit de refuser de donner des conseils dans tout
cas particulier, soit en imposant quelque limite au temps
disponible pour chaque personne, soit en imposant une
sanction financière contre l'emploi réitéré de ce service ;
il pourra être aussi utile de prévoir une participation de la
personne assistée aux honoraires de l'homme de loi, cette
participation sera en rapport avec ses ressources.
Le payement des hommes de loi exerçant individuellement, ou la prise en charge des frais des Centres d'Aide
35;;
�judiciaire, des Bureaux d'Aide juridique, de Défenseurs,
des Centres Consultatifs juridiques, l'élaboration et la mise
en œuvre d'un plan national nécessitent évidemment une
organisation administrative et financière nationale.
SECTION II
Organisation Financière et Administrative
A
Organisation financière.
Le financement de l'assistance juridique est une question fondamentale dans tout plan d'assistance juridique, la
conduite d'une affaire ne devrait pas souffrir directement
ou indirectement du manque de fonds.
On ne peut pas se reposer complètement sur les
devoirs des hommes de loi ou la charité publique. L'expérience semble montrer que l'on a du mal à établir un
système complet d'aide juridique dans lequel le travail
gratuit pour les clients indigents soit considéré comme le
devoir professionnel des hommes de loi, car il est tentant,
,
•
sinon nécessaire, de mettre de côté un 'travail non rétribué
pour se consacrer à une affaire qui rapporte; il faut
que l'homme de loi soit payé pour que ses rapports avec
les personnes assistées ne diffèrent en rien de ceux qu'il
aurait avec des clients ordinaires.
L'homme de loi pourra être payé en partie par la
personne assistée, sur ses ressources, ou sur les biens
qu'un procès ou un règlement extra-judiciaire pourrait lui
attribuer ; une autre partie pourra provenir d'organismes
philanthropiques privés, mais l'expérience montre encore
que ces ressources sont insuffisantes, il faut que l'Etat
subventionne le plan national d'assistance juridique, de
façon que l'homme de loi puisse recevoir des honoraires
raisonnables et disposer de fonds suffisants pour régler
les débours nécessaires ; il faut aussi prévoir le payement
des hommes de loi qui administrent les centres juridiques.
Mais l'aide juridique ne doit pas être un accessoire
de l'activité politique de l'Etat, ou d'une organisation publique quelconque, le plan doit être administré en toute
indépendance, ce que l'on pourra réaliser au mieux en
octroyant des subventions à des organisations indépendantes,
composées d'hommes de loi chargés d'administrer l'assistance juridique sans immixtion de la part de l'Etat, sauf
dans la mesure nécessaire, pour surveiller l'emploi des
fon ds versés.
B
•
L'Administration de l'assistance tflridique.
Pour être administrée de façon impartiale et indépen .
damment de toute organisation extérieure, on reconnaît
356
�généralement que l'assistance juridique nécessite une organisation centrale dirigeant les offices locaux nécessaires
à la réalisation concrète du système.
Les servkes de ces organisations locales seront les
suivants
organiser les activités d'aide juridique dans leur
zone,
recevoir les demandes d'aide,
déterminer si le requérant satisfait aux conditions
appropriées,
déterminer l'ampleur de l'aide offerte à chaque
requérant et contrôler le payement des frais, les honoraires
des tribunaux, les honoraires de l'homme de loi, etc,
déterminer si oui ou non l'affaire peut et devrait
être confiée à l'homme de loi choisi par le requérant et
dans la négative lui permettre de choisir autant d'hommes
de loi que possible, ou bien encore, de nommer un homme
de loi devant le représenter,
surveiller autant que possible le traitement de
l'affaire par l'homme de loi,
payer l'honoraire de l'homme de loi et ses débours,
tenir la comptabilité nécessaire,
compiler les statistiques et soumettre les rapports à l'autorité centrale d'aide juridique.
Un plan d'assistance juridique demande donc, pour
être efficace, une élaboration minutieuse et une organisation
tenant compte, aussi bien des besoins des assistés, que des
besoins d'administration que présentent tous les grands
systèmes. Dans un pays où existe un plan national satisfaisant y aura-t-il besoin d'élaborer une assistance spéciale
pour les réfugiés ?
CHAPITRE Il
les besoins particuliers des Réfugiés
Le Haut-Commissariat pour les Réfugiés (organisme qui
assume les fonctions de protection internationale des réfugiés, et de recherche de solutions permanentes à leurs
problèmes, sous les auspices de l'Organisation des NationsUnies) s'est livré à une série d'enquêtes sur les besoins
d'assistance juridique particuliers aux réfugiés et a condensé ses observations dans un rapport présenté par le
Haut-Commissaire (A/AC. 96/157 - 28 Février 1962).
357
�.j
Les ·conclusions auxquelles est arrivé le Haut-Commissariat dans son enquête, permettent de dire que, d'une
manière générale, les réfugiés domiciliés dans un pays
donné ont droit à l'assistance juridique dont bénéficient
les ressortissants du pays ; parfois ceux qui ont besoin
d'une telle assistance et qui résident dans un autre pays
peuvent également l'obtenir dans certaines circonstances.
Mais le réfugié souffre de maints handicaps juridiques
et sociaux ayant directement trait à sa qualité de réfugié,
et dont ne souffrent pas les ressortissants du pays où il
réside.
Ces handicaps sont le fait de facteurs subjectifs liés
à sa condition psychologique culturelle et sociale, et qui
peuvent être encore accentués par une connaissance insuffisante de la langue du pays de résidence, et de facteurs
objectifs, notamment les problèmes juridiques compliqués
qui peuvent se poser au réfugié dans sa situation d'étranger
qui ne possède aucune nationalité effective.
Aux besoins particuliers des réfugiés doit correspondre
un système particulier d'assistance.
'"
..
SECTION 1
La condition particulière des Rèfugiés
L
Les réfugiés qui arrivent dans un pays sont déracinés,
désorientés, psychologiquement isolés ; non seulement ils
ne connaissent pas la langue du pays d'accueil, mais encore
ils ne sont pas au courant des habitudes sociales du pays,
ils n'ont pas d'amis pow· les aider, les conseiller, ou lew·
prêter de l'argent, ils sont absolument seuls ; cette solitude
est souvent à l'origine de malentendus, car le réfugié ne
peut savoir exactement quels sont ses droits et ses devoirs et ce que l'on attend de lui ; de plus ce déracinement, cet isolement psychologique influencent ses réactions qui peuvent quelquefois devenir agressives et indisposer les autorités.
li existe bien parfois des interprètes judiciaires, mais
ils ne peuvent remplacer efficacement les hommes de loi,
car ils se bornent à traduire les déclarations du tribunal
et ils font souvent figure de magistrat aux yeux des
réfugiés.
li est donc nécessaire que des personnes ayant )lIle
connaissance sérieuse de la langue, de la situation personnelle et des problèmes psychologiques du réfugié puissent
le conseiller utilement à l'occasion d'un problème juridique
et l'assister en cas de procès, d'autant plus que ces problèmes sont parfois très spéciaux et très délicats.
.,
358
,
�..
La situation juridique des réfugiés est dans de nombreux domaines moins favorable que celle des ressortissants
du pays de résidence, et donne lieu à de nombreux problèmes que les services d'assistance juridique, nationaux
ou locaux, ne sont pas en mesure de résoudre, n'ayant
pas été conçus à cette fin ; par exemple, il est souvent
impossible au réfugié de se procurer dans son pays d'origine des documents tels que des extraits d'acte de mariage, les grosses des documents de divorce, etc. ; certaines
procédures spéciales ont été instituées pour le remplacement
de ces documents, le réfugié a donc besoin d'une assistance juridique adaptée et particulière.
L'enquête du Haut-Commissariat montre que, dans la
plupart des pays, les affaires courantes relevant du droit
civil et du droit criminel, et qui absorbent Ja plus grande
partie des services de l'assistance juridique nationale, sont
les moins fréquentes parmi les questions réglées par Jes
soins des services d'assistance juridique au:", réfugiés.
L'assistance juridique nationale n'est 'donc pas adaptée,
par nature, aux besoins des réfugiés, qui se heurtent
surtout à des problèmes ressortant du Droit administratif
ou du Droit international privé, et nécessitant les conseils
et l'assistance d'hommes de loi bien informés de ces
questions.
Ainsi, tant pour des raisons psychologiques que pour
des raisons juridiques, une égalité de principe touchant
le droit à l'assistance juridique gratuite, entre réfugiés
et ressortissants du pays de résidence n'est pas suffisante,
un programme 'distinct ne place pas le réfugié dans une
situation privilégiée, il ne représente rien de plus qu'un
moyen de compenser, dans une certaine mesure, de gros
handicaps.
Un système d'assistance jw-idique aux réfugiés peut
être conçu sur un plan local, national ou international ;
comme nous avons vu que toute organisation efficace nécessite une direction centrale et des offices locaux, nous
étudierons seulement les exigences auxquelles devrait nécessairement se plier un système national ou un système
international.
SECTION II
L' organisation d'un Plan d 'assislance aux Réfugiés
Un plan national d'assistance juridique aux réfugiés
doit remplir évidemment les mêmes conditions qu'un plan
nationa1 d'assistance juridique aux ressortissants :
il doit posséder des organismes locaux dans les
359
�endroits où vivent les réfug;és (hommes de loi travaillant
individuellement, et comités d'administration, ou centres
organisés: Centres d'Aide judiciaire, Bureaux d'Aide judiciaire et de Défenseurs, Centres consultatifs juridiques) ;
une organisation centrale indépendante doit s'occuper des problèmes administratifs et financiers .
Mais les gouvernements accepteront-ils de créer des
systèmes d'assistance juridique pour les réfugiés, alors que,
souvent, ils n'ont aucun programme national ou des programmes embryonnaires ou théoriques ; en outre, il ne
peut être question de créer de systèmes spéciaux dans les
pays où vivent une infime minorité de réfugiés ; doit-on
laisser à la charité privée, c'est-à-dire aux organismes
philanthropiques, ou aux hommes de loi donnant volontairement conseils et assistance, le soin de s'occuper de
ces problèmes ? La charité pourra-t-elle remplir sa tâche
lorsqu'il y aura trop de réfug;és ayant trop de besoins
à satisfaire ? Pour toutes ces raisons il semble bien qu'il
faille • placer le problème " non sur un plan moral, mais
sur un plan international.
Le problème des réfugiés est aujourd'hui à l'échelle
du monde ; venus des quatre coins 'de la terre, ils affluent dans des pays d'asile pour tenter de s'intégrer à
la communauté nationale ou attendre la fin de leurs tourments, se fixent surtout dans certains pays, rarement dans
d'autres ; un système international permettrait donc une
assistance juridique aux réfug;és adaptée aux besoins globau.:" de la nation d'accueil.
.'
Seul ce système permettrait
de rassembler de gros crédits,
de rassembler les renseignements sur l'implantation
mondiale des réfug;és,
de rassembler les renseignements sur l'implantation des réfug;és de différentes origines,
de rassembler les renseignements sur les facilités d'assistance juridique accordées aux réfug;és dans les
différents pays sur les problèmes auxquels ils se heurtent,
donc connaissant en la matière les besoins et les ressources de chaque Etat d'élaborer le système qui lui convient
le mieux.
li est évident qu'une telle organisation à l'échelle
mondiale nécessiterait l'agrément des gouvernements intéressés et entralnerait l'élaboration d'accords internationaux multilatéraux; cette élaboration est aujourd'hui facilitée par l'existence d'organisations internationales possédant des sections ou des organismes spécialement affectés
3110
�à la recherche de solutions aux problèmes des réfugiés,
l'Organisation des Nations-Unies, au sein de laquelle œuvre
le Haut-Commissariat aux Réfugiés, en est l'exemple le
plus net.
Actuellement, une assistance juridique aux réfugiés
existe sur le plan international. Nous l'étudierons après
avoir donné des exemples des principaux systèmes nationaux d'assistance et des possibilités qu'ils offrent en notre
matière.
L'origine et le nombre des personnes dont s'est occul'Organisation Française pour les Réfugiés et les Apatrides en 1961, suffisent à -donner une idée de la diversité
des problèmes que posent /es réfugiés aux Services d'Asristance juridique.
~e
"-
ALBANAIS .. ... . .. . . . ....... . .. . . .
ALLEMANDS .... . - . .. . .... ..... ... .
ARMENIENS ... . _. .. _. ..... '" .... ' ..
AUTRICHIENS . . . .. . ...... . ... . ... .
BALTES ....... . . . .............. . .. .
BULGARES ..... . .. . _.... . . ....... .
ESPAGNOLS ........... . ........... .
GEORGIENS ... . . . .. . . . .. ... . .•... .
HONGROIS . . . . .. . . _ . . .. . ......... .
POLONAIS
... . .. . ........... .
ROUMAINS
. . . . . . . .. _..... . .. .
RUSSES '. _.. . ' .. . . ........ . .. _. . .
TCHEQUES .... . .............. . .. .. .
UKRAINIENS .. .... . . .. ..... . ...... .
ORIGINAIRES d'U.R.S.S. . ..... . .... . .
YOUGOSLAVES ........ . .. . . ... '"
DIVERS . . .... . ..... . .... . .... . .... .
96
2.189
21.214
321
2.091
1.336
80.789
1.073
15.795
50.281
7.460
14.648
6.088
7.803
1.890
17.236
446
SOIT EN TOUT .. _ . . . . . . . . . . . . . .. 240.756
Plus des APATRIDES ..... . ......... 10.339
(au 31 décembre 1961)
#':
.'.
361
�TITRE 11
TROIS SYSTEMES NATIONAUX D'ASSISTANCE JURIDIQUE
En étudiant le système anglais, le système helvétique
et le système en vigueur aux U.S.A., nous aurons un exemple d'assistance judiciaire organisée dans sa majeure partie
par les avoués, le second étant sous la direction de la
magistrature et le troisième relevant des initiatives muni':'
cipales ou des organisations bénévoles . .
Ces systèmes ne sont pas parfaitemen t cohérents, mals
leur étude nous permettra d'observer des réalisations et,
accessoirement, de connaître les ressources que ces pays
offrent 11. leurs indigents et aux réfugiés.
'
. .,
CHAPITRE J
Assistance Juridique en Angleterre
et au Pays de Galles
La partie la plus intéressante de ce chapitre sera
consacrée à l'assistance juridique dans les affaires civiles,
elie nous montrera un système réalisé par les avoués ; nous
consacrerons ensuite quelques lignes à l'assistance judiciaire
dans les procès répressifs.
SECTION 1
L'Assistance Juridique dans les affaires civiles
.'
,
En Angleterre et au Pays de Galles, l'assistance et
les conseils juridiques sont organisés suivant les directives
de textes réglementaires de 1949 et 1960 (Legal Aid and
Advice Acts).
Ces textes visent à permettre aux personnes de faibles
ressources de bénéficier des services que tout homme raisonnable se procurerait, s'il en avait les moyens, auprès
des avocats et des avoués.
Le programme d'assistance juridique est administré
par l'Association des avoués (Law society, professional body
of the solicitors'branch of the legal profession in England
and Wales) après consultation du Conseil Général du Bar-
362
�reau (General Concil of the Bar), il est financé par le
Parlement, par les personnes assistées et par les avoués
et les avocats.
L'Association des avoués administre personnellement
un système bénévole de conseils juridiques Qu'elle met
à la disposition de tout individu quelle que soit sa situation
financière et sa nationalité.
L'octroi de l'assistance judiciaire n'affecte en rien les
rapports existant entre l'homme de loi et son client, et
toute personne peut en bénéficier qu'elle soit ou non sujet
britannique, qu'elle réside ou non en Angleterre ou au
Pays de Galles (l'Ecosse possédant une organisation judiciaire particulière, rien de ce qui intéresse l'Angleterre
et le Pays de Galles ne la concerne en cette matière).
Le système s'étend à peu près à tout le territoire,
car presque tous les avoués ont adhéré à ce programme
et tous les avocats l'ont fait.
'
Pour les besoins administratifs le pays est divisé en
douze districts ; à la tête de chaque district est installé
un Comité composé d'avoués choisis par l'Association des
avoués et d'avocats choisis par le Conseil des avocats.
Chaque comité de district, outre ses fonctions administratives et judiciaires, légales ou statutaires, est responsable
de l'administration générale juridique dans son district,
et surtout du choix de comités locaux composés d'avoués
et d'avocats de métier.
La principale fonction d'un comité local est d'exanUner
les demandes d'assistance juridique et de délivrer des certificats d'acceptation.
Le Conseil de l'Association des avoués administre le
programme d'assistance juridique et, en consultation avec
le Conseil Général du Bàrreau, il doit élaborer un rapport financier annuel qui sera présenté à chaque chambre
de Parlement avec les commentaires et recommandations
du Comité Consultatif du Lord Chancelier pour l'assistance juridique. L'Association des avoués soumet ses besoins
financiers à l'estimation du Chancelier. Un fonds d'assistance juridique a été prévu en 1949 pour l'adntinistration
des sommes aUouées par le Parlement.
Nous étudierons l'or ganisaiion des Conseils juridiques,
puis le plan d'assistance juridique, judiciaire ou extra-judiciaire.
1
,
"
"
-
"
Les Conseils ]"ridifJ. ..es.
L'Association des avoués . a un programme propr.e de
conseils juridiques volontaires.
363
�•• • '!t
Tout individu peut se présenter au bureau d'un avoué
dont le nom figure sur les listes officielles de la profession
et lui demander un conseil juridique sur n'importe quel
point de droit de la législation anglaise ; on n'applique
aucun critère de mérite juridique, de nationalité ou de
fortune, l'entrevue ne peut durer plus d'une deoù-heure
et l'avoué peut demander des honoraires ne dépassant pas
L. 1.00, mais il ne peut refuser de donner un conseil, sauf
ceux qu'il ne pourrait donner même s'il s'agissait d'un
client ordinaire; si l'affaire réclame plus de temps il
doit informer le requérant des honoraires approximatifs
des services ultérieurs nécessaires pour la mener à bonne
fin.
Il n'y a pas de linùte au nombre de fois où l'on
peut user du procédé.
Les conseils juridiques sont à la disposition de tout
individu de plus de seize ans dont le capital ne dépasse
pas L. 125 (déduction faite de la valeur de ses hardes, outils et instruments de travail, et de sa maison d'habitation)
et le revenu hebdomadaire L. 7.10,0 (déduction faite de
de l'imposition sur le revenu, des pe'1sions alimentaires dues
aux ayants droit, etc.) .
Après s'être procuré le nom et l'adresse des avoués
participant au programme d'assistance juridique, il faut
remplir une formule simple qui permettra à l'homme de
loi de déteroùner si le requérant est dans les lioùtes
financières exigées, ce qui lui donnera légalement le droit
d'obtenir une consultation.
Le requérant peut solliciter un avis sur autant de
points de droit qu'il veut, à condition qu'ils soient de la
législation anglaise et se rapportent tous à la même affaire ; on lui accorde une entrevue d'une heure et demie,
avec un seul avoué, mais le Comité de district peut prolonger le temps accordé si cela est nécessaire.
L'avoué ne peut refuser de donner de consultation
sans motifs légitimes, il a le droit d'obtenir du fonds d'assistance juridique L. 1.00 pour chaque deoù-heure de travail
et de faire payer son client (L. 26), sauf si ce dernier
relèTe de l'assistance publique.
Les conseils juridiques sont oraux et doivent être donnés
en personne, mais l'avoué peut les assortir d'une note
écrite et les donner à un représentant dûment gualifié si
le requérant est dans l'impossibliité de les recevoir luimême.
On ne peut pas recevoir de conseils dans une affaire
où l'on bénéficie déjà de l'assistance juridique et des mesures
ont été prises pour réprimer et punir tout .abus.
�II
•
L'Assistance Judiciaire.
Outre les conseils juridiques, le système anglais prévoit
deux sortes d'assistances : une assistance judiciaire devant
les tribunaux, et une assistance extra-judiciaire lorsque le
requérant a besoin des services d'un homme de loi, mais
alors qu'il est possible de régler l'affaire sans aller devant
la justice ; dans ce cas, l'assistance comprendra l'examen
de l'affaire, la rédaction des documents nécessaires et la
conduite des négociations avec la partie adverse, ainsi
qu'une aide pow· la préparation d'une éventuelle demande
d'assistance judiciaire.
L'assistance judiciaire comprend la représentation par
un avoué et par un avocat tout au long du procès, y
compris les préliminaires, [es incidents de procédure, la
recherche, la conclusion et la réalisation d'un compromis
avec la partie adverse ; on peut l'obtenir devant la Chambre
des Lords, la Cow· d'Appel, la Haute Cour de Justice, les
Tribunaux de Comté et les Tribunaux d'exception ayant
des juridictions concurrentes, sauf lorsqu'il s'agit de diffamation, de rupture de promesse de mariage, de séduction ou d'incidents électoraux; on peut aussi l'obtenir
devant les sessions trimestrielles des Assises pour les
appels des procès en cas de filiation illégitime et devant
les Tribunaux de Simple Police lorsque l'affaire pose des
problèmes de Droit civil.
Il y a des conditions juridiques et matérielles à l'octroi
de l'assistance judiciaire ou extra-judiciaire, et le fait qu'elle
est octroyée a une influence sur la situation des personnes qui jouent un rôle dans l'affaire.
Pour obtenir l'assistance, il faut faire une demande
dans les formes prescrites et remplir des conditions pécuniaires et de mérite juridique.
Les requérants doivent faire connaître leurs revenus
et capitaux de telle sorte que le Bureau national d'Assistance puisse, après avoir calculé les revenus et le capital
« disponibles . , déterminer si la personne est dans les limites
pécuniaires, et quelle contribution maximum elle pourra
être appelée à verser.
Les revenus disponibles sont les revenus bruts, déduction faite des loyers, intérêts dûs, pensions alimentaires
des ayants droit et de certains impôts ; le capital disponible est le capital brut, déduction faite des dettes, de
l'entretien des ayants droit et de la valeur de la maison
d'habitation, si elle ne dépasse pas trois mille livres (en
général, on tient compte seulement des ressources personnelles du requérant).
365
�Ainsi, actuellement, une personne dont les revenus
disponibles ne dépassent pas quinze livres par semaine a
droit à l'assistance extra-judiciaire, et tant qu'ils ne dédépassent pas trente livres à l'assistance judiciaire.
De plus, il faut prouver que l'on est dans une situation juridique qui justifie l'octroi d'une assistance judiciaire ou extra-judiciaire.
Dans le premier cas, l'organisme compétent doit être
à même de juger si le requérant a un motif suffisant pour
ester en justice; dans le second, s'il a un motif raisonnable
pour qu'on l'aide à défendre ou à restaurer ses droits et
intérêts en dehors de la justice ; dans les ' deux cas, on
refusera l'assistance s'il est déraisonnable qu'on l'accorde
dans les circonstances actuelles.
Pour déterminer si les conditions juridiques sont remplies, les membres du Comité auquel il appartient de
prendre la décision se demandent ce qu'ils conseilleraient
à un client ordinaire et accordent l'assistance au requérant
dans ces limites. (Ce principe a reçu l'approbation de la
justice - Affaire Francis u Francis and Dickerson - 1955
3 al!. E.R. 836).
Une procédure spéciale a été prévue pour l'obtention
àe l'assistance juridique.
Les demandes d'assistance extra-judiciaire ou d'assistance judiciaire en première instance doivent être adressées
au comité local si le requérant réside en Angleterre ou
au Pays de Galles, et au comité local de Londres s'il réside
à l'étranger ; si l'affaire vient en appel, le résident doit
adresser sa demande au Comité du District de son choix,
le non- résident au Comité du District de Londres.
La demande doit être rédigée en anglais sur un
formulaire spécial que l'on trouve dans de nombreuses organisations (greffes des Tribunaux, par exemple), contenir
les informations et les documents nécessaires pour préciser
la nature du problème juridique ainsi qu'un état des ressources du requérant.
Les individus résidant en République d'Irlande ou dans
un pays du Commonwealth peuvent affirmer leurs allégations en prêtant serment devant toute personne juridiquement capable de le recevoir, dans les pays étrangers il
leur faudra aller dans un bureau consulaire britannique. La
demande devra être accompagnée d'un document- signé de
la personne responsable qui aura eu connaissance des faits.
En cas de nécessité, toutes ces exigences sont abandonnées.
Le secrétaire du Comité devra envoyer un état des
ressources au Bureau National d'Assistance et, lorsqu'il aura
366
�eu des informations suffisantes, il les transmettra au Comité
pour décision.
Si la demande est acceptée, on prévient le requérant
en lui donnant les détails des conditions dans lesquelles
il devra mener l'affaire et de la contribution qu'il devra
verser. S'il accepte, il signera une formule et la renverra
au Comité qui lui donnera un certificat détaillé, lui permettant de se présenter chez un avocat ou un avoué. En
cas d'urgence, le président, le vice-président ou le secrétaire du Comité adéquat peuvent, de leur propre autorité,
délivrer un certificat valable pendant trois mois.
Un appel de la décision du comité local est possible
dans un certain nombre de cas auprès du Comité de
DistriCt, celui-ci juge en dernier ressort après avoir entendu
le requérant.
Les personnes qui donneraient sciemment des renseignements faux seraient passibles d'une amende et d'un
emprisonnement ; les renseignements fournis à la Société
des Avoués sont strictement confidentiels et ne peuvent
être dévoilés, si ce n'est en faveur du requérant.
\
, ,.
.'.
Quelle sera l'influence de l'octroi de l'assistance sur
la situation iuridique des personnes qui auront à iouer
un rôle dans l'affaire?
, .
,
-
En principe, cela n'affecte en rien les droits et les
devoirs des autres parties au procès, ou les principes fondamentaux de procédure en vigueur devant les tribunaux
anglais ; ainsi la partie perdante supporte les frais de son
adversaire, mais la Cour peut limiter les sommes dues
après avoir considéré les moyens des parties et leur conduite au cours du procès, et l'avoué d'une personne assistée
doit donc prévenir l'adversaire de la situation particulière
de son client.
En principe, l'avoué et l'avocat choisis ne peuvent
refuser de jouer leur rôle, sauf s'ils ont des motifs légitimes de ne pas le faire, mais leur liberté reste entière ;
ils doivent assister le bénéficiaire de l'assistance pourvu
qu'il conduise son affaire raisonnablement et dans les limites
fixées par le Comité. S'ils avaient des doutes sur le mérite
de l'affaire, ou si la personne assistée ne se conduisait
pas raisonnablement, ils pourraient en référer au Comité
de District, ce dernier ayant le droit de retirer le bénéfice
de l'assistance juridique, à tout moment, si l'on ne remplit
plus les conditions voulues.
L'avocat et l'avoué sont payés directement par le Fonds
d'Assistance juridique et ne peuvent accepter aucune autre
somme d'argent ; leurs honoraires et le remboursement de
367
�·.
leurs débours sont fixés par la Cour, suivant un tru·if
officiel, ou par le Comité de District ; ils acceptent une
réduction de dix pour cent pour les procès passés devant
la Chambre des Lords ou devant la Cour Suprême. En
tout état de cause, leurs honoraires doivent être raisonnablement fixés.
La personne assistée, avant de recevoir du Comité
son certificat, doit choisir un avoué et un avocat sur les
listes officielles ; ces hommes de loi ne peuvent refuser
d'accomplir leur tâche sans motifs légitimes. Puis, cette
personne reçoit un certificat, qui pourra limiter l'octroi
de l'assistance en l'assortissant de conditions suspensives,
comme l'avis d'un avocat ou des expertises, avant tout
procès. (Cette pratique a reçu une large approbation judiciaire).
L'assistance est gratuite pour les personnes dont les
revenus annuels disponibles ne dépassent pas deux cent
cinquante livres, et le capital disponible : cent vingt-cinq
livres ; ensuite l'assisté devra verser une contribution dont
le montant maximum ne devra pas dépasser, outre la valeur
du capital situé au-dessus de cent vingt-cinq livres, le
tiers des revenus annuels qui dépassent deux cent cinquante
livres.
La contribution doit couvrir les débours de l'avoué,
les honoraires de l'avoué et de l'avocat ; son montant
effectif, fixé par le Comité local, ne peut dépasser le
maximum calculé ci-dessus, mais si l'estimation des ressources se révèle inexacte, on pourra le corriger.
Une détermination des ressources faite pour une demande d'assistance extra-judiciaire n'est pas à renouveler
si un procès intervient, faite pour une demande d'assistance
judiciaire en prerrùère instance, elle est toujours valable en
cas d'appel, sauf si les ressources ont changé.
Le payement du capital disponible s'effectue en une
fois, celui des revenus, en général, se fait en douze mensualités. Si les ressources évoluent dans les douze mois
qui suivent le procès, une nouvelle estimation de la contribution sera faite.
La contribution est directement versée au Fonds d'Assistance judiciaire. Si elle est insuffisante pour couvrir tous
les frais, la société des avoués a un privilège de premier
rang sur tous les droits et biens qui .a uraient été attribués
à la personne assistée, à la suite du procès. Les- créances
sont payées directement au Fonds d'Assistance pour que
la Société puisse retenir ce qui lui manque. Elle restitue
le reste à la personne avec un compte détaillé des biens
attribués et des sommes dues.
368
�Le Comité peut abroger le certificat si la personne
assistée défaille volontairement dans le payement de i<.t
contribution. De plus, une amende et une peine de prison
sont alors encourues.
Ainsi le système anglais, administré par la société des
avoués, permet une assistance juridique civile très bien
adaptée aux besoins des personnes de faibles moyens, une
assistance dans les procès criminels, la complète, mais
elle est administrée par les Tribunaux.
SECTION Il
L'Assistance Juridique dans les affaires criminelles
•
•
•
Cette assistance est prévue par les textes suivants :
Poor Prisoners'Defense act 1930 amended by Part
Il of the legal Aïd and Advice Act 1949,
Summery jurisdiction act 1933 amended by Part
II of the legal Aid and Advice Act 1949,
Section 10 of the Criminal Appeal act 1906 amended by Part II of the legal Aid and Advice Act 1949,
Section 10 of the Criminal Appeal act, amended by
section 8 of the administration of Justice Act 1960 .
Elle existe en première instance : devant les Tribunaux de simple police, les sessions 'trimestrielles des Assises et les Cours d'Assises, et, en appel, devant les sessions trimestrielles des Assises, la Cour des appels criminels
et la Chambre des Lords.
Accordée par la Cour sur simple demande de l'avoué
ou de son client, même si cette demande est faite pendant le procès, elle est entièrement gratuite et dépend
du bon vouloir des magistrats qui l'accordent s'ils estiment
qu'il est dans l'intérêt de la justice de le faire. Elle comporte les services d'un avoué devant le Tribunal de simple
Police et ceux d'un avocat dans tous les autres cas ; le
choix de ces hommes de loi dépend de la Cour, mais
en principe elle consulte l'accusé et eUe décide elle-même
de leur rémunération, à moins qu'il ne s'agisse d'un procès
devant un tribunal de simple police. Dans ce cas, cette
décision revient au Comité de District de l'assistance juridique.
r.HAPI'l'RE II
Assistance Juridique en Suisse
Le système suisse d'assistance juridique est en grande
partie administré par les tribunaux. Seuls les conseils juridiques ne font pas l'objet d'une réglementation nationale
et restent à la charge des initiatives privées.
369
�••
•
Suivant la jurisprudence de la Cour Fédérale, il découle de l'article quatre de la Constitution que les individus
ont légalement le droit d'ester en justice et d'obtenir une
assistance judiciaire gratuite ; c'est un droit strictement
personnel et viager, accordé à toute personne physique
remplissant les conditions légales exigées, qu'elle soit défendeur ou demandeur.
La Constitution l'accorde aux nationaux, quel que soit
leur lieu de résidence ; quant aux étrangers, on peut les
ranger en trois catégories : les apatrides sont traités de
La même manière que les nationaux, les étrangers qui résident en Suisse aussi, les étrangers résidant hors rde
Suisse n'en bénéficient que si un accord de réciprocité a été
passé entre leur pays et la Confédération.
La Suisse étant divisée en vingt-cinq cantons ou-demicantons qui ont tous compétence pour réglementer la procédure judiciaire, nous ne pourrons pas dresser un tableau
minutieux de l'organisation de l'assistance juridique, mais
en nous fondant sur les directives des autorités centrales,
la jurisprudence de la Cour Fédérale, les caractéristiqu8S
principales des systèmes cantonaux, nous pourrons en connaître les principes directeurs.
Nous étudierons l'assistance judiciaire devant les tribunaux civils, l'assistance devant les tribunaux répressifs,
puis les possibilités d'obtention de conseils juridiques.
SECTION l
Assistance Judiciaire dans les affaires civiles
La Cour Fédérale Suisse pose trois conditions préalables
à l'octroi de l'assistance judiciaire : le solliciteur doit être
pécuniairement dans la gêne, son affaire doit présenter un
certain mérite sur le plan juridique, et, si ces deux conditions sont remplies, il faut qu'il obtienne l'assistance
d'un avoué.
Si l'autorité cantonale compétente rejette, entièrement
ou en partie, la demande d'assistance, un appel pourra être
interjeté devant la Cour Fédérale en se fondant sur la
méconnaissance de la législation fédérale.
En général, les autorités cantonales demandent que
le requérant remplisse les conditions dont nous avons déjà
parlé : indigence, mérite juridique de l'affaire et assistance
d'un avoué.
En pratique, une personne est reconnue comme indigente lorsqu'elle ne pourrait à la fois payer les frais
de justice et les honoraires des hommes de loi, et assurer
la subsistance des siens ; très souvent, on réclame un cer-
370
�tificat d'indigence délivré par les autorités du canton de
résidence ; actuellement, et surtout dans les villes, on accorde l'assistance judiciaire avec générosité.
L'autorité qui accorde l'assistance judiciaire, en général
le Président du Tribunal qui connaîtra le fond de l'affaire,
devra étudier sommairement les faits et la situation juridique du solliciteur pour déterminer s'il mérite que l'on
s'occupe de lui. Suivant la jurisprudence de la Cour Fédérale, on considère qu'une affaire n'a aucune chance de
succès si le gain espéré est considérablement moins élevé
que le risque encouru.
Lorsque ces deux conditions sont remplies, l'autorité
compétente accorde une assistance proportionnelle aux frais,
très souvent elle octroie aussi au solliciteur les services
gratuits d'un homme de loi.
La demande d'assistance peut être faite avant tout
procès ou pendant le déroulement de l'instance ; dans certains cantons un appel peut être interjeté devant l'autorité
judiciaire cantonale supérieure en cas de refus du Tribunal
inférieur.
Une assistance complète recouvre toutes les dépenses
faites au cours du procès, comme cautionnements, salaire
des experts, droits de timbres, frais de procédure, honoraires des hommes de loi, ainsi que les dépenses faites
par la partie adverse et les honoraires de son avoué lorsqu'ils sont mis à la charge de la personne assistée.
"-
,
"
,
L'octroi de l'assistance judiciaire n'entrave ni le cours
du procès, ni les relations qui doivent exister entre l'avoué
et son client.
Le tribunal mène l'instance dans les formes ordinaires
et attribue les dépens à qui de droit. Si la personne .assistée désire interjeter appel, elle en a le droit, le tribunal
supérieur exarTÙnera gratuitement la demande suivant les
formes légales exigées.
L'autorité à qui il revient d'accorder l'assistance, en
général le tribunal qui s'occupera "du fond de l'affaire,
devra choisir Wl avoué qui assistera le solliciteur i très
souvent ce dernier sera déjà entré en contact avec un
homme de loi, et l'autorité compétente ratifiera, en pratique,
son choix.
En principe, l'avoué est obligé d'accepter la charge
et ne peut refuser de l'accomplir à moins qu'il n'invoque
des motifs légitimes, mais les autorités s'efforcent de répartir équitablement la tâche entre tous.
L'avoué doit mener son affaire comme s'il s'agissait
d'un client ordinaire, sa position vis-à-vis de la Cour et
37\
,
�de la partie adverse n'est aucunement affectée, et il doit
recevoir des honoraires.
Le canton les prend souvent à sa charge, et le tribunal,
à moins qu'il ne décide qu'ils seront supportés par la partie
adverse, les fixe dans sa décision suivant les tarifs officiels du canton ; en général ces honoraires judiciairement
fixés sont réduits et jamais l'avoué ne peut exiger de son
client qu'il paye un supplément. Certains cantons prévoient
le remboursement des sommes qu'ils ont déboursées lorsque
la personne assistée devient propriétaire de biens nouveaux,
en ce cas l'homme de loi pourra recouvrer la partie des
honoraires qu'il aurait touchés si son client n'avait pas
bénéficié de l'assistance judiciaire.
SECT/ON Il
Assistance Judiciaire dans les affaires pénales
'<
En se fondant sur le principe qu'aucune personne ne
peut être condamnée si elle n'a pu se défendre, la Cour
Fédérale, suivant l'article quatre de la Constitution, reconnaît à tout indigent le droit d'obtenir une assistance
gratuite, et tous les cantons ont élaboré une réglementation
spéciale, en général les principes suivants sont tous admis.
Tout accusé qui peut craindre d'être incarcéré ou
privé momentanément de sa liberté, étant donné l'accusation
ou la nature de l'infraction qui la fonde, a le droit d'obtenir gratuitement les services d'un avocat.
il faut que l'infraction ait été poursuivie ex officio
par l'autorité publique et non sur intervention de la victime.
L'assistance se limitera en général aux honoraires de
l'avocat et au remboursement de ses dépenses et n'inc1uera
pas les autres frais, l'accusé devra presque toujours les
supporter.
Cette assistance gratuite est accordée à tout accusé
qui aurait besoin des services d'un avocat et ne pourrait
les rémunérer lui-même, à condition qu'il ne puisse se
défendre personnellement ; peu importe que cela soit dû
à la gravité de l'infraction dont on l'accuse, à la longue
privation de liberté personnelle dont il pourrait être l'objet,
a la complexité des faits en cause, ou à toute incapacité
physiologique ou psychologique.
Même si l'accusé n'en a fait aucune demande, le
tribunal compétent peut désigner un défenseur ou seuiement
un interprète.
Les avocats sont choisis suivant un système de rotation,
et ses honoraires sont payés par le canton (en général,
ils sont plus faibles que les honoraires habituels).
372
�.
SECTION III
.-
Conseils Juridiques gratuits
La législation cantonale ou fédérale ne donne aucun
droit à l'obtention de conseils juridiques gratuits. Cependant
des bureaux ont été ouverts par les autorités administratives ou les tribunaux et fournissent des renseignements
rudimentaires. En plus de cela, un grand nombre d'associations, de syndicats, d'entreprises ont élaboré des systèmes
de conseils gratuits pour leurs membres et leurs employés,
ce qui fait l'objet d'une controverse permanente avec Jes
hommes de loi.
CHAPITRE 1II
l'Assistance Juridique aux U.S.A.
Les Etats-Unis d'Amérique du Nord sont une fédération
.
dont les membres entendent conserver jalousement leurs
prérogatives, en outre la mentalité anglo-saxonne des habitants les incite à la recherche des solutions concrètes plutbt
qu'à l'élaboration de systèmes préconçus, c'est pourquoi
nous ne trouvons aucune organisation d'a~sistance juridique sur le plan fédéral ; nous n'en trouverons même pas
au niveau des Etats, mais nous aurons, en ce qui concerne
l'assistance judiciaire dans les affaires civiles et l'octroi
de conseils juridiques, un exemple de systèmes élaborés
et réalisés par les autorités communales et les associations
privées ; en étudiant l'assistance judiciaire devant les tribunaux répressifs, nous achèverons de brosser un tableau
d'ensemble des réalisations américaines.
SECT/ON /
Assistance Judiciaire devant les Trlbunaw< Civils
Une assistance judiciaire devant les tribunaux civils
a été organisée par cent soixante-huit groupements répartis entre trente-six Etats ; là où ils n'existent pas,
,
! .. ' -'
•
les indigents doivent se contenter de l'aide bénévole et
gratuite que les hommes de loi acceptent de leur donner ;
la procédure d'obtention, l'organisation de ces groupements, la prise en charge des frais sont donc différentes
suivant les région~, mais des principes communs peuvent
être dégagés.
L'assistance judiciaire est accordée à tous les citoyens
américains, qu'ils résident ou non dans la fédération, et
à tous les étrangers, ressortissants d'une puissance quelconque ou apatrides, même s'ils résident hors des frontières ;
il suIfit de prouver que l'on est incapable de supporter les
honoraires d'un homme de loi ; le critère de détermination
est évidemment variable.
373
�L'indigence est la seule condition préalable eXlgee. Le
solliciteur doit en fournir des preuves qui seront examinées
et vérifiées par l'avoué qui consent à s'occuper bénévolement de son affaire, ou par l'organisation, s'il en existe
une. En général, les organisations n'acceptent d'octroyer
leur aide que s'il s'agit de recouvrer des biens dont la
valeur justifie l'assistance d'un homme oe loi, mais elles
l'accordent devant tous les tribunau.x ordinaires et parfois
même · devant les tribunaux spéciaux (par exemple lorsquè
l'affaire touche à la législation sur l'émigration) .
Pour obtenir l'assistance judiciaire il faut s'adresser
directement aux avoués ou à l'organisme compétent des
organisations spéciales, certaines d'entre elles ont été réalisées par les autorités municipales, les autres par des sociétés charitables, des écoles de Droit, des bureaux locaux,
elles sont parfois le fruit d'une coopération, parfois celui
d'une initiative unique.
L'octro.i de l'assistance judiciaire n'empêche pas le
procès de suivre son cours normal et n'allège en rien
la responsabilité de la personne assistée ou les charges
que la justice peut faire peser sur elle, mais l'organisation
prend à sa charge une partie des honoraires de l'avoué,
à moins que ce dernier ne les fixe lui-même s'il a
accepté d'assister Wl indigent, dans les pays où n'existe
aucune autre possibilité.
L'organe compétent de l'organisation d'assistance choisit
l'avoué et fixe ses honoraires en se fondant sur le travail
qu'il a fourni, les usages locaux et les statuts. Il fixera
de même la contribution que la personne assistée pourra
être appelée à verser si ses moyens et les règlements en
vigueur le permettent; l'avoué n'a jamais le droit de
réclamer un supplément d'honoraires à son client, s'i l
s'agit d'une organisation privée elle a le droit de retenir
les sommes recouvrées à l'issue du procès et de se rembourser ; les faux-fr ais sont à la charge de la personne
assistée à moins qu'elle ne puisse bénéficier de l'aide d'un
organisme charitable, quant aux différents droits légaux, les
règlements prévoient qu'ils ne sont pas exigibles des
indigents.
SECTION II
Conseils Juridiques
Outre certaines organisations spéciales à l'Armée, à
la Marine, à l'Aviation et à différents syndicats, outre
l'aide bénévole des hommes de loi, il existe des possibilités
de ,conseils juridiques offertes par les organisations municipales ou privées dont nous avons parlé tout-à-l'heure,. ces
possibilités sont à la portée de toute personne physique,
374
�qu'elle soit amencaine, étrangère ou apatride, et toujours
dans les mêmes conditions.
Il suffit d'être incapable de payer les honoraires de
l'homme de loi dont on a besoin et de s'adresser directement à lui ou à l'organisation existan t dans le pays.
Dans ce cas, l'organe exécutif choisira alors le juriste
adéquat ; en général les hommes de loi ne se contentent
pas de renseigner leurs clients, ils les aident aussi à préparer
les documents officiels et leur portent assistance dans le
règlement extra-judiciaire des litiges ; en contre-partie, ils
reçoivent un salaire fixé par l'organisation, la perSonne
assistée pourra parfois être appelée à verser une ·contribution en rapport avec ses moyens.·
Les conseils juridiques complètent l'assistance judiciaire
devant les tribunaux civils, il existe aussi une assistance
judiciaire devant les tribunaux répressifs, mais cette dernière
est d'un autre geItre.
SECTION 1lI
L'Assistance Judiciaire
devant les Tribunaux répressifs
> • •
,<
,
Dans tous les Etats de l'Union, le tribunal désigne
un avocat lorsqu'il s'agit d'un meurtre ou d'une infraction
punie de la peine capitale ; cette possibilité existe pour
certaines affaires criminelles seulement dans quarante Etats
et pour toutes ces affaires, à la demande de l'accusé,
dans vingt-neuf Etats seulement ; dans douze Etats,. rien
n'a été prévu quant au dédommagement de l'avocat; ',dans
trente-six Etats on la prévoit pour les meurtres et les
infractions punies de la peine capitale, et dans vingt-et-un
Etats, elle est prévue chaque fois qu'un avocat est désigné
d'oHice ; le requérant ne doit prouver que son indigence
et s'adresser au tribllilal, à moins qu'un de ses parents
ou un homme de loi ne le fasse à sa pl ace. Le tribùnal
appréciera et le Président décidera de l'octroi de l'assistance judicüiire. Les services de l'avocat sont entièrement
gratuits et l'avocat doit assister son client de la même
façon qu'il assisterait un client ordinaire. il existe aussi
des avocats qui acceptent d'aider les indigents et de prendre
à leur charge tout ou partie des honoraires qu'ils auraient
dû recevoir ; lorsque l'avocat est désigné d'office, la Cour
fixe souverainement le montant de son dédommagement
en se fondant sur le travail effectué, les règlements du
barreau et la législation en vigueur dans l'Etat.
L'assistance judiciaire devant les tribllilaux répressifs
est accordée à n'importe quel individu, indépendamment de
sa nationalité, sans qu'il soit fait aucune discrimination
dans sa réalisation.
375
�TI'l'RE
j[J
LES INITIATIVES EN FAVEUR DE L'ASSISTANCE JURIDIQUE
AUX RÉFUGI~S SUR LE PLAN INTERNATIONAL
~ .'.
Suivant les propres tennes du mémorandum de la
Conférence d'Edimbourg :
• Bien que nul système de lois ne soit complet dans
l'aide judiciaire, il est malheureusement vrai que, à l'heure
actuelle, on peut dire que bien peu de nations possèdent
une organisation d'aide judiciaire capable de répondre à
tous les besoins. Cela peut être dû à plusieurs facteurs.
Une économie nationale inadéquate, une pénurie d'hommes
de loi exerçant, ou le fait de ne pas apprécier toute l'importance de l'aide judiciaire, sont probablement les raisons
les plus communes. Dans certains pays, on est obligé
d'en conclure que la représentation légale indépendante, et
par conséquent l'aide judiciaire, est incompatible avec le
gouyernement ou avec le climat politique du moment. »
Le rapport sur l'assistance juridique, publié par l'LB.A.
(International Bar Association) en 1954, après la Conférence
de Monte-Carlo, nous donne des renseignements précieux,
même s'ils ne sont plus actuels.
La conférence avait recueilli des renseignements venant de trente pays ; notre étude se limitera à vingt-sept
d'entre eux : Autriche, Belgique, Ceylan, République d'Irlande, Angleterre et Pays de Galles, République Fédérale
Allemande, Grèce, Indes, Iran, Israël, Japon, Jordanie, Libéria, Nouvelle-Zélande, Norvège, Pérou, Philippines, Portugal, Ecosse, Espagne, Suède, Confédération Helvétique,
Syrie, Thaïland, Turquie, U.S.A. Aucun renseignement
n'avait été fourni sur des pays où les problèmes des émigrants sont très importants: Argentine, Australie, Canada et France).
Sur ces vingt-sept pays, dix-neuf offraient des possibilités effectives d'assistance judiciaire dans les procès civils,
dix-sept les prévoyaient pour tous les procès devant tous
les tribunaux Ol'dinaires et vingt possédaient un_ système
national ; dix Etats prévoyaient que le requérant devait
prQuver, outre son indigence, une juste cause du procès,
ou un intérêt légitime, ou une probabilité sérieuse de succès ; dans trois cas, l'assistance était octroyée par la magistrature, dans sept cas par le gouvernement, dans trois par
376
�•
les organisations d'avocats, dans quatre par les organisations
d'avoués, et dans quatre cas enfin par des commissions
diverses ; l'avoué étant choisi dans quatre pays par un bureau dépendant du gouvernement, dans six par une association d'avoués et dans quatre seulement par l'indigent
lui-même.
Dans dix nations, les étrangers ressortissants des autres
puissances en bénéficiaient sans qu'il y eut besoin d'accord
de réciprocité entre les deux Etats, dans un autre, ils n'en
bénéficiaient pas en l'absence d'accords de ce genre.
Dans quatorze pays l'avoué était astreint aux obligations professionnelles normales vis-à-vis de son client et
dans huit, il était prévu qu'il recevrait des honoraires.
L'assistance judiciaire dans les procès crintinels était
accordée avec plus de générosité, elle existait dans vingtquatre pays et était à la portée des apatrides dans vingtet-un d'entre eux ; dix-sept nations 'd emandaient simplement
que l'on prouvât son manque de ressources, neuf seulement
la prévoyaient pour tous les procès et devant tous les
tribunaux, dans dix cas son octroi dépendait en majeure
partie d'organisations gouvernementales, dans dix autres,
de la magistrature, dans deux autres, d'associations d'hommes de loi et dans deux derniers, de bureaux divers.
Quant aux conseils juridiques, ils étaient officiellement
prévus dans une dizaine de pays, dans les autres, il fallait
compter sur l'aide des sociétés privées ou sur la charité
des juristes.
Ils étaient fournis par les organismes les plus divers :
les Tribunaux en Autriche, la Conférence de Saint-Vincent
de Paul en Irlande, un bureau spécial en Belgique, des
bureaux en République Fédérale Allemande, l'association des
avoués en Angleterre et au Pays de Galles, les Conseils
municipaux en Norvège, des offices gouvernementaux aux
Philippines.
Dans dix pays, l'avoué consulté rédigeait un avis juridique, aidait à la préparation des documents officiels et
fournissait une assistance para ou extra-judiciaire, mais en
Espagne seulement le client avait la possibilité de choisir
lui-même son homme de loi ; dans six nations, ces juristes
étaient rémunérés. Dans quinze Etats, les étrangers et ~es
apatrides bénéficiaient de ces possibilités dans les mêmes
.
conditions que les nationaux.
Devant cette diversité, ce manque d'unité, ces systèmes incohérents, dont certains présentaient des défauts.
majeurs ou des vides inquiétants, des juristes ou des hommes simplement poussés par la charité se sont préoccupés
d'organiser des systèmes parallèles palliant ces défauts,
377
�d'attirer l'attention de l'opinion publique sur les besoins
de l'assistance juridique et d'aider à l'élaboration de nouveaux programmes ou à l'extension des programmes
existants.
Sur le plan général, l'Association internationale d'Assistance juridique s'efforce de poursuivre ces buts, sous les
auspices de rAssociation internationale des Avocats, tandis
que les agences non gouvernementales intéressées aux problèmes des émigrants ont coordonné leurs efforts en créant
un Centre International de Coordination de l'Assistance
judiciaire. Enfin l'organisation des Nations-Unies possède un
organisme spécialisé et très important : le Haut-Commissariat pour les Réfugiés ; il représente l'effort des Etats
à côté de l'effort des particuliers.
CH APITRE 1
Le Haut. Commissariat des Nations. Unies
-..
pour les Réfugiés
Les Etats et les organismes internationaux de Droit
public se sont préoccupé du sort des trop nombreux
réfugiés que les guerres et les révolutions disséminent
à la surface du globe.
Des accords internationaux avaient déjà été conclus
antérieurement à la seconde guerre mondiale
Convention de 1933 pour les • Réfugiés Nansen ,
(russes et assimilés),
Convention du 10 février 1938 ayant trait aux
réfugiés allemands et autrichiens.
De nos jours, la protection internationale des réfugiés
résulte soit d'accords bilatéraux ou multilatéraux, soit de
systèmes élaborés par des organisations internationales de
Droit public.
Dans le cadre de l'Organisation des Nations-Unies a
été créé en 1950 (14 décembre, résolution nO 428 (v)
de l'assemblée générale) un Haut-Commissariat des Nations-Unies pour les Réfugiés et cet organisme a été immédiatement doté d'un statut spécial.
Le Haut-Commissariat assure la protection des réfugiés et recherche des solutions permanentes à leurs
problèmes, sous les auspices de l'O.N.U., en accord .avec
les gouvernements.
Il poursuit la conclusion et la ratification de conventions internationales pour la protection des réfugiés, surveille leur application et propose des amendements.
378
�Il poursuit, par voie d'accords particuliers avec les
gouvernements, la mise en œuvre de toutes mesures destinées à améliorer le sort des réfugiés et à diminuer le
nombre de ceux qui ont besoin de protection.
Il se tient en contact avec les gouvernements et les
organisations privées intéressées au réfugié et les seconde
en ce qui concerne le rapatriement librement consenti
des réfugiés ou leur assimilation dans de nouvelles communautés nationales.
Enfin, il se tient au courant, en obtenant des gouvernements des renseignements sur le nombre et l'état des
réfugiés dans leur territoire, des lois et règlements qui
les concernent, et cherche à constituer un terrain de
contact entre les Etats ou les entreprises privées intéressées.
L'activité du Haut-Commissariat ne comporte aucun
caractère politique. Le Haut-Commissariat se conforme aux
directives d'ordre général qu'il reçoit de l'Assemblée Générale ou du Conseil économique et social. Il est élu
pour trois ans par l'Assemblée Générale, son contrat est
établi par le secrétaire général et approuvé par cette
A,;semblée ; dans la limite des crédits qui lui sont ouverts,
il nomme des fonctionnaires responsables devant lui, il gère
ses fonds - ses dépenses sont imputées sur le budget
général - suivant les dispositions du règlement financier
de l'organisation des Nations-Uunies. Dans l'exercice de ses
fonctions, il prend l'avis d'un Comité Consultatif pour les
Réfugiés (Résolution du Conseil Economique et Social nO
393 B. XIII du 10 Septembre 1951).
Le mandat du Haut-Comrrussariat s'exerce sur toute
personne qui a été considérée comme réfugié en application
des Arrangements du 12 mai 1926, du 30 juin 1928, ou
en application des Conventions du 28 octobre 1933 et du
10 février 1938 et du Protocole du 14 septembre 1939, ou
encore en application de la Constitution de l'Organisation
internationale pour les Réfugiés ; il s'exerce aussi sur toute
personne qui peut bénéficier des dispositions de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés
et n'a pas perdu le droit de s'en prévaloir. Il s'exerce enfin
sur toute autre personne qui se trouve hors du pays dont
elle a la nationalité ou, si elle n'a pas 'd e nationalité, hors
du pays où elle avait sa résidence habituelle, parce qu'elle
craint, ou a craint, avec raison, d'être persécutée du fait
de sa race, de sa religion, de sa nationalité ou de ses
opinions politiques, et qui ne peut pas ou qui, du fait de
cette crainte, ne veut pas réclamer la protection du gouvernement du pays dont eUe a la nationalité ou, si eUe
n'a pas de nationalité, ne veut pas retourner dans le pays
où eUe avait sa résidence habituelle.
379
�•
•
•
Le mandat ne s'exerce pas sur les personnes qui, ayant
plus d'une nationalité, ne se trouvent pas à l'égard de
chacune dans les conditions prévues, ou qui jouissent du
statut de ressortissants dans leur pays de résidence, ou qui
bénéficient de la protection ou de l'assistance d'autres organismes ou institutions des Nations-Unies, ou dont on a
des raisons suffisantes de penser qu'elles ont commis un
délit visé par les dispositions des traités d'extradition, ou
un crime défini à l'article VI du statut du Tribunal militaire
international ou par les dispositions de l'alinéa deux de
l'article quatorze de la Déclaration universelle des Droits
de l'Homme.
La protection internationale du réfugié est la tâche
fondamentale du Haut-Commissariat. Il s'agit de veiller à
ce que les réfugiés ne souffrent pas d'incapacités juridiques
ou sociales résultant de leurs statuts particuliers et de
sauvegarder leurs droits et intérêts légitimes en coopérant
avec les autorités des pays qui ont à faire face à de tels
problèmes et en venant en aide aux réfugiés qui ont besoin
de mesures de protection individuelles, il faut aussi leur assurer les moyens juridiques de déplacement hors des frontières du pays de résidence, car ce pays ne peut pas, en
général, leur fournir sa protection diplomatique ou consulaire. Les besoins peuvent varier d'un pays à un autre,
d'un groupe à un autre, voire même d'un cas particulier
à un autre.
Le Haut-Commissariat a encouragé la conclusion de
traités internationaux visant à définir le statut juridique
des réfugiés. (En particulier • la Convention du 28 juillet
1951, relative au statut des réfugiés . ). Cette convention
a fait l'objet de 32 ratifications ou adhésions et le HautCommissaire s'efforce d'obtenir d'autres ratifications ou
adhésions et d'élargir le champ d'application de l'accord en
favorisant le retrait des réserves ou en proposant des amendements. Le Haut-Commissariat s'efforce d'inciter les pays
qui ne sont pas parties à la Convention d'accorder à leurs
réfugiés le meilleur traitement possible ; il favorise aussi
la conclusion et la ratification d'autres instruments internationaux visant à supprimer les incapacités juridiques dont
souffrent les réfugiés.
Mais Jes instruments internationaux régissant le statut
juridique des réfugiés resteraient sans effet si une personne
de bonne foi, après avoir traversé la frontière, ne pouvait
obtenir asile et n'était pas considérée par les" autorités
compétentes comme un réfugié au sens des instruments, si
par la suite elle ne pouvait se prévaloir directement et
effectivement des dispositions accordées en vue de son
intégration dans le pays de résidence et des mesures tendant
380
�à favoriser son rapatriement ou sa naturalisation ; en un
mot, l'action du Haut-Commissariat ne pourra être considérée comme efficace que si elle permet d'assurer la
protection des individus, à ce niveau les problèmes du
réfugié relèvent parfois de la protection juridique, mais
plus souvent de l'assistance juridique ; cette assÎstance ne
s'inscrit pas dans la fonction de protection du Haut-Commissariat, mais, comme elle en est la suite nécessaire elle
est fournie dans le cadre des projets exécutés au titre du
programme d'assistance juridique du Haut-Commissaire.
Nous allons étudier ce programme dans ses principes, puis
dans sa réalisation (en 1962).
SBCTION 1
Le Programme d'Assistance Juridique
du Haut-Commissariat
...•.
••
•
Alors que la protection juridique a pour but essentiel
de promouvoir des mesures propres à améliorer la condition
juridique des réfugiés, par le moyen d' accords internationaux, de dispositions législatives et de règlements administratifs, l'assistance juridique tend à aider les individus à
exercer les droits et à introduire les recours prévus ; si
la protection est du ressort direct du Haut-Commissariat,
l'assistance exige surtout les services d'un homme de loi
exerçant sa profession dans le pays de résidence du réfugié,
ou dans celui où se pose le problème à régler, ou encore
dans celui où l'action en justice doit être engagée. Le
Haut-Commissariat n'a pas vocation pour représenter inviduellement les réfugiés, il n'a pas, non plus, les ressources
et le personnel nécessaires. Il faut donc, lorsque ces mesures
d'assistance aux réfugiés ne sont pas prévues dans la législation du pays intéressé, qu'elles s'insèrent dans le programme spécial du Haut-Commissaire.
Cc programme vise essentiellement à aider le réfugif
toutes les fois que d'autres sources capables de remplir
les mêmes objectifs n'existent pas ou ne peuvent accorder
qu'uné partie de l'aide nécessaire ; le Haut-Commissariat
désire surtout que l'on recherche une solution permanente
aux problèmes du réfugié dans tous les cas où cette solution
se heurte à des obstacles de caractère purement juridique
et qui proviennent directement ou indirectement de sa situation juridique particulière de réfugié.
A l'occasion de cette assistance, il faudra nécessairement octroyer une aide matérielle, car outre les honoraires
des hommes de loi, les différents droits, les faux frais, etc.
sont les suites naturelles des procédures devant les tribunaux ou les autorités administratives, mais le Haut-Commissariat n'accepte de supporter ces charges que lorsqu'elles
38\
�sont directement nécessaires à la solution des problèmes
juridiques particuliers des réfugiés, les frais de transport,
des visites médicales, l'argent de poche, doivent être couverts par les organismes qui s'occupent spécialement de
leur apporter une aide matérielle.
L'assistance judiciaire comprend trois types de services : avis juridiques, assistance dans les démarches auprès des autorités administratives et assistance judiciaire
devant les tribunaux civils ou répressifs ; étant donné l'organisation particulière des Etats, deux types de projets se
sont dégagés dans le programme du Haut-Commissariat.
Dans les pays où l'on trouve beaucoup de réfugiés
qui ont à faire face à de nombreu...x problèmes juridiques,
des accords sont conclus avec des agences bénévoles pour
,
l'emploi d'hommes {Je loi chargés de donner des conseils,
de se mettre en rapport avec les autorités administratives,
de négocier occasionnellement le règlement extra-judiciaire
des différends et éventuellement de représenter les r éfugiés
devant les tribunaux.
Dans d'autres pays ont été créés des fonds d'aide juridique, généralement administrés par des agences bénévoles
ou des délégations du Haut-Commissariat. Us sont destinés
à couvrir les honoraires des hommes de loi, les frais de
procédure et toutes les dépenses connexes nécessaires.
Le type et la portée de ces services dépendent non
seulement du nombre de réfugiés que compte un pays donné
et de leurs besoins particuliers, mais encore des services
officiels existant en la matière, ainsi que de la nature et
des activités des agences bénévoles. Pour les pays où n'existe
aucun programme national ou régional, un fonds central
d'assistance a été créé au siège du Haut-CoInnÙssariat.
Les directives du Haut-Commissaire en ce qui concerne l'octroi de conseils juridiques, l'assistance 'devant les
autorités administratives et l'assistance judiciaire, sont les
suivantes :
,.
- Il est toujours judicieux d'exarruner les problèmes du
réfugié et de lui éviter de passer devant les tribunaux.
Parfois, il a simplement besoin d'un avis ; dans tous les cas
il faut recourir aux services d'un juriste compétent, et si
l'agence bénévole n'emploie aucun homme de loi, ou SI le
correspondant local du Haut-Commissariat ne peut résoudre
le problème tout seul, il est parfaitement légitime de supporter les frais d'une consultation juridique, ces · consultations jouent un rôle très important dans les affaires administratives car le réfugié a toujours besoin pour son
installation ou son rapatriement d'un grand nombre de
licences, de certificats, de documents divers et seul un
38'!
�·.
professionnel est à même de le guider et de le conseiller
dans ses problèmes.
- Les conseils juridiques ne sont pas toujours suffisants
et il faut prévoir une assistance judiciaire devant les tribunaux civils et répressifs.
En règle générale, le Haut-Commissariat réclame que
l'on soit certain du mérite juridique de "l'affaire, que l'on
ait examiné ses chances de succès et que l'on ait la preuve
qu'il est impossible de faire prendre les frrus en charge
par d'autres organisations, assistance légale, bureaux régionaux ou municipaux, agences volontaires, organisations
spéciales à certains corps de métiers, etc; lorsque le réfugié
bénéficie déjà des services gratuits d'un homme de loi,
mais que son problème réclame l'assistance d'un juriste
spécialisé que l'organisme auquel il s'est adressé ne
peut rémunérer il est normal que l'agence bénévole ou
le représentant du Haut-Commissariat prenne ces frais à
sa charge.
Dans les procès civils, lorsque le réfugié est demandeur, il faut accorder l'assistance judicirure exceptionnellement dans les seuls cas où une décision favorable de la
Cour contribuerait beaucoup à l'établissement d'une solution
définitive à ses problèmes ; au contraire, lorsque le réfugié est défendeur, il faut interpréter les critères d'autant
plus favorablement qu'il risque de voir son existence bouleversée et ruinée s'il perd son procès. Le Haut-Commissariat estime aussi qu'il est utile d'accorder l'assistance toutes
les fois qu'une solution favorable de la Cour contribuerrut
à créer un précédent intéressant dans une question relative
au statut des réfugiés. Nous sommes ici dans un domaine
où protection juridique et assistance juridique se recouvrent.
Dans les affaires criminelles, de nombreux codes nationaux prévoient une assistance judiciaire, mais ils ne sont
pas tous aussi complets et si certains se limitent aux
affaires criminelles, si d'autre~ sont plus étendus, certains
n'envisagent que les crimes punis de la peine capitale,
souvent un avocat est désigné d'office pour assister l'accusé,
mais il faut aussi songer qu'un immlgrant ne connaît ni la
langue, ni les habitudes, ni la législation du pays. Plus
qu'un avocat, plus qu'un simple interprète, il lui ~aut une
personne compétente qui lui expliquera ce qui lui arrive
et le déroulement de son procès, il est donc nécessaire d'accorder largement l'assistance judiciaire dans ces affrures
où la vie et la liberté d'un homme sont en jeu ; mrus il
ne faut pas faire supporter au Haut-Commissariat la charge
des amendes ou celle des frais entramés par la réadaptation
et l'assistance matérielle à la sortie de la prison. Seuls
les honoraires de l'avocat accepté par l'agence bénévole ou
38.'\
�le représentant local du Haut-Commissaire ainsi que les
dédommagements des témoins cités par la défense et le
salaire des experts seront supportés par le fonds d'assistance
juridique ; d'ailleurs, dans ces affaires, comme dans les
affaires civiles, comme à l'occasion de l'octroi de conseils
juridiques tous les débours doivent être effectués, lorsque
cela est possible, sous réserve de remboursement par le
réfugié qui pourra effectuer ses versements par mensualités
successives ; la somme exigée pourra recouvrir totalement
ou seulement partiellement toutes ces dépenses.
Une vue d'ensemble du programme d'assistance du
Haut-Commissariat pour 1962 nous permettra de voir l'amplew' et la diversité des réalisations ; nous reproduisons ici
la note soumise par le Haut-Commissaire au Comité exécutif
du programme lors de sa sixième session.
SECTION II
Programme d'Assistance Juridique pour 1962
, ,.
'.
A -
.. ....
•
Introduction .
1 - Lors de sa cinquième session, le Comité exécutif
a autorisé le Haut-Commissaire à préparer, selon les propositions figurant aux paragraphes 41 à 43 du document
A/AC.96/124, la mise en œuvre en 1962 d'un programme
d'assistance juridique d'un montant de 120.000 dollars. Le
Comité exécutif a approuvé provisoirement les allocations
suivantes :
Dollars des E.U.
Autriche .... . . .. . .. . . ... . .. .. .
Allemagne ... ... . .. ..... .. . ... .
Grèce " . . .. . ... . .. .. ...... . _..
Italie
Amérique latine .... . . . ... ..... .. .
Pay' divers .......... . .. .
Réserve .. ...... , . . .... . .. .. .. .
25.000
40.000
5.000
7.500
20.000
10.000
12.500
TOTAL . ... ... .
120.000
2 - Les programmes exposés ci-après ont été établis
compte tenu de ces allocations provisoires. Pour les régions
où résident de nombreux réfugiés non encore installés
dont l'adaptation économique et sociale pose des problèmes
particuliers et où, par conséquent, des projets particuliers
devront être maintenus pour chaque pays, il est proposé
de continuer les programmes existants. Pour les réfugiés
résidant dans les régions où il n'existe pas de projet
384
�spécial d'assistance juridique, le R.C.R. a institué un fonds
central d'assistance juridique, dont le maintien est proposé
au paragraphe 10.
3 - Quant à la réserve, elle doit servir à financer
les projets qui se révèleraient nécessaires pour tenir compte
de circonstances imprévisibles à ce stade. Le Comité exécutif
voudra peut-être autoriser le Haut-Commissaire à y puiser
le cas échéant, étant entendu que les rapports concernant
la mise en œuvre des projets en question lui seront soumis
de la même manière que pour les autres programmes
d'assistance juridique décrits ci-dessous.
B
Analyse des programmes.
(a) AUSfL/62 -
-·L
Programme pour l'Autriche
Coût pour le H.C.R.: 25.000 d.
4 - Au titre de ce programme, qui continue le programme AUS/L/61, il est demandé au H.C.R. un montant
de 25.000 dollars pour l'emploi, par une organisation bénévole autrichienne, de quatre conseillers juridiques, qui
sont des avocats admis au barreau ou des juristes atta'chés à des cabinets juridiques, ainsi que pour le paiement
d'honoraires, frais de justice et autres débours relatifs à
des procédures judiciaires.
(h) GERfL/62 -
Programme pour l'Allemagne
Coût pour le H .C.R.: 40.000 d.
5 - Au titre de ce programme, qui continue le programme GERfL/61, il est demandé au R.C.R. un montant de 40.000 dollars, notamment pour l'emploi, par deux
organisations bénévoles internationales et les organisations
allemandes correspondantes avec lesquelles elles travaillent,
de six conseillers juridiques.
6 - Des dispositions sont prises pour continuer les
arrangements concernant un fonds d'assistance juridique
géré par la délégation du H.C.R. en Allemagne et auquel
il serait fait appel, dans les cas qui justifieraient cette
mesure, pour fournir à des réfugiés indigents une assistance
financière leur permettant de payer les honoraires d'avocats, les frais de justice et autres débours causés par des
procédures judiciaires.
(c) GREfL/62 -
Programme pour la Grèce
Coût pour le H.C.R. : 5.000 d.
7 - Au titre de ce programme, qui continue le programme GREfL/61, il est demandé au H.C.R. un montant
de 5.000 dollars en vue de fournir aux réfugiés une assistance juridique par l'i.ntermédiaire d'une organisation bénévote internationale en Grèce.
385
�(d) ITAfL/62 -
Programme pour l'Italie
Coût pour le H.C.R. : 7.500 d.
8 - Au titre (le ce programme, qui continue le programme ITA/L/61, il est demandé au H.C.R. un montant
de 7.500 dollars qui assurera aux réfugiés, dans diverses
parties du pays, une assistance juridique qui leur sera
donnée par des avocats italiens.
9 - Le montant ci-dessus mentionné est destiné au
remboursement des frais encourus par les avocats, ainsi
que, le cas échéant, de leurs honoraires et au paiement
de certains frais de justice. Le fonds sera géré par la
délégation du H.C.R. en Italie.
(e) VARfL/62 -
.-
•
Fonds d'assistance juridique
pour divers pays
Coût pour le H.C.R.: 10.000 d.
10 - Dans un certain nombre de pays, l'institution
d'un projet spécial d'assistance juridique ne s'impose pas,
mais il arrive souvent que des cas indiv:iduels requérant
cette assistance soient signalés au Haut-Commissariat. Pour
que le Haut-Commissariat soit en mesure de fournir aux
réfugiés résidant dans ces pays l'assistance juridique indispensable, il a dû créer au siège un fonds central d'assistance juridique. Une allocation de 10.000 dollars est
nécessaire pour le maintien, au cours de l'année 1962,
de ce service, qui sera étendu également à l'Afrique du
Nord, où il n'est plus prévu de projet spécial d'assistance
juridique.
(f) LAMfL/62 - Programme pour l'Amérique
Latine
Coût pour le H.C.R. : 20.000 d.
11 - Au titre de ce progr~e, il est demandé au
H.C.R. un montant de 20.000 dollars, pour permettre la
conÙfluation des services d'assistance juridique assurés aux
réfugiés nécessiteux en Amérique latine.
12 - En raison de la nature des problèmes juridiques
qui se posent en Argentine, dans le cadre de ce programme,
et par suite du nombre élevé de bénéficiaires, il est nécessaire de maintenir en vigueur les arrangements actuels
en vertu desquels un service d'assistance et conseils juridiques est assuré par une organisation internationale bénévole,
dont le concours a été extrêmement précieux pendant les
deux dernières années. On évalue à 8.500 dollars · le coût
de la continuation de ce projet pour le H.C.R.
13 - Le reste du crédit demandé, soit environ 11.500
dollars, doit servir au maintien du fonds d'assistance
juridique administré par la délégation du H.C.R. pour
386
�-.
l'Amérique latine, et à l'octroi d'une assistance juridique
aux réfugiés vivant dans un pays d'Amérique latine, sur
demande individuelle présentée par des correspondants, par
une des organisations bénévoles ou par les réfugiés euxmêmes.
Ces organisations bénévoles sont le frtùt des initiatives
privées qui font l'objet de notre second chapitre.
CHAPITRE II
Les initiatives privées sur le plan international
Ces initiatives proviennent de la charité des organisations bénévoles ou des hommes de loi. Les unes ont formé
le Centre de Coordination de l'Assistance juridique, les
autres ont élaboré l'Association Internationale d'Assistance
juridique.
SECTION 1
Le Centre de Coordination de l'Assistance Judiciaire
Des agences bénévoles se sont efforcées, sur le plan
national ou international, d'apporter une assistance juridique
convenable aux indigents et certaines se sont même cantonnées dans l'assistance aux émigrants.
,
~;
A la stùte de deux enquêtes, condtùtes, en 1957 et
en 1959, par les agences travaillant sur le plan international, celles-ci sont parvenues aux observations et aux
conclusions suivantes.
Comme nous l'avons déjà vu en étudiant le r~pport
d~ la Conférence de Monte-Carlo, la législation en vigueur
dans les pays est très complexe et fait apparaître de nombreuses lacunes. Dans les seuls pays du Canada et des
Etats-Unis, l'organisation est bonne et complète, et les
agences bénévoles peuvent se contenter de remplir un
rôle social, mais ces deu..x cas sont exceptionnels.
Très souvent, les hommes de loi ne sont pas au
courant des législations étrangères. Il faut donc qu'ils
fassent un effort dans cette direction et qu'il y ait une coordination plus étroite entre eux et les assistants sociaux:.
L'assistance judiciaire est trop souvent illusoire, quand
elle existe, théorique, et quand elle o'existe pas, les agences
n'oot ni les fonds, ni le personnel nécessaires pour y
remédier efficacement.
Comme l'assistance juridique et sociale permet d'améliorer le sort des réfugiés et souvent évite des procédures
judiciaires, il faut dooc absolument qu'elle existe. Il faut
387
,
�,
donG une coopération entre les agences et entre les agences et les hommes de loi.
En juin 1958, la Conférence des Organisations nongouvernementales intéressées aux Problèmes de Migration
a créé un organisme apolitique, autonome, de caractère
humanitaire et ne recherchant aucun profit matériel : le
centre international de coordination de l'assistance juridique ; ce centre siège à Genève. Il est ouvert aux agences
membres de la Conférence ou des organismes successeurs,
à toute organisation nationale ou internationale intéressée
aux problèmes des émigrants, aux agences intergouvernementales désireuses d'y adhérer. Les personnes physiques
qui ont à s'occuper de ces questions peuvent devenir membres associés.
Les desseins des agences étaient les suivants :
favoriser le principe de l'assistance juridique aux
étrangers indigents, surtout lorsqu'ils sont apatrides, réfugiés ou émigrants,
favoriser une large interprétation du terme jusqu'à ce qu'il recouvre l'assistance judiciaire, l'octroi de
conseils juridiques, une assistance para-judiciaire ou extrajudiciaire (par exemple dans le règlement à l'amiable des
litiges),
aider à la promotion d'une législation nationale
adéquate et effective et à l'élargissement des possibilités
octroyées,
encourager la coopération entre les agences, la
centralisation régionale des services publics et privés, celle
des informations et documents, l'our les mettre à la disposition des membres, des autorites nationales ou internationales,
publier les renseignements obtenus, surtout ceux
qui concernent la législation et la jurisprudence des Etats,
enfin, servir de lieu de rencontre entre tous les
organismes intéressés à ces problèmes et favoriser l'étude
des problèmes d'intérêt commun.
Le Centre ne fournit directement aucune assistance
judiciaire, mais il exécute les directives assignées par la
Conférence et reste libre de prendre toutes les initiatives
qui lui semblent en accord avec les principes statutaires ;
il maintient en particulier des relations étroites avec l'Organisation des Nations-Unies et ses organes spééialisés.
tels que le Haut-Commissariat pour les Réfugiés, ainsi
qu'avec tout organisme gouvernemental, intergouvernemental ou privé intéressé aux problèmes des réfugiés et des
émigrants. Ce centre peut décider aussi d'établir des rel a-
388
�tions étroites et de conclure des accords avec toute association, corporation, personne morale, etc., lorsque cela lui
semble utile,
SECTION II
L'Association Internationale d'Assistance Judiciaire
-<
"
Il est du devoir des hommes de loi de s'intéresser à
tous les problèmes juridiques, En 1932, puis en 1944,
l'Association Américaine des Avocats (American Bar Association) étudia l'idée d'une organisation mondiale des
barreaux nationaux, En 1947, le projet se réalisa et les
associations nationales d'avocats ont ainsi la possibilité
d'adhérer à une association internationale: International
Bar Association, que l'on connaît plus couramment sous le
sigle LB.A" et dont les objectifs sont les suivants :
faire avancer la science juridique,
aider à l'uniformisation (les législations nationales
lorsque cela paraît désirable,
favoriser l'application effective de ces législations,
permettre l'établissement de relations amicales entre les hommes de loi,
et coopérer avec les organisations internationales
ayant des objectifs similaires,
Les membres de l'LB,A. ne peuvent être que les Barreaux nationaux, et à défaut les Barreaux des capitales
et des grandes villes, Un bureau permanent et des conférences biennales assurent la bonne marche de l'organisation, tandis que des conférences internationales sont organisées pour permettre l'étude des problèmes juridiques de
grand intérêt pratique. Il y en a eu cinq iusqu'à ce jour,
notamment les suivantes : Conférence de Monte-Carlo en
1954, Conférence d'Edimbourg en 1962.
L'l.B.A. coopère avec les Nations-Unies et possède un
représentant à New-York auprès de l'Organisation.
L'Association juridique posant des problèmes très graves et très courants, un comité spécial fut formé sous
la direction de Sir Sydney LITILEWOOD et de M. O. S.
MARDEN. Ce comité élabora un plan accepté avec enthousiasme par la huitième conférence biennale qui se
tint à Cologne en juillet 1958. Ce plan prévoyait la réalisation d'une Association internationale d'Assistance juridique (International Legal Aid Association : IIL.A.A.). Cette
association existe aujourd'hui et possède ses quartiers généraux à Oslo.
Les objectifs de l'Association internationale d'assistance judiciaire sont de promouvoir le principe de l'assis-
389
�<
.,
tance aux indigents et d'œuvrer à sa réalisation dans le
monde entier.
L'association ne recherche aucun bénéfice mais a le
droit de collecter des fonds pour promouvoir et développer
le travail d'entr'aide judiciaire, c'est-à-dire d'assistance juridique portée dans les procès civils et criminels aux personnes à qui l'absence de moyens ne permet pas de faire
appel à un avocat. Si besoin est, elle peut apporter directement son aide aux indigents, mais elle a surtout un
rôle de coordination, de centralisation des renseignements,
de documentation et d'éducation.
Elle surveille le travail d'assistance sur le plan international, les rapports entre les organisations d'assistance
judiciaire et les barreaux. Elle favorise la création et le
développement des sêrvices d'assistance juridique dans tous
les pays où ils peuvent être utiles et coopère avec toute
organisation qui s'intéresse à leur extension et à leur
aménagement. Elle tient à jour un annuaire de tous les
organismes nationaux ou internationaux apportant leur assistance au sein des tribunaux ou en-dehors de ceux-ci. Elle
rassemble, compile et fournit à tout intéressé tous les
renseignements concernant l'assistance juridique telle qu'elle
se présente au niveau de chaque nation suivant la jurisprudence, la législation, les règlements et les accords internationaux en vigueur. Elle facilite la solution des affaires
d'assistance par un échange réciproque de services entre
les organes coopérant, ce qui est particulièrement important
en ce qui concerne les réfugiés. Elle publie, édite et fait
circuler des revues spécialisées sur les sujets présentant
un intérêt pour ses membres et publie des comptes rendus
concernant l'activité de l'association, ce qui lui permet
d'éveiller les esprits aux problèmes dont elle recherche
la solution ; enfin possédant des bureaux, ayant le droit de
conclure et de faire exécuter tout accord qui lui semblerait
nécessaire, d'entreprendre avec toute association, tout individu, les actions qui lui permettront d'atteindre ses buts,
ell~ élabore, favorise, développe et réalise tous les projets
de nature à lui permettre d'atteindre ses desseins.
Sont éligibles, comme membres de l'Association, toutes
les personnes physiques ou morales intéressées à toute
forme d'activité d'assistance judiciaire.
li y a sept classes de membres
les membres honoraires élus par le bureau directorial,
les membres réguliers: organismes d'assistance
juridique, associations nationales ou internationales d'avocats,
390
�les organisations ou comités qw octroient une
assistance juridique aux indigents,
- les membres provisoires: toute organisation intéressée mais qui ne peut appartenir aux catégories deux et
trois, peut être admise comme membre provisoire pendant
un laps de temps fixé par le Bureau directorial,
les membres de soutien : toute organisation, tout
homme de loi désireux d'apporter leur aide à, l'Association,
les membres à titre gratuit: toute organisation
intéressée mais qui ne pourrait pas payer sa contribution.
Les membres réguliers se réunissent en assemblée biennale : Assemblée des Délégués; l'Assemblée élit un Bureau
directorial de quinze membres qui assurent l'administration
de l'Association.
EN ADDENDUM, et pour bien montrer quels sont les
problèmes qui se posent aux réfugiés, nous reproduisons
les exemples offerts dans un rapport du centre de coordination de l' assistance judiciaire.
1
Des réfugiés, ignorant la langue du pays, devant être libérés de la prison où ils étaient détenus, ont été
aidés à régulariser leur situation et à se faire octroyer
le droit d'asile.
2
Un réfugié blessé au cours d'un accident de
la circulation s'était vu offrir une faible indemnité par la
compagnie d'assurance. Pressé d'accepter, il prit contact
toutefois avec une agence bénévole dont le conseiller juridique fut d'avis qu'il devrait réclamer le double du montant
en question. Finalement, le réfugié obtint presque le triple
de cette somme, ce qui lui permit d'acheter un petit
commerce et sa subsistance en fut assurée.
3
Un réfugié avait eu dans un camp un enfant
d'une femme avec qui il n'était pas marié. Il était séparé
de sa femme légitime depuis 1940 et avait commencé
une instance en divorce sans pouvoir la soutenir faute de
moyens, n'ayant pas réussi à obtenir un certificat d'indigence. Grâce à l'intervention d'un conseiller juridique son
divorce fut prononcé et la situation régularisée. Le réfugié put s'intégrer normalement et obtenir un logement.
4
Des réfugiés invalides et ayant atteint l'âge
de 65 ans ont pu obtenir une pension, avec ou sans décision du tribunal, un conseiller juridique ayant réussi à
leur procurer les documents nécessaires de la Sécurité sociale. Dans un seul pays, sur un total de mille cas environ, 200 concernaient des questions "de pension: un
391
�grand nombre d'interventions juridiques ont été courOnnées de succès.
5
Peu après la fin de la deuxième guerre mondiale, à la suite d'un règlement territorial entre deux
pays, un jeune homme de 17 ans, enfant illégitime abandonné à sa naissance et ayant vécu toute sa vie dans
des institutions charitables, fut transféré de l'un de ces
pays dans l'autre. Ne pouvant établir s'il était un réfugié
ou un ressortissant de ce dernier pays, il fut confiné dans
un camp pour étrangers indésirables. L'assistance juridique
et sociale révéla les circonstances de sa naissance, prouvant
ainsi son s'tatut de réfugié, ce qui lui permit de sortir du
camp et d'émigrer vers un pays de réétablissement.
6
Une famille de réfugiés vivait dans un camp.
Les gains du mari étaient trop faibles pour lui permettre
de rembourser aucun emprunt j durant la deuxième guerre
mondiale, il avait déposé de l'argent dans une banque internationale, mais n'avait pu réussir à se le faire restituer.
Le conseiller juridique réussit à obtenir la main-levée des
fonds, ce qui permit à l'individu d'acheter un appartement dont les charges modestes pouvaient être supportées
grâce à son salaire.
7
Deux enfants réfugiés avaient été envoyés en
vacances par les soins d'une organisation bénévole et devaient demeurer quelques mois dans une famille. Durant
leur séjour, leur père mourut et il fut décidé que les enfants resteraient dans cette famille jusqu'à ce que leur
mère fut capable de leur procurer un foyer. Leur mère
se remaria et partit pour un pays de réétablissement où
elle était en mesure d'assurer un foyer convenable à ses
enfants, mais la famille qui les hébergeait refusa de les
restituer. Les assistants juridiques et sociaux dans les deux
pays sont intervenus pour permettre la réunion des enfants
avec leur mère.
391!
�BIBLIOGRAPHIE
INTERNATIONAL BAR ASSOCIATION : Conférence
d'Edimbourg - 1962
« Les conditions essentielles d'un plan national
d'aide et conseils iudiciaires et les possibilités pratiques d'établir un tel plan tout ou partie dans les
divers pays. ,
Mémorandum.
CONVENTION RELATIVE AU STATUT DES REFUGIES
Publié par le Haut-Commissariat des NationsUnies pour les Réfugiés. Palais des Nations: Genève 1955 - HCR/INF/29.
RAPPORT SUR L'ASSISTANCE JURIDIQUE
(Présenté par le Haut-Commissaire) - 28 février 1962 - A/A C 96/ 157. Distribution générale
- Palais des Nations : Genève.
RAPPORT SUR LA PROTECTION INTERNATIONALE
(Présenté par le Haut-Commissaire) - 7 mars
1962 - Distribution générale - A/AC 96/152.
STATUT DE L'OFFICE DU HAUT-COMMISSARIAT
DES NATIONS-UNIES POUR LES REFUGIES
Palais des Nations: Genève -
HCRjINF/1.
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2
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1954. « Survey of legal aid and legal atlvice f acilities in tbiety nations of tbe
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Bar Association.
393
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Conférence d'Edimbourg - 1962.
L'assistance iuridique en Suisse, aux U.S.A., en
Angleterre et au Pays de Galles.
j
MEMORANDUM SUR L'ASSISTANCE JUDICIAIRE
Genève - HCR/258/61 Palais des Nations.
GE 61-95 77
ASSISTANCE J URIDIQUE AUX REFUGIES
Note présentée par le Comité International de
la Croix-Rouge, au nom du Centre International
de Coordination de l'Assistance iuridique - Genève - Palais des Nations - Distribution générale A/AC 96/123 - 24 mai 1961.
STATUTES OF THE . INTERNATIONAL
CENTRE FOR COORDINATION OF LEGAL AID »
BY LAWS OF THE • INTERNATIONAL BAR
ASSOCIATION»
ASSISTANCE JURIDIQUE
Revue internationale de
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BIBLIOGRAPHIE
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�BIBLIOGRAPHIE
Le transfert de la propriété dans la vente d'obiets
mobiliers corporels en droit comparé, par MICHEL WAELBROECK, assistant à l'Université Libre de Bruxelles, chercheur au Centre Interuniversitaire de Droit Comparé, LL.M.
New-York University, Préface du Baron Louis Frédéricq,
1 vol., 246 p. - Ed. Emile Bruylant - Bruxelles - 1961.
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•
L'ouvrage que publie M. Michel Waelbroeck appartient à la Collection du Centre Interuruversitaire de Droit
Comparé de Bruxelles que dirige M. le Professeur Limpens.
Cette collection qui comprend déjà les excellentes études
de M. Cl. Ren ard sur Le régime matrimonial de droit
commun. PrOiets belges de ré/orme et droit comparé et
de M. P. Van Ommeslaghe SUT Le régime des sociétés
par actions et leur administration en droit comparé, s'enrichit là d'un remarquable volume.
L'auteur y analyse et y compare les conceptions qui
opposent les législations des six pays du Marché Commun
sur une question fondamentale : le transfert de la propriété
dans la vente de meubles corporels. L'actualité et l'intérêt
du sujet sont plus qu'évidents. La vente mobilière est déjà
en elle-même une matière à vocation internationale. Avec
l'intégration économique amorcée par les traités instituant
les Communautés Européennes, les échanges vont nécessairement s'accroître entre les ressortissants des pays du Marché
Commun. Il devient donc indispensable pour les juristes
et les hommes d'affaires d'être renseignés sur les systèmes
de transfert de la propriété et des risques dans les pays
européens. Les importateurs doivent, par exemple, connaître
le moment à partir duquel ils supportent les risques dans
une vente conclue à l'étranger. Les vendeurs doivent savoir
si la clause de réserve de propriété qu'ils stipulent à
leur profit sera efficace en cas de faillite de leur acheteur
domicilié à l'étranger.
Les cinq premiers chapitres sont consacrés à l'exposé
des droits positifs. Le premier chapitre traite des conceptions classiques en matière de transfert de propriété ; les
quatre suivants, des effets pratiques du transfert tant en
ce qui concerne les parties qu'à l'égard des tiers - trans-
397
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fert des risques, transfert des fruits, règles protégeant la
possession de bonne foi, règles protégeant l'égalité des
créanciers. Chacun de ces chapitres est précédé d'une introduction qui expose les données du problème et suivi
d'une conclusion qui fait le point des principales ressemblances et divergences existant entre les législations
examinées.
Après avoir ainsi exposé les différents droits, l'auteur
recherche, dans un sixième et dernier chapitre, les possibilités d'unification. Entre les deux systèmes qui s'opposent, celui du transfert de la propriété par le seul effet
de la convention (droits français, belge, luxembourgeois
et italien) et celui de la nécessité d'une mise en possession
matérielle de l'acheteur (droits allemand et néerlandais),
l'auteur démontre la supériorité du second qui lui parait
plus conforme au bon sens et aussi équitable que le premier.
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Après cette démonstration, l'auteur examine d'une manière
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très approfondie les modifications qu'entrainerait pour les
droits latins l'adoption du système de la mise en possession.
Une telle réfonne aurait un aspect révolutionnaire
dans notre droit. Il convient cependant de remarquer que
le système du transfert de la propriété par le seul effet de
la convention ne joue pleinement qu'entre les parties, ce
qui le vide d'une bonne part de sa signification. fY. notamment Carbonnier, Droit civil T. 2, 3me éd., p. 126).
Quel que soit le jugement que l'on porte sur les
opinions de l'auteur, on ne peut s'empêcher d'admirer la
maltrise avec laquelle il a conduit ce travail de droit
comparé sur un sujet difficile.
Adrienne HONORAT,
Maitre-Assistant à la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques de Nice.
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ACHEvE D'IMPRIMER
le 15 Juin 1964
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O. 411:
ANNALES
DE LA
FACULTÉ DE DROIT
ET
DES
SCIENCES
ÉCONOMIQUES
D'AIX-EN-PROVENCE
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(Institut d'Études juridiques, économiques
et politiques de St-Denis de la Réunion)
ÉDITIONS CUJAS
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En consacrant à des « Etudes Réunionnaises » un
numéro particulier de ses Annales, la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques d'Aix-Marseille n'a pas
seulement tenu à manifester de quelle sollicitude elle
prétend entourer le plus lointain de ses établissements
et prendre en défaut la sagesse commune qui mesure
l'affection aux distances. Elle a voulu aussi témoigner
de l'importance qu'elle attache à l'expansion de l'Ile
et, par ce premier recueil, apporter un début de
contribution à l'analyse de son développement.
Qu'il ne nous appartienne pas de dire les efforts
que la Faculté a entrepris pour soutenir l'Institut de
Saint-Denis, ce n'est que discrétion légitime même si
l'on se trouve ainsi réduit à passer sous silence l'intelligence et le dévouement de son directeur. Au demeurant les Réunionnais ne s'y tromperont pas eux qui ont
appris à le connaître et savent de quelle générosité il
est capable. Ce qu'il importe, au contraire, de souligner
comme l'expression de notre particulière gratitude c'est
l'aide bienveillante et toujours efficace des autorités
locales et l'appui constant de l'Education Nationale.
Forte de sa seule bonne volonté, quelle que grande
qu'elle soit, la Faculté n'aurait pas pu satisfaire comme
il en était digne l'élan réunionnais. Armée de cette
confiance et de ces encouragements, elle s'en retrouve
plus capable.
Satisfait d'ailleurs, nous sommes loin d'être assuré
que cet élan le soit déjà car nous en connaissons bien
la vigueur et nous en imaginons facilement les dimen':
sions. Il ne servirait à rien de donner ici dans la
statistique : le sixième sens qui nous fait croire qu'il y
a une œuvre essentielle à poursuivre ne doit rien aux
mathématiques. Il procède du cœur et de ce sentiment
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qui associe dans toute action universitaire l'effort de
l'esprit et l'équilibre humain. C'est cela qui nous assure
qu'il reste beaucoup à faire et qui nous incline à nous
réjouir de ce qu'il y ait encore à entreprendre.
On voudrait qu'à côté de la mission pédagogique
qu'assume l'Institut et qu'il faut approfondir, élargir et
diversifier en fonction de tous les besoins, des travaux
de recherche - dont ce volume est un premier exemple
- se multiplient et contribuent à une meilleure connaissance de la Réunion en elle-même et par elle-même.
Alors sans doute, la discrétion nous manquerait pour
nous empêcher de dire que l'Université a rempli sa
mission.
Jean BOULOUIS,
Doyen de la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques
d'AIX-en-Provence .
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�AVANT-PROPOS
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Créé en 1950, l'Institut d'Etudes Juridiques, Economiques et
Politiques de Saint-Denis est une filiale de la Faculté de Droit et des
Sciences Economiques d'Aix-en-Provence. Aussi, n'est-ce pas, sans
une certaine fierté, que, pour la première fois il contribue, par ses
propres travaux, aux publications de l'Université d'Aix-Marseille.
Certes, des universitaires se sont déjà intéressés à la Réunion. Sans
parler de la très imporatnte thèse de Monsieur Defos du Rau, professeur à la Faculté des Lettres, sur la géographie physique et humaine
de l'Ile, il faut citer plusieurs articles, pubilés dans les «Annales de
la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines d'Aix» par Monsieur
le Recteur Blache, Monsieur le Professeur Isnard et Monsieur le
Vice-Recteur Foucque. Mais jusqu'à ces dernières années, les problèmes réunionnais n'avaient que très peu retenu l'attention des juristes
et des économistes et la Faculté de Droit d'Aix, pourtant si consciente
de ses responsabilités universitaires à la Réunion, s'était surtout préoccupeé d'y assurer, aussi efficacement que possible, sa mission pédagogique. En accueillant aujourd'hui dans ses «Annales» ces «Etudes
Réunionnaises », elle manifeste, en outre, tout l'intérêt qu'elle porte
aux efforts que vient d'entreprendre l'Institut d'Etudes juridiques de
Saint-Denis en vue d'animer et de développer des recherches sur
l'Economie, el Droit de la Réunion et des pays de l'Océan Indien.
* *
Il est heureux, également, que ce recueil soit publié quelques
mois après la création, à la Réunion de deux nouveaux établissements
qui se sont déjà très étroitement et cordialement unis à l'Institut
d'Etudes Juridiques, le Centre d'Enseignement Supérieur Scientifique
rattaché à la Faculté des Sciences de Marseille et le Centre d'Enseignement Supérieur Littéraire rattaché à la Faculté des Lettres d'Aix.
Cette publication, au moment où s'affirme aussi la vocation univer-.
sitaire de l'Ile ne peut être que de bonne augure. Partout où il s'enracine l'Enseignement Supérieur participe à la recherche mais il n'est
pas douteux que, dans notre plus lointain département il ne pourra
s'épanouir que s'il devient un pôle de rayonnement culturel et de vie
intellectuelle. La Réunion est simple comme une Ile mais complexe
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comme un monde et les universitaires semblent avoir pour miSSIOn
particulière d'apprendre à connaître et à mieux faire connaître les
réalités d'un pays que son isolement condamne à n'être trop souvent
présenté que de manière superficielle voire caricaturale. On comprendrait mal, d'ailleurs, que, dans cette Ile, ceux qui ont la responsabilité de former des élites s'isolent dans une « Tour d'Ivoire »,
dédaigneux des problèmes dont dépend l'avenir des étudiants qui
leur sont confiés. On le regretterait d'autant plus, qu'ils peuvent pour
eux-mêmes et leur propre discipline tirer le' plus grand profit de
l'étude du milieu physique et humain et que l'Ile et son environnement offre des possibilités de recherches qu'il serait dommage de ne
pas exploiter.
* *
Pour ces diverses raisons, il faut se féliciter que loin de céder
à quelque paresse exotique, les trois établissements d'Enseignement
Supérieur de la Réunion, s'efforcent, sans plus attendre, de mettre
au point des programmes de travaux individuels ou collectifs dans
les domaines relevant de leurs spécialités respectives. C'est ainsi que
le Centre d'Enseignement Supérieur Scientifique se propose d'étudier
en étroite collaboration avec le Museum d'Histoire Naturelle de
Saint-Denis la botanique et la géologie de l'Ile, sans négliger la
biologie et l'écologie marines. De leur côté, les littéraires, sociologues
et historiens, sous le contrôle de la Faculté des Lettres d'Aix, ont
retenu des sujets d'articles et de thèses sur la Réunion et l'le Maurice.
Quant à l'Institut d'Etudes Juridiques, il encourage ses assistants et
ses chargés de cours à choisir des sujets de mémoire d'études supérieures et de thèse de doctorat sur des questions intéressant la vie
locale. Outre les études publiées dans le présent recueil, plusieurs
travaux ont été préparés sur la démographie et la criminologie dans
l'Ile ainsi que sur les échanges économiques et les relations monétaires avec la Métropole. Très prochainement seront, également, publiés les rapports du colloque de Droit privé comparé Maurice.
Réunion qui s'est tenu en juillet dernier à l'Institut d'Etudes Juridiques et qui fut une contribution importante à l'étude comparée
des droits de l'Océan Indien et plus spécialement du droit privé
mauricien.
* *
Cette floraison de projets pourrait être considérée comme
l'indice d'une vitalité quelque peu juvénile, mais il est légitime
d'espérer que ne seront point déçues les promesses de la jeunesse
si l'on sait que les professeurs des Facultés d'Aix et de Marseille
sont disposés à faire bénéficier les chercheurs de la Réunion de
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leur maturité intellectuelle et scientifique. Il importe, d'ailleurs que
les travaux entrepris soient coordonnés et conservent un caractère
universitaire. Il ne s'agit pas, en effet, par une regrettable confusion
des genres et des fonctions de se substituer, en particulier dans le
domaine des sciences sociales, aux autorités administratives ou de
juger, avec l'assurance tranquille d'une autorité souveraine, ceux qui
ont la responsabilité de décider et d'agir. Le dogmatisme universi··
taire est aussi une déformation professionnelle et le chercheur, plus
que tout autre, doit faire preuve de modestie et de prudence. Il sait,
par expérience que l'on s'approche de la vérité par approximations
et que toute opinion trop catégorique est suspecte avant d'être vérifiée.
En revanche, il a conscience de pouvoir être utile dans la mesure
où il a le temps et les moyens de rassembler les données objectives
et d'interpréter, avec recul, les faits qu'il a pu observer. S'il ne lui
est pas interdit de faire apparaître son opinion personnelle, il doit
accepter en contrepartie que l'on puisse discuter ses conclusions et
sa méthode et il n'est pas choquant que ses travaux soient passés au
crible de la critique, comme toute œuvre digne de susciter l'intérêt
et la réflexion. C'est dans cet esprit, sans aucun doute, qu'ont été
écrites les études publiées dans le présent volume. Leurs auteurs ne
prétendent pas qu'elles sont revêtues du sceau de l'infaillibilité mais
ils espèrent néanmoins qu'elles peuvent contribuer à une meilleure
connaissance de la Réunion et rendre service à ceux qui se préoccupent de son développement. Pour sa part, l'Institut d'Etudes Juridiques les remercie d'avoir, ainsi ouvert la voie à d'autres travaux
et se réjouit que, grâce à l'amitié bienveillante de Monsieur le Doyen
de la Faculté de Droit et des Sciences Economiques d'Aix et au très
efficace concours de Mademoiselle Lobin, professeur, responsable des
publications de la Faculté, tout un numéro des Annales de sa Faculté
de rattachement lui ait été réservé pour ce premier recueil d'études
consacrées à l'histoire, au droit et à l'économie de la Réunion.
GÉRÀRD
CONAC,
Directeur de l'Institut d'Etudes Juridiques de St-Denis,
chargé de la direction administrative
.des Centres d'Enseignement Supérieur de la Réunion.
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DECLARATIONS
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L'une portant éttlblijfement d'une 'Compagnie pou".
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Compagnie & en celle des Indes Occidtntales.
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jufqu'à prefeotà r~formcr' les abhs qui fe font gliffez
dans tous les Ordres de liOtfe Et:lt, pendant la lon-
gue guerre que le feu Roy not.re très-honoré Seigneur ~ 1>cte de
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�La Compagnie des Indes
à l'Ile Bourbon
(1724-1750)
par
François BORELLA
Maître de Conférences agrégé des Facultés de Droit
et des Sciences économiques
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�SOMMAIRE
Introduction
1. -
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Période de consolidation et de prospérité croissante:
1724-1740 ....................................
15
20
A) La Compagnie seigneur de l'Ile .......... : . . . . .
1. Les prérogatives de la Compagnie . . . . . . . . . . . .
Chap. 1. - Des corvées ordinaires et seigneuriales.
Chap. II. - Corvées extraordinaires .... . . . . . . .
2. Qualification juridique des droits de la Compagnie ..................................
20
21
26
27
B) Vie interne . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
1. La situation économique ..................
2. Situation sociale ................ . .........
a) Le personnel de la Compagnie . . . . . . . . . . . .
b) Les habitants .............. ' . . . . . . . . . . .
c) Les esclaves ......... ;.................
3. La navigation et le commerce ......., ...... .
a) Le commerce d'Europe vers l'Inde ....... .
b) Le commerce vers Bourbon ............. .
31
31
37
38
43
49
53
53
56
Période de crise: 1740-1750 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
60
A) L'expérience du commerce libre (1742-1746).. .. . . .
60
B) La guerre ..................................
64
C) La crise du café .................. , . . . . . . . . . .
67
Conclusion .........................................
69
i
II. -
28
�INTRODUCTION
+-.
•
L'Ile de Bourbon dont la France avait pris possession
au milieu du XVII' siècle (par Prony et Cocquet en 1642 officieument, par de Flacourt et Roger le Bourg en 1649 officiellement)
était devenue au XVIII' siècle une colonie déjà florissante: le
climat sain et tonifiant, la fertilité du sol avait attiré quelques
colons qni ne tardèrent pas à se multiplier. Mais l'Ile ne prit une
importance réelle que lorsque le développement du commerce
vers l'Inde nécessita une organisation du voyage des navires et
l'établissement d'escales sur la route des Indes. La Compagnie
des Indes fondée par LAW reçut le monopole du commerce en
Inde, et en conséquence la seigneurie sur Bourbon, en 1719; elle
entreprit d'organiser cette île pour en faire un point d'escale où
ses vaisseaux pourraient se ravitailler et • se refaire ) . Bourbon
dès ce moment, devenait une escale vers les Indes, mais inévitablement ce rôle d'escale s'amplifia. Pour le bien remplir et
notamment «avitailler ) les équipages il fallait un arrière-pays
produisant des vivres : de là, on passa insensiblement, et presque
sans que la Compagnie s'en aperçut, à une véritable colonie de
peuplement et de plantation, se consacrant non seulement aux
cultures vivrières, mais aussi aux cultures spéculatives (essentiellement le café). Colonie d'une Compagnie privée, mais possédant des privilèges de puissance publique, Bourbon est bien une
Colonie de la Compagnie des Indes. L'Ile était d'abord une
escale de la Compagnie pour son commerce en Inde et devint
ensuite une colonie de type classique sous l'Ancien Régime.
La période que nous embrassons nécessite une division en
deux temps. Une période de consolidation et de prospérité croissante de l'Ile et une période de crise. En effet de 1724 à 1750
l'histoire de Bourbon et de ses relations avec la Compagnie n'est
pas uniforme, de 1724 à 1740 environ le calme règne en Europe,
le commerce se développe, le café prend une place prépondérante .
dans l'économie de l'Ile, il semble que tout annonce un avenir
heureux. Mais en 1740, la Compagnie sentant venir la gnerre
proclame la liberté du commerce, ce qui bouleverse l'économie
traditionnelle. Vient ensuite la guerre de Succession d'Autriche
�16
qui touche, indirectement mais durement Bourbon; enfin, ajoutant à ses désordres, les plantations de café sont ruinées par les
insectes, Notre période s'achève en laissant une TIe qui cherche
un nouvel équilibre, bientôt ruiné par la guerre de 7 ans,
*
**
li importe d'abord de porter un jugement sur les documents
qui ont servi de hase à cette étude et d'étudier le cadre général
dans lequel ils s'inscrivent:
J. -
Les bases documentaires de cette étude
Elles sont doubles: d'une part des documents rapportés
dans les ouvrages généraux cités; d'autre part, des documents
originaux, comprenant d'abord ce qui a été retrouvé de la corres-
pondance échangée par la Compagnie et le Conseil supérieur
de Bourbon, ensuite le long mémoire rédigé par MAHÉ DE LA
BOURDONNAIS sur son gouvernent des TIes de France et de
Bourbon.
La correspondance dont il s'agit est celle échangée par les
instances gouvernant l'île (Gouverneur, Directeur et surtout
Conseil supérieur) et par les dirigeants de la Compagnie de 1724
à 1750, elle comprend également quelques lettres du Conseil
supérieur de l'lie de France et quelques lettres échangées entre
Pondichéry, Bourbon et France. L'ensemble a été réuni par
A. LOUGNON, Professeur au Lycée de la Réunion. Nous ne
reviendrons pas sur l'histoire externe de ces documents que
A. LoUGNON a fait en tête de chacun des volumes.
Certaines lettres sont de véritahles petits mémoires; la
plus longue par exemple est celle écrite par le Conseil supérieur
à la Compagnie le 24 février 1738 (l), c'est presque un volume
(119 pages en 8 §),
L'ensemble de cette correspondance est intéressante, avec
toutefois assez peu de hauteur de vue. li s'agit surtout d'une
relation d'administrateurs laborieux et consciencieux, mais assez
timorés, à des dirigeants qui exercent un contrôle très étroit sur
.,
tout ce qui se passe. Peu de grands problèmes sont abordés sauf
en ce qui concerne le commerce libre; on a l'impression d'une
."
(1) in Cor. tome IU-2, page 19 à 138.
l
�17
vie de petite bourgade de province, avec ses problèmes un peu
mesquins dans lesquels les questions de prééminence, de jalousie, de délation sont nombreuses.
Mais l'ensemble des renseignements est précieux et en
éliminant toutes les petites questions qui encombrent les lettres,
on voit apparaître les grandes lignes et vivre l'ile de Bourbon.
Quant au • Mémoire des Iles de France et de Bourbon . de
MAHÉ DE LA BOURDONNAIS il a été rédigé par le Gouverneur sur
le bateau qui le ramenait en France entre le 20 avril et le 24 juillet 1740, avant tout pour se justifier des accusations portées en
France contre lui et sur sa manière d'administrer les Mascareignes. Ce mémoire de 80 pages in-8 est un très précieux document car il a été écrit dans le but polémique de défense d'une
œuvre. A ce titre, il serait suspect de maquiller la vérité au profit
de l'auteur, s'il n'était rédigé dans un esprit assez détaché et
assez objectif. Les vrais problèmes y sont bien vus, dégagés des
petits faits et du train-train journalier. Il suffit d'aiUeurs de citer
la dédicace du mémoire pour s'en convaincre: «Ces mémoires
doivent être des plus sûrs, puisque cinq ans de gouvernement
m'ont appris padaitement à connaître le local de toutes les
parties, dont je dirai d'autant plus volontiers le fort et le faible
que je suis dans une sécurité et une indifférence padaite sur
l'avenir . (1).
2. -
La Compagnie des Indes
Nous ne reviendrons pas sur les raisons de l'apparition des
Grandes Compagnies de commerce au XVII' siècle, ni sur leur
rôle colonial. Ces faits sont assez connus. Nous voulons seulement
en quelquse mots décrire le cadre général de la Compagnie
des Indes dans lequel vient se placer la position de Bourbon.
•
,
La Compagnie des Indes qui succédait à la Compagnie de
Colbert était une des pièces maîtresse du système Law. Les
caractères de ce système. et notamment le rôle qu'y jouait le
crédit sont connus. Il faut cependant noter que le crédit n'était
qu'un instrument et que le moyen de le soutenir était la création
d'une vaste entreprise dirigée par l'Etat et qui engloberait toutes
les ressources économiques du Royaume. Une déclaration d'un
contemporain précise bien la chose: • nous voyons tous les
jours des preuves qu'on est dans le système de faire de tous
les sujets du Roi un seul et unique commerçant qui sera la
Compagnie des Indes • .
(1) in Mém. page 1 et 2.
,
�18
La Compagnie survécut à la ruine du système et assura peu
à peu l'ensemble du co=erce colonial de la France:
23 août 1717 : création de la Compagnie d'Occident (pour
la Louisiane);
Janvier 1719 : elle s'incorpore la Compagnie du Sénégal;
Mai 1719: elle s'incorpore la Compagnie de la Chine et
des Indes Orientales (dite de Colbert) c'est l'Edit de La Réunion,
elle prend le nom de Compagnie perpétuelle des Indes.
Juin 1719: elle s'incorpore la Compagnie d'Afrique.
Septembre 1720 : elle s'incorpore la Compagnie de SaintDomingue et acquiert le co=erce avec la côte de Guinée.
Elle possède donc à ce moment l'ensemble du domaine
colonial français, sauf une partie des Antilles et le Canada.
L'Administration centrale de la Compagnie a subi de très
nombreux changements qui rendent son étude confuse et longue.
Nous ne voulons pas les exposer en détail. L'évolution générale
ainsi que nous l'avons dit montre un contrôle croissant du Gouvernement et singulièrement du Contrôleur général des Finances,
en même temps qu'une mise au second rang des actionnaires;
cependant, il y eut des retours en arrière et certains changements
tendent à redonner un rôle effectif aux Assemblées Générales
des Actionnaires. L'organisation primitive du 29 août 1720 fut
modifiée successivement le 23 mars 1723, le 30 août de la
même année, le 23 janvier 1731 et le 11 juin 1748, pour arriver à
cette date à un stade presque définitif puisqu'elle ne fut plus
modifiée qu'en août 1764.
Sans nous arrêter aux détails, disons seulement que la Compagnie était dirigée par trois sortes de personnes; les Commissaires du Roi, bauts fonctionnaires qui assuraient le contrôle
permanent du Gouvernement sur la Compagnie et qui définissaient sa politique générale; les directeurs, nommés par le Roi
parmi les Actionnaires importants; les syndics, choisis par
l'Assemblée des Actionnaires et chargés de contôler la gestion
dans le sens d'une défense des intérêts de ces derniers.
Pratiquement le fonctionnement de la Compagnie est assuré
par les Assemblées d'Administration réunies tous les jours qui
groupaient tous les Directeurs et tous les syndics. On y prenait
connaissance des affaires courantes, on y répondait. Toutes les
semaines les Commissaires du Roi assistaient à une de ces
Assemblées et tous les mois le Contrôleur Général venait prendre
connaissance des affaires importantes.
f.
l
�19
"
La Compagnie possédait deux sortes de colonies.
- des colonies d'exploitation commerciale (Sénégal, Guinée, Inde) où elle n'entendait pas créer de véritables foyers de
colonisation; il s'agissait seulement d'y préserver ses intérêts
commerciaux.
- des colonies de peuplement et d'exploitation, dont le
type est la Louisiane, qui est un échec.
Entre les deux, les Mascareignes occupent une position
intermédiaire. Escales sur la route des Indes, elles sont en même
temps des colonies de type moderne, de peuplement et d'exploitation.
Du point de vue administratif, il y avait trois sortes d'organisations :
- les gouvernements parfaits, dans les colonies les plus
importantes commercialement, qui étaient divisées en provinces
et hiérarchisées. A la tête, un gouverneur ou directeur général
et un Conseil supérieur; dans ]es provinces, un Directeur particulier et un Conseil provincial (c'est le cas des Indes et en partie
<les lies).
- les gouvernements imparfaits pour les colonies moins
importantes divisées également en provinces. A la tête, il y avait
les mêmes organismes, mais dans les provinces seulement des
chefs de Comptoirs (Lousiane, Sénégal, Guinée, Barbarie).
- les comptoirs et les loges, dont les plus importants
avaient un Directeur et un Conseil (cas de Bourbon et de France,
quelque temps). Les autres, un simple Chef de Comptoir (Moka,
Saint-Domingue, Canton).
On peut très rapidement définir ainsi le rôle des différents
rouages de cette organisation. Le Gouverneur est le Chef responsable de l'Administration. 11 représente et personnifie la Compagnie, il dirige tout le personnel civil et mil itaire, enfin il
préside le Conseil et est responsable au regard de la Compagnie.
Le Conseil a un rôle plus important. Sur le plan commercial il
discute toutes les questions et prend les décisions à la majorité.
Dans le domaine de sa compétence administrative et disciplinaire
il décide de la construction et de l'entretien des bâtiments de la
colonie, il surveille le personnel et notamment les capitaines de
vaisseaux. C'est de sa compétence politique et militaire que
relève la conduite à tenir envers les indigènes. Enfin il possédait
une compétence judiciaire s'étendant aux questions civiles et
criminelles, aux Européens. comme aux Indigènes.
Ces indications permettent de comprendre dans quel cadre
se déroulent les événements et vivent les personnages que nous
allons étudier.
�1. -
PÉRIODE DE CONSOLIDATION
ET DE PROSPÉRITÉ CROISSANTE
1724-1740
..
,
Durant cette période l'De de Bourbon prend peu à peu
forme en tant que colonie et arrive à un équilibre économique
très encourageant et prometteur pour l'avenir.
TI y a une marge entre ce que déclarait La Bourdonnais
dans son Mémoire (1) en décrivant ce qu'il avait trouvé: « Quel
amas de difficultés et de travail quand il faut commencer par
tout ce qu'on a fait ailleurs depuis que le monde est monde,
pour parvenir par graduation à tout ce que l'on a fait à présent,
et ce, dans une De déserte où l'on manque de cboses les plus
nécessaires et surtout de sujets intelligents et laborieux, propres
aux différentes parties... . et l'avenir qu'il traçait aux Des de
France et de Bourbon: « Cette partie du monde où nos habitants se multiplient beaucoup, peut devenir un jour une grande
ressource pour nous défendre et même attaquer nos ennemis . • (2)
•
Le Conseil Supérieur dans une lettre du 31 décembre
1735 (3) rappelle d'ailleurs cette évolution: « une Colonie
composée d'une poignée de gens ramassés dans les quatre coins
du monde, bornée à récolter son pur nécessaire se voit considérablement accrue, toute défrichée, représenter une beUe et
bonne province bien policée . •
A. -
LA COMPAGNIE SE IGNE UR DE L'ILE
Les lettres patentes qui ont permis la création de la Compao
gnie des Indes et lui ont octroyé ses prérogatives juridiques et
son monopole commercial lui avaient en même temps- attribué
(I) Mémoire page 28.
(2) Mémoire page 67.
(3) In correspondance tome U. page 97.
l
�21
un certain nombre de comptoirs et possessions coloniales qu'elle
devait administrer .En fait, après l'échec de la tentative de colonisation de la Louisiane, son domaine colonial comprenait surtout
des comptoirs commerciaux et des ports; les seules véritables
colonies de territoire étendu, avec une population importante et
une vie économique propre, étaient les Mascareignes.
C'est donc surtout à Bourbon et l'ile de France que la
Compagnie a eu un rôle de gestion administrative coloniale à
jouer.
De quelle manière le remplissait-elle ? Pour répondre à
cette question il convient d'abord de dresser un tableau des
prérogatives de la compagnie sur l'Ile, telles qu'elles nous apparaissent, dispersées dans la correspondance; nous tenterons ensuite une synthèse définissant la nature juridique des droits de
la Compagnie.
1. "
..
..,
Les prérogatives de la Compagnie
L'administration de l'Ile était assurée par un Conseil Supérieur formé de fonctionnaires nommés par la Compagnie.
Nous avons vu en gros son rôle plus haut, nous n'y reviendrons
pas ici, car la correspondance si elle aborde souvent ces problèmes, notamment à propos de la hiérarchie entre les deux
conseils de Bourbon et de France, n'apporte rien de bien nouveau d'un point de vue juridique.
Comme dans toutes les colonies, sous l'Ancien Régime,
les relations de droit privé étaient régies à Bourbon par la coûtume de Paris. On sait qu'en France elle a rayonné au delà de
son ressort normal; dans les colonies elle s'appliquait pleinement.
Cela n'allait d'ailleurs pas sans quelques difficultés, car écrite
pour un pays d'économie évoluée et riche, elle s'appliquait
difficilement à une colonie cherchant encore son équilibre. Il
est curieux de constater que cette idée moderne (mais que Montesquieu allait mettre en lumière pour l'organisation étatique
surtout) que les régimes juridiques sont conditionnés par les
données physiques, économiques, sociales d'un pays, est déjà
en germe dans certaines remarques du Conseil Supérieur de
Bourbon. Dans une lettre du 28 mars 1733 (1), le Conseil Supérieur proteste contre l'application de la coutume de Paris, no- tamment dans ses dispositions successorales égalitaires, car cela
entraîne un morcellement des concessions entre les enfants qui
(1) Correspondance tome II, page 120.
�22
,
•
reçoivent de trop petites parcelles pour qu'eUes soient cultivables et pour qu'elles puissent nourrir une famille . TI s'exprime
à cet égard en termes particulièrement intéressants: «les habitations dans cette île ne peuvent être, sans se tromper, régardées
SUI le même pied que les terres en France... ici cela est tout
différent... les coutumes ont été établies pour l'avantage et utilité du pays où elles passent en force des lois et non pour en
causer la ruine ... :)
Ce sont d'ailleurs les matières successorales qui semblent
soulever le plus de problèmes. On sait que l'état civil était tenu
par les prêtres des paroisses, il en est de même à Bourbon, de
nombreuses lettres le rappellent. Mais l'éloignement, les morts
de matelots pendant les traversées, etc ... rendaient difficile l'établissement des certificats de décès et l'ouverture et la liquidation
des successions. Presque à chaque lettre, la Compagnie ou le
Conseil Supérieur expose l'état dans lequel se trouve toute une
série de successions litigieuses.
Les questions les plus pittoresques sinon les plus importantes, se posent à l'occasion de l'organisation judiciaire. Le
Conseil Supérieur, organe admin istratif, rendait également la
justice civile et criminelle comme cela se pratiquait habituellement sous l'Ancien Régime, où la notion de séparation des pouvoirs était inconnue. Cela était sans doute nécessaire pour rapprocher le juge du justiciable, mais ces conseillers étaient de
médiocres juristes, connaissant mal le droit et surtout la procédure. Ils jugeaient plutôt « ex requo et bono » qu'en droit, et
maintes fois la Compagnie leur rappelle un point précis de droit
à respecter.
Le Conseil Supérieur avouait d'ailleurs facilement son incompétence. Lorsqu'il était juge d'appel du Conseil Provincial
de l'lIe de France il avait déjà demandé à être déchargé de ses
fonctions n'étant point au fait de toutes les subtilités de la science
juridique. li déclare très nettement dans une lettre du 31 décembre 1735 (1) : « la forme judiciaire s'inculque beaucoup mieux
par la pratique que par l'étude >, il ajoute que « le fond doit
prévaloir sur la forme, surtout dans ces îles où il n'est pas
possible qu'on fasse les procédures avec la même régularité
qu'en France >. Une lettre du 14 janvier 1734 (2) donne une
idée du style judiciaire du Conseil Supérieur, il s'agit d'une
histoire fort compliquée et d'une réformation d'un jugement, le
Conseil déclare: « Si on osait prêter des sentiments aux choses
(1) Correspondance tome n, page 336 et 364.
(2) Correspondance tome TI, page 164.
�23
inammees, on pourrait dire que ce coffre, qui rendait jour et
nuit témoignage contre ce soldat, criait vengeance contre lui,
consterné et gémissant d'être relégué da ns un coin du greffe. >
C'est ainsi qu'il n'hésita pas pour un délit d'arrachage de
caféiers à prononcer la peine de mort, il fallut que la compagnie
lui rappelât qu'il ne pouvait modifier le régime répressif (1).
Mais ce qui est plus grave peut-être c'est que les justiciables
avaient très peu confiance dans la valeur de la justice ainsi
rendue. Le Conseil Supérieur se plaint à maintes reprises de ce
que ses arrêts ne soient pas respectés et que la plupart des
parties perdantes vont en cassation devant le Conseil du Roi et
sont satisfaites des résultats de leurs recours. En effet, comme le
rappelle une lettre de la Compagnie en date du 31 octobre 1727 :
« Pour la justice tant civile que criminelle, il (le Conseil Supérieur) n'est subordonné qu'à Sa Majesté >. Les habitants multipliaient les libeUes et les protestations contre les décisions qui
leur étaient défavorables et, en général, la Compagnie défendait
très mollement les juridictions qu'elle avait instituées. Le Conseil
Supérieur s'en plaint souvent et notamment dans une lettre du
28 mars 1729 : « le blâme que la Compagnie donne continuellement à ses employés, la facilité qu'eUe a d'ajouter foi à tout ce
que le premier venu viendra lui débiter de plus grave, même
sans aucune preuve, laisse une espérance à tous ceux qui perdent leur procès dans ces îles, de faire casser le jugement en
France, ou du moins de faire repentir leurs juges de ne pas avoir
décidé en leur faveur .•
La Compagnie s'en émut et recommanda au Conseil Supérieur dans une lettre du 25 mars 1741 (2) de: « rédiger soigneusement les arrêts et de respecter la procédure, par le train que
les habitants DOt pris de se pourvoir en cassation et de Je fa ire
avec succès ».
Mais plus intéressantes sont à relever les prérogatives de la
Compagnie qui ressortissent normalement de la compétence et
de la puissance publique.
~.
Parmi ses droits souverains, la Compagnie possédait celui
de battre monnaie. Même si elle n'en usait pas matériellement,
elle l'utilisait pour donner aux espèces un cours qu'eUe fixait
souverainement. C'est ainsi qu'à Bourbon les espèces habituelles
circulant en France avaient une valeur spéculative supérieure;
la livre forte, monnaie de compte habituelle à Bourbon, valait
..
.',
(1) Correspondance tome J, page 13.
(2) Correspondance tome ln, page 175.
�24
3 livres 12 sols françaises (voir Mémoire page 183). Ce système
permettait à la Compagnie de faire des bénéfices sur les différences de cours.
La Compagnie, en recevant l'TIe de Bourbon, était devenue
Seigneur, c'est-à-dire propriétaire de l'TIe, elle possédait sur elle
le domaine éminent. Elle concéda ensuite le domaine utile sur des
portions de terrain aux habitants le plus souvent gracieusement, moyennant une redevance minime, et à charge pour le
concessionnaire de mettre en culture sa concession. C'était là une
des origines des dettes des créoles envers la Compagnie.
Les renseignements sur la tenure des terres sont nombreux,
..
.~
surtout au début de notre période, car, très rapidement, toutes
les terres cultivables furent concédées. La Compagnie ne chercha
plus à importer des colons faute de terres, les concessions antérieures permettant déjà difficilement aux nombreuses familles
créoles de vivre.
L'étendue moyenne des concessions nous est signalée dans
une lettre du 22 janvier 1724 (1) où l'on voit que la Compagnie
se réserve le long de la mer une bande de 50 pas géométriques.
Ces concessions étaient retirées si les titulaires ne les exploitaient pas et surtout ne plantaient pas de café. Le Conseil Supérieur se montrait particulièrement dur dans l'appréciation de cette
charge, la Compagnie le rappelle à l'ordre le 20 octobre 1725 (2)
car il avait établi la peine de mort contre les concessionnaires
qui arrachent les plants de café. « vous avez excédé en cela
l'autorité du Conseil >. Le 23 octobre 1730 (3) elle recommanda
de « tenir sévèrement la main à ce que les contrats de concessions
soient exécutés dans tout leur contenu :. . Retirer les terres à ceux
qui ne les ont pas mises en valeur « si cela provient de leur paresse ou mauvaise volonté, mais, au besoin donner encore un
nouveau délai en leur faisant les avances et crédit que la Compagnie a réglés pour tous >.
Les concessions donnaient lieu à la perception d'un droit
annuel assez faible . Le 31 octobre 1727 (4) la Compagnie fixa
le régime fiscal des concessions; les concessions sont gratuites
sauf « redevance de quelques volailles ou pièces de menu bétail,
(1) Correspondance tome l, page 2. « Comme le dessin dudit sei- gneur lupin est de se faire habitant, la Compagnie vous prie de Ipi accorder une concession de mil pas géométriques en carré, dans l'endroit qu'il
jugera à propos, en réservant cependant que ce ne soit pas un terrain
destiné pour la Compagnie et en réservant les 50 pas de la Compagnie :t .
(2) Correspondance tome l, page 12.
(3) Correspondance tome l , page 110.
(4) Correspondance tome l, page 60.
l
�25
et des lots et ventes au profit de la Compagnie, le tout suivant
et conformément à la coutume de Paris qui doit être établie ...
Les concessions sont déchargées de tout droit et redevance de
quelque autre nature que ce puisse être à l'exception de 4 onces
de café par arpent >.
Les habitants avaient éprouvé quelques craintes quant au
caractère perpétuel de leurs concessions et ils craignaient qu'à
leur mort elles ne passent pas à leurs héritiers. Le 31 octobre
1727 (1) la Compagnie définit les conditions d'une transmission
des héritages: « assurer publiquement les habitants que les terres
qui leur ont été et leur seront concédées passeront sans aucune
difficulté à leurs enfants nés et à naître en légitime mariage, ou
à leurs ayants-cause, pourvu qu'elles soient en culture, telle que
la nature du terrain le requiert à la charge seulement pour les
concessionnaires de payer pour redevance annuelle, 4 onces par
arpent, tant de café que de poivrier, cannelier et autres drogne-
•
ries et épiceries. >
On voit que ce régime est très proche de celui de la cen-
.•
sive de France; c'est une tenue roturière, qui donne au tenanoier
le droit de cultiver la parcelle concédée, et au concédant le droit
de prélever un cens annuel, et de bénéficier de certaines corvées.
La concession est transmissible héréditairement et son aliénation
donne lieu à la perception d'un droit de mutation, les lots et
ventes, comme dans notre cas.
Enfin un problème important fut celui du bornage des
concessions et de l'établissement d'un cadastre de l'île. La
Compagnie y tenait beaucoup car « ce papier terrier > permettait
de régler bien des contestations, autrement insolubles. Ce relevé
avait été fait par le Conseil Supérieur mais la Compagnie le
critiqua et le fit refaire (2) car < les mesures employées étaient
diverses > elle précise que : « toute terre doit être tenue en vertu
d'un contrat de concessions et assujettie au droit seigneurial de
4 onces de café par arpent >, elle envoya un arpenteur pour
dresser le terrier.
Une des questions les plus importantes de cette étude du
comportement de la Compagnie comme Seigneur de Bourbon
est celle des corvées qu'elle avait le droit d'exiger des habitants.
Les protestations contre le poids de cette cbarge pour l'habitant,
contre la dureté dans l'exigence de ces prestations sont innombrables et nous verrons que ce sont de semblables problèmes qui
ont motivé une agitation profonde et presque révolutionnaire
'.
(1) Correspondance tome 1, page 42.
(2) Lettre du 7 novembre 1732, correspondance tome 11, page 97.
�26
,
parmi les habitants. Ceux-ci sont allés jusqu'à se réunir en assemblées qui ont élu des députés et les ont envoyés à Paris pour
discuter de la réduction des corvées, cela annonce déjà l'esprit
de la fin du 18'"" siècle et des sujets du roi en 1789 : on envoie
des députés pour protester et éclairer le Seigneur sur les difficultés qu'éprouvent ses sujets, on ne songe point encore à nier
le droit du seigneur. mais les prémices de ce comportement se
font déjà sentir.
En ce domaine comme en bien d'autres la politique de la
Compagnie fut incohérente, exigeant un jour toutes les corvées
sans égard aux difficultés des habitants, l'autre jour recommandant la modération (1).
Un exposé complet de la question est nécessaire, nous ne
pourrions mieux le faire qu'en démarquant étroitement un passage de la lettre du Conseil Supérieur du 24 février 1738 (2)
tous les renseignements et les citations qui suivent en sont issus.
On sent au sérieux et à la modération des termes combien la
question est grave. La lettre distingue plusieurs sortes de corvées
qu'elle étudie en autant de chapitres, reprenons les:
CHAP.
1. -
DES CORVÉES ORDINAIRES ET SEIGNEURIALES
Les premières furent établies en 1724 et fixées à deux journées de corvées par tête de noir, « généralement quelconque ~
(c'est-à-dire qu'elles pesaient à la fois sur les nègres, les négresses, les négrillons et les négrittes) une partie était employée
pour les chemins.
En 1726, le Conseil Supérieur se contenta de deux journées
par tête de noir « travaillant > (c'est-à-dire, par mâle de 15 à
60 ans.
En 1731 sur la députation de deux habitants à la Compagnie celle-ci décide de ne maintenir que deux journées par tête
de noirs travaillant et les employer aux chemins et travaux publics.
Mais en 1737 , la Compagnie fixe à nouveau les corvées à
(1) C'est ainsi que Je 14 février 17 39 (Cité par Lougnon in Mem.
page 118) eUe déclare: « Quant aux corvées de noi rs, elles sont exigées
avec trop de violence, il est bon qu'elles ne subsistent plus et que vous
ayez fait rendre aux habitants leurs noirs :t .
(2) Correspondance tome Uf-2, page 85 à 106.
�l'
27
deux journées par tête de noir généralement quelconque, d'où
les protestations des colons.
La corvée est fondée sur le droit seigneurial de la Compagnie, mais il ne faut pas modifier continuellement les redevances
dues par les concessionnaires « parce que tel que puisse être le
droit d'un seigneur sur son vassal et quelque raisonnable que
soit la dépendance de ce dernier, il semble cependant que le droit
naturel exige que le seigneur constate une bonne fois les redevances, servitudes, impositions, enfin toutes les conditions auxquelles il concède sa terre parce que s'il avait la faculté de les
augmenter ad nutum et en tout temps, les charges pourraient
à la fin ... excéder le prix de cette même terre défrichée et mise
en valeur par les soins du vassal ». C'est pourquoi le Conseil
Supérieur demande que le taux des corvéès soit fixé définitivement. Il signale qu'en 1737 cette prestation représentait 12.224
journées de travail c'est-à-dire 7.122 livres, à 10 sols la journée
« qui est le plus bas prix >.
•
CHAP.
n. -
CORVÉES EXTRAORDINATRES
Elles sont de trois sortes:
-
les corvées extraordinaires proprement dites « elles sont
de droit naturel >; elles jouent lors des calamités et des naufrages;
-
les corvées relatives aux chemins et fortifications. Elles
sont utiles pour tous car elles servent à l'entretien et à l'établisse-
'.
,,
;. -?
ment des grands chemins. Elles sont fixées à 6 journées de travail par tête de noirs généralement quelconque. La Compagnie
bien qu'elle possède 260 noirs n'en a fourni aucun, caf elle a
fourni les vivres et les matériaux. Les habitants traitent « pas
moins que de vol et de concussion l'exaction des corvées qu'on
les oblige à fournir à cet égard . >;
- les corvées relatives aux bâtiments particuliers de 1a
Compagnie: « l'habitant s'en plaint avec le plus d'aigreur, il est
au moins en partie fondé >. Elles se justifient parce que la Compagnie a fait des crédits à long terme sans intérêt et « l'habitant
à un intérêt sensible à ces bâtiments >, Mais l'habitant répon-d
que: « le premier mobile des crédits peut avoir été le bien de
l'Etat, qui se trouvait intéressé à l'établissement d'une île assez
vaste pour représenter un objet de multiplication des sujets de
Sa Majesté >; de plus la Compagnie vend les noirs et les mar-
�28
chandises à très bon prix et « par ce crédit fait sans intérêt elle
leur (les habitants) a transmis le domaine direct qu'elle avait sur
les noirs de traite pour les en rendre légitimes propriétaires. >.
Dans ces textes apparait nettement le caractère inadmissible
du droit seigneurial de bénéficier des corvées fournies par les
sujets. On sent dans ces lignes qu'un ordre ancien est mis en
cause par ceux qui sont soumis et que, dû cet ordre demeurer
encore longtemps, il n'est plus considéré comme entièrement
légitime.
2. -
--
Qualification juridique des droits de la Compagnie
De cette étude dispersée des manifestations pratiques du
rôle de Seigneur de l'Ile que joue la Compagnie des Indes,
peut-on tirer une définition précise de la nature juridique des
liens unissant Bourbon à la Compagnie? Il ne semble pas. Cela
pour deux raisons : la première est que nulle part dans la correspondance on ne voit apparaître une définition claire et précise
de ces liens, il semble que d'un côté comme de l'autre, on s'entende sur l'essentiel laissant le règlement des questions litigieuses
aux soins d'une discussion assez libre entre la Compagnie et ses
administrés.
Mais d'autre part, cela vient de ce que ces liens sont
complexes étant la résultante d'un certain nombre d'éléments que
nous voudrions préciser.
On sait que la vie économique de l'Ancien Régime est enserrée dans des cadres très précis, l'industrie et le commerce ne
sont pas libres, ils sont réglementés. A la fin du 18m o siècle les
cadres traditionnels de la vie économique sont le métier réglé
et le métier juré, mais à ce moment apparaît une autre forme
de métier: le métier privilégié; par une dérogation à la police
du commerce et de l'industrie, le Roi accorde à une personne le
privilège d'exercer une activité de ce geure en dehors de la
communauté correspondante. Ce privilège permet d'échapper
aux règles corporatives trop étroites, il a permis le développement de la grande industrie au début du 18mo siècle, les cadres
anciens ne convenant qu'à une économie artisanale.
Appliqué à l'industrie nouvelle le métier privilégié devient
la manufacture royale. COLBERT la développa et au 18m ' siècle,
elle correspond à un régime juridique précis. C'est, dit Olivier
MARTIN, « un grand établissement industriel, créé par un privilège que le Roi accorde à une personne ou plusieurs associés,
elle est installée dans un lieu déterminé et pour des fabrications
�29
bien spécifiées dont elle a le monopole dans sa sphère d'action,
avec des débouchés qui lui sont réservés. Le Roi lui confère
des exemptions ficales et la subventionne, mais elle reste une
entreprise privée, travaillant à ses risques dont le capital est
fourni par des nobles ou des bourgeois riches groupés en société • (1).
Les lettres patentes accordées par le Roi à la Compagnie
des Indes font de cette société financière une mannfacture
royale. La chose est certaine et dans ses réquisitions devant le
Parlement de Paris le 12 mars 1776, l'Avocat du Roi Louis
SÉGNIER cite la Compagnie parmi les grands corps de la Nation:
< Tous vos sujets, Sire, sont divisés en autant de corps différents
qu'il y a d'états différents dans le royaume: le Clergé, la Noblesse, les Officiers attachés à ces tribunaux, les Universités, les
Académies, les Compagnies de Finances, les Compagnies de
Commerce, tout, présente, et dans les parties de l'Etat, des corps
•
existants, qu'on peut regarder comme les anneaux d'une chaîne
dont le premier est dans les mains de Votre Majesté comme chef
et souverain de tout ce qui constitue le corps de la Nation > (2).
"
•
Mais il serait faux de vouloir placer la Compagnie seulement au rang de la société privilégiée; en effet, nous avons vu
qu'elle possédait des prérogatives de puissance publique absolument exorbitantes de celles concédées à un particulier dans la
notion moderne de l'Etat qui était déjà en partie celle des trois
derniers siècles de la monarchie.
Il semble que la royauté ait utilisé une technique juridique
de type féodal pour réaliser des buts très pratiques. En effet, le
but de la royauté en concédant ces privilèges et son monopole
à la Compagnie était certes de donner à un commerçant un
statut juridique assez souple et cependant protecteur pour développer le commerce de l'Inde, mais il était aussi d'assurer l'intérêt
général du royaume, d'une part en facilitant ce commerce, d'autre
part en encourageant la création de comptoirs de commerce et
de colonies de plantation et d'exploitation dont l'établissement
aurait été une trop lourde charge pour la couronne. Il est certain que l'octroi du privilège n'allait pas sans contrepartie qui
était la charge d'assurer la présence française en Inde et dans
les Amériques, la couronne n'ayant pas le goût ou les moyens
de le faire eUe-même. Par là même, la Compagnie se voyait
conférer sur des territoires et sur des personnes des prérogativesqui au 18 me siècle ne pouvaient être disposées qu'entre les mains
(1) OJivier MARTIN. -
(2) Cité dans Olivier
Histoire du Droit Français, 1951, page 623.
p. 623.
MARTlN,
�30
du détenteur de la souveraineté, c'est-à-dire le ROI. Des nécessités pratiques imposaient cette dérogation à la notion monarchique de l'Etat; cependant un ordre étatique permettait cette
division de la souveraineté, cette remise de la puissance souveraine à un particulier pour qu'il l'exerce sur un territoire déterminé et sur les personnes y résidant, c'est l'ordre féodal, c'est la
seigneurie du type féodal.
En ce sens, il apparait que la Compagnie avait sur les
terres qui lui étaient remises et SUI les individus qui relevaient
d'eUe des prérogatives de puissance souveraine; une seigneurie
lui avait été remise par le Roi, comme en fief.
Nous pensons que cette analyse est la seule qui permette
vraiment de rendre compte de phénomène comme celui du droit
de haute et basse justice de la Compagnie, du droit de battre
monnaie, d'exiger des corvées, de bénéficier des lots et ventes,
etc ... et de termes comme ceux employés souvent dans ]a correspondance < La Compagnie en tant que Seigneur de l'Ile ... >.
D'ailleurs il est curieux de voir combien l'étude approfondie
que fait Charles LOYSEAU de ce phénomène de démembrement de
la souveraineté dans la société féodale, dans son livre: « Des
seigneuries ;) permet de mieux comprendre la nature juridique
des droits de la Compagnie. La seigneurie publique, rappelle-t-i1
dans son avant-propos « n'est qu'un droit intellectuel et une
autorité qu'on a sur les personnes libres et les choses possédées
par autrui :) , mais il montre ensuite que maintenant seigneurie
et propriété vont de pair de sorle dit-il (1) que le terme seigneurie a deux significations: « l'une de signifier in abstracto tout
droit de propriété, ou puissance propriétaire qu'on a sur une
chose, qu'a l'occasion d'icelle, on peut dire sienne. L'autre de
signifier in concreto une terre seigneuriale. Donc la seigneurie
en cette générale signification est définie « Puissance en propriété :) .
Plus loin il écrit (2) : « parlons maintenant de la Seigneurie
prise in concreto qui étant formée de la rencontre de la seigneurie publique et privée ... signifie une terre seigneuriale en laquelle
ces deux seigneuries se rencontrent, et principalement s'y trouve
la publique ... Proprement la Seigneurie ou terre seigneuriale est
celle qui est douée de seigneurie publique, c'est-à-dire de puissance publique en propriété ... Les suzeraines sont celles 'Lui ont
puissance supérieure, et non suprême, mais subalterne. Les souveraines... sont celles qui ont puissance souveraine , .
( 1) De s seigneuries. chapitre l , page 5.
(2) Chapitre Il, page 1 J.
l
�31
Ainsi apparait-il que la Compagnie possède une seigneurie
SOD domaine colonial.
Il est enfin curieux de noter que LOYSEAU après avoir rappelé que les démembrements de la seigneurie ont été le fait
d'usurpations, précise: c autre que le Roi ne peut créer des seigneuries, ni exiger des justices nouvelles. :t
Ainsi la Compagnie qui dans les textes n'est que bénéficiaire d'un privilège de manufacture royale, possède en fait et
dans l'esprit de tous la seigneurie suzeraine de son domaine
colonial. On peut dire qu'elle est au plein sens du terme seigneur
suzerain féodal de Bourbon.
suzeraine sur
•
Que conclure de cela ? Qu'une partie de l'activité de la
Compagnie entrait facilement dans le cadre juridique nouveau
de la manufacture royale, c'est son activité commerciale, mais
que son activité proprement colonisatrice (établissement de colonies, leur administration) qui normalement aurait dû relever de
la Couronne, de l'Etat, ne pouvait trouver son expression juridique que dans les cadres féodaux, désuets en France, de la
·concession en fief d'une seigneurie. Ces cadres archaïques
correspondaient mal au caractère déjà profondément capitaliste
et donc économiquement nouveau de la Compagnie; ils ne correspondaient surtout plus à l'état d'esprit des hommes animant ces
institutions. De là les heurts entre les habitants et la Compagnie
et les antinomies entre le rappel de la seigneurie de la Compagnie
et l'invocation du droit naturel supérieur, comme nous l'avons
vu lors de l'affaire des corvées.
Un des intérêts essentiels de cette étude est d'ailleurs de
montrer la lutte entre les définitions juridiques anciennes et les
manifestations des concepts nouveaux ou les impératifs économiques.
B. -
1. -
..
,
VIE INTERNE
La situation économique
La vie économique est avant tout agricole. Les seuls producteurs sont les habitants et les seules productions sont agricoles. Nous avons vu déjà que le cadre juridique essentiel en ce
qui concerne le problème des terres est la concession du même
type que la censive en France, que les questions financières
sont dominées par le droit de battre monnaie, nous traiterons
seulement ici l'aspect économique de ces problèmes.
�32
Les monnaies manuelles étaient très nombreuses, chose
habituelle sous l'Ancien Régime. Les lettres font état de très
nombreuses sortes de monnaies, piastres, thaels, phanons, pièces
de cuivre, cauris même (petits coquillages servant de monnaies
dans toute l'Afrique) etc ..
Le problème le plus important dans ce domaine est celui
du manque d'espèces. Le Conseil Supérieur se plaint continuellement de n'avoir aucune espèce en caisse et la Compagnie répond
invariablement qu'elle en fait passer des quantités énormes. li
est certain qu'une partie des espèces s'évadait par les moyens
du commerce interlope, mais jamais les îles ne furent suffisamment pourvues en numéraires (1).
Pour pallier cette carence, le Conseil Supérieur imagina
deux moyens. li songea d'abord à payer les gens rentrant en
France en lettres de change tirées sur la Compagnie à Paris.
Mais celle-ci s'en émut, et le 8 février 1733 elle interdit de tirer
sur elle «autrement que pour valeur de piastres remises à la
caisse de Bourbon ou pour du café livré aux magasins >. Souvent
ensuite elle sera amenée à répéter cet ordre.
Mais ce paillatif ne remédiait pas à la pénurie d'espèces
dans l'Ile. Le Conseil Supérieur imagina alors de créer des billets
de caisse qui représenteraient la contre partie en espèces de
versements de café faits à la Compagnie par les habitants; ces
billets jouaient entre les habitants un rôle de papier monnaie. La
Compagnie après avoir prescrit le 17 février 1738 de brûler
publiquement ces billets de caisse introduits « pour faciliter les
paiements continuels qui se font entre les habitants et mettre en
état de se liquider les uns avec les autres >, permit qu'on les fit
en parchemin ce qui leur donnait une solidité pratique significative. Le 25 mars 1741 (2) elle prescrivait . nonobstant nos
ordres précis, d'en créer de nouveaux >. On en fit pour 300000
livres en moyenne par an.
D'ailleurs les habitants avaient surmonté ce manque de
monnaie en utilisant le café comme monnaie de remplacement (3) : « les 15/ 16"'" des ventes ou achats qu'ils font entre
eux se font en café, et on peut l'appeler la monnaie courante
"
'"
(1) Le 20 décembre 1737 (cor. tome D, page 149) le Conseil supérieur signale qu'il reçoit en moyenne par an 16000 livres, ce qui est
insuffisant; 4: il faudrait que nous eussions trouvé la pierre prulosophale
ou quelque nouveau système pour continue r à faire mouvoir les différentes opérations dont nous sommes chargés :t.
(2) Correspondance tome rn-l . page 167.
(3) C'est ce que déclare le Conseil supérieur le 3 avril 1734, correspondance tome II, page 193.
�33
-,
T
, -
r
.. ,
du pays. >. Aussi malgré la demande de Bourbon le 24 février
1738 de créer « une monnaie à légende frappée exprès pour les
TIes, avec un arrêt du Conseil du Roi, pour lui donner le COUIS
que la Compagnie estimera convenable >, la Compagnie ne crut
pas devoir tenir compte de cette suggestion.
D'ailleurs il ne faudrait pas s'exagérer l'influence sur la vie
économique de ce manque de capitaux. n a freiné le développement économique de l'TIe, en empêchant les habitants de s'équiper, d'acheter des noirs notamment, ainsi que des biens de
consommation courante, mais il a été plus une gêne dans la vie
courante qu'un handicap économique. TI n'apparaît pas dans les
lettres qu'un administrateur ou un colon ait jamais entrevu une
politique économique hardie d'expansion générale et d'exploitation . Un tel homme aurait eu du mal à réaliser ses vues, faute
de capitaux, mais il n'a pas existé. LA BOURDONNAIS lui-même,
qui est le gouverneur le plus audacieux, ne parle de la pénurie
d'argent que comme un grave ennui pour une bonne administration.
Il reste à dire quelques mots de la question des routes,
question fort importante dans une étude du cadre économique
d'une région, mais qui, à Bourbon, ne joua pas de rôle important, étant donné la difficulté d'établir des voies de communication d'un quartier à l'autre. C'est ce que souligne LA BOURDONNAIS: «Je sais que de la facilité de transport dépend la richesse
des habitants de ce pays, mais l'idée de se procurer cette commodité, paraisait impossible surtout à l'Ile Bourbon, par rapport aux
montagnes... C'est encore un travail de quinze années à 200
noirs pour avoir dans les nes tous les chemins qui sont nécessaires à la commodité publique (1).
Les habitants de Bourbon cultivaient deux sortes de produits; ceux destinés à leur propre consommation et au ravitaillement des vaisseaux et ceux destinés à l'exportation et à la vente
en Europe ou en Inde. Les seconds qui sont pratiquement des
cultures spéculatives présentent un intérêt particulier du fait qu'ils
forment l'essentiel des productions de l'Ile et le seul moyen pour
les habitants de trouver de l'argent et de s'enrichir. Si l'on peut
affirmer que l'TIe de Bourbon ne fut pas seulement une escale
pour le ravitaillement des vaisseaux de la Compagnie, mais aussi
une compagnie de plantation, c'est justement parce que ces pro(1) En fait, il n'existait que trois chemins convenables, dont l'établis·
sement avait exigé des prestations très dures de corvées des habitants;
ceux de St·Pierre à St·Denis, de St·Denis à Ste·Suzanne. de St-Paul à la
rivière d'Abord. L'essentiel des relations d'un point de l'Ile à l'autre se
faisait par mer.
3
�34
duits prirent de plus en plus d'importance, et finalement justifièrent un trafic propre Europe-Bourbon.
Parmi toutes les cultures, il convient de mettre à part le
café. De même qu'au ISO.' siècle les Antilles était le domaine de
la canne à sucre, Bourbon la terre du café. La place que tient ce
produit dans la correspondance est prépondérante et bien compréhensible car si les habitants comptaient sur lui pour trouver
des revenus, la Compagnie savait qu'elle ne serait jamais payé
sans lui.
.
La culture du café n'alla pas toute seule au début. L'Ile
recélait des plants de caféiers à l'état sauvage que l'on découvrit
à la fin du 17 m• siècle. mais ce n'est qu'au début du IS m • qu'on
se décida à les cultiver sérieusement et à leur faire perdre leur
caractère rustique pour les transformer en une plante cultivée et
productive.
La Compagnie prêta à cette occasion d'importantes sommes
aux habitants pour les encourager dans cette culture. Le succès
ne vint pas tout de suite couronner ses efforts, les habitants sont
indolents, et surtout inexpérimentés dans les méthodes de culture
et de traitement du caféier et de sa baie (1).
Eulin le 31 octobre 1727 (2) la Compagnie se félicitait de
l'arrivait à l'Orient de 23 SOO livres de café, « cette plantation
a eulin réussi et la Compagnie a lieu désormais d'attendre par
des récoltes plus amples à se dédommager de toutes les dépenses
qu'elle a déjà faites . >
D'ailleurs pour encourager le zèle des employés à tenir la
main à cette culture, elle les intéresse aux envois de café. Elle
accordait, en effet, un escompte de six pour cent sur le prix des
cafés exportés, à répartir entre les membres du Conseil Supérieur, suivant un barême qu'elle fixait elle-même.
Les plantations occupent à ce moment une partie très importante des terres défrichées. Mais ce ne fut jamais une culture
de tout repos. Outre que les ouragans menaçaient chaque année
de destruction une partie des plantations, il était difficile de centraliser les récoltes pour les charger sur les vaisseaux car elles
avaient lieu à des époques différentes de l'année suivant les
quartiers.
Le grand problème après la réussite de la culture fut celui
de l'amélioration de la qualité. La France consommait alors·
._0.
(1) Le 20 octobre 1725 (correspondance tome l, page 6), eUê écrit au
Conseil supérieur: c la Compagnie est lasse de vous entendre lui promettre,
depuis quatre ans, une ample récolte de café, de dépenser beaucoup dans
cette espérance, et de se voir à bout de terme aussi peu avancée que le
premier jour • .
(2) Correspondance tome l , page 26.
�35
essentiellement du café arabe de Moka; mais le café de Bourbon
était loin d'avoir l'arôme de ce dernier. Le Conseil Supérieur et
la Compagnie firent tout pour étudier les conditions de la production de café excellent; études d'échantillons, mémoires, spécialités, etc. .. tout fut mis en œuvre.
Le 20 décembre 1730 elle signale la cause essentielle, qui
désormais reviendra souvent dans la correspondance, de la médiocrité du produit de Bourbon: « le défaut du café de Bourbon
ne vient uniquement que de lui laisser contracter l'humidité,
ayant été mouillé par l'eau de pluie qui lui a fait perdre son huile
et sa qualité, et donné un goût de moisi et de relent • .
Mais il apparut bientôt que, si le café a en grande partie
assuré la prospérité économique de l'Ile, c'était un produit fort
menacé, car la concurrence était grande. Bourbon ne parvint
jamais à concurrencer le café de Moka sur le marché français,
qui lui était d'ailleurs fermé par la réglementation en vigueur. Il
était donc exporté essentiellement en Hollande et en Prusse;
mais Bourbon se vit porter un dur coup lorsque le roi permit
l'exportation concurrente sur les mêmes marchés du café de la
Martinique (1).
Pour pallier cet inconvénient il fallut chercher de nouveaux
débouchés hors d'Europe. La Compagnie recommanda (2) de
tenter des envois vers Geda et Bassora, c'est-à-dire dans les
pays proches du golfe Persique. Le 23 janvier 1736 (3) elle
signale que pourraient être acheteurs Geda, Bassora, Pondichéry,
Chandernagor et Patna.
Ces envois furent faits, notamment sur l'impulsion de LA
BOURDONNAIS mais ils échouèrent partiellement. Jamais ces
pays ne constitueraient en réalité de gros acheteurs. Devant cet
état de chose, la Compagnie se décida à renverser sa politique, à
ne plus encourager la culture du café. La production cependant
augmentait et les habitants, qui voyaient dans ce café un revenu
sûr, ne voulaient pas « reconvertir . leurs cultures (4).
La Compagnie qui trouvait de plus en plus difficilement
(1) Lettre de la Compagnie du 17 novembre 1732, correspondam;e
tome II, page 88.
(2) Le Il décembre 1734, correspondance lome II , page 202.
(3) Correspondance tome Ill-l, page 7.
(4) LA BOURDONNAIS signale la chose dans son mémoire, page 38,
c à l'égard de Bourbon je crois que les habitants n'abandonneraient pas
volontairement la culture d'une partie de leur café, parce Qu'iJs sont pour
ainsi dire assurés de sa production et de son débouché. et Qu'il ne serait
pas naturel qu'ils s'attacbent à un nouvel objet dont ils ignorent Je
travail et la réussite à moins que leur intérêt personnel ne les y engage ».
�36
acheteur pour ce café se décida à employer un moyen radical:
elle baissa les prix d'achat. Le 25 mars 1741 elle résume la
situation et annonce des mesures: « les TIes des Antilles en
produisent trois millions de livres qui se vendent seulement à dix
sols il faudrait donc acheter celui de Bourbon trois sols et le
vendre de dix à onze ... Les autres débouchés n'ayant rien donné,
il faut diminuer le prix d'achat, il sera de cinq sols en 1741,
42-43 de quatre sols en 44, de trois sols en 45 >.
Ces mesures draconiennes furent bientôt sans intérêt, car
nous le verrons, un fléau naturel détrnisit une grande partie des
plants et fit tomber à rien la production de café de l'TIe.
Dès le début la Compagnie encouragea et lança des cultures
nouvelles.
Elle avait dès 1727 essayé de répandre le poivrier en faisant venir des plants de Pondichéry; mais occupé par le café, le
Conseil supérieur n'avait pu tenir la main à cette culture qui
devait prendre tant d'ampleur par la suite. Rien ne rappelle plus
ensuite cet essai de culture du poivre.
Mais la plante sur laquelle comptait la Compagnie était
l'indigo, c'était alors un produit fort employé en France et le
débouché était assuré.
La Compagnie avait pensé au coton, et surtout au tabac (2).
Mais le 25 mars 1741 elle se résigna: « le tabac ne fera jamais
un objectif de commerce pour Bourbon >.
Nous verrons qu'après ]a ruine des caféiers, on songea à
d'autres cultures spéculatives, mais cet effort pour les plantations
ne doit pas faire oublier que, outre le café la plus importante
production agricole de Bourbon était les vivres.
En tant qu'escale, Bourbon était chargé d'avitailler les vaisseaux de la Compagnie. Pour ce faire, il fallait que l'île produisit
quantité de produits vivriers, tant végétaux qu'animaux, car en
plus de cette importante fonction, l'agriculture avait à faire face
à la nourriture de deux ou trois mille habitants et de huit à
dix mille esclaves.
La Compagnie n'a guère eu besoin d'encourager les habitants à ce travail, car les premiers défrichements furent consacrés
à la culture des produits vivriers. La nature a donné à l'TIe le
privilège de posséder à l'état sauvage un grand nombre d~ plantes
-.
(1) Le 16 janvier 1737 (correspondance tome lU-l, page 99) eUe
apprécie le premier envoi de cette herbe; il est assez bon, c mais la sauce
que l'on donne à ce tabac avant de le mettre en andouilles ... porte un
arôme de rose qu'on ne goûte point en France:t.
�37
· -...
comestibles (notamment le célèbre chou-palmiste de « Paul et
Virginie » , mais il importait surtout de les domestiquer. Le
rôle du Conseil supérieur se borna à encourager de telles cultures; dans le domaine de l'élevage, son action fut plus importante.
Les cultures vivrières de base étaient au nombre de trois :
le blé, le maïs et le riz. Nous n'avons aucun renseignement quant
aux méthodes, ou quant au rendement. Nous ignorons également
quelle sorte de plantes potagères étaient cultivées; le seul
témoignage répété plusieurs fois est celui que DE LA BOURDONNAIS donne du sol et du climat dans son mémoire page 12 : «Le
terrain de Bourbon produira ce que l'on voudra, pourvu que l'on
s'applique à choisir le climat qui convient aux différentes plantations , .
Durant la période d'expansion et de haut prix du café, un
danger menaçait cependant les cultures vivrières, c'était leur
abandon au profit de la culture du café; ce qui faisait peser
sur l'De des risques de disette (1).
Les questions d'élevage tenaient encore plus à cœur à la
Compagnie que celles de l'agriculture, car les vaisseaux avaient
surtout besoin de viande fraîche, après les salaisons de la traversée qui entraînaient le scorbut. Une partie importante des
traites sur Madagascar était consacrée à ramener dans l'De
des bovins qu'on essayait d'élever. Mais ces espèces rustiques ne
donnaient pas de lait régnlièrement et il fallut que la Compagnie
envoyât « quelques bretonnes qui d'ailleurs réussirent •.
Quant au petit élevage il comprenait tous les animaux habituels de la basse-cour, et des porcs. Les volailles étaient fort
appréciées des équipages mais jamais assez abondantes.
2. -
Situation sociale.
La population de Bourbon n'était pas une population
homogène. Certes, l'île était déserte quand on en prit possession
et aucun problème ne se posa donc de relation avec les indigènes,
mais très tôt la population se différencia en trois fractions .
Quand la Compagnie reçut Bourbon, l'île possédait déjà une
certaine population que le langage du temps ne désigne jamais
sous le nom de colons mais sous celui d'habitants ou de créoles
"
(1) LA BOURDONNAIS le signale (Mém. page 10-11) c il n'y avait
guère plus de temps (deux mois avant mon arrivée) que l'Ile de Bourbon
avait été dans une disette qui l'avait contraint d'avoir recours à un pareil
expédient (la chasse) ce qui interrompait tous les cours des opérations
et ruinait la santé des hommes; à Bourbon on ne songeait qu'au café >.
�38
(encore que ce terme ait tendu à ne désigner que les blancs nés
dans l'île et vivant en colons). La Compagnie ne concevait Bourbon que comme une escale pour son commerce, ses habitants
l'intéressaient donc assez peu et elle envoya pour organiser
l'escale et gouverner l'île un certain nombre de personnes pris
parmi ses employés. Us formèrent, dès le début, une fraction à
part, car ils vivaient du traitement payé par la Compagnie et
non de leurs plantations (même s'ils en possédaient comme LA
BOURDONNAIS par exemple) et d'autre part, et surtout, ils n'étaient
pas à demeure à Bourbon, n'y étant détachés que pour un certain
temps.
Enfin les noirs furent bientôt amenés à Bourbon. Dès qu'il
apparut que l'île était fertile et propre à des plantations spéculatives, les habitants réclamèrent l'introduction d'une main-d'œuvre
servile qui se fit de plus en plus nombreuse. Il est intéressant de
noter que les Mascareignes furent les seules colonies de la Compagnie où celle-ci eut le droit d'importer des esclaves, c'étaient
aussi les seules colonies de plantation. De plus en plus nombreux
les esclaves sont un élément important de la population.
Il serait faux de parler des classes sociales en présence d'une
telle différenciation. Mais on peut valablement parler d'une sorte
de sectionnement en castes ou en ordres tout à fait dans la tradition de l'Ancien Régime. On ne peut en effet passer d'une
catégorie à une autre. Les employés viennent de la Métropole et
y retournent, ils peuvent se faire habitants mais c'est rare, ils
n'y tiennent pas. Les habitants sont l'élément constant, ils
s'accroissent peu d'apport extérieurs tout au plus de quelques
filles orphelines envoyées pour les marier et de quelques fauxsaulniers; il ne peuvent devenir employés sans une permission
exceptionnelle de la Compagnie qu'elle accorde avec difficulté.
Les esclaves enfin ne sont pas sujets de droit, mais de simples
choses, soumises du fait de leur qualité d'êtres humains à un
régime spécial. Il n'apparaît pas qu'il y ait eu alors de noirs libres
ou d'affranchis, les plus élevés dans la hiérarchie étaient les
commandeurs, sortes d'intendants, contremaître, dirigeant leurs
camarades.
U y a donc en fait une hiérarchie réelle. Au sommet, le petit
nombre des employés ; en dessous, les habitants ; sur le plan
inférieur, la masse des esc1aves.
a) Le personnel de la Compagnie.
Normalement ce terme ne recouvre que les employés rétribués par la Compagnie à Bourbon pour gouverner et administrer
�39
l'Ile et s'occuper des affaires relatives au commerce; mais nous
l'étendrons à tous les personnels utilisés par la Compagnie, c'està-dire, en outre aux ouvriers, aux matelôts et aux soldats.
Les plus importants de l'ne étaient les employés de commerce et d'administration, c'est-à-dire les membres du Conseil
supérieur et le personnel subordonné. Nous avons peu de choses
-
•
à dire SUI eux ; ils étaient assez peu nombreux et comme partout
dans la Compagnie, hiérarchisés.
Mais la Compagnie pour construire ses magasins, pour
réparer les bateaux, pour entretenir les armes des soldats et
celles destinées à la traite, etc. avait besoin d'un certain nombre
d'ouvriers qu'elle ne pouvait trouver parmi les habitants, car
ceux-ci se consacraient uniquement à l'agriculture et auraient
pensé déchoir en pratiquant un métier manuel.
Elle fut donc obligée de faire venir de France, à ses frais,
et d'entretenir, un certain nombre d'ouvriers dont la situation
était identique à celle des artisans d'alors en France; c'étaient des
maîtres et ceux-ci essayent sur place de former des apprentis et
des compagnons, principalement parmi les noirs. Les lettres sont
pleines de doléances sur leur compte et sur l'incapacité des
noirs à apprendre un métier, ainsi que sur la paresse des créoles
refusant de devenir artisans (1).
D'ailleurs devant le coût excessif que représentait pour elle
J'exécution de tous les travaux en régie, par des ouvriers commandés et payés par elle, la Compagnie se décida à approuver
que les travaux publics au moins (routes, magasins, port, fortifications ... ) soient effectués à l'entreprise (2).
Pour les matelots la correspondance contient peu de renseignements originaux. On sait que le Conseil supérieur était le
supérieur des Capitaines des vaisseaux et pouvait leur donner des
ordres pendant la période où ils mouillaient dans l'Ile. LA BOURDONNAIS Y est très favorable et il affirme fortement dans son
mémoire page 69; « plus les marins seront subordonnés aux
conseils, plus les opérations se feront rondement, et moins il y
aura de querelles • . Cela créait toutefois de fréquentes querelles
(1) LA BOURDONNAIS nole dans son Mémoire (page 33) : c les ouvriers
étaient accoutumés à l'ivrognerie et à la licence, fruits d'une grande
oisiveté~. Et le Conseil supérieur dans une leure du 15 février 1750
(Cor. tome 5, page 245) signale qu'il a retenu d'office dans l'ne un
charpentier sur un vaisseau, car dit-il c il est si rare de trouver un ouvrier
qui ne soit pas ivrogne et mauvais sujet que nous avons cru devoir retenir
celui-là ~ .
(2) Lettre du 12 ianv. 1737, lome ill-\.
~
�40
•
et des protestations nombreuses, tant du Conseil supérieur que
des Capitaines, auprès de la Compagnie.
En ce qui concerne les soldats, la Compagnie possédait dans
ses prérogatives de puissance publique le droit d'en entretenir.
Cette armée autonome, la Compagnie la recrutait et l'organisait
elle-même. Elle entretenait à Bourbon deux Compagnies qui
ne furent d'ailleurs jamais au complet (1).
Le rôle de ces soldats était triple. Ils étaient d'abord chargés
de surveiller les côtes et les ports où mouillaient les navires pour
éviter le déchargement en fraude des marchandises du commerce
interlope; en second lieu, ils montaient la garde autour des magasins et entrepôts de la Compagnie pour éviter le vol ou les rapines
surtout de la part des esclaves; enfin, rôle très important, ils
pourchassaient et tentaient d'exterminer les esclaves marrons. Ils
étaient d'ailleurs aidés dans cette tâche par les habitants.
En somme, ils avaient un rôle de police, étant surtout douaniers et gendarmes. Ils assuraient d'une manière générale la
sécurité et la tranquillité de l'Ile.
Contrairement à ce qui se passait en France les fonctions
et les emplois à la Compagnie n'étaient pas constitués en offices,
ni soumis à patrimonialité. Les employés de la Compagnie sont
dans une situation très proche du droit moderne. Ils sont à la
fois soumis à un régime contractuel et à un régime statuaire (un
peu analogue à celui des fonctionnaires artisans) qui se marque
par quelques particularités de leur condition juridique. Mais leur
condition est déjà très moderne et c'est un des traits originaux de
cette étude que de montrer des phénomènes modernes se déroulant dans un cadre ancien.
Le principe général qui commandait toute l'administration
et le gouvernement des possessions de la Compagnie était celui de
la prééminence du pouvoir civil. Ce sont les instances civiles
(gouverneur général, directeur du commerce, Conseil supérieur)
qui sont souverains et qui commandent aux autres (équipages,
troupes). La Compagnie le rappelle en ces termes dans une
lettre du 25 janvier 1729: • de manière que les officiers ne
puissent s'immiscer que dans le militaire à peine de destitution de
leur emploi >.
En ce qui concerne l'avancement des personnels qu'elleemployait (employés de commerce, équipage, soldats) la _Compagnie appliquait systématiquement le principe de l'ancienneté. Les
-,
(1) Lettre du 24 février 1738 : il signale qu'il manque 75 hommes
pour compléter les deux compagnies.
�41.
études générales sur la Compagnie ont abondamment parlé des
différentes fonctions et leur biérarchie dans cette sorte de
«cursus honorum:) commercial que constituaient une carrière
au service de la Compagnie.
Par contre à propos de l'avancement à l'ancienneté, des vues
intéressantes sont émises par LA BOURDONNAIS (1) qui critique
le système, non sans marquer les dangers de l'avancement au
mérite; il fait sa démonstration à propos des matelôts; «de
quelque façon que les choses se tournent ils sont sûrs d'être
également avancés, ce qui fait conjecturer que ce corps deviendra
avec le temps très faible ... d'un autre côté, je sens que le remède
est sujet à bien des inconvénients, que voulant rendre justice au
mérite, on ouvre la porte à la faveur, ce qui serait aussi dange-
reux et moins supportable que l'avancement à l'ancienneté ...
cependant ce corps tombe insensiblement dans l'incapacité, voilà
le grand mal et qu'il faut éviter ... il importe beaucoup au bien de
l'Etat '.
La Compagnie l'avait d'ailleurs senti, dans une lettre du
11 décembre 1734 (2) elle atténue cette règle; «non qu'elle
entende qu'un soldat, qui par des qualités personnelles se soit
rendu capable de tout autre chose ne doive être avancé en
proportion de son mérite et de son travail, mais il ne convient
aucunement qu'il soit nommé à certains postes dans le même
endroit où son premier état soit connu à moins que la naissance
y supplée il faut le transplanter dans d'autres comptoirs ».
Une autre idée moderne fait son apparition dans la correspondance c'est celle d'incapacités spéciales frappant les administrateurs d'une colonie, dans le territoire de cette colonie, notamment en ce qui concerne l'interdiction d'y acheter ou d'y vendre
des biens importants, comme des concessions d'esclaves. Les
employés supérieurs y étaient très attachés, car comme le dit LA
BOURDONNAIS (3) «on ne vient aux Indes que pour en faire
(des affaires); l'opinion contraire ne peut être exigée, n'étant pas
naturelle • . Cependant sans l'interdire absolument, ce qui semblait impossible, la Compagnie approuve les employés qui se
défont de leurs habitations (4).
•
(1) Mémoire page 70.
(2) Correspondance tome n, page 237.
(3) Mémoire page 70.
(4) Voir une lettre du 27 juin 1741 (correspondance tome IV, p. 32)
où la Compagnie approuve le Gouverneur particulier de Bourbon: c de
s'être défait de son habitation, ne trouvant pas convenable que ceux
qui sont chargés de ses affaires, notamment à Bourbon, aient quelques
intérêts à ménager avec les habitants ». Quelques années plus tard
�42
Malgré la règle qui voulait que la Compagnie ne recrutât
ses employés et ses matelots qu'en Europe, il apparut nécessaire
de donner une activité aux enfants des créoles, nombreux et
oisifs; c'est pourquoi on les admit sur les vaisseaux de la Compagnie « comme enseignes ad honores ou élèves pilotins ».
Qu'elle était la valeur de ce personnel? La question présente
un intérêt dans les documents dépouillés, car ils abondent en
jugements et remarques sur la valeur professionnelle et morale
des employés, des matelots et des soldats.
D'une manière générale, il semble bien que l'ensemble du
personnel était à la fois d'une moralité et d'une compétence douteuses. Certes, les récriminations de la Compagnie ne suffiraient
pas pour prouver cela, le plus grave est qu'elles concordent avec
les libellés et les protestations des habitants, avec le témoignage
de LA BOURDONNAIS, avec d'innombrables annotations qui émaillent çà et là la correspondance. li ne semble pas cependant que
les membres du Conseil supérieur ou les employés aient été malhonnêtes (1).
. '.
..
Certes, LA BOURDONNAIS dans son mémoire (2) se défend
longnement des accusations de malversations portées contre lui; il
s'élève contre les soupçons de la Compagnie relatifs à • un
commerce qui peut n'être ou n'être pas, et qui dans le fond,
quand il serait ne peut faire tort à la Compagnie » (3).
Mais il s'agit là plus d'une utilisation d'une situation favorable à des intérêts particuliers, que d'un véritable détournement
de fonds.
Par contre les reproches adressés par la Compagnie à ses
employés en ce qui concerne leur compétence professionnelle sont
(10 novembre 1749, cor. tome V , page 183) la Compagnie interdit à
ses employés c de vendre les habitations qu'ils auront à moins qu'ils ne
quittent absolument le séjour des deux lies ~, le Conseil supérieur protesta: ce serait rendre le sort de vos employés infiniment inférieur à
celui du moindre de vos habitants. TI ne semble pas que la mesure ait
été appliquée.
(1) Toutefois une lettre du 12 mars 1734 (cor. tome II, p. 184) où
l'on voit un employé important, depuis dix ans au service de la Compagnie,
arrêté et mis en liberté sous caution à cause d'un découvert de 12 736 livres
dans la caisse qu'il gérait. sans qu'il puisse l'expliquer et une remarque ·
de la Compagnie dans une lettre du 31 octobre 1727 (cor. tome l, p. 41):
c mais il a plu à ceux qui ont ci-devant administré ses affaires de
tourner à leur profit tout l'utile de son habitation jusqu'à employer ses
noirs à leurs services particuliers ~.
(2) Mémoire page 53 et suivantes .
(3) Il ajoute d'ailleurs: c je ne me cachais point d'avoir plusieurs
affaires particulières :t .
�43
~
..
."
•
•
constants: le 10 octobre 1725 (1) elle déclare: « La Compagnie
n'a pas lieu d'être satisfaite de la conduite qu'ont tenue jusqu'à
présent ses employés de l'Ile de Bourbon . ; dans une lettre de
janvier ou février 1736 (2) elle parle de « leur ignorance crasse ...
il serait à souhaiter... que ceux qui sont employés en cette qualité
fussent capables du détail attaché à leurs fonctions et qu'ils pensent à ne pas se croire déshonoré en s'en acquittant .. .
Les habitants avaient protesté également contre l'Administration du Conseil supérieur.
Pour prouver la gabegie qui régnait trop souvent dans les
affaires de l'Ile, nous nous contenterons de prendre l'exemple
des hôpitaux qui étaient sous l'Administration du Conseil supérieur. Les témoignages sont unanimes pour stigmatiser la situation
scandaleuse dans laquelle ils se trouvaient. C'est la Compagnie
qui le II décembre 1734 rappelle sa carence au Conseil supérieur « plusieurs matelots débarqués des navires, scorbutiques
et hors d'état de se traîner, étaient restés plusieurs heures sur les
sables, exposés à l'ardeur du soleil, avant que personne ne se
présentât pour les porter dans une maison • . LA BOURDONNAIS
se défend d'ailleurs assez maladroitement sur ce point: « il n'en
est pas de même dans une ne déserte où l'on ne trouve rien en
dehors de ce qu'on y apporte soi-même, ce qui a fait qu'avant
mon arrivée, les malades ont souvent manqué de pain et de vin
et n'avaient pour toute ressource que la chasse du cerf qui était
encore bien incertaine • . LOUGNON cite une lettre de POIVRE où
le 30 novembre 1767 il décrit une situation identique: «j'ai
reconnu que l'hôpital de Port-Louis était un repêre de fripons où
chacun ne pensait qu'à son profit; que ce lieu établi pour être
l'asile des misères humaines était un lieu d'infamie, où une foule
de négresses entassées sans raison servent à tout autre chose
qu'au soulagement des malades • .
b) Les habitants.
La seconde catégorie sociale que nous avons distinguée
est celle des habitants. C'est, avec les esclaves, cette catégorie,
qui constitue la presque totalité de la population de Bourbon et
qui est à l'origine du peuplement actuel. Elle présente une remarquable unité et une cohérence très grande qui se maintient tout
au long du XVl/l' siècle.
Cela est dû au fait que peu d'immigrants nouveaux sont '
envoyés à Bourbon à partir de 1724; les habitants se multipliant
(1) Correspondance tome l , page 21.
(2) Correspondance tome rn-l, page 28.
�..
'1
44
par accroissement naturel. On note seulement l'envoi de quelques
forçats faux-saulniers (1).
Surtout cette cohésion est fondée sur une double série de
facteurs. Matériellement les habitants sont soumis à des conditions identiques, ils vivent tous de l'agriculture, ils possèdent tous
des esclaves en plus ou moins grand nombre, ils sont presque
tous débiteurs de la Compagnie. Ces facteurs entraînent une
assez grande uniformité de niveau de vie. Certes, il existe des
sous-catégories qui regroupent les habitants sur le plan de la
fortune, mais ces divisions ne recouvrent rien de réel sur le
plan social. Il n'y a pas à Bourbon de « petits blancs. comme on
en rencontre à la même époque aux Antilles ou en Amérique.
Cette uniformité de la condition matérielle entraîne une
grande homogénéité de ce que certains auteurs modernes (comme
J. BURNHAM) appellent les « idéologistes • du groupe.
'.
Le Conseil supérieur de Bourbon dans une lettre du 1" avril
1732 (2) distinguait trois sortes d'habitants: les vieux habitants
qui ont beaucoup d'esclaves et sont riches, et qui sont souvent
créanciers de la Compagnie: les gens établis depuis 6 à 7 ans,
qui ont fait de gros frais mais qui se sont endettés à cause des
ouragans, des épidémies et des épizooties; les gens qui viennent
de s'installer, à qui il faut au moins douze noirs, il faut aider ces
deux dernières catégories.
Cette distinction est certainement valable mais repose sur
des considérations de solvabilité des habitants non sur des différences réelles de niveau de vie.
En effet, le manque presque général de marchandises de
luxe rendait difficile une différenciation profonde des niveaux
de vie: tous les habitants étaient logés à la même enseigne.
n semble que ce niveau de vie ait été assez bas : les habitants
sont presque tous des gneux déclare le Conseil supérieur dans
une lettre du 20 décembre 1731 (3). Le même jour dans une
lettre (page 164) il rappelle que : « les sauterelles continuent
dans cette île à faire de grands ravages sur les blés, riz, maïs et
légumes, ce qui est cause que les habitants sont dans la dernière
misère pour vivre avec leurs noirs et qu'i1s sont dans l'impossibi-
•
"
..., ;:
..
"
,'"
..-
.,'
,.
~'-'
....
, .
"
(1) C'est ainsi que la Compagnie te 23 octobre 1730 (cor. tome J,page 106) annonce l'envoi de tels gens c mais qu'ils n'ont point été repris
de justice et sont de bons paysans ~ .
(2) Correspondance tome Il, p. 2-3.
(3) Cor. tome T. p. 142 et il continue en rappelant l'absence des
douceurs qui manquent dans cette île et c nous privent de laitage et de
beurre et nous oblige de manger toutes nos viandes rôties ou bouillies.
sans aucun ragoût ni légumes ».
�45
lité d'élever de la volaille et des cochons et par conséquent privés
de tous moyens pour subsister •. Dans cette même lettre (p. 171)
il déclare encore que : « les sept-huitième des habitants ne sont
logés encore cbacun que dans une petite case de rondins de bois
de 15 ou 16 pieds de long... couverts de feuilles, le reste qui
sont les biens logés, ont des cases de 15 à 30 pieds de long de
bois équarri > .
Mais ce qui contribuait le plus puissa=ent à unifier les
habitants c'est la question des deites envers la Compagnie;
peu de questions, à part le café, tiennent autant de place dans
la correspondance.
La Compagnie lorsqu'eUe devint seigneur de l'De, y trouva
des habitants et en envoya d'autres pour les mettre en état
d'avitailler ses vaisseaux. Pour faciliter l'installation des colons,
eUe leur consentit des prêts importants, la plupart du temps en
nature, sous forme de concessions gratuites de terre, de livraison
d'esclaves, de bétail ou de matériel. La Compagnie pensant ainsi
attacher solidement les habitants à l'De puis eUe songea à se
faire rembourser l'équivalent en argent des biens fournis .
'.
'.
La plupart des habitants étaient incapables de rembourser,
car ils arrivaient à peine à vivre du revenu de leurs habitations.
Nous verrons que le seul moyen pour eux de gagner de l'argent
était la vente du café; or, la Compagnie unique acheteur du fait
de son monopole, le payait à un prix trop bas pour qu'il fut
possible de songer à un amortissement important de la dette.
Là, comme dans bien d'autres domaines, la Compagnie
mena une politique incohérente. EUe avait d'abord vivement
encouragé le crédit aux habitants non seulement pour les aider,
mais surtout dans l'intérêt de ses vaisseaux; c le meilleur moyen,
écrivait-elle, le ID octobre 1725, c'est de rendre l'habitant toujours débiteur. .. parce que l'habitant redoublera ses soins et son
travait pour s'acquitter, ct vous fournira les fruits de sa terre :) .
Mais ensuite, se rendant compte que les difficultés étaient
énormes pour le remboursement, eUe freina au maximum le
crédit, interdisant les prêts excessifs, ou à des habitants réputés
insolvables. Surtout, pour se faire payer, la Compagnie imagina
mille et un systèmes dont nous ne citerons que les plus curieux
ici. Ds furent tous plus ou moins inefficaces à tel point qu'un
moment le bruit courut que la Compagnie renonçait à ses
créances, ce qu'il fallut démentir formellement. Dans la même
lettre, il est fixé une nouveUe procédure de rentrée de créances:
d'abord assembler les habitants et fixer pour chacun les modalités de paiement sur trois ou quatre ans, les deux tiers des
�46
revenus pouvant servir à payer, sinon on saisira les concessions
et la Compagnie au besoin les administrera en régie.
En 1735, elle avait déjà imaginé un escompte jouant pendant cinq ans et dégressif, au bénéfice des habitants qui se libéreraient durant cette période (1).
Dans son mémoire (2) LA BOURDONNAIS étudie ce système
et il note à ce propos un état d'esprit des habitants qui n'est pas
sans rappeler certains mouvements démagogiques antifiscaux
actuels. Après avoir précisé que les 3/ 4 des habitants doivent
à la Compagnie, il aborde le point des exécutions par voies de
justice et il montre que la mesure sera inopérante: « un esprit
de cabale fait qu'il ne s'y trouve point d'enchérisseurs... le cas
étant général, il (le débiteur) ne craint rien de particulier. ..
mettra-t-on toute la colonie en prison • . Il imagine ensuite un
système de prélèvement par tête de noirs.
A la fin de notre période la question n'est pas encore réglée.
Le faible niveau de vie, le manque général de revenu en numéraire rendaient le paiement très difficile. Mais l'important est de
voir que cette lutte commune contre les prétentions financières
de la Compagnie a contribué puissamment à souder et unifier
tous les habitants, dans une opposition plus ou moins justifiée
aux prétentions de l'autorité établie.
Rien ne le prouve mieux que le très important évènement
survenu à propos des corvées, cette fois, mais qui traduisait, e\
d'une manière plus justifiée l'union de tous les habitants contre
les prétentions excessives de la Compagnie. Le Conseil supérieur
rapporte la chose dans une lettre du 20 décembre 1730 (3) il
s'agit, dit-il, « des assemblées illicites tenues par les habitants
de l'Ile de Bourbon, sans aucune autorité ni aveu sous prétexte
d'aller en France porter plainte contre la Compagnie >, quatre
furent nommés qui ont été arrêtés; les habitants demandent que
trois députés aillent en France protester contre les rabais du
prix du café « comme étant un droit naturel qui ne peut se refuser
chez toutes les nations, sous tel gouvernement que ce puisse
être >, ces députés furent envoyés.
Le 15 décembre 1732 le Conseil supérieur relate la fin de
cette importante manifestation de volonté des habitants. Les
•
(1) Le 24 février 1738, COf. tome UI-2 , p. 30, le Conseil supérieur
rappelle que l'escompte jouera jusqu'en 1740 et qu'il sera établi suivant
un taux annuel de 2,5, 1,3, 1,4, 1,5, 1,6 % ; en 1741 commenceront seulement les mesures d'exécution.
(2) Mémoire page 7 et suivantes.
(3) Cor. lome l, page 133.
�47
députés ont obtenu un règlement, contredit par un ordre postérieur de la Compagnie; le Conseil supérieur a dû tenir à SaintPaul une assemblée des habitants pour modifier et adoucir cet
ordre, car la nouvelle redevance étant plus forte que la première,
pour la lever « il aurait fallu employer la force et la violence
et par conséquent mettre toute la colonie en combustion • .
Ces termes traduisent l'unité profonde des colons de Bourbon. On est en présence d'un état d'esprit pré-révolutionnaire.
Sur le caractère des habitants les témoignages sont nombreux et peu flatteurs. Mais on peut se demander s'ils ne sont
pas sujets à caution; car ils émanent tous d'administrateurs qui
avaient intérêt à noircir le tableau pour expliquer les échecs
de leur action et qui d'autre part, étaient par leur mode de vie
et leur psychologie, hostiles aux habitants.
Le Conseil supérieur décrit le créole naturellement indolent
et enseveli dans ses anciens usages, et LA BOURDONNAIS: « d'ailleurs les créoles sont trop fainéants, ou n'ont point assez de connaissances pour concevoir le dessein de s'établir mieux que leurs
pères ».
Un fait certain et souvent souligné comme un danger, est
l'attachement des créoles à Bourbon. Là encore nous voyons
l'unité de ces gens qui avaient le sentiment d'être vraiment chez
eux, dans leur petite patrie sur cette île (1).
Cet attachement sympathique à leur île, est vu sans indulgence par les employés de la Compagnie et par le Conseil supérieur. A tel point que la Compagnie, dans une lettre au Conseil
Provincial de l'Ile de France (2) le rappelle à l'ordre car ce
dernier avait imposé à un matelot « la peine d'être habitant; ce
qui doit être regardé pour une grâce par un honnête homme • .
Rien ne souligne mieux que cette peine « d'être habitant . le sentiment qu'avaient les employés de la Compagnie d'être un ordre
hiérarchiquement supérieur dans les Iles.
U ne faudrait pas toutefois faire un tableau idyllique des
habitants. Ce n'est pas sans raison que le 10 octobre 1725 (3) la
Compagnie faisait décider que: « quand un habitant voudra sor-
,.
(1) Le 24 février 1738 (cor. tome Ut-2, page 6 1) le Conseil supérieur
déclare que les créoles resteront dans cette Ile c tant qu'il restera un
oiseau, un cabris. un cochon marron dans les bois, un poisson ou une _
chevrette dans les rivières.; et LOUGNON cite uoe délibération du Conseil
supérieur du 6 septembre 1736 ou 37 (mémoire page 120) où l'on chercbe
à les convaincre à quitter Bourbon pour l'Ue de France, sans grand
succès semble-t-il.
(2) 27 septembre 1722, cor . tome T, page 93.
(3) Cor. tome l, page 20.
�48
tir de l'lie de Bourbon pour passer en France ou ailleurs, il vous
en vienne demander la permission trois mois auparavant et que
dans ce même temps; vous fassiez publier son départ aux prônes
de chaque paroisse, afin que si par hasard il avait des créanciers,
il ne soit pas le maître de les frustrer de leur créance par une
fuite précipitée . (1).
\
La situation intellectuelle des créoles ne devait guère être
plus brillante. En 1741 il n'y avait aucune école et LA BOURDONNAIS rappelle dans son mémoire (page 68) que «rien ne serait
plus utile aux Indes qu'un collège pour élever la jeunesse, lui
apprendre à lire, à écrire et même le latin, et surtout les mathématiques. Un couvent d'Ursutines ne serait pas moins à désirer
pour l'éducation des filles . . Dans le Concordat passé entre
les Compagnies et la Congrégation de la Mission le 27 juillet
1736 il avait été prévu à l'article 20, la construction d'un collège
à Saint-Denis. Le 19 juin 1743 on voit la Compagnie demander
un devis de ce collège : «le besoin en est aujourd'hui beaucoup
plus grand parce que la jeunesse y est beaucoup multipliée et
que faute d'éducation et d'occupations sérieuses elle se pervertit
et devient très difficile à manier >.
Par contre, il semble que la situation religieuse ait été bonne.
Evidemment, tous les habitants étaient catholiques et pratiquaient
assidûment leur religion. Le service spirituel de l'île était assuré
par des Lazaristes (prêtres de la Congrégation des Missions) .
Les paroisses étaient au nombre de quatre en 1731, SaintPaul, Saint-Denis, Sainte-Suzanne et Saint-Louis. Mais il fallut en
créer d'autres, vu les difficultés de transport et la dispersion des
centres de l'lie. En 1735, l'île possédait les six paroisses qu'elle
devait garder longtemps: trois grandes Saint-Denis, Saint-Paul,
Sainte-Suzanne, trois petites: Saint-Louis, Saint-Pierre, SaintBenoit.
Mais certaines églises étaient fort pauvres. En 1738 (page
48), il est nécessaire de refaire toutes les églises de l'Ile sauf
Saint-Louis. En effet, comme le rappelait la Compagnie le
23 janvier 1736 c'est à elle qu'incombait en tant que Seigueur
suzerain < la charge de bâtir les églises >.
."
(1) Relevons encore ce fait: 12 filles de Bretagne à marier avaient été
atteintes de maux vénériens. Une lettre de la Compagnie (27 septembre
1722, COf. tome J. page 92) déclare en envoyer 18 nouve11es élevées
dans la vertu et l'ouvrage et elle recommande de les marier avec des
hommes ayant un certificat médical certifiant oC qu'ils ne sont en aucune
façon atteints de maux vénériens .. .
�49
La situation juridique des prêtres donna lieu à bien des
controverses. Le 17 novembre 1732 la Compagnie rêsumait la
situation; par paroisse il y a un curé et un vicaire, placés sous
la juridiction de l'archevêque de Paris. Les curés ne sont pas
curés titulaires de leur paroisse, mais simples aumôniers, destituables par la Compagnie à tout moment.
Pour régler ces questions et ne pas perdre les Lazaristes,
dont tout le monde, habitants et employés, louaient la bonne
condnite, la valeur et le dévouement, la Compagnie passa un
concordat avec la Congrégation des Missions le 17 juillet 1736,
où il était stipulé au profit des prêtres une portion congrue de
trois cent livres fortes par an et quatre cent cinquante livres de
rentes payées par les habitants (1) et où la réunion des cures
de l'île à la Congrégation était consentie, ce qui souleva les protestations du Conseil supérieur (2).
c) Les eSc/lIVes.
Les esclaves forment dans la population de Bourbon une
catégorie à part, aux traits caractérisês et fortement marqués.
D'abord c'est la seule catégorie qui soit en augmentation constante et désirable; les chiffres sont difficiles à connaître mais il
semble que chaque année il entrait plusieurs milliers de noirs
à Bourbon (3). Aussi, même en tenant compte de la forte mortalité, le nombre des noirs ne cessa de croître.
Ensnite, du fait de leur condition juridique les esclaves
ne formaient pas à proprement parler une catégorie spéciale,
puisqu'ils étaient considérés comme des choses. Ils étaient
d'ailleurs le meilleur signe extérieur de richesse, on établissait
souvent les impôts sur la base du nombre d'esclaves (4).
Mais l'accès difficile de l'intérieur de l'île rendait la fnite
des noirs aisée et leur vie dans les bois possible, aussi le marronnage joue-t-il un rôle important.
L'île étant vide lors de la prise de possession, il n'était pas
question de se servir des indigènes comme esclaves, il fallait les
importer : c'était l'objet de la traite des noirs.
Comme tout commerce, et la traite était un des commerces
les plus fructueux du fait de la demande sans cesse accrue de
..
'.
.,
(1)
(2)
(3)
octobre
(4)
Mémoire page 138.
Lettre du 24 février 1738. cor. tome m ·2, page 45.
Lettre du 20 décembre 1730,
COf. tome T, page 130: d'août à
trois traites à Madagascar ont rapporté 997 noirs.
15 décembre 1732, cor. tome l, page 25.
•
�50
nouveaux esclaves, celui-ci était le monopole de la Compagnie.
TI était organisé par le Conseil supérieur qui prit d'ailleurs à ce
sujet une délibération le 23 septembre 1739; les ordres de la
Compagnie se réduisent à ce « qu'aucun noir, négrillon et négrite
ne puissent être introduits dans cette île que pour le compte de
la Compagnie à peine de confiscation à son profit de tous les
noirs ... sans qu'il soit besoin d'aucune formalité de justice ... • .
Le 20 octobre 1725 la Compagnie autorise d'aller chercher
des noirs de Mozambique « si les Portugais le voudront permettre,
parce qu'ils sont meilleurs que ceux de Madagascar., on les
vendit quatre à cinq cent livres la pièce d'Inde, qui était comme
on sait l'unité d'esclave et représentait un noir mâle, adulte, de
force moyenne et sans infirmité; Of, ces noirs ne revenaient pas
à deux cents livres à l'achat.
Le 17 novembre 1732 la Compagnie avoue d'ailleurs que
deux traites vendues 149238 livres avaient coûtées 11000 livres
d'effet de traite, c'est-à-dire la contre-partie en marchandises
offertes au roi indigène qui vendait les noirs; même avec le
transport, le bénéfice est joli.
L'origine des noirs est diverse. Au début, la Compagnie
les prenait en passant, en Guinée, ou au Sénégal, mais à partir
de 1732 (lettre précitée) elle préfèra les prendre à Madagascar,
ou à la Côte Orientale d'Afrique car le transport était moins long
et donc moins coûteux. En fait, c'est Madagascar qui constituait
le réservoir et l'on puisait sans vergogne; un roi, ami de la France
fournissait avec régularité les capitaines des vaisseaux traitants.
Mais le Conseil supérieur se plaignait fréquemment de
l'état des noirs importés. Dans une lettre du 20 décembre
1731 (1) après avoir rappelé qu'il s'en faut beaucoup que l'TIe
soit suffisamment pourvue d'esclaves « il se plaint qu'ils soient
ordinairement très mal choisis et arrivent exténués et hors d'état
de rendre longtemps aucun service • . Le 5 avril 1735 (2) il
déclare parlant des noirs malades: c les noirs guérissent difficilement des maux de ventre et d'estomac dont ils sont attaqués
à la mer... deviennent presque incurables quand la traversée de
Madagascar à cette île est un peu longue •.
Le 23 décembre 1733 (3) il demande qu'on ne prenne pas
d'esclaves de plus de 25 ans car c de plus vieux sont indomp-"
tables, se rendent marrons et sont non seulement inutiles dans
la colonie mais même dangereux • .
•
".
l
(1) Cor. tome r, page 141.
(2) Cor. tome li, page 324.
(3) Cor. tome II, page 1414.
�51
.,
.
. ..
Dans l'Ile, les installations habituelles des pays de traite
manquaient. Le II décembre 1734 (1) la Compagnie rappelle:
c son intention est que vous ayez une captiverie, au moins
enceinte de murs de briques suffisamment élevés pour qu'ils
ne puissent être escaladés et que les noirs qui lui appartiennent
soient gardés ' .
Les noirs se vendaient aux enchères selon les procédés
habituels de vente des marchandises,
Du point de vue juridique, les esclaves étaient considérés
comme des choses mais leur qualité d'êtres humains nécessitait
un régime spécial qui, on le sait avait été fixé pour l'ensemble des
colonies françaises, par une ordonnance de Colbert de mars 1685
dite Code Noir. Le code noir s'appliquait à Bourbon.
Il semble que les colons de Bourbon se soient montrés
assez durs avec leurs noirs. Dans une délibération du 29 septembre 1739 le Conseil supérieur déclare que: « pour remplir leurs
vues intéressées, ils s'appliquent presque uniquement à la culture
des caféiers et négligent celle des denrées les plus nécessaires à
la subsistance, de façon que leurs esclaves se trouvant dépourvus
de vivres et d'habillement sont forcés pour s'en procurer de
s'adonner au brigandage en courant les nuits dans les habitations et volant ce qu'ils peuvent y trouver, ce qui les exposent
à se faire tuer ou de tomber dans l'extrémité de se rendre fugitifs
dans les bois, pour chercher un remède à leur situation violente
en s'affranchissant du travail forcé que leur impose la dureté
des maîtres et plantant des vivres pour se procurer la subsistance
qu'on leur refuse >.
Il fallut d'ailleurs que le 6 juin 1742 la Compagnie interdit
de vendre les enfants de ses noirs en commandant c au contraire
de veiller à ce qu'ils soient instruits et mis sous des maîtres dès
qu'ils sont en âge d'apprendre • . Ce qui prouve bien que les
habitants ne se privaient pas de vendre les enfants de leurs noirs,
Mais il reste que JÎour l'ensemble des habitants ils constituaient d'une part une main-d'œuvre et un capital, d'autre part
un danger permanent. A maintes reprises, on sent la peur des
colons devant la force que représente cette masse d'esclaves, Le
II décembre 1734 la Compagnie recommande de ne pas importer trop de noirs car ce serait «exposer visiblement l'Ile de
Bourbon à tous les inconvénients d'une multiplication considérable de marrons, même à une révolte générale des noirs qui se
sentiraient les plus forts . ,
(1) Cor. tome
n,
page 230.
�52
La dureté du traitement des esclaves, la difficulté d'organiser
des battues dans un pays accidenté, la couardise des habitants,
tO)lt cela rendait plus facile le marronnage. Les esclaves adultes
pour qui la liberté était restée un sentiment vivace et qui avaient
connu une condition normale dans leur pays d'origine, avant de
devenir la main-d'œuvre des créoles indolents, ne renonçaient
pas à échapper un jour à leur esclavage.
Certains, sans avoir égard aux énormes difficultés de la
navigation et à la certitude presque absolue de se perdre en mer,
s'emparaient de petits bateaux et tentaient de regagner Madagascar (1).
Mais la plupart ne concevait pas de projet de retour dans
leur patrie; il leur suffisait d'échapper au joug d'un esclavage
le plus souvent intolérable et ils ne reculaient pas devant la misérable existence qui les attendait dans les bois (pratiquement ils
se nourrissaient de cœurs de palmistes) pour vivre libres. Ils
vivaient alors en bandes et leur nombre les rendaient audacieux.
De plus les « bonshommes des bois > (c'est-à-dire les habitants
traquant des noirs) n'étaient pas hardis, certains restaient dans
des ajoupas ou cases de feuilles toute la quinzaine qu'ils devaient
rester dans les bois.
Les marrons faisaient alors des incursions dans les habitations. Le 8 mars 1738 le Conseil supérieur signale que deux
européens viennent à nouveau d'être assassinés « cette affaire
commence à devenir sérieuse et intéressante pour la Compagnie >.
Pour lutter contre ces noirs marrons, le Conseil supérieur
envoyait des soldats, mais promettait aussi une prime à tous
les habitants abattant un marron, prime de 30 livres par tête,
et certains habitants s'étaient spécialisés dans cette chasse à
l'homme, tel un certain français CARON, pour qui le Conseil
demande une médaille à l'effigie du Roi en récompense.
LA BOURDONNAIS, signale qu'il a ' encouragé la formation
de tels détachements.
Mais le plus souvent les habitants n'étaient guère courageux
et ils reculaient et fuyaient devant une petite troupe de noirs, mal
armés et ne possédant qu'un mauvais fusil; certains témoignages
sont assez cocasses à cet égard. C'est pourquoi on envisagea de
constituer un détachement de « noirs affidés > c'est-à-dire sûrs,
(1) Le 31 octobre 1727 (cor. tome 1, page 67) la Compagnie ordonne
que ces petits bâtiments soient enchaînés lorsqu'il s ne serviront pas et
soient gardés par des sentinelles pour éviter toute surprise de la part des
noirs qui pourraient sans ces précautions s'en emparer.
�53
contre les marrons; cela se fit à l'De de France, mais nous ne
pouvons l'affirmer pour Bourbon.
Quoiqu'il en soit le marronnage demeure un mal endémique
à Bourbon jusqu'à la suppression de l'esclavage en 1848. Répétons que la configuration de l'lie, les facilités du climat et les
productions naturelles facilitaient la chose. Cela prouve aussi
que, de même que l'interlope était la réaction normale contre une
réglementation étouffante, le marronnage était la preuve que chez
ces noirs transplantés loin de chez eux, et abrutis par le travail
et les mauvais traitements, demeurait vivace le goût d'une vie
libre et plus conforme à leur condition d'homme.
3. -
,
La navigation et le commerce
il Y a deux grandes sortes de courants co=erciaux; le
grand commerce d'Europe aux Indes, sur la route duquel Bourbon n'est qu'une escale. Le co=erce d'Inde à Inde qui vise
surtout l'approvisionnement des comptoirs.
a) Le commerce d'Europe vers l'Inde.
Ce co=erce a dominé les rapports de la Compagnie et des
Mascareignes pendant tout le XVIII' siècle.
La Compagnie des Indes succédant à toutes les autres
Compagnies à monopole jouissait du monopole du co=erce de
l'Inde et de la Chine en France. On a vu co=ent cette grande
Compagnie des Indes avait successivement acquis seule le commerce avec les pays lointains que détenaient auparavant certaines
petites Compagnies. Rappelons que c'est en mai 1719 qu'elle
incorpora la Compagnie de la Chine et des Indes Orientales
(ancienne compagnie dite de Colbert) dans un édit de Réunion
qui fonda vraiment sa puissance et son universalité. Elle prit
d'ailleurs à la suite de cet acte le titre de Compagnie perpétuelle
des Indes.
Seul nous intéresse ici ce co=erce de la France avec les
Indes et la Chine, car Bourbon ne voyait passer que les vaisseaux
qui l'assuraient et n'avait de rapport qu'avec eux.
Il n'est pas inutile de rappeler que la raison d'être et le rôle des Mascareignes pour la Compagnie était ce co=erce.
En effet, ces îles constituaient une étape, une échelle sur la route
du Levant, d'autant plus précieuse qu'elles se trouvaient à
mi-route entre le Sénégal et les Indes. Le mouvement de naviga-
�54
tion du commerce était quasi immuable. Il était commandé par
les alizés (1).
Les îles étaient donc recherchées, comme point d'escales et
position stratégique, plus que pour leur production (2). C'est bien
ce que précise LA BOURDONNAIS dans son mémoire (3): c en
1735, on m'a envoyé aux îles de France et Bourbon pour établir
au mieux, et en tirer tous les avantages qu'il me serait possible,
surtout y former une relâche aussi bonne qu'elle puisse être dans
un port où les vaisseaux doivent trouver tous les points de secours
nécessaires pour toutes sortes d'évènement
•
:t.
Les problèmes que posait le passage annuel à Bourbon des
deux escadres (aller et retour) étaient nombreux. Les deux
questions principales étaient celles de l'escale et du ravitaillement.
A la fondation de la Compagnie les vaisseaux faisaient escale
à Bourbon. Cependant, l'Ile n'était française que depuis très
peu de temps (1712) et il n'y avait aucun port prévu, aucun
magasin, aucune installation nécessaire pour recevoir l'importante
escadre annuelle à l'aller et au retour. Cet état de chose se
prolongea longtemps mais de nombreux inconvénients rendaient
difficile le mouillage à Bourbon. Le plus grave était le manque
absolu de rade sÛTe. Les navires mouillaient au large, et les
chaloupes faisaient le va et vient. Mais qu'il arrive un grain ou
un ouragan, et leur position devenait grave, sinon tragique. Or
les ouragans sont fréquents dans l'Océan Indien, et les navires
couraient chaque fois de graves dangers. Les naufrages ont été
assez nombreux mais si la perte du navire n'était pas toujours
totale (4) les avaries causées aux vaisseaux étaient sans nombre.
A cette insécurité de la rade Saint-Denis, Bourbon joignait
un autre inconvénient. Il était impossible de construire un bassin
de radoub en ces lieux et on ne pouvait ainsi réparer les navires
endommagés par la traversée. MAHÉ DE LA BOURBONNAIS le
signale (5) : « Avant mon arrivée dans les îles, les vaisseaux
(1) La régularité des départs est souvent soulignée par la Compagnie
elle-même, ainsi dans une lettre à Bourbon du 10 octobre 1725 (cor.
tome I, page 9), c le commerce des Indes étant d'une nature à être fait
régulièrement, la Compagnie n'attendait pas des nouvelles de ses premiers
vaisseaux partis, pour en expédier de nouveaux :t .
(2) H. WEBER, page 484.
(3) Mémoire page 47.
(4) Comme lors du naufrage de St-Ooran qui inspira DE BERNARDIN
DE SAINT-PIERRE pour la scène finale de c Paul et Virginie .. ou comme
le Il décembre 1733 où les vaisseaux furent détruits en rade de St-Denis
par un cyclone très violent (cité par LOUGNON dans mémoire page 131).
(5) Mémoire p. 26·27.
�55
armaient à Bourbon comme au lieu principal et cet endroit
n'étant pas propre à faire les radoubs, on n'en faisait presque
point. Aussi en 4 ou 5 années un navire était-il hors de service.
Je ne l'ai que trop éprouvé car je puis dire avec vérité de toutes
les embarcations que j'ai trouvées aux nes il n'yen avait pas
une qui ne fut dans un état pitoyable • .
Dans ces conditions il s'imposait de transférer l'escale à
l'ne de France où les mouillages étaient excellents et où les vaisseaux seraient à l'abri du mauvais temps. C'est ce qui fut décidé
par la Compagnie en 1733. Cette décision portait un grave préjudice à Bourbon, car désormais elle allait passer au second rang,
mais le Conseil supérieur avait bien compris qu'il était impossible
de ne pas l'approuver (1).
Cette décision prise, il importait de régler les relations de
Bourbon et de l'Ile de France, car il était impossible d'interdire
aux vaisseaux de toucher Bourbon d'autant plus que celle-ci était
beaucoup plus riche en vivres que l'ne de France et que les
vaisseaux venaient surtout se ravitailler lors de l'escale des
Mascareignes . Pour cette raison, la Compagnie régla tous les
mouvements des navires de façon à leur permettre de se ravitailler et d'éviter l'ouragan qui avait lieu durant l'été austral.
La question du ravitaillement des vaisseaux en vivres frais
et en eau était d'une importance primordiale car les équipages
étaient, dans de très longues traversées comme celle-là, souvent
victimes du scorbut; nous verrons que c'est la maladie la plus
répandue parmi les matelots. Il fallait donc faire en sorte que
les bateaux trouvent sur place, et rapidement de quoi se nourrir.
Or les îles étaient pauvres et les capitaines très exigeants. Cela
créait des heurts. Les capitaines se plaignant des employés de la
Compagnie et des habitants, le Conseil dénonçait amèrement les
exigences des capitaines qui leur étaient cependant subordonnés.
MAHÉ DE LA BOURDONNAIS traitant de c l'avitaillement de nos
vaisseaux. proteste contre les doléances des capitaines prétendant qu'on ne trouvait rien aux nes, il y répond vertement: c on
en a vu êle ne pas vouloir aider à entrer un autre vaisseau dont
l'équipage était entièrement malade et refuser pendant l'hivernage quelques hommes pour s'opposer à l'ennemi commun qui
est le noir marron >. Cependant il a tout fait pour rendre abondants les vivres, notamment les volailles, en donnant des nègres
en prime aux colons vendant de la volaille, et il ajoute qu'il a : «représenté pathétiquement aux habitants que la Compagnie
avait établi cette île uniquement pour fournir des rafraîchissements à ses vaisseaux >.
(1) Lettre du 20 décembre 1733, mém. page 131.
�56
La Compagnie des Indes voyait donc dans les nes Mascareignes une escale d'une importance capitale pour ses vaisseaux
et pour son commerce. Mais dans ce domaine elle a toujours
manifesté le vice qui l'a marqué dès les premiers temps, après les
visées utopiques de Law, c'est-à-dire le manque d'envergnre et
d'ambition. Les directeurs étaient timorés, reculaient devant les
vastes projets et étaient seulement soucieux d'assurer la rotation
normale des navires et le commerce babituel sans trop de danger
afin de réaliser les bénéfices nécessaires pour payer des dividendes; mais tout cela n'assurait pas une expansion décisive à
notre rayonnement. LA BOURDONNAIS le marque avec amertume (1).
b) Le commerce vers Bourbon.
.
~.
.-
La Compagnie qui avait le monopole du commerce vers
l'Inde, avait aussi le monopole du commerce vers Bourbon et l'Ile
de France. Ce commerce consistait essentiellement dans le sens
Europe-Mascareigne à fournir aux Iles tous les produits dont
elles avaient besoin et qu'elles ne produisaient pas, c'est-à-dire
essentiellement les produits manufacturés .
Dans le seM Mascareignes-Europe, c'est-à-dire surtout
Bourbon-Europe, car l'Ile de France ne produisait quasiment
rien, il s'agissait avant tout de transporter du café.
A ces mouvements commerciaux, il convient d'ajouter le
commerce interne de l'Océan Indien. Ce commerce d'Inde à
Inde se faisait au moyen de la marine dite des îles, c'est-à-dire
par des vaisseaux long parcours déclassés et qui acbevaient
leur carrière en Inde, ne pouvant affronter le retour, en Europe
et, par des petits bateaux construits en Inde, à Ile de France,
à Mahé ou Pondichéry.
Ce commerce consistait d'une part en échange entre les
différents comptoirs de la Compagnie (surtout relations Ile de
France-Bourbon) pour faire passer à Bourbon une partie des
marchandises destinées aux Iles et débarquées à Ile de France,
d'autre part en échange entre les comptoirs et les territoires
restés indépendants. Ce commerce n'échappait pas au monopole
de la Compagnie, il était en effet organisé par les Conseils
supérieurs des différents comptoirs pour le compte de la Com-'
pagnie. Son intérêt est surtout grand pour la question des esclaves. Nous ne nous y attarderons pas ici.
..
(1) Mém. p. 72: c Je n'oserais parler de la facilité de faire des quais ...
ces vastes idées relatives avec l'entrepôt ne sont proposables qu'à une
compagnie de Hollande :t .
�57
En contre-partie de son monopole absolu la Compagnie
était tenue d'approvisionner les îles en suffisance. Pour celà,
elle demandait à cbaque arrivée de vaisseaux, au Conseil supérieur de Bourbon de lui fixer un état de demandes; elle expédiait les marchandises par l'escadre suivante. L'état des besoins
était une tâche pour les conseillers, mais aussi une source constante de débats entre la Compagnie et le Conseil supérieur.
De nombreuses lettres attestent que le taux fixé pour le
bénéfice brut était immuable pour les marchandises, variable
pour les noirs. Par exemple dans une lettre du 31 décembre
1735 le Conseil supérieur de Bourbon rappelle à la Compagnie
qu'elle fait 100 % de bénéfice sur les marchandises d'Europe,
50 % sur celles des Indes, et en moyenne 260 % sur les noirs.
Même en admettant que le transport revenait cher, qu'il était
soumis à de graves et assez fréquents aléas, il est certain que
la Compagnie tirait de cet approvisionnement de substantiels
bénéfices.
Le prix d'achat des marchandises ne devait guère être élevé
si l'on en croit les appréciations innombrables et les doléances
du Conseil Supérieur sur la qualité des approvisionnements.
D'ailleurs la Compagnie qui était créancière de presque tous
les habitants (leur ayant prêté de l'argent pour s'installer) ne
tenait pas à envoyer de marchandises de haute qualité et chères.
Elle prétendait d'ailleurs approvisionner largement les îles où
dans une lettre du 10 octobre 1725 elle parle • de la prodigieuse
quantité de vivres que vous et l'Ile de France avez reçues en peu
de temps >.
Le monopole de la Compagnie était l'objet des plus vives
critiques en ce qui concerne les approvisionnements à cause sur-
tout de son incapacité à répondre aux besoins; dans ces conditions il était inévitable que certains profitent de cette demande
accrue prête à payer au prix fort ce dont elle avait besoin. C'est
dans cette règle économique du déséquilibre entre l'offre et la
demande, entre une offre rigide et dirigée et une demande libre,
qu'est né le commerce libre, dit interlope, que nous appellerions
auourd'hui le marché noir. Durant toute la période de monopole
de la Compagnie, le commerce interlope sévit même pour le grand
commerce de l'Inde; mais pour Bourbon il se développe surtout
pour les approvisionnements, car du fait de sa situation insulaire Bourbon ne pouvait servir de passage de contrebande et ·
par elle-même ne produisait que du café, article se vendant très
mal en France. Par contre les habitants de l'Ile étaient prêts à
acheter n'importe quelles marchandises ou les esclaves dont ils
avaient besoin.
�58
L'interlope se faisait principalement par trois moyens. Le
moyen le plus légal était le port permis des équipages (1). Le
port permis était la quantité de pacotille que les officiers et même
les hommes d'équipage avaient le droit de transporter sans
payer de frêt. Il donnait lieu à de nombreux abus (2). Le moyen
le plus illégal consistait en l'abordage clandestin des vaisseaux
étrangers ou français interlopes (3). Enfin pour les esclaves, un
moyen régulier dont on a abusé consistait, pour les habitants de
l'Ile de France qui bénéficiaient les premiers des traites d'esclaves,
d'en acheter le maximum et de les revendre à Bourbon, où les
hommes étaient plus riches. LA BOURDONNAIS l'avait fait souvent
pour lui.
Mais la raison essentieUe était bien que les habitants facilitaient les menées des contrebandiers. MAHÉ DE LA BOURDONNAIS
exprime avec beaucoup d'éloquence et de hauteur de vue les raisons de ce mal inévitable: < la Compagnie appeUe commerce
illicite et frauduleux tous les effets que les particuliers font entrer
dans les Des, parce qu'elle s'est réservée ce commerce exclusif,
qu'eUe ne fait qu'à moitié et qu'eUe ne veut pas qu'on le fasse ...
Combien ai-je entendu crier contre un pouvoir qui ne veut pas
fournir en payant les besoins des colons, ni leur laisser la liberté
de s'y pourvoir aiUeurs ... La Compagnie, par toutes les lois de
justice, doit être tenue de fournir tout ce qu'on veut acheter, et
que si eUe manque à cette condition, ils (les colons) peuvent
mieux manquer à la leur que la nécessité n'a point de loi... un
chacun n'a pas le quart de ce qu'il a besoin ... il n'y a plus rien
à vendre, cependant ils en ont besoin. N'est-il pas naturel qu'ils
cherchent à se pourvoir? avouez donc Messieurs, que la Compagnie en envoyant dans l'TIe la moitié des marchandises que leurs
revenus peuvent payer... de nécessité, il faut bien que les fonds
passent ailleurs le commerce particulier n'a pu nuire à celui de
la Compagnie, au contraire il aide à l'entretien, à l'augmentation
et au repos des Colonies... des ordonnances qui sont contre le
bien ou l'opinion générale n'ont aucun effet, dès que l'on n'est
pas en état de les faire exécuter, car on amène le public au
point où l'on souhaite, que par ses intérêts particuliers, ou par
-.
,
.
(1) Cor. tome I , page 18 .
(2) Voir 'également lettre du Conseil supeneur du 24 février 173&.
(in cor. tome rn-2, page 127) qui montre qu'une des sources est le port
permis des Etats·Majors des vaisseaux des Indes, mais aussI le droit
qu'ont certains d'acbeter en Inde c pour sa consommation particulière
et l'usage de son ménage l> .
(3) Voir lettre du Conseil supérieur du 24 février 1738 (cor. tome m-2
page 122), c ce commerce est inévitable tant qu'il y aura des traites et des
vaisseaux qui aborderont ces côtes l> .
�59
une force ou une contrainte supérieure. L'unique moyen de faire
le commerce générale de tous les endroits du monde, c'est d'y
envoyer sans interruption et abondamment toutes les nécessités
assorties proportionnellement au revenu et aux consommations
du lieu, et surtout de donner à meilleur compte que les autres ... •
On ne saurait exprimer, avec plus d'ampleur de ton et de
justesse les raisons profondes pour qu'un monopole ne soit pas
une mesure arbitraire. Nous verrons que ces raisons profondes
et d'autres contingences ont amené quelques années plus tard
la Compagnie à rendre la liberté du commerce d'Inde et même
d'Europe.
•
••
,.
La description de l'De de Bourbon, à la fois escale de la
Compagnie et colonie de plantation et de peuplement, fait donc
apparaître vers 1740 un bilan nettement positif. Certes, Bourbon a perdu son rôle d'escale principale au profit de l'Ile de
France, du fait des meilleures conditions naturelles de celle-ci,
mais elle garde un rôle primordial dans le ravitaillement des vaisseaux, et seule elle fournit un frêt de retour aux · bateaux qui
abordent ses côtes; le café malgré les menaces de manque de
débouchés, représent 1.500.000 à 2.000.000 de livres par an.
A l'intérieur la situation est stable; l'ensemble des terres est
concédé à partir de 1730 environ et l'accroissement du nombre
des habitants n'est plus dû à un apport extérieur, mais aux excédents de naissance. Les esclaves par contre, sont de plus en plus
nombreux, et on en réclame toujours plus. Ils constituent une
force de travail que l'on craint, mais dont on n'imagine pas pouvoi r un jour se passer.
Dans le cadre de ce qu'elle peut produire, l'île se suffit à
elle-même, elle n'est tributaire de la métropole que pour les
produits manufacturés ou proprement européens.
D semble donc que l'on s'achemine vers une prospérité
croissante et une expansion économique. Cependant, après 1740,
la crise va sévir. La Compagnie sentant venir en Europe, une
guerre qui se répandra dans l'Inde, accorde la liberté au commerce. Cette mesure surprend et désorganise la vie économique
de Bourbon. La guerre longue et coûteuse, éclate bientôt et
plonge l'De dans une misère qui ne fera qu'accroître la ruine, ·
par des causes naturelles, des plantations de caféiers.
..
�II. -
PÉRIODE DE CRISE
1740-1750
La période que nous envisageons maintenant est une période de crise. L'équilibre que l'Ile semblait avoir atteint va être
ruiné dans les années qui vont de 1740 à 1750. Une coïncidence
maIbeureuse a fait se cumuler les effets d'événements indépendants en eux-mêmes.
Les causes extérieures sont de deux sortes; la liberté du
commerce bouleverse de fond en comble le système économique
et la vie des Indes. Cette mesure est prise à la hâte, sans que
personne y soit préparée. Elle sera un échec, et on a un peu
l'impression que la Compagnie s'en réjouit. Elle a tenté l'expérience dans les plus mauvaises conditions qui se puissent concevoir. Mais elle peut maintenant se targuer aux yeux des contempteurs du monopole, de cette expérience maIbeureuse.
Survenant après cette tentative, la guerre de Succession
d'Autriche touche durement la Compagnie, et par contre coup
Bourbon. De nombreux vaisseaux sont pris par les Anglais, la
défense des comptoirs est coûteuse; la Compagnie est en difficulté. Bourbon, privé de marchandises d'Europe, vit dans la
misère.
Mais à peine la vie économique a-t-elle repris son cours
normal, et la paix permis la reprise du commerce, que l'on
s'aperçoit de l'ampleur du fléau qui dévaste les caféiers de l'île.
Le fondement de la richesse est détruit. L'Ile va chercher en
tâtonnant un nouvel équilibre.
A. -
.. .,
L'EXPÉRIENCE DU COMMERCE LIBRE
(1742-1746)
Nous avons vu comment la Compagnie jouissait d'un monopole absolu sur le commerce des Indes, et comment, par l'intermédiaire des Conseils Supérieurs, elle organisait ce monopole
pour le commerce d'Inde en Inde.
�61
Les nombreuses protestations soulevées par ce monopole
n'avaient pas été sans écho à Paris. LA BOURDONNAIS, qui s'était
fait le promoteur du commerce libre profita de son passage en
France en 1741-42 pour reprendre sa campagne auprès des
instances supérieures de la Compagnie.
Une dernière fois, à la fin de son mémoire (1) il reprend
ses idées: • La Compagnie en se conservant le commerce exclusif
des îles de France et de Bourbon, s'est, par une loi naturelle,
engagée à recevoir toutes les denrées des habitants des dites îles,
et à leur fournir toutes leurs nécessités; et ce, sans limite, ni
distinction, et à des prix convenus et fixés; or, il est impossible
que la Compagnie puisse tenir cet engagement, parce qu'elle ne
saurait consommer indistinctement toutes la production des îles,
ni fournir aux colons tout ce dont ils ont besoin, suivant la variété de leur goût... il ne reste plus que d'établir comme partout
ailleurs une liberté de commerce ... j'entends commerce celui des
Indes aux TIes ... •
On voit qu'il ne s'agit ici que du commerce d'Inde en Inde,
car LA BOURDONNAIS considérait comme très difficile pour des
particuliers le trafic Indes-Europe.
Des raisons contingentes s'ajoutaient à ces raisons profondes. Les prodromes de la guerre se faisaient sentir (mort de
l'empereur d'Autriche Charles VI, en octobre 1740; alliance avec
l'Espagne contre l'Angleterre, tentative d'alliance de mai-juin
avec la Prusse contre l'Autriche, elle-même soutenue par l'Angleterre ... ). Il était certain qu'une guerre en Europe se doublerait
d'une guerre maritime et coloniale, car la puissance anglaise était
en jeu.
La Compagnie sentit que, d'un point de vue financier, elle
ne risquait rien à rendre la liberté au commerce en cas de guerre,
car l'insécurité des mers rendrait cette liberté· bien théorique; de
plus, n'étant pas sûre de pouvoir ravitailler ses comptoirs durant
les hostilités, il n'était pas inutile que des armateurs particuliers
travaillassent dans le même sens.
Toutes ces raisons amenèrent la Compagnie à faire un essai.
Le 27 juin 1741 (2) elle autorise le gouverneur de Bourbon :
• à donner la liberté à l'habitant de se procurer par lui-même en
payant des droits d'entrée, les marchandises propres à son usage,
et d'envoyer traiter pour son compte des noirs à Madagascar età Mozambique, ou d'en acheter dans l'Inde avec la permission
(I) Page 75-76.
(2) Cor. tome IV, page 26.
�62
•,
de les introduire dans les Des; mais la Compagnie désirant que
ce soit l'habitant qui paraisse souhaiter cette disposition, elle a
chargé le Gouverneur de manier cette affaire avec toute dextérité possible. >. D ne s'agissait donc encore que de commerce
d'Inde en Inde, le moins fructueux pour la Compagnie.
La certitude d'uu prochain conilit européen et franco-anglais détermine la Compagnie à compléter cette première mesure par une seconde, aboutissant à un renoncement total, mais
temporaire, à son monopole.
Le 19 juin 1743 (1) la Compagnie annonce en ces termes
la décision prise le 25 novembre 1742 : « la liberté du commerce,
tant dans l'Inde qu'en Europe aux îles de France et de Bourbon,
est accordée à tous les particuliers pour le terme de six années
consécutives qui ont commencé le 6 janvier 1742. >
Cette mesure promulguée jusqu'en 1748, fut prolongée,
alors que la guerre faisait rage en Europe en 1745. Le 9 avril
1745 (2) la Compagnie annonce que la liberté du commerce est
prorogée jusqu'au 31 décembre 1750 inclusivement.
Rendre le commerce libre ne signifiait pas grand chose, si
aucuu particulier ne possédait les moyens d'utiliser cette liberté.
Pratiquement la liberté du trafic était illusoire, si personne ne
possédait de bateaux pour l'assurer. Or, depuis des années, la
Compaguie assurait seule les voyages en Inde, aucuu armateur
n'était prêt à faire face à cette charge.
Si la Compagnie avait, à ce moment, refusé ses navires
pour le commerce, toute vie économique aurait été arrêtée. Mais
elle n'entendait pas agir ainsi. Bien au contraire, dans la mesure où la liberté du commerce pouvait être une mesure rentable,
elle entendait en profiter. C'est pourquoi elle agit de deux manières; d'une part, comme particulier, en louant ses navires à
qui voudrait les utiliser pour les transports, d'autre part en seigueur suzerain en fixant uu droit d'entrée dans ses comptoirs
sur les marchandises importées.
Dans la lettre du 19 juin 1743 eUe fixe la conduite à tenir
par le Conseil Supérieur: « fixation du frêt pour les marchandises et vivres qui seront chargés pour les îles sur les vaisseaux
appartenant à la Compagnie, destinés au commerce d'Inde en.
Inde: 10 % pour celles de faible volume, 20 % pour celles de
gros volumes indépendamment des droits de sortie étab1is dans
,
(1) Cor. tome IV, page 73.
(2) Cor. tome IV, page 198.
�63
les différents comptoirs d'où les parties les tireront et de 5 %
de droit d'entrée dans les dites îles •. Pour le passage des noirs
le frêt est de 50 livres et le droit d'entrée également de 50 livres
par tête la Compagnie armera des vaisseaux pour les traites
«aux conditions pour les armateurs à payer par an 20 % de
grosse, de payer les équipages et d'entretenir les dits navires ...
nul armement particulier ne pourra avoir lieu sans la permission
des Conseils >.
Enfin, eÎle précise que désormais la Compagnie. n'importe
plus d'autres effets que ceux nécessaires pour son service > et
qu'elle n'achètera plus de café, « l'habitant le vendra lui-même >.
-.
On voit que cette réglementation rendait assez dures les
conditions d'utilisation par les particuliers de cette liberté toute
nouvelle; d'autant plus que faute d'autres vaisseaux, on pouvait
difficilement ne pas utiliser ceux de la Compagnie, qui jouissait
d'un monopole de fait pour les transports. Seules, étaient modifiées les règles d'achat et de vente des marchandises en Europe
et dans les Indes, non celles du transport. Or, le transport était
l'élément principal du prix de revient.
Les particuliers et les négociants, tant en France qu'aux
Indes ne trouvaient guère d'avantages à ce trafic, et peu de
commerçants utilisèrent cette liberté qu'ils réclamaient il y a peu
de temps. Les circonstances troublées n'étaient guère un stimulant. Les Anglais sillonnaient les mers et faisaient des prises multiples et fructueuses de bateaux de commerce ennemis. Dans ces
conditions c'était un placement redoutablement aléatoire que l'armement des navires pour le commerce des Indes.
Les comptoirs manquèrent alors de plus de marchandises
qu'auparavant. Les habitants protestèrent et demandèrent le retour à l'état de chose antérieure.
Le 30 mars 1746, avant même la date fixée primitivement
pour la tin de l'expérience, la Compagnie supprima la liberté du
commerce. Dans la lettre de ce jour elle annonce sa décision et
précise les conditions nouvelles de son monopole: • la Compagnie s'est fait représenter tout ce qui a été écrit à ce sujet précédemment, et ayant pris en considération les plaintes que cette
liberté du commerce a occasionnées, elle s'est déterminée à prendre toutes les branches de ce commerce pour son compte et à
l'interdire à tous particuliers, employés ou autres, sous les peines
de droit et ainsi qu'il l'était ci-devant: défense à toutes personnes
de quelque qualité et considération que ce puisse être d'introduire, de vendre ou de faire vendre dans les îles de France ou
de Bourbon, aucun noir, vivre, boissons, marchandises, tant
�f
64
d'Europe que de Chine et des Indes, sous peine de confiscation
et de mille piastres d'amende • . (1).
Faussée dès l'origine par les conditions particulières dans
lesqueUes eUe avait été consentie (temps de guerre et de très
grande insécurité maritime, monopole de fait de la compagnie
des moyens de transports) la liberté du commerce fut un échec
total qui renforça le monopole de la Compagnie. Ce n'est que
plus de 20 ans plus tard qu'on songea de nouveau, en France,
à protester contre ce système et à reprendre les ' idées économiques libérales des physiocrates, dont LA BOURDONNAIS avait
été, à notre époque, un des grands promoteurs.
B. -
LA GUERRE
A partir de 1740 toutes les questions sont dominées par
l'imminence de la guerre. n est intéressant de noter comment
réagit une petite île lointaine à une guerre européenne, comment
eUe apprend les grands événements internationaux.
LA BOURDONNAIS avait signalé dans son mémoire les faiblesses des nes en cas de guerre: c aucune fortification sur lesqueUes on puisse compter tout s'y réduit à défendre la descente ...
mais les montagnes sont un obstacle insurmontable contre les
créoles bien commandés ... ce qu'il y a plus à craindre dans les
îles, c'est la désertion des troupes et des noirs >.
La Compagnie le savait, aussi avait-eUe souvent rassuré
le Conseil Supérieur sur le soutien qu'eUe lui apporterait en cas
de guerre. Le 26 juin 1742 elle annonce qu'en cas de déclaration
de guerre, elle enverra « deux vaisseaux bien armés :t.
C'est par une lettre du 22 septembre 1744 que la Compagnie annonce la déclaration de guerre de la France à l'Angleterre et à la Hongrie. Le 9 avril 1745 eUe annonce . qu'on fait
les préparatifs nécessaires pour entrer en campagne, le roi ira
sans doute en Flandres • .
Cependant la guerre maritime faisait rage. Les vaisseaux
anglais guettaient les navires de la Compagnie qui, de nombreuses
(1) La Compagnie précise encore quelques conséquences· pratiques
de ce retour au monopole et fixe les taux de bénéfices des marchandises
et des prix de vente des esclaves: c marchandises d'Europe 125 %. en
temps de guerre, 100 % en paix; de Chine 50 %. noirs-pièces d'Inde, de
Guinée et qu Sénégal 200 piastres, de Mozambique 150, de Madagascar
100; des Indes 70 ::t .
�65
fois, tombèrent dans les pièges tendus et furent perdus. A chaque
lettre, et en cette période, il en manque énormément, perdues
en même temps que les navires qui les transportaient, on s'aperçoit que la réponse à la précédente n'est pas arrivée ou qu'on
n'a pas de nouvelles des navires annoncés comme partis.
Cependant la Compagnie ne se préoccupait pas seulement
de faire échapper ses vaisseaux aux Anglais, elle tentait de constituer des escadres, qui à la fois protégeraient ses navires et feraient la course contre les vaisseaux anglais.
Le Conseil Supérieur de France signale le 17 avril 1746 (1)
que les cinq navires partis en France en mai 45 ne sont arrivés
qu'en janvier 1746 (ils étaient attendus en septembre); aussitôt
LA BOURDONNAIS a composé, avec ceux qu'il possédait, une escadre de neuf navires pour combattre les Anglais en Inde. Pour
construire ces équipages, LA BOURDONNAIS utilisait non seulement
les créoles volontaires mais également les noirs sfirs. Cette escadre eut d'ailleurs quelques succès et soutint Pondichéry dans son
siège contre les Anglais.
La Compagnie envoya ensuite une autre escadre commandée
par BOUVET qui elle aussi fit une campagne assez glorieuse. Le
Conseil Supérieur de France annonçait à Bourbon le Il janvier
1749 qu'après 56 jours de tranchées ouvertes, les Anglais ont
levé le siège de Pondichéry avec perte de 1.200 hommes.
Le seul moment où les îles eurent l'occasion de devenir
un théâtre d'opérations fut en juillet 1748, alors que les préliminaires de paix avaient été déjà signés, mais on l'ignorait aux
Indes. Une série de lettres de juillet 1748 échangées entre la France et Bourbon signalent l'arrivée d'une escadre, le 4 juillet, avec
quinze bâtiments, dont huit de guerre. Un duel d'artillerie eut lieu
et finalement le 13 juillet, l'escadre leva l'ancre.
C'est par une lettre du 30 juin 1748 que la Compaguie
communique à Bourbon: «nous vous annonçons, Messieurs,
avec bien de la joie, que les préliminaires de paix ont été signés
à Aix-la-Chapelle, le 30 avril dernier. Cet heureux événement
va vous procurer les moyens de travailler efficacement à réparer
par des opérations fructueuses les pertes énormes que la Compagnie a souffert depuis la guerre et les dépenses excessives qu'ont
occasionnés les armements considérables qu'elle a faits pour
pourvoir à la conservation de ses établissements, ce qu'elle n'au- _
rait point été en état de faire, si elle avait été aussi puissamment
secourue par le Gouvernement >. Le 19 décembre 1748 (id.
,.
(1) Cor. tome V, page 1.
5
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page 119) elle annonce « la paix a été signée le 18 de ce mois
d'octobre dernier à Aix-la-Chapelle entre la France, l'Angleterre,
la Hollande et toutes les autres puissances intéressées dans la
guerre y ont accédé • .
Ce qui prouve combien en France on était mal au courant
de ce qui se passait en Inde, et combien les nouvelles mettaient
de temps à parveuir, c'est que, dans une lettre du même jour
(page 120 et suivantes), la Compagnie donne après la paix, ses
instructions au cas où les comptoirs auraient été pris par l'ennemi, ou nous en aurions pris.
Le 25 novembre 1749 la Compagnie déclare: « il est certain que les îles ont été une grande ressource en ces temps critiques; l'objet de leur conservation sera toujours une des attentions
principales de la Compagnie >.
Les îles, en effet, avaient joué un rôle important dans le
ravitaillement des escadres que la Compagnie envoyait aux Indes.
Le 8 juin 1748 David, écrivant à Bourbon qu'une nouvelle
escadre (celle de BOUVET) arrive dans les Indes, précise que pour
la nourrir il faut: « ramasser tout ce que vous pourrez trouver
de vivres dans votre île, comme bœufs, moutons, cabris, volailles
de toute espèce, légumes de toutes sortes, etc ... >. Le 6 septembre 1749 Bourbon rappelle toute la question: « il a été fait
des fouruitures assez considérables à l'escadre de Monsieur DE
LA BOURDONNAIS ... tant que la guerre a duré, l'lie de France a
tiré de nous des secours considérables en grains et eut été certainement hors d'état de fouruir à la consommation que faisait la
grande quantité des vaisseaux qu'elle avait dans son port, si elle
n'eut trouvé ici blé et maïs ... L'escadre de Monsieurs de BOUVET
en a emporté pour Pondichéry. C'est ce qui nous avait fait engager les habitants à faire des vivres. Aujourd'hui que la paix
va diminuer les besoins que la Compagnie avait de ces grains,
il faut songer à réduire ces cultures: mais nos magasins se trouvent remplis de plus d'un million de blé et de beaucoup de maïs • .
L'effort exceptionnel pour le blé, la guerre étant terminée,
ne rapporta rien à l'habitant, car la Compagnie en temps de
paix n'avait nul besoin d'une telle quantité de vivres. Mais si
les habitants de Bourbon mangèrent à leur faim durant la guerre,
ils souffrirent par contre d'une disette totale des marchandises
d'Europe et notamment de produits textiles.
Au 15 mars 1747 le Conseil Supérieur de BourbOn note:
« le pays devient plus dur que jamais et la vie plus difficile et
plus coûteuse >. Le 9 novembre « nous manquons de tout et il
ne nous reste dans nos magasins aucune marchandise d'aucune
espèce >. Le 19 mars 1748 il annonce que depuis juillet 1747
�67
les appointements des employés n'ont pas été payés faute
d'argent.
Cette grande misère de l'Ile subsiste longtemps après la fin
des hostilités. Le niveau de vie est de nouveau tombé très bas,
et ce n'est pas le bouleversement de la structure agricole de
l'Ile qui permettra de le relever.
Cette guerre se termine pour la France par une victoire,
pour la Compagnie par un succès certain, mais les événements
ont prouvé la fragilité de l'équilibre de Bourbon. Surtout, ils ont
montré que sur mer les Anglais possédaient une suprématie certaine et que les Mascareignes étaient difficilement défendables.
Quelques années plus tard, la guerre de Sept Ans allait faire
justice de l'optimisme général à la fin de cette guerre.
Mais dès maintenant, la situation interne de Bourbon justifie
les craintes les plus vives quant à son avenir économique.
C. -
LA CRISE DU CAFÉ
Le tableau que nous avons fait de l'état de l'Ile, pour
l'essentiel, reste valable jusqu'à la fin de notre période; mais sur
un point, à vrai dire capital, l'économie de Bourbon est bouleversée; nous assisterons en effet à la ruine des caféiers.
Nous avons vu que vers 1740 le problème principal qui se
posait à Bourbon à propos des cafés, était celui des débouchés.
Concurrencé sur les marchés européens par celui de la Martinique, exclu par sa qualité inférieure de la France par celui de
Moka, le café de Bourbon avait tenté de gagner les marchés
arabes et asiatiques. Il semblait à ce moment que la pléthore
menaçait mais la question fut brutalement tranchée. En quelques
mois un fléau naturel ravagea les plantations et fit tomber la
production à presque rien.
Au début la Compagnie soucieuse de ne pas s'encombrer
de cargaison de café, insiste dans toutes ces lettres pour fixer
un contingent maximum d'achat; le 19 juin 1743 (1) elle n'achètera que 1.500.000 à 1.800.000 livres de café dont elle estime
pouvoir trouver le débouché annuellement en Europe; le 19 avril
1746 (id. page 196) elle achètera 3.000.000 de livres, proportionnellement aux récoltes des habitants (2).
,
,
,
,
,<
(1) Cor. tome IV, page 98.
(2) En même temps elle réduit les gratifications accordées aux
conseillers sur les ventes de café, de six à quatre pour cent (17 mai 1746
idem, page 223).
�68
•
Mais pour la première fois le 12 avril 1747 (1) le Conseil
Supérieur signale « les poux ravagent les caféiers, diminuent les
récoltes, ils font même mourir les arbres • aussi la qualité de
3.000.000 livres de café que la Compagnie veut acheter estelle bien supérieure à la récolte. Le 19 mars 1748 (2) il note
que le ravage des poux continue toujours, la situation empire.
La Compagnie s'en émeut et, le 28 février 1749, elle (3) déclare
« le ravage des poux et pucerons diminuant si considérablement
la récolte des cafés, il est heureux que la récolte de blé ait été
aussi abondante . ; et le 8 juillet 1749 (4); . Ie progrès de la
vermine est tel que vous n'oserez plus compter sur une cargaison de café chaque année ... cette réduction serait funeste pour
la Compagnie • .
Les ravages des insectes semblaient tellement définitifs que
malgré le maintien du prix du café à 4 sols (c'était la récompense
de la Compagnie pour J'effort de guerre de Bourbon) le Conseil
Supérieur de Bourbon déclare le 6 septembre 1749 (5) qu'il ne
faut pas « espérer cette année plus d'un 1 200 ou 1 300 milliers
de café, c'est-à-dire quelque chose de plus qu'une cargaison • .
Le 10 novembre 1749 (6) il signale qu'encouragés par le
maintien des prix à 4 sols, les habitants tentent de sauver leur
plantation, il montre « la triste situation de cette île, occasionnée
par l'insecte qui, détruisant les caféiers, emporte la seule branche
de commerce qu'elle avait... • . li parle des essais que l'on a fait
de « planter les caféiers dans des terrains plus élevés, empéchant
par leur fnûcheur les poux de s'y attaquer •. Mais ajoute-t-il la
récolte ne remontera qu'à 3.000.000 Livres.
Les documents ne permettent d'ailleurs pas de rendre
compte de l'origine exacte de ce fléau, ni si ces insectes ont été
importés. Cependant ce qui est certain, c'est que malgré les
efforts de réinstallation des plantations sur des sols plus élevés,
les caféiers ne constituèrent plus pour Bourbon la source fondamentale de ricbese qu'ils avaient été de 1720 à 1747.
On a vu que dès le début la Compagnie s'était préoccupée
de ne pas axer la production spéculative de Bourbon sur un seul
produit. Les dangers redoutables d'une économie agricole reposant sur la monoculture apparurent flagrants après l'invasion des
(1)
(2)
(3)
(4)
(5)
(6)
Idem page 77.
Cor. tome IV, page 143.
Idem page 143.
Idem page 159.
Idem page 172.
Idem page 175.
�69
insectes dans les caféiers. La Compagnie et le Conseil Supérieur
s'efforcèrent de trouver des cultures de remplacement.
Dès le 27 juin 1741 (1) la Compagnie envoie aux nes de la
graine d'indigo d'Agré et fait venir de Chiras des plants de
vignes produisant le vin blanc et le vin rouge. Le 26 juin
1742 (2) elle introduit aux Iles « le vers à soie ... et fait passer de
la graine d'Europe >. Enfin sur une remarque du Conseil Supérieur, elle répond le 11 avril 1741 (id. page 410) qu'elle ne pense
pas que le sucre ou le riz deviennent des objets de commerce
avantageux.
Mais tous ces essais furent en partie inutiles. Le 10 novembre 1749 (3) le Conseil Supérieur donne un tableau général des
résultats des essais des nouvelles cultures. L'indigo ne réussit
pas, les essais pour les vers à soie sont aussi décevants, car ceuxci sont détruits par les insectes de l'ne, « comme souris, fourmis
et autres dont cette île abonde; seule la récolte abonde en blé
qui nous devient complément inutile, les essais de canneliers
n'ont pas encore Tien donné :t . Cependant un espoir subsiste,
« nous nous flattons qu'il n'en va de même du coton ... le coton
de cette île est plus beau, à long fil et propre aux ouvrages les
plus fins >. On sait qu'il ne devait jamais s'agir là d'une plante
importante pour Bourbon.
Ainsi en 1750 à la fin de notre période, Bourbon continue
à produire abondamment, et même surabondamment des produits vivriers, mais elle n'a pas retrouvé après la chute catastrophique du café, des plantations spéculatives qui lui permettent
d'occuper sur le marché extérieur un rôle important et de faire
rentrer à Bourbon les revenus nécessaires à un enrichissement
et à une expansion économique de l'ne. Bourbon ne se remit
jamais de la ruine du café.
"
.
(1) Cor. tome IV, page 3.
(2) Cor. tome IV, page 37.
(3) Cor. tome V, page 175-178.
�CONCLUSION
On peut à la fin d'une telIe étude regretter que les documents
qui nous ont servi de c matière première;) ne s'étendent pas sur
plus de temps. li aurait été intéressant de remonter jusqu'en
1719, date à laquelle Bourbon devient une colonie de la Compagnie des Indes, et de continuer jusqu'en 1763 où, par le traité
de Paris, l'Angleterre ruina ce que les historiens appellent le Premier Empire colonial français .
TI serait dangereux de vouloir tirer de notre étude des
conclusions relatives à l'histoire. De l'ensemble de ce que nous
avons dit, se dégagent en effet peu de lignes directrices permettant de modifier un jugement sur la politique générale française.
Bourbon était loin des grands centres de conflit, isolée dans un
océan encore presque désert, elle n'est qu'une bien petite pièce
sur l'échiqnier international.
Cependant une telle étude apporte des matériaux pour une
connaisance meilleure de ce que l'on pourrait appeler; «la vie
familiale . d'un organisme important du royaume du 18m , siècle.
Elle permet de voir au jour le jour, et d'une façon très pratique,
comment la Compagnie des Indes concevait son rôle, comment
elle administrait le domaine qu'on lui avait confié, comment elle
jouissait du monopole qui lui avait été conféré.
En même temps, et parallèlement, elle nous permet de regarder vivre une colonie type d'ancien régime. La vie quotidienne des colons, les problèmes essentiels d'une communauté
nationale s'établissant à des milliers de kilomètres de la métropole.
,
Cependant il ne faut pas non plus sous-estimer la valeur
des témoignages recueillis, ils ont une signification générale. On
retrouve ici la conception hiérarchisée et inégalitaire de la société
qui devait être renversée par la révolution, on discerné les premiers prodromes d'un esprit pré-révolutionnaire, refusant la soumission muette au bon plaisir du seigneur souverain. On touche
du doigt le rôle fondamental de l'esclavage dans la vie économique et la situation sociale des colonies de plantation.
�71
En même temps on sent que seront bientôt discutés les
principes mêmes qui motivèrent l'établissement d'une grande
Compagnie à monopole; l'expérience du commerce libre a beau
être un échec, elle contient en germe un irrésistible mouvement
d'aspiration à un libéralisme économique qui se doublera bientôt d'un libéralisme politique.
La vie quotidienne d'une colonie et ses rapports avec son
seigneur suzerain ne va pas sans poser en termes pratiques les
grands problèmes théoriques, c'est ce que nous avons voulu
montrer.
BIBLIOGRAPIllE
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DOCUMENTS
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Bourbon, publiés et annotés par A. Lougnon, avec la
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185 pages, 1934. Tome II,10 mars 1732, 23 janvier 1736,
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2' fascicule, in_8 ° XXIV, 150 pages, 1937. Tome IV,
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,
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�Photo COlBE - St-Denis
�Le Colonat partiaire
à la Réunion
Bernard PARISOT
Assistant à la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques d'Aix-en-Provence,
à l'Institut d'Etudes Juridiques
de St-Denis de la Réunion.
'.
'.
�SOMMAIRE
Introduction . . .. ... . ... . .. . .. . .... .. ... ...... . . ..
1" partie. -
Le statut juridique du colonat partiaire
réunionnais . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . ..
contrat .......... . .. . .... . . .. . .. . . . .
La formation du contrat . .. . .. . . ..... .
La preuve du contrat
83
83
Les effets du contrat
Les rapports généraux existant entre les
parties .. . ... . . ... . ......... .... . . ..
86
b)
Les droits et obligations des parties ... ...
89
a)
La durée et les causes de cessation du bail.
La durée du bail ... . ....... .. . . . .. ..
Les causes de cessation du bail . . ......
91
91
91
Les Commissions arbitrales du colonatpartiaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
93
La nature juridique du colonat partiaire ..
94
Les données du problème .... .. . . .. . . ..
La nature juridique du métayage ......
La position du problème à la Réunion . ...
95
95
97
a)
b)
B.
a)
C.
b)
D.
2' partie. A.
a)
b)
84
87
b)
La solution du problème . . . . . . . ....... 100
La subordination juridique ....... . •.. . 100
La subordination économique ....... : .. 103
Conclusion
106
B.
a)
> •
82
Les conditions de formation et de preuve de
A.
'. .
77
�77
•
, <
•
1. Si en France métropolitaine le métayage tend
à disparaître lentement, à La Réunion, au contraire, il se présente comme une institution d'une importance particulière. Son
domaine d'application est en effet fort étendu: depuis son apparition dans l'Ile, il y a près d'un siècle, ce contrat n'a pas cessé
de se développer et il joue aujourd'hui un rôle considérable
dans la vie économique et sociale du département: on y compte
près de 20 000 colons partiaires, représentant à eux seuls la
moitié de la population agricole, soit le quart de la population
active (1) .
Pour le juriste, l'importance du colonat partiaire réunionnais résulte également des caractères originaux qu'il a acquis
progressivement au cours d'une évolution qui s'est produite en
marge du droit commun métropolitain . En outre, le colonat
partiaire constitue un problème d'actualité à La Réunion: depuis
plusieurs années, en effet, il a donné lieu à des controverses
passionnées; partisans et adversaires du colonat se sont affrontés,
quelquefois avec âpreté, les uns s'efforçant de maintenir des
positions solidement établies, les autres critiquant une forme de
contrat qui, selon eux, placerait le colon dans la dépendance
quasi totale du propriétaire tant sur le plan économique que
juridique (2) .
2. - Le colonat partiaire réunionnais peut s'analyser
comme un contrat de métayage par lequel • le possesseur d'un
héritage rural le remet pour un certain temps à un preneur qui
s'engage à le cultiver, sous la condition d'en partager les pro(1) Alors qu'il n'y a que 60000 métayers en Métropole, 1 500 à la
Martinique et son à ]a Guadeloupe (cf. le rapport présenté au nom de
la Commission des Lois du Sénat par M. DELALANDE (Sénat, n° 159,
Session 1962-63).
(2) On ne peut, en présence d'une question d'un tel intérêt, que
s'étonner de la rareté des études qui lui ont été consacrées. A notre connaissance, il n'existe à ce jour qu'une seule recberche à caractère juridique
sur cette question (cf. l'article de M. Henri CORNU sur c Les colons partiaires de La Réunion ~ , recueil Penant 1958, n° 655, pp. Il et s.).
�78
duits avec le bailleur • (1). Cette définition est pratiquement
identique à celle que l'on donne habituellement du métayage
métropolitain. Mais l'apparence est trompeuse. Tout l'intérêt du
colonage réunionnais, en tant qu'objet d'étude pour le juriste,
consiste dans le fait qu'il s'est développé en marge de la législation métropolitaine, cette évolution ayant été consacrée en 1945
par la promulgation d'un statut spécial du colonat partiaire
à La Réunion, à l'époque même où s'élaborait en métropole
le statut du fermage et du métayage .
•••
3. - II n'est pas inutile avant d'examiner l'état actuel du
colonat partiaire et les problèmes qu'il pose à La Réunion, de
rechercher comment il y est apparu et de queUe manière il s'est
transformé en un contrat de type nouveau.
Dès le dix-huitième siècle, le métayage tel qu'il existait à
l'époque en diverses régions de France, était connu à La Réunion, sans que l'on puisse affirmer qu'il y était beaucoup pratiqué. Cependant à partir de 1870 - au moment même où son
importance diminuait dans la Métropole - ce contrat se répandit et, après 1880, se généralisa (2).
Plusieurs raisons peuvent être avancées pour expliquer
l'expansion subite de cette institution. Une crise économique
(provoquée à la fois par une succession exceptionneUe de cyclones et par la baisse du prix du sucre) incitant les propriétaires à partager les risques avec des colons, l'arrêt, par ailleurs,
de l'immigration, posant des problèmes de main-d'œuvre,
peuvent être considérés comme des causes probables du développement du colonage. Mais la cause profonde semble résider
dans l'abolition de l'esclavage en 1848.
(1) Art. 1er de l'ord. n" 45-2045 du 5 septembre 1945 qui reste
le texte de base en matière de colonat partiaire à La Réunion.
Sur le plan terminologique, il convient de remarquer que la dénomination de c colonat :t a été critiquée car elle rappelait une condition
sociale proche du servage ayant existé dans l'Antiquité. C'est pourquoi
bien que l'expression de c colonat . reste la plus employée, on use parfois
du terme de c colonage . . Le colonat partiaire (ou métayage) prend
d'ailleurs en métropole, suivant les régions, les noms les plus divers: bail à
métairie, bail à moitié fruits, bail à portion de fruits, etc.
(2) Cf. l'article de M. Henri CORNU, c la Voix des Mascareignes ~
du 23-8-1962. et DEFOS DU RAU , c L'De de La Réunion ~ . thèse Lettres.
Bordeaux (1960), p. 2[5.
�79
En effet, d'une part les esclaves affranchis aspirèrent à
trouver du travail, mais à condition que ce travail fût libre;
d'autre part, « les petits blancs • issus des cadets des familles
d'immigrants, qui jusque là n'avaient pu s'employer (car le travail était la marque de la condition servile et qu'avoir recours
à eux était plus coûteux que d'utiliser des esclaves), acceptaient
désormais de travailler, mais en gardant leur indépendance.
Celle-ci, seul le colonat partiaire pouvait leur permettre de la
conserver, si, par ailleurs, l'on tient compte du désir des propriétaires de recevoir un loyer en nature (1).
•
- .<
>
4. - Parallèlement à ce développement du colonage réunionnais, se produisit - et c'est là un phénomène juridique des
plus intéressants - une évolution du contrat lui-même, qui se
détacha progressivement du métayage métropolitain pour se
transformer en une institution aux caractères originaux. En ce
qui concerne la durée des baux, il apparut très vite qu'elle ne
pouvait pas être la même qu'en France. A ceUe latitude, ce
sont les conditions naturelles et physiques qui co=andent toute
la vie des ho=es, particulièrement la culture des terres, et ce
sont les cadres juridiques qui doivent s'adapter. Les contrats
ne pouvaient être conclus que pour de longues périodes en ce
qui concerne les cultures pérennes (cinq à six ans pour la canne
à sucre, neuf ans pour la vanille), pour un temps relativement
plus court lorsque le sol devait produire soit du géranium (baux
de trois ans), soit, mais plus rarement, des plantes vivrières
(baux de moins de deux ans).
Bien plus : ceUe nécessité d'apporter des soins prolongés
aux cultures ajoutée au fait que le colon s'installait SUI le fonds
avec sa nombreuse famiUe qui l'aidait à cultiver, amena la
constitution de petites exploitations à caractère familial. La
conséquence fut qu'à La Réunion - contrairement aux règles
du métayage métropolitain à cette époque - la mort du colon
pas plus que celle du bailleur n'emporta résiliation du bail:
celui-ci se continuait de plein droit avec la famille du colon
décédé.
Dans les rapports entre bailleur et preneur, également, le
colonat partiaire se différencia du métayage ordinaire. Les colons, issus, comme nous l'avons déjà indiqué, à ]a fois de c petits
blancs • et d'esclaves affranchis, tous épris de liberté, ne tar- dèrent pas à agir de manière très indépendante par rapport aux
propriétaires: on était fort loin des dispositions de la loi
(1) C'est ce qui peut expliquer que Je métayage se soit répandu à
la Réunion aux dépens du fermage ordinaire.
�80
métropolitaine du 18 juillet 1889 sur le métayage qui attribuait
au bailleur c la surveillance des travaux et la direction générale
de l'exploitation >. L'expression même de métayage disparut au
profit de celle de colonat partiaire, le partage des fruits, en
effet, ne s'effectuant pas par moitié mais dans la proportion
minima de deux tiers pour le preneur et un tiers pour le bailleur.
L'étude des documents de l'époque montre que cette évolution correspondait parfaitement aux aspirations des intéressés.
« Ce contrat spécial, écrivait en 1886 le Bâtonnier Le Roy (1),
qui participe à la fois du louage et de l'association, réunit dans
une heureuse combinaison les avantages propres à l'un et à
l'autre > .
Au début du 20 m• siècle, le colonat partIarre continua à
se répandre et il fut appliqué sans difficulté - au moins apparente - pendant près d'un demi-siècle.
*
••
5. - Avant la promulgation de l'ordonnance du 5 septembre 1945, le statut juridique du colonat partiaire obéissait à des
règles découlant, en principe, de trois sources: la loi, la coutume et la convention des parties.
Pendant longtemps, aucun texte n'avait réglementé le
contrat de colonage aussi bien en France qu'à La Réunion,
exception faite de deux dispositions du Code Civil, les articles
1763 (2) et 1764, qui se bornaient à interdire à celui qui cultivait sous la condition d'un partage des fruits avec le bailleur, de
sous-louer ou de céder son bail, sauf convention contraire.
L'absence d'un statut réel du métayage ayant entrainé en
France métropolitaine de nombreuses difficultés dans l'application des contrats, le législateur intervint par la loi du 18
Juillet 1889 qui fut rendue applicable à La Réunion, beaucoup
plus tard, par un décret du 18 Août 1915. Or, si la loi de 1889
reçut une application effective en Métropole jusqu'à ce que les
lois du 17 Octobre 1945 et du 13 Avril 1946 portant statut
du fermage et du métayage (3) abrogent la plupart de ses dispo(1) E. LE Roy, Rapport sur le colonage partiaire et les engagements
fictifs, DROUHET, 1886 (Archives de la Réunion).
(2) Abrogé par la loi du 13 Avril 1946 sur le métayage; on peUl
signaler également les articles 1827 à 1830 du Code Civif mais ils
concernent la question très particulière du cheptel donné par le propriétaire au colon partiaire.
(3) C'est-à-dire, aujourd'hui, les art. 790 et s du Code rural, les
dispositions particulières au métayage étant contenues dans les art. 819
à 825 du même Code.
�81
sitions, il n'en fut pas de même à la Réunion. Les usages y
étaient en effet fortement ancrés, si bien que les dispositions
de la loi de 1889, qui n'étaient que supplétives de volonté,
restèrent lettre morte dans l'De.
6. - C'est donc aux usages locaux, à la coutume, que
les conventions de colonat partiaire se référaient avant la
seconde guerre mondiale. D semble - et c'est ce que beaucoup
soutiennent encore aujourd'hui - que ce régime juridique fonctionnait bien puisque les litiges portés devant les tribunaux
étaient fort rares. Mais d'autres affirment au contraire que si
les contestations n'étaient pas nombreuses, c'est que les propriétaires jouissaient d'une position sociale plus forte que celle
de leurs colons, généralement illettrés, ce qui permettait en
outre d'imposer à ces derniers, dans les contrats, des conditions
parfois abusives.
7. - Quoi qu'il en soit, il est certain que les pouvoirs
publics partagèrent cette opinion pessimiste puisque, par arrêté
du 7 janvier 1944 une commission, présidée par le Procureur
Général près la Cour d'Appel, fut instituée aux fins de préparer un projet de statut juridique du colonat partiaire à la
Réunion. Cette commission procéda à de nombreuses enquêtes
sur la condition juridique et économique des colons partiaires
et prépara, avec une rapidité remarquable, deux textes qui furent
promulgués l'année suivante: l'ordonnance du 5 septembre 1945,
complétée par le décret du 28 Février 1946, relatif au fonctionnement des commissions paritaires créées par ladite ordonnance.
Cette intervention du législateur, parce qu'elle étendait à
la Réunion de nombreuses règles du métayage métropolitain et
imposait des cadres juridiques très stricts à des rapports régis
jusque-là par la coutume, fut très mal accueillie dans le monde
agricole. Longtemps critiquée, l'ordonnance de 1945 finit par
être acceptée mais la force de la coutume était telle que beaucoup de ses dispositions furent tournées ou même restèrent
inappliquées.
8. - Par ailleurs, à la suite de la départementalisation,
réalisée par la loi du 19 Mars 1946 et de l'extension de la
Sécurité Sociale aux nouveaux Départements d'Outre-Mer, le
principe de l'affiliation des colons - assimilés à des salariés se trouva posé: les réactions contre cette mesure furent extrêmement vives du côté des propriétaires, considérés comme em-
�82
ployeurs et tenus par conséquent à cotisation. Mais surtout, la
question fort importante de la nature juridique du contrat de
colonage Oouage de services ou louage de choses) se trouvait,
par là-même, à l'ordre du jour.
9. - Le colonat partiaire prêsente donc, auourd'hui, à
la Réunion, un double intérêt: il constitue une institution autonome rêsultant de la volonté expresse du législateur d'écarter
le droit commun métropolitain. De cette autonomie découlent
des caractères juridiques particuliers: on est alors conduit à
rechercher dans quelle catégorie de contrat le colonage réunionnais peut être placé, la solution de ce problème comportant
des conséquences pratiques d'une grande importance.
L'ordonnance du 5 Septembre 1945, qui constitue le statut
juridique de métayage à La Réunion (1), la détermination de la
nature juridique du colonat partiaire réunionnais (II), telles sont
les deux questions qui seront examinées dans cette étude.
•
•
•
.
-'/.:'"
1. -
LE STATUT JURIDIQUE DU COLONAT
PARTIAIRE REUNIONNAIS
10. - L'œuvre du législateur de 1945 a été double.
D'une part, après avoir abrogé le décret du 18 Août 1915 qui
avait rendu applicable à la Réunion la loi de 1889, il a groupé
dans un même texte les articles du Code civil qui concernaient
le métayage, les règles coutumières, et certaines dispositions de
la loi abrogée. Mais, d'autre part, il a fait œuvre créatrice en
réformant la coutume dans le sens d'une protection accrue du
colon, prenant d'ailleurs souvent pour modèle des usages existant
depuis longtemps entre quelques propriétaires et leurs colons.
.
,
Afin que la protection souhaitée pût être efficace, les dispositions principales de l'ordonnance de 1945 furent déclarées
obligatoires et applicables aux contrats en cours; par ailleurs,
des pénalités furent prévues pour les cas d'inobservation de ces
dispositions. En réalité ces précautions étaient bien inutileS
puisque, comme on l'a déjà signalé, l'ordonnance de 1945 qui
heurtait de longues habitudes, fut très mal reçue dans le monde
rural et, sur bien des points, resta inappliquée .
C'est cet ensemble « codificateur > et « réformateur >
qui doit maintenant être analysé. On ne suivra pas le plan de
�83
l'ordonnance, parfois assez mal construite (1), mais un ordre
plus classique, traitant successivement de la formation et de la
preuve du bail (A), de ses effets entre les parties (B), de ses
causes de résiliation (C) et, plus brièvement, de la juridiction
originale créée en 1945 (D).
11. -
A. -
Les conditions de formation et de preuve
contrat.
La formation du contrat de métayage réunionnais obéit le
plus souvent au droit commun (a). En revanche, le régime des
preuves est tout à fait original (b).
12. -
a) La formation du contrat.
Les conditions de formation du contrat sont relatives à la
fois à son objet, au consentement des parties, et à leur capacité.
·-
1) L'article 1" de l'ordonnance de 1945 - qui n'a fait,
sur ce point, que reprendre les dispositions de la loi de 1889 indique que le bail porte sur un « héritage rural • remis pour
un certain temps à un preneur à charge de le cultiver. L'objet
du contrat de colonage est donc, comme dans le métayage métropolitain, une portion de terre, un domaine rural susceptible
d'être mise en culture (2).
Mais le texte ajoute que le fonds est loué • sous la condition d'en partager les produits avec le bailleur • : il faut par
conséquent que la terre, objet du bail, produise des fruits susceptibles d'être partagés périodiquement. TI convient en outre de
remarquer qu'à La Réunion, cette terre, objet du bail, revêt une
importance particulière. < C'est elle, qui, avec l'ensemble des
conditions climatiques: chaleur, pluie, saisons, commande les
modalités du contrat et lui impose ses caractères essentiels. (3).
13. - L'ordonnance de 1945 n'a pas traité du consentement ni de la capacité des parties: compte tenu de l'absence
(1) Par exemple, l'interdiction faite au preneur de sous-louer ou de
céder son bail résulte de l'art. 3, sous la rubrique c Dispositions
générales _.
(2) A noter cependant que, contrairement au métayer métropolitain, le colon à la Réunion, reçoit très rarement un logement et du cheptel: l'objet du bail est essentiellement la terre, et encore celle-ci
est-elle le plus souvent très exiguë (d'un quart d'hectare à 3 hectares en
général).
(3) Cf. J'article précité de M. H. CORNU sur c Les colons partiaires de la Réunion _, Recueil Penant, 1958, n° 655, p. 11 et s.
6
�84
de règle coutumière concernant spécialement cette question, la
solution semble devoir être recherchée dans le droit commun;
le consentement des parties doit donc, bien entendu, exister et
ne pas être vicié. A cet égard, il faut souligner que le contrat
de métayage métropolitain est conclu . intuitu personae >, mais
seulement à l'égard du preneur dont les qualités personnelles
sont évidemment essentielles pour la bonne exécution du
contrat. Au contraire, l'erreur sur la personne du bailleur ne
vicie par le contrat (1). Mais il en est ainsi parce que depuis
la loi du 13 Avril 1946, le bailleur métropolitain n'a plus la
direction de l'exploitation. L'ordonnance de 1945 ayant au
contraire repris dans son article 18 les termes de la loi de 1889
qui donnait au bailleur • la surveillance des travaux et la direction générale de l'exploitation > , on peut se demander si, à la
Réunion, l'erreur sur la personne du bailleur ne vicie pas le
contrat (2).
14. - C'est aux règles du métayage métropolitain qu'il
faut également avoir recours pour déterminer la capacité exigée
des parties : le colonat partiaire constituant, selon l'opinion
dominante, un louage de services, il suffit, nous semble-t-il, que
le bailleur ait la capacité de faire des actes d'administration .
Pour le preneur, débiteur d'une obligation de faire, la capacité
de s'obliger doit être considérée comme suffisante.
15. -
b) La preuve du contrat.
Elle est beaucoup plus intéressante à analyser en raison
des règles originales posées par l'ordonnance à ce sujet.
1) Certes, le législateur de 1945, après avoir rappelé le
principe suivant lequel le bail à colonat partiaire peut être
passé aussi bien verbalement que par écrit (3), renvoie dans
les deux cas aux règles du Code civil en matière de bail, quant
à la preuve de l'existence et des conditions du contrat. Ce renvoi ne peut viser que l'article 1715 du Code civil qui interdit la
(1) v. sur ces points, PLANIOL el RIPERT, Traité pratique, 2' édition,
n° 669.
(2) Il nous semble que le bailleur , aux termes de l'art. 18, n'exer-
çant ces pouvoirs que c pour le mode de culture »-, ~ on peut
estimer que l'erreur sur la personne du bailleur n'a pas à être prise en
considération .
;
.,,
(3) Une loi du 2 Août 1961 Qui réforme le colonat partiaire réunionnais en l'étendant aux autres D.O.M. , mais qui reste lettre morte en
l'absence du décret d'application, prévoÎt que le contrat sera obligatoirement passé par écrit. (cf. infra n° 64).
�85
preuve testimoniale si le bail n'a pas été passé par écrit et n'a
reçu aucune exécution, cette preuve par témoins (ou par présomptions) n'étant même pas admise lorsqu'il existe pourtant
un commencement de preuve par écrit (1).
Les rédacteurs de l'ordonnance ont-ils eu conscience des
difficultés que pouvait faire naître, dans le cas - de loin le
plus fréquent - de bail verbal, un tel renvoi au Code civil ?
Si, en pratique, les droits et obligations des parties, les règles
concernant le partage des fruits et le mode de culture, ne risquaient pas de donner lieu à des contestations, il n'en était pas
de même lorsqu'il s'agissait de prouver pour cbaque contrat,
les limites de la superficie du terrain loué, la date de commencement du bail ou même la qualité de colon.
,
16. - 2) C'est pourquoi - et c'est là une des principales
particularités de l'ordonnance - un système assez curieux de
preuve a été organisé, que l'on pourrait qualifier de c légal» (2).
Le législateur de 1945, ayant jugé impossible d'exiger un
contrat écrit pour la validité du bail (beaucoup de colons étant
illettrés) (3), a été conduit à faciliter le mode de preuve par
deux sortes de mesures.
En premier lieu, le bailleur était astreint, dans un délai de
huit jours à compter de la conclusion du contrat, à notifier
le bail (écrit ou oral) au Juge de Paix. Cette notification devait
conteuir tous les renseignements relatifs à l'objet du bail et aux
parties contractantes. En second lieu, le bailleur devait remettre
au colon un livret, dit « livret de colonat partiaire », sur lequel
étaient portées les indications contenues par la notification. Le
colon devait présenter son livret, dans les huit jours de sa remise
par le bailleur, au Juge de Paix qui lui en donnait lecture et,
si aucune observation n'était présentée, y apposait son visa; enfin, le Juge de Paix devait transcrire le bail sur un registre
spécial.
(1) Cependant, on semble parfois admettre, dans ce dernier cas, eu
égard à la situation Spéciale du métayer, que le bail puisse être prouvé
par témoins ou présomptions ; cf. en particulier : Casso soc. 6 Février
1948, D. 1949. J. 26. note Savatier.
(2) Rappelons que pour le métayage métropolitain, J'ordonnance
du 17 Octobre 1945 modifiée par la loi du 13 Avril 1946 exige (art. 809
c. rur.) que tous les baux ruraux soient passés par écrit; à défaut, ils
sont censés faits pour 9 ans aux clauses d'un contrat type.
(3) Cf. le Commentaire du projet de l'ordonnance de 1945 et du
décret d'application de 1946, par le Proc. Gên. Baptiste, Cazal 1944, p. 3.
�r
86
Ce système donnait toute garantie au colon, mais il avait
le grave inconvénient d'être très compliqué et d'astreindre les
contractants à des formalités ennuyeuses, enfermées dans des
délais très stricts. C'est pourquoi, bien qu'elles eussent été
rendues obligatoires et assorties de sanctions pénales, ces dispositions ne furent pratiquement jamais suivies (1). Quelques
colons, dans les années qui suivirent la promulgation de l'ordonnance, réclamèrent en justice leur livret de colonat, mais il
semble que beaucoup étaient hostiles à ce dernier qui leur
rappelait le • livret d'esclavage • . Surtout, cette réfome se
heurta à l'opposition résolue des propriétaires qui y virent nne
atteinte à leur indépendance, voire une sorte de brimade.
Cette inapplication des règles de preuve constitue certainement le plus grave échec de l'ordonnance, et les colons
réunionnais qui veulent prouver leur qualité de colon ou les
conditions du bail sont aussi démunis de preuve aujourd'hui
qu'avant 1955 (2).
L'application de l'ordonnance, en ce qui concerne les effets
du bail, rencontra de manière généraJe, moins d'oppositions,
parce qu'on s'était bien souvent contenté de reprendre les usages
locaux.
17. -
B. -
Les effets du contrat.
La finalité du contrat de colonat partiaire est le partage
des fruits entre le bailleur et le preneur. Pour atteindre ce but,
le bailleur • remet > la terre au preneur à charge pour ce dernier, de la cultiver. Or, cette culture de la terre, outre le travail
assidu qu'elle exige, rend nécessaire, notamment à la Réunion,
certaines dépenses d'engrais et d'irrigation, et les colons sont
fréquemment amenés à demander des avances au propriétaire.
Il faut donc examiner les rapports généraux résultant de
ces opérations de partage et de ces avances consenties au colon (a) avant de rechercher quels sont les droit et obligations
proprement dits des parties (b) (3) .
(1) Sauf par quelques grosses sodétés, et aussi par certains propriétaires de la région de Saint-Pierre.
(2) Il faut remarquer toutefois que, dans la pratique, les colons
restent très longtemps attachés à la terre et que les contestatjons sont
rares.
(3) En ce qui concerne la question de la répartition des risques,
l'ordonnance reproduit purement et simplement dans son article 14, 1'art.
9 de la loi de 1889 (repris par ailleurs dans l'art. 822 du Code Rural :
chaque contractant supporte sa part correspondante dans la perte
commune.
�87
18. - a) Les rapports généraux existant entre les parties.
1) L'article 15, al. 1, de l'ordonnance fixe la part minima
du colon aux deux tiers de la récolte. C'est là, de l'aveu même
des auteurs du texte, une atteinte au droit de propriété et à la
liberté des contrats (1). Mais on sait qu'en matière de baux
d'habitation, le législateur a procédé de même, et que l'article
821 du Code rural précise qu'en matière de métayage métropolitain la part du bailleur « ne peut être supérieure au tiers
de l'ensemble des produits >. Il faut remarquer que si, en Métropole, on a voulu ainsi avantager le métayer (qui subissait souvent la règle du partage par moitié), à la Réunion au contraire,
dès avant 1945, le , tiercement > était d'application quasi
générale (2).
,
.
19. - Les règles coutumières ont été également reprises
à propos du temps et du lieu du partage. Le climat de la Réunion, en effet ne permet pas de fixer une date précise pour la
récolte et par conséquent pour le partage des fruits, qui varient
de plus avec le type de culture: propriétaire et colon jugent
ensemble du moment opportun et • le colon ne peut procéder
à la récolte qu'avec l'autorisation du bailleur >.
20. - Pour les cultures autres que la canne à sucre
(géranium, vétyver, notamment) le partage se fait aux champs,
et le colon a alors l'obligation de porter la part du bailleur jusqu'au chemin charretier le plus proche. Lorsqu'il s'agit de
cannes, elles doivent être livrées à l'usine indiquée par le bailleur au nom de celui-ci et du colon, et les paiements sont effectués directement par l'usinier à chacune des parties (3).
Mais l'ordonnance n'a pas su résoudre la question délicate
du coût du transport des cannes à l'usine. Au cours des travaux
préparatoires, les représentants des colons avaient demandé
avec insistance que le partage des cannes se fit aux champs et
que le législateur imposât à chaque partie l'obligation de transporter sa part; car certains propriétaires ne contribuaient pas
aux frais de transport. Les rédacteurs de l'ordonnance ont
préféré, sur ce point, renvoyer avec prudence à l'accord des
(1) (2) Cf. le commentaire précité du Proc. Gén. BAPTISTE, p. 6.
(3) On voulait ainsi éviter que la livraison des cannes se fit à
l'usine sous le nom du propriétaire sans mention du nom du colon et
que le bailleur procédâ.t lui-même au règlement du prix des cannes en
retenant abusivement certaines sommes, en remboursement des avances
faites par lui au colon.
�88
parties, laissant ainsi la voie ouverte à une continuation des
abus.
21. - Précisons enfin, que le colon est libre de disposer
de sa part des fruits; toute clause contraire serait nulle de plein
droit (art. 16 de l'ord .). En effet, avant 1945, de nombreux
propriétaires exerçaient une sorte de droit de préemption sur la
part du preneur (en payant souvent un prix inférieur au cours)
afin de sauvegarder le remboursement des avances qu'ils avaient
consenties; le législateur a voulu interdire cette pratique (1). Ce
problème des avances a d'ailleurs particulièrement retenu son
attention.
22. - 2) L'une des principales doléances émises par les
colons avant la promulgation de l'ordonnance de 1945; concernait le taux d'intérêt excessif des avances qui atteignait parfois
J 2 %. En raison de cet intérêt trop élevé, les colons n'arrivaient
presque jamais à rembourser leurs dettes, et on a pu dire qu'ils
étaient «les éternels débiteurs de perpétuels créanciers > (2).
De plus, on constatait assez souvent que le colon ne pouvait
pas s'adresser librement au Crédit Agricole et qu'il était obligé,
en fait, d'emprunter auprès du propriétaire.
C'est pourquoi les rédacteurs de l'ordonnance ont réglementé de façon détaillée les conditions d'attribution et de remboursement des avances: il est désonnais interdit au bailleur
d'exiger un taux d'intérêt supérieur à celui pratiqué par les
caisses de Crédit Agricole pour les prêts à court tenne majoré
d'un pour cent. Toute perception supplémentaire est considérée
comme usuraire et passible des peines du délit d'usure (art. 20
de l'ord.). Enfin, les avances consenties devaient obligatoirement
être mentionnées, avec le taux d'intérêt, sur le livret de colonat
partiaire, mais on sait que celui-ci ne fut généralement pas
utilisé.
23. - Les auteurs de l'ordonnance ont rattaché la question des avances à celle du règlement des comptes existant entre
le bailleur et le preneur. En effet, pour compléter la protection
que l'on croyait apporter aux colons par l'inscription sur le livret
(1) Toutefois, pour les cultures de vétyver et de géranium qui
nécessitent l'octroi d'avances souvent considérables, l'art. 16 de l'ordo
permet au bailleur d'exiger du colon la promesse de lui remettre en
nantissement sa part sur les essences.
(2) Cf. commentaire précité du Proc. Géné. BAPTISTE, p. 8.
�89
de colonage des prêts qui leur étaient consentis, il fut iostitué un
registre, tenu par le bailleur, où devaient être mentionnées les
avances, le taux d'iotérêt et éventuellement, la date de remboursement par le colon. Il était prévu, d'ailleurs, que ces mentions
voisioeraient avec des indications concernant le partage des
fruits et la répartition des coûts de transport. Il s'agissait donc
d'un véritable livre de compte, qui devait être coté et paraphé
par le Juge de Paix et produit à toute demande des autorités
administratives ou judiciaires. Mais sur ces points également,
les textes sont restés pratiquement sans application et, encore
aujourd'hui, le colon, bien souvent, ne sait pas exactement quel
est l'état de ses créances et de ses dettes à l'égard du propriétaire (1).
•
24. - On a pu constater dans ce qui précède que les
rapports généraux entre bailleurs et colons partiaires réunionnais
étaient régis par des règles particulières; au contraire, les droits
et obligations des parties sont, à part quelques rares exceptions,
très proches du droit commun des baux furaux et on les examinera par conséquent plus brièvement .
25. -
b) Les droits et obligations des parties.
1) Le bailleur a la surveillance des travaux et la direction
générale de l'exploitation pour le mode de culture. L'exercice
de ce droit est déterminé, quant à son étendue, par la convention, ou à défaut, par l'usage des lieux (2).
Les obligations imposées au bailleur (art. 17 et s. de l'ord.)
sont les mêmes qu'en France métropolitaine: ce sont les règles
générales de louage de choses qui s'appliquent normalement ici.
Conformément à l'art. 1719 du Code civil, le bailleur est donc
tenu de délivrer la chose louée, d'assurer une jouissance paisible
au preneur en le garantissant contre son fait personnel et contre
les troubles de droit (mais non contre les troubles de fait); le
bailleur doit procéder aux grosses réparations (à la Réunion,
(1) Le propriétaire dispose, en outre, (art. 21 de J'ord .) du droit
d'exercer le privilège de l'art. 2102 du Code civil sur les portions de
récolte appartenant au colon, pour le paiement du reliqu at du compte.
Il faut noter toutefois, que Je preneur peut de son côté demander le ·
règlement annuel du compte.
(2) Art. 18 de l'ordonnance, inspiré de l'art. 5 de la loi de J889 .
La portée de cette disposition a été discutée et certains en ont tiré arguments pour affirmer que le propriétaire avait les pouvoirs d'un employeur
(cf infra n° 52).
�90
cela concerne surtout les chemins d'exploitation et les canaux
d'adduction d'eau) .
26. - 2) Le preneur, de son côté, organise son travail
comme bon lui semble : le bail ne comporte par lui-même aucune obligation pour le colon de fournir des journées de travail
à son bailleur (art. 23 et s). Cependant, afin de mettre un terme
aux pratiques de certains propriétaires qui exigaient du preneur,
comme participation aux dépenses d'entretien des chemins et
canaux, une lourde redevance, le législateur a préféré imposer
au colon l'obligation de donner au propriétaire quatre journées
de travail par an pour l'entretien du réseau général des chemins
de l'exploitation et le curage des canaux d'irrigation (1) .
Le colon est tenu d'user de la chose louée en bon père
de famille, suivant la destination qui lui a été donnée par le
contrat (2). TI doit se conformer aux instructions qui lui sont
données pour le mode de culture et est tenu d'avertir le bailleur
de toute usurpation commise sur le fonds. Bien entendu, il doit
laisser, à son départ, les lieux loués en bon état.
Les frais de culture sont à la charge exclusive du preneur,
sauf les dépenses nécessitées par l'emploi d'engrais, qui sont
partagées entre le preneur et le bailleur au prorata de leurs
droits sur les fruits . De plus, le colon doit contribuer aux dépenses d'irrigation lorsque le propriétaire paie une redevance
pour l'utilisation de l'eau.
27 . - Enfin, le colon ne peut ni sous-louer ni céder son
bail sans le consentement exprès et par écrit du bailleur (art. 3).
En cas de contravention à cette disposition, le bailleur a le droit
de rentrer en jouissance et le preneur peut être condamné à des
dommages-intérêts pour inexécution du bail (3).
En dehors de ce cas particulier, comment le bail peut-il
prendre fin ? C'est ce qu'il faut maintenant déterminer après
avoir indiqué pour quelles durées sont conclus les contrats de
colonat partiaire.
(1) Certains en déduisent que le colon est assimilable à ûn salarié
(cf infra n" 55).
(2) A noter qu'en cas d'urgence le bailleur peut exceptionnellement
exécuter à la place du preneur et aux frais de ce dernier les travaux
indispensables à la bonne marche de l'exploitation (art. 24).
(3) TI en est de même en Métropole (art. 832 du Code rural).
�91
28. -
C. -
La durée et les causes de cessation du bail.
Alors que les règles concernant la durée (a) du bail à colonat partiaire réunioonais diffèrent totalement de la législation
métropolitaine en la matière, les causes de cessation du bail, (b)
au contraire, sont presque les mêmes qu'en droit commUD.
--
29. -
a) La durée du bail.
On sait que le métayage métropolitain est conclu normalement pour une durée au moins égale à neuf ans; à la Réunion ,
la durée des baux varie suivant la nature des cultures. Avant
1945, la coutume n'était d'ailleurs pas exactement fixée, et le
mérite des rédacteurs de l'ordonnance a été de classer les terres
en catégorie et d'assurer aux colons des périodes minima d'exploitation (art. 2 et 8 de l'ord.) .
.-
Deux catégories ont été créées: la première comprenant
les terres plantées en caones, la seconde groupant toutes les
autres terres. Pour les terrains plantés en caones, la durée du
contrat doit être celle de la plantation (1). Les parties - c'est-àdire, en pratique, presque toujours le bailleur - peuvent toutefois résilier le contrat après la quatrième coupe normale. Mais
l'exercice de ce droit par le bailleur est soumis à une sorte de
e sanction > : il doit procéder à ses frais à l'arrachage des
plants; faute par lui de satisfaire à cette obligation, des dommages-intérêts sont dus au colon, pour résiliation abusive du
contrat (2).
En revanche, pendant la période de jachère cultivée des
terres à caones, les parties peuvent librement fixer la durée du
contrat. En ce qui concerne les terres de deuxième catégorie,
les durées minima des baux sont fixées à neuf ans pour la vanille, à trois ans pour le vétyver et le géranium, et à cinq ans
pour les autres cultures.
30. -
b) Les causes de cessation du bail.
Mise à part, bien entendu, la résiliation résultant d'un accord
de volonté intervenant en cours de bail (3), c'est l'arrivée à expi-
(1) Soit 6 à 7 ans puisqu'une plantation permet en moyenne de
faire 6 à 7 coupes à raison d'une coupe par an environ.
(2) En France métropolitaine c'est au contraire le colon qui peut
demander la résiliation en cours de bail, à la fin de chaque périooe
triennale (art. 820 du Code Rural) .
(3) Notamment, dans le cas de mésintelligence entre les parties, la
continuation du contrat devient quasiment impossible.
�92
ration de ce dernier qui constitue, conformément au droit commun, la cause normale de cessation du contrat (art. 9 de l'ord.) .
Mais, alors qu'en Métropole, le métayer a droit au renouvellement de son bail, à La Réunion, en principe, la tacite reconduction n'est pas possible: il faut, pour que le bail soit prorogé, un
nouvel accord de volonté et la passation d'un nouveau contrat.
Dans la pratique cependant, la plupart des colons restent sur
le fonds de longues années en vertu du même contrat.
31. - La mort du bailleur ne résilie pas le contrat. D'autre
part, le bail n'est pas résilié de plein droit par la mort du colon;
les héritiers peuvent, soit continuer l'exploitation (ou se substituer un colon agréé par le bailleur) soit demander la résiliation
du contrat. De son côté, le bailleur a la possibilité de demander
en justice qu'il soit mis fin au bail si les héritiers sont dans
l'impossibilité de remplir les engagements résultant du contrat.
Mais, dans tous les cas, il est intéressant de remarquer que si la
résiliation est prononcée, une indemnité est dûe aux héritiers (1).
32. - Les autres causes de cessation du bail sont celles
du droit commun: si le colon ou le bailleur ne remplissent pas
leurs obligations, la partie lésée peut demander la résiliation du
bail et des dommages-intérêts pour inexécution (art. 13). En
cas de destruction totale ou partielle du fonds loué (2), la résiliation a lieu de plein droit si la chose est perdue en totalité, à
la demande des parties si la perte n'est que partielle. Enfin, en
cas de vente du fonds loué, le preneur a droit, comme en Métropole, au maintien du bail (2).
Devant quelles juridictions doivent être portés les litiges
soulevés par l'application du contrat de colonat partiaire, dont
nous venons d'examiner les caractères principaux? C'est ce qu'il
faut maintenant indiquer.
.0{
l'
(1) On constatera que ce système aboutit, par d'autres voies à un
régime assez proche de celui applicable au métayage métropolitain (art.
831 du Code Rural) tout en étant beaucoup moins compliqué.
(2) Eventualité moins incertaine qu'en Métropole , en raison de la
fréquence des cyclones.
(3) Art. 11 de l'ordo et art. 1743 du Code Civil (mod. par la loi du
13 Avril 1946. Mais les colons réunionnais, à la différence de leurs homologues métropolitains ne bénéficient pas du droit de préemption. Ce
droit leur sera cependant reconnu si la loi du 2 Aoflt 1961 précitée entre
enfin en application (cf infra n° 64).
�93
33. -
d) Les Commissions arbitrales du colonat partiaire.
Avant la promulgation de l'ordonnance de 1945, les litiges
qui naissaient à l'occasion de l'exécution du contrat de colonat
partiaire étaient portés devant les tribunaux de droit commun.
Or, colons et propriétaires se plaignaient de ce que la procédure
à suivre était à la fois trop longue, trop compliquée et trop coûteuse. Ce sont ces inconvénients que le législateur de 1945 a
voulu supprimer en créant une nouvelle juridiction plus proche
des justiciables. S'inspirant du régime qui avait été institué par la
loi du 9 mars 1918 en matière de loyers, il a créé dans chaque
canton des «commissions arbitrales du colonat partiaire . (1) .
•
34. - Ces commissions, composées du Juge de Paix, président (38), de deux assesseurs (un propriétaire et un colon) et du
greffier de la Justice de Paix, devaient juger à charge d'appel
devant le Tribunal de Première Instance du ressort (2); « la
voie de cassation • (art. 37 de l'ordo était ouverte aux parties
devant la Cour d'Appel. Or, ces commissions qui devaient jouer
un si grand rôle, dans l'esprit du législateur (qui y avait consacré
10 articles de l'ordonnance et un décret comportant lui-même
33 articles), ont été boudées par les justiciables, et on peut dire
que l'institution est pratiquement tombée en désuétude (3). Dans
les années qui ont suivi l'introduction du droit nouveau, elles ont
fonctionné très efficacement mais, rapidement, le nombre de
procès n'a cessé de diminuer (3) et, par ailleurs, les présidents
des commissions ont été contraints de statuer de plus en plus fréquemment sans leurs assesseurs colons et propriétaires (ainsi
que le permettait l'article 30 de l'ord.).
Une enquête effectuée dans l'ensemble des tribunaux d'instance de l'Ile nous a permis de constater ce déclin des commissions (5).
(1) Correspondant sur beaucoup de points aux commissions paritaires des baux ruraux, en France métropolitaine.
(2) Soit aujourd'hui, respectivement : le Juge d'Instance et le Tribunal de Grande Instance.
(3) Ces juridictions seront d'ailleurs supprimées lorsque la loi du
2 Aont 1961 entrera en application, au profit d'un retour au droit commun : les constestations seront portées devant le Tribunal d'instance
(cf. infra n° 64).
(4) Signe de santé du droit nouveau ou au contraire indice d'un
refus de la réforme de 1945 et d'un retour aux anciens usages ? Les opinions sont partagées.
(5) Alors que les commissions paritaires avaient procédé en 1949
à 124 conciliations et prononcé 35 jugements, en 1960 on ne comptait
plus que 51 conciliations et 12 jugements, soit une diminution de près
de deux tiers.
�94
35. - Tel est donc le cadre juridique du colonat partiaire réunionnais, qui a emprunté la plupart de ses caractères
aux règles coutumières locales mais s'est incontestablement rapproché sur plusieurs points, en 1945, du statut du fermage et du
métayage métropolitain, qui voyait le jour à la même époque.
Des dispositions de l'ordonnance du 5 septembre 1945,
colons et propriétaires n'ont suivi que celles qui correspondaient
aux anciennes habitudes locales ou du moins ne heurtaient pas
des droits considérés comme « acquis :» .
36. - Aujourd'hui, la physionomie juridique du colonat
partiaire réunionnais résulte de cette application très partielle de
l'ordonnance de 1945 et de la subsistance de nombreuses règles
coutumières, constituant elles-mêmes l'aboutissement d'une longue évolution conditionnée par des impératifs locaux d'ordre
historique et sociologique.
Il est par conséquent fort malaisé de ranger ce contrat dans
une catégorie déterminée. Plusieurs solutions ont été proposées
qu'il faut maintenant examiner.
II. - LA NATURE JURIDIQUE
DU COLONAT PARTIAIRE
37. - Il existe une incertitude sur la nature juridique du
contrat de métayage en général: en l'absence de texte, une longue
controverse s'était instaurée en France, dans le courant du
XlXe siècle, sur le point de savoir si le métayage devait être considéré comme un cootrat de louage ou comme une société civile,
ou même assimilé à un louage de services. Malgré l'intervention
de la loi de 1889 en la matière, la détermination de la nature
juridique du colonat partiaire métropolitain fait encore l'objet
de discussions.
,
.
L'étude des recueils de conciliation et de jugement fournit des renseignements intéressants sur la nature des litiges soumis aux commissions.
Les demandes des colons étaient le plus souvent motivées par la non
délivrance du livret de colonage par le propriétaire, le refus de ce dernier
de laisser au preneur sa part des fruits ou de payer sa contribution au
coût du transport des cannes. la contestation par le bailleur ae la qualité de colon et la reprise abusive des terres. Les réclamations des propriétaires (sensiblement égales en nombre à celles des colons) invoquaient
surtout le défaut de culture ou la mauvaise qualité du travail, le refus
par le colon de laisser au bailleur sa part de fruits ou de fournir ses
quatre journées de travail.
�95
38. - Or, le colonage réunionnais qui présente, comme on
a pu le constater, des caractères assez éloignés du droit commun
du métayage, ne pouvait manquer de donner lieu aux mêmes
controverses. Celles-ci sont nées au moment de l'introduction de
la Sécurité sociale à la Réunion: on s'est alors demandé si le
colon était lié au propriétaire par un louage de services, si, par
conséquent il était salarié, obligatoirement affilié à la Sécurité
sociale, et si le bailleur était un employeur, soumis comme tel
à cotisation.
Un arrêt de la Cour d'Appel de Saint-Denis de la Réunion
(1) semble avoir tranché la question. li importera, après avoir
approfondi toutes les données du problème (A) de rechercher, en
critiquant la décision de la Cour, quelle est la véritable nature
juridique du métayage réunionnais (B).
39. -
A -
Les données du problème.
li convient de rappeler les aspects essentiels du débat sur la
nature juridique du métayage en général (a), avant de préciser
comment le problème se pose de façon particulière à la Réunion (b).
40. -
a) La nature juridique du métayage en général.
Si la plupart des auteurs admettent que le métayage est un
louage de choses (2), certains, cependant, considèrent qu'il constitue une société civile, d'autres, un louage de services, ou même
un contrat sui generis.
1) Le rapprochement du métayage et de la société était déjà
constaté en droit romain. Comme dans le contrat de société, on
trouve en effet dans le métayage un apport de chaque contractant,
un partage des bénéfices et son corrollaire, la participation réciproque aux risques. D'autre part, dans le droit actuel, rien ne
s'oppose à la création d'une société civile pour l'exploitation
d'un domaine agricole.
(1) Cour d'Appel de Saint-Denis, Ch Soc., 31 août 1960, Gaz.
Pal. 1960. J. 283.
(2) Le métayage figure en effet dans le Code civil au titre du
Louage, et les articles 819 à .825 du Code rural qui traitent du métayage
font partie du Livre VI, c Baux ruraux ~ . de ce Code. De plus, le proprié·
taire, dans tous les textes, est appelé c bailleur Jo, et le colon c preneur • .
On retrouve d'ailleurs dans le métayage les deux caractéristiques du
louage de choses: paiement d'un prix en contrepartie de la jouissance
de la chose (cf. sur ce point: H.L. et J. MAZEAUD, Droit Civil, tome Ill,
n" 1298).
�96
C'est pourquoi quelques auteurs se sont prononcés en faveur
de la thèse selon laquelle le métayage ou colonat partiaire serait
une forme de société (1). Et l'on a pu dire selon une formule
désormais classique, que le métayage était • l'exemple le plus
parfait de l'association du capital et du travail . (2). En outre,
avant 1945, un certain nombre de jugements et arrêts considéraient le métayage comme une société civile bien qu'il soit souvent difficile de déceler l'affectio societatis des parties (3).
41. - Cependant, depuis les lois de [945 et 1946 qui
ont institué le statut du fermage et du métayage, ce dernier contrat s'est beaucoup rapproché du premier, le métayer se voyant
en effet accorder la plupart des garanties dont bénéficiait le fermier. La doctrine semble depuis [ors considérer le métayage
comme un louage de choses. Le colonat partiaire serait plus
concret dans son objet que la société: « il porte sur les produits
mêmes (... ) alors que la société (.. .) porte essentiellement sur le
chiffre des bénéfices. (4). La jurisprudence semble s'orienter
dans Je même sens : « pour savoir si l'on se trouve en présence
d'un contrat de métayage ou d'une société civile (. .. ) il faut se
référer principalement à la manière dont s'opèrent les règlements: le partage en nature caractérise le métayage, [a répartition des bénéfices répond au contraire à l'idée de société> (5).
Ce critère est bien fragile cependant, et il est souvent difficüe, en pratique, de distinguer le métayage d'une société, d'autant
plus que c ni l'un ni l'autre ne comporte de clauses permanentes "
et qu'il peut exister « des formes dégradées et complexes > (6).
42. - 2) Dans la pratique, d'autre part, il arrive souvent
que le métayage prenne la plupart des caractères d'un louage de
services, la condition matérielle du métayer ressemblant beaucoup, alors, à celle d'un travailleur salarié (7). Le rapproche-
•< •
,•
(1) V . JOSSERAND, Cours de droit civil , tome li, nO 1247 - SACHET,
Traité de la législation des accidents du travai l. tome Ill, n" 2328.
(2) LE PLAY, La Réforme Sociale. 1886, nU 8.
(3) Cf. not. Limoges 21 Fév. 1839, S. 1839, 2, 406 ; Limoges 26
Fév. 1848, S.1849, 2, 321; Agen 7 Fév. 1850, S.1850, 2, 108; Bordeaux
28 Juin 1854, S. 1855, 2, 21; Casso req. 21 Oct. 1889, D.P. 1890, l ,
124; Limoges 30 Avril 1894, S.1895, 2, 45; Trib. Civ. Laval 11 Nov.
1898, Gaz. Trib. 19 Janv. 1899; Casso Crim. 21 Oct. 1932, D. 1932,
l, 116.
•
(4) Voir SAVATlER, Note D. 1951, 147.
(5) Trib. Par. Agen 12 Janv. 1948, Gaz. Pal. 1948, 2. 273 .
(6) OURLIAC el DE JUGLART, Fermage et Métayage, 1955, nO 15 .
(7) ANoRAUL T , Répercussion des lois sociales dans les rapports entre
bailleur et preneur à métayage, thèse 1943.
�97
,..
•
•
ment aurait été encore plus net, selon certains, sous l'empire de
la loi de 1889, qui donnait au bailleur la direction générale de
l'exploitation et la surveillance des travaux (1) .
Depuis l'instauration du statut du fermage qui ne fait plus
allusion à ce pouvoir du bailleur et qui, comme on l'a déjà dit,
tend à assimiler le métayer au fermier, il semble qu'en règle
générale, le métayage s'éloigne de plus en plus d'un louage de
services. Certains contrats peuvent cependant comporter des
clauses particulières qui rendent leur qualification incertaine :
c'est alors au juge à décider, dans chaque cas particulier, si l'on
se trouve en présence d'un métayage ou d'un louage de services.
Afin de déterminer si existe ou non le lien de subordination
caractéristique du louage de services, la jurisprudence prend en
considération un certain nombre d'éléments dont les principaux
sont le mode de rémunération, les pouvoirs de direction respectifs des parties et une éventuelle participation aux risques (2) .
•
43 . - 3) Constatant cette difficulté d'assimiler le métayage
soit à un louage de choses, soit à une société ou même à un
louage de services, certaines décisions ont affirmé qu'il s'agissait
d'un contrat « sui generis >, participant à un égal degré du bail
à ferme et de la société. A cette double appartenance viendraient
s'ajouter parfois des caractères propres au louage de services
(3). Contrat «sui generis >, telle est d'ailleurs la définition qui
a été donnée du colonat partiaire réunionnais par l'arrêt précité
de la Cour d'Appel de Saint-Denis..
Il faut maintenant étudier de quelle manière, précisément, la
question de la nature juridique du colonat partiaire s'est posée
à La Réunion.
44. -
b) La position du problème à La Réunion.
1) Le contrat de colonat partiaire avait fonctionné à La
Réunion pendant de longues années sans difficulté apparente.
En particulier, la détermination de sa nature juridique n'avait
....
(1) Article 5 de la loi du 18 Juillet 1889 analogue à J'article 18
de l'ordonnance du 5 Sept. 1945 pour le colonat partiaire (cf. supra
n° 25); mais en ce qui concerne le colon réunionnais on a déjà dit que
cette prérogative ne créait pas une subordination véritable du métayer,
qui conserve une assez large autonomie dans son travail.
(2) V. PLANIOL et R!PERT, n" 667, et Casso soc. , 29 Juin 1951,
J.-CI. BAIL à col. part., fase. 58, n" 11 ; Casso Soc. 22 Nov. 1951. Bull.
Civ. 1951 , 2, 536; Casso Soc. 3 Déc. 1954, I .C.P. 1955. 2, 8711. note
Ourliac et De Juglart; Poitiers Il Fév. L947, D. 1948, note Savatier.
(3) Cf. PLANIOL et RI PERT n" 667.
�98
jamais préoccupé personne. Tout changea lorsque la Sécurité
sociale fut organisée dans les D.O.M. par un décret du 17 octobre
1947 et rendue obligatoire par décret du 30 mars 1948: la question se posa alors de savoir si le colon était un salarié ou assimilé
et pouvait être soumis à ce titre aux Assurances sociales. Le
décret précité du 17 octobre 1947 stipulait en effet que « l'organisation techniqu'e et financière de la Sécurité sociale dans les
D.O.M. > s'appliquait • à l'ensemble des bénéficiaires de la
législation de Sécurité sociale, y compris les membres des professions agricoles >. Les colons entraient-ils dans le champ de
ces dispositions?
Le Ministère du Travail, interprétant le texte, avait affirmé
par une série de mesures d'ordre interne, le principe de l'assimilation des colons à des salariés et par conséquent de leur affiliation automatique à la Sécurité sociale (1).
45. - La question rebonclit avec la promulgation de la
loi n' 54-806 du 13 août 1954 étendant le régime général de
sécurité sociale aux D.O.M., qui semblait implicitement assimiler
les colons à des salariés puisqu'eUe prévoyait dans son article 21
(art. L 731 du Code de Sécurité sociale) qu'un décret fixerait
« les conclitions d'assujettissement, les modalités du financement,
et le taux des cotisations dûes par les colons partiaires de ces
départements >. Or, ce décret prévu par la loi de 1954 - et
c'est de là qu'est né tout le problème - n'est jamais intervenu
(2).
46.
Beaucoup de bailleurs se référant à la rédaction de
l'article L. 731 du code de Sécurité sociale qui ne vise que . les
cotisations dûes par les colons partiaires >, ont estimé qu'ils
n'étaient redevables personnellement d'aucune cotisation . Les
colons, de leur côté, n'étaient pas toujours favorables à une assimilation dont le premier effet était de les obliger à verser, eux
aussi, une cotisation.
(1) Leur part dans les produits de l'exploitation était considérée
comme un c revenu - salaire :t . Seuls les colons cultivant de 100 à t 000
gaulettes carrées étaient assimilés à des salariés (la gaulette est une
mesure particulière à la Réunion: 1000 gaulettes sont égales à 7 hectares
et demi).
-.
(2) On peut supposer que le législateur de 1954 (pas plus que les
rédacteurs de la loi du 18 Juil. 1889) n'a osé se prononcer nettement
sur la nature juridique du colonat partiaire et, bénéficiant de l'expérience
de 1945, a hésité devant les réactions qu 'une telle prise de position aurait
pu provoquer dans le monde agricole.
�99
Le problème de la nature juridique du colonat partiaire
réunionnais devenait ainsi brusquement d'une brûlante actualité:
en opposition avec l'Administration qui assimilait le colonage
à un contrat de travail, les propriétaires soutenaient qu'on était
en présence d'un louage de choses, sinon d'une société (1).
47. - 2) C'est dans ce contexte qu'est intervenue l'affaire
« Caisse Générale de Sécurité sociale c/ Lebon >, tranchée finalement par l'arrêt de la Cour d'Appel de Saint-Denis, précité.
L'espèce était la suivante: Lebon, ayant remis ses terres en
métayage à plusieurs colons, avait refusé - comme de nombreux
autres bailleurs - de verser des cotisations de sécurité sociale,
considérant que ses colons n'étaient pas des salariés et ne pouvaient pas non plus être des assimilés salariés au sens de l'article lu de la loi du 13 août 1954. La Caisse Générale de Sécurité
sociale de La Réunion qui soutenait exactement le contraire,
avait décerné une contrainte à l'encontre de Lebon le 28 novembre 1956. Ce dernier ayant fait opposition, la Commission de
Première Instance de Sécurité sociale fut appelée à se prononcer
et par jugement du 2 août 1957 elle annula la contrainte comme
mal fondée. La Commission de Première Instance estimait en
effet qu'une distinction devait être faite entre les périodes antérieures et postérieures à la date de mise en application de
la loi du 13 août 1954 (soit le 1" janvier 1955): avant 1955,
en l'absence de texte, l'Administration avait pu considérer que
les colons, en raison de leur situation économique et sociale,
étaient assimilables à des salariés, mais depuis cette date, ils ne
pouvaient plus, dans l'attente du décret prévu par l'article 21 de
la loi de 1954 qui devait fixer les conditions d'assujettissement,
faire l'objet d'une telle assimilation; et la Commission, prononçant son incompétence, annula la contrainte.
!
"
'.,
48. - Statuant sur appel principal de la Caisse Générale
de Sécurité sociale et sur appel joint du Directeur Départemental
de la Sécurité sociale, la Cour de Saint-Denis réglait en quelques
attendus le point de droit qui lui était soumis. Pour les juges,
le législateur n'avait « pas entendu déléguer au pouvoir réglementaire le soin d'instituer une nouvelle catégorie de bénéficiaires, catégorie qui nc tiendrait pas ses droits de la loi alors
que lui-même venait d'user de son pouvoir dans le cadre de
l'article 1er ,. .
En effet, estimait la Cour, le législateur par l'in fine de
l'alinéa premier de cet article avait simplement voulu faire cer(1) Cf. l'étude précitée par M. Henri CORNU, recueil Penant, page Il.
7
�100
taines réserves quant aux conditions mêmes de l'extension ainsi
prononcée et elle ajoutait que ce n'était que « dans le cadre de
ces réserves. que se plaçaient les dispositions de l'article 21,
« les conditions d'assujettissement personnel, les modalités de
financement et le taux des cotisations pour les colons partiaires
étant laissés à la détermination du pouvoir réglementaire >.
En conséquence, l'arrêt infirmait le jugement de la Commission de Première Instance, « en ce qu'ayant énoncé le principe
exact de l'assimilation des colons partiaires de La Réunion aux
salariés des professions agricoles > il n'avait pas déduit de cette
constatation c les conséquences qni s'imposaient >. Cependant,
dans l'attente du décret annoncé par la loi de 1954, la Cour
estimait qu'elle ne pouvait, en l'état, apprécier le bien fondé
du quantum des cotisations.
49. - Mais, tout en constatant la volonté du législateur
d'assimiler les colons partiaires de La Réunion à des salariés,
l'arrêt jugea nécessaire de prendre nettement position - et c'est
en cela surtout qu'il nous intéresse - sur le problème plus générai de la nature .iuridique du colonat partiaire, considéré comme
un c contrat sui generis, dont les normes ressortissent à plusieurs
catégories, la plupart de ses dispositions essentielles et surtout sa
cause fondamentale se référant au louage de services >.
Ce sont les arguments avancés par la Cour d'Appel à l'appui
de cette affirmation dont il faut maintenant examiner le bien
fondé.
50. -
B) La solution du problème.
On peut rassembler ces arguments sous deux rubriques:
selon la Cour, c'est en effet à une double subordination, caractéristique de l'état de salarié, que serait soumis le colon partiaire
à La Réunion, une subordination directe (ou juridique) (a) et
une subordination économique (h).
51. -
a) La subordination juridique (1).
L'arrêt de la Cour de Saint-Denis, se référant au statut
juridique du colon partiaire réunionnais tel qu'il résulte de
.'
~.
>
.'
(1) Rappelons qu'en ce qui concerne l'application de la fégislation
sur la Sécurité Sociale, le salarié est celui qui se trouve dans une situation de dépendance juridique à l'égard d'une autre personne en vertu
d'un lien contractuel. C'est ce rapport de dépendance qui donne aux
parties les qualités respectives d'employé et d'employeur.
Cf. not. Casso Soc. 28 Juil. 1952, LC.P. 1952, 2,7351 ; l' « état de
�101
l'ordonnance de 1945, cite quatre dispositions de ladite ordonnance qui démontreraient sans ambiguïté que le colon est placé
dans un c rapport de dépendance . juridique à l'égard du propriétaire.
•
~'.
52. - 1) Amsi, constatent les juges, l'article 18 dispose
que le c bailleur a la surveillance des travaux et la direction générale de l'exploitation pour le mode de culture ... . (1).
n s'agit ici, sans nul doute, de l'argument principal des
défenseurs de la tbèse qui assimile le colon partiaire à un salarié.
S'il semble bien au premier examen qu'on puisse en déduire
que le propriétaire est un employeur, cela paraît au contraire
moins certain si on examine le texte de plus près.
En premier lieu, les pouvoirs de contrôle et de direction du
propriétaire ne concernent que le mode de culture: comme en
métropole sous le régime de la loi de 1889, le colon garde
l'entière liberté d'organiser son travail.
En second lieu, l'article 18 précise que c l'exercice de ce
droit est déterminé quant à son étendue par la convention ou à
défaut de convention par l'usage des lieux >. Curieux salarié que
celui qui peut éventuellement limiter les pouvoirs de surveillance que son employeur a sur lui.
53 . - 2) Le deuxième argument avancé par les juges pour
caractériser la subordination juridique paraît à priori plus convaincant que le précédent: l'art. 15, alinéa 2 de l'ordonnance de
1945 prévoit en effet que « le colon ne peut procéder à la récolte
qu'avec l'autorisation du bailleur. (3). On peut en déduire que
le propriétaire dispose d'un pouvoir de commandement à l'égard
du colon. Cependant, comment ne pas remarquer qu'il ne
s'agit pas du pouvoir de donner un ordre (et encore moins c des
ordres :t) mais au contraire, tout au plus, d'une autorisation
nécessaire pour faire un acte bien déterminé. D'autre part, on a
noté avec justesse (4) que, s'agissant d'une opération portant
sur un bien commun, l'accord des parties est nécessaire et que
l'autorisation donnée par le bailleur n'est que la manifestation
subordination juridique dans lequel une partie se trouve par rapport à_
l'autre est Je critère essentiel du contrat de travail,. ; R. MALEZIEUX et
R. MENASSEYRE, Le Droit du Travail en Agriculture, page 120. Cf. aussi:
DURAND, Droit du Travail, tome 2. n° 136; BRUN et GALLAND, Droit du
Travail, tome 2, n° 29 .
(2) Cf. Supra n' 25.
(3) Cf. Supra n' 19.
�102
de son accord. En outre, l'inverse est vrai c: puisque c'est le colon
.
~
qui fait lui-même la récolte, ce qui implique qu'il n'y est pas
procédé sans son agrément > (1) .
54. - 3) L'arrêt se réfère ensuite à l'alinéa 3 de l'article 15
qui prévoit que dans certains cas, le partage se fait aux champs
c avec obligation pour le colon de transporter la part du bailleur
jusqu'au chemin charretier le plus proche >, et à l'alinéa 4 qui
stipule que c les cannes devront être livrées à l'usine indiquée
par le bailleur > (2).
Le premier point n'emporte guère la conviction: il paraît
logique d'exiger du colon qu'il facilite la tâche de son cocontractant en lui apportant sa part de récolte au chemin charretier le
plus proche.
En revanche, il ne fait pas de doute que l'article 15, alinéa 4,
en permettant au bailleur d'imposer au preneur la livraison de
l'ensemble de la récolte, lorsqu'il s'agit de cannes, à une usine
de son choix, place le colon partiaire dans un état de dépendance
assez net. Mais, il va de soi que cette obligation (qui peut s'expliquer par des raisons de rentabilité) ne peut pas snffire à elle
seule à établir un lien de subordination juridique entre les parties.
55. - 4) Enfin, l'arrêt de la Cour de Saint-Denis constate
c qu'en dehors de l'obligation d'entretien des chemins et canaux
d'irrigation se trouvant sur son terrain ou bornant celui~i, l'article 26 met encore à la charge du colon, à titre d'obligation
annueUe, deux journées de travail pour l'entretien du réseau
général des chemins d'exploitation et deux autres journées pour le
curage des canaux d'adduction d'eau . (3).
Mais la décision passe sous silence J'in fille de l'article 26
qui réduit considérablement le caractère de prestation de services des quatre journées de travail: « le preneur pourra racheter cette prestation en remboursant au bailleur le prix de ces
journées de travail au taux du salaire journalier pratiqué dans
la localité . . Et surtout, « aucune redevance supplémentaire
sous quelque forme que ce soit, ne peut être du preneur • .
Ainsi, cette obligation du preneur, exceptionnelle aux yeux du
législateur et qui peut être rachetée, ne suffit pas à faire du
colonat partiaire réunionnais un louage de services.
(4) (1) Conclusions de M. le Bâtonnier
LEBON contre C.G.S.S.
(2) Cf. Supra 0° 20.
(3) Cf. Supra 0° 26.
COLLARDEAU
dans l'affaire
�103
C'est sans doute pourquoi, à ces raisons purement jundiques, les juges ont pensé qu'il était nécessaire d'ajouter d'autres
arguments extra-juridiques tendant à démontrer l'existence d'une
dépendance « économique > du colon à l'égard du propriétaire.
56. - b) La subordination économique.
TI importe de discuter le bien fondé de la décision de la
Cour d'Appel de Saint-Denis, d'abord du point de vue des principes eux-mêmes, et ensuite sur le terrain économique et social
où se sont engagés les juges.
1) Dans le principe, en effet, la valeur de la notion de
dépendance économique pour caractériser le louage de services
est assez contestable. C'est le Ministère du Travail qui, afin
d'accroître le champ d'application général de la Sécurité Sociale,
avait proposé de substituer à la notion juridique de contrat de
louage de services celle de dépendance économique. Or, en
droit, si l'on veut déterminer la nature juridique d'un type de
contrat, il semble nécessaire d'exclure les critères qui ne sont
pas strictement juridiques.
La Cour de Cassation, en matière de Sécurité Sociale,
exige pour que l'affiliation soit obligatoire « un lien de dépendance d'employeur à employé ' . Et elle précise nettement qu'il
n'est peut-être pas toujours facile de dire dans chaque cas
concret si existe le lien d'employeur à employé, mais que cette
formule « a pour but d'écarter le lien de dépendance économique beaucoup trop général qui entraînerait des affiliations
que rien ne justifie . (1) .
57 . - 2) Si l'on se porte, cependant, sur le terrain économique et social choisi par la Cour, le lien de dépendance
économique ne semble pas plus établi que la subordination
juridique. TI nous semble nécessaire ici de reproduire les principaux attendus de l'arrêt: il résulte de ce dernier que le régime
actuel du colonat partiaire « révèle foncièrement dans la grosse
majorité des cas, la subsistance de l'inégalité économique des
deux contractants; qu'il est constant que, tout en cherchant à
améliorer le sort des colons, l'ordonnance du 5 Septembre 1945,
même lorsque les preneurs peuvent se permettre de faire valoir
leur lot par autrui, n'a pas aboli leur situation de travailleurs
rémunérés par une part des produits du sol; que l'ensemble de leur activité demeure, en effet, tributaire d'une instabilité d'emploi attestée par la faculté de résiliation impartie par l'art. 13
(1) Casso Soc. 14 Janv. 1960, Sem. jur. 4 Mai 1960, n' 11 503.
�104
au bailleur dans des cas exorbitants du droit commun d'inexécution du contrat; qu'il est significatif enfin qu'en s'efforçant de
mettre fin, par les formalités générales édictées à l'art. 20, aux
abus auxquels donnent lieu les prêts consentis par les propriétaires à leurs colons, le législateur a souligné lui-même le caractère habituel que revêt la pratique de telles avances et la disparité des conditions des contractants >.
La subordination économique résulterait donc des rapports existant entre bailleur et preneur dans les trois domaines
suivants: le mode de partage, les causes de résiliation du bail
et les avances consenties par le propriétaire.
Tout d'abord, la part reçue par le colon devrait être considérée autant comme une rémunération que comme le prix de
la locat.ou de la terre. Il semble plutôt que, le 1/ 3 des récoltes
remis au bailleur constituant le prix de la location, les 2/ 3
qui reviennent au preneur ne soient pour lui, simplement, que
le produit de son travail, à l'exclusion de toute idée de rémunération.
Ensuite, pour la Cour d'Appel, la faculté de résiliation
qui serait donnée au bailleur « dans des cas exorbitants du
droit commun > par l'article 13 de l'ordonnance, constituerait par
là-même le signe d'une instabilité d'emploi, caractéristique d'une
subordination économique. Or, on a déjà remarqué en étudiant
le contrat (1) que l'article 13, au contraire, ne prévoit la possibilité de résiliation pour le bailleur que dans les cas les plus
classiques de mauvaise exécution ou d'inexécution du bail: « si
le colon abandonne la culture, s'il ne cultive pas en bon père
de famille, s'il emploie la chose louée à un autre usage que celui
auquel eUe a été destinée • .
'J." _
59. - Enfin, le lien de dépendance économique résulterait des avances consenties aux colons par les propriétaires.
Cela n'était certes pas contestable avant la promulgation de
l'ordonnance de 1945: on a signalé à quels abus les colons
étaient soumis par l'application très particulière que faisaient
beaucoup de propriétaires du procédé des avances. S'il est vrai
aujourd'hui, on l'a également remarqué, que les colons ne savent
pas toujours quel est l'état de leurs dettes vis-à-vis de leur
bailleur, en revanche, on sait que depuis 1945, le taux d'intérêt
des avances a été impérativement réglementé par le législateur
qui a en outre permis au colon de demander le règlement annuel
de son compte.
(1) Cf. Supra n' 30 et s.
�105
60. - En résumé, s'il n'est pas douteux que le colon
réunionnais, par le fait même de sa condition sociale souvent
médiocre est dans une certaine dépendance à l'égard du bailleur,
il parait excessif d'en déduire que le contrat qui lie les parties
est un louage de services .
Ne pourrait-<ln pas soutenir au contraire, comme certains
l'ont fait pour le métayage métropolitain (l), que celui qui
participe aux charges de l'exploitation et supporte sa part dans
la perte de la chose (articles 14, 25 et 26 de l'ord.) est plutôt un
associé ?
Sans aller même aussi loin dans les rapprochements, il
ressort de ce qui précède que le colonat partiaire réunionnais
est un contrat de louage de choses (2).
..
•
61. - Cela semble d'ailleurs avoir été admis, précisément,
par les textes les plus récents en matière de Sécurité Sociale. Une
loi du 30 Décembre 1963 étendant l'assurance vieillesse agricole
aux DOM et qui ajoute plusieurs dispositions au Code rural,
précise dans son article 1 : « Est considéré comme exploitant
agricole pour l'application du présent chapitre, toute personne
exploitant en une qualité autre que celle de salarié des terres
dont la superficie est au moins égale dans chaque département
à un minimum fixé par décret, compte tenu de la nature des
cultures. • Et plus loin : « dans le bail à colonat partiaire, le
preneur et le bailleur sont tenus l'un et l'autre au paiement de
la cotisation. (3).
62. - Aujourd'hui donc, le problème de la nature juridique du colonat réunionnais et la question particulière de l'affiliation des colons à la Sécurité Sociale en temps qu'assimilés
salariés, sont réglés ensemble: le contrat de colonat partiaire est
sans aucun doute un louage de choses et le colon n'est pas assimilable à un salarié.
(1) Cf. Supra 0 ° 40.
(2) Les expressions même du législateur qualifiant dans la plupart
des articles de l'ordonnance , le propriétaire de c bailleur _ et le colon
partiaire de c preneur . , confirment cette opinion.
(3) Articles 1142~2 et 1142-6 du Code rural créés par l'article 1
de la loi n° 63-1131 du 30 Déc. 1963 qui insère au titre Il du livre vrr
du Code rural un nouveau chapitre IV - 1. Il semble donc que le législateur ait renoncé à faire du coton un salarié et remplace ainsi le décret
prévu par la loi du 13 Avril 1954 par des dispositions qui tiennent
compte de la situation particulière des colons partiaires réunionnais. En
outre, un récent décret 0- 64-906 du 28 Août 1964 pris en appli-
�106
•
••
63. - Il est possible de conclure de l'ensemble de cette
étude que le colonat partiaire, après avoir connu depuis 1945
une série de difficultés d'application, a repris aujourd'hui la place
essentielle qu'il avait occupée depuis son apparition dans le
secteur agricole de la Réunion.
De l'ordonnance de 1945, les exploitants agricoles ont
appliqué plusieurs réformes qui représentaient un net progrès
sur l'état de choses antérieur, tout en restant attachés aux règles
coutumières qui avaient fait leurs preuves pendant plus d'un
siècle (1).
C'est pourquoi on comprend assez mal le Sens des récentes
interventions législatives en la matière.
64. -
En premier lieu, une loi n° 61-843 du 2 Août 1961
« tendant à améliorer dans les départements de la Guadeloupe,
de la Martinique, de la Réunion et de la Guyane la situation des
populations agricoles en modifiant les conditions de l'exploitation agricole et en faci litant l'accession des exploitants à la
propriété rurale • a consacré son titre m au colonat partiaire.
Son but est de « protéger les colons partiaires et améliorer les
conditions d'exploitation des terres dont ils disposent en définissant le statut du colonat partiaire . (art. 1). Cette loi prévoit
donc (dans son art. 7) que l'ordonnance du 5 Septembre 1945
à la Réunion, et la loi du 18 Juillet 1889 dans les autres départements d'Outre-Mer (où elle était toujours en vigueur), ceSSeront d'être applicables à dater du jour où ses propres dispositions seront susceptibles de recevoir une application effective,
c'est-à-dire lorsque le décret d'application prévu par l'article 5
in fine de ladite loi sera intervenu.
-,
Ce décret, plus de trois ans après la promulgation de la
loi de 1961, n'a pas encore vu le jour. On peut d'ailleurs émettre
«
cation de la loi du 30 Décembre 1963, fixe la répartition des cotisations de la manière suivante: c. art. 4: (...) dans le cas de métayage
ou de colonat partiaire, le montant de cette cotisat ion est réparti à raison
de deux tiers pour le preneur et d'un tiers pour le ba illeur ~ . La coti·
sation du colon est donc calculée en fonction de sa participation aux
fruits et, par conséquent, est supérieure à celle du propriétaire: on est
bien loin d'un louage de services.
(1) Mais il est toutefois regrettable Que le régime des preuves
instauré par le législateur en 1945, aÎt été tourné par beaucoup de
propriétaires.
�107
•
•
le vœu qu'il ne le voie jamais. Certes, la loi du 2 Août 1961
opère une réforme aux aspects tout à fait positifs: il est prévu
que le colon disposera obligatoirement d'une certaine superficie
de terres réservée à sa jouissance exclusive (1) et qu'en cas
de vente séparée du bien qu'il exploite, le preneur bénéficiera
d'un droit de préemption (2). En outre, il n'est fait aucune
allusion aux commissions arbitrales et l'on revient au système
antérieur à l'ordonnance de 1945 : les contestations seront portées devant le Tribunal d'Instance (3). C'est là un très net
progrès sur le statut de 1945. Mais notre critique n'est pas de
fond, elle est de forme: en dehors de ces trois cas, la loi de
1961 se contente pratiquement de reproduire l'ordonnance.
Pourquoi, dans ces conditions abroger un texte qui était enfin
admis par les intéressés et créer un nouveau bouleversement
dans un domaine aussi délicat? Il semble en réalité que le législateur ait voulu étendre le statut réformé du colonat partiaire
réunionnais aux autres DOM: mais, n'était-il pas préférable de
promulguer des textes spéciaux à ces autres Départements où,
d'ailleurs, comme on le sait, le colonat partiaire est très peu
en usage? (4) .
65. - On comprend encore moins les àesseins du législateur lorsqu'on examine la récente loi n° 63-1236 du 17
Décembre 1963 qui réglemente le bail à ferme dans les Départements d'Outre-Mer en y étendant généralement les principales
dispositions du nouveau statut du fermage métropolitain.
Pourquoi réformer avec tant de soin le colonat partiaire et
surtout avoir étendu cette réforme à tous les DOM, pour répéter
l'opération avec le fermage (qui n'existe pratiquement pas à la
Réunion) ? Au moment où le législateur manifeste le désir
louable d'étendre en les adaptant les lois métropolitaines aux
DOM, ne pourrait-il s'inspirer du choix très net qui avait été
fait dans le stalnt du fermage et du métayage pour l'un des deux
contrats, et ne pas proposer d'un coup deux cadres juridiques
aux intéressés ? (5).
(1) (2) Art. 870 - 5 et Art. 870 - 13 du Code rural créés par l'art.
5 de la loi de 1961.
(3) Nouvel article 870-16 du Code rural.
(4) Cf. Supra nole n° J.
(5) 1 Ifaut remarquer d'ailleurs que si, dans le statut du fermage
et du métayage métropolitain, c'est ce dernier contrat Qui est sacrifié, il ~
est certain que le métayage est le type de louage de choses qui convient
le mieux aux structures réunionnaises. (Cf. sur ce point le rapport d'in·
formation établi au nom de la Commission des Aff. Econ. et du Plan du
Sénat, sur la Réunion, par une dé1égation de sénateurs; Sénat, n° 196, 2session 1961·62).
�108
Le Doyen RIPERT remarquait (1) que souvent c le juriste
est le successeur d'un pontife. Etant gardien du droit, il se croit
obligé d'être le défenseur des lois. Le texte promulgué au Journal Officiel devient sacré • . Une telle attitude est en effet peu
constructive. Nous croyons que la critique des lois a pour but,
en définitive, de les servir.
66. - S'il faut porter un jugement sur le colonat partiaire
réunionnais, nous ferons nôtre l'opinion d'un technicien de
l'Agriculture : c TI est nécessaire de maintenir à la Réunion,
dans une structure rurale qui n'est pas trop déséquilibrée,
une sorte de classe intermédiaire entre les planteurs propriétaires
et les salariés agricoles. Souvent, le colonage est un stade, «une
marche >, qui permet à un très bon ouvrier d'accéder à la petite
propriété • .
Le problème actuel est en définitive moins de modifier le
colonat partiaire que d'éduquer les propriétaires afin qu'ils
conseillent leurs colons eC coordonnent les activités de ces derniers, réalisant ainsi l'unité de gestion des domaines, indispensable dans toute agriculture moderne.
.
~
.,..
'
.
(1) G. RIPERT. c Le Régime Démocratique et le Droit Civil Moderne ~ . nC> 3.
�ADDENDA
Au moment où cet article, qui fut rédigé au mois de décem·
bre 1964, était sous presse, le décret d'application (que l'on
n'attendait plus) de la loi n" 61-843 du 2 août 1961 a été publié
au Journal Officiel (décret n° 65-316 du 17 avril 1965, J. O. du
25 avril 1965).
La loi du 2 août 1961, réforme, on le sait (cf. supra n ° 64)
le statut du Colonat partiaire en l'étendant à tous les Départements
•
Le décret qui vient de paraître précise les modalités d'application de la loi. En voici les principales dispositions :
1) Un contrat départemental type de bail à colonat partiaire sera
établi. compte tenu des usages locaux, par arrêté du Préfet,
après avis de la Commission d'aménagement foncier (Art. 1) ;
2) Les contrats seront obligatoirement écrits et contiendront de
nombreuses indications relatives à l'identification des parties,
à la détermination des biens loués, au mode de culture, au
partage des fruits, à la durée du bail, aux conditions de logement
et aux améliorations à apporter au fonds (art. 2) ;
3) C'est désormais le Directeur des services agricoles qui assure
la transcription des contrats sur un registre spécial. Les contrats
conclus, modifiés ou prorogés, doivent lui être adressés dans
les 15 jours (art. 3) ;
4) Un état des lieux doit être établi contradictoirement dans le
mois de l'entrée en jouissance du bailleur (art. 4) ;
5) En cas de vente de fonds loué, le colon bénéficie d'un droit de
préemption réglementé avec précision (art. 8 à 13) ;
6) Diverses pénalités sont prévues par l'article 14 pour assurer le
respect des principaux articles du décret ;
,-
7) L'article 15 dispose que les contrats déjà intervenus devront
être rendus conformes au contrat départemental type dans un délai .
d'un an à partir de la publication de l'arrêté préfectoral établissant ledit contrat.
.,.
,
Les arrêtés préfectoraux prévus par le décret devront être pris
dans les six mois qui suivront la publication du décret.
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•
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-1
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��Quelques aspects économiques
du problème
de la diversification des cultures
à l'ile de la Réunion
•
par
Maurice P AROD!
Maître de Conférences agrégé
à la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques d'Aix-en·Provence
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�SOMMAIRE
INTRODUCTION: La thèse des c: Usiniers
..
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et la thèse des
c Parisiens • .. . . .. . . . . . .... . ... .. . . ...............
1. -
117
OPPORTUNITE DE LA DIVERSIFICATION DES ACn·
VITES AGRICOLES
A. -
,
,,
B. -
LES DONNÉEs INTERNES DU PROBLÈME
1. -
.De quelques servitudes géographiques ... ...
121
2. -
Une situation démographique particulièrement
explosive .......... . . . ..... .. . . .. . . . ..
124
3. -
Une situation économique fragile et artificielle
a) Structure du Produit Intérieur Brut .... . .
b) Structure du commerce extérieur ........
c) Les concours de l'extérieur ... .... .... . .
125
126
128
129
4. -
Des situations sociales très inégales . .... ...
129
LES DONNÉES EXTERNES DU PROBLÈME . . . . . . . . . . . . ..
1. -
2. -
La situation des marchés extérieurs ........
a) Perspectives nouvelles sur le marché du
sucre? ..... . . . . . ....................
b) Incertitude sur les marchés extérîeurs des
huiles essentielles, de la vanille, du tabac
Les c effets de domination :t de la Métropole
sur la Réunion . ...... ............. . . . . . .
a) Le niveau des prix et des salaires ........
b) L'application indifférenciée de la réglementation sur les céréales . . ................
PREMIÈRES CONCLUSIONS .•.•..•.•..•..••... • •• ••••• . ••• .•
li. -
121
132
133
133
136
137
138
141
142
LES CONDITIONS GENERALES D'UNE DIVERSIFI·
CATION DES ACINITES AGRICOLES. . . . . . . . . . . . .. .
A. -
146
LES FACTEURS DE PRODUCTION NÉCESSAIRES A UNE
DIVERSIFICATION DES CULTURES .•.•.•.••.•.•••..
146
Le problème des terres . . ............•....
Le problème des capitaux ....•... . ....•...
Le problème des hommes .................
147
149
150
1. 2. 3. -
�116
B. -
L A MISE EN ŒUVRE DES FACTEURS DE PRODUCTION
1.
2.
CoNCLUSION
,
,
..
-
..
153
La rentabilité des nouvelles cultu res ........
La sécurité des spéculations nouveUes .......
a) L'organisation des producteurs ..........
b) L'organisation de la commercialisation ...
157
158
•••....••.•••• . •....••• . •...•••.......•. • . .
161
154
J 56
�INTRODUCTION (Il
La thèse des « Usiniers > et la thèse des
.g
Parisiens >
Faut-il diversifier l'économie de l'De et plus particulièrement son économie rurale ou bien faut-il développer au maximum la culture de la canne et les activités annexes de la production sucrière ?
••
-.
-. ,
Ce problème se pose avec une acuité de plus en plus grande
depuis une dizaine d'années, c'est-à-dire depuis que la production sucrière a rattrapé le retard pris pendant les années de
guerre et surtout depuis que le taux d'accroissement démographique de l'De paraît s'être stabilisé à un uiveau exceptionnellement élevé. Comment faire face à ce véritable raz de marée
démographique? Comment nourrir cet excédent annuel de
10 000 personnes environ? Comment trouver des milliers
(l) Nous tenons à remercier très vivement tous ceux qui nous ont
fourni documents et renseignements sur l'économie réunionnaise et
surtout qui ont bien voulu s'entretenir avec nous des difficiles problèmes
de l'ne; nous pensons tout particulièrement à:
- M. ALACCHI, Secrétaire général aux Affaires Economiques de
la Préfecture,
-
..
'
M.
DE CAMBIAIRE, Directeur de la Caisse Régionale de Crédit
Agricole,
- M. CORNU, Directeur de « la Voix de Mascareignes ».
- M. GoY, Directeur de la Banque de la Réunion,
- M. GUÉZÉ, Ingénieur agronome,
- M. LoUGNON, Chargé de mission à la Caisse Centrale de Coopération,
- M. PEYRON, Président de la Jeune Chambre Economique,
- M. RIGOTARn, Directeur de la Commission des Départements
d'Outre-Mer au Commissariat Général du Plan d'Equipement et
de la Productivité,
- M. RIVIÈRE, Président Directeur Général de la sucrerie de Quartier Français,
- M. G. WEIL, Conseiller aux Affaires, chargé de mission de
la S.A.T.E.C.,
TI est évident que le signataire de cet article est le seul responsable des
opinions qui y sont émises.
8
�118
d'emplois supplémentaires à partir de 1966-1967 sur une île
au territoire exigu, au relief accidenté et sans richesses naturelles particulières? Tel est bien le problème dramatique qui se
trouve posé dans le département de l'Océan Indien situé à
quelques douze mille kilomètres de la Métropole et dont les
plus proches voisins sont l'Ile Maurice et Madagascar; un département qui, en définitive, a toutes les caractéristiques et donc tous
les problèmes d'une c nation économique
~
si nous prenons cette
expression dans le sens que lui donne F. PERROUX.
Pour résoudre, ou tenter de résoudre, la contradiction c mal-
thusienne > résultant de l'inélasticité déjà ancienne des superficies cultivables et de la croissance subite de la population, deux
thèses s'affrontent que nous appellerons pour schématiser: la
thèse des « Usiniers > d'une part et la thèse des « Parisiens >
d'autre part.
Les c Usiniers .. , c'est-à-dire les représentants des sucreries
de l'Ile (1), sont également les -interprètes de tous ceux qui, de
près ou de loin vivent, plus ou moins bien d'ailleurs, du sucre:
propriétaires fonciers, exploitants gros ou petits, courtiers, etc.
Leur thèse est exposée avec une particulière netteté dans une
plaquette éditée par M. Emile Hugot le « patron > des sucreries
de Bourbon (2). On peut la résumer comme suit: si l'on veut
que le niveau de vie moyen de l'ile ne se dégrade pas, il faut
que la production sucrière continue de croître au rythme
d'accroissement démographique actuel, soit environ au taux de
3,3 % l'an. Si l'on veut que ce niveau s'améliore, il faut alors
s'efforcer d'atteindre, aussi bien dans la plantation qu'à l'usine,
un taux d'accroissement de 5 % . Les taux de progression, à
partir de l'année 1960, prise comme base de référence, donneraient en 1965 une production de 260 000 tonnes de sucre dans
la première hypothèse et de 280 000 tonnes dans la deuxième
(voir graphique ci-joint). Dans cette optique, toute politique de
reconversion des cultures aurait des conséquences catastrophiques: « Quant au remplacement de la canne par des cultures
vivrières, ce ne serait pas seulement une erreur, ce serait un
crime contre la collectivité réunionnaise ...
... Tout détournement d'un hectare de canne en cultures
dites vivrières enlève en réalité leur nourriture ou leurs moyens
de vivre à cinq Réunionnais ... (3) .
.,
(1) n y a 13 usines dans l'ne; mais 10 sont groupées en trois sociétés.
(2) Cette plaquette s'intitule : c: L'usine el l'économie générale à
La Réunion _, 1961.
(3) E. HuGO, op . cit., p. 7.
�119
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Ile de la. Réunion
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POpulo.tion et Prod=tion
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120
Les • Parisiens., entendons par là les représentants de
l'administration centrale ou de divers organismes techniques
qui ont quelque responsabilité dans le développement économique
de l'TIe (1) tiennent un langage bien différent. Certes, ils ne
contestent pas que la canne à sucre soit, en l'état actuel des
choses, la principale richesse de l'Ile, ni même qu'elle soit appelée à le demeurer. Mais ils pensent que l'économie réunionnaise
doit subir des modifications structurelles importantes de manière
à tendre vers une diversification plus grande des activités, ce
qui la rendrait à la fois moins fragile et moins dépendante. En
outre, ils prennent comme une donnée pratiquement intangible le
contingent de production sucrière attribué à la Réunion en 1961
et 1962, soit 200 000 tonnes plus un contingent supplémentaire
maximum de 25 000 tonnes.
·f
.~
..
.,
C'est cette dernière thèse que nous voudrions analyser de
plus près. Dans ce but, nous nous efforcerons de répondre à
deux questions.
1) La thèse des « Parisiens . est-eIle fondée? ou, en
d'autres termes, une diversification des activités agricoles (2) s'impose-t-elle, compte tenu d'un certain nombre de données socio-économiques ou socio-politiques
internes ou externes ?
2) Le projet de diversification des activités agricoles est-il
réalisable dans un délai de temps raisonnable, compte
tenu de la rapidité de l'accroissement démographique de
l'Ile?
(I) On peut grouper dans ce courant d'authentiques Parisiens comme
les représentants du Ministère chargé des D.O.M., ceux du Commissariat Général du Plan et de la S.A.T.E.C. qui ont eu l'occasion d'effectuer
des missions d'étude dans l'De, mais aussi de nombreuses personnalités
locales de l'administration ou des affaires.
(2) Nous laisserons de côté en effet le problème de la diversification
des activités industrielles qui est étudié en ce moment par la S.A.T.E.C.
On lira l'article de M. G. WEIL ci-joint.
�r. -
OPPORTUNITÉ DE LA DIVERSIFICATION
DES ACTIVITÉS AGRICOLES?
Pour répondre à notre première question il faut rappeler
brièvement les principales données (1) du problème. Ces données
résultent d'une part de la situation interne actuelle de l'TIe et
d'autre part de l'ensemble politico-économique plus vaste dans
lequel s'insère ce département français d'Outre-Mer.
A. -
LES DONNÉES INTERNES DU PROBLÈME
Les données sont de nature complexe, à la fois géographiques, démographiques, économiques, sociales, etc. Nous ne
retiendrons ici que celles qui ont un rapport assez direct avec
notre question.
1. -
De quelques servitudes géographiques (2)
La servitude la plus connue est l'éloignement, éloignement de la Métropole tout d'abord qui grève terriblement le
prix de revient des biens et des services importés mais aussi
celui des produits exportés; éloignement des pays voisins, qui
fait obstacle, indépendamment de toute question politique, à la
constitution de réseaux d'échanges complémentaires ou d'ententes
régionales (3).
(1) A vrai dire ces c données " ne sont pas toutes intangibles, mais
il faut les accepter comme teUes cependant si nous nous situons dans
des perspectives de politique économique à moyen terme, disons dans
le cadre d'une période qui englobe la fin du IVe Plan et la totalité du
V' Plan.
(2) Pour un exposé très complet sur la géographie physique aussi
bien que sur la géographie économique ou humaine on ne peut que recommander la thèse de M. DEFos DU RAu.
(3) Voir les solutions préconisées par Paul MASSON pour résoudre
~
�122
Du point de vue climatologique, on doit retenir plusieurs
données importantes. Tout d'abord des superficies non négligeables restent incultes faute d'eau, principalement dans l'Ouest de
l'lle. Cette pénurie, due essentiellement à la variété du régime
pluviométrique (1), rend impossibles pour l'instant, d'intéressants projets d'extension de cultures nouvelles. Toutefois, de
vastes projets de barrage et d'irrigation permettent d'espérer
à plus long terme, une meilleure rlistribution de l'eau dans ces
régions déshéritées et par conséquent la mise en culture de
quelques milliers d'hectares de terres nouvelles. En second lieu,
la périorlicité des cyclones tropicaux très violents donne une
prime particulière aux cultures robustes comme la canne à
sucre (2).
Signalons enfin que la variété des sols et des micro-climats
rend théoriquemeut possible une rliversification très grande des
cultures (3).
•
En revanche, certaines caractéristiques du sol sont à l'origine des prix de revient élevés de beaucoup de cultures; nous
pensons précisément au profil et à la difficulté d'accès de nombreuses parcelles, dûs au relief très accidenté, ou encore à la
carence calcique et surtout au dérochage: les sols sont truffés
d'énormes galets ou éclats. De ce fait les surfaces épierrées sont
cloisonnées. Peu de cbamps sont d'ailleurs complètement nettoyés
car le coût de revient de l'épierrage est élevé. L'emploi de la
mécanisation dépend étroitement de cette opération coûteuse.
La structure foncière et le mode d'exploitation enfin ne
favorisent pas un abaissement des prix de revient (4). On remar-
le problème de la diversification des cultures in c D éveloppem ent et civilisations _. n° 17, mars 1964: l'indispensable diversification des cultures
suppose de nombreuses réformes de structures sur le marché international, p, 27.
(1) Dans la zone c sous-le-vent .. la hauteur d'eau annuelle peut
descendre ;usqu'à 0,50 m; dans la partie c du vent .. elle peut atteindre
plus de 4 m.
(2) Tous les cyclones ne sont pas véritablement dévastateurs. Au
cours des vingt dernières années. l'De n'a subi que deux fois sur son
sol le passage du centre d'un cyclone : en janvier 1948 et en février 1962.
Au cours de ces cyclones les cultures vivrières ou spéculatives ont été.
pratiquement détruites à 100 %. Au contraire, la récolte de la canne n'a
reculé que de 30 % environ; de plus les plantations n'ont subi aucun
dommage durable.
(3) Le climat tropical froid des Hauts entraîne en particu1ier de
nombreuses pvssibilités agronomiques.
(4) Les seuls renseignements relativement précis sur ce point doivent
être extraits de l'enquête agricole de 1957. On trouvera une excellente
�123
quera principalement dans le tableau n' l, le très grand nombre
de petites exploitations marginales (Il 116 de moins de un hectare sur un total de 18 638), le petit nombre des exploitations
moyennes de dix à cent ha (374 seulement), enfin la proportion
relativement importante des grands domaines (98 exploitations
regroupent quinze mille six cent soixante ha sur une superficie
agricole utile exploitée de quarante quatre mille sept cent
onze ha). Ce sont pourtant ces dernières exploitations qui, du
point de vue économique, sont les seules entreprises vraiment
dynamiques de l'Ile (1).
TABLEAU
1
Répartition des surfaces cultivées et du domaine agricole
en fonction des dimensions des exploitations
Nombre d'exploitations
Faîre-valoir Colonnage
et autres
direct
.-
-.
Surfaces en Ha
TOTAL
Surface
cultiv6e
Surface
totale
.Moins de 1 ha .....
Delhaà 2 ba ....
De 2 h. A S ha _, . .
DeShaàlOha ....
1.261
1.480
981
804
3.855
2.154
1.180
301
11.116
3.634
2.161
605
4.316
5.196
1.919
4.465
9.105
1.241
9.984
6.541
Moins de 10 ha . .. .
10.026
8.090
18.116
21.956
32.811
De 10 h. à 20 ha
De 20 ha à 50 h.
De 50 ha A 100 ha
152
36
10
136
28
12
288
64
22
3.810
1.583
1.102
6.513
2.921
2.216
De 10 ha A 100 ha
198
116
314
1.095
11.110
....
98
98
15.660
36.400
......... . .
10.332
18.638
44.111
80.981
Plus de 100 ha
TOTAL
8.266
(Renseignements extraits de l'enquête agricole de 1957).
., ,,
,..
analyse de ces renseignements dans l'article de M. Paul GuÉZÉ : l'Agriculture réunionn.aise. in c L'Agronomie Tropicale ., n° 7-8, juillet-août
1962, pp. 69Q.693.
(1) On doit noter cependant que la concentration de la propriété
est beaucoup moins forte qu'aux Antilles ou à l'ne Maurice où les propriétés des seules usines produisent respectivement 75 % et 5S % des
cannes. A La Réunion, les usines font 18 % des cannes en faire-valoirdirect et 12 % en colonnage.
�124
Signalons enfin qu'à l'heure actuelle la répartition des
cultures est à peu près la suivante: on estime la superficie
cultivée à quarante-huit mille hectares Oa superficie totale de
l'De étant évaluée à deux cent cinquante et un mille hectares) :
Les plantations de canne à sucre occupent
à peu près .. . .. . . . . . . . ...... . .... .
35000 ha
Les plantations de vanille, de tabac à peu
près ... . .. . .. . ..... . ......... .. . .
3000 ha
- Les plantations de plantes à parfum (géranium, vétiver) à peu près . . . ... . . ... . .
3000 ha
- Les cultures vivrières occupent à peu près.
6000 ha
Des études réalisées par la Direction des Services Agricoles
et par le Génie Rural, il ressort que l'on pourrait récupérer ou
améliorer les surfaces suivantes :
,
-
•
-
2. -
Dérochage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
12 000 ha
Débroussaillement et dessouchement 5 à
10 000 ha
de pâturage
Lutte contre l'érosion . . . . . . . . . . . . 15 à
20 000 ha
La récupération et la canalisation des eaux de ruissellement par des ouvrages secondaires permettraient d'augmenter les rendements de neuf mille hectares déjà en
culture environ (1).
Une situation démographique particulièrement explosive.
Les 275 000 Réunionnais du recensement de 1954 sont
devenus 350 000 à celui de 1961 -62 avec un taux d'accroissement moyen annuel proche de 3,5 %. Ce taux serait à l'heure
actuelle de l'ordre de 3,3 %.
C'est actuellement la charge du chef de farnille qui augmente
par suite du nombre de personnes à nourrir par foyer 4,5 personnes en 1954, 5 en 1958, 5,5 en 1964 pour plafonner à 6
en 1970 (2).
En 1967-69, c'est le nombre des travailleurs qui augmentera
considérablement d'année en année; à partir de 1972 celui des
nouveaux -ménages à installer dans de nouvelles habitations et
sur de nouvelles terres.
<
(1) Renseignements extraits de t'étude de M. Charles · CLARAC:
Etude de l'équilibre économique des départements d'Outre-Mer 1962
(Ministère d'Etat chargé des Départements et Territoires d'Outre-Mer),
copie ronéotée p. 35-36, et des rapports d'activité des différents services
administratifs pour l'année 1961. Préfecture de La Réunion, 1963.
(2) Voir J'étude précitée de M. Paul GUÉZÉ, p. 691.
�125
Dès 1970, l'TIe devra assurer la subsistance de quelque
450000 habitants (1).
A l'heure actuelle, on compte 7,6 habitants par hectare cultivé à La Réunion contre 6,3 à la Martinique et 4,6 à la Guadeloupe (2).
Il faut ajouter que la population de l'TIe est très hétérogène:
les Créoles blancs de la côte et les Petits Blancs des Hauts
représentent sans doute 25 à 30 % de l'ensemble de la population. Le reste se répartit entre les Malabars (d'origine indienne)
les Cafres (descendants de Noirs africains), les Malgaches, les
Chlnois et les Musulmans indiens (3). On est très mal renseigné sur l'importance relative et le dynamisme démographique
de ces diverses communautés. C'est pourtant là une question
importante pour le futur équilibre politique de l'Ile; l'exemple
voisin de l'TIe Maurice le montre assez bien (4).
3. -
,,
•
Une situation économique fragile et artificielle.
Pour dégager les principales caractéristiques de l'économie
réunionnaise, nous analyserons rapidement:
-
La structure du Produit Intérieur Brut.
La structure du commerce extérieur.
Le rôle équilibrant des flux de capitaux d'origine
publique.
(1) Ce chiffre correspond à peu près selon des travaux réalisés par
une société d'étude d'aménagement du territoire aux possibilités maximales
d'occupation du territoire, compte tenu, d'une part de la nécessité de ne
pas empiéter sur les terres cultivables pour les travaux d'équipement
et d'urbanisation et d'autre part des possibilités de ravitaillement de la
population en eau potable, en électricité, etc.
(2) Rapport CLARAC précité, p. 14.
(3) Les Chinois et les c Z'Arabes:t (musulmans indiens qui sont
10 000 environ) monopolisent le commerce de détail dans l'ensemble
de l'De. c Ils exercent aussi le rôle de prêteurs, de banquiers et leur
boutique est le centre économique qui c tient le pays :t nous dit Jean
DEFOS DU RAU. Voir la brochure c La Réunion . éditée sous le patronage
du Conseil Général dans la collection c Richesses de France :t, p. 63.
(4) Dans cette île, en effet, la population indienne l'emporte déjà ·
très largement sur la population créole (a fortiori sur la population
créole blanche). La population indienne essentiellement représentée par
le c parti travailliste :t est favorable à l'indépendance politique qui lui
donnerait pratiquement la totalité du pouvoir; à l'heure actuelle, Je parti
travailliste compose plus ou moins avec le c parti créole mauricien:t.
�126
a) Structure du Produit Intérieur Brut (P.I.B.).
Dans le tableau II, on relèvera tout particulièrement:
1) La part démesurée de la valeur ajoutée du secteur
« commerce et transports :t , aussi importante que celle de l'agriculture et des industries sucrières et alimentaires réunies . TI est
évident que cette part reflète moins un enrichissement réel
qu'un secteur tertiaire plétborique pratiquant des marges bénéficiaires démesurées (1).
2) Le caractère artificiel du secteur « Bâtiment et Travaux
Publics > dont l'activité est étroitement liée aux crédits publics
et aux mesures d'aide à la construction (2).
3) La part rapidement croissante de la valeur ajoutée du
secteur • entreprises publiques >.
4) L'accroissement rapide de la masse des traitements administratifs: les valeurs ajoutées par les entreprises publiques et
les salaires et traitements versés par les administrations devaient
passer de 5147 millions de francs C.F.A. courants en 1960 à
7 094 millions en 1962.
•
•
..
TI est inutile de souligner davantage le caractère artificiel
de cette situation, surtout si l'on considère les mesures qui viennent garantir les déboucbés et les prix de la production du sucre.
(1) Il faut dénoncer en effet le caractère archaïque de l'appareil de
distribution c. tenu :t par les commerçants chinois et les marges bénéfi·
ciaires extravagantes qui en résultent. M. CLARAC a relevé en août 1962,
sur les marchés de détail de St-Denis, des pourcentages de distribution
par rapport aux prix de production allant de 100 à 700 % pour les
légumes de production locale. Pour la plupart des légumes (tomates,
carottes, choux-fleurs, oignons ... ) le pourcentage est supérieur à 300 % .
En ce qui concerne les transports internes, la localisation du -port des
Galets se traduit par des coûts de transport élevés. Mais les marges des
transporteurs sont très élevées.
(2) La construction de logements privés est puissamment aidée, en
particulier, par le niveau élevé des traitements des fonctionnaires et
agents des administrations (voir infra).
�127
TABLEAU
il
Produit intérieur brut (1)
1960
1961 (2)
1962 (3)
Millions
Millions
Millions
de F. CFA
de F. CFA
de F. CFA
courants
courants
courants
5.215
5.630
5.261
Bâtiment et T.P. .......
Commerce et transports
Entreprises publiques ...
Autres secteurs ........
3.269
1.866
8.769
2.906
2.379
4.164
2.333
9.781
3.500
2.865
4.112 (')
2.397
9.457
3.894
2.785
..
24.4a4
28.273
27.906
Loyers et services do·
mestiQues ..............
390
690
771
Production Intérieure Brute
aux prix du marché
............
-
Agriculture
-
Industries agricoles et alimentaires
-
-
............ ..
TotaI des valeurs ajoutées
-
-
.....
24.794
28.963
28.677
Traitements administratifs
(charges socia1es incluses)
2.241
2.662
3.200
Intérieur Brut aux
prix du marché .. . ... ...
27.035
31.625
31.877
Produit
Notons enfin les contreparties du P.I.B. (millions de francs
C.F.A.).
-
Consommation
des
ménages ....... ...
Equipemçnt des entreprises et des ménages ............ .
Accroisse-
Accroisse-
1960
1961
22.460
24.322
8%
26.753
8%
4.396
12,5 %
5.150
17 %
3.915 1
ment en %
1962
ment en %
(1) Les chiffres fournis ici représentent des millions de francs CFA.
(2) n s'agit d'évaluations provisoires réalisées par la S.E.D.E.S. en
juillet 1962 en appliquant une méthode de comptabilité prospective aussi
bien pour l'année 1961 que pour l'année 1962, cf. Esquisses comptables
des économies des départements d'Outre-Mer pour 1961 et 1962, et les
comptes économiques légers du département de La Réunion pour la
période 1952-1960. Ces chiffres doivent être considérés comme des
ordres de grandeur.
(3) La diminution des activités agricoles et annexes en 1962 est
due aux conséquences des destructions du cyclone c Jenny) (février 1962).
�128
La disparité entre d'une part l'évolution du P.I.B. et d'autre
part l'évolution de la conso=ation des ménages et des équipements des entreprises et des ménages est donc fort nette.
Cette disparité va évidemment se répercuter sur l'évolution
du déficit de la balance co=erciale.
b) Structure du commerce extérieur.
TABLEAU
III
Structure générale du commerce extérieur
(en millions de francs C.F.A.) (1)
-
,
-
Importations .. ... .. . ........... .... . ...... .
Exportations . . ..... . ... . ............ .. .... .
Volume total du commerce extérieur ...... . . .
Déficit de la balance commerciale ........... .
Taux de couverture des importations par les
exportations ............................... .
Pourcentage des exportations destinées à la
zone franc ........... . ... . . ... . ........ .. . .
Pourcentage des importations provenant de la
zone franc ..... ..... . . ......... .. . . .... ... .
1961
1962
14.254
9.066
15.626
8.156
23.782
7.470
23.320
5.188
63
%
52
%
90,1 %
88,8 %
89,7 %
84,4%
On note donc dans le tableau III :
L'importance du déficit de la balance commerciale
(accru en 1962 par les conséquences du cyclone) .
La part prépondérante des échanges réalisés avec la
métropole.
Mais il est encore plus intéressant de relever les postes
essentiels du côté des exportations comme du côté des importations.
Exportations 1962 (millions de francs C.F.A.)
•
Sucre
Huiles essentielles . ... . .. .
(géranium vétiver).
6900
800
Rhum ... . ........•. . .
Vanille
282
119
(1) Renseignements extraits du rapport d'activité de l'Institut d'Emission des D.O.M. pour l'année 1962.
�129
Importations.
-
.....
Riz ......... .. ...... . .. . . .
Textile, habillement (dont 600 millions pour les vêtements de confection) .............. . . ..... .
Matériaux de construction (dont
404 millions pour les bois) ..... .
Véhicules (dont 620 millions pour
les voitures particulières) .... . .
Produits pharmaceutiques ..... .
1300
1300
1 142
1000
575
Le sucre représente donc environ 85 % des exportations.
On notera d'autre part, que le riz constitue l'un des postes
principaux des importations; chaque année, l'Ile importe quelque 37 000 tonnes de riz du Cambodge et du Laos. La consommation de riz de ce département atteint presque la moitié de la
consommation de la France métropolitaine (80 000 tonnes).
On remarquera également l'imJKlrtance du poste textile
et habillement et aussi ceUe du poste véhicules qui dépend en
grande partie du niveau élevé des traitements publics.
c) Les concours de ['extérieur.
La disparité signalée plus haut entre l'évolution du P.I.B. et
celle de la consommation des ménages et l'équipement des entreprises et des ménages s'explique évidemment par l'importance
du déficit commercial et en définitive par l'importance, toujours
plus grande, des concours apportés par l'extérieur. Parmi ceux-ci
il faut mentionner tout particulièrement les transferts destinés à
couvrir le déficit du Trésor Public qui sont passés de 5 216 millions de francs C.F.A. en 1960 à 5608 millions en 1961 et à
6 740 millions en 1962.
TI faudrait y ajouter aussi les transferts de capitaux privés;
mais ceux-ci jouent parfois en sens inverse des transferts publics.
On dit souvent à La Réunion, que du fait de l'importance
des transferts publics, les variations du P.I.B. ne se répercutent
pas intégralement su r le niveau de vie des populations. Cela
n'est que partiellement exact, car il faut tenir compte des profondes différences de situations qui existent entre les diverses
catégories socio-professionnelles de l'Ile.
4. -
Des situations sociales très inégales.
Le niveau de vie « moyen . calculé par les experts de la
S.E.D.E.S . pour l'année 1958 est évidemment bas: de l'ordre
�130
de 55000 C.F.A. par an, soit quelques 112000 anciens francs
métropolitains (1).
Mais cette moyenne a peu de signification en raison de la
très grande dispersion des revenus et des niveaux de vie. Une
enquête par sondage réalisée en 1958 révélait d'ailleurs que
14 % de la population disposait d'un revenu par tête de l'ordre
de 14000 francs C.F.A. Quelques indices de pauvreté sont éloquents : l'assistance médicale gratuite (A. M. G.) intéresse 50 %
de la population (contre 2 % en Métropole).
6.300 contribuables seulement sont assujettis à l'impôt
direct.
Le tableau IV ci-dessous, emprunté à l'étude déjà citée
de M. Paul Guezé nous donne une idée de la dispersion des
revenus des différentes catégories socio-professionnelles pour
l'année 1958.
IV
Les catégories sociales et leurs revenus
TABLEAU
.'.
Personnes
vivantes en
1958
,-
moyenne
Cadres supérieurs privés ........... . .. . .
1.400
Indépendants et cadres moyens . . ......... .
Employés .............................. .
Ouvriers autres qu'agricoles ...... _ ...... .
Retraités, rentiers et divers ......... . .... .
28 .600
10.000
16.000
100.000
16.000
57.000
25.000
50.000
36.000
400.000
125.000
87.000
40.000
74.000
200.000
30.000
TOTAL .................•.•...... . .
315.000
55.000
Ouvriers agricoles ...................... .
Agriculteurs DOD salariés ... .. . . . . . . ... . . .
Secteur· agricole ....... . ......... .•. .....
Secteur urbain privé producteur .... .. ... .
Fonctionnaires ......................... .
82.000
60.000
142.000
Ressource
individuelle
(1) Les comptes prospectifs pour l'année 1962 donnent une pro·
duction întérieure brute par tête de 148300 anciens francs métro par
an. La même année le rapport sur les comptes de la Nation don·
nait une production întérieure brute par tête, pour la Métropole. de
677 661 anciens francs. Le rapport entre les deux chiffres est donc:
148300
--=0.219.
. !,
'
677 661
Si nous retenons à présent les chiffres de consommation.. par tête,
on obtient pour l'année 1962:
- Pour la Réunion: 135 000 anciens francs métro;
- Pour la métropole: 475 129 anciens francs.
Soit un rapport de 0,284.
L'écart entre les consommations moyennes par tête est donc moins
important que celui qui existe entre les productions intérieures par tête.
�131
On peut noter dans ce tableau un certain nombre d'écarts
de revenus caractéristiques :
-
. ' ,•
-.:.0:
Ecarts entre les revenus des travailleurs du secteur agricole et ceux des travailleurs du secteur urbain privé :
36.000 francs C.F.A. contre 74.000, soit un écart du
simple au double.
Ecart entre les revenus des ouvriers agricoles et ceux
des ouvriers non agricoles: 25.000 francs C.F.A. contre
40.000 (1).
Enfin, écart entre les revenus des employés du secteur
privé et ceux des fonctionnaires: 87 .000 francs C.F.A.
contre 200 000. Ce demier type d'écart crée des problèmes particulièrement graves du point de vue de la répartition efficace de la main-d'œuvre qualifiée dans les
divers secteurs de la vie économique réunionnaise. On
estime en effet, que, compte tenu des disparités de taux
d'allocation des prestations familiales dans le secteur
public et le secteur privé, à égalité de formation (ou
de qualification) et de charges de famille, un employé
du secteur public touche un revenu trois fois supérieur
à celui de son homologue du secteur privé (2). De tels
écarts de revenus aboutissent à des déperditions graves
du personnel qualifié du secteur privé au profit du
secteur public. Un des paradoxes les plus frappants
de cette situation est que, par suite de la carence de
la formation professionnelle dans l'De, les entreprises
Ceci s'explique évidemment par l'importance des transferts publics dont
bénéficie La Réunion.
(1) Cet écart provient essentieIJement du sous~mploi dont souffrent
les salariés agricoles en dehors de la période de la coupe des cannes
qui est la seule période de plein emploi agricole.
(2) On pourrait multiplier ici les exemples probants; en voici quelques-uns ;
...
•
1
- Une fille de salle de l'hôpital civil gagne 45 000 F. CFA par
mois, soit plus qu'un cbef de service débutant d'une grande banque de
Saint·Denis.
- Un instituteur suppléant nanti du brevet élémentaire gagne
63000 F. CFA, soit deux fois plus qu'un employé de marne formation
dans la même banque.
- Un garde...cbampêtre gagne 46000 F. CFA par mois, soit plus
de deux fois le salaire: d'un petit employé de notre banque.
A ces différences de salaires directs il faut ajouter les très grosses .
différences de prestations familiales. Ainsi dans la fonction publique un
père de famille de quatre enfants de moins de dix ans, perçoit 30351 F .
CFA de prestations familiales diverses. Un salarié du secteur privé qui
se trouve dans la même situation ne reçoit que 3 125 F. CFA! La
banque qui nous a fourni ces exemples a perdu 14 % de son personnel
qualifié en 1963
�132
privées aussi bien agricoles qu'industrielles ou commerciales sont obligées de former elles-mêmes leurs cadres
moyens; mais ceux-ci les quittent, dès qu'ils ont acquis
une formation suffisante pour gagner le secteur public !
La situation la plus dramatique reste évidemment celle des
familles de travailleurs agricoles, qu'il s'agisse des petits colons,
des petits propriétaires exploitants ou des ouvriers agricoles,
c'est-à-dire au moins du tiers de la population de l'Ile. C'est
cette population agricole « marginale • qui souffre particulièrement de l'inflation importée; pour le comprendre, empruntons
à nouveau un passage à l'étude de M. Paul Guëzé:
« Contrairement à ce qui se passe en Métropole, dans
toute la région de la canne, le travailleur rural ne se nourrit ni
gratuitement, ni en majeure partie sur le sol de l'exploitation à
laquelle il consacre son temps. S'il tire quelques fruits de la
terre, ce ne sont que quelques salades et légumes peu nouriciers, il achète à l'épicier chinois la majeure partie de sa ration
dont les deux tiers proviennent de l'importation. Cette ration
est généralement largement suffisante au point de vue calorifique, mais fortement carencée en protides animaux. Pour la
plupart des agriculteurs pauvres la carence en protides laitiers
est subtotale; bien des gens n'ont jamais bu d'autre lait dans
leur vie que celui provenant du sein de leur mère. La ration
de protides de la viande et du poisson ne doit pas atteindre la
moitié de la normale et est constituée principalement par de la
morue de Terre Neuve fermentée et séchée >.
« Les carences de matières grasses sont moins importantes,
et la ration moyenne doit atteindre généralement les trois quarts
de la normale, elles sont peu graves dans un pays chaud; mais
le défaut de protides animaux de la ration créole en général,
et des agriculteurs en particulier, est catastrophique pour la
population • .
C'est donc essentiellement pour cette catégorie de population que se pose de manière urgente le problème de la diversification des cultures. Mais pour s'en persuader tout à fait, il
faut prendre conscience en dernier lieu des données externes du
problème qui ne sont pas les moins contraignantes.
B. -
•
LES DONNÉES EXTERNES DU PROBLÈME
Dans les analyses classiques du sous-développement on ne
manque pas de dénoncer en général le phénomène de dualisme,
�133
c'est-à-dire la coexistence de deux secteurs de la vie économique
presque entièrement étrangers l'un à l'autre: un secteur traditionnel replié sur lui-même échappant pratiquement à l'économie
d'échange bien qu'en subissant certains effets néfastes; un secteur
moderne plaqué de l'extérieur et soumis à des forces centrifuges
qui en font, en quelque sorte, un appendice de l'économie dominante externe.
-
La situation est bien différente à La Réunion pour des
raisons qui tiennent soit à l'histoire de la mise en valeur de
l'TIe, soit encore à son statut de département français. Il n'y a
pratiquement jamais eu, en effet, de secteur traditionnel nourricier important (1). Le peuplement massif de l'Ile a été directement lié à l'extension des cultures spéculatives et d'exportation, et en particulier à la culture de la canne. TI en résulte tout
d'abord que le sort économique de l'Ile est très étroitement
dépendant de l'évolution des marchés d'exportation. De plus,
obligée d'importer plus des deux tiers de ses produits de
consommation, l'Ile subit fortement les « effets de domination •
des économies extérieures avec lesquelles elle est en relation,
c'est-à-dire pour l'essentiel, de la France.
1. -
La situation. des marchés extérieurs
Nous savons que La Réunion tire 85 % de ses recettes
extérieures normales du sucre, c'est donc essentiellement le
marché du sucre qui retiendra notre attention. Toutefois, certaines cultures spéculatives comme celles du géranium, du vétiver, de la vanille ... ne soot pas sans importance, mais là encore
ces activités ne contribuent guère à diminuer la fragilité de
l'économie.
a) Perspectives nouvel/es sur le marché du sucre?
C'est la Métropole qui absorbe la quasi totalité du sucre
produit par les départements d'Outre-Mer à des prix qui, au
cours des dernières années ont été de deux à quatre fois supérieurs aux prix du marché mondial libre. Mais la Métropole
a sur son territoire des hetteraviers qui pourraient facilement
pourvoir aux besoins nationaux. Les pouvoirs publics ont dû -
,
.,
~,
..
(1) La Compagnie des Indes a bien essayé toutefois de faire de La
Réunion, un grenier destiné à assurer le ravitaillement de la population
de l'De de France (l'actuelle Ile Maurice), mais cette politique fut abandonnée au bout d'un certain temps.
,
�134
opérer en conséquence, une série d'arbitrages et fixer des contingents de production à la fois pour les betteraviers et pour les
producteurs de sucre de canne. C'est ainsi que La Réunion s'est
vue accorder un contingent de 200.000 tonnes et un contingent
supplémentaire pour les petits planteurs (1) qui ne peut dépasser
25.000 tonnes. Au cours des dernières années la production
de sucre a évolué comme suit à La Réunion (en milliers de
tonnes) :
Campagne 1959-60 .... . ..... 200.300
Campagne 1960-61 .......... 217.800
Campagne 1961-62 .......... 262.500
Campagne 1962-63 . .. . . .. . .. 181.200
..
-,
Une récolte excédentaire comme celle de 1961-62 risquait
d'avoir des conséquences catastrophiques pour le revenu global
du département car de fortes cotisations de résorption frappent
les sucres produits au delà de la limite de l'objectif (qui était
exactement de 200350 tonnes) (2). C'est pourquoi le gouvernement a décidé d'attribuer une aide budgétaire spéciale afin
d'éviter cette conséquence paradoxale. Cette aide s'est élevée
à 4,5 millions de nouveaux francs pour La Réunion (3).
Ajoutons q'une récolte fortement excédentaire pose également de graves problèmes de financement de stocks et implique par conséquent des prêts spéciaux (4).
Une récolte déficitaire comme celle de la campagne 1962-63
qui a suivi le cyclone. Jenny • aurait dû avoir également des
conséquences très graves pour le revenu global de La Réunion
sans un certain nombre de mesures spéciales qui n'ont pas évité
malgré tout une réduction sensible du revenu sucrier et surtout
du revenu des planteurs.
(1) C'est-à-dire ceux qui livrent moins de 150 tonnes de cannes.
(2) La cotisation normale pour les suc res produits dans la limite
de l'objectif était de 6,84 NF par quintal de sucre cristall isé n" 3 pour
La Réunion (8,18 NF pour la métropole). Mais cette cotisation passait
à 65 NF pOUf les quantités produites au-delà de l'objectif.
(3) Compte tenu de l'aide budgétaire spéciale, le revenu sucrier du
département a été le suivant (en millions de NF) :
196O·6t ........
1961-62 .. .. . ...
Tonnages
de sucre
Valeur
Aide
budgétaire
Total
du_revenu
217.778
139
148
1,70
4,50
140,50
152,50
262.481
(4) Les stocks de La Réunion étaient de l'ordre de 30000 tonnes
au début de l'année 1962.
�135
Face à la situation excédentaire qui était jusqu'à présent
la situation normale, la thèse des « usiniers • était à peu près
la suivante: le gouvernement français devrait obliger les betteraviers à reconvertir en grande partie leurs exploitations, car
de multiples possibilités techniques de reconversion s'offrent à
eux. Au contraire, la vocation première de l'TIe est la canne à
sucre car, pour reprendre l'expression de René Dumont, « ]a
synthèse des glucides est plus facile sous les Tropiques . ; La
Réunion produit déjà du sucre à un coût moindre que le coût
du sucre de betteraves et cependant ' des gains importants de
productivité sont encore possibles au niveau de la plantation.
Puisque La Réunion est un département français, il faut que
nous puissions bénéficier au maximum de la division du travail
et nous spécialiser dans ce type de culture (1).
Cette thèse parfaitement logique faisait peu de cas, on le
voit, du « lobby des betteraviers • .
Mais depuis les derniers mois de l'année 1962, les perspectives du marché mondial de sucre ont profondément évolué.
<
La production globale de l'avant.<Jernière campagne (6263) a été inférieure d'environ 7 % à la précédente (53 millions
de tonnes au lieu de 57). Les stocks ont diminué de près d'un
cinquième (7,3 millions de tonnes au lieu de 9) . Les cours
mondiaux, c'est-à-dire les cours des sucres qui ne sont pas
vendus sur un marché privilégié, ont doublé au cours de l'année 1962 passant de 2,30 cents par livre à 4,65 (2). Sur le
marché de Londres, le cours du sucre a enregistré le 31 octobre
1963 une nouvelle hausse de trente shillings par tonne. Un
nouveau record a été ainsi établi: 1 470 francs par tonne, soit
plus de deux fois les cours atteints en 1951, au plus fort de la
guerre de Corée et 4,9 fois ceux de décembre 1961. Cette
hausse spectaculaire est due à plusieurs facteurs dont certains
auront des conséquences durables co=e la diversification des
cultures à Cuba et l'orientation des courants co=erciaux de
ce pays (3). On peut invoquer aussi l'évolution favorable de la
(1) Cette thèse a été exposée en particulier devant le représentant du
Commissariat du Plan le Il décembre 1963, lors d'une réunion du Comité
d'expansion.
.,.
(2) n s'agit du sucre disponible à New-York. Le cours moyen de
2,30 cents par livre correspondait à un prix de 24,84 NF le quintal; celui
de 4,65 cents à un prix de 50,23 NF. Cf. Rapport d'activité de l'Institut
d'émission des D.D.M., 1962, p. 21.
(3) D'autres facteurs sont plus contingents: ouragan des Caraibes en
1963; reconstitution des stocks ...
�r
136
consommation de sucre dans le monde (1) et tout particulièrement en France.
Cette situation entièrement nouvelle et qui paraît devoir
durer pendant quelques années redonne une vigueur incontestable à la tbèse des usiniers favorable à la monoculture. N'oublions pas toutefois qu'elle « réhabilite > par la même occasion
la betterave sucrière (2) .
De fait, les décrets et arrêtés réglementant la campagne
sucrière 1963-64, publiés au • Journal Officiel > des 15 et 16
octobre trahlssent la volonté du gouvernement de « laisser un
peu la bride sur le cou à la production > et de s'orienter vers
une politique libérale. L'exportation des sucres excédentaires
qui a coûté très cher au Trésor Français jusqu'à présent va sans
doute devenir une opération rentable.
Dans ces conditions, une politique de diversification des
cultures paraît bien compromise aussi bien pour l'extension des
cultures vivrières que pour le développement des cultures spéculatives traditionnelles de La Réunion.
b) Incertitudes sur les marchés extérieurs des huiles essen-
tielles, de la vanille, du tabac.
Nous observerons simplement ici que la culture traditionnelle des plantes à parfum et de la vanille qui d'ailleurs ne
fait pas, à proprement parler, concurrence à la canne dans les
conditions actuelles (3), n'est pas susceptible d'une grande
extension en raison de la concurrence extrêmement vive qui
règne sur les marchés extérieurs et des fluctuations brutales
des prix. C'est ainsi que la production d'huiles essentielles,
celle de géranium en particulier, se heurte à la concurrence très
efficace, du point de vue du prix de revient, de l'Afrique du
(1) Le Dr H. AHLFED, qui est considéré comme un spécialiste
mondial en la matière depuis un demi siècle, estime que la consommation
mondiale de sucre pourrait atteindre 91 millions de tonnes en 1972-1973.
Pour suivre cette poussée de la consommation il faudrait que la production
s'accroisse d'ici là de 34 millions de tonnes, c'est-à-dire de 66 % par rapport à 1962-63.
(2) Voir c Réhabilitation de la betterave >, Bulletin de la semaine.
Le Monde économique et financier des 3 et 4 novembre t 963.
(3) Les plantes à parfum comme le géranium et le vétiver sont
surtout cultivées sur les c: Hauts :t où elles ont provoqué parfois des
déboisements inconsidérés, alors que la canne occupe essentiellement les
bandes côtières. Quant à la vanille, elle est cantonnée aux rég ions littorales les plus humides et exige des supports, c'est-à-dire des arbres porteurs.
�137
•
-.
Nord. La vanille de La Réunion est vivement concurrencée par
la production de Madagascar et de Tahiti et aussi par la vanilline synthétique; elle était d'ailleurs en régression depuis quelques années. De même la production de tabac semble se heurter
à une concurrence vive de Madagascar et à certains accords
passés entre ce pays et la Régie Française des Tabacs.
On songe toutefois, non sans raisons valables, comme nous
Je verrons ci-dessous, à redonner une nouvelle vigueur à ces
cultures, car elles intéressent, en fait, de nombreux petits propriétaires ou de petits colons.
Le développement de cultures vivrières paraît également
fort compromis dans les conditions actuelles du marché mondial
du sucre. Redonnons, en effet, la parole à M. Hugot:
« Un hectare de cannes donne une recette d'environ
FA 180.000, avec laquelle on peut acheter 2 400 kg de haricots
de Madagascar à FA 75 le kg, tout en faisant vivre un ouvrier
agricole et sa famille, sans parler de ce qui revient au chauffeur
de tracteur et à sa famille, au marchand d'engrais, au petit
éleveur de fumier, etc... Un hectare de haricots ne donne pas
le 1/ 5 du même travail, et fournit péniblement en moyenne
1 000 kg de haricots. La perte, sur un continent, serait déjà
énorme; sur une île surpeuplée dont il faut tirer le maximum
de chaque hectare cultivable pnur essayer de faire vivre une
population déjà misérable et rapidement croissante, ene est
irréparable. Et le slogan de la culture vivrière est une erreur
monumentale, naïve ou criminelle ».
On le voit une fois de plus, l'argumentation ne manque
pas de logique, si bien que, pnur essayer de voir clair dans le
différend qui oppnse les « Usiniers > et les « Parisiens > il faut
sortir de la dialectique du haricot. En d'autres termes, il faut
se placer résolument dans une optique de longue période et
considérer les chances de développement équilibré de l'De,
unité économique distincte ou 4: nation économique », dans ses
rapports avec l'économie extérieure dominante.
2. - Les « effets de domination >
de la Métropole sur La Réunion
Le statut de département français de La Réunion et les ·
échanges privilégiés avec la métropole valent sans doute à l'Ile
des avantages considérables que l'on a pu mesurer ci-dessus.
Mais en retour, la Métropnle exerce sur l'De des « effets de
domination > qui peuvent compromettre certains aspects de
�138
son développement. Par effets de domination, nous entendons
avec F. Perroux, des « influences asymétriques et irréversibles :.
même involontaires s'exerçant dans le sens Métropole - La Réunion. TI n'est pas question ici d'en faire une étude systématique (1), mais simplement de relever les effets de domination
qui peuvent rendre nécessaire un meilleur équilibre entre les
ressources économiques de l'TIe. Nous en soulignerons essentiellement deux:
l'effet de domination s'exerçant par les prix et les
salaires;
l'effet de domination découlant de l'application intégrale de la réglementation métropolitaine sur les
céréales.
a) Le niveau des prix et des salaires.
Malgré des mesures de détaxation destinées à compenser
le handicap des frais de transport, il est certain que le niveau
des prix des biens importés, qu'il s'agisse des biens destinés
aux consommations intermédiaires ou à la consommation finale,
est en moyenne d'une fois et demie à deux fois plus élevé que
le niveau des prix métropolitains. D'autre part, le prix des produits locaux eux-mêmes a une fâcheuse tendance à s'aligner
sur les prix des produits importés, en particulier sur les marchés
des denrées alimentaires. Enfin, il est évident que l'évolution
des prix dans l'TIe est parallèle à celle de la Métropole. En
d'autres termes, l'Ile importe en permanence l'inflation métro-
politaine.
La situation est tout à fait supportable pour les fonctionnaires ou la plupart des salariés des administrations et des
entreprises publiques dont les traitements et les salaires sont
équivalents à ceux de la métropole en valeur absolue, mais qui
sont versés en francs CFA (celui-ei, rappelons-le, vaut le double
du franc français). TI faut ajouter aussi que les fonctionnaires
bénéficient d'avantages en nature ou de primes substantielles et
qu'ils perçoivent enfin les mêmes prestations sociales qu'en
France (en francs CFA) . S'il fallait fournir une preuve de la
situation confortable de cette catégorie socio-professionnelle,
nous la trouverions dans l'évolution des dépôts des caisses
d'épargne, des dépôt bancaires et des dépôts du Trésor .qui sont
1
(1) La thèse en' cours de M. CHARTOIS sur le thème: c Intégration
monétaire et développement économique de La Réunion» fournira sans
doute un bilan complet des avantages et des inconvénients attachés au
statut actuel de l'ne.
�139
alimentés à peu près exclusivement par les fonctionnaires ou
agents des administrations et des entreprises publiques (1).
V
Evolution des Comptes de Dépôts en 1962
(en millions de N.F.)
TABLEAU
Comptes bançaires
Comptes
çourants
Comptes
bançaires
...
58.24
64,44
73,36
77,89
Différences :
- en valeur absolue . .....
6,20
31 ( 12( 1961
31 ( 12( 1962
...
- en pourcentage .......
,
+ 10,6 %
D épots
du Trésor
Caisse d'Epargne
Montant
Nombre
de livrets
9.26
9,83
8,02
9,03
18,025
19,660
4,53
0,57
l ,Dl
+ 6,2 %
+ 6,2 %
+ 12 %
Source : Rapport d'activité de l'Institut d'émission des D.O.M.
1962, p. 61.
'.
Cette évolution favorable de l'épargne fait dire aux auteurs
du rapport précité:
« Le progrès social déjà signalé dans le rapport d'activité
de 1961, s'est confirmé. Il y a eu hausse des revenus réels des
salariés, accroissement des disponibilités des particuliers et de
l'épargne, amélioration des conditions générales d'existence . (2).
Or, il est bien évident que c'est essentiellement la situation
des fonctionnaires et salariés des administrations qui s'est améliorée (3) ainsi que celle des agents économiques qui pourvoient
directement à leurs besoins (importateurs, négociants) .
La situation de la masse des petits et moyens agriculteurs
et des salariés agricoles n'a pu que se dégrader en raison même
des conséquences du cyclone et de la hausse des prix des produits importés (de 4 à 6 % environ en 1962).
On fait valoir que le S.M.I.G. a été augmenté à plusieurs
l'
...:
.. ' .'
(1) Cela ne signifie pas, comme on l'insinue parfois, que les autresagents économiques, les sucriers en particulier, ne réalisent aucune
épargne; cette épargne est simplement transférée ailleurs.
(2) Rapport cité, p. 31.
(3) En particulier en raison d'un relèvement des traitements de la
fonction publique.
�j
140
reprises (1). Les relèvements ont pu avoir des conséquences
favorables dans les activités non agricoles, mais non dans J'agriculture. En effet, en dehors de la période de plein emploi, c'est-àdire la période de la coupe qui dure quatre mois environ (du 15
août au 15 novembre), c'est le mécanisme « naturel > de J'offre
et de la demande de travail qui l'emporte sur les institutions.
Dans les périodes « creuses », en particulier, du mois de mars
au mois d'août, le travail au forfait prévaut (2).
,
.
•
.
,
Or les prix au forfait ne varient guère, ce qui se conçoit
sur Je plan des mécanismes économiques dans la mesure où il
existe à La Réunion, un « fonds des salaires :. agricoles au sens
le plus classique de l'expression. L'existence de ce fonds est
liée, en effet, au mécanisme du contingentement, c'est-à-dire au
plafonnement institutionnel des ressources agricoles d'origine
sucrière. Dès lors, dans les périodes creuses où l'offre de travail
agricole est surabondante par rapport à la demande « le prix
courant > du travail tend à baisser malgré l'existence d'une législation sociale plaquée de l'extérieur; l'adaptation se fait par la
durée effective du travail. Mais ce qui rend la situation des
travailleurs agricoles particulièrement dramatique, c'est que dans
le même temps « le niveau naturel » du salaire tend à monter
du fait du renchérissement du prix des subsistances importées et
tout particulièrement du prix du maïs et du prix du riz. La
hausse de ces produits de base de l'alimentation des familles
pauvres n'est pas due seulement à celle des prix métropolitains
puisque le riz est importé d'Asie, ni même à la hausse des prix
des transports, mais surtout à l'application de la réglementation
métropolitaine et en particulier à la réglementation douanière
sur ces denrées.
..,....
.
,-~'
'."
~
·r
(1) Le salaire horaire a été porté de 55 à 60,5 F. CFA en 1962. Au
1er octobre 1963. jJ était passé à 68,40 F. CFA dans le secteur non
agricole; dans l'agriculture, le S.M.I.O. était de 2636 F. CFA par semaine.
(2) Alors se trouve vérifié un des fondements du mécanisme de la·
plus-value de MARX: ce que le tra vailleur vend, ça ,,'est plus /ill certaill
lIombre d'heures de travail (au taux du S.M./.G.) mais sa force de travail.
Concrètement. un ouvrier agricole recevra bien une paie officielle corres·
pondant par exemple à trois jours de travail par semaine rémunérés au
taux officiel; en fait, il devra travailler six jours ou, ce qui revient au
même, il se sera fait aider pour effectuer sa tâche, par un membre de
sa famille.
�141
b) L'application indifférenciée de la réglementation métropolitaine sur les céréales
Le maïs et le riz sont des produits de base de l'alimentation
des familles agricoles pauvres de La Réunion.
L'Ile consomme chaque année 15 à 20 000 tonnes de maïs
et 35 à 37 000 tonnes de riz.
Ces produits ont la préférence des familles pauvres en
raison de leur prix modique, par rapport au pain:
En octobre 1963, les prix de détail de ces denrées étaient
les suivants:
-
Pain, le kg . . . . . . . . . • . .
Riz, le kg ... .. •......
Maïs, le kg
52 F. CFA
39 F. CFA
30 F. CFA
Jusqu'à présent le maïs vendu à La Réunion ne supportait
pas la taxe de péréquation appliquée en métropole de 9 F . CFA
(ou 18 centimes métro) par kilo, ou plus exactement le montant
correspondant à cette taxe était remboursé à peu près intégralement aux importateurs de maïs. Or, ce remboursement vient
d'être supprimé, dans le but d'uniformiser la réglementation
dans tous les départements français, en vue des négociations
du Marché Commun. Le prix de vente du maïs est donc passé
brutalement à 39 F. CFA. La consommation s'est donc déplacée
vers le fiz qui, à valeur égale, est une nourriture plus Doble. De
ce fait le coût de la vie a augmenté puisque le riz était plus
cher au départ (1).
D'autre part, il n'est pas question pour l'instant d'appliquer à La Réunion un régime particulier en ce qui concerne
le riz. Or, dans l'organisation du Marché Commun les producteurs nationaux (principalement ceux de l'Italie et de la France)
bénéficieront de protections importantes. On a estimé en effet
que la production de riz français suffisait largement à ses besoins
de l'ordre de 80000 tonnes; or la consommation de La Réunion n'a pas été comprise dans ce chiffre si bien que, dans
l'hypothèse où l'entrée du riz à La Réunion se verrait frappée
des mêmes droits qu'aux frontières de la Métropole, c'est-à-dire
quelque 30 F. CFA par kilo, le prix du kilo de riz acheté au
Cambodge ou au Laos, passerait au détail de 39 F. CFA, à
69 F., soit une augmentation de 77 % environ. On voit les (1) La hausse du prix du maïs compromet encore davantage les
chances de développement d'un élevage important dans l'De. Cette ques·
tion capitale sera examinée plus en détail dans notre deuxième partie.
�142
conséquences éventuelles d'une telle augmentation sur le niveau
de vie des familles les plus pauvres qui consacrent entre 40 et
50 % de leurs ressources à l'acquisition de ce produit de base.
TI y aurait alors un tel décalage entre le • prix courant > du
salaire et son c niveau naturel :t que, sans des mesures d'assistance massives, les lois de la population de Malthus se venfieraient dans un certain sens : les taux de mortalité infantile
augmenteraient fortement.
En définitive, faut-il diversifier les activités agricoles de La
Réunion et en particulier développer les cultures vivrières ou
bien faut-il pousser au maximum la spécialisation de l'ne dans
la production de cannes à sucre ?
Les développements qui précèdent montrent que cette
question ne peut être tranchée en théorie pure et que les responsables de l'avenir de l'TIe doivent s'entendre sur un certain
nombre de points qui sont autant de préalables politiques.
1. Il faut établir un ordre d'urgence dans les objectifs
de politique économique et sociale de courte et moyenne période.
2. - Pour cela il est nécessaire que les autorités françaises procèdent dès à présent à certains arbitrages et puissent
fixer des objectifs relativement précis de production pour les dix
années à venir (tout particulièrement pour le sucre).
3. -
Il faut accepter de considérer J'Ile comme une petite
« nation économique • ayant des problèmes d'équilibre globaux
élémentaires à résoudre dans la longue période.
Reprenons chacun de ces points pour pouvoir donner une
réponse précise à notre question .
1. - On doit s'entendre tout d'abord sur l'ordre d'urgence
des objectifs de politique économique et sociale.
Dans l'ordre d'urgence, il nous semble que l'on devrait
mettre en tête le relèvement du niveau de vie et plus précisément
du niveau alimentaire des 100 ou 150000 personnes les plus
défavorisées de ce département français, c'est-à-dire des petits
et moyens exploitants et des salariés agricoles (1). On peut évic
demment en discuter, mais pour notre part nous adop~ons tout
(1) n est souvent difficile de distinguer entre les petits exploitants
et les salariés agricoles, car les personnes actives qui composent les
c ménages _ agricoles les plus défavorisés sont très souvent exploitants
(en faire valoir direct ou en colonnage) et salariés à certaines époques.
�143
,
•
.~
à fait la formule « développer, c'est nourrir > (1). Dans cette
optique, il n'est pas douteux que, pour échapper le plus possible
aux « effets de domination > de l'extérieur et tout particulièrement à ceux qui s'exercent par les prix des produits importés
et la réglementation métropolitaine, l'TIe doit développer un
certain nombre de cultures et d'activités vivrières. On verra plus
loin à quelles conditions et à quel prix.
2. - Pour déterminer quelle doit être l'importance relative de cette agriculture de subsistance dans l'économie agricole
de l'Ile, il faut que les pouvoirs publics fassent connaître au
plus tôt et sans ambiguïté, les objectifs de production sucrière de
la France pour les années à venir et la répartition des contingents entre les betteraviers d'une part et les producteurs des
D.O.M. d'autre part. En d'autres termes, si les perspectives
favorables du marché mondial du sucre se confirment, il appartient aux pouvoirs publics d'arbitrer au plus tôt les intérêts
divergents des producteurs métropolitains et des producteurs
des D.O.M. Si les pouvoirs publics s'avéraient incapables d'opérer cet arbitrage en préférant laisser jouer les influences différentielles des • groupes de pression >, la politique de développement de La Réunion resterait illdéterminée pendant toute la
période de hausse des prix du sucre (2).
3. - Dans ce dernier cas, le retard que pourrait prendre
l'Ue dans sa politique de développement harmonisé pourrait
avoir des conséquences à moyen terme catastrophiques, lorsque
le marché mondial du sucre se trouvera de nouveau saturé (3).
Les problèmes que connaît La Réunion aujourd'hui seraient
alors multipliés en raison directe de l'accroissement de la population puisqu'aucune modification structurelle de l'économie
fi' aurait alors été réalisée.
TI nous semble donc que, dans l'hypothèse de la stabilisation des prix mondiaux du sucre à niveau satisfaisant pendant
quelques années, la politique raisonnable à mettre en œuvre
(1) VOIT les numéros speciaux de la revue c D éveloppemelll el
Civilisation :t , n° 16 de Décembre 1963 et n° 17 de mars 1964.
(2) Au retour d'un bref voyage à La Réunion, le ministre de l'Agri-
culture, M. PISANl, semble avoir promis un contingent de sucre sensiblement plus élevé (300000 tonnes).
(3) Ce qui se produira certainement dans quelques années. Or il
ne faut pas oublier que l'élasticité de la production est plus grande pour
la betterave que pour la canne à sucre, puisque les décisions de production peuvent être très sensiblement modifiées au seuil de chaque campagne par les betteraviers.
Voir la note ci-jointe rajoutée en avril 1965 page suivante.
�144
devrait être la suivante aussi bien pour les responsables « parisiens > que pour les responsables locaux du développement de
La Réunion.
1 . - Profiter au maximum des possibilités du marché mondial
par une intensification de la culture de la canne sans
extension notable des superficies cultivées.
2. - Prélever une partie des profits supplémentaires dégagés
par ['accroissement de la production de sucre, soit par
la voie fiscale, soit par des procédures d'épargne forcée
(ou de constitution de réserves), pour créer un « fonds
de diversification des activités agricoles » (1) .
3. - Mettre en œuvre sans plus tarder grâce à des subventions
de l'Etat qui pourraient être soit récupérées sur le « fonds
de diversification > au bout de quelques années, soit
relayées par le fonds, la politique de récupération et
d'amélioration des terres vouées aux cultures vivrières
et à l'élevage (travaux d'irrigation, d'amélioration foncière, etc.), la politique de formation professionnelle appropriée et la politique d'expérimentation et de recherche.
Cette politique, on le voit, suppose un plan cohérent et
relativement coercitif. Si les pouvoirs publics métropolitains
ne devaient pas avoir une détermination suffisante dans cette
voie et si les « élites» économiques locales devaient se contenter
de profiter égoïstement des perspectives actuelles du marché du
sucre, dans le cadre d'une politique « libérale . de facilité, la
responsabilité des uns et des autres, demain, serait écrasante.
Note complémelllaire. Avril 1965 - En 1964 le gouvernement avait
aboli la notion d'objectif de production et autorisé les planteurs métropo·
litains (betteraviers) à accroître leur surface. en raison de l'évolution
favorable du marché mondial du sucre. En l'espace d'un an la situation
s'est renversée: les cours du marché mondial (marché étroit qui n'est
(1) Le prélèvement par la voie fiscale, sous forme de taxe spéciale
par exemple, serait le moyen le plus simple, car il pourrait s'opérer à un
seul niveau, celui de l'usine et être répercuté ensuite sur toutes les parties
intéressées par le partage des profits: usiniers, colons, propriétaires.Cette proposition est tout à fait conforme à celle du rapport MEADE élaborée en 1961 pour l'Ile Maurice voisine qui doit faire face au plus tôt à
des problèmes identiques. Le Professeur MEADE propose, en effet, une
taxe de 5 % sur la production sucrière pour accroître les ressources du
gouvernement de l'Ile. Cette proposition est faite évidemment dans le
but de fournir au gouvernement les moyens d'une politique de développement harmonisé.
�145
alimenté que par les surplus que les pays producteurs ne parviennent pas
à vendre dans le cadre de leurs accords régionaux) se sont à nouveau
effondrés, tandis que le règlement sucrier européen continue de susciter
d'âpres discussions au Conseil des Six. De ce fait, il a fallu exporter les
quelques 700 000 tonnes d'excédent de la campagne en cours avec une
perte de l'ordre de 550 à 600 F par tonne. Aussi le Comité interministériel
du 1er avril 1965 a-t-il décidé de revenir au contingentement de la production sucrière et de fixer l'objectif de la production métropolitaine de sucre
raffiné pour la campagne 1965-1966 à 1569000 tonnes. Cette nouvelle
politique ne peut manquer d'avoir des conséquences sur les départements
d'Olltre--Mer. Une amélioration durable de la situation de ces départements
est donc étroitement liée, à présent, au progrès des négociations des Six.
�II.
LES CONDITIONS GÉNÉRALES
D'UNE DIVERSIFICATION
DES ACTIVITÉS AGRICOLES A LA RÉUNION
Dans la première partie de notre étude nous avons opposé
la thèse des • Usiniers ., favorable à une spécialisation très
poussée de l'agriculture réunionnaise, c'est-à-dire pratiquement
à la monoculture de la canne et la thèse des «Parisiens . favorable à une diversification des activités économiques de l'Ile.
Nous avons pris position en faveur de la seconde thèse plus
conforme, selon nous, aux exigences du développement équilibré
de cette petite «nation économique >.
Il nous reste à examiner comment une politique de diversification des activités agricoles peut être mise en œuvre ou encore
queUes sont les conditions générales d'application et de réussite
d'une teUe politique.
Lorsque les économistes examinent les conditions du développement économique d'uri pays ils ont coutume de distinguer,
pour les besoins de l'analyse, d'une part l'existence d'un certain
nombre de facteurs indispensables à la production et d'autre part
la mise en œuvre effective de ces facteurs. Reprenons cette
distinction classique.
A -
LES FACTEURS DE PRODUCTION NÉCESSAIRES
A UNE DIVERSIFICATION DES CULTURES
Le développement de cultures nouveUes ou d'activités
agricoles nouvelles à La Réunion réclame, comme toute production: des terres, des capitaux et des hommes.
,.
1," /
J••
�147
1. -
,.
Le problème des terres.
Nous avons vu que sur 48 000 ha de terres cultivées, la
canne à sucre occupe à elle seule 35 000 ha qui comptent parmi
les meilleures terres de l'Ile.
Le développement des nouvelles activités agricoles peut
donc se faire soit sur des terres nouvelles conquises par des
travaux coûteux d'irrigation et d'amélioration foncières, soit
sur des terres anciennement cultivées en cannes.
a) En ce qui concerne [es terres «anciennement cultivées
•
,.
cultivées en cannes >, il ne faut pas prendre à la légère l'affirmation de M. Hugot rapportée ci-dessus: • Tout détournement
d'un hectare de cannes en cultures vivrières enlève en réalité
leur nourriture ou leurs moyens de vivre à cinq Réunionnais . (1).
Il est bien certain que la canne à sucre est et demeurera
la principale richesse de l'Ile. Il faut donc examiner le problème
de la reconversion des activités agricoles de manière empirique
à travers les deux hypothèses suivantes :
Les perspectives favorables du marché mondial du sucre
se prolongent pendant plusieurs années.
Dans ce cas les producteurs de sucre de La Réunion doivent
pouvoir saisir cette chance; plus exactement les pouvoirs publics
français doivent leur permettre de la saisir en relâchant la règlementation sévère de la production aussi bien en faveur des betteraviers métropolitains qu'au profit des producteurs de sucre de
canne des D.O.M. Dans ce cas, l'accumulation des profits et du
capital résultant de cette production supplémentaire devrait être
consacrée en grande partie à une modification des structures
de la production agricole, c'est-à-dire à une diversification des
activités agricoles. Pour qu'une contradiction ne surgisse pas
entre l'objectif à court terme et l'objectif à long terme, il faudrait
que l'accroissement de la production de sucre s'opère grâce à des
améliorations de productivité à tous les niveaux.
En d'autres termes, l'accroissement de la production de
1. -
sucre ne devrait pas se faire par une extension. ou tout au
moins une extension trop importante, des superficies cultivées
•
(1) De la même façon on ne pouvait pas prendre à la légère, il y a
quelques années, la thèse des viticulteurs français d'Algérie lorsqu'il
était question de reconvertir une partie du vignoble des plaines en cultures vivrières. Le gouvernement algérien actuel en a tout à fait pris
conscience.
�148
mais par une intensification de la culture sur des superficies
limitées (1).
2. -
Les perspectives favorables du marché mondial du sucre
sont tout à fait passagères.
Dans ce cas, le contingentement de la production reprendrait
toute sa vigueur et les habitants de La Réunion seraient à nouveau brutalement soumis à une sorte de « loi d'airain > des
ressources extérieures. Dans cette hypothèse, la diversification
des activités agricoles s'imposerait de manière tout à fait urgente.
Les nouvelles activités agricoles, et en particulier les cultures
vivrières, devraient occuper non seulement les superficies nou-
,
-
velles gagnées par les travaux d'irrigation et d'amélioration foncière, mais encore une partie des superficies anciennement
plantées en cannes et libérées à la suite d'une intensification de
la culture.
Dans les deux hypothèses, l'intensification de la culture de
la canne, ou si l'on veut, l'amélioration de la productivité, devrait
être favorisée par une action systématique sur les structures des
exploitations. La définition <fune dimension optimale des exploitations apparaît ici comme une des tâches les plus urgentes;
toute réforme agraire ou politique qui ne se préoccuperait pas de
cette question aboutirait à des résultats désastreux. Nulle part,
plus qu'à La Réunion, ne se pose avec une telle acuité, le problème de l'agriculture de groupe, en raison du morcellement
excessif des exploitations et des difficultés de migration de secteur à secteur. Mais le développement d'une agriculture de groupe,
c'est-à-dire en l'occurrence d'une organisation communautaire ou
coopérative de la culture, suppose une entreprise de formation
et d'éductation gigantesque. Tous les problèmes se tiennent bien ...
Dans l'immédiat toutefois, des gains de productivité pourraient résulter d'une amélioration des amendements ou des
techniques culturales encouragée par des aides spéciales (2).
(1) Cette thèse a d'ailleurs été soutenue, en des termes voisins par un
des Usiniers les plus avertis des problèmes économiques et sociaux réunionnais, M. Maxime RIVIÈRE, lors de la réunion du Comité d'expansion
du Il décembre 1963.
Voir en annexe l, les hypothèses de travail concernant la production
sucrière proposées à l'étude des commissions locales du Plan.
(2) C'est ainsi que le contingentement paraît favoriser le développement d'une culture plus extensive qu'intensive; les achats d'engrais
ont baissé de moitié depuis deux ans par exemple. n serait relativement
facile d'entreprendre une action limitée sur ce plan là. Mais il faudrait
y mettre le prix.
�149
b) En ce qui concerne les [erres nouvelles à conquérir par
des travaux d'irrigation et d'amélioration foncière, on a tenté d'en
faire un inventaire et de calculer le coût des travaux. Ainsi le
rapport de M. CLARAC, qui s'inspire d'ailleurs sur ce point des
travaux de la Direction des Services Agricoles et du Génie Rural,
nous fournit les chiffres globaux suivants :
COÛT
Récupération des sols (12 à
14 000 ha) ... . .. . . . ..... . . .. . .
Augmentation de rendement
(augmentation de 50 à 200 % sur
18 à 20 000 ha et protection contre
la dégradation de 15 000 ha)
Coût global . .... . .......
4 rnilIiards de F . CFA
3 rnilIiards de F. CFA
7 rnilIiards de F. CFA
Le coût relativement important de ces opérations (1) nous
amène à poser sans plus tarder, le problème des capitaux.
2. -
Le problème des capitaux
Le coût d'une opération importante de reconversion des
cultures ou de développement de cultures vivrières et nouvelles
ne se bornerait pas évide=ent à la couverture des travaux d'irrigation et d'amélioration foncière, mais encore au financement
de l'organisation initiale de la production (équipement des exploitations, vulgarisation, recherche, formation ...) et de la co=ercialisation.
L'Etat devrait fournir, soit directement par ses organismes
spécialisés, soit indirectement (par le biais de la formation et de
la vulgarisation par exemple), une part importante des capitaux.
Toutefois, cette part pourrait être considérablement rédnite en
proportion de certaines recettes particulières si l'hypothèse n '1
formulée ci-<lessus devait se réaliser. Dans ce cas en effet, co=e
nous l'avons vu, un fonds de diversification des cultures pourrait
être alimenté par une taxe spéciale sur la production de sucre
supplémentaire. Toutefois cette solution se heurterait, en l'état
actuel du statut départemental de La Réunion, à des difficultés .
juridiques et institutionnelles certaines .
.".
(1) Ces dépenses d'investissement correspondraient en volume aux
recettes globales de l'Etat et des coUectivÎtés locales pour l'année 1962.
10
�150
L'Epargne locale devrait partIcIper largement à de telles
actions de développement. Les deux banques de dépôt de La
Réunion avouaient quelques quatorze milliards d'anciens francs
français de dépôt (sept milliards de F. CFA) à la fin de l'année
1963 (1). Une partie de ces dépôts pourrait sans doute être
consolidée si l'on proposait quelque formule intéressante pour
mobiliser l'épargne locale.
D'autre part, le Crédit agricole devrait pouvoir jouer un
rôle important dans cette politique. Son action est déjà très sensible, mais elle paraît limitée à l'heure actuelle, par une règlementation rigide du réescompte (2).
3. -
Le problème des hommes.
On pourrait penser a priori que dans un pays souffrant d'un
sous-emploi chronique, le problème qui se pose pour le développement d'activités nouvelles, sous l'angle du facteur travail, est
essentiellement un problème de qualification. De fait, on répète
à l'envie dans les c milieux usiniers »- que le Réunionnais n'est
pas un • agriculteur >, c'est-à-dire en clair qu'il est incapable
de s'adapter à des spéculations agricoles autres que la canne
à sucre. L'affirmation est sans doute excessive; le planteur
de cannes n'est certainement pas moins susceptible que le viticulteur du Midi de la France de s'adapter à un métier agricole
nouveau. Toutefois, il ne faut pas sous-estimer les difficultés
d'une vaste entreprise de développement d'activités agricoles
nouvelles sur le plan de la préparation psychologique et de la
formation patiente des hommes ou de la vulgarisation permanente
des techniques (3) . De ce point de vue, La Réunion possède un
"
;.'
.
(1) Les dépôts sont alimentés en grande partie par les fonctionnaires
et les agents de l'Etat el des administrations.
(2) Ainsi on peut lire dans un rapport de la Direction régionale
du Crédit Agricole de La Réunion: c Maintien et développement de
l'agriculture réunionnaise, de juillet 1961 à mars 1963 ~. p. 11: c. L'ins·
titut d'émission des D.O.M. paralyse l'essor de l'agriculture d'une façon
curieuse, en maintenant à quatre cents millions la cote de réescompte
à court terme du Crédit Agricole qui souhaite la voir porter à un
milliard :J.
(3) Paul MASSON écrit à ce sujet dans son article précité, p. 24:
c Le paysan de tous les pays du monde a ses habitudes de cônsommateur. aussi bien que de producteur. 11 a aussi son rythme de travail et
ses pratiques culturales. n a, enfin, ses méfiances d'homme de la terre,
habitué aux excès de la nature et aussi, hélas, aux erreurs des conseillers,
vulgarisateurs et autres experts dont les expériences se payent souvent
par des travaux inutiles, un manque à gagner certain et, parfois, une
�l
151
excellent atout dans son jeu: une population jeune, bien scolarisée au niveau de l'enseignement primaire. Au cours de l'année
1960-1961, on estimait que 64 472 enfants, de six à quatorze ans
étaient scolarisés, ce qui représentait un pourcentage de 88,57
par rapport aux enfants d'âge scolaire (72 786). D faudrait toutefois qu'un gros effort soit fait sur le plan de l'enseignement
agricole. Nous n'insisterons pas davantage sur cet aspect qualitatif du facteur travail qui est assez connu.
Par contre, il nous paraît intéressant de souligner la gravité
du problème quantitatif posé par la main-d'œuvre agricole. Malgré le sous-emploi chronique qni sévit à La Réunion, on peut
affirmer en effet que, dans l'immédiat, un des plus gros obstacles
au développement d'activités agricoles nouvelles est l'indisponibilité d'une main-d'œuvre suffisante tout au long de l'année. Pour
le comprendre il faut jeter un coup d'œil sur le calendrier des
activités agricoles de l'De qui dépend étroitement, bien sûr, du
cycle de la canne.
•
,,
- La période qni s'étend du mois de décembre au mois
d'avril est consacrée essentiellement aux travaux de plantation
de la canne. C'est une période d'activité moyenne.
- La période comprise entre le mois d'avril et le mois
de juillet est une « période morte • . Les plantations de cannes ne
requièrent alors que des travaux secondaires (irrigation en particulier...). C'est donc la grande période de chômage de l'De.
- A partir du mois de juillet co=ence la période de
coupe qui peut s'étendre jusqu'au 15 décembre. Tous les travailleurs qui n'ont pas d'emploi stable dans d'autres secteurs d'activité sont mobilisés par la coupe. Les petits exploitants s'engagent
sur les grandes exploitations voisines dès qu'ils ont terminé leurs
propres travaux. C'est la seule période de l'année où la demande
de travail tend à dépasser l'offre et où le prix effectif du travail
rejoint le niveau fixé institutionnellement.
On peut donc dire que pendant quatre mois au moins et
cinq mois au plus, toute autre spéculation agricole est paralysée.
Des expériences de diversification des cultures ont déjà échoué
dans un passé récent, car les cultures nouvelles en voie d'expérimentation sont abandonnées à leur sort pendant plusieurs mois,
ce qui ne fait pas toujours leur affaire.
pénurie inattendue ... TI est difficile de modifier tout cela autrement que
par un lent et patient travail d'éducation qui implique, de la part de celui
qui conduit l'opération, autant de sens psychologique que de connaissances
techniques et un contact constant avec les collectivités intéressées aux
expériences • .
�152
On est donc amené à tirer la conclusion apparemment paradoxale que seule la mécanisation de la coupe de la canne pourrait dégager une main-d'œuvre suffisante au profit d'activités
nouvelles et régulariser ainsi l'emploi agricole dans le temps (1) .
Cette thèse vaut d'être examinée sur un plan technique et
sur un plan économique.
Sur le plan technique il apparaît que la mécanisation de la
coupe se heurte à de sérieuses difficultés à La Réunion du fait
du caractère très accidenté du relief et du morcellement des
exploitations. Les seules expériences de mécanisation concluantes
se sont déroulées dans des conditions physiques très différentes :
en Australie sur des sols plats et aux nes Hawaï sur des sols
analogues à ceux de La Réunion, mais non exposés aux cyclones
(2).
Sur le plan économique, il s'agit de savoir évidemment si
la mécanisation est rentable. n faut dissocier ici l'analyse microéconomique de l'analyse macro-économique.
- A u niveau de l'exploitation en effet la substitution des
machines aux travailleurs est rentable tant que le rapport
produit marginal physique de la machine
d
1
est plus gran que e
coût de fonctionnement de la machine (3)
Produit marginal physique de la main-d'œuvre
rapport :
=--:--:-""'::--:'-:'-'-=-~-:---,.:--:=-.
coût de la main-d'œuvre
n semble que ce soit le cas en Australie et aux nes Hawaï,
puisque la substitution machine-travailleurs s'y est largement
•
(1) Cette thèse est soutenue à La Réunion par M. GUÉZÉ, Ingénieur
agronome de formation et commerçant de son état. Elle repose sur
quelques chiffres simples: un ouvrier coupe environ 1.5 tonne par jour.
Une récolte moyenne de cannes à La Réunion porte sur 2250000 tonnes.
La coupe exige donc 1 500 000 journées de travail sur la période de
coupe soit 375000 journées par mois (si J'on retient une période de
coupe de quatre mois) cela représente donc en gros 14500 à 15000 personnes au travail par jour. Il faut tenir compte également de la maind'œuvre occupée dans les usines et de celle qui est employée dans les
usines sucrières.
(2) Dans ce dernier pays, en effet, la canne en rapport n'est maintenue que pendant deux ans, puis elle est arrachée souche cOl}lprise. Or
la canne peut durer sept ans. Des plantations de cannes de deux ans sont
très fragiles. La quasi-totalité des plantations de cannes pourrait donc
être détruite en cas de cyclone, si une telle technique était adoptée dans
la région cyclonique des Mascareignes .
(3) Il s'agit bien entendu du coût global y compris les charges
d'amortissement.
�153
opérée malgré les pertes substantielles de cannes dues à la mécanisation de la coupe.
Si le premier rapport devait être égal ou même légèrement
inférieur au second, les planteurs n'auraient pas intérêt à se
lancer dans l'aventure de la mécanisation. Mais en serait-il de
même du point de vue des intérêts économiques généraux de
l'Ile?
A u niveau global, la comparaison des deux rapports ne
nous donne pas en effet de réponse claire. Le < principe de substituabilité . n'est pas susceptible d'une application rigide. Ce
qui est valable pour l'entreprise risque de ne plus l'être au niveau
de l'intérêt général. En l'occurrence, si les pouvoirs publics
étaient décidés à mettre en application sans retard une politique
de diversification des activités agricoles, ils auraient intérêt à
améliorer le produit marginal physique par franc de la machine.
Or ils ne pourraient le faire qu'en diminuant le dénominateur,
c'est-à-dire le coût de fonctionnement de la machine (1) . On
conçoit cependant qu'ils hésitent à le faire, car la pénurie de
main-d'œuvre qui se manifeste à l'heure actuelle pendant le tiers
de l'année sera supprimée par l'arrivée à l'âge actif, dans quelques années, des classes jeunes pléthoriques. Pourtant il faut
bien voir qu'il y a là, dans le court terme, un obstacle majeur
au développement à une grande échelIe de nouvelles cultures
réc1amant des soins toute l'année.
En définitive, l'inventaire des facteurs de production susceptibles d'être dégagés pour des activités agricoles nouvelIes
n'est pas décourageant contrairement à ce qui est souvent affirmé.
Il reste cependant que la plupart de ces facteurs ne peuvent être
mobilisés dans l'immédiat et qu'une action énergique des pouvoirs publics est nécessaire en toute hypothèse. Il y a donc loin
de l'existence des facteurs à leur mise en œuvre.
B. -
LA MISE EN ŒUVRE DES FACTEURS DE PRODUCTION.
Aucune modification structurelle de l'économie réunionnaise
ne peut se produire sans une doctrine cohérente de développement (2) et sans une programmation à long terme qui soit autre
chose qu'une < ardente obligation . . Néanmoins aucun plan, .
(1) Par exemple par des détaxations de matériel agricole ou de
carburant.
(2) Comme le rappelait opportunément le délégué du Commissariat
du Plan lors de la réunion du Comité d'expansion du Il décembre 1963.
�154
même cohérent, ne peut être imposé en milieu rural contre la
volonté délibérée des intéressés. Or, aucun argument ne saurait
mieux porter auprès des exploitants que ceux relatifs à la rentabilité des activités nouvelles d'une part, et à la sécurité des nouvelles spéculations d'autre part.
•
1. -
.-,
'.
La rentabilité des nouvelles cultures.
La mise en œuvre efficace des facteurs de production au
profit des cultures nouvelles suppose en premier lieu que ces
activités aient une force d'attraction suffisante pour les exploitants, c'est-à-dire, en clair, qu'elles permettent d'escompter une
rentabilité à l'hectare au moins aussi grande que la culture
ancienne dans le cas de reconversion; nous disons «aussi
grande >, car en fait, la substitution de cultures nouvelles à celle
de la canne suppose un véritable changement de métier. Or aucun
agent économique n'est susceptible de changer librement de
métier sans la perspective d'un gain ou d'avantages supérieurs.
Or l'argument des « Usiniers >, de ce point de vue, ne manque
pas de vigueur a priori: un hectare de canne procure une recette
brute de 180 000 F. CFA; toute autre culture ne procure pas la
moitié de ceue somme. TI ne peut être question ici d'étudier de
manière détaillée la rentabilité comparée des diverses cultures
possibles. Bornons-nous à faire quelques observations fondamentales pour éclairicir le débat.
a) Ce qu'il faudrait comparer, ce sont les rendements nets
à l'hectare et non les receUes brutes. TI ne faut pas oublier à ce
sujet que la recette brute d'un hectare de cannes est partagée entre
l'usinier et le planteur et le plus souvent entre l'usinier, le propriétaire et le colon (1). On ne possède malheureusement pas
d'évaluations précises sur les bénéfices nets d'un hectare de
cannes, ni sur la part nette qui revient à l'exploitant après déduction des frais culturaux qui lui incombent. En outre, la rentabilité nette varie considérablement en fonction des caractéristiques structurelles et de la localisation des diverses exploitations.
Ceci nous amène à une deuxième remarque.
b) La dimension optimale théorique d'exploitations se destinant à des cultures vivrières pourrait être très inférieure (surtout sur terres irriguées) à celle d'une exploitation en cannes
'.
(1) Soit un tiers pour l'usinier et deux tiers pour la plantation.
Mais la part de la plantation peut être elle·même divisée à raison d'un
tiers pour le propriétaire et de deux tiers pour le c: colon :l. Enfin cette
part de l'exploitant est amputée évidemment des frais culturaux.
�155
(qui serait de l'ordre de 120 ha) ! C'est dire entre autres choses,
que la productivité de travail sur de petites exploitations pourrait
être améliorée.
c) Il Y a bien des façons d'améliorer la rentabilité relative
des cultures nouvelles par rapport à celle de la culture de la
canne:
- On peut soutenir les prix de vente de ces productions
tout comme on soutient la production du sucre par l'orgauisation
d'un marché préférentiel (1); il faut bien voir en effet que la
comparaison des rentabilités de cultures dont les prix resteraient
libres avec celle de la canne qui bénéficie de toute une orgauisation artificielle de la commercialisation n'a pas de sens du point
de vue macro-éconoruique. Mais cette comparaison a évidemment un sens précis pour le producteur individuel (2).
- On peut améliorer la rentabilité des nouvelles cultures
en abaissant les coûts de production soit en favorisant l'amélioration de la productivité, soit plus directement en abaissant
les coûts de certains intrants. Le problème se pose de mauière
aiguë pour l'élevage qui ne pourra se développer à La Réuuion
que si le prix des provendes est très sensiblement abaissé et par
conséquent le prix des céréales servant à les fabriquer Oe maïs en
particulier dont nous avons parlé plus haut). Or pour l'équilibre
alimentaire de l'Ile, il est capital que l'élevage soit favorisé au
maximum; c'est d'autre part une activité particulièrement intéressante puisqu'il s'agit là de « l'agriculture sans sol. (3). Mais
nous savons que dans ce domaine, La Réuuion risque d'être
considérablement gênée par son statut de département, puisque
la réglementation protectrice du Marché Commun lui sera
applicable.
l
...
- On peut enfin diminuer la rentabilité de la production du sucre, soit théoriquement par la fixation d'un prix moins
rémunérateur, soit plus commodément par la taxation. C'est,
(1) Au cours de la campagne 1960-61, le kilo de sucre a été vendu
32 anciens francs dans la limite du contingent en France et 7 francs
seulement sur le marché mondial c libre :t .
(2) Le problème est le même dans le Midi de la France où l'on
essaie de persuader les viticulteurs de sacrifier leur vigne au profit de
spéculations qui ne bénéficient d'aucune organisation des marchés,
de mesures de soutien de prix.
(3) En raison de l'importance du développement de la production
de protéines d'origine animale nous publions en annexe II les hypothèses
de travail concernant ce type de production proposé à l'étude des commissions locales du Plan pour la préparation du même Plan.
nr
�156
nous l'avons dit, la solution préconisée par le Professeur MEADE
pour l'Ile Maurice voisine; mais l'De Maurice n'est pas un
département anglais. .. La solution de la taxation permettrait,
comme nous l'avons suggéré plus haut, d'alimenter un « fonds
spécial de diversification de cultures > qui pourrait servir en
particulier, à financer les institutions chargées d'assurer l'organisation, la rentabilité et la sécurité des spéculations nouvelles.
Nous relevons dans le rapport CLARAC précité, pages 29 et
30, les passages suivants :
«Les D.O.M. doivent pouvoir s'approvisionner au meilleur cours dans leur zone économique. Un bureau d'achat à
Madagascar ou en Afrique du Sud peut se fournir en maïs à
neuf ou dix francs CFA, avec un fret de 0,30 à 0,50 de la
valeur du fret métropole.
« Le prélèvement de neuf francs CFA prévu dans les
accords sur le Marché Co=un devient dangereux dans les
D.O.M.
Deux alternatives se présentent :
Demande d'une dérogation à l'exécutif du Marché
Co=un en faveur des D.O.M. pour le maïs (animaux)
et le riz (ho=es).
En cas de refus, transfert au sein de l'économie française.
Monsieur CLARAC pense que la meilleure solution serait malgré tout, d'autoriser pendant huit ans un approvisionnement
libre sans prélèvement.
Notons enfin que l'application rigide de la réglementation
de la Co=unauté Européenne est susceptible d'avoir deux
séries de conséquences très différentes :
- Elle ferait obstacle au développement immédiat de
l'élevage.
- En revanche, le prix élevé du maïs importé pourrait
favoriser à plus ou moins long terme le développement
de la culture du maïs; mais ceci est aléatoire et cela
est certain.
2. -
La sécurité des spéculations nouvelles (1)
La simple égalisation des revenus marginaux pour- un certain nombre de productions (dont la canne à sucre) ne suffirait
"
.
"
(1) Sur de nombreux points, notre étude est appelée à rejoindre
l'analyse plus générale de M. Paul MASSON: L'indispensable diversifica-
�157
pas à inciter les exploitants à diversifier leurs cultures; encore
faudrait-il garantir aux exploitants que cette égalité sera durable. Or les producteurs de cannes bénéficient d'une protection
nationale et institutionnelle du marché du sucre qui est consolidée par l'organisation efficace des groupes de pression. TI y
a donc tout lieu de penser que cette garantie sera stable. Toute
nouvelle spéculation pose au contraire de nouveaux problèmes
d'organisation des marchés et de stabilisation des prix à une
époque où précisément la Co=unauté Economique Européenne s'efforce de sortir de la voie des politiques agricoles
nationales. TI n'est donc pas pensable que les exploitants réunionnais puissent s'engager à fond dans une politique de diversification des activités agricoles sans les plus sérieuses garanties
sur l'écoulement des produits nouveaux ou anciens. Ces nouvelles garanties peuvent venir dans l'immédiat des pouvoirs
publics français mais à plus long terme elles ne peuvent découler que d'une nouvelle organisation du marché international.
Nous laisserons néanmoins de côté ce dernier point abondamment traité par ailleurs (1), pour ne retenir qu'un certain
nombre de mesures susceptibles d'être prises sur le plan
national.
Deux séries de mesures complémentaires s'imposent de
manière urgente si l'on entend promouvoir effectivement une
politique de diversification des activités agricoles.
- Une organisation au stade de la production;
- Une organisation au stade de la co=ercialisation.
a) L'organisation des producteurs.
TI est symptomatique de constater que de nombreuses
dispositions de la loi d'orientation agricole de 1960 et de la loi
complémentaire de 1962 ne s'appliquent pas (en droit ou en
fait) à La Réunion (2). Signalons toutefois que le récent voyage
de M. Pisani à La Réunion semble avoir débloqué la situation.
tion des cultures suppose de nombreuses réformes de structures sur Je
marché international. In D éveloppement el Civilisation. n° 17, mars 1964.
(t) Voir en particulier les n08 16 et 17 de la revue D éveloppemellt
el Civilisation (1964).
(2) En particulier la législation sur les S.A.F.E.R. Or c'est au
moyen de S.A.F.E.R. puissantes que pourrait être menée l'opération de
récupération et de mise en valeur de terres nouvelles ou de terres librement vendues par certains particuliers ou certaines sociétés. L'application
intégraJe de ces lois à La Réunion permettrait aussi, sans doute, d'obtenir
la péréquation du prix du transport des engrais.
�158
•
Le F.O.R.M.A. en particulier pourra étendre ses opérations
d'intervention à certains produits de La Réuuion.
Les auimateurs locaux du Crédit Agricole déplorent en
particulier que des groupements de producteurs ne puissent agir
efficacement (l).
La Caisse Régionale de Crédit Agricole a toutefois joué un
rôle efficace dans le domaine de l'orgauisation de la production,
par le biais traditionnel de la coopération.
C'est ainsi qu'une coopérative des huiles essentielles
regroupe aujourd'hui plus de quatre mille sociétaires, soit 95 %
des planteurs.
Une coopérative de producteurs de maïs a été récemment créée;
Une S.I.C.A. a été lancée en vue de l'orgauisation et
de la commercialisation des fleurs.
D'autres orgauisations ont été créées (comme le syndicat
des producteurs d'ai] et d'oignon), ou bien sont en voie de
création (coopérative de production de vauille). Mais ce type
d'organisation n'est pas suffisant ni surtout assez souple, c'est
pourquoi la constitution de groupements de producteurs puissants est particulièrement nécessaire dans un pays où le
commerce d'import-export comme le commerce local sont monopolisés par des minorités ethniques agissantes. Ces groupements pourraient appuyer efficacement l'action entreprise par
le Crédit Agricole pour modifier les structures traditionnelles du
commerce local ou du marché national de certains produits.
b) L'organisation de la commercialisation.
Elle se pose de mauière très différente selon la nature et la
destination des produits.
1. -
Les produits des cultures vivrières et de l'élevage exigent
essentiellement une organisation locale de la commercialisation. Cette orgauisation doit interveuÏr à deux uiveaux:
- Au niveau de la production tout d'abord. C'est essentiellement par le biais des contrats de culture et d'élevage que
'.
(I) Voir le compte rendu de l'Assemblée Générale de la Caisse
Régionale de Crédit Agricole Mutuel du 6 juin 1963, p. 17: c Des grau·
pements de producteurs se sont déjà créés; ils ne peuvent pas agir efficacement, car la réglementation à leur endroit n'est pas applicable ... Bien
des choses seraient pourtant simplifiées et notamment les relations entre
planteurs et usiniers ".
�159
devrait s'effectuer cette organisation. Ces contrats seraient
conclus entre les exploitants d'une part et un réseau de coopératives ou de S.LC.A. soutenu par le Crédit Agricole et le
F.O.R.M.A. d'autre part. Ces coopératives ou ces SICA seraient
chargées de la collecte, du stockage, du conditionnement et,
éventuellement, de la transformation ou de la mise en conserve
des produits; en ce qui concerne l'élevage, elles seraient chargées
en particulier de la fourniture des aliments composés et des jeunes
animaux (porcelets, poussins, veaux).
...
l"" ...
1
1
- Au niveau du commerce de détail ensuite. Un écoulement satisfaisant des produits locaux dépend avant toute chose
de la réduction des marges bénéficiaires scandaleuses prélevées
par le réseau traditionnel du commerce. C'est dire que l'abaissement du prix de détail dépend du démantellement de ce réseau.
Or, il faut bien voir que les positions des commerçants c chinois • sont solides du fait de l'organisation traditionnelle du
crédit personnel à la consommation ou en d'autres termes du
fait de la pratique généralisée de c l'ardoise •. On voit donc
combien il est important, dans un premier temps, que le Crédit
Agricole soutenu par l'organisme de réescompte et aussi par
des organisations comme le F.O.R.M.A., parvienne à régulariser
dans le temps les ressources des exploitants. La pratique des
avances sur contrat devrait donc être généralisée pour certains
produits (1). Mais dans un deuxième temps, il faudrait que des
contrats soient conclus entre les coopératives de production, de
conditionnement, de stockage ou de transformation (ou d'autres
organismes de producteurs) et un réseau de sociétés mixtes de
distribution ou des coopératives de distribution (2).
Si des mesures aussi complètes n'étaient pas adoptées rapidement, aucune baisse de prix importante ne saurait être enregistrée au stade du détail et de ce fait aucune modification de
la structure de la consommation alimentaire ne pourrait se produire. Une diversification du régime alimentaire est pourtant la
(I) Pour les planteurs de cannes, M. DE CAMBIAtRE pense que ta
meilleure méthode consisterait à c fixer le prix du sucre en début de
campagne et à faire procéder au règlement immédiat des planteurs par
Je Crédit AgriCOle. Ainsi deux milliards au moins seraient mis avec six
mois d'avance entre les mains des planteurs qui pourraient se libérer del'emprise des commerçants asiatiques . . Rapport sur le maintien et le
développement de l'agriculture réunionnaise, juillet 1961 , mars 1963.
p. 12.
(2) Ou encore avec des entreprises privées qui s'engageraient à
respecter certaines marges de distribution.
�160
condition première de l'ouverture d'un marché intérieur suffisant
pour les productions nouvelles (1).
2. -
Les cultures plus spéculatives comme les plantes à parfum, le thé, le tabac, la vanille exigent une réorganisation
nationale ou internationale des marchés (2) .
L'organisation coopérative de la production dont nous
avons parlé plus haut, pour les huiles essentielles (le géranium
surtout), a permis d'éliminer la spéculation locale qui vivait de
l'anarchie de la production. D'autre part, la coopérative peut
déjà intervenir efficacement sur le marché international où la
concurrence de l'Afrique du Nord et de l'Egypte est vive.
n n'appartient pas néanmoins aux animateurs de cette
coopérative de changer notablement les conditions d'écoulement
de ces produits sur le marché international. Par contre, sur le
plan local et sur le plan national, les animateurs poursuivent des
objectifs réalisables qui peuvent être cités en exemple.
Financement du stock indispensable,
création d'un fonds de stabilisation des cours,
couverture des risques d'intempéries,
création d'un réseau commercial en Métropole.
Ce réseau commercial pourrait favoriser l'écoulement de
diverses productions réunionnaises: production florale, palmistes,
jus d'ananas, vanille, etc ...
Toutes ces actions demandent d'importantes réserves financières. Les responsables du Crédit Agricole de La Réunion
souhaiteraient que la T.V.A. perçue sur tous ces produits vendus
en métropole soit reversée à l'organisme coopératif chargé de
réaliser ces objectifs.
Ce vœu parait difficile à réaliser, compte tenu de la rigidité de l'organisation administrative et fiscale du département,
mais il n'est pas déraisonnable.
La mise en œuvre efficace et rapide d'une politique de
diversification des activités agricoles à La Réunion pose, on le
voit, des problèmes complexes. Le but de cette étude n'était pas
de les résoudre, mais essentiellement de contribuer à les poser
avec plus de clarté. Des embryons de solutions peuvent déjà
être proposés néanmoins; c'est ce que nous nous sommes effor-
,.
-,,~
(1) C'est aussi la condition première d'une amélioration qualitative
de la ration alimentaire dont on connaît les déficiences.
(2) Cette liste n'est pas limitative; on peut y ajouter les fleurs
(surtout les orchidées), les plantes médicinales, l'ananas, etc.
�161
..
cés de faire dans la dernière partie en intégrant dans notre
raisonnement telle conclusion de rapport ou telle réflexion
recueillie lors de notre séjour à La Réunion. TI est évident que
toute action d'envergure, aussi bien dans le domaine de la politique agricole que dans celui de la politique industrielle, nécessiterait au préalable des études précises. On peut déplorer à cet
égard qu'il n'y ait dans ce pays aucune délégation régionale de
l'INSEE, ni aucun organisme de recherche économique et sociale (1). Mais les rares données globales qui soient connues
avec précision, telles que les données démographiques ou les
données du commerce extérieur, permettent de saisir tout à fait
l'exceptionnelle gravité de la situation créée par les quelques dix
mille excédents de naissances annuelles.
Les solutions les plus audacieuses, les plus coûteuses et les
plus optimistes (2), se heurteront toujours à plus ou moins
longue échéance à la terrible contradiction malthusienne de la
limitation des terres cultivables et de l'accroissement exceptionnellement rapide de la population (3).
·',
.
•
Aussi, lorsque tout aura été mis en œuvre pour multiplier
les subsistances et les occasions d'emploi (4) - si vraiment on
est bien décidé à faire preuve d'imagination, d'audace et de générosité - il ne restera plus d'autre solution, dans une dizaine
d'années, que l'émigration massive; mais elle paraît impossible
(1) Signalons toutefois que le développement des activités de )'Institut d'Etudes Juridiques de Saint-Denis rattaché à la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques d'Aix-en-Provence, peut favoriser la création
d'un Centre de D ocumentation et de Recherche indépendant. En outre,
les jeunes universitaires qui auront l'occasion de séjourner désormais
pendant plusieurs années dans l'Ile, pourront entreprendre des recherches
sérieuses sur l'économie réunionnaise comme celle en cours de Monsieur
CauTOIS.
(2) Nous pensons en particulier au rapport de M. CLARAC qui par
une politique de diversification des activités industrielles et agricoles
envisage la possibilité de créer 30 300 emplois nouveaux de t 965 à 1970
(dont 22 500 dans l'agriculture et 7 800 dans l'industrie).
(3) Le groupe d'orientation 1970 des D .a .M. estime que 55800
emplois devraient être créés avant 1970 pour donner du travail à la
c population active potentielle »; celle-ci correspond à une estimation de
la population en âge d'activité comprise entre 17 et 60 ans, déduction
faite des infirmes et des étudiants, et, en ce qui concerne les femmes,·
compte tenu d'un taux d'occupation de 30 %. Le chiffre de cette popu·
tation active prévu pour 1970 est de 144100 (pour une population
totale de 459000). Or il existait en 1961, 88100 emplois occupés.
(4) Voir en annexe ru, le tableau résumé des hypothèses de travail
concernant les productions finales de l'Agriculture élaborées dans le cadre
du V' Plan.
�162
dans le cas de La Réunion (1). Peut-on alors envisager
sérieusement une politique de limitation des naissances et
comment (2)? Mais ceci est un autre problème.
Avril 1964
(1) Certains projets d'émigration portent logiquement sur des milliers
de personnes actives par an. M. Michel DEBRÉ, dans une déclaration
récente faite à l'Assemblée Nationale, estimait à plus de 4 000 le chiffre
des départs annuels nécessaires. Mais l'émigration massive se heurtera tou- -
, '
jours à des difficultés psychologiques, politiques et matérielles considérables.
(2) Nous rejoignons ici la préoccupation majeure exprimée par
le Professeur TlTMUSS de la London School of Economies, membre de
la mission MEADE à l'ne Maurice. La conclusion de son rapport est en
effet très claire: c Un service de contrôle des naissances est seul capable
de sauver l'ne Maurice du désastre >,
�ANNEXE
1
PREPARATION DU CINQUIEME PLAN
REUNION
HYPOTHESES DE TRAVAlL
CONCERNANT LA PRODUCTION
SUCRIERE ET RHUMIERE
,
..
'
Avec une production de sucre de 262000 tonnes en 1961
les indices de production de 1949 à 1961 sont en hausse de
235 % pour la canne, de 248 % pour le sucre.
L'objectif assigné à la Réunion en 1960/ 1961, année de
référence pour la préparation du Cinquième Plan, était de
192336 tonnes en raffiné ou 200000 tonnes en brut.
En 1965, il semble que la production puisse atteindre le
niveau de 250 000 tonnes correspondant à une superficie sous
cannes estimée à 41 000 hectares.
TI a semblé aux experts du Groupe d'Orientation du
Commissariat au Plan qu'en 1970 les plantations de cannes à
sucre pourraient atteindre 46 000 hectares à la Réunion mais
que si l'on tenait compte des plantations à reconvertir ou à
reclasser, la superficie optimum serait ramenée à 42 000 hectares.
Si l'on se donne pour objectif un rendement agricole de
70 tonnes à l'hectare et un taux d'extraction effectif de l'ordre
de 12 % (ou 8,4 tonnes de sucre à l'hectare), la production
sucrière optimum devrait donc pouvoir osciller en 1970 autour
de 320 000 tonnes en hypothèse forte et de 300 000 tonnes en
hypothèse moyenne.
La consommation intérieure de sucre qui est de 7 000
tonnes actuellement pourrait être de 7 400 tonnes en 1965 et .
8 000 tonnes en 1970.
Les efforts réalisés ces dernières années dans le domaine
de la productivité et dont une part importante revient au centre
technique de la canne ont déjà donné des résultats intéressants
qui doivent être poursuivis au cours du Cinquième Plan.
�164
Ces efforts de productivité sont seuls de nature à permettre
à la production de se réaliser dans des conditions de rentabilité
optima.
En ce qui concerne le Rhum, il est demandé d'étudier s'il
paraît possible de faire passer la production de 34 300 hectolitres d'alcool pur en 1961 à 55000 hectolitres en 1970 (dont
37 000 pour l'exportation).
Les hypothèses de travail qui sont proposées à l'examen
de la Commission locale du Plan, à savoir 320000 tonnes ou
300000 tonnes de sucre en 1970 constituent par leur aspect
expansionniste un changement profond d'Orientation par rapport
aux objectifs du IV' Plan. Elles tiennent compte de l'évolution
constatée sur le plan international en matière de production et
de consommation sucrières: eUes ne sauraient être étudiées pour
autant en dehors des considérations générales concernant le
Marché Commun exposées dans la première partie de la présente
note d'instructions.
.
f
.
"
,< •
,-
,
�ANNEXE II
ELEVAGE
En 1961, la production locale de la Réunion en protéines
d'origine animale représentait 1369,4 tonnes se répartissant
ainsi:
- Viandes et œufs . .. . .. . . 993,4 tonnes
- Lait et produits laitiers .. 340 tonnes
- Poisson .... . ..........
36 tonnes
....
,. ,
..
Ces chiffres correspondraient à une production de 4 529
tonnes de viande, de 3 000 tonnes d'œufs, 20 000 tonnes de lait,
410 tonnes de poisson.
Les importations représentaient de leur côté 1 395,8 tonnes
de protéines sous la forme de 574 tonnes de viandes et préparations de viande, 563 tonnes de produits laitiers et 258,8 tonnes
de poisson et préparations de poissons.
Ainsi les 340 000 habitants de la Réunion ont disposé en
1961 de 2765,2 tonnes de protéines d'origine animale ce qui
correspond à une consommation journalière par habitant de 22,3
grammes, chiffre qui est loin de la norme de 40 grammes établie
par l'Organisation des Nations-Unies pour l'alimentation et
l'agriculture (F.A.O.).
Si on examine l'évolution des importations de 1961 à 1963,
en dehors de l'accroissement considérable de leur valeur (58 %
pour les produits de l'élevage et 30,2 % pour les poissons) le
fait le plus remarquable est que depuis 1962 des viandes congelées soient importées de Madagascar et de la Métropole (397
tonnes en 1962,439 tonnes en 1963) de même que des poissons
congelés en provenance de métropole, de Madagascar, de SaintPierre-et-Miquelon et de Saint-Paul-et-Amsterdam (258 tonnes
en 1962, 378 tonnes en 1963).
En 1970 la population de la Réunion atteindra le chiffre
de 459 400 habitants, ce qui revient à dire qu'à cette date les
besoins en protéines animales au niveau des normes de l'O.A.A.
seront de;
0,040 X 365 X 459 400 = environ 6707 tonnes
11
�166
contre des besoins 1961 estimés à:
0,040 x 365 x 340000 = environ 4965 tonnes
Hypothèses soumises à l'examen de la Commission locale
On a vu que le disponible en protéines animales n'était en
1961 que de 2 765 tonnes.
- Une première hypothèse (forte) consisterait à prendre
pour objectif, celui d'une consommation en 1970 de 40
grammes de protéines animales par jour et par habitant,
(norme O.A.A.), en maintenant les mêmes rapports
qu'en 1961 entre production locale et importations.
- Dans une deuxième hypothèse, profitant de la proximité de Madagascar qui cherche des débouchés, on
admettrait que les besoins seraient couverts par moitié
par la production locale et les importations.
Hypothèse 1 (forte)
L'objectif est donc d'obtenir une consommation équivalant
à 6 707 tonnes de protéines animales, les rapports entre production locale et importations devant rester au niveau de 1961,
c'est-à-dire respectivement, 36 % pour les viandes importées
et 64 % pour la production locale, et 43 % pour les importations de lait et produits laitiers et 57 % pour la production
locale.
Dans cette perspective la production locale devrait fournir 2 404 tonnes de protéines sous forme de viandes et d'œufs,
ce qui représente 2,4 fois la production de 1961 (1), ces évaluations en protéines correspondraient à une production de 16 000
tonnes de viande et à 34 000 tonnes de lait et produits laitiers.
Le IV' Plan ayant déjà quelque retard dans la réalisation
des objectifs qu'il s'était fixés, il a paru aux membres du groupe
d'orientation 1970 des Départements d'Outre-Mer qu'une telle
hypothèse serait difficilement réalisable. TI appartiendra à la
Commission locale du Plan de dire si eUe partage ou non ce
point de vue.
Hypothèse II
.'.,
L'objectif consiste dans cette hypothèse à obtenir un disponible en protéines qui permettra de distribuer une ration de 40
grammes par jour et par habitant mais la couverture des services
(1) et 1 032 tonnes sous forme de lait et laitages. soit 3,4 fois la
production de 1961;
�167
sera assurée moitié par les importations, moitié par la production locale. Ce qui donnerait le schéma suivant:
-
Consommation
Production
(en protéines)
viandes et œufs
1961
1970 . . ..............
1567 tonnes
3760 tonnes
1880 t.
lait et fromages
1961 . .. . .... . ..... ..
1970 .. ... . . . ....... .
599 tonnes
340 t.
1810 tonnes
910 t.
........... .. ...
-
-
"
',.
993 t.
Importations
574 t.
1880 t.
259 t.
900 t.
Beurre
1961
1970
,
locale
................
.. ..... ....... ..
137 tonnes
p.rn .
p.m;
137 t.
Ainsi la production locale serait amenée à fournir:
1 880 tonnes de protéines sous forme de viande et
d'œufs ce qui revient à multiplier par 2 la production
de 1961 et correspond à une production de 12533
tonnes de viande fraiche .
910 tonnes sous forme de lait, ce qui revient à multiplier
par 2,67 la production de 1961.
La réalisation de cette hypothèse parait à première vue plus
conforme aux possihilités du département.
Si l'on considère qu'un tiers des protéines serait assuré par
les bovins, ovins et caprins, et deux tiers par les porcins et les
petits élevages, on aboutit à des besoins en unités fourragères
de :
62,6 millions d'unités pour les bovins (4.177 tonnes de
viande);
33,4 millions d'unités pour les élevages et porcins (8 356
tonnes de viande);
10,9 millions d'unités pour la production laitière,
soit un total de 106,9 millions d'unités fourragères .
Le déficit pour les bovins représente 33,5 millions d'unités
fourragères qui pourraient être obtenues par l'aménagement de
prairies artificielles et la création de culture fourragères soit environ 4 000 hectares, dont 1 000 sur des zones à fort rendement, et l'utilisation des ressources locales actuellement négligées (mélasses, sommets de cannes).
La moitié de la nourriture des porcs et des volailles devrait
pouvoir être trouvée sur place, soit 16,70 millions d'unités fourragères; les importations pourraient correspondre à des grains,
�168
•
•
des tourteaux et des farines de viande, soit environ 13 900 tonnes
de produits. On notera qu'en 1962 les importations d'aliments
du bétail en provenance de métropole ont porté sur 886 tonnes.
Dans la présente hypothèse, l'effectif des bovins devrait
passer de 1961 à 1970, de 40000 à 120000 si le poids des
carcasses est de 120 kg, ou à 95 000 si le poids moyen peut
atteindre 225 kg et si l'insémination artificielle était largement
utilisée comme prévu au IV' Plan.
Les effectifs des moutons et des chèvres seraient respectivement de 24 000 et 50 000 au lieu de 6 000 et 15 000 en
1961.
Les élevages de porcins et de volailles devraient produire
8 356 tonnes de viande et d'œufs dont 4298 tonnes pour les
porcs, 725 tonnes pour les volailles et 3 333 tonnes pour les
œufs (équivalent viande) . L'effectif des porcs (75000 en 1961)
devrait être de 100 000 en 1970; celui des volailles (1 500 000
en 1961) de 2 millions.
Les importations devraient représenter 11,2 millions d'unités fourragères soit environ 9 300 tonnes pour une valeur de 336
millions de F.C.F.A. TI sera nécessaire d'envisager la création
d'élevages de volailles coopératifs, de porcheries industrielles et
de centres d'accouvage.
li appartiendra à la Commission locale du Plan d'étudier
ces deux hypothèses, de dire laquelle des deux lui paraît la plus
réaliste, au besoin d'en proposer d'autres, d'évaluer de toute
façon la valeur ajoutée et le nombre d'emplois correspondant
au programme retenu par elle en définitive et de chiffrer en indiquant les différentes sources de financement (subvention, prêts,
part privée) le coût des activités et opérations de toute nature
susceptibles d'en permettre la réalisation .
•
�ANNEXE III
PREPARATION DU V' PLAN
Tableau résumé des hypothèses de travail
concernant les productions finales de l'agriculture
(Les indicatioDs en valeur
s'entendent en millions de N.F.
à prix constants 1961)
- Sucre (en Tonnes) .. ... . ..
dont - Exportations . ....
Consommation local. ...... ..... . .
Stocks .. .. ... .. ..
-
<
.
-.
•
1961
1970
Hypothèse ]
Hypothèse Il
(fone)
moyenne
262.480
(197.727)
300.000
(291.300)
320.000
(3 11.300)
(6.700)
(58.053)
(8.700)
(8.700)
34300
(14.742)
55.500
(37.000)
55.500
(37.000)
(16.500)
(3.058)
(18.500)
(18.500)
24.707
42.000
42.000
JO.OOO
JO.OOO
19,00
19,00
-
2,00
500
1,40
650
6,25
100
2,00
500
1,40
650
6,25
100
...... .......
23,61
27,10
27,10
.................
18,52
37,00
48,15
3,40
5,00
5,00
2,55
15.000
15.000
-Rhum (en hectolitres d'alcool pur) .. ... . .... .....
dont - Exportations .....
Consommation locale ...... .......
Stocks .... . ... ...
- Mélasses (en Tonnes)
....
-
-
-
.. ..
- Bananes (en Tonnes)
- Consommation locale
-Autres produits de l'Agriculture
-Produits vivriers, légumes,
fruits divers (en valeur) ..
-
................
....... ..
.........
-Thé (en valeur)
(en Tonnes)
- Tabac (en valeur) ...... ..
(en Tonnes) .. ....
- Vanille (en valeur) .......
(en Tonnes)
......
-
Plantes à parfum et fleurs
(eo valeur)
- Produits de rélevage (eo
valeur)
-Produits de la pêche (eo
valeur) ....... ... .... .. .
-
Bois (en valeur)
(en m3)
...... ...
............
14,63
0,64
300
4,14
1,36
8.800
2,55
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�Le port de Saint-Denis-de-la-Réunion au temps de L a Bou rdonnais
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Le port actuel de la Pointe des Galets
PhOlO
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J.
COLBE
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•
�Notes sur l'industrialisation
de la Réunion
par
Gérard WEILL
Ancien chargé de cours
des Facultés de Droit et des Sciences Economiques
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T '.
.....,.
�r
SOMMAIRE
Introduction ... . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .... .. ........
175
La phase du IV· plan ou le freinage du développement
industriel ......... . ... . .. . .. . .. .. ..............
177
1) Le préalable de la dimension . . . .. . .. . . .... . . .. .
178
2) Le handicap des charges .... . .. . . . . . . . . . . . . . . ..
180
Les objectifs du V e plan ou la recherche d'une accélération du développement industriel . . . .............. .
185
1. L'organisation du développement industriel, facteur
de croissance de J'économie départementale . . ....
186
2. La croissance d'ensemble de J'économie départementale, condition d'un développement industriel autonome soutenu. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
190
Conclusion . ............. • . . ...... . .•. . .... . .• . ... . ..
192
1. -
II. -
•
.1 " ..
�NOTES SUR L'INDUSTRIALISATION
DE LA RÉUNION
Le choix d'un taux de croissance pour une économie comme
celle du département de la Réunion est cbose aisée.
Moins aisé paraît être celui des modalités de la croissance,
étant une fois de plus reconnu que le niveau du développement du
département, pas plus que la nature de ses ressources, ne l'autorisent à espérer une mutation de type spontané.
Cette évidence apparaissait déjà dans la rédaction des précédents Plans de Modernisation et d'Equipement, qui ne s'étaient
guère nourris d'illusions sur la possibilité de diversifier les structures industrielles du département.
De fait, la diversification s'est limitée aux rares cas où
l'urgence d'une substitution aux productions importées s'imposait,
c'est-à-dire dans les domaines où les marges de profit prévisionnel
pouvaient inciter les entrepreneurs (industriels ou agriculteurs)
à investir ailleurs que dans le domaine de la construction ou des
services.
'.
Les pôles constitués par le sucre, le bâtiment et les travaux
publics ont ainsi permis, grâce à certaines économies d'échelle,
le développement d'une série de petites initiatives en marge (et
non à la marge), des activités motrices principales.
Ce mouvement, longtemps freiné pour des raisons sur lesquelles on reviendra plus loin, semble s'être relativement débloqué durant la période finale du IV' Plan.
Peut-on s'attendre qu'il se poursuive durant le V' Plan, à
quelles conditions, et dans l'affirmative, quels effets peut-on en
espérer sur les données caractéristiques globales de l'économie du
département?
Telles sont les questions que d'emblée se pose l'économiste
une fois de plus affronté, avec le cas de la Réunion, au problèmé
de la diversification industrielle d'une petite économie insulaire
dirigeant le flux unique d'un produit primaire vers une économie
centrale lointaine dont elle reçoit, en retour, des flux de capitaux
et de produits fabriqués.
�176
Si l'analyse des handicaps de l'industrialisation qui formera
la première partie de la présente étude, enseigne les difficultés
à résoudre et les « goulots. à réduire, elle invite surtout à poursuivre dans la voie d'une politique coordonnée de développement
industriel, dont on essaiera de tracer les grandes lignes en
seconde partie.
Deux précisions importantes avant d'aborder le sujet même
de notre étude :
• de quelle industrie s'agit-il ?
•• de quel espace économique de référence?
• Dans la terminologie des rédacteurs du V' Plan, le
concept d'industrie retenu correspond à une vue restrictive du
secteur secondaire.
On considère en effet (et telle sera notre conception), que
l'industrie sucrière participe en majorité du secteur agricole,
~
et non du secteur des industries de transformation.
Peut-être cela paraitra-t-il choquant au plan de la pure
logique, et fera-t-on remarquer que la seule accumulation de
capital productif notable qui ait eu lieu à la Réunion ces dernières
.
décennies, se confond précisément avec la croissance et la moder-
nisation de l'appareil de transformation sucrier.
Au regard donc de la valeur ajoutée au produit intérieur
brut, la transformation de la canne à sucre par l'usine constituerait, à n'en pas douter, 13 très grande majorité de l'activité industrielle réunionnaise.
De plus, l'industrie légère et de transformation pour autant
qu'elle soit apparue, paraît intimement liée aux possibilités d'économie d'échelle résultant de l'existence préalable de l'industrie
du sucre. Les hommes qui animent cette dernière, se sont en
même temps fait les promoteurs de la nouvelle industrie.
Toutefois, l'on ne saurait nier la filiation très étroite reliant
l'industrie sucrière au secteur agricole du département, filiation
qui confère à cette « plantation industry > des lois de fonctionnement et de changement très étroitement dépendantes de ce
qui régit (conditions climatiques, productivité agricole, conditions ·
institutionnelles du marcbé), la production de la canne à sucre.
,
.
On éliminera de même du champ de notre étude le secteur du bâtiment et des travaux publics, dont le produit final ne
résulte pas d'une « combinaison productive » au sens industriel
du terme.
�177
TI s'agira donc dans les réflexions qui suivent, de ce que les
auteurs Anglo-Saxons ont appelé la • small-scale industry >,
c'est-à-dire cette « petite et moyeune industrie de transformation > parfois difficile à isoler de l'artisanat.
•• En ce qui concerne l'espace économique d'influence
ouvert à cette petite industrie, l'optique restrictive s'impose à
nouveau. TI s'agira au mieux, et à certaines conditions précises,
d'une industrie régionale.
Se demander si 1'industrie réunionnaise pourrait être conçue
en vue d'un débouché dans l'Europe des Six, c'est poser le problème de savoir si la Réunion dispose dans la production des
biens industriels, d'un quelconque avantage absolu. Nous lui
donnerons, sous réserve d'inventaire, une réponse négative (tant
que des matières premières locales ne seront pas susceptibles
d'une valorisation de nature à créer cet avantage).
'.'
Comment la Réunion, d'ailleurs, disposerait-elle d'un avantage absolu, alors qu'il lui faut encore parvenir à un uiveau
suffisant d'avantage relatif (par rapport aux produits importés) ?
I. -
LA PHASE DU IVe PLAN OU LE FRErNAGE
AU DÉVELOPPEMENT INDUSTRJEL
Lorsque l'on examine le bilan des réalisations industrielles
intervenues durant la période du IV' Plan, on est obligé de constater que le développement industriel prévu pour la période
1961-65 n'a pu atteindre un seuil décisif.
L'absence de renseignements statistiques concernant la
période, rend de plus particulièrement aléatoire la recherche des
effets de ce développement.
Certes, les rédacteurs du IV' Plan étaient fondés dans leur
pessimisme quant à la contribution que pourrait apporter l'industrialisation de la Réunion au problème majeur du département:
l'amélioration de l'équilibre population-subsistance.
:"'\
...
"
..
.'
-.
Mais aucune étude systématique n'avait été entreprise en
vue de détecter les possibilités d'industrialisation par branches
d'activité. La responsabilité de l'industrialisation était laissée
au jeu des mécanismes spontanés, dont on peut dire qu'ils
n'avaient que faiblement contribué à la croissance d'ensemble.
�178
Si bien que, à l'issue du IV' Plan ,le secteur dit des « industries légères > à la Réunion ne compte qu'une vingtaine environ
de petites entreprises (alimentation, meubles, menuiserie métallique, petite transformation des métaux, panneaux ligneux),
n'offrant guère plus de 450 emplois nouveaux (*).
Ces résultats ne manqueront pas de panûtre minces, si
l'on considère que le volume des emplois nouveaux à pourvoir
chaque année dans l'ensemble du département, ressort à quinze
mille environ.
Deux handicaps majeurs suffisent à les expliquer: la faible
dimension du marché d'une part, et le niveau excessivement
élevé des charges d'exploitation des entreprises de l'autre.
1. -
Le préalable de la dimension.
Les statistiques démographiques établissent que le marché
de la Réunion comptera bientôt 400 000 conso=ateurs.
En fait, c'est le chiffre de la demande solvable qu'il faut
considérer, et non celui de la population globale du département.
Bien que les recoupements soient difficiles à opérer en
l'absence d'études socio-économiques, on peut estimer que la
demande solvable pour les biens industriels sans distinction
n'excède guère 50 000 acheteurs (parmi lesquels il conviendrait
de distinguer entre les acquéreurs potentiels de très petits objets
fabriqués et de biens de conso=ation semi-durables).
Cette demande, il n'est pas inutile d'en faire la remarque,
est alimentée en grande partie par les salaires et traitements
émanant du secteur public. Leur augmentation apparaît ainsi
conditionner étroitement pour l'instant celle de la masse des
disponibilités affectées par les ménages à l'achat de biens fabriqués.
•
Cette masse, bien que régulièrement croissante, révèle un
effectif stable, alors que le processus d'industrialisation requiert
un approfondissement de la demande, c'est-à-dire l'atteinte de
nouvelles couches d'acheteurs. Seule la hausse du revenu monétaire des couches jusqu'ici défavorisées de la société pourra
donner une nouvelle impulsion à l'industrie sans en accroître lescharges (ce sont les agents du secteur agricole, localisés_ou non
sur la bande côtière, qui n'ont pu, du fait de la faiblesse du taux
de croissance de l'agriculture départementale, bénéficier d'améliorations sensibles de pouvoir d'achat) .
('*) Il s'agit des emplois directs.
�179
Affirmant (ce qui pour l'économiste n'est que banalité) la
solidarité des croissances sectorielles, on définira le plus généralement la capacité d'industrialisation de la Réunion comme mesurée par le rythme de l'augmentation du pouvoir d'achat de ses
masses rurales.
•
Sans sous-estimer la part de responsabilité que portent dans
le retard industrielles circuits obligés et les mécanismes commerciaux traditionnels (prépondérance des compagnies d'importation), on remarquera dans les statistiques douanières l'extrême
faiblesse de la consommation individuelle de produits industriels
par rapport au niveau qu'elle atteint dans les départements métropolitains.
Cette limitation de l'absorption implique une nouvelle contrainte pour l'industrialisation de la Réunion, contrainte qui, bien
souvent, compte tenu de l'état de la technique et de la concurrence des produits importés, tourne au handicap :
•
•
...
un grand nombre de produits industriels, en effet, ne peuvent être fahriqués que par séries suffisamment nombreuses,
et justifiant l'emploi d'un capital technique incompatible avec
la capacité d'absorption du marché local .
De nombreux projets à maintes reprises évoqués ont été
ainsi abandonnés, dès que leurs promoteurs se sont aperçus du
décalage considérable existant entre l'unité technique minimum
requise, et l'unité idéale correspondant à la fourniture des besoins
réunionnais.
La dimension du marché devient donc celle de l'entreprise
et de nombreuses combinaisons techniques s'avèrent impossibles,
non tellement pour des raisons de financement que pour les difficultés inhérentes à l'amortissement du capital requis.
«
Il serait d'ailleurs intéressant de classer les industries par
tranches de possibilité d'accession à la clientèle locale ». On
verrait ainsi se profiler, à mesure de la croissance d'ensemble, le
secteur industriel idéal, c'est-à-dire parfaitement proportionné
à son marché.
.......
'
On a certes songé à pallier ce handicap de la dimension
par le choix de combinaisons productives faisant plus largement
appel à la main-d'œuvre qu'au capital technique. Telle est bien
en effet la caractéristique du petit développement industriel en milieu insuffisamment développé, que de préférer à l'emploi de
machines coûteuses à l'achat et à l'entretien, des solutions basées
sur le travail humain .
Cette solution aurait au moins l'avantage de permettre un
�180
emploi maximal dans le secteur industriel, auquel les faveurs
de la puissance publique sont d'ailleurs dispensées proportionnellement à l'effectif des travailleurs nécessaires à la marche des
ateliers.
Mais, il convient de le noter, cette substitution du travail
au capital n'est pas toujours possible techniquement (ainsi dans
une usine de transformation des matières plastiques les opérations
sont-elles toujours obligatoirement très automatisées), ni souhaitable économiquement (les économies procurées par le capital
demeurent considérables dans une zone où les salaires et les
avantages sociaux sont élevés).
La substitution se heurterait de plus à des délais importants
tenant à l'absence d'une élasticité suffisante de l'offre locale de
qualifications professionnelles.
•
On constate donc que l'aspect dimensionnel de l'économie
réunionnaise constitue un facteur nettement limitant du développement industriel, et il ne paraît pas excessif de dire qu'il est
largement responsable du freinage observé au cours du IV' Plan .
."
•
Si l'on y ajoute la structure et le niveau des charges de la
petite et moyenne industrie à la Réunion, on vient à considérer
comme particulièrement audacieuses les initiatives qui sont parvenues, à se faire jour ces dernières années, à la Réunion.
2. -
Le handicap des charges.
Les considérations qui précèdent tendaient à établir que les
structures d'ensemble de l'économie du département de la Réunion sont peu favorables à un processus d'industrialisation rapide.
La solution de ces problèmes de structure paraît liée à la
réussite des actions entreprises dans le sens de la croissance et
de la diversification simultanée de l'économie, prévue au titre
du V' Plan. Nous ne les aborderons pas ici : les supposer résolus
oterait beaucoup de portée pratique à l'analyse des difficultés
auxquelles se heurte le fonctionnement concret des entreprises
industrielles de la Réunion.
Pour se convaincre de leur gravité il n'est que d'examiner
rapidement les principales séries de charges qui pèsent sur
l'exploitation dans le sens de l'aggravation des prix de revient
industriels.
1. Dénuée de ressources naturelles transformables (sauf les
sous-produits du sucre), la Réunion est contrainte d'importer la
�181
presque totalité de ses matières premières, biens d'équipement
et produits semi-finis.
Le coût particulièrement élevé du fonctionnement d'une telle
économie est souvent affirmé, encore que sous une forme peu
convaincante :
On met en avant les frais de transport qui grèvent les
c inputs, de l'industrie Réunionnaise, alors, qu'en réalité, c'est
le coût global de l'approche de ces « inputs > qu'il convient de
prendre en considération. Le taux du frêt, les frais d'assurance
sont, en dépit de leur importance absolue, peu significatifs au
regard de l'ensemble des frais superposés qui s'intercalent entre
le fournisseur métropolitain et le destinataire réunionnais.
,
•
.-
2. TI faudrait en second lieu pour que la Réunion tire
avantage de l'importation des composants des produits fabriqués
plutôt que des produits fabriqués eux-mêmes, que la transformation locale des matières premières et produits intermédiaires
s'effectue à un coût nettement moins élevé qu'en Métropole, ou
tout autre pays industrialisé exportateur vers la Réunion.
Or, les industries européennes, pour se limiter à leur cas,
disposent par rapport à la Réunion d'avantages considérables
tenant à la production de masse, et au niveau très élevé de la
technique.
La Réunion ne peut en conséquence s'industrialiser « à
l'abri des frais d'approche >, qni demeurent inférieurs à la différence des charges d'exploitation des entreprises.
A fortiori l'industrie réunionnaise se trouve privée de tout
avantage comparatif dans la production de biens fabriqués en
vue de l'exportation, car alors une deuxième série de frais
d'approche venant se superposer à ceux qui grèvent les . inputs >,
élèverait dans des proportions intolérables le prix des • outputs >.
3. L'avantage comparatif peut-il être rétabli ou plus exactement financé par un niveau notablement plus faible des
charges salariales locales?
Sur ce point, le pessimisme est encore moins contre-indiqué
que dans le cas des frais d'approche. La raison en est double:
le niveau des salaires et des charges sociales ne diffère pas de
celui qu'il atteint en Métropole, dans des proportions suffisant à·
restituer l'avantage comparatif recherché.
Par ailleurs, des effets de rareté viennent majorer sensiblement le coût du travail qualifié et du travail de direction dont
l'élasticité d'offre est pratiquement nulle.
�182
TI faut donc considérer co=e une contrainte non suceptible
d'aménagement (sauf à rechercher parmi les élites locales un
encadrement moins coûteux), le niveau de la charge que constitue
la main-d'œuvre dans les entreprises, et cela d'autant plus que les
avantages accordés par la puissance publique à l'industrie naissante sont indexés sur le nombre d'emplois qu'elle procure.
Ainsi apparaît encore une fois la dialectique du progrès éconontique et du progrès social: hautement souhaitable sur le plan
humain, le rattrapage du salaire métropolitain constitue, à n'en
pas douter, un frein au développement industriel de la Réunion.
11 conviendra donc de rechercher dans d'autres domaines
une compression des coûts de revient industriels, si l'on veut
éviter l'accentuation du processus de mécanisation, corollaire
inévitable des écononties de main-d'œuvre (le secteur du bâtiment et des travaux publics illustre fort bien ce phénomène à la
Réunion : l'aggravation des charges salariales des entreprises a
provoqué en définitive une dintinution de la feuille de paye
globale des salariés du secteur).
Toute action est-elle impossible dans le domaine des coûts
en travail? Une réponse affirmative reviendrait à méconnaître
les progrès capables d'être accomplis sur le plan de la productivité
physique du travail par la recherche, notamment, d'une meilleure
organisation des entreprises et de combinaisons de production
plus efficaces. L'administration rationnelle du personnel apparaît
un remède tout aussi nécessaire que l'effort de formation professionnelle qui vient de prendre son essor dans le département.
4. Parnti les autres postes du compte d'exploitation des
entreprises, les dépenses d'énergie sont souvent offertes en exemple des difficultés que doivent affronter les entrepreneurs industriels à la Réunion (co=e ceux du reste de l'agriculture).
-
fo" ;,
.,,
.
.. '
~
'.
!l' .
Si la consommation d'énergie (1) n'entre le plus souvent que
pour 2 à 4 % dans l'ensemble des charges d'exploitation des
entreprises industrielles, son haut prix n'en est pas moins un
handicap supplémentaire à l'industrialisation.
La dépense d'énergie électrique, qui constitue l'un des rares
« inputs > d'origine locale, est en effet comparable à la marge de
profit disponible à l'issue du processus de production. La struc- _
ture d'ensemble des charges confère ainsi à ce poste une importance relative qu'il est loin d'avoir en Métropole.
Par ailleurs, on ne doit pas négliger les cas (bien que peu
nombreux), où la dépense énergétique entre pour un pourcentage
(1) Electricité ou gas-oil.
�183
important dans les charges d'exploitation d'une industrie située
en amont des autres industries réunionnaises.
5. Un autre handicap marqué résulte de l'application aux
entreprises de la Réunion d'une fiscalité à la production dont se
trouvent le plus souvent exonérées les industries naissantes dans
les régions en net retard de développement économique (1). Bien
qu'atténuée, la charge constituée par la fiscalité demeurera
un frein à l'expansion industrielle tant que les moyens de production ne seront pas intégralement désaxés.
6. A cette série d'éléments de blocage au développement
industriel, dont il n'est pas excessif de dire qu'ils ont « tué
dans l'œuf » bien des entreprises ingénieuses, l'on ajoutera les
deux facteurs liés de l'offre d'entrepreneurs et de financement.
La faible élasticité de l'offre d'entrepreneurs dans les zones
retardées, a été maintes fois soulignée, tant par les auteurs, que
par les responsables du développement.
Le cas de la Réunion en est une illustration de plus: en
effet, le caractère très dépendant de l'économie départementale
vis-à-vis de l'extérieur (id est la métropole), renforce la tendance
naturelle des capitaux et des talents à s'utiliser dans le secteur
des services. Peut-on s'étonner que la prise de risques dans
l'industrie soit rare dans une région où la rentabilité du capital
dans le secteur tertiaire, est un multiple appréciable (3 à 4) du
niveau qu'elle atteint dans le secteur secondaire?
Par ailleurs, l'élite économique du département est traditionnellement affectée à mesure de son émergence, à la consolidation des destinées du secteur sucrier.
De cette analyse, il ressort que l'offre d'entrepreneurs disponibles pour la promotion de petites et moyennes entreprises
industrielles est extrêmement limitée.
De fait, la période du IV' Plan n'a vu que la démultiplication des élites existantes (à de très rares exceptions près:
quelques contremaîtres ou directeurs techniques venant souvent
de Madagascar, et ne disposant que d'une partie des connaissances reqnises pour la gestion et l'administration des entreprises).
Ce sont, le plus souvent, les industriels du sucre, ou les
entrepreneurs les plus évolués du secteur tertiaire, qui se sontdévoués à la cause industrielle, non sans prendre des risques
quant à l'évolution possible du marché.
'. ·c
(1) Cf. le cas de Madagascar notamment.
12
�184
..
, .
Ces entrepreneurs, déjà rompus aux subtilités des procédures administratives, ont su s'attirer le concours des banques
et de la puissance publique afin de limiter leur. pari . au minimum de risque en capital.
Quant au financement des investissements industriels, on
ne peut considérer qu'il a véritablement joué un rôle de frein à
l'industrialisation au cours du IV' Plan. Ce n'est pas le capital qui
manque à la Réunion, mais les projets, et pour être encore plus
précis, les projets présentant des chances de rentabilité prévisionnelle comparable à l'investissement immobilier ou av rendement des valeurs mobilières.
Le secteur bancaire a fait remarquer à plusieurs reprises
que le total des dépôts dans les deux banques avoisine en
permanence depuis plusieurs années 7 à 8 milliards de francs
CFA, dont la mobilisation sous forme de prêts au secteur productif n'aurait guère posé plus de problèmes que leur réescompte
auprès de l'Institut d'Emission.
Certains exemples d'industries implantées à la Réunion à la fin
du IV' Plan, démontrent que l'appel à l'épargue privée par l'intermédiaire des banques n'offre aucune difficulté dès lors que les
banques elles-mêmes ont pu se persuader de la viabilité effective des projets.
On notera enfin que l'entreprise et les possibilités de financement coexistent rarement, ainsi qu'il le serait nécessaire pour
inciter la puissance publique et les banques à concourir dans une
proportion importante à la formation du capital des industries
nouvelles.
Les promoteurs particuliers sont, en effet, désireux de
limiter leurs apports personnels au plus juste (25 % du capital),
soit qu'ils doivent se les procurer auprès d'organismes financiers,
soit qu'ils hésitent à engager leurs groupes dans des emplois dont
la rentabilité n'est pas rigoureusement démontrée.
TI résulte de la combinaison de ces différentes tendances
défavorables, que la propension à investir est demeurée constamment en-deçà du seuil permettant d'atteindre un rythme décisif
d'industrialisation, et cela malgré une législation encourageant
fortement le remploi des bénéfices des sociétés dans le secteur
secondaire.
•
••
,
Les considérations qui précèdent montrent qu'on ne pouvait
espérer un déblocage spontané des facteurs du développement
industriel de la Réunion.
�185
Aussi bien, dès 1962, l'Administration s'esl-elle préoccupée
« d'organiser . l'industrialisation du département. Encore con-
venait-il de disposer d'outils analytiques suffisamment précis
pour la recherche des décisions à prendre et des domaines d'intervention.
Dans le courant de l'année 1963, le Ministère d'Etat, conjointement à l'Administration Préfectorale, décidait de l'envoi
d'une misson d'experts pour l'étude des conditions et des perspectives d'industrialisation à moyen terme du département.
Parallèlement, les activités des associations locales à caractère économique et la relance du Comité d'Expansion Economique et Sociale permettaient de créer un climat psychologique
favorable à un développement plus coordonné du secteur industriel.
Ce « réveil . aura-t-il suffi à permettre l'accélération du
processus d'industrialisation lui-même?
Dans une certaine mesure, on peut l'affirmer, puisque c'est
bien dans la deruière partie du IV' Plan que se seront formés
la majorité du capital industriel ainsi que les emplois qui lui
correspondent.
Cependant, ce « réveil industriel . ressemble de trop près
à un « écrémage . des industries possibles pour que l'économiste
puisse acquérir la certitude qu'il se transformera en un mouvement soutenu.
Dès lors, le déblocage des «goulots . précédemment énumérés, apparaît d'autant plus nécessaire.
II. -
LES OBJECTIFS DU V" PLAN OU LA RECHERCHE
D' UNE ACCÉLÉRA TIaN DU DÉVELOPPEMENT INDUSTRIEL
Tranchant avec l'allure pessimiste des données qui viennent
d'être résumées, la rédaction du V' Plan paraît singulièrement
confiante dans la possibilité d'améliorer le rythme du développement de l'industrie réunionnaise.
L'on pourrait même ressentir un certain étonnement à
la lecture du taux de croissance désiré pour le secteur secondaire
soit 13,5 % par an, en moyenne.
Sur quelles bases ces perspectives ont-elles été tracées?
'1
,
1. Tout d'abord, sur l'extrapolation du taux de croissance
durant la période du IV' Plan, de la demande de produits industriels consommée localement, quelle que soit leur provenance.
�186
La vérification de cette hypothèse suppose donc que l'économie départementale continuera d'être animée au même rythme,
par l'afflux de capitaux publics permettant de soutenir le taux
d'augmentation de la demande solvable.
li y a là une certaine circularité dont les dangers ne doivent
pas être sous-estimés: il est attendu un rôle moteur de la croissance industrielle, choisie comme « locomotive > de l'expansion
du département, alors que ce rythme ne saurait être pour sa
part atteint que grâce à un développement rapide des autres secteurs de l'économie.
2. Les perspectives du V' Plan se fondent par ailleurs sur
l'espoir que la substitution progressive de productions locales aux
anciennes importations, pourra s'effectuer sans rencontrer d'obs-
i
tacle majeur.
Cette seconde hypothèse n'est admissible qu'au bénéfice
d'un inventaire des mesures qni devront être prises pour débloquer les facteurs indispensables à la réalisation du programme
sectoriel.
Et c'est bien ici que se situe l'articulation du V' Plan :
l'avantage comparatif à la production de biens industriels peut-il
être instauré dans l'économie de la Réunion à un niveau permettant une élévation substantielle de la propension à investir?
C'est ce que l'on se propose d'examiner dans la 2' partie de
cette étude, en distinguant les voies «artificiel/es >, des voies
« naturel/es > de l'industrialisation (1).
1. - L 'organisation du développement industrie/,
facteur de croissance de l'économie départementale.
.,
Dans la mesure où il n'existe pas actuellement à la Réunion
de projet industriel présentant un caractère de rentabilité assurée,
la première urgence est évidemment d'effectuer les études nécessaires à leur tlétection.
A cet égard, les rédacteurs du V' Plan sont persuadés que
la puissance publique doit venir en aide aux industriels sous des
formes peut-être plus actives, que celles qu'a pu revêtir son intervention durant la période du IV' Plan.
La politique dite d'incitation s'est en effet attachée à contribuer, dans une proportion non négligeable, il convient de le
(l) Cette distinction s'impose également en fonction de la notion de
période.
�187
dire (environ 25 %), à la formation du capital industriel. L'expérience a montré que tout en aidant efficacement à la solution
de certains problèmes de démarrage des entreprises, les mesures
prises étaient inadéquates quant à la difficulté majeure ressentie
par les industriels: la détermination du domaine et de la dimension des investissements.
C'est pourquoi il paraît désormais préférable de remonter
à l'origine des préoccupations du secteur privé, qui continue de
s'interroger sur les options industrielles à prendre.
"" ....
1. La création d'un Bureau de Promotion Industrielle
sur la base de l'expérience réalisée ces deux dernières années par
le service « Industrie > de la S.A. T.E.C. (seul organisme à dispenser aux industriels l'assistance technique nécessaire) (1), répondra à ce souci, tout en constituant une intéressante plate-forme
de discussion entre les responsables des secteurs publics et
privés.
•i
Centraliseur d'informations industrielles, plaque tournante
d'échange entre la métropole et le département, le Bureau de
Promotion Industrielle sera, avant tout, l'agent d'une assistance
technique intégrée, c'est-à-dire allant de la détection des projets,
à l'assistance à la production et à la gestion des entreprises nouvellement créées.
Le Bureau de Promotion Industrielle servira égaiement
d'ingénieur-conseil aux Pouvoirs Publics pour l'attribution du
bénéfice des mesures fiscales et financières d'incitation, ainsi
qu'à la S.O.D.E.R.E., Société de Développement Régional de
création récente, pour sa participation au capital des entreprises
en voie de formation.
En ce qui concerne le rôle que le Bureau de Promotion
Industrielle est appelé à jouer en matière d'incitation, il paraîtrait
souhaitable qu'il dépasse l'aspect purement consultatif de sa
tâche pour constituer un véritable organisme «d'auscultation>
des entreprises en exercice.
·'
:
. ".
.,
"',
.,
Les mesures de dégrèvement fiscal dont bénéficient les
entreprises jugées prioritaires (c'est-à-dire ayant fait l'objet d'un
agrément), sont en effet destinées en principe à permettre l'atteinte
rapide du seuil de rentabilité, que la complexité de la tâche industrielle à la Réunion, de même que le niveau élevé des charges
d'exploitation, rendent souvent difficile d'accès. A cet égard, le
Bureau de Promotion Industrielle pourrait, dans les limites
du secret professionnel, s'assurer en cours d'exercice de la situa(1) Les banques ont également joué dans ce domaine un rôle limité .
�188
tion réelle des entreprises et proposer l'élargissement ou à
l'inverse, la diminution progressive des faveurs consenties.
Les rédacteurs du V' Plan s'inspirent par ailleurs des
expériences de développement d'autres régions du monde, où
l'organisation systématique de la promotion industrielle
a
rapidement mené à un rythme satisfaisant de formation de capital
fixe (Porto-Rko, Trinidad, Ile Maurice).
De la fourniture de conseils, à la livraison d'usines « clés en
main ", ]a marge est grande: mais, il est certain (les enseignements du passé sont sans équivoque à ce sujet) que des
incitations non assorties d'un agencement rationnel des facteurs
disponibles et de la fourniture aux industriels des facteurs rares
ou non disponibles, sont condamnées à demeurer sans effet.
Conscients de la relative inadaptation des procédures d'incitation qui ont prévalu durant la période du Quatrième Plan, les
rédacteurs du Cinquième se montrent soucieux de donner à leurs
projections un contenu plus concret.
Il n'est guère besoin de dire que le développement industriel
est lié au succès de leur recherche et à la jonction de cette
dernière avec les visées actuelles du secteur privé.
2. La création de la S.O.D.E.R.E. l'accentuation des responsabilités prises dans la vie économique du département par certaines associations représentatives, marque bien la volonté des
industriels de faire écho aux préoccupations de l'Administration.
A la Réunion, plus qu'ailleurs peut-être, la planification semisouple doit s'appuyer sur des formules efficaces de collaboration.
Si l'on veut bien considérer que le problème du financement
de l'entreprise industrielle n'en est pas un, ainsi qu'il a été
démontré en première partie, l'on se trouve ramené dans la
définition d'une politique d'industrialisation efficace, au jeu
des dispositions légales et règlementaires touchant au développement, et à l'élasticité de l'offre d'entrepreneurs industriels.
Il sort de notre propos d'analyser les formules possibles:
en discuter par avance ne ferait que gêner les Pouvoirs Publics
dans la tâche qu'ils se sont assignée d'élargir et de rendre plus
efficace (dans toute la mesure du possible) les dispositions pré-.
vues au titre des décrets de 1952, 1961 et 1964, et <!e la loi
de 1960.
,
.
3. Notons cependant que le niveau de « l'avantage comparatif > (prix relatifs des biens importés et des biens susceptibles
d'être fabriqués localement) devrait être accru considérablement,
�189
,
~,
pour établir un véritable gain à l'échange internatioDal eD faveur
des producteurs industriels réunionnais.
Le fODctionnemeDt d'une semblable industrie De maDquerait pas d'être extrêmement coûteux, et l'on peut se demander si
la raison n'est pas de s'en tenir à une certaine complémentarité
eDtre la RéunioD, zone eD retard de développement, et la métropole qui dispose d'un avaDtage DettemeDt supérieur dans la
production des bieDs industriels.
Espérer implaDter des industries exportatrices à la RéunioD
de produits ayant nécessité l'importatioD préalable de matières
premières et de biens d'équipement, est déjà une vue de l'esprit.
C'est, par ailleurs, eDviroD 40 % des charges d'exploitation des
entreprises qu'il faudrait leur rembourser pour les rendre compétitives sur les marchés européens. La RéunioD ne peut jouer à
l'égard de la Métropole le rôle de Porto-Rico à l'égard des
Etats-Unis.
•
On se contentera, en conséquence, d'alléger les charges des
entreprises dans une proportion permettant de préserver une
marge de profit suffisant à inciter les capitaux à se diriger vers
elles.
Cet effort supplémentaire des pouvoirs publics peut prendre
diverses formes qu'il De nous appartient pas de discuter, puisque
aussi bien leurs choix ne sont pas encore arrêtés.
.,,",.
"
4. Quelque réussite que l'on puisse espérer d'une politique coordonnée d'organisation du développement industn"el et
d'incitation à l'entreprise, on ne saurait en attendre des miracles
au plan de l'économie globale.
L'impact prévisible des créations et extensions industrielles
figurant au Cinquième Plan demeure faible au regard des accroissements de production intérieure brute et d'emploi nécessaires
au rattrapage du uiveau des revenus individuels en Métropole.
Si l'on attend de la phase du Cinquième Plan un rythme
d'industrialisatioD suffisant à provoquer le doublement de la
valeur ajoutée par le secteur des industries légères, et l'augmentation de 70 % environ du nombre des emplois directs
procurés par ce secteur, on demeure très en-deçà des besoins
impliqués par la croissance démographique et le rythme de progression des autres secteurs de l'économie.
,. i .
,<-
"
'.
Quelque grand projet viendra-t-il bouleverser ces prévisonsrelativement modestes et entraîner des suppléments importants
de valeur ajoutée industrielle et d'emplois?
Les données actuelles de l'économie départementale ne
permettent pas d'en juger. Tout au plus, peut-on souhaiter que
�190
les dimensions mêmes de cette économie se modifiant, de nouvelles perspectives d'industrialisation se fassent jour.
2. - La croissance d'ensemble de l'économie départementale,
condition d'un développement industriel autonome soutenu
On renversera ici l'optique généralement adoptée dans
l'analyse des relations entre l'industrie et les autres secteurs de
l'économie.
Jusqu'ici le développement industriel a été conçu ou, plus
exactement souhaité, comme un moyen de polarisation de l'économie, c'est-à-dire comme un moteur de croissance. C'était mé-
connaître qu'il ne peut y avoir d'effet d'entraînement dans un
contexte économique désarticulé, où les industries sont trop peu
nombreuses et trop étrangères les unes aux autres pour nouer
des liens de « clients-fournisseurs • .
,
.,
n ne faut guère attendre de l'état actuel des structures
industrielles, d'effet de généralisation de la croissance par voie
de solidarité. Seules des entreprises de services voient s'étendre
•
leur activité, à mesure que les tâches d'entretien et de réparation
se multiplient.
Il nous semble plus juste d'envisager l'éventuel développement industriel réunionnais dans une perspective de longue
durée, où il apparaîtrait mû par les autres variables de l'économie
et non moteur de ces dernières.
Si l'une des conditions essentielles de l'industrialisation est
bien ['extension du marché, c'est-à-dire de la demande solvable
de biens fabriqués, l'industrialisation apparaît en réalité comme
un processus d'aval et non d'amont, relativement à ceux qui
animent les autres secteurs de l'économie.
Les grands projets de développement agricole, l'accroissement du produit net du sucre, la diversification rationnelle des
cultures, feront plus pour le développement industriel de la
Réunion, que les primes d'équipement consenties par la pnissance
publique.
,
••
..
--
~
Cette évidence ne dispense pas de rechercher les combinaisons productives les mieux adaptées à une économie faIblement
dotée en ressources naturelles, ['intégration aussi poussée que
possible des créations industrielles à l'activité existante, recherche
dont les résultats viendront compléter le bénéfice d'nn espace
économique progressivement élargi.
�191
Mais il ne faut pas oublier que les consommateurs réunionnais auront leur mot à dire dans le choix des produits et dans
le prix qu'ils les paieront relativement à celui des objets fabriqués
en Europe.
Le fait que la Réunion soit un département fançais lui
donne la possibilité de bénéficier au maximum du progrès technique enregistré au sein du Marché Commun, et des avantages
qui en découlent sous l'angle des prix de revient. La Réunion ne
doit pas nier le progrès technique. Tout au plus doit-elle l'aménager, chaque fois qu'il lui sera possible, en fonction de ses
propres dimensions.
1. La réforme des circuits et des méthodes de distribution
à la Réunion paraît le corollaire indispensable d'une semblable
évolution. Plétorique, non spécialisé, mal localisé et mal géré,
le commerce réunionnais doit être remodelé en fonction de
l'industrialisation progressive du département, elle-même génératrice de gains de temps et d'économies d'échelle pour les
entreprises de distribution.
L'accroissement du degré de concurrence donnera seul ses
pleins effets à un processus d'industrialisation, dont l'avantage
pour les consommateurs demeurera bien faible, tant qu'une
différence sensible des prix des produits locaux par rapport aux
produits importés ne sera pas respectée par les détaillants.
2. La recherche d'un approfondissement du marché doit
s'accompagner de celle d'un recul de la frontière économique
du département.
TI est fait allusion ici au voisinage des économies Malgache,
Mauricienne et Sud-Africaine, vis-à-vis desquelles la Réunion,
loin de faire figure de concurrent ou de fournisseur, a toujours
joué le rôle de client.
Peut-on s'en étonner, lorsque l'on sait que, département
français soumis au régime institutionnel du Marché Commun, la
Réunion s'affronte dans la région économique de l'Océan Indien
à deux adversaires intégralement maîtres de leur politique économique?
Il continue d'être anormal que la Réunion représente 1/ 3
de la clientèle potentielle des petites industries Malgaches, et
qu'elle ne puisse envisager, ~ son tour, de vendre à Madagascar ·
des produits fabriqués qui ne manqueraient pas de se heurter
à des barrières douanières élevées.
..
-
Cette considération incite à souhaiter qu'une véritable harmonisation des développements industriels puisse intervenir dans
�192
cette région du monde, où l'intérêt général est d'éviter les doubles
emplois et les effets de concurrence nuisibles. D'autres industries
deviendraient dês lors possibles à la ~éunion .
•
••
Le lecteur s'inquiétera, à juste titre, des points laissés en
blanc dans l'analyse du processus de développement industriel de
la Réunion .
Trop de variables restent au stade de nos réflexions, dans
l'imprécision, pour que de véritables projections puissent être
opérées. Encore aurait-il convenu de disposer pour l'établissement d'un modèle de base, des renseignements statistiques élémentaires concernant l'industrie existante.
L'information, si développée en Métropole, fait encore
figure prospective à Bourbon. li faut soubaiter que les études
et les actions en cours remédient rapidement à cette carence
ressentie par tous les responsables de la vie économique du
département.
Mais, comment l'instrument de la connaissance se serait-il
perfectionné dans un environnement où l'idée d'un développement coordonné se frayait difficilement un passage?
Cet obstacle sera d'autant mieux surmonté qu'une prise de
conscience effective est intervenue dans les milieux les plus
divers de la société réunionnaise. EUe aidera à la formation d'une
nouvelle génération d'entrepreneurs qui paraît, avec l'extension
des dimensions du marché et l'amélioration du pouvoir d'achat
agricole, conditionner la réussite du Cinquième Plan dans le
domaine industriel.
Paris, 15 avril 1965
Gérard WEILL
Ancien chargé de cours
des Facultés de Droit
et des Sciences Economiques
�TABLE DES MATIÈRES
Préface, par Jean Bou LOUiS
(Doyen de la Faculté de Droit et des Sciences Economiques d'Aix-eo-Provence). .. .. .. .. ..... ... . .. . .. . .. .
7
Avant-propos, par Gérard CONAC
(Directeur de J'Institut d'Etudes Juridiques, Economiques
et Politiques de St-Denis-de-Ia-Réunion) . . ............
10
Francis BORELLA
(Maître de conférences agrégé des Facultés de Droit et des
Sciences Economiques).
La Compagnie des Indes à l'ne Bourbon (1724-1750) . ..
13
Bernard PARISOT
(Assistant à la Faculté de Droit et des Sciences Economiques d'Aix-en-Provence et à l'Institut d'Etudes Juridiques de St-Denis-de-Ia-Réunion).
Le colonat partiaire à la Réunion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
75
Maurice P ARODI
(Maître de conférences agrégé à la Faculté de Droit des
Sciences Economiques d'Aix-en-Provence).
Quelques aspects économiques du problèmes de la diversification des cultures à l'île de ]a Réunion ... . . . . . . . . . . .
113
Gérard WEILL
(Ancien chargé de cours des Facultés de Droit et des
Sciences Economiques).
Notes sur J'industrialisation de la Réunion ............
173
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�IMPRIMERIE LOUIS-JEAN - GAP
Dépôt 1ég.. 1
1
298 - 1965
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https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/2/286/RES-50038_Annales-Droit_1967_N56.pdf
568bc3c51252efd7eded5935151417dd
PDF Text
Text
ANNAL ES D E LA FA C ULTÉ D E DROIT
ET DES SCIENCES ÉCONOM IQ UES D'AIX-E N-PROV ENCE
•
Études de Sciences pénales et de Criminologie
sous la direction de l'Institut des Sciences pénales et de Crimin ologie
de l'Uni versité d 'Aix- Marseille
TOM E 1
ÉTUDES
DE DROIT PÉNAL
DOUANIER
1967
sous la directio n e t avec un ava nt-propos de
RA YMOND GASSIN
Pro/~su ur
d la Facul tt de D ,olt et de' Sc/eflcu iconomlqueJ d'A,u-en- Pro'l'ence,
Directeur de l'Instit ut des Sciences plno!eJ el de Crimina /orle de l'Unh'erslti d 'Alx-M a rsdlle
11111111111111111111111111111
094 0 10 3 06 0
PR ESSES UN IV E RS ITA IR ES D E FRANCE
,
108, boulevard Saint-Germain - PA RlS
1968
�ANNAL ES D E LA FA C ULTÉ D E DROIT
ET DES SCIENCES ÉCONOM IQ UES D'AIX-E N-PROV ENCE
•
Études de Sciences pénales et de Criminologie
sous la direction de l'Institut des Sciences pénales et de Crimin ologie
de l'Uni versité d 'Aix- Marseille
TOM E 1
ÉTUDES
DE DROIT PÉNAL
DOUANIER
sous la directio n e t avec un ava nt-propos de
RA YMOND GASSIN
Pro/~su ur
d la Facul tt de D ,olt et de' Sc/eflcu iconomlqueJ d'A,u-en- Pro'l'ence,
Directeur de l'Instit ut des Sciences plno!eJ el de Crimina /orle de l'Unh'erslti d 'Alx-M a rsdlle
11111111111111111111111111111
094 0 10 3 06 0
PR ESSES UN IV E RS ITA IR ES D E FRANCE
,
108, boulevard Saint-Germain - PA RlS
1968
�Avant-propos
1. - Le droit pénal spécial res<;emble à ces côtes estivales de
la M éditerran ée où, à côté de quelques plages d'une fréquentation
si dense que /'on a bien de la peine à y trouver une place, il y a de
longues suites de rochers qui n'Quirent que quelques amateurs de
solitude el de dif/icultés. /1 exisle en ellet en droit pénal spécial
quelques infractions très étudiées, comme le vol, l'escroquerie ou
l'abus de confiance pour ne citer que quelques exemples, mais au-delà
de cette concentration d'e fforts de tout genre cesi presque le no
man's land. A pein e quelques chercheurs s'intéressent-t-ils aux
aUlres infractions, le plus souvent d'ailleurs en raison de circonstances f ortuites. L es infractions douanières entrent précisém ent dans
cette catégorie, comme peut en tém oigner le fait que c'est le m êm e
auteur, M onsieur Max L e R oy, qui a rédigé la rubrique c: Douanes »
à la f ois au répertoire Dalloz de droit pénal et de procédure pénale
et au Jurisclasseur-pénal annexes, ainsi que la rareté des th èses de
doctorat présentées dans celle matière (I) (2).
II. - L es intérêts qui s'attachent à l'étude des infractions
douanières ne sont cependant pas négligeables. Ce sont tout d'abord
des intérêts pratiques eT! raison du chif fre relativem ent élevé de ces
inf raclions. 11 est évident que si l'on en juge d'après le nombre des
délits poursuivis devant les tribunaux , on peut avoir le sentiment
contraire: 454 inf ractions en 1961, 550 en 1962, 438 en 1963 et
396 en 1964 seulement.
M ais en matière douan ière, l'Administration dispose du pou voir
de transiger et elle ne manque pas d 'y recourir avec une fréquence
Dépôt légal -
1". éditi o n: l'r tr imes tre 1968
To us droits de t ra d u cti on, de reprod ucti o n et d' od a ptotio ll
réservés p ou r to us po ys
o
1968, Presses Univers itaires d e Fran ce
( 1) On n'en compte guère que quatre depuis 1952: Paul BÉQUET. L' infraction de contrebande terrestre, tll . droil Paris 1957, publiée en
/959; Monique 0 8 GUA RDIA. - Les contestations sur l'espèce, l'origine
et la valeur en douane au seu il du Marché Commun, th . Paris 1959;
Edouard L EWENDOSKI. - Des survivances de l'ancien droit dans la prévention et la répression de la fraude douanière tll. Lille 1959; Jean-Claude
B ERR EVl LLE. Le partiCul arisme de la preuve en clroit pénal douanier,
th. Lille 1966.
(2) n convient toutefois de signale r les rapports, notes et articles
remarquables pu bliés de puis quelques années par M. Jean MAZARD,
Conseiller à la Cour de Cassation, principalement dans le Recueil Dal loz
et dans le Recue il de droit pénal.
�6
qui ne s'tSI jamais démentie pu;squt pr~s de 95 % des infraclions
constatüs par les services de douanes aboutisunt cl une transaction.
C'est ainsi, en réatîté, 112 192 in/raclions douanières qui ont été
constat"s en 1961, /23055 en 1962, 124 154 en 1963 et 146301
en 1964, soil cl peu pris Qutant que les escroqueries (1) .
Ces donnüs statistiques ne sul/iraient cependant pas à reteni,
très longtemps l'attention du juriste, à la différence de celle du
sociologue, si l'élude des infractions douanières ne présentait pas
aussi des intérêts th éoriques remarquables. Plus que d'infractions
douanières en effet, c'est d'un véritable c droit pénal douanier :t
qu'il convien' de parler, com me l'on parle, par exemple, du c droit
pénal m ilitaire:t ou du c droit pénal des mineurs:l, toutes choses
égales d'o ifleurs. Le droÎt pénal douanier n ~ co mport~ pas se u/~m~nt
l'exam~n d'infractions en elles-mêmes déjà fort singuli~r~s, et principalement la contreband~ et l'importation ou l'exportation sans déclaration . Il existe aussi, au-dessus et à c6té de c~s infractions, un véritable droit pénal génüal douanier développant notamment une
théorie originale de la responsabilité ~t des sanctions douanières, ainsi
qu'un droit judiciaire répressif douanier dbogeant aux r~gles de la
procédure de droit commu n depuis la phase iniliale d~ la constatation
des infractions douanières jusqu'à la période terminale de l'exécution
des décisions rendues dans la mêm~ matière.
Ce droit pénal douanier se caractérise génbalement par un~
rigueur beaucoup plus grande à l'égnrd des délinquants que celle
qui résulte du droit pénal ordinaire. Les infractions douanières, déjà
très largement définies, comportent en eff~t de nombreuses présomptions qui portent non seulement sur la culpabilité de l'agent, mais
aussi sur la matérialité de l'infraction elle-même et ces prbomptions
ne peuvent être détruites que par ia démonstration de la force
majeure. Dans le domaine de la responsablité pénale, le cercle d~s
complices se trouve notab/~m~nt é/endu par la notion d' c intéressés
à la fraude :t. us sanctions des infractions douanitres, et notamment
les sanctions patrimoniales, obéissent à un régime de rigue ur que le
droit commu n a depuis longtemps répudié ou n'a jamais voulu
accepter. La poursuite des infraclions douanières obéit à des règles
de preuve qui mellent le plus souv~nt à la charge du prév~nu la
preuve de la non-contravtntion, alors que d'autre part les procèsverbaux dressés par les agents d~ l'administration d~s douan~s ont
une force probante pa"iculi~re. Dans l'application des peines, les
juges ont une c compétenc~ liù:t par les textes et leur rôle rappelle
celui du juge repressif de la R évolution dans le système de la fixilé
des peines. Si l'on ajoute qu~ l'Administration des Douan~s dispose
d~ l'action publique par son pouvoir de transaction, on achèvera de se
convaincre que la répression doua nitre constitue bien une répression
(1) Les chiffres cités ici mêlent il est vrai les infractions douanières
et les i.nfracuons de cbange oonstat~es. mais les premières sont beaucoup
plus nombreuses que les secondes.
7
exce ptionnelle, qui occupe une place bien à pari dans notre syst~me
répressif contemporain, et qui se Irou ve marquée au coin de l'idée
aujourd'hui si critiquée de prévention générale el d'intimidation.
On explique souvenl cette rigueur partic uJj ~ re du droit pénal
douanier par J'imérêt de J'Administration des Douanes. L'idée n'est
pas inexacte dans Jo mesure où elle permet de comprendre à qui
profite celte rigueur, mais il faut reconnaître qu'elle relève plus de la
constatation que de l'ex plication. Encore faut-il ex pliquer en effet
pourquoi cette Administration profite d'une situation aussi intéressante sur le plan répressif, alors que d'autres administrations ont
perdu ou n'ont jamais pu obtenir un statut protecteur aussi important . L'idée de ['influence de l'ancien droit sur le droit pénal douanier
contem porain n'est sans doute pas sans intérêt et l'on a pu se plaire d
souligner c les survivances de l'ancien droit dans la prévention et la
répression de la fraude douanière:t 0). Il serait cependant abusif
d'attribuer à J'histoire un poids supérieur à celui qui lui revient car
d'une pari on com prend mal pourquoi l'évolution du droit pénal
aurait, comme par inadvertance, omis de toucher un secteur isolé
du droit pénal spécial el d'a utre part on doit reconnaître que les problèmes douaniers contem porains se présen tent en des termes bien
di ffére nts de ceux de J'Ancien R égime. Certains auteurs in voquent
alors la très grande difficulté dans laquelle se trou ve l'admin istration
des douanes pour constater les infractions à la réglementation douanière et, partant de celte observation que la fraude douanière se
dé veloppe particulièrement dans un milieu de récidivistes, soulignent
que la rigueur des sanctions se justifie par ['importance de c l'évasion
douanière :t elle-même. La fra ude se paie rarement, mais du moins
lorsqu'on la fait payer, elle doit coater cher. Il est certain que celle
idée n'est pas étrangère aussi à la rigueur extrême des sanctions
douanières, mais ont doit observer ici encore qu'elle ne peut suffire
à justifier une politique criminelle d'ensemble. Il faudrait encore
expliquer pourquoi r c évasion douanière :t est aussi considérable
de la parI de milieux professionnels, dont le comportement social est
dans les autres domaines exempt de tout reproche.
L e particularisme du droit pénal douanier nous paraît à la vérité
résulter du caractère artificiel de la délinq uance douanière. Le maintien de l'équilibre économique d'un pays suppose le recours à une
discipline économique dont le respect nécessite ['emploi de sanctions
énergiques. Les infractions douanières constituent précisément l'un
des manquements les plus importa nts .l celte discipline et se trouvent
sévèrement sanctionnées pour cette raison. Or, on peut observer que
c'est une tendance générale chaque fo is qu'il s'agit d'infractions artificielles à caractère plus disciplinaire que véritablement antisocial,
d'organiser un système de répression original se caractérisant par une
sévérité particulière, mais qui joue, en somme, dans un domaine
(1) Cf. la thèse de M. Lewendoski précitée.
�8
généralement mineur, celui des sanctions patrimoniales ( 1). La répression économique en est une illustration loui à la;t actuelle, mais avant
elle la répression douanière, comme la répression fisca le, en avaient
tracé les voies. Que les sanctions douanières comporlent des peines
privatives de liberté ne change rien à la fla/ure des choses, car on
sait que l'emprisonnement en matière douanière ,,'est jamais utilisé
que comme une peine d'appoint à des sanctions patrimoniales qui
constituent l'anna/ure fondamentale de ce genre de répression.
9
Il convien t en DUIre, d'ajouter aux présentes éludes de droit
pénal douanier la publication de M. R obert Garron, D octeur en
Droit, chargé de Cours à la Faculté de Droil et des Sciences Economiques d'A ix-en-Provence, sur le particularisme de la législation
maritime relalive à la prévention et à la répression de la fraude
douanière qui, quoique publiü séparément (1), ne sen inscrit pas
moins dans le cadre d'ensemble du présent travail,
Raymond GASSIN.
HL - Les intérêts notables qui s'attachent ainsi à l'étude du
droit pénal douanier justifient le présent ouvrage.
Celui-ci élaboré dans le cadre des directions d'études du diplôme
d'études supérieures de Sciences Criminelles (cours de droit pénal
des affaires) de la Faculté de Droit et des Sciences Economiques
d'Aix-Marseille, est l'œuvre d'étudiants candidats à ce diplôme, généralement titulaires du diplôme d'études supérieures de droit privé, et
toUS aujourd'hui également diplômés de sciences criminelles. C'est
dire que /'on ne doit pas s'allendre à trouver dans leurs contributions
la perfection requise de candidats au concours d'agrégation, mais on
peul être assuré qu'ils y ont mis du moins tout leur sérieux, toute leur
passion et toute leur originalité., guidés par les conseils éclairés que
n'a pas manqué de leur prodiguer M. André FiIlon, Inspeclt!ur principal des Douan es, Chef de l'Agence judiciaire et des poursuites des
Douanes de Marseille, que je tiens id à remercier tout parliculièrem ent.
1/ ne pouvait être question d'envisager tOllS les aspects du droit
pénal douanier en raison de l'abondance de la matière. NOliS nous
sommes arrêtés aux questions les plus importantes que nous avons
regroupées en trois parties.
Dans la première partie, consacrée au droit pénal spécial
douanier, il eSI trairé successivement de la contrebande par M Ue Boudouard, de la contrebande spéciale de devises par M. Raharinarivonirina et des fauses déclarations réputées importations ou exportations
sans déclaration par M"'~ Paul/in de Saint-Morel.
La deuxième parûe est consacrée au droÏl pénal général
douanier où sont envisagés d'une part le particularisme de la responsabilité péfUJle en matière douanière (Mlle TOlibouf) et les sanctions
et leur exécution en matière douanière (M. Schumacher).
Quant à la dernière partie consflcrée au droit pénal répressif
douanier, elle comporte une étude sur la constatation et la preuve
des infractions douanières par M . NataleIli, un article sur la poursuite et le jugement des infractions douanières par M lle Tel et enfin
une contribution à la très importante question de la transaction
douanière par M. Boulanikian.
(1) Il s'agit d' une observation lrès générale qui se trouve démentie
dans certains cas, cf. par exemple l'ordonnance nO 45-1484 du 30 juin
1945, art . 41, al. 2.
(1) Publical ions des Annales de la Faculté de Droit . et des Sciences
Economiques d'Aix-en-Provence, Série: Travaux et MémOlres, n° 9, 1966,
Ed. Cujas.
�l
LE DROIT PÉNAL
SPÉCIAL DOUANIER
�La contrebande
Mademoiselle BOU DOUARD
Diplo mée d 'é tudes supé rie ures de dro ü privé
�INTRODUCTION
Au premier examen la notion de contrebande apparaît
extrêmement simple. Elle peut être défini e l'action de faire
passer une frontière à une marchandise en la soustraya nt aux
bureaux de douane. La notion est étroite mais concevable (1).
La preuve en est qu'eUe a été la première historiquement CODOue.
Sans remonter à la période antique, rappelons que dans
notre Ancien Droit, la contrebande a toujours été florissante,
qu'il s'agisse de la véritable contrebande c'est-à-dire de l'introduction clandestine de marchandises étrangères en France, ou du
passage irrégulier de produits d'une province dans une autre.
Chaque région était en effet séparée de sa voisine par une
douane intérieure et les produits fortemeot taxés comme le sel
soumis à l'impôt de la gabelle alimentruent cette contrebande
intérieure. Le prix du sel varirut dans des proportions incroyables
à quelques lieues de distance : 58 livres le quintal en Anjou,
2 livres à Nantes au XVIl' siècle.
Aussi comprend-on que la contrebande ait été active à cette
époque, et fo rt nombreux les individus, les faux-saulniers, qui
se livraient à cette activité. Les employés des fermiers généraux
chargés de surveiller les frontières étaient la plupart du temps
incapables de mettre fin à ce trafic. Il faudra attendre la fin
du XVIl' siècle pour voir les fermes générales s'organiser et
devenir vraiment efficaces. C'est également vers cette époque que
la contrebande perd son caractère artisanal pour revêtir un aspect
commercial. Les fraudeurs s'associent et réalisent de véritables
expéditions. Le cas le plus célèbre est sans nul doute celui de
Mandrin qui de 1754 à 1755 réalisa des expéditions fructueuses
grâce à une organisation quasi militaire.
(1) Besc herelle : action d'importer clandestinement des marchand ises
prohibées.
Littré :
action d'introduire dans un pays par voie secrète
et sans payer de droits des marcbandises prohibées.
�16
La révolution supprima les douanes intérieures en France et
abolit l'institution des fermes générales.
Mais il fallut organiser la douane d'une autre façon. Ce fut
l'œuvre de la grande loi du 22 août 179 1. Cette loi qui est encore
la clé de voûte de l'édifice douanier français, faisait de la douane
une Administration d'Etat, et de ses agents des fonctionnaires.
Le Droit douanier bien que restant fort sévère était codifié et
modernisé. L es peines r6servées aux conlreba ndiel'S étaient
adoucies . Mais bientôt il fallut revenir à la rigueur. La généralisation de la guerre accentuant le déséquilibre économique
conduisit à un nouvel essor de la contrebande, à l'époque révolutionnaire tout d'abord, puis à l'époque napoléonienne en raison
du blocus continental ( 1). L 'Administration douanière était souve nt incapable de la réprimer. M ais il était difficile d 'élargir la
notion de contrebande pour deux séries de raisons ...
Tout d'abord des considérations d'ordre social. D ans une
certaine mesure le droit proportionne la répression à la réprobation, au trouble, que le fait délictueux provoque d ans l'opinion
publique. O r il est bien certain qu'en l'espèce le contrebandier
bénéficie de l'indulgence et même parfois de la faveur de toutes
les classes de la société.
On pourrait penser que les autorités locales élues restent
objectives 10rsqu'oD les sollicite de fournir des renseignements
sur telle personne soupçonnée de fraude. Il n'en est rien. C'est
ainsi qu' il est courant de voir les maires de villages frontaliers
auxquels les parquets demandent de remplir la feuille de renseignements habituels répondre que la moralité et la réputation sont
excellents, alors que le bulletin n° 2 du casier judiciaire de cet
individu mentionne de nombreuses condamnations pour contrebande. Parfois même les maires et autres notabilités locales aident
les personnes soupçonnées à échapper à la J ustice. Il est significatif de noter que cette opinion se retrouve chez certains économistes. J . B. Say a pu écrire que c la contrebande est une
action innocente en elle-même et que les lois seules rendent criminelle •.
On comprend ainsi que des compagnies d'Assurance aient
(1) LEFEBVRE (Georges), Napoléon, collect ion peuple et civil isations
(Hatphen et Sagnac, P. U. F., 2' édition, 194 1).
_
LEFEBVRE et FUGlER, La Rtvolution française e t l'empire napoléonien, Tome V, Collection Histoire des relations internationales sous
la direction de Renouvin, Hachette, 1954.
FUOIER, Napoléon el l' Italie, 1947.
CROUZET, L'économie britannique el Je blocus continen tal, P.U.F.,
1958.
17
accepté de garantir les risques inhérents aux opérations de
conlreba nde ( 1).
Ces données d'ordre social se doublent de raisons juridiques.
Les principes de nolre droil pénal traditionnel n'admettent la
possibilité d' une répression que dans la mesure où l'infraction a
été matériellement constatée. La conception classique de notre
droit criminel, a toujours fait prévaloir le respect de la liberté
individuelle sur les nécessités de la répression . Pourtant, la loi
de 179l avait fait subir à ces principes quelques entorses laissant
appa raître déjà un certain particularisme de la législation en la
matiè re. C'est ainsi que l'art. 369 :lu Code des douanes limite
considérablement les pouvoirs du juge quant à l'appréciation des
éléments constitutifs de l'infraction et quant à la détermination
des cond amnations. De même un système original de preuves a
été aménagé qui prend la place du système de l'intime conviction.
L'art. 373 du Code des douanes stipule en effet que dans toute
action sur saisie les preuves de non contravention sont à la charge
du saisi (2). Mais il est apparu que ces dérogations assouplissant
(l) La questio n s'est alors posée en jurisprudence de savoir si une
tell c forme d'assurance n'était pas attein te de nullité (PICARD et BESSON:
Les assurances Jerrestre ell Droit fra nçais, T. 1, Ire éd., p. 36, n° 25).
S'il s'agit de favoriser par l'assurance la contrebande de marchandises
dont l'importation o u l'exportation est interd ite par la loi française, il
es t certain que l'ordre publ ic interne s'oppose à la val idité d'une telle
assura nce. Le fa il que l'assureur était au cou rant o u non de la destination
de la ma rchandise es t sans in[l ue nte:
L'assurance de la co ntreba nde est illici te com me la contrebande
elle·mêmc car elle a pour bU l de favoriser la fraude. Cette justifica tion
s'appuie également sur le fait que l'assurance des opérat ions de contre·
bande se rattache da ns une certaine mesure à l'assurance du do l et à
l'assurance des infract ions pénales . Or, dès l'instant qu'ell e aurait pour
but de garan tir la confiscat io n des marchandises, elle se heurterait à
l'interdic tion résultant du caractère général de la confiscation.
Le problème est plus compliqué si l'assurance a pour but de favoriser
la contrebande dans un pays étranger c'est·à-dire si elle a pour objet soit
des marc hand ises envoyées dans un pays où l'importation est interdite,
soit des marchandises provenant d'u n pays où l'exportation est prohibée.
II s'ag it alors d'un problème de Droi t internatio nal. Une telle assurance
est-elle licite en regard de la loi française? Depuis plus d'un siècle la
jurisprudence se prononce plutôt en faveur de la validité de la contrebande en pays étranger (Cass: 25 avril 1835, Sirey, 1835, l , p. 673 ;
Aix: 30 aoû t 1833, Sire)', 1834, n, p. 16 1; Cass: 2 février 1926, Sire)',
1926, Il, 105, note Pilet).
Malgré les critiques de la doctrine (N IBOYET, Sire)', 1928 , l , p. 305;
PILLET, Traité pratique de Droit ùJternalional privé, T. n, § 5 13, p. 238 ;
contra R TPERT, Droit maritime français, 3- éd., T. In . n° 2483 bis).
(2) Il est vrai que l'ancien droit conn aissait déjà œs règles mais elles
n'avaient jamais été érigées en principe général comme la loi de 1791 l'a
fait.
�18
la conception traditionnelle de la notion de contrebande étaient
insuffisantes pour assurer une répression efficace. Trop souvent
les tribunaux se trouvaient désa rmés lorsque la marchandise, et
c'était souvent le cas, avait échappé aux douanes. Aussi pratiquement ne pouvaient-ils condamner que les individus pris en
flagrant délit. C'est pourquoi un décret impérial en date du
JI octobre 1810 mit fin à cette situation paradoxale et permit
de poursuivre et de condamner non seulement le contrebandier
pris sur le fait, mais encore les propriétaires de marchandises, les
entrepreneurs. les assureurs, les cbcfs de bande, ct de façon
générale tous ceux qui étaient intéressés à la cootrebande.
C'était dès lors oe plus s'en teoir à la conceptioo traditio nnelle
de la contrebande analysée comme consistant dans le seul passage
frauduleux d'une frontière, mais consacrer une notion beaucoup
plus extensive eo faisant place à de véritables présomptions
d'importation ou d'exportation en c')ntrebande.
Cette conception large de la notion de contrebande peut
trouver appui dans diverses justifications.
Tout d'abord, d'un point de vue économ ique, il est certain
que quelle que soit la conjoncture, une telle infraction porte
atteinte, encore que certains économistes J'aient nié, d'une manjère
capitale aux intérêts de l'Etat. S'en tenir à la conception restrictive serait mettre en péril d'une ma nière permaneote l'équilibre
économique d'une nation.
JI est vrai que l'application du traité de Rome abolira en
bien des domaines les barrières douanières mais une conception
large conserve sa valeur dans les relations avec les autres pays et
même ceux du marcbé commun. En effet il est certains produits
qui seront toujours soumis à des prohibitions douanières obsolues
(alcool, stupéfiants), ou relatives (cigarettes par exemple), en
raison des dangers qu'ils font courir à la santé publique. D'ailleurs
de multiples conventions internationales ont pris soin depuis
longtemps d'assurer le dépistage et la répression des trafiquants
de ces produits.
Une conception large de la contrebande doit être d'autant
plus conservée si l'on se place non plus sur un plan strictement
é~onomique mais si l'on s'attache à un point de vue purement
repressif. En effet des affaires récentes ont rappelé combien les
méthodes utilisées par le contrebandier étaient babiles. Bien
entendu, il ne faut pas oublier la petite contrebande frontaliè re,
• la fraude d'infiltration . et qui dans une certaine mesure est
tolérée par la douane. Cela est cependant peu de cboses au regard
de la contrebande organisée qui demaode de gros moyens d'action
19
ct des fonds importants. Dans cette hypothèse l'état dangereux
apparaît avec évidence et il s'agit le plus souvent de professionnels qui pratiquent parfois une criminalité violente, mais le plus
souvent une criminalité rusée. L'état daogereux ne se manifeste
pas par une agressivité du délinquant mais plutôt par l'organisalion de la fraude elle-même. L'ingéniosité des contrebandiers est
grande et tous les moyens sont utilisés pour faire passer la marchandise d' un pays à l'autre.
L'entreprise de contrebande comporte de nos jours une
organisation très poussée aya nt à sa tête souvent des hommes
doués d'une habileté et d' une ingéniosité peu commune (1) .
De plus ils disposent très souvent de moyens techniques
les plus modernes (appareils récepteurs-émetteurs, vébicules,
canots à moteur, avions) dont trop souvent les services douaniers
sont dépourvus. Cette supériorité du délinquant se trou ve renforcée par les va riétés de contrebande douanière. A côté de la
contrebande terrestre déjà si difficile à réprimer car la frontière
est une ligne idéale qui ne peut être surveillée mètre par mètre,
s'est développée la contrebande maritime et aérienne. C'est sur
le plan aérien que la situation est la plus favorable pour les fraudeurs. En effet les avions de tourisme se prêtent admirablement
sinon à toute fo rme de contrebande du moins à la contrebande
d'objets de valeur mais de format réduit (bijoux, stupéfi ants). Ils
sont aisément maniables et peuvent atterrir sur des espaces très
restreints (2).
Cette mobilité de la contrebande douanière rendait nécessaire le système des présomptions qui permet de réprimer le
délinquant appa rent même s'il n'est pas l'auteur véritable de la
fraude. D'aut re part ces présomptions peuvent constituer des
mesures de prévention utiles.
Le particularisme de la législation douanière en matiè re de
contrebande se trouve par là de nouveau mis en évidence. Ce
( 1) On raconte que les contrebandiers utilisent des souliers spéciaux
qui peuvent s'enfiler à ,'envers. Quand les douaniers relèvent les traces de
pas, ils s'i maginent que la direction prise par les fraudeurs a été l'inverse
de celle réellement suivie.
(2) L' art. 78 du Code des douanes impose cependant aux aeTonefs
qui effectuent un parcours international de se poser sur les aéroports
douaniers. Mais il est certain que tant que "AdminislraLÎon des douanes ne
disposera pas elle·même d'avions destinés à obliger les appareils suspects
à atte rrir, ce texte restera lettre morte. D'aut re part le renouveau de 1:1
contrebande d'armes est une raison supplémentaire pour soubaiter une
modernisation des moyens de lutte mis à la disposition de l'administration.
�20
particularisme accentué complète le particula risme relatif de la
conception étroite.
Il y a donc coexistence dans notre droit pénal actuel des
deux conceptions de la contrebande qui se trouvent traduites dans
l'article 41 7 du code des douanes. E n effet, ce texte dispose:
1. - L a contrebande s'entend des importations ou expo rtations en dehors des bureaux, ainsi que de toutes vio lations des
dispositions légales ou réglementaires re latives à la détention et
au transfert des marchandises à l'int érieur du territo ire douanier.
2. - Constituent en particulier des faits de contrebande:
a) La violation des dispositions des a rticles 75 , 76 (2),
78 ( 1),8 1 ( 1), 83, 198, 199 et 205 ci-dessus.
b) Les versements frauduleux ou embarquements frauduleux effectués soit d ans l'enceinte des port soit sur les côtes,
à l'exception des débarquements frauduleux visés à l'a rt. 427 (I).
c) Les soustractions ou substi tutions en cours de transport
de marchandises expédiées sous un régime suspensif, l' inobservation sans motifs légitimes des itinéraires et horai res fixés, les
manœuvres aya nt pour but ou pour résultat d'altérer ou de rendre
inefficaces les moyens de scellés, de sûreté ou d' identification et
d'une manière générale toute fraude douanière relative au transport de marc handises ex pédiées sous un rég ime suspensif.
d) La violation des dispositions soit législati ves, soit règlementai res portant prohibition d'expo rtation ou de ré-ex portation
ou bien subordonnant l'exportation ou la ré-ex portation au
paiement des droits ou taxes ou à l'accomplissement de formes
particulières lorsque la fraude a été faite ou tentée en dehors
des bureaux ou qu'eUe n'est pas spécialement réprimée par une
autre disposition du présent code.
.
3. - Sont assimilées à des actes de contrebande les importIOns ou exportations sans déclaration, lorsque les marchandises
passant par un bureau de doua ne, sont soustraites à la visite du
service des douanes par dissimulation da ns des cachettes spécialement aménagées ou des cavités ou espaces vides qui ne sont
pas normalement desti nés au logement des marchand ises.
Aussi convient-il d'étudier dans une première partie la
contrebande par importation ou exportation en deho rs des
bu~eaux, pour ~nvisager ensuite dans une deuxième partie les
presomptIOns d Importation ou d'exportation en contrebande.
PR EMI ÈRE PARTI E
LA CONTREBANDE
PAR IMPORTATION OU EXPORTATION
EN DEHORS DES BUREAUX
Il résulte de l'art. 41 7 que n'est en principe qualifié de fait
de cont rebande que les importations ou ex portations en dehors
des bureaux.
D ès lors le délit de contrebande n'est pas constitué lorsque
la ma rchandise passe par un bureau même si eUe n'est pas déclarée ou si elle est déclarée de façon inexacte, ces faits s'analysant
en des infractions distinctes. Pourtant, si certaines infractions
correspondent bien à la définition de l'art. 417, en revanche il
en est d'autres qui semblent ne pas s'y rattacher et contribuent
à rendre malaisée la notion de contrebande. Il convient dès lors
d 'examiner tout d'abord le domaine d'application des fa its de
contrebande énumérés par la loi, pour s'efforcer ensuite de
dégager de leur analyse la notion véritable de contrebande par
nature.
A. -
DOMA INE D'APPLICAT ION DES PA ITS DE CONTREBANDE
L 'art. 41 7 énumère une série de cas où le fait de contrebande se trouve réalisé. Ces différentes hypothèses comportent
un dénominateur commun: il s'agit d'un transport frauduleux de
marchandises. Aussi, est-il primordial avant de passer en revue
les di fférents faits constitutifs du délit de contrebande, de préciser la notion de marchandise.
�22
23
a) La nofioll de « marchandises »
Au sens commun du mot le terme de marchandise signifie
tout ce qui se vend et s'acbète (1).
Le Droit positif ne s'est pas contenté de cette définition
étymologique. 11 l'a au contraire considérablement étendue,
sou.lignant ainsi une nouvelle fois le particularisme de la matière
douanière.
Depuis fort longtemps déjà la jurisprudence considère que
le terme de marchandise doit s'entendre des produits bruts et
manufacturés de nature à être utili és pour les arts ou à servir
à ['usage immédiat de l'homme (2) ou comme l'universalité des
choses susceptibles de transmission et d'appropriation individuelle, de tous objets de nature commerciale ou non, destinés
à franchir la frontière économique (3).
Il est vrai que certaines juridictions se sont refusées à
adopter une définition aussi large. C'est ainsi qu'un jugement
a décidé que le terme de marchandise ne saurait s'appliquer
aux biens déjà sortis du circuit commercial tels que les différentes pièces du costume, chaussures, stylo, montre, lorsque ces
objets sont utilisés normalement et personnellement par un particulier (4). Il faut bien reconnaître que cette interprétation
trouve un appui sérieux dans les dispositions de l'arrêté du
4/ 3/ 1953 portant application de l'art. 215 du Code des
Douanes. Mais d'une manière générale la jurisprudence semble
peu favorable à cette analyse (5). Ainsi la Ch. Crim. a jugé le
17/ 7/ 1953 (6) que le terme de marchandise comprenait de
fausses devises dès lors qu'elles sont destinées à être vendues.
Bien entendu, la contrebande porte en général sur des
marcbandises prohibées soit de façon absolue soit de façon
relative ou fortement taxées.
(1) Mercare.- faire du commerce. On aurait pu songer à interpréter
le mot c marchandise * par référence à J'art. 632 du Code de Comm
(2) Cass. Civ., 6 mars 1849, D. P. 1849, l, 169.
erce.
(3) Tnb. cor. d'Avesnes, 9/12/1924, DH. 1925, 95, Chambé
16 fév. 1950, Doc. cont. n° 918.
ry,
(4) Trib. civil St-Julien-en-Genevois 291111947 J C P 1947 TI
3541, note MLR.
"
.. "
••
(5) Crim . 20/7/ 1949. Doc. cont. n' 898.
(6) Crim., 17/7/ 1953, Doc. cont. 0° 1060.
b) Les laits de contrebande
L'art. 417 comporte un éventail assez large de faits constitutifs du délit de contrebande. Pratiquement ces faits peuvent
être de deux types différents. Le plus souvent, il s'agira de
marchandises soumises au paiement de droits ou taxes et que
la contrebande vise à éluder. D'autre fois on est en présence de
régimes de faveur, d'exemption de taxes, au profit de marcbandises de passage sur le territoire français, mais leur séjour prolongé au delà du terme fixé constitue un moyen détourné de
contrebande.
1) Contrebande visant à éluder les droits de douane. _
L'art. 417 du Code des Douanes prévoit deux séries d'hypothèses dans lesquelles la contrebande pourra se réaliser. Le délit
consiste à soustraire les marchandises aux droits normalement
perçus par l'administration des douanes. C'est là le moyen le
plus direct de contrebande.
Tout d'abord, le tex te interdit les importations irrégulières.
C'est ainsi que l'art. 75 du Code des Douanes impose aux
transports par voie terrestre de suivre la route la plus directe
conduisant au prochain bureau de douanes.
n
en est de même pour les transports par voie aérienne,
qui, aux termes de l'art. 78 du Code des Douanes, doi vent
s'effectuer suivant la route aérienne imposée par l'administration
douanière.
L'exportation en contrebande sera réalisée lorsque les
marchandises destinées à être exportées ne sont pas conduites à
un bureau de douane pour y être déclarées en détail, ou encore
lorsque sur les frontiè res terrestres des transporteurs prennent
un chemin tendant à contourner ou à éviter les bureaux de
douane (art. 83 et 417,2' a du Code des Douanes).
Comme pour les importations en contrebande, les exportatio ns en contrebande visent à éluder d'une manière directe
le paiement de droits de douane.
En revanche, il est beaucoup plus babile pour les fraudeurs de recourir à des moyens indirects de contrebande, en
profitant d'un régime de faveur accordé à certaines marchandises .
2) C'est cette larme de fral/de que l'arf. 417 a enfendu
réprimer dans son 2' alinéa c, modifié par l'ordonnance du 5
décembre 1958, qui qualifie de faits de contrebande les substi-
�24
25
tutions ou soustractions en cours de transport de marchandises
expédiées sous un régime suspensif et d'une manière générale
toute fraude douanière relalive au transport de marchandises
expédiées sous un régime suspensif.
11 résulte de la fOrlDuie extrêmement la rge du texte que
constituent des faits de contrebande les infractions à d'autres
régimes privilégiés. Il en est ainsi notamment dans le transit
qui peut se définir comme l'acheminement d' une marchandise
à travers le territoire douanier en franchise des droits et taxes.
11 est alors tentant pour le transitaire de soustraire les marchandises à leur acheminement normal. De teUes substitutions ou
soustractions peuvent s'effectuer lors du maintien temporaire de
marchandises étrangères dans des entrepôts. En effet ces marchandises ne subissent pas les droits et taxes normalement
perçus, le local étant en quelque sorte considéré comme situé
hors du territoire douanier (1) .
Tous ces cas de contrebande apparaissent si diversifiés
qu'il semble malaisé de définir les contours précis de l'infraclion
de contrebande par nature.
B. -- NOT ION DE CONTREBANDE PAR NATURE
La recherche du critère de la notion de contrebande présente un intérêt capital en raison du particularisme de la législation douaruère. Notamment selon que le délit de contrebande
sera ou non retenu le contrevenant se verra frappé de peines
plus ou moins fortes. 11 importe de distinguer 2 hypothèses selon
que le délit de contrebande aura été consommé ou que l'auteur
de l'infraction se sera borné à une tentative de contrebande.
a) Contrebande consommée
Pendant longtemps la consommation de la contrebande
était relativement aisée à caractériser, car l'art. 417 la définit
comme l'importation ou l'exportation en dehors des bureaux.
MaIS la loi du 21 décembre 1961 a apporté un élément de
complexité en assimilant à des actes de contrebande les importatIOns ou exportations sans déclaration, lorsque les marchandises
passant par un bureau de douanes sont soustraits à la visite du
servIce des dou~nes par dissimulation dans des cachettes spécialement aménagees ou dans des cavités ou des espaces vides qui
( t) Loi du 3 juillet 1965, D. Leg., p. 206.
ne sont pas normalement destinés au logement de marchand'
. é à '
Ises.
· é
Cc nouve 1 a 1ID a aJout
1art. 417 pose ainsi le problème du
critère de Ja contrebande par rapport à l'importation ou à
l'ex portation sans déclaration.
Il est en effet malaisé désorlDais de poser une délimitation
précise entre ces deux infraclions, pourtant théoriquement
distinctes . Cette recherche est cependant nécessaire car une
différenciation claire présente de multiples intérêts.
C'est ainsi que seule la contrebande peut faire l'objet de
circonstances aggravantes spécialement prévues pour cette infraction par l'art. 415 . Ce texte aggrave la peine lorsque le délit
de contrebande est commis par 3 individus au moins et 6 individus au plus, qu'il porte ou non sur des marchandises de
fraude.
Dans le cas où l'infraction serait commise par plus de 6
individus l'arl. 416 prévoit une nouvelle aggravation de la
sanction. II en est de même si l'infraction a été commise avec
un aé ronef ou véhicule attelé ou auto-propu lsé ou encore par
navire.
Un nou vel intérêt de la distinction réside dans la possibilité
d'un exercice anticipé de la contrainte par corps à l'encontre de
tout individu condamné pour contrebande nonobstant appel au
pourvoi en cassation (arl. 388 du Code des Douanes) (1).
Ces deux intérêts suffisent à sou ligner l'exigence d'un
critérium suffisant de la contrebande par nature par rapport à
l'importation o u exportation sans déclaration. Il faut bien reconnaît re qu'une telle recherche est rendue malaisée non pas
seulement par les contradictions jurisprudentielles, mais surtout
par les textes eux-mêmes, qui accroissent la confusion. En effet,
une interprétation des deux notions apparaît à la lecture attentive du Code des Douanes.
D'autre part on sait que l'art. 417 3' assirItile à la contrebande l'importation ou l'exportation sans déclaration dans
certaines conditions. Or cette complexité se trouve accrue par les
exceptions apportées à l'art. 417 3' par les dispositions spéciales
au droit douanier maritime (art. 424 du Code des Douanes).
Inversement l'a rt. 427 1" assimile à l'importation sans
déclaration de marchandises prohibées le détournement de
produits pétrotiers d'une destination privilégiée au point de vue
fisca l ainsi que le détournement de marchandises prohibées de
(1) Crim., 7/1/1965, D. 1965 , 114, Dote J. M.
�26
leur destination privilégiée, ce qui est manliestement un cas de
contrebande.
Dès lors le juge se trouve placé devant un problème difficile
de qualification. Lui est-il possible d'exercer une option à propos
de faits qui peuvent constituer deux infractions différentes?
On 3 pu soutenir alors que le juge pouvait dans tous les cas
choisir la qualification qui lui semble la plus opportune (1).
Cette interprétation nous semble hasardeuse.
En effet cette option est tout d'abord contrai re à la lettre
des textes non équivoques. li faut reconnaître en effet que ces
assimilations représentent en réalité une disposition spéciale
par rapport à l'art. 417 1" jouant le rôle de disposition générale (2). Or il est admis unanimement que tout texte spécial
déroge à un texte général et exclut la loi générale de sa
compétence.
Au surplus si on admettait une option, on pourrait alors
contourner la prohibition de l'art. 369 du C. des douanes qui
interdit au juge de modérer les peines.
Mais il faut bien reconnaître que cette interprétation des
infractions est fâcheuse car il est impossible de donner un c ritère
précis de la notion de contrebande. Cette incertitude fait en
tous cas ressortir le caractère empirique et opportun de la législation douanière qui se soucie plus de l'efficacité de la répression,
que de satisfaire la rigueur des catégories juridiques.
Cette observation suffit à mettre en évidence le particularisme de la contrebande consommée.
Ce particularisme est encore plus accentué dans l'hypothèse
d'une tentative de contrebande.
b) En droit commun la tentative suppose un commencement d'exécution de l'acte incriminé par la loi pénale. Or, en
matière de contrebande il importe de souligner que la loi se
contente de simples actes préparatoires. E n effet l'art. 418 § 1
du Code des douanes stipule que la tentative est constituée par
le seul fait matériel de la détention d'une marchandise, même si
cette dernière n'a pas franchi la frontière. C'est là une dérogation remarquable au droit commun de la tentative. Il est vrai
que parfois le droit pénal incrimine les actes préparatoires. Mais
ils sont alors visés en tant que délits spéciaux (exemple: contre(1) GA~RON, Le particularisme de la U,is/alion maritime rela/ive
à la prévention el à ,la répr~ssion de la fraude do uani~re, p.25 .
(2) GASSIN, LoiS spéCiales et Droit commun, Chronique, D. 1961
p. 91 .
27
façon ou altératio n de clefs: art. 399. C. P.; bris de clôture: art.
347 et 456 C.P.) ou comme actes de complicité d'
f ·
. . 1 (exemp1e: art. 60 2' C.P.).
un ait
prlnClpa
,. Le caractère spécifique de l'art. 418 § 1 réside dans le fait
qu Il asslmllye à la tlendt.atlUve de co~plicité de simples actes prépaératoues· , a -t-1
al eu.rs vraiment tentative, et les actes
pr vus par l art. 4 l 8 ne constituent-ils pas plutôt l'exécution mêm
du délit ?
e
. Il faut admettre et poser en principe que toutes les règles
édictées par le Code des douanes sont inspirées d'un souci
d'opportunité et n'ont jamais la valeur d'une loi générale. li
n'est pas étonnant que la notion de contrebande apparaisse avec
des contours mal définis. Il ne faut pas oublier qu'en matière
douanière les pouvoirs du juge sont limités par la loi, tant dans
l'appréciation des éléments constitutifs de l'infraction que dans
la détermination de la condamnation.
Il était dès lors nécessaire de compenser ce régime rigoureux en élargissant la notion de contrebande. C'est pourquoi le
Code des douanes a prévu à côté de la contrebande par nature
un système de présomption d'importation ou d'exportation en
contrebande.
�29
A. -
DEUXIÈME PARTIE
PRÉSOMPTIONS D'IMPORTATION
OU D'EXPORTATION EN CONTREBANDE
PRÉSOMPTIONS DE MATÉRIALITÉ
Soucieux d'assu rer une répression efficace, le Code des
douanes a prévu des présomptions visant le transport ou la
détention de certains produits. Mais en raison de la gravité de
l'atteinte ainsi portée aux. principes traditionnels du droit pénal,
et plus préCIsément à la liberté IndIVIduelle, le législateur ne fait
en principe jouer ces présomptions qu'en bordure de la frontière
dans une zone appelée rayon douanier.
Cependant exceptionnellement ces présomptions peuvent
s'étendre sur tout le territoire à l'encontre de certains produits.
1) Dans le rayon douanier
Alors qu'en droit co=un c'est à l'accusation à faire la
preuve complète de la culpabilité du prévenu, le Code des
douanes renverse le fardeau de la preuve. Il est apparu que
l'Administration serait impuissante à réprimer la fraude si elle
n'avait à sa disposition que les moyens légaux de droit co=un,
compte tenu du fait du caractère particulièrement fugace des
actes de contrebande. Or, la multiplication de tels actes risque
de compromettre l'équilibre économique d'un pays. C'est la
raison pour laqueUe certaines présomptions légales ont été instituées par les textes (1).
Ces présomptions sont de deux sortes. Il s'agit d'u ne part
de présomptions de fraude qui ont pour effet de déduire d'un
fait connu qui par lui-même ne constitue parfois qu'une simple
irrégularité, l'existence d'une infraction particulièrement grave:
(exemple art. 424 3' C.D.).
D'autre part le Code des douanes a prévu des présomptions
de culpabilité qui visent à imputer une infraction à une personne
contre laquelle aucune preuve de participation personnelle à la
fraude n'a cependant été administrée (exemple: art. 392 2' du
Code des douanes qui institue une présomption de culpabilité à
l'encontre de propriétaires des marchandises objets de fraude).
Toutes ces présomptions présentent un caractère irréfragable et
ne peuvent être combattues que par la justification d'un cas de
force majeu re.
(1) L'importance des présomptions est telle en droit douanier qu'aux
termes de la loi du 23 déc. 1964, art. 39 ajoutant un art. 343 bis au code
des douanes. l'autorité judiciaire doit donner au service des douanes toutes
indications qu'eUe peut recueillir de nature à faire présumer une fraude
commise en matière douanière, D . 65, p. 29 .
Avant d'examiner les divers textes édictant des présomptions de contrebande et de préciser la force de la présomption
il importe de définir la notion de rayon douanier.
a) Aux termes de l'art. 43 l'action du service des douanes
s'exerce normalement dans le rayon des douanes. Le rayon
comprend une zone terrestre et une zone maritime. La zone
terrestre s'étend: sur les frontières maritimes entre le littoral et
une ligne tracée à 20 km en deçà du rivage de la mer et des
rives des fleuves, rivières ou canaux affluant à la mer jusqu'au
dernier bureau de douanes situé en amont ainsi que dans un
rayon de 20 km au tour dudit bureau; sur les frontières terrestres,
entre la limite du territoire douanier et une ligne tracée à 20 km
en deçà. Cette distance de 20 km peut être portée pour faciliter
la répression de la fraude à 60 km par des arrêtés du ministre
des finances, que ce dernier n'a pas manqué de prendre de façon
généralisée pour tout le territoire français excepté pour le littoral
atlantique. Les distances sont calculées à vol d'oiseau et sur un
plan parfaitement horizontal (1). Le Code des douanes ne
comporte aucune disposition en ce qui concerne le rayon aérien.
Faut-il dès lors transposer les textes relatifs au rayon terrestre
et maritime ou considérer qu'aucune limite n'est posée en la
matière et que l'administration des douanes pourra intercepter
tout avion? L a jurisprudence ne s'est pas encore prononcée sur
ce point.
b) L e Code des douanes prévoit 3 hypothèses où la présomption pourra librement jouer à l'égard de marchandises de
la catégorie de ceUes qui sont prohibées ou fortement taxées.
(1) Casso civ., 28 juillet 1806, , . O. 6.2.731.
�30
31
Il s'agit de la circulation irrégulière de marchandises, de
la détention irrégulière de marchandises, enfin d'infraction à la
police des zones de compte ouvert.
AUJ< termes de l'art. 197 les marchandises ne peuvent circuler librement dans la wne terrestre du rayon sans être accompagnées de factures ou de quittances justifiant soit de l'acquittement des droits de douane, soit de la provenance des dites
marchandises du territoire douanier. Si un transporteur venant
de l' intérieur du pays rentre dans la zone du rayon il devra
conduire a marchandise au bureau de douanes le plus proche.
S'il méconnaît cette exigence sa circulation ultérieure risque
d'être considérée comme une tentative d'exportation frauduleuse
de la marchandise (art. 417, 418 C. D.). Bien que le sens de sa
circulation soit inverse la situation sera identique pour la marchandise transportée de la zone du rayo n dans l'intérieur du
pays (art. 199 C.D.).
Dans tous ces cas une justification de la provenance de la
marchandise est exigée pour le moÏ!!dre déplacement entre deux
points du rayon douanier.
C'est ainsi que la cour de cassation a jugé que le fait de
sortir d'un immeuble avec des marchandises non accompagnées
desdites pièces constitue une circulation fraudul euse dans le
rayon, alors même que le déplacement dans la rue n'a eu qu'une
faible durée et que des marchandises ont été ramenées dans ledit
immeuble (l).
Ces dispositions sévères s'appliquent à toutes les marchandises même sorties du circuit commercial ou malgré leur peu de
valeur (2), et s'étendent à tout le rayon douanier. E n revanche
J'art. 206 qui prévoit la détention irrégulière ne joue que si le
dépôt est découvert dans une agglomération de moins de 2 000
habitants. Les villes form ent donc autant d'enclaves exonérées
de cette présomption de contrebande. Mais ces dispositions
apparaissent à d'autres éga rds plus sévères que celles visant la
circulation irrégulière puisque la détention fait présumer l'importation en contrebande lorsqu'une marchandise de la classe de
celles qui sont prohibées ou fortement taxées à l'entrée en France
est. trouvée en dépôt chez un individu qui ne peut produire ni
qUIttance des droits de douane ni facture émanant de personnes
(1) Casso Crim., 8 janvier 1948, Doc. cont. nO 813 .
(2~ Casso Crim., 20 juillet 1949, l .C.P. 54, n , 42; 7 déc. 1945, Doc.
~~. n 759, I .C.P. 46, IV, 14; cf. LE Roy J.·CI., Annexe Fasc. Il , nO 685,
ou sociétés établies à l' inlérieur du pays (a rt. 206 et
418
al. 4) (J) .
art.
D 'autre part la détention peut être considérée
com_~
.
d'
.
f
tattve
exportatton rauduleuse (art 206 al 2 ) '
.
. .
. . . .
,SI certames
condttlons sont remphes. 11 dott s'agir:
1) de stocks de marchandises. autres que du cru d
..
u pays "
2) de ma rc hand tses prohtbées ou fortement taxées
3) de stocks non justifiés par les besoins nor~aux d
l'exploitation ou dont l'importance excède manifestem t i C
. d l'
. .
..
en es
besotnS e approvlSlonnement famtlial apprécié selon les usa es
locaux .
g
A côté de la circulation
ou de la détention irrégulière
.
dans le rayon d ouaDJe~, le Code des douanes qualifie faits de
contrebande les tofraclions à la police des zones des comptes
ouvert~. L a formaltté du compte ouvert consiste dans l'obligation
troposee à certatoes personnes demeurant à proximité immédiate
des frontières terrestres de faire inscrire et parfois radier sur les
registres tenus à cet effet dans les bureaux de douanes des
marchandises de catégories déterminées dont elles devienne~t ou
cessent d'être détenlrices. 11 existe actuellement 3 sortes de
comptes ouverts.
Tout d'abord le compte ouvert des marchandises en magasin . Tout commerçant situé dans la Wne de 2 km 5 des frontières terrestres est tenu de faire inscrire au bureau de douanes
les marchandises qu'il reçoit en magasin. La raison d'être de
cette exigence est de prévenir l'écoulement de produits importés
en fraude dont la détention serait sans cette précaution couverte
par des justifications d'origine afférentes en réalité à des produits
similaires déjà vendus. C'était le même souci qui a animé le
législateur jusqu'en 1943 à propos des comptes ouverts du bétail.
Mais depuis cette date (loi et décret du Il août 1943) les
préoccupations du Code des douanes sont plus larges puisque la
police du compte ouvert des animaux a pour objet aussi bien de
réprimer les importations frauduleuses de bétail que de prévenir
les exportations frauduleuses d'animaux en assujetissant à une
réglementation stricte leurs détenteurs.
(1 ) La distinction entre les marchandises prohibées ou fortement
taxées et celles qui ne le sont pas est d'ailleurs toute théorique actuellement. En effet, depuis un décret du 30 novembre 1944 toujours en
vigueur, toutes les marchandises sont prohibées, tant à l'entrée qu'à
la sortie (sous rése rve d'auto risation d'importation ou d'exportation pour
certaines march andises, accord ées sur demande expresse).
Depuis ce décret tout acte de contrebande est un délit e l il n'y a plus
de contrebande contr8ventionnelle .
�32
Ces 3 hypothèses prévues par le Code des douanes permettent de couvrir l'ensemble des infractions susceptibles de se
produire aux abords de la frontière. Toutes trois présentent un
point commun: la présomption de contrebande. Que faut-il
entendre par là? Quelle est la force de cette présomption ?
Le gros avantage que présente ceUe présomption pour
l'administration des douanes est évident. E Ue n'a pas à prouver
que la marchandise est étrangère et est entrée irrégulièrement
en France, ou inversement que la marchandise française s'apprête
à passer clandestinement à l'étranger. li y a lieu de souligner
l'élargissement du champ d'application de la présomption. Avant
1948 en elfet, les présomptions léga les de contrebande n'existaient que pour l'importation (a ncien art. 600). La lo i du J 7
aoû t J 9-l8 consacrant une jurisprudence de la Cour suprême (1)
a décidé que la présomption était applicable aussi bien aux
importations qu'aux exportations. Désormais le seul fait matérie l
de la circulation, de la détention ou d'une infraction à la police
des zo nes de comptes ouverts suffit à faire présumer la fraude
(arl. 418 C. D.). Les tribunaux ne peuvent acquitter au bénéfice
du doute sous le prétexte qu'il n'est pas certain que tel produit
a franch i ou va franchir la frontière dans un sens ou dans
l'autre. Ils ne peuvent reprocher à la douane de ne pas avoir
apporté cette preuve: elle n'a pas à le faire. Cependant cette
présomption matérielle laisse-t-elle l'individu inculpé de contrebande complètement désarmé? En droit il le semble bien. E n
effet la jurisprudence considère qu'il s'agit là d'une présomption
irréfragable. Le prévenu ne peut se défendre en prouvant sa
bonne foi, même si elle semble indiscutable, par exemple qua nd
il a été autorisé par une Administration (2). De même le fait
qu'une marchandise ait été importée en franchise pa r l'armée
britannique en 1940 ne suffit pas à exonérer le prévenu (3).
Bien plus, la Cour suprême décide depuis fort longtemps que
l'irrégularité de la situation due à une erreur ou à une faute de
l'Administration des douanes elle-même ne saurait constituer un
fait susceptible d'exonérer le prévenu de la présomption pesant
sur lui (4). L'inculpé ne dispose que d'un seul moyen de défense,
prouver qu'il s'est trouvé dans un cas de force majeure. Cela
s ~PP?se . u~ fait présentant un caractère d'imprévisibilité et
d m eslstlbillte tel que le prévenu n'a pu se soustraire et s'est
(1) Casso Crim., 22 mars 1946, Doc. Coni. n " 772.
(2) Crim ., 2/3 / 50, Doc. Conl. n" 123.
(3) Crim. 117/ 43, Doc. conl. n" 709.
(4) Casso Crim., 4/ 10/ 1810, Doc. jur 0 " 134. C. A. Sarrebruck;
28/ 11 / 50. D. 51, Som. 56.
33
trou~é da ns l'impossibilité absolue de ne pas commettre l'infracllon.
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que rarement que la volonté du prévenu ait pu être t t 1
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Hrc raga e qUi p se su.r tout prévenu est très dure et que d'autre
part elle porte un sén eux coup aux respects des droits d 1
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aIS on peut se demander si en fait ces dispositio
sévères sont systématiquement appliquées par l'Administratio~s
li n.e le sembl ~ pas. E n elfet on a fait observer que si l'adminitratlon eXigeaIt le respect stnct de cette réglementation toute
vie ma~ériell e ?evien~rait rapidement impossible (3). La pratique
douaruere révele qu elle subordonne l'application de l'art. 206
pa r exempl e, à des indices ou des commencements de preuve.
Toutes les fois qu 'elle. le pourra l'administration préférera prouver le passage c1andesttn au moyen des preuves du droit commun.
Ce n'est qu'en dernier recours qu'elle fera appel aux présomptions léga les si la matérialité du fait répréhensible n'a pu
être établie par ses soins (4). Mais il ne s'agit là que d'un e pratique de l'Administration des douanes.
Les textes demeurent dans toute leur vigueur. Seul le franchissement du rayon douanier peut em pêcher le jeu de la présomption. Il incombera a lors à la Douane de prouver que la
marchandise est étrangère, qu'elle a franchi la fro ntière en fraude,
et que cette introduction a été réalisée depuis un temps non
prescrit. Ensemble de preuves fort difficiles à réunir. C'est pour
éviter cette difficulté que le Code des douanes a de façon exceptionnelle édicté une présomption s'étendant à tout le territoire
national à l'encontre de certaines marchandises.
2) Hors du rayon douanier
L'expérience a révélé que l'immunité de détention dont
jouissent dans le rayon douanier les agglomérations de 2000 habitan ts et le perfectionnement des moyens de fraude ne permet-
( 1) T . C. VALOGNES, 29 / 8/ 47, D. 47, Som. 36, Crim., 29/3 / 1853.
(2) Crim., 18/ 1/1902, S. 1903·1·247.
(3) BEQUET, La COIlI,~ba1lde, p. 115.
(4) BEQUET, La COIl/rebaflde, p. 11 7.
�35
34
taient pas une répression efficace. Mais il ne pouvait être question
d'étendre purement et simplement les règles de la police du rayon
douanier à tout le territoire sans crainte de porter une trop
lourde atteinte aux intérêts individuels. C'est pourquoi l'art. 2 15
du Code des douanes a limité la présomption de contrebande à
certaines catégories de marchandises qui alimentent le plus la
contrebande (1) et dont quelques-unes présentent un danger réel
pour l'individu et la société (2). La liste est fix ée par arrêté (3).
Ces marchandises peuvent se diviser en deux gro upes.
Le premier comprend des marchandises soumises de façon
absolue à l'art. 215 quelle que puisse être leur affectation (armes,
stupéfiants par exemple). Le législateur a considéré que ces
articles présentent des dangers divers à la fois pour la société et
l'utilisateur et que ce dernier ne saurait licitement détenir pour
son usage personnel tout au moins sans être nanti d'un document
écrit.
Le second groupe en revanche, comporte des marchandises
qui n'oDt pas ces dangers et qui sont soumises de manière conditionnelle à l'art. 215. Ce texte ne s'appliquera que dans la mesure
où ces marchandises sont destinées au commerce (appareils photo,
montres, etc.). Les agents des douanes disposent de pouvoirs
d'investigation fort larges pour les rechercher et les saisir, même
en procédant à des visites domiciliaires en n'importe quel endroit
du pays. Le détenteur peut être mis en cause même s'il n'est
détenteur qu'à titre précaire des marchandises assujetties à la
justification d'origine (4) .
Le détenteur devra présenter soit des quittances attestant
une importation régulière, soit des factures d'achat su r territoire
douanier. La Cour de Cassation est très stricte. Ainsi il a été
jugé que ne pouvait être considéré comme un cas de force majeure l'absence de justification d'origine résultant de l'impossibilité
morale pour un réparateur de demander des justifications d 'origine à ses clients (5).
Cette rigueur de la législation et de la jurisprudence ont été
cependant attén uées par une décision administrative en d ate du
23 juillet 1948. Il résulte en effet de ce dernier qu'en ce qui
concerne un appareil photo d'origine étrangère, réservé à l'usage
p~rsonn el, son détenteur n'est jamais astreint à en justifier l'origme. Il est pOSSIble d'étendre la portée de cette décision aux
Tapis, perles fines, appareil s radio.
Poudres, explosifs, stupéfiants.
AClueliemenl arrêlé du 1" .0Gt 1956, J. O. 1" .0Û I 1956.
Casso Crim., 13 nov. 1947, Doc. cunl. n° 888.
(S) Crime 8 .0QI 1949, Doc. Conl. n" 899.
(1)
(2)
(3)
(4)
autres marchandises soumises à l'art. 2 15 d'une manière conditionnelle (1). li reste malgré cette atténuation que ce système de
présomption est très sévère et qu'il sera malaisé en particulier
de se défendre. Le procès-verbal de saisie s'il a été rédigé par
2 douaniers fai t foi , jusqu'à inscription de faux en ce qui concerne
la constatation matérielle des faits constitutifs de l'infraction
(art. 377 du Code des douanes). Il est donc très difficilement attaquable. Le prévenu devra prouver que les douaniers ont commis
un faux intellectuel. Cette preuve présente un caractère si périlleu x
qu'elle n'est pratiquement pas employée.
E t pourtant, cette sévérité du Code des douanes se justifie
d'autant plus que dans de nombreux cas des individus participent
au délit sans être en contact avec la marchandise. Les gros
trafics sont l'œuvre d'importantes organisations souvent financées
par des commanditaires qui restent étrangers aux actes directs de
fraude. Certes les règles de la complicité du droit commun (art. 59
et 60 du C. D .) sont applicables en droit douanier. Mais elles
sont apparues insuffisantes. Aussi le Code des douanes a-t-il
prévu une modalité spéciale de complicité c L'intérêt à la
fraude >. L'art. 399 prévoit que c sont passibles des mêmes
peines que les auteurs de l'infraction ceux qui ont participé d'u,ne
manière quelconque à un délit de contrebande >, ou à un deht
d 'importation ou d'exportation sans déclaration.
Ledit article répute intéressés
a) Les entrepreneu rs, membres d'entreprise, assu reurs, assu-
rés, bailleurs de fonds , propriétaires de marchandises, et en générai ceux qui ont un intérêt direct à la fraude .
b) Ceux qui ont coopéré d'une manière quelcon~ue. à. un
ensemble d'actes accomplis par un certain nombre d mdlVldus
agissant de concert d'après un plan de fraude arrêté en commun
.
pour assurer le résultat poursuivi.
c) Ceux qui ont sciemment, ~oit couvert les a!l'ssemen~
des fraudeurs ou tenté de leur procurer l'impunité, SOIt achete
ou détenu, même en dehors du rayon, des marchandis,es provenan t d'un délit de contrebande ou d'importation sans declarahon.
La formulation de ce texte soulève des difficultés d' interprétation . Ainsi par exemple, l'expression c sont répu:é~ ,intér~
sés > tendrait à conclure à une présomption de compliCIte. MaIS,
eo r~vancbe, les termes c ceux qui ont sciemmen~ ~ ~e s upp~seDt
ils pas la preuve de l'intention coupable? QUOlqu ,il .. ~ SOIt, ce
qu'il y a de certain, et c'est ce qu'il faut souligner, 1alm~a C permet de reteni r comme complices des personnes qUI IOlllalement
(1)
NAZARIO, op. cit .•
ll , nO 1239.
�37
36
n'avaient pas participé à l'infraction . C'est un cas de complicité
a posteriori tout à fait original, depuis que l~ 10. du 22 mal 191 5
a érigé le recel en délit distincl. C'est une fOIs de .plus faire apparaître le particularisme de la législation douaDlère.
li s'agit de la commission d'.ctes matériels. Il en va de
même pour le b) de l'article 399 C. D. puisque ce texte vise la
coo pération à un ensemble d'actes.
En revanche le a) ne nous paraît plus viser une pa rticipation
matérielle de complicité à l'acte principal, mais plutôt une responsabilité morale. C'est là une deuxième originalité de cette
forme de complicité édictée par l'arl. 399. Mais alors, nous ne
sommes plus en présence d'une présomption de matérialité de
l'infraction, mais plutôt d'une présomption de res ponsabilité.
B. -
PRÉSOMPTtON DE RESPONSAB tLl TÉ
Edicter une présomption de matérialité n'aurait qu'un effet
relatif si elle ne se doublait pas d'une pré omption de responsabilité. En effet, le prévenu d'un fait quelconque de contrebande
ne reconnaît pas toujours avoir commis lui-même les actes matériels de circulation et de détention de ma rchandises. Il pourra
prétendre pa r exemple que ces dernières ont été placées à son
insu dans son véhicule.
En droit co=un il importerait à l'accusation de prouver
le contraire pour que le prévenu soit condamné. En matière de
contrebande la douane serait désarmée si elle devait faire la
preuve de la participation personnelle des prévenus, chaque fois
qu'eUe découvre des marchandises en situation irrégulière; les
prévenus ne manqueraient pas de prétendre qu'ils ignorent
totalement la présence de l'objet incriminé à bord de leur véhicule, par exemple.
C'est la raison pour laquelle le code des douanes a édicté
une présomption de responsabilité. Cette présomption nous
semble déjà apparaître dans le cas de l'art. 399, qui prévoit que
e sont réputés intéressés ceux qui ont participé d'une manière
quelconque • . EUe ressort avec évidence de l'art. 392 q ui décide
que • le détenteur de la marchandise de fraud e est réputé responsable de la fraude •.
A la vérité il ne faudrait pas se méprendre sur la signification
de cette dernière formule.
En effet ce texte pourrait faire penser que cette présomption
ne concerne que cet élément de l'imputabilité pénale et laisse de
côté l'imputabilité matérielle. Or, il est pourtant admis que cette
présomption permet à l'accusation de ne pas prouver la participation personnelle du prévenu à l'acte matériel de circulation
ou de détention irrégulière. LI s'agit donc aussi bien d'une présomption d'imputabilité matérielle que d'une présomption de
responsabilité ou d'imputabilité morale. Certes, la faute que l'on
présume ici, n'est pas une faute intentionnelle, car la contrebande
comme toute infraction douanière est une infraction matérieUe
où la question de bonne ou de mauvaise foi n'entre pas en ligne
de compte. C'est la faute qui consiste en une imprudence ou une
négligence constituée par un défaut de surveiUance.
L'art. 392 semble donc reconnaître à la fois une présomption
de matérialité et une présomption de responsabilité. Mais il faut
bien reconnaître que son libellé n'est pas clair. Aussi M . Becquet
a-t-il pu proposer la rédaction suivante: • La fraude est imputable matériellement et moralement au détenteur de la marchandise. Il en est présumé responsable et coupable et ne peut se libérer de cette présomption qu'en prouvant un cas de force
majeure . (1).
Cette rédaction aurait le mérite d'éviter de regrettables
confusions dans l'interprétation des textes du code des douanes.
Il est d'ailleurs significatif que la majorité de la doctrine et de la
jurisprudence différencie mal ces pré.somptions. Pourtant, elles. ne
doivent pas être confondues. Cela est si vrai que la présompt.on
de l'a rticle 392 du code des douanes pourra s'appliquer dans des
hypothèses où les présomptions de la, matérialité de l'~fra~tion
ne sauraient jouer. En effet, ces derrueres ne pourront etre IOVOquées que lorsque la marchandise aura été tro~vée circ~lant
ou détenue dans le rayon douanier dans les cond.hons prevues
par les arl. 418 et 216 C. D. ou hors du rayon douanier dans les
hypothèses prévues par l'a rI. 215 C. D. Si ces cond.hons ne sont
pas remplies, la douane devra prouver que la. ,marchandISe est
étrangère et a fr anchi clandestinement la. fronhere ou que française eUe s'apprête à la franchu. MaIS SI la preuve ~n est rapportée, l'article 392 continuera à jouer contre . l~ detenteur de
la marchandise. Cette présomption de responsabil.t~ ne se. confond
donc pas avec la présom ption de matérialité de l'LOfrachon PUI Sque précisément elle peut s'appliquer à des moments où cette
dernière a cessé d'exister.
Ces deux catégories de présomptions sont donc situées
sur des plans différents.
(1) BEQUET, op. cil., p. 137.
�Quelques considérations
sur la notion
de contrebande de devises
(1)
pu
A. RAHARINARIVONIRINA
Diplô mé d 'Écu d es supéri e ures d e droi t prh'i ct d e: Sciences c rjUlinel1e~
Licen c ié h·Le llres
(1) Le prése nt article était rédigé lors de l'intervention de la loi
nO 66.1008 du 28 décembre 1966 qui a rétabli la liberté des relations
financières entre la France et l'étranger et a, en conséquence, abrogé
pour J'avenir les textes rel atifs aux infractions à la législation des
cbanges. li n'e n conserve pas moins un intérêt pratique éventuel, l'ani·
cie 3 de ladite loi permett ant au Gouverneme nt de rétablir certaines
modalités du contrôle des changes pOUf assurer la défense des intérêts
nationaux et l'article 5 définissant les pénalités applicables en cette
hypothèse.
�40
41
mique propre à chaque pays, En France, par exemple, la réglementation des changes n'est appar ue qu'à une époque très récente,
« L'argent, dit-on, est le nerf de la guerre >, et l'on devrait
affirmer avec certitude qu'il est aussi le nerf moteur de toute
économie moderne car une économje, saDS l'argent, sans la monnaie, resterait au stade primitif du système de troc, Cependant,
l'importance de la monnaie ne réside pas seu lement en ce qu 'elle
constitue l'intermédiaire nécessaire et universel qui permet les
échanges de biens, mais aussi et peut-être surtout en ce que la
valeur qu'on lui attachait à l'origine, artificiellement et de l'extérieur, - simplement en vue des échanges de biens et la monnaie
n'étant que l'étalon de mesure de comparaison entre ces biens cette valeur, on finit en quelque sorte par la considérer comme
inhérente à la monnaie elle même, C'est ce qui s'est passé dès
le moment où l'on a décidé d'utiliser les choses rares (pierres
et métaux précieux) comme mesure de comparaison, Aussi , la
monnaie a-t-elle vite dépassé la situation d'intermédiaire qu'on lui
a assignée primitivement et finit-elle par acquérir une valeur
propre et absolue et non plus relative aux biens qu'elle représente, L'argent est donc devenu un bien en soi et même on peut
dire qu'il est considéré comme le bien par excellence, Et l'on
comprend aisément que d'une pa rt et de tout temps, la monn aie
fasse parfois, sinon souvent, l'objet de spéculations scandaleuses
et d'insatiables avidités de la part de certai ns, et que d'autre part,
l'émission et la circulation de la monnaie ait toujours été sous le
contrôle sévère de l'Etat.
Mais du point de vue des échanges internationaux, la circulation de la monnaie semble avoir toujours été sous un régime
très libéral, Cela tient à ce que pendant longtemps, les Etats
ont gardé une attitude de neutralité à l'égard des activités économiques de leurs ressortissants, se contentant de sauvegarder les
droits qui leur reviennent. C'est ainsi qu'en son sens original, le
mot « douane > et l'expression « droit de douane > étaient dénués
de, toute préoccupation de politique économique et exprimaient
uruquement les impôts et les taxes que l'Flat percevait SUI les
lDlportatlOns et exportations de biens, Quant à la monnaie en
tant ,!ue moyen d'échange, elle passait et repassait libremen; les
fronlIeres, Cette liberté de circulation vient sans doute de ce
qu'au début et pendant longtemps, les monnaies des différents
pays ont eu l'or comme étalon commun; d'où la comparaison était
fa:ile à faire sans que des réglementations internationales soient
necessaires, Cela évitait, par ailleurs, les risques d'effondrement
de cours et de dévaluation dus aux variations de la santé écono-
Les crises de guerre entre les pays sont certainement l' un
des facteurs essentiels qui ont provoqué l'apparition des réglementations en matière de circulation monétaire, de même qu'en
matière d'importation et d'exportation de biens dans le commerce international. En effet, on s'accorde à croire que le
régime libéral est la règle dans la politique économique et que
les interventions de l'Etat dans les relations commerci ales des
pays entre eux sont simplement des exceptions limitées à la fois
dans l'espace et dans le temps, Ces interventions se révèlent
comme les conséquences plus ou moins directes des crises internes
ou internationales, Elles se relâchent ou même disparaissent dès
que les crises s'atténuent ou sont totalement surmontées, Cette
succession d'apparition) d'attéouation et de disparition caractérise
d'ailleurs les législations économiques en général, Elles ne sont
nécessaires que lorsque les intérêts économiques internes sont
menacés pendant ou à la suite des crises qui se sont manifestées,
Déjà sous le Premier Empire, qui fut une longue période
de guerres incessantes, s'est ébauché un embryon de réglementation à caractère écono mique concernant la circulation monétaire, L'article 17 du Code des monnaies (DecI. du 11 mai 1807)
interdit l'introduction en France de monnaies de cuivre et de
billon de fabrication étrangère, ces monnaies étant considérées
comme des marchandises prohibées à l'entrée du territoire français, Mais ce sont les deux grandes guerres de 1914-191 8 et de
1939-1945 qui sont à l'origine de toute une floraison de réglementatio ns sévères soumettant la circulation de la monnaie à un
contrôle rigoureux, La guerre a créé entre les pays, belligérants
ou non un déséquilibre tel qu'à la fin des hostilités, chaque pays
s'est v~ dans la nécessité de restreindre ou même d'interdire l'importation et l'exportation de certains biens, li fallait évidemment
que les biens de p~emière nécessité restent à l:intéri,eur du pays
et aussi que certams prodUIts de luxe ou d utiltte secondatre
n'envahissent pas le marché national risquant d'entraîner des
dépenses inutiles à un moment où l'argent était rare: On VOIt
donc que les réglementations restricti ves ou prohIbItIves atteIgnaient en premier lieu et essentiellement les marchandIses,
Toutefois, les réglementations ont aussi attemt la circulation
de la monnaie et cela pour trois raisons, Tout d'abord, la
restriction et l,interdiction de certaines importations a eu cette
conséquence indirecte de limiter ou de prohiber la sortie de la
monnaie nationale en tant que moyen d'échange, Ensuite, en
�42
tant que bien en soi, la monnaie (or, capitaux, devises, valeurs
mobilières) devait rester à l'intérieur du pays et y être investie
en vue du redressement de l'économie nationale (Cf: Decr. du
3 juillet 1915 prohibant la sortie de l'or; loi du 15 nov. 1915
étendant cette prohibition aux monnaies de nickel, de cuivre
et de billon; loi du 3 avril 1918 en interdisant l'exportation hors
de France). Enfin, la monnaie a perdu de sa valeur absolue disparition du système de l'étalon-or - pour ne devenir que le
signe du degré d'évolution économique du pays qui l'émet. D'où
la naissance de la notion de devises et la distinction entre monnaies fortes et monnaies faibles. Les devises ou les monnaies
fortes étant naturellement les plus recherchées, les Etats avaient
tendance à obliger leurs ressortissants exportateurs à n'accepter
en règlement de leurs exportations que des devises ou des monnaies fortes. Et plus, ils les contraignaient à rapatrier immédiatement les produits de leurs ventes à l'étranger (l).
La paix une fois revenue, et l'économie du pays étant en
bonne situation, toutes ces mesures qui entravaient la liberté
du commerce international ont été abrogées (loi du 25 juin
1928). Ce fut de nouveau le triomphe du régime libéral en
matière d'importation, d'exportation et de change. La Seconde
Guerre mondiale marqua le retour de graves problèmes économiques et financiers (pénurie de 'llarchandises et de devises).
De nouveau, la nécessité de protéger l'économie intérieure de
chaque pays mit les Etats dans l'obligation de prendre de nouvelles mesures en matière de commerce international. C'est ainsi
que pour la France, toute une série de réglementations draconiennes, sanctionnées par des peines très sévères - amende
de 1,5 million à 300 millions de francs (anciens) et (ou) emprisonnement de un mois à cinq ans - fut instituée à partir de 1939
(Decr.-loi du 9 sept. 1939; decr.-Iois des 2 janv. et 24 avril 1940·
loi du 15 avr. 1942; Ordo 30 mai 1945 et loi du 21 mars 1947 '
etc.) (2).
'
Ces mesures concernaient principalement les exportations
de capitaux, leur but essentiel étant d'interdire la sortie des capita~ et de l'or ho~s du territoire français et d'empêcher que les
deVISes et monnaies étrangères n'inondent le marché financier
national risquant de donner libre cours à des spéculations illicites.
On peut penser que ces mesures auraient dO disparaître
quelques années après la fin des hostilités. Mais l'Etat a pris
(1) V. La cOlllrebande de devises, M. Pascal Martin DELBEZ. Ass.
H. CAPrrAJ<r, 1959-1960.
(2) V. Droil pbw/ Spécial. ROUSSELET et PATIN, ch . IV. n° 59 et s.
43
conscience du fait que l'interventionnisme n'est pas seulement
utile en temps de guerre et qu'en réalité il est un moyen propre
à accélérer la reconstruction et le développement de l'économie
nationale. C'est pour cela que la plupart des réglementations élaborées entre le début et la fin de !a Seconde Guerre mondiale
sont encore actuellement en vigueur. Par ailleurs, si d'une part,
le régime des importations et des exportations a eu tendance à
se normaliser ( 1), d'autre part, la disparité et la fluctuation du
cours des unités monétaires - occasion, encore une fois de spéculations abusives - incita l'Etat à continuer le contrôle auquel
il avait soumis la circulation des capitaux et les opérations de
change. En réalité, on s'aperçoit facilement qu'entre la circulation
des capitaux et les opérations de change d'un côté, les importations et exportations de marchandises de l'autre, il y a des liens
étroits, d'où inévitablement, les réglementations qui limitent les
unes ont pour conséquence directe de restreindre les autres.
Ainsi par exemple, pour assurer un contrôle efficace des opérations de change, on a inventé les licences d'exportation (remplacées par la suite par des décla rations d'exportation ou engagements de change); l'exportateur prend l'engagement de rapatrier
les produits en devises de ses exportations. De cette manière, non
seulement l'Etat s'assure de la rentrée des devises à l'intérieur du
pays, mais aussi, par le biais des licences ou des engagements
de change, il contrôle la circulation des marchandises, refusant ou
accordant les licences suivant la nature, la qualité et la quantité
de ces marchandises. Le même procédé en matière d'importation freine non seulement l'écoulement de produits étrangers sur
le marché national mais aussi et surtout jugule la fuite des capitaux et des devises vers l'étranger.
De cela, il apparaît que le plus grand souci de l'Etat, dans
son intervention au point de vue du commerce international et
par le truchement du contrôle des changes, est de surveiller
étroitement la circulation de la monnaie; en quelque sorte, cela
aboutit à canaliser la sortie et la rentrée des monnaies et devises
vers une porte étroite; d'où la création d'un Fonds de stabilisation des changes auquel tout exportateur doit céder les devises
qu'il a acquis à l'étranger et qui, en revanche, distribue !es devises
nécessaires aux importations de marchandISes étrangeres.
Cependant, il faut remarquer que la circulation monétaire
n'est pas nécessairement liée à la circulation des marchandlses:
Nous avons dit plus haut que la monnaie constitue un bien en SOI
indépendamment des échanges de marchandises pour lesquels elle
(1) Cf.: la libération de certains produits au sein de l'O.E.C.E.
�45
44
est l'intermédiaire néces ai re. E lle peut donc être elle-même
l'objet d'échanges et de transactions divers. JI en est de même des
devises, d'autant plus que la disparité et la fluctuation de leur
cour.; dans l'espace et dans le temp offrent de possibilités quasiillimitées de spéculations de toutes sortes, et cela en dehors de
tout acte d'importation et d'exportation de ma rchandises. D'où
l'on comprend que si la manipulation de la monnaie nationale
est entièrement libre à l'intérieur du territoire (compte tenu bien
entendu des réglementations concern ant le prêt, etc.), il ne peut
pas en être de même lorsqu'il s'agit de devises étrangères. D'une
part, il existe un marché des changes très organisé sur leq uel
les devises étrangères peuvent être traitées; et n'importe qui ne
peut avoir accès à ce marcbé. Quiconque veut y acquérir ou y
céder de devises doit recourir au service de certains intermédiaires qui, seuls, peuve nt y opérer D'autre part, les devises, ne
peuvent pas passer et repasser librement les frontières. Le contrôle de la circulation des devises n~ porte pas seulement sur les
mouvements de fonds en vue de l'exportation et de l'importation
des marchandises mais aussi sur les transferts maté riels de devises
passant par les frontières en dehors de toute relation commerciale.
D'où la notion de contrebande de ,jevises qui désigne le fai t de
faire franchir irrégulièrement la frontière à des devises étrangères, à l'instar de la notion de contrebande tout court qui
consiste en un franchissement frauduleux de la frontière par des
marchandises d'importation ou d'exportation. On se demande
alors si la notion de contrebande de devises n'est pas seulement
une extension pratique de la notion de contrebande, infraction
incriminée et sanctionnée par le droit douanier, à des objets pa rticuliers que sont les devises. Notre propos est de reche rcber la
solution de ce problème dans la loi et dans la pratique jurisprudentielle : L'intérêt de la question que nous avons à examiner
se trouve dans ce que, comme nous l'avons vu, les devises et la
monnaie en général sont régies par des textes législatifs et réglementaires particulier.; quant à leur manip ulation et leur circulation . Ces textes, déjà sévères en eux-mêmes, ne suffiraient-ils pas
pour prévenir et réprimer efficacement les infractions monétaires
et les infractions de change, sans qu'on ait recours à une notion
qui est propre au droit douanier ? Dans quelle mesure la contrebande de devises conserve-t-elle des particularités issues de la
réglementation des changes et qui pourraient la distinguer de la
contrebande de marchandises prévue par le Code des Douanes?
On remarquera que ce problème n'est pas particulier à la contrebande de devises et qu'il peut se poser à propos d'autres infractIons telles qu'exportation matérielle de capitaux (en monnaie
nationale), importation et exportations d'or, de valeurs mobilières,
etc. Mais dans le développement qui suit, nous nous limiterons à
l'étude de la contrebande de devises, d'abord sur un plan plus ou
moins théo rique, pour essayer de définir ce qu'est la contrebande
de devises et ensuite sur le plan purement pratique pour chercher
ce qui caractérise celle infraction du point de vue de la poursuite
et de la répression .
1. -
L A NOTION DE CONTREBANDE DE DEVISES
La notion de contrebande est une notion très large. Selon
['article 417 du Code des Douanes, sont considérés comme faits
de contrebande • les importations ou exportations en dehors des
bureaux ainsi que toute violation des dispositions légales ou
réglementaires relatives à la détention et au transport des m.archandises à l'intérieur du territoire douanier •. Cette déflmtlon
est très large tant sur le plan des .ctes incriminés qu'en ce qui
concerne ['objet de l'infraction. Peut-on alors expliquer la notion
de contrebande de devises à partir de celle définition donnée par
l'article 417 du Code des Douanes? Il est tout d'abord important d'examiner si véritablement les devises peuvent constituer
des objets de contrebande avant de se demander quels sont les
faits qui doivent être considérés comme des contrebandes de
devises .. .
A) L'objet de la contrebande de devises.
L'article 417 du Code des Douanes vise les marchandises.
Mais la rigueur du contrôle douanier est teUe que ~e qu'on ~ntend
par « marchandises . ne désigne pas seulement 1objet qUI pe~t
se vendre ou s'acheter dans le commerce de gros ou de detall.
Un voyageur honnête et de bonne foi, ~ais"peu au c?urant du
droit douanier trouvera toujours exagére qu a la tronllere on lUI
pose des ques;ions embarassantes, ou même qu'on lui dresse un
procès-verbal sur certains objets qu'il transporte et qUI sont d:~
tinés à son usage personnel. C'est que, co~me le dIt M. BEQU ,
• aux yeux de la douane, toute chose matenelle est une marchandise et par conséquent peut faire l'objet d'un procès-verbal , de
contrebande . (1). Il est curieux de constater qu'en cette mallere,
le sens technique du terme est beaucoup plus extensif que son
t C 11 dOI't s'entendre de l'universalité des choses
sens CQuran.
(1) BEQUET, La Contrebande, 1959.
�46
susceptibles de transmIsSIon et d'appropration individuelles, de
tous les objets de nature commerciale 011 nOn qui sont destinés
1\ franchir la frontière conomique > (1). R etenons donc que
toute cbose matérielle, quelle qu'en soit la nature, est une ma rchandise pouvant faire l'objet d'une contrebande. Et naturellement, dans la logique de la législation douanière, soutenue par la
jurisprudence, les devises doivent être incluses dans la catégorie
des marchandises. li n'est d'ailleurs pas besoin de recourir au
sens technique et juridique du mot « marcbandise > pour que les
devises tombent sous le contrôle de la douane. Nous avons déjà
signalé le fait qu'en elle-mêmes, les devises peuvent être négociées
sur un marché spécial qui est le marché des cha nges. Economiquement donc, les devises sont des marcbandises, étant donné
qu 'elles se vendent et s'achètent. Et ici, le sens technico-économique du tenne rejoint son sens commun.
Sur ce point, il n'y a donc pas de difficulté; nous allons
d'ailleurs voir que le législateur, comme dans le hut de justifier
légalement cette idée assimilant les devises aux marchandises, a
signifié dans un Arrêté du 15 juillet 1947 (2) que le Service des
Douanes est chargé de contrôler le transport matériel de devises
par les voyageurs qui francbissent la frontière (art. 5 et 6).
Remarquons que ce texte ne parle pas des « devises> d 'une
manière explicite mais des « matières d'or, des valeurs mobilières, des instruments de paiement et des titres de créance ou de
propriété ... > Ce qui nous amène à nous demander ce que sont
les devises et dans quelle mesure l'Arrêté de 1947 entend les
soumettre au contrôle douanier.
L'article 1", 12° de l'Arrêté de 1947 (3) donne une définition des devises, ce sont « les instruments de paiement libellés en
monnaie étrangère ainsi que les avoirs en monnaies étrangères
figurant dans des comptes à vue ou à court terme>. Les devises
sont donc principalement des instruments de paiement ayant
cette particularité d'être libellés en monnaie étrang~re, et en tant
que tels ils sont visés par l'Arrêté du 15 juillet 1947. Par conséquent, elles (les devises) sont bien soumises au contrôle douanier
des cbanges, l'expression « instrume:)t de paiement > ne compor-
(1) BEQUET: op. cil., p. 44.
(2) J. O., 20 juil. 1947, p. 6993, B.L.D., 1947, p. 600.
.c 3). U y a deux arrêtés datés tous les deux du 15 juillet 1947 pris en
:~~~~hOO du Décret du même jour, celui·c i eslle premier: V. S .L.D 47 ,
47
tant pas de distinction entre ceux 'lui sont libellés en monnaie
nationale ct ceux qui le sont en monnaie étrangère ( 1).
L'alinéa 13 du même article précise que sont considérés
comme « instruments de paiement : les pièces de monnaie et
billets ayant cour légal, les chèques, lettres de crédit, traites, effets
de commerce, mand ats-poste et mandats-cartes >. On ne doit
pas considérer cette liste ni comme limitative ni comme exhaustive car l'évolution des relations commerciales a fait et fera encore
apparaître de nouveaux instruments de paiement, et l'on a parfois eu des diff icultés sur la question de savoir si certains d'entre
eux sont ou non des devises.
li ressort de ce que nous avons vu que le critère distinctif
des devises est leu r libellé en monnaie étrang~re. Toutefois, à
propos de certains instruments de paiements récents, on peut
se demander si ce critère est suffisant pour décider si la réglementation des changes leur est applicable.
Le problème s'est souvent posé au sujet des script-dollars.
Le gouvernement des U.S.A. a créé des monnaies spéciales appelées script-dollars destinées à l'usage de ses troupes stationnant
à l'étranger, comme dans les bases militaires américaines se
trou vant en E urope par exemple. Seuls donc, les militaires américains peuvent utiliser ces monnaies spéciales libellées en dollars.
Mais il est arrivé assez souvent qu'on les trouve entre les mains
de certains nationaux français . li s'agit alors pour les tribunaux
de préciser la nature de ces monnaies spéciales pour savoir si le
fait qu'elles sont détenues ou utilisées par des ressortissants
français constitue une infraction aux lois et règlements concernant
les devises.
La Cour d'appel de Poitiers, dans un arrêt du 8 nov.
1955 (2), assimile les script-dollars aux billets de banque étrangers. Il semble donc que le critère du libellé en monnaie étrangère est retenu ; mais après avoir affirmé que les script-dollars
sont des billets de banque, l'arrêt ajoute « ... dès lors que ceUX-CI
peuvent être échangés au moins en partie contre des Francs
par l'intermédiaire d'une banque ~pécialement habilitée à, cet
effet >. Remarquons en effet que l'usage des scnpt-dollars etant
réservé aux seuls militaires américains stationnant en France,
(1) Cette expression d~signe+el1 e aussi ce que la deuxième par~e
de la défi nition des devises, dans l'Arrêté de 1947. entend par c aVOlTS
en monnaie étrangère figurant dans des comptes à vue ou à court term~ :t ?
Certainement, ces avoirs, en tant que tels, constituent des moyc..Ds posslb~es
de paiement, mais il semble que l'article 5 du second arTelé les Vise
spécialement sous la dénomination de titres de crhnce.
(2) Doc. conl., t 9SS, 0 ° 1t88 .
�49
48
on peut supposer qu'un Français qui possède des script-do llars
ne pourrait rien faire avec, du moins pas grand'chose. L'infraction
semble alors impossible, ou plutôt elle ne contient aucune intention repréhensible; d'où la Cour de Poitiers semble suggérer
qu'il faut qu'au moins l'objet de l'infraction (les script-dollars) ait
quelque possibilité d'utilisation, celle d'être échange da os une
banque spécialisée par exemple.
La Cour de cassation rai,onnc d 'une manière différente.
D'une part ( 1), eUe s'en tient au strict cootenu de la loi et déclare
que . les script-dollars qui ne sont pas susceptibles d'autorisation
de l'Office des chaoges da os les condi tions prévues par l'Ordonnance du 30 mai 1945 ne rcotrent pas dans l'énumération des
instruments de paiement .; ils ne seraient donc pas des devises
et par conséquent il n'y a pas d'inflaction possible à leur sujet.
Mais d'autre part, et pour aboutir à une décision en sens contraire, la Chambre criminelle range tout simplement les scriptdollars dans la catégorie des • marchandises prohibées . • lorsqu'ils sont détenus par un ressortissant français qui se propose de
les négocier . (2). Ne se pose même plus ici la question de savoi r
si les script-<Iollars sont des devises ou non et la Cour de cassation détermine leur nature de • marchandises prohibées . en
fonction du fait qu'ils soot déten us par un ressortissant français,
tout en rejoigoant l'idée de la Cour de Poitiers d'une utilisation
possible de l'objet de l'infraction .
On s'est aussi demandé si le chèque de voyage (libellé en
monnaie étrangère) est un billet de banque étrange r. Un avis de
1'0llice des changes, numéro 652, auto risant la détention des
billets de banque étrangers, il s'agissait de savoir si l'on peut
détenir les chèques de voyages au même titre que les billets de
banque. La Cour de cassation définit le chèque de voyage comme
• l'engagement de payer contracté par le banquier émetteur "
et elle l'exclut ainsi de l'exception apportée par l'avis de l'Office
des changes précité pour l'inclure clans la catégorie des devises
qui sont soumises à l'obligation de dépôt chez un intermédiaire
agréé (3).
.
Nous voyons donc que la notion. d'instrument de paiement
libellé en monnaie étrangère. peut être élargie pour comprendre
l'objet d'une infraction. Et quand l'extension de la notion est
techniquement difficile ou impossible, le juge peut avoir recours
à d'autres notions, dont la principale, en notre matière, est celle
(I) Crim., 9 oct. 1958, Doc. cont. n' 1333 .
(2) Crim., 16 oct. 1958, ibid., 0 " 1334.
(3) Crim., 16 ianv. 1963, D. 1963, 1., p. 517, note Despax.
de • marchandise prohibée. . La Chambre criminelle a par
exemple été saisie d'une affaire de contrebande de devises. Or,
on s'est ape rçu que les devises en question étaient fau sses. Les
juges du fond , considérant que ces devises fausses n'avaient
aucune valeur appréciable, ont relaxé le prévenu . Mais la Cour
de cassation a réagi en déclarant que . les dites pièces et devises
bien qu'elles ne fu ssent pas authentiques, constituent des marchandises, dès lors qu'elles étaient destinées à être vendues,
quelque minime que pût êlre leur valeur . (1). Alors, ce qui
importe le plus, ce n'est pas tant l'objet de l'infraction en luimême que l'acte ou éventuellement l'abstention qui constitue
l'infraction .
B) L'infraction de contrebande de
devises
Nulla poena, sine lege; comme en toute matière pénale, c'est
dans la loi qu'il fa ut, avant tout, chercber la nomenelature des
actes incriminés. La loi donne-t-elle la liste des infractions réputées • contrebandes de devises. ? LI ne faut pas oublier que la
contrebande est une infraction douanière, el, comme nous l'avons
vu, en tant que marchandises, les devises se trouvent dans le
champ d'applicalion de la législation douanière, à plus forte
raison lorsq ue les infractions relevées à leur occasion peuvent
être qualifiées comme des actes de contrebande. Or, il se trouve
que les devises, vu leur importance particulière dans l'économie
nationale et intern ationale (2), fonl J'objet d'une réglemenlation
spéciale assortie de sanctions sévères. A la base de cette réglementation se trouve le Décret du 15 juillet 1947 (3) qui vise, non
pas seulement les devises, mais le change en général. Les infractioos qui concernent les devises sont donc, et en vertu même du
principe de la légalité des incriminations, des infractions à la
réglementation des changes. Mais rette réglementation prévoitelle la contrebande de devises?
Le Titre 1" du Décret de 1947 interdit, sauf autorisation
du Ministre des Finances, l'exportation et l'importation matérielles
de tout instrument de paiement et de tout titre de créance ou de
propriété. Ici encore, le texte est général : il comprend implicitement à la fois les instruments de paiement et titres libellés en
( 1) Crim .. 24 juin 1948, S. 1949, l, p. 16 . .
. .
(2) Cf. Les Acco rds de Bretton Woods oot institué une orgamsauon
internationaJe destinée à veill er sur la manipulation des devises par les
différents pays.
(3) J. O. 20 juil. t 947, p. 6987; B.L.D., 1947, p. 589.
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50
monnaie natio nale et ceux libellés en monnaie étrang re. Mais ce
qui retient notre atte.Dti~n c'est , l'ex p~es~ion c importation ~l
exportation sans autonsallon >. L autonsatlon s.uppose la prohIbition (c'est clair dans le texte: « " est mterdlt , sauf autonsatian .). Le Décret fait alors des devises tout sm:plement .~es
objets dont la sortie et l'entrée sont prohIbées (d une maOlÇrc
relative, il est vrai, puisqu'uoe autorisation peut être obtenue).
On voit par cela même que légalemenr et non pas seu lement loglquemeot, comme oous avons essayé de le montre~ CI-dessus, les
devises reotrent dans la catégorie des marchandIses prohIbées
pr vues par l'article 38 du Code des Douanes, selon lequel
sont « des marchandises prohibées, toutes celles dont l'importation et l'exportation est interdite à quelque titre que ce soit,
ou soumises à des restrictions ... ou à des formalités particulières> .
Le rôle du Décret de 1947 se limite alors à établir l'interdiction
et la nécessité d'une autorisation en matière d'importation et
d'exportation matérielles de devises, attribuan t par conséquent à
ces dernières la nature de marchandises prohibées. Et ceci fait,
l'infraction de contrebande de devises va échapper, quant aux
règles qui déterminent son existence. à la réglementation des
changes pour tomber dans le champ d'action de la législation
douanière. Quand, en effet, peut-on dire qu'il y a contrebande
de devises?
Le titre 1" du Décret de 1947 ne suffit pas pour donner les
éléments constitutifs de l' infraction dite «contreba nde de devises> : il faut se référer au droit douanier.
Ce qui est essentiel dans le fait de contrebande, d'après
l'esprit du Code des Douanes, ce n'est pas l'absence d'autorisation (ni le non accomplissement de certaines form alités particulières), mais « les exportations et importations en dehors
des bureaux, ainsi que toute violation des dispositions légales
ou réglementaires relatives à la détention et au transport des
marchandises à l'intérieur du territoire douanier> (Art. 417) .
En matière de transport ou de transfert matériels de devises,
l'obligation principale (comme en ce qui concerne toute marchandise franchissant la frontière ou se trouvant dans le rayon
douanier) (1) est donc la conduire en douane. Du moment que les
devises sont présentées au bureau des douanes, l'absence d'autorisation d'exportation ou d'importation ne constitue qu'une importation ou exportation sans déclaration au sens de l'article 428
du Code des Douanes (compte tenu de la loi du 2 1 décembre
1961 , complétant l'article 417, qui assimile l'importation et l'ex-
portation sans déclaration à la contrebande « lorsque les marchandises passant par un bureau des douanes sont soustrai tes à
la visi te du service des douanes par dissimulation dans des
cachelles spécialement aménagées ou des cavités ou espaces
vides qui ne sont pas normalement destinés au logement des
ma rchandises». La déclaration des devises en douane est
d'ailleurs obligatoire suiva nt l'article 6 de l'Arrêté du 15 juillet
1947 .
11 en résulte que pratiquement l'infraction de contrebande de
devises, du point de vue de la détermination de ses actes constitutifs, dépend uniquement de la législation et de la jurisprudence relatives a u contrôle douanier des marchandises. C'est ai nsi
que les juges, comme en matière de contrebande tout court, se
fondent uniquement sur la simple matérialité de certains faits,
excluant toute manifestation implicite ou explicite d'intention
de la part de l'auteur de l'acte, pour établir l'existence de l'infraction. Nous avons remarqué qu'au contraire, en matière d'infraction à la réglementation des changes, il y a une certaine tendance
des juges à rechercher une certaine intention coupable, non pas
tant dans l'acte perpétré lui-même que plutôt dans la nature
même de l'objet de l'infraction, et distinguent l'objet utilisable
de celui qui ne peut servir à rien .
La Cour de cassation a jugé que « le fait d'avoir conduit
en automobile l'auteur d'une exportation frauduleuse lors de
l'action et d'avoir vu sur lui les billets de banque (il s'agit de
billets de banque français), objets de l'infraction, constitue le
délit d'intérêt à la contrebande >. Cet arrêt, quoique rendu en
matière d'importation et d'exportation de billets de banque, a une
portée générale et inclut naturellement toutes les infractions
commises contre les réglementations concernant la marupulahon
des devises (1). De même, les présomptions de fraude édictées
par le Code des Douanes en matière de circul~tion et de détention de marchandises sont applicables aux deVIses La Cour de
cassation considère alors que « la détention dans le rayon des
douanes de matières et d'objets dont l'importation, le commerce
et la négociation sont subordonnés à l'autorisation de la Banque
de France.. . tombe sous le coup de la présomption de fraude
édictée par le Code des Douanes (art. 600) > (2) . L~ jurisprudence veille cependant à ce que l'application de ces presomptIOns
de fraude se fasse d'une manière complète et que le reco~rs au
droit douanier ne soit pas un recours partiel vISant à atteindre,
(1) Crim., 18 oct. 1946, I.C.P., 1946, éd. G , p. 102.
(1) V. art. 75, 83, 198, 199 et 205, C. des D.
(2) Crim., 28 mars 1955, Doc. cool. o· 1119.
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52
coûte que coûte, certains faits apparemment irréguliers. C'est
ainsi que pour le tribunal correctionne l de Grasse, • quand des
etrangers ont remis en paiement dans un hôtel des devises étrangères et que l'hôtelier ne s'est pas conformé à la législation des
changes, si en droit la detention de ces devises dans le rayon des
douanes constitue une présomption irréfraga ble de contrebande .. ,
c'est à la condition que cette détention soit constatée en dehors
d'une agglom ration de moin de 2 000 habitants (art. 206) • ( 1).
On sait que le contrôle du service des Douanes n'est pas
seulement et strictement limité à l'espace défini par le rayon
douanier. La rigueur de ce contrôle e t telle que, même en
dehors du rayo n des douanes, la présomption de contrebande
(importation) atteint certaines marchandises se trouvant sur le
territoire douanier. 11 s'agit notamment des pie rres précieuses,
des stupéfiants, des armes, des montres, des appareils de T .S.F.
de photographie ou de cinéma. Ces objets sont réputés avoir été
importés en contrebande lorsqu'on ne peut pas justifier leurs origines et lorsque les documents qui les accompagnent sont faux,
inexacts, incomplets ou inapplicables (art. 2 15 C. des D.) . Et
l'on voit comment Je législateur, soucieux de poursuivre l'acte
de contrebande jusque dans ses derniers retranchements, a étendu
la portée de l'action douanière hors de son rayon de contrô le
habituel. C'est à peu près le phénomène inve rse qu'on observe
en matière de devises et de change en général.
En effet, le législateur a donné, dans le cadre de la réglementation des changes, des règles et des modalités relatives à
la manipulation des devises étrangères. Mais l'on s'aperçoit que
dans cette réglementation, le législateur s'est principalement
préoccupé des devises qui se trouvent déjà sur le territoire français. 11 s'agit avant tout de ne pas les laisser ent re les mains de
n '~porte qui et de contrôler leur utilisation afin de prévenir les
speculations et trafics qui peuvent être nocifs à la stabili té économique et monétaire nationale. C'est ai nsi qu'il existe pour
t?ute pe.rsonne qui P?ssède ou qui détient les devises étrangères,
lobllgatlon de les deposer chez un intermédiaire habilité à cet
effet par le Ministre des Finances (2). De même seuls les
intermédiaires agréés peuvent opérer sur le marché ctes cha nges
et les acqUIsitions de devises sur ce marché ne peuvent être
effectuées qu'avec une autorisation générale ou particulière
( t) Tr. Correct., Grasse, 2 juin 1948, D. t948, Som. p. 32.
(2) JJ ,Y a aUSSI une obligation pou r tout exportateur de marchandises
ou de ~~Yl~S de céder les devises qu'il a acquises à j'étranger au Fonds
de .stabihsatlon des cbanges, moyennant une contre-partie en monnaie
nationale .
donnée par le Ministre des Finances. Il s'agit après de veiller
sur les mouvements de fonds en devises qui se dirigent vers
l'étranger ou vers le marché intérieur. D'où naturellement
l'extension du con trô le des changes en matièr~ de devises d;
l'intérieur du territoire à la zone du rayon douanier, entrainant
une . collaboration étroite entre l'Office des changes (1) et le
ServIce des Douanes. Nous avo ns signalé au début de cette
étude les relations qui existent entre la réglementation des
cbanges et les importations et exportations de marchandises
dans le cadre du commerce international. Ainsi, il appartient
aux servIces des douanes de contrôler la régularité des importations et exportations de marchandises à l'égard de la réglementation des changes (licences, autorisations, engagements de
change, modes de règlement, etc ... ) (3). Cependant, nous avons
dIt que le contrôle douanier s'exerce aussi sur les transferts
matériels de devises. Or, étant donné le développement actuel
du tourisme international qui entraîne un vo lume considérable
d'échange de devises entre les pays, il apparaît que ce contrôle
vise particulièrement les voyageurs qui se rendent à l'étranger
ou qui viennent séjourner en France. L'objet de l'Arrêté du 15
juillet 1947 est d'ailleurs d'assurer l'efficacité de ce contrôle en
l'attribuant au Service des Douanes.
On constate cependant que la sévérité des règles posées
pa r le Décret de 1947 s'atténue au fur et à mesure que le temps
passe et que l'essor économique normalise les relations internationales. La crainte des fuites de capitaux et de l'invasion des
devises étrangères a été résorbée par le désir de favoriser les
échanges touristiques et commerciaux. C'est ainsi que depuis un
avis de l'Office des Changes du 8 février 1952 (3), suivi par
d'autres dans le même sens (4), la portée de l'interdiction d'importer et d'exporter des devises a été atténuée d'une manière
assez considérable. Si , d'une manière générale, en vertu du titre
1" du décret de 1947 l'exportation de devises reste soumise à
l'autorisation du Ministre des Finances, cette restriction est
compensée pa r le fait que l'exportation de pièces de monnaie
(pièces d'or exclues) et de billets de banque français est possible
(1) L'Office des changes a élé supprimé en t959 (Décr. 2t déc. 1959)
et ses attr ibutions ont été répartjes entre la Banque de France et divers
serv ices du Ministère des Finances parmi lesquels se trouve justement le
se rvice des Douanes. V. D. , 1960, L. p. 4.
(2) Avis n' 483, J. O., 4 ianv. 195 1.
(3) Avis n' 526, J. 0.,8 fév. 1958, p. 1066.
(4) V. not ammen t : Avis du Minist. Financ., n° 750, J. O., 21 déc.
1962, p. t2439 el Avis n' 769, tO avril t964, B.L.D., t964, p. 225.
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sans autorisation jusqu'à un montant de 1 000 F. (1) . Par ailleurs,
l'importation de pièce de monnaie (pièce~ d 'or exclues) et. de
biUets de banque étrang<rs est entièrement Ubre sans aucune lImItation de montant. En ce qui concerne ces deUJ< sortes d'instruments de paiement, il ne peut donc plus y avoir d'infraction de
contrebande. Toutefois, l'obligation de décla ration en douane
prévue par l'Arrêté de 1947 reste toujours en vigueur; mais suivant un arrêt de la Cour d'appel de Colmar du 12 juillet 1955,
« l'importation sans déclaration d'une marcbandise - en l'espèce
des devises - qui n'est ni prohibée ni taxée ne constitue pas
un déUt mais une simple contravention justiciable du tribunal
cantonal «(2) . Une difficulté pourrait encore surgir dans le cas
où l'on découvrirait une somme importante en devises (3) dans
le rayon douanier. li faudra que le détenteur prouve que cette
somme vient de l'étranger, sinon il pourrai t être inculpé pour
tentative d'exportation de devises en contrebande. D'ailleurs,
l'article 15 du Décret du 15 juillet 1947 continue à interdire la
détention sur le territoire français de devises étrangères (4).
Donc, seule l'exportation des devises en général (5) et l'importation des devises autres que le pièces de monnaie et billets
de banque étrangers sont soumises à autorisation . La nécessité
d'une autorisation posée par la réglementation des changes a
alo rs pour con équence de classer ces devises parmi les marchandises qui font l'objet d' une prohibition relative et l'absence d'autorisation peut, selon le cas, constituer une exportation sans
déclaration ou un acte de contrebande.
Et nous constatons ainsi que la notion de contrebande de
devises naît de la relation de complémentarité entre la législation
douanière et la réglementation des changes, complémentari té qui,
nous l'avons vu, se manifeste aussi bien au niveau de l'objet
qu'à celui des actes incriminés. Cette nature ambiguë de la
contrebande de devises pose certains problèmes pratiques sur le
plan de la poursuite et de la répression.
(1) Jusqu'à concurrence de la colltre~v aleur de 750 F pour les pièces
el billets émis par les instituts d'émissio n de la Zone Franc (C.F.A ., C.F.P.,
elc.).,
(2) Rev. A1sac.-Lorr., t955 , p. 453.
(3) C'est·à-dire e~cédant la to lérance admise en matière de détenlion
de devises à l'intérieur du territoire; l'avis n· 769 dispensan t les voyap:eurs
ayant quaJité de résidents de céde r à leur retour les moyens de paiement
libellés en monnaie étrangère dont il s sont porteurs à concurrence de la
contre·valeur de 1 000 F.
(4) V. Cr. 19 ftv. t959, B. Cr. n· 234; Cr. 2 avr. t957, B. Cr., n· 558.
(5) L'avis 0- 750 permet cependant la réexportation sans autorisation
particuJ!ère. des devi.ses laissUs à la disposition de s voyageurs résidents
en application du t 1 de ce même avis.
55
Il.
LA POURSU ITE ET LA RÉPRESSION
DE LA CONTREnANDE DE DEVISES
La question sc pose de savoir quelles règles de procédure
on doit appUquer en matière d'importation et d'exportation de
devises en contrebande. Peut-on dire que du moment que l'acte
incriminé est découvert dans le rayon d'action du Service des
Douanes, ce sont uniquement les règles douanières qui régissent
le déroulement de la poursuite et du jugement? En ce qui
concerne la détermination des éléments constitutifs de l'infraction, nous avons vu que le contrôle douanier est le prolongement
logique de la réglementation des changes. En réaUté, ceUe-ci se
limite à désigner l'objet d'une infraction possible que sont les
devises et à partir du moment où ces dernières se trouvent ou
circulent dans le rayon douanier, il appartient à la législation
douanière de déterminer de quel genre d'infraction (exportation
ou importation sans déclaration ou contrebande) eUes font l'objet.
Est-ce à dire que, si les faits constitutifs de la contrebande sont
étahUs, l'infraction échappe désormais, quant à ses conséquences
pénales, à la réglementation des changes et devient purement et
simplement une infraction douanière? JI en aurai t été sans doute
ainsi si le législateur s'était contenté de poser les limites à la
liberté de manipulation de devises étrangères. Mais il en va tout
autrement car les devises, en tant que telles, tout aussi bien que
n'importe quel autre instrument de change (valeurs mobilières,
par ex.) font l'objet de restrictions assorties de sanctions spécialement étudiées et particulièrement sévères. Les peines applicables
sont énumérées par l'Ordonnance n' 45-1088 du 30 mai 1945
(art. 14 et suivant) (1). Cependant, d'un autre côté, le législateur
a prévu des peines non moins sévères en matière de contrebande
de marchandises. 'y aurait-il pas alors double emplOI entre les
textes de la réglementation des changes et ceUJ< de la législation
douanière? Il y a donc là un important problème pratique
d'application des peines. Mais avan t d'examiner ce problème, il
faut déterminer quelles sont les règles procédurales appUcables
à la contrebande de devises.
A) La poursuite de l'infraction de contrebande de devises
Ces règles peuvent être différentes selon qu'on considère la
contrebande de devises du point de vue de la réglementallon des
(1) 1. O ., 3 t mai t945, G. P., 1945 , t, L 374.
�57
56
changes ou du point de vue de la législation douani re. La différence essentielle sur le plan de la poursUite est que sUIva nt
l'a rticle 8 de l'Ordonnance de 1945 • la poursuite des infractions
à la réglementation des changes ne peut être exercée que sur la
plainte du Ministre des Finances ou de l'un de ses représentants
habilités à cet effet. » [1 faut donc qu'il y ait une plainte préalable
à toute poursuite devant les tribunaux. La force de ce principe
de la pl ain te préalable est telle qu'on peut invoquer la nullité
d'une procédure engagée pour la poursuite d'une infractio n de
change sans qu'une plainte ait été déposée au nom du Ministre
des Finances (l). 11 semble que c'est là un procédé qui tend à
favoriser le règlement de l'affaire par la transaction. Celle-ci peut
intervenir avant toute saisie du Parquet pour l'exercice de l'action publique. Cette dernière est paralysée jusqu'à ce que, toute
solution extra-judiciaire s'avérant impossible, le Ministre des
Finances ou es représentants portent plainte. Certes, le Ministre
n'est pas obligé d'attendre le résultat d'une tentative de solution
à l'amiable avant de saisir le Parquet, mais c'est le laps de
temp qui s'écoule entre le procès-verbal et le dépôt de la plainte
(sauf en cas de flagrant délit) qui peut favoriser la transaction.
Le règlement par transaction est d'autant plus intéressant qu'une
fois consentie, la transaction acquiert une force telle que le
Ministre des Finances n'a plus la possibilité de se retracter et
d'engager une poursuite, même si par la suite, il s'avère que le
bénéfice de la transaction n'a été accordé que par erreur.
• L'erreur, selon la Cour d'appel de Rouen, ne pourrait vicier
la transaction intervenue et exécutée. » (2).
En matière douanière, au contraire, cette sorte de faveur
faite au délinquant n'existe pas. Les receveurs des douanes qui
représentent légalement l'Administration peuvent • agir en son
nom devant les tribunaux à l'égard des auteurs d 'infractions aux
lois douanières sans avoir besoin de son autorisation préalable » (3) . Et un projet ou une proposition de règlement par
transaction n'empêche en aucune façon l'exercice d'une poursuite
judiciaire par le ministère public, cette poursuite se faisant
suivant les règles du droit commun (art. 342 C. des O.) . L 'intervention d'une transaction entre les parties fait obstacle à la
poursuite quand celle-ci n'a pas encore commencé ou si elle a
été engagée, la transaction en arrête le cours. Mais parfois, cette
transaction peut être longue à intervenir étant donné qu'elle ne
(t) Crim., 20 avril 1947, B. Cr. n ° 135.
(2) Rouen , 17 juin t948, I.C.P., t949 Il, 4653.
(3) Corn., 10 OCI. t952, B. civ., 3, 299.
devient définitive que si l'autorité compétente (Ministre,
directeur général ou directeur, suivant l'importance de l'affaire)
l'approuve. E t natureUement, jusque là, il se peut que la pou rsuite
judiciaire aboutisse à un jugement définitif. Et alors, la transaction n'a d'effet que sur les peines pécuniaires prononcées contre
le délinquant. Ces peines pécuniaires disparaissent mais les
peines corporelles subsistent et le délinquant doit les subir. 11 est
d'ailleurs arrivé qu'en matière même d'infraction à la réglementation des changes, la transaction, n'ayant été consentie qu 'après
jugement définitif, n'a eu pour effct que d'efIacer les peines
pécuniaires ( 1).
On affi rme souvent que la contrebande de devises est une
infraction mixte de change et de douane. Ce qui veut dire qu'il
peut y avoir interpénétration entre les règles de procédure douanière et celles applicables en matière de change. Cette interpénétration existe en matière de pure infraction de change. Sur ce
point, l'Ordonnance du 30 mai 1945 a attrib ué au Service des
Douanes un pouvoir plus large qu'à toute autre branche de
l'Administration. Elle permet en effet au simple agent des
douanes de constater les infractions de change (la loi ne précise
pas s'il peut le faire sur tout le territoire ou seulement dans le
rayon des douanes) tandis que les agents des aut res administrations (Police judiciaire, Administration des Finances) n'ont le
droit de dresser un procès-verbal de constatation que s'ils ont
le grade d'officier ou au moins celui de contrôleur ou d'inspecteur adjoint. Ensuite, en ce qui concerne les enquêtes, l'Ordonnance de 1945 renvoie tout simplement au Code des Douanes
et dit que . ces agents sont habilités à effectuer en tout lieu des
visites domiciliaires dans les conditions prévues par l'article
492 bis du Code des Douanes pour les agents des Douanes (art.
64 du Code de 1949) » (2). Au fond, il n'y a donc pas de problème du point de vue de la constatation de l'infraction: que
ce soit l'infraction de change pure, l'infraction mixte de change
et de douane ou l'infraction de douane pure, les procédés de
constatation sont les mêmes. Le législateur manifeste ainsi la
volonté de simplifier les choses et il va encore plus loin car
l'article 13 de la même Ordonnance prescrit que • lorsque ces
infractions à la réglementation des changes constituent en même
temps des infractions à la législation douanière o~ à toute autre
législation, elles sont, indépendamment des sa~cl1o ns prévues, à
la présente ordonnance, constatées, poursuiVIes et répnmees
(1) Crim., 2 \ déc. t955, B. Cr. n° t021.
(2) 0 .,30 mai 1945, arl. 3.
�59
58
conull~ ell matière de dOl/ane ou conformément à la procédure
prévue par la législation à laquelle il est porté atteinte. • On . ne
peut même plus dire alors qu'il y a seulement mterpénétra.taon
de deux législations en ce qui concerne la contrebande de devIses.
Au contraire, dans une certaine mesure, c'est-à-dire du point de
vue de la constatation et de la poursuite, l'infraction mixte de
cbange et de douane est purement et simplement assin!i1ée à une
pure infraction douanière. La preuve, c'est que, SI la contrebande
de devises était vraiment une infraction mute, il aurait été par
exemple logique d'admettre sur ce plan de la poursuite le principe légal de la plainte pr alable et de favoriser ainsi la possibilité d'une solution transaclionneUe. Or, il n'en est rien en
matière de contrebande de devises comme en matière d'infraction
douanière pure. Cela ne veut pas dire que la poursuite d'une
infraction douanière se passe de la plainte de l'Administration.
La différence est que pour une infraction à la réglementation
des changes, la plainte du Ministre des Finances ou de ses
représentants doit être express•. La loi n'en précise pas la forme
et la jurisprudence admet que le ministre peut déposer une
plainte par dépêche motivée au procureur de la R épublique,
et que par ailleurs, il n'est même pas tenu de joindre à cette
plainte le procès-verbal de constatation de l'infraction dressé
par les agents; il se peut même que le procès-verbal ne soit
dre sé qu'après le dépôt de la plainte ( 1). ne autre différence
peut être relevée dans le fait que pour que la plainte portée
contre une infraction de change puisse être prise en considération
par les tribunaux, il faut qu'elle émane d'un certain nivea u défini
de la hiérarchie administrative se situant, semble-t-il, entre le
Ministre des Finances et les directeurs de différents services dont
les directeurs départementaux du Service des Douanes (2). C'est
ainsi que la Cour d'appel de Besançon a décidé que c les directeurs des douanes habilités à mettre en mouvement l'action
publique ne peuveDt déléguer leurs pouvoirs aux receveurs des
Douanes qu'à l'égard des affaires portées devant les tribunaux
suivant la procédure des flagrants délits, et que dès lors,
une poursuite pour infraction à la réglementation des cbanges
est irrecevable lorsqu'elle a donné lieu à une information
judiciaire ouverte à la suite de la plainte d'un receveur des
douanes . (3). En matière d'infraction douanière et de contrebande de devises, au contraire, il n'existe aucune restriction de
(1) Tr. corr. Seine, 2 rév. 1954, Doc. cont. n° 1199.
(2) Aix 12 juil. 1941 , inédit.
(3) Besançon, 4 janv. 1951, Doc. cont. n° 989.
forme quant à la qualité de l'autorité de laq uelle émane la
plainte; et s'il doit y avoir plainte, celle-ci peut être expresse
ou tacite (1), et la simple communication d'un dossier au Parquet
équivaut pleinement à une pl ainte, donc sulfisant pour que la
procédure de poursuite soit engagée. On peut donc dire que le
fait qu'une infraction de change est commise en même temps
qu'une infraction douan ière aggrave d' une manière considérable
la condition du prévenu . E n quelque sorte, le recours à la procédure douanière, que la loi prescrit pour la poursuite des infractions dites mixtes de change et de douane, a pour but d'organiser
une poursuite rapide et efficace. Pratiquement, cette disposition
de la loi a comme effet de faire tomber la poursuite de la
contrebande de devises, qui est principalement une infraction à
la réglementation des changes, dans le champ d'application de la
procédure rigoureuse des flagrants délits dont parle l'arrêt de
Besançon précité. En effet, selon l'article 333 du Code des
Douanes, et par application de l'article 363, il suffit que le procès-verbal de constatation du délit soit transmis au Procureur
de la R épublique pour que la cause soit jugée suivant la procédure des ft agrants délits prévue par la loi du 20 mai 1863.
li ne faut pas oublier que la source principale de l'incrimination du fai t de contrebande de devises est dans les textes
de la réglementation des changes - importation et exportation
sans autorisation - ; mais comme nous l'avons vu, l'application
des règles prévues par la législation douanière, tant au point de
vue de la détermination des éléments de l'infraction qu'à celui
de sa poursuite, a une prédominance telle que le caractère d'infraction de change que contient indéniablement la contrebande
de devises se trouve éclipsé et dans cette notion, on perd finalement de vue l'objet de l'infraction qui la rattache au droit des
changes pour ne plus en retenir que le fait de contrebande. Mais
cette éclipse n'est que partielle car, sur le plan de la répression,
la contrebande de devises en particulier et les infractions mixtes
de change et de douane en général demeurent, dans une certaine
mesure, des infractions à la réglementation des changes.
B) Les peines applicables d la contrebande de devises
Si l'Ordonnance de 1945, en son article 13 ci-dessus, assimile totalement les infractions mixtes de change et de douane
à la pure infraction douanière en ce qui concerne la consta-
V. Jurisclasseu r pénal. annexe VO Douanes.
�61
60
tation et la poursuite, elle entend toutefois faire une réserve
quant à la question des peines applicables. Elle dit .en e ffe~ que
ces infractions seront , « indépendamment des sanctions prevues
par la présente ordonnance, constat es, poursuivie .et réprimées,
etc ... >. Et voilà l'auteur d'une contrebande de devIses qUI , pour
un fait unique. mais prevu par deux législations différe ntes, est
passible de deux séries de pénalités tout aussi sév~ res l' une que
est obligatoire. Mais en revanche, du [ait du caractère de réparation civile des sanctions pécuniaires, les modalités d'application des peines proprement dites, tels que sursis, circonstances
atténuantes, etc ... , ne doive nt pas leur être appliquées. L'application des peines corporelles suit donc les normes du droit
commun tandis que celle des sanctions pécuniaires y dérogent.
l'autre.
caractère indemnitaire que revêtent les peines pécuni aires suffit
Ce régime qui po rte atteinte au principe légal du « noncumul des peines > est d'autant plus rigoureux que l'Ordonnance
de 1945 n'a nullement spécifié quelles sont les peines cumulables
et lesquelles ne le sont pas. C'est la jurisprudence qui a fait la
distinction entre les peines corporelles non cumulables et les
peines pécuniaires qui, elles, peuve nt être cumulées. Pour ce faire,
elle se fonde sur cet argument clas ique que les peines d'emprisonnement sont des peines proprement dites et, en tan t que telles,
rejoignent la règle de droit commun du « non-cumul >, tandis
que les peines pécuniaires sont considérée, dans une certaine
mesure, comme des réparations civiles. C'est ce que confirme un
arrêt de la Cbambre criminelle en ca sant une décision de la
Cour de Douai du 26 octobre 195 1 qui a infligé aux prévenus,
« pour avoir introduit frauduleusement en France des lingots et
des billets de banque étrangers et les avoir échangés sans autorisation et réexporté ensuite en pièces d'o r et en billets de
banque français les sommes ainsi obtenues >, - donc délits de
contreba nde et délits de change - « des peines d'emprisonnement distinctes pour les délits douaniers et pour les infractions
à la réglementation des changes qui avaient [ai t l'objet d 'une
même poursuite, alors que pouvai t seule être prononcée la peine
la plus forte prévue par l'a rticle 14 de l'O rdonnance du 30 mai
1945 > ( 1). Ainsi, si d'une part, les peines pécuniai res, comme
les ame ndes et la confiscation, peuvent être pro noncées séparément pour chaque infraction, d'autre part, le juge ne peut
condamner l'auteur de l'infraction mixte qu'à la peine corporelle
la plus forte prévue par l'une des législations parallèles qui
à justifier leur dérogation au principe du non-cumul. On
remarquera qu'en matière douanière, le législateur s'est tout de
même efforcé d'atténuer l'atteinte portée au droit commun de
l'application des peines. Il fait la distinction entre le concours
réel d'infractions douanères, pour lequel la règle du cumul
s'applique dans toute sa rigueur, et le concours idéal d'infraction
dans lequel, selon les termes mêmes de l'article 439 § 1 du
Code des Douanes, « les faits tombant sous les coups de dispositions répressives distinctes doivent être envisagés sous la plus
ha ute acception pénale dont ils sont susceptibles >. N'est-ce
pas le cas même de l'infraction de contrebande de devises (et
de toutes les autres infractions mixtes de change et de douane)
dans laq uelle un même [ait est réprimé par deux législations
distinctes? Pourquoi le législateur de 1945 a-t-il alors pris le
soin de préciser en des termes clairs qu'en plus des peines
prescrites par l'Ordonn ance de 1945, celles prévues par toute
autre législation à laquelle il est porté atteinte seront prononcées.
Nous ne pensons pas que ce soit pour le seul souci de sauvegarder les intérêts de l'Administration et du Trésor : les amendes
prévues par l'une ou l'autre des législations en cause sont assez
lourdes pour que les préjudices subis par le Trésor soient équitablement répa rés. E n vé rité, les sanctions pécuniaires dont sont
passibles les délinquants douaniers ou de cbange sont des sanctions pénales. Ce sont malgré tout des peines, et la preuve, c'est
que les amendes qui sanctionnent les délits douaniers ou de
change figurent au casier judiciaire des condamnés. Le principe
qu'édicte l'Ordonnance de 1945 sur la double répression du délit
de change et de do uane ne s'explique donc au fond que par la
volonté du législateur d'organiser une répression sévère. Cette
sévérité est en effet nécessaire, car aux yeux de la morale et de
l'opinion publiques, les infractions de douane et de cbange
comme les infractions économiques et fiscales ne sont que des
infractions artifi cielles. Le sentiment public ne réprouve que les
actes qui portent directement atteinte aux intérêts immédiats
de l'individu et de la société. Pour les autres, s'il ne les approuve
pas _ n'y a-t-il pas eu un temps où le contrebandier faisait
incrim inent le même acte.
Et l'on en a rrive à ce paradoxe que pour une exportation
frauduleuse de devises, par exemple, le corps du délit peut être
et même do it être confisq ué de ux fois, du chef de l'inculpatio n
d'ex porta tion de ma rchandises prohibées et de celui d 'infraction à la réglementation des changes, étant do nné qu'en matière douanière comme en matière de cha nge, la confiscation
( 1)
Crim., 9 juil. 1953, D. 1953, J, p. 553.
Cependant, on ne peut s'empêcher de se demander si le
�62
figure de héros dont les ruses et la témérité ont trouvé place
dans la légende et la littérature? - du moins il leur est indifférent. Dans l'e prit du commun des hommes, la notion de
protection de l'économie et de la monnaie nationale ne sign.ifie
pas grand'chose; et c berner . le fisc ou réus ir à passer quelques
articles à la frontière sans avoir eu des ennuis avec la Douane
constituent de petits exploits qu'on se raconte parfois avec fierté .
C'est bien contre un tel sentiment, et pour susciter chez le public
la conscience du danger que présentent en r alité certains actes
apparemment inoffensifs, parce que non-natureUement immoraux, que le législateur a institué des principes de répression
dont le moins qu'on puisse dire est qu'ils sont très sévères. Mais
ceUe fermeté durera-t-eUe toujours ? Il ne le semble pas, car il
est dans la nature des législations économiques de s'adapter à
l'evolution économique interne et internationale. Actuellement,
l'intervention de l'Etat n'a plus la rigueur qu'eUe avait dans les
temps difficiles ; eUe tend de plus en plus à avoir un caractère
de planification et d'orientation que de prohibition et d'intimidation.
A. RAHARINARIVONIRINA.
Les fausses déclarations
réputées importations
ou exportations sans déclaration
p"
Mme PAUFFIN DE SAINT-MAUREL
Oodeur co droll Ît
M.itrc-Allislant
la Facuhé de Droit et de Science. Économiques de Puis
�65
1) Pa rfois contraventionnelles, les infractions nées de
fausses déclarations retiennent surtout l'altention lorsqu'eUes
sont assimi lées au délit d'importation ou exportation sans déclarati on de marchandises prohibées.
Or, l'étude de to ute infraction d'importation ou ex portation
sans décla ratio n présente des diffi cultés inhérentes à la technique
utilisée pa r le Code des Do uanes po ur la viser et la réprimer.
Les qualificatio ns utilisées, importation ou exportatio n sans
déclaratio n, impo rt atio n o u ex po rt ation sans déclaration de marchandises pro hibées, sont pour le moins inopportunes; il est par
trop paradoxal que le délit d'expo rtation sans déclaration de
ma rcbandises pro hibées puisse se tro uver constitué par la déclaratio n de ma rcbandises non probibées !
La prohibition, théoriquement exceptionnelle, est provisoirement devenue la règle, m ais ce provisoire dure depuis plus de
20 ans.
L'abus de la tec bnique des présomptions légales ôte toute
réalité à des infractio ns ass imilées, soit directement au délit d'importatio n o u d'exportati on de march andises prohibées, soit à
l'infraction d'impo rtation ou expo rtation sans déclaration, tantôt
contrave ntionneUe, tantôt délictuelJe. Et les textes répressifs
ajo utent à la confusion en assimilant pour leurs sanctio ns, so us
les mêmes articles, des faits de contrebande et des faits d' importa tio n ou exportati on sans déclaration.
2) Po ur retro uver quelque clarté, il fa ut se référer aux
règles fo ndamenta les du droit pénal douanier. Le but essentiel
de la réglementa tio n do uanière est d'empécber l'impo rtatio n ou
l'expo rtati on des ma rcbandises qui ne sont pas autorisées à franchir les frontières - les m archandises prohibées - et de percevoir des droits sur les autres . Toute infraction relative à des
m archandises probibées est particulièrement suspecte, car c'est
la meSure de probibition eUe-même qui est en jeu.
Po ur faire res pecter les prohibitions, comme pour percevoir
les droits, la réglementation douanière exige que les m arcbandises
q ui fra ncbissent la fro ntière soient conduites au bureau de la
douane. Une fois conduites au bureau, les marcband ises doivent
�67
66
y être déclarées en détail. L~s infractions douaniè res peuvent
donc principalement se produIre, SOIt en éludant la conduIte. en
douane - et ce sont alors des faits de contrebande - , SOIt à
l'occasion de la déclaration, par des fai ts d' importation ou
d'exportation sans déclaration (1).
3) L'importation ou l'exportation sans déclaration, littéralement, implique un défaut de déclaration. Mais le. fait de ne pas
faire de déclaration n'est pas délictueux en lUI-même. II est
nécessaire pour détourner la marc handise, mais on n'est pas
forcé de d douaner la marchandi e conduite au bureau (2). Si
théorique qu'apparaisse une telle hypothèse, elle devait cependant être envisagée pour préciser la nature de l'infraction d'importation ou d'exportation sans déclaration, prévue par l'article
423 , 1°.
Car ce texte est le seul à viser directement des faits constituant des importations ou exportations sans déclaration. Les
articles suivants, qui complètent la rubrique consacrée par le
Code des Douanes à l'importation ou exportation sans déclaration, procèdent tous à des assimilations. Ainsi, certaine~ fausses
déclarations seront réputées, par l'article 426, importations ou
exportations sans déclaration de marchandises prohibées.
4) Il semble indispensable, avant d'aborder l'étude d'infractions assimilées à des importations ou exportations sans déclaration, de chercher à approcher la réalité de l'infraction incriminée
par l'article 423 , 1°.
Traditionnellement (3), cette infraction consiste en un acte
positif par leque~ en passant par le bureau de la douane, on
s'efforce d'introduire la marchandise sans la déclarer. Plutôt
qu'éluder la conduite en douane, le (raudeur cherche à éluder le
contrôle de ses marchandises au passage du bureau.
La formule: • Je n'ai rien à déclarer > parait seule susceptible, si elle se révèle erronnée, de réaliser une importation ou
une exportation sans déclaration. Et cependaot, son utilisation ne
(1) Le Code des D ouanes ut.iJi.se cette distinction en consacrant une
rubrique à la contreba nde, sous les articles 415
422, puis une autre
à l'importation ou exportation sans déclaration ; ce sont les articles 423
à 429.
(2) La marchandise est alors mise eo d~p6t et vendue au bout de
4 mois, si personne ne s'est présenté dans ce dél ai pour faire une déclaration régulière (art. 186 du Code des Doua nes).
(3) E. ALux: Lu Droits de Douan~. Traité théorique el pratique de
législation douanière, 2 voL, Rousseau et Cie, Ed. 1932, L
n, p.
336.
se conçoit que de la part d' un déclarant occasion nel (l' ). Voyageur, ou se faisant passer pour tel, le déclarant ne peut espérer
soustrai re à la visite de la douane que des marchandises d'un
faible volume. 11 peut alors, soit jouer su r la tolérance de la
douane à l'éga rd de ses objets personnels - et la fraude ne peut
avoir une grande ampleur - soit dissimuler la marchandise.
Si les marchandises sont d'un faible volume,
être dissimulées dans des cachettes. Mais, depuis
récente (2), ces marchandises sont alors réputées
exportées en contrebande, bien qu'elles aient été
douane (3), et l'article 423 est inapplicable.
eUes peuvent
une réforme
importées ou
conduites en
Au contraire, ce texte permet de déjouer un autre procédé
de dissimulation utilisé pour des marchandises d'un certain
volume. Par exemple, pour importer du poivre, qu'on ne déclare
pas, on le dissimule dans des colis de betteraves, qu'on déclare
(4). La déclaration fai te pour les betteraves est inapplicable au
poivre. Celui-ci est, aux termes de l'article 423, importé sans
déclaration, comme importé • sous le couvert d'une déclaration
non applicable>.
Ainsi est déjouée une forme de contrebande par les bureaux,
ayant pour but de soustraire les marchandises conduites en douane
à la vérification douanière (5). Cette manœuvre implique une
(1) Le déclarant profession ne l risque plutôt de se voir opposer 4; )'irrecevabilité. de sa déclaration, au sens de l'article 99. r; mais les irrégularités de forme sont des infractions vénie lles el J'absence des docwnents
nécessaires se conçoit mal de sa part; il s'agit plutôt de documents c non
applicables _.
(2) Art. 77, Loi de Finances nO 6 1.13 96 du 21.1 2. 196 1 ajoutant un
3- paragraphe à J'article 317 ; ce texte prévoit la dissimul ation c dans des
cacbettes spéciale ment aménagées ou dans des cavités ou espaces vides
qui ne sont pas normalement destinés au logeme nt des marcbandises •.
(3) Cette réforme a dttruil le critè re de l'infraction de bureau, infraction excl usive de tout fait de contrebande. Ce critère était util isé par
"Administration des Doua nes qui distingu ait, dans un T able au des principales i.nfraclÎons douanières, dresst à son propre usage, les infractio ns de
brigade ou de campagne, e t les infractions de bureau. Celte distinc tion
prtsentait alors un intérêt en ce qui concernait la ré partition du produit
des amendes e t des confiscations.
(4) C rim., 18 juin 1897, Bull. p . 314 .
(5) Le procédé qui cons iste à ne d6c1arer aucune marchandise est
plus co nfo rme à la terminologie de l'infraction d'impo rtation ou exportatio n sans déclaration . Le déclara nt occasionnel peut joue r su r la notion
de marchandise, en prétendant qu'il . ne transporte que des objets ~ont il
n'entend pas faire le commerce. M aiS, du moment où la marcbandlse est
dissimulée, la notion de marcbandise n'a plus d'intérêt , le fait même de
dissimuler les marcbandises impliquant que l'importateur ou l'exportateur
les considère comme subordonnées à une déclaration.
�69
68
déclaration, qui se révèle inapplicable à la marchandise de fraude,
mais ne peut être reten ue comme [ausse déclaration .
5) La confusion est cependant d'autant plus tentante que
les faits visés par l'article 423, l ' sont, comme les fausses déclarations, réprimés soit par l'article 412 comme contraventions de
3' classe, soit en tant que délits par l'article 414. Mais le choix
de la sanction s'opère de faço n fondamentalement différente.
L'article 423 entend toujours réprimer une fraude . La
sévérité de la répression ne dépend donc pas de la nature intrinsèque de l' infraction, mais de la nature de la marchandise de
fraude.
Au contraire, une fausse déclaration peut recouvrir une
manœuvre frauduleuse, mais elle peut également être due à une
erreur. Or, si le droit pénal douanier interdit d'excuser le contrevenant sur sa boooe foi, il n'entend cependant pas ériger en
délits de simples inexactitudes. Les textes qui assimilent certaines
fausses déclarations au délit d'importation ou exportation sans
déclaration de marchandises prohibées, les paragra phes 2' et 3'
de l'article 425, entendent avan t tout incriminer des fraudes. Mais
on peut les invoquer pour réprimer des inexactitudes. Leur interprétation est donc particulièrement délicate et mérite qu'on s'y
attarde.
Mais avan t d'envisager les éléments requis par les articles
426,2' et 426, 3' pour rendre délictuelles certaines fausses déclarations, il convient de préciser la notion de fausse déclaration.
1. -
L A NOTION DE FAUSSE DÉCLARATION
6) Le Code des Douanes consacre de longs développements ( 1) à la déclaration en détail, dont la forme et le contenu
sont déterminés par des aITêtés d'application. Les termes c déclaration en détail >, qui n'excluent d'ailleurs pas une déclaration
verbale, s'appliquent à la déclaration requise lorsque la conduite
en douaoe s'est effectuée par voie terrestre. En effet, le particularIsme des transports maritimes et aériens, que nous ne pouvons
envisager ici, impose des formes spéciales aux opérations de
dédouanement (2).
too bis.
Qui débutent par le dépôt du manifeste, à titre de c déclaration
somm3lfe • . cf. R., GARRON : Le particularisme de la " gis/olion rt lative
à la r~pusston el a la prh ention douanières en motièf#! maritime. Annales
de la Faculté de Droit et des Sciences Economiques d'Aix, 1964 .
(1) Art. 84 à
(2~
La déclaration en détai! est le plus souve nt souscrite par
un comm l ssl~nnalre; en douane, ou par un mandataire spécialement autoTlsé à dcdouaner la marchandise présentée (1). Mais
la déclaratIon en détail, qu'elle soit souscrite pour autrui ou par
le véntab l~ propTlétalre des marchandises, engage toujours la
responsabilIté pénale du c déclarant >, qui est donc l'auteur des
infractions relevées à l'occasion de la déclaration.
7) Toute irrégularité dans la déclaration peut être sanctionnée, car les déclarations doivent être complètes (2) et exactes (3). Toute omission ou inexactitude peuvent être englobées
sous la qualification général e de c fausse déclaration> (4). Mais
le Code des Douanes incrimine spécialement certaines fausses
déclarations, soit co tant que contraventions de 3 e classe, soit en
les assimilant au délit d'importation ou exportation sans déclaration de march andises prohibées.
Cette distinction est essentiellement basée sur la portée de la
fausse déclaration, qui reste du domaine de la contravention de
l'article 412 lorsqu'elle se borne à éluder ou compromettre le
paiement d'un droit o u d'une taxe quelconque, et devient délictuelle lorsqu'elle a pour but ou pour effet d'éluder l'application
des mesures de prohibitions.
L'article 426, 2' vise c toute fausse déclaration ayant pour
but ou pour effet d'éluder l'application des mesures de prohibilions ~ . La suite de ce texte ne laisse aucun doute sur la nature
de la déclaration envisagée; il s'agit de la déclaration en détail
qui, au premier chef, doit doooer à la marchandise sa dénomination exacte.
La fau sse déclaration dans l'espèce est d'ailleurs visée par
le paragraphe suivant de l'article 426 (5), ainsi que les fausses
déclarations dans la valeur ou dans l'origine des marchandises
ou dans la désignation du destinataire réel ou de l'expéditeur
réel.
(1) L'art. 413 bis, inlroduisant dans les textes répressifs une 5° classe
de contravention, réprime spécialement les infractions à la nécess ité
d'un ag rément pour les commissionnaires en douane et d'uoe autorisation
de dédo uaner; ce texte incrimine la complicité et prévoit des pénaJités
en cas de récidive.
(2) Au sens de l'article 95 du Code des Douanes.
(3) Au sens de l'article 377 du Code des Douanes.
(4) NAZARIO. Cours de CO /I/C1Itit' UX douallier, 1959, n° 80 .
(5) Qui assimile au délit d'impo rtation ou exportation "ans déclara·
lion de march andises probibées les fausses déclaratjons c commises à
l'aide de factures, certificats ou tous autres documents faux, inexacts,
incompl ets ou non applicables :t.
�71
70
Ces fausses déclarations figurent déjà parmi les éléments
constitutifs de l' infraction contraventionnelle de l'article 412. En
effet, les mentions relatives à la valeu r, à l'espèce, à l'o rigine
ou à la destination des marchandises sont essentielles pour vérifier si la marchandise peut être admise à l'importation ou à
l'exportation et, dans l'affirmative, elles serviront à calculer
le montant des droits à percevoir.
8) Les droits sont prévus par le Tarif des Douanes, qui
attribue d'abord à la marcbandise une dénomination, appelée
espèce. Le Taril est censé donner une position tarilaire à toutes
les marchandises. Celles-ci sont groupées par rubriques et, en
regard de chaq ue rubrique, figure l'indication du droit qui lui
est applicable.
Les droits sont prévus soit en pourcentage de la valeur
déclarée, soit sur l'unité matérielle du produit (1). L'actuel
tarif des douanes (2) contient essentiellement des droits ad valorem qui ont, sur les droits spéciliques, l'avantage de limiter
le nombre des rubriques. En effet, il suffit d'une seule rubrique
pour toute une catégorie de produits d'une même nature, soumis
au même taux ad valorem. La discrimination entre les variétés
se fait d'elle-même, d'après leur valeur.
Mais les positions tarilaires restent suffisamment nombreuses pour que l'attribution d'une dénomination exacte soit
difficile. L'espèce est cependant essentielle pour savoir si la
marchandise peut bénéficier d'une dérogation à la probibition
générale.
Cette dérogation est souvent accordée en vertu de la destination ou de l'origine, mentions qui peuvent aussi influer sur
le montant des droits.
QueUe est la valeur, l'espèce, l'origine à déclarer pour que
la déclaration soit exacte? Nous allons successivement envisager la valeur qui pose le problème du • prix normal >, puis
l'espèce, et enfin l'origine et la destination.
A. -
français que si les droits perçus à l'importation n'absorbent pas
leur margc bénéficiaire. Il est donc essentiel pour eux de connaltre la valeur à déclarer. Cette préoccupation s'est concrétisée
par l'adoption, de la part du législateur français, de la définition
de la valeur en douane donnée par la Convention de Bruxelles
du 15 décembre 1950, ratifiée par la France en 1952.
La valeur à l'exportation , qui ne suscite pas de difficultés
dans un système de droits essentiellement protecteurs, reste fixée
par l'article 36 dans sa rédaction de 1948, alors que l'article 35
a repris la définiti on de la Convention de Bruxelles sur la valeur
à l'importation .
L'article 35 précise que la valeur à déclarer est • le prix
normal des ma rchandises, au moment de l'enregistrement de la
déclaration de détail >, la marcbandise étant réputée être livrée
à l'acheteur au lieu de l'introduction dans le territoire douanier.
Ce prix normal est essentiellement fictil, car l'article 35
le définit comme • le prix réputé pouvoir être fait pour les marchandises >, lors d'une ven te effectuée dans des conditions de
pleine concurrence entre un acheteur et un vendeur indépendant >. Comme le souligne l'auteur (1), cette notion implique un
vendeur et un acheteur désinca rnés, sur un marché idéal où
régnerait en souveraine la loi de l'offre et de la demande. Il n'est
donc pas étonnant que des dilficullés d'interprétation surgissent .
10) L'article 35 précise cependant qu'il y a pleine concurrence entre un ac beteur et un vendeur indépendants lorsque le
paiement du prix de la marchandise constitue la seule prestation effecti ve de l'acheteur, et lorsque le prix convenu n'est pas
influencé p ar les relations commerciales (2).
L a prestation effective se prouve facilement par la production de la facture du prix payé ou à payer. Mais l'influence des
relations commerciales sur le prix convenu doit-elle être présumée dès que l'acheteur ne se trouve pas dans une situation
d'indépendance, ce qui est le cas le plus fréquent, ou bien l'Administration des Douanes a-t-elle la cbarge de prouver que le prix
de facture n'est pas le • prix normal > ?
Valeur et prix Mrmal
La filiale, le concessionnaire exclusif, l'agent général d'une
entreprise étrangère, ne peuvent mettre un produit sur le marcbé
(1) Le plus souvent le poids, mais aussi Je volume, les dimensions ,
etc.
(2) D. n" 55. 1612 du 9 déc<:mbre 1955.
(1) De GUARDIA .' La l'aleur en douant 1963. Gaz. Pal " 1963, Il,
docl. 85 ; MAZARD : La no tion de valeur en douane et la jurisprudence,
Rec . dr. peo., 1964 , 153 .
.
(2) c Fin ancihes ou autres, contractuelles ou non, qUl
exister en dehors de celles créées par la vente elle-même , entre
le vendeur ou une personne ph ys ique ou morale associée en
\-e odeur, et d'autre part , l'acheteur ou une personne physique
associée eo affaire à l'acbeteur •.
.
pourraient
d'une part,
affaires au
ou moraJe
�73
72
Ce problème semble illusoire, étant donné le mode de
preuve propre aux infractions douanières : il suffit que l'Administration constate la fausse déclaration - c'est-à-dire estime la
valeur déclarée inexacte - pour pouvoir dresser Ull procèsverbal de saisie, qui met alors la preuve de la non-contravention
à la charge du déclarant. 11 ne semble donc pas possible d'aborder le problème du prix normal.
11) C'est en effet sous le seul angle de la preuve de la
valeur déclarée que la Chambre criminelle (1) avait d'abord été
saisie d'Ull pourvoi contre deux décisions de relaxe. Les juges
du fond (2) avaie nt estimé que l'Administration des Douanes
n'avait pas rapporté la preuve d'une fausse déclarat ion dans la
valeur, celle-ci ayant été déclarée conformément aux prix facturés par des entreprises étrangères à leurs agents exclusifs en
France.
Après avoir précisé que le fond du problème du • prix
normal> n'avait pas à être abordé, le Conseiller MAzARD soulignait, dans son rapport:
• Il n'existe pas de fardeau unilatéral de la preuve en ma• tière d'évaluation en douane; les contribuables sont tenus
• de donner toute assistance raisonnablement exigible, en
• vue de fixer l'assiette de l'évaluation; les agents exclusifs
• doivent dans de tels cas étayer leur dire en soumettant la
• preuve des faits qui à leur avis infirment la décision des
c Douanes~.
Et, dans ses conclusions, l'avocat général GERMAIN invoquait les
usages commerciaux pour conclure que l'agent exclusif bénéficiait
toujours d'Ulle réduction de prix et que, pour retrouver le • prix
normal >, il était nécessaire d'ajouter aux prix de facture
• une somme d'un montant égal aux avantages consentis à
• l'importateur en contrepartie des prestations (ournies par
• lui dans l'intérêt du fabricant de la marque étrangère>.
Mais la Chambre criminelle n'a pas eu à évoquer le problème
du • prix normal > pour casser des décisions qui avaient méconnu
les modes de preuve propres au droit pénal douanier.
(1) Crim., 8 juin 1963, Bull. n" 202, p. 419; D. 1963, l ., p. 700 rapport
MAZARD conel. GERMAl~; Gaz. Pa!., 1963,2.27 1.
(2) Douai, 22 nov. 1961., Gaz Pal ., 1962, 1.68, Nancy, Il juil. 1962,
Gaz. Pal., 1962, 2.134.
La Cour de renvoi suivra-t-elle l'exemple de la Cour d'appel
d'Amiens (1), statuant eUe-même sur renvoi, qui a trouvé un
moyen ingénieux de replacer la charge de la preuve sur le
terrain du • prix normal >. Il lui a ainsi été possible, grâce
d'ailleurs à une argumentation contestable sur le sens des
• prestations > visées par l'article 35, d'estimer que, les parties
apportant de part et d'autre des faits pertinents, il y avait lieu
d'ordonner une expertise pour fixer le • prix normal > et dire
si les procès-verbaux de saisie étaient justifiés par un redressement de la valeur déclarée.
Peu après la Cour d'appel d'Amiens, la Cour d'appel de
Lyon (2) vient d 'affirmer que les frais de publicité exposés par
le concessionnaire exclusif d'un (abricant étranger n'ayant pas
été imposés par contrat à l'importateur, on ne peut présumer
que ces (rais ont été pris en considération pour l'établissement
du prix de vente consenti par le (abricant à l'importateur (rançais.
En effet, en exposant des rrais de publicité, l'importateur agissait
librement, de sa propre initiative et dans son propre intérêt.
Les juridictions inférieures semblent donc bien décidées à
imposer à l'Administration la preuve de la minoration de la
valeur déclarée.
l2)Entre temps, la Chambre criminelle (3) avai t pu
aborder, à défaut d'action sur saisie, le fond du problème normal,
à propos des commissions à inclure dans le prix de racture.
Dans son rapport, le Conseiller MAZARD a fait une longue analyse de la notion de prix normal (4), pour conclure que:
- les commissions, qu'eUes soient payées par le vendeur
ou par l'acheteur, doi vent être ajoutées au prix de facture dans
une proportion qu'il appartient au juge du rait d'évaluer, si enes
rétribuent des services rendus au seul avantage du vendeur;
- mais l'imputation par le commissionnaire de sa commission sur le montant de la facture, implique que la commission
(1) Amiens, 13 mars 1964 , D. 1964, J., p. 509, statuant sur renvoi de
Crim., 29 juil. 1963 , inédit _ un pourvoi contre J'arrêt de la Cour
dt Amiens a été décl aré non recevable par le Président de la Chambre
criminelle , en vertu des art. 570 et 571 du Code de Procédure crimi·
mioelle.
(2) Lyo n,8 mai 1964, D. 1964, Som. 86.
(3) Crim. 19 février 1964, Bull. n' 58, p. 127 ; D. 1964, l., p. 225 .
Concl. : MUA"D ; l .C. P., 1964, Il, 13,694, note R. YI"""E.
(4) En se référant notamment à la Convention de Bruxelles du
15 décembre 1950 et aux travaux du Comité de la valeur.
�75
74
du vendeur se trouve déjà incluse dans le prix de facturc ct nc
peut donc être ajoutée à la valeur prix de facture.
.
En rejetant le pourvoi contre la décision de co~damnatlon ,
la Chambre Criminelle souligne le pouvOIr souve~alO des Juges
du fond dans l'appréciation du montant de commISSIons
• constituant la rétribution des services a insi que le rem• boursement des frais occasionnés dans le seul intérêt des
• fournisseurs étrangers . ( 1).
La notion de • prix normal . s'éclaire peut-être, mais le
problème de la preuve de la fausse déclaration dans la valeur
reste entier. En effet, la Chambre civile, section co~merclale, a
récemment pris (2) au sujet des décisions du Conseil Supéneur
du Tarif, une position qui semble permettre d'affi rr~ller que
lorsque l'Administration conteste la valeur déclarée, c est bIen
elle qui est demanderesse, même si elle invoque la valeur fixée
par ledit Comité.
• L'Administration a trouvé un juge " a-t-on dit (3) de la
jurisprudence de la Cour de cassation (4) qui a p ermis le contrôle
juridictionnel des décisions du Comlt Supéneur du Tant. L a
Cour suprême entend-t-elle aller plus loin et renverser le fardeau
de la preuve des fausses déclarations, dans la valeur comme dans
l'espèce?
B. -
L'espèce
dénommé Bowling . rentrent dans la rubrique • appareils et
engins mécaniques., plutôt que dans celle des • articles pour
jeu de société. (1), ou que les. machines automatiques à mettre
les soies sur pied . peuvent être assimilées à des • machines et
appareils pour filage des matières textiles synthétiques ou artificielles • plutôt que figurer dans la rubrique . machines de catégorie non dénommée. (2) ?
Le déclarant poursuivi pour fausses déclarations dans la
valeur peut invoq uer le critère du • prix normal ., alors que
aucun critère analogue ne se conçoit pour déterminer la position
tarifaire exacte.
Le Code des Douanes, certes, consacre des développements
à l'espèce des marcbandises ; mais, lorsqu'il envisage • la position
du tarif des Douanes dans laquelle une marcbandise doit être
comprise, lorsque cette marcbandise est susceptible d'être rangée
dans plusieurs positions tarifaires . (3), c'est à titre préventif, en
autorisant une décision réglementaire de • classement • . A défaut
d 'une telle précaution, la difficulté peut se présenter au moment
de la décla ration.
Le Comité Supérieur du Tarif est alors consulté, mais il ne
peut jouer le rôle d'un a rbitre; et, lorsque les poursuites sont
engagées, exiger que le déclarant fasse la preuve de l'exactitude
de la position ta rifaire équi vaut, en l'absence de tout critère, à
lui interdire de contester l'espèce que l'Administration prétend
attribuer à la marcbandise.
13) Le déclarant doit donner à la marchandise présentée
la dénomination qui lui est attribuée par le Tarif des Douanes.
Si l'Administration estime inexacte l'espèce déclarée, il lui suffit
d'exercer une action sur saisie pour mettre à la cbarge du déclarant la preuve qu'il n'a pas fait une fausse déclaration dans
l'espèce des marchandises.
Mais comment prouver que c'est la position tarifaire qu'il
a donnée à la marchandise qui est exacte, plutôt que celle que
prétend lui attribuer l'Administration? Comment prouver, par
exemple, que « les parties essentielles du jeu de quilles américain
14) Les juges du fond ont du mal à admettre un tel . droit
du prince. dont les conséquences pénales peuvent être lourdes,
si la fausse déclaration est assimilée au délit d'importation ou
exportation sans déclaration de marchandises prohibées. L'impossibilité d'excuser le déclarant pour sa bonne foi accroît un
malaise dont la Cour de Colmar (4) a cherché à s'évader par une
analyse réaliste de la notion de déclaration en douane.
(1) L'évaluation faite en l'espèce est d'ailleurs critiquée par le
Conseiller rapporteur.
(2) Civ. comm., 10 mars 1964, Gaz. Pal , 1964, Il , 9. Bull. civ. 1964 ,
Hl, n' 132, p. 113.
(3) D E GUARDIA, cité supra, Dote 18 .
(4) Civ. comm., 5 janv. 1959. Bull. civ. 1959, III , nO4, p. 3; 16 juin
(1) Paris, 5 avril 1963, ~ par Crim., 22 avril 1964. Bull. n' 123,
p.274.
(2) Colmar, 2 juillet 1959, Gaz. Pal., 1959, Il, 258. Doc. cont., 1961 ,
n' 1308.
(3) Article 28, 3'.
(4) Colmar, 2 juillet 1959, ci té Sup'., note 31.
1959, Bull . civ. 1959, Ill, n' 272, p. 237 ; 10 mars 1964, citt Sup'., note 27.
Transposant, non sans humour, la situation du déclarant
en Douane sur le plan du droit fisca l, la Cour constate qu'on
n'a jamais poursuivi pour fa usse déclaration le contribuable qui,
�77
76
dans ses revenus, procède à une déduction non admise. JI incombe
en effet au Contrôleur de faire le redressement, étant entendu
qu'il trouve dans la déclaration tous les élements pour le faue.
De même, les indications port es à la déclaration en détai!
doivent permettre:
• à l'Administration, qui a ses règlements et qui sait les
• interpréter et les appliquer, de faire son. travail propre,
• c'est-à-dire de calculer les droits à percevOir en appllquant
• le tarif • .
Mais ceci implique que le déclarant ait fait lui-même le
travail qui lui incombe, travail que la Cour de Colmar précise
en dégageant la notion de déclaration :
• Attendu que la notion de déclaration en Douane s'entend
• d'une description aussi précise que possible que fait l'im• portateur de l'objet qu'il int roduit; que cette description
• doit indiquer l'origine de l'objet. aussi bien que son destic nataire, ses dimensions, son poid sa nature, ses propriétés
• intrinsèques ou extrinsèques, donc l'usage qu'on peut en
• faire; que le déclarant doit indiquer la va leur de l'objet •.
1
Cependant, toutes ces indications, si nombreuses soient-eUes,
sont seulement des indications de fait. Et,
• si l'importateur fait valoir que l'objet qu' il a loyalement
• décrit bénéficie pour tel ou tel motif, qui peut être
c une assimilation avec un autre objet, d'un tarif de faveur,
• cette prétention peut être discutée et rejetée par l'Ad mic nistration, mais ne saurait en aucun cas constituer une
• fausse déclaration •.
[\ s'agit donc seulement d'une erreur d'appréciation, dont la
Cour de Colmar déplace alors subtilement l'objet, en l'analysant
comme une erreur sur le tarif applicable. La Cour peut alors
invoquer les textes et la doctrine pour conclure qu'il ne peut y
avoir de fausse déclaration en raison d'une prétendue erreur sur
le tarif.
En analysant la déclaration d'une espèce comme une proposition faite par le déclarant, la Cour de Colmar semble placer
le problème sur le terrain de la preuve. Mais on ne peut renverser le fardeau d'une preuve impossible à rappo rter. Il reste
que la seule façon de prouver que la proposi tion est une fausse
déclaration revient à démontrer que cette proposition n'est pas
• loyale '.
Et, en définitive, la Cour de Colmar est amenée à i t _
.
élé
.
.
nro
dUIre cet
ment 'éntent.?nnel dont l'exclusion, justement, lui
avait paru rendre n ccssa.re une analyse de la notion de déclaration!
15) La décision de la Cour de Colmar reste plus traditionnelle lorsqu'elle précise la notion d'espèce, en retenant le critère
d'affectation de la marchandise.
La dénomination attri buée par le Tarif à une marchandise
ne dépend pas seulement de sa nature, de ses propriétés intrinsèques, mais de ses qualité extrinsèques déterminées par l'usage
qu'on peut en faire.
Ainsi, un colorant pe ut être qualifié par le Tarif . colorant
industriel ~ ou c teinture ménagère,; selon l'espèce retenue, ce
colorant est ou n'est pas contingenté, et sountis à des droi ts plus
ou moins élevés.
La Cour d'appel de Paris ( L), à l'occasion d'une fraude
grossière commise par un importateur qui reversait en fût le
colorant introduit en sachets déclarés • teintures ménagères., a
pu rappeler que la qualification douanière ne résulte pas seulement de la nature de la marchandise, mais de
• l'affectation qu'elle a réellement reçue après son impor• tation • (2) .
Il ne peut donc y avoir de fausse déclaration sur la nature
de la marchandise. Cette expression, utilisée cependant par la
doctrine (3), ne peut être qu' une source d'ambiguïté, car une
différence de nature entre la marchandise déclarée et la marchandise présentée est un élément constitutif de l'infraction
d'importation ou exportation sans déclaration, visée par l'article
423, LO. Pour une fois , cette infraction peut paraître bien dénommée car, en dissimulant par exemple, daos un colis de cotonade,
qu'on déclare, des dentelles, qu'on ne déclare pas, celles-ci sont
véritablement importées saos déclaration, ou sont tout au moins
l'objet d 'une tentati ve d'importation sans déclaration. L'article
423 permet de réprimer cette fraude en incriminant l'importation
• sous le couvert d 'une déclaration de détail non applicable aux
marchandises présentées •.
(1) Paris, 16 lévrier 1961, arrêt frappé d'un pourvoi rejeté par Crim.,
26 maT> 1962, Bull. n° 156, p. 322.
(2) La Cbambre des Requêtes l'avai. déià affirmé le 22 avril 1940.
(3) M. LE Roy, lllrisclasstur Püiodiqut, Lois annexes l , verbo
Douanes.
�79
78
16) Il ne peut y avoir non plus de fau se déclaration sur la
qualité de la marchandise, dans un système. de drOIts ad valorem,
où ceue propriété intrinsèque est traduIte par la valeur e n
douane (1). Le fait que la valeur en douane salt surtout pnse
en considération à l' importation n'empêche pas de répnmer les
inexactitudes relatives à la qualité des ma rchandises présentées
à l'exportation. En effet, les infractions commises à l'exportation
sont soumises à un régime autonome, beaucoup plus sévère, en
vertu de l'article 428, qui assimile au délit d'exportation sans
déclaration de marcha ndises prohibées toute infraction aux dispoitions propres à l'exportation (2).
Le particularisme du régime des exportations mérite d'être
souligné à l'occasion des fausses déclarations dans l'origine ou
la destination des marchandises.
C. -
Origine et destination
17) La fausse déclaration dans l'origine, ou dans la désignation du destinataire réel ou de l'expéditeur réel est seule
incriminée. Il semble en effet illusoire d'ériger en infraction une
déclaration du pays de destination, dont l'inexactitude implique
un contrôle a posteriori extrêmement difficile. Les fra udes sur le
pays de destination font l'objet de dispositions préventives (3)
qui rendent rarement nécessai re le recours aux dispositions de
l'article 428, 2'.
Ce texte permet cependant, lorsqu'il a été possible de vérifier
que le pays déclaré comme destination n'était qu'une étape vers
un autre pays, d'infliger à l'exportateur les pénalités prévues pour
le délit d'exportation sans déclaration de marchandises prohibées.
c s'il est établi que la réexpédition a été effectuée sur ses
c instructions, à son instigation ou avec sa complicité, ou
c encore s'il est démontré qu'il en a tiré profit ou qu'il avait
c connaissance de la réexpédition projetée au moment de
e l'exportation :t.
(1) La fausse déclaration dans la qualit6 était incriminée par l'ancie n
Code des D ouanes, en raison de la multiplicité des droits spécüiques.
(2) L'article 428 vise très largement les dispositions C SOil législatives,
soit réglementaires portant prohibition d'exportation ou de réexportation
ou bicn subordonnant l'exportation ou la réexportat io n au paiement de
droits, de taxes ou à l'accomplissement de lormaUlb parliculi~rts ... •.
(3) Prévues par l'article 121,2".
Ces dispositions sont suffisamment précises pour ne p
soulever de problèmes analogues à ceux que posent les faus as
' 1araltons
·
d'o"g1Oe.
··
ses
dec
18) A l'importation, les documents qui accompagnent la
déclaration permettent de vérifier l'origine des marchandises
ainsi que l'expédite ur et le destinataire.
'
S'il est peu concevable que le déclarant commeUe une
simple erreur sur la désignation de l'expéditeur ou du destinataire (1), l'origine soulève des controverses qui viennent récemment d'être mises en lumière par l'application de la réglementation propre au Marché Commun.
L e pays d'origine est défini par l'article 38, 2' comme celui
où le produit a été récolté, extrait ou fabriqué. Ce texte prévoit
des arrêtés d'application c pour déterminer l'origine des marchandises obtenues dans un pays en utilisant des produits récoltés, extraits o u fabriqu és dans un autre pays >. U s'agit en effet
de préciser les transformations suffisantes pour faire perdre à la
marcha ndise son origine primitive, en lui donnant pour origine le
pays de provenance où il a été travaillé.
Mais aucun arrêté n'a été pris depuis la refonte du Code
des Douanes. Les importateurs de marchandises travaillées dans
un pays du Marché Commun ont alors invoqué les principes du
Traité de R ome pour assouplir la notion de transformations, que
l'Administration entend interpréter traditionneUement, se référant toujours à un Décret du 6 octobre 1926 (2).
L e Tribunal correctionnel de la Seine, saisi de poursuites
pour fausses déclarations dans l'origine de foulards japo nais
travaiDés en Belgique (3) et de tissus yougoslaves en provenance
d'AUemagne (4) a affirmé que la notion traditionneUe de c transformation > gardait sa valeur, indépendamment des décisions
(1) Sauf erreur purement matérielle, que l'Administration permettra
de redresser.
(2) Visé par l'annexe du Tarif en vigueur (O. 9 déc. 1955 cité supra)
et aux termes duquel le produit travail lé dans un pays tiers conserve son
origine primitive, à moins que la main·d'œuvre ail été effeccuée dans un
pays soumis à un tarif moins favorable que le pays d'origine ou à un tarif
plus favorable, et à condit ion que le travail effectué ait eu pour consé·
queoce, soit de transformer compl~temeDt la marchandise, soil de la faire
passer dans une position tarifaire plus fortement taxée.
(3) Trib. corr. Seine, 20 oct. 1964, Gaz Pal. 1965, l , 40.
(4) Trib. corr. Seine, 16 avril 1964, Gaz Pal. 1965, 1,42.
�81
80
de la Communauté Economique Européenne sur le • trafic de
perfectionnement . (1).
.
L'intérêt de cette jurisprudence s'estompera avec la réalisalion de l'objectif du Traité de R ome et la libre circulation des
marcbandises entre les pays du March Commun . MaIS les
décisions du Tribunal correctionnel de la Seine ne méritent pas
seulement l'attention à l'égard de la notion de fausse d c1aration
dans l'origine. Elles présentent un intérêt relatif à la portée des
fausses déclarations. Nous sommes ainsi amenée à aborder le
problème des éléments constitutifs de délits de fausse déclaration, visés par l'article 426, l ' et 2'.
Il. -
LES ÉLÉMENTS REQUIS POUR L'ASSIMILATION
DES FAUSSES DÉCLARATIONS AU DÉLIT D'IMPORTATION
OU EX"PORTATION SANS DÉCLARATION DE MARCHANDtSES
PROHIBÉES
19) Le Tribunal correctionnel de la Seine a estimé que les
fausses déclarations d'origine faites par les importateurs de
marcbandises en provenance d'un pays du Marcbé Commun
avaient pour effet d'éluder l'application des mesures de prohibition. C'est donc en vertu de l'article 426, 2' , visant • toute
fausse déclaratio n ayant pour but ou pour effet d'éluder l'application des mesures de prohibition . que les fausses déclarations
d'origine ont été assimilées par le Tribunal au délit d'importation sans déclaration de marchandises prohibées.
Et cependant, le Tribunal reprocbait aux importateurs le
défaut de licence, dont ceux-ci s'étaient cru dispensés à l'intérieur du Marché Commun. Or, ce défaut d'un document douanier devant accompagoer la déclaration de détail ne pouvait-il
être retenu en vertu de l'article 426, 3' , qui incrimine les fausses
déclarations commises • à l'aide de factures, certificats ou tous
autres documents faux, inexacts, incomplets ou non applicables •.
(1) Une décision du 29 juillet 1960 excluait des opé ratio ns de transformation certaines opérations qualifiées de peu d'importance, mais ne
semblait pas fixer de principes généraux régissant l'origine du produit
et la notion de transformation (cf. pour l'interp rétation de celte décision
par l'Administration des Douanes, texte n° 60.176, D. A ., 29 juîllel 1960,
Ci l, Bulletin officiel des Douanes nO 75 du 29 juillet 1960 et texte
n° 60.347, D. A. du 27 déc. t960, Cil , Bull. off. des Dou anes n° 15 t
du 28 déc. 1960).
Ces espèces révèlent les difficultés d'interprétation des éléments constitulifs des infractions visées par l'article 426, 2' et
l'article 426, 3'. Nous allons envisager ces éléments constitutifs.
11 conviendra ensuite d'illustrer les difficultés d'application de
ces textes, en soulignant notamment les confusions commises
entre les éléments propres aux infractions visées par l'article 426
et l' infraction d'importation ou exportation sans déclaration de
l'article 423 .
A . - L es élém ents constitutifs des infractions
de fausses déclarations visées par l'article 426, 2'
et l'article 426, 3'
20) L'article 426, 2 ' implique l'étude des notions de marcbandise probibée et de mesure de prohibition, notions étrangères
à l'infraction de l'article 426, 3' qui vise les fausses déclarations
faites à l'aide de certains documents.
1) Les mesures de prohibition et la notion de marchandises
prohibées.
21) Les notions de marcbandise prohibée et de mesures de
probibitions semblent parallèles, mais l'apparence peut être
trompeuse lorsque le législateur a recours aux fictions .
Les mesures de prohibition sonl d'abord, au sens traditionnel, celles qui permettent d'établir la distinction entre les
marchandises dont la circulation est libre el celle dont l'importation ou l'exportation est interdite. Dans ce cas, il suffit de
relever que les marcbandises sont prohibées à l'importation ou
à l'exportation pour en conclure que la déclaration qui a permis
de dissimuler la mesure de prohibition est une fausse déclaration,
au sens de l'article 426, 2'. La notion de marcbandises prohibées
suffit à déterminer l'élément nécessaire à l'assimilation de la
fausse déclaration a u déli t d'importation ou exportation, sans
déclaration, de marcbandises prohibées.
Tel était bien le sens des textes primitifs, dont sont issues
les infractio ns incriminées par l'article 426, 2 ' , dont l'application
semblerait alors réservée aux fausses déclarations dans l'espèce.
En effet, en déclarant comme espèce non prohibée une marchandise dont l'importation ou l'exportation est interdite, la fausse
déclaration a pour effet de tourner la mesure de prohibition.
�82
22) Mais la suite du texte de l'article 426, 2' devient
incomprehensible si ce texte est réservé aux fausses décla rations
dans l'espèce. En effet, l'article 426 précise que sont exclues de
saisie les marchaodises déclarées sous une dénomination qui fait
ressortir la prohibition qui les frappe. Or, une dénomination qui
fait ressortir la prohibition ne peul avoir pour effet d'éluder les
mesures de prohibition ( 1).
Cette contradiction n'est qu'appa rente si le texte peut
s'appliquer à des fausses déclarations dans la valeur ou dans
l'origine des marchandises. Il est certain que les mesures de
prohibition concernent l'origine des marchandises, les relations
commerciales avec certains pays étrange rs motivent la libération
d'une espèce de marchandises dont l'importation reste prohibée,
lorsque les mêmes marchandises sont originaires d'un autre pays.
Ici encore, il suffit de re lever que les marchaodises o riginaires de tel pays sont prohibées pour que la déclaration qui a
permis de dissimuler cette origine ait pour effet d'éluder les mesures de prohibition. Une fo is établie la fausse déclaration d'origine, il suffit de dégager la notion de marchaodises prohibées
pour que soit constitué le délit de l'article 426, 2' .
La simplicité des éléments conslitutifs de ces infractions
appartient au passé depuis que la notion de marchaodise prohibée
s'est éloignée de la réalité des fraudes que nous venons d'envisager.
23) En effet, la catégorie des marchaodises prohibées est
déterminée par l'article 38 qui précise que sont considérées
comme prohibées, pour l'application du présent Code, non seulement les marchaodises dont l'importatio n ou l'exportation est
interdite à quelque titre que ce soit, mais aussi ceUes qui sont
soumises à des restrictions, à des règles de qualité ou de conditionnement ou à des fo rmalités particulières .
Sachaot que les nécessités du commerce extérieur impliquenl de multiples restrictions et fo rmalités, on peut conclure
(1 ) Celle disposition, reprise des textes antérieurs à 1948 , visait
une hypothèse simple: lorsqu'une marchandise est déclarée so us une
espèce dont l'împortation ou "exportation est in terdite , il suffit de s'opposer à l'introduction ou à la sortie de la marcband ise en la refoulant.
Aujourd'hui, une teUe hypothèse ne peut se réalise r que si la marchandise
est présentée par un décl arant occasio nnel, to ut profess ionnel sachant
qu'une marchand ise prohibée ne peut circuler qu'accompagnée d'une
licence . Si l'espèce est inexacte, la lice nce est in applicable el la marchandise peut être saisie.
83
qu'en l'état actuel de la réglementation, la quasi-totalité des
marchandises est considérée comme prohibée (1) .
Mais si toute formalité particuLière est de nature à fa ire considérer la marchandise qui y est soumise comme prohibée, celte
fiction ne doit pas faire oublier que les mesures de prohibition
sont destinées à protéger l'économie nationale. 11 faut alors, soit
dissocier la notion de marchandise prohibée et les mesures de
prohibitions, en recherchant le sens profond de la formalité
requise, soit décider que celle-ci n'est pas une formalité particuliè re, au sens de l'article 38, et ne peut faire considérer la
marchandise comme prohibée.
C'est ainsi que toutes les ex portations étant soumises à la
nécessité du visa de l'engagement de change, cette formalité
implique que toutes les marchaodises soient considérées comme
prohibées à l'exportation ( 1). Mais le fo ndement de la réglementation des changes permet facilement d' interpréte r la fo rmalité du visa comme une mesure de prohibition, car son défaut
po rterait préjudice à l'économie nationale.
Au cont raire, à l'importation, certaines for malités, teUes que
la domiciliation bancaire ou le visa des factu res, ne présentent
pas le même intérêt. Leur défaut ne devrait avoir pour effet
d'éluder les mesures de prohibition que si l'on estime ces formalités indispensables à la protection des produits nationaux. La
Cour de Cassation viendra il d'admettre que le défaut de domiciliation bancaire n'a pas pour effet d'éluder les mesures de
prohibition.
Le même problème élait posé par les importations de
marchaodises en provenance d'un pays du Marché Commun . Le
Tribunal correctionnel de la Seine (2) a estimé que le défaut de
licence avail pour effet d'éluder l'application des mesures de
prohibition, alo rs que la licence exigée étant accordée auto matiquement, cette forma lité paraît sans fondement. Mais l'impré(1) Si large que soit la notio n de marchandise prohibée dégagée par
l'article 38, o n peut se demander si elle suffi t à définir les marchandises
entrant dans la catégorie des marchandises prohibées. En effet, un décret
du 30 nov. 1944 (J . O., 1" déc. 1955, p. 1585 ), toujours en vigueur , édicte
une pro hibition générale d'importation o u d'expo rtatio n. En vertu de ce
tex te, il n'y a plus de marchandises dont la circul ation est libre, il y a
des marchandises c libérées . grâce à une autorisation individuelle, le
plus souve nt une licence, o u par une mesure de dérogation. gé nérale. On
pourrait donc soute nir qu' actuellement, to utes les marchandIses sont d~ ,la
catégorie de cell es qui sont pro hibées. C'est d'ailleurs ce que l'AdmlflIStratio n des D o uanes soutient.
(2) Crim., 7 déc. 1960, Bull. n° 572, p. 11 21.
(3) 16 avril , 20 oct. 1964; cit6s supra, notes 42 el 43.
�85
84
clslon du régime transItOire qu'implique la mise en œuvre du
Traité de Rome reod difficile l'analyse de ceUe fonnalité particulière.
24) 11 est plus grave de constater, hors du Marché Commun,
que la Cour de ca sation semble affirmer l'inutilité de toute
analyse des mesures de prohibitions, en les confondant avec la
notion de marchandises prohibées. Le 22 avril 1964 ( 1) la
Chambre criminelle s'exprimait ainsi :
e Attendu qu'ayant constaté d'une part une fausse déclae ration d'espèce, d'autre part que les marcbandises n'étaient
e pas libérées, les Juges du fond pouvaient décide r que la
e déclaration n'avait pas pour but d'éluder les mesures de
e prohibilion , mais ne pouvaient méconnaître que la fa usse
e déclaration avait pour effet de les transgresser et que, dès
e lors, l'article 426, 2' était applicable •.
Le principe ainsi énoncé est incontestable lorsque la marchandise est déclarée comme espèce libérée, aJors qu'elle doit
figurer parmi les marchandises prohibées. La fausse déclaration,
nous l'avons vu, suffit alors à éluder l'application des mes ures
de prohibition.
Mais la portée de la déci ion de la Chambre crimineUe
réside justement dans le fait que les poursuites pour fausse
déclaration dans l'espèce étaient engagées alors que les marchandises étaient décla rées comme articles non libérés. La Cour
d'appel de Paris qui aurait pu, semble-t-i1, invoquer les dispositions de l'article 426, 2 ' prévoyant que les marchandises déclarées sous une dénomination qui fait ressortir la prohibition ne
sont point saisies, a motivé son refus d'incriminer la fausse
d~cI,,;,ation en tant que délit en méconnaissant que l'article 426,
2 n eXIge pas un dolus spécialis.
e Attendu que si la bonne foi des prévenus est insuffisante
e pour écarter leur responsabilité en la matière, les circonse tances de la cause (2) sont de nature à exonérer les prée venus de toute responsabilité en ce qui concerne les
e mesures de prohibition • .
Cette décision encourait donc la sanction de la Cour de
(1) Crim., 22 .vril t964, Bull. n' J 23, p. 274.
•
<.2) Les circonstances évoquées prouvaient en effet que l'importateur
n a~aJt pas po~r bUl d'éluder l'application des mesures de prohibition: il
aV3lt. ~emande. par lettres, à l'Administration quelle position tarifaire
deVait ~tr~ dO.Mée 3,? appareils qu'il entendait importer, et ce en donnant
toutes mdlcattons preciSeS SUI ces appareils.
cassation, mais on reste perplexe en constatan t que la Chambre
criminelle ampute le délit de l'article 426, 2' d'un de ses éléments constitutifs: toute fau sse déclaration dans l'espèce d'une
marchandise prohibée a pour etret d'éluder l'application des
mesures de prohibition, sans qu'il y ait à rechercher comment!
25) L'a rrêt du 22 avri l 1964 ne fait aucune allusion à la
formalité de la licence, requise pour toute exportation ou importation de marchandises non libérées. li est vrai que la Cour de
cassation n'aurait pu utiliser, à propos d'une fause déclaration
dans l'espèce, l'argumentation que la Chambre criminelle semble
avoir admise à l'occasion d'une fausse déclaration dans la valeur.
L'Administration des Douanes avait en effet invoqué la
valeur d' imputation de la licence pour démontrer qu'une fausse
déclaration dans la valeur avait pour effet d'éluder l'application
des mesures de prohibition. Or, il semble, par définition , que la
déclaration d'une vaJeur inférieure à la valeur déterminée conformément au e prix normal . ne puisse que compromettre le
montant des droits à percevoir. En effet, les poursuites pour
fausse déclaration d ans la valeur sont généralement engagées en
visant l'article 412, incriminan t cette infraction en tant que
contravention de 3' classe ( 1).
Néanmoins, lors de poursuites engagées contre l'importateur de plusieurs lots de chewing-gum, déclarés pour une valeur
que contestait l'Administration, ceUe-ci entendait voir retenir le
délit de fausse déclaration, en invoquant la valeur d'imputation
de la licence accordée pour l'importation de ceUe marchandise
non libérée. L'argumentation de l'Administration était la
suivante :
L a licence d'importation vaut d'abord, outre l'autorisation
d'obtenir la quantité de devises nécessaires au réglement de l'importation, l'autorisation d'importer, par dérogations aux mesures
de prohibition, des marchandises étrangères pour une valeur
déterminée. Les contingentements prévus dans les accords
comme rciaux ou dans les programmes d'importation sont généralement fixés en valeur, sur la base des prix normalement pratiqués pour le produit considéré, prix qui correspondent à la
valeur défini e par l'article 35. Ainsi, la déclaration d'un prix
réel, inférieur aux prix concurrentiels, a pour résultat d'imputer
la licence sur les contingentements auto risés pour une valeur
inférieure à la valeur réelle, et, en permettant l'importation d'une
(1)
cr.
déclaration.
supra, les décision citées à propos de la notion de fau'i.'OC
�87
86
plus grande quantité de marchandises, d'éluder l'application des
mesures de prohibition.
La Cbambre criminelle (2) a paru sensible à ces arguments
en cassant une décision de la Cour de Paris qui
• en se bornant à affirmer seulement que les déclaration de
• la société c. .. , fausses au regard de la légis lati on do uanière,
• mais exactes au rega rd de la législation des changes,
• n'avaient pas pour ellet d'éluder l'application des mesures
• de prohibition, n'a pas donné des motifs su[lisants à la
• décision •.
La Cour de renvoi (2) a refusé de suivre le raisonnement
de l'Administration et décla ré que les éléments constitutifs du
délit de l'article 426, 2' n'étaient pas réunis.
26) La résistance des juges du fond est justifiée par le
fondement de l'article 426, 2'. Ce texte prévoit l'incriminatio n
de fautes permettant grâce à une fausse espèce ou à un e fausse
origine, de dissimuler la prohibition do nt est frappée la m archandise. C'est ainsi seulement que l'application des mesures de
prohibition est éludée. Si la Chambre criminelle admet que la
déclaration faisant ressortir la prohibition, parce qu'eUe est
inexacte quant à la valeur ou à l'espèce, a pour effet d'éluder
la pro hibition, la suite de l'article 426, 2' n'a plus de sens,
puisqu'il décide q ue les marchandises déclarées sous un e dénomination qui fait ressortir la prohibition ne doivent pas être
saisies.
. L'article 426, 2' ne peut donc pas être utilisé pour incrimwer les fausses déclarations relatives à des m arch andises
admises par dérogation à une mesure de prohibition et acco mpagnées d'une licence. Dans ce cas, il faut rechercher les éléments constitutifs de la fa usse déclaration, soit dans la contra~entio~ de l'article 412, soit dans le délit de l'article 426, 3' qui
wcrunme notamment les fausses déclarations commises à l'aide
de documents non applicables.
2) L'utilisation de documents non applicables
, . 27) Les fausses ~éclarations dans l'espèce, la valeur ou
1o ngme des marchandISes, ou dans la désignation du destina(1) Crim., 25 oct. 1961, Bull . n· 149. p. 497.
(2). Orléans, 12 mars 1963, inédit, cassé par Crim., 12 févr. 1964 ,
~~1. n 47 , p. J?2 sur une questio n de compétence, la Cour d'OrUaos
s clant déclaru tnCOmpélenle pour connaÎtTe la contravention de l'arti-
cle 412.
taire, sont assimilées par l'article 426, 3' au délit d'importation
ou ex portation sans déclaration de marchandises prohibées,
lorsqu'elles ont été commises à l'aide de factures, certificats ou
tous autres documents fau x, inexacts, incomplets ou non applicables.
Ce texte vise spécialement les factures, élément primordial
pour déterminer la valeur des marchandises, puis les certificats,
documents nécessaires pour vérifier l'origine. Factures et certificats sont de nature à éclairer l'Administration sur le destinataire réel. Mais, quant à l'espèce, le texte ne peut viser aucun
document précis propre à révéler une fraude sur la dénomination
attribuée à la march andise par le déclarant.
L'article 426, 3' ne vise pas seulement les documents faux "
car ceux qui sont inexacts ou incomplets sont particulièrement
suspects; s'ils ont été utilisés pour rendre vraisemblable une
déclaration inexacte, la fausse déclaration ne paraît pas être due
à une simple erreur; elle est alors plus gravement sanctionnée.
T el est bien le sens du texte qui vise les fausses déclarations
commises • à l'aide . de documents irréguliers.
28) li Y a pas lieu d'en chercher une autre interprétation
lorsque la fausse déclara tio n est commise à l'aide de documents
• non applicables •.
Cette expression est utilisée par référence à l'article 38,
lexte qui définit la catégorie des march andises prohibées. Dans
son paragraphe 2, le texte vise les marchandises dont l'importatio n n'est pennise que sur présentation d'une auto risation individuelle, accordée le plus souvent sous forme de licence.
Ce document est particulièrement visé par l'article 38, 2'
lo rsqu'il précise qu'est considérée comme prohibée la marchandise qui est présentée sous le couvert d'un titre non applicable.
Cette fiction est nécessaire pour déjouer les trafics de licence et
ne devrait donc être utilisée que lorsque la licence • non applicable . restitue à la marchandise qui est so umise à une autorisation individuelle sa qualité de marchandise prohibée, dont
l'importation ou l'exportation doit être réprimée.
N'est-ce pas forcer les textes que prétendre, lorsque la
licence est régulièrement obtenue pour une marchandise d'une
certaine espèce, que ce titre devient inapplicable si la marchandise doit porter une autre dénomination douanière (I )? Certes,
(1) Comme l'a soutenu l'Administration, cf. Colmar, Il juin 1959,
cit~ supra.
�89
88
la marchandise
mais la fausse
d'un document
inapplicable à
est alors prohibée, au sens de l'article 38, 2',
déclaration d'espèce n'a pas été faite à l'aide
non applicable. C'est le document qui devient
la marchandise, du fait de la dénomination
inexacte.
Pour être un élément constitutif du délit de fausse déclaration de l'article 426, 3', le document non applicable doit avoir
aidé le déclarant à faire passer pour exacte uoe déclaration
inexacte. Un tel procédé permet d'exclure l'hypothèse d'une
simple erreur dans la déclaration et devient, en quelque sorte,
une circonstance aggravante qui permet d 'incriminer en tant que
délit la fausse déclaration, quelle qu'en soit la portée.
L'article 426, 3' semble en effet devoir essentiellement
s'appliquer aux fausses déclarations qui se bornent à compromettre le montant d'un droit. Car, pour éluder une mesure de
prohibition, l'importateur cbercbe soit à dissimuler la probibition qui frappe la marcbandise par une fausse déclaration dans
l'espèce ou dans l'origine, facilement incriminé sous l'article 426
2 °, soit à joindre à une déclaration exacte une licence obtenu~
irrégulièrement. Cette fraude est alors du domaine de l'article
426, l ', dont les dispo itions permettent de relever les infractions au régime d'utilisation et d'obtention des autorisations
individuelles d'importation ou d'exportation.
29) fi semble que la plupart des difficultés que nous avons
envisagées se soient présentées dans différentes procédures
engagées à la suite de fausses déclarations dans l'origine d'appareils américains importés via la Tunisie. La Cbambre criminelle
a été amenée à se prononcer à plusieurs reprises, mais ses
décisions révèlent une confusion entre les éléments constitutifs
de l'infraction d'importation sans déclaration, visée par l'article
423, l 'et les éléments requis pour assimiler une fausse déclaration à une importation sans déclaration de marcbandises
probibées.
,. L'analyse. de ces différentes espèces va nous permettre
d illustrer les difficultés d'application des textes précisant les éléments requis pour incriminer en tant que délits certaines fausses
déclarations.
B. -
Difficultés d'application des articles 426, 2' et 426, 3'
.30) L'importation de certains appareils américains, via la
TunJSle, a donné heu à une fraude d'envergure, à l'origine de
multIples procédures. Les premIers apparei ls importés des U.S.A.
vIa la TUOJsle, furent déclarés aux Douanes françaises sous une
origi ne danoise. Ils étaient accompagnés d'une déclaration de
sortie des Douanes tunisiennes, altestant la régularité de l'importation en Tunisie, pays de prime abord au sens de la Convention d'Union douaniè re franco-tunisienne en vigueur à l'époque.
Conformément à celte Convention, les appareils pouvaient
alors être admis en France en franchise de droits de douane et
formalités de cbange. Les Douanes françaises contestèrent néanmoins l'origine danoise, et le 15 janvier 1960, la Cour d'appel
d'Aix, ayant relevé qu'aucune manipulation importante n'avait
eu lieu au Danemark, sur des appareils dont les emballages
révélaient l'origine U.S.A., retenait une tentative d'importation
sans déclaration de marchandises prohibées.
La Chambre criminelle, le 5 octobre 1961 (1) approuvait
les Juges du fond pour avoir justement décidé :
« que la présentation de la déclaration de sortie des Douanes
« tunisiennes à l'appui de la fausse déclaration d'origine
« constituait, en application des articles 38, 2' et 426, 2'
«et 3' une tentative d'importation sans déclaration de
« marchandises prohibées •.
La Cour de cassation relevait, en outre, qu'eo effet )'irré-
gularité constatée avait pour objet de tourner la prohibition.
Les élément constitutifs de l'infraction de l'article 426, 2'
étaient bien réunis, et la condamnation aurait été suffisamment
justifiée en vertu de ce texte. Néanmoins, les Juges du fond
avaient également visé l'article 426, 3' , qui incrimine les fausses
déclarations commises à l'aide de documents non applicables au
sens de l'article 38, 2 ' . Ils pouvaient en effet décider que la
déclaration de sortie des Douanes tunisiennes, accordée à des
appareils d'origine danoise, devenait inapplicable à des appareils
d'origine U.S.A. et que l'importation en France sous une fausse
origine avait été tentée à l'aide de ce document.
Mais si l'importation n'avait été que tentée, elle devait
cependant être assimilée à l'infraction consommée, par le jeu
. (1) La distinc~ion entre les délits incriminés par les 2 textes a été
SOull~ée ~~r le .!nb. ~orr. de la .Seine (20 octobre 1964 cité supra) qui a
dû dLSqualiflcr 11Ofractlon poursuJ\fÎe en vertu de l'art. 426, 3
li .
(1) Crim., 5 oct. 1961 , Bull. n' 379, p. 727.
�90
de la présomption légale qui répute importation sans décl.a r~tion
de marchandises prohibées les fau sses déclarallons IDcrumnées
par l'article 426, 2' et 3', sans qu'il y ait lieu de re.chercher
si les marchandises ont été ou non mIses à la consommalton.
31) Au contraire, le refus de donner mainlevée de l'envoi
d'autres appareils (1) pré entés vers la même époque à Port-SaintLouis-du-Rhône ne permettait que des poursuites pour tentative
d'importation sans déclaration de marchandises prohibées, faute
de pouvoir incriminer la fausse déclaration.
En effet, les Douanes tunisiennes avaient relevé que l'origine
hollandaise, déclarée lors de l' importation des appareils en
Tunisie, était inexacte. Mais, usant de leur pouvoir d'accorder
une transaction, les Douanes tunisiennes avaient ainsi régularisé
l'importation sur le territoire de prime abord et, à la suite de la
transaction, elles pouvaient délivrer des documents de sortie
indiquant la véritable origine, les U.S.A. Il fallait cependant,
pour que les appareils puissent être admis en France, que la
modification apportée à la licence, à la suite de la transaction,
ait été visée par la délégation à Tunis de l'Office des Changes
Français.
Ce visa avait été acco rdé à la licence accompagnant les
appareils présentés à Port-Saint-Louis-du-Rhône. Cependant les
Douanes françaises refusèrent la mise à la consommation et
invoquèrent les dispositions de J'article 423 , l ', aux termes
duquel constituent des importations sans déclaration les importations, par les bureaux de Douane, effectuées sous le couvert
d'une déclaration de détail non applicable aux ma rchandises
présentées.
li semblait en effet impossible d'invoquer une irrégularité
daos la déclaration, puisque la fausse déclaration d'origine avait
été « purgée > par la transaction, et que les appareils étaient
déclarés en France sous leur véritable origine. Mais les documents
qui accompagnaient la déclaration, notamment le passavant de
sortie de Tunisie, portaient encore la mention: « reconditionnées
en Hollande >. L'Administration des Douanes françaises en
conclut que la déclaration régulière d'appareils fabriqués aux
U.S.A. ne pouvait s'appliquer qu'à des appareils reconditionnés
en Hollande. 11 y avait non identité entre les appareils déclarés
(1) Ce refus a été d'ailleurs à. l'origine de poursuites contre les agents
de l'Administration en vertu de ('article 114 du Code ~naJ ; Civ., 20 nov.
1963, D. 1964, l ., p. 446, note D. RuzlE; l .C .P., 1964, U, 13771 , noIe
EscANDE.
91
comme reconditionnés en Hollande et ceux présentés qui
'
n'avaient subi aucun reconditionnement (1) .
Celte a rgumentalion, sublile, a été admise par la Chambre
criminelle (2), qui a cassé la décision de la Chambre d'Accusation
de la Cour d'appel d'Aix, confirmant l'ordonnance de non lieu
intervenue dans les poursuites pour tentative d'importation sans
déclaration de ma rchandises prohibées.
Sur renvoi, la Chambre d'accusation de la Cour d'appel
d'Amiens a paru s'incliner, puisque les prévenus sont renvoyés
à comparaHre devant le Tribunal correctionnel de Sen lis, le
pourvoi contre la décision de la Cour d'Amiens ayant été
rejeté (3).
32) Cependant, un moyen de ce pourvoi est plein d'intérêt,
car il met en garde contre une confusion entre les éléments constitutifs des infractions incriminées par l'article 423, l ' et l'article 426, 3'. Il souligne, en effet, qu'abstraction faite des documents d'accompagnement, la déclaration de détail qui porte une
origine U.S .A. s'applique aux appa reils fabriqués en U.S.A. Et
le fait que les documents portant la mention « reconditionnés en
Hollande > soient inapplicables à des appareils qui n'ont pas été
reconditionnés a pour effet, aux termes de l'article 38, 2' . de
faire considérer la marchandise comme prohibée. Mais celle
constatation ne suffit pas pour rendre la déclaration inapplicable
car le délit d'importation sans déclaration de marchandises prohibées, rappellent les demandeurs au pourvoi, ne peut être constitué que par la réunion de deux éléments :
- des marchandises prohibées à l'importation,
- l'absence de déclaration, la fausse déclaration ou la
déclaration inapplicable.
Les documents non applicables ont pour effet de rendre
prohibée la marchandise importée. lis ne peuvent avoir aussi pour
effet de rendre la déclaration inapplicable, sans réduire à un
seul élément les deux éléments constitutifs requis.
33) L'Administration des Douanes s'est bien gardée, d'ailleu rs, de prétendre que les documents n'étaient pas applicables.
Elle ne vise les documents porlant la mention « reconditionnée
en H ollande > que pour conclure à une non identité entre les
(1) Comme il y a non identité entre les be tteraves déclarées et le
poivre présenté dissimul é dans les colis de be tteraves.
(2) Crim ., 12 juil . 1962, Bull. n' 246, p. 512.
(3) Crim ., 16 juil. 1964, Bull. n' 238, p. 509.
�93
92
marchandises déclarées et les marchandi es présentées, non
identité qui rend inapplicable la déclaration en détail, au sens de
l'article 423, 1°.
C'est au Tribunal de Senlis qu'il appartiendra de dire si
l'infraction d'importation sans déclaration de marcbandises prohibées est constitu e et, nouS l'espérons, en visant le texte exact.
Car les décisions qu'il nOUS faut encore envisage r, dans le cadre
de la même fraude, semblent avoir d'autant plus aisément confondu les infraction des articles 423. 1°, 426, 2" et 3° qu'un
nouvel élément intervenait, avec l'irrégularité de la licence accompagnant les appareils.
34) En effet, des billards présentés à Nice-Port et à Sète
avaient été autorisés à quitter le territoire Tunisien sans que la
modiIication apportée à la licence après la transaction ait obtenu
le visa requis.
La Chambre criminelle, le 5 octobre 196 l , jour où eUe
rejetait le pourvoi contre la décision de la Cour d'appel d'Aix
qui avait pu retenir la fausse déclaration d'origine (1) , approuvait cette même juridiction pour avoir • appliqué les pénalités
de l'article 414 . dans l'affaire des appareils présentés à NicePort sous une déclaration d'origine exacte. Les pénalités de
l'article 414 étant applicables au si bien aux infractions incriminées par l'article 423, 1° comme importations sans déclaration,
lorsque les marchandises sont prohibées, qu'aux infractions assimilées par l'article 426 au délit d'importation sans déclaration de
marchandises prohibées, la décision de la Chambre criminelle
est peu révélatrice à l'égard du texte visé pour la condam nation.
D'autre part, si la Chambre criminelle se livre à une analyse de la Convention franco-tunisienne , pour en conclure que
la licence, dont la modiIication n'a pas été visée. est inapplicable aux appareils présentés à Nice-Port, eUe se borne ensuite
à affimaer qu'ainsi la déclaration en détail est inapplicable,
au sens de l'article 423, 1°.
35) Plus récemment (2) la même Chamb re de la Cour de
cassation a été amenée à se prononcer sur une décision de la
c.our d'appel de Montpellier, relative aux appareils présentés à
Sete, accompagnés eux aussi d' une licence irrégulière. Mais la
Chambre criminelle semble avoir reconnu que l'irrégularité de ce
(1) A propos des premiers appareils introduits en France sous origine
danoise.
(2) Crim., J3 février 1964, Bull. n' 53, p. 116.
document était impuissa nte à rendre la déclaration inapp)' bl
. ' II
.
1 f
déclaration d'origine. que la transacIca c,
pUl S~U e e retIent a ausse
lion mopposable aux Douanes françaises n'avait pas purgé de Son
V lCC :t .
Toutefoi s, puisque la Cour de cassation estimait que :
• s'il est vrai que la déclaration souscrite au bureau de
• Sète mentionne exactement pour pays d'origine les U.S.A.
• et pour provenance la Tunisie, cette déclaration n'en était
c pas moins inexacte,.
elle aurait dû en conclure qu'étaient réunis les éléments constitutifs des fausses déclarations visées par l'article 426, aussi bien
celles commises à l'aide d'un document non applicable que celles
aya nt pour but ou pour effet d'éluder l'application des mesures
de prohibition. Celte décision surprend donc lorsqu'eUe précise
que la fausse déclaration rendait inapplicable la déclaration
souscrite à Sète, et que c'e t à bon droit que les juges d'appel
ont retenu le délit d' importation sans déclaration de marchandises
prohibées.
Il est certain que le délit de J'article 423, 1° pouvait être
consommé, les Douanes françaises ayant donné main-levée
aux appareils présentés à Sète, mais était-ce bien ce texte que
la Chambre criminelle entendait viser ?
Le mérite de celle décision est de ramener à la réalité, par
la fausse déclaration d 'origine, une fraude que J'Administration
a dû essayer de déjouer, en affirmant que des billards américains
n'étaient pas identiques ... à eux-mêmes. Mais cette fiction étaiteUe vraiment inutile? C'est alors poser un autre problème, celui
de la portée de la transaction douanière, que nous ne pouvons
envisager ici.
�II
LE DROIT PÉNAL
GÉNÉRAL DOUANIER
�Le particularisme
de la responsabilité pénale
en matière douanière
pu
Melle Colerre TOUBOUL
M, iuanl c l la Fac:u ll é de: D ro it
Cl
dn
Scie nces Économ iques d 'A il!::
�INTRODUCTlON
Les règles du droit pénal douanier n'ont que fort peu varié
depuis l'ancien droit.
T andis que de nombreux droits douaniers étrangers ont
élaboré les règles de la prévention et de la répression de la fraude
douanière en tenant compte des principes évolués de leur droit
pénal, civil et fi sca l, le droit douanier français a pratiquement
gardé les règles archaïques en vigueur dans l'ancien droit.
Les règles du droit répressif douanier obéissent aux mêmes
principes essentiels de base qui ont été posés par Colbert dans
les deux grandes ordonnances de 168 1 et 1687. Les dispositions
édictées par ces deux ordonnances subsistèrent pendant tout
l'ancien régime, ne subissant que d'insignifiantes modifications,
mais ce qu'il y a d 'extrao rdinaire c'est que le législateur révolutionnaire qui d ans les autres domaines eût pour souci majeur
d'humaniser les règles de l'ancien droit, maintient celles particulièrement rigo ure uses du droit pénal douanier.
Si la légi lation douanière a été maintes fois codifiée en
1916, 1934, 1949, on n'a que fort peu innové, à peine l'a-t-on
assouplie. Aussi ne peut-on manquer de s'étonner qu'elle ait pu
survivre à l'évolution générale des idées en matière de droit pénal,
de droit civil et qu'elle ait pu s'adapter aux tendances si variables
de nos conceptions économiques allant du prohibitionnisme de
la restauration, au protectionnisme de 1892, et au dirigisme de
1939.
A considérer cette législation, on a pu légitimement se
demander comment de semblables lois ont été faites dans un
pays civilisé, en pleine révolution française au moment où les
idées nouvelles sur les droits de l'homme et où la barbarie des
anciennes lois pénales faisaient place à l'humanité et à la justice.
On a pu parler de la • brutalité du contentieux douanier • :
et ce jugement ne procède pas à notre avis d'un jugement exagérément sévère : la législation douanière contient des dispositions
d'apparence insoutenable tant elles dérogent au droit commun,
tant elles paraissent incompatibles à son esprit individualiste et
soucieux avant tout d'équité.
�101
100
Si au cours de cet article nous mettrons l'accent sur la sévérité, le caractère draconien que pre entent les règles de la responsabilité pénale. en matière douanière, nous vo ulons ava nt d'analyser les manifestations de leur particularisme tenter dès à
présent de le ju ti1ier.
A la survicance de ces vieu" principes on donne plusieurs
raisons.
_ Tout d'abord ces principes constituent autant de privilèges concédés par l'ancienne monarchie à ses fe rmiers dan le
but d'assurer une meilleure sauvegarde de leurs intérêts. Cette
légi lation s'est constituée sur des bases essentiellement empiriques et pratiques. Les auteurs du premie r Code douanier, celui
de 1791, étaien t des commis de la ferme générale: ils se préoccuperent avant tout de préciser les modalités de la perception des
droits de douane, de préciser les sanctions applicables à ceux
qui contrevenaient aux formalités prescrites sans se soucier de
rattacher cette légi lation aux principes généraux du droit commun ou du droit fiscal: les règles ainsi édictées étaie nt si favorables pour les intérêts du fisc que le trésor n'a jamais accepté
de renoncer aux avantages substantiels qu'il tirait de l'ancienne
législation (1).
- D'autre pan ces droits de douane qui sont de véritables
impôts de consommation présentent par rapport aux au tres impôts
cette particularité de frapper des produits étrangers: dès lors
il s'est très tôt avéré nécessaire, en vue de protéger le marché
français, tant agricole, que commercial ou industriel, contre la
concurrence étrangère, d'édicter des sanctions pénales plus rigoureuses qu'en matière de taxes intérieures. De plus l'impossibilité
fréquente où se trouve l'administration, d'atteindre en cas de
fraude les expéditeurs étrangers, a conduit à lui conférer des
moyens d'action particulièrement rapides pour la répression des
infractions douanières.
- La sévérité des règles régissant la responsabilité pénale
en matière douanière procède enfin pour certains d'une réaction
d~ défen~e de l'Administration contre une opinion publique qui
n appar~t, pas suffisamment choquée par la fraude fiscale et qui
ne conSIdere pas que l'honneur du coupable soit entaché par une
condamnallon pour une infraction douanière.
1;
Tout
co?tentieux douanier est ainsi caractérisé par une
réacllon prevenllve contre l'impunité, l'indulgence ou la complaisance dont les fraudeurs pourraient bénéficier s'ils étaient soumis
(1)
ote M.L.R., D. 1947, chrono page 11 3.
auX r gles du droit commun . C'est pourquoi les divers codes
qui se sont succédés depuis la période révolutionnaire ont conservé les dispositions de l'ordonnance du 22 juillet 1681 et
l'article 369 du Code des douanes de 1949, qui constitue l'une
des bases essentielles de l'étude que nous avons faite sur la responsabilüé pénale, a maintenu l'ancienne défense faite au juge:
ceUe d'excuser le contrevenant sur l'intention (1).
Ce sont aussi les raisons pour lesquelles on a mai ntenu en
matière de responsabilité pénale, les présomptions de faute que
le législateur de l'ancien droit faisait peser sur certaines personnes: présomptions rigoureuses interprétées de façon tellement
extensive, et ce conformément aux vœux de l'Administration des
douanes, que rares sont les hypothèses où la fraude douanière
ne sera pas, pourrait-on dire assigné un responsable: en effet par
le jeu de ces présomptions il est particulièrement aisé de déterminer l'auteur de l'infraction ; eUes dispensent l'Administration
d'apporter la preuve du délit et interdisent au prévenu d'opposer
la preuve contraire ; c'est-à-dire que l'on se trouve, quelle que
soit l'infraction constatée, contrebande, importation ou exportation sans déclar ation, en présence de présomptions irréfragables; dès lors la constatation de l'élément matériel de l'infraction, l'acte extérieur par lequel se manifeste l' infraction : transport
ou contrebande, fau sse déclaration, débarquement frauduleux, va
être le facteur exclusif de la détermination des personnes responsables. L'on comprend que cet élément matériel soit presque
toujours très exactement défini de manière à pouvoir étendre le
plus possible la répression. Mais il n'en demeure pas moins
complexe; on lui assigne traditionnellement quatre facteurs :
un acte positif ou négatif : importation, détention, déclarat ion ;
une circonstance viciant cet acte, telle l'absence de jus-
tilication d'origine;
un objet déterminé auquel s'applique l'acte: marchandise
prohibée ou fortement taxée;
une condition de lieu étant nécessaire pour que l'acte
soit répréhensible qu'il ait été accompli en un endroit
bien déterminé: zone du compte ouvert, zone maritime
du rayon.
En droit pénal douanier, il suffira pour déterminer la personne responsable de préciser que tel acte matériel a été l'œuvre
(1) Sur celte règle, voir encore en dernier lieu Trib. corr. Seine,
20 octobre 1964, G. P. 1965, t. 40.
�102
de la volonté de tel individu sans avoir pour a utant à rapporter
la preuve que cet acte volontai re a ét intentionnel, soit que
J'auteur de l'acte a eu conscience d'accomplir un acte illicite.
Dès lors en matière douan i~ re, l'élément intellectuel, moral
de J'infraction, est réduit au seul facteur volonté. Ce facteur
ab olument indispensable étant présumé exister c'est au prévenu
d'adouni trer la preuve qu'au moment de l'infraction sa volonté
etai t absente ou paralys e. De plus ni l'erreur de fait, ni l'erreur
de droit ou l'ignorance ne peuve nt enlever à l'infraction son
caractère delictueux. Dc cc fail J'on compre nd que J'on assim ile
les délits et les contrave ntions de douane, a ux contraventions de
police et que J'on parle à leur propos d'infractions matérielles.
Sans doute ces considérations ne s'appliquent pas à la totalité des infractions douanières. Dans un très petit nombre de cas,
le Code des douanes fait de la connaissance coupable l'un des
éléments constitutifs de l'infraction (art. 399, § 2 C).
Cette connaissance coupable est également nécessaire à
l'égard des complices quand il n'est pas possible de faire jouer la
complicité spéciale douanière et que l'on est obligé de faire application de l'article 60 du Code pénal.
En effet, pour une répression efficace de la fraude douanière
il est vite apparu que les règles de la complicité de d roit com~
muo, étaient souvent insuffisantes pour punir ceux qui n'Dot
coop,éré qU'ind,irectement à la. fra ude. O r il est fréquent en
mallere douaruere que celUI qUI commet l'acte principal frauduleux ne soit pas le véritable bénéficiaire de la fra ude: les gros
tr:w cs sont souvent l'œuvre de véritables organismes de fra ude, de
ventables entreprises de contrebande et, comme le fait remarquer
M. azano, ces entreprises sont financées par des commanditarres qUI restent étrangers aux actes directs de fraude et se gardent de tout rapport avec les agents subalternes ne connaissent
généralement ni les propriétaires, ni les destinata~es de marchandISeS et ne sont unis à l'entreprise que par les sommes qu'elle
leur procure et par les bénéfices qu'ils en retirent.
11 semble que ce soit sous l'influence de telles considérations
~ue .la législa~ion douanière a été amenée, et toujours da ns
1 ancIen drOIt, a énger une modalité spéciale de complicité, exborbllan te du droit commun, désignée sous le nom d' inté rêt à la
fraude.
,. Sans doute le législateur moderne s'est préoccupé de pallier
1 I1OpréclSlOn des textes antérieurs, d'éviter que l'expression . intéressé à la fraude , ne fasse l'objet d'une interprétation trop extenSIve, de permettre de tenir compte, le cas échéant de la honne foi
103
de certains intéressés c'est à cette fin que les articles 399, § 2 ct
400 du nouveau Code des douanes précisent d' une manière assez
détaillée quelles personnes doivent-être considérées comme intéressées à la fra ude. Sans doute le nouvea u Code des douanes
en réservant l'application de la complicité de droit commun e~
matière de douane, assigne-t-il par là même à cette notion
d'intérêt à la fraude des bornes au-delà desquelles il faudra
recourir a u droit commun. 11 n'en demeure pas moins que ce
dernier constitue l'exception, d'application fort lintitée, tandis que
du fait de l'interprétati on qu'en donnent les tribunaux la notion
spécifique de l'intérêt à fraude constitue la règle celle où se manifeste le plus la rigueur du droit pénal douanier.
Dès lors nous ve rrons
dans une première partie :
le particularisme dans la déterntination de l'auteur principal,
-
et dans la deuxième partie:
le particularisme de la complicité en matière douanière
ou la notion spécifique de l'intérêt à la fraude.
�105
PREMIÈRE PARTIE
La rigueur des règles qui régissent cette matière, le caractère apparemment inexorable de la res ponsabilité qui pèse sur
les personnes que la loi douanière désigne nous conduira à nous
demander dans une deuxième sous-partie s'il n'existe point certaines limites à ces principes stricts d'imputabilité, si en particulier ces personne ne peuvent dans certains cas se voir exonérées
de leur responsabilité.
PARTICULARISME
DE LA DÉTERMIN ATION
A. -
DE L' AUTEUR PRINCIPAL
DE L'AUTEUR PRINCIPAL DE LA FRAUDE
EN MATIÈRE DOUANIÈRE
En droit commun l'élément matériel de l'infraction étant
prouvé, il faut encore élablir que le fai t matériel constaté peut
être imputé à tel ou tel individu. Il faut prouver que le délit est
imputable morale ment au prévenu et cela suppose la preuve
d'une faute, de l'intention coupable.
En matière douanière, l'accusation n'a pas à prouver J'inten!ion fra uduleuse: l'élément intellectuel est réduit au seul facteur
volonté. Or cette volonté est présumée dès l'instant où le fait
matériel est établi : en prouvant le fait on prouve l'infraction
doua.nière.
S'il est facile de parvenir à la consécration d'une teUe règle
dans le cas où l'infraction est matériellement constituée par un
acte positif instantané telle une importation irrégulière, il n'en
est pas de même lorsque l'on n'est pas certain de la participation
du prévenu à l'acte matériel de circulation ou de détention frauduleuse.
En vue de résoudre les difficultés pouvant naît re dans une
teUe hypothèse la loi douanière a consacré des règles exhorbitantes du droit commun en faisant peser par une série de présomptions la responsabilité pénale sur certaines personnes qu'eUe
désigne et cela même si ces personnes n'ont commis aucun acte
positif frauduleux. Il en est généralement ainsi quand l'infraction
est caractérisée par la situation irrégulière dans laqueUe se
trouve une marchandise.
- Nous serons donc amené à envisager dans une première
sous-partie les procédés extensifs de la détermination de l'auteur
principal.
PROCÉDÉS EXTENSIPS DE LA DÉTE RMINATION
lei il convient de distinguer :
- d'une part, le cas où la marchandise est trouvée en situation irréguliè re ce qui se ramène à l'étude de la présomption de
culpabilité établie pa r l'article 392 et que nous pourrons qualifier
tant elle nous est apparue importante de pierre angulai re de la
res ponsabilité pénale en matiè re douanière.
Ce sera là évidemment déterminer l'auteur possible du délit
de contrebande.
- D 'autre part, nous aurons à nous demander sur queUes
personnes pèse la res ponsabilité en cas d'importation ou d'exportation sans déclaration.
1. -
La marchandise est trouvée en situation irrégulière.
L 'article 392 stipule : • le détenteur de marchandises de
fraude est réputé responsable de la fraude >.
Celte formule tout à fait générale crée une présomption
de culpabilité à l'encontre de celui chez qui ou sur qui est trouvée
une marchandise en situation irrégulière. En d' autres termes cette
présomption permet d'imputer l'infraction à une personne nettement désignée, le détenteur, qui sera réputé être l'auteur principal
de la fraude et à ce titre pénalement responsable.
Cette disposition qui ne figurait pas dans le Code des
douanes de J 934 n'est que la cristall isation d'une jurisprudence
constante de la Cour de cass ation. C'est donc à celte jurisprudence qu'il faudra se référer pour déterminer d'une p~rt la nature
de cette présomption, et d'autre part son domaLOe d application.
�107
106
a) Nature de la présomption de l'article 392.
C'est une présomption irréfragable que fait peser l'article 392
sur le détenteur de marchandise de fraude car il convient de combiner les dispositions édictées par cet article avec celles de
l'article 369 faisant défense aux juges d'excuser les contrevenants
sur l'intention .
En vertu d'une jurisprudence constante, la responsabilité
pénale à laquelle est a sujetti le détenteur est encourue par le
seul fait de la découverte des objets de fraude.
Une lignée impressionnante de décisions, consacre invariablement ce principe.
On ne peut en donner que quelques exemples ayant pu être
choisis au ha ard, en raison du caractère invariable de leur motivation depuis plus d'un siècle.
Ainsi la Chambre criminelle de la Cour de cassation dans
l'arrêt du 27 avril 1938 (1) déclare :
c qu'un conducteur de voiture est responsable pénalement
e de l'importation d'une marcbandise de contrebande par le
e seul fait du chargement de ladite marchandise dans sa
c voiture sans que l'administration des douanes soit tenue
c d'établir un acte de participation personnelle à la fraude.
e C'est donc à tort, poursuit-elle qu'un arrêt déclare un
e conducteur non responsable à défaut d'intention frau e duleuse ') .
Dans le même sens on peut citer l'arrêt de la Chambre crimineUe du 15 avril 1965 (2). Une Cour d'appel avait relaxé
un cbauffeur de taxi dans le véhicule duquel avaient été trouvées
des marcbandises de contrebande au seul motif qu'il n'avait pas
connu la nature des objets transportés. La Cour Suprême cassa
l'arrêt en proclamant que c le détenteur de marchandises dont
l'entrée est prohibée, est pénalement responsable de la fr aude
et ne peut être exonéré de cette responsabilité qu'en justifiant
d'un fait précis de force majeure '.
C'est en vertu de ce même principe exprimé de façon encore
plus nette que la Chambre criminelle de la Cour de cassation a
cassé par un arrêt du 19-2-1958 (3), une décision relaxant
un prévenu au motif qu'il ne connaissait pas le contenu du co lis
(1) Bull. 1938, 0° 126, p. 265.
(2) Bull . 1956, 0° 329, p. 607.
(3) Bull . 0° 172, p. 288.
renfermant les marchandi es litigieuses et qu'il était ainsi dans
l'impossibilité de se soumettre à la loi.
La présomption , dit la Cour Suprême, qui pèse sur un détenteur de marchandises prohibées, a un caractère absolu et ne
peut être détruite que par la preuve d' un cas de force majeure.
On pourrait multiplier à l'infini ces exemples: il convient
toutefois de constater, à travers ceux cités, s'agissant dans tous
les cas d'arrêts de cassation, une certaine réticence de la part
des juges du fond à faire application sans discernement de la
présomption de l'article 392. lis sont en effet enclins et cela
apparaît nettement à la suite d'une étude approfondie des décisions rendues en la matière à ne la considérer que comme une
présomption simple, à tenir compte en particulier de la bonne foi
du prévenu, lorsque celle-ci peut être manifestement déduite des
éléments de la cause: l'équité qui ne semble pas toujours le fait
de la législation douanière, leur inspire des décisions qui oe
trouvent cependant jamais grâce devaot la Cour Suprême qui
applique de faço n extrêmement stricte les principes régissant
la matière, altitude conforme bien sûr aux vœux de l'administration des douanes qui a toutes les chances de voir le préjudice
qu'elle allègue réparé. Le détenteur de marchandises de fraude
subissaot le sort rigo ureux de ne pouvoir en aucun cas exciper
de sa bonne foi, il ne pourra pas, par exemple, se prévaloir
du fait que les objets de fraude ont été déposés à son insu dans
les lieux dont il a la jouissance : sera donc responsable pénalement celui qui aura la mauvaise surprise de découvrir que de tels
objets ont été déposés dans les dépendances de sa maison, le
détenteur ne pourra se libérer en prouvant qu'il n'a commis
aucun des actes positifs à la suite desquels est oée la situation
irrégulière incriminée.
Cela résulte de la nature même de la présomptioo édictée
par l'article 392 :
_ Il s'agit en effet d 'une part, d'une présomption d'imputabilité matérielle dans la mesure où il n'est point nécessaire de
prouver la participation personneUe du prévenu à l'acte matériel de circulation ou de détentioo irrégulière.
- 11 s'agit d'autre part et cumul ativement d'une présomption de cu lpa bilité.
La faute que l'on présume o'est certes pas une faute. intentionnelle puisque toutes les infractions douanières soot des IOfrac:
tions matérielles où la question de bonne foi ou de mauvaIse fOI
n'entre pas en ligne de compte.
�109
108
La faute que l'on présume ici consiste en une imprudence
ou une négligence constituée par un défaut de surveiUance.
La Cour d'appel d'Amiens, dans un arrêt rendu le 14 octobre 1948 (1) l'a précisé :
• Attendu , dit-elle, que le prévenue a toujours affirmé que
• les 5 caisses de tissu de fraude avaient été déposées chez
c elle à son insu •.
• Attendu que ni le procès-verbal des douanes fran çaises
• ni celui des douanes belges qui y était joint ne contien• ne nt des éléments de nature à établir la mauvaise fni ,
• que toutefois eUe a, à tout le moins commis une impru• dence en ne surveillant pas sa demeure et en pe rmettant
• aux contrebandiers d'y déposer leur marchandise >.
b) Domaine d'application de la présomption de l'article 392
- La force de la présomption de l'article 392 implique que
l'on délimite son domaine d'application . A cette fin , il faut préciser la notion spécifique au droit pénal douanier de détenteur de marchandises de fraude.
Sans doute quand la marchandise de fraude est détenue à
corps ou à main on voit tout de suite quelle e t la personne détentrice et l'application de la présomption de l'article 392 sera
simple.
Mais il arrive que la détention ne se manifeste par aucun
acte ex térieur, comment déterminer alors l'auteur de l'infraction
constatée.
Les tribunaux se sont efforcés de dégager un certain nombre
de règles pour caractériser le lien ju ridique ent re les ma rcha ndises et la personne qui les détient ou qui est censée les détenir.
C'est encore du procédé commode des présomptions qu'ils ont
usé.
Cependant les conditions d'imputabilité de l'infraction à
une personne déterminée sont différentes selon que les marchandises sont en dépôt ou en cours de transport. Il faut donc
envisager successivement ces deux hypothèses
1. - Si le service n'a pu constater la réception de la marchandise en dépôt, s'il n'a pu identifier le réceptionnaire, est
présumé détenteur, celui qui a la jouissance des lieux où cette
ma rchandise est déposée : deux conditions doivent cependant être
remplies pour que cette présomption puisse jouer.
(l) Doc. conl. n· 843 .
(2) Dans le même sens : Casso crim ., 24·7·t937, S. 39, p. 73 .
D'une part elle ne peut être mise en œuvre que si ces
lieux sont une propriété privée. Si les marchandises de fraude
sont découvertes dans des lieux qui sont à l'usage de tous, il
incombera alors à l' administration des douanes de faire la
preuve que les dites marchandises ont été déposées par le
prévenu .
Ce principe a été mis en lumière par la Chambre criminelle de la Cour de cassation 15-1- 1948 (1) .
Elle a dans cette espèce refusé d'appliquer la présomption
de détention au propriétaire d'une maison devant laqueUe se
trouvait une charge de tabac, car cette charge, bien qu'à la
portée de la main des occupants de la maison était déposée dans
un passage ouvert à tous.
Mais s'agissant de lieux privés, la présomption jouera dans
tous les cas indépendamment de toute considération tirée de la
nature, de la position ou de l'état des lieux : ainsi il importera
peu que les locaux ne soient pas susceptibles d'être fermés à clés
ou que les te rrains ne soient pas clôturés (2): il appartient
dans ces cas a ux habitants du rayon de prendre toutes les
précautions pour empêcher que ne soient déposées dans leur
propriété des marchandises de fraude.
- Une seconde condition doit-être remplie pour que celui
qui a la jouissance des lieux puisse être réputé détenteur : il faut
que les marchandises litigieuses soient déposées dans sa propriété,
qu'il s'agisse de marchandises reposant sur le sol (3).
Aussi il a été jugé que l'on ne peut réputer détenteur celui
dont le champ est traversé par des colporteurs, ni celui qui reçoit
la visite d 'une personne portant à corps ou à main des marchandises de fraude même si cette personne les avaient momentanément posées à proximité d'elle (4).
Mais le problème le plus délicat demeure SUI ce point la
détermination de celui qui a la jouissance des lieux .
_ En règle géné rale on peut dire que sera considérée comme
telle, la pe rsonne qui occupe effectivement les lieux et peu importe qu'elle ait la qualité de propriétaire, de 10catalIe ou de
gardien, pourvu qu'il soit notoire qu'eUe utilise habituellement
(1 ) Doc. conl. n' 8 15.
.
30
(2) Casso crim ., 7 févr ier J 863, Doc . cont. n O 465 ; Cass o cnm.
N ovembre 1947,
.
D oc. conl. n I> 708 ; Nancy. 15-6- 1904 , D oc. cont. nO 432 (gremer); Cass
crim., 8-8- t949, Doc. cont. n' 899 (cave); Douai. 22- 12-1932, Doc. cont.
n' 635 (grange).
(3) Amiens, 3 t- l- t 950, Doc. conl. n' 9 t4.
(4) Casso crim., t7 novembre t911. D.P. t913, 1, 507.
�110
Il 1
les lieux où les marcbandises ont été trouvées en situation irrégulière (1). Si toutefois les lieux sont occupés par plusieurs
personnes, la solution est constante en jurisprudence: toutes ces
personnes sont considérées comme co-détenteurs responsables.
Elles sont collectivement responsables des dépôts constitués
en des lieux dont elles ont la jouissance collective.
C'est un ancien arrêt rendu par la Cour Suprême (2) qui a
posé ce principe dans les termes suivants :
• Celui dans le logement duquel, il a été trouvé des mar• chandises prohibées ne peut être affranchi des peines
• portées par la loi sous le prétexte que ces marchandises
• appartiennent à son beau-frère ... le fait que le loyer du
• logement était payé en commun par les deux beaux-frères,
• ne peut rien changer à la responsabilité personnelle de
• l'occupant qui en sa qualité de co-détenteur, est toujours
• solidairement pa sible des peines encourues par le seul fait
• de la détention >.
Cependant il faut préciser que la responsabilité du cbef de
famille est exclusive de celle de son conjiont ou de ses descendants: lui seul aura la qualité de détenteur à moins d'actes
personnels imputables à des membres de sa famille (3)
Dans tous les cas que nous avons envisagés la détermination
de celui qui à la jouissance des lieux ne pose qu 'une simple
question de fait. Mais l'occupant des lieux peut n'être point
connu, ou tout au moins difficile à identifier, toute la jurisprudence a résolu ce problème en édictant la présomption de détention à l'encontre du propriétaire du lieu de dépôt des marchandises. On admet toutefois que ce dernier peut se dégager de la
responsabilité qu'il encourt du fait de cette présomption en prouvant qu'il a loué à un tiers.
Cette exception de location doit-être en principe justifiée
par la production du contrat (4). Les tribunaux tendent toutefois
à atténuer cette exigence et à admettre la preuve par témoins ceci
dans la mesure où le fait de location résulte de façon non équivoque des éléments de la cause (5).
. Ainsi il a été jugé que ne constitue pas une location la
strople autorisation donnée à un tiers d'utiliser un local.
(1) Casso crim., 8-8-1949, Doc. COOl., n' 899; Casso crim. 24-7-1952,
Doc. cont. n° 1011 , Casso crim., 3-6-1950, Doc . cont. n° 934.
(2)
(3)
(4)
(5)
Casso Crim., 28 avril 1820, Bull. 0 ' 98.
Douai. 1" mai 1895, Doc. conl. 0 ' 323.
Casso Crim., 28-6-1944, Doc. conl. 0 ' 729
Casso Crim., 28-7-t892, D. P., 1893, l, 400.
U. - Les règles relatives à la détermination du détenteur
sur lequel pèse la présomption de l'article 392, sont encore plus
draconiennes qu and la marchandise de fraude est en cours de
transport, quand elle est trouvée alors qu'eUe circule d'un point
à un autre.
Si la marchandise est trouvée soit à corps, soit dans les
bagages d'un voyage ur on ne s'embarrassera pas de scrupules
consistant à se demander si la marchandise lui appartient vraiment, si elle n'a pas été mise à son insu dans ses bagages; quand
même cela serait le cas, le voyageur n'en sera pas moins réputé
responsable pour détention d'objets de fraude .
La Chambre criminelle de la Cour de cassation n'a-t-elle
pas au nom de ce principe condamné d'une façon qui peut
para;'!re injuste un fonctionnaire français d'Indochine pour trafic
de drogue; il fut pourtant établi que l'opium trouvé dans sa
valise avait été introduit à son insu par son boy indochinois.
Poursuivre eo l'espèce le fonctionnaire c'était fournir à
l'administration des douanes un responsable plus solvable (1).
- y aura- t-il des difficultés pour déterminer le voyageur
à qui appartient la marchandise de fraude, ici encore eUes se
trouvent palliées par une présomption : c'est en effet le préposé
à la conduite du moyen de transport dans lequel ont été trouvés
les objets. litigieux qui est réputé pénalement responsable de la
fraude.
C'est là une règle ancienne qui remonte à l'ancien droit :
les avantages qu'elle offre à l'administration douanière suffisent
à expliquer sa survivance. 11 y a plus d'un siècle les ordonnances
royales disposaient que les voituriers étaient pénalement responsables des objets de fraude trouvés dans leur voiture: il était
précisé qu'il s'agissait là d'une présomption irréfragable.
Elle pesait sur celui qui avait la conduite de la voiture, sur
son simple préposé, sans que l'on ait à rechercher le propriétaire
de l'objet de fraude; peu importait que ce dernier fut connu ou
naD, que le voiturier ignorât ou Don l'existence de ces objets.
Ces principes sont demeurés immuables et si la situation
s'est légèremertt compliquée dès la fin du XIX" siècle avec le
développement du transport par chemin de fer, un arrêt des
Chambres réunies (2) a su les adapter aux c"constances
nouveUes.
(1) Casso Crim., 19 mai 1926, D. H. 26 - 348.
(2) Chambres réunies, 21-1-1885, D. P., 1885, l, 217.
�113
112
Les agents des douanes avaient saisi en gare de Bellegarde quatre paquets de tabac de provenance étrangère dans le
wagon de queue d'un train qui arrivait de Genève. L 'administration des douanes engagea alors les poursuites contre le préposé à la garde du wagon où fut trouvée la marchandise de
fraude.
La Cour d'appel de Lyon le relaxa au motif qu 'il n'était
point cbef de train : dès lors il n'était pas spécialement responsable de la provenance des marchandises de fraude transportées,
puisqu'il n'avait pas légalement la surveillance des wago ns.
blèmes quant à la détermination de son auteur : sera évidemm t
responsable celui qui passant par les bureaux de douane ~:it
une f~usse déclaration . Mais le problème se complique dès lors
q~e Ion constate que les déclarations sont rarement l'œuvre
d une seule personne. Très souvent la déclaration est faite par
un fond é de pouvoir du déclarant.
Cet arrêt fut cassé par la Chambre criminelle, mais la Cour
d'appel de Chambéry refusa d'entériner la doctrine de la Cour
Suprême.
Les Chambres réunies durent fin alement se prononcer et
dégagèrent les principes que depuis les tribun aux appliquent
scrupuleusement.
La responsabilité pénale qui atteint le chef conducteur d'un
train, à raison de toute importation de marchandises de contrebande saisies sur le convoi ne met pas obstacle à ce que les
conducteurs subalternes encourent la même responsabilité quand
leurs att ributions permettent de les considérer comme des préposés à la conduite.
Et spécialement tout conducteur chargé de surveiller un
wagon, d'y introduire les colis, est le préposé à la conduite au
wagon et comme tel soumis à la responsabilité pénale en cas
d'infraction aux lois de douane, constatées dans le wagon dont
il avait la garde.
Deux cas prévus par les articles 395 et 397 sont à envisager:
. Ainsi a été dégagée la règle selon laquelle si une marchandise de fraude est découverte dans un wagon seront pénalement
responsables le conducteur dudit wagon et le chef de train.
2. -
Les personnes responsables en cas d'importation
ou d'exportation sans déclaration
La mise en œuvre de l'article 392 a nécessité donc on a
pu le co~stater, la consécration de présomptions compléme~taires
qUI graVItent pourrait-on dire autour de la présomption légale:
elles tendent à facilIter les poursuites de l'administratio n des
douanes, à l'armer efficacement en cas de délit ou de contravention pour faits de contrebande
L'infraction que constitue l'importation ou l'exportation
sans déclaratIon semble a priori devoir soulever moins de pro-
Une première question se pose dès lors, ceUe de savoir si
la responsabIlité pénale pèse en cas d'infraction sur le signatalfe par procuratIon de la déclaration ou sur le mandant au nom
de qui la déclaration a été faite.
Aux termes de l'a rticle 395, si la déclaration est inexacte
c'est le signataire qui est pénalement responsable des omissions
inexactitudes et autres irrégularités relevées de la déclaration.
Ii
est en outre responsable même s'il s'est rigoureusement conformé
aux instructions de son mandant, même si la fausseté de la
déclaration n'est reconnue qu'a posteriori.
- Pa r contre si la déclaration est exacte le signataire est
hors de cause, c'est sur son mandant que pèse l'obligation de
remplir les engagements so uscrits.
C'est ainsi que lorsque la déclaration constitue en même
temps acquit à caution la responsabilité pénale en cas de non
décharge de l'acquit, retombe sur le mandant dénommé soumissionnaire.
- Un autre problème a été suscité par l'évolution de la
législation douanière: en effet si le législateur de 1791 estimait,
à juste titre, que le déclarant était en mesure par l'examen des
marchandises de rédiger une déclaration exacte, le tarif ne
comportant à l'époque qu'un nombre limité de positions il n'en
est plus de même aujourd'hui . Les opérations de dédouanement
sont deve nue fort complexes les pouvoirs d'investigations du
service des douanes ont été accrus; parallèlement s'est établie
la profession de déclarer pour autrui, cependant que le droit
d'exercer cette professio n, c'est~à-dire celle de commissionnaire
en douane a été restreint par l'agrément à des firmes présentant
de sérieuses garanties d'hono ra bilité. Néanmoins le Code des
douanes dans son article 396, maintient le principe de la responsabilité du déclarant. Mais celui-ci trouve provisoirement aujourd'hui son fondement dans la réglementation de la profession de
commissioDna.ire en douane.
L es commissionnaires en douane agréés sont responsables
des opérations en douane effectuées par leurs soins. C'était là
�114
de la part du législateur de 1949, reprendre en l'adaptant un
principe plus que séculaire.
L'administration des douanes, justifie ce principe de la
façon suivante:
Du point de vue juridique il est de droit en matière de
douane, que celui qui a accompli les actes maté riels d'une infraction doit être considéré comme l'auteur du délit. Or le déclarant
en déposant la déclaration qu'il a signée soumet au contrôle de
douanes, cet écrit qui est son œuvre personnelle (1).
Il est donc logique qu'il soit personnellement responsable
des inexactitudes, omissions et autres irrégularités relevées dans
sa déclaration bien qu'il ait agi pour le compte d'un tiers.
Le commissionnaire en douane ne saurait arguer qu'il n'a
fait qu'exécuter passivement les ordres d'un supérieur, qu' il est
lié par le mandat celui-d est nul comme contraire aux lois.
Si sur le plan juridique ce principe peut être ainsi justifié,
sur le plan de l'équité il paraît bien contestable: et tout particulièrement quand les commissionnaires ont rempli scrupuleusement
les devoirs de leur profession : ils peuvent ne pas avoir eu la
possibilité lorsqu'ils ont rédigé la déclaration incriminée, de
déceler le caractère irrégulier des instructions fournies par leur
commettant.
L'étendue de la responsabilité encourue par les transitaires
permet de réaliser la sévérité du système répressif doua nier en
effet elle n'est pas influencée par les conditions dans lesq uelles
la déclaration a été établie, la conscience, les scrupules avec
lesquels les commissionnaires accomplissent leur mission n'est
pas exclusive des sanctions pénales.
Il importe peu que la déclaration ait été établie à la suite
d'un mandat général, ou d'un mandat précis donnant sur les
marchandises tous les renseignements que le déclarant n'aura
qu'à traduire en termes douaniers.
C'est que la IDJSSIOn des commissionnaires en douane,
comme l'a déclaré la Cour Suprême (2), ne consiste pas se ule(I) Le problème est d'ailleurs compliqué par cette circonstance
qu'cn r~gle générale, ce n'est pas J'agrU des douanes qui signe la
déclaration mais un de ses employés.
D'autre part, les commissionnaires en douane peuvent être aussi bien
des personnes morales que des personnes physiques. Un arrêt de la
Chambre criminelle du 2 décembre 1965, Société MooT, BuJl. C rim.,
0 - 261 a cependant refusé d'admettre la responsabilité pénale de la per-
11 5
ment à reproduire les termes de la déclaration faite par leurs
commettants, mais à faire une déclaration régulière après avoir
effectué les vérifications nécessaires.
Le transitaire doit vérifier les marchandises qu'il doit
dédouaner,
. mais aussi tous les
. éléments de la déclaration , même
ceux qUI ne peuvent ressortI[ que de l'appréciation de la sincérité de son commettant, c'est ce qui résulte de l'arrêt précité
de la Chambre criminelle .
Un individu avait donné mandat à un transitaire de déclarer un mobilier au bénéfice de la dérogation à la prohibition
générale d'exportation, dérogation dont jouissent les mobiliers
des personnes allant s'établir à l'étranger.
• Le déclaran t, dit la Cour de cassation, doit être considéré
comme auteur d'une fa usse déclaration tendant à éluder la prohibition de sortie et ne saurait être excusé sous prétexte qu'il ne
peut être fait obligation à un commissionnaire en douane, de
déceler les intentions secrètes de ses clients. >
Cet exemple permet de mesurer la sévérité de l'interprétation donnée par la Cour de cassation de l'article 396. JI
faut ajouter que selon une jurisprudence constante, les conditions
dans lesquelles l'infraction a été constatée ne peuvent atténuer
la responsabilité du déclarant.
Il demeurera responsable des fausses déclarations qui n'ont
pu être établies que par l'expertise légale. Sa technicité doit en
effet lui permetlre, par l'examen des marchandises, ou des
documents ainsi que des éclaircissements qu'il aura pu demander
à son commettant, à des experts de déterminer exactement
l'espèce, la valeur, l'origine des marchandises (1).
Il sera encore responsable des fausses déclarations constatées a posteriori par les services des douanes au cours de
contrôles effectués chez le destinataire (2).
La responsabilité pénale du déclarant risque donc pendant
toute la durée de la prescription triennale d'être mise en jeu à
l'occasion de la découverte de documents même ignorés du
commissionnaire en douane.
En définitive le déclarant même de bonne foi assumera
l'intégralité des conséquences pécuniaires de l'infraction ; c'est ce
que l'on est incité à penser si l'on interprète de façon stricte
l'article 396 al. 2 ; il déclare en effet que les peines d'emprisonnement ne leurs sont applicables qu'en cas de faute personnelle.
sonne morale eUe-même .
(2) Casso CTim., 2·2.1950, Doc. conl. n° 315; Casso crim., 8- 11 - 1935,
Doc. cool. o· 654.
(1 ) Casso crim ., 11 avril 1940, Doc. cont. nO2159 .
(2) Casso crim ., 20 octobre 1947, Doc. cont. nO 805.
�117
116
On peut en déduire a contrario que les peines pécuniaires
leur sont applicables même s'ils n'ont comrOlS aucune fa ute.
C'est l'opinion de M. NAZARIO ; c'est la tbès~ qu'a consacrée la
Cour Suprême semble-t-il dans l'arrêt préc.te du 2-2- 1950 ; elle
condamna le commissionnaire en douane à payer l'amende prononcée, sa bonne foi lui épargnant la peine de prison qu'il
encourait du fait de l'infraction.
La rigueur des principes d' imputabilité en matière douanière
semble ici atteindre son paroxysme: en effet peuvent être poursuivis et condamnés des individus, non seulement de bo nne fo i,
mais qui agissent pour le compte de tiers dont on est sfit, souvent,
qu'ils sont. eux, de mauva ise foi.
On peul donc légitimement se demander s'il o'existe point
quelque cas où ces principes rigides sont susceptibles de fléchir
s'ils ne comportent point des limites.
En fait la loi pénale douanière ne frappe point si aveuglément qu'eUe n'ait prévu, de faço n limit ati ve certes, quelques
atténuations au système répressif qu'e lle édicte.
B. -
LI MIT ES AUX PRI NC IPES D' IMPUTABILITÉ
Certaines personnes bénéficient d'un régime de faveur : il
s'agit d'une part des transitai res et des déclarants, ceux-là même
à propos desquels nous dénoncions le caractère draco nien de la
lC'i douanière, et d'autre part des transpo rteurs et des hôteliers.
- De façon plus générale la jurisprudence applique les
principes de droit commun relatif aux causes de non imputabilité
et aux faits justificatifs.
1. -
Les limites spécifiques à certaines personnes
l. Comme nous l'avons vu les signataires des déclarations,
les soumissionnaires et les commissionnaires en douane agréés
ne peuvent comme c'est la règle en matière douanière être
exonérés en raison de leur bonne foi.
Toutefois le Code des douanes permet aux intéressés d'atténuer les conséquences pécuni aires de leur responsabilité.
L'an icle 395 ass ure en effet au signataire de la déclaration
un recours contre son commettant, tandis que l'article 397 § 2
autorise le soumissionnai re à se retourner contre les transporteurs
ou autres mandataires par la faute desquels il n'a pu remplir ses
engagements.
Bien que cela nc soit pas prévu par la loi, on admet que
les commissionnaires en douane bénéficient souvent d'un recours
en garantie contre leur mandant.
Mais encore faut-il que le transitaire et il en est de même
pour tout déclarant pour autrui, n'aient rien fait qui puisse
compromettre son recours.
Le commissionnaire en douane serait bien snr privé de
tout recours s'il a déposé une fausse déclaration quoique son
commettant lui ail remis tous les documents, nécessaires pour
rédiger une déclaration exacte (1) .
La stricte observation des instructions reçues ne suffit pas :
il faut non seulement que le déclarant n'ait commis aucune faute
mais encore qu'il ait servi les intérêts de son commettant : aussi
il ne peut acquiescer à l'expertise légale (2), ne peut procéder à
une transactio n qu'avec J'acco rd de son mandant.
C'est ce qui semble résulter d'un arrêt de la Chambre
commerciale de la Cour de cassation (3) : il déclare « qu'un
importateur est tenu de rembourser l'amende payée par le
commissionnaire dès lors qu'il avait librement choisi d'enjoindre
au commissionnaire en douane d'engager des négociations avec
l'adminis tration des douanes pour obtenir une baisse transactionnelle de l'amende •.
On peut en déduire qu'à défaut d'autorisation du mandant,
le mandataire qui de sa propre initiati ve transigerait avec l'Administratio n serait pri vé de tout recours en garantie contre son
mandant .
11 convient cependant de remarquer que ces recours en
garantie accordés aux déclarants ne constituent souvent que des
palliatifs illusoires à la responsabilité qu'ils encourent et dont
nous avo ns pu apprécier l'étendue.
Ils risqueront, en se heurtant à l'insolvabilité de leurs
commettants, d'assumer l'intégralité de l'amende. Il en sera
souvent de même en cas de poursuites tardives dans la mesure
o ù elles peuvent co mme nous l'avons vu, être engagées pendant
trois ans.
En effet. les déclarants ne disposeront peut être plus à ce
( 1) Casso Rep., 26-2- 1855 , D. P., 1855, l, 404.
(2) Douai , 6- 12- 1880, D. P., 188 1,2, ISO.
(3) Casso corn ., 13-2- 196t , Bull . 196 1, n° 73.
�119
118
moment des sûretés qui lors du dédouanement facilitaient leur
recours contre leurs commettants.
On ne peut donc que souligner le caractère relatif de l'efficacité de ces recours en garantie : ce n'est que trop souvent une
atténuation fallacieuse à la responsabilité qui pèse Sur ces
mandataires.
2. - Beaucoup plus intéressantes sont les exceptions
admises par le droit pénal des douanes à la présomption de
culpabilité édictée par l'article 392 : nous rappelons à ce propos
que le détenteur d'une marchandise en situation irrégulière est
réputé auteur de l'infraction du seul fatt de la détentIon en
l'absence même de toute participation personnelle à la fraude.
Le Code des douanes dans l'article 392 al. 2 a apporté
quelques adoucissements à ce principe au profit de certaines
personnes privilégiées: les transporteurs publics. Les tribunaux
sont d'autre part enclins à étendre ce régime de faveur aux hôteliers et aubergistes.
L'article 392 § 2 dispose en effet que les transporteurs
publics ne sont pas considérés eux et leurs préposés ou agents
comme contrevenants lorsque pour une désignation exacte et
régulière de leurs commettants, ils mettent l'Administration en
mesure d'exercer utilement des poursuites contre les véritables
auteurs de la fraude.
La jurisprudence a précisé la portée de ce texte, quatre
conditions sont nécessaires pour que l'exonération des res ponsables soit consentie.
- Il faut que le transporteur ait agi en qualité de transporteur public, ce qui exclut du bénéfice de l'article 392 al. 2, celui
transportant des marchandises dont il est propriétaire.
- Il faut que le transporteur ait désigné le véritable auteur
de la fraude (1). Cette désignation n'est soumise à aucune
forme particulière mais, et c'est la trois ième condition, il est
nécessaire qu'elle permette de poursuivre utilement le véritable
auteur de la fraude.
Dès lors le transporteur ne serait pas exonéré si l' individu
désigné est insolvable, fugitif, inconnu ou domicilié à l'étranger.
C'est encore là un de ces principes, qui servant les intérêts
de l'administration des douanes, est demeuré immuable depuis
(1) Casso crim., 25·7· 1885. D.P., 1885, l, 275 ; Casso crim., 26 mai
1900, D. P., 1901, l, 205.
1791 , un de ceux par lesquels se manifeste ce que l'on a pu
appeler la • pérennité des fondements du droit pénal des
douanes •.
Pour vérifier cette asse rtion il suffit de comparer deux arrêts
de la Chambre crimineUe l'un du 12-6-1828 (1), l'autre du
15-5-1956 (2) .
- D'autre part pour que l'immunité bénéficie au transporteur public il faut qu'il soit de bonne foi.
11 est évident qu'il ne saurait être exonéré de sa responsabilité s'il a participé à la fraude ou s'il a commis une faute
personnelle (3).
Cependant, la Chambre criminelle (4) paraît admettre,
implicitement que les transporteurs publics, qui ont désigné les
auteurs véritables de la fraude n'ont pas l'obligation supplémentaire d'apporter la preuve de leur bonne foi. Ce serait
semble-t-il à l'administration des douanes de prouver leur mauvaise foi.
La Cour d'appel de Douai, dans l'espèce à laquelle nous
nous réfé rons, avait déclaré que tout transport à longue distance
avec un fret différent de celui mentionné sur l'autorisation
administrati ve, est exclusif de bonne foi. Les transporteurs donc,
qui en cours de route ont accepté un chargement supplémentaire
non visé dans les opérations prévues au départ, aVaient comm.s
un manquement aux prescriptions relatives à l'autorisation administrative en même temps qu'un abus de confiance.
L a Cour de cassation n'a pas admis cette thèse et a estimé
que la Cour d'appel devait examiner la fraude dans ses él~ments
intrinsèques et non se borner à faire découler la mauvaISe fOI
d'un fret différent à celui mentionné sur l'autorisation (5).
Donc en ce qui concerne les transporteurs publics, poursuivis pour détention de marchandises de fraude le Code .de~
douanes a substitué à la présomption irréfragable de culpab.lite
édictée par l'article 392 § J, une présomption simple.
3. _ Les tribunaux ont estimé qu'il devait en être de
même pour les aubergistes et les hôteliers.
(1) S. 1828·1378.
(2) i .C.P., 1956,94 14 (No.e Max Leroy).
.
(3) Casso crim., 12 novembre 1880, D.P. 81, l, 56, Cass. crim .,
26 février 1948, Bull. Crim., nO 62.
(4) Casso crim., 23 avri l 1953 , Bull. Crim., nO 133.
(5) Crim., 15 mai 1956, précilé.
�120
12 1
11 a été jugé qu'ils peuvent être affranchis de toute responsabilité lorsqu'ils font connaître les individus propriétaires ou
expéditeurs des marchandises prohibées contre lesquels une
action puisse être efficacement exercée.
Mais les hôteliers et aubergistes comme les transporteurs
publics, seront retenus dans les liens de la prévention lorsque
l'auteur véritable de la fraude ne peut être poursuivi : cela confère
dans ces deux cas un caractère tout à fait relatif à ces causes
d'exonération de res ponsabilité.
li existe toutefois en droit pénal des douanes de véritables
causes de non imputabilité pouvant être invoquées, eUes, par
tout inculpé de fraude à la loi pénale dou anière.
2. -
Causes générales d'exonération de responsabilité
- la jurisprudence étend en matière de douane la doctrine
tirée de l'article 64 du Code pénal et admet que la force majeure
constitue une cause d'exonération.
- De même les principes du droit commun édictés par
les articles 327 et 328, Code pénal relatifs aux faits justificatifs
s'appliquent à la législation douanière, tout au moins th éoriquement.
L
a) Les faits constitutifs de la force majeure, la cause de no n
imputabilité . que constitue la force majeure est prévue par
quelques artIcles du Code des douanes: par l'article 70 au profit
du capllame de naVIre contraint d'accoster dans un port non
pourvu d'uo bureau. de douanes et par l'article 205 au profit du
transporteur contralDt de s'écarter de la route indiquée sur le
passavant.
.
Généralement la jurisprudence l'étend à toutes les in fraclIons, faIsant de l'article 65 C. pén. une appl ication générale.
Com~e en d,roit commun, la force majeure ne pourra résulte~ que d un faIt présentant un caractère d'irrésistibilité et
d'l1Dprévisibilité tel que le prévenu n'a pu s'y soustraire et s'est
tro uvé en c~nséquence dans l'impossibilité absol ue de ne pas
commettre 1 infra~tlon. Par ~ne transposition des règles de droit
commun. en malIere douamère, la jurisprudence admet que la
force majeure peut résulter de la démence au moment de l'action
de la .contrainte physique et quelquefois mais rarement de l~
contralOte
morale.
En ce qui concerne la contrainte pbysique c'est à l'inculpé
d'établir que l'événement a eu un caractère d'imprévisibilité tel
qu'il a complètement annib ilé sa volonté.
li est ad mis en m atière de contrebande maritime que la
tempête o u les courants marins constituent des cas de force
majeure (1).
E n m atière de contrebande terrestre la force majeure ne
sera que fort rarement constituée : eUe pourra toutefois être
invoq uée par le transporteur contrai nt de s'écarter de la route
menant aux bureaux de douanes eo raison d'une in.oondation,
d'un éboulement ou d'un tremblement de terre.
Le vol judiciairement constaté peut être considéré comme
un cas de fo rce majeure.
C'est ce qu'a affirmé la Cour de cassation (2) : c Constitue
la force majeure libé rant le prévenu de l'obligation de représenter
ses animaux à toute réquisition des dou anes, le vol des troupeaux
commis par un individu qui s'est réfugié en territoire étranger
et qui a été pénalement condamné par un e juridiction française • .
Par contre il a été jugé que ne saurait être acquitté au
bénéfice de la fo rce majeure, l'occupant du bâtiment qui igno rait
le dépôt fait chez lui de march andises tombant so us le coup
d' un e présomption de contrebande (3).
C'est ains i également que la Cour de cassation consacrant
une acception extrêmement stricte de la force majeure a cassé
un arrêt relaxant un indiv idu trouvé en possession de marchandises de fraude au motif que l'inculpé étant âgé et infirme s'était
trouvé dans l'impossibilité de surveiller la grange dépendant de
sa maison où furent découverts les objets litigieux.
C'est que l'ignorance de la fraude n'est jamais à elle seule
constitutive d'un cas de force majeure. La Cour de cassation a
eu maintes fois l'occasion de le préciser à l'intention des juges
du fo nds enclins à l'admettre.
E n fait la contrainte physique permettra rarement à l'inculpé
de se dégager de sa responsabilité dans la mes ure où le caractère
insurmo ntab le ou imprévisible qu'elle doit revêtir fait l'objet
d'un contrôle strict de la part de la Cour de cassation .
(I) Casso crim., 29 mars 1853, D.P., 1853, l, 88.
(2) Casso crim ., 13-7- t95I , D. 5 1-658.
(3) Casso crim., 30 décembre 1953, Doc. cont. n° 1953.
�123
122
li convient de signaler qu'il a été fait de l'article 64 C. pén .,
une application particulière à l'égard des transports de colis
postaux :
La Cour de cassation a en effet dans un ancien arrêt (1)
posé le principe selon lequel les compagnies de transport cbargées au lieu et place de l'administration des postes du transport
des colis postaux n'encourent aucune responsabilité pénale lorsque
des objets de contrebande ont été frauduleusement dissimulés
dans ces colis: cette immunité se justifie par le fait qu'elles sont
légalement tenues de recevoir les colis clos et partant, dans
l'impossibilité d'en vérifier le contenu: elle procède directement
du désir de ne point entraver la rapidité que dans certains cas
l'on tient à assurer à la circulation de colis postaux, raison pour
laquelle elle ne peut être invoquée dans les cas de transports
par cbemin de fer d'objets de messagerie ou de petite vitesse
car dit la Cour de cassation : • il n'est nullement impossible de
concilier la rapidité de ce service avec les exigences de la déclaration régulière en douane .•
b) Les faits justificatéfs
li reste à nous demander dans quelle mesure à pu être
transposée la doctrine tirée des articles 327 -328 - C. pén. Ces articles prévoient nous le rappelons deux causes d'exonération de responsabilité : la légitime défense, l'ordre de la loi et le commandement de l'autorité légitime.
D'autre part dans certains cas la jurisprudence admet que
l'état de nécessité et le consentement de la victime constituent
des faits justificatifs.
Si en théorie l'on admet que ces principes de droit commun
s'appliquent à la législation douanière, cette application en pratique est difficilement concevable: en effet l'on n'aperçoit pas
comment l'auteur d'une fraude douanière pourrait a rguer de la
légitime défense vis-à-vis d'un préposé agissant dans l'exercice
de ses fonctions.
D'autre part il est de règle que dans l'hypothèse même où
une irrégularité a été commise du consentement de l'administration des douanes, celle-ci conserve son caractère délictueux.
La faute des agents des douanes (1) ne saurait constituer une
cause d'exonération pour le prévenu.
Quant au point de savoi r si le commandement illégal constitue à lui seul le fait justificatif il est controversé en matière de
douane comme en droit commun.
La Cour de cassation a rendu des déeisions divergentes à
propos de militaires ayant en temps de guerre commis des infractions sur ordre de leur chef.
Cela peut être expliqué par le fait que la Cour Suprême
statue en considération des circonstances de fait mentionnées
par les juges du fond: en réalité elle n'admet l'excuse tirée du
commandement de l'autorité légitime que dans la mesure où il
constitue un cas de force majeure, dans la mesure où le subalterne s'est vu contraint moralement et de façon irrésistible de
commettre l'acte délictueux (2).
C'est dire qu'il y a là application de l'article 64 C. pén. , plutôt
que de l'article 327 C. pén. (3). La Cour de cassation parle d'ailleurs le plus souvent de contrainte morale et non de fait justificatif.
Aussi relaxant un chauffeur d'automobile prévenu de complicité de colportage de tabac au motif qu'il avait agi sur ordre
de réquisition de l'autorité militaire la Cour de cassation déclare
qu'il y a là la contrainte morale constitutive d'un cas de force
majeure et de nature donc à exonérer le conducteur.
On peut donc conclure surtout si l'on ajoute que l'état de
nécessité ne constitue pas en droit pénal douanier une cause
d'exonération de responsabilité, du moins quant à l'auteur de
l'infraction , que l'impunité résultant en droit co~un des f~lts
justificatifs ne trouve guère d'application en ~allere do~aruere.
Par contre si en droit commun le repentu de 1 auteur de 1 infraction ne constitue pas un e cause de non imputabilité et si en
principe il en est de même en matière douamère, il est une
exception à cette règle contenue dans l'article 100 2' du Code
douanier qu'il convient de signaler. L'auteur de la fausse déclaration quant au poids, au nombre, à la mesure ou à la valeu.r
peut rectifier après coup sa déclaratIOn et se verra de ce falt
exonéré de sa responsabilité à la condillon toutefOIS que la
(1) Casso crim ., 6-8-1945, Doc. cont. n° 745; Casso cTim., 19 aoüt
1958, Doc. cont. 1284.
.
207 1949
(2) Cass crim 29-12-1948, l .C.P. , 1949; Casso cnm.,
- .
(3) Cass: crim.:' 18-1-1902, Doc. cont. n° 411; Lille 18-6-1902, Doc.
(1) Casso crim., 23-1-1895, D. P. 1895, p. 178.
cont. n° 448.
�124
rectification intervienne le jour même du dépôt de la déclaration
et avant le commencement de la visite .
•••
Nous ne pouvon manquer de souligner le caractère restrictif et parfois illusoire des limites admises par le droit pénal de
douane aux règles d'imputabilité qu'il édicte.
Dès lors quant à la détermination de l'auteur principal de
l'infraction, tout le particula risme du clroit pénal douanier
procède du souci de permettre à l'administratio n des doua nes
de réprimer plus facilement les infractions et d'obtenir le versement des réparations pécuniaires: permettre aux perso nnes présumées coupales de se décharger sur des tiers, eût exposé
l'administration des douanes à se heurter à des personnes insolvables ou hors d'atteinte : présomptions irréfragab les en m atière de contrebande et désignation fo rmelle de l'auteur principal
de la fraude en cas d'importation ou d'exportation sans déclaration autant de procédés légaux qui permettent de désigner
d'une façon quasi systématique l'auteur de l'infractio n.
En scbématisant on pourrait dire que le critère de l'incrimination réside dans le fait d'avoir été en contact avec la m archandise o r il est à peine nécessaire de rema rqu er qu'en m atière
douanière, nombreux son t les cas où des individus participent
à la fraude en l'organisant, en la finan çant sans pour auta nt
être en contact avec la marchandise : ils tireront profit de la
fraude tout en se tenant à l'écart de son exécution: faire app lication en la matière des principes qui en droit commun régissent
la complicité n'aurait pu permettre à l'administration des douanes
de démanteler ces entreprises redoutables qui se donnent pour
but de frauder à la loi des douanes, ils n'au raient pu permettre
à l'administration des douane dans ces cas de gros trafics de
voir l'intégralité de son préjudice réparé.
Ce sont les raisons pour lesquelles si le d roit pénal des
douanes a maintenu la complicité de droit commun . il n'est fait
de cette notion qu'un usage fort restreint: o n lui préfère cette
notion spéciJique et parfaitement extensive que consacrent les
artIcles 395 et 400 C. D., nous vou lons parler de l'intérêt à la
fraude.
DEUXIÈM E PARTIE
PARTICULARI SME DE LA COMPLICITÉ
EN MATIÈRE DE DOUANE
OU LA NOTION SPÉCIFIQ UE
DE L'INTÉRÊT A LA FRAUDE
L e nouveau Code des dou anes distin gue par des articles
différents, a rticle 398 d'une part et articles 399 et 400 d'autre
part, entre les complices des déli ts dou aniers auxquels les dispositions du Code pénal devront être appliquées et les intéressés
à la fraude qui tombent so us le coup des dispositions particulières prévues par le Code des do uanes. C'est dire que l'intérêt
a des limites au delà desqu elles il se ra nécessaire de recourir aux
notions du droit commun sur la complicité.
Le premier problème qui se pose donc est de circonscrire
le champ d'application de la notion d'intérêt à la fraude.
D 'autre part un autre problème découle de l'interprétation
des termes sont « réputés intéressés>, employés par l'article
399: ils semblent en effet impliquer l'existence d'une véritable
présomption de complicité et c'est dès lors la force de cette
présomptio n qu 'il conviendra de déterminer.
A. -
CHAMP D'APPLICATION
DE LA NOT ION D'INTÉRÊT A LA FRAUDE
Si les règles relatives à la complicité en matière de fraude
dou aniè re se sont toujours écartées du droit commun, leur sévérité à beauco up varié avec les époq ues, cette sévérité procédant
du champ d 'application exclusif qui leur a été assigné.
Or la portée des règles act uelles ne peut être comprise
qu'à la lumière de l'histoire et surto ut de l'interprétation juris-
�126
127
prudentielle des dispositions législatives en vigueur avant la
refonte du Code des douanes en 1949.
c) Tout au début de la Restauration les textes impériaux
furent abrogés et furent remplacés par les importantes dispositions des articles 52 et 53 de la loi du 28 avril 1816.
1. - Apparition et extension
de la notion d'intérêt à la fraude
Les procureurs du roi se virent investis du soin de faire
d'office toutes les poursuites nécessaires pour déco uvrir les
entrepreneurs, assureurs et généralement tous les intéressés à la
fraude, et précisait l'a rticle 53 :
« Ceux qu i seront jugés coupables d'avoir participé comme
assureurs, comme ayant fait assurer Ou comme intéressés d'une
manière quelconque à un fait de contrebande deviendront solidaires de l'amende et pass ibles de l'emprisonnement prononcé ,.
Les articles 399 et 400 auxquels nous nous attacherons
principalement sont l'abo utissement d'une longue évo lution. I ls
sont le fait d'une réactio n contre l'excès de flgu eur et parfoIs
contre l'excès d'indulgence qu'en cette matière les tribunaux ont
manifesté (1).
a) C'est sous le Consulat, régime sous lequel o n se préoccupa
tout particulièrement de réprimer la contrebande faite avec
attroupement et port d'armes, que l'on donna à la complicité
de ces actes de contrebande une extension plus grande qu'en
droit commun, une loi de Boréal an il déclarant que sont considérés comme complices les assureurs de la contrebande ceux qui
sciemment au raie nt favorisé ou protégé les coupables d ans les
faits qui ont préparé ou suivi la contrebande.
Ces dispositions ont été reprises dans les divers codes qui
se sont succédés. Elles o nt du être interprétées par les tribunaux.
d) Au cours du XIX" siècle la plupart des juridictions donnèrent des articles 52 et 53 de la loi 1816 une interprétation
étroite et distiguaienl très nettement entre l'intérêt à la contrebande et la complicité. On estimait que l'intérêt à la fraude ne
pouvait s'entendre que d'uo concours pécuniaire ou même moral
m ais no n d'un e coopération matérielle à la fraude .
La complicité du crime de contrebande, si elle nécessitait
l'intention coupable ce qu'implique le terme sciemment, allait
au delà du droit commun puisque cette complicité pouvait
résulter d'actes postérieurs à la consommation de l'infraction.
el Les premières années du XX" siècle devaient voir évoluer
très sensiblement la notion d'intéressé à la fraude à l'occasion
d'un procès célèbre dont la solution nécessita cinq arrêts de la
Cour de cassation.
b) Mais c'est sous l'Empire qu'apparut pour la première
fois l'expression intéressé: Napoléon en effet soucieux de déjouer
les entreprises de fraude susceptibles de mettre en écbec sa
politique du blocus continental étendit par un décret du 18
octobre 18 JO les peines prévues po ur le crime de contrebande
à toute entreprise de contrebande, aux cbefs de bande, conducteurs ou directeurs de réunion de fraudeurs, entrepreneurs de
fraude et aux intéressés et leurs complices dans les entreprises
de fraude.
Il s'agissait des faits suivants:
- En 1898 un entrepreneur de contrebande suisse avait
remis à plusieurs reprises au Sieur Roquebain, mécanicien dans
un train, des bidons remplis de tabac. Le cheminot cachait les
cylindres dans les réservoirs d'eau de sa locomotive et rentrait
en France. En gare de Bellegarde, le service douanier opérait
sa visite sans découvrir la marchandise de fraude. Ces bidons
étaient ensuite déposés chez les époux Troffey.
La loi ne donnait pas une définition de l'entreprise de
contrebande mais il fut jugé que le « crime d'entreprise de
fraude , suppose un plan combiné à l'avance pa r plusieurs personnes pour introduire en fraude sur le sol français des marcbandises prohibées, qu'il suppose un ou plusieurs chefs, des assureurs, intéressés ou complices, (2).
(1) Voir NA.ZARlo: Cours de formation professionn elle, p. 114 el $.
(2) Arrêt de la cour prévolale de Valenciennes rendu le 2 1 février
1812.
Or le 17-1-1 899 deux contrôleurs des contributions indirectes en procédant à une visite domiciliaire chez les époux
Troffey découvrirent 207 kg de tabac. Ils dressèrent un procèsverbal et l'informatio n judiciaire révéla que Roquebain avait
touché de l'entrepreneur de contrebande à titre de rétribution une
somme de 400 francs .
Roquebain fut poursuivi pour participation à une assuciation de contrebande ce qui incluait tant l'incrimination d'intéressé à la fraude et ce pour avoir touché la somme de 400 francs,
que celle d'auteur de l'infraction car c'était lui qui avait fait
franchir la frontière aux marchandises .
�128
11 serait trop long d'évoquer toutes les décisions qui furent
rendues en l'espèce : les conceptions les plus divergentes de
l'intérêt à la fraude s'affrontèrent (1). Il importe cependant de
reproduire les termes de la solution définitive qui fut donnée à
ce litige par la Chambre criminelle (2). Elle déclare : • les Caits
de contrebande reprochés à Roquebain ne constituent pas des
actes purement individuels ; ils se rattachent à un ensemble
d'actes accomplis par un certain nombre d'individus agissant de
concert avec lui, d'après un plan arrêté tout combiné pour
assurer un résultat poursuivi en commun ; i.I en résulte que le
prévenu a été intéres é dans l'entreprise de contrebande à laquelle
il a coopéré et qu'il tombe dès lor sous l'empire des dispositions
de articles 52 et 53 de la loi du 28 avril 18 16 • .
Ce sont ces dispositions même qui furent incorpo rées dans
le Code des douane 1934 dont ils constituèrent les articles 609
et 610.
La notion d'intérêt à la fraude fut interprétée de faço n de
plus en plus large. 11 fut maintes fois jugé que l'intérêt à la
fraude pouvait résulter aussi bien d'un intérêt pécuni ai re ou
moral ne nécessitant pas d'acte de participation personnelle du
prévenu, que d'une coopération matérielle au plan des fra udeurs (3).
L'intérêt à la fraude s'érigea alors comme une modalité
de la complicité exhorbitante du droit commun et soumis comme
tous les délits douaniers à la règle fond amentale de l'article 369
qui interdit expressément d'excuser les contrevenants sur l'intention.
li suffisait qu'un fait quelconque se rattache étroitement à
la fraude pour que son auteur soit poursuivi en qualité d'intéressé.
Un arrêt de la Chambre criminelle et symptomatiq ue à
cet égard (4).
EUe condamna un individu pour intérêt à la fraude motif
pris que le prévenu connaissait de longue date l'auteur de la
fraude .. . qu'ils ont voyagé ensemble .. . et qu'ils étaient assis l' un
(I) Trib . corr. de Nantua, 25 nov. 1899 confirm é le 8· 1· 1900 par
C. app. de Lyon: arrêt cassé par C. Cass. , 22 nov. 1900, Bull. Crim.,
n° 345, p. 557.
Voir également : C. ap p. Lyon 11 -7- 1901 , D. P., 1903 , l , 429; C.
cass., Il avril 1902, Bull. Crim., nO 137, p. 247 ; C. app . Chambery,
13-8-t902, D. P. 1903, T. 431 ; Casso trim., 20-2- 1903, D.P., 1903 , T . 432.
(2) Casso trim., 27- 1- 1903, Bull. Crim., n' 40, p. 62.
(3) Trib . corr . d'Avesnes, 1-2-1927, Doc. Cont. 0 ° 577.
(4) Casso trim., 6-12- 1945, Doc. Cont. n' 755 .
129
à côté de l'autre quand les agen ts des douanes les ont interpellés
ont procédé aux constatations utiles et saisi les marchandises
de fraude.
Les juges du fond s'insurgèrent quelquefois contre la sévérité
de ces solutions et cette interprétation extensive des dis positions
légales. Pour justifier leur solution de relaxe quand les faits reprochés au prévenu ne se rattachaient pas étroitement aux actes
consomma nt la fraude , les juges du fo nd avaient tendance à
confondre l' intérêt à la Craude avec la complicité de droit commun et donc à excuser le prévenu en raison de sa bonne foi.
L'imprécision
rapidement source
eUe ne fut réa lisée
douanes dans le
l'intérêt à fra ude.
2. -
de la législatio n alors en vigueur s'avéra
d'a rbitraire; une réforme apparut nécessaire
qu'en 1949, lors de la réforme du Code des
sens d'une conception moins extensive de
L'intérêt à la fraude dans le droit positif actuel
a) 11 est évident, et en cela le droit pénal douanier ne
fait que reprendre un des éléments constitutifs de la complicité
du droit commun, que pour que l'intérêt soit punissable, il faut
un Cait principal lui même punissable.
Les incriminations en raison d'intérêt à la fraude ne peuvent
être retenues que si les actes se rattachent à un fait principal
constituant une infraction d'une certaioe nature.
Cette infraction doit être un délit de contrebande ou un délit
d'exportation ou d'importation sans déclaration, jamais une
contravention.
Ce n'est que pour l'achat ou la détention de marchandise,
hypothèse sur laq uelle nous aurons l'occasion de revenir que
l'infraction peut n'être constituée que par une contravention de
contrebande ou une contravention d'importation sans déclaration.
li importe que le fait principal soit punissable c'est-à-dire
que l'action ne soit pas éteinte, et que l'existence même de ce fait
principal soit démontrée, cette preuve pouvant d'ailleurs être
administrée par tous les moyens: procès-verbal de saisie, procèsve rbal de constat des déclarations ou, des aveux de l'origine
frauduleuse de la marc handise, présomption de fait, etc.
Mais si l'intérêt à la fraude est assimilable à la complicité
de droit commun en ce qu'il est nécessaire qu'il se rattache à un
fait principal punissable, cette notion revêt dans ses autres élé-
�130
ments constituilis définis par les articles 399 et 400 un caractère tout à fait spécifique.
Les différents actes susceptibles de déclencher la présomption d'intérêt à la fraude peuvent être classés en quatre catégories :
1) L'intérêt direct à la fraude (article 399, § 2 a);
2) La coopération à l'exécution du plan de fraude (article 399, § 2 b) ;
3) L'achat et la détention du plan de marchandise de fraude
(article 399, § 2 cl;
4) Les actes tendant à procurer l'impunité aux fraudeurs
(article 399, § 2 cl·
b) Dès lors pour déterminer les personnes sur lesq uelles
pèsera la présomption de l'article 399 il faut procéder à un
examen détaillé des dispositions qu'il consacre.
1. - Et tout d'abord au terme de l'article 399, a l. 1 sont
réputés intéressés les entrepreneurs, membres d'entreprises assureurs, assurés, bailleurs de fond, propriétaires de m archandises
et en général ceux qui ont un intérêt direct à la fraude.
a) Que faut-il entendre par entrepreneurs et membres
d'entreprises ?
La Cour de cassation a défini ces notions en termes :
• Dès lors que la fraude n'est pas limitée à un fait unique
• de contrebande mais comprend un e série d'actes identiques
• accomplis par des individus agissant d'une manière per• manente d'après un plan organisé et obéissant à une même
• direction, il y a entreprise de contrebande •.
En fait l'expression membre de l'entreprise est bien vague
et peut désigner toute personne ayant pris une part plus active
à l'infraction. G énéralement il semble que cette expression désigne
plutôt des membres de l'entreprise qui ont joué un rô le essentiel
que les associés du chef de bande, ses commanditaires.
b) Caractérise également l'intérêt direct à la fraude l'existence d'un contrat d'assurance garantissant une iodemnité eo cas
d'éehec: peu importe la forme du contrat pourvu toutefois que
la fraude ait subi un commencement d'exécution.
Dès l'instant donc où les opérations frauduleuses couvertes
par le contrat ont été tentées o u consommées, l'assureur et le
bénéficiaire de l'assurance sont réputés intéressés directs (1).
(1} Obs. : les contrats d'assurances sont licites quand ils couvrent des
opérau.ons de contrebande devant être commises à l'étranger, Ci\.SS. Rep .,
28 ffiaJ t928, S. t928, l, 305, Note Niboyel.
131
Il Y a lieu de remarquer que le code actuel a apporté sur ce
point une certaine modification par rapport aux dispositions
antérieures; ces dernières visaient les personnes coupables d'avoir
participé à la contrebande comme assureur ou comme ayant
raJt assurer. En ?e Visant plus que les assureurs et assurés, l'arti.
cIe 399, § 2", ttent en dehors de l'incrimination les courtiers et
démarcheurs qui sont intervenus dans la conclusion du contrat.
c) Le bailleur de fonds, c'est-à-dire celui qui a facilité
l'accomplissement d'un délit douani er par un tiers en versant une
so mme d'argent, est considéré lui aussi comme un complice par
intérêt: il sera considéré comme tel lors même que la fraude
n'aura pu être réalisée; cela va alors permettre de sanctionner des
actes postérieurs à la cause de l'infraction et l'on s'écarte alors
de la complicité du droit commun.
C'est ainsi qu'il a été jugé que celui qui verse de l'argent à
un contrebandier pour financer de nouvelles opérations même si
ces opérations n'ont pu être effectuées, se trouve impliqué comme
intéressé dans les opérations déjà consommées (1).
d) Quant aux propriétair es de marcbandises que vise égalementl'alinéa 1 de l'article 399, § 2, en tant qu'intéressé direct, il
faut simplement préciser que ne seront poursuivis de ce chef, que
ceux qui étaient propriétaires de la marchandise au moment où
a commencé l'exécution du délit.
Il résulte en effet des décisions rendues en la matière que
s'il y a eu transfe rt de propriété avant le commencement d'exécution le vendeur initial ne peut être poursuivi que du cbef de
complicité par fournitures de moyens.
e) Tombent également sous le coup de l'article 399, § 2 a,
et d'une façon générale tout intéressé direct à la fraude; ce qui
permet à l'administration des douanes de poursuivre tous ceux
qui ont joué un rôle essentiel dans la perpétration de l'infraction
douanière mais qui ne peuvent cependant entrer dans les catégories de personnes citées précédemment. Encore faut-il cependant qu e la preuve de l'intérêt soit rapportée: cet intérêt
d'ailleurs n'est pas nécessairement matéri el, ce peut être un intérêt mora l consistant par exemple dans le fait de faciliter la
fraude par pure complaisance.
La Cbambre criminelle de la Cour de cassation (2) a donné
un e définition assez précise de l'intérêt direct:
• Pour être considéré comme intéressé direct il faut avoir
(1) Cass o criro ., 27·7- t944 , Doc. conl. 0° 732.
(2) Casso crim., 8-7- 1953, Doc. conl. 0 1057.
�132
133
• provoqué la fraude ou avoir donné des instructions sans
• lesquelles la fraud e n'aurait pu avoir eu lieu " il faut donc
avoir joué un rôle essentiel et être bénéficiaire principal de la
fraude.
Il serait fas tidieux de procéder à une nomenclature qui
d'ajlJeurs ne pourrait être exhaustive de toutes les personnes
pouvant entrer dans celle catégorie: sur ce point d' ailleurs il
n'a pas été innové dans le présent code par rapport à la législation antérieure.
2. - Beaucoup plus spécifique de la tendance restrictive
du législateur de 1948 que nous évoquions plus haut est l'autre
modalité d'intérêt à la fraude consacrée par l'a linéa de l'article 399, § 2.
Au terme de cet alinéa, sont réputés intéressés :
• Ceux qui ont coopéré d'une manière quelconque à un
• ensemble d'actes acco mplis pa r un certai n nombre d' indi• vidus agissant de concert, d'après un plan de fraude
• arrêté pour ass urer le résultat poursui vi en commun • .
On a limité, confo rmément aux directi ves de l'administration des douanes, la portée de cette forme d'intérêt à la fraude
par coopération au plan des fraudeurs, à une pa rtie seulement des
actes prévus par ce plan, ceux perpétrés depuis le commencement
d'exécution du plan jusqu'à son achèvement.
C'est dire dès lors que la coopération aux actes préparatoires du plan n'est plus constituti ve comme ava nt 1949 de l'intérêt à la fraude. Celle coopération ne peut désormais être justiciable que des règles de la complicité de droit commun .
Tombera donc sous le coup de l'article 399, § 2 b, non pas
la coopération aux actes ayant pour objet de rassembler les
moyens de perpétrer l'infraction, mais la coopération à l'exécution proprement dite du plan de fra ude. Seuls seront réprimés
sous le chef d'intérêt à la fraude les actes acco mplis entre le
commencement d'exécution et l'achèvement du plan de fraude:
autant de termes qu'il convient de préciser.
En effet l'expression plan de fraude implique • une coopération aux agissements d'une entreprise de fraude, d'un groupe
de fraudeurs, à l'exclusion de la coopé ration aux agissements
d'un fraudeur agissan t isolément • . Cette dernière tombera dans
la catégorie résiduelle qui constitue en droit pénal des Douanes
les articles 59 et 60 C. pén. relatifs à la complicité.
Il est capital dans la mesure où l'on est d'accord pour restreindre le champ d 'application des dispositions de l'alinéa 2 de
l'article 399 de déterminer ce qu'il faut entendre par commencement d'exécution du plan de fraude, et d'autre part il faut savoir
à quel moment exactement s'achève le plan de fraude.
Sur le premier point il n'y a aucune difficulté: on admet en
e[[et qu'il y a commencement d'exécution du plan de fraude
dès l'instant où ont réun ies les conditions de la tentative. Beaucoup plus controversé a été le point de savoir à quel moment
s'acbève le plan de fraude.
La Cour de Chambéry (1) avait posé en principe que l'opération d 'importation en contrebande est achevée lorsque la marcbandise est parvenue entre les mains du bénéficiaire principal
de l'opération qui l'a conçue et réalisée.
Mais la Cour Suprême condamn a ce critère, consacrant celui
que préconisait l'administration des douanes dans ses conclusions:
• L 'opération de contrebande ne peut être considérée comme
• terminée que lorsque la marchandise a reçu sa destination
« définitive en parvenant entre les mains du destinataire
• final de la fraude • .
En fait, entrent dans la catégorie des personnes qui ont coopéré a u pl an de fraude toutes celles qui sans y avoir un intérêt
direct, y ont un intérêt indirect : les comparses. Aussi la Chambre
criminelle de la Cour de cassation (2), jugea que doivent être
considérés comme inté ressés à la fraude ceux qui accompagnent
la marchandise de fraude avec leurs vo itures, même en l'absence
de tout cha rgement sur cette voiture.
En l'espèce, deux voitures avaient été surprises par la
douane alors qu'elles revenaient d'Andorre. L'une d'elles, où
avaient pris place deux voyageurs, transportait des bouteilles
d'anis. Dans l'autre vo iture il y avait quatre voyageurs, mais elle
ne contenait aucune marchandise. Les juges de fond cependant
parvinrent à établir que les six préve nus avaient tenté de réaliser
la même opératio n et qu 'ils étaient venus avec deux voitures
comptant ramener dava ntage de marchandise que celle qui fut
trouvée.
3. - Mais là où la notion d'intérêt à la fraude apparaît
sous son as pect le plus exborbitant des règles du droit commun
relati ves à la complicité, c'est en ce qu'elle permet et cela est
(1) C . • pp. Chambery, 16-7- t948, J.C.P., t948, IV, 100.
(2) Casso crim., 25-6- t957, Doc. cont, n° t230.
�134
135
capital de réprimer les actes postérieurs à l'achèvement du plan
de fraude.
En effet au terme de l'alinéa 3 du § 2 de l'article 399 sont
constitutifs de l'intérêt à la fraude.
- les actes destinés à procurer l'impunité aux fraudeurs;
- l'achat ou la détention même en dehors du rayon dou anier de marcbandises importées en contrebande ou sans déclaration .
Nous sommes là bien loin de la complicité de droit commun
qui ne prévoit que des actes antérieurs ou concomitan ts à l'acte
principal.
a) Ce texte va permettre d'inculper et de co ndamner tous
ceux qui auront cherché à faire échapper les fraudeurs à la
douane et à la justice en facilitant par exemple, la fuite du
délinquant, en lui donnant des attestations de complaisance.
b) Quant aux détenteurs et acheteurs de marchandises de
fraude, s'ils tombent sous le coup de la présomption d'inté rêt
à la fraude , leur situation présente un particularisme certain qui
a suscité une réglementation nuancée: en effet, le champ d'application de l'intérêt à la fraude , ne peut être si extensif qu'il pu isse
englober sans opérer certaines nuances, des personnes qui ne disposent souvent qu'en deuxième main et loin du rayon fronti ère
de marchandises qui leur sont parvenues dans des conditions qui
ne les distinguent pas des produits régulièrement importés.
C'est dire qu'il est nécessaire et en ce sens on constatera
dans le droit positif actuel une évolution par rapport à la législation antérieu re, de prévoir certaines hypothèses dans lesquelles
les personnes que l'article 399 réputent intéressées à la fraud e
pourront se soustraire à l'incrimination. Mais c'est déjà poser le
problème de la force assignée à la présomption de l'article 399
dans les différents cas que nous avo ns envisagés.
B. -
FORCE DES PRÉSOMPTIONS D'INTéR~T A LA FRAUDE
ÉD ICTÉES PAR L'A RTICLE
399
La force des présomptions sera plus ou moins grande selon
que l'on permettra au prévenu d'exci per de sa bonne foi, selon
qu'il s'agira d'une présomption simple ou irréfragable et c'est là
tout le problème du rôle de l'intention coupable dans l'intérêt
à la fraude.
D'autre part, cette présomption pourra se trouver afIcetée,
mise en échec grâce à la conception large que consacre le Code
des douanes en matière d'intérêt à la fraude, des causes générales
d'exonération de responsabilité, soit de la force majeure.
a) Et tout d'abord quel est le rôle de l'intention coupable
dans les diverses hypothèses où l'article 399 édicte la présomption d'inté rêt à la fraude ?
1. - JI est un cas seulement où la solution à ce problème
apparaît clairement. En effet on s'accorde pour admettre que la
présomption de culpabilité pesant sur les intéressés directs à la
fraude est une présomption irréfragable. L'administration des
douanes n'a pas à rapporter la preuve de l'intention coupable,
elle n'a pas à démontrer que les individus aya nt la qualité d'entrepreneurs, d'assureurs, d'assurés ou de bailleurs de fonds sont
vraiment intéressés à la fraude; le seul fait, par exemple, d'être
propriétaire des march andises de fraude suffit pour caractériser
l'intérêt direct sans qu'il y ait lieu de rechercher si ce prévenu
connaissait la destination frauduleuse des marchandises (1 ).
Ici le législate ur de 1948 n'a fait qu'entériner la jurisprudence antérieure celle qui s'étai t élaborée sur la base des articles
609 et 610 du Code 1934. C'est qu'il n'est point apparu opportun
de tempérer la sévérité de ces solutions s'agissant ici des principaux bénéficiaires de la fraude.
2. - Par contre en ce qui concerne les individus ayant
coopéré au plan de fraude, le fait de savoir s'il fallait prouver
l'intention coupable a été très controversé.
Monsieur Nazario (2), soutient à ce propos que rien n'est
changé par rapport à l'ancien article 609 relatif à l'intéressé à un
titre quelconque et qui ne pouvait être excusé sur l'intention.
• On ne saurait, dit-il, sans nuire à l'efficacité de la répression et à l' intimidation qu'elle produit, obliger l'Administration
à pro uver la mauvaise foi de ces individus :t ,
La Cour de cassation semble s'être cependant élevée dans
une première étape contre cette thèse. Un a rrêt d~ la Chambre
criminelle du 7-7-1949 (3) a déclaré que la partJclpatJon à la
contrebande impliquait la connaissance du plan concerté.
(1) Casso crim ., 18- 12- 1952, Doc. coot. n° 1026~ Casso crim., 2 mai
1952, Doc. conl.
0°
1004.
(2) NAZARIO: COllrs de formatioll p,o/~ssjonnelle, p. 123.
(3) Bull. Crim ., p. 368, Doc. cool. 790.
�136
137
Mais dans sa jurisprudence plus récente la Cour de cassation est revenue sur celle position indulgente.
Un arrêt de la Chambre criminelle (1) l'alleste ; il déclare :
e le fait d'avoir entreposé dans un garage en dehors du
e rayon des marchandises que l'entrepreneur de fra~de
c deva it ensuite acheminer chez les desttn at31res, constitue
e l'intérêt par coopération à l'exécution du pIao de fraud e
e tombant sous le coup de l'article 399, § 2 b, qui n'ex ige
e pas pour son application l'intention coupable >.
Mais les juges du Cond conservent un e tendance nelle à
relaxer les prévenus du chef de l'article 399, § 2 b, quand la
mauvaise foi de ceux-ci n'est pas établie. Leurs décisions font
régulièrement l'objet de pourvois en cassation de la part de
l'adminstration des douanes; la Cour Suprême servant, il faut
le dire assez fidèlement ses intérêts dans la mesure où elle ne se
montr~ pas trop soucieuse de tempérer la rigueur des lois
douanières.
Un exemple pris dans la juris prudence récente le démo ntre (2).
e A la suite d'un contrôle de douane, un camio n conduit
par un certain Lagisquet contenant 2 400 litres d'alcool fut découvert sur la route de Bayon ne. Le prévenu reconnut qu' il s'agissait
d'alcool espagnol chargé dans la région de Saint-Jean-de-Luz : il
devait être livré à un distillateur de Marseille. Il reconnut en
outre avoir déjà fait quatre transports d'alcool qui furent déchargés chez ce distillateur avec l'aide d'un dénommé Bern ardi , son
employé et homme de confiance >.
La Cour d'appel de Pau le 1" mai 1961 relaxa Bernardi
poursuivi pour coopération à l'exécution du plan de fraude en
déclarant que malgré les charges pesant apparemment sur ce
prévenu il ne résultait pas avec certitude qu'il ah eu connaissance
de la provenance frauduleuse de l'alcool et qu' il devait être relaxé
au bénéfice du doute.
La Chambre criminelle de la Cour de cassation cassa l'arrêt
de la Cour d'appel de Pau au motif que la preuve de la non
contravention était à la charge du prévenu qui ne po uvait être
excusé que s'il avait agi en état de nécessité o u par suite d'erreur
invincible.
Dans le même sens, on peut citer éga lement un a rrêt de
la Cour de cassation du 13-2- 1963 (3).
( 1) Casso criro., 24-7-1952, Doc. cont. n' 893 .
(2) Casso crim., 9 av ril 1962 Bull. Crim. nO 174, p. 358.
( ) Bull. Crim., n' 74, p. t56 .
e Un mari avait chargé sa femme de retirer à la gare des
colis expédiés à son nom en provenance de Strasbourg. La femm,
poursuivie pour avoir agi de concert avec SOn mari d'après un
plan de fraude, ,Uirmait n'avoir pas eu connaissance de ce plan
ourdi entre son mari et un tiers_ E lle fut cependant condamnée:
la Cour de cassation précisa bien nellement que l'article 399
§ 2 b, ne nécessite nu llement pour son application la connais~
sance du plan de fraude >.
3. - Si la rédaction de l'article 399, al. 2 permettait
un e telle interprétation, par contre celle de l'alinéa 3 de l'article 399, § 2, en impliquait une beaucoup plus libérale.
En effet aux termes de cet alinéa ne sont réputés intéressés
à la fraude que ceux qui e sciemment ont couvert les agissements
des fraudeurs o u tenté de leur procurer l'impunité, et ceux qui
sciemment ont acheté ou détenu, même en dehors du rayon, des
m archandises de fraude >.
Id aucun do ute n'est possible, la mauvaise foi est un élément
constitutif de cette modalité d'intérêt à la frau de et c'est là un de
ces cas extrêmement rarcs où le droit douanier admet la bonne
foi; c'est une innovati on du Code de 1949, innovation opérée
dans le sens d'un e certaine humanisation de la législation traditio nnelle.
C'est donc, et to ut d'abord une présomption réfragable de
culpabilité qui pèse sur ceux qui ont porté un e aide subséquente
au profit des fraudeurs.
On peut citer en ce sens un arrêt de la Chambre crintinelle
du 26 avril 1963 (1) :
e Deux commerçants de Sarrebruck avaient souscrits au
bureau des douanes de Forbach un e déclaration en vue d'importer en France des bandes pour magnétophones. L'inspecteur des
douanes, un certai n Lacornme qui était en service et recevait la
déclaration ne releva pas, deux fois de suite, les inexactitudes
de la déclaration.
Les juges de première instance puis les juges d'appel relaxèrent l'inspecteu r des douanes au motif qu'il ne résultait pas des
éléments d 'info rm atio n que Lacomme ait par une action concertée
avec les commerçants arrêté avec eux un plan de fraude.
Mais la Chambre criminelle de la Cour de cassation estima
qu'il é tait inutile de rechercher si Lacomme avait poursuivi avec
les commerçants une action concertée dont l'objet aurait été de
(1) Bull. Crim ., n' 152, p. 307.
�139
138
préparer les faits de fraude dès lo rs qu'il était établi que Lacomme
avait couvert sciemment les ag.ssements frauduleux .
4. _ C'est une présomption analogue qui p èse sur ceux
qui ont sciemment acheté ou détenu des marchand ISes de fraude:
a) ln novatio n du Code de 1949 p.articulièrement sensible:
en effet avant 1949 pouv ait être po ursUlv.e toute p~r~o nn e aya ~t
acheté un objet provenant de contrebande même s. 1 acbat . a~a.t
été effectué cbez un commerçant régulièrement étabh et ~ . ;.en
en particulier ne lui permettait de déceler la provenance m egulière de la marchandise.
La jurisprudence faisait preuve à l'égard de ces détenteurs
u de ces acbeteurs d'une sévérité excessive surtout lorsque la
~étention ou J'achat ne portaient que sur une faible pa rtie des
marchandises.
Aussi la Chambre criminelle ( 1) jugea que l'individu qui a
acheté 50 paquets de ciga rettes provenant d'un lot de 15 coH~
de 150 000 cigarettes impo rtées en contrebande dOIt en sa qua"te
d'intéressé être condamné aux mêmes pénalités que les auteurs
de cette impo rt ation.
R éagissant contre l'excès de rigueur souvent déno ncé d'un e
telle solution le nouvea u Code a réservé à ceux qui o nt acheté ou
détenu des marchandises de fraude un sort plus clément: l'administration des douanes devra en effet dans le cadre des dispositions nouvelles prouver que le client ou le détenteur savait que
la ma rchandise provenait de fraude.
b) Cependan t ces dispositions ont suscité des difficultés
d'application en ce qui concerne la détentio n opérée en connaissance de cause de marchandises de fraude. En effet comment
concilier ces dispositions avec celles de l'article 392 aux termes
duquel le détenteur est présumé respo nsable sans qu'il puisse
exciper de sa bonne foi.
Sans doute l'article 392 vise le détenteur, auteur principal
et l'article 399 vise le détenteur simple intéressé à la fraude.
Mais comment opérer la ventilation entre ces deux cas?
Pour l'admin istration des do uanes il semble que le détenteur doit être considéré comme auteur principal et se voir appliquer la présomption irréfragable de l'article 392 dans tous les
cas de détention se produisant dans le rayo n des douanes. Au
contraire hors du rayon c'est l'article 399 qui doit jo uer.
(1) Cass crUn. 15-7-1949, Doc. conl. n° 710.
M ais comme le fait remarquer M. Becquet (1 ) cette position
de l'administrati on des douanes ne semble pas soutenable dans
la mesure o ù l'a rticle 392 édicte un principe général d'imputabilité qui doit jo uer dans to us les cas.
Selon cet auteur il faut replace r le terme c détenu . dans
son véritable cadre, l'articlc 392, §2 c, qui vise les cas de complicité spéciale postéri eurs à l'achèvement du plan de fraude: le
détenteur simple intéressé à la fraude serait celui qui a détenu
ou détient la march andise après achèvement complet du plan de
fra ude sans l'avoir acheté celui par exemple à qui ce dernier
maillo n de la chaine de l'entreprise de contrebande aura fait
cadeau d'un paquet de tabac étranger. Dans cette hypothèse alors
la preuve de la mauvaise foi du détenteur devra être rapportée.
Cette ex plicati on semble assez pertinente. Toutefois il faut
remarqu er qu'il est fait rarement application de ces dispositi ons.
Il est difficile dans les cas de détention de marchandise de fraude
de pro uver si la détentio n s'est réalisée avant ou après l'achèvement d u plan de fr aude: les tri bun aux sont enclins dans ce cas
à appliquer plutôt J'article 392, celui-ci constituant le principe,
l'a l. 3 de l'art . 399, § 2 ne constituant qu'une exception à interpréter de faço n reslrictive.
c) Il convient de so uligner que les acbeleurs ou les détenteurs do nt la mauvaise foi n'est pas établie ne sont pas so ustraits
à toute incrimination : c'est que les amendes douanières constituent à la fois des peines et des réparatio ns civiles ; le préjudice
subi par le Trésor do it être en tout état de cause réparé: c'est la
raiso n pour laq uelle, si l'article 400 épargne aux détenteurs et
acheteurs de bonne fo i les peines de prison, ces derniers n'en
demeurent pas moins redevables de l'amende contrave ntion ne lie
de la 4' classe c'est-à-dire d'un e amende du triple de la valeur
des ma rchandises acbetées ou détenues : mais ces individus ne
seront pass ibles de cette amende que dans la mesure où les
m archandises achetées ou détenues sont en quan tité supérieure
à celle des besoins de la consommatio n fa miliale.
L e modeste consommateur est donc exempt de to ute sanction. T outefois si l'acheteur de bonne foi a agi dans des cO?ditions commerciales no rmales en obtenant à un prix normal meme
en grande q uantité des produits dont la nature ne révèle p as
une o rigine suspecte, faudra-t-il appliquer l'amende de la tnple
valeur ? Ce serait sans doute fo rt injuste.
(1) T hèse 1959.
�140
141
b) La force majeure el/ marière d'inrérér à la fraude
A cette iniquité il pourra sans doute être paré grâce à
l'interprétation extensive de la force majeure qu'a consacré en
matière d'intérêt à la fraude le législateur dans un e ordonnance
du 17-1 2- 1958 et dont les dispositions ont été reprises dans le
paragraphe 3 de l'article 399, dispositions dans lesquelles nous
avons cru déceler la volonté du législateur de limiter le champ
d'application de l'intérêt à la fraud e, dans la mesure où elles
permettront dans certains cas aux prévenus de combattre la
présomption du paragraphe 2 de l'arti cle 399.
En effet l'article 399, § 3 stipule que l'intérêt à la fraude
ne peut être imputé à celui qui a agi en état de nécessité o u
par suite d'erreur invincible.
Nous avons vu précédemment que l'auteur principal de
l'infraction ne pouvait se prévaloir ni de l'état de nécessité ni de
l'erreur invincible.
Ces excuses admises dans le cadre de l'i ntérêt à la fraude
constituent pour reprendre l'expression employée par M . Nazario une • sorte de soupape d'échappement à l'excès de la
répression > un e atténuation au caractère draconien de la législation pénale douanière en ce qui concerne l'intérêt à la fraude.
I. - Mais que faut-il entendre pa r état de nécessité et
par erreur invincible.
Si l'on se réfère aux décisions rendues en la matière l'état
de nécessité est traditionnellement défini comme l'état d'une
personne qui s'est obligée pour sa sauvegarde ou celle d'autrui
de commettre un acte puni par la loi pénale.
L'état de nécessité est aussi ca ractérisé en ce qu'il implique
de choix entre deux issues pareillement périlleuses : choix par
exemple entre la perte d'une vie humaine et la commission d'une
infraction . Le sujet doit être contraint d'opérer un choix .
C'est l'existence de cette alternati ve qui différencie seule,
en théorie, l'état de nécessité de la force majeu re puisq ue dans
les deux cas la cont rainte existe.
11 n'a pas été encore semble-t-il fait applicatio n en jurisprudence de l'état de nécessité aux intéressés à la fraude, mais
la doctrine fournit quelques exemples où l'application de cette
notion serait possible.
Ainsi l'intérêt à la fraude ne serait pas imputable aux
personnes de la famille qui auraient en toute connaissance de
cause acheté pour leu,r enfant un médicament importé en
contrebande, à la condition toutdois que ce médicament soit
indispensa ble pour la guérison du malade et qu'il soit introuvable
sur le marché intéri eur.
Ce principe doit recevoir selon M. Nazario application dans
le cas où un aéronef transportant des marchandises est en péril.
Le commandant a alors le droit de les jeter en COurs de route
si ce jet est indispensab le au salut de l'aéronef et cela san~
encourir les peines de la contrebande.
2. - Mais c'est surto ut en ce qu'il prévoit l'erreur invinsible comme cause de non imputabilité de l'intérêt à la fraud e que
l'article 399, § 3 réalise un progrès par rapport à la situation
antérieure. C'est que cette hypothèse est en pratique plus fréquente que ne peut l'être l'état de nécessité.
On définit l'erreur in vi ncible comme une erreur de fait
portant sur un fait matériel, l'erreur inévitable, celle qui surto ut
ne laisse place à aucune négligence, à aucune faute si excusable
soit-elle de la part de son auteur.
L 'erreur in vincible sera admise dans le cas que nous
avons précédemment évoqué de l'acquéreur ou du détenteur de
marchandises de fra ude dont la mauvaise foi n'est pas établie,
qui a agi dans des conditions commerciales normales.
Un exemple de l'effet exonératoire de l'erreur invincible
est fourni par un arrêt de la Cour d'appel de Douai : eUe a
jugé que ne peut être condamné pour l'intérêt à la fraude le
garagiste qui ava it réparé une automobile ayant servi à une opération de fraude alors qu'il ignorait que ce véhicule devait être
utilisé dans ce but.
3. - No us n'avons fait que noter en l'éliminant pratiquement de notre étude l'article 398 du Code des dou anes qui maintient à côté de l'intérêt à la fraude , l'application en matière
do uan ière de la complicité de droit commun des articles 59 et
60 du Code pénal .
C'est qu 'il n'est fait usage des principes du droit commun,
no us avons eu l'occasion de le remarquer, que lorsqu'il n'est
point possible de fai re état de la complicité douanière. D'autre
part lorsq ue le co upable a agi sciemment la distinction entre la
complicité de droit commun et l'intérêt à la fraude ne présente
plus d'intérêt pratique. Même avec les correctifs que lui a
apporté le nouveau Code, la notion d'intéressé à la fraude
�142
demeure un concept assez large, pour ne point dire trop
commode pour qu'il ne soit fait qu'un usage secondaire voire
même négligeable des principes de droit commun, tellement
moins malléables, tellement plus restrictifs.
Nous avons peut-être dénoncé d'une façon qui peut paraître
outrancière la sévérité du droit pénal douanier apparemment
peu respectueux de l'équité. Peut-être conviendrait-il de préciser qu'il faut y voir la condition même de son efficacité et
que cette législation à bien des points de vue inhumai ne est
rendue plus tolérable par le pouvoir discrétionnaire donné à
l'administration des douanes de transiger sur le montant des
pénalités pécuniaires.
Les sanctions et leur exécution
en matière douanière
p"
M. SCHUMAC HER
Assislan r à la Facuhé de Droit
CI
de Sc ie nces Économiques d'Aix-e n-Provc ncc
�145
L'étude du droit pénal douanier révèle un souci constant
d:cfficacité de la part du législateur. Il importe ava nt tout d'organiser un système propre à défendre les intérêts que les infractions
douanières mettent cn péril. Celte préoccupation est toujours
présent dans les diverses parties du droit douanier : elle apparaît
au stade de l'incrimination, où à la différence du droit commun
on recherch e peut être moins le responsable qu 'un répondant ; ell~
se retrouve encore au stade de la poursuite, où la constatati on
et la preuve de in fractions est faci litée; elle se manifeste enfin
dans le domain e des sanctio ns. En effet, ces dernières, tout
patrimoniales que perso nnelles, telles que conçues et appliquées
en droit commun , seraient bien souvent in suffi santes po ur assurer une répression effi cace. Il était donc nécessaire de modifier
dans certains cas leur phy ionomie traditionnelle afi n de les
adopter à la nature partic ulière des infractions douanières.
CeUes-ci étant essentiellement des inlractions • artificielles " les
sanctions des • délits naturels, qui trouvent leur fondement
dans la réprobation soc iale, ne pouvaient dans bien des cas
jouer leur rôle. C'est pourquoi, pour compenser l'absence de
frein moral, on a du recourir à une grande sévérité destinée à
ass urer un effort d'intimidation et de prévention. La sévérité
des sanctions do uanières s'explique aussi par le fait que pendant
longtemps, seules les infractions constatées par un procès-ve rbal
de saisie pouvaient être poursuivies. L'infraction, étant certaine,
on punissait le dé linquant pour les fois où il avait échappé à la
justice. Ma is il faut tenir compte également d'un lacteur pro pre
aux infractions doua nières: l'ex istence même de celles-ci, la
plus o u moins grande rigueur des peines, sont fo nction des cir-
constances et de la politique douanière du moment.
Ainsi l'Ancien Régime ( 1) qui, surtout à partir de Colbert,
pratiquait une politique de protectionnisme étroit, prévoyait des
sanctions particu lièrement lourdes. Pour l'infraction la plus grave
qu'était la contrebande, le délinquant encourai t, outre une lourde
amende, la peine des galeries. A défaut de paiement de l'amende
c'était le fouet, la ma rque au fe r rouge (par exemple la lettre
« G > en matière de gabelle). Si la contrebande avait eu lieu par
attroupement et armes, la peine était la mort, et en cas de
(1) P . BÉQUET: c Co"t,~ba"de et con t,eba'ldi~,s, P.U.F., 1959, p. 17
et s. Thèse La Contrebande, Législation, Jurisprudence et pratiques de la
Douane, p. t 85, L.G. D.J .
"
�147
146
résistance, le supplice de la roue (cf. l'épisode de Mandrin) . On
peut douter de l'efficacité de ces sanctIons, car les Juges, profitant de la latitude qui leur était alors reconnue, répugnaIent souvent à appliquer des peines aussi lourdes, voire ba rbares. A tel
point que le pouvoir royal dût créer ~ devant la carence des
juge naturels, une juridiction d 'e~ceptJo? , la c Comrnlssl~n .de
Valence . dont la procédure étaIt secrete, non contradlcto" e
et ans r~cours . Cette juridiction a du remplir consciencieusement sa mis ion, puisque l'on disait couramment que les douanes
suffisaient à pourvoir les galères; on connait également le mot de
Voltaire, lorsque dans Candide, il énumère les fléaux de l'humanité c la vérole, la gravelle, les écrouelles, l'inquisition et la
Chambre de VaJence •.
Tous ces excès furent abolis par la Révolution qui adopta
une politique libérale dans le commerce extérieur. En conséquence les prohibitions furent moins nombreuses (1) et les
sanctions atténuées. La loi des 6-22 août 179 1, prévoyait essentiellement des sanctions patrimoniales importantes (amende et
confiscation) et seulement un emprison nement de courte durée
dans les cas les plus graves. Mais le Premier Empire, revenu à
une politique protection niste, portée à sa plus gra nde rigueur au
moment du Blocus continental, accrut la sévérité des sanctions
douanières: la peine des travaux forcés, la marque au fer ro uge
(c VD . : voleur des douanes), la mort même furent rétablies;
des tribunaux spéciaux furent institués (2).
Au contraire, les régimes postérieurs, surtout le Second
Empire, pratiquèrent uoe politique extérieure libérale. Les sanctions furent donc adoucies et l'on en revint aux pénalités plus
modérées de 179 1 (3).
Mais le XX' siècle a montré la nécessité de l'intervention
croissante de l'Etat dans l'organisation et le fonctionnement du
commerce extérieur. Le législateur a édicté de très nombreuses
dispositions douanières, presque toutes sanctionnées pénalement. Et si le Code des douane a abandonnée la rigueur
extrême de jadis, il n'en a pas moins perpétué une tradition de
sévérité à l'égard des infractions douanières. Il manifeste égaleLa RhoJulion Françaiu, par Geo rges L EPEBVRE. ColL
et Civilisations, t. X 1I1 , p. 182, P.U. P. ( HA LPHEN el SAGNAC).
Cf. D~c ret de Fontainebleau, 13 oct. 1887 ; Décret de M il an,
1807; 2- Décret de Milan, 17 déc . 1807 ; Décret de Saint-C!oud,
1810. Voir P~ uplu ~t civilisation de Louis HALPHEN el Philippe
1. XlV c Napoléon . par LEFEBVRE, p. 255-360 et spI', p. 362.
(3) Voir PONTHAS : Democratie et copi,alism~. Coll. Peuples et Civilisation (HALPHEN et SAG~AC), 1. XVI, p. 231.
(l) Cf.
Peuples
(2)
23 nov.
3 juillet
SAYNAC,
meot le souci d'adapter les sanctions aux multiples formes que
peut revêtir la fraude dou anière. Pour obtenir une répression
efficace, il o'a point innové dans le choix des sanctions puisqu'il
a eu recours aux grandes catégories existantes, sanctions patrimoniales, sanctions personnelles, mais plutôt dans leur régime
juridique. Mais ce particularisme varie suivant les sanctions
considérées: s'il est peu marqué pour les sanctions personnelles,
il est en revanche très accusé pour les sanctions patrimoniales.
On est tout d'abord frappé par les montants très élevées
que peuvent atteindre les sanctions patrimoniales. Cela tieot sans
doute à un principe traditionnel du droit pénal français, suivant
lequel, les inIractions commises dans un esprit de lucre, mobile
qui anime généralement les délinquants douaniers, doivent être
sanctionnées principa lement par de lourdes peines pécuniaires.
Mais cela tient aussi à ce que, à la différence du droit commun,
où les infractions constituent toujours en définitive une atteinte
à l'ordre social préétabli, les infractions douanières portent surtout
uo préjudice aux droits d'une administration. De ce fait , une
seconde fonction des sanctions patrimoniales ne doit pas être
oégligée : il s'agit de réparer le dommage subi par les douanes
du fait de la fraude. Cet aspect de réparation est très important,
car il permettra de justifier, bien des règles qui gouvernent le
le régime juridique de ces sanctions. Mais ce qui attire peut être
davantage l'attention, c'est le rôle considérable que l'ad ministration des douanes joue à propos de ces sanctions. Déjà, eUe
peut à tout moment intervenir pendant l'instance pour mettre
un terme à l'action publique au moyen de la transaction. Mais
ce qui est plus grave c'est qu'eUe peut encore transiger bieo
qu'une décision définiti ve ait été rendue. Cette faculté exorbitante met ainsi en relief deux traits saillants en la matière:
d'une part l'on fait prévaloir les intérêts d'une administration
sur le respect de l'autorité des décisions de justice; d'autre part
00 peut constater dans la répression un déséquilibre flagrant
entre la théorie et la pratique: d'un côté la répression est en
principe très sévère, en fait elle est bienveillante, car les transactions après décisions de justice se font le plus souvent à un
taux très bas, le condamné étant incapable d'acquitter le montant intégral des condamnations.
Du moins, on doit remarquer qu'en aucun cas la transaction
ne pourra modifier les sanctions personnelles qui auront pu êt~e
prono ncées, soit qu'il s'agisse de peines d'empnsonnement, prevues dans les cas les plus graves, soit qu'il s'agisse de déchéances.
En ce qui concerne ces sanctions on ne constate guère de particularités propres du droit douanier. Le rapprochement avec le
�149
148
droit commun s'est même accentué depuis 1964 (1), puisque le
législateur a cru bon de créer une cinquième classe de contraventions, qui, comme en droit commu~, .prévOl~,. outre u,ne
amende une peine d'emprisnnnement. AmSl, la vIeIlle claSSIfication des infractions douanière , en contraventions de 1ro, 2c ,
3e et 4 e classe, seulement punies de peines pécuniaires, et en
délits de I ~, 2' et 3' classe, punis en outre d' une peine d'emprisonnement, se trouve désormais abolie.
Il apparaît ainsi, en définitive que le particularisme des
sanctions douanières se manifeste surtout à propos des sanctions
patrimoniales, beaucoup moins en ce qui concerne le sanctions
2°) Un acte interruptif valable au point de vue civil , la
contrainte par corps est-elle possible après achèvement des délais
de prescription ? le Parquet général de Paris a dit oui, le Parquet
de Marseille dit non.
La jurisprudence l'a affirmé à de nombreuses reprises (1), et
l'art. 415 du Code de douanes le précise lui-même (c sont passibles des sanctions fi scales ... . ).
Mais le caractère strictement pénal de ces sanctions ne
doit pas être négl igé et la Cour de cassation a dû le rappeler
parfois aux juridictions inférieures (2). C'est lui qui explique que
les amendes douanières ne puissent être prononcées contre des
personnelles.
personnes morales, ou être inscrites au casier judiciaire. Etant
C'est ce qui nous conduit à envisager dans une première
partie, les sanctions pat rimoniales, et dans une seconde partie,
des peines, les sanctions patrimoniales sont soumises aux règles
du Code de procédure pénale, et elles peuvent être touchées
par l'amnistie. Enfin, la prescription s'accomplit comme en
matière correctionnelle, c'est-à-dire par 5 ans (art. 382. 5°).
Cependant le caractère de réparation civile apparaît déjà, car la
prescription s'opère dans les mêmes conditions que les dommages-intérêts (art. 382, 5°, red. ordo 17 déc. 1958). 11 faut sans
doute entendre par là, que les conditions d'interruption de la
prescription sont celles du droit civil. Ainsi des versements effectués volontairement par le condamné (par exemple en vertu d'une
transaction intervenue ap rès jugement) interrompent la pres-
les sanctions personnelles .
I. -
L ES SANCTIONS P ATRIM ON IALES
Le Code des douanes a emprunté au droit commun deux
sanctions patrimoniales : l'amende et la confiscation . L'amende
est prévue pour toutes les infrac tions, la confiscation (qui est
toujours spéciale) seulement pour les contrave ntions de 3' classe
(arl. 412) et les délits (art. 414, 415 et 416), soit à titre principal, soit à titre complémentaire. Mai le législateur n'a pas
transposé purement et simplement ces sanctions de droit commun en droit pénal douanier, il a voulu les adopter aux infractions douanières. La physionomie pa rticulière de celles-ci a
conduit notre droit positif à reconnaître aux sanctions patrimoniales douanières une nature jurid ique mix te dont découle
un régime juridique original. Il ne fait plus de doute en effet,
aujourd'hui, que les sanctions patrimoniales présentent un double
visage: eUes sont à la fois des peines et des mesures de réparation à caractère fiscal. Problème de l'interruption de la prescription des amendes par un commandement signifié à parquet:
1°) Quel est l'acte interruptif de la prescription ? Au point
de vue pénal, mais aussi au point de vue civil. A personne o u
à domicile, ou à Parquet.
(1) D. n° 64-891 du 25 avril 1964; D. 64 , p. 228 . A signaler aussi
que depuis l'ordo du 23 déc. 1960, les contraventions ne sont plus jugées
c au civil -, mais du ressort du tribunal de police. Demeure cependant
la particularité que la prescription de l'action publique de ces infractions
est de 3 ans comme les délits et non un an .
cription. Le caractère de réparation civile a d'ailJeurs tendance
actuellement à déborder largement le caractère pénal. Cette
fonction est si importante qu'elle permet de justifier la plupart
des règles qui dominent le régime juridique des sanctions patrimoniales. Ainsi pour les amendes, le montant n'est pas comme
en droit commun , si l'on met à part les contraventions de
1re classe (art. 410) et de 3' classe (art. 412) déterminé par deux
limites fixées impérativement entre lesquelles s'exerce le pouvoir
d'appréciation du juge, mais est au contraire le plus souvent
proportionné à l'étendue de la fraude. 11 s'agit donc de sa~OIr
quelle va être la référence de base pour leur liqUIdation. C est
un problème similai re qui se pose pour la confiscatIOn. Sans d ou~e
celle-ci pourra s'exercer en nature, et son objet sera alors ~res
étendu, puisqu'elle portera, non seulement sur les marchandISes
de fraude, entendues en un sens très large (tout ce qUI est sou~
mis au contrôle douanier) mais aussi sur les objets qUI ont seM
d'une manière quelconque au transport, et parfois même ceux
( 1) Crim . 23 mars 1944, D.A. 1944, p. 61 ~ Crim . 22 janvier 1957,
B, n' 66 (amendes): Crim. 5 lév. t9 t5, O.P. 19 1 35, 28 lév. 1930
OH 30.2t3.
.
957 B • 66
(2) Crim., 31 oct. 1956, B. n° 699; Crim ., 22 janvier l
, .n
.
�150
151
ayant servi à masquer la fraude (a rt. 414 et s.). Dans ces cas,
l'objet de la confiscation sera attribué purement et simplement
à l'administration des douanes.
Mais il arrive ra bien souvent que la confiscation s'opère
en équivalent. En effet, il se pourra que les objets susceptibles
de confiscation n'aient pu être saisis. D ans ce cas, il est certain
que la confi cation ne donnerait à l'administration des douanes
qu'un droit théorique. D'autre part, l'attribution en nature des
objets de confiscation n'offre parfois aucun avantage aux douanes, en particulier quand il s'agit de marchandises peu courantes, dont on ne pourrait reti rer qu'un fai ble produit. De
même, la confiscation de l'objet saisi se révèle inutile quand
son aliénation ultérieure se trouve exclue (par exemple : un film
cinématographique qui n'a aucune va leur sans d'ex plo itation; un
ij
....
chèque bancaire qui ne peut être encaissé). E nfin, du point de
vue des intérêts de la répression, il faut bien reconnaître que la
confiscation en natu re, ne punit que faiblement le délinquant,
car celuj-ci va pouvoir racheter, le plus souvement à bas prix
lors des enchères, les objets dont il n'aura été privé en définitive
que temporairement (2). C'est pourquoi, l'art . 435 du Code des
douanes prévoit que l'administration des douanes pourra requérir dans tous les cas une c confiscation en équi valent . (ou
c fictive . ou enco re en c valeur estim ative . ). JI résulte de la
rédaction du texte que la disposition a une valeur impérati ve
et les juges ne pourraient refu ser de satisfaire la demande des
douanes (3). Mais on s'aperçoit qu'ici encore, il s'agit de
déterm iner sur quelle base la confiscation va pouvoir s'o pérer.
Ainsi, les sanctions patri moniales posent tout d'abo rd un
problème d'évaluation.
A ce premier élément d'origi nalité s'en ajoute un second .
Puisque l'administration des douanes se présente, non seulement comme une collaboratrice de la répression douanière, mais
encore comme créancière de la réparation du préjudice qu'elle a
subi, le régime des sanctions patri moni ales présente encore des
traits originaux du point de vue de la mise en œuvre de celles-ci.
Le législateur et la jurisprudence ont tenté de construi re un
système qu i conciliât le do uble aspect de la nature juridique de
ces sanctIOns . Celles-ci présentent ainsi un particula risme non
seulement dans leur évaluation (A), mais encore d ans leur mise
en œuvre (B).
(1) Cf. par ex. Crim, 2-7- 1953, DC n' 1053 (bijoux).
(2) C f. NAZARIO, COUTS d~ contentieux douaniers p 73
n
• 1(138)1 C rim ., 21 OCI. 1948, D.C. n° 845 ; Crim., '
; 20 oct. 1959, D.C. n' 1358.
laoci.
1956, D .C.
A. -
Evaluation des sanctions pécuniaires
Pour certaines catégories d'infractions, aucun problème
d'évaluation ne se posera, car le montant de la pénalité applicable peut être déterminé avec certitude. 11 en est ainsi pour
les contraventions de 2' classe où l'amende est égale au triple
des droits compromis. Par droits compromis, il faut entendre c la
différence entre les droits et les bases léga lement exigibles et
ceux qui auraient dû être perçus par le Trésor si l'infraction
avait échappé au servjce (1) . Le quantum de la peine n'est donc
en ce cas qu'une question mathématique, qui ne pose guère de
difficultés juridiques, sauf erreur de calcul des juges (2).
Mais le plus souve nt, les formules légales sont vagues et
soulèvent des problèmes d'interprétation. Sur la manière de
liquider les sanctions patrimoniales. Dans ceUe recherche, il semble que le rôle du juge soit en fait très limité.
Pour les contraventions de 4' classe et tous les délits, le
Code des douanes prévoit une amende multiple de la valeur des
objets ou marchandises de fraud e. Il convient donc de se
demander comment va être déterminée ceUe valeur. Il en est
de même pour la confiscation en équivalent, puisque J'administration des douanes doit recevoir l'équivalent de la valeur des
objets de confiscation . Suiva nt l'art. 435 du Code des douanes,
faut se référer pour les amendes (3), lavaleur doit être calculée
c d'après le cours du marché intérieur à l'époque où la fraude
a été commise •. La référence à la notion de marché pourrait
poser des problèmes similaires à ceux de J'application de l'article 419 du Code pénal, en matières de délit d'altération des prix.
Le terme est en effet im précis dans sa signification comme dans
son étendue.
Mais il ne semble pas que la question se soit directement
posée à nos tribunaux. Cependant, à la lumière du Code des
douanes et de la jurisprudence, on peut discerner deux manières
de fixer le prix de référence de la marchandise.
Ordinairement, l'estimati on se fe ra suivant la valeur mar-
chande de l'objet, c'est-à-dire la valeur à la con somm ati~ n ,
celle-ci étant obtenue par la valeur intrinsèque de la marchandISe
augmentée des frais de douane non payés. Ce recours à un prix
(1 ) N AZARIO, op . cit., p. 8 t.
(2) Voir BOUZAT, Tra j/~ de Dr. Pl na l, 1963" t. l, p. 465 . u:s erreurs
de calcul se raient plus fréquentes qu'ont ne croit et entraineralent ainsi
des cassati ons nombreuses .
(3) NAZAR IO, p. 82 .
�152
153
en quelque sorte objectir. ex plique que la jurisprudence a it toujours rdusé de tenir compte de la valeur réelle des marchandises
litigieuses à l'époque de la rraude. Ainsi, même lorsque les marcbandises sont endommagées, l'évaluation de l'amende ou de la
confiscation cn équivalent doit se raire selon le prix du marché
intérieur, et non d'après la va leur actuelle. On peut faire observer
d'une part, que les textes ne distinguent pas la valeur sur le
marcbé des objets en bon état ct endommagés; d'autre pa rt, du
point de vue de la répression, il serait trop racil e au délinquant,
dont la rraude est sur le point d'être découve rte, de détruire les
marchandises, à tout le moins de les détériorcr, pour baisser à
son gré le quantum des peines qu'il encourt ( 1). De même
quand il s'agira de marchandises soumises au monopole de
l'Etat (tabacs, allumettes, ciga rettes ... ), la va leur prise en considération n'est pas la valeur intrinsèque de la marchandise de
fraude mais le prix de la qu alité simil aire du monopole (2).
Mais dans certains cas, le cours du marché ne présentera
guère d'utilité, car il sera très difficile, sinon impossible de déterminer la valeur des marchandises ou le montant des dro its et
des taxes réellement exigibles (3). Le Code des douanes précise bien alors que les pénalité doivent être liquidées sur la
base du tarif généra l applicable à la catégo rie la plus fo rtement
taxée des marchandises, et d'après la valeur moyenne indiquée
par la dernière statistique douanière mensuelle (a rt. 436). Mais
ce texte suppose à l'évidence la conn aissance de la nature et de
la quantité des marchandises en question. O r, il n'en est pas
toujours a insi. Comment va être a lors ca lculé le montant des
sanctions? Une estimation exacte est par hypothèse impossible.
Il est adm is que dans ce ca , l'administration doit procéder à une
évaluatioo approximative, soumise à l'appréciation du juge. L a
fixation du qua ntum des pénalités est alors nécessairement arbitrai re. Cependant, ce système apparaît du point de vue de la
répression comme plus satisfaisant, car les juges tiendro nt compte
en faIt de la nature et du degré de la fraude du délinq ua nt. Ces
éléments entrent directement en ligne de compte dans le deuxième
mode d'évaluation.
(t) COUT d'appel de Grenoble, 27 oclobre 1950, D.C., n° 980.
(2) Crim ., t 7 mai 1873, D.P. 73, 1, 387. Cour d'appel de Bordeaux, 6 janvier 1949, D .C. nO 98 1.
(3) n en est ainsi nota mmenl dans le cas de J'a rt. 41 1.2a (déficits
dans le nombre des colis déclarés, mani festés, tra nsportés sous passava nt
de transport), 4 17-2c (soustractio ns o u substi tu tions en cours de transpo rt)
~2 1 f 3 (~anœuVTes ou fausses déclarati ons pour obtenir ind ûment des
LJ~res de Circulation), 423 f 2 (substitutio ns ou soustract ions de marc handISeS sous douane) 426 f 1 (importation o u exportation avec titre frauduleux).
Dans certa ines ~ y poth èses en effct, 00 ne se référera pas
au ,cours d~ march.é IOténeure entendu d'une manière objective,
malS au pnx effectI vement déterminé par les fr audeurs. La base
de I~quiday o n des pénalités est donc subjecti ve. 11 s'agit des cas
où 1 enquete aura révélé que les marchandises ont été offertes à
un prix supérieur au cours du marché, ce qui sera très rréquent
quand la fraude est pratiquée par des professionnels et sur une
grande échelle. Su ivant l'article 43 8 du Code des douanes les
juges pourront alo rs se fonder sur ce prix pour le calcul ' des
peines (1). Il est curieux de noter que les sanctions répriment
en ce cas, no n seulement la fraude douanière, mais encore la
recherche d'un bénéfi ce jugé illicite, ce qui en apparence est
étranger au droit péna l douanier. Cette disposition permet encore
de constater que la fi xa tio n des peines pécuniaires, n'est pas tota-
lement automatique et qu'elle présente un élément de différenciation certain . A la vé rité, on peut douter que ceUe indi vidualisation soit faite en faveur du délinquant, elle s'opère en réalité
dans l'intérêt exclusif de l'administration des douanes. Celle-ci
joue d 'ailleurs un rôle fo rt important dans cette évaluation, les
pouvoirs du juge se trouva nt en fait très limités. En effet, lorsq ue
l'administration des douanes aura décidé de porter l'affaire
devant le juge, c'est elle qui, étant la première intéressée dans
la poursuite, va proposer au tri bunal le montant des pénalités,
amendes et confiscation en équi valent quand elle l'aura requise,
a uxquelles elle estime que le délinquant doit être condamné. C'est
donc elle qui va fai re tout le travail d'estimation. Les juges dans
la majorité des cas se bornent à s'approprier purement et simplement l'évaluation proposée. JI s'agit d'ailleurs là, pour la
Cour de cassation, de l'exercice par le tribun al de son pouvoir
souve rain d'appréciation (2). Celui-ci, en particulier, n'a pas à
laire apparaît re da ns sa décision les bases sur lesquelles il a
déte rminé les sanctions, ni à justifier son refus d'ordonner une
ex pertise. Ce n'est qu'exceptio nnellement que le tribunal nom-
mera un ex pert qua lifié, le plus souvent d'ailleurs à la demande
de l'administratio n des douanes, pour procéder à l'estimation
de l'objet sur lequel porte l'infractioo. Mais la Cour de cassation
admet actuellement que les tribunaux ne pourra ient, sans ordonner une contre-expertise, substituer une appréciation nécessaire-
(1) Cri m .. 9 fév rier t 954, D.C. n° 1082. Cri m., 7 déc. 1954. D.C.
nO 1111 ; Crim., 6 juillet 1954, D .C. n° 1096: Crim ., 29 mars 1962,
D.C. nO 1383.
(2) Cri m., 9 fév. 1954. D.C. n° 1082; 7 déc. 1954. D. 1954, p. 129;
23 nov. 1955, B. nO 513; 7 janvier 1965, D.G. 5, p. t14 ; 17 fév. 1965,
J.C.P. 1965, IV , p. 42.
�154
155
ment arbitraire à ceUe de cet expert (1). Cette limitation de
fait des pouvoirs du juge, sc tro uve même aggravée par une
raison de droit. En effct, les march andlses de fraud e peuve nt
n'avoir qu'une faible valeur, ce qui entraînera des pénalités
minimes. Aussi le Code des douanes prévOlHI un mo ntant mlO lmum des sanctions pécuniajres : en aucun cas, les amendes
multiples de droits ou de la valeur, prononcées pour l'applicati o n
du Code des dou anes ne peuvent être inféri eures à 1 000 F par
colis, ou par tonne, ou par fraction de tonne s' il s'agit .de mar-
chandises non emballées (art. 437 , C. do uanes, rédactlo n o rd o
23 déc. 1960). Cette disposition illustre combien le législateur
a voulu favoriser les intérêts (2) de l'administratio n des do uanes. On po urra le constater bien plus encore à propos de la mise
en œuvre des sanctions patrimoniales.
B. -
Mise en œuvre des sanctions patrimoniales
La nature juridique hybride des sanclions patrimoniales, dont l'aspect de réparation a tendance aclueUement à prédominer, explique les règles particulièrement favo rab les que le
législateur a édictées pour assurer à l'adminis tratio n des douanes
le dédommagement du préjudice qu'elle a subi du fait de la
fraude. Ainsi, il est interdit au juge de modérer les peines de
quelque manière que ce soit. De même l'admi nistratio n des
do uanes, dispose d'un grand nombre de garanties pour leur
recouvrement.
a) Suivant le Code des douanes (a rt. 369), les juges ne
peuvent, à peine d'en répondre en leur no m propre et privé,
modérer, ni les droits, ni les confiscations et amendes, non plus
qu'en o rdonner l'emploi au préjudice de l'ad ministratio n. On
voit tout de suite q ueUe est la conséquence de ce texte. Une
telle fo rmu le conduit à refuser aux juges la faculté d'accorder
les circonstances atténuantes o u le sursis au délinq uant, à raison
de sa personnalité, ses ressources, ou le caractère minime de la
fraude. Une controverse s'est instaurée lors de la promulga tion
de la loi du Il février 195 1, qu i a généralisé l'applicatio n des
circonstances atténuantes et du sursis. La discussion qui est inter(1) L'art. 437 présente ~gale menl un avantage : celui de permettre
d'asseoir des pé nalités lorsque les ~t~me nts pour ~tabtir la valeur ou le
montant des droits fait dHaut (par exemple en cas de d~c1aration
sommaire).
(2) Max LE Roy, Ency . Dalloz, y o Douanes, nO 359.
venue est intéressante, car elle a fait clairement resso rtir la
conception jurisprudentielle quant au x sanctions patrimoniales.
En effet, le texte prévoit que déso rmais les circonstances atténuantes et le sursis sont applicables c en toute matière de droit
commun ,. Or, traditionnellement, on oppose le droit commun
seulement au droit pénal politique ou militaire. C'est pourquoi
les juridictions du rait et la doctrine se montrèrent plutôt favorables à l'application de la loi de 195 1 aux sanctions patrimoniales douanières. Mais par plusieurs arrêts en matière fo restière (1) et fluvial e (2) la Cour de cassation se prononça en
sens contraire, le législateur n'ayant pas voulu, selon eUe, permettre l'applicati on de l'art. 463 du code pénal et de la loi du
26 ma rs 1891 , dans des matières o ù ces textes n'avaient jamais
été applicables. L a doctrine en avait déduit par un raisonnement
par analogie un e solutio n identique en droit douanier. La jurisprudence actuelle a d'ailleurs confirmé ce point de vue (3).
Le grand principe de l'individualisation de la peine se trouve
donc paralysé, mais c'est affirmer aussi par là que les sanctions
patrimoniales douanières ne peuve nt être ass imilées à celles
du droit commun ; c'est souligner également une nouveUe fois
l'as pect de réparation civile de ces pénalités, fondement auquel
la plupart des décisions font appel. JI est vrai que cette justification peut paraître artificielle (4), car si les sanctions pécuniaires étaient bien des do mmages-intérêts, il faudrait admettre
qu'ils ne puissent dépasse r le montant du préjudice subi. Or, ici,
le mo ntant des amendes et des confiscations (en nature ou en
équi valent) , auquel il faut ajouter les droits fraudés, est manifestement supérieur au préjudice de l'Etat. Ce caractère de réparation civile s'ex pliq ue mal d'ailleurs, dans l'hypothèse où il
s'agit d'une impo rtation de marchandises prohibées d'une man ière
absolue, pour lesquelles aucun d roi t de douane n'est prévu au
tarif. Quoiqu'il en soit, il convient de remarquer quelle importance le législateur attache à cette interdicti on de modérer les
peines : cas peut être unique en d ro it pénal et en Droit, une
règle est sanctionnée ex plicitement par la responsa bilité civile du
juge (a rt. 369) . C'est encore ce fo ndement de réparation civile
et l'interdi cti on de modérer les peines qu i permettent d'écarter
l'applicatio n du principe du non-cumul des peines, en cas de
( 1) 10 juin 1955, B. n" 686.
(2) Crim ., 27 oci. 1955, B. n" 412.
.
(1) C. a ppe l de Chambtry 9 avril 1952, D.C. n" 100 t , Crun ., 5 oc·
tobre 195 4, D.C . n° 111 1; C. appel d'Aix, 21 dtc . 1960, D.C. 0" 116 1.
(4) LE Roy, En c. Dallol, y o Do uanes, n° 297 .
�156
concours d'infractions (1). C'est enfin à ces idées que l'on peut
rattacher la règle suivant laquelle la rétroactivité des lois in
mi/rus n'est pas appliquée. Traditionnellement, on admet que la
rétroactivité des lois plus douces permet de tempérer une répression qui ne se justifie plus ou qui doit être atténuée. Ma is du
fait de l'aspect réparateur des sa nctions patrimonia les, la jurisprudence tire cette conséquence qu'il importe peu qu'une loi
postérieure à la fraude ait supprimé ou tempéré les peines (2).
La commission de la fraude aurait donné à l'Administration une
sorte de droits acquis. Toutes ces r gles assurent ainsi à l'administration des douanes une réparation de principe qu'elle va pouvoir concrétiser grâce aux ga ranties de recouvrement particulièrement nombreuses, dont eUe dispose.
b) l'administration des douanes se présente si l'on veut
comme une co llaboratrice de la répress io n en matière douanière,
mais plus encore elle se présente comme une créancière. Oès
lors comme tout créan cier de droit civil , elle pourra se prémunir
contre les agisse ments fra uduleux de ses débiteurs en utilisant
l'action paulienne (3). Il n'est pas exceptionnel en effet que les
délinquants, surtout professionnels, organisent leur insolvabilité.
D'autre part, le Code des douanes accorde à l'administration
des douanes de nombreuses sûretés pour garantir ses créances :
un privilège gé néral mobilier (art. 379), une hypothèque judiciaire (art. 379-3), parfois légale (pour le recouvrement des
droits : art. 279-2), un droit de rétention sur les marchandises
(art. 378) , des as treintes (art. 431), le droit de procéder à de
saisies conservatoires en cas d'urgence, même avant cond amnation (a rt. 387) (4). Sa quali té d'administration publique lui
permet même d'utiliser des contraintes administratives pour le
recouvrement de ce qui lui est dû (art. 345). Mais à côté de ces
moyens extra-pénaux, le droit douanier reconnajt à l'administration des douanes des procédé de recouvrement efficaces, qui
intéressent directement les principes généraux du droit pénal :
d'une part, d'autres personnes que le délinquant pourront être
. (1) Crim., 9 juillet t953, D. t 953, p . 554, note M.L.R. (amendes);
C nm., 23 mars, D .A. 1944, p. 6 1 (confiscatio n).
(~).Crim ., ~3 juin . 1 ~48, D.C. n° 828 . La jurisprudence applique
do~c ICI les me~es prmclpes que pour les in fractio ns économiques. Cf.
arrelés de taxation Bonzat Trai té de Droit pénaJ 1963, T. II , p. 1283,
les références doctrinales et de jurisprudence.
(3) Trib . civiJ de Dijon, 16 nov. 195 1, D .C. nO 993. Sur la nalUre
et les conditions de validité de celle saisie conservatoire.
(4) Voir Paris, 8' Ch., 14 mai 1964 J.C. P. 1964 n 1388t G P
1964, II , 248.
'"
,
. .
157
obligés à la dette, d'autr.e part, le Code des douanes prévoit dans
certam s cas, une contralO te par corps spéciale au droit douanier
la c recommandation sur écrou ).
'
l ' ) L'obligati~n des héritiers ou de tiers au paiement des
sanctIOns patnmomaJes douanières fait bien ressortir la nature
particulière de celles-ci. En ce qui concerne les héritiers, la jurisprudence adme t depuIs la fin du XIX' siècle, que le recOuvrement
des sanctions à ca ractère fi scal peuvent être poursuivies contre
eux. C'est peut-être même en matière douanière que cette règle
a été pour la première foi s dégagée (1). On y a souvent vu
une. ."xception au principe de la personnalité des peines, les
béntlers étant tenus des conséquences d'une infrac tion qu'ils
n'ont point commise. En réalité, si l'on fait prédominer comme
la jurisprudence, l'aspect de réparation de ces sanctions, l'obligation à la dette mise à la charge de la succession se conçoit
aussi aisément que pour des dommages-intérêts ordinaires.
Au moins lorsqu'il s'agit d'amendes, l'administration des
douanes doit se prévaloir d'une condamnation judiciaire. Au
contraire, en ce qui concerne la confiscation, )'Adrnjni stration peut
en poursuivre l'exécution contre la succession, quand bien même
le délinquant aurait été acq uitté, ou même en l'absence de
condamnation, voire de poursuite. Ainsi l'administration des
douanes lorsqu 'elle n'a pas vo ulu engager des poursuites à raison
de la faibl e importance de la fraud e, peut demander cependant
la confiscation des c minuties> (art. 375). On appelle c minuties >, des saisies de peu d'importance. En raison de la faible
valeur des marchandises saisies et par conséquent du peu de
gravité de la fraude commise, les douanes se bornent à déposséder le dé Linquant des marchandises confiscables, dépossession qui
doit être régularisée par une décision de confiscation. Il en est
de même si le délinquant n'a pu être appréhendé et est inconnu.
Cette différence de régime avec l'amende peut se justifier par
deux raisons. Lorsq u'il s'agit d'objets dangereux, on peut invoquer la sécurité ou la santé publique. O'autre part, la jurisprudence reconnait à la confiscation un caractère réel ( 1). Suivant
une expression fréquemment employée par les décisions, la confiscation est prononcée c contre l'objet trouvé en délit et non
contre le délinquant > (2). Oès lors des considérations de personnes n'entrent pas en ligne de compte. En particulier, il n'y a
(1) Crim., 16 déc . 1898, S. 99 1 529, art. 344, C. D.
(2) Crim., 5 fév . 1915 . D.P. t 9 19. t, 35; t8 nov . 1926. D.P. 27, l,
347; 29 oct. t936, D.M. 36, 589; Crim ., 8 juillet 1948, D.C. n· 837;
Crim., 25 nov. 1954, D.C. n · 1108; Civ., 29 juillet t952, D.C. n· IOt5 ;
Crim., 20 mars 1952, D.C. n° 997.
�158
pas à se préoccuper de savoir. quel est le propriétaire dont la
mise en cause n'est pas nécessaIre (art. 374). La confiscatJOn de
l'objet, même s'il appartient à l'Etat, peut être poursuivie entre
les mains de quiconque détient l'objet, et la revendIcation du
propriétaire n'est pas admise. Mais pa~ là. on aperçoit déjà que
les sanctions patrimoniales peuvent reJallhr sur des tIers. Elles
peuven t même être exercées contre eux. l'administration des
douanes trouve par là de nouvelles garanties dans le recouvrement de ses créances, soit par le jeu de la responsabilité civile
du fait d'autrui, soit par les règles de la solidarité.
L'obligation au paiement des sanctions pécuniaires par les
civilement responsables n'est plus aujourd'hui chose ra re. E lle
existe même pour les amendes strictement pénales (1) . Aussi la
jurisprudence n'a jamais éprouvé de grandes difficultés à l'admettre pour les amendes à caractère fiscal. On y voit en général une
application de l'art. 1384 du Code civil, notamment en ce qui
concerne la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés. Mais en notre matière, le texte qui prévoit cette responsabilité (art. 404) est rédigé d'une manière particulière : • les
propriétaires de marchandises sont civilement responsables du fait
de leurs employés, tant pour les droits que pour les peines pécuniaires >. La rédaction de cette disposition est donc susceptible
d'ouvrir la voie à des cont roverses. E n effet, la qualité de commettant ne va pas nécessairement de pair avec ce lle de propriétaire. Par conséquent, sur un plan d'interprétation stricte, il faudrait semble-t-il conclure que le législateur a voulu exclure la
responsabilité du commettant non-propriétaire. Mais il ne semble
pas que la question se soit posée en jurisprudence. Le plus souvent, le commettant est propriétai re et il n'a été débattu que de
l'étendue et des conditions de la responsabilité, les tribunaux
ayant d'aiUeurs fait preuve d'une conception extensive de cette
responsabilité (2) .
Les propriétaires des marchandises pourront même dans
certains cas être directement concertées par les sanctions pécuniaires par le jeu de la soLidarité.
Comme en droit commun , le droit pénal douanier prévoit la
solidarité dans le paiement des peines pécuniaires pour tous les
( 1) BOUZAT, T. J, n" 329 el 576.
(2) La jurisprudence a admis largement la responsabilité des
commettants, notamment dans le cas d'abus de fonctions (ex. Crim., 20
mars 1952, D .C. 0 0 1020); mais les décisions récentes (Crim ., 29 mars
1962, D.C. 0 " 1374; C. appel de Col mar, 13 juillet 1962, D .C. n° (390)
.semblent.se conforme r à J'arrêt des Ch. réunies du 4 mars 1960, 0 .0 .0 .
329. note Savatie r.
159
individus
condamnés pour un même fait de fraude (art . 406) . M a .IS
.
ce qUi est plus re,,:,arquable, c'est la consécration par le législateur en notre mallère, de la tendance jurisprudentielle du droit
commun, d'appliquer la solidarité aux délits connexes ( L). En
effet, le Code des douanes (art. 407) édicte la solidarité des propnétaJ,es des marchand ISes de fraude, ceux qui se sont chargés
de les . Lmporter ou de les exporter, les intéressés à la fraude, les
complLces et adhérents, par conséquent la solidarité de tous ceux
qui ont pa rticipé à ce que l'on appelle • l'entreprise de contrebande >. De nombreuses décisions (2) en ont donné une définition : • L 'entreprise de contrebande est caractérisée par une
série d'actes identiques accomplis par un certain nombre d'individus agissant d' une ma,nière p ermanente d'après un plan orgaDLsé, obéIssant à une meme d"ectJOn et opérant d'après certains
modes d'action habilement combinés dans le but d'échapper à la
surveillance de la douane et du ministère public, il n'y a pas une
série d'opérations juridiquement distinctes et isolées, mais une
entreprise unique ... >. L'entente dans la fraude entraîne donc une
sorte d'aggravation de la sanction . C'est aussi pour l'administration des douanes un moyen efficace (3) pour percevoir les
sommes qui lui sont dues, d'autant plus que le Code des douanes
prévoit la possibilité d'appliquer aux membres de l'entreprise de
contrebande une variété de contrainte par corps, spéciale au
droit douanjer : la c recommandation sur écrou ).
2' ) L'institution est tout à fait remarquable, car à la différence de la contrainte par coups du droit commun (qui peut-être
prononcée d'ailleurs pour l'exécution de toutes les sanctions pécuniaires), cette recommandation sur écrou peut être exercée en
vertu d'un jugement correctionnel non définitif. En effet, suivant
l'art. 38 8 du Code des douanes, • tout individu condamné pour
contrebande, et nanab tant appel ou pourvoi en cassation, est
maintenu en détention jusqu'à ce qu'il ait acquité le montant
des condamnations pécuniaires prononcées contre lui ; cependant
la durée de la détention ne peut excéder celle fixée par la législation relative à la contrain te par corps >. Ce texte représente
donc une dérogation importante aux principes généraux de la
procédure pénale, en particulier celui de l'effet sus pensif des voies
de recours sur l'exécution des condamnations. Du point de vue
pratique, l'avantage est cependant indéniable : on veut éviter
qu'à la fin de la détention préventive de droit commun, les con( t ) BO UZAT, T. J, n" 576.
(2) Voir par exemple C.A. Douai, 3 et 9 décembre 1953 , D.C.
D° 1078.
(3) En particuJier la transaction accordée à l'uo des condamnt5
solid aires ne profite pas aux autres (Crim ., 26 nov. 1964, B. n° 314).
�160
161
trebandiers oc puissent se soustraire par la fuite, à l'exercice
de la contrainte par corps.
Mais ceUe institution n'a pas manqué de poser des difficultés, non seulement en rega rd du nouveau régime de la COntrainte par corps de Droit commun , mais encore rel ativement à
son application.
En effet, le Code de procédure péna le a complètement
réformé la contrainte par corps telle qu 'elle était prévue par
l'ancien article 52 du Code pénal.
Désormais. elle n'e t plus possible pour les restitutions et
dommages-intérêts, mais seulement pour les amendes et les
créances dues au Trésor (a rt. 749 C procéd . pén.).
Il a été donc facile de soutenir que la contrainte spéciale
du droit douanier avait été implicitement abrogée; qu 'à tout le
moins, ene serait inapplicable, l'administration des douanes ne
pouvant être confondue avec le Trésor. Sans même répondre à
ce deuxième argument, tant la distinction paraît ve rbale, la Chambre criminelle ( 1) a affi rmé la légalité de la recommandation sur
écrou, en se plaçant sur le seul témoin de l'interprétation des
textes.
En effet, le Code des douanes représente par rapport à
l'ordonnance du 4 juin 1960 une loi spéciale. Or, il est un principe indiscuté, qu'une loi généra le n'abroge pas une loi spéciale,
sauf disposition pa rt iculière, ce qui n'est pas le cas, puisque
l'article 388 du Code des douanes ne figure pas parmi les textes
abrogés. Il ne fait donc point de doute que ceUe va riété de
contrainte par corps est légalement applicable. Au moins doit-elle
revêtir certaines condition à propos desquelles des difficultés se
sont récemment posées, en particulier relativemen t à l'ex igence
du c maintien de détention :. du condamné. Ainsi dans un arrêt
du 7 janvier 1965 (2), un individu avait été poursuivi pou r
contrebande en encourait de ce chef une lourde amende et une
peine d'emprisonnement.
Il se présentai t bien devant le tribunal correctionnel en état
de détention, puisqu 'il avait été placé en état de détention préventive en ve rtu d'un mandat de dépôt. De la sorte, il pouvai t
valablement se voi r ap pliquer la contrainte anticipée, celle-ci
pouvant être exécutée malgré appel. Mais en comparaissant
(1) Cr-im ., 19 oct. 1960, B. nO 458. Voir aussi Colm ar, 8 noy . 1960,
D.C. n° 1325 et Paris, 21 déc. 1959, G .P. t960, l, 56, Rey. Sc. Crim.,
1960, 457, d. tégal.
(2) D. 65, p . 116.
devant la Cour d 'appel, la peine de 15 jours d'emprisonnement
à laq uelle .1 ava.t été condamné était accomplie. De ce fait , il se
trouva it en état de détention, non plus en vertu de la condamnation, mais de la contrainte anticipée. La Cour, ayant annu lé
la décision pour vice de forme et aya nt évoqué comme elle en a
a lors l'obliga tion (art. 520 du Code de procédure pénale), avai t
cependant confirmé la peine d'emprisonnement et la contrainte
anticipée. A ussi le pourvoi so ulevait-il, que c'était à tort que
celle-ci ava it été maintenue, la Cour d'appel s'étant trouvée en
face d'un prévenu libre. Mais la Chambre criminelle a repoussé
cette interprétation : l'arrêt rendu par la Cour d'appel ne constitue qu'une seule et même décision, tant sur l'annulation du
jugement du tribun al correctionnel que sur la condamnation
nouvelle, laq uelle se substitue immédiatement à celle ann ulée,
sans que puisse être in voquée, entre les deux énonciat ions du
dispositif une solution de continuité susceptible de créer une
situation juridique quelconque. En conséquence, la condamnation
par la Cour se substitue à celle des premiers juges aussi bien
pour ce qui concerne la peine d'emprisonnement effectivement
subie, que pour la contrainte dont l'exercice ava it régulièrement
commencé. Cette solution présente en pratique un ava ntage certain, mais soulève de sérieuses réserves du point de vue juridique. S'il est vrai en effet que la Cour a amendé la décision
du tribunal et a condamné par un seul et même arrêt, on ne peut
empêcher que la condamnat ion a nécessairement suivi j'annulation ; de ce fait , lorsque la Cour a condamné elle se trouvait
bien en présence d'un prévenu juridiquement libre. D'autre part,
il ne peut être question de parler de substitution de la décision de
la Cour d'appel à celle des premiers juges, puisque ceUe-ei a
tranché le litige, non pas d'après l'effet dévolutif ordinaire, mais
en vertu de son pouvoir d'évocation; dès lors, la sentence d'appel
ne pouvait prendre effet qu'à la date à laquelle eUe a été rendue.
Cette décision pourrait à la rigueur s'expliquer par la tendance
actuelle de la Cour de cassation, c'est-à-dire qu'au cas de décision
rendue sur le fond, quand bien même celle-ci est entachée de
nullité, la Cour d'appel statue en vertu de l'effet dévolutif de
l'appel. Il y a urait un véritable travail de refoulement par la
jurisprudence civile et criminelle de l'évocation au profit de
l'effet dévolutif de l'appel (1).
Mais, en réalité, c'est dans une toute autre direction qu'aurait due être recherchée la motivation du rejet du pourvoi. li est
en effet admis par la jurisprudence que l'incarcération des indi(l) M EUR ISSE, c L'évocation et le Code de Procédure Pénale
R e\'. Sc. Cr"'n., 1964, p. 545 el $. (spécialement p. 547).
Il
:t.
�162
163
vidus poursuivis pour certains délits fi sc~ux et pour contrebande
ne constitue pas une détention préventive vé ritable, maiS une
exécution anticipée de la contrainte par corps (l). Dès lors,
lorsqu'un délit de douane a donn é lieu à une condamnation à
l'emprisonnement et que la détention préventive ordonnée pendant l'instruction excède la durée de cette condamnatlOn,. elle
e peut être imputée pour le surplus sur la détention postérieure
~u jugement, étant donn ée que la théorie de l'hnputation ne con~
cerne que les peines, à l'exclusion de la contralDte par corps qUI
n'est qu'une simple mesure d'exécution (2). De la sorte, le prévenu se trouvait encore juridiquement détenu au jour où .la Cour
d'appel, après avoir cumulé le juge ment de condamnation prononcé en 1~ instance, a évoqué la cause et prononcé une condamnation de même durée.
Si critiquable que soit cette décision, elle montre en tout
état de cause la faveur que la jurisprudence témoigne, à la suite
du législateur, à l'administratio n des douanes, dans la sauvegarde de ses intérêts. L'existence même de cette institution en
est un bel exemple. Du moins son régime juridique est-il celui
du droit commun. Sa durée est celle de la contrainte par corps
ordinaire (a rt. 749 du C.P. P.); son exécution sc poursuivra
ordinaire (art. 749 du C procédure pénale); son exécution se
poursuivra comme celle des peines privati ves de liberté puisqu'il
n'existe plus actuellement de régime particulier pour les détenus.
Elle s'ajoutera d'ailleurs à l'emprisonnement auquel le contrebandier aura été le plus souvent condamné.
li. -- SANCTtONS PERSONNELLES
Lorsqu'il s'agit d'infractions vraiment graves, en particulier
dans le cas de contrebande commise en état de réunion et avec
armes, le législateur ne pouvait se contenter de sanctions purement patrimoniales. Celles-ci peuvent suffire lorsque la fraude
se manifeste par un état dangereux caractérisé, et traduit tout au
plus ce que l'on a appelé une criminali té par ruse. On peut
espérer que la rigueur des sanctions patrimoniales aura joué rôle
de châtiment, en même temps que celui de prévention.
Au contraire, certains délinquants douaniers, le plus souvent professionnels, pourront révéler dans leur activité délic(1) Voir l'arrêt de principe. Crim., 26 t~v. 1904, S. 1907, l , 224.
(2) Besançon, 26 man t947, D.H. t947, 339. Comp. en matière de
contributions indirectes, Crim., 26 f~v . 1904, pr&il~.
tueuse une criminalité très accusée et violente. Pour les sanctionner, le législateur n'a pas trouvé d'autres moyens plus efficaces
que ceux du droit commun : des sanctions privatives de liberté
pouvant aller jusq u'à 3 ans d'emprisonnement. (Art. 414, 415,
416 et 437 du Code des douanes.)
Mais à côté de ces mesures privatives de liberté, le droit
pénal douanier connaît depuis longtemps des mesures de protection préventive destinées à protéger la société et le délinquant de la réitération d'infractions douanières. Ces mesures sont
actuellement essentiellement constituées par des privations de
droits, plus exactement par des incapacités d'exercer certaines
professions, fonctionnant sous la dénomination de peines complémentaires.
Ainsi, le droit pénal douanier prévoit non seulement des
mesures privati ves de liberté (A), mais également des mesures
de sfireté (B).
A. -- Pendant longtemps, seuls les délits de contrebande,
d'importatio n ou d'exportation étaient purus d'un emprisonne·
ment à titre principal, dont le maximum était de 3 ans en cas
d'aggravation. Mais depuis 1964, le législateur a créé une
5 e classe de contraventio ns, sanctionnées par une peine d'emprisonnement de 10 jours à un mois, et un maximum de 2 mois
en cas de récidive (art. 413 bis) . Cette nouvelle catégo rie d'infractions vise essentiellement l'opposition aux fonctions des agents
des douanes. L'administration des douanes réclamait depuis
longtemps cette incriminatio n et cette sanction (1), car outre
la répressio n d'un certain caractère antisocial, cette sanction
présente du point de vue pratique un grand avantage en permettant, par l'arrestatioD, le recouvrement des sanctions pécuniaires.
La pratiq ue a en effet révélé que la plupart de ceux qui se rendent coupables d 'opposition aux fonctions des agents des douanes,
sont des étrange rs qui refranchissent la frontière, et contre lesquels l'exécution des jugements était purement illusoire.
Au po int de vue de son régime, il n'a jamais été discuté
que l'emprisonnement douanier était soumis au droit commun.
Ainsi les règles de la récidive pourront éventuellement jouer (2).
Il convient de remarquer cependant que pour la fraude la récidive correctionnelle ne pourra s'appliquer qu'aux délits de troisième classe (contrebande qu alifiée: art. 416 et 417), étant seuls
punis d'une peine supérieure à 1 an.
90.
(2) Crim., 38 nov . 1868, D.P. 69, l, 260.
( t ) Ct. NAZARIO, p.
�165
164
De même les cau es d'atténuation traditionnelles pourront
être accordées: sursi , circonstances atténua ntes (les juges pourront en particulier substituer à I Je mprison~~ ment une amende
pénale (1). Il semble que les tri bun aux utlhsent largemen t ces
causes d'atténuation et qu 'ils ne prononcent dans l'ensemble que
des peines d'emprisonnement faibles,. car ils supposent ~a n s
doute suffisantes les sanctions patrImonIa les auxquelles le dehnquant aura été condanné (2). On peut se demande r d'ailleurs
si toutes ces sanctions sont de nature 11 décourager les déhnquants professionnels. Dès qu'ils ont subi leur e mprisonnem~nt
et éventuellement la contrainte par corps, Ils reprennent bIen
souvent leur activité délictieuse. C'est pourquoi le Code des
douanes a tenté d'y remédier partiellement en prévoyant certaines mesu res de sûreté, des incapacités professionnelles.
prononce jamais en pratique (1), elles ne sont guère susceptibles d'empêcher la rétéiration d'informations dounières.
C'est pourquoi la doctrine (2) et l'administration des
douanes (3) souhaitent depuis longtemps des mesures permettant d'éloigner du rayon douanier les délinquants qui s'empressent d'y revenir, après avoir acquitté leurs condamnations.
On peut penser tout simplement à l'interdiction de séjour
du droit commun. Cette mesure de sûreté serait seule capab le
de donner à la répression douanière l'efficacité qui lui est nécessaire.
B. - Avant 1949, le droit pénal douanier connaissait une
grande quantité de déchéances de droits, surto ut en matière
maritime (déchéance du grade, interdiction de commander des
bâtiments français .. .). Mais dans un souci de simplification, la
réforme du Code des douane (3) a supprimé cette multitude
d'incapacités.
Désormais, il ne demeure plus qu'une catégorie de déchéance propre au droit douanier : elle vi e les intéressés 11 la
fraude en matière de contrebande; ceux-ci sont incapa bles
d'exercer les fonctions d'agent de change ou de courtier, d'être
électeur ou élu aux chambres de commerce, tribunaux de commerce et conseils de prud'hommes, tant qu'ils n'auront pas été
relevés de cette incapacité (art. 432 du Code des douanes).
Pour le reste, c'est la loi du 30 août 1947 relative à l'assainissement des professions industrielles et commerciales que est
applicable. Ce texte édicte une incapacité d'entreprendre une
profession commerciale ou industrielle d irectement ou par une
personne interposée, d'exercer toute fonction de direction , gérance ou administration dans une entreprise commerciale ou
industrielle, d'exercer les fonctions de membre du Conseil de
surveillance ou de commissaire dans toutes les sociétés.
Mais cette disposition ne pourra s'appliquer qu'aux délits
de 2' et 3' classe, puisque la loi exige un emprisonnement minimum de 3 ans. On peut émettre des doutes sérieux sur l'efficacité
réelle de ces déchéances, car outre que les tribunaux ne les
(1) C. appel d 'Aix, 23 déc. 1960, D.C. D' 1361.
(2) BÉQUET, Thi .., p. 237.
(3) L. 17 aoûl 1948 el D . 8 décembre 1948.
( 1) BÉQUET, Thise, p. 246.
(2) BÉQUET, Th 'se, p. 283 .
(3) NAZARIO, p. 90.
�III
LE DROIT JUDICIAIRE
RÉPRESSIF DOUANIER
i
�La constatation et la preuve
des infractions douanières
Jean-Noël NATALELLl
Diplomé d'É tud e. Supéri eufCfl de Droit pri \é
et de Sc ie nc es Crimin e ll es
Avoca t . lilg lui re ù 10 Cou r d'a ppel d'Al.'(-en- Pro, cnce
�171
La poursuite des infractions douanières devant les J uridictions répressives nécessite, comme en toute autre matière
pénale, que soient d ûment constatées et prouvées ces infractions.
Jusqu'au XX" siècle, les moyens d'action limités dont disposait l'Administration des Douanes ne lui permettaient, il est vrai ,
que la constatation et la poursuite des infractions fl agrantes.
Aussi, la Législation douanière, en instituant une seule
procédure de constatation des infractions: la procédure de saisie,
et un seul mode de constatation : le procès-verbal de saisie,
avait-elle limité leur domaine aux infractions fl agrantes.
C'était là reprendre des dispositions fort anciennes qui
s'appliquaient sous la Ferme Générale, et le fait que cette procédure reste encore aujourd'hui le procédé traditionnel de constatation des infractions douanières, est une preuve de plus de la
pérennité de la Législatio n en cette matière.
E ncore convient-il de noter, que si les Ordonnances Royales
n 'octroyaient aux agents de la Ferme Générale aucun pouvoir
spécial pour réunir les moyens de preuve des infractions non
fl ag rantes, l'enquête offi cieuse douanière a cependant toujours
été pratiquée. C'est ainsi qu'il pouvait être procédé à la recherche
des documents ou à des interrogatoires.
Ces enquêtes officieuses furent de plus en plus utilisées,
et l'Administration des Douanes s'appuyait pour cela sur un
droit de recherche dans les écritures des redevables, qu'elle tenait
notamment de l'article 17 de la loi de Finances du 28 décembre
1895 et de lois postérieures.
T outefois, et cela jusqu'à la loi du 11 février 1944, la production en Justice des élémen ts de preuve ainsi recueillis par les
agents soulevait les plus extrêmes difficultés, car le c procèsverbal de constatation . n'était p révu par aucun texte.
Aussi, les tribunaux, considérant qu'il ne s'agissait en
l'espèce que de simples indications, ordo nnaient souve nt des
expertises de droit commun, qui tendaient en fait à faire effectuer à nouvea u les constatations auxquelles avaient procédé les
agents des D ouanes.
Par sui te, les procès traînaient en longueur, et devenaient
plus coûteux.
A ussi, la loi du Il février 1944, en reconnaissant formellement à l'Administration des Douanes un droit d'enquête et en
�172
consacrant l'usage qui avait été fait jusque- là des procès-verbaux
de constat, a-t-elle grandement simplifié la matière.
Il est vrai que l'établissement d'un procès.-verbal de co.nstat
sera cependant relativement exceptionneUe, pUIsque la procedure
de saisie demeure le procédé le plus courant de con tatatlon
des infractions douanières. applicable aussi bien aux infractions
fiagrantes, que désormais aux infractions non ftagrant es.
Les procès-verbaux de constat ne sont en effet rédigés que
pour consigner le résultat de recherches effectuées dans les écritures des redevables, en application de l'article 65 , parag. l ' du
Code des Douanes, ou encore pour la saisie de documents
teUe que l'a prévue l'article 65, parag. 3 du Code des Douanes,
ou enfin, pour enregistrer des aveux lorsqu 'aucune saisie réelle
de marchandise n'a eu lieu.
On le voit, cette procédure est en définitive assez exceptionneUe, et bars les cas que nous venons d'énumérer l'Administratio n des Douanes rédigera un procès-verbal de saisie. Nous
verrons par ailleurs qu'elle ya le plus grand intérêt, la réd action
d'une tel procès-ve rbal ayant pour résultat de renve rser à son
profit le fardeau de la preuve. L'article 373 du Code des Douanes
stipule en effet, que c dans toute action sur une saisie, les
« preuves de non-contravention sont à la cha rge du saisi >.
Le procès-verbal de saisie, destiné comme on vient de le
voir, à consigner les constatations opérées par voie de saisie, et
le procès-verbal de constat, destiné à consigner les constatations
opérées par voie d'enquête, constituent le mode de preuve le
plus efficace des infractions douanières .
Certes, à défaut de procès-verbal de saisie ou de constat,
ou en cas d'insuffisance ou de nullité de ce procès-verbal , les
infractions douanières peuvent être prouvée par toutes les voies
de droit, cette preuve pouvant être tirée en particulier d'aveux
passés à l'audience, d'expertises judiciaires, de témoignages, ou
de la prod uction en justice des documents fournis par les Autorités de pays étrangers.
L'Administration des Douanes dispose en outre de certains
modes de preuve qui lui sont propres: ce sont d'une part, les
présomptions légales de fraude (présom ption de contrebande, art
417 à 422 du Code des Douanes, et présomption d 'importation
ou d'exportation sans déclaration, art. 423 à 428 du Code des
Douanes), qui ont été précédemment étudiées et d'autre part, le
recours à l'expertise légale, à propos de laquelle il convient de dire
quelques mots.
173
Aux termes de l'a rticle 104 du Code des Douanes, lorsqu'une contestation est soulevée par l'Administration des Douanes
ou par le déclarant, relativement à l'origine, la valeur ou l'espèce
des marchand ises, et lorsque cette contestation est soulevée au
moment de la vérification, le différend doit être porté devant le
Comité Supérieur du Tarif.
Ce recours n'est donc pas possible lorsqu'une infraction
a été relevée après dédouanement, à l'occasion d'un contrôle à
posteriori.
Quelle est la va leur juridique des décisions rendues par le
Comité Supérieur du Tarif ?
L'article 32 du projet de refonte du Code des Douanes,
substituant le Comité Supérieur du T arif au Comité d'Expertise
Légale, était ainsi rédigé:
« Le Comité Supérieur du Tarif statue en premier et derc nier ressort. Ses décisions s'imposent aux redevables et aux
« Tribunaux Judiciaires. Elles ne peuvent être annulées que pour
c excès de pouvoir. ,
Le Comité Supérieur du Tarif se voyait ainsi reconnaît re
le caractère d 'une vé ritabl e juridiction dont les décisions s'imposaient erga om" es. Mais le projet d'article 32 n'ayant pas été
adopté, la valeur juridique des décisions rendues par ce nouvel
organisme, faute d'être précisée par la loi, était source de contestations.
Jusqu'en 1959 (1) , les tribunaux considérèrent que le rôle
du Comité Supérieur du Tarif était sensiblement le même que
celui de l'ancien Comité d'Expertise Légale, et décidèrent que,
co=e par le passé, les experts ne pourraient être saisis que
de problèmes de faits, leur appréciation en la matière s'imposant
aux tribunaux.
Or, par un arrêt du 5 janvier 1959 (2), la Cbamb~e civile
de la Cour de cassation décida qu'il appartenrut aux tnbunaux
d'apprécier le bien-fondé des décisions rendues par le Comité
Supérieur du Tarif (3).
(1) On peut citer une décision du Tribunal Civil du Havre, en date
du 1er décembre 1955, rapportée au Dalloz 1956 page 423 (note ~Ie Roy) :
c Les attributions du Comité Supérieur du T arif sont les mernes que
celles du Comité d'Expertise légale" qu'il a remplacé, el ~ a. jurispruden~
relati ve à la façon dont le Comité devait rendre ses décLSlons est apph·
cable au Comité Supérieur du Tarif -.
(2) Documents conte ntieux, n° 1290.
(3) Dans te même sens, Corn. 10 mars t964, D. 1964. Som. p. 80;
Paris. 8' ch., 16 fév. t966, G .P., t 966, l, 195.
�174
C'était adopter là une posItIon exactement inverse à celle
du projet d'article 32, et considérer le Comité Supérieur du
Tarif, non comme un organisme juridictionnel, mais comme un
organisme administratif d'expertise.
On voit toute la différence qui existe entre l'expertise et
l'arbitrage : les arbitres sont des juges, les experts, de simples
donneurs d'avis.
Si la décision du Comité Supérieur du Tarif est acceptée
par les deux parties, elle est assimilable dans ses effets à une
décision d'arbitrage. Mais ce sera rarement le cas. Plus fréquemment, la décision du Comité Supérieur sera contestée par l' une
des parties en cause, et eUe n'aura plus que la valeur d'un simple
avis. Ce qui revient à dire en fait, que les décisions du Comité
Supérieur du Tarif n'ont de valeur probante que celle que veulent
bien leur accorder les parties au litige. Il s'ensuit que la plupart
du temps le recours à l'expertise légale, imposé par l'article 104
du Code des Douanes, s'avèrera inopérant (1).
PREMIÈRE PARTIE
LA CONSTATATION
DES INFRACTIONS DOUANIÈRES
A. -
Tout au contraire, la force probante qui est attachée aux
procès-verbaux de constat et aux procès-verbaux de saisie
en fait, nous l'avons rut, le mode de preuve le plus efficace, et
le plus fréquemment employé des infractions douanières.
Aussi verrons-nous en détail la force probante qui s'attache
à ces procès-verbaux, après avoir étudié ces modes de constatation des infractions douanières que sont la procédure d'enquête,
et la procédure par voie de saisie.
..!
1
(1) Voir cependant les effets attachés par la Cbambre criminelle aux
décisions du Comité Supérieur du Tarif. Cf. infra 2- partie.
LA PROCÉDURE PAR VOIE D'ENQUtTE
L'enquête douanière s'applique normalement en matière
d'infraction non flagrante. Mais son domaine ne se limite pas là,
elle peut être également entreprise, lors de la constatation d'un
flagrant délit, pour rassembler les preuves complémentaires de
l'infraction, et notamment pour permettre à l'Administration des
Douanes d'identifier les complices ou les intéressés à la fraude .
Cette procédure n'est pas sans ressemblance avec l'enquête
préliminaire de police prévue par le Code de procédure pénale.
L'Administration des douanes est amenée le plus souvent à
utiliser les mêmes moyens que la Police Judiciaire, et cette
similitude se retrouve même dans l'évolution historique où,
après une longue période de pratiques sans fondement sérieux,
on a abouti à la reconnaissance légale du droit d'enquête.
Il fallut attendre 1944 pour que soit consacré, au profit
de l'Administration des Douanes, un droit d'enquête. Il est
vrai que l'enquête officieuse douanière était cepend~t. toujours pratiquée, et que la Jurisprudence tenrut pour legItunes
les enquêtes auxquelles il avait été procédé.
La loi de 1944 n'a toutefois pas réglé avec une grande
précision les modalités de l'enquête douanière, différant en cela
du Code de procédure pénale quant au::' enquêtes de police.
Les lacunes de la loi pourraient faire craIDdre que sOIent graodement compromis les droits de la défense, et cela surtout lorsque
l'on considère toute la force probante qui est attachée à la rédaction des procès-verbaux à laqueUe les enquêtes donnent lieu.
Aussi les règlements des Douane: ont-il~ pré~u . que,! n cas
de silence de la loi douanière, l'enquete de 1 AdmlOlstratlo~ des
Douanes doit connaître les mêmes limites que ceUes des OffICIers
�176
177
de Police Judiciaire et s'effectuer « dans des conditions a ussi
« analogues que possible à celles pr vues par le Code de procé« dure pénale ' .
S'il fall ait expliquer les raisons pour lesquelles le Législateur
s'est montré moins rigoureux pour les fo rmes de rédaction des
procès-ve rbaux de constat, que pour ce lles des procès-verba ux
de saisie, nous serio ns tentes d'in voquer à la fOIS des arguments
sociologiques et historiques.
F aisa nt preuve d'une ce rtai ne méfi ance à l'éga rd du « ga belou . l'ancien Dro it , le droit révolutionnaire, la législation postérieur; ont vo ulu imposer à l'agent verbalisateur des règles très
strictes d'établissement et de rédaction du procès-verbal, qui
permettent tout à la fois d'éviter des contestations, et de sauvega rde r les dro its de la défense.
Par ailleurs, le fa it que le infractions douanières pouvaient
être constatées non seulement par le agents des douanes, mais
aussi par les agen ts de toute autre administration <et même par
tout citoyen français aux termes de l'article 1", titre rv
- aujourd'hui abrogé - de la loi du 9 Floréal An Vll), pouvait
fai re craind re des abus.
Le Législateur de 1944 n'a pas eu, semble-t-il , les mêmes
craintes.
Sans doute, l'amélioration des conditions de recrutement
des agents des douanes ava it-elle afferm i sa confia nce da ns le
gabelou, et les dro its de la défense lui semblaient-ils mo ins
menacés.
Mais on pourra it également observer que la grande latitude, laissée à l'Admin istration des Douanes pour conduire
ses enquêtes, a pour but de permettre une répression plus efficace,
et mieux adaptée à des inf ractions qui soulèvent ra rement la
réprobation du public, et qui bénéfici ent souvent par ce fait, de
complaisances et de complicités nombreuses.
Ces enquêtes douanières s'opèrent généralement par la
consultation de documents, et par des interrogatoires qui ont
pour but d'apporter la preuve, ou un commencement de preuve,
d'une infraction. Les nécessités de l'enquête peuvent également
conduire à ga rder à la disposition de la douane une ou plusieurs
personnes.
Sur tous ces points, que nous allons reprendre rapidement,
n'existent que des dispositions éparses du Code des Douanes, et
l'Administration a fait Souvent appel, pour compléter ces lacunes, aux règles du droit commun.
La consultatio n des documents est facilitée par l'exercice
du droit de communication prévu par l'article 65 du Code des
Douanes : l'Administration pcut en effet consulter les documents
détenus p ar toute personne directement ou indirectement intéressée à des opérations régulières ou irrégulières relevant de
la compétence du service des douanes.
.. Toutefo is, ce droit n'emporte pas celui d'opérer unc perqUIsItIon contre la volonté de l'intéressé. Il ne permet au x agents
que de consulter les documents qui leur sont volontairement
communiqués au cours d'une visite domiciliaire. En cas de refus
de communication, des sanctions fiscales sont prévues.
L'Administration des Douanes peut par ailleurs consulter
les documents qui a uraient été découverts inopinément à l'occasion ~ e l'exercice du droit de visite des personnes, des marchandIses et des gens.
Mais ce droit d'examen ne pourrait autoriser les agents
des Douanes à porter atteinte au secret des correspondances, car
il do it résulter de l'exercice normal de pouvoirs qui leur sont
légalement acco rdés.
L 'Administration des Douanes a le pouvoir de salSIf ces
documents volontairement communiqués, ou découverts lors
d'une visite domiciliaire pour produire en justice les documents
originaux , et pour éviter la disparition ou l'altération de ces
documents eo co urs d'enquête.
L 'Administration des Douanes dispose d'un moyen accessoire destiné à compléter les résultats d'une constatation préalable par contrô le dans les écritures: c'est la faculté de procéder
à des interrogatoires, acco rdée depuis longtemps par la Jurisprudence, et consacrée pa r les articles 334 et 336 du Code des
Douanes.
L'interrogatoire n'est assorti d'aucune possibilité de coercition ni de répressio n, bien au contraire, car à peine de nullité,
les aveux e t déclarations doivent avoir été passés directement et
sans contrainte.
Mais une fo is cet aveu obtenu, le prévenu ne peut se rétracter ultérieurement sans fa ire la preuve de l'inexactitude de ce
qu'il avait dit lors de son audition, à condition que l'interrogatoire ait été mené par deux agents.
E nfin, l'Administration des Douanes dispose d'une mesure
de police, la ga rde à vue, par laquelle sont retenus, dans certains
lieux ou locaux, tous individus qui pour les nécessités de l'enquête, et sans être ni prévenus, ni inculpés, doivent rester à la
d isposition de la justice.
"
�178
179
il convient de noter que lorsqu' un individu est capturé en
Oagrant de lit, ce n'est pas la ga rde à vue qui s'applique: le délinquant demeure simplement sous la su rve ll1 anc~s du servIce des
Douanes jusqu'à ce que le procès-ve rbal établi à cette occaslo,n
puis e être clos et remis, en même temps que lUi , aux a~lo ntes
chargées de le trad uire devant le Procureur de la Républlque.
Hors ce cas, nous sommes dans le domai ne de la ga rde
à vue. Celle-ci n'a été nullement prévue pa r le Code des Douanes. Aussi convient-il de rechercher le rondement de cette pratique, non dans un texte législatir, mais dans les ,princi p~s gé~ é
raux du Droit administratif, relatifs aux cas où 1 AdmJOlstratJon
peut procéder d'office sans y être habilitée par la loi (1) . Comme
le soulignait le rappo rt du Commissaire du Gouvernement sous
l'arrêt du Tribunal des conflits du 2 décembre 1904 (O. 1904
3.4 1.), • dans les rapports entre la pu issance publique avec les
• citoyens, l'obligation et la coercition sont indissolublement
• liées; l'obéissance à l'o rdre légalement donné par l'autorité
c compétente do it, si elle n'est pas obtenue volon ta irement, être
• obtenue pa r la crainte >.
Dans les cas où il peu t être amené à exercer la ga rde à vue,
le service des Douanes doit, en l'absence de textes réglementant
la matière, s'inspirer au max imum des règles du dro it commun .
L'Administration ne doit retenir l'intéressé que pendant le
temps strictement nécessaire à l'enquête, sans que la durée de
cette rétention puisse excéder 24 heures. Si par extrao rdinaire,
il était indispensable d'exercer la ga rde à vue au-delà de vingtquatre heures, il conviendrait, avan t l'expiration de ce délai, de
solliciter du Procureur de la République une pro longation de la
ga rde à vue.
Le contrôle ou l'enquête ayant été effectué, et ayant abouti
à la découverte d'une infraction, il importe alors de rédiger le
procès-verbal de constat.
Le Législateur, ayant cu le souci de protéger les droits de la
défen se, a voulu que la rédaction du procès-verbal soit contradictoire. Aussi l'Administration des Douanes a-t-elle l'obligation
de sommer les personnes chez qui le contrôle d'écriture ou l'enquête ont été effectués d'assister à la rédaction du procès-verbal.
Si les personnes intéressées n'étaient pas présentes (par
exemple, si elles étaient en voyage lors du contrôle dans leurs
bureau x), l'Administration les convoquera par lettre recommandée avec avis de réception, pour assister à la rédaction du procèsverbal.
La loi n'impose aux agents verbalisateurs aucun lieu spécial,
ni aucun délai pour la rédaction de leur rapport.
En pra tique, la rédaction sera opérée au Bureau des Douanes, et dans un délai rapproché du contrôle ou de l'enquête.
Toutefois, s'il y a saisie de documents, o u relation d'un
interrogatoire, les règlements de l'Administration des Douanes
exigent que le procès-verbal soit rédigé immédiatement et sur
place.
La rédaction en e lle-même n'implique aucun problème particulier : les formes en sont les mêmes que celles prévues pour
les procès-verbaux de saisie. A noter simplement que, lorsqu'il
s'agira d'un co ntrô le d'écriture, les agents verbalisateurs invi-
teront les personnes en cause à présenter verbalement ou par
écrit les observations qu'elles entendent faire au sujet des constations opérées.
De même que pour les procès-verbaux de saisie, comme
nous le verrons ultérieurement, les procès-verbaux de constat
doivent relater toutes les circonstances de la découverte des éléments de preuve a insi que toutes les formalités accomplies jusqu'à leur clôture.
L a loi impose également, à peine de nullité, que figurent les
mentions sui va ntes:
(1) Rappelons que pour que l'Administration puisse procéder d'office
sans y être expressément habilitée par la loi, il faut que soient réu nies 4
conditions:
- Que l'opération administrative pour laquell e le recours à la
contrainte est empl oyé (par exemple pour un contrôle d'identité), ail sa
source dans un texte de loi prkis.
- Que le refus d 'ex~cution volon taire n'emporte pas sanction pénale
ou fiscale.
- Que les mesures de coercition tendent un iquement dans leur
objet immédiat à la réalisation de l'opération prescrite par la loi (c'est
l'adéquation des fins aux moyens).
- Qu'i] y ait urgence ou nécessité .
la date et le lieu des contrôles et des enquêtes qui ont été
effectués;
les nom, qualité et résidence des agents verbalisateurs;
la nature des constations faites et des renseignements recueillis (c'est la partie essentielle du rapport);
la saisie de documents s'il y a lieu, avec l' indication que les
dits documents sont propres à faciliter l'acco mplissement de
la mission des agents des douanes;
la sommation faite aux personnes chez qui l'enquête ou le
contrôle ont été effectués, d'assister à la rédaction du rapport;
�180
_
_
181
en cas d'absence des intéressés, la mention de la convocation
par lettre recommandée;
la reproduction des observations orales ou écrites des intéressés, lorsqu'aura été opéré un contrôle d 'écriture~
l'accomplissement des formalit';s de clôture, qui consistent
simplement en la lecture de l'acte et l'interpellation faite aux
personnes intéressées de le signer.
Aucune autre formalité léga le n'est imposée (1). Les procèsverbaux de constat n'ont oui besoin d'être affirmés, et ils sont,
en vertu de l'article 335 du Code de Douanes, dispensés des
formalités de timbre et d'enregistrement.
Plus complexes, en revanche, sont les règles qui régementent la matière des con tatations par voie de saisie. L'établissement des procès-verbaux de saisie fait l'objet d'une réglementation détaillée, dont la justification doit être recberchée dans le
souci du Législateur, tout à la fois, d'assu rer les droits de la
défense, et d'empécher les contestations ultérieures.
C'est cette réglementation qu'il nous fa ut examiner à
présent.
B. -
LA PROCÉDURE PAR VOIE DE SAISIE
(Art. 323 à 334 C.D.)
Comme son nom l'indique, la constatation par voie de saisie
s'opère par l'appréhension du corps du délit, la marchandise, ce
qui procure la preuve matérielle et directe de l'infraction, puisque
la plupart des infractions douanières se rapportent à des marchandises.
Cette procédure, toujours appliquée lorsque la saisie des
objets de fraude est possible, s'applique également si la saisie
ne peut être matériellement effectuée, soit parce que les objets
saisissables y échappent par le fait des fraudeurs ou par cas fortuit, soit encore parce qu'il s'agit d'une infraction fl agrante, mais
(1) Ainsi, à la diffé rence des procès·verbaux de saiSie, les procès.
verbaux de constat, relatifs aux enquêtes sur des infractions déjà consomm6es, peuvent n'être pas rédigés lout de suite (Cass. Cr im ., 18 décembre
1956. Bull. Crim., n" 846, p. 1948).
n'ayant pas directement trait à des marchandises, telle que l'opposItIon aux fonctIons, ou le délit d'outrage (1).
La procédure de saisie s'appuie nécessairement, d'une part
sur le droIt de recherche des marchandises en fraude, et d'autre
part ,. lorsque l'infraction est découverte, sur des droits d'appréhensIOn.
La découverte de la fraude est rendue possible par le droit
de visite des marchandises, des moyens de transport et des personnes, conféré aux agents des Douanes par l'article 60 du Code
des Douanes (2).
L'exercice de ce droit de visite est aisé à l'égard des marchandises, des moyens de transport et des personnes qui se trouvent dans les bureaux de douanes. En revanche, lorsque les marchandises circulent, ou sont détenues en un lieu privé, ce droit
de visite ne peut être efficacement mis en œuvre qu'au moyen
de droits supplémentaires accordés aux agents des douanes: le
droit d'injonction au conducteur de moyen de transport (qui
permet au service des douanes d'obtenir l'immobilisation des
moyens de transport), le droit de visite des navires (qui s'exerce
normalement dans les ports et rades et sur les rivières et canaux,
ma is qui, à l'égard des navires au-dessous de 100 tonneaux de
jauge nette, peut être utilisé dans toute la zone maritime du
rayon des douanes), le droit d'accès dans les bureaux de poste
(qui autorise la recherche des marchandises frauduleusement
importées ou exportées par la voie postale), et enfin le droit de
visite domiciliataire, prévu par l'article 64 du Code des Douanes,
permettan t la recherche des marchandises de fraude détenues en
des lieux privés qui bénéficient de l'inviolabilité en verlu de
l'article 184 du Code pénal.
L'exercice du droit de visite domiciliataire est soumis à une
triple condition : il doit s'agir d'une visite diuroe au sens du
Code de procédure pénale (c'est-à-dire qu'elle ne peut être commencée avan t 6 heures, ni après 21 heures), la présence d'un
officier municipal ou d'un officier de police judiciaire est requise
(sauf en cas de poursuite à vue, de recherche d'infractions au
compte ouvert des animaux, ou en cas de consentement donné
par écrit par le maître de la maison) enfin , il doit s'agir de la
recherche de marchandises faisant l'objet d'infractions déterminées .
(1) Trib. Pol. A vesnes, 7 mars 1952 . Doc. cout. n° 99 1, et Crim ., 21
janvier 1929, Doc. cout. n° 273 ; idem: l n juin 1946, D oc. cout n° 1158.
(2) Les agents des Douanes peu vent , a fortiori, contrôler l'identité
des personnes qui pénètrent dans le territoire douanier, Crim., 2 mars
1966, Plantin, I .C.P., 1966, IV, p. 53.
�182
La découverte de J'infraction douanière ayant été rendue
possible par l'exercice de ces divers droits de recherche, il
appartient alors à ceux qui la constatent de mettre en œuvre
la procédure par voie de saisie au moyen de certains droits
d'appréhensioll, prévus par l'article 323, paragraphe 2 et 3 du
Code des Douanes.
Aux termes de cet article, les agents des Douanes (ou ceux
de toute autre administration) peuvent retenir les expéditions,
et tout autre document relatif aux objets saisis, ce qui constitue, dans la majorité des cas, le seul moyen efficace d'établir la
participation à l'infraction des complices ou des intéressés à la
fraude, non présents à la saisie.
L'Administration des Douanes peut également, mais seulement dans le cas d'une infraction flagrante, exercer un droit de
retenue préventive sur les objets appartenant aux prévenus et
en possession de ceux-ci lors de la constatation de l'infraction
(puisque les biens meubles des prévenus, aux termes de l'article
379, sont affectés à la sûreté des pénalités), et sur les moye ns
de transport et les marchandises litigieuses, non confisquables,
et n'appartenant pas aux prévenus, quoiqu'étant sous sa main .
Cette retenue préventive n'a pour but que de garantir la
créance d'amende de la Douane. Par conséquent, celui à l'encontre de qui la retenue a été opérée peut obtenir à tout moment main-levée de cette retenue en fournissant caution solvable,
ou en consignant le montant des pénalités encourues.
Encore faut-il noter que ce droit de rétention n'est guère
exercé que lorsque le responsable de l'infraction est insolvable, ou
réside à l'étranger.
Les agents des douanes peuvent également, mais seulement
à J'égard d'infractions douanières punies de prison, et à condition que le dél it soit flagrant , procéder à l'arre tation des délinquants.
Cette exigence d'infractions douanières punies de prison
pose des problèmes relativement aux délinquants mineurs de
13 ans : on sait qu'à leur égard, ne peuvent être prises que des
mesures d'assistance, de surveillance et d'éducation. L'Administration des Douanes pourra cependant s'assurer provisoi re-
ment de leur personne, pour établir leur identité.
L'article 323 , parag. 2 du Code des Douanes, permet ennn
aux agents de douane de procéder à la saisie chaq ue fois qu'une
lOuactlon douaDJère, qu'elle soit flagrante ou non, est constatée
dans le rayon douanier.
183
Si les objets de f,raude circulent hors du rayon douanier,
ce drOIt d.c saiSie ne s exercera qu'en cas d'infraction flagrante,
de poursUItes à vue de marchandises de fraude ou de découverte
« inopinée. des marchandises manifestement ' frauduleuses.
Les agents des douanes, lorsqu'ils procèdent à une saisie
doivent la déclarer « à haute et intelligible voix . aux prévenu~
(c'est-à-dire aux auteurs de l'i nFraction, et aux complices si la
complicité est 6agrante), même s'ils sont en fuite et inconnus .
L'effet essentiel de ce droit de saisie sera de mettre «sous
la main ? e la Douane. les objets passibles de confiscation, pour
en empecher le détournement, en attendant un arrangement
transactionnel, et à défaut, l'engagement d'une procédure contentieuse. Ici encore, il convient de se rappeler l'importance, en
matière douanière, de la « marchandise., qui est à la base de
la plupart des infractions. La saisie seule pourra permettre à
l'Administration des Douanes de déterminer avec exactitude la
nature, l'origine, les qualités de la marchandise, leur caractère
frauduleux, et, ainsi, d'établir l'existence d'une infraction.
Le prévenu pourra, avant la rédaction du procès-verbal,
faire des offres de transaction à l'Administration des Douanes.
Le Service des Douanes lui fera souscrire une transaction portant
reconnaissance de l'infraction, et tenant lieu de procès-verbal. Il
pourra aussi souscrire une c soumission contentieuse ::t dont les
formes sont sensiblement identiques. Il s'agira chaque foi s d'enregistrer l'aveu du prévenu et ses offres de transaction.
Lorsque n'aura été fait e aucune offre de transaction, ou
lorsque cette offre aura été repoussée par le service des douanes,
s'engagera alors la procédure de saisie, dont l'aboutissement
sera l'établ issement d'un procès-verbal de saisie.
La rédaction de ce procès-verbal exige que soit fait un
inventaüe des marchandises saisies, les agents des douanes n'ayant
procédé jusque-là qu'à des constatations sommaires. Cette formalité est si essentielle, relativement à une procédure qui sera
fondée sur l'établissement du caractère frauduleux de ces marchandises, que le Législateur a voulu qu'eUe soit contradictoire.
Les agents qui auront procédé à la saisie seront tenus alors de
sommer chacun des prévenus d'assister à la description des
objets saisis et à la rédaction de leur rapport, en indiquant à
quelle heure et en quel lieu il y sera procédé.
En pratique, les agents verbalisateurs inviteront les prévenus à les sui vre au lieu de rédaction, et procéderont immédiatement à ces opérations.
La vé rification des objets saisis ne doit pas se limiter à
�184
185
dégager les éléments nécessaires à l'identificatio n, tels que l'~s
pèce, la qualité, les dimensions... Elle a pour . o bjet esse.ntlel
d'établir le caractère frauduleux des marchandIses, en faIsant
ressortir les éléments qui fondent la prohibitio n ou les dro its
qui les frappent, les pénalités ainsi .encourue. 11 sera notamment essentiel d'établir la valeur, 10 nglOe o u la provenance
des marchandises saisies.
Lon;que ces marchandises auront éch appé à la saisk, l es
agents des do uanes, faute de pouvoir procéder à un e descnptlon
précise des march andises de fraud e, devro nt néa nmo ms déterminer approximati vement la quantité, la valeur, la provenance ...
..
Sommation ayant do nc été faite aux prévenus d'assister à
la description des objets saisis et à la rédacti o n du procèsve rbal, les objets saisis seront alo rs condui ts au lieu légal du
dépôt, et un gardien sera constitué.
La loi du 9 Flo réal An VlI , dont le titre IV constitue
encore la base de la Législati on en matiè re de constatatio ns par
voie de saisie, prévoyait d'une part que e ceux qui procéderont
c aux saisies feront conduire dans un bureau de do uane et,
e autant que les circonstances pourront le perm ettre, au plus
c prochain du lieu de l'arrestatio n, les marchand ises, vo itures,
c chevaux et bateaux servant au tra n spo rt ~ . et d'autre part ,
e que 10n;qu'i1 y aura lieu de saisir dans un e maison, les ma rc chandises dont la consommatio n n'est pas prohibée ne sero nt
e pas déplacées, pourvu q ue la parti e do nne caut ion . Si la part ie
e ne fournit pas cautio n, o u s'il s'agit d'objets prohibés, les marc cband ises sero nt transportées au pl us prochain bureau. >
Les agents verbalisateu rs ava ient do nc l'obligation le plus
souvent, de conduire immédiatement les marchandises saisies
dans un bureau de douane, en principe le plus proche du lieu
de l'infraction. La Jurisprudence accord ai t à cette o bligatio n une
telle importance, qu'elle sanctionnait son inobservatio n par la
nullité de sa saisie.
Pour des raisons évidentes, cette obligatio n se révélait souvant gênante, onéreuse, et lorsqu'il s'agissait de marchandises
encombrantes, parfois im possible. F all ait-il pourtant tourn er la
loi, et risquer de voir prononcer la nulli té de la saisie? L a loi
d u I I février 1944, et l'Ordo nnance du 17 décembre 1958 ont
eu po ur but d'apporter quelq ues atténuatio ns au principe.
Désormais, lorsque la saisie sera effectuée ailleurs que da ns
une maison le transpo rt au plus proche bureau de douane ne
sera effectué qu'autant que les circonstan ces pourront le permettre, et, à défaut, les marchandises confisquées seront confiées
à la ga rd e des prévenus ou d'un tiers qui sera en pratique, soit
un fonctionn aire des contributions indirectes, soit un brigadi er
ou un officier de gendarm eri e.
Lorsque la saisie sera effectuée au contraire dans une maison, deux hypothèses po urront sc présenter : o u bien il s'agira
de marchandises non-pro hibées, et dans ce cas le saisi po urra
donner caution afin de les conserver, ou bien il s'agira de marchandises pro hibées, ct dans ce cas les marcbandises seront, soit
transpo rtées au plus prochain bureau, soit confiées à la ga rde
d'un tiers .
No us ve no ns de voir que les march andises non-prohibées
saisies dans une maison pouva ient être libérées si le prévenu
offra it cautio n solva ble. L'offre de main-levée so us caution doit
être o bliga to irement faite, en ce cas, par l'Administration des
Douanes. D ans to ute autre hypothèse, le Service des Do uanes
peut ne pas la pro poser. Encore faut-il préciser qu'elle ne peut
être offerte lorsqu'il s'agira de marchandises probibées à ti tre
absolu , et qu'elle ne po urra être offerte pour les marchandises
prohibées à titre conditionnel que si le prévenu avait un e auto risation po rtant déroga ti on à la prohibition .
D ans le même ordre d'idée, notons que l'Administration
des Do uanes doit également faire obligatoirement une offre de
main-levée sous caution des objets retenus pou r sûreté des pénalités, et des moyens de transpo rt, chaque fois q ue la saisie po rte
sur les ma rchandises no n-prohi bées.
Cette possibilité ne devrait être que rarement offerte à
l'Administratio n puisq ue encore aujourd'hui , la quasi-totalité des
marcb andises fait l'objet d'une prohibition. M ais les règlements
intérieurs des douanes permettent d'offrir main-levée des moyens
de transpo rt, même lorsque la saisie principale po rte sur des
march andises prohi bées, chaq ue fois qu'il s'agi ra d'infractions
de peu d'impo rtance, o u lo rsque les moyens de transpo rt saisis
appartiendront à l'Etat, la S.N.C .F ., ou les compagnies de
navigation et entreprises de transports publics, aya nt leur siège
soci al o u une succursa le en France.
•
Après ces fo rma lités préalables, les agents des douanes
devro nt, c sans dive rt ir à d'autres actes, et au plus tard immé-
�186
c diatement après le transport et le dépôt des objets saisis.,
rédige r leur procès-ve rbal ( 1).
Aux te rmes de la loi de Floréal An VII , la rédaction deva it
se faire à domicile pour les saisies opérées dans les maisons,
et bors ce cas, au bureau des douanes le plus voisin . Mais, comme
pour le transport des objets sa isis, une telle obli gation comportait de graves inconvénients, ct notamment retardait grandement
la rédaction du procès-verba l.
Aussi, les textes successifs ont-ils tenté de pallier ces
inconvénients, en permettant à l'Administration des Douanes de
procéder à la rédaction en des lieux plus commodes. L 'Ordonnance du 17 décemb re 1958, qui est ve nue consacrer cette
évolution, permet aux agents verbalisateurs de rédiger leurs
procès-verbaux dans une maison, lorsque la saisie y a été
effectuée, ou au lieu du dépôt des objets saisis, ou au lie u de la
constatation de l'infraction, ou au siège de la brigade de gendarmerie, ou à la Mairie du lieu, ou encore, et de préférence
lorsqu'il s'agit d'affaires importantes, au bureau des douanes
le plus proche.
Notons qu'il pourra y avoir plusieurs lieux de rédaction,
par exemple lorsqu' il sera nécessaire de déplacer les marchandises et d'en constituer un ga rdien, ou encore de procéder à
certaines investigations pour découvrir d'autres marchandises
dissimulées. Le procès-verbal sera rédi gé alors en plusieurs
c contextes. établis chacun à l'occasion de ces diverses opéralions. Mais les contextes oe constituant qu'un seul et même
rapport, il suffira que leurs dispositions combinées remplissent
to utes les formalités exigées pour la validité des procès-verbaux.
Ces formalités, quelles sont-elles ? No us allons les énumérer
rapidement:
le procès-ve rbal doit être rédigé et signé par les saisissauts ;
la rédaction doit suivre les prescriptions de forme édictées par la loi du 25 Ventôse An Xl relativement aux actes
notariés. Notam ment, les procès-verbaux do ivent être êcrits lisiblement, sans abréviation, blanc, lacunes, ni intervalles, les mots
surchargés ou ajoutés étant nuls. Les renvois sont inscri ts en
marge;
(1) Notons cependant que la r«faction des procès·verbaux peut être
suspendue en raison des nécessil~S de J'enquête, de la venue de la nuit,
de la nécessité d'établir le relevé des marchandises de fixer la valeur des
objets et moyens de transport (Cass. Crim., J6 oct~bre 1958, Bu ll . Crim.,
Q ' 633, p. ( 120).
- le procès-verbal doit relater toutes les circonstances de
la découverte de l'infraction ainsi que toutes les form alités accomplies jusqu'à sa clôture.
La loi n'a pas fixé de cadre rigide, mais elle exige à peine
de nullité les mentions suivantes:
- la date de la saisie;
- sa cause, c'est-à-dire les circonstances qui ont permis de
découvri r l'infraction;
- la dêclaration de saisie, faite à baute et intelligible voix
au prévenu et éventue llement à ses complices;
- les noms, qu alités et demeure des saisissants·
- la nature et la quantité des marchandises saisi~s, afin de
permettre le calcul des pénalités encourues;
- l'indication de la présence du prévenu lors de la description des marchandises saisies, ou tout au moins la sommation
à lui faite d'y assister;
- lorsqu'un ga rdien a été constitué, ses noms et qualités;
- l'indication de la date, de l'heure et du lieu de rédaction
et de clôture du procès-verbal;
- l'acco mplissement des formalités de clôture qui diffèrent
selon que le prévenu est présent ou en fuite : si le prévenu est
présent, lecture du rapport lui sera faite, qu'il devra signer, et
une copie lui en sera remise ainsi qu'à chacun des prévenus
présents . Si le prévenu, ou l'un d'entre eux, est en fuite, la copie
sera affi chée dans les 24 heures à la porte extérieure du bureau
de douane ou de la Mairie.
..
Enfin , nous n'insisterons pas sur une formalité, à vrai dire
peu usitée: c l'affirmation du serment . ( 1).
Pour concl ure cette matière, nous noterons simplement que
si la constatation d'une infraction douanjère peut conduire, quelle
que soit la valeur de la fraude, à l'établissement d'un procèsverbal de saisie, l'Administration n'y est pas contrainte lorsque
la saisie ne porte que sur des marchandises de peu de valeur :
une décision du Tribunal d'Instance, rendue sur requête de
l'Administration des Douanes, suffiit pour autoriser la confiscation des objets de fraude, en l'absence d'un procès-verbal de
saisie.
( 1) Les agents apparte nant à une autre administration que celle des
Do uanes, et n'ayan t pas la qual ité de fonctionnaire - ou n'ayan t pas
prêté se rment - doivent se présenter devant le Juge d'Instance après la
clô ture du procès-verbal , pour attester sous serment son exactitude.
�188
Le plus souvent il est vrai, la procédure de saisie aboutira
à l'établissement d'un procès-ve rba l de saisie, de même qu'une
procédure d'enquête trouve ra sa conclusion dans un procès" erbal de constat.
Le Législateur, en réglementant très strictement les modalités de ces procédues, a entendu ass urer tout 11 la fois la défense
des libertés individuelles, et une meilleure efficacité dans la
recherche des infractions douanières.
Mais il a également entendu donner 11 ces deux sortes de
procès-verbaux une force probante toute particulière, en ne
laissant au prévenu que des moyens limités pour la combattre
en justice. Et cela se comprend d'autant mieux, (ici, il fau,t distinguer entre les deux procès-verbaux), lorsque 1'00 voit d'uoe
part, à quelle coodition draconnienne est soumis l'établissement
d'un procès-verbal de constat ou de saisie, et d'autre part lorsque r on se souvient que le mode de preuve le plus e[ficace des
infractions douanières est la preuve par procès-verbal.
C'est cette force probante des procès-verbaux de constat et
de saisie, et les moyens de défense acco rd és au prévenu pour
la combattre en Justice qu'il convient d'étud ier à présent.
D E UXI ÈM E PA RTI E
LA PRE UVE PAR PROCÈS-VERBAL
Dans toute la procédure douanière, on assiste 11 un balancement incessant, entre une tendance favo rable à la sévérité
imposée pa r les difficultés de la répression, et des mesures plu~
IOdulgentes, répond ant à l'idée d'une nécessaire défense des
libertés individuelles.
C'est ainsi, et nous venons de le voir, que le Législateur a
entendu protéger les droits du prévenu en imposant des règles
stnctes pour l'établissement des procès-verbaux de saisie ou de
constat.
II a fait preuve de plus de rigueur à son encontre, eo conférant une grande force probante à ces procès-verbaux. Rigueur
accrue par le fait que dans toute action sur saisie (et c'est,
comme nous l'avons souligné, le cas le plus fréquent), la preuve
de non-contravention est à la charge du saisi.
Ce renve rsement du fa rdeau de la preuve peut paraît re
sévère : aussi certaines décisions, émanant de juridictions inférieures, ont-elles pu manifester une certaine indulgence. Mais
il ne faut pas oublier que l'Administration des Douanes est
conduite à opérer des milliers de vérifications, et comme le rappelle Monsieur le Conseiller Mazard, c'est dans son amplitude
même que cette action doit être appréciée. C'est en ce sens que
le Législateur a entendu conférer à l'Administration des pouvoi rs
exorb itants du droit commun, sans lui imposer de faire la preuve
des infractions autement que par la production en justice des
procès-verbaux de saisie.
Ce renversement du fardeau de la preuve ne vas pas sans
poser de graves problèmes, à l'occasion de litiges relatifs à la
valeur en douane de marchandises à l'importation. Et ava nt de
poursuivre notre étude, sans doute convient-il d'y consacrer
quelques lignes.
�190
.
••
La question se pose dans les termes suivants
Lorsque les poursuites sc fondent sur un procès-verba l de
saisie, la charge de la preuve appartient, aux termes de l'article 373 du Code des Douanes, au saisi.
Il va de soi quc lorsque la poursuite sera fondée sur un
procès-ve rbal de constat, le dro it commun s'appliquera à défaut
de dispositions spéciales du Code des Douanes, et ce sera à
l'Administration de rapporter la preuve de l'existence d'une
infractio n ( 1).
On sait, par ai lleurs, qU 'CD cas de différend sur la valeur
de marchandises soumi es à taxa tioD, le litige devra être l'objet
d'uDe expertise légale. et qu'à cet effet, le Comité Supérieur du
1 arif sera saisi.
A la suite de ceUe expert ise, l'Administration pourra alors
dresse r procès-verbal, et citer l'intéressé devant la juridiction
compétente.
Quelle est la nature du procès-ve rbal ainsi établi ? Selon
que l'on considérera qu'il s'agi t d'un procès-verbal de saisie, ou
d'un procès-verbal de constat, les règles relatives à l'administration de la preuve eD justice différeront grandement.
La questio n a donné lieu récemment à d'âpres discussions
en justice, qu'il convient de relater brièvement.
••
A l'occasioD de l'importation de matériel industriel belge et
allemand, un dilIérend s'était élevé entre l'Adm in istration des
Douanes, et des commissionnaires en douanes, quant à la valeur
de ces marcbandises. Le dilIérend portait sur l'interprétation
de l'article 35 du Code des Douanes (qu i reprend fidèlement les
termes de la ConventioD de Bruxe lles du 15 décembre 1950),
en vertu duquel la valeur des marchandises doit être appréciée
à leur « prix normal >.
Le problème de la détermination de ce « prix normal >,
quoique important, ne nous retiendra pas.
(1) Crim., 19 t~v . 1964, D alloz 1964, p. 225, rapport MAzAon: par
opposition à l'article 373 C. D, c'est à la panie poursuivante qu'incombe,
au cas de procès-verbal de constat, la charge de la preuve. Cette
preuve , les Douanes ont estimé en l'espèce, la trouver dans les énonciations d'un accord d'ajustement, et c'est ce qu'ont admis les juges du
fait.
191
Nous retiendrons simplement qu'une expertise légale fut
~rdonn é~ dan s chacune de ces alIaires et que chaque fois,
1 AdmlDlstratlon des Douanes accepta de donner maiDlevée des
ma~c handl ses, moyennant soumission cautionnée. L'Administ~ah? n eotcndaü a io sj ~ en. se co~orm ant aux prescriptions de
1.rtlcle 114 C. D . qUI lUI en laIssait la possibilité, D'apporter
aucune entrave à la liberté des échanges.
E lle fut payée d'ingratitude : la saisie réelle des marchandises étant devenue impossible, les commissionnaires en douanes
prétendirent que l'article 373 C. D. était d'interprétation stricte
qu'il ne pouvait s'appliquer qu'à une saisie réelle, et que dè~
lors, la Douane s'était soumise aux preuves de droit commUD .
Plusieurs
thèse ( 1).
juridictions
inférieures
avaient
admis
ceUe
L a Cour de cassation eut alors à se prononcer et elle le fit
dans deux arrêts de sa Chambre criminelle, le 8 juin 1963 (2).
L a question à trancher était la suiva nte: lorsqu'un procèsverbal est dressé après expertise légale par le Comité Supérieur
du T arif, ce procès-verb al est-il un procès-verbal de saisie (et
dans ce cas, c'est l'article 373 C. D. qui s'applique), ou un
procès-verbal de constat (et dans ce cas, ce seront les preuves
de droit commun) ?
DaDs le premier cas, c'était au saisi qu'il appartenait d'apporter les preuves de non-contrave ntion.
Dans le second cas, c'était à l'AdministratioD des DouaDes,
qu'il appartenait d'apporter la preuve d'une iDfractioD.
A ttribuer à ce procès-verbal le caractère d'un procès-verbal
de saisie, reveDait à cODférer à l'AdmiDistratioD des Douanes un
redoutab le pouvoir : le tribuDal De pouvaDt absoud re le prévenu
que s'il apportait la preuve négative d'uDe abseDce d'infraction,
le saisi était présumé coupable, et le doute béDéficiait à l'Admi-
nistration.
La Cour de cassation aurait pu, pour rcndre ses arrêts,
s'inspirer de trois décisioDs de sa Chambre civile (3) selon lesquelles, c lorsque le service a de simples doutes sur la fausseté
c d'une déclaration, il doit provoquer l'expertise légale, et c'est
« seulement lorsque la déclaration a été reconnue fausse par
(1 ) Voir no tamment Cour d'Appel de Paris, 13 mars 1962. Gazette
du Palais, 1962 , l , 329.
(2) D all oz 1963 . Jurisprude nce p. 700, rapport Mazard , conclusions
Germ ain .
(3) Cb . Civ., 27 mai 1887. Documents contentieUA, n° 28 1.
�192
• les experts, qu'il doit rédiger procès-verbal à l'effet de saisi r
• la marchandise et la faire confisquer >...
Mais ces décisions se fondaient sur l'article 2 du décret du
5 août 1810, dont les dispositions ne furent pa" reprises par le
Code des Douanes.
La Cour de cassation préféra se fonder sur les motifs suivaots : .... Attendu qu'aux termes de l'article 323 C. D., le
• procès-verbal de saisie est le mode normal de constatation des
c infractions do uanières, la constatation par voie de procè• verbal de constat n'iotervenant que dans les cas prévus restric• ti vement à l'article 334 C. D .... Que dès lors les actes qui
• constataient l'infraction de fausse déclaration de la valeur
c avaient le caractère de procès-verbaux de saisie ... », po ur faire
ap plication de l'article 373 du Code des Douanes ( l ).
n s'en suit une situation anarchique, vu la différence de
jurisprudence eotre la Cour de cassation, favo rable à la thèse
soutenue par l'Administration des Douanes, et celle de certa ines
juridictions inférieures, favo rables à l'application du droit commun en matière, situation que le Législateur pourrait grande ment
clarifier.
Et si l'on retient la solution de la Cour de Cassation, on e
lrouve devant la situation suiva nte : le saisi, présumé coupable,
devra apporter la preuve de son innocence. Et il ne pourra le
faire, lorsque le procès-verbal sera cru jusqu'à inscription de
faux, qu'en s'inscri va nt en faux. Procédure lo ngue, minutieuse,
et particulièremeot dange reuse.
00 le voit, la solution de ce problème est loin d'être favorable au préveou.
193
.
••
La rigueur de la procédure douanière apparaît plus clairement encore, lorsque l'on examine la force probante que le Législateur a conféré aux procès-verbaux de constat et de saisie. Ce
que nous verrons tout d'abord, avant d'étudier les moyens de
défense que la Loi a donné aux prévenus, pour combattre en
justice la force probante de ces procès-verbaux.
A. -
L A FO RCE PROBANT E DES PROCÈS-V E RBAUX
Qu'il s'agisse d'un procès-verbal de sais ie, ou d'un procèsverbal de constat, on pourra distinguer, selon le nombre de leurs
réd acteurs, les procès-verbaux qui sont crus jusqu'à inscription
de faux, et les procès-verbaux fa isant foi jusqu'à preuve contraire.
Les procès-ve rbaux rédi gés par un seul ageot des Douanes
(ou , nous ,'avons dit, de to ute autre administration), feront simplemeot foi jusqu'à preuve contraire. En revanche, lorsqu'ils
seront l'œuvre de plusieurs age nts, les procès-verbaux feront foi
jusqu 'à inscription de faux.
Il faut voir, dans cette distinction, une nouve lle manifestation
de la méfi ance du Législateur, à l'encontre du témoignage unique.
E ncore faudrait-il préciser que la foi due aux procès-verbaux
qui ont été régulièrement dressés par les préposés des Douanes,
ne s'applique qu'aux contraventions qui lèseot les intérêts de
l'Etat. Il en va diffé remment lorsqu'ils soot produits à l'occasion
d'une cootestation entre particuliers.
On retro uve là, toute la rigueur de la procédure douanière.
Rigueur accrue par le fait qu'uo arrêt de la C hambre criminelle
de la Cour de cassatioo, eo date du 9 mai 1956 (Bull. C rim.,
N° 35 1, page 649) a par ailleurs précisé, qu'outre ce renversement du fa rdeau de la preuve, il ne pouvail y avoir d'excuse sur
le doute ou sur l'inteotion.
A l'intérieur du procès-verbal lui-même, toutes les constatatio ns n'auront pas nécessairement une même fo rce probante :
seules, les constata tions c matérielles ~ pourront être prises en
considération.
• D<\Ils ces conditions >, déclare-t-elle, • viole la Loi ,
l'arrêt qui, tout en coostatant de manière expresse la détention
et le transport, relaxe le détenu au béoéfice du doute ... (2).
Que fa ut-il entendre par • constatation matérielle > ?
_ L a constatation doit avoir été faite, personnellem ent,
pa r le ou les age nts verbalisateurs.
- E lle doit, par ailleurs, viser des fails pl/rem ent matériels.
n va de soi que la tra nscription de ces faits dans un procèsve rbal, im plique une certaine acti vité intellectuelle, et ne peut
être strictement o bjecti ve.
Comme le souligne Monsieur Naza rio: • L 'Homme oe peut,
comme le disque ou le fil m, reproduire simplement les impres-
(1) Dans le même seos Crim., 4 nov. 1965, G .P. 1966, l , 57, D .
1966, 187, rapport Mazard.
(2) Il est vrai que dans une espèce à peu près ide ntique, la Cour
de Pau avait prononc:~. la relaxe, au bénéfice du doute . Mais cette décision est re,st« isolée. (pau, 26 avril 1955, D . 1955 , p. 782).
Il
�194
195
sions que ses sens ont enregistrées. Ce qui distingue le fait matériel du fait moral, c'est que le fa it matériel est pa rfai tement défini
par la description objective de sensations ou de perceptions basées
sur l'intuition sensible, tandis que le fa it moral est le résultat
d'une fonction psychologique plus complexe, teUe que le raisonnement ou l'imagination ~ ...
Ne feront donc pleinement fo i, que les constatations objectives, faites personnellement par les age nts verbalisants, et nOn
les opinions ou hypothèses qu'ils pourraient émettre.
De même, les agents des Douanes ne pourront procéder à
des opérations scientifiques pour déterminer l'origine, l'espèce ou
la valeur des marchandises saisies. li conviendrai t de rejeter le
rés ultat de telles opérations puisqu'en ce cas, le recours à l'expertise légale est obligatoi re, et qu'en cas de contestation par l'une
des parties, il y aura lieu de faire procéder à une ex pertise
judiciaire.
En revanche, pourront être admises en justice les constatations matérielles suivantes :
La constatation de visu, du fait que plusieurs fraudeurs
constituaient une bande, bien qu'ils soient distants de 200 mètres,
par groupes de deux ou trois, du nombre des fraud eurs, du fait
qu'ils marchaient ensemble, la constatation de auditu de l'identité des fraudeurs, de leurs aveux, des témoignages des tiers ... Ou
encore la constatation par dégustation pour une marchandise
embaUée (par exemple, pour des balles de tabac) .. .
La force probante de chacune de ces constatations conte-
~ues dans le procès-verbal, variera, nous l'avons dit, selon 'qu'elles
emaneront d'un, ou de plusieurs agents verbalisateurs.
Ainsi, les constatations qui ne seront le fait que d'un seul
agent, même lorsqu'elles seront contenues dans un procès-verbal
établi par pl~sieurs saisis ants, ne feront-elles foi que jusq u'à
preuve contralfe.
Pour qu'un procès-verbal fasse foi jusqu'à inscription de
f~ux, il fa udra que chacune des constatations qui y sont mentIonnées, . ait été faite personnellement par deux , o u plusieurs
agents saISIssants.
Ces constatations peuvent consister en la relation d 'aveux
et de témoignages.
. Assurémen~, le pr~cès-verbal fera [oi (jusqu'à preuve contralfe, ou Jusqu à ,~ scnpllo.n de faux) , de la réalité, de l'existence de la déclaratIon alOSI recueillie.
Mais la même force probante sera-t-elle attachée au contenu
même de l'aveu, ou du témoignage?
La jurisprudence l'avait tout d'abord admis. Et cette solution obligeail le prévenu, pour rétracter ses aveux recueillis par
deux ou plUSIeurs agents, à user de la difficile procédure d'inscription de fau x.
,
Unet~"e solution était sévère. D'autant plus sévère, lorsque
Ion conSIdere le ca ractè re souvent peu sérieux d'aveux ou de
témoignages, recuei llis par la menace, la contrainte, ou la
persuasion .
En matière civile, comme en matière pénale, l'aveu est généralement frappé de suspicion. AUait-il en être autrement en matière douanière?
D ans deux arrêts, en date du 22 janvier et du 15 juillet 1948
(Documents contentieux Nœ 8 16 et 839), la Chambre crimineUe de la Cour de cassation avait adopté une position relativement sévère :
« Si la sincérité ou l'exactitude des aveux consignés dans les
procès-verbaux peut être contestée par le prévenu ., déclarait-elle,
« leur existence a pour effet de renverser le fardeau de la preuve,
et l'oblige à démontrer la fausseté de ses déclarations. Dès lors,
quand le prévenu n'a pas rapporté la preuve qui lui incombe,
les juges ne peuvent prononcer la relaxe pour les motifs qu'il
existe un doute sérieux sur la valeur des aveux du prévenu, et
que certaines considérations font apparaître comme sérieuse la
rétractation intervenue dans les circonstances particulières de
la cause ~ ...
Mais le 28 octobre de la même année, la même juridiction
portait un coup sérieux au principe qu'elle venait de définir, en
décla rant que lorsque les aveux ne s'appuyaient sur aucune constatation matérielle, les juges du fond retrouvaient leur pouvoir
souve rain d'appréciation.
Il suffisait alors au prévenu de rétracter ses aveux, en
alléguant qu'ils avaient été passés sous la force ou sous la menace,
pour que le juge, app réciant souverainement leur force probante,
puisse prononcer la relaxe.
Il serait dès lors devenu bien inutile de consigner dans les
procès-verbaux un aveu que ne corroborait aucune constatation
�196
197
matérielle, puisqu'en ce cas, la rétractation était grandement simplifi e.
Mais le Code des Douanes a donné un coup d'arrêt à celle
évolution par trop libérale : l'article 336, paragraphe 2, dispose
que . les procès-verbaux de Douane rédigés par deux agents des
Douanes ou de toute autre administration ne font foi que jusqu'à
preuve contraire de l'exactitude et de la sincérité des aveux et
déclarations qu'ils rapportent •.
L'Administration des Douanes voit ainsi consacrée l'utilité
de la con ignation des aveux, avec ce renversement du fardeau
de la preuve (1).
En revanche. le prévenu pourra toujours prouver, par tout
moyen, l'inexactitude des aveux qu 'il avait passés .
S'ils ~e pe~vent invoquer la nullité du procès-verbal, ou si
la JUridIctIon saISIe ne donne pas suite à leur demande, ils pourront l~nter d'app~rter la preuve contraire, ~i le procès-verbal ne
faIt fOI que Jusqu à preuve contralfe, ou s'mscrire en faux si le
procès-verbal est cru jusqu'à inscription de faux.
11 au ra également intérêt, non seulement à rétracter les
aveux ou déclarations qu'il aurait faits à la légère, ou sous la
pre sion d'un interrogatoire, mais aussi à faire écarter des débats
un procès-verbal dont il a tout lieu de penser qu'il lui est défavorable, par le seul fait qu'i l motive les poursuites exercées contre
lui.
On connaît la grande rigueur de la Législation douanière à
l'égard du prévenu, rigueur imposée par les nécessités de la
En matière douanière, il est admis que le défaut de telles
indications équivaut à une omission, qui pourra entraîner la
nullité du procès-verbal en vertu d'une disposition formelle du
Code des Douanes, ou du droit commun des procès-verbaux.
Dans la première catégorie de cas de nullité, il convient de
citer la rédaction du procès-verbal par une personne non-habilitée
à le faire (a rticle 323 , paragraphe n, l'omission d'une énonciation prévue pour la rédaction d'un procès-verbal de constat
(article 334 C. O .), etc.
répression.
Pour contrebalancer, en quelque sorte, celle sévérité de la
procédure douanière, le Législateur a acco rdé au prévenu des
moyens de défense, afin de faire échec à la force probante des
procès-ve rbaux.
Ce sont ces moyens de défense offerts au prévenu , pour
faire écarter des débats un procès-verbal établi contre lui , qu'il
importe d'étudier à présent.
B. -
L ES MOYENS DE DÉFENSE OFFERTS AU PRÉVENU.
POUR COMBATTRE LA FORCE PROBANTE DES PROCÈS-VERBAUX
Les prévenus pourront tout d'abord tenter de faire écarte r
des débats le procès-verbal de constat ou de saisie qui motive
les poursuites, en alléguant sa nullité, soit en vertu des règles
de drOI ts commun pour la validité des procès-verbaux, soit en
vertu des dISpositions particulières du Code des Douanes.
(l) Celte force probante ne s'impose toutefois au juge qu'en ce qui
concerne J'auteur des aveux ou d6cluations et non I~.r tiers mis en cause
par lui, Trib. gr. ins!. Seine, Il ' Ch., 28 sepl. 1965 l CP 1966 IV 44
D. 1966 Som. 54.
.
.
•..
Nous allons étudier successivement ces trois moyens de
défense.
1°) L'exception de nullité:
Nous avons indiqué précédemment, l'obligation qui est faite
a ux agents verbalisants de constater dans le procès-verbal les
form alités qu'ils doivent accomplir.
Dans la seconde, on notera par exemple l'absence de signature des verbalisants, J'énonciation de faits contradictoires, etc.
L'article 4 8 du Code des Douanes a par ailleurs prévu un cas
spécial de nullité, qui ne vise que les marc handises qui ne sont
ni prohibées, ni fortement taxées : il s'agit de l'obligation qui
est faite à l'Administration des Douanes, de faire apposer sur
la façade de chaque bureau, en un endroit très apparent, un
tableau portant les mots : • Bureau des Douanes Françaises •.
Sera nulle, et de nul effet, toute saisie de marchandises non-prohibées à l'importation ou à l'exportation, ou non fortement
taxées, qui auraient dépassé un bureau de Douanes, sur la façade
duquel le tableau prévu à l'article 48 n'aurait pas été apposé.
Lorsque la Juridiction du fond déclare annuler un procèsverbal, elle le fait pour tout ou partie de cet acte: l'illégalité d' une
des opérations constatées dans un procès-verbal, n'entraîne pas
de plein droit la nullité du procès-verbal en son entier.
Le procès-verbal continuera de subsister, avec les constatations régulières qu'il renferme lorsque celles-ci, bien que con-
�198
199
courant au même but, sont indépendantes des constatations faites
dans des conditions contraires à la Loi et que, d'autre part, elles
suffisent pour révéler l'existence d'un délit ou d'une contravention.
Il en est ainsi lorsque le procès-verbal, affecté d'un tel vice,
renferme en outre, l'aveu non~ntesté du prévenu.
Cest en ce seos que s'est prononcée la Chambre criminelle de la Cour de cassation, le 22 mai 1957 (Bulletin Criminel, N° 438, page 786).
Ou bien, un procès-verbal peut être nul à l'égard d'un prévenu, et valable vis-à-vis des autres, nul pour certaines marchandises et valable pour d'autres ...
Mais la nullité s'étendra au procès-verbal en son entier, lorsque seront omises des formalités substantielles indivisibles, telles
que le défaut de signature des saisissants.
Si la nullité du procès-verbal est prononcée par la juridiction saisie, l'Administration des Douanes ne pourra plus faire
la preuve des infractions que par les voies de droit co=un .
Mais cette nullité peut n'être pas prononcée. Le prévenu n'en
sera pas pour autant désarmé.
Pour combattre la force probante des procès-verbaux établis
contre lui, il disposera d'autres moyens de droit, et notamment
il pourra tenter d'apporter la preuve contraire.
2°) La preuve contraire
Aux procès-verbaux qui ne font foi que jusqu'à preuve
contrru.re, le prévenu pourra opposer des preuves écrites ou testimoniales, si le tribunal juge à propos de les admettre.
Il pourra également demander au juge d'ordonner des mesures interlocutoires, propres à éclairer la religion du tribunal,
et amSI, tl pourra réclamer une expertise judiciaire.
. n est vrai que la preuve contraire ne pourra être admimstrée qu'en cas de dénégation d'un procès-verbal fais ant état
de constatations matérielles opérées par un seul agent des Douanes, et des. au~res constatations opérées par un ou plusieurs
agents, amsl qu en ~as de rétractatIon d'aveux consignés dans un
procès-verbal rédIge par un ou plusieurs agents.
Dans tous les autres cas, les procès-verbaux feront foi jusqu'à inscription de faux, et le prévenu ne pourra combattre leur
force probante qu'au moyen de la délicate procédure d 'inscription
de faux.
3°) L'inscription de faux
Un procès-verbal est faux lorsqu'il dénature la substance
ou les circonstances de l'acte en constatant CO=e vrais des
faits faux, ou en présentant comme avoués, des faits qui ne
l'étaient pas .
En droit commun, les faux en écriture co=is avec l'intention de nuire, par un fonctionnaire agissant dans l'exercice de ses
fonctions, sont considérés comme crimes, et leur poursuite donne
lieu à la procédure de « faux principal >, réglementée par le Code
de procédure pénale.
Comme le soulignait la Chambre criminelle de la cour de
cassation (1) , il s'agit là d'une action qui intéresse directement
l'ordre public, qui a pour objet, non seulement d'attaquer les
pièces arguées de faux , et d'en prouver la fausseté, mais encore
de rechercher et de faire punir les auteurs du faux.
Mais pour le prévenu, ce qui importe avant tout, c'est de
faire écarter la production en justice au cours d'un procès, d'un
procès-verbal, dont il allègue la fausseté. n existe une procédure,
le « faux incident >, qui permet d'établir, selon des règles édictées par le Code de procédure civile, la fausseté d'un procèsverbal.
Faux principal et faux incident, sont deux procédures distinctes, qui peuvent être conjointes, mais pas nécessairement.
L'originalité de la procédure douanière réside précisément
dans le fait qu'elle fait intervenir successivement les deux actions :
l'inscription de faux incident, puis de faux principal, et enfin,
de faux incident.
L'inscription de faux débute comme un faux incident, devant
le juge de l' infraction douanière. Par une appréciation souveraine, le juge du fait pourra, soit passer outre et statuer sur le
fond , soit estimer pertinents et admissibles les moyens invoqués
par le prévenu, et rendre un jugement « d'admission >, qui le
dessaisira provisoirement de l'affaire (2).
(1) Casso Crim., 19 février 1825. Pandectes chronologiques, T . 19 ,
p. 196.
(2) La preuve de la fausseté de faits rapportés par le procès-verbal
peut être faüe, par tous moyens, sous le seul contrôle par le juge du fait
de la pertinence des moyens proposés. L'article 339 aJinéa 2 du Code
des Douanes ne limite pas à la voie tes timoni ale la preuve de la fausset~
des faits rapportés par le proœs-verbaJ . mais ordonne seulement que ,
dans le cas ol) le déclarant entend rapporter cette preuve par témoignages, il doit, dans le délai de 3 JOUIS sui vant la déclaration au Greffe
de l'inscription de faux. faire connaître les noms et qualités des témoins
qu'il veut faire entendre.
Crim., 17 mars 1966, Aulchagno, le p 1966, rv, 66.
�201
~oo
Le Procureur de la République saisira alors la Juridiction
criminelle, et commencera une procédure de [aux principa l, scion
les règles du droit commun .
La Cour d'assises pourra rendre un arrêt de condamnation,
ou une décision d'acquittement. Les juges de
; " l'infract. ion doua.
nière pourront alors, compte tenu de la declSlOn prISe ~u cn minel statuer sur le fond du procès douanier. SI la Cour d aSS ISes
a rendu un arrêt de condamnation, le juge de l'infraction dou anière ne pourra que relaxer le prévenu .
Mais si la Cour d'assises a acquitté les agents verbalisateurs
cela ne veut pas dire forcément que le procès-verbal soit véridique, la décision de la Cour pouvant par e~emple se fonder sur
l'ab ence d"intention coupable. La Jundlctlon du fond pourra
alors autoriser le prévenu à engager la procédure de c faUlC incident >, pour écarter la production en justice du procès-ve rbal.
On le voit, il s'agit là d'une procédure longue et minutieuse,
qui n"est que la contrepartie de la rigueur des formalités exigées
de la part des age nts verbalisateurs.
Pour l'Administration des Douanes, comme pour le préve nu, il importe que soient ga ranties les allégations à produire
en justice.
Le procès-verbal ne forme preuve que si ses rédacteurs ont
strictement observé les formalités prescrites par la Loi, formalités souvent fort rigoureuses.
Voilà une garantie pour l'inculpé.
En revanche, le procès-verbal régulièrement établi aura une
grande force probante, et ce caractère sera aggravé par le fait
que dans toute action sur saisie, le fardeau de la preuve sera
renversé. Voilà qui permettra à l'Administration des Douanes,
d'assurer une meilleu re répression des infractions douanières.
Nouvelle garantie offerte au prévenu : il pourra alléguer en
justice la nullité ou la fausseté du procès-verbal établi par l'Administration des Douanes. Encore, l'inscription de faux era-t-elle
soumise à des fonnalités ri goureuses. En exigeant ces formalités,
comme le souligne Monsieur PaUai n (Doua nes Françaises,
N° 2892), ... c la loi n'a fait que maintenir l'égalité entre les
deUlC parties. Les formes dont elle a entouré la rédaction des
procès-ve rbaUlC sont une garantie en faveur des prévenus.. . Les
fonnes aUlCquelles elle a subordonné la preuve de la fausseté des
procès-verbaux, sont une ga rantie en faveur des agents acc usés
de c rime de faux >...
Ainsi, la réglementation douanière, tout en subordonnant
leur exercice à des conditions relati vement rigoureuses, accorde
cependant au prévenu des moyens de défense lui permettant de
combattre la force probante des procès-verbaux, ou d'en écarter
la production en justice.
S'il échoue dans cette entreprise, les faits relatés par les
verbalisants constitueront la vérité légale, et s'imposeront au
juge (Cass. Crim., 1" février 1922. Pandectes chronologiques.
T . 17, page 94).
Le juge du fond ne pourra plus alo rs user de son pouvoir
souve rain d'appréciation, ni relaxer le prévenu sur de simples
dénégations de sa part, ou au bénéfice du doute.
Il ne pourra retrouve r son pouvoir d'appréciation que pour
réduire les conséquences légales de faits constatés dans le procèsverbal, selon qu'ils constituent ou non une présomption suffisante
d' in fract ion. Mais ce n'est que dans ce cas, que le juge du fond
retrouvera une liberté d'appréciation qui, en matière douanière,
lui est bien rarement, po ur ne pas dire jamais, accordée.
�La poursuite et le jugement
des infractions douanières
P"
Melle TEl
Di plô mée d 'Étud es Supé rieu res de Dro it pri vé
et d e Sc iences Crim inelles
A.ssistan lc
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la Facu lté de Droit
c t dei Scie nces Économi q ues d e Ni ce
�205
La répression de l'infraction est une des données fondamentales de notre Société. Il a été nécessaire d'ériger, de construire un représentant de l'ordre social, ayant pleins pouvoirs
pour prévenir, sauvegarder, et réprimer les désordres. Il est de
son devoir de faire cesser les attein tes à cet ordre social comme
il est du pouvoir des particuliers de réclamer à l'occasion de la
commission du délit, la réparation du préjudice.
Certes, ces deux actions envisagées ne tendent-elles pas à
un même but et il serai t aisé de les dissocier totalement.
Mais la victime est devenue « une auxiliaire efficace de
la répression » ( 1).
Cet état de choses instauré par des années de pratique,
appa raît, de nos jours, dénoncé par le rôle de l'Etat qui opère
une singulière dissociation et dont le mouvement actuel tend, en
ce qui concerne l'ensemble des individus, c'est-à-dire la Société,
à édicter des défenses et des règles de conduite (2).
Dès lors, un mouvement sensible s'opère, en ce sens que,
si la Juridiction Suprême dénonce avec une fréquence de plus
en plus remarquable les cas où l'action civile est irrecevable, ce
mouvement nous apparaît d'autant plus fondé que le Ministère
Public est lui-même évincé de son rôle traditionnel (3). Il en
est, certes, de même, pour l'infraction douanière dont la nature
à la foi s fi sca le et économique (4) permet dans la plus large
des mesures de déclarer irrecevables les actions des victimes.
L 'intérêt général , pris en charge par l'Administration des Douanes,
évince les intérêts des particuliers lésés par la fraude. Ainsi se
pose le problème de la coexistence des règles de l'Administration
des Douanes et de la ] ustice et de ses institutions aux deux
phases respectives de la Poursuite et du Jugement de l'infraction
douanière.
C'est poser le problème de l'intérêt général de la réglementation douanière face à l'intérêt général de la Société. La solution
ici recherchée est la coex istence au sein du procès de ces deux
corps. Les principes du droit pénal commun et de la procédure
pénale s'en trouvent bouleversés et sans doute peut-on parler de
règles de procédure tellement exorbitantes du droit commun, que
l'on se trou ve déjà au sein d'un droit autonome. Certes, un grand
nombre d'articles du Code des Douanes diffèrent essentiellement
des principes édictés par le Code pénal et celui de procédure
(1) (2) (3) Jacque line RUBELlN·DEVICK1, J.C.P. t 965, l, 1922.
(4) Ch. Crim., 19 mars 193 1, S. 1932. l , 393.
�206
207
pénale. Cependant, le droit pénal douanier demeu~e in.séré dans
le contexte plus large du droit pénal général . L ongJnalité de
l'infraction douanière se manifeste essentiellement à ces deux
stades de procédure que nous envisagerons :
_ Par les limitations apportées aux règles de la preuve en
••
ce qui concerne la phase des Pour~ui(es~ J
_ Par la restriction de la !tberté d appréclatJOn du juge
répressif en ce qui concerne la phase de Jugement.
Cette singularisation se vérifie daos les légères mais bien
appareotes modifications de la mise en œuvre de la poursuite,
mais se justifie par la nature de l'action exercée par l'Administration, laquelle réduit considérablement les pouvoirs du Ministère Public eo matière de poursuite. Le particulairisme de la
législation douanière s'éteod à la phase de jugement où 1'00
a siste au bouleversement des principes fondamentaux dérogeaot
à la fois au système des règles de preuve et au principe de
l'intime convictioo; bouleversement, cependant, équilibré par
le maintien, dans une très faible mesure, des pouvoirs souverains
des juges quaot à l'application de la peine.
1. -
LA POURSUITE DES INFRACTIONS DOUANIÈRES
La singularité des poursuites douanières se vérifie soit dans
la mise en œuvre de ces mêmes poursuites, soit dans la nature
de l'action exercée par l'Administration des Douanes dont la
complexité justifie qu'on en parle comme d'une action civile
spéciale ou comme d'une actio n publique particulière.
A. - Plusieurs modes de poursuites s'offrent à la Douane
et il est nécessaire de distinguer dès à présent d'une façon toute
classique les modes de poursuites tels que la citation directe et
la plainte devant les juridictions d'instruction.
La citation directe est le mode normal et commun de poursuite en matière d'infractions douanières. Elle s'appliquera aux
litiges de la compétence du Tribunal de police ou du Tribunal
correctionnel, car la plainte s'impose pour les infractions que le
Tribunal pour enfants ou la Cour d'assises seraient appelés à
connaître (1).
(1) I.e crime douanier n'existant plus, la Cour d'Assises ne sera
appelée à conna.ître des infractions douanières que par le jeu de la
connexité. En effet, un délit douanier connexe à un crime sera de la
compétence d'une telle juridiction.
Bieo qu'elle suive les règles du droit commun il est utile
de signa l ~r que la citation directe ne sera le mode ~mployé que
SI le ServIce des Douanes est à même de soumettre au tribunal
des documents établissant la preuve indiscutable de l'infraction et
évidemment, si aucune informat ion judiciaire n'est encore ouv~rte
pour le délit poursuivi. Un procès-verbal est donc à la base de
la citation et celle-ci sera d'ailleurs donnée pour répondre • sur
et aux fins du procès-verbal » dont copie sera reproduite eo tête
de la dite citatioo (1) (2) .
L'agent poursuivant pourra signifier lui-même cette citation
ou avoir recours à un Huissier de Justice (3).
En ce qui concerne la plainte, deux cas sont à considérer;
la plainte tacile et la plainte de droit commun.
En cas de constatation de flagraot délit, la remise au Parquet du procès-verbal et du prévenu a rrêté équivalent à une
plainte. Il faut en ce cas que le prévenu ait été arrêté et que
son arrestation ait été maintenue par le Service. TI s'offre
alors deux possibilités au Procureur de la République : recourir à la procédure de Ilagrant délit, ordonner l'ouverture d'une
information judiciaire (4).
La plainte ordinaire sera rédigée au nom des Directeurs de
l'Administration et comme en droit commun adressée au Doyen
des Juges d'Instruction ou au Juge d'Instruction . Elle comportera, généralement, expressément constitution de partie civile,
même si, de droit, la Douane est assimilée à une partie civile.
Le dépôt d'une telle plainte ne pourra être fait qu'en matière
de délits douaniers et demeure le seul procédé susceptible d'être
(1) Suiva nt Je droit commUD , la citation directe sera délivrée soit à
la requête du Ministère Publ ic, soit à la requête directe du Directeur
Gé néral des Douanes. Si la citation est donnée à la requête du Ministère
Public, celui-ci sera dans J'obligation d'obtenir l'autorisat ion préalable
de l'Administration des Douanes. Cependant, cette autorisation n'est pas
nécessaire, si les poursuites s'appuye nt sur un procès-verbal de saisie
non consécuti.f à une expertise légale ou si les faits reprochables sont
suscepti bles d'être couverts par la prescription à bref délai.
(2) Les délais impartis à comparaître swvent les règles du droit
pénal com mun. La citation énoncera les faits faisant l'objet des poursuites, qualifiera l'in fraction, ind iquera la loi pénale applicable. L'original
de la citation sera remis au greffe du tribunal avan t l'audience et généralement y seront auss i dépos6s tous P.V., docwnents et conclusions
écrites.
(3) Article 368 Code des Douanes.
(4) Dès 1866, le Garde des Sceaux invitait les magistrats à appliquer
en matiè re de douane la procédure de fl agrant délit.
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209
utilisé en ce qui concerne les délits commis par des mineurs. E lle
ne sera uLilisée que lorsque la Douane n'est pas en mesure
d'apporter la preuve comp lète du délit et entend faire procéder
à une information judiciaire.
En matière contraventionllelle, il n'y a pas lieu à dépôt de
plainte et l'Administration ne peut, semble-t-il , demander l'ouverture d'une information alors que le Procureur de la République
aurait la faculté de la requérir. La Douane signalera au Procureur
l'intérêt qu'il y aurait à ce qu'il requière l'ouverture d'une instruction et le Service poursuivant doit en référer à l'Administrat ion qui jugera elle-même de l'opportunité de l'information.
L'infraction constatée et portée en Justice, soit par voie
de citation directe, lorsque la preuve est établie par procès-verbal
de saisie ou par procès-verbal de constat, soit par voie de plainte
et même si les poursuites sont engagées d'office pa r le Ministère
Public, donnera le plus souvent lieu à ouverture d'une information
judiciaire qui complète ra les preuves déjà appo rtées par l'Administration. Cene information peut être envisagée sous deux
optiques : considérant d'une part, le rôle du juge instructeur,
d'autre part, le rôle de l'agent poursuivant (1).
Le Juge d'Instruction, sauf cas de fl ag rant délit, n'instrumentera qu'en vertu d'un réquisitoire introductif signé du Procureur et l'information se clôturera comme en droit comm un,
soit par une ordonn ance de renvoi, soit par une ordonnance de
non-lieu (2). L'Administration des Douanes pourra interjeter
appel de toutes les ordonnances fa isant grief à ses intérêts et,
notamment, des ordonnances de non-lieu, mais en fait de tels
appels sont rares, car il est d'usage que le Juge d' Instruction
pressente le service avant de rendre son ordonnance.
Si cependant, l'information, en l'absence de textes particuliers, se déroule suivant les règles du droit commun, deux artic1es retiennent notre attention :
.
-: L'ancien article 343 du Code des Douanes (3) qui
ImposaIt au Procureur et au Juge d' Instruction de faire d 'office
(1 ) Le Juge d'lnstruction , comm e en matiè re de droit com mun
transmettra le dossier, en vertu d'une ordonnance de soit-commun iqué:
au Procureur de la République qui exprimera son opini on dans un
réquisitoire définitif.
(2) Comme en droit commu n, l'appel des ordonnances rendues en
matière douanière par le Juge d'lnstruction, est interjeté devant la Chambre d'accusation. Les décisions de celte même Chambre pourront être
soumises à l'appréciation de la Cour de cassation.
(3) Ancien article 343 du Code des Douanes modifié par la Loi de
Finances 0° 60-1384 du 23 décembre 1960 (art. 96).
toutes les poursuites nécessaires pour découvrir les entrepreneurs
'
ass ureurs et tous les intéressés à la contrebande',
. - En second lieu l'article 364 du même Code qui concerne
la mIse en Itberté des contrebandiers résidant à l'étranger. En
elIet, le Code des Dou anes subordonne la mise en liberté provivoire des prévenus arrêtés et résidant à l'étranger à l'obligation
de fournu un caut Ionnement, permettant de garantir le paiement
des condamnations éventuelles. Ce qui est une faculté pour le
juge, en matière de droit commun, devient de par les textes
douaniers une contrainte (1). Tel semble être le rôle du juge
instructeur dans le cadre de l'information et il est opportun de
souligner que dans le cas où l'Administration n'aurait procédé
ni à saisie, ni à une enquête ou constat, les modes de preuve
utilisés pa r la juridiction d'instruction sont ceux du droit commun
et que ces dites preuves ont la force probante des preuves
ordinaires.
Le rô le de l'agent poursui va nt se révèle multiple : il uit
le développement de l'information; aide le magistrat surtout dans
le cas où tous les renseignements n'auraient pas été consignés
dans les procès-verbaux . L 'agent des Douanes est appelé à intervenir d'une manière plus précise dans un certain nombre de
cas:
- Sur la demande de mise en liberté provisoire, qui lui
sera transmise par le Juge d'Instruction et sur laquelle il devra
répondre dans les quarante-huit heures ;
- Dans l'hypothèse du non-respect de l'article 364 du
Code des Douanes, c'est-à-dire de la mise en liberté provisoire
d'un contrebandier résid ant à l'étranger, sans cautionnement (2);
- Dans le cas où l'ordo nnance de mise en liberté provisoire serait manifes tement préjudiciable aux intérêts de l'Administration , l'agent poursuivant interviendra auprès du Procureur
de la R épublique afin que ce dernier interjene appel de ladite
ordonnance (3);
- Enfin, si l'information est clôturée par une ordon-
nance de renvoi, celle-ci ne vise que le prévenu, et si les
assignations à comparaître sont signifiées à la diligence du Parquet, l'agent du Service des Douanes doit se mettre en rapport
(1) Il est cependant nécessaire de préciser Que l'art. 364 du Code
des Douanes n'est applicable Qu'au cas précis qu'il prévoit et que le juge
conserve toute sa liberté d'apprécia tion au regard des contrebandiers
résidan t en France el des délinquants non contrebandiers résidant à
l'étranger (sauf, bien entendu appel de j'Administration).
(2) L'agent poursuivant devra dans ce cas faire appel de l'ordonnance.
(3) Le Procureur de la République est seul habilité pour interjeter
appe l des ordonnances relatives à la détention.
"
�210
avec le Procureur ou l'un de ses substituts. dès fixation de
l'affaire au rôle, pour qu'il soit procédé à la citation des personnes civilement responsables.
Les poursuites sont essentiellement engagées pour l'obtention d·une mesure de répression et de réparation. Le particularisme de la réglementation dou anière rend cette recherchc certaine. La Douane est à la foi s partie civile au procès et à la fois
partie publique.
Cette position étrange lui permet l'exercice de l'action fiscale afin d'obtenir les réparations pécuniaires qui lui sont dues
à raison d'une contravention ou d'un délit douanier.
cie 343 du nouveau Code des Douanes associe l'exercice de
l'action du Ministère Public et de l'Administration, car ce dernier pourra exercer l'action fiscale accesso irement à l'action
publique, et ce depuis le début du XIX' siècle, action qui ne lui
fut jamais contestée en matière délictuelle. En matière contraventionnelle, il en était a utrefois autrement : en effet, la jurisprudence déclarait que si, à raison de sa connex ité, une contravention (autrefois de la compétence du juge de paix) entrait
dans la compétence des juridictions répressives, cette circonstance de connexité ne permettait pas au Ministère public d'exercer
l'action fi scale à propos d'une contravention qui sans cette circonstance de connexité ne lui aurait pas appartenu. Or la loi
de Finances du 23 décembre 1960 (1 ) dispose expressément :
• l'action pour l'application des sanctions fiscales est exercée par
• l'Administration des Douanes; le Ministère Public peut l'exer• cer accessoirement à l'action publique. (2). Cette action tiscaJe qui découle de la position prédominante de l'Administration
ne requiert aucu ne condition particulière. L'article 342 du Code
des Douanes stipule que les délits et contraventions seront poursuivis par toutes voies de droit.
Cependant l'action fi scale s'éteint parfois indépendamment
de l'action publique et parfois en même temps que celle-ci. Les
modes d'extinction se déca lquent sur les modes de droit commun,
exception faite de la transaction (3).
L'Administration jouit, en effet, dans le cadre des poursuites
d'une position extrêmement favorable due à l'exercice de la
transaction. Par ce biais, elle dispose de l'action publique qu'elle
B. - L'action fisca le présente un caractère mixte puisque
les amendes et les confiscations sont moins des peines que la
réparation du préjudice subi par le Trésor. La nature de cette
action est celle d'une action civile d'un type particulier mais se
présente sous certains a pects comme une action publique d'u n
caractère spécial.
La Douane est assimilée à une partie civile devant les juridictions répressives, dans tous les procès poursuivis soit à sa
requête, soit d'office et dans son intérêt. L'Administration a en
justice une action principale et directe qui n'est pas une action
civile ordinaire. E n effet, elle apparait comme seule titulaire
• moûtresse de l'action. fiscale. (1), ce sont les termes mêmes
de deux arrêts de la Cour de cassation. Et il convient de souligner qu'à son égard, la règle de la suspension de l'action civile
jusqu'au prononcé sur l'action publique ne s'applique pas. Une
des caractéristiques principales de l'action douanière est qu'elle
ne peut être exercée pour l'application des sanctions fiscales que
devant les tribunaux répressifs (2).
. . EUe ne peut donc attraire le prévenu devant une juridiction
Civile COmme une partie civile ordinaire. Une partie civile ordinaJfe, ayant le choix des voies, ne peut obliger le juge répressif
à statuer sur ses intérêts purement civils lorsque celui-ci n'estime
pas l'ordre public violé. En matière douanière les tribunaux
répressifs sODt tenus de statuer sur l'action de l'Administration
même lorsque le prévenu est relaxé sur les poursuites du Ministère
Public.
TI apparoût donc que la Douane dispose d' une place de choix
qui peut être définie comme uoe partie publique spéciale. L'arti(1) Chambre Crim., 14 d~mbre 1950 el 17 juillet 1953. Doc.
cont. 0° 982; Doc. cont. n° 1059.
(2) Article 356 et 357 du Code des Douanes.
J
(1) Loi prtcitée.
(2) La jurisprudence précitée devient caduque aux termes de la loi
car à pr6sent, pour que le Ministère pUblic puisse exercer l'action fiscale,
il suffit que celle·ci soit accessoire à l'action publique, ce qui est le cas
lorsqu'une contravention douanière entre pa r connexité dans la compé·
tence du Tribunal correct ion nel.
(3) Les modes d'extinction du droit commun s'appliquent en ma·
tière douanière: acquiescement, désistement qui n'ont aucun effet sur
J'action publique c'est·à·dire que l'action publique se poursuit même si
la Douane n'use pas de ses droits de recours ou se désiste.
La prescription, l'amnistie et le décès du prévenu sont autant de
causes d'extinction de l'act io n fiscale et de l'action publique. Le décès
du prévenu étemt l'action fiscale et pour les délits l'act ion pUbl.ique à
l'égard du défunt mais non à l'égard de .ses coauteurs et compilees . n
est, en o utre, prévu que si le prévenu décède avant jugement défin.itif
ou transaction, l'Administration est Condée à exercer contre la success Ion
une action tendant à faire prononcer la confiscation des objets passibles
d'être saisis ou le paiement d'une somme égale à la valeur des dits objets
(art. 344 G.D.).
�212
213
éteint. Ce droit de transiger confère à l'Administration des
Douanes la possibilité d'abandonner les poursuitcs et de clore
ainsi le litigc (1)-(2).
L'étendue de ses pouvoirs apparait par l'exercice de ce
droit même après jugement rendu ; si ce dernier est définitif, la
transaction aura effet en ce qui concerne les peines pécuniaires
mais laissera subsister les peines corporelles et aura autorité de
la chose jugée à l'égard des parties.
Cependant, si la tran action n'est pas envisagée ou qu'elle
s'avère inopérante, l'Administration des Douanes aura recours
aux tribunaux. Le jugement qui interviendra donnera à une prise
de position déjà quasiment établie l'autorité de la chose jugée
et le problème qui se pose est celui de savoi r si, en conséquence,
les tribunaux ne disposent d'aucun pouvoir d'appréciation. M ais
l'équilibre semble préservé et ceci parce que si, d'une part les
règles douanières limitent les pouvoirs des juges, d'autre part,
ces mêmes juges conservent néanmoins un assez large pouvoir
d'appréciation quant à l'application des peines corporelles.
u. -
LE JUGEMENT
DES
INF RA CTI ONS
DOUANIÈRES
Les modes de saisine du tribunal varient quelque peu, selon
que l'affaire est portée devant le juge correctionnel ou celui de
police. Les débats se déroulent d'une faço n tout identique à celle
de droit commun. La procédure devant la Cour d'assises est
exceptionnelle en telle matière et c'est seulement devant le Tribunal pour enfants qu'apparaît d'un point de vue strictement
procédural un certain particularisme dont bénéfici e l'Administration des Douanes. En effet, cette Administration peut conclure et exercer les voies de recours sans que lui soit opposable
l'article 37 de l'ordonnance du 23 décembre 1958 qui indique:
c dans le cas d'infraction dont la poursuite est réservéc d 'après
les lois aux administrations publiques, le Procureur aura seul
qualité pour exercer > la poursuite sur plainte préalable de
l'Administration intéressée (3).
(1) Une ordonnance de non-lieu sera rendue si l'affaire est au stade
de l 'i~truc~ion. Si .Ia transaction n'intervient qu'après o rdo nn ance de
renvoI ou ~I eUe doit passer en citation directe, la transaction aura pour
effet de faire rayer l'affaire du rôle du tri bu nal .
(2~ L'Admin~tration des Douanes réglerait envi ron 90 % des litiges
par ~~le tr.ansacttonneUe, dont l'effet essentiel est de transmettre à cette
admtJllStrat l~D tout o u partie des pouvoirs de décision des tribunaux .
(3) Ntlcle 37 de l'ordonnance 0° 58-1300 du 23 décembre 1958.
Ce particularisme s'accommode, semble-t-i1, parallèlement
du bouleversement de certains principes fondamentaux touchant
soit aux droits du prévenu, soit aux prérogatives des juges, bouleversement qui se parfait dans la limitation grave des pouvoirs
du tribunal quant à l'application des peines. Cette position dominante de l'Administration n'excède, cependant, pas l'action fiscale et les juges retrouvent leur entier pouvoir d'appréciation
quant à l'application des peines autres que fiscales.
A. - En effet, l'on assiste d'une façon toute chronologique
à la limitation par la Douane et du principe de la présomption
d'innocence et du principe de l'intime convictioD.
Au stade des poursuites douanières, le prévenu ne peut, en
règle générale, apporter la preuve contraire des accusations dont
il fait l'objet et du même coup il ne peut déjouer les présomptions très lourdes qui pèsent sur lui (J) . Le seul moyen de défense
dont il pourra user est d'invoquer la force majeure, et par ce
biais, l'Administration conserve sa position dominante, car l'imprévisibilité et l'irrésistibilité de droit commun sont des arguments
difficilement acceptables en matière douanière. Cependant, la
loi et la jurisprudence prévoient, par un certain retour à l'équité,
des cas exceptionnels o~ la présomption de fraude est simple:
tels le cas du transporteur public et celui de l'hôtelier (2). Cette
présomption d'imputabilité matérielle, qui permet à l'accusation
de ne pas prouver la participation du prévenu est aussi une présomption de culpabil ité et de responsabilité: le prévenu ne pouvant, dans la plupart des cas, se disculper, les juges sont liés par
cette présomption (3). Le Code des Douanes semble aller plus
loin encore, créant une présomption de complicité dans les cas
o~ les règles de complicité de droit commun seraient insuffisantes (4). Le processu est le même en ce qui concerne la ten-
(1 ) Le seul fait d'interception par la Douane de marchandises dont
la circul ation ou la détention apparaisse nt irrégulières - ceci consigné
dans un procès-verbal - suffit à faire prtsumer l'infraction . Le seul fait
matériel de la c ircul atio n o u de la détention fait présumer la fraude: cette
présomption irréfragable ne permet pas à l'inculpé de se défendre en
in voquant la bonne foi.
(2) La lo i exonère le transporteur public à la condition qu'il prouve
sa qualité de transporteur public, sa bonne foi, et qu 'il désigne le véritable auteur. La Jurisprudence exonère l'hôtelier s'il désigne le véritable
auteur de l'infraction .
(3) Article 369 du Code des Douanes: il est expressément défendu
aux juges d'excuser le contrevenant sur l'intention. Voir même le titre
de la Section V du Code des Douanes c Défenses faites aux juges :t.
(4) Article 399 du Code des Douanes.
�214
215
titive qui peut constituer parfois le corps du déüt (1), car le juge
devra essentiellement rendre justice à l'Administration et appliquera soit l'article 206 du Code des Douanes, soit si celui-ci
s'avère inopérant, l'article 2 du Code pénal (2) (3).
Que devient l'indépendance des juges? Elle semble déjà
bien compromise et l'est davantage par la ümitation apportée
non seulement à la qualification de la peine, mais à l'application
des pénalités pécuniaires.
Les juges ne peuvent, en effet, faire jouer les circonstances
atténuantes en ce qui concerne les peines pécuniaires. L'amende
est considérée comme la réparation du préjudice subi par le
Trésor, en effet, la Cour de cassation l'a définie en ces termes
• l'amende douanière est à la fois une pénalité et une réparation
civile, le caractère de réparation civile étant nettement dominant » (4). Et les juges ne pourront, à peine d'en répondre en
leur propre et privé nom, modérer ni les droits, ni les confiscations et amendes (5). L'âge, l'impécuniosité du délinquant ou la
faible valeur de la marchandise n'entrent pas en ligne de
compte (6).
D en est de même pour le sursis. La loi du 22 février 1951,
permettant au juge d'octroyer en toutes matières le bénéfice des
circonstances atténuantes et du sursis, fit l'objet de nombreuses
controverses. Certains auteurs, pensaient que l'article 369 du
Code des Douanes n'était plus applicable puisque la loi prévoyait expressément. en toutes matières », d'autant que le préjudice subi par le Trésor était déjà compensé par la condamnation au montant des droits. La discussion n'a pas été ouvertement
réglée pour les infractions douanières, mais la tendance de
l'Administration a été d'interpréter, à son égard, une jurisprudence qui lui était favorable ainsi de considérer que la loi précitée
ne lui était pas applicable (7). Les juges répressifs, non seule(~) Le seul fait matériel de détenir ou de circuler avec une marcbandlSe dans les conditions prévues par "article 418 C.D., constitue un
commence,me~t d'exécution, sans que l'Adminjstralion ail à la prouver.
(2) L arucle 206 C.D. requiert que la marchandise soii un cru
du pays.
. .(3) Si cette condition n'est pas réalisée, application sera faite de
1 art~cle 2 du C.P.; illustration : un arrêt de la Cour de Chambéry du 16
févner 1950.
(4) C. de Casso Ch. Crim., du 17 mai 1945, Doc. conl. n ° 749.
(5)
des 6 el 22 aoOt 1791 et article 369 C.D.
.
(6) Lamende n.e pourra, être modérée qu'il s'agisse d'une quantiti
infime de ma~cban~JSeS ou dune" quantiti tr~ importante.
(7) c DOivent etre cassés les arrêts accordant le sursis ou les circons.
lances atténuantes pour un délit fiscal, l'amende infligée en cette matière
a un caractère tenant à la nature des réparations civiles ».
'-?'
ment, ne peuvent faire application des circonstances atténuantes
et du sursis, mais sont, en outre contraints de prononcer la
confiscation des objets litigieux. Cette confiscation à caractère
mixte, à la fois pénal et fiscal, doit être ordonnée dans tous les
cas. Il en résulte même que si le prévenu est en fuite ou le
co~pa?le inconnu" la ~onfiscation sera ~rononcée. Elle S';pplique
à 1 obJet de fraude à 1obJet ayant servi au transport, aux objets
ay~nt servI à masquer ladite fraude. La Jurisprudence même,
SUIvant de nombreux arrêts et notamment dans les arrêts rendus
le 29 juin 1938 (1) et le 14 novembre 1946 (2) par la Chambre
criminelle, déclare que la confiscation se présente comme • une
sanction indépendante de toute répression infligée à l'agent ».
1
Si l'objet n'a pu être saisi et si l'Administration des Douanes en fait la demande, le tribunal sera contraint de prononcer
une condamnation au paiement d'une somme égale à la valeur
représentée par les dits objets. Les juges ne peuvent s'opposer
à une telle demande; et si la Douane ne le requiert pas, le juge
ne peut substituer à la confiscation en nature, le paiement d'une
somme d'argent. JI s'agit là d'une véritable contrainte faite au
juge, et l'on a vu des arrêts cassés qui avaient permis la réexportation des marchandises au lieu d'en ordonner la confiscation.
La saisie des objets de transport ou des objets ayant servi à
masquer la fraude suit les mêmes règles et sera prononcée que
les dits objets aient joué un rôle actif, ou qu'ils n'aient pas été
en contact direct avec les marchandises frauduleuses (3).
B. - Cependant, si ces obligations négatives et positives
imposées aux magistrats, limitent considérablement leurs pouvoirs, on assiste parallèlement au maintien dans un certain domaine de leur pouvoir d'appréciation.
En elIet, il leur est permis, d'une part de relever les erreurs
commises par la Douane dans l'estimation des objets confisqués,
et d'autre part, de maintenir leur appréciation classique de la
personnalité de l'auteur de l'acte illicite, malgré la tendance à
{Il Surey, 1940. I, p. 125.
(2) J.C.P. 46, rv, 174.
(3) Les objets sero nt saisis, que le tran sporteur soit de bonne foi
ou non . Si les dits objets ont échappé à la saisie, la confiscation sera
prononcée pour une somme égale à leur valeur. Un problème d'appr~
dation s'est posé en ce qui concerne les transports publics et notamment
les wagons de chemin de fer. Les tribunaux ont eu tendance à leur
donner une vaJeur symbolique. En tels cas, l'Administration use d'un
palliatif et considère les objets comme écbappés au service ne rklamant
ainsi qu'une somme très inférieure dont les juges ordonneront le
paiement.
�216
l'impersonnalisation des délits fi scaux et économiques, en cc qui
concerne les peines autres que les peines pécuniaires.
L'estimation par le juge répressif de l'évaluation des o bjets
confisqués semble rétablir un certain équilibre, illusoire sans
doute mais théorique. Il s'est d'a illeurs vé rifié dans un arrêt rendu
par la Chambre des requêtes (1) où il est dit que le tribunal
peut estimer et redresse r éventuellement les erreurs commises
par la Douane dans ses procès-verbaux (2).
Mais, si cette prérogative des tribunaux apparaît douteuse,
son pouvoir, en matière de prononcé des peines autres que les
peines pécuniaire, est solidement établi. Les Juges, en effet,
apprécieront, d'une façon toute relative d'ailleurs, les circonstances aggravantes.
L'application des articles 41 5 et 4 16 du Code des Douanes
pour les fraudes délictuelles et l'article 414 pour les fraudes
contraventionneUes, prévoient des cas d 'aggrava tion des peines
(notamment pécuniai res). Ces circonstances aggravantes sont
d'une part la réunion d'un certain nombre d'individus et d'autre
part, la réalisation de l'acte frauduleux par des moyens de transport déterminés par ces mêmes articles.
En ce qui concerne la réunion d'un certain nombre d'individus, c'est la Jurisprudence qui a déclaré que les simples « intéressés > à la fraude n'entraient pas en ligne de compte. Quant
aux moyens de transport, une longue polémique s'est élevée pour
déterminer ce qui pouvait être considéré comme un moyen facilitant la fraude et ce qui ne l'était pas . li nous est ainsi permis
de constater que les magistrats peuvent évaluer les circonstances
aggrava ntes, ce qui rend possible d'une part l'appréciation de la
peine, et dans un certain sens l'estimation de l'amende, peine
pécuni aire, qui est, dans le cas de l'article 415 égale au double
de la valeur et dans le cas de l'article 4 16 égale au qu adru ple
de la valeur des objets de fraude.
Cette situation inattendue d'ingérence du juge da ns l'estimation des peines pécuniai res, s'accompagne d'ailleurs du maintien vis-à-vis des peines privatives de liberté, du pouvoir souverain d'appréciatio n des juges. Une séparation totale s'établit entre
ces dernières et les peines pécuniai res que seule, ou pratiquement
seule, l'Administration est habilitée à réclamer et à estimer. Les
peines d'emprisonnement ne seront jamais requises par la
(1) Ch. Req. du 27 août 1940. S. 40, J, p. 142.
(2) Le mêm~ principe est applicable en ce qu i concerne les objets
de , .t:ran~rt, ceCI dans le cas où ces objets n'auraient pu être saisis et
qu Il (aille condamner au paiemen t d'une somme ~gale à leur valeur.
217
Douane, mais par le Ministère Public, et dans ce cadre, un peu
res tr~mt , tout l ~ procès se déroulera suivant les règles et les
pnnclpes du droit commun . C'est ainsi que le juge répressif pourra
relaxer le prévenu , le faire bénéficier du sursis, prendre en considération les circonstances atténuantes, mais De pourra jamais
empIéter sur le domaine de l'Administration . Le Tribunal correctionnel peut, en conséquence, accorder les circonstances atténuantes et descendre jusqu'au minimum de la peine de police
ou même, éventuellement remplacer cette peine par une amende
qui peut descendre jusqu'à l'amende minim a de police.
Les apparences semblent sauvegardées, les juges peuvent
croire avoir conservé vis-à-vis de l'Administration une certaine
indépendance, mais une séparation totale s'établit : le Ministère Public et le tribunal apparaissent comme des moyens mis
à la disposition de l'Administration et par conséquent de l'Etat.
L'ordre public peut ne pas être violé, les libertés individuelles
peuvent ne pas être en danger, il s'agit avant tout d'établir l'Etat
dans son rôle actuel.
�La transaction douanière
p"
Fernand BOULAN
Assistant i ta Facu h é d e Droit et d es Sciences Économiquu
d 'Aix-eo -Pro ven ce
�221
1) La reconna issance à certaines administrations de prérogatives exorbitantes du droit commun qui semblent dieectement en contradiction avec les principes fondamentaux de notre
droit pénal, peut apparaître comme une manifestation de la
subordination de l' intérêt social à l'intérêt particulier.
Le droit de recourir à la transaction avant ou après jugement définitif fait de l'Administration des Douanes l'une de ces
administrations privilégiées.
2) On renco ntre hab ituellement en droit commun des règles
juridiques différentes selo n qu'il s'agit de l'action publique ou de
l'action civile : tandis que l'on peut transiger sur les intérêts
civils qui résultent d'un délit, l'action publique ne saurait faire
l'objet d'une telle transaction .
D'autre part, le principe de l'indisponibilité de l'actio n
publique vise aussi bien les peines corporelles que les sanctions
patrimo ni ales. La partie privée ne dispose pas habituellement du
droit d'acti on devant les juridictions pénales pour les réparations
civiles qui restent subo rd onnées aux poursuites du Ministère
Public (1).
En règle générale, la partie civile privée bénéficie du droit
de transiger, soit ap rès, soit avant le jugement définitif, mais la
transaction intervenue, si elle répare le dommage causé à la
victime, n'empêche pas les poursuites du Ministère Public (2).
3) L a transaction douanière ne répond pas à ces principes
et revêt des aspects juridiques particuliers selon qu'elle intervient
avant o u après jugement définitif. On a pu la considérer comme
la survi va nce dans notre droit contemporain des principes de
l'ancien Droit (3).
M ais, n'est-il pas inexact de prétendre que la transaction
douanière moderne doive se confondre avec celle de l'ancien
Droit ? Si l'on ne peut contester que les techniques sont à peu
de choses près restées inchangées, la convergence des intérêts
de la Société, dans sa lutte contre le crime et des intérêts de la
douane ne s'est-elle pas réalisée le jour où cette dernière est
devenue une administration publique? La représentation et la
(1) Art. l, C. P. P.
(2) Art. 2, C. P. P.
(3) LÉVENDOWSICY (Thèse), Lille 1959: Des survivances de l'ancien
droit dans la prévention et la répression de la fraude douanière.
�222
223
préservation d'un intérêt général supérieur, ne pouvait être valablement assumée par des particuliers soucieux avant tout de leurs
intérêts proP[ ~s.
La mise au point devait être circonstancieUe.
Sous la R esta uration, la validité de ces textes ayant été
contestée, la Cour de cassation devait être 3lDenée à se prononcer de manière catégorique et décider que la régie devait
être en mesure de statuer administrativement sur les procès de
fraude. L'un des motifs justifiant le droit de l'administration de
transiger en tout état de cause, était, qu'il serait, dans certains
cas, contre l'équité, d'appliquer rigo ureusement les peines de la
Craude. La défense expresse Caite aux juges d'excuser les contrevenants sur l' intention, conduisait, dès la constatation matérielle
de l'infraction, à l'application intangible de la sanction. Si une
teUe rigueur pouvait satisCaire à la protection de l'intérêt de la
société, les intérêts propres à l'administration (raudée pouvaient
en revanche être gravement compromis.
4) Dans l'ancien Droit (1 ) seul~s les infr~ction s qui étaient
punies d'une peine capitale ou aflictJve et mfâmante ét31ent
réservées à la poursuite des procureurs selgneunaux et royaux
et échappaient au champ d 'application très vaste de: la transactIOn ,
qui constituait le droit commun . La plupart des mfractlons permettaient une action privée. La transactJon dou anIère dont bénéfici aient les fermiers du R oi faisait application de ces règles.
Pratiquement les fermiers réglaient ainsi .Ia plupart des
infractions douanières mineures, caf la transacllon ne po uvait
avoir lieu au bénéfice de contrevenants qui se livraient à la contrebande en rebellion ou avec port d'armes. Etant donné la
gravité de ces dernières infractions, il i~po rt a it, . d,,?s l'intérêt
de l'ord re public, de ne pouvoir les soustraire à la jusllce du ROI .
5) Des considérations d'ordre tant économique que pratique justifiaient l'impérieuse nécessité du recours à une technique
juridique plus souple.
Le législateur révolutionnaire, acco rda à la Régie des Douanes un droit de transaction analogue à celui des ferm iers généraux, d'autant que les infractions douanières n'étaient plus passibles que d'3lDendes et de confiscations. TouteCois, la transaction
n'étai t possible qu'avant jugement définitif.
Les juges n'avaient pas pouvoir pour modérer les confiscations et amendes, ni en ordonner l'emploi au préjudice de la
régie. Après jugement définitif, une transaction, même sur les
confiscations ou sur le montan t des 3lDendes, aurait été considérée comme portant atteinte à l'autorité de la chose jugée.
Une loi de l'An ur, supprimant toute transaction, même
avant jugement définitif, constituait une telle iniquité que sur
l'initiative même de la régie, une loi vi nt rétablir la transaction
en assouplissant de façon considérable son mode d'application.
Cette loi du 23 brumaire An II [ devait en rétroagissant, prévoir
que : c Lorsqu'une saisie pour contravention aux lois sur les
douanes ne sera motivée que sur l'omission d'une fo rmalité, et
que les circonstances fe ront présumer que la contravention est
in volontaire, la commissio n des revenus nationaux est auto risée
à faire sur la confiscation et 1'3lDende telle remise qu'elle jugera
convenable ... ,.
Comment reconnaître dès lors sous ce nouvea u visage la
transaction douanière de l'ancien Droit ?
En revanche on décèle aisément le cadre juridique que le
législateur a conservé à la transaction douanière moderne.
(1) LÉVEl'DOVS~Y, op. cil., p. 284.
Du point de vue économique tout d'abord, il est certai n
que la transaction est un moyen efficace donné à l'Administration
pour recouvrer ce qui lui est dû .
Bien sûr, il semble que la régie pourrait être assurée d'obtenir après une poursuite judiciaire la reconnaissance de son préjudice et une indemnisation importante. Mais la cond3lDnation
pénale ne changerait en rien la solvabilité ou l'insolvabilité du
délinquant. Dès lors, n'est-il pas plus simple de s'entendre directement avec lui?
Cette démarche aura un avantage indiscutable : eUe excitera
la bonne volonté du délinquant dans le désir d'éviter toute
poursuite.
E n outre les garanties dont s'entoure l'Administration au
cours des pourparle rs transactionnels dénote l'importance de sa
position et de ses moyens de pressions.
J
Le contrevenant peut savoir très exactement les sanctions
patrimoniales et peut-être corporelles qu'il encourt, si la transaction n'intervenait pas pour une raison quelconque. Ne serait-ce
que pour éviter les sanctions corporelles, il est enclin à se
soumettre au bon vouloir de l'Administration cocontractante qui
a sur lui un ascend ant certain qui tient en premier lieu au pouvoir discrétionnaire qu'elie a d'accepter ou de refu ser la transaction.
La transaction doit cependant être distinguée des soumissions contentieuses.
�225
224
Ces dernières ne comportent pas d'offres réelles et ainsi que
leur nom l'indique, le souscripteur déclare s'en rapporter entièrement à l'Administration des Douanes relallvement aux sUItes
pécuniaires et s'engage à payer . dès l~ premiè ~e réquisition, le
montant des sommes que l'AdmlOlstratlOn lUI reclame à concurrence cependant des pénali tés légalement encourues.
Les transactions doivent, au contraire, conteni r des offres
réelles qui sont relatives à la réparation du préj,udice causé ct
au paiement d'une somme déterminée à titre de penaltté. Pour la
transaction , comme pour la soumission contentieuse, le prévenu
s'en remet à l'Administration ; celle-ci peut en effet refuser les
offres du prévenu et n'accepter de transiger qu'à un prix nettement supérieur. En pratique l'Administration n'agira ainsI que
si manifestement le préjudice qu'elle a subi ne devait pas être
couvert. EUe fera bien souvent elle-même des offres de transaction que le prévenu aura grand intérêt à accepter hormis le cas
où il sera dans l'impécuniosité la plus totale, ou lorsqu'il refusera
d'acquiescer à la matérialité de l'infraction .
Ce pouvoi r discrétionnaire d'accorder ou de refu ser la
transaction, se double de sûretés réelles qui s'expliquent par le
caractère provisoire de la transaction douaniè re, qui avant
d'acquérir l'autorité de la classe jugée entre les parties, devra
recevoir ratification par l'autorité hiérarchique compétente. On
a vu dans cette règle de la hiérarchie des compétences, une
garantie dont le prévenu serait le bénéficiaire . Nous ne pensons
pas que ce soit là le véritable souci lu législateur. Le système
est simple : plus le chiffre des condamnations dont est passible
le contrevenant est important, plus le fonctionnaire, qui sera
chargé de statuer en dernier ressort au nom de l'Administration,
sera hiérarchiquement élevé. Le seul intérêt qui doit être pris en
considération est en l'occurence celui de l'Administration lésée :
l'agent d'un échelon inférieur peut ne pas être en mesure d'apprécier exactement l'importance véritable du préjudice résultant de
l'infraction constatée. U pourrait être aussi conduit à transiger
sur une base trop faible. L'écuei l que l'on avait évité, en ne
permettant pas aux juges c d'apprécier. au mépris des intérêts
de l'Administration, réapparaîtrait sous une autre forme.
TI importe donc qu'entre l'intervention de la transaction
provisoire et sa ratification définitive, l'Administration prenne
toutes garanties pour s'assurer, notamment, qu'il ne s'agit pas de
la part du contrevenant de moyens dilatoires destinés à reta rder
l'échéance définiti ve : les condamnations judiciaires. Ainsi le
dédommage ment effectif que l'Administration aura convenu de
recevoir pourra se révéler plus efficace que l'exercice de toute
voie d'exécution sur cc patrimoine illusoire. En outre, l'Administration procédant à la transaction par ses propres agents évitera, tant les lenteurs de la procédure normale, que les frais
qu'elle implique.
li semble cependant que si ces considérations gardent toute
leur force lorsque la transaction intervient avan t le jugement
définitif, elles n'ont pas de justification lorsqu'une décision de
justice aya nt acquis l'autorité de la chose jugée est intervenue.
En résulte-t-il alors que les avantages attachés à la transaction ava nt jugement définitif soient inopérants ou inexistants et
qu'il faille dès lors soit s'en remettre aux règles du droit commun,
soit organiser une autre technique appropriée?
L'article 350 du Code des Douanes prévoyant que la transactio n peut intervenir avant ou après un jugement définitif,
résout cette alte rnative. Cependant le recours à cette institution
unique, à des stades aussi différents, n'implique-t-il pas une
dualité de fondement ? C'est ce qu'il nous appartient de rechercher.
1. -
LA TRANSACTION DOUAN IÈRE AVANT JUGEM ENT DÉF INITIF
6) L a faculté de transiger avant jugement définitif, qui est
reconnue à l'Administration des Douanes, a pu être considérée
à cause de ses effets, comme une institution sui generis qui ne
saurait cadrer avec les règles qui gouvernent la transaction
civile (1) .
U faut remarquer que ces effets se trou veDt essentiellement
déterminés par les situations respectives des parties.
Certes les simples particuliers sont également dotés, tout au
mo ins eo ce qui concerne les intérêts civils de cette même faculté
de transaction. Si en pratique l'accord transactionnel entre l'auteur de l'infraction et sa victime est exceptionnel, cela tieot sans
doute à la stérilité de ses conséquences. Si l'auteur s'engage à
dédommager sa victime, et si celle-ci renonce à se constituer partie civile, les poursuites judiciai res, au moins dans la plupart des
cas (2) n'en seront pas pour autant interrompues. Il existe d'autre part dans le couple pathologique (auteur-victime) une ani( 1) LévENDOVSKY, op. cil., p. 308.
(2) Lorsque l'existence de l'action p~blique déPc:,nd du ~ép ôt d~ la
plainte de la victime, la Cour de cassation reconDalt que SI la pl a l~te
est retirée ava nt qu'une décision définitive ne soit intervenue, l'action
publique est éteinte. Notamment en matière d'adultère, abandon de (oyer,
etc.
"
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227
mo ité réciproque telle, qu'elle constitue. un obstade insurmontable. L'intervention du juge est désormaIs nécessai re, tant pour
apprécier la gravité de l' infraction et la sanction méritée, que
l'étendue du dommage subi. La disproportion des forces en présence en matière de contentieux douanier, devrait faire renoncer
tout contrevenant à la lutte, alors urtout qu'il lirera de la transaction des avantages subtantiels. Le particularisme des effets de
la transaction douanière intervenue avant jugement définitif ne
peut manquer de révéler sa nature juridique véritable.
A) Particularisme des etfets de la transaction douanière
avant jugemefll défillitif :
7) La constatation d'une infraction à la réglementation
douanière étant un préalable indispensable à la transaction,
celle-ci ne saurait manquer d'influencer la situation des personnes
directement ou indirectement intéressées à son établissement.
Si les effets d'ordre personnel peuvent être considérés à
juste titre comme les plus importants, il ont cependant pour base
des accords économiques et la transaction ainsi intervenue aura
nécessairement des effets patrimoniaux.
8) a) Quant à ses effets d'ordre personnel, le ca ractère prédominant de la transaction douan ière e t son caractère extinctif
de l'action publique. lis sont conformes sur ce point aux effets de
la transaction pénale ( 1). Mais il importe de rechercher la portée
de cette conséquence essentielle relativement aux rappo rts des
parties eotre-elles J puis relativement aux tiers.
9) ) 0) C'est entre les partie, et essentiellement à l'éga rd du
contrevenant bénéficiant d'une transaction, que celle-ci aura son
effet le plus remarq uable : elle est un mode d'extinction de
l'action publique. Si la portée de ce principe est exceptionnelle,
ses limites en sont classiques.
Aussitôt que la transaction est devenue définitive : c le
contrevenant échappe à l'action publique comme le bénéficiaire
d'une amnis tie, ou le contrevenant assez habil e pour être protégé
par la prescription. (1). C'est là naturellement le but que rechercbe l'auteur de l'iofraction . Le Ministère Public devra s'abstenir
(1) BOITAllD, 1..0 Iransaclioft tn droit pinol français, Rey. Sc. Crim. ,
194 1, p . 175.
de poursui vre si aucune act ion o'cst encore intentée, et requérir
une ordonnance de non-lieu si des poursuites sont en cours (1).
Il se pourra que la juridiction de jugement ait déjà été saisie de l'affaire lorsque interviennent les pourparlers transactionnels. La transaction provisoire permettra au service de demander
au tribunal le renvoi sine die de l'affaire, en attenda nt l'accord
de l'autorité compétente. S'il existe plusieurs prévenus une disjonction des cas s'imposera entre le bénéficiaire de la transaction
et les autres prévenus. Dès que la transaction en cours sera devenue définitive, l'Administration des Douanes par l'intermédiaire
de son agent poursuivant demandera au tribunal , par voie de
conclusions, de constater la transaction intervenue, et de déclarer
l'action publique éteinte. La mise en liberté du prévenu incarcéré
semble dès lors s'imposer et l'Administration ne manquera pas
de la demander au Parquet.
10) Ainsi, qu'elle intervienne ava nt une instance ou en
cours d 'instance, tant qu'une décision définitive ne sera pas intervenue l'extinction de l'action publique aura son plein effet dès
l'intervention d'une transaction définiti ve. L'Administration des
Douanes pourra à son gré, en acceptant une transaction , se subs-
tituer au Ministère Public et aux juges naturels.
Le principe de l'indisponibilité de l'action publique toujours
énoncé dans le C.P.P. en son a rticle 1", trouve là une exception
capitale, caractéristique du particularisme du droit judiciaire
répressif douanier. L'action privée, se substituant à l'action publique en l'éteignant, fait que l'Administration est à I~ foi s j~ge et
partie. La confusion de l'intérêt privé d'une admlOlstrauon et
de l'intérêt général de la société semble pourtant trouver sa lustlfication tant dans la qualité particulière de cette partie que dans
le caractère artificiel des infractions visées.
D'une pa rt l'Administration des Douanes comme toute administration publique vise, au-delà de son intérêt immédiat et privé,
à la satisfaction d'un intérêt médiat et général : celUI de la
société.
Il ne semble pas que la notion administrative de service
public ne puisse prévaloir.
D'autre part, ces infractions elles-mêmes ne soulèvent pas
la réprobation sociale propre aux infracti? ns. dites ,naturelles.
Leur retentissement social est momdre et temolgne d un~ c cnminalité • économique et intellectuelle accidentelle et négligeable.
(1) Circulaire du Garde des Sceaux du l U janvier 1844 : texte N,
p. 341.
�228
229
Il ) Le droit pénal doua nier constitue certai~ement une
branche particulière du droit pénal, dont l'autonomIe se trouve
constamment vérifiée. A la véri té, l'AdmlOlstratlOn des Douanes
dispose de deux « droits pénaux •. Le droit pénal c~m m~n , et
son droit pénal propre. Elle a recours ~e l? n les n ces.sltés a 1 un
ou l'autre. Les critères de cette appréCIation souvera,"e dOIvent
être recherchés dans les concepts particulie rs à la fraude douanière. La connaissance de ses techniques nombreuses ne peut être
demandée au juge de droit commun. La « technicisation . déjà
ancienne de la répression des infractions douanières ex plique
l'alternative offerte à l'Administration des Douanes, de faire
« bénéficier . un délinquant de la tran saction en lui évitant des
sanctions personnelles, ou de « l'abandonner . à la rigueur
automatique de ses juges naturels.
12) L a portée fondamentale de la transaction douanière
quant à ses effets d'ordre personnel impose toutefois ~ue des
limites strictes lui soient as ignées par la détermlOatlOn des
infraction visées. 11 est de principe que la transaction n'a d'effet
extinctif qu'à l'égard des infractions qui y sont spécialement
énumérées (1). Cependant elle couvre entièrement ces infractions
si l'acte ne comporte aucune réserve, et si, par la suite, la fraude
se révélait comme ayan t portée sur une plus grande quantité de
marchandises, cette constatation ultérieure à la transaction serait
inopérante. L'Administration ne pourrait que regretter d'avoir
transigé à un chiffre insuffisamment élevé (2).
Le problème se pose en des termes différents lorsq ue l'infraction, ou les infractions spécialement visées dans la transaction ,
sont susceptibles d'autres quaWications pénales ou lorsqu'elles
ne sont pas séparées d'autres infractions par une décision judiciaire définitive. Si l'agissement unique contrevient à la fois à
plusieurs textes de lois, on doit normalement appliquer la qualification qui comporte la peine la plus sévère. En conséquence,
si des faits reprochés au contrevenant sont suscept ibles de revêtir
à la fois plusieurs qualifications pénales, il faudra que la qualification d'infraction douanière comporte la peine la plus sévère
pour que cette quaWication soit retenue. Si tel était le cas, la
transaction douanière couvrirait-elle toutes les qualifications en
éteignant pour toutes l'action publique? La difficulté est évitée (3)
car le particularisme des infractions douanières supporte diffi-
cilement quc les agissements réprimés contreviennent à d'autres
textes que les textes douaniers.
Il en va autrement lorsque des infractions de droit commun
(rebellion) ont été commises en même temps que l'infraction
douanière. La transaction douanière intervenue oe pourra constituer un obstacle à l'action exercée par le Ministère Public en
vue de la répression des délits de droit comm un.
Alo rs qu'en principe une seule peine devrait être prononcée
ou subie pour l'ensemble de ces infractions (art. 5 nouveau C. P.),
les autres se confondant avec elle (1), le prévenu subira au moins
deux sanctions, l'une infligée par J'Administration des Douanes,
l'autre par la Société.
La prétendue mesure de faveur que concède l'Administration
des Douanes en acceptant de transiger avec le contrevenant,
conduit en l'espêce, par la non-application du principe du noncumul des peines, à une aggravation de la répression. L'importance des effets de la transaction douanière quant au contrevenant en bénéficiant, impl.ique J'étude de ses effets quant aux
personnes qui lui sont étrangères.
13) 2 ' ) Une jurisprudence désormais classique a posé que
les transactions douanières ne peuvent profiter qu'à ceux en
faveur desquels elles ont été consenties et, en conséquence, ne
peuvent point former obstacles aux poursuites qu'il y a lieu
d'exercer contre d'autres individus, auteurs ou complices de
fra ude. Ceux-ci ne sa uraient donc se prévaloir de la transaction
consentie à un coprévenu (2) . A l'égard des cautions et des personnes civilement responsables, la transaction avant jugement
définitif accordée au prévenu dont ils sont les garants, leur profite , et éteint à leur encontre l'action de l'Administration comme
le ferait un jugement d'acquittement, l'infraction ne se trouvant
pas reconnue. Mais on doit remarquer qu'il ne s'agit plus d'effets
concernant la personne des individ us intéressés directement ou
indirectement à la transaction, mais d'effets d'ordre patrimonial.
14) b) Les effets d'ordre patrimonial de la transaction
douanière avant jugement définit if, révèlent une double originalité.
E lle apparaît dans les deux catégories de garanties dont s'entoure l'administration lors d'une c opération de transaction ~
qui enlèvent pratiquement toute possibilité au contrevenant qui
en bénéficie, d'eo user comme manœuvre dilatOIre.
(1) Trib. Corr. Lille, 21 mai 1957, Doc. cont. n' 1222.
(2) Casso Crim., 3 mars 1951 , Doc. cont. n' 961 t.
(3) Sauf en ce qui concerne les infarctions mixtes de douane et de
change, où la transaction dfiment ratifiée couvre les deux qualifications
possibles.
(1) Stéfan i et Levasscur. Droit pénal général et procédure pénale,
2' éd., l, n' 590.
D
(2) Grim., 26 aoOt 1820, Doc. jur. 0 ' 210; Crim., 8 mars t95 t, oc.
cont. n° 963; Crim., 26 nov. 1964, Bull. Crim., n° 314.
�230
231
Ces garanties son chronologiquement préaJables à la transaction puis contenues dans celle-ci.
15) l ' Ainsi, le prévenu doit consigner imm diament le
montant des sommes mises à sa charge. Lorsqu'il est stipulé
dans une transaction provisoire la main levée des objets saisis
et si la somme exigée à titre de pénalité est inférieure à la
vaJeur desdits objets, leur remise ne pourra être consentie avant
l'approbation définitive de la transaction que si le contrevenant
garantit, soit par une consignation, soit par un engagement valablement cautionné, le paiement de leur valeur intégrale.
En tout état de cause, lorsque la souscription d'une transaction provisoire comporte le versement d'une somme d'argent ,
l'acte doit stipuler que l'intéressé s'engage à laisser en consignation la somme versée, jusqu'à la solution définitive du litige,
soit par voie conventionnelle, soit par voie judiciaire (1).
Ces sûretés préalables à l'intervention de la transaction
définitive vont communément considérées comme destinées à
assurer l'exécution des actes souscrits. En vérité, l'existence de
ces sûretés contient en elle la justification du caractère translatü
de la transaction douanière, dont l'exécution semble assurée dès
sa réalisation et qui peut être considérée à ce titre comme une
sûreté contenue dans l'acte lui-même.
16) 2' Les auteurs considèrent généralement que la transaction civile n'a pas pour but de conférer aux parties des droits
nouveaux, mais seulement de reconnaître ceux qu'elles ont, ou
prétendent avoi r, et de les consolider en les mettant à l'abri
d'une contestation (2) . L'effet déclaratü que la théorie classique
attribue à la transaction civile ne peut pas être reconnu à la
transaction douanière. En effet, en contre partie de l'acceptation
de la transaction et de la renonciation aux poursuites répressives qui en découlent, l'Administration n'exige pas de la part
du contrevenant un abandon partiel des droits auxquels il pourrait prétendre sur les objets litigieux. L'acquiescement à l'infraction et à la responsabilité pénale que comporte toute transaction
avant jugement définitü constitue par là même de la part du
prévenu un acquiescement à l'inexistence de ses droits sur les
objets litigieux.
L'Administratio n exige l'abandon soit de tout ou partie des
(1) Sur ces points V M. NAZAJUo, Cours de contentieux douanier ,
p.359.
(2) RrPERT et BOULANGER, Droit civil , T . DI, n· 2478 , eD conformité
avec M . BOYER, MERLE, CFŒVALJE.R.
objets saisis, soit même d'objets non confiscables ou de cautionnements et valeurs n'ayant pas de rapport direct avec l'infraclIon. Comme pourrait-on dans ce dernier cas considérer que la
transaction douanère intervenue n'a que pour effet de consolider au profit de l'Administration des droits qu'eUe avait déjà.
La transaction a plutôt pour effet de transférer en toute
propriété à l'Administration des Douanes soit des biens sur
lesquels elle avait un droit de saisie ou de reten ue, soit des biens
sur lesquels elle n'avait aucun droit.
11 est nécessa ire ici de constater qu'il ne s'agit que de
transfert de biens mobiliers. Cela correspond en effet au critère
de circulation caractéristique des infractions douanières.
Dès lors la transaction intervenue servira de juste titre
translatif de propriété et opposable aux tiers .
Cette translation de propriété s'opère dès l'instant où l'accord de volontés est devenu parfait par l'acceptation des deux
parties. Conformément au droit commun des contrats (art. 1583
C. civ.), la propriété de la chose sera acquise de plein droit par
l'effet de l'accord, alors surtout que les garanties préalables dont
se sera entourée l'Administration, en auront assuré la délivrance. Cette délivrance aura été en nature ou en équivalent,
en valeur, si, po ur garantir l'exécution en argent des accords
transactionnels, un immeuble était cédé en pleine propriété,
l'acte transactionnel pourrait-il être considéré comme un juste
titre translatü de propriété? Apparemment aucun obstacle majeur ne semble s'y opposer alors surtout que la transcription est
possible depuis le décret-loi du 30 décembre 1935 (D.C. 4 janvier 1955, art. 28 4' el.
Ainsi, l'effet translatü de la transaction douanière se vérifie,
quant aux biens spécialement énumérés dans l'acte, et ne joue
qu'entre parties. Pour assurer complètement la réparatio n, la
transaction provisoire ou définitive conclue avec l'un des coauteurs ou l'une des personnes civilement responsables d'une
infraction, doit stipuler que réserve est faite des droits et actions de l'Administration contre les co-prévenus. Cette nouvelle
garantie insérée dans l'accord transactionnel en limite ses effets
quant aux tiers.
La transaction intervenant avant jugement définitü, il n'y
a pas d'obligation solidaire entre les co-prévenus. Conformément aux termes de l'art. 2051 C. civil, la transaction faite par
l'un des prévenus ne peut être opposée par les autres.
Les co-prévenus poursui vis pourront être condamnés solidairement à l'intégralité des pénalités pécuniaires prévues par le
�232
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Code des Douanes, sans déduction du montant des transactions
intervenues avec d'autres co-prévenus (1). Néanmoins, l'Administration ne poursuivra le recouvrement des condamnati?os
pécuniaires que sous déduction du mo~tant de la transactJO.n
intervenue. Tel doit être son bon voulOir, maIs elle a la POSSIbilité de recouvrer l'intégralité des condamnations.
Ces multiples sûretés garantissent l'exécution des obligations patrimoniales contenues dans la transaction douanière
avant jugement définitif et mises à la cbarge du prévenu .
En contrepartie existe l'obligation négative, toujours à la
charge de l'Administration, de ne pas user de sont droit de
poursuite ou bien d'abandonner les poursuites judiciaires en se
substituant aux juges naturels.
Ces effets propres à la transaction douanière avant jugement définitif posent le problème de savoir qu'elle est sa véritable nature juridique.
B) La Mture juridique de la transaction douanière
avant jugemelll définitif
18) L'étude des effets particuliers de la transaction douanière avant jugement définitif a permis de souligner l'objectif
d'efficacité qui préside à la mise en œuvre de cette technique
par l'Administration qui a recours pour ce faire, en partie aux
règles du droit commun de la transaction civile, à celles régissant la transaction pénale, mais également à des règles propres
originales.
La substitution au droit judiciaire répressif commun d'un
droit judiciaire répressif douanier, n'enlève pas à la transaction
douanière son caractère de sanction. Le cadre juridique générai restant celui de la transaction civile, celle-ci devra-t-elle
être considérée comme l'une de ses variétés peu connues? Mais
il semble plutôt qu'une véri table • instance pénale > soit mise
en œuvre, dont la transaction est l'aboutissement. Celle-ci constituant un obstacle à des poursuites judiciaires devra-t-elle être
considérée comme une mesure • pré-délictuelle > à caractè re
préventif ou plutôt comme une peine? Quoi qu'il en soit, elle
est incontestablement une personnalisation de la répression par
l'atténuation des conséquences excessives des dispositions du
droit répressif douanier.
(1) Cass. Crim., 6 juillet 1954, Doc. coot., 1096.
...,
19) La réaction sociale peut se manifester au sein de notre
droit pénal contemporain, sous forme de protection préventive.
L'objectif d'abord visé est sans doute celui de la protection de
la société, mais éga lement la protection de l'individu contre luimême ou contre le milieu qui le conditionne. La prise en considération de ces facteurs endogènes et exogènes en prévision de
la commission d'une autre infraction s'opère par le recours aux
mesures de sûreté.
Celles-ci sont toujours préventives, en cela qu'elles tendent
à éviter que dans l'avenir celui auquel elles s'appliquent ne commette d'infraction.
Mais il faut reconnaître que le caractère judiciaires des
mesures de sûreté semble impliquer une manifestation • criminelle > préalable comme une nécessité à leur mise en œuvre.
Cette réaction moderne contre l'infraction et son auteur
fait apparaître l'éclatant paradoxe qu'il y a à tenter de qualifier
ainsi le transactio n do uanière qui n'est qu'une survivance dans
notre droit des règles de l'ancien Droit. Ce rapprochement est
inquiétant car, dans la mesure où il se vérifierait, une alternative s'imposerait et il faudrait considérer soit que le droit pénal
n'a fait aucun progrès depuis l'ancien Droit, soit que le droit
pénal douanier a sui vi l'évolution générale et que la transaction
douanière n'est plus la même qu'autrefois.
Ces inquiétudes sont rapidement apaisées par un bref examen de la matière.
2 0 On doit cependant ad mettre que la transaction mettant
fin aux poursuites judiciaires revêt l'un des deux caractères fondamentaux de la mesure de sûreté qui est l'absence de coloration
morale.
Eviter au maxi mum l'cffet afflictif contribuera d'ailleurs
à éviter en même temps l'effet infamant. Mais en cette matière
le caractè re artificiel de ces infractions et l'absence de réprobation sociale suffisa it déjà à diminuer le caractère infamant
de la sanction. E n revanche, la rupture est brutale, lorsque l'on
envisage l'autre caractère fondamental de la mesure de sûreté:
l'indétermination ou plutôt la va riabilité.
En effet, la variabilité de la mesure de prévention, avec la
gravité effective de l'infraction, la personnalité de l'individu , et
l'évolution de son état dangereux exige un traitement constamment révisable. Comment concilier ce caractère avec la fixité
de la transaction intervenue, qui découle de • l'autorité de la
chose jugée en dernier ressort > qui lui est attachée?
�234
Cela ne pourrait en outre satisfaire l'Administration des
Douanes, qui indépendamment de ses intérêts propres, a pour
mission de veiller aussi à la protection de la société. Dès lors, une
infraction à la réglementation douanière étant constatée, l'Administration lésée pourra-t-elle décider véritablement de l'abso lution
du délinquant ? Si la transaction qu'eUe accepte a pour effet
essentiel de mettre fin aux poursuites judiciaires, ne va-t-elle
pas aboutir simplement à substituer une sanction particulière
aux peines prévues par la loi et insérées dans le Code des
Douanes?
Si le montant des sommes que les parties acceptent, l'une
de payer, l'autre de recevoir par la transaction, n'était proportionné qu'à la réparation exacte du préjudice subi, la transaction ne
serait qu'une technique de réparation - avec des effets exorbitants - du droit commun. Mais ces sommes dépassant le
préjudice qui découle directement de l'infraction, elles revêtent
le caractère de pénalités.
Cette nature ne peut apparaître qu'à travers l'étude des
critères présidant à la détermination du montant des pénalités
transactionnelles et des personnes qui sont investies de cette attribution importante.
21) Le montant de la transaction dépendra des éléments
puisés dans la réalisation même de l'infraction et son importance.
En effet, s'il est naturel que l'Administration des Douanes montre
quelque indulgence lorsque les infractions commises résultent de
simples négligences, inattentions ou erreurs involontaires, elle
doit à l'opposé, même quand elle acepte de transiger, réserver
sa sévérité pour le cas de fraude manife tement intentionnelle.
Ainsi en remédiant au recours à la saction inta ngible et
forfaitairement fixée par le Code des Douanes, l'Administration
utilise une technique de répression propre qui lui permet de
choisir la sanction adéquate entre la sanction éditée par le Code
des Douanes, qui constitue un maximum obligatoire, et le préjudice qu'elle a réellement subi, qui constitue un minimum facultatif.
En d'autres termes, l'Administration se substituant aux
juges naturels après leur avoir ôté tout pouvoir d'appréciation
applique dans une instance privée les principes de l'instance
publique.
Elle décidera seule de sa propre compétence et de l'attribution au délinquant du privilège de juridiction qu'elle constitue.
Elle est investie du pouvoir de sanctionner eo décidant
unilatéralement et sans recours.
235
Elle pourra éventuellement accorder des circonstances atténuantes, selon que les circontances de l'infraction révèleront une
criminalité moindre et manifesteront plus une méconnaissance
des formalités douanières qu'une intention de fraude.
Le caractère de réparation du montant de la transaction
semblerait imposer à l'Administration des Douanes une limite
inférieure à sa fixation . Le droit compromis comprend en effet
le montant des droits de douane, mais aussi le montant des droits
et taxes de toute nature recouvrables, pour cette Administration
et dont le Trésor a risqué d'être frustré (1). Ainsi le calcul du
droit compromis laisse la possibilité à l'Administration des
Douanes d'en étendre plus ou moins l'importance. Il ne nous
semble pas excessif de prétendre que le service peut user des
circonstances atténuantes au moins aussi largement que le juge
de droit commun.
Pourtant, on ne saurait trop attacher d'importance à la fixation du droit compromis qui est toujours calculé en vue de déterminer la compétence.
22) Les règles de compétence avaient été fixées par le décret
n° 56-318 du 27 mars 1956 pris en vertu de l'art. 50 du Code
des Douanes qui a été abrogé et remplacé par le décret n° 66-152
du 15 mars 1966, D. 1966, L . 203, J.C.P. 1966, Ill, 31827 (2).
Leur répartition tient compte, ainsi que nous l'avons précédemment précisé de l'importance du litige évalué en termes de
droit compromis et de valeurs des marchandises, de la qualification de l'infraction en contraventio n ou en délit, et de sa gravité réelle telle qu'elle apparaît à travers des circonstances qui
lui sont propres.
Ainsi à la hiérarchie des autorités compétentes correspond
bien une hiérarchie des infractions en fonction de leur gravité
formelle et réelle, tout comme d'ailleurs dans le droit commun.
Ce n'est là qu'un exemple supplémentaire de transposition
des règles de droit commun dans le droit pénal douanier, qui ne
les utilise complétement que lorsqu'elles s'avèrent suffisantes à
la réalisation de ses objectifs qui sont essentiellement d'ordre
économique. Ils expliquent d'autre part que les intérêts de l'Administration soient confiés à l'un ou à l'autre de ses agents plus
ou moins qualifiés pour en apprécier la portée.
(1) V. NAZARIO, op. cil ., p. 363 .
(2) Annexe 1.
�237
236
Les compétences des autorités habilitées à r atifie r les transactions va rient bien selon l'importance du préjudice causé à la
diction à ces juges uniques. Les recours à ces juridictions seraient
naturellement la voie judiciaire normale.
victime.
Il ne suffirait plus alors de dire que cet organisme public
participe dans une certaine mesure à « l'administration de la
justice . (1) mais on devrait affirm er que l'Administration des
D ouanes administre la justice.
On ne peut pas ne pas faire le rapprochement avec les
coups et blessures involontaires qui rcvèleront de la compétence
du tribunal correctionnel ou du tribunal de police selon que
l'incapacité totale de travail personnel de la victime ~ura é té de
plus ou moins de trois mois. Le changement de. qu alificalion de
l'infraction, sa mutation de contraventIon en délit dès la prolongation de l'incapacité au-delà du troisième mois va entraîner
indiscutablement une aggravation de la saction pénale encourue.
n n'en reste pas moins que la répartition du dommage causé par
l'auteur de l'infraction à la victime ne dépendra que de l'importance du dommage réel et ne saurait être assimilée à une
Si le prévenu renonce aux ga ranties habituelles du droit
criminel en acceptant de se soumettre à la justice « privée .
d'une Administration pub lique, c'est qu'il doit y trouver un
avantage certain .
Ce pouvoir propre à l'Administration d'atténuer la répression, en tenant compte de la participation individuelle de chacun
des prévenus dans la réalisation de l'infraction, lui permet de
rendre une justice meilleure que celle des juges naturels qui n'ont
sanction.
aucun pouvoir d'individu alisa ti on.
La distinction classique entre le dédommagement de la
partie civile et la sanction pubtique ne permet aucune confusion,
leur « indépendance . étant absolue, à cela près qu'il faut le
maintien de l'auteur dans les liens de la prévention pour que la
juridiction de jugement puisse recevoir la constitution de partie
24) Afi n que la peine soit proportionnée au degré de culpabilité du délinquant, il semble nécessaire tout d'abord que celui-ci
soil soustrait aux po urs uites jud iciaires.
L 'individualisation de la poursuite, en accordant à l'un ou
plusieurs des prévenus le bénéfi ce de la transaction et en le
refusant aux autres, est la condition nécessaire et suffisante de
l'individualisation de la sanction.
civile.
23) Le problème se pose pour la transaction douanière, car
ainsi que nous l'avons déjà précisé, elle va éteindre l'action publique alo rs qu'elle contient une reconnaissance de l'infraction
L 'administration, dès la découverte d'une infraction, prend
soin de fai re préciser par ses age nts les carctéristiques propres
à l'infraction et à son auteur. Ces « Renseignements Sommaires .
sont codifiés sur des formulai res spéciaux (DB l , 2, 3, 4, modèle
832) dont l'une des particulari tés, et non la moindre, concerne,
dans les dernières indications, l'intentio n de fr aude.
par son auteur.
Cet acte qui contient un aveu écrit du prévenu pourrait-il
soustrai re le prévenu à l'action publique sans revêti r par certains
aspects le caractère d'uDe sanction ?
L 'agent dispose de quatre cases portan t les mentions: écartée, douteuse, présumée, certaine.
On ne peut plus contester que la transaction douanière dont
le monta nt dépasse, souve nt de beaucoup, le préjudice réel
causé par la fraude à l'Admi nistration, sans pourtant atteindre
les pénali tés légales, a un caractère répressif.
C'est donc des circonstances mêmes de l'infraction (quantité des marchandises, moye n frauduleux employé, difficulté ou
facilité de la découverte) ainsi que de la personnalité de l'auteur
Mais cette peine va-t-elle revêtir le caractère admin istratif
que la jurisprudence donne à l'acte de transaction accepté par
la Douane? Les aspects contentieux et administratifs sont donc
que va dépend re, no n seulement la grav ité de l'infractio n, mais
également son mode de poursuite.
Si l'Administration accepte de faire bénéficier le délinquant
de la transaction ava nt jugement défin itif, elle prendra notamment et considération les divers renseignements relatifs à l'inu action elle-même pour déterminer le montant global de cette
c umulés. alors que cette adminjstratio n n'a pas, comme par
exemple la Sécurité sociale, des juridictions gracieuses qui lui
sont particul ières. Peut-être manque-t-i1 seulement aux autorités
compétentes pour entériner des accords provisoires la dénomination de juridiction ! Si l'autonomie du droit pénal douanier,
au sein du Droit pénal, devait être définitivement consacrée, elle
le serait certainement en reconaissant la dénomination de juri-
transaction.
( 1) Rapporl de M. CELUT, D. 1859,4, 105.
1
�238
239
Etant donné qu'en principe le bénéficiaire de la transaction est un délinquant primaire en matière douanière, les moyens
utilisés pour réaliser l'infraction constatée et l'importance des
biens fraud és seront autant d'indices qui inciteront l'administration à présumer, faute de constatation antérieure, du passé
douanier du délinquant. Effectivement on doit pouvoir distinguer
entre la contrebande de c pacotille > et la contrebande habituelle
ou même c professionnelle >.
Si l'Administration tient compte, dans une certaine mesure, de la pe~onnalité du délinquant primaire bénéficiant de la
transaction pour fixer le montant de cette transaction, le passé
douanier du délinquant sera déterminant si l'individu n'est pas
primaire lorsqu'il s'agira de lui accorder ou non le bénéfice de la
transaction. En effet aucune transaction ne pourra être envisagée
au bénéfice des récidivistes, d'entrepreneurs de fraude, pour lesquels une transaction antérieure est restée sans effet salutaire (1) .
..
25) Il apparaît bien en définitive que la transaction douanière avant jugement définitif s'inscrit tant au stade de son
attribution, qu'à celui de son évaluation dans une sorte d' instance pénale. L'effet extinctif de l'action publique et les caractères réparateur et répressif de cette transaction, déterminent sa nature de peine privée infligée pourtant par une Administration publique.
Il ne semble pas cependant que ces critères puissent se
concevoir lorsque la transaction douanière intervient après un
jugement définitif de condamnation. En effet, il n'y a plus alo~
extinction de l'action publique puisque celle-ci a déjà été satisfaite. De plus le condamné aura c bénéficié> de la justice de
ses juges naturels plutôt que de subir c la justice propre à
l'Administration >. Il faut reconnaître que souvent c'est faute
de mieux qu'il profite du c bénéfice> qui lui est donné et sera
trop heureux d'accepter lorsque l'Administration consentira à
une transaction après jugement définitif.
ll. -
LA TRANSACT ION DOUANt ÈRE APRÈS JUGEMENT DÉF INITIF
26) Lorsque la transaction douanière intervient après un
jugement devenu définitif, il semble a priori difficile de concilier
(1) V. NAZARIO, op. cil., p. 351 , o' 593.
.
.
l'élément de c concessions récipro ues >
tlons essentielles nécessaires à l'eqx · t , qudl, est une des condlLS ence
une tran saction
t
.é d
l,autOrIt
e chose jugée attachée à 1a dé..
..
' e
CI Sion de JustIce.
Pourtant aux termes de l'art 2056 d
d ··1
action sur un r è
.
.
U co CClVI c la trans.
p oc s termlOé par un jugement passé en force
de chose Jugée, dont les parties ou l'une d'elles n'ava·e t
.
connaissance est nulle ».
1 n pOlOt
J
.
dé ..Ainsi
. a contrario ' pourvu que 1es partIes
connaissent la
Clslon IOterv:nu~, le~ droits reconnus par un jugement définitif
peuvent
dé faIre
. . 1obJet d une transaction si la pa rt·le qUI. a 0 btenu
cette . ~I s lon préfère couper court, par un arrangement amiable
aux dIfficultés de fait que présenterait son exécution (1).
'
On s'accorde à admettre la validité d'un t
t·
l'e é t'
d'
.
e ransac Ion sur
x cu 10~ un Jugeme~t (2). Il ne faut pas oublier en effet
que le hug~ peut parfaitement survivre au jugement et qu'il
e~ est ainsI chaque fOIS que la partie condamnée refuse de
s exécuter. En pareille hypothèse, le créancier a un droit d'action
po~r demander aux organes judiciaires de faire cesser le trouble
JUrIdique qUI résu~te du refu ~ d'exécution. Le défendeur est égaIement titulaIre d un drOit d actIon par lequel il peut exiger de
l'organe chargé de l'exécution, le respect des normes légale; ou
lUi ~emander de procéder d'une façon plus conforme à ses
Intérets.
Mais il est nécessaire de remarquer que ces considérations
so ~t attrIbuées à la transaction civile. A l'exemple de la trans-
action perIDIse à la partie civile sur les intérêts civils résultant
d 'un délit (art. 2046 C. civil), l'Administration des Douanes
peut aux termes de l'art. 350 du Code des Douanes transiger
après jugement définitif, mais dans ce cas:
- Art. 350-3° ... la transaction laisse subsister les peines
corporelles.
Etant donné qu'une seule limite semble être imposée par le
législateur à la portée de cette transaction, il échet de déterminer ce que l'on eotend par peines corporelles.
Si l'on ne devait retenir que le sens strict des termes de
l'art. 350 du Code des Douanes les infractions douanières étant
constituées par des délits ou des contraventions, aucune peine
véritablement corporelle ne serait infligée aux délinquant et la
transaction intervenant après jugement définitif pourrait souvent
en consacrer l'anéantissement. Il semble dès lors, que cette tenni(1) L. BOYER, l...iJ nOlion de Iransaction, thèse, Toulouse, 1947, p. 128.
(2) Req., t2 novembre t902, D.P. 1902, 1,566.
�241
240
nologie insatisfaite doive être corrigée. 11 est sans doute pJus exact
de dire qu'il s'agit non seulement des peines corporelles proprement dites (la peine de mort), mais encore des peines privatives
ou restrictives de überté.
On constate dès lors que la transaction douaniè re intervenue après jugement définitif n'aura pas le mêmes effets que Ja
transaction civile classique, également intervenue après jugement définitif.
Le problème se pose de savoir si cette différence ne réside
que dans J'étendue de ces effets, dans leur champ d'application
ou bien dans Jeur nature juridique différente.
A) Les effets de la transaction douanière
intervenant après un jugement devenu définitif
27) 11 n'est plus question ici, comme pour la transaction
avant jugement définitif, de reconnaître à la transaction un effet
extinctif de l'action publique. A priori, il semble que l'action
publique ait été satisfaite puisque le délinquant n'ayant pas bénéficié d'une transaction avant la cond amnation judiciaire a été
c abandonné. par l'Administration des Douanes à ses juges
naturels.
Mais l'étude des effets de ceUe transaction quant à la personne du délinquant et quant aux biens, permettra d'apprécier
dans quelle mesure cette technique mise à la disposition de l'adminis tration oe va pas se trouver en conflit avec la satisfaction
de l'action publique et constituer une aUeinte à l'autorité de la
chose jugée.
a) Un jugement définitif étant intervenu, la volonté des parties sera impuissante à ignorer les condamnations qu'il comporte
nécessairement, et qui seront inscrites au casier judiciaire du
condamné.
L'administration ne pourra notamment empêcher, ainsi que
cela résulte des termes de l'art. 350 du Code des Douanes,
l'exécution des peines touchant la personne du délinquant.
Celui-d pourra subir, en conséquence, une peine d'emprisonnement dont la durée aura été déterminée par le jugement
intervenu. On serait tenté de dire que la transaction ne change
rien eo ce domaine.
Le problème n'est pourtant pas aussi simple.
En effet, lorsqu'à une peine principale d'emprisonnement
est ajoutée une peine complémentaire, la transaction va-t-elle
avoir un effet sur l'exécution de ceUe dernière? Le texte de l'article 350 du Code des Douanes ne permet aucune discrimination
entre peines principales et peines complémentaires. La solution
doit être recherchée toujours sur la base de cet article fondamental, mais dans la nature c corporelle . ou non de ceUe peine.
On ne peut non plus se fonder sur la nature obligatoire ou
facultative de la peine complémentaire pour dire si la transaction
va être sans effet sur ell e ou au contraire va en compromettre
l'exécution.
TI faut opérer une nouvelle distinction entre les peines complémentaires s'adressant à la personne du délinquant et constituant
pour lui une limitation plus ou moins grande de sa liberté, et
celles portant directement sur ses biens.
28) Ainsi, l'interdiction de séjour ou la relégation semblent
devoir être placées hors de la portée de l'administration qui
n'a pas pouvoir de transiger sur elles.
De même, il convient de mettre hors atteinte la suspension
et le retrait du perrnis de conduire ainsi que l'interdiction d'exercer certaines professions ou certains droits, tels que ceux énumérés à l'article 42 du Code pénal.
Naturellement, bien que toutes ces peines ne soient pas
expressément prévues dans le Code des Douanes, il est incontestable que la juridiction répressive peut être amenée à les
prononcer. 11 suffit à titre d'exemple d'envisager le cas où le
délinquant au rait commis une infraction de droit commun puis
l'infraction spécifiquement douanière sans qu'elles soient séparées
entre elles par un jugement définitif. La poursuite unique du
délinquant devant la juridiction répressive de droit commun
conduirait le tribunal à ne prononcer qu'une peine, en vertu
du principe du non cumul, sans faire de discrimination entre les
diverses infractions.
Ainsi dans la mesure où les peines principales et complémentaires contenues dans le jugement définitif sont pour le
délinquant privatives ou restrictives de liberté, leur exécution
ne pourra être entravée par la survenance d'une transaction
entre le délinquant et l'Administration des Douanes, partie civile
a u procès.
Il en va différemment, dès l'instant où les peines prononcées
par le juge pénal ne sont plus c corporelles • .
Alors toutes les peines qui ne pourront plus être comprises
dans Ja formuJe Jégale de J'art. 350 du Code des Douanes devront,
en vertu du principe de l'interprétation stricte des Jois pénales,
"
�242
être laissées à la disposition de l'Administration des Douanes
qui pourra les suspendre ou encore y renoncer. Po~r le pl ~s
grand bénéfice des condamnés, toutes les condamnallons patnmornales pourront faire l'objet d'une tran action.
29) b) L 'amende constitue la [orme essentielle des peines
pécuniaires (1). Etant donné en l'occurrence que la victime lésée
par la fraude est le Trésor, la doctrine a donné à ces amendes
le qualificatif de fiscales.
Le caractère mixte de ces sanctions, considérées à la [ois
comme peine et comme réparation, et les conséquences qui lui
sont aHacbées, ne sont plus contestés (2).
Mais dans le cadre de notre étude de nombreux problèmes
se posent si, après qu'une juridiction ait prononcé par un jugement
définitif des peines d'amende, une tran action intervient entre
l'un des condamnés et l'Administratio n des Douanes. Dans une
situation normale, la transaction n'ayant pas pour objet la renonciation à l'actioD répressive on s'accorde à lui reconnaître
le caractère d'une remise totale ou partielle de condamnations
pécurnaires solidaires. Dès que le co-contractam de l'administration aura réglé le montant de la transaction, la dette solidaire sera réduite de ce montant, o u peut-être même sera éteinte.
Mais en règle générale, et conformément aux termes de l'article
1285 du Code civil, • la remise ou décharge conventionneUe au
• profit de l'un des co-débiteurs solidaires, libère tous les autres,
• à moins que le créancier n'ait ex pressément réservé les droits
c contre ces derniers :t.
• Dans ce dernier cas, il ne peut plus répéter la dette que
• déduction faite de la part de celui auquel il a fait la remise '.
Etant donné que les transactions passées après jugement comportent toujours des réserves à l'égard des autres condamnés,
l'effet de la transaction est de réduire leur dette soit de la pa rt
virile du bénéficiaire de la transaction, si celui-ci a versé une
somme inférieure ou égale à sa part virile, soit de la somme
effectivement versée si celte somme est supérieure à la pa rt vi-
(1) SttFANI el LevASSeUR, COU. Dalloz, p. 462 (Il' éd.).
(2) V. LABB E, Amende Pénale et amende fiscale" th ., Paris, 1894.
- Civ. 3 janv. 1923, Rec. Sirey 1923. c ces amendes ont principalement le caractère d'une réparatÎon civile • .
- Chrono Magnol R.S.C., 1939, p. 75.
- Crim., 10 janv. 1947, D . 1947, p. 251 aux termes duquel c les
peines fiscales constituent moins des peines proprement djtes que )'élé#
ment d'indemnité au profit du Trisor pour les perles que lui a cousées la
fraude • .
243
ri le (n. La transaction libérera également toutes les cautions de
mêmes que les personnes civilement responsables.
En revanche, la situation pourra être considérée comme
anormale lorsque le condamnné ayant bénéficié d'une transaction n'exécutera pas spontanément les obligations qu'il a
acceptées.
Mais on sait que l'Administration des Douanes peut avoir
recours à un moyen de contrainte consistant dans c J'incarcé-ration du débiteur, pour l'inciter à découvrir les ressources cacbées qu'il a pu dissimu ler ou à se procurer les moyens de satisfaire à sa dette. (2). En effet, l'article 382 du Code des Douanes n'est pas incompatible avec l'art. 749 du Code de procédure
pénale et cet article 382 n'est pas abrogé en conséquence de
l'abrogation de la loi du 24 juillet 1867 (3). Seulement, l'administration qui entend exercer la contrainte par corps est astreinte
à certaines formalités préliminai res pour obtenir l'arrestation
puis l'incarcération du condamné (4). Elle devra d'une part
signifier un commandement de payer, puis adresser au Procureur
de la R épublique une demande d'incarcération ou s'opposer à
sa libération (recommandation sur écrou) s'il est détenu.
Certes, en cas d' inexécution totale ou partielle des clauses
contenues dans une transaction définitive, celle-ci pourra être
résolue. M ais la résolution n'ayant pas lieu de plein droit, l'administration aura le choix de forcer son co-contractant à l'exécution ou de demander la résolution de la transaction en justice.
Mais l'administration ayant accepté une remise de la dette
du condamné par la transaction, est-ce qu'elle va pouvoir utiliser la contrainte par corps pour obliger à l'exécution, et la
contrainte par corps va-t-elle être déterminée quant à sa durée
par le montant de la transaction?
Si la contraite par corps est une voie d'exécution qui accompagne de plein droit les créances protégées par cette sûreté, eUe
doit être fixée par le juge dans la décision de condamnation (5).
En d'autres termes, en ne visant qu'à l'exécution des décisions de
justice, il ne semble pas possible que l'administration puisse
( 1) NAZARIO, op. cit., p. 343.
(2) Définition da la contralnte par corps donnée par M. BOUZAT et
Pll'IATEL dans leur lraité, t. 111 , n° 1443.
(3) Casso Crim., 19 oct. 1960, B. n' 458, Chrono Ugal R.S.C., 1960,
p.457.
(4) V. Juris Classeur Procéd. Pl"., M. PAGEAUD, art. 749, n° 164.
(5) PAGEAUD, J. C. Proc. Pi nale, art. 749, n· 216.
�244
245
user de cette voie de contrainte pour l'exécution d'un contrat
civil.
li est d'autant plus inconcevable que sa durée, même si
elle devait être diminuée, donc profiter au condamné, puisse être
laissée à l'appréciation de l'administration, mais également du
condamné lui-même. li serait facile alors, aux condamnés de
solliciter une transaction , puis celle-ci une fois définitive, de
se refuser à l'exécuter. La durée de la contrainte par corps
serait alors automatiquement diminuée, cette diminution ayant
été frauduleusement recherchée par le condamné. En demandant
la résolution judiciaire du contrat de transaction, l'administration
se heurterait aux inconvénients qu'elle avait voulu éviter en
l'acceptant . En outre, la durée de la contrainte par corps ne
doit dépendre que de la décision de justice prononçant la
condaOlOation (I).
versement immédiat du montant que le condaOlOé s'engage à
payer.. A défaut de versement immédiat de somme d'argent les
garanlies tant ImmobIlières que mobilières seront telles que le
dédommagement de l'administration sera assuré. Cela est d'ailleurs norm al lorsque la transaction intervient après jugement
définitif de condamnation, car alors la dette résulte de l'acte
ju ridictionnel lui-même. 11 ne nous semble donc pas possible de
reconnaître la même nature juridique à la transaction après jugement définitif qu'à celie intervenue avant.
Ces hypothèses sont plus théoriques que pratiques et se
concilient mal avec l'esprit qui préside aux transactions douanières
B) Nature juridique de la transaction douanière intervenue
après jugement définitif
30) Lorsque la transaction intervient après un jugement de
condaOlOation, il semble que l'administration ne puisse que
perdre une partie de sa créance consacrée par le jugement. En
effet, l'importance des sanctions pécuniaires édictées, et la
menace de la contrainte par corps (qui peut en trainer 2 années
d'emprisonnement) inciteront les condamnés à soUiciter une
diminution des sanctions en donnant toutes les garanties dès
avant leur libération.
L'administration prendra soin avant d'accepter définitivement la transaction de demander des garanties substantielles assurant l'exécution des obligations tran actionneUes, compte tenu
de la destination donnée aux objets litigieux.
Ces objets peuvent êt re soit abando nés au profit de l'Etat
soit restitués au condamné.
II semble qu'après un jugement ayant ordonné la confiscation spéciale, cet abandon soit surabondant. Pourtant, les
actes transactionnels portent tout de même mention dans cette
hypothèse que le contrevenant acq uiesce à la disposition du jugement défimtif prononçant la confiscation.
L'acte pourra énoncer la main-levée des objets litigieux
confisqués qui peuvent être tant des marchandises que des
moyens de transport. C'est dans ce cas semble-t-il que le plus de
précautions s'imposent. L'administration tient à ce que l'exécution des conditions de la transaction soit assurée et demande le
(1) PAGEAUD,
I .C.P. Proc. Pin ., n· 216.
Si ce lie-ci ne nécessite pas la reconnaissance de l'infraction
celie-Ià y oblige. Mais la modification qu'elie apporte tout d~
même à l'ordonnancement juridique, déterminé par une décision
de justice passée en force de chose jugée, est-elie en harmonie
avec sa nature juridique propre?
Le problème de la nat ure juridique de la transaction douanière après jugement définitif est grave, car il est révélateur du
malaise que la doctrine a de tout temps rencontré pour qualifier
cet acte juridique.
On s'accorde à dire que la transaction ne constitue alors
qu'une remise de dettes de la part de l'administratio n, et que
suiva nt les règles posées par la code civil en matière de transaction, elle est une transaction civile.
La plupart des auteu rs affirment le caractère d'acte déclaratif de la transaction civi le. Comment concilier alors des aspects
abdicatifs de cette transaction avec la théorie dynamique de
l'effet déclaratif? ( 1).
Cette différence que l'on met en exergue entre l'acte extinctif
que constitue la remise de dette qui libère le débiteur et l'acte
déclaratif, est recherchée en l'espèce, puisque on veu t reconnaître
à cette transaction ces deux caractères à la fois.
En réalité leur conciliation est impossible car ces deux
caractères ne portent pas sur les mêmes points. Effectivement
la transaction après jugement ne mettra nullement en cause la
culpabilité du condamné et ne comportera aucun acquiescement
de sa part, c'est-à-dire que la décision de justice étant définitive, le coodamné o'a même plus besoin de reconnaît re daos le
(1) L. BOYER, ''' ~s, précitée, p. 334.
16 bu
�246
247
contrat de transaction sa culpabilité et de renoncer à l'exercice
de voies de recours : c'est-à-dire que cet acte est bien déclaratif
quant aux droits respectif des co-contractants.
La transaction aura également un effet libératoire de la
dette préexistante dont le montant seul aura subi une modification.
Mai on se demande alor, i l'élément de concessions
réciproques ne fait pas défaut , car en vérité à quoi va renoncer
le condamné? A ne pas payer et à subir la contrainte par corps?
A ce stade de la procédure, les contestations De sont plus
possibles et ce SODt plutôt les difficultés que l'on veut prévenir.
On ne s'éloigne pas trop de l'art. 2044 du code civil si
l'on considère que sera une transaction le contrat par lequel
l'une des parties • supprime un obstacle à l'exercice des droits
de son adversaire •. En sollicitant le bénéfice de payer selon ses
ses possibilités, le condamné finalement permettra à l'administration, que le législateur a voulu trop bien protéger, d'éviter
de tout perdre.
L'efficacité de cette technique autorise-t.elle les atteintes à
l'in1lexibilité d'une décision de justice définitive ?
32) De façon générale l'on s'accorde en France pour déclarer .. que la disposition prévue par l'article. 2056, al. 2 peut être
étendue aux jugements contre lesquels il peut être fait opposition, mais non à ceux contre lesquels un appel, un pourvoi en
cassation ou une requête civile peuvent être formulés .
Certes l'art. 350 du Code des Douanes appo rte une exception à cette théorie puisque la transaction douanière, de nature
civile, va intervenir après jugement définitif. Si elle ne devait
porter que sur les intérêts civils résultant du jugement, l'atteinte
à l'autorité de la cbose jugée n'existerait pas, puisque l'art. 2046
l'autorise. Mais nous avons vu qu'en dehor des peines corporelles l'Administration des Douanes peut apporte r toutes modifications à l'exécution des dispositions du jugement de condamnation.
On ne peut cependant prétendre qu'il s'agit d'une transaction sur chose jugée.
En pareille hypothèse en effet ce n'est pas tant pour éviter
les fâcheuses conséquences d'une exécution forcée que pour
satisfaire à un sentiment de justice, que les parties décident de
modifier leurs rapports juridiques tels qu'ils résultent du jugement (1). En matière de douanes l'administration ne consent pas
(1) Th. BOYER, op. cil., p. 130.
à contester le bien Condé de la décision de justice quant aux
droits respectifs des parties, mais accepte la réduction de sa
créance dans la mesure où elle estime qu'elle a été surévaluée
par rapport à son préjudice véritable, ou par rapport aux possibilités patrimoniales du condamné.
C'est pourquoi, l'ordonnancement juridique judiciaire n'est
pas en soit modifié. Il ne résultera de la transaction qu'une modification de ses modalités d'application .
~
1
Les modifications résultant de celle transaction sur l'exécution du jugement pourront être graves et porter atteinte à
l'autorité formelle de la chose jugée engendrée par un acte juridictionnel définitif. Mais c'est encore là un moyen qui est donné
à l'administration, partie jointe au Ministère Public pendant le
procès, de presonnaliser une sanction stéréotypée. L'administration opère au stade de l'exécution une personnalisation de la
sanction, interdite au juge au stade de l'instance. Il faut tout de
même constater que les transactions après jugement définitif sont
relativement rares par rapport au nombre considérable de transactions intervenues ava nt jugement définitif. li est vrai qu'alors
le pire ne peut plus être évité et les intérêts que le condamné y
trouve sont secondaires.
33) La transaction douanière aurait mérité sans doute
une étnde plus approfondie puisqu'elle constitue 95 % du
contentieux douanier : ces quelques reflexions suffisent cependant à justifier la disgrâce que rencontrent les infractions douanières auprès des juges et des représentants du Ministère Public,
qui répugnent à remplir leurs fonctions sans « juger •. La transaction douanière qu'elle intervienne avant ou après jugement
définitif est sans doute la forme la plus éclatante de la « technicisation • de la répression douanière.
�ANNEXE l
TABLE DES MATIÈRES
Décret n' 66-1 52 du 15 ma rs 1966
relatif à l'exercice du droit de transaction en matiè re d 'infractions
douanières.
J.O . 13 mars, p. 2253.
D. 1966, leg. p. 203
ARTICLE 1". - 1. Sous réserve du droit d'évocation par
l'aulorité supérieure, le droit de transaction en matière d 'infractions douanières est exercé:
l ' Par les chefs de service interrégionaux et directeurs régionaux des douanes pour les infractions suiva ntes:
a) Contraventions de l" classe;
b) Infractions constatées à la charge des voyageurs et
n'ayant pas donné lieu à des poursuites judiciaires;
c) Infraclions dégagées de soupçon d'abus et ne donnant,
en conséquence, lieu qu'à des amendes de principe;
d) Toutes autres infractions, lo rsque le montanI des droits
et taxes compromis ne dépasse pas 30000 F de ou s'il n'existe
pas de droits et taxes compromis, lorsque la valeur des marchandi es litigieuses n'excède pas 100 000 F.
2' Par le directeur général des douanes et dro it indirects
pour les infractions suivantes:
a) Toutes contraventions.
b) Délits, lorsqu&' .je. mOQIllnt des droits et taxes comp ro mis
ne dépasse pas ., 150000 F ou, s' il n'existe pas de droits et
taxes comp romis, lorsque, la valeur des marchandises litigieuses
n'excède pas 500 .0 00 F .
•
Il . LI est statué par le ministre de l'économie et des fin ances
dans les autres cas.
ART. 2. ab rogé.
Le décret o' 56-3 18 du 27 mars 1956 est
ART. 3. chargé, etc ...
Le ministre de l'économie et des finances est
Avant-propos par M . GASSIN ..... . .... . •. . .. . . . .
5
Le droit pénal spécial douanier ....... . . .. . ..
La contrebande, par Mlle BOUDOUARD . . . ... . .
Quelques considérations sur la notion de contrebande
de devises par M. RAHARI NARIVONfRINA ....... .
Les fausses déclarations réfutées, importations ou
exportations sans déclaration, par Madame PAUFFIN
DE SAINT-MAUREL . . . .. . . ................. . ..
Il
1. -
11. -
Le droit pénal général douanier . . . . . ..... . .
Le particularisme de la responsabilité péoale en matière douanière par Mlle T OUBOUL . . ..... . . . ..
Les sanctions et leur exécution eo matière douanière
par M. SCHUMACHER ........ . . . . .. .. . . . . ....
lU. - Le droit judiciaire régressif douanier ... . . .. .
La constatatioo et la preuve des infractions douanières, par M. NATALELLl . .. .... .. ..... . .... .
L a poursuite et le jugement des infractioos douanières, par Mlle T il l . . . . . . .... . ...... . ..... .
La transaction douanière, par M. BOULAN . . . .. .
13
39
63
95
97
143
167
169
203
2 19
�IMPlIMf.lf lOUIS-JEAN - CAP
D'pÔl 1.".1
n-
62 - 1968
�
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/2/286/RES-50038_Annales-Droit_1969_N57.pdf
7e23f0b39f933583e1e164171bbef51d
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ÉTUDES DE DROIT PRIVÉ
FRANÇAIS ET MAURICIEN
1969
Congrès tenu à Saint-Denis de la Réunion
(le, -4 juillet 1965)
•
PRESSES UN I VE R S IT A IR ES DE F R ANCE
108, bo uleva rd Saint-Germai n, Pa r is
1969
�ÉTUDES DE DROIT PRIVÉ
FRANÇAIS ET MAURICIEN
Congrès tenu à Saint-Denis de la Réunion
(le, -4 juillet 1965)
•
PRESSES UN I VE R S IT A IR ES DE F R ANCE
108, bo uleva rd Saint-Germai n, Pa r is
1969
�PRÉFACE
La publication des travaux du « Congrès de droit privé
comparé Maurice-La Réunion . dans les Annales de la Facult é
de Droit et des Sciences Economiques d'Aix-en-Provence, méri-
tait d'être saluée de la toque . Cela était déjà en soi un fait
d'importance. Mais l'importance est décuplée quand la loi sur
l'orientation de l'enseignement supérieur en date du 12 novembre
1968 a condamné à la disparition un établissement qui remonte
au XVc siècle. M ême si no tre Faculté, tel le phénix, renait plus
forte et plus belle dans de nou velles structures, l'occasion était
tentante pour sail doyen de crier un chant d e cygne.
D'un point de vue purement technique le congrès tenu à
Saint-D enis rest il/ustré par des contributions où les appartenances s'opposaien t et se complétaient. Par vagues successives,
les th éoriciens ont altern é avec les praticiens, les professeurs avec
les magistrats, avocats, avoués, archivistes , les hom mes de
l'h exagone avec les insulaires, les juristes français avec les
juristes mauriciens. Si le bilan se born e sauf exception, à une
juxtaposition d e systèmes plutô t qu'à leur com paraison effective,
n'oublions pas que celle-là était la condition de celle-ci. Au
total il appelle de nouvelles rencontres et peut être considéré
comme largement positif.
Quant à l'incidence politique d'un tel congrès, qui en nierait
l'évidence? N'est-il pas la première pierre d'une communauté
francophone plus vaste, étendue aux admirables horizons de
l'Océan Indien? De cette communauté qui réunirait Maurice,
la R éunion et la R épublique malgache, la vocation fondamenta le
ne serait-elle pas la paix entre les hommes quand sa première
ébauche se situe sous le drapeau du Droit?
Félicitons les organisateurs, et au premier rang le profes-
seur Gérard Conac. Vne fois de plus les provençaux qui aimellt
leur France à tra vers leur Provence, auront bien mérité de la
Nation.
Dépôt léga l -
p . édi ti on: 1" tr imestre 1969.
Tous droits de traduction, de reproduction et d'a dapt at ion
réservés pour tous pa ys.
e 1969, Presse. UnivtTs itaires de Fran ce.
Michel-Henry FABRE,
Doyen de la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques
d'Aix-en-Provence.
�ALLOCUTION INAUGURALE
de M. le Professeur Gérard CON AC
Directeur de l'Institut d'Etudes Juridiques
et des Centres d'Enseignement Supérieur
de la R éunion
Monsieur le Président,
Messieurs les Membres de la délégation mauricienne,
C'est un honneur et une jo ie pour moi de vous souhaiter
la bienvenue au no m de l'Uni versité d'Aix-en-Provence, représentée, à la R éunion, pa r nos établissements d'Enseignement
Supérieur. En prenant l'initiati ve de vous inviter à nous rendre
visite, J'Institut d'Etudes Juridiques, E cono miques et Politiques
de Saint-Denis a tenu, avant tout et surtout, à s'acquitter d'une
dette de reconnaissance envers les juristes mauriciens qui, depuis
des années, accueillent les professeurs des FaclÙtés françaises
de Droit et des Sciences Econo miques. Nos collègues, choisis
par la Faculté d'Aix-en- Provence pour participer aux jurys
d'examens et donner des enseignements dans notre Institu t,
quittent ra rement l'O céan Indien avant d'avoir visité votre Tle.
Leur séjour chez vous réveille en eux ces rêves d'enfance dont
votre poète, Malcom de C HAZAL nous montre « qu'ils sont plus
réels et plus précieux que nos œuvres d'adultes >. Sédu its par
les beautés de vos paysages, ils sont aussi conquis par le charm e
de votre accueil et votre sens de l'hospitalité. De retour en
Europe, ils ne sépa rent plus dans leurs souvenirs, nos Tles qui
ne sont po int seulement sœurs par le voisinage, mais, plus
encore, par le cœur.
•••
J'étais, je pense, l'interprète fidèle de tous mes collègues
qui sont devenus vos amis, lo rsque, à l'occasion de ma première
visite à l'Tle M aurice, en octobre J 963, je vous exprimais le
souhait que nous puissions, à notre tour, accueillir à Sai nt-Denis
de la R éuni on, une délégation de juristes mauriciens, pour un e
�3
2
rencontre (ratemelle. Vous avez tout de suite accepté
invitation avec joie, et si nous avons dû , nous-mêmes,
faire attendre deux ans avant de pouvoir vous en fixer la
c'est parce qu'i l nous était nécessaire de nous pr~parer à
cette
tians Culturelles, a bien voulu nous accorder son patronage et
vous
participer au fin ancement de notre rencontre. Enfin, je ne man-
date,
v~u s
querai pas de citer Monsieur le Consul Général de France qui
nous fait le grand honneur d'être aujourd'hui parmi nous et dont
les conseils et les encourage ments m'ont été toujours si précieux.
accueillir, dignement, pour ne po int vous décevOir et ne pOint
trop démentir les traditions de l'hospitalité française .
Votre délégation est à l'image de vo tre Ile, elle représente,
de la manière la plus brillante, toutes les professions judiciaires.
Malgré les lourdes charges de vos fo nctions, vos occupa tions et
préoccupations du moment, vous avez répondu à notre appel et
accep té de sacrifier à l'amitié, le tra vail et les loisirs de plusieu rs
journées; je vous en suis très reconnaissant et vous prie d'expri-
mer ma gratitude aux éminentes personna lités de l' Ile Maurice
san le concours desquelles cette rencontre n'eû t pu avo ir lieu.
Voulez-vous, je vous prie, à votre retour à Port- Louis, exprimer
•••
Cette réunion , qUI Je l'espère vous sera agréable, nous
l'avons voulue et d'un commun accord, studi euse. Nou s allons
étudi er ensemble, en juri stes et en comparati stes, avec l'objectivité et le ca lme qui conviennent à une rencontre uni versita ire,
le d roit pri vé applicable dans nos deux Iles, et, si nous avons
décidé de redevenir étudiants pendant quelques jours, ce n'est
point pour justifier aux yeux du grand public, la réputation
mes remerciements très déférents à votre Chef de Cour, Son
Honneur Sir Ram persad NEERUNJUN, dont nous apprécions tous
les éminentes qualités de juriste et la très grande dignité avec
laquelle il préside votre plus haute juridiction. Qu' il me soit
également permis de vous demander d'exprimer à l'honorable
Jules KOEN IG, Attorney General, et à l'Honorable V . RI NGADDO,
Ministre de l'Education, l'expression de notre gratitude. Ils ont
d'austérité qui s'attache au juriste, mai s parce que, bien au
contraire, nous aimons ce qui vit et se transforme. Nous savons
que le droit qui reflète la réa lité sociale évolue lui -aussi; nou s
avons conscience qu 'il im porte, dans nos sociétés contem poraines, que les ju ri stes, uni versitaires ou praticiens, soient à
bien voulu, l'un et l'autre, encourager notre initiative et nous
aider très efficacement à mettre au point l'o rganisation de notre
rencontre, man ifestant ainsi tout l'intérêt qu'il s attachaient au
savons aussi que dans notre société internationale en vo ie
d'édification, les droits nati onaux doivent s'enrichir des ex périences étrangères et ne peuvent s'épanouir dans l'autarcie.
développement de nos échanges culturels dans le domaine
juridique.
Ce devoir de communication entre le peuple dont VITTORIA,
•••
Cette initiative de l'Université a été, je dois le dire, accueillie
à la Réunion avec beaucoup de sympathie. l ei aussi, nous avons
eu l'impression qu'elle répondait à une attente. Les autorités
judiciaires et les membres des différentes professions juridiques,
ont tout de suite accepté de s'associer à nous, persuadés que
les juristes pouvaient et devaient être de très bons a rtisans de
l'amitié entre les populations de nos deux Tles. Pour nous aider
à rendre ce Congrès moi ns im parfai t, un comi té de patronage
composé de très bau tes personnalités de notre Ile s'est aussitôt
constitué. Monsieur le Préfet de la Réun ion dont je salue la
présence. Monsieur le Président et les Membres du Conseil
Général, Monsieur le Maire et la mu nicipalité de Saint-Denis,
ont tenu eux aussi à vous recevoir et nous do nner leur très
haute caution. Le Ministère français des Affaires Etrangères et
plus spécialement M. BASDEVANT, Directeur Général des Rela-
même de comprendre le sens, la finalité et quelquefois la relati vité des règles qu' ils enseignent ou qu'ils appliquent. Nous
dès le XVI ~ siècle, fa isait la pierre angulai re du droit internationaJ , s'impose plu s spécialement à nous, juristes. Nous avons
en effet pour mi ssio n d'aider les hommes à se mieux comprendre et à mieux sati sfaire leurs aspirations à une grande
justice. Nous avons pour mission de les aider à coexister
pac ifiquement dans un harmonieux équilibre, nous serions donc
coupables d'ignorer nos systèmes juridiques respectifs, plus
encore de ne les connaître que de manière caricaturale et
superficielle. Et, dans le domaine du Droit Privé Comparé,
juri stes du D épartement de la R éunion et Juristes de l'Tle
M au rice, nous pouvons beaucoup apprendre les uns les aut res,
les uns aux autres, et peut-être, di sons-le, sans fau sse modestie,
tous ensemble, à d'autres que nous-mêmes.
•••
No us pouvons appre ndre utilement les uns les autres.
Lorsque nos professeurs des Facultés françaises sont venus
�5
4
pour la premlere foi s chez vous, non contents de se faire des
amis, ils ont aussi découvert, entre nous, des liens de pa renté :
nous appartenons non seulement à la famille des juristes, mais
encore, comme le souligneront les rapports introductifs de
M. l'Archi viste TOUSSAI NT et de Monsieur le Professeur BLANCJ OUVAN, nous appartenons, dans une large mesure, à une même
famille de juristes. Vous appliquez encore dans plusieurs secteurs du Droit Privé, le Code Civil français, et vous l'interprétez
avec une grande sagesse en l'adaptant aux réalités mauriciennes,
sans le dénaturer. Su r ce Code, vous pourriez beaucoup nous
apprendre, même à nous, juristes fra nçais! Vous avez néanmoins souhai té que des universitaires et des praticiens de notre
droit vous tiennent au courant de l'évolution du droit privé en
F rance même. C'est une chance pour nous d'avoir pu bénéficier,
pour la première journée de notre rencontre consacrée à l'évolution de c d roit français. d u concours de trois éminents représentants des Facultés de Droit métropolitai nes. Monsieur le
Professeur JAUFFRET de la Faculté de Droit et des Sciences
Economiques d'Aix-en-Provence, spécialiste du Droit Commercial, qui a participé à différents travaux de codification en
France et à l' étranger, était tout désigné pour nous pa rler de
l'évol ution du Droit Commercial. Sa présence pa rmi nous, ainsi
que celle du Professeur B LANC-JouvAN, qui fut l' un des initi ateurs des échanges juridiques entre l' Ile Mauri ce et la R éunion,
manifeste ainsi l'attac hement de notre vieille Faculté de Droit
et des Sciences Economiq ues d'Aix-en-Provence à sa lointaine,
mais très aimée filiale de la R éunion. La participation de Monsieur le Doyen Roger H OUIN, Directeur de la Revue Trimestrielle de D roit Commercial, ancien Secrétaire Général de la
Commission de R éforme du Code Civil, nous permet non
seulement de fai re partici per à nos travaux, un grand juriste,
mais aussi d'associer la Faculté de Droit et des Sciences E conomiques de Paris, qui avait d'ailleurs un ti tre très légitime à
intervenir da ns nos Tles où la coutume de Paris fu t le d roit
commu n applicable pendant de nombreuses années. Le rôle
inOuent que Monsieur le Professeur H OUIN joue dans les
milieux juridiques internationaux en qualité de Secrétaire Général
de l'Association Henri CA PI TANT, association des ami s de la
culture juridique française, ne pourra ma nquer, d'autre part,
de servir le rayonnement de notre rencontre. Permettez-moi
donc de le remercier très cordialement d'avoi r bien voulu
accepter l'invitation que je lui avais adressée au nom de Monsieur le Doyen de la Faculté de D roit et des Sciences Economiques d'Aix-en- Provence.
Grâce à la participation des praticIens réunionnais, avocats, magistrats, no taires, hui ssiers et avoués, vous n'aurez pas
seulement, d'ailleurs, le point de vue de la doctrine: toute une
journée de nos travaux sera consacrée à l'application du c droit
fra nçais . à la R éuni on et vo us pourrez donc, très concrètement comprendre, à partir de l'exemple d'un de nos départements, quelle est notre o rganisation judiciaire française, comment notre droit pri vé est mis en œuvre par ceux qui ont
profession de l'appli quer. La qualité des études remises par
nos rapporteurs pour cette tro isième journée souligne, avec
éclat, la vitalité et la compétence des mili eux juridiques de
notre département.
•••
Cette qualité, d'a illeurs, se retro uve brillamment dans les
rapports que vo us nous avez remis et qui seront étudiés durant
notre seconde journée. No us avons apprécié la solidité de vos
connaissances, la précision de vos analyses, l'intelligence de vos
réfl exions et c'est avec im patience que nous attendons cette
séance consacrée au droit mauricien qui ne manquera pas d'être
passionnante.
Vous habitez l' une des terres privilégiées du Droit Pri vé
Compa ré et si, comme le soulignent très justement plusieurs de
vos rapporteurs, il n'est pas faci le pour des juri stes d'être placés
au carrefour des civ il isat ions, il ne peut être que très enrichissant d'être ap pelés, comme vous, à appliquer plusieurs systèmes
juridiques d'ori gine différente, et d'être, en quelque sorte c des
polyglo ttes du d ro it • . Plus spécialement, dans le domaine du
d roi t privé, la rencontre du droit français et du dro it anglais
est un trait particulier de votre système juridique dont les conséquences méritent d'être étudiées de manière très systématiq ue,
car les leçons de votre expérience, géographiquement limi tées,
mais doctrinalement importantes, peuvent être précieuses à
tous ceux qui sont amenés à fa ire la synthèse de systèmes
juridiques différents, sous la pression des nécessités sociales et
du développement de la vie internationale.
•••
E t c'est bien pourquoi, je pense que nos travaux sont
susceptibles d'intéresser d'autres que nous-mêmes et d'avoir
une aud ience en dehors de nos deux Iles . La confrontation de
nos points de vue et de nos expériences sur le seul terrai n du
droit p rivé peut nous amener à d'intéressa ntes conclusions.
�7
6
ous espérons, par cette rencontre, contribuer à mieux faire
connaître dans les autres pays, votre système juridique et
démontrer ainsi, par une fructueuse émula tion, que les Iles
Sœurs, loin de sombrer dans l'indo lence, sont en train de
devenir des foyers de vie intellectuelle avcc lesquels il faudra
désormais compter.
•
••
N'est-il pas significatif, d'aill eurs, que notre Congrès se
déroule au moment où vous envisagez d'in taller une Uni versité
dans votre Tle, et l'année même, où, la Réunion devient, elle
aussi un pôle uni versitaire? L'Enseignement Supérieur à la
R éunion vient de naître dans l'ancienne maternit é de Saint-
Denis; c'est un heureux présage! L' c A lma Mater :t nous
montre ai nsi qu'eUe prévoit les vagues démogra phi ques et se
prépare
à accueiUir tous ses enfants, avec confiance et optimisme.
Si l'on doit se réjouir de cette naissa nce, il ne fa ut point
se dissimuler qu'elle a été diffi cile et longtemps espérée. Depuis
des années, la Réunion qui a fo urni à la F ra nce, et dans tous
les domai nes, des élites brillantes, aspirait à devenir un des
foye rs uni versitaires dans l'O céan I ndien. Dès 1825, consacrant
l'initi ati ve d'un pionni er, l'avocat L ESUEUR, une ordonnance
créait à Saint-Deni s une Ecole de c juri sprudence " mais l'expérience tourna CQurt. Méfiante, l'Uni versité française n'admit pas
que ce lointai n établ issement p ût délivrer des diplômes en son
nom; te naces, les R éunionnais, un siècle plus tard, réussirent
à obtenir la création d'u ne Ecole de Droit, pa r décret du
P résident de la R épublique. Placée sous l'auto rité de la Cour
d'Appel de Saint-Denis, la nouvelle école remplit, très di gnement et efficacement sa tâche, formant de nombreux juristes
réunionnais et malgaches.
•••
Mais il fa llut attendre encore vingt-cinq ans avant que
l'Université acceptât de reconnaître cet établissement: en 195 0,
en effet, l'Ecole de Droit, transformée en Institut d'Etudes Ju ri diques, Economiques et Politiques, devi nt une filiale de la
Faculté de Droit et des Sciences Economiques d'Aix-en-Provence.
Cependant, limité aux études juridiq ues et économiques, l'Enseignement Supéri eur réu nion nais restait em bryonnai re, et ce
n'est que tout récemment que la vocation universitaire de notre
île s'est affirmée et vient d'être définitiveme nt reconnue: les
deux derniè res années resteront capi tales da ns l'histoire de son
développement: il y a deux ans l'Institut d'Etudes Juridiques,
Economiques et Politiques renforçait son caractère uni versitaire
en obtenant, pour la premiè re fois, l'affectation de professeurs
permanents. E n juillet dernier, répondant tardi vement au vœu
du Conseil Général qui souhaitait, dans une délibération de
1925, que l'enseignement du droit fût complété par un enseignement scientifique, littéraire et technique, des arrêtés ministériels créaient, à côté de l'Institut, deux nouveaux établissements: le Centre d'Enseignement Supérieur Scientifique et le
Centre d'Enseignement Supérieur Littéraire. 11 y a quelques
semaines, était rédi gé le projet de développement de l'Enseignement Supérieur à la Réuni on pendant le V' plan. Si ce
projet, comme to ut Je laisse espérer, est retenu par les auto rités compétentes, sur un grand terrain, le futur « Campus Universitaire:t, seront con struits, outre une cité uni versitaire pour
le logement des étudiants, un Collège Uni ve rsitaire Scientifique,
des Instituts de formation supérieure technique, juridique, littéra ire et scientifique et une très importante bibliothèque. Le
Muséum d'histoire naturelle, restauré et rénové par le Mini stè re français de l'Educati on Nationale, est appelé lui a ussi à
devenir un centre très actif de recherches botaniques et biologiques, et il est prévu qu'une base océanographi que sera insta Uée à Saint-Pierre, contribuant ainsi, à a nimer la Capitale du
Sud. Quelques jours après votre départ, ce bâtiment qui fut
construit en 1730 pour servir, sous le nom de Collège SaintCyprien, à l'éduca ti on de la jeunesse, sera restauré et aménagé,
grâce a u concours du Dépa rtement et du Mini stère de l'Education Nationale, afi n de pouvoir abriter l' Institut d'Etudes
Juridiques et le Centre d'Enseignement Supérieur Littéraire.
Ai nsi, nos étudiants réunionnais pourront-ils. sur place, et, nous
l'espéro ns, dans les meilleures conditions, être initiés aux méthodes de l'Enseignement Supérieur : les uns pourront suivre, en
droit et en économie, en lettres et en sciences, pendant deux
ans, tous les enseignements du premier cycle des Licences,
ava nt d'aller en Métropole compléter leur for mation et • s'ouvrir
au monde •. Les autres, dans les Instituts de fo rmation technique
supérieure qui seront de puissants moyens de pro motion sociale,
pourront acquéri r une formation professionnelle et apprend re
à utiliser efli cacement les techniques les plus modernes. Nous
sero ns également heureux, bien sûr, d'accueillir les étudiants
mauriciens qui souhai tero nt venir étudier chez nous, et déjà,
plusieurs d'entre eux se sont mêlés à nos étudiants, et à plusieurs reprises, de leur côté, nos étudiants sont allés chez vous
en voyages d'études.
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Doté désormais de moyens, animé par une équipe très dynamique de professeurs permanents et de professeurs c missionnaires >, l'Enseignement Supérieur à la Réunion devra se forger, peu
à peu, sous le patronage de l'Université d'Aix-Marseille, sa personnalité universitaire. Mais déjà ces différents établissements
jouent un rôle important dans la vie intellectuelle et culturelle
de l'T1e. Conscients de travailler dans l'intérêt du Département,
les membres de notre Enseignement Supérieur n'oublient pas
que l' Université puise son énergie et ses ressources dans le
patrimoine de la culture universelle et qu'il est de son devoir
d'être un instrument de fraternité entre les peuples. C'est pourquoi, ils espèrent collaborer cordialement avec les centres universitaires des nes voisines et plus spécialement avec la future
Université de Maurice. Puisse notre Congrès, en renforçant
notre amitié, contribuer aussi à amorcer une coopération scien-
tifique et universitaire entre nos îles qui se doi vent de rester des
sœurs très unies.
Saint-Denis, le 1" juillet 1965.
ALLOCUTION PRONONCÉE
par S.H. Harold GLOVER
Juge à la Cour Suprême de Port-Louis
Ile Maurice
Président de la Délégation Mauricienne
Monsieur le Préfet, Monsieur le Maire,
Monsieur le Président de la Cour d'Appel,
Monsieur le Président du Conseil Général,
Monsieur le Président de l' Institut d'Etudes Juridiques,
Messieurs,
Tout d'abord qu 'il me soit permis, au nom de la délégation
mauricienne, de féliciter bien cordialement les organisateurs de
ce Congrès de Droit Comparé et de leur offrir nos profonds
remerciements pour nous avoir permis de nous associer à leurs
débats dans le but d'étudier des problèmes communs.
Quelle plus belle preuve en effet de l'universalité du génie
français dans tous les domaines de l' intellectualité que la rencontre de juristes dans une île merveilleuse, bien lointaine, de
l'Océan Indien afin d'examiner en commun l'évolution du droit
français dans la Métropole d'une part, et de l'autre dans ces
deux îles sœurs où ce droit, installé il y a quelques deux cent
cinquante ans, a acquis droit de cité. Et cette confrontation
est d'autant plus remarquable que l'une de ces îles est sous la
protection britannique, comme vous le savez, depuis cent cin-
quante ans.
On ne saurait minimiser l'importance quasi internationale
de ce Congrès de Droit Comparé qui se déroule dans un cadre
et une ambiance aussi uniques. Pour notre part, du contact avec
d'authentiques valeurs juridiques, nOli S tirerons un immense
profit. Nous espérons également -
je le dis avec humilité -
que l'examen, un peu laborieux peut-être, de certains de nos
problèmes juridiques vous intéressera tous. TI va sans dire que
notre manque d'expérience dans le domaine purement doctrinaire du droit et notre imparfaite maîtrise de la langue française, surtout dans un vocable technique, ne nous a pas pern,;s
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de présenter des rapports du même niveau élevé q"e ceux des
au tres équipes en présence. Nous somme bilingues, sans nul
doute, mais la rançon du bilinguisme, je n'ai pas besoin de
vous l'apprendre, est l'impossible perfection dans l'usage des
deux langues: surtout, comme ici, dans le domaine juridique,
où nous n'employons guère chez nous que la langue anglaise.
Mais je voudrais souligner l'effort louable de mes collègues
mauriciens qui, en dépit de leurs lo urdes o bligations professionnelles, ont réussi à vous fournir des rappo rts substantiels et
documentés sur les différents aspects du droit ma uri cien. Et, je
voudrais ajouter - car je sais que cela ne portera pas ombrage
aux travaux de mes amis Maurice LAVOIPIERRE et André ROBERT,
comme moi vétérans du droit à Maurice - que le barreau de
notre pays peut, à juste titre, être fier de nos jeunes maîtres
d' Unien ville, Moolan et Dubruel de Broglio, d'avoir pu aborder
les difficiles sujets qui leur avaient été confiés avec autant de
compétence que d'éclectisme.
Quant aux rappo rts de nos collègues de la Métropole et de
la Réunion, mes amis et moi avons été pleinement séduits tan t
par la profondeur de leur pensée juridique que par la m agie
du verbe dans lequel celle-ci e t exprimée. D 'ailleurs les
magnifiques conférences de Messieurs CATHALA et BLANCJO UVAN à Maurice l'année derni ère nous avaient préparés à ce
festi val juridique.
Je parlais plus ba ut de problèmes communs: en effet nous
ne saurions demeurer étrangers à l'évolution du droit françai s
dans tous les aspects, civil, pénal, commercial, et procédural ,
car vous n'ignorez pas que notre droit substantif est essentiellement français. S'il est certes dommage que nous soyons demeurés
régis pendant plus d'un siècle pa r les vieux codes napoléoniens,
à peine modifiés, surannés sous certains aspects, nous avons
néanmoins aujourd'hui, secoué notre apathie créole et nous nous
sommes attelés avec opiniâtreté à la difficile mai s nécessaire
tâc,he de rénover et moderniser nos codes. Car il étai t de premlere urgence de les adapter aux changements étonnants qui se
sont produits, su rtout au cours des cinquante derni ères années
da ns les domaines sociaux, politiques, culturels et industriels. N~
serait-ce donc que pour cette seule raison le contact avec nos
collègues de France et de la Réunion n; saurait que faciliter
grandement notre tâche et nous ferons certainement appel à eux
lorsque la solution d' un problème au cours de nos travaux
préparatoires nous paraîtra difficile.
La séquence des faits historiques à la suite desquels l'TIe
Maunce est en grande partie régie par le droit françai s est
Il
trop connue de tous pour que je m'y attarde. Je signale cependant pour mémoire, que le 3 décembre 1810 fut signé la convention de capitulation en vertu de laquelle les babitants de l'ne
de France étaient autorisés à conserver leurs religion, lois et
coutumes. Cet engagement fut répété et confirmé par la Proclamation du 5 décembre 18 10. Le Traité de Paris de 1814 consacra définiti vement la souveraineté britannique sur l'ne de
France et une proclamation du 29 avril 18 15 par notre premier
go uverneur anglais stipule que les habitants de l'ne de France
continueraient à être régis par les lois, décrets et règlements alors
en vigueur. Les choses en restèrent là jusqu'en 183 1, mais au
cours de ces vi ngt-et-un ans d'occupati on anglaise, si l'ne avait
perdu contact avec la France, l'empreinte de la domination
anglaise se faisait un peu plus sentir au fil des ans. Et c'est dans
le domaine de la procédure surtout, criminelle et civile, que les
deux systèmes de droit s'affro ntaient, car c'est essentiellement
dans ce domaine que l'on pourrait en discerner les profonds
antagonismes. J'ou vre ici une parenthèse pour préciser que,
lorsque je parle de « procédure. j'y inclus - un peu arbitrairement peut-être - la loi des preuves - en anglais « the law of
evidence >. Les anglais et les français procèdent de concepts tout
à fait différents surtout au criminel vers la preuve de la
culpabilité d'un inculpé. Sa ns toutefois porter atteinte à d'autres
systèmes, la procédure anglaise au criminel fai t l'admiration de
tout le monde.
Sans doute certains principes a nglais sont communs à la
théorie des preuves dans tous les pays civilisés, notamment à la
présomption d'innocence, la notion de pertinence, la doctrine
d'intime conviction. Si les cours de justice anglaises ont, au cours
du dernier siècle, multiplié leurs efforts pour ouvrir sans cesse
des brèches déjà pratiquées dans le système de preuves légales
par une extension des cas exceptionnels où le juge de fait et le
jury obtiennent une plus gra nde liberté d'appréciation, par
contre ils ont reproché a ux français - à to rt peut-être - de
tolérer que le dom ai ne de la preuve soit trop circonscrit par des
impératifs légaux. Certains concepts français dans la théorie
des preuves dépassent l'entendement des anglais: notamment le
témoignage indirect et de second degré, la preuve par commune
reno mmée. La prohibition du " hearsay evideoce" (témoignage
indirect), sauf dans des cas exceptionnels dont le nombre est très
limité, est pour le juriste a nglais un fétiche. D e même celui-ci
pense que le juge repressif français bien qu'instruisant à l'audience à la fois à charge ct à décharge vient automatiquement
à l'aide de l'accusateur. A la base même d' un procès criminel
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anglais le principe veut que le juge reste neutre, et au terme d'une
affaire d'assises lorsque le juge a pour mission de résumer les
débats au jury, il doit tenir à celui-ci le langage suivant: « Vous
êtes les seuls juges de fait, ct si au cours de mon allocution il
vous paraît que telle est mon opinion sur les faits, il est de votre
devoir de ne pas en prendre compte à moin s que vous n'y soyez
d'accord »,
changements les plus importants sont dus d'abord au fait que
notre loi des preuves est anglaise et ensuite à ce que les formalités requises pour porter une affaire devant le tribunal et la
Et le juriste anglais de se demander : «Comment le juge
repressif peut-il rester neutre s'il a lui-même interrogé, voire
contre-interrogé l'inculpé, d'autant plus qu'à un procès criminel
d'après le droit anglais, l'accusé est parfaitement libre de se
taire, et nul n'a le droit de l'interroger ? Il est de plus interdit
à l'avocat de la poursuite de commenter le silence de l'accusé.
La procédure française de contumace irrite aussi les légistes
anglais, procédure qui viole, selon eux, le principe fondamental
appels, à la requête civile, aux cours et tribunaux a été remplacée
par des lois d' inspiration anglaise. Sont également desuètes
toutes les parties se référant aux saisie-arrêts et oppositions, aux
qu'une condamnation ne peut être prononcée qu'en présence
de l'inculpé. Cela me fait sourire car au procès de Stephen
WARD pour proxenétisme fai sant suite au scanda le Christine
KEELER qui a profondément bouleversé l'Angleterre le juge
président aux Assises a, nonobstant l'absence de l'inculpé - qui
se mourrait d'un empoisonnement au barbiturique -
continué
son • summing-up " au jury et permis à celui-ci de délibérer et
de rendre un verdict affirmatif de culpabilité.
Un autre reproche amical fait couramment a u système
français est la juridiction d'instruction par un magistrat, le caractère secret de l'instruction (relativement parlant) hors la présence du prévenu, et surtout de l'interrogatoire du prévenu à
l'instruction et sa confrontation avec les témoins à charge. Toutes
ces phases de la procédure d'instruction criminelle paraissent
curieuses aux juristes anglais. Loin de moi l'idée de cri tiquer
moindrement cet aspect procédural du droit criminel français
mais je veux simplement consigner ici les raisons qui dès 1831
ont amené la procédure criminelle anglaise à détroner la procédure française. Ce qui n'a pas empêché celle-là de s'accommoder
d'ailleurs le mieux du monde avec le droit substantif français
au criminel. Par ailleurs en matière d'abus de confiance résulta~t de la violation d'un contrat si le fait que la preuve de la
preexIstence de ce contrat ne peut être faite que conformément
aux règles du droit civil sur la preuve des contrats a fait hérisser les cheveux d'un juge anglais de mes amis, nous trouvons
la chose très logique.
Le processus de modification de la procédure civile française a été plus lent. En somme, l'évolution de notre procédure
s'opéra dans un contexte anglais, si l'on peut dire, et les
procédure à suivre afin que celui-ci l'instruise et statue sont
tout à fait différentes en Angleterre. La procédure de conclusion a également été abolie. Toute la partie du Code de Procédure relative aux jugements, aux enquêtes, à la récusation, aux
saisie-exécutions, aux incidents de la saisie immobilière, au
partage et à la licitation, à la distribution par contribution, à
l'ordre. Cependant les lois que nous avons promulguées sur ces
différents aspects de la procédure répètent à peu de chose près
les dispositions du Code de Procédure Civile.
Ici encore l'alliage a été plus heureu x et la seule faille au
système est que le légiste non chevronné a quelque peine à se
retrouver dans le dédale des nombreux textes qui ont modifié le
Code de Procédure Civile ou créé des exceptions à leur application.
L'empreinte anglaise a été marquée dans un troisième domaine, celui du droit commercial. Mon am i, André ROBERT,
vous a d'ailleurs tracé de façon impeccable dans son rapport
l'évolution du droit commercial à Maurice, sous l'impulsion du
droit anglais.
Il est une autre question que nos tribunaux ont eu quelque
difficulté à trancher : lequel des deux systèmes, anglais ou
françai s, de droit international privé devrait prévaloir à l'ne
Maurice.
Dans un procès de di vorce en 1960, il s'agissait de déterminer quel était le domicile d'une des parties en cause. D'après
le Code Civil le « statut personnel . d'un individu dépend de sa
nationalité, tandis qu'en Angleterre ce statut dépend de la loi
de son domicile. Une application stricte de l'article 3 du Code
Civil entend que les lois concernant l'état de capacité des personnes régissent les Français (entendez les mauriciens) même
résidant en pays étranger. Selon le principe qui veut donc que le
domicile, comme la nationalité, soi t une des causes sur les-
quelles repose le droit international privé, la loi de chaque état
devant être à cet égard réputée la seule opérante sur son territoire, la Cour fut d'opinion que le système français devrait
s'appliquer.
En 1961 un justiciable demanda à la Cour Suprême d'annuler le mariage contracté par son fils, alors mineur, aux Etats
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Unis d'Amérique pour la raison que celui-ci n'avait pas obtenu
au préalable le consentement de ses parents comme l'exigeait
la loi de son domicile, c'est-à-dire l'Ile Maurice. La Cour fit
droit à la demande et consacra le principe que les lois concernant
la capacité des personnes demeurent obligatoires pOUI le Mauricien même s'il réside en pays étranger. C'était une fois pour
toutes apporter une solution au problème : c'est le système français de droit international privé qui doit donc prévaloir à Ma urice.
Nous constatons ainsi que bien que la législation appliquée à l'Ile Maurice après le traité de Paris oscillât, pendant
une certaine période, entre l'assimilation complète avec ceUe
de la France et une législation anglaise, étrangère aux colons
demeurés foncièrement français, les anglais ont, avec un libéralisme de bon aloi, tenu compte du principe que tous les Mauriciens d'alors avaien t à cœur la jouissance de leurs droits acquis
et la conservation de leurs institutions. L'éloignement de la
France et des institutions juridiques françaises ont permis aux
concepts juridiques anglais - surtout dans les domaines que
j'ai signalés plus haut - de s'implanter dans l'Ile. Cette amalgamation de tendances différentes s'est opérée ha rmonieusement
et notre droit mauricien, résultant d'un savant alliage, est aujourd'hui un vrai monument historique.
Au cours de cette brève esqui sse, j'ai essayé de vous
indiquer certaines causes qui ont aidé à façonner pour ainsi dire,
notre système juridique hybride. Il y a beaucoup à dire à ce
sujet et je me demande si un discours inaugural à un congrès de
droit comparé en était l'occa ion. Vous me pardonnerez le cas
échéant.
Il ne me reste plus qu'à souhaiter que ce Congrès se
déroule dans une ambiance de camaraderie et d'enthousiasme ,
qualités qui n'auront pas manqué d'inspirer les organisateurs.
De toutes façons, je suis convaincu que nous en emporterons
tous un souvenir cordial et ému.
Mais en matière de conclusion, il faut bien le proclamer :
ce Congrès n'est qu'un commencement et si le droit mauricien
constitue par son caractère mixte un droit original, une étude
méthodique mérite d'être entreprise et comme le dit fort à propos
M. BLANC-JOUVAN • il Y a là pour les comparatistes tout un
monde à découvrir> .
1" juillet 1965.
ALLOCUTION DE BIENVENUE
prononcée par Monsieur DIEFENBACHER
Préfet de la Réunion
Messieurs,
Il nou s est agréable de saluer aujourd'hui, à Saint-Denis,
au nom du Gouvernement de la France, nos éminents hôtes du
Monde juridique.
Le Préfet de la R éunion, et avec lui l'ensemble du Département, ne peuvent que se réjouir d'une initiative qui fait de
nos deux Tles, historiquement unies par une amitié séculaire,
le lieu privilégié dans cette partie de l'Océan Indien où s'échangent à présent les idées et les expériences dans un domaine qui
touche au plus profond de l' Homme, le Droit, la règle juridique
qui gouverne ses libertés, moralise les rapports des groupes,
définit la p lace de l'individu dans la société et le situe au regard
de la plus majestueuse d'entre elles, je veux dire l'Etat.
Que cette initiative se mue en tradition et qu'ainsi, chaque
année, se rencontrent de part et d'autre de nos espaces des
hommes au ni veau le plus élevé de l'élite, professeurs, magistrats, avoca ts, avoués, officiers ministériels, hommes de sciences
et praticiens du droit, et voilà que se trouve servie au plus haut
point la cause la plus chère à nos communes civilisations, celle
d'un certain humani sme qui, malgré nos sociétés de masse et en
dépit d'une époque où tout est voué à l'organisation, proclame
bien fort la finalité de l'homme et s'applique à rechercher sans
cesse les nécessaires conciliations entre la liberté et les exigences
de la collectivité.
Nous rendons donc hommage aux promoteurs de ce colloque
et à tous ceux qui en ont soutenu l' idée et l'ont fait aboutir:
- Monsieur le Professeur CONAC, qui en a été en quelque
sorte l'âme en sa double qualité de Directeur de l'Institut
d'Etudes Juridiques de la Réunion et de représentant de la
Faculté d'Aix-en-provence, à laquelle notre Institut est organiquement rattaché.
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_ M. NEERUNJUN, Chef Juge à la Cour Suprême de l'Tle
Maurice.
_ M. BERIIIONDY, notre excellent Consul de France à l' Ile
Maurice.
_ MM. les Professeurs et Magistrats qui, de part et d'autre,
ont três largement contribué par leurs efforts et la conjonction
de leur volonté au succès de cette noble entreprise.
MESSAGE
DE SIR RAMPERSAD NEERUNJUN
KT., O.B.E., Q.C.
AUX CONGRESSISTES DE LA RÉUNION
Nous sommes heureux de rendre également témoignage à
toutes les personnalités qui ont répondu à cet appel et parmi
lesquelles la courtoisie nous conduit à citer d'une façon toute
particulière celles qui exercent de hautes responsabi lités publiques au sein de Porganisation des Pouvoirs Mauriciens:
- Monsieur le Ministre DUVAL,
_ Monsieur le Ministre adjoint BALLANCY, représentant
M. le Ministre de l'Education,
- Monsieur Harold GLOVER, représentant de M. le C hef
Juge, Chef de la délégation mauricienne.
Si , contraint par les circonstances, j'ai été amené Messieurs
les juri stes et Messieurs du Ba rreau, à décliner I:aimable et
fl a tteu se invitation de présider la délégation mauricienne à ce
Congrès de juristes de France et des îles sœurs, c'est toutefois
avec beaucoup d'i ntérêt que j'en ai accueilli l'idée. Et qu'il me
soit permis d'ajouter qu'en la personne de M. Harold GLOVER
Juge puîné à la Cour Suprême de l'Ile Maurice, je n'aurais p~
être plu s dignement représenté.
Messieurs, la France traditionnellement sensible, à l'instar
de sa grande voisine la Grande-Bretagne, à tout ce qui est de
l'ordre humain et qui poursuit dans cette lointaine projection
de son territoire national , son œuvre de progrès, portée en cela
par une propension toute naturelle à vouloir rassembler, unir,
amalgamer, cette France là vous souhaite
à tous une bien cor-
diale bienvenue.
Au-delà de la personne de nos amis mauriciens, c'est aussi
à la Grande Nation Britannique que nous exprimons nos vœux
de cette partie du monde, où, comme en tant d'autres lieux ,
nos destins se sont croisés et finalement uni s pour la sauvegarde précisément du Droit et de la Liberté.
Nous célébrons, Messieurs, cette année dans notre Département le trois centième annivesaire du peuplement de la R éunion :
ce sont donc 400 000 Français qui accueillent aujou rd'hui ici
leurs éminents voisins.
Saint-Denis, le 1" juillet 1965.
Il est certes, indéniable que le but même d'un Congrès,
synonyme d'échange d'idées, de partage d'expériences acquises
da ns les prétoires différents, est riche de promesses pour l'avenir,
en ce que cette noble assemblée de gens de robe s'enrichira
mutuell ement et partant, enri chira, dans l'immédiat comme
dans l'avenir, leu rs cadets qui font encore leurs armes.
En ce qui concerne notre propre délégation, je ne doute
pas que le contact avec des maîtres de la pensée juridique française et réunionnaise, ne pourrait qu'insuffler à nos légistes mauriciens une nou velle ardeur qui leur permettra de s'atteler à la
besogne, indi spensabl e a ujourd'hui , de modifier et de moderniser
les codes de droits français qui sont toujours à l'honneur à l'Ile
Maurice.
Les promoteu rs de ce Congrès doive nt donc, à mon seDS,
être chaudement félicités et encouragés et c'est avec joie que je
souhaite plein succès aux congressistes dans leur tâche, utile
et noble entre toutes, malgré qu'en ait pensé Racine. Et, pour
ma part, je sui s convaincu que les trois équipes en présence
sauront profiter au maximum des débats qui , sans nul doute,
seront passionnan ts pour ne pas dire passionnés, et en retirer
des connaissances accrues qu'ils transmettront certai nement à
tous leurs collègues des pays qu'i ls représentent.
Rampersad NEERUNJUN,
Chef Juge
TIe Maurice
28 juin 1965.
�INTRODUCTION A L'ÉTUDE COMPARÉE
DES DROITS DE L'OCÉAN INDIEN
par M. Xavier BLANC-JOU V AN
Professeur à la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques d'Aix-en-Provence
Les juristes de notre siècle s'enorgueillissent souvent d'avoir
inventé ou découvert ce qu'ils appellent le « droit comparé > et
d'avoir donné à cette science nouvelle une place de choix dans
l'ensemble des disciplines juridiques. Au risque de modérer
leur enthou siasme, il faut bien reconnaître pourtant que l'étude
des systèmes de droit étra ngers et le recours à la méthode comparative remontent à une époque beaucoup plus ancienne. On
dit que les Grecs et les Romains eux-mêmes se préoccupaient,
lorsqu'ils légiféraient, de connaître l'état du droit dans les pays
voisins du leur pour pouvoir, le cas échéant, y puiser certaines
solutions. Et l'on sait que les jurisconsultes du Moyen Age ont
largement procédé à de telles confrontations au-dessus des frontières de provinces ou d'états, soi t pour comparer entre eUes les
diverses coutumes et pour essayer de dégager une sorte de droit
commun national , soit même pour mettre sur pied -
surtout en
matière commerciale - un véritable droit international. On ne
doutait pas, à cette époque, de l'uni ve rsali sme de la science juridique et l'on n'hésitait pas à le mettre en pratique. C'est seulement plus tard que l'on a commencé à évoluer ve rs le nationalisme, voire l'étatisme juridique. Sous l'influence de certaines
doctrines politiques comme par l'etlet de certains événements
historiques, on en est venu à ne plus considérer le droit que
dan s le cadre restreint d'un état; et cette tendance nouvelle s'est
encore trou vée renforcée par le processus de codification qui
s'est engagé en Europe au début du X IX' siècle: au fur et à
mesure que des codes nouveaux se trouvaient promulgués, on
voyait l'horizo n des juristes se réduire aux limites du territoire
sur lequel ces codes étaient applicables.
Encore faut-il noter, pou r être juste, que le phénomène
de la codification est loin d'avoir produit partout les mêmes
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effets. En F rance, il a, sans aucun doute, incité à un repli sur
soi . Nos auteurs étaient alors tellement imbus de la sup ériorité
de leur propre système de droit qu'ils ne se so nt plus souciés, en
aucune façon, d'étudi er les législati o ns étra ngères; mieu x valait,
à leurs yeux, se consacrer tout enti ers à l'exégèse du Code C ivil,
seul modèle véritablement digne d'être proposé à l'admiration
des peuples. Les juristes étran gers, a u contraire, se sont volontiers tournés vers le droit français pour y puiser - tant était
grand, à cette époque. le presti ge de l'œuvre napoléonienne _
leur inspirati on. Mais il ne s'agi sait pas alo rs vraiment d'étudi er
le d roit sui vant la méth ode com parati ve : to ut au plus cherchait-on à transposer, dans les limites d'un état, un système de
d roit qui avait fa it ses preuves da ns un autre état.
C'est seulement dans la second e moi ti é du XIX" siècle qu e
l'on a commencé à percevoi r pa rfa itement la relati vité et la
dive rsité d u phénomène jurid ique. De nouveaux codes sont alors
apparus, qui ne devaient ri en au modèle fra nça is; et ce n'est
pas là le moindre facteur qui a incité les juri tes du monde enti er
à étudi er le droit des pays étra ngers - et à l'étudi er avec
d'autant plus d'attention qu 'il était d ifférent du leur. T out en
déplo rant la diminu tion progressive de l'influence exercée dans
le monde par le Code Na poléon. les juri stes françai s se sont
lancés à la découverte des systèmes de droi t applica bles, d'abo rd
dans le~ pays continentaux qui avaient été marqu és au ssi par
la traditIOn Jundlque romaine (et l'intérêt s'est surtout po rté sur
l'Allemagne qu i, à la fin du XIX" siècle. promul guai t à son tour
des codes dont le retent issement, au-delà même de ses fro ntières
fu t considérab le), puis dans les pays anglo-saxons où prévalai;
la c0m,mon ~aw. On a même cru, à un certain moment, qu'il
pourrait sortir de cette vaste confrontati on un e so rte de droit
commun législatif. qui serai t celui de tou te l'huma nité civi lisée
L'i ll usion a, ~ertes, été vite di ssipée; mais elle ex pliq ue que le~
études de drOi t com paré se soient, à cette époq ue, limitées a ux
systèmes e.n vigueur da~s les pays unis par une même idéologie,
ou, du molOS, par un meme type de civilisati o n. On ne s'occupai t
guèr~ en fait, jusqu'à la seconde gue rre mond iale, q ue du droit
app" :able da ns les pays industri ali sés se trouva nt à peu près
au meme stade de développement.
Or, } est bien ce~ain que les vingt-cinq dernières ann ées
ont vu s etabl~r un éq Uili bre entièrement nouveau ent re les états
de . notr~ p~ane~e. Les vieux pays européens ont p ri s conscience
aUJourd hUi qu Ils ne sont plus les seuls, ni les plus puissa nts en
ce mo nde; et les juristes occidentaux saven t bien qu 'il ne leur
est pl us possible de limiter - comme ils le faisa ient jad is _ le
21
champ d'explo ration du droit comparé. Ce n'est pas seulement
le droit des Etats-Uni s d'Amérique, ni le droit de l'U.R.S.S.
ou des démocrati es populaires qui doit retenir notre attention
mais c'est le droit de tous les pays du monde, et notammen;
celui des pays d'Afrique o u d'Asie qui participent aujourd'hui
de plus en plu s ac ti vement à la vie internati o nale. 1\ fut un
temps où l'on alla it ju squ'à se demander si ces pays étaient
réellement pourvus d' un système de droit ou s'ils étaient simplement régis par des co utumes sans valeur juridique. La qu esti on
n'est plus de mise a uj ourd 'hui . On adm et que le droit existe
nécessairement partout où des hommes vivent en société - ubi
societas, ibi jus - et qu e ce droit mérite, en toute hypothèse
et quel que soit le degré d'évolution de la communauté envisagée
ou le type de civil isati o n auquel elle se ratt ache, de deve ni r
objet d'étude.
S'il es t d onc vrai q ue le droi t compa ré ne peut être considéré comme une d iscipline entiè rement nouvelle, il faut bien
reconnaître pourtant que son domaine s'est,
à l'époque récente.
considéra blement élargi - et surtout dans l'espace. 1\ s'étend
en effet, de nos jo urs, a ux territ oires les plus d istants de la vie ille
Europe, comme ccux qui sont groupés ici, dans cette région
pri vil égiée de l'O céa n Indien.
Enco re faut-il bien s'entendre : distants, ces territoires le
sont indisc utablement aux yeux du géographe ou du voyageur,
mais no n à ceux de l'ethnologue, d u sociologue ou du juriste.
On renco ntre ici des sociétés qui sont très proches des sociétés
europ éennes, des modes de vie qui sont très semblables à ceux
que nous conn aissons en France ou en Angleterre, et l'on ne
saurai t s'étonner a lo rs de trouve r des systèmes de droit tout
à fa it com pa rab les aux nôtres : car on sait bien que le droit
d'un pays n'est que le refl et d' une certaine force de civilisation,
c'est-à-dire d' un certain état social, en même tem ps que de
certaines conceptions philosoph iq ues et mora les.
Cette constatatio n à vrai dire, n'est pas valable de la
même façon po ur to us J~s terri toires auxq uels nous nous :éfé:on
ici. M ême en ne nous attachant qu'aux pays ayant subi, d un e
façon ou d'une autre, l'influence frança ise et, en exc!uant, ,par
conséqu ent, ceux qui so nt seul ement marques par. 1 emprelOte
britannique ou portugaise (notamment les pays Situés su~ la
côte orienta le de l'Afri que), nouS nous trouvons e~. fac~ dun e
éto nnante dive rsité: et l'on ne peut contester qu Il eXiste d e
profondes di ffé rences entre le cas de la R éunion ou de M a~ n ce
et celui de Madagascar ou des îles com prises da ns les archipels
des Comores ou des Seychelles. C'est pourtan t tout cet ensemble
�22
23
qui mérite d'être étudié, car la di ve rsité existante appa raît tout
de même corrigée par certains facteurs d'unité dont l'importance
est loin d'être négligeable,
C'est surtout dans le domaine juridique que l'on peut éprouver. d'ailleurs, la vérité de ce paradoxe. La première impression
du juriste est, bien sûr, celle de se trouver ici en présence d'un
véritable microcosme et l'on ne peut s'empêcher de constater
que ce monde de l'Océan Indien fournit, comme en miniature,
un exceptionnel et singulier mélange des principaux systèmes
de droit aujourd'hui applicables à la surface du globe. Mieux
encore : la plupart de ces systèmes, loin de se présenter ici
à l'état pur, se trou vent al térés ou transformés d'une manière
assez remarquable. On peut même dire que certains d'entre eux
n'ont guère servi qu'à édifier des constructions nouvelles, qui ont
peu à peu acquis une sorte d'auto nomie. Mais cette réelle diversité n'exclut tout de même pas une unité profonde, qui tient à
ce que tous les territoires envisagés appliquent, au moins partiellement, le droit françai s. Ce phénomène s'explique aisément
par l'histoire ; il entraine en tout cas cette conséquence que
nulle part, sous cette latitude, les juri stes français n'ont l'impression de se trou ver en dehors de l'univers qui leur est familier.
Sans doute a-t-on, bien souvent déjà, étudié sous l'angle
pratique ces différents systèmes de droit applicables dans l'Océan
Tndien. Mais peut-être n'est-il pas inutile de les aborder aussi
sous un angle plus théorique, et c'est justement là l'i ntérêt du
droit comparé. L'ambition du comparatiste doit être de mettre
en relief à la foi s la di versité et l'unité de ces systèmes. Plu s
précisément, il semble que son effort doive, en l'espèce, s'orienter
dans une double direction. D'une part, il doit viser à regrouper
au sein des familles juridiques traditionnellement admises et
reconnues les droits originaux qui ont pu voi r le jour ici . D 'autre
part, il doit tendre à déterminer quelle a été exactement sur
tous ces, droits, l'infl uence exercée par le droit françai s, ~ui a
conslltue en quelque sorte leur commun dénominateur.
l
La notion de « famille juridique. a récemment été dégagée
par le professeur René DAVID pour satisfaire à l'exigence de
c1assemen~. qm est lflhérente à toute science; elle permet de
ramener lmfimté d es droits existants à quelques types fondamentaux. Il nous Importe donc de savoi r auxquels de ces types
se rattachent les droits si divers qui sont applicables dans
l'Océan Indien.
. Pour }c~ai rer un peu ,les données du problèmes, il faut
partIr de 1 Idee que les systemes de droit peuvent se classer de
deux manières fort différentes, sui va nt deux critères très distincts : et suivan t qu'on adopte tel ou tel critère, il est bien
certain que le groupement opéré ne sera pas le même. On peut
d'abord se pl acer d' un point de vue philosophique ou idéologique,
en regardant surtou t le fond du droit, sa substance, en s'attachant
aux principes et a ux idéaux dont il s'inspire, comme à l'état
social dont il prétend être la traduction, bref, en considérant sa
finalité. De ce point de vue, par exemple, il est certain que
l'on peut considérer comme un bloc tous les droits inspirés par
la civilisation chrétienne, qu'ils soient aujourd'bui en vigueur en
Europe occidentale (en France comme en Angleterre ou en
Allemagne) ou sur les autres continents. Ces droits s'opposent
aux droits socialistes, fondés sur les principes du marxismeléninisme et sur une idéologie révolutionnaire: un exemple nous
en est fourni par l' U.R .S.S. et les démocraties populaires d'Europe
et d'Asie. Mais il y a bien d'autres familles encore, qui se rattachent à des philosophies ou à des religions répandues hors
d'Europe. Il faut notamment fai re une place spéciale au droit
musulman, qui repose tout entier sur des conceptions religieuses
et morales propres à l'Tsiam. Il faut aussi considérer à part le
cas du droit hindou, fond é sur les principes de la religion hindouiste, celui des droits d'Extrême-Orient, liés à une philosophie et à un ordre social profondément différents des nôtres,
celui aussi des droits africains, qui s'appliquent à des sociétés
animistes ou fétichistes. Tous ces systèmes ont subi, à une époque
relati vement récente, l'influence des droits européens, et ils ont
beaucoup perdu de leur pureté primitive; surtout, ils n'ont plus
aujourd' hui qu'un dom ai ne d'application restreint et ils ne
s'appliquent pratiquement nulle part da ns leur intégralité, en
tant que droi ts nationaux; mais cela ne signifie en rien qu'ils
aient disparu et qu'il ne doi vent plus être comptés au nom bre
des famille s juridiques.
Mais ce premier type de classement, qui s'attache à la
substance des règles de droit, n'est pas le seul : il y en a un
autre qui repose su r des considérations de technique juridique
et qui permet d'opposer, non plus par le fond , mais par la
forme, les différents systèmes applicables dans le monde. Plus
précisément même, on peut dire que l'opposition se situe ici
au niveau de la production des règles de droit ou, si l'on veut,
des sources du droit. De ce point de vue, il est certain que l'on
�24
25
doit regrouper dans une même ramille tous les systèmes où la
loi constitue la source première et quasi-exclusive du droit. Cela
ne comprend pas seulement les systèmes dits romanistes, qui se
rattachent directement à la tradition romaine, comme le système
français ou aUemand, mais aussi les droits des pays socialistes,
où la primauté de la loi est encore plus nette et plus marquée.
On ne saurait d'ailleurs s'étonner de ce rapprochement si l'on
songe que l'influence du droit romain a été indi scutée en Russie
jusqu'en 1917. Cette ramille des droits que l'on peut appeler
c d'expression législative . ou codifiés est d'ailleurs a ujourd' hui
en pleine expansion - et la plupart des pays qui cherchent à
se déba rrasser de leur droit traditionnel pour opérer une véritable révolution juridique ont pour premier souci de se doter
de lois et de codéS. Il reste malgré tout de très nombreux pays
qui demeurent attachés à une technique juridique entièrement
différente et où la hiérarchie des sources du droit est en quelque
sorte inversée. C'est le cas notamment de tous les pays dits de
common law, qui ont suivi la tradition du droit anglais. C'est à
tort que l'on attribue souvent au droit de common law le caractère de droit coutumier : du moins raudrait-il préciser que la
coutume à laquelle on se rérère est une coutume d'un type bien
particulier. Mieux vaut reconnaître, en fait, qu'il s'agit d'ua droit
à base jurisprudentielle, c'est-à-dire d'un droit éla boré par les
juges à partir de décisions d'espèce progressivement transformées
en précédents obligatoires. Une telle origine ne peut manquer,
bien sûr, de retentir sur la rorme, la structure et même l'esprit
de ce droit, et c'est ce qui explique la très grande difficulté
qu'éprouvent les juristes continentaux à se familiariser avec les
règles techniques, les cadres conceptuels et les catégories des
droits de common la w. La différence entre ces deux ramilles juridiques est même si proronde qu'un auteur anglais, l enks, a pu
dire que le monde n'avait jamais connu , en rait, que deu x systèmes originaux de droit : le système romain et le système de
common law.
Une telle assertion, po urtant, ne saurait plus être retenue
de nos jours, car il existe bien d'autres systèmes de droit qui ne
peuvent se rattacher à aucun de ces deux groupes. Il y a, par
exemple, les droits religieux, comme le droit musulman et le
droit juif, qui se présentent comme des droits révélés et qui
s'appuient tout entiers sur l'autorité de livres sai nts. La source
essentielle y est alo rs la parole de Dieu, et l'immuta bilité même
de cette parole explique qu'il s'agisse de droits réfractaires à
toute évolution. Par certains côtés, et notamment par le lien qui
les unit à la religion, ces droits se rapprochent d'ailleurs du droit
hindou , bien qu~, par d'autres côtés, celui-ci s'apparente surtout
à une autre famIlle : celle des droits Coutumiers. La plu t d
•
. . d'
r .
par es
systemes JUT.' Iques sont, en ait, à l'origine, fondés de manière
quasI-exclusive sur la coutume, et ni le droit romain ni le d ol't
français,
ni le droit• anglais
n'ont échappé à cette règle.' L'évolutro
•
~
1 n
a Justement consiste pour eux à se détacher progressivement
de ce fond coutumier. Mais une telle évolution n'a pas pu
se prodUire encore dans tous les pays, et il y a, notamment
sur Je contine~ t africai n, de très nombreuses sociétés qui
sont encore régies par un drOit coutumier. On ne saurait enfin
assimiler à ,aucun . a utre le droit traditionnel chinois, malgré
la place qu il frut a la coutume et même, accessoi rement, à la
loi: c'est que la conception même du droit, telle qu'elle découle
de l'enseignement de Confucius, présente un particularisme très
marqué, et l'on ne peut considérer ce droit indépendamment de
la morale ou des rites qui constituent le véritable fondement de
la société.
Sans doute pourrait-on élargi r encore ce tour d'horizon des
familles juridiques existant dans le monde. La brève analyse que
nous venons de faire nous paraît toutefoi s suffisante pour soutenir notre propos suivant lequel cette zone de l'Océan Indien
constitue - dans le domaine du droit comme dans bien d'autres
- un terrain de rencon tre d'un intérêt tout à fa it exceptionnel:
ce qui s'explique d 'ailleurs fo rt bien par le fait que cette région
du globe a toujours constitué pour les sociétés humaines une
sorte de carrefour en même temps qu'elle a subi, de l'extérieur,
des influences multiples. Le résultat en est cette extrême di versité que ne peut manquer de relever l'observateur le plus superficiel : et il est vrai que plusieurs systèmes de droit coexistent
ici, qui se rattachent à des familles différentes, voi re opposées.
C'est un point dont on ne saurait douter, d'abord, si l'on se
place sur le terrain du fond ou de la substance des règles juridiques. Dans la mesure où celles-ci nous apparaissent, d'un point
de vue matériel, comme étant le produit d'une certaine idéologie
en même temps que d 'un certain état social ou économique, il est
normal qu'elles soient ici profondément divergentes. Chacun des
mondes chrétien, musulman, indien, païen, qui se côtoient dans
ces i1es de l'Océan Indien a apporté avec lui son type de civilisation, sa culture, son éthique; chacun des territoires qui composent cet ensemble s'est également trouvé confronté à une
situation qui lui était propre dans le domaine politique et économique, social et humain. Ainsi trouve-t-on à la Réunion et à
l'i1e Maurice, à Madagascar et dans l'archipel des Comores, des
systèmes de droit qui sont, par leur contenu et par leur esprit,
�26
27
si profondément différents qu'ils ne semblent pas s'appliquer au
même univers. Mais on ne aurait s'étonner davantage de la
diversité existant entre ces mêmes systèmes de droit au niveau
de la technique juridique. On peut même dire que l'on retrouve
ici un échantillonnage à peu près complet de toutes les familles
juridiques auxquelles nous avons fait allusion : car c'est bien
un droit de nature coutumière qui s'applique encore largement à
Madagascar, un droit à caractère religieux qui régit la communauté musulmane comorienne et un droit d'expression législative
qui prévaut à la Réunion et à l'île Maurice. Encore faut-il noter,
dans cette dernière, l'influence très nette exercée par un droit
de common law : le droit anglais. Sans doute n'est-ce pas la
partie jurisprudentielle, mais plutôt la partie législative de ce
droit qui reçoit application dans l'ancienne île de France ; mais
cela suffit pour que certaines techniques, certains concepts,
certaines catégories propres à la common Law pénètrent en droit
mauricien.
Nous ne pouvons ici que tracer certains cadres et montrer
certaines directions de recberche. Il serait évidemment intéressant d'approfondir notre analyse et de voir exactement comment
chacun des systèmes de droit applicables en cette région du
monde s'intègre dans les familles juridiques traditionnelles, dans
quelle mesure, au contraire, il présente par rapport a ux catégories habituellement admises un certain particularisme et une
certaine originalité. Car le fait ne saurait étonner : il est bien
évident que des systèmes ainsi juxtaposés n'onl pas pu ne pas
réagir les uns sur les autres au point de s'altérer, voire de se
transformer; il faut donc voir quelle est l'étendue de ces altérations et de ces transformations. Un point surtout doit nous
retenir, du fait que l'un des droits ici applicables le droit
français - a une importance plus grande que les autres. C'est
encore une tâche qui s'impose au comparatiste que celle de
mesurer l'influence précise qu'a pu exercer le droit français
ce puissant facteur d'unité - dans les îles de l'Océan Tndien .
II
Le cadre de cette étude étant limité à des territoires francophones, il n'est pas étonnant que l'on retrouve partout l'empreinte
du droit français. Mais cette empreinte est évidemment plus ou
moins nette, plus ou moins marquée, suivant les conditions propres à cbaque pays et suivant les circonstances historiques qui
ont joué depuis plus d'un siècle et demi .
Il.
est d'abord
certains territoires où l'introduction du d roI't
,
françaIs, comme consequence du fait colonial, n'a pas été totale
ni générale. Ce sont les territoires où la présence française est
relativement récente et où il existait déj à, à l'époque antérieure
à, la colonisation, ~es sociétés . organisées. et structurées, pourvues
d un véntable systeme de drOIt. La pohtlque française a consisté
à respecter ces systèmes de droit et à les déclarer, en principe,
applicables dans les rapports entre autochtones. C'est ainsi que
des textes nombreu x sont venus, depuis 1896, garantir aux babitants de Madagascar le maintien de leurs vieilles coutumes ancestrales et des lois qui avaien t été promulguées, au cours du
XIX" siècle, p ar les souverains merina ; c'est ainsi également que
la communauté musulmane des Comores est toujours restée,
depuis 1843, soumise à son vieux droit traditionnel et que le
Minh/idj-at-Twâlibin ce savant ouvrage qui remonte au
a été déclaré, par deux décrets de
moins au XIII' siècle 1934 et 1939, c seul Code officiel et applicable dans l'Archipel •.
Mais il n'en faut pas déduire, bien sûr, que le droit français n'a
pas aussi été introduit, à Madagascar comme dans les Comores.
Son rôle a même été double : d'une parI, il a été déclaré applicable, soit à certaines personnes (celles de statut français), soit
dans certaines matières (pour tout ce qui concerne, par exemple,
l'organisation judiciaire, le droit commercial, le droit pénal et
même en droit civil : l'état civil, la réglementation de la propriété foncière, l'enregistrement des actes juridiques, etc.) ; d'autre
part, il a servi à modifier ou à corriger, sur de nombreux points,
les solutions du droit local jugées incompatibles avec une cernotion qui a
taine notion de c l'ordre public colonial > d'ailleurs toujours été entendue d'une façon assez large (elle a
permis, par exemple, le maintien de la polygamie ou du mariage
par coemption tout en interdisant les faits d'esclavage et de
traite). Ainsi est-ce dans une double voie que peut ici s'orienter
la recherche. li convient d'abord d'examiner comment des systèmes de droit aussi différents ont pu coexister peadant une
aussi longue période, comment il a fallu procéder à la détermination de leur domaine respectif et quels problèmes sont nés
de leur juxtaposition, notamment au niveau de l'organisation
judiciaire : car cbacun de ces systèmes a généralement été mis
en œuvre par des tribunaux spéciaux, qu'il s'agisse des tribunaux
de droit traditionnel à Madagascar ou des tribunaux de cadIS
aux Comores. Cette juxtaposition de plusieurs systèmes juridiques applicables dans les limites d'un même état est, d'ailleurs,
un phénomène qui tend aujourd'hui à disparaître, car II ~st hé
de très près à la dualité de statuts et il constitue un bentage
3
�28
du passé colonial: c'est ce qui explique que la jeune R épublique
Malgache, devenue indépendante, cherche maintenant à se dotcr
d'un Code Civil unique, qui régi ra également tous les citoyens
et qui réalisera une sorte de synthèse de ce que l'on appelait
jusqu'ici le droit moderne et le droit traditionnel. Mais il ne
faut pas oublier que cc droit traditionnel lui-même, dans la
mesure où il a continué à recevoir application, a été assez
profondément altéré par plusieurs décennies de présence française - et il en est de même aux Comores, pour le droit issu
du Minluûij : c'est donc également à l'analyse de ces transformations que doit se livrer le comparatiste. Que ce soit par
l'effet de réfomles législatives réalisées au grand jour (mais
souvent suivies de peu d'effet en pratique) ou par l'action plus
lente, plus discrète et peut-être plus efficace des juges (notamment dans la mesure où ceux-ci étaient chargés d'appliquer le
droit français, à titre de raison écrite, toutes les fois que le droit
local se révélait obscur ou défaillant), notre Code Civil, nos
lois, notre jurisprudence ont peu à peu pénétré le droit coutumier
de Madagascar comme le droit musulman des Comores; ils l'ont
à la fois marqué de leur esprit (en y introduisant certains principes inspirés de la civilisation chrétienne, tel celui du respect
dû à la personnalité humaine) et de leur technique (en ce qui
concerne notamment le droit des obligations ou de la propriété
foncière) en même temps qu'ils l'ont enrichi de certaines institutions (comme, par exemple, le mariage putatif ou la communauté légale entre époux). Ainsi le droit local s'est-il peu à peu
transformé sous l'influence du droit français, au point de perdre
quelquefois sa physionomie originale, tant du point de vue de
la substance des règles juridiques que de leur formulation. Il y a
évidemment un très grand intérêt à rechercher comment s'est faite
cette interaction réciproque de divers systèmes de droit appelés
à s'appliquer simultanément sur un même territoire.
Car on peut bien parler d'interaction, et il n'est pas douteu x
que l'influence exercée par le droit françai s sur les autres systèmes
de droit n'a pas été à sens unique. Dans la mesure où le droit
français a été déclaré applicable - et il l'a été dans chacun de
ces quatre territoires, soit intégralement, soit partieUement _ ,
il a bien dû subir, lui aussi, certaines influences extérieurcs et
souffrir certaines altérations. Celles-ci sont très généralement
dues à la nécessité d'adapter le droit aux conditions particulières
qui existent dans les îles de l'Océan Indien; mais dans le cas
particulier de me Maurice, eUes sont dues aussi à un phénomène
très original qui est celui de la coexistence du droit frança is
et du droit anglais.
29
Il est bien certain qu'on ne peut s'attendre à trouver dans
ces îles - jadis réputécs lointaines - de l'hémisphère austral
un climat politique et social, des conditions économiques, des
mœurs et des modes de vie entièrement assimilables à ceux de la
France métropolitaine. Ces territoires de l'Océan Indien ont une
personnalité propre; leur situation originale fait qu'ils ont certains problèmes particuliers à résoudre et que leurs besoins ne
sont pas nécessairement les mêmes qu'en Europe : et tout cela
ne peut manquer de se traduire dans leur système de droit. Ceux
qui ont décidé d'y « recevoir . le droit français ont bien compris
qu'il faUait quand même tenir compte des circonstances pour
assortir cette réception de certaines réserves. Le fait se vérifie
également à Madagascar et aux Comores, à la Réunion et à
Maurice; il est seulement plus ou moins marqué, suivant que les
conditions locales sont plus ou moins différentes de ceUes de
la métropole, suiva nt aussi que le pays est ou non rattaché (et
par un lien plus ou moins étroit) à la souveraineté française:
on conçoit sans peine que le droit métropolitain subisse des
modifications importantes dans des pays indépendants (comme
l'est aujourd'hui Madagascar) ou dans des pays qui relèvent
d'une souveraineté étrangère (comme c'est le cas pour l'île
Maurice), alors qu'il est seulement l'objet de certaines adaptations,
sur des points bien défini s, dans des territoires qui font partie
intégrante de la République Française (comme l'Archipel des
Comores) et qu'il s'applique encore plus complètement dans le
département de la R éunion. Ce n'est pas à dire, toutefois, que
les règles juridiques applicables dans ce département soient parfaitement identiques à ceUes qui sont en vigueur en Métropole:
il a tout de même faUu tenir compte des conditions propres à
cette île pour la soumettre, en différentes matières, à un régime
particulier. Déjà au début du XI siècle, les codes napoléoniens
avaient bien été promulgués à la Réunion, mais avec certaines
additions ou modifications alors commandées par les circonstances. Si le Code Civil avait bien été promulgué intégralement
par un arrêté du Capitaine Général en date du 23 octobre 1805,
le Code de Procédure Civile ne l'avait été, le 20 juillet 1808,
qu'avec un certain nombre de réserves - largement justifiées,
d'ailleurs, par la difficulté des communications a.vec la Métropole; quant au Code dc Com merce, il avait lui-meme subI quelques modifications pour être introduit le 14 juillet 1809 . . Le
Code Pénal pour sa part n'a été mis en vigueur, avec certalDes
)
1
l '1
t
exceptions, que le 22 décembre 1876, date à laq~el e ' . ses
substitué à l'ancien Code Pénal colonial. Si le drOIt applicable
à la R éunion présentait donc, déjà à cette époque, un certaIO
1
�30
particularisme, celui-cl n'a fai t que s'accroître ensuite, du moins
jusqu'à une date récente, par le fait que certaines lois modificatives ou abrogatives des premiers codes n'ont jamais été
promulguées dans l'île alors que d'autres textes, au contraire,
y ont été introduits, qui lui étaient spécialement destinés . La
situation s'est, certainement, quelque peu éclaircie depuis la loi
du 13 mars 1946, classant la Réunion comme département
français, et un rapprocbement très net s'est fait jour entre le
droit métropolitain et le droit local. Mais toutes les difficultés
ne se sont pas trouvées pour au tant résolues. li s'en faut d e
beaucoup que tous les textes en vigueur dans les départements
de la métropole soient ici applicables; il en résulte donc,
aujourd'hui, une certaine complication lorsqu'il s'agit de savoir,
sur un point donné, quelle est la loi qui doit servir de base à la
décision du juge. Sans doute le praticien est-il en droit de se
plaindre de cette situation qui rend son travail plus difficile; mais
le comparatiste ne peut qu'y voir un passion nan t objet d'études.
Et il ne peut s'empêcber de penser que, si certaines particularités
locales sont seulement dues à la paresse ou à l'inadvertance du
législateur, il en est d'autres qui s'expliquent aisément par les
conditions propres à cette île - notamment dans le domaine
de la législation sociale et économique ou en matière de droit
rural. JJ ne serait, bien sûr, ni rationnel, ni souhaitable d e soumettre ce département à un régime juridique tout à fait identique
à celui de la métropole.
Encore toutes ces adaptations ne portent-elles, en général,
que sur des points secondaires. JJ reste, que, dans l'ensemble,
le droit applicable à la R éunion est très proche du droit métropolitain; et des propositions nombreuses ont d'ailleurs été faites,
surtout dans les années récentes, pour accentuer encore ce
rapprocbement, grâce à une sorte d' uniformisation des législations
dans toutes les matières de droit privé.
Quelles que soient, au surplus, les différences d e détail
pouvant exister entre le droit applicable à la R éunion et le
droit métropolitain, il est certain qu'on ne saurait parler d'un
véritable c droit réunionnais >, c'est-à-dire d'un système doté
d'une véritable originalité, car le droit réuni onnais, au même
titre que le droit métropolitain, est du droit français. Et c'est
justement par là qu'il se di stingue du droit mauricien qui, lu i,
constitue un système à part - un système qui occupe en vérité,
une place très particulière dans l'ensemble des systèmes juridiques.
Ce qui caractérise, en effet, ce droit mauricien, ce n'est pas
seulement qu'il porte la marque des conditions géographiques,
sociales et économiques propres au pays dans lequel il s'applique.
31
C'est surtout qu 'il réalise une sorte de synthèse entre deux
systèmes qui s'opposent diam étralement, sur le terrain de la
technique juridique, et qui appartiennent, nous l'avons vu, à
deux famiIles différentes : le système fran çais et le système
anglais. Ce fait tient à des circonstances historiques et il explique
que l'on ait pu parler du caractère hybride du droit mauricien.
Un tel caractère se retrouve, d'ailleurs, à des degrés di vers, dans
d'autres systèmes étrangers, notamment en droit écossais, dans
le droit de la république Sud-Africaine, dans celui de la provi nce canad ienne de Qu ébec et, aux Etats-Unis, dans celui de
l'état de Loui siane ; mai s il n'en présente pas moins, dans tous
les cas, un très grand intérêt du poi nt de vue du droit comparé.
En ce qui concerne plus particulièrement le droit de l'île Mauri ce.
la base en est constituée, en beaucoup de matières. par le droit
français - plus précisément par les lois (et notamment par les
codes napoléoniens) qui y avait été promulguées, en même temps
qu'à la R éunion, à l'époque où l'île relevait de la souveraineté
française. Toutes ces lois sont aujourd'hui encore applicables
dans la mesure où un texte subséquent n'est pas venu expressément les abroger. C'est ainsi, par exemple, que le Code Civil
de 1804 , introduit dans l'île de France en 1805. se trouve
toujours maintenant en vigueur. Même des loi s promulguées
après 1810 l'ont été sou s l' inspiration des lois françaises (c'est
le cas. notamment, du Code Pénal de 1838). Bien plus. toutes
ces loi s ont généralement été interprétées - et le sont encore à la lumi ère des décisions prises par les juges français ou des
commentai res écrits par les auteurs francais: ains i sont nom-
hreuses les références faites par les tribunaux mauriciens à notre
jurisprudence et surtout celle de notre Cour de Cassation. Et
cependant. malgTé cette subsistance du droit francais. il faut
noter une influence très forte du droit anglais qui s'est exercée. 1\
Dartir de 18 10. à la fois sur le plan lé.gisl.tif et sur le plan
juri sprudentiel. D'abord. de nombreuses lois anglaises ou . en
tout cas, inspirées du modèle anglais. ont été promulguées dans
l'île soit qu'elles aient eu leur origine à Londres (Actes du
pariement. Ordres en Conseil) . soit qu'elles aient été édictées
sur pl ace (ordonnances pri ses par l'Assemblée législati ve de l'île.
réglements élabo rés par le Gouverneu r. etc.). Ces l~i s so~t
intervenues en droit civil et elles ont donné une phYSIOnomIe
nouvelle à beaucoup d'institutions qui étaient, à l'ori gi~e, réglementées de la même manière qu'en droit françai s et qUI. depUIS,
se sont progressivement différenciées; mais eIles ont été plus
nombreuses encore en matière commerciale et fiscale où la plupart des textes législatifs (notamment sur les sociétés et sur
�32
la faillite) sont d'inspiration purement anglaise. De même, cette
inspiration anglaise se retrouve dans la législation pénale et,
davantage encore, en matière de procédure. Il ne faut pas
oublier enfin que l'île Maurice dispose d'une organisation judiciaire d'un type particulier, assez proche du type anglais; les
juges qui composent les tribunaux, comme d'ailleurs tous les
auxiliaires qui collaborent à l'administration de la justice, sont
généralement des juristes formés :. Londres, dans les universités
anglaises. Et c'est justement par eux que s'exerce, sur le plan
jurisprudentiel, une influence également importante du droit
anglais. Même dans la mesure où ils interprètent des textes
de lois d'inspiration française, même dans la mesure où ils se
réfèrent à des décisions judiciaires ou à des travaux de doctrine
français, les juges et les avocats de l'île Maurice ne peuvent pas
manquer d'introduire fût-ce inconsciemment certaines
techniques, certains modes de raisonnement, certaines catégories,
certains concepts du droit anglai s. Comment pourrait-il, en fait,
en aller autrement, et tout juriste n'est-il pas profondément
marqué par sa formation initiale? Il apparaît ainsi que maintes
institutions et maintes règles juridiques imitées du modèle
français se sont trouvées peu à peu alterées au point de devenir
parfois méconnaissables. TI est certain qu'il y a là, pour les
comparatistes, tout un monde à découvrir. Bien des recherches
pourraient être faites pour déterminer comment telle ou telle
règle du Code Civil - que ce soit en matière de contrat ou de
responsabilité civile, par exemple - a été interprétée différemment en France, par des juristes de tradition romaniste, et à
l~ùe Maurice, par des juristes formés à la discipline de la
common law ; il serait ensuite instructif de comparer les résultats
obtenus dans les deux pays et de voi r dans quelle mesure ces
résultats sont conformes à l'intention première du législateur.
Il ressort, en tout cas, de ces quelques observations que le
droit mauricien constitue, de par son caractère mixte, un droit
original, dont l'étude se révèle fort intéressante, aussi bien du
point de vue scientifique que pratique, et mérite d'être entreprise.
La remarque est d'ailleurs vraie de façon générale, et
c'est eUe qui doit nous permettre de conclure cette brève étude.
TI ne faudrait pas croire, en effet, que les recherches de droit
comparé ne peuvent présenter qu'un intérêt théorique. Nous avons
essayé ici de décrire rapidement la situation des différents droits
applicables dans cette région de l'Océan Indien , de soulever
quelques problèmes et de poser quelques jalons. C'est sur ces
bases qu'il convient maintenant de procéder à des analyses plus
profondes et plus détaillées. Ces analyses pourront être utiles
dans la mesure où elles déboucheront sur des perspectives
d'avenir. A un moment où plusieurs des territoires que nous
avons rapidement envisagés songent à se doter d'un système
juridique nouveau, notamment grâce à une codification (c'est
le cas à Maurice comme à Madagascar), où d'autres cherchent
au moins à mettre de l'ordre dans le droit existant, voire à
entreprendre une certaine remise à jour pour tenir compte des
circonstances nouvelles, il n'est sans doute pas inutile que les
efforts des hom mes de doctrine s'ajoutent à ceux des praticiens
du droit ; et il n'est pas interdit d'espérer que ces efforts puissent
produire certains résultats.
Il faudra bien un jour, étudier ensemble le cas de toutes
les îles francophones de l'Océan Indien. Mais ce sera là une
tâcbe difficile. Notre ambition est, pour l'instant, plus limitée,
puisque nous nous proposons seulement de retenir deux exemples
particulièrement typiques : celui de Maurice et celui de la
Réunion . Sans doute le système juridique ap plicable dans chacune de ces deux îles est-i l profondément différent - mais il
présente aussi d'étonnantes similitudes. Il nous appartient d'en
fournir ici la démonstration . Pui sse ainsi la preuve être faite
que les Mascareignes. dont on a déjà dit qu'eUes étaient . sœurs
par la géographie, sœurs par l'ethnographie et sœu rs par l'hi stoire :., sont aussi sœurs par le droit.
�HISTOIRE DU DROIT ET DES
INSTITUTIONS DE L'ILE DE FRANCE
ET DE L'ILE BOURBON JUSQU'EN 1815
par Auguste TOUSSAINT, O.E.B., ph. D.
Archiviste en chef de l'Ile Maurice
Au début de la coloni sation de l'île Bourbon, - qui commence en 1663, les pouvoirs législatifs, administratifs et
judiciaires furent d'abord réunis jusqu'en 1771 en la personne
des premiers commandants ou gouverneurs, avec une solution
de continuité de 1690 à 1696 lorsque par suite de la séquestration du gouverneur V AUBOULON, les dits pouvoirs furent
exercés par un conseil de six anciens habitants de Saint-Paul.
Un édit royal de mars 1711 substitua à l'autorité du gouverneur seul, celle d' un Conseil Provincial dont la fonction
principale était de rendre la justice, mais qui exerça aussi le
pouvoir administratif et même le pouvoi r législatif. Ce Conseil,
pour juger, devait se composer de cinq membres au civil, de
sept au criminel et ces membres devaient être les directeurs de
la Compagnie, s'ils s'en trouvaient dans l'île, le gouverneur, les
prêtres-curés, les marchands pour la Compagnie et ceux des
habitants françai s domiciliés dans l'île qui seraient désignés par
le Gouverneur.
C'est ce premier Conseil de Bourbon qui fit occuper, en
1721 , l'île voisine dont Dufresne d'ARs EL avait pris possession
en 1715 sous le nom d' fi e de France, après que les Hollandais
l'eussent désertée. Il fut en même temps établi dans la no.uvelle
possession un conseil provisoi re qui décidait de toutes les affaires civiles et criminelles sous l'autorité du gouverneur.
Un édit royal de novembre 1723 remplaça le Conseil
Provincial de Bourbon par un Conseil Supérieur ayant le drOIt
de juger en premier et en dernier ressort. Le même édit substitua
au conseil provisoire de l'Ile de France un Conseil Provincial
statuant à charge d'appel devant le Conseil Supérieur de
Bourbon.
�37
36
Un des premiers actes du Conseil Supérieur de Bourbon
auquel l'historien du droit ne peut manquer de s'arrêter fut
l'enregistrement le 18 septembre 1724, des Lettres Patentes de
décembre 1723 qui rendaient exécutoires aux Mascareignes les
dispositions du Code Noir réglementant l'esclavage déj à en usage
aux Antilles. Ces Lettres Patentes sont le premier texte d'ensemble définissant le statut de l'esclavage aux Mascareignes.
Fait curieux, elles ne furent pas transcrites au greffe du
Conseil Provincial de l'Tle de France. Elles figurent cependant
dans le premier supplément de l'édition originale du Code De/aleu
(pp. 215-228) et à la suite des arrêtés de DECAEN dans la
deuxième édition du recueil de ces arrêtés connu sous le nom
de Code Decaen.
Le Conseil Provincial de l'Ile de France fut supprimé par
un édit de novembre 1734 et remplacé par un Conseil Supérieur
indépendant de celui du Bourbon. fi y eut donc aux Mascareignes,
à partir de ce moment, deux Conseils Supérieurs fonctionnant
séparément.
Lorsque les fies furent rétrocédées au Roi par la Compagnie des Indes après la guerre de Sept Ans, ces Conseils
furent tous deux réorganisés par un Nouvel Edit de juin 1766,
et leurs attributions furent limitées exclusivement à l'exercice
de la justice sous la surveillance de l'Intendant, répu té homme
de loi et commissaire de justice. En réalité, il n'y eut qu'un seul
Intendant appartenant à la profession légale: Du puy, Conseiller
au Châtelet, qui exerça de 1789 à 1798. Les autres étaient tous
des fonctionnaires de la Marine.
L'administration royale qui succéda à celle de la Compagnie
des I?des, comprenait aussi dans J'ordre judiciaire, un nouvel
orgamsme dans chacune des deux îles : le Tribunal Terrier
institu,é par ordonnance du 25 septembre 1766, chargé d~
conn3\tre de toutes questions et contestations concernant le
domaine, lesquelles avaient relevé jusque là des Conseils ProV IDC,"U X et Supérieurs. Ces Tribunaux Terri ers n'avaient toutefois rien à voi r avec l'attribution des concessions de terres et
emplacements que seuls pouvaient octroyer les Administrateurs
en Chef tant à Bourbon qu'à l'Ile de France.
. yne autre, }nno~a tion de l'administration royale mérite parlicuherement d etre signalée: c'est l'installation d'une imprimerie
royale à l'fi e de France en 1768, dans le but de faire connaitre
au,: colons par voie d'affiches, de gazettes et de recueils, le
arretés et autres actes de l'administration .
Un des membres du Conseil Supérieur de l'Ile de France,
Etienne DELA LEU, utilisa cette première imprimerie pour publier
en 1777 et 17 88 un recueil des lois qui régissaient alors les
Mascareignes, lequel devait passer à la postérité sous le nom
de Code De/a/eu. Il est à peine besoin de signaler que ce recueil
est d'une importance capitale pour l'histoire du droit dans ces
Iles.
En 1793, l' Ile Bourbon fut dotée à son tour d'une imprimerie destinée principalement, elle aussi, à assurer la diffusion
des actes de l'Administration, mais son activité, par suite de
divers événements contraires, devait être plutôt restreinte.
En novembre 1771 , les Consei ls Supérieurs furent réorganisés de nouveau. Au lieu de juger en première instance et en
dernier ressort, ils ne jugèrent plus qu'en dernier ressort. Deux
nou veaux tribunaux qui prirent le nom de Juridictions Royales
furent alors établis pour juger en première instance. Ils comprenaient chacun un conseiller-juge qu'on appelait le Juge
Royal, un lieutenant de Juge, un Procureur du Roi, un greffier
garde des minutes.
Les Juges Royaux étaient aussi chargés du maintien et
de l'exercice de la police, dévolus auparavant à un membre
du Conseil Supérieur dans chacune des deux îles. fi s exerçaient
en outre les fon ctions d' amirauté définies en France d'une
manière 'précise pour la première foi s par une ordonnance
de Colbert de 1681 . A noter, cependant, que dans l'exercice
de ces fonctions d'amirauté, les Juges Royau x ne relevaient pas
de l'Amiral de France, comme c'était le cas pour les sièges
d'Amirauté en France, mais uniquement des Administrations
des Tles. En passant, nous croyons utile de signaler qu'il y aurait
toute une étude à faire sur l'amirauté dans notre secteur.
Troi s autres institutions virent le jour sous l'Administration
royale : ce sont, dans l'ordre chronologique, la Curatel~e , aux
biens vacants, le Contrôle des Actes et la Commission Prevotale
de la Marine.
La Curatelle aux biens vacants fut instituée simultanément
dans les deux colonies en 1768 par arrêts des Conseils Supérieurs
pris à quelques mois d'intervalle. Elle a subsisté avec di verses
modifications jusqu'à nos jours tant à l' fie Maurice qu'à la
Réunion. Elle a comme on sait pour rôle de s'occuper des
,
'
hé . .
ont
successions vacantes, c'est-à-dire celles où les
n!lers s
absents.
. é en meme
' t emps: .lui
Le Contrôle des Actes fut .,"sUtu
aussi, à l' Ile de France et à Bourbon, en 1778, pa~ dé~lslOn
.
'
de F rance. Les actes judlclalfes
de Ille
du Conseil. Supéneur
�39
38
soumis à cette formalité étaient d'abord contrôlés sans frais,
mais en 1786, l'officier public qui en était chargé fut autorisé
à percevoir un droit de contrôle. Sous la Révolution, le droit
d'enregistrement fut substitué au contrôle par la loi du 19 décembre 1790. Le Contrôleur des Actes devint dès lors le Receveur
de l'Enregistrement, bien connu de la plupart des contribuables.
La Commission Prévôtale de la Marine est une institution
particulière à l'Tle de France où elle n'eut qu'une ex istence assez
brève. Etablie le 20 aoOt 1782 par l'i ntendant CHEVREAU, c'était
une commjssion permanente qui devait instruire et juger
conjointement avec l'Intendant tous les crimes et délits commis
à l'a rsenal, aux hôpitaux, magasins et ateliers du Roi. CHEVREAU
avait créé cette institution pour qu'il y eut moins de lenteur dans
les procès et plus de régularité, mais comme elle restreignait le
ressort du Conseil Supérieur et de la Juridiction Royale, elle fut
supprimée vers 1790.
La R évolution française opéra des changements profonds
dans l'ordre judiciaire aux Tles, mais il n'est pas tout à fait
exact de dire à ce propos, comme le fait DELABARRE DE NANTEUIL, qu'on détruisit tout et que les réformateurs recréèrent
entièrement toutes les institutions judiciaires des Mascareignes.
En fait, les deux cours principales, le Conseil Supérieur et la
Juridiction Royale furent maintenues avec les mêmes attributions,
quoique sous des noms différents.
La nouvelle organisation judiciaire est énoncée pour l'Tle
de France dans le mode de Constitution provisoire adopté par
l'Assemblée Coloniale de cette île le 2 avril 1791 et pour l'île
Bourbon dans un règlement de l' Assem blée de cette île en date
du 22 juin 1793. Les dispositions contenues dans ces deux actes
étaient sensiblement les mêmes. Les voici dans les grandes lignes.
Tout d'abord, le pouvoir judiciaire devait être exercé exclusivement par les tribunaux organisés dans chaque colonie.
L'Intendant vit donc, de ce fait, son rôle limité à celui d'un
simple administrateur des finances et n'eut plus rien à faire avec
l'administration de la justice et de la police.
Les dénominations de Juridictions Royales et de Conseils
Supérieurs furent remplacées par celles de Tribunaux de Première Instance et de Tribunaux d'Appel, mais, comme on vient
de le dire, les attributions de ces tribunaux demeurèrent à peu
près inchangées. La principale innovation semble avoir porté
~r .1,: mode de nomination des juges qui étaient élus par les
JustiCIables et non plus désignés par le Roi .
Les Tribunaux Terriers, par contre, furent supprimés et
leurs fonctions furent dévolues au Directoire qui exerçait le
pouvoir exécutif dans chacune des deux colonies.
De même, les fonctions d'amirauté furent enlevées au Tribunal de Première Instance et attribuées à un nouveau Tribunal
dénommé Tribunal de Commerce, du moins à l'Ue de France,
car il ne semble pas que ce tribunal ait fonctionné à la Réunion
où l'activité commerciale était alors assez faible.
L'administration de la justice civile fut assurée, en outre,
par des Tribunaux de paix, dont la juridiction peut être assimilée à celle d'une juridiction de police, et par des Tribunaux
de famille qui n'eurent qu'une durée éphémère. Ceux de l'Ile
de France ne fonctionnèrent que deux ans, après quoi ils furent
supprimés et les questions qui les concernaient furent renvoyées
devant les Tribunaux de paix. Ajoutons que les Tribunaux de
paix fonctionnaient aussi comme bureaux de conciliation et de
jurisprudence charitable.
Quant à la justice criminelle, elle fut exercée par les Tribunaux criminels avec le concours de jurés d'accusation et de
jurés de jugement. On relève aussi, pour l'Ile de France seulement l'institution en 1794 d'un Jury criminel révolutionnaire
d'ins;ruction pour c prendre communication publique de toutes
les pièces qui tendent à charge et à décharge de tout p~évenu
d'attentat contre la patrie >. Ce jury fut mIs en actmte pour
prendre connaissance des accusations portées contre le VlceAmiral de Saint-Félix et ses c complices >, mais quelques Jours
d~
seulement après sa création l'Assemblée Coloniale ?e
France le révoqua et renvoya l'affaire à son Conute de surete
publique.
A signaler encore la création d'une justice arbitrale, d'un
tribunal de révision pour juger si les formes pres~ntes dans les
jugements criminels avaient été bien observées, 1 atu:buo,on d e
la police administrative a ux corps muruclpaux e,t , llOs?tubon
d'un régime hypothécaire dont les bases avatent ete. Jetee~ par
un édit royal de juin 1771 mais qui ne semble aVOIr vralment
pris naissance que sous la Révolution.
l'li:
A noter enfin que les Assemblées Coloniales, tant à la
Réunion qu'à l' Ile de France, firent constamment usa~e. de
. é a• 1eurs actes . TI n eXISte
l'imprimerie pour donner pu bl 'IClt
.
malheureusement pas de colJecbon comp J't
e e pour .aucune des
deux nes des J ournaux des Assemblées, ce qui fatt, qu'on ne
' mslation republicame.
possède aujourd'hui aucun recuel'1 d e 1a leb"
.
0
1803
à ceux
qUI
des Mascareignes entre 179 et
co mparable
, .
1
là
existent pour les législations antérieures et ulteneures. r y a ,
�-l0
une grosse lacune dans la documentation relative à l'histoire du
droit aux Mascareignes, et il faut souhaiter que cette lacune
puisse être comblée un jour.
teurs remplacèrent da~s. une eer,,!i~e mesure les juges de paix
par les commIssaires CIVIls, maIs 1 hlstonen Henri PRENTOUT dit
que ce système n'était guère satisfaisant.
De cette législation républicaine un des actes les plus importants fut très certainement l'adoption du Code Pénal du 25 septembre 1791 qui resta en vigueur à la Réunion jusqu'en 1816
et à l'Ile Maurice jusqu'en 1832.
En fait, de nouveaux tribunaux c~éés après 1803, il n'yen
a que deux à sIgnaler: un tnbunal cnmmel spécial pour connaître
les délits et crimes commis par les esclaves et un tribunal maritime constitué sur le modèle de ceux établ.is dans les ports de
France par un décret impérial du 12 novembre 1806.
Autre caractéristique importante à signaler: sur le chapitre
de l'esclavage les Assemblées des Mascareignes refusèrent résolument de suivre celles de la métropole. Elles acceptèrent bien
l'égalité de tous les citoyens nés libres, quelle que fût la couleur
de leur peau ; eUes acceptèrent aussi d'abolir la traite négrière
mais elles ne voulurent pas abolir l'esclavage lui-même.
,
41
L'ordre judiciaire aux Masca reignes fut remanié pour la
troisième fois de fond en comble par deux arrêtés du Gouvernement consulaire en date des 2 février et 24 mars 1803, lorsque
le Général D ÉcA EN fut nommé à la tête de l'administration des
nes en 1803.
Le premier arrêté qui portait sur la réorganisation administrative restitua à l'ancien Intendant, sous le titre nouveau
de Préfet Colonial, la direction de l'administration civile et de
la haute police, à l'exception, toutefois, des fonctions de justice
qui furent attribuées à un autre administrateur en chef, dénommé
Commissaire de Justice. Ce dernier avait la surveillance des
Tribunaux et des officiers ministériels établis près d'eux. JI
pouvait présider les Tribunaux toutes les fois qu'il le jugeait
convenable et il y avait voix délibérative. Il avait seul le droit
de faire des règlements sur les matières de procédure et devait
préparer les lois les plus propres à former le code civil et
criminel des Mascareignes.
Le second arrêté qui portait plus particulièrement sur
l'ordre judicia~re, abolit toutes les institutions républicaines,
suppnma les elections aux fonctions de magistrat et de juge,
et rerrut les tnbunaux sur le même pied qu'en 1789. Seuls les
t~~unaux de p;emière instance et d'appel furent donc conservés.
C et~'t, sous d autres noms, la Juridiction Royale et le Conseil
Supeneur de l'Ancien Régime. Les Tribunaux Terriers furent
aussi ~établis dans leurs mêmes attributions : leur composition
seule eprouva quelques changements.
L~ restauration pure et simple de l'organisation d 'avant
1789 n alla pas sans causer quelques difficultés. Les institutions
dont la suppression fut la plus ressentie étaient le Tribunal de
Commerce et les Tribunaux de Paix. Les nouveaux administra-
Par ailleurs le nouveau régime fut marqué par le maintien
de l'esclavage et le rétablissement de la traite et par la promulgation aux lies de trois codes napoléoniens, le Code Civil, le
Code de Procédure Civile, et le Code de Commerce, dont
l'imprimerie de l'Ile de France publia des éditions qui sont
aujourd'hui rarissimes. EUe publia aussi un recueil complet des
arrêtés du capitaine OecAEN et de ses coUègues, qui est
aujourd'hui connu sous le nom de Code Decaen, mais qui avait
pour titre originel: Code des Isles de France et de la Réunion,
ou Recueil des A rrêtés, Règlements, Ordonnances et Proc/amations des trois Magistrats qui gouvernent les dites Isles .
Le Code Pénal de 18 10 n'avait pas encore été promulgué
aux Iles lorsqu'elles furent occupées par les forces anglaises.
U devint exécutoire à la Réunion lorsqu'elle fut rendue à la
France. Quant à l'Ile Maurice, elle continua d'utiliser jusqu'en
1832 l'ancien Code Pénal républicain et le remplaça alors par
un code sui generis qui s'inspirait largement du code napoléonien .
La période d'occupation par les forces anglaises, de 1810
à 1815, ne fut marquée par aucun changement vraiment important dans l'ordre judiciaire. C'est une période d'expectative durant
laqueUe les vainqueurs ne tentèrent pas d'imposer leurs propres
lois aux habitants des Iles, à l'exception de l'acte d'abolition de
la traite négrière décrétée en Angleterre en 1807. La promulgation de cette loi se heurta, d'ailleurs, à l'opposition des
Tribunaux.
Après la paix de 1815, la Réunion redevint française et
son régime judiciaire demeura par conséquent soumIs aux lOIS
française s tandis qu'à l'ancienne Ile de France s'établissait un
régime composite qui fera l'objet d'autres rapports.
Avant de terminer
nous devons consacrer une mention
spéciale au notariat, l 'u~e des institutions les plus .utiles et les
plus anciennes des Mascareignes. Les premiers notrures apparurent en effet, en même temps que les Conseils ProvI~cla~x à
Bourbon et à l' Ile de France mais c'est surtout sous 1 adminIStration royale que le notariat a' pris de l'importance. On relève une
�42
soixantaine de notai res ayant exercé à Bourbon de 1711 à 1815
et autant à l'Ile de France de 1724 à 1815. Dans cette dernière
île le notariat constitue, en fait, une des plus importantes survivances ,do. système !uridique français dont - il faut le souligner
- il n eXIste pas d équI valent dans le système anglais.
Par suite de dispositions particulières à l'ile Maurice toutes
les minutes notariales datant de plus de soixante ans se t;ouvent
main~enant réunies aux Archives de Port-Louis. Elles sont
pe~ t-etre le, fonds le plus riche de ce dépôt, en même temps
qu une matlere de tout premier ordre pour la recherche. Tout
au tant que les actes administratifs et les actes judiciaires les
actes civils extra-judiciaires que sont les minutes notariales r~pré
sentent, en effet, une source qui se recommande d'une manière
toute particulière à tous ceux qui veulent étudier l'histoire juridIque des Mascareignes.
•
HISTOIRE DES INSTITUTIONS
DE LA RÉUNION DE 1815 A 1947
par André SCHERER
Archiviste-paléographe
Directeur des Services d'Archi ves de la Réunion
De 1789 à nos jours, la législation appliquée à la Réunion
oscilla entre l'assimilation complète avec celle de la Métropole
et le particularisme colonial dans le domaine juridique. C'est que
le législateur a toujours dû tenir compte de deux impératifs,
l'un historique et juridique, l'autre géographique, voire économique, qui étaient bien souvent antinomiques. TI fallai t en effet
que le législateur prenne en considération le principe juridique
que tout habitant de cette île est citoyen français; il devait donc
assurer à ces Français la jouissance de leurs droits, des mêmes
droits qu'ils auraient exercés s'ils avaient été en Métropole. TI
fallait aussi que les Français des colonies vivassent sous des
institutions qu' ils retrouveraient en France puisque les institutions
sont un des éléments les plus puissants de la nationalité. Mais
à cette unité de législation s'opposaient la situation géographique
de l'île, l'éloignement, les problèmes économiques, voire sociaux
Gusqu' à l'abolition de l'esclavage) qui se posaient à Bourbon
et point du tout (ou dans des termes parfaitement différents) en
Métropole. Le législateur eut toujours à l'esprit ces deux principes
quand il légiféra pour la Réunion ; mais son choix - car il
fallut toujours donner primauté à l'un ou l'autre - fut finalement un choix politique. Les régimes autoritaires comme le Premier et le Second Empires. Les régimes libéraux mais d'inspiratIOn
bourgeoise comme la Constituante, la Restauration ou la Monarchie de Juillet eurent tendance à laisser aller l'île vers son
particulari sme ~aturel. Au contraire, les régimes inspirés d'une
idéologie révolutionnaire et sociale eurent tendance à donner
au principe de l'égalité des droits des citoyens des ~lonies : t de
la Métropole la primau té sur les nécessités de la geographle ou
de l'économie. Qu'ils fussent les Conventionnels de 1795, le
Gouvernement provisoire de 1848, l'Assemblée Nationale Cons-
�44
tituante de 1945, ceux qui, à Pa ris, entendaient promouvoir une
politique sociale aux Colonies, mettre un term e a ux abus trop
connus de l'esclavage ou du sous-prolétari a t, prônèrent une politique d'assimilatio n juridique complète avec la M étropole.
L'Assemblée Constituante qui était formée de grands bourgeoisphilosophes - au sens du XV III ' siècle - déclarait, dans le
préambule de son décret des 8-10 ma rs 1790, qu'elle considérait
« les colonies comme partie de l'Empire Français» mai s ajoutait
qu'elle n'avait « jamais cependant entendu les comprendre dans
la constitution qu'elle a décrétée pour le royaume, ni les assujettir à des lois qui pourraient être incompatibles avec leurs
convenances locales et particulières ». A u contraire, les Conventionnels de l'An III qui , l'année précédente, avaient voté dans
l'enthousiasme l'abolition de l'esclavage, stipulèrent dans la
constitution qu'ils votèrent le 5 fructidor que non seulement
les colonies faisaient partie intégrante du territoire de la France,
mais qu'elles aussi seraient transform ées en départements.
Cette constitution ne reçut pas à la Réunion le moindre
début d'exécution. Les colons s'y opposèrent parce que cette
constitution aurait en traîné la mi se en exécution du décret du
16 pluviose An II qui abolissait l'esclavage. BONA PARTE, q uant
à lui, dans la Constitution du 22 frimaire An VIII (17 décembre 1799) décida que le régime des colonies serait déterminé
par des lois spéciales et troi s ans plus tard, le 16 thermidor An X
(4 août 1802) il confia au Sénat le soi n de préparer une Constitution coloniale, tout en aya nt décidé auparavant (30 tl oréal
An X , 20 mai 1802) que pendant di x ans le régime des colonies
serait soumis aux règlements qu i seraient faits par le gouvernement. La Restauration ainsi que la M onarchie de Juillet
maintinrent le princi pe que les colonies éta ient régies par des
lois particulières.
Tout au contraire, les intellectuels de gauche et les doctrinaires socialistes qui prirent le pouvoir en fév ri er 1848, affirmèrent l'unité de législation entre la Métropole et les Colonies,
non seulement en abolissant l'esclavage mais surtout en accordant d'emblée aux nouveaux affranchis la totalité des droits
civiques. Si la Constituti on de 1848, ~algré l'intervention de
SC~OELCHER qui récla~ a à propos de l'article 109 l'applicati o n
mtegrale de la c:o~slltutl?n aux coloni es maintint que les colo nies
contlOueralent, a etre regles pa r des lois particuliè res, elle précl ~aJt ,e~pressement que cela ne serai t que « jusqu'à ce qu'une
101 specIale les place sous le régime de la présente disposi tion • .
La seconde R épublique fut si éphémère que cette loi d'assimilation ne fut jamais votée et le Second Empire revint consi-
45
dérablement en arrière. En eflet, après le coup d'état du 2 décembre 1851 , les colonies ne furent plus considérées comme faisant
partie intégrante de la R épublique et la Constitution de 1852
stipula que le Sénat réglait par Sénatus-Consulte la constitution
des colonies. Le Sénatus-Consulte du 3 mai 1854 accentua encore
la décentralisation, le particularisme local. En fait cette situation
devait se maintenir jusqu'au lendemain de la seconde guerre
mondiale bien que les R éunionnais aien t obtenu certaines mesures
d'assimilation à la Métropole comme d'avoir des représentants
au Parlement ou d'être intégrés dans le régime monétaire
françai s.
C'est l'Assemblée Nationale Constituante, élue en octobre
1945 et composée pour sa quasi-totalité d'anciens membres des
réseaux de R ésistance, qui fit faire à l'assimilation de la Réunion
le pas décisif en votant, le 19 mars 1946, la loi portant transformation en département des quatre vieilles colonies, dont la
Réunion . Mais, si depuis cette date, l'assimilation est en principe
totale, l'application des lois métropoli taines à la Réunion ne
s'y fit que lentement. Certaines lois n'y ont pas encore été
rendues app licables, car des mesures d'adaptation se sont révélées nécessaires. On peut même noter un certain retour offensif
du particularisme local puisqu'un décret du 26 avril 1960 hab ilite le Conseil Général de la Réunion à saisir le Gouvernement
de toute propositi on tendant à l'interventio n de dispositions
spéciales moti vées par la situation particulière du Département.
A insi donc, au cours de la période qui nous intéresse ici ,
de 18 15 à nos jours, la R éuni on a-t-elle vécu la plupart du
temps sous des lois particu lières. Mais nous verrons e~ e~a~tn~nt
les différentes institutions qu'une tendance vers 1 aSSImilatIOn
se fait jour à travers les péripéties imposées par les différentes
philosophies politiques des régimes régnant à Paris.
•••
Les ge ns qui, en 181 4-15 , reprirent le ~~uvoir ~ P~ri s
étaient des émigrés qui, sui va nt l'expresSIOn celebre, n ava lent
rien appris et rien oublié. Aussi tent,èrent~i1 s de restaurer à
l' Ile Bourbon le régi me antérieur à la RevolutIon. Deux déCISIOns
roya les des 2 1 et 27 juillet 18 14 remirent en vigueur des dISposi tions de l'ordonnance du 26 septembre 1766 qUI confia It
l'administration de l'île à un Gou verneur, à un lntenda,nt e~ à
un Conseil Supérieur ayant, comme les Parlements d Ancten
R égime, un droit d'en registrem~nt et par ,S Uite de remontrance.
Ce système était à l'époque SI anachromque qu'il n'était pas
�46
47
viable. En effet, le droit de remontrance étai t depuis vingt-cinq
ans tombé en désuétude et le Conseil Supérieur, qui n'était
plus en fait qu'une nouvelle forme des anciennes Cours d'Appel
de l'Empire, ne pouvaient plus faire contrepoids à l'autorité,
voire au despotisme des administrateurs. Le Conseil Supérieur
fut d'ailleurs supprimé le 13 novembre 18 16 et remplacé par
une Cour R oyale. Les pouvoirs des Administrateurs étaient mal
définis: ils avaient non seulement le pouvoir exécutif, mais aussi
le pouvoir législatif provisoire. Tl s'éleva rapidement entre le
gouverneur et l'intendant des querelles : un gouverneur destitua
son intendant de sa propre autorité en 18 15, l'année sui vante,
il fit arrêter par deux fois son contrôleur colonial . On allait droit
à l'anarchie. Une première réforme intervint par les Ordonnances des Il mars et 26 avril 18 18. Celles-ci donnaient d' une
part la totalité des pouvoirs a u Gouverneur, l'intendant étant
remplacé par un commissaire de marine chargé des détails de
l'administration et instituaient d'autre part un conseil de go uvernement et d'administration formé des cinq principaux chefs
de service et complété ju squ'à concurrence de sept au moins
et neuf au plus par d'autres chefs de service, des colons, des
négociants et des jurisconsultes. Ce nouveau système ne fonctionna guère mieux que le précédent. Le gouverneu r - qui en
principe devait être d'abord un commandant militaire - était
surchargé de travail puisque le commissaire de marine n'était
chargé que des détails de l'admini stration. D'au tre pa rt, le conseil
d'administrati on et de gouvernement, qui n'émettait qu'un avis
et était composé en grande majorité de fonctionnaires, ne pouvait
être un contrepoids suffisant au despotisme du Gouverneur.
Ce n'est que di x ans après la restitution de l'île à la
France que le gouvernement royal donna à l'île Bourbon des
institutions ayan t quelque stabilité. Ce fut l'objet de l'Ordonnance du 21 août 1825 qui devait servir de modèle pour l'organisation des au tres vieilles colonies et rester dans ses grandes
lignes en vigueur jusqu'en 1947. Par ce nouveau texte, le commandement général ai nsi que la haute admini stration étaient
confiés à un gouverneur chargé de la défense intérieure et
extérieure de la colonie. Il avai t le commandement su périeur des
troupes tant de terre que de marine et pouvai t au besoi n décréter
l'état de siège. Du point de vue administratif ses pouvoirs étaien t
assez généraux: il y avait « l'administration de la mari ne, de la
guerre, des finances et des différentes branches de l'admi nistration
le directeur de l'intérieur et le procureur général du roi. Les
pouvoirs du gouverneur étaient donc limités par l'étendue même
des pouvoirs de ses chefs d'administration. Le commissaire-ordonnateur contrôlait avant tout les finances de la colonie et par là
avait une influence déterminante sur la politique suivie. Le
directeur de l'intérieu r, bien que « chargé de l'administration
intérieure de l'île, de la police générale et de l'administration des
contributions :t était, avant tout, le tuteur: des communes et le
directeur des grands tra vallx. Quant au procureur général, il
ava it dans son domaine toute l'organisation judiciaire de la
colonie. Enlin , Je gouverneur était flanqué d'un inspecteur colonial
(qui fut pendant un temps contrôleur colonial), lequel était dans
la colonie l'œil du pouvoir central. Cette institution dont l'origine
est difficile à déterminer - sans doute vers 18 15 - était localement particulièrement importante. L'in specteur colonial exerçait
en effet ses fonction s « dans une entière indépendance de toute
autorité locale . et contrôlait par ce fait le gouverneur. Certes,
il ne pou vait « diriger, ni suspendre aucune opération . ) mais
en fait, par le contrôle quotidien qu'il exerçait sur tou s les services
administratifs il pouvait circonscrire mieux que quiconque les
pouvoirs générau x du gouverneur.
Aussi ne faut-il pas s'étonner que les gou verneurs, tenus en
bride tant par leurs chefs d'administration que par l'inspecteur
colonial ai ent che rch é à se débarrasser de cette véntable tutelle.
Le con;rôleur colonial fut leur première vi ctime. Supprimé le
15 avril 1873 le contrôleur colonial vit ses attributions réparties
entre le chef du secrétariat du gou ve rneu r, le substitut du procureur général et l'ordonn ateur. Ce derni er eut, neuf ans pl~ s tard,
le sort du contrôleur coloni al. La fonction fut suppnmée le
15 septembre 1882 et les attributions de l'ordonnateur .furent
réparties entre le chef du service admIDlslrallf de l a manne, le
directeur de l'intérieur et le trésorier-payeur. RestaIt le dlfecteur
de l'intérieur. Il eut le même sort que ses collègues el fut suppnmé
par décret du 21 mai 1898. La raison invoquée pour cette suppression était que les gouverneurs étaient tous à cette époque
des civils et que l'usage s'était établi « de rend,re en . faIt l es
gouverneurs responsables de l'ensemble de 1 adml ntstrattOn
civile ~ . Le gou verneur fut donc ainsi investi de tou~. les ~ouvOlrs
détenus aupara vant en propre par le directeur de. 1 mtéfl eur. On
lui donna un secrétaire général auquel il pouvaIt .déléguer tels
à donner « les
pouvoirs qu'il jugerait utile. C'est ainsi qu'en cmquante a,ns
se concentrèrent entre les mains du gouverneur ,tou s les pouvoirs
ordres généraux • . II était en effet entouré de trois chefs d'administration aux pouvoirs bien définis: le commissaire-ordonnateur,
administratifs et que le chef de la colonie redevmt pour un autre
demi-siècle un véritable potentat.
intérieure ~ . Seulement son pouvoir se résumait
�49
48
une réalité raciale, mais un concept juridique. Les gens de couleurs, Noirs libres, nés hors de France ou affranchis, jouissaient
de droits très semblables. Les lettres patentes en forme d'édit
de décembre 1723 stipulaient que les affranchis n'avaient pas
besoin de • letlres de naturalité. pour jouir des avantages des
sujets naturels du royaume. La seule restriction était que ces
gens de couleurs ne pouvaient recevoir des Blancs aucune
donation entre vifs. Ce n'est que sous le Consulat que le gouvernement, affolé par les événements de Saint-Domingue, priva
les gens de couleur de l'exercice des droits politiques et limita
l'exercice de leu rs droits civils, par exemple en matière de
succession, (loi du 29 germinal An XI, 19 avril 1803). Sous
la Monarchie de Juillet (loi du 24 avril 1833), les gens de couleur recouvriront la totalité des droits civils et politiques dont
jouissaient le reste des Français. Au moment de l'abolition de
l'esclavage en 1848 , la question se posa de savoir si l'on accorderait d'emblée la totalité des droits civils et politiques à ces
hommes, qui, juridiquement, naissaient à la condition humaine.
La question fut résolue par l'affirmative. Par la suite, les immigran ts, qu'ils vinssent de l'Inde, de Madagascar, de Chine ou
d'ailleurs, acquérirent la nationalité française par naturalisation
ou leurs enfants par droit naturel puisqu'ils étaient nés en France.
•••
Il faut reconnaître qu'à cette époque, il devait compter avec
la représentation locale de la population. L'organi sation de 1825
avait entouré le gouverneur d'un Conseil Pri vé formé des trois
chefs d'administration, de l'inspecteur colonial et de deux
conseillers privés nommés par le pouvoir central sur la proposition du gouverneur. Ce Conseil Privé qui devait se perpétuer
jusqu'en 1947, joua, jusqu'en 1860-70 un rôle très important.
Sous la Restauration, la Monarchie de Juillet, la Seconde République, le Second Empire, toutes les décisions importantes furent
discutées, parfois fort longuement, par le Consei l Privé. Celui-ci
intervenait non seulement dans les questions d'administration,
mais également dans des questions politiques. Mais à partir de
1870, le Conseil Privé perdit de son importance au point
qu'immédiatement avant a insi qu'après la Seconde Guerre Mondiale, il n'était plus guère réuni, le gouverneu r se contentant de
procéder à des consultations à domicile sur les textes que la
réglementation en vigueur lui faisait un devoir de soumettre
au Conseil Privé. Il faut évidemment attribuer en grande partie
le déclin du Conseil Privé au rôle de plus en plus importan t
que joua le Conseil Général. Le Conseil Privé, Conseil des
Notables, était parfaitement conforme aux doctrines politiques
de la Restauration. Il l'était évidemment moins aux idées directrices de la Troisième République et il apparaît normal que
toute son IOfiuence se soit effacée devant celle de la représentation popula"e tant sur le plan national que local.
•••
• C'est un principe de notre droit public, écrivait DELABARRE
en 1854, que les colonies françaises font partie
mtegrante de l'Empire français; leurs habitants sont donc
Français au même titre que ceux de la France continentale •.
Cela résultait du texte de l'Edit de 1664, porta nt établissement
de Ja Comp agme des Indes Orientales où il était stipulé que les
émigrants Jouiraient dans les lieux où ils s'établiraient des mêmes
libertés et franchises qu'à l'intérieur du royaume et que leurs
e~ants s.eratent Français comme eux-mêmes s'ils étaient issus
d un manage avec un indigène. Tels étaient donc les droits civils
de la population blanche et cette expression recouvre non pas
DE , NANTEUIL
r
La représentation de cette population, tant sur le plan
national que local varia beaucoup entre 1815 et 1947 sui vant
le régime politique sous lequel vivai t la France. La représentation
nationale de la colonie qui avait existé sous la Révolution
avait été supprimée par le Premier Empire. Sous la Restauration,
elle fut très mal assurée. L'Ordonnance du 13 novembre 1816
(article 8) n'accordait à la colonie qu' un député nommé par
le Roi sur la présentation du comité d'agriculture et de commerce. L'Ordonnance du 21 août 1825 (article 186) ne fit guère
que remplacer la présentation du comité d'agriculture par celle
du Conseil Général. Un certain progrès fut apporté sous la
Monarchie de Juillet (loi du 24 avril 1833, article 19) puisque
le délégué de la colonie n'était plus nommé par le Roi ,mais par
le Conseil Colonial. Mais ce n'est que sous la Seconde Republique
que l'égalité de représentation fut accordée à la Réunion : deux
députés furent élus au suffrage universel. Cependant, le Second
Empire supprima d'abord la représentation nati?nale. de la
colonie, puis en 1854, (Sénatus-Consulte du 3, mal, a rtICle 17)
accorda à cette dernière un délégué, nomme par le Conseil
Général au Comité consultatif du Ministère de la marine et des
colonies~ Cette sous-représentation de la colonie sur le plan
national ne laissait pas de chagriner les Réunionnais qui se
�50
plaignaient de ne pouvoir se faire entendre à Paris et d'être
tenus délibérément à l'écart des décisions concernant la Nation.
Deux fait s sont en particulier caractéristiques. En 1831 -32, au
lendemain de la Révolution de Ju.illet, il se forma à l'Ile Bourbon
une société secrète dite des « Francs Créoles > qui fit campagne pour l'indépendance de la colonie au cas où la Métropole
tenterait d'abolir l'esclavage, mais au cas aussi où la colonie
n'obtiendrait pas une véritable représentation de la population .
Quarante ans plus tard, en 1870, au lendemain de la défaite de
Sedan, le Gouvernement de la Défense Nationale d écida de
réunir les collèges électoraux en vue de l'élection d'une Assemblée
Nationale et précisa que ces élections se feraient suivant la
loi du 21 décembre 1849. Or, les Réunionnais, sans attendre
les ordres du gouve rnement central, sans même demander l'avis
de ce dernier, interprétèrent cette référence à la loi de 1849
comme le rétablissement de la représentation de la colonie sur
le plan national. Tls élirent donc deux représentants qui pa rtirent
pour Bord eaux. L'Assemblée Na tionale, mise devant le fait
accompli ne put qu'accuei llir dans son sein ces deux représentants dont personne n'avait probablement prévu l'existence. C'est
ainsi que les R éunionnais conquirent le droit - qui ne leur
fut jamais plus contesté par la suite - d'avoir des représentants
au Parlement françai s com me tou t département.
La représentation de la population sur le plan local conserva
plus longtem ps des caractères originaux qui la distinguaient de
celle de la population d'un département métropolitain. Sous le
Premier Empire, il n'y avai t eu aucune A ssemblée locale
l' Assem blée Coloniale ayan t été supprimée par le décret d~
13 pluviose An XI (2 février 1803). La première ébauche d'une
représentation de la population sur le plan local apparaît dans
l'Ordonnance du 13 novembre 18 16 qui créa « un comité consultatif d 'agric~lture et de commerce >, composé de sept membres
(cl?q propnetatres et deux commerçants), choisis par le Roi sur
pr~se~tatlOn du . gouverneu r. Ce comité qui se réunissait une
fOIS 1 an entendait le compte rendu de la situation de la colonie
vérifiait les com ptes des centimes additionnels, donnait son avi~
sur l'aSSiette et la répartition des contributions coloniales. JI
po~valt présenter ses vues sur les moyens d'accroître la prospérIté de la. colo,nle. Ce comité consultatif céda la place en 1825
à un Conseil Genéral composé de quarante-huit membres (deux
à hUit par commune), nom més par le Roi sur une liste double
de c:",didats présentés par les Conseils municipaux. Le Conseil
Géner~ qUI se réunissait deux fois l'an, donnait son avis sur
le projet de budget des recettes et des dépenses à la charge de
51
la colonie et le programme des grands travaux. Il pouvait être
consulté par le gouverneur sur les améliorations à introduire
dans le régime intérieur de la colonie. Ces pouvoirs extrêmement
restreints, joints au mode de désignation du Conseil Général
fai saient de cette assemblée une représentation inadéquate de
la population.
Le régi me issu de la charte de 1830 tenta de pratiquer une
politique de la décentralisation et d'accorder à la colonie une
certaine autonomie. La loi du 24 av ril 1833 répartissait entre
le pouvoi r législatif du royaume, le pouvoir exécutif et un
Conseil Colonial le domaine législatif et réglementaire. Au pouvoir législatif du royaume était réservé le vote des lois relatives
à l'exercice des droits politiques, celui des lois civiles et
criminelles, des lois sur l'organisation judiciaire ainsi que ceUes
sur le commerce et les rapports entre la métropole et la colonie.
De simples ordonnances royales réglaient les questions relatives
à l'organisation admini strative, à la presse, à l'instruction publique à la condition des esclaves. Enfin un Conseil Colonial,
co~posé de trente membres élus pour cinq ans par un collège
électoral censitaire, votait le budget et la répartition des contributions directes. Ce régime de décentralisation donna de mauvais
résu ltats car le Conseil Colonial chercha, par le vote du budget,
à empi éter sur les prérogatives du gouvernement. A ussi, la Loi
du 25 juin 184 1 revint-elle en arrière et rattacha les revenus
des colonies à ceux de l'Etat. Le Conseil Colonial perdit donc
beaucoup de son importance et la Seconde République le supprima sans rien prévoir pour le remplacer.
L a représentation locale ne fut établie qu'en 1854 (Sénat usConsulte du 3 mai) par la création d'un Conseil Général de
vingt-quat re membres. Mais cette nouvelle assemblée n'était pas
élue: les consei llers étaient nommés moitié par le gouver~eur,
moitié par les conseils municipaux (ceux-ci étant eu x-mem~s
nommés par le go uverneur) . Ce Conseil Général ne représentaIt
donc que de fort loin la population. JI n'avait aussI que peu
de pouvoirs. Il votait les dépenses d'intérêt local e t les taxes
nécessaires à l'acquittement de ces dépenses; malS ses vote~
n'étaient exécutoires qu'après l'approba ti on du gouverneur qUi
restait libre de modifier le budget à son gré. Cepend ant douze
ans plus tard, un Sénatus-Consulte du 4 juillet : 866 aU ~,enta
considérablement les pouvoirs du Conseil Géneral en 1 autorisant à statuer sur quantité de questions d'inté;êt local et à
voter les taxes et contributions de toute nature n~cesSaJres ,p.our
l'acquittement des dépenses. Ses dé libér~tions étalent défiOlttves
et exécutoi res sauf si dans un dél.. d un mOIs le gouverneur
�52
53
en avait demandé l'annulation pour excès de pouvoir, pour
violation d'une loi ou d'un règlement d'administration publique.
A la chute de l'Empire, les règles relatives à l'élection des Conseils
Générau x de Métropole, fixées par le décret du 3 décembre 1870,
furent appliquées à la Réunion mai s le fonctionnement même
du Conseil Général resta régi par les dispositions du SénatusConsulte de 1866 si bien que sous la Troisième République,
le Conseil Général de la Réun ion eut davantage de pouvoirs
qu'un Conseil Général de Département métropolitain.
C'est certainement dans le dom aine de la Ju stice que les
conditions économiques et sociales prévalant dans J'île eurent
le plus longtemps de l'influence. Non pas que la lél!i slation à
la Réunion ait été fondamental ement différente de c~lIe de la
M~tropol e . Bien au contraire. Le Code Civil fut promulgué à la
Reumon le 1" brumaire An XIV (23 octobre 1805), le Code
de Procédure Civile le 20 juillet 1808 et le Code Pénal le 12
juin 18 15. Non pas qu'il n'y ait eu un désir du Gouvernement
de d~ter l'île d'une organisation judiciaire calquée sur celle de
la Metropole. Dans le préambule de l'Ordonnance du 13 novembre 18 16, on lit en effet: « sur le compte qui nous a été rendu ...
des ~van~ages q,u'il y aurait à la rendre conforme, sous certaines
mOd,?cat,ons, a l'organisation judiciaire qui est établie dans
la Metropole ... nous ordonnons .. . >. Cette ordonnance remplaçait
le Conseil Supérieur par une Cour Roya le et la juridiction royale
pa; un Tnbu~aI de Première Instance, elle supprimait le tribunal
sp e~,. l et crea,t cinq Justices de Paix. La Cour Royale et les
d,nerents tnbunaux avaient toutes les a ttributions des cours de
tnbunaux de la Métropole.
Cours et Tribunaux n'avaient plus les mêmes caractères que ceux
de la Métropole. La première innovation qu'introduisait l'ordonnance de 1827 étai t le principe de l'amovibilité des magistrats.
Ceux-ci, suivant son texte, c exerceront leurs fonctions dans la
colonie tant que le Roi le jugera convenable au bien de son
service:t, Les magistrats pouvai ent donc être appelés, sui vant
les besoins du service dans les Parquets ou sur le siège. n s
n'étaient pas soumis à la surveillance de la Cour de Cassation ,
mais à celle du Ministre de la Marine et des Colonies. D'ailleu rs.
le décret du 1" décembre 1858 devait détacher la magistrature
coloniale du Mini stère de la Justice et la mettre sous la haute
surveillance du Ministre de la Marine et des Colonies. Localement, cette surveillance appartenait au gouverneur qui l'exerçait
par l'intermédiaire du chef du service judiciaire, Les raisons
de l' introduction de l'a movibilité des juges est expliquée de
la façon suivante par le Comte de Chabrol alors Ministre de la
Marine et des Colonies : « la composition de la magistrature
coloniale a été depuis longtemps l'objet des réclamations du
commerce de France qui s'est plai nt de la partialité des tribunau x
dans plu sieurs de nos colonies. Tout en faisant la part de
l'exagération qui peut exi ster dans ces plaintes, le gouvernement
a reconnu qu'elles n'étaient pas dénuées de fondement... Il
fallait (donc) en conserva nt à la magistrature sa dignité, la mettre
à l'abri des inconvénients que je viens de signaler. En conséquence .. , l'ordonnance exige que le Procureur Général , trois des
Consei llers de la Cour et le Juge Royal , ne soient poi nt nés dans
la colonie, n'y soient point mari és avec une créole de l'île et
n'y possèdent point de propriétés :t, Ce régime d'exception devait
durer très longtemps puisque le principe de l'inamovibilité des
magistrats du siège ne fut posée que par la Constitution de 1946
et que les magistrats coloni aux n'obtinrent auparavant quelques
garanties sur leur statut que par un décret du 22 août 1928 .
Mais ce régime dura peu car il fonctionna mal. Les raisons
de ce mauvaiS fonctionnement restent à étudi er si on ne veut pa s
prendr~ pour ~~gent comptant les affirmations du Mini stre de
la Manne de 1 epoque. Le 30 septembre 1827 fut publiée une
nouvelle. ordonnance abrogeant celle de 1816 . Et 1ï es t neceSS31re
'
.
d'e
xarnmer un peu attentivement ce nouveau texte qui institua
à l'Ile Bourbon un régime d'exception qui par la suite fut
é~endu. non seulement aux Antilles, mais à l'ensemble de la
leglslatlon. cO,lomale françai se. Certes, la justice continua à être
~dml.mstree a l'Ile Bourbon par une Cour Royale (transférée
a Samt-Paul pendant un temps), un Tribunal de Première Instance, des Justices de Paix et des Cours d'A ssises. Mai s ces
L à ne s'arrêtaient pas les différences entre la législation
introduite par l'Ordonnance de 1827 et celle en vigueur ,:n
M étropole. Suivant cette ordonnance, la Cour R oyale statua~t ,
par voie d'annulation sur les jugements des Just,ces de pa,x
et des tribunaux de police. Suivant le ministre, l'île était trop
éloignée pour qu'on puisse réserver aux parties la faculté,du
pourvoi en Cour de Cassation, Mais c'est surtout en matler,e
criminelle que la législation coloniale était exhorbitan te du drOit
commun. L'Ordonnance prévoyait bien deux Cours d'Assi ses,
mais point de jury. Ceux-ci étaient remplacés par des assesseurs,
tirés au sort, dans un collège de soixante membres nommés par
le Roi. Et l'on recommandait bien au gouverneur de proposer
•••
�1
54
à l'approbation du Roi le plus grand nombre possible de fonctionnaires publics, étrangers à la colonie. L'idée de l'assessorat
est paraît-il d'origine locale. EUe fu t justifiée en son temps par
le fait que : « l'institution du jury ne pouvait s'approprier au x
mœurs coloniales . ct qu'il était nécessaire de « neutral iser ce
que l'esprit colonial. porté à l'excès, pourrai t présenter d'inconvénients .J . Bien mieux, les arrê ts de la Cour R oyale en matière
correctionnelle et crimi nelle, ainsi que les arrêts de la Cour
d'Assises furent déclarés irrévocables. JI n'y avait pas de Cassation
au Criminel. L'éloignement de la colonie était donné comme la
L'ÉVOLUTION DU DROIT CIVIL
ET LES PROJETS DE RÉVISION
DU CODE CIVIL FRANÇAIS
raison de cette anomalie. L e condamné pouvait seulement fa ire
par Roger HO UIN
un recours en grâce dont le gouverneur en Conseil Privé appré-
P rofesseur à la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques de Paris
Doyen honoraire de la Faculté de Droit de Rennes
ci ai t le mérite. Ce régime d'exception dura un demi-siècle
jusqu'à la loi du 27 juillet 188 0 qui institu a à la Martinique,
à la Guadeloupe et à la R éunion, le jury.
Telles furent dans leurs grandes lignes les Institutions de
la Réunion de la Restauration à nos jours.
EUes ont toujours été marquées de quelque originali té mais
tendirent à l'assimilation avec celles de la Métropole.
L a France est depuis de nombreux siècles un Pays de
codification et ce règne de la Loi écri te ma rque toute sa vie
juridique, aussi bien pour la confection des lois par le Parlement,
que pour leur interprétation et leur application par les tribunaux,
et pour leur enseignement par la Doctrine.
Dès le xv' siècle, l'Ordonnance de MONTI LS LES TOURS
ava it ordonné la rédac tion des coutumes et certa ins des coutumiers com me ceux de Paris, de Normand ie ou de Bretagne cons-
tituaient de vé ritables Codes. Sous Louis XIV, au XV II' siècle,
Colbert avait rédigé des Codes très importants, tels que l'Ordonnance civile sur la P rocédu re ou les ordonnances sur le Commerce
de terre et de mer qui avaient rapidement acquis une grande
réputation hors de France. Et pendant la période révolutionnaire,
de nombreux projets de Codes avaient été élaborés.
Mais Napoléon devai t attache r son nom au gra nd mouvement de cod ificatio n qui , au début du XIX' siècle, dota la France
de cin q codes fo ndamen taux dont quatre sont encore en vigueur:
non sans d'ailleurs d1importantes mod ifications. Le premier, qUi
1:
est aussi le plus célèbre et sans doute le meilleur, est
Code
civil qui, officiellement, porte le nom de Code Napoleon qUI
lui avait été restitué en 1852.
Ses mérites ont é té bien souven t vantés. D ans la forme,
la lan!rUe est claire et parfois même élégante, bien qu'il ne soit
pas absolument prouvé, comme on le dit parfois, que Stendhal
en ai t fait son livre de chevet.
Les articles, en 1804 du moins, étaient généralement brefs
�1
56
et contenaient souvent des formules bien frappées. C'était un
modèle de codification à la française se caractérisant par des
règles abstra ites assez précises pour servir de guid,e au juge en
même temps que de défen se du citoyen contre 1 a rbItraire du
juge, mais assez générale pour permettre une adaptation de la
norme aux cas particuliers et, souvent même, une adaptatiOn ren-
due nécessaire par l'évolution des faits comme on le dira plus
loin.
Mais la valeur du Code civil de 1804 tenait autant sinon
plus au fond qu'à la forme .
Il convient d'abord de ne pas oublier que ce Code a
unifié le droit civil français. Jusqu'en 1804, les sources de
celui-ci étaient extrêmement variées : pour le droit des obligations et des contrats, l'unité était à peu près réalisée grâce
à l'adoption des règles du droit romain. Mais il en était tout
différemment pour le droit de la famille, des régime matrimoniaux, des successions et de la propriété: le Droit romain ne
s'appliquai t qu'au Sud de la Loire et pas toujours de façon
uniforme; et au Nord de la Loire, les coutumes dont dépendaient
ces matières, étaient assez variées malgré l'expansion sans cesse
grandissante de la Coutume de Paris. Enfin, le Droit canon continuait de régir les mariages et les séparations de corps. A ce
manteau d'Arlequin, le Code de 1804 a substitué une législation
umque pour toute la France et a abrogé les textes antérieurs
disparates.
D 'autre part et surtout il a introduit dans le Droit civil
un certain nombre de principes fo ndamentaux de la Révolution
qui pouvaient être considérés comme acquis en 1804 et il les
a amalgamés avec certaines règles anciennes qui méritaient
d'être conservées. On a dit parfois qu'il a été une œuvre de
compromi s et de transition ; il serait plu s exact de dire que ce
Code civil a confirmé et sta bilisé les acquisitions de la R évolution. Ainsi, la laïcisation de l'état civil et du mariage ont fait
perdre au Droit canon son domaine d'application traditionnel.
Le principe d'égalité de tous les citoyens devant la loi, affirmé
dans la Déclaration des droits de l'homme, s'est traduit par la
di sparition de tous les privilèges de classe et par une conception
égalitaire des successions. Le principe de liberté domine le droit
des contrats avec l'affirmation que la volonté fait la loi des
parties; il domine aussi la propriété qui est le droit le plus
absolu sur les choses et qui n'est plus entravé par les servitudes
féodales.
La conception jacobine des relations entre l'Etat et l'individu n'est pas même absente du Code civil qui ne connaît pas
57
les «Corps interm édiaires . en dehors de ceux qui résultent
de la nature, comme la famille, ou de l'esprit de lucre, comme
les sociétés.
Mais les associations et les syndi cats sont exclus: la liberté
de l'indi vidu ex ige qu'il soit directement en relation avec l'Etat,
qu'il soit seul en face de celui-ci : la sécurité de l'Etat ne l'exige
pas moins.
Cependant, le Code civil ne pouvait pas rompre complètement avec l'Ancien Droit. On a souvent noté que les révollutions politiques n'ont pas toujours une grande influence sur
le droit privé car celui-ci est lié davantage à la morale et aux
mœurs qu'à la form e du Gouvernement. Par ailleurs, les rédac-
teurs du Code civil étaient des juristes qui avaient été formés
avant la Révolution. C'est surtout dans le droit de la fam ille
que ce retour à la tradition est manifeste: sans doute, le divorce
est maintenu mais ses conditions sont rendues plus rigoureuses
que sous la R évolution, sauf peut-être pour le di vorce par
consentement mutuel auquel Napoléo n songeait pour son mariage
stérile avec Josépbine. Mais l'autorité maritale est rétablie ainsi
que la puissance paternelle; les droits des enfants naturels et
des enfants adultérins sont réduits au minimum ; le droit de
disposer d'une partie de la succession, la quotité di sponible même
en présence de descendants légitimes, est reconnu .
T el quel, ce Code civil de 1804 représentait un monument
remarquable et l'on sait le succès qu'il eût, puisque même après
le retrait des troupes napoléoniennes, les Etats de l'Europe, une
foi s libérés, conservèrent pour la plupart ce Code civil qui
leur avait d'abord été imposé.
Cependant ses rédacteurs et surtout PORTA LIS savaient qu'il
ne serait pas éternel et qu'il vieillirai t avec le temps. Comme
on l'a dit, en effet, c'était le Code d' un âge agricole et de l'entreprise indi viduelle fondée sur la propriété et le contrat. La
révolution industrielle du XIX' siècle devait amener des bouleversements si profonds de la société française que les modifications devinrent inévitables et se multiplièrent. Deux périodes
sont toujours distinguées à cet égard ; une période de stabilité
qui va à peu près jusqu'à l'avènement de la III' R épubliqu; en
1875; une période de réforme sous l'IOftuence des Idées democratiques et sociales, qui commence à partir de cette date et
se poursuit.
Ces deux périodes seront examinées successivement. On
conclura en se penchant sur le problème de la révision du Code
civil.
�59
58
l
L'ÉVOLUTION DU DROIT CIVIL
1. P ÉRIOD E D E STABILIT É
Cette période s'étend à peu près jusqu' à la fin du second
Empire et l'avènement de la Ill' République.
Elle correspond à une période de conservatisme politique
avec la Restauration de la Monarchie et le Second Empire,
malgré le sursaut de la Révolution de 1848 qui ne dure que
quelques années et n'aboutit pas à des réform es du Code civil.
Cependant les prémisses de l'évolution économique et
sociale commencent à apparaître. Le développement des entreprises industrielles et commerciales fa it apparaître de nou velles
richesses qui prennent leur place dans les pratrimoines à côté
ou à la place de l'ancienne fortune terrienne et immobilière:
les droits de propriété intellectuelle, les valeurs mobilières,
le fonds de commerce prennent une importance de plus en plus
grande dans les successions, aussi bien que dans les communautés conjugales ou les dots. D'un autre côté, la politique
libérale et le libre jeu de l'offre et de la demande commencent
à fa ire apparaître certains excès ou certains abus : la misère
des ouvriers d'usine d'un côté, les spéculations et les coalitions
de l'autre sont dénoncées à l'opinion publique. L'inégalité des
situations de fait n'est pas compensée par le pri ncipe révolutionnaire de l'égalité du citoyen devant la loi.
Par ailleurs, le développement de l'industrie modifie sensiblement le milieu social : les populations se portent dans les
villes et la fa mille de type patriarcal de l'âge agricole tend
à se réduire à la famille conjugale urbaine composée du mari,
de la femme et des enfants mineurs. Même dans cette limite,
des tendances à l'éclatement se manifestent avec le travail des
femmes et des enfants qui conduit à l'affaibli ssement de la
pui ssance maritale et de la puissance paternelle.
Cependant il ne s'agit encore que de tendances et elles
n'ont guère d'influence sur la législation qui demeure fermement
insérée dans les limites du Code civil qui jouit d'un grand respect de la part du législateur, des tribunaux et de la Doctrine.
Le légi slateur ne touche au Code civil qu'avec des doigts
de fée et seulement lorsque des raisons impératives l'exigent.
Ainsi le di vorce est supprimé en 18 16, la religion catholique
étant devenue religion d'Etat ; les majorats qui avaient été
créés pour la noblesse sont aussi supprimés en 1849.
En dehors de ces réformes politiques, on ne peut guère
citer que des réform es techniques comme la publicité du contrat
de mariage (1850) ou la réforme de la publicité des mutations
immobilières pour am éliorer le crédit hypothécaire et foncier.
Le respect des tribunaux pour le Code civil n'est pas
moins grand que le respect de la Doctrine. C'est l'époque de
l'école de l'exégèse où l'interprétation de la loi est littérale,
s'attachant au texte même du Code et à ses travaux préparatoires. Et les professeurs publient des Cours de Code Civil plus
que des cours de Droit civil.
Avec la fin du X IX' siècle et le vieillissement du Code civii,
en présence d'une évolution accélérée de la vie économique et
sociale, les choses allaient bien changer. Des textes de plus en
plus nombreux, lois, décrets-lois et o rdonnances, émanés du
Parlement ou du Gouvernement, vont modifier le Code civil ou
le complèter sur de très nombreux points.
2.
P ÉRI OD E DE RÉFORMES PARTI ELL ES
Ces réformes correspondent sur le plan politique à l'avènement d'un régime démocratique reposant sur le suffrage universel. Sans doute, la Révolution de 1848 avait déjà proclamé
le principe de ce suffrage uni versel des hommes sinon des
femmes ; mais il avait été pratiquement écarté sous le Second
Empire et ce n'est que sous la III' République qu'il s'établit
définitivement en F rance, le suffrage des femmes étant accordé
en 1945. Par ailleurs les idées socialistes ou tout au moins
sociales qui avaient été mises en lumière par les philosophes
et les sociologues au X I X' siècle, sont repri ses par les partis
politiques qui accèdent les uns après les aut res au pouvoir,
partis radical, sociali ste, démocrate chrétien et communiste. Le
régime politique permet ainsi de traduire ces idées dans des
textes de lois.
Par ailleurs, l'expansion industrielle et commerciale ne
cesse de s'accroître entrainant la constitution de grandes entre-
prises, la concentration de la population dans les villes, la
constitution de richesses mobilières aussi importantes que les
,
�60
ricbesses immobilières traditio nnelles, l'affa iblissement de la
cohésion familiale, la puissance des forces de pression économique et des groupements de sala ri és.
Le Code civil ne pouvait manquer de subir l'influence
d' une telle évolution, d'autant que des Codes plus modernes
avaient été adoptés dans des Pays voisins, tels que l'Allemagne
et la Suisse, montrant le vieillissement de la codification française.
Il n'est d'ailleurs pas toujours a isé de tracer les grandes
lignes de l'évolution de la législation civile depuis la tin du
XIX' siècle car elle est complexe. D 'autre part, la jurisprudence
vient souvent anticiper sur l'œuvre du législateur ou la compléter.
Dans le droit de la famille, on relève plutô t une tendance
à l'individualisme et à l'émancipation des membres de la famille
qui ne va pas sans une certaine diminution de sa cohésion.
Le divorce est rétabli en 1884 et une tentative d'en accroître
les conditions en 1941 n'a pas de lendemain. L'incapacité de
la femme mariée que la jurisprudence avait déjà réussi à limiter
en reconnaissant à la femme un mandat domestique lui permettant de faire tous les actes de la vie courante du m énage,
est supprimée par des lois de 1938 et de 1942; la puissance
maritale se réduit à quelques pouvoirs limités du mari comme
chef de famille, so us le contrôle des tribunau x: choix de la
résidence commune, opposition à l'exercice d'une profession
par la femm e. Le régime de communauté de meubles et d'acquêts,
qui est le régime légal et, par conséquence celui de la très grande
majorité des ménages françai s, reçoit un e grave atteinte en
1907 avec une loi qui permet à la femme qui travaille de toucher
librement ses salaires et d'en disposer comme elle l'entend. Et,
actuellement, un projet de loi est en discussion devant le Parlement qui réduit encore les po uvoi rs du mari dans le régime de
communauté soit en remettan t certains à la femme, soit en
associant celle-ci à la gestion du mari. Par a illeurs, les droits
successoraux du conjoint surviva nt ne cessent de s'accroître au
détriment des collatéraux et des ascendants du défunt (1 89 1,
19 30, 1957, 1963).
La même évolution se manifeste pour les enfanls. L a
puissance paternelle est limitée et surveillée par les tribunaux;
les parents peuvent même en être déchus dans les cas les plus
graves (loi. 1889); eUe devient moins une « puissance > qu'une
fonction qui doit être exercée dans l'intérêt des eruants et sous
le contrôle des autorités pu bliques. La tutelle est réformée en
1964 pour en assurer une plus grande efficacité en même temps
qu'une plus grande pro tection des biens des mineurs. L'âge de la
61
majorité reste sans doute fixé à 21 ans, mais dès 16 ou 18 ans,
les mineurs acq uièrent certa ins pouvoirs, spécialement lorsqu'ils
se li vrent à une activité rémunérée. Et la loi de 1964 fait de
l'émancipation le moyen, à partir de 18 ans, d'acquérir la capacité d'un majeur.
La filiation légitime est favorisée, soit par la jurisprudence
qui considère qu'un enfant est légitime du seul fait de sa
naissance après le mariage, même si ce n'est que quelques
jours après ... ; et elle l'est aussi par le législateur qui permet
la légitimation , sous certaines conditions, des enfants naturels
et même adultérins nés hors mari age.
D 'ailleurs, les enfa nts naturels bénéficient d'une amélioration progressive de leur situation: la recherche de la paternité
naturelle est largement ouverte par une loi de 1912, les droits
successoraux des enfan ts naturels sont accrus et viennent en
concours avec ceux des eruants légitimes (1896), les enfants
adultérins ou incestueu x non reconnus peuvent même obtenir
des aliments (L. 15 juillet 1955).
Enfin, la fili ation adoptive reprend une grande actualité et
eUe est facilitée pa r le législateur qui crée même, en 1939, une
légitimation adopti ve qui donne à l'enfant adopté le statut d'un
eruant légitime.
Il ne faudrait pas croire cependant que cette tendance
individualiste au sein du groupe familial ne soit pas compensée
par d'autres interventi ons du législateur qui s'efforce au contraire
de protéger la cohésion de ce groupe. La législation sociale sur
les allocations familiales, les faveurs fiscales au profit des
chefs de famille suffiraient à le prouver; il est vrai que ces
mesures profitent autant aux « familles. naturelles et aux
concubins qu'aux familles fondées sur le mariage.
Les conséquences de l'évolution économique et sociale
sur la propriété ne sont pas moins importantes: des biens nouveaux apparaissent à la vie juridique et sont peu à peu réglementés par la loi , notamment pour permettre de les grever de
suretés et en faire des instruments de crédit: le droit d'auteur
sur les œuvres littérai res et artis tiques est protégé par une loi
de 1957 les brevets d'invention et les dessins et modèles
l'avaient déjà été en 1844 et en 1909; et mon collègue le Professe ur JAUFFRET vous indiquera certainement d'autres exemples en retraçant l'évolutio n du droit commercial. En revan::he,
le droit de propri été qUI , dans le Code CIvil, contmue . d .etre
considéré comme le droit le plus absolu, subIt des restrIctIons
et des atteintes de plus en plus nombreuses; déjà la jurisprudence
�62
63
l'avait limité avec sa théorie moralisatrice de l'abus de droit
qui permet de sanctionner l'utilisation d'un droit en le détournant de sa finalité. Mais la loi ou les règlements ont été plus
loin en créant des servitudes légales par exemple en faveur de
l'urbanisme ou des aérodromes, en réglementant les lotisse-
sont régis par des dispositions d'ordre public. On a même pu
parfois parler de • contrats imposés >. Par ailleurs l'économie
dirigée ou du moins orientée par la planification a des répercussions considérables sur les contrats et limite la liberté: la
taxation des prix, la surveillance des transferts de devises et,
dans un passé pas très lointain, la répartition au toritaire des
matières premières et des produits sont autant de restrictions à
la liberté contractuelle. On peut aussi relever les limitations
apportées par la jurisprudence puis par le législateur aux clauses
d'indexation qui ont pour but de parer aux conséquences de la
dévalori sation monétaire.
ments, en exigeant un permis de construire pour toute érection
de bâtiment, en limitant la liberté des cultures et spécialement
celle de la vigne. Et la restri ction des droits des propriétaires
d'immeubles n'est pas moins importante a u regard des locataires de locaux d'habitation ou de locaux commerciaux ainsi
qu'au regard des fermiers: le droit au maintien dans les lieux,
le droit à une indemnité d'éviction sont autant d'atteintes portées au droit de propriété.
Enfin, la nationalisation des richesses nationales est un
autre aspect et non des moindres de la limitation de ce droit :
mines, force hydraulique, gaz et électricité, etc ...
Dans les relations cOlllractuelles, les modifications apportées par le législateur et par la jurisprudence ne sont pas moins
spectaculaires. Le Code civil de 1804 reposait sur le principe
d'autonomie de la volonté: les règles impératives étaient peu
nombreuses et le contrat, une foi s conclu, faisait la loi des parties. Le juge n'avait pas le pouvoir de l'annuler lorsqu'il était
lésionnaire et à plus forte raison n'avait-il pas le pouvoir de le
réviser lorsque son exécution se révelait onéreuse pour l'une
des parties en raison des circonstances économiques et notamment de la dévalorisation monétaire. L'idée de base est qu'il
appartient à chaque contractant de défendre ses intérêts puisqu'en droit il est sur un pied d'égalité avec son cocontractant.
Mais l'expérience du XIX' siècle a montré que l'inégalité de
fait entre les contractants pouvait entraîner de profondes injustices. Et le législateur est intervenu pour protéger les économiquement faibles et rétablir une égalité de fait à leur profit.
C'est d'abord dans les rela tions entre employeurs et salari és
que cette intervention s'est manifestée. Un droit nouveau est
apparu, le Droit du lravail et plus largement le Droit social qui
a formé un véritable rameau détaché du Code civil et autonome.
La rédaction d'un Code du travail, encore très incomplet, a
d'ailleurs été entreprise depuis plus de 50 a ns et il existe
un Code administratif de la Sécurité sociale qui groupe les dispoSitions relatIves aux accidents du travail, à la securité sociale
proprement dite et aux a llocations familiales.
Mais la protection des faibles par le législateur s'est traduite
par des lois nouvelles dans d'autres domaines. Les contrats
d'assurances, les contrats de transport, les baux d'immeubles
'-
Cette protection des faibles s'est encore manifestée dans
le domaine de la responsabilité civile par les efforts de la jurisprudence pour tirer des textes du Code civil ce que les auteurs
de celui-ci n'avaient certainement jama is eu l'intention d'y mettre.
L'aspect le plu s connu de cette véritable création jurisprudentielle est la présomption de responsabilité du fait des choses inanimées que les tribunaux ont découverte dans l'article 1384,
alinéa 1", du Code civil qui dit qu'on est responsable non
seulement de son fait personnel mais aussi du fait des choses
qu'on a sous sa ga rd e. L'application de cette présomption aux
accidents de machines et surtout aux accid en ts d'automobiles a
permis de protéger les usagers de la voie publique contre les
risques de la circulati on et, jusqu'ici , a dispensé le législateur
d'intervenir ; mai s un projet révolutionnaire est à l'étude qui
permettrait à toute victime d'un accident d'automobile - piéton
ou autre automobiliste - d'être indemnisé alors que cet accident serait dû à sa faute, ce qui va peut-être un peu loin et
entraînera en tout cas une hausse probable des primes d'assurances. La pratique de l'assurance et l'o rganisation d'un régime
de Sécurité sociale ont de toutes façons sérieusement modifié
la conception de la responsabilité à base de faute qui était celle
du Code civil de 1804.
Enfin, o n ne saurait passer sous silence la renaissance des
corps imermédiaires entre l'Etat et le citoyen : la liberté syndicale
a été rétablie en 1884 et la liberté d'association l'a été en 1901.
D es organismes professionnels, des coopéra ti ves se voient dotés
de statuts particuli ers qui ne vont d'ailleurs pas toujours san s
une certaine surveillance de l'autorité publique qui demeure un
peu méfiante à leur égard, surtout lorsqu'elle les subventionne.
�64
65
fin. Mais ses travaux furent de courte durée. Au lendemain de
la Libération, le projet fut repris et UDe Commission de 12 juristes, composée de magistrats, avocats, professeurs et présidée
par le Doyen JULLIOT DE LA MORANDI èRE, fut chargée de
« réformer . le Code civil. Elle travailla pendant 18 ans, rédigea
les deux premiers livres du futur Code: celui consacré aux
personnes et à la famill e et celui traitant des successions et
libéralités. Mai s ses travau x ont été suspendu s au mois de juin
1964 car le Garde des Sceaux actuel est d'avis que le Code civil
de 1804 est un monument qui peut sans doute subir des retouches de détail mais qui ne doit pas faire J'objet d'une refonte
totale. Dans ces conditions, il est douteux qu'un nou veau Code
civil soit élaboré.
II
LE PROBLÈME DE LA RÉVlSION DU CODE CIVlL
Cette évolution de la législation civile, surtout au cours
des cinquante dernières années, n'a pas été sans entraîner un
certain désordre.
Le nombre des lois, des décrets-lois, des ordonnances des
décrets s'est multipli é, entraînant une certaine insécurité, car
la stabilité du droit est une des conditions de sa bonne appli-
On peut, en effet, discuter de l'utilité d'une telle réforme.
Le Code civil de 1804 a cent soixante ans d'existence : ses
règles sont connues de tous les juristes français et même de
nombreu x juristes étrangers; elles ont été éclairées par une
jurisprudence qui fait corps avec eUes et q~i contr!bue. à la
sécurité du droit. La réforme du Code cIVIl entrameraIt un
bouleversement qui n'est peut-être ni très utile ni très souhaitable;
quelques retouches peuvent suffire. Déjà ,le Gouve~nement a
cation.
D'autre part, l'orientation des règles nou velles a donné
prise à des critiques souvent vives. Le Doyen RIPERT a pu parler
du « D éclin du droit . ce qui est d'ailleurs exagéré car le véritable déclin du droit est celui qui résulte de son archaïsme et
de son défaut d'adaptation aux besoins économiques et sociaux.
Les « métamorphoses . du droit, comme l'a montré le Doyen
SAVATIER, sont nécessaires et d'ailleurs inévitables.
utilisé les travaux de la Commission pour reviser les dispOSItions
En vérité, le Droit civil françai s a évolué: alors qu'en
1804 l'accent était plutôt mis sur la liberté, tandis que l'égalité
se limitait à une égalité ju ridique du citoyen devant la loi , le
droit récent fait une place beaucoup plus importante à l'égalité
de fait, même si c'est au détriment de la liberté individuelle.
En ce sens, on peut dire que le droit récent est plus social, sinon
socialiste. Et, pour parvenir à ceUe fin , il fait intervenir davantage l'Etat, dans la vie des individus, ce qui ne va pas sans
entraîner une certaine publicisation du Droit privé.
concernant la tutelle des mineurs et l'émancipation (loi du 14
décembre 1964); un important projet de Joi sur la réforme des
régimes matrimoniaux, issu éga lement des travau~ de I ~ Comm ission de réforme du Code civil, est en cours de di SCUSSion. devant
le Parlement et a été adopté pa r le Sénat le Il mal 1965.
D'autres révisions pa rtielles sui vront probablement.
Ainsi rénové peu à peu, il est probable que le Code civil
de 1804 demeure encore promis à une longue eXIstence.
Juin 1965 .
Le Code civil n'en demeure pas moins un ouvrage majestueux qui, dans l'ensemble, a assez bien resisté à l'épreuve du
temps, mieu x peut-être que d'autres Codes étrangers plus récents
et plus techniques. La propriété individuelle est encore fortement garantie, la cohésion familiale n'a pas disparu, la conclusion des contrats demeure généralement libre et la responsabilité
a base de faute demeure le principe. Au surplus à une époque
où des Déclarations universelles ou européennes des Droits de
l'homme sont rédigées, on ne peut pas reprocher au Code civil
de défendre les droits subjectifs et les libertés de l'individu .
Cependant, la question de la révision de ce Code a été
posée. Elle l'a été depuis 1904, à l'occasion de son centenaire:
une Commission de plus de cent personnes fut nommée à ceUe
r
�L'ÉVOLUTION
DU DROIT COMMERCIAL FRANÇAIS
par
A lfred JAUFFRET
Professeur à la Faculté de droit et des sciences économiques
de l'Université d'Aix-Marseille
La codification napoléonienne a eu, pour le droit civil,
une importance capitale. Elle a, en effet, pour la première fois ,
unifié et réuni en un texte complet les règles de ce droit. Et elle
a marqué le point de départ d'une longue période de stabilité.
En droit commercial, il en a été autrement. La codification
de 1807 n'a pas été une innovation . Déjà le droit commercial
terrestre (nous laisseron s, en effet, entièrement de côté le droit
mariti me) avait été codifié par l'Ordonnance du commerce de
mars 1673 . Sans doute, le Code de 1807 est-il beaucoup plus
détaillé, notamment pou r la lettre de change et pour la faillite,
que l'Ordonnance de 1673 ; il marque un progrès certain.
Néanmoins, il n'apportait pas une révolution semblable à celle
qui résultait du Code Napoléon de 1804. D'autre part, et surtout, on ne retrou ve pas en droit commercial cette longue stabilité qui a ca ractérisé le droit civil pendant la plus grande partie
du XIX' siècle.
Le seul point qui soit resté intangible est la dualité du droit
civil et du droit commercia l; cette dualité n'est pas propre au
droit français: elle existe, notamment, en droit belge, en droit
allemand, en droit espagnol. Mais eUe a particulièrement d'ampleur en France. La codification napoléonienne l'a consacrée:
n'y avait-il pas, en la forme, deux Codes distincts, le Code civil
et le Code de com merce? Et, quant au fond, la dualité existait,
pour ne citer que des exemples notables, non seulement dans
le droit des personnes (règles spéciales de capacité en droit commercial), dans le droit des obligations (règles de preuve différentes pour les contrats commerciaux et pour les contrats civils),
dans le droit des sociétés (règles différentes pour les sociétés
1
�69
68
civiles et pour les sociétés commerciales), mai s encore pour la
procédure civile (tribunaux spéciaux et procédures spéciales
pour les affaires commerciales) et pour l'exécution en cas de
défaillance du débiteur (procédure collecti ve de faillite pour
les commerçants, saisies individuelles pour les non-commerçants).
JI y a lieu de noter d'ailleurs que cette dualité s'est encore
accentuée postérieurement avec, par exemple, la création, en
1863, d' un gage commercial di stinct du gage civil, l'institu tion,
en 1919, du registre de commerce, la création, en 1926, d'un
statut spécial des baux commerciaux. Cette du alité correspond
si bien aux habitudes françaises, elle est si bien connue et
Le droit commercial, au contraire, ne repose presque sur
aucune tradition . JI est fonction des circonstances économiques
et varie avec elles. Le commerçant, contrairement au particu-
lier non commerçant, est un homme averti, dégagé de tout préjugé, apte à s'adapter à la conjoncture économique, habile à se
forger lui-même les institutions, les
nécessaires, si subtils qu'ils soient.
mécani smes
juridiques
« Virtuose de l'acte juridique >, comme l'a dit un auteur
allemand, loin de s'opposer aux réformes, il les devance et les
provoque, ils les adopte aisément qua nd le législateur les
réalise.
acceptée par tous que, s'il est permis de la critiquer, comme le
D'autre part, le droit civil est essentiellement national
font quelques juristes isolés, en Belgique et en France, il est vain
de prétendre la supprimer et per on ne ne peut sérieusement y
penser.
parce que lié aux habitudes, au x traditions, à l'histoire d'une
nation. Le régime de la communauté entre époux paraît aussi
naturel aux Français, depuis les coutumes fra nques, que l'est le
Cette dualité peut d'ailleurs se justifier par d'excellentes
raisons dont la moindre n'est pas l'évolution différente du droit
commercial et du droit civil.
régime dotal a ux Italiens, depuis le droit rom ain. On ne peut
songer sérieusement à supprimer le divorce en France, les
partis politiques les plus « avancés . ne songent guère à l'introduire en Italie. La tentati ve d'emprunter, en droit civil , une insti-
Nous notions, en effet, que le droit commercial français
n'a pas connu de période de stabilité semblable à celle du droit
civil. TI a immédiatement et rapidement évolué. Ce n'est pas,
tution étrangère est, généralement vouée à l'échec: une loi de
1909 a vo ulu in staurer en France le bien de famill e connu en
Allemagne, elle est, pratiquement, inappliquée.
comme on est parfoi s tenté de le dire, dû au caractère médiocre
Tout au contraire, le droit commercial n'est pas parti culier à un pays déterm iné. Le commerçant est nécessairement
en contact avec des étrangers. Les procédés commerciaux se
du Code de cam merce de 1807 . Sans doute la rédaction de ce
Code est-elle moins bonne que celle du Code civil. son originalité
est-elle faible. Mai s sa valeur, eut-elle été plus grande, n'aurait
ressemblent d' un pays à l'autre. Et le commerçant ressent très
pas arrêté l'évolution du droit commercial. En effet, deux raisons
vivement l'incon vénient que présentent les di vergences des droits
peuvent expliquer l'évolution rapide du droit commercial en
des di ve rs pays. Il est tout prêt à sui vre l'exe mple étranger,
tout prêt à comprend re l'intérêt d'un droit international ou même
France. D'une part, le droit commercial est nécessairement moins
stable que le droit civil et une codification ne peut prétendre
le figer. D'autre part, le droit commercial a une tendance à
l'internationalisation qui l'empêche de rester enserré dans une
codification proprement nationale.
Le droit civil est relativement stable. Et il est souhaitable
qu'il le soit. JI correspond, en effet, à des habitudes anciennes,
à des coutumes que l'histoire peut souvent expliquer et auxquelles les populations sont attachées. Tl y a, en droit civil, des
besoins, des traditions, des préjugés peut-être dont le législateur
doit tenir compte. L'évolution ne peut être que très lente et
presque insensible. Des réformes brutales sont mal acceptées et,
souvent, échouent en fait. C'est ainsi, par exemple, que si l'inca-
pacité de la femme mariée est supprim ée, en droit, depuis bientôt trente ans, il fa ut reconnaître que la pratique n'en paraît pas
encore persuadée.
d'une unification des droits internes.
E volution très rapide pour s'adapter au x circonstances
économiques, effort vers l'internationali sation, ce sont ces carac-
téri stiques du droit commercial français, depui s 1807, qu'il
nous faut exam iner, avant de conclu re sur les projets de
codificati on.
l
L e Code de commerce de 1807 a eu le triste sort d'être
publié à la veille même de la révolution économique du XIX"
siècle.
Il a fallu nécessairement que le droit commercial français
évolue et s'adapte aux nouvelles circonstances économiques :
�71
70
pour créer, de toutes pièces, les mécanismes juridiques nécessaires aux institutions nouvelles (A), pour transformer, pour
adapter les mécanismes juridiques existants (B), pour fournir,
à une époque plus récente, des cadres juridiques nouveaux à
l'économie dirigée (C).
A) Des pratiques nouvelles sont nées au
XIX'
siècle, des
besoins nouveaux sont apparus. C'est ainsi que, les besoi ns de
crédit prenant une ampleur jusque là inconnue, les commerçants
se sont vu réclamer des garanties nou velles. Or les sûretés du
droit civil , du moins les sûretés réelles, étaient ma l adaptées
aux besoins du commerce. En particulier, le gage prévu par le
Code civil étai t d'une constitution trop com plexe, sa réalisation
étai t lente et dispendieuse. Les com merçants obtinrent, en 1863,
un gage commercial, plus simple dans sa constitution et son
exécution. En 1858, la réglementation des war ra nts permit un
gage très pratique et une mobilisation très commode du crédi t.
Plus récemment, les commerçants ont obtenu des formules de
gage sans dépossession : si les wa rrants hôtelier, pétrolier.
industriel, n'ont eu que peu d'applicati ons, en revanche le gage
automobile, créé en 1934, le nantissement du matériel d'équipement professionnel, institué en 1951 , ont eu llO gra nd succès
et ont beaucoup facil ité les ventes à crédit .
Plus curieuses sont les nouvelles formes de propriété qui
sont apparues et qu' il a fallu réglementer. Les valeurs mobilières n'étaient pas inconnues en 1807 mais leur développement
extraordinaire. leur diffusion dans tous les milieux ont nécessité. soit quant au fond . soit Quant à la forme . de; réglementations toutes nouvelles. Particulièrement curieuse est l'institution
des titres en com pte courant qui vient, récemment. d'être éten-
due des actions aux obligations. Un corollaire a été consti tué
par les réformes successives des bourses des valeurs et des
opérations de bourse. Très importantes aussi ont été l'apparition et la réglementation des diverses formes de la propri été
industrielle: les brevets étaient réglementés dès 1844. les marques de fabrique dès 1857 (la législation vient d'être refondu e
par la loi du 31 décembre 1964), les dessins et modèles en
1909. Mais la parti e la plus originale du droit fra nçais est sans
doute la législation sur le fond s de commerce, propriété incorporelle Qui a fait l'objet de lois successives fort importantes.
depUiS 1909, sur la vente. le nantissement, l'apport en société,
la gérance. la location de ce bien nouvea u. Et le bail commercial.lui-même, a fait , sous le nom de « propriété commerciale ' .
l'objet d'une législation originale qui n'a guère d'équivalents,
d'ailleurs très récents et moms protecteurs, qu'en droit belge et
en droit italien.
L 'activité bancai re a connu, depuis 1807, un développement
considérable. Mais s'il a été fai t, depuis 1941 , une réglementation très complète des banques et des établissements financiers,
il est curieux de constater qu'en ce qui concerne les opérations
de banque le législateur n'est pas intervenu, sauf en matière de
chèque. Pour les autres points du droit bancaire (le compte
courant, les dépôts de fonds ou de titres, les virements, l'escompte, les ouvertures de crédit, etc ... ), ce sont les usages, la
jurisprudence, les règlements émanés des organismes régissant
la profession qui ont eu le rôle créateur ayant su combler les
lacunes du Code de commcrce, muet sur les opérations de
banque.
Dans ce rôle créateur du droit commercial il y a lieu de
relever d'ailleurs des tendances parfois divergentes. C'est ainsi
que, d'une part, s'est accen tu é, à certains égards, le caractère
professionnel du droit commercial : le phénomène le plus marquant est, à ce point de vue, la création du registre du commerce
en 1919, l'accentuation considérable de son rôle depuis 1953.
En revanche, le droit commercial s'est étendu à des non
commerçants : la diffusion des valeurs mobilières dans les milieux les plus di vers, l'emploi couran t des opérations de banque
par des non commerçants, le recours des agriculteurs aux
formes commerciales du crédit, tout cela étend le droit commer·
cial au point qu'on préfère souvent le qualifier de « droit des
affa ires
:t.
B) Dans certains cas, les institutions qui existaient dans
le Code de commerce de 1807 se sont révélées imparfaitement,
incomplètement réglementées. Ce fut le cas de la faillite et des
sociétés.
La faillite était largement réglée par le livre III du Code.
Mais des amé liorations parurent nécessai res et une refonte fut
opérée par une loi, très remarquable, de 1838. Plus tard, il
parut nécessaire de doubler la procédure de faillite par une procédure moins rigoureuse réservée aux commerçants malheureux
et de bonne foi. Ce fut l'objet d'une loi de 1889 sur la liquidation judicia ire. Plus récemment le livre Il était encore refondu,
en 1955 et 1958, avec de nou velles règles sur la faillite et le
règlement judiciaire.
Pour les sociétés, il s'agissait plus de créer que d'améliorer
tant les textes, du moins pour les sociétés par actions, étaient
�72
73
rudimentaires. Le développement prodigieux des sociétés par
actions nécessitait des mesures précises pour protéger les tiers,
les épargnants. Ce fut pa rticulièrement l'objet de la grande loi
du 24 juillet 1867, souvent remaniée et complétée depuis lors.
On a, plus récemment, voulu créer une société tenant à la fois
des sociétés de personnes et des sociétés de capitaux et destinée
aux petites et moyennes entreprises : ce fut la société à responsabilité limitée, instituée par la loi du 7 mars 1925 et dont le
succès a été extraordinai re bien que ce type de société offre peu de
garanties. Mais la matière des sociétés évolue sans cesse. Les
textes se multiplient et formaient en droit français jusqu'ici une
masse considérable et non coordonnée. Il va sans doute être
remédié à cet état de choses car un texte d'ensemble, régissant
toutes les sociétés commerciales, comportant bon nombre d'intéressantes innovations, a été, ces tout derniers jours, adopté en
première lecture, par l'Assem blée Nationale. On peut légitimement espérer que le droit français sera doté, dans quelques
mois, d'une législation nouvelle et bien coordonnée sur les
sociétés commerciales.
Cl Enfin, à l'époque récente, le droit commercial a dû
fournir l'armature juridique de l'action gouvernementale en
laveur de ce qu'on a appelé l'économie dirigée. Dès la première guerre mondiale est apparue en France l'idée
nouvelle (que nous n'avons pas à discuter ici) que l'Etat devait,
dans l'intérêt général, être le guide de l'activité économique la
'
reglementer, l'orienter. La tendance s'est bien affirmée avec la
seconde guerre mondiale. Contrôle des changes, contrôle des
prix, contrôle de la production, contrôle de la distribution,
contrôle du crédit, réglementation des banques, planification,
orientation des activités industrielles, refonte des structures rénovation des économies régionales, toutes ces questions ont 'nécessité la publication de textes innombrables, qui débordent le
domaine du droit commercial classique, que l'on peut tenter
de ranger ?ans une nouvelle discipline, « le droit économique >,
cuneux melange de droit public et de droit privé. En certains
cas, l'Etat est allé jusqu'à la nationalisation : nationalisation
des houillères, des entreprises d'électricité et de gaz, des grandes
banques, des grandes compagnies d'assurances. Et le droit commercial a dû évoluer pour tenter de s'adapter à la réglementation
des o~garusmes,. ?e nature pa rfois équi voque, régissant ces
aCllvltes natlOnalisees. Notons que, malgré le caractère public de
ces orgaOlsmes, le droit commercial privé a encore un large
domaine d'application.
.
Il
Le droit commercial français a constamment évolué vers
r
l' internationalisation . Par là était reprise une très vieille tradition.
Sous l'ancien régime, l'influence des droits étrangers avait été
grande, la plupart des insritu tions commerciales ayant été empruntées à l'Italie. SAVARY, dans son ouvrage bien connu le
4: Parfait négociant "
se montrait, au xv u'" siècle, très au
couran t des pratiques commerciales étran gères.
La codification de 1807 n'allait pas réussir à donner au
droit commercial françai s un caractère uniquement national. La
pratique commerciale est internationale: il serait trop facile de
le montre r en rappelant, par exemple, que la vente est régie par
des contrats-types communs à plusieurs pays, que les crédits
documentaires se réfèrent aux Règles et Usanccs internationales
mises au poi nt par les banquiers de di vers pays, etc.
A s'en tenir à la législation, on constate aisément que la
France a souvent emprunté des règles nou velles aux droits
étrangers (A), que s'est instauré en bien des matières un droit
commercial international (B), qu'on est même parvenu, en droit
interne, à une unification internationale (C).
A) Il est curieux de constater que les rares em prunts que
l'on a voulu faire, en droi t civi l, à des droits étrangers ont généra lement échoué. lis sont, au coutraire, en droit commercial,
fréquents et féconds.
C'est ain si que le Second Empire, admirateur d'ailleurs
de l'économie anglai se, lui a emprunté deux institutions, conserva nt même, ce qui est assez ridicule, les dénominations angla ises:
les « warrants . en 1858, les « chèques > en 1865.
Plus récemment, quand on a introduit en France le registre
du commerce en 1919, les sociétés à responsabilité limitée en
1925, on s'est nettement inspiré du « Handelsregister > et des
« Gesellschaften mit beschrankter Haftung > du droit al lemand :
il est vrai que le retour à la F rance des dépar tements dans
lesquels le dro it a llemand était en vigueur depuis cinquante ans
incitait à emprunter à ce droit des institutions ayant prouvé leur
utilité.
Lorsqu'en 1941 le Gouvernement réglementa les banques
et les établissements financiers, il n'est pas douteux qu'il s'inspira
des exemples étrangers et, notamment, de la loi belge de 1934.
�74
Prenons encore deux exemples tout récents : la loi du 3l
décembre 1964 sur les marques de fabrique s'est, sur certains
points, inspirée des législations étrangères modernes, par exemple
pour admettre les marq ues de service. Et le texte sur les sociétés,
adopté ces jours derniers par l'Assemblée Nationale a ajouté,
sur la suggestion du rapporteur et du président de la Commission des lois, à la société anonyme de type français, un nouveau
type de société anonyme, calquée sur la société anonyme allemande, qui sera offert à l'option des intéressés.
B) Très curieux est le droit commercial international, droit
supranational qui, distinct du droit interne applicable aux
rapports internes, régit les relations internationales. Ce droit
commercial international est assez important pour qu'un Traité
en plusieurs volumes ait pu, il y a un certain nombre d'années,
lui être consacré. Ce droit régit notamment tout ce qui concerne
la propriété industrielle et les transports.
La propriété industrielle est soumise depui s plus de quatrevingts ans à la fameu se Convention d'Union de Paris à laquelle
adhèrent à peu près tous les pays du monde. Cette union régit
les brevets, les marques de fabrique, les dessins et modèles et
même la concurrence déloyale.
Le « droit unioniste . qu'elle institue domine tous les
droits internes. Il ne reste cependant pas étranger au droit
français, puisqu'en vertu de lois françai ses très curieuses, un
Français a le droit de se préva loir, dans les rapports internes, du
droit unioni ste s'il lui est plus favo rable que le droit françai s.
La matière des transports est également éminemment propre
à la création d'un droit international. Depuis longtemps la
France est régie, pour les transports ferroviaires internationaux,
par les conventions de Berne dont les nouvelles di spositions
viennent d'entrer en vigueur tout récemment. Les tran sports
aériens internationaux sont soumis à la Convention de Varsovie
de 1929 et cette Convention régit même, en droit français interne,
la responsabilité du transporteur aérien en vertu d'une loi très
curieuse de 1957. Plus récemment est encore entrée en vigueur
une Convention de Genève de 1956, sur les transports routiers.
Le mouvement ne peut que s'accentuer a vec le développement de la Con:munauté Economique Européenne qui groupe,
en vertu du TraIté de Rome de 1957, en un Marché commun:
l'Allemagne, la Belgique, la France, l'Italie, le Luxembourg et
les Pays-Bas. Le traité doit aboutir à une harmonisation des
législations. Mais déjà les fameux articles 85 et 86 qui interdIsent les ententes fau ssant le jeu de la concurrence et les abus
75
de positions dominantes s'imposent aux tribunaux nationaux
et des règlements ont précisé leur portée. Des projets sont en
cours pour adopter un brevet d'invention européen, une société
de type européen et même un régistre de commerce européen.
Le Conseil des Ministres des Communautés peut adresser des
directives aux six gouvernements et, en France, le Gouvernement
s'est fait autori ser par la loi du 14 décembre 1964 à prendre
par ordonnances les mesures relati ves à la liberté d'établissement.
Tout récemment , un projet de directi ve tendrait à indiquer aux
di vers pays de la Communauté les principes dont doivent s'inspirer les droits des sociétés pour assurer une publicité efficace
et la validité des actes accomplis pour le compte de la société.
C) Par ces dernières directives, on tend au dernier stade
de l'internationalisation: J'unification des droits internes.
Ce stade n'est pas utopique, puisque le droit français y est
parvenu, depui s trente ans, dans deux matières très importantes:
la lettre de change et le chèque.
Les conventions de Genève, de 1930 et 1931 , ont adopté
des lois uniformes sur ces deux matières. Ces conventions ont
été ratifiées par le Gouvernement français, comme par les
Gouvernements al.lernand, belge, suisse, italien, etc... Et ces
divers pays ont fait pénétré la loi uniforme daos leur législation interne. De sorte que le droit français sur la lettre de change
et le chèque est, à quelques réserves près, identique au droit
allemand, au droit belge, au droit italien, au droit suisse, ce qui
est une amélioration considérable dans les rapports internationaux . Mai s aux termes d'une telle évolution, le droit commercial n'est plus un droit français puisque ni le Parlement ni le
Gouvernement ne peuvent plus toucher au droit de la lettre de
change et du chèque - à moins de dénoncer au préalable les
Conventions de Genève.
•
••
Au point où en est l'évolution du dro it commercial français,
que reste-t-il du Code de commerce de 1807? Presque tous
les articles en ont été modifiés, des quantités de textes sont venus
s'y superposer : on peut dire qu' il ne reste pra tiquement plus
rien du Code primitif.
Faudrait-il alors envisager de faire un Code nouveau ? le
Gouvernement avait paru le croire puisqu'il avait créé, en 1947 ,
une Commission pour la réforme du Code de commerce et du
droit des sociétés. Cette Commission s'est livrée à des travaIL'
•
�76
intéressants. Des textes qu'elle avai t préparés ont servi de base
au Gouvernement pour promulguer des décrets-lois sur le registre
du comnlerce, les Ijvres de commerce, la faillite . Les travaux
ne sont pas étrangers au projet sur les sociétés soumis acruelle-
ment au Parlement. Cependant la Commission a, en mai 1965,
cessé son activité sans avoir abouti à un Code nouveau.
Peut-être peut-on estimer qu'il serait bien a mbitieux à
l' heure actuelle d'envisager une œuvre comparable à celle de
1807. Les ci rconstances économiques évoluent très vite, la politique économique du Gou ve rnement peut se modifier, les développements futurs de la Communauté Economique Européenne
sont incertains. Il est sans doute plus raisonnable de procéder
à des réformes partielles. A cet égard, l'adoption du projet sur
les sociétés marquera une étape importante dans l'évolution du
droit commercial français.
L'ÉVOLUTION
DU DROIT PÉNAL FRANÇAIS
par
Bernard PARISOT
Maître-Assistant à la Faculté de Droit
et des Sciences Economiques d'Aix-en-Provence
(Institut d'Etudes Juridiques de Saint-Denis-de-la-Réunion)
La définition, la recherche et la sanction des actes antisociaux ont considérablement évolués en France au cours des
siècles. Comme dans toutes les civilisations, la réaction sociale
contre le fa it délictueux a été étroitement liée, au cours de notre
histoire, à l'état des mœurs et au degré d'organisation de l'Etat.
De la Loi Salique au Code de Procédure Pénale de 1959,
les règles répressives (droit pénal proprement dit et procédure
pénale) se sont lentement perfectionnées. Historiquement, on
peut distinguer quatre périodes dans l'évolution du droit pénal :
le long mûrissement de l'organisation répressive dans l'Ancien
Régime, avec l'aboutissement inévita ble de ses excès, le bouleversement des règles pénales sous la Révolution; la codification
napoléonienne: le Code Pénal et le Code d'instruction Criminelle; l'adoucissement du Droit Pénal jusqu'à la veille de la
seconde guerre mondi ale, sous l'inftuence 1 notamment des idées
libérales du
XIX"
siècle; enfin, depuis 1935, un retour partiel à
la sévérité et, par aiUeurs, un phénomène c d'inflation .. de la
législation pénale.
1
A u début de son histoire, la France avait déjà dépassé le
stade le plus primitif de la réaction sociale : la vengea nce privée.
Les loi s barbares, en effet, limitaient J'arbi trai re de la vengeance
aveugle et l'exercice de la force brutale contre celui qui s'étai t
rendu coupable d'un fait dommageable; la répression des actes
antisociaux résultait d'un régime de c justice privée . : la victime
�78
79
(ou sa fami lle) restait à l'ori gine de la poursuite et exécutait le
plus souvent elle-même la sanction, mai s sous le contrôle de
l'autorité publique. La procédure était alors de type accusatoire : la victime, accusatrice, citai t son adversaire à comparaître; le procès penal se déroulait ensuite publiquement, oralement et contrad ictoirement. D'après la Loi Sali gue, le chef
faisait comparaître les parties et exécuter le jugement, mai s
l'essentiel de la répression lui échappait : il ne participait pas
au jugement ; c'était une assem blée composée de juges populaires
qui jugeait. Devant ses juges, l'accusé avouai t ou non. Dans ce
dernier cas, on avai t recours aux épreuves (ordalies) et au duel
judiciaire, pour déterminer de quel côté se trouvait la vérité.
A partir du XII t' siècie, la justice royale, limitée au début
aux terres de la Couronne, commença à se superposer aux
justices seigneuriales; les juges devinrent professionnels; la procédure, de son côté, se transforma: les règles procédurales du
droit romain , de caractère inquisitoire, se substituèrent ,
à la
fin du Moyen-Age au système accusatoire, d'abord devant les
juridictions ecclésiastiques, pui s progressivement dans la justice
laïque.
La procédure inquisitoire correspond à un Etat centralisé
qui organise lui -même la défense de la société et fait rendre
la justice par des magistrats professionnels. Le rôle de l a victime
ou de ses représentants est réduit : toute infraction entraîne une
intervention judiciaire, même si la victime n'agit pas; et si
eUe agit, elle ne peut plus se faire justice à eUe-même: eUe doit
demander justice aux pouvoirs publics. Le juge joue désormais
un rôle actif dans le dérou lement du procès-pénal. Il apprécie
la culpabilité selon les preuves qui sont rapportées devant lui.
La peine infligée au coupable se transforme également. EUe
perd le caractère de réparation privée pour devenir une sanc-
tion sociale: le dommage causé au gro upe est sanctionné par
le groupe. Les preuves prennent une grande importance et, pa r
conséquent, le rô le de l'instruction préparatoire grandit, a lors
que J'accusé n'a plu s qu'une attitude passive. La procédure
Înqui sitoire est donc tout naturellement secrète, écrite et non
contradictoire. Mais ce qui caractérise cette procédure, c'est
que l' interrogatoire consiste trop souvent à arracher des aveux
au c coupable », au besoin par la torture...
A la fin de l'Ancien Régime, les droits de l'individu se
trou vaient complètement sacrifiés. L'inform ation était menée à
l'insu de l'accusé. Il lui était pratiquement impossible d'organiser sa défense, é tant au secret et privé de conseil jusgu'à sa
comparullon en Jugement. Des tortures atroces pouvaient lui
être ap pliquées et il était jugé sans publicité. La sanction qui
était inHigée pouvait comporter des supplices horribles. De plus,
le droit pénal était devenu a rbitrai re. Le juge avait pratiquement
tous les pouvoirs: il poursuivait, instruisait, qualifiait les faits,
choisissait la peine. D'autre part, au moyen de la « justice retenue », le Roi pouvait auss i bien faire cesser une procédure en
cours qu'organiser, de son propre chef, la répression (notamment par le trop fameux procédé des « lettres de cachet . ). Par
ailleurs, les deux classes privilégiées, Noblesse et Clergé, bénéficiai ent de ga ranties spéciales, ce qui ajoutait l'inégalité à
l'arbitraire.
Enfin, malgré l'ordonnance de 1670 qui avait tenté de
codifier la procédure cri minelle, le droit pénal et la procédure
pénale de l'époque se caractérisaient par leur hétérogénéité:
droit romain (dans le sud du pays), lois barbares, coutumes
locales (au nord), actes législatifs du pouvoir central, s'enchevêtraient. « On change de lois en changea nt de chevaux de
poste », pou vai t dire VOLTAIRE. Les tribunaux ~v~i:nt de~ attributions mal définies: justices seigneuriales, prevotes, balJ1ages,
prés idiaux, par1 e m en t~, conseils souverains, officialité~, ~uri
dictions particulières des Eaux et Forêts, etc ... ,. ~oexlsta l ent.
Si bien qu'à la veille de la Révolution les publicistes et les
philosophes n'oubl ièrent pas le système répressif dans leur
critique générale des institutions d'Ancien Régim ~. MONTESQUIEU
préconisa it un adoucissemen t général de la repres,slon, et on
donnait en exemple le système accusatOi re applique en Angleterre.
Mais le plu s violent réqui sitoire contre le droit pénal et
la procédure criminelle de l'A ncien Régime fut dressé pa~
BECCAR IA, élève de MONTESQUIEU, qui publia en 1764 le « traite
des déli ts et des pei nes •. BECCARIA préconisait l'abolition de
la peine de mort (sauf en matière politique) et d;s pe~ nes corp?relies et surtout il affirmait le principe de la legallte des délits
de p: ines: « nul ne peut être frappé par des faits et d'une peine
non prévus antérieurement par une loi ». La. conséque~ce de
ce principe devait être l'égalité dans la répreSSIOn. Par aIlleurs,
BECCARIA estimait qu' il fallait rechercher l'amendement du
coupable et son retou r à une place normale dans la société, et
non pas seulement organi ser sa punition. L'œuvre de B~CCAR I A
eut un gra nd retenti ssement dans toute l'Europe et spécJalem:nt
en France où un courant réformiste se développa dans les a~nees
qui précèderent la Révolution. C'est ainsi que ,plUSIeurs modIfications tardives du droit pénal et de la procédure pénale Intervinrent sous le règne de Louis XVI. Une déciaration royale du
�81
80
24 août 1780 supprima la question préparatoire. Le 7 mai 1788,
Louis XVI tint un lit de justice au cours duquel il présenta un
plan d'organisation judiciaire et de réforme des lois criminelles,
mis au point par LAMOIGNON. Mais les Parlements qui étaient
déjà en lutte ouverte contre le pouvoir royal, refusèrent d'appliquer ces réformes et les édits royaux furent reti rés. Le 14 septembre 1789, les Etats Généraux étaient convoqués, et les cahiers de doléances, rédigés à cette occasion, réclamaient l'adoucissement du système pénal, la publicité des procédures répressives, l'assistance de l'individu poursuivi par un conseil , la sup-
pression de l'arbitraire du juge, l'égalité de la répression, le
remplacement des juges professionnels par des jurés.
L 'Assemblée Constituante répondit aux aspirations de l'opinion. Elle proclama le principe de la légalité : nul ne pouvait
être poursuivi pour un fait qui n'avait pas été érigé préalablement en délit par un texte légal. En matière de procédure on
Préparés par une commission nommée par arrêté consuJaire
en Germinal An IX, les codes répressifs furent discutés par le
Conseil d'Etat en 1804, puis soumis aux tribunaux pour examen.
Le Code d'Instruction Criminelle fut prêt le premier et promulgué en 1808 . Le Code Pénal fut décrété en 1810. T1s entrèrent tous deux en vigueur le 1" janvier 1811.
Le Code Pénal comprenait les règles de fond (délits et
pénalités). Des réformes révolutionnaires, il reprenait la décision
tripartite des infractions (crime, délit, contravention), le prin-
cipe de la légalité des délits et des peines, le rem placement des
peines corporelles par des peines privati ves de liberté, et enfin
l'égalité dans la répression . Mais le Code Pénal faisait retour
sur beaucoup de points à la sévérité de l'Ancien Droit : les
infractions passibles de peines criminelles étaient moitié plus
nombreuses qu'en 1791. La tentati ve était assimilée à l' infraction
consommée et le complice était traité comme l'au teur princi pal
sionnels étaient remplacés pa r des jurés. Dans le domaine des
sanctions, la peine de mo rt, les peines corporelles et les di vers
supplices en usage à la fin de l'Ancien Régime, étaient pratiquement abolis.
du délit. Certaines peines abolies en 1791 étaient rétablies :
la confiscation générale des biens, la mutilation du poing avant
l'exécution du parricide. Sans qu'il y eût retour total à l'arbitraire du juge d'ancien régime, le système révolutionnaire des
peines fixes, qui s'était révélé inapplicable, était néanmOInS
abandonné : le juge pouvait faire varier la peine entre un
Ces réformes, inspirées des idées de BECCARIA, se plaçaient dans un cadre législatif qui tentait d'unifier les règles du
droit pénal et qui est resté connu sous le nom de « Code de
1791 >.
minimum et un maximum; le maximum pouvait être aggravé
par le jeu des circonstan ces aggravantes; le minimum, par
ailleurs, pouva it être abaissé, en matière correctionnelle, lorsque
des circonstances atténuantes étaie nt retenues en faveur du
assistait à une renaissance du système accusatoire : l'individu
poursuivi pouvait se faire assister d'un conseil, les juges profes-
Convention, Directoire et Consulat, n'apportè rent que peu
de changements à ce 4: Code ~) mais qui avaient tous une ten-
dance marquée (en raison de l'accroissement considérable de la
criminalité, à cette époque) à la sévérité, annonciatrice de la
rigueur des Codes napoléoniens.
TI
La politique pénale de Napoléon visa à assurer la sécurité
publique par l'inti midation. Elle trouva son expression da ns deux
codes qui, sans avoi r la qual ité du Code civil, représentaient
une Importan:e œuvr~ unificatrice et réformatrice du droit pénal
et de la procedure penale. QUOique souvent modifiés ce sont ces
codes qui ont consti tu é, depuis, la base de notre droit répressif :
le Code d'Instruction Crimi nelle est resté en vigueur penda nt
ISO ans. Le Code Pénal s'applique toujours.
prévenu .
Les rédacteurs du Code Pénal avaient été très influencés
par les idées du philosophe anglais BENTHAM, fon dateur de la
doctrine de l'utilitari sme et auteur d' un traité de législation
civile et pénale. BENTHAM faisai t dominer le point de vue de
l'utilité sociale, relégant l'idée de justice au second plan.
Le Code d' Instruction Criminelle, de son côté, rassemblait
toutes les dispositions relatives à la procédure répressive. TI
comprenait 7 ar ticles préliminaires traitant de la mise en mouvement de la répression par le Ministère Public, et dans certains cas, par la victime ou ses ayants droit. II éta it dIVIsé en
deux Livres. Le premier, intitulé « De la pollce Judlclalfe e t des
officiers de police qui l 'exercent ~, recouvrai t, sous cet mtttulé
assez inadéquat, un ensemble de dispositions con~ernant la
poursuite et l'instructi on des infractions. ~e sec~ nd. Livre, c D e
la justice > , avai t trait notamment à lorgamsanon et à la
compétence des juridictions de Jugement, et aux vOies de
recours.
�r
83
82
De cet ensemble, d' importants principes qui régissent encore
aujourd'hui notre procédure criminelle, peuvent être dégagés :
les trois fonctions, de poursuite, d'instruction et de jugement,
étaient séparées; elles étaient confiées à des magistrats différents. En matière de jugement, le double degré de juridiction
et la collégialité étaient la règle. Enfin, la compétence des juridictions déri vait, non pas de la personnalité de l'auteur de
l'infraction mais de la nature de cette dernière : Tribunal de
Police pour les contraventions, Tribunal Correctionnel pour
les délits, Cour d'Assises pour les crimes. Tout a rbitraire devait
•
bares (marque, carcan, mutilation du poing) furent supprimés.
L 'échelle des peines établie en 18 10 fut abaissée. On opéra
une distinction entre les infractions politiques et les délits de
droit commun. La Constitution de 1848, enfin, abolit la peine
de mort en matière poli tique.
Par ailleurs, on généralisa l'institution des circonstan ces
La restauration apporta peu de modifications aux Codes
napoléoniens; les tendances de ce régime étaient en effet aussi
a~toritaires que c~lIe de l'Empire. Un adoucissement de; règles
represslves se mamfesta, au contraire, nettement dès l'avènement
de la Monarchie de Juillet, sous l' influence de l'école dite
« néo-classique ., et s'accentua avec le libérali sme du Second
Empire.
atténuantes, dont les juges firent par la suite (et encore
aujourd'hui) une large utili sation afin d'adoucir l'application
du régime péna l de 18 10.
« Pas plus qu'il n'est juste, pas plus qu'il n'est utile >,
telle était, en matière pénale, la profession de foi du législateur
de cette époque.
Ainsi, à la fin du Second Em pire, le régime répressif
instauré par les Codes de 1808 et 1810 avait été considérablement transformé dans un sens humanitaire. Cependant, la personnalité du délinquant, pas plus qu'auparavant, n'était prise . en
considération. L'auteur de l'infraction restait une abstractIon
à laquelle on appliquait une peine, plus douce qu'autrefois, mais
toujours mesurée objectivement au délit comm is.
C'est précisément à cette époque que se développa I~
doctrine positiviste qui devait bouleverser le fondement du drOIt
pénal et, par voie de conséquence, amener la modIficatIOn du
système répressif.
Pui sant son inspiration dans le positivisme d'Auguste COMTE,
cette doctrine fut développée par les criminalistes i t~liens. ~our
la première foi s, on se penchait sur la. personnal~te du dellnquant. Certes, on ne tentait pas de dlmmuer syste~,at~quement
la responsabilité de ce dernier, mais ~n c~erc~alt. a determmer
chez lui , et même parfoi s, chez celUi q\1l n avait pas encore
commis d'infraction, l'état dangereux, afin de prendr~ ,le,s mesures
propres à assurer efficacement la défen se de la societe.
.
Ainsi LOMBROSO proposait l'élimination radicale des CrIminels-nés: ainsi que l'internement des aliénés dans ,~es as~lesrisons. FERRI, pour sa part, divisait les au teur~ d infractions
~n délinquan ts d'habitude et délinquants d'occasion; les premiers devaient être mi s hors du circuit socIal alors ~ue les
seconds pouvaient se voir appliquer des « mesures de sureté:t.
Tout au long de cette péri ode, c'est surtout sur le plan
de la sanction que la mansuétude du législateur se fit sentir '
une modération g~nérale des peines fut systématiquement opérée:
La 101 du 28 aout 1832, en particulier, remania une série de
dispositions du Code Pénal. Le champ d'application de la peine
de mort fut réduit, certains châtiments considérés comme bar-
La doctrine positivisme a inspiré de .nombreus:s loi ~ et
ve rs 1880 une « indi vidual isation . des petnes (plutot qu une
atténuation) s'amorça. Ainsi, la loi du 27 mal 1885 mstltua la
relégation contre les malfaiteurs d'ba?itude. A rmverse, une
loi du 14 août 1885 autorisa la IIberatlOn condItIOnnelle de
certains délinquants. La loi Bérenger du 26 mars J 891 accorda
ainsi, normalement, être évité.
La codification napoléonienne représentait donc un équilibre entre les excès de sévérité de l'Ancien Régime et l'excessive
indulgence de la Révolution, pour le délinquant de droit commun ,
tout au moins. Tel était son aspect positif mais elle n'était pas
sans défauts: les codes avaient le tort en particuli er de ne pas
accorder assez d'importance à l'individu lui-même. Le délin-
quant était alors une abstraction, la responsabilité pénale était
appréciée, et la sanction était calculée, d'après la nature et
l'importance de l'infraction commise: les mobiles qui avaient
guidé l'auteur de l'infraction n'étaient pas pri s en considération
et les moye ns de réadapter celui-ci n'étaient pas envisagés.
Ji appartenait au législateur du XIX' siècle et du début du
xxI! siècle, sous l'influence, notamment des idées libérales,
d' c humaniser :. ce régime répressif.
III
�84
85
aux délinquants primaires le bénéfice du sursis à l'exécution des
peines tout en aggravant les pénalités frappant la récidive.
Quelques années plus tard, en 19 J 2, on institua les tribunaux
pour enfants tout en permettant au juge de choisir les mesures
appropri ées pour la rééducation des délinquants mineurs.
rieure de l'Etat furent sévèrement réprimées et les tribunaux
d'exception se multiplièrent.
Le législateur de la libération n'abrogea que les textes les
plus excessifs de la législation de Vichy. Notre droit pénal
Parallèlement, la procédure pénale évolua dans le sens de
l'accroi ssement des droits de l'inculpé. Une loi du 8 décembre
1897 consacra son droit à être assisté d'un conseil dès sa
fut organi sée la répression des faits de collaboration et des
connut d'ailleurs une période transitoire d'extrême sévérité lorsque
crimes de guerre. De même, quelques années plus tard, les
événements d'A lgérie conduisirent l'Etat à prendre des mesures
exceptionnelles pour sa défense; la détention préventi ve fut
première comparution devant le ju ge d'in struction. Ce conseil
avait accès au dossier de son client tout au long de la procédure
et pouvait évcotuellement inter\'enir auprès du juge. Un certain
retour à la procédure accusatoire se manifesta éga lement dans
prolongée, les perqui sit ions de nuit furent autorisées, on légalisa
l'internement administratif, et les tribunaux mili taires virent
s'accroître leur compétence et leur acti vi té.
le domaine jurisprudentiel : un arrêt du 8 décembre 1906 de la
Chambre Criminelle de la Cou r de Cassation, décida que la
plainte avec constitution de partie ci vile obligeait le juge d'instruction
Mais ces législations d'exception ne constituaient que des
à-coups - justifiés par les circonstances - dans l'évolution du
droit répressif.
à ouvrir une inform ati on, même en présence de conclu-
En réalité, l'expérience douloureuse des an nées de gu~rre
sions contrai res du Mini stère Public (ce qui ne manqua pas,
par la suite -
et cela est encore vrai aujourd'hu i -
pendant lesquelles les ga ranties de la liberté individuelle avalent
de donner
été rédu ites avait fait naître dans l'opinion le désir d'une huma-
lieu à de nombreux abus).
nisation du ' droit pénal et surtout de la procédu re pénale. Par
ailleurs les idées doctrinales avaient évolué depUIS la seconde
Peu de changements intervinrent en droit pénal, entre les
deux guerres. On peut noter, en 1933, la loi qui limita étroitement les droits à perquisition et à saisie, et les possibilités de
détention préventi ve.
guerre 'mondia le: le mouvement de la, « défense
tenants estimai ent que le moyen le meilleur d'assurer cette
défense était d'em pêcher le délinquant de récidiver, en recherchant les mobiles qui le poussaient à agir, afin de permettre
sa réadaptatio n au mil ieu social. En décembre .' 944" une com-
Mais déjà, les bouleversements politiques et économiques
s'annonçaient en Eu rope, et notre droit pénal le contrecoup -
allait
soc~~l~ .nou-
velle > ne visait plus seulement à defendre la socIete , ses
en subissant
à nouveau changer d'ori entation et
mission de réforme des in stitutions péni tentiaires e l abo~a un
retourner à la sévérité.
programme novateur: examen appr~fondi de la personnalité d~
délinquant , assistance au conda mn~ en cours de pelOe et, ,3
l'expiration de cell e-ci, etc. L'exécu tJOn de ce pr~gramme a ete,
depuis poursui vie sans relâche, par un certam . nombre ~e
mesu r~s législatives, concernant spéc ialement le~ ,mmeurs. MalS
IV
L'influence des idées libérales déclina au fur et à mesure
que naquirent, autour de nous, les régim es totalitaires. D ès
1935, une loi annula la réforme de 1933 qui avai t restreint les
drOIts de perquisition et de saisie. En 1939, des décrets-lois
aggravèrent ce retour à la sévérité. Par ailleurs une loi du
8 ao ût 1935, supprima les droits d'appel et de P~urvoi contre
les ordonnances, Ju gements ou arrêts ava nt dire droit.
,
Sous le régime de Vichy, de nombreux actes dits lois apporterent les plus graves attemtes à la liberté indi viduelle et certains
caractères de la procédure inquisitoire réapparurent. L'Etat
mtervmt dans le domaine économique et de nou velles infractions
fur~nt créées, alors que, par ai lleurs, les pénal ités existantes
étalent renforcées. Mais surtout, les atteintes à la sûreté exté-
•
une réforme d'ensemble s'imposait. Elle fut réallsee par le Code
de Procédure Pénale qui , en 1959, succéda au Code d'InstructIOn
Criminelle.
La réforme de la procédure était une vieille idée : en
1879, 1938, 1949. différentes commissions avalent préparé
des projets de révi sion du Code d' [nstructlOn C nmmelk qUI ,
pour di verses ra isons, n'avaient pas abo utI. Une ~omm l sslon
constituée en 1953 sous la présidence de M. A ntonm BESS?N,
Procureur Général près la Cour de Cassation, eut plus de sucees:
l'adoption du Code de Procédure Pénale qu'elle aVait préparé
fut facilitée par la procédure des ordonnances. Le nouveau
Code entra en vigueur le 2 mars 1959.
�87
86
Le Code de Procédure Pénale comporte un Titre préli-
droit du travail , particulièrement, le législateur, im puissant à
minaire consacré au para ll èle entre l'acti on publique et l'action
faire respecter en tant que telles les dispositions qu'il avai t
civile. Le Livre 1" « De l'exercice de l'action publique et de
édictées, a fait un usage courant de la menace répressive.
l'Instruction », comporte trois titres qui traitent successivement
de la police judiciaire, de l'enquête préliminaire, de la ga rde à
vue, des pouvoirs du juge en cas de Ragrant délit, etc. Le Li vre Il
est con sacré aux juridicti ons de jugement : Cour d'A ssises, Tri-
bunal Correctionnel, Tribunal de Police. Le Livre III traite
des voies de recours. Le Livre IV est relatif à « quelques procédures particulières », notamm ent à la contumace. Enfin, le
Livre V est consacré à l'exécution des peines. La partie législati ve du Code est complétée par quatre a utres parties comprenant les tex tes de caractère réglementaire.
Le nouveau Code a regroupé et ordonné les textes relatifs
à la p rocéd ure proprement dite et à l'exécuti on des pei nes. Souvent aussi, il a créé des institutions nouve lles. TI a notamment
élargi le domaine de l'examen de personnalité en le rendant
obliga toire en cas de crime et en a utori sant le défenseur du
délinquant à récl amer, en toute hypothèse, un examen médicopsychologique. D'autre pa rt, il a été prévu que les condamnés
à de longues peines seraient soumi s à un examen de personn alité.
Les pouvoirs des magistra ts en ma tière d'exécution des peines
ont été éla rgis: un « juge de l'application des peines» a même
été in stitu é. Des régimes nouvea ux d'exécuti on des peines ont
été créés (sursis avec mise à l' épreuve, notam ment) . Par ailleurs
l'interd iction de séjour et la relégati on ont été réorganisées en
tant que traitements,
d'élimination.
cessant
d'être
de
si mples
mesures
Sur le plan de la procédure et de l'exécution des peines,
on a donc assisté, indirectement, à un adoucissement de notre
droi t répressif, depui s la seconde guerre mondi ale. Sur le terrain
du droit pénal stricto sensu, au contrai re, c'est un durcissement
qui s'est produit.
La p e r~ i s~ance de la fra ude économique et fi scale, l'augmentatIOn generale de la délinquance, particulièrement chez les
mineurs, ~ e. développement d'une no uvell e [orme de délinquance,
le ga ngsten sme, ont poussé le législateur à une sévérité accrue :
c'est ai nsi, par exemple, qu 'une loi du 23 novembre 1950 a rendu
le vol à main armée puni ssable de la peine de mort.
Mais surtout, depui s 1945, on a assisté à une véritable
c }n~ ation pénale », la sancti on pénale serva nt abusivement à
repnmer des manquements étrangers au domai ne traditionnel
de la protection sociale: en d roit commerc ial, en droit fi scal, en
IH ER ING
avai t donc to rt lorsqu' il affirmait que c J'histoire
de la peine se résume en une abolition constante ». Le droit
pénal en droit français contemporain ne cesse, au contraire,
d'étendre son domaine.
�L'ÉVOLUTION
DU DROIT CIVIL MAURICIEN
par
Me Raymond MARRIER D' UNIENVILLE
Avocat à la Cour (Port-Louis)
1. -
LE DROIT CIVIL A VANT LES CODES
La population de l'Ile de France connut dès l'origine de
la colonisation française la di vision en trois communautés ou
• populations >, à savoi r : les Noirs esclaves, les Affranchis et
Noirs libres ou • population de couleur >, et les Blancs. Ce
cloisonnement de la société coloniale devait donner lieu, comme
depuis déjà un siècle aux A ntilles, à une di vision du droit
qui dura sans grande modification jusqu' aux années 1825-1835.
L'émancipation des a ffranchi s et l'abolition de l'esclavage mirent
alors tous les Mauriciens sur un pied d'égalité et jetèrent les
bases juridiques de notre société contemporaine qui se souvient
pourtant encore de ses tâches originelles, puisque notre Constitution de 1964 prévoit en toutes lettres que nul ne peut être
rêdui! en esclavage (chapitre 1", article 4) et que toute discrimination est interdite (chapitre 1" , article 13).
A. -
L ES ESCLAVES
L'esclavage était à l'lIe de France, comme dans les autres
colonies françaises , régi par le Code Noir ou ensemble des
ordonnances ayant trait aux esclaves; les prescriptions de ce
code, inspirées du Droit Rom ai n, classaient l'esclave parmi les
meubles dont la saisie et la ve nte étaient réglementées par
• nos ordonnances et les coutumes pour la saisie des choses
mobilières », comme le déclare la première des grandes o rdon-
nances sur l'esclavage, celle de mars 1685 qui avait été pré-
�91
90
parée par Colbert. Les dispositions les plus caractéristiques de
ce code en matière civile, si l'on peut parler ainsi de dispositions
pour la plupart prohibitives, sont la défense du ma riage ou
même du concubinage entre blancs et esclaves; l'in capacité
pour les escla ves de « rien avoir qui ne soit à leurs maîtres "
tout ce qui pourrait leur venir par leur industrie ou la libéralité
d'autres personnes ne pouvant en aucun cas fa ire l'objet d'une
succession ou d'une disposition entre vifs ou à cause de mort,
l'incapacité de disposer et de contracter de leur chef, l'incapacité
d'ester en justice et la défen se faite aux blancs et aux libres
de vendre ou d'acheter aux esclaves sans la permission de leurs
maîtres.
Il convient de signaler que certaines dispositions du Code
Noir étaient non seuJement inspirées mais presque textuellement empruntées au Droit Rom ain.
Ainsi, par exemple, l'article xxrr des Lellres patentes en
forme d'édit, concernant les esclaves nègres des Îles de France
et de Bourbon de décembre 1723 ( 1) prévoyait que: < voulons
néanmoins que les maîtres soient tenu s de ce que leurs esclaves
auront fa it par leur commandement, ensemble de ce qu'ils
auront géré et négocié dans les boutiques et pour l'espèce particu lière de commerce à laquelle leurs maîtres les auront préposés,
et en cas que leurs maîtres n'aient donné aucun ordre et ne les
aient pas préposés, ils seront tenus seulement ju squ'à concurrence de ce qui aura tourné à leur profit ; et si rien n'a tourné
au profit des maîtres, le pécule desdits esclaves que les maîtres
leur auront permis d'avoir, en sera tenu après que leurs maîtres
en auront déduit par préférence ce qui pourra leur en être dû,
sin on que le pécule consistât en tout ou partie, en marchandises
dont les esclaves auraient permission de faire trafic à part,
sur lesquels leurs maîtres viendront seulement pa r contribution
au sol la livre avec les autres créanciers :t .
On reconnaît là les acti ons « de peculio et in rem verso »
et c de in rem verso ::t dont no us avons conservé les principes.
L'article XXX d'après lequel « seront tenus les maîtres,
en cas de vols ou d'autres dommages causés par leurs esclaves,
de réparer le tort en leur nom , s'ils n'aiment mi eux abandonner
l'esclave à celui auq uel le tort au ra été fait ., était un abrégé
du Livre IV, titre VIII « de Noxalibus Actionibu s • de JUSTINIEN
pour ne parler que de lui .
'
(1) D ELALEU , Code de l'Ile de France (r éditi on, Port-Loui s, 1826) ,
p. 247 . Ce texte emprunte largement à l'ordonnance de mars 1685.
B. -
L ES AFFRANCHIS
La population de couleur était sujette à un regJme intermédiaire dont les règles s'inspiraient tantôt de l'esclavage et
tantôt de la pleine citoyenneté des Blancs. En vertu des articles XLIX à Lm de l'édit de 1723, les Affranchis jouissaient
des mêmes droits, privilèges et immunités doot jouissaient les
personnes nées libres, sous réserve toutefois que « lesdits affran-
chis, ensemble les nègres libres, sont incapables de recevoir
des Blancs aucune donatioo entre vifs à cause de mort ou autrement ; voulons qu'en cas qu'il leur en soit faite aucune, eUe
demeure nulle à leur égard et soit appliquée au profit de
l'hôpital le plus prochain • .
Pour bien comprendre dans quel cadre juridique s'exerçait
les droits civils limités des affranchis, on est forcé de dire, comme
le Ministre de la Marine en 1771 , qu'en aucun cas, à aucun
degré de métissage, un descendant de nègre ne pouvait escompter
devenir < un citoyen . du royaume (1). Il ne pouvait exercer
ni une profession libérale, avocat ou médecin ; ni un métier
assermenté : apothicaire ou orfèvre; ni une fonction publique,
pas même celle de sergent de la maréchaussée (2). L'Assemblée
Coloniale de l'Ile de France devait élargir ce champ d'exercice
restreint au point de supprimer toute différence entre la population de couleur et la population blanche. Elle décréta, le 15
mai 1791, l'égalité politique entre les citoyens blancs et de
couleur ; et le 24 Pluviose An V, la liberté des dispositions
gratuites entre tous les citoyens libres. C'était l'abolition des
dispositions de l'édit de 1723 à cet égard et la réduction du
nombre des « populations . à deux : les libres et les esclaves.
On sait qu'à l'Ile de France, la R évolution Française n'alla pas
plus loin. Le Consulat et l'Empire amenèrent même un retour
en arrière : par un arrêté du 3 Pluviose An XII, le Capitaine
Général D ECAEN, considérant qu'il convenait de « rétablir aux
colonies orientales les principes qui tendaient à y maintenir les
bonnes mœurs et l'ordre des fortunes ::t, réédita les anciennes
dispositions de 1723 en ces termes: < les gens de couleur, libres
ou affranchis, sont également incapables de recevoir des per(l) Gaston M A.RTlN. Hi stoire de l'Esclavage dans les Colonies
França ises, Presses Universitaires de France, 1948. p. J 52.
(2) I bid. _ De plu s, il éta it interdit c à ~eine de faux » de l~ur
donner dans les actes de l'état civil le titre de sieur ou de dame: Y ,de
DELALEU, Code de l'Ile de France, p. 13.
7
�93
92
sonnes de la population blanche, aucune donation ou legs ».
Par un autre arrêté du 19 Brumaire An XIII, le Capitaine
Général, après avis du Préfet Colonial et du Commissaire de
Justice, estiment que les lois anciennes sur les affranchissements
aux nes de France et de la Réunion ne déterminaient pas assez
les règles en pareille matière, publia un vrai code de l'affranchissement qui oe faisait que maintenir l'état intermédiaire des années
précédant la Révolution.
c. -
LES BLANCS
Le Droit Civil consistait pour les Blancs en l'application
de la Coutume de Paris et des grandes ordonnances de Colbert :
celle d'avril 1667, dite Code Louis, sur la procédure civile;
celles d'août 1670 sur l'instruction des procès criminels, de
mars 1673 sur le commerce et d'aoOt 1681 sur la marine.
If. -
LA PROMULGATION DU CODE CIVIL
A. - L'avènement des Codes en 1805 donna lieu le
1" Brumaire An XlV, à un arrêté du Capitaine Général, inti~ulé
arrêté supplémentaire au Code Civil, pour son application aux
Isles de France et de la Réunion, qui promulguait certaines
dispositions administratives propres aux îles sœurs (telles l'attribution des fonctions des officiers de l'état civil aux Commissaires
Civils, l'inscription des actes dans chaque quartier sur un registre
tenu en triple exemplaire pour chacune des deux populations
nOire et blanche, les publications de mariage devant la porte
du bureau central de police, etc.) et adaptait le Code à la
division en trois parties du Droit : le droit des blancs, celui de
la population de couleur et celui des esclaves.
Les blancs jouissaient pleinement entre eux des dispositions
du Code, l'arrêté supplémentaire ne faisant qu'adapter ces dispositi~ns aux circonstances propres aux colonies. Mais, ils ne
pouvaIent adopter un affranchi ni tester en sa faveur et le
cloisonnement entre lui et les noirs restait rigide.
L 'homme. de couleur était maintenu dans son régime
hybnde qUI lUI accordaIt la plupart des droits civils tout en
conservant nombre de réminiscences du code noir. Ainsi son
état civil était constaté sur le même registre que celui de l'esclave.
Le maître qui lui avait octroyé la liberté retenait le droit de faire
opposition à son mariage. Il ne pouvait être tuteur des personnes
de la population blanche (mais ces dernières avaient le droit
d'être tuteurs des noirs libres ou affranchis). Il ne pouvait rien
recevoir d'un blanc et ne pouvait rien lui donner, toute dispo-
sition faite à l'encontre de cette prohibition étant nulle. Il était
dispensé des formalités de l'article 770 du Code Civil et pour
mettre son conjoint survivant en possession de sa succession,
aux termes de l'article 767, « le tribunal pourra, s'il le trouve
convenable, statuer à cet égard sans publications et affiches sur
les conclusions écrites du Procureur Impérial >.
Pour les esclaves, l'arrêté supplémentaire ne faisait que
répartir les dispositions du Code Noir dans l'ordre des Chapitres du Code Civil. Les esclaves restaient bien meubles et
« sujets comme tel s à toutes les règles établies pour la disposition
des propriétés mobilières >. Ils faisaient l'objet du droit d'accession, de l'usufruit, et étaient rangês pour l'application de l'article 1064 à côté des « bestiaux et ustensiles servant à faire
valoir les terres >. L'abandon noxal en cas de délit était maintenu
comme complément des articles 1382 et 1384.
Certaines dispositions, destinées à tempérer ce régime prohibaient par exemple la saisie et la vente séparée d'une esclave
et de ses enfants âgés de moins de sept ans.
L'arrêté supplémentaire au Code Civil n'était par conséquent qu'une consécration du Droit tricéphale et la promulgation
du Cnde Napoléon en 1808 ne devait rien changer à cet état
de choses.
B. -
L'ACTE DE CAPITULATION DU
3
DÉCEMBRE
1810
L'article 8 de l'Acte de Capitulation signé par les commandants anglais et français le 3 décembre 1810, conservait aux
habitants de l'Ile de France leurs « religion, lois et coutumes> .
Le changement de métropole ne changea donc rien au droit
civil. Cet article qui est le fondement du maintien du Code
Napoléon à l'Ile Maurice, a donné lieu à de nombreuses polémiques qui commencèrent dès les premières années de l'administration britannique étant donné que le gouverneur FARQUHAR
prétendait que la traite des noirs devait être maintenue comme
coutume protégée par l'article 8 de l'Acte de Capitulation (1).
(1) Malgré la loi c for the abolition of the slave trade :t Oitt. Sur
l'abolition du commerce des esclaves) du 14 mai 1811.
�95
94
En 1831 , à l'occasion du grand débat sur l'abolition de
l'esclavage et d'une demande mauricienne de restauration de
l'Assemblée Coloniale de 1791, un groupe de mauriciens favorisés par TALLEYRAND tenta de saisir le Parlement français
de la question mauricienne et de faire intervenir la France dans
le conflit qui opposait les anciens colons de l'Ile de France
à leur nouvelle métropole. La Chambre des Représentants
nomma, pour s'occuper de la « question mauricienne » une
commission dont le rapporteur fut Pascal DUPRAT qui conclut,
le 2 mars 1833, que « la Capitulation et ses stipulations ont été
mises au néant par le traité de Paris. L'article 8 du traité de 1814
porte la cession pure et simple de l'Ile de France à l'Angieterre • .
Le cabinet de M. GUIZOT soutint le rapport de DUPRAT et la
Chambre, conclut un hi storien, « se déroba à la faveur de celte
argutie d'avocat . !
La France ne devail jamais revenir sur le rappo rt DUPRAT.
L'Angleterre se considère pourtant liée par les termes de la
Capitulation en vertu d'un principe du D roit Constitutio nnel
britannique d'après lequel, nonobstant les termes d'un Traité
de Paix, la Couronne reste tenue d'hono rer les termes d 'un
Acte de Capitulation jusqu'à ce qu'elle soit relevée de celte
obligation par un Acte du Parlement (1). C'est ainsi qu'il fallut
procéder lorsque l'Angleterre voulut donner un e nouvelle Constitution à la Guya ne britannique a u cours des années 1920. La
Constitution de cette colonie aya nt été inscrite dans les termes
de sa capitulation aux armes de sa M ajesté britannique en 1803,
ce fut le British Guiana Act qui rendit à la Couronne ses prérogatives en matière de législation constitutionnelle pour ce pays.
La Cour Suprême de l'Ile Maurice eut en tout cas à se
prononcer sur cette question en 1902, dans l'affaire du Gou
vernement Colonial contre la veuve LABORDE. La Cour avait
fait grand cas d'un « dictum . (2) d'ailleurs assez obscur du
célèbre Lord MANSF IELD dans l'affai re de Campbell v. Hall
où sa Sei~eu,rie avait jugé que c les articles d'un acte de CapitulatIOn d apres lesquels un pays conquis s'est rendu et le traité
de Paix par lequel ce territoire est cédé, sont sacrés et in violables
selon qu'ils peuvent être ainsi interprétés». Le Procureur G énéral
plaida quand même que le Traité de Paris avait enlevé toute
f~rce de , loi à l'A~te de Capitulation. L' un des trois Juges
repondlt a cette pretentIon de la façon sui vante: « Le Traité
de Paris a-t-il eu un tel effet ? Je ne peux répondre par l'affir(1) Litt. : Loi.
(2) Ou c obi~er dictu.m ~: a ftl~mation ou opinion du juge faite
mCldemment ou dite et qUI ne peut elre invoquée comme précédent.
o
•
mative. Le Souverain angiais s'est engagé à rendre à la France
certaines possessions à l'exception, entr'autres, de l'Ile Maurice.
Par rapport à cette île le Traité de Paris ne fait que confirmer
la cession précédente. Pourquoi devrions-nous juger que le Traité
change les termes d'après lesquels la cession s'est faite? Aucune
autorité ne nous a été citée et je n'ai pu en trou ver aucune qui
établirait que les mots c en toule propriété et souveraineté.
aient une portée aussi étendue en droit international. Les deux
autres juges furent du même avis. La Cour Suprême a maintenu
ce point de vue plusieurs fois depui s. Pourtant Sir R ampersad
NEERUNJUN, notre Chef Ju ge actuel, a écrit en 1961 que le
maintien du Code Napoléon qui nous a heureusement doté de
notre système jurid ique est dû à une fau sse interprétati on du
Traité de 1810. C'est dire que la polémique est loin d'être
close.
c. -
EMANCIPATION DES AFFRANCHIS ET ABO LITION
DE L'EsCLAVAGE
L'Ordonna nce du Gouverneur prise en Conseil le 8 novembre 1826 rapporte, ainsi qu'il fallait s'y altendre du libéralisme
britannique, les articles LI de l'Edit de décembre 1723 et les
articles 67 et 68 de l'Arrêté supplémentaire au Code Civil , c en
ce qu'ils défend aient aux personnes de la populati on blanche de
disposer de leurs biens par actes entre vifs ou par testament
au profit des noirs libres ou affranchis et de profiter des dispositions entre vifs ou testamentaires que les noirs libres ou
affranchis feraient en leur faveur :. .
C'était la restauration du régime instauré par l'Assemblée
Coloniale le 24 Pluviose An V.
• Sa Très Gracieuse Majesté le Roi en Conseil . , devait
renchéri r pa r l'Ordre en Conseil du 22 juin 1829, en ve rtu
duquel toutes les incapacités généralement quelconques et qui
frappaient à Maurice les Sujets de sa Majesté d'origine a[ricaine ou indienne étaient abolies.
Le 4 septembre 1833, le Parlement Bri tan nique abolissait
l'esclavage à l'Ile Maurice et cette mesure était appliquée en
1835 . Avec la disparition du Code Noir, le Droit Civil mauri cien dépouillé de ses entraves, put se mettre à évoluer parallèlement au droit français tout en s'adaptan t aux exigences d'une
administration britan nique libérale mais soucieuse d'appliquer
à M auri ce certains principes essentiellement anglais.
�96
97
III. -
APPLICATION ET EVOLUTION DES PRINCIPES
DU CODE NAPOLEON
L'administration britannique n'a jamai s semblé désireuse
de supprimer le Code Napoléon au profit de la Common Law.
Malgré la présence de Juges Anglais et Ecossais au Palais de
Justice de Port-Loui s, le droit substantif devait rester celui qu'il
était en 1810 sauf l'évolution qui se produisit en deux domaines:
1) celui des amendements apportés au Code par la législation ;
2) celui de la jurisprudence. Des changements énergiques s'opérèrent en matière de preuve, d'instruction criminelle et surtout
de procédure civile où bien des règles furent mises de côté et
remplacées par les c Rules of Courts . d'inspiration strictement
anglaise (1). La langue française, véhicule ordinaire des débats
dans toutes les Cours, dispara issait également des Cours d'Appel
et de Première Instance, le 14 juillet 1847, et ne conservait son
droit de cité que pour la Justice de Paix. C'est ainsi qu'au beau
milieu d'une plaidoirie en anglais, l'avocat mauricien doit souvent intercaler de longues citations en français qui déséquilibrent
quelque peu l'homogénéité de son style. A la longue, il acquiert
un vocabulaire restreint dans les deux langues et si cela peut
lui rendre service dans le domaine touristique et commercial,
il n'en reste pas moins que ce bilinguisme approximatif dessert
sa pensée et appauvrit son élocution.
En somme, on peut dire que l'évolution du droit civil mauricien d'origine françai se s'opéra dans un contexte anglais. Par
voie d'amendement, elle s'opéra parallèlement au droit français.
Bien des amendements effectués en France furent fidèlement
copiés à Maurice, mais certains d'entre eux mélangèrent les deux
droits, comme nous le verrons en matière de divorce.
Le légi~lateur mauricien légiférant en anglais, toutes les
nou velles lOIS françai ses furent traduites et certains termes
te~hniques quasi intradui sibles, furent reproduits entre parentheses dans le texte. Par exemple, il existe dans la c Filiation
Ordînance . (chap. 40 des Lois de Maurice), un article assez
caractéristique du genre: "4. A persan who claims his mother
shall be bound ta prove the confinement (l'accouchement) of
the mother and besides th at he is identically the same child of
whom she was delivered ; provided that thi s proof shall not be
admltted unless there is a commencement of praof in writing,
(1) Litl. : Règles de la Cou r.
as provided by article 324 of the Civil Code or unless the
presumptions and probable evidence (indices) resulting from
subsequent unquestionable facts (faits dès lors constants) are
sufficiently grave ta allow their admission" (1).
Cette manière d'amender la loi a au moins le mérite
d'indiquer clairement l'intention du législateur de se référer
au droit français. Certains juges anglais se sont pourtant, quoique
rarement, permis d'invoquer le droit anglais sur des questions
spécifiquement prévues par le Code. C'est ainsi qu'on a vu les
règles de res j Lldicala ( 1) anglais être invoquées à la place de
celles de l'article 1351.
La jurisprudence, de son côté, au basard des affaires, fit
son chemin à la lumière des décisions des Cours d'Appel et
de Cassation, tout en gardant son indépendance vis-à-vis d'elles,
ce qui n'a pas de pendant dans les relations qu'elle a avec les
H autes Cours Britan niques - surtout le Conseil Privé (2) dont les décisions dans les matières régies par le dro it anglais
lient la jurisprudence coloniale.
Ainsi, le Juge LECONTE disait, dans l'affaire Mangroo v.
Dahal en 1937 (3), répétant des déclarations faites par la
Cour Suprême de 1907 et 1931 , qu'en ce qui concernait la
jurisprudence des Cours d'Appel et de Cassation, s'il s'agissait
de l'interprétation d'un texte douteux, la Cour Suprême hésiterait longuement à donner une opinion contraire à la leur.
Mais si la Cour Suprême arri vait à la conclusion que la jurisprudence françai se avait tempéré la ri gueur d'un texte ou y
avai t ajouté des dispositions qui ne s'y trouvaient pas, elle ne
serait pas prête à sui vre les juges français. Si la Cour se trompait
en ce fai san t, notre Cour de Cassation, le Conseil . Privé à
Londres, pourrait toujours la remettre sur la bonne VOle .
Voici dans l'ordre des articles du Code, quelques-uns des
trai ts les plus remarquables de l'évolution du Droit Civil
Mauricien.
(1) Litt . : Une personne qui réclame sa mère.. sera te~ue de p~ouv~r
les couches (l 'accouchement) de la mère, et par alUeurs qu elle est ldentl~
quement l'enfant même dont elle a été délivrée ~ cette ~reu~e. n'est
admise que s'il y a un com mence ment de preuve par écnt, am.sl que
prévu à l'article 324 du Code Civil ou, à moins que des pr~ompt~ons ~t
une évidence prObable (indices) résultant de faits posténeurs mdubl~
tables (fail s dès lors constants) ne soient s.uffisamment sérieux ~our
autoriser leur adm ission •. Le texte de cet article se rapproche partle lle~
ment de l'article 34 1, al. 2 C. C.
(2) Choses jugées.
.
.
.
(3) Le Conseil Privé de la Reine : la plus haute mstance bntanmque.
(4) 1937, M aurifius R eparlS, p. 43 .
�f
98
99
le mot c français . comme se référant à un citoyen de la France,
c'est- à-dire à une personne qui ne serait pas un mauricien ou
A. -
qui n'appartiendrait pas à l'Ile Maurice ... En conséquence du
changement de nationalité plusieurs articles du Code ont perdu
leur sens littéral et doiven t être interprétés de façon à les adapter
au changement >.
ORDRE PUBLIC ET PUBLIC POLICY (1)
« On ne peut déroger par des Conventions particulières
aux lois qui intéressent l'ordre public et les bonnes mœurs .
(art. 6). A Maurice, la question s'est souvent posée et la Cour
a toujours décidé que les considérations d'ordre public et de
bonnes mœurs étaient celles du Droit françai s quoique l'Angleterre ait elle aussi un système d'ordre public - le public policy et ses préventions envers les conventions « contra banos mores ~ .
Mais il était nécessaire de faire un choix car il n'y a pas toujours coïncidence entre les deu x doctrines. Il peut même y avoir
conflit. Ainsi le concept du trust (2) n'a rien de contraire à la
Public Policy, mais peut être contraire à l'ordre public. C'est
ce que la Cour Suprême a jugé, en annulant la partie d'un
trust qui empiétait sur la réserve, dans l'affaire Austin v. Bailey
en 1962.
B. -
ARTI C LES
3, 8, 12
INT ERPR ÉTATION DU MOT
C ar autrement l'articl e 1er du Code devrai t encore se lire:
« les lois sont exécutoi re s dans tout le territoire fra nçais en vertu
de la promulgation qui en est faite par l'Empereur • .
L e Comité de R évision des lois civiles recommandera prochainement que l'article 8 soit amendé et se lise à l'avenir :
« Tout Mauricien jouira des droits civil s. Est Mauricien tout
sujet britannique qui , en vertu de toute loi en vigueur, est
considéré appartenir à l'lie Maurice ou à ses dépendances • .
JI Y a ici une référence au chapitre 148 des Lois de Maurice :
la D éportation (B ri tish Subjects) Ordinance (l), qui défin it les
personnes qui sont consid érées c appartenir à l' Ile Maurice ,
(to belong to the colony) . Les autres articles du code seront
également amendés dans le même sens, Mauricien étant mis
à la place de Français.
ET S.
« FRA NÇAIS .
C. -
Les juges du XIX' siècle ne semblent pas avoir éprouvé de
difficulté à appliquer les articles où paraissait le mot « françai s • .
Dans les déci sions rapportées, ces articles sur la situation bizarre
de sujets britanniques que leur Code continuait à dénommer
101 , 144 A 179 ABROGÉS ET REMPLACÉS
26 DE 1890 SUR L' E T AT CIV IL
ce qui touchait au mariage des enfants n~ turels reco~n~s, par
les parents ou par la mère seulement, ai nSI que la ;altdlte des
mariaaes célébrés privément (artIcle 165, C. Nap.), etant reconnue e~ suivie par la cour locale, le législateur décida d e s'y confor mer et de sta biliser le droit en codifiant cette JU rISprudence;
20) P récédant le législateur fra nçais qui ne devait se pencher
sur les articles 152 à 155 du Code qu'en 1907, le législateur
mauricien les abrogea purement et simplement, c?nsidérant que
colonie " un comme ntateur ang1ais écrivit en 1843 que " since
m.
A
La nécessité d'a mender les articles du code ayant trait à
l'Etat Civil se fit senti r dès 187 1, (Ordonnance 17 de \ 871 ), et
procéda de plusieurs sources : 1°) la jurisprudence française en
fai sait menta lement. L'arrêté de l'Assemblée Coloniale du 18 janvier 1793 prévoyant que « les étrangers ne seront réputés
citoyens français qu'après un domicile de cinq années dans la
(1) Liu . : Politique publ ique. c Ligne de conduite publique :t .
(2) Litt. : Institution juridique origin ale et propre au droit anglais.
Le c trust ,:t tient du ~ideicommis. du Mand at et du D épôt.
(3) Litt. : c DepUIS la conquête les mots c citoyen français :t doivent
être lus c sujet britannique :t .
(4) 1940, M auritius Reports (part
p. 101.
34
P AR L' ORDONNANC E
« français ') sont cités sans commentaires. La rectification se
the conquest the \Yords « citoyen français . must be read
« british subjects > " (3). La situation se corsa tant soit peu
lorsqu'un plaideur imagina, en 1940, dans l'affaire Ca nabady
v. Amurdalingum (4) de prétendre que c français > veut dire
françai s et rien d'autre. La Cour rejeta son exception en ces
ter~ es : « toute référence au x articles 8 à 16 ainsi qu'à d'autres
arudes du Code Napoléon démontre l'impossibilité d'interpréter
ARTI CLES
les « actes respectueux » étaient des « formahtes ndIcules ' ,
•
30) La procédure préconisée par les articles 258, 264 à 266,
en vertu desquels le juge c autorisait > le di v~rce et renvoyaIt les
parties à l'offi cier d'Etat Civil, fut conslderée « enco":,brante
et dispendieuse . et les articles furent abrogés. Le légIslateur
français devait en faire autant en 1886 ; 4°) D'autres articles,
rtation des sujets britanniques.
(1 ) Litt . : O rd cnn ance sur la dépo
�100
lOI
ayant trait au x actes de l'état civil furent retouchés pour des
raisons d'ordre administratif.
Pendant la période de 1871 à 1890, le justiciable mauricien
et les officiers de l'Etat Civil ayant éprouvé des difficultés du fait
que les lois sur l'état civil s'éparpillaient entre le code et les
ordonnances, il fut décidé de retrancher du code les articles
encore en vigueur, de les traduire et de les reproduire dans une
seule loi, l'Ordonnance 26 de 1890, à côté des dispositions de
l'Ordonnance 17 de 1871 et de quelques autres de moindre
importance. Ainsi fut fait. A partir de cette date, Maurice eut
son code de l'état ci vil rédigé en anglais, ma is les juges continuèrent à suivre la jurisprudence françai se ca r la substance du
droit était restée la même (1). L'Ordonnance 26 de 1890 est
si bien faite que le comité de révision des lois civiles a recommandé qu'elle soit maintenue et que ses prescriptions ne réintègrent pas le code.
d'adultère de son mari que lorsqu'il aurait « tenu sa concubine
dans la maison commune., en l'accordant sous l'article 232 au
moindre indice d'injures accompagnant l'adultère.
Par ailleurs, l'Ordonnance, tout en maintenant les causes
« françai ses . d'adultère et d'excès, sévices et injures graves,
mettait une gamme de causes « anglaises . de di vorce à la disposition des époux : bigamie, inceste, sodomie, bes tialité, désertion
de cinq et de dix années; toutes ces causes sont en réalité superfétatoires pui squ'elles entreraient aisément dans la liste des injures
graves. L e législateur confirmait en l'amendant, la jurisprudence
de 1843 en décla rant que toute condamnation à la servi tude
pénale (1) pour plus de cinq ans serait une cause de di vo rce.
Pour la procédure, le législateur se fo ndait sur le droit
anglais. Enfin, il abolissait les pénalités en cas d'adultère de la
femme, abrogeait l'a rticle 295 qui empêchait les époux di vo rcés
de se réunir, et maintenai t les effets de la réconciliation (que
certa ins juges anglais essayèrent d'assimiler au c Condonation »
anglais) (2).
D. -
ARTICLES 229 A 298 :
TH E DI VORCE AND JUOI CIAL SEPARATIO N ORnl NANcE 1872 (2)
Le divorce du Code Napoléon ayant été aboli par la R estauration, et Maurice l'ayant conservé, la jurisprudence locale
fut bien obligée d'évoluer toute seule dans ce domaine. Le
Code Napoléon resta entièrement en vigueur ju squ'en 1872.
On vit la femme adultère être conda mnée, en plusieurs occasions, à la réclu sion dans une maison de correction , conform ément
à l'article 298 . En 1843, la Cour d'Appel dut décider, en pré-
sence de l'abolition des peines dites « infâmantes . du Code
Pénal si une condamnation à 3 ans de travaux forcés pouvait
encore être invoquée comme telle d'après l'article 231. Elle
jugea par l'affirm ati ve. En 1872, poussé pa r le Secrétaire d'Etat
aux Colonies, le législateur mauricien refondit ses lois du di vorce
en prenant soin -
E. _
PATERNITÉ ET FILIATION: ORDONNANCE N° 37 DE 1902
Un projet de révision du Code Civil contenant notamment
un élargissement du droit en matière de preuve de la filtatlOn
(le mode de preuve de l'article 323 étant étendu aux cas de
l'article 34 1 (3) l'honorable Emile SAUZIER, Avocat, fit adopter
cette partie du projet à la Chambre Mauricienne tandis qu:on
le rejetait en France. C'est ainsi que la 101 maun Clenne s est
assouplie tout en conservant, sur ce point, toutes ses au tres
attaches avec le code.
F . _ ADOPTION (ARTICLE 343 A 370)
comme cela devait se fa ire en France en
1884 - d'abolir le di vorce par consentement mutuel de façon
à rendre la loi « moins incompatible avec la moralité bien
comprise . , et de permettre à la femme de demander le divorce
pour cause d'adultère de son mari. li convi ent de remarquer
que la cour maunclenne contournait déjà cette difficulté où se
trou vaIt la femme de ne pouvoir demander le di vorce pour cause
Les règles de l'adoption du Code Napoléon étant ~ésu étes,
le Comité de R évision des Lois Civiles reçut une requete gouvernementale, en 196 1, d'avoir à laisser de côté to~te autre
qu estion et de s'occuper uniquement de la refonte des arlleles 343
(1) Travaux forcés.
.
: Pardon d'une infidélité entre époux (constituant une
renonciation à l'actio n en divorce) .
. '
(3) C'est.à-dire : Preuve de la filiation. par témolOs, appliq uée à
la recherche de la matern ité.
(2) Litt.
(1) La Cour le reconnut spécifiquement dans l'affaire Ex
WONG. FuN~TA I, 1949, Mt/ uri/ius Repon s, p. 183.
P ARTE
(2) Litt. : Ordonn ance sur le divorce et la séparation judiciaire.
�102
103
à 370 qui feraient l'objet d'une ordonnance dès que le Comité
présenterait un projet. Il fallut alors faire face à deux problèmes.
D' une part un courant d'opinion émanant de bau tes sphères
gouvernementales préconisait l'abrogation des articles en question
et la mise en vigueur d'une loi empruntée à la législation anglaise
et d'après laquelle des Probations Officers (1) ou Officiers du
Bien-Etre Social resteraient en contact avec l'adopté et contrôleraient les actes de l'adoptant à son égard. Ce fut principalement
ce droit de surveillance qui poussa le Comité à rejeter la suggestion « anglaise » et à préconiser un amendement des articles
dans le sens de la légi slation française. Ce point de vue prévalut
et la seule différence qui existe entre les codes français et mauricien en matière d'adoption rési de dans la procédure. En effet.
d'après notre article 35 3 « la requête aux fin s d'adoption est
présentée au Juge en Chambre par le Ministère Public >. Ainsi
femme de grever de substitution non seulement sa quotité dis·
ponible mais aussi la réserve de sa succession . Le Comité de
Révision des Lois Civiles a considéré que cette faculté devrait
être de nou veau restreinte à la quotité disponible, c'est-à-dire
que l'article 1048 devrait retrouver son ancienne rédaction de
1804, mais il reste à savoir si le gouvernement acceptera ce
rabattement vers le droit français. La Succession and Wills
Ordinance offre un exemple frappant d 'amendement pour cause
d'évolution du droit en France. Ainsi les articles 843-44 du code
ayant été amendés en France par la loi du 24 mars 1898, le
législateur mauricien n'a fait que les transcrire en anglais dans
l'Ordonnance (art. 79 et 80) .
Une Ordonnance de 191 2, la Donation inter vivos and
Wills (Amendment) Ordinance, introduite sur la recommandation
de la Commission Royale d'E nquête de 1909, apporte une
exception assez curieuse au droit commun : cette loi permet aux
époux de se faire donner acte, par un notair,e, un juge, ou un
magistrat, d'une déclaration selon laquelle Ils font dependre
leurs droits de l'ordonnance de 19 12. Au moment du man age,
ils présentent cet acte à l'officier d'état civil et vis-à-vis des
enfants de ce ma riage, ils se trou vent libérés des règles ayam
trait à la réserve et à la quotité disponible; ils peuvent désbériter leurs enfants ou leur faire des dons dispensés de rapport.
le ministère public prend à sa charge et à ses frais, toutes les
demandes d'adoption dans le double but d'éviter des frai s au x
familles pauvres et de se procurer par une enquête les renseignements convenables > (a rticle 355) devant servir de base
à la décisi on du juge. D'autre part, le Comité voulut savoir
s'il devait rédiger son projet en anglais ou en français, car tous
les amendements apportés au code sous form e d'ordonnance
s'étaient faits en anglais depuis les origines de l'administration
britannique. Mais comme le Comité s'occupait d'une vraie refonte
du Code, ne fall ait-il pas employer le français ? Pressenti , le
Secrétaire d'Etat répondit par l'affirm ati ve. C'est ainsi qu'en
ava nt-première du code mauricien, nous avons, depuis 1963 ,
un chapitre détaché, publi é en français dans une ordonnance.
G. -
SUCCESSIONS
La Succession and Wills Ordinance (2) date de 1883 et a
souvent été amendée depuis. Elle préserve l'essence française
du droit tout en modifiant quelques dispositions et en réglant
la procédure. Dans ce domaine, il est à remarquer que l'envoi
en possession demeure nécessaire seulement lorsqu'il y a concurrence entre héritiers naturels et légitimes. De même la
demande en délivrance n'est conservée que pour les légataires
particuliers ou à titre universel d'une succession à héritiers
exclusivement naturels. Une différence substantielle introduite
par le législateur mauricien en 1883 est la faculté pour toute
(1) Litt . : Officiers de la mi se à l'épreuve.
(2) LiLt. : Ordonnance sur les Successions et les Testaments.
r
Ces di spositions, très rarement utilisées, o nt fait l'objet d'une
critique de la Cour Suprême au cours de l' affaire Mungur v.
Mungur en 1964 (1), la Cour déplorant d'une part l'absence
d'un préambule qui aurait expliqué les raisons de cette exceptJon
et d'autre part, une rédaction confuse propre à ~rovoquer de
multiples difficultés. Cette affaire est en appel aupres du Conseil
Privé.
H. -
D E LA FEMME MARI ÉE
T ous les régimes du Code Napoléon ont été préservés mais
le légi slateur mauricien devait innover en fa;eur de la femme
mariée dès avant le législateur françaIS. Apres de longs débats
à la Chambre, il fut décidé en 1949, d'émanciper complètement
la femme et cela se fit en vertu de l'Ordonnance 50 de 1949.
Cette loi permet à la femme de se marier selon des dlSpoSitJons
(qu' une simple décla ration à l'Officier d'Etat Civil met en vigueur
vis-à-vis d'elle) lui permettant de conserver l'administration, la
jouissance et la libre disposition de ses biens personnels, et
(1 ) Mauri tius Reports, p. 92 .
�105
104
c d'agir en tout comme si elle n'était pas mariée :. . Chaque
époux doit, en ce cas, contribuer aux charges du ma riage dans
les proportions de ses revenus.
Le Comité de révision des lois civiles a incorporé cette loi
dans un article unique d'une section intitulée « de la Séparation
de Biens par Simple Déclaration » (art. 1539 bis) qui retranche la disposition jugée par trop étendue selon laquelle la
femme pourrait « agir en tout comme si eile n'était pas marié »
(1).
La portée de cette ordonnance apparaît à la simple lecture du
texte et du fait qu'elle abroge complètement 173 articles du
Code et partiellement Il . De façon significati ve, les mots « la
femme doit obéissance à son mari » disparaissent de l'article
213.
1. -
ARTICLE 1384: REFUS DE LA THÉORIE DU RISQUE
Sept ans après l'arrêt solennel de la Cour de Cassation,
toutes Chambres réunies, consacrant l'adoption par la jurisprudence française de la théorie du risque, propagée et soutenue par SALEILLES et JOSSERAND, la Cour Suprême de l'Ile
Maurice, composée à l'occasion de l'affaire Mangroo c. Dahal,
du Chef Juge NAIRAC et du Juge LECONTE, refusait catégoriquement de sui vre cette jurisprudence. Le Juge LECONTE qualifiant ceUe théorie de germanique, draconnienne et simpliste,
opposait, ainsi d'ailleurs que le Chef Juge NA IRAC, un retentissant c non » au c qui casse les verres les paie » de M . SALEILLES. Comment, dit le juge LECONTE, un pays qui a produit le
Code Napoléon peut-il faire place à une telle monstruosité? Il
préférait pour sa part s'en tenir à une décision de la Cour
d'Appel de Lyo n, de 1927, qui déclare : « qu'on ne peut souscrire à une application jurisprudentielle qui risque d'aboutir
à frapper des personnes non fautives par crainte de voir demeurer sans sanctions quelques responsabilités ». C'est donc à
partir d'uoe opinion ardemment soutenue que la théorie du
risque est restée sans échos à Maurice.
(1) Ce texte est emprunté au Married
anglais de 1882.
Women's Property A ct
J . - PRIVILÈGES ET HYPOTHÈQUES:
TRANSCR IPTION AND MORTGAG E ORDINANCE 1864 (1)
Le droit relatif aux immeubles n'a rien emprunté au Real
Property Law (2) anglais et demeure essentiellement français.
La transcription and Mortgage Ordinance de 1864 est une loi
presqu'exclusivement de procédure qui emprunte d'ailleurs largement à la loi française du 23 mars 1855 sur la transcription
en matière hypothécaire.
J.l est à noter cependant qu'elle abolit les hypothèques
judiciaires (amendement de 1866) et que la suspension de la
prescription en faveur des mineurs et des interdits qui découle
de l'article 2252 du Code Na poléon ne peut être opposée
aux personnes ayant acquis des immeubles par prescription de
10, 20 ou 30 ans que pendant une période de deu x ans à compter de la majorité ou de la levée de l'interdiction. Passé ce
d élai, la suspension ne peut plus être invoquée (articles 51 et 52
de l'Ordonnance).
K. - PR ESCR IPTIONS :
THE PRESCR IPTION AND LIMITATION ORDINANCE 1874
Les règles de la prescription sont restées françaises à part
quelques retouches d'inspiration locale. C'est ain si que les terres
de la Couronne et la ceinture côtière connue sous le nom de c pas
géométrique » sont imprescriptibles ; c les p as » depuis 1807.
La période de 30 ans de l'article 2262 est redulte à 20 ans maIs
la profession judiciaire est généralement d'opinion que . cet
ameodement n'affecte pas la prescription acquISItIve ou extmctive de servitudes, quoique la Cour ne se soit pas encore prononcée sur ce point. Enfin, une prescription de 30 ans est absolue en ce sens qu'elle peut être opposée même à des mine~rs et
à des interdits qui, en France pourraient invoquer une penode
de suspension. La jurisprudence, pour sa part, a restremt la
règle de l'article 2224 selon laquelle la prescription peut être
invoquée en tout état de cause. En 193 1, dans l'a~a ire B~lto~
v. Langlois (3) , la Cour Suprême a jugé que lorsqu elle Slegea~t
en appel des décisions de magistrats, la prescnpuon ne pOUVaIt
alors être invoquée pour la première fois.
(1) Ordonnance sur la transcriptio.n et le~ .hypothèques.
(2) Litt.: Droit de la propriété unmoblhère .
(3) 1931 , Mauritùls Reports, p. 114.
�107
106
IV. -
INFLUENCE DES REGLES DE PREUVE
ET DE PROCEDURE ANGLAISES SUR CERTAINS
ARTICLES DU CODE
A. -
LA PREUVE
Il semble que les légistes mauriciens aient donné de leur
propre chef, et assez tôt, leur adhésion aux « Rules of evidence >,
c'est-à-dire aux règles de la preuve qui prévalent dans les Cours
Britanniques. Mo BRUZA UD, écri va nt dans la R evue Judiciaire
en 1843, disait que « depuis plusieurs années le mot évidence à
été admis au droit de bourgeoisie dans le langage de notre
Barreau. L'admission de ce mo t nou vea u n'est pas sans importance; les mots sont la représentation des idées». Certaines
décisions de cette époque, rejetant la preuve par ouï dire ou
recueillant la déclaration d'un mourant rapportée par témoins
en se fo ndant sur un « dictum _ du Lord Chief Baron E VRE
dans une affaire de l'Old Bailey session de 1789, montrent
clairement l'adoption du système anglais de preuves: de sorte
que, lorsqu'en 188 1, le législateur décida que «exception faite
de lois particulières existant dans la colonie la loi anglaise de
l'évidence devra être appliquée dans toutes les Cours _, il ne
faisait qu'homologuer une pratique existante. En appliquant ce
texte la Cour Suprême semble avoir ignoré l'exception fa ite
pour « les lois particulières _, c'est-à-dire certains articles du
Code. Ai nsi quoique l'a rticle 1341 - dont les 150 francs ont
été convertis par le législateur en 60 roupies - soit rigo ureusement appliqué, par contre la procédure édictée par l'article
1324 est suppri mée et la portée de l'article 1353 considérablement réduite.
sur une question de fai ts. La démonstration doit se fai re en sa
présence au cours de l'affaire et à la diligence des pa rties en
cause, et le témoignage d'experts peut alors lui être précieux
sans qu'il soit tenu de se conformer à leurs conclusions. Ce
point de vue fut maintenu quant à la vérification d'écriture
malgré d'autres tentati ves du Barreau, en 1926, et en 1962,
de revenir sur la décision de 1893 .
2. Article 1353. - 11 est une clause de présomptions graves,
précises et concordantes accueilli e par la jurisprudence française et rejetée par nos Cours. Il s'agit des présomptions résultant des documents d'une procédure criminelle et invoquée lors
d'une instance civile. La Cour civile frança ise peut même, en
pareil cas, invoquer le verd ict de la cour criminelle comme
simple présomption. A Maurice, les cours civiles ont systématiquement refu sé de suivre la jurisprudence française en ce do-
maine (la Cour Suprême en 4 fois, de 1930 à 1951) considérant
avec le droit anglais que le procès criminel est « Res inter alios
acta _. Ainsi dans l'affaire Lincoln v. Le Breton (1930) (1) un
témoin ava it, au cours de l'enquête policière - qui tient lieu
d'instruction criminelle - fait certaines déclarati ons qu'il refu sa
de maintenir sous serment pendant l'instance civile. L'avocat du
plaignant essaya de faire accepter ces déclarations à l'enquête
comme preuve dans l'i nstance civile mais la cours refusa en
invoquant le droit anglais. De même, dans l'affaire de Bigara
v. Nouvelle Société de Peros (1 93 1) (2), les témoignages et le
verdict d'une affaire d'assassinat furent rejetés au civil.
Toutefois, en vertu du droit anglais et de l'article 1356,
l'aveu qu'aurait fa it une pa rtie dans l'instance cri minelle peut
être in voqué contre elle au civil. Quant aux simples témoignages recueilli s au criminel, ils peuvent être utilisés au civil
au x fins de contre-interrogatoires si le même témoin est appelé
dans chaque instance. T Olites ces diffi cultés découlent du fait
que la procédure anglaise ne permet pas de partie civile dans
une instance crim inelle . Les deux procès doivent nécessa irement
1. A rticle 1324. - Dès 1893, dans l'affaire Mauritius F ire
Insurance v. Lemeur (1 ), la Cour décrétait que la vé rification
d'écr~ ture prévue p~ r l'article 1324 du Code Napoléon et la
procedure relatIve a la question prévue par l'article 196 du
Code. de Procédure ~i v i l e n ~ pouvaient être appliquées à
Mauroce car cette procedu re étaIt contraire à la pratique anglaise
selon laquelle le juge ~'aba ndonne jamais à des experts, quelque
technique que pUIsse etre le problème à résoudre, une décision
(1) 1893 , Ma urilius Reports. p. 42.
être entendus par des Cours différentes.
B. -
EMP IÈTEMENTS DE LA PROCÉDU RE
Un certain chauvinisme ayant amené, à parti r de 1840 et
jusqu'en 185 5 enviro n, l'introduction des règles de procédure
(I) 1930, Mauri tius Reports, p. 56.
(2) 193 1, Mauritius Reports, p. 76.
8
�108
anglaise qui entamèrent le Code de Procédure Civile, même les
actions en diffamation d'après l'article 1382 en furent affectées.
La question se posa jusqu'en 1958 : dans les affaires de diffamation, doit-on se référer au Code Civil ou au « Law of libel •
(1) ? L'affaire Forget v. la Presse Mauricienne (2) et autres mit
un peu d'ordre dans cette partie du droit en décidant que si
dans le passé la cour s'était laissée guider par la jurisprudence
anglaise, ce fut à cause de la rareté des commentaires françai s
sur la diffamation en tant que délit sanctionné par l'article
1382, Code Nap.; qu'elle pouvait se référer au droit anglais
en tant que « ratio scripta . pourvu qu'il y a it similitude entre
les deux systèmes ; qu'ainsi l'exception de « critique de bonne
foi sur un sujet d'intérêt public . était commune aux deux
systèmes, mais que l'exception de « privilège qualifié . (3) du
droit anglais n'avait pas de pendant en droit français et ne
pouvait être invoqué à Maurice.
(1) Litt .: Droit du Libellé, c'est-à-dire de la diffamation ,
(2) 1958, Mauritius ReporlS, p. 248.
(3 ) Immunité particulière contre les poursuites en diffamation accordée à certaines personnes.
L'auteur du présent rapport a soutenu au mois de mai 1968 devant
la Faculté de Droit et des Sc iences Econo'miques d'Aix-en-Prove~ ce, une
thèse d~ D~torat de Spécialité (3- cycle) sur le sujet suivant : c L'évolution
du drOIt c ivIl à l'Ile Maurice ~.
L'ÉVOLUTION
DU DROIT COMMERCIAL MAURICIEN
par
Me André ROBERT
Avoué (Port-Louis)
Le 14 juillet 1809, alors que l'Ile Maurice était encore l'Ile
de France, colonie française, un arrêté promulgué dans le Code
Decaen nO 208, mettait en vigueur aux Iles de France et Dépendances le Code de Commerce français dans l'état dans lequel
il se trou vait à cette époque, sauf cependant certaines adaptations d'importance secondaire nécessitées par tes conditions
locales.
Peu de temps après, l'Ile de France tomba aux mains des
Anglai s. Le 3 décembre 18 10 fut signée la convention de capitulation, connue sous le nom de • Code Farquhar nO 1 • . En
vertu de l'article 8 de cette convention, les babitants de l'ne
de France étaient autorisés à conserver c leurs Religions, Lois
et Coutumes • . Cet engagement fut répété et confirmé par la
Proclamation du 5 décembre 18 10 (Code Farquhar n° 2) qui
stipule que « les mêmes lois et les mêmes usages en vigueur
jusqu'à ce jour, seront aussi observés ».
Le 30 mai 18 14 fut signé entre les représentants des Gouvernements anglais et français, le traité de Paris et l'article 8 de
ce traité transféra défin iti vement au Gouvernement anglais les
îles de Tobago et de Sainte-Lucie et l'Ile de France et ses Dépendances comprenant les îles Rodrigues et les Seychelles. Ce traité
fut promulgué à l'Ile de France par une Proclamation du 15
décembre 18 14.
En vertu d'une Proclama tion publiée dans la Gazette du
Gouvernement du 29 av ril 18 15 par notre premier gouverneur
angla is, Sir Robert T ownsend F ARQUHAR, il est stipulé que les
habitants de l'Ile de France continueraient à être liés par les
lois, décrets et règlements alors en vigueur ou qui pourraient
par la suite être promulgués par ce gouvernement.
�110
III
Après le transfert de l' Ile de France au Gouvernement
anglais, nous avions donc pu conserver intact notre Code de
Commerce français tel qu'il avait été promulgué le 14 juillet
1809 par le Code Decaen n' 208.
Depuis, ayant perdu tout contact avec la France au point
de vue de notre législation, nous n'avons adopté que quelquesunes des modifications qui furent apportées au Code de Commerce français à partir de cette époque. Par ai lleurs, avec l'établissement des banques et firmes commerciales anglaises à l'Ile
Maurice et l'accroissement de notre commerce avec la GrandeBretagne, une modification de notre droit commercial était devenue inévitable et nécessaire afin de nous permettre de nous
adapter aux circonstances. Des Ordonnances furen t alors votées
au Conseil législatif de notre île et des décrets (O rders in Council) (I) furent promulgués pour introduire dans notre législation
commerciale certaines loi s anglaises, ce qu i eu pour conséquence
l'abrogation expresse et parfois tacite des textes correspondants
de notre Code de Commerce.
I. -
L'ÉVOL UTlON HISTORIQUE
DU DROIT COMMERCIAL MAURICIEN
Afin d'avoir une idée plus ou moins exacte de l'ensemble
de notre Code de Com merce et de notre évolution commerciale, je voudrais, tout d'abord, vous donner ici chronologiquement et non en suivant l'ordre des articles de notre Code de
Commerce, les diverses modifica tions qui furent apportées à ce
code françai s sous l'Administration anglaise.
1. -
BOURSES DE COMMERCE ET AGENTS DE CHANGES
Aotérieurement au Code Decaen n' 208, un arrêté du 14
Thermidor An X I! (Code Decaen n' 69) établissait une Bourse
de Commerce à l'Ile de France après la loi de la R épublique
du 28 Ventôse An X I!, et les arrêtés des Consuls des 29 Germinal de la même année et 27 Prairial An XII, réglaient le mode
de nomination des Agents de Change et Courtiers, leurs attri(1) Litter. : c Ordre en Conseil . Ordonn ance Royale rendue par
le Conseil Privé ».
butions, leurs devo irs, et leurs discipline; mais l'Ordonnance
N ' II de 1836 ve nait tacitement abroger cet arrêté du
14 Thermidor An X II (sauf en ce qui concernait la constitution
d'une Bourse de Commerce) ainsi que les articles 71 à 90 du
Code de Commerce, en pro mulgua nt une législation différente
sur les Agents de Change et les Courtiers. En 1945, l'Ordonnance n' 25 abrogeait ex pressément l'Arrêté du 14 Thermidor
An XII et l'Ordonnance n' II de 1836 et nous donna it une légis:
latlOn nou velle sur les Agents de Change et les Courtiers. Mais
il est à dép lorer que cette nouvelle ordonnance soit muette en
ce qui concerne la Bourse de Commerce. Nous avons toujours
une Bourse à Maurice, mais elle opère sans législation.
2. -
FA ILLITES ET B ANQUEROUTES
La seconde entaille qui fut fa ite à notre code de commerce
se produit en 1838 par la promulga tion de l'Ordonnance n' 10
de 1838 laquelle, tout en modifiant d'une manière substantielle
le li vre III du Code de Commerce sur les Faillites et Banqueroutes, maintenait cependant les principes fondamentaux qui
s'y trou vaient. Mais en 1853, l'Ordonnance n' 33 de 1853
empruntée du droit anglais en vigueur à cette époque, venait
change r complètement l'état de notre législation sur les Faillites
et Banqueroutes. Cette Ordonnance, qu i fut par la suite modifiée
par l'Ordonnance n' 14 de 1864, resta en vigueur jusqu'à la
promulgation de l'Ordonnance n' 15 de 1882 qui reprodu isait
en substance le Bankruptcy Act ( 1) anglais de 1869. Enfin ,
l'Ordonnance n' 23 de 1887, copiée presque textuellement de
la loi anglaise de 1883 et mise en vigueur à l'Ile Maurice par
la proclama tion n' 22 du 30 avril 1888, nous conférait une
législation que nous avons conservée jusqu'à présent. Cette
dernière ordonnance qui fut ultérieurement modifiée à plusieurs
reprises se retrouve avec ses amendements au vol. TT du Recueil
des Loi s de Maurice édité par Sir Charlton LANE en 1945.
D 'autres ame ndements ont encore été ap portés par les Ordonnances n'" 50 de 1949, 40 de 195 1, 44 de 1952, 12 de 1954 et
31 de 1959.
Nos différents tribunaux furent constitués par l'Ordre en
Conseil du 13 av ril 183 1 et les juges de la Cour d'Appel reçurent le pouvoir d'établir des règles à suivre devant ces tribunaux
par un autre Ord re en Conseil du 23 février 1836. Les articles
(1) Litt . : c Loi sur la Banqueroute ».
�113
112
615 à 648 du Code de Commerce qui n'avaient apparemment
pas été affectés par ces Ordres en Conseil, furent abrogés par
l'Ordonnance n' 2 de 1850, laquelle fut ratifiée par l'Ordre en
Conseil du 23 octobre 1851 , publié dans la Gazette du Gouvernement du 24 février 1852. Pour cette nouvelle législation la
Cour d'Appel prenait le nom de Cour Suprême avec des pouvoirs définis. Le Tribunal de Première Instance était aboli et
sa compétence transférée à la Cour Suprême et les tribunaux des
districts étaient constitués. La législation sur la constitution de
nos tribunaux se trouve aujourd'hui codifiée dans notre « Courts
Ordinance (1) (Edition de Sir Charlton LANE, vol. II, chap.
168). Je reprendrai ce sujet dans la seconde partie de ce rapport
à propos de la procédure com merciale et des tribunaux jugeant
en matière commerciale.
3. -
COMMERCE MARITIME
En 1855, l'Ordonnance n' 17 de 1855 étendait à l'Ile
Maurice certaines dispositions de la troisième partie du « Merchant Shipping Act . (2) anglais de 1854. Depuis, un bon
nombre d'Ordonnances ont étendu progressivement d'autres
dispositions de ceUe loi anglaise à notre colonie. Ces ordonnances ont tacitement abrogé ou laissé sans application pratique
les dispositions des articles 190 à 272 du Code de Commerce
traitant du commerce maritime. En 1879, dans l'affaire Capeyron et Delange vi s Chasteauneuf et autres (Mauritius R eports
1879, page 43) la Cour Suprême appliquait formellement l'article 58 de la loi anglaise de 1854. L'Ordonnance n' 19 de 1910
a abrogé toutes les ordonnances précédentes (sauf les ordonnances n' 18 de 1899 et n' 11 de 1910) et a étendu sous certaines réserves la II' partie du « Merchant Shipping Act . de
1894 à Maurice. L'Ordonnance n' 20 de 1910 a aussi étendu
d'autres dispositions de cette loi à Maurice. Aujourd'hui notre
législation sur le « Merchant Shipping . se trouve au chapitre
346 du vol. IV des lois de Maurice (Edition de Sir Charlton
LANE). L'éditeur n'a fait que coordonner toutes les ordonnances
qui n'avaient pas été abrogées par l'Ordonnance n' 19 de 1910
et dont la liste figure en tête de ce chapitre. Après la publication
de cette nou velle édition, plusieurs modifications y ont été
apportées par les ordonnances n' 43 de 1953, n' 49 de 1956,
n' 35 de 1957, n' 28 et n' 31 de 1959. L'état actuel de notre
(1) Litrer. : c Ordonnance des Cours • .
(2) Litt. : l'expédition commerc iale par bateau (Loi sur) .
législation mantIme peut se résumer à ceci: la première partie
du « Merchant Shipping Act. anglais de 1894 s'applique intégralement à Maurice en vertu de la Section 91 de cet Acte et
les autres parties du même Acte nè s'appliquent que dans les
limites établies par nos Lois et Ordonnances locales précitées.
4. -
CONTESTATIONS ENTRE ASSOCIÉS
L'Ordonnance n' 2 de 1868 abrogeait expressément les
articles 51 à 63 du Code de Commerce sur les contestations entre
associés et la manière de les trancher, et conférait aux tribunaux
compétents en matière commerciale le pouvoir de juger ces
contestations. CeUe ordonnance a aujourd'hui été reproduite par
les articles 19 et 20 de la « Mauritius Civil Procedure Ordinance . chapitre 192 de la nou velle édition de nos Lois par Sir
Charlton LANE) .
5. -
GAGE COMMERCIAL
Le 20 mai 187 1, dans le but de faciliter les opérations
commerciales, l'Ordonnance n' IOde 187 1, basée sur la loi
française du 23 mai 1863 , nous a conféré une nouvelle législation sur le gage commercial, laquelle permet de constater
le gage, même à l'égard des tiers, par tous les moyens possibles,
conformément à l'a rticle 109 du Code de Commerce. Ceue
Ordonnance est reproduite au chapi tre 396, vol. IV du Recueil
de Sir Charlton LANE.
6. -
SOCIÉTÉS COMMERC IALES
Le 15 février 1913 fut promulguée à Maurice la « Companies Ordinance . (I) n' 35 de 1912. Cette ordonnance, qui
est empruntée du « Companies Act . (1) angl8ls de 1908, a
abrogé la dernière ligne de l'article 19 (2), les articles 29 à 38
et les articles 40 et 45 du Code de Commerce sur les SOCiétés
Anonymes et la Commandite par actions. Elle est aujourd'hui
reproduite avec ses di verses modifications dans la nou velle édition de Sir Charlton LANE au chapitre 397 (vol. TV). D'autres
(1) Litt. : Ordonnance su r les compagnies et loi s~r les Compagnies.
(2) C'est-à-dire les di spositions concernant les SOCiétés anonymes .
�114
115
modifications y furent ensuite apportées par les ordonnances
n' 40 de 1951 , n' 24 de 1954, n' 15 de 1956 et n ' 16 de
1957.
n'étaient donc pas tenues de se servir des li vres prescrits par
l'article 8 du Code de Commerce et de les faire côter, parapher
et viser. L'opinion exprimée dans ceUe consultation fut suivie
dans la pratique mais eUe ne donnait pas satisfaction aux comp-
tables et aux com missaires vérificateurs qui demandaient l'uni-
7. -
EFFETS DE COMM ERCE
Ensui te ce fut le tour du titre VIfI, livre 1" du Code de
Commerce. L'Ordonnance n' 32 de 1914 abrogea les articles
110 à 189 du Code de Commerce sur la Lettre de Change, le
BiUet à Ordre et la Prescription . Cette Ordonnance reproduisit
avec certaines exceptions et réserves, le « Bill of Exchange Act .
(1) anglais de 1882. Elle se trouve aujourd'hui codifiée avec
toutes les modifications antérieures à 1945 dans le Recueil de
Sir Charlton LANE au chapitre 395 (vol. IV). D'autres modifications y furent apportées par les ordonnances n' 40 de 1951 et
n' 2 de 1955.
8. -
LI VRES DE COMMERC E
L'Ordonnance n' 41 de 193 1 abrogea l'article I l du Code
de Commerce mais le rem plaça par des dispositions qui énoncent les mêmes principes de base que ceux contenus dans cet
article. Les changements apportés n'avaient trait qu'à la procédure à suivre pour côter, pa rapher et viser les livres dont la
tenue était ordonnée par les arti cles 8 et 9 du Code de Commerce
et pour réduire de 10 à 5 années la période pendant laquelle
les commerçants étaient tenu s de conserver leurs li vres de commerce.
L'application des articles 8, 9 et Il du Code de Commerce
aux « compagnies . constituées sous la « Companies Ordinance . ava.t cependant donné lieu à des difficultés en pratique.
Pendant longtemps des légistes mauriciens s'étaient demandés
si ces, arti~l~s devaient ou non s'étendre à ces « compagnies ».
Certams leglstes soutenaient que ces trois articles devaient être
appliqués à ces compagni es attendu qu'elles occupaient dans
le Code de Com,merœ la place des soci étés anonymes; mais un
de nos dIStingues. légIStes qUI ne pratique plus, avait conclu
dans une consultation que j'ai conservée dans mes notes personnelles que les compagnies constituées sous la « Companies Ordinance . ne tombaient pas sous le coup de ces articles. Elles
(1) Litt. : Loi sur les documents d'échange.
formi sation des livres de tous les commerçants sans distinction.
Leurs effort s ont abouti et aujou rd'hui l'Ordonnance n' 44 de
1952 a abrogé les articles 8 et 9 du Code de Commerce et
prescrit les li vres que tout commerçant (y compris les « companies » constituées sous la « Companies Ordinance . ) doit
tenir et la façon dont il doit faire inventaire de son actif et de
son passif. Ces li vres doi vent tous être côtés, paraphés et visés
chaque année pa r le greffi er de la Cour Suprême ou un de nos
magistrats.
9. -
RÉG IMES MATRIMONIAUX
L'Ordonnance n' 50 de 1949 introduisit à Maurice le
régime matrimonial anglais de la séparation de biens, lequel
est venu s'ajouter aux régimes matrimoniaux établis par le Code
Napoléon. Les futurs époux sont libres de l'adopter mais il s
devront déclarer leur intenti on à ce sujet à l'officier de l'Etat
Civil au moment de la célébration de leur mariage. Cette nouvelle Ordonnance rend inapplicables aux femmes mariées sous
cette ordonnance les dispositions des articles 4, 5 et 7 du Code
de Commerce. La ra ison en est évidente: la femme mariée sous
ce régi me conserve la capacité qu'elle possédait avant son mariage. E lle n'a donc pas besoi n de l'autorisation maritale pour
accomp lir n'importe quel acte juridique et pour ester en justice.
Les a rticles 65 à 70 du Code de Commerce sur les sépara lions
de biens ne s'appliquent également plus aux personnes qui
auraient adopté ce régime par l'effet de la nouvelle ordonnance.
If. -
L'IN FLUENCE DU DROIT FRANÇAIS
ET LES DIFFICULTÉS D'ADAPTATION
J 'espère vous avoir donné un aperçu aussi fid èle que possible de notre évolution commerciale pendant les 156 dernières
années. Je voudrais à présent vous parler de l'influence que
le droit français a eu sur notre législation empruntée du droit
anglais, de certai nes difficultés que nous éprouvons ou que
nous pourrions éprouver
à adapter
nQS
lois commerciales d'ori-
�116
11 7
gine anglaise à notre pratique, en me limitant cependant aux
c compagnies >, aux faillites, à la lettre de change, à notre compétence commerciale qui sont à mon avis les matières les plus
importantes à Maurice.
1. -
COMPAGNIES ET SOCIETÉS
Je commencerai par les c Compagnies >. A Maurice, lorsque nous employons le mot c Compagnie > nous entendons une
société constituée en vertu des dispositions de la « Companies
Ordinance > (chap. 397 des loi s de Maurice de Sir Charlton
LANE) . Lorsque nous voulons désigner une Société Commerciale ou Civile, nous nous servons des mots « Société Commerciale > ou c Société Civile >. Le mot « Compagnie > a donc à
Maurice une signification différente de celle que l'on rencontre
souvent dans les ouvrages français.
Lorsque fut promulguée à Maurice la « Companies Ordinance > n' 35 de 1912, presque toutes les entreprises les plus
importantes étaient déjà constituées en Sociétés anonymes en
vertu des articles 29 et suivants du Code de Commerce. Il fallait
donc donner un statut à ces sociétés lorsqu'i l fut décidé d'abroger
les articles du Code de Commerce sous lesquelles elles étaient
constituées. L'article 203 de la « Companies Ordinance > réglait
leur sort en éditant que toutes les Soci étés anonymes qui existaient au moment de la promulgation de cette ordonnance seraient dorénavant régies par la nouvelle loi sauf en ce qui
concerne les V' et VII' parties de l'Ordonnance (ces deux
parties ont trait au x « compagnies > étrangères et à la liquidation des sociétés c non incorporées , ) . Des réserves furent
faites afin de valider et de maintenir les droits acquis et les
obligations contractées par les sociétés anonymes avant la promulgatJOn de l'Ordonnance, et d'exclure de l'application de cette
Ordonnance toute société anonyme dont la liquidation avait déjà
commencé. Les sociétés anonymes avaient donc par l'effet de
cette Ordonnance obtenu une naturalisation forcée.
a) En Angleter;e, une « compagnie > peut être formée par
acte sous semg pnve, maIS notre législateur de 1912 a cru plus
prudent de reproduire dans l'article IOde l'Ordonnance la
disposition de l'article 40 de notre Code de Commerce. Les bases
(memorandum) et les statuts (articles of association) (1) de toute
(1) liu. : Articles d'association .
compagnie mauricienne doi vent donc obligatoirement être constatés par acte notarié. L'article 17 de l'Ordonnance prévoit que
toute compagnie, une foi s formée, peut modifier ou change r
complètement ses statuts par la voie d' une résolution spéciale
votée par les actionnaires réuni s en assemblée générale extraordinaire. Les résolutions spéciales votées à ces fin s ne sont
parfois pas constatées par des actes notariés. Certaines compagnies sont donc dotées de nouveaux statuts n'ayant pas l'authenticité prescrite par l'article IOde l'Ordonnance. Cette pratique est-elle conforme à la légalité ? Je préfèrerais n'exprimer
aucune opinion à ce sujet; d'ail leurs nos tribunaux n'ont pas
encore eu à se prononcer sur cette question. L'argument qui , je
crois, est mis en avant par certains de nos juristes consiste dans
le fait qu'ils considèrent que l'article 10 libellé comme suit
« Les bases et les statuts d'une compagnie doi vent être contenus
dans un acte notari é , ne prescrit la convention authentique
que pour la fo rmatioll d'une compagnie et non pour les modifications ultérieures qui peuvent être apportées aux statu ts. D'après
ces juristes, cette disposition dérogatoire à notre droit commun
doit recevoir une interprétation stricte. Serait-ce cependant dérai sonnable de prétendre qu'ici nous ne nous trou vons pas en
dehors de l'exception mais à l'intérieur d'elle? Ne restreint-on
pas démesurément la vé ritabl e portée de l'article 10 ? Nos juristes n'ajoutent-ils pas au contraire au texte d'exception en
prétendant que cet a rticle n'est applicable qu' à la formation
d'une Compagnie alors qu 'on ne trouve rien dans le texte de
l'article 10 qui le dise expressément ?
b) Ce changement de législation a dû certainement causer
au début une certai ne confusion dans la pratique notariale.
J'ai eu l'occasion d'examiner un acte notarié rédigé peu après
la promulgation de la nouvelle ordonnance et qui établissait la
constitution d'une compagnie. Un particulier avait apporté en
compagnie une propriété sucrière en se basant sur les principes
des sociétés. L'apport n'existe pas d'après la législation des compagnies. Une compagnie ne peut acquérir un bien que par
vente, échange et autres moyens translatifs de propriété, mais
jamais au moyen d'un apport, mode particulier aux sociétés.
L'intérêt de la question est surtout du point de vue fi scal : un
apport en société est soumi s à un droit fi xe d'enregistrement
d'une roupie (article 68-III (iv) de l'arrêté du 16 Frimaire
An XII modifié par l'article 3 (ii) de l'Ordonnance n' 13 de 1953
et p ar l'article 3 de l'Ordonnance n' 13 de 1955); tandis qu'une
vente est soumise à un droit proportionnel de 4 % (article 69-V
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119
(i) et article 69- VII (i) de l'arrêté du 16 Frimaire An XII modifiés par l'article 4 (ii) de l'Ordonnance n' 46 de 1953).
c) Avant de terminer sur les com pagn ies, je voudrais vous
signaler un au tre cas où le droit françai s a influencé notre législatio n. L'article 108 de l'Ordonnance confère à toute compagnie
la faculté de compromettre suivant les règles établies par le
Code de Procédure Civile français en vigueur à Maurice. Notre
législation sur les compagnies étant d'origine anglaise, eUe doit
donc être interprétée d'après les principes du droit anglais. Sans
cette di sposition expresse les compagnies n'auraient pas eu le
pouvoir de compromettre suivant les règles établies par les
articles 1003 et suivants du Code de Procédure Civile fran çais.
2. -
FAILLITES
Passons maintenant à notre législation actueUe sur les
faillites (ordoonance n' 23 de 1887) qui a été empruntée du
c Brankruptcy Act > anglai s de 1882. Je pense qu'eUe a été le
résultat des recommandations faites par un Comité constitué en
1885 pour enquêter sur les loi s qui régissaient alors les faillites
à Maurice. Cette législation d'origine anglaise contient aussi
certains principes du droit français. D'autre part, elle a affecté,
dans un cas que je vous signalerai plus loin, notre législation
sur les sociétés commerciales lorsqu'une société et ses associés
responsables personnellement sont mi s en état de fa illite.
ai D'après le « Bankruptcy Act > anglais de 1882, n'importe qui, commerçant ou non, peut être mis en faiUite. D'après
notre législation, il n'y a que des commerçants qui peuvent
être mi s en faillite . Ce principe nous le retrouvons dans l'article
437 du Code de Commerce français. Par commerçants nous
entendons tous ceux que le Code de Commerce français considère comme tels et ceux qui figurent dans la li ste (Schedule)
annexée à l'Ordonnance n' 23 de 1887.
. bi La fem,;,e
régIme matfl.moDlal
mise en fallitte que
sation de son mari
femme mariée sous
commerçante mariée sous n'importe quel
prévu par le Code Napoléon ne peut être
si elle exerce son commerce avec l'autori(1). La question ne se pose pas pour la
le régime de l'Ordonnance n' 50 de 1949 ,
(I) Régime inverse de celui actuell ement en vigueur en France
(art icl e IV C. Co . L. 22 sept. 1942).
car, eUe jouit d'une pleine capacité. Les mineurs émancipés autonses à falfe le commerce conformément aux articles 2 et 3 du
Code de Commerce peuvent être mis en faillite.
ci L'article 39 de notre Ordonnance reproduit d'une façon
peut-être un peu plus étendue l'article 550 du Code de Commerce en décrétant que « le privilège et le droit de revendication établis par le 4' paragraphe de l'article 2102 du Code Napoléon et le droit de résolution du vendeu r d'effets mobiliers non
payé, ne seront point admis en cas de faillite >.
Les articles 42, 43 et 44 de l'Ordonnance prévoient (i) que
le bailleur ne pourra exercer son privilège sur les effets mobiliers qu'après le paiement des frai s de la faillite tels qu'ils sont
spécifiés à l'article 41 de l'Ordonnance (ii) que le privilège du
bailleur ne garantira que les quatre derniers mois de location
échus avant le jugement prononçant la faillite du débiteur,
(iii) que les privilèges des employés, artisans et serviteurs ne
leur garantira que les troi s derniers mois de salaires ou gages
échus ava nt la faillite. Ces deux derniers principes, quelque
peu modifiés par notre ordonnance, se retrou vent aux articles
531 et 549 (ancien) du Code de Commerce.
di L' hypothèque légale de la femme mariée sous un des
régimes établis par le Code Napoléon a été affectée par l'article
54 de l'Ordonnance. La garantie que cette hypothèque légale
assure à la femme mariée sous un des ces régimes n'est pas la
même que celle du droit commun lorsque son mari est mis
en faillite. En cas de faillite du mari , cette hypothèque légale ne
garantit que (i) les biens dotau x ou ceux recueillis par la femme
pendant son mariage par succession, donation ou legs et (ii) le
remploi des biens aliénés. L'article 54 a été emprunté de l'a rticle
563 du Code de Commerce, mais ces deux textes diffèrent sur
deux points: (i) d'après l'article 55 (i) de l'Ordonnance, l'hypothèque légale de la femme mariée doit être inscrite avant le commencement de la fa illite alors que cela n'est pas prescrit pa r
l'article 563 du Code et (ii) d'après le Code de Commerce l'hypothèque légale de la femme mariée lui garantit l'indemnité des
dettes qu'eUe aurait contractées avec son mari. Il semblerait que
cette garantie ait été enlevée à la femme mariée par le Conseil
Légi slatif pour les raisons qui avaient été mises en avant pa r le
comité constitué en 1885, c.a.d. (i) la femme mariée est libre
de ne pas contracter; elle en supportera les conséquences si
eUe le fait, et (ii) elle sera vraisemblablement découragée de
contracter sachant que son recours en indemnité contre son mari
�120
121
ne sera pas garanti par son hypothèque légale. Je dois avouer
que je trouve ces deux raisons peu convaincantes.
e) Les articles 46 et 74 de l'Ordonnance établissent le
principe anglais pour le paiement des dettes d'une Société
commerciale constituée sous le Code de Commerce et mise
en faillite avec ses associés personnellement responsables. Ces
deux articles prescrivent que l'actif de la société servira d'abord
au paiement des dettes sociales et que l'actif de chacun des associés sera d'abord affecté au paiement des dettes personnelles de
chacun de ces associés. Ap rès le paiement des dettes de chaque
associé, puisé dans son actif, tout surplus, s'il en reste, sera
versé à la faillite de la société et tout excédent de la faillite de la
société sera versé aux faillites individuelles des associés propo rtionnellement à leurs parts sociales. Notre législateur applique
donc aux sociétés constituées sous le Code de Commerce les
principes de la liquidation anglaise qui se trou vent aujourd'hui
à l'article 63 de la nouvelle loi anglaise de 1914 (ch . 59) (1).
3. -
." .;
;.
EFFETS DE COMMERCE
J'arri ve maintenant à notre « Bills of Exchange . Ordinance n' 32 de 1914 qui nous provient en grande partie du
« Bill of Excbange Act . anglais de 1882 (45 & 46 Vicl.
C 6 1) (2). Notre texte local est, à part quelques exceptions, la
reproduction fidèle de la loi anglaise. On y retrouve cependant
certains principes français de législation que je vo udrais vous
signaler.
a) D'abord l'article 2 1 ( 1) commence par reproduire l'article 22 (1) de la loi anglaise en ce qui concerne la capacité de
souscrire et d'endosser un e lettre de change. Mais lo rsqu'il
s'agit d'appliquer ce principe, nous voyons à l'article 2 1 (2)
qu'en Angleterre un mineur ou une personne morale (corpora-
tion) qui n'aurait pas la capacité requise, ne peuvent valablement souscrire uoe lettre de change. Cependant le détenteur
(holder) d'une lettre souscrite ou endossée par un de ces incapables aurait le droit d'exiger le paiement de la lettre des autres
personnes capables qui s'y seraient obligées. Le principe est le
même chez nous, ma is nous avons ajouté à la liste de ces incapa(1) Cbap. 59 du Recueil des Lois de Maurice .
(2) Les Recueils anglais de décisions so nt déterminés par le nom
du souverain régnant : 45" et 46- recueil , Reine Victoria.
bles, les interdits et les femmes mariées sous un des régimes établis par le Code Napoléon. Nous avons aussi ajouté à ce texte une
réserve pour assurer au détenteur d'une lettre son recours contre
les incapables pour les cas qui tomberaient sous l'application
des articles 1312 et 1338 du Code Napoléon, c'est-à-dire lorsqu'il pourrait établir que la somme qui a été payée à l'incapable
a tourné à son profit ou lorsqu'après la cessation de l'incapacité
l'obligation a été confirmée ou ratifiée. Nous retrouvons ce principe à l'article 114 du Code de Commerce. En Angleterre la
position est différente: un mineur ne peut jamais même après
sa majorité, ratifier un e lettre souscrite pendant sa minorité (ex.
Parte Kibble (1), 1875, L.R. 10 ch. 373 (2), mais le mineur
anglais qui aurait contracté un e dette pendant sa minorité
pourrait valablement à sa majo rité souscrire une lettre dans le
but de s'acquitter de cette dette (Belfast Banking Co. v.
Ooherty, 4 Ir. L.R. Q.B.O. 124 (3).
b) L 'article 56 de la Loi anglaise prévoit que toute personne autre que le tireur ou un des signataires de la lettre qui
l'aurait endossée court la responsabilité d'un endosseur envers le
détenteur qui serait de bonne foi et qui détiendrai t la lettre
avant la date d'échéance (Holder in due course). La loi anglaise
ne considère pas cet endosseur, qui n'est responsable que dans
certaines limites, comme un véritable endosseur, mais plutôt
comme un quasi endosseur.
Nous avons remplacé cet article par l'aval d'après les
anciens principes des arti cles 141 et 142 du Code de Commerce que no us avoos quelque peu étendus. L'aval chez nous
ne peut être donné que par un tiers. Le décret-loi fra nçais du
30 octobre 1935 permet maintenant à un des signataires de la
lettre de l'avaliser. Je ne vois pas l'utilité pour oous d'un cbangement de législation basée sur le nouveau décret-loi français
car aux termes de notre article l'avaliseur et toutes les parties
qui ont signé, accepté ou endossé une lettre de cbange sont solidairement responsables de la payer au détenteur sans qu'il y
ait lieu de la faire protester.
c) Ce sont les princi pes du d ro it français que nous appliquons aux opérations des comptes courants en banque car nous
(1) Ex parte : Décision sur requêle d'un tiers non partie au procès,
ou d'une partie en J'absence de l'autre .
(2) L. R. : Law Reports (Recueil de droit) . Cb. : Cbancery (Court)
division de la Cbancellerie.
(3) Ir . L. R. : Ireland Law Report · Q. 8. D . Queens 8encb Division
(divi sion du banc de la Reine).
�122
123
ne trouvons dans nos Ordonnances aucune législation à ce sujet.
Cependant, les retraits de ces comptes courants se font ordinairement au moyen de chèques tirés sur les banquiers et là nous
avons une législation fo ndée sur la loi anglai se.
4. -
LA COMPÉTENCE DES TRI BUNAUX
Il ne me reste plus mai ntenant qu'à vo us parler de la compétence de nos tribunaux en matière commerciale.
Nos tribunaux ont été constitués par l'Ordonnance nO 2
de 185 0 et par l'ordre en Conseil du 23 octobre 1851. L'article
Il de cet Ordre en Consei l prévoyai t que les cpetites causes >,
c'est-à-dire celles dont l'intérêt ne dépassait pas if. 100- et qui
n'étaient pas de ]a compétence d'un magistrat de district seraient
entendues par un juge de la Cour Suprême qui les instruirait et
les jugerait comme matière sommaire. Les premiers règlements
de ces c petites causes > furent établis le 8 janvier 1852 par les
trois juges qui siégeaient alors en Cour Suprême. Dans la rubrique de l'article 1 de ces règlements « Comment doi vent être introduites les actions commerciales . le terme « Plaint wi th Summons (I) semble indiquer que cet article ne devrait s'appliquer
qu'aux actions commerciales. L'article 1 en question commence
par ces mots c toutes ces actions (ail such suits and demands) >
seront introduites par la voie de plai nte écrite (plaint in writing) »
et article Il de ces règlements déclarait que ces actions devaient
être instruites et jugées comme matières sommaires. Le 5 novembre 1888 fu rent promulguées les Ordonnances n~ 21, 22 et 23 de
1888 lesquelles coordonnaient nos différentes législations sur
la constitution, la compétence et l'organisation de nos tribunaux
de districts en matière civile et pénale seulement. Par ailleurs
les nouveaux règlements (Ru les of Court) qui nous régissent
actuellement, furent pubtiés le 29 juin 1903 pa r les juges de
la Cour Suprême, conformément à la « Govemment Notice .
n° 174 de 1903. L'article 99 de ces règlements contient une
rubrique identique à celle de l'article 1 des règlements du 8
janvier 1852 et débute par ces mots: « toutes les actions dont
l'intérêt n'excèderait par Rs. 1 000 et qui sont de la compétence de la Cour Suprême seront introduites par la voie de
plainte écrite . . L'article 109 de ces nouveaux règlements
prévoit que ces actions seront instruites et jugées comme matières sommaires. Nos derniers règlements reproduisent donc
(1) Lin. : Pl ainte avec sommation (forme d'acte introductif d'intance).
virtuellement les anciens principes. D'autre part, l'article 133
des nouveaux règlements déclare que (i) les actions relati ves
aux lettres de change, billets à ordre, chèques, etc .. . seront introduites comme prévu aux articles 99 et 131 des mêmes règlements, (ü) toutes autres contestatio ns commerciales seront introduites comme il est prévu à l'article p remier des règlements
c'est-à-dire par voie d'action principale (Statement of claim)
(1) et (i ii) toutes actions relatives aux lettres de cbange ou
billets à ordre introduites dans les six moi s de leurs dates
d'échéance pourront suivre soit la procédure tracée par les
articles 99 à 131 des mêmes règlements soit celle du « Writ
witb Summons > (2), conformément aux dispositions de la « Mauritiu s Civil Procedure Ordinance > (chap. 192). rI semblerait
donc de ce qui précède (i) que les matières commerciales qui
n'excèdera ient pas Rs. 1 000 devraient être de la seule
compétence d'un juge de la Cour Suprême et devraient être
instruites et jugées comme matières sommaires en suivant la
procédure tracée par les articles 99 et 13 1 des nouveaux règlements tandis que celles qui excèderaient ce chiffre devraient
être de la compétence de la Cour Suprême et sui vre la procédure tracée par l'article 1 des règlements pour les actions principales (articles 133 (ii» et (ii) que les tribunaux de districts
ne sont compétents que pour instruire et juger les affaires civiles
et pénales, et elles un iquement.
Cependant, certains a rticles de notre « district Courts (Civil
Jurisdiction) O rdina ncc > (3) présupposent que les magistrats
des tribunaux des dictricts sont compétents pour instruire et
juger les matières commercia les et en fo nt des applications
diverses. C'est ainsi que (i) l'article 5 prévoit qu'un demandeur
commerçant à Port-Louis peut introduire son action devant le
tribuna l de di strict de Port-Louis même si le défendeur n'est pas
domicilié dans ce di strict, (ii) que l'article 20 permet aux magistrats d'ordonner une saisie provisoire contre un défendeur commerçant qui prendra it des clispositions pour enlever ses marchandises de son magasin et (iii) que l'article 31 abotit la
contrainte par corps dans toutes les matières civiles et commerciales. La « Mauritius Civil Procedure Ordinance >, chap. 192,
décrète aussi dans son article 20 que tous les tribunaux de la
colonie ont la compétence de juger comme les affaires commerciales ordinaires, toutes contestations entre associés. On
(1) Litt. :
(2) Litt. :
(3) Litt . :
(Cf. : Rappor t
Déclaration de requête (I dem .).
Ordonnance de la couronne avec sommation (I dem .).
Ordonnance su r les Cours de Districts Uuridiction civile .
Roger DE BROGLlO).
,
�124
pourrait aussi arguer peut-être que les matières civiles comprennent les matières commerciales. Ainsi l'article 69 de notre
c Courts Ordinance > déclare que la Cour Suprême aura la
compétence absolue pour entendre tous les appels de nature
civile et pénale des différents tribunaux notamment ceux des tribunaux de districts et de la Cour des Faillites ; or la Cour des
Faillites ne connaît à Maurice que les affaires commerciales.
Dans l'affaire Béga v. Hardy (M.R. 1913, page 56) une
action civile qui n'était pas de la compétence d'un magistrat de
district malgré que l'intérêt en litige était inférieur à Rs. 1 000
(2) avait été introduite en Cours Suprême sui vant la procédure
tracée par les articles 99 et 131 des nouveaux règlements. L'avocat du défendeur avait objecté que l'action avait été mal introduite sous ces articles. La Cour Suprême a, entre a utres choses,
jugé que la rubrique « comment introduire les actions commerciales >, qui figurent en marge de l'article 99 n'est plus aujourd'hui à sa place parce que cet article s'applique aux matières
civiles et aux matières commerciales seulement dans les limites
prévues à l'article 123 (1) des règlements. La Cour a toutefois
reconnu que cette rubrique était la reproduction de ceUe de
l'article 1 des règlements du 8 janvier 1852 mais ajoute qu'à
l'époque eUe était conforme au texte attendu que toutes les
actions commerciales étaient à cette époque introduites par cette
procédure. Mais la Cour ne dit pas quel est le texte qui a enlevé
les actions commerciales des articles 99 à 131 de nos règlements copiés de ceux de 1852.
Il est important de noter que dans l'espèce rapportée il
s'agissait d'une action civile mais nos tribunau x n'ont pas
encore eu à se prononcer sur cette importante question en ma-
tière commerciale.
Une pratique constante s'appuyant sur les a rguments cités
plus haut saisit tous les jours les tribunaux de districts des affaires
commerciales dont l'intérêt n'excède pas R s. 3 000 et ne les
porte jamais devant la Cour Suprême. Elle est acceptée par tous
nos magistrats et par la Cour Suprême.
Il n'est peut-être pas hors de propos de noter ici que le juge
de la Cour des Faillites est toujours compétent pour connaître
des contestations portées devant sa Cour; mais dans la pratique,
ces contestations ne sont tranchées par lui que lorsqu'il apparaî t
qu'eUes ont été portées dans un but vexatoire ou dilatoire. Dans
les autres cas, le juge les renvoie pour être jugées soit par la
(1) Ce plafond a aujourd'hui été porté à Rs . 3 000 par l'Ordonn ance
o· 12 de 1954.
125
Cour Suprême, soit par le Magistrat de District, selon qu'eUes
sont ou non de la compétence de ce dernier.
Ainsi, comme vous le voyez, après plus d'un siècle et
demi, l'infiuence du Droit commercial ancien se fait encore sentir dans notre vie commerciale, en dépit des brêches qui y ont
été faites par la législation anglaise. Les circonstances, et surtout les rapports commerciaux que nous entretenons avec l'Angleterre et les pays de langue anglaise ont moti vé ces changements, mais il n'en est pas moins que notre attachement à la
France et à sa culture n'est pas étranger à la survivance chez
nous d'un système de droit que nous voudrions conserver le
plus longtem ps possible comme un précieux héritage du passé.
�L'ÉVOLUTION
DU DROIT PÉNAL MAURICIEN
par
Me Maurice LA VOIPIERRE
A vocat à la Cour
Président du Mauritius Bar Association
1. -
L'ORIGINE
Pour savoir quelle est l'origine de notre Droit pénal, il
nous faut remonter à deux siècles. TI est probable qu'en ces
temps reculés on avait recours à une justice un peu sommaire,
ressemblant à la di scipline à bord des bateaux et la nécessité
d'un système bien établi ne se faisait guère sentir. A une époque
où le nombre total d'habitants était très peu élevé, on ne songeait
pas beaucoup aux procès et aux poursuites.
Au mois d'avril 1764 le Roi de France ordonnait à la
Compagnie des Indes de lui faire remise et rétrocession des n es
de France et de Bourbon. Sous le régime de la Compagnie qui
dura de 1722 à 1767, le premier Edit concernant des matières
criminelles est de novembre 1723. Par lui fut créé un Conseil
Provincial de cinq membres pour juger les affaires criminelles,
les appels étant portés devant le Conseil Supérieur de l'He
Bourbon. Lorsque, quelques années plus tard, un capitaine de
la Garnison, M. GUI MONT DE LA TOUR, fut impliqué dans une
affaire gra ve, un arrêté du 8 aoOt 1726, renvoya le prévenu devant le Conseil Supérieur de Bourbon « parce qu'il manquait des
Ordonnances du Roi, règlements et coutumes de la Prévoté et
Vicomté de Paris •.
Par un Edit de juin 1766, fut créé un Conseil Supérieur
dans les deux n es pour y rendre la justice tant civile que criminelle. Dans leurs jugements, ces Conseils devaient se conformer
à la coutume de Paris, aux loi s particulières de chaque colonie
et aux Lois et Ordonnances du Royaume. Ce n'est qu'à la
�128
129
séance du 7 août 1793 que l'Assemblée Coloniale adopta le
Code Pénal de France du 6 octobre 1791. Auparavant, la
colonie était régie par l'Ordonnance de 1670. Il est intéressant
de noter que le nou veau Code Pénal ne concernait que les
« citoyens ) ; ce n'est que sous le régime britannique, le 6 no-
vembre 1816, qu'il fut étendu aux autres. Deux modifications
avaient été apportées à l'Ordonnance de 1670, l'une par l'arrêté
du 7 juillet 1778 qui prescrivit l'exécution de l'Edit du Roi
Henri II de 1556, et l'autre par la déclaration du 25 février
1708, établissant la peine capitale contre toute femme ayant célé
sa grossesse et son enfantement. La raison invoquée était que
de ce fait elle était réputée avoir tué son enfant par cela seul
qu'il avait été privé du baptême et de sépulture publique. Un
arrêté du II août 1781 avait aboli la question préparatoire.
On serait tenté de croire que cette abolition ne faisait que
consacrer un état de choses mai s seulement quelques années
auparavant en 1774, on avait eu recours à la torture dans
l'affaire SANS QUARTIER. Le feu avait été mis à la maison
LEH ECQ située à Flacq dans la nuit du 24 au 25 février 1774 et
des corps carbonisés avaient été trou vés à l'intérieur. Après une
ou deux arrestations la découverte d'une bague surmontée d'un
diamant ayant sans contredit appartenu à Madame LEHECQ avait
amené l'a rrestation des soldats SANS QUARTIER, BARON, PROVENÇAL, BOGOT et ARNOUX.
Le 24 mars SANS QUARTIER est interrogé. Il refuse d'abord
de répondre pui s fo urnit des explications. Le 5 mai il s'évade
de prison et est repris le 10. Le 13 juin, en même temps que
certams sont exonérés d'autres sont frappés de différentes mesures et la Cour ordonne que la question soit appliquée à SANS
QUARTIER.
Le. 14 décembre il subit la torture des brodequins qui
consIstaIt à serrer chaq ue jambe du patient entre deux planches
en les entourant de cordes, puis à enfoncer à coups de masse
des coins de bois entre les deux pl anches du milieu ce qui
rédUIsaIt à peu près en bouilli e les os et les chairs.
SANS QUARTI ER fait des aveux, qu'il rétracte le 6 septembre.
Après ce que le tribunal considère comme de nouvelles
preuves, le 4 octobre il condamne SANS QUARTIER à avoir les
bras, Jambes, cuisses et rei ns rompus vifs par l'exécuteur des
Hautes Œuvres
tI.ons, ensuite à
cIel. Son corps
seront Jetées au
s,ur lin échafaud dressé sur la place des E xécuetre mis sur une roue, la face tournée vers le
mort devra être brûlé et réduit en cendres qui
ven t. La sentence fut exécutée le Il octobre.
D'autres condamnations avaient été aussi prononcées.
Laissons de côté cette pénible affaire Sans Quartier et revenons aux mesures affectant le droit criminel.
Le 2 avril 1791 , l'Assemblée Coloniale adopta une Constitution provi soire qui établissait la procédure par jury en matière cri minelle, mais la mesure ne fut adoptée et le Tribunal
Criminel installé que le 5 Thermidor An III par un arrêté de
très grand intérêt.
Le Président du Tribunal de même que l'accusateur et le
greffier étaient élus par le peuple; il y avait deux jurys: l'un
pour la mise en accusation et l'autre pour le jugement des accusés. Le jury d'accusation était composé de 24 citoyens et pouvait être réduit à 12 en cas de récusation par l'accusé, la décision étant prise à la simple majorité tandis que le jury de jugement était composé de 12 citoyens, une condamnation ne pou-
vant être prononcée que lorsqu'il y avait 10 avis en faveur de
l'accusation. L'acte d'accusation devait contenir les faits et toutes les circonstances,
Une mesure qui fut de courte durée, soit de quatre mois,
et qui ne s'explique que par le temps d'exception, fut la création par un arrêté du 23 avril 1794 de l'Assemblée Coloniale
d'un jury criminel révolutionnaire d'instruction dans le but de
connaître de toutes les entreprises contre-révolutionnaires, de
tout attentat contre la liberté, l'égalité, l'unité, l'indivisibilité
de la R épublique, la sùreté intérieure et extérieure de l'Etat
ainsi que de tous les complots tend ant à rétablir la Royauté ou
toute autorité attentatoire à la liberté, à l'égalité et à la souveraineté du peuple.
Le 29 avril 1800 (8 Germinal An VIII), l'Assemblée établit
provisoirement un Tribunal de révision dont la tâche consistait
à s'assurer de l'observation des formes prescrites par le jugement
dans une affaire criminelle et s'assurer également de l'observation des lois.
A l'arrivée du Général DECAEN, le décret du 3 Germinal
An II du Gouvernement de la République, signé de BONAPARTE,
Premier Consul, fut publié. L'Article 1" établit les tribunaux
sur le même pied qu'en 1789; toutefois contrairement à ce
qu'on pourrait en déduire, le Code Pénal de 1791 continuait
à rester la loi de la colonie comme l'indiquent l'A rrêté du
Général DECAEN du 22 janvier 1808 et les registres des tribunaux
criminels.
Peu après la prise de l'Ile par les Britanniques en décembre 18 10, le Gouverneur FARQUHAR fit publier une proclamation
�130
131
décrétant que l'établissement judiciaire et la police seraient
conservés et continués durante belle placito sur les mêmes bases
et d'après les mêmes règlements qui existaient lors de la rédition
de l'Ile. Entre temps la pei ne du carcan avait été abolie mais
cela ne changeait rien en som me, pui sque différents gouverneurs
l'avaient déjà suspendue. Un Code d'Instruction Criminelle
copié sur le Code Français fut promulgué le 16 nove mbre 183 1.
Ce Code fut l'objet de sévères critiques, car on tro uvait qu' il ne
convenait guère à une colonie britannique.
Toutefois, la juri sprudence inclinait vers les principes
anglais et lors du retenti ssant procès du Grand Port en 1833 ,
le Président, M. BLACKBURN, déclara : c il est de principe que
les débats doi vent être dirigés pa r l'organe du Président, or, le
Président prendra la jurisprudence anglaise comme règle à cet
égard ,.
Le 15 févri er 1832, l'ancien Code Pénal fut remplacé par
un nou veau mais celui-ci fut désapprouvé d'Angleterre par une
dépêche ministérielle de mars 1834 ; pendant quelque temps
le Code de 1791 reparut avec quelques changements, mais le
14 août 1838, il céda la place à un nouveau Code basé sur le
Code pénal françai s d'alors. Ce Code qui a subi des modifications au cours des années est toujours en vigueur et il est
même intéressant de noter que, sauf en ce qui concerne les
parties qui ont été ajoutées plus tard, il est rédigé en Français
et en Anglais et, en cas de difficulté, le texte français do it
primer. Je reviendrai plus tard sur les modifications qu'a subi es
le Code.
II. -
DEBATS, PROCEDURE ET TRTBUNAUX
Nous sommes aujourd'hui lo in des courants d'opinions qui
ont suivi la prise de l'T1e par les Anglais. L'avocat français
comme l'avocat anglais trouverait assez curieux la façon do nt
les débats sont menés à notre Cour d'A ssises. Nous avons un
Juge Président qui dirige les débats et se prononce sur les
questions de droit, et un jury composé de 9 hommes qui se
prononce sur les faits. Pour arri ver à un verdict il faut que 7
d'entre eux soient du même avis. Nous voyons dans la plupart
des cas J'accusé être poursui vi en vertu d'un acte d'accusation
libellé d'après les principes anglais lui reprochant un crime
dont les éléments sont constitués par l'application du droit
FrançaIS.
1
Les témoignages sont entendus selon les principes anglais
et le résumé des débats par le Juge Président se fait également
selon les principes anglais.
Une affaire se déroule de la façon suivante: c Crown
Law Officer , ( 1) ex plique au jury les fait s de l'affaire, après
quoi il fait entendre les témoins, chacun d'entre-eux étant contreinterrogé par l'avoca t de la défense. La poursuite aya nt terminé
son inte rventio n, l'accusé peut, s'il le désire, se faire entendre,
mais il n'y est nullement contraint et il peut également faire
entendre des témoins. De toute façon, c'est l'avocat de la défense
qui plaide le premier ; après quoi, le « Crown Law Officer ,
réplique. C'est ensuite le tour du Juge Président de résumer
les débats, après quoi , le jury se retire et annonce son verdict
plus tard en présence de la Cour. S'il y a moins de sept jurés
du même avis, l'affai re est renvoyée à une au tre session, le jury
ayant au préalable déclaré qu'il n'était point parvenu à s'entendre, mais en ce cas ne doit donner aucun chiffre.
Vous remarquerez que je parle du « Crown Law Officer , .
Autrefoi s, le chef de notre Parquet, le « Crown Law Officer "
s'appelait le Procureur Général, et ses assistan ts étaient des
Substituts. Depuis 1957 nous avons aba ndonné ces différentes
appellations pour sui vre celles des autres territoires relevant de
l'Angleterre. Le Procureur Général est devenu l'Attorney Général,
et le premi er Substitut est devenu le Solicitor Général. Tous les
Substituts sont des Crown Law Officers.
TI est très curieux de penser que lorsqu'un accusé est
poursuivi pour assassinat, la preuve de la préméditation doit
se faire en ve rtu des principes français et non anglais. Récemment, en Angleterre, en 1957, la loi en ce qu i concerne l'assassinat a subi de nombreux changements et il est plus fac ile à un
accusé d'éviter la peine capitale. 11 faut dire qu'à Maurice, il
est excessivement rare qu'un jury trouve la préméditation établie
et ce n'est pas souvent qu'un Juge doive prononcer la peine
de mort.
Il serait peut-être bon de com pléter le tableau des tribunau x.
Au bas de l'échelle se trouvent ce que nous appelons à
Maurice les Cours de district présidées par un magistrat. Toutefoi s certaines affaires ne sont pas de leur ressort) car eUes
sont 'entendues, soit par la Cour Cri minelle Intermédiaire se
composant de trois magistrats, ou par la Cou r d'A ssises.
Cette Cour Criminelle Tntermédiaire est de création récente,
n'existant que depuis 1960. Auparavant il y avait ce qu'on appe(1) Litt. : Officie r-Juriste de la Couronne.
�132
133
lait un « Bench • (1) de magistrats du nombre de trois également.
Mais on a profité de la création de la ,Cour Criminelk Intermédiaire, pour permettre à cette Cour d inflIger une peme plus
sévère que le maximum autorisé au c Bench ."
SOIt trOIs
ans.
Aujourd'hui il est possible d'aller jusqu'à cinq . En même temps
certaines affaires qui ne pouvaien t être entendues qu'en Cour
d'Assises, telles que l'homicide involonta ire et le crime d'incendi e,
peuvent maintenant l'être par la Cour Intermédiaire.
Notre Code actuel de procédure criminelle se trouve dan s
l'Ordonnance 29 de 1853 qui a subi depuis, évidemment, de
nombreuses modifications.
En ce qui concerne la juridiction criminelle des tribunaux
de districts, les mesures qui doivent être adoptées sont établies
par l'Ordonnance 23 de 1888 qui remplace l'Ordonnance N° 35
de 1852 avec tous les changements qu'elle avait subis entre
temps.
L'Ordonnance qui concerne le jury est de 1874, mais cette
Ordonnance en remplace une de 1850. Comme j'ai déjà eu
l'occasion de le faire remarquer, les femmes ne siègent pas
encore comme jurés; je di s bien « encore ., parce qu'il est
évident qu'avec la tendance actuelle, il est probable qu'on les
trouvera, comme ailleurs, à côté des hommes. On serait peut-être
tenté de croire qu'elles sont d'une émoti vité plus grande donc
plus influençables. Mais si cela était peut-être vrai il y a un
siècle ou un demi-siècle, l'éducati on moderne s'est chargée de
former les deux sexes sur un même plan. Peut-être une amitié
nouée au cours d'un procès d'Assises sera-t-ell e un jour J'ébauche
d'un roman d'amour.
nI. -
INFRACTIONS ET DELINQUANTS
se demande parfois quelle est la natu re exacte de l'accusation
qui doit être portée.
Le document incriminé, est-il commercial ou public et
authentique ou un simple document privé? Autant de questions
qui ne sont pas toujours faciles à résoudre. C'est évidemment
du pain béni pour l'avocat de la défense qui peut espérer y
trouver son compte, mai s personne ne se plaindrait si la question
étai t simplifiée.
Autrefois tout changement apporté à un texte devait l'être
en Anglais, mais un Ordre en Conseil de 1962, le Mauritius
(language of Laws) Order in Counc;l 1962, permet les modifications en Français quand il s'agit de textes qui sont déjà en
cette langue. C'est évidemment un avantage car le traducteur
le plus compétent ne peut pas toujours donner l'équivalent exact
d'une expression dans une autre langue. Cet ordre s'applique au
Code Civil, au Code de Procédure Criminelle, au Code de
Commerce et au Code Pénal.
En 1935 , nous avons emprunté de l'Angleterre les mesures
ayant trait à l'infanti cide et lorsque le jury est d'avis qu'une
mère ayant tué son enfant subissait encore le choc de la nai ssance, il lu i est loisible de rendre un ve rdict d'infanticide au
lieu d'assassinat. Le même jury peut lorsqu'il s'agit d'une accusati on d'assassinat
Olt
d'infantic ide, rendre un verdict en vertu
de l'Ordonnance aya nt trait à l'Etat Civil, déclara nt simplement
que la mère a caché la naissance d'un enfant.
En 1936, nous avons emprunté d'A ngleterre également la
loi sur la fausse monnaie. Les dispositions du Code ayant tratt
à la sédition sont aussi empruntées à la Loi anglaise.
Il n'est pas nécessaire, je pense, d'analyser toutes les dispositions du Code. Les infractions sont divisées en 3 catégories :
les crimes punissables de la peine de mort ou de servitude pénale;
les délits punissables d'emprisonnement excédant 10 jours et
d'une amende excédant cent roupies et les contraventions puni s-
J'ai déjà eu l'occasion de parler des changements apportés
au Code Pénal de 1838. Nous n'avons malheureusement pas
toujours suivi ce qui s'est fait ai ll eurs et sous certain s aspects
nous sommes un peu démodés. 11 est évident qu'avant longtemps
notre Code devra faire l'objet d'une réforme radicale. Pour ne
parler que d'une seule question, les di spositions concernan t le
faux constituent un véri table labyrinthe ou l'accusateur perplexe
(1) Litt. : Un banc, c'est-à-dire une formation part icu lière des magi strats pour certaines affa ires.
sables d'emprisonnement n'excédant pas 10 joUI; et d'une
amende n'excédant pas cent roupies. La tendance moderne a
abouti à la création de nombreuses infractions qui sont à michemin entre le délit et la contravention et qui peuve nt être
groupées sous le terme « délit contraventionnel • ; pour beaucoup d'entre elles, le fait d'avoir commis ce qUi est mterdIt par
la loi suffit. Tl n'y a pas lieu d'examiner ce qui est connu en
droit criminel anglais comme le mens rea (l), un des gra nds
(1) Litt. : Intention délictueuse.
�134
135
principes de ce droit étant actus non {aeit reum nis; mens sil
Chef Juge, c'est-à-dire le Président de notre Cour Suprême,
prépara une codification de nos lois, il groupa sous un même
titre, qu'il appela le supplément au Code Pénal, les infractions
On a aussi introduit à Maurice ce qu'on appeUe la
« Borstal Institution . où les jeunes gens peuvent être envoyés,
ce, toujours dans le but de les réformer. (Même lorsqu'il s'agit
d'adultes) il ex.iste actuellement une tentative d'emprisonnement
sans barreaux, avec ce qu'on appeUe un «Centre de RéhabiIitation • . Souhaitons que toutes ces mesures fort louables en
les plus variées, comme par exemple, notre loi désuète sur le
elles-mêmes, amènent des résultats concrets.
rea ( 1).
Lorsque, il y a une vingtaine d'années, Sir Carlton LANE J
vagabondage, le jeu interdit, la di vulgation des secrets officiels,
les publications obscènes et une vieille loi datant de 1911 , qui
ava it le titre, extraordinaire, de protection des fermiers . En
som me, cette loi demande que tout individu suspect s'explique
sur l'origine des volatiles ou des légumes trou vés en sa possession ,
faute de quoi il est passible d'emprisonnement. Cette loi est
d'ailleu rs toujours en vigueur, mai s n'est pas d'application
fréquente.
Au cours des années, on a souvent jugé nécessai re d'interdire certaines activités, et ce que nous appelons notre « Statute
Book . (Recuei l de textes législatifs) interdit bon nombre de
choses. A chaque foi s qu'un abus semble exister, on essaie d'y
apporter un remède en prévoyant une peine à l'encontre de
quiconque aura recours
à une mesure interdite.
1\ serait peut-être intéressant de noter qu'en même temps
qu'évolua it notre Droit Pénal, tout était mis en œuvre pour
se concentrer beaucoup plu s sur la réforme des délinquants
que sur leur punition ; nous somm es bien loi n de la question
et des supplices pénibles d'autrefois. Depuis déjà de nombreuses
années, depuis même avan t 1934, il était possible aux magistrats
(dans certains cas) de ne pas envoyer un délinquant en pri son.
La loi de 1934 précisait davantage ces mesures et le magistrat
pouvait se contenter de condamner un accusé trou vé cou pable
à payer les frai s de l'affaire ou à fournir une cau tion pour
assurer sa bonne conduite pendant un certain tem ps.
Depui s de nouvelles réformes permettent d'ordonner dans
certai ns cas qu'une pe in e d'empri sonnement soit accom plie ho rs
les murs, l'accusé ayant à se présenter aux Travaux Publics
pour y être employé. On peut comm e auparava nt lui demander
de fo urnir caution et on peut aussi le placer, pendant une
certaine période, sous le contrôle d'un Officier spécialiste qui
s'occupera de le guider et de tâcher d'en faire un citoyen normal.
(1) Litt.: Ce qui est commi s ne fait pa s le coupable si l'esprit
n'est pas coupable.
Avon s-nous évolué dans la bonne directi on ?
Comme je l'ai déjà expliqué, à Maurice comme ai Ueurs,
chaque foi s qu'on a cru qu'un changement s'imposait on a
essayé de l'adopter. Comme pour les matières scientifiques
ex.istent toujours les effets de la loi de l'inertie et une parfaite
synchronisation entre les effets et la cause n'est pas toujours
possible mais, du moins, a-t-on la satisfaction d'avoir tenté les
améliorations nécessaires.
�LES DIFFICULTÉS D'APPLICATIO N
DES CODES FRANÇAIS A L'ILE MAURICE
ET LES PROJETS DE CODIFICATION
par
Me Hamid MOOLLAN
A vocat à la Cour (Port-Louis)
INTRODUCTION
Si l'Ile Maurice, véritable carrefour du droit, est un terrain
de choix pour l'étudiant et le théoricien du droit comparé, il
n'en est pas nécessairement de même pour le praticien. Le plus
fervent des comparatistes avouera qu'il n'est pas de tout repos
de faire du droit comparé tous les jours et tout praticien du
droit s'a iiolerait devant la perspecti ve d'avoir à se demander
devant chaque problème, quel est le système de droit qui s'applique dans J'espèce considérée. H eureusement, les membres de
la profession à Ma urice, font du droit comparé sans s'en rend re
compte.
Mes confrères retraceront pour vo us J'évolution de notre
droit dans le domaine du droit privé et je ne compte pas revenir
sur les p éripéties de notre droit avant qu'il ne se trouve dans
sa forme actuelle. Mais, mis à part le côté purement historique de la question, il y a, à mon avis, un facteur psychologique
dont il ne faud rait pas minimiser l'i mportance.
Nous sommes maintenant à Maurice 5 juges, 15 magistrats,
7 membres du P arquet et 50 membres au Barreau. Si nous
comptons les quelques 30 avoués et 20 notaires, nous aurons
énuméré presque tous les praticiens du droit à Maurice. Or, de
tout ce monde, à pa rt les avoués et les notaires, tous ont reçu
leur form ation en droit en Angleterre - l'admission au Barreau
anglais étant une condition essentielle pour l'exercice au Barreau
mauricien ou à notre Magistrature - . Quelques-uns, pas plus
d'une di zaine d'entre nous, ont fai t un stage quelconque dans
une école ou une faculté de droit frança ise, mais l' immense
�138
majorité revient à Maurice sans connaître le premier article
d'un code français et très souvent sans même savoir quelle est
l'essence de ce droit dans l'application duquel il se dévouera.
Par contre, les avo ués et les notaires ont tous été formés à
Maurice en vue d'un examen purement professionnel et dans
la majorité des cas les subtilités de la doctrine ont été négligées.
Je crois pouvoir dire que ce portrait de la profession que je
viens d'esquisser reflète assez fidèlement ce qui a prévalu à Maurice depuis au moins cent ans. Est-ce surprenant dans ces circonstances que nos praticiens aient approché les codes français
beaucoup plus avec l'esprit empirique du juriste anglais que
l'esprit exégétique des commentateurs français? N'est-i l pas
merveilleux quand même, qu'en dépit de ce lourd handicap,
nous ayons pu conserver au fo nd l'esprit même du droit français?
C'est dans ce domaine que la ca maraderie spirituelle qui unit
tous les membres exerçant le droit à Maurice nous a aidé d'une
façon incommensurable. A défaut d'une facu lté ou d'une école,
nous avons par les échanges d'idées, ou par le dési r de nous
entr'aider et l'assurance que nos aînés sont toujours là pour
guider nos pas, acquis par tradition notre formation dans
le droit local.
Malheureusement, pour nous qui sommes appelés à pratiquer le droit à Maurice, une conna issance, même approfondie
ou du droit français ou du droit anglais, ou même des deux
système, ne suffirait pas. C'est un problème constant que de
connaître, et le texte de loi que nous devons appliquer et la
façon dont ce texte est interprété et appliqué.
Nos textes sont compilés dans les 7 volumes des « Laws
of Mauritius . édités en 1945 et les recueils annuels de la
législation mauricienne depuis cette même année; soit un total
de 28 volumes, sans tenir compte des lois, décrets et règlements publiés dans l'année en cours au Journal Officiel. Ce n'est
un secret pour personne que les . Laws of Mauritius . de 1945
contiennent des lacunes. De plus, il est presque impossible de
connaître et de repérer facilement les modifications apportées
à nos lois depuis 1945 sans consulter les exemplaires de ces
« Laws of Mauritius . qui se trou vent à la bibliothèque de la
Cour Suprême. L'étudiant sérieux doit faire nécessairement une
mise à jour constante de ces textes, avec un système de référence
et de renvois compliqué. E tant donné que nos législateurs ont
promulgué pour Maurice, en les modifiant constamment, les
Codes français nous devons mentionner en marge des codes
publiés en France chacune de ces modifications afin de nous
retrouver dans ce véritable labyrinthe.
139
La jurisprudence, elle aussi, n'est publiée que dans des
recueils annuels, et les décisions de l'année en cours ne peuvent
être retrouvées qu'à la bibliothèque de la Cour Suprême. Il est
heureux que ces dernières années aient vu la publication de deux
ouvrages de référence d'une importance capitale: le premier un
répertoire de la jurisprudence mauricienne par sa Seigneurie le
Juge LALOUETTE (1) et le second une nomenclature des décisions locales affectant le Code Civil, le Code de Procédure
Civile et le Code de Commerce par mon confrère d'UNtENVILLE.
Il n'empêche que, même ces deux ouvrages demandent une mise
à jour constante si l'on veut vraiment connaître l'état de notre
droit-travail que chacun d'entre nous doit entreprendre personnellement.
Et voilà comment le praticien mauricien doit être tout à
la fois légiste, bibliothécaire, éditeur et chroniqueur. Il n'y a pas
de doute que l'absence d' une maison d'édition spécialisée nous
rend la tâche extrêmement difficile. Malheureusement, étant
donné le nombre d'acquéreurs et d'abonnés éventuels, une telle
entreprise n'est pas commercialement viable et nous sommes
donc voués à ce sort.
En fait, nous ne sommes à Maurice qu'un corps de praticiens et il nous manque les théoriciens nécessaires pour faire
la synthèse de notre législation et de notre juri sprudence empirique et aussi pour guider l'évolution de notre droit.
Nous nous proposons d'examiner, à ce stade : l'état des
textes des codes fra nçais applicables à Maurice dans une première partie, et celui de l'application de ces textes par nos
tribunaux dans une deuxième partie.
PREMIERE PARTlE
LES TEXTES DES CODES
A. -
LES TEXTES
Comme il fallait s'y attendre, le législateur en France et
à Maurice a modifié le texte ori ginal des codes. Alors qu'à
l'origine les modifications législatives françaises affectaient les
(1) Actuell ement juge à la Cour Suprême de ('Ue Maurice .
10
�140
codes promulgués à Maurice, tel ne fut pas le cas après l'avènement des Anglais. Et voilà comment le Code Civil français,
promulgué à Maurice le 21 avril 1808, n'est plus en 1965 tout
à fait le même en France qu'à Maurice. Nous nous proposons
d'étudier dans cette partie comment la différence s'est faite
et en quoi elle réside.
On peut classer en trois groupes les différences de textes
entre le Code Civil français de 1965 et celui en vigueur
actuellement à Maurice. Le premier groupe comprend les articles qui ont été modifiés ou abrogés en France alors qu'à Maurice
nous avons conservé le texte de 1804. Le deuxième groupe est
formé de ces articles dont le texte en France est resté celui de
1804 alors qu'à Maurice il a été modifié ou abrogé. Et en
demier lieu, nous avons ces articles dont le texte a été modifié
en France et à Maurice mais dans des sens différents.
Alors qu'il est relativement facile de reconnaître et d'appliquer les textes faisant partie des deux premiers groupes, il n'en
est pas toujours de même en ce qui concerne le troisième
groupe.
En pratique, nous devons en premier lieu, mettre à jour
notre code et voir si un article a été abrogé à Maurice ou en
France. Le texte local retrouvé, nous nous référons aux ouvrages
françai s commentant ce texte, quitte à nous référer à une édition
plus ancienne que l'ouvrage choisi. Nous trouvons les codes
annotés d'une grande utilité, et c'est pour cette raison que les
pandectes sont autant un ouvrage de base pour le juriste Mauricien que le demier Nouveau Répertoire • Dalloz).
En ce qui concerne le troisième groupe, la tâche devient
d'autant plus difficile que, dans bien des cas, le législateur
mauricien a suivi les modifications françai ses sans les adopter
complètement. Les articles de ce groupe demandent une comparaison plus poussée. Par exemple le texte de la loi de 1890
sur le renvoi abusif n'ayant pas été adopté à Maurice, une certaine confusion semble exister ici en ce qui concerne les droits
de l'employé qui a été renvoyé sans motifs ou de façon abusive.
Une lecture hâtive des notes tirées du Répertoire Pratique,
par exemple, pourrait nous induire en erreur. C'est là que le
praticien mauricien est désavantagé, en ce sens qu'il ne peut
accepter entièrement tout ce qu'il lit dans un ouvrage français
sans en même temps se référer à son texte local pour voir
SI les deux parties sont identiques.
Quoique nous ayons parlé de 3 groupes, il en existe pourtant un quatrième qui est certainement celui qui nous donne
141
le plus de soucis dans nos recherches. Je parle de ces lois
spéciales qui, sans modifier ou abroger le texte du Code Civil
créent des exceptions à leur application.
Du fait même qu'il n'existe pas un seul exemplaire des
textes compilés du Code Civil tel qu'il existe à Maurice, - et
encore moins des textes avec commentaires et Dotes - , chaque
fois qu'un praticien mauricien doit exprimer une opinion sur un
point de droit, il se demande s'il n'a pas oublié un texte qui se
trouve dans une disposition de loi perdue parmi les recueils et
si l'espèce examinée ne tombe pas dans ces cas exceptionnels.
B. -
COMPARAISON ENTRE L' ÉTAT ACTUEL DES D EUX CODES
Le Code Civil à Maurice a subi les mêmes secousses que
le Code français et pendant les quelques cent cinquante années
de son existence a eu à s'adapter aux circonstances les plus
changeantes. Qu'il l'ait fait avec tant de bonheur démontre le
fondement solide de ses textes et le renou vellement de son
esprit. Influence du changement politique causé par la conquête
britannique ; adaptation du code françai s afin de pourvoir aux
besoins d'un pays où différentes civilisations se côtoient; recul
de la libre volonté de l'individu dans les contrats, tels ont été
les grandes lignes directrices des modifications législatives qu'a
subies ce vieux Code Civil.
Du fait que l'Ile Maurice est aujourd'hui un pays britannique, la loi sur la nationalité qui nous régit est le « British
Nationality Act . de 1948 et de ce fait nous nous tournons vers
le droit anglais dans ce domaine. fi est quand même intéressant
de noter que le droit de résidence à Maurice est axé bien plus
sur un séjour prolongé que sur la nationalité. Ainsi, l'étranger
qui a vécu plus de 7 ans à Maurice est censé appartenir à la
colonie et possède un droit de résidence supérieur même à celm
de l'Anglais qui vient chez nous pour un plus court séjour.
Le livre premier du Code, concernant les Personnes, a,
comme il fallait s'y attendre, subi de profonds changements afin
de s'adapter à une société multiraciale. Si les lois concernan~
les actes d'état civil, le domicile et J'absence ont conserve
l'esprit sinon la forme du droit français , par contre le chapitre du mariage et du divorce est un véritable mélange de
systèmes. Quoique nous ayons conservé le fond du drOIt français, nous trouvons quand même dans nos recueils des 10l~
spéciales, tel le « Indian Marriage Ordinance . de 1914 qUI
�142
143
dispense les Hindous et les Musulmans des règles de publication
pour le mariage. Aussi ces personnes peuvent se marier à leur
domicile, sans publications préalables et la jeune fille musulmane
ou hindoue de 18 ans n'a pas besoin du consentement de ses
parents pour pouvoir se marier. De même certains ministres du
culte de la religion chrétienne peuvent valablement célébrer un
mariage civil entre chrétiens mais dans ces cas les publications
sont toujours nécessaires (Christian Marriage Ordinance 1914).
Les causes du divorce à Maurice sont les mêmes qu'en
France, sauf que l'abandon doit être de cinq ans, mais il semble
qu'on ajoute la Dotion anglaise de « cruelty :» aux autres causes.
En pratique, les faits de « cruelty . constitueraient des sévices
ou des injures graves mais la distinction subsiste en ce qui
concerne la procédure. En vertu de la section 40 du « Divo rce
an Iudicial Séparation Ordinance de 1872 . , « la cruelty .
peut fonder une demande reconventionnelle de di vo rce sans
qu'il soit nécessaire de présenter une nou velle « pétition . (1),
par contre les excès, sévices et injures graves ne semblent pas
donner droit aux mêmes dispenses.
La procédure du di vorce est par contre basée sur le système
anglais, sauf en ce qui concerne la tentative de réconciliation .
Nos législateurs ont conservé le texte de 1804 dans le
domaine de la filiation légitime ou naturelle, et de la pui ssance
paternelle; mais en 1963 a sui vi la nouvelle législation française
quant à l'adoption. Cette législation de 1963 présente cet intérêt
particulier qu'elle est rédi gée en français. Nous croyons comprendre que dorénavant toute législation concernant le Code
Civil se fera en français et les juristes se félicitent de cette
heureuse initiative.
Le second livre du Code n'a pas été, en général, retouché
par nos législateurs, et nous avons conservé les textes de 1804.
Pour l'avenir, la possibilité d'une modification afin de permettre
la propriété horizontale au lieu de verticale est à l'étude, et il
est fort possible que nous adoptions le système français de la
copropriété des immeubles di visés par appartements.
Le droit de successions et des donations est resté essentiellement français, quoique réglé par une Ordonnance locale.
La loi de 1883, interprétée en 1866 dans l'affaire : Dinah v.
Sobdar (2) dispose que la saisine a lieu de plein droit quelle que
soit la qualité du successible ou du légataire, et il n'y a pas lieu
(1) Acte introductif d'instance équivalant à une requête.
(2) v. versus, c'est-à-d ire contre.
à Maurice de se faire envoyer en possession. Sous ce cbapitre
une loi importante (qui en pratique semble être passée inaperçue)
a été adoptée en 1912. En vertu de l'Ordonnance n' 29 de cette
année toute personne domiciliée à Maurice peut avant son
mariage acquérir la pleine et complète liberté de tester en
consignant son intention dans un acte autbentique et en déclarant ce fait à l'officier de l'état civil célébrant le mariage. Une
telle déclaration habilite la personne à disposer librement de
ses biens et toute disposition faite par elle n'est plus sujette à
réduction ou rapport. li semble que cette loi ait été promulguée
afin de permettre à ceux qui le voudraient, notamment les
Anglais, les Hindous et les Musulmans, de régler leurs successions d'après leurs lois personnelles et non d'après les dispositions
du Code Civil.
Comme il fallait s'y attendre, le droit des obligations en
général n'a subi aucune modification de principe. Les dispositions du Code Civil de 1804 n'ont pas été modifiées en ce qui
concerne les contrats de mariage et les droits respectifs des
époux. Mais si les textes n'ont pas changé, par contre l'effet
pratique l'a été du fait de la promulgation de l'Ordonnance n' 50
de 1949. Une fois de plus, tout couple qui le désire peut déclarer
à l'Officier de l'état civi l célébrant le mariage qu'il veut être régi
par les disposi tions de cette ordonnance. Ce qui a pour effet
de donner pleine et entière capacité à la femme et de garder
distinct le patrimoine de chacun des conjoints. Si la femme n'a
pas été automatiquement décolonisée à Maurice, du moins
a-t-elle maintenant le choix entre l'indépendance civile et
l'intégration.
C'est dans le domaine des contrats particuliers que la
socialisation du droit s'est fait le plus sentir. Sans que l'on n'ait
modifié ou abrogé expressément aucune des dispositions du
Code de 1804 sur ce chapitre, une série de lois particulières a
profondément remanié la portée de ces textes.
Aussi, tout comme en Europe, l'Ordonnance n' 13 de 1960
est une véritable charte du locataire des immeubles résidentiels
et professionnels non meublés, avec la panoplie reconnue de
maintien dans les lieux et de l'indexation du loyer.
Le contrat de louage d'ouvrage et d'industrie est affecté
par les « Labour Ordinances . (1), véritable Code du Travail
qui régit les conditions de travail de toute personne employée
à moins de R s 500 par mois. Si l'on y juxtapose le « RegulatIon
(1) Litt. ; Ordonnances sur Je travail.
�144
of Wages and Conditions of Employment Ordinance » de 1961,
le • Termination of Contract of Service Ordinance » de 1963
et le • Workmen Compensation Ordinance » de 1931 (1), nous
voyons qu'en fait le contrat de travail à Maurice est bien plus
un contrat d'adhésion pur et simple qu'une convention librement consentie par les parties.
Le « Money Lender's Ordinance » (2) de 1959 affecte la
forme et le fond du contrat de prêt à intérêt et notamment
accorde la preuve par tous les moyens même outre et contre
un écrit à un débiteur se prétendant victime d'un usurier. Nous
hésitons toujours en ce qui concerne le droit des assurances
n'ayant pas importé à Maurice la loi française de 1930 sur les
assurances terrestres, et nous nous voyons contraints de faire
appel aux pandectes pour nous éclairer dans ce domaine.
Nous citons, pour mémoire, la contrainte par corps en
matière civile et le gage comme étant d'autres chapitres remaniés
par le législateur mauricien.
Le titre des privilèges et des hypothèques est un terrain
sur lequel l'avocat empiète avec beaucoup de circonspection
préférant laisser au notaire et à l'avoué une libre manœuvre dans
ce dom aine. Il suffit de dire que, en sus des privilèges créés par
les articles 2101 à 2 104, une série de textes spéciaux a créé
bien d'autres privilèges. Bien hardi est celui qui prétend pouvoir
les classer tous dans leurs rangs. Nous étudions en ce moment
la possibilité d'incorporer à Maurice les dispositions du DécretLoi de 1955 en cette matière.
Il est quand même intéressant de note r que l'Ile Maurice
ne connaît pas les hypothèques judiciaires depuis 1866 et que
depuis 1878 et 1902 l'hypothèque légale de la femme mariée
et du mineur et de l'interdit a cessé d'être occulte.
La période de prescription à Maurice est de 20 ans mai ~
par contre une occupation utile de 30 ans peut être opposée,
145
parfois expresses, parfois tacites. Le système anglais a laissé
son empreinte bien plus profondément sur la procédure, mais
nous avons quand même conservé un fond français. A titre
d'exemple, nous avons conservé l'examen sur faits et articles,
étranger au droit anglais, mais depuis longtemps déjà nous
l'avons adapté au système anglais d'enquête au tribunal par
la comparution personnelle de la partie et son examen oral.
Le Code Pénal mauricien présente cette particularité que
nombreux de ses textes sont rédigés et en anglais et en français.
En fait, en majeure partie, sauf quelques exceptions notamment
les dispositions relatives au crime d'incendie, l'on n'a fait que
transposer les textes du Code Pénal français et les traduire.
Malheureusement, la même numérotation des articles n'a pas été
conservée, ce qui est parfois déroutant pour l'étudiant. Dans
quelques cas, très peu heureusement, l'on n'a promulgué que
la tradu ction anglaise sans le texte français et il est étonnant
de voi r les dispositions relatives au diffamations, injures et
séditions, et au code de la presse rédigées en anglais entre les
chapitres du faux témoignage et de la révélation des secrets,
rédigés en français avec une traduction en anglais.
Le Code d'Instruction Criminelle n'est pas app licable à
Maurice et nous avons emprunté en totalité la procédure anglaise
en ce qui concerne la liberté de l'individu et la procédure
criminelle.
DEUXTEME PARTIE
LA JURISPRUDENCE MAURICTENNE RELATIVE
AUX CODES FRANÇAIS
même aux mineurs et aux interdits.
Ce rapide tour d'horizon termine ai nsi cette présentation
de l'état des textes du Code Civil à Maurice.
Me ROBERT nous a déjà parlé du Code de Commerce et
M' LAVOIPI ERRE du Code Pénal. Le Code de Procédure Civile
a, lui aussi, été profondément remanié, les modifications étant
(1) Litt.: Ordonnance Sur la réglementation des gages et des condi.
tions d'emploi (1961), Ordonnance sur la fin du Contrat de service (1963)
et Ordonnance sur les compensations en faveur des travailleurs.
(2) Litl. : Ordonnance Sur Je prêteur d'argent.
Formé dans le système de droit jurisprudentiel anglais,
privé d'un corps de doctrine établi , guidé par le répertoire des
décisions des tribunaux mauriciens, de sa Seigneurie le Juge
LALOUETTE et le fascicule de M' D'UNIENVILLE, le praticien
mauricien se tourne volontiers vers la jurisprudence au détriment de la doctrine. Cette tendance est d'autant plus réelle que
la notion du • stare decisis » (1) qui veut que les tribunaux
inférieurs ne peuvent aller contre un e décision d'un tribunal
(1) Litt .: S'en lenir à ce qui a été décidé. Egalement appelé règle
du Précédent. Exact. c stare decisis et non quieta movere ~.
�146
147
supérieur, prévaut chez nous. Par ailleurs, nos Juges rejettent
l'extrême concision des arrêts français et rédigent leurs jugements à l'instar des juges anglais. Si donc nous sommes privés
des commentaires et des notes dont bénéficient le lecteur d'un
aggravé la servitude d'écoulement d'eau du fond supeneur à
son fond. Alors qu'à l'origine, son terrain ne recevait que les
eaux pluviales découlant naturellement du fond supérieur, le
défendeur (en l'occurrence la Commune) y avait construit un
recueil français de jurisprudence, la décision mauricienne contient
drain servant à conduire en sus des eaux pluviales, les c eaux
en elle-même une analyse plus ou moins poussée du droit appliqué
dans l'espèce.
Nous avons vu les difficultés qui peuvent surgir dans la
recherche du texte du droit mauricien, mais une fois ce texte
trouvé, comment est-il appliqué par nos tribunaux?
En ce qui concerne les textes empruntés au droit français, sa
Seigneurie le Juge BROWN a expri mé en ces termes l'atritude
de nos tribunaux :
c Now, we bave the greatest
respect for tbe decisions of the
French Courts of Cassation and
Courts of Appeal, and we wouJd
certainly hesitate on a question
of strict interpretation of a doubfui text to decline to ael in aCCOT·
dance with a general conse nsus
of opinion of tbose Courts, but
we must bold that when we bave
text of law, on the o ne hand, and
french case made law not interpreting, but practicall y tempering
such text we should apply the
text of the legislature and nol
the case-made law that tempers
il. If we are wrong in taking up
Ibis position our Cou rt of Appeal.
The ludi cial Committee of the
privy Council, will set us rigbt. :t
c Or, nous avons le plus grand
respect pour les décisions des
Cours de Cassation et des Cours
d'Appel françaises et nou s hésiterons certainement avant de refuser d'agir dans le sens d'une
opin ion exprimée par ces tribunaux , relative à l'interprétation
d'u n texte obscur, mais nous
sommes d'avis que quand il nous
faut choisir entre un texte de
loi et une jurisprud ence française
qui ne se borne pas à interpréter
ce texte mais le mod ifie, nous
appliquerons le texte du législateur et non la créat ion jurisprudentiell e qui l'a modifié . Si
en adoptant cette attitude nous
commettons une erreur, notre
Cour d'Appel, le c ludicial Cornmittee :t du c privy Council :t
nou s le dira (1). :t
Ainsi donc, quoique nos juges sui vent presque toujours
J'évolution jurisprudentielle des textes français qui sont appliqués à Maurice, ils se réservent le droit de ne pas accepter ce
qu'ils considèrent une innovation injustifiée de la jurisprudence
française. Nous ne pouvons mieux illustrer l'attitude de nos
tribunaux qu'en fourni ssant quelques exemples.
1) En 1907, la Cou r Suprême de Maurice fut appelée à
se prononcer sur la portée de l'art. 640 du Code Civil. Dans
l'espèce le demandeur se plai gnait du fait que le défendeur avait
(1) La plus baute instance judiciaire britannique.
ménagères • . Le tribunal considèra que l'interprétation donnée
par la doctrine et la jurisprudence françai ses, notamment le
tribunal de Lyon le 30 novem bre 1899 qui étendait le domaine
de l'article 640 pour inclu re dans cette servitude l'accroissement
du volume d'eau coulant sur la pente naturelle et rendu nécessaire par l'exploitation normale du fond supérieur, dépassait la
portée du texte et refusa d'appliquer cette extension à Maurice.
Le défendeur fut condamné à faire cesser l'écoulement de ces
eaux ménagères. [Hugues v. Board of Commissioners of Curepipe
(1907 M.R., p 13)].
2) Par contre en 1939, un de nos plus éminents avocats
M' Maxime DE SPEVILLE, Q . C. (1) demanda à la Cour Suprême
de rejeter ]a jurisprudence constante des tribunaux français, ainsi
exprimée au D. P. 1885, J, 441.
« Lorsque les statuts d'une société stipulent formelle« ment que le décès de l'un des associés n'entraînera pas
« ]a dissolution de cette société qui se continuera avec ses
« héritiers, cette continuation s'opère de plein droit, alor~
« même qu'il se trou verait des mineurs parmi ces héritiers. :t
M' DE SPEV ILLE critiqua cette jurisprudence comme étant
antij uridique et fonda cette critique sur la note de M. Lyon CAEN
sui vant l'arrêt de la Cour de Paris (S. 1882 2.145) et sur
l'art. 2 du Code de Commerce.
Le tribunal rejeta la critique de M' DE SPEVILLE, accepta
la jurisprudence françai se, déclarant qu'elle n'a fait que remédier
à une insuffisance de l'art. 1868 du Code Civil, et décréta
que la Société survivait au décès de l'associé et que les héritiers
mineurs en faisaient partie en tant que commanditaires. [Canabady v. Heirs Taibbhay (1939) (M.R ., p. 26).]
3) Bien entendu, l'arrêt JANO'HEUR et la découverte du
l " alinéa de l'art. 1384 du Code Civil n'ont pas passé inaperçus
à Maurice. Après quelques hésitations, surtout dans les années 30,
la Cour Suprême en 1937 rejeta à l'unanimité la nouvelle interprétation française comme allant au-delà du texte. En pratique,
la question de la responsabilité civile se résuma à une question
(1) Q. C. Litt .: Queen's Counsel : Conseil de la Reine . (Di stinction
honorifique conférée à certains avocats.)
�148
de preuve de la faute et les tribunaux mauriciens s'ils ne font
pas peser une présomption de responsabilité sur l'automobiliste,
décèlent plus facilement un caractère fautif dans sa conduite.
Ainsi a-t-on jugé que le dérapage, la crevaison d'un pneu ou un
accident résultant d'un vice interne de la chose, rend l'automobiliste responsable. Ce qui fait qu'en pratique, les solutions des
tribunaux français et des tribunaux mauriciens ne diffèrent guère
et cela en dépit du jugement dans l'affaire Mangroo v. Dahal
(1937) (M. R ., p. 43).
Au fait, on se demande s'il ne faut pas restreindre la portée
de cette décision à ce qu'un accident survenu pendant qu'une
automobile était conduite par un chauffeur ne peut constituer
un fait de la chose et est en droit un fait de l'homme tombant
sous le coup de l'art. 1382 du Code Civil. Nous croyons que
la théorie de la responsabilité du fait de la chose sera tôt ou tard
acceptée par la jurisprudence mauricienne sinon en totalité du
moins dans tous les cas où la c chose :. aurait causé un dommage sans une intervention directe de l'homme. Nombre d'entre
nous espèrent que la décision de Mangroo v. Dahal n'a pas
clos ce chapitre.
n est intéressant de noter que 6 ans plus tôt, en 1931 , un
des trois juges de l'affaire Mangroo v. Dahal , le Juge LECONTE
accepta d'appliquer le revirement de la jurisprudence française
depuis, constante, commencée en 1910 imposant au transporteur
l'obligation de conduire le voyageur sain et sauf à destination.
[Takan v. Bhageerully (1931) (M.R., p. 2).]
4) En 1933, la Cour Suprême, composée du Chef Juge
PETR IDES, et des Juges LECONTE et NOÊL, se trouva appelée à
choisir entre les arrêts de la Cour de Cassation rapportés au
D.P. 1927. 1. 73 et D.P . 1929. 2. 169, accordant à la concubine
le droit de demander réparation pour le préjudice par elle subi
à la suite de la mort de son concubin et l'arrêt de la Cour de
Paris de 1932 (D.P. 1932, 2. 88) lui refusant ce droit. La Cour
se prononça en faveur de la décision de 1932 (M. V. Moutou v.
Mauritius Govemment Railways - 1933 M.R., 102). Nous considérons cette décision regrettable puisque de par le contexte multiracial de l'île Maurice, bien des foyers ma uriciens sont fondés
sur un mariage religieux accepté et honoré par la société mais
non reconnus par la loi. Si le concubinage est extra-légal à
Maurice, il n'est pas toujours vrai de dire qu' il est immoral et
délictueux.
5) Prenons pour notre dernier exem ple un cas où le système
de droit qui s'applique normalement est le système anglais. Ainsi
149
le Bill of Exchange Ordinance (1) de 1914 ayant été importé
directement de l'Angleterre doit être interprété à Maurice d'après
les règles anglaises. En effet, en 191 8 la Cour Suprême dans
l'affaire Janky v. Dreepaul (1918) (M. R., p. 59), déclara que
pour un billet sous seing privé entrant dans le champ d'application
de l'Ordonnance précitée il fallait se référer au droit anglais et
que la nécessité du « bon pour > ou « approuvé . de l'art. 1326
du Code Civil ne s'appliquait pas.
Mais en 1947, la Cour se trouvant devant un billet identique
mais portant une croix à la place de la signature déclara que la
validité de la signature sur un tel billet devrait être appréciée
par rapport au droit français et de ce fait le billet n'était pas
valable faute de signature. [Soobhany v. Dowlu (1947) (M. R .
p 8).] Et en dernier lieu, en 1950, la Cour Suprême déclara que
les di spositions de l'art. 1341 du Code Civil concernant la prohibition de prouver outre et contre l'écrit s'appliquent même aux
écrits tombant sous le Bill of Exchange Ordinance de 1914.
6) En matière correctionnelle, le Juge mauricien se tourne
vers les tribunaux français pour trouver l'explication et l'application des textes empruntés du Code Pénal français. Mais il a
aussi conservé la même liberté de ne pas toujours suivre la jurisprudence françai se. Ce principe fut réaffirmé par le Juge LECONTE
en 1931. [Gabriel SlIzall ne v. R . (/931) p. 13] (2). Par exemple, nos tribunaux suivant GARRAUD, de 1916, décident que
celui qui aide l'auteur d'un vol en faisant le guet en est le complice et non le co-auteur, tel que le veut Mo GARÇON dans son
Code Pénal Annoté, nouvelle édition, art. 60, n' 42.
A va nt de clore ce chapitre, signalons la note de DEMoLOMBE
dans le XIV' volume de son cours de Code Napoléon (1 8801885), (mentionné par BAUDRV-LACANTINERI E, éd. 1895, cbap.
Successions, n' 746), où l'auteur cite un jugement de la compétence supérieure de l' Ile Maurice à l'appui de son opinion.
CONCLUSION
Les problèmes que posent l'étude et l'application du droit
Mauricien sont propres à notre petite île. Le nombre reslreint de
personnes exerçant le droit rend une maison d'édition de droit
(1) Litt.: Ordonnance sur les Documents d'Echange, c'est·à-dire les
effets de commerce.
(2) R. : Re, c'est-à·dire le Roi.
�150
non viable sur le plan économique. Nous aurons à trouver parmi
nous, des personnes qui sont prêtes à se dévouer pour faire
mieux connaître notre droit. Dans le passé, nous eûmes Maître
PISTON qui a lancé le Recueil de Jurisprudence et plus près de
nos jours, les Répertoires de Green, de Hugues et de Nairac ont
été autant d'aides pour nos prédécesseurs et de nos jours l'admirable ouvrage de Sa Seigneurie le Juge LALOUETTE reste le
vade-mecum de tout praticien mauricien. Nous espérons que
l'intérêt que nous porte l'Institut d'Etudes Juridiques de SaintDenis de la R éunion donnera un nou vel essor à l'étude systématique de notre droit et qu'un effort se fera enfin sur le plan doctrinal où le vide se fait vraiment sentir. L'effort que notre Chef
Juge actuel, Sir Rampersad NEERUNJUN a fait dans cette direction
mérite d'être souligné. En effet, il a réussi à convaincre le doyen
de la Faculté de Droit au King's College de l'Université de
Londres d'organiser des cours de Droit Français au profit des
étudiants mauriciens. Nous espérons que cela constitue un pas
vers une étude académique du droit mauricien. E spérons aussi
que l'Université que l'on projette d'instituer chez nous dans un
proche avenir y apportera sa contribution.
Nous ne pensons pas qu'il soit nécessaire de recodifier nos
lois. Les codes existant nous ont rendu un service admirable. Ce
qu'il faudra it pourtant c'est un effort de compilation afin de
débarrasser nos bibliothèques de nombreu x textes superflus et
caducs. Ce tra vail a été entrepris en partie, et des Comités de
Législation ont été institués pour mettre à jour nos codes. Le
Comité chargé du Code Civil a presque terminé ses travaux sur
le Code Civil proprement dit et se penche sur quelques problèmes spéciaux tel la Co-Propriété des Immeubles di visés par
appartements et la loi sur les A ssurances. Le comité chargé du
Code de Commerce a lui aussi terminé plusieurs des chapitres
à lui confiés.
Le droit mauricien peut donc dire avec un de nos poètes:
c Certes en d'autres pays, j'ai des ancêtres »
« Mais la France est pou r moi la mère.>
31 mars 1965.
COURS ET TRIBUNAUX (1815-1965)
DE L'ILE MAURICE
par
Me Roger DUBRUEL DE BROGLIO
A vocat de la Couronne (Port-Louis)
agissant depuis le mois d'avril 1967 comme Solicitor Général
I. -
APERÇU GÉNÉRAL HISTORIQUE
1. A vant l'Ordre en Conseil (1) du 13 avril 183 1, les
principales cours de justice à Maurice telles qu'elles étaient établies par des Lois et Arrêtés de la Monarchie, la République
Française et l'Empire étaient les suivantes:
- Tribunal d'Appel ou Cour d'Appel (arrêté du 28 Floréal An XII).
- Tribunal de Prem ière Instance.
- Tribunal ou Bureau, etc ... de Paix.
- Land Court : ou Tribunal Terrier (pour les clauses de
concession , les réunions aux domaines, distribution d'eau pour
arrosage, les servitudes, etc .. .).
2. L'article 2 de la proclamation du 28 décembre 18 10,
préserva ces tribunaux sous le gouvernement anglais avec certaines exceptions.
Proclamation du 28 décembre 1802, article 2 : Aux termes
de cet article tous établissements ta nt judiciaires que de police
seront également conservés et continués « durante bene placito •
sous le gouvernement anglais, sur les mêmes bases et d'après
les mêmes règlements qui existaient lors de la reddition de cette
Ile sauf toutefois les modifications suivantes :
a) tous les jugements seront rendus au Dom de Sa Majesté
Georges Ill, etc .. .
(1) Ordonnance Royale prise en Conseil Privé (Privy Cou ncil).
�152
153
b) tous les arrêtés de la Cour d'Appel de cette Ile contre
lesquels on aurait pu se pourvoir par devant les Cours Supérieures du Gouvernement français en Fra nce comme par le
passé, seront jusqu'à ce qu'il en soit autrement ordonné, présentés au Gouverneur de ces nes (qui agira sur l'avis et l'opinion
de l'assesseur judiciaire et magistrat de cette colonie). Dans tous
les cas néanmoins si les partis voulaient se pourvoir devant
S.M. britannique, en son conseil, elles en auront le droit. Toutefois il n'y aura pas lieu à pourvoir devant S.M. britannique
dans toutes les matières où les condamnations n'excèderaient
pas la valeur de 1 000 piastres. Appel au Roi en conseil possible pourvu que la valeur du Contentieux n'excède 4 000
dollards.
3. Ordre en Conseil du /3 avril / 831. Aux termes de ce
décret les cbangements principaux furent les sui vants:
- La Cour d'Appel fut supprimée et remplacée par la
Cour Suprême, avec trois juges seulement. L'article 3 n'ayant pas
été confirmé, la Cour reprit après quelques temps le nom de
Cour d'Appel.
- Le Tribunal de première Instance fut maintenu avec un
juge et un juge suppléant.
- Une c Petit Court » fut établie.
- Le Tribunal Terrier fut aboli et sa juridiction tra nsférée
au Conseil Exécutif du Gouvernement.
4. Ordre en Conseil du 7 septembre 1838. Une magistrature stipendiaire (1) était créée avec juridiction exclusive sur les
contrats de services.
5. Ordre en Conseil du 23 octobre 1851 . Ce décret apporte
les prmclpaux cbangements sui va nts:
- La Cour d'Appel devient Cour Suprême de l'Ile avec
les pouvOI rs du BaDc de la Reine (Queen's Bencb) et de la
Cour d'Equité.
- La Cour de première Instance est abolie et sa juridiction absorbée par la Cour Suprême.
Une Cour Inféri eure apparaît pour chaque district.
Une ,Cour Spéciale nommé c Bail Court » est instituée.
Elle a com~eten.ce en ~,atière civile jusqu'à if. 100; elle est
com posée d un. Juge qUi reçoit les appels des jugements des
Cours de district au civil comme au criminel Elle est abolie
en 1881.
.
(1) Litt .' Magistrature c appointée • .
- Un magistrat de police correctionnel est installé à
Port-Louis.
. . 6. O~donna~ce ".' 12 de 1878. Elle crée des Cours Stipendirures à Jundicllon etendue sur les contrats de service. Elles
sont abolies plus tard (47/38).
7. Par l'Ordonnance n' 4 de 1872 l'ancienne juridiction
du Tnbunal Terner est transférée aux Cours de Justice.
8. Ordonnance n' 3 de 1883, institue le Bench of Magistrates à juridiction criminelle et composée de trois magistrats. Ses
condamnations peuvent aller jusqu'à trois ans de prison ( 1).
9. Ordonnance 21 de 1888. Cette ordonnance crée la constitution moderne des Cours Inférieures. Ces Cours sont présidées par un magistrat nommé par la commission légale et Judiciaire des Avocats ayant plus de trois ans de pratique.
10. Ordonnance n' 17 de 1944. Cette ordonnance établit la
Cour Industrielle à compétence exclusive en matière de conciliation et de réclamations relatives aux Lois du Travail, des
syndicats, des salaires, etc ...
11. Ordonnance n' 5 de 1945 c Courts Ordinance • . L'Ordonnance entreprend la consolidation des lois relatives aux
Cours de Justice à Maurice (cbap. 168 du Recueil des Lois de
Maurice). Les changements principaux seront considérés en
détail sous les titres relatifs aux Cours Inférieures et à la Cour
Suprême.
12. Ordonnance n' 14 de 1960. Cette ordonnance institue
la Cour Intermédiaire Criminelle.
13 . La Commission Légale et Judiciaire.
L'article 82 de notre Constitution prévoit l'établissement
d'une Commission Légale et Judiciai re composée comme suit :
le Cbef Juge, Président, le Premier Juge Conseiller, le Président
de la Commission du Service Public et un membre nommé par
le Gouverneur.
Le Gouverneur prend l'avis de la Commission sur toutes
questions relatives à la nomination du Solicitor Général, du
Directeur des Poursuites Publiques, du Master de la Cour Suprême, des avocats du Parquet, et des magistrats.
Le Gouverneur n'est pas tenu d'agi r selon l'avis donné
par la Commission.
(1) Banc des Magistrats.
�154
II. -
155
LA COUR SUPIŒME - ÉVOLUTION HISTORIQUE
1. Ordonnance en Conseil du 13 avril 1831: il est institué une Cour d'Appel se composant de trois juges. Cette Cour
à la même compétence que la Cour d'Appel établie sous l'administration française. Un pourvoi de sa décision en Appel peut
être fait au Conseil Privé de la Reine pour toutes matières de
J::. 1 000 et au-dessus.
2. Ordonnance du 13 septembre 1845. L'usage de la langue anglaise est rendue obligatoire devant les Cours Supérieures.
3. Ordonnance n' 2 de 1850 : la Cour d'Appel devient la
Cour Suprême et est alors composée du Chef Juge et de deux
ou plusieurs Juges « Puisnés > (Conseillers). EUe est investie
des pouvoirs et de la juridiction des Cours du Banc de la Reine
et de la Cour d'Equité en Angleterre. Le poste de M aster
est créé : le Master est compétent pour la taxation des frai s, les
ventes judiciaires, les conseils de famille, l'homologation des
testaments, etc... Les pourvois en appel se font au Conseil
Privé comme par le passé.
4. Ordonnance n' 10 de 1850 : le jugement par jury est
instauré. Le jury est composé d'hommes au nombre de 9 pour
les affaires criminelles et au nombre de 7 pour les affaires civiles.
Pour un jugement au criminel une majorité de 7 voix doit se
dégager; au civil une majorité de 5. L'application de la Loi
anglaise se fera pour toutes les questions de procédure.
5. Ordonnance n' 24 de 1855. Création de la juridiction
d'un Juge « en Chambre > (Juge des Référés). Sa compétence
couvre les biens vacants d'une partie décédée, etc ... Les radiations d'inscription hypothécaire, la main levée de saisie, etc ...
6. Ordonnances de 1898-1899: création de la Cour des
Faillites. La juridiction du Master en matière de fa illite, de
liquidation de compagnies est transférée à la Cour Suprême.
Décisions par un Juge et appel de ses décisions auprès de la
Cour Suprême. Le Master cumule ses fonctions avec ceUes de
Greffi er de la Cour Suprême.
7. Ordre en Conseil de 1904 : la Cour Suprême devient la
Cour d'Appel pour les SeycheUes.
8. Ordre en Conseil de 1909 : les appels au Conseil Privé
de la Reine se font:
de plein droit : dans les matières de Rs. la 000 ou
plus.
- à la discrétion de la Cour : pour les questions d'importance publique.
9. Ordonnance n' 36 de 1912 : un juge unique est compétent pour toute action ne dépassant Rs. 3 000 toute de mande
en divorce, séparation, etc ... Il peut réserver à la décision de la
Cour Suprême toute question de droit complexe. En toute
autre matière, un quorum de 2 juges est nécessaire. Il a juridiction au criminel.
10. Ordonnance n' 5 de 1945. Constitution de la Cour
Suprême contemporaine (avec amendement au cours des années
1945-1965). Un Chef Juge, un Premier Juge Conseiller et autan t
de juges conseillers que le Gouverneur nommera par Lettres
Patentes sur les instructions de S.M. la Reine.
- Qualités requises: être avocat au Barreau anglais avec
5 ans de pratique. Les Juges sont choisis parmi les magistrats
d'après l'ancienneté et leur mérite, ou parmi les Officiers Supé-
rieurs du Parquet. Le siège de la Cour Suprême est à Port-Louis.
Seuls les avocats ont droit d'audience.
- Langue officielle: la langue anglaise, sauf pour les
témo ins qui ne peuvent s'exprimer dans cette langue.
- Compétence: celle de la Haute Cour de Justice d'Angleterre (et Cour d'Amirauté) (1). C'est une Cour d'Equité qui
juge en première Instance toutes les affaires civiles qui ne peuvent être portées devant les Cours Inférieures. Au criminel, eUe
siège en Assises 4 fois par an. Elle siège également en Cour des
Faillites. Elle reçoit en outre les appels élevés contre tout jugement des Cours Inférieures, de la Cour Industrielle et de la
Cour Intermédiaire Cri minelle. EUe reçoit également les Appels:
au civil, des Seychelles, au criminel et au civil, de Rod rigues.
- Le Juge en Chambre (des référés) : est compétent pour
les envo is en possession, les déclarations affirmatives, la main
levée de saisies, les homologations des Conseils de Fantille,
l'autorisation judiciaire de la femme mariée, etc ...
-
Il existe une Cour d'Appel Criminelle de la Cour
d'A ssises.
II. OrdonnaI/ce n' 9 de 1954. Le Droit d'Appel se fa it sur
une question de droit et avec la permission de la Cour: l ' sur
des questions mixtes de droi t et de fai ts, 2' contre la sentence.
12. Ordonnance 1/' 8 de 1963. La Cour des appels civils est
compétente contre les jugements rendus par un seul juge de la
Cour Suprême. E Ue se compose du Chef Juge et des autres
juges de la Cour Suprême, sauf celui dont la décision fa it l'objet
de l'appel.
11
�156
157
L'appel devant le Conseil Privé de la Reine peut se faire
contre les décisions rendues par la Cour siégeant avec plus d'un
juge. II se fait de plein droit pour tout contentieux d'une valeur
de Rs. 10 000 ou au-dessus. Il se fait à la d iscrétion de la Cour
Suprême pour une question d'importance publique (ordre en
Conseil du 15 février 1909. Règlements et procédures (! 957),
Government Notice n' 32 de 1958).
lU . -
DlSTRIcrS COURTS OU COURS INFÉRIEURES
1. Ordre en Conseil du 13 avril 183 1. La première Cour
Inférieure « Petit Court . fut créée en 1831 à Port-Louis. Elle
était présidée par un Juge de Paix.
Attribution,' les causes civiles de petite valeur et les affaires
criminelles de moindre importance. Les déci sions de cette Cour
étaient sans appel.
2. Ordre en Conseil du 23 octobre 1851 - Ordonnance n' 27
de 1850 et Ordonnance n' 34 de 1852 ,' chaque district (au
nombre de neuf) est doté d'une Cour Inférieure, Cour avec
Greffe. La Cour est présidée par un magistrat. C'est une juridiction civile et criminelle.
- Compétence au Civil,' quand l'objet de la contestation
ne dépasse pas la valeur de .c. 50.
- Compétence du criminel,' pour les délits et les crimes
n'entraînant pas la mort ou la déportation. Les peines peuvent
atteindre un emprisonnement ne dépassant pas un an avec ou
sans travail forcé, et des amendes ne dépassant pas .c. 50. Certains domaines sont cependant hors de sa juridiction,' abus de
pouvoir, faux, corruption, etc ...
3. Ordonnance n' 21 de 1888 (chap. 168).
Les Districts Courts sont com.tituées comme elles le sont
aujourd'hui sauf en ce qui concerne l'étendue de leur juridiction .
Elles sont présidées par un magistrat dont les pouvoi rs sont
semblables à ceux du c Justice of the Peace . (1) anglais. Les
Cours sont au nombre de II .
- Compétence civile,' les actions dont les vale urs en
litige ne dépassent pas Rs. 1 000 (portées à 3 000 R s.) par une
Loi de 1954. Par ailleurs le magistrat a tous les pouvoi rs donnés
(1) Litt. : Juge de la Paix.
par le Code Civil et le Code de Procédure Civile au Juge de
Paix, en matière d'apposition et de levée de scellés, de conseil
de famille, de tutelle officieuse, et d'émancipation de mineur,
etc ... Mais il n'est compétent nj en matière de djvorce, ni en
matière d'interdiction , de faillite, d'état civil ou de succession.
- Compétence criminelle,' les offenses (!) passibles de
peines ne dépassant pas 1 an de prison et Rs. 1 000. Les enquêtes préliminaires pour des offenses jugées en Assises et le
pouvoir de déférer l'accusé aux Assises, si le magistrat est
d'opinion que les témoignages sont suffisants pour entraîner une
condamnation d'Assises pour l'offense en question.
4. Le Bench
0
Magistrates.
C'est un tribunal de trois magistrats avec compétence criminelle supérieure.
Par l'Ordonnance n' 3 de 1883 le tribunal est composé de
trois magistrats et présidé par le magistrat du district où siège
la Cour. A l'époque il y avai t 5 tribunaux de ce genre. Leur
juridiction s'étendait au cas de fausse monnaie, au cas de faux en
écritures publiques, etc .. ., soustractions commises par les dépositaires publics, la sodomie, l'attentat aux mœurs, la sédition,
etc... Les peines vont jusqu'à un maximum de trois ans de
prison. Ce genre de tribunal est aboli par une Ordonnance n' 14
de 1960 et remplacé par une Cour Intermédiaire Criminelle
composée de trois magistrats. Le Président est nommé par le
Gouverneur et possède une juridiction sur toute me. La Cour
a la même compétence que les tribunaux, mais sa juridiction est
augmentée à 5 ans de prison. Sont aussi déférées à cette Cour les
affaires d'avortement, d'homicides involontaires, d'incendie,
autrefois déférées aux Assises de la Cour Suprême. Le siège de
cette Cour est à Port-Louis.
5. Ju venile Courts (2).
Cours pour l'Enfance délinquante, eUes sont créées par
l'Ordonnance n° Il de 1935 (amendée par l'Ordonnance n' 6
de 1937 entre autres). Ce sont des Cours de district siégeant
pour entendre toute accusation portée contre un enfant ou une
jeune personne. Elles constituent des Cours spéciales (chap. 186
de nos Lois). Elles siègent à huis clos. Pour certaines offenses,
l'accusé a le droit d'opter pour une traduction devant le jury
(1) Litt. : Infraction au sens très général de toute viol ation de la
loi crime ou délit.
(2) Tribunaux pour enfants.
�158
159
ou devant trois magistrats. Des pouvoirs specIa ux de sentence
sont créés: la c probation . ou régime de mise à l'épreuve, la
mise en liberté conditionnelle, etc ...
IV. -
PARQUET ET MINISTÈRE PUBLIC (1 800- 1965)
1. Par un arrêté du 30 décembre 1808 (chap. 33 1), un
Ministère Public est créé. Un décret impérial du 30 mars 1808
contenant les règlements pour la police et la di scipline intérieure
des Cours et Tribunaux est promulgué a ux Ile de France et
Dépendances. La police est placée sous le contrôle du Parquet.
En toutes causes, une foi s le Ministère Public entendu, aucune
partie ne peut obtenir la parole, mais seulement remettre sur
champ de simples notes comme il est dit au Code de Procédure.
2. Ordre en Conseil du 6 novembre 1832 " promulgué pour
dissiper les doutes qui s'étaient élevés sur la possibilité, pour
le Procureur Général, de réunir légalement à sa charge celle
d'Avocat Général, étant donné qu'il était allégué que les fonctions du Ministère Public (dont le Procureur est le chef) sont
incompatibles avec celles d'Avocat Général. Dans tous les cas
où il y a incompatibilité, le Procureur Général est relevé de son
obligation de conclure, etc ...
3. Ordonnance n' 8 de 1898,' donne la défi nition des
termes c Procureur and Advocate General >. Tout acte qui doit
être fait par le Ministère Public peut être fait par le Procureur
Général et ses Substituts. Jusqu'en 1957, le Parquet était composé comme suit: un Procureur Général, 3 substituts. En 1957
les postes du Procureur Général et des substituts furent abolis
et remplacés par les postes suivants : Attorney General, Solicitor
General, 2 Seniors Crown Counsels.
4. Ordonnance n' 40 de 1957 ,' l'Attorney General jouit
des pouvoirs et privilèges de l'Attorney General d'Angleterre.
Tout avocat de la Couronne doit avoi r son diplôme d'avocat
anglais, est employé de l'état et il n'a pas de droit, sauf autorisation spéciale du Gouverneur, de faire de la pratique privée.
Depuis la mise en vigueur de la nouvelle Constitution de
1964, l'Attorney General est choisi par le Gou verneur au sein
du Conseil des Ministres. Ce n'est donc pas un employé de
l'Etat. Il est aussi prévu dans la nouvelle Constitution l'établi ssement d'un poste de Directeur des Poursuites Publiques.
ORGANISATION DU PARQUET DEPUIS
1964
a) A lIorney General,' Conseiller juridique du Gouvernement, il siège au Conseil des Ministres et à l'Assemblée législative. 11 est Conseiller du Gouverneur, Secrétaire Chef du
Conseil des Mini stres et des Ministères (pour les questions importantes). Il contrôle l'évolution et la rédaction de toutes les
lois, etc ... 11 possède certaines fonctions statutaires du Conseil
d'Etat et exerce le contrôle disciplinaire des Officiers Ministériels.
b) Directeur des Poursuites Publiques (Director of Public
Prosecutions) : il a le contrôle et l'initiative de toutes les poursuites criminelles. Il applique les sanctions disciplinaires contre
les employés de J'Etat. Il est le Chef administratif du Parquet.
c) Solicitor General,' Assistant direct de l'Attorney General
et chargé de la rédaction des projets de loi , Conseiller de l'Administration Centrale en toute matière civile, il est également
conseiller des Ministères, des Finances, de l'Industrie et du
Commerce et de l'Education.
d) Les avocats de la Couronne,' Senior crown counsels et
crown counsels au nombre de six, ils ont l'initiative des poursuites criminelles dans les différents districts. Ils sont conseillers
juridiques des différents Ministères. Ils assurent la rédaction des
lois et des règlements. Assurant les fon ctions du Ministère Publ ic, ils représentent le Directeur des Poursuites Publiques devant
toutes les Cours Inférieures et Supérieures.
e) Le Bureau de ['A voué de la Couronne,' le Bureau se
cha rge de toutes les procédures civiles et travaille en étroite
coopération avec le Parquet. Il exerce les fo nctions de curatelle, etc ...
V. -
LA PROFESSION LÉGALE
A. -
AVOCATS
1. Règlements concernant l'exercice de cette profession
dans la colonie - 12 juin 1778.
Il sera dressé un tableau de ceux qui exercent près les tribunaux de l'Ile de France pour être placé dans la salle d'au-
�160
161
diences du Palais. Ils sont tenus de renouveler chaque année leur
serment devant la Cour de la Saint-Martin. Ils pourront faire
tous actes de procédure et tous écrits qui sont du Ministère des
Procureurs. Ceux, nouvellement arrivés dans la colonie seront
tenus de présenter des témoignages avantageux de leurs mœurs
et conduite, et un certificat de fréquentation du Barreau . TIs
devront prouver un an de résidence dans la colonie et un stage de
pareille durée en la Cour (règlement du 7 mars 1789).
2. Ordonnance n' 8 de 1833 : non confirmée.
3. R èglements de la Cour d'A ppel contenant de nouvelles
dispositions à leur égard - Ordonnance n' 12 de 183 7.
Avocats et Barristers (1 ) ne pourront être nommés aux places de juges ni les suppléer ai nsi que les officiers du ministère
Public s'il n'ont exercé pendant cinq années.
4. Règlements de fév rier 1852.
Seuls sont admis à exercer à Maurice, les avocats reçus
par une Cour Supérieure de la Reine, en G rande-Bretagne ou
en Irlande.
5. Ordonnance n' 9 de 1855. Cette ordonnance instaure
un contrôle disciplinaire de la Cour Suprême sur requête du
Procureur Général. Les avocats pratiquant à l'Ile Maurice doivent tous être membres du Barreau anglais et font leurs études
à l'un des quatre collèges de Lond res: Middle T emple, Inner
Temple, Lincoln's Inn, Gray's Inn.
6. L'Association du Barreau.
Par l'Ordonnance n' 37 de 1957 l'Association du Barreau
devient un corps constitué avec des' attributions définies. E lle
a pour but de préserver et de mai ntenir les intérêts et la di gnité
de la profession. Elle est gérée par un Conseil du Barreau composé du Procureur Général et de cinq autres avocats élus par
les membr es de l 'Association. Le Conseil peut prendre des
mesures diSclplinatres sur requête du Procureur Général.
B. -
AvouÉs
1. Arrêté du 14 Nivôse AN XlJ (Decaen).
Les douze avoués de l'Ile Maurice et les huit avoués de
l'Ile de la Réunion pourront exercer devant tous les Tribunaux
(1) Litt .: Egalement avocats.
aux. con~ition s suivantes: être français, avoir vingt-cinq ans,
aVOir trOis ans de stage chez un avoué et deux ans d'exercice
dans les tribunaux. Une Chambre des Avoués existe pour assurer la discipline intérieure.
3. Ordonnance de février 1852.
La Chambre des Avoués est abolie et les avoués plaidants
supprim és.
3. Ordonnance de septembre 1861 .
Seuls sont admi s à pratiquer comme avoués les c solicitors::. anglais, ou ceux qui ont travaillé chez un avoué pendant
six ans. Ce, après un examen oral par un comité spécialement
nommé à cet effet.
4. R èglements de la Cour Suprême de 1903.
Ces règlements reproduisent en grande partie les règlements
précédents. Les avoués à Maurice ont droit d'audience devant
les Cours de Di stricts (Cours inférieures) et peuvent se présenter
en Cham bre de Juge de la Cour Suprême avec ou sans avocat.
Ils ont droit d'audience devant la Cour Criminelle Intermédiaire
mais n'ont pas droit d'audience devant la Cour Suprême.
'
C. -
N OTAIR ES
1. Arrêté du 14 Plu viôse A n X lJ (Decaen).
A rrêté basé sur la Loi de la R épublique du 25 ventôse
A n XII. Aux termes de cet arrêté, les notaires sont des fonctionnaires publics institués à vie. Chaque notaire devra résider dans
le lieu qui lui sera fixé, etc... Une Chambre de discipline est
créée par l'ordonnance n' 25 de 1888. Les conditions d'exercice
sont les suivantes: sujet britannique, vingt-cinq ans d'âge. Un
examen spécial doit être passé. Le Gouverneur nomme un notai re pour chaq ue district.
2. Ordonnance du 7 novembre 1942 (cha p. 194).
Les conditions d'exercice sont complétées par un stage de
six années chez un notaire ou de deux ans lorsque le candidat
a pratiqu é comme avoca t ou avoué pendant une période de deux
ans.
3. Ordonnance n' 20 de 1957.
Tout notaire doit avoir son étude dans le district de PortLouis à l'exception de ceux qui au 15 octobre 1957 avaient
�162
163
été désignés pour exercer leur ministère dans un district autre
que celui de Port-Louis.
Le nombre des notaires est limité à un minimum de 18 et
un maximum de 20. Le contrôle disciplinaire est effectué par
une Chambre des Notaires et la Cour Suprême sur requête du
Procureur Général.
D. -
HUISSIERS
1. Arrêté du 15 Ni vôse An XIII: Douze Huissiers sont prévus à l'De de France.
2. Ordonnance n' 7 de 1839 : la profession est réorganisée.
Les Huissiers sont nommés par le Gouverneur et doivent posséder les qualités sui va ntes: être sujets britanniques, être âgés
de vingt-cinq ans, avoir travaillé au moins pendant deux ans
soit dans l'étude d'un notaire ou d'un avoué, soit chez un huissier
ou bien pendant deux ans au Greffe de la Cour d'Appel. Un
certificat de moralité doit être fourni à la satisfaction du Procureur Général. Une caution de J2. 600 doit être déposée. Enfin,
les huissiers prêtent serment devant la Cour d'Appel.
Les nouvea ux huissiers sont tenus de résid er dans les di vers
quartiers de l'Ile afin d'évi ter les frais de transport. L'exercice
du ministère d'huissier est incompatible avec toute fonction
publique salariée.
Les huissiers demeurent sous le contrôle disciplinaire de
la Cour Suprême. Leur nom bre est limité à dix-huit.
3. Ordonnance 317 de 1952: les huissiers deviennent des
employés de l'Etat. Ils sont nommés par le Gouverneur sur
recommandation du Chef Juge. Les qualités nécessaires deviennent les suivantes : être sujet britannique, avoir vi ngt-cinq ans,
après un examen, accomplir deux ans de stage chez un avoué.
Les huissiers doivent fournir une caution de R s. 6000 et
sont sous le contrôle di scip linaire du Chef Juge avec l'approbation du Gou verneur.
A. (i) De plein droit. Conte ntieux civ il : valeur Rs 10 000 et au-dessus.
(i i) D iscrétionnaire: question d'importance publique:
B. De la Cour d'A ssises.
C. De jugements rendus par un seul juge.
D . Civils et criminels. Cou rs de Districts. Cour inte rm édi aire crim inelle.
Cour industrielJe.
E. Assises criminelles. Jury (4 fois par an) .
F. Un juge sans appel.
G. Tous contentieux civils bors de la jurid iction des Cours de Districts.
H. Présidé par le MaSleT de la Cour Suprême.
1. Contrô le disc iplin ai re, Avocats, Avoués, etc., officiers mini stériels,
sur requête du Procureur Géné ral.
J. 3 magistrats, décisions majoritaires, 5 ans de pri son : amende.
K. 1 mag ist rat, réclamat ions salaires, affaires syndicales, etc.
L. 1 magistrat, civile el criminelle : Civile (contentieux ne dépassant
pas Rs 3000); Criminelle (Rs 1 000 d'amende, 1 an de prison).
Cours spéciales pour enfance délinq uante .
M . (Au civil seul ement) .
N. (C ivil et criminel) .
�LA LÉGISLATION APPLICABLE
EN MATIÈRE DE DROIT PRIVÉ
par
Me Jean VINSON
Avocat à la Cour
Ancien Bâtonnier (Saint-Denis)
HISTORIQUE
La première législation applicable à ce qui était alors l'Ile
Bourbon fut la Coutume de Paris.
Les Edits de mai et d'août 1664 créant les Compagnies des
Indes Occidentales et des Indes Orientales imposèrent l'application de cette coutume.
Aujourd'hui, le régime législatif à la Réunion, département français, est le même que celui de la Métropole, sauf les
exceptions prévues par la loi.
Cependant, entre ce début et cet aboutissement, cette situation n'a pas été constante.
Bien au contraire, di verses solu tions ont successivement
prévalu et il importe de rappeler les principales étapes de ceUe
évolution, avant d'exposer et pour mieux situer dans son contexte
historique le régime législatif actuel.
1. - A l'origine, la législation applicable est ainsi importée en bloc de la Métropole.
En efIet, il ne pouvait en être autrement dans une île déserte
avant sa prise de possession par les Français.
Bientôt d'autres textes imposèrent, en sus de la Coutume
de Paris, de sui vre les édits et les ordonnances du Royaume
(inst... 26 décembre J703).
Cependant, le Conseil Provincial créé à l'Ile Bourbon par
l'Edit de mars 1711 s'attribua l'exercice du pouvoir législatif,
�167
166
alors qu'il eût dû se borner à rendre la justice (DELABARRE DE
NANTEUIL - Législation de l'Ile de la Réunion - V' Régime
législatif et Politique, n" 15 et suivants).
Cette fonction fut par lui exercée au nom de la Compagnie
des Indes.
JI . - Mais la souveraineté - pa r délégation - de celleci prit fin en septembre 1767, date de la rétrocession de la
colonie a u Roi.
Celui-ci exerça désormais le pouvoir législatif et c'est
alors que va se préciser et s'affirm er le principe de la spécialité
de la législation applicable à cette colonie.
En etIet, dès le XV III' siècle, le Roi impose cette règle en
prescrivant aux juridictions supérieures ou souveraines de Bourbon de n'enregist rer les textes métropolitains que sur décision
spéciale du Roi décision communiquée par le Secrétaire
d'Etat à la Marine (Lettres des 26 octobre 1744, 9 décembre
1746 et Ordonnance du 18 mars 1776).
A côté des textes métropolitains, s'appliquaient en outre
dans les colonies des dispositions législati ves particulières à
celles-ci et les décisions des gouve rneurs et intendants représentant le Roi .
La spécialité législative des colonies va être d'abord maintenue par les textes révolutionnaires.
Le décret des 8 et 10 mars 1790 établit la nécessité d'une
législation spéciale éditée par l'Assemblée Nationale sur proposition des Assemblées locales.
Le décret des 14 et 18 septembre 179 1 opère une premi ère
répartition des compétences entre l'Assemblée Législati ve, d'une
part, et les Assemblées Coloniales, d'autre part.
De même, les dispositions finales de la Constituti on de
1791 la déclarent non applicable aux colonies.
IIr. -
Cependant, ici , se place un bref intermède.
La règle de la spécialité va être abandonnée par la Constitution du 5 Fructidor de l'An III.
C'est la doyenne des lois d'assimilation.
En etIet, selon l'article 6 de cette Constitution les colonies
françaises sont partie intégrante de la R épublique' et sont soumises à la même loi constitutionnelle.
D'après l'article 7, la di vision départementale est étendue
aux colonies et désormais les tex tes métropolitains pris sous
l'empire de cette Constitution sont applicables de plein droit à
celles-ci.
La portée pratique de ces dispositions fut assez réduite
puisque, à cette époque, peu de colonies se trouvaient etIectitivement soumises à la souveraineté de la Métrople.
C'est ainsi que le décret du 16 pluviôse An II abolissant
l'esclavage ne fut jamais appliqué à la Réunion.
IV. Cette période d'assimilation législati ve sera de
courte durée: la Constitution du 22 brumaire An VIII revient
à la règle de spécialité législative.
Il faut donc une intervention spéciale du pouvoir central
pour étendre à la R éunion une loi de la Métropole, extension
d'ailleurs rarement intégrale.
I O Le Code Civil a été promulgué à la Réunion par un
a rrêté du Capitaine Général DECAEN du 1" brumaire An XIV
(23 octobre 1805).
Mais un arrêté supplémentaire contenai t des addi tions et
codifications concernant notamment l'infériorité légale de la
population libre de couleur, la condition des esclaves étant toujours principalement régie par l'édit de 1685 ou Code Noir.
Cet arrêté complémentaire du Code civil demeura en
vigueur jusqu'à ce qu'une ordonnance royale du 24 février 183 1
prononçât la suppression de toutes les dispositions restreignant
les droits civils des hommes de couleur libres. Cette égalité
civile sera bientôt complétée pa, l'égalité politique : ce sera
l'œuvre de la loi du 24 avril 1833.
Avec l'abolition de l'esclavage en 1848, fut complètement
supprimée toute différence entre les divers éléments de la population de l'île quant à l'application des lois de droit privé.
Les dispositions relatives à l'esclavage ont laissé néanmoins une curieuse surviva nce dans un texte encore actuellement
applicable; l'ordonnance du 5 juin 18 19 sur la pêche ; ce texte
qui est encore en vigueur (arrêt de la Cour d'appel de SaintDenis du 24 octobre 1957) fait une distinction quant aux pénalités, entre les personnes li bres et les esclaves qui c seront mis
à la chaîne pendant un an • (art. 25).
2 0 Le Code de Procédure Civile a été appliqué à la Réunion
le 20 juillet 1808, avec des modifications el additions, concernant
les délais de distance, notamment, qui sont toujours actuellement en vigueur, bien que ravion ait remplacé la marine à
voiles.
�168
3 ' L e C0 d e de Commerce fut promulgué par
. un . a rrêté du
·
·
G
'
'
ral
D
ECAEN
le
141·uillet
1909,
maiS
toulours avec
CapltalDe ene
des modifications.
4' Le Code Pénal ne devait être appliqué que bien plus tard,
par une loi du 22 décembre 1876, sauf les exceptions prévues par
ce texte.
V. - La loi du 24 av ril 1833 établit un régime spécial pour
les actuels départements d'outre-mer, qui étaient alors les plus
anciennes colonies.
Mais la règle de la spécialité législative su~sis te et la
législation intéressant ces quatre colomes prend ~eso rm alS. sa
source dans des actes législatifs et des actes reglementalres
métropolitains, et aussi dans les actes réglementaires locaux .
Le Sénatus Consulte du 3 mai 1854 a le même objet que
la loi du 24 avril 1833, mais la répartition des compétences y
est différente. Il n'est plus questIOn de Conseils Colomaux, les
sources de droit se trouvant seulement dans les actes législatifs
et des actes réglementaires métropolitains.
Le Sénatus Consulte énumère les matières réservées au
pouvoir législatif (droits politiques, état civil, distinction des
biens, etc ... ) et celles qui sont du domaine du règleme nt d'administration publique.
Ainsi, jusqu'à la Constitution de 1946, les lois métropolitaines, pour être applicables à la Réunion, devront faire
l'objet d' un décret les étendant à la Colonie.
De plus, ce décret devra être promulgué par un a rrêté du
gouverneur et n'entrera en vigueur qu'à la date de sa publicatIOn
au Journal Officiel de la Réunion.
L'on se trou ve toujours sous l'empire de la règle de la spécialité le 28 novem bre 1942, date à laquelle la R éunion va
passer sous la souveraineté du gouvernement présidé par le
Général DE GAULLE.
Une ordonnance fut prise par le chef de ce gouvernement, à
la date du 2 mars 1943, fixa nt les modalités du rétablissement
à la Réunion de la légalité républicaine.
Ce rétablissement fut opéré dans des conditions juridiques
différentes de celles appliquées dans la Métropole.
Dans la France Métropolitaine, les décisions du gouvernement de Vichy furent validées provisoirement par l'ordonnance
du 9 août 1944, à l'exception de celles expressément citées
par cette ordonnance ou les textes subséquents.
169
Dans les départements d'outre-mer, l'on procéda de la
façon inverse: tous les textes émanant du gouvernement de Vichy
furent annulés sauf ceux cités dans l'ordonnance portant établissement de la légalité républicaine.
VI. - La loi du 19 mars 1946, qui a fait de la Réunion
un département d'outre-mer, a apporté au régime législatif une
modification qui a pour objet non pas la règle de la spécialité
qui est maintenue, mais les modali tés d'application des lois qui
ne peuvent être étendues aux départements d'outre-mer que par
une loi.
Toutefoi s, pour les textes an térieurs à la loi du 19 mars
1946, une période transitoire était prévue pendant laquelle ces
textes pouvaient être appliqués aux départements d'outre-mer
par décrets.
Cette période, dont le terme ava it été fixé au 1er janvier
1947, fit l'objet de prorogations successives jusqu'au 3 1 mars
1948.
Ainsi la loi du 19 mars 1946, si eUe ne l'a pas instaurée,
a du moins préparé l'assimilation en invitant le gouvernement
à étendre par décrets pendant la période sus-visée les textes
jusqu'alors non applicables aux départements d'outre-mer.
VII. Conséquence de la départementalisation de la
Réunion, la règle de la spécialité législati ve va être abandonnée
par la Constitution de 1946.
L 'article 73 de cette consti tution lui substitue le principe
contraire: celui de l'assimilation législative, sauf les exceptions
prévues par la loi.
Ce principe va être mis en application à la date d'entrée
en vigueur de la constitution, c'est-à-dire le 24 décembre 1946.
La Constitution de 1958 maintiendra la règle de l'assimilation (a rticle 72).
Son article 73 disposera en outre que le régime législatif
des départements d'outre-mer peut faire l'objet de mesures
d'adaptation.
Mais il est évident que, sous la Constitution de 1946, une
telle adaptation était toujours possible puisque la proclamation
du principe de l'assimi lation était accompagnée de cette réserve:
sauf les exceptions prévues par la loi .
VIII. - Pendant une période de près de deu x siècles et à
pa rt la brève exception apportée par la C,onsti~tion de fructido;
An II, l'application du principe de la specialite aVait mstauré a
�170
17 1
la R éunion une législation qui, sous certains rapports, en
matière de droit privé, fut particulière à ce territoire.
Il convient de rappeler certaines des causes aujourd'hui
disparues, ou en voie de disparition, de ce particularisme avant
d'examiner la législation actuellement applica ble à la R éunion.
1° En effet, la situation particulière de la R éunion en
matière de législation résultait en partie d'une cause purement
fortuite, en ce sens que rien n'expliquait le défaut d'extension
d'une loi à ce territoire.
Seule la carence des autorités compétentes était à l'ori gine
de telles omissions.
Le cas le plus connu et qui illustre le mieux cette sorte
assez singulière de « particularisme . est la capacité de la femme
mariée à la R éunion.
n
n'y avai t évidemment aucune raison pour que cette
capacité fut différente de celle qu'elle avait en métropole .
C'est pourquoi la loi du 18 fév ri er 1938, qui proclamai t
le principe de la pleine capacité de la femme ma ri ée, fut étendue à la R éunion.
Mais la loi du 22 septembre 1942, qui fai sait produire à
ce principe tous ses effets, ne fut pas appliquée à ce terri toire.
Certes, un décret du 16 mars 1943 avait prévu cette application mais, à cette date, la R éunion se trouvait depuis le 28
novembre 1942 sous l'autorité du gouvernement présidé pa r le
Général DE GAU LLE, de sorte que ce décret ne fut pas promulgué
par le gouverneur de La R éunion.
Saisie de la questio n, la Cour d'Appel de Saint-Denis (28
juillet 1950, Gazette du Palais 1950, n, 330) ne pouvait que
constater que la loi du 22 septembre 1942 n'éta it pas applicable
à la R éunion .
L'on se trouvai t en face d'une situati on paradoxale.
La femme française domiciliée à la R éunio n avait une
capacité inférieure à celle qu'eUe aurait eue, non seulement en
Métropole mais même à l'étranger car, dans ce dernier cas, son
statut personnel serait, confo rm ément à l'article 2 du Code
civil, régi par sa loi nati onale et do nc par la loi du 22 septembre
1942, qui en fai t partie.
Il a fallu attend re vingt ans pour que cette situation, pourtant maintes fois signalée, prenne fin avec la loi du 3 1 juillet
1962 (D . 1962, L. 257) qui a étendu aux départements d'outremer le statut complet de la femme mari ée.
2° A côté des lois dont la non-application relève de la simple omission, il y a celles dont l'extension appelai t une adaptation aux condillo ns géographiques ou économiques locales.
Le pouvoir législati f avait mieux aimé s'abstenir d'une
application pourtant souhai table, que de faire l'effort d'un texte
d'adaptati on.
T el a été et est encore le cas de la législati on en matière de
baux à l'u sage d'habitation ou professionnel.
LA LÉGISLATION ACT UELLEMENT AP PLI CABLE
A LA RÉUN ION EN MATI È RE DE DROIT PRIVÉ
Le princi pe de l'assimilation résultant de l'a rticle 73 de
la Constitution de 1946, nc concerne que l'avenir, et, donc,
seulement des textes postérieurs au 24 décembre J 946, date
d'entrée en vigueur de cette Constitution.
Pour les tex tes antérieurs, ceux dont l'extension avait été
omise, doivent, comme précédemment, être rendus applicables
dans le département.
I. - E n ce qui concerne ces tex tes, le gouvernement avai t
été in vité par la loi du 19 mars 1946 à les étendre par décrets
pendant un e période prenant fin le 31 mars 1948 .
Dans ce délai, de nombreuses lois furent rendues applicables
à la Réunion.
Leur énu mératio n comp lète sortirait du cadre de cet ex-
posé.
Les principales dispositions ainsi étend ues au département
furent:
- la législation métropolitaine en matière pénale et de
procédure pénale en vigueur au moment de la promul gation de
la loi du J 9 ma rs 1946, à l'exception des dispositions législati ves ou réglementai res prises pour réprimer l'inobservation
d'une r glementa ti on ou législa tion non exécutoire dans ce département (décret n° 47-2375 du 24 décembre 1947);
- Une partie de la législatio n d u travail et de la maind'œuvre (décret n° 48-592 du 30 mars 1948);
- un e pa rtie de l'ord onnance du 4 octobre 1945 portant
o rga nisati o n de la Sécurité sociale (décret nO 48-603 du 30 mars
1948).
"
�1 2
173
Postérieurement au 31 mars 1948, d'autres textes, antérieurs à la Constitution de 1946, furent rendus applicables à
la Rénnion.
Ici encore, leur énumération serait trop longue.
L 'OD citera seulement:
- les textes sur la légitimation adoptive (étendus par la
loi du 31 octobre 1955) et la loi du 22 septembre 1942 sur la
capacité de la femme mariée, rendue applicable, on l'a vu, par
la loi du 31 juillet 1962.
n. - En ce qui concerne la législation posteneure à la
Constitution de 1946, le principe maintenu par la Constitution
de 1958, est celui de l'assimilation, sauf les exceptions prévues
par la Loi.
n
en résulte que les lois métropolitaines s'appliquent de
plein deoit à la R éunion, à moins que la loi elle-même n'en
décide autremenL
Mais ce régime d'assimilation comporte des limites.
on seulement, il n'agit que pour les lois nouvelles mais,
d'autre part, comme le déclare le Conseil d'Etat dans un avis
du 29 avril 1947 :
c les dispositions qui se bornent à modifier des textes législatifs ou réglementaires qui n'étaient pas précédemment en vigueur dans ces dépanements (d'outre-mer) ne sauraient, pas plus
que ces textes eux-mêmes, être regardées comme applicables ».
Un jugement du Tribunal de Fort-de-France du 6 mai 1951
avait cependant adopté une solution contraire estimant que
l'applicabilité ne saurait comporter aucune exception. si celle-ci
n'avait été stipulée par la loi elle-même, et décidaiL pour ce
motif, l'application des textes sur la légitimation adopti ve.
Ce jugement fut infirmé par un arrêt de la Cour de Fort-deFrance du 24 avril 1952 (recueil Pénant 1953 . 166, note de
Soto). La Cour de Cassation avait d'ailleurs déjà pris une position semblable à celle résultant de l'avis du Conseil d'Etat (Crim.
du 16 nov. 1950, D . 1951.469); cet arrêt n'admet pas qu'une
lOi nouvelle modifiant une loi non applicable dans un dépa rtement d'outre-mer ait pour effet d'étendre implicitement la loi
modifiée dans ledit dépanement.
Ainsi, le principe de l'assimilation législative comporte
les limites suivantes:
1° D'une pan, les exceptions prévues par la loi elle-même;
2° D'autre part, les lois modificatives d'une lélrislation
=-
antérieure qu i n'avait pas été rendue applicable à ces départements;
3° Enfin des dispositions spéciales peuvent concerner les
départements d'outre-mer: le législateur peut aussi, en attendant d'élaborer ces dispositions spéciales, décider que tel ou
tel texte général ne s'appliquera pas aux départements d'outremer (par exemple l'article 88 de la loi du 1" septembre 1948
sur les baux à usage d'habitation et professionnel qui déclare
ce texte non applicable, suppose l'intervention ultérieure d'une
législation spéciale qui n'a cependant pas encore vu le jour) .
Cette possibilité d'adaptation est d'ailleurs expressément
prévue par la Constitution de 1958.
JII. - En définitive, la règle de l'assimilation édictée par
l'article 73 de la Constitution de 1946 a été effectivement appliquée à la R éunion tant par la législation antérieure que par les
lois nouvelles, sous réserve des limites ci-dessus rappelées et
avec les adaptations nécessaires.
Il y a lieu d'énoncer maintenant les principaux cas où les
exceptions prév ues par les lois constitutionneUes ont été admises
et d'en indiquer les causes.
10 Tout d'abord, aucune cause d'origine ethnique, aucun
statut personnel n'est à la base des exceptions que nous aUons
rencontrer.
Si, à la Réunion, les circonstances historiques ont amené
la coexistence de races d'origines différentes, aucune distinction
fondée sur la race n'a jamais été opérée au point de vue des
droits tan t civils que poli tiq ues depuis l'abolition de l'esclavage.
2° Cependant, l'éloignement de la R éunion, la nature de
son climat et de son sol, et la Limitation de ses ressources naturelles créent une situation particulière dont il a été en divers cas
tenu compte et c'est en cela que consiste les exceptions dont il
va être maintenant question.
A . - L'on rencontre, en ce qui concerne le régime des eaux,
un e législati on particulière dont la raison tient à la géographie.
Etant donné son relief accidenté et le débit irrégulier d'un
grand nombre de ses cours d'eau, d'où résultent des difficultés
de répartition et d'usage rati onnels des eaux, une règle a été
instituée et traditionnellement retenue: ceUe qui rattache au
domaine public, de la colonie jadis et de l'Etat maintenant,
toutes les eaux courantes ou non-courantes du département.
�174
175
Ce principe a été maintenu par le décret n' 48-633 du 31
mars 1948 qui l'énonce de la façon sUIvante:
ux stagnantes ou courantes, tous les cours
c T ou tes 1eS ea ,
'fi . 1 f
.
bl
flottables
ou non ' naturels ou artl cIe s, ont
d'eau naviga es,
partie du domaine public de l'Etat. •
Cependant, celui-ci peut concéder certains droits aux propriétaires riverains.
B. - En matière de Sécurité Sociale, la R éunion est soumise également à des dispositions particulières.
Tout d'abord, il n'existe qu'un régime unique pour les
professions agricoles ou non agricoles.
D'autre part, le régime des allocations famil iales, tel ~u'il
résulte de la loi du 22 août 1946, n'est pas appli,cable a la
Réunion où il existe un régime spécial résultant du decret du 22
décembre 1938 modifié par un décret du 7 février 1958.
Il est évidemment impossible de transporter purement et
simplement les dispositions en vigueur dans la Métropole dans
un département à très forte natalité où l'accroi ssement de la
population pose un grave problème.
C. - S'agissant des baux à usage d'habitation et professionnel, la loi du 1" septembre 1948 n'est pas applicable en
vertu de son texte même (art. 88).
L'on se trouve donc, du moins pour les constructions an-
Une ordonnance du 5 septembre 1945 a édicté une réglementation spéciale à la Réunion, s'inspirant des circonstances
d'ordre économique et social de ce département.
Une loi du 2 août 1961 a ajouté au titre 1" du livre VI
du Code Rural un chapitre V intitulé: des dispositions relatives dans les départements d'outre-mer au colonat partiaire ou
métayage (art. 870- 1 à 870- 18).
Un décret d'application est intervenu le 17 avril 1965.
Ces textes, tout en rapprochant la législation applicable à
la Réunion de celle en vigueur en Métropole (droit de préemption du preneur par exemple), a ma intenu certaines de ses parti-
cularités (attribution au bailleur de la direction générale de
l'exploitation, notamment).
CONCLUSION
En définiti ve, le droit privé à La Réunion tend de plus en
plus à s'assimiler complètement au droit métropolitain, comme
il est normal dans un territoire ayant le statut d'un département.
L'absence, sur son sol, d'un peuplement antérieur à la
prise de possession par la France et sa longue appartenance à
la com mu na uté française expliquent le caractère restreint de son
ciennes, sous l'empire de la législation antérieure au 1er septem-
particulari sme jurid ique.
bre 1948.
Si certaines circonstances géographiques, économ iqu es et
sociales imposaient dans des domaines bien déterminés, une
Cette situation , manifestement provisoire, comporta it des
inconvénients que l'importance des constructions nouvelles a
considérablement atténués, sauf en ce qui concerne les logements
misérables, du genre « bidonville » qui sont l'occasion d'abus et
qui, en attendant leur disparition, appellent une réglementatIOn
de la compétence du législateur (1).
Par contre, en matière de baux commerciaux, la législation
métropolitaine est applicable intégralement, même lorsque, dans
certains cas, les indices de référence son ceux du coût de la
vie dans la Métropole.
D. - Le métayage ou bail à colonat partiaire a été depui s
longtemps le mode le plus employé d'exploitation rurale.
(1) L'intervention du législateur s'est produite postérieure ment à cet
exposé : une loi du 30 novembre t 965 prévoit la fixation par arrêté
préfectoral des loyers des locaux insalubres à usage d'habit ation dans
les départements d'Outre-Mer (l.C.P., 1965, 31.557).
adaptation à ce département de la législation de droit privé,
rien ne s'opposait et tout appelait au contraire l'assimilation législative de la Réunion à la Métropole dans tous les autres cas.
La départementalisation de la Réunion sur le plan législatif a été le point de départ d'une évolution dont les bienfaits, notamment en ce qui concerne les lois sociales, ne peuvent
échapper à tout observateur objectif.
�PROBLÈMES DE CRIMINOLOGIE
ET DE DROIT PÉNAL A LA RÉUNION
par
Jacques GRANIER
Juge d'Instruction
Les problèmes que peuvent poser dans le département de
la R éunion la criminalité et l'application du droit pénal ne
paraissent pas, à première vue, mériter une étude particulière ni
détaillée.
En effet, si l'on consulte le Compte Général de l'Admini stration de la Justice Criminelle pour l'année 1962, la plu s
récente des statistiques officielles parues à ce jour, on est amené
à remarquer que le nombre des condamnations pour crimes ou
délits prononcées à la R éunion en 1962, soit 1 620, ne représente que 0,74 % du total des condamnations pour les mêmes
faits en France métropolitaine et à la Réunion. Ce pourcentage,
rapproché de l'importance relative de la population réunionnaise
au cours de la même année 1962, 0,76 %, tendrait à indiquer
que la crimina lité loca le ne présente pas de caractères la différenciant d'une manière appréciable du même phénomène sur
le reste du territoire national.
D'autre part, à la suite de la départementalisation de 1946,
les institutions judiciai res de la Réun ion ont été progressivement ramenées au système métropolitain. En 1962, aucune
juridiction pénale de la Cour d'Appel de Saint-Denis ne se
distingue par un trait quelconque d'une autre juridiction française du même type. Les problèmes rencontrés à la Réunion
pour l'application du droit pénal s'identifient donc - en principe - à ceux rencontrés ailleurs.
Mais il convient d'abandonner cette méthode globale d'approche pour se faire une idée plus exacte - et bien différente de la réalité. Tout d'abord, l'analyse de la place occupée par les
diverses infractions dans l'ensemble de la criminalité réunionnaise
révèle la physionomie origi nale de celle-ci. Ensuite, malgré
�178
179
l'identité des structures jud iciaires, les éléments géographiques,
économiques et ethniques propres au dépa rtement font que
l'application du droit pénal y est tantôt facilitée, tantôt rendue
plus difficile.
à une seule année, ne doivent do nc être acceptés qu'avec circonspectio n. Nous admettrons toutefois, à titre d'indica tion d'une
tendance générale et parce qu'il est assez voisin du résultat
atteint pour les blessures volontai res, que le pourcentage des
•
••
homicides volontaires ayant fait l'objet d'une condamnation à
S'il est bien exact que sous son aspect quantitatif d'ensemble
la criminali té légale se situe à La Réunion à peu près au même
la Réunion en 1962 ( 1) est de 5,5 % par rapport à l'ensemble des mêmes causes (dont 207 ont été sanctionnées pa r les
Cours d'Assises métropolitaines).
on constate l'importance numérique considérable des infractions
Toujours en 1962, la Cour d'Assises de Saint-Denis a
prononcé 13 condam nation s pour coups mortels et autres blessures qualifiées crimes. Comme dans le même temps les Cours
d'A ssises métropolitain es ont réprimé des faits identiques par
93 condamnations, la pa rt pri se par la Réuruon dans cette
catégori e d'infractions atteint 12 % . N ou s n'accorderons à ce
contre les personnes, qui est révélatrice des caractéri stiques
générales de cette criminalité (1) .
refl ète qu'avec une cert aine exagération, que nous tenterons
Pour l'année 1962, les homicides et les blessures volontaires au nombre de 542 ont représenté 33,4 % des infractions
d'ex pliquer plus loin, une caractéristique de la criminalité
réunio nnaise évidente, mais que nous ne pouvons dégager ici
avec plus de rigueur statistique.
niveau qu'en métropole, il n'en reste pas moins qu'il ne s'agit là
que d'une ressemblance ex térieure, peut-être fortuite, peut-être
due à l'identité, ici et là, des moyens répressifs. Quelle qu'en
soit la raison profonde, cette ressemblance dispa raît dès que,
recherchant la direction prise par la criminalité à La R éunion,
sanctionnées à la Réunion . En France métropolitaine, avec
Il 425 condamnations, l'importance relative des infractions de
cette nature n'atteint que 5,4 % .
Essayant désormai s d'apprécier la part prise par la criminalité réunionnaise dans l'ensemble de la criminalité française,
on est amené aux constatations sui vantes.
pourcentage ex trême qu'une va leur relati ve esti mant qu'il ne
Au prix cependant d'une certaine libe rté enve rs la stri cte
mé thod e, il n'est pas impossible et il n'est surtout pas
dépourvu d'intérêt -
d'ap proc her de plus près la réalité. Pour
éliminer les va ri ati o ns annuelles réunionnaises on peut en effet
comparer le chiffre moyen des « crimes de sang :t (c'est-à-dire
En 1962, 517 condamnations pour délit de blessures volontaires ont été prononcées à la Réuruon. Au cours de la même
année la totalité des Tribunaux Correctionnels de la Métropole
a sanctionné de ce chef Il 425 délinquants. Ainsi, dans l'ensem-
des homicides volontaires et des coups mortels) sanctionnés à
la Réunion pendant la période 1960- 1964 (a u milieu de
laqueLle se trouve 1962) à l'ensemble des condamnations pour
les mêmes faits prononcées par les Cours d'A ssises métropolitai nes en 1962 et dont le total reste relativement constan t
ble des infractions de cette nature, La Réunion intervient pour
d'une année à l'aut re. La moyenne réunionnaise se fixe à 18.
4,3 % (alors que, rappelons-en la criminalité réunionnaise ne
représente que 0,74 % de la criminalité totale M étropoleRéunion). Ce pourcentage peut être accepté sans réserve. Bien
qu'établi sur les données d'une seule année, il repose sur des
fa its délictueux dont la fréquence est telle que leur nombre
Le total métropolitain s'éleva nt à 300, la part de la Réun ion
atteint 5,6 % . En rapportant, d'autre part, ces chiffres de 18 et
300 respecti vement à la population réunionnaise et à la populatio n frança ise on consta te qu'il est comm is un c rime de sang
total , à la Réunion comme en métropole, ne varie que dans
d'étroites limites d'une année à l'autre.
pour 20 000 habitants à la Réunion et un pour 150000 habitants en métropole. Ce qu i revient à di re que les crimes de
sang sont proportionnellement 7 à 8 foi s plus nombreux à
~n mati ère d'homicides volontaires (m eurtre, assassinat,
: mpOl sonnernent, parricide) par contre, les chjffres étant moins
pris les grosses agglomérati ons urbai nes.
elevés une faible va riation de valeur absolue est susceptible
d'affecter considérablement les proportions telles que nou s les
calculons ici . Les résultats, tirés de données statistiques limitées
(1 ) Vo ir tableau statistique et annexe.
la R éunion qu'en F rance, sur l'ensem ble du terri toire y comIl est inutile de com menter l'im portance de cette constatation qui reste extrêmement gra ve même si elle doit être
( 1) Voir tablea u statistique en annexe.
�180
181
corrigée, comme nous le dirons tout à l'heure, pour tenir compte
du fait que le nombre d'infractions impunies est plus faible
à la Réunion qu'en France.
•••
Plus nettement dirigée contre les personnes, la criminalité
réunionnaise manifeste , par là, son caractère fruste et primitif
qui s'accuse encore au cours d'un examen, non plus quantitatif,
mais qualitatif, aussi bien des crim es eux-mêmes que de leurs
auteurs.
Si chaque crime de sang, si chaque attentat contre la
personne présente, bien entendu, un caractère particulier tous
politaine. Quand on en rencontre, les escroqueries sont rudimentaires et les abus de confiance grossiers. Les unes et les
autres sont plus le produit d'une tentation à laquelle l'auteur n'a
pas su résister que le résultat de l'exécution d'un plan habilement dressé. Le vol de son côté, même chez les récidivistes,
porte le plus souvent sur des récoltes, des produits de bassecour ou des objets de faible valeur. Il est commis à la faveur de
l'occasion ou d'une négligence du propriétaire et non après une
préparation plus ou moins minutieuse. Lorsque cependant un
cambriolage a procuré des objets présentant un certain caractère technique (apparei ls photographiques, électrophones, magnétophones, appareils ménagers), l'auteur du vol les abandonne
ou les détruit sans avoir cherché à les utiliser pour lui-même
ou à les revendre. Seuls sont conservés - avec les espèces
bien entendu - les postes de radio à transistors qui sont aujourd'hui répandus dans l'ensemble de la population.
ces actes ou presque se ressemblent en ce qu'ils sont commis
par des auteurs à réactivité primitive, suivant la terminologie
de E. SEELIG. Des « réactions explosives> sont plu s ou moin s
clairement invoquées à l'origine de la plupart de ces crimes qu i,
Le petit nombre relatif des crimes ou des délits contre les
mœurs sanctionnés à la Réunion semble apporter une contra-
d'ailleurs, surviennent en effet d'une façon brutale et inopin ée,
diction aux constatations qui précèdent. 11 n'en est rien cepen-
certains pour les raisons les plus futiles en apparence, tout au
dant, car, avec la grande liberté sexuelle qui est admise par la
majorité de la population de l'île, beaucoup de faits qualifiés
crimes ou délits par la loi (attentat à la pudeur sans violence
sur mineur de quin ze ans, par exemple) ne sont ressentis comme
moins aux yeux de celui qui n'est pas informé de l'extrême sus-
ceptibilité courante dans l'ile. L'acte criminel lui-même est
exécuté d'une manière particulièrement fruste avec l'instrum ent
qui se trouve à portée de la main : sarbacanes, couteau ou
cailloux et sans que soit apparemment mesuré le résultat qu' il
peut produire. Commi s dans de telles conditions, et presque
toujours sous l'influence d'un état alcoolique, ces crimes sero nt
tels ni par leur auteur, ni même par la victime ou sa famille
et échappent ainsi à toute répression . Les attentats aux mœurs
pour lesquels des plai ntes sont déposées et des poursuites engagées restent, quand il s ne sont pas le fait de malades, des actes
à juste tit re considérés comme dépourvus de toute préméditation.
Tl convient cependant de noter qu' il est extrêmement fréquent
impulsifs, accomplis sans considération de J'avenir proche ou
que la victime et l'auteur se connaissent de longue date, s'ils
La physionomie moyenne du délinquant réunionnais se
dégage pour ainsi dire d'elle-même de ce que nous venons de
dire. Issu en général des classes les plus déshéritées de la
société, il n'a que très peu fréquenté l'école et est souvent
totalement illettré. Il ne possède aucun métier et gagne sa vie
ne se trouvent pas dans des liens étroits et souvent multiples
de parenté ou d'alliance. Il n'est pas possible, devant la pauvreté des ex plications généralement fo urnies par le criminel
sur lui-même, de déterminer si cette coïncidence de la pare nté
et du crime procède de la constitution des collecti vités humaines
de la Réunion, forcément limitées et repliées sur elles-mêmes,
ou d'autres raisons qui retireraient alors en partie à la crimi-
nalité locale son caractère général de primitivité.
Quant aux infracti ons contre les biens, il n'est pas étonnant
de constater que les formes rusées et intellectuelles de ces
infractions (escroquerie, abus de confiance) sont sensiblement
moins représentées que le vol, fo rme violente et musculaire.
En 1962, la proportion des premières sur l'ensemble d'entre elles
est de 9,2 % à la Réunion, mais atteint 14 % en France métro-
éloigné.
comme ouvrier agricole sa isonnier. Son hori zon est limité, non
pas à l'île, mai s à son vi ll age ou à son quartier. Il tue sous le
coup de la colère ou vole pour manger, dit-il, et ne manifeste
pratiquement auc un regret d'avoir comm is l'acte qui lui est
reproché. Interrogé sur les raisons profondes qui l'ont conduit
à agir, il ne pe ut ou ne veu t donner aucun autre renseignement,
si ce n'est qu'il se trou va it sous l'inHuence de l'alcool. II ne
s'explique pas davantage sur la façon dont il conçoit son avenir
une foi s sa peine purgée et se résigne faci lement d'ailleurs à la
perspective de faire l'objet d'une sanction.
�182
183
•••
En face d'un pareil criminel et d'une pa reille criminalité,
les organes juridictionnels réunionnais , sont s oumi s à. l'application du même droit qu'en France metropolttalOe et dI sposent
- en principe - des mêmes procédés d'action. On pourrait
cra indre que ces organes, conçus pour fon ctIOnner dan s un
autre contexte ne soient inadaptés à leur tâche. Tel n'est pas
le cas : les principes juridiques peuvent a isément et sans
inconvénient être transportés d'E urope sous les Tropiques et
ce n'est que dans la façon de les mettre en œuvre qu'une certaine adaptation est nécessaire.
Quelles que soient ses conceptions morales personnelles, et
même dans Je cas, assez fréquent au demeurant, où elles concordent avec le droit posi tif, le juge ne peut ignorer le milieu dans
lequel il rend ses sentences. Nous avons fait allusion, il y a un
instant, aux attentats à la pudeur sans violence sur la personne
d'un mineur de quinze ans. En généra l, disions-nous, non seulement la victime, le plus souvent une fillette, ne trou ve rien de
répréhensible à l'acte auquel elle a d'ailleurs consenti, mais ses
parents eux-mêmes, informés des faits, ne porten t plainte, dans
les cas où ils le font, que pour tenter de contraindre l'amant au
mariage. Certains ne saisiront la justice qu 'après plusieurs mois
d'un concubinage qu'ils auront toléré sinon provoq ué, s'étant,
dans ce derni er cas, rendus compli ces de ce dont ils se plai gnent.
Devant un tel état d'esprit, il est difficile aux autorités cha rgées
de la poursuite de donner à ceux des faits dont elles sont saisies,
leur pleine qualification pénale. Les peines encourues (5 à t 0
ans de réclusion crim inelle) étant disproportionnées aux yeux
des parties en cause avec la gravité de l'acte, les correctionnalisations sont nécessai rement nombreuses. Et c'est ainsi qu'un
grand nombre de ces attentats, qui relèvent de l'appli cation de
l'article 331 du Code Pénal, ne sont retenus que sous la qualification correctionnelle de violences à mineur prévue par l'article 312, al. 6 du Code Pénal.
Il en va de même, bien que dans une moindre mesure, pour
les attentats contre l'intégrité des personnes. Le grand nombre
de poursuites du chef de coups et blessures mortels déjà signalé
tient très évidemm ent à l'importance de cette forme locale de
criminalité mai s aussi à l'extrême facilité avec laquel1e sont
admises les déclarations des prévenu s prétendant ne pas avoir
eu l'intention de tuer leur adversaire, mais seulement de la
blesser, alors qu'ils n'ont pas hésité à se servir d'une arme
contre lui . Certes, cette tendance à accepter la qualification la
moins grave en la matière peut être ex pliquée par les caractères
de la criminalité locale qui , nous l'avons vu, est spontanée,
brutale, explosive. Mais il n'en reste pas moins qu'elle a pour
effet d'éviter à l'auteur le risque d'une peine perpétuelle et de
ne le rendre passible que d'une peine de réclusion à temps.
Il y a lieu de souligner ici que ces disquali fications ou ces
correctionnalisations semblent cependant moins procéder d'une
interprétation de la psychologie des criminels que d'une anticipation sur les réaction s des jurys dont très souvent la clémence
a été exception nelle. Il n'appartient à personne de rechercher
les motifs profonds d'une décision de justice souveraine et collective, mais il est permis de souligner que dans une île de
petite superficie, où les relations sont nombreuses par la force
des choses, la peine a un caractère exemplai re beaucoup
moins abstrait que dans d'autres collectivités plus ouvertes.
L'évaluation même approximative de l'influence que pourrait
avoir sur le taux de la criminalité un renforcement de la répression ne doit bien entendu pa s être tentée. On ne peut cependant
se défendre de penser que l'application de peines plus fermes
serait de nature à réduire la trop grande proportion de crimes
commis à la Réunion contre la personne humaine.
En dehors de ces difficultés d'ordre essentiellement psychologique, l'application du droit pénal à la Réunion rencontre
d'autres obstacles dont nous ne citerons que les principaux.
On sait que le Code de Procédure Pénale de t 958 a prescrit, dans son article 8 1, la constitution de ce qui est appe
le dossier de personnalité de l'inculpé. Ce dossier comprend les
résultats d'une enquête effectuée précisément sur la personnalité de l'inculpé, des renseignements sur sa situation matérielle,
familiale ou sociale et éventuellement les résultats d'un examen
médical ou médico-psychologique. Il a pour objet, non de
réunir des preuves de culpabilité, mais de fou rnir au juge des
éléments d'appréciation sur le mode de vie passé et présent de
l'inculpé afi n de lui permettre de prononcer une peine adaptée
non seulement à l'infraction, mais encore et surtout au condamné,
et par là même de préparer sa réadaptation. Ce dossier est
d'ailleurs utilisé et complété durant l'exécution de la peine pour
déterminer les modalités du traitement pénitentiaire indi vidu el.
Ces di spositions, obligatoires en matière de crime et facultatives
en matière de délit, ont été incluses dans notre droit sous
l'influence des doctrines modernes de défense sociale et constituent un progrès unanimement reconnu .
Il est donc particulièrement regrettable qu'à la Réunion
faute de moyens, principalement en personnel (assistantes sociales,
psychologues) les dossiers de personnalités ne soient qu'embryon-
�184
naires en matière de délit et restent incomplets en matière de
crime. Des renseignements, concernant l'inculpé lui-même - en
dehors de toute relation avec les fait s qui lui sont reprochés sont réunis par différents procédés, mais quelle que soit souvent
la valeur de ces renseignements, ils ne sont pas coordonnés en
un tout comme le souh aite le législateur. Les magistrats appelés
à se prononcer sur la peine d'abord et ensuite sur les modalités
d'exécution de cette peine doivent donc substituer leur intuition
aux donn ées scientifiques que pourraient leur fournir des auxiliaires qui leur font défaut.
De même la justice et l'administration dans son ensemble
ne sont pas aussi bien éq uipées qu'en M étropole pour lutter
contre l'alcoolisme. Sans rechercher ici à déterminer si ce fl éau
social est plus grave qu'en France, il faut noter que la consommation de l'alcool à la R éunion offre certaines particularités.
Les cas d'ivresse constatés - surtout ceux qui sont en relation
avec la commission d'un délit ou d'un crime - atteignent principalement des individus qui, une foi s par semaine, le samedi
ou le dimanche, boivent plus que de raison, observant un e
relative sobriété les jours de travail. L'i ngestion excessive mais
occasionnelle d'alcool libère ces réactions explosives que nous
avons déjà rencontrées et, par là, cette forme d'alcoolisme semble peut-être plus dangereuse, sur le plan pénal, qu'une imprégnation continuellement entretenue. La tendance criminogène
est accentuée par le fait que la seule di straction dans de nombreuses agglomérations du département consiste à se retrouver
à la « boutique > pour y boire. La conjoncti on de deux ivresses
identiques suffit trop souvent à provoquer une ri xe aux conséquences imprévisibles.
De plus, la réprobation sociale qui s'attache ailleurs à
l'ivresse semble, sinon inconnue à la Réunion, du moins teintée
d'une nuance d'amusement ou même de compréhension. Les poursuites correctionnelles pour ivresse en récidi ve qui étaient rares
en 1962 (7 à la R éunion contre 2 251 en France) sont en
augmentation sensi ble sans constituer po ur autant le vrai remède.
Le buveur ne perd pas son travail pour s'y être rendu ivre plusieurs foi s. Il ne trouvera de frein à son vice qu'au sein de sa
famille dans la mesure où celle-ci en souffrira, soit par suite
de violences, soit par suite de ses dépenses excessives; mai s
dans ce dernier cas, le palier est difficile à atteindre en raison
des faibles prix pratiqués localement pour le rhum .
Pour l'ensemble de ces raisons on ne peut que déplorer
l'inapplicabilité à la Réunion du décret du Il mai 1955, repris
dans le Code de la Santé Publique sous les articles L 355- 1 à
185
L 355-13. Ce, texte; permettant à l'autorité sarntalre de placer
so~s un controle m~ca~ et SOCial les alcooliques dangereux, et
meme, SI ce controle s avère insuffisant, de les faire interner
par décision judiciaire dans des établissements spécialisés, pourraIt trouver de JudICIeuses applications dans le département.
•••
En revanche, d'autres particularités locales viennent heureusement encourager dans leurs efforts ceux qui luttent contre
la criminalité.
La transformation profonde que subit la R éunion depuis
la départementalisation se manifeste de di verses manières dont
la plus évidente est sans doute une activité intense dans le domaine
de la construction immobilière. La politique suivie dans ce
domaine se propose certes plusieurs fins. Elle a cependant un
effet direct, certain encore que non mesurable, sur le taux de la
criminalité. En offrant des emplois stables et correctement
rémunérés, elle limite les possi bilités de recrutement de la
délinquance. Elle a également pour résultat d'amener la disparition de certains facteurs criminogènes. La lutte contre les
bidonvilles tend à éli miner une promiscuité, source de disputes
et de rixes. Le relogement corrélatif dans des immeubles modernes, agréa bles et confortables, apportera, on peut le souh aiter,
une contribution efficace à la lutte cont re l'alcoolisme en retenant
les hommes chez eux et en renforçant la cohésion familiale.
L'édi fication d'écoles et de terrains de sport, permettant un e
large diffusion de l'instruction sous toutes ses formes, ne peut
avoir que des résultats très favorables . Et tout ceci d'autant
plus que le bond en avant accompli par la Réunion ne s'est
accompagné que dans une moindre mesure, par rapport à d'autres
pays en cours de développement, de la création d'une catégorie sociale de ruraux précipitamment urbanisés qui se sentent
déclassés et sont par là plus aptes à la délinquance.
Dans un o rdre d'idées voisin , la télévision récemment introduite dans l'île, les efforts faits pour corriger les habitudes
alimentaires, l'industrialisation en cours, la création de di vers
organes chargés de formation professio nnelle ou de promotion
sociale, en améliorant la condition physique et intellectuelle
de la populati on, en augmentant ses besoins économiques et en
lui procurant les revenus lui permettant de les satisfaire, agiront
efficacement contre la criminal ité.
On doit cependan t s'attendre dès lors à voir se vérifier la
loi d'évolution dégagée par E . FERRI et sui vant laquelle le
�186
187
développement de l'économie entraîne la transformation progressive de la criminalité, des formes violentes et musculaires
que nous connaissons actu ellement à la R éunio n, vers les fo rmes
rusées et intellectuelles qui y sont encore assez ra res. Certains
indices peuvent donner à penser que la délinquance réunionnaise
s'est déjà engagée dans cette nouvelle direction. M ais quelle que
soit son orientation future, il fa ut constater qu'actu ellement elle
n'offre pratiquement aucun exempl e de certains crim es et qu'il
ne semble pas que ces mêmes crim es pui ssent être comm is
dans un avenir à la portée de nos prévisions. Il ne s'agit pas
seulement des form es qui ne peuvent apparaître qu'avec un
haut degré de technicité (fausse monnaie) ou une concentra tion
urbaine très dense (attaque à mai n armée). Il est certains actes
qui paraissent étrangers à la mentalité locale : le meurtre pour
voler semble être l'un d'eux. No us avo ns souligné la pauvreté
habituelle du buti n des voleurs. Si l'excuse alléguée pa r ceux-ci
est en général la faim , il ne faut voir dans ces d écla rations
qu'une tentati ve en vue d'apitoyer le juge et non l'expression de
la réalité. Les conditions de vie à la Réunion ne prennent en
fa it que rarement un aspect tel qu'elles entraînent de façon irrésistible au délit utilitai re. Ceux que leur fa iblesse morale n'écarte
pas de l'infraction s'y livrent, plus entraînés pa r la facilité que
poussés par la nécessité et abandonnent leur p rojet dès qu' une
difficulté surgit, sans recourir au meurtre.
De même, bien que de nom breux vols soient commis par
plusieurs auteurs en réunion, l'ex istence de bandes o rganisées
est exceptionnelle. Les actes délictueux sont acco mplis individuellement ou après une rencontre fort uite et sans l endemai n
et ainsi ne présentent qu' un moind re danger pour la paix publique.
Enfin, l'application du droit pénal est encore facilité pa r
le caractère insulaire d u département qui y rend l'activité des
services de police judiciaire infin iment plus efficace qu'en F ra nce.
Les recherches d'indi vid us soupçonnés, de prisonn iers évadés, ne
restent jamais infructueuses longtemps. De plus, alors que d'une
façon générale on admet que sur 100 affai res dont sont saisies les
différentes polices en Métropole, 50 à 60 sont dites réussies
(c'est-à-dire qu 'elles ont abouti à l'identification de l'auteur), le
pourcentage réunionnais est beaucoup plus élevé. Pour 1962,
sui va nt les éléments fourni s pa r la Sûreté Nationale et la Gendarmerie au Ministère de l'Intérieur, il dépasse 80 %. Mais il
s'agit là de toutes les affaires traitées dont certai nes n'ont, à
la Réunion comme en France, qu'un lointain rappo rt avec ]a
criminologie telle qu'elle nous intéresse. Si l'on ne considè re que
les homicides et les coups volontaires, le taux exceptionnel de
99 % est att~int. Pour ~e qui est des infractions contre les biens,
.
63 % des dehts déclares ont pu être sanctionnés ce
.
é
'
qw constitue un r sultat extrêmement remarquable dans cette catég .
de r~cherches où la découverte des auteurs est toujours ~~~
difficile.
,
L~ criminalié léga le qui ressort des statistiques judiciaires
a la ~U1te des condan~na.tio~\ se rapp roche donc, à ]a Réunion,
de tres près de la cn';'JOallte apparente qui est constituée par
les mfractlOns por~ées a, la, connaissance des services de répresSlOn. Cette dermere, a 1 exception de certaines affaires de
m~urs, tend à s'identifier à la criminali té réelle. TI convient
éVidemment de ne pas perdre de vue cet élément d'appréciation
quand on compare quantita ti vement la criminalité réunionnaise
à la criminalité fra nçaise. S'il est diffi cile de déterminer avec
exactitude les. coeffi cients qui devraient être appliqués aux
doru:ées statistiques concernant la crimi nalité légale, de part
et d autre, pour comparer utIlement les criminalités apparentes
entre elles, il est impossi ble de penser à comparer les criminalités réelles.
•••
,. La Réunion se présente, en fin de compte, comme une
venflcatlOn presque expérimentale des données de cette science
de form~tion relativement récente qu'est la criminologie. Les
constatations que nous avons faites sont tellement en accord
avec les lo is progressivement mi ses en évid ence, pourta nt en
d'autres temps et sous d'a utres cieux, qu'il semble possible de
déduire les caractéristiques de la criminalité réunionnaise d'une
analyse du peuplement de l'Île et de ses conditions de vie.
Mais la première et la pl us grande découverte de la criminologie n'en reste pas moins ce qui est ma intenant devenu
une évidence: pour combattre la crimi nali té, il faut d'abord en
rechercher les causes et la nature. Atti tude qui implique d'autre
pa rt, en face du délinquan t la volon té d'avoir recours à la peine,
nOn comme seul remède au délit, mais éga lement comme moyen
de parvenir au reclassement et à l'amendement du condam né.
Si une partie de l'effort dans ce sens incombe au législateur,
qui s'est d'ailleurs déjà engagé dans cette voie, les possibilités
d'action préventi ve restent d'autant plus largement ouvertes à
la Réunion que la criminalité n'y semble nullement irréductible
puisqu'elle procède principalement de réactions violentes mais
passagères pour les crimes de sang ou, pour les délits contre les
biens, d'un manque d'éducation plus que d'une absence de
moralité.
13
�188
TABLEAU
STATISTIQUE
RÉUNION
FRANCE
. . ... . . ......... . .
364294
47520000
Crimes . . ... . . . ... . .. . .. . .. .
Délits ... .. . . ... . . . . .. . .. . . .
29
1 591
1038
214918
Total .. . . . . . . . .
1 620
21595 6
Coups et blessures volontaires . .
Coups et blessures mortels .. ....
Homicides volontaires . . .. .. ...
517
13
12
Il 425
93
207
... . .. .. .. .
542
Il 725
..
2
9
324
4408
...... . ....
Il
4732
Vols quali.fiés . ... ... . . ... .. ..
Incendies volontaires .. .. . .. ...
Vols
Recel ..... ..... . . .. .. .. . . ..
Escroquerie ......... .. .. . ...
Abus de confiance . . . . . . . . . . .
1
1
287
17
17
14
28 1
57
4208 1
3263
2 177
4 72 1
... .. ... . . .
337
52 580
1 9 6 2
Population
.
Total
Viols 0' • • • • • • • • • • • • • • •• •• •
Outrages publics à la pudeur ..
Total
o
••
••••••••••
••
•••
• •
•••••
.
Total
LA RÉPRESSION DES DÉLITS
CONTRE LA FAMILLE A LA RÉUNION
Marcel BONNARDEAU
Juge au Tribunal de Grande Instance
de Saint-Denis de la Réunion
En tant qu'institution sociale, la famille a toujours été
protégée pa r le législateur. Pour assurer cette protection, celui-ci
est intervenu dans les domaines les plus di vers : qu'il s'agisse
du droit de la fili ation, du mariage ou du di vorce qui constitue
le statut de la famill e et détermine les devoirs et responsabilités
des conjoints entre eux, des parents envers leurs enfants, etc.,
ou de l'organisation, par l'ordonnance du 23 décembre 195 8
et du décret du 7 janvier 1959, de la protection sociale, judiciaire ou civile de l'enfance, ou des textes relatifs à la réglementation de la vente des alcools, de la radio, de la presse, du
cinéma, de l'hygiène, etc., ou enfin de la législation sur la
Sécurité Sociale ou les Allocations Familiales.
Mais pour importante et abondante qu'eUe soit, cette législation famili a le et sociale ne peut à eUe seule protéger efficacement la famille. En ce domai ne comme dans d'autres, le droit
pénal doit apporter le secours de ses peines aux lois civiles
lorsque les sanctions particulières de ces lois sont ou paraissent
insuffisantes. Toutefois, la loi pénale qui ne saurait prétendre
à la réforme sociale ou morale de l'individu ou de la société
ne sanctionne que les atteintes les plus graves ou considérées
comme telles contre la famille.
A cet égard, deux catégori es de délits peuvent être distinguées dans notre droit: d'une pa rt, ceux qui protègent la structure de la fa mille, ce sont les déli ts de bigamie, d'adultère et
d'inceste ; d'autre part, ceux qui sanctionnent la méconnaissance
de certains devoirs ou responsabilités d'ordre familial et figurent
dans notre code pénal sous la rubrique: « abandon de fa mille •.
�190
191
Certains crimes ou délits qui affectent dans une certaine
mesure 1a fami·Ue D'entrent pas - il est vrai - dans
) .. cette clas·fi ·
ti sant · l'attentat à la pudeur, 1enlevement de
SI catIOn, e s .
~
hl'· f .. d
.
l' citation de mineurs à la debauc e, m aDlicl e ou
mmeurs, ex
. d ' 1·
. f
.
e It,
l,avo rt effieD t . Ma·ls, réserve faite de ce dernier
,
. ces m raclions
entiellement atteinte à la sante physique ou morale
par teD t ess
dl. "
' la vie des enfants ou adolescents ont es IDterets
•
ou meme a
f·U
.d ' ,
ne doivent pas être confondus avec, ceux de la amI e CO~SI eree
comme institution sociale, c'est-à-dire comme structure d ensemble ou un tout. Quant à l'avortement, il se commet .souvent en
de la
d eh ors de la famille , et, à une époque où la politique
"
'1
'
famille planifiée est particulièrement eDcoura~ee, 1 appara lt
même à certains comme un moyen de donner a la famille une
stabilité socio-économique qui lui fait défaut.
De toute évidence, ce sont les familles instables, et par
suite, déficientes qui ont besoin essentiellement d :être protégées.
Aussi le rôle du juge répressif - comme celUI du Juge CIVil
ou d~ juge des enfants - devra être d'autant plus important
que les structures familiales sont mOIDS solides. Or, la fam~lI:
n'étant pas une entité isolée, mais fai sant partIe de la SOCiete,
ses structures dépendent pour une large part de facteurs SOCIOéconomiques, culturels et politiques qui va rient selon les époques,
mais aussi suivant les région s.
Dans un département comme l'île de la Réunion, situé à
plu s de di x mille kilomètres de la France, et où les con?itions
de vie, pour la plupart des familles, sont totalement dlfferentes
de ceUes de la Métropole, la protection de la fam ille, sous toutes
ses formes et parmi ceUes-ci, la protection pénale, ne peut que
présenter un certain particularisme.
•••
Après avoir constaté que la famille réunionnaise, trop instable, n'est pas suffisamment protégée par la loi pénale (A),
nous nous efforcerons de déterminer les causes de l' insuffisance
de cette protection pénale (B) afin d'être mi eux à même de
suggérer quelques-unes des solutions qui pourraient être apportées à ce problème, tout en soulignant les difficultés qu'elles
soulèvent et les limites qu'elles comportent nécessairement (C).
•
••
A) Ce qui caractérise les structures familial es à la R éun ion,
c'est avant tout la proportion élevée d'unions libres que révèle
le pourcentage des naissances illégitimes dont le taux atteignait
en 1963, 19,2 % du total des naissances. Encore ce chi lIre ne
tient-il pas compte des enfants adultérins dont nous savons, par
notre expérience, qu'ils sont très nombreux . Ce pourcentage est
naturellement plus élevé dans les grosses agglomérations (SaintDenis, 27,4 % ) que dans les campagnes où les mœurs sont moins
relâchées.
Dans ce pays tropical où les amours sont faciles, le taux
de natalité qui atteint actuellement 44 pour mille contre
18,4 pour mille en Métropole - est l'un des plus élevés du
monde. En outre, par suite de l'abaissement du taux de la mortalité résulta nt notamment de la généralisation des soins médicaux
par l'A.M .G., le taux d'accroissement de la population est passé
de 17,7 pour mille en 1946 à 33,50 en 1963.
Or, la plupart des familles réunionnaises ne disposant que
de fa ibles revenus éprouvent de grandes difficultés à satisfaire
non seulement les besoi ns essentiels d'existence de leur nombreuse progéniture, comme celui de recevoir une instruction ou
une fo rm ation professionnelle, mais encore ses besoins Jes plus
élémentaires, tel le logement ou la nourriture (1).
Comme il faut s'y attendre, la fami lle réunionnaise, faute
d'être fortement structurée, se di sloque trop souve nt au lieu
de s'unir pour faire front à ces difficultés. Ainsi qu'i l résulte des
tableau x ci-après, il n'est que de constater pour s'en rendre
compte le nombre de divorces ou séparations de corps prononcés par le Tribunal de Grande Instance de Saint-Deni s,
chaque année, en sensible augmentatio n ou bien celui des enfants
et adolescents délinquants ou en danger, dont l'accroissement
est encore plus inqu iétant, ceux-c i étant presque toujours victimes
de l'instabilité familiale .
Divorces el séparations de corps
prononcés par le Tribunal de Grande Instance de Saillt-Denis
1962 · ..... .. ... . .
1963 · ... ... , .... .
1964 · .. . .... .....
Divorces
Séparations
de corps
Total
46
52
53
20
18
25
66
70
78
(1) Gain mensuel d'un manœuvre : 15 à 18 000 C.F.A. Loyer
mensue l d'une case de deux pièces: 3 à 4000 F.
�192
193
R éunion (1)
Mineurs
délinquants
Mineurs
en danger
278
285
562
292
331
364
dangereux puisqu'il ,a . pour résultat de disloquer les familles
et de plonger les delaIssés dans la misère et le dés
. L
s t' l
'
., 1
espOIr. a
an e, a secunte, a moralité des enfan ts et adolescents maténelJe~ent o~ ~ or~e~ent abandonnés sont généralement com-
p~oml ses.
1962
1963
1964
. ..... .. . ... . .... .
. . . . ... ... . .... . ..
... ..... . .. .. . .. . .
1
Par comparaison, pour l'année 1962, le nombre des mineurs
délinquants et celui des mineurs en danger s' élevaient respectivement, en Métropole, à 30 829 et à 28 797 (2). Si l'on considère que le chiffre de la population réunionnaise, d'une part,
et celui de la population métropolitaine, d'autre part, sont
approximativement dans le rapport de 1 à 120, on se rend compte
que le nombre de mineurs délinquants ou en danger est proportionnellement beaucoup plus élevé à la R éunion qu'en France
métropolitaine. Et il est permi s d'estimer que ces statistiques
sont loin de correspondre, pour ce département, à la réalité, à
raison notamment de la très grave insuffisance des services sociaux
de dépistage.
A inSI, l ,eX istence d'une relation entre le nombre
d abandons de fam.lle et celui des mineurs en danger est-elle
certalOe.
Or, fait surprenant, comme le montrent les tableaux ci-après
le, nombre de condamnations prononcées pour ce délit, à I~
R euDlon, est relati vement peu élevé, si on le compare à celui
de la France métropolitaine.
R éunion
Condamnation pour Mineurs
abandon
en danger
de famille
1962 · .... ...
1963 · . ... ...
1964 · .. .....
.. .. .
. .. ..
.....
24 (I )
17 (2)
15 (2)
292 (I)
331 ( 1)
364 (1)
Rapport
entre les
deux
nombres
1/ 12
Dans un tel contex te socia-économique, éminemment favo-
rable à la commission de délits contre la famille, on peut se
demander dans quelle mesure celle-ci est protégée par la loi
pénale.
En ce qui concerne les infractions porta nt atteinte aux
structures de la famille, on ne relève, à la Réunion, que très
peu de condamnations. De fait, certains de ces délits, comme
Métropole
Condamnation pour Mineurs
abandon
en dange r
de famille
la bigamie ou l' inceste sont heureusement rares. Par contre, on
ne saurait se fonder sur le nombre infime des condamnations
prononcées pour ad ultères ou entretien de concubine au domicile
conjugal pour prétendre que les époux réunionnais sont presque
tous fidèles !
Plus difficile est de savoir dans quelle mesure l'inexécution
de certaines obligations familiales est sanctionnée par la loi
pénale.
Quelle que soit la forme qu'il revêt, abandon de femme
enceinte, abandon de foyer, abandon de famille stricte sensu
ou abandon pécuni aire, abandon moral des enfants, le délit
d'abandon de famille est pa rticulièrement odieux. Il est aussi
(1) Pour l'ensemble du département.
(2) Voir Compte général de l'Admin istration de la Justice criminelle.
1962 · ..
..........
7 447
28797
Rapport
entre ces
deux
nom bres
1/ 4
Ai nsi pour l'année 1962, le rapport existant entre le nombre
des condamnations prononcées pour abandon de fam ille et celui
des mineurs en danger est beaucoup plus faible pour la Réunion
que pour la Métropole ( 1/ 12 contre 1/ 4 environ).
L'écart entre ces chi ffres est si important que l'on peu t en
déduire que la plupart des a bandons de fam ille ne sont, à la
R éunion, l'objet d'aucune poursuite ou sanction pénale.
Outre l'adultère, ce sont donc essentiellement ces situati ons
d'aba ndon ou de négligence fami li ale -
prises le plus souvent
(1) Pour l'ensemble du département.
(2) Par le Tribunal correctionnel de Saint-Denis seu lement.
�194
195
en charge par les services d'assistance - qui échappent - plus
spécialement à la Réunion - à l'application du droit p énal.
•••
B) En ce qui concerne l'adultère, les sanctions d'ordre
patrimonial édictées par la loi civile à l'encontre du conjoint
contre lequel le di vorce a été prononcé protègent plus efticacement les structures de la famille légitime que l'application
d'une peine presque toujours symbolique. Aussi n'est-il pas surprenant que l'adultère soit en passe d'être considéré à la
R éunion comme ai lleurs non plus comme un délit, mais
presque exclusivement comme cause de divo rce.
Quant aux obstacles qui peuvent em pêcher le déclenchement des poursuites pénales en cas d'abandon de famille, ils sont
tant d'ordre juridique que psychologique et sociologique. Bien
qu'ayant un ca ractère général, ils revêtent une importance parti-
culière à la Réunion comme probablement dans les autres départements d'outre-mer où les conditi ons de vie et les mœurs sont
à peu près identiques à celles de notre île.
Les obstacles d'ordre juridique. -
On sait que la juri s-
prudence est divisée sur le point de savoir si l'alinéa 1et de
l'article 35 7-1 du code pénal, qui punit le père ou la mère de
fami lle qu i aba ndonne, sans motif grave, pendant plus de deux
mois la résidence fam iliale et se soustrai t à tout ou partie des
obligations d'ordre moral ou matériel résultant de la puissa nce
paternelle ou de la tutelle légale, permet de protéger la famille
naturelle comme la famille légitime (1).
Se conformant, semble-t-il, à la ju risprudence qui considère que seuls les parents légitimes peuvent se rendre coupables
de ce délit d'abandon de foyer, les parquets de la Réunion
n'engagent pas de poursui tes pénales contre les père ou mère
naturels qui ont abandonné la résidence familiale et méconnu
leurs devoirs envers leurs enfants sur la base de cet alinéa 1"
de l'article 357- 1 précité, mais sur celle de son alinéa 3.
Or, ce texte, qui reproduit les di spositi ons de la loi du
29 juillet 1889 (article 2, alinéa 6) sur la protection des enfants
( 1) Pour la protection de la famille natu relle : Trib . Corr. Albert-
ville, 23 octobre 1950. J.C.P. 51 : 2-66 16. T . Seine 17 octobre 1953.
D. 54. 16.
- En sens cont raire : Trib . Co rr. Toulouse t· .. juillet 1949.
D. 49.528 .
-
Pour un père adultérin : Paris 3 1 octobre 1952. D . 53-44.
maltraités ou moralement abandonnés, punit les père et mère
qui compromettent par de mauvais traitements, par des exemples
p~rni cieux d:ivrognerie habituelle ou d'inconduite notoire, par
defaut de soms ou par manque de direction nécessaire, soit la
santé, soi t la sécurité, soit la moralité de leurs enfants ou d'un
ou plusieurs de ces derniers, est d'une application plus difticile
que l'alinéa 1" précité relatif à l'abandon de foyer. En effet,
même si l'on considère que cet alinéa 3 peut-être interprété
d'une manière soupl e, bien que l'énumération qu'il donne des
actes de nature à porter atteinte à la santé physique ou morale
des enfants soit limitati ve, et si l'on peut, dès lors, estimer, par
exemple, que l'absence prolongée du concubin du foyer familial
est punissable lorsqu'il entraîne un c manque de direction nécessaire . , encore faut-i l que la santé ou la moralité de l'enfant
abandonné s'en trou ve effectivement compromi se, condition non
exigée a u cas de simp le abandon de foyer.
Il en résulte que le nombre de poursuites engagées ou de
condamnations prononcées par application de ce texte, qui protège cepend ant tous les enfants, qu'ils soient légitimes ou naturels,
est intime (1).
Pratiquement, l'inexécu ti on des obligations des concubins
envers leurs enfants ne fait l'objet de poursuites pénales à la
Réunion que sur la base des dispositions de l'article 357-2 du
code pénal relatif à l'abandon pécu niai re. Mais ce texte ne peut,
on le sai t, recevo ir app lication que si la créance alimentaire a
été reconnue par une déci sion de justice. Et rares sont, dans ce
département, les mères naturel1es qui assignent leur ancien concubin en paiement d'une pension alimentaire pour l'entretien de
ses enfants ou en recherche de paternité naturelle. Quant aux
enfants inces tu eux ou adultérins qui ont obtenu des aliments
par le jeu de l'article 342, alinéa 2, du code civil , ils ne peuvent,
selon la Cour de Cassation (2), en l'absence d'un lien de
tiliation dont l'établissement demeure prohibé, être compri s
parmi « les descendants . au xquels protection est assurée par
les sanctions pénales du délit d'abandon pécuniaire.
En outre, les termes de l'a rticle 357-1 , alinéa 2, du code
pénal étant form els, seule la femme mariée qui se trouve
enceinte est protégée pénalement contre l'aba ndon de son
conjoint. L e législateur ne pouvait, de toute évidence, accorder
une protection analogue à la concubine, à moins d'admettre
que l'u nion libre constitu e une sorte de mariage de seconde zone.
(1) 1964 : 2 pr o Tribun al de Saint-Denis.
(2) Crim . 6 moi 1959. G .P. 59. 1 302.
�196
Ainsi, sur le plan pénal en particulier, la famille naturelle
est loin d'être protégée, en droit français, aussi efficacement
que la famille légitime. D'un point de vue social, on ne peut
que déplorer que, dans un département comme celui de la
Réunion où les enfants naturels sont très nombreux, l'inexécution
des obligations incombant à leurs père et mère comme à ceux
des enfants légitimes ne soit pénalement sanctionnée que par
les dispositions de l'article 357-1, alinéa 3, du code pénal, relatif
à l'abandon moral des enfants, et de l'a rticle 357-2 dudit code
concernant l'abandon pécuniaire, textes d'une portée plus limitée
que celle de l'article 371-1 , alinéa 1", visant l'abandon de foyer.
Mais pour que la protection pénale de la famille - légitime
ou naturelle - soit efficace, d'autres obstacles plus difficiles
doivent être encore surmontés.
197
A la lumière de ces considérations d'ordre psychologique
et sociologique, il apparaît que la famille réunionnaise ne peut
être protégée par la loi pénale que dans une mesure singulièrement limitée. Ce n'est pas à dire pour autant que dans l'arsenal
des mesures propres à faire respecter les devoirs familiaux, les
sanctions pénales doivent être négli gées. La protection pénale
reste même l'ultime recours lorsque d'autres formes de protection,
civile ou sociale, n'ont pas réussi.
•
••
C) Pour que ce recours à la loi pénale soit aussi largement
ouvert que possible, il conviendrait principalement d'appliquer
aux père ou mère naturels qui méconnaissent leurs obligations
Les obstacles d'ordre psychologique et sociologique. Soucieux d'éviter une aggravation du dissentiment entre les
époux, cause de l'abandon, le législateur a sagement considéré
que, durant le mariage, seul le conjoint resté au foyer doit être
juge de l'opportunité des moyens répressifs pour ramener le
délinquant à l'exécution de ses devoirs. D'où la nécessité d'une
plainte préalable au déclenchement des poursuites pénales au
cas d'abandon de foyer. Or, le conjoi nt délaissé hésitera souvent
à porter plainte pour éviter des difficultés futures, par crainte
de représailles notamment. En effet, loin de consolider les sentiments d'affection du père à l'égard de la mère et de l'enfant
abandonnés, une condamnation pénale risquera de rompre définitivement les liens familiaux déjà distendus. Ajoutons que la
situation de beaucoup de mères réunionnai ses ne se trouve guère
aggravée du fait de l'abandon: comme par le passé, elles continueront à travailler dans les champs ou comme gens de maison
pour compléter le montant des allocations familiales. Souvent,
elles solliciteront un secours complémentaire des services d'assistance. Parfois un nouveau com pagnon s'offri ra pour «soi-
gner. (1) la femme et les enfants délaissés. S'il le faut, la
famille ne se nourrira que de brèdes, de fruits à pain et de
jacques, car c le créole possède à un degré incroyable la faculté
de restreindre presque indéfinim ent ses besoins, grâce à un
degré de misère ini maginable, accru de son imprévoyance
native (2). Dès lors, à quoi bon porter plainte contre l'époux
infidèle et insouciant?
(1) Suivant l'expression cr~ol e.
(2) P. GUÈZE, cité par DEFOS DU RAU (Île de la Réunion, géographie
humaine, page 490).
d'ordre familial résultant de la puissance paternelle les dispositions de l'alinéa 1" de l'article 357-1 du code pénal, relatif à
l'abandon du foyer.
La loi ne faisant aucune
parents légi times ou naturels,
sible. A cet égard, les deu x
l'alinéa 2, l'autre de J'alinéa 5
distinction en la matière entre les
une telle application paraît posarguments de texte, l' un tiré de
de l'article précité, qui sont invo-
qués en sens contraire par certaines Cours ou Tribunaux ne sont
pas convaincants. En effet, J'alinéa 2 ne prévoit, certes, que le
cas 4: du mari " mais il est relatif à J'abandon d'une femme
enceinte par son mari, délit dont les éléments constitutifs sont
distincts de celui d'abandon du foyer visé par l'alinéa 1" précité,
bien que ces deux infractions soient assimilées sur le plan de la
répression. Quant à l'alinéa 5 qui dispose du point de vue de
la procédure que, pendant le mariage, la poursuite ne sera exercée
que su r plainte de l'époux resté au foyer, loin de limiter l'application de l'alinéa 1e r à la famille légitime, comme il a été
prétendu (1), il laisse supposer qu'il peut y avoir délit d'abandon
de foyer en dehors du mariage, hypothèse dans laquelle les
poursuites ne sont plus subordonnées à une plainte préalable.
Enfin, qu'on le veuille ou non, l'union libre donne lieu à
la constitution d'une fam ille. Le légi slateur, lui-même, pourtant
soucieux de favoriser le mariage considéré à juste titre comme
soutien de la société (2) n'a-t-il pas attribué, par les articles 383
et 389 du code civil un statu t à la fam ille naturelle ? Et les
enfants illégitimes doivent être d'autant plus protégés que leurs
(1) V. Jurisprudence précitée.
(2) V. R . SAVATIER : c Le droit, l'amour et la liberté ~ (p. 139).
,
�198
199
parents en manifestant par avance leur volonté de réserver leur
liberté ont montré qu'ils n'étaient guère conscients de leurs
responsabilités familiales.
n ne s'agit pas, certes, de contraindre les concubins à
maintenir leur faux ménage, mais de les obliger comme les père
et mère légitimes à exécuter les devoirs découlant pour eux de
la pui ssance paternelle. Or, en créant le délit d'abandon de
fo yer, le législateur n'a voulu sa nctionner l'abandon matériel
volontaire de la résidence familiale que dans la mesure où il a
pour résultat un abandon moral de ou des enfants, caractéri sé
par l'inexécution totale ou partielle des devoirs de la paternité
ou de la maternité (1 ). Par suite, le concubin qui , après avoir
quitté sa maîtresse, continuerait de s'occuper de ses enfants
vivant avec elle ne serait pas puni ssable, faute de s'être soustrait
à ses obligations de chef de famille.
Il est vrai que la fam ille naturelle serai t ainsi, en cas d'abandon de la résidence familiale, protégée plus efficacement que la
fa mille légitime puisqu'en dehors du mariage les poursuites ne
sont pas subord onnées à une plai nte préalable.
P récisément cette nécessité d' une pl ainte de la part de
l'époux resté au foyer constitue le plus souvent un obstacle
insurmontable à la mi se en mouvement de l'action publique, à
raison des hésitations fort naturelles qu'éprouve ce dernier à
faire condam ner son conjoint qui l'a abandonné.
Mais lorsque les poursuites peuvent être engagées sans
plainte préalable, comme au cas d'abandon pécuniaire, ri en ne
s'opposerait à ce que le Bureau d'Aide Sociale qu i remet des
secours au créancier d'aJi ments dont le débiteur ne s'exécute
pas, soit autorisé lui-même à porter plainte contre ce dernier,
comme l'a suggéré M. le Professeur MAZEAUD (2). L a législation sur les Bureaux d'Aide Sociale prévoit, en effet, que
lorsqu'un indigent réclame un secours au Bureau d'Aide Sociale,
celui-ci invite les personnes tenues d'une obligatio n ali mentaire
à indiquer l'aide qu'elles peuvent allouer ; et si ces parents
n'offrent qu'une aide insuffi sante, le Préfet peut sai sir le tribunal
pour obtenir directem ent des parents dé biteurs d'aliments le
montant de la pension qui sera reversée à l' indigent. Cette p rocédure dont on pourrait s'inspirer, serait de nature à faciliter
le recouvrement des ali ments que le débiteur n'ose pas récl amer
lui-même à sa fa mille.
(1) V. Note Pageaud, sous Colmar, 10 octob re 1957. D. 58- 19 1,
(2) Lors des 3 journées juridiques franco-polon aises de mars 1962.
"
-:'--in~i u~ grand n?m bre d'abandons de fa mille pourraien t
etre 1 ~bJe: d une sanction pénale. Or, précisément, plus que la
sévénte, c est le caractère effectlf de la sanction ou au besoin
du traitement qui exerce vrai ment une action p~éve~tive. MON~
TESQUIEU n'avait-il pas proclamé, dans l'Esprit des Lois, que
• la cause de tous les relâchements vient de l'impunité des
CrImes et non de la modération des peines . ?
.
Pour déterminer la responsa bilité pénale du délinquant, le
Juge dOi t analyser, comme pour J'adultère ou l'inceste des situati.?ns d e fa mille souvent complexes où la victime a iu jouer un
role Important dans la chaîne d'événements conduisant à la
commlssion du délit, tenir compte des mauvaises conditions de
vie, etc. Le choix de la sanction est presque toujours des plus
difficiles.
Infiiger une amende au coupable, c'est diminuer d'autant
ses ressources et l'empêcher, le plus souvent, de se libérer envers
le créancier d'aliments. Si faible que soit le montant de l'amende,
li faudra longtem ps au journalier, au docker ou manœuvre
qui, à la Réunion, ne perçoi t - lorsqu'il travaille - qu'un
sala ire de 15 à 18 000 F par mois, pour la payer. il en est de
même de l'emprisonnement qui em pêche le débiteur de se li vrer
à un travail rémunérateur.
Accorder systématiquement le sursis? ce serait enlever
toute valeur exemplai re à la peine. En outre, le condamné,
appartenant le plus souvent à un milieu très pauvre, fruste et
illettré, ne comprend pas toujours la signification de l'avertissement qui lui est donné par le Président du Tri bunal Correctionnel
ou l'oublie ... Le sursis avec mise à l'épreuve peut être préférable au sursis simple, car il est suscepti ble de réaliser la réadaptation du délinq uant dans la mesure oÙ celle-ci est possible.
Enfin, quand une peine d'emprisonnement s'impose, notamment en cas de récidive, il sera souhaitable d'accorder au condamné le régime de la semi-liberté lorsqu'il a un emploi dans un
lieu assez proche de la maison d'arrêt où il est interné; il pourra
ainsi subvenir aux besoins de sa famille tout en purgeant sa
peine.
•••
Si l'on peut regretter que la méconnaissance des devoirs
familiaux demeure sou vent impunie à la Réunion, il ne faut
pas se fai re trop d'ill usion quant à l'efficacité de la protection
de la famille par la loi pénale. Comme l'écri vait M . le Profes-
�200
seur
EsMEIN ( 1):
« ce n'est que par un ensemble de mesures
.
d d
. f
et par une action sur les mœurs, qu~ le sentlme.nt
u
evme a-
milial sera revigoré chez ceux oÙ il est déficient >.
L'on y parviendra essentiellement par l'éducation . ?es enfants et adolescents qui représentent plus de la mOllIe de la
population réunionnaise, ce qui suppose d'~b?rd une amélioratio~
des conditions de vie des daames de milliers de familles qUI
soutIrent de malnutrition et connaissent encore la promiscuité
de taudis surpeuplés et misérables. Malgré les difficultés de toutes
sortes résultant de l'expansion démographique, l'immmense effort
entrepris depuis la départementalisation P?ur réaliser à la Réunion la promotion de l'homme devrrut - a long terme - porter
ses fruits.
Dans l'immédiat, il importerait de faire en sorte que les
Réunionnais - qui sont dans l'ensemble SI pauvres - ne dilapident pas autant d'argent pour consomn;er de l' al~ool que po.u r
acheter le riz, les lentilles et les pOIS necessaIres a leur subSIStance (2).
Elevés dans les conditions que l'on sait, très souvent par
des parents alcooliques, les jeunes réunionnais ne peuvent que
devenir des êtres associaux, ou même anti-sociaux, incapables
d'acquérir le sens des responsabilités familial es. La lutte systématique contre l'alcoolisme, ce fléau social si souvent dénoncé,
n'a jamais été entreprise à la Réunion comme d'ailleurs sur
l'ensemble du territoire national. Elle contribuerait cependant
efficacement à la protection de la famille, et en tout cas, davantage, reconnaissons-le, que tous les moyens répressifs auxquels
on peut avoir recours en la matière.
L'ORGANISATION JUDICIAIRE
ET SES PARTICULARITÉS
DE PROCÉDURE CIVILE A LA RÉUNION
par
Me René KICHENIN
A vocat à la Cour
« L'Ile de la Réunion est la colonie dont la législation
« civile et criminelle se rapproche le plus des lois de France,
« et toujours elle s'est montrée jalouse d'avoir des institutions
c et notamment une organisation judiciaire aussi conformes que
« possible à celles de la Métropole...
« Cependant, les colons comprennent aussi, que sur cer-
e tains points, les intérêts et les besoins de leur pays différent
If essentiellement de ceux de la France, et par cela même, néces« sitent de rigoureuses exceptions à la loi commune, exceptions
« qui doivent être appropriées aux convenances locales et partic culières. )
C'est en ces termes que s'exprimait devant la Cour Impériale de la Réunion, lors de sa séance du 6 décembre 1855, le
Président BELLIER DE VILLENTROY.
La similitude de législation entre la Réunion et la France,
bien que ardemment souhaitée et effectivement réalisée sur des
nombreux points, ne pouvait être complète. fi subsistait, en
dépit de fortes et nombreuses analogies, des différences appréciables qui dnnnaient à la législation de l'île un caractère particulier.
(1) J.C.P., 42, 1297.
(2) Problèmes sociaux de la Réunion, p. 65.
La loi du 19 mars 1946 qui a transformé la Colonie en
Département d'Outre-Mer aurait dû permettre une identification
des législations métropolitaine et locale. fi n'en est pourtant
rien. Si sur le plan de l'organisation judiciaire proprement dite,
la législation de la Réunion est celle de n'importe quel autre
département français, en revanche les questions de procédure
civile présentent, comme par le passé, des particularités.
�203
L'Ordonnance du 22 décembre 1958 p~rtru:'t réfo~e dt
. ti n J'udiciaire française et appliquee a la Reuruon
1•orgarusa
0
'imili' d
.
. 1 lU mars 1962 confirme les s
tu es anciennes et
d epws
e
'.
. di ..
aies nouvelles entre l'orgarusallon JU CHure
accuse 1es an a10:;,de la France et de la Réunion.
L'organisation judiciaire de la Réunion e..st la même que
d 1 France. On peut dire que les memes Jundicllons
cee a l
'
' gl
.
t
memes re es
e;us en t et fonctionnent dans l'ensemble. selon
. .es al
ici et là-bas. il y a pounant des exceptIOns a SIgn er.
eIl
I. A. -
Il existe près des Tribunaux de Grande Instance un juge
chargé de sui,'re la procédure civile. Son action commence dès
la mise au role de l'affai re et se termine le jour de l'audience.
En matière pénale, outre les juges répressif constituant le
Tribunal, existe, non pas à la phase antérieure au jugement,
mais à la pbase postérieure au prononcé du jugement, le juge
cbargé de l'application des peines, dont les attributions définies
par l'Ordonnance du 23 décembre 1958 sont importantes au
stade de l'exécution des peines.
il existe également une procédure rapide de jugement en
matière pénale. C'est le fiagrant-délit.
PREMIÈRE PARTIE
APERÇU DE L'ORGAt'llSATIO
A LA RÉUNIOI
En matière civile, la procédure rapide appelée Référé se
fait devant un seul Juge.
JUDICIAIRE
JURIDICTIONS DE DROIT COMMUN
Juridictions de jugement.
l. Au bas de la pyramide que constitue l'organisation
judiciaire française, se trou vent les anciennes Justices de Paix
qui, depuis l'Ordonnance de 1958, sont devenues TTlbunaux
d'Instance.
il ne reste plus que trois Tribunaux d'Instance à la
Réunion: un à Saint-Denis, un autre à Saint-Pierre et le trOisième à Saint-Paul. Chaque Tribunal d'Instance comprend un
certain nombre de juges, qui se répartissent les tâcbes. UD Juge
directeur coordonne leurs activités. Le Tribunal d'Instance de
Saint-Denis tient des audiences foraines à Saint-André et celui
de Saint-Pierre a également des audiences à Saint-Louis.
Le Ministère Public est représenté en principe par le Procureur de la République, en fait, par l'un de ses substituts pour
les audiences correctionnelles de 5' classe, et par le Commissaire
de Police pour les audiences correctionnelles de 4' classe.
2. A un degré plus haut existe le Tribunal de Grande Instance. il y en a deux : un à Saint-Denis, l'autre à Saint-Pierre.
Tandis que le Tribunal d'Instance se compose d'un seul
juge, le Tribunal de Grande Instance a une composition collégiale. il comprend un Président et deux Juges assesseurs, tant
en matière civile qu'en matière correctionnelle.
Depuis la réforme de l'organisation judiciaire dont le prinpal but a été la simplification, tous les appels relèvent actuelJoment de la Cour d'Appel.
3. La Cour d'Appel, juridiction de second degré a son
siège à Saint-Denis. il y a deux cbambres, l'une porte le nom
de cbambre civile; l'autre celui de chambre correctionnelle.
Le Premier Président occupe le grade le plus élevé dans la
hiérarchie. Il a sous son contrôle tous les autres juges du siège.
Cbaque chambre est présidée par un Président as isté de deux
Conseillers.
B. -
Le Ministère Public.
De même qu'au sommet de la hiérarchie des juges du
siège se trouve le Premier Président de la Cour d'Appel, de
même à la tête des autorités de la poursuite, se trouve le Procureur Général . A vec l'A vocat Général et le Substitut Général,
il constitue le Parquet Général qui représente le Ministère Public devant la Cour d'Appel.
Devant les Tribunaux de Grande Instance, le Ministère
Public est représenté par le Procureur de la R épublique assisté
de ses adjoints, les Substituts.
Il n'y a qu'un Parquet Général puisqu'il n'y a qu'une Cour
d'Appel, en revanche, il y a deux Procureurs de la République,
l'un à Saint-Pierre dont la compétence territoriale s'étend de
Saint-Leu à Saint-Josepb, l'autre, celui de Saint-Denis, a sous
sa dépendance la portion du territoire située entre Saint-LeuSaint-Denis-Sainte-Rose.
.
�204
205
C. -
Juridictions d'instruction.
Au siège de chaque Tribunal de Grande Instance existe un
ou plusieurs juges d'instruction, chargés, lorsque le Parquet ne
prend pas la voie de la citation directe, de l'i~1Struction préparatoire des dossiers dont ils sont saISIS par reqUiSltOire du Procureur.
Il existe deux Juges d'instruction au Tribunal de Grande
Instance de Saint-Denis. Il n'y en a qu'un seul au Tribunal de
Grande Instance de Saint-Pierre.
Les ordonnances du Juge d'Instruction sont susceptibles
d'appel. La Chambre d'Accusation est la juridiction d'instruction de second degré. Il y a une chambre d'accusation dont le
siège est la Cour d'Appel de Saint-Denis.
magi st~at spécialisé dan,s les questions de l'enfance délinquante.
Le President est aSSISte de deux assesse urs choisis pour leurs
aptitudes et l'intérêt qu'ils portent aux problèmes de la délinquance juvénile. Les audiences sont à huis clos.
5. La Cour d'A ssises, juridiction à caractère populaire,
comprend troiS Juges professionnels et neuf jurés. Le Président
est un Conseiller à la Cour d'Appel, ses assesseurs, deux juges
du Tnbunal de Grande Instance, ou deux conseillers à la Cour
d'Appel, désignés par le Premier Président. La Cour d'Assises
a son siège à Saint~Deni s. Il y a plusieurs sessions par an, en
pnnclpe une par tnmestre.
. 6. Le Tribunal Administratif de Saint-Denis juge en premier ressort tous les litiges intéressant la puissance publique à
la Réunion.
Il. D. -
PROLONGE MENT AU SOMM ET MÉTRO PO LITAIN
DE L'ORGANISATI ON JUDI CIAIRE A LA R ÉUN lON
Juridiction d'exception.
J. Le Tribunal Prud'homal qui a compétence pour connaître
des litiges concernant les relations du travail. En l'absence jusqu'à ce jour d'organisation de cette juridiction à la Réunion,
c'est le Tribunal d'Instance qui tranche les conflits du droit du
travail en première instance.
Le Mini stre de la Justice, appelé aussi Garde des Sceaux
a la direction du pou voir judiciaire. Il est le Chef des Magistrats
du Ministère Public.
2. La Commission de Sécurité Sociale présidée par un
juge du Tribunal de Grande Instance, connaît en premier resso rt
du Contentieux de la Sécurité Sociale. La Comm ission se compose outre le magistrat qui la préside, d'un représentant du patronat et d'un délégué des travailleurs. Il y a une seule commission compétente pour tout le pays et qui siège à Saint-Denis.
La Cour de Cassation qui juge en droi t et non en fait, est
au sommet de la hiérarchie de l'organisation judiciaire de droit
3. - Le Tribunal mixte de Commerce de Sai nt-Denis,
juridiction consulaire qui connaît des affaires commerciales.
Présidée par un juge du Tribunal de Grande Instance, ce T ribunal de Commerce comprend deux assesseurs, juges consulaires ( 1). A Saint-Pierre, c'est le Tribunal de Grande Instance qui
est compétent pour connaître des affaires commerciales.
4. Le Tribunal pour enfants, juridi ction prévue par la
loi du 2 février 1948, a son siège à Saint-Denis et étend sa
compétence sur toute l'île (2). La présidence est assurée par un
(1) Commerçants élus par leurs pairs, non professionnels.
(2) Un autre Tribunal pour enfa nts a été créé en 1967 à Saint-Pierre,
dont la compétence ter ritoriale s'étend de Sai nt-Leu à Sa in t- Philippe.
Les magistra ts du siège relèvent eux, du point de vue di sciplinaire, du Conseil Supéri eur de la Magistrature.
pri vé.
En droit public, c'est le Conseil d'Etat, Instance supérieure
qui, en autres attributions, a compétence pour statuer sur les
décisions du Tribunal Administratif de Saint-Denis.
La Cour des Comptes, juridiction unique pour toute la
France, est un tri bunal chargé de contrôler les opérations de
tous les fonctionnaires qui manient les deniers publics.
Enfin, pour résoudre les conBits de compétence entre juridictions ci viles et administrati ves, il faut s'adresser au Tribunal
des Conflits.
III. -
L ES AUX ILI A IRES DE LA JUST ICE
1. Les Avocats. L'ensemble des avocats aup rès d'une
Cour d'Appel ou d'un Tribunal de Grande Instance constitue le
�206
Barreau. rI y a deux Barreaux à la Réunion , un près
.,
dle Tribunal
1 C
de Grande Instance de Saint-Pierre, l'autre au sIege e a our
d'Appel de Saint-Denis.
L Barreau de Saint-Denis, effectif plus nombreux, a à
sa têt: un Batonnier assisté d'un Conseil de l'Ordre. A Sai ntPierre, il existe seulement un Bâtonnier. Tous les avocats peuvent
plaider devant toutes les juridictions de l'île.
2. L es A voués, près la Cour d'~ppel et du Trib,~nal de
Grande Instance de Saint-DeOls, competents sur toute 1 etendue
de la circonscription judiciai re de Saint-Denis. Ceux de SaintPierre, compétents seulement devant les juri,dictions de l eur
circonscription. Depuis quelques mOIS, les avoues de Samt-Plerre
ne sont plus autorisés à plaider devan~ le T~"bun,a l de Grande
Instance. Il n'existe pas de Chambre d Avoue DI a Samt-Plerre,
ni à Saint-Denis. Aussi au point de vue discipline, le rôle dévolu
aux Chambres de discipline appartient au Tribunal de Grande
Instance.
3. Les Huissiers: pour eux aussi, il n'existe pas de cham bre
et c'est le Tribunal de Grande Instance de leur ressort judiciaire qui est compétent en matière de discipline. II y a des
huissiers à Saint-Denis, à Saint-André, à Saint-Paul, à SaintLouis, à Saint-Pierre. Ils sont groupés dans une associa tion .
4. Les Greffiers en Chef : pour eux, il s'agit d' un statut
différent. Contrairement à leurs homologues métropolitains, ils
ne possèdent pas de charge à la Réunion. Aussi ne pou vaient-i ls
percevoir le casuel ( 1). Le casuel était versé directement au
Tl ésar.
Lors de la départementa lisation, les greffiers en che! ainsi
que les greffiers secrétaires de parquet ont été assimilés au cadre
de Colmar. Le casuel est, depuis, perçu pa r le greffe mais pour
le compte du Trésor.
5. L es Notaires constitués en chambre.
Pour les Avoués, les Huissiers, les Greffiers et les Notaires
aussi, c'est donc le statut de la Cour d'Appel de Colma r qu i
est applicable à la Réunion.
6. La Police Judiciaire qui comprend les officiers de
police judiciaire, les agents de police judiciaire, les fonctionnai res
et agents auxquels sont attribuées par la loi certaines fon ctions
de police judiciaire.
(1) Profits perçus par les intéressês.
207
7 . Les Commissaires Priseurs : il n'yen a pas dans l'île.
Ce sont les huissiers qui exercent la fonction.
8. L es syndics de faillite sont nommés par le Tribunal de
Commerce.
DEUXIÈME PARTIE
LE PARTI CULARISME DE LA PROCÉDURE CIVILE
A LA RÉUNION
Ai nsi orga nisee, la justice fonctionne suivant les règles de
procédure. En matière pénale, il semble ne plus y avoi r de différence entre les lois en vigueur en France et celles qui sont appliquées à la R éunion .
En revanche, en matière civile, les lois de procédure font
apparaître un parti cularisme qui trouve son explication semblet-il , soit dans le statut politique de l'île, soit dans les incohérences
coutumières et déroutantes, soit, et sans aucun doute, dans l'éloignement géographique et les lenteurs des moyens de communication d'autrefo is. Les particularités de procédures locales semblent nombreuses, mais il fau t bien nous limiter au bord d'un
océan pour lequel nous manquerions de ba rques et de voiles.
I! est possi ble en schématisant, pour éviter d'entrer dans
le maqui s de la procédure, de rattacher à l'une ou l'autre de ces
raisons les principales particularités de la procédure civile à la
Réunion .
•
••
1. Le statut politique de l'île a sa pa rt dans le particularisme
de la procédure loca le.
Il faut, à cet égard, dist inguer deux périodes ; la première, penda nt laquelle l'île fai sait partie des vieilles colonies;
toutes les lois, tous les décrets applicables en F rance continentale n'éta ient pas de plein dro it applicables à la Réunion. Pour
recevoir application à la Réunion, ces textes devaient faire
l'objet d'une disposition spéciale d'extension. C'est ce que l'on
appelait le régime de la spécificité des lois. E ncore convient-il
de faire remarq uer que le texte ne devenait effectivement applicable que si le Gouverneur de l'île prenait un arrêté de promulgation publié au Journal Officiel. Le texte avait effet vingt-
�208
209
quatre heures après la promulgation de l'arrêté au JourtUJI
Officiel.
Le régime de la spécificité des lois devait durer pratiquement jusqu'au 15 août 1947, date de l'installation du premier
Préfet à la R éunion.
A partir de cette date, l'île étant devenue département
d'Outre-Mer, toute la législation métropolitaine devait en principe s'appliquer à la Réunion, du moins en ce qui concerne les
lois nouvelles. Dès lors toutes les lois votées pour être appliquées en France devraient recevoir automatiquement application
à la Réunion: l'extension est maintenant le principe; la dérogation, l'exception.
2. Cette application de plein droit des lois métropolitaines
à la Réunion laisse pourtant subsister une procédure spéciale
qui présente un caractère d'incohérence, parfois d'incurie. Ces
particularités de procédure se traduisent tantôt par l'application
de règles spécifiquement locales, tantôt par la pratique persistante
et erronée d'un texte abrogé ou pa r l'application anticipée d'une
loi qui n'a pas été étendue au pays.
a) Ce particula risme est d'abo rd frappant au regard du
Colonat Partiaire. L'Ordonnance du 5 septembre 1945, relative
au Colonat Partiaire prévoit un e Commission paritaire spèciale
pour connaître les différends entre bailleurs et colons. C'est le
Juge d'Instance qui est le Président de la Commission. Il est
assisté d'un représentant des colons et d'un représentant des
planteurs, désignés par un a rrêté préfectoral et pri s sur une liste
établie par canto n. Cette procédure spéciale est d'autant plus
étonnante, à l' heure actuelle, qu'à la R éunion le Code Rural
vient de recevoir, en gra nde parti e, application, à la suite des
décrets du 9 mars 1962 et du 17 avril 1965 et des a rrêtés du
Préfet de la R éuni on en date du 25 avril 1965 . Le droit de
préemption et la procédure y afférent s'appliquent à la R éuni on
et diminuent par conséquent l' intérêt de la procédure prévue par
l'Ordonnance du 5 septembre 1945 .
bil}ère. Bien que le décret du 7 janvier 1959 s'applique à la
R euillon et rend théonquement applicable le texte de 1938 dont
11 est u~e modification, la procédure à la R éunion se fait touJours s~l vant l a loi de 1841. C'est ainsi que sous l'empire de
cette 101, la saiSie ne pouvait se faire qu'après un commandement
de p~yer, sui vi d'un délai d'attente de 30 jours au terme duquel etait dressé le procès-verbal de saisie. Ce procès-verbal était
transe nt dans un délai de, 10 jours. C'est toujours cette longue
procédure qUI est . prallquee à la R éunion, alors qu'en France,
depUIS le déc;et-ioi de 1838, la matière est régie par une procédure Simplifiee : le commandement transcrit vaut saisie (1 ).
.
Toujours à propos de la saisie immobilière, il convient de
signaler la procédure de la surenchère qui existe encore à la
R éuni on. Alo rs qu'en France la surenchère est de 1/ 10 et le
délai à respecter de 10 jours, les articles 708 et 965 du Code de
Procédure Ci vile sont formels à cet égard ; à la R éunion la surenchère est du 1/ 10 et le délai de 10 jours pour les faillites ;
eUe est au cont ra lfe du 1/ 6 et le délai de 6 jours pour les licitations et les saisies (1 ).
En ce qui concerne les délais observés, il fa ut signaler qu'en
cas de guerre, ils sont doublés et cela, bien que les parties
soi ent présentes dans le pays. Cette prolongation des délais tenait
compte des diffi cultés de déplacement en cas de guerre maritime, dans l'ancienne colonie.
La pratique, en matière de saisie immobilière est en retard
sur la législati on française qui est en principe applicable à la
R éuni o n depuis 1959.
c) M ais la p ra tique locale sait aussi être à l'avant-garde
en mati ère de procédure, notamment en ce qui concerne ]a
comparut io n personnelle. E lle n'hésite pas à devancer l' initiat ive
du législateur pour rendre un ifo rm es les procédures.
b) Tout aussi frappant est le particularisme de procédure
en matière de saisie immobilière ( 1).
A ucun texte n'étend la comparution personnelle à la R éun ion. Cependant les Tribunaux de l'île qui devraient s'en tenir
a u système de l'article 324 de l'ancien Code de Procédure Civile
prévoyant l' interrogatoire sur les faits et art icles, ont adopté la
comparution personnelle.
Le décert loi du 17 juin 1938 modifié par la loi du 4 mars
1941 laquelle loi a été validée par l'Ordonnance du 9 octobre
1945 n'étai t pas applicable à la R éunion (1) .
•
••
C'est la loi du 2 juin 1841 qui régissait la matière qui
continue à être appliquée dans les procédures de sai sie immo(1 ) Fin 1965, il Y a eu uni formisation des procédures loca le et
métropolit aine sur ces points.
3. La situati on géographique de l'île de la R éun ion, son
éloignement de la France, les lenteurs des courriers d'autrefois, ont amené, à juste titre, le législateur à accorder des délais
supplémenta ires de procédure lorsque l'une des parties au
�210
211
procès n'habitait pas la R éunion. Ces délais supplémentaires
existent entre la R éunion et la France d'une part, et la R éunion
et le reste du Monde d'autre part. On les appelle les délais de
distance et ils font l'objet de J'article 73 du Code de Procédure
Civile.
a) Dans les rapports entre la R éunion et la France et
vice-versa, il faut distinguer le délai de citation et d'ajournement devant les Tribunaux et Cour d'Appel et le délai de pourvoi
en Cour de Cassation . Devant les Tribunaux et la Cour d'Appel,
les délais normaux sont de un mois. Il convient d'ajouter 5 mois
pour tenir compte de la distance. Ainsi pour faire appel d'un
jugement intéressant des parti es dont l'une est en France,
J'autre à la R éunion, l'on dispose d'un délai remarquablement
long de 5 mois, plus 1 mois, soit 6 mois.
. A l'époque de la guerre thermonucléaire, des avions supersomques et des fusées interplanétaires, les délais de distance
aussi longs constituent un ralenti ssement dans la conduite de la
procédure, a ussi les avoués de la Réunion forment-ils le souhait
que ces délais soient sensiblement raccourcis en considération
des moy~n s de communica ti ons modernes. Plu sieurs projets,
dont celUI de M' H ASS EN, avoué à Saint-Denis, est le dernier
en date, ont été élaborés et soum is aux plus hautes autorités;
tous sont restés jusqu'à ce jour sans effet, tant et si bi en que la
procédure civile à la Réunion à cet égard reste dans le sillage
antique de la marine à voile et renforce les traits d'un particula risme local.
b) Pri x de so n éloignement aussi ou tout simplement consé-
quence de son appa rtenance géographique à l'Afrique, la Ré-
En ce qui concerne le pourvoi en cassation , il faut ajouter
union a une uni té mo nétaire qu i n'est pas à la parité avec celle
un délai normal de deux mois, celui inva riable de distance de
5 mois, ce qui donne un total de 7 mois.
de la France conti nentale. Le tranc C.F.A. en cours dans l'ile
Dans les rapports de la Réunion et des autres pays du
monde, les délais de distance sont les suivants:
Deux mois pour ceux qui résident dans l'Tle Maurice et ses
dépendances.
Trois mois pour ceux qui demeu rent à Madagascar et dans
le littoral de la Mer Rou ge.
Cinq mois
pour ceux qui demeurent dans 1'1 nde, en Algérie
ou en E urope.
pour ceux qui demeurent dans les pays situés
• Six mois
entre le Cap de Bonne Espérance et les districts
de Malacca et de la Sonde.
pour ceux qui demeurent dans les pays situés
• Huit mois
sur la Mer de Chine, la Mer de Java et sur la
côte orientale de l'A ustralie.
pour ceux qui résident da ns les a utres parties
• Dix mois
du monde.
•
•
•
Tous ces délais sont doublés en cas de guerre ma ritime
précise l'article 73 du Code de Procédu re Civile. Et il convient
d'ajouter qu'il y a suspension des poursuites jud iciaires lorsque
les parties sont mobilisées.
Ces délais entre la R éunion et la France encore en vigueur
correspondaient, dans le tem ps, au mouvement saisonnier des
courriers postaux ma ri times. Tl y avait à peu près tous les cinq
mois un navire qui touchai t l'île avec à son bord • la malle .
qui renfermait les plis.
valait deux anciens francs métropolitains, aujourd'hui, après la
réforme monétai re insti tuant en France métropolitaine le nouveau
franc, le franc C.F.A. correspond à la ci nquantième partie du
franc métropolitai n.
Cette du ali té d'unité mo nétaire a des répercussions en procédure, soit pou r déterm iner la compétence des juridictions, soit
pour formul er en tra ncs une valeur comptable. Le Code de
Procédu re Civil e s'ex prime en fra ncs (nouveaux francs) métro-
politains.
A la Réunion, les procédures et les décisions de justice font
état de francs, mais il s'agit de francs C. F.A., et la compétence
du Tribunal d'Tnsta nce s'apprécie en regard de la monnaie locale. Cette compétence va jusqu'à 150 000 fra ncs.
•••
Ainsi dès les premiers temps de son histoi re, à l'époque où
les colons trançais s'établirent dans l'ile, la Justice devait s'organiser et so n o rga nisation n'a été que la transpositi on des insti-
tutions fo nd amentales du système judiciaire français avec quelques aménagements dont s'accomodai t le statu t coloni al de l'île.
La départementali sation devait rendre plus complète la similitude de l'organisation judiciaire à la Réunion et en F rance.
Actuellement il n'ex iste pour ainsi dire plus de différence d'organisatio n judiciaire entre un département français continental et
le département d'outre-mer de la Réunion.
�212
Cette unité d'organisation n'exclut cependant pas certaines
particularités de procédure civile. Nombreuses sous le régime
colonial, ces particularités depuis la départementalisation disparaissent soit parce que les nouvelles lois françaises sont de
plein droit étendues à la Réunion, soit parce qu'une pratique
audacieuse devant la carence du législateur, et ce dans un dessein d'uniformiser, décide de combler un vide entre la procédure
en France et celle en usage à la Réunion. Il appartiendra au
législateur de rattraper la pratique et de la consacrer par un
texte qui s'applique à la Réunion .
Quoiqu'il en soit, l'identité de procédures n'existe pas à
l'heure actuelle entre la France et la Réunion. Il y a des exceptions qui confèrent à la procédure civi le, en usage à la R éunion,
un caractère spécial par rapport à celle appliquée en France.
L'ORGANISA TION PÉNITENTIAIRE
DE L'ILE MAURICE
ET DU DÉPARTEMENT DE LA RÉUNION
Certaines singularités de procédure civile à la Réunion dans
la mesure où elles ne lèsent pas, par le respect de délais anachroniques, les intérêts des justiciables, doi vent être, après modifications souhaitables, adaptées au dynamisme d'un monde
moderne. Les autres qui s'inspirent de considérations locales
d'un âge révolu, ou qui ne trouvent application que par une
référence tenace et non juridique à des textes qui ont été remplacés, doivent être abrogées ou abandonnées pour le plus grand
bien d'une justice harmonieuse entre la France et la R éunion .
AVANT PROPOS
par
André COUTURIER
Juge de l'Application des Peines
au Tribunal de Gra nde Instance de Saint-Deni s
Cette brève commu nication faite dans le cadre du Congrès
de Droit Privé Comparé Maurice-la Réunion, ne tend pas à
donner un exposé méthodique ou une analyse complète des
systèmes pénitentiaires en vigueur dans les deux îles, mais à
dégager quelques observations d'ensemble sur les méthodes et
les résultats obtenus en ce domaine dans les deux territoires des
Tropiques, surpeuplés et relevant de la Souveraineté de deu x
grands pays.
Pour comprendre le développement et les différences de
structures de l'orga nisation pénitentiaire de Maurice et de la
Réunion, il faut se placer dans la perspective d'ensemble de la
législation et de la réglementation régissant la matière dans les
deux Métropoles dont ces territoires dépendent.
Une première remarque s'impose: l'Ile Maurice a bénéficié
de l'avance et de l'expérience acquise en la matière par la GrandeBretagne. E n second lieu, les résultats de toute politique pénitentiaire sont fonction de l'équipement et du personnel; or, il
est évident que les moyens mis en œuvre à Maurice, sont sans
commune mesure par leur ampleur avec ceux dont dispose
l'Administration Pénitentiaire à la Réunion.
Ces deux considérations expliquent l'avance considérable
acquise par Maurice tant sur le plan des réalisations que dans
la mise au point des méthodes.
�214
215
Avant de m'engager plus avant, je tiens à remercier les
Hautes Autorités judiciaires de Maurice, Monsieur le Commissaire des Prisons et son adjoint pour l'accueil si chaleureux qui
fut le leur et pour les enseignements qu'ils m'ont permis de tirer
de la visite des établissements pénitentiaires que j'ai faite sous
leur conduite.
PREMIÈRE PARTIE
L'ORGANISATION ET LE RÉG I ME PÉNITENTIAIRE
DE L'ILE MAURICE
CHAPITRE
I. -
L'ÉQuI PEM ENT
ET LE PERSONNEL
L'Administration des Prisons di spose à Maurice de cinq
établissements administrés par le Commi ssa ire des Prisons. Ces
institutions, bien que séparées, se trou ve nt situées dans la région
de Beaubassin à proximité de Port-Louis et constituent un ensemble faci le à administrer. Le Centre Administratif installé au x
abords de la Prison Centrale de Beaubassin , est de réali sation
récente et groupe tous les services de direction.
1° La Prison Centrale de Beaubassin s'étend sur plusieurs
hectares et comprend un quartier des condamnés et un quartier
subalter?es compris était, en 1963, de 141 unités pour une populatIOn penale dont le chiffre a varié au Cours de l'année de 330
à 355 pensionnaires.
. 2° La Prison pour femmes est installée à proximité de la
pnson centrale dans des locaux pavillonaires. L'effectif permanent des détenues ne dépasse jamais quelques unités. Le nombre
des condamnées à une peine pri vati ve de liberté a été de 19 au
cours de l'année 1963.
3° Le Centre de R éhabilitation de Richelieu.
L'Ile Maurice se devait d'avoir un établissement ouvert.
Cette réalisation fut l'œuvre de l'actuel Commissaire aux Prisons
et de ses collaborateurs.
L'institution inau gurée en 1963 a commencé à fonctionner
en 1959 ; elle est située à quelques kilomètres de Beaubassin,
sur un plateau très aéré et peut recevoir 120 détenus dans
quatre bâtiments-dortoirs qui ont été construits par la maind'œuvre pénale. Les bâtiments de la ferme ont été édifiés à partir de matériau x de récupération. De petits pavillons abritent
les services et le personnel.
Le centre de réhabilitation de Richelieu est destiné à recevoir les déli nquants prima ires, y compri s les condamnés à de
longues peines. L'institution poursuit deux objectifs essentiels:
a) assurer la ségrégation totale des délinquants primaires;
b) donner aux prisonniers, issus pour la plupart de milieux
ruraux très pauvres, une formation élémentaire en matière d'éle-
vage et d'agriculture, pour servir à leur réhabilitation dès leur
retour à la vie libre.
des prévenus. Le quartier des condamnés comprend deux corps
de bâtiments à étages où sont aménagées des cellules individuelles, récemment agrandies et qui peuvent recevoir 1 800
prisonniers en cas de nécessité. Les autres bâtiments réparti s
Le personnel com prend 27 agents. de direction et d'encadrement pour un effectif moyen de 85 pensionnaires.
dans J'enceinte abritent les services administratifs, le centre de
réception, les cuisines, réfectoires, boulangeri e, infirmerie-hôpital,
4° L'institution Borstal de Sa Majesté.
salle de loisirs et bibliothèque, chapelles des différents cultes et
de nombreu~ ateliers destinés aux travau x d'assemblage et de
menUisene, a la confection de vêtements à la cordonnerie à la
tôlerie et la ferro neri e, Hors de l'ence'inte a été in stall ée un
chantier de concassage de pierres et de fabrication d'agglomérés
de cIment. TI eXIste également autour de la Prison de nombreux
pavillons d'habitation destinés au personnel et un mess réservé
aux agents de l'établissement.
L'effectif du personnel administratif de surveillance et
d'encadrement de la prison de Beaubas5in: cadres supérieurs et
Situé à Grande Ri vière Nord-Ouest, sur la route de PortLouis, cet établissement fut inauguré le 9 octobre 1947. C'est une
transposition fid èle du « Borstal Anglais >, c'est-à-dire une Prison Ecole qui prend en charge les jeunes délinquants de 16 à 2 1
ans pour assurer leur rééducation. Le régime est analogue à
celui en vigueur en Grande-Bretagne.
Placé sous la direction du Commissaire aux Prisons, le personnel de direction et d'encadrement comptait 26 agents en
1963 pour un effectif de 75 pensionnaires.
�216
217
Le bâtiment central comprend une salle de classe, un réfectoire, une salle de récréation et des dortoirs. Les bâtiments
annexes abritent différents services, une chapelle et des ateliers.
S' L 'Ecole Industrielle de Barkly.
Située sur un vaste terrain dans un cadre agréable, cette
institution est du type c Ecoles approuvées> anglaises. Placée
sous la direction du Commissaire aux Prisons qui en est le
Principal, l'Ecole dispose de 8 instituteurs et de trois professeurs
détachés par l'Education Nationale.
L'institution reçoit les mineurs de moins de 16 ans et la
durée de placement excède souvent trois ans. La moyenne des
pensionnaires a été de 8S en 1963. L'école Industrielle de
Barkly a également reçu comme prévenus 68 mineurs.
CHAPITRE
Il. -
LE TRA ITEM ENT EN INSTITUTION
Le régime pénitentiaire des éta blissements de Maurice est
inspiré de celui de la Grande-Bretagne, axé autour de deux
idées directrices : la rééducation du sujet et l'intimidation de la
peine; en sortant de prison, hommes et femmes doivent être physiquement et moralement meilleurs qu'ils n'étaient en y entrant,
et le régime qu'ils ont subi doit être tel qu'ils soient détournés
du crime ainsi que ceux qui tenteraient de les imiter.
Comme en Grande-Bretagne, les juridictions répressives
s'efforcent de condamner le moins possible à la prison et cela
au moyen de c la probation > qui consiste à mettre en liberté
le délinquant, tout en le plaçant pendant plusieurs années sous
la surveillance d'un agent spécialisé. Cette forme de répression
explique que les prisons de Maurice soient moins peuplées que
celles de la R éunion.
On pourrait définir le régime de la détention à Maurice
comme suit : c c'est un régime sélectif et progressif qui assure
une ~rim,auté au travail et à la formation professionnelle, et
tend a developper au ma ximum la personnalité et le sens de la
responsabilité chez le condamné >.
1. -
R égime sélectif et progressif.
Le traitement est sélectif en ce sens que les catégories pénales sont nettement différenciées. Le règlement assure une stricte
séparation des prévenus et des condam nés, des majeurs et des
~neu.rs, des p~ima i~es et des récidi vistes: les risques de contammatlOo sont ecartes au maximum .
, La sélectio~ ~'op~re eotIe les condamnés dès leur eotrée.
Apres les for~,alttes d écrou, le service de réception procède au
tnage. Les detenus sont soumis à une visite médicale et à un
examen de personnalité: une fiche d'observation est établie
~~ sUIvra le condam né au cours de sa détention. Le classement
s etablit comme suit :
a)
b)
c)
d)
e)
f)
les
les
les
les
les
les
prisonniers «Class Star > (étoilée),
prisonniers courants éducables,
prisonniers ordinaires à court terme
prisonniers ordinaires à long terme'
jeunes détenus (moins de 21 ans), '
prisonniers en observation.
Les ~ri sonniers « Class Star > sont des délinquants primaires
ou des recldlvlstes qUI, de par leur conduite générale et leur
caractère, ne sont pas considérés comme susceptibles d'exercer
une mau vaise inJjuence sur les autres. Ce classement leur vaut
quelle que soit la durée de la peine, d'être transférés au Centr~
de réhabilitation de Ri chelieu. Depuis l'ouverture de cette institution aucun délinquant primaire n'est en principe détenu à la
prison centrale de Beaubassin. En 1963, sur les SIS prisonniers
e Class Star . transférés à Richelieu, 12 seulement ont été trouvés inaptes au traitement en institution ouverte et réintégrés à
Beaubassin.
Le régime de la prison centrale est du type « auburnien >,
c'est-à-dire que les détenus sont isolés la nuit en cellule et vivent en commun le jour. La promiscuité est réduite dans une
assez large mesure et les inconvénients de l'isolement absolu
sont évités.
La discipline très stricte est militaire.
Le traitement en institution est progressif. Après le stage
de l'observation dont la durée est va riable, les meilleurs, c'esta-dire ceux qui ont eu une bonne conduite et dont le caractère
permet d'espérer la rééducation, accèden t à un régime de confiance et de responsabilité et se voient placés dans les ateliers.
Il faut noter en passa nt que la législation ma uricienne ne
connaît pas la libération conditionnelle au sens où nous l'entendons, ma is fait bénéficier le condamné dès son entrée en institution d'une remise conditionnelle du tiers de sa peine, avantage
qu'il conservera s'il se conduit bien, ou qu'il perdra partiellement ou totalement par l'effet de retraits successifs, si sa conduite
est mauvaise.
�218
219
A signaler également dans le sens de la progressivité du
traitement l'amendement à l'ordonnance Horstal intervenu en
1963 qui 'permet au jeune détenu, donn ant des gages suffisants
d'amendement, de bénéficier sur parole d'une permission à l'occasion d'un week-end prolongé, ce qui lui permet de s'accoutumer
à la vie libre, de rétablir des liens familiaux ou de rechercher un
em ploi .
Il. -
Travail et formation. professionnelle.
Le travail occupe une place importante dans le traitement
en institution. Il permet de donner aux délinquants, lorsque la
détention est suffisamment longue, une formation professionnelle
qui sera un facteur de reclassement essentiel.
Le travail dans les établissements pénitenti aires de Maurice
est o rgan isé suivant des normes industrielles et les règles de
gestion des entreprises privées. Les débo uchés pour la production sont assurés par les administrations publiques.
La prison centrale de Beaubassin possède un ensemble
d'installations et d'ateliers fort bien équipés. Les travaux sont
exécutés sous le contrôle de moniteurs.
La production de la fabrique de chaussures et de l'atelier
d' habillement est réservée à l'administration pénitentiaire. Les
ateliers de menuiseri e et d'ébéni sterie fabriqu ent le matériel scolaire destiné aux écoles de l'Ile.
Les ateliers de ferronerie, de tôlerie, de fabrication d'agglomérés de ciment assurent les besoins des éta blissements pénitentiaires, et des administrations publiques.
Au centre agricole de Richelieu, les détenus s'adonnent à
des travaux domestiques, d'élevage et de cultures maraîchères,
de concassage de pierres, de maçonnerie, de charpente et même
d'imprimerie. L'institution pourvoit à ses propres besoins et à
ceux des autres établissements.
III . -
L'action éducative.
La rééducation du délinquant est assurée par l'enseignement.
Elle s'insère également dans la pratique religieuse, les loisirs et
la pratique des sports. La gamme des moyens mis en œuvre
permettra d'atteindre le sujet cultivé aussi bien que l'illettré.
Un enseignement primaire adapté est dispensé le soir à la
Prison de Beaubassin et au Centre de Richelieu . Les classes sont
réparties en trois niveaux. Bien que les cours du soir ne soient
pas obligatoires, la fréquentation est satisfaisante.
Au Borstal et à l'école industrielle, l'instruction est obligatoire. L'enseignement est dispensé à plein temps pour les pensionnaires au-dessous de 14 ans.
Les loisirs tiennent une place importante dans le traitement
en institution ; ils tendent à développer chez le sujet l'esprit d'initiative, à lui révéler ses possibilités et à lui donner confiance en
lui-même. L'expérience des classes de travaux manuels a été
étendue à tous les établissements et les détenus peuvent s'adonner à ces travaux pendant leurs heures de liberté. La voie est
ainsi ouverte à la formation professionnelle.
Dans chaque établissement existe une bibliothèque. Deux
orchestres ont été mis sur pied, l'un avec le concours du personnel du centre de Richelieu, l'autre à l'école industrielle sous
la direction d'un membre de l'orchestre de la Police. Des
concerts sont donnés dans les différentes parties de l'île.
La radio et le cinéma connaissent un égal succès. Grâce aux
prêts de film s éducatifs et récréatifs, consentis par le British
Council, le Ministère de l'Education, le Bureau de l'lnformation
et le Centre Culturel françai s, des projections sont données
chaque semaine dans les établissements.
La pratique des sports est générale. Le football est le plus
apprécié. Les équipes du centre de Ri chelieu, du Borstal et de
l'Ecole Industrielle disputent régulièrement des matches avec les
équipes civiles de l'extérieur. L'athlétisme est également pratiqué.
La formation professionnelle des garçons du « Borstal »
est donnée pour les corps de métiers les plus courants. Une activité s'y trou ve solidement implantée: la fabrication de grillages
de clôture de toutes dimensions. Par sa production, l'institution
pourvoit non seulement aux besoins de l'administration pénitentia ire, mais à ceux de tous les ministères.
Le D épa rtement des Prisons recherche à développer au
maximum le sens de la responsabilité. C'est ainsi qu'au centre
de Richelieu les détenus après s'être concertés, fixent chaque
semaine les menus de leur repas.
A l'école industrielle de Barkly, en dehors des heures d e
classe, les métiers suivants sont enseignés : jardinage, horticulture, travau x de bois, ferblanterie, tailleur.
La diversification des moyens et des méthodes de rééd ucation et le réali sme qui préside à leur choix démontrent que le
problème du traitement des délinquan ts a été pensé sur place
1S
�220
par des spécialistes qui ont une conna~ssance p~rfaite du ?lilieu.
Le Centre de réhabilitation de Richeheu constitue une reusSite.
En 1963 les statistiques ont révélé que 5 % seulement des détenus qui avaient été traités de 1959 et 1962, avaient rechuté.
Pour qui connaît les Tropiques, on est obligé de convenir que ce
résultat obtenu dans la lutte contre la récidive est pour le moins
appréciable.
IV. -
Le traitement en milieu libre.
Comme dans tous les pays du Commonwealth britannique,
la probation s'est développée à Maurice depuis 1946, année où
elle est entrée en application. Appliquée comme mesure de traitement des mineurs, elle a été étendue aux adultes.
La probation est un mode de traitement social, comportant la suspension conditionnelle de la peine et qui vise au relèvement du délinquant, sans affecter ses relations familiales et
professionnelles.
Le service de la probation relève à Maurice du Commissariat au Bien-Etre Social et travaille en liaison étroite avec les
services judiciaires. Ses tâches sont nombreuses: il est chargé
de procéder aux enquêtes sociales sur les délinquants et qui
sont destinées aux juridictions de jugement; il assure la supervision des délinquants placés en probation; il prend en charge
les jeunes mineurs en danger; il procède aux tentatives de réconciliation dans les différends matrimoniaux et dispense aide et
assistance aux jeunes libérés de l'institution Borstal et de l'Ecole
Industrielle de Barkly.
Au sommet de l'organisation existe un comité central de
probation qui a un rôle consultatif auprès du gouvernement sur
toutes les questions touchant la proba tion. Ce Comité comprend
des membres de droit, le Commissaire au Bien-Etre social, un
haut fonctionnaire de l'Education, un Conseiller du Travail, le
Commissaire aux Prisons et les Magistrats di visionna ires, et des
membres désignés par le Ministère de la Santé choisis parmi les
personnalités.
Le personnel actif comprend un agen t principal de probation, assisté d'un agent supérieur de probation et de 12 agents
de probation réparti s dans les districts judiciaires de l'Ile.
La plupart de ces agents ont reçu une formation spéciale
sur place, puis effectué un stage au Royaume Uni , à l'occasion
d'un congé administratif.
Dans chaque région judiciaire, il existe un comité divisionnaire de probation présidé par le magistrat de district et
comprenant l'agent de probation et quatre notabilités, les membres de ces comités donnent des avis sur les cas qui leur sont
soumis et viennent individuellement en aid e aux probationnaires. Les comités divisionnaires qui sont au nombre de la,
di sposent de fonds qui leur permettent de dispenser une aide
matérielle en argent et en nature.
Il existe entin à C urepipe un Hôtel de Probation, non confessionnel subventionné par le gouvernement et destiné à rece-
voir les jeunes délinquants placés en probation et dont le milieu familial ne paraît pas propice à leur réhabilitation. L'institution ne peut recevoir que 20 pensionnai res pendant la première année de leur probation ; ceux-ci sont libres dans la
journée et occupent un emploi rém unéré à l'extérieur. Le soir ils
retrou vent l'ambiance d'un foye r familial à l'institution .
Un comité directeur patronne l'institution qui est dirigée
par un agent principal de probation assisté d'un maître d'hôtel,
d'une mère aubergiste et d'un professeur. Tout au long de leur
séjour, les jeunes garçons reçoivent la formation que devrait
normalement leur assurer la vie familiale.
En 1963, le nombre des probationnaires a été de 889 pour
l'Ile entière; 494 sujets ont accompli leur temps de probation
avec succès dont 276 hommes, 38 femmes, 97 garçons et 13
filles; 53 délinquants seulement ont vu leur probation révoquée
soit pour ne pas s'être conformés aux conditions légales, soit pour
avoir commis de nou veaux délits. Au cours de la même année,
les agents de probation ont établi 705 rapports qui ont été
soumi s aux tribunaux.
11 faut également noter que les services de la probation ne
sont pas seulement axés sur l'aspect du traitement de la délinquance, mais se consacrent aussi aux aspects préventi fs de la
délinquance en travaillant en collaboration avec les autres services sociaux, bien-être social, com ité de la jeunesse, organisation des loisirs des jeunes oisifs entre autres.
T eUes sont les caractéristiques essentielles de la probation
à Maurice. Il y aurait encore beaucoup à dire sur l'institution
et de son adaptation à un territoire des Tropiques.
�222
223
DEUXIÈME PARTIE
L'ORGANISATION ET LE RÉGIME PÉNITENTIAIRE
DE LA RÉUNION
Les structures pénitentiaires de la Réunion n'ont guère
évolué depuis 1946, année où la colonie est devenue un département françai s d'Outre-Mer. Il y a peut-être à cela plusieurs
explications: la première est que la France n'a commencé sa
réforme pénitentiai re qu'en 1945 et a dû combler en ce domaine
un important retard ; la seconde est que les problèmes
pénitentiaires n'ont jamais compté parmi les urgences. Aussi, le
département de la Réunion ne dispose-t-il présentement que
d'un équipement désuet et inadapté en comparaison de celui de
l'île voisine.
CHAPITRE
1. -
LES
PRISONS DE LA RÉUNION
ET LE PERSONNEL
Il n'existe dans le département que deux établissements
classés: la Prison Centrale de Saint-Denis et la Maison d'Arrêt
de Saint-Pierre.
1° La Prison Centrale de Saint-Denis est située en pleine
ville et est installée dans des bâtiments vétustes ayant appartenu à la Compagnie des Indes; elle couvre une superficie infériéure à un demi-hectare et n'est pas adaptée aux nou velles
méthodes pénitenti aires malgré toutes les améliorations apportées ces dernières années. C'est un établissement très encombré
qui abrite à longueur d'année 400 à 500 détenus alors que sa
contenance théorique est de 164 unités.
L'établissement tient lieu à la foi s de maison d'arrêt et de
maison centrale: il reçoit des prévenus et des accusés, des
condamnés à l'empri sonnement correctionnel, à la réclusion aux
travaux forcés, à la réclusion criminelle, à la relégation, et des
détenus pour dettes; il acc uei lle également les mineurs de l'A. P.
E.C.A . (1), faisant l'objet d' un placement pour indiscipline.
(1) c Association pour la protecti on de l'enfance coupable et abandonnée .. (Centre d'apprentissage).
L'établissement dispose de quelques cellules indi\iduelles
réparties entre le quartier des femmes, le quartier des mineurs,
celui des condamnés et de la prévention. Ces bâtiments abritent
en outre les services administratifs et d'intendance, une infirmerie, une chapelle et deux ateliers. n n'y a ni réfectoire, ni
installations sanitaires modernes.
La prison centrale est administrée par un sous-directeur de
l'Administration Pénitentiaire, Directeur des Prisons de l'ne. n
est assisté d'un Greffier comptable, d'un économe et de sept
agents administratifs. Un médecin, un aumônier, une infirmière
et une assistante sociale sont affectés à l'établissement.
Le personnel de surveillance comprend un effectif réduit de
24 agents sous la direction d'un surveillant-<:hef principal et
de quatre surveillants-chefs-adjoints: ce personnel assure la
discipline et la sécurité.
Les prisons de la Réunion n'on! pas d'éducateur ni de
psychotechnicien.
2° La Maison d'arrêt de Saint-Pierre est installée à 2 kilomètres du centre de la localité et couvre une superficie de
9 000 m'environ. Cet établissement de 2' classe est plus spacieux
que celui de Saint-Denis : il reçoit les prévenus et les accusés, les
condamnés à l'emprisonnement correctionnel et les détenus pour
dettes; il comprend un quartier des femmes, un quartier des mineurs, un quartier des prévenus et un quartier des condamn ' .
Sa contenance théorique est de 126 unités, la population moyenne est de 150 détenus.
Un surveillant-chef assure la direction de l'établissement;
il est assisté d'un adjoint et de 10 surveillants.
Les prisonniers ont à leur disposition un petit terrain de
sports.
3° li existe à la Plaine des Cafres depuis 1956 deo.", maisons d'éducation surveillée, destinées aux jeunes délinquants et
qui sont gérées par des religieux et des religieuses. Les deux
fondations de l'A.P.E.C.A. assurent le traitement de 350 garçons et de 150 filles mais ne relèvent pas de l'administration
pénitentiaire locale.
Tel est l'équipement pénitentiaire de la Réunion qui apparaît comme dérisoire en face des réalisations remarquables effectuées depuis 1946 dans le domaine de l'Economie et du Social.
�224
225
CHAPITRE
Il. -
LE TRAITEMENT EN INSTITUTION
traitement. L'institution serait riche en possibilités à condition
qu'il y ait traitement effectü des condamnés. Le Juge de l'application des peines accorde les placements à l'extérieur, la semiliberté, les permissions de sorties et préside les commissions
La France a réalisé il y a quelques années une importante
réforme pénitentiaire qui a trouvé son expression dans les nouvelles dispositions du Code de Procédure Pénale, applicable de
plein droit à la Réunion .
En fait l'application de ces textes se heurte à des difficultés
insurmon ta bles résultant de l'insuffi sance des installations et de
la pénurie de personnel qualifié.
Le régime est celui de l'emprisonnement en commun pour
chaque catégorie pénale, avec tous les inconvénients regrettables
que cela entraîne, promiscuité et corruption morale.
Si les hommes sont séparés des femmes et les mineurs des
adultes, les prévenus ne sont pas toujours séparés des condamnés, les délinquants primaires ne le sont pas non plus des récidivistes.
Le traitement en institution n'est guère possible, aucune
thérapeutique ne peut être préconisée. Les installations, l'encombrement ne permettraient pas de sui vre les différentes phases d'un
régime progressif étalé dans le temps et allant de la période d'observation à un régime de confiance. De ce fait, il n'y a pas de
consultati ves de libération conditionnelle.
La semi-liberté qui a cours depuis quelques années n'est
accordée qu'en fin de peine lorsque le bénéfici aire peut justifier
d'acti vité salariée à l'extérieur. Douze à qui nze condamnés bénéficient en permanence de ce régime qui devrait normalement
sanctionner la phase de confiance dans un système progressif.
Un enseignement primaire est dispensé aux mineurs par un
surveillant. Les détenus n'ont pour combler leurs loisirs que la
lecture et quelques jeux de société.
La pratique des sports n'est pas possible à la maison centrale de Saint-Denis, les moyens d'action éducative sont inexistants.
Ce bref aperçu sur les institutions pénitentaires de la Réunion permet de conclure que si le régime de la détention a perdu de sa rigueur, il fait bien peu de place aux méthodes rééducalives et présente de grands risques de contamination.
CHAPITR E
III. -
L E TRAI T EMENT EN MILI EU LIBR E
commission de classement.
Le tra vail pénal et la formation professionnelle n'ont pu
être organisés à l'intérieur des établissements d'une façon rationnelle : l'exiguïté des locaux et l'absence de techniciens ne le permettent pas. Sur un effectü de 450 détenus, une vingtaine seulement s'adonnent à une activité artisanale, menuiserie, tôlerie,
reliure, habillement.
Pour éviter la concentration dans les quartiers d'un trop grand
nombre d'oisifs, l'usage des corvées extérieures, sous surveillance
soit du personnel, soit de l'employeur, a été instauré. Aussi les
deux cinquième des condamnés à de courtes peines travaillent
extra-muros. Cette pratique présente un inconvénient majeur :
elle enlève tout caractère d'intimidation à la peine privative de
liberté.
n
ne peut être question de formation professionnelle dans
ces conditions.
Un Juge de l'Application des Peines, magistrat du Tribunal
de Grande Instance, est chargé de suivre l'évolution des peines
et de déterminer pour chaque condam né les modalités de son
La probation a été introduite dans notre législation sous la
forme d'un sursis avec mise à l'épreuve. E lle ne s'applique qu'en
cas de co ndamnation à une peine d' c emprisonnement correc-
tionnel >, pour une infraction de droit commun. Elle est exclue
en cas de condamnation antérieure du prévenu à une peine d'emprisonnement supérieure à 6 mois ou si le prévenu est un ancien
probationnaire.
La durée de la probation varie de 3 à 5 ans.
La loi fixe les conditions de la probation, les mesures de
surveillance et d'assistance, les tri bunaux peuvent imposer des
obligations particulières. Le Juge de l'Application des Peines
contrôle l'exécution de ces mesures; il est assisté des agents de
probation et de délégués bénévoles du Comité de Probation dont
il est le président. Il peut aménager ou modifier les mesures de
surveillance et d'assistance et saisir le tribunal pour ordonner
l'exécution de la peine, si le condam né ne donne pas satisfaction.
Comment fonctionne l'institution à la Réunion ? Bien imparfaitement faute de moyens. Douze probationnaires sont en
�226
227
cours de peine et sont placés sous le patronage du Comité de
Probation. Le service de la Probation ne dispose pas de secrétariat et aucun agent de probation qualifié n'a été nommé à la
Réunion.
Nul ne s'étonnera dans ces conditions si les tribunaux, qui
seraient tout disposés à faire un usage plus grand de la Probation, ne condamnent qu'exceptionnellement au sursis avec mise à
l'épreuve. On ne peut que regretter cet état de chose, car le régime de la Probation pourrait donner d'aussi bons résultats
qu'à l'TIe Maurice.
L'usage de la probation aurait l'avantage de réduire le
nombre des condamnés à des peines privatives de liberté, tout
en assurant plus efficacement la rééducation des délinquants en
milieu libre, méthode qui peut se révéler plus efficace que le
traitement en institution, même en maison d'éducation surveillée.
CONCLUSION
En comparant les institutions de Maurice et de la Réunion
et en insistant surtout sur les premières, l'auteur de ce bref
exposé n'a pas recherché à établir la supériorité d'un système
sur l'autre, mais s'est efforcé seulement de démontrer que l'application sans réserve et généreuse de méthodes pénitentiaires
modernes à une communauté des tropiques était une opération
payante à tous égards. Les problèmes de la délinquance sont
sensiblement identiques sous toutes les latitudes.
Le développement de la Probation, l'organisation du travail et de la formation professionnelle, l'expérience d'une institution ouverte comme celle de llichelieu, sont des réussites à
mettre à l'actif des autorités mauriciennes, qui ont fait preuve
de réalisme.
Le Code de Procédure Pénale français met à la disposition
de l'administration pénitentiaire de la Réunion un outil remarquable, mais dont elle ne peut se servir faute d'un équipement
approprié et d'un personnel qualifié. Cette confrontation était
nécessaire et prouve que le retard peut être rattrapé mais il ne
peut l'être qu'à la condition que ces problèmes trouvent un écho
favorable dans l'opinion publique réunionnaise qui est mal
informée.
Pour y parvenir, il faut avant tout que les problèmes de
la délinquance à la Réunion soient replacés dans leur contexte
social. L'opinion publique saisirai t alors que les sacrifices financiers que le~r solu tion entraîne, sont tout aussi justifiés que
ceux consentis pour lutter contre les taudis ou la sous-ali men -
tation . Il y va de l'avenir d' une communauté de 400 000 âmes
qui chaque ann ée voit 2 000 des siens, adultes ou mineurs,
passer par les prison s.
�T ABLE DES MATIÈRES
Préface .. .
Allocution inaugurale, pa r Géra rd CONAC
(Directeur de l'Institu t d'Etudes Juridiques et des Centres
d'Enseignement Supéri eur de la Réunion) .. . ....... . .
Allocution, p a r S. H. H a rold G LOVER
(Juge à la Cour Suprême de Port-Louis, Ile Maurice,
Prés ident de la D élégati o n Maur icienne) ......... . . .
9
Allocution de b ie nvenue, p ar M . DI EFE NBACHER
(préfet de la Réunion) .. . .........................
15
Message au x Congressistes de la R éunion, p ar Sir Rampe rsad NEERUNJUN
(K. T., O. B. E., Q. C.) . . .. . . .. .. . . . ... .. .........
17
Xavier BLANC-JOUVAN
(professeur à la Faculté de Dro it et des Sciences Economiqu es d'Aix -eo-Prove nce).
Introdu cti on à l'étud e comparée des Dro its de l'Océa n
Indien . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
19
Auguste TOUSSA INT
(O. E. B., ph. D., Archiviste en chef de l' Ile Maurice).
Histoire du D roit et des Institut ions de l'll e-de-Fra nce et
de l'Ile Bourbon jusqu 'eo 18 15. . ................. . .
35
André SCHERER
(Archi viste-P aléographe, Directeur des Services d'Archives
de la Réunion).
Histoire des Institut ions de la Réun ion de 18 15 à 1947 ..
43
Roger HOUIN
(pro fesseur à la Faculté de Dro it et des Sciences Eco nomiques de Pari s, Doyen Ho noraire de la Facult é de Dro it
de Rennes).
L'évo lutj o n du Dro it civ il et les projets de rév ision du
Code civil frança is . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
55
Alfred J AUF FRET
(professeur à la Facult é de D roi t et des Sciences Economiques que l'U nive rsité de Marseille).
L'évolution du D ro it commercial français ....... .. ...
67
�230
Bernard PARlZOT
(Maître-Ass istant à la Faculté de DroÎt et des Sciences
Economiques d'Aix-eo-Provence) [Institut d'Etudes Juridiques de Sai nt-D enîs-de-Ia-R éunion].
L'évo lution du Droil pénal frança is ............. . . . . .
77
Raymond MARRIER D' UNIENVILLE
(Avocat à la Cour, Port-Louis).
L'évolution du Droit civil mauricien ................
89
André ROBERT
(Avoué, Port-Lo ui s).
L'évolution du Droit commerci al mauricien ........ . .
109
MaUlice LAVOIPIERRE
(Avocat à la Cour, Prés ident du Mauri cius Bar Associat ion)
L'évolution du Droi t pénal mauricien ..............
127
Hamid MOOLLAN
(Avocat à la Cour, Port-Louis).
Les djfficultés d'application des codes français à )'lIe
137
Maurice et les projets de cod ific ation ........... . ..
Roger D UBRUEL DE B ROGLIO
(Avocat de la Couronne, Port-Louis, agissant depuis le
mo is d'avril 1967 comme Solicitor General).
Cours et Tribunaux (1815-1965) de l'Il e M aurice....
151
Jea n VINSON
(Avocat à la Cour, ancien Bâtonnier, Saint-Den is).
La législati on applicable en matière de Droit pri vé .... 165
Jacques GRANIER
(Juge d' Instructi on).
Problèmes de crim inolog ie et de Droit pénal à la Réunion . 177
M a rcel BONNARDEAU
(Juge au Tribunal de Grande lnstance de Saint-Denis-dela-Réun ion).
La répression des délits co ntre la famille à la Réunion ..
189
R ené KICHENIN
(Avocat à la Cou r).
L'organisation judiciaire et ses particu larités de procédure
civile à la Réunion ...................... ..... ... 201
André COUTURIER
(Juge de l'Application des Peines au Tribunal de Grande
Instance de Saint-Denis).
L'organisation pénitentiaire de l'Il e Mauri ce et du Département de la Réunion ...................... . ... .. 213
lmpr. Louis-Jean, OS-Gap
D épôt légal n° 104-1969
�
https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/2/286/RES-50038_Annales-Droit_1972_N58.pdf
678d0b31a26b2dbf6222852a4a090155
PDF Text
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ANNALES
DE LA .F ACULTÉ DE DROIT
ET DE SCIENCE POLITIQ!IE
0'AIX - MARSEILLE
1972
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��S A L L E DE DROIT PRIVÉ
ANNALES DE LA FACULTÉ DE DROIT
ET DE S C I E N C E P O L I T I Q U E
DE L’UNIVERSITÉ D’AIX-MARSEILLE
��ANNALES
DE LA
FACULTÉ DE DROIT
ET DE
SCIENCE POLITIQUE
D ’AIX- MARSEI LLE
P R E S S E S U N IV E R S IT A IR E S D E F R A N C E
108, boulevard Saint-Germain, Paris
1972
�Dépôt légal. — 1er édition : 4 e trimestre 1972
© 1972, Presses Universitaires de France
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teur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite” (alinéa 1 " de l’article 40).
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donc une contrefaçon sanctionnée par les articles 425 et suivants du Code Pénal.
�SOMMATRE
Pages
C.
DURAND : Le pouvoir napoléonien et ses légitimités.................
7
R. GARRON : L’autonomie du droit international relatif à l’exploita
tion des richesses maritimes...............................................................
35
J.-L. BERGEL : Etude comparée des modes d’exonération légale de
responsabilité des transporteurs internationaux de marchandises
73
F.-P. BLANC : La preuve de la Noblesse de race en Provence à l’épo
que des réformations de Louis XIV................................................
131
F.-P. BLANC : Note sur la Noblesse personnelle intransmissible à tra
vers les réformations de la Noblesse provençale (1666-1718)....
153
F.-P. BLANC : L’usurpation de noblesse en Provence à l’époque de
la première réformation (1666-1669)................................................
167
M. GANZIN : Le Parlement de Provence, la physiocratie et la po
lice des grains (1760-1770)................................................................
321
P. KASTARI : L’institution de L’Ombudsman dansle contexte Scandi
nave......................................................................................................
379
M. BELOFF : Le fonctionnement actuel des institutions politiques
de la Grande-Bretagne.........................................................................
395
��LE POUVOIR NAPOLÉONIEN
ET SES LÉGITIMITÉS
par Charles DURAND
Professeur honoraire à la Faculté de Droit
et de Science Politique d’Aix - Marseille
L’option désintéressée d’un individu en faveur d’un régime politique
peut tenir uniquement ou surtout à l’opinion que —parmi les institutions
semblant réalisables et viables en tel temps et en tel Etat —il présente le plus
de chances relatives d’y procurer ordinairement le service le meilleur ou le
moins mauvais de l’intérêt public concret et durable, qui ne se réduit pas à
ses aspects matériels. Une recherche sérieuse faite en ce sens implique effort
personnel de réflexion et d’objectivité, esprit critique et sens du relatif. Elle
ne peut prétendre aboutir toujours sur tous les points au confort de la
-certitude surtout stable. Elle est donc peu attrayante pour beaucoup de gens.
Consistant à apprécier des possibilités et des opportunités pratiques sur des
objets fort complexes, elle conduit souvent à des résultats divergents selon les
individus, leur tempérament et leur formation. Elle n’est donc guère propre à
pourvoir un régime quelconque de clientèles massives à la foi indéfectible.
Aussi beaucoup de ceux qui s’en tiennent à ce procédé pour tâcher d’arriver
à une option politique personnelle jugent plus efficace de se placer, pour la
propager, sur un autre terrain.
Une conception différente de la vie politique prétend se situer au-dessus
de préoccupations tenues par divers esprits pour bornées et terre à terre. Du
moins à l’état pur elle tend à la certitude intellectuelle et à l’absolu, elle se
refuse à prendre pour point de départ les institutions existantes et à
s’accomoder d’un moindre mal ou de transactions utilitaires entre principes
contraires. Elle repose en effet sur l’affirmation de dogmes supérieurs à
l’opportunité actuelle et à l’empirisme, dogmes souvent même censés s'imposer
en toute époque et en tout pays.
Sur un tel plan l’efficacité pratique d’un régime quant à la satisfaction
des besoins publics majeurs ne suffit pas à justifier son existence et sa
structure. Il doit posséder avant tout une légitimité morale liée à une base
idéologique concernant l’origine, l’attribution initiale et le mode de transmis
sion du pouvoir, souvent aussi quelque trait essentiel de son exercice. Ainsi
apparaît une notion métaphysique : la vocation exclusive et supra-juridique
de tel régime politique abstrait à exister en fait et même, en plusieurs
doctrines, celle de tel homme, de telle famille ou de telle catégorie à détenir
le pouvoir suprême en vertu d’un droit propre et non d’une collation
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émanant d’autrui (1). Qu’il prétende se fonder sur une volonté divine ou sur
une exigence de la Raison et du droit naturel, aucun des systèmes proposés à
cet égard ne satisfait l’esprit critique mais tous se situent sur le plan de la foi
et de la mystique, où le caractère simpliste et absolu de leur principe se prête
aux entraînements collectifs et peut séduire ou même, en certains moments,
passionner des masses.
La politique pragmatique et le sens du réel doivent donc tenir compte
de telles croyances lorsqu’elles sont courantes en une nation ou chez ses
éléments actifs. Certes, elles peuvent y être voilées, ébranlées, voire ruinées, à
un moment donné, chez beaucoup de leurs adhérents, par le souci d’intérêts
pratiques (privés ou nationaux), par l’effet moral des situations concrètes et
des évènements réels ou apparents, par des questions de personnes. Ces
dernières peuvent en effet, elles aussi, prendre un caractère passionnel et il
arrive souvent que, justifiés ou non, le prestige ou le discrédit d’un homme
viennent primer dans l’ensemble d’une nation l’autorité morale ou intellec
tuelle des doctrines concernant la légitimité métaphysique d’un régime.
Celles-ci constituent du moins, tant qu’elles sont très répandues, soit un
appui et une arme soit un obstacle pour les détenteurs actuels du pouvoir ou
pour leurs adversaires. Pour les premiers, la conviction dominante de leur
légitimité représente un soutien, un instrument de règne, un facteur relatif de
stabilité. En outre elle facilite plus ou moins l’obéissance habituelle dans la
masse de leurs adeptes. Quoi qu’on pense de leur contenu, l’existence de telles
croyances est donc un élément courant, durable et peut-être même nécessaire
de toute organisation sociale. Aussi les gouvernants, individuels ou collectifs,
visent en général à se parer d’un telle légitimité.
Mais chacun de ces dogmes politiques est susceptible, sur plusieurs points
importants, d’interprétations diverses justifiant des solutions pratiques variées
et des cadres juridiques très différents. L’élaboration ou l’adoption d’un
système doctrinal et a fortiori l’interprétation de ses principes abstraits sont
souvent dictées à leurs auteurs ou à une partie d’entre eux, et aussi à
beaucoup de leurs adeptes, par des buts concrets et préconçus relevant de
leurs ambitions propres, d’une conception désintéressée de l’intérêt public ou
d’une fusion plus ou moins consciente de ces deux mobiles. C’est donc
essentiellement une question d’efficacité et d’opportunité, liée aux circons
tances de temps et de lieu, que pose souvent à l’homme politique le choix
d’un principe métaphysique ou surtout d’une interprétation en vue de sa
(1) La souveraineté dans l’Etat est alors sur le plan métaphysique cette vocation
d’un individu ou d’un groupe et sur le plan juridique (du moins selon le sens le plus
correct) la détention et l’exercice du pouvoir suprême en droit positif. Selon cette
idéologie aucun pouvoir politique n’est légitime s’il n’est exercé par le souverain — dans le
premier des sens visés ci-dessus — ou, sur sa délégation, par ses représentants ou ses
organes. Mais cette idée n’a une véritable portée positive quant aux institutions que si le
souverain est non une entité ou une collectivité abstraite mais soit un individu, soit un
groupe d’individus vivants suffisamment déterminés pour pouvoir prendre une décision
majoritaire, fût-ce aux fins de déléguer à autrui l’exercice futur de la souveraineté.
�9
mise en œuvre. Il arrive même —et la présente étude en fournira un
exemple — qu’un régime politique invoque, successivement voire simultané
ment, deux fondements théoriques différents sinon contraires.
Il est des périodes où l’un des dogmes concevables est tellement
dominant dans l’ensemble d’une nation que ses contempteurs —qu’ils le
jugent irrationnel, dangereux, ou seulement irréalisable, qu’ils soient attachés
à un autre ou réfractaires à tous — ne sauraient le contester utilement de
front quant au présent. Ils doivent même souvent, s’ils aspirent à un rôle
politique actif, s’en réclamer hautement, quitte à tâcher de faire prévaloir
plus ou moins, quand il s’agit de l’interpréter et de l’appliquer, la solution
pratique dont les conséquences probables leur paraissent les moins nocives.
La situation est plus complexe dans la France de 1799. Deux prétendus
d o g m es politiques s’opposent, et depuis longtemps, dans les esprits, quant à
l’origine et à la dévolution du pouvoir suprême. L’un d’eux affirme la
souveraineté héréditaire du roi en la fondant sur la volonté divine manifestée
par une longue possession de fait et éventuellement par le sacre et le
couronnement religieux. L’autre proclame comme de d ro it n a tu re l la souve
raineté originaire de la na tio n ou du p euple, deux termes dont chacun
comporte plusieurs sens mais qui évoquent une aspiration à des éléments plus
ou moins larges et réels de démocratie politique et de régime électif.
Au Moyen-Age des doctrines ont tendu à concilier ce principe avec la
monarchie héréditaire : au nom de la nation, détentrice originaire du pouvoir
supra-juridique, un pacte exprès ou tacite en a confié à un roi et à sa
dynastie l’exercice, qui doit avoir pour but l’intérêt public durable et peut
aussi être soumis à d’autres conditions. Discréditée au XVIIe siècle dans
l’Europe continentale au profit de la pure souveraineté royale, cette idée de
la monarchie fonction contractuelle revit au XVIIIe siècle chez plusieurs
d esp o tes éclairés, notamment Frédéric en Prusse et Léopold en Toscane,
sinon quant aux modalités et aux sanctions qu’elle peut comporter du moins
quant au but exclusif du pouvoir politique et aux devoirs qui en résultent
pour le roi “p re m ie r serviteu r d e l ’E t a t ”. Mais, aussi bien que la souveraineté
royale (à base soit de d ro it divin, soit de p re sc rip tio n transformant en
propriété l’exercice d’une fonction), cette idée de contrat est répudiée par les
constituants français de 1789 comme contraire à la souveraineté absolue,
inaliénable et indivisible de la na tio n ou du p euple. Celle-ci exige en effet
que même le meilleur roi remplissant toutes ses obligations puisse être
détrôné avec sa dynastie par une révision constitutionnelle faite en dehors de
lui, car il est non pas un co-contractant mais un délégué, voire selon plusieurs
un c o m m is du souverain.
Mais si la na tio n ou le p e u p le est une collectivité abstraite qui comprend
tous les nationaux vivants de tout âge (et a fo r tio r i s’il s’y ajoute ceux qui
sont décédés ou ceux qui ne sont pas encore nés) le problème- de la
délégation initiale de ses pouvoirs est logiquement insoluble puisqu’un tel
�souverain ne peut matériellement rien décider (2). On y remédie par des
expédients mais cette souveraineté d’un être abstrait a peu de portée positive
quant au régime constitutionnel de l’Etat et admet aussi bien l’électoratfonction, même censitaire, que le suffrage universel et égalitaire des deux
sexes, l’indépendance absolue du représentant élu que le mandat impératif ou
le referendum, la division que la concentration des pouvoirs, etc.
En outre chacun des termes nation, peuple et même souveraineté
comportant plusieurs contenus, l’équivoque, voulue ou non, d’une formule
où ils figurent facilite son utilisation en des sens variés. Elle permet souvent
aux gouvernants (lato sensu) de capter l’autorité morale des idées ou des
sentiments que suscite ou flatte l’un des sens concevables, sans se trouver
fortement entravés dans l’agencement juridique du régime constitutionnel. A
cet égard, sans être négligeable ni même toujours secondaire, l’influence de la
souveraineté métaphysique proclamée n’est jamais que relative. On ne le sent
ou du moins on ne l’avoue guère en 1789 mais la réalité politique va
rapidement bousculer l’absolutisme dogmatique des principes abstraits, même
dans l’esprit de beaucoup de leurs zélateurs. Cela ne tient pas uniquement à
cette part, plus ou moins grande, d’égoisme, inhérente (et même, selon
M. Bertrand de Jouvenel, nécessaire) à l’exercice, individuel ou collégial,
héréditaire ou électif, du pouvoir politique. Faute de pouvoir soumettre au
dogme le fait, qui ne comprend pas seulement des aspects matériels, on
tendra souvent à adapter dans la règle juridique le dogme au fait, accepté ou
subi, appelé s’il en est besoin nature des choses ou nécessité.
Dix ans après les débuts de l’Assemblée constituante, pour des motifs
variés, d’ordre sentimental, idéologique ou pratique la royauté a conservé des
fidèles, même désintéressés, malgré l’effet moral d’un effondrement préparé
par bien des déceptions et par quarante ans, au moins, d’attaques idéolo
giques croissantes contre les fondements mêmes du régime. La Révolution a
fait triompher le principe contraire, sinon quant à l’application réelle de tous
ses préceptes positifs hautement proclamés, du moins dans la théorie officielle
et dans une grande partie de l’opinion ; mais, encore peu enraciné en de
nombreux esprits, il y a pâti (comme jadis le principe monarchique) des
évènements survenus sous son égide. Le règne de minorités violentes et
persécutrices, les excès de la Terreur, le désordre croissant dans la France du
Directoire ont déçu bien des gens qui demandent maintenant à un régime
politique des satisfactions concrètes pour l’intérêt collectif bien plus que la
consécration d’une doctrine métaphysique. A cet égard un vide idéologique
fait de désarroi a gagné beaucoup d’esprits, les a rendus disponibles pour
subir d’autres emprises, y compris celle d’une personnalité forte.
(2) Si, au contraire, le peuple est le corps des citoyens actifs, il peut décider ou
élire par un vote majoritaire. Encore faut-il pratiquement, même avec un suffrage universel
égal (et ouvert aux deux sexes, ce que ne veulent ni Rousseau ni la Convention), qu’un
minimum d’âge soit fixé par une règle expresse ou tacite, antérieure à la première décision
du souverain et comportant une appréciation plus ou moins arbitraire dont le contenu
n’est pas dicté de façon universelle et certaine par le droit naturel ou la raison abstraite.
�11
Or, en même temps et pour des raisons en partie différentes, une
évolution aussi marquée s’est produite chez beaucoup des gouvernants, des
membres d’assemblées, des révolutionnaires assagis. Les uns ont perdu la foi
soit dans la valeur propre des principes constitutionnels de 1793, sinon de
1789, soit du moins dans la possibilité pratique de faire vivre durablement
sous aucune forme juridique un régime de démocratie réelle. D’autres voient
sans doute la question sous l’angle pragmatique quant à l’intérêt national ou à
la satisfaction de leurs propres ambitions, hautes ou basses ; la coexistence de
ces deux mobiles n’est nullement exclue. Les uns et les autres maintiennent
le principe de la souveraineté de la nation ou dü peuple mais ils entendent
l’interpréter restrictivement, et non seulement pour une courte période
d’extrême péril national.
Que Napoléon Bonaparte ait ou non, comme il 1affirmera en 1812
selon Caulaincourt, souhaité seulement en 1789 une “m o n a rch ie te m p é r é e ”
sans favoritisme et ouvrant des routes au mérite, il semble bien avoir vite
adhéré au principe abstrait de la so uveraineté du peuple. Mais même s’il a
tendu en 1793 à une démocratie réelle ses idées ont évolué, dès avant ses
victoires d’Italie et son proconsulat d’Egypte, et non pas exactement comme
celles des hommes politiques au pouvoir.
Ces derniers ont montré en fructidor an III (avec le d é cret des d e u x
tiers) puis en fructidor an V et en floréal an VI qu’ils entendent réserver à
des mains sûres “le d é p ô t sacré d e la C o n s titu tio n ”, c’est-à-dire g u id er le
corps électoral en limitant son pouvoir de choix ou en rectifiant ses erreurs.
En l’an VIII, comme le recours fréquent à ces procédés semble devenir
malaisé, beaucoup tendent à établir, ouvertement cette fois et à leur profit,
un régime dans lequel la cooptation jouera un plus grand rôle que l’élection
par les citoyens. La constitution de frimaire an VIII consacre largement ces
vues et ce n’est pas sous la pression ou sur l’initiative de Bonaparte.
Evitant toute déclaration idéologique et ignorant même les termes
et souveraineté, elle se place néanmoins dans le cadre de la
démocratie formelle en employant trois fois la formule “la N a tio n française
d é c la re . . . ” et surtout en soumettant son propre contenu à “l ’a c ce p ta tio n du
p e u p le fra n ç a is”. Mais elle ne prévoit pour l’avenir aucun autre plébiscite, elle
confie en fait aux principaux brumairiens le soin de donner leur composition
initiale aux trois assemblées politiques et, par surcroît, ses rédacteurs, issus
des chambres du régime directorial, la mettront bientôt en vigueur avant
l’achèvement du plébiscite.
Le rôle futur des citoyens actifs, c’est-à-dire du suffrage universel, doit
se réduire à limiter (peu étroitement) à partir de l’an IX, par des listes de
présentation à trois degrés, les renouvellements à faire parmi une partie des
agents publics. Pour le haut personnel politique ils seront l’œuvre d’un Sénat
coopté et formé de membres à vie. C’est répudier tacitement les conceptions
de 1789 qui liaient le caractère re p ré se n ta tif et par conséquent le pouvoir des
organes législatif et constituant à une élection, directe ou indirecte, faite par
les citoyens actifs pour un temps limité. C’est précisément cette substitution
souverain
�12
presque totale de l’oligarchie cooptée à l’oligarchie élective que louent
plusieurs brumairiens d’assemblée ou d’institut. Cabanis, qui réunit ces deux
qualités et fit partie des commissions dont émane le projet de constitution, le
proclame alors ouvertement :
“Voilà la démocratie purgée de tous ses inconvénients. Il n’y a plus ici
de populace à remuer au fo r u m ou dans les clubs ; la classe ignorante
n’exerce plus aucune influence, ni sur la législature, ni sur le gouverne
ment ; partant, plus de démagogues. Tout se fait pour le peuple et au nom
du peuple : rien ne se fait par lui ni sous sa dictée irréfléchie”.
Plus crûment un aide de camp du général Ney lui écrit de Paris, le
7 ventôse suivant, que le nouveau régime doit rallier notamment les hommes
(et lui-même semble en faire partie) qui “seraient bien persuadés qu’un
peuple quelconque n’est que comme un enfant imbécile dont il faut que de
bons parents dirigent les plus chers intérêts, sans même le consulter sur les
moyens d’y parvenir” (3).
Certes, notamment dans l’armée, beaucoup de ceux dont le vote ratifia
le projet de constitution ne partageaient pas —bien loin de là — cette
opposition radicale au principe démocratique. Le plébiscite de l’an VIII n’en
réalise pas moins, pour un temps non limité, l’abandon effectif de ce principe
(fût-il atténué) par la quasi-abdication du corps des citoyens qui renonce
même à élire ses législateurs. Les réformes constitutionnelles de l’an X et de
l’an XII modifieront les situations respectives des organes politiques qui ont
bénéficié de cette abdication, elles ne rendront pas celle-ci plus complète et
plus définitive.
L’adoption de règles abstraites n’est cependant pas l’objet exclusif du
plébiscite ouvert en l’an VIII. Il comporte aussi une désignation personnelle
qui a sans doute fait accepter le reste par beaucoup de votants. Il est en effet
dans la Constitution un article qui, du moins pour une période initiale de dix
ans au plus, soustrait au régime de cooptation le recrutement de l’une des
fonctions publiques supérieures, celle qui comportera, même en droit, le
pouvoir prépondérant puisqu’elle joint à la plénitude du pouvoir exécutif
l’initiative exclusive de toute loi.
Le 19 septembre 1797, quand Bonaparte écrivait à Talleyrand que le
vrai représentant de la nation doit être le g o u v e rn e m e n t composé de deux
organes bien distincts, le législatif et l’exécutif et que celui-ci doit voir relever
sensiblement sa situation et ses pouvoirs, il déclarait que ces deux “m agistra
tu re s” doivent être “n o m m é e s p a r le p e u p le ”. Or si la Constitution de l’an
VIII fait élire les Consuls par le Sénat, son article 39 les désigne (et par
conséquent c’est le plébiscite qui les élit) pour la période initiale. Le premier
Consul est donc alors n o m m é p a r le p e u p le dont il pourra se dire le seul
re p résen ta n t réel, face aux assemblées cooptées. Il ne le laissera pas oublier,
il n amoindrira pas, bien au contraire, sa situation personnelle, son autorité
(3) E. Picard Bonaparte et Moreau p., 248 note 4.
�13
morale, lorsqu’il portera, le 14 juillet 1800, au retour de Marengo, le toast :
“Au peuple français, notre souverain à tous” avant d’accentuer presque
aussitôt le caractère personnel et entreprenant de sa politique.
Lorsqu’au printemps de l’an X il juge le moment venu de rendre son
pouvoir viager sans être obligé pour cela de se faire réélire tous les dix ans
par le Sénat, on peut douter qu’il se fût contenté d’un consulat à vie accordé
par cette assemblée —même si elle l’avait décidé ainsi — alors qu’un
plébiscite au résultat assuré devait le consacrer à nouveau unique représentant
élu des citoyens, du souverain théorique. Il affirme alors qu’il n’acceptera
une prolongation de son mandat que si “le vœu du peuple” le lui commande
et cette résolution est présentée officiellement comme étant “un hommage
éclatant rendu à la souveraineté du peuple” (4). Il déclare à une députation
du Tribunat que le Gouvernement aura constamment pour but “l’intérêt du
peuple d ’où dérivent tous les pouvoirs” et à une députation du Corps
législatif que lorsque les citoyens auront manifesté sur ce point leur volonté
“elle sera obéie”. Selon sa réponse au Sénat après le plébiscite, il obéit à
cette volonté, manifestée par le peuple, qu’à celui-ci soit consacrée sa vie
entière.
Parmi les anciens révolutionnaires, même arrivés, même brumairiens et
no-auteurs de la Constitution de l’an VIII, beaucoup réprouvent l’évolution
du régime et surtout le Consulat à vie, soit par croyance persistante au
principe démocratique et à la possibilité de le réaliser, soit par inquiétude
devant le progrès d’un pouvoir personnel qui éclipse de plus en plus le corps
dont eux-mêmes font partie. Mais d’autres se rallient ou se résignent à ces
transformations (5). Dans l’ensemble de la nation beaucoup d’hommes restés
violemment opposés à une restauration des Bourbons, même faite sans
concours de l’étranger ou retour à l’Ancien Régime, sont devenus indifférents
à la notion métaphysique de souveraineté comme à la démocratie politique et
ils s’accomodent de ce que le pouvoir suprême soit pratiquement conféré à
Bonaparte pour sa vie entière. Pour eux l’autorité morale d’un homme, basée
sur des résultats acquis et des espoirs dans l’avenir, éclipsa vraiment la
croyance en un principe abstrait :
“Le fantôme croula sous le poids d ’un mortel”.
Le plébiscite de l’an X écarte en réalité et définitivement la notion
d’organe exécutif désigné pour un temps limité. Le sénatus-consulte du 16
(4) . . Il aurait dit à Thibaudeau le 6 prairial :
“Le recours au peuple a le double avantage de légaliser la prorogation et de purifier
l’origine de mon pouvoir. Autrement il aurait toujours paru équivoque. J’ai fait ce que
vous avez fait vous-même à la Convention, lors des décrets des 5 et 13 fructidor [an III]
qui ont causé tant de bruit” . {Mémoires sur le Consulat p. 264).
(5) Selon Madame de Staël, l’ex-conventionnel votant Thibaudeau, conseiller d’Etat,
lui aurait, dès frimaire an X, dit “qu’il fallait prendre son parti de la perte des idées de la
révolution pourvu que Bonaparte continuât de protéger les hommes de la révolution” .
(P. Gautier. Lettres de Mme de Staël au roi Joseph dans la Revue des Deux Mondes
Ie janvier 1937, p. 57).
�14
thermidor an X, docilement voté par le Sénat sur (initiative de Bonaparte,
modifie la Constitution originaire sans être soumis lui-même à plébiscite et
prévoit l’emploi du même procédé pour des révisions futures éventuelles.
D’après cet acte “les Consuls sont à vie”. Les successeurs de Bonaparte
seront donc eux aussi, désignés à vie, toujours par le Sénat, mais sur
présentation éventuelle de leur prédécesseur et de ses collègues. Le rôle des
citoyens actifs dans l’Etat se réduira à élire, en principe à vie, les membres
des collèges électoraux dont les présentations limiteront —plus que le
système initial des listes —le choix futur des sénateurs, des législateurs et des
tribuns. C’est une faible réalisation juridique et pratique du principe, encore
reconnu, de la souveraineté du peuple. Bonaparte peut encore se dire le
délégué direct de ce souverain fictif mais aucun de ses successeurs ne le
pourra. Que la fonction publique prépondérante soit transférée par voie
d’hérédité écarterait l’égalité juridique pour l’accès à cette fonction mais le
souverain serait-il davantage dépossédé en fait que par un régime qui combine
la cooptation et le choix émanant d’une oligarchie inamovible et non
élective ?
Cette question de l’hérédité, agitée dès l’an X sinon plus tôt autour du
premier Consul, se pose enfin en l’an XII sur le plan juridique et dépasse de
loin la création d’un nouveau titre plus imposant. Selon Thibaudeau,
Bonaparte déclarait en l’an X, au Conseil d’Etat, le pouvoir héréditaire
“impossible en France” comme incompatible “avec le principe de la souve
raineté du peuple” (6). Ce principe et même celui de la souveraineté
nationale entendue selon le sens plutôt négatif proclamé en 1789 ont déjà
été bien atteints en l’an VIII et surtout en l’an X dès lors que, contrairement
au roi de 1791 d’ailleurs doté de moindres pouvoirs, le premier Consul à vie
ne peut être déchu par une révision constitutionnelle décidée en dehors de
lui. Or il s’agit d’étendre une telle puissance et une telle immunité à toute
une dynastie future. Certes beaucoup des hommes de 1789 ou de 1793,
même restés démocrates en théorie, sont disposés à voir un moindre mal et
un rempart contre une restauration des Bourbons dans une monarchie qui
s’appuierait sur des hommes de la Révolution déjà bien placés dans le régime
existant (7). Il convient cependant d’atténuer au maximum, au moins tempo
rairement, la rupture avec la mystique antérieure de souveraineté nationale
ou populaire. A cet égard les formules employées par Bonaparte lui-même ou
par les partisans (convaincus ou résignés) de l’hérédité mettent en avant
plusieurs idées.
(6) Mémoires sur le Consulat pp. 298-299.
(7) Ils peuvent d’ailleurs penser que si Joseph Bonaparte accède un jour au trône il
laissera vite reprendre dans l’Etat un grand rôle, voire en fait le rôle principal, aux
éléments oligarchiques écartés ou subjugués par son frère et sera le monarque au rôle
presque passif souhaité jadis par une grande partie de l’Assemblée constituante. Aussi
est-ce en partie aux manœuvres de plusieurs d’entre eux qu’il dut d’avoir une place
éventuelle dans la ligne de successibilité malgré les intentions premières de Napoléon.
�SA LLE DE DROIT PRIVE
15
L’une d’elles consiste à réduire la portée du principe même ; en ce sens
le message adressé au Sénat le 5 floréal par le premier Consul déclare que “la
souveraineté réside dans le peuple français, en ce sens que tout, tout sans
exception, doit être fait pour son bonheur et pour sa gloire”. C’est en
exclure l’attribution et la transmission du pouvoir et réduire à “Tout pour le
peuple” le contenu de cette souveraineté qui, en 1793, était censée signifier
“Tout par le peuple ou par ses agents élus à temps”. A plusieurs des
vingt-trois tribuns qui soutinrent par des discours la motion de leur collègue
Curée en faveur d’un empire héréditaire, cette conception nouvelle de la
souveraineté du peuple parut insuffisante. Tous invoquent l’opportunité ou
même la nécessité politique de revenir à l’hérédité du pouvoir et d’opposer
au danger de restauration bourbonienne une dynastie issue de la Révolution ;
c’est aussi sur ce terrain que les contredit Carnot, l’unique opposant.
Plusieurs s’attachent en outre à établir qu’une monarchie héréditaire n’est pas
incompatible avec les principes de 1789. Pour eux la souveraineté nationale
ou populaire consiste essentiellement en ce que le peuple attribue le pouvoir
politique sous la condition que celui-ci sera exercé dans l’intérêt public.
Quelques-uns exigent aussi le respect de la liberté civile, de l’égalité, de la
propriété ; Grenier ajoute la primauté de la loi et voit en tous ces traits les
éléments constitutifs d’une république, même avec un monarque hérédi
taire (8).
Ces tribuns reprennent ainsi une doctrine existant depuis le Moyen-Age :
il est conclu entre la nation et le monarque fondateur d’une dynastie un
pacte, un contrat qui impose des obligations mutuelles aux deux parties. Ils
estiment du reste, contrairement aux idées dominantes en 1789, qu’il n’y a
pas là une aliénation de la souveraineté car, si ce contrat est en principe
irrévocable, plusieurs tribuns disent expressément —comme jadis plusieurs
monarchomaques ou ligueurs au XVIe siècle et Jurieu au XVIIe que la
nation peut mettre ordre par la déchéance de la dynastie soit à l’incapacité
manifeste de ses membres, soit à la violation des conditions expresses ou
tacites établies par ce pacte. C’est ce qui a permis aux Carolingiens, puis aux
Capétiens de remplacer une famille dégénérée, aux Brunswick-Hanovre de se
substituer aux Stuarts ; c’est ce principe qui vient de faire ôter aux Bourbons
le pouvoir qu’il avait jadis fait attribuer à leurs ancêtres. Tout en déclarant
que “l’empire des volontés et des systèmes reconnaît l’empire suprême de la
nécessité” , Carrion-Nisas exprime avec force comment peuvent se concilier
monarchie héréditaire et souveraineté nationale. Il cite et commente ainsi le
serment jadis prêté par les Cortès d’Espagne au Roi :
“Nous autres qui valons autant que toi; voilà l’égalité primitive.
“Qui pouvons plus que toi ; voilà la souveraineté nationale.
“Nous te faisons notre chef ; voilà le contrat.
(8)
Jard-Panvilliers et Perrin estiment en outre que la nation continue d’exercer sa
souveraineté quand elle légifère par l’organe de ses représentants,; ils ne se demandent pas
de quelle origine les assemblées actuelles tiennent cette qualité et ils ne relèvent pas
qu’aucune d’elles n’a l’initiative de la loi ou du sénatus-consulte.
�“Pour être le gardien de nos intérêts ; voilà la condition,
“Sinon, non ; voilà la menace, l’annonce du châtiment qui suivra l’oubli du
devoir.
“Famille que la France appelle à régner, vous venez d’entendre votre titre.
“Famille que la France écarte à jamais, vous avez entendu votre condamna
tion;
“Que l’une serve à l’autre d’un exemple vivant et salutaire”.
Le Sénat déclare aussi dans son message du 14 floréal an XII au premier
Consul :
“Il faut que la liberté et l’égalité soient sacrées ; que le pacte social ne
puisse pas être violé ; que la souveraineté du peuple ne soit jamais méconnue
et que dans les temps les plus reculés, la Nation ne soit jamais forcée de
ressaisir la puissance et de venger sa majesté outragée’’ (9).
Or en décidant que “le gouvernement de la République est confié à un
empereur” héréditaire, la Constitution ainsi modifiée ne prévoit aucun procédé
juridique pour détrôner celui-ci ou la dynastie. La sanction visée ci-dessus ne
peut donc être que la révolution ou le coup d’Etat (militaire, parlementaire,
etc.), évènements que ne saurait empêcher aucun texte sous aucun régime.
Cette sanction peut être la suite d’une décision gouvernementale impopulaire
mais aussi correcte en droit que conforme à un intérêt public primordial et
durable. Elle est d’ailleurs, en général, l’oeuvre d’une “minorité agissante”,
dût-elle ensuite être confirmée, comme il est courant, par un plébiscite ou
par une assemblée élue, même en des conditions. . . spéciales. Lier la
légitimité démocratique d’un régime à ce qu’il n’est pas renversé par voie
révolutionnaire la ramène donc essentiellement à une question de force qui
fait d’ailleurs une large place à des facteurs moraux, en partie créés ou
animés par la propagande, mais n’impliquant pas une véritable adhésion de la
majorité (10).
C’est donc avant tout sur le mode de création et d’attribution d’un
pouvoir héréditaire et sur le serment de l’Empereur qu’on fit alors reposer
(9) François de Neufchateau, président du Sénat, déclare aussi, la veille du
couronnement, dans son discours à l’Empereur, en visant le serment que va prêter
celui-ci :
“ . . . ce serment remarquable paraît avoir été écrit sous la dictée de la nation toute
entière. C’est à ce prix aussi que la nation toute entière jure de vous être fidèle. Ces deux
serments se correspondent ; ils se garantissent l’un l’autre : ce sont les anneaux réci
proques d’une alliance indissoluble . . . ”
Napoléon s’était borné à déclarer aux sénateurs, le 28 floréal au XII :
“J’espère que la France ne se repentira jamais des honneurs dont elle environne ma
famille. Dans tous les cas, mon esprit ne sera plus avec ma postérité le jour où elle
cesserait de mériter l’amour et la confiance de la grande nation” .
(10) Il eût suffi, pour sauver la face à la démocratie formelle, d’attribuer en droit,
dans la Constitution, au corps des citoyens une faculté de révocation que les conditions
de procédure (délais, quorum etc.) eussent rendue irréalisable en fait. Il ne semble pas en
avoir été question. Sans doute cette préoccupation se trouvait-elle déjà dépassée.
�17
—comme l’ex-constituant, conventionnel et directeur Treilhard, orateur du
Gouvernement devant le Tribunat le 29 floréal — la conformité du nouveau
régime à la souveraineté de la nation ou du peuple, entendue d’une autre
façon qu’en 1793 ou même qu’en 1789. Un plébiscite est d’ailleurs prévu
pour ratifier, si la dynastie s’éteint, le choix, fait par le Sénat d’une nouvelle
famille régnante. Napoléon invoque cette délégation, ce pacte, quand il
déclare au Sénat vouloir soumettre ‘‘à la sanction du peuple la loi de
l ’hérédité” et à une députation du Tribunat qu’il se plaît “à tout devoir au
peuple” (11).
Cependant, même en dehors des allusions faites au renversement de la
dynastie comme sanction, il n’estime pas que la stabilité future du nouveau
trône soit, en fait, suffisamment garantie par ce pacte, ce sénatus-consulte, ce
plébiscite à des successeurs dépourvus de la consécration directe dont il a été
l’objet et sans doute aussi de son ascendant personnel. En outre il est même
sur le territoire de l’ancienne France et plus encore en Belgique, en
Rhénanie, en Piémont, de nombreux individus qui ne fondent pas la
légitimité d’un régime sur ses rapports avec la souveraineté populaire ou
nationale et que ce dogme laisse hostiles ou indifférents. Bref, Napoléon
désire procurer à lui-même et surtout à ses successeurs une autorité morale
reposant aussi sur d’autres bases extra-juridiques, sur un caractère surnaturel,
Voire religieux, du pouvoir héréditaire.
La légitimité d’un génie d’action exceptionnel et censé, comme tel,
prédestiné par Dieu au pouvoir politique en vaut bien une autre sur le plan
métaphysique et, en 1804, le risque habituel d’erreur ou de contrefaçon
quant aux moyens propres de l’homme semble écarté. Mais le caractère
strictement personnel d’une telle légitimité exclut qu’elle soit transmissible
par hérédité ou par adoption. Cette situation ne peut-elle du moins appa
raître —par une interprétation déjà soutenue jadis de la volonté divine —
comme attribuant, au détriment d’une dynastie renversée, la légitimité
monarchique et ses effets moraux à une dynastie nouvelle, élective ou non ?
Dans la France de 1804 il existe des monarchistes attachés uniquement
ou surtout à la royauté ou à la dynastie régnante de l’Ancien Régime mais
(11)
Le 12 septembre 1806, Napoléon écrit à Joseph qu’il sera “obligé de
provoquer un plébiscite, c’est à dire la sanction du peuple” pour ajouter Jérôme dans la
ligne de successibilité établie par le sénatus-consulte du 28 floréal an XII. Il fit en effet
voter, pour réaliser cette adjonction, un sénatus-consulte le 24 septembre 1806 mais
prescrivit de ne faire publier cet acte au Bulletin des Lois que lorsqu’il jugerait à propos de
le soumettre “à l’acceptation du peuple” ; or il ne le fit jamais, que cela tînt ou non à
l’idée qu’un plébiscite réduit à cet objet ne pourrait guère animer le peuple.
Napoléon n’introduisit d’ailleurs le plébiscite dans aucun des Etats vassaux pour y
changer le régime politique ou la dynastie. Pour l’Italie (1802 et 1805), la Hollande
(1806), l’Espagne (1808) il soumit seulement ces innovations à la délibération et au vote
(plus ou moins libres en fait) de collèges composés de notables dont une partie étaient
élus (au suffrage restreint) et il n’y eut même rien de tel à Naples et en Westphalie, pays
conquis.
2
�18
d’autres sont partisans de la monarchie en elle-même par sentiment inné ou
par leur conception de l’intérêt public. Beaucoup d’entre eux sont sans doute
capables de faire passer l’existence réelle d’une monarchie héréditaire, même
d’origine nouvelle et plébiscitaire, avant l’attachement à une famille qui
semble hors d’état de restaurer le trône. D’autres refuseront au contraire de
tempérer la rigueur du principe d’hérédité et de consentir à son éclipse
temporaire, à un changement de dynastie ; ils tiendront pour usurpateurs et
dépourvus d’autorité légitime extra-juridique le nouvel empereur et ses
successeurs futurs (12).
Pour écarter ce grief sans attendre l’effet moral d’une longue “posses
sion paisible’’ du pouvoir, des fondateurs d’une dynastie nouvelle ont cherché
une base religieuse plus directe de leur légitimité. Pépin le Bref s’est fait
sacrer roi, son fils Charlemagne s’est fait sacrer empereur d’Occident, les
premiers Capétiens ont, de leur vivant, fait sacrer leur fils aîné pour mieux
garantir la transmission héréditaire de leur couronne. Une consécration
religieuse, surtout si elle émane du Pape, ne peut-elle, dans une nation
demeurée en grande partie catholique, donner de même à Napoléon et à sa
dynastie une légitimité supra-juridique ? S’il recherche et obtient d’être ainsi
sacré, c’est donc plus encore contre la famille détrônée que pour ne pas
relever uniquement de l’investiture populaire. Toutefois, après que le Pape a
procédé au sacre proprement dit, l’Empereur, en se couronnant lui-même
—innovation non improvisée mais convenue d’avance avec Pie VII — mani
feste l’indépendance du pouvoir temporel mais aussi la prétention de tenir en
grande partie de sa propre valeur et de ses propres succès son élévation au
trône.
Fixé par le sénatus-consulte du 28 floréal an XII dans la formule
concernant la promulgation des lois, son titre officiel est alors “Napoléon,
par la grâce de Dieu et les constitutions de la République, Empereur des
Français”. Certes la grâce de Dieu et la désignation populaire ne s’excluent
pas et une doctrine fait même de la seconde l’expression normale de la
première, mais Napoléon entend donner aussi comme base morale à son
pouvoir une conception différente de la volonté divine. Il invoquera donc
surtout l’une ou l’autre selon les occasions.
(12)
Encore que tous les récits de Metternich n’appellent pas une grande confiance,
on peut croire que Napoléon a nié devant lui être un usurpateur :
“Le trône de France, m’a-t-il dit plus d’une fois, était vacant. . . le Roi tombé, la
République s’est emparée du sol de la France ; c’est elle que j’ai déplacée. L’ancien trône
était enseveli sous ses décombres ; j’ai dû en fonder un nouveau . . ; je suis nouveau
comme l’Empire ; il y a donc entre l’Empire et m oi homogénéité parfaite” . (Mémoires,
docum ents. . . laissés par le prince de Metternich . . . I p. 283).
Selon Rambuteau (Mémoires pp. 69-70) Napoléon disait au Conseil d’Etat en 1810
ou 1811 :
“Je n’ai détrôné personne, j’ai trouvé la couronne dans la boue et je lui ai rendu son
éclat en la plaçant sur ma tête” .
�Bien que le sénatus-consulte n’ait jamais été modifié sur ce point, “les
constitutions de la République” devinrent en septembre 1807 “les consti
tutions” tout court dans la promulgation des lois et l’Empire remplaça la
République dès la fin de 1804 dans les lettres et les discours publics de
Napoléon, assez vite ensuite en divers actes juridiques et le Ie janvier 1808
sur les monnaies. Cela n’est pas d’une grande portée politique car le
sénatus-consulte du 28 floréal an XII emploie lui-même indifféremment les
termes Empire et République — et même plus souvent le premier — pour
désigner le régime et le territoire de la France. Le chant : Veillons au salut
de l’Empire, d’ailleurs consacré surtout à exalter la liberté et à vilipender les
tyrans, date de 1791. Mais dès 1804 la création d’une cour somptueuse et
d’un cérémonial approprié manifestèrent, quant aux aspects extérieurs du
régime, un rapprochement avec le passé allant bien au delà de ce qu’impli
quaient en eux-mêmes la transformation constitutionnelle et le climat
politique dont elle émanait. Selon Thibaudeau, ici seulement témoin indirect,
Napoléon aurait dit en avril ou mai 1804 aux conseillers d’Etat :
“ Les citoyens ne deviendront pas mes sujets ; le peuple français ne
deviendra pas mon peuple” (13).
Cependant il employa cette dernière expression dès la veille du sacre,
dans un discours public au Sénat, et dit ensuite couramment : “mon
peuple. . . mes peuples. . . nos peuples. Le terme sujet apparut aussi, au plus
tard en 1806, dans les actes et les discours impériaux et, sans qu’il y eût à
les y inviter, des personnages officiels (le président du Tribunat dès janvier
1805) assurèrent le nouveau monarque de leur dévouement à sa “personne
sacrée”.
Mais dans son discours du 27 décembre 1804, en ouvrant la session du
Corps législatif, avant de déclarer que “la faiblesse du pouvoir suprême est la
plus affreuse calamité des peuples” Napoléon parle de “ce trône sur lequel la
Providence et la volonté de la nation m ’ont fait monter” et il dit ensuite que
son peuple lui a donné la couronne, pour ajouter d’ailleurs que par cet acte
ce peuple “a pris l’engagement de faire tous les efforts que requerraient les
circonstances pour lui conserver cet éclat qui est nécessaire à sa gloire comme
à la mienne”.
Dans “l’Exposé de la situation de l’Empire français” qui est lu à cette
assemblée quatre jours plus tard et dont Napoléon a revu et corrigé le texte,
le ministre de l’Intérieur, après avoir proclamé “la nécessité du pouvoir
héréditaire dans un Etat aussi vaste que la France”, déclare que sur ce point
“le peuple français a manifesté sa volonté libre et indépendante” et il
ajoute :
“Dès ce moment Napoléon a été au plus juste des titres Empereur des
Français. Nul autre acte n’était nécessaire pour constater ses droits et
consacrer son autorité. Mais il a voulu rendre à la France ses formes antiques,
(13)
Mémoires sur le Consulat p. 462.
�rappeler parmi nous ces institutions que la divinité semble avoir inspirées, et
imprimer au commencement de son règne le sceau de la religion même . .
Encore qu’il soit affirmé ensuite que des souverains et des ambassadeurs
étrangers ont été “frappés de ce grand spectacle de la France rassise sur les
anciens fondements”, le discours et YExposé posent donc comme base
essentielle de la monarchie impériale son origine plébiscitaire et popu
laire (14).
Mais en même temps, dès la fin de 1804, est mise en oeuvre la
préparation du nouveau catéchisme à employer dans toute la France. Un
projet établi en 1803 prescrivait seulement d’obéir aux chefs des Etats,
tenant leur autorité de Dieu et dépositaires de sa puissance. Après l’établisse
ment de l’Empire, Portalis, ministre des Cultes, proposa de personnaliser
davantage le pouvoir temporel, de “rendre la loi de l’hérédité aussi religieuse
ment obligatoire quelle l’est civilement” et de remplacer “les chefs des
Etats” par “l’Empereur”. Mais, le 31 décembre 1804, Napoléon voulut
préciser comment Dieu a “manifesté sa volonté que l’Empereur actuel et son
successeur occupent le trône de France :
“En conduisant l’Empereur Napoléon par la main dans les circonstances
les plus difficiles, en lui faisant obtenir partout la victoire et en lui donnant
constamment la volonté pour le rétablissement de la Société, de la justice et
de notre sainte religion. Enfin par la nomination de tout le peuple et la
consécration de l’Eglise dans la personne du Vicaire de Saint Pierre qui en est
le c h e f’.
En fait le “catéchisme impérial” ne fut adopté et mis en vigueur qu’en
août 1806. Le chapitre concernant les devoirs des chrétiens “à l’égard des
princes qui les gouvernent” et en particulier “envers Napoléon Premier, notre
Empereur” déclare seulement que Dieu “en comblant notre Empereur de
dons, soit dans la paix, soit dans la guerre, l’a établi notre souverain, l’a
rendu le ministre de sa puissance et son image sur la terre, qu’il l’a “suscité
dans les circonstances difficiles” pour rétablir et protéger le culte catholique ;
Napoléon a ramené et conservé l’ordre public et “est devenu l’oint du
(14)
Dès avant le sacre, Napoléon appelle “Monsieur mon frère" (et il lui sera
répondu de même) les rois étrangers en relations diplomatiques avec la France — ce qui
n’est plus le cas de la Russie — en les avisant, le 25 prairial an XII, “q u ’il a plu à la
Providence de m ’appeler au Gouvernement de cet Empire et qu ’en vertu de ses lois et de ses
constitutions, le titre et la dignité d ’E mpereur des Français . . . etc.” . Après le sacre,
écrivant le 12 nivôse an XIII à “Monsieur son frère” le roi d’Angleterre pour l’inciter à la
paix, il se déclare “appelé au trône de France par la Providence et par les suffrages du
Sénat, du peuple et de l ’a r m é e Cependant, le surlendemain, il ordonne de refaire
toutes les lettres préparées pour répondre aux félicitations de princes ou de gouverne
ments des Etats secondaires et de modifier la formule selon laquelle “il, a plu à la divine
Providence de consacrer par mon couronnement l ’autorité que je tiens des constitutions
de l ’E mpire . . . " en substituant à “consacrer par mon couronnement, etc.” les mots
“m ’appeler au trône de France”. (Correspondance 7809, 8252, 8262).
�21
seigneur par la consécration q u ’il a reçue d u souverain p o n tife .. . “Il est
ajouté que, selon l’Ecriture , Dieu " d o n n e les em pires, n o n se u le m e n t à u n e
p e rso n n e en particulier, m ais aussi à sa fa m ille ” (15).
Comme dans le projet de décembre 1804, la désignation divine de
Napoléon personnellement vient au premier plan et l’emporte sur le sacre.
Mais, contrairement au premier texte, le catéchisme de 1806 omet toute
référence à la "n o m in a tio n de to u t le p e u p le ”.
Cependant Napoléon ne renonce pas à se prévaloir de ce qu’il est le
de ce peuple. Etant en Espagne il réagit vivement quand il
apprend que selon plusieurs journaux, en répondant le 20 novembre 1808 à
une députation du Corps législatif, l’Impératrice a dit que celui-ci "représente
la n a tio n ”. Le M o n ite u r n’a pas reproduit le discours mais ces termes ont
sans doute été employés car ils figurent dans les procès-verbaux officiels de
l’assemblée. Or le M o n ite u r du 15 décembre insère une note anonyme, censée
rédigée la veille à Paris mais dont l’origine réelle ne fait pas de doute. Il est
déclaré que l’Impératrice n’a pu dire cela car "elle sait trop bien q u e le
re p résen ta n t
p re m ie r re p résen ta n t d e la nation, c ’est l ’E m p e re u r ; car to u t p o u v o ir v ie n t
d e D ieu e t d e la n a tio n . .. s’il y avait dans nos constitutions un corps
représentant la nation, ce corps serait souverain ; les autres corps ne seraient
rien et ses volontés seraient tout”. Une telle prétention serait “chimérique et
criminelle”. Parmi les autorités rep résentantes de la nation, le Corps législatif
vient au quatrième rang, après le Sénat et le Conseil d’Etat.
Cette note lie donc tacitement à la qualité de représentant de la nation
celle d’organe souverain, c’est à dire sans doute investi du pouvoir juridique
suprême qui émane ainsi de la souveraineté métaphysique possédée par un
être abstrait incapable d’exercer aucun pouvoir : la nation. Mais cela pourrait
signifier aussi tacitement que même cette souveraineté supra-juridique origi
naire de la nation s’incarne nécessairement dans le corps des citoyens actifs, puis
par l’effet des plébiscites, et à titre définitif, en l’Empereur et en sa dynastie.
En tout cas, après 1804, aucun acte ou discours soit de Napoléon, soit d’un
porte-parole officiel du Gouvernement ou d’une assemblée ne proclame
directement la souveraineté même purement théorique de la nation ou du
peuple. L’Empereur la prend directement à partie le 20 décembre 1812:
revenu de Russie après la tentative de Malet, il impute dans sa réponse au
Conseil d’Etat les malheurs passés de la France à l ’idéologie et à la
ténébreuse m é ta p h y s iq u e et demande "q u i a adulé le p e u p le en le p ro c la m a n t
à u n e so uveraineté q u ’il é ta it incapable d ’e xe rc e r”.
Il continue cependant alors à citer la v o lo n té de la nation ou des
Français comme une source de son pouvoir (16). Il évoque, avec plus de
(15) A. Latreille. Le catéchisme impérial de 1806 pp. 50, 54-55, 81.
(16) Ce même 20 décembre 1812, en répondant à l’adresse du Sénat, il dit avoir
fondé “avec la volonté et l ’a mour des Français, ce trône, auquel sont attachées désormais
les destinées de la patrie”. Le 23 mars 1813, en répondant cette fois à l’adresse du Corps
législatif, il déclare qu il a été “appelé par la Providence et la volonté de la nation à
constituer cet Em pire . . . ”.
�22
"
- < l \ M <
V V .-, -^ 1U
force encore, peu avant la fin du règne sa qualité de représentant essentiel ou
unique du peuple. Le 31 décembre 1813 il ajourne, sous un prétexte
juridique, la session du Corps législatif dont la majorité a paru partager plus
ou moins l’attitude opposante d’une commission spéciale. Un projet d’adresse
faisait des membres de cette assemblée les députés de la nation. Le
lendemain, l’Empereur déclare à des législateurs venus aux Tuileries qu’ils
sont uniquement les députés des départements (comme selon la note précitée
du Moniteur) et il aurait ajouté :
“Les factieux ont cherché à me barbouiller aux yeux de la France ;
mais j’ai été choisi par quatre millions de Français pour monter sur le
trône. Vous cherchiez dans votre Adresse à séparer le souverain de la nation ;
mais, seul, je suis le représentant du Peuple . .. Au surplus je ne suis à la tête
de cette nation que parce que la Constitution de l’Etat me convient. Si la
France avait une autre Constitution et qu’elle ne me convînt pas, je lui dirais
de chercher un autre ro i..
(17).
Ces dernières paroles, si elles ont été prononcées, évoquent la notion de
contrat entre la Nation et un homme acquérant par ce pacte et la qualité de
souverain sur le plan juridique et celle d’unique représentant du peuple, qui
ne se réduit pas au droit positif. Le sens donné au terme souverain est moins
net quand, le 14 mars 1814, dans une situation déjà très critique Napoléon,
écrivant à Joseph, déclare que, tant qu’il vivra il sera “le maître partout en
France” et suppose que les Parisiens “font une différence du temps de La
Fayette, où le peuple était souverain, avec celui-ci, où c’est moi qui le
suis” (18).
L’année suivante, en revenant de l’île d’Elbe, l’Empereur doit pour
combattre la légitimité invoquée par les Bourbons, lui en opposer une autre
qu’il fait reposer sur l’origine plébiscitaire de son propre pouvoir “élevé par
(17) E. de Perceval. Le vicomte Laine I pp. 218-219.
L’essentiel de ces paroles se trouve aussi, à des différences de forme près, dans la
relation de Molé qui fait dire en outre à Napoléon :
“Vous séparez dans votre rapport le trône de la nation . . .
Apprenez que le trône sans la nation n’est rien que quatre morceaux de bois
recouverts d’un morceau de velours. La nation est dans le trône, le trône est dans la
nation ou sans cela il n’y a pas de monarchie” .
Il aurait déclaré aux députés qu’aucune assemblée locale de citoyens ne les avait
choisis, que lui-même avait été trois fois plébiscité par des millons de citoyens :
“S’il y a une autorité ou un individu en France qui puisse en dire autant, qu’il se
présente, il pourra rivaliser avec moi.
“Je ne tiens pas la couronne de mes pères mais de la nation qui me l’a donnée” .
(Marquis de Noailles, le Comte Molé, I p. 197-198).
Déjà, à la fin de mars 1813, il aurait dit à Molé :
“Je tiens la couronne de la nation et de mon épée ; je la porte silr ma tête, mais je
suis et je serai toujours prêt à la rendre plutôt que de la laisser avilir” (Id. p. 187).
(18) Lecestre Lettres . . . 1147 II pp. 320—321.
�23
la nation” ainsi que sur l’aptitude exclusive de ce pouvoir à garantir tous les
nouveaux intérêts issus de la Révolution, à maintenir tous les droits et toutes
les propriétés. Le 11 juin il se déclare une fois de plus “premier représentant
du peuple” en répondant à l’adresse de la chambre élective qui n’a d’ailleurs
pas prétendu à ce rôle. Il s’abstient cependant de mentionner la souveraineté
du peuple et dit, selon Thibaudeau, que ce principe a été posé “d’une
manière trop large” dans l’adresse du Conseil d’Etat. En répondant à celui-ci
Napoléon déclare que “la souveraineté elle-même n’est héréditaire que parce
que l’intérêt des peuples l’exige” ; il donne ainsi à cette notion son sens
juridique correct de pouvoir à exercer et en exclut tout sens métaphy
sique (19). Si l’Acte additionnel, soumis au plébiscite, invoque les précé
dentes acceptations populaires et fait parler dans son dernier article “le
peuple français” il ignore absolument, comme tous les textes constitutionnels
depuis l’an VIII, le mot souveraineté.
Mais de ce que cet Acte et ce plébiscite ont pour objet exprès de
“modifier et perfectionner” le régime antérieur à 1814, non de créer à
nouveau ou de confirmer le pouvoir propre de l’Empereur, il résulte que la
légitimité de ce pouvoir a subsisté depuis l’an XII et survécu non seulement
aux faits matériels de l’année précédente et aux votes de déchéance émis
(sans nulle compétence) par le Sénat et le Corps législatif mais encore à
•l’abdication de Napoléon (20). Qu’un autre plébiscite puisse ou non, dans le
silence du sénatus-consulte de floréal an XII, abolir malgré l’Empereur le
régime impérial, aucun autre acte juridique ne peut en détruire la légitimité.
Celle-ci est donc d’autant plus fortement assurée que le plébiscite reste
normalement d’initiative gouvernementale et ne s’impose, en droit, qu’afin de
(19) “Les princes sont les premiers citoyens de l’Etat. Leur autorité est plus ou
moins étendue selon l’intérêt des nations qu’ils gouvernent. La souveraineté elle-même
n’est héréditaire que parce que l’intérêt des peuples l’exige. Hors de ces principes, je ne
connais pas de légitimité” .
Ce texte lie donc uniquement la légitimité d’un régime à une notion utilitaire :
l ’intérêt des nations, l ’intérêt des peuples. Mais d’autres déclarations de Napoléon relèvent
que le trône impérial a été élevé et attribué par la nation ou le peuple.
(20) C’est du reste ce que proclame l’adresse du Conseil d’Etat :
“ L’abdication de l’Empereur Napoléon ne fut que le résultat de la situation
malheureuse où la France et l’Empereur avaient été placés par les événements de la guerre,
par la trahison et par l’occupation de la capitale ; l’abdication n’eut pour objet que
d’éviter la guerre civile et l’effusion du sang français. Non consacré par le vœu du peuple,
cet acte ne pouvait détruire le contrat solennel qui s’était formé entre lui et l’Empereur,
et, quand Napoléon aurait pu abdiquer personnellement la couronne, il n’aurait pu
sacrifier les droits de son fils, appelé à régner après lui” .
Cette base
tribuns de 1804
écrivant au tzar
aux principes de
contractuelle donnée par les conseillers d’Etat de 1815, comme par les
au pouvoir de l’Empereur suffirait à démentir les dires de Metternich
le 15 décembre 1820 qu’aux Cent-Jours Napoléon ramena les esprits
l’Assemblée constituante. (Mémoires, documents... III p. 435).
�24
pourvoir à la vacance du trône si la dynastie s’éteint. Sans qu’il faille exagérer
la portée pratique de ces différences, même la monarchie napoléonienne des
Cent-Jours est donc, sous ce rapport théorique, mieux assise que la royauté
de 1791.
Un pouvoir politique, même absolu en droit quant à son contenu réel,
peut donc, sur ce plan de la légitimité métaphysique, se fonder aussi
efficacement pour une assemblée élue ou un chef plébiscité sur un des sens
attribués à la représentation de la souveraineté nationale ou populaire que
pour les rois d’Ancien Régime sur une mystique pseudo-religieuse de
souveraineté personnelle ou dynastique. Or tout en se réclamant de la
première base, Napoléon tend, de 1804 à 1814, à faire prédominer la
seconde car celle-ci garantît mieux que la foi en une représentation contrac
tuelle de la nation ou du peuple la transmission héréditaire durable de la
couronne à des successeurs non plébiscités. Il entend, par suite, répandre le
plus possible cette mystique monarchique c’est à dire achever l’œuvre
inaugurée par le sacre et poursuivie par un chapitre du nouveau catéchisme.
Il ne se dissimule pas que rétablir au profit de sa dynastie dans l’ensemble
de la nation une véritable mystique de la monarchie héréditaire ne sera pas
facile,, même après la naissance de son fils. Des gens, qui ne représentent
d’ailleurs pas un danger intérieur actuel, continuent à voir en lui une
usurpation sur les droits des Bourbons. Mais l’Empereur sait aussi que, même
dans son haut personnel, beaucoup d’hommes ralliés sincèrement au régime
existant conservent toutefois sur le plan théorique un attachement intellec
tuel, voire sentimental, aux croyances plus ou moins démocratiques de leur
jeunesse. Beaucoup d’autres y ont renoncé mais ce n’est pas pour croire aux
droits d’une dynastie ancienne ou nouvelle, c’est au profit d’une entière
liberté d’esprit, d’une complète disponibilité vis-à-vis de tous évènements
futurs. En fait, dans les deux catégories, s’affirmera, de 1814 au delà de
1830, une tendance courante à accepter pratiquement tous les faits accomplis
successifs et à s’efforcer d’en tirer parti mais le passé de ces hommes
politiques suffit à édifier sous ce rapport Napoléon. Sur un point plus limité
il dit un jour à Rcederer, selon celui-ci, que l’ensemble du Sénat n’est pas
vraiment attaché au régime impérial car il ne suffit pas pour cela de l’être à
la personne de l’Empereur “il faut tenir au manteau, oui au manteau” c’est à
dire à la couronne.
Tout cela ne lui paraît pas irrémédiable car son successeur aura surtout
besoin de la nouvelle génération et il ne néglige rien pour saisir la mentalité
de celle-ci et la couler dans un moule monarchique. Au chapitre visé ci-dessus
du catéchisme, à une presse censurée, voire inspirée, s’ajoutera l’action de
l’Université qui doit prendre comme base de son enseignement dans toutes
les écoles “la fidélité à l’Empereur, à la monarchie impériale, dépositaire du
bonheur des peuples, et à la dynastie napoléonienne, conservatrice de l’unité
de la France et de toutes les idées libérales proclamées par la Constitution”.
Mais l’efficacité de tous ces moyens demande du temps, comme du reste
la formation, dans l’ensemble des esprits, de l’accoutumance qui est une des
�25
plus grandes forces morales d’un régime. Napoléon a pu penser que non
seulement son règne devrait encore être long (et heureux jusqu’à la fin) mais
qu’en outre au moins celui de son premier successeur ne devrait pas accuser
un déclin trop marqué. Il est donc très possible que, comme l’affirme
Barante, il ait “dit plus d’une fois” en parlant de sa dynastie :
“Pour qu’elle dure, il faut que je vive encore vingt-cinq ans et que mon
fils soit un grand homme. ”
Bien que le coup de main tenté par Malet en son absence et basé sur la
fausse nouvelle de sa mort n’eût pas de chance de succès final, Napoléon en
est affecté car, malgré l’ordre héréditaire de succession et malgré leurs
serments, plusieurs officiers certainement dévoués à l’Empereur ont accepté
de se mettre aux ordres d’un inconnu en uniforme de général se disant
l’envoyé d’un gouvernement provisoire qu’aurait désigné le Sénat. Le préfet
de la Seine, Frochot, n’a pas tenté de rappeler l’un de ces officiers à son
devoir et a même paru disposé à fournir une salle pour la réunion de ce
prétendu gouvernement. En revenant de Russie, Napoléon déclare à
Caulaincourt, selon ce dernier :
“Remarquez combien la Révolution et l’habitude des changements
continuels de gouvernement ont détruit toutes les idées d’ordre et de
.stabilité. J’ai encore beaucoup à faire pour réédifier l’ordre social. . . La
France a besoin de moi pendant dix ans. Si je mourais, tout serait, je le vois,
dans le chaos.. ., car je vois que tout ce que j’ai fait est encore bien
fragile . . . Les idées monarchiques et d’hérédité, celles de la conservation de
ce qui existe, sont une langue nouvelle que l’on apprendra à la génération qui
s’élève, mais elle ne sera jamais dans le dictionnaire des hommes du
jour” (21).
Arrivé à Paris, l’Empereur répond, le 20 décembre, à l’adresse du Sénat :
“Nos pères avaient pour cri de ralliement : Le roi est mort, vive le roi !
Ce peu de mots contient les principaux avantages de la monarchie”.
Il ne s’en tient pas à des paroles. Le sénatus-consulte du 5 février 1813
pose surtout des règles détaillées sur la Régence pour le cas où un mineur
accéderait au trône. Loin d’amoindrir la conception absolutiste de la
monarchie, il ne reproduit pas dans le serment de la régente ou du régent
(21)
Molé prête même à Napoléon au début de 1813 des propos plus pessimistes :
après sa mort“ces doctrines, ce qu’on appelle les principes de 1789” reprendraient force ;
les régimes trop faibles ou trop maladroits pour endiguer leur diffusion tenteraient de
transiger avec elles mais “les gouvernements si mal appelés pondérés ne seront jamais pour
nous que la ligne la plus courte pour arriver à l’anarchie” . (Mis de Noailles. Le comte
Molé I p. 143). Mais ces paroles visent les doctrines du libéralisme, qui tendent à réduire
tout pouvoir gouvernemental, et non les principes contraires à l’hérédité de ce pouvoir.
C’est dans le même sens que, désagréablement surpris, en 1815, devant l’essor pris par
elles depuis sa chute et la nécessité de leur faire, du moins provisoirement, des
concessions, il aurait dit au général Belliard (Mémoires I. p. 202) qu’en un an Louis XVIII
lui avait “gâté la France
�l’engagement de respecter “la liberté politique et civile” que comporte le
serment de l’Empereur selon le sénatus-consulte du 28 floréal an XII : il s’en
tient à “la liberté civile”. Mais il autorise d’autre part qu’aient lieu, du vivant
du souverain actuel, le sacre et le couronnement de l’Impératrice et même, ce
qui rappelle la pratique suivie par les premiers Capétiens, le sacre et le
couronnement du roi de Rome ; si ces deux dernières cérémonies ont lieu,
leur année sera dès lors mentionnée dans les sénatus-consultes, les lois, les
décrets, etc. L’Empereur annonce même l’intention de faire ainsi couronner
et sacrer bientôt son épouse et son fils mais l’échec final de la négociation
avec Pie VII pour un nouveau concordat fait tout ajourner.
A une dynastie aussi récente font défaut, il le sent, les chances morales
de stabilité que la longue accoutumance de la nation procure souvent alors à
une maison royale ancienne : la régularité des transmissions héréditaires (du
moins hors de Russie) et la possibilité de subir, sans perdre le trône, des
échecs et même des désastres militaires ou diplomatiques (22). Les sacres en
projet viseraient à y suppléer en quelques mesure par un facteur religieux
mais sans doute aussi à proclamer, et non seulement pour les Français,
l’esprit monarchique du régime. Napoléon a pu penser que l’établissement de
l’Empire, le sacre de 1804, puis des alliances de famille et surtout celle de
1810 amoindriraient l’opposition instinctive des cours étrangères au régime
politique de la France et qu’une monarchie héréditaire, même nouvelle et
usurpatrice, leur paraîtrait encore préférable à une république pouvant
redevenir révolutionnaire. Le projet de nouveaux sacres en 1813, la régence
prévue pour Marie-Louise et sa réalisation partielle (du moins dans la forme)
en avril ont aussi en partie un but analogue, notamment vis-à-vis de François
II.
Cette intention d’affirmer le caractère monarchique et le côté extra
plébiscitaire du régime impérial se lie d’ailleurs à une orientation plus
générale de son chef si, comme l’affirme Caulaincourt, il a dit à celui-ci, en
décembre 1812, pendant leur retour de Russie :
“J ’ai assez montré. . . que je veux fermer la porte aux révolutions. Les
souverains me doivent d ’avoir arrêté le torrent de l’esprit révolutionnaire qui
menaçait leurs trônes. . . Tous les trônes s’écrouleraient si celui de mon fils
tombait. . . ”
Or presque aussitôt deux monarques absolus de droit divin vont, pour
le vaincre, faire appel non seulement aux autres souverains mais encore et
surtout aux peuples d’Allemagne en attisant les griefs, matériels et autres,
(22)
Selon Schwarzenberg Napoléon évoqua devant lui, le 9 avril 1813, ce dernier
aspect :
“ . . . si je faisais une paix déshonorante je me perdrais ; un ancien gouvernement où
les liens entre le peuple et le souverain sont établis depuis des siècles peut, si l’empire des
circonstances l’exige, souscrire à des conditions onéreuses. Je suis nouveau, j’ai plus de
ménagements à garder pour l’opinion, parce que j’en ai b eso in . . . ” (Vte d’Ursel.
L ’intervention de l ’A utriche p. 336).
�27
soulevés par la domination française. Dès janvier 1813 les Russes et leur
auxiliaire Stein puis, en mars, après le succès de ce procédé vis-à-vis de la
Prusse, les deux gouvernements devenus alliés appellent les peuples, les
Allemands de toute condition à la guerre, contre la France, dussent-ils
contraindre et, au besoin, détrôner leurs souverains légitimes qui resteraient
récalcitrants (23).
L’agitation ainsi déclanchée montre à Napoléon qu’il a sous-estimé le
risque et la portée politique possible de mouvements d’opinion dans ces pays
en cas de revers graves commes le désastre de Russie. A ses confédérés et
protégés, les princes ainsi menacés, il présente aussitôt comme seul moyen de
conserver leurs couronnes l’apport de leur concours militaire mais aussi une
lutte énergique contre “leur plus grand ennemi. . . l’esprit de révolte et
d ’anarchie”, la mise des “agitateurs de toute espèce dans l’impuissance de
nuire” (24). En France il dénonce le 14 février devant le Corps législatif les
appels à “l’esprit de révolte contre les souverains” ; le 4 avril, la réponse lue
par Marie-Louise à des sénateurs évoque la nécessité du recours aux armes
pour repousser l’ennemi et “sauver l’Europe civilisée et ses souverains de
l’anarchie dont on les menace” (25).
(23) La convention russo-prussienne du 19 mars prévoit une proclamation pour
“inviter les princes et les peuples à concourir à l’affranchissement de leur patrie. Tout
prince allemand qui ne répondrait pas à cet appel dans un délai fixé serait menacé de la
perte de ses Etats”. Cette proclamation du 25 mars, signée de Kutusof, se flatte qu’aucun
prince “ne sera transfuge à la cause allemande” et ne voudra disparaître sous la poussée
“de l’opinion publique et de la puissance des armes” . (Vte d’Ursel La défection de la
Prusse pp. 409-410).
“ La croisade des rois procédait, comme vingt ans auparavant, la croisade révolu
tionnaire et elle tenait des droits de princes tout juste le même compte que la Convention
des droits des p euples. . . Jamais pareil langage n’avait été tenu par des rois, jamais de
telles paroles n’avaient été lancées aux peuples avant la révolution française . . . ” (A. Sorel.
L ’Europe et la Révolution française VIII pp. 67 et 69).
(24) Napoléon à plusieurs souverains de la Confédération du Rhin 18 janvier 1813
(Correspondance. . . 19.462). Il déclare en outre au roi de Wurtemberg que “le danger
contre lequel il importe le plus de se prémunir c’est l’agitation des peuples” et que “les
instigateurs des troubles . . . sont également ennemis de tous les princes confédérés. Leur
haine n’en épargne aucun. Créer ce qu’ils appellent une Allemagne est le but auquel ils
tendent, et ils veulent y arriver par l’anarchie et les révolutions . . .” Il n’exagérait guère
les sentiments et les projets de Stein vis-à-vis de la plupart de ces princes.
Metternich écrivait au tzar le 15 décembre 1820 que plusieurs des hommes qui
soutinrent ce mouvement de 1813 étaient mus par la haine contre la domination de
Napoléon “et aussi contre le pouvoir légitime de leurs propres maîtres” . (Mémoires,
docum ents . . . III p. 434).
(25) Napoléon impute, le 14 février, ces menées à l’Angleterre comme l’ont fait, le
10 janvier, devant le Sénat les porte-parole officiels Maret ( . . . elle a entrepris de produire
un bouleversement général en cherchant à ébranler la fidélité des peuples . . .) et Regnaud
( . . .les principes de désorganisation qui éloignent ou séparent les sujets de leurs princes,
les peuples de leurs gouvernements. .. ) .
�Ces déclarations ne sont pas faites seulement pour les Français. Elles
visent en outre et les princes allemands encore alliés et surtout Metternich et
François II, inquiétés par le côté révolutionnaire de l’attitude russoprussienne, qu’ils utilisent d’ailleurs pour réclamer des concessions à
Napoléon. Se poser en défenseur des souverains contre la subversion interne
est, pour celui-ci, nécessaire en ce moment sur le plan des rapports avec
l’étranger mais aussi, probablement, conforme à ses vues de politique
intérieure pour l’ensemble des Etats.
Le 29 janvier, selon l’envoyé prussien Hatzfeld, qui l’incitait à satisfaire
son roi pour empêcher un soulèvement populaire et préserver toute
l’Allemagne “du fléau d ’une révolution dont le voisinage ne peut être
avantageux à Votre M a jesté...”, l’Empereur aurait déclaré: “. . . j e ne
crains pas de révolutions chez m o i . . . ” (26). Il aurait dit aussi le Ie mars à
l’Autrichien Bubna qu’il était sûr de la France (27). En effet, même s’il
exagère là, sincèrement ou non, l’optimisme, aucun péril intérieur ne menace
alors directement le régime impérial malgré la lassitude croissante due à la
guerre, à la conscription, à la Fiscalité et malgré le conflit religieux qui, chez
beaucoup de catholiques, de prêtres et d’évêques, a fait plus qu’affaiblir
l’effet moral du sacre. Mais l’Empereur ne peut ignorer le risque d’une
subversion opérée, suscitée ou facilitée par la victoire éventuelle de ses
ennemis étrangers. Le tzar autocrate de Russie et le roi de Prusse menacent
de détrôner, même directement par leurs armes, d’autres monarques de droit
divin, comme Napoléon l’a fait lui-même plusieurs fois. Garderont-ils plus de
retenue envers leur adversaire essentiel, empereur issu d’une révolution,
encore que le Pape soit venu le sacrer et qu’un Habsbourg, neveu d’une reine
de France, lui ait donné et presque offert sa fille ? Ce n’est cependant pas,
au début de 1813, une restauration des Bourbons par l’étranger ou avec son
concours que l’Empereur croit —ou qu’il dit croire — probable en cas de
défaite finale.
Le 9 avril, quand la situation extérieure s’aggrave, surtout par l’attitude
équivoque de l’Autriche, il dit à son représentant Schwarzenberg, selon ce
dernier :
“Ah ! si j’étais malheureux [à la guerre] je ne répondrais de rien, je ne
sais ce que deviendrait ma dynastie. Ce ne sont pas les Bourbons que j’ai à
craindre, ce seraient les jacobins qui s’empareraient de la France et alors on
ne pourrait pas calculer où s’arrêterait la combustion. Je sais tout cela, aussi
la guerre me répugne-t-elle” (28).
(26) Vte d’Ursel La défection de la Prusse pp. 184-185. Hatzfeld aurait même dit
quant aux sociétés secrètes d’Allemagne : “Qui sait si elles ne sont pas liées avec les
jacobins de France, car leurs desseins sont les mêmes ? ”
(27) Vte d’Ursel L ’intervention de l ’Autriche p. 213.
(28) Id. p. 337.
�29
Mais ce n’est pas seulement en France que Napoléon prévoit, dans
l’hypothèse de sa défaite, une combustion d’origine révolutionnaire. C’est en
ce sens qu’il aurait dit a Caulaincourt, dès décembre 1812, que “tous les
trônes s’écrouleraient” si celui de son fils tombait. L’agitation populaire en
Prusse puis en Allemagne —évoquée avec insistance et sans doute amplifiée,
pour faire pression sur le plan de la politique étrangère, par Metternich, qui
allègue même des dangers analogues en Autriche — confirme peut-être
Napoléon dans ces vues. Le 16 mai 1813, selon le rapport (rédigé en français)
de Bubna, il dit à celui-ci, en envisageant une agression possible de son pays :
“Nous allons bouleverser le monde et l’ordre des choses qui est établi.
L’existence des monarchies deviendra un problème . . . La France sera livrée
aux jacobins . . .” (29).
Certes il peut, lui aussi, exagérer là un danger révolutionnaire pour faire
pression sur François II et Metternich, mais il aurait, vers la fin de 1813, dit
à Chaptal, selon celui-ci, en parlant des souverains prêts à envahir la France :
“Misérables ! ils ne voient pas que j ’ai éteint les révolutions et travaillé
vingt {? ) ans à consolider la monarchie. Ils verront qu’après moi ils ne seront
pas assez forts pour arrêter le torrent qui, dans dix ans, les entraînera
tous” (30).
Si Napoléon faisait erreur quant à la rapidité et à l’ampleur d’un tel
mouvement à l’étranger, le pronostic qu’il aurait exprimé à Bubna et à
Chaptal n’était pas entièrement faux.
L'usurpation fut renversée par la coalition armée des monarques légi
times, dont le principal ne pouvait du reste être considéré comme tel que si
—même en dehors de son avènement. .. prématuré — on faisait silence sur
l’identité probable de son vrai grand-père paternel. Presque tous, et surtout le
tzar, montrèrent d’abord en 1814 peu d’empressement pour la restauration
des Bourbons, même présentée comme désirée et faite par les Français. Elle
put cependant alors, notamment par le rejet de la constitution sénatoriale
—selon laquelle “le peuple français appelle librement au trône”, et sous des
conditions fixées, un roi nouveau — et par le préambule de la Charte
octroyée, paraître “renouer la chaîne des temps, que de funestes écarts
avaient interrompue”, c’est à dire proclamer le triomphe de la légitimité, la
(29) A. Sorel L ’E urope et la Révolution française VIII p. 120.
(30) Ces paroles ne feraient qu’accentuer celles que lui prête dans ses Mémoires (III
p. 294) Mollien pendant les premiers mois de 1813 :
“Je n’ai ébranlé que les trônes qui voulaient renverser le mien, mais je les ai tous
rétablis ; j’ai rendu à tous les souverains le service de leur apprendre à contenir l’esprit du
siècle ; c’est un autre torrent difficile à modérer ; ils ne se préparent pas une petite affaire
pour eux-mêmes en cherchant, comme on le dit, à soulever leurs peuples contre m o i . . . ”
�consolidation des dynasties anciennes de droit divin et du pouvoir royal (31).
Il semble bien cependant qu’en renversant Napoléon les souverains alliés aient
ruiné en France et, à plus long terme, en d’autres Etats la dernière chance de
survie prolongée qui restât à toute monarchie héréditaire réelle, c’est à dire
comportant pour son chef, tant en fait qu’en droit, et un pouvoir prépon
dérant —fût-il moins étendu que dans l’Empire renversé — et la possibilité
effective de l’exercer lui-même si sa personnalité le lui permet (32).
Les vainqueurs de 1814 avaient cru voir s’établir solidement en France,
avec leur aide, une telle royauté : son rapide effondrement en mars 1815 ne
fut pas leur seule surprise à cet égard. Dans l’Europe centrale ils se flattaient
d’avoir pu limiter à la lutte armée contre Napoléon l’effet des appels adressés
en 1813 aux peuples, à l’opinion publique pour forcer la main aux
souverains. L’agitation, puis les mouvements révolutionnaires qui se produi
sirent, bientôt en Allemagne, en Italie et même, plus tard, en Espagne puis
dans une partie de l’aristocratie russe les inquiétèrent vivement mais ils
pensèrent y parer par la contrainte d’ordre interne et, en cas de besoin, par
les interventions armées de la Sainte-Alliance dont ce fut, après 1820, un des
(31) Cet optimisme n’est pas général. Joseph de Maistre écrit le 18 juillet 1814 que
Louis XVIII est remonté non sur le trône de ses ancêtres mais sur le trône de Bonaparte,
qu’après avoir été “démocratique, puis oligarchique, puis tyrannique” la révolution est
aujourd’hui “royale, mais toujours elle va son train. L’art du prince est de régner sur elle
et de l’étouffer en l’embrassant ; la contredire de front ou l’insulter serait s’exposer à la
ranimer et à se perdre du même coup” . (Correspondance diplomatique I p. 379).
Cependant le 26 juin 1815 il voit le véritable danger non dans le jacobinisme mais dans les
fausses dynasties, dans le penchant éventuel à “croire que celui qui commande est
souverain” et il fait une allusion au duc d’Orléans (/<£ II p. 82).
Mettemich déclare que dès la première Restauration il dit à Louis XVIII :
“Votre Majesté croit fonder la Monarchie : elle se trompe ; c’est la Révolution
qu’elle prend en sous-œuvre” .
Mais il écrit cela longtemps après 1814 et même après 1830 (Mémoires . . . I
p. 209).
(32) Tout en se réclamant de la pure souveraineté royale, la Charte de 1814 laisse
au monarque des pouvoirs juridiques seulement égaux à ceux dont jouissait après
thermidor an X le chef plébiscité d’une République et les limite même davantage par des
éléments non pas démocratiques mais électifs. Les rapports entre deux régimes constitu
tionnels d’une même époque peuvent donc être différents de ce que laisseraient croire
leurs bases théoriques respectives. La Charte n’en rendait pas moins possible une
monarchie réelle mais, plus que toute autre cause, le comportement de Louis XVIII et celui
des purs royalistes ouvrirent depuis la fin de 1815 une voie très différente. L’attitude des
ultras, prétendant faire prévaloir les désirs de la chambre élective, où ils étaient
majoritaires, sur les intentions du Roi montra d’ailleurs alors que la mystique de la pleine
souveraineté monarchique était aussi gravement atteinte dans leur esprit que, seize ans
plus tôt, celle de la souveraineté démocratique dans l’esprit de Sieyès, de Cabanis, etc.
Pour les uns et pour les autres le pouvoir réel devait appartenir, sous le couvert de la
souveraineté royale ou populaire, à une oligarchie dont seules différeraient la composition
et l’origine. Mais cela n’est pas propre à une époque ou à un Etat.
�31
principaux objets. Les purs royalistes de France comptaient en outre sur la
loi du double vote, sur une nouvelle chambre introuvable et sur l’avènement
de Charles X.
Cependant le périodique libéral La Bibliothèque historique, en son
numéro du 19 mai 1819, publiait une “lettre de Prusse”, réelle ou fictive,
contenant ces lignes :
“Il y a dix ans, Napoléon imprimait le mouvement à l’Europe ; il
constituait une monarchie sur les débris d’une république ; il s’était emparé
de tous les éléments monarchiques, il les mettait en œuvre contre la liberté
avec toute la puissance d’un génie extraordinaire. Les princes de l’Europe ont
détruit eux-mêmes la plus forte digue qui pût les défendre contre le
débordement des idées démocratiques”.
Une telle affirmation trouva sans doute beaucoup d’incrédules. La
révolution de 1830 ouvrit en partie les yeux à plusieurs. Le 7 août de cette
année, en refusant avec éclat de se rallier à Louis-Philippe, l’auteur de De
Buonaparte et des Bourbons déclarait en pleine Chambre des pairs :
“Quand vous seriez tombés dans une nouvelle anarchie, pourriez-vous
réveiller sur son rocher l’Hercule qui fut seul capable d’étouffer le monstre ?
De ces hommes fantastiques il y en a cinq ou six dans l’histoire ; dans
quelque mille ans, votre postérité pourra voir un autre Napoléon. Quant à
vous, ne l’attendez pas” .
Un ultra-royaliste des plus virulents, le baron de Frénilly, écrivait plus
tard dans ses Mémoires qu’en 1814 les Alliés “croyaient avoir affranchi
l’Europe de la tyrannie de Bonaparte ; ils n’avaient fait qu’affranchir le tigre
qu’il tenait muselé”. Un autre homme du même parti, le marquis de
Villeneuve, déclarait dans ses Mémoires secrets :
“Il y eut cette différence entre Napoléon et Louis XVIII que, le
premier, tout en proclamant le principe révolutionnaire, en avait repoussé les
conséquences, tandis que Louis XVIII réalisa les conséquences en ne désa
vouant que le principe abstrait”.
Metternich écrivait aussi en 1827 que “la restauration du principe de la
légitimité” ne s’était “opérée que dans un sens abstrait” en 1814 mais il
devait affirmer plus tard en confondant là, il est vrai, les principes théoriques
et la pratique imputables à Louis XVIII, qu’“en appuyant le trône restauré sur
les principes de l’Assemblée constituante, bien qu’appliqués avec beaucoup de
modération, il ramenait fatalement le Révolution que Napoléon avait abat
tue” (33).
(33) Mémoires, documents . . . IV p. 349 et V. p. 83
Metternich déforme aussi la réalité quand il ne voit dans le premier Empire qu’un
despotisme militaire, quitte à regretter, ainsi que d’autres absolutistes étrangers, que cet
aspect du pouvoir napoléonien ait fait défaut en France après sa chute. On lit dans le
Journal du comte Rodolphe Apponyi (II p. 56) à la date du 28 août 1831, au sujet d’une
séance de la Chambre des députés à Paris :
�32
En fait ces diverses appréciations simplifient à l’excès et altèrent la
réalité en méconnaissant des facteurs importants et dans la politique de
l’Empereur et dans celle de la royauté restaurée ainsi que dans sa chute.
Napoléon relève l’un des principaux à Sainte—Hélène quand il déclare, selon
Bertrand, le 15 ou le 16 mars 1821 :
“J ’avais conservé tous les intérêts de la Révolution. Je n ’avais aucun
m otif de les détruire. C’est bien ce qui faisait ma force ; c’est ce qui fait que
j ’ai pu mettre de côté les théories de la Révolution”.
Il ajoute en substance que les Bourbons et leur entourage nobiliaire
ayant au contraire paru menacer les intérêts nés de la Révolution, ceux-ci ont
dû se défendre contre eux “avec les théories de la Révolution, c’est à dire
avec la liberté de la presse, les assemblées, les municipalités nommées par le
peuple, e tc ... ., tous principes subversifs d’un gouvernement”.
Si effective qu’elle soit, cette raison n’explique à elle seule ni la
quasi-omnipotence que put exercer l’Empereur, ni l’échec de la Restauration.
Parmi les autres causes dont procédèrent aussi ces deux faits on ne peut
négliger un élément qui anima tout l’exercice du pouvoir, même dans sa
forme. Son aspect le plus visible, mais non le seul, fut le contraste éclatant
entre un empereur très dynamique, très laborieux et un ro i. . . qui l’était
moins. Or pour une dynastie qui s’instaure et plus encore peut-être pour celle
qui cherche à se rétablir moralement après une chute brutale suivie d’un inter
règne de plus de vingt ans, la personne du monarque, son caractère, son
prestige sont un élément essentiel.
On ignore si Napoléon a réellement, comme l’assure Molé, dit en mars
1806, au Conseil d’Etat, que le peuple français “n’obéit volontiers qu’au
souverain dont il est fier, et auquel il croit la force de le faire rentrer dans
l’ordre, s’il s’en écartait “et s’il a déclaré ne pas croire “que ce pays puisse
désormais se laisser gouverner par un prince imbécile” (34). On a vu
ci-dessus que plus tard, pensant probablement à ses successeurs, il aurait
souhaité, selon Roederer, voir renaître au contraire dans les esprits l’attache
ment “au manteau” c’est à dire au loyalisme monarchique, indépendant de
la personne, qui avait suffi à la sécurité de la plupart des Capétiens. Mais il
avait, fût-ce malgré lui, rendu presque aussi difficile au profit de ses
descendants qu’à celui des Bourbons le caractère intégral d’une telle résur
rection éventuelle ; le prestige de son nom aurait pu y suppléer en partie
pour les premiers (comme le montra l’avenir), conjointement avec d’autres
facteurs qui se tournèrent contre la royauté “légitime”.
(33) Suite
“Ah ! si un second Bonaparte pouvait se montrer tout à coup, comme ces drôles
seraient muets, comme ils se feraient petits ! ”
Selon le baron de Bourgoing, attaché à l’ambassade de France à Sa.int-Pétersbourg en
1830-1831, Nicolas Ie , parlant de la politique intérieure française à l’ambassadeur, lui dit,
en désignant un presse-papier qui représentait le chapeau et l’épée de Napoléon : “En
voila un qui vous menait bien ! ” (Souvenirs d'histoire contemporaine p. 540).
(34) Mis de Noailles Op. cit. I p. 78.
�33
Contre les prévisions des gouvernements alliés et des Bourbons en 1814,
ce prestige personnel, vite renaissant après le désastre final de l’Empire,
continua d’agir, au delà de toute question de légitimité et de souveraineté
métaphysiques. Ce ne fut pas seulement chez les hommes qui aspiraient,
avant tout, sur le plan utilitaire, à une mon-archie effective, selon le sens
étymologique du terme. Ce prestige contribua aussi à affaiblir, fût-ce à leur
insu, la mystique de la légitimité royale chez beaucoup de ses partisans ou du
moins à ébranler leur confiance en son avenir. Malgré de nombreuses
diatribes qui visent d’ailleurs plus la tyrannie que l'usurpation, Chateaubriand
se montre en plusieurs passages de ses Mémoires d ’outre-tombe, impressionné
par des comparaisons et des contrastes, jusqu’à écrire que Napoléon “avait
couru sus les rois, les avait saisis et marqués pour jamais à l’épaule de son
N. ineffaçable “et il constate qu’“aucune puissance légitime ne peut plus
chasser de l’esprit de l’homme le spectre usurpateur” (35).
Comme l’a exprimé avec force Monsieur Fugier, en visant les triompha
teurs de 1814, français ou étrangers :
“ . . . ce qu’ils ne pouvaient comprendre encore, c’est la coupure, c’est
la rupture que le prestige personnel de Napoléon opéra entre les temps
nouveaux et l’Ancien Régime en l’une de ses valeurs de base, le loyalisme
monarchique. Cette valeur, Napoléon l’a anéantie plus complètement que les
conventionnels ne l’avaient fait en décapitant Louis XVI : car une foi n’est
morte qu’autant qu’elle est remplacée, et l’Empereur fut —seulement un
instant mais qu’on n’oublia plus — la foi nouvelle. Par la fascination que
personnellement il exerça sur ses contemporains, et qu’allait prolonger sa
légende, il remplaça dans l’esprit des Français la consécration royale née de la
grâce de Dieu par celle née de la valeur d’un homme, de l’homme le plus
indéniablement marqué pour commander que la terre eût connu. . . ,
Louis XVIII pouvait revenir ensuite : il n’était plus le Roi puisqu’il y avait eu
l’Empereur” (36).
(35) Mémoires d ’Outre-Tombe. Livre XXIII Ch. 3 et Livre XXIV Ch. 8. Il écrivait,
le 26 mai 1825, à Reims, trois jours avant le sacre de Charles X :
“Enfin le sacre nouveau, où le pape est venu oindre un homme aussi grand que le
chef de la seconde race, n’a-t-il pas, en changeant les têtes, détruit l’effet de l’antique
cérémonie de notre histoire ? Le peuple a été amené à penser qu’un rite pieux ne dédiait
personne au trône, ou rendait indifférent le choix du front sur lequel s’appliquait l’huile
sainte . . . ” (26 mai 1825. Livre XXVIII Ch. 5).
Les autres passages de Mémoires ou de Souvenirs donnés au texte depuis la page 275
sont extraits, dans l’ordre de citation, de Thibaudeau (p. 464) ; Roederer (III p. 596) ;
Barante (I p. 145) ; Caulaincourt (II pp. 3 3 9 -3 4 0 et 342 ; 303 et 340) ; Chaptal
(pp. 320-321), Frénilly (p. 3 5 1 ); Villeneuve (II p. 221) ; Bertrand ( Cahiers de SainteHélène III p. 102). Les discours officiels se trouvent dans le Moniteur et dans les Archives
parlementaires (2e série).
(36) A. Fugier. La Révolution française et
l'Histoire des Relations internationales) p. 320.
l’Empire napoléonien
(tome IV de
3
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�L’AUTONOMIE DU DROIT INTERNATIONAL
RELATIF A L’EXPLOITATION
DES RICHESSES MARITIMES
par Robert GARRON
Capitaine au long cours
Maître de Conférences agrégé à la Faculté de Droit
et de Science Politique d’Aix - Marseille
INTRODUCTION
1- L’exploitation des richesses de la mer tend à devenir chaque jour
plus diverse et plus intense.
La diversité de cette exploitation résulte de la possibilité désormais
acquise d’utiliser les ressources des plateaux continentaux et de prospecter le
fond des océans. L’essentiel de la production ne se limite plus aujourd’hui
aux prises de la pêche maritime (1): les hydrocarbures et le gaz naturel
occupent au sein de cette production une place notable. Quant aux
perspectives d’avenir, elles ne font qu’accentuer cette tendance à la diversité.
On signale notamment, sur le lit et dans le sous-sol du lit des océans,
d’importantes réserves de végétaux et de minéraux, tels que le cuivre, le
manganèse, le nickel et le cobalt, dont l’exploitation future peut être
valablement envisagée (2).
Mais l’utilisation des richesses maritimes se caractérise aussi par son
intensité. La technique permet, de nos jours, une augmentation rapide des
rendements. Les chiffres en témoignent. C’est ainsi que les quantités pêchées
se sont accrues de 1963 à 1968 de près de 30 % sur le plan mondial (3). Ce
qui représente une expansion remarquable, surtout dans le domaine alimen(1) Autrefois, les prises de la pêche représentaient l’essentiel de la production
résultant de l’exploitation de la mer. Toutefois, certaines activités n’étaient relativement
pas négligeables, telle que l’industrie des marais salants par exemple.
(2) V. à ce propos, “L’exploitation des ressources minérales” , par C.A. Colliard, in
“Le fond des mers” , Collection U, 1971, p. 67 et ss. V. aussi A. de Mestral : “Le régime
juridique du fond des mers” , à la R.G.D.I.P. 1970, p. 641.
(3) V. Statistiques de l’O.N.U., 1970 titre pêche, n° 47 “quantités pêchées” . Le
tableau dressé par la F.A.O. fait apparaître des divergences profondes entre les Etats ou
les oontinents. C’est ainsi que sur le plan mondial, les quantités sont passées de 1963 à
1968, de 48 200 à 64 000 (milliers de tonnes) ; que certains continents, tels que l’Afrique
ou l’Amérique du Sud ont vu leur production augmenter nettement plus vite que celle des
autres continents, notamment l’Europe. Cela est dû au développement considérable de la
pêche dans certains Etats, par exemple au Pérou.
�taire (4). De même, la production d’hydrocarbures sous-marins s’est considé
rablement développée pour atteindre, en quelques années seulement, une part
appréciable du volume mondial (5). Selon certaines prévisions dignes d’inté
rêt, le brut offshore devrait assurer, en 1990, près de la moitié de la
demande, étant précisé qu’à cette même époque, celle-ci aura probablement
triplé (6).
2 —11 est évident que cette double tendance à intensifier et à diversifier
l’exploitation des océans constitue une source de difficultés et de conflits
entre les Etats.
Le caractère intensif de la production maritime pose le problème de
l’épuisement des richesses. Ce problème est déjà particulièrement préoccupant
en ce qui concerne la pêche. Il s’avère que, contrairement à ce que l’on
pouvait autrefois penser, la mer n’est pas un réservoir inépuisable et qu’il
convient d’éviter la destruction des espèces et d’assurer la conservation des
stocks de poisson à un niveau convenable. Si tous les Etats sont d’accord
pour admettre alors la nécessité d’une certaine limitation dans l’exploitation
de telle ou telle zone et pour tel ou tel produit, afin de permettre le
renouvellement des espèces, l’accord cesse parfois lorsqu’il s’agit de répartir
équitablement le poids de cette limitation. De même, la perspective de
l’épuisement des gisements de pétrole ou de gaz naturel divise aussi les Etats.
Ceux qui sont techniquement sous-développés craignent à juste titre que les
pays industrialisés profitent de leurs possibilités actuelles pour utiliser à leur
bénéfice toutes les ressources aisément accessibles. Etant donné qu’il ne
saurait être question de restreindre la production —comme dans le secteur de
la pêche (7) — ces craintes se traduisent par la prétention des Etats riverains à
l’appropriation des gisements voisins de leurs côtes, à titre de réserve exclusive
et indépendamment de toute considération relative à l’effectivité de l’exploi
tation. Ce qui suscite évidemment certains désaccords fondamentaux entre les
Etats, sur le fondement, sur l’assiette et sur la délimitation de cette
appropriation (8).
(4) Au contraire, sur le plan industriel, ce rythme de croissance paraît aujourd’hui
normal, du moins dans les pays développés.
(5) Soit environ 17 % du volume mondial. V.A. de Mestral, op. cit. à la R.G.D.I.P.
1970, p. 641.
(6) Le brut offshore devrait atteindre 44 % de la demande en 1990. V. M. Rémond
“L’exploration pétrolière en mer et le droit” , 1970, p. 195.
(7) En effet, dans le secteur de la pêche, la restriction de la production se justifie
essentiellement par la nécessité de permettre le renouvellement des espèces.
(8) Une récente affaire illustre les difficultés qui naissent à propos de ces désaccords
fondamentaux. Il s’agit de l’affaire opposant l’Allemagne fédérale à la Hollande au sujet
de l’exploitation de la mer du Nord. (Arrêt de la Cour Internationale de Justice du 20
févr. 1969, C.I.J., p. 53).
�37
Quant à la diversité de l’utilisation de la mer, elle pose le problème de
la coexistence des différentes sortes d’activités qui participent à cette
utilisation. Certains conflits peuvent éclater entre les activités dont l’exercice
suppose le respect de la liberté de la mer et celles dont l’exercice conduit, au
moins partiellement, à la reconnaissance d’une souveraineté limitée sur la
mer. C’est ainsi que l’exploitation des hydrocarbures, des minerais ou des
végétaux qui se trouvent sur le sol ou dans le sous-sol du lit des océans
risque de gêner ou de perturber, d’une manière notable, la navigation ou la
pêche, en obligeant les navires à se dérouter, en interdisant l’accès à telle ou
telle zone ou en portant atteinte aux réserves biologiques environnantes. Là
encore, il paraît difficile de concilier les intérêts divergents des Etats qui
ne poursuivent pas, sur le plan maritime, les mêmes activités économiques.
3 —La nécessité
qui se posent est à
national de la mer.
milite en faveur de
liberté des mers. Les
de résoudre assez rapidement les problèmes nouveaux
l’origine d’un véritable bouleversement du Droit inter
La conciliation des intérêts contradictoires des Etats
solutions opportunes qui dérogent au principe de la
exceptions au principe sont de plus en plus nombreuses.
L’inadéquation de la règle traditionnelle aux impératifs de notre époque
justifie de telles exceptions. La conception classique d’un droit formel égal
pour tous se trouve dépassée par les réalités économiques. La liberté absolue
apparaît aujourd’hui comme étant incompatible avec une juste répartition des
richesses maritimes, car elle conduit à l’hégémonie des grandes puissances.
Les jeunes Etats opposent à cette liberté leur droit à l’existence et à la
possession des ressources qui se trouvent à une certaine distance de leurs
côtes.
Cette évolution du droit international de la mer —pour nécessaire et
justifiée qu’elle soit — présente cependant quelques inconvénients. En faisant
prévaloir les intérêts particuliers des Etats sur les principes juridiques, la
règlementation de l’exploitation des richesses maritimes tend à devenir
confuse et quelquefois même contradictoire. Cela s’explique aisément, dès
lors qu’il s’agit d’un droit économique, par essence opportum et circonstantiel.
Comme le Droit économique, en effet, le droit de la mer se caractérise
désormais par sa diversité et par sa précarité. Ce qui constitue une menace
pour l’unité de la règle juridique, indispensable à la stabilité des relations
internationales. D’autant que les déclarations unilatérales des Etats, qui sont
à l’origine de nombreuses dispositions régionales, ne font qu’accentuer cette
menace.
4 —Dès la fin du XIXe siècle, il devint nécessaire de réglementer
l’exploitation des richesses maritimes. A cette époque en effet, il apparut à
l’évidence que certaines ressources biologiques n’étaient pas inépuisables.
Aussi diverses Conventions bilatérales ou multilatérales furent-elles con
clues entre les nations intéressées dans le but de protéger les espèces les plus
�menacées. Ces conventions avaient essentiellement pour objet de porter
atteinte au principe de liberté de la pêche, corollaire traditionnel du principe
de la liberté de la haute mer (9).
Peu après, un certain nombre d’Etats, profitant de l’impuissance du
droit international classique à s’adapter aux circonstances économiques
nouvelles, s’engagèrent résolument dans la voie des déclarations unilatérales.
Ces déclarations s’inspiraient généralement davantage de l’ambition nationale
que du souci de réglementer l’exploitation de la mer. Elles manifestaient
l’intention des Etats qui les formulaient de s’attribuer une part exclusive dans
la répartition des richesses maritimes (10).
C’est pour éviter l’anarchie juridique résultant de la dispersion des
sources du droit que la Communauté des nations a cherché, depuis le début
du XXe siècle (11), à dégager certains principes et certaines règles suscep
tibles de s’imposer à tous les Etats. Cette première codification de la
réglementation relative à l’exploitation des richesses maritimes fut l’œuvre de
la Conférence de Genève de 1958. Elle représente le droit commun en la
matière.
Depuis lors, l’assemblée générale des Nations Unies a récemment for
mulé quelques déclarations de principe qui semblent devoir constituer les
prémices d’une nouvelle réglementation destinée à régir d’autres activités ou
d’autres domaines que ceux qui sont aujourd’hui soumis aux dispositions de
1958. La mise en œuvre de ces déclarations présente un intérêt considérable :
elle permettra sans doute de remettre en cause ou de préciser certaines des
règles actuelles à l’occasion de la future Conférence de Genève prévue pour
1973 (12).
5 —Les Conventions de Genève de 1958 et les récentes déclarations de
l’assemblée générale de l’O.N.U. représentent un ensemble de règles et de
principes dérogatoires au droit international classique. C’est ainsi que la
liberté des mers se trouve considérablement restreinte tant en ce qui
(9) Sur l’historique de ces Conventions, V.O. de Ferron, “Le Droit international de
la Mer” , t. 2 p. 47 et ss.
(10) V. Les principales déclarations unilatérales sur les pêcheries, in “Le Droit
international de la Mer” , T.2, p. 65 et ss. de O. de Ferron, notamment les déclarations
unilatérales des nations latino-américaines et asiatiques (p. 69 et ss.)
(11) Une première Conférence, tenue à La Haye en 1930, fut un échec. Le travail
d’unification fut repris par la Commission du Droit international instituée en 1949, qui
prépara la Conférence de Genève de 1958.
(12) Une future Conférence de Genève doit se tenir en 1973. Elle a pour but
principal de préciser le régime juridique du fond des mers au-delà. de la juridiction
nationale. Ce qui posera nécessairement le problème de la limite de cette juridiction
nationale, c’est-à-dire celui de la limite du plateau continental, mal résolu par la
Conférence de Genève de 1958.
�39
concerne l’exercice de la pêche (13) que l’exploration ou l’exploitation du
plateau continental (14) ou du fond des océans au delà de la juridiction
nationale (15).
Si, d’une façon générale, toutes ces dérogations se justifient par la
perspective de l’épuisement des richesses, leur diversité s’explique essentielle
ment par des raisons d’opportunité.
Il en résulte que la réglementation internationale relative à l’exploitation
des ressources maritimes procède aujourd’hui d’une certaine incohérence
juridique. Ce qui ne permet pas toujours d’apporter une solution valable aux
litiges qui opposent les Etats (16).
Aussi parait-il nécessaire de dégager l’autonomie du droit de l’exploita
tion au sein du droit de la mer afin de soumettre de tels conflits à l’empire
de ses principes directeurs.
6 —11 est nécessaire que le droit de l’exploitation soit régi par des
principes autonomes distincts des principes traditionnels du droit de la mer.
Le procédé qui consiste, sous la pression constante des réalités économiques,
à déroger aux dispositions internationales classiques, présente, en effet, de
nombreux inconvénients. Les solutions adoptées sont souvent précaires et
contradictoires.
L’absence de lien entre ces solutions disparates, le fait qu’elles ne procèdent
pas d’un même fondement ou qu’elles ne participent pas à la réalisation d’un
objectif général commun, tout cela a pour conséquence de créer certaines
(13) La Convention sur la pêche et la conservation des ressources biologiques de la
haute mer limite la liberté de pêche qu’elle proclame expressément. Cette limitation
procède de l’idée de conservation. Depuis lors, la résolution de l’Assemblée générale des
Nations Unies du 17 décembre 1968 (résolution 2413, XXIII) sur l’exploitation et la
conservation des ressources biologiques de la mer, laisse présager une aggravation des
atteintes à la liberté de pêche dans le but de protéger les réserves de poissons. Celles-ci
sont notamment présentées comme des biens de l’humanité que les nations ont le devoir
“d’exploiter rationnellement” . Il paraît évident que, dans quelques années, le contrôle de
la pêche sera effectué par des institutions internationales chargées de veiller à la
protection de ces biens de l’humanité.
(14) La Convention sur le plateau continental de 1958 confère aux Etats riverains
des “droits souverains” sur ce plateau, dont l’exercice exclusif s’oppose à la liberté pour
les autres Etats d’explorer ou d’exploiter ce plateau.
(15) Plusieurs résolutions de l’Assemblée générale des Nations Unies, depuis les
résolutions 2467 (XXIII) du 21 décembre 1968, ont attribué au fond des océans situé hors
de la juridiction nationale un caractère de “bien de l’humanité” . L’exploitation du fond
des océans doit donc être soumise au contrôle d’organismes internationaux et se réaliser
dans “l’intérêt de l’humanité” . Ce régime juridique d’exploitation collective s’oppose, par
conséquent, à toute idée de liberté.
(16) Cette incohérence représente d’ailleurs la cause essentielle de ces litiges, car elle
incite les Etats à revendiquer à leur profit des droits exclusifs.
�difficultés ou de susciter certaines équivoques. Dans les cas fréquents de
silence ou d’obscurité des dispositions en vigueur, dans la résolution des
problèmes marginaux, l’absence de principes directeurs ne permet pas d’édi
fier une jurisprudence solide. Au-delà de la lettre des textes, tout litige est
soumis aux hasards de l’incertitude. Il en résulte que certains Etats se
trouvent de bons motifs de contester le Droit en invoquant le renouveau des
faits ou en arguant d’impératifs originellement imprévus. Ces Etats sont
naturellement tentés d’utiliser à leur profit, pour la satisfaction de leurs
ambitions nationales, les insuffisances de la réglementation actuelle. L’équi
voque n’engendre donc pas seulement l’incertitude : elle stimule la préten
tion.
Aussi devient-il urgent de mettre un terme aux revendications étatiques
qui revêtent un caractère excessif en leur opposant les principes spécifiques
du droit de l’exploitation. Car ces principes, s’ils justifient la violation des
règles traditionnelles, recèlent nécessairement leur propre limite dans les
raisons mêmes de leur autonomie.
7 —Les nombreuses dérogations apportées, en matière d’exploitation, au
principe traditionnel du Droit de la mer, posent une alternative classique :
lorsque l’exception envahit le domaine d’application de la règle, il convient
d’envisager si, malgré son importance, elle conserve son caractère exception
nel ou si, au contraire, elle représente la manifestation d’un principe
nouveau. Certes, la première conception peut a priori paraître séduisante. Il
est, en effet, particulièrement aisé de justifier les mesures dérogatoires
résultant des Conventions de Genève par des raisons d’opportunité ; ayant
des conséquences politiques ou économiques, la règle juridique de liberté est,
par nature, vouée à subir quelques atteintes partielles fondées sur la
souveraineté (17) ou sur l’intérêt supérieur des Etats. Une telle conception
présente, en outre, l’avantage de maintenir théoriquement l’universalité de
cette règle essentielle. Cependant —nous l’avons vu — il est indispensable
d’adopter le point de vue qui consiste à considérer l’ensemble des disposi
tions spécifiques relatives à l’exploitation comme étant l’application d’un
principe nouveau. Ce point de vue conduit à intégrer les données politiques
ou économiques dans le cadre d’un système juridique cohérent afin de les
confronter à sa propre logique.
8 —D’une façon générale, deux théories semblent devoir s’opposer dans
la recherche nécessaire des principes nouveaux : la première consiste à
résoudre ce problème en considération du secteur qui fait l’objet de
l’exploitation ; la seconde —ou théorie fonctionnelle — fonde avant tout ses
conclusions sur les activités qui participent à cette exploitation.
(17)
C’est le cas notamment de l’exception traditionnelle au principe de liberté,
fondée sur la souveraineté de l’Etat riverain sur ses eaux territoriales.
�41
1) La prise en considération du secteur objet de l’exploitation.
La plupart des dispositions spécifiques en matière d’exploitation réali
sent un véritable partage de la mer en secteurs sur lesquels tel ou tel Etat,
remplissant telle ou telle condition, se voit reconnaître des pouvoirs exclusifs. Il
en est ainsi notamment en ce qui concerne le plateau continental et la haute
mer adjacente aux eaux territoriales. Sur ces secteurs, la nation riveraine
possède désormais des droits particuliers, variables en fonction de la zone
envisagée (18) ou de l’activité exercée (19). Aussi n’est-il pas étonnant que
certains auteurs ou certains Etats soient aujourd’hui tentés d’édifier une
théorie d’ensemble par extrapolation à partir de la réglementation inter
nationale en vigueur. Cette théorie se base sur la constatation selon laquelle
les textes des conventions de Genève, en étendant les prérogatives nationales
au-delà de la mer territoriale, témoignent de l’insuffisance de ses limites ou
de la désuétude de sa notion (20). Les moyens techniques modernes per
mettent à l’Etat riverain de contrôler des espaces chaque jour plus impor
tants : il est donc indispensable que le Droit positif lui attribue des pouvoirs
à la mesure de ces moyens tant en ce qui concerne l’exploitation que la
conservation des richesses voisines de ses côtes (21 ).
En réalité, quelle que soit sa justification, une telle théorie constitue
-une menace pour le principe de liberté. En soumettant à la juridiction
nationale des zones de haute mer —et non pas certaines activités écono
miques — elle risque d’aboutir, en fait, à une extension pure et simple des
souverainetés étatiques. C’est d’ailleurs ce que visent les partisans du mor
cellement de la mer (22). Ainsi ceux qui préconisent —en s’inspirant des
dispositions internationales actuelles — un découpage entre le fond des océans
et les eaux suijacentes, admettent d’ores et déjà la possibilité d’une totale
(18) Par exemple, les “droits souverains” sur le plateau continental sont différents
des droits accordés à l’Etat riverain en vue de la conservation des ressources biologiques
de la zone de haute mer adjacente à sa mer territoriale (comp. à ce propos l’art. 2 de la
convention sur le plateau continental aux articles 6 et ss. de la convention sur la pêche et
la conservation des ressources biologiques de la haute mer).
(19) Les articles précités mettent en évidence la différence de nature entre les droits
accordés à l’Etat riverain dans l’activité d’exploitation du plateau continental et ceux qui
lui sont reconnus dans l’exercice de la pêche. Ces derniers droits sont essentiellement
limités à la perspective de la conservation des ressources biologiques ; il ne s’agit pas de
véritables droits exclusifs d’exploitation.
(20) V. à ce propos M. Rémond, op. cit., p. 74 et ss.
(21) Ces richesses sont d’autant plus menacées que les moyens modernes permettent
une exploitation intensive, voire abusive.
(22) Notamment les Etats Sud-Américains. V.O. de Ferron, t.2, Le Droit inter
national de la mer, p. 154 et ss.
�appropriation du plateau continental, en se fondant sur sa nature juridique et
non pas sur l’utilisation qui pourrait en être faite (23).
2) La prise en considération des activités qui participent à l’exploitation.
Si les dispositions des conventions de Genève sont variables avec les
zones concernées, elles tiennent compte aussi des activités qui participent à
l’utilisation de la mer. C’est ainsi qu’une des quatre conventions est
expressément consacrée à la pêche et que les mesures relatives au plateau
continental ne violent la règle de liberté que dans la perspective de
“l’exploration de celui-ci et de l’exploitation de ses ressources natu
relles” (24).
Ces considérations justifient l’adoption, sur le plan textuel, d’une
conception fonctionnelle consistant à fonder les dispositions en vigueur, non
pas sur les zones auxquelles elles s’appliquent, mais sur les diverses activités
qu’elles ont pour objet de régir. D’autant que cette conception se trouve
confortée par la constatation selon laquelle les nombreuses dérogations
apportées aux principes du Droit international classique concernent presque
exclusivement le domaine de l’exploitation. Aussi paraît-il évident que le
particularisme de la réglementation nouvelle puise sa raison d’être dans l’idée
d’exploitation. Seule, cette idée permet d’expliquer valablement la spécificité
de cette réglementation, l’unité de son fondement comme la diversité du
régime qu’elle institue.
PREMIERE PARTIE :
LE FONDEMENT DU DROIT INTERNATIONAL RELATIF
A L’EXPLOITATION DES RICHESSES MARITIMES.
9
—Les réalités économiques imposent l’abandon, dans la réglementation
de l’exploitation de la mer, du principe de liberté qui régit son utilisation en
tant que voie de communication. Le maintien de ce principe risquerait, en
effet, de favoriser l’hégémonie des grandes puissances et d’engendrer certains
conflits d’intérêt.
Ayant avant tout pour but de répartir les richesses maritimes, le Droit
international de l’exploitation doit tenir compte aujourd’hui de la situation
matérielle relative des Etats concurrents : il se fonde désormais sur une idée
d’égalité dans la justice.
(23) V. M. Rémond, op. cit., p. 24 et p. 65 et 71. V. aussi L. Cavaré, op. cit., t. 2,
p. 793.
(24) Art. 2 par. 1 de la Convention de Genève de 1958 relative au plateau
continental.
�43
CHAPITRE PREMIER : DU PRINCIPE DE LA LIBERTE DES MERS AU
PRINCIPE DE L’EGALITE DES ETATS.
Section première : Le lien entre le principe de la liberté des mers et le
principe d’égalité des Etats.
10 —A l’origine, le principe de liberté fut énoncé dans le but de
s’opposer aux tentatives de domination maritime de certaines nations (25) ; il
procédait d’une conception purement négative, indépendante de toute idée
d’égalité dans l’usage de la mer.
Le caractère négatif de cette conception apparaissait à l’évidence dans
les arguments juridiques invoqués par Grotius. Selon cet auteur, en effet, le
principe de liberté résultait principalement d’une impossibilité d’assurer
l’occupation de la mer, et, par voie de conséquence, d’en acquérir la
propriété (26). La liberté ne se présentait donc pas, au début du
XVIIe siècle, comme étant la reconnaissance, en faveur de tous les Etats, de
droits égaux à l’usage de la mer mais plutôt comme étant la négation de leurs
droits exclusifs. Dans une telle conception, la mise en œuvre de la règle de
liberté devait paradoxalement —mais nécessairement — aboutir par la suite, à
de nombreuses interdictions : interdiction d’interférence dans la navigation
d’un pavillon étranger, interdiction d’exercer une surveillance sur les eaux
épicontinentales, interdiction de contrôler la pêche au-delà de la mer
territoriale . . . (27).
11 —Aujourd’hui, le principe de liberté ne trouve plus sa justification
essentielle dans la conception négative d’autrefois ; ce principe se fonde
désormais sur une idée positive : celle de l’égalité dans l’utilisation de la
haute mer.
Cette idée n’est d’ailleurs pas nouvelle. Le lien qui unit la règle de
liberté à la règle d’égalité des Etats avait déjà été souligné avec force par la
France révolutionnaire. La Ie République, en effet, avait fait inscrire sur ses
navires la devise “liberté des mers, égalité des droits pour toutes les
nations” (28).
(25) Au XVIe siècle, l’Angleterre a défendu le principe de la liberté des mers pour
s’opposer aux prétentions des espagnols et des portugais qui voulaient se réserver le
monopole de la navigation et du commerce en Amérique et aux Indes.
Au début du XVIIe siècle, le livre de Grotius invoquait la liberté pour les mêmes
raisons, mais cette fois, dans le but de favoriser les intérêts hollandais. Enfin, aux XVIIe ,
XVIIIe et début du XIXe siècle, c’est contre la domination anglaise que les français et les
hollandais invoquent le principe de liberté. V.O. de Ferron, op. cit., t. 1, p. 23 et ss.
(26) V. L. Cavaré “Le Droit international public p o sitif’ (3 e édition par J.P.
Queneudec), p. 714, t. 2.
(27) V.O. de Ferron, op. cit., t. 1, p. 73 et ss.
(28) Cité par O. de Ferron, op. cit., t. 1, p. 24 et par M.R. Simmonet, “La
Convention sur la haute mer” , p. 21.
�Mais c’est surtout la doctrine moderne qui a mis l’accent sur le rôle joué
par l’idée d’égalité. Pour la plupart des auteurs, la liberté doit obliga
toirement s’accompagner d’un régime d’égalité ; elle suppose que toutes les
nations jouissent, sous certaines conditions, des mêmes avantages et des
mêmes droits en haute mer (29). Certains d’entre eux vont même jusqu’à
considérer, d’une manière indirecte, que le principe de liberté découle du
principe d’égalité des Etats dont il ne représente qu’une manifestation (30).
Les affirmations de la doctrine s’avèrent en tous points conformes au
droit positif actuel tel qu’il résulte des dispositions adoptées par les
conventions internationales. C’est ainsi que la Convention de Genève de 1958
relative à la haute mer précise que le principe de liberté “s’exerce dans les
conditions que déterminent les présents articles et les autres règles du droit
international” (31 ). Il est évident que, parmi ces règles qui limitent la liberté,
la règle d’égalité des Etats se situe au premier plan, puisqu’elle représente un
principe transcendant reconnu par la Charte même des Nations Unies (32).
D’autant que l’idée d’égalité apparaît à l’évidence dans la plupart des textes
contenus dans les conventions de Genève de 1958 (33).
Section deuxième : La distinction entre l’exploitation des richesses de la mer
et son utilisation en tant que voie de communication.
12
—Le lien indiscutable qui unit le principe de liberté au principe
d’égalité des Etats et la relative subordination de l’un à l’autre de ces deux
principes, posent le problème du fondement du droit international relatif à
l’exploitation des richesses maritimes. Il semble, en effet, que l’idée de liberté
qui s’impose toujours dans l’utilisation de la. mer en tant que voie de
communication, soit désormais incompatible avec l’idée d’égalité lorsqu’il
s’agit de réglementer son exploitation.
(29) V.O. de Ferron, op. cit., t. 1, p. 73 ; Cecil Hurst, Institut de Droit Inter
national, t. XXXII, p. 161 ; selon M.J.P. Queneudec : “Le principe traditionnel qui
domine tout le droit de la mer est un principe de liberté, consacré par l’article 2 de la
Convention de Genève. Ce principe de liberté s’accompagne d’un régime d’égalité. La règle
de droit positif est, en effet, que tous les Etats doivent jouir des mêmes avantages et des
mêmes droits en haute mer. Tous ont un droit égal à l’usage de la mer. En particulier, tous
les Etats ont également droit à l’exploitation des richesses de la mer” . (Le rejet à la mer
des déchets radioactifs, in A.F,D.I. 1965, p. 750 et ss.).
(30) L. Cavaré : “Le Droit international public p ositif’ (3 e édition par J.P.
Queneudec, p. 716), considère la liberté des mers comme une conséquence de l’égalité. “La
Charte des Nations Unies ne stipule pas la liberté des mers de façon expresse, mais elle
l’implique . . . lorsqu’elle souligne notamment l’égalité des nations” .
(31) Art. 2 de la Convention sur la haute mer.
(32) Préambule de la Charte des Nations Unies, 3e alinéa et art. 2. (33) V. notamment les art. 2, 3 et 4 de la Convention sur la haute mer et les art. 5
et 10 de la Convention sur la pêche. Dans tous ces articles, sans que le principe d’égalité
soit expressément visé, la recherche de l’égalité est manifeste.
�45
Paragraphe premier : La liberté dans les communications maritimes.
13 —Le “jus communicationis” représente le fondement traditionnel du
principe de liberté. Déjà au XVIe siècle, Vitoria considérait que le “droit des
gens” autorisait les navires à voyager et à aborder partout (34) : il défendait
la règle de liberté en invoquant le droit de communication. De même, pour
Grotius, ce droit constituait un véritable “droit naturel” qui imposait le
respect de la liberté des mers (35).
Aujourd’hui, le fondement traditionnel du principe de liberté n’a pas été
remis en cause, malgré lés tendances nouvelles du droit de la mer. La
doctrine moderne présente toujours le droit de communication comme étant
“un droit humain essentiel”, “l’argument social fondamental en faveur de la
liberté des mers” (36). Quant aux dispositions de la Convention de Genève
sur la haute mer, bien qu’elles ne fournissent aucune justification à la règle
de liberté, c’est avant tout dans le domaine des communications qu’elles
consacrent cette règle. C’est ainsi que l’article 2 de cette convention dispose
que “la liberté des mers comporte notamment :
1) La liberté de la navigation ;
2) La liberté de la pêche ;
3) La liberté d’y poser des câbles et des pipe-lines ;
4) La liberté de la survoler”.
Mis à part le domaine de la pêche —où elle se trouve d’ailleurs chaque
jour plus menacée —la liberté concerne donc essentiellement les communica
tions (37).
14 —Si l’idée de liberté dans les communications s’impose aujourd’hui
avec autant de force qu’autrefois, c’est qu’elle s’avère conforme à l’évolution
du Droit international de la mer. Il apparaît notamment qu’en ce domaine,
cette idée se concilie parfaitement avec l’idée d’égalité. Ainsi le libre usage
par un Etat des voies de communication maritimes ne diminue pas a priori
les droits concurrents des autres Etats. Le principe de liberté ne saurait donc
être valablement contesté au nom du principe d’égalité.
(34) Relectiones Theologicae, 4 e leçon “du jus gentium” , cité par O. de Ferron, op.
cit., t. 1, p. 19 et par L. Cavaré, op. cit., 3e édit., p. 714, t. 2.
(35) V. L. Cavaré, op. cit., 3 e ed., t.2, p. 715. De même, pour Ortolan, “l’associa
tion, la communication des uns aux autres est une loi de la nature humaine aussi
essentielle dans l’ordre moral que la respiration peut l’être dans l’ordre physique” . Elle
implique donc la liberté des mers. (Règles internationales et diplomatie de la mer, t .l ,
P- H 8).
(36) L. Cavaré, op. cit., 3e ed., t. 2, p. 716.
(37) D’autres libertés peuvent se surajouter aux libertés qui résultent du principe
fondamental du droit de la mer. Ce sont, aux termes de l’art. 2 in Fine de la Convention
sur la haute mer, “les autres libertés reconnues par les principes généraux du droit
international” .
�Cela ne signifie pas pour autant que l’exercice de la liberté des mers soit
toujours sans limite : l’égalité des droits suppose que la liberté des uns ne
porte pas atteinte à la liberté des autres. C’est en ce sens que les deux
principes fondamentaux du droit de la mer se heurtent quelquefois.
Ces considérations expliquent en particulier les dispositions de l’article 2
in fine de la Convention de Genève sur la haute mer précisant que les libertés
reconnues par le droit international doivent être “exercées par tous les Etats
en tenant raisonnablement compte de l’intérêt que la liberté présente pour
les autres Etats”. Certes, ces dispositions pourraient être justifiées en faisant
appel à la notion d’abus : le droit collectif d’usage se limite à l’usage
raisonnable (38) ; il ne permet jamais l’abus. Cependant l’acte abusif n’étant,
en l’occurence, défini que dans ses conséquences inégalitaires (39), il paraît
donc plus exact de fonder les restrictions de l’article 2 sur le principe
d’égalité des Etats. D’autant que la liberté dans l’utilisation des communi
cations maritimes ne représente, en vérité, qu’une manifestation de ce
principe transcendant.
Paragraphe deuxième : L ’égalité dans l’exploitation des richesses maritimes.
15—Le principe de liberté —qui prévaut dans le domaine des commu
nications — ne s’applique en réalité que d’une manière exceptionnelle
lorsqu’il s’agit de l’exploitation des richesses maritimes. A cet égard, il
convient toutefois de distinguer entre l’exploitation du fond et du tréfond de
la mer, dont le régime juridique déroge profondément à la règle tradition
nelle, et l’exercice de la pêche qui se trouve soumis à cette règle, bien que
celle-ci subisse de nombreuses limitations.
A — L ’exploitation du fond et du tréfond de la mer.
En ce qui concerne les ressources du sol et du sous-sol de la mer, de
véritables “droits souverains” sur le plateau continental ont été accordés aux
Etats riverains par la Convention de Genève de 1958. Ces droits souverains
s’opposent évidemment —, du moins quant à l’exploitation (40) — à l’appli(38) La théorie de “l’usage raisonnable” de la mer a fait l’objet de maintes
discussions entre les USA et l’URSS à propos des essais nucléaires en mer. V. RGDIP
1963, p. 380 et ss. ; 1964, p. 735 ; 1965, p. 527.
(39) En effet, en application de l’art. 2 in fine de la Convention sur la haute mer,
l’acte est abusif dès lors qu’il ne tient pas “raisonnablement” compte de l’intérêt des
autres Etats. C’est donc l’égalité dans l’usage de la mer que cet article entend maintenir. Il
ne faut pas qu’un Etat, par son activité, qu’elle soit excessive ou normale, porte atteinte à
la possibilité pour les autres Etats, d’utiliser les espaces maritimes.
(40) En effet, ce n’est que dans la perspective
du plateau continental que l’art. 2 de la Convention
l’Etat riverain des “droits souverains” . L’exercice de
concurrente du principe de liberté de la mer en
de l’exploration ou de l’exploitation
sur le plateau continental confère à
ces droits n’exclue pas l’application
tant que voie de communication.
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cation concurrente du principe de liberté. Or, l’étendue des surfaces ainsi
soustraites à la liberté peut être considérable, compte tenu de l’imprécision
des limites du plateau continental. Le critère de l’exploitabilité, qui intervient
dans la fixation de ces limites, paraît même susceptible d’entraîner à plus ou
moins longue échéance, l’appropriation du fond et du tréfond de tous les
océans par les Etats techniquement les plus avancés (41).
Certes, ces conséquences excessives semblent vouloir être évitées par les
résolutions récemment adoptées par l’O.N.U. (42). La plupart des Nations, en
effet, —convaincues “de la nécessité urgente de mettre les fonds maritimes à
l’abri de tout empiètement ou de l’appropriation par un Etat quel qu’il
soit” (43) — ont tenu à prévenir par le vote de ces résolutions les risques
d’une extension démesurée de la souveraineté de certaines d’entre elles.
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Cependant, il ne s’agit pas pour autant d’une nouvelle prise de position
en faveur du principe de la liberté des mers. Bien au contraire. L’O.N.U.
propose qu’à l’avenir, l’exploitation des fonds situés au-delà de la plate-forme
continentale, soit soumise à sa propre juridiction “au profit de l’huma
nité” (44). Ce n’est donc pas —quel que soit par ailleurs le bien-fondé de ce
projet — au nom de la règle de liberté que l’organisation internationale
entend mettre un frein à l’extension des souverainetés étatiques (45), mais
plutôt en vue de restreindre immédiatement le domaine d’application de
cette règle.
(40) Suite
L’article 5 de cette convention précise à cet égard que “l’exploration du plateau
continental ou l’exploitation de ses ressources naturelles ne doivent pas avoir pour effet
de gêner d’une manière injustifiable la navigation, la pêche ou la conservation des
ressources biologiques de la mer, ni de gêner les recherches océanographiques fonda
mentales ou les autres recherches scientifiques effectuées avec l’intention d’en publier les
résultats” . Il en est de même quant à la pose ou l’entretien des câbles ou pipe-lines
sous-marins sur le plateau continental, que l’art. 4 soumet aussi au principe de liberté.
(41) L’article 1 de la Convention sur le plateau continental précise que ce plateau
s’étend “jusqu’à une profondeur de 200 mètres ou, au-delà de cette limite, jusqu’au point
où la profondeur des eaux suijacentes permet l’exploitation des ressources naturelles . . . ” .
Le critère de l’exploitabilité, qui se juxtapose au critère bathymétrique, permet ainsi une
extension démesurée du plateau continental aux nations riveraines dont la technique est
avancée, c’est-à-dire une extension de leurs droits souverains.
(42) Résolutions 2340 (XXII) du 18 décembre 1967 ; 2467 (XXIII) du 21
décembre 1968 ; 2574 (XXIV) du 15 décembre 1969 et 2751 (XXV) du 17 décembre
1970.
(43) Ce sont les termes de la résolution précitée du 15 décembre 1969.
(44) Toutes les résolutions précitées emploient cette formule ou une formule
équivalente.
(45) Extension rendue possible — nous l’avons vu — par l’utilisation du critère de
l’exploitabilité.
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�Cela est important et mérite d’être souligné comme l’expression la plus
manifeste de la tendance actuelle à transgresser les principes du droit inter
national traditionnel, dans le domaine de l’exploitation des richesses de la mer.
B — L ’exercice de la pêche.
Apparemment, les dispositions internationales concernant l’exercice de
la pêche se distinguent fondamentalement de celles qui régissent l’exploitation
du fond et du tréfond de la mer. En effet, le principe de la liberté de la
pêche a été réaffirmé avec force dans les conventions de Genève de
1958 (46). Cependant l’application de ce principe, aujourd’hui contesté, se
trouve considérablement limitée par la nécessité de préserver les ressources
biologiques des océans.
La contestation de la règle de liberté procède de l’idée selon laquelle
cette règle ne se justifie que dans le domaine des communications et non pas
dans celui de l’exploitation. Cette idée n’est pas nouvelle : elle a été notam
ment émise par plusieurs nations lors des débats qui ont participé à l’élabo
ration de la convention de Genève. C’est ainsi que M. Letts, délégué du
Pérou, déclarait en 1956, devant la Commission des Nations Unies : “La
liberté de la mer se fonde sur le droit des Etats à communiquer librement
par cette voie ; elle est une expression du jus communicationis ; c’est là son
origine et son fondement juridique. Déduire de ce droit, à savoir le droit de
communiquer librement, le droit de pêcher librement, ne paraît guère
conforme à la stricte logique” (47).
Plusieurs délégués d’Etats Sud-américains et asiatiques ont repris par la
suite cette argumentation et ont nié l’existence d’un lien juridique quel
conque entre la liberté de la pêche et la liberté de la mer (48).
S’il est manifeste que les déclarations de ces délégués avaient avant tout
pour but de satisfaire les intérêts économiques particuliers de certaines
nations, il n’en demeure pas moins que leurs affirmations paraissent histo(46) L’art. 2 de la convention sur la haute mer et l’art. Ie de la convention sur la
pêche proclament expressément la liberté de la pêche.
(47) O.N.U. Document A/Conf. 13/19, 3 décembre 1957, pages 35, 36 et 37.
(48) Lors des débats de la Conférence de Genève de 1958, plusieurs Etats,
notamment les pays Sud-Américains et Asiatiques, ont nié l’existence de lien juridique
entre la liberté de la pêche et la liberté de la mer. Outre l’intervention précitée de
M. Letts, le représentant du Chili, M. Lecaros affirma que “l’origine de la liberté de la
pêche est tout à fait différente de celle du droit de navigation” (Troisième Commission de
la Conférence de Genève —Compte rendu analytique de la 10e séance du 18 mars 1958,
page 9). Quant au délégué du Pérou, M. Llosa, il est même allé jusqu’à soutenir que “la
liberté de la pêche n’a jamais été acceptée ni de facto ni en tant que. principe de droit
international” (Troisième Commission de la Conférence de Genève —Compte rendu
analytique de la 23e séance du 8 avril 1958, page 4) ; Cités par O. de Ferron, op. cit., t. 2,
p. 26.
�49
riquement fondées (49). En effet, c’est uniquement parce que les ressources
biologiques des océans étaient considérées comme inépuisables que la liberté
dans leur exploitation apparaissait autrefois comme étant le corollaire de la
liberté de la haute mer. Mais la liberté de la pêche a toujours été
conditionnée, dans l’optique de ses premiers défenseurs, par le caractère
illimité des stocks de poissons et Grotius lui-même, envisageant l’hypothèse
de leur épuisement, avait prévu qu’il serait peut-être nécessaire de la
restreindre (50).
Aujourd’hui, la réalisation de cette hypothèse pessimiste justifie donc,
dans une certaine mesure, la contestation doctrinale.
Le risque d’un épuisement des richesses permet aussi de comprendre les
limitations considérables qui sont apportées au principe de la liberté de la
pêche par les dispositions des conventions internationales, limitations qui
seront sans doute aggravées à l’avenir ainsi que le laisse prévoir la résolu
tion 2413 (XXIII) de l’assemblée générale de l’O.N.U. (51). Les réserves de
poisson sont aujourd’hui présentées comme étant des “biens de l’humanité”
dont les nations sont tenues de respecter l’intégrité, celles-ci n’ayant que le
droit d’en récolter les fruits en fonction du renouvellement des espèces. Le
souci de préserver les stocks actuellement existants impose de telles restric
tions à l’application du principe de liberté que son affirmation perd, en
pratique, toute réalité. Qu’elle soit conclue d’un commun accord par les
nations intéressées (52), prise unilatéralement par l’une d’entre elles (53), ou
(49) V. à cet égard O. de Ferron op. cit., t. 2, p. 25.
(50) O. de Ferron, op. cit., t. 2, p. 25.
(51) Cette résolution insiste particulièrement “sur la nécessité d’exploiter ration
nellement et de préserver les réserves de poisson” et rappelle que l’assemblée générale de
l’O.N.U. est “consciente du grave danger de surexploitation et d’appauvrissement de ces
ressources, auquel contribue le progrès rapide des techniques de la pêche” .
(52) Les restrictions à la liberté de la pêche résultent la plupart du temps de
conventions bilatérales ou multilatérales réglementant cette activité dans telle ou telle
zone et pour telle espèce. V. à ce propos O. de Ferron, op. cit., t. 2, p. 47 et ss. Ces
conventions présentent l’inconvénient d’être subordonnées dans leur application à la
ratification de chacun des Etats intéressés. La Convention de Genève sur la pêche et la
conservation des ressources biologiques de la haute mer, malgré les inconvénients précités,
considère ces accords entre nations comme étant le moyen le plus souple et le plus adapté
à la diversité des lieux et des circonstances de pêche. Ainsi l’art. 4 de cette Convention
dispose à cet égard : “Si les nationaux de deux ou plusieurs Etats se livrent à la pêche du
même stock ou des mêmes stocks de poisson ou autres ressources biologiques marines
dans une ou plusieurs régions de la haute mer, ces Etats engagent, à la demande de l’un
d’eux, des négociations en vue d’imposer d’un commun accord à leurs nationaux les
mesures nécessaires pour la conservation des ressources biologiques affectées” .
(53) Certains Etats — notamment les Etats Sud-Américains — ont tendance à
projeter leur compétence en haute mer et à limiter unilatéralement la liberté de la pêche.
Si la validité juridique des déclarations étatiques unilatérales est constestée (v. O. de
4
�50
décidée par la Commission spéciale prévue par la Convention de Genève (54),
il existe presque toujours une réglementation stricte de l’exercice de la pêche
en haute mer. Dans tous les océans et pour toutes les espèces, l’exploitation
des ressources biologiques se trouve désormais cantonnée dans des limites
étroites, susceptibles d’être remises en cause selon les circonstances. Par son
aspect résiduel, la liberté de la pêche n’est donc pas comparable à la liberté
des communications qui conserve, dans sa mise en œuvre, toute la force d’un
principe.
16
—Le fait que dans l’exploitation des richesses maritimes, le princip
de liberté ne soit pas applicable ou subisse des restrictions considérables,
souligne le particularisme du droit international relatif à ce domaine d’acti
vité. L’existence de ce particularisme pose évidemment le problème de sa
justification et de son fondement.
A cet égard, il apparaît incontestable que la justification matérielle de la
spécificité des règles concernant l’exploitation réside principalement dans la
perspective de l’épuisement des ressources maritimes. Sans cette perspective,
en effet, rien n’expliquerait l’abandon total ou partiel du principe de liberté :
l’exploitation par un Etat de richesses illimitées —tout comme l’utilisation
des voies de communications — doit s’effectuer librement, étant donné
qu’elle ne porte pas atteinte aux droits concurrents des autres Etats. Il n’en
va pas de même, au contraire, lorsque ces richesses s’avèrent insuffisantes
pour satisfaire les besoins économiques actuels ou futurs de l’ensemble des
nations. En pareil cas, la liberté dans leur exploitation ne semble pas
compatible avec la nécessité de leur répartition ; elle risque de devenir une
source de conflits entre les Etats.
Pour évidentes qu’elles soient, ces remarques n’en présentent pas moins
d’intérêt : elles permettent de dégager le fondement juridique du droit
international relatif à l’exploitation des ressources maritimes.
Ainsi, la perspective de l’épuisement des richesses et de leur indispen
sable répartition entre les nations recèle une idée de partage. Toutes
proportions gardées, il est manifeste en effet, qu’une telle répartition se
(53) Suite
Ferron, op. cti., t. 1, p. 141 et ss.), il n’en demeure pas moins que ce procédé revêt, en
pratique, une certaine efficacité. La Convention de Genève de 1958 relative à la pêche l’a
même institutionnalisé, dans une certaine mesure, au profit de l’Etat riverain. L’art. 7 de
cette Convention dispose, en effet, que “tout Etat riverain peut, en vue du maintien de la
productivité des ressources biologiques de la mer, adopter unilatéralement les mesures
conservatoires appropriées pour tout stock de poisson ou autres ressources marines dans
toute partie de la haute mer adjacente à sa mer territoriale” , à défaut d’accord.
(54) L’article 9 de la Convention de Genève sur la pêche dispose que tout différend
entre Etats relatif à la conservation des ressources biologiques par une réglementation de
la pêche, peut être soumis à la demande de l’une des parties à une Commission spéciale
qui rend une décision obligatoire à la majorité de ses membres.
�51
rapproche à de nombreux égards d’un partage de biens, malgré les incer
titudes quant aux modalités de l’opération, notamment quant à la nature et
au contenu de la masse qui doit en faire l’objet (55). Or, l’égalité demeure le
grand principe du partage.
Il en résulte que ce principe conforte, s’agissant de l’exploitation de la
mer, la règle fondamentale d’égalité des Etats.
Toutefois, le renforcement de cette règle traditionnelle ne se conçoit pas
sans un certain aménagement. Car l’égalité dans la répartition des ressources
maritimes suppose nécessairement la prise en considération de la situation
économique et concrète de chaque nation ; elle se distingue de l’égalité
juridique et abstraite du droit international classique à laquelle elle se
juxtapose et dont elle tempère les effets (56).
CHAPITRE DEUXIEME : DE L’EGALITE ABSOLUE A
RELATIVE.
L’EGALITE
Section première : La recherche de l’égalité dans la répartition des richesses
maritimes.
17
—La stricte application du principe d’égalité des Etats, tel qu’il est
formulé dans le droit international classique, ne paraît pas compatible avec la
recherche de l’égalité dans la répartition des richesses maritimes. En effet, ce
principe prévoit une égalité de caractère abstrait, qui ne peut se concevoir
que sur un plan essentiellement juridique. Sur le plan économique, la mise en
œuvre de la règle traditionnelle conduirait nécessairement à des conséquences
inégalitaires, étant donné les disparités fondamentales qui opposent la
situation respective des diverses nations. Il en serait ainsi notamment en
matière d’exploitation de la mer. La reconnaissance d’une égalité juridique
absolue supposerait, dans ce domaine, la liberté pour tous les Etats de
disposer des richesses accessibles, chacun de ces Etats possédant un droit égal
à leur exploitation (57) : elle aurait donc pour conséquence, compte tenu de
(55) Par exemple, la nature de la masse partageable est incertaine : s’agit-il de
partager les produits de la mer et le partage porte sur des biens corporels ? ou s’agit-il de
répartir entre les Etats des droits exclusifs d’exploitation de nature incorporelle ? D’autre
part, le contenu de la masse est aussi imprécis. Doit-on répartir toutes les ressources ou
toutes les zones d’exploitation ou doit-on limiter le partage à certaines ressources et à
certaines régions côtières ?
(56) Cela paraît conforme à l’idée d’égalité dans le partage. En effet, l’égalité dans
le partage est une notion économique et non pas strictement juridique. C’est une égalité
par rapport à des biens en nature ou à des valeurs ; elle procède davantage de l’équilibre
économique que de la similitude de droits.
(57) Cela résulte du lien étroit qui existe entre l’égalité et la liberté. Dès lors
qu’aucune perspective d’épuisement ne menace les richesses maritimes, l’égalité s’exprime
dans la liberté ; chacun ayant un droit égal à l’exploitation sans limite, ce droit s’exerce
librement.
�l’épuisement de ces richesses, d’attribuer presque tout le bénéfice de la
répartition au profit des puissances les plus riches ou les plus développées.
Il est évident qu’un tel résultat serait contraire à l’égalité recherchée.
Car celle-ci doit être envisagée sous l’incidence patrimoniale, conformément à
la finalité économique d’un partage de biens. C’est une égalité concrète dans
la répartition des ressources maritimes qu’il convient de réaliser ; ce n’est pas
une égalité abstraite et préalable à cette opération (58).
18
—Si la mise en œuvre du principe d’égalité souveraine des Etats se
heurte, en ce qui concerne l’exploitation de la mer, à des impératifs d’ordre
économique, ce principe n’en est pas moins applicable en ce domaine.
En effet, la règle d’égalité représente une loi fondamentale dans
l’organisation des rapports entre Etats ; elle a été exprimée dans la Charte des
Nations Unies (59) et récemment réaffirmée par la Commission juridique de
leur Assemblée générale (60) ; sa portée ne pourrait être limitée sans compro
mettre gravement l’harmonie des relations internationales. Cette règle doit,
par conséquent, s’appliquer dans le domaine économique comme en tous
autres domaines.
Telle est d’ailleurs la position expressément adoptée par la Conférence
de Genève de 1964 sur le commerce et le développement ; bien que son sujet
soit principalement d’ordre économique, celle-ci rappelle avec force, dans ses
principes généraux, la règle traditionnelle d’égalité (61 ). Ce n’est qu’après
(58) En Droit international économique, “le principe de l’égalité absolue de
traitement est fortement battu en brèche” (chronique de droit international économique
par D. Carreau, J. Dutheil de la Rochère et T. Flory, AFDI 1968, p. 563). Il faut tenir
compte de la situation économique concrète de chaque Etat. Le droit de l’exploitation
maritime, étant une branche du droit économique international, ne saurait échapper à
cette tendance actuelle. Ses règles ne peuvent plus être élaborées de manière abstraite et
absolue sans référence aux réalités matérielles : à l’inverse des dispositions essentiellement
juridiques, elles s’expriment principalement en termes de quantité.
(59) Préambule, 3e alinéa et art. 2.
(60) Le texte adopté par le comité de rédaction et le comité spécial lors des
travaux de la Commission de l’Assemblée générale des Nations Unies dispose à ce propos :
“ 1) Tous les Etats joùissent de l’égalité souveraine. Ils ont des droits et des devoirs égaux
et sont des membres égaux de la Communauté internationale, nonobstant les différences
d’ordre économique, social, politique ou d’une autre nature. . . 2) Les Etats sont
juridiquement égau x. . . ” . V les compte-rendus de ces travaux, 20 sept, au 14 déc. 1966,
doc. A/C 6 SR.899 à 955 et AFDI p. 291 et ss.
(61) M. Virally (“Vers un droit international du développement” , AFDI 1965, p. 5
et p. 5 et ss.) déclare à ce propos, “il ne faut pas se hâter de proclamer périmé, au nom
de la solidarité internationale, le principe d’égalité souveraine des Etats. L’attachement à
ce principe des pays nouvellement parvenus à la vie internationale devrait donner l’éveil
sur ce point” . C’est pourquoi la Conférence de Genève de 1964 sur le commerce et le
Développement a affirmé expressément le principe d’égalité. (V. actes de la Conférence
des Nations Unies sur le Commerce et le Développement, t. 1, Acte final et rapport, p. 20.
�53
avoir fait référence à cette règle que cette même conférence souligne la
nécessité d’en restreindre les conséquences.
Cela se comprend aisément : si le principe d’égalité est applicable en
tous domaines, il n’en demeure pas moins qu’en matière économique, il
s’avère indispensable d’en aménager la mise en oeuvre. Il convient de
compenser les inégalités de fait sur la base de l’égalité juridique afin de
conférer au droit international classique un minimum d’effectivité (62).
Ces considérations expliquent, en grande partie, la diversité et la
complexité de la réglementation relative à l’exploitation de la mer. La
recherche de l’égalité dans la répartition de ses richesses n’a pas abouti à la
reconnaissance systématique de droits égaux en faveur de tous les Etats
concurrents ; car la liberté que cette reconnaissance implique, recèle des
risques de conflits. Les conventions internationales —quel que soit par
ailleurs le bien-fondé de leurs dispositions — ont corrigé, dans une certaine
mesure, les effets inégalitaires ou simplement irréalistes, d’une telle réparti
tion en tenant compte de la situation respective des différentes nations.
19
—Certains auteurs ont considéré que la prise en considération, par les
récentes conventions internationales, de la situation particulière des Etats
aboutissait, en fait, à l’abandon pur et simple du principe d’égalité (63) ; il
semble plus exact de ne voir dans celle-ci qu’un aménagement de ce principe.
Certes, cette prise en considération aboutit bien “à la différentiation des
droits et des obligations des Etats” (64), à la reconnaissance de statuts
étatiques divers, “le statut général et abstrait faisant place à une pluralité de
statuts” (65).
Toutefois, cela n’a pas forcément pour résultat de remplacer le principe
d’égalité par “un principe tout différent, celui de la spécificité des
Etats” (66). En effet, en établissant désormais certaines distinctions entre les
(62) Selon M. Sahovic (“Influence des Etats nouveaux sur la conception du droit
international” AFDI 1966, p. 30 et ss.), “les principes nouveaux doivent tenir compte de
cette inégalité économique et doivent s’efforcer de la compenser afin de permettre, un
jour, la réalisation effective du principe de. l’égalité souveraine des Etats” . L’égalité
souveraine représente le but de la compensation ; elle en est aussi la base néces
saire. V. M. Virally, op. cit. , qui le précise en ces termes : “Ce serait un paradoxe,
d’ailleurs, d’abandonner le principe d’égalité souveraine des Etats au moment où on
cherche à dépasser et à compenser les inégalités de fait, èonstruire des égaux. La
reconnaissance de l’égalité de droit a toujours été la base nécessaire d’une telle
construction. . ” .
(63) V. C.A. Colliard, “Egalité ou spécificité des Etats dans le droit international
public actuel”, in Mélanges L. Trotabas, p. 529 et ss.
(64) C.A. Colliard, op. cit., p. 540 et ss.
(65) C.A. Colliard, op. cit.
(66) C.A. Colliard, op. cit., p. 531
�nations, le droit positif actuel n’a, en réalité, d’autre objet que d’aménager
—et non pas d’abandonner (67) — la règle d’égalité dont l’application stricte
au domaine économique s’avère souvent contraire au but recherché. Par ces
distinctions, les rédacteurs des récentes conventions internationales ont voulu
faire en sorte que tous les Etats puissent au moins conserver la possibilité de
participer à l’échange ou à la répartition des richesses, avec les mêmes
chances que les autres nations. Les inégalités de droits et d’obligations qui
découlent de la prise en considération des disparités nationales, revêtent ainsi
un caractère essentiellement compensateur. Au principe d’égalité juridique
absolue, se substitue de la sorte un principe voisin dans sa finalité, si ce n’est
dans son contenu : le principe d’égalité relative (68).
Section deuxième : La prise en considération de la situation particulière des
Etats.
20
—Il est nécessaire —nous l’avons vu — de prendre en considération la
situation particulière des Etats afin d’atténuer les effets inégalitaires ou de
tempérer les conséquences excessives du principe d’égalité.
Le droit positif actuel offre maints exemples d’une telle nécessité,
notamment dans le cadre des organisations internationales dont les structures
et les mécanismes de délibération tiennent souvent compte de la diversité des
puissances participantes (69). Les caractéristiques si différentes des nations
imposent un aménagement plus ou moins important de la règle d’égalité dans
la composition des assemblées ou des conseils ainsi que dans les procédures
de vote (70).
Mais c’est surtout dans le domaine économique —en particulier dans le
domaine de l’exploitation maritime — qu’un tel aménagement parait indis
pensable. Dans ce domaine, en effet, l’application stricte du principe d’égalité
conduit à des résultats manifestement' contraires au but recherché, étant
donné la grande disparité des situations nationales (71). La mise en œuvre de
la règle traditionnelle suppose ainsi une évaluation préalable de ces situations.
(67) V. supra n° 18.
(68) Nous empruntons cette terminologie à M.C.A. Colliard, Institutions Inter
nationales, Précis Dalloz 1970, n° 299.
(69) Selon M.C.A. Colliard, “égalité ou spécificité des Etats, Mélanges Trotobas,
p. 532, “l’égalité ainsi se combine avec la prise en considération d’inégalité fonctionnelle” .
(70) Il s’agit là aussi d’un simple aménagement du principe d’égalité et non pas d’un
abandon de ce principe. V. à ce propos, E. Van Bogaert : “Considérations sur la théorie
de l’égalité des Etats” à la R.G.D.I.P. 1955, p. 85 et ss. et notamment p. 98.
(71) Le principe de l’égalité peut aboutir, dans le monde économique à des
conséquences inégalitaires. Cette situation a existé, notamment dans le courant du
XIXe siècle, dans le cadre du principe de l’ouverture de tous les pays au commerce
international, dont l’application à la Chine et au Japon réduisit ces Etats à subir la tutelle
économique des puissances européennes.
�D’autant qu’en la matière, cette règle étant fondée sur une conception
économique de la souveraineté (72), ne peut logiquement s’exprimer qu’en
termes de quantité. C’est donc à partir des distinctions existant entre les
Etats et en fonction de leur “poids économique” que l’égalité dans leurs
rapports doit être envisagée. Il convient notamment de compenser ces
distinctions afin que chaque nation puisse, dans des conditions normales,
intervenir dans l’échange des richesses ou bénéficier de leur répartition.
L’aménagement de la règle traditionnelle ne signifie pas, par conséquent, la
disparition ni même l’atténuation des inégalités de fait qui opposent —et
opposeront toujours — les Etats (73) ; cet aménagement consiste à faire en
sorte que ces inégalités ne représentent pas un obstacle à la participation de
certains pays aux relations économiques internationales et que chacun de ces
pays conserve, quelle que soit la faiblesse de ses moyens, la possibilité de
commercer valablement avec les autres nations ou d’accéder, avec les mêmes
chances que celles-ci, aux ressources naturelles communes (74).
21—C’est en vue de l’aménagement du principe d’égalité que le droit
positif international a fait récemment une distinction fondamentale entre les
pays développés et les pays en voie de développement ; ses dispositions se
basent désormais sur la situation économique relative des Etats pour préciser
le contenu de leurs droits et de leurs obligations.
Ainsi la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le dévelop
pement a posé des principes nouveaux dérogatoires aux règles qui régissent
traditionnellement les relations commerciales internationales. Dans les actes
(72) La souveraineté est généralement considérée comme étant la base même du
principe d’égalité (V.E. Van Bogaert, op. cit.). S’agissant de droit économique, c’est la
conception économique de la souveraineté qui doit être substituée comme base du
principe d’égalité, à la conception strictement juridique. Or, “la conception de la
souveraineté économique se distingue et ne recouvre pas la conception classique”
(chronique de droit international économique, D. Carreau, J. Dutheil de la Rochère et
T. Flory, AFDI 1968, p. 554 et ss.). La souveraineté économique s’apprécie quantitative
ment. Elle admet, par conséquent, certaines “distinctions entre les Etats en fonction de
leur poids économique” (chronique précitée).
(73) La mise en œuvre du principe d’égalité ne vise pas l’égalisation des situations
matérielles : elle concerne seulement la reconnaissance de droits ou l’attribution de biens à
des Etats. L’appréciation des inégalités de fait n’intervient donc qu’à propos de cette
reconnaissance ou de cette attribution : elle n’a pas pour objet d’abolir la diversité des
situations.
(74) L’aménagement du principe d’égalité dans l’attribution d’un bien ou dans la
reconnaissance d’un droit consiste à faire en sorte que pour tous les Etats cette
attribution ou cette reconnaissance soit effective ; qu’elle ne soit pas illusoire pour
certains Etats. La même idée préside à la réglementation de ce que l’on nomme le
“contrat d’adhésion” . Dans un tel contrat, l’égalité des co-contractants étant une fiction
juridique compte tenu de l’inégalité économique qui les oppose, il a fallu tenir compte de
cette inégalité en vue de rendre l’égalité moins illusoire.
�56
des conférences tenues à Genève en 1964 et à New Delhi en 1967, les pays
développés, conscients du bien - fondé de ces principes, ont notamment
accepté l’abandon du bénéfice de la réciprocité dans leurs rapports avec les
pays en voie de développement et l’octroi systématique de préférences à ces
derniers (75).
En ce qui concerne plus précisément l’exploitation des richesses de la
mer, la même tendance se manifeste aujourd’hui. Les récentes résolutions
adoptées par l’O.N.U. visent, en effet, à assurer cette exploitation “compte
tenu des intérêts et des besoins particuliers des pays en voie de développe
ment” (76). Cette formule est employée dans toutes les résolutions relatives à
l’exploitation de la mer au-delà de la juridiction nationale, aussi bien celles
qui concernent les ressources naturelles du sol et du sous-sol (77), que celles
qui concernent les ressources biologiques des eaux surjacentes (78).
Cela s’explique aisément : il ne parait pas possible de conférer à chaque
Etat un droit égal à l’exploitation des richesses maritimes. Un tel procédé
serait illusoire ; étant donné la faiblesse des moyens techniques dont dispo
sent les pays en voie de développement, il aurait pour résultat d’attribuer
toutes ces richesses —jusqu’à leur complet épuisement — au bénéfice exclusif
des puissances industrielles ou financières. Dans l’octroi des concessions
d’exploitation ou dans la limitation de l’exercice de la pêche, il faudra donc
prendre en considération la situation économique de certaines nations pour
leur permettre de participer effectivement à la répartition des ressources de la
mer (79).
22 —La distinction entre les pays développés et les pays en voie de
développement, compte tenu de l’importance qu’elle revêt désormais, pose
évidemment le problème de sa portée réelle. Certes, cette distinction a pour
(75) Les préférences généralisées ont effectivement été accordées par la plupart des
Etats développés. Ainsi les pays membres de la C.E.E. ont introduit dans leur réglemen
tation douanière, les mesures nécessaires à la mise en œuvre de ces préférences dans le
courant de l’année 1971.
(76) En adoptant les mêmes objectifs que ceux visés par la Conférence des Nations
Unies sur le Commerce et le Développement, ces résolutions consacrent l’intégration du
droit de l’exploitation de la mer au sein du droit international économique, par
opposition au droit international classique.
(77) V. les résolutions 2340 (XXII) du 18 décembre 1967, 2467 (XXIII) du 21
décembre 1968, 2574 (XXIV) du 15 décembre 1969 et 2750 (XXV) du 17 décembre
1970.
(78) V. la résolution 2413 (XXIII) du 17 décembre 1968.
(79) “Le partage équitable par les Etats des avantages” qui seront retirés de
l’exploitation, pourra consister en un versement de redevances par le concessoinnaire aux
nations qui se trouvent dans l’impossibilité technique d’exploiter. Quant aux limitations
de l’exercice de la pêche, elles pourraient permettre ce partage équitable si elles étaient
variables en fonction de la situation économique de chaque Etat concerné. V. infra n° 33.
�57
but —nous l’avons vu — d’atténuer les conséquences excessives de la règle
d’égalité des Etats ; cette affirmation n’est pas contestable : tel est bien
l’objectif général des principes nouveaux qui tendent à s’affirmer aujourd’hui
dans le domaine économique, y compris le domaine de l’exploitation de la
mer. Cependant, il parait plus délicat de préciser le contenu de ces principes
nouveaux.
A cet égard, en effet, deux points de vue pourraient valablement
s’opposer (80) :
1) Il est tout d’abord possible d’envisager la prise en considération de la
situation particulière des pays en voie de développement comme étant une
dérogation provisoire au droit international, uniquement destinée à modifier
leur condition. Dans cette optique, c’est moins l’application immédiate que
l’application future du principe d’égalité qui justifie le particularisme de la
réglementation en la matière. Il convient d’aider certaines nations à sortir de
leur situation d’infériorité afin de leur permettre, par la suite, de supporter
les rigueurs de la règle traditionnelle. En d’autres termes, il s’agit seulement
de la compensation momentanée d’un déséquilibre économique essentiel en
vue de la réalisation effective, dans un avenir plus ou moins proche, du
principe d’égalité souveraine des Etats.
A la vérité, une telle optique procède d’un optimisme exagéré ; il parait
difficile de s’attaquer d’une manière suffisamment efficace aux diverses
causes de ce déséquilibre. Même si l’on parvient à améliorer le sort des
nations les plus défavorisées, il existera toujours des disparités fondamentales
entre les Etats (81 ), de nature à rendre inopérante une application stricte du
droit international classique. Aussi convient-il, non pas de préparer de façon
provisoire une hypothétique égalité future, mais d’instituer dès maintenant
une égalité réelle et durable.
2) La nécessité de réaliser ce dernier objectif impose l’adoption, dans le
domaine économique, d’une conception spécifique des rapports entre les
nations. Cela est évident dès lors que l’aménagement de la règle traditionnelle
d’égalité doit constituer, en la matière, non pas une mesure provisoire, mais
un principe permanent. Dans une telle conception, la situation particulière
des Etats conditionne cet aménagement ; elle représente un élément indispen
sable à l’application du droit international ; la prise en considération de cette
situation s’intégre véritablement dans la norme juridique et permet d’en
circonscrire le contenu. Le rôle déterminant ainsi dévolu à l’évaluation de la
puissance respective des nations —notamment de leur état de développe(80) V. “La Conférence de New-Delhi” . Principes nouveaux admis par les pays
développés dans leurs rapports avec les sous-développés, Droit international économique,
AFDI 1968, p. 596.
(81) Cette affirmation ne signifie pas que les pays sous-développés n’améliorent pas
leur situation ; elle signifie que les situations relatives des Etats seront toujours profon
dément différentes.
�58
ment — peut, au premier abord, paraître surprenant. En réalité, l’importance
de ce rôle était prévisible : la mise en oeuvre du droit économique, malgré la
stabilité ou l’abstraction de ses principes, revêt généralement un caractère à la
fois concret et circonstantiel.
23 —L’adoption de ce dernier point de vue a des conséquences pratiques
considérables : s’il est nécessaire, en matière économique, d’aménager d’une
manière permanente la règle d’égalité, la prise en considération de la situation
particulière des Etats ne doit pas se limiter à la distinction entre les pays
développés et les pays en voie de développement. D’une façon générale, il
convient de tenir compte de toute disparité entre les nations, susceptible de
rendre inopérante ou excessive l’application de la règle juridique, qu’il s’agisse
de disparité d’ordre économique, technique ou géographique, qu’elle con
cerne ou non leur état de développement.
Telle est, en fait, la tendance actuelle du droit international.
C’est ainsi notamment que, dans le domaine de l’utilisation et de
l’exploitation de la mer, les Conventions de Genève de 1958 ont introduit
dans le droit positif des distinctions entre les Etats fondées principalement
sur leur situation géographique respective. Ces distinctions n’ont d’autre
objet que d’adapter à ce domaine la mise en oeuvre de la règle d’égalité.
24—Cela est particulièrement évident en ce qui concerne le problème
des pays dépourvus de littoral. Après avoir posé le principe d’égalité selon
lequel toutes les nations, riveraines ou non de la mer, doivent jouir des
mêmes libertés dans l’utilisation de celle-ci, les promoteurs des conventions
de Genève ont été amenés à prévoir des droits spéciaux au profit des Etats
sans littoral, afin de conférer à ce principe une certaine effectivité. L’article 3
de la convention sur la haute mer dispose, à cet égard, que les Etats riverains
sont tenus d’accorder aux Etats voisins dépourvus de littoral, le libre transit à
travers leur territoire et d’assurer aux navires de ces derniers Etats un
traitement égal de leurs propres navires dans l’accès à leurs ports
maritimes (82). Cet article établit de la sorte “un régime complexe où se
combinent les notions d’égalité et d’inégalité. L’Etat dépourvu de littoral
maritime se voit reconnaître un droit à jouir des libertés de la haute mer, ce
qui manifeste le principe d’égalité. Mais il est évident que l’Etat dépourvu de
littoral ne peut offrir aux Etats riverains des facilités égales à celles dont il
bénéficie lui-même, et ceci en raison de sa situation géographique. L’égalité
(82)
Article 3 de la Convention sur la haute mer : “Pour jouir des libertés de la mer
à l’égal des Etats riverains de la mer, les Etats dépourvus de littoral devraient accéder
librement à la mer. A cet effet, les Etats situés entre la mer et un Etat dépourvu de
littoral accorderont, d’une commune entente et en conformité avec les conventions
internationales en vigueur, a) à l’Etat dépourvu de littoral, sur une base de réciprocité, le
libre transit à travers leur territoire ; b) aux navires arborant le pavillon de cet Etat un
traitement égal à celui de leurs propres navires ou des navires de n’importe quel autre Etat,
en ce qui concerne l’accès aux ports maritimes et leur utilisation.”
�59
en matière d’utilisation de la mer se réalise donc par l’existence inégalitaire
d’obligations pesant sur les seuls Etats riverains” (83).
25 —C’est aux mêmes résultats qu’aboutit la Convention de Genève
relative au plateau continental. Dans la recherche d’une certaine égalité, elle
emploie des moyens inégalitaires : elle prend en considération la situation
particulière des Etats pour leur attribuer des droits exclusifs. Ainsi l’article 2
de cette convention reconnaît un statut juridique privilégié à l’Etat riverain
qui “exerce des droits souverains sur le plateau continental aux fins de
l’exploration de celui-ci et de l’exploitation de ses ressources naturelles”. De
telles dispositions peuvent, au premier abord, apparaître comme étant
contraires au principe d’égalité. En réalité —indépendamment de leur origine
historique (84) — il semble que ces dispositions s’imposaient pour compenser
les effets excessifs de ce principe. Une égalité absolue dans l’exploitation des
richesses du plateau continental eût, en effet, nécessairement conduit non
seulement à des conflits de voisinage (85), mais encore —et surtout — à
l’épuisement de toutes ces richesses au profit des puissances industrielles ou
financières et aux dépens des pays riverains en voie de développement (86). Il
a donc fallu prévoir un aménagement de la règle traditionnelle afin de
réserver exclusivement à ces pays l’accès aux ressources voisines de leur
-territoire. Une répartition équitable des produits de la mer, envisagée dans la
perspective de l’avenir des Etats, imposait par conséquent que l’on tienne
compte de leur situation spécifique et notamment de leur situation géogra
phique (87).
26 —Enfin, c’est encore la nécessité d’aménager le principe d’égalité qui
justifie aussi la prise en considération de la situation géographique des
nations par la convention de Genève sur la pêche. En reconnaissant à tout
Etat riverain “un intérêt spécial au maintien de la production des ressources
biologiques dans toute partie de la haute mer adjacente à sa mer territoriale”,
(83) Colliard, in Mélanges Trotabas, p. 544 et suite du texte.
(84) C’est-à-dire indépendamment des arguments invoqués dans la proclamation
Truman du 28 septembre 1945. V.O. de Ferron, op. cit., t. 2, p. 142 et ss.
(85) L’idée de conflit de voisinage est d’ailleurs expressément invoquée dans la
proclamation Truman. La déclaration américaine évoque en effet, la notion de sécurité :
“Le souci de sa protection oblige l’Etat riverain à surveiller étroitement les activités
poursuivies au-delà de ses côtes . . . ” .
(86) C’est la raison pour laquelle les dispositions de la Convention de Genève
attribuant des droits souverains aux Etats riverains, ont été approuvées sans réserve par
les pays sous-développés comme par les pays développés.
(87) La reconnaissance de droits exclusifs au profit des Etats riverains équivaut à
une véritable constitution de réserves naturelles pour les pays en voie de développement.
Cette mesure égalitaire présente cependant l’inconvénient de sacrifier les intérêts des Etats
dépourvus de littoral ou de plateau continental.
�l’article 6 de cette convention veut tempérer les conséquences de l’égalité
juridique aboslue (88) par l’attribution de drois exclusifs. En effet, une telle
égalité se manifesterait aux dépens de l’Etat riverain, les autres Etats ayant
naturellement tendance à exploiter d’une manière excessive les stocks qui se
trouvent, par hypothèse, éloignés de leurs propres côtes. Il convient donc
d’éviter ce résultat inégalitaire en conférant la garde de ces stocks menacés à
la nation qui paraît la plus intéressée à leur conservation (89).
DEUXIEME PARTIE :
LE REGIME JURIDIQUE DE L’EXPLOITATION
DES RICHESSES MARITIMES
27—La juste répartition des ressources maritimes impose l’adoption de
solutions spécifiques dérogatoires aux principes traditionnels du droit inter
national classique. Ces solutions, quoique nécessairement diverses, découlent
de certaines données communes qui constituent leur raison d’être ou
répresentent leur limite ; elles résultent tout à la fois de la nature collective
des richesses de la mer et de l’objet économique de son exploitation.
CHAPITRE PREMIER : LES SOLUTIONS RESULTANT DE LA NATURE
COLLECTIVE DES RICHESSES MARITIMES
Section première :
maritimes
L’affirmation
de
la
nature
collective des richesses
2 8 —L’épuisement des richesses maritimes confère au droit de l’exploi
tation un particularisme certain. En effet —nous l’avons vu — l’égalité
traditionnelle dans l’utilisation de la mer implique, en ce domaine, une juste
répartition de ses ressources.
Toutefois, cette solution, pour équitable qu’elle soit, ne se fonde pas
seulement sur le principe d’égalité relative ; elle puise aussi sa raison d’être,
directement et nécessairement, dans la nature collective des richesses
maritimes. Cela est évident : le caractère collectif d’un bien constitue
toujours la donnée essentielle de son partage.
(88) L’égalité juridique absolue aboutit à la liberté totale. Cette liberté totale ne
peut qu’aboutir à la destruction des réserves biologiques.
(89) Les droits qui sont conférés à l’Etat riverain sont d’ailleurs indépendants de
toute effectivité. Cet Etat dispose de ces droits “même si ses nationaux ne se livrent pas à
la pêche” dans la haute mer adjacente à sa mer territoriale.
�61
Une pareille affirmation semble incontestable dès lors qu’elle ne prétend
pas résoudre le délicat —et inutile — problème posé par la nature juridique
de la haute mer. La mer ne saurait, en aucune façon, faire l’objet d’une
répartition entre les Etats, bien que les conventions internationales leur
attribuent quelquefois certains droits exclusifs d’exploitation sur telle ou telle
zone. En réalité, la reconnaissance de ces droits se trouve conditionnée par la
perspective de l’utilisation de ses ressources : elle ne représente qu’une
modalité pratique de leur partage ; elle ne concerne pas la mer en tant que
telle (90).
29—
Les conventions et les résolutions internationales les plus récentes
ont aujourd’hui clairement affirmé le caractère collectif des richesses
maritimes.
Cela résulte, tout d’abord, d’une manière implicite des dispositions de la
convention de Genève sur la pêche et la conservation des ressources
biologiques de la haute mer. Cette convention restreint la liberté de la pêche
lorsque l’intégrité des stocks se trouve compromise. En d’autres termes, ces
stocks sont considérés par les textes comme étant des biens collectifs dont
les Etats ne peuvent que récolter les fruits sans porter atteinte à leur
substance (91).
Mais c’est surtout dans les dernières décisions de l’assemblée générale de
l’O.N.U. que l’affirmation du caractère collectif des richessses maritimes est
la plus nette. Ainsi, dans la résolution 2340 (XXII) du 18 décembre 1967 et
dans les résolutions postérieures concernant le lit des mers et des océans et
leur sous-sol au-delà des limites de la juridiction nationale (92), les ressources
de cette zone y sont qualifiées de “patrimoine commun de l’humanité” (93).
De même, dans la résolution 2413 (XXIII) du 17 décembre 1968 sur
l’exploitation et la conservation des ressources biologiques de la mer, celles-ci
sont présentées comme étant “l’une des principales ressources alimentaires de
l’humanité”, qu’il convient pour les Etats d’utiliser “rationnellement” et dont
(90) A propos de la nature de la haute mer, V. “Nature juridique de la haute mer” ,
R.D.I.P. 1961, p. 233 et ss.
(91) Le caractère collectif des ressources maritimes résulte des dispositions de
l’article Ie , paragr. 2 de la convention sur la pêche, qui proclament la nécessité de
préserver l’intégrité des stocks.
(92) V. aussi les résolutions 2467 (XXIII) du 21 décembre 1968, 2574 (XXIV) du
15'décembre 1969 et 2750 (XXV) du 17 décembre 1970.
(93) Art. 1 de la résolution précitée du 17 décembre 1970 : “Le fond des mers et
des océans, ainsi que leur sous-sol, au-delà des limites de la juridiction nationale (ci-après
dénommés la zone), ainsi que les ressources de la zone, sont le patrimoine commun de
l’humanité” .
;
�il est nécessaire de “préserver les réserves” par une fixation préalable des
“prélèvements tolérables” (94).
Tous ces textes procèdent à l’évidence de la même idée : les richesses
maritimes appartiennent à la Communauté des Nations. Ce principe ne parait
plus actuellement contesté ; il pose toutefois le délicat problème de la
répartition de ces richesses.
Section deuxième : La répartition des richesses collectives
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.
3 0 —La répartition des richesses collectives pose une alternative dont la
résolution conditionne le régime juridique de l’exploitation de la mer. En
effet, lorsqu’il existe une communauté de biens, la perspective de leur
utilisation peut conduire soit à leur partage effectif entre les titulaires de
droits concurrents, soit à leur administration par l’ensemble de ceux-ci.
Ces deux solutions ont tour à tour été adoptées ou préconisées selon les
cas, par les conventions ou les déclarations internationales. Ce qui risque
d’aboutir à une certaine diversité des régimes applicables.
La première solution consiste à répartir individuellement entre les Etats
les richesses originairement communes, leur exploitation étant soumise, par
conséquent, à un régime privatif ; la seconde solution, au contraire, ne vise
qu’au partage des ressources de la mer résultant d’une exploitation collective.
Paragraphe premier : Le régime de l’exploitation privative
31 —L’exploitation privative peut se réaliser dans une relative liberté. En
pareil cas, les ressources maritimes appartiennent à ceux qui les acquièrent
directement de la nature. Ces ressources ne représentent donc pas des res
communis mais des res nullius.
Tel est le régime juridique général —sauf exceptions (95) — de la pêche
en haute mer ; les poissons deviennent la propriété des Etats qui les ont
pêchés sans que les stocks dont ils émanent leur aient été préalablement
alloués et sans aucune perspective de partage. Un tel régime, excluant toute
idée de répartition entre les nations concurrentes est incompatible, semblet-il, avec la conception moderne qui fonde la réglementation internationale
sur le caractère collectif des richesses de la mer. En réalité, l’opposition n’est
qu’apparente. En effet —nous l’avons vu — les réserves biologiques consti
tuent bien le patrimoine commun de l’humanité ; les Etats ont seulement la
(94) Dans cette résolution, l’Assemblée Générale se montre “consciente de l’impor
tance des ressources biologiques de la mer qui représentent l’une des principales ressources
alimentaires de l’humanité” et “du grave danger de surexploitation et d’apauvrissement de
ces ressources, auquel contribue le progrès rapide des techniques de la pêche” .
(95) Les exceptions peuvent résulter notamment de conventions bilatérales ou
multilatérales.
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�63
faculté —de plus en plus limitée — d’en cueillir librement les fruits sans
porter atteinte à leur substance (96).
32—Mais l’exploitation privative résulte, dans la plupart des cas, d’une
répartition préalable et effective des richesses collectives au bénéfice de tel
ou tel Etat. Le régime juridique de cette exploitation se trouve donc
essentiellement conditionné par les caractéristiques de cette répartition (97).
A cet égard, il apparaît que deux conceptions s’opposent aujourd’hui
fondamentalement : l’une préconise la répartition entre les Etats des zones
d’exploitation, l’autre la répartition des produits de la mer.
A) La répartition entre les Etats des zones d ’exploitation
33 —La répartition des richesses collectives peut consister en une
répartition des zones d’exploitation entre les différents Etats. Dans cette
conception, le partage porte donc sur des droits incorporels, à savoir les
droits exclusifs à l’exploitation de telle ou telles ressources situées dans les
zones ainsi attribuées ; il ne porte pas sur les ressources elles-mêmes,
c’est-à-dire sur les biens corporels qui représentent actuellement ou poten
tiellement les produits de cette exploitation.
Telle est la solution généralement adoptée par le droit positif. Par
exemple, la mer territoriale et —pour d’autres raison et dans une autre
mesure — le plateau continental constituent des zones dans lesquelles les
Etats riverains disposent de droits exclusifs à l’utilisation de toutes les
ressources maritimes ou de certaines d’entre elles seulement (98).
Il est évident que la répartition entre les Etas de monopoles d’exploita
tion de la mer se distingue fondamentalement dans ses effets de la répartition
de la production potentielle. Car les valeurs obtenues par les nations
bénéficiaires sont variables avec les richesses naturelles des zones octroyées et
les possibilités relatives ou absolues de leur utilisation.
D’autre part, une telle répartition s’avère généralement indépendante de
toute effectivité, du moins dans une certaine mesure (99). Les droits exclusifs
(96)
disposent,
limite de
opposition
exploitée.
Si l’on interdit aux
par conséquent, de
leur renouvellement.
aux produits dont
Etats de porter atteinte aux réserves biologiques, ceux-ci
la faculté d’exploiter les ressources biologiques dans la
Ce renouvellement saisonnier caractérise les fruits par
l’extraction porte atteinte à la substance de la chose
(97) Notamment par la cause ou la forme de cette répartition.
(98) En ce qui concerne la mer territoriale, l’Etat riverain dispose de droits exclusifs
à l’utilisation de toutes les ressources maritimes. En ce qui concerne le plateau
continental, les droits se limitent aux “ressources naturelles” telles qu’elles sont définies
par l’art. 2, par. 4 de la Convention de Genève.
(99) En effet, l’effectivité n’est pas totalement exclue dans la mesure où la
Convention sur le plateau continental se sert du critère de l’exploitabilité cumulativement
avec le critère bathymétrique.
�peuvent, par conséquent, faire l’objet de concessions accordées par l’Etat qui
en est titulaire.
B) La répartition entre les Etats des produits ou des fruits de la mer
34—Dans cette conception, la répartition porte sur les produits mêmes
de l’exploitation car il s’agit de biens de nature collective ( 1 0 0 ).
Une telle conception paraît séduisante sur le plan des principes ; en
pratique, elle soulève de nombreuses difficultés de mise en œuvre et ses
objectifs s’avèrent souvent irréalisables.
Une affaire récente illustre les difficultés d’application auxquelles se
heurte la théorie du partage des produits maritimes. Il s’agit du litige porté
devant la Cour Internationale de Justice, opposant la République Fédérale
d’Allemagne au Danemark, à propos des limites du plateau continental de la
mer du Nord (101). En l’espèce, l’Allemagne, peu favorisée par le tracé de ses
côtes, dans la répartition des zones d’exploitation, préconisa une solution qui
lui était plus avantageuse : le partage, non pas de l’étendue même du plateau
continental, mais des ressources qu’il contient. Pour étayer sont point de vue,
cet Etat invoqua le principe général du droit selon lequel, lorsque plusieurs
nations peuvent faire valoir un titre également valable à l’égard de certaines
ressources, chacune peut en revendiquer une part juste et équitable (102). La
théorie avancée par la République fédérale d’Allemagne se rattachait, par
conséquent, à la conception qui voit dans la répartition des richesses
maritimes un partage de biens corporels communs et non pas un partage de
zones d’exploitation. La Cour de La Haye, dans son arrêt du 20 février 1969
(103), rejeta cette argumentation. Bien qu’elle ait fourni peu de précisions à
cet égard, il est manifeste que la Cour a eu conscience des difficultés
qu’aurait engendré l’adoption des prétentions de la République fédérale
d’Allemagne, notamment quant à l’appréciation des ressources potentielles du
fond des mers (104).
Cependant, malgré qu’elle s’avère souvent irréalisable, une répartition
des produits de la mer peut être valablement envisagée lorsque certaines
(100) Toutefois cette nature collective n’implique pas forcément l’attribution de
parts égales à toutes les nations. L’égalité doit être envisagée — nous l’avons vu — compte
tenu de la situation respective de ces nations.
(101) C.I.J., arrêt du 20 févr. 1969, p. 53.
(102) Réplique p. 5, citée par F. Monconduit : “affaire du plateau continental de la
mer du Nord” , A.F.D.I. 1969, p. 241.
(103) C.I.J. p. 53.
(104) Il est en effet difficile d’apprécier les ressources du plateau continental afin
d’en prévoir, préalablement, la répartition entre les Etats pouvant y prétendre. D’autant
que la répartition des ressources potentielles, dès lors qu’elle ne repose plus strictement
sur l’attribution d’une zone géographiquement délimitée, à l’Etat riverain, remet en
question les droits de cet Etat sur le plateau continental.
�65
circonstances la justifient, en particulier dans le domaine de la pêche. Il n’est
pas exclu, en effet, que des organes internationaux limitent à l’avenir, dans
tel ou tel secteur et à propos de telle ou telle espèce, les prises de chacun des
Etats concurrents —et non pas de l’ensemble de ces Etats (105)—à un
tonnage maximum préalablement fixé. Ce qui équivaudrait effectivement a
un partage de la production totale ou potentielle du secteur considéré (106).
Toutefois, ce procédé —dont l’application serait quelquefois souhaitable
en matière de pêche (107) —n’a même pas été proposé lors de l’élaboration
des conventions relatives à cette activité.
Paragraphie deuxième : Le régime juridique de l’exploitation collective
3 5 - L’exploitation collective s’oppose à l’exploitation privative, sur
le plan des principes comme sur le plan de la mise en œuvre. C’est, en
effet, sur le principe de la non-appropriation nationale des richesses
maritimes que se fonde ce type d’exploitation (108). Ces richesses ne font
donc pas l’objet d’une répartition préalable entre les Etats concurrents. Elles
sont seulement soumises à la juridiction internationale qui se charge de leur
administration “au profit de l’humanité tout entière”. Une telle adminis
tration confère, par conséquent, un caractère communautaire aux fruits et
aux produits de l’exploitation collective en vue de leur juste partage entre les
nations (109).
C’est ce
adoptées par
pacifique du
nales. Ainsi
régime juridique que préconisent les résolutions récemment
l’Assemblée Générale des Nations Unies relatives à l’utilisation
fond et du tréfond des océans au-delà des juridictions natio
ces résolutions, après avoir posé le principe de la non-
(105) Aujourd’hui, la réglementation ayant pour objet la conservation des réserves
biologiques, aboutit à limiter l’exercice de la pêche dans telle ou telle zone et à propos de
telle ou telle espèce. Cette limitation s’impose à l’ensemble des Etats pratiquant la pêche
dans la zone considérée.
(106) Dans la mesure où la réglementation viendrait à limiter les prises de tel Etat à
tel tonnage et les prises de tel autre Etat à tel autre tonnage, un pareil système aurait
pour effet de répartir préalablement la production potentielle maximum d’un secteur
donné entre les Etats, compte tenu de leur situation respective.
(107) Ce n’est donc qu’en matière de pêche que ce procédé serait concevable et
souhaitable. Car dans le cadre de l’exploitation des ressources minérales, aucune limitation
ne se justifie.
(108) Sur le principe de “non-appropriation” , V. C.A. Colliard : “l’exploitation des
ressources minérales” in “Le fond des mers” , collection U p. 89.
(109) Le “partage équitable” des fruits et des produits communautaires — tél qu’il
est prévu par l’art. 9 de la résolution du 17 décembre 1 9 7 0 — suppose une prise en
considération de la situation particulière des Etats, notamment des Etats sous-développés.
5
�66
appropriation ( 1 1 0 ) et le principe selon lequel l’exploitation de la zone se
fera “dans l’intérêt de l’humanité tout entière”, précisent que cette exploita
tion sera “soumise au régime international à établir” (111). Ce régime qui
devra être assorti “d’un mécanisme international approprié. .. prévoira,
notamment, la mise en valeur méthodique et sûre et la gestion rationnelle de
la zone et de ses ressources, ainsi que le développement de leurs possibilités
d’utilisation, et assurera le partage équitable par les Etats des avantages qui
en seront retirés” ( 1 1 2 ).
36—Le régime juridique de l’utilisation collective de la mer, imposant
l’intervention d’un organisme international, est donc susceptible de varier en
fonction du rôle dévolu à cet organisme. Celui-ci peut en effet, soit participer
directement à l’exploitation de telle ou telle zone ou de telles ou telles
ressources, soit limiter sa mission à la réglementation, à la coordination et au
contrôle des activités concernant cette exploitation.
A la vérité, il est difficile de concevoir à l’heure actuelle, une institution
internationale susceptible de se lancer efficacement dans une entreprise
économique au service de l’intérêt général ; l’exploitation collective directe ne
saurait être valablement envisagée.
Dès lors, il semble que l’on doive s’acheminer vers la seule solution
pratiquement acceptable, qui réside dans la concession internationale oc
troyée par l’ensemble des nations aux Etats ayant l’intention et les moyens
d’exploiter. Ces Etats conserveraient évidemment la propriété des produits de
cette concession, les institutions internationales de contrôle percevant cer
taines redevances (113).
La juste répartition des ressources de la mer se réalisera, par conséquent,
dans la redistribution aux autres Etats —et notamment aux pays sousdéveloppés — du montant de ces redevances, celles-ci représentant juri
diquement les fruits civils des richesses collectives.
(110) Art. 2 de la résolution du 17 décembre 1970 : “La zone ne peut, par quelque
moyen que ce soit, faire l’objet d’appropriation par des Etats ou des personnes physiques
ou morales, et aucun Etat ne peut revendiquer ou exercer la souveraineté ou des droits
souverains sur une partie quelconque de celle-ci” .
(111) Art. 5 de la résolution du 17 décembre 1970.
(112) Art. 9 de la résolution du 17 décembre 1970, qui ajoute “compte tenu
particulièrement des intérêts et des besoins des pays en voie de développement, qu’il
s’agisse de pays sans littoral ou de pays côtiers” .
(113) C.A. Colliard “L’exploitation des ressources minérales” in “Le fond des
mers” , collection U, p. 92 déclare à ce propos : “Le régime de concession doit comporter,
de la part du concessionnaire, le paiement de redevances ou “royalties” diverses. Lorsqu’il
s’agit de concessions d’hydrocarbures, on pourrait transposer certaines des solutions que
connaît la pratique pétrolière. L’internationalisation de ces redevances pourrait se
manifester par leur versement à l’un des fonds des Nations Unies destinés à aider les Etats
en voie de développement” .
�67
CHAPITRE DEUXIEME : LES SOLUTIONS RESULTANT DE L’OBJET
ECONOMIQUE DE L’EXPLOITATION
37—
C’est dans la perspective de l’exploitation que les conventions et les
résolutions internationales dérogent aujourd’hui aux principes traditionnels
du droit de la mer. L’objet économique de cette exploitation justifie par
conséquent la nature et constitue la limite des droits spécifiques qui sont
conférés ou qui sont reconnus aux Etats.
Section première : L’objet économique de l’exploitation, justification des
droits nationaux
38 —Les conventions de Genève de 1958 ont attribué aux Etats riverains
des droits exclusifs sur certaines zones côtières. Il en est ainsi notamment en
ce qui concerne le plateau continental et la partie de la haute mer adjacente
à la mer territoriale (114). Etant basées sur la qualité de riverain, ces
dérogations au principe traditionnel de liberté devraient, par conséquent, se
justifier essentiellement par des arguments d’ordre géographique. En particu
lier, il semblerait logique, au premier abord, d’envisager les droits exclusifs
comme étant une extension de la souveraineté des Etats bénéficiaires fondée
sur le prolongement naturel de leur territoire sur ou sous la mer voisine de
leurs rivages (115). D’autant que l’existence de ces droits exclusifs s’avère
généralement indépendante de toute exploitation effective de la zone sur
laquelle ils portent (116). C’est donc bien la position et non pas le
comportement de l’Etat riverain qui conditionne l’attribution de droits en sa
faveur.
A la vérité, la qualité de riverain ne saurait être valablement avancée
pour justifier les dérogations au principe de liberté. Car il apparaît que les
considérations d’ordre géographique ne représentent qu’un critère de répar
tition des richesses maritimes ; elles ne constituent pas en elles-mêmes la
raison d’être des dispositions nouvelles.
(114) V. l’art. 2 de la Convention sur le plateau continental qui confère à l’Etat
riverain des droits souverains sur ce plateau et l’art. 6 de la Convention sur la pêche qui
reconnait à cet Etat des pouvoirs exclusifs de réglementation de la pêche sur la partie de
la haute mer adjacente à sa mer territoriale.
(115) La Cour Internationale de Justice, dans son arrêt du 20 févr. 1969 (p. 53),
considère le plateau continental comme constituant “le prolongement naturel de son
territoire sous la mer . . . ” .
(116) L’art. 2 par. 2 de la Convention sur le plateau continental précise en effet,
que “les droits visés au paragraphe 1 du présent article sont exclusifs en ce sens que, si
l’Etat riverain n’explore pas le plateau continental ou n’exploite pas ses ressources
naturelles, nul ne peut entreprendre de telles activités ni revendiquer de droits sur le
plateau continental sans le consentement exprès de l’Etat riverain” . De même, l’art. 6
par. 2 de la Convention sur la pêche précise aussi que les droits de réglementation
attribués à l’Etat riverain sont indépendants de toute effectivité, c’est-à-dire qu’ils lui sont
reconnus “même si ses nationaux ne s’y livrent pas à la pêche” .
�68
En effet —nous l’avons vu — c’est essentiellement parce que les
ressources de la mer sont menacées d’épuisement que les conventions les plus
récentes ont prévu leur utilisation rationnelle et leur partage équitable entre
les Etats concurrents. Les dispositions relatives au plateau continental et à la
pêche et les résolutions de l’O.N.U. concernant le fond des océans au-delà de
la juridiction nationale procèdent du même objet : la juste répartition des
richesses. Certes, il arrive que, dans ses modalités, cette répartition se réfère
presque toujours à des situations géographiques, notamment à la situation de
riverain. Il n’en demeure pas moins que cette situation ne joue que le rôle
d’un critère de dévolution des ressources maritimes dont le partage se fonde
sur de toutes autres raisons.
Ainsi les arguments invoqués par le Président Truman dans sa proclama
tion du 28 septembre 1945 sur le plateau continental, mettent en évidence le
bien-fondé de cette affirmation. Aux termes de cette proclamation, c’est
parce que les ressources minérales sont. épuisables qu’il convient d’en faire
“une utilisation prudente au fur et à mesure que l’exploitation en sera
entreprise”. D’où le choix de l’Etat contigu, seul capable —selon le Président
Truman — de faire respecter cette nécessité dans l’intérêt même de la
communauté des peuples ; cela est raisonnable sur le plan du contrôle, cela
est juste sur le plan de la répartition (117). L’appel aux considérations
d’ordre géographique intervient donc uniquement pour mettre en œuvre ce
contrôle de cette répartition qu’imposent les données économiques (118).
3 9 —Les données économiques représentent la seule justification valable
de l’attribution de droits exclusifs à certains Etats, notamment aux Etats
riverains. Il en résulte que ces droits se trouvent nécessairement conditionnés
par ces données. En particulier, ils n’existent que pour la réalisation de
l’objet économique en vue duquel ils ont été conçus.
Ainsi les droits souverains sur le plateau continental ne sont conférés à
l’Etat riverain “qu’aux fins de l’exploration de celui-ci et de l’exploitation de
ses ressources naturelles” (119). De même, cet Etat ne se voit reconnaître la
faculté de réglementer la pêche en haute mer adjacente à sa mer territoriale
que dans la perspective “de la conservation des ressources biologiques” ( 1 2 0 ).
Ces constatations paraissent évidentes et n’appellent aucune réserve.
(117) Selon la proclamation Truman, “il est juste et raisonnable que la juridiction
sur les ressources naturelles du sous-sol et du lit de la mer du plateau continental soit
exercée par l’Etat contigu” .
(118) On peut d’ailleurs contester cette référence aux considérations d’ordre
géographique. En d’autres termes, on peut contester les modalités de la répartition des
richesses. Le bien-fondé du principe de la répartition, lui, est incontestable.
(119) Art. 2 de la Convention de Genève sur le plateau continental.
(120) Art. 6 par. 2 de la Convention de Genève sur la pêche et la conservation des
ressources biologiques de la haute mer.
�69
Elles méritent cependant d’être soulignées, car elles revêtent une importance
théorique considérable : par leur finalité, les droits exclusifs recèlent en
eux-mêmes leur propre limite.
Section deuxième : L’objet économique de l’exploitation, limite aux ambi
tions nationales
40—
Les droits exclusifs reconnus à certains Etats par les Conventions
internationales ne dérogent au principe de liberté qu’aux fins d’exploration,
d’exploitation ou de conservation des richesses maritimes. L’objet écono
mique de l’utilisation de la mer représente ainsi la destination essentielle de
ces droits. Leur nature et, par voie de conséquence, leur régime juridique, se
trouvent donc principalement conditionnés par cette destination. Celle-ci
limite les pouvoirs nationaux aux actes strictement nécessaires à sa réalisa
tion. Elle s’oppose notamment à l’extension pure et simple de la souveraineté
de l’Etat riverain sur les zones maritimes adjacentes à ses côtes.
41—
La nature juridique des droits nationaux sur la haute mer a fait
l’objet de nombreuses controverses, du moins en ce qui concerne les “droits
souverains” de l’Etat riverain sur le plateau continental. Sans revenir sur les
détails de ces controverses, il convient toutefois d’en dégager l’essentiel.
Certains auteurs ( 1 2 1 ) prétendent que ces droits, compte tenu de leur
caractère exclusif et inconditionnel, confèrent à leur titulaire une véritable
souveraineté sur le fond de la mer, à l’exclusion des eaux surjacentes.
D’autres, au contraire, faisant état de leur caractère restreint et limité, les
considèrent comme étant de simples droits d’utilisation ( 1 2 2 ).
Les arguments de ceux qui invoquent la souveraineté nationale résident
dans la constatation selon laquelle les droits sur le plateau continental ne
sont subordonnés ni à son exploration ni à son exploitation par l’Etat
bénéficiaire, ni à une occupation effective ou fictive, ni à une proclamation
quelconque d’intention. Selon ces auteurs, ce plateau ne saurait, par consé
quent, être regardé ni comme une res nullius susceptible d’être appropriée
par le premier occupant venu, ni comme une res communis susceptible d’être
soumise éventuellement à la juridiction internationale.
Ces arguments —pour concaincants qu’ils paraissent au premier abord —
n’en sont pas moins vigoureusement contestés par ceux qui ne voient dans les
droits nationaux que de simples droits d’utilisation. Ceux-ci mettent en
évidence le fait que ces droits doivent nécessairement être restreints et limités
pour sauvegarder la liberté de navigation et de la pêche dans les eaux
suijacentes ; que dès lors, il ne peut y avoir de souveraineté, celle-ci étant un
pouvoir absolu et exclusif ne souffrant aucune limitation.
(121) V. par exemple M. Rémond, op. cit., p. 19 et ss. Les Etats Sud-américains ont
tous eu cette prétention lors des travaux sur la Conférence de Genève de 1958.
(122) V. notamment O. de Ferron, op. cit., t. 2, p. 204 et ss. et les références citées
par cet auteur.
�42 —La controverse sur la nature des droits nationaux porte essentielle
ment —nous l’avons vu — sur le problème de l’extension en haute mer de la
souveraineté de l’Etat riverain. En vérité, cette façon d’aborder la question
présente certains inconvénients ; il parait délicat de cerner la notion de
souveraineté et le débat risque de se borner à des considérations théoriques
sans intérêt.
Pour aboutir à des résultats moins contestables, susceptibles d’engendrer
des conséquences d’ordre pratique, il semble préférable de fonder l’analyse
juridique des droits nationaux sur la seule donnée qui soit irréfutable : ces
droits, quels qu’ils soient et quelle que soit leur assiette, ont une destination
économique. C’est à partir de cette donnée, qu’il convient de déterminer les
pouvoirs précis que possèdent les Etats bénéficiaires.
43 —Les droits conférés aux Etats par les conventions internationales ne
dérogent au principe de liberté qu’aux fins d’exploration, d’exploitation ou
de conservation des richesses maritimes. La nature de ces droits se trouve
donc nécessairement circonscrite par la perspective de leur destination. C’est
dans cette perspective —et uniquement dans cette perspective — que doit
être posée par conséquent, la question fondamentale de l’appropriation par
les Etats des zones sur lesquelles ils sont désormais titulaires de droits
exclusifs.
Or, il apparaît à cet égard, qu’une telle appropriation ne s’impose
nullement. En effet, la finalité économique ne concerne effectivement que
des activités et non pas des territoires. Seul l’Etat bénéficiaire peut explorer,
exploiter ou contrôler, sous certaines conditions, telle ou telle zone. Il s’agit
là d’un monopole d’utilisation de nature incorporelle. Bien qu’il n’ait plus de
raison d’être en dehors de la zone considérée, celle-ci ne représente pas
l’objet mais le support indispensable de ce monopole. Son titulaire ne saurait,
de ce fait, s’approprier les étendues maritimes qui constituent seulement le
domaine d’exercice des pouvoirs qui lui sont reconnus. Pas plus que le
titulaire d’un droit de propriété industrielle ou commerciale —droit qui
n’existe que par la clientèle — n’aurait la faculté d’en étendre les prérogatives
à la personne même des clients (123).
CONCLUSION
L’autonomie du droit relatif à l’exploitation des richesses maritimes se
trouve aujourd’hui consacrée. Elle résulte tout d’abord, des conventions et
(123)
Ces considérations d’ordre théorique pourraient avoir des conséquences
pratiques dans le domaine des nationalisations. L’Etat riverain n’ayant aucune souveraineté
sur le plateau continental, peut-il nationaliser les installations permanentes qui sont la
propriété d’un Etat concessionnaire ? La question mérite d’être posée.
�71
des résolutions qui régissent désormais la matière. Elle procède ensuite, d’une
manière plus profonde, de l’intégration de ces dispositions spécifiques au sein
d’un droit plus vaste : le droit international économique.
C’est en effet à la lumière des principes directeurs du droit économique
et dans le cadre de son évolution la plus récente, que se dégage le
particularisme de la réglementation concernant l’exploitation de la mer.
Ces considérations justifient les nombreuses dérogations qui sont appor
tées à la règle traditionnelle de liberté ; elles permettent aussi d’en préciser le
sens. Ainsi l’opposition qui se manifeste depuis les Conventions de Genève,
entre le régime juridique de la pêche maritime et celui de l’utilisation du
plateau continental se comprend aisément dès lors que l’on fait appel à la
notion d’exploitation. Car cette opposition n’a pas pour cause directe
—comme certains le prétendent — la différence fondamentale de nature entre
le fond de la mer et les eaux surjacentes : elle découle à l’évidence de la
distinction classique en matière d’exploitation, entre la récolte des fruits, en
l’occurence des poissons, et l’extraction des produits, en l’occurence des
ressources minérales de la mer.
t
��ÉTUDE COMPARÉE
DES MODES D ’EXONÉRATION LÉGALE
DE RESPONSABILITÉ
DES TRANSPORTEURS INTERNATIONAUX
DE MARCHANDISES
par Jean-Louis BERGEL
Chargé de Cours à la Faculté de Droit
et de Science politique d’Aix - Marseille
TABLE DES MATIERES
Pages
INTRODUCTION n° I et s.
75
L’évolution des transports n° 1
Unité malgré les différents modes de transport mais diversité
internationale n° 2
Diversification suivant les différents modes de transport mais
unification internationale n° 3
L’extension de l’unification internationale n° 4
L’éventail des régimes de responsabilité n° 5
Limites du sujet n° 6
L’inspiration des conventionsinternationales n° 7
Les modes d’exonération n° 8
75
LES PRESOMPTIONS D’IRRESPONSABILITE DU
TRANSPORTEUR N° 9 et s.
A. Le système des présomptions d’irresponsabilité n° 10 et s.
a) Utilité et justification des présomptions d’irresponsabilité
n° 11 & s.
Les présomptions d’irresponsabilité n°11 et 12
L’utilité particulière des présomptions d’irresponsabilité
n° 13
Les justifications du système des présomptions d’irresponsa
bilité n° 14
b) Le jeu des preuves n° 15 et s.
_
Les preuves que doit rapporter le transporteur n° 15
La preuve qui incombe au demandeur n° 16
Les dommages d’origine multiplen° 17
76
78
79
82
83
83
84
Ie PARTIE :
84
85
85
85
86
87
88
88
90
91
�74
B. Les limites de l’application des présomptions d’irresponsabilité
n° 19 et s.
a) L’étendue limitée des différents cas exceptés n°20 et s.
Risques inhérents au mode de transport n° 20
Risques inhérents aux faits ou fautes de l’expéditeur, du
destinataire ou de tiers n° 21
Risques inhérents aux marchandises ou à leur conditionne
ment n° 22
b) L’application jurisprudentielle restrictive n°24 et s.
Les exigences jurisprudentielles quant à la preuve n° 25
Le renforcement des obligations du voiturier n° 26
Appréciation crtique de la jurisprudence n° 27
L’existence d’une prétendue “faute lourde” du transporteur
n° 28.
2e PARTIE : LA PREUVE DES FAITS EXONERATOIRES N° 30
et s.
Nature de l’obligation du transporteur suivant le mode d’exonéra
tion de sa responsabilité n° 30.
A. Preuve de la “due diligence”, preuve de l’absence de faute et
exonération de responsabilité n° 31 et s.
a) L’exonération du transporteur aérien par la preuve de
l’absence de faute n° 32
b) L’exonération du transporteur maritime par la preuve
de l’absence dy faute et de circonstances exonératoires
n° 33 et s.
L’obligation du transporteur maritime n° 33
L’innavigabilité et le vice caché du navire n° 34
Les dommages prévus par l’article 4 & 2 q de la convention
de Bruxelles n° 35.
B. La preuve des circonstances exonératoires dans les différentes
conventions n° 36 et s.
92
92
92
94
96
100
100
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109
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111
113
115
11 7
a) Les fautes nautiques et les actes d’assistance et de sauve
tage n° 37
117
b) Les causes exonératoires assimilables aux causes extérieures
classiques n° 38 et s.
La force majeure dans les conventions n° 38
La notion de “circonstances inévitables” n° 39
Causes exonératoires assimilables au vice propre n° 40
La preuve du vice propre n° 41
*
Le conditionnement de la marchandise n° 42
La faute de l’expéditeur ou du destinataire n° 43.
Conclusion n° 44.
120
120
122
124
125
127
127
129
�INTRODUCTION
1)
Le voiturier assume l’obligation “de livrer dans un certain délai et en
bon état une marchandise déplacée jusqu’en un certain lieu”. Sa responsa
bilité contractuelle apparaît en cas de défaillance dans l’exécution de cette
obligation. M. le Doyen Chauveau a rappelé que “les conceptions des auteurs
de nos codes, en la matière, étaient assez incomplètes et d’une évolution
correspondant à l’état social et économique de leur époque. Certaines sources
de dommages leur étaient inconnues ou étaient étrangères à leurs préoccu
pations” ( 1). Les voituriers étaient alors des rouliers hippomobiles. Mais les
progrès de la technique et l’essor industriel ont entraîné depuis, une transfor
mation totale des transports terrestres. Les chemins de fer assurent actuelle
ment un volume considérable de transports qui s’ajoute à un trafic routier
intense. Les transports aériens ont très vite acquis une grande importance. La
rapidité des moyens actuels favorise désormais le déplacement de marchan
dises périssables mais aussi l’accroissement des avaries consécutives au
moindre accident ou au moindre retard. Les causes de dommage se sont
multipliées. Les défaillances techniques imprévisibles, les nécessités de condi
tionnement particulier des marchandises, l’intervention d’intermédiaires de
plus en plus nombreux dans le transport . . . sont autant d’éléments qui
menacent une bonne exécution du contrat mais qui ne résultent pas
nécessairement du fait ou de la faute du transporteur. Les impératifs
pratiques ne sont donc plus comparables à ceux qui ont inspiré les
codificateurs napoléoniens. Ceux-ci avaient soumis la responsabilité du trans
porteur à des règles générales sans discerner les modes de transports utilisés.
Mais il ne s’agissait alors que de droit interne. La législation française pouvait
ainsi être fort différente de celle des autres pays vers lesquels les marchan
dises étaients acheminées ou desquels elles provenaient. Le droit des trans
ports a évolué depuis lors, dans une double direction. D’une part il s’est
diversifié suivant les différents modes de transports, d’autre part on a assisté
à un mouvement d’unification internationale.
On constate donc, sur le plan de la responsabilité du transporteur, qu’au
stade initial, celle-ci correspondait à une unité de régime (2 bis) malgré les
(1) Paul Chauveau : Les responsabilités des transporteurs, in le droit privé français
au milieu du XXe siècle “Etudes offertes à Georges Ripert” (Ed. L.G.D.J.) tome II p. 398.
(2) R. Rodière : La présomption de responsabilité des transporteurs, in droit des
transports (Ed. Sirey 1955 et mise à jour) T. II n° 845 et s. p. 429 et s.
(2 bis) Pour les transports maritimes v. infra n° 2 et note 6 bis.
�différents modes de transport mais à une grande diversité internationale. On
a, en revanche, assisté depuis le début de notre siècle à une diversification
suivant les différents modes de transport mais à une unification inter
nationale.
2)
L’article 1784 du code civil prévoit que les voituriers “sont respon
sables de la perte et des avaries des choses qui leur sont confiées, à moins
qu’ils ne prouvent qu’elles ont été perdues et avariées par cas fortuit ou force
majeure”. L’article 103 du code de commerce édicte : “le voiturier est garant
de la perte des objets à transporter, hors le cas de force majeure. Il est garant
des avaries autres que celles qui proviennent du vice propre de la chose ou de
la force majeure”.
De ces textes résulte “la présomption de responsabilité des transpor
teurs” (2). Seule la preuve que le dommage provient “d’une cause étrangère
qui ne peut lui être imputée” est susceptible d’exonérer le transporteur de sa
responsabilité présumée. En l’absence d’une telle preuve qui lui incombe, le
voiturier est tenu à réparation de tout dommage survenu à la marchandise
entre le moment de sa prise en charge et celui de sa livraison. L’ayant droit
ne doit établir que la matérialité de l’avarie ou de la perte. Il n’est astreint à
aucune autre preuve. Dans l’esprit du législateur du début du XIXe siècle, les
dommages survenus en cours de transport n’étaient dus qu’aux imprudences
et aux fautes des voituriers. Seuls la force majeure et le vice propre étaient
susceptibles de constituer des “causes étrangères” qui ne leur fussent pas
imputables.
Dans le cadre des transports terrestres, M. le doyen Rodière approuve
encore une telle rigueur car “les accidents de la circulation routière sont dans
une énorme majorité dûs aux imprudences des conducteurs . . . Aussi, écrit-il,
la présomption de responsabilité qui accable ces voituriers est elle à la fois
juste et utile. Juste, parce qu’il y a les plus grandes chances pour qu’ils aient
commis une faute. Utile, parce que la perspective d’une lourde dette de
réparation est propre à prévenir les dommages” (3). Pour notre part, nous
sommes moins convaincus de l’excellence de ce régime juridique dont l’effet
de dissuasion nous parait douteux en présence des polices d’assurances que
les entreprises de transports doivent souscrire.
La responsabilité des transporteurs est, cependant, une responsabilité de
plein droit et l’on peut se demander si elle résulte véritablement d’une
“présomption”. Certains auteurs l’ont contesté, croyant impossible de main
tenir l’idée de présomption de faute lorsque le débiteur ne pouvait pas
s’exonérer en prouvant qu’il n’avait pas commis de faute (4).
Mais pour M. Rodière, “le concept de présomption peut abriter des
réalités diverses. La présomption peut se définir comme l’induction proba(3)
R. Rodière : Droit des transports, op. cit. T. II p. 381 n° 791.
(4) Capitant D.H. 1931 chronique p. 53 et s.
�toire d’un fait connu à un fait inconnu. Pour que l’on reste sur le terrain
probatoire, il faut et il suffit que la présomption souffre la preuve contraire.
Voilà l’idée générale et elle est une. Mais on peut se montrer exigeant à des
degrés différents sur . . . la preuve contraire” (5).
Nous retiendrons donc cette terminologie commode sans nous pronon
cer sur son orthodoxie qui dépasse notre propos. Remarquons d’ores et déjà
que la preuve de l’absence de faute n’est pas suffisante pour faire échec à la
“présomption” édictée par l’article 103 du code de commerce. Ce texte exige
la preuve de la force majeure ou du vice propre pour exonérer le transpor
teur de sa responsabilité. Celle-ci est donc particulièrement lourde même si
elle n’est que l’écho du droit commun des obligations (6 ) tel qu’appliqué aux
créanciers d’une obligation de résultat, en vertu de l’article 1147 du code
civil.
La rigueur de la responsabilité qui pèse sur le transporteur a été encore
accrue par la loi Rabier du 17 mars 1905 qui a déclaré nulle toute clause par
laquelle le transporteur tenterait de se soustraire à cette responsabilité. C’est
dire que le voiturier ne peut plus trouver d’échappatoire dans la convention,
ne serait-ce que pour renverser le fardeau de la preuve. Le système de
responsabilité légale est donc la règle absolue.
Or, s’il est souvent fort difficile pour le voiturier d’établir une cause
étrangère exonératoire alors même qu’elle est en réalité à l’origine du
dommage, il en a l’obligation pour faire échec à sa responsabilité.
Les textes de base du code civil et du code de commerce régissaient à la
fois “les voituriers par terre et par eau” nonobstant l’hétérogénéité des aléas
et des risques auxquels ils étaients exposés. Si le livre deuxième du code de
1807 traitait spécialement du commerce maritime et notamment de l’affrè
tement, il ne concernait pas spécialement le transport maritime. Mais le droit
ne distinguait pas alors affêtement et transport si bien que celui-ci semblait
soumis aux règles du livre II du code de commerce, sauf peut être, en
matière de petit cabotage. Le Tribunal de commerce d’Arles avait en effet
jugé le 31 janvier 1846 “qu’il faut bien distinguer les conventions de
transport qui ont lieu dans le petit cabotage d’avec le louage de navires
destinés à de grandes expéditions”. L’arrêt confirmatif du 28 avril 1846 a
précisé “qu’en pareil cas” il fallait appliquer “non l’article 273 mais les
dispositions concernant les transports par terre et par eau” (6 bis).
(5) R. Rodière : Droit des transports, op. cit. T. II n° 849 p. 432.
(6) En ce sens G. Ripert : Droit maritime, ed. Rousseau et Cie 4° éd. 1952 n° 1687.
(6 bis) D. 1846 II 136 ; v. Desjardins : Traité de droit commercial maritime (ed.
Durand et Pedone-Lauriel 1882) T. III n° 763 p. 429. v. aussi notamment n° 755 p„406 à
propos d’une certaine autonomie des transports de passagers par mer à la fin du
XIXe siècle, v. appendice au traité de l’affrètement T. III ; v. aussi J.A.M. Ligonie : Le
connaissement et la lettre de voiture maritime thèse Paris 1962 ed. L.G.D.J. 1962 p. 8
et s.
�78
Si donc le transport maritime était ignoré, en tant que tel, par notre
droit, celui-ci soumettait tous les contrats de transports qu’il régissait aux
articles 1782 et suivants du code civil et aux règles contenues dans le livre I
titre VI du code de commerce. Ces textes étaient évidemment propres au
droit français en l’absence de toute loi internationale.
Ainsi, la législation française était unique pour les divers modes de
transport tandis que, sur le plan international, les droits étaient fort
différents les uns des autres.
3)
Ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle et surtout au cours de notre
siècle que le droit français s’est diversifié suivant les modes de transport en
même temps que s’est développé un phénomène d’unification internationale.
La convention de Berne du 14 octobre 1890 a tout d’abord établi des
règles communes aux pays signataires pour certains transports ferroviaires
internationaux. Entrée en vigueur le Ie janvier 1893, elle prévoyait en son
article 59 des révisions périodiques qui, bien qu’irrégulières, en fait, inter
vinrent en 1896 et en 1905. En 1920, la France dénonça la convention et
s’employa à en obtenir une révision fondamentale en 1923 et 1924. Deux
nouvelles conventions furent alors signées, l’une appelée C.I.M. régissant les
transports de marchandises, l’autre dénommée C.I.V. relative aux transports
de voyageurs. En 1933, elles devinrent les conventions de Rome. Les
péripéties de la guerre puis la création d’un office central des transports
intérieurs européens, disparu en 1947, avaient engendré un certain obscurcis
sement des conventions de Rome qui furent, en définitive, remplacées par
deux nouvelles conventions, C.I.M. et C.I.V., signées à Berne le 25 octobre
1952. Une révision est intervenue en 1961 et les textes nouveaux sont entrés
en application le Ie janvier 1964. Parallèlement, un certain nombre d’orga
nismes internationaux de transport par fer ont été mis en place dès la fin du
XIXe siècle et ont également contribué à une certaine unification juridique
en la matière (7).
Quant aux transports par eau, les chambres réunies de la cour de
cassation avaient souligné dès 1873 une disparité entre transports maritimes
et transports fluviaux : “le transport par mer s’effectue dans des conditions
exceptionnelles de rapidité et avec des risques plus grands d’où résultent pour
l’armateur et pour le capitaine des règles spéciales de responsabilité” (8 ).
Le 25 août 1924 était signée à Bruxelles la convention internationale
“pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement” dite
“convention de Bruxelles”. La loi française du 2 avril 1936 a ensuite instauré
(7) Pour un historique plus précis de la convention de Berne :
Durand : Les transports internationaux (préface Louis Armand) ed. Sirey
R. Rodière : Droit des transports op. cit. tome II p. 48 n° 383. Pour
organismes internationaux de transports par fer : v. Paul M.F. Durand op.
(8) Cass. ch. réunies 22 juillet 1873 S. 1873 I 401 ; D. 1874 I 207.
v. Paul M.F.
1956 p. 11 et
les différents
cit. p. 18 et s.
�79
sur le plan interne, des règles propres aux transports maritimes. Mais ses
dispositions demeuraient parfois lointaines de celles de la convention. La loi
du 18 juin 1966 “sur les contrats d’affrètement et de transport maritimes”
s’en est davantage rapprochée, notamment sur le plan de la responsabilité du
transporteur et de son exonération.
Les transports aériens ne sont pas restés longtemps soumis au droit
commun. La gravité des risques auxquels le transporteur, lui-même, s’y
expose permettrait d’y admettre que “la marche des avions y est couram
ment exempte de toute négligence ou imprudence” (9).
Le particularisme de ce mode de transport ne pouvait en tous cas
échapper au législateur français. La loi du 31 mai 1924, relative à la
navigation aérienne a manifesté son originalité en matière de responsabilité.
Mais les frontières s’estompent pour la navigation aérienne et une loi
internationale y était particulièrement nécessaire. La convention de Varsovie,
du 12 octobre 1929 vint régir les transports internationaux aériens. Certaines
dispositions en ont été modifiées par le “protocole de la Haye” entré en
vigueur le 3 août 1963 (10).
Sous l’égide des Nations Unies, des travaux inspirés tant par la
convention de Berne de 1952 que de la convention de Varsovie, aboutirent le
-19 mai 1956 à la signature à Genève d’une convention dite, C.M.R., régissant
les transports routiers internationaux.
Enfin, un projet de convention internationale sur les transports com
binés de marchandises a été établi à Rome en 1970 après un précédent projet
élaboré à Tokyo.
C’est ainsi essentiellement dans le cadre d’une unification internationale
au moins partielle que les règles se sont différenciées suivant les moyens de
transport.
4)
Ce mouvement d’unification présente un intérêt particulier à une
époque où l’importance des transports internationaux ne cesse de croître. Or,
les conventions internationales recouvrent un domaine d’application de plus
en plus large.
La C.I.M. est applicable aux transports ferroviaires de marchandises qui
s’effectuent sur l’ensemble du trajet sous un titre de transport unique, si le
parcours emprunte les territoires d’au moins deux états contractants ( 11 )
(9) R. Rodière : droit de transports, T. II p. 382 n° 791.
(10) Sur l’organisation internationale des transports v. R. Rodière : Droit des
transports, op. cit. T. II n° 392 p. 58 et s.
(11)
Les conventions de Berne de 1961 ont été signées par l’Autriche, la Bel
gique, la Bulgarie, le Danemark, l’Espagne, la Finlande, la France, la Grèce, la Hongrie,
l’Italie, le Liban, le Lichtenstein, le Luxembourg, la Norvège, les Pays-Bas, la Pologne, le
Portugal, la Roumanie, le royaume de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, la Suède, la
Suisse, la Tchécoslovaquie, la Turquie, la Yougoslavie.
H
�mais seulement si le déplacement emprunte exclusivement les lignes inscrites
par l’office central de Berne en vertu des notifications qu’il reçoit des états
signataires. La C.I.M. est applicable également à certaines lignes de transports
combinés par services automobiles ou de navigation complétant des parcours
ferroviaires. Un auteur écrivait en 1964 que le trafic de 273 341 km de voies
ferrées, 312 km de routes et 6 337 km de lignes maritimes obéissait à ses
règles ( 1 2 ).
Les conditions d’application de la C.I.M. demeurent cependant étroite
ment limitées puisque n’importe quelle ligne internationale ne peut pas y être
soumise même lorsqu’elle concerne deux états signataires.
Les rédacteurs de la C.M.R. ont entendu élargir l’éventail des transports
susceptibles de lui être surbordonnés. Il suffit que ceux-ci empruntent le
territoire de deux états dont un seul est contractant (13).
La convention de Genève n’exige pas, contrairement à la C.I.M.,
l’établissement d’une lettre de voiture d’un type déterminé. Elle régit un
transport dès lors qu’il est exécuté entièrement au moyen d’un même
véhicule, même en l’absence de lettre de voiture (14). Le projet de conven
tion relative aux transports combinés procède d’une même conception
extensive. Il subordonne son application à l’établissement d’un document de
transport combiné qu’il définit ; mais il prévoit en son article Ie parag. 3 :
(12) V. Paul M.F. Durand: Les transports internationaux - les nouvelles conven
tions de Berne du 25 février 1961, R.T.D. comm. 1964 p. 255.
(13) V. Paris 9 juin 1967 J.C.P. 1968 II 15563 note Rodière ; B.T. 1968 p. 110 ;
D. europ. des transp. 1969 vol. IV n° 5 p. 911. Les pays signataires de la C.M.R.
(R. Rodière “la C.M.R.” Ie étude B.T. 1970 p. 3 et R. Wijffels D. europ. des transp. 1969
vol. IV n° 5 p. 870) sont l’Autriche, la Belgique, le Danemark, la Grande-Bretagne,
l’Italie, le Luxembourg, la Norvège, le Pays-Bas, la Pologne, la République fédérale
d’Allemagne, la Yougoslavie, la Suède, le Portugal et la France. Il faut y ajouter la Suisse
bien qu’elle n’ait pas encore ratifié la C.M.R.
(14) Cass. com. 17 février 1970 D. 1970 s. 137 ; B.T. 1970 p. 158 ; D. europ. des
transp. 1970 vol. V n° 3 p. 442 ; Limoges 2 juin 1967 B.T. 1967 p. 273.
Sur le problème de l’application de la convention de Genève aux commissionnaires
de transports : v. cass. com. 16 février 1970 D. 1970 S. 146 ; J.C.P. 1970 II 16392 note
Rodière ; B.T. 1970 144 ; Rechtbank van Koophandel te Antwerpen 26 juin 1969 D.
europ. des transports 1969 vol. IV n° 5 p. 1026 ; (non application) R. Rodière “trans
ports internationaux par route : la C.M.R. s’applique-t-elle aux transports du commission
naire de transports avec son commettant ? ” B.T. 1968 p. 106.
Sur la distinction entre commissionnaire transporteur (soumis à la C.M.R.) et
commissionnaire expéditeur (qui y est soustrait) v. Rechtbank Van Koophandel 27 février
1967 - D. europ. des transp. 1968 vol. III n° 6 p. 1244 et 1969 vol. IV n° 5 p. 1066.
Sur la non application au commissionnaire en douane v. T. de com. Seine 28 juin
1967 B.T. 1967 p. 297. Sur l’assimilation de certaines personnes au transport C.M.R. : v.
Hof Van Beroep te Brussel 24 janvier 1969 D. europ. des transp. 1969 vol. IV n° 5 p. 943
et un autre arrêt de la même date p. 937.
�81
“la présente convention s’applique à tout document C.T. et au contrat dont
il constitue la preuve, quel que soit le lieu d’émission, le lieu de prise en
charge des marchandises, le lieu prévu pour leur livraison, la nationalité de
l’exploitant de transport combiné, de l’expéditeur, du destinataire ou de
toute autre personne intéressée ou la nationalité ou le lieu d’immatriculation
du moyen de transport” (15).
L’extension du domaine d’application des conventions internationales en
matière de transport semble correspondre à la tendance actuelle qui renforce
ainsi l’intérêt pratique que ces conventions présentent. La convention de
Varsovie concerne, aux termes de ses deux premiers articles, les transports
aériens rémunérés et internationaux au sens de ces textes (16). Mais l’article
41 de la loi française du 2 mars 1957 a prévu que “la responsabilité du
transporteur de marchandises ou de bagages est régie, en cas de transport par
air, par les seules dispositions de la convention de Varsovie ou de toute autre
convention la modifiant et applicable en France même si le transport n’est
pas international au sens de cette convention”.
Le domaine d’application de la convention de Bruxelles est de même
étendu par le protocole de Bruxelles du 23 février 1968. L’article 10 initial
qui prévoyait que les dispositions de la convention s’appliqueraient “à tout
connaissement créé dans un des états contractants” est supprimé. Le
protocole de 1968 lui substitue un texte beaucoup plus large en soumettant
désormais à la convention tout connaissement relatif à un transport de
marchandises entre ports relevant de deux Etats différents quand le connais
sement est émis dans un Etat contractant ou prévoit l’application de la
convention ou de toute autre législation qui en applique les dispositions ou
leur donne effet. Il en est de même “lorsque le transport a lieu au départ
d’un port d’un Etat contractant”. Peu importe alors la nationalité du navire,
du transporteur, du chargeur, du destinataire ou de toute autre personne
intéressée (17).
(15) V. H. Schadée : Petite Polémologie sut1 le dernier projet de convention
internationale sur le transport international combiné de marchandises, D.M.F. 1970
p. 540.
(16) Sur le domaine de la convention de Varsovie V. R. Rodière : Droits des
transports, op. cit. T. II n° 388 p. 54 et s., M. Pourcelet Transport aérien international et
(ed. les Presses de l’université de Montréal 1964) p. 3 et s.
(17) Article 5 protocole de Bruxelles du 23 février 1968. Sur les domaines
respectifs de la convention de Bruxelles et de la loi interne française : v. F. Sauvage :
Manuel pratique du transport de marchandises en mer (ed. L.G.D.J. 1955) p. 127 et s. Sur
le domaine d’application de la loi du 18 juin 1966 en droit interne et en droit
international v. J.C. Soyer : Le droit nouveau des contrats d ’a ffrètement et de transports
maritimes R.T.D. com. 1967 p. 34 et s.
La jurisprudence française s’était référée à divers systèmes pour fixer le texte
applicable lorsque le litige ne concernait pas strictement un contrat conclu entre Français
et exécuté entre ports français. Elle tenait compte de la nationalité des parties (cass. 15
6
�Les transports soumis aux conventions internationales sont donc de plus
en plus nombreux.
5)
Les diverses conventions que nous avons évoquées soumettent toute
fois les transporteurs à des régimes divers de responsabilité. Un éventail fort
large de possibilités s’offre en effet au législateur, en la matière. M. le doyen
Chauveau avait justement fait remarquer que, schématiquement, le transpor• teur peut n’assumer qu’une obligation de moyens comme il peut être astreint
à une obligation de diligence, voire de résultat (18). M. le doyen Rodière,
pour sa part, a montré l’ampleur de la gamme des possibilités législatives à
partir du thème très simple suivant lequel “le voiturier est responsable des
dommages causés aux marchandises en cours de transport” .
La rigueur d’une telle proposition varie évidemment suivant le mode et
le contenu de la preuve exigée. Qui en assume le fardeau ? Doit-on prouver
la faute de voiturier ? Celui-ci est-il présumé responsable ? Dans cette
dernière hypothèse comment pourra-t-il s’exonérer de sa responsabilité ? La
preuve de sa diligence sera-t-elle suffisante ou devra-t-il établir que le
dommage résulte d’un événement dont il sera tenu de montrer qu’il lui est
étranger ? Quels évènements seront alors qualifiés d’exonératoires ? (19).
La responsabilité du transporteur, même si elle est retenue, peut encore
être tempérée suivant que le préjudice indemnisable sera l’intégralité ou
seulement une partie du dommage que l’on peut également définir d’une
manière plus ou moins restrictive ou extensive. On peut même se contenter
d’une réparation forfaitaire. Le régime procédural de l’action en responsa
bilité n’est pas, non plus, sans incidence ; on peut multiplier les limitations
de compétence ou les fins de non-recevoir, notamment, en instituant des
formalités préalables substantielles et des délais fort brefs dont le non respect
serait générateur de prescription. Enfin il est concevable d’autoriser ou de
proscrire des clauses contractuelles limitatives ou exclusives de la responsa
bilité du transporteur.
(17 suite)
juin 1959 B.T. 1959 p. 254 ; Pàris 6 juin 1952 D.M.F. 1952 p. 421) ou bien, elle référait
au fait que le transport était effectué entre un port français et un port étranger ou
inversement lorsque le connaissement avait été émis dans un pays signataire de la
convention Paris 6 fév. 1959 et 2 nov. 1965 D.M.F. 1959 p. 476 et 1966 p. 100).
Certaines décisions se référaient aux deux systèmes (cass. com. 15 juin 1959 bull. civ. III
n° 260 p. 227 B.T. 1959 p. 254 ; Rouen 12 juil. 1957 D.M.F. 1958 p. 27). D’autres
appliquent la loi conventionnellement adoptée par les parties au connaissement (Paris 20
oct. 1952 D.M.F. 1953 p. 80 ; Rouen 18 mai 1956 D.M.F. 1956 p. 529).
(18) Paul Chauveau : Les responsabilités des transporteurs in Le droit privé français
au milieu du X X e siècle, études offertes à Georges Ripert 1950 (ed. L.G.D.J.) tome II
p. 402.
(19) Sur la gamme de ces possibilités législatives : v. R. Rodière : Droit des
transports (ed. Sirey 1955 et mise à jour) tome II p. 375 n° 787.
�83
6 ) Nous n’envisagerons ici que les modes d’exonération de la responsa
bilité du transporteur international de marchandises, en cas de pertes ou
avaries, tels qu’ils résultent des principales conventions internationales :
convention de Berne, convention de Genève, convention de Bruxelles,
convention de Varsovie et projet de convention de Rome sur les transports
combinés.
Nous nous bornerons à examiner ces modes d’exonération de responsa
bilité d’une manière matérielle, excluant les problèmes relatifs à l’étendue de
la réparation ou sa limitation et ceux qui concernent les modalités de mise
en œuvre d’une éventuelle action en responsabilité contre le transporteur.
Par ailleurs, on a souvent et fort bien écrit sur l’exonération de la
responsabilité des transporteurs maritimes et aériens soumis, respectivement,
aux conventions de Bruxelles et de Varsovie. Nous ne nous y attacherons
donc qu’à titre comparatif.
7) Force est cependant d’observer que les rédacteurs de toutes les
conventions auxquelles nous nous référons ont dû réaliser de multiples
compromis et tenir compte de nombreuses contingences matérielles. Il fallait,
d’abord, aboutir à des systèmes aussi compatibles que possible avec les
différentes législations internes des pays concernés. Il s’imposait, ensuite, de
tenir compte de l’incidence économique de la rigueur de la responsabilité des
transporteurs sur le coût du transport dont on sait qu’il est un élément
important des prix de revient, dans le contexte d’une intense concurrence
industrielle. S’il pouvait paraître utile de favoriser une large exonération de
responsabilité, encore ne fallait-il pas manifester trop d’excès à cet égard car
un régime rigoureux est tout de même susceptible d’inciter les transporteurs
à veiller davantage à une exécution satisfaisante du contrat.
Toutefois, les conventions internationales ne pouvaient ignorer l’évolu
tion des pratiques en la matière. Le transport de marchandises est devenu
une opération de plus en plus complexe qui ne met plus seulement en
présence l’expéditeur, le transporteur et le destinataire, mais dans laquelle
interviennent de multiples intermédiaires.
Le transporteur doit-il alors assumer la responsabilité de leurs actes ?
Les problèmes sont d’ailleurs fort différents suivant le mode d’exécution du
transport dont il s’agit et la nature des risques qui le caractérisent. On
admet depuis toujours que les transports aériens et, à un moindre degré, les
transports maritimes, comportent des aléas plus importants que les transports
terrestres. Or, il est souvent difficile au transporteur de neutraliser de telles
circonstances. On constate que la sévérité du système de responsabilité
auquel il est astreint est fonction de l’importance des risques auxquels il est
exposé. On peut dans ces conditions, schématiquement, admettre que, dans
certains cas, la preuve de l’absence de faute ou d’une diligence raisonnable de
sa part suffise à l’exonérer de sa responsabilité. Lorsqu’en revanche les
risques de l’opération sont moindres, n’est-il pas concevable que les modes
d’exonération soient plus limités ?
�84
8 ) Une étude globale des conventions fait apparaître que le principe de
la responsabilité du transporteur y est toujours retenu. A l’inverse, les modes
d’exonération de cette responsabilité sont divers.
Il est cependant aisé de discerner deux techniques bien distinctes
retenues par les conventions et qui parfois y coexistent.
On observe ainsi l’application de la technique classique suivant laquelle
le transporteur est exonéré de sa responsabilité s’il établit que le dommage
résulte d’une manière certaine de circonstances dont il n’assume pas la charge
et qui lui sont étrangères. La liste de telles circonstances peut être plus ou
moins restrictive ou extensive.
Certaines conventions ont, en revanche, consacré un procédé d’exoné
ration orginal qui consiste à rejeter, à certaines conditions, la présomption de
responsabilité, traditionnelle pour y substituer une présomption d’irresponsa
bilité du transporteur.
Nous examinerons successivement les présomptions d ’irresponsabilité du
transporteur ( I e partie) et la preuve des faits exonératoires (2e Partie).
I. LES PRESOMPTIONS D’IRRESPONSABILITE DU TRANSPORTEUR
9) Les conventions internationales retiennent le principe de la responsa
bilité présumée du transporteur en cas de pertes ou avaries de la marchandise
transportée, survenues en cours de transport (20). Il s’agit évidemment
toujours d’une présomption simple qui admet la preuve contraire par
l’établissement de circonstances diverses dans lesquelles le transporteur est
exonéré de cette responsabilité. Tant la C.M.R. que la C.I.M. que le projet de
convention T.C.M. admettent en outre que la présomption de responsabilité
qui pèse sur le transporteur peut être renversée en certains cas, lorsque
celui-ci établit que le dommage “a pu être la conséquence de certaines
circonstances estimées dangereuses a priori pour la marchandise” (21). On
assiste ici à un renversement de la .preuve qui est alors exceptionnellement,
mise à la charge du demandeur en indemnisation. La convention de Genève
a, d’une manière évidente, imité à cet égard, la convention de Berne de 1952 (22).
(20) L’article 18-1 de la convention de Varsovie, l’article 27-1 de la convention de
Berne (CIM) et l’article 17-1 de la convention de Genève (CMR) retiennent le principe
que “le transporteur est responsable des dommages (avaries et pertes notamment) qui se
produisent pendant l’exécution du contrat de transport. La convention de Bruxelles se
contente d’indiquer les circonstances qui libèrent le transporteur et dont il lui appartient
de démontrer l’existence. V. Rodière “la C.M.R.” 6e étude B.T. 1970 p. 130 n° 67.
(21) Paul M.F. Durand : Transports internationaux : étude comparative de la
convention de Berne du 25 octobre 1952 et de la convention de Genève du 19 mai 1956,
R.T.D. Corn. 1956 p. 611.
(22) R. Rodière : La C.M.R. (7e étude) B.T. 1970 p. 138 n° 77 ; R. Rodière :
Manuel des transports terrestres et aériens (Ed. Dalloz 1969) n° 216 ; Paul M.F. Durand
op. cit. R.T.D. com. 1956 p. 611.
�85
L’originalité de ce système qui demeure étranger au droit français résulte des
dispositions des art. 17 et 18 de la C.M.R., 27 et 28 de la C.I.M. et 9 du
projet de convention T.C.M. Elle justifie d’autant plus cette partie de notre
étude que M. le doyen Rodière
a lui-même pu écrire qu’il y a là un
mécanisme si original qu’il est
mal compris et donne
lieu à biendes
discussions doctrinales, “inutilement savantes trop souvent” (23). On peut
d’ailleurs se demander si la jurisprudence, avec l’appui d’autres dispositions
de ces conventions, n’a pas voulu se soustraire bien souvent au particularisme
de ces prescriptions. Son analyse devra donc être présentée (B) après une
description nécessaire du système et son appréciation (A).
A. Le système des présomptions d ’irresponsabilité
10) L’existence des présomptions d’irresponsabilité constitue un sys
tème original d’exonération de responsabilité. Cela implique pour nous de
rechercher son utilité et sa justification avant d’envisager le système de
preuve qu’il comporte.
a) Utilité et justification des présomptions d ’irresponsabilité
11) L’article 17 § 4 de la C.M.R. énonce: “compte tenu de
l’article 18, paragraphes 2 à 5, le transporteur est déchargé de sa responsabi
lité lorsque la perte ou l’avarie résulte des risques particuliers inhérents à'
l’un des faits suivants ou à plusieurs d’entre eux . . .
Nous énumérons
sommairement ici ces “risques particuliers” sur lesquels nous reviendrons
ultérieurement en détail. Ce sont : a) l’emploi de véhicules ouverts ou non
bâchés, b) l’absence ou la défectuosité d’emballage, c) la manutention, le
chargement, l’arrimage ou le déchargement de la marchandise par l’expéditeur
ou le destinataire, d) la nature de certaines marchandises exposées, par des
causes inhérentes à cette nature même à perte ou à avarie, e) l’insuffisance
ou l’imperfection des marques ou des numéros de colis, f) le transport
d’animaux vivants.
Aux termes de l’article 8 § 2, “lorsque le transporteur établit que, eu
égard aux circonstances de fait, la perte ou l’avarie a pu résulter d’un ou de
plusieurs des risques particuliers prévus à l’article 17, paragraphe 4' il y a
présomption qu’elle en résulte . . . ” .
L’article 28 § 2 de la C.I.M. prévoit une disposition analogue‘relative
ment aux huit “causes privilégiées” énoncées par l’article 27 § 3 qui, en
gros, s’apparentent à celles retenues par la convention de Genève. S’y
ajoutent cependant le cas de transports sous escorte et depuis la révision de
1961, celui de l’accomplissement par l’expéditeur ou le destinataire des
formalités douanières ou administratives. Il suffit donc que le dommage ait
“pu” provenir de l’une de ces causes dont le transporteur ne répond pas pour
(23)
R. Rodière : La responsabilité du chemin de fer selon la C.I.M. Comment se
libère-t-ll ?, B.T. 1968 p. 194.
:
;
�qu’il soit présumé en résulter et que le transporteur soit lui-même présumé
non responsable. C’est pourquoi nous parlons de “présomptions d’irrespon
sabilité” (24).
12) On a cependant remarqué que si l’on analyse ces cas d’exonération,
il apparait qu’ils pourraient être classés parmi les causes générales d’exoné
ration prévues par l’article 17 § 2 de la C.M.R. ou l’article 27 § 2 de la
C.I.M. et qui correspondent, nous le verrons, aux cas classiques de libération
du transporteur : faute de l’ayant droit, vice propre, force majeure (25).
Selon M. Paul M.F. Durand, “une analyse des divers cas énumérés par
l’ancien article 28 aurait même pu conduire à faire entrer toutes ces
hypothèses dans l’un des cas généraux d’exonération du transporteur . . . Une
absence, une défectuosité de l’emballage par exemple ne peut-elle pas être
assimilée à un vice propre ? L’emploi d’un wagon découvert pour une
marchandise craignant les intempéries ou l’absence d’une escorte pour un
animal vivant ne peut-elle être traitée comme une faute de l’expédi
teur ? ” (26). Lors de la rédaction de la C.I.M. de 1952, les dispositions
antérieures n’ont, en définitive, été retouchées que dans la forme, leur
contexture générale ayant été conservée sur l’insistance de l’Allemagne de
l’Ouest. M. Paul M.F. Durand a cependant noté que “l’assimilation . . . eut
grandement simplifié la rédaction des dispositions concernant la responsa
bilité du transporteur (27).
13) Ces remarques nous amènent cependant à rechercher l’utilité parti
culière des causes d’exonération privilégiées et à en déterminer ainsi la
portée.
Lorsque, par exemple, en droit interne français, le transporteur tente de
se libérer de la présomption de responsabilité que met à sa charge l’article
103 du code de commerce, il doit administrer une double preuve. Il doit
établir tout d’abord, d’une manière positive résultant d’une constatation
matérielle, l’existence même de la cause d’exonération dont il se prévaut. Il
(24) L’expression : “présomption d’irresponsabilité” a été employée par M. Paul
M.F. Durand (v. notamment : Les transports internationaux : les nouvelles conventions de
Berne, RTD com. 1953 p. 320 ; Les transports internationaux par chemin de fer. La
responsabilité dans les transports internationaux, J. Cl. com. art. 96 à 108 Fasc. D (1966)
n° 85 et 124. M. Rodière semble préférer la dénomination de “cas exceptés” ou de
“causes d’exonération privilégiées” . (V. notamment “manuel des transports terrestres et
aériens” n° 216 ; “La C.M.R.” B.T. 1970 p. 138 notamment.
(25) V. J. Cl. com. art. 103-108 Fasc. D Transports internationaaux par route,
n° 88.
(26) Paul M.F. Durand : Les transports internationaux (préface
Sirey 1956) p .215 n° 150.
Louis
Armand Ed.
(27) Paul M.F. Durand : Les transports internationaux, op. cit. p. 215 n° 150.
�87
doit ensuite démontrer la relation de cause à effet entre cette circonstance
exonératoire et le dommage. La jurisprudence, à cet égard, exige une preuve
formelle et irréfutable, ne laissant place à aucun doute (28). Lorsqu’en
revanche, la source du dommage est inconnue ou incertaine, le voiturier ne
fait pas la démonstration nécessaire à son exonération et sa responsabilité
demeure engagée (29).
Au contraire, il resuite des textes mêmes des conventions de Genève et
de Berne que, pour bénéficier des présomptions d’irresponsabilité qu’ils
édictent, il suffit au voiturier d’établir “eu égard aux circonstances de fait”
que la perte ou l’avarie “a pu résulter d’un ou plusieurs des risques
particuliers prévus . . . ”. La présomption fait le reste (30). Il est en effet
certain que si le vice propre, par exemple, est retenu par l’article 17 § 2 de
la C.M.R., représentant le droit commun, comme cause exonératoire, les
dispositions du § 4, évoquant le fait que la marchandise par sa nature était
exposée à la perte ou à l’avarie, ne se justifieraient pas si l’un et l’autre de
ces textes s’inséraient dans le même système. Si elles ajoutent quelque chose
au droit commun, c’est parce que la preuve exigée du transporteur est plus
légère.
Or cette preuve légère transfère sur le demandeur en réparation la
charge de la preuve contraire. Le transporteur n’est plus alors présumé
responsable. C’est l’exclusion de sa responsabilité qui est présumée. L’ayant
droit doit alors, pour engager la responsabilité du voiturier “faire la preuve
que le dommage n’a pas eu l’un de ces risques pour cause totale ou
partielle”. L’article 18 § 2 de la C.M.R. et l’article 28 § 2 de la C.I.M.
l’énoncent expressément.
14)
Quelles sont alors les conditions auxquelles les conventions de
Berne et de Genève et le projet de convention T.C.M. subordonnent leur
système de causes privilégiées ? Doit-on admettre qu’il suffit au transporteur
ferroviaire ou routier de démontrer que le transport comportait un des
risques particuliers retenus par les conventions pour être exonéré de sa
responsabilité ? Ce serait évidemment aller trop loin car cela supprimerait sa
(28) V. p. ex. Paris 28 mais 1963 B.T. 1963 p. 255 ; Aix en Pce. 9 février 1963
B .T. 1963 p. 234.
(29) V. p. ex. cass. 19 novembre 1958 B.T. 1959 p. 7 bull. civ. III n° 398 p. 337.
(30) V. p. ex. sur la C.I.M. cass. com. 10 février 1969 JCP 1969 II 15916 note
P.M.F. Durand ; gaz. pal. 1969 II tables 258 B.T. 1969-107. T. de com. Melun 3 mai
1965 B.T. 1967-58. Sur la C.M.R. cass. com. 17 juin 1969 JCP 1969 II 16107 note Paul
M.F. Durand ; B.T. 1969 371 ; gaz Pal. 1969 II tables 257. D’europ. des transports 1970
vol. V n° 1-57. Paris 27 janvier 1970 B.T. 1970 — 100 ; T. de com. de Marseille 12 mai
1970 inédit ; CA Bruxelles 28 juin 1969 D. europ. des transp. 1969 vol. IV n° 5 925 ;
Hof Van Beoep te Brussel 19 décembre 1968 (2 arrêts) D. europ. des transp. 1969 vol. 4
n° 5 p. 948 et 953 ; T. de com. de Namur 22 juillet 1965 D. Europ. des transp. 1969
vol. IV n° 5 1039 jurisprudence de droit uniforme 1965 p. 355.
�responsabilité dans des domaines entiers du transport international. Tout
transport d’animaux vivants, par exemple, serait exclusif de sa responsabilité
présumée. Ce serait faire échec pour de telles opérations au principe de base
qui demeure la présomption de responsabilité du voiturier.
La présomption légale de responsabilité du voiturier est seulement
renversée en sa faveur lorsque l’expédition a eu lieu dans des conditions
jugées a priori dangereuses pour la marchandise. Tant aux termes de l'article
27 § 3 de la C.I.M. que de l’article 17 § 4 de la C.M.R., les cas exceptés qui
y sont énumérés sont considérés comme comportant “des risques particu
liers” qui leur sont “inhérents” et dont les pertes et avaries sont susceptibles
de résulter. Dans de telles hypothèses, l’application du droit commun serait
trop sévère pour le transporteur qui ne pourrait que très difficilement faire la
preuve topique des circonstances exactes qui sont à l’origine du sinistre,
pour s’exonérer de sa responsabilité. Les conventions viennent à son secours
en établissant la présomption de causalité que l’on sait.
Ce système inauguré par la C.I.M. et adopté par la C.M.R. nous paraît
juste. Les rédacteurs du projet de convention sur le transport international
combiné de marchandises, dite convention T.C.M., établi à Rome en janvier
1970, ont manifesté un sentiment identique. L’article 9 § 4 de ce projet
retient, en effet, un système semblable. La justification de cette technique
originale en impose les limites. Un arrêt de la cour d’appel de Bruxelles l’a
fort bien montré (31 ). Les magistrats Belges ont rappelé, à propos de l’article
18 § 2 de la C.M.R., “que cette présomption “juris tantum”, dérogatoire au
droit commun déterminant les obligations de voiturier, trouve son fondement
dans les difficultés que peut rencontrer le transporteur à faire la preuve
d’éventuels agissements fautifs de tiers lorsqu’après la perte ou l’avarie et par
l’effet même de celles-ci, il ne lui est plus possible de reconstituer les
circonstances du sinistre et qu’au contraire “il établit qu’eu égard aux
circonstances de fait, la perte ou l’avarie a pu résulter d’un ou de plusieurs
des risques particuliers prévus à l’article 17 § 4 de la convention de
Genève . . . , notamment des risques inhérents à la manutention, au charge
ment, à l’arrimage ou au déchargement de la marchandise par l’expéditeur ou
le destinataire . . . ” . Il nous faut, dès lors, préciser les conditions de mise en
oeuvre des présomptions d’irresponsabilité et la possibilité pour les ayants
droits d’y faire échec.
b) Le jeu des preuves.
15)
Il faut ici exposer le mécanisme des preuves à apporter par les
parties (32). Pour bénéficier des présomptions d’irresponsabilité, il ne suffit
(31) Bruxelles (11
p. 931.
ch.) 12 mars 1969. D. europ. des transports 1969 vol. IV n° 5
(32) V. notamment R. Rodière : La responsabilité du chemin de fer selon la C.I.M.
Comment se libère-t-il ? B.T. 1968 p. 194 et s. ; La C.M.R. 7e étude B.T. 1970 p. 138 et
s. ; P.M.F. Durand : Transports internationaux par chemin de fer, J Cl. comm. art. 96 à
108 Fasc. D n° 85 ; transports routiers internationaux : conditions nécessaires pour que le
transporteur puisse bénéficier d’une présomption d’irresponsabilité” B.T. 1969 p. 366.
�89
pas au transporteur d’établir que l’on se trouve extérieurement dans une
opération comportant l’une des causes privilégiées prévues par les textes. En
revanche, il n’est pas nécessaire qu’il prouve d’une manière indéniable que le
dommage trouve sa cause dans l’un de ces faits. On retomberait alors sous
l’empire de la technique de droit commun.
La solution est intermédiaire entre les deux exigences extrêmes que
nous venons d’exclure. En premier lieu le transporteur doit évidemment
démontrer que le transport a été effectué dans l’une au moins des circons
tances visées par les textes (33). Cette preuve est généralement facile à
rapporter. Elle découle même parfois directement de la lettre de voiture.
Le voiturier doit ensuite établir les circonstances de fait dans lesquelles
s’est produit le dommage. Enfin, il doit montrer la possibilité d’une relation
causale entre ces circonstances et le dommage (34). Les circonstances de fait
constituent donc le “nœud du problème” et sont déterminantes. La juris
prudence a parfois souligné que “la preuve totale de la cause présumée,
notamment la preuve de l’exclusion de toutes autres causes possibles n’est
pas requise par la convention” (35). Mais si, comme l’a rappelé le tribunal de
commerce de Marseille (36) l’emploi du verbe “pouvoir” par l’article 18 § 2
de la CMR “indique bien qu’il suffit qu’il s’agisse d’une possibilité et qu’il
n’est pas nécessaire qu’il y ait certitude”, la jurisprudence exige néanmoins
du transporteur “une preuve suffisante” que l’avarie a pu résulter d’un
arrimage insuffisant ou défectueux par l’expéditeur, notamment (37). Le
tribunal de grande instance de Strasbourg avait précisé que la preuve
nécessaire à l’application de la présomption devait être “objective, contra
dictoire, par exemple, circonstanciée et explicite pour permettre au tribunal
d’en vérifier les conclusions” (38). Il faut, selon nous, en retenir que le
transporteur doit établir, d’une manière plausible la relation éventuelle du cas
excepté dont l’existence doit être certaine et du dommage.
Ce sont les juridictions qui, en fait, doivent alors apprécier si les
éléments qui leur sont fournis suffisent à appliquer la présomption d’irres
ponsabilité invoquée. On a ainsi pu admettre que “pour établir que l’avarie a
pu résulter d’un risque particulier inhérent à la nature des marchandises
transportées, il suffit au transporteur d’invoquer qu’un chargement de
(33) V. p. ex. T.G.I. Strasbourg 9 novembre 1966 B.T. 1967-39 ; D. europ. des
transp. 1969 vol. IV n° 5 p. 975.
(34) Bruxelles 28 juin 1969 D. europ. des transp. 1969 vol. IV n° 5 p. 925.
(35) Hof Van Beroep te Brussel 19 décembre 1968 D. europ. des transp. 1969
vol. IV n° 5 p. 953.
(36) T. de com. de Marseille 12 mai 1970 inédit.
(37) Paris 8 juin 1967 B.T. 1967 241 ; D. europ. des transp. 1969 vol. iV n° 5
p. 907.
(38) T.G.I. Strasbourg 9 novembre 1966 déjà cité.
�choux-fleurs a séjourné durant plusieurs jours du mois d’Août dans le
camion” (39). Certes, les juges avaient été ici très libéraux mais leurs
exigences sont souvent excessives, nous le verrons, au point de substituer à
l’esprit et au but des textes, la preuve topique que requiert le droit commun.
Or cet excès de sévérité se justifie d’autant moins que l’article 18 § 2 de
la CMR et l’article 28 § 2 de la CIM réservent à l’ayant droit la preuve
contraire. La présomption instituée par ces textes est une présomption
simple.
16)
Bien que libellés d’une manière un peu différente, les articles 28
§ 2 de la C.I.M. et l’article 18 § 2 de la C.M.R. prévoient tous deux la
possibilité pour l’ayant droit de “faire la preuve que le dommage n’a pas eu
l’un de ces risques pour cause totale ou partielle”. C’est donc au demandeur
en réparation d’établir, par tous moyens, que la ou les causes d’exonération
invoquées par le voiturier ne sont pas à l’origine réelle du dommage. La
chambre commerciale de la cour de cassation a décidé qu’il ne pouvait être
fait échec à la présomption de l’article 28 de la convention de Berne que par la
preuve, à la charge du destinataire, que le dommage ne trouvait pas sa source
dans l’un des cas exceptés et non par la simple constatation d’autres
possibilités (40). D’autres décisions admettent, semble-t-il, que le destinataire
fasse tomber la présomption d’irresponsabilité en établissant que le dommage
a été provoqué par d’autres facteurs susceptibles d’entrainer la responsabilité
du transporteur (41). Quant à nous, nous remarquons que la “preuve
contraire” correspond à une notion précise. Si le transporteur prétend que
telle avarie peut résulter par exemple, d’un mauvais arrimage par les soins de
l’expéditeur, et si cela s’avère possible, eu égard aux circonstances de fait, il
ne peut selon nous être fait échec à la présomption qu’en établissant que la
cause présumée du dommage n’est pas la cause réelle. Cela aboutit certes, en
pratique, à établir que la perte ou l’avarie provient d’autres circonstances
dont répond le transporteur. Mais il n’y a pas là, selon nous, une preuve
contraire suffisante, car, pour que la présomtion disparaisse complètement, il
faut que l’ayant droit démontre aussi que le cas excepté allégué par le
transporteur n’a nullement contribué à la réalisation du dommage. La preuve
qui incombe au demandeur doit d’ailleurs être formelle. Cela s’impose par le
fait même qu’il s’agit de faire échec à une présomption (42). Ainsi a-t-il été
(39) Arrondissementtrechtbank te Roermond
transports 1969 vol. IV n° 5 p. 1012.
20
octobre 1968. D. europ. des
(40) Cass. com. 10 février 1969 JCP 1969 II 15916 note Durand ; B.T. 1969-107 ;
gaz. pal. 1969 II tables p. 258. De même v. T. de com. de Namur 22 juillet 1965 D.
europ. des transp. 1969 vol. IV n° 5 p. 1039 ; jurisp. de D. uniforme 1965 p. 355.
(41) Arrondissementtrechtbank te Roermond 20 octobre 1968 déjà cité.
(42) L’ignorance des causes laisse alors l’ayant droit désarmé tandis qu’en droit
commun, c’est le transporteur qui, en une telle hypothèse, supporte la responsabilité du
dommage.
�salle de droit privé
91
jugé que le rapport d’un commissaire d’avaries, aux termes duquel la rupture
des cales d’arrimage a pu s’être produite à la suite de brusques coups de
freins, ne fait pas disparaître la présomption d’irresponsabilité du transpor
teur (43). Il n’est donc pas nécessaire que l’ayant droit établisse la faute du
transporteur pour remettre en œuvre sa responsabilité. Nous ne pensons donc
pas que “la présomption de responsabilité fasse alors place à une responsa
bilité pour faute prouvée . . . ” (44).
En effet, ou bien la preuve contraire n’est pas positivement rapportée
par l’ayant droit et il supporte, seul, la responsabilité du dommage supposé
légalement provenir de la cause exceptionnelle d’aggravation des risques ; ou
cette démonstration est faite et le principe général de la responsabilité
présumée du transporteur réapparaît, même si la cause effective du dommage
n’est pas établie.
17) Notons d’ailleurs, que l’article 17 § 5 de la C.M.R. régit le cas
fréquent dans lequel les causes de dommages sont d’origine multiple, le
voiturier répondant de certaines d’entre elles et non de toutes. La responsa
bilité de ce dernier n’est alors engagée “que dans la proportion où les
facteurs dont il répond . . . ont contribué au dommage” . En d’autres termes,
la responsabilité partagée est admise (45), mais chaque part doit être
appréciée, du point de vue de la preuve, d’après le double système de
présomption établi par l’article 17. La même solution doit être retenue, sous
l’empire de la C.I.M., si l’ayant droit fait seulement la preuve que “le
dommage n’a pas eu pour cause . . . partiellement “l’un des risques énumérés
par l’article 27 § 3. L’article 9 § 4 du projet de convention T.C.M., de
1970, nous paraît commander une interprétation identique.
18) En définitive les preuves exigées du transporteur nous sont apparues
relativement faciles à établir. En revanche, il est souvent difficile pour le
demandeur de démontrer d’une manière certaine que le dommage ne résulte
pas de l’une des causes privilégiées d’irresponsabilité du transporteur. Les
présomptions dont nous avons décrit le mécanisme sont donc particuliè
rement favorables à ce dernier. Contrairement au droit commun, dans de
nombreuses hypothèses dans lesquelles les causes du sinistre demeurent
inconnues, le transporteur sera dégagé de sa responsabilité, au moins partielle
ment, si l’ayant droit prouve une cause partielle dont il répond.
Le système des présomptions d’irresponsabilité du voiturier est donc
dérogatoire et doit recevoir, de ce fait, une application restrictive. Il convient
de préciser ses limites.
(43) Paris 27 janvier 1970 B.T. 1970 p. 100.
(44) R. Rodière : Manuel des transports terrestres et aériens, op. cit. n° 214 p. 189.
(45) V. p. ex. C.A. de Hertogenbosch 21 déc. 1965 JP de D. uniforme 1966 p. 115.
�B. Les limites de l’application des présomptions d’irresponsabilité
19) Les cas dans lesquels s’appliquent les présomptions d’irresponsa
bilité sont limitativement énumérés par les textes dont résultent généralement
certaines conditions à leur mise en œuvre. La doctrine et la jrisprudence
paraissent en outre assez réticentes à déroger aux habitudes et aux principes
du droit commun. Les limites de l’application des présomptions d’irrespon
sabilité tiennent donc à la fois à l’étendue des différents “cas exceptés” et à
l’interprétation souvent restrictive du système lui-même.
a) L ’étendue limitée des différents cas exceptés
20) L’étendue des différents cas exceptés doit être ici précisée cas par
cas. Les risques particuliers concernés tiennent au mode de transport, aux
faits ou fautes de l’expéditeur, du destinataire ou de tiers et aux marchan
dises et à leur conditionnement.
Quant au mode de transport, la C.I.M. retient le transport effectué en
wagon découvert ; la C.M.R. vise l’emploi de véhicules ouverts et non
bâchés ; le projet de convention sur le transport combiné ne prévoit pas
qu’une telle situation donne lieu à l’existence d’une présomption d’irrespon
sabilité.
La notion de “wagon découvert” ou de “véhicule ouvert” est appréciée
actuellement d’une manière très étroite.
Il va de soi que lorsque la marchandise est placée sur plateforme, elle
doit être considérée comme transportée sur wagon découvert (46). Mais le
problème le plus communément posé est celui de savoir si un wagon
simplement bâché doit être considéré comme un wagon découvert au sens de
l’article 27 de la C.I.M. Une réponse affirmative semble avoir été donnée, au
moins implicitement, par certaines décisions (47). Toutefois, suivant l’opinion
dominante, on assimile le plus souvent les wagons bâchés à des wagons
couverts (48).
Un jugement du tribunal de commerce de la Seine du 11 mai 1936 (49)
est invoqué en ce sens. Certes, l’article 14 de la C.I.M. exige que les
marchandises soient transportées “soit en wagons couverts, soit en wagons
découverts, soit en wagons spéciaux aménagés, soit en wagons découverts
bâchés”. Ces derniers sont donc distingués des wagons découverts, seuls visés
par l’article 27. Compte tenu du caractère dérogatoire de la présomption
(46) A propos d’un cadre de mobilier, la présomption d’irresponsabilité du transpor
teur a été retenue sur la base du transport en wagon découvert : Reichsgericht ail. 11
février 1922 B.T.I 1924 p. 370 ; T. de com. Seine 27 novembre 1962 B.T. 1963 p. 79.
(47) Milan 27 janvier 1926 B.T.I 1927 p. 138 ; v. aussi p. ex. J. Cl. com. art. 96 à
108 Fasc. D n° 87 à 105.
(48) Lamy-transport n° 837 notamment.
(49) T. de com. Seine 11 mai 1936 B.T. 1936 p. 84.
�93
d’irresponsabilité de l’article 28 et de l’interprétation restrictive qu’on lui
donne, son application se trouve exclue par la doctrine lorsque le transport
s’effectue en wagons bâchés. Notons cependant que l’article 14, s’ils distingue
wagons découverts et wagons découverts bâchés, distingue également ceux-ci
des wagons couverts.
Pour justifier la solution restrictive, les auteurs évoquent également, à la
suite de M. le doyen Rodière, les tarifs de la SNCF et une disposition
complémentaire française de l’article 27 (50).
Leur solution parait corroborée par la rédaction de l’article 17 § 4 de la
convention de Genève qui se réfère à “l’emploi de véhicules ouverts et non
bâchés” pour qu’avec le concours de l’article 18 § 2 , le transporteur soit
présumé irresponsable. On note, à cet égard, qu’un engin de transport est
toujours ouvrable et qu’il faut entendre que seuls les camions dont l’ouver
ture est “vers le haut, non vers l’arrière”, sont visés. Il ne peut s’agir de tout
véhicule dont la fermeture n’est pas hermétique (51). Notons cependant que
le fait qu’un wagon ou un camion soit simplement bâché n’est pas exclusif
de risques particuliers, d’incendie ou d’oxydation plus faciles par exemple.
Mais il a été jugé que le chemin de fer demeurait responsable de
l’incendie d’une caravane chargée sur wagon découvert s’il ne faisait pas la
-preuve que le véhicule y était plus gravement exposé au risque du feu qu’en
wagon couvert (52). D’une manière générale, on admet que, pour qu’elle
puisse s’analyser en risque inhérent en wagon découvert, l’avarie doit être
telle qu’elle n’aurait pas pu se produire si la marchandise avait été acheminée
dans des wagons couverts (53). Il faut également que, “eu égard aux
circonstances de fait”, le dommage ait pu résulter du transport en wagon
découvert (54). Le seul fait que la marchandise ait voyagé en wagon
découvert ou en camion ouvert ne peut donc suffire à faire présumer
l’irresponsabilité du voiturier. La présomption se fonde sur le fait que les
marchandises déplacées en véhicules ouverts et non bâchés sont davantage
exposées à l’influence des circonstances atmosphériques, constitutive d’un
risque particulier (55). Ainsi, le transporteur ne saurait être, de ce fait,
exonéré de sa responsabilité pour un vol qui peut aussi bien se produire dans
des véhicules couverts (56). La présomption dont il bénéficie ne saurait être
(50) V. R. Rodière : op. cit. BT 1968 p. 307 ; L. Brunat : La responsabilité du
chemin de fer en trafic international - Du risque particulier inhérent au transport en
wagon découvert, B.T. 1970 p. 165.
(51) R. Rodière op. cit. B.T. 1970 p. 139 n° 82.
(52) C. Féd. Carlsruhe 16 déc. 1955 B.T.I 1957 p. 69 en appl. de l’article 83 du
règlement allemand identique à l’article 27 de la C.I.M.
(53) Lamy-transport n° 837.
(54) V. Cour Suprême d’Autriche 12 mars 1964 B.T.I 1965 128.
(55) L. Brunat, op. cit. B.T. 1970 p. 165 ; Lamy-transport n° 1224.
(56) L. Brunat, op. cit. B.T. 1970 p. 165 ; Lamy-transport n° 837 et 1224.
�94
mise en œuvre que si l’emploi d’un véhicule découvert a été expressément
convenu et mentionné sur la lettre de voiture (57) ou s’il résulte des tarifs. Il
serait inconcevable de permettre au transporteur d’exposer arbitrairement la
cargaison a des risques particuliers et d’en tirer ensuite avantage en se
déchargeant, grâce à cela, de sa responsabilité.
Enfin la C.M.R. prévoit, par une disposition qui lui est propre, que la
présomption d’irresponsabilité du transporteur, en cas de transport en camion
ouvert, ne s’applique pas “s’il y a manquant d’une importance anormale ou
perte de colis”. L’article 18 § 3 le spécifie dans un but vraisemblablement de
moralité commerciale mais ne précise pas ce qu’est une déperdition
“anormale”. Cette disposition relative aux marchandises en vrac et aux colis
doit être mise en œuvre en fonction des circonstances de fait au vu
desquelles on appréciera le caractère anormal des manquants.
21)
Les risques particuliers tenant aux faits ou fautes de l’expéditeur,
du destinataire ou de tiers, sont également l’objet de conditions d’application
restrictives.
Il s’agit ici des pertes ou avaries pouvant provenir des opérations de
“manutention, chargement, arrimage ou déchargement de la marchandise par
l’expéditeur ou le destinataire ou des personnes agissant pour leur compte,
prévues par le § 4 c) de l’article 17 de la C.M.R. et l’article 9 § 2 d) du
projet de convention T.C.M. Il faut y assimiler l’article 27 § 3 c) de la C.I.M.
La C.I.M., dans sa rédaction de 1961 a ajouté une cause privilégiée
d’exonération de responsabilité du transporteur, à celles qu’elle retenait
auparavant. Désormais, doit être ainsi qualifié l’accomplissement par l’expé
diteur, le destinataire ou un mandataire de l’un d’eux des formalités exigées
par les douanes ou autres autorités administratives. Cette nouvelle disposition
s’explique par le désir des transporteurs ferroviaires d’éviter toute intrusion
de tiers dans la manœuvre de marchandises dont ils ont la garde (58) et de
pallier les risques que cela créerait, en droit commun, à la charge du
voiturier. Le projet de convention T.C.M. vise également le cas de “grèves,
lock outs, arrêt ou entrave apportés au travail, pour quelque cause que ce
soit, partiellement ou complètement” .
Dès lors que la perte ou le dommage “a pu résulter” de telles
circonstances, . . . il y a présomption qu’il en résulte”. Cette dernière source
d’irresponsabilité présumée du transporteur est propre, en tant que telle, au
projet de convention de Rome, de même que le risque résultant des
formalités administratives ou douanières exécutées par un autre que le
transporteur n’est visé que par la C.I.M.
(57) R. Rodière, op. cit. B.T. 1968 306 ; Lamy-transport n° 1224.
(58) Paul M.F. Durand, op. cit. R.T.D. Corn. 1964 p. 262 et s.
�95
Bornons-nous à préciser les limites d’application du cas excepté relatif
aux opérations de chargement et de manutention de la marchandise par
l’expéditeur ou le destinataire.
Les dispositions de la C.I.M. peuvent ici paraître quelque peu con
fuses (59) : les opérations de chargement par l’expéditeur ou de décharge
ment par le destinataire n’excluent-elles pas que soit également visé le
chargement défectueux ? M. le doyen Rodière a fourni une explication très
nette de cet apparent pléonasme (60). La première proposition de l’article 27
§ 3c) concerne les opérations de chargement ou de déchargement sans
distinguer si elles ont été bien ou mal faites mais ce qui importe, c’est
qu’elles soient effectuées par l’expéditeur ou le destinataire si bien qu’elles se
situent en dehors de l’exécution du contrat de transport. Elles le précèdent
ou lui font suite mais n’en font pas partie. Le transporteur ne risque donc
pas d’en être responsable. Pour qu’il en soit ainsi, encore faut-il que cela
résulte des dispositions applicables ou d’accords mentionnés dans la lettre de
voiture. Il est également nécessaire que ces opérations aient “effectivement”
été réalisées par l’expéditeur ou le destinataire, aidé par ses préposés, voire
par les agents du chemin de fer.
Quant au “chargement”, il consiste dans la mise en place et l’arrimage
des marchandises dans le wagon fourni par le chemin de fer”. Cette
définition exclut le fait pour l’expéditeur de charger sur un wagon en
mauvais état du domaine de la présomption d’irresponsabilité qui est édictée
en cas de dommage pouvant résulter d’un chargement défectueux. En effet
on ne peut y assimiler le fait que le wagon fourni à l’expéditeur était en
mauvais état apparent (61). Il n’est plus question, alors, d’un danger inhérent
au chargement, ni d’un chargement défectueux mais d’un mauvais état du
matériel dont le transporteur est seul à répondre.
Le chargement de la marchandise qui comporte essentiellement son
arrimage et sa consolidation doit permettre d’affronter “les forces inhé
rentes aux chocs de manoeuvre de telle sorte que la stabilité et la sécurité du
véhicule et de son chargement soient assurées. La cour de Paris a ainsi précisé
que “l’arrimage doit être exécuté de manière à résister aux forces d’inertie
(59) Art. 27 § 3 c) C.I.M. : “ . . . opérations de chargement par l’expéditeur ou de
déchargement par le destinataire en vertu des dispositions applicables ou d’accords conclus
avec l’expéditeur et indiqués dans la lettre de voiture, ou d’accords conclus avec le
destinataire ; — chargement défectueux lorsque ce chargement a été effectué par l’expédi
teur en vertu des dispositions applicables ou d’accords conclus avec l’expéditeur et
indiqués dans la lettre de voiture . . . ” .
(60) R. Rodière, op. cit. B.T. 1968 p. 308.
(61) Cass. com. 4 janvier 2957 pull. civ. 1957 III n° 1 p. 1 B.T. 1957 p. 32 ; Paris 9
décembre 1926, 28 janvier 1937 et 12 décembre 1952 B.T. 1927 p. 58, 1937 p. 32 et
1953 p. 182.
�qui se manifestent à l’occasion de nécessaires manoeuvres de freinage” qui
“sont inévitables sur un .. . parcours long et accidenté” (62).
Cet arrêt, concernant l’application de la C.M.R., trouve un écho dans
d’autres décisions qui admettent que la manoeuvre d’évitement effectuée par
le transporteur constitue, vu le trafic actuel, un risque normal dont il faut
tenir compte lorsqu’on procède à l’arrimage et au calage des marchan
dises (63).
Un effort de définition des différentes opérations amène cependant les
juges à exclure l’application des présomptions d’irresponsabilité. Ainsi la Cour
de Paris a-t-elle récemment distingué le “calage” et l’arrimage (64). Le calage
apparait, aux termes de cette décision, comme “une action tendant à donner
de l’aplomb, à mettre à niveau” la marchandise tandis que l’arrimage
“consiste à fixer, à immobiliser les marchandises sur le véhicule pour assurer
la stabilité et la sécurité du camion et de son chargement” . Or comme la
C.M.R. ne fait pas une cause privilégiée d’exonération du risque pouvant
provenir du “calage” qui n’est pas énuméré par l’article 17 § 4 c), l’arrêt
rejette l’application de la présomption d’irresponsabilité. Le chargeur agissant
pour le compte de l’expéditeur aurait eu une mission limitée au calage. Dès
lors, l’arrimage n’a pas été exécuté par lui. De tels efforts de précision sont
susceptibles, compte tenu du caractère dérogatoire des présomptions d’irres
ponsabilité, et de l’interprétation nécessairement restrictive dont les disposi
tions qui les régissent font l’objet, d’en écarter la mise en œuvre. La
rédaction minutieuse des textes justifie, par conséquent, une limitation de
leur application.
22)
Les conventions renversent la présomption de responsabilité du
voiturier en cas de certains risques particuliers qui tiennent aux marchandises
elles-mêmes ou à leur conditionnement. L’imperfection de ce condition
nement provient le plus souvent d’une faute de l’expéditeur ou d’un tiers.
Il apparait que tant la C.I.M. que la C.M.R., que le projet de convention
T.C.M. classent parmi ces risques, sous des dénominations variables l’absence
ou la défectuosité de l’emballage et le fait que, par leur nature, certaines
marchandises sont exposées à perte ou avarie. La C.I.M. et la C.M.R. y
joignent le transport d’animaux vivants ; la convention de Berne retient
également, à cet égard, le transport des envois qui doivent être effectués sous
escorte et l’expédition sous une dénomination inexacte incomplète ou
irrégulière d’objets exclus du transport ou admis sous condition. Enfin le
projet de convention TCM comme la CMR présument l’irresponsabilité du
transporteur lorsque le dommage a pu résulter de “l’imperfection des marques
(62) Paris 27 janvier 1970 B.T. 1970 p. 100.
(63) T. de com. de Namur 22 juillet 1965 déjà cité notamment JP de D. uniforme
1965 p. 355.
(64) Paris 6 février 1970 B.T. 1970 - 102.
�97
ou des numéros des colis” qui doivent être mentionnés sur la lettre de
voiture. Le but de cette disposition est d’éviter tout risque de confusion ou
de perte lors de la livraison. Si la C.I.M. est seule à retenir, comme cause
privilégiée d’exonération du transporteur, les risques relatifs aux envois qui
doivent être transportés sous escorte, c’est que les tarifs, le plus souvent et
les conventions particulières, parfois, exigent dans certains cas que l’expédi
teur fournisse l’escorte afin d’éviter certains dangers en cours de voyage. La
C.I.M. prescrit trois cas de ce genre : il s’agit des transports funéraires, les
transports de locomotrices, de locomotives et de tanders roulant sur leurs
propres roues et les transports d’animaux vivants. Sans escorte, il existe, dans
ces hypothèses, des dangers divers, d’inanition pour les animaux vivants,
d’échauffement pour le matériel roulant dépourvu de convoyeur graisseur . . .
Il est normal que le chemin de fer ne supporte pas les conséquences de la
réalisation de ces risques lorsqu’ils surviennent en raison de l’absence
d’escorte.
De même, le transport d’animaux vivants présente des aléas particuliers,
absents des envois de choses inanimées. Les animaux risquent de se blesser,
d’être malades, de s’asphyxier . . . ces dangers sont assimilables au vice propre
de la chose. Il en va de même lorsque certaines marchandises exclues du
transport ou admises sous condition sont expédiées sous une dénomination
irrégulière, inexacte ou incomplète. Il s’agit notamment ici des matières
dangereuses soumises par la C.I.M. à des prescriptions particulières d’embal
lage ou de chargement. Par leur nature, ces marchandises présentent des
risques qui leur sont inhérents. Dans le cadre de la C.M.R., il n’existe pas de
disposition spéciale analogue. Mais l’article 22 § 2 rend automatiquement
l’expéditeur responsable de tous frais et dommages résultant de leur trans
port, lorsqu’il n’a pas signalé au transporteur la nature exacte de la
marchandise et le danger qu’elle présentait. Les marchandises dangereuses ne
sont pas définies par la C.M.R. mais on peut considérer qu’elles correspon
dent notamment à celles énumérées dans l’accord européen relatif au
transport international des marchandises dangereuses par route, dit
A.D.R. (65).
Il résulte de la combinaison de l’article 27 § 3 e) et de l’article 28 § 2
de la C.I.M. que le transporteur est déchargé de sa responsabilité, lorsqu’il est
établi que le dommage a pu résulter de la “nature de certaines marchandises
exposées par des causes inhérentes à cette nature même soit à perte totale ou
partielle, soit à avarie notamment par bris, rouille, détérioration intérieure et
spontanée, dessication, déperdition”. Il convient de noter l’emploi du mot
“notamment” qui manifeste que l’énumération n’est qu’énonciative. L’arti
cle 17 § 4 d) de la C.M.R. est identique au texte précédent de la C.I.M. sous
la seule réserve qu’il comporte une énumération plus complète mais qui n’est
(65)
Voir sur ce point R. Wijffels : Le régime juridique du transport international
de marchandises dangereuses par route ( CMR - ADR), D. Europ. des transports 1969
vol. IV n° 5 p. 870 et s.
�pas non plus exhaustive. Il s’agit, en réalité du risque classique tenant au vice
propre de la chose qui fait ici l’objet d’une insertion dans le système des
présomptions d’irresponsabilité (66). L’article 9 du projet de convention
C.T.M. utilise même le vocable de “vice propre des marchandises” . La C.M.R.
a cependant employé des termes précis. Elle spécifie que la détérioration doit
être “interne et spontanée”. Faut-il alors exclure les détériorations qui
proviennent de l’intervention sur une marchandise sensible de facteurs
extérieurs tels que l’humidité ambiante ? M. le doyen Rodière, dans une
analyse littérale, a donné une réponse positive à cette question. (67). Il nous
parait difficile d’admettre, en pratique, une telle limitation. En revanche, le
paragraphe 4 de l’article 18 de la C.M.R. comporte une restriction importante
à la présomption d’irresponsabilité du voiturier en cas de vice propre de la
chose transportée lorsque l’acheminement de la marchandise est effectué par
véhicules spéciaux frigorifiques ou isothermes. Le transporteur doit alors
faire aussi la preuve “que toutes les mesures lui incombant, compte tenu des
circonstances, ont été prises. . . et qu’il s’est conformé aux instructions
spéciales qui ont pu lui être données” (68). Il en va de même pour le
transport d’animaux vivants en vertu du paragraphe 5. Or cette preuve est
fort difficile à rapporter dans la mesure ou “l’existence même du dommage
fait présumer une faute”. En pratique, le voiturier sera amené à faire la
preuve topique du vice propre et de son lien de causalité avec l’avarie si bien
que la présomption d’irresponsabilité dont il bénéficie est quasiment suppri
mée dans une telle situation.
Les “instructions” données au transporteur concernent alors des soins
spéciaux qui s’ajoutent à ses obligations de droit commun.
La nature propre de la marchandise est d’ailleurs en relation directe avec
le conditionnement qu’elle impose. Il en est tellement ainsi que tant la
C.M.R. que la C.I.M. et le projet de convention T.C.M. établissent une
présomption d’irresponsabilité en faveur du voiturier en cas de risque
inhérent à “l’absence ou la défectuosité de l’emballage pour les marchandises
exposées par leur nature à des déchets ou avaries quand elles ne sont pas
emballées ou sont mal emballées”. Il faut donc, pour que cette cause
privilégiée d’exonération soit applicable, qu’il s’agisse de marchandises suscep
tibles de risques particuliers en cas d’absence ou de défectuosité de l’embal
lage. On admet généralement que, pour savoir si la nature de la marchandise
exige un emballage, il faut se référer aux usages du commerce (69). La
(66) R. Rodière, op. cit. B.T. 1968 p. 309 ; Paul M.F. Durand : Les transports
internationaux, op. cit. p. 217 ; sur les applications jurisprudentielles de ce texte : v. Lamy
Transport n° 837 et 1 227 ; Juriscl. com. art. 96 à 108 Fasc. D. n° 85 et s.
(67) R. Rodière, op. cit. B.T. 1970 p. 140.
(68) En application de ce texte, voir T. Cantonal de Delft 13 mâi 1965 Jurisp. de
D. uniforme 1966 p. 104.
(69) Landgericht Duisburg 10 mai 1968 D. Europ. des transp. 1969 vol. IV n° 5
p. 979.
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jurisprudence envisage le problème cas d’espèce par cas d’espèce. La qualité
de l’emballage s’apprécie en fonction des “risques normaux du parcours tels
que secousses, chocs, heurts et autres similaires” et sans tenir compte des
“évènements anormaux” (70). Une marchandise non emballée n’est donc
“pas à considérer comme exposée par sa nature à des avaries quand, lors de
l’exécution d’un transport par un transporteur consciencieux, elle peut
résister de par sa nature même aux risques de transport prévisibles”. Tel est
le cas de voitures non emballées transportées sur des véhicules spécialement
aménagés à cet effet (71). Cette cause privilégiée d’exonération de responsa
bilité du transporteur est donc limitée par sa notion même, telle qu’elle
résulte des textes. Elle est également restreinte par d’autres textes, quant à sa
mise en oeuvre.
L’article 12 § 4 de la C.I.M. édicte “qu’à défaut de mention sur la lettre
de voiture, la preuve de l’absence ou de l’état défectueux de l’emballage
incombe au chemin de fer”. Il y a alors présomption que l’emballage était
correct au départ et que sa disparition ou sa défectuosité est imputable à un
incident survenu pendant le transport. La présomption d’irresponsabilité du
transporteur est donc battue en brèche dans une telle hypothèse. Il en va de
même sous l’empire de la C.M.R. Aux termes de l’article 8 § 1, le transpor
teur a en effet l’obligation de vérifier l’état apparent de la marchandise et de
son emballage. Or le § 2 de l’article 9 prévoit une présomption que la
marchandise et son emballage étaient en bon état apparent au moment de la
prise en charge de la marchandise par le transporteur si celui-ci n’a pas fait
de réserves sur la lettre de voiture. Le voiturier éprouve ainsi de grandes
difficultés pour faire échec à cette présomption en apportant la preuve
contraire. Il risque ainsi de ne pas parvenir à mettre en oeuvre la présomption
d’irresponsabilité dont il bénéficie normalement (72). Il en va de même aux
termes des articles 3 et 5 du projet de convention TCM.
23)
Il apparait en définitive que les textes eux-mêmes limitent, cas par
cas, l’application des présomptions d’irresponsabilité du transporteur qu’ils
édictent. La jurisprudence fait de même par une application souvent trop
parcimonieuse, voire juridiquement critiquable, du système général que nous
avons exposé.
(70) T. de Dordrecht 18 mai 1966 D. Europ. des transports 1969 vol. IV n° 5
p. 1 053 et 1968 vol. III n° 2 p. 416 Jurisp. de D. uniforme 1968 - 155.
(71) Oberlandesgericht Düsseldorf 8 mai 1969 D. Europ. des transp. 1970 vol. V
n° 3 p. 446.
(72)
p. 119 ; v.
vol. IV n°
D. europ.
C. d’appel de Hertogenbosch 21 décembre 1965. Jurisp. de D. Uniforme. 1966
aussi C. d’appel de Liège (3e ch) 18 décembre 1967. D. europ. des transp. 1969
5 p. 965 et n o te; v. surtout Hof Van Beroep te Brussel 5 décembre 1968
des transp. 1969 vol. IV n° 5 p. 958.
�100
24) b) L ’application jurisprudentielle restrictive du système des pré
somptions d’irresponsabilité du transporteur.
Il existe tout d’abord une tendance à exiger une preuve excessive de la
part du transporteur pour mettre en œuvre les présomptions d’irresponsa
bilité édictées en sa faveur.
La jurisprudence, par ailleurs, met souvent à la charge du voiturier
certaines obligations qu’aucun texte ne lui impose et dont l’inexécution fait
échec à l’application de ces présomptions. Enfin, certaines décisions, allant
plus loin encore, assimilent à une faute lourde l’inexécution de ces obliga
tions. Nous montrerons combien ces solutions dénaturent les présomptions
d’irresponsabilité et vont ainsi à l’encontre des textes. Il faudrait, selon nous,
cesser de céder à la tentation classique et ne pas sacrifier à la sévérité qu’elle
implique à l’encontre du transporteur les prescriptions d’un droit qui a
justement voulu y déroger.
25) M. Paul M.F. Durand a écrit : “A notre sens, il faut lire l’article 27
§ 3 de la C.I.M. comme suit : le chemin de fer est déchargé de sa
responsabilité lorsque l’avarie ou la perte provient d’une des causes ci-après :
emploi de wagon découvert, transport d’animaux etc . .. Il faut qu’il y ait
une association étroite et de fait entre la cause et le dommage. C’est dans la
mesure où le dommage est né de l’un des faits énoncés que le transporteur
échappera à sa responsabilité ordinaire sous réserve de ce qui sera dit de la
preuve à rapporter” (73). Or c’est justement le mécanisme particulier de cette
preuve que la pratique judiciaire semble parfois ignorer. Rappelons que le
voiturier doit seulement établir une causalité possible entre le risque et le
dommage. L’interprétation de M. Paul M.F. Durand se situe donc peut être
déjà au delà du système édicté par les conventions. M. le doyen Rodière a
très exactement remarqué “qu’il faut croire que la pratique y est peu
sensible, si l’on en juge par le fait que des causes d’exonération privilégiées
aussi avantageuses apparemment ne sont pas évoquées ou le sont sans succès,
le débat judiciaire obliquant bientôt vers la preuve du vice propre et de la
relation causale certaine entre le vice propre et le dommage” (74). Un arrêt
de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 17 juin 1969 (75) a
approuvé une cour d’appel pour avoir décidé, dès lors qu’elle constatait que
l’arrimage d’un stator de 14 tonnes exécuté par l’expéditeur l’avait été par
des procédés normaux “conformes au conditionnement classique”, que le
transporteur “qui ne tentait pas d’apporter la preuve directe du lien de
causalité entre une faute commise dans l’arrimage et l’avarie, n’était pas
fondé à soutenir que la dite avarie avait pu matériellement résulter d’une
(73) Paul M.F. Durand : Les transports internationaux, op. cit. p. 216.
(74) R. Rodière, op. cit. B.T. 1970 n° 87 p. 140.
(75) Cass. com. 17 juin 1969 JCP 1969 II 16107 note Paul M.F. Durand; B.T.
1969 p. 371 gaz. pal. 1969 II table p. 257.
�101
mauvaise exécution de l’arrimage” . M. Paul M.F. Durand dans sa note, a omis
que, sur ce point, la Cour suprême avait approuvé la Cour d’appel. L’arrêt
n’est cassé que sur un moyen de procédure. Mais ses observations sur les
articles 17 § 4 et 18 § 2 de la C.M.R. sont du plus haut intérêt. “Ce
système, écrit-il, est exclusif de toute idée de faute, il est fondé sur la notion
de risque accepté par l’expéditeur du fait des conditions matérielles dange
reuses de l’expédition. L’arrêt a donc raison de reprocher aux juges du fait
d’avoir basé leur décision sur la correction du chargement par l’expédi
teur (76), d’où il résulterait que l’avarie ne pouvait trouver son origine que
dans une faute ultérieure du transporteur, non établie. La C.M.R., très
protectrice du voiturier, exige seulement que l’avarie ait pu provenir de la ,
circonstance invoquée par le transporteur et cette probabilité résulte du fait
que la manutention, le chargement, l’arrimage ou le déchargement de la
marchandise ont été effectués par l’expéditeur ou son préposé”. Un annota
teur anonyme a cependant approuvé fermement les juges suprêmes d’avoir
décidé qu’il incombait au transporteur “d’apporter la preuve directe du lien
de causalité entre une faute commise dans l’arrimage et l’avarie” (77). Il nous
apparait qu’exiger du voiturier la preuve positive que le dommage résulte de
l’arrimage défectueux enfreint les dispositions de la C.M.R. L’arrimage peut,
selon nous, être défectueux dès lors qu’il n’est pas adéquat à l’objet
particulier transporté qui peut nécessiter des précautions' particulières. La
référence aux “procédés normaux conformes au conditionnement classique
n’est donc pas de nature à obliger le transporteur à rapporter la preuve
topique d ’un lien certain de cause à effet entre l’avarie et le dommage. Le
tribunal de première instance de Charleroi avait adopté une conception plus
contestable encore que l’arrêt du 17 juin 1969 car il statuait dans une espèce
plus significative. Aux termes de ce jugement, l’exonération de la responsa
bilité du transporteur routier en cas de perte ou avarie résultant des risques
particuliers inhérents à l’arrimage de la marchandise par l’expéditeur, ne peut
être invoquée par le transporteur que s’il établit “que l’avarie résulte
directement et nécessairement d’un arrimage défectueux” (78). Cette décision
méconnait à l’évidence les prescriptions de la C.M.R. et le système de
présomptions d’irresponsabilité qu’elle institue. Elle est d’autant plus réfu
table qu’elle fonde la responsabilité du transporteur sur une prétendue
obligation d’arrimage à laquelle il serait assujetti et qu’il n’aurait pas
exécutée. Il y a là, évidemment, un moyen de mettre fictivement l’arrimage à
la charge du voiturier et d’éluder ainsi les dispositions des articles 17 § 4 et
18 § 2 de la C.M.R.
(76) En réalité, l’arrêt ne fait pas ce reproche mais, au contraire, approuve les juges
du fait sur ce point, ce en quoi il est critiquable selon nous, et donc, eu égard à l’opinion
de M. Paul M.F. Durand.
(77) B.T. 1969 p. 366.
(78) T. de I e Instance de Charleroi Ie octobre 1968 Jurisp. de D. uniforme 1969
p. 327.
�26)
La jurisprudence retient parfois, pour faire échec à l’exonération
présumée du transporteur, qu’il a, au moins, contribué à la réalisation du
dommage. Ainsi, alors que le chemin de fer prétendait que l’incendie d’une
cargaison pouvait provenir du transport en wagon découvert car le feu avait
pu être communiqué par des escarbilles incandescentes échappées de la
locomotive, la Cour de Cassation a semblé admettre que cela pouvait tenir à
une faute de la SNCF en raison d’un mauvais réglage des brûleurs, par
exemple (79). De même, a-t-il été jugé qu’un voiturier avait contribué à la
production du dommage en n’adaptant pas sa vitesse à l’état de la route et
au fait que la répartition du chargement rendait pratiquement lège la
remorque du camion (80). Il est certes normal, dans de telles hypothèses, de
retenir qu’une faute de conduite ait pu participer à la réalisation d’une avarie
ou que le transporteur répond de l’état de son matériel. En revanche, la
jurisprudence récente admet que, sauf convention particulière, le calage et
l’arrimage “incombent au transporteur, qui doit tout mettre en œuvre pour
livrer la marchandise en bon état et éviter tout dommage tant à celle-ci qu’au
véhicule transporteur” (81). L’arrêt de la Cour de Paris du 27 février 1970
considère même que le constat d’huissier dressé en présence de toutes les
parties et dont il résulte que le chargement et le calage ont été faits par un
autre que le transporteur ne suffit pas à établir que l’expéditeur était seul
responsable du calage et de l’arrimage. Les magistrats exigent donc une
convention expresse mettant les opérations à la charge de l’expéditeur, faute
de quoi la responsabilité en est imputée au voiturier qui ne peut plus dès lors
invoquer l’article 17 § 4 c) de la C.M.R. La cour de Paris avait déjà retenu
ue telle solution alors que la lettre de voiture mentionnait : “prise en charge
sur camion”. L’arrêt du 16 mai 1969 admettait que cette formule signifiait
que le transporteur prenait en charge la marchandise à partir du moment où
elle était chargée sur le camion mais que ce chargement constituait “une
opération distincte de l’arrimage, lequel sauf convention particulière ou
circonstances spéciales . . . incombait au transporteur” (82). Certaines déci
sions étrangères ont une position analogue. Ainsi a-t-on décidé que “même en
cas de chargement par le personnel de l’expéditeur, le transporteur garde
l’obligation d’immobiliser le chargement par une cloison afin d’éviter des
glissements” (83).
(79) Cass. com. 19 janvier 1970 JCP 1970 II 16360 note P.M.F. Durand et v. com
mentaire B.T. 1970 p. 164.
(80) C, d’appel de ’s Hertogenbosch 21 décembre 1965 jurisp. de D. uniforme 1966
p. 115.
(81) Paris 27 février 1970 B.T. 1970 p. 111.
(82) Paris 16 mai 1969 B.T. 1969 p. 190 ; D. Europ. des transp. 1969 vol. IV n° 5
p. 896.
(83) Arrondissementsrechtbank te Roermond 2 janvier 1969 D. Europ. des transp.
1969 vol. IV n° 5 p. 1 005.
�Il est alors fait échec aux présomptions d’irresponsabilité dont le
voiturier ne peut se prévaloir puisque les risques particuliers sur lesquels elles
se fondent sont mis à sa charge (84). Les tribunaux vont même plus loin
encore. Dans son arrêt du 16 mai 1969, la Cour de Paris a jugé que, même si
par la convention ou les circonstances, l’arrimage est effectué par un autre
que le voiturier, ce dernier n’en a pas moins l’obligation de s’assurer que cet
arrimage a été correctement fait et si cet arrimage lui parait défectueux, de
demander qu’il soit refait ou de faire toutes réserves. C’est en ce sens que le
tribunal de commerce de Corbeil-Essones avait statué le 18 avril 1969 (85).
La Cour de Paris a confirmé cette jurisprudence le 12 juin 1970 (86) et la
Cour de Colmar l’a adoptée (87).
;
.ir - .V * -î^F
*2
Les juridictions étrangères, Belges notamment, manifestent une tendance
semblable et écartent de cette manière le droit du voiturier de se prévaloir
des articles 17 § 4 et 18 § 2 de la C.M.R. (88).
Ainsi, si les textes paraissent favorables au voiturier, il semble de règle
de les appliquer avec une extrême sévérité. Plus précisément, la jurisprudence
fait supporter au voiturier la responsabilité du chargement et de l’arrimage.
Certains commentateurs semblent approuver ces solutions faisant obser
ver que la jurisprudence a toujours relevé que le voiturier assumait “l’obliga
tion essentielle de vérifier la bonne exécution du chargement et de l’arri
mage” et ce, même avant l’entrée en vigueur de la tarification routière en
1961 qui laisse au transporteur la maitrise de la disposition du chargement et
la responsabilité de l’arrimage. Mais ces tarifs ne sont pas applicables aux
transports internationaux et les précédents invoqués ne les concernent pas
non plus (89).
Force est d’admettre cependant que le revirement de jurisprudence
actuel met pratiquement à néant l’aide que le transporteur doit tirer de
l’article 17 § 4 c) et de l’article 18 § 2 de la C.M.R.
27)
Nous ne pouvons que nous élever contre de telles décisions qui ne
résistent ni à des considérations juridiques, ni aux objections de la pratique
des transports. Tout d’abord, la C.M.R. ne précise pas à qui incombent les
(84) v. aussi Paris 6 février 1970 B.T. 1970 p. 102.
(85) T. de com. de Corbeil-Essones 18 avril 1969 D. Europ. des tran'sp. 1969 vol. IV
n° 5 p. 988.
(86) Paris 12 juin 1970 B.T. 1970 p. 228.
(87) Colmar 10 juillet 1970 B.T. 1970 p. 358 et note.
(88) T. de com. de Verviers 18 mai 1968 D. Europ. des transp. 1968 vol. III n° 6
p. 1 240 et 1969 vol. IV n° 5 p. 1 062 ; jurisp. de D. uniforme 1969 p. 159 ; C. d’appel de
Bruxelles (11e ch) 12 mars 1969 D. Europ. des transp. 1969 vol. IV n° 5 p. 931 ; C.
d’appel de Bruxelles (11e ch) 9 juin 1970 B.T. 1970 343.
(89) B.T. 1970 p. 355.
�opérations de calage et d’arrimage, voire de chargement des marchandises. Si
en France, les conditions d’application de la tarification routière les mettent
à la charge du transporteur, elles sont sans application aux transports
internationaux. La référence de certains arrêts (90) à la règlementation
interne française nous parait sujette à discussion sauf à intégrer les présomp
tions d’irresponsabilité du voiturier dans le droit commun national ce qui est
inconciliable avec leur originalité et leur caractère dérogatoire. Le fait de
subordonner la responsabilité de l’expéditeur pour les opérations de charge
ment, arrimage, manutention et calage qu’il effectue à une convention
particulière ne ressort non plus d’aucun texte. Bien plus, cela est contraire,
semble-t-il à la C.M.R. Ses rédacteurs ont en effet pris soin de préciser à
propos des risques inhérents “à l’emploi de véhicules ouverts et non
bâchés” : “lorsque cet emploi a été convenu d’une manière expresse” . Rien
de semblable n’est prévu dans le § 4 c) de l’article 17 qui ne comporte pas
une telle restriction. Si elle avait entendu soumettre le risque inhérent au
chargement et à l’arrimage par l’expéditeur à une condition semblable, la
C.M.R. n’aurait pas manqué de le spécifier. Il suffit donc, selon nous, qu’il
résulte des circonstances de fait que ces opérations ont été effectuées par
l’expéditeur pour qu’il en assume la responsabilité. En exigeant une conven
tion particulière, les magistrats ajoutent au texte de la C.M.R. et refusent
ainsi au transporteur le bénéfice de la présomption d’irresponsabilité édictée
en sa faveur par les textes. Le fait même que les opérations de manutention,
de chargement et d’arrimage soient menées à bien par l’expéditeur est, à
l’évidence, suffisant pour que la responsabilité lui en incombe. Le fait de les
réaliser démontre que l’on en a la charge en vertu de la convention, fut-elle
tacite. Il convient, selon nous, de rechercher, dans chaque espèce, d’après les
circonstances de fait, qui avait la responsabilité du chargement et de
l’arrimage sans se référer à la pratique générale interne française.
Celle-ci nous parait d’ailleurs critiquable, matériellement. Est-il raison
nable qu’un transporteur appelé à véhiculer les marchandises les plus diverses,
depuis les pâtes alimentaires en cartons jusqu’à de volumineuses machines
outils de plusieurs tonnes, se voit attribuer la responsabilité du calage et de
l’arrimage qui nécessitent l’application et donc la connaissance des lois de la
gravitation et de l’énergie cinétique ? Un chauffeur routier doit-il savoir
situer le centre de gravité d’une machine et en connaitre les éléments fragiles
incapables de servir de point d’ancrage ? De telles questions appellent
peut-être des réponses négatives.
Cette observation vaut également contre la conception suivant laquelle il
appartiendrait au voiturier de s’assurer que le chargement et l’arrimage
effectués par l’expéditeur, voire une entreprise spécialisée, ont été correcte
ment réalisés. Les juridictions qui ont exigé une telle vérification à la charge
du transporteur et au prix de l’exclusion de la présomption d’irresponsabilité
(90) Paris 27 février 1970 déjà cité.
�105
dont il doit bénéficier, ont ainsi créé contre lui une obligation nouvelle. Or
cette obligation ne résulte d’aucun texte de la C.M.R. L’article 8 de la
C.M.R. oblige simplement le transporteur à vérifier l’exactitude des énoncia
tions de la lettre de voiture concernant le nombre, les marques et les
numéros de colis ainsi que l’état apparent de la marchandise et de son
emballage. Cette disposition ne vise donc que l’emballage des marchandises et
non leur disposition ou leur arrimage sur le véhicule (91). Subordonner ainsi,
comme le font certaines décisions, le recours du voiturier aux articles 17
§ 4 c) et 18 § 2 de la C.M.R. à la condition qu’il ait formulé des réserves
relatives au chargement et à l’arrimage, aboutit en fait à vider ces textes de
leur substance. Si, en effet le transporteur n’émet pas de réserves, il est, dans
l’optique de la jurisprudence, réputé accepter l’arrimage tel qu’effectué par
l’expéditeur et il en devient responsable. Si, en revanche, il formule de telles
réserves et si elles sont suivies d’une réfection de l’arrimage, il est censé, en
toute logique cette fois, en avoir pris la responsabilité et il ne pourra, par la
suite qu’en assumer les conséquences. Si enfin ces réserves ne sont suivies
d’aucune amélioration de l’arrimage il devra refuser le transport (92) car s’il
prend la route, on risquera de considérer que, ce faisant, il renonce
implicitement à ses réserves. En effet, il ne semble pas légalement possible de
se dégager unilatéralement de sa responsabilité compte tenu de la prohibition
des clauses exonératoires de responsabilité.
L’interprétation de la jurisprudence que nous avons évoquée nous parait
donc devoir être écartée car il n’est pas pensable que les rédacteurs d’une
convention internationale aient voulu insérer dans celle-ci une disposition
vide de sens. La vider de son contenu en en rendant l’application impossible
ne revient-il pas à en violer le texte ?
28)
Or, certaines juridictions aggravent encore les conséquences de leur
jurisprudence. La cour de Paris, par son arrêt du 27 février 1970 (93), a
décidé que le transporteur commet “une faute lourde” équivalant à un dol
en ne vérifiant pas l’arrimage et le calage de la marchandise. Cette faute le
prive alors, en vertu de l’article 29 de la C.M.R., du droit d’invoquer non
seulement les dispositions qui excluent sa responsabilité mais aussi celles qui
la limitent. La Cour de Liège a adopté une solution semblable le 6 mai
1970 (94), bien que les circonstances rendent peut être, en l’espèce, sa
conception plus nuancée. On voit donc que la sévérité des Tribunaux à
l’égard du transporteur atteint ici son paroxysme malgré les présomptions
d’irresponsabilité édictées à son profit.
(91) v. en ce sens Paris 27 janvier 1970 B.T. 1970 p. 100.
(92) v. T. de com. de Corbeil-Essones 18 avril 1969 D. europ. des transp. 1969
vol. IV n° 5 p. 988.
(93) Paris 27 février 1970 B.T. 1970 p. 111.
(94) C. d’appel de Liège (3e ch) 6 mai 1970 Droit Europ. des transp. 1970 vol. V
n° 5 p. 720.
�106
29)
Cette rigueur excessive ne peut être la règle et se généraliser en
jurisprudence. La cour de Paris a fait preuve d’une conception qui nous
parait plus saine, le 27 janvier 1970, en n’exigeant pas du transporteur de
réserves sur le chargement et l’arrimage pour le faire bénéficier de la
présomption d’irresponsabilité prévue par la C.M.R. Elle a même explicite
ment refusé d’adopter les conclusions en ce sens qui lui étaient soumises,
rappelant que les articles 8 et 9 créant une obligation de reconnaissance et
prescrivant au voiturier d’inscrire des réserves, ne concernent que l’emballage
des marchandises et non leur arrimage (95).
L’étude de ces présomptions d’irresponsabilité nous a permis d’en
montrer l’originalité mais aussi les limites légales qui se trouvent démesuré
ment amplifiées par une jurisprudence, souvent par trop restrictive. Leur
domaine d’application n’en doit pas, à notre sens, être ainsi restreint à
l’excès. Il nous apparait qu’il y ait là un système satisfaisant en ce qu’il
concilie les intérêts des ayants droits et l’intérêt des transporteurs qui ne
peuvent plus, dans le contexte moderne des transports internationaux, être
aveuglément exposés à une responsabilité que trop d’aléas extérieurs rend de
plus en plus lourde et inéquitable.
Mais l’originalité de ce système en explique la spécificité aux conven
tions de Genève et de Berne et au projet de convention sur les transports
combinés. Il n’existe pas de dispositions correspondantes en matière maritime
ou aérienne. Certes, il existe, pour les transports maritimes, des possibilités
de “renverser” le fardeau de certains éléments de preuve, par l’insertion de
certaines clauses dans le connaissement (96) mais cela n’est pas assimilable
aux présomptions d’irresponsabilité que nous avons décrites. Certains tribu
naux ont, en outre, présenté les “périls exceptés” prévus par la convention
de Bruxelles comme susceptibles de créer “une présomption d’irresponsabilité
du transporteur maritime” (97). Mais le système de preuve de l’existence de
ces “périls exceptés” est différent de celui que nous avons exposé si bien que
l’on ne peut parler que de “cas d’irresponsabilité” et non de présomption.
Nous devons ainsi présenter maintenant à travers les différentes conven
tions internationales la deuxième technique d’exonération de responsabilité
du transporteur : la preuve des faits exonératoires.
(95) Paris 27 janvier 1970 B.T. 1970 p. 100.
(96) v.p.ex. C. de cass. Belge I e avril 1966 Jurisp. de D. uniforme 1967 p. 39 et
163. à propos de la clause “Said to contain” ou “Contenu inconnu” — et sur la clause
“ail cars dust covered, ship not responsible for hidden hairline scratches” v.p.ex. T. de
com. d’Anvers (navire “Bêlas”) jurisp. de D. uniforme 1969 p. 171.
(97) Tribunal de Gênes 21 juin 1967 (navire “Arnarfell”) jurisp. de D uniforme
1968 p. 203.
�107
II. LA PREUVE DES FAITS EXONERATOIRES
30)
Le système général est alors classique. En cas de perte ou d’avarie,
le transporteur en est présumé responsable. Mais la présomption qui pèse sur
lui est une présomption simple qui tombe si le transporteur prouve que le
dommage résulte de certaines circonstances exonératoires selon les textes.
La preuve positive de ces faits exonératoires et de leur relation de cause
à effet avec le dommage est, seule, susceptible d’exonérer le transporteur de
sa responsabilité présumée. Le nombre et la consistance des causes de
libération varient suivant les conventions. Mais sur le plan de la preuve le
système y est analogue.
Certains auteurs ont, cependant, cru pouvoir admettre que si, tradi
tionnellement, l’obligation du transporteur était une obligation de résultat,
elle n’était, en revanche, qu’une obligation de moyens sous l’empire des
conventions de Bruxelles et de Varsovie. Pour M. le doyen Chauveau, “il est
clair que la convention de Bruxelles impose au transporteur une simple
obligation de moyens et de diligence”. Le même auteur conçoit que l’on
range la convention de Varsovie “dans le groupe des législations qui imposent
au transporteur une obligation de diligence plutôt que de résultat” (98).
D’autres auteurs considèrent qu’il y a dans cette conception “une
confusion entre d’une part l’objet de l’une des obligations et, d’autre part, la
responsabilité du transporteur telle qu’elle découle de l’ensemble de ses
obligations” (99).
Le transporteur aérien ou maritime est, en principe, responsable sauf
dans le cadre des exceptions que les conventions énumèrent d’une manière
limitative. Pour échapper à cette responsabilité, il doit établir que le
dommage provient de l’une de ces causes d’exonération en apportant la
double preuve de la circonstance exonératoire et de son lien de causalité avec
le dommage. S’il ne s’agissait vraiment que d’une obligation de moyens, ce
serait au demandeur de démontrer que le transporteur ne s’est pas comporté
avec la prudence et la diligence auxquelles il était tenu. Or, le transporteur,
dans le cadre des conventions de Bruxelles et de Varsovie, reste, a priori
responsable, sauf à prouver l’origine du dommage dans une circonstance qui
ne lui est pas imputable. Il est vrai qu’aux termes de l’article 3, parag. I de la
convention de Bruxelles, par exemple, il est “tenu avant et au début du
voyage d ’exercer une diligence raisonnable pour mettre le navire en état de
(98) P. Chauveau : Les responsabilités des transporteurs, op. cit. in Etudes offertes à
Georges Ripert T. II p. 408 et 410 P. Chauveau : Droit aérien, ed. librairies techniques
1951 n° 323 p. 173 ; P. Chauveau : Traité de droit maritime, ed. librairies techniques
1958 n° 749.
(99) E. du Pontavice : Droit et pratique des transports maritimes et affrètements,
ed. J. Delmas et Cie. I e ed. 1970 ch. I, 15 et 16 — v. aussi en ce sens J.C. Soyer, op. cit.
R.T.D. com. 1967 p. 54 n° 108.
�navigabilité”, notamment. Mais il est difficile d’isoler cette obligation de
moyen, particulière, de l’ensemble. Il lui incombe, en outre, “une obligation
fondamentale de transporter la marchandise en bon état au port de destina
tion”. En matière aérienne, “le transporteur est responsable du dommage
survenu en cas de destruction, perte ou avarie . . . de marchandises lorsque
l’évènement qui a causé le dommage s’est produit pendant le transport
aérien”. Tel est le principe qui émane de l’article 18 de la convention de
Varsovie et auquel l’article 20 fait échec si le transporteur prouve “que lui et
ses préposés ont pris toutes les mesures nécessaires pour éviter le dommage
ou qu’il leur était impossible de les prendre”.
Il en résulte que c’est, en définitive, la notion de “cause étrangère”,
évoquée par l’article 1 147 du code civil, qui est plus ou moins largement
entendue par les différentes conventions.
Toutefois, il faut distinguer les causes exonératoires qui tiennent à des
faits extérieurs au transporteur et celles qui consistent pour lui à établir qu’il
a fait preuve d’une “diligence raisonnable” ou qu’il a pris les mesures
nécessaires de nature à éviter le dommage.
Ces dernières constituent un système d’exonération par la preuve de
l’absence de faute et sont propres aux modes de transports qui comportent
les risques les plus grands et les plus difficilement contrôlables. Elles sont
originales par rapport au système classique de droit commun. Après les avoir
sommairement décrites (A), nous brosserons un tableau général des autres cas
d’exonération prévus par les différentes conventions internationales (B).
A. Preuve de la “due diligence”, preuve de l’absence de faute et exonération
de responsabilité.
31 ) Les rédacteurs de la convention de Bruxelles ont retenu la notion
anglo-saxonne de “due diligence” ou de “diligence raisonnable”. Ceux de la
convention de Varsovie admettaient que le transporteur aérien fut exonéré de
sa responsabilité dès lors qu’il avait pris toutes les mesures nécessaires pour
éviter le dommage. Enfin, ceux du projet de convention sur le transport
combiné ont retenu que l’entreprise de transport serait “exonérée de toute
responsabilité” pour perte ou dommage résultant ou provenant . . . ) de tout
évènement dont l’E.T.C. ne pouvait éviter la survenance ni empêcher les
conséquences par l’exercice d’une diligence raisonnable”. Dans ce dernier cas,
l’on rejoint davantage la notion de “circonstance inévitable” retenue par la
CMR et la CIM que l’exonération par la preuve de “la due diligence”. Les
mots ne doivent pas, malgré leur similitude, induire en erreur.
Aussi n’examinerons nous ici que les systèmes propres à la convention
de Bruxelles et à celles de Varsovie qui, s’ils peuvent être rapprochés, ne
peuvent cependant pas être assimilés.
�109
32)
a) L ’e xo n é ra tio n d e responsabilité du tra n sp o rteu r aérien par la
p reuve d e l ’absence de fa u te .
C’est “sur le principe d’une responsabilité de plein droit que la
convention de Varsovie est fondée” (100) en vertu de l’article 18. Mais le
transporteur aérien peut renverser la présomption de responsabilité qui pèse
sur lui par la preuve que lui ou ses préposés “ont pris toutes mesures
nécessaires pour éviter le dommage ou qu’il leur était impossible de les
prendre”. Dans cette dernière hypothèse, certains auteurs ont admis que c’est
à la force majeure qu’il faut faire appel pour s’exonérer. L’impossibilité de
prendre les mesures nécessaires pour éviter le dommage suggère en effet que
celui-ci résulte d’un évènement insurmontable. Mais il faut aussi qu’il soit
extérieur et imprévisible ; or, il va de soi que si l’évènement était prévisible et
si le transporteur n’a pris aucune mesure pour y faire face ou l’éviter, il a
commis une faute susceptible d’entrainer sa responsabilité.
L’article 20 prévoit cependant un autre moyen pour le transporteur de
s’exonérer : la preuve qu’il a pris toutes les mesures nécessaires pour éviter le
dommage. Adoptant alors une conception restrictive, une partie de la
doctrine considère qu’il s’agit “des mesures en relation directe et immédiate
avec l’accident” et en déduit que l’existence même du dommage établit la
preuve de l’absence des mesures nécessaires pour l’éviter. Dans cette concep
tion, on retient qu’il ne pourrait y avoir dommage si toutes les mesures
nécessaires avaient été prises. Le seul moyen d’exonération de responsabilité
consisterait alors pour le transporteur et ses préposés à prouver la force
majeure.
Or, un tel système serait d’une extrême sévérité et serait ainsi en
contradiction avec l’esprit des rédacteurs de la convention de Varsovie (101)
qui ont, au contraire, voulu atténuer la rigueur de la responsabilité du
transporteur, en matière aérienne, en raison des risques particuliers qui
grèvent un tel transport.
Il suffit ici de se reporter aux observations de M. Pittard, lors de la
première conférence de droit privé aérien, tenue à Paris en 1925. “La
commission s’est demandée, remarquait-il, quel régime de responsabilité il
fallait adopter : risque, faute —l’opinion générale est que . . . dans la
responsabilité du transporteur à l’égard des passagers et des marchandises, il
faut admettre la théorie de la faute . . . l’on a admis la présomption de faute
à la charge du transporteur. Mais comme ce n’est qu’une présomption, le
transporteur a évidemment le droit de rapporter la preuve contraire et l’on
doit alors établir nettement la limite de la faute ; où commence celle-ci ?
Que peut-on exiger du transporteur aérien ? Une organisation normale de
son exploitation, un choix judicieux de son personnel, une surveillance
constante de ses agents et préposés, un contrôle sérieux de ses appareils,
(100) L. Cartou : Droit aérien, coll. Thémis (ed. P.U.F. 1963) p. 330.
(101) v.P. Chauveau : Droit aérien, op. cit. n° 332 p. 177.
�110
accessoires et des matières employées . . . il est donc juste de ne pas imposer
au transporteur une responsabilité absolue et de le dégager de toute
responsabilité lorsqu’il a pris des mesures raisonnables et normales pour éviter
le dommage. C’est la diligence que l’on peut exiger du bon père de
famille” (102). C’est dans cette optique que se plaçait le doyen Ripert. “Le
transporteur n’est pas obligé, estimait-il, de faire la preuve du cas fortuit ou
de la force majeure . . . il se contente d’établir qu’il a fait tout ce qui était en
son pouvoir et que par conséquent aucune faute ne peut lui être repro
chée” (103).
Quant à la preuve que le transporteur doit rapporter, deux inter
prétations sont donc possibles. Dans la première, on exige qu’il établisse avoir
pris toutes les mesures nécessaires en relation directe et immédiate avec
l’évènement dommageable. Nous avons montré que cette analyse trop
restrictive de l’article 20 conduit à dénaturer le régime de responsabilité du
transporteur aérien.
Dans la seconde, beaucoup plus libérale, on admet l’exonération de
responsabilité du transporteur dès lors qu’il prouve avoir apporté “toute la
diligence requise dans l’exécution du transport”. L’on rejoint ainsi la
conception de M. Pittard. Tel est le sens que M. le doyen Rodière donne à la
convention de Varsovie. Il est clair que la présomption de responsabilité
tombe, écrit-il, “quand le transporteur a fait la preuve que son appareil était
en bon état de navigabilité, pourvu d’un équipage compétent, non surmené et
en nombre suffisant, que les conditions météorologiques permettaient norma
lement d’entreprendre le vol” (104).
La jurisprudence française est toutefois encline à une plus grande
sévérité.
Tel est le cas notamment d’un arrêt de la Cour de Paris du 12 décembre
1961 (105) qui a retenu la responsabilité du transporteur “quoiqu’il ait été
constaté que l’appareil était apte à la circulation aérienne en conformité des
règlements, que ses conducteurs étaient en possession d’un permis de
conduire en état de validité, que les installations de sécurité aérienne étaient
à même de fonctionner et que les messages par radio se sont déroulés
normalement, que les installations de l’aéroport étaient dans un état irrépro
chable, que rien ne prouvait que l’accident ait été provoqué par un défaut
technique de l’avion ou par l’influence des conditions météorologiques”. Mais
(102) conf. de Paris 1925 p. 55 et s.
(103) G. Ripert : L ’unification de droit aérien, revue générale de droit aérien 1932
p. 265.
(104) R. Rodière :Manuel des transports terrestres et aériens, op. cit. p. 200.
(105) Paris 12 décembre 1961 D. 1962-707 note R. Saint-Alary ; RTDC 1962-493
note Tune ; JCP 1962 II 12596 note de Juglart ; RFDA 1962-93 (il s’agissait en l’espèce
de blessures subies par des passagers ; A ff Jugoslovenski Aero transport c/époux Gati.
�111
la Cour, les causes de l’accident n’ayant pas été élucidées, a constaté que la
compagnie aérienne n’avait pas établi “avoir pris toutes les mesures en
relation directe et immédiate avec l’accident cause du dommage”. Les auteurs
ont critiqué cette conception trop rigoureuse pour le transporteur.
M. de Juglart a invoqué les travaux préparatoires de la convention de
Varsovie pour montrer que cet arrêt ajoute au texte de l’article 20.
M. le doyen Rodière, pour sa part, déclare “qu’il faut le tenir pour
faux” (106).
Certaines juridictions, étrangères surtout, ont donné, au contraire, des
interprétations très larges de l’article 20 de la convention (107). Certains
auteurs estiment que les progrès de la navigation aérienne ne justifient plus
une trop grande bienveillance à l’égard des tansporteurs et remarquent que la
preuve de l’absence de faute est fort difficile à rapporter et ne peut se faire
que par la preuve d’une cause étrangère. Ce faisant, ils approuvent le système
restrictif en concluant que seule la preuve de la force majeure est exonéra
toire (108). Nous ne pouvons, quant à nous, souscrire à une telle conception
qui assujettirait, en définitive, le transporteur aérien à une responsabilité plus
lourde que les transporteurs terrestres, par exemple. Il faut, selon nous,
interpréter l’article 20 de la convention de Varsovie en fonction de l’état
d’esprit de ses rédacteurs nonobstant l’évolution technique actuelle, et en
retenir que le transporteur s’exonère de sa responsabilité par la preuve que
toutes les mesures nécessaires ont été prises pour éviter le dommage. Il faut
ainsi établir qu’aucune faute n’a été commise dans l’exécution d’une sorte
d’obligation de “due diligence” et que le transporteur et ses préposés ont pris
toutes les mesures nécessaires et possibles pour assurer la sécurité du vol et
exclure tout risque de dommage.
Ainsi le transporteur aérien n’a pas besoin, pour s’exonérer, “de
démontrer la cause topique du dommage et de prouver qu’elle ne lui est pas
imputable” (109). Il doit seulement prouver son absence de faute dans
l’exécution de ses obligations.
Le transporteur maritime bénéficie-t-il d’un mode d’exonération aussi
favorable ?
33)
b) L ’exo n é ra tio n d e responsabilité du tra n sp o rteu r m a ritim e p a r la
preuve d e l ’absence d e fa u te e t de circonstances exonératoires.
Le système de responsabilité retenu par la convention de Bruxelles a
suscité de nombreuses controverses.
(106) R. Rodière : Manuel des transports terrestres et aériens, p. 201.
(107) v. M. Pourcelet : Transport aérien international et responsabilité, Ed. les
presses de l’université de Montréal 1964 p. 53).
(108) M. Pourcelet : Transport aérien internationale et responsabilité Ed. les presses
de l’université de Montréal 1964 p. 54 et s.).
(109)
R. Rodière : Manuel des transports terrestres et aériens, op. cit.
p. 201.
�112
M. le doyen Chauveau a estimé que le transporteur n’assumait qu’une
obligation de moyen et de diligence. “On peut dire, écrivait-il, qu’il n’assume
aucun des risques du transport en dehors de celui de ses propres erreurs ou
de celles de ses agents dans la mesure où il peut exercer sur eux une autorité
et un contrôle suffisant. . . . d’une façon générale, le transporteur ne répond
que des dommages provenant de son fait ou de sa faute, ou de celle de ses
agents et encore . . . (110). Pour sa part, M. Sauvage constate avec regrets que
“la convention s’inspire de la notion anglo-saxonne de la due diligence ou
diligence raisonnable : quelle que soit l’obligation du transporteur qui est
envisagée, celui-ci n’est tenu que de “faire diligence” en vue d’accomplir
cette obligation . . . Le transporteur ne sera donc responsable que s’il a
manqué à cette diligence. Il est vrai qu’il doit rapporter lui-même la preuve
de sa propre diligence” (111). M. le doyen Rodière évoquant l’obligation du
transporteur d’exercer une diligence raisonnable, déclare “cette obligation de
moyens domine tout le système” (112). Il apparait que le domaine en reste
cependant limité. Pour M. du Pontavice, le principe est la responsabilité du
transporteur qui “n’est fondée ni sur la faute ni sur une présomption de
faute, c’est une présomption de responsabilité”. Si, comme il le souligne,
cette responsabilité est écartée par la preuve de cas exonératoires nombreux,
ceux-ci “ ne démontrent nullement l’absence de faute du transporteur. Ils
détruisent simplement la présomption de responsabilité” (113).
Il est, en effet, certain que le transporteur maritime est, en principe,
responsable et que, pour s’exonérer, il doit faire la preuve de l’un des “cas
exceptés” retenus par la convention de Bruxelles.
Cela implique que soient établis à la fois l’existence d’une cause
exonératoire et son lien de causalité avec le dommage. Mais certaines causes de
libération retenues par l’article 4 de la convention de Bruxelles s’apparentent
à la preuve de l’absence de faute (114) encore que cette preuve n’y soit pas,
à elle seule, nécessairement exonératoire. Il s’agit alors de l’exonération de la
responsabilité du transporteur, en cas de dommage provenant de “l’innavigabilité du navire”, de “vices cachés du navire” , ou de “faits n’ayant pas leur
cause dans le fait ou la faute du transporteur ou de ses préposés ou agents” .
( 110) P. Chauveau : Les responsabilités des transporteurs, op. cit. in études offertes
à Georges Ripert T. II p. 408-409 et traité de droit maritime, op. cit. n° 749.
(111) F. Sauvage : Manuel pratique du transport de marchandises par mer Ed.
L.G.D.J. 1955 p. 41.
(112) R. Rodière : Droit Maritime, Ed. Dalloz 4 e Ed. 1969 p. 299 n° 388.
(113) E. du Pontavice : Droit et pratique des transports maritimes et affrètements
op. cit. ch. I. 12. v. G. Ripert : Droit maritime, op. cit. n° 1689 qui rejette l’idée de
présomption.
(114) M. Soyer a montré qu’il existe des obligations de résultat dont on s’exonère
par la preuve de l’absence de faute (op. cit. R.T.D. Com. 1967 p. 54).
�34)
Aux termes de l’article 4, parag. I de la convention de Bruxelles,
“ni le transporteur ni le navire ne seront responsables des pertes ou
dommages provenant ou résultant de l’état d’innavigabilité, à moins qu’ils ne
soient imputables à un manque de diligence raisonnable de la part du
transporteur à mettre le navire en état de navigabilité ou à assurer au navire
un armement, équipement ou approvisionnement convenables ou à approprier
et mettre en bon état les cales, chambres froides et frigorifiques et toutes
autres parties du navire ou des marchandises sont chargées . .
Ces disposi
tions sont à rapprocher de celles de l’article 3 qui précise que le transporteur
sera tenu avant et au début du voyage d’exercer une diligence raison
nable (115) pour mettre le navire en état de navigabilité, l’armer, l’équiper,
l’approvisionner, approprier et mettre en bon état les parties où des
marchandises seront chargées. Or, l’article 4 prévoit que lorsqu’un dommage
résulte de l’innavigabilité, “le fardeau de la preuve, en ce qui concerne
l’exercice de la diligence raisonnable, tombera sur le transporteur”.
L’obligation du transporteur de mettre le navire en état de navigabilité
est une obligation relative qui dépend du genre et des conditions du voyage
comme de la nature de la marchandise transportée (116). Il s’agit de rendre
le navire apte à effectuer le transport, tant à l’égard des opérations de
chargement, de réception, d’acheminement ou de déchargement des marchan
dises que de la conservation de celles-ci.
Le tribunal de Naples a justement rappelé que la notion de navigabilité
comprend l’aptitude du navire à être utilisé conformément à ce qui a été
prévu dans le contrat et se concrétise dans l’efficience des cales, des appareils
de ventilation et de toutes les autres parties du navire susceptibles d’être
utilisées dans des buts commerciaux (117). Le contenu matériel de l’obliga
tion du transporteur de mettre le navire en état de navigabilité varie suivant
les circonstances. Ainsi, le transporteur maritime qui n’ignorait pas la
proximité de l’hiver et qui a omis de prendre les précautions nécessaires afin
de préserver les cales et leurs installations contre les effets du gel a été
considéré comme ayant failli à la diligence raisonnable requise pour mettre le
navire en bon état de navigabilité (118). Il en va, a fortiori, de même lorsque
certaines des parties du navire ne sont pas en état, par exemple, lorsque le
bordé de fond n’offre plus, par suite d’usure, toute la sécurité voulue, les
(115) sur la notion de “due diligence” v. G. Ripert “droit maritime” op. cit.
n° 1690 et 1706 ter.
(116) V. R. Rodière : Le bon état de navigabilité du navire affrété D.M.F. 1965.
387.
(117) Tribunal de Naples 9 février 1967 jurisp. de D. uniforme 1968-28 ; Diritto
maritimo 1967-596).
(118) C. d’appel de Bruxelles 13 octobre 1967 (navire Augvald) jurisp. de D. uni
forme 1968 p. 180.
�travaux provisoires de consolidation étant par ailleurs insuffisants (119).
Cette obligation est d’ailleurs une obligation personnelle du transporteur dont
il ne peut se dégager en s’adressant à une personne qualifiée. Cela résulte
d’un arrêt fort important rendu par la chambre des Lords le 7 décembre
1961 dit “arrêt du Muncaster castle” (120). Dans son commentaire (121),
M. Bonassies a noté “la volonté très affirmée par tous les juges de la chambre
des Lords d’interprêter les dispositions de la convention de 1924, non pas en
elles-mêmes, mais au regard des précédents historiques et, en particulier, du
Harter act américain et de la jurisprudence ce qui s’est formé sur ce texte
fondamental de 1893 à 1924” . Il résulte de cet arrêt une appréciation très
rigoureuse de la notion de diligence raisonnable dont on considère qu’elle est
une clé de voûte du système établi par la convention de Bruxelles. Le
transporteur demeure responsable lorsque l’absence de diligence était le fait
d’une personne qu’il s’était substituée, conformément à la jurisprudence quasi
unanime qui s’était prononcée sur le Harter act. “ La diligence raisonnable
due par le transporteur pour mettre le navire en état de navigabilité, écrit
M. Bonassies, ne doit pas pouvoir se déléguer” (121 bis).
s w S r a ' ’■ "' v — i l * • > 3 3
En cas de perte ou d’avarie de la marchandise, le transporteur peut, en
vertu de l’article 4 parag. I de la convention de Bruxelles, se dégager de sa
responsabilité par la double preuve que le dommage provient de l’innavigabi
lité du navire et qu’il a satisfait à son devoir essentiel de mettre le navire en
état de navigabilité en exerçant à cet égard une diligence raisonnable. Cette
double preuve est ici indispensable.
Ainsi, le transporteur s’exonère en prouvant son absence de faute dans
l’exécution de l’obligation qui lui impose l’article 3 parag. I. Mais il doit en
outre, établir l’existence d’une cause exonératoire et son lien de causalité
avec le dommage.
Il en va de même en ce qui concerne sa libération en cas de vices cachés
du navire. L’article 4 parag. 2 p) de la convention de Bruxelles déclare non
imputables au transporteur les dommages résultant des vices cachés du navire
échappant à une diligence raisonnable (122). Cela est remarquable par
rapport au droit commun car il s’agit de vices qu’un examen plus approfondi
aurait sans doute révélés. En matière maritime, la complexité d’un navire
moderne rend cette découverte difficile et les navires font l’objet de visites
(119) C. d’appel de Bruxelles 16 janvier 1964 (navire Mount Vernon) jurisp. de
D. uniforme 1965 p. 8.
(120) Chambre des Lords 7 déc. 1961 “the Muncaster castle” Lloyds list law
reports 1961. I. 57.
(121) P. Bonassies D.M.F. 1963 p. 246 et s. (121 bis). Les tentatives d’écarter cette
jurisprudence n’ont pas abouti lors de la conférence de Stockholm.
(122) Sur le vice caché du navire : v. G. Ripert : Droit maritime, op. cit. n° 1707
et s.
�115
techniques par des agents de l’administration et des représentants de sociétés
de classification qui permettent de penser qu’un vice que ces visites n’ont pas
révélé n’était pas décelable par le transporteur. Il faut semble-t-il admettre
qu’il s’agit alors de vices qui, au moins, ont pu échapper à un examen
vigilant et attentif (123). Le doyen Ripert estimait qu’il fallait considérer les
vices absolument impossibles à découvrir avant le début du voyage (124). Ce
cas d’exonération parait dès lors raisonnable. Mais les certificats d’experts
délivrés à l’armateur avant le départ et constatant le bon état du navire
n’établissent qu’une simple présomption (125). L’appréciation du caractère
caché du vice du navire est une question de fait selon les circonstances
propres à chaque espèce. Il a été jugé que si l’avarie provient d’un trou dans
une conduite, obturé mais décelable, qui a laissé passer l’eau du ballast dans
la cale, il ne peut s’agir d’un vice caché du navire mais d’un défaut de
diligence raisonnable pour mettre en bon état les cales où les marchandises
sont chargées (126).
Cette cause d’exonération se rapproche ainsi très nettement de l’innavi
gabilité du navire. Elle implique, à la charge du transporteur, la preuve de
l’existence d’un vice caché, de sa causalité avec la perte ou l’avarie, et bien
souvent de la diligence raisonnable qu’il a exercée afin de découvrir les vices
du navire. La preuve topique de l’origine du dommage s’allie donc encore à
celle de l’exécution d’une obligation de “due diligence”.
L’exonération de responsabilité du transporteur en cas de dommage
provenant de l’innavigabilité du navire si le transporteur a exercé une
diligence raisonnable ou des vices cachés est aussi prévue par la loi interne
française du 18 juin 1966 (127).
35)
En revanche, la convention de Bruxelles comporte une dernière cause
d’exonération, originale par rapport à la législation française et qui semble
rendre compte d’une possibilité d’exonération de responsabilité pour absence
de faute.
(123) En ce sens, Paris 3 mai 1957 D.M.F. 1958. 397 v. aussi C. de cass. italienne
16 janvier 1968 Jurisp. de D. uniforme 1969 47.
(124) G. Ripert : Droit maritime T. II n° 1808.
(125) En ce sens cass. com. 23 juillet
n° 249 p. 189.
1951 B.T. 1951 p. 640 bull. civ. II
(126) T. de com. de Paris 15 mai 1968 (navire Julia C. Ertel) jurisp. de D. uniforme
1969 p. 42 ; D.M.F. 1969-234 —v. aussi la jurisprudence concernant l’exonération du
transporteur pour vices cachés du navire Lamy-transport n° 1487. F. Sauvage, op. cit.
p. 51 n° 34.
(127) Il y a là une innovation par rapport à la législation antérieure. Désormais,
quant au cas de responsabilité, les différences entre la loi interne et la convention
internationale ne seraient plus que de forme : v. J.C. Soyer, op. cit. R.T.D. com. 1967
n° 110 p. 55.
�116
Ni le transporteur ni le navire ne sont en effet responsables, en vertu de
l’article 4 parag. 2 q) des dommages résultant “de toute autre cause ne
provenant pas du fait ou de la faute du transporteur ou du fait ou de la
faute des agents ou préposés du transporteur”.
M. du Pontavice considère “que cette formule est le rappel d’une théorie
générale de la faute dans la “Common-law” anglaise “dont les autres causes
d’exonération” ne sont que des cas particuliers (128).
Le texte implique que le transporteur établisse la cause du sinistre et, ne
s’agissant pas d’un des cas exceptés précédemment énumérés par le texte,
qu’il prouve que ni son fait ni sa faute ni sa faute ni ceux de ses préposés ou
agents n’ont contribué à la perte ou au dommage (129). C’est alors l’absence
totale de causalité entre une faute éventuelle et le dommage ou, a fortiori,
l’absence de faute, qu’il faut démontrer.
“Dans cette hypothèse, écrit M. du Pontavice, le transporteur doit donc
prouver, d’une part, la cause étrangère et, d’autre part, l’absence de
contribution de son fait au dommage, tandis que, pour les cas exceptés, la
preuve de la cause étrangère cataloguée suffit” (130). Mais dans cette
hypothèse, il ne peut, semble-t-il, s’exonérer partiellement car il doit établir
que son fait ou sa faute n’ont pas “contribué” à la perte ou au dom
mage (131). Toutefois, cette double preuve parait très favorable au transpor
teur maritime car il en résulte que toute cause qui ne lui est pas imputable
est exonératoire. A charge de démontrer la cause des pertes ou avaries, quelle
qu’elle soit, à condition qu’elle n’entre pas dans le cadre des faits exonéra
toires précédemment énumérés par la convention, le transporteur peut se
libérer de sa présomption de responsabilité par la preuve de l’absence de
faute. Plus précisément, il doit également montrer que le dommage ne
provient pas non plus de son fait, même non fautif.
En conséquence, si le transporteur peut s’exonérer de sa responsabilité
en prouvant qu’il n’a pas commis de faute, cette preuve n’est pas suffi
sante —c’est dire qu’elle n’est pas en soi exonératoire.
Le transporteur maritime peut se libérer de la présomption de respon
sabilité par la preuve de causes d’exonération nombreuses. Mais elles se
rattachent toutes, en définitive, à la notion de cause extérieure dont la
preuve contraire peut être rapportée par l’ayant droit. On se rapproche donc,
(128) E. du Pontavice : Droit et pratique des transports maritimes et affrètements,
op. cit. ch. I. 24.
(129) En sens contraire, v.T. de Com. d’Anvers 30 novembre 1965 (navire
Rothenstein) jurisp. de D. uniforme 1967 p. 26.
(130) E. du Pontavice : Droit et Pratique des transports maritimes et affrètements,
op. cit. ch. I 24.
(131) E. du Pontavice : Droit et pratique des transports maritimes et affrètements,
op. cit. ch. I 24.
�117
en cette matière, des modes classiques d’exonération qu’il nous faut mainte
nant rapidement évoquer.
B. La preuve des circonstances exonératoires prévues par les différences
conventions internationales.
36) Le droit commun français des transports admet que le voiturier
puisse s’exonérer de la présomption de responsabilité de l’article 103 du code
de commerce par la preuve de la force majeure ou du cas fortuit, du vice
propre de la chose et de la faute de l’expéditeur ou du destinataire.
Puisque nous devons maintenant décrire le mode le plus classique
d’exonération de responsabilité du transporteur, tel qu’il est prévu par les
différentes conventions internationales, nous examinerons les différentes
causes de libération en les classant par référence aux circonstances exonéra
toires traditionnelles. Cette étude ne sera pas exhaustive. On a en effet
beaucoup et fort bien écrit sur ces questions. Il serait audacieux et
superfétatoire de tenter d’y ajouter. Il apparait cependant nécessaire d’expo
ser au préalable les causes de libération qui ne paraissent pas rattachables aux
cas de libération classiques et qui résultent des particularités propres aux
transports maritimes.
37) a) Les fautes nautiques et les actes d ’assistance et de sauvetage
Le Harter act distingue les fautes commerciales des fautes nau
tiques (131 bis). Le fréteur n’y répond pas des secondes. Imitant, sur ce
point encore, le Harter act, la convention de Bruxelles exonère le trans
porteur de sa responsabilité en cas de dommages provenant “des actes,
négligence ou défaut du capitaine, marin, pilote, ou des préposés du
transporteur dans la navigation ou dans l’administration du navire”. Cette
disposition déroge au droit commun de l’article 1797 du code civil suivant
lequel l’entrepreneur répond du fait des personnes qu’il emploie. L’expression
de “faute nautique” est celle que les rédacteurs français de la loi de 1936
ont substituée à celle de faute “ in the navigation or the management of the
ship” employée par la convention. Ils ont ainsi voulu éviter des difficultés
dans l’application de cette notion et exclure une exonération de la responsa
bilité de l’armateur pour ses fautes commerciales c’est-à-dire “celles commises
dans l’embarquement et le débarquement, l’arrimage la manutention et la
conservation des marchandises. La même idée a inspiré le législateur de 1966.
Pour M. le doyen Rodière, les fautes “in the navigation” ne créent pas
de difficultés. Ce sont “toutes les fautes commises par le capitaine et
l’équipage dans le choix de la route, les manœuvres exécutées, les rele
vés.. .”. En revanche, la faute “in the management of the ship” (132)
(131 bis) Sur la distinction des fautes nautiques et des fautes commerciales,
v. G. Ripert : Droit maritime,op. cit. n° 1712 bis.
(132)
A propos du terme “management o f the ship” v. P. Chauveau: Traité de
droit maritime, op. cit. n° 807 p. 548.
�118
c’est-à-dire “dans l’administration du navire”, pose des problèmes. M. Rodière
explique que la formule a pour origine la jurisprudence anglaise antérieure à
la convention.Et l’éminent auteur de la résumer ainsi : “il y a administration
du navire en toute matière qui intéresse le navire comme tel et non d’abord
la cargaison ou les appareils établis sur le navire pour la conservation de la
cargaison”. Ainsi, en cas de dommage dus à un mauvais branchement d’un
tuyau, la question est de savoir si le branchement a été établi pour la
sauvegarde ou le fonctionnement du navire ou, au contraire, dans l’intérêt de
la marchandise. Dans le premier cas, la faute est nautique ; dans le second,
elle est commerciale. Ce critérium céderait cependant lorsque la faute est de
nature à compromettre la sécurité du navire et la faute serait alors nautique
quel que soit son point d’application (133). Le Tribunal de Commerce de
Séte a ainsi décidé que, “par faute nautique, il faut entendre la faute de
nature à compromettre la sécurité du navire en même temps que celle de la
cargaison, et la faute est nautique quel qu’en soit le point d’application”. En
l’espèce, le navire avait coulé lors de son chargement, le fait générateur de
l’accident étant l’ouverture prématurée d’un des sabords (134). On comprend,
dès lors, que la jurisprudence assimile la faute d’arrimage à une faute
nautique lorsqu’elle met en jeu la sécurité du navire (135).
m :*
^
.*;«* tgBgtsSm »
Cependant, l’article 3 parag. 2 de la convention, et maintenant la loi
française de 1966, disposent que le transporteur doit procéder de façon
appropriée et soigneuse au chargement, à la manutention et à l’arrimage de la
marchandise. Il ne parait donc pas possible d’assimiler une faute d’arrimage à
une faute nautique (136) à moins qu’elle ne comporte un danger pour le
navire. Il semble, en définitive, que la faute nautique soit d’abord la faute de
navigation. Ainsi, résulte-t-il d’un arrêt de la cour d’appel de La Haye du 12
janvier 1966 “qu’au cas où la cause déterminante du dommage est l’appareil
lage du navire malgré le mauvais temps et en dépit d’une éventualité de
mauvais temps pour les prochains jours, il y a faute nautique du capi
taine” (137). Mais c’est également la faute dans l’administration du navire.
On peut, à cet égard, adopter la définition d’un arrêt de la cour de Rouen du
(133) R. Rodière : Droit maritime, op. cit. n° 367 p. 284 ; R. Rodière : faute
nautique et faute commerciale devant la jurisprudence française, D.M.F. 1961-451 v.
cependant Rouen 26 mai 1970 DMF 1970 p. 667.
(134) T. de com de Sète, 5 déc. 1967 (navire Regina Pacis) D.M.F. 1968-232 ;
jurisp. de D. uniforme 1968-192 ; R.T.D. com 1968 p. 827.
(135) Cass. com. 10 avril 1959 G.H. Lafage : Faute commerciale et faute nau
tique, D.M.F. 1963 — 104 et s. L’arrêt du 10 avril 1959 est rapporté au J.C.P. 1959
II 11153 note de Juglart.
(136) En se sens E. du Pontavice : Droit et pratique des transports maritimes et
affrètements, op. cit. ch. I 17.
(137) c. d’appel de La Haye 12 janvier 1966 D. europ. des transp. 1968 - 3 4 5 ;
R.T.D. com 1968-827.
�119
7 novembre 1968 (138). Il faut alors entendre par là “la faute au cours d’une
opération qui intéresse le navire en tant que tel, dont elle est destinée à
assurer la marche, même en l’absence de toute marchandise à bord, et non la
protection ou la conservation de la cargaison : une fausse manœuvre au cours
de cette opération constitue donc une faute nautique “exonératoire si elle
n’est pas le fait du transporteur lui-même, mais de ses préposés. On rejoint
ainsi la définition donnée par un des juges de la Haute cour de justice
d’Angleterre, sir Francis Jeune, lors de son arrêt du 5 novembre 1895. “ Il me
parait clair, a-t-il déclaré, que le mot “management” dépasse quelque peu,
pas beaucoup peut-être, la portée du mot “navigation”, mais qu’il la dépasse
suffisamment pour embrasser cette catégorie d’actes qui n’intéressent pas la
marche et le mouvement du navire, mais qui intéressent le navire lui-même.
Je veux faire une distinction entre le manque de soins touchant la cargaison
et le manque de soins touchant le navire et atteignant indirectement la
cargaison” (139).
M. Sauvage est partisan d’une conception très restrictive de la faute dans
l’administration du navire qui doit, selon lui, se restreindre à certaines fautes
très particulières qui ne touchent la marchandise que d’une façon tout à fait
indirecte, mais qui lui ont cependant causé un dommage. Faute de cela, on
exonérerait le transporteur en cas de manquement direct à l’obligation de
l ’armement concernant la garde et la conservation de cette marchandise ainsi
qu’à la diligence raisonnable à laquelle il est tenu à cet égard (140). Il faut,
selon nous, considérer la notion de faute dans la navigation et dans
l’administration du navire eu égard à l’idée que l’exonération qui en résulte
en faveur du transporteur tient à l’impossibilité de fait et de droit dans
laquelle il se trouve d’exercer un contrôle et une surveillance sur les
manœuvres qui sont de la compétence du capitaine et qui doivent être
exécutées sous ses ordres.
De toutes façons, cette cause d’exonération est originale. D’une manière
générale, lorsque la cause immédiate et certaine du dommage réside dans la
négligence ou l’abstention fautive du personnel du transporteur, celui-ci ne
peut s’exonérer de sa responsabilité. Cela a même été jugé à propos des
dispositions, pourtant particulièrement favorables de la CMR(141).Un tel cas
excepté prend donc sa source dans le particularisme des transports maritimes.
Des exigences identiques avaient conduit les rédacteurs de la convention de
Varsovie a admettre que le transporteur aérien n’était pas responsable s’il
(138) Rouen 7 novembre 1968 D.M.F. 1969 157.
(139) Cette conception a été exactement adoptée par le T. de com. de Marseille le
7 juillet 1950 D.M.F. 1951.398.
(140) F. Sauvage : Manuel pratique du transport de marchandises par mer, op. cit.
n° 32 p. 49.
(141) v.p. ex. c. d’appel de Bruxelles (IIe ch.)
transports 1969 vol. IV n° 5 p. 931.
12 Mars 1969 D. europ. des
�120
prouvait que le dommage survenu aux marchandises provenait “d’une faute
de pilotage de conduite de l’aeronef ou de navigation et que, à tous autres
égards lui et ses préposés “avaient pris” toutes les mesures nécessaires pour
éviter le dommage”. Ces dispositions ont toutefois été supprimées par le
protocole de La Haye, entré en vigueur le 3 août 1963.
L’originalité du transport maritime commandait aussi, dans une certaine
mesure, que le transporteur fut exonéré des dommages résultant “d’un
sauvetage ou tentative de sauvetage de vies ou de biens en mer” .
L’article 4 parag. 2L) le prévoit expressément et la loi du 18 juin 1966
y ajoute le “déroutement à cette fin”. Il ne faut pas oublier ici qu’un devoir
légal d’assistance pèse sur le capitaine du navire. En droit commun, de tels
faits ne sauraient être libératoires.
L’article 4 parag. 4 retient également comme cause exonératoire, outre
le déroutement dans un but de sauvetage ou de tentative de sauvetage, le
“déroutement raisonnable”. Un exemple de déroutement raisonnable peut
être trouvé dans un jugement du 18 janvier 1966 du tribunal de
Rotterdam (142). Le déchargement d’un transport à destination de
Hambourg avait du être différé en raison de jours fériés. Le transporteur
avait alors décidé de se rendre en Pologne, à Stettin, afin d’y décharger une
autre partie de sa cargaison. Un abordage s’était produit pendant le trajet et
avait causé des avaries aux marchandises à destination de Hambourg. La
décision de l’armateur d’exécuter un détour fut considérée comme un
“déroutement raisonnable”.
Les causes d’exonération que nous venons d’évoquer sont très nettement
dérogatoires au droit commun des transports et propres à la navigation
maritime. Mentionnons simplement que la convention de Berne, dans le cas
des transports mixtes fer-mer, ajoute aux risques particuliers libératoires qui
lui sont propres la faute nautique du capitaine et de l’équipage et le
sauvetage ou la tentative de sauvetage en mer. Outre ces faits, l’article 63
retient également, comme la convention de Bruxelles, d’autres causes exoné
ratoires qui, bien que leur contenu soit particulier au transport maritime,
s’apparentent aux causes classiques de libération que nous allons examiner,
b ) L e s causes e xonératoires assim ilables a u x causes extérieures classiques.
38)
Une observation préalable s’impose ici. Toutes les conventions
internationales que nous évoquons dans cet article exonèrent le transporteur
de sa responsabilité en cas de dommage provenant d’un cas de force majeure.
La convention de Genève et celle de Berne en traitent globalement sous le
vocable de “circonstances que le transporteur ne pouvait pas éviter et aux
conséquences desquelles il ne pouvait pas obvier” (art. 17 parag. 2 CMR et
27 parag. 2 CIM).
(142) T. de Rotterdam 18 janvier 1966 D.M.F. 1969 — 120.
�121
La convention de Varsovie libère le transporteur aérien lorsqu’il établit
qu’il lui était impossible, ainsi qu’à ses préposés de prendre les mesures
nécessaires pour éviter le dommage. Nous nous sommes déjà expliqués sur ce
point (143). Le projet de convention sur le transport combiné emploie une
formule plus sybilline en son article 9 parag. 2 h) puisqu’elle décharge l’entre
preneur de transport de sa responsabilité lorsqu’il prouve que les dommages
résultent “de tout évènement dont l’ETC ne pouvait éviter la survenance ni
empêcher les conséquences par l’exercice d’une diligence raisonnable”. Il
semble ainsi que la force majeure ne corresponde plus à une insurmontabilité
absolue mais seulement relative eu égard à la notion de “due diligence”
introduite dans ce texte et tirée de la législation des transports maritimes.
Comme celle-ci, le projet de convention TCM vise séparément de la force
majeure, le cas “des grèves, lock-outs, arrêts ou entraves apportés au travail” .
Mais cette hypothèse y donne lieu à une présomption d’irresponsabilité sans
requérir à la charge du transporteur la preuve positive de sa réalisation et de
son lien de causalité avec le dommage. La convention de Bruxelles, en son
article 4 parag. 2 diversifie les causes de libération assimilables à la force
majeure (144) sans se référer à une notion globale de la force majeure. Elle
exonère ainsi le transporteur maritime en cas de dommage provenant des
“périls, dangers ou accidents de la mer” (145) d’un “acte de Dieu”, de “faits
de guerre” , du “fait d’ennemis publics” , d’un arrêt ou contrainte du prince,
autorités ou peuple ou d’une “saisie judiciaire”, d’une “restriction de
quarantaine”, d’émeutes ou de troubles civils”.
Il est vrai que le transporteur maritime a également la possibilité de se
libérer des autres circonstances constitutives de force majeure en invoquant
l’article 4 parag. 2 q) en cas de dommages dus à “toute autre cause” ne
provenant ni de son fait ni de sa faute ni de ceux de ses agents ou préposés.
Mais on sait qu’alors, il ne peut être exonéré de sa responsabilité que si ni ce
(143) v. Supra n° 32.
(144) Selon M. Soyer, la convention manifesterait ainsi “l’esprit anglo-saxon” , qui
cultiverait “l’allergie à la synthèse et l’allégresse, dans la redondance” (sic),tandis que la loi
de 1966 aurait adopté en l’occurence des dispositions semblables sous une forme concise :
V.J.C. Soyer op. cit. R.T.D. com. 1967 n° 111 p. 56.
(145) La “fortune de mer” n’exonère le transporteur que si le navire était en état
de navigabilité : v.c. d’appel de Bruxelles 16 janv. 1964 (navire Mount Vernon) jurisp. de
D. uniforme 1965 p. 8 ; 4 décembre 1964 (navire indochinois) jurisp. de D. uniforme
1965 p. 191 ; 24 septembre 1964 et 10 juin 1965 (navire “Black Eagle”) jurisp. de
D. uniforme 1966 p. II et 1967 p. 13 ; il doit avoir fait “diligence raisonnable” . La
fortune de mer exonératoire a ainsi été retenue p. ex. dans un arrêt de la cour de
Bruxelles du 3 juin 1965 (navire “Jungen”) jurisp. de D. uniforme 1966 p. 14. Elle n’a en
revanche pas été retenue par la T. de commerce d’Anvers le 23 Janvier 1969 (navire
Monte-Cinco) (jurisp. de D. uniforme 1969 p. 184 les circonstances atmosphériques
n’étant pas exceptionnelles.
�fait ni cette faute n’ont contribué à la réalisation du dommage. Sa libération
sera totale ou elle ne sera pas (146).
Remarquons enfin que les différentes situations relevées par les conven
tions internationales, bien que voisines et assimilables à la force majeure ne
satisfont pas toujours d’une manière absolue la conception française classique
qui exige pour qu’il y ait force majeure que soient réunis les trois éléments
d’imprévisibilité, d’insurmontabilité et d’extériorité (147).
Notre propos n’est cependant pas ici une étude exhaustive de ces
différents cas exonératoires. Il nous importe davantage de montrer que la
preuve topique de leur existence et de leur origine par rapport au dommage
incombe au transporteur, du moins en droit français. Nous verrons que les
systèmes de preuve quelque peu différents adoptés par certains droits
étrangers n’y sont pas exclus dans l’application que font leurs juridictions des
conventions internationales (148). Nous nous bornerons ici à cerner la notion
de “circonstances inévitables” retenue par la CMR et la CIM à travers un
rapide tableau de la jurisprudence
39)
Les transporteurs internationaux ferroviaires et routiers peuvent se
dégager de la présomption de responsabilité qui pèse sur eux en établissant
d’une manière positive que les pertes ou avaries proviennent d’une “circons
tance inévitable”. Que faut-il entendre par là ? Il s’agit d’une notion
équivalente à la force majeure mais qui, toutefois, ne comporte pas son
caractère d’imprévisibilité que la CIM comme la CMR n’ont pas retenu. Dans
deux arrêts du 15 mai 1957 (149) la cour de cassation a ainsi décidé que le
retard apporté par la douane à la remise du “bon à enlever” constituait des
circonstances inévitables sans qu’il y ait lieu de rechercher si celles-ci étaient
ou non prévisibles pour le chemin de fer. Celui-ci, pour s’exonérer doit
seulement prouver que le dommage est dû à de telles circonstances. M. le
doyen Rodière a donc considéré qu’en fait, cette notion est assimilable à la
force majeure exonératoire en droit français encore qu’il ait souligné, en
droit, qu’elle n’est pas nécessairement extérieure ni imprévisible (150).
Si donc, il faut s’en faire une idée plus large que de notre force
majeure, l’éminent auteur remarque qu’on “se montrera sévère dans l’appré
ciation de l’inévitabilité (151).
(146) sur les caractères de la force majeure en matière de transports maritimes
v.G. Ripert “ droit maritime” op. cit. n° 1721.
(147) v. Supra n° 35.
(148) v. infra n° 41.
(149) B.T. 1957 p. 230 et 235.
(150) R. Rodière : La C.M.R., op. cit. B.T. 1970 p. 132 n° 75.
(151) R. Rodière : La responsabilité du chemin de fer selon la CIM, op. cit. B.T.
1968 p. 195 n° 6.
�Ainsi admet-on qu’il ne peut y avoir “circonstances inévitables” à
caractère exonératoire chaque fois que le transporteur a commis une faute,
voire une simple négligence, voire même une simple abstention sans laquelle
le dommage ne se serait pas produit. Il est, dès lors, normal que le tribunal
de Dordrecht ait décidé que le fait qu’un chauffeur se soit endormi pendant
le parcours ne peut être invoqué comme “circonstance inévitable” (152). On
comprend de même un arrêt de la cour d’appel d’Aix en Provence du 11
mars 1969 rendu dans une espèce dans laquelle le transporteur avait laissé sur
un quai du port de Marseille, sans surveillance spéciale, de nuit et pendant
plus de trois heures, un camion bâché contenant un chargement de valeur et
ne comportant pas de fermeture hermétique. La cour a rejeté les allégations
du transporteur suivant lesquelles le vol survenu aurait été le fait de
circonstances inévitables ; il eut été facile de laisser le camion dans un garage,
ce qui eut été plus sûr (153). La cour de cassation allemande a adopté une
solution identique dans une affaire similaire (154). Une position analogue a
été retenue par le tribunal de première instance d’Amsterdam dans le cas
d’averses exceptionnellement violentes alors que le chauffeur aurait pu
couvrir la marchandise avec un soin tout spécial ou interrompre le transport
pour éviter de s’y exposer (155).
Les évènements de la nature sont cependant le domaine classique de la
force majeure lorsqu’ils revêtent un caractère de rare gravité. Certaines
juridictions ont, en outre, admis qu’il incombait au transporteur qui prétend
s’exonérer grâce à des circonstances inévitables de les établir “in concreto”.
Ainsi faudrait-il, par exemple, que la cause d’un incendie soit connue (156).
Il ne suffirait donc pas, à cet égard, que le transporteur indique que luimême et son personnel ont tout fait pour éviter le dommage. Le tribunal de
Ie instance d’Amsterdam en avait décidé ainsi et, en appel, la cour a admis le
transporteur à faire la preuve prévue par l’article 18 parag. I de la
C.M.R. (157). S’agissant, dans ces dernières espèces, d’incendies, rappelons
(152) Gerechtshof te Dordrecht 18 mai 1966, D. Europ. des Transp. 1968 vol III.
n° 2 p. 416, Jurisp. de D. uniforme 1968, p. 155.
(153) Aix en Provence 11 mars 1969 B.T. 1969-389.
(154) Bundesgerichtshof 21 déc. 1966 D. europ. des transp. 1969 vol. IV n° 5,
p. 888 et s. ; jurisp. de D. uniforme 1967 p. 283.
(155) T. de I e instance d’Amsterdam (3èch) 11 mars 1964 jurisp. de D. uniforme
1966 p. 93.
(156) Arrondissementsrechtbank te Alkmaar du 5 juin 1967 D. europ. des transp.
1967 vol. II n° 6 p. 1013.
(157) T. de Ie instance d’Amsterdam 28 octobre 1964 et c. d’appel d’Amsterdam
21 oct. 196 5 jurisp. de D. uniforme 1966 p. 96 et III v. en sens apparemment contraire
Arrondissements rechtbank te Rotterdam 21 janvier 1969, D. europ. des Transp. 1969 vol.
IV n° 5 p. 998.
�que l’article 4 parag. 2 b) de la convention de Bruxelles exonère le
transporteur maritime pour les dommages provenant d’un incendie à moins
qu’il ne soit causé par son fait ou sa faute. Mais l’exonération est alors plus
large que dans le cadre des conventions de Genève ou de Berne qui ne visent
pas de cause exonératoire dans l’incendie, en tant que tel (158). Les
évènements de la nature sont souvent considérés comme cas de force
majeure. On en retrouve l’illustration dans la fortune de mer, exonératoire
selon la convention de Bruxelles. A travers les conventions internationales, la
force majeure revêt d’autres aspects fort divers, comme en droit français. Le
tribunal de commerce de Bruxelles a pu ainsi exonérer un transporteur aérien
de sa responsabilité car il justifiait “à suffisance de droit la force majeure
lorsque le voyage avait été interrompu à la suite d’une interdiction d’atterrir à
l’aérodrome de destination” (159). Bien que présentant un caratère plus large
que la notion française de force majeure, le concept de circonstances
inévitables y est, par son application assimilable. Un tel cas d’exonération est
donc classique comme l’est la cause de libération du transporteur.
40)
Des causes exonératoires assimilables au vice propre de la chose
figurent aussi dans les conventions de Bruxelles, de Berne et de Genève. Elles
peuvent être également englobées dans le système d’exonération de respon
sabilité du transporteur aérien qui n’a pas à préciser le vice propre tant il est
large dans son domaine d’application. Le dommage y résultant d’un vice
propre y est évidemment exclusif de la possibilité pour la compagnie aérienne
de prendre les mesures nécessaires ou du fait de ne pas les avoir prises. La
CMR et la CIM prévoient le vice propre de la marchandise non seulement à
titre de cause privilégiée (160) mais aussi à titre de cause générale d’exonéra
tion du voiturier. Le projet de convention sur les transports combinés le
retient comme cause privilégiée donnant lieu à une présomption d’irrespon
sabilité du transporteur. Mais le vocable employé par ces textes est celui
qu’emploie le droit interne français. En revanche, la convention de Bruxelles
déclare le transporteur non responsable des dommages résultant “de la freinte
en volume ou en poids ou de toute autre perte ou dommage résultant du
vice caché, nature spéciale ou vice propre de la marchandise”. La définition
du vice propre est connue. C’est une particularité de la chose transportée qui
la rend inapte à supporter sans dommages les risques inhérents à un transport
(158) sur l’exonération du transporteur maritime en cas d’incendie : v.p.ex. T. de
com. de Marseille 13 avril 1968 (navire Clarita Schroder) jurisp. de D. uniforme 1969
p. 199 - DMF 1969 p. 109 ; C. d’appel de Bruxelles 8 décembre 1967 (navire Rijeka)
jurisp. de D. uniforme 1969 p. 5.
(159) T. de com. de Bruxelles 20 décembre 1965 (wegge c/Sabena) jurisp. de
D. uniforme 1966 p. 23.
�125
dans des conditions normales (161). On évoque généralement des situations
multiples et diverses telles que la maladie d’un animal, certaines réactions
chimiques (162) ou l’évaporation de certains liquides. Ainsi, il peut résulter
du vice propre un “déchet de route” que le droit interne français n’admet
pas automatiquement mais par la seule preuve qu’il provient effectivement et
exclusivement de la nature de la marchandise (163). L’article 32 de la CIM
permet en revanche au chemin de fer de revendiquer d’office, sans avoir
aucune preuve à fournir, le bénéfice d’un déchet de route de un pour cent
pour les marchandises sèches et de deux pour cent pour les marchandises
liquides ou humides et pour certaines marchandises énumérés par le texte. La
mention de freinte par l’article 4 parag. 2 m) de la convention de Bruxelles
n’est donc pas originale. L’article 27 f) de la loi du 18 juin 1966 procède de
même et les tribunaux font généralement bénéficier d’office le transporteur
de la tolérance admise au port de destination ou de celle découlant des
usages (164). La convention de Bruxelles établit une discrimination en
évoquant, à côté du vice propre, le “vice caché” et la “nature spéciale” de la
marchandise. Ces éléments sont généralement inclus dans la notion de vice
propre et ne paraissent pas y ajouter.
41)
La règle générale est que le transporteur n’est exonéré des dom
mages résultant du vice propre qu’à la condition d’en rapporter la preuve.
Celle-ci doit être formelle et ne peut résider que dans une constatation
matérielle certaine. Une simple supposition ne saurait suffire. Un rapport
d’expertise reposant sur de simples hypothèses ne constitue pas une preuve
satisfactoire et n’exonère pas le transporteur de sa responsabilité pour des
avaries constatées à l’arrivée du navire et qui ont nécessité le jet de
marchandises à la mer (165). Le droit français admet donc généralement,
dans le cadre de l’application des conventions de transport international “que
la charge de la preuve pèse d’abord sur le transporteur, qui, pour dégager sa
responsabilité, doit prouver le vice propre de la marchandise laquelle, au moins
en l’absence de réserve, est présumée lui avoir été remise en bon état” (166). Si
(161) pour des définitions jurisprudentielles du vice propre en matière maritime v.T.
de com. Anvers 21 décembre 1967 (navire Alabama) jurisp. de D. uniforme 1968 p. 181 ;
tribunal de Naples 9 fév. 1967. Rocco c/Agenzia maritima cafaro jurisp. de D. uniforme
1968 p. 28.
(162) v. Paris 28 octobre 1969 B.T. 1970 p. 7.
(163) cass. com. 12 novembre 1957 B.T. 1958 p. 88 bull. civ. III p. 262 n° 305.
(164) Rouen 22 novembre 1956 B.T. 1956 p. 360.
(165) T. de com. Seine 25 juillet 1952 D.M.F. 1953 p. 524. La preuve positive que
l’avarie résulte d’un vice propre ne saurait évidemment être exigée lorsque le transporteur
invoque seulement la présomption d’irresponsabilité de l’art. 18 parag. 2 de la CMR ou de
l’art. 28 Parag2 de la CIM (v. supra n° 10 et s.)
(166) P. Bonassies D.M.F. 1968 p. 178 ; dans le même sens: R. Rodière : Droit
maritime, op. cit. n° 372 ; P. Bertrand de la Grassière : Le vice propre des marchandises en
droit maritime, D.M.F. 1960 m,580 et S.
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M. Bonassies note que le droit anglais “parait adopter le même point de
départ que le droit français (167), il remarque que le droit américain adopte
des solutions très différentes fondées sur le particularisme de son système
général de preuve qui tient compte de “l’inégalité de situation” entre le
transporteur et le chargeur quant à la preuve de l’état de la marchandise. Le
transporteur est, à cet égard, souvent désarmé et “n’a pas la possibilité de
réserver les moyens de prouver le bon ou mauvais état interne de cette
marchandise. Au contraire, le chargeur peut se réserver ces moyens”. Il
apparait donc qu’aux Etats Unis, la preuve est décomposée entre les deux
parties du procès : “le transporteur doit d’abord prouver sa diligence
raisonnable dans l’exécution du contrat de transport ; s’il la prouve, la charge
de la preuve est alors transportée sur son co-contractant parce que celui-ci est
le technicien de la chose transportée et qu’en droit américain, la charge de la
preuve pèse sur celui qui a le plus facilement accès aux informations
nécessaires aux débats” (168).
M. Bonassies souligne que “si fondée que puisse paraître la position des
tribunaux américains, il n’en reste pas moins que la règle particulière posée
par eux quant à la preuve en matière de vice caché aboutit à un véritable
renversement des règles légales” (169). Il en est ainsi même si les tribunaux
n’exigent pas du chargeur une preuve absolue et se contentent d’éléments
partiels voire même indirects (170). Les solutions des tribunaux américains
apparaissent cependant nuancées et, en définitive, proches de celles retenues
par la jurisprudence française. En effet, “si le transporteur n’établit pas
d’abord qu’il a effectivement donné des soins convenables au transport, les
juges présumeront facilement “le bon état de la marchandise” et c’est alors
au transporteur qu’il appartiendra de faire la preuve du vice effectif de la
marchandise” (171). Nonobstant les originalités tenant au système de preuve
de certains droits, on peut donc dire que que la charge de la preuve du vice
propre de la marchandise comme des autres “cas exceptés” incombe au
transporteur (172).
(167) P. Bonassies, op. cit. D.M.F. 1968 p. 178 note 2.
(168) E. du Pontavice : Droit et pratique des transports maritimes et affrètements,
ch. I 20. La preuve de la due diligence n’est cependant nécessaire que dans
certains cas.
op. cit.
(169) P. Bonassies, op. cit. D.M.F. 1968 p. 180 n° 5).
(170) sur ce système ; v. les arrêts cités par M. Bonassies (op. cit. DMF 1968 p. 178
et s.) : c. d’appel fédérale de New-York 29 déc. 1965. Commodity service corporation
c/Boston insurance company 1966. A.M.C. 65 ; c. d’appel fédérale de New york 20 janvier
1967 Salzman Tobacco co c/S.S. Mormackwind 1967 A.M.C. 277.
(171) P. Bonassies
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; op. cit.
D.M.F. 1968 p. 182 n° 8.
(172) sur une admission facile du vice propre : v.c. d’appel dé Bruxelles, 6 déc.
1968 (navire Mokoto), jurisp. de D. uniforme 1969 p. 182 ; une preuve plus stricte a été
exigée notamment des décisions du Cape Provincial Division d’Afrique du Sud des 30 avril
1, 2, 5, 6, 27 mai 1969 (jurisp. de D. uniforme 1969 p. 207) de même que par un arrêt de
la cour d’appel de Bruxelles du 26 février 1965 (jurisp. de D. uniforme 1967 p. 5).
�SA LLE DE DROIT PRIVÉ
127
42) Certaines décisions ont assimilé l’absence d’emballage au vice propre
de la marchandise en rappelant “que ces termes signifient, notamment dans
les relations entre le transporteur et l’expéditeur ou le destinataire, l’état
propre de la marchandise qui la rend non susceptible d’être transportée dans
des circonstances normales sans subir des dommages en raison de sa nature et
de sa périssabilité” (173). Mais l’appréciation en pratique, est variable. Ainsi
certaines décisions ont-elles admis que le fait que des véhicules automobiles
sont transportés sans emballage exonère le transporteur soumis à la conven
tion de Bruxelles (174) tandis que d’autres ont rejeté cette exonération pour
un transport soumis à la CMR (175).
Un jugement de juge unique de Beyrouth a cependant nettement
distingué le défaut d’emballage de l’insuffisance d’emballage (176). L’insuffi
sance d’emballage constitue en effet, aux termes de l’article 4 parag. 2 n) un
“cas excepté” particulier ainsi que l’insuffisance ou l’imperfection des
marques (art. 4 parag. 2 o). Nous savons qu’il en est de même sous l’empire
de la CMR qui applique cependant une présomption d’irresponsabilité à ces
risques particuliers, comme le font la CIM et le projet TCM pour “l’absence
ou la défectuosité de l’emballage” des marchandises exposées par leur nature
à des déchets ou avaries quand elles ne sont pas emballées ou sont mal
emballés (177).
Ces causes exonératoires tiennent, par conséquent, au conditionnement
de la marchandise que l’on peut rapprocher de sa nature propre. Elles
rejoignent aussi des cas de faute de l’expéditeur.
43) La convention de Bruxelles exonère en effet le transporteur de sa
responsabilité lorsque la perte ou l’avarie provient “d’un acte ou d’une
omission du chargeur ou propriétaire des marchandises, de son agent ou
représentant” (178). Le projet de convention de transport combiné fait de
même lorsque l’E.T.C. rapporte la preuve que le sinistre résulte “de la faute
ou de la négligence de l’expéditeur ou du destinataire” ou “ de l’exécution
(173) Juge unique de Beyrouth 20 mai 1966 (navire Hellenic Lorel) jurisp. de D.
uniforme 1967 p. 178.
(174) Juge unique de Beyrouth 20 mai 1966 (navire Cairo) jurisp. de D. uniforme
1967 - 182.
(175) Landgericht Duisburg 10 mai 1968 D. europ. des transp. 1969 vol. IV n° 5
p. 979.
(176) juge unique de Beyrouth 20 mai 1966 (navire Hellenic Lorel) jurisp. de
D. uniforme 1967 p. 178.
(177) v. Supra n° 22,
(178) L’arrimage ne figure pas parmi les cas exceptés de la convention de Bruxelles.
Lorsqu’il a été effectué par le chargeur, le transporteur peut cependant s’en prévaloir à
condition de prouver la faute du chargeur dans cet arrimage et le lien de causalité entre
cette faute et le dommage : T. de Gênes 21 juin 1967 jurisp. de D. uniforme 1968 p. 203.
�128
des instructions émanant de la personne ayant le droit de les donner”. La
CMR et le CIM procèdent de manière identique lorsqu’il est établi de façon
formelle que le dommage est survenu du fait d’une “faute de l’ayant droit”
ou d’un “ordre de celui-ci ne résultant pas d’une faute” du transpor
teur (179).
L’article 21 de la convention de Varsovie édicte également que “dans le
cas où le transporteur fait la preuve que la faute de la personne lésée a causé
le dommage ou y a contribué, le tribunal pourra, conformément aux
dispositions de sa propre loi, écarter ou atténuer la responsabilité du
transporteur” (180). Ce texte laisse substituer une certaine ambiguïté en
matière de faute commune. La contribution de la “personne lésée” dans la
survenance du dommage exonère totalement ou partiellement le transporteur
aérien. Cela dépend de la loi du tribunal saisi (181). Le texte ne précise pas
véritablement s’il limite ou s’il exclut la responsabilité de la compagnie
aérienne.
En fait, les législations anglo-saxonnes semblaient ignorer la simple
atténuation de responsabilité. Celle-ci existait ou n’existait pas. Elles parais
saient admettre que la faute de la victime, même lorsqu’elle n’était qu’une
cause partielle, interdisait à celle-ci d’obtenir réparation. Cela explique la
disposition sybilline de la convention de Varsovie. Mais lorsque la loi du juge
saisi admet l’atténuation de responsabilité, celui-ci semble pouvoir apprécier,
suivant les faits, si la faute de la victime exonère, le transporteur totalement
ou partiellement. C’est le cas en droit français (182). En droit américain, le
transporteur est exonéré par la faute de la victime même lorsqu’elle n’est que
partiellement à l’origine du dommage.
En droit anglais, depuis le “Law Reform Act” de 1945, le partage
proportionnel de responsabilité en cas de fautes concommittantes est désor
mais admis (183).
Les conventions internationales de transport retiennent donc l’exonéra
tion de responsabilité du transporteur dans le cas d’avaries ou de pertes
résultant de la faute de la personne lésée. Cette solution est on ne peut plus
(179) article 4 parag. 2 i) convention de Bruxelles ; art. 27 parag. 2 CIM ; art. 17
parag. 2 CMR ; art. 9 parag. 2 a) et b) projet de convention T.C.M.
(180) v.p. ex. Paris 16 novembre 1966 (sté Tanneries de Lutèce) jurisp. de
D. uniforme 1967 p. 189 : l’expéditeur qui a commis une faute dans ses obligations de
soigner diligemment l’expédition des marchandises, doit répondre, en vertu de l’article 10
de la convention de la perte des marchandises et des avaries résultant du retard à leur
délivrance.
(181) v. P. Chauveau : droit aérien, op. cit. n° 351, p. 186. 187.
(182) v. L. Cartou : Droit aérien, op. cit. p. 331.
(183) M. Pourcelet : Transport aérien international et responsabilité, op. cit. p. 59
et s.
�129
classique et conforme aux conceptions françaises, dans la mesure où la
preuve de la faute de la victime y demeure à la charge du transporteur tant
en ce qui concerne l’existence de cette faute que son lien de causalité avec le
dommage.
CONCLUSION.
44)
Il faut cependant remarquer, pour conclure, que les conventions
internationales nous sont apparues moins rigoureuses à l’égard du transpor
teur que la loi interne française. Elles comportent un mode d’exonération
inconnu de notre droit interne et favorable au transporteur, celui des
présomptions d’irresponsabilité. Lorsqu’elles adoptent un système d’exonéra
tion par la preuve positive d’une cause exonératoire et de son lien de
causalité avec le dommage, les conventions se montrent plus larges que le
droit français en multipliant le nombre de tels cas exceptés.
9
��LA PREUVE DE LA NOBLESSE DE RACE
EN PROVENCE A L’ÉPOQUE
DES RÉFORMATIONS DE LOUIS XIV
par François-Paul BLANC
Chargé de Cours à la Faculté de Droit
et de Science politique d’Aix - Marseille
“ Le temps qui use tout, fait en noblesse de race un effet tout contraire,
puisque la plus ancienne est la plus glorieuse ; et la connoissance des choses
qui partout ailleurs est avantageuse, ne l’est point en cette rencontre, puisque
la noblesse la plus illustre est celle dont le commencement est inconnu, on la
compare au fleuve du Nil dont les curieux de tous les siècles sont encore à
nous découvrir les sources. Dans cette heureuse ignorance du commencement
de la gloire de nos ayeuls, on peut la porter aux siècles les plus éloignez, et
se flatter qu’ils ont été illustres de tout tems : ceux donc qui ont cet
avantage sont en droit de penser de la sorte, du mérite de leurs pères, mais
ils ne sont pas obligez de justifier leurs pensées par des actes, que depuis un
certain tems : et c’est ce qui fait la question, quelle doit être la preuve en
fait de la noblesse de race” ( 1 ).
Ainsi s’exprimait Alexandre Belleguise (2) quand, retiré à Toulouse après
avoir poursuivi nobles et faux nobles provençaux, il écrivit son Traité sur la
noblesse (3).
La définition qu’il nous donne de la noblesse de race, “celle dont le
commencement est inconnu”, avait autorisé en Provence la consécration
juridique d’un nombre considérable d’usurpations de noblesse (4) ; la raison
en était simple et résidait dans le seul fait suivant : ceux qui se prétendent
“nobles de race” ne sont obligés de prouver leurs prétentions “que depuis un
certain temps”.
Les modalités juridiques susceptibles de démontrer la noblesse de race se
réduisent donc nécessairement à la preuve d’une possession d’état. C’est
seulement autour de la durée de cette possession que de nombreuses contra
dictions peuvent être constatées entre la doctrine, le législateur et la
jurisprudence.
(1) Cf. F .P. Blanc: L ’origine des familles provençales maintenues dans le second
ordre sous le règne de Louis X IV (thèse, Aix, 1971), p. 799.
(2) Traitant, chargé de la poursuite des faux-nobles provençaux par arrêt du Conseil
du 16 - V I I I - 1666. Cf. F .P. Blanc : op. cit. p. 815.
(3) Cf. F.P. Blanc : op. cit. pièce justificative n° 1, p. 793-810.
(4) L’étude généalogique des familles maintenues nobles le démontre amplement :
Cf. F.P. Blanc : op. cit. p. 1 à 603 passim.
�En effet, lorsque le problème se posa en 1667 dans la généralité d’Aix,
les Commissaires députés par le Roi pour juger la noblesse provençale ne
parvinrent pas à dégager d’emblée un principe de droit tant les opinions
doctrinales et la législation royale manifestaient de divergences sur ce point.
Il importe donc, avant d’analyser les règles appliquées en Provence sous
les réformations, d’envisager préalablement l’étude de la doctrine et de la
législation royale.
§ 1 — La doctrine et la preuve de la noblesse de race.
§ 2 — La législation royale et la preuve de la noblesse de race.
§ 3 — La preuve de la noblesse de race en Provence pendant les
réformations de Louis XIV.
§ 1 - LA DOCTRINE ET LA PREUVE DE LA NOBLESSE DE RACE
A la lecture des anciens auteurs il apparaît que ce que certains d’entre
eux, et non des moindres (5), appelaient “noblesse de race” ne recouvre pas
nécessairement le sens que nous entendons lui donner ici, sens qui corres
pond à l’acception qui lui fut donnée en Provence pendant les réformations.
Avant d’envisager les opinions doctrinales sur les diverses modalités
permettant de prouver la noblesse de race, il nous apparaît nécessaire de
nous pencher sur ce problème de terminologie.
Pour beaucoup d’auteurs, en effet, la noblesse de race n’est pas
nécessairement celle “dont le commencement est inconnu”, elle est aussi une
qualité pouvant appartenir à des familles nobles dont le commencement est
connu, c’est-à-dire ayant bénéficié d’un anoblissement, à condition toutefois
que ces familles soient suffisamment anciennes dans leur noblesse.
Il est possible de justifier une telle opinion au moins à travers un texte :
les lettres-patentes données par Henri III le 5 mai 1583 et aux termes
desquelles le Souverain affirme que “ . . . le premier degré (de noblesse)
commence au bisayeul et . . . se continue au second, puis au troisième . . .
ceux qui sont au quatrième degré deviennent véritablement nobles” (6 ).
On en arrive ainsi à distinguer d’une part la race, d’autre part la
noblesse, “ . . . celui qui est annobli acquiert la noblesse mais non pas la
race . . .” (7), cette dernière n’étant que graduellement acquise, ou encore à
(5) Cf. La Roque : Traité de la noblesse et de toutes ses différentes espèces, (Edition
de Rouen, 1734), chap. XII, p. 31.
(6) Cité par La Roque : op. cit. p. 31.
�133
ne considérer comme vraiment nobles que ceux pouvant prouver un certain
nombre de générations privilégiées (8 ).
Le nombre de degrés estimés nécessaires pour être noble de race varie
aussi selon les auteurs.
Pour les uns, les quatre degrés, tels qu’ils sont prévus dans le texte de
1583, sont nécessaires, c’était déjà l’opinion de Bartole (9) et de François La
Louette (10).
Pour d’autres trois degrés seront suffisants, c’est la théorie de
Loiseau (11).
*
*
*
Quoi qu’il en soit, le terme “noblesse de race” tel qu’il fut utilisé en
Provence pendant les réformations n’était appliqué qu’aux maisons nobles
dont l’origine demeurait inconnue et qui, de ce fait, ne possédaient point de
principe nobiliaire originel mais seulement une suite ininterrompue d’aïeux
ayant vécu noblement.
(8) Voir ci-dessous notes 9, 10 et 11
(9) Liber de Dignitate, chapitre XII (cité par La Roque) : “Nobilitas est qualitas per
principem illata, qua quis supra honestos plebeios acceptus ostenditur ; sed quia hirundo
non facit ver, ita de nobili genere, non perficitur usque ad quartum gradum La noblesse
est une qualité concédée par le Prince à celui qu’il élève au dessus d’honnêtes roturiers ;
mais de même que l’hirondelle ne fait pas le printemps, de même cette noblesse naissante
n’est pas parfaite, et elle n’acquiert la race qu’au quatrième degré.
(10) Histoire de Coucy (cité par La Roque, op. cit. p. 30) : “ . . . Quant à ceux que
nous mettons en la troisième condition des nobles de nativité, il faut considérer deux
choses en eux : l’une, dont il se faut donner soigneusement garde, que leur bisayeul
auquel commence le premier degré et souche de cette noblesse, ait vécu en la façon et
vocation des nobles, et que son fils l’ait aussi suivi en cette même vocation, et
pareillement son petit-fils, qui fait le troisième degré ; et que les enfants du petit-fils
faisant le quatrième degré, aient été de pareille condition. L’autre, que de ces quatre
personnes, il n’y a que le dernier qui soit noble ; car, combien que l’exercice de vertu ait
commencé au premier, et suivi au second, et au troisième ; toutesfois elle n’a pu produire
et montrer son effet qu’au quatrième, étant la loi et la volonté du Prince, qui est le chef
et le soleil des nobles, lequel pour donner plus de lustre et et d’efficace à cette noblesse, a
voulu mettre cet ordre, qu’elle fût seulement conçue es trois premiers degrés, et engendrée
au quatrième. L’arbre ne porte fruit sitôt qu’il est planté ; l’homme n’est pas parfait sitôt
qu’il est né ; la lune n’est pas parfaite dès son croissant” .
Cette opinion sera encore défendue par La Roque au XVIIIe siècle : “ Le noble de
race est donc celui qui a les degrés nécessaires, je veux dire qui a déjà atteint trois degrés
de noblesse au dessus de lui” (La Roque, op. cit. p. 31).
(11) Cinq livres du Droit des offices, Paris, 1610. L. I, chap. IX, § 3 2 : pour
expliciter son opinion, Loiseau compare la noblesse naissante au plomb “que les
alchimistes disent se changer trois fois avant que d’acquérir la qualité” de l’or qu’il
compare à la noblesse de race.
�Or, comme le fait remarquer Belleguise “ .. . comment aller chercher
des titres, et les trouver dans des siècles plus reculez, malgré le changement
des tems, la ruine des familles et les fréquens accidens qui emportent les
marques les plus solides de la vie et de la gloire des hommes ? ” (12). C’est
une question sur laquelle les juristes se sont longtemps penchés.
Tous manifestent leur accord sur un point : la nécessité de limiter dans
le temps la preuve de la noblesse de race. Tous sont d’avis de fixer un terme
à cette preuve.
Leurs divergences sont en revanche nombreuses sur la forme que doit
prendre cette preuve.
Deux doctrines, deux courants d’idées, s’opposent sur ce point : les uns
pensent avec Tiraqueau que la preuve de la noblesse de race doit être
centenaire ; les autres tel Bacquet et plus tard La Roque affirment que la
preuve doit être graduelle.
Nous verrons donc successivement et brièvement :
I. L’opinion de Tiraqueau et la preuve centenaire,
IL Les opinions de Bacquet et La Roque et la preuve graduelle.
I. L’OPINION DE TIRAQUEAU ET LA PREUVE CENTENAIRE
Il suffit pour prouver la noblesse de race de justifier une possession
centenaire (13). Il semble que cet auteur ait essentiellement fondé son
opinion sur ce qui était décidé par l’article 541 de la nouvelle coutume de
Bretagne aux termes duquel les nobles de race “sont ceux qui ont, eux et leurs
prédécesseurs, auparavant les cent ans derniers, vécu noblement” (14).
IL LES OPINIONS DE BACQUET ET LA ROQUE ET LA PREUVE
GRADUELLE
Plus nombreux sont ceux qui affirment que la preuve graduelle est
indispensable à qui prétend à la noblesse de race. Bacquet semble être le
premier à défendre cette opinion ; La Roque au début du XVIIIe siècle
confortera cette doctrine tout en renforçant les difficultés de la preuve.
A — Jehan Bacquet : preuve par trois degrés
Il estime qu’il est suffisant de prouver que l’aïeul et le père aient vécu
noblement, et que celui qui justifie sa qualité fasse de même :
(12) F.P. Blanc : op. cit. p. 799.
(13) Tiraqueau :
chap. XIV.
Tractatm de nobilitate et jure primigenorum, (Lyon, 1579),
(14) Cf. La Roque : op. cit., chap. LXIV, p. 198.
�135
“ . . . nous tenons en France que pour vérifier qu’un homme est noble,
il suffit que les tesmoins déposent qu’ils ont cogneu son ayeul et son père,
les ont veu vivre noblement, suivre les armes, aller aux guerres, mesmes avoir
eu charge de compagnies, avoir esté capitaines, lieutenants, enseignes, gui
dons, hommes d’armes, hanter les gentils-hommes, porter les habits de
gentils-hommes, leurs femmes porter habits de demoiselles, et faire autres
actes de nobles, sans avoir esté assis à la taille comme nobles, mesmes qu’en
leurs contrats et actes judiciaires ils ont tousjours pris qualité d’Escuyers, et
leurs femmes de Damoiselles, et qu’au Pays ils ont esté censez, estimez et
réputez nobles, et par tous les habitans, ensemble celuy qui se prétend noble,
sans qu’il soit besoin que les tesmoins déposent avoir veu et cogneu les
bisayeul, trisayeul et autres prédécesseurs qu’ils fussent estimez nobles, et
eussent vescu noblment” (15).
Cependant la preuve ne sera que meilleure si elle excède trois degrés :
“Toutefois le meilleur et plus seur sera que les tesmoins déposent, qu’ils
ont entendu et ouy dire que ses bisayeul, et autres prédécesseurs estoient
nobles, et vivoient noblement. Aussi le meilleur voire besoin sera que les
tesmoins soient gentils-homes de race, officiers royaux ou subalternes, et
autres gens de qualité et d’honneur, non pas simples marchands, laboureurs,
artisans et mécaniques” (16).
L’opinion de Bacquet sera au XVIIe siècle suivie point par point par
Cardin Le Bret (17) avec cependant une précision théorique importante : Le
Bret estime que s’il y a dérogeance au niveau du premier degré de noblesse
prouvée, il est nécessaire de prouver un degré de plus (18).
— La Roque : preuve par quatre degrés
La preuve graduelle constitue aussi pour La Roque le procédé qui, par
excellence, permet de déterminer l’appartenance d’une famille à la noblesse
de race.
Cependant, à la différence de Bacquet, La Roque estime que trois
degrés sont insuffisants, il est nécessaire en outre de prouver la noblesse du
bisayeul (19).
(15) J. Bacquet : Œuvres complètes, (Paris 1611), T. II, chap. XXIII, p. 80.
(16) Ibid.
(17) Cardin Lebret n’est autre que l’aïeul et le bisaïeul de Pierre Cardin et de
Cardin Lebret, Intendants de justice, police et finance, successivement chargés de diriger la
seconde réformation de noblesse en Provence — Cf. F. Bluche : L ’origine des magistrats du
Parlement de Paris au X VIIIe siècle, (Paris, 1956), p. 247.
(18) C. Lebret : Septième plaidoyer, T. II, 2e partie, dernier chap. (cité par La
Roque).
(19) La Roque : Op. cit. chap. LXIV, p. 191 et sq.
�136
§ 2 -
LA LEGISLATION ROYALE ET LA PREUVE
DE LA NOBLESSE DE RACE
La détermination de l’étendue de la preuve de la noblesse de race a,
semble-t-il, préoccupé fort tard le législateur, le texte le plus ancien étant de
Charles VIII.
Cependant une évolution considérable sur le plan formel est à relever :
Avant les réformations de la seconde moitié du XVIIe siècle la seule
modalité prévue par le législateur est la preuve graduelle, “l’étendue de la
preuve se mesure . . par le nombre de générations” (2 0 ).
Sous les réformations le législateur hésita longtemps entre l’application
de la preuve séculaire dont l’étendue “se mesure par le nombre de siè
cle” (21) et ce que Chérin appellera la “preuve dative”, procédure nouvelle
inventée par le Conseil du Roi et qui permet de mesurer l’étendue de la
preuve “par l’intervalle compris entre le temps ou elle est faite et l’époque
fixée qui en est le terme” (2 2 ).
Nous envisagerons donc successivement :
I. La preuve de la noblesse de race avant les réformations.
II. La preuve de la noblesse de race pendant les réformations.
I. LA PREUVE DE LA NOBLESSE DE RACE AVANT LES REFORMA
TIONS’
Tout comme la doctrine le législateur semble avoir hésité entre la preuve
par quatre ou trois degrés.
A — La preuve graduelle par quatre degrés
Peu après son avènement à la couronne Charles VIII se préoccupa de
limiter l’étendue de la preuve de la noblesse de race ; ce fut l’objet de
lettres-patentes données en 1484 aux termes desquelles seront réputés nobles
de race “ceux qui prouveront leur noblesse par delà la quatrième géné
ration” (23).
Un règlement de la même année vint préciser la pensée royale :
“ .. . tout noble serait tenu une fois en sa vie, de faire description de sa
généalogie et de sa race, jusques à quatre degrés et plus avant tant qu’il
(20) N. Chérin : Abrégé chronologique d ’Edits, Déclarations, Règlemens, Arrêts et
Lettres-patentes des Rois de France de la troisième race, concernant le fait de noblesse,
(Paris, 1788). Discours préliminaire, p. XXVI.
(21) Chérin : op. cit. p. XXVI
(22) Ibid. p. XXVI
(23) O té par La Roque : op. cit. chap. LXIV, p. 197.
�pourroit monter et s’étendre, aux mains du Bailli ou du Sénéchal des lieux,
pour y avoir recours quand il seroit besoin. Et que les héritiers seroient
obligez de continuer cette description dans l’an du décès d’un gentilhomme,
et à chaque mutation de famille” (24).
Un règlement identique sera promulgué en Bretagne par la duchesse
Anne peu après son mariage avec Charles VIII (25).
Cependant il ne semble pas que les nobles de race se soient prêtés à de
telles formalités (26) ; La Roque affirme que seule la province de Normandie
respectait la preuve par quatre degrés (27), usage qui lui sera expressément
confirmé par une déclaration d’Henri III le 8 mai 1583 (28).
B — La preuve graduelle par trois degrés
On peut la déduire de l’Edit de mars 1600 rendu par Henri IV sur le
fait des tailles. Ce texte en effet, dans son article XXV déclarait :
“La licence et corruption des temps a été cause que plusieurs, sous prétexte
de ce qu’ils ont porté les armes durant les troubles, ont usurpé le nom de
gentilshommes pour s’exempter induement de la contribution aux tailles,
pour à quoi remédier, Sa Majesté défend à toutes personnes de prendre le
titre d’Ecuyer, et de s’inférer au corps de la noblesse, s’ils ne sont issus d’un
"ayeul et père qui ayent fait profession des armes ou servi le public en
quelques charges honorables, de celles qui par les loix et mœurs du Royaume
peuvent donner commencement de noblesse, sans avoir jamais fait aucun acte
vil et dérogeant à ladite qualité, et qu’eux aussi se rendant imitateurs de leur
vertu, les ayant suivis en cette louable façon de vivre, à peine d’être dégradés
avec deshonneur du titre qu’ils auront osé induement usurper” (29).
Commentant ce texte dans son “Traité de la noblesse et de ses
différentes espèces”, La Roque estime qu’il concerne exclusivement les
nobles de race : “Le règlement fait par l’Edit de 1600 supose que les
prédécesseurs de ceux qui sont déclarés nobles, ayant les deux degrés du père
et de l’ayeul, étoient de condition noble ; car il dit, pourvu qu’ils n ’aient
point fait d ’actes dérogeons à leur qualité. Mais parceque la vraie noblesse est
celle dont le commencement passe la mémoire des hommes, et qui par
conséquent ne peut être prouvée que par la possession, cet Edit ordonne fort
justement que quand on la révoque en doute, c’est assez d’en prouver la
possession continuelle du père et de l’ayeul, ce qui sert de présomption
(24)
(25)
Ibid. p.
Ibid. p.
197
197.
(26) En effet si de telles formalités avaient été régulièrement accomplies, elles
auraient au moins laissé quelques traces dans les enregistrements des baillages et
sénéchaussées.
: op. cit. chap.
: op. cit. p. 75
: op. cit. p. 82-83.
(27) La Roque
(28) Chérin
(29) Chérin
LXIV, p. 196.
�138
suffisante, supposé que d’ailleurs le contraire ne paroisse pas évidem
ment” (30).
La preuve graduelle par trois degrés peut donc être considérés à partir
de 1600 comme le droit commun du Royaume et ce jusqu’aux réformations.
Une seule exception, la province de Normandie où l’usage, renforcé par la
déclaration d’Henri III du 8 mai 1583, ne disparaîtra qu’en 1641, un arrêt
du Conseil d’Etat, du 13 avril de cette même année, alignant c e tte province
sur l’ensemble du Royaume en lui imposant la preuve par trois degrés (31 ).
II. LA PREUVE DE LA NOBLESSE DE RACE PENDANT LES REFOR
MATIONS
Pendant cette période la preuve graduelle ne sera plus de mise ; la
législation royale cependant demeurera longtemps indécise, avant de se fixer
définitivement.
En un premier temps le gouvernement imposa, dans un cadre géo
graphique limité, la preuve dative, puis il l’étendit à l’ensemble du Royaume.
Cependant les usages inhérents à quelques provinces, usages hérités
d’une longue domination étrangère, s’opposaient à cette modalité, et lorsque
les réformations furent entreprises dans ces territoires le gouvernement royal
accepta pour la noblesse de race la preuve séculaire.
La preuve dative constituait dès lors le droit commun du Royaume, la
preuve séculaire l’exception.
Quoique chacun de ces deux modes de preuve ait été géographiquement
bien limité, leur coexistence était fâcheuse, la noblesse de race se prouvant
plus facilement dans un cas que dans l’autre ; le gouvernement royal en
1714 harmonisera sa législation en imposant la preuve séculaire à l’ensemble
du Royaume.
Nous envisagerons donc successivement :
— La preuve dative
— La preuve séculaire.
(30) La Roque : op. cit. p. 197-198 —En fait il est permis de voir dans cet article
XXV de l’Edit de mars 1600 la consécration de l’anoblissement par charges en Cours
Souveraines qui n’était que coutumier jusqu’alors. C’est de ce même texte que les
réformateurs provençaux dégageront les règles de la noblesse militaire provençale telle
qu’elle ressort de leur jurisprudence - C f . F.P. Blanc : op. cit. Introduction p. XIV —
XXV.
(31) Cité par La Roque : op. cit. p. 196-197 — cet arrêt avait été rendu à la requête
de Jean Baudry, syndic des Etats de cette province. La Roque pense qu’il ne fut pas
observé et que la preuve graduelle par quatre degrés continua à subister en Normandie.
�139
LA PREUVE DATIVE
Elle fut imposée par deux textes :
A — La déclaration du 22 juin 1664.
B — L’arrêt du Conseil du 19 mars 1667.
A — La déclaration du 22 juin 1664
Par sa déclaration du 8 février 1661 (32), Louis XIV avait décidé
d’entreprendre “la recherche et condamnation des usurpateurs de noblesse, à
l’honneur des véritables gentilshommes, et du soulagement des autres sujets
taillables du Royaume”. Malgré ce préambule très général, cette déclaration
n’était prévue dans l’esprit du législateur que pour le seul ressort de la Cour
des Aides de Paris où elle fut enregistrée le 30 août 1661 (33). Une nouvelle
déclaration du 22 juin 1664 (34) prévoyait quelle serait la preuve nécessaire
pour être maintenu dans une noblesse de race. C’est, semble-t-il, la première
fois que le gouvernement royal prenait expressément position sur ce point
capital. Mais, là encore, ce texte, apparemment général sur le plan de son
application, n’était que le “règlement des procédures et formalités qui seront
faites en exécution de la déclaration du . . . 8 février 1661” , c’est dire qu’il
ne concernait que le ressort de la Cour des Aides de Paris (35).
Quoi qu’il en soit, il était décidé que “ceux qui justifieront par titres
authentiques la possession de leur noblesse depuis l’année 1550, seront
renvoyés absous, et ceux qui ne produiront des titres et contrats que depuis
et au dessous de l’année 1560, seront déclarés roturiers, contribuables aux
tailles et autres impositions, et condamnés en 2 0 0 0 livres d’amende et aux
deux sols pour livre” (36).
Le texte distinguait expressemment, s’agissant de la preuve littérale (37),
les actes passés avant 1560 et ceux passés à partir de cette date.
— Pour les actes antérieurs à 1560 il était permis aux assignés de
produire des copies de minutes notariales “en abrégé”, à condition toutefois
que ces minutes aient été certifiées conformes aux originaux par les autorités
locales.
— A partir de 1560 il était nécessaire de produire les actes originaux.
op. cit.
op. cit.
: op. cit.
(32) Chérin :
p. 134-135
(33) Chérin :
p. 134.
(34) Chérin
p. 139-140
(35)
Où il
fut enregistré le 5 juillet 1664 - Cf. Chérin :
op. cit. p. 140.
: op. cit. p. XXV :
op. cit.
p. 139.
(36) Chérin :
(37) Chérin
par des titres et documens” .
La preuve est “littérale, quand elle a été constatée
(38) Archives des B. du Rh. : Registre Néron F° 368 R°.
�140
Pourquoi cette différence ? il faut en voir la cause dans les articles 83
et 84 de l’ordonnance de Moulins de janvier 1560 qui pour la première fois
prévoyait non seulement le droit pour les parties d’exiger, sur simple
réquisition, copie de l’acte passé devant le notaire, mais encore l’inventaire et
le dépôt des registres de tout office vacant (38). A partir de cette date les
registres furent légalement conservés (39).
La preuve dative prévue par cette déclaration n’était, nous l’avons vu,
applicable que dans le seul ressort de la Cour des Aides de Paris. Lorsque les
réformations furent étendues, par toutes une série de textes, à la plupart des
Généralités du Royaume, le législateur ne spécifia point quelle serait l’éten
due de la preuve ; peut être le gouvernement royal considérait-il la déclara
tion du 22 juin 1664 comme devant constituer une règle définitive applicable
erga omnes ; cette interprétation permettrait de comprendre le caractère très
général du préambule de ce texte.
Cependant les divers Commissaires chargés, de par le Royaume, de
statuer sur l’appartenance des particuliers au second ordre semblent avoir
totalement méconnu cette déclaration ; c’est notamment le cas de la commis
sion provençale qui, nous le verrons, ne parvenant pas à dégager une règle
définitive sur la preuve en fait de noblesse de race, fut contrainte de
demander au Roi son intention sur ce point. Le Conseil du Roi rendit alors
l’arrêt du 19 mars 1667.
B — L’arrêt du Conseil d’Etat du 19 mars 1667
A la différence du texte précédent cet arrêt devait être appliqué par
tous les Commissaires chargés alors des réformations. Le texte précédent
devenait, de ce fait, caduc dans le ressort même de la Cour des Aides de
Paris.
Désormais seront considérés comme nobles de race ceux qui justifieront
“par devant lesdits Commissaires comme eux, leur père et leurs ayeuls ont
pris la qualité de chevalier ou d’écuyer, depuis l’année 1560 jusqu’à
présent” (40).
(39) Cf. Barrigue de Montvalon : Précis des ordonnances, Edits, Déclarations,
lettres-patentes, statuts et règlemens, dont les dispositions sont le plus souvent en usage
dans le ressort du Parlement de Provence (Aix, 1752), p. 283-284.
(40) Ce texte applicable au niveau national (Chérin, op. cit. p. 165-166) avait été
promulgué à la seule requête des Commissaires provençaux — Cf. F.P. Blanc: op. cit.
p. 825-826, pièce justificative n° 9.
“ Le Roy ayant fait cy-devant expédier ses lettres de commission souveraine,
addressantes à aucuns officiers de la Cour des Comptes, Aydes et Finances de Provence,
pour la recherche des usurpateurs des titres de noblesse ; voulant Sa Majesté leur faire
sçavoir son intention sur les difficultez que sont survenues au courant de ladite
Commission, pour sçavoir de quel tems il est nécessaire que les qualifications soient
prouvées, et par quelle sorte de titres : ouy le rapport du Commissaire à ce député, Sa
Majesté étant en son Conseil, a ordonné et ordonne que ceux qui soutiendront être nobles
�141
Il s’agit encore d’une preuve dative, la seule différence avec le texte
précédent est le terme fixé à l’étendue de la preuve : l’année 1560 ; la preuve
fut donc désormais plus facile ; mais cela ne semble pas être le motif ayant
présidé au choix de cette date. C’est bien, semble-t-il, l’état des fonds
notariés mieux protégés depuis 1560, grâce à l’application des articles 83 et
84 de l’ordonnance de Moulins sur la justice (41), qui a déterminé le
législateur à raccourcir d’une décennie l’étendue de la preuve.
LA PREUVE SECULAIRE
En un premier temps le législateur l’accorde, à titre exceptionnel, à
certaines provinces dont le particularisme juridique s’opposait à la preuve
dative.
En un second temps la preuve séculaire devient le droit commun du
Royaume.
Nous envisagerons donc successivement :
A — La preuve séculaire en tant qu'exception
B — La preuve séculaire en tant que principe.
A — La preuve séculaire en tant qu'exception
Un certain nombre de provinces furent rattachées au Royaume pendant
la phase glorieuse du grand règne : d’abord l’Artois et le Hainaut en 1659 par
le traité des Pyrénées ; la Flandre ensuite, en 1668, par le traité d’Aix-laChapelle ; le comté de Bourgogne enfin, en 1678, par le traité de Nimègue.
Ces provinces, françaises depuis peu, n’en furent pas moins sujettes aux
réformations.
(40 suite)
seront tenus de justifier par devant lesdits Commissaires, comme eux, leur père et leurs
ayeuls ont pris la qualité de Chevalier ou d’Ecuyer, depuis l’année 1560 jusqu’à présent,
et prouveront leurs descentes et filliations, avec possession des fiefs, emplois et services de
leurs auteurs, par de contrats de mariage, partages, actes de tutelles, aveus, dénombremens
et autres actes authentiques, sans avoir fait ny commis aucune dérogeance, moyennant
quoy ils seront maintenus ; et néanmoins en cas qu’il soit raporté aucunes pièces, par
lesquelles il paroisse que les auteurs de ceux qui soutiendront leur noblesse fussent
roturiers avant ladite année 1560. Sa Majesté n’entend que lesdits Commissaires ayent
aucun égard aux qualifications portées par lesdits contrats et autres actes ; et à faute de
satisfaire aux conditions ci-dessus expliquées par les particuliers qui auront soutenu être
nobles : veut Sa Majesté qu’ils soient déclarez roturiers, et condamnez par lesdits
Commissaires à l’amande selon leurs biens et facultez, suivant les déclarations, arrests et
règlemens faits pour ladite recherche, faisant deffenses à toutes ses Cours et autres juges
d’y porter aucun trouble ou empêchement, à peine de nullité et d’y être pourveu par Sa
Majesté, ainsi qu’elle jugera être à faire pour raison. Fait au Conseil d’Etat du Roy, Sa
Majesté y étant, tenu à Saint-Germain en Laye, le 19 mars 1667 — signé Delionne” .
(41)
Voir supra notes 38 et 39.
�Il eut cependant été maladroit d’imposer aux nouveaux sujets du Roi
très Chrétien des modes de preuve allant trop brutalement à l’encontre des
règles qu’ils tenaient du Roi Catholique.
Aussi est-ce sans aucune difficulté, semble-t-il, que le gouvernement
royal à l’occasion des réformations, consentit, pour ces quatre provinces,
l’usage de la preuve séculaire, nécessaire et suffisante, pour démontrer une
noblesse de race.
— La preuve séculaire fut d’abord consentie au comté de Bourgogne par
la déclaration du 3 mars 1699,
— Puis à l’Artois, au Hainaut et à la Flandre par la déclaration du 8
décembre de la même année.
1) La preuve séculaire en Franche-Comté et la déclaration du 3 mars 1699
Cette déclaration ordonnait la recherche des usurpateurs de qualifica
tions nobles en cette province (les qualifications prohibées étaient particu
lièrement nombreuses (42)) et prévoyait en même temps, par référence à un
Edit du 4 juillet 1650 promulgué par Philippe IV, Roi d’Espagne, quelle
serait l’étendue de la preuve pour démontrer une noblesse de race :
“ .. . il suffit de pourver une possession plus que centenaire pour être
maintenu dans la noblesse . . .” (43).
(42) Voir
infra note
43 : deuxième alinéa et dernier alinéa du texte cité
(43) Chérin : op. cit. p. 239 et sq. - Cette déclaration du 3 mars 1699 nous paraît
suffisamment intéressante, sur le plan du droit nobiliaire comparé, pour en citer de larges
extraits :
“Par l’article 335, du titre des qualités des personnes, tiré de l’Edit de Philippe IV,
Roi d’Espagne, du 4 juillet 1650 ; il suffit de prouver une possession plus que centenaire,
pour être maintenu dans la noblesse, suivant les articles 1709, du titre de la noblesse, et
339, du titre des qualités des personnes, tirés des règlements des 13 mars 1619 et 30
juillet 1629.
Par l’article 1799, du titre 7 de la noblesse, et l’article 325, du titre des qualités des
personnes, les titres d’illustre, d’Eminent, Puissant, Haut et Généreux Seigneur, sont
étroitement défendus à toute personnes.
Ce même article défend encore aux roturiers de timbrer leurs Armoiries, et aux
femmes, si elles n’ont épousé des Chevaliers, de mettre des cordelières autour de leurs
écussons.
Suivant l’article 326, du même titre 8, nul ne peut prendre des titres de Marquis,
Comtes, Vicomtes, Barons ou autres semblables, sans une concession expresse, ou une
possession plus que centenaire.
L’article 327, défend de se dire Chevalier, si l’on n’a pas été fait tel par les Comtes
de Bourgogne.
Par l’article 328 il est défendu aux anoblis de se qualifier Ecuyers.
Aux termes de l’article 330, les anoblis et tous autres ne peuvent prendre le “de”
avant leurs noms, et signer autrement que des noms propres de leurs familles.
Suivant l’article 331, les Lieutenans des Baillages et Grueries, et autres officiers
subalternes, ne doivent pas s’arroger, ni permettre qu’on leur donne les qualités de
�143
2) La preuve séculaire en Artois, Hainaut et Flandre et la déclaration du 8
décembre 1699.
Comme la précédente cette déclaration ordonne la recherche des
faux-nobles pour ces trois provinces et prévoit en même temps quelle sera
l’étendue de la preuve de la noblesse de race.
Cependant, à la différence du Comté de Bourgogne la preuve ici exigée
sera, quoique centenaire, présentée sur le plan formel comme une preuve
graduelle :
" . . . Par l’article premier du règlement fait par l’Archiduc Albert et l’infante
Isabelle, du 14 décembre 1616, il suffit de prouver une possession de
noblesse de l’ayeul, du père et des fils lesquels trois degrés sont communé
ment estimés faire le nombre de cent années, temps de la plus longue
possession . . .
. . .Maintient dans leur noblesse, ceux qui justifieront par titres authentiques
de noblesse et de filiation, qu’eux et leurs auteurs sont en possession de la
noblesse depuis cent années . . . ” (44).
B — La preuve séculaire en tant que principe
Au terme de l’évolution juridique que nous venons d ’analyser, la preuve
séculaire consacrait exclusivement le particularisme de droits nobiliaires
locaux : Franche-Comté et Provinces du Nord de la France. Or, en 1699, la
(43 suite)
Messire, Conseiller, Secrétaire ou Noble, si ce n’est qu’ils soient nobles, ou qu’ils ayent
une permission expresse.
L’article 333, ne permet qu’aux femmes ou veuves de Marquis, Comtes, Vicomtes et
Barons, de prendre le titre de Dame.
Par l’article 1707, du titre de la noblesse, les étrangers nobles, ou anoblis par les
Princes, autres que les Comtes de Bourgogne, n’y sont point reconnus pour nobles.
L’article 334, fait défense de prendre la qualité de Demoiselle, si ce n’est aux
femmes ou veuves de Gentilshommes ou Nobles ou des Officiers principaux et des
Docteurs en Droit ou en Médecine.
Sa Majesté ordonne qu’il sera fait une exacte recherche dans la province de
Franche-Comté de ceux qui ont usurpé les qualités de Noble, Noble-homme, Ecuyer,
Messire, Chevalier, Illustre, Eminent, Haut et Puissant et Généreux Seigneur, Marquis,
Comtes, Vicomtes et Barons, et tous les autres titres portés par les ordonnances et
règlemens faits pour cette province ; la preuve doit être de plus de cent ans à compter du
4 septembre 1696, date de la déclaration dudit jour”.
(44)
Chérin : op. cit. p. 245 et sq. —Moins originale que la précédente cette
déclaration présente cependant d’intéressantes particularités par rapport au droit commun
français. Retenons essentiellement la diversité et la multiplicité des amendes appropriées à
chaque catégorie d’usurpations - Art. II : usurpation de nom et armes nobles ; Art. IV :
usurpation de nom de fief titré ; Art. V : usurpation par les cadets des armoiries de leur
ainé ; Art. VI : usurpation des qualifications nobles par ceux qui ont dérogé ; Art. VII :
usurpation du titre de Baron et autres par les nobles ; Art. VIII : usurpation de la qualité
de Chevalier, etc . ..
�plupart
années,
dirigée
posées,
des provinces françaises sont sous le coup, depuis près de trois
d ’une seconde réformation de noblesse ; cette seconde recherche,
dans la plupart des Généralités par les Intendants, utilise les règles
pendant les années 1666-1669, lors de la première réformation.
Pour la noblesse de race, l’étendue de la preuve, dative nous l’avons vu,
a pour terme minimum l’année 1560, c’est dire qu’il s’agit d ’une preuve bien
plus difficile à démontrer que la preuve artésienne ou franc-comtoise, son
étendue excédant largement cent années et ne cessant d ’augmenter au fur et
à mesure que la recherche se prolonge.
Cette inégalité assez fâcheuse dura encore quelques années ; elle ne sera
supprimée qu’en 1714.
Nous envisagerons successivement :
— Le principe posé par la déclaration du 16 janvier 1714
— Les conséquences de ce nouveau principe.
Le principe posé par la déclaration du 16 janvier 1714
La preuve séculaire était enfin posée comme principe. Il semble bien
que le gouvernement royal ait alors pris conscience que la coexistence de
deux modalités différentes de preuve entraînait une inégalité devant le droit
pouvant avoir pour les particuliers concernés les conséquences les plus graves
quant à l’appartenance à tel ou tel ordre :
“ . . . le temps des preuves, fixé à l’année 1560, a été suivi jusqu’à
présent, il paroit juste de limiter à 1 0 0 années complettes le temps des
preuves qui restent à juger . . . (45 ).
. . . ce faisant, tous ceux qui se prétendent nobles ne seront tenus de
prouver leur possession de noblesse que pendant 1 0 0 années complettes . . . ”
(46).
2)
Les conséquences de ce nouveau principe
L’unicité de la nouvelle règle présentait pour l’avenir une réelle garantie
d’équité puisqu’était posée en principe l’égalité des justiciables devant le
droit.
Cependant, parmi les faux nobles jusqu’alors condamnés contradictoire
ment, par défaut ou sur désistement volontaire, nombreux étaient ceux qui
auraient été à même de démontrer une noblesse seulement centenaire.
Il est dès lors normal que l’application du principe nouveau, c’est-à-dire
de la preuve centenaire, leur cause le sentiment d ’une profonde injustice : le
sentiment qu’ils auraient été maintenus dans le second ordre si leur procès
avait été jugé seulement quelques années plus tard, c’est-à-dire à partir de
1714.
(4 5 ) Chérin : op. cit. p. 130.
(4 6 ) Chérin : op. cit. p. 3 11.
�145
De ce fait, les Intendants commis à la seconde réformation furent
immédiatement saisis d’un grand nombre d ’“appelations” et d ’oppositions
dont le seul but était la révision des procès de condamnation ou l’annulation
des désistements volontaires de noblesse.
Il apparut dès lors nécessaire que le Roi manifeste son intention en
expliquant clairement et expressément sa déclaration du 16 janvier 1714.
La volonté royale se manifesta sur deux points :
— L’arrêt du Conseil du 12 février 1715 et le refus de faire rétroagir la
déclaration de 1714.
— La déclaration du 7 octobre 1717 et l’acceptation, en certains cas, de
la rétroactivité du principe nouveau.
a)
L ’arrêt du Conseil du 12 février 1715 : la déclaration de 1714 ne
sera pas rétroactive
Ce texte dirigé essentiellement contre les “faussaires” comprenait au
surplus une disposition d ’ordre général concernant toutes les affaires en
instance lors de la publication de la déclaration de 1714.
+ Les premiers qui voulurent bénéficier de la preuve centenaire furent
“la plupart de ceux qui ont été impliqués dans la recherche des faus
saires” (47).
En effet, depuis 1703 le législateur s’était penché sur le problème des
faussaires c’est-à-dire “des particuliers qui ont été accusés d’avoir fait
fabriquer des titres” (48) et avait confié le contentieux de ces procès à la
Chambre de l’Arsenal (49). Or la plupart de ces procès révélaient seulement
quelques falsifications dans les degrés les plus anciens d ’une filiation ; d’une
façon générale la preuve centenaire était correctement établie, les quelques
années nécessaires pour atteindre 1560 reposant sur des titres faux ou
falsifiés.
(47) Chérin : op. cit. p. 313.
(48) Chérin : op. cit. p. 313-314.
(49) Voici chronologiquement et selon Chérin la législation royale sur le fait des
faussaires : c’est une déclaration du 30 janvier 1703 (Chérin : op. cit. p. 261) qui confia à
la chambre de l’Arsenal la révision des jugements de maintenue obtenus sur “pièces
fausses” et “faux titres”. Un arrêt du Conseil du 24 avril de la même année (Chérin : op.
cit. p. 262) confia une partie de ce contentieux aux Commissaires Généraux de la noblesse
(il ne nous paraît pas que cet arrêt ait été suivi d’exécution). Un autre arrêt du Conseil du
22 décembre 1703 (Chérin : op. cit. p. 268) leva la surcéance accordée jusque là aux
officiers de terre et de mer lorsque ces derniers avaient un parent compromis dans une
affaire de “pièces fausses”. Autres arrêt du Conseil le 22 décembre 1705 (Chérin : op. cit.
p. 287) autorisant ceux dont les procès “pour fabrication de titres” étaient en cours
d’instruction à la chambre de l’Arsenal à “acquérir des lettres de noblesse en purgeant les
décrets” (Cf. F.P. Blanc : L ’anoblissement par lettres en Provence à l’époque des
réformations de Louis XIV, 1630-1730. (Aix, 1971), p. 318). L’arrêt du Conseil du 12
février 1715 est le dernier acte de cette “recherche des faussaires” —Voir note suivante.
10
�Les faussaires réclamaient donc le bénéfice de la déclaration de janvier
1714, bénéfice qui leur fut bien sûr refusé par l’arrêt du 12 février 1715,
libres à eux cependant pour être maintenus de remplacer les “ titres faux” par
des “titres authentiques” (50).
+ Si les dispositions de cet arrêt paraissent amplement justifiées en ce
qui concerne les faussaires, elles semblent excessivement sévères s’agissant des
instances pendantes lors de la promulgation de la déclaration de janvier 1714,
instances assimilées, purement et simplement, sur le plan de la règle du droit
applicable, à celles concernant les faussaires (51). Un particulier dont le
procès était en cours d’instruction en 1714 devait prouver sa noblesse jusqu’à
l’année 1560 ; ce même particulier assigné seulement en 1714 n’aurait dû
prouver sa noblesse que jusqu’en 1614. Différenciation regrettable que le
gouvernement supprimera par sa déclaration du 7 octobre 1717 autorisant
sous certaines conditions la rétroactivité des dispositions de 1714.
b)
La déclaration du 7 octobre 1717 : rétroactivité des dispositions de
la déclaration de 1714.
Ce texte est fondé sur les contestations survenues entre François
Ferrand, chargé sur le plan national de la seconde réformation (52), et un
certain nombre de particuliers maintenus nobles ou désirant se faire mainte
nir nobles sur la base de la preuve centenaire.
+ Dans le premier cas c’est le traitant lui même qui conteste un
jugement de maintenue faisant suite à un jugement de condamnation ou à
une renonciation ; la maintenue étant fondée sur la preuve séculaire, la
condamnation sur la preuve dative.
+ Dans le second cas, c’est le particulier qui, débouté avant 1714 de ses
prétentions nobilaires, conteste sa condamnation ou celle de ses auteurs soit
par la voie de l’appel, soit “par opposition ou autrem ent” et prétend se faire
maintenir dans le second ordre grâce à la preuve centenaire.
(5 0 ) Chérin : op. cit. p. 3 13-314 — V oici le texte de cet arrêt du 12 février 1715.
“ . . . Le R oi, inform é que la plupart de ceux qui ont été impliqués dans la
recherche des faussaires qui a été poursuivie et jugée à la Chambre de l ’Arsenal,
prétendant jouir du bénéfice de la déclaration du 16 janvier 1714 par laquelle l’époque de
la recherche a été réduite à 100 années ; qu ’ils produisent des titres de 1600, et
dem andent leur m aintenue et l’intention de Sa Majesté n ’étant point de favoriser les
particuliers qui ont été accusés d’avoir fait fabriquer des titres, et qu’en effe t, il n’est pas
juste q u ’ils trouvent par ce m oyen l’im punité de leur crime, et qu ’ils se procurent une
noblesse qu’ils ont voulu acquérir par de mauvaises voies :
Sa Majesté, en expliquant en tant que de besoin la déclaration du 16 janvier 1714,
ordonne que lesdits particuliers qui ont été im pliqués dans la recherche des fabricateurs de
faux titres, ou pour lesquels il en a été fabriqué, ne pourront être m aintenus dans leur
noblesse q u ’en rapportant par eux des titres authentiques de noblesse et de filiation
depuis et compris l’année 1560, com m e auparavant la déclaration du 16 janvier 1714 ; ce
qui sera au surplus exécuté pour toutes les autres instances qui restent à juger” .
(5 1 ) Ci-dessus note 50, dernière phrase.
(5 2 ) Cf. F.P. Blanc : L ’origine des fa m ille s. . . op. cit. p. X V et 8 5 3 .
�147
Le problème était assez délicat et la solution adoptée par les Conseillers
du Régent nous apparaît sage et équitable : dans les deux cas, la preuve
centenaire sera admise ; l’étendue de la preuve cependant sera antérieure à
l’assignation originelle (53).
§3 -
LA PREUVE DE LA N OBLESSE DE RACE EN PROVENCE
PENDANT LES REFORM ATIONS DE LOUIS X IV
Le problème posé par la preuve de la noblesse de race en Provence a
étroitement conditionné les jugements de maintenue de noblesse.
Sous la première réformation, la première décision de maintenue fut
rendue par la Commission le 11 février 1667, c’est-à-dire plus d ’un mois
avant que le Conseil du Roi ne rende son arrêt du 19 mars 1667 qui posait,
en ce domaine, le principe de la preuve dative (remontant à 1560). Treize
jugements prononçant vingt maintenues furent rendus par la Commission
avant cet arrêt du Conseil. Il s’agit, en tous les cas, de décisions prises
souverainement par la Commission aixoise selon des critères juridiques posés
de façon prétorienne.
A partir du 19 mars 1667 l’arrêt du Conseil du Roi imposa à la
Provence le principe de la preuve dative qui deviendra le seul critère de la
noblesse de race non seulement pendant la durée de toute la première
réformation mais encore pendant presque la totalité de la seconde recherche,
la preuve séculaire n ’étant imposée que par la déclaration royale du 16
janvier 1714.
Il y eut donc, en Provence, trois périodes successives pendant lesquelles
furent appliquées un droit différent :
(5 3 ) Chérin : op. cit. p. 331-332 :
“ . . . que ceux qui on t été déclarés usurpateurs par des jugem ens rendus avant la
déclaration du 16 janvier 1714, et ceux m êm es à qui l’on oppose des renonciations,
s’étant depuis pourvus par appel, par opposition ou autrem ent, et n ’ayant point fait juger
leurs instances, prétendent être aujourd’hui dans le cas de ladite déclaration et se faire
maintenir dans leur noblesse sur une possession centenaire, qui n’ayant point été paisible,
et ne leur étant acquise que depuis leur condam nation, ne peut jamais avoir été l’objet de
la déclaration du 16 janvier 1714. Et com m e l’établissement d ’une m axime si dangereuse
renverseroit toutes sortes de règles, détruirait des jugem ens qui ont été bien rendus,
rendrait nobles une infinité de roturiers, Sa Majesté ordonne que ceux de ses sujets qui
ont été déclarés usurpateurs par des jugem ents rendus avant le 16 janvier 1714, et qui se
seront pourvus par appel, par op p osition ou autrem ent, ou ceux dont les auteurs ont
renoncé, et ceux qui auront été maintenus dans leur noblesse par des jugem ens contre
lesquels le poursuivant de la recherche, ou autre particulier se serait pourvu, seront tenus
de prouver une possession centenaire, antérieure à l’assignation qui leur a été d onnée” .
;
�— I e période : La Commission établit de façon prétorienne la preuve
de la noblesse de race : 11-II-1667 — 19-III-1667.
— 2e période : Application de la preuve dative : 19-III-1667 — 161-1714.
— 3e période : Application de la preuve centenaire à partir du 161-1714.
On peut donc considérer que la noblesse de race provençale a eu pour
critère fondamental la seule preuve dative telle qu’elle fut définie par l’arrêt
du 19 mars 1667.
En effet, la première période et la troisième période, par leur brièveté et
par le peu d ’espèces jugées tant par la Commission que l’Intendant, ne
méritent d’être envisagées qu’à travers le caractère tout à fait exceptionnel
des critères juridiques utilisés.
Nous allons envisager ici les rares espèces fondées, pendant ces deux
périodes, sur des critères différents de la preuve dative :
— Les règles dégagées par la Commission
— L’application de la preuve centenaire par l’Intendant de Provence.
I. LES REGLES DEGAGEES PAR LA COMMISSION
La démarche intellectuelle suivie par les Commissaires nous est fort
heureusement connue grâce à Alexandre Belleguise qui l’a fort clairement
retracée dans son Traité sur la noblesse provençale (54).
En l’absence de texte les opinions divergentes des magistrats s’appuyè
rent sur la doctrine de l’époque : tel Commissaire tenant pour Bacquet, tel
autre pour Tiraqueau etc . . .
“ . . . on s’étoit persuadé que la seule possession justifiée par des contrats
authentiques, dans lesquels le père et l’ayeul auroient pris les qualités de
noble ou d ’écuyer, suffisoient pour une entière preuve de noblesse, ou bien
que sans s’arrêter au nombre des générations, en justifiant d’une telle
possession pendant 100 années, la noblesse étoit comme prescrite et qu’il ne
falloit pas de meilleur titre” (55).
La Commission hésitait donc entre la preuve graduelle fondée sur trois
degrés et la prescription fondée sur une possession centenaire.
Cependant, ne parvenant pas à dégager de leurs différends une doctrine
définitive (56) et “pour avoir une loy certaine sur une question si impor(54) Cf. F.P. Blanc : op. cit. p. 793, pièce justificative n° 1.
(55) Ibid. p. 799.
�149
tante . . . (les Commissaires). . . en donnèrent avis à Sa Majesté” (57). Le Roi
trancha le différend par l’arrêt du Conseil d ’Etat tenu à Saint-Germain en
Laye le 19 mars 1667 qui posait le principe de la preuve dative rem ontant à
1560 (58).
L’origine de ce texte capital, applicable à l’ensemble du Royaume, prend
donc sa source dans les divergences d ’opinion des Commissaires pro
vençaux (59).
Quoi qu’il en soit, du 11 février au 19 mars 1667 la Commission
maintiendra nobles vingt provençaux en rendant treize décisions (60).
Admettant pour premier critère la preuve graduelle, elle s’orientera
ensuite sur la possession centenaire.
Il convient de signaler qu’en attendant la “loy certaine” les Commis
saires, en l’état de leurs divergences, semblent avoir longuement hésité et fait
montre d ’une grande prudence : si, en effet, leur première décision (applica
tion de la preuve graduelle dans le procès d ’Antoine de Capisuchi) semble
quelque peu hâtive, ils orienteront leurs débats, dès le 13 février 1667 vers
des procès “sélectifs” .
— Il faut en premier lieu remarquer que sur les 20 maintenues
prononcées pendant cette période, 14 seront faites au bénéfice de proven
çaux descendants d ’anoblis par lettres (61). Or sur un plan strictement
(57) Ibid. p. 799.
(58) Voir supra note 40.
(59) La Roque : op. cit. p. 197, croyait même que cet arrêt était applicable au seul
ressort de la Généralité d’Aix.
“ . . . Il y a un arrêt du Conseil d’Etat du 19 mars 1667 donné en faveur de la
noblesse de Provence, qui contient que la noblesse de race doit remonter jusques en 1560
en prouvant les descentes et filiations avec la possession des fiefs, des emplois et des
services de leurs auteurs ; sans avoir fait ni commis aucune dérogeance. Ce qui suppose
que leurs ancêtres étoient nobles avant 1560” ; ce qui constitue pour un juriste comme La
Roque, une erreur assez singulière, surprenante surtout en l’état de ses informations
toujours sérieuses et abondantes.
(60) Archives des B. du Rh. : B. 1356 F° 1 R° , jugement du 11 février 1667
(Antoine de Capisuchi) —F° 3 R°, jugement du 13 février (Jean de Sabatier) —F° 4 R° et
8 R° , jugements du 15 février (Marc de Sade et Jean de Gouin) —F° 10 R°, 12 R° et
13 R°, jugements du 19 février (Jean-Baptiste I et Jean-Baptiste II de Millany ;Tropheme
de Mandon ; Gautier, Alexandre et Jean-Baptiste de Paul) —F° 5 et 7 R°, jugements
du 26 février (Jean-Baptiste d’Icard ; Jean de Portanier) — F° 15 R°, jugement du
28 février (André de Gérente) — F° 33 R , jugement du 4 mars (Antoine et Pierre de
Geoffroy) —F° 19 R°, jugement du 12 mars (Marc-Antoine et Cezar de MarcTripoli) —F° 21 R° et 25 R°, jugements du 14 mars (Antoine et Pierre de Moustier ;
Gaspard-Scipion d’Astres).
(61) Il s’agit de Jean de Sabatier ; Jean de Gouin ; les deux Jean-Baptiste de
Millany ; Tropheme de Mandon ; Gautier, Alexandre et J.B. de Paul ; J.B. d’Icard ; J. de
Portanier ; Marc-Antoine et Cezar de Marc-Tripoli ; Antoine et Pierre de Moustier —Ré
férences ci-dessus note (60). Cf. F.P. Blanc op. cit. p. 317 bis, 353, 358, 385, 399, 417,
450, 511.
�150
numérique la noblesse de mérite apparait exceptionnelle par rapport à la
noblesse de race (62). Il semble donc que les Commissaires aient sélectionné,
parmi les instances pendantes, celles qui ne posaient pas de problèmes
juridiques, c’est-à-dire celles dont les défendeurs appuyaient leurs prétentions
nobiliaires sur un titre indiscutable : les lettres de noblesse.
— Il faut de même noter que les cinq nobles de race reconnus ensuite
comme tels par la Commission, prouvaient une ascendance dépassant large
ment la possession centenaire (63). Là encore il semble bien qu’une sélection
aie été opérée parmi les instances, en attendant toujours cette fameuse “loy
certaine” .
S’agissant de la preuve de la noblesse de race, nous envisagerons
successivement :
A — La preuve graduelle : la maintenue d ’Antoine de Capisuchi
B — La possession centenaire.
A — La preuve graduelle : la m aintenue d ’A ntoine de Capisuchi
C’est au profit d ’Antoine de Capisuchi de Boulogne que le premier
jugement de maintenue fut rendu le 11 février 1667 (64).
Il fut déclaré noble de race après avoir prouvé qu’il se qualifiait noble,
comme son père et son aïeul l’avaient fait avant lui.
L’acte le plus ancien produit par le défendeur était une provision de
tutelle du 30 décembre 1591 (65), il s’agissait donc d ’une simple preuve
graduelle admise en l’espèce par la Commission (6 6 ).
B — La noblesse de race prouvée par la possession centenaire
Les cinq autres provençaux maintenus nobles de race par la Commission
le furent sur un critère différent : la possession centenaire, seconde tendance
des magistrats, est ici exigée ; il s’agit cependant d ’une possession minimum,
les cinq espèces rencontrées, pendant cette première période, excédant
largement la simple preuve centenaire.
En effet Antoine et Pierre de Geoffroy, prouvent l’un 9, l’autre 10
degrés de noblesse et produisent pour titre primordial un acte de vente du 28
février 1358 (67) ; André de Gérente (7° degré noble) appuie ses prétentions
sur un mariage du 3 décembre 1457 (6 8 ) ; Marc de Sade ( 6 ° degré noble)
(6 2 )
Cf.
F.P. Blanc : L ’anoblissement par le ttre s. . . op. cit. p. 4 1 7 et sq.
(6 3 )
Cf.
F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales. . . op. cit. p. 2 7 2 , 275
517.
(6 4 ) Archives des B. du R h. : B. 1356 F°1 R ° et sq.
(6 5 ) Ibid. I e titre.
(6 6 ) F.P. Blanc : op. cit. p. 124.
(6 7 ) Archives des B. du Rh. : B. 1 3 5 6 F° 33 R °.
(6 8 ) Ibid. B. 1356 F ° 15 R °.
;
et
�151
produit un testament du 16 mars 1528 (69) ; enfin Gaspard-Scipion d ’Astres
(4° degré noble) a pour titre primordial un acte de vente du 10 juin
1548 (70).
Il s’agit donc, en tous les cas, de provençaux qui, à la différence
d ’Antoine de Capisuchi, auraient été maintenus nobles si la preuve dative
remontant à 1560 avait, pour lors, été exigée.
Il semble de ce fait certain que les magistrats aixois, indécis quant au
droit applicable, aient volontairement choisi de statuer au début de cette
première réformation sur des espèces qui leur paraissaient particulièrement
bien fondées pour prouver la noblesse de race.
Seule, en fin de compte, la maintenue d ’Antoine de Capisuchi constitue
une exception par rapport au mode de preuve posé par l’arrêt du 19 mars
1667.
IL L’APPLICATION DE LA PREUVE CENTENAIRE PAR L’INTENDANT
DE PROVENCE
La période d ’application de ce nouveau mode de preuve dura à peu près
quatre années en Provence puisque la dernière ordonnance de maintenue sera
rendue par Cardin Le Bret le I e avril 1718.
Quatre provençaux seront maintenus nobles pendant cette période :
Jean-Baptiste de Bellon, Sgr.de Sainte Marguerite sera maintenu le 17 avril
1715, son titre primordial étant un “arrentem ent” du 20 mai 1531 (71) ; il
représentait le sixième degré noble de sa race dont l’ancienneté prouvée
excédait donc largement celle demandée par la preuve séculaire ou même
dative.
Joseph et Barthélémy de Moricaud, père et fils, derniers maintenus de cette
période ne prétendaient nullement à la noblesse de race, ils tenaient, en effet,
leur noblesse de leur père et aïeul qui avaient été Secrétaire du Roi (72).
Seul Toussaint de Sollier bénéficia des nouvelles prescriptions ; quoique
représentant le cinquième degré noble de sa maison, il ne remonta sa filiation
qu’au 3 avril 1564, date du mariage d ’un de ses ascendants. La preuve
centenaire était fournie, mais non point la preuve dative, il aurait été, de ce
fait, débouté de ses prétentions s’il avait été assigné lors de la première
réformation (73).
(6 9 ) Ibid. B. 1356 F° 4 R°.
(7 0 ) Ibid. B. 1356 F ° 25 R °.
(7 1 ) Ibid. C .2 2 1 3 F ° 5 6 1 R °.
(7 2 ) Ibid. C .2 2 1 3 F 0 556 R°.
(7 3 ) C .2 2 1 3 F ° 552 R ° — Tous ses cousins, du reste, avaient été contraints de
désister leur noblesse usurpée en 1667. Cf. F. P. Blanc : op. cit. p. 5 4 1 . N ote p. 32.
I
�En définitive —quel que soient les critères imposés par la Commission
pendant la brève période où elle dut de façon prétorienne dégager ses propres
modes de preuve, ou en vigueur sous l’Intendant lorsqu’à partir du 16 janvier
1714 la preuve séculaire devint la règle - il apparaît au terme de cette
analyse, et ceci de façon certaine, que la preuve dative imposée par l’arrêt du
19 mars 1667 constitua pour la Provence le droit commun des réformations
de sa noblesse.
François-Paul BLANC
Chargé de Cours à la Faculté de Droit
de l’Université d ’Aix-Marseille
�NOTE SUR LA NOBLESSE
PERSONNELLE INTRANSMISSIBLE
A TRAVERS LES RÉFORMATIONS
DE LA NOBLESSE PROVENÇALE
3
0666-1718)
par François-Paul BLANC
C hargé de Cours à la Faculté de D roit
et de Science politique d’A ix - M arseille
�—
/
*
�N O T E SU R LA N O B LESSE P E R S O N N E L L E
IN T R A N S M IS S IB L E
A T R A V E R S LES R É F O R M A T IO N S
D E LA N O BLESSE P R O V E N Ç A L E (1666-1718)
La noblesse personnelle intransmissible est constatée, en tant q u ’institution, et partant consacrée, pour la première fois sous les réformations du
règne de Louis XIV.
Les réformateurs provençaux furent contraints, après avoir ordonné la
comparution de certains nobles “apparents”, de les décharger de l’assignation
lancée contre eux par le Traitant, pour la seule raison q u ’ils ne pouvaient les
classer dans aucune des deux catégories prévues par le législateur : les nobles
d ’une part, les usurpateurs du titre de noblesse d ’autre part ( 1 ).
Dans le contexte légal des réformations, les Commissaires furent donc
amenés à sanctionner, à travers des jugements de “déchargement”, un
véritable paradoxe juridique : des non-nobles se qualifiant “ nobles” ne sont
point condamnés pour usurpation de titre, ne sont pas maintenus pour
autant, mais sont seulement déchargés de toutes poursuites ; les Commissaires
des deux recherches estimant que sans être nobles ils avaient le droit de
prendre les qualifications réservées au second ordre. Rien ne les distinguait
donc sur le plan de la pratique, et notamment sur celui des actes notariés,
des authentiques nobles.
Les différentes espèces rencontrées dans le contentieux des réformations
provençales se situent donc, sur le plan du droit, à la charnière de la roture
et de la noblesse. Il ne s’agit pas d ’une usurpation, puisqu’il n’y a pas
déboutement des prétentions, mais seulement “déchargement” de l’assigna
tion et autorisation de continuer à prendre les qualifications nobiliaires.
Est-on du moins en présence de faux-nobles ? oui, mais de faux-nobles
‘'légaux” , c’est-à-dire de roturiers ayant légalement le droit de passer pour
nobles.
Dans la recherche d ’une frontière, la plus précise possible, entre roture
et noblesse, il s’avère donc nécessaire de procéder à l’analyse des règles
(1 )
Cf. sur ce point la déclaration du 2 7 -11-1665, l’arrêt du Conseil d ’Etat du
16-VIII-1666, les déclarations des 4-IX -1696 et 30-V -1702 (F.P. Blanc : L ’origine des
familles provençales maintenues dans le second ordre sous le règne de Louis X IV. (A ix,
1971), p. 8 1 1 , 8 1 5 , 840 et 850.
�établissant cette fiction juridique qui consistait à donner à des roturiers une
apparence légale de noblesse.
Certaines de ces règles peuvent être dégagées de textes, déjà anciens en
1666, et réglementant l’accession au second ordre par l’exercice de certains
offices.
D’autres résultent de textes promulgués par le gouvernement de Louis
XIV, au cours même des réformations, et donnant à des officiers roturiers,
sous certaines conditions, le droit de se qualifier “nobles” , sans pour autant
leur permettre d ’accéder jamais à la noblesse.
Nous envisagerons donc successivement :
§ 1 : Non-nobles se qualifiant nobles sur le fondement de textes
réglementant l’accession au second ordre par l’exercice d’offices anoblissants.
§2 : Non-nobles se qualifiant nobles conformément aux provisions de
certains offices non anoblissants.
§ 1 - NON-NOBLES SE Q U A LIFIA N T NOBLES SUR LE FONDEM ENT
DE TEXTES REGLEM ENTANT L’ACCESSION A U SECOND O R D R E
PAR L’EXERCICE D ’O FFICES A NO BLISSA NTS
Lorsqu’une charge anoblissante était exercée par un roturier, ce dernier
n’accédait à la noblesse parfaite qu’après avoir rempli un certain nombre de
conditions, telle, par exemple, la gradualité de l’exercice, suppléée, le cas
échéant, par le décès du premier pourvu (2).
Pendant une période plus ou moins longue, vingt ans, quarante ans selon
les cas, les détenteurs des offices privilégiés se trouvent donc en cours
d ’anoblissement ; tant que ce dernier n’est pas acquis définitivement ils
demeurent juridiquement roturiers ; formellement, cependant, ils jouissent
d’une noblesse apparente se traduisant notamment par le droit d ’user des
qualifications nobiliaires.
En décidant de “décharger” de l’assignation les provençaux jouissant
ainsi d’une noblesse personnelle intransmissible, les Commissaires des deux
réformations ne faisaient que dégager une solution logique, la seule possible
en l’état du droit positif de l’époque qui ne leur laissait le choix qu’entre les
condamnations ou les maintenues.
Un certain nombre d ’officiers furent ainsi “déchargés” de prouver leur
noblesse, puisque précisément ils tentaient de l’obtenir.
Il convient de distinguer ceux qui étaient prouvus d ’office accordant la
noblesse au premier degré, de ceux qui exerçaient des charges conférant
graduellement ce même avantage.
(2) Cf. F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales . . . op. cit. p. XIX et sq.
�A - OFFICES ACCORDANT LA NOBLESSE AU PREMIER DEGRE
Il s’agit, dans les espèces rencontrées, des seuls offices de Secrétaire du
Roi : plusieurs jugements et ordonnances de “déchargement” les concernent.
Première réform ation :
Pendant la première réformation, quatre officiers de la Chancellerie près
le Parlement : les deux Secrétaires du Roi, Maison et Couronne de France et
les deux Secrétaires du Roi, Contrôleurs, présentèrent une requête collec
tive (3) devant la Commission aux fins d ’“estre deschargés de toute recherche
et d ’estre maintenus en leurs tiltres et qualités de nobles, à eux accordés et
attribués à leurs dits offices par lettres-pattantes de provision, édits, déclara
tions et création d ’iceux . . .
Un jugement de déchargement rendu le 28
décembre 1668 (4) leur donna satisfaction (5).
Date des
provisions
REFERENCES
(Archives des B.du Rh.)
15-III-1665
B. 105 F° 575 R°
Bardon Louis
24-1V -1656
B. 104 F° 138 V°
Espitallier
Jean-Baptiste
22-XI-1661
B. 105 F° 192 R°
31-X-1652
B. 103 F° 131 R°
Nom
Office
Adaoust Barthélémy
Secrétaire
Contrôleur
Pitton Pierre de
Sgr. de Tournefort
(3) Le 3-VII-1667. Cf. Archives des B. du Rh. : B. 1 357 F° 2 990 R° et V° ,
19,e et dernière pièce.
(4) B. 1 357 F° 2 988 R°.
(5) Il est à noter que ce jugement figure dans les registres de maintenue, ce qui
laisse planer un doute quand au fond de la décision rendue par la Commission. Les
Commissaires n’ont-ils pas voulu marquer par là qu’ils considéraient comme définitivement
nobles les quatre Secrétaires du Roi ? On ne saurait le croire. Il semble plutôt que les
Commissaires aient voulu seulement affirmer le droit incontestable pour les Secrétaires du
Roi de se qualifier nobles et écuyers conformément à leurs provisions. En effet, le plus
ancien des demandeurs, Pitton de Tournefort, n’avait été pourvu que le 31 octobre 1652
et n’avait été admis au serment que le 27 janvier 1653 ; il n’était donc susceptible de faire
souche de noblesse qu’à partir du 26 janvier 1673, sauf à lui, de mourir entre-temps
revêtu de sa charge.
Signalons en outre que le même jugement de déchargement du 28 décembre 1668
condamne Barthélémy Adaoust, comme faux-noble, à 50 livres d’amende pour avoir pris
la qualité d’écuyer avant que d’être revêtu de son office.
�158
'
: •. >*
Un seul Secrétaire du Roi de la Chancellerie près la Cour des Comptes,
Pierre d’Ortigue, fut assigné pour prouver sa noblesse ; il fut bien sûr, sur le
seul vu de ses provisions obtenues récemment (6 ) déchargé de l’assigna
tion (7).
Deuxième réformation
:
Un seul Secrétaire du Roi, Jean Car (8 ), officier en la Chancellerie du
Parlement, sera déchargé (9) par l’Intendant Lebret, de l’assignation lancée
contre lui par le Traitant ; la position de l’Intendant semblant, en l’espèce,
directement inspirée de celle des Commissaires (10).
B
-
OFFICES ACCORDANT LA NOBLESSE GRADUELLE
Tous les offices des Cours souverains (Parlements, Chambres des Comp
tes) et tribunaux assimilés (Bureaux des Finances) accordaient à leurs
détenteurs semblable privilège ( 1 1 ).
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vi V
Or, force est de constater que les réformations furent quasiment sans
effet sur la noblesse de robe et la noblesse de finance. A cela une raison :
l’hostilité du Parlement d ’Aix à la constitution d’une Commission exclusive
ment composée de Conseillers aux Comptes (12). Cette hostilité se traduisit
dans les faits par le refus de la plupart des magistrats aixois de répondre
personnellement aux assignations de ladite Commission (13) ; la plupart
d ’entre eux cependant déléguèrent, pour obtenir l’indispensable maintenue de
noblesse, leurs cadets ou leurs cousins, en sorte que, sur un plan purement
statistique, l’étude des familles maintenues nobles sous Louis XIV n’apparaît
en rien lacunaire.
(6 ) Archives des B. du Rh. : B. 105 F° 493 R ° — lettres de provision du 28-1-1665.
(7) Ibid. :
(8 )
Ibid.
(9) Ibid.
B. 1360 F° 253 R° : jugem ent de déchargement du 23-III-1669.
B. 115 F °1 3 2 V ° : Lettres de provision du 30-X II-1695.
C. 2 2 1 2 F° 6 8 6 R ° : ordonnance du 21-X II-1702.
(1 0 ) En m ême tem ps que Jean Car, le Traitant avait assigné deux autres Secrétaires
du R oi près le Parlement : Amand Trossier et Pierre B onnet, Sgr. de Costefrède. Ces deux
officiers, étant en fonction depuis plus de 20 ans, furent déclarés et maintenus nobles par
l’Intendant Lebret, com m e ayant rempli toutes les conditions requises à la perfection de
leur noblesse. Cf. F.P. Blanc : L ’o rigine des fam illes provençales. . . op . cit. p. 118 et 5 6 1 .
(1 1 ) Cf. F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales. . . op. cit. p. XIX — XXI .
(1 2 ) Ibid. p. 8 2 0 et sq. — pièce justificative n° 8.
.
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V
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.
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V- . ...
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(1 3 ) Ibid. p. 838 et 8 4 0 — pièces justificatives n° 22 et 24.
�159
Quoi qu’il en soit, sous la première réformation aucun cas de “décharge
m ent” de Conseillers en Cour Souveraine n’est à signaler (14).
Sous la seconde réformation, en revanche, deux espèces méritent d ’être
retenues.
1 ) Le cas de Jacques B ayol, Sgr. de Peyresc
Il est intéressant, car il montre les efforts faits par un particulier pour se
hisser à la noblesse ou du moins à l’apparence noble.
Jacques Bayol, avait, une première fois, été condamné comme usurpa
teur le 7 juin 1702, à 500 livres d ’amende, après avoir été débouté des
prétentions qu’il fondait sur l’office dont il était alors revêtu, celui de
“ Receveur Général Ancien du Taillon et solde de la Gendarmerie en la
Généralité de Provence” (15). Nonobstant cette condamnation il continua à
se qualifier noble et fut condamné par défaut à 2 0 0 0 livres d ’amende le 10
mai 1707 (16) ; il put cependant se faire relever de cette dernière condamna
tion en obtenant, fort à propos, les provisions d ’un office de Greffier en chef
au Parlement, charge lui conférant “les mêmes privilèges que ceux dont
jouissent les mêmes officiers audit Parlement” . Il avait dès lors le droit de se
qualifier noble et écuyer : il ne se situait pourtant lui-même qu’au point de
-départ d ’un anoblisseement graduel dont la perfection n’atteindrait que son
petit-fils, à condition que son fils et lui-même exercent effectivement l’office
pendant vingt ans (17).
2 ) Le cas d ’André-Georges du Grou
Par édits de 1685 et de 1701 (18) Louis XIV avait accordé aux
“ Receveurs Généraux des Domaines et Bois” des privilèges équivalents à ceux
des officiers de la Cour des Comptes.
Jean-Baptiste du Grou fut pourvu de cette charge en Provence le 30
avril 1702 (19) ; il m ourut en charge en 1707 après avoir resigné l’office à
son fils André-Georges qui en fut lui-même pourvu le 3 décembre 1707 (20).
(14) Ibid. p. 23 —Signalons, cependant, le cas de la maison d’André. Balthasar
d’André, un des six Commissaires députés par le Roi pour diriger la première réformation,
parviendra à obtenir, de par sa position privilégiée, que son fils Paul, âgé de deux ans, soit
maintenu dans le second ordre. Décision absolument inustifiée, sur le plan du droit,
puisque ledit Balthasar d’André, Conseiller à la Cour des Comptes d’Aix, était lui-même
en cours d’anoblissement ; ne jouissant que d’une noblesse personnelle, donc intransmis
sible, il ne pouvait en aucune façon faire, à pareille époque, souche de noblesse.
(15) Archives des B. du Rh. : C. 2 212 F°451 R°.
(16) Ibid. C. 2 213 F° 456 R°.
(17) Ibid. C. 2 213 F° 457 V° .
(18) Ibid. C. 2 213 F° 137 R°, 3e et 4e pièces.
(19) Ibid. C. 2 213 F° 137 R°, Ie pièce.
(20) Ibid. C. 2 213 F° 137 R°, 2epièce.
;
�Ce dernier, assigné par le Traitant, “en exibition de ses titres de noblesse” , le
31 décembre 1708, n’eut qu’à m ontrer ses doubles provisions pour être
déchargé (2 1 ).
§ 2 - NON-NOBLES SE Q U A LIFIA N T NOBLES
CONFORMEMENT A U X PRO VISIONS DE LEURS O FFICES
La solution adoptée par les réformateurs provençaux dans les procès de
roturiers prenant les qualifications du second ordre alors qu’ils étaient revêtus
d’offices anoblissants, se révèle parfaitement logique, puisque non seulement
ces derniers bénéficiaient des privilèges nobiliaires à titre personnel, mais
encore s’acheminaient en principe vers une noblesse transmissible.
La solution du “déchargement” était, semble-t-il, la seule susceptible de
s’adapter à ce contexte juridique particulier, la seule capable de les situer, sur
le plan du droit, entre le Tiers-Etat et le second ordre, c’est-à-dire au
moment même du “passage” entre roture et noblesse.
Il est, cependant, une seconde catégorie de “faux-nobles légaux” dont le
sort fut également tranché lors des réformations par des décisions de
“déchargement” . On ne saurait toutefois les assimiler aux officiers en cours
d’anoblissement.
Certes, comme dans le cas précédent, il s’agissait de roturiers pourvus
d’offices leur conférant le droit de se décorer des qualifications nobiliaires
tant qu’ils étaient revêtus de leur charge.
Ces charges, cependant, ne pouvaient en aucune façon déterminer pour
l’avenir un anoblissement.
La similitude entre les deux catégories de “ faux-nobles légaux” n’exis
tait donc que dans l’hypothèse suivante : un particulier revêtu d ’une charge
anoblissante n’atteignait pas le second ordre, c’est-à-dire ne parvenait pas à
réunir les conditions requises au changement d ’état ; il avait donc bénéficié
pendant un certain temps d ’une apparence noble, puis était retombé en
roture.
Deux types de charges entrant dans cette catégorie figurent au conten
tieux des réformations provençales.
Il s’agit tout d’abord de certains offices de la Maréchaussée.
Il s’agit ensuite, et en bien plus grand nombre, des offices de Gouver
neur.
(21) Ibid. C. 2 213 F° 137 R°, ordonnance du 16-VIII-l 709.
�161
A - OFFICES DE LA MARECHAUSSEE
La Commission provençale avait assimilé l’office de Prévôt Général de la
Maréchaussée à une charge de “capitaine des Compagnies d ’ordonnance
entretenues en temps de paix et de guerre et comme tirées du corps de la
gendarmerie” ( 2 2 ).
Un tel office put dès lors être considéré comme anoblissant sur le seul
fondement de l’article 25 de l’Edit de mars 1600 à partir duquel les
magistrats provençaux avaient édifié l’institution de la noblesse militaire (23).
Une telle jurisprudence put, semble-t-il, être élaborée en Provence pour
les raisons suivantes : ni le Parlement, ni la Cour des Comptes n’avaient
enregistrés l’arrêt du Conseil d’Etat du 22 mars 1666 (24) qui déclarait dans
son article XIII :
“ Les officiers des Maréchaussées, à l’exception des Prévôts généraux et
provinciaux et leurs lieutenans anciens, servant près leurs personnes, lesquels
n’étant nobles de race et qui ont néanmoins pris la qualité d ’écuyer seront
traités comme usurpateurs” (25).
Dans ce texte ressort strictement et implicitement, pour le Prévôt
général et les lieutenants anciens, le droit, s’ils sont roturiers, d ’utiliser les
qualifications nobiliaires.
En Provence les deux lieutenants anciens, François d ’Anne et Jean-Louis
de Baratte, furent contraints, lorsqu’en 1668 le traitant, Alexandre Belleguise,
les assigna pour prouver leur noblesse, de produire “une lettre circulaire
escripte . . . par les Srs de La Barre et de Grammont, lieutenants de Prévost
des Mareschaux du Maine . . . ” dans laquelle ces deux officiers affirmaient
que “ . . . par arrest du Conseil (26) tous les prevosts et lieutenants des
Mareschaux de France ont esté deschargés de pareille recherche . . . ” (27).
Ils furent immédiatement déchargés de l’assignation, la Commission leur
reconnaissant “droit et faculté de se qualifier escuyer” (28).
(22) Cf. F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales. . . Op. cit. p. XXIV, note
74.
(23) Ibid. p. XXIII.
(24) Ibid. p. XII.
(25) Chérin : Abrégé Chronologique d ’Edits, Déclarations, Réglemens, Arrêts et
Lettres-patentes des Rois de France de la troisième race, concernant le fait de noblesse.
(Paris, 1788), p. 152.
(26) Et il ne peut s’agir que de l’arrêt du 22 mars 1666 non enregistré en Provence.
(27) Archives des B. du Rh. : B. 1360 F°234 R° et 240 R°.
(28) Ibid. Jugements des IO-X-1668 et 23-XI-1668.
Une déclaration royale du 6-V-1692 les maintiendra dans la qualité d’écuyer “tant
qu’ils seront revêtus de leurs charges seulement” (Chérin : op. cit. p. 199-200) ; ce
privilège leur sera renouvelé par arrêts du Conseil des 26-11-1697 et 10-XI-1699 (Chérin :
op. cit. p. 227 et 244).
ii
�162
B - OFFICES DE GOUVERNEURS
1 ) Première réform ation
Sous la première réformation provençale les offices de “Gouverneurs des
villes et places fortes” furent assimilés à des charges en Cours Souveraines,
“ . . . à cause du commandement qu’ils ont et du service qu’ils rendent au
public . . . ” (29).
Cette jurisprudence particulièrement originale résultait de l’assimilation
de tels offices aux charges de Capitaines, jugées elles-mêmes graduellement
anoblissantes par la Commission provençale (30).
Au cours de cette réformation cependant, Louis XIV, par arrêt rendu
en son Conseil d ’Etat tenu à Saint-Germain-en-Laye le 4 juin 1668 (31),
avait imposé aux Commissaire “départis” dans la généralité d ’Aix un principe
contraire.
L’article IX de ce texte décidait, en effet :
“que les commissions de Mestre de Camp, tant de cavalerie que d’infanterie,
mesme de Gouverneur de place, ne seront point réputé faire souche de
noblesse” (32).
Dès lors la construction jurisprudentielle des magistrats provençaux se
trouvait en contradiction absolue avec le droit positif de l’époque. La
Commission, cependant, se refusera à renverser sa jurisprudence élaborée et
concrétisée par des jugements souverains dès 1667 (33).
Lorsque en 1669 Belleguise décrira, dans son Traité de la noblesse, la
démarche intellectuelle ayant conduit les Commissaires à dégager une institu
tion nouvelle : la noblesse militaire provençale, il se gardera de mentionner
l’arrêt du 4 juin 1668 (34).
2) D euxièm e réform ation
Une telle jurisprudence cependant, ne put, vis-à-vis des offices de
Gouverneurs, être appliquée en Provence par l’Intendant Lebret, commis à la
seconde réformation.
En effet, à partir de 1696, le législateur multipliera de tels offices et
précisera dans le détail les prérogatives attachées à leur exercice.
(29) F.P. Blanc : L ’Origine des familles provençales. . . op. cit. p. XXV.
(30) Ibid. p. XXIII.
(31) Enregistré au greffe de la Commission —Cf. B. 1359 F° 902 R°.
(32) F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales. . . op. cit. p. 834, pièce justifi
cative n° 19.
(33) Cf. notamment Archives des B. du Rh. : B. 1356 F° 25 *R° : jugement du
14-III-1667.
(34) F.P. Blanc: L ’origine des familles provençales... op. cit. p. 797-798, pièce
justificative n° 1 .
�163
+ Les Edits de création
— Edit de Versailles d ’août 1696 (35)
Comme la plupart des textes émis pendant la crise financière du grand
règne, il s’agissait, à travers une création d ’offices nouveaux, de renflouer le
casuel royal et de pourvoir ainsi, dit le texte, “aux besoins les plus pressants
de notre E tat” .
Il fallait cependant justifier l’opportunité d’une telle création :
“ . . . par notre édit du mois de mars 1694, nous avons créé dans toutes les
villes de notre Royaume des officiers, des colonels, majors, capitaines et
lieutenants de la milice bourgeoise ; et comme il est nécessaire de leur donner
quelques officiers pour leur commander en chef, et que dans la plupart des
villes il n ’y a pas de gouverneur établi, nous avons résolu de créeer des
gouverneurs en titre d ’office . . .
Il existait jusqu’alors trois catégories de gouvernement de villes.
Certains étaient octroyés par brevet ou provisions “ sans gages, ni appointe
ments” .
D’autres étaient héréditaires dans certaines familles ; la nomination en ces
charges échappait par là même à la compétence du souverain.
D’autres enfin établis sur le fondement de provisions royales déterminaient
normalement au profit de leurs détenteurs des “gages et appointements
employés” dans les états du Roi.
L’édit de 1696 décidera la suppression des deux premières catégories et
leur remplacement par des gouvernements “en titre d’office formé et
héréditaire” ; l’institution nouvelle étant, en même temps, étendue “dans
chacune des villes closes” du Royaume (36).
Les attributions, les gages et les prérogatives des nouveaux officiers sont
étroitement spécifiés par le texte.
Parmi les prérogatives figure la concession expresse d’une noblesse
personnelle intransmissible, c’est-à-dire d ’une noblesse dont les effets sont
strictement liés à l’exercice de la charge ; les roturiers revêtus de l’office
jouissaient des privilèges du second ordre jusqu’à la résignation au nouvel
acquéreur :
(35) Archives des B. du Rh. : B. 115 F° 97 V°.
(36) Ibid. “Avons par le présent édit perpétuel et irrévocable éteint et supprimé,
etteignons et supprimons toutes les charges de gouverneurs et de capitaines châtelains
faisant fonction de commandant des villes de notre Royaume, lesquels n’ont point de
lettres de provisions, ni de brevets de nous-même, ceux qui ont des provisions ou brevets
et qui n’ont aucun gages ni appointements employés sur nos états, et de la même autorité
nous avons créé et érigé, créons et érigeons en titre d’offices formés et éréditaires, un
gouverneur pour nous, dans chacune des villes closes de nostre Royaume, pays, terres et
seigneuries de nostre obéissance, à l’exception de celles où il y a des gouverneurs par Nous
établis qui ont des provisions et des gages, appointements, employés sur nos états . . . ”.
j
�“Voulons que les gouverneurs créés par le présent édit jouissent, tant qu’ils
seront revêtus des offices, des privilèges de noblesse, de l’exemption du
service personnel, même de la contribution de l’arrière-ban, des tailles,
tutelle, curatelle et de toutes les autres exemptions, prérogatives, honneurs et
privilèges dont jouissent les gentilshommes de notre Royaume, sans être tenu
de résider dans leur gouvernem ent. . . ” (37).
— Edit de Versailles de décembre 1708 (38)
Un Edit de juin 1700 avait supprimé, parmi les offices de gouverneur
créés en 1696, ceux qui n’avaient pas été “levés” .
L’Edit de décembre 1708 va les créer et les ériger de nouveau en titre
d’office.
Cependant, dit le texte, “l’expérience nous faisant connaître qu’un seul
officier ne peut par lui-même apporter tous les soins nécessaires pour la
bonne discipline de la milice et que d’ailleurs si les gouverneurs étant
dispensés par l’édit de résider dans les villes de leurs gouvernements, ce
défaut de résidence quelquefois peut causer du retardement aux ordres qu’ils
reçoivent. . . Nous avons résolu d ’établir des officiers qui, en leur absence ou
conjointement avec eux, pourront exécuter nos ordres ou ceux de nos
lieutenants généraux . . . ” (39).
Il s’avère dès lors nécessaire de créer deux “vice-gouverneurs” : à savoir
un lieutenant et un major dans toutes les villes pourvues d’un gouvernement,
—ces deux officiers jouissant par ailleurs des mêmes privilèges nobiliaires que
les gouverneurs eux-mêmes —.
Aux termes de ce texte la noblesse personnelle intransmissible recevait une
extension considérable : 3 officiers en bénéficiaient désormais dans chaque
ville close (40).
+ La pratique jurisprudentielle
L’Intendant de Provence commis à la seconde réformation ne pouvait,
dès lors, appliquer la jurisprudence dégagée, à partir de 1667, par les
Commissaires de la Cour des Comptes ; les gouverneurs, leurs lieutenants et
majors n’étant plus, en effet, susceptibles d ’être anoblis par l’exercice graduel
de l’office.
Cardin Lebret ne put q u ’appliquer strictement les prescriptions royales
ce qui se traduisit, au niveau de la recherche des faux-nobles, par des
(37) Ibid. B. 115 F° 98 R°.
(38) Ibid. B. 120 F° 16 V°.
(39) Ibid. B. 120 F° 16 V°.
(40) La plupart des lettres de provisions de ces offices furent enregistrées par la
Cour des Comptes d’Aix - Cf. Archives des B. du Rh. B. 115 à B. 121 passim.
�165
ordonnances de “ déchargement” rendues au bénéfice des gouverneurs rotu
riers assignés (41 ).
François-Paul BLANC
Chargé de Cours à la Faculté de Droit
et de Science Politique
d’Aix-Marseille
(41)
Archives des B. du Rh. : C. 2212 F° 1058 R°. Une seule espèce est à signaler :
l’ordonnance rendue le 19 mars 1708 en faveur de François de Chiousse, Sgr. de
Combaud, gouverneur de la ville de Lorgues (lettres de provisions du 8 février 1705).
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�L’USURPATION DE NOBLESSE
EN PROVENCE
A L’É P O Q U E
DE LA PREMIÈRE RÉFORMATION
(1666-1669)
par François-Paul BLANC
Chargé de Cours à la Faculté de D roit
et de Science politique d ’Aix - M arseille
�---------------------------------------------------------------- -—
—
---------------------------------------
�L ’U S U R P A T IO N D E N O B LESSE E N P R O V E N C E
A L ’É PO Q U E D E LA P R E M IÈ R E R É F O R M A T IO N
(1666-1669)
La Déclaration Royale du 27 février 1665 proclamant, pour la Provence,
l’ouverture de la première “recherche des usurpateurs de noblesse” ( 1 )
s’insère théoriquement dans le contexte juridique des réformations de
noblesse entreprises à la même époque dans les diverses généralités du
Royaume : le but de rénovation fiscale (2) poursuivi par Colbert impliquant
nécessairement l’“exacte recherche” de tous ceux “qui n’estant point gentils
hom m es prennent néantmoins la qualité de chevalier et d ’escuyer . . . et
s’exemptent du payement des impositions et des charges auxquelles les
roturiers sont sujets” (3).
Cependant, le caractère réel de la taille en Provence conférait à la
Généralité d ’Aix une incontestable originalité en ce sens qu’un usurpateur de
noblesse, ne pouvait, en aucune façon, s’exempter du paiement de l’im
pôt (4). Le schéma colbertien de rénovation fiscale ne pouvait donc justifier
la recherche des faux-nobles qu’en pays de taille personnelle.
De ce fait, des trois arguments invoqués par le texte pour fonder la
réformation provençale, deux, les plus importants, se révèlent inadéquats au
contexte de la généralité d ’Aix :
Le “grand préjudice” que déclare subir le Roi du fait des “indeues
exemptions” ,
(1) Cf. pour la première réformation de la noblesse provençale : F.P. Blanc :
L ’origine des familles provençales maintenues dans le second ordre sous le règne de
Louis XIV. Dictionnaire généalogique. (Aix 1971), p. IX et sq. et p. 811 et sq.
(2) P. Clément : Lettres, instructions et mémoires de Colbert, T. II, p. 304 : “le
principal fruit que le Roy a voulu procurer à ses sujets en faisant cette recherche . . . a
esté de faire imposer à la taille tous ceux qui seraient déclarés usurpateurs”.
(3) F.P. Blanc : op. cit. p. 811 : pièce justificative n° 2, Déclaration du 27.11.1665.
(4) Sauf le cas difficilement réalisable de compensation —cf. F.P. Blanc : L ’anoblis
sement par lettres en Provence à l’époque des réformations de Louis XIV. (Aix, 1971),
note 83, p. 272.
�“ L’oppression” fiscale, conséquence des mêmes exemptions pour les
autres roturiers contribuables, doivent être strictement analysés comme des
formules de style sans portée véritable (5).
Le troisième argument, en revanche, est juridiquement adapté, mais de
peu d ’amplitude : “les véritables gentilshommes d ’anciennes et nobles mai
sons” subissent effectivement un préjudice moral et matériel :
— moral par le seul fait de la confusion susceptible d ’exister entre le
second ordre et le Tiers-Etat,
— matériel par l’éventuelle et indue concurrence qui peut se manifester
au niveau des emplois “réservés” .
Un tel argument toutefois ne saurait justifier l’importance des pénalités
prévues par le texte à l’encontre des faux-nobles : 1 0 0 0 livres d ’amende,
somme considérable pour l’époque, à laquelle s’ajoutait les deux sols pour
livres (soit 1 0 0 livres) au bénéfice du traitant.
Compte tenu de l’importance du phénomène d ’usurpation de noblesse
en Provence, c’est une véritable opération financière qui transparaît sous un
texte théoriquement destiné à réformer ce que le Roi appelle “des dé
sordres . . . commis . . . par la licence des temps” (6 ).
Quoi qu’il en soit de la véritable motivation du législateur, l’étude de
l’usurpation de noblesse ne saurait être dissociée de l’histoire sociale de
l’époque moderne dont elle doit constituer un des principaux fondements.
Statistiquement il est permis d ’aboutir à une description numérique de
la noblesse provençale “apparente” (nobles et faux-nobles) au milieu du
XVIIe siècle. Un catalogue des faux-nobles établi sur des données strictement
juridiques, les seules acceptables en la matière, doit constituer, pensons-nous,
un des supports indispensables à toutes monographies d ’histoire sociale ayant
normalement pour point de départ une étude de la société fondée sur une
analyse des catégories socio-professionnelles dans leurs rapports avec les
ordres.
Le faux-noble, hormis le cas de dérogeance, sera le roturier qui, au
terme d ’un mouvement ascensionnel (mobilité sociale) parviendra au sommet
de la hiérarchie socio-professionnelle roturière et tentera alors de s’agréger à
noblesse, c’est-à-dire de changer d’ordre (mobilité juridique).
(5) Ces deux arguments, cependant, pouvaient retrouver toute leur valeur dès
l’instant où un faux-noble provençal se “retirait” en pays de taille personnelle. Le texte
royal n’omit point de mettre l’accent sur cette éventualité exceptionnelle : “ . . . et
quoiqu’au pays de Provence les tailles soient réelles et que la qualité d’écuyer, chevalier
ou noble n’en donne aucune exemption, néanmoins cette qualité ne reste pas d’être d’un
très grand préjudice parce que par la longueur du temps, les familles s’étendent dans les
autres provinces du Royaume, et au moyen de cette usurpation, .ils jouissent des
privilèges, et les droits de notre noblesse se trouvent bien souvent contestés, la différence
des véritables nobles étant nécessaire d’être faite d’avec les roturiers et ceux qui ont pris
ladite qualité sans titre valable . . . ”.
( 6 ) F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales . . . op. cit. p. 811.
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L’étude des réformations permet sur ce point beaucoup plus q u’une
simple approche du phénomène : en effet si une usurpation ancienne est
parfois consacrée à postériori par un jugement de maintenue de noblesse ( 7 ),
plus fréquemment encore elle sera lourdement pénalisée. La règle juridique
demeure, en tous les cas, le seul et unique critère en matière nobiliaire.
Le registre B. 1360 du fonds de la Cour des Comptes, Aides et Finances
de Provence ( 8 ) renferme deux séries fondamentales qui passaient pour
perdues depuis 1780 (9) :
— en premier lieu une liste des jugements de condamnation pour
usurpation de noblesse (10). Les motifs ayant conduit les Commissaires
députés à prendre ces décisions ne nous sont qu’exceptionnellement parve
nus ; le Traitant, Alexandre Belleguise “chargé de la poursuite des fauxnobles” a fort heureusement résumé l’opinion de la commission provençale
dès l’achèvement de ses travaux ( 1 1 ), en sorte que le schéma de l’usurpation
ressortit correctement de la comparaison de ces deux séries de source.
— en second lieu le cahier original des condamnations fondées sur les
désistements volontaires de noblesse (12). Les déclarations de désistement
(7) Ibid. p. 1 et sq., passim.
(8 )
Archives des Bouches-du-Rhône, dépôt de Marseille.
(9) Voir infra note 12.
(10) Jugements rendus contradictoirement ou par défaut ; il n’est pas possible de
faire le partage entre les deux séries de décisions.
(11) F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales. . . op. cit. p. 793 et sq., pièce
justificative n° 1.
(12) Le Baron du Roure publia dans les Actes du Congrès des Sociétés Savantes de
Provence tenu à Arles en 1909, p. 348-378, un “Etat de ceux qui ont volontairement
payé en Provence l’amende de 50 livres pour avoir usurpé les titres et qualité de noble,
suivant l ’arrest du Conseil du 29 mars 1 6 6 7 ”. L’auteur fit précéder sa publication de la
note suivante : “le registre des déclarations de roture en 1668, contenant les noms de
ceux qui payèrent volontairement l’amende modérée de 50 liv., ou furent condamnés
comme faux-nobles, a disparu des archives de la Cour des Comptes. Ce registre devait
exister encore vers 1780, car l’on en rencontre divers extraits dans le Nob. d’Arles de
Bonnemant. La partie relative à ceux qui, dès le début, en 1667, reconnurent de plein gré
leur usurpation, et ne payèrent que 50 livres d’amende, existe en plusieurs copies ; j’en
possède une, que j’ai tout lieu de croire exacte, d’après de nombreuses vérifications et les
reçus non retirés à l’époque par les intéressés, qui se trouvent encore aux archives des
Bouches-du-Rhône, B. 1360”. Une telle affirmation ne laisse de surprendre, puisque c’est
effectivement dans le registre B. 1360 que se trouve l’original des désistements pris en
dictée par Me. Isnardy, greffier de la Commission. Quelques quittances, (et non pas toutes,
il s’en faut de beaucoup) se trouvent effectivement annexées au dit registre ; certaines
portent sur les désistements, d’autres sur les condamnations ; le baron du Roure ne signale
par ce fait dans sa publication. Par ailleurs, la liste qu’il publie, si elle recoupe parfois la
vérité, est le plus souvent dans l’erreur. Il semble, en réalité, que le baron du Roure n’ait
jamais eu en main le registre B. 1360. Comment aurait-il pû affirmer, s’il l’avait
effectivement compulsé, que “le registre des déclarations de roture . . . a disparu de la
Cour des Comptes” ?
�laissent parfois deviner, lorsqu’elles sont associées à une “clause de protesta
tion” le fondement des prétentions nobiliaires des faux-nobles, et partant,
perm ettent de dégager avec précision certains aspects de l’usurpation de
noblesse.
Jugements rendus contradictoirement ou sur défaut de l’assigné et
déclarations de désistement de noblesse furent donc les deux procédures
utilisées par les réformateurs provençaux pour pénaliser les faux-nobles.
Ces deux procédures aboutissaient en principe (13) à une condamnation
pour usurpation de noblesse se traduisant par deux séries de mesure :
— Suppression matérielle de l’apparence nobiliaire prise dans le passé
par le faux-noble :
“Voulons . . . que lesdites qualités soient rayées et biffées de tous les
contracts et autres actes où elles se trouveront avoir esté par eux prises et
usurpées, et les tymbres aposés à leurs armes lacéré et rompu . . . ” (14).
— Paiement d ’une amende “pour la punition de leurs entreprises et
indue usurpation par eux faites . . . ” (15).
Seule la sanction pécuniaire, l’amende perçue sur les faux-nobles, varie
d’une procédure à l’autre.
Dans le cas des jugements, il s’agit d ’une amende proportionnelle, dans
le cas des désistements, il s’agit d ’une amende fixe et “modérée” .
§1 -
LES JUGEM ENTS DE CONDAM NATION
La déclaration du 27 février 1665 ne prévoyait que l’assignation des
faux-nobles. Le Traitant alors désigné, Thomas Bousseau, était, en effet, tenu
de demander la comparution des seuls provençaux qu’il estimait usurpateurs.
Si “par l’évènement” il assignait un gentilhomme il devait supporter “les
despans, dommages et inthérests” consécutifs à cette erreur ; si, néanmoins, il
reconnaissait “sans contredits” sa méprise il pouvait alors se “désister
(13) L’exception au principe était constituée par les jugements de déchargement de
l’assignation —Voir ci-dessous.
(14) Déclaration royale du 27 février 1665. Cf. F.P. Blanc : L ’origine des familles
provençales... op. cit. p. 812. Il faut du reste noter que la suppression matérielle de
l’apparence nobiliaire des faux-nobles ne fut pas suivie d’effet en Provence. A cela une
raison : l’ampleur de la tâche eut-été telle que les notaires auraient 'été privé de leurs
indispensables minutes durant plusieurs mois.
(15) F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales. . . op. cit. p. 812.
�173
desdites poursuites” et n ’était, en ce cas, astreint qu’au paiement de
16 livres (16).
“Avant qu’il puisse estre donné aucune assignation” , Bousseau et sa
caution devaient déposer au greffe de la Commission “un estât signé d ’eux,
contenant les noms, surnoms, qualités et demeures de ceux q u ’ils prétandront
estre usurpateurs” (17).
Le Procureur Général chargé de présenter les requêtes aux fins de
comparaître, c’est-à-dire les assignations, devait obligatoirement s’en référer à
cet “estât” ; le déroulement des futurs procès étant minutieusement précisé
par la Déclaration Royale (18).
(16) Ibid. : “ . . . et en cas que par l’évènement ledit Bousseau et sa caution fissent
assigner aucun desdits véritables gentils-hommes, voulons qu’ils soient condamnés en tous
leurs despans, domages et inthérests qui seront néanmoins liquidés et jugeant comme le
seront aussi envers ledit Bousseau et sa caution, ceux qui se trouveront avoir usurpé ladite
qualité de chevalier ou d’escuyer ou autre titre de noblesse, ou s’estre exemptés
induement comme nobles du payement du droit de capages, tailles et autres impositions,
pourra ledit Bousseau se désister des dites poursuites quand par la Communication qu’il
aura des titres des assignés il les recognoistra sans contredit, au moyen de quoy voulons
qu’il soit réputé hors de cause du jour de la signification qu’il faira de son désistement, en
payant les despans, dommages et inthérests jusqu’au dit jour que nous avons liquidé à
16 livres, sans que ledit Bousseau soit tenu d’autres frais et despans apprès son
désistement, soit pour l’obtention d’arrests ou autrement que lesdits assignés fairont
rendre à leurs frais, si bon leur semble, sans toutefois que lesdits assignés soient tenus de
poursuivre des arrests sur les désistements dudit Bousseau, sauf à nostre Procureur
Général à poursuivre ainsi qu’il advisera estre à faire par raison . . . ”.
(17) Ibid. p. 812.
(18) Ibid. p. 813: “ . . . e t d’autant qu’il nous serait impossible d’apporter si
promptement que nous le souhaiterions le remède aux abus qui se sont introduits dans
toutes les provinces de nostre Royaume par lesdites usurpations trop fréquentes des
qualités de chevalier ou d’escuyer, ou autres titres de noblesse, à l’oppression et à la foule
du peuple et au mespris de la véritable noblesse, si nous n’apportions quelques
retranchements aux formalités de justice. Nous voulons et ordonnons qu’â la requeste de
nostre Procureur Général, poursuite et diligence dudit Bousseau, en vertu d’une commis
sion générale qui luy sera délivrée, il soit faict commandement ausdits usurpateurs de
mettre leurs titres au greffe des Commissaires dans les délais ordinaires suivant la distance
des lieux, que si lesdits particuliers ne comparoissent point, ordonnons qu’il soit donné
défaut contre eux dans lequel seront compris tous ceux dont les assignations seront
escheues, et en vertu dudit deffaut et sur les coppies d’iceluy collationnées par un notaire,
Secrétaire du Roy ou Commis au Greffe, sera fait itératif commandement ausdits
usurpateurs de représanter leurs dits titres, dans lesdits délais si bon leur semble, sinon
voulons que ceux quy comparoistront aux commandements qui leur seront faicts, soient
tenus de produire les grosses originelles ou minutes des titres justificatifs de leur dite
noblesse, quinzaine après leur comparution ; dans lequel temps ledit Bousseau. fera
signifier un acte de sommation et de protestation qu’ils ayent à représanter leurs titres, si
bon leur semble, sinon et à faute de ce faire dans ladite quinzaine à compter du jour de
ladite comparution et iceluy passé qu’il soit donné arrest de condamnation contre eux sur
�174
Un arrêt du Conseil d ’Etat du 1 juin 1665 décida la “surcéance de ladite
recherche” avant même que ne fut décidée la composition de la Commis
sion (19). Les raisons d ’une telle décision ne nous sont malheureusement pas
parvenues. Il est très vraisemblable cependant qu’elle ait été motivée par
l’impossibilité d ’appliquer correctement les règles prévues par la déclaration
de février 1665 : l’obligation pour le traitant d ’établir un “estât” des seuls
faux-nobles ne pouvait, en pratique, être réalisée. Sur quels critères, en effet,
le Traitant eut-il été à même de dresser une liste d ’usurpateurs provençaux,
puisqu’il n’existait précisément pas en Provence, pays de taille réelle, de
“ frontière” fiscale entre nobles et faux-nobles ? Le Traitant courait donc un
risque “financier” considérable, puisque toutes les assignations des gentils-
(18 suite)
les requestes présentées par nostre Procureur Général, poursuite dudit Bousseau, et sur le
certificat du greffier qu’ils n’ont représenté aucun titres, sans autre forclusion ny
signification de requeste, et sans avoir esgard à leur comparution n’estant pas suivie de
leur production, et sans que ledit Bousseau soit tenu d’entrer en aucune contestation avec
les procureurs qui n’auront pas produits, ny de respondre aux actes qu’ils pourraient faire
signifier, ny leur donner communication par coppie ou autrement des actes justificatifs de
leur usurpation qu’au préalable ils n’ayent produict au greffe qu’ils n’entendent se
maintenir noble ou renoncer auxdites qualités, et à l’esgard de ceux qui se maintiendront
nobles et qui prétandront justifier leur noblesse, ordonnons qu’ils produiront leurs titres
soubs un bref inventaire, ensemble leurs faicts de généalogie, lesquels étant distribués aux
Conseillers rapporteurs seront communiqués audit Bousseau pour fournir contre iceux tels
contredits et responces qu’il verra bon estre, ausquelles les particuliers assignés pourront
répliquer si bon leur semble dans trois jours pour tous délais, apprès la signification qui
leur sera faicte des deffanses dudit Bousseau, sans que ledit délay puisse estre prolongé
pour quelque cause que ce soit, Voulons que toutes les requestes a fin d’inscription de
faux présantée par ledit Bousseau soient receues et les particuliers tenus de faire apporter
dans six semaines pour toutes profixions et délais les minuttes des grosses par eux
produites contre lesquelles ledit Bousseau se sera inscript en faux, sans qu’à l’esgard des
minuttes des contracts passés despuis l’année mil cinq cent cinquante inclusivement ils
puissent estre dispensés de les faire aporter, et à faute de les faire mettre au greffe dans
ledit temps, que les grosses soient mises dans un sac à part, préalablement paraphées par
le Conseiller rapporteur pour y avoir recours quand besoin sera, et ceux qui s’en seront
servis, les fabricateurs et leurs complices punis selon la rigueur des ordonnances, Voulons
que tous les procès pour raison desdites usurpations soient jugés par absolution ou par
condamnation, sans qu’il soit donné de plus longs délais que ceux portés par la présante
déclaration. Ordonnons que les productions principales des titres des assignés seront
données en Communication audit Bousseau, quand les particuliers en feraient de
nouvelles, quand mesme il aurait en Communication lesdites productions principales.
Voulons, en outre que lesdites instances soient jugées par lesdits Commissaires de
nostredite Cour, sans frais, attendu que nous sommes seul partie, sauf néantmoins à cause
de la multiplicité des affaires à faire un fonds raisonable des deniers de nostre espargne
pour les vaccations desdits Commissaires de nostre dite Cour ainsy que nous adviserons
bon estre”.
(19)
FJ*. Blanc : L ’origine des familles provençales . . . op. cit. p. 815, pièce justif
cative n° 3, préambule.
�SALLE DE DROIT PRIVÉ
175
hommes le mettaient dans l’obligation de payer, au minimum 16 livres ; il
pouvait même craindre que son contrat ne détermine à son encontre des
résultats négatifs, son profit (les deux sols pour livre des amendes et les
dépens, dommages et intérêts perçus sur les usurpateurs) ne parvenant pas à
couvrir les dépens, dommages et intérêts dûs par lui-même aux véritables
gentilshommes assignés.
Quoi q u ’il en soit un arrêt du Conseil d ’Etat du 22 mars 1666 décidait
la “levée” de la “surcéance portée par iceluy du premier juin 1665” ; il fut
suivi le 16 août 1666 d ’un autre arrêt ordonnant l’exécution de la première
réformation (20). Ce dernier texte, s’il respectait l’ensemble des règles posées
le 27 février 1665 (21), apportait, cependant, une innovation considérable en
ce q u ’il imposait l’assignation de tous les provençaux apparemment gentils
hommes, c’est-à-dire de tous ceux qui prenaient dûment ou indûment les
qualifications réservées au second ordre. “ . . . tant les véritables gentils
hommes que les prétendus usurpateurs seront assignés . . . (2 2 ).
La tache du Traitant était désormais amplement facilitée puisqu’il
n ’était plus tenu de faire une sélection préalable entre ceux qu’il croyait
nobles et ceux qu’il supposait usurpateurs.
Alexandre Belleguise, traitant substitué à Thomas Bousseau par l’arrêt
.du 16 août 1666, pouvait donc en toute tranquilité envisager la première
réformation. Désormais nobles ou faux-nobles étaient astreints aux mêmes
formalités, seule l’issue des procès allait déterminer, à travers une maintenue
de noblesse ou une condamnation pour usurpation, l’appartenance des
assignés au second ordre ou au Tiers-Etat.
On peut schématiser la procédure suivie en Provence pendant la
première réformation en sept phases successives.
1 — Localisation des nobles “apparents”
L’établissement d ’une liste de gentilshommes “apparents” demeure à la
charge du Traitant. Ce dernier était en droit d ’exiger des notaires et greffiers
de la province qu’ils lui fassent parvenir sur sa simple réquisition ou sur celle
de ses “commis et préposés” les “abrégés des contracts” dans lesquels les
parties prenaient les qualifications nobiliaires. Ce droit qui ressortait implici
tement de la Déclaration du 27 février 1665 dut être expressément affirmé
par un jugement de la Commission du 5 novembre 1666 qui prévoyait à
l’encontre des notaires récalcitrants une amende de mille livres (23).
(20) Ibid. p. 815-816.
(21) Ci-dessus note 18.
(22) F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales. . . op. cit. p. 815.
(23) Archives des B. du Rh. : B. 1359 F° 899 R° : “Sur la réquisition verballement
adressée par le Procureur Général en la Commission contenant qu’il est venu à sa
connoissance que plusieurs greffiers et notaires des villes et lieux de la province ont par
fraude et par des motifs d’intérest omis de deslivrer à Me Alexandre Belleguise, chargé par
�176
Il est tout à fait exceptionnel que les notaires et greffiers provençaux se
soient, ultérieurement à cette décision, soustraits à la prérogative de
Belleguise (24). Les Commis et préposés de ce dernier ne purent, en
revanche, jouer leur rôle d ’enquêteurs qu’au prix des pires malveillances, et
ceci notamment à Marseille (25).
(23 suite)
Sa Majesté de la recherche des usurpateurs des titres de noblesse, les abrégés de plusieurs
contracts dans lesquels lesdites qualités sont employées, requiert pour esclaircir lesdits
Commissaires et remédier à cet abus qu’il soit enjoint à tous greffiers et notaires de la
province de dresser et deslivrer des estats certiffiés de tous ceux qui ont pris lesdites
qualités depuis le tems qui leur sera marqué par ledit Belleguise, ses procureurs ou
commis, dans lesquels ils exprimeront la date et la nature des actes ou lesdites qualités
sont employées. Nous Commissaires, pourvoyant à ladite réquisition, avons ordonné que
trois jours après ce commandement qui sera fait aux greffiers et notaires des villes et lieux
de la province, ils deslivreront à Me Alexandre Belleguise, ses procureurs et commis, des
estats de tous ceux dont ils ont retenu les contrats dans lequel ils ont pris la qualité de
chevalier, noble ou escuyer, avec expression dans ledit état de la date et nature de l’acte
où lesdites qualités sont employées et avec un certificat au pied, comme dans iceux il n’y
ait nulle omission, se soumettant à la penne de faux et à mil livres d’amende en cas le
contraire soit vérifié, et ce depuis le tems qui leur sera prescrit dans ledit commandement,
à quoy ils seront tenus de satisfaire à peine de mil livres d’amende dez à présent déclaré
contre les reffusants et contrevenants, au payement de laquelle ils seront constraints
comme pour les propres deniers et affaires de Sa Majesté”.
(24) Un seul cas à signaler, celui de Me. Lobet, notaire de Marseille, rappellé à
l’ordre par un jugement du 5 août 1667. Cf. B. 1359 F° 903 R° : “Les Commissaires
députez par Sa Majesté pour la vériffication des titres de noblesse et recherche des
usurpateurs d’icelle au présent pays de Provence, pourvoyant à la réquisition verballement
faicte par le Procureur Général du Roy en la Commission, poursuite et diligence de
Me Alexandre Belleguise, chargé par Sa Majesté de ladite recherche, ont ordonné et
ordonnent qu’il sera enjoint à Me Lobet, notaire royal de la ville de Marseille, de remettre
par tout le jour entre les mains de Me Mittré, aussi notaire royal de ladite ville, tous et
chascung les registres secrétorial qu’il a en son pouvoir, puis l’année 1540 jusques en
l’année 1600 inclusivement, pour estre dellivré par ledit Mittré les extraits et mémoires
dont il sera requis, auquel il enjoint de recevoir lesdicts registres incontinant et sans dellay
et exppédier lesdits extraits et mémoires et autrement chascun des reffusants gaigé et
constraint pour la somme de mil livres et desclaré responsable du retardement des affaires
de Sa Majesté . . . ”.
(25) L’affaire Prunier est un exemple concret de l’impopularité des enquêteurs.
Honoré Prunier, Commissaire des Inventaires au Siège du Sénéchal de Marseille, avait été
commis par Belleguise à la recherche des faux-nobles marseillais. Son travail consistait à
“prospecter” les usurpateurs dans les registres des notaires de Marseille. Parmi ces derniers
figuraient notamment plusieurs Echevins de la ville.
Le 3 janvier 1668 Prunier fut attaqué alors qu’il revenait d’Aix, et emprisonné à la
suite d’une information scandaleuse conduite par le Viguier au nom des Echevins.
Grâce à l’action énergique de Belleguise, Prunier fut élargi et le Parlement qui
s’estimait compétent fut contraint de se dessaisir de l’affaire au bénéfice de la Commission
souveraine. Les principales pièces du dossier nous sont fort heureusement parvenues, ce
sont chronologiquement les suivantes :
�177
(25 suite)
1) Archives des B. du Rh. : B. 1359 F° 906 R° ; jugement du 27-11-1668, “Veu les
charges et informations faictes de l’authorité des Commissaires députés par Sa Majesté
pour la vérrifîcation des titres de noblesse par Antoine André, huissier en la Cour des
Comptes, Aydes et Finances de ce pays, à la requeste de Me Alexandre Belleguise, chargé
par Sa Majesté de la poursuite de ladite verrification, du VIII febvrier 1668, avec la
requeste de querelle dudit Me Belleguise et les conclusions du Procureur Général du Roy,
en la Commission du 27 febvrier suivant, tout considéré, querellant les exces et voyes de
fait commises en la personne de Honoré Prunnier par luy préposé au fait de la
Commission, Nous, Commissaires sur ce député avons ordonné que le nommé Claude
Sergeant sera adjourné en personne pour répondre sur le contenu du verbal, ouy Prunier,
du XXV janvier dernier, ensemble sur les charges et informations contre luy prises, pour
ses réponses communiquées au Procureur Général du Roy et ordonné ce qu’il appartiendra
par raison . . .
2) B. 1359 F° 904 R° : jugement du 28-11-1668, “Sur la requête présentée par
Me Alexandre Belleguise, chargé par Sa Majesté de la poursuitte de la veriffîcation des
titres de noblesse et rescherche des usurpateurs d’icelle au présent pays, contenant
qu’ayant Me Honoré Prunier, de la ville de Marseille, préposé par le suppliant au fait de sa
commission esté excédé, le suppliant nous en auroit porté plainte le premier de ce mois,
et sur sa requête, le Procureur Général du Roy, ouy, auroit esté ordonné qu’il en seroit
informé par André, huissier en la Cour des Comptes, lequel avoit procédé à l’information
contre les coupables qui sont des vagabons et gens sans adveu, suscités par quelques
particuliers contre lesquels ledit Prunier avoit fait des poursuites comme usurpateurs du
titre de noblesse, mais pour les mettre à couvert des susdites poursuites et pour continuer
leur vengeance contre ledit Prunier auroient fait bastir une prétendue information, nulle et
réerminatrice (? ) par le juge de Saint-Louis audit Marseille, sous le nom des Eschevins de
ladite ville dont quelques uns d’iceux sont intéressés auxdites recherches et obtenu décrêt
de prise de corps contre ledit Prunier et l’ont fait emprisonner aux prisons dudit Marseille
insurinsement (? ) le jour d’hier, 26 de ce mois, et pour ce que ladite procédure est nulle,
réerminatrice et incompétante et que ledit Prunier est préposé par le suppliant au sujet de
sa commission en suite de quoy on a fait ladite prétendue procédure, il requiert par ladite
requête que les eschevins soient assignez pour voir casser le tout, avec despans, dommages
et inthérests, et qu’il soit enjoint au greffier du juge de Saint-Louis ou autre saisi de ladite
procédure de remettre icelle par tout le jour rière le greffe de la Commission, à peine
d’estre adjourné en personne et de mil livres d’amende, et néanmoins que ledit Prunier
sera eslargi des prisons où il est détenu, et pour cest effect enjoinct au geollier de tout
incontinant et sans deslay lui ouvrir les portes de la conciergerie, autrement permis d’en
faire l’ouverture manu military. Veu ladite requeste avec le decrêt, adjournement, et pour
le surplus montré au Procureur Général du Roy du 27 febvrier 1668, et la réponce du
Procureur Général du Roy n’empeschant les fins d’icelle dudit jour, la coppie du décrêt de
prise de corps lancé par le juge de Saint-Louis du 16 febvrier, avec l’exploit d’emprison
nement de la personne dudit Prunier, le tout fait à la requeste desdits Eschevins, le
procès-verbal qui fut faict par ledit Prunier des insultes contre luy commises le 25 janvier
dernier, la requeste de querelle à nous présantée par ledit Me Belleguise pour estre informé
sur le contenu dudit verbal, decretté soit monstré au Procureur Général du Roy du
premier du mois de febvrier, respondu par ledit Procureur Général du Roy le même jour
n’empeschant les fins d’icelle, la recharge de ladite requeste avec le décrêt soit informé par
Me André, huissier en la Cour des Comptes tant sur le contenu audit verbal que requeste
de querelle, circonstances et dépendances du IIIe dudit mois, et la Commission sur ce
levée du mesme jour, tout considéré, les Commissaires députés par Sa Majesté ont ordonné
12
�(25 suite)
que le suppliant poursuivra sur radjournement ja dicerné (? ) ainsi qu’il appartiendra, et
cependant enjoinct au greffier du juge de Saint-Louis et tous autres qui se trouveront
saisis de l’information, procédure dont s’agist de remettre dans trois jours par devers le
greffe de la Commission ladite information et procédure, autrement et à faute de ce faire
dans ledit temps qu’il sera adjourné en personne pour répondre de sa désobéissance et
estre procédé contre d’icelluy ainsin que de raison, ordonnent néanmoins que ledit Prunier
sera eslargi des prisons où il est détenu pour se venir remettre aux prisons royaux de cette
ville d’Aix, enjoinct au geollier de lui ouvrir la porte de la conciergerie, incontinant, sans
deslay, autrement permis d’en faire l’ouverture manu military”.
3) Archives des B. du Rh. : B. 5540 : Arrêt du Parlement d’Aix du 2 mars 1668.
Sur requête des Echevins de Marseille, le Parlement se déclare compétent pour juger
l’affaire Prunier.
4) B. 5540 : Arrêt du Parlement du 9 mars 1668 — Le Parlement renvoie l’affaire
Prunier devant la Commission et se déclare incompétent.
5) B. 1359 F° 907 R° : Jugement du 10 mars 1668, “Sur la requeste présentée aux
Commissaires députés par Sa Majesté pour la verrification des titres de noblesse par
Me Alexandre Belleguise, chargé par Sa Majesté de la poursuitte de la recherche des
usurpateurs du titre de noblesse, contenant qu’ayant préposé Me Honoré Prunier, de la
ville de Marseille, pour rechercher les titres desdits usurpateurs de ladite ville, quelques
particuliers, en hayne de cet employ, auraient cherché toutes les occazions possibles pour
l’insulter et pour cest effect le troisième janvier dernier ayant espié que ledit Prunier
devoit ariver de cette ville d’Aix à Marseille au tard, auraient apostés des gens inconus à la
grande bresche qui est aux murailles de ladite ville, et à son arrivée dix ou douze
personnes l’auraient ataqué et mal traitté, de quoy ledit suppliant aurait faict informer de
vostre authorité, du préjudice de ce, lesdits particuliers soubs le nom des eschevins dont
quelques uns ont inthérest à la recherche desdits titres, comme usurpateurs, auraient faict
faire une fauce information postérieurement à celle du suppliant par le Viguier de ladite
ville, sur icelle obtenu decrêt de prinze de corps contre ledit Prunier, en vertu de laquelle
l’auraient faict emprisonner dans les prisons de ladite ville. Sur la requeste à vous
présantée par le suppliant aurions obtenu adjournement contre lesdits eschevins pour voir
casser ladite procédure et néantmoins que ledit Prunier serait eslargy desdites prisons, et
comandemens faict au greffier saizi de ladite information et procédure de remettre icelle
par devers le greffe de la Comission ; desquels prévoyant la nullité d’icelle l’aurait remise
rière le greffe du Parlement de ce pays à la poursuitte desdits eschevins et ensuite obtenu
arrest portant que ledit Prunier serait assigné aux fins d’icelluy et que le décret dudit
Viguier et Juge de Marseille serait exécuté de son authorité, et d’autant que ladite
procédure est incompétante, faicte par transport de jurisdiction, attandu que les exces et
insultes comis à la personne dudit Prunier n’est arrivé qu’en conséquence de son employ
et par conséquant la jurisdiction en appartien auxdits Sieurs Commissaires privativement à
tous juges, requiert estre ordonné que lesdits eschevins seront assignés pour voir casser
ladite procédure, nonobstant l’arrest dudit Parlement, et cependant deffences leur seront
faictes de faire aucune poursuites en vertu dudit arrest sur les peynes y contenues, veu
copie dudit arrest du Parlement rendu sur la requeste desdits eschevins de Marseille du
second de ce mois, avec l’exploit de signification d’icelluy faict à Me Fossé, garde du Roy,
le septiesme du mesme mois, avec la responce d’icelluy n’empeschant l’assignation requise
et que inhibitions et deffences soient faictes auxdits eschevins de se pourvoir pour le fait
dont s’agist que par devant lesdits Commissaires, ny de mettre à exécution l’arrest du
Parlement à peyne de 3 000 livres d’amande et à tous huissiers et sergens d’exécuter ledit
�179
2 — Assignation
A la “poursuite” de Belleguise, c’est-à-dire sur sa demande, le Procureur
Général Simon présentait requête à la Commission pour qu’“il soit faict
commandement” à tel particulier apparemment noble “de m e ttre . . .
(ses). . . titres au greffe des Commissaires dans les délais ordinaires suivant la
distance des lieux” (26) ; les délais pratiqués par la Commission variaient,
selon les cas, entre 30 et 60 jours (27).
3 — Production de titres ou défaut de l ’assigné
L’assigné pouvait ne pas répondre au “commandement” des Commis
saires ; les magistrats constataient alors le “defaut” ; une copie de leur
décision “collationnée par un Notaire-Secrétaire du Roi ou Commis au
greffe” était adressée à l’assigné en même temps qu’un ordre de comparaître
en personne dans les “délais ordinaires”. Si l’assigné comparaissait il était
tenu de produire ses titres “quinzaine après (sa) com parution” . Si a contrario
il n ’obtempérait point, ou si, ayant comparu, il ne produisait point, il était
condamné pour usurpation de noblesse (28).
Si, en revanche, l’assignation était suivie d ’effet, la procédure pouvait
suivre son cours.
L’assigné produisait alors ses titres ; la production se traduisait en fait
par une double opération : dépôt et présentation.
+ Les titres étaient remis au greffe de la Commission où Me. Isnardi,
greffier de cette dernière, constatait le dépôt (29).
(25 suite)
arrest sur mesme peyne, dudit jour la recharge de ladite requeste à mesme fin, ouy le
rapport du Commissaire tout considéré, lesdits Commissaires ayant esgard à ladite requeste
ont ordonné que lesdits eschevins de Marseille seront assignés aux fins d’icelle, et
cependant leur ont faict inhibitions et deffenses de se pourvoir ny poursuivre ailleurs,
pour le fait dont s’agist, que par devant lesdits Commissaires, ny de faire aucune
exécution en vertu dudit arrest de la Cour de Parlement de ce pays à peyne de trois mil
livres d’amende, despans, domages, inthérests, et à tous huissiers et sergens d’exécuter
ledit arrest contre ledit Prunier à peyne de mil livres et de tous despans, domages et
inthérests, mesme d’estre responsables du retardement des affaires de Sa Majesté”.
Il est remarquable que ce jugement du 10 mars 1668 ait été rendu en méconnais
sance de l’arrêt rendu la veille par le Parlement.
(26) Voir ci-dessus note 18.
(27) Archives des B. du Rh. : B. 1359, passim.
(28) Voir ci-dessus note 18.
Le registre B. 1360 ne nous fournit, nous l’avons dit (ci-dessus note 10) qu’une liste
des faux-nobles condamnés contradictoirement ou par défaut (voir en annexe tableau I). Il
n’est dès lors pas possible d’établir un partage concret entre les deux séries de jugements.
Il semble, cependant, que la plupart des défauts aient été sanctionnés par une amende
“modérée” à 50 livres ; c’est notamment celle qui sera perçue sur les échevins et consuls
de Marseille dont nous sommes certains que la plupart refusèrent de comparaître.
(29) Mentions de toutes ces opérations sont faites dans le registre B. 1359.
�+ Le Procureur de l’assigné les présentait ensuite sous la forme d ’un
exposé écrit tendant à démontrer, en partant du titre primordial et par un
simple procédé déductif, que la généalogie de son client, généalogie articulée
degré par degré, établissait incontestablement l’appartenance au second ordre.
Tous ces dossiers de production ont malheureusement disparu, ayant été
rendus aux assignés une fois leur procès achevé. Nous n ’en connaissons qu’un
seul, celui de Roc Bouquin maintenu noble le 23 décembre 1667 (30) et qui
légua ses biens à l’Hôtel-Dieu de Marseille ; les précieux manuscrits figurent
toujours dans le fonds de cet hôpital (31 ).
(30) Archives des B. du Rh. : B. 1357 F° 1250 R°.
(31) Archives des B. du Rh. : VI-H-19 :
“Inventaire de production des pièces que met et bailhe par devant vous Nosseigneurs
les Commissaires depputés par le Roy pour la recherche des usurpateurs des tiltres de
noblesse en exécution de la déclaration de Sa Majesté et arrest de son Conseil rendu en
conséquence,
Le Procureur et au nom de noble Roc Bouquin, de la ville de Marseille, demandeur
en relaxemant d’assignation d’une part,
Contre
Mre Alexandre Belleguise, chargé de la recherche desdits usurpateurs des tiltres de
noblesse, deffandeur d’autre,
dict qu’attendu que ledit Bouquin se quallifie noble et escuyer dans ses actes, et
contracts, il a esté assigné par devant Vous Nosseigrs. par ledit Belleguise aux fins
d’exhiber et remettre ses tiltres, mais parce qu’il n’est pas usurpateur ains très légitimes
possesseur, comme dessandant en ligne droite de feu noble Bernard Bouquin, comme il
sera justiffié cy apprès par les pièces employées au présant invantaire, doibt estre relaxé
de ceste assignation avec despans, et à ces fins produict la coppie d’icelle du troisième
janvier mil six cens soixante sept, signé Franchisquette et sera cy cottés par lettre.
A— Et pour le faire voir vous observerez, s’il vous plaist, Nosseigrs. qu’en signe de
noblesse ledit Roc Bouquin porte les armes de ses ansestres et ayeulx qui sont de gulles à
deux paulx fessere d’or et de sable et timbrées de deux pannars pareils les armes,
lesquelles sont apposées non seulement aux tableaux de leurs esfigies qu’il conserve dans
sa maison, mais encore aux esglises des R.P. prescheurs et observantins et autres endroicts
dudit Marseilhe, ainsin que mieux appert d’icelles par la coppie qu’il en a faict paindre
sur du parchemin qu’il produict et seront cy cottés par lettres.
B— En effet, Bernard Bouquin de qui le produisand dessand en ligne droite, comme
dict est dans tous ses actes et contracts, n’avoit jamais heu autre qualité que celle de
noble et escuyer et portoit les armes cy dessus produites, lequel heust pour fils et
successeur noble Guilheaume Bouquin, lequel, en ceste qualité de noble, recogneust au
Roy une maison qu’il possedoit audit Marseilhe relevant de la directe de Sa Majesté ;
ainsin qu’appert de l’estrait de laditte recognoissance qui a esté tirée des archives de
Saditte Majesté en ceste ville d’Aix du troisième janvier mil cinq cens dix, signée Figuière
et cy cottée par lettre.
C— Ledit Guilheaume aurait heu pour fils noble Augier Bouquin et iceux se
seraient maintenus en ses tiltres de noblesse ainsin qu’appert par acte de transaction faict
avec autre noble Ollivier Bouquin le segond octobre mil cinq cens quinze qu’il produit,
signée de La Lauda et cy cottée par lettre.
D— Et pour confirmer ceste véritté et que ledit Guilheaume est fils dudit noble
Bernard produit l’extraict de son testeman dans lequel il le déclaire en ces termes : “Ego
�181
(31 suite)
Guilhermus Bouquin, filius quondam nobilium Bernardi et Bernardae Bouquinae conjugum, civitatis Massiliae” ; et de là s’ensuit que non sulemant ledit Bernard feust noble,
mais encore sa feme qui estoit aussi de la familhe des Bouquins, et par ainsin sa noblesse
a heu une origine plus antien que dudit Bernard, lequel ledit Roc n’a peu encores vériffier
soit à cause qu’il feust délaissé par son père et ayeul en fort bas aage,que parece qu’il n’a
pas esté donné un dellay compétant pour en faire la rescherche (aussi au chapitre 5 de
l’histoire de Marseilhe et à folio 139 est fait mention de Roland Bouquin, gentilhomme,
qui vivoit en l’année 1292) apparoissant par ledit testeman que ledit Guilhaume a heu
pour fils ledit noble Augier Bouquin et icelluy nobles Pierre et Bernardin Bouquin, lequel
est en datte du XXV janv. mil cinq cens dix neuf, signé Juge et sera cy cotté par lettre.
E— Ledit Augier Bouquin a pareilheman maintenu ceste qualité de noble et escuyer,
ainsin qu’il est justiffié par un extrait de recognoissance par luy faicte en faveur de
l’hospital dudit Marseilhe le douze juin mil cinq cens vingt quatre qu’il produit, signée
Micharlier et sera cy cottée par lettre.
F— Comme aussi pour faire voir que ledit Pierre Bouquin, fils dudit Augier, a
maintenu ces tiltres de noblesse qu’il avoit acquis par sa naissance, produict un certifficat
faict par le greffier et guarde des Archives de la Communaulté dudit Marseilhe comme en
l’année mil cinq cens septante un, il a esté esleu premier Consul de laditte ville, laquelle
charge ne pouvoit estre exercée que par des gentilhommes suivant l’article 4e du règleman
fait par Henri troisième sur l’eslection des officiers de police dudit Marseilhe, rapporté par
le sieur Ruffi en son histoire de Marseilhe à F° 251, en datte du XXVIII octobre mil cinq
cens septante un, signé Bouyer et sera cy cotté par lettre.
G— Et quoique cela feust suffisant pour fere descharger le produisant de laditte
assignation, néanmoins pour fere voir que ses ayeuls de père en fils à juxte tiltre ont heu
laditte qualité de noble et escuyer, produit un acte de partage fait entre lesdits Pierre et
Bernardin Bouquins, frères, des biens dudit Augier Bouquin, leur père, du sixiesme mars
mil cinq cens septante six, signé Sicolle et sera cy cotté par lettre.
H— Dudit Pierre Bouquin est dessandu noble Jean Bouquin qui a aussi maintenu
laditte qualité de noble, comme résulte par son contract de mariage faict avec Damoyselle
Charlotte de Hue le XVIIe nouvambre mil cinq cens septante deux qu’il produit, signé
Vinatier et Cordier et sera cy cotté par lettre.
J - Encore ledit Jean Bouquin a heu pour fils noble Pierre Bouquin ainsin qu’il
justiffié par le testeman dudit Pierre Bouquin premier par lequel auroit institué héritier
ledit Pierre Bouquin, son petit-fils, luy ayant substitué en deffaut d’enfans ses proches
parens et consanguins de son surnom et armes, lequel testeman il produit, en datte du
XVII janvier mil cinq cens septante six, signé Dololis et cy cotté par lettre.
K— Pour justiffier encores que ledit Pierre Bouquin a heu pour fils noble
Barthélémy Bouquin produit l’extrait de son contract de mariage faict avec damoyselle
Marquise Laure le sept dexambre mil six cent vingt cinq, signé Tortasi et Cordier et cy
cotté par lettre.
L— Duquel Barthélémy Bouquin en est dessandu Roc Bouquin qui est le produisan,
lequel attandu le predexes dudit Barthélémy, auroit esté institué héritier dudit Pierre, son
ayeul, ainsin qu’appert par son testeman qu’il produit en datte du XVII mars mil six cent
trante sept, signé Richard et cotté par lettre.
M— Ledit Roc Bouquin auroit aussi recueilli le fideicommis apposé au testamen
dudit Pierre Bouquin son trisayeul, ainsin qu’est justiffié par la santence d’ouverture
d’icelluy en sa personne du XXIII mars mil six cent trente huit, laquelle il produit, signée
Cordier et cottée par lettre.
i
�4 — Instruction du dossier
Un des magistrats était alors désigné comme Commissaire Rapporteur et
instruisait le procès (32). Il semble que les Commissaires se soient réellement
partagé la tâche et aient assumé, à tour de rôle, l’instruction des dossiers, à
l’exception, cependant, du président de la Commission, premier président de
la Cour des Comptes, Rainaud de Séguiran, qui ne figure jamais dans ces
répartitions du travail (33).
5 — “ C ontredits” du Traitant
Le dossier, une fois instruit, était communiqué à Alexandre Belleguise
qui présentait éventuellement ses “contredits” aux prétentions de l’assigné.
Sous la seconde réformation de nombreux “contredits” ont fort heureu
sement été conservés dans les registres de maintenues ou de condamna
tions (34).
(31 suite)
N— En mesmes fins produit l’arrest confirmatif d’icelle du XXe dexambre mil six
cens trante huict, coté par lettre.
O— Au moyen de quoy il est suffisaman justiffié que ledit Roc Bouquin fait la
huictiesme génération d’une familhe qui despuis plus de deux cens ans porte armes nobles
et se sont quallifiés tels, maintenus tels de père en fils, en tous leurs actes et contracts,
ayans exercé charges nobles comme est celle du premier Consul. Aussi noble Anthoine
Bouquin, fils dudit Bernardin, frère de Pierre Bouquin premier, a esté esleu premier
Consul audit Marseilhe, duquel est issue dame Isabeau de Bouquin qui feust mariée avec
Monsieur Maistre de Thouron, Conseiller du Roy en sa Cour de Parleman, duquel mariage
Monsieur le Conseiller d’Artignosc, son fils, en est sorti, et pour faire apparoir de son
eslection en laditte charge du premier Consul, produict l’extrait d’icelle en datte du vingt
huict octobre mil cinq cens huictante six, signé Bonier et cy cotté par lettre.
P— Et pour justiffier que le règleman d’Henri troisiesme sur le fait de l’eslection des
officiers de pollice audit Marseilhe a esté tousiours exécuté, produict le certifficat des
eschevins de laditte ville auquel ils attestent que despuis l’antien temps jusques en l’année
mil six cens soixante la charge de premier consul n’a jamais esté exercée que par des
personnes nobles et gentilhommes ; apprès quoy on espère que la quallité dudit noble Roc
Bouquin sera assez establie pour le fere relaxer de ceste assignation ; lequel certificat du
XXIXe janvier, année présante mil six cens soixante sept, il produit, signé Bellerot, Porry
et Ravelly, eschevins et Mallet, Secrétaire, scélé du sceau de laditte Communauté, et sera
cy cotté par lettre.
Q— Et finalement pour la désignation desdittes pièces, produit le présant invantère,
signé Silvy et cotté par lettre.
R— Conclud. s’il vous plaist Nosseigrs. à ce qu’il soit dict et ordonné que ledit
noble Roc Bouquin, les siens et ses dessandans, seront maintenus en la possession et
jouissance du tiltre de noble et escuyer, tout ainsin que ses ayeulx et prédécesseurs ont
fait, et au moyen de ce qu’ils jouiront des privilèges, prérrogatives et prééminances que
ceux dont jouissent les autres nobles de la province et sera en outre relaxé de laditte
assignation avec despans et pertinement. Signé Silvy.
(32) Aucun de ces rapports ne nous est malheureusement parvenu.
(33) Archives des B. du Rh. : B. 1359 F° 944 R°.
(34) Ibid. C. 2211, C. 2212, C. 2213, passim.
�183
S’agissant de la première réformation, en revanche, tout a disparu ; il est
probable que Belleguise ait conservé par devers lui ses manuscrits ; c’est sans
doute ce qui lui permit de rédiger et publier, dès 1669, son Traité sur la
noblesse provençale (35).
Une exception, cependant,les “contredits” présentés par le Traitant à la
production de Charles de Barralier, écuyer d ’Eyragues, le 24 avril 1668 (36).
6 — Conclusions du Procureur Général
Gaspard Simon, Seigneur de Fontm artin, avocat général en la Cour des
Comptes et procureur général de la Commission, présentait alors ses
conclusions écrites, c’est-à-dire donnait son opinion. Dans les seules conclu
sions qui nous sont parvenues, celles concernant le procès de Charles de
Barralier, Simon n ’hésite pas à prendre une position tout à fait opposée à
celle de Belleguise (37).
7 — Jugem ent de la Commission
L’ensemble du dossier, production, rapport du Commissaire, “contre
dits” du Traitant, conclusions du Procureur Général, parvenait alors devant la
Commission assemblée qui souverainement décidait la maintenue de noblesse
ou la condamnation pour usurpation,(38).
(35) Cf. F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales. . . op. cit. p. 793 et sq.
(36) Collection Blanc-Testanière, N° 12-XII-38, “Contredicts que met et baille
devant vous, Nosseigneurs les Commissaires, chargés par Sa Majesté pour la vériffication
des titres de noblesse au présent pays de Provence, Me Alexandre Belleguise, chargé par
Sa Maj. de la poursuitte de lad. vériffication, contre Charles Barralier, d’Eyragues,
deffandeur. Dict qu’il n’y a nulle difficulté à la condamnation d’amande du deffandeur
puisqu’il n’est fondé qu’en simples quallifications, sans nulle preuve de fief, ny de services,
ainsy sans fère d’autres remarques sur la production du deffandeur conclud à lad.
condamnation d’amande”.
(37) Ibid. “Conclusions P.G.R. Veu l’ordonnance des Ssrs Commissaires députés par
Sa M. pour la verrification des tiltres de noblesse et recherche des usurpateurs d’icelle du
5 nouv. 1666, exploit d’assignation faict à la requeste de Me A. Belleguise à noble Charles
de Barralier et autres pièces énoncées à l’inventaire. Quoy que le suppliant ne soit fondé
que sur des quallifications, il a néantmoins droit de soutenir sa noblesse, puisqu’il justifie
que ses autheurs sont quallifiez nobles depuis 1461 ; ces quallifications depuis un si long
temps sont des présomptions de noblesse, et les alliances qu’ils ont contractées avec des
familles nobles nous font cognoistre que ceux de cette famille sont gentilshommes, et en
faict ils ont esté recogneus tels en la ville de Lansçon puisque Jacques feut mis au rang
des nobles en 1429. Ces présomptions font que nous n’empeschons pas que led. Charles
Barrallier soit déclaré noble et issu de noble race et lignée et que tant luy que sa postérité
nés et à naistre de légitime mariage jouissent des privillèges attribuez aux autres nobles
tant et si longuement qu’ils vivront noblement et qu’ils ne fairont aucun acte desrogeant à
la noblesse et que son nom et surnom soit incéré dans le cathalogue des nobles —29 avril
1668, signé : Simon”.
(38) Le procès pouvait, du reste, être “pendant” plusieurs semaines. Ainsi Charles
de Barralier sera condamné à 300 livres d’amende le 18 mai 1668. En l’espèce la
Commission avait suivi l’opinion du Traitant et non les conclusions du Procureur Général.
Cf. Archives des B. du Rh. : B. 1360 F° 489 R°.
�Dans ce dernier cas, le seul qui nous intéresse ici, il était procédé à la
fixation de l’amende, proportionnelle aux revenus de l’usurpateur.
Le principe posé par le législateur était, en l’espèce, extrêmement
rigoureux : toutes les condamnations devaient être assorties d ’une peine
pécuniaire, aucune dérogation n ’était possible, en cas d ’usurpation démon
trée.
Les Commissaires parvinrent cependant à tourner cette règle et pronon
cèrent des jugements de “déchargement” .
Nous envisagerons successivement ces deux séries de décisions :
1) Le principe : la sanction pécuniaire
2) L’exception : le déchargement.
L LE PRINCIPE : LA SANCTION PECUNIAIRE
La déclaration du 27 février 1665 posait, nous l’avons vu, le principe
suivant : tous les usurpateurs des titres de noblesse devront être condamnés à
1 000 livres d ’amende envers le Roi ; ils seront, en outre, tenus d ’acquitter les
deux sols pour livre de cette somme au traitant, soit, en tout, un débours de
1 1 0 0 livres.
En cas de récidive, ou en cas d’usurpation postérieure à la date de la
Déclaration, c ’était une amende de 2 000 livres qui était prévue par le
législateur pour sanctionner l’usurpation de noblesse (39), soit cette fois, avec
les inévitables deux sols pour livre, un débours de 2 200 livres (40).
L’arrêt du Conseil d ’Etat du 16 août 1666, tout en rendant effective
l’ouverture de la première réformation provençale, corrigeait la sévérité du
texte précédent de la façon suivante :
“Veut Sa Majesté que lesdits Commissaires procèdent par condamnations
d ’amendes, eu égard à leurs facultés et au bénéfice qu’ils auront tiré de ladite
usurpation, au préjudice de Sa Majesté et du Public . . . ”
(39) Cf. F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales.. . op. cit. p. 812.
(40) Il faut du reste souligner que la déclaration royale du 4 septembre 1696,
proclamant l’ouverture de la seconde réformation, fixait à 2 0 0 0 livres l’amende que les
faux-nobles seraient tenus de payer. Il faut voir dans ce montant élevé de la pénalité la
conséquence directe des prescriptions posées en 1665. En effet, la recherche de 1696 est
formellement présentée comme la continuation de la réformation de 1665. Ceux qui ont
persévéré dans leur usurpation sont les premiers visés par le nouveau texte : “Voulons et
nous plait qu’à la poursuite et diligence de celuy qui sera par nous préposé, il soit fait une
exacte recherche tant de ceux qui auront continué d’usurper les qualités de noble-homme,
d’écuyer, de messire, de chevalier, depuis les condamnations rendues contre eux, ou leurs
pères, soit par des arrests de nostre Conseil, des jugements des Commissaires nommez
pour les recherches de la noblesse et des franc-fiefs, arrests de la Cour des Aydes et autres
jugemens, que de tous autres usurpateurs des mêmes titres et qualitez, qui se trouveront
les avoir usurpez avant et depuis, et qui n’auront esté recherchés, poursuivis ny
condamnez”. Cf F.P. Blanc : L ’origine des Familles provençales. . . op. cit. p. 841-842.
�185
“Pour ceux desdits usurpateurs qui se laisseront contumacer ou qui ne
voudront pas soutenir la qualité ; ordonne aussi Sa Majesté qu’ils seront
condamnez par lesdits Srs Commissaires, sur les extraits qui seront fournis
par ledit Belleguise . . . ”
“ Les amandes qui seront par eux adjugées ne pourront excéder la somme de
1 000 livres, ny estre plus faible que celle de 300 livres, si ce n’est du
consentement dudit Belleguise” (41).
Aux termes de ce texte la pénalité financière apparaît comme un principe
absolu, comme une règle impérative à laquelle il ne saurait être dérogé.
Innovation considérable : l’amende devient proportionnelle à la fortune des
faux-nobles (42) et le rôle dévolu au traitant prend une ampleur nouvelle ; lui
seul est désormais à même de décider du m ontant minimum de la pénalité
financière. Il était, du reste, indispensable que le Roi confère à Belleguise un
pouvoir en l’espèce plus important que celui même des Commissaires
souverains, exclusivement chargés, dans ce cas précis, de dire le droit. En
effet, étant intéressé pour 10 % (les deux sols pour livre) à l’opération
financière, le traitant était le mieux placé pour apprécier (avec sévérité), sur
les avis fournis par ses commis et préposés, ce qu’il pouvait raisonnablement
escompter d ’une condamnation.
474 faux-nobles provençaux furent ainsi condamnés au paiement d’une
amende, en principe, proportionnelle à leur fortune (43).
Il est possible grâce au registre B. 1360 de suivre avec précision dans le
temps l’évolution statistique de ces jugements de condamnation : commencée
le 5 novembre 1666 (44), la repression des faux-nobles sera achevée le 6 avril
1669 (45).
(41) Cf. F.P. Blanc : L ’origine des Familles provençales. . . op. cit. p. 815.
(42) Le “bénéfice . .. tiré de ladite usurpation”, dont parle le texte, est hypothé
tique en Provence, pays de taille réelle. Certes, il peut y avoir le cas exceptionnel d’un
déchargement des franc-fiefs consécutif à une usurpation. Dans ce cas, du reste,
l’exemption des franc-fiefs correspond à une consécration préalable de l’usurpation,
consécration que les réformateurs sanctionneront presque toujours par la délivrance d’un
jugement de maintenue de noblesse. Cf. F.P. Blanc : L ’Origine des familles provençales. . .
op. cit. p. 1 et sq., passim.
(43) Voir infra : Annexes, tableau I.
(44) Le jour même où la Commission proclamera, à son niveau, l’ouverture de la
première réformation (Cf F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales... op. cit.
p. 817, pièce justificative n° 5). Les premiers procès avaient donc été instruits avant même
que la recherche n’ait été officiellement proclamée.
(45) Le tableau suivant retrace une telle évolution, appréciée mois par mois. La
période d’application de l’arrêt du 28 mars 1667 autorisant les désistements de noblesse
ressortit clairement de ce tableau : aucun jugement de condamnation ne fut, en effet,
rendu pendant les mois de mai, juin et juillet 1667.
�Deux remarques doivent ici être faites relativement à la pénalité
financière :
— L’amende est une peine individuelle
— Le m ontant de la majorité des amendes est inférieur au taux
minimum prévu par le législateur.
A. L’am ende est une peine individuelle
L’amende apparaît, conformément à l’esprit de l’arrêt du 16 août 1666,
comme une peine individuelle en ce sens qu’elle frappe le faux-noble
isolément, sans tenir compte de son lignage, c’est-à-dire en faisant totalement
abstraction des éventuelles motivations familiales ayant pu déterminer son
attitude.
Ainsi Jacques André, écuyer de La Ciotat, sera condamné le 4 août
1668 à 300 livres d’amende (46) ; son fils Joseph subira exactement le même
sort quelques mois plus tard (47). En l’espèce, pourtant, l’usurpation du fils
découle directement de celle du père ; il est, en effet, permis de supposer que
le fils ne s’est qualifié “écuyer” qu’à la suite de l’usurpation de son père.
De nombreux exemples illustrent la position de la Commission sur ce
point (48).
(45 suite)
Mois
1666
1667
Janvier
1668
1669
36
77
Février
15
22
27
Mars
60
19
6
Avril
16
13
19
Mai
4
Juin
9
Juillet
Août
5
24
Septembre
5
26
Octobre
6
11
5
38
14
14
Novembre
Décembre
3
(46) B. 1360 F° 493 V°.
(47) B. 1360 F° 508 V°.
(48) Voir infra : Annexes, Tableau I, passim.
�187
Une exception fut cependant portée à cette règle par les magistrats
provençaux : les Consuls de deux communautés provençales, Seyne et
La Bréole, furent collectivement condamnés, le 22 février 1668, à 400 livres
d ’amende et 100 livres de dépens, pour usurpation de noblesse (49).
Le délit, en l’espèce, était tout à fait particulier en ce sens qu’il avait
effectivement un caractère collectif, les magistrats municipaux de ces deux
villes usurpant, dès leur entrée en charge —et selon une coutume locale
immémoriale — les qualifications réservées au second ordre.
Il eut été plus juste de réformer cet abus en punissant la communauté
des habitants, responsable de l’application d ’une coutume illégale, que de
pénaliser des édiles ayant eu le malheur d ’être en charge pendant la recherche
des faux-nobles. C’est ce que réalisèrent rapidement les réformateurs qui, par
deux jugements du 2 2 septembre 1668, condamnèrent les “particuliers” de
ces deux villes au paiement de l’amende initialement supportée par les seuls
Consuls (50).
B. Le m ontant de la m ajorité des am endes est inférieur au taux m inim um
prévu par le législateur
L’arrêt du Conseil d ’état du 16 août 1666 prévoyait une amende
minimum de 300 livres, sauf le “consentement” exprès du traitant pour
décider d ’un montant inférieur à ce taux.
Or sur les 474 faux-nobles pénalisés, 253, soit plus de la moitié, furent
condamnés à des amendes inférieures au minimum légal, et parmi ceux-ci,
173 furent astreints au paiement de 50 livres seulement (51 ), chiffre corres
pondant, nous le verrons, à l’amende “modérée” des désistement de noblesse.
Qui plus est, en dix neuf espèces différentes, les Commissaires furent
contraints de réduire par un “jugement de m odération” le m ontant initial de
la pénalité prononcée, la fortune des condamnés n’ayant pû suffire à sa
liquidation (52).
Dès lors, force est de constater l’inadéquation absolue du schéma
répressif au contexte social de l’usurpation de noblesse en Provence.
S’il est incontestablement marginal entre deux ordres au niveau de ses
prétentions, le faux-noble provençal ne se situera pas nécessairement pour
autant au niveau des couches les plus favorisées de la société roturière.
On peut donc affirmer que le phénomène de mobilité sociale, tel que
nous l’envisagions au début de ce travail, s’il répond souvent à des raisons
objectives fondées sur la fortune, correspond parfois aussi à une motivation
subjective se traduisant au niveau de la seule apparence par l’usurpation de la
l C r i ï*
~ '
W Z '% K .
(49) B. 1360 F° 482 R°.
’
(50) B. 1360 F° 496 V°.
' ' 4;
• - :V ;V
, : ,:
(51) Voir infra : Annexes, Tableau II.
(52) Voir infra : Annexes, Tableau III.
�noblesse. Que le traitant ait été contraint de se contenter d ’un bénéfice
souvent dérisoire, 5 livres par exemple pour une amende de 50 livres, fait
amplement ressortir ce phénomène.
Les réformateurs provençaux, en accord avec Belleguise, durent cepen
dant aller beaucoup plus loin dans cette voie, tant les règles répressives se
révélèrent inadaptées à la réalité sociale de l’usurpation : ils n’hésitèrent pas à
décharger du paiement de toute amende des particuliers ayant, sans conteste,
usurpé les qualifications réservées au second ordre.
II. L’EXCEPTION : LE DECHARGEMENT
En certains cas, une condamnation pécuniaire, aussi minime soit-elle, eut
été sans effet ; la pauvreté du faux-noble étant un obstacle absolu à toute
perception d ’amende.
Lorsque le Roi déclarait en 1665 que les “usurpateurs . . . sont pour
ordinaire les plus puissants des villes, bourgs et vigueries” (53), il commettait
une erreur tellement manifeste en Provence que le Traitant et les Commis
saires furent obligés de tourner la loi pour ne pas avoir à requérir
l’indispensable amende posée en principe absolu tant par la Déclaration du
27 février 1665 que par l’arrêt du Conseil du 16 août 1666.
La Commission avait la possibilité de prononcer, en certains cas limités,
des jugements portant déchargement de l’assignation (54) ; c’est ainsi notam
ment que tous ceux qui jouissaient de la noblesse personnelle intransmissible,
tel par exemple les officiers en cours d ’anoblissement, ne pouvaient évidem
ment ni être maintenus nobles puisqu’ils n’avaient qu’une apparence de
noblesse, ni être condamnés pour usurpation puisque précisément cette
apparence de noblesse était légale. Dès lors les magistrats ne pouvaient
émettre à leur encontre que des jugements les déchargeant de l’assignation
lancée contre eux “à la poursuite” de Belleguise.
Utilisant cette possibilité les Commissaires prononceront :
189 “déchargements” individuels (55), et
3 “déchargements” collectifs (56).
Cependant, si la pauvreté est le m otif le plus souvent invoqué pour ces
“déchargements” , d ’autres raisons, moins justifiables, servirent aussi de
support à de semblables décisions. Nous les envisagerons successivement.
(53) Cf F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales. .. op. cit. p. 811.
(54) Cf. F.P. Blanc : Note sur la noblesse personnelle intransmissible à travers les
réformations de la noblesse provençale, 1666-1718, in Annales de la Faculté de Droit
d’Aix, I. 1972. Voir aussi infra note 67.
(55) Voir infra : Annexes, Tableau IV.
(56) Voir infra : Annexes, Tableau V.
�A — “ D échargem ent” pour pauvreté
Ce sont les plus nombreux : 75 provençaux furent ainsi exceptés du
principe de l’amende. Dans la liste qui nous est parvenue (57), la seule
mention “pauvreté” sans autre commentaire, figure le plus souvent au regard
du nom des usurpateurs (58).
B — “ D échargem ent” de ceux qui n ’usurpèrent la noblesse q u ’en qualité de
tém oins dans les actes notariés où ils figurent
Au terme de l’arrêt du Conseil du 13 janvier 1667, il suffisait pour être
condamné que le Traitant produise “un extraict d ’un contract ou autre acte
passé par devant notaire où la partie contractante aura signé et prins
induement la qualité de chevalier ou d ’escuyer” (59).
Partant de ce texte qu’ils interprétèrent le plus restrictivement possible,
les réformateurs provençaux déchargèrent de l’assignation tous ceux qui
avaient usurpé la noblesse en témoignant dans des actes notariés. 52 proven
çaux échappèrent ainsi à l’amende (60).
C — “ D échargem ent” de ceu x qui n’usurpèrent la noblesse que dans un seul
acte
Une application stricte de l’arrêt du Conseil du 13 janvier 1667 aurait
normalement dû déterminer des condamnations d ’amende. La Commission en
jugea différemment et 18 provençaux contre lesquels le Traitant ne pouvait
produire qu’un acte furent ainsi déchargés de l’assignation.
D — “ D échargem ent” des m ineurs et des dém ents
L’usurpation perpétrée pendant la minorité (4 cas) ou en état de
démence (2 cas) ne fut pas pénalisée sous la première réformation, l’irrespon
sabilité ayant été retenue par les Commissaires.
E — “ D échargem ent” des héritiers d ’un faux-noble décédé entre l ’assignation
et la com parution
Dans les huit espèces rencontrées le décès de l’usurpateur met un terme
aux poursuites ; les héritiers du faux-noble étant normalement déchargés de
l’assignation lancée contre leur père.
(57) B. 1360 F° 50 R° - 69 R°.
(58) Exceptionnellement, et c’est le cas de Balthazar d’Astonssy, écuyer de
Marseille, une mention plus longue fonde le “déchargement” : “comme ne possédant rien
en Provence”.
(59) F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales. . . op. cit. p. 818-819.
(60) Ibid. p. 834. Sur ce point leur interprétation fut correcte puisque l’arrêt du
4 juin 1668, article VI, leur donne raison.
�190
Il faut cependant souligner que, sur ce point, la jurisprudence de la
Commission laisse apparaître certaines contradictions : les réformateurs, en
effet, n ’avaient pas hésité à condamner à 300 livres d ’amende, dans une
espèce absolument identique, les héritiers d ’un usurpateur décédé (61).
F — “ D échargem ent” des usurpations im putables au seul notaire
En certains cas les faux-nobles accusaient les notaires, devant qui les
actes incriminés avaient été passés, de leur avoir, à leur corps défendant,
donné les qualifications réservées au second ordre.
C’est ainsi que cinq provençaux furent déchargés de l’amende, les
qualités dont ils étaient jusque là décorés, étant imputables à une “erreur”
du notaire ; huit autres bénéficièrent du même avantage car, affirmèrent-ils,
c’est “par mocquerie” que le notaire les avait en quelque sorte anoblis ; enfin
en une seule espèce c’est la “complaisance” du notaire qui est mise en cause.
De telles décisions de déchargement ne laissent de surprendre ; en effet,
au terme des édits d’avril 1531, d ’octobre 1535, de l’ordonnance d ’Orléans
de 1560 et de l’édit de Blois de 1579, la pleine et entière responsabilité du
notaire était posée en principe, lorsqu’il s’agissait de manquements caracté
risés aux devoirs de sa charge (62). Il eut été dès lors normal qu’un jugement
de déchargement, imputable à l’attitude d ’un notaire royal, détermine à
l’encontre de ce dernier les sanctions prévues par ces textes.
G — “ D échargem ent” pour “services rendus au R o i”
16 usurpateurs provençaux bénéficièrent d ’un tel avantage. Dans tous les
cas l’usurpation de noblesse était constante et associée à l’exercice d ’emplois
suffisemment élevés pour permettre, sur le plan de l’apparence, une assimila
tion parfaite au second ordre. C’est sur le seul fondement des charges et des
offices exercés que les Commissaires et Belleguise refusèrent d ’appliquer les
sanctions prévues par le législateur.
Une telle attitude est absolument injustifiable sur le plan du droit ; seul
le Roi, qui avait posé un principe auquel il ne pouvait être dérogé, était à
même d’accorder des exemptions (63).
(61) B. 1360 F° 443 V° : jugement de condamnation du 18-11-1667 contre les
héritiers de feu Honoré Bénin.
(62) Cf. Barrigue de Montvalon : Précis des Ordonnances, Edits, Déclarations,
Lettres-patentes, Statuts et Règlemens, dont les dispositions sont le plus souvent en usage
dans le ressort du Parlement de Provence. (Aix, 1752), p. 282-284.
(63) Un seul cas, celui de Louis Marcel, écuyer d’Hyères, est conforme à ce
schéma : un arrêt du Conseil du 5-IV-1667 le déchargera de l’assignation ; les Commis
saires entérineront cette décision par un jugement de “déchargement” rendu le
12-XII-1667 - Cf. B. 1360 F° 133 R°.
Quoi qu’il en soit il semble que dans ces différentes espèces l’attitude des Commis
saires' puisse être analysée comme la conséquence de la jurisprudence dégagée par la
�191
H — “ D échargem ent” du corps des Gentilshommes-verriers
Représentés par leurs syndics, Pierre-Antoine de Fere et Melchion
Perrot, ils obtinrent le 15 mars 1668 (64) un jugement les déchargeant
collectivement des assignations lancées individuellement contre eux.
Prenant habituellement les qualifications de “noble” , “écuyer” et plus
fréquemment encore celle de “noble-verrier” (65), les provençaux apparte
nant au corps des gentilshommes-verriers n’avaient pas été à même de
démontrer qu’ils étaient nobles de race, ou du moins descendaient d ’un
anobli. C’est ainsi qu’un certain nombre d ’entre eux, nous le verrons, pour
éviter des sanctions pécuniaires plus lourdes désistèrent volontairement leur
noblesse (66).
La procédure normale eut été pour la Commission, de s’assurer que tous
les membres du corps appartenaient au second ordre ; une telle enquête
aurait ainsi permis d ’éliminer, conformément aux règles posées par le
législateur, ceux qui ne s’étaient qu’agrégés à noblesse à la faveur du seul
exercice de ce métier privilégié.
Les magistrats provençaux en jugèrent autrement : le 15 mars 1668 ils
prenaient une décision, aberrante sur le plan du droit, puisqu’elle consacrait
l’existence d ’un ordre intermédiaire entre roture et noblesse, celui des
Genthilshommes-Verriers, composé ni de membres du second ordre puisque
le droit aux qualifications de “noble” , d’“ écuyer” ou de “chevalier” , critères
traditionnels de la noblesse, leur était refusé, ni de membres du Tiers-Etat
puisque la Commission leur reconnaissait la prérogative exclusive de se
qualifier “ Gentihomme-Verrier” (67).
(63 suite)
Commission à propos des charges de Capitaine et de la noblesse militaire qui en découlait
(cf F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales . .. op. cit. p. XXIII et sq.). En effet, il
pouvait ne pas paraître illégal de décharger de l’assignation un “bas officier” d’infanterie
ou de cavalerie dès l’instant où l’on admettait que ce même “bas officier” était
susceptible d’accéder un jour à une charge anoblissante. Dès lors, de tels déchargements,
sans pourtant leur être assimilables, ne laissent pas de rappeler les jugements de
déchargements rendus au bénéfice de roturiers bénéficiant de la noblesse personnelle
intransmissible ( Cf. F.P. Blanc : Note sur la noblesse personnelle intransmissible à travers
les réformations de la noblesse provençale, 1666-1718).
(64) B. 1360 F° 147 R°
(65) Cf Archives des B. du Rh. : B. 3363 F° 326 V° - 338 R°, B. 3378 F° 486.
R° - 491 R° et B. 3388 p. 936-951.
(66) Cf. notamment B. 1360 F° 409 V° et 411 R°. Les deux autres déchargements
collectifs ayant été décidés au bénéfice des Consuls de Seyne et de La Bréole (Supra
note 50).
(67) Certains jugements de “déchargement” furent émis par la Commission en-suite
d’une erreur reconnue par le Traitant lui-même — Belleguise fut, en chaque espèce,
contraint d’admettre que l’assignation lancée contre divers particuliers n’était pas justifiée
et qu’il convenait, de ce fait, de les en décharger — Cinq sortes de déchargements
imputables à des assignations injustifiées peuvent ainsi être relevés :
�192
(6 7 suite)
— Assignation
— Assignation
— Assignation
— Assignation
Commission
— Assignation
par
par
par
de
suite d’une erreur
suite d’une erreur
suite d’une erreur
particuliers dont
du Traitant
sur la personne
sur la qualification
le statut juridique a déjà été tranché par la
de gentilshommes ressortissant à une autre province.
1) Assignation par suite d'une erreur du traitant
“
il a esté mis au roole par équivoque . . . requeroit au moyen de ce d’estre deschargé
de toute recherche . . . deschargé pour n’avoir prins la qualité en aucun acte”.
Telle est la phraséologie employée dans 13 jugements de déchargement ; la procé
dure utilisée est particulièrement simple : assigné par le Traitant aux fins de produire ses
titres de noblesse devant la Commission, le défendeur présente une requête dans laquelle il
manifeste son étonnement d’avoir été assigné puisqu’il n’a jamais usurpé les qualifications
du second ordre. Le vide du dossier, l’absence de contredit du Traitant, c’ést-à-dire la
reconnaissance par ce dernier d’une erreur matérielle (note A), et donc son consentement
au déchargement suivi de sa condamnation aux dépens du procès, closent ces espèces
rapidement jugées.
Un cas cependant, celui d’Henri Daumas, menuisier, d’Apt, présenta quelques
difficultés par le fait que ce dernier s’était laissé condamner par défaut le 16 février 1668
à 100 livres d’amende (B. 1360 F° 256 R°). Avant de consentir au déchargement le
13 août 1669, Belleguise, qui avait déjà fait saisir les biens de Daumas, fit cependant
quelques difficultés, en arguant du fait que l’accusé ayant reçu son assignation en main
propre, était parfaitement au courant des faits qu’on lui reprochait, il aurait donc dû
présenter sa requête avant que n’intervienne le jugement de défaut et la saisie mobilière.
(Voir tableau page suivante)
2) Assignation par suite d ’une erreur sur la personne
En deux espèces le Traitant fut contraint, en cours de procès, de reconnaître qu’il
avait fait erreur sur la personne de l’assigné ; il fut bien sûr condamné aux dépens par le
jugement de déchargement.
— Le cas d ’Honoré d ’Arbaud, “apoficaire d ’A ups”.
Alexandre Belleguise prétendait qu’il s’était qualifié écuyer en divers actes, passés
devant notaire en 1654, à Villecroze ; il semble qu’il fut très facile au défendeur de
prouver tout d’abord qu’il n’était pas de Villecroze mais d’Aups, ensuite que les
qualifications prises en 1654 l’avaient été par un autre Honoré d’Arbaud, Sgr. de Bresc
qui par ailleurs avait désisté la noblesse à laquelle il prétendait le 10 juillet 1667 (B. 1360
F° 394 V° ) sur le motif qu’il avait égaré les titres et documents susceptibles de conforter
son droit. Honoré d’Arbaud fut en conséquence déchargé de l’assignation le 29 avril 1668
(B. 1360 F° 216 R°).
(Note A) Il était d ’autant plus facile au traitant de com ettre des erreurs matérielles que
l’hom onym ie était très im portante en Provence. Il y eut ainsi trois aixois, deux marseillais, un cassidin
e t un pertuisien s’appelant B onnet et ayant tous désisté leur noblesse (B. 1360 F 352 R °, 356 V ,
376 V °, 378 R°, 386 V°, 395 V° et 415 R °) ; le traitant aura pû les confondre avec les deux Bonnet
déchargés par la Commission. L’exemple fourni par Laurent Niel est plus probant encore ; outre deux
provençaux, du nom de Niel, qui désistèrent leur noblesse (B. 1360 F° 361 R° et 372 V °), il y eut un
Laurent Niel, de Castellane, parent du déchargé, qui fu t condam né comme faux-noble le 6-IV-1669 à
300 livres d ’amende (B. 1360 F° 513 V °) ; on peut supposer en toute vraisemblance que la similitude
de nom , de prénom et de résidence aie pû provoquer une erreur du T raitant ; cette erreur sur la
personne est du reste reconnue expressément dans les deux cas décrits au paragraphe suivant.
i
�193
(67 suite)
Tableau de ceux qui furent déchargés
de l’amende ou de l’assignation pour avoir été
assignés ou condamnés par erreur
Résidence
Nom
Références
à B .1360
Amoureux Pierre
Digne
F0 56 R°
Barries Joseph-Gaucher de
Arles
F° 70 R°
Bonnet Honoré
La Penne Les Tartonnes
F° 69 R°
Bonnet Pierre, fils du précédent
La Penne Les Tartonnes
F° 69 R°
Daumas Henri
Apt
F° 256 R°
Daumas Honoré
Cannes
F° 50 R°
Flèche Antoine
Arles
F° 117 R°
Gallettes Charles
Mezel
F0 56 R°
Gibelly Henri
Cuers
F° 52 R°
Niel Laurent
Castellane
F° 64 R°
Saboulin Pierre de
Marseille
F° 39 R°
Suffret Louis
Fréjus
F° 53 R°
Tour Maximin de La
Grasse
F° 50 R°
- Le cas de Charles Audibert “Maistre d ’Ache de La Ciotat".
Il est en tout point analogue au précédent. Pour le confondre le Traitant lui
présenta un certain nombre de contrats où en effet un ciotadin du nom d’Audibert se
qualifiait noble et écuyer ; le défendeur put rapidement démontrer qu’il s’agissait de son
cousin François Audibert, lequel s’était déjà mis à l’abri de toute poursuite en désistant sa
noblesse le 11 juillet 1667 (B. 1360 F° 400 R°) pour le même motif que ci-dessus : perte
provisoire des documents attestant sa soi-disant qualité. Charles Audibert fut de ce fait
déchargé de l’assignation le 7 septembre 1668 (B. 1360 F° 228 R°).
3) Assignation par suite d ’une erreur sur la qualification
Trois provençaux furent “à la poursuitte” du traitant, assignés devant la Commission
aux fins de prouver leur noblesse, les qualifications dont ils usaient habituellement leur
conférant sans conteste une apparence noble ; ces qualifications ne furent point cependant
considérées comme telles par les magistrats aixois qui, après avoir entendu les justifica
tions des défendeurs, les déchargèrent de toutes poursuites.
a) Querelle autour du terme “écuyer”
+ Gabriel d’Arnaud :
Le traitant fut à même de produire contre Gabriel d’Arnaud, de Grasse, une
multitude de contrats et actes divers où le défendeur prenait constamment la qualité
d’écuyer. Gabriel d’Arnaud fut cependant déchargé de l’assignation car il avait droit à
13
�(67 suite)
cette qualification non pas parce qu’il était noble mais “ . .. sur la raison qu’il est escuier
d’escurie . . . ” (B. 1360 F° 50 R°).
+ Antoine Attenoux :
Plus curieux est le cas d’Antoine Attenoux, de Roquebrune. Belleguise soumit aux
magistrats nombre d’actes où le défendeur prenait la qualification d’“escuyer”. Sommé de
s’expliquer Attenoux leur déclara qu’étant “bourgeois” il ne prétendait nullement à la
noblesse et n’avait même “ . . . jamais pris la qualité de noble ni d’escuyer mais bien celle
d’eschiée comme étant son nom de guerre à fin de se différencier des auttres Attenoux
qui sont en grand nombre audit lieu . . . ”. Certes il est vrai que la famille Attenoux était
nombreuse à Roquebrune et se partageait même la seigneurie du lieu ; il n’en demeure pas
moins que l’argumentation du défendeur sur son soi-disant nom de guerre ne peut que
laisser dubitatif, d’autant plus que dans les actes présentés par le traitant, le “pseudo
nyme” s’orthographiait bien “escuyer” et non “eschiée” et que trois cousins du défendeur
avaient volontairement reconnu avoir usurpé les qualifications nobles les 10 octobre
(B. 1360 F°316 R° : Désistements de Barthélémy et Etienne Attenoux, coseigneurs de
Roquebrune) et 6 juillet 1667 (B. 1360 F°372 V° : Désistement d’Etienne Attenoux), ce
qui raisonnablement n’aurait pu qu’aggraver les présomptions pesant déjà sur le défen
deur ; or ce dernier argument ne fut pas même soulevé par Belleguise qui semble bien, en
l’espèce, avoir perdu un procès pour naïveté. Quoiqu’il en soit Antoine Attenoux fut
déchargé de l’assignation le 28 février 1668 (B. 1360 F° 143 R°).
b) Qualification résultant de la substitution du nom du fief au patronyme originel :
le procès de Joseph de Cadry, Sgr. de Saint-Jullien, contre Belleguise.
Assigné à “la poursuitte” du traitant aux fins de produire ses titres de noblesse,
Joseph de Cadry, habitant Fayence, déclara que n’étant pas noble il ne prétendait
nullement aux privilèges du second ordre. Belleguise présenta alors à la Commission toute
une série d’actes dans lesquels Joseph de Cadry s’intitulait tout simplement “le Seigneur
de Saint-Jullien” et signait ces actes “de Saint-Jullien”.
La Commission estima qu’une telle attitude ne pouvait constituer une usurpation de
qualifications nobles et que le défendeur avait parfaitement le droit de s’intituler devant
notaire “Sgr. de Saint-Jullien” puisqu’il possédait effectivement ce fief. En conséquence
Joseph de Cadry obtint un jugement de déchargement le 29-X-1667 (B. 1360 F° 126 R°).
Certes il n’y avait pas d’usurpation et sur ce point la décision prise par les
Commissaires est bien fondée ; en effet aucun des nombreux textes royaux édictés depuis
le début de la recherche n’autorisait le traitant à considérer une telle qualification comme
une usurpation de noblesse. Il faut cependant noter que les magistrats de la Commission
méconnurent, en l’espèce, le droit positif de l’époque puisque l’ordonnance de janvier
1629 sur la justice, toujours en vigueur en 1667, prévoyait, en effet dans son article 211,
que tous gentilshommes devaient signer du nom de sa famille et non de celui de sa terre
“dans tous actes et contrats . . . à peine de nullité” (Archives des B. du Rh. : Registre
Néron F° 782 R°) ce qui donc était valable pour le second ordre l’était à fortiori pour les
roturiers : Joseph de Cadry aurait dû être semoncé sur ce point.
Il est vrai qu’en Provence l’application de cet article 211 laissait à désirer, la simple
compulsion des minutes notariées de l’époque suffit à s’en persuader (note B). L’attitude
des Commissaires ne pouvait que permettre de plus grands abus en ce domaine à tel point
(Note B)
déclarations de
B. 1360 F° 395
requérant acte,
Point n ’est besoin, du reste, de rechercher des sources extérieures à la réform ation, des
désistement faites devant le greffe de la Commission tém oignent de pareils abus. Cf.
V° “dudit jo u r (1 1-V II-l667) Louis d ’H erm itte, Sr du Castellar a faict déclaration
signé du Castellar” .
�195
(67 suite)
qu’au XVIIIe siècle on considérera ce texte comme “nul et non avenu” en Provence (Cf.
Barrigue de Montvalon : op. cit., p. 408).
4) Assignation d ’un particulier dont le statut juridique a déjà été tranché par la
Commission.
Six jugements de déchargement furent rendus au bénéfice de provençaux dont le
statut juridique avait déjà été défini par la Commission.
— Dans quatre espèces l’erreur du traitant est manifeste et reconnue par ce dernier :
le déchargement s’imposait.
— Dans le procès des Suffren il en va différemment ; c’est délibérément que le
traitant leur avait adressé une nouvelle assignation.
a) Assignation par suite d ’une erreur du traitant
Jacques Luce, de Grasse, avait désisté sa noblesse le 8 juillet 1667 et payé les
50 livres de l’amende “modérée” (B. 1360 F° 385 R°) ; assigné par erreur il put produire
devant la Commission la quittance provisoire que lui avait concédé Belleguise, qui fut en
conséquence condamné aux dépens (B. 1360 F° 50 R°). Il en alla de même pour Henri et
Jean Valence, Coseigneurs de Roquebrune, qui assignés alors qu’ils avaient désisté (B.
1360 F° 419 R° et 420 R°) furent déchargés sans problème (B. 1360 F° 53 R°). Jean
de Perier qui avait renoncé à la noblesse le 9 juillet 1667 (B. 1360 F° 392 R°) sera à son
tour déchargé le 29 mai 1668 (B. 1360 F° 219 R°).
b) Le procès des Sufren
Il n’en alla pas aussi aisément pour Pierre et Pierre de Suffren, oncle et neveux,
habitant Salon, et qui, pourtant avaient été reconnus nobles les 13 (B. 1356 F° 221 R°)
et 14 mai 1667 (B. 1356 F° 223 R°) sur le fondement des lettres de noblesse obtenues
par leur famille en septembre 1557 (B. 47 F° 15 R°).
En cette espèce le traitant ne voulait nullement contester le principe juridique
rattachant cette famille au second ordre, la “noble race et lignée” des Suffren n’étant plus
à prouver (note C) ; Belleguise cependant ayant découvert, depuis le jugement de
maintenue, divers contrats démontrant la dérogeance de cette famille, désirait tout
simplement faire casser par les Commissaires leur précédente décision et faire déclarer les
défendeurs “usurpateurs du titre de noblesse”. Aussi quand ces derniers présentèrent les
deux jugements de mai 1667, Belleguise mit sous les yeux des Commissaires trois contrats.
Du premier de ces contrats, en date du 16 septembre 1660, il ressortait qu’ils avaient pris
en “arrentement”, c’est-à-dire en fermage, pour huit années, “le mollin à bled et ses
dépendances appelé le Sallomony” qui appartenait à Estienne Trossier. Par le second, du
18 décembre 1660, ils devenaient fermiers pour neuf ans d’un autre “mollin à bled dit de
Brigon” et appartenant à Balthazar d’Eiguesier. Enfin le 2 avril 1664 ils prenaient toujours
en “arrentement” les “quatre molins à bled” appartenant à Sauveur Lombard, marchand
de Salon.
Sans conteste les Suffren étaient fermiers, Belleguise ayant par ailleurs démontré aux
Commissaires que les moulins affermés n’avaient pas même été “sous arrentés” et qu’en
conséquence les deux Pierre de Suffren avaient accompli personnellement des travaux
suffisamment “vils” pour être condamnés (B. 1360 F° 250 R°).
(N ote C) Les deux jugem ents de m aintenue de mai 1667 m ontrent que Pierre de Suffren en est
à son quatrièm e degré de noblesse, alors que son neveu représente la cinquième génération noble — Cf.
F.P. Blanc : L ’o r ig in e d e s f a m ille s p r o v e n ç a le s . . . o p . c it. p. 544.
i
�196
(67 suite)
C’était en vérité une bien grande présomption pour un traitant, nécessairement
roturier, que de vouloir faire condamner par des magistrats appartenant à la noblesse de
robe, les représentants d’une maison appartenant à la même noblesse (note D).
Il fallait cependant trouver un biais juridiquement acceptable pour écarter les
arguments de Belleguise : certes les Suffren avaient “tenus en leur propre lesdicts mollins
à bled” mais ils avaient “faict valoir iceux par des vallets à gaige”. Dès lors le grief de
dérogeance résultant de l’“arrentement” n’était plus fondé et les deux jugements de
maintenue de mai 1667 gardaient toute leur valeur. C’est ce que décida la Commission le
7 février 1669 en déchargeant les Suffren de leur assignation, après que ces derniers leur
aient présenté un certificat des “fermiers du poids de la farine de Sallon” (note E) qui
attestait que les moulins affermés étaient bien tenus par des valets (B. 1360 F° 250 V°).
5) Assignation de gentilshommes ressortissant à une autre province
La compétence de la Commission était bien sur limitée au ressort de la généralité
d’Aix, c’est-à-dire aux deux Comtés de Provence et Forcalquier et aux terres adjacentes
dont la vicomté de Marseille et l’archevêché d’Arles. Cependant lorsqu’un étranger prenait
en la généralité les qualifications du second ordre, les commis du “traitant”, dans
l’ignorance de sa résidence principale, le faisait assigner, et, devant la Commission,
l’intéressé ou son mandataire, soulevait l’incompétence des magistrats.
Huit jugements de déchargement furent ainsi rendus au bénéfice de nobles ou
faux-nobles comtadins, languedociens, dauphinois et même parisiens.
Ainsi Claude Dizy, Pol-Antoine et Jean de Vaudène, tous trois “citoyens
d’Avignon”, présentèrent requête pour être déchargés le premier de l’amende en juin
1668, les autres de l’assignation en août 1667 (Note F) ; Claude Dizy avait même eu à
subir une saisie des biens qu’il possédait en Provence alors qu’il n’avait pas encore été
assigné à comparaître ; il fut évidemment déchargé de toute poursuite le 7 juillet 1668
(B. 1360 F° 222 R°). François de Genton, Sgr. de Bessac (B. 1360 F° 239 R°,
(Note D) Les Suffren avaient, en effet, au m om ent du procès d ont s’agit, déjà fourni quatre
Conseillers au Parlement de Provence, dont le dernier, Louis, Sgr. de Saint-Tropez était précisément en
fonction au m om ent de la réform ation. C’est dire q u ’il était difficile à la Commission de condam ner
comme faux-nobles les représentants d ’un tel lignage. Signalons en outre que le Conseiller Louis était
fils de Marguerite d ’Arnaud, parente du Commissaire du même nom , ce qui, non plus, n ’a pas du peser
pour rien dans la décision des Commissaires.
(N ote E) Ces fermiers du Poids de la farine étaient de simples particuliers (roturiers bien sur
puisque fermiers, ceux qui signèrent le certificat étaient Antoine V ert, avocat et Mathieu Bajot,
marchand) dont le témoignage ne pouvait en aucune façon perm ettre de trancher une question aussi
im portante que celle soulevée par Belleguise ; si pareille facilité avait été accordée à tous ceux qui
furent condam nés par la Commission, il n ’y aurait pas eu un seul faux noble en Provence.
Théoriquem ent le Juge royal de Salon ou les Consuls élus auraient dû contresigner ce certificat qui
faute de ce ne pouvait être considéré comme faisant foi.
(Note F) B. 1360 F° 116 R° : Jugements de déchargem ent du 6-IX -1667. C’est
avec ironie e t brio que Pol-Antoine de Vaudène, qui était avocat, défendit lui-même sa cause et celle de
son fils Jean, devant la Commission : " . . . luy et son fils sont originaires de la ville d ’Avignon quy est
son véritable domicilie et où tous ses biens sont scittuez, que sy bien il a passé quelques contractz dans
la ville de Tarascon où les nottaires l’ayant quallifié noble ou escuyer il a peu prandre ceste qualité
dans les terres du R oy puisqu’il n ’a jamais veu ny ouy dire y avoir aucun édict de Sa Majesté par
lequel il feust deffandu aux estrangers de prandre les quallitez quy luy sont esleues et permises dans
leur pays et que néanmoings au presjudice de ce tant luy que sondit fils sont esté assignez à la requeste
de Me Alexandre Belleguise, chargé par Sa Majesté de la recherche, en exibition de leurs filtres de
noblesse. Mais d ’autant q u ’ils n ’on t aucun domicilie en ceste province et q u ’ils n ’y possèdent aulcungs
biens e t q u ’ils sont habittans dans la ville d ’Avignon au C om tat Venissin, requière d ’estre deschargé de
l’assignation . . . ” .
�197
(67 suite)
déchargement du 28-X-1668) et Jean-Louis Meyere (B. 1360 F° 255 R° : déchargement
du 3-VIII-1669, “ .. . attendu qu’il n’est pas d’ici. .. ”), le premier résidant sur son fief,
le second à Bléziers, en Dauphiné, furent aussi sur leur requête, déchargés de l’assignation
étant dauphinois et prétendant relever de cette dernière province. Paul du Tillois, Sgr. de
Montsargues, en Languedoc, mais résidant de façon permanente à La Ciotat, fut déchargé,
sur sa demande, de l’assignation, étant “noble languedocien” (B. 1360 F° 231 R° :
déchargement du 7-IX-1668) ; cette dernière espèce cependant aurait mérité, de la part de
la Commission, un peu plus d’attention : certes, du Tillois semble avoir suffisemment
prouvé ses origines languedociennes ; il n’en demeure pas moins qu’il faisait sa résidence
ordinaire à La Ciotat, dans le ressort de la généralité d’Aix, et qu’en conséquence les
magistrats aixois étaient compétents pour trancher son cas : du Tillois aurait du être
astreint à prouver sa noblesse ou à la désister. Rappelons, à ce propos, qu’il y eut
26 désistements “provisoires” de noblesse, fondés justement sur les difficultés rencontrées
par des provençaux d’origine extérieure à la province, à prouver leur appartenance au
second ordre (voir infra : Annexes, Tableau IV) ; compte tenu de ces précédents l’attitude
de la Commission est difficilement justifiable.
François de Saporta, Sgr. de Châteauneuf, s’était déjà laissé condamner, par
jugement de défaut, en date du 26 novembre 1667 (infra : Annexes, Tableau I) lorsqu’il se
souvint, fort à propos, (mais bien tardivement ! ) qu’il n’était pas provençal mais
languedocien, sa résidence principale étant à Montpellier (B. 1360 F° 139 R° : décharge
ment du 18-11-1668).
Toute aussi suspecte est l’attitude adoptée par François de Ludier, ancien “maistre
d’hostel du duc d’Angoulème” et “de présent au service de la dame duchesse douairière
d’Angoulème” ; François de Ludier, en effet, résidait ordinairement à Paris pour les
nécessités de son service auprès de la duchesse, par ailleurs il prétendait être originaire du
comté de Champagne, il demanda donc à être déchargé de l’assignation, comme n’étant
pas provençal, ce qui lui fut accordé (B. 1360 F° 149 R° : déchargement du 24-1II-1668).
Or, la famille Ludier n’était en aucune façon d’origine champenoise, mais de HauteProvence : un des cousins de François, Charles de Ludier, résidant à Manosque, avait
même reconnu volontairement avoir usurpé la noblesse dans le désistement définitif qu’il
en fit le 13 juillet 1667 (B. 1360 F° 422 V°).
La Commission, en l’espèce, semble avoir manqué de sévérité ; en effet pour peu
que les autres Commissions fonctionnant au même moment dans les autres généralités du
Royaume, aient adopté une solution identique dans des espèces analogues, les consé
quences peuvent aisément se deviner : beaucoup de faux-nobles purent, sans doute,
échapper à la recherche et continuer leur usurpation. Il était, en effet, tout aussi facile à
François de Ludier, de déclarer aux magistrats parisiens qu’il était provençal, qu’il
relevait donc de la Commission aixoise et qu’en conséquence ils n’étaient pas compé
tents pour trancher son cas.
i
�§2 -
LES DESISTEM ENTS V O LO N TA IR ES DE N OBLESSE
C’est la seconde procédure utilisée par les réformateurs provençaux pour
sanctionner l’usurpation des titres de noblesse.
Pendant trois mois les faux-nobles provençaux furent autorisés à “désis
ter leur noblesse” , c’est-à-dire à déclarer publiquement qu’ils renonçaient
pour l’avenir
toutes prétentions relatives à leur soi-disant appartenance au
second ordre ; la sanction du désistement étant une amende “modérée” de
50 livres.
Il s’agissait donc d ’une atténuation, volontairement consentie par le
législateur, des prescriptions posées par l’arrêt du Conseil d ’Etat du 16 août
1666.
Il faut voir l’origine de cette institution dans les remontrances que le
Parlement de Provence adressa au Roi le 5 mars 1667 (68).
Nous envisagerons donc successivement :
— Les remontrances du Parlement de Provence du 5 mars 1667
— La procédure de désistement de noblesse.
I. LES REMONTRANCES DU PARLEMENT DE PROVENCE DU 5 MARS
1667
Ces remontrances apparaissent essentiellement fondées sur le caractère
original de la fiscalité provençale, c’est-à-dire sur la réalité des tailles.
Que la taille soit réelle en Provence impliquait, en matière de noblesse,
la compétence exclusive du Parlement et expliquait selon ce dernier l’impor
tance toute particulière du phénomène d ’usurpation. Il était dès lors néces
saire non seulement de révoquer l’arrêt du Conseil d ’Etat du 16 août 1666 et
la Commission du même jour adressée à six officiers de la Cour des Comptes,
mais encore d’autoriser les faux-nobles provençaux à désister leur noblesse
sous le contrôle du seul Parlement.
L’argumentation des parlementaires était la suivante :
Certes, il était impérieusement nécessaire de procéder à la réformation
de la noblesse provençale :
“ . . . l’une des plus nécessaires refformations dans vostre Royaume étoit celle
de l’état et qualité des personnes, puisque la licence des guerres et la
négligence de l’exécution des ordonnances des Roys, vos prédécesseurs,
avoient attiré une telle confusion qu’à peine pouvoit-on distinguer la véritable
'
- 1• ■
- ■.■
(68)
F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales. .. op. cit. p. 820 et sq. — pièc
justificative n° 8.
�199
noblesse de la fausse, il étoit bien nécessaire que Votre Majesté oblige tous
ses sujets de revenir dans leur devoir, se connoitre eux-mesmes et se remettre
à leur ordre.
Ce seroit bien vainement que les Roys, vos prédécesseurs, avoient
accordé à la noblesse du Royaume tant de privilèges pour les distinguer du
reste du peuple, tant de titres de chevaliers et écuyers, tant de marques
d’armoiries timbrées et autres, s’il étoit permis à un ambitieux au lieu
d ’acquérir ces honneurs par les dignitez ou par les lettres d ’annoblissement
dont les Rois ont accoutumé de gratifier les personnes de vertu et de méritte,
d ’usurper les mêmes droits et avantages et prendre impunément cette qualité
de noble et d ’écuyer” (69).
Une telle réformation, cependant, telle qu’elle est actuellement exécutée
se révèle insusceptible d ’aboutir aux résultats escomptés par le gouvernement
royal. Elle repose, en effet, sur une législation inadaptée au contexte
provençal ; l’édit de février de 1665, l’arrêt du Conseil d ’Etat et la
Commission du 16 août 1666 ont été “obtenus. . . vraisemblablement par
surprise et contre l’intention de Votre Majesté” car ils ne tiennent point
compte du système fiscal de la Provence :
“un pays d’état et de droit é cr i t . . . les tailles y sont purement réelles . . . par
ainsi toutes les qualités de noble, d’écuyer et de chevalier n’exemptent pas de
la taille un fonds roturier, quelque dignité que puisse avoir son posses
seur” (70).
L’originalité d ’un tel contexte détermine trois conséquences :
1) L’usurpation de noblesse ne saurait être considérée en Provence com m e
“ un abus considérable” com parable à celui dont souffrent les pays de
coutum e où la taille est personnelle (71)
Dès lors, les pénalités financières prévues par le législateur (“ L’amende
pour les usurpateurs de noblesse est réglée à 1 000 livres, sans qu’elle puisse
être moindre que lesdites 300 livres” (72)) se révèlent disproportionnées du
fait du défaut d’incidence fiscale du délit.
Qui plus est, ce défaut d’incidence fiscale se traduit en Provence par une
multiplication des délinquants :
(69) Ibid. p. 821.
(70) Ibid. p. 822.
Cette argumentation est incontestablement fondée hormis le cas de compensation et
l’émigration des faux-nobles en pays de taille personnelle —Voir Infra notes 4 et 5.
(71) Ibid. p. 822 : “Il en est des corps politiques comme des naturels, comme il y a
des tempéramments différents et qu’une constitution peut être altérée par les mêmes
remèdes qui servent à relever la santé d’un autre, ainsi les remèdes propres à une province
peuvent être mortels à une autre . . . ”.
(72) Argumentation contestable résultant d’une analyse tendancieuse de l’arrêt du
Conseil du 16 août 1666 —Voir supra § 1.
i
�200
“on y a remarqué une si grande légèreté d ’esprit à s’attribuer la vanité des
titres et des qualités qu’il n’y a point de chétif bourgeois qui dans ses
contracts ne se soit qualifié écuyer, sans pourtant se soustraire du commerce
et de son état naturel et notemment en votre ville de Marseille et autres
maritimes auxquelles par déclaration des Roys, vos prédécesseurs, Charles IX
et Louis XIII, les nobles sans déroger à leur noblesse peuvent négo
cier . . . ” (73).
"JP
L’application stricte des pénalités financières prévues aurait donc pour
seule conséquence l’appauvrissement de la province et même en certains cas,
pourrait déterminer un mouvement d ’émigration.
“ Si cette Commission s’exécutoit avec cette rigueur et qu’on en vint à punir
tous les coupables de cette légèreté, on viendrait à désoler presque toutes les
familles de cette province dans chacune desquelles il y a plus de personnes
quy ont pris cette qualité qu’il n ’y a de biens et de commodité pour en
pouvoir payer la peine, les frais et les dépens qu’il leur faudrait supporter,
seraient même capables de faire déserter plusieurs familles” (74).
2) Le respect du systèm e fiscal provençal aurait norm alem ent dû aboutir à
la consécration de la com p éten ce du seul Parlement d ’Aix en matière
de réform ation de noblesse.
“ L’usurpation de la noblesse est un crime qui regarde l’ordre de l’Etat
et la police universelle du Royaume au lieu que la Cour des Aydes n’a autre
droit que de connoistre de l’exemption des tailles qui n’est point acquise en
Provence, que cette qualité de noble qui est la seule raison par laquelle Votre
Majesté les attribue aux officiers des Aydes dans les pays d ’élection ; en
effet, les Ordonnances d ’Orléans, article 110, et de Blois, articles 256 et 267,
qui deffendent les noms d ’écuyer, les marques et qualités de noblesse, en
attribuent la possession aux Juges ordinaires et la poursuite à vos Procureurs,
chacun en son siège, pour montrer que c’est de la juridiction ordinaire
comme une dépendance de la police, la Cour des Aydes n’ayant jamais connu
sinon que de la noblesse des fonds et des lettres en Provence” .
Il est donc nécessaire de “conserver” au “ Parlement la vérification de
cette déclaration puisque le plus légitime et le plus naturel de ses attributs
est celui d’empêcher les abus publics et de fère exécuter vos ordonnances, de
réprimer le luxe et de contenir chacun dans son rang et son ordre” (75).
La “Commission (adressée) à six officiers de la Chambre des Comptes et
Cour des Aydes de ce pays” a été obtenue subrepticement (76) ; il convient
:N
(73) F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales. . . op. cit. p. 822.
(74) Ibid. p. 822.
(75) Ibid. p. 823.
(76) Compte tenu de cette argumentation, juridiquement fondée, il convient de se
demander pourquoi ce furent six officiers de la Cour des Comptes d’Aix, et non pas six
parlementaires provençaux qui bénéficièrent des lettres de Commission du 16 août
�201
donc de la révoquer. Cela est d’autant plus nécessaire que les Conseillers aux
Comptes assument mal cette tache tant sur le plan de la repression qui est
trop brutale que sur celui de l’application des règles juridiques en vigueur
dans le comté.
— La repression est trop brutale
Les magistrats exécutent leur Commission “avec tant d ’oppression pour
les sujets de Votre Majesté, tant de désordre et de confusion dans les
principales villes de cette Province” que les “Procurueurs du pays” et les
“ Echevins de la ville de Marseille” ont été contraints de présenter requête au
Parlement afin que soit mis un terme à “cette violence” (77). Les Commis(76 suite)
1666 (F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales.. .op. cit. p. 816, pièce justificative
n° 4).
Il semble que l’on puisse répondre à cette question par la seule analyse des “Notes
secrètes sur le personnel de tous les Parlemens et Cours des Comptes du Royaume
envoyées par les Intendans des Provinces à Colbert, sur sa demande, vers la fin de Van
1663”, publiées par G.B. Depping in Correspondance administrative sous le règne de Louis
XIV entre le Cabinet du Roi, les Secrétaires d ’Etat, le Chancelier de France et les
Intendants et Gouverneurs de Province, les Présidents, Procureurs et Avocats Généraux des
Parlements, (Paris, 1850-1855, 4 vol.), T. II, p. 94 et sq.
Il ressort de ces notes secrètes que parmi les membres des Cours Souveraines
aixoises, visés en 1663 et encore en fonction en 1666, la plupart de ceux sur l’appui
duquel Colbert pouvait compter, pour l’instauration de ses réformes, étaient membres de
la Cour des Comptes.
Ainsi le premier Président de Séguiran est qualifié “honneste homme, bon serviteur
du Roy, fort facile, et qui, estant attaché à son plaisir, n’a pas d’authorité dans sa
Compagnie”. Le Conseiller d’Aymar est “assez intelligent, un peu malin”. Le Conseiller
d’Arnaud est ”assez honneste homme”. Le Conseiller d’André, enfin, est “honneste
homme et dont on peut se servir”.
A l’opposé les notations dont sont gratifiés les parlementaires sont d’une sévérité
assez stupéfiante : “foible et sans action” (de Foresta) ; “homme de toutes sortes de
traitez et de partis” (Grimaldi-Régusse) ; “ce n’est pas un homme fort intelligent . . . il
seroit capable de faire du mal” (de Coriolis) ; “sans expérience” (de Thomas) ; “il ne le
faut encore compter pour rien” (de Simiane) ; “homme d’intérest” (de Valbelle) ; “un peu
chaud” (de Barrême) ; “a esté autrefois dans le party des princes, avec chaleur et
emportement” (de Galiffet) ; “n’est pas un homme à qui on peut se fier” (de Gautier) ;
“un peu capricieux” (de Gantes) etc...
Esmivi de Moissac proposera au XVIIIe siècle une autre hypothèse, au terme de
laquelle la désignation de membres de la Cour des Comptes s’était faite avec l’accord
secret du Premier Président du Parlement : Forbin-Maynier d’Oppède (cf F.P. Blanc :
L 'origine des familles provençales. . . op. cit, p. 825).
Il n’est du reste pas impossible de lier les deux faits ; l’attitude du premier Président
de Forbin ayant pu être déterminée par les notes secrètes dressées en 1663 et dont il était
sans doute l’auteur pour sa Compagnie, puisqu’il est seulement mentionné, sans aucune
notation, en tête du personnel parlementaire (cf. G.B. Depping : op. cit. p. 94).
(77)
C’est la présentation de cette requête qui déterminera, affirment les remon
trances, le Parlement à agir.
�saires sont même allés jusqu’à “souffrir” que “le traitant aye . . . fait des
exécutions viollantes sans un préalable commandement et même enfoncé des
portes, mis garnison et exigé des dépens extraordinaires” (78).
(77 suite)
Il est à noter que les 14 et 18 mars 1667 les Procureurs du Pays, dans l’Assemblée
des Communautés tenue à Lambesc, supplièrent directement le Roi de renoncer à la
recherche des faux-nobles en Provence ou du moins de modérer les amendes et même, en
certains cas, d’y renoncer.
Archives des B. du Rh. : C. 43 F° 91 R° et V° : Assemblée des Communautés du
14 mars 1667 : “Sur la troisième desdites condictions quy est pour la révocation de
l’édict concernant la recherche de ceux quy ont usurpé les tiltres de noblesse et prins des
qualités qui ne leurs sont pas deubes, c’est un édict général, par tout le Royaume bien
juste et bien nécessaire pour contenir chascun dans son ordre, la noblesse ayant inthérest
que ceux qui n’en sont pas n’en prennent pas le tiltre et la qualité, quoy qu’elle ne leur
donne aucun privilèges, ny exemption des charges dans le pays où les tailles sont réelles,
et les roturiers n’ont pas moins d’inthérest de maintenir dans leur ordre ceux quy en sont,
soit à cause du commerce parmy ceux de leur rang, ou pour maintenir les familles en un
estât de moindre esclat et moins de despence, que pour l’amande, d’une quallité quy leur
est infructueuse, Sa Majesté la modérera sur le roolle qui sera arresté par Messieurs les
Commissaires, voyant le nombre quy s’y trouvera, et parce que pour lesdites amendes on
faisoit des violentes exécutions, Messieurs les Procureurs du Pays et les sieurs eschevins de
la ville de Marseille en ayant porté leur plainte au Parlement par des requestes, ladite Cour
a suplié Monseigneur le Gouverneur de s’entremettre pour disposer lesdits sieurs Commis
saires de surceoir lesdites exécutions jusques au retour d’un courrier qui seroit envoyé à
Sa Majesté pour sçavoir plus précisément ses intentions, ce surcy n’ayant pas esté refusé
aux soins et à l’amour que Son Altesse a pour le repos et la tranquillité du général et du
particulier de la province, ce courrier estant party depuis trois jours”.
C. 43 F° 93 V° : Assemblée des Communautés du 18 mars 1667.
“Pour ce qui est de la recherche des faux-nobles et l’aplication des amendes, le Roy
sera encore très humblement suplié de fère finir ladite recherche et de révoquer la
Commission expédiée pour ce subjet et à tout cas de modérer les amendes de ceux qui
ont cru pouvoir insister ausdites qualités et d’accorder une descharge entière à ceux qui
feront déclaration publique ou judicière qu’ils y renoncent puisqu’elles leur ont esté
infructueuses et que Sa Majesté ny le public n’y ont souffert aucune part”.
(78)
Dans une seule espèce qui nous est fort heureusement parvenue et qui, sans
aucun doute, est celle à laquellle les Parlementaires font allusion en la généralisant
outrancièrement, la brutalité des préposés de Belleguise est manifeste.
Cf. B. 1360 F° 431 R° : “Sur la requeste présantée par François Grange et
Alphonse Latil, bourgeois de la ville de Marseille, contenant qu’ils seroient esté assignés en
exibition de leurs tiltres de noblesse à la requeste de Me. Alexandre Belleguise, chargé par
Sa Majesté de ladite recherche, sur laquelle s’estant présantés ils auroient faict voir par
plusieurs actes comme ils n’avoient jamais pris autre quallité que celle de bourgeois et que
par ainsy ils debvoient estre deschargés de ladite assignation, d’autant mieux qu’ils ne
prétandoient point se qualliffier du tiltre d’escuyer, néanmoins soubs prétexte qu’en
quelques procédures qu’ils avoient faictes, l’ung comme Consul et depputé du commerce
et juge des marchands, et l’autre comme Recteur de la Charité, on les avoit quallifiés
escuyers, ledit Belleguize sur ce fondament avoit obteneu arrest le 16 febvrier 1667 portant
condemnation de 400 livres d’amende pour chascuns, deux sols pour livre, et 10 livres des
�203
— Le droit nobiliaire est mal appliqué
“ Lesdits Commissaires au préjudice des ordonnances des Roys, vos
prédécesseurs, et des distinctions que Bacquet, Carondas, Loiseau et autres
auteurs et praticiens françois en ont remarqué sur le chapitre des nobles et
des non-nobles” refusent indûment l’application des cinq règles suivantes :
+ En matière de noblesse de race “ils ont non seulement demandé des
preuves au delà du père et de l’ayeul, mais au delà de la centenaire” (79).
(78 suite)
despans, pour lesquelles sommes, sans aucun commendement, ni délay préceddan, ils
seroient esté exécuttés avec une violance sans example, car les portes de leurs maisons
seroient esté enfoncées et leurs meubles saisis, en telle sorte qu’ils furent constraincts pour
empescher la continuation de semblable violance de payer, le premier mars 1667, 920
livres, 10 sols à Me. Allexandre Fossé, garde du Roy en la prévosté de son hostel, porteur
dudit jugement, qui leur en avoit concédé quittance ; mais d’autant que Sa Majesté
auroit heu la bonté de fère un règlement général contenant que les amendes de 1 000
livres et autres auparavant dislaivrées contre ceux quy se sont indubement qualliffiés
escuyer sont modérées à 50 livres, en telle sorte que les suppliants qui prétandent de jouir
de l’exécution dudit règlement désireroient que ladite somme de 920 livres, 10 sols leur
feust randeue et restituée desduction faicte de 50 livres pour chascun, 2 sols pour livres et
6 livres de despans conformément à ladite déclaration, et pour cet effect que comman
dement seroit faict à Me. Pujol, Commis dudit Belleguize, qui a receu les deniers
provenans desdites amendes de leur rendre et restituer 798 livres, 10 sols à laquelle revient
le restant de 920 livres, 10 sols exigé desdits suppliants par dessus les 122 livres qu’ils
doibvent, pour les 50 livres de l’amende, 2 sols pour livre et 6 livres de despans pour
chascung, autrement que luy Me. Pujol y seroit constrainct par toutes voyes deubes et
raisonnables. Veu ladite requeste appoinctée soit monstrée au Procureur Général du Roy
et à partie du 28 juin 1667, jugement rendu par lesdits sieurs Commissaires portant
condemnation en ladite amende du 16 febvrier audit an, quittance de 920 livres, 10 sols
concédée par ledit Me. Fossé en faveur desdits suppliants le premier mars audit an,
desclaration faicte par lesdits Grange et Latil rière le greffe de la Commission contenant
désistement de la quallité d’escuyer qu’ils avoient cy devant prinse du second juillet
suivant, conclusions du Procureur Général du Roy sur ladite requeste du 21 novembre
1667, rescharge du jourd’huy, ouy le rapport du Commissaire, tout considéré, les
Commissaires députés par Sa Majesté ont ordonné et ordonnent que lesdits suppliants se
retireroient par devers Sa Majesté au subject de la restitution des deniers dont s’agist
attendu qu’ils ont esté receu sur la quittance du Sr de Bartillat, Garde du Trésor Royal.
Signé Séguiran et d’Arnaud”.
(79)
Les Commissaires avaient longuement hésités quant au choix de la preuve de la
noblesse de race. Ne parvenant pas à dégager de leurs délibérations une règle unanime, ils
demandèrent au Roi de poser souverainement un principe ; ce que Louis XIV fera par
arrêt rendu en son Conseil d’Etat le 19 mars 1667 ; c’est dire qu’à l’époque des
remontrances les six Consseillers aux comptes s’étaient volontairement déssaisis 4U fond
du problème et que, partant, les griefs des parlementaires n’avaient plus aucune raison
d’être. Cf. sur ce point : F.P. Blanc : La preuve de la noblesse de race en Provence à
l'époque des réformations de Louis XIV, in Annales de la Faculté de Droit d’Aix, I, 1972.
�+ Ils ont refusé de tenir compte pour preuve de noblesse de “la
réception des Chevaliers de Malthe” (80).
+ Ils n’ont pas accepté les “preuves par témoins au deffaut de la
littérale” (81 ).
+ “ Lesdits Commissaires n’ont non plus defféré aux privilèges de
noblesse accordés par les Rois, Vos prédécesseurs, auxdits maires et officiers
de vos villes” (82).
+ “ni à la vériffication des lettres de noblesse enregistrées aux sièges de
(80) Sur ce point l’attitude des Commissaires provençaux est absolument inatta
quable :
Pour les chevaliers reçus dans l’ordre de Saint-Jean avant le XVIIe siècle, les preuves
produites aux fins d’admission ne pouvaient, en tout état de cause, être considérées que
comme un critère d’appartenance à des familles aisées et de bonne moralité ; ce qui bien
sur n’exclut ni la noblesse, ni la bourgeoisie. Cf. Cte de Grasset : Inventaire des Archives
du Grand Prieuré de Saint-Gilles, (Paris, 1869).
Ce ne fut, en effet, que sous Aloph de Vignacourt, élu Grand-maître en 1601, que le
règlement des preuves fut définitivement arrêté établissant pour chaque langue le nombre
de quartiers de noblesse requis. Cf. Recueil du Congrès des Sociétés Savantes de Provence
tenu à Arles en 1908 ; (Arles, 1909), p. 328.
Quoi qu’il en soit, même à partir du grand magistère de Vignacourt, les preuves faites
par les chevaliers ne reposent que sur un nombre déterminé de générations tant paternelles
que maternelles ne recouvrant pas nécessairement la preuve centenaire ou la preuve dative.
La notion de titre primordial de noblesse étant elle-même écartée par la notion de
quartiers de noblesse.
Enfin et surtout l’ordre de Malte étant souverain, la procédure d’admission
ressortissait de l’application d’un droit étranger et ne pouvait de ce fait être admise
comme un critérium français de noblesse. Il était, dès lors, normal que les Commissaires
provençaux imposent aux hospitaliers, fussent-ils chevaliers de Justice, l’ensemble des
preuves produites par les autres gentilshommes.
Plusieurs chevaliers de la Langue de Provence virent ainsi leurs preuves contestées
(cf. notamment F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales... op. cit. p. 465 et sq.,
Maison de Raoulx) ; d’autres furent condamnés comme faux-nobles : ainsi Frédéric
Mazerat “Chevalier de Malte” (cf. B. 1360 F° 392 R°) et Elzias de Moulât “Chevalier
profess de Malte, Commandeur d’Espinas” (cf. B. 1360 F°383 R°).
(81) Ce faisant les Commissaires provençaux ne faisaient qu’appliquer les prescrip
tions posées par la déclaration royale du 27 février 1665 au terme de laquelle “tous ceux
qui prétendront jouir du titre de noblesse, et des privillèges d’icelle seront tenus de
produire leurs titres en originaux” ; une telle règle excluait, sans appel, la preuve
testimoniale - Cf. F.P. Blanc : L’origine des familles provençales . . . op. cit. p. 812.
(82) Attitude parfaitement conforme à la législation royale qui ne conféra jamais la
noblesse de cloche aux édiles des municipalités provençales —Cf. sur ce point F .P. Blanc :
La noblesse de cloche en France à l’époque de la premier réformation (1666-1669). La
ville de Marseille bénéficiait-elle de la noblesse municipale ? in Mélanges offerts au
professeur Louis Falletti, Annales de la Faculté de Droit de Lyon, II, 1971.
�205
la province, sous la foy desquelles enregistrations les impétrans ont vécu un
siècle” (83).
3 ) L’arrêt du Conseil d ’Etat du 16 aoû t 1666 autorisant le traitant “de faire
assigner indiférem m ent les nobles et les n on -n ob les” (8 4 ) établit une
procédure vexatoire pour les gentilshom m es, et dont les conséquences
vis-à-vis des Parlementaires, son t absolum ent inadm issibles, et ce à un
double poin t de vue
— Le Parlement jouissait aux XVIIe et XVIIIe siècles d’une incontes
table primauté sur toutes les autres Cours provençales. Par rapport à la Cour
des Comptes, cette primauté ne pouvait se manifester, puisqu’il y avait un
partage précis de compétence, qu’au niveau des prééminences, des diverses
étiquettes et autres protocoles traditionnellement observés à Aix. Dans tous
les cas, sans aucune exception, les parlementaires avaient ainsi acquis le pas
sur les Conseillers aux Comptes (85).
Or la règle posée en 1666 méconnaissait ces droits acquis puisqu’elle
perm ettait à six magistrats de la Cour des Comptes “ de régler l’honneur des
familles des officiers dudit Parlement et leurs parents” (86).
— S’agissant de “tous autres procès de la moindre importance et
-considération” , c’est-à-dire de querelles de compétence, le Roi avait, jusqu’à
présent, accepté d’évoquer en son Conseil les diverses “contentions” entre les
deux Cours (87).
La règle posée en 1666 ne saurait donc non plus déroger à un principe
juridiquement établi par des arrêts de Règlement : “vostre Parlement s’est
toujours soumis avec tant de zèle et fidélité à l’honneur de vos commande
ments q u’il n’a pas sujet d ’appréhender de se voir priver par un Traitant du
plus important de ses attributs qui regarde la refformation de la police
générale du Royaume, une loy de cette considération a besoin d ’une autorité
entière et universelle pour estre partout observée et ce serait corriger un abus
par un bien plus grand et extraordinaire de rendre l’ordonnance des six
Commissaires de la Cour des Aydes, exécutoire dans le Parlement en se
soummettant de tenir pour nobles et pour ecuyers ceux que lesdits Commis
saires auroient tenus tels” (88).
(83) En ces espèces, encore, les règles appliquées par la Commission sont parfai
tement conformes au Droit nobiliaire provençal de l’époque moderne —Cf. sur ce point :
F.P. Blanc : L ’anoblissement par lettres en Provence à l ’époque des réformations de Louis
XIV, (Aix, 1971), p. 331 et sq., p. 420 et sq.
(84) F.P. Blanc : L origine des familles provençales. . . op. cit. p. 822.
(85) Cf. sur ce point : Barrigue de Montvalon : op. cit. p. 298.
(86) F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales.. .op. cit. p. 824.
(87) F.P. Blanc : L ’Anoblissement par lettres en Provence. . . op. cit. p. 351 et sq.
(88) F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales. . . op. cit. p. 824.
�206
4 ) La solu tion proposée par le Parlement
— Il apparait nécessaire compte tenu de ces diverses remontrances, que
l’Edit ordonnant la réformation provençale soit révoqué (89).
Si une telle hypothèse se réalisait, il serait cependant indispensable de
réprimer l’usurpation de noblesse, en tenant compte toutefois de l’originalité
de la “constitution” provençale.
Les faux-nobles seront donc seulement invités à désister volontairement
leur noblesse : “ il suffit que les faux-nobles quitteront la qualité et les
marques qu’ils ont usurpées, et à ces fins ils rem ettront leurs déclarations par
devers les greffiers des Sénéchaux de la province dans un tel temps et sous
telle peine qui seroit ordonné” (90).
— Si nonobstant cette proposition raisonnable le Roi “ne désire pas . . .
d’ordonner la révocation” de l’Edit, le Parlement propose les aménagements
suivants :
+ Interdiction au Traitant d’assigner les gentilshommes :
“Votre Parlement espère de votre bonté royale que du moins votre bon
plaisir sera que les véritables nobles ne soient pas inquiétés par assignation,
n’étant pas au possible de tant de veuves et de mineurs et pupilles de
représenter des pièces dont ils ne seront pas informés, la recherche et les
extraits d’icelles leur couteroient plus que l’amende des faux-nobles” (91 ).
+ Suppression ou modération de l’amende :
“ Et en ce qui est des usurpateurs de noblesse, Votre Majesté ordonera, s’il
luy plaist, ou un entier déchargement de la peine, ou du moins que suivant
vos ordonnances elle sera arbitrée par les juges, n’excédant au plus la somme
de cinquante livres, laquelle somme est capable de raporter à Votre Majesté
bien plus que celle qu’elle s’est proposée par cet édit” (92).
+ Compétence du seul Parlement :
“ Et partant il plaira à Votre Majesté de donner lettres de déclaration
adressées à Votre Parlement ou aux Commissaires du corps d ’iceluy qu’il
plaira à Votre Majesté de commettre, ce qui obligera votre Parlement de
(89) Ibid. p. 823, “La félicité du règne de Votre Majesté nous fait espérer, Sire,
qu’elle agréera nos très humbles supplications pour la révocation de cet Edit, puisque ne
proposant que des moyens doux et légitimes dans l’ordre”.
(90) Ibid. p. 823.
(91) Ibid. Une telle affirmation semble amplement exagérée. La recherche de
quelques actes notariés et leur production “en extraits”, ne déterminaient certainement
pas des débours équivalents à une amende de 100 livres ; or cette dernière pouvait, selon
les cas, atteindre 1 000 livres.
(92) Ibid. p. 823. Un des principaux objets de l’édit : “rapporter” au Roi, par le
biais des amendes, une notable augmentation de revenus, n’a pas échappé aux parlemen
taires provençaux qui n’hésitèrent pas à utiliser cet aspect des réformations à l’appui de
leurs remontrances.
�continuer ses vœux pour la prospérité et la gloire de Votre Majesté dans un
profond respect et entière obéissance” (93).
Ces trois propositions constituaient, en vérité, infiniment plus qu’un
simple aménagement du système mis en place par le gouvernement royal ;
tout, en effet, est remis en question, hormis, sur le plan des principes, la
pénalisation des faux-nobles, toujours présentée comme nécessaire, mais
considérablement atténuée quant à ses effets répressifs.
II. LA PROCEDURE DU DESISTEMENT DE NOBLESSE
Le 28 mars 1667, par arrêt rendu en son Conseil d ’Etat (94), Louis XIV
rejètera les remontrances de son Parlement d ’Aix.
(93) Ibid. p. 824.
(94) F.P. Blanc: L ’origine des familles provençales. . . op. cit. p. 826-827, pièce
justificative n° 10.
“Le Roy s’estant faict représenter en son Conseil les anciennes ordonnances, les
déclarations et arrests concernant les usurpateurs du titre de noblesse, la Commission de
Sa Majesté à ses officiers de la Cour des Comptes, Aydes et Finances de Provence pour
travailler à la recherche desdits usurpateurs et les condamner à l’amande despuis 300 livres
jusques à 1 000 livres selon leurs facultez, le résultat du Conseil du 16 août 1666 par
lequel Me. Alexandre Belleguize s’est chargé de la poursuite desdits usurpateurs et de fere
la recette desdites amendes aux conditions y contenues, l’arrest du Conseil du dix
neufième jour du présent mois de mars portant l’explication des pouvoirs desdits sieurs
Commissaires et de ce que Sa Majesté a résolu de voir estre observé en exécution de leur
Commission et les remonstrances faites à Sa Majesté par le Parlement de ladite province
au sujet de ladite recherche ; le tout veu et meurement examiné, Sa Majesté étant en son
Conseil, ayant aucunement esgard auxdites remonstrances a ordonné et ordonne que dans
trois mois du jour de l’enregistremant du présent arrest au greffe de ladite Commission et
affiche mise à la porte d’iceluy, ceux qui auront pris induement la qualité de chevalier ou
d’escuyer, seront tenus de venir audit greffe ou d’y envoyer leur procuration en bonne
forme, par laquelle ils se désisteront de prandre ladite qualité et aux privilèges de
noblesse, et pour avoir contrevenu aux ordonnances ils payeront chacun la somme de 50
livres ez mains du Commis du Sr de Bartillat, garde du Trésor Royal, ainsy qu’il sera
ordonné par lesdits sieurs Commissaires, moyennant quoy ils feront deslivrer à ceux qui
feront lesdites déclarations une expédition de leurs jugemants pour lequel et tous autres
despans il sera payé six livres et en cas que quelques particuliers voulant soubstenir la
prétendue qualité de noble et ledit Belleguize le contraire et en cas que lesdits
Commissaires déclareront lesdits particuliers usurpateurs, ils les pourront condemner à
l’amande laquelle sera réglée en égard à leurs biens et facultez, voulant Sa Majesté que les
jugemants desdits Commissaires soient exécutez nonobstant oppositions ou appellations
quelconques, faisant Sa Magesté deffences audit Parlement et à tous autres juges que
lesdits Commssaires d’en prendre cognoissance à peyne de nullité, faict au Conseil d’Estat
du Roy, Sa Majesté y estant, tenu à Saint Germain en Laye le vingt huitième jour de
mars mil six cent soixante sept”.
�208
La réformation de la noblesse provençale devait donc être continuée sur
le seul fondement des textes promulgués en 1665 et 1666.
Un aménagement considérable était cependant prévu par le législateur
qui accordait aux faux-nobles provençaux le droit de désister volontairement
(94 suite)
Dès la promulgation de ce texte, les Commissaires durent trancher un certain
nombre de problèmes relatifs aux jugements qu’ils avaient déjà prononcés.
Les usurpateurs condamnés antérieurement pouvaient, en effet, estimer être lésés par
le seul fait qu’ils n’avaient pu bénéficier de la “modération” associée à la procédure de
désistement. Les magistrats provençaux durent donc sur ce point poser un certain nombre
de règles ; par un jugement (dont nous ignorons la date) ils précisèrent la portée exacte de
l’arrêt du 28 mars 1667.
Cf. F.P. Blanc: L origine des familles provençales. . . op. cit. p. 827-828, pièce
justificative n° 11 :
“Les Commissaires députez par Sa Majesté pour l’exécution de sa déclaration du
XXVIII février 1665 et arrest du Conseil du 16 aoust 1666 pourvoyant à la réquisition
verbalement faite par le Procureur Général du Roy en la Commission sur les difficultés
qui se pourraient présenter à l’éxécution de l’arrest du Conseil du 28 mars dernier à
l’égard des condamnés auparavant icelluy, ont ordonné et ordonnent que tous ceux quy
ont contesté et soutiennent la qualité de noble ou d’escuyer et qui en ont esté déboutés
payeront l’amende portée par les jugements contre eux rendus avec les deux sols pour
livre, ensemble les dépans modérés par lesdits jugemens et outre ce trois livres pour
l’exploit de commandement si point en y a, et quand à ceux qui sont condemnés par
forclusion ou qui n’ont pas soutenu ladite qualité de noble ou descendant ordonnent
qu’ils jouiront de la modération portée par ledit arrest du Conseil dudit jour XXVIII mars
dernier, et à ces fins ne payeront que les 50 livres portées par icelluy ensemble les deux
sols pour livre d’icelles et les dépans portés par ledit jugemant contre aux rendus,
ensemble 3 livres pour l’exploit de commandement si point y en a, faisant néanmoins
inibition et deffences à Me. Alexandre Belleguize, ses commis et préposés de ne recevoir
aucun deniers desdits condemnés et autres quy ont fait et fairont déclaration contenant
désistement desdites qualités de noble ou d’escuyer de ne recevoir aucun denier d’iceux
sans leur en concéder bonne et valable quittance à peine de . . . Signé : Séguiran”.
Aux termes de ce texte il était décidé que ceux qui avaient déjà été condamnés, après
avoir soutenu, pendant leur procès, qu’ils étaient effectivement nobles, seraient astreint au
paiement des amendes prononcées contre eux. En revanche, ceux qui avaient été
condamnés par défaut, ou qui, ayant normalement répondu à l’ordre de comparution,
n’avaient pas soutenu, pendant le procès, leurs prétentions au second ordre, seraient
autorisés à bénéficier de la modération prévue par l’arrêt du Conseil.
A la vérité un tel jugement ne semble pas avoir été suivi d’effet, car dans la seule
espèce qui nous est connue, où deux particuliers contradictoirement condamnés, alors
qu’ils ne revendiquaient aucunement la noblesse, demandent normalement à jouir du
bénéfice de modération, les Commissaires refusent d’accéder à leur demande et renvoient
le dossier au Conseil du Roi. Cf. supra note 78.
Il est, cependant, probable que ce jugement non appliqué ait eu une incidence sur le
montant des condamnations prononcées, postérieurement aux désistements, par les
magistrats, provençaux. En effet, la plupart des jugements rendus “par forculsion”,
c’est-à-dire par défaut, furent vraisemblablement sanctionnés par une amende “modérée” à
50 livres. Cf. supra note 28 et infra, Annexes, Tableau I.
�209
la “qualité” et les “privilèges de noblesse” et d’obtenir ainsi une condam
nation financièrement plus avantageuse que celle découlant d ’un jugement de
la Commission.
C’était donc, en dépit du rejet apparent des remontrances du Parlement,
une synthèse des plus importantes propositions faites par ce dernier que le
Roi décidait d ’appliquer en Provence. On peut donc affirmer que c’est grâce
à l’intervention parlementaire que les usurpateurs provençaux bénéficièrent
de la possibilité de désister leur noblesse.
Comment fut appliquée la procédure du désistement de noblesse ?
Quels en furent les résultats ?
Nous tenterons successivement de répondre à ces deux questions.
A — Com m ent fu t appliquée la procédure du désistem ent de noblesse ?
Une telle procédure était en principe étroitement réglementée par l’arrêt
du 28 mars 1667 qui prévoyait notamment une application strictement
limitée dans le temps.
Nonobstant cette règle impérative les Commissaires de la Cour des
Comptes feront bénéficier de l’avantage du désistement certains provençaux
n ’ayant point renoncé à la noblesse dans les délais prévus par le législateur.
Nous envisagerons donc successivement :
— Le principe : Le désistement de noblesse par application de l’arrêt du
28 mars 1667.
— L’exception : Le désistement de noblesse par autorisation expresse
des Commissaires députés.
1) Le Principe :
Le désistement de noblesse par application de l’arrêt du 28 mars 1667.
L’arrêt du 28 mars 1667 imposait le respect des trois règles suivantes :
— Un délai était prévu limitant dans le temps la faculté de “désister” à
“trois mois du jour de l’enregistrement du présent arrêt au greffe de ladite
Commission et affiche mise à la porte d ’iceluy” .
— Ceux qui désiraient bénéficier de cette procédure devaient venir faire
leur déclaration de désistement au greffe de la Commission, c’est-à-dire dans
l’étude de Me. Isnardy, greffier commis, ou “y envoyer leur procuration en
bonne forme” .
— La condamnation pour usurpation, sanction du désistement de no
blesse devait se traduire par une amende de 50 livres perçue sur chaque
faux-noble, et par l’expédition, moyennant 6 livres, d ’un jugement de con
damnation attestant l’accomplissement de la procédure.
a) Le délai de trois mois, 13 avril 1667 — 14 juillet 1667
Ce délai devait, en principe, trouver son point de départ “du jour de
l’enregistrement” par le greffe de la Commission, de l’arrêt du 28 mars 1667.
14
�Conformément à cette règle les Commissaires rendirent un “jugement
d’enregistrement” le 13 avril suivant (95).
Trois mois plus tard, le 14 juillet 1667, ils proclamaient la clôture du
délai et spécifiaient aux usurpateurs de noblesse qu’ils seraient désormais
“descheus du bénéfice de modération” (96).
(95) Ibid. p. 828-829, pièce justificative n° 13 ;
“Les Commissaires députez par Sa Majesté pour la verrification des titres de
noblesse et recherche des usurpateurs d’icelle au présent pays de Provence, veu l’arrest
rendu au Conseil d’Estat, Sa Majesté y estant, le vingt huit du mois de mars dernier, signé
de Lionne par lequel Sadite Majesté ordonne que dans trois mois à compter du jour de
l’enregistration du présent arrest au greffe de la Commission et affische mise à la porte
d’icelluy ceux qui auront pris induement la qualité de chevalier ou d’escuyer seront tenus
de venir audit greffe ou d’y envoyer leur procuration en bonne forme, par laquelle ils se
désisteront de ladite qualité et aux privilèges de noblesse et pour la contravention par eux
commise aux ordonnances payeront la somme de 50 livres ez mains du commis du Sieur
Bartillat et qu’en conséquence dudit désistement, il leur fera deslivrer expédition du
jugement qui sera sur ce par nous rendu, et en cas que quelques particuliers veuillent
soutenir les qualités de noblesse et que par l’évènement ils soient déclarés par nous
usurpateurs d’icelle seront condemnés à l’amende eu égard à leurs biens et facultés,
ordonnant en outre Sa Majesté que les jugemants qui seront par nous rendus seront
exécutés nonobstant oppositions ou apelations quelconques avec deffense au Parlement de
Provence et à tous autres sièges d’en prendre connoissance à peine de nullité, comme plus
au long est contenu audit arrest, veu aussi la requeste présentée par le Procureur Général
du Roy en la Commission aux fins du registrement dudit arrest, nous avons ordonné et
ordonnons que le susdit arrest du Conseil du vingt huitiesme mars dernier sera registré ez
registres du greffe de la Commission et affische mise à la porte d’icelluy pour estre
exécutté selon sa forme et teneur. Signé : Seguiran”.
(96) Ibid. p. 832-833, pièce justificative n° 18 :
“Les Commissaires députez par Sa Majesté pour la vérification des tiltres de noblesse
et recherche des usurpateurs d’icelle au présent pays de Provence en conséquence de sa
déclaration du XXVIII febvrier 1665 et arrest du Conseil du 16 aoust 1666, veu l’arrest
du Conseil du XXVIII mars dernier par lequel est ordonné que dans trois mois à compter
du jour de l’enregistrement d’icelluy au greffe de la Commission et affische mise à la
porte, ceux qui viendront désister les qualités et tiltres de noblesse, payeront la somme
de 50 livres, arrest d’enregistrement audit greffe du XIII avril suivant et verbal d’affische
mise le même jour à la porte d’icelluy, jugement par nous rendu le quinzième jour d’avril
suivant par lequel il est ordonné que pendant lesdits trois mois ceux qui viendront faire
ledit désistement seront déclarés usurpateurs des tiltres de noblesse et ordonne qu’ils
payeront ez mains du Sr Jean Pujol ladite somme de cinquante livres, deux sols pour livre
d’icelle, six livres pour tous frais avec injonction au greffier de la Commission d’expédier
sur ledit jugement général de condemnation des jugemans particuliers à ceux qui feront
leur désistement pendant lesdits trois mois tant sullemant, passé lesquels ils seroient
descheus du béneffice dudit arrest du Conseil, certificat de la publication, lecture et
enregistremen dudit jugemen dans les Sénéchaussées de la province, registres des desclarations faictes pendant lesdits trois mois et ouy le Procureur Général du Roy qui a requis
qu’attendu que lesdits trois mois portés par ledit arrest du Conseil soient expirés et que la
publication du jugement ayans esté faicts par toutes les Sénéchaussées, les usurpateurs quy
�211
b) Les déclarations de désistement faites “par procureur”
Ceux qui désiraient désister leur noblesse pouvaient se faire représenter
par bons et valables mandataires.
Cette possibilité fut très largement utilisée par les faux-nobles pro
vençaux puisque près de 60 % des déclarations de désistement furent
effectivement faites par procuration <97). Cette proportion assez surprenante
peut s’expliquer pour trois raisons.
+ L’étendue de la province et les moyens de communication de
l’époque ne pouvaient que favoriser l’utilisation de procureurs (98).
+ Une telle constatation, cependant, ne permet pas d’expliquer que les
faux-nobles aixois se fassent le plus souvent représenter, alors que le greffe
de la Commission se situait dans leur ville. Une telle attitude est parfaitement
explicite si l’on songe à la honte que pouvait ressentir un notable aixois en
désistant publiquement une noblesse qui pouvait passer pour solidement
établie aux yeux de ses concitoyens ou même seulement de ses “voisins” . Il
(96 suite)
n’ont pas faict leur désistement ne doibvent plus estre reçus à jouir de ladite modération,
requéroit pour l’intérest de Sa Majesté qu’il y feut pourveu, lesdits Commissaires ont
déclaré et déclarent tous les usurpateurs de tiltres et qualités de noblesse quy n’ont pas
faict dans les trois mois déistement desdites qualités, descheus du bénéfice de modération
portés par ledit arrest du Conseil du XXVIII mars dernier, ont ordonné et ordonnent que
lesdits registres seront clos et parafés, ont faict inhibition et deffances à Isnardi, greffier
de la Commission, de recevoir aucune déclaration et d’expédier des jugemens particuliers
de condemnation sur ledit jugement général du quinzième jour d’avril dernier et audit
Pujol de deslivrer quittance de ladite somme de 50 livres à peine de respondre du surplus
de l’amande qui sera décernée contre lesdits usurpateurs. Faict à Aix, le quatorsième jour
de juillet mil six cent soixante sept. Signé : Séguiran”.
(97) En ce qui concerne les derniers jours où furent reçus les désistements, on
obtient le tableau suivant :
Date
Nombre de
Désistements
Nombre de
Procurations
%
8 juillet
9 juillet
10 juillet
11 juillet
12 juillet
13 juillet
95
114
34
135
148
210
50
54
24
62
76
89
53,19
47,36
70,58
45,58
51,35
42,90
Encore faut-il noter que pour ces six journées, on constate une nette tendance en
faveur des déclarations faites personnellement par les faux-nobles, comme si la fin
prochaine de cette possibilité les incitait à ne s’en remettre qu’à eux-mêmes pour ne pas
perdre le bénéfice de l’arrêt du Conseil.
(98)
Il est fréquent de rencontrer un mandataire chargé par de multiples fauxnobles ressortissant d’une localité éloignée, de les représenter tous à la fois.
j
�était donc préférable d ’accomplir cette pénible formalité par personne
interposée (99).
+ Enfin si le désistement par procuration eut une telle extension il faut
aussi en voir la cause dans le fait suivant : les magistrats de la Commission
semblent avoir délibérément favorisé cette procédure en tolérant un assouplis
sement abusif des règles posées par le Conseil du Roi dans son arrêt du
28 mars.
Certes, d ’une façon générale, il s’agit de procurations en bonne et due
forme : l’acte est passé devant notaire, le nom de ce dernier et la mention de
la date figurent toujours dans la déclaration de désistement (100).
Cependant, furent aussi acceptés des désistements de noblesse faits par
mandataires prétendant agir en suite d ’un simple “pouvoir verbal” (101) ou
qui plus simplement déclaraient se “porter fort” pour l’usurpateur (102).
Un tel assouplissement des règles posées par l’arrêt du Conseil ne
pouvait qu’amoindrir la portée des condamnations consécutives aux désiste
ments ; et, de fait, nous le verrons, nombreux furent les “désistants” à
obtenir ultérieurement un jugement de maintenue de noblesse (103).
(99) C’est sans conteste un tel souci qui, par exemple, anima François (TEstienne,
Avocat au Parlement, et Jean-Baptiste d’Estienne ; tous deux, à l’instar d’une famille
homonyme authentiquement noble, avaient toujours utilisé les qualifications du second
ordre ; ils ne pouvaient donc, sans ridicule, venir déclarer, en personne, qu’en vérité ils
n’étaient pas nobles (Cf. B. 1360 F°398 R°et 421 V°).
Il en est de même pour Pierre Dupied-Lossy qui, quoique étant lui-même Procureur
au siège d’Aix, éprouve, cependant, le besoin de se faire représenter pour désister “sa”
noblesse (Cf. B. 1360 F°398 V°).
Plus symptomatique encore est le cas de Louis Berne qui alla discrètement à
Saint-Maximin faire une procuration à Me. Gasquet, notaire (Cf. B. 1360 F° 396 R°).
(100) B. 1360 F°364 V°et sq. passim.
(101) Cf. notamment B. 1360 F° 423 V°.
(102) Cf. notamment B. 1360 F° 424 R°, le cas de Paul Brunet,de Manosque.qui le
13-VII-16667 se porta fort pour son oncle Joseph Brunet avec promesse de présenter
ratification dans un mois, ce qui ne fut point fait ; B. 1360 F°414 V°, le cas de la famille
d’Antoine-Félix Tortel, docteur en médecine, “aujourd’huy aux Indes occidentales” qui
n’hésita pas à se porter fort pour l’absent, ce que la Commission accepta, alors même
qu’elle ne pouvait espérer une promesse précise de ratification. Autres exemples : B. 1360
F°410V°, François et André de Chapus, de Lambesc ; B. 1360 F° 413 V° : JeanAntoine Soliers, de Saignon ; B. 1360 F° 397 V° : Guillaume Guérin, “absent de la
province”.
(103) Voir infra Annexes, Tableau XII
Il convient de noter en ce qui concerne le choix du mandataire que si, parmi eux,
beaucoup sont effectivement Procureurs soit près les Cours supérieures,' soit près les sièges
des différentes Sénéchaussées provençales, les usurpateurs de village députent souvent leur
notaire ou leur curé. Bien souvent aussi, c’est un parent, lui-même usurpateur, qui vient
déclarer le désistement de tous les mâles de la famille, l’usurpation des titres de noblesse
étant, bien souvent, une entreprise tentée familialement. Le mandataire type demeure,
�c)
Le jugement général de condamnation du
m ontant de l ’amende
15 avril 1667 et le
Le 15 avril 1667, surlendemain de l’ouverture du registre des désiste
ments, le premier président de Séguiran, siégeant avec les Conseillers d’Aymar
et d ’André, rendit, conformément à l’arrêt du Conseil du 28 mars 1667, un
jugement général de condamnation (104) dont “un extrait particulier” devait
(103 suite)
cependant, le bourgeois, le marchand, ou le “praticien” aixois dont les relations d’affaire
avec les bourgs éloignés de la capitale autorisent nombre d’usurpateurs de village à leur
adresser des procurations par correspondance. Cf. sur ces divers points : B. 1360 F° 318
V° et sq. passim.
(104)
F. P. Blanc : L ’origine des familles provençales... op. cit. p. 829-830, pièce
justificative n° 14 :
“Les Commissaires députez par Sa Majesté pour l’exécution de sa Déclaration du 28
février 1665 et arrest du Conseil du 16 aoust 1666, veu l’arrest du Conseil du vingt
huitième mars dernier enregistré au greffe de la Commission et affiche mise à la porte
d’iceluy, ceux quy auront pris induement la qualité de chevalier, de noble ou d’escuyer
seront tenus de venir au greffe ou d’y envoyer leur procuration en bonne forme par
laquelle ils se désisteront desdites qualités et renonceront aux privilèges de noblesse, et
pour avoir contrevenu aux ordonnances ils payeront chascun la somme de 50 livres ez
mains du commis du sieur de Bartilhat, garde du Trésor Royal, ainsin qu’il seroit par nous
ordonné, moyennant quoy il sera deslivré à ceux qui feront leur déclaration une
expédition du jugement de condemnation pour lequel et tous autres frais il sera payé 6
livres, et ouy le Procureur Général du Roy en la Commission qui a requis que pour la
prompte expédition et soulagement des particuliers quy feront ledit désistement et payeront
ladite somme il soit donné contre iceux un jugement général de condemnation sur lequel
il sera deslivré à chascun d’eux un extrait particulier pendant trois mois tant seulement,
passé lesquels ils seront descheux du bénéfice dudit arrest, lesdits Commissaires ont
déclairé et déclairent usurpateurs du titre de noblesse ceux qui viendront dans les trois
mois en faire désistement et renoncer aux privilèges d’icelle ont ordonné et ordonnent que
les qualités de noble ou d’escuyer seront rayées et biffées de tous les contracts, actes et
jugements où elles se trouveront avoir esté par eux employées et le timbre apposé à leurs
armes rompu et brisé par le premier officier sur ce requis, lequel est pour cest effect
commis, leur faisant inhibitions et deffences de prendre à l’advenir telles et semblables
qualitez et de porter le timbre à leurs armes, à peyne de 1 000 livres d’amande et
néantmoins pour avoir contrevenu aux ordonnances, les ont conformément audit arrest du
Conseil condamnés en l’amande de 50 livres, et aux 2 sols pour livre d’icelle qu’ils seront
tenus en faisant leur désistement payer ez mains du sieur Jean Pujol, commis du sieur de
Bartilhat, Procureur de Me. Alexandre Bellequise chargé par Sa Magesté de la recherche des
usurpateurs des titres de noblesse et du recouvrement des amandes quy en proviendront,
moyennant quoy il sera tenu de fere recepvoir promptement et sans deslay pendant lesdits
trois mois lesdites déclarations de désistement et de fournir à chaque particulier un
jugement de condemnation pour lequel et tous autres frais il sera payé 6 livres et à cette
fin il enjoint au greffier de la Commission d’expédier sur le présent jugement général des
extaits particuliers du jour et datte que lesdits désistements auront esté faicts pendant
lesdits trois mois, commancés despuis le XIIIe du courant, passé lesquels les usurpateurs
du tiltre de noblesse seront descheus du bénéfice dudit arrest du Conseil et assigné, le
présant jugement sera leu et affisché à la porte du palais et partout ou besoing sera. Faict
à Aix le quinze apvril mil six cent soixante sept. Signé : Séguiran, Aymar, d’André”.
�214
être remis à chaque faux-noble venant faire sa déclaration ; la personnalisa
tion de ce jugement étant destinée à servir de garantie et “soulagement”
contre d ’éventuelles et ultérieures poursuites du Traitant.
L’amende fut fixée par l’arrêt du Conseil à la somme de 50 livres
payables “ez mains du Commis du sieur de Bartillat, Garde du Trésor
Royal” ; le même texte liquidait les dépans à 6 livres. A cette somme de
56 livres venaient encore s’ajouter les 5 livres (deux sols pour livre de
l’amende) de Belleguise. C’était donc une somme de 61 livres que les
condamnés sur désistement étaient tenus de débourser (105).
(105)
Chacun des trois débours donnait lieu à trois quittances délivrées par les
services de Belleguise.
Pujol, commis par Belleguise, lui-même commis par Bartillat, était chargé de la
perception de l’amende de 50 livres et des dépens de 6 livres ; c’est lui qui, en
conséquence était tenu de délivrer les quittances de ces deux sommes.
Un autre commis de Belleguise, Cavalier, était chargé de la perception des deux sols
pour livre et, partant, de la délivrance des quittances de 5 livres.
Les trois exemples suivants, relatifs à la condamnation de Pierre Arnel, faux-noble
de Riez, montrent bien cette répartition du travail.
B. 1360 F° 679 R° : “Je soussigné confesse avoir reçeu de Pierre Arnel, habitant de
Riez, viguerie de Moustiers, la somme de cinquante livres portée par l’arrest du 28 mars
dernier et jugement rendu en conséquence par Messieurs les Commissaires procédant à
ladite recherche des usurpateurs des titres de noblesse, portant que tous ceux qui ont pris
indeuement la qualité de chevalier, de noble ou d’escuyer, faisant dans trois mois
désistement en personne, ou par procuration en bonne forme desdites qualités, et
renonçant aux privilèges de noblesse, payeront ladite somme. Faict à Aix le XXVIIIe jour
du mois de juin mil six cens soixante sept. Signé : Pujol”.
Le rôle des “receveurs” du Traitant était donc particulièrement important ; le
transport et la garde des fonds perçus pouvaient, cependant, les exposer à de multiples
dangers. Pour assurer leur sécurité, Belleguise demandera l’autorisation d’armer ses
commis, ce que la Commission lui accordera par jugement du 15 mai 1667.
Cf. F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales. . . op. cit. p. 831, pièce justifi
cative n° 16 :
“Sur la requeste présantée par Me. Alexandre Belleguize chargé par Sa Majesté de la
varrification des titres de noblesse et recherche des usurpateurs d’icelle au pays de
Provence, contenant qu’il lui est nécessaire d’avoir plusieurs commis pour vacquer à
l’exécution des jugemens qui interviendront contre lesdits usurpateurs, il nous plaise
ordonner qu’il sera permis à tous lesdits commis et préposez dudit Belleguize de porter
des espées et pistollés, tant pour la conservation de leurs personnes que des deniers qu’ils
exigeront dans ladite province comme apartenant à Sa Majesté, Nous Commissaires
députez par Sa Majesté pour ladite vérification et recherche des titres de noblesse,
pourvoyant à ladite réquisition, avons permis et permettons à tous les commis préposez et
autres officiers qui seront employés pour l’exécution de nosdits jugemens de porter espées
et pistollés et autres armes nécessaires pour la conservation de leur vie, deffances à toutes
personnes de les troubler ny empêcher pour le port de cps dites armes à peyne de 2 000
livres d’amende. Faict à Aix, le quinzième jour de may mil six cent soixante sept. Signé :
Séguiran”.
Enfin, il convient de noter que les condamnés sur désistement étaient tenus de venir
retirer à Aix les quittances attestant le paiement de l’amende. Au terme d’un jugement
�215
(105 suite)
rendu sur requête de Belleguise le 29-VIII-1668 c’était là une obligation à laquelle ils
pouvaient être financièrement contraints.
Cf. F.P. Blanc: L ’origine des familles provençales... op. cit. p. 836-837, pièce
justificative n° 20 :
“Les Commissaires depputez par Sa Majesté pour la verrification des titres de noblesse et
recherche des usurpateurs d’icelle au présent pays de Provence, veu la requeste présentée
par Me. Alexandre Belleguize, chargé par Sa Majesté de la poursuite de ladite recherche et
du recouvrement des amandes qui en proviendront, contenant que par notre jugement du
15 avril dernier il aurait esté ordonné que ceux qui feroient désistement des tiltres de
noblesse dans les trois mois réglés par l’arrest du Conseil d’Estat du 29 mars dernier,
payeroient ez mains du Sr Jean Pujol, Procureur du Traitant, l’amande de 50 livres sur des
récépissés particuliers et parceque despuis en conséquence des roolles arrestés au Conseil
de Sa Majesté sur les estats desdits désistements il a esté expédié des quittances de finance
de pareille somme de 50 livres par le sieur de Bartillat, garde du Trésor Royal, pour et au
nom de chascun de ceux qui ont fait ledit désistement ensemble pour les condemner par
des jugements particuliers en ladite amande de 50 livres ou plus grande, il seroit nécessaire
de pourvoir à la distribution desdites quittances suivant l’intention de Sa Majesté et ouy le
Procureur Général du Roy en la Commission. Nous avons ordonné que dans un mois à
compter du jour de la publication du présent jugemant aux sièges des Sénéchaux de la
province, lesdits particuliers qui ont payé ladite amande de 50 livres en conséquence des
désistements par eux faicts desdites qualités de noblesse ou plus grande somme ensuitte
des jugemens de condamnation par nous rendus sur les récépissés dudit Pujol seront tenus
de les aporter ou envoyer en son bureau estably en la présente ville pour estre deslivré à
chascun d’eux sans aucun frais une quittance de finance du sieur de Bartillat, Garde du
Trésor Royal, de laquelle ils signeront ou leurs envoyés pour eux deux ampliations et à
faute pour lesdits particuliers d’y satisfaire dans ledit temps qu’ils y seront constraints
comme pour les propres deniers et affaires de Sa Majesté et à cest effect mandons aux
suststitus du Procureur Général auxdits sièges de faire lire, publier et enregistrer nostre
présent jugement. Faict à Aix, le vingt neufième jour d’aoust mil six cent soixante huit.
Signé : Seguiran”.
Ce jugement n’obtint pas le succès escompté puisqu’il fallut le 15-1-1669 le réitérer
en menaçant cette fois les désistants d’être contraints, de nouveau, au paiement de
l’amende de 50 livres.
Cf. F.P. Blanc: L ’origine des familles provençales... op. cit. p. 839, pièce
justificative n° 23 :
“Sur la réquisition présentée par Me. Alexandre Belleguize chargé par Sa Majesté de
la poursuitte de la vériffication des tiltres de noblesse et recherche des usurpateurs d’icelle
au présent pays de Provence, contenant que par le jugemen du 29 août dernier, il aurait
esté ordonné que les particuliers qui ont payé l’amande de 50 livres en conséquence des
désistements par eux faicts des qualités de noblesse ou plus grande somme, ensuite des
jugemens de condemnation par nous rendus sur les récépissés du Sieur Pujol, seront tenus
de les envoyer ou apporter à son bureau pour estre deslivré à chascun d’eux sans aucun
frais, une quitance de finance du Sieur de Bartillat, garde du Trésor Royal et quoy que
ledit jugemen aye esté publié dans toutes les sénéchaussées et dans les villes et lieux de la
province, la pluspart des particuliers ont négligé d’apporter ou envoyer lesdittes quit
tances, requeroit qu’il y feust pouvu attandu mesme que par arrest du Conseil du 4
octobre 1668 U a esté ordonné que dans ledit moys ceux qui ont payé sur lesdits
récépissés les feront convertir en quittances du Trésor Royal, passé ledit temps, lesdits
billets seront nuis et les particuliers quy les ont remis contraints de repayer, conclusion du
�216
d) Désistements provisoires et désistements définitifs
L’arrêt du 28 mars 1667 posait pour principe que les désistements de
noblesse étaient définitifs (106) ; en conséquence le jugement général rendu
par la Commission et expédié, sous forme d ’extrait individualisé, à chaque
désistant, déclarait expressément : “ . . . leur faisant inhibitions et deffences
de prendre à l’advenir telles et semblables qualitez et de porter le timbre à
leurs armes, à peyne de mil livres d ’amende . . . ” (107).
Force est cependant de constater que de nombreuses déclarations de
désistement sont assorties d ’une clause de “protestation de se pourvoir” leur
donnant un caractère provisoire.
Le fait que les Commissaires députés aient accepté l’insertion de telles
clauses pose un problème extrêmement grave sur le plan du droit nobiliaire.
Le désistement, tel qu’il se traduit au niveau du jugement délivré au
désistant est, en effet, absolument définitif, sans appel possible, puisque les
Commissaires ont, en la matière, une compétence souveraine. Chérin n ’hési
tera pas à affirmer que les conséquences du désistement sont plus graves que
celles mêmes de la dérogeance ou de la prescription (108).
Dès lors, il semble certain que de nombreux désistements provençaux
auraient dû être refusés, puisque, formellement, ils étaient en contradiction
absolue avec les conséquences juridiques liées à une condamnation définitive.
L’acceptation par les magistrats provençaux d ’un assouplissement de la
règle posée par l’arrêt du 28 mars 1667 semble être la résultante de la
démarche intellectuelle suivante : un arrêt du Conseil d ’Etat du 22 mars
1666, article XIX, réservait au Roi “la connaissance des oppositions qui
pourroient intervenir” contre toutes décisions relatives aux jugements de
(105 suite)
Procureur Général du Roy en la Commission, ouy le rapport du Commissaire, tout
considéré. Les Commissaires députez par Sa Majesté ont ordonné et ordonnent qu’à faute
par lesdits particuliers des villes et lieux où la publication de notre précédent jugemen a
esté faicte d’avoir satisfait à envoyer lesdites quittances, icelles leur seront incessament
apportées à leurs frais et despans que nous avons réglé à la somme de 6 livres pour
chacune desdites quittances et en cas de refus de les recevoir lors du commandemen et de
deslivrer lesdits récépissés et signer les ampliations ils seront constraint au payement des
sommes contenues auxdites quittances du Trésor Royal nonobstant lesdits récépissés qui
seraient nuis et de nul effect conformémment au présent arrest du Conseil. Faict à Aix, le
quinzième jour de janvier mil six cent soixante neuf. Signé : Séguiran”.
Nonobstant cette dernière décision, 179 quittances ne furent jamais retirées par les
intéressés. Elles sont aujourd’hui annexées au registre B. 1360 (F° 521 R° , 699 R° ) ;
elles concernent non seulement des “désistants” mais aussi des condamnés par jugements
rendus contradictoirement ou sur défaut ; elles intéressent non seulement les amendes
(156 cas) mais aussi les dépens et les deux sols pour livres (23 cas). Voir supra note 12.
(106) Voir supra note 94.
(107) Voir supra note 104.
(108) Chérin : Abrégé Chronologique. . .op. cit. p. XXVIII.
�217
condamnation pour usurpation (109). Dans la pratique de la Commission
provençale cela se traduisit par des jugements rendus contradictoirement,
sanctionnant l’usurpation et prononçant une peine pécuniaire, mais réservant,
toutefois, au bénéfice du condamné la possibilité d ’être relevé par le Roi de
ladite condamnation (110) ; le dossier du condamné était alors transmis aux
bureaux de Versailles et le Roi pouvait, le cas échéant, délivrer soit des
lettres de réhabilitation ( 111 ), soit des lettres ou un arrêt de maintenue de
noblesse (112).
S’agissant des déclaration de désistement, il semble que les Commissaires
aient entendu accorder le même bénéfice à tous ceux qui prétendaient
appartenir au second ordre, quoique provisoirement contraints, pour des
motifs divers, à désister leur noblesse.
Par rapport à l’arrêt du 28 mars 1667 une telle attitude était parfaite
ment illégale puisque le texte prenait le soin de préciser que ceux qui
prétendraient soutenir “la qualité” devraient être jugés contradictoirement et
pénalisés proportionnellement à leur fortune (113).
Les Commissaires cependant allèrent beaucoup plus loin dans leur
interprétation erronée des prescriptions royales puisqu’ils n ’hésitèrent pas à
maintenir nobles certains provençaux ayant préalablement désisté leur no
blesse, tout en “protestant de se pourvoir” (114). Or, nous l’avons vu, l’arrêt
du 22 mars 1666, article XIX, en l’espèce appliqué, réservait au Roi seul la
possibilité de relever tel ou tel particulier de sa condamnation. Il s’agit donc,
sur le plan du droit nobiliaire d’une accaparation pure et simple, par les
magistrats provençaux, d ’une prérogative strictement régalienne.
Sur le plan des faits il en va différemment et l’attitude des mêmes
magistrats peut apparaître, compte tenu des normes imposées par le législa
teur, éminemment habile. Les délais séparant les assignations lancées par
Belleguise des comparutions devant la Commission étaient, nous l’avons vu,
tellement brefs (115) que le Parlement n’avait pas hésité à mentionner ce fait
dans ses remontrances (116). Dès lors, pour permettre à ceux qui préten
daient être nobles, et qui n’étaient pas à même de recouvrer rapidement les
titres et documents nécessaires à une production valable, d ’éviter une trop
forte sanction pécuniaire, il était tentant de les autoriser à désister “ provisoi-
(109) Ibid. p. 153.
(110) F.P. Blanc ; L ’anoblissement par lettres. . . op. cit. p. 751, pièce justificative
n° 24 et p. 786, pièce justificative n° 39.
(111) Ibid. p. 746, pièce justificative n° 23.
(112) Ibid. p. 771, pièce justificative n° 34 et p. 775, pièce justificative n° 35.
(113) Wok supra note 94.
(114) Voir infra Annexes Tableau XII.
(115) Ci-dessus note 18.
(116) Ci-dessus note 91.
;
�218
*' ï f | § | | § 1 •
rem ent” leur noblesse, ce qui m ettait un terme définitif aux poursuites du
Traitant ; lorsque les documents étaient enfin rassemblés le “désistant”
présentait requête à la Commission aux fins d’être maintenu. Le grand
nombre de désistements assortis d ’une “protestation de se pourvoir” stricte
ment fondée sur la perte provisoire des titres (117) permet, semble-t-il, de
donner quelque crédibilité à une telle hypothèse.
S ®
2) L ’exception :
Le désistement de noblesse par autorisation expresse des Commissaires
députés.
En dehors des délais d ’application et des règles prévues par l’arrêt du
28 mars 1667, la Commission provençale décida, à deux reprises, la réouver
ture, au bénéfice de certains usurpateurs, du registre des désistements de
noblesse.
— Dans le premier cas il s’agissait de recueillir le désistement des
“veufves et enfans” des usurpateurs décédés.
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— Dans le second cas il s’agissait d ’accorder à certains faux-nobles le
bénéfice d’une amende “ modérée” à laquelle, en principe, ils n’avaient plus
droit.
a) Le jugement de la Commission du 4 septembre 1668 et le désiste
m ent des “veufves et heoirs”
S’agissant du sort réservé aux enfants des usurpateurs décédés, il est
impossible de dégager des jugements de la Commission une solution de
principe. Certains enfants, en effet, furent condamnés à la peine encourrue
par leur père (118), alors que d ’autres furent, en revanche, totalement
déchargés du paiement de l’amende, sur le seul m otif que le décès de leur
auteur réduisait à néant les poursuites (119). Dans l’un ou l’autre cas le décès
de l’usurpateur était intervenu entre l’assignation et la comparution, c’est-àdire pendant le déroulement même de la procédure ; il apparaît dès lors
normal que les Commissaires aient été amenés à sanctionner un procès en
cours par une décision plus ou moins avantageuse pour les héritiers, lesquels,
en tout état de cause, ne revendiquaient aucune appartenance au second
ordre.
Une autre situation, cependant, demeurait possible ; lorsque Belleguise,
au début de la réformation, procédera à l’établissement d ’une liste, en
principe exhaustive, de la noblesse “ apparente” , les nobles et faux-nobles
décédés depuis peu ne furent point mentionnés par les notaires et greffiers
chargés d’adresser au Traitant un “estât” de la noblesse figurant dans leurs
minutes (120).
(117) Voir infra Annexes, Tableau VII.
(118) Voir supra note 61.
(119) Voir supra, note 61
(120) Voir supra, note 23
�219
Il y avait, en l’état de cette carence, un risque certain : l’absence de
condamnation aurait pu, en effet, être interprétée implicitement et ultérieu
rement, comme une preuve, ou du moins une présomption, de noblesse.
Se fondant sur l’arrêt du Conseil du 22 mars 1666 (121) Belleguise
présenta alors à la Commission la requête suivante : il est impérieusement
nécessaire pour que “les usurpations commençées ne continuent point” que
les “successeurs” déclarent “s’ils entendent soustenir ou renoncer à ladite
qualité” . La Commission lui donna satisfaction par jugement du 4 septembre
1668 (122).
Aux termes de ce texte les “veufves et enfans” ou “successeurs” étaient
tenus dans un délai de quinze jours de venir déclarer leur désistement “en
personne ou par procuration en bonne forme” ; ce faisant, ils n’étaient
astreints au paiement d ’aucune amende.
Le registre des désistements fut en conséquence ouvert de nouveau le
20 septembre 1668 (123) ; il ne sera clos que le 17 octobre suivant (124), ; le
délai de quinzaine fut donc, en vérité, prolongé pendant plus d’un mois par
les Commissaires (125).
(121) Chérin : op. cit. p. 148 et sq.
(122) B. 1359 F° 910 R° .
“Les Commissaires députés par Sa Majesté pour la vérification des titres de noblesse
et recherche des usurpateurs d’icelle au présent pays de Provence, veu la requeste
présentée par Me, Alexandre Belleguise contenant que quoy que les veufves et enfans des
prétandus nobles ou usurpateurs des qualités de noblesse deussent estre assignés en remises
de leurs titres ou pour faire désistement desdites qualités suivant l’arrest du Conseil du
22-III-1666, il est arrivé que les officiers à quy les estats pour donner les assignations ont
esté deslivrés se sont contentés de certiffier la mort des y compris sans assigner leurs
veufves et enfans et d’autant que l’intention de Sa Majesté est que les usurpations
commencées ne continuent poins ce qui arreveroit pourtant sy les successeurs ne
s’expliquoient point s’ils entendent soustenir ou renoncer à ladite qualité, requeroit qu’il y
feust pourveu, conclusions du Procureur du Roy en la Commission, les Commissaires ont
ordonné et ordonnent que les veufves et enfans des prétendus usurpateurs seront tenus de
déclairer devers le greffe de la Commission, en personne ou par procuration en bonne
forme, quinzaine après la signiffication du présent jugement, qu’ils se désistent des qualités
de noblesse, auquel cas ils feront ladite déclaration sans payer aucune amende pendant
ladite quizaine tant seullement, passé lequel temps ils seront condamnés suivant leurs
facultés sans pouvoir estre reçus à faire ledit désistement sans amande, pour quelque
causes et considérations que ce soit, et en cas qu’ils entendent soustenir ladite qualité, ils
remettront leurs titres dans ledit délay et à faute d’y satisfaire ils seront jugés par forclu
sion ou par défaut suivant les règlements ordinaires.
Faict à Aix le quatrième jour de septembre de septembre 1668.
Signé : Séguiran”.
(123) Cf. B. 1360 F° 301 R° : Déclaration de désistement d’Antoine Beaussier.
(124) Cf. B. 1360 F° 306 V° :Déclaration de désistement de Claude de Sollier.
(125) Les déclarations furent reçues pendant 32 jours.
�220
La possibilité d ’user de procurations fut très largement suivie puisque un
seul désistement se fit “en personne” (126).
Enfin, il convient de noter le fait suivant, quelque peu paradoxal :
— Des veuves et enfants renoncent normalement aux prétentions de feu
leur époux ou père, ce qui, sur le plan du droit, se révèle parfaitement
justifié, la noblesse étant non seulement héréditaire, mais aussi transmissible à
l’épouse roturière (127).
— Or, à côté de ces déclarations juridiquement fondées, on rencontre le
désistement de roturiers pouvant uniquement prétendre aux biens des
faux-nobles décédés et non pas à leur “qualité” ; ces roturiers éprouvant,
néanmoins, le besoin de désister une fausse noblesse à laquelle ils n’étaient
pas même en droit de prétendre. C’est ainsi que trois soeurs désistent la
noblesse de feu leur frère (128) et qu’une veuve remariée avec un authen
tique noble désiste les prétentions de son premier mari (129). Une telle
attitude, aberrante sur le plan du droit, semble pouvoir s’expliquer par le fait
que les Commissaires, dans leur jugement du 4 septembre 1668, utilisèrent le
terme, équivoque en l’espèce, de “successeurs” ; par méconnaissance du droit,
mais aussi par prudence, certains “successeurs” préférèrent ainsi désister une
noblesse à laquelle ils ne pouvaient prétendre, et ceci d’autant plus facile
ment qu’exceptionnellement de telles déclarations n ’étaient pas sanctionnées
par une peine pécuniaire.
b) Autorisations données individuellement, par la Commission, de dé
sister la noblesse
Parallèlement à la réouverture du registre des désistements pour les
“veufves et heoirs” , la Commission autorisera pendant près de huit mois
(8 octobre 1667 — 26 avril 1668) certains usurpateurs provençaux, en
nombre très limité il est vrai (130), à désister, m oyennant le paiement d’une
amende modérée, leurs prétentions au second ordre.
L’instauration d ’une telle procédure n ’était pas légale, les délais prévus
par l’arrêt du Conseil du 28 mars 1667 étant depuis longtemps écoulés.
Il importe donc de poser la question suivante : en vertu de quels
critères, des faux-nobles, qui normalement auraient dû être contradictoire
ment condamnés, furent-ils admis au bénéfice d’une peine “modérée” .
Le laconisme des déclarations de désistement est tel qu’il semble
difficile à priori de répondre à une telle question ; certains faits, cependant,
(126) Cf. B. 1360 F° 301 R° : déclaration de désistement de François Boutiny.
(127) Voir infra Annexes Tableau VIII.
(128) Cf. B. 1360 F° 301 V° : désistement des trois soeurs de Pierre Amoux.
(129) Cf. B. 1360 F° 306 R° : désistement d’Hortense de Pioulle, veuve de
Balthasar de Fauris et remariée à Gaspard de Reillane. (Cf. pour la maison de Reillane,
F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales . . . op. cit. p. 479).
(130) Voir infra Annexes, tableaux IX et X.
�221
perm ettent d ’approcher le véritable fondement de ces autorisations à désister.
Il est en premier lieu certain que tous les usurpateurs ayant à partir du
10 octobre 1667 désisté leurs prétentions à noblesse, en avait reçu l’ordre
exprès des Commissaires sous la forme d ’un “décrêt d ’injonction” dont la
date est toujours mentionnée dans la déclaration (131). A la différence des
désistements précédents ces nouvelles déclarations ne sont donc pas faites
volontairement mais, apparemment du moins, sont liées à un ordre impératif
des magistrats.
On peut constater ensuite que ces “décrets d ’injonction” sont exécutés
avec une rapidité surprenante : la plupart d’entre eux sont suivis d ’effet dans
la même journée (132), en sorte qu’il est permis de supposer que le “décret”
était “ espéré” par le faux-noble, attendu avec une certaine impatience,
comme une grâce depuis longtemps sollicitée.
Dans une espèce, au moins, il n ’y a pas d ’équivoque sur ce point : le
“décret d’injonction” obtenu par Louis Carraire le 7 décembre 1667 avait été
“rendu sur sa requête” (133). Il avait donc été nécessaire de le solliciter par
voie judiciaire.
Or, comment un faux-noble aurait-il pu, à partir d ’octobre 1667,
c’est-à-dire en dehors des délais légaux prévus par l’arrêt du 28 mars 1667,
fonder juridiquement une telle requête ?
Une seule réponse s’impose : il fallait à tout prix dém ontrer que le fait
de n ’avoir pas désisté la noblesse pendant le délai légal n’était pas imputable
au délinquant et que même ce dernier croyait être juridiquement à l’abri de
toutes poursuites pour avoir, en temps opportun, donné procuration aux fins
de désistement.
Une telle hypothèse est confirmée par deux déclarations : Jean de Lille
qui sera autorisé à désister le 15 octobre 1667 mentionnera dans sa déclara
tion qu’il avait, en temps opportun (134), donné procuration à désister à
Jean Bonnet “procureur aux com ptes” et que par conséquent c’était à ce
dernier qu’il convenait de reprocher le non-accomplissement de la formalité
(135). Barthélémy Guichard évoquera un fait identique (136) dans sa décla
ration du 10 janvier 1668 (137).
(131) Ibid. Tableau IX 3e colonne, et Tableau X 4e colonne.
(132) Ibid. Tableaux IX et X
(133) B. 1360 F° 322 R° : Déclaration de désistement du 10-XII-1667.
(134) Procuration du 4 juillet 1667, c’est-à-dire pendant le délai de trois mois prévu
par l’arrêt du Conseil.
(135) B. 1360 F° 317 R° : Déclaration de désistement du 19-X-1667.
(136) Procuration du 6 juillet 1667.
(137) B. 1360 F° 323 R°.
�Il semble donc que les autorisations à désister données par la Commis
sion à partir d ’octobre 1667 aient été strictement subordonnées à de telles
démonstrations : le non-accomplissement du désistement, dans les délais
prévus par l’arrêt du Conseil, n’est pas imputable à l’usurpateur mais à son
procureur.
Certes, il est bien évident que la Commission n’avait pas, sur le plan du
droit, à tenir compte de requêtes fondées sur la non-exécution de contrats de
mandat. Le mandant aurait normalement dû être proportionnellement péna
lisé, quitte à se retourner ultérieurement contre son mandataire.
Quoi qu’il en soit les déclarations de désistement fondées sur les
“décrêts d’injonction” se présentent formellement comme celles résultant de
l’arrêt du Conseil du 28 mars 1667 ; quant au fond il convient, cependant, de
souligner quelques nuances.
— A l’instar des précédentes elles peuvent avoir une apparence “défini
tive” ou “provisoire” (138).
— Le désistement par procuration est toujours pratiqué, mais avec
infiniment de prudence ; ce sera, en effet, un parent, lui-même “désistant” , et
non plus un tiers, qui sera le plus souvent désigné comme mandataire (139).
— L’amende à laquelle est condamné l’usurpateur est un peu plus
importante que précédemment : 60 livres, au lieu des 50 livres prévues par
l’arrêt du Conseil (140).
B — Les résultats
Ils font ressortir des données numériques assez stupéfiantes ; l’analyse
des désistements “provisoires” révèle de surcroit le fondement de certaines
“ indues prétentions” formulées par les usurpateurs provençaux.
1) Analyse quantitative
1 404 provençaux désistèrent leur noblesse usurpée.
a) Les désistements fondés sur l’arrêt du Conseil du 28 mars 1667(141)
La procédure de désistement, telle qu’elle fut aménagée par le gouverne
ment royal, sur le vu des remontrances du Parlement d ’Aix, obtint un succès
considérable puisque 1 354 provençaux renoncèrent volontairement à la no
blesse pendant le délai de trois mois stipulé par le Conseil d ’Etat.
Mise en place le 14 avril 1667, la procédure, après avoir été négligée en
avril et mai, fut très largement utilisée par les faux-nobles en juin et juillet,
(138) Infra Annexes Tableaux IX et X.
(139) Ainsi Barthélémy Attenoux est représenté par son père, et Jean Barnier par
son fils. Cf. B. 1360 F° 316 V° et 317 V° etc.
(140) Cf. B. 1360 F° 320 R° et 321 V°.
(141) Voir infra Annexes : Tableaux VI et VII.
�223
les d é siste m e n ts se m u ltip lia n t au term e du d élai (1 4 2 ) .
(142)
Fréquence des déclarations de désistement pendant le délai de trois mois
stipulé par l’arrêt du 28-III-1667.
D.P.= Désistement Provisoire.
D.D. = Désistement définitif.
Date
D.P. D.D. Total
14 avril
15
16
17
3
3
6
18
19
20
21
1
2
4
22
1
Date
D.P. D.D. Total
14 mai
15 mai
2
1
2
1
16
17
3
3
18
1
1
Date
2
2
2
2
4
5
5
1
7
7
7
20
13
13
21
6
6
13 juin
14 juin
15
16
17
19
18
19
4
20
21
1
22
1
2
-23
1
1
D.P. D.D. Total
1
1
2
7
7
15
5
16
5
22
4
28
22
4
32
18
18
26
47
34
28
15
10
19
39
25
6
105
23
24
1
2
3
22
3
2
5
23
25
1
2
3
24
26
27
26
27
1
5
6
28
29
30
1 mai
2
3
4
28
25
26
27
4
1
28
29
30
1 juillet
3
8
7
8
24
25
1
1
29
30
1
1
2
31
1 juin
2
2
2
3
4
5
6
7
2
2
5
9
10
2
11
2
2
1
9
133
5
6
8
45
53
22
69
91
8
8
22
73
95
9
9
33
81
114
2
10
1
11
12
12
3
4
9
3
7
6
7
8
13
1
1
1
1
1
6
1
7
1
25 * 34
10
9
11
39
12
49
99
148
13
48
162
210
96
135
�224
L’extraord in aire su c c è s o b te n u par c e tte p rocéd u re sem b le str ic te m e n t
lié au “ b é n é fic e de m o d é r a tio n ” q u ’elle im p liq u a it, c ’est-à-dire à l ’a m en d e
u n ifo rm ém en t fix é e à 5 0 livres par le législateu r.
b) Les désistements fondés sur le jugement de la Commission du
4 septembre 1668 (143)
Les
héritiers d e 21 fa u x -n o b le s d é c é d é s au d éb u t de la p rem ière
r éfo rm a tio n ren on cèren t aux p r é te n tio n s n ob iliaires d e feu leur p ère, m ari ou
frère.
Ce ch iffre p e u t p araître dérisoire c o m p te ten u du fa it q u e , d an s ce cas
p récis, au cu n e am en d e ne ven ait sa n ctio n n er l’u su rp a tio n d u d e cujus. En
e ffe t, l’e x e m p tio n de to u te p én a lité aurait n o r m a le m e n t d û in citer de
n om b reu x p ro v en ça u x à d ésister les p r é te n tio n s d e fe u leur p ère, d ’au tan t
p lus q u e
le n o n a c c o m p lisse m e n t d e la fo r m a lité p en d a n t le
d élai de
q u in zain e
p o u v a it leu r être fin a n cièrem en t im p u ta b le : “ . . .passé leq u el
tem p s ils seron t co n d a m n é s suivant leurs fa c u lté s, sans p o u v o ir estre reçu s à
faire le d it d é siste m e n t sans am en d e . . . ” (1 4 4 ) .
C o m m en t ju stifie r le d é fa u t d ’in c id e n c e du te x te ? La seu le e x p lic a tio n
p lau sib le p araît être la su ivan te : l’u su rp a tio n d e n o b le sse , à l ’é p o q u e d e la
prem ière réfo rm a tio n p ro v en ça le, p e u t le p lu s so u v e n t être a n a ly sée c o m m e
un d é lit p erp étré sur au m o in s d e u x g én é r a tio n s ( 1 4 5 ) . D ès lors, fo r c e est
d ’a d m ettre q u ’un fa u x n o b le a y a n t n o rm a lem en t d é sisté sa n o b le sse , p e n d a n t
le d élai d e trois m o is prévu par l ’arrêt d u 2 8 m ars 1 6 6 7 , n ’allait p as réitérer
son r e n o n c e m e n t p o u r le s p r é te n tio n s de fe u so n père ; u n e n o u v elle
d éclaration eu t é té en l’esp è c e su p erflu e.
O n p eu t du reste c o n sta te r q u ’à u n e seu le e x c e p tio n près ( 1 4 6 ) , to u s les
d é siste m e n ts d es “v eu fv es et h e o ir s” so n t le fa it d e rotu riers n ’a y a n t pas
u surpé la n o b le sse à la su ite de leur père ; c ’est-à-dire le cas to u t à fait
e x c e p tio n n e l de d e sc e n d a n ts d e fa u x -n o b le s a y a n t d éjà, d e leur p le in grè,
r e n o n c é à p erp étu er l ’u su rp a tio n de leur au teu r.
c) Les désistements fondés sur les “décrets d ’injonction” de la Commis
sion (147).
Ils so n t p eu n o m b r e u x : 2 9 p ro v en ça u x se u le m e n t fu ren t a u to risés à
d ésister leur n o b le sse après l’ex p ir a tio n d u d éla i d e tr o is m o is. U n te l ch iffre
(143) Voir infra Annexes : Tableau VIII.
(144) B. 1359 F° 910 R°.
(145) Le phénomène est évident lorsqu’il y a condamnation en suite d’un jugement
contradictoire ou d’un désistement “provisoire” ; dans ces deux cas les prétentions de
l’assigné sont nécessairement fondées sur une possession d’état excédant le plus souvent
deux générations.
(146) André Abrassevin, écuyer d’Hyères, désistera sa noblesse par déclaration du
7-V1I-1667 (Cf. B. 1360 F° 375 R°) ; il fera une déclaration identique le 26-IX-1668 pour
les prétentions de feu son père, Charles Abrassevin (Cf. B. 1360 F° 302 R°).
(147) Voir infra Annexes : Tableaux IX et X.
�225
n ’a rien de surprenant dans la m esure o ù les “d é c r e ts d ’in jo n c tio n ” n ’éta ien t
e ffe c tiv e m e n t d élivrés q u ’a u x usurpateurs p arvenant à d ém o n trer q u e le n o n
a c c o m p lisse m e n t du d é siste m e n t, en te m p s o p p o r tu n , n e leur éta it pas
im p u tab le.
2) Analyse des “Clauses de protestation”
3 2 0 d é siste m e n ts d e n o b lesse fu ren t assortis d ’u n e “ clau se d e p r o te sta
tio n d e se p o u rv o ir” ( 1 4 8 ) leur d o n n a n t un caractère p rovisoire.
F o r m e lle m e n t, ces cla u ses se p r é se n te n t c o m m e d es ju s tific a tio n s in v o
q u é e s p our tem p érer les e ffe ts d ’u n e c o n d a m n a tio n en p rin cip e d é fin itiv e .
C ep en d an t, d e l ’an alyse d es m o tifs e x p o sé s d an s c es “p r o te s ta tio n s”
ressort p arfois le véritab le fo n d e m e n t de l ’u su rp a tio n d e n o b le sse . U n e é tu d e
d é ta illé e d es d éclaration s de d é siste m e n t serait d o n c su scep tib le d e p erm ettre
une certain e a p p réciation du su b stratu m a yan t d éterm in é la c o m m issio n du
d élit.
Il ne fau t certes p o in t exagérer les résu ltats d ’u n e te lle e n q u ê te ; en
e ffe t, dans la p lupart d es cas les “p r o te sta tio n s d e se p o u rv o ir” ne so n t
fo n d é e s q u e sur l ’in ca p a cité p rovisoire de p rod u ire les titres étab lissan t la
n o b le sse , so it q u e les d o c u m e n ts aien t été “ esgarés” , so it q u ’ils so ie n t situ és
“ h o rs de la p r o v in c e ” , so it en fin q u ’ils so ie n t “ d é tr u its” . Il n ’est év id e m m e n t
pas p o ssib le en de te lle s h y p o th è s e s d e co n jectu rer sur les m o tifs réels de
l’u su rp ation , e t c e c i d ’au tan t p lu s q u e le m o t if in v o q u é n ’est p e u t être pas
érroné.
Il en va de m êm e lorsq u e les “ p r o te sta tio n s d e se p o u r v o ir ” ne so n t pas
m o tiv ées. F o rt h eu reu sem en t les d é siste m e n ts assortis d ’u n e te lle clau se so n t
peu n o m b reu x .
E n revanche certain es d éclaration s so n t assorties d ’u n e “p r o te s ta tio n ”
fo n d é e sur la d éro g ea n ce du d ésista n t ou c elle d e ses p réd écesseu rs ; les
lettres d e r éh a b ilita tio n c o n stitu e n t alors l ’o b jet d e l ’év e n tu e l p ou rvoi.
D ’autres “ p r o te s ta tio n s” rep o sen t sur d es p r é te n tio n s à u n a n o b lisse
m en t par l ’ex e r c ic e de charges civ iles o u m ilitaires ; d an s ce cas p récis la
clause est d e stin é e à m én ager la p o ssib ilité d ’un recou rs co n tr e la ju ris
p ru d en ce d e la c o m m issio n , ju risp ru d en ce q u i se lo n le d ésista n t est en
co n tr a d ic tio n avec le d ro it n ob iliaire p roven çal r e la tif à l ’a n o b lissem en t par
charge.
E n fin , e t ce so n t les m o in s n o m b r e u x , les an o b lis par le ttr e s d o n t le
titre fu t rév o q u é en 1 6 6 4 , e t q u i n o n o b sta n t la p r o h ib itio n avaien t c o n tin u é
à se d écorer d es q u a lific a tio n s n o b ilia ires, “p r o te s te n t” to u s de se p ou rvoir
auprès du R oi p ou r o b te n ir d es lettres d e c o n fir m a tio n .
(148)
Parmi lesquels, 316 sur les 1354 désistements fondés sur l’arrêt du 28 mars
1667 (Annexes : Tableau VII) et 4 sur les 29 désistements fondés sur les “décrets
d’injonction” (Annexes : tableau X). Paradoxalement, on ne peut signaler aucun désiste
ment “provisoire” fondé sur le jugement du 4 septembre 1668.
15
�226
D ans ces d iffé r e n te s e sp è c e s le fo n d e m e n t d e l ’u su rp ation est p arfaite
m en t circon scrit : d éro g ea n ce, ré v o c a tio n de lettr e s et m é c o n n a issa n c e du
droit n ob iliaire p eu v en t é v e n tu e lle m e n t être à l ’origin e d u d é lit ( 1 4 9 ) .
*
*
*
(149) Nous envisagerons successivement ces différentes “clauses de protestation”.
I. PROTESTATIONS FONDEES SUR LA DISPARITION DES TITRES
A — Titres égarés :
Recherche des documents familiaux attestant la noblesse.
C’est la motivation la plus fréquente des “protestations” 235 déclarations de
désistement contiennent cette clause.
Beaucoup de faux-nobles, en effet, se prétendent “provisoirement” hors d’état de
prouver leur noblesse ; les titres originaux attestant la qualité de leur famille étant égarés.
Dans la plupart des actes les Déclarants ou leur Procureur se contentent tout
simplement de faire mention de cette perte “provisoire” sans chercher à en justifier la
raison.
Il en est cependant quelques uns, malheureusement en nombre trop restreint, qui
fournirent dans leur “protestation” les motifs de cette absence momentanée de docu
ments.
1) Perte non justifiée des titres attestant la noblesse
Le plus souvent la clause comprend seulement quelques mots. Ainsi Jean Chastras
(B. 1360 F° 352 R° ), Jacques Amalric (B. 1360 F° 353 V°) et Jean-Baptiste Bevolan
(B. 1360 F° 354 R°) se désistent “ . . . soubs la protestation de fere recherche de ses
tiltres pour estre maintenu en sa qualité et de se pourvoir pour raison de ce ainsy et par
devant quy il appartiendra . . .”. Charles de Vachères, seigneur du même lieu, fait sa
déclaration “ .. . sans préjudice de ce qu’ayant recouvré ses tiltres de se pourvoir et faire
déclarer noble par devant et ainsy qu’il verra bon estre . . . ” (B. 1360 F° 354 V°) ; plus
simples encore sont les “protestations de Jean Bazan (B. 1360 F° 354 V°) et Charles
Moular (B. 1360 F° 356 R°) “ . . . sauf en cas qu’il puisse recouvrer ses tiltres de se fere
desclarer noble . . . ”.
Parfois la protestation est plus longue, sans pour autant que soit justifiée la perte
des documents. Ainsi Maître Lambert, de Marseille, masque dédaigneusement sa carence
en titres véritables sous la qualité d’“advocat” et de “docteur” ; cependant tout en ayant
l’air de mépriser une qualité à laquelle il renonce, il accepte de payer les cinquante livres
d’amende : “ . . .il pourroit bien soubstenir par de bonnes raisons la qualité d’écuyer, mais
parcequ’il en possède une autre quy n’est pas moins honorable, quy est celle de Docteur
en Droit et advocat en la Cour, il déclare sans préjudicier aux tiltres qu’il pourroit
produire à l’advenir, qu’il ne prétend point prendre pour le présent ladite qualité (de
noble) . . . ” (B. 1360 F° 380 R°).
Un autre avocat, Honoré de Commendaire, Sgr. de Taradeau, se contente de décrire
avec précisions son ascendance noble sans pour autant fonder ses prétentions sur des titres
“ . . . lequel comme fils de Me. Honoré de Commendaire, aussy advocat, et icelluy
d’Estienne Commendaire, lequel en 1552 fust qualifié noble, fils à noble Honoré
�227
(149 suite)
Commendaire n’ayant encore peu recouvrer les tiltres et documens pour justiffier
entièrement suivant l’intérest de sa Maison sauf à la faire valoir (sa noblesse) en son temps
et lieux qu’il aura toutes ses pièces . . (B. 1360 F°417 V°) etc. (note A.).
2) Perte motivée des titres attestant la noblesse
Les Déclarants ont parfois soulevé diverses raisons pour motiver l’absence de preuves
par écrit : le manque de temps est souvent allégué et le délai de tois mois s’est révélé
insuffisant à certain pour rechercher des documents dispersés. D’autres, délaissés tôt
orphelins, incriminent le rôle, néfaste en la matière, de leur tuteur. Enfin, une longue
absence de la province ainsi qu’un emprisonnement peuvent aussi constituer un obstacle
sérieux à toute recherche.
(Note A.) Toutes ces clauses de “ protestation” sont identiques quand au fond ; elles offrent
seulement quelques variantes de forme. Voici encore quelques exemples intéressants : Jean Peyssonnel
e t H onoré André, tous deux de Lorgues, font leur déclaration “ . . . sans préjudice au cas ou il treuve
ses tiltres de noblesse de les fere vallo ir. . . ” (B. 1360 F 356 R et V° : désistements des 30-VI et
3-VII-1667) — Antoine de M odes et Esprit de Laugier, aussi de Lorgues : “ . . . soubs la protestation de
ne point desroger à sa qualité en cas q u ’il treuve les documens et tiltres entiens de la maison dont il se
p re v o st. . . ” (B. 1360 F° 356 V° : désistements du 30-VI-1667) - Jean-Etienne Seigneuret, d ’Apt
“ . . . soubs la protestation toutesfois de se faire restablir à sa qualité lorsqu’il aura recouvré ses
t i l t r e s . . . ” (B. 1360 F° 357 R° : désistem ent du 30-VI-1667) - François Agneau, Jean et Jules
.Talamer “ . . . soubs la protestation toutesfois qu’il faict de se fere confirm er en sa qualité lorsqu’il
aura recouvré les tiltres antiens de sa familhe . . . ” (B. 1360 F° 358 R° et V : désistements du
l-V II-1667) —Pierre de Clapiers, de Saint Maximin “ . . . sans préjudice de m on droit lorsque je
trouverai mes tiltres d o n t je proteste . . .” (B. 1360 F° 359 R° : désistem ent du l-V II-1667) - Gaspard
de Gajot, Sgr. de M ontfleury et de Salles “ . . . sauf et sans préjudice de ce q u ’ayant recouvré ses tiltres
de se pouvoir fere desclarer noble . . .” (B. 1360 F° 359 V° : désistem ent du 2-VII-1667) - Jean
d ’Agard, d ’Ansouis “ . . . sauf q u ’il treuve ses tiltres et d o c u m e n s. . . ” (B. 1360 F° 360 R° : désiste
m ent du 2-VII-1667) - Jean-Louis de Clapiers, de Pertuis “ . . . sans préjudice q u ’en cas q u ’il retrouve
ses tiltres de se pourvoir et fiare desclarer noble . . . ” (B. 1360 F° 360 V° : désistem ent du 2-VII1667) - André V enture, de Marseille " . . . sans préjudice de se fere restablir dans sa noblesse lorsqu’il
aura recouvré ses t i l t r e s . . . ” (B. 1360 F° 394 R° : désistem ent du 10-VII-1667) - Etienne e t JeanBaptiste de Campou, aussi de Marseille “ . . . sauf en cas q u ’il puisse recouvrer ses tiltres et se pourvoir
pour se faire déclairer noble . . . ” (B. 1360 F° 362 R° : désistem ent du 3-VII-1667) — A ntoine et
Pierre de Lialbissy, Pierre de Cordier, Coseigneur de Reynier, Antoine e t Louis d ’Albete “ . . . sans
préjudice toutesfois au sieur de (. . .) de se fere confirm er en sa noblesse lorsqu’il aura peu recouvrer
ses tiltr e s . . . ” (B. 1360 F° 363 R° et V° et 364 R° : désistements du 4-VII-1667) - Louis de Febvre
“ . . . soubs la protestation toutesfois de reprendre la susdite qualité lorsqu’il aura peu recouvrer ses
tiltres à la recherche desquels il faict travailher . . . ” (B. 1360 F° 365 V° : désistem ent du 4-VII1667) — Honoré de Rissy “ . . . sauf au cas q u ’il trouve les tiltres e t docum ans valables q u ’il pourra
trouver e t se pouvoir m aintenir en sa qualité d ’é c u y e r. . . ” (B. 1360 F° 374 R° : désistem ent du
6-VII-1667) —Jean et Louis Napolon, de Marseille “ . . . sans préjudice en ce droit au cas q u ’il trouve
les tiltres de sa Maison à la recherche desquels il fait trav ailler. . . ” (B. 1360 F° 384 R° : désistem ent
du 8-VII-1667) — Jacques Brun, de Draguignan “ . . . protestant néanmoings que la présente (déclara
tion de désistem ent) ne luy pourra préjudicier en cas que puisse recouvrer ses tiltres et produire iceux
et se fere restablir ainsi q u ’il a p p a r tie n d r a ...” (B. 1360 F° 385 V° : désistem ent du 8-VII1667) - Antoine d ’Espinassy, de Signe “ . . . s a u f de se fere restablir quand il aura recouvré ses
t i l t r e s . . . ” (B. 1360 F° 385 R° : désistem ent du 8-VII-1667) —Jacques e t Jean-Baptiste R ebutty, de
Marseille “ . . . sauf de se fere confirm er dans leur qualité lorsqu’ils auront peu recouvrer les tiltres et
documens de leur noblesse . . . ” (B. 1360 F° 389 V° : déclaration com m une de désistem ent du
9-VII-1667) —Joseph de Viany et Louis de Villeneuve, le premier d ’Aix, le second de Marseille
“ . . . sauf de se fere restablir dans sa noblesse lorsqu’il aura recouvré ses tiltr e s . . . ”
(B. 1360 F° 382 R° e t 391 R° : désistements des 8 e t 9-VII-1667) - Balthazar de G antelm y “ . . . sauf
de se fere confirm er dans sa noblesse lorsqu’il aura recouvré les tiltres et documens de sa Maison . . . ”
(B. 1360 F° 381 R° : désistem ent du 8-VII-1667).
�a) Délai trop bref
C’est le motif invoqué par Auguste d’Isnard, Sgr. de Sallagriffon et avocat en
Parlement : .. quoy qu’il soit de noble race et que par ainsy il eust droit de soubstenir,
néanmoings comme les plus entiens tiltres et documens de sa Maison se treuvent esgarés et
qu’il n’a pas eu temps pour les recouvrer entièrement attandu que les trois mois portés
par l’arrest sont expirés, il est obligé pour satisfaire à la volonté de Sa Majesté, et en
attendant de se faire maintenir et confirmer dans sa noblesse en temps et lieux et par
devant quy il appartiendra de faire sa déclaration . . (B. 1360 F° 391 V°) —François de
Piolle (Note B.), Honoré de Laurens (Note C.) et Jacques Allemand (Note D.) fondent
aussi leur protestation sur ce motif.
b) Perte des documents pendant la tutelle.
La période de tutelle et le changement d’administration qu’elle implique peut
évidemment occasionner de la part du tuteur chargé de la gestion d’un double patrimoine
certaines négligences ou confusions dans la garde des documents familiaux.
C’est l’argument développé dans deux protestations : Jean-Baptiste de Richieu, de
Riez, proteste “de se fere restablir lorsqu’il aura recouvré ses tiltres de noblesse qu’il n’a
peu trouver dans le délay porté par ledit arrest attendu qu’il a esté dellaissé pupille par
son père, que les tiltres de sa maison sont estés esgarés et emportés par son tuteur .. .”
(B. 1360 F° 407 R° ). Il en est de même pour Honoré d’Hugolen qui “. . . ayant esté
laissé en pupillarité et bas âge soubs la conduite d’un tuteur, la plus grande partie des
tiltres de sa Maison ont estés perdus . . . ” (B. 1360 F° 397 V° ).
c) Absence de la Province.
C’est la raison invoquée par François Beau, de Marseille, “ . .. sans préjudicier de
son droit qu’il ne peut justiffier pour le présent attandu qu’il ne fait que d’arriver dans sa
maison après une absance de huict ans . . (B. 1360 F° 386 R° ).
d) Emprisonnement
Balthasar de Rabier, Seigneur de Chateauredon, “Capitaine pour le Roy et viguier
d’Annot”, se déclare dans l’incapacité de rechercher ses titres étant détenus dans les
“prisons royaux” d’Aix “ . . . sauf à se faire restituer et restablir en sa qualité de noble en
cas qu’il puisse recouvrer ses tiltres et se pourvoir ainsi et par devant qui il appartiendra
pour raison de ce, sans que la présante (déclaration de désistement) lui puisse nuire ni
préjudicier en aucune façon et manière que ce soit dont il proteste, attandu qu’il se
trouve destenu dans les prisons et qu’au moyen de ce il ne peut recouvrer sesdits papiers
et tiltres pour estre partie d’iceux à Trois en Turenne rière l’un sien frère et les autres
engagez rière Mr de Gantes, Procureur Général.. .” (B. 1360 F° 412 V°).
(N ote B.) B. 1360 F° 402 R° : désistem ent du 12-VI1-1667. “ . . . bien que ses devenciers ayent
vescus n o b le m e n t. . . n ’ayant peu néantmoings retrouver les tiltres et parchem ins de sa Maison pour
pouvoir justifier la noblesse ta n t à cause q u ’une partie d ’iceux se treuvent engagez en divers lieux ou
dans les archives de Sa Majesté dont il n ’a peu raporter les extraits ny treuver la date de quelques uns
pour n ’avoir eu le tem ps de faire la perquisition . .
(N ote C.) B. 1360 F° 381 V° : désistem ent du 8-VII-1667.
" . . . bien q u ’il eust droit de soubstenir la qualité d ’écuyer ou de noble néantmoings comme il
n’a pas de tem ps pour chercher les tiltres et docum ens de sa Maison, il est obligé en a ttendant de se
fere confirm er à sa noblesse et pour le présent de fere déclaration . . . ”
(N ote D.) B. 1360 F° 383 V° : désistem ent du 8-VI1-1667 de Jacques Allemand “bourgeois” de
Marseille “ . . . . protestant que n ’ayant pas heu du tem ps pour chercher les tiltres de sa familhe, que la
déclaration q u ’il a faict ne luy pourra nuire à l’advenir . . . ” .
�229
(149 suite)
B — Titres situés hors la Province.
A l’instar des “protestations” précédentes, il s’agit de clauses fondées sur l’impossi
bilité “provisoire” de produire les titres attestant la noblesse. A leur différence,
cependant, le défaut de production ne résulte point de l’égarement des titres, mais de leur
éloignement. En effet, certains désistants prétendent soit que leurs ancêtres ou eux-mêmes
sont venus de provinces éloignées, soit qu’ils tiennent le principe de leur noblesse de
Souverains étrangers et que les documents appuyant ces prétentions ne se trouvent pas en
France. Il y eut en tout 26 protestations reposant sur de tels arguments. Enfin il est un cas
où les nécessités d’un procès porté devant le Parlement de Paris auraient “provisoirement”
éloigné les documents familiaux susceptibles d’établir une filiation noble.
1) Les titres se trouvent en d ’autres provinces du Royaume.
C’était déjà pour partie le cas de Balthasar de Rabier dont certains documents
familiaux étaient entre les mains d’un “sien frère” à ‘Trois en Turenne”. C’est le cas de
François de Girard “habitant et domicilié à Cavalhon” et dont les titres sont en Avignon
(B. 1360 F° 404 V°). Il en est de même de Claude et Melchion de Bouliers, ce dernier
déclarant “ . . . que tous ses devantiers despuis plusieurs siècles ont possédé l’honneur et la
qualité de noble à laquelle il n’a point desrogé au moyen des services qu’il a rendu au
Roy dans ses armées, ayant faict dix huit ou vingt campagnes tant dans ce Royaume que
dans le Piémond et Cathalogne, mesme en qualité d’officier et lieutenant au Régiment de
M. de Préaux, ne pouvant d’ailheurs par le presant sy tost fere apparoir les tiltres de sa
Maison à cause que M. Louis de Boulhiers, son honcle, citoyen d’Avignon, en a esté saisi
comme estant l’ayné de sa Maison et que les sieurs de Saint-Roman et de Monstal, ses
héritiers en qualité de mari de ses deux filhes estant déxédés puis quleuqes années, il n’y a
cependant aulcun prompt moyen de les recouvrer, attandu mesme que dans les mouve
ments derniers en Avignon la maison du Sieur de Saint-Rouman fust pilhée .. .”
(B. 1360 F° 422 R°) —Honoré d’Autefort, quant à lui, prétend venir de Normandie
“. . . . sauf de se fere restablir en ma qualité, lorsque j’aurai recouvré les tiltres et
documens de ma Maison quy sont en Normandie au Vabre (sic) de Grasse dont mes
autheurs sont sortis, ayant tousjours faict profession de noble et vescu noblement aussy
bien que mes autheurs et mesme en dernier lieu mon père a esté tué d’un coup de canon
commandant une galère pour le service du Roy au combat qui se fit vers les costes de
Genes . . . ” (B. 1360 F° 413 R° ).
Enfin, certaines “protestations”, tout en reposant sur des motifs analogues, ne
spécifient pas la province où se trouvent les documents : c’est le cas de François de
Baudric (Note E.), de Martian et de Louis Leger (Note F.), d’Honoré (B. 1360
F° 405 V°) et Louis de Seignoret (Note G.)
(Note E.) B. 1360 F° 355 R° : désistem ent du 30-VI-1667.
" . . . bien q u ’il est droict de soubstenir sa qualité d ’escuyer pour estre issu de noble famille,
néantmoings comme ils sont venus d ’une province étrangère e t que par ainsy ses tiltres sont esloignez
desquels il en fait faire la recherche pour se fere confirm er en sa noblesse en tem ps et lieux . . . ” .
(Note F.) B. 1360 F° 390 V° : déclaration com m une de désistem ent du 9-VII-1667.
“ . . . ils se despartent de la qualité d ’escuyer e t de noble par eux cy devant prinse en quelque
acte que se puisse estre, attandu q u ’ils n ’ont peu recouvrer leurs tiltres pour estre leur Maison veneue
d ’une aultre province se rettirer en celle-cy, avec protestation s’ils venoient à recouvrer leurs tiltres de
se pourvoir à Sa Majesté pour avoir des lettres de réhabilitation”
(Note G.) B. 1360 F° 405 R° : désistement du 12-VII-1667.
“ . . . tiltres qui sont hors de la province et q u ’il n ’a peu recouvrer sy prom ptem ent à cause de
l’incom odité des affaires de sa Maison quy ne luy ont pas permis de s’acheminer par les lieux ou sont
les tiltres e t docum ents de sa familhe pour justifier sa filiation et sa descendance . . . ”
�2) Les titres se trouvent à l’Etranger
Plus nombreux sont les auteurs de désistements “provisoires” qui prétendent établir
leur noblesse sur des principes juridiques étrangers. Ainsi Esprit de Nigris prétend à une
noblesse génoise .. ses ancestres . . . sont originaires de Genes ou sont ses principaux
tiltres . .
(B. 1 360 F° 359 R°) ; Antoine (B. 1360 F° 374 R°), Jean-François
(B. 1360 F° 374 R° ) et Michel-Ange de Betandier (B. 1360 F°374 R°), prétendent tenir
leur qualité des Ducs de Savoie, leurs titres se trouvant à Saint-Jean de Maurienne.
Jourdan de Tuzel soutient que ses titres sont en Piémont “d’où ses devanciers sont sortis”
(B. 1360 F° 403 V° ). Il en est de même de Barthélémy Bourrelly (B. 1360 F° 403 V° ) ;
Jean-Baptiste et François Blanc sont, disent-ils, de noblesse italienne et auront très bientôt
“les tiltres et documens en leur pouvoir ” (B. 1360 F° 408 R° ) ; Jacques Laufisère serait,
quant à lui, de noblesse Corse “ . . . ses documents sont demeurés en l’isle de Corsègue
dont sa familhe est originaire . ..” (B. 1360 F° 356 R° ). Enfin Marius Buty “d’Ittalie,
habitant puis peu la Provence” n’a pu encore obtenir de sa famille l’envoi de ses titres,
l’expédition, cependant, n’en saurait tarder (B. 1360 F° 406 V°).
Antoine (Note H.), Charles (B. 1360 F° 361 R°), Esprit (B. 1360 F° 361 V“) et
Louis Beaussier (B. 1360 F° 361 R°) tempèrent aussi leur désistement sous une soi-disant
“noblesse débarquée” qu’ils se réservent de prouver ultérieurement. Antoine de Burgues
(note I.) et Antoine Gastinel (Note J.) adoptent une semblable attitude ; mais ni les uns
ni les autres n’explicitent clairement leur origine “. .. sa Maison n’est point de ce
pays . . . . . sa familhe est venue d’un pays estranger . . sont les seuls arguments
exposés dans leur protestation.
3) Les titres sont immobilisés hors de la province par une procédure judiciaire.
C’est le cas de Jean de Rabier, Seigneur de Chateauredon, que les nécessités d’un
“procès important”, pendant devant le Parlement de Paris, contraignent à désister
“provisoirement” sa noblesse ; ses titres de famille se trouvant, en effet, dans la capitale et
devant servir à conforter son droit, à propos de l’ouverture d’un fidéicomis
(B. 1360 F° 412 V°) contesté par son cousin Balthazar de Rabier, lequel, nous l’avons vu,
est à la même époque incarcéré dans les prisons aixoises et ne peut non plus disposer de
certains de ses titres “engagez rière . . . le Procureur Général. .
C - Titres détruits
Deux déclarations mentionnent la destruction pure et simple des titres susceptibles
de prouver l’appartenance au second ordre. L’une met en cause les mesures aseptiques
utilisées en 1629-1630 pour lutter contre la peste en Provence, c’est-à-dire la destruction
par le feu. L’autre incrimine les troubles de la Fronde qui furent extrêmement violents à
Aix.
(N ote H.) B. 1360 F° 360 V° : désistem ent du 2-VII-1667.
“ . . . soubs la protestation de se faire confirm er en sa qualité lorsqu’il aura peu recouvrer ses
tiltres et documens de sa Maison à la recherche desquels il fait travalher attendu que sa familhe est
venue d ’un pays estranger. . ”
(Note I.) B. 1360 F°346 R° : désistem ent du 23-VI-1667.
" . . . il est issu de noble race, néantmoings comme les tiltres de sa Maison ne sont point en ce
pays et q u ’il n ’a pas le tem ps nécessaire pour en faire recherche, d ’autant m ieux q u ’il n ’est que cadet
et que par ainsy les aynés sont ordinairem ent saisis des titres, il est obligé en attendant de les recouvrer
pour estre m aintenu en sa noblesse à déclarer q u ’il se désiste de la qualité d ’escuyer . . . ”
(Note J.) B. 1360 F° 400 R° : désistement du ll-V II-1667.
" . . . sauf de recouvrer ses docum ens qui sont hors du Royaum e et se faire restituer . . . ”
�231
(149 suite)
1) La Peste
François et Jean de Lalayer, père et fils, tous deux Seigneurs de Champourcin,
prétendent en effet dans leur déclaration commune de désistement
. d’autant que
d’une part ledit Sr de Champourcin père a esté laissé en fors bas âge et pupillarité et que
d’ailleurs la Damoiselle Louise de Requistous sa mère ayant convolé en seconde noce se
trouvant saisie de tous les papiers et documens entiens de sa Maison feurent tous perdus à
raison de la maladie contagieuse arrivée dans la ville de Digne en l’an 1629 ou ledit sieur
de Champourcin père perdit personnes et biens . . (B. 1360 F° 406 R°).
2) La Fronde
C’est la raison invoquée par Pierre Benoit, d’Aix : “ . . . soubs la protestation de ne
pouvoir produire aucun titres à cause qu’en l’année 1649 et lors des troubles arrivés dans
cette province, oultre et par dessus une perte considérable de ses biens, tous ses tiltres et
documens luy feurent gettés dans le puits de Balthasard Rostollan pour lors Conseul de
ceste ville . . (B. 1360 F° 352 V°).
II. PROTESTATIONS FONDEES SUR LA DEROGEANCE
Bien peu nombreux sont les usurpateurs déclarant renoncer provisoirement à leur
appartenance au second ordre en alléguant leur dérogeance ou celle de leurs auteurs. Il
serait bien sûr intéressant de connaître la nature même de la dérogeance : une telle
précision n’est malheureusement à peu près jamais indiquée ; la plupart des protestations
demeurant imprécises en la matière. Seul Pierre Moutet, de Forcalquier explique claire
ment les motifs de son désistement :
“ . . . soubs la protestation qu’en cas que Sa Majesté par sa grâce veuille le
réhabiliter pour la dérogeance de la charge et office de notaire que son père avoit
exercé .. .” (B. 1360 F° 389 R°).
Dans d’autres cas, tel celui de JosephGueydon (Note K.), de Marseille, celui
d’Arnaud d’Eyminy (Note L.), d’Arles, et celui de Joseph Astoin (Note M.), d’Entrages, la
dérogeance se déduit implicitement de la qualification socio-professionnelle prise au
moment même du désistement par le faux-noble : Gueydan et Eyminy, en effet, se
qualifient “bourgeois” et Astoin “marchand-bourgeois”.
On ne peut rien déduire des autres protestations : Gaspart de Colonia, de
Forcalquier déclare toutsimplement “avoir desrogé” (B. 1360 F° 337 V°) ; François de
Bollogne, Sgr de Saint-Martin, est tout aussi imprécis “ . . . attandu que de sa part il a
desrogé . . .” (Note N.) ; ainsi que Mathieu (B. 1360 F° 333 V°), Melchion
(Note K.) B. 1360 F° 359 R° : désistem ent du l-V II-1667,
“ sauf de se fere rehabiliter en tem ps et lieux . . . ” .
(N ote L.) B. 1360 F° 406 V° : désistem ent du 12-VII-1667,,
“ . . . sauf de se pourvoir en tem ps et lieux contre la susdite déclaration . . . ” .
(Note M.) B. 1360 F° 339 R° : désistem ent du 10-VI-1667,
“ sauf a se faire réabiliter et maintenir dans sa noblesse” .
(Note N) B. 1360 F° 332 R° : Désistement du 23-V-1667.
. . bien que ledit François de Bollogne aye justifié par bons et valables liltres estre issu
de noble race et lignée, néantmoings attandu que de sa part il a desrogé à la noblesse, il se despart
pour l’advenir et jusqu’à ce qu’il aye pieu a Sa Majesté de la Réabiliter en ic e lle.. . ”
�232
(149 suite)
(B. 1360 F° 333 V° ) et Gilles de Geoffroy (Note O.) qui avouent avoir fait “quelques
actes desrogeants”.
III. PROTESTATIONS FONDEES SUR DES TITRES NON RECONNUS PAR LA
JURISPRUDENCE DE LA COMMISSION
Il convient de regrouper sous cette rubrique un certain nombre de protestations
émanant.
— soit de provençaux qui pensaient avoir des titres suffisants pour être maintenus
dans le second ordre,
— soit de provençaux dont le titre de noblesse originel a été révoqué.
A —
Protestations fondées sur le sentiment de posséder des titres suffisants pour être
maintenus
Il est des clauses de “protestation” dont les auteurs donnent le sentiment d’être
victime d’une injustice : ils prenaient les qualifications du second ordre car ils pensaient
avoir été anoblis par charge ; la jurisprudence dégagée par la Commission leur apprend
qu’en vérité il n’en est rien et qu’ils ne sont que des “usurpateurs du titre de noblesse”.
Pour éviter les poursuites et le taux élevé des amendes ils désistent leur qualité tout en
protestant de la validité de leurs titres et de l’éventualité d’un pourvoi élevé ultérieure
ment.
C’est ainsi que l’on rencontre des particuliers protestant de la validité de leur
noblesse fondée soit sur des provisions d’offices civils, soit sur des commissions de charges
militaires, soit sur des élections consulaires, soit encore sur les Edits Royaux réglementant
l’art de la verrerie, soit même sur une possession immémoriale.
1) Noblesse résulant d ’offices civils
Deux cas seulement illustrent pareille prétention : Scipion Brunet, avocat en
Parlement résidant à Manosque, semble penser honnêtement que son père lui a acquis
une noblesse définitive pour avoir été pourvu et reçu en une charge de Conseiller au siège
de Forcalquier (B. 1360 F° 415 V°). Gaspard de Beaufort, d’Aix, paraît être sincèrement
surpris de ne pas être noble, son père ayant été revêtu d’un office d’Auditeur-Archivaire
en la Cour des Comptes ; il envisage très sérieusement un pourvoi pour “se faire maintenir
dans sa noblesse par devant qui il appartiendra” (B. 1360 F° 414 R°) (Note P).
2) Noblesse résultant d ’offices militaires
Les quelques cas rencontrés sont extrêmement intéressants et démontrent ample
ment que les règles audacieusement dégagées par la Commission en ce qui concerne la
(Note O ) B. 1360 F° 333 V° : désistem ent du 17-IV-1667,
“ . , . lequel a représenté que quoy q u ’il eusse droit d ’insister à m aintenir sa qualité de noble,
comme elle a esté confirm ée aux sieurs de Geoffroy, de Digne, ses parens, pour estre dessendus d’une
même lignée néantmoings pour la nécessité des affaires de sa maison, l’a obligé de fere quelques actes
desrogeants à ladite noblesse . .
(Note P) Henri Beaufort avait été reçu Auditeur-Archivaire le 9-XII-1604 en l’office de Jean
G arron ( C f B. 82 F° 139 R°) ; il m ourra en charge en septem bre 1620 (C f. B. 88 F° 371 V°). Les
offices des Auditeurs furent, sur le plan du droit d ’anoblissement, assimilés par la Commission à ceux
des Conseillers aux Comptes ; il eut donc été nécessaire que Gaspard de Beaufort soit revêtu de l’office
à la m ort de son père pour pouvoir être m aintenu noble. (C f. F.P. Blanc : L 'O r ig in e d e s fa m ille s
p r o v e n ç a l e s . . . o p . c it. p. 796, § III).
�233
(149 suite)
noblesse militaire (Cf. F.P. Blanc: L ’origine des familles Provençales... op. cit.
p. XXIII) ne correspondaient nullement à l’opinion que se faisaient les provençaux sur ce
point. La Commission imposait en l’espèce des principes nobiliaires calqués sur ceux de la
noblesse graduelle des officiers du Parlement et de la Cour des Comptes : deux
commissions de Capitaine exercées par le père et le fils pendant vingt ans déterminaient
au bénéfice du petit fils une noblesse transmissible. Or, les “protestations” nous montrent
d’anciens Capitaines des Armées du Roi (un seul semble toujours en service : J. Gaudy)
revendiquer une noblesse transmissible, alors qu’il n’apparalt même pas qu’ils aient exercé
leur emploi pendant vingt ans, c’est-à-dire qu’ils soient arrivés au terme du premier degré
d’une noblesse inachevée. Une seule exception : celle de Sauveur Giraud qui déclare :
“ . . . sauf de faire voir en temps et lieux d’estre bien fondé d’avoir prins ladite qualité
pour avoir servy dans la charge de capitaine dans les armées du Roy plus de vingt ans et
pourvu de bonnes lettes de commission de Sa Majesté, ne faisant ce désistement que pour
éviter l’exaction...” (B. 1360 F° 415 R°) —Signalons aussi le cas de Jean-Bernardin
Laget qui démontre avoir servi pendant vingt deux années, mais dans quatre grades
différents, ce qui ne saurait pas même constituer le premier degré d’un anoblissement
graduel : " . . . soubs la protestation de se fere restablir en sa qualité au moyen des
services et employés qu’il a heu aux armées de Sa Majesté pendant vingt deux ans soit
comme Capitaine d’infanterie, Major, Aide-Major et Lieutenant de Cavalerie . . . ” (B 1360
F° 388 V°).
Honoré Gaudy, de Pertuis, ancien Capitaine d’infanterie (Note Q), son cousin
Joseph Gaudy, capitaine dans le régiment du baron de Blot (Note R), Jacques de Gilly,
Sgr. de Mousse (Note S) et François d’Imbert, d’Aubagne (Note T), semblent de bonne foi
avoir cru accéder au second ordre sur le seul exercice de leur charge ; tous déclarent qu’ils
demanderont au Roi de les “maintenir” ou “restablir” “ . . . attandu les services” qu’ils
pensent lui avoir rendus.
3) Noblesse résultant de charges municipales
Les privilèges de Mairie n’existaient pas en Provence ; les seuls provençaux mainte
nus sur le fondement d’une noblesse de cloche avaient été anoblis par l’échevinage de
Lyon (cf. F.P. Blanc : La Noblesse de Cloche. . . op. cit.).
Il semble bien cependant qu’au XVIIe siècle nombreux étaient ceux qui pensaient
que certains consulats provençaux étaient privilégiés, c’est-à-dire susceptibles de conférer la
noblesse transmissible aux roturiers normalement élus en charges consulaires. Un certain
nombre de “protestations” sont particulièrement déterminantes de ce point de vue.
(Note Q) B. 1360 F° 397 R° : désistement du ll-V II-1667. “ . . . s a u f de se fere restablir à sa
qualité attendu les services q u ’il a rendu à Sa Majesté aux armées comme Capitaine dans son régiment
d ’infanterie . . . ” .
(Note R) B. 1360 F° 394 R° : désistement du 10-V1I-1667. “ . . . sy devant Lieutenant d ’une
Compagnie d ’infanterie du sieur cadet de G rambois et depuis Capitaine d ’une Compagnie du régiment
du sieur baron de Blot, le to u t pour le service de Sa Majesté . . . fait déclaration soubs la protestation
q u ’il fait q u ’au cas que Sa Majesté le vouleust restablir en sa qualité à cause des services q u ’il luy a
rendu, la presante déclaration ne luy pourra nuyre ny préjudicier . . . ” .
(Note S) B. 1360 F° 388 V° : désistement du 9-VII-1667. " . . . sauf de se fere restablif en sa
qualité ainsy et par devant quy il appartiendra, comme aussy ayant heu l’honneur d ’estre employé
pour Capitaine au service de Sa Majesté . . . ” .
(N ote T) B. 1360 F° 398 V° : désistement du ll-V II-1667. “ . . . s o u b s la protestation de se
pourvoir pour se fere restablir en la qualité d ’escuyer à cause des services q u ’il a rendu, comme
capitaine, à Sa Majesté en diverses campagnes . . . ” .
�234
(149 suite)
Nous avons déjà analysé (ci-dessus notes 50 et 66) les prétentions des consuls de
Seyne et de La Bréole, déclarés contradictoirement usurpateurs par les Commissaires. Les
désistements mettent en lumière les revendications nobiliaires de deux autres consulats :
Marseille et Aix.
a) Consulat de Marseille
Pierre de Pascal et son fils Boniface estiment en toute bonne foi, avoir réuni les
conditions de la noblesse transmissible puisque tous deux ont été élus Consuls de Marseille.
Dans son désistement, Boniface de Pascal qui représente son père déclare expressément
“ .. . bien qu’il aye moyen de vérifier que puis cinq années jusques aujourd’huy le Sr.
Pierre de Pascal, mon père, a tousjours prins la qualité d’escuyer et rampli tous deux
charges consulaires et autres de la ville de Marseille et tousjours vescu noblement . . . (il
déclare se désister pour éviter une amende élevée) . . . sans préjudice de se pourvoir à Sa
Majesté . . . ” (B. 1360 F° 380 R°). Jean-Pierre d’Eyguesier fonde également ses préten
tions sur différentes élections au poste de second Consul de Marseille “ . . . bien qu’il eust
juste droit de soubstenir la qualité d’escuyer ferme ayant ses prédécesseurs exercé la
charge de Second Consul à Marseille, néanmoings se désirant deslivrer de toute recherche
et n’ayant pour le présent tous les tiltres nécessaires pour establir la qualité et
descendance et sous la susdite protestation . . . ” (B. 1360 F° 382 R°).
b) Consulat d ’Aix
Honoré d’Eyguesier est tout aussi persuadé que son cousin marseillais de son
appartenance au second ordre " . . . puisque son grand-père estant second Consul d’Aix
aurait prins la qualité de noble et son père l’avoit continué . . . ” (B. 1360 F° 417 R°).
Quant à Michel Alpheran, il semble considérer que la jurisprudence dégagée par la
Commission en ce qui concerne l’inexistence des privilèges de Mairie en Provence, est une
innovation ; il espère que le Roi accordera de nouveau cette faveur aux édiles aixois, ces
derniers étant Procureurs du pays de Provence. Michel Alphéran, en effet, estime avoir
droit à “la qualité d’escuyer” qui lui est donnée “en plusieurs actes authentiques tant à
son chef que comme ayant heu l’honneur d’exercer la charge de Consul d’Aix, procureur
du pays, néantmoings pour éviter toute recherche, et parce qu’il n’a pas présentement en
son pouvoir tous les tiltres qui luy sont nécessaires pour justiffier sa quallité”, il désiste sa
noblesse “soubs la protestation pourtant de la reprendre en cas qu’il pleust à Sa Magesté
de l’accorder encore à ceux qui ont heu l’honneur d’exercer la charge de Consul Procureur
du Pays . . . ” (B. 1360 F° 386 R°).
4) La noblesse des gentilshommes-Verriers
Par jugement du 15 mars 1668, nous l’avons vu, la Commission avait déchargé de
l’assignation le corps des gentilshommes verriers ; au terme de cette décision, aberrante sur
le plan du droit, un ordre intermédiaire entre roture et noblesse était consacré, celui des
gentilshommes verriers provençaux. La noblesse et, partant, les qualifications spécifique
ment nobiliaires, leurs étaient déniées puisqu’ils n’étaient point maintenus dans le second
ordre ; le rejet dans le Tiers-Etat n’était pas non plus décidé par ce jugement puisque non
seulement certains privilèges fiscaux leur étaient reconnus, mais encore le droit exclusif de
se qualifier “gentilshommes verriers”.
L’analyse des déclarations de désistement permet de comprendre la génèse d’un tel
jugement. En effet, incapables de prouver par une production en bonne forme qu’ils
étaient nobles de race, ou du moins descendaient d’un anobli, un certain nombre de
gentilshommes verriers, le 12 juillet 1667, désistèrent leur noblesse ; cependant, des
déclarations qu’ils firent devant le greffe de la Commission ressort explicitement la
�235
(149 suite)
position suivante : ils acceptent de renoncer provisoirement à la noblesse n’étant pas dans
l’immédiat, capables de prouver leur appartenance au second ordre, ils refusent, toutefois,
de renoncer aux “privilèges” des gentilshommes verriers. Le jugement du 15 mars 1668 ne
faisait donc que consacrer de telles prétentions, inconciliables avec la définition juridique
de “l’art de la verrerie” telle que l’on pouvait la dégager de la législation royale, à savoir
que “l’exercice de cet art ne derroge point à noblesse” (cf Barrigue de Montvalon : op. cit.
p. 452) ; c’est dire que la qualification de “gentilhomme verrier”, à la différence de celle
de “maître-verrier” par exemple, ne pouvait qu’appartenir à un membre du second ordre
autorisé par privilège spécial à pratiquer un métier “mécanique”. La décision de la
Commission provençale est donc éminemment contestable sur ce point.
Quoi qu’il en soit, le 12 juillet 1667, six gentilshommes verriers adoptèrent cette
position, entérinée quelques mois plus tard par les réformateurs.
Le premier, François de Bosco, “advocat d’Apt” viendra par procuration désister la
noblesse de son concitoyen, Pierre de Ferre “ .. . protestant fere déclaration sans desroger
aux privilèges, droits, honneurs et prérogatives quy luy sont estés accordés par les
lettres-patentes de nos Roys et confirmations en considération de leur art et science . . . ”
(B. 1360 F° 409 V°) ; “dudit jour Jean de Ferre, a feu Joseph-François de Ferre, son
frère, Laurent Bon, a feu Joseph et Jean-François Virgilly, de Saint-Maximin, lesdits de
Ferre, de Valsainte et ledit Bon, de Marseille, ont fait déclaration sous la protestation
ci-dessus” (B. 1360 F° 409 V°) ; “ ...dudit jour Joseph de Ferre, fils de Jean, de
Valsainte, a faict déclaraction sauf à luy de se faire restablir et sans faire préjudice à ses
droits et privilèges à eux attribués par lettres-patentes à eux accordées et confirmées en
considération de l’art et science de verrier . . . ” (B. 1360 F° 411 R°).
5) Noblesse résultant d ’une possession immémoriale
Il est surprenant que des particuliers viennent volontairement désister une noblesse
qu’ils prétendent immémoriale. De telles déclarations assorties de protestations ne peuvent
que masquer la pratique d’un métier dérogeant. Quatre provençaux seulement soutinrent
de telles prétentions Honoré de Tiffet, Sgr. de Méolan et avocat en Parlement, renonce à la
noblesse alors que “ses prédécesseurs en ont jouy pendant plus de deux siècles” (B. 1360
F° 332 V°). Antoine Bellin “proteste qu’il a tiltre et preuve pour pouvoir soustenir sa
qualité” (B. 1360 F° 375 R°). Honoré Barbier, de Pertuis, déclare avoir “droit de porter
la qualité d’escuyer pour l’avoir ses autheurs portée pendant long temps et mesme par des
employés et preuves considérables de la part du Roy . . . ” (B. 1360 F° 367 V°). Enfin, il
est un cas particulièrement amusant, celui de Jean-Baptiste d’Estienne, écuyer d’Aix, qui
déclare au terme de son désistement : “ . . . sauf de se pourvoir pour obtenir des lettres de
confirmation et estre restabli dans sa noblesse attendu que tant luy que ses autheurs ont
tousjours vescu noblement” ; Isnardy, greffier de la Commission, justifia une telle attitude
en mentionnant sous le nom de son auteur : “fils de notaire”(B. 1360 F° 398 R°), ce qui
réduisait à néant toute prétention nobiliaire.
B — Protestations fondées sur des titres révoqués
Par Edits d’août et septembre 1664, Louis XIV révoqua toutes les lettres de
noblesse accordées aux provençaux depuis le 1 janvier 1630 (Cf. F.P. Blanc : L ’anoblis
sement par lettres... op. cit. p. 482 et sq.). Plusieurs provençaux, authentiquement
nobles jusqu’en 1664 et n’ayant pas obtempéré à l’Edit, c’est-à-dire ayant continué à se
décorer des qualifications nobiliaires, furent en conséquence contraints de désister une
noblesse usurpée depuis trois ans, afin d’éviter de plus onéreuses poursuites. Tous bien sûr
“protestèrent” d’impétrer auprès du Roi des lettres de confirmation.
�236
(149 suite)
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François Rebattu, père de Jean, auteur du désistement (Note U) avait été anobli en
juillet 1653 (cf. B. 103 F° 425 R°) ; Jean d’Azegat qui fera sa déclaration le 7 juillet
1667 (Note V) avait été anobli en octobre 1653 (B. 103 F° 416 V°) ; François de Saxy
avait obtenu le même avantage en mai 1654 (cf. B. 104 F° 17 V°) ; son cousin
Pierre-Louis de Saxy, Sgr. de Saint-Ferréol, tenait sa noblesse de feu son père Hector,
anobli par lettres données à St-Germain en 1638 (Cf. B. 98 F° 67 R°), tous deux feront
leur déclaration de désistement en juillet 1667 (B. 1360 F° 408 V° et 420 R°) —Jacques
du Moullin adoptera la même position le 4 juillet 1667 “ . . . quoy que ledit Sr. du Mollin
aye des lettres de noblesse puis l’année 1654 (note W) et qu’il eust droit de soustenir la
qualité, néantmoings comme Sa Majesté par sa déclaration de l’année 1664 a révoqué
toutes les lettres de noblesse puis l’année 1634... (il fait sa déclaration) . . . . e n
attendant de se pourvoir à Sa Majesté pour estre confirmé dans sa noblesse . . .*’ (B. 1360
F° 369 V°) —Enfin Etienne d’Arquier, Sgr. de Saint-Estève, renoncera la même année aux
privilèges du second ordre “ . . . avec la protestation qu’il fest sans desroger ny préjudicier
à ce que sa naissance luy donne ny aux tiltres de sa maison ny encore au bénéfice et
advantage qu’il a heu au moyen des lettres-patentes de noblesse qu’il a obtenu de Sa
Majesté au mois d’apvril 1655 (B. 104 F° 385 V°) deubment verrifiées (le 12-VI-1657),
protestant aussy de reprendre ladite qualité de noble et d’escuyer lorsqu’il aura pieu à Sa
Majesté luy accorder lettres patentes de restablissement et confirmation . . . ” (B. 1360 F°
387 V°).
,/• " w v:
IV. PROTESTATIONS NON MOTIVEES
Il est enfin des protestations, heureusement peu nombreuses, qui ne sont pas
motivées ; ce qui est certain, c’est que leurs auteurs ne font pas partie des quelques
anoblis par lettres dont le titre a été révoqué (Cf. F.P. Blanc : L ’Anoblissement par
lettres... op. cit. p. 490 et sq.). Le texte même de leur protestation est par trop
laconique pour les rattacher par déduction à quelqure groupe que ce soit : “ . . . soubs la
protestation de se fere maintenir en temps et l i eux. . . ” (B. 1360 F° 358 V°)
“ . . . protestant de se pourvoir contre ladite déclaration en temps et lieux . . . ” (B. 1360
F° 361 R°) “ . . . sauf de se pourvoir ainsy qu’il appartiendra pour le restablissement de
sa noblesse . . . ” (B. 1360 F° 366 V°) “ . . . sauf de se fere maintenir en sa qualité en
temps et lieux et par devant quy il appartiendra . . . ” (B. 1360 F° 372 R°) etc .. .
En tout, 18 déclarations de désistement provisoire sont assorties d’une protestation
de ce genre (Note X).
(N ote U) B. 1360 F° 336 V° : désistem ent du 26-V-1667. “en a ttendant de Sa Majesté pour
estre confirm é dans sa noblesse” .
(Note V) B. 1360 F° 338 V° " . . . en a ttendant de se pourvoir à Sa Majesté pour estre
confirmé dans sa noblesse” .
(Note W) Jacques du Moullin com m et une erreur de date : c’cst par lettres données à Paris en
juillet 1653 (et non pas 1654) q u ’il fut anobli. C f. B. 103 F° 343, C. 4805 F° 155 R° et B. 3358 F°
47 V °.
(Note X) Citons encore Jacques de Bernard, Sgr. de La M othe, e t son frère Louis “ . . . sans
préjudice de se pourvoir à Sa Majesté pour estre r é t a b l i . . . ” (B. 1360 F° • 394 V° : déclaration
commune de désistem ent du 10-VII-1667) ; François de Boyer : “ . . . sauf de se fere restablir et se
pourvoir contre ladite déclaration . . . ” (B. 1360 F° 416 V° : désistem ent du 13-VII-1667) ; Raym ond
et Gaspard D upont : “ Sauf de se faire restablir en sa qualité” (B. 1360 F° 381 V° : désistem ents du
8-VII-1677) ; Pierre d ’Eclezia : “ . . . sauf toutesfois de se fere confirm er dans sa noblesse . . . ” (B.
1360 F° 372 V° : désistem ent du 6-VII-1667) ; Marc e t Jean-Jacques de G réoux, père et fils:
�237
Q u els fu ren t les résu ltats de la p rem ière réfo rm a tio n de la n o b lesse
p roven çale sur le seu l p lan de la rep ression d es fa u x -n o b le s ? Il est d iffic ile
de d o n n er a p riori à c e tte q u e stio n u n e rép o n se satisfaisan te.
En e ffe t, la rep ression p lu s o u m o in s sévère d e l ’u su rp a tio n d e n o b lesse
d éterm in a-t-elle la d isp arition du d é lit ? Les te n ta tiv e s d ’a n o b lissem en t
“ a u to g è n e ” cessèren t-elles en P roven ce du seu l fait d e leu r rep ression ? La
n é c e ssité q u elq u es an n ées p lu s tard d ’u n e se c o n d e r é fo r m a tio n d e la n o b lesse
im p liq u e n écessa irem en t de d o n n er u n e rép o n se n égative à c e tte prem ière
q u estio n .
Ce q u e L ou is X IV , d ans sa d écla ra tio n d u 2 7 février 1 6 6 5 a p p elait d es
“ d ésord res . . . c o m m is . . . par la lic e n c e d es te m p s” ( 1 5 0 ) n ’é ta it en réalité
q u e la c o n sé q u e n c e d e la stru ctu re in s titu tio n n e lle d e l ’A n cien R égim e,
fo n d é e sur d e u x ordres hiérarchisés : N o b le sse et T iers-E tat ; e t, en l ’e sp è c e ,
fo rce est de c o n sta te r q u e n o n se u le m e n t la se c o n d e réfo rm a tio n m ais aussi
les m a in ten u es du règne d e L ou is X V I révéleron t l ’é c h e c to ta l d e la p rem ière
repression (1 5 1 ) .
La prem ière rech erch e d es fa u x -n o b le s o b tin t-e lle d u m o in s les résu ltats
fin an ciers e sc o m p té s par le Sou verain ?
L es sou rces p e r m e tte n t, en la m atière d ’o b te n ir d es c h iffres e x tr ê m e
m en t précis.
Les usu rp ateu rs p ro v en ça u x eu ren t à d éb ou rser en to u t, 1 7 7 5 2 5 livres,
6 so ls : la part du R o i, c ’est-à-dire le m o n ta n t d es a m en d es s’élev an t à
149 133 livres ; celle d ’A lexan d re B ellegu ise a tteig n a n t 2 8 3 9 2 livres 6 sols
(s o it 14 9 1 3 livres, 6 so ls rep résen tan t les d e u x sols p o u r livre et 13 4 7 9 livres
rep résen tan t les d é p e n s) ( 1 5 2 ) .
(150) F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales. . . op. cit. p. 811.
(151) Pour la seconde réformation Cf. C. 2211, C. 2212, C. 2213, passim. F.P.
Blanc : L ’origine des familles provençales. . . op. cit. passim. F.P. Blanc : L ’anoblissement
par lettres... op. cit. p. 415 et sq., chapitre VII: Les anoblis par lettres devant les
réformations.
Pour le règne de Louis XVI, cf. C. 1830. Registre des preuves faites par les
possédants fiefs pour l’entrée aux Etats de Provence de 1787 à 1789.
(152) Ces chiffres ressortent de la simple addition des amendes prononcées par les
jugements de condamnation et de celles perçues sur les faux-nobles ayant volontairement
désisté leur noblesse. Plusieurs corrections sont, cependant, nécessaires compte tenu du
(N ote X suite)
" . . . sauf de se fere restablir en temps et lieux . . . ” (B. 1360 F° 381 V° : déclaration com m une de
désistement du 8-VII-1667) ; André Jourdany “sauf de se fere réabiliter et restablir en tem ps et lieux”
(B. 1360 F° 375 V° : désistem ent du 7-VII-1667) ; Gabriel Lagarde “ . . . soubs la protestation de se
fere m aintenir en sa qualité en tem ps et l i e u x . . . ” (B. 1360 F° 416 V° : désistem ent du
13-V1-1667) ; Jean-Louis Lambert “ . . . sauf de se fere confirm er en sa qualité et que la présente
déclaration ne luy puisse nuire ny p r é j u d i c i e r ...” (B. 1360 F° 411 R° : désistem ent du 12VII-1667) ; A ntoine de Martiny “ . . .sauf de se fere restituer au Roy pour estre m aintenu et
ré a b ilité . . . ” (B. 1360 F° 302 R° : désistem ent du 9-VII-1667) ; Ferrier de Saint-Chamas " . . . sauf
de se fere confirm er en sa qualité de noblesse en tem ps et lieux q u ’il appartiendra” (B. 1360 F°
383 R° : désistem ent du 8-VII-1667) ; Pierre R ondelet “ sauf de se fere restablir” (B. 1360 F°
384 R° : désitem ent du 8-VII-1667) etc . . .
�fait que certains provençaux furent déchargés de l’amende ou maintenus nobles après
avoir été condamnés.
+ L’ensemble des condamnations prononcées par jugements de la Commission (Cf
Annexes : Tableau I) se traduit par trois séries de débours (Cf. Annexes : Tableau II) dont
le montant s’élève à 119 869 livres, 6 sols, se répartissant comme suit :
— la part du Roi, c’est-à-dire le total des amendes : 103 403 livres ;
— la part du traitant, c’est-à-dire :
. d’une part son profit : les deux sols pour livres des amendes : soit 10 340
üvres, 6 sols
. d’autre part les dépens, soit 6 126 livres.
Les chiffres ainsi obtenus doivent être corrigés de la façon suivante :
+ 19 condamnés bénéficièrent, nous l’avons vu (Cf Annexes : Tableau III) de
jugements de modération qui eurent pour conséquence de diminuer la masse globale de
9 904 livres, ce qui au niveau des trois séries de débours se traduit de la façon suivante :
— Le total des amendes est diminué de 8 930 livres, soit 94 475 livres
— Le total des deux sols pour livre est diminué de 893 livres, soit 9 447 livres, 6
sols
— Le total des dépens est diminué de 81 livres, soit 6 045 bvres.
L’ensemble des trois séries de débours ne s’élevant plus qu’à 109 965 livres, 6 sols.
+ 33 condamnations furent réduites à néant par divers jugements de “décharge
ment” (Note A). La masse globale fut, de ce fait, diminuée de 8 499 livres, ce qui au
niveau des trois séries de débours se traduit de la façon suivante :
— Le total des amendes est diminuée de 7 250 livres, soit 87 223 livres
— Le total des deux sols pour livre est diminué de 725 livres, soit 8 722 livres,
6 sols
— Le total des dépens est diminué de 524 livres, soit 5 521 livres.
L’ensemble des trois séries de débours ne s’élevant plus qu’à 101 466 livres, 6 sols.
+ 25 provençaux après avoir été condamnés comme faux-nobles obtinrent cepen
dant un jugement de maintenue de noblesse (Cf. Annexes: Tableau XI). Les pénalités
contre eux prononcées disparurent ipso facto, ce qui eut pour conséquence de réduire la
masse globale de 8 320 livres, réduction qui, au niveau des trois séries de débours, se
traduit de la façon suivante :
— Le total des amendes est diminué de 7 280 livres, soit 79 943 livres
— Le total des deux sols pour livre est diminué de 728 livres, soit 7 994 livres,
6 sols
— Le total des dépens est diminué de 312 livres, soit 5 209 livres.
L’ensemble des trois séries de débours ne s’élevant plus qu’à 93 146 livres, 6 sols.
+ Un gentilhomme étranger, François de Saporta et un menuisier d’Apt, Henri
Daumas furent déchargés de l’amende initialement prononcée contre eux, le Traitant
ayant reconnu que leur assignation n’était pas fondée en droit (Cf. supra note 67). Ces
deux déchargements eurent pour conséquence de réduire la masse globale de 181 livres, ce
qui au niveau des trois séries de débours se traduit de la façon suivante :
(N ote A) Il s’agit (Cf. Annexes : Tableau IV) de François d ’A m phoux, Balthazar Aubert,
Mathieu Aubert, Balthazar Berlue, Jean-Baptiste Berlue, Gilbert Bonnaud, Charles Bremond, Claude
Cavallier, Jean-Charles de Clapiers, Nicolas Deydier, Gaspard Fabre, Jean G eoffroy, François G eoffroy,
Jacques G eoffroy, Sébastien G eoffroy, Sylvestre G eoffroy, Yves G eoffroy, Claude Girardin, Alexandre
de Guinet, Jean Laurens, Joseph Lieutaud, Scipion Lieutaud, Pierre Luce, André Magnan, Balthazar de
Monier, Henri Pierre, Pierre Pierre, Jean-Baptiste Q uintran, Charles Salette, Jean-Louis Senebier, Pierre
Vial, les Consuls de Seyne, les Consuls de La Bréole.
�239
149 133 livres au seu l b é n é fic e du T résor R o y a l r ep résen ten t, sans
c o n te s te , u n e so m m e n o n n égligeab le ; elle est ce p e n d a n t très é lo ig n é e d es
p révision s co lb e r tie n n e s telles q u e l ’o n p e u t les d égager d e la D éclaration
R o y a le du 27 février 1 6 6 5 stip u la n t u n e am en d e m in im u m de 3 0 0 livres. U n e
a p p lica tio n str ic te d e ce te x te aurait n o r m a le m e n t d û , c o m p te ten u d e
l ’im p o rta n ce du p h é n o m è n e d ’u su rp ation en P roven ce, p erm ettre la p ercep
tio n d ’au m o in s u n d em i m illio n d e livres to u rn o is.
La prem ière réfo rm a tio n c o n stitu e d o n c , sur le p lan fin a n cier, u n é c h ec
relatif, im p u ta b le n on seu lem en t à l ’a ttitu d e d e s réform ateu rs p ro v en ça u x
(a m en d es p eu élev é es, “ d éch a rg em en ts” ) m ais en c o r e à l ’o b te n tio n par les
p arlem en taires de l ’in stau ration d ’u n e p rocéd u re d e d é siste m e n t.
(152 suite)
— Le total des amendes est diminué de 150 livres, soit 79 793 livres
— Le total des deux sols pour livre est diminué de 15 livres, soit 7 979 livres, 6 sols
— Le total des dépens est diminué de 16livres, soit 5 193 livres.
L’ensemble des trois séries de débours nes’élevant plus qu’à 92 965livres, 6 sols.
+ A cette somme de 92 965 livres, 6sols il convient d’ajouter le montant des
pénalités perçues sur les provençaux ayant désisté leur noblesse usurpée, étant précisé que
le désistement, étant volontaire, ne pouvait donner lieu ni à un “déchargement” ni à une
modération de l’amende, ni même à un remboursement en cas de maintenue postérieure.
1 354 provençaux désistèrent leur noblesse conformément aux prescriptions posées
par l’arrêt du Conseil du 28 mars 1667 (Cf. Annexes : Tableau VI et VII), le texte
imposant, en l’espèce, une amende et des dépens uniformément et respectivement fixés à
50 livres et 6 livres.
Deux “désistants” seulement échappèrent à ces paiements : François Grange et
Alphonse Latil “bourgeois” et “écuyer” de Marseille qui tentaient, nous l’avons vu (supra
note 78), par le biais du désistement, de “modérer” les amendes déjà prononcées contre
eux.
1 352 provençaus furent donc astreints aux trois séries de débours suivants :
— 50 livres d’amende, soit 67 600 livres au bénéfice du Roi
— 5 livres, soit 6 760 livres, représentant la part (les deux sols pour livre) du
Traitant
— 6 livres, soit 8 112 livres, représentant les dépens adjugés aussi au Traitant.
L’ensemble des trois séries de débours représentant la somme de 82 472 livres.
+ Enfin, 29 provençaux furent individuellement autorisés par “décrets d’injonction”
de la Commission à désister leur noblesse, nonobstant la “clôture” du délai prévu par
l’arrêt du 28 mars 1667 (Cf. Annexes : Tableaux IX et X). A la différence des précédents
désistements l’amende perçue s’élevait à la somme de 60 livres ; il convient donc de
corriger les chiffres ci-dessus obtenus de la façon suivante :
— La part du Roi est augmentée de 1 740 livres, soit 69 340 livres
— Le total des deux sols pour livres est augmenté de 174 livres, soit 6 934 livres
— Les dépens sont augmentés de 174 livres, soit 8 286 livres.
L’ensemble des trois séries de débours s’élevant à 84 560 livres.
Cette dernière somme jointe aux produits des condamnations (92 965 livres, 6 sols)
permet d’obtenir le total des sommes déboursées par les faux-nobles provençaux sous la
première réformation : 117 525 livres, 6 sols se répartissant comme suit :
— La part du Roi : 149 133 livres
— La part du Traitant : 14 913 livres, 6 sols représentant les deux sols pour livre et
13 479 livres représentant les dépens.
�240
Si l ’o n com p are les résu ltats fin an ciers d e c e tte p rem ière rech erch e d es
fa u x -n o b le s, avec les p rix c o u ra m m en t p ratiq u és à A ix , p en d a n t la m êm e
p ério d e, p ou r les v e n te s d ’o ffic e s , fo r c e est d e c o n sta te r q u ’avec u n ou d e u x
é d its d e “ c r u e ” , le R o i e u t o b te n u d e p lu s im p o rta n tes ren trées de
n u m éraires (1 5 3 ).
La prem ière réfo rm a tio n , c e p e n d a n t, p r é se n te , p e n so n s-n o u s, u n a sp ect
p articu lièrem en t p o s itif : c ’est la seu le e n q u ê te su scep tib le en P ro v en ce, p a y s
de taille réelle, de p erm ettre à u n m o m e n t d o n n é , d e tracer u n e fro n tière
p récise en tre le T iers E tat et le seco n d ordre.
En e ffe t, de l ’e n sem b le du C o n te n tie u x (ju g em en ts de m a in te n u e et
c o n d a m n a tio n s) ressort, p o u r l ’an n ée 1 6 6 6 , u n e r ép a rtitio n e x a c te , fo n d é e
sur le d ro it, en tre n o b le s e t fa u x -n o b les.
La n o b le sse “ a p p a ren te” c ’est-à-dire l ’en se m b le d es p ro v en ça u x se
d éco ra n t, dans les a ctes d e la p ratiq u e, d es q u a lific a tio n s réservées au seco n d
ordre, é ta it c o m p o s é e de 3 1 1 4 h o m m e s, p arm i lesq u els 1 0 8 8 se u le m e n t
fu ren t m a in ten u s n o b le s (1 5 4 ) , e t 2 0 2 6 d éclarés usu rp ateu rs ( 1 5 5 ) .
(153) Ainsi pour l’année 1660 les offices de Secrétaire du Roi en la Chancellerie
près la Cour des COmptes se vendaient à Aix, 12 000 livres (Cf. Archives des B. du Rh. :
301-E-325 F° 887 V° et sq.) ; les mêmes offices en la Chancellerie près le Parlement se
négociaient au même prix (Cf. 307-E-960 F° 1101 R° et sq.). L’office de Prévôt général
de la Maréchaussée atteignait la somme de 44 000 livres (Cf. 303-E-383 F° 1784 R° et
sq.) ; quant aux offices de Conseillers au Parlement ils ne valaient pas moins de 81 000
livres {Cf. 303-E-383 F° 1273 R° et sq.) etc . . .
(154) Cf. F.P. Blanc : L ’origine des familles provençales. . . op. cit. p. 607 et sq.
(155) Le nombre exact de provençaux déclarés usurpateurs des titres de noblesse a
pu être obtenu de la façon suivante :
+ 474 condamnations dont 4 collectives furent prononcées par la Commission {Cf.
Annexes : Tableau I).
Il convient cependant de retrancher de ce chiffre :
— 25 provençaux ultérieurement maintenus nobles (Cf. Annexes : Tableau XI)
— 31 provençaux ultérieurement déchargés individuellement de l’amende {Cf. supra
note 152 —A) pour divers motifs (pauvreté, etc . . . )
— un provençal (Henri Daumas) et un languedocien (François de Saporta) furent
aussi déchargés de l’amende déjà prononcée contre eux, par suite d’une erreur du Traitant
relative à leur assignation {Cf. supra notes 67 et 152).
— deux “déchargements” collectifs au bénéfice des Consuls de Seyne et de La
Bréole {Cf. Annexes : Tableau V) ce qui réduit le chiffre initial à 414 condamnations dont
deux collectives à l’encontre, nous l’avons vu {supra note 66) des “particuliers” de Seyne
et de Bréole, subsituée, sur le plan répressif, à leurs Consuls.
Il convient, du reste, de “détailler” les “particuliers” de ces deux communautés. Il
s’agit de tous les membres et anciens membres, consuls y compris, du Conseil municipal
de Seyne et de tous les Consuls et anciens Consuls du Conseil municipal de La Bréole, qui
se trouvaient en vie lors de la première réformation : 51 habitants de Seyne et 16 de La
Bréole furent ainsi solidairement condamnés ; leurs noms nous sont connus grâce aux
requêtes présentées à la Commission par leurs Procureurs, aux fins d’être déchargés de
�241
L ’im p o rta n ce con sid érab le d u p h é n o m è n e d ’u su rp a tio n d o it d o n c être
so u lig n ée en P roven ce. L’h isto ire so cia le d e l ’A n cien R ég im e, n o rm a lem en t
fo n d é e sur u n e an alyse d es ca tég o ries so c io -p r o fe s sio n n e lle s d ans leurs
rapports avec les ordres, ne saurait, en a u cu n e fa ç o n , m é c o n n a îtr e e t négliger
c e tte catégorie de fait (1 5 6 ) , les fa u x -n o b le s, d o n t la d é fin itio n , p o u rta n t,
d em eu re in d isso cia b le d es règles ju rid iq u es d e stin é e s à leur rep ression .
(155 suite)
l’assignation pour “n’avoir jamais prins la quallité en leurs noms”, mais seulement en tant
que représentant de leur Communauté (Note A).
Il s’agit donc en tout de 479 condamnations (412 provençaux condamnés individuel
lement et 67 collectivement).
+ A ces 479 condamnés il convient d’ajouter les 189 faux-nobles individuellement
déchargés de l’amende (Cf. Annexes: Tableau IV) ; ce qui porte à 668 le nombre des
provençaux déclarés usurpateurs par la Commission.
+ A ces 668 usurpateurs doivent aussi s’ajouter les faux-nobles ayant désisté leur
noblesse.
1 404 provençaux furent ainsi condamnés pour usurpation en suite de leur désistement
volontaire (Cf. Annexes : Tableaux VI et VII), des décrets d’injonction de la Commission
{Cf. Annexes : Tableaux IX et X) ou des déclarations de leurs héritiers {Cf. Annexes :
Tableau VIII).
Ce chiffre, cependant, doit être corrigé de la façon suivante :
— 27 condamnés sur désistement furent ultérieurement maintenus nobles {Cf.
Annexes : Tableaux XII).
— 19 furent condamnés pour récidive, par la Commission, nonobstant leur désiste
ment (Note B).
Le chiffre des “désistants” doit donc être ramené à 1 358.
L’ensemble des faux-nobles provençaux en 1666 s’élevait donc à 2 026.
(156)
Nous donnons en Annexes: Tableau XIII la répartition géographique de la
noblesse apparente provençale (nobles et faux-nobles) pour l’année 1666.
(Note A) Cf. B. 1359 F° 303 V° et 304 V°. Il s’agit pour Seyne de “ Balthesard Ebrard, Jean
Pioulle, A nthoine Savornin père, Pierre Laugier, Esperit Rougon, Balthesard Rém usat, Illaire R oux,
André Chabot, Jean Maritan, Jean Isoard, A nthoine Savornin fils, Guilheaume Savornin, A nthoine
Juram y, Laurent Tiran, Pancrasse Vernet, Joseph Barluc, André Guion, Pierre Achard, H onoré V ernet,
Jean Lombard, Laurent Roux, Claude Joine, Louis Peauchier, Esprit Martin, E sprit R oux, Estienne
Chevallier, Laurent Baille, Barthélémy R oux, Jean Juram y, Estienne, Charles et H onoré Pellegrin,
Honoré Silvy, Jean Pasqual, Louis Mathieu, Jacques Barrallier, Pierre Baille, Jean et Jean Rem uzat,
père et fils, Jean-Pierre Tuarel, Louis Maritan, André H erm itte, Esprit Martin, Nicollas Raybaud, Esprit
D onnadieu, Louis R oux, Jacques Galland, Pierre Saunier, André Roman, Guilheaume Martin et Laurens
Baille” .
Il s’agit pour La Bréole de “Pierre Saunier, Simon Goirand, Jean Michel, Louis Masse, Laurent
Charbonnier, Gédéon Jean, André Maurel, Balthasard Deschaux, Pierre From and, H onoré Eissautier,
Claude Ferraud, Jean Burran, Jacques Masse, A nthoine M athieu, Jean Maurel, Barthélém y R ichaud” .
Il est à noter que s’agissant de Seyne c’est l’ensemble du Conseil municipal qui prétendait à la
noblesse de cloche, alors que pour La Bréole ce n ’était que le Collège des Consuls.
D’après les listes publiées par l’abbé C. Allibert in H is to ir e d e S e y n e , d e s o n b a illa g e e t d e sa
vig u e rie, 2 vol. (B arcelonnette, 1904) T. II p. 4 et 5, il semble que l’usurpation des qualifications
nobiliaires, dont se rendaient coupables les m embres du Conseil m unicipal de Seyne, rem onte à l’année
1599 ; le délit cessera définitivem ent en 1670, im m édiatem ent après la condam nation collective.
(Note B) Il s’agit de Louis de Bousquet (Brignoles), Pierre Durand (Marseille), André d ’Escalis
(Marseille), Sébastien de F ort (Marseille), Gaspard G astinel (Sisteron), H onoré de G autier (Correns),
François Grange (Marseille), Alphonse Latil (Marseille), Jean de Manddon (Arles), Charlçs de Perrachc
(Les Mées), Jean Peyronselly (Fréjus), Jean-Baptiste de Perrache (Les Mées), Louis Reynaud (Sisteron),
François Rigollet (A pt), Virgile de Savournin (Lauris), François Sigouin (Sisteron), Jean-Baptiste
d ’Arvieux (Marseille), Gaspard de Colonia (Brignoles), H onoré de Rissy (Aix).
16
�242
PIEC ES JU S T IF IC A T IV E S
I. JU G E M E N T S D E C O N D A M N A T IO N
B. 1360 F° 433 R° : Jugement de condamnation contre Charles Guide
E ntre le P rocureur G énéral du R o y en la C o m m issio n , p o u r su itte et
d ilig en ce Me. A lex a n d re B ellegu ise chargé par Sa M ajesté d e la p o u r su itte de
la v érifica tio n d es titres de n o b lesse et rech erch e d e s usu rp ateu rs d ’ic e lle au
p résen t p a ïs d e P roven ce, d em an d eu r en e x é c u tio n d e la D écla ra tio n d e Sa
M ajesté e t arrests du C o n seil d ’u n e p art, et C harles G u id e, d e la ville
d ’A n th ib es, assigné e t d e ffe n d e u r d ’au tre, veu lad ite D écla ra tio n arrest du
C on seil, ju g em a n t par n o u s randu, e x p lo it d ’assign ation d o n n é en c o n sé
q u en ce au d it G uide en rem ize de ses tiltre s devers le g r e ffe d e la C o m m issio n
du vin gt c in q u iesm e a o u st 1 6 6 7 , so m a tio n fa ic te à so n p rocu reu r à l ’e ffe c t de
lad ite rem ize, ex tr a ic ts d ’a ctes d an s le sq u e ls il a prin s les q u a llite z de
n o b le sse , resq u este p résa n tée par led it G u id e p ou r estre receu à fère sa
d esclaration en p ay a n t l ’a m en d e de 61 livres a tte n d e u so n ab sen ce avec la
r e sp o n c e d u d it B ellegu ise c o n te n a n t e m p e sc h e m e n t à lad ite r é c e p tio n , u n avis
du P rocureur G énéral d u R o y c o n te n a n t q u e le d it G u id e ju stifie r a d e son
a b sen ce par u n c e r tific a t du ca p ita in e so u b s le q u e l il a servy d e s 16 e t 17
ju in 1 6 6 8 , c e r tiffic a t fa ic t par les co n su ls e t viguier d e la ville d ’A n th ib es
c o n te n a n t q u e led it G u id e a e sté absant p u is le m o is de m ars ju s q u ’au m o is
d ’o c to b r e du 2 8 d écem b re 1 6 6 7 , rescharge d e lad ite req u este p o r ta n t p iè c e s
rière le greffe d e la C o m m issio n , o u y , le rapport du C om m issaire, to u t
c o n sid éré, les C om m issaires d é p u tte z par Sa M ajesté o n t d éclairé e t d écla iren t
led it G u id e, u surpateur d es tiltre s de n o b le sse , o n t o r d o n n é e t o r d o n n e n t q u e
lesd ites q u a litte z sero n t ra y ées et b iffé e s d e to u s les c o n tr a c ts, a c te s et
ju gem an s dans lesq u els elle s se tro u v ero n t avoir e sté e m p lo y é e s e t le tim b re
a p p o sé à ses arm es rom p u e t brisé par le p rem ier o ffic ie r à c e st e ff e c t requis,
avec d e ffe n se au d it G u id e d e prandre à l ’advenir te lle s et sem b la b les q u a litte z
à p a y n e de 2 0 0 0 livres d ’am an d e, e t n é a n m o in s p ou r l’u su rp a tio n par lu y
co m m ise l ’avons c o n d a m n é en l ’am an d e de 3 0 0 livres, d e u x so ls p o u r livre
d ’ic e lle , au p a y e m e n t d e laq u elle il sera co n stra in t c o m m e p o u r les prop res
d en iers e t affaires de Sa M ajesté, et a u x d é p e n s m o d érés à 5 livres, signé
Séguiran, fa ict à A ix le 6 avril 1669.
B. 1360 F° 442 R° : jugement de condamnation contre Jean-Baptiste
Corni lie
E n tre le P rocureur G én éral d u R o y en la C o m m issio n , p o u r su ite et
d ilig en ce de Me. A lex a n d re B elleg u ise, chargé par Sa M ajesté d e la rech erch e
d es usu rp ateu rs d es titres d e n o b le sse , su ivan t la d écla ra tio n d u 2 8 février
16 6 5 v ériffiée en la C our d es C o m p te s, A y d e s et F in a n ces de ce p a y s, le 2
ju in a u d ict an et arrest du C on seil d u 16 a o u st 1 6 6 6 , d em a n d eu r en
�243
e x é c u tio n de lad ite D éclaration et arrest du C on seil d ’u n e p art, et A n to in e et
Jean -B ap tiste C orn ille, du lieu de G rans, assign és e t d e ffe n d e u r s d ’autre, les
C om m issaires d é p u té s par Sa M ajesté o n t d éclaré e t d écla re n t Jean -B ap tiste
C ornille, usurpateur du titre de n o b le sse , o n t o r d o n n é e t o r d o n n e n t q u e la
q u a lité d ’e scu y er par lu y prise sera ra y ée e t b iffé e d e to u s les a ctes et
ju gem an s dans lesq u els elle se trou ve in cérée e t le tim b re a p o sé sur ses arm es
rom p u e t brisé par le p rem ier o ffic ie r sur ce req u is, le q u e l p o u r c est e ffe c t
est c o m m is, n éa n m o in s p ou r l ’u su rp a tio n par lu y co m m ise l ’o n t c o n d a m n é et
c o n d a m n e n t à l ’am ande de 4 0 0 livres e t au x d e u x sols p o u r livre, au
p a y e m e n t de laq u elle il sera co n str a in t c o m m e p o u r les p rop res d en iers et
affaires d e Sa M ajesté, lu y o n t fa it in h ib itio n s e t d e ffa n c e s de prandre à
l’advenir te lle s e t sem b la b les q u a lité s, n y d e p orter le tim b re à ses arm es à
pain e d e 2 0 0 0 livres d ’am ande e t le c o n d a m n e n t a u x d é p e n s m o d érés à 10
livres, et en ce q u i e st d ’A n to in e C orn ille l ’o n t relaxé et r ela x e n t de
l ’assign ation à lu y d o n n é e , l ’o n t m is h ors de cou rs et p r o c è s, lu y o n t fait
n éan m oin gs in h ib itio n s e t d e ffa n c e s de p o u rter tiltre d e n o b le sse ou
d ’escu y er e t o ù se trou veron t l ’avoir prise q u ’elle sera aussi ra y ée e t b iffé e ,
ny p o rter tim b re sur ses arm es, à pain e d e 2 0 0 0 livres d ’a m an d e, fa it à A ix ,
le p rem ier m ars m il six cen t so ix a n te sep t.
B. 1360 F° 458 R° : Jugement de condamnation contre Jean du Destrech
E ntre le P rocureur du R o y en la C o m m issio n , p o u rsu ite e t d ilig en ce de
Me. A L exan d re B elleg u ise chargé par Sa M ajesté de la rech erch e d es usurpa
teurs du tiltre d e n o b lesse suivant la D écla ra tio n d u 2 8 février 1 6 6 5 v é r iffié e
en la C our d es C o m p tes, A y d e s et F in a n ces de ce p a ïs le se c o n d ju in a u d ita n ,
arrest du C on seil du 16 a o u st 1 6 6 6 , d em a n d eu r en e x é c u tio n de lad ite
D éclaration e t arrest du C on seil d ’u n e p art, e t Jean du D estrech , d e la ville
d ’A rles, assigné d effa n d eu r d ’autre. V e u par les C om m issaires d é p u té s par Sa
M agesté lad ite D éclaration e t arrest d u C on seil d u d it jo u r 16 a o u st 1 6 6 6 ,
ju g e m e n t par n o u s rendu en su ite d u cin q u iè m e n o v em b re dern ier, e x p lo it de
co m m a n d e m e n t e t assign ation d o n n é e en c o n sé q u e n c e au d effa n d eu r en la
rem ise d e ses tiltre s du tren te d exan b re su ivan t, so m m a tio n fa ite au
Procureur p résen té par led it d é fen d eu r d e rem ettre d an s q u in z a in e lesd its
tiltres rière le greffe de la C o m m issio n du 19 jan vier aussy dernier, d e u x
e x tr a ic ts d ’a c te s en abrégé passé par led it d effa n d e u r d an s lesq u els il est
q u a lifié esc u y e r d es 2 6 ju in 1 6 4 7 e t 3 février 1 6 4 8 , reçu s e t sign és C o m b e ;
lettres-p a ten tes d e n o b lesse o c tr o y é e s par le feu R o y H enry III à feu
T ro p h èm e du D estrech , ses e n fa n ts e t p o sté r ité n ais e t à n aistre, sign ées et
scellées de l ’a n n ée 1581 ; e x tr a ic t d ’o r d o n n a n c e du L ieu ten a n t du S én esch al
de lad ite ville d ’A rles p o rta n t verrifica tio n e t a n té r in e m e n t d e sd ite s le ttr e s du
2 7 avril 1 5 8 9 ; g én éa lo g ie de la m a iso n du d e ffa n d e u r e t ses d e sc e n d a n c e s ;
m ariage d u d it T rop h m e de D e str e c h avec M arguerite d ’Icard o u apert .estre
fils d e Jean du 9 sep tem b re 1 5 7 8 , sign é B lanc ; te s ta m e n t d u d it T ro p h èm e
par le q u el fa it d o n a tio n au d effa n d eu r d e la so m m e y m e n tio n n é e e t fait et
in stitu e son h éritière M arguerite d ’Icard, sa fe m m e d u 3 0 m ay 1 6 1 7 receu
par C laret e t signé M arquet, p rop riétaire ; m ariage d u d it d effa n d eu r avec
�d a m o y se lle Marie d ’A n th o n e lle par le q u e l apert estre fils d u d it T ro p h èm e du
seco n d janvier 1 6 4 9 , sign é A n d ré, n o ta ire ; c o n c lu s io n s du P rocu reu r G énéral
du R o y q u i req u iert, q u ’a tten d u q u e les lettr e s d e n o b le sse o b te n u e s par led it
T ro p h èm e n ’o n t pas e sté v é r iffié e s par la C our d es C o m p te s, A y d e s et
F in a n ces d e ce P aïs, q u e le d it d effa n d eu r so it d éclaré u su rp ateu r du tiltre de
n o b lesse et q u e , c o n fo r m é m e n t à la d écla ra tio n de Sa M a jesté, lesd ites
q u a litez de n o b le e t d ’esc u y e r so ie n t r a y ées e t b iffé e s d e to u s lesd icts
c o n tra cts ou il les au roit prises et q u e le tim b re a p osé à ses arm es so it brisé
et rom p u e t q u e in h ib itio n s et d e ffa n c e s lu y so ie n t fa ite s d e prandre à
l ’advenir lesd ites q u a lite z de n o b le et d ’esc u y e r e t autres titres d e n o b le sse ,
à p ain e de 2 0 0 0 livres ; e t to u t ce q u e par les p arties a e sté fo u r n y et
p ro d u it dans leur invan taires de p r o d u c tio n ; o u y le rapport d u C om m issaire,
to u t co n sid éré.
Les C om m issaires d é p u té s par Sa M ajesté a y a n t esgard à la req u este
d u d it P rocureur G énéral o n t d éclaré et d écla re n t led it Jean du D estrech
u surpateur d es tiltre s de n o b le sse , o n t o r d o n n é et o r d o n n e n t q u e la q u a lité
d ’esc u y e r par lu y prinse sera rayée e t b iffé e de to u s les a c te s et ju g e m e n ts
dans lesq u els elle se trouvera in sérée, e t le tim b re a p o sé à ses arm es brisé et
rom pu par le p rem ier o ffic ie r sur ce req u is le q u e l p o u r c e st e ffe c t est c o m m is
et n éa n m o in g s p ou r l ’u su rp ation par lu y c o m m ise l’o n t c o n d a m n é et
co n d a m n en t en l ’a m en d e d e 3 0 0 livres e t a u x d e u x sois p o u r livre au
p a y e m e n t d e laq u elle il sera c o n stra in t c o m m e p o u r les prop res d en iers et
a fferes d e Sa M ajesté, lu y o n t fa it in h ib itio n s et d e ffa n c e s d e prandre à
l’advenir te lle s et sam b lab les q u a lités e t d e p o u rter le tim b re en ses arm es, à
p e y n e de 2 0 0 0 livres d ’a m en d e, e t le co n d a m n e n t a u x d esp an s m o d érés à 2 0
livres. F a ict à A ix le 13 febvrier 1 6 6 7 .
II.JU G E M E N T S D E D E C H A R G E M E N T
B. 1360 F° 89 R° : Jugement de déchargement pour Jean Isoard
Les C om m issaires d é p u té s par Sa M ajesté p o u r la v erriffica tio n d es titres
de n o b le sse e t rech erch e d es usu rp ateu rs d ’ic e lle au p résen t p a y s d e P roven ce,
veu la resq u este p résen tée par Jean Isoard, b o u rg eo is d e la ville d e S e y n e ,
c o n te n a n t q u e sy b ien il a voit e sté assigné en e x ib itio n d es titr e s d e n o b le sse ,
il y a voit lieu de le descharger de c e tte rech erch e atta n d u q u ’il n ’avoit pris la
q u a lité d e n o b le , n i d ’esc u y e r d ans au cu n c o n tr a c t, q u e sy b ien il av o it esté
p résen t au m ariage d ’A lexan d re Isoard, so n frère, o u au tres, d an s le q u el o n
l’a q u a lifié e scu y er par co m p la isa n c e , ce seu l a c te ne d e v o it pas estre cap ab le
d e le fere co n d a m n er à l ’am en d e d ’au tan t m ie u x q u ’il n ’e st pas u n acte q u ’il
a y e p assé et q u e suivant le règ le m en t et arrest du C o n seil, il fa u t q u e la
partie co n tr a c ta n te aye sign é le c o n tr a t, veu m e sm e q u e d an s to u s les autres
a ctes il n ’a jam ais pris c e tte q u a lité , d e m a n d e au m o y e n d e ce d ’estre
desch argé d e c e tte assign ation e t d e to u te rech erch e, a tte n d e u m esm e la
d éclaration q u ’il fe r o it d evers le greffe c o m m e il n ’e n te n d d e se servir de
�245
c e tte q u a lité et ren on se au x privilèges de n o b le sse , d ecret d e so it m o n stré au
Procureur G énéral du R o y et à p artie le se p tiè m e d u co u ra n t, r é p o n d u par
M assaune, c o m m is de S im on P ujol o u B elleg u ize, ex tra ict d e m ariage d u d it
A lexan d re Isoard e t D a m o y se lle C atherine A rnaud o ù le d it Jean Isoard, son
frère, a e sté q u a lifié escu y er, du 8 jan vier 1 6 5 9 , m ariage d u d it d em a n d eu r
avec d a m o y se lle L ucresse R ém u sat, du 3 jan vier 1 6 6 1 , rière P eautrier,
n otaire, ex tra ict d e partage passé en tre lu y e t so n d it frère du 2 3 d écem b re
1665 o ù led it Jean Isoard n ’a pris q u e la q u a lité de b o u r g e o is, ju g em a n t par
n o u s ren d u le 5 n ovem b re 1 6 6 5 et e x p lo it d ’assign ation d o n n é au d it
d effe n d e u r le q u atre avril dern ier, arrest du C o n seil d ’E stat p o rta n t q u ’en
rapportant par les p r é p o z é s à lad ite rech erch e u n e x tr a ic t d ’u n c o n tr a c t o u
autre a cte passé par d evan t n otaire ou la partie c o n tr a c ta n te aura signé
et pris in d u em en t la q u a lité d ’e scu y er o u autre so n t d éclarés u su rp ateu rs,
c o n c lu sio n s du Procureur G énéral du R o y , c o n te n a n t q u ’atan d u q u e par led it
arrest du trèze jan vier dernier, il n ’y a q u e les p arties c o n tr a c ta n te s q u i so n t
su jètes à la p en n e et q u e le su p p lian t n ’a e sté q u e p résen t d an s le c o n tr a c t d e
m ariage d ’A lex a n d re, so n frère, n ’em p e sc h e c e tte desch arge sa u f d ’estre
réassigné au cas q u ’en co n tra cta n t il a y e pris la q u a lité , recharge du jou r
d ’h u y , o u y le rapp ort du C om m issaire, to u t c o n sid éré, le sd ic ts C om m issaires
a yan t esgard à lad ite resq u este o n t desch argé e t d esch argen t le d it Jean Isoard
de l ’assign ation à lu y d o n n é e e t de to u te rech erch e p o u r raison d e c e , en
faisant n éa n m o in s d éclaration devers le g reffe d e la C o m m issio n c o m m e il
ren o n ce au x q u a lité s de n o b le ou d ’esc u y e r et p ayer l ’a m en d e p o r té e par
l’arrest du C on seil du 2 8 m ars dern ier a tten d u la D écla ra tio n (1 ) , signé
Séguiran, fa ic t à A ix le 14 ju in 1 6 6 7 .
B. 1360 F° 99 R° : Jugement de déchargement pour la famille Bernardy.
Les C om m issaires d é p u té s par Sa M ajesté p o u r la v é r ific a tio n d es tiltre s
de n o b lesse et rech erch e d es u surpateurs d ’ic e lle au p résen t p a y s d e P roven ce,
veu la req u ête p résan tée par N o ë l, Jean, J o sep h e t A n dré B ernardy, frères, du
lieu de T urrière, led it N o ë l h a b ita n t à C lam en san e, c o n te n a n t q u e q u o y q u ’ils
eu ssen t d ro it de se q u alifier n o b le s p ou r estre issu s d e très b o n n e fa m ille,
n éa n m o in s la n é c e ssité de leurs a fferes les a yan t p o r té s à fere p lu sieu rs a ctes
m écan iq u es, et d ev en u s e x tr ê m e m e n t pauvres, gaign an t leu r vie du jo u r à la
jo u rn ée pour l’en tr e tie n de leurs fa m illes, d e m a n d e n t d ’estre d esch argés de
to u te rech erch e p ou r raison de ce, a p o in té e , so it m o n strée au Procureur
G énéral du R o y et à partie le 4 du co u ra n t, rép o n d u par M assanne, c o m m is
de Me. A lex a n d re B ellegu ise, d e u x c e r tific a ts d es c o n su ls et aparens d e sd its
lie u x d e Turrière e t C lam ensane c o n te n a n t la p au vreté d esd its B ernardy,
q u atre ex tra icts d ’acte de p rix fa it à e u x d o n n é s en q u a lité d e m a sso n s,
c o n c lu sio n s du Procureur G énéral d u R o y , recharge au jou rd ’h u y , to u t
co n sid éré, le sd its C om m issaires o n t d eschargé lesd its B ernardy de to u te
rech erch e p ou r raison de ce, a tte n d e u leur p au vreté e t m a n d ic ité , sa u f e t en
cas q u ’il p aroisse du con trère d ’estre p r o c é d é co n tr e e u x , signé S éguiran, du
12 ju illet 1 6 6 7 .
(1) Il est à noter que Jean Isoard ne se plia point à cette injonction
�B. 1360 F° 133 R° : Jugement de déchargement pour Louis Marcel
Les C om m issaires d é p u té s par Sa M ajesté p ou r la v é r ific a tio n d es titres de
n o b lesse e t rech erch e d es u surpateurs d ’ic e lle au p résen t p a y s d e P roven ce,
veu la req u este p résen tée par L ou is M arcel, de la ville d ’H yères, c o n te n a n t
que par arrest du C on seil d ’E stat du 5 avril dern ier, lu y e t les autres y
d é n o m m é s o n t e sté d esch argés d es assig n a tio n s q u i leu r p o u r r a ie n t estre
d o n n é e s à la req u este d e Me. A lex a n d re B elleg u ise e t de to u te s a m en d es p ou r
raison de la q u a lité d ’escu y er avec d é fe n s e s de leu r faire au cu n e p o u r su ite , à
p ein e d e to u s d ép an s, d o m m a g es e t in th érests, au p réju d ice d e q u o y o n l ’a
fait assigner par d evan t n o u s en e x h ib itio n d e ses tiltre s, d em a n d e au m o y e n
de ce d ’estre d esch argés d e lad ite assign ation et d e to u te rech erch e p ou r
raison d e ce , a p o in té e , so it m o n strée au P rocureur G énéral d u R o y et à
partie d u 5 o c to b r e 1 6 6 7 , l ’e x tr a ic t d u d it arrest avec les e x p lo its de
sig n iffic a tio n au p ied , c o p ie d e la d ite a ssig n a tio n , recharge du jo u r d ’h u y ,
to u t c o n sid éré, lesd its C om m issaires o n t d esch argé e t d esch argen t le d it L ou is
M arcel de l’assign ation à lu y d o n n é e e t d e to u te rech erch e p o u r raison d e ce,
a tten d eu q u ’il se trou ve com p ris d an s le d it arrest d u C on seil d u c in q u ièm e
avril dernier, sign é Séguiran, à A ix le X II d écem b re 1 6 6 7 .
B. 1360 F° 91 R° : jugement de déchargement pour la famille Astoin
Les C om m issaires d é p u té s par Sa M ajesté p o u r la v erriffica tio n d es titres
de n o b le sse et rech erch e d es u zu rp ateu rs d ’ic e lle au p résen t p a y s de
P roven ce, sur la req u este p résa n tée par L ou is A sto in , pauvre h o m m e , tisseur
à to ille du lieu de Turrière, ta n t en so n prop re q u e c o m m e père e t lég itim e
ad m in istrateu r d ’A n to in e , ta illeu r d ’h a b its résid an t au d it lie u , c o n te n a n t
q u ’esta n t sorti d ’E stien n e q u i e s to it m aresch al d e fo rg e, o n les av o it q u a lifié
n o b le s d an s q u e lq u e s co n tra cts par m o c q u e r ie p lu to st q u ’a u tr e m e n t, veu
m esm e q u ’il e s to it chargé de d ix e n fa n ts q u i n ’o n t jam ais fa it autre
p r o fe ssio n q u e d e tisseur à to ille , d em a n d e au m o y e n d e ce le relaxe de
l’assign ation qui leur av o it esté d o n n é , d écret d e s o it m o n str é e au Procureur
G énéral d u R o y e t à p artie le X X I du co u ra n t, e x p lo it d e sig n ific a tio n d u d it
jo u r à M assan, c o m m is de Me. B elleg u ize, rép o n d u par le d it P rocureur G énéral
led it jo u r, le q u e l n ’em p e sc h e ic e u x d ’estre d esch argés, m ariage d ’E stien n e
A sto in , m aresch al, du 10 o c to b r e 1 5 8 0 , m ariage d e L ou is A sto in d u 14 m ay
1 6 2 2 , autre m ariage d ’A n to in e A sto in q u a lifié “ n o b le tisseu r à to ille ” d u 4
m ay 1 6 6 6 , ce r tiffic a t du vicaire d e T urrière c o n te n a n t q u e le d it L ou is A sto in
a d ix en fa n s, autre c e r tiffic a t d es c o n su ls et aparans d u d it lieu à m e sm e fin
du 16 du co u ra n t, c o p p ie d ’assign ation d o n n é e au d it A s to in , recharge du
jo u r d ’h u y , to u t c o n sid éré, lesd its C om m issaires a yan t esgard à la d ite req u este
o n t desch argé e t d esch argen t lesd its A sto in d e l’assigan tion à e u x d o n n é e et
de to u te rech erch e p ou r raison de c e , signé Séguiran, fa ic t .à A ix , le 2 2 ju in
1667.
�247
B. 1360 F° 92 R° : Jugement de déchargement pour la famille Giraud
Les C om m issaires d é p u té s par Sa M ajesté p o u r la v é rifica tio n d es titres
de n o b lesse e t rech erch e d es u surpateurs d ’icelle au p résen t p a y s de P roven ce,
veu la req u este p résen tée par P ierre-F rançois e t E stie n n e G iraud, m a sso n s du
lieu de V o u lo n n e , c o n te n a n t q u ’e sta n t, e u x e t leurs au th eu rs, en p o sse ssio n de
jo u ir de l ’e x e m p tio n d es d r o ic ts de m o ltu r e au d it V o u lo n n e , en tro is ou
q u atre divers a c te s o n t esté q u a llifiés n o b le s et sur ce fo n d e m e n t o n t esté
assignés en e x ib itio n de leurs titres d e n o b le sse , e t d ’a u ta n t q u e ce ste q u a lité
ne leur a e sté d o n n é e q u e par ign oran ce et in avertan ce p o u r avoir to u sjo u rs
esté q u a lifiés “ M aistres M assons” q u y so n t d es q u a lité s to u t à fa it co n traire,
n ’ayan t rien au m o n d e p ou r su b sister q u e par la fo r c e d e leur travail,
d em an d an t d ’estre desch argés de c e tte rech erch e et d e l ’am an d e, d e c r e tté so it
m o n strée au P rocureur G én éral du R o y e t à partie le 4 d u co u ra n t, r ép o n d u
par M assanne, c o m is de Me. B e lleg u ize chargé d e la p o u r su itte d e lad ite
v ériffica tio n et rech erch e, e x tr a ic t d ’acte d e pris fa ict du logis seign eu rial,
m uraille, p lace e t terre d e V o u lo n n e , d an s le q u e l led it E stien n e G iraud est
q u a lifié “ n o b le m a sso n ” , autre ex tra ict d ’acte de v e n te d ’u n estab le fa ict par
Mr. M e. Pierre de M aurel, Seign eu r d u d it V o u lo n n e , P o n te v e s et autres p la ces
en faveur d u d ic t “ n o b le Pierre G iraud, m a sso n ” du 14 ju ille t 1 6 5 7 , ce r tific a t
d es c o n su ls e t autres aparens d u d it lieu d e V o u lo n n e c o n te n a n t q u e lesd its
G iraud, m asson s, n ’o n t jam ais fait autre v a ca tio n n i u n autre e m p lo y q u e de
travailler in cessa m en t à la m a sso n n erie, gaign an t leu r vie par leu r travail, du
c in q u ièm e du co u ra n t, c o n c lu s io n s du P rocureur G én éral d u R o y , recharge
d ’au jou rd ’h u y , to u t co n sid éré, lesd its C om m issaires o n t d esch argé e t d esch ar
g en t le sd its P ierre-F rançois et E stien n e G iraud, a tte n d u leu r p a u v retté et
gaignant leur vie du jo u r à la jo u r n é e , sa u f d ’estre p r o c é d é co n tr e d ’e u x s ’il
apert du co n trère, signé Séguiran, du V III ju ille t 1 6 6 7 .
III. D E C L A R A T IO N S D E D E S IS T E M E N T D E N O B L E S S E
A — Déclarations fon d ées sur le jugem ent du 4 septem bre 1 6 6 8
B. 1360 F° 301 R°
D u v in ttie sm e sep tem b re m il six c e n t so ix a n te h u ic t au g reffe d e la
C om m ission est co m p a reu Me. Jean -B ap tiste M ay nier, h u issier en la C our d es
C o m p tes, A y d e s e t F in a n ces d e ce p a y s, le q u el en su itte d e la p ro cu ra tio n à
lu y fa ic te par A n to in e B eaussier, filz à fe u J o se p h , d e la ville de T o llo n , le
q u atrièm e du co u ra n t, receu par M. B arrelly, n o ta ire ro y a l d e lad ite v ille, a
d éclairé et d éclaire c o m m e le d it A n to in e B eaussier se d é siste d es q u a lité s d e
n o b lesse q u e le d it feu Jo sep h B eaussier, son p ère, p o u rra it avoir prises en son
vivant e t r e n o n ce à ic elles c o n fo r m é m e n t à l ’arrest d e m essieu rs les C o m m is
saires du q u atrièm e du p résen t m o is d e se p te m b r e , req u éran t a c te , signé :
M aynier.
�D u tran tiesm e d u d it jo u r (s e p te m b r e ) e t a u d ict g reffe est com p areu
B o n ifa ce B rieu, du lieu de Callas, le q u e l en su itte d e la p ro cu ra tio n à lu y
fa icte par D am e F ran çoise D a n jo u , v eu fv e e t h érittière te sta m en ta ire de Mr.
Me. A ndré d ’A rch im b au d , en son vivant Sr. d e C h a n terey n e, viguier et
ca p p ita in e p ou r le R o y en la ville d e P ertuis, d u X V III du co u ra n t, receu par
Me. M artelli, n otaire, o rig in elle, a déclaré e t d éclaire c o m m e lad ite D am e
D an jou , en lad ite q u a lité, se d espart de la q u a lité d ’esc u y e r o u d e n o b le q u e
led it Sr. d ’A rch im b au d , so n m ary, p o u rro it avoir prise en so n vivan t e t en
tan t q u e d e b eso in g y re n o n c e et ne s ’en veu p o in t servir, le to u t
c o n fo r m é m e n t au ju g e m e n t d e m essieu rs les C om m issaires du q u atrièm e
cou ran t, requérant a c te , signé : Brieu.
B — Déclarations fon d ées sur les décrets d ’in jon ction de la C om m ission
B. 1360 F° 316 R°
D u d ix iè m e o c to b r e m il six c e n t so ix a n te sep t, au g r e ffe de la
C o m m issio n est com p areu E stien n e A tta n o u x , d u lieu d e R o q u eb ru n e, le q u el
en c o n sé q u e n c e d e la p ro cu ra tio n à lu y fa icte par B a rth élém y A tta n o u x ,
c o n seig n eu r d e R o q u eb ru n e, so n p ère, le se p tie sm e sep tem b re d ern ier, receu e
par Me. V ialis, n o ta ire d u d it lieu , o rig in elle, et m e sm e en su itte d u d écret
d ’in jo n c tio n d es seign eu rs C om m issaires du jo u r d ’h u y a d éclairé et déclaire
c o m m e le d it Sr. A tta n o u x , son p ère, se d é z is te d e la q u a llité d ’esc u y e r par
lu y cy d evan t prise e t r e n o n c e au x p rivilèges d e n o b le sse , c o n fo r m é m e n t à
l’arest du C on seil du 2 8 m ars d ern ier, req u éran t a c te , sign é A tta n o u x .
B. 1360 F° 316 V°
D u u n z ie sm e d u d it m o is d ’o c to b r e m il six c e n t so ix a n te se p t au g reffe
de la C o m m issio n est co m p a reu n o b le F ran çois d e D u ran d , S eign eu r de
M o n tp leza n t, le q u e l en su itte d e la p r o cu ra tio n à lu y fa itte par Jean M irabel,
de la ville de G ren o b le, h a b itta n t à M arseille, le se p tie sm e d u co u ra n t,
o rig in ellem en t reçu e par M e L a n telm e, n o ta ire d e c e ste ville d ’A ix , et e n co re
en su itte du d écret d ’in jo n c tio n d e s seign eu rs C om m issaires d u h u ic tie sm e du
co u ra n t, a d éclairé e t d éclaire c o m m e le d it M irabel se d é siste d e la q u a llité
d ’esc u y e r par lu y c y d evan t p rize e t re n o n c e a u x p rivilèges d e n o b le sse ,
c o n fo r m é m e n t à l ’arrest d u C on seil du X X V III m ars d ern ier, req u éran t a cte.
C — Déclarations fon d ées sur l ’arrêt du 2 8 mars 1 6 6 7
B. 1360 F° 382 R°
D u d it jou r (8 ju ille t) Jean-Pierre d ’E iguisier, d e M arseille, a fait d éclara
tio n q u e b ien q u ’il eu st ju s te d ro it de so u b ste n ir la q u a lité d ’esc u y e r ferm e,
a yan t ses p réd écesseu rs e x e r c é la charge d e seco n d c o n su l à M arseille,
n éa n m o in g s se désirant deslivrer d e to u te rech erch e et n ’a y a n t p o u r le
p résen t to u s les titres n écessaires p o u r estab lir la q u a lité e t d esc e n d a n c e et
so u s la su sd ite p r o te sta tio n il se d ésiste req u éran t a c te , signé d ’E ygu esier.
�249
D u d it jo u r Me C astel, procu reu r d ’A u gu stin de L éotard , Sr d ’A n trages et
d ’A rchail, de D ign e, du tro isièm e du cou ran t, o rig in e lle m e n t G u illo n , n o ta ire,
a fa it d écla ra tio n , req uérant a c te , signé C astel.
D u d it jou r Me Jean G abriel, p rocu reu r au siège, p rocu reu r d e G abriel d e
B osq u e, de M arseilhe, du V II du c o u r a n t, Suge n o ta ir e , a fa it d écla ra tio n ,
so u b s la p r o te sta tio n de se faire restablir lo r sq u ’il aura recou vré les titres d e
sa m aison d o n t p ro teste, req u éran t a cte, signé G abriel.
B. 1360 F° 396 R°
D u d it jo u r (11 ju ille t) Me Pierre-Jean R o b in , p rocu reu r d e L ou is B ern e,
d ’A ix , du 9 ju ille t, n otaire G asq u et, de S ain t-M axim in , a fa it d écla ra tio n
requérant a c te , sign é R ob in .
B. 1360 F° 398 R°
D u d it jo u r (11 ju ille t) E stien n e E sm én ard ,
d éclaration , req uérant a c te , signé E sm énard.
de
L am b esc,
a
fait
sa
D u d it jo u r C harles B ertrandy, d e R iez, a fait m e sm e d é cla ra tio n , signé
B ertrandy.
D u d it jo u r Me Pierre R ayn au d , p rocu reu r d e Jean -B ap tiste d ’E stie n n e ,
fisl de Me d ’E stien n e, n o ta ire, R a yn au d , n otaire le jo u r d ’h u y , a fa ict
d écla ra tio n , sa u f de se p ou rvoir p o u r o b te n ir d es le ttr e s d e c o n fir m a tio n et
estre restab li dans la n o b le sse , a tta n d u q u e ta n t lu y q u e ses au th eu rs o n t
to u sjo u rs vescu n o b le m e n t, e t de se p o u rv o ir ain sy par d evan t q u y il
ap partiendra, req u éran t a c te , signé R ayn au d .
D u d it jo u r M elchion C orb on , d ’A ix , en q u a lité de p rocu reu r par
p ro cu ra tio n d u d it jo u r reçu e par Me A n d ré, n otaire d e c e tte ville d ’A ix ,
procu reu r de Me L ou is de C han u t, Sr d u R ev est, ad v o ca t en la C our de
P arlem ent de ce p a y s, tan t en son n o m q u e c o m m e a y a n t charge d e C harles
et D o m in iq u e de C han u t, Srs du R ev est, ses frères, avec p ro m esse d e les faire
ratifier, o n t fa it d écla ra tio n , sa u f à e u x à l ’advenir d e ju s tiffie r d e leur
véritab le n o b lesse par les titres q u ’ils o n t et le sq u e ls par le m an q u e d e te m p s,
ils n ’o n t p eu e n co re avoir et de se p ou rvoir à Sa M ajesté p o u r en o b te n ir
lettres, n ’ayan t fa it le su sd it d é siste m e n t q u e p o u r satisfaire à la v o lo n té du
R o y , de q u o y p r o te s te n t, requérant a c te , signé C orb on .
B. 1360 F° 407 V°
D u d it jo u r (1 2 ju ille t) Pierre B ou q u ier, d e M artigues, ta n t p ou r lu y q u e
p ou r C harles B ou q u ier, son p ère, au q u el p r o m e t faire ratifier a fait d éclara
tio n , req uérant a c te , signé B ou q u ier.
B. 1360 F° 421 V°
D u d it jo u r (1 3 ju ille t) Mr Me J o se p h B roglia, C on seiller du R o y ,
p rofesseu r en l ’U n iversité R o y a lle d ’A ix , p rocu reu r d e Jean -B ap tiste B roglia,
�y
250
original le 14 ju in d ernier, n otaire R ayn au d , a fa it d écla ra tio n , requérant
a cte, signé Broglia.
B. 1360 F° 422 V°
D u d it jo u r (1 3 ju ille t) M elch io n d e B ou lh iers, de C u cu ron , a rep résen té
que to u s ses d evan tiers, d ep u is p lu sieu rs siècles, o n t p o ssé d é l ’h o n n e u r et la
q u a lité de n o b le à laq u elle il n ’a p o in t d esrogé au m o y e n d es services q u ’il a
rendu au R o y d ans ses arm ées, ayan t fa ic t d ix h u ic t o u vin gt cam p agn es tan t
dans le R o y a u m e q u e dans le P iém on d et C atalogn e, m e sm e en q u a lité
d ’o ffic ie r e t lieu ten a n t au régim en t d e Mr d e P réaud, n e p o u v a n t d ’ailheurs
par le p résen t, sy to s t, faire apparoir d e s titres d e sa m a iso n , à cau se q u e
M onsieur L ou is de B ou lh iers, so n h o n c le , c ito y e n d ’A v ig n o n , en a e sté saisi
c o m m e esta n t l ’a y n é de sa m a iso n , e t q u e les sieurs d e S a in t-R o m a n et de
M oustal, ses héritiers en q u a lité de m ary d e ses d e u x filh e s esta n t d e x é d é s
p u is q u e lq u e s an n ées, il n ’y a au cu n p ro m p t m o y e n d e les recouvrir attan d u
m êm e q u e d ans les m o u v e m e n ts d erniers, en A v ig n o n , la m a iso n du Sr de
S ain t-R om an fe u st p ilh ée.
�251
ANNEXES
T ableau I — F a u x -N o b le s co n d a m n é s par ju g e m e n t (c o n tr a d ic to ir e o u sur
d é fa u t) d e la C o m m ission .
T ableau II — S o m m es
d é b o u r sé e s par les p ro v en ça u x
co n d a m n é s c o m m e
fa u x -n o b les.
T ableau III — F a u x -n o b le s c o n d a m n é s par ju g e m e n t de la C o m m issio n et
a y a n t u ltérieu rem en t b é n é fic ié d ’un ju g e m e n t de m o d é r a tio n .
T ableau IV — F a u x -n o b les
divers m o tifs .
d éch argés
in d iv id u e lle m e n t
de
l ’am en d e
p ou r
T ableau V — D éch argem en ts c o lle c tifs.
T ableau V I — F a u x -n o b les c o n d a m n é s à 5 0 livres d ’a m en d e après avoir
déclaré v o lo n ta ir e m e n t q u ’ils d ésista ien t d é fin itiv e m e n t leu r n o b lesse.
T ableau V II — F a u x -n o b les c o n d a m n é s à 5 0 livres d ’a m en d e après avoir
déclaré v o lo n ta ir e m e n t q u ’ils d ésista ien t leur n o b le sse , u n e clau se de
“ p r o te sta tio n de se p o u rv o ir” a cco m p a g n a n t leur d écla ra tio n .
T ableau V III — D éclaration s de d é siste m e n t de n o b le sse fa ite s par “ les
veu ves et h e o ir s” d es fa u x -n o b le s d é c é d é s avant d ’être p assés en
ju g e m e n t.
T ableau IX — D éclaration s d e d é siste m e n t fo n d é e s sur les d écrêts d ’in jo n c
tio n .
T ableau X — D éclaration s p rovisoires d e d é siste m e n t fo n d é e s sur les d écrêts
d ’in jo n c tio n .
T ableau X I — P roven çau x m a in ten u s n o b le s après avoir é té c o n d a m n é s p ou r
u su rp ation de n o b lesse par la C o m m issio n .
T ableau X II — P roven çau x m a in ten u s n o b le s par la C o m m issio n après avoirs
d ésisté v o lo n ta ir e m e n t leur n o b lesse.
T ableau X III — R ép a rtitio n g éograp h iq u e de la n o b le sse p rov en ça le “ appa
r e n te ” en 1 6 6 6 .
%
��Tableau I
■
mmm
F au x-n ob les con d am n és par ju g em en t (con trad ictoire ou sur d éfa u t) de la com m ission
(R egistre B. 1 3 6 0 )
Nom
ABON Guillaum e d ’
ADAOUST
AGNES Claude
AILLAUD Jacques
AMIC Estienne
AMPHOSSY A ndré
AMP HOUX François d ’
AMPHOUX H enri d ’
AMPHOUX Joseph d ’
ANDRE Charles
ANDRE Claude
ANDRE Jacques
AN D RE Joseph,
fils du p récédent
ANDRON Henri d '
ANNE Boniface d'
ANTHIN Jean-Baptiste d ’
ARBAUD Charles d ’
ARBAUD M elchion d ’
ARCHIMBAUD Pierre d ’
A R LO U ZE François d ’
ARMAND Jean-B aptiste d ’
ARNAUD Jacques
ARNAUD Jean
ARNOUX François
ARTAUD A ndré
ARTIG U E M arc-Antoine d’
A RVIEU X Jean-B aptiste d’
ARVIEUX L aurent d ’
A UBERT Balthasard
A UBERT M athieu
AUDRIC Charles
AUGERY Jean
AU G IER M arc-Antoine
“ bourgeois”
AU N EL Louis
AYCARD Richard
AYMAR Jean d ’
AYMAR Jean-F rançois d ’
AYMAR Louis-Abel d ’
AYM1NY G aspard d ’
BALDONY Jean-François
BANDOLLY G aspard
BARBARIN Paul
B A RLA TIER Paul
BA RR A LLIER C harles de
A m ende
(en
livres)
Dépens
(en
livres)
D ate
Sisteron
Aix
Pertuis
Grasse
Baijols
Marseille
V alensole
Pignans
Pignans
Les Mées
Aix
La C iotat
300
50
50
1 000
50
500
1 000
80
80
150
50
300
20
6
10
20
6
10
20
12
12
20
6
10
22—V I—1668
28—X II—1668
21- X I I - 1668
23—X II—1667
8 —II—1669
10—III—1667
2 —IV—1667
2 5 -1 1 -1 6 6 8
2 7 —X I—1668
2 1 -1 1 - 1 6 6 9
15—X I—1668
4 —V III—1668
506
473
508
449
457
483
503
510
501
493
R°
R°
V°
R°
V°
R°
V°
V°
V°
V°
La C iotat
Marseille
Aix
Marseille
Aix
Marseille
Pertuis
Marseille
Fréjus
V illehaute
D auphin
Le Broc
Aix
Toulon
Marseille
Marseille
Forcalquier
Forcalquier
La C iotat
Fréjus
300
50
160
50
80
50
50
50
300
300
50
50
150
90
50
50
50
50
300
50
10
6
10
10
12
6
6
6
20
20
6
6
10
23
6
6
6
6
10
6
1 0 -1 - 1 6 6 9
2 5 -1 1 -1 6 6 8
1- X I I - 1668
2 4 -1 -1 6 6 8
2 8 —IX —1668
1 5 -1 1 1 -1 6 6 8
15—X I—1668
5 -1 -1 6 6 9
7—X I—1667
2 7 —IV —1668
2 7 —IV —1668
5 —1— 1669
7—IX —1668
2 4 —IV —1668
5 -1 -1 6 6 9
2 7 -1 -1 6 6 8
18—11—1668
18—II—1668
4 —V III—1668
5 -1 -1 6 6 9
508
482
504
478
498
485
501
509
471
488
488
509
495
487
509
479
480
480
493
509
V°
V°
V°
V°
F?
R°
V°
R°
V°
V°
R°
R°
V°
V°
R°
R°
R°
V°
V°
R°
Bargemon
Marseille
Martigues
Lambesc
Forcalquier
Lambesc
Marseille
Aix
Le Revest
Marseille
Rognes
Eyragues
50
100
50
50
50
50
300
300
300
300
60
300
6
10
6
6
6
6
10
10
20
10
30
20
5 —X I—1666
2 0 -1 1 1 -1 6 6 9
15—X I—1668
5 -1 -1 6 6 9
2 7 -1 1 -1 6 6 8
5 -1 -1 6 6 9
3 1 —X II—1667
24—IX —1668
6 —IV —1669
1 9 -1 1 -1 6 6 7
2 3 -1 1 - 1 6 6 9
18—V —1668
125
511
501
509
483
509
474
497
514
444
510
489
R°
V°
V°
R°
V°
R°
R°
R°
V°
R°
V°
R°
Résidence
Références
F°
49 0 R°
�254
Nom
BARRIG U E M athieu
BART AUD Jean-A ntoine
BAUD Georges
BEAUDIN H onoré
BEAUMONT A ndré de
BEBIAN Jacques
BEISSAN Jean-B aptiste de
BELLIARD Louis
BENETON G aspard
BENIN héritiers de
feu H onoré
BENIN Jean de
BENNAUD Philippe
BERARD A lexandre de
BERARD Claude de
BERGUE Claude de la
BERLUC Balthasard
BERLUC H onoré de
BERLUC Jean-B aptiste
BERMOND G aspard
BERNARD Charles
fils de Pierre
BERNARD Charles
BERNE D om inique
B ERN IER Pierre
BERNOUIN Scipion
BERNUS François
BESSON Lange de
BESSON Pierre de
BETANDIER Jean de
BETANDIER Joseph de
BETANDIER Louis de
BLANC Jean-B aptiste
B LIEUX Jean de
BOMPARI Balthasard
BON A ntoine de
BONFILS Henri
BONI F ACE G aspard de
BONIFACE Joseph de
BONIFACE Louis de
BONNAUD G ilbert
BONNELLE Jean de
BONOT Louis de
BOSCO Jacques de
BO U FFA R A ndré
BO U FFA R H enri
BOUILARD N ____
BOUIS Louis
BOU1SSELLY Jean
BOUISSON Guillaume
BOU1SSONNIS B althasard
Résidence
Marseille
Marseille
G ayolle (La)
M anosque
Brignoles
Arles
Marseille
Marseille
Aix
Arles
Arles
Marseille
Sisteron
Marseille
C adenet
Forcalquier
Forcalquier
Forcalquier
Sisteron
Digne
Digne
Orgon
Sault
M ondragon
M etham is
Marseille
Marseille
Marseille
Marseille
Marseille
Aix
Barrême
Saint-Chamas
Castellane
Aix
Aix
Aix
Aix
Forcalquier
Sisteron
M ondragon
Aix
M allem ort
M allem ort
Marseille
Saint-Rém y
Marseille
Digne
Brignoles
A m ende
(en
livres)
D épens
(en
livres)
D ate
R éférences
F°
150
300
1 000
50
50
50
400
700
300
10
10
10
10
6
6
20
10
10
4 —IX —1668
3 1 - X I I - 1667
3 —X —1667
6 —IV —1669
5—X II—1668
5 -1 -1 6 6 9
2 5 -1 -1 6 6 8
29—III—1667
300
300
50
200
400
300
50
50
50
100
6
20
6
20
10
10
6
6
6
20
1 8 -1 1 -1 6 6 7
5 -1 -1 6 6 8
3 —IV—1669
2 9 —III—1667
18—III—1667
6 —IV —1669
1 8 -1 1 -1 6 6 8
5 -1 -1 6 6 9
1 8 -1 1 -1 6 6 8
11- I I I - 1667
443
474
512
453
450
514
481
509
481
449
V°
V°
V°
V°
V°
V°
R°
R°
R°
V°
300
50
100
300
50
1 000
50
50
300
300
300
50
300
50
50
50
300
500
20
10
20
20
6
20
6
6
10
10
10
6
20
6
6
6
10
10
1 6 -1 - 1 6 6 8
3 1 -1 -1 6 6 8
14—X I—1668
6 - I V - 1669
11- I V - 1668
2 4 —III—1668
5 -1 -1 6 6 9
15- X I - 1668
1 9 -1 - 1 6 6 8
1 9 -1 - 1 6 6 8
1 9 -1 - 1 6 6 8
15—X I—1668
6 —IV —1669
15- X I - 1668
5 -1 -1 6 6 9
2 1 —X II—1668
22—IX —1668
22—IX—1668
476
479
501
514
486
486
509
501
477
477
477
501
515
501
509
506
496
496
V°
V°
R°
R°
V°
R°
R°
V°
V°
V°
V°
V°
R°
V°
R°
V°
V°
V°
300
50
300
100
50
300
300
50
50
50
400
400
10
6
20
20
6
10
10
6
20
10
20
20
22—IX—1668
2 7 —IV —1668
7—X I—1667
15—V —1668
5 -1 -1 6 6 9
4 —V III—1668
4 —V III—1668
5 -1 -1 6 6 9
2 3 —III—1668
5 —V I—1668
18—III—1667
26—III—1667
496 V°
488 R°
471 R°
489 R°
509 R°
492 V°
492 V°
509 R°
485 V°
489 V°
4 4 9 bis V°
451 V°
15—X I—1668
495 R°
4 7 4 R°
470 V°
512 V°
505 V°
509 R°
430 R°
453 R°
506 R°
�255
Nom
BOU1SSONNIS françois,
frère du précédent
BOULOGNE François de
Sgr. de Saint-M artin
BOUQUIER François
BOURDELONNE Pierre de
BOURELLY Jean
BOURILLY Jean-A ndré
BOURRILLY Jean-B aptiste
BOUSQUET Louis de
BOUTASSY Louis de
BOUTASSY Louis de
BOVIS Lange, échevin
de Marseille
BOYER Jean-B aptiste de
BREMOND Charles
BRUN A ntoine de
BRUN Jacques
BRUYERE Sim on de
BUGUE Jean-Pienre
CABASSON Louis
CABRE François de
CAI S SAN Claude
CAMBE Pierre
CAMELIN B arthélém y
CAMELIN B ernardin
CAMELIN Jean, neveu
du précédent
CAPUS Gaspard
CA RBONNEL François
CAREM ENTRAN François de
Sgr. de Vachières
CAVALLIER Claude
CELERO T B althasard
échevin de Marseille
CEPPEDDE A ndré
CHABERT Georges
CHABERT Jean-H onoré
CHAILLAN Jean de
CHAILLAN Pierre de
CHASSE Balthasard,
notaire de M arignane
CHAURAND A lexandre
CHAUTARD Jean-Pierre
CHAUTARD L aurent
CHIEUSSE H onoré
CLAPIERS Jean-Charles
de Sgr. de N éoules
CLERCS A ndré de
CLERCS A lphonse de
CLERR E François
Résidence
Amende
(en
livres)
Dépens
(en
livres)
R éférences
F°
D ate
Brignoles
400
20
2 6 —III—1667
451 V°
Digne
Marseille
Marseille
M ondragon
Marseille
Trets
Brignoles
Marseille
Marseille
500
300
120
50
50
100
300
400
100
20
10
18
6
6
10
10
10
20
1- I I I - 1667
27—IV —1668
2 8 -1 -1 6 6 8
8 —II—1669
5 -1 -1 6 6 9
29—X I—1668
8 —III—1667
2 —IV —1667
5 —IX —1668
456
488
478
509
509
504
447
455
495
R°
R5
V°
V°
R°
R°
R°
R°
R°
Marseille
Salon
Forcalquier
Draguignan
Toulon
A lbaron
Brignoles
50
300
100
50
50
1 000
50
6
6
20
6
6
20
6
1 4 -1 1 -1 6 6 9
15—11-1667
16—X —1668
15—X I—1668
5 -1 -1 6 6 9
10—X II—1667
5 -1 -1 6 6 9
509
442
503
503
507
472
509
V°
V°
R°
R°
V°
V°
R°
Draguignan
Aubagne
Aix
Pertuis
Fréjus
Fréjus
100
300
1 000
300
300
500
20
10
20
10
20
20
5 —X II—1668
2—V III-1668
10—X II—1667
22-V III—1668
1 4 -1 - 1 6 6 8
2—IV —1667
505
491
516
494
476
455
V°
R°
R°
R°
R°
V°
Fréjus
Marseille
Aix
500
100
50
20
10
455 V°
510 R°
6
2—IV —1667
2 1 -1 1 -1 6 6 9
5 -1 -1 6 6 9
509 R°
Brignoles
A pt
180
100
10
10
2 4 - I V - 1667
6 —IV —1669
468 R°
513 R°
Marseille
Carros
Aix
Reillanne
Aix
M ouriez
50
50
100
300
120
200
6
20
10
20
8
30
14—11—1669
5 -1 -1 6 6 8
16—X —1668
15—III—1668
15—X I—1668
7 —X II—1668
509
475
500
484
502
504
V°
R°
R°
V°
R°
V°
Marignane
Digne
La C iotat
Ollioules
Lorgues
50
300
300
300
50
6
20
20
20
6
15—X I—1668
2 6 —III—1667
7 —IX —1668
7 —IX —1668
5 -1 -1 6 6 9
503
452
495
495
509
R°
R°
V°
V°
R°
1 000
300
300
50
20
20
20
6
10—IV —1667
5—V I—1668
5 - V I - 1668
15—X I—1668
119
490
490
501
R°
R°
R°
V°
Brignoles
Tarascon
Tarascon
Marseille
#
�256
Nom
COLONIA G aspard de
COLONIA G aspard de
COLONIA H onoré de
COLONIA Jacques de
COMBA Gaspard
COMBET A ntoine de
COMBET A ntoine de
COMPTE N icolas
CONSIGNERY B arthélém y
CONSTANS A uguste
C onsuls et C om m unautés
de la Bréole
Consuls e t C om m unautés
de Seyne
“ Les Particuliers”
de la Bréole
“ Les Particuliers”
de Seyne
CO QU IEL Grégoire de
“ m archand-bourgeois”
d ’Anvers
CORBUREN Guillaum e de
CORD EILS E tienne de
CORD EILS Paul de
CORIO Pierre de
CO RN IER Lange
C ORNILLE Jacques
CORN1LLE Jacques
CO RN ILLE Jean-B aptiste
COSTE César de la
COUDONNEAU Pierre
C O URN ILLE A ntoine de
C O URN ILLE C onstans
CO URTOIS Jean-Pierre
CUERS B ernard de
CUERS Joseph de
CUGES Marcel de
DELPHIN-FOUQUE Balthasard
DAUMAS H enri, m enuisier
DESTRECH Jean du
DEY D IER A ndré
DEY D IER Nicolas
DILLE Jean-B aptiste
DULME A ndré
DURAND B arthélém y
DURAND Paul
DURAND Pierre
EIG U ESTIER Jean
EM ERICY Alexis
ERG U ILHO SY A lphonse
ESCALIS A ndré d ’
Résidence
A m ende
(en
livres)
D épens
(en
livres)
D ate
Références
F°
Brignoles
Aix
T oulon
Brignoles
Marseille
Arles
Arles
Aix
Marseille
Besse
400
50
50
400
50
300
50
50
50
50
20
6
20
20
6
20
20
6
6
6
2 8 -1 1 1 -1 6 6 7
15—X —1668
2 4 -1 1 - 1 6 6 8
28—III—1667
5 -1 -1 6 6 9
1 5 -1 1 -1 6 6 7
2—III—1668
15—X I—1668
15—III —1668
5 -1 -1 6 6 9
452
499
482
452
509
442
483
501
485
509
La Bréole
400
100
2 2 -1 1 -1 6 6 8
482 R°
Seyne
400
100
2 2 —II-J 668
432 R°
La Bréole
400
100
22—IX —1668
496 V°
Seyne
400
100
22—IX —1668
496 V°
50
50
300
300
50
300
300
110
400
50
400
50
300
50
50
100
50
50
100
300
300
1 000
300
300
300
300
50
128
200
120
50
6
6
20
20
6
10
10
19
10
20
10
6
10
20
6
10
6
6
10
20
20
20
10
10
20
20
10
12
10
12
6
2 2 -1 1 -1 6 6 7
5 -1 -1 6 6 9
1 0 -1 - 1 6 6 9
1 0 -1 - 1 6 6 9
3 0 —III—1669
1—III—1667
4 —V III—1668
22—X II—1668
1—III—1667
5 —X II—1668
8 —II—1669
5 -1 -1 6 6 9
2—IV —1667
2 1 -1 -1 6 6 8
1 2 -1 - 1 6 6 8
2 2 -1 1 -1 6 6 8
5 -1 -1 6 6 9
2 7 —IV —1668
1 6 -1 1 -1 6 6 8
1 3 -1 1 -1 6 6 7
2 3 —III—1668
10—III—1667
2 6 —III—1667
6—IV —1669
20—X —1667
20—X —1667
2 7 -1 -1 6 6 8
5 -1 -1 6 6 9
15—X —1668
2 0 —V III—1668
5 -1 -1 6 6 9
445
509
508
508
512
446
492
506
442
505
508
509
457
478
476
481
509
488
256
458
486
512
451
515
471
471
479
507
499
494
509
Marseille
Marseille
T oulon
Toulon
M anosque
Marseille
Lançon
Lançon
G rans
T oulon
Marseille
F orcalquier
Marseille
Sault
Toulon
Tourves
Ollioules
Q uinson
A pt
A rles
Toulon
Marseille
St-M aximin
M anosque
Maillane
Maillane
Marseille
Marseille
Aix
Aix
Marseille
V°
V°
V°
V°
R°
V°
V°
V°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
V°
V°
R°
R°
V°
R°
R°
R°
R°
V°
R°
V°
R°
R°
R°
R°
R°
V°
R°
R°
V°
V°
V°
R°
R°
�Nom
ESC ALI S B énédictin d’
ESCALIS Joseph d ’
ESMIOL Jean
ESMIVY A ntoine d ’
ESMIVY Louis d ’
ESPECIONY M arc-Antoine d ’
ESPITA LLIER A nselme
ESQUIRO LIS Paul d ’
ESQUIRO LIS A lphonse d ’
fils du précédent
ESTIENNE Aidré,
fils d ’A ntoine
ESTIENNE A ntoine
ESTIENNE A ntoine
ESTIENNE François d ’
ESTIENNE Philippe d ’
ESTIENNE D om inique
ESTIENNE Jean-B aptiste
EYMINI Jean “ M inistre
de la ville de S isteron”
FABRE A ntoine
FABRE Gaspard
FABRY A ntoine
FABRY Esprit,
frère du précédent
FANTIN Charles
FA N TIN Gilles
FA N TIN Henri
FANTIN Lazare
FARG ES Jean de
FIDO N A ntoine
FO R T Sébastien de
FO U R ESTIER E tienne
FO U R N IER Charles
FO U R N IER René
FO U R N ILL IER Bernard
“ C apitaine réform é au
régim ent de V endosm e”
FRA N ÇO IS A ndré
FRA N CO U L A ntoine
G A JO T Jacques de,
fils de Pierre
G A RÇONNET François de
G ARÇONNET Charles de
fils du précédent
GARSIN Charles,
originaire de Thoars
GASSAUD Elie
GASSAUD Joseph
GASTINE Biaise
GASTIN EL G aspard
Résidence
Amende
(en
livres)
D épens
(en
livres)
D ate
R éférences
F°
Marseille
Marseille
Digne
Digne
Digne
Marseille
Callian
Tarascon
300
300
400
50
50
300
100
300
10
10
20
6
6
10
10
10
1 6 -1 1 -1 6 6 8
1 6 -1 1 -1 6 6 8
2 9 -1 1 1 -1 6 6 7
5 -1 -1 6 6 9
5 -1 -1 6 6 9
2 1 -1 1 -1 6 6 9
1 0 -1 - 1 6 6 9
7 —X I—1667
480
480
453
509
509
510
508
471
Tarascon
300
10
7 —X I—1667
471 V°
Aix
T rets
Aix
Lam besc
Aix
Pélissanne
Pélissanne
50
150
400
300
50
300
300
6
10
6
10
6
10
10
15—X I—1668
20—V III—1668
3 -1 -1 6 6 9
19—X I—1668
5 -1 -1 6 6 9
15^11-1667
1 5 -1 1 -1 6 6 7
501
493
507
504
509
443 R°
443 R°
1 000
50
50
300
20
6
6
20
1 0 -III-1 6 6 7
5 -1 -1 6 6 9
1 8 -1 1 -1 6 6 8
2 —IV —1667
448
509
481
457
V°
R°
V°
V°
Digne
Marseille
Marseille
Marseille
Marseille
Marseille
Les Arcs
300
50
50
50
50
50
50
20
10
10
10
10
6
6
2—IV —1667
2 1 -1 -1 6 6 8
2 1 -1 -1 6 6 8
2 1 -1 -1 6 6 8
2 1 -1 -1 6 6 8
5 -1 -1 6 6 9
5 -1 -1 6 6 9
457
478
478
478
478
509
509
V°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
Marseille
Marseille
M ondragon
Lauris
300
50
50
50
10
6
6
6
8 —III—1667
15—X I—1668
11- I V - 1668
5 -1 -1 6 6 9
446
501
487
509
V°
V°
R°
R°
Cabannes
G ardanne
Digne
300
50
500
20
6
20
27—III—1669
5 -1 -1 6 6 9
18—III—1667
512 R°
509 R°
450 R°
Lambesc
Aix
50
125
10
2 2 —X II—1668
10 ' 5 - 1 - 1 6 6 9
506 R°
508 R°
Aix
125
10
5 -1 -1 6 6 9
508 R°
Digne
Forcalquier
Forcalquier
Pignans
Sisteron
300
50
50
50
300
10
6
6
6
10
10—III—1667
5 -1 -1 6 6 9
1 8 -1 1 -1 6 6 8
5 -1 -1 6 6 9
10—III—1667
45-1
509
480
509
448
Sisteron
Pignans
Forcalquier
Digne
R°
R°
V°
R°
R°
V°
R°
V°
V°
V°
R°
V°
R°
R°
R°
V°
R°
R°
�258
Nom
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■
GASTIN EL Jacques
GAUDEM AR Balthasard
GAUDY Joseph
GAU TIER H onoré de
G A U TIER Jean de
GAYE C hristophe de
GEBILLIN Henri
GEDEON Jean-B aptiste
G EO FFRO Y Jean
G EO FFRO Y Yves
fils du précédent
G EO FFRO Y Jacques,
frère du précédent
G EO FFRO Y Sébastien,
frère du précédent
G EO FFRO Y François,
frère du précédent
G EO FFR O Y Sylvestre,
frère du précédent
GEO RG ES D’EOLLIERE
Jacques de
G EO RG ES D’EO LLIERE
je a n -rra n ç u is ue
Sgr. de G réasque
G EO RG ES D’EOLLIERE
L aurent de
G ERIN Louis
G IB ER T E tienne
GILLES Jacques de
G IR A RD IN Claude
GIRAUD H ercule
GIRAUD H onoré
GIRAUD Jean,
frère d’Hercule
GIRAUD Joseph,
frère d’H onoré
GIRAUDENC François
G RANGE François
“ bourgeois”
G R A N IER Jacques
GRIM AUD A ntoine
GRIM AUD H enri
G R ISO LLES François
GROS de BOUSSICAUD
H onoré
GUEYDAN Jacques
G U EY RO A RD Cosme
GUICHARD Jean-B aptiste cfe
Sgr. de M ontgues
et de Réoux
GUID E Charles
Résidence
A m ende
(en
livres)
D épens
(en
livres)
D ate
1 8 -1 1 -1 6 6 7
1- X I I - 1668
5 -1 -1 6 6 9
19—I M 667
5 -1 -1 6 6 9
4 —IX —1668
8 —III—1668
27—V III—1667
5 -1 -1 6 6 9
R éférences
F°
Sisteron
Digne
Lam besc
C orrens
Six-Fours
Aix
Senez
La Bréole
S t Savoum in
400
50
50
400
50
80
50
150
50
10
6
6
10
6
10
6
20
6
St Savournin
50
6
5 -1 -1 6 6 9
138 R°
St Savoum in
50
6
5 -1 -1 6 6 9
138 R°
St Savournin
50
6
5 -1 -1 6 6 9
138 R°
St Savoum in
50
6
5 -1 -1 6 6 9
138 R°
St Savoum in
50
6
5 -1 -1 6 6 9
138 R°
Marseille
800
10
7 -1 -1 6 6 8
475 V°
Marseille
400
10
7 -1 -1 6 6 8
475 V°
Marseille
T oulon
Tarascon
Pertuis
Forçai quier
Valensole
V alensole
300
50
50
300
50
300
300
10
6
6
10
6
20
20
7 -1 -1 6 6 8
1—IX —1668
1- I I - 1668
2—V III—1668
8 —III—1668
2 9 —III—1667
2 9 -1 1 1 -1 6 6 7
475
494
479
492
484
454
454
V alensole
300
20
29—III—1667
454 V°
Valensole
Rians
300
80
20
10
29—III—1667
4 —IX —1668
454 V°
494 V°
Marseille
M anosque
Digne
Marseille
Tourves
400
300
100
400
300
300
10
20
20
15
10
20
1 6 -1 1 -1 6 6 7
6 —IV —1669
18—III—1667
1 8 -1 - 1 6 6 8
16—V III—1668
1—III—1667
443
515
456
477
500
445
50
50
6
6
15—X I—1668
15—X I—1668
501 V°
501 V°
400
300
20
20
2 4 —IX —1668
6 - I V - 1669
497 V°
433 R°
Arles
La T o u r d ’Aigues
Beausset (L e)
A pt
A ntibes
443 V°
505 R°
509 R°
444
509
494
483
V°
R°
V°
V°
469 R°
138 R°
V°
R°
V°
R°
R°
V°
V°
R°
R°
V°
R°
R°
V°
�259
Nom
G U INET A lexandre de
GUION A lexandre
HAUNET Pierre
HEIGOLLENC Pierre
HUBAC Jean, fils de Jean
ICARD Louis
ISAAC Claude
ISLE A ntoinde de P
ISLE Claude de P
frère du précédent
ISLE Guillaume de P
frère du précédent
Sgr. de Taulane
ISNARD Pierre
JUCARDY Joseph
JU LLIEN Jean-B aptiste
“ bourgeois”
JURAM Y Jean, avocat
LADSEORS Esprit
notaire d ’A pt
LA FO N T Louis
LAGET Jacques
LANGUE M arc-Antoine
LASCARIS César de
LATIL A lphonse
LA TILAYE Jacques de
LA U G IER Jean
LAURE Louis
LAURENS Jean,
fils de M athieu
LA U TIER Claude
LAVEISON Claude
LEAUTAUD Jacques
LEBRUN Pierre
LEG IER A ntoine
LEON Louis de
LEON M athieu de
LE R O YER Abel
LESTRADE V ictor de
LIEUTAUD Joseph
LIEUTAUD Sauveur
LIEUTAUD Scipion
LOMBARD Jean-B aptiste
“ chirurgien”
LONGIS Jean-Jacques
LOUICON Cosme
LUCE Pierre
MAGES Laurent
MAGES Lazare
MAGNAN A ndré
MANDON Jean de,
“ bourgeois”
Résidence
Arles
A ubagne
Marseille
Grasse
Toulon
La C iotat
Marseille
Grasse
A m ende
(en
livres)
D épens
(en
livres)
1 000
50
300
300
50
300
50
50
20
6
10
10
6
10
6
6
Grasse
50
6
Grasse
Q uinson
Aix
50
50
70
R éférences
F°
D ate
2 4 -1 -1 6 6 8
5 -1 -1 6 6 9
5 -1 -1 6 6 8
3 —IX —1667
5 -1 -1 6 6 9
4 —V III—1668
5 -1 -1 6 6 9
5 -1 -1 6 6 9
217
509
475
469
509
493
509
509
5 -1 -1 6 6 9
509 R°
6
10
23
5 -1 -1 6 6 9
1 4 -1 1 -1 6 6 9
15—IX —1668
509 R°
510 R°
496 R°
50
300
10
20
8 —II—1668
17—IX —1667
480 R°
469 V°
A pt
Lambesc
A ubagne
S t Savoum in
Le Broc
Marseille
Les Baux
S t Savournin
Cuers
50
80
500
500
1 000
400
50
500
150
6
11
10
20
20
10
20
20
6
15—X I—1668
2 0 —X —1668
2 —V III—1668
9 —III—1668
2 2 —III—1668
1 6 -1 1 -1 6 6 7
2 —V I—1668
9 —III—1668
15—X I—1668
502
500
491
484
485
443
489
484
502
V°
V°
V°
R°
R°
R°
V°
R°
R°
Castellane
Forcalquier
S t Cham as
Marseille
Aix
Lançon
Marseille
Marseille
M ondragon
Marseille
Forcalquier
Marseille
F orcalquier
300
50
100
50
50
300
50
300
300
1 000
50
50
50
20
6
10
6
6
10
6
10
20
20
6
6
6
6 —IV —1669
12—III —1668
7 —IX—1668
5 -1 -1 6 6 9
15—X I—1668
2 7 —III—1669
15-XI—1668
2 2 —X II—1667
1 0 -1 - 1 6 6 9
9 —III—1668
11- I V - 1668
5 -1 -1 6 6 9
1 8 -1 1 -1 6 6 8
514
484
495
509
501
511
501
473
508
513
487
509
481
V°
V°
R°
R°
V°
V°
V°
R°
R°
R°
R°
R°
V°
Les Mées
Marseille
Marseille
Grasse
Aix
400
100
50
50
100
10
10
10
10
10
1 8 -1 1 1 -1 6 6 7
14—X I—1668
2 4 -1 1 -1 6 6 8
5—X I—1666
16—X —1668
450
501
482
127
500
V°
R°
V°
R°
R°
Aix
F orcalquier
100
50
10
6
16—X —1668
11- I V - 1668
500 R°
486 V°
Arles
400
20
2 9 —III—1667
455 R°
Toulon
Digne
*;
R°
R°
R°
V°
R°
R°
R°
R°
�260
Nom
M ARTEL Jacques de
M ARTICHON A rnaud
M ARTIN Claude
M ARTIN H enri
M ARTIN H enri
MARTIN H onoré
M ARTIN Jean
M ARTIN Philippe
M ARTIN Pierre
M ARTINSON A rnaud
M AZARGUES Jean de
MASSE Louis
MASSENA François
“ C onsul du Levant”
MASSIN François de
MAURIN Jean-B aptiste
MELLAN Jean-François
MERCADIER Antoine Pascal de
MERE G aspard
M ERIGON A ntoine
M ERINDOL Jean de
M ERINDOL François de
fils du précédent
M ESTRE Guillaum e Le
MESTRE François Le
M EYNIER A lexandre
MEYNIE R A ntoine
M EYNIER Elzéar
M EYNIER Gabriel de
M EYNIER H onoré,
frère d ’Elzéar
M EYNIER H onoré de
M EYNIER Pierre de
fils du précédent
M EYNIER Pierre de
M EYNIER Elzéar
M EYNIER H onoré,
frère du précédent
M EYNIER Pierre
fils du précédent
MICHEL L éonnet
M ILLE A ntoine
M ILLE Guillaum e
MINGAUTS Charles
MINGAUTS Louis,
frère du précédent
M ONIER Balthasard de
M ONTEL Pierre de
M ONTEL Pierre de
M ONTFORT François de
fils de Guillaume
M ONTFORT G aspard de
Résidence
A m ende
(en
livres)
D épens
(en
livres)
D ate
Références
F°
Aubagne
La C iotat
St M aximin
T oulon
La Garde
Digne
Marseille
T oulon
Velaux
La C iotat
Marseille
La Bréole
50
50 •
50
100
300
300
150
100
50
400
500
150
10
20
10
20
20
10
10
20
6
10
10
20
3 -1 -1 6 6 9
17—IX —1668
2 4 —IV —1668
3 1 - X I I - 1667
6 —IV -1669
12—III—1667
22—III—1668
3 1 - X I I - 1667
15—X I—1668
4 —V III—1668
24—IX —1668
27—V III—1667
507 R°
496 R°
487 V°
474 R°
515 R°
449 bis R°
485 V°
474 R°
501 V°
493 R°
497 R°
469 R°
Marseille
Grasse
Digne
Bromes
Draguignan
Jouques
Grasse
M allem ort
50
50
5050
300
70
300
300
6
20
20
6
20
12
20
10
1 4 -1 1 -1 6 6 9
16—X II—1667
2 4 —X II—1667
5 -1 -1 6 6 9
12—III—1668
15—X —1668
6 —IV —1669
4 —V III—1668
509
473
473
509
484
499
514
492
M allem ort
Marseille
Marseille
Aix
Les Mées
Digne
St M aximin
300
50
50
50
600
500
300
10
6
6
6
20
20
20
4 —V III—1668
13—X I—1668
13—X I—1668
5 -1 -1 6 6 9
29—III—1667
14—III—1667
14—IV—1668
492 R°
503 R°
503 R°
509 R°
454 R°
449 bis R°
487 R°
Digne
Aix
500
300
20
20
1 4 -1 1 1 -1 6 6 7
8 —IV —1669
449 bis R5
509 R°
Digne
Aix
Digne
500
50
50
20
6
10
14-1 1 1 -1 6 6 7
5 -1 -1 6 6 9
2 7 -1 -1 6 6 8
449 bis R°
509 R°
479 R°
Digne
50
10
2 7 -1 -1 6 6 8
479 R°
Digne
Lançon
A pt
A pt
Salon
50
80
300
50
200
10
12
10
10
10
2 7 -1 -1 6 6 8
22—IX —1668
4 —X —1668
10—X —1668
18—11—1667
479
497
498
498
444
Salon
Brignoles
Draguignan
Fréjus
Arles
100
50
300
300
300
10
10
20
20
20
1 8 -1 1 -1 6 6 7
5 —X I—1666
1 6 -1 - 1 6 6 8
1 6 -1 - 1 6 6 8
17—III—1667
4 4 4 R°
122 R°
476 V°
476 V°
449 bis V°
Arles
300
20
10—III—1667
448 V°
V°
R°
V°
R°
V°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
V°
R°
�261
Nom
M ONTFORT Jacques de
fils de M aurice
M ONTFORT Maurice de
M OUTTET Pierre
N AD AL Jean de
N EGRE Thom as
NICOLLAY Guillaume
N IEL Laurens
NURY Louis “ R eceveur
particulier des décim es
au diocèze de Digne”
O LLIV IER Boniface
O LLIV IER Jean
O LLIV IER Pierre d ’
ORAISON A ntoine d’
ORAISON M arc-Antoine d’
PARIS Biaise
PAUL Guillaum e
PAUL Jean-François
PAZIERS A ndré de
PERRACHE Charles de
PE1RONSELLY Jean
PERIER Jean de
PE RIER Joseph de
PERRACHE Jean-B aptiste de
PERR IN François
PERR IN Jacques de
PIER R E Henri
PIER RE Pierre
PINCHINAT A ntoineA ubert de
PINCH IN A T G aspard de
PLAN H onoré
PONT Jean-B aptiste du,
échevin de Marseille
PONT Joseph du,
“ consul du Levant”
PONTEVES G aspard de
PORRY Louis, échevin
de Marseille
PORT D onat du
PO RTA LIS François
PO RTA LIS François
fils du précédent
POUVESIN H onoré
PREVOST François de
PREVOST Louis de
PUGET A lexandre de
Sgr. de la Fanière
PUGET Jean de, Sgr. de
Chanolles, Cosgr. de Prads
Résidence
Arles
A m ende
(en
livres)
D épens
(en
livres)
Références
F°
D ate
300
20
17—III—1667
449 bis V°
Arles
Fréjus
Puim ichel
Arles
Arles
Castellane
Digne
300
50
50
50
1 000
300
300
20
20
6
6
20
20
20
17—III—1667
7—V I—1668
5 -1 -1 6 6 9
5 -1 -1 6 6 9
4 —V I—1668
6—IV—1669
11- I I I - 1667
449
490
509
509
501
513
449
bis V°
R°
R°
R°
V°
V°
V°
Callas
Pertuis
Marseille
Eygalières
Estoublon
A ubagne
Brignoles
Brignoles
Arles
Les Mées
Fréjus
Riez
M oustiers
Les Mées
Aix
Arles
Sénez
Sénez
V itrolles
300
600
50
600
500
50
50
50
300
300
400
300
300
50
50
300
300
300
300
10
10
6
20
20
6
6
6
10
20
20
10
20
6
10
10
20
20
10
2 0 -1 1 1 -1 6 6 9
2 —V III—1668
5 -1 -1 6 6 9
26—V III—1667
18—III—1667
14—X I—1668
5 -1 -1 6 6 9
5 -1 -1 6 6 9
1 -III-1 6 6 7
2 - I V - 1667
2—IV —1667
1 0 -1 -1 6 6 9
22—III—1668
5 -1 -1 6 6 9
4 —V I—1668
1 9 -2 -1 6 6 7
6 —IV —1669
6—IV —1669
3 —IV—1667
511
491
509
468
450
502
509
509
445
457
457
508
485
509
500
444
513
513
469
R°
V°
R°
V°
R°
R°
R°
R°
V°
R°
R°
V°
V°
R°
V°
V°
V°
V°
R°
V itrolles
Brignoles
Marseille
300
50
50
10
6
6
3 —IX —1667
5 -1 -1 6 6 9
1 4 -1 1 -1 6 6 9
469 R°
509 R°
509 V°
Marseille
50
6
1 4 -1 1 -1 6 6 9
509 V°
Eguilles
Marseille
50
50
6
6
15—X I—1668
1 4 -1 1 -1 6 6 9
5 0 2 V°
509 V°
Saint-Paul
La Cadière
La Cadière
300
300
50
20
10
6
1 4 -1 - 1 6 6 8
2 —V III—1668
2 8 —IX —1668
476 V°
491 R°
498 R°
Bormes
Orgon
Orgon
La Fanière
100
300
300
300
10
20
20
20
15—IX —1668
1—X —1667
1—X —1667
22—V I—1668
495
470
47ff
490
Seyne
500
20
2 9 —V III—1667
469 R°
#
V°
R°
V°
V°
�262
N om
PUY A ntoine du,
échevin de Marseille
PUY A ugustin du,
Consul du Levant
PUY H enri du,
Consul du Levant
PUY Sim on du
QUINTRAND Jean-B aptiste
RAMEL Jean-B aptiste de
RAMPAILLE C lém ent,
bourgeois
RA PHELIS H onoré de
RAPHELIS M elchion de
RA PHELIS Pierre de,
frère d ’honoré
RAVELLY Gaspard,
échevin de Marseille
REGINA Jean de
REM ONDIS A ym ar
RERBES Jacques
REVEST Joseph du
REYBAUD Frédéric
REYNAUD Louis
R EY N IER L aurent
REYNOARD Esprit
RICHARD Jean, bourgeois
RICHIERS Jacques de
RICH IERS R oland de
R IG O LLET François
R IPERT Jean
R IPPERT A ndré de
R IPPERT Jean de
frère du précédent
RISSY H onoré de
RIVES G aspard de
RO BERT A ntoine
ROBERTY Estienne
ROBERTY H onoré de
ROLANDIN B enoit
ROUBAUD Jean-Louis
RO UGIERS E tienne de
RO UGIERS H onoré de
ROUGONY B althasard
ROUSTAN Jacques,
bourgeois
ROUX Jean, Sgr. du
Castellard
ROUX Pierre-Michel,
Sgr. du C astellard,
fils du précédent
RUA Jean
Résidence
A m ende
(en
livres)
D épens
(en
livres)
D ate
Références
F°
Marseille
50
6
1 4 -1 1 -1 6 6 9
509 V°
Marseille
50
6
1 4 -1 1 -1 6 6 9
509 V°
Marseille
50
6
1 4 -1 1 -1 6 6 9
509 V°
1 000
50
700
500
20
6
10
100
2 9 —X I—1667
2 3 -1 -1 6 6 8
2 4 —X I—1667
1- I I I - 1667
505
478
472
446
300
600
300
20
20
20
29—X I—1668
20—X II—1668
2 9 —X I—1668
504 R °
506 R°
504 R°
50
6
1 4 -1 1 -1 6 6 9
509 V°
Sisteron
Marseille
Valensole
Sisteron
S t M aximin
St-M aximin
A pt
A ubagne
La V errière
La V errière
50
500
300
200
50
100
300
300
300
6
10
20
20
6
10
10
20
20
15—X I—1668
9 —III—1667
18—V —1668
7—V —1668
5 -1 -1 6 6 9
8 —III—1667
1 2 -1 - 1 6 6 8
2—IV —1667
5 -1 1 1 -1 6 6 7
500
500
300
500
300
300
10
10
20
10
10
10
Aix
Sisteron
Puim oisson
Grasse
Toulon
Marseille
Sisteron
Le C annet
Le C annet
Levens
Lançon
50
35
300
50
150
500
100
300
300
50
400
Sisteron
Tarascon
M anosque
Marseille
Sisteron
Calian
Broves
Calian
Marseille
V°
V°
R°
R°
29—X I—1668
29—X I—1668
6 —IV—1669
2—V III—1668
23—X —1668
23—X —1668
501
448
489
488
509
447
.4 7 5
456
446
504
504
515
491
499
499
V°
R°
R°
V°
R°
R°
V°
V°
V°
R°
R°
V°
R°
R°
R°
6
10
10
6
12
10
20
20
20
10
10
2 5 -1 1 -1 6 6 9
9 —III—1667
1 0 -1 - 1 6 6 9
2 4 -1 1 -1 6 6 8
2 3 -1 1 -1 6 6 9
18—III—1667
18—III—1667
2 -1 -1 6 6 8
2 -1 -1 6 6 8
1 8 -1 - 1 6 6 8
27—III—1669
510
447
508
482
511
450
456
474
474
477
511
R°
V°
V°
R°
R°
V°
R°
V°
V°
V°
V°
300
10
28—III—1667
453 R°
Le C astellard
300
10
28—III—1667
453 R°
Marseille
300
10
9 —III—1667
447 V°
Aix
Marseille
Les Baux
Forçai quier
Senez
�Nom
SABRAN Jean-B aptiste de
SA LETTE Charles
SAPORTA François de
SAURIN H onoré
SAUVAN Jean-A ntoine
SAVOURNIN Jean de
SAVOURNIN Virgile de
SEBASTIAN Gallery
SEBASTIANE François de
SEGUIN Thom as
SELLIER Jean,
échevin de Marseille
SENEBIER A ntoine
SENEBIER Jean-Louis
SICARD A ndré,
Consul di Levant
SICARD Henri,
C onsul du Levant
SIGOUIN François,
Sgr. de C hâteauneuf
SITRANY A ndré
SOLLE Pierre,
échevin de Marseille
SURIAN Pierre
TASSY A ntoine, prêtre
TAULAN Joseph
TAULAN François
TRABAUD E tienne de,
Sgr. de T artonne
TRICHAUD Jean
T U F FE T H onoré de
TU R EZ A ntoine
TU R EZ Bernard
UZAUNE A ntoine d ’
VACON Joseph
VACON Louis
VACON Louis
V ACHERES Jean de
V ACHERES Jean-L ouis de
VACHERES Jean de
Cosgr. de V achères
VIAL Pierre
V IALIS H enri
VIALIS B arthélém y
VIDAL Pierre
V IG U IER H ector de,
Consul du Levant
VIG U IER Jean de,
C onsul du Levant
VIG U IER Jean de
V ILLEN EU VE Jean
VILLY R aphaël
VINCENT Pierre
V ITA LLIS Jean de
VUR Jacques de
Résidence
Am ende
(en
livres)
Dépens
(en
livres)
D ate
Références
F0
Arles
Mezel
C hâteauneuf
Grasse
Aix
Lambesc
Lauris
M allem ort
Forcalquier
300
50
50
50
50
50
50
300
300
20
6
6
20
6
6
6
10
20
14—IV —1668
26—X I—1667
26—X I—1667
1 8 -1 - 1 6 6 8
15- X I - 1668
5 -1 -1 6 6 9
5 -1 -1 6 6 9
4 —V III—1668
2 4 —III—1668
487
137
139
477
501
509
509
492
486
V°
R°
R°
R°
V°
R°
R°
R°
R°
Eguilles
Marseille
300
50
10
6
4 —V III—1668
1 4 -1 1 -1 6 6 9
493 R°
509 V°
Arles
Arles
Marseille
300
300
50
20
20
6
2 4 -1 2 -1 6 6 7
24—X II—1667
1 4 -1 1 -1 6 6 9
473 V°
221 R°
509 V °
Marseille
50
6
1 4 -1 1 -1 6 6 9
509 V°
Sisteron
300
20
2 6 -1 1 1 -1 6 6 7
452 R°
Marseille
Marseille
300
50
10
6
2 7 —IX —1667
1 4 -1 1 -1 6 6 9
470 R°
509 V°
Lançon
Toulon
Berre
Berre
50
150
300
300
6
20
10
20
15—X I—1668
2 3 -1 1 1 -1 6 6 8
4 —V III—1668
6 —IV —1669
501
486
492
512
La Garde
300
20
6 —IV —1669
514 R°
Digne
Digne
Martigues
Martigues
Arles
Marseille
Marseille
Toulon
Brignoles
Brignoles
Vachères
300
300
500
500
300
125
530
400
300
300
150
10
20
10
10
10
12
10
20
20
20
20
10—III—1667
29—III—1667
2—V II—1668
2—V III—1668
26—V III—1667
5 -1 -1 6 6 9
5 -1 -1 6 6 9
5 -1 -1 6 6 8
2 4 —IV —1667
24—IV —1667
1- X I I - 1667
449
454
491
491
468
507
507
475
468
468
472
R°
R°
V°
V°
R°
V°
V°
V°
R°
R°
R°
Forcalquier
Pignans
R oquebrune
Marseille
Marseille
50
50
300
35
50
6
6
10
10
6
2 7 -1 1 -1 6 6 8
5 -1 -1 6 6 9
10—X II—1667
2 6 —III—1667
1 4 -1 1 -1 6 6 9
483
509
472
451
509
R°
R°
V°
V°
V°
Marseille
50
6
1 4 -1 1 -1 6 6 9
509 V°
Aix
Aix
Fréjus
M artigues
Aix
Les Baux
100
160
300
50
60
120
10
13
20
10
6
20
2 8 —IX —1668
15—X I—1668
2 —IV —1667
16—X —1668
7—IX —1668
2 7 —V I—1668
497
502
455
500
494
490
V°
V°
V°
V°
V°
V°
V°
V°
V°
V°
�Tableau Il
265
Sommes déboursées par les provencaux condamnés comme faux-nobles
(évaluées en livres et sols tournois d'après B. 1360)
Amendes
35
50
50
60
50
70
60
80
80
70
80
100
90
100
110
120
120
125
125
120
120
128
150
150
150
150
160
160
180
200
200
200
300
300
300
400
400
400
400
400
500
500
530
500
600
600
700
800
1.000
1.000
Deux sols
pour livre
3, 10
S.
5
5
6
5
7
6
8
8
7
8
10
9
10
Il
12
12
12,10 s.
12,10 S.
12
12
12,16 S.
15
15
15
15
16
16
18
20
20
20
30
30
30
40
40
40
40
40
50
50
53
50
60
60
70
80
100
100
Depens
10
6
10
6
20
12
30
10
Il
23
12
10
23
20
19
8
12
10
12
18
20
12
6
10
12
20
10
13
10
10
20
30
6
10
20
6
10
15
20
100
10
20
10
100
10
20
10
10
10
20
Total
48, 10 s
61
65
72
75
89
96
98
99
100
100
120
122
130
140
140
144
147, 10 S.
149, 10 S.
150
15 2
152, 16 S.
17 1
175
177
185
186
189
208
230
240
250
336
340
350
446
450
455
460
540
560
570
593
650
670
680
780
890
1.110
1. 120
Nombre de
condamnés
2
148
25
1
12
1
1
2
1
1
4
16
1
10
1
1
1
2
1
1
1
1
1
4
1
5
1
l
l
2
2
1
2
69
76
1
12
l
11
4
Il
11
1
1
l
3
2
l
1
13
To tal
général
Tableau III
97
9.028
1. 625
72
900
89
96
196
99
100
400
1.920
122
1.300
140
140
144
295
149,10 s
150
152
152, 16 s
17 1
700
177
925
186
189
208
460
480
250
672
23.460
26.600
446
5.400
455
5.060
2.160
6.160
6.270
593
650
670
2.040
l. 560
890
1.110
14.560
Faux-nobles condamnés par jugement de la commission
et ayant ultérieurement bénéficié
d'un jugement de modération
(Registre B. 1360)
Nom
BOUFFAR André
BOUFFAR Henri
CAISSAN Claude
OlAUTARD Laurent
DEYDIER Nicolas
ESTIENNE Antoine
FOURNlLLIER Bernard
ICARD Louis
LACET Jacques
LESTRADE Victor de
MAGES Laurent
MAGES Laure
NJCOLLA Y Guillaume
OLLIVIER Boniface
OLLIVIER Jean
ORAISON Marc-Antoine d'
PUY Simon du
ROUSTAN Jacques, "boUf!!eois"
TAULAN François
Résidence
Jugement de
condamnation
Mallemon
Mallemort
Aix
Ollioules
Marseille
Trets
Cabannes
La Ciotat
Aubagne
Marseille
Aix
AIX
Arles
Callas
Pertuis
Estoublon
Tarascon
Lançon
Berre
4- Vll1- 1668
4-Vl ll- 1668
IO- XIl- 1667
7-IX- 1668
IO- lll- 1667
20- Vlll- 1668
27- lll- 1669
4-Vlll- 1668
2-Vlll-1668
9- 111-1668
16- X-1668
16-X-1668
4- VJ- 1668
20-111- 1669
2- Vlll- 1668
18-111- 1667
29- Xl- 1667
27 - 111- 1669
l- IV- 1669
Amende Depcns
(livres) (livres)
300
300
1.000
300
1.000
ISO
300
300
soo
1.000
100
100
1.000
300
600
500
1.000
400
300
10
10
20
20
20
10
20
10
10
20
10
10
20
10
JO
20
20
10
20
Jugement de
modération
6-IV- 1669
7-IV-1669
6-JV- 1669
8-11-1669
27-111-1669
8-11-1669
12-Vll-1669
19-LX-1668
12-X-1668
6-IV-1669
3-1- 1669
3-1-1669
15- Xl-1668
20-lll-1669
17-Xl- 1668
6- IV-1669
20-IV-1668
10-IV-1669
6-IV-1669
Amende Depcns Rtrmnces
F•
(livm) (livres)
so
so
80
100
so
so
100
so
100
so
50
so
130
110
80
so
so
220
50
10
10
12
10
6
6
10
10
20
6
6
6
27
20
12
6
6
10
6
516 V°
434 R0
Sl6 R0
S09 V"
0
Sl2 R
S09 V°
SIS V"
496 R0
498 V"
Sl3 R0
507 R0
0
507 R
SOI V°
0
SI 1 R
so3 v•
Sl6 R0
SOS V0
Sl3 R0
s12 v•
�266
267
Tableau IV
Nom
Faux-Nobles condamnés pour usurpation par jugement de la commission,
mais déchargés de l'amende pour divers motifs
(Registre B. 1360)
Qualification
SocioProfess ionnelle
Résidence
AGARD Alexandre d'
AGARD Thomas d'
ALPHAN Pie=
Bourgeois
Ansouis
Ansouis
Les Mecs
AMAUDRIC Joseph
Bourgeois
Mezel
AMPHOUX Ff1lllçois d'
ANTIBOUL Antoine
ANTIBOUL Antoine, cousine
du préctdent
ANTOINE Etienne
ARMAND Guillaume d'
Valensole
St. Tropez
St. Tropez
Bourgeois
ARNAUD Guillaume
ARNAUD Jean
ARNAUD Jean-Baptiste
ARNAUD Honoré
ARNAUD Pons
Travailleur
ARQUIER Honoré
Bourgeois
ASTOIN Louis
ASTOIN Antoine, fils du
préctdent
ASTONSSY Balthasard d'
Tisseur â toile
Tailleur d'habit
Motif
Pauvreté
Pauvreté
S'est qualifié une fois
Ecuyer "par mesgarde"
Qualifié "escuyer comme
tesmoing"
Pauvreté
Pauvreté
Pauvreté
La MOie
Tarascon
Pauvreté
Qualifié "écuyer" par c rreur d'un notaire
Tarascon
Qualifié écuyer comme
témoin
Seyne
Pauvreté
Forcalquier Qualifié écuyer comme
témoin
Seyne
Pauvreté
Seyne
Qualifié écuyer "par moquerie des notaires
Aix
Qualifié écuyer " par corn·
plaisance" du notaire
Turriers
Qualifiés écuyer "par moTurriers
querie" des notaires
Date
BAILLER Jean
10- 1- 1668
2-Vll-1667
F• 93 R0
BERLUC Balth:u.ard
BERLUC Esprit
BERLUC Jean-Baptiste
F• 59 R°
F• 53 R0
F° 53 R°
BERNARDY
BERNARDY
BERNARDY
BE'RNA RDY
BERTRAND
F° 48 R°
30-Vlll- 1667 F° 115 R'
F' 91 R°
Bl.ANC Jean
BONAUX Philippe
AZEGAT LoulS d'
"Conseiller el
maistrc d'hôtel
ordinaire du Roy"
BONNET André
"Capitaine-major
des foneresscs
de Po n-Cros
Tous trois fùs
de Marc-Antoine
"Bourgeois"
BOSCO François de
F' 37 R°
BOYER François
Ancien soldat
F' 144 R'
BREMOND Charles
BONNET Jean.Charles
Sgr. de Malignon
F' 44 V"
F' 44 R°
Hy~res
services rendus
au Roi
16-Vll-1668
F' 44 R'
F' 44 R0
F' 244 R°
Berge mon
Du fait du décés de leur
condamnés par iugement de défaut
"n'ayanl prins la qualité
que comme Messire"
services rendus au Roi
25-X-1667
F' 125 R'
"Conseiller et
Maistre d'hôtel
ordinaire du Roy"
"Porte espéc de
parement du Roy et
gentilhomme o rdina1rc de Y chambre
BONNET Louis, oncle du
Sgr. de
Malignon
BOURDON lchan
préc~enl,
p~re
Aix
Arles
Arles
services rendus au
Roi
9-111-1 668
28- 1-1 688
Ancien corn.man-
dant de galère
Ancien cavalier
dans le régiment
de Mazann
Ancien cavalier
dans le régiment
du Duc d'Aajou
"Prieur et trtsoricr de la vénéra·
bic confrérie de
N D. de Mont-Carmel"
Avocat
F' 44 R°
tesmoing'*
Date
Forcalquier Qualifié "cscuyer comme
tcsmoing"
Brignoles
"cslupide et ébété"
Rtférenccs
Sault
Pauvreté
Aix
Pauvreté
Forcalquier Qualifié écuyer "comme
tesmomg"
Forcalquier Qualifié écuyer "comme
lesmoing"
Forcalquier Qualifié écuyer "comme
tesmoing"
Forcalquier Qualifié écuyer "comme
1esmoing"
Clamensane Pauvreté
Turriers
Pauvreté
Turriers
Pauvreté
Turriers
Pauvreté
Qualifié écuyer "comme
Sault
F' 44 R0
14 -Vl-1667
F' 88 R
10-Xl-1668
l 2-XJl-1 667
F' 61 R0
F' 242 R0
F' 131 R0
F' 44 R
F' 44 R0
F' 44 R0
99 R0
99 R°
99 R0
12-Vll-1667
12-Vll-1667
12-Vll-1667
12-Vll-1667
19-Vll- 1667
F'
F'
F'
F'
F'
BREMOND Michel
F' 140 R'
BUFFET Gaspard
h
Aix
Qualifié écuyer "dans une
quittance"
l l-lX-1668
F' 229 R0
Seillans
St Martin de
Castillon
Roquebrun
Marseille
"pauvre et aveugle"
"imbécille"
10-111-1668
F' 53 R0
F' 145 R0
Pauvreté
qualifié écuyer "comme
tesmoing
13-Vlll-1667
F' 53 R0
F' 114 R0
Qualifié écuyer "en un
temps ou il cstoit mineur"
Forcalquier Qualifié écuyer "comme
tesmoing"
Services rendus au Roi
Marseille
0
99 R
110 R0
F' 59 R0
Riez
F' 39 R'
Forcalquier Pauvreté
Forcalquier Qualifié écuyer "comme
lesmoing
Forcalquier Qualifiée écuyer "comme
AUBERT Mathieu
AZEGAT Antoine d'
Bourgeois
(ancien apothicaire)
BONNARDEL François
tesmoin,g"
AUBERGE Valfry
AUBERT Balthasard
AUGIER Honoré
AUGIER Jean
AUGIER Joseph
AUTHEMAN Sauveur
Maçon
Maçon
Mfoagcr
BONNAUD Gilbert
"comme ne possedanl rien
en Provence"
Forcalquier Qualifié écuyer "comme
AUBERGE Jean
AUBY Philippe d'
Macon
Maçon
BLANC Boniface
Bl.ANC George
F' 66 R°
F' 100 R°
22-Vl-1667
Marseille
Motif
tesmoing0
F° 66 R0
F' 44 R°
F' 96 R°
Andr6
Jean
Joseph
Noël
Etienne
BEZIEUX Esprit de
F• 42 R°
9- Vll-1667
Fils de Pierre,
notaire de Bri·
gnolcs
BARDEL André de
BATESTY Jean-Baptiste
BERLUC Annibal
RUércnc:es
F° 61 R•
F° 6l R•
F° 136 R•
12-Vll-1667
Résidence
BAJ..LARDY Jean-François
Nom
Qualification
SocioProfessionnelle
F' 44 R0
12-Vll-1667
F' 97 R0
Malignon
Services rendus au Roi
20-Xll-1668
F' 245 R0
Aix
Services rendus au Roi
20-XJl-1 668
F' 245 R0
Aix
Qaulifié écuyer "dans
une quittance'"
20-XJl-1 668
F' 244 R0
Apt
Quolifié écuyer "comme
tesmoing"
12-Vll-1667
F' 101 R•
AIX
Pauvreté
Forcalquier Quolifié écuyer "comme
tesmoing"
Forcalquier Qualifié écuyer "comme
tcsmoi.ng"
Qualifié écuyer "comme
Sault
tcs.moing''
93-Xlt-1 667
F' 135 R0
F' 44 R0
F' 44 R0
F' 61 R0
�268
269
-
Qualification
SocioProfessio nnelle
Nom
Résidence
CAPPEA U Jean
CASTIGNI J ean
CAVALU ER Claude
Lieutenant gfoérai civil cl Grimine! el cornmi.uaires
des inventaires au
siège de Sisteron
Notaire royal
d'Apt
C HAISNARD feu François
CIZON Ho nor6 de
CLAPIERS feu Jear>Oiarles de Coseagneur de
N6oules
CONSTANS Charles
DANGET Louis
DESTRECH FrançoLS du
Bo wgeois
DEYDIER Nicolas
DOMINIC Y J ean
DUPONT André
EIGUESIER François d'
Prêtre
FA BRE Gaspard
FAUCHER Jean de
FAUCON J ean
GAI CHA RD Jean-Pierre
GARS Gabriel
CASSAN J oseph
GAUDEMAR Charles
GAUDIMAR Paul
GEOF FROY Jean
GEOPFROY François
ftls du précédent
GEOF FROY Jacques,
frèr e du préc<!dent
GEOFFROY Sébutieo - 1d.
GEOF F ROY Silvestre - 1d.
GEOFFROY Yves - 1d.
F ils de Da niel,
notaire de
Mo ntlau x
t.<o lif
Daic
Référence!
Nom
Eyragues
Pauvreté
16- LX- 1667
F° 118 R'
GIRARDIN Claude
Sisteron
QuaLifié noble cl éc uyer
d>ns une p rocur.111on
12 - 1- 1669
F" 248 R'
GIR ARDIN Jean
f~re du préc~cn l
GIRAUD Balthasard
GIRA UD Brienne
GIRAUD François
GIRAUD Pierre
Apt
Qualification
SocioProfessio nnelle
Maitre-maço n
Maî tre-maço n
Maitre-maçon
JOUROANY Jean
JOURDANY Pierre
JURAMY Pierre
JURAMY Antoine
JUST Jean-Baptiste
Sault
Thoard
F' 6 1 R
F' 56 R0
LA UDUN Léon
Bourgeois
F'
LAURENS Jean
Bourgeois, consul
de Castellane
Pauvr eté
Qualifié écu yer "comme
tc.smoing"
Marseille
Qualifié écuyer "d ans
une quittance"
Forcalqu ier Qualifié écuyer "comme
resmoing"
Manosque Q ualifié nob le " comme
tesmoing''
Riez
Pauvre ré
St-Savournin Pa uvrc t6
St-Savournin Pauvre té
GUEYDAN Jacques
Ge ntilho mme ordinaire de la
c ham bre du Roi
HONETE Louis
HUGONIS Jacques d'
Bourgeois
ISNARD Louis d'
ISOARD J ean
Bou rgeois
ISCIARD Jean
JO URDAN Esprit
39 V'
F' 44 R'
12- Vll- 1667
F' 102 R0
13 - 11- 1668
13- 11- 1668
F' 59 R0
F' 138 R'
F' 138 R"
13- 11- 1668
F'
13- 11- 1668
13- 11- 1668
13- 11- 1668
F'
138
R"
LAURENS Louis
LAUZET André de
LAUZET An to ine de
LAUZET Balthasard de
LAUZET Jean de
LAUZET J ean de
LB CLERC And r6
LESTRADE Jean de
LlbUTAUD Joseph
1
S t-Savournin Pauvreté
S t-Savourn in Pauvre té
St-Savourn il\ Pauvre té
Capitaine d e
cavalerie
0
1
S t-Savoumin Pauvreté
GRANDS Arnaud
GRANDS Etienne
GRANDS François
GRANDS Jean
GRANDS Pierre
GUER IN Jean-André
GUINET Alexandre de
HEUR EUX Jacques
138 R"
0
F 0 138 R
44
R"
F'
LlEUTAUD Scipion
t.<olif
Date
1Forcalqu1er
Qualifié écu yer "comme
24 - 11 - 1668
F" 142 R'
tesmoing"
Marseille
Re prbenré par sa veuve
F' 37 R'
qu i est déchargé "allendu
le d excés" de son épou x
Manosque
Pauvreté
F" 44 \/"
Brigno les
Représenté par son fi ls
17- l.X- 1667
F" 119 R'
Ch arl es de Clapier,
ConseiUer vé téran au
Si~gc de Br ignoles, qui est
déchargé du fait de la mo rt
de son phe
La Bréole
Qualifié écuyer "comme
F' 66 R'
tesmoing0
Brigno les
"en tan t que l' un des déF" 68 R0
putei à lAssemblée de
Lam besc"
Arles
n'a prix qu'u ne "suie"
27- 111- 1667
F" 87 R'
fois la qu alité d 'écuyer
Ma rseille
Qualifié écuyer "comme
F' 39 R0
tesmoing 0
Guillaumes Qualifié écuyer "comme
F' 69 R0
tesmo ing"
Aix
Qualifi~ no ble d ans un
12-X- 1668
F' 235 R'
seul "contract"
Marseille
..pour n'avoir prins la
F" 39 R'
qualité que dans ses
lell res de prétise"
Forcalquier QuaLifié écuyer "comme
F' 44 R'
tesmoing"
Le Revest
QuaLifié écuyer "comme
14 - V ll- 1667 F° 104 R0
tesm oing"
GUIDY Honoré
Rbidc nce
Travailleur
T ravailleur
Travailleur
T ravailleur
T ravailleur
Q ualifié écuyer "comme
tesmoing"
Forcalquier Qualifié écuyer "comme
tesmoing"
Valensole
Pauvreté
Volonne
Qualifiés écuyer par • u11e
8- Vll- 1667
Volonne
d' une confusion du notaire
Volonne
avec d'autres p rivil~ges
dont ils sont lil\llaires
Volonne
Pauvreté
Volo nne
Pauvreté
Volo nne
Pauvreté
Volo nne
Pauvre ré
Volonne
Pa uvreté
Forcalq uier Qualifié écuyer "comme
tcunoing''
Sisteron
" pauvreté et indispositio n
30- Vll- 1667
de sa personne"
Arles
Services rendus au Roi
9- Vlll - 1667
Arles
Marseille
Pauvreté
Services re ndus au Roi
Forcalqu ier Qualifié écuyer "comme
tesmoin.g"
Toulon
a prix la quaLiré de
noble dans un seul acte
Pauvre lé
Grasse
Seyne
Qualifié écuyer ··comme
resmoing"
Pauvreté
Se nez
Qu allfié écuyer '"comme
Sault
tesmoing"
Pauvreté
Le Luc
Le Luc
Pauvreté
Seyne
Pauvreté
Seyne
P>uvreté
Qaulifié écu ye r "par
Marseille
une équivoque évidente
d u not aire
Qualifié écuye r " comme
St-Remy
tesmoing"
Casrcll>nc Qualifié écuyer en tant
que Consul
Pauvreté
Seyne
Monlcl>r
Qualifib nobles " pluslosl
Mo ntclar
par moquerie qu'au rreman t"
Mo ntclar
Mo ntclar
Montclor
Pauvre té
Tarascon
Pa uvreté
Marseille
Forcalquier Qualifié écuyer " comme
tcsmoing"
Forcalquier Qualifü écuyer "comme
tcsmoing"
30- IV- 1668
17- 111- 1668
Rtférencu
F' 44 R"
F'
44 R0
F'
F'
59 R0
92 R0
F' 48 R0
F'
F'
48 R0
48 R0
48 R0
F'
F' 48 R."
F'
44 R0
F'
112 R0
F°
113 R0
F'
F'
217 R0
39 R0
F'
44 R
0
F' 148 R0
F' 50 R'
14-Vl- 1667
F'
89 R0
F' 66 R0
F' 61 R0
9- lll- 1669
F'
F'
F°
F'
F°
28- Vl- 1667
F'
12- Xll- 1667
F'
53
53
66
66
252
R0
R'
R0
R0
R0
90 R0
0
132 R
F' 66 R0
94 R0
9 - V ll- 1667
F'
I O- X- 1668
F" 233 R0
F' 39 R0
F'
44 R0
F'
44 R0
�,
270
Qualification
SoàoProfessionnelle
Nom
Résidence
LUCE feu Pierre
Lieutena.n t au 16gimenl de Provence
Grasse
MAGNAN André
fils d ' un maîlre
chirurgien
Forcalquier
MAGNAN André
Fo rcalquie
MAGNAN César
MAGNAN Gaspard
Forcalquier
Forcalquier
fils d' un mailre
chlrurgion
MAGNAN Gaspard
Forcalquier
MAGNAN Gaspard
MARCEL Louis
H y~res
MARTICHON Joseph
Forcalquior
Marchand savon-
La Ciotat
nier
MAURIN J ean
MAUVAN Re~
MILLE Motlueu
MINGAU D Jacques
Riez
Mailtt clururgien
Tarascon
Api
Lorgues
~•otif
Son fils qui le représente
est déchargé de l'amende,
son ~re é lan! mor t.
Qualifié écuyer "comme
lesmoing''
Qualifié écuyer "comme
tcsmoing''
Pauvre té
Q ualifié écuyer lorsqu' il
-61ait mineu r
Qualifié écuyer "comme
tcsmoing"
Pauvreté
Déchargé par arrêt du
Conseil du 5 - 4 - 1667
Qualifié écuyer dans
un seul acte
Pauvreté
Pauvreté
Pauvreté
Qualifié écuyer dans
Date
2-Xl-1667
15- Vll-1667
Nom
Réfttencts
-
fils d 'Antoine,
bourgeois
MOL Charles
MOLI NY Jean-JJcques
MONGINS Auban
MONGINS Claude
f~re du précédent
MONIER Balthasard de
MOSSONY Piem
MOTET Jun
MULET Jean de
NlELLIS Jean-Nicollas
ORAISON Louis d'
PA ILLER Jtan-Louis de
La Môle
Seyne
Grasse
Grasse
son fils Jean est
avocat
Liouteant d'
infanterie
Gentilhommo o rdina.irc de la
chambre du Roi
PANY Claude
Brignoles
Bourgeois
Sault
F" 108 R'
PINCE Pierre de
PROVIN André de
Ancien capitai ne
Capitaine-major
de la ville de
Toulon
Martigues
Toulon
F" 44 V'
F" 44 V'
12-X ll- 1667
F" 44 V'
F" 133 R'
RAYMONDIN Mathieu
REN IOT Joseph
29- Xi - 1668
F" 24 1 R'
RENOUX Henri
RICHAUD Henri de
RIGOLLET Jean
9-Vll- 1667
F"
F"
F"
F"
24- 111- 1668
F" 150 R'
Pauvreté
Ve nce
Roquebrune "sur sa viellcsse"
Manosque Q ualifié écuyer "comme
tesmoing"
Pauvreté
Marseille
Forcalquier QuaLifié écuyer "comme
tesmoing"
La Roque- Pauvreté
Esclapon
Villeneuve Pauvreté
Apt
Qualifié écuyer "comme
tesmoing"
Pauvreté
Tu.rriers
Pauvreté
Turriers
Pauvreté
Prads
Qualifié une fois
Aix
" illustre gentilhomme de
la eité de Rome"
Qualifié écuyer "comme
Mezel
tesmoing"
Pauvreté
Turriers
Pauvreté
Turriers
Qualifié écuyer "comme
Arles
tesmoi.ng''
QuaLifié écuyer "comme
Rognes
tcsmoing"
Services rendus au Roi
Toulon
56 R'
42 R'
6 1 R'
95 R'
RIVES Charles de
RIVES Claude de
ROUSSET Joseph
SAINT.CEZARY Aubert d e
F" 48 R'
F" 66 R'
F" 130R'
SA LETTE Charles
8-Xll- 1667
F" 130 R'
SAUNIERS François
SAUNIERS Jean
SENEBIER Jean-Louis
20- lX- 1667
F" 122 R'
8-Xll- 1667
Aubagne
Oraison
A rles
14- V ll- 1668
9 - Vl- 1668
17-IX-1667
F" 223 R'
F" 220 R'
F" 120 R'
Aix
15- Vll- 1667
SOLLIES François de
PIERRE Pierre
Avocat
15-X-1668
Sergent de ba-
Pauvreté
Pauvre té
Draguignan Pauvre cé
S'esl qualifié noble dans
Arles
un seul acte
S'est qua lifié écuyer
Sencz
seulement comme témoin
Pauvreté
Senez
16- Xll- 1668
F" 53 R'
SYLVESTRE Laurent
Gordes
TAJSSERES Charles
TAISSERES François,
fttre du précident
TAXYL han
Toulon
Toulon
TIRAN Honoré
F" 236 R'
20-X ll- 1668
26-X-1667
F"
F"
F"
F"
14-Vll-1667
F" 106 R'
14-Vll- 1667
15-Vll- 1667
F" 103 R0
F" 109 R'
F" 64 R'
F" 58 R0
F' 53 R0
F" 44 R'
F" 39 R0
F" 44 R0
F" 53 R'
F' 44 R
F'lllR
0
30-Vll-1667
0
F°
48 R0
48 R0
F" 226 R0
F0
4-Vlll-1668
17-IX-1668
F"
0
230 R
24-1-1668
F" 137 R
9-Vll-1668
F" 48 R0
F' 48 R°
F" 221 R°
0
F" 37 R
0
17-Xll-1667
F" 134 R'
QuaLifié écuyer alors
qu'il était mineur
Pauvreté
Pauveté
14- V-1668
F° 218 R'
10-111- 1668
10-111-1 668
F' 146 R0
Qualifié écuyer "comme
tesmoing"
26- LX- 1667
F' 123 R
21-\ 11- 1668
F' 225 R
14-Vll-1667
F0 105 R0
11-IV- 1669
F" 254 R0
capilaine au régimen t d'Auvergne
F" 39 R'
Draguignan
Ancion soldat
Notaire de Mezel
Lieutenant des soumissions au si~ge
de Castellane
Avocat
TIRANNY Georges
La Ciotal
PIERRE Henri
Serrurier
RHfrenccs
taille. ancien
Mcrcœur
PASQUET Antoine
PATl"Y Hugolen
PEPIN Claude
PERRIN Micho!
Bourgeois
Date
Qualifié écuyer "comme
lesmoing
PORTANIER Augustin de
PUGET Louis-Raphaël de
QUINTRAN Jean-Baptiste
15- Vll-1667
F" 44 V'
F" 107 R'
23-Xl- 1667
Pauvre té et services
rendus au Roi
Son fils est déchargé
" allendu son dexces"
Pauvreté
QuaLifié écuyer "comme
tesmoing"
Services rendus au Roi
Services rendus au Roi
Castellane
F" 53 R'
F" 48 R'
F" 128 R'
Pauvre té
Pauvreté
Services rendus au Roi
MotiJ
POILROUX Louis
SIMON Gaspard
Marseille
Anàen comelle
au régiment de
Ses héritiers sont déchargés allend u le décés
de leur p~re
Pauvreté
Pauvre té
Qualifié écuyer "comme
tesmoing"
Qualifié écuyer " comme
tcsmoing"
Pauvreté
Résidence
PEYRONNEL Jacques
Draguignan Pauvreté
Pauvreté
Le MOie
Tarascon
Services rendus au Roi
Flayosc
PASCAL Feu Boniface
PASCALIS Annibal
Bras
Qualification
SoàoProfessionnelle
F" 127 R'
une procuration
MINlTTI feu Pierre
271
53 R'
TROUILLARD Jean
243 R'
53 R'
247 R'
VIAL Pierre
F" 64 R'
VENTRIER Paul
F" 124 R'
VE RSIA Gaspard
VITALIS EsnriJ de
1
Ancien capitaine
Caslellane
QuaLifié écuyer dans un
ac te de compromis
Forcalquier Qualifié écuyer lorsqu'il était mineur
"attendu ses employs et
Marseille
services"
Forcalquier Qualifié écuyer "comme
tesmoing"
Manosque Qualifié messire dans un
seul acte
Pauvreté
Marseille
Draguignan Pauvreté
Aix
F" 146 R'
0
0
F' 44 R'
F' 44 R0
F" 39
F" 53
R0
R0
�Tableau V
Déchargements collectifs
Nom
Qualification socioprofessionnelle
Date
Référei
La Bréole
24-11-1668
F° 482
Seyne
24-11-1668
F0 482
15—III—1668
F° 147
Résidence
Motif
Ÿ fv*. *
Les consuls et la Communauté de La Bréole
Les consuls et la Communauté de Seyne
Le corps des gentilshommes
verriers représenté
par ses syndics :
Pierre-Antoine de Fere
Melchion Perrot
Gentilhomme
verrier
Ils ont strictement droit
à la qualité de “gentil—
homme-verrier”
�Tableau VI
Faux-nobles condamnés à 50 livres d’amende après avoir déclaré volontairement
qu’ils désistaient définitivement leur noblesse
(Registre B. 1360)
Nom
ABEILLE Honoré, fils de feu Honoré
ACHARD François
AGARD Michel d’, marchand
AGARD Michel d’
AGNEL Honoré
AILLAUD Antoine
AILLAUD Jacques
AILLAUD Jacques
AILLAUD Jean, frère d’Antoine
AILLAUD Pierre
AILLAUD Théophile
ALAYER Esprit, prêtre
ALAYER Esprit, frère du précédent
ALBANELLY Jean, avocat
ALBETE Jean d’
ALBETE Louis, frère d’Auguste
ALBETE Melchior d’
ALBIS Antoine d’
ALLARD Jean-Baptiste d’
ALLARD Louis d’
ALLARD Pierre d’
ALLEMAND Gaspard d’, avocat
ALLEMAND Jean-Baptiste, avocat
ALLEMAND Joseph
ALLEMAND Pierre
ALMERAN François d’
AMALR1C André d’
AMALRIC Charles d’
AMAT Jean André d’
AM1C Esprit
AMPHOSSY André
AMPHOSSY Louis, frère du précédent
ANGLES François
ANDRE Jean
ANDRE Pierre
ANDRE Pierre-Louis
ANNAIS François d’
ANNIEL Balthasard, Sgr. de St-Julien
ANNIEL Jean-Baptiste, fils du pdt.
ANTELMY Etienne
ANTIBOUL Honoré
ANTIBOUL Marc, Sgr. de Bertaud
ARBANELLY Jean, fils de Jean
ARBAUD Etienne d’
ARBES Charles d’falias DARBES)
ARENES Jean
Résidence
La Ciotat
Riez
Ansouis
Cucuron
Lambesc
Lourmarin
Castellane
Lourmarin
Lourmarin
Castellane
Pertuis
Digne
Digne
Tourettes
Pertuis
Pertuis
Pertuis
Pertuis
Apt
Apt
Apt
Digne
Digne
Bauduen
Saint-Etienne
Saint-Remy
Les Mées
Ollioules
Cadenet
Brignoles
Marseille
Marseille
Aix
Saint-Remy
Aix
Saint-Remy
Cannes
Saint-Julien
Saint-Julien
Fréjus
Saint-Tropez
Saint-Tropez
Grasse
La Verdière
Aix
Hyères
Date
13—VII—1667
12—VII—1667
4—VII—1667
7 - V I I - 1667
11- V I I - 1667
9—VII—1667
7 - V I I - 1667
8—VII—1667
9—VII—1667
1—VII—1667
9 - V I I - 1667
9—VII—1667
9—VII—1667
1 0 - V I - 1667
13—VII—1667
7—VII—1667
1 3 - V I I - 1667
7—VII—1667
9—VII—1667
9—VII—1667
9 —VII—1667
25—VI—1667
11—VII—1667
9—VII—1667
4 - V I I - 1667
8—VII—1667
11- V I I - 1667
23—VI—1667
11—VII—1667
6—VII—1667
28—VI—1667
28—VI—1667
4—VII—1667
15—VI—1667
6—VII—1667
15—VI—1667
6—VII—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
4 - V I I - 1667
4 - V I I - 1667
11—VII—1667
10—VI—1667
11—VII—1667
13—VII—1667
7—VII—1667
Références
F°
422
410
365
375
396
390
379
382
390
357
386
391
391
339
422
378
422
378
391
391
391
347
400
391
368
383
396
346
395
372
353
353
368
341
374
341
373
415
415
368
367
397
339
402
422
377
R°
V°
R°
V°
R°
R°
R°
V°
R°
V°
V°
V°
V°
V°
R°
V°
R°
V°
R°
R°
R°
V°
R°
R°
V°
V°
R°
R°
V°
R°
R°
R°
R°
V°
R°
R°
R°
V°
V°
R°
V°
V°
V°
R°
V°
V°
�Nom
ARGENTERIS Honoré-Hugues
ARLAC Louis d’
ARLET Charles d’
ARLET Jean d’
ARMAND Charles d’
ARMAND Georges d’
ARMAND Guillaume d’
ARMITTE Louis d’
ARNAUD Balthasard
ARNAUD Claude, marchand
ARNAUD Guillaume, Sgr. de Chaumière
ARNAUD Jean d’
ARNAUD Jean, fils de feu Pierre
ARNAUD Jean
ARNAUD Jean-Louis
ARNAUD Jacques
ARNAUD Thomas d’
ARNEL Pierre
ARNOUX Jean
ARQU1ER Denis d’
ASTIER Jean, fils de Pompée, avocat
ASTOUR Charles d’, viguier de Toulon
ASTOUR Balthasard d’
ASTOUR Thomas d’, ancien capitaine
au régiment de la Marine
ATTENOUX Etienne
AUBERT Jean-Gaspard
AUBERT Louis, Sgr. du Castellard
AUDET Antoine d’
AUDET Jean d’
AUDET Jean-Pierre d’
AUDET Pierre d’
AUDIBERT François d’
AUDIBERT François-Félix d’,
Sgr. de Ramatuelle
AUDIBERT Pierre d’
AUD1BERT-CAILLE Honoré, fils de
feu Jean
AUDIFFRET Estienne d’
AUDRIC Michel, matelot
AUGERI Antoine, originaire d’Aix
AUGERI Claude, frère du précédent
AUGERI Emmanuel d’
AUGERI Guillaume d’
AUGERI Jacques d’, fils de feu
Jacques, avocat
AUGERI Jean, originaire d’Aix,
frère d’Antoine
AUGERI Jean-François d’
AUGERI Joseph d’, frère du pdt.
AUGERI Louis, originaire d’Aix,
frère d’Antoine
Date
Références
F°
Castellane
Boulbon
Marseille
Marseille
Mison
Mison
Mison
Digne
Seyne
Seyne
Mison
Marseille
Seyne
Pertuis
Seyne
Marseille
Riez
Riez
Draguignan
Lambesc
Forcalquier
Toulon
Toulon
7—VII—1667
27—VI—1667
13—VII—1667
11—VII—1667
7—VII—1667
7—VII—1667
7—VII—1667
11—VII—1667
20—VI—1667
12—VII—1667
6—VII—1667
2 4 - V - 1667
12—VII—1667
8—VII—1667
20—VI—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
28—VI—1667
1 2 - V I I - 1667
8 —VII—1667
9—VII—1667
1—VII—1667
1—VII—1667
376 R°
351 V°
423 R°
401 V°
376 R°
376 R°
376 V°
396 R°
344 R°
411 V°
374 V°
336 V°
411 V°
383 V°
344 R°
413 V °
413 V°
353 V°
403 R°
383 V°
390 R°
357 R°
357 R°
Toulon
Roquebrune
Forcalquier
Digne
Digne
Mison
Digne
Digne
Apt
1- V I I - 1667
6—VII—1667
4 - V I I - 1667
13—VII—1667
11—VII—1667
13—VII—1667
11—VII—1667
9—VII—1667
9—VII—1667
357
372
369
418
400
410
400
391
392
Aix
Mison
11- V I I - 1667
13—VII—1667
400 V°
418 V°
Bargemon
Marseille
Toulon
Grambois
Grambois
Fréjus
Fréjus
12—VII—1667
13—VII—1667
30—VI—1667
8—VII—1667
8 —VII—1667
8—VII—1667
12—VII—1667
403
416
355
382
382
384
408
Fréjus
12—VII—1667
408 R°
Grambois
Fréjus
Fréjus
8—VII—1'667
12—VII—1667
12—VII—1667
382 V°
412 R°
412 R°
Grambois
8—VII—1667
382 V°
Résidence
R°
V°
R°
V°
R°
V°
R°
R°
V°
R°
V°
R°
V°
V°
V°
R°
�Nom
AUGULAIN François
AUMERAT Pierre, Lieutenant de
galère
AUMERAT Charles, fils du précédent
AUSSE Pierre
AUTHIER Jean d’
AUVET Henri, Sgr. de la Gaude et
de Verdayon
AYMAR Etienne d’
AYMAR Jean d’, fils de Jean-Antoine
AYMIN Balthasar
BANDOLY Jean-Claude, avocat
BANDOLY Scipion
BAQUI Jean
BARBAROUX André
BARBAROUX Engelbert
BARBAROUX François
BARBAROUX Jean
BARBAROUX Louis, frère du précédent
BARBAROUX Louis
BARBAROUX Pierre
BARBEIRAC François de
BARBEIRAC Georges de
BARBEIRAC Joseph de
BARNOIN Jacques
BARREL Jean-Pierre, licencié en Droit
BASTIDE Sébastien
BAST1N Jean de, Lieutenant de galère
BAUDRIC Balthasar
BAUSSET François de, fils de feu
Nicolas
BAZAN Pierre, fils de feu Jean
BEALANS Joseph
BEAUDON Honoré
BEAUFORT Honoré de
BEAUSSIER Jean de, fils d’Etienne
BEBER Thomas de
BELLANGER Léonard de
BELLANGER Charles de
BELLIARD André
BELL1N Valentin
BELLON Antoine de
BELLON François de
BELLON Pierre de
BELOT Claude
BENETON Ambroise
BENETON Louis, frère du précédent
BENOIT Antoine
BERARD Gaspard
Date
Références
F°
Les Mées
2 6 - V I - 1667
350 R°
Cuers
Cuers
Tarascon
La Rochette
4 - V I I - 1667
4 - V I I - 1667
12—VII—1667
13—VII—1667
362
362
409
418
R°
R°
R°
V°
Riez
Lambesc
Pertuis
La Tour d’Aigues
Forcalquier
Forcalquier
Bargemon
Senez
Senez
St Maximin
Senez
Senez
Les Mées
Senez
Saint-Martin de
Castillon
Viens
St Martin de
Castillon
Marseille
Saint-Rémy
Marseille
Marseille
Manosque
26—VI—1667
9—VII—1667
13—VII—1667
9—VII—1667
1 0 - V I I - 1667
12—VII—1667
24—V—1667
12—VII—1667
13—VII—1667
8—VII—1667
12—VII—1667
349
388
420
389
394
408
337
410
419
384
410
V°
R°
R°
V°
R°
R°
R°
R°
V°
R°
R°
12—VII—1667
24—VI—1667
13—VII—1667
4—VII—1667
410
347
419
362
R°
V°
V°
V°
4 - V I I - 1667
4—VII—1667
364 R°
362 V°
8—VII—1667
6—VII —1667
10—VI—1667
9—VII—1667
11—VII—1667
384
394
339
388
397
V°
V°
V°
R°
R°
Aubagne
Marseille
Marseille
Toulon
Aix
Toulon
Marseille
Castellane
Castellane
Apt
Marseille
Brignoles
Brignoles
Brignoles
Marseille
Aix
Aix
Marseille
Jouques
12—VII—1667
4 - V I I - 1667
6—VII—1667
1- V I I - 1667
11- V I I - 1667
9—V il—1667
13—VII—1667
7—VII—1667
22—VI—1667
6—VII—1667
12—VII—1667
30—VI—1667
21- V I - 1667
9—VII—1667
2 6 - V I - 1667
6—VII—1667
6 - V I I - 1667
11—VII—1667
4 - V I I - 1667
407
364
373
357
396
392
419
378
345
373
408
357
344
391
349
372
372
401
361
V°
V°
R°
R°
R°
R°
V°
V°
R°
V°
R°
R°
V°
R°
y°
R°
R°
V°
R°
Résidence
�Nom
BERARD Jean de
BERARD Jean de
BERARD Pierre
BERARD Raimond de
BERENGUIER Bonaventure
BERENGUIER Claude
BERENGUIER Louis, fils de feu
Pierre
BERGUE Jean-Pierre de
BERLUC Jean
BERMOND Claude de
BERMOND François de, frère du
précédent
BERMOND Guillaume de, Cosgr. de
Malcor
BERMOND Antoine de, fils de feu
Jean-Honoré
BERNARD Jean-Etienne
BERNARDY Pierre de
BERNE Louis
BERNIER Jean
BERTAGNE Honoré, Sgr. de Ramatuelle
BERTRAND Charles
BERTRANDY Charles
BESSIERE Annibal
BESSIERE Gaspard-Honoré
BESSIERE-CHAIX Pierre, bourgeois
BESSON Barthélémy de
BIAU Guillaume
BLANC Estienne
BLANC Jean
BLANC Jean-Baptiste, fils de feu Jean
BLANC Louis, fils d’un conseiller
au siège d’Aix
BLANCARD Boniface
BLOCARD Pierre
BOEUF Louis
BON David
BON Jean, fils du précédent
BON Paul
BONNAFOUX Claude
BONARDY Gaspard, bourgeois
BONARDY Gaspard
BONNARD Honoré
BONNAUD Dominique
BONNAUD Jean-Baptiste
BONNEAU André, fils d’Antoine
BONNEAU Marc, fils de Pierre
BONNEAUD Annibal
BONNEAUD Pierre
BONNECORSE Balthasar
BONNEFOY Claude
Résidence
Date
Références
F°
Cucuron
Cucuron
Draguignan
Cucuron
Forcalquier
Aix
11—VII—1667
11- V I I - 1667
7—VII—1667
11- V I I - 1667
30—VI—1667
27—VI—1667
396
396
379
396
355
350
V°
V°
R°
V°
V°
V°
Bfignoles
Brignoles
Aups
Limans
13—VII—1667
13—VII—1667
7—VII—1667
29—VI—1667
422
422
378
354
R°
V°
R°
V°
Limans
29—VI—1667
354 V°
Limans
29—VI—1667
354 V°
Sisteron
Les Mujouls
Sault
Aix
Marseille
Ramatuelle
Marseille
Riez
Ansouis
Ansouis
Ansouis
Marseille
Marseille
Aix
Aix
Marseille
8—VII—1667
10—VII—1667
4 - V I I - 1667
11—VII—1667
13—VII—1667
11—VII—1667
27—VI—1667
11- V i l - 1667
4—VII—1667
385
394
364
396
422
401
351
398
369
R°
V°
V°
R°
R°
R°
V°
R°
R°
4—VII—1667
9—VII—1667
3—V—1667
9 —V—1667
4 —VII—1667
4 - V I I - 1667
2 - V I I - 1667
365
390
333
321
364
366
361
R°
V°
R°
V°
V°
R°
R°
Aix
Figanières
Hyeres
Montferrat
Mison
Mison
Mison
Aix
Riez
Riez
Riez
Pertuis
Manosque
Pertuis
Pertuis
Marseille
Pertuis
Marseille
Aix
13—VII—1667
13—VII—1667
7—VII—1667
13—VII—1667
2—VII—1667
2—V il—1667
2—VII—1667
13—VII—1667
8—VII—1667
28—VI—1667
7—VII—1667
12—VII—1667
23—VI—1667
4 - V I I - 1667
9—VII—1667
18—VI—1667
9 —VII—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
416
414
377
414
361
361
361
421
383
352
380
402
345
363
390
343
390
413
414
V°
R°
R°
R°
V°
V°
V°
R°
R°
V°
V°
R°
V°
R°
V°
R°
V°
V°
R°
�277
Nom
.......
/ ’*/'-
4.
.sy f& y p
"< $ -
'^ - . h
BONNEGRACE Charles de
BONNEGRACE François
BONNEGRACE Jean, fils de feu Jean
BONNERY Joseph
BONNERY Antoine, fils du précédent
BONNESSON Etienne
BONNESSON Jacques, frère du prédt.
BONNESSONY Jean
BONNESSONY Melchior, frère du pdt.
BONNET Jean Baptiste
BONNET Jean
BONNET Antoine de
BONNET Pierre
BONNET Simon
BONNIJOL N . . . de, Sgr. de la
Costille et du Grand
BOREL Louis
BOSAN Pierre
BOSSE Bertrand
BOSSE Hercule de
BOUCHE Balthasar de
BOUCHE Balthasar de, fils de feu Jean
BOUCHE Jean
BOUCHE Melchion
BOUCHET François
BOUCHET Henri
BOUDOUL Pierre
BOUIS Jean
BOU1SSONY Jean
BOULIARD Marseille
BOUQU1ER Charles
BOUQU1ER Pierre, fils du précédent
BOURG-CANETY Biaise du
BOURRELY François
BOURRELY Henri
BOURRELY Jean, fils d’Antoine
BOURRELY Joseph
BOURRELY Louis
BOURRELY Michel
BOUSQUET Charles de
BOUSQUET Charles de, fils de
Jacques, notaire
BOUSQUET Louis de
BOUTEILLE Joseph
BOUVERY Jean
BOUVERY Joseph
BOVIS François
BOYER Joseph de
BRAISSON Lazare
BRAQUETI de SAQUI Pierre
BREAND Claude
BREMOND Bertrand
Résidence
Date
Références
F°
Toulon
Toulon
Toulon
Entrevaux
Entrevaux
Marseille
Marseille
Brignoles
Brignoles
Aix
Aix
Marseille
Marseille
Cassis
22—VI—1667
25—VI—1667
9—VII—1667
12—VII—1667
12—VII—1667
20—VI—1667
20—VI—1667
30—VI—1667
30—VI—1667
11—VII—1667
7—VII—1667
30—VI—1667
28—VI—1667
7—VII—1667
345
349
392
402
402
343
343
356
356
395
378
356
352
376
V°
R°
R°
V°
V°
V°
V°
V°
V°
V°
R°
V°
R°
V°
Tarascon
Istres
Marseille
Marseille
La Bréole
Aix
Aix
Toulon
Allemagne
Marseille
Marseille
Thoard
Lourmarin
Brignoles
Cucuron
Martigues
Martigues
Draguignan
Marseille
Castellane
Marseille
Marseille
Marseille
Marseille
Toulon
13—VII—1667
27—VI—1667
4 - V I I - 1667
4 - V I I - 1667
6—VII—1667
12—VII—1667
6—VII—1667
1 0 - V I I - 1667
1 2 - V I I - 1667
9—VII—1667
12—VII—1667
12—VII—1667
11- V I I - 1667
11—VII—1667
6—VII—1667
12—VII—1667
12—VII—1667
9—VII—1667
11- V I I - 1667
12—VII—1667
18—VI—1667
11—VII—1667
4—VII—1667
12—VII—1667
24—VI—1667
423
351
364
368
374
405
374
393
405
390
403
408
396
401
313
407
407
391
395
407
343
395
367
404
347
V°
V°
R°
V°
V°
R°
R°
V°
R°
V°
R°
R°
V°
R°
V°
V°
V°
R°
V°
R°
R°
V°
V°
V°
V°
Toulon
Brignoles
Manosque
Toulon
Marseille
Moustiers
Digne
Aix
Le Val
Marseille
Marseille
2—VII—1667
25—V—1667
4—VII—1667
4—VII—1667
11- V I I - 1667
20—VI—1667
13—VII—1667
4—VII—1667
13—VII—1667
21- I V - 1667
11- V i l - 1667
360
337
366
366
402
343
418
364
415
335
401
R°
V°
R°
V°
R°
V°
V°
V°
V°
V°
R°
�278
Nom
BREMOND François
BRISSY Pierre, fis de Jean
BROC Pierre
BROCHIER Benoit
BROCHIER Jean-Baptiste
BROQUIER Claude
BROQU1ER François
BRUEYS Gaspard
BRUEYS Philippe
BRUN Balthasar
BRUN Jean, fils de Pierre
BRUNEL Antoine
BRUNEL Honoré, Cosgr. de Rousset
BRUNET Honoré
BRUNET Joseph, cosgr. de Roquebrune
BRUNET Joseph
BRUNET Paul, neveu du précédent
BRUNY Antoine
BUFFET Jean-Louis
BUISSON Lazare
CABANNES Charles de
CABASSOL Antoine
CABASSOL Jean-Baptiste
CABASSON Lange
CABRE Joseph de, fils d’Antoine
CABROL Honoré
CAB ROL Jacques
CAICHE Jean, fils de feu Lazare
CAIRE François
CALIER Jacques
CALLAMAN Estienne
CALLAMAND Louis, marchand
CALLAS Jacques
CALLENS Louis, fils de
Jean-Baptiste, avocat
CAMELIN Bernard, frère de Pierre,
Evêque de Fréjus
CAMELIN Charles
CAMELIN Honoré, fils du précédent
CAMELIN Jean, fils de feu Pierre,
avocat
CAPELLE Pierre
CAPON Alexandre
CAPUS Jean-Baptiste, fils de Gaspard,
Secrétaire ordinaire de la Chambre du Roi
CARBONEL Gaspard
CARLIN Guillaume
CARPILETI Christophe
CASTOL Claude de
CASTOR Benoit
CATELIN Jean
CATELIN Pierre, marchand
Résidence
Date
Références
F°
Apt
Greoux
Draguignan
Forcalquier
Aix
Cuers
Cuers
Aix
Aix
Toulon
Draguignan
Fréjus
Fréjus
Pertuis
Roquebrune
Manosque
Manosque
Brignoles
Sault
Aix
Aix
Aix
Aix
Toulon
Marseille
Rians
Rians
Bargemon
Oraison
Bargemon
Lauris
Marseille
Fréjus
13—VII—1667
13—VII—1667
8—VII—1667
7—VII—1667
13—VII—1667
7—VII—1667
13—VII—1667
28—VI—1667
12—VII—1667
7—VII—1667
9—VII—1667
11- V I I - 1667
30—VI—1667
11—VII—1667
7—VII—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
30—VI—1667
13—VII—1667
4—VII—1667
6—VII—1667
6—VII—1667
12—VII—1667
13—VII—1667
11- V I I - 1667
13—VII—1667
4—VII—1667
12—VII—1667
10—VII—1667
12—VII—1667
9—VII—1667
2—VII—1667
12—VI—1667
413
414
382
375
421
380
424
352
407
378
390
396
357
396
376
424
424
355
422
364
373
373
404
417
395
416
367
402
394
403
387
361
340
Toulon
6—VII—1667
373 V°
Fréjus
Fréjus
Fréjus
3—VII—1667
17—V—1667
4 —VII—1667
361 V°
336 V°
362 V°
Fréjus
Toulon
Guillaumes
8—VII—1667
12—VII—1667
13—VII—1667
384 V°
403 R°
371 V°
Marseille
Moustiers
Tarascon
Grasse
Aix
Marseille
Toulon
Toulon
13—VII—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
25—VI—1667
13—VII—1667
23—VI—1667
28—VI—1667
13—VII—1667
420
419
422
348
423
346
353
417
V°
V°
V°
R°
R°
V°
R°
V°
V°
R°
V°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
V°
R°
V°
R°
R°
V°
R°
V°
V°
V°
V°
V°
V°
R°
R°
R°
V°
R°
R°
R°
R°
R°
V°
R°
�279
Nom
CATREBAR Alexandre, avocat
CAUDON Paul
CAUVET Antoine
CAUVET Louis
CAUVET Guillaume, bourgeois
CAUVIN Louis
CAUX François de, avocat
CAVALIER Georges
CAVALIER Jacquelin, fils du
précédent
CELLIER Barthélémy
CELLIER Pierre de, fils de Charles
CESTIER Esprit
CESTIER Jean
CESTIER Jourdan
CHABERT Jean Antoine
CHABERT Gaspard
CHABERT N . . . , fils de feu Charles
CHABRAN Pierre
CHAIX Antoine de
CHAIX Marc-Antoine de
CHAIX Marc-Antoine de, fils du précédent
CHANUT Charles, prêtre
CHANUT Pierre
CHANUT Louis, notaire de Forcalquier
CHARONIER Pierre
CHARRIER Jacques
CHAZELLES François de
CHATEMINOIS Marc-Antoine
CHAUMEL Désiré
CHAUMEL Désiré
CHAURIAN Gabriel
CHAUSSEGROS Charles
CHAUTARD Antoine, fils de Jacques
CHAUVINE-MILLAYF. Jean, ancien
capitaine au régiment d’Ayguebonne
CHRETIN Melchior
CIPIERES Joseph de
CIPRIANY Jean de
CLAIR Jean
CLAPIERS Balthazar de
CLAPIERS Estienne cfe
CLAPIERS Jacques de
CLAPIERS Pierre de
CLEMENS Estienne
CLEMENS Jacques
CLEMENS Jean-Pierre, fils du précédent
CLEMENS Louis
CLERENSY André
Résidence
Date
Références
F
Arles
Roumoules
Hyères
Hyères
Toulon
Saint-Tropez
Marseille
St Martin de
Castillon
St Martin de
Castillon
Marseille
La Garde
Manosque
Manosque
Manosque
Marseille
Toulon
Toulon
Saint Remy
Les Mées
Riez
Riez
Riez
Sisteron
Forcalquier
Sisteron
Apt
Aix
Peyrolles
Marseille
Marseille
Saint-Martin
de Castillon
Digne
Brignoles
4—VII—1667
12—VII—1667
9—VII—1667
7—VII—1667
15—VI—1667
13—VII—1667
22—V—1667
369
403
391
377
338
422
336
R°
V°
V°
R°
V°
R°
V°
4 —VII—1667
4—VII—1667
362 V°
362 V°
4—VII—1667
10—VII—1667
8—VII—1667
12—VII—1667
7—VII —1667
22—IV—1667
25—VI—1667
11- V I I - 1667
7—VII—1667
24—VI—1667
6—VII—1667
6—VII—1667
13—VII—1667
1—VII—1667
4 - V I I - 1667
1- V I I - 1667
13—VII—1667
11- V I I - 1667
28—VI—1667
31—V—1667
4 —VII—1667
4—VII—1667
364
393
382
408
380
318
348
395
377
347
372
372
409
357
366
357
423
400
352
333
364
369
7—VII—1667
10—V il—1667
376 R°
393 R°
Banon
Six-Fours
Marseille
Marseille
La Motte
du Caire
Aups
Aups
Aix
Aups
Toulon
Sault
Sault
Sault
Valensole
13—VII—1667
11—V—1667
13—VII—1667
13—V—1667
8—VII—1667
418
335
422
317
385
V°
V°
R°
V°
R°
25—VI—1667
7—VII—1667
12—VII—1667
18—VI—1667
12—VII—1667
11- V I I - 1667
11- V I I - 1667
13—VII—1667
4—VII—1667
348
376
407
352
402
395
395
422
366
V°
R°
R°
V°
R°
R°
V°
R°
R°
V°
V°
R°
V°
R°
R°
V°
V°
R°
V°
V°
R°
V°
R°
R°
R°
y
R°
R°
R°
R°
V°
�280
Nom
CLERENSY Esprit, frère du précédent
CODUR Esprit
COLOMB Antoine
COLONIA Jean de
COLONIA Palamèdes de
COLOMBIE Mathieu
COMMIER André
CONSTANS Ambroise
CONSTANS Jean
CONSTANT VANELLY Jean
CONSTANTIN Jean-Baptiste de
CONSTANTIN Joseph de
COQUELET Charles de
CORBIERE Guillaume de
CORDEIL Antoine
CORDEIL Pierre, fils de Barthélemy,
bourgeois
CORDEIL Pierre, fils de Louis
CORLIER Jean-François de
CORIO Gaspard de
CORIO François de
CORIO Mathieu de
CORIO Jean-François de
CORMETIS Henri de
CORMETIS Henri de
CORNIER Honoré
CORRELLIER François
CORRELLIER Joseph, frère du précéd.
CORTES Jean-Jacques
COSTE Pierre, fils de Jean
COTOLENDY André
COUADRES Jean-Jacques de
COULET Gaspard
COURDIER Germain
COURDIER Jean-Louis
COURTES Henri
COURTOIS Elzéar
COURTOIS François
COURTOIS Louis
COURTOIS louis
COUSINE RY David
COUTEL Jean, avocat
COUTERON Antoine de
CRESTIEN Antoine
CROISET Pierre de
CROTTE Jean
CROTTE Marc-Antoine
CROUSET Nicolas
CROZE Joseph de
CROZET Jean
CUERS Charles de
Résidence
Date
Références
F°
Valensole
Jouques
Marseille
Brignoles
Aix
Castellane
Tarascon
Besse
Sisteron
Selonnet
Puimoisson
Lambesc
Orgon
Marseille
Marseille
4-V II-4667
13—VII—1667
18—VI—1667
4 —VII—1667
11- V I I - 1667
1—VII-4667
13—VII—1667
13—VII—1667
4—VII—1667
13—VII—1667
20—VI—1667
6—VII—1667
12—VII—1667
13—VII—1667
29—VI—1667
306
423
343
367
400
358
422
423
366
413
344
373
407
420
354
V°
R°
R°
V°
V°
R°
V°
R°
V°
R°
R°
R°
V°
V°
V°
Toulon
Toulon
Toulon
Forcalquier
Manosque
Manosque
Toulon
Garene
Sault
Marseille
Marseille
Marseille
Saint Maximin
Saint Tropez
Apt
Marseille
Marseille
Marseille
Marseille
Claviers
Apt
St Martin de
Castillon
Sault
Sault
Marseille
Arles
Cabannes
Grasse
Marseille
Fréjus
Fréjus
Marseille
Les Mées
Brignoles
Toulon
25—VI—1667
1—VII—1667
8—VII—1667
6—VII—1667
25—VI—1667
25—VI—1667
8—VII—1667
13—VII—1667
13—V il—1667
12—VII—1667
13—VII—1667
9—VII—1667
23—VI—1667
11- V I I - 1667
4—VII—1667
27—VI—1667
13—VII—1667
12—VII—1667
12—VII—1667
4—VII—1667
12—VII—1667
349
357
385
374
349
349
385
420
421
411
422
387
346
397
365
351
423
408
408
363
407
R°
R°
V°
R°
R°
R°
R°
R°
V°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
V°
R°
R°
R°
V°
4—VII—1667
4—VII—1667
13—VII—1667
17—VI—1667
7—VII—1667
1- V I I - 1667
7—VII—1667
20—VI—1667
8 —VII—1667
8—VII—1667
13—VII—1667
11- V I I - 1667
13—VII—1667
13—VII—1667
363
364
414
342
375
358
378
343
343
384
422
396
423
417
R°
R°
V°
R°
V°
V°
R°
V°
V°
V°
R°
R°
R°
R°
�281
Nom
CUERS Louis de, fils de feu Jean
CUERS Thomas de, fils de Jean
CURET Nicolas de
CURIOL Jean
DANGOULEME Jean-Nicolas
DANIEL Michel
DASTOUIN Joseph
DAUBERGUE Jean
DEAUTIER Jean
DEDON Jean
DE1DIER Jean
DELAYER Jean
DELPHIN-FOUQUE Gaspard
DELPHIN-FOUQUE Jean
DENIS Louis
DESCAIRE Pierre
DESPERI ES François
DILLE Jean
DILLE Pierre
DINATI André
DINATI Denis
DOISSIN Synphorien
DOLLE Jean, fils de feu Marc,
bourgeois
DOLLE Jean
DOMO Jean-Antoine
DOT Pierre
DOZEAN Marc
DUBOIS François
DUBOIS Pierre
DUPIED-LOSSY Pierre, procureur
au siège d’Aix
DUPONT Jean-Pierre
DURAND Antoine-Serraire
DURAND Elzéar de, Sgr. de Ranyolance
DURAND Jacques, fils de feu
Jacques, greffier
DURAND Pierre
EISSAUTIER Pierre d’
EMER1C Jean
ESCALIS André d’
ESCOFFIER Pierre
ESMENARD Estienne d’
ESMENARD Pierre d’
ESMIOL Esprit
ESMIOL Jean
ESPARRA Joseph d’, fils de feu Honoré
ESTAIS Jean
ESTAVENOT Guillaume d’
ESTIENNE Antoine d’
ESTIENNE Denis
ESTIENNE Estienne d’
Résidence
Références
F°
Date
Tourves
Toulon
Marseille
Marseille
Sisteron
Toulon
Entrages
Ginasservis
La Rochette
Lambesc
Marseille
Digne
Quinson
Quinson
Aix
Marseille
Brignoles
Aix
Saint Julien
Cucuron
Aix
Sisteron
13—VII—1667
2—VII—1667
9—VII—1667
23—VI—1667
8—VII—1667
21- I V - 1667
7 - V I - 1667
27—VI—1667
4—VII—1667
10—VII—1667
29—VI—1667
25—VI—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
2—VII—1667
11- V I I - 1667
11- V I I - 1667
7—VII—1667
7—VII—1667
11- V I I - 1667
11- V I I - 1667
4 - V I I - 1667
424
361
391
346
380
335
338
351
364
393
354
349
423
423
361
397
400
377
377
395
395
363
R°
V°
R°
V°
V°
R°
V°
V°
R°
V°
R°
R°
V°
V°
V°
R°
V°
R°
R°
R°
R°
V°
Fréjus
Fréjus
Saint Savoumin
Marseille
Fréjus
Apt
Marseille
Aix
4—VI—1667
1 4 - V I - 1667
1 - V I I - 1667
6—VII—1667
12—VII—1667
1 3 - V I I - 1667
8—VII—1667
11- V I I - 1667
304
341
357
374
402
418
384
398
R°
R°
V°
R°
V°
R°
R°
V°
Marseille
Riez
Draguignan
Marseille
27—VI—1667
1 3 - V I I - 1667
4 - V I I - 1667
4—VII—1667
351
421
368
367
R°
Vp
V°
R°
Marseille
Brignoles
Marseille
Marseille
Volonne
Lambesc
Marseille
Digne
Champtercier
Brignoles
Brusquet (Le)
Apt
Aix
Aix
Eyguières
1—VII—1667
4 - V I I - 1667
8—VII—1667
11- V I I - 1667
9—VII—1667
11- V I I - 1667
1 0 - V I I - 1667
8—VII—1667
13—VII—1667
7—VII—1667
357
368
384
402
386
398
393
383
412
375
357
392
395
400
347
R°
R°
R°
R°
V°
R°
V°
R°
V°
V°..
V°
R°
V°
R°
R°
1- V I I - 1667
9 - V I I - 1667
11- V I I - 1667
11- V I I - 1667
23—VI—1667
l
�282
Nom
ESTIENNE Félix d’
ESTIENNE François, avocat
EYGUESIER François
EYGUESIER Guillaume
EYGUESIER Jacques
EYGUESIER Pierre d’, cosgr. de la Javy
EY ROUX Jean d’, avocat
FABRE André
FABRE Boniface
FABRE Antoine
FABRE François
FABRE Pierre
FABRY Joseph
FARNOUX Gabriel
FARNOUX Jean-François
FAUCHER Charles de
FAUCHER Honoré de
FAUCHER Honoré-Mathieu de
FAULQUE Gabriel, viguier de
Roussillon
FAUVE Balthasar de
FAVE-DUROYE Jacques
FEAUTRIER Balthasar
FEAUTRIER Paul
FEAUTRIER Pierre
FEDON Joseph
FERAUD Jean
FERNOUX Gabriel
FERRAN André
FERRENC François
FERRIER Estienne de
FERR1ER Jean de
FESSE François
FESSE Jean-François
FET de CAUVIN François
FEVRE Jean Le
FIES Jean
FIGUIERE Scipion
FLAMENC Estienne
FLAMENC Jean
FLORIMOND Alexandre
FORE Claude
FORT Claude, fils de feu Pierre
FORT François, frère du précédent
FORT Jean, fils de Pierre, avocat
FORT Pierre-Antoine
FORT Sébastien de
FONTEL Gaspard
FOUASSE Pierre
FOUQUE Gabriel
FOUQUE Jérome
FOUQUE Jean, Bourgeois
Résidence
Date
Références
F°
Aix
Aix
Aix
Aix
Marseille
Aix
Forcalquier
Pignans
Rognes
Digne
Champtercier
Digne
Aix
La Valette
La Valette
Arles
Riez
Arles
Roussillon
11—VII—1667
13—VII—1667
7—VII—1667
8—VII—1667
8—VII—1667
4—VII—1667
6—VII—1667
25—VI—1667
13—VII—1667
1—VII—1667
11- V I I - 1667
1—VII—1667
13—VII—1667
1- V I I - 1667
1- V I I - 1667
8—VII—1667
4 - V I I - 1667
8—VII—1667
6—VII—1667
395
420
375
383
384
364
374
348
416
357
397
357
417
357
357
382
364
382
374
Toulon
Baijols
Lurs
Lurs
Lurs
Draguignan
Thoard
La Valette
Pignans
Marseille
Istres
Lambesc
Valensole
Valensole
Tarascon
Aix
Sollies
Cucuron
Toulon
Toulon
Saint Savournin
Grasse
Marseille
Marseille
Marseille
Riez
Marseille
Valensole
Marseille
Cadenet
Roussillon
Lambesc
13—VII—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
3 0 - V I - 1667
3 0 - V I - 1667
12—VII—1667
1- V I I - 1667
1- V I I - 1667
25- V I - 1667
28—VI—1667
22—VI—1667
4—VII—1667
1- V I I - 1667
1- V I I - 1667
9 - V I I - 1667
4 - V I I - 1667
12—VII—1667
11- V I I - 1667
1 2 - V I I - 1667
4 - V I I - 1667
1 4 - V I - 1667
4 - V I I - 1667
4 - V I I - 1667
4 - V I I - 1667
4—VII—1667
11—VII—1667
21- I V - 1667
3 0 - V I - 1667
8—VII—1667
6—VII—1667
7 - V I I - 1667
12—VII—1667
415 V°
415 V°
416 R°
355 V°
355 V°
407 V°
358 R°
357 V°
348 V°
353 V°
345 R°
365 V°
357 R°
357 R°
389 V°
364 R°
404 R°
396 V°
403 V°
362 V°
340 V°
366 V°
366 V°
366 V°
366 V°
401 V°
334 V°
356 V°
384 R°
373 V°
376 V°
410 R°
R°
R°
R°
R°
R°
V°
R°
V°
R°
V°
V°
V°
R°
V°
V°
V°
R°
V°
R°
�s a l l e d e d r o it p r i v é
283
Nom
FOURNIER Joseph
FOURNIER Joseph
FOURNIER René
FRANCHISCOU Jean-Baptiste de
FRANCHISCOU Jacques de, fils de Marc
FREGELOT Gabriel
FREGIER Antoine
FREJUS Michel
FRERE Honoré-Paul
GABRIEL Jean
GABRIEL Jean
GACHE Balthasar
GAMEL Estienne
GAMEL François
GARCIN Jean, greffier au siège
de Castellane
GARÇONNET Boniface de
GARD ANE Jacques de
GARD ANE Jean de, avocat
GARDANE Louis de
GARDANE Pierre de
GARNIER Balthasar de
GARNIER Estienne
GARNIER Honoré
GARNIER Jean, bourgeois
GARNIER Louis
GARNIER Pierre
GARNIER Pierre
GARRELLY François, ancien notaire
de Toulon
GASSEND Jean André
GASTINEL Biaise
GASTINEL François
GASTINEL Gaspard
GAUDEMAR André
GAUDEMAR Marc-Antoine
GAUDEMAR Pierre de
GAUDIN Alexandre de
GAUDY Jean
GAUFRIDY Antoine
GAUFRIDY François de
GAUTIER Honoré de
GAVOT Charles, fis de feu Jacques
GAVOTY Jean-Baptiste
GAYAGNE Gaspard de
GAYE Jean-Baptiste
GAZEL Mathieu
GAZELY François
GENIES Antoine, “Receveur pour le
Roy de la douane des espiceries
et drogueries de Marseille”
GENSOLLIN Jean-François
Résidence
Date
Références
F°
Toulon
Toulon
Cuers
Marseille
Marseille
Marseille
Grasse
Marseille
Cotignac
Sault
Sault
Marseille
La Cadière
La Cadière
Castellane
2—VII—1667
, 3—VII—1667
9—VII—1667
11- V I I - 1667
11- V I I - 1667
2 -V II-1 6 6 7
12—VII—1667
7—VII—1667
27—VI—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
27—VI—1667
8—VII—1667
13—VII—1667
25—VI—1667
360 V°
417 R°
388 R°
401 R°
401 R°
360 V°
408 V°
380 V°
350 V°
420 R°
421 V°
350 R°
385 V°
423 V°
349 R°
Aix
Hyères
Marseille
Marseille
Hyères
Marseille
Marseille
Cotignac
Marseille
Cotignac
Toulon
Miramas
Toulon
18—VI—1667
7—VII—1667
12—VII—1667
12—VII—1667
7—VII—1667
12—VII—1667
11- V I I - 1667
12—VII—1667
25—IV—1667
11- V I I - 1667
9 - V I I - 1667
12—VII—1667
11- V I I - 1667
343
377
409
408
377
402
397
404
317
399
392
402
396
Digne
Sisteron
Sisteron
Sisteron
Manosque
Riez
Digne
Digne
Pertuis
Entrevaux
La Ciotat
Correns
Toulon
Brignoles
Lambesc
Aix
Aix
Toulon
Marseille
25—VI—1667
13—VII—1667
9—VII—1667
21- I V - 1667
4 - V I I - 1667
2 9 - V I - 1667
8—VII—1667
11- V I I - 1667
9 —VII—1667
12—VII—1667
23—VI—1667
20—IV—1667
8—VII—1667
28—VI—1667
1- V I I - 1667
9—VII—1667
27—VI—1667
11—VII—1667
14—V—1667
348 R°
423 V°
391 V°
334 V°
365 V°
355 R°
384 V°
399 V°
387 V°
404 R°
347 R°
334 R°
385 V°
352 V°
360 R°
387 V°
350 Y°
397 R°
336 R3
Sollies
1- V I I - 1667
357 V°
R°
V°
R°
V°
V°
V°
R°
V°
V°
R°
R°
V°
V°
�Nom
GEOFFROY André
GERARD Henri de
GIBOUIN Joseph
GILLY Charles de, Sgr. de Mousse
G1LLY Esprit de, Sgr. de Fontvive
GILLY Jean
GIRARD François
GIRAUD Antoine, fils de feu Gaspard
GIRAUD Christophe, ancien capitaine
au régiment de la Valette
GIRAUD Honoré
GIRAUD Honoré
GIRAUD Jean
GIRAUD Jean-Arnaud
GIRAUD Jean-Pierre, originaire de
Cavaillon
GIRAUD Louis, fils de Christophe
GIRAUDY Pierre de, Lieutenant de
galère
GLEYSE François de
GLEYSE Honoré de, avocat
GOIRARD Jean
GOUDON Jean-Antoine
GOUDON Alexandre
GOUDON Jean-Baptiste
GOUDON André, fils du précédent
GOUSOULIN Pierre
GRAMBOIS Jean-Baptiste
GRANGE Antoine
GRANGE François
GRANIER Jean
GRANIER Honoré, Lieutenant au
siège de Carcès
GRANIER Pierre
GRAS Charles
GRAS Gaspard, frère du précédent
GRAS Louis de
GRASSY François
GRASSY Jean, frère du précédent
GREZIL François
GRIMAUD Jean
GRISOLLE Henri
GUERIN Antoine, Sgr. de Lincel
GUERIN Guillaume
GUERIN Jean de
GUERIN Jean-Baptiste de, fils du
précédent
GUERIN Joseph
GUEYROARD Barthélémy
GUEYROARD Jacques
GUIBERT Jean-Baptiste
GUIBERT Laurent, bourgeois
Résidence
Date
Références
F°
Lurs
Marseille
Châteaudouble
Lambesc
Aix
Marseille
Forcalquier
Caste liane
Antibes
30—VI—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
21- V I - 1667
8—VII—1667
7 - V I I - 1667
23—VI—1667
356
424
423
417
424
R°
R°
R°
R°
R°
344
381
379
347
V°
V°
R°
R°
Lançon
Quinson
Peyrolles
Quinson
Goult
8 - V I I - 1667
8—VII—1667
1—VII—1667
13—V I I - 1667
11- V I I - 1667
384
385
357
415
400
R°
R°
R°
V°
V°
Antibes
Toulon
23—VI—1667
13—VII—1667
347 R°
416 V°
Arles
Arles
Draguignan
Saignon
Manosque
Manosque
Manosque
Marseille
Apt
Marseille
Marseille
Cotignac
11—VII—1667
7—VII—1667
7—VII—1667
7—VII—1667
25—VI—1667
1 0 - V I I - 1667
1 0 - V I I - 1667
17—IV—1667
1 2 - V I I - 1667
6—VII—1667
2—VII—1667
4—VII—1667
400
376
378
3 79
349
393
393
320
402
373
360
367
Cotignac
6—VII—1667
373 R°
Miramas
La Valette
La Valette
La Valette
Fréjus
Fréjus
Hy ères
La Ciotat
Aix
Lincel
La Ciotat
Brignoles
Tourves
12—V il—1667
1 0 - V i l - 1667
1 0 - V I I - 1667
13—VII—1667
9—VII—1667
9—VII—1667
7—VII—1667
13—VII—1667
12—VII—1667
13—VII—1667
11- V I I - 1667
4 - V I I - 1667
4—VII—1667
402
393
393
419
387
387
378
417
407
413
397
367
367
R°
R°
R°
V°
V°
V°
V°
V°
V°
R°
V°
R°
R°
Forcalquier
Toulon
Toulon
Berre
Toulon
6—VII—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
12—VII—1667
374
417
417
423
463
R°
R°
R°
V°
V°
R°
V°
V°
R°
V°
R°
R°
R°
V°
R°
R°
R°
�Nom
GUICHARD Jean-André
GUIEN Esprit, marchand
GUILACHE Antoine, fils de feu Jean
GUILLENC Jean-Nicolas de
GUINET François de
GUION Balthasar
GUIOT Jean
HENRI Antoine
HERMITE Louis d’, Sgr. du Castellard
HONORAT Melchior d’
HOUARD Jean
HOURSON Antoine, capitaine de
quartier
HUBAUD Esprit
HUGUES Boniface
HUPAIX François d’
HUPAIX Jean d’
HUPAIX Pascal d’
ICAR Pierre, marchand-banquier
ICARD Charles
ICARD Pierre, frère du précédent
ICARD Marc-Antoine
IMBERT Antoine
IMBERT Christophe d’
IMBERT Honoré
IMBERT Honoré, fis du précédent
ISNARD Jean d’, fils d’Antoine
ISNARD Jacques
ISNARD Louis
ISNARD Antoine d’
ISNARD Melchior d’
ISNARDI Louis
ISOARD Alexandre, fils de Jean
ISOARD François
ISOARD Honoré, Sgr. de la Garde
ISOARD Jean-Baptiste
JACOB Antoine
JACQUET César
JACQUET Pierre
JAUBERT Antoine
JAUBERT Pierre, Chanoine d’Aups
JAVEN Jean-Louis de
JEAN Pompée de
JOURDANY Hercule
JOURDANY Pierre-Jean
JURAMY Esprit
JURAMY Guillaume
JURAMY Louis, fils mineur du précédent
JURAMY Pierre, idem
JURAMY Paul
JUST Honoré de
Résidence
Date
Références
F°
Apt
Marseille
Guillaumes
Sisteron
Tarascon
Pertuis
Brignoles
Castellane
Le Castellard
Brusquet (Le)
Seyne
Toulon
4 - V I I - 1667
7 - V I I - 1667
11—VII—1667
8—VII—1667
7—VII—1667
13—VII—1667
8—VII—1667
3 0 - V I - 1667
11- V I I - 1667
6 - V I I - 1667
15—VI—1667
7—VII—1667
364
377
401
381
377
413
383
355
395
373
341
338
V°
R°
V°
R°
R°
V°
R°
V°
V°
V°
V°
R°
Riez
Draguignan
Aix
La Tour d’Aigues
La Tour d’Aigues
Marseille
Aix
Aix
Barjols
Seyne
Aubagne
Aups
Aups
Toulon
Aix
Saint Pierre
Grasse
Grasse
Le Puget
Figette
Seyne
Marseille
La Bréole
Champtercier
Goult
Pertuis
Draguignan
Seyne
Aups
Digne
St Savoumin
Mons
Mons
Seyne
Seyne
Seyne
Seyne
Seyne
Toulon
8—VII—1667
11- V I I - 1667
2 7 - V I - 1667
27—VI—1667
7—VII—1667
8—VII—1667
12—VII—1667
12—VII—1667
6—VII—1667
15—V—1667
11—VII—1667
11—VII—1667
11- V I I - 1667
1—VII—1667
11- V I I - 1667
13—VII—1667
9—VII—1667
9—VII—1667
12—VII—1667
383
400
351
351
318
381
407
407
371
336
398
399
399
357
399
419
391
391
406
V°
R°
V°
V°
R°
ft°
V°
V°
V°
V°
V°
V°
V°
R°
R°
R°
V°
V°
V°
8—VII—1667
4 - V I I - 1667
11- V I I - 1667
1—VII—1667
1 0 - V H - 1667
13—VI—1667
4 - V I I - 1667
26—V—1667
27—VI—1667
23—VI—1667
1—VII—1667
6—VII—1667
6 - V I I - 1667
11- V I I - 1667
11- V I I - 1667
11- V I I - 1667
11- V I I - 1667
8—VII—1667
13—VII—1667
383
364
399
358
394
340
364
338
350
347
357
372
372
396
395
395
395
384
412
V°
R°
R°
R°
R°
V°
V°
R°
V°
R°
V°
V°
V°
R°
V°
V°
V°
V°
R°
�286
Nom
JUST Melchion
LACROIX Pierre de
LAGET Jean-Antoine
LAGET-BARDELIN Honoré, avocat
LAGNEAU Pierre, viguier de Castellane,
Docteur ez Droits
LAMBERT Cézar
LAMBERT François
LAMBERT Honoré
LASCOUR Louis de
LATIL Alphonse
LATIL Antoine, fils de Pierre
LATIL Honoré
LATIL Honoré, fils de Louis
LATIL Honoré
LATIL Jean, fils du précédent
LATIL Pierre
LATIL Pierre, père d’Antoine ci-dessus
LATIL Paul de, Sgr. de Valloise
LAUDUN Balthasar de
LAUGIER Jean
LAUGIER Jean
LAUGIER Louis
LAUGY Claude, ancien capitaine de
chevaux-légers
LAURENS Jean
LAURENS Jacques, fils d’Antoine
LAUTIER Balthasar
LAUTIER Georges
LAUTIER Honoré
LE BLANC Paul-Antoine “gentil-homme
servant chez le Roy”
LEMAIRE François
LENFANT Jean-Louis
LEON François de
LEOTARD Augustin de, Sgr. d’Entrages
et Archail
LE TELLIER Pierre, Sgr. de la Garde
LEUTRE Antoine
LEUTRE Estienne
LEUZE Gabriel de
LEYDET Jean-François de, apothicaire
LIALBISSY Nicolas de
LIAUTAUD Augustin
LIAUTAUD Antoine
LIAUTAUD Antoine de
LIAUTAUD Antoine de, dit “la
Béruque”
Résidence
Marseille
Riez
Auriol
Aix
Castellane
Marseille
Aix
Aix
Marseille
Marseille
Castellane
Castellane
Marseille
Marseille
Marseille
Marseille
Castellane
Castellane
Saint-Rémy
Manosque
Les Mées
Saignon
La Tour
d’Aigues
Castellane
Lorgues
Saint-Martin de
Castillon
Saint-Martin de
Castillon
Saint-Martin de
Castillon
Mallemort
Date
Références
F°
13—VII—1667
9 - V I I - 1667
28—VI—1667
13—VII—1667
6—VII—1667
415
386
353
413
374
R°
V°
R°
V°
V°
13—VII—1667
27—VI—1667
28—VI—1667
4—VII—1667
2—VII—1667
6—VII—1667
7—VII—1667
29—VI—1667
3 0 - V I - 1667
30—VI—1667
29—VI—1667
6—VII—1667
13—VII—1667
16—VI—1667
13—VI—1667
4—VII—1667
6—VII—1667
9—VII—1667
412
351
352
363
359
375
379
355
356
356
355
375
414
342
340
368
372
389
R°
R°
V°
V°
V°
R°
R°
R°
V°
V°
R°
R°
R°
R°
V°
V°
R°
R°
2 - V I I - 1667
9 - V I I - 1667
18—VI—1667
361 V°
393 R°
343 V°
13—VII—1667
414 V°
8—VII—1667
384 V°
7—VII—1667
375 V°
Marseille
Aix
Marseille
Digne
25—V—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
8—VII—1667
337
413
418
382
V°
V°
R°
R°
Marseille
Châteaurenard
Châteaurenard
Lauris
Sisteron
Marseille
Digne
Castellane
Arles
Arles
9 —VII—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
1 0 - V I - 1667
6 —VII—1667
17—V—1667
8—VII—1667
1 0 - V I I - 1667
8—VII—1667
8—VII—1667
393
418
418
340
374
320
383
394
382
382
V°
R°
R°
R°
V°
R°
V°
R°
R°
V°
�Nom
LIAUTAUD François-Paris de
LIAUTAUD Jacques
LIAUTAUD Jacques
LIAUTAUD Jacques
LIAUTAUD Pierre
LIEUTAUD Honoré-Joseph-Vincent
LOMBARD Victor
LORME Antoine de, fils de feu Louis
LORME Jean de, frère du précédent
LORME Nicolas de, frère du précéd.
LOST Jean, avocat
LOTH Jean
LOTH Noël, fils du précédent
LOYS Jacques
LOUSTIER Balthasar
LUCE Claude
LUCE Jacques
LUCE François
LUD1ER Charles de
LUEIL François de
LUEIL Jean de
LUEIL Louis de
LUGUES Claude
MADON Pompée
MAGNAN Jean
MAGNAN Pierre
MAILLE Jacques
MA1SSE Pierre
MALENE Jean-François
MANDON Jean de, “bourgeois”
MANE Jean-François
MANOSQUE Antoine
MANOSQUE Jacques
MARCEL François
MARCUZIN André
MARIA Marc-Antoine, avocat, juge
de Baudouin
MARIN Armand
MARIN Biaise
MARIN François
MARIN Jacques
MARIN Jean
MARIN Raphaël
MARINA Honoré
MARINA Louis, fils du précédent
MARROTY François
MARTELLY Joseph
MARTELLY Antoine de
MARTIN François
MARTIN Henri
MARTIN Honoré
Résidence
Date
Références
F°
Saint Remy
Peyrolles
Marseille
Castellane
Peyrolles
Aix
Six-Fours
Marseille
Marseille
Marseille
Fréjus
Manosque
Gréoux
Arles
Saint-Martin de
Castillon
Grasse
Grasse
Grasse
Manosque
Toulon
Toulon
Toulon
Marseille
Roussillon
Forcalquier
Forcalquier
Fréjus
Pierrevert
Marseille
Arles
Signes
Aix
Aix
Aix
Caseneuve
Baudouin
8—VII—1667
8—VII—1667
8—VII—1667
12—VII—1667
8—VII—1667
12—VII—1667
9 - V I I - 1667
9 - V I I - 1667
9 —VII—1667
9—VII—1667
17—VI—1667
4—VII—1667
4 - V I I - 1667
14—V—1667
17—VI—1667
382 V°
382 V°
383 V°
404 R°
382 V°
411 R°
387 R°
387 R°
387 R°
387 R°
342 V°
366 R°
366 R°
336 R°
342 V°
8—VII—1667
8—VII—1667
8—VII—1667
13—VII—1667
2 - V I I - 1667
2 - V I I - 1667
2—VII—1667
13—VII—1667
1—VII—1667
4 - V I I - 1667
4 - V I I - 1667
4 —VII—1667
17—IV—1667
13—VII—1667
20—IV—1667
23—VI—1667
11—VII—1667
12—VII—1667
11—VII—1667
4 - V I I - 1667
27—VI—1667
385 R°
385 R°
385 R°
422 V°
361 R°
361 R°
361 R°
424 R°
357 V°
366 R°
369 V°
362 V°
320 R°
413 R°
332 V°
346 V°
401 R°
402 R°
396 R°
367 V°
350 R°
Hyères
La Ciotat
La Ciotat
Toulon
Les Mées
Brignoles
Cotignac
Cotignac
Marseille
Riez
Pertuis
La Ciotat
Toulon
Castellane
7—VII—1667
25—VI—1667
22—VI—1667
13—VII—1667
2 4 - V I - 1667
27—VI—1667
12—VII—1667
12—VII—1667
2—VII—1667
20—VI—1667
7—VII—1667
13—VII—1667
8—VII—1667
4—VII—1667
377
348
345
420
347
351
404
404
360
343
378
417
385
367
R°
R°
R°
R°
V°
V°
V°
V°
R°
V°
V°
V°
V°
V°
�288
Nom
Résidence
Date
Références
F°
MARTIN Honoré
MARTIN AT Antoine
MARTINAT Antoine
MARTINENC Joseph
MARTINENC Michel
MARTINY Honoré
MARTMON Michel
MASSUE Gaspard, fils de feu Jean
MATHIEU Antoine
MATHIEU Claude
MATTY François
MAUNIER Claude
MAURAN Gaspard, avocat
MAURAN Louis
MAURE Lange
MAURE Balthazar, neveu du précéd.
MAUREL Balthazar
MAUREL Jean
MAUREL Noël, ancien procureur au
Siège de Digne
MAURICE Antoine
MAUR1N Louis
MAUVE Jean-François
MAZET Charles
MELA-CHAUVIN Jean
MELUC Esprit
MENARD André
MERCURIN Simon
MERINDOL Philibert de
MERLE Just
MEURY Jacques de
MEYNIER Mathieu
Toulon
Aix
La Cadière
Toulon
Six-Fours
Toulon
Six-Fours
Toulon
Toulon
Apt
Pertuis
Pignans
Aups
Aups
Cruis
Cruis
Pertuis
Toulon
Digne
9—VII—1667
12—VII—1667
1 2 - V I I - 1667
23—VI—1667
9 - V I I - 1667
9 - V I I - 1667
9—VII—1667
2—VII—1667
13—VII—1667
9—VII—1667
2—VII—1667
13—VII—1667
11- V I I - 1667
27—VI—1667
9 - V I I - 1667
9—VII—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
9—VII—1667
386
407
403
346
387
393
387
361
417
393
359
424
395
350
389
389
412
421
391
V°
R°
V°
V°
R°
V°
V°
V°
R°
R°
V°
R°
R°
V°
V°
V°
R°
R°
V°
Eyguières
Aups
Digne
Tarascon
Beynes
Forcalquier
Hy ères
Lambesc
Lambesc
Toulon
Lorguës
Jouques
8—VII—1667
26—VI—1667
22—VI—1667
7—VII—1667
1 3 - V I I - 1667
2—VII—1667
7—VII—1667
13—VII—1667
9—V il—1667
12—VII—1667
1—VII—1667
13—VII—1667
381
350
345
376
413
359
377
419
392
408
359
412
R°
R°
V°
V°
R°
V°
V°
R°
V°
V°
R°
V°
MEYSONNIER François
MICHEL Estienne
MICHEL Jacques
MIGNOT Balthasard
MIGNOT Jean-Antoine
MONIER Claude de
MON1ER Jacques
MONTANARD Gaspard de
MONTENARD Pierre
MORART Aymar
MORIES Antoine
MOUGIN Nicolas, marchand
MOULAT André de
MOUSSONY Joseph, fils d’Estienne
MOUSTIERS Simon de
MOUTET Biaise
MOUTET Jean
MOUTON Honoré
MOUTON Jean
MOUTON César
Draguignan
Marseille
Lançon
Marseille
Marseille
Pertuis
Viens
Toulon
Besse
Sault
Lorgues
Marseille
Marseille
Draguignan
Marseille
Sisteron
Forcalquier
Grasse
Brignoles
Bfignoles
8—VII—1667
12—VII—1667
9—VII—1667
2 9 - V I - 1667
29—VI—1667
9—VII—1667
9—VII—1667
4 —VII—1667
28—VI—1667
13—VII—1667
9—VII—1667
21- V I - 1667
9—VII—1667
12—VII—1667
4—VII—1667
13—v i i —1667
4 - V I - 1667
7 - V I I - 1667
20—VI—1667
30—VI—1667
381
404
389
354
354
386
389
362
353
421
392
345
392
403
367
417
338
378
344
355
R°
R°
R°
R°
R°
V°
R°
V°
V°
R°
V°
R°
V°
R°
R°
V°
V°
R°
V°
V°
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289
Nom
NABON Balthasar
NABON Jean-François
NANS Etienne de
NANS Pierre de
NAPOLON César
NATTE Pierre
NEGRE François, ancien capitaine au
régiment de la marine du Levant
NEGRE Thomas, lieutenant de Galère
NEGREL Esprit
NIEL Louis
N1GRIS Annibal de
NICOLAY Honoré
NICOLAY Jean-Baptiste
NICOLAY Laurent de
OLIVARY François d’, Sgr. de Gumbret
et Montauroux
OLIVIER Bernardin
OLIVIER Charles d’
OLIVIER Gaspard
OLIVIER Jacques d’
OLIVIER Jean, fils de feu Joseph
OLIVIER Jean d’
OLIVIER Pierre d’
OLIVIER Pierre d’, fils de feu
Melchion
OLIVIER Pierre d’
OLLON Alexandre
OLLON André
ORCEL Jean-Joseph d’
ORSIER Honoré d’
ORTIGUES André d’
ORTIGUES Paul-Guillaume d’
ORTIGUES Pierre d’
ORTIGUES François d’, fils du
précédent
OVIE Jacques
PACHET Charles
PALADAN Claude de
PANY Claude
PARISY Balthazar
PASQUET Pierre
PASSAIRE Joseph-Henri
PAUL François
PAUL Honoré
PAUL Jean
PAUL Jean
PAUVES Jean de
PAUVES Rolland de, frère du précéd.
PAYAN Emmanuel
PEAUTRIER Joseph
PELLAS Jean
Résidence
Date
Références
F°
Fréjus
Saint-T ropez
Aups
Aups
Marseille
Le Luc
9—VII—1667
6—VII—1667
4—VII—1667
4 - V I I - 1667
11—VII—1667
9—VII—1667
390
374
365
366
398
392
Toulon
1—VII—1667
357 R°
Toulon
Roquevaire
Aix
Fréjus
Reillanne
Reillanne
Arles
Montauroux
13—VII—1667
10—VI—1667
2—VII—1667
7—VII—1667
1—VII—1667
1—VII—1667
11—VII—1667
13—VII—1667
416
339
361
379
359
359
400
423
V°
V°
R°
R°
R°
R°
R°
V°
Pertuis
Arles
Pertuis
Marseille
Comps
Marseille
Marseille
Marseille
13—VII—1667
13—VII—1667
11- V I I - 1667
6—VII—1667
12—VII—1667
8 —VII—1667
4 —VII—1667
6—VII—1667
423
422
397
373
411
383
363
373
R°
R°
R°
R°
V°
R°
V°
R°
Grasse
Sault
Sault
Apt
Le Broc
Apt
Apt
Marseille
Marseille
13—VII—1667
7—VII—1667
7—VII—1667
11—VII—1667
17—IV—1667
11- V I I - 1667
11—VII—1667
11—VII—1667
11—VII—1667
418
378
378
401
320
400
399
400
399
R°
V°
V°
V°
R°
V°
V°
V°
V°
Sault
Forcalquier
Tarascon
Flayosc
Forcalquier
Draguignan
Simiane
Brignoles
Cotignac
Cotignac
Marseille
Toulon
Toulon
Marseille
Draguignan
Comps
9—VII—1667
7—VII—1667
1 0 - V I I - 1667
13—VII—1667
4—VII—1667
4—VII—1667
4 - V I I - 1667
2 6 - V - 1667
27—VI—1667
2 - V I I - 1667
22—VI—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
8—VII—1667
8—VII—1667
13—VII—1667
385
375
394
419
366
364
415
338
350
361
345
412
412
384
383
417
V°
R°
R°
V°
R°
R°
V°
R°
R°
V°
V°
V°
V°
V°
R°
V°
19
R°
R°
V°
R°
V°
R°
�290
Nom
PELLICOT Jean de
PELISSIER Claude
PELISSIER Michel
PELISSIER Vincent
PENA François
PERIER Charles de
PERIER Jean de, fils du précédent
PERRACHE Charles de, bourgeois
PERRACHE Jean-Baptiste de
PERRAUD Antoine, originaire de
Vitro lies
PERRET Antoine
PERREYMONT Antoine
PERRIN Charles de, fils de feu
Nicolas
PERRIN Jacques
PERRIN Jean
PERRONNE Antoine
PEYREMOND Jean-Jacques
PEYRONSELLY Jean
PEYSSONNEL Esprit de
PIEDS-FOSSI Joseph de
PIN Antoine du
PIOLLE Jourdan
PIOLLE Jacques
PIOLLE Pierre
PIOULES Jean
PLANTIN Louis
POILROUX André, Sgr. du Poil et de
Châteauredon
PONSON Jean
PORT Benoit du
PORTALIS Antoine
PORTALIS Lange, fils du précédent
PORTANIER Antoine de
PORTANIER Reynaud de
PORTE André
POTONIER Melchion, père d’un avocat
POUJARD Denys
POULAIGNON François de, fils de feu
Annibal
POUMET Jean
POURCELLY Honoré, greffier à
l’ordinaire
POURTALIER Jean
POUSSALON François
POYET Paul, fils de feu Guillaume
PRATS Antoine de
PRATS Raphaël de
PRATS Esprit de, fils du précédent
PRATS Esprit de
PRATS Jacques de, avocat
Résidence
Date
Références
F°
Seillans
Simiane
Salla Griffon
Simiane
Jouques
Roumoules
Riez
Les Mées
Les Mées
Aix
13—VII—1667
7—VII—1667
9—VII—1667
7—VII—1667
13—VII—1667
9—VII—1667
9—VII—1667
4 - V I I - 1667
13—VII—1667
30—VI—1667
420
377
386
377
422
392
392
369
419
355
R°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
V°
V°
Aix
Grasse
Marseille
8—VII—1667
27—VI—1667
8—VII—1667
384 R°
352 R°
382 V°
Aix
Aix
Castellane
Grasse
Fréjus
Draguignan
Digne
Martigues
Manosque
Manosque
Marseille
Forcalquier
Brignoles
Chateauredon
3—VII—1667
4—VII—1667
7—VII—1667
10—VI—1667
23—VI—1667
13—VII—1667
11- V I I - 1667
13—VII—1667
4 - V I I - 1667
7—VII—1667
3—VII—1667
13—VII—1667
4—VII—1667
2 0 - V I - 1667
362
363
379
340
346
422
399
416
363
375
362
421
367
343
R°
R°
V°
R°
V°
V°
V°
V°
R°
R°
R°
V°
V°
V°
Manosque
Marseille
Le Beausset
Le Beausset
Grasse
Brignoles
Mons
Cotignac
Noves
Marseille
24—VI—1667
11- V I I - 1667
17—VI—1667
4—VII—1667
13—VII—1667
27—VI—1667
2 7 - V I - 1667
1 3 - V I I - 1667
13—VII—1667
11- V I I - 1667
347
395
343
368
416
351
351
419
416
401
V°
R°
R°
R°
V°
V°
R°
R°
V°
V°
Tarascon
Fox-Amphoux
12—VII—1667
6—VII—1667
408 V°
374 V°
Beausset (Le)
Marseille
Sault
Entrevaux
Entrevaux
Entrevaux
Entrevaux
Entrevaux
17—VI—1667
13—VII—1667
4—VII—1667
1—VII—1667
1—VII—1667
1- V I I - 1667
12—VII—1667
12—VII—1667
343 R°
420 R°
369 V°
358 V°
358 V°
358 V°
404 R°
404 R°
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Nom
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PRATS Jean-Baptiste, bourgeois
PRE François du
PRINCE Gaspard
PROVENÇAL César
PROVENÇAL Jacques de
QUESTIN Guillaume de
RABIERS Alexandre de
RABILLAUD Pierre, avocat
RAB1LLAUD Jean
RAFIN Marie
RAGONY François, fils de Balthazar
RAGONY François
RAPHAELIS Melchior de
RAPHAELIS Pierre-Jean de, frère
du précédent
RAVOTY Esprit
RAYBAUD Honoré, Sgr. de Sausac
RAYBAUD Frédéric
RAYBAUD Louis
RAYBAUD Pierre
RAYMONDI Honoré
REAL François
REBOUL Gaspard, ancien procureur
au siège de Digne
REDORTIER Joseph
REINIER Guillaume
REVEST Barthélémy
REY Alexandre
REY Roland
REYNAUD Gaspard, Sgr. de Cristolle,
Cosgr de Vachière
REYNAUD Joseph
REYNAUD Louis
R1BE Elzéar de
RIBE Jean de
RICARD André
RICARD André, Procureur du Roi en
l’amirauté de Toulon
RICARD Paul
RICHIEUD Jean de
RICHIEUD François de
RIGORD Honoré
RIGOLET François
RIMBAUD Antoine, fils de Jean
RIMBAUD Jean, fils du précédent
RIPERT André de
RIPERT François de
RIPERT Jean de
RIPERT Joseph de
RIVES Alexandre de
RIVES Claude de
RIVES Louis de, Sgr. de Tuzac
Résidence
Date
Référé net
F°
Entrevaux
Saint-Remy
Marseille
Apt
Cornillon
Tarascon
Saint-Maximin
Aix
Aix
Manosque
Lurs
Lurs
Draguignan
Draguignan
10—VII—1667
13—VH—1667
11—VII—1667
4 - V I I - 1667
4 - V I I - 1667
4—VII—1667
11—VII—1667
4 - V I I - 1667
4 - V I I - 1667
25—VI—1667
3—VII—1667
3—VII—1667
■7-V I I - 1667
12—VII—1667
395
424
399
364
363
363
401
364
365
349
362
362
379
408
R°
R°
R°
R°
R°
R°
V°
V°
R°
V°
R°
R°
R°
R°
Vidauban
Entrevaux
Entrevaux
Brignoles
Draguignan
Grasse
Sisteron
Digne
12—VII—1667
13—VII—1667
10—VII—1667
9—VII—1667
13—VII—1667
8—VII—1667
25—VI—1667
12—VII—1667
412
419
394
388
419
380
349
412
R°
R°
R°
V°
R°
V°
V°
V°
Aix
Chateaurenard
Marseille
Saint-S avoumin
Apt
Reillanne
18—VI—1667
13—VII—1667
8—VII—1667
1—VII—1667
3 0 - V I - 1667
1—VII—1667
343
343
381
358
357
358
V°
V°
V°
R°
R°
V°
Valensole
Sisteron
Cucuron
Estoublon
Riez
Toulon
1—VII—1667
9—V—1667
3—VII—1667
13—VII—1667
4—VII—1667
7—VII—1667
358
335
362
413
366
380
R°
V°
R°
R°
R°
R°
Manosque
Castellane
Castellane
Marseille
Apt
Marseille
Marseille
Saint-S avoumin
Saint-Savoumin
Apt
Apt
Sisteron
Valemes
Toulon
12—VII—1667
7—VII—1667
6—VII—1667
17—V—1667
6—VII—1667
20—VI—1667
11—VII—1667
11—VII—1667
11- V I I - 1667
11- V I I - 1667
11—VII—1667
2 - V I I - 1667
6—VII—1667
13—VII—1667
404
378
374
320
372
344
395
399
399
400
400
359
374
416
R°
R°
V°
R°
R°
R°
V°
R°
R°
R°
V°
V°
V°
R°
�Nom
RIVAL Jean-Baptiste
ROBERT Antoine
ROBERT François
ROBOLLY Antoine, fils de feu
Sébastien
ROCHEBRUNE Jean-Baptiste, procureur
au siège de Digne
ROMANY Antoine
ROMANY Claude
ROSSOLIN Laurent
ROSTOLAN Balthazar
ROUBEAUD Louis
ROUQUET-BEAUSSIER César
ROURE Pierre du
ROUSSET Balthasar
ROUSTAN Jean
ROUX Accurse
ROUX Antoine
ROUX Honoré
ROUX Guillaume, fils d’Arnoux
ROUX Jean-André, écclésiastique
ROUX Nicolas
ROUX Jean de, cosgr. du Castelar
ROUX Pierre-Michel de, cosgr. du Castelar,
fils du précédent
ROUX André-Paul
SALETTE Antoine
SALETTE Jean-Louis
SAINT-CHAMAS Jean-François de
SAINT-CHAMAS Jean-Louis de
SAINT-CHAMAS Joseph de
SAINT-MARTIN Jean de
SAINT-MARTIN Louis de
SALVA Jacques
SALVA Jean Clair
SALVATOR Jean, avocat
SAMBUC Jacques
SAQUI Charles de
SAQUI Honoré de
SAULT Marc-Antoine de
SAUVE Antoine, Cosgr. de Verdaches
SAUVECANE Jean
SAUVECANE Nicolas
SAUVET Gaspard-Joseph de, avocat
SAVIGNON Barthélémy
SAVIGNON Jean-Pierre
SAVOURNIN Léon de
SAVOURNIN Virgile de
SECOND Henri
SERMET Balthasar
SERMET Jacques, fils du précédent
Résidence
Date
Références
F
Aix
Noves
Lurs
Marseille
28—VI—1667
21—VI—1667
3 0 - V I - 1667
4 - V I I - 1667
351
345
355
365
V°
R°
V°
V°
Digne
22—VI—1667
345 V°
Arles
Forcalquier
Riez
Aix
Sisteron
Sieyes (Les)
Marseille
Brignoles
La Cadière
Marseille
Mezel
Mezel
Pertuis
Pertuis
Marseille
Sisteron
Le Castellard
23—VI—1667
4—VII—1667
1- V I I - 1667
12—VII—1667
12—VII—1667
19—IV—1667
11—V—1667
10—V il—1667
9—VII—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
12—VII—1667
13—VII—1667
8—VII—1667
13—VII—1667
23- V - 1667
2 3 - V - 1667
346
366
358
405
410
343
335
392
385
423
424
404
414
383
423
332
332
R°
R°
V°
R°
R°
R°
V°
V°
V°
R°
R°
R°
V°
R°
R°
V°
V°
Le Poil
Mezel
Cuers
Lambesc
Lambesc
Lambesc
Arles
Pertuis
Mison
La Motte
du Caire
Aix
La Coste
Entrevaux
Entrevaux
Marseille
Verdaches
La Tour d’Aigues
La Tour d’Aigues
Volonne
Marseille
Marseille
Lourmarin
Lauris
Fréjus
Le Val
Le Val
20—VI—1667
13—VI—1667
28—VI—1667
4—VII—1667
10—VII—1667
1 0 - V i l - 1667
12—VII—1667
27—VI—1667
25—VI—1667
9 - V I I - 1667
344
340
353
362
394
394
405
352
348
380
R°
R°
V°
V°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
25—VI—1667
9—VII—1667
8 —VII—1667
13—VII—1667
4 - V I I - 1667
13—VII—1667
11- V I I - 1667
10—VII—1667
9—VII—1667
21- V I - 1667
21- V I - 1667
12—VII—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
10—VII—1667
1 0 - V I I - 1667
348
387
382
424
362
412
397
393
388
344
344
409
412
417
392
392
R°
R°
V°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
V°
V°
R°
R°
V°
V°
V°
�293
Nom
SERMET Louis
SERRE Honoré
SERRE Jean-Louis
SERRE Pierre
SICARD François
SICOLLE François de, originaire de
Marseille
S1GAUD Jean-Antoine
SIGOIN François
S1G01N Jean-Baptiste
SIGUIER Jean
SILVESTRE Jean
SILVESTRE Charles, fils du précéd.
SILVESTRE François-Scipion, Sgr. de
Châteauneuf
SILVESTRE Pierre
SILVESTRE Philippe
SIM1AN Angelin, fils de feu Jacques,
procureur
SIMIAN François
SIMON Gaspard
SIMON Hugon, fils du précédent
SIMON Jean, frère du précédent
SIMON Joseph, frère du précédent
SIMON Pierre, frère du précédent
SIMON Pierre, greffier au siège de
Castellane
SIMON Pierre-Laurent
S1NETY Barthélémy
SINETV Barthélémy
S1VILLE Joachim
SOTIERS Sauveur de
SUBREVIER Jean
SURIAN Pierre
SURLE Jean
SURLE Jean
TAMBOURIN Jean
TAMBOURIN Jean-Baptiste
TESTORIS Jean, fils d’Antoine
THANNARON Jean
THERIC Estienne
THORON Esprit de
TOURNA François
TORTEL Antoine-Félix, docteur en
médecine
TOURNIAIRE Honoré
TOURNIAIRE Jacques
TOURNIAIRE Jean
TRAVERSERY Maurice
TRICOURT Nicolas
TROYE Antoine
TI RAN Pierre
Résidence
Date
Références
F
Le Val
Baijols
Marseille
Baijols
Marseille
Toulon
4—VII—1667
7 - V i l - 1667
13—VII—1667
7—VII—1667
1 2 - V I I - 1667
9 - V I I - 1667
364
380
412
380
403
392
R°
V°
V°
v°
R°
v°
Vinon
Sisteron
Sisteron
Hyères
Gordes
Gordes
Gordes
25—VI—1667
31—V—1667
1 2 - V I I - 1667
27—VI—1667
12—VII—1667
12—VII—1667
13—VII—1667
349
333
405
352
410
410
410
R°
R°
R°
R°
V°
V°
R°
Sault
Manosque
Draguignan
4—VII—1667
6—VII—1667
13—VII—1667
369 V°
372 V°
419 R°
Fréjus
Rognes
Rognes
Rognes
Rognes
Rognes
Castellane
9—VII—1667
27—VI—1667
27—VI—1667
27—VI—1667
27—VI—1667
27—VI—1667
7 - V I I - 1667
391
352
352
352
352
352
376
R°
R°
V°
R°
V°
R°
R°
Aix
Apt
Apt
Apt
Saignon
Pertuis
Saint-Chamas
Draguignan
Draguignan
Marseille
Marseille
Draguignan
Cotignac
Marseille
Digne
Aix
Six-Fours
12—VII—1667
9 - V i l - 1667
12—VII—1667
9—VII—1667
4—VII—1667
4 - V I I - 1667
1 2 - V I I - 1667
1 3 - V I I - 1667
13—VII—1667
1 2 - V I I - 1667
12—VII—1667
9 - V I I - 1667
2—VII—1667
8 —VII—1667
12—VII—1667
7—VII—1667
13—VU—1667
405
391
409
391
366
367
407
206
206
409
409
391
361
382
405
377
414
V°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
V°
R°
V°
v°
R°
V°
Digne
Digne
Digne
Aix
Aix
Ubaye
Marignane
8—VII—1667
8 —VII—1667
8—VII—1667
4 - V I I - 1667
4—VII—1667
11-VII—1667
12—VII—1667
381
381
381
366
363
401
408
v°
v° .
v°
v°
v°
v°
R°
R°
R°
R°
v°
�294
Nom
UBAYE François d’
UGONIS Jean d’, originaire de
Toulon
UGONIS Louis d’
VACON Louis
VALAISON Melchion
VALERAN Joseph
VAUCHY Jean-Constans
VEIRERY Pierre
VEISSIERE François de
VELIN Valentin
VERDILLON Balthazar de
VERDILLON Charles de
VERNET Barthélémy
VERNET Charles
VIALIS Esplendian, notaire
VIANY Scipion
VICARY Jacques
VIDAL Esprit, fils de feu Laurent
VIDALON Gaspard
VIGUIER Philippe de
VILLELES Marc
VILLON François
VILLY Honoré
VINCENS Jérôme
VINCENS Jean
VINCENS Antoine
VINCENS Pierre, fils du précédent
VINCENS Paul, frère du précédent
VIRELLES Jules de
VOULX Gaspard de, notaire
VILERIOLE Nicolas
Résidence
Cannes
Fréjus
Toulon
Saint-Tropez
Manosque
Hyères
Selonnet
Pignans
Fréjus
Marseille
T oulon
Toulon
Marseille
Forcalquier
Roquebrune
Aix
Noves
Toulon
Arles
La Cadière
Châteaurenard
Saint-Maximin
Fréjus
Aix
Mison
Saint-Rémy
Saint-Rémy
Saint-Rém y
Marseille
Ceyreste
Arles
Date
Références
F°
6 - V I I - 1667
1 0 - V I I - 1667
372 V°
394 R°
13—VII—1667
8—VII—1667
12—VII—1667
7 - V I I - 1667
12—VII—1667
12—VII—1667
11- V I I - 1667
12—VII—1667
8—V il—1667
7—VII—1667
6 - V I I - 1667
4—VII—1667
13—VII—1667
2—VII—1667
20—VI—1667
1 0 - V I I - 1667
4—VII—1667
23—VI—1667
9 - V I I - 1667
12—VII—1667
25—VI—1667
8—VII—1667
9—VII—1667
26—V—1667
26—V—1667
26—V—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
15—V—1667
_______________
417
385
408
375
404
411
400
408
383
370
372
369
418
300
344
393
363
346
387
408
348
382
388
338
338
338
416
413
336
R°
R°
V°
V°
V°
R°
V°
R°
R°
R°
R°
R°
V°
R°
V°
R°
V°
V°
V°
V°
V°
V°
V°
R°
R°
R°
V°
V°
R°
�295
Tableau VII
F au x-n ob les con d am n és à 5 0 livres d’am ende après avoir déclaré v o lo n ta irem e n t
q u ’ils d ésistaien t leur n ob lesse, une clause de “ p ro testa tio n de se p ou voir”
accom pagnant leur d éclaration
(R egistre B. 1 3 6 0 )
Nom
.
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V.
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V*''f£
"■■ri
Résidence
ABRASSEVIN André
AGARD Jean d’
AGNEAU François
AGNES Jean
ALBERT Joseph d’, fils de feu Léandre
ALBERT Léandre d’
ALBERT Louis d’
ALBETE Antoine d’
ALBETE Louis d’, frère du précédent
ALLEMAND Jacques, bourgeois
ALPHERAN François
ALPHERAN Michel, ancien consul d’Aix
Hyères
Ansouis
Marseille
Pertuis
Aubagne
Aubagne
Aubagne
Pertuis
Pertuis
Marseille
Aix
Saint-Tulle
AMALR1C Jacques
AMPHOSSY Guillaume d’, fils de Gaspard
ANDRE Honoré
ARBAUD de BRESC Honoré d’, Sgr. de St-Jean
ARMAND Balthasar d’
ARNAUD Paul d’
ARNAUD Pierre d’
ARQUIER Estienne d’, Sgr. de St-Estève
ARQU1ER Gaspard, fils de Pierre
ARQUIER Gaspard
ARVIEUX Jean-Baptiste d’
ARVIEUX François d’, fils du précédent
ASTOIN Joseph, marchand-bourgeois
AUD1BERT François
AUD1FFREDY Jean-Joseph d’
AUDIFFRET Antoine d’
AUDIFFRET Pierre d’, fils du précédent
AUDIFFRET Pierre d’, fils de Biaise
AUGIER Jean-François, Conseiller au siège de Digne
AUTEFORT Honoré d’
Le Luc
Marseille
Lorgues
Villecroze
Marseille
Dauphin
Dauphin
Lambesc
Lambesc
Lambesc
Marseille
Marseille
Entrages
La Ciotat
Aix
Manosque
Manosque
Draguignan
Digne
Apt
AZEGAT Jean d’
BALBANY César de
BARBEIRAC Hercule de
BARBIER Honoré
BARLATIER Gaspard
BARLATIER Joseph, frère du précédent
BARRA LIER Paul de
BAUDRIC François de
Arles
Marseille
Ceyreste
Pertuis
Rognes
Rognes
Eyragues
Manosque
BAZAN Jean
BEAU François
BEAU Jean
BEAU Pierre
BEAUFORT Gaspard de
BEAUSS1ER Antoine de, fils de feu Joseph
Marseille
Marseille
Marseille
Marseille
Aix
Toulon
Motif
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Noblesse de
cloche
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titre révoqué
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Dérogeance
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres hors la
Province
Titre révoqué
Titres égarés
Titres égarés
Noblesse de race
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres hors la
Province
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Noblesse civile
Titres hors la
Province
Date
Références
F°
7-VII—1667
2—VII—1667
1—VII—1667
27—VI—1667
1 2 -V I I - 1667
4—VII—1667
4—V il—1667
4—V il—1667
4 - V i l - 1667
8—VII—1667
9 - V I I - 1667
9—VII—1667
375
360
358
352
411
365
369
364
364
383
386
386
R°
R°
V°
R°
V°
V°
V°
V°
R°
V°
R°
R°
28—VI—1667
13—VII—1667
3 1 -V I-1 6 6 7
10—VII—1667
27—VI—1667
10—VII—1667
7—VII—1667
9 - V I I - 1667
4 - V I I - 1667
6 - V I I - 1667
12—VII—1667
12—VII—1667
10—VI—1667
11—VII—1667
12—VII—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
9 - V I I - 1667
12—VII—1667
13—VII—1667
353
421
356
394
350
394
380
387
364
373
411
411
339
400
409
414
414
390
406
413
V°
R°
V°
V°
V°
V°
R°
V°
V°
V°
V°
V°
R°
R°
V°
R°
R°
V°
R°
R°
7—VI—1667
7—VII—1667
13—VII—1667
4 - V I I - 1667
13—VII—1667
13—VII—1667
13—VII—1667
3 0 - V I - 1667
338
380
371
367
415
415
424
355
V°
R°
V°
V°
R°
R°
V°
R°
29—VI—1667 ' 354 V°
409 V°
12—VII—1667
27—VI—1667
351 R°
6—VII—1667
374 R°
414 R°
13—VII—1667
2—VII—1667
360 V°
°
�Marseille
BETANDIER Jean-François de, frère de précéd.
Marseille
BETANDIER Michel-Ange de, frère du précédent
Marseille
BEVOLAN Jean-Baptiste
BLANC François
Marseille
Marseille
BLANC Jean-Baptiste
Marseille
BOIS Bernard
BOLLOGNE François de, Sgr. de St-Martin
BON Laurent, fils de feu Joseph
Marseille
Digne
Marseille
BONADONA Louis de
BONNEAUD André, fils de Jean
BONNET Honoré
BONNET Jean-Baptiste, Cosgr. du Poil
BONNIEUX François de
BOUSQUET Gabriel de
BOUSQUET Jean-Baptiste de
BOUISSE François
BOULIERS Claude de
Pertuis
Pertuis
Pertuis
Aix
Aix
Marseille
Marseille
Marseille
Cucuron
BOULIERS Melchion de
Cucuron
BOURRELLY Barthélémy
Marseille
BOYER François, avocat, viguier d’Apt
BOYER François de
Apt
Apt
BREMOND Daniel de
BRUN Jacques de
BRUNET Scipion, avocat
BURGUES Antoine de
Ongles
Draguignan
Manosque
Toulon
BUTY Marius
Aix
CABRE Claude de
CABRE Guillaume de
Marseille
Marseille
7 - V I I - 1167
28—VI—1667
13—VII—1667
11- V I I - 1667
11—VII—1667
10—VII—1667
375
352
421
399
399
394
10—VII—1667
394 V°
24—V—1667
374 R°
24—V—1667
374 R°
24—V—1667
374 R°
29—VI—1667
12—VII—1667
354 R°
408 R°
12—VII—1667
408 R°
4 - V I I - 1667
23—V—1667
12—VII—1667
360 R°
332 R°
409 V°
9 - V I I - 1667
7—VII—1667
9 - V I I - 1667
13—VII—1667
13—VII—1667
8 - V I I - 1667
8—VII—1667
9—VII—1667
13—VII—1667
388
378
386
415
421
382
382
390
422
13—VII—1667
422 R°
12—VII—1667
403 V°
1 1 -V I I - 1667
13—VII—1667
401 R°
416 V°
10—VII—1667
8—VII—1667
13—VII—1667
23—VI—1667
393
385
415
346
12—VII—1667
406 V°
4—VII—1667
4 - V I I - 1667
368 V°
368 V°
R°
V°
V°
V°
V°
V°
"S
BETANDIER Antoine de
377 V°
^
La Motte
Noblesse de race
Titres détruits
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Protestation non
motivée
Protestation non
motivée
Titres hors la
province
Titres hors la
province
Titres hors la
province
Titres égarés
Titres hors la
province
Titres hors la
province
Titres égarés
Dérogeance
Gentilhommeverrier
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres hors la
province
Titres hors la
province
Titres hors la
province
Titres égarés
Protestation non
motivée
Titres égarés
Titres égarés
Noblesse civile
Titres hors la
province
Titres hors la
province
Titres égarés
Titres égarés
7—VII—1667
<£
BERNARD Louis de, frère du précédent
Marseille
Aix
Marseille
Marseille
Marseille
La Motte
361 R°
58
Toulon
2—VII—1667
58
BEAUSSIER Esprit de, fournisseur de la
Marine
BELLIN Antoine
BENOIT Pierre
BER Thomas de
BERGIER François
BERGIER Jean
BERNARD Jacques de, Sgr. de la Mothe
361 V°
58
Toulon
2—VII—1667
50 50
BEAUSSIER Louis de, frère du précédent
361 R°
50
Toulon
2—VII—1667
<J 58 *3
BEAUSSIER Esprit de, frère du précédent
Titres hors la
Province
Titres hors la
Province
Titres hors la
Province
Titres égarés
Références
F°
o
Toulon
Date
R°
V°
V°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
50o 3 3?5 o Wo 50 50) < < 5 0
BEAUSSIER Charles de, fils du précédent
Motif
58
Résidence
■ ^58
Nom
R°
V°
V°
R°
�297
Nom
Résidence
CAMPOU Estienne de
CAMPOU Jean-Baptiste de
CANDOLLE Georges de
CARDEBAT Jean de
CASENEUVE Jean-Louis de “juge-garde pour
le Roy en la monnaie de Provence”
CASTELLANE André de
CAUDEIRON Louis
CAUDE1RON Pierre, frère du précédent
CHALAMONT Jean de, Sgr, de Cabissia et Tarosan
CHALCORNAC Pierre
CHALLOT Imbert de
CHALLOT Trophime de, père du précédent
CHANUT Charles de, Sgr. du Revest
CHANIJT Dominique de, Sgr. du Revest
frère du précédent
CHANUT Louis de, Sgr. du Revest,
avocat, frère du précédent
CHAPUS François de
CHAPUS André de, fils du précédent
CHASTRAS Jean
CHAUDY Gaspard, avocat
CHAUSSEGROS Balthasar
CHAUSSEGROS Marc-Antoine
C1P1ERES Claude de
CLAPIERS Jean-Louis de
CLAPIERS Pierre de
COLONIA Gaspard de
COMBE André
COMMENDAIRE Honoré de, Sgr. de Taradeau, avocat
CORDIER Louis de, Sgr. de Reynier
CORD1ER Pierre de, Cosgr. de Reynier
CROUZIL François
CROZET Esprit, avocat
DEIDIER Barthélémy
DEMANDE François
DUPONT Gaspard
DUPONT Raynaud
Aix
DURAND Joseph, Sgr. de la Motte
ECLEZ1A Pierre d’
Draguignan
Fréjus
EMER1C Baide
EMERIC François, fils du précédent
ESCAL1S Pierre d’
ESPINASSY Antoine d’
ESTIENNE François, avocat
ESTIENNE Jean-Baptiste d’, fils de notaire
EYGUESIER Honoré d’ “greffier du Sénéchal”
EYGUES1ER Jean d’
EYGUESIER Jean-Pierre d’
EYMINY Arnaud, bourgeois
FABRY François, Sgr. de Therrier
FABRY Joseph de, Sgr. d’Entrages
FAUCHISQUE Marc
FAURE Nicolas
FAURE Nicolas, fils du précédent
Lançon
Lançon
Marseille
Signes
Aix
Aix
Aix
Marseille
Marseille
Arles
Turriers
Authon
Marseille
Marseille
Marseille
Motif
Date
Références
F°
Marseille
Marseille
Pertuis
Beaumont
Aix
Titres
Titres
Titres
Titres
Titres
égarés
égarés
égarés
égarés
égarés
3—V il—1667
3 - V I I - 1667
15—VI—1667
13—V I I - 1667
11—VII—1667
362
362
341
418
398
R°
R°
R°
V°
V°
Eyragues
Toulon
Toulon
Tarascon
Marseille
Arles
Arles
Le Revest
Le Revest
Titres
Titres
Titres
Titres
Titres
Titres
Titres
Titres
Titres
égarés
égarés
égarés
égarés
égarés
égarés
égarés
égarés
égarés
13—VII—1667
11—VII—1667
11- V I I - 1667
9 —VII—1667
9 —VII—1667
12—VII—1667
12—VII—1667
11—VII—1667
11- V I I - 1667
419
396
396
389
386
406
406
398
398
R°
V°
V°
R”
R°
R°
R°
R°
R°
Le Revest
Titres égarés
11- V I I - 1667
398 R°
Lambesc
Lambesc
Marseille
Martigues
Digne
Digne
Aix
Pertuis
Saint-Maximin
Brignoles
Pertuis
Taradeau
Beynes
Tallard
Marseille
Marseille
Marseille
Marseille
Aix
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Dérogeance
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Protestation
non motivée
Protestation
non motivée
Titres égarés
Protestation
non motivée
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Noblesse de race
Noblesse de cloche
Titres égarés
Noblesse de cloche
Dérogeance
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
1 2 -V I I - 1667
12—VII—1667
28—VI—1667
13—V I I - 1667
11- V I I - 1667
11—VII—1667
12—VII—1667
2—VII—1667
1—VII—1667
25—V—1667
17—VI—1667
13—V il—1667
12—VII—1667
4 - V I I - 1667
11- V I I - 1667
13—VII—1667
13—VII—1667
4—VII—1667
8—VII—1667
410 V°
410 V°
352 R°
420 V°
395 V°
395 V°
404 R°
360 V°
359 R°
337 V°
342 R°
417 V"
403 R°
363 V°
398 V°
416 R°
415 R°
369 V°
381 V°
8—VII—1667
381 V°
17—VI—1667
6—VII—1667
342 V°
372 V°
13—VII—1667
13—VII—1667
11- V I I - 1667
8—VII—1667
13—VII—1667
11- V I I - 1667
13—VII—1667
4 - V I I - 1667
3—VII—1667
12—VII—1667
10—VII—1667
27-V I —1667
11- V I I - 1667
9—VII—1667
13—VII—1667
412
412
397
385
421
398
417
366
382
406
393
350
400
392
415
V°
R°
R°
R°
V°
R°
R°
R°
R°
V°
V°
R°
V°
R°
R°
�298
1 2 -V I I - 1667
409 V°
12—VII—1667
409 V°
1 2 -V I I - 1667
411 R°
12—VII—1667
409 V°
11- V I I - 1667
11—VII—1667
12—VII—1667
13—VII—1667
11—VII—1667
11—VII—1667
13—VII—1667
395
395
405
414
399
400
416
Saint-Maximin Titres égarés
Titres égarés
Lambesc
9—VII—1667
2—VII—1667
386
359
Tarascon
Tarascon
Tarascon
Tarascon
Hyères
Digne
7 - V I I - 1667
7—VII—1667
8—VII—1667
4 - V I I - 1667
9—VII—1667
11—VII—1667
377
377
381
363
386
400
11—VII—1667
1 0 -V I I - 1667
9—VII—1667
397
394
388
Dérogeance
17—IV—1667
17—IV—1667
Dérogeance
17—IV—1667
Dérogeance
1 2 -V I I - 1667
Titres hors la
province
Noblesse militaire 13—VII—1667
Protestation
8—VII—1667
non motivée
8—VII—1667
Protestation
non motivée
Dérogeance
1- V I I - 1667
11- V I I - 1667
Titres égarés
Titres égarés
11 —VII—1667
Titres égarés
11- V I I - 1667
11- V i l - 1667
Titres égarés
Noblesse militaire 11- V I I - 1667
Titres égarés
9—VII—1667
Titres égarés
11- V I I - 1667
Titres égarés
9—VII—1667
Titres égarés
*13—VII—1667
Titres égarés
13—VII—1667
13—V il—1667
Titres égarés
7—VII—1667
Protestation
non motivée
4 - V I I - 1667
Titres égarés
333
333
333
404
Les Sieyes
Les Sieyes
Les Sieyes
Cavaillon
GIRAUD Sauveur, ancien capitaine
GREOUX Marc de “garde des munitions et
artillerie du Roy en Provence”
GREOUX Jean-Jacques de, fils du précédent
Aix
Marseille
GUEYDON Joseph, bourgeois
HUET Barthélémy
HUET Denys, frère du précédent
HUET Jean, frère du précédent
HUGOLEN Honoré d’
IMBERT François d’, ancien capitaine
ISNARD Auguste d’, avocat, Sgr. de Sallagriffon
ISNARD Claude
ISNARD Louis d’
ISOARD Hubert d’, Sgr. de Thorame
JEAN Estienne, “Capitaine”
JORNA François
JOURDANY André
Marseille
Apt
Apt
Apt
Aix
Aubagne
Grasse
Aix
Grasse
Roquebrune
Marseille
Aix
Cucuron
JUST Jean-Baptiste
Marseille
Marseille
*c
^
*0
*0
<
»
*0
*
< 0 *0
*0
^
Pertuis
Pertuis
Lambesc
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres hors la
province
Noblesse militaire
Noblesse militaire
Noblesse militaire
*
Gentilhommeverrier
Valsaintes
Gentilhommeverrier
Valsaintes
Gentilhommeverrier
GentilhommeApt
verrier
Marseille
Titres égarés
Marseille
Titres égarés
Digne
Titres égarés
Marseille
Titres égarés
Manosque
Titres égarés
Saint-Maximin Titres égarés
Marseille
Titres égarés
Valsaintes
«a
GAUDY Honoré, capitaine d’infanterie
GAUDY Joseph, capitaine d’infanterie
GILLY Jacques de, Sgr. de Moiisse,
ancien capitaine
GEOFFROY Mathieu
GEOFFROY Malchion, frère du précédent
GEOFFROY Gilles, neveu du précédent
GIRARD François de
365 V°
^
FERIS Barthélémy de
FERIS Jean de
FORNIER André, Conseiller au siège de Digne
FORNIER Jérome
FIGUIERE Paul
FOUQUETE Hubert, avocat
FREJUS Rolland “Lieutenant de Roy au
gouverenement des bastions français de
barbarie”
FRESQUIERE Pierre de
GAJOT Gaspard de, Sgr. de Montfleury
et de Sallet
GANAY André
GANAY Jean-Baptiste
GANTELMY Balthasar de, fils de Raynaud
GANTELMY Balthasar de, fils du précédent
GARDANE Scipion de
GASTINEL Antoine
4—VII—1667
415
381
381
^
FERRE Pierre de
Références
F°
^
FERRE Joseph de, fils du précédent
Titres égarés
Date
359
399
399
399
397
398
391
399
391
420
424
418
375
^
FERRE Jean de, frère du précédent
Orgon
Motif
< < < i ,^
FEBVRE Louis de “dit le cadet d’Orgon”
fils de feu “ capitaine Jean”
FERRE François de, fils de feu Joseph
Résidence
<<<
Nom
368 V°
�299
Nom
Résidence
Motif
Date
Références
F°
13—VII—1667
13—VII—1667
414 R°
416 V°
12—VII—1667
9—VII—1667
405 R°
388 V°
LA BERGE Louis de
LAGARDE Gabriel
Gram bois
Marseille
LAGET Barthélémy
LAGET Jean-Bernardin, ancien capitaine de
cavalerie
LALAYER François de, Sgr. de Champourcin
LALAYER Jean de, fils du précédent,
Sgr. de Champourcin
LAMBERT Pierre, avocat, Docteur ez Droits
LAMBERT Jean-Louis
Aix
Saint-Maximin
Titres égarés
Protestation
non motivée
Titres égarés
Noblesse militaire
Digne
Digne
Titres détruits
Titres détruits
12—VII—1667
12—VII—1667
406 R°
406 R°
Marseille
Aix
7—VII—1667
1 2 -V I I - 1667
380 R°
411 R°
LAUF1SERE Jacques
Marseille
30—VI—1667
356 R°
LAUGIER Esprit de
LAURENS Honoré de
LAYE Pierre de
LAYE Pascal de
LE FEBRE Jean
LEGER Martian, Docteur en médecine
Lorgues
Castellane
Marseille
Marseille
Marseille
Apt
3 0 - V I - 1667
8—VII—1667
11—VII—1667
11—VII—1667
4 —VII—1667
9 - V I I - 1667
356
381
398
398
364
390
LEGER Louis, Docteur en médecine,
frère du précédent
LENFANT Aymés, Sgr. de Peyresc
LEON Antoine de
LEON Corneille de
LIALBISSY Antoine de
LIALBISSY Pierre de
LORME Nicolas de
Apt
Titres égarés
Protestation
non motivée
Titres hors la
province
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres hors la
province
Titres hors la
province
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Protestation
non motivée
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Protestation
non motivée
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Protestation
non motivée
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titre révoqué
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Protestation
non motivée
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
9—VII—1667
390 V°
8—VII—1667
12—VII—1667
1 2 -V I I - 1667
4 - V I I - 1667
4—VII—1667
2—VII—1667
384
407
407
363
363
361
V°
R°
R°
R°
R°
R°
12—VII—1667
9—VII—1667
7—VII—1667
7—VII—1667
7—VII—1667
7 - V I I - 1667
9—VII—1667
409
389
378
378
378
318
392
R°
V°
R°
R°
R°
R°
R°
4—VII—1667
4 - V I I - 1667
12—VII—1667
4—VII—1667
9—VII—1667
4—VII—1667
368
368
404
367
392
366
R°
R°
V°
R°
R°
V°
7—VII—1667
4—VII—1667
13—VII—1667
7—VII—1667
4 - V I I - 1667
11- V I I - 1667
30—VI—1667
30—VI—1667
8 - V I I - 1667
375
365
416
376
369
399
356
'356
383
V°
R°
R°
V°
V°
R°
V°
R°
R°
Aix
Marseille
Marseille
Cassis
Marseille
Marseille
MAIFREDI Jean-Baptiste
MARMERY Pierre
MARTINENC Estienne
MARTINENC Honoré
MARTINENC Jean
MARTINENC Jacques
MARTINI Antoine de, originaire de Montpellier,
fils de Jean
MARVESIN Alexandre de
MARVESIN Joachim de, fils du précédent
MASSE Biaise, Sgr. de Chanut
MAZENOT François de
MAZERAT Frédéric, Chevalier de Malte
MERINDOL André de
Aix
Marseille
Toulon
Toulon
Toulon
Toulon
Toulon
MERINDOL Nicolas de
MERINDOL François de, fils du précédent
MERINDOL François de, originaire d’Aix
MICHEL François dè, avocat
MOLLIN Jacques du
MORGUE Jacques
MORIES Antoine de
MOULAR Charles
MOULAT Elzias de, Chevalier profess. de
Malte, Commandeur d’Espinas
MOUSTIERS André de
MOUSITERS Antoine de
MOUSTIERS Jacques de, fils de feu François
Mallemort
Mallemort
Noves
Marseille
Arles
Aix
Lorgues
Marseille
Marseille
Apt
Apt
Selonnet
Marseille
Marseille
Cucuron
Marseille
Marseille
Marseille
13—VII—1667
4—VII—1667
4—VII—1667
i
V°
V°
R°
R°
V°
V°
412 R°
368 V°
365 V°
�Nom
Résidence
MOUSTIERS Pierre de
MOUTET Pierre, fils de notaire
NAPOLON Jean
NAPOLON Louis, frère du précédent
NIEL Antoine
NIGRIS Esprit de
Marseille
Forcalquier
Marseille
Marseille
Grasse
Fréjus
OLLIVIER Antoine d’
ORTIGUES François d’
ORTIGUES Jacques d’, fils du précédent
PALLAS César de
PALLAS Georges de
PASCAL Pierre de, ancien consul de Marseille
PASCAL Boniface de, fils du précédent
ancien consul de Marseille
PASSAIRE Gilibert
PAUL Barthélémy
PAUL François de
PEYSSONNEL Jean de, fils de Gaspard
PIOLLE François de
PLANCE Honoré
POUCHET Charles
RAB1ERS Balthasar de, Sgr. de Châteauredon,
Viquier d’Annot
RABIERS Jean de, Sgr. de Châteauredon,
cousin du précédent
RAPHAELIS Honoré de
RAPHAEL1S Joseph de, Sgr. de Broves et de
Tourtour
RAPHAELIS Jean de, Sgr. de Tourtour, avocat
fils du précédent
RASCAS Antoine de, Sgr. d’Esclangon
REBATTU Jean
REBUTTY Balthasar, ecclésiastique, recteur
de la chapelanie St-Nicolas
REBUTTY Jacques
REBUTTY Jean-Baptiste, frère du précédent
RICHAUD Lambert de, Sgr. de Baudinar,
Cosgr. de Thoard
RICHIEUD Jean-Baptiste de
RISSY Honoré de
ROBERT Pierre
ROBOLLY Antoine, marchand
ROBOLLY Antoine, neveu du précédent
ROBOLLY Jean-François, frère du précédent
RONDELET Pierre
Date
Références
F°
9—VII—1667
9 —VII—1667
8—VII—1667
8—VII—1667
6—VII—1667
1—VII—1667
392
389
384
384
372
359
V°
R°
R°
R°
V°
R°
Marseille
Apt
Apt
Apt
Apt
Marseille
Marseille
Titres égarés
Dérogeance
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres hors la
province
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Noblesse de cloche
Noblesse de cloche
8—VII—1667
11—VII—1667
11—VII—1667
12-VII—1667
10—VII—1667
7—VII—1667
7—VH—1667
383
400
400
406
394
380
380
R°
V°
V°
R°
V°
R°
R°
Simiane
Aix
Marseille
Lorgues
Forcalquier
Riez
Manosque
Annot
Titres
Titres
Titres
Titres
Titres
Titres
Titres
Titres
4—VII—1667
1 2 - V I I - 1667
1- V I I - 1667
3 - V I I - 1667
1 2 - V I I - 1667
9—VII—1667
7—VII—1667
13—VII—1667
365
402
357
356
402
390
375
412
R°
V°
V°
R°
R°
R°
R°
V°
Estoublon
13—VII—1667
413 V°
Draguignan
Broves
Titres hors la
province
Titres égarés
Titres égarés
7—VII—1667
1 2 - V I I - 1667
377 V°
410 R°
Tourtour
Titres égarés
1 2 -V i l - 1667
410 R°
Digne
Arles
Marseille
Titres égarés
Titre révoqué
Titres égarés
1 2 - V I I - 1667
26—V—1667
1 2 - V I I - 1667
405 V°
336 V°
411 R°
Marseille
Marseille
Baudinar
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
9—VII—1667
9—VII—1667
13—VII—1667
389 V°
389 V°
421 V°
Riez
Aix
Marseille
Marseille
Marseille
Marseille
Marseille
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Protestation
non motivée
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Protestation
non motivée
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
1 2 - V I I - 1667
6 —V il—1667
13—VII—1667
11- V I I - 1667
11- V I I - 1167
11—V il—1667
8—VII—1667
407
374
419
400
400
400
384
R°
R°
V°
V°
V°
V°
R°
1 2 - V I I - 1667
1 2 - V I I - 1667
13—VII—1667
8 - V i l - 1667
409
409
418
383
R°
R°
R°
R°
29—VI—1667
29—VI-1667
29—VI—1667
2 9 - V I - 1667
29—VI—1667
354
354
354
354
354
R°
R°
R°
R°
V°
ROSTAGNI Honoré
ROSTAGNI Pierre “juge garde de la monnaie”
SABOULIN Jean-Baptiste de
SAINT-CHAMAS Ferrier de
Aix
Aix
Signes
Lambesc
SAINT-JACQUES
SAINT-JACQUES
SAINT-JACQUES
SAINT-JACQUES
SAINT-JACQUES
Marseille
Marseille
Marseille
Marseille
Marseille
Balthasar de
Etienne de, frère du précédent
Guillaume de, frère du précédent
Joseph de, frère du précédent
Pierre de
Motif
égarés
égarés
égarés
égarés
égarés
égarés
égarés
égarés
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Nom
Résidence
Motif
Date
Références
F°
SAINT-JACQUES Vincent de, fils de feu
Guillaume
SAVIGNON Jacques
SAVOURNIN Gédéon de
SAVOURNIN Philippe de
SAVOURNIN Dominique de
SAXY François de
SAXY Pierre-Louis de, Sgr. de St-Ferreol
SEIGNEURET Jean-Estienne de
SEIGNORET Honoré de
Marseille
Titres égarés
8—VII—1667
381 R°
Marseille
Cadenet
Cadenet
Lourmarin
Arles
Saint-Ferreol
Apt
Marseille
7—VII—1667
6 - V I I - 1667
6—VII—1667
6—VII—1667
13—VII—1667
1 2 -V I I - 1667
30—VI—1667
12—VII—1667
379
373
373
373
420
408
357
405
SE1GNORET Louis de, neveu du précédent
Marseille
12—VII—1667
405 R°
SINETY François, avocat
SINETY Henri, frère du précédent
SOLLIER Jean-Antoine de
SOLLIER Laurent de, avocat
SOLLIER Martian de
SURIAN Joseph
TALAMER Jean de, fils de Balthasar
TALAMER Jules de
THEAS Arnaud, Sgr. d’Andon
THEAS François, frère du précédent
THEAS Jacques, frères du précédent
TIFFET Honoré de, avocat, Sgr. de Méolan
TI RAN André
Apt
Apt
Saignon
Apt
Saignon
Saint-Chamas
Lorgues
Lorgues
Grasse
Grasse
Grasse
Digne
Marseille
9—VII—1667
9 - V I I - 1667
13—VII—1667
13—VII—1667
4 - V i l - 1667
7 - V I I - 1667
1—VII—1667
1- V I I - 1667
9 - V I I - 1667
9 - V I I - 1667
9—VII—1667
29—V—1667
1 6 -V I I - 1667
391 V°
391 V°
413 R°
419 V°
372 R°
376 V°
358 R°
358 R°
388 R°
388 R°
388 R°
332 V°
358 V°
TURC Esprit
TURC Gilles, frère du précédent
TUZEL Jourdan de
Martigues
Martigues
Marseille
12—VII—1667
12—VII—1667
1 2 -V I I - 1667
408 V°
410 R°
403 V°
VACHERES Charles de, Sgr. de Vachères
VACHERES François de
VALENCE Henri, Sgr. de Roquebrune
VALENCE Jean, fils du précédent
Sgr. de Roquebrune
VELIN Estienne
VENTURE André
VENTURE Henri
VENTURE Jean-Baptiste, avocat
VIANY Joseph de, Sgr. de Veve
VIGUIER François de, Sgr. de Pierrefeu
VIGUIER Jean de, Sgr. de Pierrefeu, frère
du précédent
VILLENEUVE Balthasard
VILLENEUVE Louis de
VIRGILLY Jean-François
Vachères
Vachères
Roquebrune
Roquebrune
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titre révoqué
Titre révoqué
Titres égarés
Titres hors la
province
Titres hors la
province
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Noblesse de race
Protestation
non motivée
Titres égarés
Titres égarés
Titres hors la
province
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
Titres égarés
29—VI—1667
13—V il—1667
13—VII—1667
13—V il—1667
354
413
420
419
V°
R°
R°
R°
Marseille
Marseille
Marseille
Marseille
Aix
Pierrefeu
Pierrefeu
Titres
Titres
Titres
Titres
Titres
Titres
Titres
11—VII—1667
1 0 -V I I - 1667
2—VII—1667
8—VII—1667
8—V il—1667
11- V I I - 1667
11—VII—1667
397
394
361
385
382
400
400
V°
R°
R°
R°
V°
R°
R°
9—VII—1667
9—VII—1667
12—VII—1667
391 R°
391 R°
409 V°
égarés
égarés
égarés
égarés
égarés
égarés
égarés
Marseille
Titres égarés
Marseille
Titres égarés
Saint-Maximin Gentilhommeverrier
V°
V°
V°
V°
R°
V°
R°
V°
�Tableau VIII
Déclarations de désistement de noblesse faites par “ les veuves et héoirs” des fauxnobles décédés avant d’être passés en jugement
(Registres B. 1360)
Nom
Résidence
ABRASSEVIN Charles
ARCHIMBAUD André d’, Sgr.
de Chantereyne, viguier
de Pertuis
ARNOUX Catherine d’
Draguignan AUBERT Pierre, conseiller
au siège de Draguignan
ARNOUX Annibal
ARNOUX Balthasard
CAMPOURCIN Louis, avocat
ARNOUX Jeanne
Aix
ARNOUX Pierre, avocat
ARNOUX N. . . sœur de la précédente Aix
ARNOUX Pierre, avocat
ARNOUX N . . . sœur de la précédente Aix
ARNOUX Pierre, avocat
Toulon
BEAUSSIER Antoine
BEAUSSIER Joseph
BORELLY Pierre-Jean, avocat
Fréjus
BORELLY Jean
BOUTINY François
Hyère
BOUTINY Pierre
BURLE Marc-Antoine, avocat
Manosque
BURLE Jean-Antoine
DOLLE Jean
Fréjus
DOLLE Marc, bourgeois
FARNOUX Jean
La Valette FARNOUX Barthélémy
Hyères
GARDANNE Clere de
S1GNIER Balthasard de
MARMET Anne de
Apt
MARMET Antoine de
MARMET Catherine de
Apt
MARMET Antoine de
MARMET Gabrielle de
Apt
MARMET Antoine de
MASSUE Gaspard
Toulon
MASSUE Jean
PIOULLE Hortense de, épouse de
Manosque
FAURIS Balthasard de
Gaspard de Reillane, Sgr. du
Bourguet (2 noces)
POISET Jean, Docteur en médecine
POISET Jean
Manosque
ROBERT Henri
ROBERT Balthasard
Manosque
SIMIAN Angelin
Draguignan SIMIAN Jacques
Procureur au siège de
Draguignan
SOLLIER Claude de
Saignon
SOLLIER Jean-Estienne de
ABRASSEVIN André
ANJOU Françoise d’
Hyères
Pertuis
Faux-noble décédé
Lien de
parenté
Date
Référenc
F°
26—IX—1668
3 0 -IX —1668
302 R°
302 V°
1—X—1668
303 V°
25—IX—1668
301 V°
25—IX—1668
25—IX—1668
20—IX—1668
28—IX—1668
25—I X - 1668
6—X—1668
l-X - 1 6 6 8
10—X—1668
25—IX—1668
12—X—1668
12 -X -1 6 6 8
1 2 -X -1 6 6 8
3 0 - I X - 1668
13—X—1668
301
301
301
302
301
304
304
305
301
305
305
305
303
306
FUs
Fils
Fils
6 -X -1 6 6 8
14—X—1668
30—IX—1668
304 V
305 V
303 V
Fils
17—X—1668
306 V
Fils
Veuve
Veuve
Sœur
Fille
Veuve
Sœur
Sœur
Sœur
FUs
Fils
FUs
Fils
Fils
FUs
Veuve
Fille
Fille
Fille
FUs
Veuve
( 1 noces)
Ve
V‘
R'
V'
R'
V'
R'
R'
V'
R
R
R
R
R
�303
Tableau IX
Déclarations de désistement fondées sur les décrets d’injonction
Nom
ATTENOUX Barthélémy, Cosgr. de Roquebrune
ATTENOUX Etienne, Cosg. de Roquebrune
fils du précédent
BARBAROUX François, Docteur ez Droits
BARNIER Jacques, Bourgeois
BARNIER Jean, fils du préc-edent
BARTHELEMY Valentin de, avocat
BARTHELEMY Jean-Joseph de, avocat
fils du précédent
BEAU Guilleaume
BONNEAUX Philibert
CARRAIRE Louis, Bourgeois
CASSOT de Beaupoli Antoine
CASSOT de Beaupoli Ambroise
CHALLOT Honoré de
FAVERIE Jean “Controlleur et clerc d’office
de la maison de Son Altesse Royalle,
Mademoiselle de Montspensier”
FERMIN de GRANDCOURT Gaspard, originaire
de Paris
FERRAT Jean-Pierre, “Conseiller du Roi,
Enquêteur, Commissaire, examinateur au
siège d’Aix
GUICHARD Barthélémy
JOBERT Jean-Antoine
LAMBERT Marc, Cosgr. d’Allons
LA TOUR Maximin de, bourgeois
LILLES Jean de
MERCUR1N Pierre, Marchand
MIRIBEL Jean, originaire de Grenoble
ROUGON François, fils de Jean
ROUX Pierre
Décret
d’injonction
Désistement
Références
Roquebrune 10—X—1667
Roquebrune 10—X—1667
10—X—1667
10—X—1667
F ° 316 V°
F ° 316 V°
13—X—1667
25—X—1667
25—X—1667
14—XI—1667
14—XI-1167
F ° 317
F ° 317
F ° 317
F ° 320
F ° 320
R°
V°
V°
R°
R°
9—XII—1667
2 6 -4 -1 6 6 8
10—XII—1667
11- X I - 1667
11—XI—1667
14—XI—1667
10—X—1667
F ° 322
F ° 323
F ° 322
F °319
R°
V°
R°
V°
Résidence
Grasse
Marseille
Marseille
Arles
Arles
13—X—1667
25—X—1667
25—X—1667
9—XI—1667
9—XI—1667
9—XII—1667
Marseille
Forcalquier 2 4 - 4 -1 6 6 8
7—XII—1667
Marseille
10—XI—1667
Arles
Arles
10—XI—1667
12—XI—1667
Arles
Marseille
10—X—1667
F° 319 V°
F ° 320 V°
F ° 316 R°
Cannes
8—X—1667
26—X—1667
F ° 318 R°
Aix
18—X—1667
18—XI—1667
F ° 320 V°
Apt
Marseille
Draguignan
Grasse
Marseille
Marseille
Marseille
Lauris
Marseille
26—XI—1667
22—X—1667
24—X—1667
19—XI—1667
15—X—1667
9—XII—1667
8—X—1667
18—XI—1667
17—XI—1667
10-1 -1 6 6 8
22—X—1667
5—XI—1667
21- X I - 1667
19—X—1667
9—XII—1667
11—X—1667
18—XI—1667
17—XI—1667
F ° 323
F ° 317
F° 318
F ° 321
F 0 317
F ° 321
F° 316
F ° 321
F ° 320
R°
V°
V°
V°
R°
V°
V°
R°
V°
�Tableau X
Déclarations provisoires de désistement fondées sur les décrets d’injonction
Nom
FIZ Antoine du
MARTIN Claude
Originaire de Marseille
SAUVECANE Louis, Notaire
SAVIGNAN Joseph
Résidence
Motif
Décret
d’injonction
Désistement
Référence
Montségur
(Cté de Grignan)
St Maximin
Titre égaré
23—XII—1667
23—XII—1667
F° 322 Ve
1 9 -1 -1 6 6 8
F° 323 Rc
28-11-1668
19—XII—1667
F° 323 V'
F° 322 Ve
Titre perdu 18-1 -1 6 6 8
La Tour d’Aygues Titre égaré
Marseille
Titre égaré
6 -1 -1 6 6 8
17—XII—1667
�mtaaaaMÉHÊlÊÈHÊÊÈÉtËL,. - *•
:
• • j
305
Tableau XI
Provençaux maintenus nobles après avoir été condamnés
pour usurpation de noblesse par la commission
Nom
Condamnation
Maintenue
Références
BEISSAN Jean-Baptiste de, Sgr. de St Savoumin
BONIFACE Gaspard de, Sgr. de Peynier
BONIFACE Louis de, Sgr. de Peynier et de
Fombeton
BONIFACE Joseph de, Sgr. de Peynier et de
Fombeton
BONOT Louis de
CHAILAN Pierre de, Sgr. de Moriez et du Castellet,
Lieutenant général des soumissions au siège de
Castellane
DESTRECH Jean du
ESMIVY Louis d’, Avocat
ESMIVY Antoine d’, Sgr. d’Auribeau, Avocat
GEORGES d’EOLIERES Laurent de, Chevalier de
Malte
GEORGES d’EOLIERES Jean-François de
GEORGES d’EOLIERES Jacques de
ISLE Guillaume de L’, Sgr. de Taulane,
Capitaine d’infanterie
ISLE Antoine de L’, Docteur ez Droits
ISLE Claude de L‘, Docteur ez droits
MAZARGUES Jean de
MESTRE Guillaume Le, Sgr. des Brosses et de
Beaumont, Capitaine d’infanterie
MESTRE François Le, Sgr. des Brosses et
de Beaumont
PUGET Jean de, Sgr. de Chanolles,
Cosgr. de Prads
RAPHELIS Melchion de, Sgr. de Broves, Avocat
RAPHELIS Honoré de, Sgr. de Broves et de
Callian
RAPHELIS Pierre de, Sgr. de Broves et de
Caillan
RIPERT Jean de
RIPERT André de, Sgr. de La Verrière et
d’Auribeau
VACON Antoine de
2 5 -1 -1 6 6 8
22—IX—1668
22—IX—1668
22—IV—1668
10—IV—1669
10—IV—1669
B. 1357 F 0 2024 R°
B. 1358 F° 3680 R°
B. 1358 F° 3680 R°
22—IX—1668
10—IV—1669
B. 1358 F° 3680 R°
15—V—1668
7—XII—1668
10—IV—1669
20—XII—1668
B. 1358 F° 3868 R°
B. 1357 F 0 2974 R°
13-11-1667
5 -1 -1 6 6 9
5 -1 -1 6 6 9
7 -1 -1 6 6 8
10—IV—1669
2—IV—1669
2—IV—1669
1- X I I - 1668
B.
B.
B.
B.
7 -1 -1 6 6 8
7 -1 -1 6 6 8
5 -1 -1 6 6 9
1- X I I - 1668
1- X I I - 1668
5—IV—1669
B. 1357 F° 2814 R°
B. 1357 F° 2814 R°
B. 1358 F° 3604 R°
5 -1 -1 6 6 9
5 -1 -1 6 6 9
24—IX—1668
13—XI—1668
5—IV—1669
5—IV—1669
8—IV—1669
1- I I I - 1669
B.
B.
B.
B.
13—XI—1668
1- I I I - 1669
B. 1358 F° 3450 R°
29—VIII—1667 24—IV—1668
1358
1358
1358
1357
1358
1358
1358
1358
F°
F°
F°
F°
F°
F°
F°
F°
3780
3584
3584
2814
3604
3604
3618
3450
R°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
B. 1357 F° 2032 R°
20—XII—1668
29—XI—1668
1 2 -1 -1 6 6 9
1 2 -1 -1 6 6 9
B. 1358 F° 3110 R°
B. 1358 F° 3110 R°
29—XI—1668
1 2 -1 -1 6 6 9
B. 1358 F° 3110 R°
23—X—1668
23—X—1668
10—V—1670
10—V—1670
B. 1358 F° 3796 R°
B. 1358 F° 3796 R°
5 -1 -1 6 6 9
9—XII—1670
B. 1358 F° 3800 R°
20
�Tableau XII
Provençaux maintenus nobles par la commission
après avoir désisté volontairement leur noblesse
Nom
Désistement
Maintenue
AUDIFFRET Etienne d’
AUDIFFRET Pierre d’, Sgr. de Beauchamps
BOUSQUET Gabriel de
CHALOT Imbert de
CHALOT Honoré de
CIPIERES Joseph de
CIPRIANI Jean de
COMMENDAIRE Honoré de, Sgr. de Taradeau, Avocat
FAUCHER Charles de, Cosgr. de Peyrolles
FAUCHER Honoré-Mathieur de, Cosgr. de Peyrolles,
Lieutenant particulier au siège d’Arles
FERIS Barthélémy de
FERIS Jean de
GAJOT Gaspard de, Docteur en Médecine,
Sgr. de Montfleury et du Salet
GARNIER Balthazar de
GUIN Alexandre de
ISOARD Hubert d’, Sgr. de Thorame, Capitaine
d’infanterie
LEAUTAUD Antoine de
LEAUTAUD Antoine de, Gentilhomme ordinaire
de la Chambre du Roi
NICOLAY Laurent de, Maître d’hôtel ordinaire
du Roi
PERIES François des
RAPHELIS Melchion de, Sgr. de Broves, Avocat
RAPHELIS Honoré de, Sgr. de Broves et de
Callian
RAPHELIS Pierre de, Sgr. de Broves et de
Callian
RICARD André de, Procureur du Roi en
l’Amirauté de Toulon
RICHAUD Lambert de, Sgr. de Beaudinard,
Cosgr. de Thoard
RICHIEUD Jean-Baptiste de, Sgr. d’Argens,
Lieutenant de Cavalerie
SEIGNEURET Honoré de, Négociant
SEIGNEURET Louis de, négociant
TUZEL Jourdan de
13—VII—1667
13—VII—1667
8—VII—1667
12—VII—1667
14—XI—1667
13—VII—1667
13—V—1667
13—VII—1667
8—VII—1667
8—VII—1667
29—XI—1668
10—IV—1669
10—IV—1669
10—IV—1669
10—IV—1669
2 -1 -1 6 6 9
7—XII—1668
10—IV—1669
3—XII—1668
3—XII—1668
B.
B.
B.
B.
B.
B.
B.
B.
B.
B.
11- V I I - 1667
11- V I I - 1667
2—VII—1667
10—IV—1669
10—IV—1669
9—IV—1669
B. 1358 F 2864 R°
B. 1358 F 2864 R°
B. 1358 F 3576 R°
12—VII—1667
11- V I I - 1667
13—VII—1667
13-11-1669
8—IV—1669
21- V I I - 1667
B. 1358 F
B. 1358 F
B. 1356 F
3376 R°
3580 R°
367 R°
8—VII—1667
8—VII—1667
29—XI—1667
29—XI—1667
B. 1357 F
B. 1357 F
1046 R°
1046 R°
11- V I I - 1667
3—IV—1669
B. 1358 F 3534 R°
11- V I I - 1667
7—V il—1667
7—VII—1667
1 6 -1 -1 6 6 9
1 2 -1 -1 6 6 9
1 2 -1 -1 6 6 9
B. 1358 F 3204 R°
B. 1358 F 3110 R°
B. 1358 F 3110 R°
12—VII—1667
1 2 -1 -1 6 6 9
B. 1358 F 3110 R°
7—VII—1667
12—IV—1669
B. 1358 F 3788 R°
13—VII—1667
13—IX—1667
B. 1356 F
12—VII—1667
8—IV—1669
B. 1358 F 3592 R°
12—VII—1667
12—VII—1667
12—VII—1667
1- I I - 1669
1—II—1669
10—IV—1669
B. 1358 F 3294 R°
B. 1358 F 3294 R°
B. 1358 F 3684 R°
Références
1357
1358
1357
1358
1358
1358
1357
1358
1357
1357
F
F
F
F
F
F
F
F
F
F
2804
3672
3676
3694
3694
3066
2884
3880
2816
2816
R°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
R°
503 R°
�307
Tableau XIII
Réaprtition géographique de la noblesse
Provençale “ apparente” en 1666
I. COMTÉS DE PROVENCE ET DE FORCALQUIER
1) Viguerie d ’Aix
Localités
Aix
Alleins
Aubagne
Auriol
Aurons
Bandol
Barben (La
Beausset (Le)
Berre
cadière (La)
Cassis
Ceyreste
Charleval
Ciotat (La)
Collongue
Cuges
Durane (La)
Eguilles
Gardanne
Grans
Istres
Janson
Jouques
Julhans
Lambesc
Lançon
Mallemort
Marignane
Martigues
Mimet
Miramas
Ollioules
Pelissanne
Pertuis
Nobles
Faux-nobles
178
1
1
0
3
1
1
0
0
1
0
0
1
0
1
1
3
0
4
0
3
1
1
4
19
1
0
1
0
3
0
0
0
3
157
0
13
1
0
0
0
4
3
7
2
2
0
17
0
0
0
2
1
1
2
0
5
0
29
10
8
2
11
0
2
3
2
43
Total
335
1
14
1
3
1
1
4
3
8
2
2
1
17
1
1
3
2
5
1
5
1
6
4
48
11
8
3
11
3
2 3
2
46
�308
Localités
Peynier
Peypin
Peyrolles
Puyloubier
Rians
Rognes
Roque (La)
Roquevaire
Saint-Chamas
Saint-Paul le Fougassier
Saint-Savournin
Trets
Vauvenargues
Velaux
Vitrolles
Total général
Nobles
Faux-nobles
Total
4
1
5
1
0
1
1
2
5
1
2
0
1
0
0
256
0
0
4
0
3
10
0
1
4
0
14
2
0
1
2
368
4
1
9
1
3
11
1
3
9
1
16
2
1
1
2
624
Nobles
Faux-nobles
Total
2) Viguerie d ’A nnot
Localités
Annot
Castellet-Saint-Cassien (Le)
Montblanc
Puget-Figette
Rochette (La)
Sallagriffon
Sausses
Total général
0
2
2
0
1
0
1
6
1
2
2
1
3
1
1
11
1
0
0
1
2
1
0
5
3) Viguerie d A p t
Localités
Ansouis
Apt
Buoux
Cadenet
Caseneuve
Coste (La)
Cucuron
Gordes
Nobles
0
13
2
0
0
0
1
0
Faux-nobles
7
55
0
5
1
1
12
4
,
Total
7
68
2
5
1
1
13
4
�309
Localités
Goult
Lauris
Lioux
Lourmarin
Murs
Pierrevert
Puget (Le)
Roussillon
Saignon
Sainte-Maiguerite
Saint-Martin-de-Castillon
Simiane
Tourettes
Viens
Total général
Nobles
2
0
1
0
2
1
1
0
0
3
0
0
0
0
26
Faux-nobles
Total
2
5
0
6
0
1
0
3
6
0
11
4
1
2
126
4
5
1
6
2
2
1
3
6
3
11
4
1
2
152
Faux-Nobles
Total
4) Viguerie d ’Aups
Localités
Aups
Fabrègues
Total général
Nobles
3
2
5
12
0
12
15
2
17
5) Viguerie de Barjols
Localités
Baijols
Baudinard
Beaumont
Cotignac
Fox-Amphoux
Ginasservis
Verdière (La)
Vinon
Total général
Nobles
2
1
0
0
0
0
0
0
3
Faux-Nobles
5
0
1
11
1
1
1
1
21
Total
7
1
1
11
1
1
1
1
24
6) Val de Barrême
Localités
Barrême
Chaudon
Dauphin
Total Général
Nobles
0
1
0
1
Faux-Nobles
1
0
2
3
Total 1
1
2
4
�310
7) Viguerie de Brignolles
.•
i*-. v-.«r•'- *-7. a** y ,> ■
Localités
r' * -•** >. ;r ”>**^
■
.
■
. :■ '
.
Besse
Brignoles
Correns
Gaysolle (La)
Néoules
Saint-Pierre
Signes
Val (Le)
Vins
Total Général
Nobles
0
2
0
0
3
1
4
0
1
11
Faux-Nobles
3
44
1
1
0
0
3
4
0
56
Total
3
46
1
1
3
1
7
4
1
67
8) Viguerie de Castellane
Localités
-
.
:
Allons
Angles
Castellane
Demandolx
Martre (La)
Moriez
Poil (Le)
Saint-Julien
Senez
Ubraye
Vauclausse
Total Général
Nobles
2
2
1
5
2
1
0
0
0
1
1
15
Faux-Nobles
Total
0
0
29
0
0
0
1
2
10
0
0
42
2
2
30
5
2
1
1
2
10
1
1
57
Faux-Nobles
Total
9) Viguerie de Digne
Localités
Aiglun
Beaucouse
Beauvezer
Beynes
Blegiers
Bras d’Asse
Brusquet (Le)
Castellard (Le)
Castellet (Le)
Nobles
2
1
2
0
3
1
0
0
2
0
0
0
2
0
0 2
3
0
2
1
2
2
3
1
2
3
2
]
�311
Localités
Champourcin
Champtercier
Chanolles
Châteauredon
Chenerilles
Courbons
Digne
Entrages
Estoublon
Malemoisson
Mauvans
Mées (Les)
Mélan
Mézel
Mirabeau
Oraison
Pene (La)
Prads
Puimichel
Saint-Estève
Saint-Julien
Sieyes (Les)
Thoard
Total Général
Nobles
9
0
1
4
1
1
14
0
0
1
1
2
4
0
1
0
1
0
3
3
1
0
12
70
Faux-nobles
Total
0
3
0
1
0
0
63
2
3
0
0
13
0
5
0
2
0
1
1
0
0
4
3
108
9
3
1
5
1
1
77
2
3
1
1
15
4
5
1
2
1
1
4
3
1
4
15
178
Faux-Nobles
Total
10) Viguerie de Draguignan
Localités
Ampus
Arcs (Les)
Bargeme
Bargemon
Broves
Callas
Callian
Cannet (Le)
Châteaudouble
Claviers
Cogolin
Comps
Draguignan
Nobles
4
0
1
0
3
0
3
1
0
0
1
0
9
0
1
0
6
1
1
1
2
1
1
0
2
36
4
1
1
6
4
1
4
3
1
1
1
2
45
�Localités
Fayence
Figanières
Flayosc
Fréjus
Garde (La)
Luc (Le)
Malignon
Môle (La)
Mons
Montauroux
Montferrat
Motte (La)
Muy (Le)
Pignans
Ramatuelle
Revest (Le)
Roque-Esclapon (La)
Roquebrune
Saint-Paul
Saint-Tropez
Salernes
Seillans
Taradeau
Tourtour
Verignon
Vidauban
Villecroze
Villehaute
Total Général
Nobles
1
1
1
0
0
1
0
0
0
0
0
0
4
3
0
1
0
5
2
2
1
3
1
0
1
0
0
0
49
Faux-nobles
Total
0
1
2
42
2
4
1
3
3
1
1
2
0
9
1
4
1
9
0
8
0
2
0
1
0
1
1
1
152
1
2
3
42
2
5
1
3
3
1
1
2
4
12
1
5
1
14
2
10
1
5
1
1
1
1
1
1
201
Faux-Nobles
Total
11) Viguerie de Forcalquier
Localités
Banon
Cruis
Dauphin
Fayet (Le)
Fontienne
Forcalquier
Grambois
Limans
Nobles
0
0
0
1
1
12
0
1
1
2
1
0
0
61
5
3
*
1
2
1
1
1
73
5
4
�\
313
Localités
Lincel
Lurs
Manosque
Montjustin
Ongles
Peyruis
Porchères
Reillanne
Revest-des-Brousses (Le)
Saint-Etienne
Sainte-Tulle
Sainte-Maime
Saint-Michel
Saint-Vincent
Tour d’Aigues (La)
Vachères
Valsaintes
Total Général
Nobles
4
0
13
1
0
1
2
1
1
1
0
1
2
1
0
1
0
44
Faux-nobles
Total
1
7
41
0
1
0
0
4
1
1
1
0
0
0
8
3
3
144
5
7
54
1
1
1
2
5
2
2
1
1
2
1
8
4
3
188
Faux-Nobles
Total
3
3
0
0
1
34
0
1
0
1
0
1
44
6
3
1
3
1
48
2
2
2
1
1
1
71
12) Viguerie de Grasse
Localités
Antibes
Cannes
Cannet (Le)
Escragnolles
Fanière (La)
Grasse
Mouans
Mujouls (Les)
Saint-Auban
Saint-Julien
Thorenc
Vence
Total Général
Nobles
3
0
1
3
0
14
2
1
2
0
1
0
27
�314
13) Comté de Grignan
Localités
Aiguebelle
Chantemerle
Grignan
Montségur
Total général
Nobles
2
1
2
0
5
Faux-Nobles
0
0
0
1
1
Total
2
1
2
1
6
14) Viguerie de Guillaumes
Localités
Collongues
Daluis
Entrevaux
Guillaumes
Villevielle
Total Général
Nobles
2
1
0
0
2
5
Faux—Nobles
Total
2
1
13
3
2
21
0
0
13
3
0
16
15) Viguerie d ’H yères
Localités
Bonnes
Cuers
Hyères
Pierrefeu
Sollies
Total Général
Nobles
0
0
9
3
1
13
Faux-Nobles
1
7
18
2
2
30
Total
1
7
27
5
3
43
16) Viguerie de Lorques
Localités
Lorgues
Nobles
3
Faux-Nobles
11
Total
14
17) Principauté de Mondragon
Localités
Mondragon
Nobles
2
Faux-Nobles
4
.
Total
6
�18) Viguerie de Moustiers
Localités
Aiguines
Allemagne
Auteville
Bauduen
Bromes
Canjuers
Esparron de Verdon
Gréoux
Levens
Montpezat
Moustiers
Puimoisson
Quinson
Riez
Roumoules
Rousset
Sainte-Croix
Saint-Jurs
Saint-Laurent
Valensole
Total Général
Nobles
6
0
1
1
0
2
3
2
0
2
4
0
0
18
1
1
1
1
3
4
50
Faux-Nobles
Total
0
1
0
1
1
0
0
2
1
0
3
2
2
25
2
0
0
0
0
13
53
6
1
1
2
1
2
3
4
1
2
7
2
2
43
3
1
1
1
3
17
103
19) Viguerie de Saint-Maximin
Localités
Bras
Esparron de Pallières
Montfroc
Pourcieux
Saint-Maximin
Tourves
Total général
Nobles
0
2
8
2
1
2
15
Faux-Nobles
1
0
0
0
15
4
20
Total
1
2
8
2
16
6
35
�316
20) Viguerie de Saint-Paul
Localités
Broc (Le)
Carros
Puget (Le)
Saint-Laurent
Saint-Paul
Tourette
Villeneuve
Total Général
Nobles
0
1
1
1
2
4
0
9
Faux-Nobles
3
1
0
0
1
0
1
6
Total
3
2
1
1
3
4
1
15
21) Viguerie de Seyne
Localités
Bréole (La)
Montclar
Saint-Martin
Selonnet
Seyne
Ubaye
Verdaches
Total Général
Nobles
Faux-Nobles
Total
2
1
2
0
0
0
1
21
5
0
3
72
1
‘ 1
23
6
2
3
72
1
2
6
103
109
Faux-Nobles
Total
22) Viguerie de Sisteron
Localités
Authon
Bellafaire
Bignosc (Le)
Brienson
Châteauneuf-le-Charbonnier
Clamensane
Claret
Escale (L’)
Feissal
Mison
Montfort
Motte-du-Caire (La)
Nibles
Quinson
Reynier
Nobles
0
4
1
3 '
1
2
3
3
1
5
1
1
1
0
2
1
0
0
0
0
1
0
0
0
11
0
2
0
4
0
1
4
1
3
1
3
3
3
1
16
1
3
1
4
2
�317
Localités
Saint-Auban
Saint-Geniez
Saint-Vincent
Sigoyer
Sisteron
Theze
Turriers
Urtis
Valavoire
Valernes
Vaumeilh
Venterol
Volonne
Total Général
Nobles
1
1
1
2
13
1
0
1
4
0
2
1
0
55
Faux-nobles
Û
0
0
0
32
0
10
0
0
1
0
0
10
72
Total
1
1
1
2
45
1
10
1
4
1
2
1
10
127
23) Viguerie de Tarascon
Localités
Barbentane
Beauvezet
Boulbon
Bruyère (La)
Cabannes
Châteaurenard
Comillon
Eygalières
Eyguières
Eyragues
Graveson
Maillane
Orgon
Noves
Saint-Ferréol
Saint-Pierre
Saint-Remy
Senas
Tarascon
Total Général
Nobles
5
1
1
2
0
1
0
0
2
1
1
2
0
0
0
0
2
1
54
73
Faux-Nobles
0
0
1
0
2
4
1
1
2
4
0
2
5
4
1
1
13
0
26
67
Total
5
1
2
2
2
5
1
1
4
5
1
4
5
4
1
1
15
1
80 .
140
�24) Viguerie de Toulon
Localités
Baudoin
Garde (La)
Six-Fours
Toulon
Valette (La)
Total Général
Faux-Nobles
Total
1
1
6
105
7
120
1
1
6
132
7
147
Nobles
Faux-Nobles
Total
0
100
100
1
45
46
1
145
146
Nobles
Faux-Nobles
Total
Nobles
0
0
0
27
0
27
II. TERRES ADJACENTES A LA PROVENCE
1) Commune d ’Arles
Localités
Albaron
Arles
Total Général
2) Baronnie des Baux
Localités
0
Les Baux
3
3
3) Vicomté de Marseille
Localités
Marseille
Nobles
Faux-Nobles
Total
174
359
533
Nobles
Faux-Nobles
Total
4) Principauté de Salon
Localités
22
Salon
3
25
5) Comté de Sault
Localités
Garène
Sault
Total Général
Nobles
0
0
0
Faux-Nobles
1
24
25
Total
1
24
25
�319
III. PROVENÇAUX DOMICILIES EN DAUPHINE
Localités
Barrêt
Château-Gaillard
Novejan
Queyras
Tallard
Total Général
Nobles
2
2
1
1
0
6
Faux-Nobles
0
0
0
0
1
1
Total
2
2
1
1
1
7
IV. PROVENÇAUX DOMICILIES A L’ETRANGER (Comtat-Venaissin)
Localités
Avignon
Blauvac
Carpentras
Cavaillon
Entraigues
Methamis
Oppède
Sainte-Cécile
Villargelles
Total Général
Nobles
2
1
1
0
2
0
1
2
1
10
Faux-Nobles
0
0
0
1
0
1
0
0
0
2
Total
2
1
1
1
2
1
1
2
1
12
François-Paul BLANC
chargé de Cours à la Faculté de Droit
et de Science Politique
d’Aix-Marseille
*
;
��LE PARLEM ENT
DE PRO V EN CE,
LA PH Y SIOCR ATIE
ET LA POLICE DES GRAINS
(1760-1770)
par Michel GANZIN
M a îtr e -A s s is ta n t à la F a c u lté d e D r o it
e t d e S c ie n c e p o litiq u e d ’A ix - M a r s e ille
At:
.'j*
: s
\
. t.
21
��y
Le XVIIIe siècle français, siècle de liberté et d’émancipation, est égale
ment une époque de luttes, notamment dans sa seconde partie. Combat
politique, doctrinal, entre l’Absolutisme Monarchique désormais réduit à la
défensive, les Utilitaristes, les Libéraux et les partisans de l’Absolutisme
Eclairé. Mais également débat économique. Durant une décennie : 1760,
1770, qui est enserée entre la fin de la Guerre de Sept Ans (1763), les
premiers édits libéraux, la victoire et la chute de la Physiocratie, le retour à
la Police des grains et le coup d ’Etat parlementaire de Maupeou (1771), la
joute est économico-politique. Elle met aux prises, en cette fin de règne,
d ’une part la Monarchie et sa Police des grains, d ’autre part le courant
physiocratique, Libéral et la réaction parlementaire ou plutôt l’opposition de
certains Parlements dont celui de Provence.
Des trois termes qui transparaissent : Police économique, Physiocratie
Parlement, il en est deux qui ont fait l’objet de savants travaux : la
Physiocratie et la Police économique (1). Traiter de ces problèmes n’offrirait
plus grand intérêt. En revanche le fait d’étudier une institution, en l’occu
rence un Parlement, dans l’alternative : la Police ou les Economistes (2),
permet, à notre sens, d’éclairer, du moins pour la province envisagée, sous un
jour peu connu les questions économiques et politiques de cette décennie.
(1) CF, Olivier-Martin, “La Police économique. .. ”
CF, Weulersse, “Le mouvement physiocratique. . . ”
(2) Bibliographie
Binet : La Réglementation du marché du blé en France au 18e siècle et à l’époque
contemporaine. Thèse Droit Paris - 1939, 157 p.
Wybo : Le Conseil de commerce et le Commerce intérieur de la France au
18e siècle. Thèse Droit. Paris —1936. 113 p.
Weulersse : Le mouvement physiocratique en France de 1756 à 1770.
2 tomes. Paris 1910. Alcan.
Rémond : Trois bilans de l’économie Française au temps des Physiocrates. RHES.
1957 n° 4 (417-458).
Olivier-Martin : La Police économique sous l’Ancien Régime. Cours D.E.S. —Paris
1944-1945 - 386 p.
Bordes : La réforme municipale du Contrôleur Général Laverdy et son application
(1764-1771). Toulouse 1968 - 352 p.
F. Quesnay et la Physiocratie. Paris 1958. 2 Tomes.
Afanassiev : Le Commerce des céréales en France au 18e siècle.
Paris. 1894 —Picard - 576 p.
�324
(2) suite
Toutain : Le Produit de l’agriculture française de 1700 à 1958. Thèse de sciences
économiques. Paris —1961.
Egret : Le Parlement du Dauphiné et les affaires publiques dans la deuxième moitié
du XVIIIe siècle. 2 tomes. Thèse Lettres. Grenoble 1942.
Egret : Louis XV et l’opposition Parlementaire. 1715-1774. Paris 1970. 246 p.
E. Faure : La disgrâce de Turgot. 1 tomes. Paris - 1961. Gallimard.
Herbert : Essai sur la police générale des grains, sur leur prix et sur les effets de
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Labrousse : Esquisse du mouvement des prix et des revenus en France au
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*
*
*
Sources Manuscrites : Archives des Bouches-du-Rhône
B 3676 Délibérations et arrêtés (1757-1768): Remontrances ■sur l’édit des cuirs,
délibérées le 29 novembre 1759.
B 3676 Délibérations : Remontrances délibérées le 26 novembre 1761.
B 3676 Délibérations : délibération du 18 janvier 1761.
�325
Durant ces dix années qui correspondent à l’apogée économique de
l’Ancien Régime et aux tentatives monarchiques de mutation que l’on peut
qualifier de pré-libérales, la toile de fond du débat est constituée par la
situation de l’agriculture française.
Dans une France essentiellement agricole, l’agriculture est en quelque
sorte le “secteur pilote” de la production, le “centre du centre” , dans la
mesure où elle conditionne l’état général de l’économie. Si le problème des
grains est un problème primordial c’est qu’il domine et rythm e la vie de la
population dont l’alimentation est à base céréalière. Or ce problème de
suffisance tend à évoluer dans un sens critique du fait que l’agriculture
connaît des crises cycliques (3) qui se traduisent par la “disette” par la
cherté et que la croissance démographique s’accélère (4). De fait si l’on se
rapporte à l’enquête demandée par le Contrôleur Général Orry (5) aux
Intendants, elle conforte l’impression de malaise, voire de crise ; et l’on est
bien obligé de parler de sous-développement agricole français. S’il existe une
(2) suite
B 3432 Lettres Royaux. Folio 251 et s. : Déclaration royale du 25 mai 1763.
B 3705, arrêts de réglement: arrêt du 30 juin 1763 enregistrant la déclaration
royale du 25 mai 1763.
B 3433 Lettres Royaux. Folio 688 v : Edit du 19 juillet 1764.
B 3705 Arrêts de Règlement : Arrêt du 2 août 1764 enregistrant l’édit du 19 juillet
1764 (exécution provisoire).
B 3705 Arrêts de Réglement : Arrêt du 10 octobre 1764 (exécution définitive).
B 3434 Lettres Royaux : Folio 71 : Lettres Patentes du 7 novembre 1764 (Edit de
Fontainebleau).
B 3705 Arrêts de Réglement : Arrêt du 23 janvier 1765 enregistrant les Lettres
Patentes.
B 3676 Délibérations : Remontrances sur les charettes et Transits délibérées le 17
décembre 1766.
B 3677 Délibérations : Lettre au Roi sur les grains le 21 novembre 1768.
B 3677 Délibérations : arrêt du 27 janvier 1769 sur la police des bateaux.
B 3677 Délibérations : délibération du 26 juin 1769.
B 3677 Délibérations : Remontrances du 4 décembre 1769 sur l’édit de 1768
concernant les dons gratuits, rédigées en exécution de l’arrêté du 10 octobre 1769.
B 3706 Arrêts de réglement : Arrêt du I e juin 1770 sur l’exécution de la déclara
tion de 1763 à Avignon.
Méjannes 959 T. XIV. F 188-189 : Délibération du 2 octobre 1770.
Méjannes 959 T. XIV. F 188-189 : Arrêt du 3 octobre 1770.
B 3677 Délibérations : Lettre au Roi sur le Commerce des bleds du 10 novembre
1770.
B 3677 Délibérations : arrêté du 10 novembre 1770.
(3) CF : Labrousse, op. cit. CF également I, 24.
(4) Les chiffres généralement indiqués donnent 21 millions en 1700, 24 millions en
1770. De ce fait, l’agriculture doit être à même de nourrir ce surcroît de population.
(5) CF : F. de Dainville : Un dénombrement inédit au XVIIIe siècle : l’enquête du
Contrôleur Général Orry. Revue Population. 1952, n° 1, p. 49-68.
�326
France riche dans le Nord et le Nord-Est, l’Ouest et les pays de la Loire
vivent médiocrement. Quant à la France du Sud, hormis quelques ilôts, elle
est misérable. Le Sud-Est et la Provence notamment sont des régions
pauvres : les récoltes de blé sont médiocres, le prix du grain est élevé,
souvent excessif.
L’agriculture, malgré des mutations importantes dues aux progrès scien
tifiques (et à l’influence des Economistes) ne connaît pas, à la différence de
la Grande-Bretagne, une révolution agricole. Révolution qui en France n’aura
heu que la décennie suivante et qui d’ailleurs ne sera que très partielle.
Tout au contraire, c’est la stagnation agricole qui apparaît aux yeux de
l’observateur. Stagnation qui se manifeste tant au niveau de la production
(essentiellement irrégulière selon les régions et les années) et du rendement
médiocre (6), qu’à celui des techniques agricoles désuètes.
A ces obstacles, s’ajoutent la politique mercantiliste de l’Etat, la
consommation insuffisante, les moyens de communication inadaptés ou
inexistants, la circulation entravée. Le fait est qu’au stade de la consomma
tion, il existe le plus souvent une alternative dans le mal : la disette ou la
cherté.
Tel est, sommairement brossé, le sombre tableau à l’orée de ces années
soixante. Tableau qui suscite de 1760 à 1770 des controverses passionnées
entre la Monarchie et sa Police des grains d ’une part, les Economistes et les
Physiocrates d’autre part. A ce débat s’ajoute un troisième acteur qui pour
nous sera le témoin principal : le Parlement de Provence. Dans ce procès où
chaque partie est tour à tour accusatrice et inculpée, émerge un choix
crucial : pour ou contre la liberté ; en l’occurence la liberté économique.
Est-ce l’intérêt du consommateur ou celui du producteur qui doit être
privilégié ?
A partir de Colbert, la Monarchie avait ouvertement fait le jeu du mercan
tilisme qui se traduisait par une politique dirigiste tant à l’intérieur qu’à
l’extérieur et par la subordination de l’agriculture à l’industrie et au
commerce. Cette longue domination du mercantilisme qui, au XVIIIe siècle,
s’était sclérosé au point d ’aboutir à une réglementation tatillonne, s’achève
vers 1750. Désormais la Monarchie, qui est partagée entre deux tendances
opposées : un mercatilisme souple ou l’adoption d ’un libéralisme de type
anglais (un commercialisme), doit, sous la double pression des partisans de la
police traditionnelle et des novateurs, arbitrer et opérer un choix au terme
duquel la police des grains sera maintenue, assouplie ou abrogée.
L’agriculture est en effet sous la dépendance de la police des “vivres”,
de la police des grains. Sous l’Ancien Régime le terme de police signifie lato
sensu l’administration. Cette police, loin d ’être monolithique, connaît un
(6) CF pour la Provence II - 2 - 3.
�327
certain nombre de “divisions” (7) dont la police des grains. Cette dernière est
une police ancienne qui date du Moyen Age et dont les traits essentiels sont
fixés au XVIe siècle (8).
Au XVIIe siècle la déclaration royale du 31 août 1699 codifie la
législation antérieure et constitue la charte du commerce des grains jusqu’en
1763. Ses autorités sont multiples : le roi, les arrêts du Conseil, les
Intendants, les Parlements et la police subalterne (9).
Cette police qui, affirme Delamare, auteur du célèbre traité sur la
Police, est “la plus précieuse et la plus importante pour l’ordre public” , a
deux secteurs d ’intervention : la vente au marché public, qui est la clé de
voûte de cette police et la “traite” des grains. Elle présente trois caracté
ristiques : elle réglemente étroitement le commerce des grains et surveille les
marchés (surtout dans la région Parisienne) (10). D’autre part elle contrôle la
circulation entre les provinces (la “traite” ) que le Roi dirige de haut. Enfin
elle interdit la sortie des grains du Royaume sauf si un arrêt du Conseil
l’autorise pour un temps limité. L’importation, quant à elle, étant en général
libre.
Delamare confère à la police des grains une double finalité : “récompen
ser le travail du particulier et en tirer toute l’utilité que le public a le droit
d ’en attendre” (11). Tout en adm ettant que le producteur est le propriétaire
de ses grains, cette police estime que le devoir social l’oblige à affecter le
surplus de ses grains aux besoins du public. Sa quête qui s’analyse en une
conciliation de l’intérêt privé du laboureur et de celui du public, en une
sauvegarde de la liberté du vendeur et de l’acheteur, l’amène à déterminer un
prix modéré, un “juste prix” et à instaurer un régime de liberté surveillée. Et
ceci du fait, affirme Delamare, que son but consiste à “avoir du pain
suffisammment et à juste prix” (12).
Or cette police des grains est l’objet de la part des Physiocrates d ’une
critique systématique qui débute vers 1756 pour prendre une forme doctri
nale dans les années soixante. La Physiocratie, mouvement spécifiquement
(7) Delamare : Traité de la Police, Livre I, I, p. 4 distingue : police religieuse, des
moeurs, de la santé, de la voierie, de la sûreté et tranquilité publiques, des sciences et arts
libéraux, du commerce, du travail, des pauvres.
(8) Par deux règlements généraux du 4 février 1567 et du 27 novembre 1577. CF.
Olivier-Martin op. cit. (p. 196).
(9) Olivier-Martin étudie (p. 32 à 171), avec minutie, les différentes autorités de
police : le Roi, le Conseil, les Commissaires, les Parlements, les lieutenants de police, les
autorités de police de la voierie, les justices seigneuriales, les Municipalités, les corps et
communautés du commerce et de l’industrie.
(10) CF. 7 - 2 , 9 et 11.
(11) Op. cit. II, p. 33.
(12) Op. cit. II, p. 245.
�328
français, est une doctrine à la fois économique et politique. Le fondateur de
la “secte” , F. Quesnay, livre en 1756-1757 ses premiers écrits à l’Encyclo
pédie (les articles Fermier, Grains). En 1758 il compose le “Tableau
Economique” ; mais l’école, le parti ne se développe véritablement et ne
formule son programme que de 1764 à 1770. Nombreux sont les disciples de
l’école : le marquis de Mirabeau, Dupont de Nemours, Le Trosne, Mercier de
la Rivière, l’abbé Beaudeau. Certains firent sécession : tel Abeille. Par ailleurs
le Parti compte nombre d ’amis : des politiques tels Turgot, Laverdy,’
Trudaine de Montigny, mais également un certain nombre de Parlements :
ceux du Languedoc, du Dauphiné et de Provence.
Malgré la brièveté de son existence, le fait est à noter, la Physiocratie
exerça une influence certaine, ne serait-ce que sur certains Ministres, le
Contrôle Général et nombre d’intendants.
De fait, au départ, le mouvement Physiocratique n’est qu’un facteur de
réaction, au même titre que l’influence anglaise ou les progrès scientifiques,
contre l’agriculture et la police des grains mais il élabora progressivement une
idéologie qui passa au rang de doctrine pour s’attaquer à une police qui, elle
ne reposait sur aucun fondement doctrinal ! Le programme Physiocratique,
schématiquement esquissé est à la fois destructeur et constructif. Il est
destructeur en ce que l’école dénonce en bloc le Mercantilisme, le Colber
tisme, la police des grains, le retard de l’agriculture et du prix des
céréales (13) ; en bref toutes les entraves à la liberté. Mais il est constructif
dans la mesure où la Physiocratie préconise trois remèdes : le développement
de l’agriculture (14), seule branche de la production fournissant un “produit
net” , c’est-à-dire un accroissement de la fortune générale du pays ; un “bon
prix” qui sera favorable au producteur comme au consommateur puisqu’il
accroîtra le “produit net” . Enfin la liberté générale et absolue de la
circulation intérieure et de l’exportation.
Ces positions déjà fondamentalement divergentes de la police tradition
nelle des grains et des Physiocrates se creusent davantage encore entre 1763
et 1770.
La Monarchie, avec sa police des grains, avait une politique économique
longuement éprouvée et répugnait à l’abandonner au profit d’une liberté
absolue qui lui paraissait propre à ébranler l’Etat et le peuple. Jusqu’en 1750
il en résulte une politique et une action sinusoïdales : c’est en fonction de la
conjoncture économique favorable que les arrêts du Conseil autorisent au
moyen de “permis” la libre circulation intérieure et l’exportation à court
terme. Mais dès que se profile une disette, la réglementation minutieuse
reprend ses droits. A partir de cette date, une partie de l’opinion éclairée et
nombre de membres de la haute administration royale sont progressivement
(13) Le prix du blé est à la fois bas en général, du fait du retard qu’il a accumulé
et élevé à certains moments, du fait d’une disette. CF. I - 10 et 24.
(14) Mais essentiellement celui de la “nouvelle agriculture” de la grande propriété
- ce qui traduit leur capitalisme agraire.
�329
gagnés aux idées de liberté. Ainsi en est-il de Trudaine à la “Direction des
affaires du commerce” et de Gournay, Intendant du commerce (15). Ce
dernier parvient à faire adopter le fameux arrêt du Conseil du 17 septembre
1754 établissant la libre circulation dans le Royaume sans permission ni
passeport. Cet arrêt constitue la première brèche dans le système réglemen
taire, toutefois il s’agit encore d ’un voeu plutôt que d ’une réalité dans la
mesure où subsistent toutes les entraves à la circulation, que ce soient les
douanes ou les péages. Il faudra attendre la déclaration royale du 25 mai
1763 (16) qui résulte de l’influence du Contrôleur Général Bertin et des
Physiocrates pour porter le premier coup important à la police des grains en
assurant la libre circulation. Laverdy, sucesseur de Bertin au Contrôle
Général, se décide enfin à faire adopter le principe de la.libre exportation par
l’édit du 19 juillet 1764 (17).
Toutefois il convient de remarquer que ces mesures ne sont que
permissives, pré-libérales ; d ’autre part la Monarchie mène une sorte de
double jeu en pratiquant une politique prudente et réaliste.
Or cette ambiguité, cette indécision royale irritent, exacerbent les esprits
lorsque surviennent les mauvaises années à partir de 1766. Dès lors la partie
éclairée de la Nation se divise en deux camps et engage une polémique
interminable : d ’un côté les adversaires de la nouvelle législation (18), de
l’autre les Physiocrates et leurs amis, dont le Parlement d ’Aix. De fait la
nouvelle législation ne résista pas à l’épreuve des faits d ’autant que si Maynon
d ’Invau lui était favorable, Terray qui lui succède en 1769 en est l’adversaire.
Ainsi à la fin de 1770 tout est consommé, la Monarchie, après avoir tenté sa
première expérience libérale (avant celle de Turgot), abandonne les Econo
mistes et renoue avec la police traditionnelle des grains.
Or à la fin de l’année 1770 : le 10 novembre, le Parlement de Provence
écrit au Roi une longue lettre “sur le commerce des bleds” . Depuis la fin de
la guerre de Sept Ans, l’“opposition Parlementaire” (19) concentre ses
attaques sur la Monarchie administrative et les agents du Roi en province ;
elle critique avant tout les finances royales (20). C’est dans le contexte de la
(15) Gournay, représentant de l’école commerciale, a eu un rôle majeur en
préparant le terrain aux Physiocrates, mais lui-même ne peut être considéré comme un
membre du parti. Sur ces rapports CF. Weulersse I —(p. 58-60).
(16) CF. 1 - 2 .
(17) Ibid.
(18) Les adversaires sont hétérogènes : le peuple, le Bureau du commerce (jusqu’à
1750 environ) le Bureau de l’Hôtel de Ville de Paris, l’Assemblée générale de police, les
marchands et manufacturiers “officiels”, les Parlements de Paris, Rouen, Dijon, Bordeaux,
des hommes : Grimm, Graslin, Galiani, Linguet, Terray.
(19) CF. J.Egret : Louix XV et l’opposition Parlementaire. Paris. 1970. 246 p.
(20) Laverdy, tout en convenant, des excès commis en matière financière, note:
“Vous ne connaissez pas l’extrémité des maux de la France”. Lettre du 22 août 1764.
Correspondance Miromesnil (III 359-360) in Egret (p. 132).
�lutte entre la Monarchie et ses Parlements qu’il faut situer l’opposition du
Parlement d’Aix à la police des grains. Toutefois il convient de préciser que,
d’un point de vue général, son opposition à la Royauté est des plus
modérées.
La Cour d ’Aix (à l’instar de celles de Grenoble et de Toulouse)
s’intéresse depuis 1760 à la question des grains (21). Si le Parlement
manifeste un tel intérêt pour ce problème à la fois économique et politique
c’est que, selon toute vraisemblance, il baigne dans un climat favorable.
Cependant il est nécessaire de vérifier cette hypothèse. Les recherches et les
dépouillements que nous avons entrepris entre 1760 et 1770 sur les
“ Délibérations” et les “Arrêts de Réglement” du Parlement (22) démontrent
le souci constant dont il témoigne à l’égard de l’agriculture et du commerce
des grains. Il ne peut donc s’agir d ’une œuvre purement dictée par les
circonstances. En effet en 1768, le 8 juillet, l’Intendant et Premier Président
du Parlement, Gallois de la Tour, écrit une lettre au Contrôleur Général
consacrée à la liberté de l’exportation (23). Quelques mois plus tard, Turgot
m ettant à profit l’offre de Gallois de la Tour qui s’était proposé de défendre
la liberté économique, demande au Parlement d’écrire au Roi : c’est la longue
lettre “sur les grains” du 21 novembre 1768 (24) (que Weulersse commente
incidemment dans son maître ouvrage). Quant à la lettre du 10 novembre
1770, il faut bien constater qu’elle est quasiment inconnue (25), qu’elle n’a
jamais attiré l’attention des Historiens. Le choix de cette lettre résulte d ’un
certain nombre de raisons concomitantes. Il s’agit d ’une pièce d’archive
inconnue. D’autre part chronologiquement elle se situe à un tournant capital
de la tentative libérale, au paroxysme de la crise : 1770 marque à la fois la
fin du parti physiocratique, le retour à la réglementation et annonce le
prochain exil des Parlements. D’où son intérêt majeur. A cela s’ajoute le fait
que le Parlement d ’Aix est l’ami des Physiocrates et ceci est patent dans
cette lettre.
Pourquoi s’est-il rallié aux thèses physiocratiques ? depuis quelle épo
que ? Cette lettre constitue-t-elle un exposé systématique (26) ? traduit-elle
une adhésion totale à ces maximes ou bien existe-t-il des divergences et
sont-elles majèures ?
(21) A ce propos il convient d’évoquer le rôle des Parlements en matière de police
(et notamment leurs arrêts de réglement).
(22) CF. le détail de cette intervention dans le relevé des sources manuscrites. In
Bibliographie.
(23) Les Ephémérides du citoyen. Paris 1768 —T. VI. Cote B.N. : Z-21 914 147.
(24) Archives des B.D.R. : Délibérations B - 3677.
(25) Excepté Robert, op. cit. qui résume la lettre de 1768 et se réfère à celle de
1770.
(26) Robert, op. cit. p. 574 affirme “l’ensemble de ces réflexions et de ces
controverses n’affecte point la forme d’un corps de doctrine coordonné et homogène”.
�331
Autant de questions qu’il s’agit de tenter d ’élucider en étudiant une
lettre fort longue et traitant d’une matière complexe.
C’est pourquoi il paraît logique de livrer cette pièce d ’archive en lui
adjoignant un commentaire en note. De même la commodité et la clarté
exigent, quoique le procédé soit quelque peu artificiel, de diviser la lettre en
trois parties :
— Des bienfaits de la nouvelle police et des méfaits de l’ancienne.
— Du particularisme Provençal.
— Du rôle de la puissance publique quant à la police et à la liberté.
�TENEUR DE LA LETTRE ECRITE AU ROY SUR LE
COMMERCE DES BLEDS (1) EN EXECUTION DE L’ARRETE
DE LA COUR DU 10 NOVEMBRE 1770
I -
DES MEFAITS DE L’ANCIENNE POLICE DES GRAINS
ET DES BIENFAITS DE LA NOUVELLE
Sire,
Votre parlement de Provence voit avec douleur que des patriotes zélés,
des magistrats respectables ne cessent de réclamer contre les sages disposi
tions de la déclaration du moi de may 1763 et de l’édit de juillet 1764
concernant la police des grains (2). Sera-t-il donc écrit dans nos fastes que la
(1) Il convient de rappeler l’ambiguité terminologique du terme “bled” au
XVIIIe siècle : il désigne soit le froment, soit les céréales consommées par les hommes :
froment, méteil, seigle, voire l’orge, soit enfin l’ensemble des céréales.
(2) La déclaration royale du 25 mai 1763 (cf. Isambert T. 22 p. 393) qui consacre
le principe de la liberté du commerce des grains, c’est-à-dire de la circulation intérieure
dans le Royaume (excepté Paris) s’ouvre par un préambule qui, de prime abord, semble
rendre aux producteurs, conformément aux vœux des Economistes, la place qui leur est
due.
“La culture et le commerce des denrées nécessaires à la vie, ayant toujours été
regardés comme l’objet le plus important pour le bien des peuples, les rois nos
prédécesseurs ont donné une attention toute particulière aux moyens d’en procurer
l’abondance, en ménageant également les intérêts des cultivateurs et ceux des consomma
teurs. Ils ont regardé la liberté de la circulation dans l’intérieur comme nécessaire à
maintenir ; mais les précautions qu’ils ont cru devoir prendre pour empêcher les abus, ont
souvent donné quelque atteinte à cette liberté. Animés du même esprit, et persuadés que
rien n’est plus propre à arrêter les inconvénients du monopole, qu’une concurrence libre
et entière dans le commerce des denrées, nous avons cru devoir restreindre la rigueur des
réglements précédemment rendus pour encourager les cultivateurs dans leurs travaux, et
donner à cette portion précieuse de nos sujets des marques particulières du soin que nous
prenons de ses intérêts”.
La déclaration pose quatre principes dans ses quatre articles : l’article Ie permet à
tous les sujets le commerce des grains, c’est-à-dire la vente, l’achat et la constitution de
magasins. L’article 2 autorise la libre circulation des grains dans le royaume, les affranchit
des formalités antérieures et interdit à la police, comme aux seigneurs, de troubler cette
circulation. Quant à l’article 3 il prohibe la perception des droits de péages, passage,
pontonage aux titulaires de ces droits, mais maintient les droits de hallage, de péage et
les autres droits de marché. Enfin l’article 4 annule toutes les mesures contraires à la
déclaration.
L’édit du 19 juillet 1764 (Cf. Isambert T 22 p. 403-404) qui complète la déclaration
et autorise la libre exportation, débute par un préambule extrêmement circonstancié qui
traduit la nette influence des Physiocrates (notamment l’idée d’un nécessaire relèvement
du prix des grains et celle de l’intérêt du producteur).
�333
Nation n ’a su jouir qu’un petit nombre d ’années du plus grand bienfait
qu’elle eut reçu de ses monarques. Il ne nous vient point en pensée que les
instances réitérées des défenseurs de l’ancienne police puissent ébranler
(2) suite
“Louis, etc. L’attention que nous devons à tout ce qui peut contribuer au bien de
nos sujets, nous a porté à écouter favorablement les vœux qui nous ont été adressés de
toutes parts, pour établir la plus grande liberté dans le commerce des grains, et révoquer
les lois et les réglements qui auraient été faits précédemment, pour le restreindre dans les
bornes trop étroites. Après avoir pris les avis des personnes les plus éclairées en ce genre,
et en avoir mûrement délibéré en notre conseil, nous avons cru devoir déférer aux
instances qui nous ont été faites pour la libre exportation et importation des grains et
farines comme propre à animer et à étendre la culture des terres, dont le produit est la
source la plus réelle et la plus sûre des richesses d’un Etat, à entretenir l’abondance par les
magasins et l’entrée des blés étrangers, à empêcher que les grains ne soient à un prix qui
décourage le cultivateur, à écarter le monopole par l’exclusion sans retour de toutes
permissions particulières, et par la libre et entière concurrence dans ce commerce ;
entretenir enfin entre les différentes nations cette communication d’échanges du superflu
avec le nécessaire, si conforme à l’ordre établi par la divine Providence, et aux vues
d’humanité qui doivent animer tous les souverains. Nous avons reconnu qu’il était digne
de nos soins continuels pour le bonheur de nos peuples, et de notre justice pour les
propriétaires des terres et pour les fermiers, de leur accorder une liberté qu’ils désirent
avec tant d’empressement ; et nous avons même cru devoir mettre, par une loi solennelle
et perpétuelle, les marchands et négociants à l’abri de toute crainte de retour aux lois
prohibitives : mais pour ne laisser aucune inquiétude à ceux qui ne sentiroient pas encore
assez les avantages que doit procurer la liberté d’un tel commerce, il nous a paru
nécessaire de fixer un prix au grain, au-delà duquel toute exportation hors du royaume en
seroit interdite, dès que le blé seroit monté à ce prix ; et comme nous ne devons négliger
aucune occasion d’exciter l’industrie, nous avons résolu de favoriser en même temps la
navigation française, en assurant aux vaisseaux et aux équipages français, exclusivement à
tous autres, le transport des grains exportés”.
L’article Ie confirme l’article 1 de la déclaration de 1763 et interdit de porter
atteinte à la circulation intérieure. L’article 2 autorise le libre commerce des grains tant à
l’intérieur qu’à l’extérieur du Royaume. L’article 3 prévoit que la libre sortie des grains se
fera par terre et par mer, mais l’article suivant ajoute que l’exportation maritime n’est
possible que dans certains ports énumérés de manière limitative (en Provence : Marseille
et Toulon) et que sur des vaisseaux français.
L’article 5 a trait à l’entrée des blés étrangers qui, selon l’édit, doit prévenir la
cherté. L’article 6 suspend l’exportation lorsque le prix du grain atteint 12 livres 6 sols le
quintal (30 livres le setier) et se maintient durant trois marchés consécutifs. Ces grains
exportés payeront (article 7) un droit de sortie de un demi pour cent, (quant aux grains
importés, ils payeront de 1 à 3 pour cent). L’article 8 autorise les étrangers à faire entrer
les grains et leur accorde une garantie : la reexportation.
L’article 9 affirme que cet édit déroge à toutes les mesures contraires, toutefois il
conserve les réglements de police de Paris.
Théoriquement cette législation royale manifestait un libéralisme économique cer
tain, cependant les restrictions qu’on peut déjà noter tant dans les préambules que dans
certains articles ainsi que l’exécution de ces mesures aboutirent à un régime de demi
liberté, à un régime “permissif” tant pour la circulation intérieure que pour l’exporta
tion (Cf. notes 1, 21 et 31).
�334
l’opinion du Souverain législateur (3) ; quand on a si bien connu l’influence
(3) La police traditionnelle des grains :
La clarté de cette question complexe implique une distinction entre la vente au
marché public, clé de voûte de cette police, et la “traite” des grains (de même il faudrait
encore différencier l’activité de cette police en temps normal et en période de disette).
La vente au marché public :
Selon deux ordonnances royales de 1305 et de 1351, les grains qui sont menés à la
ville pour être vendus doivent être exposés au marché ou à la halle aux blés. En 1393,
l’ordonnance du prévôt de Paris compléta cette obligation par l’interdiction d’aller au
devant des marchandises sur les routes ou aux ports.
De fait cette obligation de commercer au marché entraîna une conséquence : les
marchés devaient être garnis ou fournis de manière constante. Cette garnison des marchés
ou fourniture incomba aux producteurs (qui devaient vendre ce qui exédait leurs besoins)
et aux marchands.
Un réglement (du 27 novembre 1577) imposa aux laboureurs, à peine de confisca
tion, de ne pas garder les grains en grenier plus de deux ans. Qui plus est, on leur interdit
d’acheter des grains pour éviter qu’ils ne se muent en marchands de blés.
Quant aux marchands de grains (les blatiers), une série de textes (réglements de
1567 et 1577, ordonnance de 1629, déclaration de 1699) réglementa l’exercice de leur
profession (l’autorisation préalable à l’exercice de la profession était octroyée par le juge
royal du ressort), et les contraignit à garnir le marché des villes au moins une fois par
mois. La déclaration de 1699 précisa que le commerce des grains était prohibé aux
laboureurs, gentilhommes, meuniers et boulangers. Ainsi les marchands de grains se
trouvaient soumis à la surveillance directe de la police : ils ne pouvaient pas amasser le
grain ou l’acheter dans un certain rayon —de 2 à 10 lieues — autour des villes; leurs
magasins servaient de greniers. De plus l’achat et la vente du marchand étaient étroitement
limités : il ne leur était pas loisible d’aller au devant des grains, d’acheter sur les chemins,
de faire des enarrhements (mises d’arrhes avant récoltes) et des achats de blé en vert. Si
les marchands de Paris peuvent posséder les magasins (ou greniers) servant d’entrepôts, ils
ne peuvent vendre en ces beux.
La règle est encore plus stricte pour les marchands forains qui ne peuvent “resserer”
les grains (c’est-à-dire constituer des greniers) en attendant que le prix monte. Enfin la
police leur interdit les monopoles (Lettres du 10 juin 1539), c’est-à-dire les manoeuvres
frauduleuses (et elles étaient nombreuses) telles que achat de blé sur pied, société entre
marchands etc . . ..L’attitude de méfiance, caractéristique de l’ancienne police, à l’égard de
ceux qui font le commerce des grains, rendit nécessaire l’intervention d’intermédiaires
spécialisés : les officiers de police. Ces derniers interviennent dans l’hypothèse de garde
des grains, c’est-à-dire lorsqu’il s’agit d’exposer au marché suivant les grains invendus ; ils
interviennent également dans le “mesurage” des grains, opération essentielle sur les
marchés et les ports. La réglementation du marché qui, dans chaque ville, est le fait de
l’autorité de police est minutieuse.Elle fixe les jours de marché, les heures d’ouverture
et de fermeture ainsi que l’ordre des opérations.
Il est une règle qui date de 1416 (et qui persistera jusqu’en 1770) : c’est la règle
dite des "trois marchés”; les laboureurs et les marchands qui n’auraient pas vendu le
grain, sont forcés de le faire au troisième marché au cours du jour.
Par ailleurs on note une série de prohibitions : "l’embouchure” (mélange de grains
de qualités différentes), la “survente” (la hausse après le cours d’ouverture) et la revente
ou "Regrat”. Enfin le marché est ouvert à des heures différentes pour les divers acheteurs
�335
(3) suite
qui se succèdent dans un ordre déterminé : les bourgeois et les habitants des campagnes,
les boulangers et les marchands. Somme toute, si c’est la déclaration du 31 août 1699 qui
constitue la charte de ce commerce et si elle subsiste jusqu’en 1763, les règles
fondamentales sont posées et affirmées dès le XVIe siècle. (Cf. la position du Parlement
d’Aix sur ces réglements 1-43).
La traite des grains:
L’expression “traite des grains”, synonyme sous l’Ancien Régime de commerce des
grains, est le fait de tirer les grains d’une province riche au profit d’une province dans
l’embarras.
De fait c’est le problème des transports, c’est-à-dire la “voiture” (par bateau ou
route) qui domine (de manière indirecte) la question.
A l’origine les baillis, les sénéchaux autorisaient la sortie de blés de leur ressort ;
puis à la fin du XVe siècle, les gouverneurs de province se prétendirent qualifiés pour en
décider. Il en résulta des conflits de compétence et par voie de conséquence des abus. Dès
lors il apparut que l’autorité du roi était nécessaire. Des lettres patentes de mars 1516 et
de novembre 1539 attribuèrent au roi ce droit de manière définitive. Ces lettres fixèrent
la finance due au roi pour transporter dans certaines provinces et vers l’étranger (“droit
de traite foraine” ou “domaine forain”). Un règlement de juin 1571 spécifia que le droit
d’autoriser les traites hors du royaume était un droit royal et domanial.
Au XVIIe siècle, c’est le roi, renseigné par ses Intendants, qui règle les traites. Il les
autorise lorsque il est informé que la province est suffisamment garnie (ordonnance de
1629). Le plus souvent le souverain les permet aux provinces fertiles, dirige leurs
disponibilités vers les provinces déficitaires et fait exporter le surplus.
En général les arrêts du Conseil ouvrent l’exportation aux provinces maritimes ;
quant à l’importation de l’étranger, si elle est assez rare du fait des bas prix français et du
coût des transports, elle est pratiquement libre. En définitive, c’est donc le Roi qui
autorise le transport de province à province et l’exportation.
Toutefois l’existence de douanes intérieures compliquait singulièrement la “Traite”.
On différenciait mal, voire pas du tout, le commerce intérieur du commerce extérieur. En
effet, si depuis Colbert les douanes avaient été abolies dans les cinq grosses fermes, il n’en
demeurait pas moins que la Provence, province “réputée étrangère”, devait payer des
droits pour faire passer les denrées des cinq grosses fermes vers la Provence et inversement
(Cf. II, 3). De fait les douanes intérieures se superposaient aux douanes extérieures.
D’autre part le commerce des grains entre les provinces se caractérisait par un
égoïsme local de l’intendant et des consommateurs ; égoïsme qui jouait au détriment des
producteurs, favorables dans l’ensemble à une certaine liberté.
Ceci explique, du moins en grande partie, la réglementation de la circulation
intérieure, empreinte d’une crainte constante : que la cupidité des marchands n’aboutisse à
mettre dans l’embarras de riches provinces. Dès lors on comprend la minutie de la police
des grains qui s’attache à déterminer la quantité de grains à extraire et qui impose aux
marchands une déclaration, des visas aux passages et aux points d’arrivée.
Somme toute, il apparaît que ce n’est qu’en fonction de la situation intérieure, que
le Roi règle le commerce avec l’étranger et ceci selon la ligne directrice de sa politique
extérieure.
Cf. Olivier-Martin, Op. cit. (p. 172-241). Afanassiev op. cit (87-95). Binet, op. cit.
(p. 41-62).
�de la liberté sur le commerce (4) et sur la culture (5) on ne cherchera jamais
l’abondance dans les genes et dans les règlements, convaincus que Votre
Majesté voit aujourd’huy ces objets du même oeil qui perça la nuit obscure
des préjugés, nous ne redoutons que cette bonté infinie qui l’engage quel
quefois à faire céder ses lumières à celles de ses serviteurs.
Des images touchantes sont ramenées sans cesse sous les yeux, des cris
douloureux se font entendre aux oreilles d ’un père tendre, un bien qui afflige
un grand nombre de ses sujets peut cesser de luy paraître désirable. Il
importe donc de faire connaître à Votre Majesté, que ce n’est point la
liberté, mais l’infraction des loix de la liberté (6) concourant avec l’intem
périe des saisons qui a fait couler des larmes et que le retour au régime
(4) Au cours du XVIIIe siècle le commerce intérieur tend à devenir permanent et
régional. Le gros commerce porte sur les denrées essentielles, sur le blé. Or ce commerce
est entravé par le mauvais état et l’insuffisance des moyens de communication, la
multitude des réglements, des péages et douanes.
Sur ce point la Cour d’Aix se sépare de la Physiocratie et a une position originale.
Le commerce est, à ses yeux, essentiellement celui des productions agricoles. Elle juge
qu’il est lié à l’agriculture et à l’industrie. C’est un moyen, un véhicule de la prospérité de
l’Etat : c’est une branche de l’économie qui ne se soutient que par les rapports qui
existent entre les différentes branches de cet arbre. Dès lors l’entraver, revient à bloquer
l’économie. Cette position est parfaitement exposée dans sa délibération du 26 juin 1769
(B 3677) “le commerce est un cercle dont toutes les parties répondent à un même
centre . . . cette machine .. . doit trouver en elle-même et dans son activité innée le
principe de son mouvement . . . qu’aucune résistance ne retarde et qui doit se renouveler
sans cesse par la circulation continuelle des marchandises. L’intérêt politique peut amener
dans le commerce des restrictions utiles . . . mais ces opérations délicates demandent un
concours de lumières . . . La matière du commerce est immense . . . Qu’on laisse au
commerce tout son essor, il pourvoira de lui-même à tout, il pénétrera partout avec cette
rapidité et cette force reproductive qu’il tient de la liberté”. De fait le Parlement est fondé
à parler des bienfaits de la liberté (Cf I, 19, 30 ; II 6). Weulersse quant à lui (op.cit. p.233)
estime qu’elle a été la cause ou la condition de l’accroissement de la production et de la
régénération de l’agriculture, même si elle fut restreinte et passagère (Cf. I, 30).
(5) La cour, dans sa lettre de 1768 (B 3677) avait déjà posé un postulat
physiocratique :“c’est la culture qui est le vray thermomètre du succès de la nouvelle
législation .. . Votre Majesté a rendu la liberté et l’agriculture est déjà ranimée . . . ”
(CF I I 6).
(6) En s’élevant contre “l’infraction des loix de la liberté”, le Parlement dénonce un
fait manifeste : les atteintes au régime “libéral” qui eurent pour auteurs les autorités de
police, le peuple, les marchands et nombre de Parlements.
En ce qui concerne là police, il n’est qu’à voir une sentence du 14 novembre 1766
(Archives Nationales AD-XI-39) qui entame le principe de la liberté du commerce des
grains puisqu’elle interdit l’achat de grains, donc le commerce des grains, aux meuniers.
Quant au peuple, il réagit vivement à la hausse du prix des grains à la suite des mauvaises
récoltes de 1767 et 1768. Ce prix (qui atteint 42 livres le setier à Paris), cette cherté,
expliquent les émeutes populaires de Troyes en juin 1767 et les désordres de Rouen en
mars 1768.
�337
prohibitif serait une affreuse calamité pour les Provinces de son empire. Dieu
a créé les campagnes, les hommes ont construit les villes où ils se cor
rompent ; les abus ont fait les villes énormes qui sont les fléaux des sociétés
où elles s’élèvent. Vouloir procurer l’abondance dans les villes par la misère
des campagnes (7), ce serait combattre follement l’ordre naturel et renverser
par les fondements l’édifice de l’ordre social (8). Une culture animée, un
commerce libre amèneront toujours les grains dans les lieux où sont
rassemblés les possesseurs de l’argent (9), mais cette même liberté rétablissant
la juste proportion entre les prix des grains et celuy des autres marchandises
(6) suite
D’ailleurs les Lettres patentes du 10 novembre 1768 avouent que la législation
libérale n’a pas été rigoureusement appliquée, elles font allusion aux “craintes dans l’esprit
d’une grande partie des sujets et de ceux chargés de son application”, aux “communautés
qui sont exposées à la violence du peuple et à des poursuites judiciaires rigoureuses”.
Cette cherté et l’émotion populaire eurent des répercussions sur les Parlements qui,
dès 1768, amorcèrent une volte face. Il n’est qu’à voir les arrêts du Conseil cassant un
grand nombre de leurs arrêts. Le Parlement de Rouen, en avril 1768, rétablit la plupart
des réglements de marché (cassé par l’arrêt du Conseil du 20 juin). Celui de Paris, en
janvier 1769 rétablit la déclaration obligatoire pour tous les marchands de grains (cassé le
22, il le reconfirma). En 1770 le Parlement de Bordeaux remit en vigueur l’obligation de
garnir les marchés. Celui de Dijon fit entamer la recherche et la visite des dépôts de grains.
D’autres autorités s’en mêlèrent : ainsi le lieutenant de police de Fontenay le Comte
restaura l’ancienne police et si ses ordonnances furent cassées, les officiers de police de
Tours et de Saumur l’imitèrent. Enfin on a fait état, par exemple à Nantes, de manoeuvres
dolosives de la part des commerçants pour obtenir la suspension de l’exportation. Donc de
1767 à 1770 on assiste à une série d’atteintes à la nouvelle législation (sur ces problèmes
CF Weulersse ; p. 589-595 et Olivier-Martin : 356-360).
(7) Fidèle à la thèse Physiocratique, le Parlement de Provence oppose la campagne à
la ville. Opérant une sorte de dichotomie au terme de laquelle Dieu et la campagne sont la
proie de la ville, des hommes et de la corruption, il en déduit qu’obtenir “l’abondance
dans les villes par la misère des campagnes” est une hérésie économique et politique qui
débouche sur la ruine conjointe de l’agriculture et de l’Etat. Il en profite pour soutenir
que la hausse du prix des grains ne peut être dangereuse si l’on ramène les bras inutiles à
la terre. Telle est sa position dans la lettre de 1768 (B 3677): “Repousser dans les
campagnes les hommes et l’argent . . . répartir la population par des voyes douces et
insensibles est le plus grand art du gouvernement . . . la première loy qui paraît tendre à
une fin si désirable éprouve les plus grandes contradictions . . . le faux éclat de luxe des
villes est un signe de décadence, l’état florissant des campagnes sera toujours le signe
certain de la population, des forces et de la prospérité d’un Empire . . . Serait-ce un grand
mal si le nombre excessif d’artisans inutiles qui s’échappent au labourage pour se
corrompre dans nos villes souffrait quelque réduction ? ”.
(8) Cf. III - note 1.
(9) Reprenant l’axiome devenu Physiocratique du “laisser faire” et les vertus de la
concurrence, la Cour soutient que la liberté est beaucoup plus à même d’approvisionner le
marché et les villes que la police des grains (CF I, 11).
22
�fera nécessairement rehausser le premier pour atteindre le niveau (10) ; sur
une consommation de 120 000 setiers il en coûtera annuellement à la capitale
neuf ou dix millions qui seront rendus aux campagnes ; c’est une faible
portion de l’immense tribut qu’elle retire des provinces (11 ). C’en est assès
(10) Sur ce point le Parlement se fait le porte parole de la thèse physiocratique du
“bon prix” et de ses conséquences.
Selon l’école, le meilleur moyen de développer l’agriculture, le “produit net”, est de
permettre au producteur de vendre à un prix rémunérateur. Le “bon prix” (qui diffère du
juste prix) rétablira l’équilibre entre le prix des céréales et celui des autres marchandises.
Or en France le prix du grain a accumulé un tel retard qu’il n’autorise par le producteur à
subsister. Le relèvement du prix des grains, le bon prix, tant en fonction du prix de
revient que du cours mondial, doit s’établir aux alentours de 18 livres le setier. Comment
l’obtenir ? par une liberté entière du commerce intérieur et extérieur. En effet selon sa
théorie de “l’égalisation des prix”, l’école soutient que la libre circulation amène
l’égalisation des prix d’une province à une autre, d’une année à une autre : les écarts
tendront à disparaître, et le prix du vendeur se rapprochera de celui de l’acheteur ; seuls
les entrepositaires, les accapareurs seront les perdants de la nouvelle législation. Le peuple,
quant à lui, en sera le bénéficiaire puisque le prix baissera dans l’abondance ; d’autre part,
il ne sera plus exposé aux famines ; il est donc normal qu’il paye ce bienfait. En effet les
nouvelles lois “garantissent à jamais le consommateur des famines, disettes et chertés
excessives auxquelles il était exposé par intervalle, s’il paye cet avantage inestimable par
une augmentation nouvelle du prix, c’est la justice . . . ” (lettre de 1768-B 3677). Enfin
cette égalisation des prix qui résulte de la liberté profite à tous, même aux consomma
teurs puisque “tous les salaires prendront leur niveau lorsque la révolution d’un petit
nombre d’années aura fixé le prix mitoyen” (ibid). Il s’agit donc, estime le Parlement, de
promouvoir la liberté, le bon prix des grains et partant de les amener au niveau des autres
prix si l’on veut éviter la “misère des campagnes”. C’est pourquoi “il n’est pas dans
l’intérest de l’Etat de tenir les grains au dessous du prix naturel” (ibid).
La réalité donne à cette thèse un crédit certain.
En effet M. Labrousse a démontré dans ses travaux que si le cours du blé connaît
une hausse constante et sans précédent de 1735 à 1816 et passe de 15 livres, 17 sols
(pour la période 1726-1741) à 23 livres, 73 sols (pour la période 1758, 1770), il n’en
demeure pas moins que ce cours est insuffisant ; et ceci du fait que cette hausse est moins
rapide que celle des prix auxquels les producteurs sont astreints. C’est un fait qu’attestent
tous les auteurs du XVIIIe siècle et Quesnay notamment dans son article “fermier” à
l’Encyclopédie. Certes la hausse qui est lente jusqu’en 1764, s’accélère subitement à partir
de cette date pour culminer en 1789, toutefois cette progression n’est ni continue ni
régulière. Il se produit en effet des mouvements cycliques se manifestant par des années
de bas prix. Or les réformes douanières de 1763-1764 n’atténuèrent pas ces oscillations du
fait du prix des transports, de l’état déplorable des communications et surtout de la
conjoncture économique.
(11) C’est la Province qui alimente Paris soutient le Parlement. Delamare distingue
trois zones provinciales : celles qui entourent immédiatement la capitale (et qui la
nourrissent), celles qui jouxtent ce premier cercle, enfin les provinces éloignées telles que
la Provence.
Paris se trouve dans une situation privilégiée et ceci pour de multiples raisons : la
capitale est entourée de terres riches, le transport aisé et les réglements de Paris (qui sont
maintenus durant l’expérience libérale) établissent des zones échelonnées d’approvision-
�339
pour y exciter les murmures du vulgaire, le mécontentement des rentiers, et
le cri de la multitude qui entraîne souvent les plus sages (12). L’augmenta
tion nécessaire étant devenue trop forte par le dérangement des saisons (13),
une cherté onéreuse s’est faite sentir dans plusieurs provinces, la raison
exempte des préjugés démontre par les faits que cette cherté aurait été
beaucoup plus accablante sans les avantages de la liberté ; cependant ceux qui
étoient mal disposés pour la nouvelle police l’ont rendue responsable du mal
qu’elle n ’a pas fait et qu’elle a même diminué (14). Ses lois ont été
méconnues et violées ; des précautions meurtrières ont répandu la crainte qui
resserre et qui renchérit, rien de plus dangereux que d ’agiter les esprits sur la
matière des subsistances (15) ; la raison n ’a plus de prise, l’imagination règle
tout (16) ; elle crée des maux qui n’existaient pas, elle multiplie ceux qui
étoient déjà réels, elle fait éprouver la cherté dans l’abondance, elle convertit
le défaut d’abondance en disette et la disette en famine.
(11) suite
nement. De plus, la Monarchie qui craint les troubles populaires s’est toujours attachée à
obtenir pour la capitale du grain à bon marché.
Il est certain que la nouvelle législation, la conjoncture économique défavorable
après 1766 et l’expérience Malisset (CF 1,42) ont contribué à faire monter le prix des
grains. Toutefois puisque c’est la campagne, la province, qui nourrit la riche capitale, il est
logique qu’elle en retire un bénéfice, contre-partie du tribut qu’elle lui verse : “l’histoire
nous apprend que les grandes capitales ont presque toujours regardé comme un droit
acquis le privilège d’avoir le pain à meilleur marché, une ville des plus opulentes du
monde se plaint aujourd’huy de le payer au même prix que la Provence pauvre et dénuée
de ressources (Lettre de 1768-B 3677) (CF II, 2).
(12) CFI, 6.
(13) CFI, 14 et 24.
(14) A partir de 1766, le prix des grains tendit à devenir excessif. Les partisans de
l’ancienne police pour lesquels la liberté était synonyme de cherté triomphèrent : la
hausse était la conséquence de la liberté ! Disciple des Physiocrates, le Parlement ne cessa
de démontrer que ce'tte hausse résultait et des infractions aux lois libérales (CF 1-6) et des
intempéries.
Il est certains que les crises de sous-production agricole ne pouvaient être prévenues.
Et s’il n’y eut pas de disette à proprement parler, il y eut pour le moins une cherté
excessive. Cherté qui, comme le constate Weulersse, fut la conséquence de la conjonction
liberté-mauvaise récolte. Le Parlement s’attacha dans sa lettre de 1768 à prouver que la
cherté, compagne de la réglementation, était accidentelle .“Tout le monde convient que les
évènements qui sont arrivés depuis quatre ans sont hors de l’ordre commun . . . une foule
d’évènements presque inouïs ont concouru à renchérir les grains. La hausse des prix a été
générale . . . (mais) moindre que nous l’avions vue dans des circonstances moins cri
tiques . . . pourquoy donc accuser la liberté des maux qu’elle n’a pas faits et qu’elle a
peut-être adoucis. . . " (B 3677).
(15) Sous l’Ancien Régime, constater la panique du peuple dès que se manifestent
les symptômes, d’une crise agricole, est un lieu commun (Lemaire, par exemple insiste sur
la concentration des denrées dans les marchés, de manière à éviter l’émoi populaire). La
cour estime qu’on a sciemment excité le peuple (CF I - 6).
(16) CF. III-1.
�340
Il est réservé à la liberté solidement et paisiblement établie de tenir les
peuples dans une assiete tranquille, le labourage en activité et les prix dans
une juste proportion (17). La police réglementaire tarit les sources de
l’abondance par la diminution des moissons, elle concentre le peu de
commerce qui reste en des mains d’autant plus avides quelles sont dévouées à
l’infamie, elle fomente par l’avilissement de la denrée la paresse du journalier
et de l’artisan et bientôt l’accable par la cherté excessive et par la disette, elle
a cependant cet avantage que le gouvernement qui fait tout le mal n’en est
point directement accusé, la populace accoutumée aux réglements qu’elle
croit faits pour son bonheur ne s’en prend qu’à ceux qui les violent ou qu’on
suppose les violer, on luy livre de tems en tems quelques victimes sans que la
circulation en soit troublée parce qu’il n’y en a point ; quelques marchands
sont pillés ou rançonnés, ils recommencent leurs usures et s’en dédomagent,
des récoltes abondantes surviennent ; tout est oublié, les grains sont à bas
prix ou invendus, le cultivateur obscur devient la proye du collecteur, ses
gémissements ne sont entendus que des arbres et des rochers, les campagnes
se couvrent de friches on ne les voit pas, l’artisan dans les villes a le pain à
bon marché, il diminue chaque jour son travail et augmente son luxe, il est
content jusqu’à ce que l’affaiblissement de la culture et l’anéantissement du
commerce ramenants la disette au moindre accident des récoltes fassent
pousser de nouveaux cris contre les marchands de bled (18).
(17) Les Physiocrates, tels Abeille, Dupont avaient, dès l’origine du mouvement,
réclamé une liberté totale. Le Marquis de Mirabeau écrivait dans “L ’A mi des hommes”:
“le seul et unique principe de la véritable économie politique est de tout laisser libre et
procurer ainsi l’abondance . . . L’entière liberté est l’âme du commerce et de la produc
tion . . . Laissez le (le blé) courir en toute entière liberté d’un bout à l’autre du royaume”
(op. cit. p. 417 et 422). Dupont pouvait affirmer en 1764 que la liberté entière “était
devenue le vœu presque unanime de la Nation” (Les Ephémérides du citoyen, 1769).
Interprète du mouvement Physiocratique, le Parlement entend opérer une démons
tration quasi mathématique : l’ancienne police ne débouche que sur l’absurdité, les
errements et les maux (Cf 1-18). Certes la législation de 1763, 1764 constitue un progrès,
mais il faut pousser plus avant, établir une entière liberté de circulation qui seule est à
même de régénérer l’agriculture (cf. II-6).
(18) La police des grains est néfaste. Ses méfaits sont tels qu’elle instaure une sorte
de cycle infernal tant dans les années de disette que dans celles d’abondance.
Elle tarit l’abondance et profite aux monopoleurs : c’est là un postulat des
Physiocrates qui établissent un lien de cause à effet entre le réglement et la disette ou
cherté. Ce qui est exact, c’est que la police traditionnelle tend à concentrer le commerce,
notamment par le système des permissions et des autorisations temporaires.
Elle avilit la denrée : sa finalité n’est-elle pas d’obtenir un juste prix ?
Par là, la police incite le producteur, le journalier et l’artisan à la paresse. L’effort
n’étant pas rémunérateur, il compte sur elle pour assurer sa subsistance au prix le plus
bas. Qui plus est, et c’est une thèse originale du Parlement, le nombre de jours fériés est
trop important : “les fêtes sont trop multipliées.. . supprimer un nombre de fêtes, c’est
donner du pain aux journaliers et oter à plusieurs des occasions de dissipations et de
dépenses” (lettre de 1768-B 3677).
�341
Ainsi la liberté tient l’industrie en haleine et l’imagination en arrêt (19) ;
elle prévient les maux réels et les fausses allarmes ; la gene comme une lime
sourde coupe la racine de la prospérité publique sans scandale pour le
vulgaire qui ne s’en doute pas, elle tourne l’imagination contre les infracteurs
de ses règlements ou contre les phantomes, on voit des magasins, comme des
châteaux enchantés et inaccessibles ; on entend les démons qui rongent les
épies de bled (20).
Le pire de tous les Etats est une liberté imparfaite, méconnue et
contredite qui compromet le gouvernement sans pouvoir opérer aucun effet
salutaire qui donne un peu d’activité au commerce pour voir arretter à tous
pas la circulation commencée qui autorise des spéculations que la violence
fait échouer, qui occasionne des transports de grains sans pouvoir les
conduire à leur destination ny achever les remplacements nécessaires. Les
coups d ’autorité des ministres de la police toujours dangereux à la tranquil
lité publique le deviennent bien davantage lorsqu’ils contrarient une loy
connue, l’officier public qui la viole donne une idée effrayante de la nécessité
qui ly force, la terreur se répand, chacun cherche à s’approvisioner, le
marchand ressere parce qu’il ne trouve plus de sûreté dans la loy, la cherté
augmente et pour comble de calammités le zèle du magistrat de police
s’enflamme, il réclame contre la loy, elle perd l’empire et la confiance, le
peuple peu instruit croit qu’on l’a condamné à la famine en luy otant ses
(18) suite
La réglementation est vicieuse, note avec finesse, la Cour : car elle déplace les
responsabilités. Le peuple persuadé que les réglements sont faits pour son bonheur et que
pour combattre la cherté il n’y a qu’â tenir en bride l’avidité des marchands, s’en prend à
ces innocents alors que les véritables coupables sont le gouvernement et la police. En effet
sous un régime réglementaire le terme de circulation est vide de sens.
Et lorsque surviennent les bonnes années les maux sont similaires : alors la
réglementation se fait plus oppressive et davantage contraire au bon prix. Le grain étant
invendu ou bien son prix étant avili, le producteur se mue en serf, les défrichements sont
arrêtés. Mais le consommateur est satisfait ; du moins jusqu’au retour de la disette (cf. I,
26).
Donc, juge le Parlement, dans les deux hypothèses : abondance ou disette, la
prohibition s’avère funeste pour l’agriculteur et le bien public.
(19) Qoique le Parlement de Provence soit l’adepte des thèses physiocratiques, il
lui arrive de temps à autre de s’en séparer. C’est ainsi que la Cour, à la différence de
l’école, a déjà insisté sur le nécessaire développement du commerce qu’elle est loin de
juger “stérile” (CF. I, 4). De même, et ce dans le souci d’assurer le développement
économique de la Provence, le Parlement assigne (en accord avec Turgot) un rôle
important à l’industrie et aux manufactures. Il estime que l’industrie doit bénéficier d’une
liberté qui lui confère tout son dynamisme. Ceci parce qu’il considère que l’industrie est
un élément de prospérité qui mérite d’être encouragé de manière autonome. Si donc
l’agriculture constitue le secteur vital de la production, il convient d’assurer à l’industrie
un développement parallèle : il s’agit de rétablir “entre l’agriculture et l’industrie,
l’équilibre nécessaire entre deux corps unis par leur destination mais que leur direction
oppose souvent”. Délibération du 26 juin 1769 (B 3677).
(20) CF. I, 18, 24, 39, 4L
�règlements, il tombe dans une sorte de désespoir qui porte le prix à l’excès.
Cet état de contradiction et d ’inconséquence est trop humiliant et trop
dangereux, il faut nécessairement ou que la vérité triomphe ou que les vieilles
erreurs reprennent leur empire, l’objet est de la plus grande importance (21),
il exige l’examen le plus sérieux pour peser les raisons respectives et pour
(21)
La liberté imparfaite, se lamente le Parlement, est le pire des états. C’est une
plainte fondée. En effet la nouvelle législation de 1763 comportait nombre de restrictions
à la liberté de circulation intérieure. Cette dernière se trouvait restreinte par trois faits :
d’une part les réglements de Paris demeuraient en vigueur et constituaient une entrave à la
liberté dans le périmètre protégé, d’autre part les droits de marché, de hallage (vente aux
halles) et de minage (mesurage) étaient maintenus, enfin les réglements locaux subsis
taient. Certes, le Roi, en promulgant cette déclaration, avait établi une liberté relative en
supprimant la majorité des droits, mais les péages privés furent conservés du fait que leur
suppression était subordonnée à une indemnisation. De même les lettres patentes de mars
1764 conservèrent les octrois.
Les Physiocrates s’élevèrent contre les réglements de Paris (et le parlement demande
l’abrogation du paragraphe 8 - le 26 juin 1769 - B 3677); ils exigèrent la stricte applica
tion de l’article Ie de la déclaration qui ouvrait à tous les sujets le commerce des grains.
Mais ils s’en prirent surtout aux douanes intérieures et aux péages qui engendraient une
retombée de taxes défavorables au bon prix. De fait la complexité du régime douanier
constituait un obstacle majeur à la libre circulation.
En 1766 le Parlement se plaint de ce que “l’établissement de la douane de Valence
qui a suivi celle de Lyon a mis de nouvelles barrières au passage par terre” (Remontrances
du 17 décembre 1766-B 3676). Il conclut : la Cour “ne cessera de représenter en tous
tems et en toute occasion à Votre Majesté que la suppression des douanes et autres
droits perçus dans l’intérieur . . . est un des plus grands biens qui puisse être opéré dans la
Monarchie” (ibid.j.
L’attitude de la Monarchie est relativement nette : elle s’est efforcée, du moins
jusqu’à 1770, de défendre cette liberté dans la mesure du possible, notamment lors de la
réaction populaire et parlementaire de 1768 (CF I, 29).
Ainsi l’arrêt du 31 octobre 1768 confirme la liberté du commerce intérieur et la
prohibition des entraves. De même, jusqu’en 1770, le gouvernement s’est efforcé de faire
respecter l’article 1 de la déclaration de 1763 (confirmé par l’édit de 1764).
Toutefois, en 1770, un bilan permet de constater qu’en ce qui concerne la franchise
de la circulation, la majorité des droits perçus sur les grains subsistent, la liberté de
magasinage n’a été vraiment protégée de la police et du peuple que durant quatre ou cinq
ans ; les servitudes de marché n’ont jamais été véritablement abrogées et ont été rétablies
progressivement. Dès lors affirme Weulersse (Tome II, p. 221) “seule la liberté de circu
lation a été énergiquement maintenue en principe, mais le négoce pouvait-il en recueillir
tous les avantages quand il était entravé en quelque sorte à son point de départ et à son
point d’arrivée, dans les magasins et dans les marchés ? Le commerce intérieur des grains
n’avait donc joui et pendant un temps très court que d’une demi liberté”.
Si le Parlement brosse un tableau noir mais juste des conséquences de cette demi
liberté, c’est qu’en 1770 les adversaires du nouveau régime par leurs manoeuvres, sont en
train de gagner la partie (CF. I, 29). C’est pourquoi la cour entend éclairer le Roi et le
persuader. Le Souverain se trouve devant une alternative : instaurer la liberté et veiller à
sa protection ou revenir aux vieilles erreurs, c’est-à-dire aux réglements.
�343
vérifier les faits allégués de part et d ’autre on demande des reglements, nous
demandons la liberté et l’observation de nos édits, et s’il est permis de le dire
les préjugés n ’ont été que trop ménagés dans ces loix, ils l’ont été encore
plus dans l’exécution, nous conjurons très humblement Votre Magesté pour
l’interest de sa gloire et le salut de son Etat de mettre le dernier sceau à ses
bienfaits en perfectionnant par degrés un ouvrage si digne d ’elle. On ne peut
le dissimuler, Sire, la déclaration de 1763 et l’édit de 1764 sont des
chefs-d’oeuvres de sagesse, ou des exemples mémorables du danger d ’une
réformation trop hardie, si l’inquisition désolante qu’on exerce, aujourd’huy
dans plusieurs provinces est utile et sage, la police que vous aviés voulu
introduire étoit pernicieuse et l’innovation a été hasardée sur de faux
principes, il en coûterait aux âmes vulgaires de faire cet aveu, il n’en coûtera
rien à Votre Majesté si le bien de ses sujets l’exige, mais il ne serait pas de sa
prudence de désavouer les principes qu’elle a suivis en s’exposant à varier
encore (22).
On se plaint de la nouvelle police : qui nous garantira la justesse et la
certitude de cette censure ? Jamais question ne fut plus débattue, des
consultations multipliées, l’examen le plus réfléchi ont précédé la loy, elle a
mûri dans les conseils de Votre Sagesse, elle a été reçue avec un applaudis
sement universel, et si malgré tant de mesures prises pour éviter l’erreur,
Votre Majesté s’est trompée avec toute la nation, les hommes ne doivent plus
se flatter d ’atteindre la vérité avec une sorte de certitude (23). Ces considé
rations peuvent du moins tenir en balance les esprits non prévenus.
Qu’oppose-t-on contre la liberté ? que le bled a été cher après de mauvaises
récoltes, cet accident est-il nouveau ? Qu’aurait-on dit si le prix fut monté
aussi haut que dans les années 1649 - 1662 - 1694 - 1698 - 1710 - 1741 et
tant d ’autres époques du régime prohibitif? (24).On a mieux cultivé sous le
(22) La conclusion de ce raisonnement est fort logique ; le Parlement appelle de ses
vœux d’une part l’observation des édits, d’autre part leur stricte exécution (CF. 1-21)
enfin l’amélioration de ces chefs d’œuvre (CF. 1-44 ; II-7) ; car “les dernières loix qu’elle a
publiées pour la liberté du commerce des grains, n’exigent de nous que des actions de
grâces immortelles au nom de son peuple” (Lettre de Gallois de La Tour, op. cit.
p. 102-103).
(23) La cour, se référant, selon toute vraisemblance, au préambule de l’édit de 1764
(CF. 1,2) estime que la nouvelle police des grains résulte d’une loi longuement mûrie. En
1768, Gallois de la Tour écrivait:“nous savons qu’il importe d’assurer la stabilité des loix
lorsqu’elles ont été méditées et examinées avec le plus grand soin” (op. cit. p. 102).
D’autre part l’accueil de la nouvelle législation a été unanimement favorable. Donc si le
souverain s’est trompé c’est avec toute la Nation (CF. III. 1). A ce propos il semble bien
que le Parlement qui se souvient de la “séance de la flagellation”batte en brèche la théorie
de l’absolutisme Royal qui lie le Roi à la Nation pour distinguer le Roi de la Nation (CF.
sur ce point M. Morel “Les Droits de la Nation sous la Régence”. Centre Aixois d’études
et de recherches sur le XVIIIe . A. Colin, p. 244, 262).
(24) Les défenseurs de l’ancienne police des grains entendent prouver que le régime
de la liberté est inséparable de la disette ou de la cherté. Or soutient la Cour, la disette, la
�344
(24) suite
cherté sont des situations chroniques, bien antérieures à la nouvelle législation. Il paraît
nécessaire de distinguer successivement l’existence de ces disettes, les crises cycliques
affectant l’économie et le problème de conjoncture : la crise consécutive au passage des
gênes à la liberté.
De fait il convient de préciser d’emblée que Delamare (II p. 294) oppose la disette
ou cherté à la famine qui est le dernier épisode de la disette. Il est certain que le
Parlement est fondé à rappeler les disettes ou chertés antérieures : la cherté de 1660-1662,
la disette de 1692-1694, celle de 1698-1699, la famine de 1709, la cherté de 1740 (CF.
Olivier Martin, op. cit. p. 242-281).
Si en général elles furent moins graves au XVIIIe, il n’en demeure pas moins
qu’entre 1768 et 1770 une cherté excessive (sans disette) survint, et ce malgré la nouvelle
police. Le peuple l’attribua avec quelque raison, aux manoeuvres des marchands qui étaient
désormais libres d’user de certaines pratiques jadis prohibées. Aussi la Cour, pour disculper
les nouvelles lois, rappelle dans sa lettre de 1768 (B 3677) tous les maux que
l’avilissement de la denrée a fait endurer par le passé au “menu peuple” (CF 1,26):
“combien de familles désolées ont gémi sous le joug des loix prohibitives, lorsque le
laboureur .. . était livré en proye au collecteur, lorsque le propriétaire resseré dans ses
consommations et dans ses dépenses, laissait le journalier sans travail et l’artisan sans
salaire . . . Le problème à résoudre consiste à savoir ce qui serait arrivé sous le régime des
loix prohibitives”.
Ces disettes ou chertés traduisent les crises cycliques affectant l’économie française
(CF. Labrousse, op. cit., Besnier op. cit. 320, 328). En se rapportant à ces travaux, on
constate que dans la période de hausse des prix (1735-1816) la hausse s’accélère ou se
ralentit selon un rythme intercyclique : ainsi à partir de la Guerre de Sept Ans, la hausse
(qui était lente) s’accélère et culmine en 1770, lors de la crise frappant toute l’Europe
(CF. I, 28). Ces crises violentes illustrent l’influence des accidents climatiques sur la
production et sur les prix (CF. I, 14). En ce qui concerne les disettes, M. Toutain (op. cit.
p. 7) démontre que si le XVIe siècle connaît une année de disette sur huit et le
XVIIe une année sur neuf, en revanche le XVIIIe siècle la subit une année sur six. Il
semble donc que ce soit le siècle le plus mal partagé en ce qui concerne la régularité des
récoltes. Toutefois il convient de préciser que ces crises sont à la fois moins graves, plus
brèves et qu’elles se traduisent plutôt par la cherté.
Pour l’école il est une maxime intangible : c’est que la disette est liée au régime
prohibitif, dès lors la hausse est l’unique moyen de l’éviter. D’où la formule paradoxale de
Dupont “ce qu’on appelle cherté est l’unique remède à la cherté”.
Les partisans de la réglementation soutenant que la liberté amènerait un intervalle de
misère et que les Physiocrates sacrifient le peuple à leurs théories, ces derniers, réduits à la
défensive, sont contraints d’admettre que la hausse des salaires ne sera pas immédiate et
qu’elle aura un retard (d’environ une année) sur la hausse des grains.
Le Parlement se fait l’écho de cette réponse. Il estime d’une part que la liberté est
impuissante à prévenir les calamités naturelles, d’autre part il admet qu’il se produira un
temps de latence avant que l’ordre naturel ne rétablisse l’harmonie générale, mais enfin si
cette crise de passage à la liberté est inévitable, elle est toutefois temporaire : “on a prévu
que le passage des gênes à la liberté serait un moment de crise pour un nombre d’artisans ;
cette crise a été plus forte par le concours des circonstances survenues au moment même
du changement. Elle aurait été bien moins sensible si ces accidents n’eussent dérangé
l’ordre commun avant que le peuple eut le tems de s’accoutumer à la nouvelle police et la
terre d’en recevoir les influences (lettre de 1768-B 3677).
�345
règne de la liberté, on a semé davantage et par conséquent on a recueilli plus
qu’on aurait fait, la liberté a procuré ce bien, elle n’a pu influer de meme sur
la circulation qui a été presque partout interceptée, les zélateurs des
règlements sont injustes dans leurs reproches, ils peuvent se tromper dans
leurs principes ; nous croyons qu’ils se trompent et malgré la fermentation
qui exclut les réflexions et l’examen, la pluralité des suffrages que l’on peut
compter n’est certainement pas pour eux, par conséquent il est permis de
conjecturer avec toute vraysemblance que si l’on adhérait trop promptement
et trop facilement à leurs plaintes, des plaintes contraires s’élèveraient bientôt
de toutes parts (25).
Nous avons vécu sous le joug des prohibitions par la force de l’habitude
qui familiarise les hommes avec les plus grandes absurdités mais après avoir
aperçu l’aurore d ’un beau jour les ténèbres qui surviennent paraissent plus
odieuses. C’est une révolution contraire à la nature d ’affranchir des hommes
pour les rendre sur le champ à l’esclavage, le désordre serait universel. La
cherté entretenue par les voyes violentes employées pour la faire cesser ne se
soutiendra pas longtemps ; le juste prix aurait succédé, l’avilissement survien
dra sous le régime réglementaire, le bien passager qu’avaient fait à la culture
les nouvelles loix, tournera contre elle-même, l’augmentation des productions
par les efforts et les dépenses du laboureur, dans cet intervalle de prospérité
luy deviendront nuisibles ; l’importation de la denrée étrangère sagement
favorisée sous le règne de la liberté et très imprudemment sous l’empire des
règlements achèvera la ruine de nos campagnes, et l’on parviendra à nourrir
une grande partie de la nation de bled étranger dans l’espoir que les
tapisseries, la porcelaine, les gallons, les étoffes d ’or et de soie nous
dédommageront de ce pesant tribut.
Cependant le revenu territorial étant diminué et la masse du numéraire
décroissant de jour en jour les fermiers s’élèveront pour demander le
résiliment de leurs baux, les provinces succomberont sous le poids des
impositions, les recouvrements ne se faisant plus, la ferme générale trouvera
partout des non valeurs et ne pourra soutenir ses produits, il faudra recourir
à des expédients de finance qui précipiteront le naufrage de la fortune
(25)
Et le Parlement reprend son antienne : la liberté accordée en 1763 et 1764
s’est révélée bénéfique pour l’agriculture. Déjà la Provence connaît une résurrection (CF.
II, 6). Il reste donc à améliorer la circulation, à l’affranchir de ses entraves. D’autre part la
nouvelle police a déjà, numériquement parlant, conquis l’opinion publique. Dès lors un
retour au régime prohibitif ne ferait que susciter d’autres plaintes et bien plus nom
breuses.
Sur ce point, il semble que le Parlement s’abuse ou bien qu’il déforme la vérité. En
effet d’une part la masse paysanne n’a été que très peu touchée par les doctrines
physiocratiques et par les progrès techniques, d’autre part, à la différence des pro
priétaires, l’opinion était favorable aux réglements qui lui semblaient constituer les garants
d’un juste prix.
�publique (26), l’inquiétude universelle de toutes les parties de l’Etat forcera
le législateur à revenir sur ses pas, on aura supprimé, rétabli et détruit de
nouveau les gênes dans un petit nombre d’années ; et le combat de l’ancienne
et de la nouvelle police nous jettera dans une espèce d ’anarchie. Etat le plus
funeste de tous. Pourquoy vouloir exposer la patrie à ce danger, pourquoy
compromettre l’honneur de la législation ? pourquoy presser une détermi
nation que tout doit suspendre et que rien n ’engage à précipiter, la cherté
dont on se plaint ne cessera point par des règlements, elle est prête à finir
par le moyen plus efficace d ’une bonne récolte, la liberté qu’on veut
restreindre est déjà anéantie dans les lieux où elle a été injustement accusée ;
elle s’est réfugiée dans les provinces qui en ont connu le prix et qui sont
tranquilles (27).
L’intempérie des saisons avait affligé la France pendant quelques
années consécutives, les greniers commençaient à s’épuiser, des pluyes
continuelles inondoient les campagnes on tremblait pour la récolte elle n ’a
(26) Un retour à l’ancienne police des grains s’analyserait comme une “révolution
contraire à la nature” (CF. III —1) ; les conséquences d’une telle régression seraient
funestes tant au particulier qu’à l’Etat. Tels sont les arguments du Parlement ; arguments
de résonnance nettement physiocratique.
Au bon prix succéderait le juste prix, donc un prix avili. Pour l’école cet
avilissement est le fait d’une police soucieuse d’assurer la subsistance du peuple mais au
détriment de l’agriculture et du producteur.
De fait le passage de la cherté à l’avilissement ne peut que se traduire par une crise
de surproduction : Turgot parle de manière évocatrice de “la misère de l’abondance”. En
effet le laboureur, stimulé par le bon prix, avait poussé la production de grains qui,
soudainement, perdent toute valeur et qu’il ne peut plus écouler. Parallèlement, l’impor
tation excessive, solution traditionnelle de la Monarchie en cas de disette ou de cherté,
achèvera de ruiner les campagnes et le producteur. Enfin le gouvernement, fidèle aux
enseignements de Colbert et du Mercantisme voudra obtenir une balance commerciale
favorable en développant les exportations industrielles. Mais c’est une utopie immorale qui
débouche sur le naufrage de la fortune publique. Pour y remédier il suffit d’assurer la
liberté qui garantit l’abondance ; une abondance, démontre Quesnay, qui implique
nécessairement un bon prix des grains.
(27) C’est avec une habileté consommée que le Parlement expose au Roi les
inconvénients qu’il aurait s’il venait à se dédire. Il souligne l’aberration qui consisterait à
supprimer les réglements, à les rétablir pour les détruire immanquablement et ce en une
seule décennie. Reprenant le postulat physiocratique : l’expérience prouve que la régle
mentation est nocive, il s’attache à démontrer que les réglements sont impuissants à
combattre la cherté. En effet la cherté présente ne peut être annihilée que par une récolte
abondante. Cette dernière implique une bonne culture qui entraîne la baisse : “si nous
donnons plus d’engrais à nos champs, leur fécondité ramènera le prix à un taux plus
modéré” (Lettre de 1768 - B 3 677). D’où le Parlement conclut :* “l’abondance est
ordinairement plus assurée par la liberté que par les précautions” (délibération du 26 juin
1769 - B 3677). Malheureusement cette liberté n’est plus le fait que de certaines
provinces, telle la Provence (Cf. II, 1 et 5).
�347
été que retardée ; cependant le prix des grains a haussé considérablement par
le retardement de la moisson, par la terreur générale et par les soins
empressés des officiers de police ; les ennemis de la liberté triomphaient
comme si elle était responsable du dérrangement des saisons. Le ciel a
trompé l’attente commune par des bienfaits inespérés, une grande partie de
nos terres ont été couvertes d ’une riche moisson, le prix des grains est très
modéré en Provence et déjà, la cherté diminue dans la France septentrionale
quoique l’on n ’aye encore battu des bleds que pour la consommation
journalière et pour les semences. Il est donc plus que probable que
l’abondance va renaître lorsque le bled sera dépouillé et qu’il pourra paraitre
dans les marchés de janvier et de février ; c’est le moment que l’on choisit
pour demander des règlements avec une ardeur inquiète. On craint de voir
échaper l’occasion favorable de détruire et de décrier la nouvelle police. Tous
les efforts redoublent pour séduire les magistrats, pour tromper les ministres
que Votre Majesté honnore de sa confiance on ne veut pas laisser le tems aux
réflexions (28).
Il n’est pas possible d ’en douter, Sire, quelque intérêt caché que nous
ne demelons point encore préside à cette manoeuvre. Les genes ont des
partisans de mauvaise foy qui connaissent la vérité et qui veulent l’étouffer
s’ils parviennent à leur but, s’ils obtiennent des règlements pour déroger aux
nouvelles lois, la liberté qu’on ne cesse de calomnier demeurera chargée de
l’odieux de la cherté dans les années stériles ; le règlement aura le mérite
d’avoir baissé le prix dans Tannée d’abondance. Le vulgaire imbecille ne
verra point ce manège, il attribuera la cherté à la nouvelle police, l’abondance
au retour des règlements ; et cette fausse expérience rendra les préjugés
invincibles. L’esprit de parti qui s’est mêlé dans cette querelle ne suffit point
pour inspirer ces mauvaises ruses ; c’est la cupidité qui trom pant les âmes
honnêtes à la faveur des préjugés employ tous les détours imaginables pour
renverser les loix salutaires (29).
(28) Cette cherté, juge la cour d’Aix, résulte des infractions aux lois de 1763-1764
(CF. I, 6) et des accidents climatiques. Toutefois le Parlement affirme que le prix du blé
est modéré en Provence (CF. II, 2), qu’on peut même augurer pour le début de l’année
1771 d’une bonne récolte et par conséquent de son corollaire, la baisse du prix. Somme
toute, il soutient que les ennemis de la liberté craignentde manquer une occasion unique
de rétablir la réglementation ! Si, sur ce second point, il semble viser juste, en revanche il
s’abuse singulièrement sur la conjoncture économique puisque l’année 1770-1771 est une
année déficitaire tant pour la France que pour presque tous les pays méditerranéens, et
que par ailleurs elle succède à des années peu prospères (CF. Romano, op. cit. p. 19).
(29) La Cour analyse de manière remarquable les “manoeuvres” des “partisans de
mauvaise foy” (CF. I, 6). Ces défenseurs de l’ancienne police des grains prétendent que la
cherté résulte de la liberté (CF. I, 27), ce qui est une contre vérité, et que la
réglementation signifie un juste prix des grains. Or les masses qui,déjà, sont acquises à ces
raisonnements spécieux, en seront irrémédiablement convaincues (sur ce point le Parle
ment se contredit CF. I, 25).
�Le premier cri s’éleva d’abord contre l’exportation ; les Etats d’expor
tation et d ’importation parurent et imposèrent silence ; on voulut les
suspecter, il fallut bientôt abandonner ce faible retranchement, l’exportation
avait été médiocre, elle avait converti en or pour la France des bleds à demi
gâtés, elle avait cessé depuis longtemps en vertu de la loy même qui
l’établissait ; il semble donc que cette loy ne pouvait être chargée d ’aucun
reproche, on n’a pu cependant luy pardonner, on a trouvé le moyen de la
détruire sous prétexte de la faire exécuter. L’arrêt du Conseil du 14 juillet a
déclaré que l’exportation avait cessé dans tout le royaume par la hausse des
prix, l’inutilité de cet arrêt le rend suspect et decele la surprise faite à Votre
Majesté (30).
Ce n’est pas pour retenir les bleds dans le royaume qu’on donne tant
de solennité à cette déclaration très superflue pour ne rien dire de plus, la
loy et les bureaux fermaient tous les passages, ce n ’est pas non plus pour
diminuer la cherté qu’on publie qu’elle est générale dans tout le royaume ce
que le cours du commerce la loy, l’administration opéraient en silence, on a
(29) suite
De fait il semble que la Cour dénonce ici, de manière incidente, les arrêts du
Parlement de Paris en 1770 et surtout l’arrêt du Conseil du 23 décembre 1770. En effet,
Terray, réussit à faire adopter, en usant d’un détour, cet arrêt qui, tout en donnant
l’impression de ne pas toucher à la déclaration de 1763, puisqu’il affectait de continuer à
protéger la libre circulation, la réduisait en fait à peu de chose et retournait aux
règlements de marché (notamment à la vente au marché). Cet arrêt suscita (en 1771, des
récriminations des Parlements de Guyenne et de Provence (CF également I, 21).
(30) Au XVIIIe siècle, le commerce extérieur connaît un essor extraordinaire. De
1715 à 1756, il passe de 215 à 616 millions de livres et n’est distancé que par le
commerce Britannique ou Néerlandais. Ce commerce, qui est avant tout un commerce
maritime, conserve ses courants traditionnels : la Grande-Bretagne, la Hollande, et
l’Espagne, mais trouve de nouveaux débouchés avec le Nord, l’Italie, le Levant, et les
Colonies. Or, juridiquement, l’exportation est entravée par la police des vivres jusqu’à
l’édit de 1764.
Selon la doctrine de l’école qui ne cesse de réclamer la liberté de l’exportation, cette
dernière rapprochera le prix courant du prix du marché général, c’est-â-dire que
l’exportation aboutira au relèvement du prix intérieur. Ces vœux furent comblés par l’édit
de 1764. Mais si le commerce extérieur a obtenu sa charte avec cet édit, peut-on soutenir
qu’il a réellement bénéficié de la liberté ? Le fait n’est pas contestable, et il est certain
que la liberté de l’exportation a joué un rôle moteur dans la régénération de l’agriculture
(CF. Il, 6). Toutefois Weulersse, en se penchant sur ce problème, et après avoir examiné
le relevé officiel remis aux députés du commerce en 1769, constate que de 1764 à 1768
l’excédent de l’exportation n’aurait fait rentrer qu’une somme de cinquante millions de
livres (Tome II —p. 227). Il en conclut (p. 229) que cette rentrée “en elle-même n’a donc
pu suffire à relever l’agriculture du royaume”.
C’est donc à juste titre que le Parlement de Provence affirme que si l’exportation a
été profitable, elle a été “médiocre”. De plus, en vertu de la clause dite prohibitive elle
avait pratiquement cessé. Enfin l’arrêt du 14 juillet 1770 qui anéantit l’édit de 1764 sous
prétexte de le faire observer est un arrêt qui apparaît comme étant à la fois inutile et
suspect (CF. I, 31, 32).
�349
voulu l’annoncer avec éclat, l’épouvante s’est répandue, les prix ont augmenté
il est donc permis de soupçonner quelque m otif qu’on ne dit pas, on veut
enlever du dépôt des loix l’édit de juillet 1764 sans paraître y toucher. Les
précautions que la loy avait prises pour empêcher que l’écoulement des grains
ne fut trop rapide, n’ont point appaisé les ennemis irréconciliables de
l’exportation. Nous osons dire que ces précautions ont été poussées à l’excès.
1) L’exportation n ’a été permise par l’édit que par un certain nombre
de ports et sous pavillon français ; cette condition empêchant le transport des
bleds de Provence par petites parties sur les batiments génois ; réduit dans
cette province la faculté d ’exporter à une simple possibilité métaphisique qui
n’est jamais convertie en acte ; mais cette possibilité est toujours précieuse ;
on a fort bien prouvé qu’elle avait des effets salutaires indépendamment de
l’exportation effective.
2) L’exportation cesse lorsque le prix s’est soutenu pendant trois
marchés consécutifs à 12 h 10 le quintal poids de marc. Votre Majesté a
donné pour signal de prohibition un prix très haut qu’elle regarde comme
une espèce d ’accident dans le commerce, il l’est en effet pour les pais
septentrionnaux de la France, mais dans le midy ou les bleds ont plus de
substance, ils sont infiniment plus chers, le taux prohibé est en Provence le
prix presque habituel, le prix commun sur les trentes dernières années, et le
prix nécessaire eu égard à la qualité infiniment supérieure de la denrée, à la
stérilité des terres, à l’incertitude des récoltes, et aux dépenses de la culture,
l’uniformité est injuste, elle est contraire à votre objet lorsque les valeurs sont
si différentes, en portant le taux de la prohibition à 15 h le quintal pour les
ports de Marseille et de Toulon la juste proportion n ’est pas encore
parfaitement gardée, mais on s’en rapproche davantage.
3) L’exportation qui a cessé par la hausse du prix pendant 3 marchés
consécutifs ne peut être rétablie que par permission expresse de Votre
Majesté qui sera donnée sur les mémoires des officiers des lieux, les
inconvénients de cette disposition furent observés dans l’enregistrement, ils
ont été encore mieux apperçus dans l’expérience, l’arrêt du conseil du 14
juillet abuse du texte pour détruire l’esprit de la loy, il se sert pour anéantir
l’exportation des précautions prises pour en éviter l’excès (31 ).
(31)
L’édit de juillet 1764, se fondant notamment sur l’intérêt des producteurs,
accorde la libre exportation. Conformément aux maximes physiocratiques selon lesquelles
le libre échangisme se traduirait par un relèvement du prix des grains, l’esprit de l’édit
permettait d’escompter cette hausse. Cependant cet édit comportait bien des restrictions à
cette liberté. Il spécifiait quels étaient les ports habilités à exporter (art. 3), il précisait
que la sortie ne pouvait se faire que sur des navires français ayant un équipage français
(art. 4). D’autre part dès que le grain atteignait le prix de 12 livres 10 sols le quintal et
qu’il se maintenait à ce taux durant trois marchés consécutifs, l’exportation était
suspendue (art. 6). Enfin il ne touchait pas aux réglements de Paris Cet édit appelle
quelques remarques. L’interruption de l’exportation sitôt le prix prohibitif atteint est une
décision peu rationnelle et plutôt inique. En effet, même si l’on n’envisage pas les
variations annuelles, il n’en demeure pas moins que les prix sont géographiquement
�350
Chaque port est considéré dans l’édit comme isolé, il reçoit sa loy
locale, de la variation des prix dans ses marchés ; le droit d’exporter qui
cesse par la cherté renaît lorsque le prix baisse, il ne peut être remis en
exercice que par la permission de Votre Majesté ; mais cette permission qui
doit être accordée sur les représentations des officiers des lieux était comme
assurée par la loy ; ceux qui sont peu favorables à la liberté avaient proposé
que la clôture d ’un port entraina celle du port le plus voisin, l’objet de l’arrêt
est plus étendu, il réunit en quelque façon tous les ports dans une disposition
commune, il déclare l’interdiction générale et fait envisager qu’elle ne sera
plus soulevée que par une volonté générale, ou par des permissions arbi
traires, on ne se rapporte plus au prix des ventes, on ne fait plus mention du
compte rendu par les officiers des lieux, les bleds ne sortiront du royaume
que quand le gouvernement trouvera bon de les laisser exporter ce n’est plus
là l’édit du mois de juillet 1764, c’est l’ancien régime qui perm ettait ou
deffendoit les traites arbitrairement.
C’est ainsy que par un léger détour on élude un édit solemnel et qu’on
espère le rendre inutile, l’atteinte qu’on luy a portée met en évidence le
deffaut qu’on avait observé dans ses dispositions, on l’a attaqué par l’endroit
(31) suite
mouvants : en Provence, comme le note la Cour, ce prix est couramment atteint (CF. II,
2). D’autre part il arrivera au pouvoir de faire jouer cet Edit contre lui-même en bloquant
l’exportation : il n’est qu’à voir à cet égard l’arrêt du Conseil du 14 juillet 1770 qui est
un cas limite mais typique. Enfin l’Edit ouvre la porte à l’arbitraire en ne prévoyant pas le
rétablissement de l’exportation lorsque le prix redescend à son niveau normal. En effet le
texte stipule que l’exportation est suspendue “jusqu’à ce que sur les représentations des
officiers du dit lieu qui seront adressées au contrôleur général” il en soit ordonné
autrement en séance du Conseil.
A toutes ces limitations qui traduisent sans nul doute un désir de contrôler l’expor
tation, s’ajoutait le zèle des autorités de police locale : le fait est qu’en 1769 il ne demeurait
que 25 ports ouverts !
Si donc en 1764 les motivations du pouvoir, les nécessités invoquées, étaient
généreuses, ces mêmes nécessités (les intérêts du peuple et des producteurs ainsi que
l’approvisionnement), note avec finesse, Weulersse, le déterminèrent “à limiter la liberté en
1764, à la corriger dans les années suivantes et bientôt sous la pression du peuple et de la
police à la sacrifier” (T. II, p. 586). Dès lors cette liberté n’a été établie “que d’une
manière incomplète, et l’agriculture n’en a joui, avec des restrictions croissantes que
pendant six années. .. c’est une demi liberté”. (Ibid, p. 227).
Telles sont au fond les constatations désabusées auxquelles arrive le Parlement
d’Aix. C’est avec une morosité certaine qu’il expose au Roi les inconvénients que présente
le système pour la Provence et qu’il lui suggère des améliorations. Pour plus de
commodité, il semble préférable de reporter l’étude de ces points dans la seconde partie :
CF. II, note 1 et 7).
�351
faible (32). La loy sera toujours imparfaite si elle a besoin du ministère de
l’homme (33) et si elle ne s’ouvre elle-même à des conditions connues, les
ports q u’elle a fermés, on peut exiger un plus grand nombre de marchés pour
rétablir l’exportation que pour la faire cesser, le terme sera plus éloigné, mais
il sera légal ; l’arbitraire ateint tout commerce, et les spéculations des
marchands ne peuvent dépendre des représentations des officiers des lieux,
des lenteurs de l’administration occupée et éloignée des irrésolutions et des
craintes du ministre qui n’a pas les objets sous les yeux, qui est exposé aux
surprises et qui sera plus ou moins favorable aux maximes de la liberté (34).
L’exportation réduite aux seuls pavillons français cessant par le seul fait
lorsque le prix est parvenu au taux fixé et ne reprennant son cours qu’après
la baisse soutenue pendant 4 ou 5 marchés consécutifs n ’a n’y danger ny
apparence de danger, elle sera toujours peu abondante, elle est nécessaire, elle
influe sur les prix lors même qu’on n’exporte pas, la traite par permission est
une occasion d ’usure pour les marchands et un moyen de fortune pour les
protéger de l’administration, l’exportation légale est la richesse du cultivateur
et le soutien de la culture, c’est elle qui maintient la balance entre le prix des
grains et la valeur des autres productions de la terre ou de la main d ’oeuvre si
(32) Puis le Parlement fait écho aux plaintes des Physiocrates en analysant le
“détour” de l’abbé Terray qui ne songe qu’à renverser cette “loy salutaire”.
En 1769 Terray, ex-membre du Parlement, devient Contrôleur général des Finances.
De fait, au début, il s’efforça de suivre la ligne politique de ses prédécesseurs et de
protéger la nouvelle législation. Cependant, il fut rapidement conduit à entamer une
politique de réaction, de retour à la réglementation sous la poussée centrifuge des
Parlements, du peuple et de la forte hausse des grains. Ainsi s’explique la fermeture
progressive des ports et frontières du Royaume. D’autant qu’au printemps 1770 une crise
Européenne aboutit à des sorties inconsidérées de blé aux frontières de l’Est (CF. I, 28).
C’est ce contexte qui incita le Conseil à prendre le fameux arrêt du 14 juillet 1770. Cet
arrêt considérant la cherté et l’intérêt des consommateurs, interdit définitivement l’expor
tation de blé sur toute l’étendue du Royaume.
Or, note la Cour d’Aix, dans les faits, l’exportation était déjà bloquée dans la
plupart des ports et aux frontières par le simple jeu de la clause prohibitive de l’Edit. Cet
arrêt est donc inutile ; c’est tellement vrai que l’arrêt lui-même constate cette clôture de
l’exportation “soit en vertu de la disposition de l’Edit soit par des ordonnances
particulières”. Qui plus est, il représente le cas type où le pouvoir se sert de l’édit pour
faire jouer la lettre de la loi contre son esprit puisqu’il bloque la sortie de manière absolue
et définitive. Dès lors il dépasse la clause prohibitive de l’édit. Enfin l’arrêt ne prévoit
aucune procédure de ré-ouverture de l’exportation puisqu’il la subordonne à une volonté
générale ou au bon plaisir de Sa Majesté. En conséquence, déclare le Parlement, qui voit
juste, il s’agit purement et simplement d’un retour à la police traditionnelle des grains.
Désormais la Monarchie a abandonné le parti des Economistes.
(33) CF. III - 1.
(34) Pour clore sa démonstration, la Cour affirme qu’on a pénétré dans le règne de
l’arbitraire. Et pour y remédier, pour améliorer la législation libérale, elle formule une
contre proposition (CF. II, 7). Elle en formule une seconde au paragraphe suivant (CF. II,
7).
�352
la denrée est captive, l’acheteur fait la loy ; on sera obligé de livrer à 12 et à
14 h le setier de bled qui vaudra 22 ou 23 h dans les marchés communs de
l’Europe ; dès lors le laboureur ne peut échanger son bled à conditions égales,
il ne pourra se procurer les besoins les plus absolus pour soutenir une
malheureuse existence, il sera réduit à consommer les grains et les légumes
qu’il recueille, à boire de l’eau, à se passer de bas, de souliers et des
vetements en attendant les exécutions rigoureuses du collecteur pour le
payement de l’impôt (35).
Tel était le sort déplorable que l’ancienne police avait fait à ces
hommes précieux qui nous nourrissent par leur travail, les manufactures
simples répandues dans les campagnes ont été frappées du même coup, par ce
qu’on ne fabrique point pour ceux qui ne peuvent rien acheter ; d ’où il est
résulté que les manufactures se sont toutes réfugiées dans les villes et les
enfants du laboureur ont quitté la charrue pour devenir artisans, laquais ou
mendiants, d’autre part les grands propriétaires ont abandonné les campagnes
depuis longtemps, et bientôt il n’y en aura plus un seul dans les provinces, si
le commerce ne soutient le prix de la denrée quelle valeur aura-t-elle dans ces
marchés champêtres où l’on trouve peu de consommateurs et point d’argent,
(35)
Le Parlement, soutien de l’Ecole, s’en fait une fois de plus l’avocat en
défendant la libre exportation.
Quoique les physiocrates considèrent le commerce comme étant stérile (à la
différence du Parlement), un échange du type “do ut des” qui ne produit pas de richesse
mais un simple gain, cependant ils se posent comme les premiers théoriciens du
libre-échangisme. Si l’on peut expliquer ce libre échangisme par leur réaction anti
mercantiliste, il faut surtout voir que dans leur esprit il implique la liberté du commerce
intérieur, donc le bon prix et la disparition des entraves. La primauté de la terre, de
l’agriculture, implique tout naturellement la stimulation de la production agricole par une
politique de hauts prix qui ne peut exister que si l’exportation est libre.
Les bienfaits de cette liberté sont incommensurables. Et les Physiocrates reprennent
à leur compte le mot de Sully : “l’exportation est mère de l’abondance” : c’est-à-dire
qu’elle permet un accroissement de la production agricole et “l’égalisation des prix”. C’est
la même thèse que soutient le Parlement en 1768 dans sa lettre : “nous avons assisté nos
voisins. .. le cultivateur a profité du bon prix. .. le corps de l’Etat a gagné par les sommes
qui sont entrées dans le Royaume et encore plus par l’augmentation de la culture” (B
3 677). En 1770 il la reprend et la développe : “l’exportation légale” assure la richesse du
cultivateur, de l’agriculture et l’équilibre entre le prix des céréales et le prix des autres
produits (CF. I, 10).
Mais il précise deux points : d’une part elle ne peut constituer un danger puisqu’elle
est contrôlée par la loi, d’autre part, même si elle est faible, elle est nécessaire du fait
qu’elle joue sur les prix.
A l’inverse la police traditionnelle des grains est par nature dangereuse. Le système
des permissions provisoires incite les marchands à pratiquer l’usure ; de plus la police ne
songe qu’aux consommateurs (alors que c’est l’intérêt des producteurs qui prime) ; par là,
elle joue au détriment du producteur (dont elle avilit les grains), contraint de vendre à bas
prix et réduit de la sorte à la misère. De fait toute cette démonstration n’est qu’une
reprise des thèses du parti.
�353
ceux qui ont présidé à la rédaction des réglemens n ’ont eu devant les yeux que
les marchés de Paris ou des environs, que l’exportation ou pour mieux dire la
faculté d ’exporter assure au cultivateur les reprises de ses avances et la juste
récompense de ses sueurs, les journaliers auront plus de salaires, la population
augmentera dans les campagnes, on fabriquera des bas, des bonnets, des draps
grossiers, des toilles communes ; le fabriquant, le cardeur a laine, le tisserand,
le maçon, le charpentier, le forgeron, le cordonnier auront plus d ’occupation
et plus de profits ; les consommations réciproques augmenteront à raison de
la plus grand aisance générale et de ce que l’exportation et l’importation
seront libre. Il arrivera qu’on exportera très peu et qu’on importera encore
moins (36).
Ce serait une erreur de croire que la seule circulation intérieure suffira
pour opérer le même effet ; c’est une illusion plus grande encore de vouloir
nous persuader que les ennemis de l’exportation favoriseront de bonne foy la
liberté du commerce intérieur ; nous savons, Sire, que la plupart sont arrêtés
par une sorte de pudeur lorsqu’il s’agit de fermer la communication de
province à province ; il est aujourd’huy reconnu que ce serait blesser
l’humanité. Ce scrupule n ’existait point il y a dix ans, il s’affaiblit à vue
d ’œil il ne sera de durée si la maladie des réglements nous regagne et à parler
de bonne foy il n’est pas trop conséquent d ’ouvrir la communication de
province à province et de la refuser à des peuples voisins parce qu’ils sont
sous la domination de la Reyne de Hongrie ou du Roy de Sardaigne.
(36)
Poussant plus avant ce raisonnement, la Cour d’Aix, va soutenir en accord avec
les maximes physiocratiques que l’exportation développe la consommation intérieure.
Elle reprend son idée repoussoir : l’ancienne police, fondée sur les règlements
parisiens et sur l’intérêt des consommateurs a réduit par sa politique des prix les hommes
les plus précieux de la collectivité (les cultivateurs, mais également les manufacturiers) à
s’exiler en ville pour vivre dans la misère. Il en a résulté “le vuide de nos campagnes”
(lettre de 1768) et la baisse de la consommation. C’est là l’illustration de la pensée de
Dupont “sans produit net point de culture”. Le résultat est patent : la production agricole
a diminué. D’où il est nécessaire, vital, d’assurer “l’exportation légale” qui sauve et le
producteur et l’Etat. D’ailleurs on exportera peu du fait qu’on tient compte des variables :
récoltes, prix et on importera peu car le bon prix est le gage d’une agriculture florissante
qui conditionne l’aisance. En réalité la simple faculté d’exporter couvre les frais du
producteur, le récompense de ses efforts, accroît le salaire des journaliers et constitue un
profit pour les différents corps de métier et pour l’industrie.
Or les adversaires de l’école, les industriels notamment, estimaient que le “bon prix”
impliquait une hausse des prix qui, si elle n’était pas répercutée sur les salaires, rejaillirait
sur la consommation urbaine et industrielle. Les Physiocrates et leur ami le Parlement de
Provence répondent à cette objection par la thèse des consommations réciproques : même
si la consommation des produits baissait dans les villes et les manufactures, les
propriétaires, les fermiers, les journaliers, en bref tous ceux qui profitent de la hausse des
grains en consommeraient davantage. Et le Parlement écrit en 1768 (B 3 677): “c’était
une politique bien aveugle de vouloir établir les fabriques sur la misère de ceux qui
doivent consommer leurs productions... les journaliers attachés à la culture participent
nécessairement à sa fortune. . .”.
23
�Les raisons d ’intérêt que l’on fait valoir pour la réciprocité du com
merce sont à peu près les mêmes, les motifs de crainte que l’on oppose ne
diffèrent pas beaucoup, ce qu’on appelle aujourd’huy exportation ne serait
que circulation intérieure si les provinces étrangères étaient réunies à l’empire
français une nécessité imminente peut engager le souverain à retenir les grains
dans ses Etats, mais hors de ces cas assés rares le commerce de peuple à
peuple ne doit point être intercepté le lien faire (sic) de l’humanité nous unit
à tous les hommes il peut même se rencontrer des circonstances dans
lesquelles nous devrions moralement les plus prompts secours à nos plus
proches voisins sans examen du nom qu’ils portent (37).
Ces réflexions qui nous mèneraient trop loin sont surabondantes il n’y
aura jamais de vraye circulation intérieure sans la faculté d’exporter au
dehors ceux qui com battent l’exportation le savent, ils accordent par décence
la communication de province à province parce qu’ils sont assurés de couper
tous les ressorts par les secours des réglements.
La circulation n ’est qu’une chimère si le commerce n’a des agens qui
puissent la m ettre en activité, il faut des marchands capables de spéculations
étendues et des magasins qui puissent renfermer des quantités notables de
grains ; et ces marchands et ces magasins n ’existeront jamais s’ils n’ont le
double débouché ou de l’étranger dans le bas prix ou des provinces de
l’intérieur qui auront manqué de récolte. L’exportation loin d ’être ennemie
de la circulation intérieure en est le principal véhicule, la liberté a deux
(37)
Selon le Parlement de Provence, la notion de liberté est double (CF. I, 38),
elle recouvre la circulation et l’exportation. Dès lors ceux qui prétendent distinguer ces
deux volets inséparables ne visent qu’à l’anéantir. Du fait que les ennemis de l’exportation
sont foncièrement hostiles à la circulation et que la circulation réduite à ses seules forces
ne peut produire les effets d’une liberté totale (allusion à Yarrêt du 14 juillet 1770), le
Parlement estime avec logique qu’on ne peut sincèrement encourager l’une (la circulation)
en prohibant l’autre (l’exportation). Quant à la logique, il suffira d’attendre un mois
l’arrêt du 23 décembre 1770 ! Puis la Cour, fidèle aux Economistes, aborde une question
qui ressort à la pensée politique. Après avoir implicitement exposé le premier volet du
postulat physiocratique : les hommes ont des intérêts naturellement solidaires du fait qu’il
existe une communauté d’intérêts entre les différents corps de la société, le Parlement
développe le second volet : cette communauté naturelle existe entre les Nations qui
composent l’humanité.
En effet, les Physiocrates, Quesnay en tête, tout imprégnés de Pré Romantisme ont
toujours enseigné qu’il existait une solidarité naturelle entre Nations excluant d’un point
de vue économique et politique toute distinction entre les peuples. A cet égard la
Physiocratie apparaît comme une doctrine internationaliste, pacifiste et cosmopolite. Or
c’est sous cet éclairage qu’il faut lire le passage de la lettre de 1768 sur les grains “ce
serait une barbarie et une inconséquence sans égales de refuser de vendre notre superflu à
nos voisins pressés de famine ; on s’expose à de justes représailles lorsqu’on rompt les liens
d’humanité, et la destruction du commerce réciproque pour les grains est le seul moyen
de livrer tour à tour à la famine les différentes sociétés qui sont les branches d’une même
famille” (B 3 677).
�355
branches dont aucune ne peut être arrachée que le tronc ne périsse ; la
suppression de la faculté d’exporter suffirait donc pour retenir les grains en
inaction et les avilir. On proposera d ’y ajouter encore quelques réglements
dont le moindre a la vertu de m ettre en fuite le commerce et de le réduire
au néant.
La liberté entamée n’existe plus, parce q u ’elle n ’est appuyée que sur le
principe unique qu’elle pourvoit à tout par le moyen de la concurrence. Tout
règlement est établi sur le principe contraire que la liberté et la concurrence
ne suffisent pas. Dès lors la police réglementaire rentre dans tous ses droits
qu’elle déploie successivement (38).
On nous présentera les premiers fers avec une modération
apparente on observera quelque réserve dans les genes mais le plus ou le
moins de règlement est asses indifferent, parce que les bornes sont toujours
franchies dans l’exécution et bientôt arrachées par des règlements postérieurs.
Le sistème des prohibitions étant adopté et la nécessité des précautions
reconnues, les précautions s’étendent suivant le degré de frayeur et suivant
l’opinion du besoin qui varie dans tous les moments et dans toutes les tetes ;
la filiation de nos anciens règlements en est la preuve ; les genes se
multiplient par cela même qu’elles sont insuffisantes ; on en invente de
nouvelle parce que les premières n’ont pas opéré, ou qu’elles opèrent mal.
En livrant le commerce des grains à l’importune sollicitude d ’une police
subalterne qui doit les suivre dans leur marché, ces officiers se persuadent
qu’ils sont tenus d ’empêcher par tous moyens la cherté du pain, ils veulent
remplir leur destination, ils s’en éloignent, s’irritent et sortent de toutes
(38)
Et le Parlement pose une équation : une circulation véritable implique
nécessairement une faculté d’exporter, c’est-à-dire “l’exportation légale”.
Or la circulation n’est qu’une chimère si elle ne dispose pas d’agents économiques
dynamiques : des marchands, et des magasins (argument physiocratique). L’ancienne
police des grains soumettait à une stricte surveillance l’accès à la profession et l’activité
des marchands de grains. Il en allait de même pour leurs magasins qu’elle considérait
comme un mal nécessaire et qu’elle contrôlait pour éviter tout amas (CF. I, 3). Certes
l’article 1 de la déclaration de 1763 a ouvert à tous les sujets le commerce du blé et a
accordé la liberté de magasinage, cependant la police tend, par nature, à limiter le nombre
de marchands. Une circulation digne de ce nom repose sur la formation d’une vaste
catégorie de négociants spécialisés qui “dynamise” l’économie (argument physiocratique —
contenu dans la lettre de 1768). Et de fait l’existence de ces agents exige le double
débouché intérieur et extérieur. En conséquence la liberté économique repose sur deux
volets : l’exportation sous tend la circulation. Prohiber l’exportation revient à anéantir le
commerce des grains et à retourner à l’autarcie provinciale.
Le principe de la liberté repose sur la concurrence, ne pas l’admettre c’est ouvrir à
nouveau la porte à la réglementation.
�mesures. C’est à ce zèle inquiet et échauffé par l’amour de l’autorité que
nous devons l’étonnante progression des loix prohibitives (39).
Nous ne disconviendrons point que nous n’ayions nous-mêmes rendu des
arrêts sur les grains, nous avons fait autrefois des règlements nous avons
prononcé des peines ; mais l’expérience nous ayant appris que le resserrement
et la cherté augmentaient par ces bruyantes mesures, nous en avions reconnu
l’abus. La Provence avait joui d ’une sorte de tolérance avant que le joug des
prohibitions eut été brisé ; l’agriculture en a profité, un calme parfait y règne
et l’on a oublié jusques au mot de monopole depuis que la concurrence est
libre (40).
Le principe des partisans de la liberté est simple et uniforme. Le sisteme
de ses adversaires est incertain et versatile, ils veulent des genes, ils ne
s’accordent point sur le choix, ils ne veulent pas toujours les memes, les
petites genes sont minutieuses et ridicules, les grandes sont oppressives et
intolérables dans la pratique ; les écrits publics pour justifier cette méthode
présentent des contradictions sans nombre, les assemblées les plus respec
tables des opinions diverses, les arrêts et les ordonnances de police des excès
qu’on ne peut justifier, sous l’empire des prohibitions, rien n’est fixe que la
misère.
Les uns voudraient qu’on ouvrit les magasins, il n’y en aurait point à ces
conditions et il en faut, les autres craignent le monopole et par une
(39) Le Parlement démontre alors avec lucidité et perspicacité que dans le système
prohibitif la “gêne” engendre inmanquablement la “gêne” en vertu d’une logique
implacable. Le système prohibitif multiplie des réglements tout à la fois inefficaces et
pernicieux. Mais il ne fait que reprendre ici sa lettre de 1768 où il décrit sur plusieurs
pages la progression historique, du Moyen-Age au XVIIIe siècle de la police des grains.
Cette longueur nous empêche de rapporter ce passage. En revanche, il est intéressant
d’examiner dans cette même lettre (B 3677) son attitude vis à vis des réglements de
marché : il s’élève contre la vente au marché, l’ordre de vente, l’interdiction de la vente au
grenier et celle faite aux meuniers, de s’entremettre du commerce des farines : “Les
marchés ont été établis pour l’utilité du public et non pour le rendre esclave.. . (le
Parlement enregistra la déclaration de 1723) cependant on ne pensa jamais en Provence
que cet assujettissement intolérable des ventes au marché public pût avoir une exécution
sérieuse. Il était trop contre la raison et la nature... A Aix... les ventes se font dans les
maisons, à la plus grande commodité des parties pourvu que le droit (de mesurage) soit
payé... C’est une petite vexation (l’ordre de vente) des habitants des villes sur ceux des
campagnes, qui n’aboutit qu’à faire perdre du tems au vendeur. .. Etrange réglement
(interdiction de vente au grenier) qui blesse le droit de propriété et la liberté publique et
qui ne peut manquer d’avilir la denrée dans l’abondance et d’en augmenter le prix si elle
devient rare. . . Nous souhaitons que tous les meuniers puissent avoir assez d’aisance pour
entreprendre ce commerce...”.
(40) La Provence a joui d’une tolérance depuis des siècles et elle connaissait les
vertus de la liberté avant la législation “libérale”. (CF. I I -5 ).
�357
contradiction frappante ils cherchent à diminuer le nombre des marchands ;
ils veulent avilir cette profession pour la dévouer à l’usure (41).
La première cherté qui survint après la promulgation de vos loix
commença à émouvoir les esprits, et peut-être que le gouvernement donna
lieu d ’accuser injustement la liberté pour n’avoir osé se reposer sur elle de la
subsistance de la capitale, les soins que l’on prennoit pour l’assurer contre
vos propres principes et aux dépens du trésor royal répandirent l’épouvante
les esprits troublés voyaient partout des hommes réunis pour affamer les
provinces, des ligues formées pour leur ravir leur subsistance, les lettres
patentes du 10 juin 1768 livrèrent à la rigueur des loix ceux qui faisaient des
accaparements pour faire renchérir la denrée dans les provinces où elle était
déjà chère la vindite publique étant déployée contre les monopoleurs, on les
chercha et on n’en trouva point (42).
(41) Reprenant la thèse physiocratique, le Parlement opère à nouveau une dicho
tomie entre le bien (la liberté) et le mal (la police traditionnelle des grains). A un principe
simple, uniforme et rationnel : la liberté qui repose sur la concurrence, il oppose un
système irrationnel, “versatile” et “incertain”. C’est la contradiction qui caractérise ce
régime : il n’est qu’à voir les Parlements/7, 6), l’attitude de la police (LF. I, 6, 18, 24, 38).
Il n’est qu’une chose qui soit fixe et certaine : la misère.
(42) Puis la Cour s’en prend au gouvernement qui a injustement accusé la liberté
d’être incapable d’approvisionner Paris. Mais le Parlement ne vise pas la Monarchie qui,
par son interventionnisme, fausse le jeu de ITexpérience libérale.
De fait, dès 1762, Bertin et Laverdy, administrateurs prudents, avaient pris des
précautions et constitué des stocks au cas où la réforme projetée ne produirait pas les
effets escomptés. Et Malisset, un meunier ingénieux, avait été chargé de la manutention
des blés du Roi. En 1764, Laverdy fit augmenter ce stock jugé insuffisant et par là
aggrava les dépenses royales. Ainsi l’Etat ne respectait pas le préambule de la déclaration
de 1763 qui affirmait que “la concurrence était libre et entière dans le commerce des
denrées”. L’Etat était donc coupable d’une sorte d’infraction. En 1765 Malisset proposa à
Laverdy une autre combinaison qui fut acceptée et qui, sous la Révolution, donna
naissance à la légende du “pacte de famine”. Le système Malisset n’était pas nouveau
(l’armée le pratiquait sous le nom de “contrat d’emplacement”), il était simple : un
groupe de commanditaires, de capitalistes, subventionnait Malisset qui entretenait les blés
du Roi à des conditions avantageuses pour ce dernier. Malisset espérait réaliser des
bénéfices substantiels en vendant à haut prix la portion mobile du stock et en rachetant à
un prix avantageux les grains de remplacement (CF. Biollay, Olivier-Martin, p. 351-354,
Afanassiev etc. . .). En d’autres termes il prétendait régulariser l’approvisonnement de la
capitale tout en spéculant, en jouant la hausse. Le malheur voulut d’une part que le Roi
couvrit ce contrat de son autorité, d’autre part que l’administration, incapable de prévenir
ses spéculations, lui accordât des privilèges et lui permît de détenir un quasi monopole sur
la place de Paris et qu’enfin le système fonctionnât au moment même où survenaient une
série de mauvaises récoltes. Il en résulta que le Trésor fut contraint, devant l’émoi
populaire de pratiquer des ventes à perte. En attendant, en 1768 (le 31 octobre), de
pouvoir résilier le contrat. On peut soutenir que cette résiliation marque le triomphe,
éphémère, du parti des Economistes contre les greniers publics. Cet épisode appelle une
remarque : le Parlement ne s’en prend pas au véritable responsable : le Roi. Car c’est la
Monarchie qui, d’une part instaure un véritable monopole : celui des marchands et
entrepositaires publics, qui d’autre part fausse la concurrence et la loi en faisant coexister
un système issu de l’ancienne police avec la nouvelle législation.
�Ces lettres patentes nous apprennent à distinguer le vray mono
pole que la liberté ne légitime nullement et qui est punissable suivant vos
loix ; Acheter du bled pour le revendre à profit c’est l’acte d ’un commerce
légitime, mais enlever la subsistance d ’une contrée dans l’objet de provoquer
la cherté, c’est une manœuvre aussi criminelle qu’infame qui mérite l’indigna
tion et les peines les plus sévères ; acheter en route le bled q u ’on allait
chercher au marché et que l’on rencontre, ce peut être une convention
légitime entre des hommes qui veulent épargner le tems et la peine ; mais le
marchand qui se tiendroit aux avenues pour accaparer les bleds qui arrivent
dans l’objet de répandre l’allarme en dégarnissant le marché doit éprouver
toute la sévérité des loix.
Enharrer les bleds en verd est usure en Provence s’il y a lieu de
soupçonner qu’on ait abusé de la misère d ’un cultivateur ; ce peut être aussy
un acte très légitime ou même un acte de charité suivant le degré de besoin
et les conditions du marché, mais il n ’y a point de peines trop graves pour
des enarrhements considérables faits dans l’objet de surhausser la denrée et
de la taxer arbitrairement.
Accorder la liberté au commerce ce n’est pas donner l’impunité au
crime. Les loix prohibitives créaient des délits pour les punir, la nouvelle
police abolit ces délits factices, elle n ’a rien changé à la règle des mœurs
l’usure, le monopole, les crimes, qui troublent la Société sont toujours
soumis à la rigueur de la justice (43). Des loix si sages, si conformes à la
(43)
Le Parlement vise ici les lettres patentes du 10 juin 1768. Attaché à légitimer
la liberté, en disciple de l’école, il axe sa démonstration sur un thème habile : accorder la
liberté au commerce ne peut impliquer l’impunité du crime du fait que la liberté ne doit
jamais dégénérer en licence.
D’emblée, il affirme, conformément à la thèse physiocratique (la liberté anéantit le
bénéfice du monopoleur), que la nouvelle législation, à l’instar de l’ancienne police, bien
loin de tolérer le monopole, le condamne.
Déjà Delamare avait distingué six fraudes possibles : les achats avant récolte,
l’enarrhement, les achats dans le rayon d’approvisionnement des villes, sur route, les
monopoles ou sociétés et les dépôts clandestins. Le Parlement, quant à lui, se livre à une
analyse très fine et distingue les opérations que la liberté et la loi légitimement de celles
qu’elles prohibent.
Acheter du blé pour le revendre à profit ne constitue un délit que dans l’hypothèse
où le “regrat” s’analyse comme une manoeuvre à la hausse. Et ce n’est que dans ce cas
que la Cour condamne, comme la police, cette opération.
Acheter du blé en route ou aux avenues :
En 1768 (B 3677) le Parlement déclare “la deffense d’acheter les grains sur la
route. .. est plus ancienne et plus raisonnable... elle s’observe encore en Provence. .. et
quoique on puisse dire que la déclaration de 1763 a fait cesser toute prohibition, il y
aurait de l’inconvénient à détruire dès aujourd’hui les faibles traces de l’ancienne police
qui subsistent plûtot dans l’opinion que dans la pratique. .. la manœuvre de ceux qui se
tiendraient aux avenues pour empêcher les grains d’arriver au marché serait si odieuse
qu’on ne pourrait la tolérer”.
�359
nature ne laissent que deux choses à désirer :
1) L’uniformité dans leur exécution par l’abolition des faux privilèges
qui gênent la circulation dans le centre et qui entretiennent la superstition
des règlements.
2) La suppression des droits locaux sur les grains qui circulent, an
noncée par la déclaration de 1763 et suspendue par des lettres patentes
postérieures ; on pourrait faire un relevé de ces droits dans chaque province,
ordonner le remboursement successif dans un certain nombre d ’années et en
rejetter la dépense sur l’impôt territorial ; on a prétendu que la charge de ces
droits sur le commerce augmentait le prix général des grains de 3 h par setier
ne fut-ce que de la moitié il est juste d ’en soulager le consommateur, tout
moyen d ’épargne pour luy qui ne nuit point au labourage doit être
évidemment embrassé (44).
Tels sont Sire les vœux que nous formons pour la gloire de Votre
Majesté et pour la prospérité générale de l’Etat.
(43) suite
Mais en 1770, sur ce point, le divorce avec la Physiocratie est très atténué puisqu’il
considère qu’aller sur la route au devant des grains pour gagner du temps et de la peine
est une convention légitime. 11 ne condamne plus que l’accaparement aux avenues.
L’enarrhement (la mise d’arrhes avant récolte est un achat qui peut être résolu ou
annulé : le marchand paie d’avance au-dessus du prix courant dans l’espoir de revendre les
grains plus cher) n’est un délit que s’il vise la hausse ou s’il trompe un “pauvre
cultivateur”. L’achat de blé en vert (achat définitif) “est une deffense. . . qui doit être
maintenue. . . (elle) est justement appliquée à un usurier qui abuse des besoins d’un
pauvre laboureur” (Lettre de 1768). En 1770, il ne le condamne (comme usure) que s’il
vise la hausse.
Sur ces deux points, il est donc indéniable qu’en 1770 le Parlement tend à rejoindre
la pure doctrine physiocratique.
Ces distinguos subtils visent à persuader le Roi que la législation libérale ne fait
qu’abolir les délits factices mais sanctionne l’usure, le monopole et les crimes.
Il n’en demeure pas moins que cette conciliation, ce rapprochement avec la police,
témoignent du divorce entre le Parlement et la doctrine physiocratique. Cette séparation,
qui d’ailleurs tend, en 1770 à disparaître, était flagrante dans la lettre de 1768. Tout en
développant les avantages de la liberté, il avait admis l’utilité de lui apporter quelques
correctifs et il avait esquissé une critique de l’école en parlant des “partisans outrés de la
vérité qui la compromettent souvent par des paradoxes” (B 3677). Aussi Dupont, en
insérant la lettre dans son journal, avait jugé nécessaire de protester. Quant à Roubaud(op.
cit. p. 463, 464) il s’était élevé contre ces restrictions.
(44) Les vœux qu’émet le Parlement sont simples (CF. II. 7): à son sens, la
déclaration de mai 1763 est un chef d’œuvre qu’il est nécessaire d’améliorer sur deux
points : l’application de la loi emporte et la disparition des entraves à la circulation et la
suppression des droits locaux (CF. I, 21, 22).
A ces deux propositions physiocratiques, le Parlement en accole une troisième : la
suppression de ces droits atténuerait la surcharge payée par le consommateur. Car le
Parlement, comme le parti d’ailleurs, défend et légitime même l’intérêt des consommateurs
lorsqu’il rejoint celui des producteurs.
�II -
DU PARTICULARISME PROVENÇAL
La provence qui se trouve dans une position et des circonstances
particulières présente un tableau (1) qu’il est nécessaire de mettre sous les
yeux de Votre Majesté.
(1)
Avant de présenter le “tableau” provençal, il semble nécessaire, à ce stade du
développement, de préciser quel fut l’accueil de la nouvelle législation en Provence. Mais il
est alors également nécessaire de distinguer les catégories sociales et les intérêts en cause.
La masse des Provençaux, le “menu peuple”, aspire avant tout à l’approvisionne
ment régulier, à l’abondance de la province. De ce fait elle craint que la liberté,
notamment la liberté d’exportation, ne débouche sur la cherté ou la disette. L’optique est
toute différente chez le producteur et chez le négociant marseillais : par principe, par
intérêt, ils sont favorables à la liberté de circulation et d’exportation. Et en général ils
réussissent à imposer leurs vues.
Depuis longtemps le commerce marseillais est à la pointe du combat contre la
prohibition. Ainsi, lorsque le Contrôleur Général enquête en 1761, 1762 sur l’opportunité
de libérer le commerce des grains, la Chambre de Commerce de Marseille préconise dans
sa réponse une liberté inconditionnelle et la suppression des droits d’entrée et de sortie
(CF. Bergasse op. cit. T. IV p. 339). Quant au corps municipal, plus modéré, il ne
souhaite que la libre circulation.
A Aix, la haute société est depuis un certain temps favorable aux thèses des
Economistes (CF. II, 6 et conclusion). Enfin, la Provence toute entière, se mêle au débat,
par l’entremise de la cour souveraine. Depuis 1760, le Parlement s’est fait le défenseur de
la liberté (CF. B 3676 et B 3705). Mais alors qu’il enregistre immédiatement la
déclaration de 1763 (B 3 705), il ergote sur l’édit de 1764. Le 2 août 1764 (ibid) il
l’enregistre “pour être exécuté provisoirement” ; et ce n’est que le 10 octobre (ibid) qu’il
l’enregistre définitivement par arrêt de réglement. Qui plus est le Parlement, dans cet
arrêt, fait d’expresses réserves sur cet édit jugé peu libéral, et notamment sur les
conditions d’exportation :
“L’édit sera enregistré.. . sans néanmoins qu’il soit en rien dérogé à l’édit du mois
de mars 1669 concernant le port de Marseille et sans préjudice des privilèges de ladite ville
pour la liberté illimitée de la réexportation et pour les franchises de son port (le roi est
supplié d’ajouter à Marseille et Toulon pour la sortie des grains, Arles, Antibes et la
Ciotat)... d’en permettre le transport sous les pavillons Espagnols, Italiens et Génois. ..
jusqu’à ce qu’il ait plu au Seigneur Roi d’accorder aux vœux de son parlement l’entière
liberté d’exportation sous toutes sortesde pavillons. (Il supplie le Roi d’affranchir du
droit de fret les bâtiments Italiens venant chercher en Provence les denrées du cru). .. Il
sera représenté au Seigneur Roi que la liberté du commerce des grains... ne sera jamais
parfaitement affirmée si l’exportation devait être suspendue par la hausse des prix pendant
trois marchés. .. (l’article 6 est défavorable à la Provence qui est éloignée) cette même
liberté du commerce des grains. .. sollicite la suppression du droit de demi pour cent
imposé à la sortie. .. et qu’enfin l’intérêt des pauvres demande la modification des droits
imposés à l’entrée sur les menus grains. ..”.
Somme toute, le Parlement, comme on le sait, accueille avec ‘enthousiasme cette
législation. Ainsi, encore en 1770, dans son arrêt de réglement du I e juin (B 3706), il
s’émeut de ce que : “les loix salutaires qui ont rendu la liberté au commerce des grains
dans la circulation intérieure n’ayent point encore été publiées en Avignon et dans le
�361
Le bled qu’elle produit est le plus beau et le meilleur du Royaume mais
la nature ne le luy donne que d ’une main avare qu’il faut forcer par la
dépense et le travail, elle a donc eu besoin dans tous les tems d’exportation
et d ’importation, d’exportation pour maintenir le prix de ses bleds qui
seraient sans valeur et par conséquent sans reproduction, d ’im portations pour
suppléer par des grains étrangers de qualité inférieure aux quantités qui luy
manquent pour sa subsistance.
Le haut prix de nos grains ne perm ettant presque jamais de les vendre
hors du Royaume, la fourniture d ’une ville immense située au bord de la mer
et qui recueille à peine dans son territoire les 2/7 de sa consommation nous
tenait lieu d ’exportation et cette même ville ou le cours du commerce a
placé l’entrepôt des bleds dans la méditerranée était un grenier inépuisable
toujours ouvert pour les importations dont nous avions besoin ; l’échange se
faisait toujours à notre avantage par la différence des prix et toujours avec
facilité parce que les voitures dans ce commerce vif et réciproque sont
employées pour l’aller et pour le retour.
Celuy qui porte du bled à Marseille pour la boulangerie en rapporte du
sel, de la morue, des poissons secs et sallés dont il revend une partie dans son
canton, celuy qui porte de la volaille, des fruits, des olives, des câpres,
rapporte du bled étranger que nos pauvres consomment parce qu’il est à
meilleur compte (2). C’est très improprement que Marseille est quelquefois
fl) suite
Comtat Venaissain. . .(il requiert être ordonné que la déclaration du Roy du 25 may 1763
sera exécutée selon sa forme et teneur dans l’Etat d’Avignon et Comté Venaissin. ..”.
Toutefois en ce qui concerne l’édit de 1764, la cour désire qu’il soit amendé dans
un sens plus Ibéral (CF. II, 7).
(2)
La question du blé et de son commerce en Provence est une question
primordiale mais extrêmement complexe.
En Provence la culture du blé est une culture tradionnelle mais insuffisante. En effet
elle perd de son importance au XVIIIe du fait que les rendements sont médiocres. Ainsi
Masson (op. cit. p. 33) indique qu’ils sont de 8 pour 1 dans les meilleurs terroirs, mais
qu’en général ils tournent autour de 4 ou 3 et souvent moins. Les agronomes
Provençaux,tel Reboul, (qui aura charge de la Société d’Agriculture) sont partagés :
certains estiment que ce n’est pas la culture qui convient au pays, d’autres veulent la
pousser par crainte de la disette ou de la cherté. Le fait est qu’au XVIIIe la situation
demeure stationnaire. Dans les années d’abondance, la Provence ne produit qu’à peine plus
de la moitié de ses besoins. Le terroir d’Aix est plutôt voué à l’olivier, quant à celui de
Marseille il se prête peu à cette culture et rend mal (1/4 des besoins). Constatation que
des générations d’échevins s’évertuent à établir. Donc Marseille, comme la Provence,ne
peuvent se suffire à elles-mêmes. La Provence connaît une “insuffisance chronique”
(Romano, op. cit . p. 75). Ainsi le Parlement supplie le roi : “de jeter un œil de pitié sur
une province que la stérilité naturelle de son terroir qui l’oblige à se pourvoir à grands
frais dans les autres provinces des denrées de première nécessité^ réduite à la plus extrême
misère” (délibération du 18 janvier 1762 - B 3676). En 1768 (B 3677) il note : “il est
remarquable que le labourage fut alors la richesse d’un pays qui s’épuise aujourd’hui pour
�362
appellée étrangère dans le langage des fermes, elle est autorisée par ses
capitulations à recevoir en tout tems de la Provence son comestible en
franchise de tous droits. La franchise a reçu quelques limitations relativement
à certains articles que la province envoyé à Marseille pour etre exportés mais
ces exceptions confirment la règle.
D’autre part cette ville a été erigée en port franc depuis plus d ’un
siècle ; elle s’est emparée par ce moyen du commerce des bleds qui entrent et
sortent. Sans obstacle et avec exemption de droit, les bleds du Royaume y
arrivaient également avant les nouveaux édits, le notre n ’en sortait jamais
attandu sa cherté, il était consommé par les Marseillais qui le préfèrent ;
celuy des autres provinces y était retenu par le bureau d ’abondance composé
de personnes d’élite ; l’inspection de ce bureau était sévère dans les tems
ordinaires mais pour ne rien déguiser à Votre Majesté elle devenait tolérante
(2) suite
acheter tous les ans le quart ou au moins le cinquième de sa subsistance”. D’ailleurs tout
contribue à aggraver la situation : la vulnérabilité de la vie agricole dans les régions
méditerranéennes, l’absence d’autres ressources, la diminution de la production, le
morcellement excessif des terres et les pratiques agraires désuètes. Dès lors la Provence
attend son complément de Marseille qui lui-même l’attend de l’extérieur.
Cette rareté, jointe à l’excellente qualité de ce blé, explique le haut prix du grain
provençal. En nous référant aux chiffres dégagés par de savantes études, et sans pénétrer
dans les controverses on ne peut que constater la hausse, ente 1760 et 1770, d’un grain
déjà naturellement cher.
1760
1770
28 1,74 s
29,20
26
27,35
34,91
31
Labrousse (p. 109-112)
Romano (p. 96) (Marseille)
Baehrel (p. 535) (Aix)
Si la Provence surmonte ce double obstacle : la rareté et la cherté, c’est que d’une
part son blé est d’excellente qualité, d’autre part que Marseille, selon le Parlement (26
novembre 1761 - B 3676) est ’Tespoir de la province” et d’Aix plus spécialement.
En effet Marseille joue le rôle de marché régulateur de l’économie provençale : le
commerce marseillais est établi sur un principe : fournir la ville de blés de qualité
supérieure provenant de Basse-Provence (et du Languedoc) et redistribuer à ses fournis
seurs un blé d e qualité médiocre et de prix infime (Romano op. cit. p. 72).
Les Provençaux écoulent donc leurs blés de choix, achètent pour se nourrir du blé
médiocre, et avec la différence s’approvisionnent en produits variés. Il s’agit donc bien,
comme l’affirme le Parlement, d’un échange plutôt que d’une vente.
Comment Marseille réussit-elle ce tour de force ? Si la récolte est bonne, le
producteur provençal écoule ses excédents qui ne sortent pas (ils sont consommés sur
place), dans le cas contraire, les autorités de la province tirent des blés du “grenier
d’abondance”. En effet Marseille, qui amasse les blés étrangers (notamment ceux du
Levant) a la fonction de “grand entrepôt”, et il arrive que les autorités l’incitent à
constituer de véritables stocks de réserve. Or ce commerce, ce doaible courant, cet
échange, fonctionne à la satisfaction des Provençaux : que ce soit les Procureurs du Pays,
les Echevins marseillais, l’Intendant ou le Parlement. Ce dernier y voit un avantage
majeur : une sorte d’exportation théorique, compensée par une importation avantageuse.
Et c’est pour cette raison qu’il ne tolère pas qu’on le trouble (CF. II, 3).
�363
dans les tems de surabondance ce qui a donné quelquefois un peu de
débouché à des bleds du Languedoc.
L’édit du mois de juillet 1764 regarda Marseille comme ville nationale,
elle l’est effectivement et par tous les titres possibles, mais on supposa qu’en
cette qualité elle ne pourrait plus faire sortir les bleds quand ils seraient
parvenus au taux prohibé ; c’était interdire aux bleds étrangers l’entrée de
son port, transporter l’entrepôt à Genes, à Livourne, à Villefranche qui
s’empresseroient de le recevoir ; priver Marseille de ce profit, nous enlever
notre grenier et renchérir les bleds de provence à l’excès ; les provinces
méridionales plus exposées que les autres à manquer de récolte par la
sécheresse auraient été dans le plus grand danger n’ayant plus à leur porte cet
utile magasin qui les préserve en tout tems de la disette.
Ces conséquences n’avaient pas été d ’abord apperçues elles étaient trop
frappantes pour l’y refuser mais on proposa alors de rendre Marseille tout à
fait étrangère d ’où il résultait que les capitulations tant de fois jurées par nos
souverains auraient été violées, que les siciliens ou les afriquains auraient
nourrit Marseille, que le laboureur de Provence aurait consommé un bled
précieux sans pouvoir en tirer parti pour entretennir sa famille que le vuide
de nos récoltes aurait augmenté chaque année par l’abandon d’une culture
qui ne peut se soutenir dans la Basse-provence si le bled est au-dessous de 30
h le setier ; que le commerce d ’échange aurait cessé entre Marseille et la
province au préjudice réciproque et à la ruine du pais ; on ne sacrifie pas des
si grands objets à des misérables subtilités de finance, il fut reconnu que le
bled de provence devait avoir l’entrée libre en tout tems, mais par une
prévoyance timide dans le début d ’un nouveau régime on restraignit la
voiture aux charrois par terres et par certains passages. On a toujours espéré
que ces modifications qui n’ont aucun juste m otif seraient bientôt soule
vées (3).
(3)
Partant d’une constatation : Marseille s’est emparée du commerce du blé, le
Parlement est conduit à poser la question primordiale du statut du port.
Si le commerce du blé à Marseille est ancien, il faut attendre 1740 pour pouvoir
parler d’un véritable commerce doté et de stabilité et de sûreté. C’est en 1740 qu’une
déclaration royale favorise à Marseille l’importation des céréales ; et c’est à partir de cette
date que le blé et son commerce font véritablement partie de la vie de la cité. 1741
affirme Romano (op. cit. p. 39) “marque le passage du commerce des grains à Marseille à
un rythme suffisamment large et profond”. Certes le Levant et la Barbarie (le commerce
méditerranéen) demeurent des sources privilégiées d’approvisionnement (Marseille a le
monopole du Levant et si les importations ne passent pas par la ville, elles sont frappées
d’un droit de 20 %), toutefois ce commerce devient océanique et même mondial en
diversifiant ses sources. Ce rôle d’entrepôt de la Méditerranée, cette fonction d’approvi
sionnement de la Provence (à ce propos, la municipalité avait créé après la disette de 1679
un comité extra municipal composé de notabilités : “le bureau des Intendants de
l’abondance” qui veillait à l’approvisionnement et le ventilait) font que ce marché
�(3) suite
régulateur absorbe à peu près toute l’activité commerciale, et ce, à la satisfaction générale,
du fait de la conjonction des intérêts marseillais et des intérêts provençaux.
Il en résulte que le statut du port revêt une importance extrême. Le Parlement qui
se penche longuement sur ses vicissitudes veut démontrer au Roi que ce statut, qui
détermine le bon état de l’économie provençale, doit être libéral.
Le système douanier, que Necker qualifiait de “monstrueux aux yeux de la raison”
faisait que la Provence qui était réputée étrangère était entourée depuis le XVIIe siècle
d’un double cordon : vers l’étranger et vers les cinq grosses fermes. Marseille, quant à elle,
entrait dans la catégorie des provinces à l’instar de l’étranger effectif : son commerce avec
l’étranger ou avec ces provinces était libre, en revanche il existait des “traites” entre
Marseille et le Royaume. Ce qui soulevait déjà en 1761, l’ire du Parlement (Remontrances
du 26 nov. 1761 - B 3676) “on traite indistinctement comme étrangère cette ville dont le
port commun à tant d’autres villes du royaume, qui est l’espoir de la province, qui
convertit les denrées superflues dont elle la délivre, les denrées nécessaires qu’elle
rapporte.. . ”.
Pour accroître cette complexité, l’arrêt du Conseil du 10 juillet 1703 confirme la
franchise du port qui deviendra pour les Marseillais un dogme intangible (et qu’ils
arriveront à protéger jusqu’à la Révolution). Sur ce survint la nouvelle législation. La
déclaration de 1763 ne posa pas de graves problèmes ; Laverdy établit simplement un
droit de sortie de 9 d par quintal. Cette mesure fit l’objet d’une ordonnance de Gallois de
La Tour le 11 juin 1764.
Il en alla autrement pour l’édit de 1764 ; les négociants marseillais, s’élevèrent
contre les restrictions à l’exportation qu’ils considérèrent comme contraires au principe de
la franchise. Le Parlement leur fit écho (CF. II —1). La poursuite de cet état d’esprit
émut l’administration entre 1764 et 1766, et Laverdy crut résoudre le problème pendant
par l’ordonnance du 30 septembre 1766. Cette ordonnance permit à Marseille de recevoir
des blés nationaux mais interdit, sauf permission spéciale du Contrôleur général, la sortie
des blés du royaume par Marseille ; en revanche elle maintint la libre exportation des blés
étrangers et elle établit la libre communication par terre entre Marseille et la Provence.
Toutefois le commerce marseillais ne se résigna pas à cette décision qui portait
atteinte à la franchise. Il restait donc à tenter de concilier le droit commun avec le
principe de la franchise. Le pouvoir décida alors de laisser à Marseille le choix entre le
régime national et le régime étranger. Le 10 octobre 1766, les échevins adoptèrent le
régime de ville étrangère. Par l’ordonnance du 9 novembre 1766 le port phocéen obtint
la permission d’importer et d’exporter librement toutes les céréales ; mais les blés
nationaux (ainsi que les blés provençaux) qui pénétraient sur le territoire marseillais furent
soumis aux droits qui, depuis 1764, n’étaient payés qu’à la sortie. En 1767 les pressions
provinciales incitèrent le pouvoir à accepter de faire circuler les blés “par manière
d’échange” entre Marseille et la Provence à la condition que le chargement se fît à Aix.
Ce qui se révéla onéreux. Au début de 1770, les procureurs du pays protestèrent contre
les moyens de circulation des blés provençaux allant à Marseille (et qui ne sortaient pas) :
la voiture par terre et le passage du bureau de Septèmes. C’est à ce moment que survint
l’arrêt du 14 juillet 1770. Les Marseillais considérant qu’il ne les concernait pas,
continuèrent à commercer avec Aix. La ferme réagit et arrêta le trafic (CF. Bergasse, op.
cit. tome IV —p. 337, 343).
Le Parlement qui n’avait cessé d’invoquer “l’ancienne franchise pour les consom
mations qui est faite à Marseille. .. des denrées du pais” (Remontrances du 26 novembre
1761 - B 3676) intervint alors sèchement dans le débat par son arrêt du 3 octobre 1770
(Méjannes 959 - T XIV folios 188, 189) :
�365
Ce circuit inutile pour plusieurs voitures renchérit la denrée sans profit
pour le cultivateur (4).
(3) suite
“considérant que les titres les plus respectables et les plus solennels assurent à la
ville de Marseille la faculté de recevoir librement les denrées de la Provence et notamment
le blé... que ce n’est pas là un privilège mais un droit naturel commun à tous les
Provençaux, que ce commerce réciproque également nécessaire aux Marseillais.. . et à la
Provence.. . n’y a jamais souffert d’interruption soit dans l’ancienne soit dans la nouvelle
police. .. qu’un commerce si intéressant qui n’est et ne peut être que de circulation
intérieure doit encore moins être troublé (puisque le blé provençal trop cher ne peut être
consommé qu’à Marseille). .. (considérant la déclaration de 1763 et l’édit de 1764)
monuments éternels de sagesse et d’amour pour ses peuples , la Cour a fait et fait
interdiction et deffense à toutes personnes de donner aucun trouble ou empêchement à
ceux qui portent du bled à Marseille par les passages accoutumés depuis l’Edit de 1764 et
de ne rien attenter au préjudice de la liberté de ce commerce. .. à peine de 3 000 livres
d’amende, a ordonné que la déclaration du 25 may 1763 et notamment les articles Ie et
2e seront exécutés selon leur forme et teneur, font très expresse interditions et deffenses
à tous officiers de police d’astreindre à aucune formalité les particuliers qui font le
commerce des bleds”.
Somme toute, si le Parlement prend fait et cause pour les négociants Marseillais et
pour la liberté du port, il apparaît clairement que ce qu’il vise au premier chef c’est
l’échange entre Marseillaise et la Provence. Or ce commerce qui est l’objet de la sollicitude
constante de la cour, déjà menacé par la police, est entravé par la voiture.
(4)
La plainte de la cour porte précisément sur ce circuit que l’on impose aux blés
provençaux : il fait monter le prix mais il ne profite ni au producteur ni au consomma
teur.
Durant l’expérience libérale, la circulation des grains eut particulièrement à souffrir
du mauvais état des voies de communication. En dehors des grandes routes, il n’y eut pas
d’améliorations très sensibles. L’absence de ponts, la non navigabilité des rivières et l’état des
chemins constituaient des obstacles puissants à une libre circulation. Ainsi Arthur Young
qui emprunta la route Aix-Marseille, un siècle après Madame de Sévigné, observe qu’à
certains endroits deux voitures ne pouvaient se croiser. C’est donc à juste titre que les
Physiocrates pensaient qu’une circulation libre reposait sur des facilités de transport, sur le
développement des voies de communication, donc sur l’orientation des travaux publics au
profit de l’agriculture et du commerce. Le Parlement de Provence partage ces idées. Que
ce soit dans ses délibérations, ses arrêts ou ses remontrances, il ne cesse de protester, de
dénoncer les insuffisances de la “voiture” en Provence. Le 17 décembre 1766 il adresse au
Roi des “Remontrances sur les charettes et transits” (B 3 6 76) dans lesquelles il s’élève
contre la déclaration royale du 27 août 1766 qui révoque l’interdiction d’atteler quatre
chevaux (en hiver) et note l’égoïsme des Marseillais qui défoncent les chemins mais ne
payent pas leur entretien. Il ajoute : “des ponts sur les rivières, des chemins solides et
commodes, des voitures bien construites sont les véhicules du commerce par terre . .. ”. Il
reprend ses doléances dans la lettre de 1768: “Il est certain, Sire, que l’admirable police
que vous avez établie sur les subsistances, exige diverses réformations pour l’assortir . .-. les
chemins de communication sont presque partout impraticables. . . on ne peut trop
faciliter les charrois par les chemins ou par les ponts. Plusieurs canaux navigables ou
flottables peuvent être dérivés des rivières, plusieurs rivières peuvent devenir navi
gables . . . ” (B 3 677).
�Cependant notre commerce avec Marseille s’est soutenu quoique avec un
peu moins de commodité, la liberté n’avait point trouvé ici des contradic
teurs, elle n’avait ni surpris, ni effrayé personne, elle y était comme établie
avant les édits par le transport du bled à Marseille équivalent à l’exportation
par l’assurance d’y trouver du bled étranger et par la douceur de la police
intérieure qui ne vexait ni le commerçant ni le cultivateur (5) ; depuis la
nouvelle loy le mouvement général des grains, le goût répandu pour la
culture a donné un accroissement si considérable à nos récoltes qu’il est déjà
douteux si elles n’ont pas atteint le niveau de notre population, la vérifica
tion ne sera pas difficile, on pourrait en faire de pareilles dans toutes les
provinces du royaume et constater dans chacune les effets de la liberté et le
trouble donné au commerce par les arrêts, les ordonnances de police ou des
intendants on jugerait alors plus sûrement de l’intérêt général.
Les meilleures terres ont encore plusieurs degrés de fertilité a acquérir
par l’augmentation d ’engrais, de travail et de dépenses, car l’on n’a point
calculé jusqu’où peut aller la fécondité des éléments excitée par une
laborieuse industrie, mais, Sire, c’est dans les terres ingrates que l’on voit les
miracles de la culture ; les rochers du terroir de Marseille portent des vignes
et des oliviers et dans des intervalles asses étroits de terrain semé tous les ans
des récoltes qui donnent 12 ou 15 pour un. Si l’on recherche les causes
d’une production qui étonne, c’est que le propriétaire ne compte pas les
dépenses et que le cultivateur bien payé est infatigable, les mêmes prodiges
s’opéreraient dans les autres terroirs de la basse provence si on y avait les
mêmes encouragements. Il n’y a point de milieu pour nous ou la nature est
maratre, ou elle devient libérale par nos efforts (6) ; le bled étant moins
(5) Et pourtant la Provence, soutient le Parlement, commerce avec Marseille. La
raison en est que cet échange qui s’analyse comme une exportation théorique fonctionnait
avant la législation libérale. Il existait une “sorte de tolérance” historique et spécifique à
la Provence. Cet argument selon lequel la liberté s’était acclimatée sous le ciel propice de
la Provence est développé dans la lettre de 1768 dans laquelle il analyse le processus
historique de la police des grains depuis le Moyen-Age : “la Provence ne connaissait point
ces gênes pour le commerce des grains, il y était libre . . . les Etats . . . obtinrent des
lettres patentes en 1536 portant permission de vendre hors du marché et même hors du
pais . . . les Provençaux étaient jaloux de la faculté d’exporter . . . nous pliâmes enfin sous
lesloix prohibitives en 1565 (interdiction de la traite) . . . en 1567 et en 1577 (règlements
de marché)”. Somme toute, la cour laisse entendre que l’échange constituait un héritage,
un lambeau de cette ancienne liberté provençale.
(6) Depuis 1763-1764, affirme le Parlement, la Provence a connu une véritable
résurrection économique. Cette thèse était déjà développée, en 1768, dans la lettre de
Gallois de la Tour (op. cit. p. 104) : “Il sera facile de démontrer que la liberté du
commerce des grains est le plus grand bien qu’on ait pu procurer à la patrie”.
La cour fait écho à Gallois de la Tour dans sa lettre sur les grains de 1768 et illustre
cette régénération de l’agriculture provençale : “La Provence a éprouvé successivement
deux mauvaises récoltes, les campagnes d’Arles et de Tarascon qui sont nos greniers ont à
peine produit cette année le double de la semence et le prix du bled a diminué . .. Votre
�367
précieux nous cesserions d’en recueillir parce que les produits n’égaleraient
pas les dépenses, les vignes, les oliviers, les meuniers s’empareraient de toutes
nos terres, des politiques aveugles nous diront qu’avec le secours de ces
productions nous pourrions être asses riches ; malheur au peuple qui a un
grand territoire et qui manque de la denrée dont le besoin est étemel et
toujours renaissant.
Si nous subsistons encore après la mortalité fatale de nos oliviers nous le
devons à l’augmentation de nos récoltes qui a diminué le tribut énorme que
nous payons à l’étranger et nous devons cette ressource à la restauration de
l’agriculture que l’on cherche de nouveau à étouffer (7).
(6) suite
Parlement, Sire, peut rendre le même témoignage pour la Provence où une culture plus
étendue et plus animée a donné presque autant de bled dans une année stérile qu’on en
percevait autrefois dans une année ordinaire et un écrivain moderne qui n’est pas suspect
de prévention en faveur de la liberté, avoue que dans les provinces qu’il connaît on a
semé un quart de plus de bled en sus des années antérieures à l’exportation. Cette
résurrection de l’agriculture est universelle et annonce de nouveaux accroissements . . .
quatre ans se sont à peine écoulés depuis la liberté rendue et déjà la face de nos
.campagnes est changée”.
Ce tableau, s’il est optimiste, ne peut être considéré comme suspect. La Provence
s’était attachée à améliorer l’agriculture. Le roi autorisa le 20 janvier 1765 la création de
la “Société d’agriculture de Provence” dont le règlement, dans son article 8, spécifiait :
“la société s’occupera de tous les objets propres à améliorer l’agriculture . . . elle
s’appliquera principalement à augmenter la production du blé”. En fait, il faut bien
convenir que cette institution eut une activité nulle. En revanche quelques nobles Aixois
férus d’agronomie et influencés par les Economistes, se lancèrent avec succès dans
l’aventure: le baron de Vitrolles, le marquis deJanson, Mr de Seystres Caumont,
Mr d’Aillaüd, Mr d’Albertas et surtout J.B.J. Bruny, baron de la Tour d’Aigues, membre
du parlement (CF. Melle Allemand, op. cit. p. 257-258). Par ailleurs, à la suite de la
déclaration royale du 12 avril 1767, les défrichements s’élevèrent à 43 000 arpents
(CF. Weulersse, op. cit., p. 188). Quant à l’irrigation elle fut améliorée.
Aussi on ne peut s’étonner que le Parlement prétende que la production ait rattrapé
la croissance démographique, d’autant que M. Toutain (op. cit. p. 90) a calculé que si au
XVIIIe siècle, la croissance annuelle de la population était de 0,33 % la croissance de la
production céréalière s’élevait à 0,40 %. Tout au plus faudrait-il préciser (ce dont se garde
le Parlement) que le port de Marseille constitua, selon toute vraisemblance, un élément
prépondérant qui contribua à assurer ce relèvement économique et l’accéra.
(7) Parce que l’agriculture Provençale est florissante mais menacée, le Parlement
supplie le Roi de la protéger. Il paraît plus clair de rassembler ici tous les vœux de la cour
afférents à l’édit de 1764.
La première supplique vise le prix prohibitif : déjà dans son arrêt de règlement de
1764 enregistrant l’édit, il avait estimé que la clause du prix prohibitif ne conférait qu’une
demi liberté à l’exportation (CF. II, 1). Or en 1768, dans sa lettre sur les grains, le
Parlement s’éloigne de la Physiocratie en ajournant cette revendication : “d’autres . ..
disent que le prix prohibitif de l’exportation est fixé trop bas pour certaines provinces où
la denrée est de plus grande valeur,. . . cet examen doit être réservé pour un temps plus
�(7) suite
tranquille, la fermentation est trop grande” (B 3 677). Cependant Weulersse insiste à tort
sur ce divorce (T. II p. 488) puisque dans la lettre de 1770, il reprend sa critique : “dans
le midy où les bleds ont plus de substance, ils sont infiniment plus chers, le taux prohibé
est en Provence le prix presque habituel. .. commun . .. nécessaire . . . l’uniformité est
injuste, elle est contraire à votre objet” (CF. III, 5).
Le second vœu du Parlement vise à améliorer l’édit de 1764 : lorsque le prix
prohibitif est atteint et se maintient durant trois marchés, l’exportation est fermée, et la
ré-ouverture est difficile (CF I, 2, 31, 11,1). Aussi la cour suggère d’“exiger un plus grand
nombre de marchés pour rétablir l’exportation que pour la faire cesser, le terme sera plus
éloigné mais il sera légal” (Lettre de 1770).
L’Intendant Gallois de la Tour, ainsi que le Parlement, sollicitent le Roi d’accorder à
la Provence la liberté d’exportation de manière à compenser l’augmentation du prix du
pain.
En 1768 Gallois de la Tour écrit au Contrôleur Général (op. cit. p. 105) : “Notre
province est celle qui profite le moins de la faculté d’exporter .. . nous espérons que
l’encouragement donné à la culture, diminuera l’importation des bleds que souffre la
Provence et que le Roi daignera l’indemniser de la surcharge qu’elle supporte en
conséquence de la nouvelle police, en favorisant sur les mêmes principes, l’exportation des
denrées de son cru”.
Le Parlement reprend cet argument dans ses Remontrances du 4 décembre 1769
(B 3 677): “La liberté de l’exportation des bleds qui ressuscitant l’agriculture, ranime la
France . . . a porté les grains à une valeur considérable et continue que la Provence, pays
stérile ne peut supporter. Et comment le pourrait-elle lorsqu’elle ne jouit pas de la même
liberté d’exportation pour les denrées qu’elle donne en échange du pain qui lui
manque . . . l’exportation des bleds ce remède général de l’Etat a tourné en poison pour la
Provence, l’excessive cherté du grain .. . terrible au pain . . . a fait sortir de son sein des
sommes importantes”. Enfin, en accord avec les principes des Economistes, le Parlement
estime que puisque l’exportation est bridée par la clause prohibitive, la Monarchie ne doit
pas accorder de primes à l’importation : “l’exportation étant limitée et l’importation
illimitée surtout depuis l’arrêt du 19 septembre (1768)... il ne paraît pas qu’il y ait
aucun cas où l’on doive appeler le bled étranger par des gratifications .. . (qui) donne de
l’avantage au bled étranger” (Lettre de 1768, B 3 677).
Somme toute, le Parlement désire d’une part la libéralisation de l’Edit de 1764 et
par conséquent une libre exportation pour la Provence, d’autre part la sauvegarde de
l’exportation théorique sur Marseille, c’est-à-dire la libre circulation avec le port (CF. II, 2,
3).
En définitive, seule la liberté a permis la ressurection économique de la Provence. Il
est donc nécessaire d’asseoir cette liberté pour consolider ce miracle.
�369
III - DU ROLE DE LA PUISSANCE PUBLIQUE QUANT A LA POLICE
ET A LA LIBERTE
Pardonnes Sire les détails où nous sommes entrés, il s’agit du plus grand
intérêt de l’état que nous croyons avoir été méconnu par le premier corps de
la magistrature, et puisque le devoir ne permet pas qu’une autorité si
respectable nous réduise au silence, nous sommes obligés d ’élever nos voix
avec plus de force pour surmonter le préjugé qui inspire la confiance qui luy
est due.
Des hommes qui cherchent également le bien public peuvent l’envisager
d’un oeil différent, mais on devrait se réunir quand on peut remonter aux
notions fondamentales de la justice, que répondre aux deffenseurs de la
liberté quand ils soutiennent que la propriété est détruite si on la rend stérile
et malheureuse par les genes ? est-ce une vérité, est-ce un mensonge ? il faut
dit-on pourvoir à l’intérêt du consommateur, ce raisonnement qui ne résout
point l’objection suppose :
1) que l’intérêt durable des consommateurs se trouve dans la diminu
tion des productions du territoire, on le nie très fortement.
2) que dans le conflit d’intérêt celuy du consommateur ne doit point
être indifférent au père commun, mais l’égalé au propriétaire et au cultiva
teur dans la hiérarchie politique, c’est renverser l’ordre essentiel des Sociétés
et la constitution de l’Etat en particulier ; luy sacrifier le propriétaire est une
résolution qu’on n ’aurait pas présentée ouvertement au champ de Mars où
l’on ne voyait que des possesseurs de terres en alleux ou en bénéfices ;
avouer sans détour qu’on sacrifie le propriétaire, c’est déclarer qu’on attente
sur le droit de propriété le peut-on avec justice, c’est dégrader la culture et
diminuer le revenu général, le peut-on avec prudence ? (1)
(1)
Tout au long de la lettre, 'le Parlement a recours à des concepts d’ordre
philosophique, moral, politique et économique qui laissent transparaître sa Physiocratie.
Ainsi en est-il lorsqu’il remonte à la notion fondamentale de la “justice” qui repose
sur l’harmonie humaine.
Une des sources fondamentales de la doctrine libérale réside dans la révolution de la
raison qui procède de Descartes, et dans le concept de nature. Le rationalisme avait abouti
avec Montesquieu à la découverte de loi sociale" conçue comme une loi scientifique. Avec
les Physiocrates, le rationalisme, le naturalisme donnent naissance à la notion de loi
économique, c’est-à-dire une loi qui soumet les éléments de l’économie, comme la loi
scientifique soumet l’univers. Dupont de Nemours confère à cette loi son expression la
plus rigoureuse : “ni les hommes, ni leurs gouvernements ne les (lois) font et ne peuvent
les faire : ils les reconnaissent comme conformes à la raison supérieure qui guide l’univers,
ils les déclarent, ils les portent au milieu de la société” (CF. Quesnay-“Mm'raes”-I) ; d’où
il distingue le législateur ou porteur de lois du légisfacteur ou faiseur de lois. On retrouve
tous ces éléments dans les écrits du Parlement : il n’est qu’à relire la lettre. Toutefois il
insiste plus particulièrement sur les “loix si sages, si conformes à la nature”, il précise que
“la loy sera toujours imparfaite si elle a besoin du ministère de l’homme”. Et en 1768
(B 3 677) il affirme : “toute loy économique qui lui (agriculture) donne de l’accroisse
ment est une loy salutaire”.
24
�(1) suite
De cette loi économique, se déduit un second concept : celui d’un ordre naturel et
rationnel de nature providentielle, voire divine. Il est philosophique dans la mesure où il
se fonde sur des lois, il est également naturel par la démarche logique qu’il implique ; il
est enfin matériel par sa quête du bonheur. Or le Parlement, que ce soit sur le plan
économique ou politique, s’en remet entièrement au gouvernement de la nature, à l’ordre
naturel.
Sur le plan économique, cet ordre, dans le conflit d’intérêts entre le producteur et
le consommateur, assure la prééminence indiscutée du producteur.
Etant donné la primauté de l’agriculture, le producteur, le propriétaire, nourrissent
la patrie et enrichissent l’Etat. Ainsi se justifie le bon prix car : “baisser . . . les prix pour
les proportionner à son misérable état (le consommateur) c’est tout perdre et c’est ce
qu’on a fait jusqu’à présent” (lettre de 1768 - B 3 677) ; ainsi se justifie la primauté de la
campagne. Donc, d’une part la prise en considération de l’intérêt du consommateur
signifie la ruine de l’économie, d’autre part, objectivement, l’intérêt du producteur prime
tout. La conclusion est simple : le producteur occupe le premier rang dans la hiérarchie
économique : “Reposez-vous, Sire, avec confiance, sur l’aisance des propriétaires et des
cultivateurs, elle animera les arts . . . ils marchent à la suite d’une agriculture florissante”.
(ibid). Dès lors le pouvoir doit rendre l’agriculture productrice en supprimant les
règlements.
Sur le plan social et politique, cet ordre aboutit à consacrer la supériorité du
producteur et du propriétaire.
La thèse physiocratique insiste sur la nécessité de stimuler par tous les moyens
(encouragements, améliorations des cultures, défrichements) le “produit net”, mais
l’agriculture qu’ils visent est la grande agriculture.
Pour les Economistes, l’agriculture constitue le fondement de l’ordre social et le
Parlement affirme que : “les propriétaires et les cultivateurs forment la Nation proprement
dite, ceux qui ne sont que commerçants et artisans sont les gagistes ; si le corps de la
Nation est riche, les gagistes ne manqueront pas de salaires, les journaliers . .. participe
ront nécessairement à sa fortune” (Lettre de 1768 - B 3 677). En effet l’école attribue à
la propriété une essence quasi-divine. La société repose sur la propriété individuelle, et
plus spécialement sur le propriété foncière qui réalise l’harmonie entre l’intérêt privé et
l’intérêt général du fait que l’agriculture est la source de richesse des individus et de
l’Etat. Donc les propriétaires représentent l’intérêt général. Pour cette raison, faire du
consommateur l’égal du producteur c’est : “combattre l’ordre naturel et renverser les
fondements de l’édifice de l’ordre social” (CF. infra). Et le Parlement, pour appuyer son
raisonnement, fait appel aux Mérovingiens et aux Carolingiens qui avaient saisi que la
souveraineté monarchique était liée à la propriété foncière (thèse pour le moins osée qu’il
convient de rapprocher des prétentions historiques des Parlements de se rattacher aux
plaids). Cette défense du droit de propriété est le fait de l’école comme du Parlement. Ce
dernier écrit en 1768 : “nous croyons que la justice et la politique exigent qu’on respecte
la propriété” (B 3 677). Elle porte sur un droit inviolable, garant de la stabilité
économique et politique et traduit “l’absolutisme propriétaire” du Parlement de Provence.
Toutefois une remarque s’impose :
La Physiocratie, en opérant une dichotomie sociale et politique entre la classe des
producteurs et la classe stérile, annonce le Saint-Simonisme et la fameuse parabole de
Saint-Simon qui dégage l’idée technocratique. Par ailleurs l’école se pose comme le soutien
d’un capitalisme de type agricole jouant au détriment des petits propriétaires. Or le
Parlement d’Aix diverge légèrement de la Physiocratie dans la mesure où il a toujours
défendu la campagne : les grands propriétaires mais également les petits, les laboureurs et
les cultivateurs (CF. I, 43 : “le pauvre laboureur” etc . . . ).
�371
D’autre part on observe qu’il n ’est pas permis à l’homme de disposer de
son nécessaire phisique et absolu ; le principe est moral mais il a peu
d ’application dans la politique et dans le commerce ; l’homme s’il veut être
raisonnable ne doit pas se réduire à l’indigence par une mauvaise conduite,
mais l’acte n’est pas nul lorsqu’un particulier aliène le dernier recoin de
l’héritage de ses pères pour servir à ses débauches. Si celuy qui n’a plus qu’un
setier de bled pour nourrir luy et ses enfants le vend pour aller au cabaret
l’action est moralement détestable, la vente est légitime ; nous entendons
encore moins la conséquence que l’on tire de ce principe vague pour
empêcher la communication de province à province. Celuy qui vend le
superflu de sa récolte ne vend pas son nécessaire phisique, il enlève dit-on, le
nécessaire physique de sa province. Voilà d ’abord la propriété anéantie par
cette espèce de communion de biens et de besoins, le règne de l’arbitraire
sera bientôt établi (2).
Les agents de l’administration, les ministres de la police estimeront le
nécessaire phisique, de la ville, de la Province, du ressort comme il leur
plaira, on calculera mal des grains qui existent dans l’intérieur on n’aura
point égard à ceux qui doivent rentrer, on empêchera ceux qui sont dans la
ville, dans la province, dans le ressort de sortir pour faire les remplacements
attendus dans d ’autres provinces ; on ne comptera plus sur le commerce et
on aura raison puisqu’on anéantit toute circulation ; nous n’examinerons
point icy comment on peut concilier ces sistèmes avec vos loix, mais nous
demanderions volontiers quel est le lien moral ou politique qui empêche
deux villages voisins et limitrophes de se secourir mutuellement parce que
leurs procès ne sont point jugés par le même tribunal, ou que différents
intendants font l’assiete de leur taille ? en deffendant aux habitans du Thin
de vendre à ceux de Tournon du bled dont ils ont besoin, on viole la
.propriété à l’égard des premiers, l’humanité à l’égard des seconds. Il n’y a
point d ’inconséquences, point de contradictions on n’entraine la maladie
d’assujettir à des règlements ce qui n’en est pas susceptible par essence (3).
(2) La Cour développe l’argument précédent afin de prouver que le droit de
propriété absolu légitime la liberté. Pour ce faire, elle s’en prend aux partisans de
l’ancienne police qui prétendent que l’homme ne peut disposer de son “nécessaire
phisique”.
Dans sa lettre de 1768, elle s’étend avec complaisance sur une distinction subtile qui
lui est propre : un homme débauché ou joueur peut conclure une vente qui, moralement,
est détestable, toutefois elle n’en est pas moins juridiquement valable. Donc le principe est
moral mais n’est ni politique ni commercial.
C’est pourquoi les ennemis de la liberté, lorsqu’ils condamnent celui qui ne vend
que le superflu de sa récolte ou qui l’exporte, entravent la circulation et anéantissent le
droit de propriété en instituant une sorte de communion des biens. Mais cet homme ne se
dépouille pas de son nécessaire physique, a fortiori il ne ruine pas sa province.
(3) D’ailleurs les prohibitionnistes prétendent déterminer le “nécessaire physique”
d’un ressort territorial envisagé au moyen d’estimations de type prévisionnel : les “états”
des intendants, des renseignements divers, des réserves ; or l’expérience a prouvé qu’en
anéantissant la circulation, la police ne peut régler la production, l’approvisionnement et
la consommation.
�Les hommes en réunissant leurs volontés et leurs forces pour l’avantage
commun et la deffense commune ont du croire qu’ils m ettaient leur
propriété sous la garde et la protection de la puissance publique, aucun n ’a
compté qu’elle se chargerait de luy fournir sa subsistance, ce soin est
personnel à chaque individu. L’Etat est obligé de favoriser pour tous, les
moyens naturels qu’ils ont de subsister, il trouble l’ordre et l’égalité s’il
employé des moyens arbitraires qui ne peuvent soulager les uns qu’aux
dépens des autres.
Les agens de la puissance publique sont naturellement enclins à luy
supposer des devoirs pour étendre leur autorité, un mieux arbitraire échauffe
le zèle des uns et sert de prétexte aux autres ; cette illusion a été la source
d’une foule d’abus dans les monarchies, comme les devoirs du souverain ne
sont que trop vastes et trop multipliés ; ce qu’on y ajoute est presque
toujours au-dessus des forces humaines (4). On ne trouvera jamais les moyens
(3) suite
De plus, et le Parlement étaye son argument physiocratique, la libre circulation
permet d’éviter de voir les provinces se transformer en royaumes indépendants et
autarciques: “pauvres dans l’abondance et affamés dans la disette” (Lettre de 1768 B 3 677). Quant à l’interdiction faite à deux villages voisins de se secourir sous prétexte
qu’ils sont situés dans deux provinces différentes, elle n’est ni morale, ni politique, mais
relève de l’arbitraire. En effet le droit de propriété et l’humanité (CF. I, 37) exigent l’un
la liberté du vendeur, l’autre la solidarité humaine.
(4) En posant le principe que les hommes entrés en société n’ont jamais pensé que
l’Etat assumerait un soin qui leur est personnel : assurer leur subsistance, le Parlement
reprend une thèse physiocratique qu’il développe à satiété dans sa lettre de 1768. Il
précise cette idée en dénonçant les agents de la puissance publique, coupables d’étendre à
l’infini les devoirs déjà trop nombreux du souverain. Par là, le Parlement pose une
question fondamentale : à savoir le rôle de l’Etat et la conception de l’Etat idéal.
Le rôle de l’Etat et l’intervention économique : de fait la formule des physiocrates
“laisser faire, laisser passer” n’implique aucunement la disparition de l’Etat. Certes ces
“libéraux” prétendent réduire son activité législative, mais ils sont très loin d’être hostiles
à l’institution. En réalité, il convient de différencier, comme ils le font, le rôle de l’Etat
de son intervention économique. L’école confère à l’Etat un certain nombre de fonctions :
Il doit découvrir l’ordre naturel (et sa vérité) et le laisser jouer par une liberté générale et
absolue. En d’autres termes l’art du Prince Economiste, du “sage”, consiste à découvrir le
type idéal d’institutions voulues par la nature et la raison. Le souverain, qui, pour Mercier
de la Rivière, est un prêtre de la vérité, promulgue la loi naturelle, c’est-à-dire qu’il est
“législateur” (CF. III, 1), qu’il transforme le Droit Naturel en Droit positif. Il en impose le
respect en protégeant la propriété, fondement de l’ordre social. Enfin l’Etat enseigne la
Physiocratie, qui n’est autre étymologiquement que le gouvernement de la nature et
oriente les travaux publics en faveur de l’agriculture. Toutes fonctions : prêtre de la
raison, de la nature, intermédiaire entre la nature et les hommes, qui magnifient le rôle de
l’Etat et annoncent la Révolution Française. Mais jamais au grand jamàis, l’Etat ne doit
intervenir en matière économique. Déjà le marquis de Mirabeau écrivait (op. cit. p. 427) :
“en un mot, en tout état de cause, le gouvernement ne doit jamais se mêler des blés”.
D’autant que cet interventionnisme économique arbitraire n’aboutirait qu’à rompre l’ordre
naturel et l’égalité dans la mesure où il jouerait nécessairement au détriment des
producteurs.
�373
d’établir un commerce sans liberté, une culture sans commerce et des
produits sans culture.
La puissance publique qui tient les renes d’un grand Empire doit
favoriser le labourage, rendre libre et immune de taxe la circulation, ouvrir
les communications par des chemins, des pons et des canaux, inviter le bled
étranger par toutes les commodités et les sûretés possibles et le repousser par
l’encouragement de la culture nationale ; tout ce qu’on entreprend au delà
dégénéré en abus ; il n ’est jamais résulté de l’ancienne police que monopoles,
maltôte, divertissement des deniers publics, oppression des particuliers,
destruction du commerce de grains et spoliation du territoire (5).
Nous sommes avec un très profond respect,
Sire,
De Votre Majesté, les très humbles très obéissants très fidelles serviteurs
et sujets.
(4) suite
L’Etat idéal des Physiocrates sera par un faux paradoxe un Etat fort. Sur le plan
politique l’Ecole et, plus spécialement Mercier de la Rivière, préconisent, comme on le sait
un Despotisme Eclairé ou légal qui s’incarne dans la personne du souverain, un souverain
que l’on pourrait qualifier de chef d’orchestre, de relais.
L’Etat idéal leur apparaît sous la forme d’un gouvernement héréditaire qui gouverne
peu, respecte la hiérarchie économique et sociale et qui n’intervient pas dans le domaine
économique. Ils le trouvent dans la Monarchie, dans l’Absolutisme Eclairé (CF. “Les
Maximes” de Quesnay).
Le parlement de Provence, quant à lui, adopte intégralement ces thèses. Il se montre
partisan d’un Etat fort mais “minimalitaire”.Par ailleurs il lui impose d’être économique
ment neutre : “le gouvernement neutre entre le vendeur et l’acheteur” (Lettre de 1768,
B 3 677).
(5) Toutefois la Cour d’Aix accorde à l’Etat, au Roi, ou plutôt lui impose un
certain nombre de devoirs et une mission limitée. Les vœux du Parlement sont multiples
mais tendent au même but : le Roi doit favoriser l’agriculture et l’encourager, rendre la
circulation libre, ouvrir les voies de communication, libérer l’exportation. C’est dans l’arrêt
du 3 octobre 1770 (Méjannes 959 - T XIV F 188, 189) qu’il synthétise le mieux ses
suppliques : “sera le seigneur Roi très humblement supplié de mettre le dernier sceau aux
loix salutaires .. . pour la police des bleds, d’abolir tous les droits qui se perçoivent dans
la circulation intérieure, de distinguer dans la fixation du prix qui ferme la sortie, les
ports de la Méditerranée et ceux de l’Océan, attendu la différence notoire de la valeur
vénale et de la qualité des grains, d’assurer par une loi fixe l’exportation lorsque le prix
est baissé au dessous du taux prohibitif’ (CF. II, 7).
Mais là sont les bornes du Souverain en cette matière.
Cependant le Parlement impose au Roi (et ceci transparaît tout au long de la lettre)
une dernière mission, conforme à la pure doctrine de l’Ecole : imposer par un coup
d’autorité la nouvelle législation libérale et l’améliorer. Sa conclusion fulgurante est double
mais peut se ramener à l’unité : d’une part l’ancienne Police des grains est responsable de
tous les abus et de tous les maux, d’autre part il pose une équation qui légitime la
liberté : pas de commerce sans liberté, pas de culture sans commerce, pas de produits sans
culture.
�374
Les gens tenant votre parlement de Provence.
Enregistré en exécution de l’arrêté du dix novembre mille sept cent
soixante dix par nous greffier audiencier.
Au terme de cette étude, le Parlement de Provence émerge de cette âpre
dispute entre la Physiocratie et la Police des grains, comme un témoin
privilégié et un acteur dont le rôle a été des plus marquants.
Dans cette controverse, la Monarchie était tout à la fois juge et partie.
Indécise et fluctuante, elle faussa le déroulement de cette première expé
rience Libérale en faisant coexister à côté de la nouvelle législation un
système réglementaire et interventionniste (1).
Or si l’on peut considérer que la critique de la Monarchie administrative
amène la Cour Souveraine à faire partie de la réaction Parlementaire, il n’en
demeure pas moins qu’il s’agit d ’une opposition relative. En effet sa
conception physiocratique de la Monarchie n’en fait pas un adversaire de
l’institution. Dès lors sa prise à partie vise essentiellement l’interventionnisme
Royal c’est-à-dire la police.
C’est sans ambages que, depuis 1760, le Parlement a choisi son camp et
a décidé de se faire le porte parole de l’Ecole. En conséquence l’hostilité
foncière à l’égard de la Police, antérieure à la législation libérale, ne peut être
taxée d ’opportunisme : si la Cour est sévère, elle est sincère.
Se posant en disciple de la Physiocratie, le Parlement d ’Aix subit
l’influence d’une théorie dualiste qui explique cette ambiguité doctrinale (2).
Sur le plan économique, la quête de la liberté économique fait de la
Physiocratie une doctrine indéniablement libérale. Cependant le concept de
liberté (3), victime d’une perversion terminologique, signifie bien la liberté de
l’agriculture, mais au détriment de l’industrie et du commerce. D’autre part
l’Ecole, en prenant le contre pied du Colbertisme qui m ettait l’économique
au service du politique, opère une inversion moderniste : le politique, dans sa
conception, devient l’auxiliaire de l’économique. En revanche sur le plan
social et politique c’est une doctrine des plus conservatrices. Conservatisme
qui se manifeste tant par le mépris du peuple, que par le panégyrique du
droit de propriété et l’aspiration à une “nouvelle agriculture” .
De fait cett ambiguité correspond au mouvement qui lui fait pendant en
Grande-Bretagne : L’Utilitarisme.
(1) Cf. I - 42.
(2) Métaphysique par son recours à l’ordre naturel, elle est agrarienne par la
primauté conférée à l’agriculture, morale et individualiste par sa conception du retour à la
réalité des essences, et déiste par sa métaphysique implicite.
(3) Elle se fonde sur un Droit Naturel laïcisé, le Droit positif n’étant que
l’émanation du premier. De même elle fait appel à une raison cartésienne.
�375
La Physiocratie du Parlement semble, à notre sens, être le résultat d ’une
conjonction de raisons, ou plutôt d ’intérêts qui se sont concentrés sur
l’institution.
Le marquis de Mirabeau, ami de Quesnay, avait divulgué les théories des
Economistes en Provence et il s’était attaché à recruter des adeptes.
Progressivement la haute société Aixoise ressentit de l’attrait pour ces
problèmes économiques et nombre de nobles (4) tentèrent de mettre ces
idées en pratique sur leurs terres. Des hommes comme Monseigneur de
Boisgelin, archevêque d’Aix, administrateur du pays, ami de Turgot et
partisan des Physiocrates s’efforcent de faire suivre les maximes du parti.
D’autre part le Parlement, émanation de la Noblesse, une Noblesse qui
possède des terres dont le rapport est assez mince, voit avec sympathie cette
tentative. D’autant que l’intendant et Premier Président, Gallois de la Tour,
ami de Turgot, joua un rôle déterminant en écrivant lui-même et en incitant
le Parlement à rédiger sa première lettre. De fait il ne pouvait que bien
disposer le Parlement en faveur des théories Physiocratiques. Par ailleurs
l’influence du milieu commercial Marseillais, des riches négociants, attachés à
protéger et à accroître leurs intérêts est loin d ’être négligeable. Et ils peuvent
d’autant mieux jouer le rôle de “groupe de pression” que le port phocéen
revêt pour la Provence une importance vitale. Enfin la Cour, préoccupée par
un terroir pauvre et ingrat s’est toujours efforcée et par tous les moyens de
développer la Provence.
Somme toute, tous ces éléments ne peuvent q u ’inciter le Parlement à
représenter ces intérêts et à se faire l’avocat de la Physiocratie. Or ce combat
que mène la Cour d’Aix n’est pas une lutte solitaire ; elle agit de concert
avec deux Parlements : ceux du Languedoc et du Dauphiné. Ceci, selon toute
vraissemblance, parce que ces provinces sont productrices de céréales
(Languedoc) ou déficitaires de manière chronique (Provence). Dès lors elles
ont un intérêt à sauvegarder : en l’occurence le port de Marseille.
Fait remarquable, le Parlement de Provence, malgré la dégradation de la
doctrine à l’épreuve des faits et des diversités provinciales, malgré la cherté,
demeura, en ces années difficiles, toujours fidèle à l’Ecole, alors que bon
nombre de Cours Souveraines se rangèrent à partir de 1768, dans le camp
prohibitionniste et traditionaliste.
Toutefois cet accord constant avec le parti ne doit pas faire oublier
l’existence de certaines divergences. A l’inverse de la Physiocratie, le Parle
ment témoigne de la faveur à l’industrie et au commerce (5). D’autre part il
lui arrive d’apporter des restrictions à la liberté (6), enfin il prend la défense
des petits propriétaires, laboureurs et cultivateurs (7). Ce divorce est la
(4) CF. II, 6.
(5) CF. I, 4, 19.
(6) CF. I, 43.
(7) CF. III, 1.
�376
conséquence de deux faits : le Parlement n’est pas un parti, c’est une
institution respectable, qui par vocation, est davantage mesurée et ceci
explique la modération des aspirations “libertaires” . De plus ce souci
constant de faire sortir la Provence de l’ornière, constitue un m otif de
divorce. Mais somme toute ces divergences ne peuvent pas être considérées
comme étant majeures.
Peut-on alors déceler un clivage avec le parti et pour autant en déduire
que la Cour a été favorable au peuple et aux masses paysannes ? (8) La
réponse est extrêmement malaisée.
Le Parlement ne manifeste aucune hostilité à l’encontre du peuple et il
va même, pour justifir et appuyer sa lettre de 1770, jusqu’à invoquer “son
vœu et son intérêt” (9). D’autre part il ne cesse de témoigner de la
sollicitude à l’égard des campagnards même modestes. Toutefois on ne peut
s’engager trop avant dans cette voie. En effet l’institution a une fonction :
servir d ’exécutoire à une opinion publique en voie de formation. Si donc
divergence il y a, elle semble être de résonnance quelque peu démagogique ;
car pour la Cour, l’opinion de la Nation (10) est avant tout celle des
propriétaires et des producteurs.
La lettre du 10 novembre 1770 nous est apparue comme une œuvre
originale par maints aspects et ce, malgré le fait qu’elle reprenne bon nombre
de thèmes de la lettre de 1768. De fait les arguments sont davantage tendus,
élaborés et raisonnés car le but de la Cour est de tenter d’infléchir le Roi une
dernière fois. D’autre part elle marque de manière claire et indiscutable
l’apogée historique et doctrinale de la Physiocratie du Parlement qui, depuis
1760, n’a cessé de prendre de l’ampleur. Ainsi s’expliquent certaines modifi
cations théoriques dans un exposé qui, en définitive, revêt une forme
systématique et dogmatique.
Pour le malheur du Parlement, cette lettre intervint au moment même
où s’achevait cette première expérience libérale (11 ), où se concrétisait le
(8) Doctrine d’une classe éclairée, la physiocratie ne pouvait permettre l’éveil d’une
pensée et d’une politique paysannes. De fait la masse des ruraux fut peu touchée :
plusieurs années après 1763 la déclaration royale lui était à peu près inconnue.
(9) Le 10 Novembre 1770 - B 3 677.
“La cour . .. après avoir satisfait au vœu et à l’intérêt du peuple de son ressort par
la lettre écrite au Seigneur Roi. . . a arrêté qu’il sera représenté . . . que ses Parlements
animés du même zèle peuvent être divisés sur une question politique concernant l’intérêt
de son Etat, sans préjudice dé l’union essentielle . . . qui les associe au service du dit
Seigneur Roi et à la défense des loix”.
(10) CF. III, 1.
(11) Weulersse (11-597, 598) “Ainsi du régime de liberté inauguré à l’instigation des
économistes, il ne restait qu’assez peu de chose . . . la royauté le condamnait et l’abolissait
presque tout entier comme contraire au bien des sujets, condition de la tranquillité
publique”.
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377
retour à la police traditionnelle des grains et où se profilait l’exil de la Cour.
Si donc cette lettre est marquée du sceau de l’échec, il n’est pas définitif car
à terme la Physiocratie débouche sur la Révolution Française.
Somme toute, sur cette question cruciale des grains, entre 1760 et
1770, le Parlement de Provence eut un double rôle. Il fut non seulement
libéral, mais encore, chose exceptionnelle de la part de cette institution, il
eut une fonction constructive, dynamique.
Défenseur d’intérêts ? le Parlement le fut incontestablement, mais ils ne
furent ni réellement égoïtes ni démagogiques. Il fut avant tout le défenseur
attitré des intérêts Provençaux confondus avec les intérêts nationaux et
monarchiques. En définitive, le Parlement de Provence, lié, dans la question
des grains, à une doctrine fluide et ambiguë, apparaît en demi teintes entre la
tradition et la modernité (12).
(12)
Jusqu’ici le rôle économique et politique du Parlement de Provence, a été
totalement négligé. Il faut donc espérer que ce travail soit poursuivi et qu’il constitue la
première pierre d’une recherche plus vaste.
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�L ’IN S T IT U T IO N D E L ’O M B U D SM A N
D A N S LE C O N T E X T E S C A N D IN A V E
par Paavo KASTARI
P r o fe s s e u r d e D r o it C o n s titu tio n n e l
à l ’U n iv e r s ité d ’H e ls in k i
Le présent article développe une conférence faite par M. Kastari à la
Faculté de Droit et de Science Politique d’Aix-en-Provence, le mercredi 3
novembre 1971. M. Paavo Kastari a été l’Ombudsman de Finlande de 1952 à
1956. Il est à présent professeur de Droit constitutionnel à l’Université
d’Helsinki.
L’institution de XOmbudsman suscite, dans presque tous les pays de
niveau juridique évolué, et même dans les pays en voie de développement, un
grand intérêt. En de très nombreux Etats, et aussi dans d’atures entités où
s’incarne la vie collective, par un phénomène affectant le monde entier, fl
existe déjà un Ombudsman et plus grand encore est le nombre des pays qui
se tiennent au courant de cette institution avec une intense curiosité et se
consacrent à son étude de manière permanente ( 1). L’idée vient de
Scandinavie, et elle porte partout si fortement la marque de ses origines que
son nom même XOmbudsman, avec sa consonance suédoise, semble avoir
acquis droit de cité dans presque toutes les langues de culture, du moins
européennes.
VOmbudsman n’est pourtant pas apparu to u t d’un coup et n’est pas
sorti tout armé, comme Pallas Athéna de la tête de son père Zeus. La
longueur de son fil ombilical à travers le cours de l’histoire n’est malgré tout
pas telle qu’il nous entraîne jusqu’aux tribuns du peuple et aux éphores dans
l’ancienne Rome et en Grèce, si nombreux soient les parallèles que l’on peut
esquisser avec ces fonctionnaires jadis investis d’une mission de surveillance.
A présenter les choses sous un éclairage quelque peu dramatique, on est
peut-être autorisé, pour rechercher les racines, en quelque sorte, de l’institu
tion, à remonter jusqu’à l’année 1709. Le roi de Suède Charles XII subit
(1)
Elle est exposée de la manière la plus nette dans Donald C. Rowadt, The
Ombudsman, Citizen’s Defender (1968). Voir aussi Walter Gellhorn, Ombudsman and
Others (1966), et Stanley V. Anderson, Ombudsman Papers : American Expérience and
Proposais (1969).
�alors une défaite décisive dans sa lutte contre Pierre le Grand et il dut, à la
suite de ces évènements, continuer à assumer le pouvoir du lieu où il s’était
réfugié, en Turquie, et veiller au maintien de la légalité et de l’ordre public
dans son lointain royaume. De Turquie il promulgua, en l’année 1713, un
ordre de chancellerie par lequel il instituait en particulier un “mandataire
suprême du roi” , qui devait surveiller l’observation des lois et règlements. Le
nom de ce mandataire fut remplacé en 1719 par celui de “Chancelier de
justice” (justiîiekansler) et ce nom continue à désigner aujourd’hui encore, en
Suède aussi bien qu’en Finlande, un des deux gardiens suprêmes de la loi. En
Russie le Tsar Pierre, qui avait dû également séjourner longtemps hors de son
empire, créa à son tour, en 1722, la fonction de procureur suprême ; ce
personnage avait pour tâche de surveiller, avec l’aide des procureurs des
différentes branches de l’adminstration et des gouvernements provinciaux,
l’observation des lois et de protéger les citoyens, en particulier ceux faisant
l’objet d’une mesure de détention, contre les illégalités de la part des
autorités. Son héritier direct est la Prokuratura de l’Union soviétique et des
démocraties populaires, laquelle joue aujourd’hui, principalement dans son
pays d’origine, un rôle extraordinairement important.
C’est toutefois en l’année 1809 seulement qu’il convient de placer la
naissance en Suède de l'Ombudsman proprement dit. Le Chancelier de justice
lui-même était venu à être élu par la Diète ( Riksdag) depuis les années
1766-1772, mais ce n’est qu’en 1809 que fut adjoint au Chancelier un
Ombudsman spécial de la Diète.
Le caractère de cette fonction très honorifique s’est depuis lors sensi
blement modifié, si ses formes extérieures sont demeurées à peu près
identiques. En liaison avec la division tripartite du pouvoir étatique (sépara
tion des pouvoirs) faite par la nouvelle Constitution ou, plus exactement,
comme correctif à cette division, YOmbudsman était destiné originellement à
surveiller au nom de la Diète et pour le compte de celle-ci (elle ne se
réunissait à cette époque que tous les trois ans) l’observation des lois au sein
de l’appareil administratif subordonné au roi et également au niveau des
tribunaux. Dans la ligne de sa mission propre, son intervention se limitait au
premier chef aux cas de violation de la loi dont s’étaient rendus coupables de
hauts fonctionnaires, ou qui présentaient pour quelque autre raison un
caractère particulier de gravité ; l’Ombudsman devait laisser au Chancelier de
justice le soin de déposer des plaintes et de prendre toutes autres mesures
consécutives à des délits de moindre importance.
Avec l’évolution du système politique, et en particulier lorsque la
montée du parlementarisme supplanta l’ancienne division des pouvoirs, la
situation de YOmbudsman sur le plan des principes et le caractère de ses
fonctions se sont modifiés en Suède. Il est devenu un gardien général de la
légalité, le Chancelier de justice conservant certes à ses côtés la place qui
était la sienne, mais reculant quelque peu à l’arrière-plan. Les plaintes
déposées à la suite de délits de fonction, qui formaient autrefois le centre des
activités de l’institution, ont également vu leur importance diminuer, et une
�381
simple critique ou un blâme, formulés à la suite d’un manquement aux
devoirs de fonction, sont devenus le type de réaction le plus courant contre
des abus de ce genre (2). L’institution a également subi des modifications
dans sa structure. On a ainsi créé un mandataire du Parlement pour garantir
le respect de la légalité en matière militaire (Ombudsman pour les questions
militaires). En 1967, une nouvelle modification a été mise en application,
consistant dans l’élection par le Parlement de trois Ombudsmànner qui
assument des missions parallèles et dont chacun exerce ses activités de
manière autonome dans son propre secteur. Du fait qu’ils sont assistés de
deux substituts élus, qui peuvent exercer leur activité même en dehors des
périodes de congé des Ombudsmànner en titre et qu’en outre quinze juristes
travaillent avec eux en qualité de rapporteurs, les tâches correspondent à la
fonction sont assumées aujourd’hui en Suède par un département adminis
tratif fort important.
Lorsque, à la suite de la guerre de 1809, la Finlande vit se rompre ses
liens, vieux de 700 ans, avec la Suède, et fut rattachée à l’empire russe, elle
conserva son propre système juridique. Elle forma un Etat autonome, un
Grand Duché doté d’une Constitution propre. Elle reçut également bientôt
(1812) son propre Chancelier de justice qui, durant la période de l’autonomie
Cl 809-1917), porta toutefois le nom russe de procureur. Bien que ce
procureur conservât pour l’essentiel sa mission ancienne et traditionnelle de
gardien de la légalité et qu’il n’eût de commun avec son collègue russe que le
nom, son statut subit malgré tout certaines modifications importantes qui
ont subsisté. Etant donné qu’il surveillait l’observation des lois pour le
compte du tsar, lequel résidait à Saint-Petersbourg en dehors du territoire du
Grand Duché, il était naturel qu’il fût admis à participer aux séances du
gouvernement “ local” , c’est-à-dire du Sénat finlandais. On notera d ’ailleurs
qu’il avait même le droit de contrôler la légalité des mesures prises par le
gouverneur général, représentant du tsar en Finlande. Ainsi s’incarnait en lui
le gardien de la légalité au degré le plus élevé. Etant donné en outre que la
Finlande, particulièrement vers la fin de la période d ’autonomie, dut mener
un rude combat sur le terrain du droit contre les mesures russes d’oppression,
la fonction de chancelier de justice a de plus en plus assumé un éclat
particulier bien que, en tant que procureur, il n’ait pas toujours su concilier
les exigences de l’honneur avec l’exercice de son activité.
De cette évolution historique se dégagent certains traits spécifiques de la
fonction de YOmbudsman dans le cadre finnois, traits susceptibles par leur
nature d’apparaître avec plus de relief à un étranger. Lorsque le pays devint
indépendant et se dota d’une nouvelle Constitution en 1919, l’histoire se
répéta après 110 ans. En plus du Chancelier de justice, on créa en Finlande
un second gardien de la légalité, exerçant des fonctions comparables,
(2) Walter Haller, Der schwedische Justitieombudsman (1964).
�FOmbudsman élu par le Riksdag (3). La création de cette institution a eu un
sens plus profond, il convient de le noter, que celui d’une simple imitation
servile du modèle proposé par l’ancienne mère-patrie. Certains milieux,
notamment, cherchaient alors à renforcer par des dispositions nouvelles le
pouvoir gouvernemental ; par une réaction naturelle, d ’autres se sont efforcés
de mettre l’accent sur le rôle du Parlement, et la création de l'Ombudsman se
rattache à cette tendance.
Conformément à la tradition héritée de l’époque de l’autonomie, le
chancelier de justice et l’Ombudsman reçurent tous deux le pouvoir exprès
de contrôler, entre autres, la légalité des mesures gouvernementales, bien que
le chancelier de justice eût seul l’obligation spéciale d’assister aux séances du
gouvernement (Constitution : articles 37 et 46-49). L’ordre du jour et le
relevé récapitulatif des projets de décisions pris en considération lors des
séances du gouvernement sont également transmis à l’avance à YOmbudsman
pour qu’il exerce son contrôle. Une seule fois cependant, ce dernier a pris
part à une séance du conseil des ministres et présenté des observations
critiques lors de la discussion d’une question ; deux autres fois il a exposé
par écrit son point de vue sur l’illégalité d ’une décision ou d ’une proposition
gouvernementale le jour qui a suivi la séance (4). On peut dire que le point
culminant de ces efforts dans le sens d ’un légalisme extrême a été atteint
lorsque le chancelier de justice et YOmbudsman se sont vu accorder le droit
de libre parole aux séances plénières du Parlement —et ce avec la priorité qui
est reconnue aux ministres (règlement intérieur du Riksdag, art. 59). Ils se
sont très rarement prévalus de ce pouvoir et, lorsqu’ils l’ont exercé, ils l’ont
fait avant tout pour préciser des questions présentant un lien avec leurs
rapports annuels.
Pour le reste on s’est efforcé d’accueillir et d’organiser l’institution
d’après l’exemple suédois. Les débuts furent toutefois extrêmement difficiles
et pénibles. Durant à peu près une décennie, le rôle de YOmbudsman
—comme l’audience obtenue par son travail — fut si mince que, pendant une
période marquée par des troubles violents dans les institutions, le gouverne
ment alla jusqu’à proposer en 1932 de supprimer cette fonction. Le Riksdag
n’était malgré tout pas disposé à aller jusque là, et bien au contraire on
assigna, avec une certaine dose d’artifice, à YOmbudsman des activités
spéciales, en transférant du chancelier de justice à l’ombudsman certaines
tâches : recours contre des emprisonnements ou contre le placement dans les
établissements de soins à caractère pénitentiaire, et recours fondés sur une
question ressortissant au domaine militaire. Actuellement encore, près de la
moitié en chiffres ronds des affaires qui sont soumises à l’Ombudsman
(3) L’exposé le plus approfondi sur l’Ombudsman finnois est celui de Mikael Hiden,
Eduskunnan, Oikeusasiamies (1970) avec résumé en anglais. Voir aussi Tore Modeen, Le
Cinquantenaire de l’“Ombudsman” finlandais, Revue des droits de l’homme 197 D, ou
aussi l’instruction pour l’Ombudsman finlandais du 10.1.1920.
(4) Rapport de l’Ombudsman 1923, pp. 33-35 et 1950, p. 30.
�383
p ro v ien n en t de c e secteu r. C ’e st p rin cip a lem en t dans c e tte v o ie q u e s’o rien te
é g a lem en t l’a ctiv ité de c o n tr ô le e x e r c é e par YOmbudsman d e sa propre
in itia tiv e, a c tiv ité q u i s’est p a rticu lièrem en t in te n sifié e ces d erniers te m p s ; les
affaires d ’e m p r iso n n e m e n t o n t c o n stitu é à l’origin e leu r ch am p d ’a p p lica tio n
principal.
P eu à p eu , le rô le d e YOmbudsman et le p restige de c e tte in s titu tio n o n t
grandi à d ’autres égards, p a rticu lièrem en t après la se c o n d e guerre m o n d ia le .
C ep en d a n t il sem b le q u e selo n le se n tim e n t général il o c c u p e to u jo u r s la
se c o n d e p la ce, derrière le ch an celier d e ju s tic e . C e tte a p p récia tio n du rôle de
YOmbudsman trou ve un é c h o parm i les ju ristes eu x -m êm es, c o m m e en
té m o ig n e le fa it q u e lors de la n o m in a tio n du ch an celier de ju s tic e les
m agistrats les p lu s c o m p é te n ts d es ju r id ic tio n s su p rêm es so n t p r o p o sé s au
c h o ix du P résident, alors q u e lors d e l ’é le c tio n d e YOmbudsman o n a d û se
c o n te n te r le p lu s so u v e n t d e ju ristes p lu s je u n e s. U n e fo n c tio n so u m ise à de
fréq u en ts ren o u v e lle m e n ts, trib u taire de la c o n fia n c e du P arlem en t, n ’attire
p erso n n e parm i les m agistrats du rang le p lu s é lev é , b é n é fic ia n t de l ’in a m o
v ib ilité.
N o u s v o y o n s ainsi q u e l ’in s titu tio n de l ’O m b u d sm an insp irée du m o d è le
su éd o is ne s’est a cclim a tée en F in la n d e q u e le n te m e n t e t q u e , p a rticu
liè r e m e n t d ans les d éb u ts, elle a v écu d ans d es c o n d itio n s p én ib les. C ette
in s titu tio n est certes d ep u is lo n g te m p s déjà u n organ e so lid e m e n t im p la n té et
très im p o r ta n t, m ais l’o n p e u t d iffic ile m e n t dire, m algré u n e é v o lu tio n
s ’é c h e lo n n a n t sur u n d em i-siècle, q u ’elle ait a tte in t sa p le in e d im e n sio n . Eu
égard à l’in térêt q u e c e tte m atière su scite p a r to u t dans le m o n d e , c e tte
c o n sta ta tio n revêt u n e p o r té e accru e en raison d e la p a ren té e x is ta n t en tre les
sy stè m e s ju rid iq u es de la F in la n d e et d e la S u èd e, p a ren té à c e p o in t é tr o ite
q u ’il n ’est pas p o ssib le d ’im agin er, p o u r la r é c e p tio n d e n o tre in s titu tio n , d es
c o n d itio n s p lu s favorab les. E n d é p it d e certa in es d iffé r e n c e s d e caractère
m arginal q u i n ’a ffe c te n t pas la n ature p r o fo n d e de 1 in s titu tio n , o n p e u t
co n sid érer, dans u n e certain e m esu re, les Ombudsmànner d e S u èd e e t de
F in la n d e c o m m e d es frères ju m e a u x , b ien q u ’ils p u isse n t d iffic ile m e n t être
regardés c o m m e id en tiq u es. A ce titre, ils se d is tin g u e n t, d an s leu r nature
sp é c ifiq u e , d e s Ombudsmànner d e to u s les au tres p ays.
L es cau ses de c e tte s p é c ific ité se r a m èn en t p rin cip a lem en t à d es
cir c o n sta n c e s h isto r iq u e s e t à certain es d o n n é e s stru ctu relles d es sy stè m e s
ju rid iq u es su é d o is et fin lan d ais (5 ). A l’o rigin e, l ’in s titu tio n a eu p o u r o b jet
d ’exam in er, dans un E tat au toritaire, les p la in te s in te n té e s au cas de
m a n q u e m e n t d ’un fo n c tio n n a ir e a u x d evoirs d e sa fo n c tio n et la sa n ctio n
q u ’avaien t reçus de tels m a n q u e m e n ts sur le plan p én al e t d iscip lin aire.
P rogressivem en t o n a m is en p la ce u n e p ro céd u re o ù la r éa ctio n p r o v o q u é e
par u n e fa u te o u u n e situ a tio n faisan t g rief d em eu re lim ité e à u n e sim p le
(5)
Ces données sont exposées de façon pertinente dans André Legrand,
L’Ombudsman Scandinave. Etude comparée sur le contrôle de l’administration (Paris 1970).
�(b lâ m e ) o u critiq u e ( anmarking o u orinran) fo r m u lé e par
les p la in te s de ty p e an cien o n t alors disparu et l’o n a
ab a n d o n n é to u te référen ce à d e s p o in ts d e vu e d iscip lin aires, co n sid érés
c o m m e p resq u e e n ta c h é s d ’archaïsm e. P a rto u t ailleurs, le c o n tr ô le d es trib u
n au x est en d eh ors d es a ttr ib u tio n s d e VOmbudsman, m ais en F in la n d e e t en
S u èd e l’O m b u d sm an p eu t é g a le m e n t e ffe c tu e r d es in s p e c tio n s dans les
ju r id ic tio n s, e t il p e u t aussi in te n te r u n e p la in te co n tr e u n ju g e ou m êm e
rem on tran ce
VOmbudsman
;
fo rm u ler à son adresse d es rem o n tra n ces. Il fa it usage de ce d r o it dans la
p ratiq u e, lim ita n t il est vrai ses in te r v e n tio n s a u x cas d e v ices d e la p rocéd u re
ou de n ég lig en ce d ans le d ér o u le m e n t d e celle-ci. L ’am p leu r du cadre ainsi
assigné au x p o u v o irs d e c o n tr ô le d e YOmbudsman s’e x p liq u e en partie par le
fait q u e les trib u n a u x , p a rticu lièrem en t c e u x du d egré le p lu s é lev é , ne se
so n t sép arés o rg a n iq u em en t du p o u v o ir e x é c u tif q u ’à u n sta d e assez ta r d if de
leur d é v e lo p p e m e n t.
Les fa cteu rs q u i o n t c o n tr ib u é d e la fa ç o n la p lu s im p o r ta n te au p o u v o ir
d es O m b u d sm àn n er dans les d e u x p a y s so n t p eu t-être l’in a m o v ib ilité du
fo n c tio n n a ir e p u b lic, in a m o v ib ilité p resq u e com p arab le à c e lle d es m agistrats,
e t la grande in d é p e n d a n c e d o n t il jo u it et q u i trou ve so n fo n d e m e n t d ans la
lo i. O n n o tera é g a lem en t q u e, p ou r d es raisons te n a n t à u n e tra d itio n
cen tralisatrice, le sta tu t e t les a ttr ib u tio n s d es fo n c tio n n a ir e s, ain si q u e leurs
rapports h iérarchiq u es, so n t ré g le m e n té s en S u èd e d e m an ière p lu s précise
q u e d an s la plu p art d es au tres p a y s et p eu t-être c o m m e n u lle part ailleurs. En
F in lan d e ég a lem en t, q u o iq u e l’é v o lu tio n ait é té à certain s égards d iffé r e n te ,
u n e em p rein te fo r te m e n t lég a liste caractérise l’organ isation ad m in istra tiv e et
le sta tu t d es fo n c tio n n a ir e s ; c e tte c irc o n sta n ce e x p liq u e q u e d ans le p assé, et
a u jou rd ’h u i en co re, les p o u r su ite s p én a les p o u r d é lits de fo n c tio n et les
m esu res d iscip lin aires c o n stitu e n t, p arm i les fo rm es d e ré a c tio n ty p iq u e s du
p o u v o ir d e YOmbudsman, d es fa cteu rs n atu rels et im p o rta n ts, a p p elés à jo u e r
en a sso c ia tio n avec d ’autres o u à l’arrière-plan.
Le cercle d es p e rso n n es q u i, d ’après le d ro it p én al (ch a p . 2, art. 12)
e n c o u r e n t u n e r e sp o n sa b ilité sp écia le du fa it d e leurs fo n c tio n s , r e sp o n sa b ilité
sa n c tio n n é e par u n e p e in e , m arq u e é g a lem en t les lim ite s d es p o u v o irs de
c o n tr ô le d e YOmbudsman. A in si s’e x p liq u e q u ’en F in la n d e les e m p lo y é s des
services c o m m u n a u x rem p lissan t d es fo n c tio n s p u b liq u es et aussi les a sso
c ia tio n s religieu ses to m b e n t ég a le m e n t so u s le c o u p d ’u n e te lle resp o n sa b ilité.
Se situ a n t hors d e l’appareil a d m in istra tif, titu laire in d é p e n d a n t e t im partial
d ’u n d ro it d e c o n tr ô le , YOmbudsman p e u t, en c e tte q u a lité , in terven ir en cas
d e m a n q u e m e n t a u x d evoirs d e fo n c tio n e t d e n ég lig en ce d ans leur a c c o m
p lisse m e n t d ep u is les é c h e lo n s les p lu s b as ju s q u ’au x p lu s élev é s. U n e seule
restrictio n est p révue à c e t égard ; le p o u v o ir d e sta tu er sur la p la in te
d é p o sé e co n tr e un m in istre est réservé au R iksdag o u (su r e n q u ê te du
ch an celier d e ju s tic e ) au P résid en t d e la R ép u b liq u e.
Le d é v e lo p p e m e n t de l’in s titu tio n de YOmbudsman n ’a en a u cu n e
m anière fa it o b sta c le à l’e x is te n c e d e ju r id ic tio n s ad m in istratives, et il n ’a pas
d avantage nui au d é v e lo p p e m e n t de te lle s ju r id ic tio n s. C e tte c o n sta ta tio n
vau t p a rticu lièrem en t p ou r la F in la n d e o ù les trib u n au x ad m in istratifs
�385
se m b le n t b ien avoir c o n n u un d é v e lo p p e m e n t p lu s p o u ssé et p o sséd er u n e
c o m p é te n c e p lu s é te n d u e q u ’en Suèd e. En F in la n d e, n o ta m m e n t, la c o m p é
te n c e du tribunal a d m in istr a tif su p rêm e rep o se sur u n e clau se d e p o r té e
gén érale, e t au degré in férieu r ég a lem en t, auprès du tribunal p rovin cial, les
d élib éra tio n s et ju g e m e n ts so n t organ isés selo n les fo rm es ju d iciaires. D e
m ê m e u n e p erso n n e q u i v o it so n d roit v io lé a la p o ssib ilité d ’in tro d u ire u n
recours auprès du tribunal a d m in istr a tif su p rêm e c o n tre les d é c isio n s d es
m in istres
et
m êm e
c e lle s du G o u v ern em en t. D ans l ’in té r ê t p u b lic,
p e u t p rêter son ap p u i à un c ito y e n p o u r q u ’il fasse r e c o n n a îtr e
so n d roit en d em a n d a n t à l’in sta n ce du degré le p lu s é lev é la révision d ’un
ju g e m e n t a y a n t fo rce de c h o se ju g é e , s’il résu lte de l ’e n q u ê te m e n é e à c e t
e ffe t q u e les c o n d itio n s p ou r u n e te lle révision so n t réunies et si l’in térêt
p u b lic l ’ex ig e.
YOmbudsman
Par rapport a u x trib u n a u x , YOmbudsman p résen te certain s avantages
très n ets, si l’on v eu t assurer la p r o te c tio n du c ito y e n co n tr e les abus de
p o u v o ir de la b u reau cratie. En prem ier lie u , le recou rs adressé à
YOmbudsman n ’est so u m is à a u cu n e e x ig e n c e d e form e e t le te x te en est si
sim p le à rédiger q u e to u te p erso n n e sach an t écrire est cap ab le la plu p art du
tem p s d ’e ffe c tu e r c e tte r éd a ctio n e lle-m êm e. Q u e lq u e fo is, le recou rs est
p résen té o ra lem en t, au q u el cas u n d es secrétaires a tta ch és à la fo n c tio n
à’Ombudsman p e u t a p p orter so n c o n c o u r s, en p résen ta n t la ten eu r du
recou rs so u s form e d e p rocès-verbal. Si les recou rs so n t p résen tés lors
d ’in sp e c tio n s, ils so n t n o rm a lem en t orau x. O n d o it en o u tre signaler le
caractère éq u ita b le d es in te r v e n tio n s d e YOmbudsman, car to u te la p ro céd u re
est a b so lu m e n t sans frais. En tro isièm e lie u , c e tte so lu tio n p résen te l’avantage
de la rap id ité.
Si YOmbudsman p en se q u ’un recou rs e st fo n d é sur d es m o tifs vraisem
b lab les et s’il con sid ère d ’autre part c o m m e n écessaire l’écla ircissem en t de
l ’affaire, il prend im m é d ia te m e n t c o n ta c t avec l’organe visé par le recou rs, et
en règle gén érale il m e t ainsi en m o u v e m e n t, grâce à l ’a u to r ité q u e lu i vau t
son in vestitu re par le P arlem en t, u n e b u reau cratie assez le n te à agir. La
plu p art du tem p s, l’affaire est déjà si largem en t éclaircie — si m êm e elle n ’a
pas fait l’o b je t du red ressem en t n écessaire — grâce à cet éch an ge d e lettres,
q u e YOmbudsman p eu t d écid er q u e les c h o se s en r e ste n t là. L es q u e stio n s
c o m p liq u é e s o u d élica tes d e m a n d e n t n a tu r e lle m e n t, p o u r être liq u id ées, p lu s
de tem p s, m ais l’o n p e u t dire q u e dans le cas d ’u n e e n q u ê te e ffe c tu é e par
YOmbudsman le d élai d ’a tte n te est in férieu r à ce lu i q u ’il fa u t en m o y e n n e
prévoir. Les recou rs m a n ife ste m e n t n o n fo n d é s so n t rejetés sans p lu s am ple
e x a m e n , m ais, d ans c e tte h y p o th è s e , la d é c isio n n égative est c o m m u n iq u é e au
req uérant. La p lu s grande partie d es recou rs est ainsi liq u id ée sans su rcro ît de
travail in u tile.
Si, en revan ch e, le recou rs se révèle fo n d é et s’il n ’est pas m is fin , sans
autres fo rm a lités, au c o m p o r te m e n t con traire à l ’é q u ité o u à l ’é ta t de c h o se s
faisant g rief que d é n o n c e ce recou rs, la situ a tio n p e u t d even ir d élica te.
25
�386
'L 'O m b u d s m a n ne p o ssè d e par lu i-m êm e en a u cu n e fa ç o n le p o u v o ir de
corriger la p rocéd u re fa u tiv e d ’un organe a d m in istr a tif ou de rem éd ier à sa
n ég lig en ce. Il d iffère g ra n d em en t à cet égard d ’un tribunal, par c o n sé q u e n t ;
ses p ou voirs se réd u isen t à d ép o ser u n e p la in te ou à so llic ite r l ’ou vertu re
d ’u n e p rocéd u re discip lin aire ou à adresser un blâm e à l’organ e o u au
fo n c tio n n a ir e fa u tif ou en co re à fo rm u ler u n e critiq u e générale ou u n e
reco m m a n d a tio n p ou r q u e so ie n t corrigées les irrégularités c o n sta té e s par
lu i-m êm e. A u cas où c es m o y e n s n ’a b o u tisse n t à au cu n résu ltat — c ’est
m algré to u t l’h y p o th è s e inverse q u i e st la p lu s fréq u en te — Y O m b u d s m a n n ’a
d ’autre ressou rce q u e de se résigner à so n im p u issa n ce et d ’e x p o se r l ’affaire
dans le rapport an n u el q u ’il so u m e t au P arlem en t.
J’ai déjà signalé q u ’en S u èd e e t en F in la n d e le d é p ô t d ’u n e p la in te ou la
d em an d e q u e so it o u v erte u n e p rocéd u re d iscip lin aire o c c u p e le p rem ier rang
parm i les fo rm es d ’a c tio n u tilisé e s par Y O m b u d s m a n , bien q u e c es p rocéd u res
so ie n t en d éclin dans la pratiq u e. P our ce m o tif, lo r sq u ’il s’agit de faire la
lu m ière par e x e m p le sur u n e p ro céd u re o u u n e n égligen ce d e caractère fa u tif
d o n t fa it état le recou rs, d es d ém arch es so n t e ffe c tu é e s en p rem ier lieu en
vu e de trouver le co u p a b le. O n p e u t ex ig er du c o u p a b le p résu m é q u ’il
fou rn isse des écla ircissem en ts sur l’o b jet du recou rs, ou b ien l ’o n p eu t
requérir le d irecteu r d u service a d m in istr a tif en cau se ou m ê m e la p o lic e de
p rocéd er à u n e e n q u ê te sur l’affaire e t aussi ex ig er d es é c la ircissem en ts de
l ’in téressé. T r a d itio n n e lle m e n t, le b lâm e est adressé p e r so n n e lle m e n t à
l ’agen t d o n t la cu lp a b ilité est é ta b lie e t, p lu s rarem ent, à l ’organ e ad m in is
tr a tif en cau se ég a lem en t.
C om m e la lo i p én ale (ch ap . 4 0 , art. 2 1 ) sa n c tio n n e é g a lem en t les fa u tes
e t les n ég lig en ces rela tiv em en t légères de la part d ’un fo n c tio n n a ir e , o n laisse
dans u n e large m esu re Y O m b u d s m a n libre d ’apprécier s’il d o it engager, par le
d é p ô t d ’u n e p la in te, u n e p rocéd u re a b o u tissa n t à u n e sa n c tio n p ro p rem en t
d ite o u se c o n te n te r d ’adresser lu i-m êm e un blâm e. B ien q u e les p o u rsu ites
p én ales p ou r d é lits de fo n c tio n n ’a b o u tisse n t, d ans la p lupart d es cas, q u ’à
u n e faib le am en d e ou à u n av ertissem en t par le trib u n al, la sim p le p o ssib ilité
que so it d é p o sé e u n e p la in te c o n stitu e déjà u n e sa n c tio n d ’ordre p én al m ise à
la d isp o sitio n de Y O m b u d s m a n et q u i c o n fè r e a u x m esu res p r o p o sé e s par lui
un p o id s très réel. Le fo n c tio n n a ir e q u i se se n t co u p a b le est v o lo n tie r s
d isp o sé à corriger sa fa u te o u sa n ég lig en ce et m êm e à verser d es d om m agesin té r ê ts à la v ic tim e p o u r se soustraire à u n e telle p la in te. C ’est p rin cip a
le m e n t en S u èd e q u e Y O m b u d s m a n sem b le avoir fait usage d es p o ssib ilité s
q u i lu i so n t ainsi o ffe r te s, p ou r am en er le fo n tio n n a ir e à e ffe c tu e r le
red ressem en t n écessaire de fa ç o n a p p a rem m en t sp o n ta n é e ou à verser d es
d om m ages-in térêts.
U n b lâm e n ’a n a tu rellem e n t pas en p rin cip e u n e ffe t é q u iv a len t à celu i
d ’u n e sa n c tio n p én ale m ais, s’il s’y a jo u te le p o id s q u e c o n fè r e l’é v e n tu a lité
d ’un recou rs à la p ro céd u re parallèle de d é p ô t d ’u n e p la in te, e n tr a în a n t u n e
sa n c tio n p ro p rem en t d ite , il est de n atu re à avoir d es c o n sé q u e n c e s p s y c h o
lo g iq u es id en tiq u es. La p o r té e d ’u n b lâm e, tan t du p o in t de vu e de la so c ié té
�387
q u e p eu t-être du p o in t d e vu e du fo n c tio n n a ir e q u i en fa it l’o b jet, est en core
ren fo rcée par le fa it q u e ce b lâm e est rendu p u b lic dans le rap p ort so u m is
par YOmbudsman au R iksdag, rapport q u i est largem en t d iffu sé dans les
m ilieu x to u c h a n t la fo n c tio n p u b liq u e e t so u v e n t ég a lem en t d ans les organ es
de la presse q u o tid ie n n e . Le fo n c tio n n a ir e n ’a, en ce cas, au cu n e p o ssib ilité
de c o n te s te r la d é c isio n . D urant le d ér o u le m e n t de la p rocéd u re q u i a a b o u ti
à la fo r m u la tio n d ’un b lâm e, la p r o te c tio n du fo n c tio n n a ir e n ’est n atu rel
le m e n t pas aussi b ien organ isée q u e d ans le cas d ’u n e p rocéd u re ju d iciaire.
T o u te fo is, p o ssib ilité d o it être d o n n é e au fo n c tio n n a ir e visé par le b lâm e de
se d éfen d re, au m o in s so u s fo rm e de c o m m u n ic a tio n par écrit d e son p o in t
de vu e ou d ’u n e a u d itio n .
L ’usage par YOmbudsman (e t par le ch an celier de ju s tic e ) de leur
p o u v o ir d e rem on tran ce a pris d urant ces d ern ières an n ées u n e im p o rta n ce
co n sid éra b le au d étrim en t de la p o ssib ilité de d é p ô t d ’u n e p la in te , e t il ne
so u lèv e à p eu près p lu s de critiq u e d e p rin cip e. O n s’é ta it h a b itu é, jad is, à
c o m p te r avec l’év e n tu a lité d es p la in tes p ou r d é lits de fo n c tio n , so u s le c o u p
d esq u elles les ju g es eu x -m ê m e s to m b a ie n t fa c ile m e n t au cas de m a n q u em en t
à leurs d evoirs de fo n c tio n . L es b lâm es à e u x in flig és par les gardiens de la
légalité so n t co n sid érés par les fo n c tio n n a ir e s, d an s la plu p art d es cas, c o m m e
un m oin d re m al, b ien q u e, dans ce cas, leur n o m to u t au m o in s so it révélé au
p u b lic. L es b lâm es q u i, à vrai dire, p r é se n te n t d es n u an ces con sid éra b les au
p o in t de vu e sévérité et d an s le to n à to u s autres égards, so n t d o n c , en raison
de leu r caractère sem i-crim in el o u d iscip lin aire, u n e form e de r éa ctio n sui
generis q u ’u n ju riste a tta ch é a u x c o n c e p ts tra d itio n n els n ’est p eu t-être pas
p orté à a ccep ter fa c ile m e n t. C ep en d an t, ils se relien t to u t n a tu r e lle m e n t à
c e tte circ o n sta n ce h isto riq u e q u e YOmbudsman, en so n tem p s, a c o m m e n c é
par être un gardien de la légalité dans un sy s tè m e g o u v ern em en ta l de
caractère au toritaire, et un d é n o n c ia te u r d es v io la tio n s de la loi.
D e m êm e, le p o u v o ir d ’in s p e c tio n de YOmbudsman fait partie d e sa
nature p ropre d ’organe e x erça n t u n e m ission de h a u te surveillan ce. En
F in lan d e, ce p o u v o ir s’a p p liq u ait a u trefo is presq u e e x c lu siv e m e n t au x p rison s,
m ais il s’est par la su ite é te n d u : en p articu lier à to u s les é ta b lisse m e n ts de
so in s de caractère p én ite n tia ir e et au x casern es, ainsi q u ’au x organ es de
p o lic e et é g a lem en t au x trib u n au x. L 'Ombudsman dans ce cas, c o m m e dans
le cadre de l ’e x ercice d e ses autres a ttr ib u tio n s, a le d roit de c o n su lte r to u s
les d o c u m e n ts n écessaires p o u r l'a c c o m p lisse m e n t de sa m issio n de c o n tr ô le
de la légalité, y com p ris les circulaires d e service à usage in tern e et les
d o c u m e n ts secrets ; il a aussi le d ro it de parler sans té m o in s a u x p erso n n es
d é te n u e s d ans d es p rison s ou séjou rn an t d ans les éta b lisse m e n ts d e so in s visés
p lus h au t o u à d es sold ats. D ans ces in sp e c tio n s, il p révoit n o rm a lem en t u n e
h eure sp écia le de r é c e p tio n p o u r les p erso n n es v o u la n t lu i parler. A la su ite
d es récla m a tio n s q u i lui so n t adressées à c e tte o c c a sio n e t sur la base d e 's e s
prop res o b servation s, YOmbudsman p e u t p ro céd er à u n e e n q u ê te sur les
fa u tes ou n égligen ces c o n sta té e s et prendre les m esures q u e ju s tifie la
situ a tio n irrégulière. D e m êm e, YOmbudsman p e u t, de sa propre in itia tiv e,
�organiser d es en q u ê te s sur la base d ’in fo r m a tio n s parues dans la presse ou
p roven an t d ’au tres sou rces et prendre d ’autres m esures.
L 'Ombudsman a ég a lem en t le d ro it, et m êm e le d evoir, de p ro p o ser au
R iksdag d es m esu res législatives c o n sid érées co m m e n écessaires à l’am éliora
tio n de lo is q u ’il a reco n n u es d é fe c tu e u se s. D ans la p lu p art d es cas, c ’est
to u te fo is au g o u v e r n e m e n t q u ’il a so u m is ju s q u ’ici de te ls p rojets — sans leur
d o n n er la fo r m e d ’articles de lo is — de m êm e q u e ses p r o p o sitio n s ten d a n t à
m ettre fin à des situ a tio n s faisan t g rief et relevées par lui dans le cadre des
a ctiv ité s de certain s organes. P arfois, il s’e st livré à u n e e n q u ê te sy sté m a tiq u e
dans un certain d o m a in e. C ’est ainsi q u e, en 1 9 6 6 , il a e ffe c tu é u n e e n q u ê te
assez vaste sur le tra item en t d es affaires co n cern a n t les je u n e s d élin q u an ts
dans le cadre d es a c tiv ité s d es organ es de p o lic e , d es services d ’assistan ce et
d es organ es du M inistère p u b lic, ainsi q u e d es trib u n au x de prem ière in stan ce
et d es p rison s d e stin é e s aux je u n e s d é te n u s ; c e tte e n q u ê te p o r ta it ég a lem en t
sur les c o n d itio n s de vie des jeu n es en lib erté su rveillée. L es c o n tr ô le s
e ffe c tu é s o n t révélé, de la part de p resq u e to u s les g rou p es de services
in sp ectés, u n e série de m a n q u e m e n ts et de n ég lig en ces, m ais aussi ch ez
certain s u n e lo u a b le ten d a n ce à faire p reuve d ’in itia tiv e p erso n n elle. C ette
e n q u ê te a eu p ou r c o n sé q u e n c e u n certain n om b re de p la in tes et de b lâm es,
ainsi q u e la m ise en p lace l ’an n ée su iv a n te, sur l ’in itia tiv e du g o u v ern em en t,
d ’u n c o m ité chargé de préparer d es te x te s visan t à c o m p lé te r la législation
ap p licab le au x je u n e s d élin q u an ts. C o m m e YOmbudsman d o it p e r so n n e lle
m e n t prendre to u te s les d é c isio n s, et ég a lem en t assurer les in sp e c tio n s, il n ’a
m algré to u t ni la p o ssib ilité p h y siq u e ni le tem p s d ’e ffe c tu e r de telles
e n q u ê te s sy sté m a tiq u e m e n t éte n d u e s, q u e les Ombudsmànner su é d o is sem
b len t a ffe c tio n n e r p a rticu lièrem en t. P eu t-être co m m en cera -t-o n , c h e z n ou s
aussi, à en faire d avantage, à partir de 1972, quan d u n se c o n d Ombudsman
sera ad join t à l ’a c tu e l titu laire u n iq u e de la fo n c tio n .
Lors de l ’in tr o d u c tio n , p lu s ré c e n te , d ’Ombudsmànner au D an em ark et
en N orvège, leurs frères a în é s o n t n a tu rellem e n t servi de m o d è le s, m ais le
résu ltat sem b le
m algré
to u t
avoir é té
fo n c iè r e m e n t
d iffé r e n t. C es
Ombudsmànner n ’o n t, il est vrai, pas en co re a t t e i n t . . . l'âge d ’h o m m e , si
b ien q u e to u te c o n c lu sio n d é fin itiv e serait p rém atu rée. Il est n éa n m o in s clair
q u e leurs p ou voirs so n t u n p eu p lu s réd u its, e t ég a lem en t q u e l’usage par eu x
fait de ces p ou voirs a revêtu un caractère se n sib le m e n t d ifféren t. A u
D an em ark , la p erso n n a lité du p rem ier O m b u d sm an , le p ro fesseu r H u rw itz, a
m arq u é d ’u n e fo r te em p rein te l’in s titu tio n dans ce p ays : l’O m b u d sm an
d an ois sem b le avoir u n e p o sitio n sc e p tiq u e à l’égard d es e n q u ê te s e ffe c tu é e s
auprès d es a u to rités ad m in istratives, et il sem b le bien q u ’il ait lim ité ses
in sp e c tio n s avant to u t au x prison s, aux casernes et aux é ta b lissem en ts
d ’é d u c a tio n (6 ). En N orvège, la rég le m en ta tio n en vigu eu r n ’a d m et m êm e pas
un p o u v o ir d ’in sp e c tio n , sa u f si l ’e x a m e n d ’u n recou rs c o n c r e t l’ex ig e. A u cu n
(6)
Stephan Hurwitz, Der skandinavische Parlamentsbevollmàchtigte, in Staatsbürger
und Staatsgewalt, Karlsruhe 1963, p.473.
�389
de ces d e u x Ombudsmanner, frères ca d ets au sen s in s titu tio n n e l du m o t, n ’a
le d roit de d ép oser u n e p la in te de sa seu le a u to rité et YOmbudsman
n orvégien ne p eu t m êm e pas requérir le m in istère p u b lic de prendre d es
m esu res d éterm in ées. VOmbudsman d a n o is p e u t, certes, o rd o n n er q u ’u n e
p la in te so it d é p o sé e o u u n e p ro céd u re d iscip lin aire o u v erte, m ais il n ’a, en
vérité, pas fait usage de ce p o u v o ir car, selo n le p o in t de vu e d e H u rw itz,
l ’a c tio n des a u to rités c o m p é te n te s d o it être c o n sid érée c o m m e su ffisa n te.
P ou r c e tte raison , et aussi du fait q u e le sta tu t d es fo n c tio n n a ir e s,
c o m m e l ’orga n isa tio n de l’appareil a d m in istr a tif et la n ature d es n orm es qui
la rég le m e n te n t, se m b le n t être au D an em ark et en N orvège fo rt d iffé r e n ts, il
n ’est pas é to n n a n t q u e l’in te r v e n tio n et le rôle des Ombudsmanner de ces
p a y s a ien t pris d ’autres fo rm es q u e dans le cas de leurs frères a în é s au regard
de la vie in s titu tio n n e lle . Ils n ’ad ressent pas de b lâm e a u x fo n c tio n n a ir e s au
cas de fa u te p e rso n n elle d ans l’e x e r c ic e d e leurs fo n c tio n s , m ais se c o n te n te n t
de form u ler leu r a p p réciation critiq u e sur u n e p ro céd u re c o n sid érée c o m m e
fau tive ou e n ta c h é e de p artialité, e t ég a lem en t d ’e x p o se r leu r p o in t de vu e
r ela tiv em en t à c e t o b jet. Leurs e n q u ê te s ne p araissent pas n o n p lu s avoir
p ou r b u t de trou ver la p erso n n e c o u p a b le, m ais se u le m e n t, au prem ier c h e f,
d ’éclaircir et de préciser la p rocéd u re ou l ’affaire q u ’ils c o n sid è r e n t c o m m e
u n e situ a tio n faisan t grief, situ a tio n su p p o sa n t u n e fau te o u ju stifia n t la
critiq u e. D ans l’arg u m en ta tio n q u i é ta y e les d é c isio n s, o n p eu t é g a lem en t
c o n sta te r u n e d iffé r e n c e con sid éra b le. En raison , il fau t le dire aussi, de
l ’a ttitu d e h o stile des org a n isa tio n s d a n o ises de fo n c tio n n a ir e s d evan t l’in sti
tu tio n , H u rw itz a, sem b le-t-il, ad m is au départ l’id ée q u ’il co n v en a it d ’éviter
de signaler d es p erso n n es par un blâm e ou u n e critiq u e. T rou ver les
c o u p a b le s et ég a lem en t leu r in fliger u n e sa n ctio n d e caractère d iscip lin aire ou
p én al in téresse d ’autres organes q u e YOmbudsman. Il est d avantage dans ses
a ttr ib u tio n s de s’attach er à faire o b te n ir à la p erso n n e lésée la rép aration du
d o m m a g e, o u de so llic ite r l’ou vertu re d ’u n e p rocéd u re sans frais p ou r
l’in téressé.
C ette rupture c o m p lè te avec les sa n ctio n s d ’ordre pén al p a ra ît d o n n er à
l ’a c tio n de YOmbudsman un ch am p p lus é te n d u et un caractère m o in s
légaliste. D an s les p r o b lè m e s c o n cern a n t le p o u v o ir d iscrétio n n a ire, il n e d o it
pas n écessa irem en t b orn er sa critiq u e au seu l cas de d é to u r n e m e n t de p o u v o ir,
m ais il p e u t, au D an em ark e t en N orvège, m a n ifester sa d ésa p p ro b a tio n d e la
p ro céd u re suivie par u n organe, m êm e lo rsq u ’il e stim e celle-ci sim p lem en t
con traire à l’éq u ité . D e m ê m e YOmbudsman p e u t, sem b le-t-il, critiq u er p lu s
lib rem en t un tr a ite m e n t d iscrim in atoire d o n t fo n t l ’o b jet d es c ito y e n s o u le
recours à d es m o d e s de p ro céd u re ad m in istratifs in ad éq u ats p o u r to u te autre
cau se e t q u i so n t p o u r la c o lle c tiv ité u n e so u rce de gên e o u de retards. Le
caractère p lu s d iscret d e l’in te r v e n tio n de YOmbudsman se m a n ife ste en co re
dans le fait q u e sa critiq u e est su scep tib le de viser ég a lem en t l ’a c tiv ité d e tels
o u te ls organ es sem i-privés, q u i ne p eu v en t être e n g lo b é s q u ’in d ir e c te m e n t
dans l’appareil é ta tiq u e o u c e lle de q u elq u es autres e n tité s c o lle c tiv e s de
caractère p u b lic.
�390
C ’e st avant to u t sou s c e tte form e, rep résen tan t p ou r ainsi dire sa seco n d e
version , q u e l’in s titu tio n de Y O m b u d s m a n s ’est rép an d u e dans le reste du
m o n d e et q u ’elle a su scité un grand in té r ê t, p a rticu lièrem en t dans l ’aire
g éograp h iq u e co rresp o n d a n t a u x p a y s de c o m m o n la w . C ela est natu rel p ou r
le m o t if — parm i d ’autres — q u e ces p a y s, c o m m e le D an em ark ou la
N orvège, ne p o ssè d e n t pas de trib u n au x ad m in istratifs ; en o u tr e , le sta tu t
ju rid iq u e d es fo n c tio n n a ir e s et l ’organ isation ad m in istrative d iffè r e n t égale
m e n t d es c o n d itio n s e x ista n t en S u èd e et en F in lan d e.
Il est in téressan t
d ’observer
que
les
d o u te s
les
p lu s
sérieu x
élevés
co n tr e l ’in s titu tio n d e Y O m b u d s m a n sem b len t su scités par les e ffe ts pertur
bateu rs q u e p e u t avoir — estim e-t-o n — so n a c tio n d e c o n tr ô le , s ’ex erça n t de
m anière in d ép en d a n te, sur les fo n c tio n s d ’a u to r ité du m in istre, fo rt de
l ’ap p u i de sa m ajorité p arlem en taire, et d ’autre part sur la p o sitio n de
q u a si-m o n o p o le d o n t jo u isse n t les d é p u té s au P arlem en t en ce q u i co n cern e
la d é fe n se d es in térêts de leurs é lec teu rs et en q u a lité de m an d ataires de
ceu x -ci. C ette d ernière co n sid é r a tio n a n a tu rellem e n t u n e grande im p o rta n ce
d an s l ’év e n tu a lité où le m o d e de scru tin en vigueur est le scru tin u n in o m in a l.
En N o u v e lle Z élan d e to u te fo is , un O m b u d s m a n est en fo n c tio n d ep u is
b ie n tô t d ix ans, avec su c c è s (7 ), et d ep u is près de trois ans c e tte in s titu tio n a
é g a lem en t c o m m e n c é à fo n c tio n n e r en A n g leterre, p r o fo n d é m e n t trans
fo rm ée, il est vrai, en c o n fo r m ité avec les p o in ts de vu e m e n tio n n é s p lus
h au t (8 ). D ans certa in es p ro v in ces du C anada et dans certain s E tats d es E tatsU n is, il e x is te é g a lem en t u n O m b u d s m a n , et en b e a u c o u p d ’autres e n tité s
p lu s p e tite s e x p rim a n t u n m o d e de vie en co m m u n l ’in s titu tio n sem b le être
en v o ie de s’im p lan ter.
Il est c e p e n d a n t m a n ife ste q u e Y O m b u d s m a n ne p e u t guère rem placer
les trib u n au x a d m in istratifs. D ’autre part, il n ’est n u lle m e n t vrai q u e l ’e x is
te n c e d ’u n e ju r id ic tio n ad m in istrative très d é v e lo p p é e so it n écessa irem en t un
o b sta c le à l’a d o p tio n d e c e tte in s titu tio n . A c ô té d es trib u n a u x , elle d em eu re
n écessa irem en t tou jou rs, n e serait-ce q u ’à titre su b sid iaire, un m o y e n de
c o n tr ô le à la d isp o sitio n de la c o lle c tiv ité . En tan t q u e te lle , elle d o it
n a tu rellem e n t s’adap ter dans to u t p a y s à la stru ctu re d e l’ordre ju rid iq u e et
du sy s tè m e p o litiq u e , ainsi q u ’a u x m o d e s de p e n sé e tra d itio n n els. C ’est
p o u r q u o i e lle p e u t revêtir, dans son sta tu t e t ses m é th o d e s de travail, d es
fo rm es très diverses. Il se p e u t to u t e fo is q u e la se c o n d e v ersion , d a n o ise, de
l ’in s titu tio n co rresp o n d e m ie u x à la tr a n sfo rm a tio n de l ’an cien p o u v o ir de
c o m m a n d e m e n t au toritaire assu m an t e x c lu siv e m e n t u n e m issio n de ju stic e
d istrib u tive et de m a in tien de l’ordre, et à son é v o lu tio n vers un E tat
(7) Geoffrey Sawer, The Ombudsman and Related Institutions in Australia and
New-Zealand, The Annals of the American Academy of Political and Social Science, 1968,
pp. 64-72.
(8) André Legrand, Le Commissaire parlementaire pour l’administration,
Ombudsman britannique, Revue du droit public et de la science politique, 1969, pp.
225-258.
�391
m o d ern e du ty p e E tat-p rovid en ce. Le caractère sp é c ifiq u e de YOmbudsman,
so n rô le d ’accu sateu r q u i, en S u èd e e t aussi en F in la n d e, s’est e sto m p é et
sem b le être passé de p lu s en p lu s à l ’arrière-plan, a de fo r te s ch a n ces de
d em eu rer u n e sorte d e rareté em p rein te d ’ultra-légalism e. A l ’autre e x tr ê m e ,
o n p ourrait assez ju s te m e n t situ er le Parliamentary Commissioner anglais, qui
n ’est pas lu i-m êm e un ju riste, e t parm i les colla b o ra teu rs d u q u el on ne p eu t
trou ver u n seu l juriste.
M êm e sou s sa fo rm e p eu t-être u n p eu a rch a ïq u e, la p o ssib ilité de d é p ô t
d ’u n e p la in te co n fè r e à la fo n c tio n de YOmbudsman, en F in la n d e et en
S u èd e, un p o id s certain . M ais si, au con traire c e tte p o ssib ilité fa it d é fa u t à
l’e ffe t d es m esu res prises par lui ne d ép en d p lu s, p ou r
l ’esse n tie l, q u e de la fo rce p ersuasive d es m o tiv a tio n s q u ’il leur d o n n e e t aussi
de l ’a u to r ité e t de la c o n fia n c e d o n t il jo u it à titre p erso n n el e t en raison de
son é le c tio n par le P arlem en t. Lors de l ’é le c tio n d ’u n tel Ombudsman de
ty p e m o d ern e et d o n t les p o ssib ilité s ju rid iq u es so n t p eu t-être m o in s
str ic te m e n t d é lim ité e s, il est p a rticu lièrem en t im p o rta n t q u e les p r é o c c u p a
tio n s p o litiq u e s partisanes, si p résen tes à d ’autres égards au c œ u r du travail
p arlem en taire, n e p u issen t ex ercer u n e in flu e n c e sur le c h o ix de la p erso n n e.
VOmbudsman, p o u r sa part, d o it p a reillem en t veiller à ne pas u tiliser ses
larges p o u v o irs de critiq u e p ou r s’attaq u er à d es d é c isio n s de caractère
YOmbudsman,
sp é c ifiq u e m e n t p o litiq u e .
Il sem b le q u e le D an em ark a it eu la m ain très h eu reu se d ans so n c h o ix
du prem ier titu laire de la fo n c tio n d 'Ombudsman et q u e celu i-ci à so n to u r
ait c o n n u un p lein su ccès dans u n e a ctiv ité q u i s ’ex e r c e d ep u is déjà u n e
d é c e n n ie et d em ie. C ’est p o u r q u o i il n ’est guère é to n n a n t q u e le D anem ark,
le prem ier p eu t-être parm i les p a y s n ord iq u es, ait pris figure de p io n n ier et
de p a y s -m o d è le p o u r ce q u i est du ty p e m o d ern e d ’Ombudsman. D an s les
autres p a y s q u i o n t a d o p té YOmbudsman, o n a p a reillem en t te n té de réserver
la fo n c tio n à d es p erso n n es b é n é fic ia n t d ’un p restige et d ’u n e ex p é r ie n c e to u t
particu liers et o n y est m a n ife ste m e n t parvenu.
Il serait d iffic ile de fo rm u ler sans restrictio n s la m êm e c o n sta ta tio n p o u r
la F in la n d e et p ou r la S u èd e. J u sq u ’à u n e d a te r é c e n te , to u t au m o in s, la
fo n c tio n d 'Ombudsman y a c o n stitu é un é c h e lo n in term éd iaire d ’o ù l ’on
a ccéd a it à un p o ste p lu s élev é o u p lu s p r e stig ie u x , le p lu s so u v e n t à la q u a lité
d e m em b re du T ribunal sup rêm e. U n e in flu e n c e p e u t n a tu r e lle m e n t aussi
avoir é té e x e r c é e en ce sen s par l’in sécu rité de la p o s itio n de YOmbudsman
in sécu rité q u i se m a n ife ste e sse n tie lle m e n t par le fa it q u e déjà en S u èd e, et
to u t ré c e m m e n t en co re en F in la n d e, o n a eu te n d a n c e , dans l ’é le c tio n de
YOmbudsman e t dans sa r é é le c tio n , à faire in terven ir d es co n sid é r a tio n s p o li
tiq u es e t à suivre les d irectives d es partis (9 ).
(9)
Seules l’élection et la reélection d’Esko Hakkila qui jusqu’ici est l’Ombudsman
resté en fonctions le plus longtemps (1933-1945) et également celle de Risto Leskinen
(1962-1970), ont été acquises pratiquement à l’unanimité. Il est d’autant plus regrettable
�392
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P eu t-être d o it-o n ajou ter q u e les m esu res prises par les O m b u d s m à n n e r
eu x -m êm es, p articu lièrem en t dans les an n ées 1 9 2 0 , durant lesq u elles ils
avaien t la p o ssib ilité d ’être en m ê m e tem p s m em b res du P arlem en t, n ’o n t pas
to u jo u rs é té é v id e m m e n t e x e m p te s d ’in c id e n c e s p o litiq u e s. La situ a tio n p eu t
d even ir d es p lu s d élic a te s p o u r la p o sitio n de l ’O m b u d sm an , s ’il pren d parti,
en u san t du large p o u v o ir de critiq u e e t de rem o n tra n ce d o n t il d isp o se,
c o n tr e les d éc isio n s d es p lu s h a u te s in sta n ces, o ù les facteu rs p o litiq u e s
p è se n t d ’un grand p o id s. Si cela est m algré to u t co n sid éré ch ez n o u s c o m m e
p o ssib le de sa part, p eu t-être est-ce avant to u t par réa ctio n co n tr e les
in ju stices e t la p ério d e d ’op p ressio n tsariste, e t par fid é lité à la fo r te tr a d itio n
de légalism e h éritée de c e tte é p o q u e .
V
C ’est ainsi q u e les d e u x gardiens de la lég a lité, tan t le ch an celier de
ju s tic e q u e V O m b u d s m a n , fo rm u lèren t en 1 9 2 3 , lors d ’u n e séan ce du gou ver
n e m e n t, de v io le n te s critiq u es c o n tr e l ’in c o n s titu tio n n a lité d ’u n e lo i v o té e par
le R iksdag, e t c o n tr ib u è r e n t ain si à l ’ém issio n par la C our su p rêm e d ’u n avis
c o n s u lta tif sur l ’affaire, au vu d u q u el le P résid en t de la R ép u b liq u e refu sa à
la lo i sa sa n ctio n . C ette in te r v e n tio n n ’eu t p o u r ta n t ç a s de co n sé q u e n c e s
d irectes sur la p o sitio n d e X O m b u d s m a n alors en fo n c tio n . U ltérieu rem en t
aussi, il est arrivé q u e Y O m b u d s m a n se laisse en tra în er à infliger au
g o u v ern em en t u n b lâm e d ans u n e affaire de p o r té e p o litiq u e m ajeure en
m e tta n t en je u en m êm e tem p s sa n eu tra lité p o litiq u e à l’égard d es partis
c o m m e aussi - et su rto u t - sa p o sitio n (1 0 ).
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B ien q u e les p ou voirs de Y O m b u d s m a n (il en va d e m êm e — et p eu t-être
p o u r u n e raison p lu s n atu relle — p o u r c e u x du ch an celier d e ju s tic e ) a ffe c te n t
(9) Suite
que lors du renouvellement du mandat de ce dernier (14 novembre 1969) les partis
n’aient pu aboutir à un accord pour le choix de l’adjoint de l’Ombudsman —et peut-être
n’aient même pas tenté de le faire — de sorte que cette élection est intervenue sous le
signe de la division des partis. La même chose est arrivée lors de la dernière élection de
l’Ombudsman lui-même (novembre 1970).
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(10) Après qu’un gouvernement pris dans les partis bourgeois eut décidé, le 3 mai
1950, de convoquer les conducteurs de locomotives, dont la grève devait commencer cette
nuit même à 0 heure, pour effectuer des exercices de réserve extraordinaires, l’Om
budsman adressa au gouvernement le lendemain une lettre où il disait que la mesure à son
avis était illégale, car les exercices de réservistes ne devaient pas être utilisés pour briser
une grève. Ce point de vue de l’Ombudsman était juridiquement défendable. Ce fut aussi
la raison essentielle pour laquelle la mesure du gouvernement échoua. Mais ce même
Ombudsman n’était pas intervenu en 1947, lorsqu’un gouvernement à majorité de gauche
avait convoqué de la même manière des fonctionnaires en grève pour effectuer des
exercices de réserve extraordinaires. Le 16 novembre 1951, cet Ombudsman ne fut plus
réélu par le Riksdag à majorité bourgeoise pour un troisième mandat. Voir rapport de
l’Ombudsman 1950, p. 30 et protocole des débats du Riksdag 1952, II; pp. 1235-96.
L’Ombudsman a également fait le 21.10.1971 une remontrance au ministre de la
justice, lorsque celui-ci proposa, comme chef d’une direction au ministère, un candidat
que l’Ombudsman considérait comme moins qualifié que deux autres.
t
�393
en F in lan d e d es in sta n ces situ é e s p lu s h au t dans la hiérarchie e t p ren an t à ce
titre d es d éc isio n s ju rid iq u es p lu s im p o rta n tes q u e dans to u t autre p a y s (1 1 ) ,
aucun p rin cip e ju rid iq u e n e s’est d é v e lo p p é , c h ez n o u s, q u i con sacre la m ise
à l’écart de telles q u e stio n s. O n p e u t cep en d a n t dire q u e les le ç o n s de
l ’e x p é r ie n c e , c o m m e l’am én a g em en t de l ’in s titu tio n d e Y O m b u d s m a n d ans
d ’autres p ays, lui im p o se n t sur ce p o in t u n e grande réserve. En ce qui
c o n c e r n e le d é p ô t de p la in tes, é ta n t d o n n é les règles d é v e lo p p é e s de la
tra d itio n e t la ten d a n ce q u ’a l ’O m b u d sm an à faire preuve de p ru d en ce, il ne
devrait pas surgir de grandes d iffic u lté s dans l ’avenir, car dans ce cas il y a
o b lig a tio n de s’a p p u yer sur d es m o tifs ju rid iq u es so lid es. En o u tr e , il fau t
to u jo u rs ten ir c o m p te ég a lem en t du tribunal, au q u el il ap p artien t de prendre
la d é c isio n d éfin itiv e.
En revan ch e, les le ç o n s d es ex p é r ie n c e s fin lan d aises et su é d o ise s n e fo n t
pas ap p araître c o m m e u n e so lu tio n h eu reu se de soustraire les trib u n au x au
c o n tr ô le d e l’O m b u d sm an . Leur a u to n o m ie e t leur in d ép en d a n ce ne risq u en t
pas d ’en sou ffrir le m o in s du m o n d e . B ien au con traire, d ans le d o m a in e
c o u v ert par leur a ctiv ité , to u t c o m m e dans l ’a d m in istra tio n , d es n ég lig en ces
et d es retards so n t su scep tib les de se p rod u ire, de m êm e q u e d ’autres
irrégularités o u fa u tes, caractéristiq u es m a n ife ste s de to u te b u reau cratie, de
sorte q u e Y O m b u d s m a n , là aussi, p e u t, par u n e sim p le critiq u e e t par ses
b lâm es, jo u e r un rôle fo rt u tile.
L 'O m b u d s m a n trou ve à p ro p rem en t parler sa pierre de to u c h e dans
c e tte version m o d ern e de so n a c tiv ité , c ’est-à-dire, p ou r être p récis, d ans son
p o u v o ir de critiq u e e t de blâm e. En ce d o m a in e , il d o it faire p reu ve, se lo n un
ju d ic ie u x d osage, d ’u n e part de vigilan ce et d ’énergie dans l ’e x e r c ic e de sa
fo n c tio n , voire m êm e d e cou rage, e t d ’autre part, de re c titu d e d e ju g e m e n t,
d ’u n e p ru d en ce su ffisa n te et d ’u n e d o se de ta c t à la m esure d e la situ a tio n ,
ainsi q u e d e réserve et de n eu tra lité, to u t p a rticu lièrem en t à l ’égard d es partis
p o litiq u e s. A ces c o n d itio n s se u le m e n t, il est à m êm e d ’acquérir la c o n fia n c e
et la co n sid é r a tio n de to u s les m ilie u x — d o n t les m ilie u x p o litiq u e s — à u n
degré te l q u ’il p u isse, dans l ’e x e r c ic e de sa fo n c tio n , d o n n er à celle -c i to u te la
p o r té e d o n t elle est th é o r iq u e m e n t su scep tib le. D ans le m eilleu r d es cas
c e p e n d a n t, Y O m b u d s m a n n e saurait n a tu rellem e n t être u n e p an acée ni un
(11) La Prokuratura de l’Union Soviétique et des démocraties populaires surveille
l’activité des ministères et des ministres, mais non celle du Conseil des ministres. En dépit
du parallélisme de ses racines historiques et aussi de son rôle actuel (qui est celui d’un
gardien de la légalité élu par le Parlement et très autonome, séparé de tout le reste de
l’appareil étatique) la Prokuratura a dans l’ordre juridique des pays socialistes une position
fort différente de celle de l’Ombudsman à l’ouest. Gellhorn, pp. 256-271, H. Bader et
H. Brompton, Remedies against Administrative Abuse in Central Europe, the Soviet Union
and Communist East Europe, The Annals of the American Academy of Politicai and
Social Science 1968, pp. 80-86 et E.W. Scharina et N.G. Salischtschhewa, Die
Verwaltungskontrolle und der Schutz der Rechte der Bürger in der U.d.S.S.R.,
Staatsbürger und Staatsgewalt (Karlsruhe, 1963), pp. 441-459.
�394
rem èd e-m iracle. Il n ’est q u ’un rou age — à vrai dire im p o rta n t — d ans l ’appa
reil a d m in istra tif de l ’E tat. S i c e t appareil fo n c tio n n e de fa ç o n sa tisfaisan te
dans l ’en sem b le, l 'O m b u d s m a n p e u t, lui aussi, p rod u ire d es e ffe ts très
h eu reu x . Si en revan ch e, c e t appareil n ’est pas co n v e n a b le m e n t d é v e lo p p é ou
s’il est en v o ie de d ésagrégation , Y O m b u d s m a n ne saurait en être à lu i seul
l ’é lé m e n t m o te u r n i le restaurateur.
�LE F O N C T IO N N E M E N T A C T U E L
DES IN S T IT U T IO N S PO L IT IQ U E S
DE LA G R A N D E -B R E T A G N E
Conférence du Professeur Max BELOFF
U n iv e r s ité d ’O x fo r d ,
10 décem b re
1971
La c o n s titu tio n B ritan n iq u e fu t jad is b e a u c o u p é tu d ié e en E urope, m êm e
en F rance, par c e u x q u i c h erch a ie n t un m o d è le d e sy stè m e de g o u v ern em en t
d ’in sp iration libérale. M êm e après l ’a v èn em en t d e c o n s titu tio n s rép u b lica in es
d ans la plupart d es p a y s, il paraissait q u e le sy s tè m e B rita n n iq u e p résen ta it
d es avantages de sta b ilité assez im p o rta n ts p o u r être l’o b je t d ’é tu d e s dans un
esp rit p o sitif. Il est p rob ab le q u e l’in térêt est m a in te n a n t m o in s grand et q u e
le sy stè m e B ritan n iq u e n ’o c c u p e p lu s la m êm e p lace d an s la p e n sé e d es
E u rop éen s. C ela p e u t a isém en t s’ex p liq u e r ; les p ro b lèm es ne so n t p lu s les
m êm es, ou b ien o n essaie de les résou d re d ’après d es m o d è le s d ifféren ts. La
c o n s titu tio n d e la cin q u iè m e R ép u b liq u e trou ve so n in sp iration en partie
dans la c o n stitu tio n A m éricain e et pas du to u t d ans la tra d itio n B ritan n iq u e.
O n p eu t e n co re observer q u e les c o n s titu tio n s d ’ou trem er q u i fu ren t lég u ées
a u x p a y s de l’A sie et, de l ’A friq u e de l ’E m pire B ritan n iq u e ne se so n t pas
en racin ées dans la plu p art d es cas. F in a le m e n t, o n p e u t ob server q u e les
B ritan n iq u es eu x -m ê m e s so n t m o in s c o n te n ts q u e ja d is d e leurs p ropres
in stitu tio n s, e t m o in s certain s q u ’elles p u issen t aussi b ien servir leurs b e so in s
d ans u n e situ a tio n to u t à fa it d iffé r e n te de c e lle du d ix -n eu v ièm e siè c le o ù la
c o n stitu tio n a trou vé p lu s o u m o in s sa fo rm e a ctu elle.
T o u t cela est récen t. Q uand M on sieu r A n dré M ath iot a p u b lié son
adm irab le livre : Le R ég im e P o litiq u e B ritan n iq u e en 1 9 5 5 il n ’a pas révélé
c e tte situ a tio n : “ La G rande B retagn e” écrit-il, “ n o u s o ffr e au jou rd ’h u i un
a g e n c e m e n t q u i frappe par ses caractères tr a d itio n n e ls d ’éq u ilib re, de so u
p lesse é v o lu tiv e , m ais aussi par to u te l’e ffic a c ité q u e p e u t so u h a iter u n E tat
M o d ern e” . O n n ’est pas aussi c o n fia n t au jou rd ’h u i. E n core y-a-t-il u n e raison
de ren o u v eler la d iscu ssio n ; c ’est q u e la G rande B retagne est à la veille
d ’en trer dans les C o m m u n a u tés E u ro p éen n es. O n ne p e u t pas prévoir à q u el
p o in t la c o n s titu tio n d ’u n e E u rop e va changer à la lo n g u e to u te s les
h a b itu d es p o litiq u e s d es p ays m em b res. M ais m ê m e p o u r assim iler le fo n c
tio n n e m e n t de c es in stitu tio n s, ce q u e les S ix o n t déjà élab oré va certa in e
m e n t d em an d er u n e a d a p ta tio n assez p r o fo n d e .
Ce d o n t j ’ai l ’in te n tio n de parler au jou rd ’h u i c ’est du fo n c tio n n e m e n t
du régim e p o litiq u e B ritan n iq u e à la veille d e l ’a d h esio n B ritan n iq u e au traité
de R om e.
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Ce q u i est p e u t être frap p an t m algré les ch a n g em en ts o u les ex p é r ie n c e s
q u e n o u s allo n s essayer d ’én u m érer, c ’est q u e les grandes lign es du sy stè m e
aien t si p eu changé. Si l’o n prend la situ a tio n d ’avant guerre, o n p ou rrait se
d em a n d er c o m m e n t il se p e u t q u ’u n sy s tè m e qui a servi n o n se u le m e n t le
p ays lu i-m êm e m ais aussi un vaste em p ire, sem b le avoir su b i si p eu de
ch a n g em en ts après la d isso lu tio n d e l ’E m pire et l ’a tté n u a tio n de l ’in flu e n c e
B ritan n iq u e d ans le m o n d e . Le c o n se il d es m in istres, le p a rlem en t, les partis
p o litiq u e s — b ien
se so it a c c e n tu é
parlem en taire et
p ério d e en tre les
q u e la ten d a n ce vers un sy s tè m e de d e u x partis se u le m e n t
ré c e m m e n t — to u t cela y com p ris la stru ctu re d e l’an née
p o litiq u e se m b le n t être to u jo u rs ce q u ’ils o n t é té dans la
d e u x guerres.
P eu t-on dire q u e l’a cc r o isse m e n t d es resp o n sa b ilités in térieu res de l’E tat
a su ffi à co m b ler les la cu n es laissées par la c o n tr a c tio n des resp o n sa b ilités
ex térieu res. Si l ’o n ne trou ve p lu s u n Secrétaire d ’E tat p ou r l’In d e, p o u r les
D o m in io n s, p ou r les C o lo n ie s on trou ve de grands m in istères — Secrétaire
d ’E tat p ou r l’E n v iro n m en t, Secrétaire d ’E tat p o u r le C om m erce et l ’In d u strie,
S ecrétaire d ’E tat p ou r les S ervices so c ia u x — d o n t les titu laires o c c u p e n t les
prem iers rangs de la hiérarchie m in istérielle.
C’est-à-dire q u e l’o n a rem p lacé un sy stè m e où les resp o n sa b ilités
m ajeures se tro u v a ien t dans les re la tio n s du p a y s avec le m o n d e e x te r n e so it
étranger, so it C o m m o n w e a lth , par u n autre o u le g o u v e r n e m e n t se p r é o c c u p e
su rto u t de q u e stio n s é c o n o m iq u e s e t so cia les d o n t les p lu s im p o rta n tes so n t
assez n o u v elles. Et m êm e les resp o n sa b ilités q u i d a te n t d ’assez lo n g te m p s
— l’é d u c a tio n n a tio n a le par e x e m p le — d em a n d en t d es ressou rces b ea u co u p
p lu s grandes. Le fait q u e l ’o n d ép en se p lu s p ou r l’é d u c a tio n q u e p ou r la
d éfe n se a ausi d es c o n sé q u e n c e s p ou r le fo n c tio n n e m e n t d es in stitu tio n s.
Je ne crois pas n o n p lu s q u e l’en trée de la G rande B retagne d ans le
M arché C om m u n ch an ge e ss e n tie lle m e n t c e tte situ a tio n . Il est vrai q u e dans
la p ério d e de n é g o c ia tio n s le p ro b lèm e p o u v a it se p o ser c o m m e un p ro b lèm e
d e p o litiq u e étrangère. O n a dû avoir en e ffe t d e u x m in istres d es affaires
étrangères. Et ju s q u ’à ce q u e to u te la lég isla tio n nécessaire so it ap p rou vée par
le P arlem en t les c h o se s restero n t c o m m e elles so n t, et M. R ip p on co n tin u era
à jo u e r le rôle d e M. E u rop e. M ais c o m m e m em b re de la C o m m u n a u té les
q u e stio n s q u e l ’on aura à résou d re su r to u t d an s les p rem ières an n ées so n t d es
q u e stio n s q u i in teréressen t tel o u tel m in istère d o n t les fo n c tio n s ju s q u ’à
p résen t o n t é té largem en t lim ité e s à la G rande B retagne m êm e. Il faudra
apprendre à c o n c ilie r les m é th o d e s d e travail aussi b ien q u e les p o sitio n s de
su b sta n ce dans u n e grande d iversité d e d o m a in e s ; ce sera un travail de
sp écia listes. D o n c je ne crois pas q u e l’o n accu eillera avec b e a u c o u p de
sy m p a th ie l’id ée q u e lq u e s fo is ex p r im é e à savoir q u e l’on ferait m ieu x
d ’avoir c o m m e rep résen tan t au c o n se il d es m in istres de la C o m m u
n a u té u n seu l M inistre aux A ffa ires E u ro p éen n es. Je ne c ro is p as q u ’un
te l m in istre aurait l ’a u to rité n écessaire d an s les divers m in istères pour
p o u v o ir les rep résen ter e ffe c tiv e m e n t. Il m e sem b le au con traire q u e to u te
l ’ex p é r ie n c e n o u s m o n tre q u e c ’est se u le m e n t c e u x q u i d o iv e n t e x é c u te r u n e
certain e d écisio n q u i p eu v en t u tile m e n t prendre part à sa p rép aration .
�397
Il serait so u v e n t d iffic ile de trou ver u n m in istre b ritan n iq u e d o n t les
fo n c tio n s c o rresp o n d en t e x a c te m e n t à c elle de ses co n frères d es six. T an d is
q u e p lu sieu rs p a y s o n t divisé o u d iv isen t le d o m a in e de l’é c o n o m ie n a tio n a le
en tre u n m in istre d es affaires é c o n o m iq u e s en général et u n m in istre p o u r les
q u e stio n s b u d gétaires, la G rande B retagne n ’a pas ren o u v elé l ’e x p é r ie n c e fa ite
d ans ce sens par le G o u v ern em en t W ilson.
N o u s so m m es reven u s d o n c à la p rim au té tra d itio n n e lle de la trésorerie
qui reste resp on sab le d es m esu res fiscales q u i o n t p o u r o b jet les grandes
lign es de l’é c o n o m ie — ta u x de croissan ce ; c o n tr ô le de l’in fla tio n ; p lein
e m p lo i — e t aussi celles q u i so n t c o n ç u e s en term es fin an ciers tra d itio n n els.
La trésorerie reste d o n c le d ép a rtem en t resp o n sa b le p o u r to u t ce q u i to u c h e
à la m o n n a ie et au crédit.
D ’autre part les in te r v e n tio n s d ans l ’é c o n o m ie , dirigées vers d es secteu rs
particu liers so n t p artagées entre les m ains de trois autres m in istères. Le
m in istère du C om m erce et l’in d u strie est resp on sab le d es relation s avec
l ’in d u strie elle-m êm e c ’est-à-dire avec le secteu r privé en p rem ier lieu . C ela
im p liq u e aussi une resp o n sa b ilité p ou r les q u e stio n s région ales ; car la
stim u la tio n d e l’a c tiv ité d ans les région s m o in s favorisées et son ralen tis
se m e n t dans la région L on dres-B irm ingham d o iv e n t être au cen tre des
p r é o c c u p a tio n s p o litiq u e s d o n t un tel m in istère d o it être l ’in stru m en t.
Mais l’autre grand m in istère n o u v ea u — le m in istère d e l ’e n v iro n n em en t
n e p e u t pas être e x c lu n o n plu s. C o m m e il co m p ren d les se c tio n s q u i o n t
affaire avec le tran sp ort, u n e partie du secteu r n a tio n a lisé d e l ’é c o n o m ie
to m b e en q u elq u e so rte so u s sa su rveillance ; c o m m e il est aussi le m in istère
d even u resp on sab le du lo g e m e n t il a les m o y e n s de stim u ler ou de freiner
l’in v e stisse m e n t dans u n d o m a in e très im p o rta n t. E t c o m m e on va être c h ez
n ou s c o m m e ailleurs très sen sib le d orén avan t au x p ro b lèm es d e la p o llu tio n
et de la p r o te c tio n d es ressou rces n atu relles et du p aysage avec so n agrém en t
to u r istiq u e , et c o m m e to u t cela va c o û te r b e a u c o u p so it à l ’in d u strie, soit
au x co n trib u a b les, ce m in istère va e n co re jo u e r un rôle assez co n sid éra b le
d ans la p o litiq u e é c o n o m iq u e prise d ans son en sem b le.
La créa tio n d e ces n o u v ea u x grands m in istères à c ô té d ’autres déjà
étab lis, a perm is au p rem ier m in istre a ctu el d e lim iter à d ix -se p t le n om b re
d es m em b res du ca b in et d es m in istres au lieu de v in g t-d eu x ou vin gt trois
m em b res d es d ernières an n ées. C’est u n e a m b itio n q u e to u s les prem iers
m in istres récen ts o n t eu e, m ais c ’est la p rem ière fo is q u e l’o n a pu trou ver un
m o y e n de l ’attein d re.
Les avantages so n t assez sen sib les. N o n se u le m e n t il est év id en t q u ’un
cercle p lu s restrein t est p lu s a p te à d es d iscu ssio n s sérieu ses, m ais aussi cela
p erm et de m in im iser le n om b re d es so u s-c o m ité s du ca b in et o ù les d ifféren d s
en tre les divers m in istères so n t réglés, lorsq u e c ’est p o ssib le, p o u r lim iter le
p o id s du travail du c o n se il d es m in istres p ro p rem en t dit. Ce q u i est p lu s
d iscu ta b le c ’est l ’e ffe t q u i en résu lte sur la p o sitio n d u p rem ier m in istre d o n t
l’in flu e n c e a au gm en té récem m en t. D ’u n c ô té il sera m ie u x p la cé p rob ab le-
�m e n t p ou r balan cer su rto u t du p o in t de vu e b u d gétaire les d em a n d es qui
v ie n n e n t des m in istères. Ce n ’est pas par hasard q u e l ’on a créé, a tta ch é au
secrétariat du C on seil d es m in istres un service in d é p e n d a n t de rech erch es et de
c o n tr ô le en c o n ta c t d irect avec le prem ier m in istre e t q u i pourrait
assum er q u elq u es u n e s des tâ ch es q u e le p erso n n el du W hite H ou se en tre
prend p ou r le P résid en t d es E tats-U n is. S o n avenir n ’est pas très clair e t dans
les m ilieu x o ffic ie ls on n ’aim e pas la com p araison avec le sy s tè m e A m éricain
so u lig n a n t la n o tio n c o lle c tiv e d e r esp o n sa b ilité g o u v ern em en ta le dans le
sy s tè m e B ritan n iq u e ; m ais je crois n é a n m o in s q u ’il y a ic i q u e lq u e c h o se à
suivre de près. Le m élan ge d ans c e tte p e tite u n ité -C P R S — o ffic e p o u r la
revue cen trale d es p o litiq u e s — de fo n c tio n n a ir e s de carrière, de d ip lo m a te s et
d es p erso n n es e x térieu res à l ’a d m in istra tio n , prises su r to u t dans le m o n d e d es
affaires, n ’est pas sans in térêt.
Ce qui est d iffic ile à d éterm in er c ’est l’e ffe t de la créa tio n des
su p er-m in istères sur le fo n c tio n n e m e n t d u P arlem en t. O n aim e au P arlem en t
p o u v o ir s’adresser, p ou r les in te r p e lla tio n s o u dans les d éb ats, au m in istre
resp on sab le de l’affaire en q u e stio n . O n n e v o it pas très cla irem en t si c e tte
situ a tio n pourra se m a in ten ir n a tu rellem e n t. F o r m e lle m e n t il est certain q u e
le super-m in istre est resp on sab le p o u r to u t ce q u i se passe d ans so n vaste
em p ire ; que le S ecrétaire d ’E tat p ou r l’in d u strie et le co m m e r c e est
resp on sab le par e x e m p le p o u r l ’a viation civ ile m ais en fa it, o n sait b ien que
c ’est so n a d jo in t p ou r l’a viation q u i prend vraim en t la plu p art d es d é cisio n s.
Et il y a aussi la d iffic u lté q u ’avec l ’e x c e p tio n d es tran sp orts rou tiers, on a
affaire aux in d u stries n a tio n a lisées qui jo u isse n t e lles-m êm es déjà d ’u n e
certa in e in d ép en d a n ce vis à vis du c o n tr ô le P arlem entaire.
En e ff e t c ’e st du c ô té P arlem en taire d e n o s in s titu tio n s p lu tô t q u e du
c ô té e x é c u t if q u e les q u e stio n s les p lu s d iffic ile s se p o se n t p o u r l ’in sta n t. Il
est très à la m o d e de parler du d é c lin gén éral du p arlem en tarism e o c c id e n ta l
e t l ’o n v o it d es e n q u ê te s à ce sujet m ises en m arch e avec to u te s les m é th o d e s
de la scien ce p o litiq u e co n te m p o r a in e . M ais je n e suis pas d u to u t certain q u e
l’o n devrait in clu re la G rande B retagne d an s la liste d es p a y s o u ce p réten d u
d éclin a lieu .
Je crois q u e les d éb ats sur le M arché C o m m u n e t c e u x q u i v o n t suivre
l ’an n ée p ro ch a in e v o n t d ém o n trer q u e le P arlem en t reste to u jo u rs au cen tre
de n o tre sy stè m e p o litiq u e — e t q u e le cas é c h é a n t, é ta n t d o n n é l ’im p o rta n ce
d es partis p o litiq u e s p u issan ts et ord in a irem en t d iscip lin és, o n n e p e u t pas
p en ser q u ’un g o u v e r n e m e n t m ê m e jo u issa n t d ’u n e m ajorité, p e u t être sûr de
to u jo u rs faire a cc e p te r au P arlem en t ce q u ’il p en se d evoir être fait. On
pou rrait o b je c te r q u e le M arché C o m m u n e st u n cas sp écial, e t q u e ce n ’est
pas surpren an t q u e l’o n s ’in téresse p a rticu lièrem en t à u n e q u e stio n o ù les
p ou voirs du P arlem en t lu i-m êm e so n t en cause. Car il est év id en t q u e le
T raité de R o m e retire au x P arlem en ts n a tio n a u x la d é c isio n sur d es q u e stio n s
tr a d itio n n e lle m e n t de leu r d om ain e.
La dernière a d m in istra tio n , c e lle d e M. W ilson , n ’a pas pu faire passer
d ans un P arlem en t o ù elle avait u n e m ajorité d ’u n e c e n ta in e de v o ix , d eu x
�399
p r o p o sitio n s de lo i d ’in térêt p u rem en t n ation al. L e prem ier, sur la réform e de
la cham b re d es L ord s a é c h o u é b ien q u e les c h e fs de l’o p p o s itio n fu sse n t
d ’accord avec le g o u v ern em en t. Il a r en co n tré l ’h o stilité d es m é c o n te n ts d es
d e u x grands partis q u i p o u r d es raison s assez d iffé r e n te s é ta ie n t o p p o sé s à
u n e réform e qui paraissait a ccen tu er le p o u v o ir du g o u v ern em en t. La
n é c e ssité d ’ab an d on n er la lég isla tio n sur les sy n d ic a ts fu t p lu tô t l ’e ffe t d ’u n e
réb ellio n dans la m ajorité e lle-m êm e a p p u y é e par la fo r c e ex térieu re d es
organ isation s sy n d ica les q u i jo u e n t u n rô le p rép o n d éra n t d ans le parti
travailliste.
Le v o te sur le m arch é co m m u n le 2 8 o c to b r e é ta it u n p eu d iffé r e n t du
fait q u e l’o n savait à l’avance q u e d es d e u x c ô té s il y aurait u n e fra ctio n du
parti q u i vo tera it co n tr e la p o sitio n o ffic ie lle de son parti, o u au m o in s
s’ab stien d rait. A u d ernier m o m e n t il a paru avan tageu x au prem ier m in istre
de ne pas d em an d er a u x m em b res con servateu rs de se c o n fo r m e r c o m m e
d ’h ab itu d e au x co n sig n e s du g o u v e r n e m e n t p en sa n t q u e si cela au gm en terait
le n om b re d es v o ix h o stile s il faciliterait d ’autre part l’o p p o s itio n des
travaillistes favorab les à l ’E u rop e m ê m e si o n ne leu r accord ait pas à leur
to u r le d ro it de v o te r lib rem en t. Ce calcu l a b ien réussi, et o n a eu u n e
m ajorité p ro -E u ro p éen n e p lu s grande q u ’o n ne le p en sa it. M ais é v id e m m e n t
les règles du je u ne v o n t pas cesser d ’o p érer e t il e st p rob ab le q u e p o u r la
lég isla tio n e lle-m êm e le g o u v ern em en t devra se fier à ses p rop res ad h éren ts
e t au très p e tit n om b re de so cia listes prêts, p ou r u n e raison o u u n e autre, à
risquer leur avenir p o litiq u e d ans le parti de leur c h o ix .
Je n e v e u x pas in sister sur les fo n c tio n s législatives du P arlem en t d o n t
l ’im p o rta n ce reste é v id en te. En ce q u i co n c e r n e le c o n tr ô le d e l’adm in istra
tio n , l ’e x p é r ie n c e d es d ern ières a n n ées est b ien p lu s éq u iv o q u e. O n a fa it d es
e ffo r ts su r to u t d ans les p rem ières a n n ées du m in istère W ilson p o u r arriver à
un sy s tè m e de c o m m issio n s sp écia lisées p lu s o u m o in s an alogu es à c e lle s des
p arlem en ts E u ro p éen s o u au C ongrès A m éricain , avec l’id ée, q u ’en e x p lo r a n t
d es d o m a in es im p o rta n ts de l ’a c tiv ité g o u v ern em en ta le, o n arriverait à u n
c o n tr ô le p lu s e f f e c t if q u e ce lu i tr a d itio n n e lle m e n t o p éré par les q u e stio n s a u x
m in istres e t les d éb a ts q u i q u e lq u e fo is les su iven t. Il ne sem b le pas q u e
l ’e x p é r ie n c e ait eu de grands résu lta ts et o n est en train de la ren ou veller
d ans u n e fo r m e d iffé r e n te en rafferm issan t les c o m m issio n s e t sousco m m issio n s fin an cières de la ch am b re. C ’est trop tô t p o u r dire ju s q u ’à q u el
p o in t cela va d o n n er d es résu ltats p lu s sig n ifica tifs. Il sem b le q u ’il y a trois
o b sta c le s au m o in s à un d é v e lo p p e m e n t sérieu x d ans c e tte d irectio n .
Il y a l’o b sta c le c o n stitu tio n n e l à la c o n fr o n ta tio n sur d es q u e stio n s
d e p o litiq u e e t n o n sur d es q u e stio n s d e te c h n iq u e ad m in istrative en tre les
fo n c tio n n a ir e s et les p arlem en taires. O n a p eu r de risquer la n eu tra lité d es
fo n c tio n n a ir e s en d éco u v ra n t leurs p référen ces p erso n n elles.
Il y a l’im p o ssib ilité p o u r les c o m m issio n s de faire d es e n q u ê te s
a p p ro fo n d ies sans d es états-m ajors c o û te u x e t les o b je c tio n s de la trésorerie
p ou r l ’a llo c a tio n d es so m m es nécessaires. E t fin a le m e n t il y a le se n tim e n t
�q u e l ’on ne d o it pas trop b rou iller la d iffé r e n c e en tre les partis p o litiq u e s et
trop in stitu tio n a lise r les a ccord s q u ’il p eu t y avoir en tre eu x .
Mais il y a aussi u n e raison m o in s fréq u em m en t é n o n c é e . C ’e st q u e les
m em b re du P arlem en t so n t, o u p r é o c c u p é s de leurs in té r ê ts p rivés o u h o stile s à
d es réfo rm es q u i d em a n d ero n t e n co re u n e c o n sé c r a tio n de leu rs te m p s ; ou b ien
p o litiq u e m e n t a m b itieu x — e t dans ce cas là, ils p réfèren t d es a c tiv ité s c o m m e
les d éb a ts ou les in te r p e lla tio n s d ans la cham b re e lle-m êm e, o ù ils p e u v e n t ani
m er l’esp rit du p arti e t se signaler aux m ilita n ts de leu r cir c o n sc r ip tio n . De
l’autre c ô té les fo n c tio n n a ir e s q u i d o iv e n t paraître d evan t les c o m ité s de ce
genre p en sen t q u e o n n e p e u t rien d iscu ter de sérieux dans un atm o sp h ère de
p u b licité e t q u e d es c o m ité s de ce genre ne p e u v e n t u tile m e n t fo n c tio n n e r q u ’à
h u is clos.
D ans le P arlem en t a ctu el on a rem anié le sy s tè m e d es c o m ité s p o u r les
associer p lu s d ir e c te m e n t au c o n tr ô le b u d gétaire ; m ais les m êm es d iffic u lté s
se m b le n t déjà être p résen tées e t les c h e fs d es partis d es d e u x c ô té s n e v eu len t
év id em m en t pas trop m agn ifier le rô le d es c o m ité s. Ils sem b len t ch o isir leurs
m em b res sans grande rela tio n avec les in térêts ou l ’e x p é r ie n c e q u ’ils p ou r
raient a p p orter à leu r travail.
En ce q u i co n c e r n e le c o n tr ô le p lu s d éta illé d e l ’a d m in istra tio n , n o u s
avon s eu déjà assez de te m p s p o u r p o u v o ir ju ger le fo n c tio n n e m e n t du
C om m issaire P arlem entaire o u de l ’O m b u d sm an c o m m e o n préfère to u jo u rs
l ’appeler. Ses rapp orts ainsi q u e c e u x du c o m ité P arlem entaire so u s l’égid e
d u q u el il travaille n e révèlen t pas b e a u c o u p d e cas d e m auvaise ad m in istra
tio n . D ans q u elq u es cas il est p rob ab le q u e son a ctiv ité est p lu s p o u ssé e q u e
c elle d ’u n m em b re du P arlem en t agissant auprès d es m in istères par ses p ropres
m o y e n s, m ais o n ne d o it pas y voir u n e n o u v e a u té c o n s titu tio n n e lle de grande
im p o rta n ce.
Si le P arlem en t n ’e st pas b e a u c o u p p lu s a c tif sur les d éta ils de l ’a ctiv ité
g o u v ern em en ta le à cou rt term e, il est vrai aussi q u e l ’o n n ’a pas pu faire
b ea u co u p p ou r fix e r son a tte n tio n sur les gran d es q u e stio n s de la p o litiq u e
é c o n o m iq u e vue sou s u n e p ersp ectiv e m o in s lim ité e . C ertes, o n a fait
l’e x p é r ie n c e de so u m e ttr e au P arlem en t d es p révision s q u an t au x d ép en ses
b u d gétaires c a lcu lée ju s q u ’à cin q ans à l ’avance. C ela co rresp o n d à la pratiq u e
d es m in istères, car les d é c isio n s q u e l ’o n prend d ans b ea u co u p de d o m a in es
ne p eu v en t pas se co n c r é tise r p lu s v ite — e t cela e st aussi vrai d u c ô té civil
que du c ô té m ilitaire. M ais il n ’y a q u ’u n e m in o r ité de m em b res du
P arlem en t q u i se sen te p rête à se con sacrer à d es co n sid é r a tio n s q u i leur
se m b le n t assez ab straites et q u i ne c o m m a n d e n t pas l’a tte n tio n d irecte et
im m é d ia te de leurs élec teu rs. Le P arlem en t est to u jo u rs p a ssio n n é par ce q u i
p a ssio n n e le grand p u b lic. Sa vie reste to u jo u rs a x é e sur le c o m b a t p erp étu el
d es partis ou sur les rivalités d es p erson n ages et n o n pas. sur le travail
q u o tid ie n d es m in istères. Il prend en co n sid é r a tio n ce q u i s’im p o se à son
a tte n tio n , e t ce n ’est pas to u jo u rs ce q u i est la c h o se la p lu s im p o r ta n te dans
la vie de la n a tio n .
�401
On aurait pu dire to u t cela é v id em m en t d ep u is déjà lo n g tem p s. Je
n ’in siste q u e p o u r ap p u y er la th èse cen trale de c e t e x p o sé — la d u rab ilité de
n o s in s titu tio n s p o litiq u e s et le fa it q u e d ans un m o n d e o ù b ea u co u p de
c h o se s ch a n g en t, et ch an gen t assez v ite, les h a b itu d es et les p r é o c c u p a tio n s
de n o s h o m m e s p o litiq u e s so n t to u jo u rs très tr a d itio n n elles.
Le P arlem en t a to u jo u rs la tâ ch e p rim ord iale de so u te n ir u n e ad m in is
tration , un p rem ier m in istre e t d e préparer ses su ccesseu rs. Ce so n t les
m in istres q u i p ren n en t les d é c isio n s les p lu s im p o r ta n te s et derrière e u x ce
grand in stru m en t d e travail le Civil Service ! le co rp s d es fo n c tio n n a ir e s du
g o u v ern em en t cen tral. Ici l ’o n trou ve à c ô té d ’u n certain tr a d itio n n a lism e
aussi, p eu t-être u n e d o se p lu s fo r te d ’in n o v a tio n . L es réform es p r o p o sé e s par
le c o m ité F u lto n n ’o n t pas eu le tem p s de se faire sen tir à travers to u te
l ’a d m in istra tio n ; p o u r cela il faudrait a tten d re u n e gén éra tio n au m oin s. M ais
on v o it déjà q u e les quatre d ir e c tio n s p rin cip ales sou s l’égid e du n o u veau
m in istère du civil service, o n t fa it quand m êm e un progrès assez im p o rta n t.
D u p o in t de vu e d es m é th o d e s d ’en trée au service d e l ’E tat on essaye
de faire face aux grands ch a n g em en ts q u i o n t déjà eu lieu d ans l’é d u c a tio n
n a tio n a le — c ’est-à-dire q u e d ésorm ais presq u e to u s c e u x q u i o n t d es
asp iration s à u n travail resp on sab le sero n t ad m is après avoir fa it d es é tu d e s
U n iversitaires, et n on à seize o u à d ix -h u it ans c o m m e la p lu p art des
fo n c tio n n a ir e s de jad is. O n v e u t aussi favoriser les p o ssib ilité s de c e u x q u i ne
v ie n n e n t pas d es an cien n es U n iversités p restig ieu ses et qui v e u le n t gravir
l’éc h e lle q u i m èn e au x h au teu rs du sy stè m e . C e tte d é m o c r a tisa tio n est en
train de se faire sentir m ais d ép en d a u ta n t d ’u n e é v o lu tio n so cia le et
p sy c h o lo g iq u e q u e de règ le m en ts. L e d e u x iè m e o b je c tif, q u i vise à d im in u er
les d iffé r e n c e s dans la stru ctu re d es carrières en tre les ad m in istrateu rs purs e t
les sp écia listes, les te c h n ic ie n s, va p ro b a b lem en t être p lu s d iffic ile à a ttein d re.
S o n su c c è s et ce lu i d es autres réfo rm es d é p e n d e n t b e a u c o u p du sy s tè m e
d ’en tr a in e m e n t p lu s fo rm el et p lu s d éta illé q u e l ’o n est en train de créer p ou r
les fo n c tio n n a ir e s à to u s les n iveau x. O n a ic i fa it a tte n tio n à l ’ex p é r ie n c e
fran çaise, su rto u t de l ’E N A , m ais la c o m b in a iso n de travail aca d ém iq u e avec
d es stages auprès d es ad m in istrateu rs sem b le assez d iffic ile à co n c ilie r avec la
stru ctu re m ê m e d es m in istères B ritan n iq u es. L ’en tr a in e m e n t sera d o n c p eu têtre p lu s th é o r iq u e q u a n t a u x cou rs d o n n é s par le C ivil S ervice C o llèg e, avec
u n certain a c c e n t sur l ’é c o n o m ie p o litiq u e c o m m e d iscip lin e de base. Le
q u a trièm e o b je c tif q u i vise à en cou rager les m êm es m é th o d e s de travail q u e
l’o n a d é v e lo p p é e s dans l’in d u strie e t d ans le c o m m e r c e a é té p o u ssé assez loin
en partie en c o n su lta n t les o p in io n s d es firm es sp écia listes en m atière de
“ m a n a g e m e n t” de g e stio n d ’en trep rise du secteu r privé.
E v id em m en t to u t e ffo r t d ’organ isation ou d ’en tr a in e m e n t d ép en d du
p erso n n el q u e l ’o n a à sa d isp o sitio n . L e service p u b lic n e p e u t pas o ffrir d es
avantages m atériels q u e p e u t o ffrir l ’in d u strie p rivée, m êm e les in d u stries
n a tio n a lisées, n i m ê m e en certain s c a s, les p r o fe ssio n s libérales. D ’autre p a rt,
u n e certain e im p a tie n c e d ans la je u n e sse vis à vis d ès dures réalités de la vie
active a fa it rester d ans le m o n d e aca d ém iq u e c o m m e lecteu rs o u p rofesseu rs
à l’U n iversité u n e p r o p o r tio n p ro b a b lem en t trop grande d es p ro d u its de
�l ’é d u c a tio n supérieure. Il se p e u t q u e la co n jo n c tu r e so it d ev en u e r é c e m m e n t,
p o u r p lu sieu rs raisons, p lu s favorab les à la carrière ad m in istrative. E t les
p o ssib ilité s d e travail d ans les in s titu tio n s E u ro p éen n es v o n t je crois a u gm en
ter so n attrait.
Je p en se q u e lq u e fo is q u e le danger p o u r n ou s est to u t à fa it d iffé r e n t :
la q u a lité de n o s fo n c tio n n a ir e s et les o b sta c le s fo rm id a b les q u e re n c o n tr e n t
c e u x q u i c h erch en t u n e carrière p o litiq u e-p a rlem en ta ire p e u t n o u s m en er à
u n e situ a tio n o ù les m in istres sero n t d o m in é s par leurs fo n c tio n n a ir e s
p erm an en ts à te l p o in t q u e l ’o n p ou rrait parler d ’un régim e b u reau cratiq u e. Il
y a déjà d ans les m œ u rs p o litiq u e s d es d ernières an n ées d es in d ic a tio n s
tro u b la n tes. O n a vu trop de rem a n iem en ts m in istériels m êm e sans ch an ge
m e n t de d ir e c tio n p o litiq u e , et cela est allé ju s q u ’au p o in t o ù les titu laires de
certain s m in istères im p o rta n ts — l’é d u c a tio n n a tio n a le par e x e m p le — o n t
ch an gé si so u v e n t q u e les m in istres y resta ien t trop p eu de te m p s p ou r
p o u v o ir apprendre ce q u ’il fallait p o u r p o u v o ir vraim en t agir d ’u n e fa ç o n
e ffe c tiv e . L es m in istres passagers so n t in é v ita b le m e n t p rison n iers de leurs
fo n c tio n n a ir e s.
Il e st év id en t q u e dans un sy stè m e o ù les partis o n t ta n t d ’in flu e n c e ,
b e a u c o u p de c h o se s d é p e n d e n t d e leu r é v o lu tio n in térieu re. C o m m e n t von t-ils
ch o isir leurs can d id ats p ou r les sièges p arlem en taires su rto u t dans les
cir c o n sc r ip tio n s où l’o n p e u t garantir le su c c è s de tel ou tel parti. J’ai
l ’im p ressio n q u e les con servateu rs o n t ici u n certain avantage en attiran t vers
leurs rangs d es je u n e s gen s a m b itie u x n o n se u le m e n t p ou r la c h o se p u b liq u e
m ais très p r é cisém en t p ou r u n e carrière m in istérielle. Le p arti travailliste est
p o u r le m o m e n t, c o m m e plu sieu rs fo is dans son h isto ir e , très d ivisé — e t ce
n ’est pas se u le m e n t u n e d iv isio n en tre e x tr é m iste s et m o d érés, ni m ê m e en tre
d es p erson n ages ou d es g r o u p e m e n ts fid è le s à tel ou tel c h e f. Il y a u n e
te n sio n p erm a n en te en tre le m o u v e m e n t ouvrier organisé dans d es sy n d ic a ts
e t a yan t à travers les sy n d ica ts u n e p o s itio n p rép o n d éra n te dans l ’organisa
tio n du p arti dans le p ays, e t le parti p arlem en taire. Cela ne co rresp o n d pas
to u jo u rs à la d iv isio n en tre aile gau ch e e t aile d ro ite. M ais quan d (c o m m e
c ’est le cas m a in ten a n t) les sy n d ic a ts et d o n c le parti dans son a sp ect
n a tio n a l, so n t d ans u n e p h ase g a u ch iste, il y a u n e co n sid é r a tio n n o u v e lle à
ajou ter à n o tre an alyse ; le fa it q u e p o u r b e a u c o u p d es rep résen tan ts de c e tte
ten d a n c e m ê m e c h ez les p arlem en taires, leur rôle n est pas de p articip er à u n
g o u v ern em en t m ais de se faire les p o rte-p a ro le de l ’o p p o s itio n p erm a n en te
des d ésh érités — so it dans le p a y s m ê m e , so it o u trem er. Il y a p arm i e u x ,
c e u x q u i rep résen ten t u n e ten d a n c e p lu s ou m o in s r é v o lu tio n n a ire — qui
seraien t h eu reu x d e prendre le p o u v o ir dans u n régim e vraim ent so cia liste,
c ’est-à-dire d iso n s du ty p e d é m o c r a tie p op u laire m ais q u i n e v e u le n t pas
partager les resp o n sa b ilités de g e stio n d ’u n e é c o n o m ie m ix te avec to u s les
c o m p ro m is q u e les lo is de l ’é c o n o m ie c a p ita liste p e u v e n t engendrer. Mais
p o u r b e a u c o u p d ’en tre e u x c ’e st l ’o p p o s itio n to u te sim p le q u i les attire ; or
u n parti ainsi d o m in é sera am en é à ex c lu r e de ses rangs les m in istrab les de
l’avenir. C ’est trop tô t p o u r savoir o ù c es d éb ats in térieu rs n o u s m è n e r o n t ;
�m ais leur
signaler.
im p o rta n ce
c o n stitu tio n n e lle
est
trop
grande
p ou r ne
pas les
J u sq u ’ic i j ’ai parlé u n iq u e m e n t du g o u v ern em en t cen tral e t de ses
p ro b lèm es. Mais c o m m e d ans b e a u c o u p de p a y s au m o m e n t m ê m e o u les
p o u v o irs g o u v ern em en ta u x a u g m en ten t on réclam e p lus d ’in itia tiv e p ou r les
région s et p ou r les lo c a lité s. L ’im p o rta n ce d es a u to r ité s lo c a le s dans le
sy s tè m e b ritan n iq u e a d o n n é au x p ro b lèm es d es u n ité s d e g o u v ern em en t lo ca l
u n e grande im p o rta n ce. A p rès de lo n g u e s e n q u ê te s et de lo n g s d éb a ts on a
fin i par o p te r p ou r u n e n o u v elle d isp o sitio n q u i fera p lus ou m o in s
d isp araître la d is tin c tio n h isto r iq u e en tre les c o m té s e t les villes. Sans entrer
dans les d étails, les grandes lign es du sy stè m e v o n t m a in ten a n t faire la
d istin c tio n en tre les région s m é tr o p o lita in e s (s ix en n o m b re) q u i v o n t avoir
u n e stru ctu re g o u v ern em en ta le m o d e lé e sur celle de L on d res, et p o u r le reste
du p a y s un sy s tè m e de c o m té s q u i co m p ren d ro n t les v illes q u i y appar
tie n n e n t. Il y aura aussi d es r eg ro u p em en ts p o u r d im in u er le n o m b re e f f e c t if
d es u n ités. O n p en se q u ’u n e te lle stru ctu re sera p lu s e ffic a c e su rto u t parce
q u e les p lus grandes u n ités auront p lus de p o ssib ilité s d ’e m p lo y e r les
m eilleu rs sp écia listes par e x e m p le dans l'é d u c a tio n ; d ’autre part la d ista n ce
en tre le c ito y e n et so n c o n se il lo ca l va être p lu s grande. O n a d o n c o p té p ou r
l ’e ffic a c ité co n tr e le c o n tr ô le d ém o cra tiq u e. O n ne sait pas à q u el p o in t ces
ch a n g em en ts sero n t a ccep ta b les ; et d ’ailleurs sans u n e rép a rtitio n n o u v e lle
d es resp o n sa b ilité s fisca les le ch am p d ’a c tio n in d é p e n d a n t d es lo c a lité s q u elle
q u e so it leu r grandeur ne p e u t pas s’élargir b e a u c o u p . En so m m e la ten d a n ce
u n iverselle vers la cen tra lisa tio n ne sem b le pas être in terro m p u e par les
p r o p o sitio n s q u e le P arlem en t d o it m a in ten a n t con sid érer.
J’ai gardé p ou r la fin la c o m m issio n c o n stitu tio n n e lle p ro p rem en t d ite
parce q u ’il fa u t a tten d re p ro b a b lem en t e n co re u n e an n ée avant de c o n n a îtr e
son rapport. E lle fu t in stitu é e au m o m e n t o u les n a tio n a lism es é co ssa is et
gallois sem b la ie n t être d ’u n e im p o rta n ce p o litiq u e co n sid éra b le. E lle d o it en
p rin cip e se p ro n o n cer n o n seu lem en t sur les p o ssib ilité s d ’e ffe c tu e r u n e
m esure d e d écen tra lisa tio n p o litiq u e à c ô té d es m esu res de d écen tra lisa tio n
ad m in istrative qui e x is te n t déjà p ou r ces d e u x p a y s m ais aussi p rendre en
co n sid é r a tio n les p réten d u es région s de l ’A n gleterre m êm e. Il y a déjà su rto u t
p o u r le travail é c o n o m iq u e d u g o u v ern em en t cen tral u n e sorte de région a
lisa tio n avec d es organ es d e c o n su lta tio n m ais sans in s titu tio n s rep résen ta
tives. O n ne sait pas si l ’o n va suggérer de leur d o n n er d es assem b lées
élec tiv es, et dans ce cas avec q u els p ou voirs. C o m m e n t les insérer en tre le
g o u v ern em en t cen tral et les c o m té s e u x m êm es au m o m e n t de leur rem a
n ie m e n t ?
E v id em m en t la q u e stio n
de l’Irlande du N ord n ’e st pas sans relation
avec ce q u e l’o n p e u t faire en p a y s de G alles o u en E co sse. Il serait absurde
de con stru ire d e n o u v e a u x p a rlem en ts à u n m o m e n t où l ’on p e u t être
c o n tra in t d ’ab olir u n P arlem en t q u i e x is te déjà d ep u is cin q u a n te ans. O n
pourrait dire q u e les cas ne so n t pas les m êm es ; q u e ce n ’est q u ’en Irlande
q u e l’on a u n e m in o r ité essa y a n t de d éta ch er la p rovin ce de la G rande
�404
B retagne p o u r la m e ttr e so u s un autre g o u v e r n e m e n t. La q u e stio n d es
irredenta est trop c o n n u e en E u rop e p o u r q u e l’o n d o iv e y in sister. M ais le
fait q u ’au p a y s de G alles le m o u v e m e n t n a tio n a liste est d ans les m ain s d ’u n e
m in o rité lin g u istiq u e (n o n religieu se c o m m e dans l’Irlande du N o rd ) d o n n e
lieu à d es p r o n o stic s p e ssim iste s p ou r l’avenir. P our le m o m e n t les m o u v e
m e n ts E cossais e t G a llo is ne se m b le n t p as assez fo rts p o u r p ersu ad er la
m ajorité du p a y s d e la n é c e ssité d ’u n e fr a g m en ta tio n du r o y a u m e u n i. Mais
on n e p e u t jam ais être c o n fia n t en ce q u i co n c e r n e les grands cou ran ts
u n iversels d e la p o litiq u e .
En c o n c lu s io n , p o u r le m o m e n t, e x c e p té e to u jo u rs la m a lh eu reu se
q u e stio n irlandaise, les in s titu tio n s p o litiq u e s B ritan n iq u es fo n c tio n n e n t assez
b ien p o u r n o u s p erm ettre d e p en ser q u e l’o n p ourrait sans crain te c o n te m p le r
la grande aven tu re de l’en trée en E u rop e.
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IMPRIMERIE LOUIS-JEAN
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Dépôt légal 304 - 1972
��TRAVAUX ET MÉMOIRES DE LA FACULTÉ DE DROIT
ET DE SCIENCE POLITIQUE D'AIX-MARSEILLE
LA COOPÉRATION SCIENTIFIQUE
ENTRE LA FRANCE ET LE TIERS MONDE
pa r Gilbert CATY
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L'ÉVOLUTION DU DROIT CRIMINEL CONTEMPORAIN
Recueil d'études à la mémoire de Jean LEBRET
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ÉTUDES OFFERTES A ANDRÉ AUDINET
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LES PROJETS DE RÉFORME ADMINISTRATIVE EN FRANCE
par Albert LANZA
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LE CONSEIL D'ÉTAT ET LA VIE PUBLIQUE
EN FRANCE DEPUIS 1958
par Jean-Poul NEGRIN
•
L'ARMÉE AU CAMBODGE
ET DANS LES PAYS EN VOIE DE DÉVELOPPEMENT
DU SUD-EST ASIATIQUE
par Maurice LAU RENT
•
LA FONCTION PUBLIQUE FÉDÉRALE AUX ÉTATS-UNIS
par Martine LAMARQUE
•
COURRIER PARLEMENTAIRE ET FONCTION PARLEMENTAIRE
par J.-CI. ESCARRAS, Cl. IMPERIAL!, R. PINI
•
ADMINISTRATION ET JUSTICE ADMINISTRATIVE
FACE AUX ADMINISTRÉS
par J. FRAYSSINET, J.-P. GUIN, R. BLUM
PRESSES UNIVERSITAIRES DE
1972/4
FRANCE
101
�
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Title
A name given to the resource
Publication en série imprimée
Description
An account of the resource
Périodiques imprimés édités au cours des 18e-20e siècles et conservés dans les bibliothèques de l'université et d'autres partenaires du projet (bibliothèques municipales, archives et chambre de commerce)
Dublin Core
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Title
A name given to the resource
Annales de la Faculté de droit et des sciences économiques d'Aix-en-Provence
Subject
The topic of the resource
Doctrine juridique française
Description
An account of the resource
Doctrine juridique et articles en économie
Creator
An entity primarily responsible for making the resource
Université Paul Cézanne (Aix-Marseille). Faculté de droit et de science politique
Université Paul Cézanne (Aix-Marseille). Faculté d'économie appliquée
Source
A related resource from which the described resource is derived
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence), cote RES 50038
Publisher
An entity responsible for making the resource available
La Pensée universitaire (Aix-en-Provence)
Presses universitaires de France (Paris)
Date
A point or period of time associated with an event in the lifecycle of the resource
1959-1972
Rights
Information about rights held in and over the resource
restricted use
soumis à copyright
Relation
A related resource
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Format
The file format, physical medium, or dimensions of the resource
application/pdf
8 vol.
2 602 p.
25 cm
Language
A language of the resource
fre
Type
The nature or genre of the resource
text
publication en série imprimée
printed serial
Identifier
An unambiguous reference to the resource within a given context
https://odyssee.univ-amu.fr/items/show/286
Coverage
The spatial or temporal topic of the resource, the spatial applicability of the resource, or the jurisdiction under which the resource is relevant
France. 19..
Alternative Title
An alternative name for the resource. The distinction between titles and alternative titles is application-specific.
Annales de la Faculté de droit d'Aix (Suite de)
Annales de la Faculté de droit et de science politique d'Aix-Marseille (Pour sa dernière année de parution en 1972, prend pour titre)
Travaux et mémoires de la Faculté de droit et de science politique d'Aix-Marseille (Absorbé par)
Provenance
A statement of any changes in ownership and custody of the resource since its creation that are significant for its authenticity, integrity, and interpretation. The statement may include a description of any changes successive custodians made to the resource.
Bibliothèque droit Schuman (Aix-en-Provence)
Table Of Contents
A list of subunits of the resource.
<ul>
<li><a href="https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/2/286/RES-50038_Annales-Droit_1963_N53.pdf" target="_blank" rel="noopener" title="Les conséquences économiques du caractère saisonnier du phénomène touristique (1963)">Les conséquences économiques du caractère saisonnier du phénomène touristique (1963)</a></li>
<li><a href="https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/2/286/RES-50038_Annales-Droit_1964_N54.pdf" target="_blank" rel="noopener" title="La voie d'appel : Colloque national de droit judiciaire, Aix, 22-23 fév. 1963 (1964)">La voie d'appel : Colloque national de droit judiciaire, Aix, 22-23 fév. 1963 (1964)</a></li>
<li><a href="https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/2/286/RES-50038_Annales-Droit_1965_N55.pdf" target="_blank" rel="noopener" title="Etudes réunionnaises, N° spécial (1965)">Etudes réunionnaises, N° spécial (1965)</a></li>
<li><a href="https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/2/286/RES-50038_Annales-Droit_1967_N56.pdf" target="_blank" rel="noopener" title="Étude de droit pénal douanier (1967)">Étude de droit pénal douanier (1967)</a></li>
<li><a href="https://odyssee.univ-amu.fr/files/original/2/286/RES-50038_Annales-Droit_1969_N57.pdf" target="_blank" rel="noopener" title="Etude de droit privé français et mauricien : Congrès tenu à St-Denis de la Réunion, 1er-4 juillet 1965 (1969)">Etude de droit privé français et mauricien : Congrès tenu à St-Denis de la Réunion, 1er-4 juillet 1965 (1969)</a></li>
</ul>
Droit -- Étude et enseignement -- Périodiques
France -- Conditions économiques -- 20e siècle
Institutions politiques